vendredi 12 février 2010

Vie de saint Marc l'Anachorète.

SAINT MARC L’ANACHORETE


VIE DE SAINT MARC L’ANACHORETE


D’après le GRAND SYNAXAIRE
DES VIES DE SAINTS
DE L’EGLISE ORTHODOXE.


Traduction de Presbytéra Anna.


Editions de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas CULTURE ORTHODOXE
Eglise Orthodoxe Saint Nectaire d’Egine - Saint Ambroise de Paris.
30 Bd de Sébastopol. 75001 Paris.

Tous droits réservés.


CULTURE ORTHODOXE

30 Bd de Sébastopol. 75001 Paris.




CHAPITRE PREMIER

LE DESERT QUI SANCTIFIE



Combien, parmi les hommes orgueilleux, pédants, & prétentieux, qui peuplent cette terre de péché, ont-ils su retrouver leur enfantine naïveté originelle, pour croire, & pouvoir, dans le véritable Esprit de simplicité, ajouter Foy aux Saintes Paroles du Seigneur?

Et, parmi ceux-là mêmes, combien s’en est-il encore trouvé pour fuir loin, bien loin du monde habité, parmi les montagnes & les déserts, en manière d’y mener l’Ascèse dans la Solitude de l’Hésychia, à fin de marcher, leur Vie durant, sur la voie étroite, mais bénie, que, dans Son Saint Evangile invite le Christ à parcourir?

Il en est pourtant qui, dès les Temps Anciens, s’en furent au Désert, s’efforçant par une afflictive Vie, de s’ouvrir la Porte, dérobée, du Paradis.
Eux la cherchaient véritablement, la Perle Cachée Christique, que le Seigneur Dieu Dit être pareille à l’Eternité.
Or, qu’est cette Perle Précieuse, d’une Préciosité sans Prix, si non Christ, & le Christ Soi-Même?
Ah! ces Ames Bénies, qui jamais ne s’écartaient de leur But, Visée Première, & Fins Dernières !
Elles Savaient Bien où se pouvait seule trouver, & retrouver en fin, leur patrie d’antan, Terre Originelle de Ciel de Paradis.
Lors, de toutes leurs Forces tendues, de Coeur, d’Ame, & d’Esprit, elles s’exerçaient, s’attachaient, & s’évertuaient à la reJoindre.



CHAPITRE SECOND.

L’ABBA SERAPION, & SON SAINT GERONDA, L’ANCIEN JEAN.


Il y avait autrefois, dans l’ancienne Egypte, deux Saints Pères qui menaient la Sainte Ascèse. Là, dans les profondeurs du Désert, ils Glorifiaient Dieu. L’un avait nom Jean; l’autre Sérapion.
& ils étaient si loin de la Vanité du monde, oubliés des hommes en ce lieu d’hésychia BienHeureuse, où, paisiblement, s’écoulait leur Sainte Vie, qu’ils se demandaient parfois s’il se pût qu’un autre Ascète se fût retiré plus loin qu’eux, qui se fût enfoncé plus avant au profonds de cette vaste Solitude.

Or, voici qu’une nuit, comme ils venaient de s’endormir à peine, Sérapion vit en rêve deux vénérables Anciens, se tenir au-dessus de lui, disant : “ Il y a tant d’années que tu demeures en ce Désert, & que tu ne sais pas même ce que plus profond il recèle! Là-bas, aux marches quasi de l’Ethiopie, comme sur son seuil, se trouve le Mont Thrace. A son sommet lutte Saint Marc l’Ancien, par la maladie épuisé, tout exténué, & vieux de cent trente ans déjà. Voilà bien quatre-vingt-dix années, déjà, qu’il n’a, de tout ce long Temps, point seulement vu face d’homme. Non, il n’est point d’autre Ascète en ce Désert qui fût parvenu à sa stature Spirituelle, non plus qu’à son état d’Elévation Sublime. Allons, pars à sa rencontre. Va t’en le visiter, pour le voir avant qu’il ne fût plus. Mais, hâte-toi. Car, dans quarante jours d’ici, il se libérera & goûtera le repos, enfin, se reposant de ce lourd fardeau que lui fut, chétif, le corps physique, en sa Vie d’afflictions & de privations corporelles”.


CHAPITRE TROIS

L’ABBA SERAPION CONTE SON REVE.



Lorsque Dieu fit lever son jour brillant, l’Abba Sérapion se dressa sur son séant, & se mit en devoir de conter à l’Abba Jean son rêve mystérieux. L’Ancien, sans hésitation, discerna là le signe divin d’un rêve envoyé par Dieu.
Mais où donc pouvait bien se situer le Mont Thrace?
-"Mon Géronda,” lui dit alors l’Abba Sérapion, “ accorde-moi tes Prières, & bénis-moi. Alors, Dieu, devant moi, ouvrira sa route, & me fraiera le chemin.”

Fort des Prières de l’Abba Jean, son Ancien, l’Abba Sérapion se mit donc en route vers Alexandrie d’Egypte, la plus grande ville lors de l’Orient. Cinq jours plus tard, il y parvenait, ayant à pied parcouru deux fois plus de chemin que ne met d’ordinaire, pour l’accomplir, un bon chameau des plus endurants. Car, en vérité, si grande était sa Joie, qu’il avait marché nuit & jour, comme s’il eût été pourvu des ailes de l’Oiseau, désireux d’arriver en avance, ne fût-ce que d’une heure, sur le temps escompté pour parvenir au but désiré vers lequel se tendait son Ame.


CHAPITRE QUATRE


L’ABBA SERAPION FAIT LA RENCONTRE D’UN COLPORTEUR.


Comme il atteignait aux abords d’Alexandrie, l’Abba Sérapion, y encontrant l’un de ces marchands qui s’en vont colporter leurs marchandises & denrées rares dans les contrées lointaines, voulut tâcher d’apprendre de lui où se pouvait bien trouver le Mont Thrace.

-“Ah! mon Père Abba !” s’exclama le caravanier. “ la route est fort longue encore! Mais, ce que je sais,” poursuivit-il, “ c’est que par la grande mer des Chattes, l’on y va en vingt jours, tandis que, par la terre ferme, il faut bien de trente à quarante jours.”

L’Abba Sérapion prit lors avec lui les dattes de quelques régimes d’icelles, & l’eau dont il emplit l’écorce séchée de ce petit potiron de courge que l’on nomme coloquinthe, puis, ayant dit l’ office de ses Prières, il poursuivit son chemin.

Sur cette terre de feu, grillée par l’ardeur du flamboyant soleil qui la consumait toute, il marcha plus de vingt jours entiers. &, bien que ce lui fût comme s’il marchait sur des charbons ardents, le Seigneur qui, selon qu’il est Ecrit au Biblique Livre de Daniel, envoya sur les Trois Adolescents dans la Fournaise la Bienfaisante Rosée de Sa Grâce Afraîchissante, couvrit aussi l’Abba Sérapion de l’Ombre de Sa Nuée, à crainte que ne le transperçassent les acérés traits du globe incandescent dardés du disque solaire, boule de feu consumante de l’astre échevelé du jour, qui, dans ces lieux impitoyables, brûle de sa morsure sauvage & l’homme & la terre même, par tout craquelée, de son dessèchement crevassée. C’est ainsi que, péniblement, suant sang & eau, progressait l’Abba, n’encontrant sur sa route, comme le dit le Psalmiste, ni bétail, ni animal sauvage, ni rapace, ni reptile, ni végétal même aucun, d’aucune espèce ni sorte, ni vivant que ce fût, en aucune manière. Car, sur ce sol, jamais, non, jamais, ne tombait la bienfaisante ondée de la pluie bénéfique à la vie.


CHAPITRE CINQ

L’ABBA SERAPION RECOIT LA VISION

DE DEUX ANCIENS.


Vingt longs jours avaient, de la sorte, passé, lorsqu’en la coloquinthe vint à s’épuiser la réserve d’eau du Saint Abba Sérapion. Alors, si grande fut sa soif, inextinguible, que, se voyant près de Mourir, & sur le bord même, gouffre noir, de l’Abyme de la Mort, de tout son long, soudain, sur le sable infini de ce Désert des déserts, il s’écroula.
& comme il gisait, pitoyablement piteux, & lamentablement desséché, désespéré, de la sorte, en toute son âme, & jusqu’au tréfonds d’icelle, voici qu’à nouveau, tout soudain, devant lui, parurent, s’offrant à sa vue d’être huamin à la dernière extrémité d’inhumanité, les deux Anciens qui, dans son rêve, naguère, s’étaient au-dessus de lui tenus déjà. L’un d’eux alors, lui tendant une racine - de gommier, peut-être? ou si c’était de ginseng, pour qu’il en refît ses forces?- Toujours est-il qu’il lui dit ces mots destinés à lui rendre tout son courage : “ Allons, tiens!”, lui dit-il, rassurant. “ Prends cette racine, sustente-t-en. & revêtu aussi de la Force d’Esprit de Grâce d’En Haut, sans te retourner en arrière, ni regretter rien de ta difficultueuse & périlleuse entreprise, poursuis ton chemin. Oui, va ton chemin, & ne désespère pas!”
Sur ce, comme ils lui montraient la route, sur l’instant, ils s’évanouirent, disparus. Au moment même, alors, s’éveilla l’Ancien, qui résolut de se mettre à marcher en la direction indiquée, vers le Lieu Béni qu’ils lui avaient désigné.

CHAPITRE SIX.

OU IL SE VOIT

QU’ AU TERME PARVENU DE SON VOYAGE,

L’ABBA SERAPION ENCONTRE LA MERVEILLE DES MERVEILLES.


Assez long Temps encore, l’Abba Sérapion continua, harassante, sa longue marche égarante au plein milieu d’un Désert toujours plus inhospitalier & toujours davantage empreint d’inhumanité, cependant qu’à tout bout de champ il se sustentait, la suçotant -tant était intense la soif qui le brûlait-à la racine qu’il serrait en sa main fébrile. Et voici qu’après sept nouveaux jours de cette marche exténuante, il arriva jusqu’au pied d’une très haute montagne. Il vit que la bas en était baignée par une vaste mer. Lors, il en entreprit l’escalade jusqu’au sommet. Sept autres jours entiers, il grimpa. Sept longs jours, jour pour jour. &, au soir du septième jour, la nuit le surprit comme il arrivait devant une grotte.

Tout doucement s’avançant, comme sur la pointe des pieds, subrepticement, avec d’infinies précautions se glissant, il se coula, plus qu’il ne marcha, devers l’entrée de la Grotte. & là...ô Merveille! Il se trouva soudain devant une vision telle qu’il n’en eût jamais imaginée!...Dans un coin de la Grotte, se tenait un Etre au corps hâve & décharné...Il Priait...Avec quelle contrition d’Esprit! L’on eût dit d’un Coeur brisé...

L’Abba Sérapion n’osait bouger; esquisser le moindre mouvement, même. Il restait là, debout, immobile, sans un bruit, un son, un cri, juste à contempler cette scène unique & singulière, dont ses yeux éblouis ne se lassaient pas, dont son Ame ne se rassasiait pas. Puis, levant les pieds, furtif, il s’approcha du plus qu’il le put. S’entendait mieux maintenant, dans l’Hésychia montant de la profonde nuit l’écho monter, très pur s’élever, d’une voix pleine, si douce...- Ah! qu’elle était douce! cette voix, quelque peu chevrotante, de ce vieux Géronda qui Priait, seul à Seul, son Dieu de Gloire.

Quel était donc ce spectacle qui s’offrait en cette Heure aux yeux étonnés, stupéfaits, émerveillés, de l’Abba Sérapion? Qu’était-ce donc que tout qu’il voyait? Et de tel spectacle, quel était le Sens caché? Etait-ce là le fait d’un Homme ou d’un Ange dans la Chair? A n’en point douter - car nul doute n’était plus possible-, à l’évidence, s’agissait-il bien là de ce Saint sans pareil qu’il avait si longtemps tenté de rejoindre sur ces Spirituelles Cîmes. Oui, voici qu’il était enfin parvenu auprès celui qu’avait son Coeur brûlé de connaître dès en cette Vie même. Le Seigneur, sur sa simple demande, à sa seule requête en sa Prière à son Père adressée, lui avait accordée, tant immense, la Grâce de cette rencontre, rare entre toutes, avec la Sublimité d’un Etre à tel degré d’Elévation Déifié.

L’Abba fut quelque temps encore à se tenir là, restant à regarder, contemplativement, cette factualité tangible de la grand’ Sainteté d’un Astre Vivant de l’Eglise. Devant lui, à quelques pas devant sa face, se tenait la Vivante Icônique Image du Sacrifice d’Amour & d’Adoration à son Dieu Très Haut rendu par la Vie Sainte d’un qui l’immola sur l’ Autel de la Déïté, Vivant Holocauste à sa Foy sans faille, par sa Foy Déifié.

Oui, s’entendait à présent la douce voix du Géronda, pure, paisible, vibrante de contrition! Tout cela était empreint d’une plénière grandeur, grandeur d’une Ame ayant au pouvoir atteint de faire jusqu’aux coeurs de pierre pleurer. Le Saint Psalmodiait des Psaumes, byzantinement : “ Seigneur”, implorait-il, Toi qui connais la demeure & maison de mon Coeur, & mon sentier”, “ Seigneur Dieu, mille ans devant Tes Yeux sont comme le jour d’hier, quand il est passé tout, & qu’il n’est plus!”
L’on eût dit qu’eussent été ces Paroles Ecrites pour lui. Et l’holocauste de David-roi devenu Pénitent, en ses Psaumes évoqué, il en avérait, en son Etre tangiblement montrée, la Vivante Incarnation qu’il était, lui, par la Praxis de l’Oeuvre Bonne de l’Ascèse transformé, jusqu’en la Métamorphose de l’Humain en Divin par l’Esprit de Grâce transmué. En lui, & tout entour, même, s’était comme aboli l’Espace, évanoui le Temps. Sa Transcendante Personne s’était, par la Vertu de la Sainteté, acquis une telle Présence, que son Esprit, - & l’Abba eut tôt fait de l’expérientiellement constater- surplombait, s’y tenant, les lointains espaces, annulait les distances, & par Dieu Savait ce qui s’y déroulait, & les choses cachées mêmes. Quant au Temps, qu’eût, à sa vue, servi au Fidèle de continuer d’accorder au Temps tant de prix? De fait, à contempler ce Saint Ancien, vieillard chenu, du poids de tant d’années chargé, qu’eût-on fait la part belle encore au sentiment de l’irréversibilité du Temps qui passe, s’écoule, fuit, & ne retourne en arrière, ni sur ses pas ne rétrocède, ni point ne revient? Que n’eût-on vu en lui la figure de l’Eternité? Et, de Vrai, au Regard de l’Eternité, de l’entière Eternité, les choses, qui, toutes, sont vaines, & tant éphémères, feraient-elles figure encore d’Absolu?
Car en vérité, oui, Seigneur, mille ans sont à Tes Yeux, & devant Ta Face, comme le jour d’hier, quand il est passé, & qu’il n’est plus...

Le Saint continuait, comme grains de chapelet, d’égrener les Psaumes de David, sa Psalmodie monodique chantant, toute de contrition empreinte. & il Psalmodiait, donc :
“ Quand Viendras-Tu à moi, Seigneur?
Moi, Seigneur, je Te chanterai, & je marcherai dans l’intégrité de mon Coeur.
Seigneur, Conduis-moi dans les Voies de Ta Justice...
Tu m’éprouves, & Tu me sondes, Seigneur;
Dès le réveil, Tu Connais mon Coeur.
Dès long Temps, Tu Sais mes Pensées...
Tu as examiné mes chemins & mon sentier;
Tu Sais à l’avance toutes mes voies;
Pour ce qu’il n’est point de ruse dans ma bouche, ni de malice dans mon Coeur.
Je crierai vers Dieu mon Bienfaiteur...
Que Dieu soit Exalté dans les Cieux, & que Sa Gloire s’étende sur toute la terre...
Je Te confesserai, Seigneur, à la face de tous les Peuples de la Terre.”



CHAPITRE SEPT

LES BEATITUDES.


Saint Sérapion écoutait immobile, sans se lasser. Le Géronda achevait du Psautier la récitation. Son pèlerin visiteur, transporté tout d’admiration, laissait sur ses lèvres, à l’insu de l’Ancien, s’élever des béatitudes sur l’instant improvisées à la Gloire de Saint Marc l’Anachorète, qu’il contemplait Priant. & lui-même, à son tour, Priait en ces termes :
“ Bien Heureuse, ô ton Ame, Abba Marc, car elle n’a point de ce monde de Boue contracté la souillure.
Bien Heureux ton Saint Corps, Abba Marc, car les désirs honteux de cette insatiable chair ne l’ont point infecté.
Bien Heureux tes Yeux, car le Diable n’a pu, par la vue de visages étrangers, égarer tes Regards, que tu as su protéger du Malin.
Bien Heureuse ton Ouïe qui n’a point écouté les sirènes des chimériques désirs de tous objets vains de ce monde menteur.
Bien Heureuses tes Mains, car elles n’ont point saisi ni touché les vanités auxquelles se complaisent les hommes.
Bien Heureux ton Odorat, car il n’a point été empesté des pestilentielles puanteurs des Péchés de Satan.
Bien Heureux tes Pieds, Saint Abba Marc, car ils n’ont point marché dans les voies du Péché, qui sont Maudites.
Bien Heureux ton Coeur, ô Saint, car tu n’y as jugé quiconque, ni thuriférairement orné qui que ce fût de faux mérites qu’il n’eût point eu.


CHAPITRE HUIT


LA PRIERE DE SAINT MARC L’ANACHORETE.


Et tandis qu’en ses louangeuses Paroles l’Abba Sérapion proclamait Bien Heureux l’Ascète du Désert, Saint Marc, imperturbable, poursuivait sa Prière, en douces effusions épanchant devers Dieu, son Seigneur, objet de tout son Amour, son brûlant Coeur contrit :

“ Mon Ame, Bénis le Seigneur, & n’oublie aucun de Ses Bienfaits.
“ Tu es Béni, Seigneur.
Mon Ame, Bénis le Seigneur!
& que tout ce qui est en moi Bénisse Ton Saint Nom.
Tu es Béni, Seigneur!...”

Dans l’excès, toutefois, de sa contrition pleurante, il ne pouvait achever sa Prière. &, dans ses sanglots s’étouffant :

“ Pour quoi es-tu si triste, ô mon Ame, triste au Mourir?”
“C’est pour l’Amour du Dieu de mon Salut!”

“Pour quoi t’affliges-tu, ô mon âme?”

“Sois sans crainte, ô mon Ame! ... Les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre toi”.

Il poursuivait, interminable eût-on dit, sa Prière à plaisir.
A peine achevait-il un Psaume qu’aussitôt, sur une nouvelle Prière, il enchaînait :
“ Tu Sais, Seigneur, toutes les choses à Venir, comme celles aussi du Passé.”

“C’est Toi, mon Divin Plasmateur, qui me façonnas, me modela, & sur moi fis passer, Créatrice, Ta Main Divine”.

“Mes Os ne te sont point cachés, que tu fabriquas pour demeurer enfouis sous ma Chair”.
“Et Tes Yeux se sont sur moi, l’Humble, le Pauvre, d’En Haut ci-bas aBaissés”.

“ Tous les humains, ces êtres Tiens, seront sur le Livre inscrits de Vie, le Livre du Dieu Vivant! Nul ne sera de Toi méconnu...”

Puis, il reprenait à nouveau les Psaumes de David :

“Tu Seras, Seigneur, de ma Lampe la Lumière.
Toi, l’Incréée Lumière!
C’est Toi qui mes Ténèbres Eclaires!”

“ Tu as sur moi jeté Tes Regards,
& de l’Hadès Tu Délivres mon Ame.”

“ Pour moi, j’ai dit : Je Garderai la Béatifique Loi du Seigneur, &, dans les Siècles des siècles, je ne chancellerai point...”

Et encore :

“ Fais-moi, Seigneur, Connaître le nombre de mes Jours, à fin que je Sache jusques à quand Tu me laisseras loin de Toi traîner ici ma Vie”.

“ Toutes choses sont vaines, & indifférentes à l’Homme qui ne fait que traverser ce Monde”.

“ Toi donc, ô mon Ame, sois & demeure sans crainte. Espère En Dieu, car je Le Confesserai à la face de tous les Peuples & de toutes les nations. Car c’est Lui le Dieu de mon Salut.

“Tu Es mon Dieu, ma Force. Que détournes-Tu de moi Ta Face? Et que serais-je triste à marcher dans la Voie qui mon Ennemi afflige? - étant le Diable par les Bons affligé, tant que de Rage, il les outrage & Persécute.”

Si grande était sa contrition que le Saint ne finissait point :

“ Seigneur, mon Dieu, je Crie vers Toi. Viens! & guéris-moi!”

“Tu as, Seigneur, de l’Hadès retiré mon Ame. Tu m’as Sauvé de ceux qui descendent dans la Fosse de Mort Inferne.”

“ Chantez au Seigneur, tous les Saints, & Confessez en Public le Saint Nom du Très Haut.”

“ C’est devant Toi, Seigneur, que je Crie! C’est à Toi que j’adresse ma Prière!”

“ Que me servirait de nourrir plus long Temps cette carcasse vile, qui descendra dans la Tombe, pour Terre redevenir, Os, Poussière, & Cendres?”

“Est-ce la Terre alors qui, publiquement, à la face de tous & du Ciel, Te Confessera?
Oui. Qui dès le matin, de l’aube claire à la nuit pleine, Annoncera Ta Vérité? ”



CHAPITRE NEUF


SAINT MARC PARAIT SUR LE SEUIL DE SA GROTTE.


Long Temps encore, il Pria, chantant des Psaumes, & lisant des péricopes empruntées à l’Ancien Testament & à l’Evangile. Puis il parut dans l’ouverture de la grotte. Là, dans l’Hésychia parfaite de la paisible nuit, l’Abba Sérapion entendit la voix du Saint, qui, au travers de ses larmes, l’appelait :

“ Abba Sérapion!”

Saisi de crainte, l’Abba Sérapion, avec empressement, répondit :
“ Bénis, Géronda!”

- Bénis es-tu, Abba Sérapion !” lui dit Saint Marc l’Anachorète.
“ La Paix de notre Christ soit sur toi! Viens Abba. Approche, Sérapion, mon Frère!”

L’Abba Sérapion, sur ces mots, s’approcha, & lui fit une métanie, s’inclinant devant lui, sa main touchant terre, en signe de respect & d’humilité.

“ Qu’au Jour du Jugement,” ajouta Saint Marc l’Anachorète, “
“ le Seigneur Dieu, mon Frère, te donne ta rétribution, pour la grande peine que tu as prise de venir jusqu’à moi, l’indigne, sur cette montagne sauvagine.”

Et, cependant qu’ il parlait en ces termes, il le fit entrer en sa Grotte. Là, dans la semi-pénombre qui régnait, ils s’assirent. Et, de nouveau, Saint Marc se reprit à parler :
“ Quatre vingt-quinze longues années, je demeurai sans voir face humaine. Et voici maintenant, mon frère, que je vois ton saint visage.”



CHAPITRE DIX

SAINT MARC L’ANACHORèTE ENTREPREND LE RéCIT


DE SA VIE.



La curiosité pressait l’Abba Sérapion, le faisant frémir quasi d’impatience, dans l’attente du récit autobiographique de la Vie du Saint qui devant lui se tenait.

“ Ô Abba Marc,” supplia-t-il, fais moi la Charité de me dire comment tu es parvenu à cette grotte lointaine. Pour l’Amour du Christ, entretiens-moi de cette Vie Bénie qui fut la tienne.”

Saint Marc l’Anachorète lui fit alors cette réponse, empreinte d’une Humilité si extrême, qu’il n’en avait point, ni jamais, nulle part ailleurs, entendu de pareille manifestation :
“ C’est à Athènes,” Frère Sérapion, que je naquis. Oui, c’est en Grèce que je vis le jour. Je fus d’abord, par la naissance, de famille incrédule.
Mes parents, par la suite, me poussèrent à faire des études. Ils voulaient me voir philosophe, comme le sont dans ma patrie bien des gens qui en tirent vanité.
Par bonheur, toutefois, le Seigneur eut Pitié de moi. Il me fit, par extraordinaire, découvrir la vraie Foy Orthodoxe. Je devins donc Chrétien, reçus, par triple immersion, l’Illumination Baptismale, dépouillant ainsi le vieil homme, par métamorphose de Grâce transmué en un Homme nouveau. Loué soit Dieu! & Béni soit le Nom du Seigneur!

Par après mes parents Moururent.
Lors, en état de choc, je me mis à me recueillir en moi-même, songeant : “ Moi aussi, comme mes ancêtres, ne suis-je pas homme Mortel? Quel profit, dès lors, quelle jouissance retirerai-je de cette vie, à vivre selon les pures apparences, abusivement mensongères, de ce monde trompeur?

Aussitôt donc, abandonnant le théâtre de ce monde à ceux qui en aiment les masques menteurs, je me mis en route pour Alexandrie. D’où je poursuivis ensuite ma route, jusqu’à parvenir en un aride Désert. Des jours, des nuits durant, je marchai au milieu des sables, jusqu’à ce que j’arrive enfin à la porte d’une mégalopole. mais lorsque je vis à quel point le péché régnait en cette nouvelle Babylone, je ne songeai plus qu’à la fuir. Je repris ma route à travers le Désert. Y marchant longtemps encore, je parvins à un temple immense, encombré de statues d’idoles qu’adoraient de véritables idolâtres. Ce se situait au lieu dit “Ananda”. Je ne pouvais rester en un lieu si païen, fourmillant d’Impies aux fausses croyances erronées & superstitieuses. Je repris une nouvelle fois ma longue marche. Des jours & des jours durant, je cheminai sur une terre desséchée, crevassée, & brûlée toute des feux dardants d’un soleil de plomb, une terre sur laquelle il n’était jamais tombée d’eau du Ciel. Pourtant, marchant encore, je parvins en un endroit de fraîcheur, nommé des grecs l’Oasis. Il y avait là des arbres en nombre, &, bien d’une valeur sans prix, de l’eau.

Mais, lorsque je vis qu’en cet emplacement de Désert même vivaient encore des hommes, qui avaient subsisté quelque difficile que fût leur vie, & quoiqu’ils fussent assez primitifs encore, & à demi-sauvages, je compris que je me trouvais toujours parmi le monde habité, & que j’avais autant à faire à des humains que lorsque je me trouvais encore dans le monde des hommes, en plein coeur d’Athènes. Toujours mû par mon grand désir d’atteindre un lieu où il n’y aurait point face d’homme, je me remis lors à marcher. Et je marchais toujours, des jours & des nuits durant, jusqu’à ce qu’enfin j’arrive à ce lieu-ci, en cet emplacement où tu me vins trouver.

J’avais d’abord traversé une vaste fosse marine. J’y vis des arbres fossilisés. D’homme, je n’en vis point. Tout au long du chemin qui me mena aux montagnes de Zachparah, qui surplombent la mer, il n’en était nul. Alors, toujours Mené, Conduit & Guidé par Dieu, je marchai encore quarante autres jours. Enfin, je parvins en cet endroit-ci. Et, sans que je commandasse en rien à mes pieds, ils me portèrent droit à cette Grotte que tu vois çà devant toi.



CHAPITRE ONZE

“ QUATRE VINGT-QUINZE ANNéES


JE DEMEURAI SANS VOIR FACE HUMAINE ”




A présent que l’Abba Marc se mettait en devoir, pour l’édification du Monde, de conter au long sa tant peineuse Vie, il s’assit devant celui que Dieu avait fait venir jusqu’à lui pour en cueillir de ses lèvres l’inestimable Témoignage :

“Abba Sérapion”, mon Frère, commença-t-il, - & cependant qu’il parlait, sa voix était toute vibrante d’Amour-, puisque Dieu t’a envoyé, au travers de ce si profond Désert, pour me venir ici trouver, je te ferai la Confession de ma Vie :

Quatre vingt-quinze années, je demeurai sans voir face humaine, ni bétail, ni animal sauvage, ni oiseau du Ciel. Car rien ne peut en cette âpreté du lieu subsister. Quatre vingt-quinze années où je ne portai point même à mes lèvres un morceau de pain blanc; où je ne me revêtis point même fût-ce d’un vêtement...

Et, sur ce décompte d’années, il y en eut trente entières où je vécus dans la nécessité la plus extrême...Trente années d’absolue Misère & de total Dénuement, où je vécus dans la Dépossession de Tout...Trente années passées dans la Faim & la Soif, environné des pièges sans nombre des obscurs démons, qui sont légions, si tant innumérables, & leurs machineries, que je ne te les porrais point dire tous...

Lors, dans ma Faim dévorante, terrible, il m’advint de manger de la Terre, &, dans ma Soif inextinguible, atroce, je bus l’eau de la Mer...

Vingt années, plus qu’un ver, je fus & restai nu comme le Premier Homme, notre père à tous, Adam. Et les démons hurlaient, fous encontre moi de noire jalousie. Car le Mal envie le Bien, & le Hait. Et ils se jetaient sur moi, & s’agrippaient à mes basques pour me jeter à la mer. & ils vociféraient : “ Hors de notre vue ! Va-t-en d’ici, le Moine! Hors de chez nous! Quand, depuis que le Monde est Monde, pas un seul homme ne s’était hasardé jusqu’ici, comment toi as-tu seulement eu l’audace d’y venir? Pis, d’y demeurer? ”
Et moi, vingt années entières, je tins bon envers & contre tout & tous ces diables malfaisants, ci-haut, sur ma montagne, affamé, & nu. Le Seigneur, alors, me prit en Pitié, & me fit Miséricorde. Il modifia, transforma, & changea la nature de mon être. Il me poussa sur tout le corps un sous-poil, qui me tint lieu de pelisse contre la rigueur des éléments, m’isolant du froid sibérien des nuits de Désert, & de l’éthiopienne ardeur des journées au soleil brûlant. De ce moment, un Ange vint me porter ma subsistance, cependant que d’autres, descendus du Ciel, se tenaient à mes côtés, se joignant à mes Prières d’Actions de Grâce, avec moi venus rendre Gloire à notre Créateur Démiurgique, auteur du Monde & de nos Vies, & Divin Plasmateur, qui, du Souffle de Son Esprit de Grâce, façonna, Immortelles, Divines, nos Ames.
Je Contemplais aussi, s’Ouvrant à mes Yeux, le Royaume des Cieux, & les diverses Demeures où résident, en Sa Béatitude d’Esprit de Grâce & de Gloire, les Ames des Saints...

Longtemps encore, Saint Marc l’Anachorète parla de la sorte. Sans qu’ils s’en rendissent compte, la nuit entière se passa, & le jour commença de dispenser sa lumière joyeuse.

C’est alors que l’Abba Sérapion aperçut le corps de Saint Marc l’Anachorète. Et il vit qu’il était, en effet, tout entier recouvert comme d’un pelage de poils épais. Loin qu’il eût eu apparence humaine, l’on eût dit du crin quasi d’animal sauvage. En vérité, non, sans les Paroles que, tel un miel, épanchaient sa bouche, l’on n’eût pu distinguer s’il s’agissait bien là d’un humain, ou d’une bête à l’aspect sauvage & velu. A cette répulsive vue, soudain saisi d’effroi, l’Abba Sérapion se prit à trembler.

Saint Marc l’Anachorète comprit sa frayeur :
“ - Abba Sérapion, mon Frère”, l’apaisa-t-il, “ que semblable vue ne t’inspire nulle crainte, car ce corps n’est rien qu’une éphémère enveloppe périssable, destinée à passer, se putréfier, & pourrir. Or tu le vois aujourd’hui, ce corps mien, pour la première & la dernière fois. Et, là-Haut, c’est une tout autre apparence qu’il revêtira.
Mais toi, dis-moi ce qu’il en est du Monde, à ce jour...Subsiste–il en quelque coin du globe tant soit peu d’apparence & de formes de Piété? Y conserve-t-on quelques traces de la Piété d’antan?”

“-Mais oui, Géronda,” repartit l’Abba Sérapion, avec la Grâce de l’Esprit de Christ, la Foy demeure encore Vivante parmi les Hommes; & la Piété, & la Dévotion continuent de Fleurir au Coeur des Ames des Fidèles Chrétiens, Pieux & Orthodoxes...


CHAPITRE TREIZE


SAINT MARC L’ANACHORèTE S’ENQUIERT


DE LA GRECE SA PATRIE .




Entendant l’Abbé Sérapion attester du Respect qu’il jugeait devoir être accordé, dans l’Espace Public du Monde, aux Grandeurs de la Foy Vraie, le Saint, en Signe & Témoignage de Gratitude envers Dieu & Ses Saints, & de Reconnaissance d’iceux, qui osent, &, Jour après jour, trouvent l’audace, à la face de tous, comme à Sa Face même, de Le Confesser Hautement & Publiquement, se Signait du Signe de la Croix, & Glorifiait son Dieu, Maître & Seigneur de l’Univers Créé, & des Ames qu’Il y Suscite pour leur Salut & leur Spirituelle Elévation jusque devers Lui.

“- Dis-moi”, s’enquit encore le Saint Abba Marc l’Anachorète,
“ que fait-on, à ce jour, en ma patrie de Grèce? Est-il encore des païens idolâtres qui ne croient point au Christ? &, quant aux Chrétiens Orthodoxes, les Persécutions sévissent-elles encore contre les Frères En Christ, qui sont Fils de Christ?”

“ Grâce à Dieu”, répartit l’Abba Sérapion, “ par les Prières de Ses Saints, la Persécution contre les Chrétiens Orthodoxes a cessé, & bien des païens idolâtres se sont convertis au Christ.”

& l’Abba Sérapion de donner d’autres nouvelles encore du Monde.
Saint Marc se réjouissait grandement à l’entendre.


“Et les Saints? ”interrogea-t-il de nouveau. “Trouve-t-on toujours des Saints dans le monde d’aujourd’hui? Et des Prodiges? Des Miracles? S’en opère-t-il encore? Se trouve-t-il des Hommes pour traduire en actes, & dans leurs actes, cette Foy de Christ en Son Evangile ainsi décrite, dont il est dit par Lui que “ si vous aviez la Foy comme un grain de moutarde de sénevé, vous diriez à cette Montagne : “ Transporte-toi d’ici jusque là-bas, & va te jeter dans la Mer, en manière qu’elle le ferait.”
Or, à peine le Saint avait-il proféré ces mots, qu’-ô Miracle!-aussitôt se vit au-dessus d’eux la Montagne s’ébranler sur ses bases, comme pour se mouvoir de son lieu en un autre site. Lors, le Saint, levant la tête, de sa main toucha la roche branlante : “ Ô Montagne inanimée, Roc sans Vie, telle une Colline bénie, toi qui semble avoir plus d’obéissance que n’en ont les hommes envers Dieu & leurs Pères Saints, demeure à ta place, & ne bronche plus de ton lieu ni de ton site. Ai-je Prié seulement pour que tu te meuves de la sorte? T’ai-je Dit de par ainsi tressaillir? Demeures donc où tu fus onques.” Et la Montagne Bénie, sur-le-champ, revint à son exact emplacement premier.

C’est avec Justesse, en vérité, que Parlait le Prophète Daniel, lorsqu’il prédisait : “ Dieu Fera la Volonté de ceux qui le craignent; Il Entendra leur Supplication, & Il Sauvera ceux qui L’Aiment...”

Et que Dit aussi le Psalmiste?
“ Louez le Seigneur, Montagnes, & toutes les Collines,
Arbres à Fruits, & tous les Cèdres” de Vie...

Ce que Voyant & Entendant, l’Abba Sérapion, Etre Béni de Dieu, tomba face contre terre. Mais Saint Marc, aussitôt, le releva : “ Abba Sérapion”, sembla-t-il s’étonner, “ que fais-tu là ? N’avais-tu jamais Vu, depuis le jour de ta naissance jusqu’à celui-ci, semblable Miracle?”
“-Non, Géronda”, avoua l’Abba.
Alors Saint Marc se prit, du plus profonds de son Coeur, à soupirer & gémir, afflictivement. Il se mit à pleurer. Et dans ses larmes, il s’écriait : “ Ah! Malheur au monde! Pourquoi faut-il que les Chrétiens n’y soient Chrétiens que de nom, sans qu’ils eussent, par le fait, des Chrétiens les Oeuvres Bonnes? Ah! Béni soit Dieu ! qui me menas jusqu’en cette contrée lointaine, à cette fin que je ne demeurasse plus dans ma patrie d’antan, qui n’approche point d’assez près mon Dieu de Force de Vie. Mieux en effet valait pour moi l’ensevelissement sur ce sol en terre étrangère, plutôt que de m’endormir en ma terre maternelle que trop de péchés d’hommes ont souillée sans la Pénitence qui Pardonne tout.



CHAPITRE QUATORZE

LA TABLE CELESTE & DIVINE,


D’EN HAUT CI-BAS INVISIBLEMENT APPRÊTéE.




Toute la Nuit entière, les deux Ermites poursuivirent leur Saint Entretien Spirituel.

Ils n’avaient cependant toujours rien mangé, depuis la survenue, à la Grotte, de l’Abba Sérapion.
Au matin, Saint Marc ne voulut pas laisser son hôte plus longtemps à jeun. Ils rompraient donc enfin le jeûne.
“Frère Sérapion”, lui dit-il, “ voici venir le Temps de nos Agapes.” Et, ce disant, il éleva les bras en Prière à son Dieu du Ciel.
Lors, voici que, soudain, à l’endroit même où il se tenait en la Grotte, Sérapion Vit, tout-à-coup apparue, Mystérieusement, une table à Agapes, Invisiblement apprêtée. Y étaient déposés un Pain tout chaud encore, une cruche d’Eau fraîche, & deux Poissons cuits, qu’accompagnaient de tendres légumes de Jardin.

“-Bénis, Père!”, prononça, rituellement, Saint Marc, comme pour préluder à la Prière de Bénédiction du Repas. Lors, sur l’Instant, apParut une Main, qui, Mystérieusement, Bénit la Table des Ascètes. Saint Marc poursuivit alors la Prière rituelle de Bénédiction de la Table : “Bénis, Seigneur, la Nourriture & la Boisson de Tes Serviteurs, car Tu Es Vraiment Saint, maintenant & Tous Jours, & aux Siècles des siècles. Amin.”

Lorsqu’ils eurent achevé leur frugal repas d’Ascètes, Saint Marc, de nouveau, Rendit Grâces au Seigneur Miséricordieux, Dispensateur de Tous Biens, & Donateur de Vie : “ Nous Te Rendons Grâce, Maître”, conclut-il, “ pour Tous les Biens que Tu nous Prodigues, à nous, qui sommes Tes Indignes Serviteurs. Les riches, Dit le Psalmiste, “les riches se sont apPauvris, & ont eu Faim. mais celui qui Cherche le Seigneur ne manque d’aucun Bien,” ci-bas & Là-Haut, aux Siècles des siècles.”
Enfin, à ce Miracle s’en adjoignit un Autre. Car, de même qu’était apParue la Table, qui, d’En Haut avait Invisiblement été dressée, la Table à présent, Invisiblement, sur l’Instant s’évanouit, disparue.
“Vois, mon Frère Sérapion ”, s’exclama lors Saint Marc, à l’adresse de l’Abba Sérapion, - & le Vois-tu vraiment ?- combien le Dieu de Bonté Aime & Assiste Ses Serviteurs Fidèles?”

Sur ces Paroles, le Saint, long Temps, garda le Silence.



CHAPITRE QUINZE

SAINT MARC L’ANACHORETE


PROPHETISE SA MORT.


DEPART SANS RETOUR D’UN HEROS DU CHRIST.



En fin, le Saint rouvrit la bouche, &, reprenant la Parole :
“ Mon Frère”, reprit-il, “c’est aujourd’hui que s’avère comble & comblée la Mesure de ma Vie. Aussi est-ce aujourd’hui qu’aussi t’envoie vers moi le Seigneur de Bonté, afin que, de tes Mains Bénies, tu ensevelisses à jamais, de ce vil corps, la misérable enveloppe charnelle.”

Sur quoi, le jour entier se passa sans que le Saint ajoutât à ses Dits quelconque Parole. Et, tout le Jour, il demeura Priant, intensément, son Seigneur, au Coeur du plus profond Silence qui pût être.
Puis, sur le soir, comme approchait sa tombée, & celle de la Nuit, il Dit à l’Abba : “ Si tu m’en donnes & accordes ta Bénédiction, Frère Sérapion, Veillons en Agrypnie toute cette Nuit encore.”




CHAPITRE SEIZE


L’ULTIME & DERNIERE NUIT DE PRIERE D’UN SAINT.



Bien loin qu’il s’y opposât, l’Abba Sérapion se Réjouit, car c’était là, depuis de longs jours, son Souhait le plus vif, & il n’avait point eu de Voeu plus cher que de passer une Nuit d’Agrypnie à Prier avec le Saint, dont, à se tenir à ses côtés, émanait plus de Force que si l’on se fût trouvé uni à la sienne, qui s’Unissait à Dieu, En la Divine Union, Brûlante d’Amour de Lui, unitivement jouxtant une Colonne de Prière de Feu, Faite Vivance, & Vivante Présence.

Alors, En Esprit, ils ouvrirent le grand Livre des Hymnes & Prières de l’Eglise. Et bien qu’ils n’eussent point d’exemplaire aucun de ce Livre Sacré des Saints Offices de l’Eglise, dit l’Arkhiératikon, l’Esprit Saint leur avait donné de le savoir en son entier par Coeur. Ensemble, donc, ils Psalmodièrent tout le Psautier, comme font les grands Moines, qui le disent tout entier chaque jour. Et, bien qu’ils n’eussent, en la totale dépossession de Saint Marc l’Anachorète, nul livre matériel, ni du tout rien d’écrit sous les yeux, l’on eût dit que Saint Marc tenait En Esprit tous les Saints Livres de l’Eglise Ouverts
devant lui. Lui qui n’avait point voulu, jamais, s’instruire dans les vaines lettres, inutiles, de la sotte Impiété, ce nonobstant, il chantait tous les Psaumes sans une seule faute...
Ah! Qui Dira la Beauté de telle Complainte Divine, toute empreinte d’Humaine Contrition?

Ô Saints de Dieu! pareils à de plaintives oiselles, blanches tourterelles qui plus ne seraient de ce monde, quels Anges furent assez Heureux pour ouïr l’Hymne inouïe, jamais ouïe, de fait, Humble & Recueillie, que dans l’Absolu du Silence de Désert si profond, vous Elevâtes ensemble vers Dieu?
L’entière Création eût dû se tenir en extase, d’ouïr ainsi, tels des incorporels, ces Créatures Bénies de Dieu Psalmodier au Créateur de toutes choses une incomparable Doxologie d’Actions de Grâces Lui Rendant Gloire, inconnue en terre des hommes !

Marc, le premier, donnait le ton, & entonnait les Psaumes ; - Marc, pierre vivante affûtée du sacrifice de soi toujours apprêté pour Dieu: Marc, le Lion Béni du Christ. - Car sont les Saints de Dieu Forts, Terribles, & Redoutables comme le Lion, & Doux comme l’Agneau, la Tourterelle, & la Colombe de l’Esprit de Sainteté ensemble -. Son Chant avait de la contrition les douloureux accents, & il y ajoutait ses pleurs encore, pour toute l’Humanité versée qui, de par son Apostasie généralisée ne cessait pas, & jamais ne cesse, hélas! d’affliger notre Dieu.

“ Seigneur!”, disait le Saint, “ par leurs impiétés ils T’ont attristé ; il n’est dans leur bouche de vérité, & leur coeur est vain. Sous le poids de leurs blasphèmes, trop lourd, ô combien! ils ont succombé. Chasse-les Seigneur, repousse-les de devant Ta Face, car ils T’ont empli d’amertume. Mais, au rebours, qu’ils se réjouissent tous ceux qui Espèrent En Toi. Aux Siècles des siècles, ils s’éJouiront, & ils seront En Toi Glorifiés, tous ceux qui Aiment Ton Saint Nom., & Le Prient. Car Tu Bénis le Juste, Seigneur, Dit le Psalmiste, & Tu l’entoures de Ta Grâce, comme d’un bouclier Provident ”.

Son Chant continuait de monter, telle une plainte s’Elevant vers Dieu. “ Dieu”, psalmodiait-il,“ Se Tient en Son Lieu Saint Elevé. Dieu fait En Son Lieu Saint résider ceux qui Vivent hors du monde, sans parents ni amis, leur ayant Dieu préféré.”

Il poursuivait sa Psalmodie : “ Dieu”, chantait-il, “ S’Est Penché vers les fils de l’homme, pour Voir s’il est quelqu’un qui fût Intelligent de Coeur, & qui le Seigneur y cherche.”

Montait en son Coeur une contrition toujours plus douce, venue dissoudre les plaintifs accents de la mélodie qui se noyait en ce suave :
“ J’ai en mon Esprit tout ce déposé, & de toutes ces choses a pour mon âme jailli l’Eau d’une Rosée fraichissante. Je songeai lors : “ J’irai me poser, & dans la tente me reposer, admirable, de la maison & du Lieu de mon Dieu. Pourquoi donc t’affliges-tu, ô mon Ame, & que me troubles-tu?”

A l’entendre ainsi Psalmodier, l’Abba Sérapion, jusqu’au tréfonds de son Coeur, se sentait brisé : “ Dieu a mis dans ma bouche une Hymne Nouvelle; c’est un Chant Nouveau pour notre Dieu. Oui, je chanterai pour toi, Seigneur, un Chant Nouveau. Je Chanterai, & je Célébrerai l’irréprochable Voie.”

De la tristesse du ton de voix, l’on sentait sourdre, montante, une Liesse neuve. Car aux Saints est la Douleur du Sacrifice Source de Joie Sainte. “ Je Bénirai le Seigneur en tout temps.” Et l’on eût dit à les ouïr par lui chantées, qu’il faisait siennes ces Paroles du Psaume. Non qu’il les ingérait, mais qu’il se les assimilait; se les incorporait; les Vivifiait; leur redonnait une nouvelle Vie - la sienne, forte de sa Spirituelle Expérience propre. “ Sa Louange sera sans cesse dans ma bouche. Mon Ame Loue le Seigneur! Que les Doux Entendent, & qu’ils s’éJouissent...!”
Et sa Joie, de fait, se muait en Allégresse Vive. “ Voix d’Allégresse & de Salut parmi les tentes de tous les Justes! Ouvrez les Portes de la Justice de Dieu, & par elles j’entrerai, sous leurs linteaux élevés, pour Confesser le Seigneur. Ah! Voici, s’ouvrant, la Porte du Seigneur! C’est par elle qu’entreront au Royaume les Justes!”


CHAPITRE DIX-SEPT.


SAINT MARC PRIE L’ABBA SERAPION DE L’ENSEVELIR.



C’est ainsi que l’entière Nuit, dans le Silence Parfait du Désert profonds, ils louèrent & magnifièrent leur Saint Créateur. Et leurs Hymnes étaient Spirituellement si Belles & Elevées, que le Seigneur, plus nombreux que jamais, dépêchait Ses Anges, pour les recueillir sur leurs lèvres, & les porter à Lui, devant son Thrône Chérubique où voletaient les Séraphins aux six Ailes.
En fin, lorsqu’ils eurent achevé la Psalmodie, Saint Marc se tourna vers l’Abba Sérapion : “ Frère Sérapion”, lui Dit-il, “ je t’en prie : lorsque je serai endormi dans le Seigneur, sois assez bon pour ensevelir mon corps dans cette Grotte. Dépose-le à l’intérieur, & comme au lieu naturel de cette chapelle ardente, & prends soin d’en sceller l’entrée à l’aide de lourdes pierres. Après quoi, retourne-t-en au pays dont tu viens, afin de ne pas demeurer seul en ces lieux hostiles”.

Alors l’Abba Sérapion se mit à pleurer. Si lourde était sa peine, que son Coeur, à présent, crevait sous les coups sourds de sa douleur cruelle. Mais le Saint Anachorète voulait qu’il essuyât ses larmes, &, de l’excès de sa peine, ne laissât rien paraître. “Sérapion ! mon Frère!” s’exclama Saint Marc, tout moribond qu’il fût, “ ne pleure pas! Sèche tes larmes. Car ce jour d’hui, vois-tu, est mon Jour de Joie. Jour & Joie si long Temps espérés! Tant en Patience attendu! Dieu qui, lorsque tu étais en route pour venir jusqu’ici Eclaira ton sentier, te montrera tout aussi bien le chemin, lorsqu’il te faudra t’en retourner à ta cellule. Mais, la route qu’alors Il t’indiquera ne sera point celle même que tu pris pour parvenir jusqu’ici.
“ Oui, Sérapion! ce Jour, de tous les jours de ma Vie, Vois, & Sache-le, est bien le plus Grand. Car voici qu’aujourd’hui mon Ame, en Fin, quitte ce corps de douleur, pour s’en aller, au Lieu de fraîcheur insoucieuse, sans peines & sans soucis, le Repos goûter loin des durs labeurs & du péché amer.”



CHAPITRE DIX-HUIT



SAINT MARC FAIT SES ADIEUX AU MONDE.




A peine Saint Marc, achevant ses prières, eût-il prononcé ces mots, que la Grotte, soudain, s’emplit d’une lumière plus que le soleil éblouissante, cependant que tous les entours, jusqu’au pied de la Montagne même, s’imprégnait d’une Sainte Odeur de Suavité. Saint Marc, lors, prenant par la main l’Abba Sérapion, se mit en devoir de faire ses adieux à sa chère grotte où, tant de longues années, il avait contre le prince des Ténèbres, le Diable, & ses légions de Démons, si Fort Lutté.

“ Réjouis-toi,” murmurait-il, “ Grotte Bénie, Lieu de ma Prière, où j’ai dompté ce corps devenant poussière auquel, ce Jour encore, tu ménageras le sûr abri que tu m’offres, & jusqu’au Jour Terrible du Dernier Jugement, m’offriras, lors que tous les hommes ensemble, pour leur Perte ou leur Salut, Ressusciteront.

“ Et toi aussi, mon corps putride, Réjouis-toi, qui fus tant d’années la demeure de mon Ame, & qui pour elle essuyas tous les Labeurs de la Vie, & toutes les Peines enduras du Monde. C’est à Toi, mon Seigneur, qu’en ce Temps, je le remets en Fin, car c’est pour Toi, mon Dieu, qu’il endura la Faim, la Soif, le Froid, le Chaud, & la Nudité Sainte de la totale Dépossession de soi. Maintenant donc, Seigneur, prends-le par devers Toi, & le reVêts d’un Vêtement d’Incorruptibilité, à Fin qu’il soit par Toi Glorifié au Jour Terrible de Ta Parousie, lequel est Jour de Ta Présence nouvelle & sous nos Yeux renouvelée, lors de Ton Second Avènement, quand Tu descendras du Ciel sur la Nuée de l’Esprit de Sainteté.

“Oui, Réjouissez-vous, mes Yeux, que j’ai, tout au long de tant de Nuits entières, à la Prière usés, en ces tant pénibles Veilles Sans Sommeil, qui donnèrent leur nom aux Agrypnies, où il sied d’à qui se veut Elever contre l’épuisement de l’exténuation Lutter.

“ Réjouissez-vous, Arbres & Fleurs innocentes, & tout le bon Bétail, & vous, tous les Oiseaux ailés, & vous, Vents de l’Esprit, qui de l’Aquilon Soufflez, du Midi, du Septentrion, de la Mer, & de l’Orient!

“ Réjouissez-vous aussi, vous, tous les Ascètes, Ermites, Anachorètes, Confesseurs, & Saints Martyrs, qui, dans les creux des rochers & les antres de la Terre, avez lutté & ce Jour encore, avec Vaillance de Coeur & Force d’Ame, en Héros de Christ-Dieu, Luttez!

“ Réjouissez-vous, vous tous, sur la terre habitée, aux quatre points cardinaux du globe, bons & bénis, entour l’axe du monde!

“ Réjouis-toi, Montagne Bénie qui m’accueillis, lorsque je n’étais en cette terre qu’un Etranger, toi qui, dans ce Désert brûlant, m’a de ton ombre affraîchissante couvert!

“ Réjouissez-vous, Solitude, & Animal Sauvage, race muette des sans parole, qui, quoique durs extrêmement, de coeur, d’âme, d’esprit, cependant endurâtes de m’avoir gardé des duretés pires d’un monde plus sauvage encore que vous ne l’êtes!

“Et toi, Eglise de Dieu, Céleste Epouse Mystique, Orthodoxie, Fiancée du Christ, Réjouis-toi, & toute la Terre habitée avec toi!”

Ce disant, il s’agenouilla en terre, puis, Elevant les mains vers le Ciel : “ Seigneur! Seigneur!” implora-t-il, “ protège Ton Monde, Couvre-le, & détourne loin de Ta Face ses oeuvres mauvaises pécheresses."

Enfin, se relevant, il vint à l’Abba Sérapion pour l’embrasser : “ Toi aussi, Frère Sérapion,” s’exclama-t-il, tout allègre, “ Réjouis-toi! Et qu’au Jour de Son Second Avènement, Christ te donne ta rétribution pour toutes les peines que tu as prises pour moi!

“ Et, je t’en conjure, Abba Sérapion, de mon humble dépouille, ne prends jamais ne fût-ce qu’un cheveu. Garde-toi d’en approcher onques fût-ce un vêtement ou un linge pour l’en couvrir, mais, laisse-le, tel que l’a fait naître mon Seigneur, s’en retourner à la terre tout aussi nu, ne lui donnant pour linceul que les seuls cheveux dont il m’a, jusqu’aux pieds, revêtu.”

Il achevait ces Paroles, lorsque, du Ciel, se fit entendre une Voix, murmurante : “ Menez devers Moi le Lutteur du Désert, la Colonne du Stylite de Patience. Viens, Marc, Serviteur Bon & Fidèle, viens Goûter, au Goût Suave, le Repos de Mes Saints, au Pays de l’Absolu de l’Equité sans faille.”

Saint Marc dit alors à l’Abba Sérapion :
“ Sérapion, mon Frère, mettons-nous à genoux.” Et ils s’agenouillèrent, prosternés, face contre Terre .

Et cependant qu’ils se tenaient agenouillés ainsi, l’Abba Sérapion, de nouveau, entendit une Voix murmurante : “ Ouvre tes bras”, Souffla-t-elle. En sa surprise se redressant, l’Abba Sérapion se retourna. Et voici qu’il Vit l’Ame de Saint Marc enlevée au Ciel, tout de blanc vêtue, portée par des Anges, qui, sur leurs Ailes l’Elevaient.

La voûte en toit d’azur, lors, s’ouvrit, & l’Abba Vit le passage des âmes aux péages du Ciel. S’y pressaient, sombres & terribles, les Démons de Ténèbre s’acharnaient sur ces âmes, tâchant à les ravir pour les entraîner du côté leur de la Géhenne Inferne. Et comme ils s’imaginaient pouvoir s’emparer de l’Ame aussi du Saint, sur l’instant même se fit ouïr, retentissante, une Voix Terrible, enjoignant : “ Prenez-la leur, ôtez leur l’ Ame de mon Serviteur, & l’enlevez jusqu’à Moi.”
Tous les Démons défaits, détruits, & comme néantis, sur-le-champ, s’écartèrent. Du Ciel, l’Abba Sérapion Vit lors se tendre une Main, l’Invisible Main de Dieu, à Fin de prendre avec Lui l’Ame de Saint Marc. Puis, l’Abba ne vit plus rien.
C’était la troisième Heure de la Nuit.




CHAPITRE DIX-NEUF


L’ABBA SERAPION ENSEVELIT LE SAINT, LION DU DESERT.



Toute la Nuit, l’Abba Sérapion demeura En Prière. Et lorsque se leva, blanchissante, l’aube, à l’horizon montant, il se mit en devoir de psalmodier l’entière litanie de tous les tropaires chantés de l’Office des Défunts, veillant le Saint Corps qu’il prenait garde de ne point remuer ni même effleurer, tant il respectait la recommandation du Saint de ne l’approcher point fût-ce en l’enveloppant d’un linge qui eût fait usage de Saint Suaire.

En suite de quoi, il sortit, prit des pierres pour en sceller l’entrée de la Grotte, puis descendit de la Montagne. Lors, il se prit à Supplier Dieu qu’Il lui donnât la Force de traverser à nouveau le redoutable Désert sans vie. Or, comme le soleil se couchait sur l’horizon, voici qu’il aperçoit face à lui les deux Gérondas, ces Anciens qu’il avait vus en rêve avant que d’entreprendre sa périlleuse route. “ Abba Sérapion”, lui Dirent-ils, “ le Corps que tu as enseveli, -le Sais-tu?-, le monde entier assemblé n’en eût été Digne... Et maintenant, viens avec nous; nous marcherons toute la Nuit, en sorte que tu ne gaspilles point tes forces à marcher tout le jour, sous l’ardeur brûlante du soleil, par l’accablante chaleur de la désertique fournaise.”



CHAPITRE DIX-NEUF


RETOUR A SA CELLULE DE L’ABBA SERAPION.


Ils firent donc route tous trois ensemble. Ils marchèrent jusqu’au premier matin. L’aube se levait sur le Ciel, lorsque soudain : “ Va, mon Frère”, lui lancèrent-ils, en manière d’encouragement par ainsi, simplement, prodigué, “va!” Et, sur-le-champ, ils disparurent à sa vue. Alors, regardant tout entour lui, l’Abba vit qu’il se tenait aux portes mêmes de la chapelle qui lui faisait office d’église, contre sa cellule de Pénitent. Et il fut dans une admiration sans bornes ni limites. C’est alors que lui revinrent à l’esprit, tout-à-coup, les Paroles Inspirées de Saint Marc l’Anachorète : “La route que t’indiquera Dieu ne sera point celle même que tu pris pour parvenir jusqu’ ici.” Les Saints Anciens de sa Vision l’avaient fait voler jusqu’à sa porte...

Surpris d’entendre en fin sa voix, l’Abba Jean sortit précipitamment de la cellule : “ Abba Sérapion! ” s’exclama-t-il tout heureux, “sois donc ici le bien venu!”
Et ils s’en furent, de ce pas, se rendre à l’église, pour y rendre Gloire à Dieu de cette grande nouvelle que l’Abba Sérapion eût survécu & fût vif revenu de tel périlleux périple de Désert.

Après quoi, l’Abba Sérapion entreprit de faire à l’Abba Jean le récit de tant d’admirables Merveilles qu’il avait au si loin bout du monde habité d’un immense Saint de Dieu vues & entendues.

“ Ah! Sérapion, mon Frère!”, soupira l’Abba Jean,“ quel Grand Chrétien fut en Vérité cet Etre Béni du Ciel & de la Terre! Tandis que nous ne sommes, nous, hélas! Chrétiens que de nom! Car, pour les Oeuvres, nous n’avons rien, quant à nous, rien, absolument, des Oeuvres Ascétiques des Chrétiens Véritables. Aussi, Glorifions Dieu de ce qu’Il nous Juge Dignes, néanmoins, de Voir & Contempler Ses Saints! Amin.”


Ici & par ainsi s’achève la Vie Surnaturelle quasi de Saint Marc l’Anachorète, l’Ascète incomparable, de Christ le Grand Lutteur, comme un Lion, de Désert.

Puisse l’Héroïque Sacrifice à Dieu de sa Vie entière, Prodige inouï, quelque incroyable qu’il pût paraître aux yeux des pauvres Matérialistes d’une époque où triomphe la matière fissile & périssable, émouvoir les Belles Ames Nobles que, pour quelque Temps encore, le Seigneur Garde de la Corruption de la souillure totale du péché sans bornes, ni limites, abyssal, où l’âme naïve, entraînée, glisse, dans l’abîme sans fonds, de péché en péchés pis entraînée jusqu’à sa déchéance ultime, vertigineusement.

Puisse le Saint Exemple de ce Héros de Christ-Dieu
Fortifier les Fidèles dans leur Foy Orthodoxe, sans pour autant qu’ils cédassent à l’esprit de Découragement, que tant combattent les Saints, lesquels à jamais demeurent Exemplaires, si même leur Imitation peut sembler plus inaccessible à tous jours que de vouloir en Enfant courir à l’horizon de la sphère des fixes jusqu’embrasser, tant Brillante, la Lune, non tant des yeux seulement, que des Mains de Beauté des Etres Déifiés, qui tangiblement touchent à Dieu, l’atteignant, jusqu’au Vivre incessamment avec Lui, En Sa Perpétuelle Présence, toujours recommencée, jusque dans l’Eterne renouvelée, quoique vers Lui tous Jours d’avantage Progressant.
Que le néophyte, commençant, ne soit lors point d’emblée la proie de l’Acédie, sans rien faire, essayer, ni tenter, lamentant :
“ Cela est Bien Beau, tout cet amas, pour éblouissant qu’il soit, de Vies de Saints Sublimes des Synaxaires EnFlammés de l’Eglise Orthodoxe. Mais moi, je ne peux pas faire cela.” Non. Qu’il ne se désole point l’âme, ni ne raisonne ainsi faussement, d’un esprit desséché étouffant son coeur. Car le Fidèle Sincère fait-il seulement un pas vers la Déité, dans l’espoir de l’Union Divine, que Dieu, vers le Coeur Orthodoxe, en accomplit cent & mille. Qu’il esquissât donc seulement un pas, fût-ce le premier, tâchant à se mouvoir & propulser en telle direction de Sens, que se prenant, quasi, par les cheveux, il se poussât lui-même à l’Imitation, si imparfaite, gauche, maladroite, balbutiante, & pécheresse fût-elle, de ceux qui, pour gagner le Royaume des Cieux, surent se faire violence, en toute chose, selon cette Parole du Seigneur, qu’entendant en Saint Matthieu 11, 12, ils mirent en Contemplative Pratique de Vie : “ Depuis le Temps de Saint Jean le Baptiste, le Précurseur, jusqu’en ce Temps présent, le Royaume des Cieux requiert que l’on en force l’entrée, & ce sont les violents seuls, - savoir, sur eux-mêmes violemment s’efForçant,- qui, -de vive Lutte violente encontre les Démons, à eux Victorieusement s’opposant-, s’en emparent.” Car, c’est en Enfants que se Lancent les Saints à l’assaut du Ciel, mais c’est en Violents -encontre eux-mêmes- qu’ils s’en Emparent.
Lors, le Seigneur Dieu, Jésus-Christ, Voyant leur Volonté Bonne, sur eux Dépêchant, kénotiquement Descendu, Son Esprit de Sainteté, ceci leur octroiera, de se dépasser, &, se surpassant eux-mêmes, vers la Déité Trine, de grâce En Grâce, puis, de gloire En Gloire, Spirituellement s’Elever tous Jours.


***


Par les Flamboyantes Prières de Saint Marc l’Anachorète, Ton Saint Ascète, & Lion de Désert, Seigneur Sauve-nous! Amin.

jeudi 4 février 2010

Vie de saint Callinique de l'Athos.

D’après l’Archimandrite Chérubim de l’Athos.

Traduction du Grec & libre adaptation de Presbytéra Anna.


Vie de Saint Callinique l’Hésychaste de l’Athos.


Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas.
Eglise Orthodoxe Saint Nectaire d’Egine - Saint Ambroise de Paris. 30 Bd de Sébastopol. 75001 Paris.
Tous droits réservés.

Sommaire


Introduction à la Vie de Callinique l’Hésychaste, P. 1
par feu Père Patric Ranson.

La Paternité Spirituelle chez les Pères du Désert
& dans la Tradition Byzantine,
par le Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris. P.4

Vie de Saint Callinique l’Hésychaste.

Chapitre Premier :
Pieuses Aspirations. P.19

Chapitre Deuxième :
La Vie au Désert Athonite. P.25

Chapitre Troisième :
Son Cheminement Ascétique. P. 36

Chapitre Quatrième :
Astre Flamboyant. P.51

Chapitre Cinquième :
Au sommet du Thabor. P. 61

Note complémentaire sur la question du calendrier. P.78


***


INTRODUCTION
à la
VIE DE CALLINIQUE L’HESYCHASTE

par feu Père Patric Ranson.

La Vie des Saints est, avec l’Ecriture (Sainte), la première lecture du Chrétien Orthodoxe, le prolongement naturel de l’Evangile. Les Saints sont, en effet, l’Evangile vécu, accompli, la Vie Divino-Humaine du Christ, perpétuée de génération en génération.

Aussi, la Vie des Saints est-elle, pour les Orthodoxes, la véritable Encyclopédie, celle des Vertus Divines, celle de la prière, celle des Dogmes (Chrétiens Orthodoxes) pour lesquels ils ont lutté, celle de la Confession de Foi véritable ( leur Credo & leur Confiteor grecs de l’Eglise Orthodoxe Universelle).

Les Saints ne Vivent pas hors de l’Histoire, comme on le croit parfois. Ils sont les Pédagogues appropriés & adéquats de chaque génération d’Orthodoxes, les Illuminateurs du Peuple Chrétien, car ils ont fait l’expérience de la Gloire Divine & Révélée, de la Lumière Incréée, comme le firent, autant qu’il est possible aux Hommes purifiés, les Apôtres au Jour de la Sainte Pentecôte.

Les Saints ne manquent jamais dans l’Eglise de Dieu, si même ils demeurent parfois obscurs, ignorés, & méconnus des hommes durant leur vie terrestre, parce que le Peuple Chrétien, ne cherchant plus la Perfection Spirituelle, n’a plus comme critère, ni comme mesure de la vie personnelle & publique, la Révélation Divine.

Le Saint Père Callinique l’Hésychaste, dont nous publions ic la Vie, est l’un de ces Saints de l’Eglise Orthodoxe, qui sont, en notre siècle, montés sur le même Sinaï Spirituel que leurs prédécesseurs, où Dieu leur Révéla Ses Mystères Indicibles & Ineffables.

Dans la Vie de Saint Avvakoum le Zélote, le Père Théodoret(os) de l’Athos décrit le Saint Père Callinique l’Hésychaste comme l’un des trois Astres de l’Orthodoxie Moderne. “ Ils sont bien trois Astres au Firmament de l’Eglise”, écrit-il, “ ces trois Confesseurs de la Foi, les Défenseurs de l’Ancien Calendrier, Saint Callinique de Katounakia, Saint Jérôme d’Egine, & Saint Avvakoum le Zélote de la Lavra, trois Fontaines de Salut, d’où sourd, pour ceux qui sont restés Fidèles à l’Orthodoxie de leurs Pères, une Eau de Consolation Divine.”

La Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas a déjà fait paraître la Vie d’Avvakoum le Zélote, & nous espérons, avec l’Aide de Dieu, publier dans un proche avenir, celle du Saint Père Jérôme d’Egine, dont nous avons eu la chance de rencontrer, & d’apprendre à connaître, en Grèce, les Saintes Moniales Eupraxia l’Ancienne, & Eupraxia la Nouvelle, ses Saintes Filles Spirituelles, demeurant en son Saint Ermitage d’Egine, ainsi que ses Enfants Spirituels les plus proches.

En Introduction à la Vie de Callinique, nous ajoutons un article remarquable du Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris - paru voici bien longtemps dans la Revue Orthodoxe
“ Contact” ( XIXème année, n̊ 58, 1967)-, & portant sur la Paternité Spirituelle.

La Vie de Saint Callinique l’Hésychaste a été traduite & adaptée du grec par la Presbytéra Anna, notre Epouse, sur le texte de l’Archimandrite Chérubim, publié par le Monastère (grec Orthodoxe) du Paraclet en Attique. (Grèce).

Nous avons illustré la Vie de Saint Callinique l’Hésychaste par des photos du Mont Athos prises par Nicolas Pervychine, Fidèle de notre Paroisse Orthodoxe française, pour lesquelles vues nous le remercions vivement.

Nous Prions que, par les Prières de Saint Callinique, le Lecteur de ce petit Livre ait, à son tour, le Désir Ardent de boire à la Source Intarissable de la Véritable Orthodoxie, où il trouvera l’Unique Eglise Indivise & Universelle du Christ, & la Plénitude des Mystères Divins.
Qu’il lui advienne de pouvoir dire, songer, croire, & palpiter en son Coeur Hésychaste, redisant sans cesse la Sainte Prière du Coeur, selon la Parole Inspirée du Prophète :
“ Le Zèle de Ta Maison me dévore, Seigneur.”

Amin.

Père Patric Ranson, Proto-Prêtre Orthodoxe.


P.4

LA PATERNITé SPIRITUELLE
CHEZ LES PERES DU DESERT
& DANS LA TRADITION BYZANTINE

Par le Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris.

CHOIX DE TEXTES

“ Considère les Années des Générations Passées...
Interroge ton Père ( Spirituel), & il te l’Apprendra.
Tes Anciens, & ils te le Diront...”
La Bible,
Deutéronome. 32, 7


Avant d’écrire les lignes qui suivent, nous Confessons que, pour le Chrétien Orthodoxe, il n’y a qu’un seul & unique Maître Spirituel, qui Est l’Esprit Saint, le Consolateur, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas, & ne le connaît pas. “Vous Le Connaîtrez”, Disait encore le Seigneur à Ses Apôtres, & à travers eux à tous ceux qui Croiraient En Lui, “ vous Le Connaîtrez, car Il demeurera avec vous & Sera en vous...Il vous Enseignera toute chose,& vous rappellera tout ce que Je vous ai Dit...Il vous Conduira Dans Toute la Vérité...car Il ne Parlera pas de Lui-Même, mais Il Dira Tout ce qu’Il aura entendu, & vous Annoncera les choes à Venir...

Sans le Saint Esprit, Esprit de Sainteté, nul ne peut Recevoir l’Illumination Spirituelle, nul ne peut Contempler les Mystères, nul ne peut Recevoir la Grâce Déifiante, nul ne peut être changé & Transformé, nul ne peut Enseigner, nul ne peut être ni devenir Père Spirituel Orthodoxe.

Le Seigneur a tracé la Voie Royale de la Perfection : “ Si tu veux être Parfait, va, & vends tes biens, distribue-les aux Pauvres, & tu auras un Trésor dans les Cieux. Puis, viens, & suis-Moi.” Les Pères des Déserts, cette multitude d’Hommes Amoureux de Dieu, & plus qu’Amants Epris de Lui, au sens où Saint Paul Dit “ J’ai été saisi, & pris par le Christ”, ont entendu l’appel du Seigneur, &, à cet appel, ont quitté ce monde, pour aller chercher la Perfection, la Purification & l’union avec Dieu, l’Union Divine, dans “ les Déserts & les Montagnes, les Cavernes, Grottes, & Antres de la Terre”, nous Dit encore Saint Paul en son Epître. Ils ont pris à la lettre les Commandements & Préceptes de Dieu, les ont Vécus, les ont Médités Jour & Nuit.
Pour montrer combien la Lutte est âpre, dure, & difficile, les Pères recouraient à cet adage, qu’ils usitaient à l’adresse de leurs Enfants Spirituels, pour les exhorter à persévérer dans le Combat Spirituel & la Lutte Ascétique - (car la Constance est une grande Vertu Spirituelle, & très nécessaire autant que Patience & Longanimité) : “ Donne ton Sang, & tu Recevras l’Esprit.” C’est pourquoi ils sont devenus des Maîtres & des Pères Spirituels,& ont formé cette lignée ininterrompue de Pneumatophores - ce qui Dit : Porteurs de l’Esprit (de Sainteté)-, de Pasteurs Véritables & Authentiques, ayant atteint à la Simplicité du Coeur, la Simplicité Enfantine, celle de l’Enfant Spirituel, exigée par le Saint Evangile.

“ Heureux les Coeurs Purs...& tous ceux qui, sans cesse, dans les Profondeurs de leur Coeur, Méditent, Invoquent, & Prient le Nom Très Glorieux & Très Désirable du Seigneur Jésus”, écrivent Callixte & Ignace, ces Saints Pères Théophores - ce qui signifie “ Porteurs de Dieu”-. Ceux-là peuvent Voir la Lumière En leur Intellect Purifié...& parcourir En Dieu le restant de leur route & cheminement terrestre, marchant dans la Lumière de l’Esprit qui Eclaire & Illumine l’Esprit, le Coeur, & l’Ame, puisque devenus Fils de la Lumière de la Grâce Illuminative & Illuminatrice, d’un pas sûr & sans obstacle, la Providence, sans cesse déblayant la voie devant eux, & leur frayant un chemin sans encombres, puisque, Dit le Psaume, qui ne ment pas : “ Les Anges te porteront, de crainte que ton pied ne heurte une pierre”, & comme le Dit encore Jésus, qui Donne la Lumière de Sa Grâce, laquelle Est Esprit aussi de Sainteté : “ Pendant que vous avez avec vous la Lumière, Croyez En la Lumière, afin de devenir Fils de la Lumière.” Et aussi : “ Je Suis la Lumière du Monde : Celui qui Me Suit ne marchera pas dans les Ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie.” Et David crie encore la même chose : “ C’est En Ta Lumière que nous Verrons la Lumière”. Et le Divin Paul : “ Dieu qui a dit que la Lumière Brille au sein des Ténèbres, c’est Lui qui a fait Luire Sa Clarté dans vos Coeurs.” C’est par Elle (la lumière de la Grâce), comme de par une Lampe Inextinguible & toute Brillante, que ceux qui Croient En Vérité sont Guidés Mystériquement, & atteignent les Choses Spirituelles & Mystérieuses qui sont au-delà des sens sensibles, & c’est par Elle que s’Ouvre à eux, par ce qu’ils sont Purs de Coeur, la Porte Céleste des Mystères Mystiques, les Menant En la Vie Sublime qui les fait Egaux aux Anges dans la Chair purifiée. C’est alors que jaillit pour eux, non comme du disque solaire, mais du Christ-Soleil de Justice, le Don de Scruter, d’Examiner, de Discerner, de Voir, de Prévoir à l’avance, avec Préscience, & d’autres Dons semblables octroyés par la Grâce, & pour tout dire d’un mot, que leur sont Sensiblement Manifestés & Tangiblement Révélés les Mystères Indicibles & Ineffables. Ils sont lors Emplis En Esprit, en Force Surnaturelle & Divine, au point que, telle une poussière dans le soleil devenue subtile & comme immatérielle, ils s’élèvent & semblent voler dedans l’Espace & le Temps, & au-Dessus de ces repères spatio-temporels même.

Par cette Puissance Illuminatrice à eux Communiquée En l’Esprit Saint, & bien qu’ils fussent encore dans la Chair, mais une Chair Purifiée, certains Pères, tels des Incorporels & des Immatériels, ont traversé des fleuves & des mers, & ont marché sur les eaux comme à pied sec, ont parcouru en un clin d’oeil de longues & interminables routes, ont accompli des prodiges dans le Ciel, sur la Terre, sous le Soleil & sur le Soleil, dans les Mers, dans les Déserts, dans les villes, les cités, les bourgs, & les campagnes, en tous lieux, pays, & contrées, parmi les fauves & le reptiles, d’un mot dans toute la Création entière & parmi tous les éléments...Et à leur Mort, leurs Corps Vénérables portent le caractère de l’Incorruptibilité, laquelle manifeste la Grâce qui les habite, & continue de les habiter, jusque dans leurs Saintes Reliques. & après la Résurrection Générale & Universelle, par la Puissance Illuminatrice de l’Esprit, ils seront Elevés, comme ayant des Ailes, dans les airs, à la Sainte Rencontre du Seigneur, comme l’a Dit l’Initié aux Choses Ineffables, le Divin Paul, & ils seront toujours avec Lui. & David Chante également : “ Seigneur, c’est dans la Lumière de Ta Face que nous marcherons, & Dans Ton Nom nous nous Réjouirons tout le Jour”, ce qui es dire : “ Dans l’Eternité à Tous Jours”. & se fait entendre la Grande Voix aussi d’Isaïe : “ Mais ceux qui se confient Dans le Seigneur prennent des Forces Nouvelles ( d’En-Haut Reçues); ils s’Elèveront dans leur Vol...”

“ Le Saint Père Spirituel”, Dit Saint Basile le Grand, est celui qui ne vit plus selon la chair, mais qui Vit Mené, Conduit, & (en toutes choses) Guidé par l’Esprit de Dieu; qui, lors, est devenu Fils de Dieu, à l’Image du Fils de Dieu. Un tel Homme peut être Dit & Appelé Spirituel.” Il ne suffit pas, pour être un Père Spirituel, d’avoir un Charisme de l’Esprit, mais il lui sied d’avoir la Grâce en abondance, comme l’on vient de le voir, ainsi qu’Elisée, le Prophète, demandait à Elie son maître Spirituel, le Prophète : “ Que j’obtienne, je te Prie, une double part de ton Esprit”. Il faut avoir guéri & maîtrisé ses propres passions avant que d’éclairer les autres. En un mot, il faut d’abord avoir acquis, avant que de pouvoir distribuer à profusion. Il faut être l’Homme Spirituel dont Parle l’Apôtre Paul le Divin. Car si l’homme charnel, qui n’entend rien aux Choses de l’esprit de Sainteté, commet par exemple l’iniquité (l’injustice), si l’homme psychique ne la commet pas, mais ne veut pas la subir, l’Homme Spirituel, lui, l’Homme Parfait, l’Imitateur du Christ, non seulement ne commet pas l’Injustice, mais il la subit, en rendant Grâces, & ne cherche point à s’en venger, mais à l’épargner à Autrui, & à l’annihiler radicalement de la Terre des Hommes.

Si l’on interrogeait les Pères du Désert sur ce que doit être le Père Spirituel, ils répondraient avec Abba Poemène que : “ Celui qui en Enseigne un autre, il faut qu’il soit lui-même en parfaite santé d’âme & sans passions. Il ne faut pas fonder, construire, édifier, & consolider la maison du voisin au prix de ruiner la sienne propre. Celui qui enseigne les autres & n’effectue ni ne réalise rien de ce qu’il enseigne, est semblable à un puits qui arrose & lave ce qui l’environne, alors que lui-même est plein de toutes sortes d’impuretés.”

Abba Hyperechios Disait que celui qui Enseigne non par des Paroles, mais par des Oeuvres, est un Sage Véritable. & un autre Père compare celui qui enseigne seulement en paroles, & sans oeuvres, à un arbre qui a des feuilles & ne porte pas de Fruits Spirituels...

Saint Nil l’Ascète Dit que “ ceux qui ont charge d’âmes doivent posséder une Parfaite Co-Naissance Spirituelle, afin de diriger avec prudence ceux qui lui sont confiés. Ils doivent Enseigner avec Sagesse tout ce qui regarde le Combat Spirituel, & ne pas se contenter d’indiquer d’un geste de la main les choses de la Victoire contre le Diable, mais diriger la Lutte contre l’Adversaire & l’Ennemi des âmes. Car la Lutte Spirituelle est plus difficile que le combat qui regarde les corps. Dans l’un, ce sont les corps qui ploient, mais peuvent se redresser sans peine. Dans l’autre, ce sont des âmes qui tombent, & risquent de retomber dès qu’elles se sont relevées...”

Le même Saint Nil du Désert Dit en somme que celui qui est encore dans les passions ne peut pas être un Guide Spirituel. & il illustre son Enseignement Spirituel en interprétant Spirituellement la Sainte Ecriture, prenant comme exemple le Roi David, qui voulait construire le Temple de Dieu. “ Si celui qui combat encore dans la vie passionnelle, & dont les mains sont couvertes de Sang, veut édifier le Temple de Dieu avec des âmes raisonnables, il entendra ceci, de la Voix de sa Conscience mise en lui par Dieu pour le Juger & reDresser ses voies : “ Ce n’est pas toi qui m’élèveras un Temple, car tu es un homme de Sang...” Il faut donc être en Paix, & Pacifié, “de la Paix Divine & Mystérieuse qui est au-dessus de toute intelligence”, Dit l’Ecriture Sainte, pour pouvoir Edifier un Temple Spirituel à Dieu...Voilà pourquoi Moïse prend la tente, & la dresse hors du camp, manifestant par là que le maître Spirituel se doit de se trouver loin des bruits de la Guerre, loin de l’Armée toute Eclaboussée de Sang, & qu’il doit résider en un lieu de Prière & de Paix...”

Saint Barsanuphe le Grand appliqua rigoureusement la règle de Vie de Saint Nil, & vécut Reclus, emmuré en la cellule d’une Skyte, sise hors du Monastère, près de Gaza, en Palestine. Il fut le Père Spirituel non seulement des Moines de son couvent, mais également d’un grand nombre de Chrétiens. Il ne voyait jamais personne, & l’on correspondait avec lui par petits billets de papier, & par l’entremise de l’Abba du Monastère. “ C’est dans sa cellule”, écrit de lui Saint Nicodème l’Athonite, “qu’il récolta & goûta le très doux miel de l’Hésychia. Il s’imposa une Pénitence si rigoureuse qu’il ne trouva de Consolation que dans les larmes...Il pouvait se passer de manger, de boire, & de se vêtir d’autre sorte que de guenilles, car, sa nourriture, sa boisson, son vêtement, c’était le Saint Esprit...A l’Humilité, il lui fut ajouté la plus grande des Vertus, peut-être, celle du Discernement Spirituel...Au Discernement, s’ajouta le Don de Voir & de Scruter les Raisons Mystérieuses & Causes Spirituelles des êtres sensibles, & des Etres Intelligibles même. Puis, s’adjoignit en son Ame le Don de Voir les Choses lointaines, tout comme si elles étaient proches, le Don de Prophétie, le Don de Lire dans les coeurs, & comme à Livre Ouvert, & le Don de Connaître les pensées d’Autrui....En Père Tendre qu’il était, il ne cessait jamais de Prier Jour & Nuit Dieu, pour qu’Il fît de ses Frères des Théophores. Voici ses Paroles : “ Avant que vous ne le demandiez, par la Flamme Embrasée qui Brûle en moi pour le Christ qui a Dit : “ Aime ton Prochain comme toi-même”, par les Ardentes - Brûlantes- Brûlures de l’Esprit Saint, je ne cesse jamais, de Jour comme de Nuit, de Prier Dieu de vous faire tous ThéoPhores, d’habiter en vous, d’envoyer en vous l’Esprit Saint...Je suis devenu pour vous un Père, qui met tout en Oeuvre pour mobiliser Ses Enfants pour le Roi de Gloire...”

Saint Barsanuphe est le Modèle grandiose du Père Spirituel, dont l’ambition est de faire de ses Enfants des Porteurs de Dieu. Dans l’Amour du Prochain, il parvient à la Mesure Spirituelle d’un Paul, d’un Moïse. “ Crois-moi, Frère”, écrivit-il à quelqu’un, “ je suis prêt à dire à mon Maître Jésus Christ, qui se Réjouit des demandes de Ses Serviteurs : “ Introduis-moi dans Ton Royaume avec mes Enfants, ou efface-moi de Ton Livre de Vie Eternelle.”

L’Art, la Manière d’Enseigner du Père Spirituel est toujours Vivant, Simple, comme une Parabole de l’Evangile. Souvent, les exemples sont pris dans la Sainte Ecriture, comme dans le suivant, où Dieu Dit à Ezéchiel : “ Toi, Fils de l’homme, prends une brique, pose-la devant toi, & dessine sur elle une ville : “Jérusalem”. - & c’est la Jérusalem Céleste.- Par là, il est signifié, selon les Pères, que le maître Spirituel doit faire de son Disciple, qui est sur terre, un Temple Saint. “ Souligne bien”, Dit Saint Nil, “ les mots : “ Pose-la devant toi”, car les Progrès Spirituels du Disciple seront rapides si celui-ci se trouve en permanence sous les regards de son Père Spirituel. Le spectacle continuel des bons exemples donnés par le Saint Père imprimera des images semblables dans les âmes les plus sèches & les plus endurcies...” Puis, un nouvel exemple est emprunté à l’Ecriture : Judas a trahi dès qu’il s’est soustrait aux regards du Maître.

Voici une autre manière usitée, celle d’un des Pères du Désert, pour redresser l’un de ses Fils venu le consulter.
“- Je viens te trouver, Père”, dit-il, “ pour te dire que je vais attaquer en justice un voisin qui me fait beaucoup de tort...”
“- Fais comme bon te semble,”lui répondit l’Ancien.
“-J’y vais donc de ce pas.
“Va. Mais, auparavant, Prions un peu.” Et l’Ancien se mit en Prière, & récita le Notre Père. Parvenu aux Paroles : “ Remets-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs...,” l’Ancien dit ceci : “Ne nous remets pas nos dettes, comme nous ne remettons pas à nos débiteurs.”
“- Père!”, le coupa l’autre, “tu te trompes ! Ce n’est pas ainsi...”
“- Mais”, repartit l’Ancien, “ n’est-ce pas cela que tu as décidé de faire?”
Et le Chrétien partit Spirituellement édifié, instruit, le regard intérieur tourné sur sa faute.

Le Saint Père Spirituel, celui qui véritablement un maître, Dit Saint Cassien le Romain, est indispensable à celui qui veut pratiquer l’Art Spirituel. ( & ce, dans les premiers temps surtout de son Initiation à la Vie Spirituelle).

Si pour les arts & les sciences humaines nous avons des leçons à recevoir, & s’il nous faut nous en instruire, par devoir, dans le but & la visée d’y progresser notablement, bien que ces choses soient pour nous à portée de mains, d’yeux, & d’oreilles, s’il ne nous en faut pas moins un maître éprouvé pour nous y diriger doctement, n’est-ce pas folie que de prétendre apprendre sans maître l’Art Spirituel, lequel est l’Art de tous arts le plus difficile, un Art caché, mystérique, secret, invisible, où la Grâce Mystérieusement Agit, & tel que celui-là seul peut le saisir qui a le Coeur Purifié? Echouer en cet Art n’est point simplement dommageable. Mais il y va de la Perdition & de la Mort Eternelle de l’âme. Aussi est-ce à un Saint Père Orthodoxe, & à un Saint seulement, qu’il nous faut confier notre âme néophyte comme à un maître en l’Art des arts.

“ On ne peut apprendre de soi-même la Science des Vertus”, Enseigne encore un autre Père, Saint Grégoire le Sinaïte, bien que certains aient recouru à l’Expérience comme maître. Celui qui agirait ainsi, & ne prendrait pas conseil auprès de ceux qui ont progressé est un présomptueux. Si le Fils ne Fait rien qu’Il ne Voit Faire au Père, si l’Esprit Saint ne Parle pas de Lui-Même, quel est donc celui qui peut prétendre être monté si Haut dans la Vertu sans personne pour l’initier? Folle témérité! S’il croit posséder la Vertu, il se trompe. Remettez-vous donc à ceux qui connaissent les douleurs de la Vertu Pratique, c’est-à-dire le Jeûne jusqu’à la Faim, la Chaste Continence, les Veilles prolongées dans la Nuit, les Prosternations épuisantes, jusqu’au nombre de trois cents & plus pour les Moines Grands Schèmes du Grand Habit Angélique, la Station Debout & immobile, la Prière Persévérante, l’Humilité Véritable, la Contrition du Coeur, les Soupirs incessants invoquant l’Esprit, le Silence Béni enveloppant la Prière du Coeur, &, en toute chose, la Longanime Patience... L’Ecriture Sainte Dit Bien : “Tu mangeras les peines & douleurs de tes Vertus”, & aussi : “ Le Royaume des Cieux appartient à ceux qui en forcent l’Entrée.”

Bien qu’il ait Vécu en Ascète dans la Pratique de toutes les Vertus, un souci préoccupait Saint Grégoire le Sinaïte : celui de trouver un Homme Spirituel qui fût en Mesure Spirituelle de le Conduire & Mener là où il n’était pas parvenu de lui-même, car il sentait au fond de son Coeur comme un vide encore qu’il fallait combler, & le besoin d’apprendre ce que les Anciens qu’il avait connus ne lui avaient pas Enseigné. “ Dieu exauça sa demande, & lui donna le Guide Spirituel qu’il cherchait. Il Révéla à un certain Père Arsène, Anachorète, l’existence de Grégoire, & son Désir Ardent de s’élever plus Haut encore sur les Cîmes Spirituelles. Arsène, poussé par le Saint Esprit, se rendit chez Grégoire, qui le reçut avec Joie. Après les salutations d’usage, propres aux Moines, le vieillard & Saint Ancien Arsène commença de parler, comme s’il lisait en un Livre Divin. Il Parla de la Garde de l’Intellect, de la Purification du Coeur, de l’Attention & Vigilance Neptique, de la Prière Intellective & Hyper-Noétique, dévoilant comment l’intellect se Purifie par la Pratique des Commandements & Divins Préceptes, & comment l’Esprit devient Lumière, sous l’Effet de la Grâce Déifiante.

Puis, s’adressant à Grégoire, il lui demanda :
- A toi, donc, mon Fils, quelle est ton labeur & Oeuvre Spirituelle?

Le Divin Grégoire lui exposa tout ce qu’il avait fait depuis le commencement : sa séparation d’avec le monde, son amour de la solitude, tous les combats qu’il y avait livrés...

Le Divin Arsène, qui Connaissait parfaitement la Voie fort ascendante qui mène aux sommets de la Vertu, sourit, & lui Dit :
“- Tout cela, mon Enfant, tout ce que tu viens de me conter se dénomme, selon les Pères Théophores, “Praxis”- “Pratique”-, & non point encore Théoria - “Contemplation.” En entendant ces Paroles, Grégoire tomba aux pieds de l’Ancien, & le Supplia, au Nom du Seigneur, de lui Enseigner ce qu’était la Prière Intellective & Hyper-Noétique, l’Hésychia Priante, la Garde de l’Intellect, & la Prière du Coeur. Arsène prit occasion, sans perdre plus de Temps, d’entreprendre là d’Initier son nouveau Disciple, & de lui commmuniquer tout ce que lui-même avait reçu de la Grâce Divine.

Dans l’Orthodoxie, ce n’est pas la règle qui fait le Moine, mais le Saint Père & Maître Spirituel. Nous avons connu des Moines qui ont quitté leur Monastère pour aller Vivre auprès d’un Saint Père Spirituel, puis en chercher à nouveau un autre après al Mort de ce dernier. Saint Grégoire a formé des Disciples dignes du Royaume des Cieux. C’est lui qui a manifesté au monde Saint Maxime le Kavsokalyvite - le Brûleur de cabanes-, qui jusque là errait dans les Déserts Athonites, se faisant passer pour fou. Un maître & Père Spirituel non manifesté par un autre, non recommandé, dirions-nous, par un autre maître connu de ses Pères & éprouvé par ses Fils Spirituels, est un faux maître, & peut-être même un gourou, dont il faut se garder. Le Christ se réfère à Son Père, & le Père le Manifeste au Monde. Il a deux Témoins lors de son Baptême dans le Jourdain, le Père & l’Esprit, descendu sur Lui sous forme de Colombe. L’Esprit ne Parle pas de Lui-Même, mais Il Dit ce qu’Il a Entendu auprès du Père. Nous avons souvent entendu chez les Anachorètes poser la question suivante : “ De qui es-tu Disciple? De quel Saint Père & maître Spirituel? ”, qu’ils se posent lorsqu’ils se rencontrent la première fois, pour savoir aussitôt à qui ils ont affaire. & nous avons entendu de Saints Moines avouer aussi qu’ils ne se déplaçaient aps toujours pour aller accueillir les Pèlerins qui leur arrivaient, fût-ce de très loin : “ Cela dépend de qui il s’agit”, disaient-ils, &, traduisant en anglais, au cas où l’on ne les aurait pas compris : “ It depends on who it is.” Car les Saints ont aussi entre eux leurs
“ V.I.P” - “Very Important Personns”-.

Revenons à Saint Grégoire & à son Disciple Kalliste, qui devint plus tard Patriarche de Constantinople, & pénétrons, grâce à celui-ci, dans la sphère intime & la familiarité de son maître, par le récit & l’entretien qui suit :

“- Je le questionnais d’une manière simple & dépourvue de curiosité, quand je le voyais sortir de sa cellule, le visage en Joie...Et il me Disait :
- L’Ame qui s’attache à Dieu, qui a été blessée de Son Amour, qui est montée & s’est Elevée au-dessus de toute la Création, qui Vit au-dessus de tout le Visible, qui est tout entière enchaînée par le Désir de Dieu, ne peut plus se cacher tout-à-fait totalement ni complètement à la vue des autres. Car la Grâce, de toutes parts transpire de cet Etre, & jusqu’au plus loin de lui Rayonne Mystérieusement, & SurPuissamment. Du reste, le Seigneur Lui-Même Annonça de tels prodiges, lorsqu’Il Dit : “ Ton Père, qui Voit dans le Secret (des Coeurs) se Manifestera au Vu & Su de Tous.” & encore : “qu’ainsi Brille votre Lumière devant les hommes, afin que, voyant vos Oeuvres Bonnes, ils rendent Gloire à votre Père qui est dans les Cieux.” Car le Coeur Danse de Joie, l’Esprit tressaille d’Allégresse, le Visage Rayonne de Joie, selon le Sage qui a Dit : “ Le Coeur en Liesse fait de Joie Resplendir le Visage.”
- Je lui dis encore : “Divin Père, Enseigne-moi, pour l’Amour de la Vérité, ce qu’est l’Ame,& comment les Saints la prennent en Vue. Oui, Dis-moi : Comment la considèrent-ils?
Lui, accueillant favorablement ma requête, & avec toute la sérénité tranquille qui lui était coutumière :
“ Très cher Enfant Spirituel”, me répondit-il, “ ne cherche pas ce qui est au-Dessus de ta portée, & n’examine pas ce qui est plus Profond que toi. Devant la question d’importance que tu viens de poser, tu n’es encore qu’un Enfant, ce qui est dire Spirituellement imparfait.
Tu ne peux ingérer encore une nourriture solide, non plus qu’appréhender ni saisir des choses qui sont au-dessus de ta Mesure Spirituelle, & dont la compréhension, de ce fait, par imparticipation à leurs Faits Mystériques, t’échappe. La nourriture solide & substantielle des Hommes Faits ne convient pas aux nourrissons qui ne peuvent absorber & digérer que du lait.
Je tombai à ses pieds, & les pressai fortement, le Suppliant avec plus d’insistance encore de m’en donner l’explication. & lui, condescendant à ma Prière, me Dit, quoique très brièvement, & comme en passant, &, par souci d’Humilité, comme l’air de rien :
- Si quelqu’un ne voit pas la Résurrection de son Ame, il ne peut apprendre ce qu’est exactement l’Ame Spiritualisée toute.
De nouveau, insistant respectueusement, je le Priai de m’en Dire plus :
- Montre-moi, Père, si tu es parvenu au sommet de cette Ascension Spirituelle, c’est-à-dire si tu as appris, toi, ce qu’est l’Ame Spiritualisée toute, entièrement devenue Spirituelle.
Lors, c’est avec beaucoup d’Humilité qu’il me fit cette réponse, toute simple,& confondante, en Vérité, de Sainte Simplicité :
- Oui.
- Pour l’Amour du Seigneur, repris-je alors, Enseigne-moi encore cela, pour le bien de mon Ame.
Cette Ame Divine & toute Vénérable satisfit alors à mon Saint Désir, & me dispensa cet Enseignement si Spirituel :
- Lorsque l’Ame a mis toute sa Volonté entière à combattre les passions par le moyen & truchement de la mise en Oeuvre de toutes les Vertus Pratiques, avec la Raison Surrationnelle & le Discernement Spirituel, peu à peu elle les réduit, & progressivement se les soumet . Après les avoir soumises, elle cultive les Vertus Naturelles qui l’Enseignent & la Conduisent aux Choses qui sont au-Dessus de la Nature, l’y faisant Monter comme par une Sainte Echelle Spirituelle, dont les Degrés sont les Vertus. Quand l’intellect Purifié, par la Grâce du Christ, & désembarrassé de toute pensée mauvaise, est parvenu dans la Sphère Supérieure qu’est le Monde Spirituel, il est alors Illuminé par la Lumière du Saint Esprit. Il s’élargit lors, Lumineusement, dans la Contemplation des Choses Saintes, il s’Elève au-Dessus de lui-même, se dépasse, & se surpasse, selon la Mesure de la Grâce de l’Esprit de Sainteté que Dieu lui a répartie, & il Voit plus Clairement, plus Purement, jusqu’en leur intime, la Nature Profonde des êtres, selon l’ordre & la relation qui leur sont propres, & non plus comme spéculent, en un rapport d’extériorité, les philosophes du dehors, qui ne perçoivent que l’ombre des choses, & qui ne cherchent pas à suivre, comme il convient, l’opération de la Nature. Car, comme l’Enseigne l’Ecriture Divine, “ils se sont Egarés dans leurs vains raisonnements, & leur coeur sans intelligence s’est rempli de Ténèbres.”

Mais l’ame qui a reçu les Embaumantes arrhes de la Grâce du Saint Esprit, par les fréquentes Contemplations qu’elle a des choses d’en bas & d’En Haut, peu à peu délaisse ce qui est en bas, pour ne plus Monter & s’Elever que vers ce qui Est En Haut, le plus Divin. Comme le Dit Saint Paul aux Philippiens, “ oubliant ce qui est derrière moi, & m’élançant vers ce qui Est devant moi, je Cours vers le But Suprême...” L’Ame, ainsi Eclairée & Illuminée par l’Esprit de Sainteté, Brille, Resplendit, Scintille, & Lumine toute. Elle est peu à peu Elevée jusque sur les sommets de la Contemplation. Unie à l’Epoux Céleste, Christ, par l’Immortel Eros - car cet Amour pour Dieu est pour le Saint Erotique Divine-, elle s’entretient continûment avec Dieu, comme Dialoguant toujours avec Lui, qui Surabondamment la Comble, & de Ses Richesses l’adOrne.”

“ Lorsqu’on rencontre & que l’on trouve de tels maîtres Spirituels, “ Dit Nil l’Ascète, “ les Disciples se doivent lors, dans les premiers Temps, de renoncer à eux-mêmes, & à leurs volontés propres, au point de ne différer plus presque d’un corps inanimé, pour devenir telle la matière docile, ductile,& le matériau façonnable de la glaise montant au tour entre les Mains Heureuses du Saint Potier qui lui confère Forme, Art, & Signification... Car c’est ainsi, oui, c’est ainsi que travaille la Vertu le Maître chez ses Disciples Bénis, lors, par ses Saintes Prières, devenus dociles assez, dans leur si grand soif d’apprendre les Mystères de son Art, pour ne le contredire jamais, le Sachant Saint.

“ Ne te leurre donc pas, mon Enfant, en te croyant capable de te guider tout seul dans le labyrinthe ardu des Choses Spirituelles,” conseille Abba Poemène. “ Va te soumettre à un Ancien, & laisse-le te diriger en tout.” Un autre Père du Désert, instruisant un Novice, lui Disait : “ Sois, Frère, comme le Chameau. Charge-toi de tes imperfections, & laisse-toi Guider par un Père Spirituel sur la Voie Sainte qu’il Connaît mieux que toi, ô combien! incomparablement.” Car le Fils Spirituel auprès de son Saint Père a la semblance d’un nain aux côtés d’un Géant; sa lumière est celle d’une lanterne sourde auprès d’un Astre Irradiant son Irrésistible Chaleur; & sa science est celle d’un néophyte se mesurant à un Génie de l’Humanité, hélas!

“ Si l’on veut critiquer les recettes de Vie auxquelles recourt le maître, l’on ne progressera jamais, car ce qui, aux yeux du Disciple, peut paraître sans importance, voire insensé,” Dit encore Saint Nil, est en Vérité fort bon, & de très longue date, & du tréFonds, & de Très Haut Eprouvé. Celui qui est Artiste, & celui qui ne l’est pas, & ne comprend rien à l’Art, jugent différemment l’Oeuvre d’Art. Le premier a la science pour règle, ou plutôt il donne à la Nature son Génie pour seule & unique règle de tout, que, pour finir, il lui impose, de par la Force de son Art, & le second n’a pour critère que la ressemblance aux choses déjà vues, conformes à ses préjugés banals & préventions indigentes.”

L’on dit qu’Abba Jean le Kolobe, avant de devenir Ascète, vécut de longues années, sous la direction Spirituelle d’un Ancien, dans la Thébaïde. Son maître, au commencement, qui voulait l’éprouver, un jour le prit, & lui fit faire une interminable & harassante marche de douze longues heures, depuis leur hutte de branchages jusqu’en un lieu aride de Désert. Là, l’Ancien prit son bâton, le piqua dans la terre, & ordonna au jeune Jean, son Disciple, de venir tous les jours l’y arroser, en y venant porter un lourd seau d’eau depuis sa hutte, située, donc, nous l’avons vu, à douze heures de là. Le Bon Disciple fit nonobstant avec Zèle ce que son maître & Père Spirituel lui avait enjoint de faire. &, trois ans après, voici que le bois sec reprit vie, & se mit à produire des noix fraîches. L’Ancien les cueillit, &, le Dimanche suivant les apporta aux Ermites, qui, une fois la semaine, ce Saint Jour, se retrouvaient à l’Eglise. Après l’Office Divin, il les leur distribua donc, leur Disant : “ Venez, Frères, & goûtez aux Fruits de l’Obéissance.”

Abba Hyperéchios Disait que l’obéissance était le joyau le plus précieux du Moine. Celui qui le possède sera exaucé de Dieu, & entrera dans la Familiarité du Crucifié, qui s’est fait obéissant jusqu’en Mourir.

Saint Marc l’Ascète, Fidèle à la Tradition des Pères Saints, Enseigne de même : “ Il est dangereux de vivre seul, selon sa fantaisie, sans nul témoin, ou avec des hommes sans Expérience réelle du Combat Spirituel. Les machinations du Mauvais sont innombrables, celées, & fort dissimulées, & ces pièges de l’Ennemi sont de surcroît divers & variés, & partout habilement posés & disposés. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, il faut s’appliquer à Vivre avec des Hommes Sages & Vertueux, ou les Voir fréquemment. Quand on ne possède pas la Lampe de la Co-Naissance Véritable, pour n’avoir pas atteint encore l’Age Spirituel des Parfaits, étant encore Enfant inexpérimenté de ces pièges de l’Ennemi des âmes, il sied de suivre celui qui possède, porte, & tient Haut la Lampe, en manière de ne pas marcher à l’aveugle pour trébucher dans les Ténèbres, de ne s’exposer pas aux périls des tumultueux orages, & des froids intenses, & ne courir point le risque de tomber tout vivant en la gueule des Fauves anti-spirituels qui peuplent ces Ténèbres, & s’emparent, pour les dévorer tous crus, jusqu’à l’os de l’âme, de ceux qui marchent dans le Noir de leurs âmes Egarées, sans la Lampe Spirituelle de la Divine Parole de l’Esprit du Verbe.”

Relativement à cette fréquentation de Sages Hommes Saints, plus d’une histoire de Désert nous viennent à l’esprit: Un Ancien Disait que celui qui entre dans une parfumerie, même s’il n’achète rien, en ressort tout imprégné de bonnes odeurs & de suaves effluves. La même chose advient à celui qui fréquente de Saints Hommes, car il s’imprègne, sans même s’en aviser parfois, du Parfum de leurs Embaumantes Vertus.

“ Trois Anciens”, lit-on dans la Vie de Saint Antoine, “ avaient coutume de se rendre une fois l’an au Mont de l’Abba Antoine, pour y recevoir l’Enseignement Spirituel du grand Saint. Une fois, deux d’entre eux lui posèrent des questions sur l’Ascèse de l’Ame & du Corps, pour donner ainsi au Saint occasion
d’épancher la Sagesse Divine qui jaillissait de ses lèvres Saintes. Le troisième écoutait en silence, & ne posait nulle question. Le Saint lui Dit alors :
- “Depuis tant d’années que tu me viens visiter, tu n’as pas encore posé une seule question. Ne veux-tu rien apprendre de l’Ascèse?”
- “Il me suffit de te regarder, Abba”, repartit l’autre Ancien. Cela m’a beaucoup Enseigné”.

De tout ce qui précède, nous apprenons qu’il n’est pas d’autre Voie sûre que celle de confesser tout le jour ses pensées, dans l’Entretien Spirituel, & la Vie quotidienne aux côtés de l’Ancien & des Pères qui ont le Don de Discernement Spirituel, de ne recevoir que d’eux seuls la règle de leur conduite dans la Vertu, & de ne se fier jamais à son jugement propre...Car, se confesser à quelqu’un qui n’a pas & ne possède pas le Discernement Spirituel, non plus qu’il n’a davantage l’Expérience Pratique & Théorétique de la Vie Spirituelle, c’est risquer sa propre perte, & jusqu’à la sienne ensemble. Abba Poemène conseille donc de ne pas livrer ni confier le secret de sa confession à quelqu’un sur qui notre conscience ne nous avertit pas de ce qu’il est réellement au fond de lui.

Abba Cassien & la suite de ses Moines visitèrent Abba Moïse - qui fut un ancien brigand Ethiopien devenu, par la Vertu de la Pénitence, l’un des plus grands Saints, des plus illustres, & des plus réputés du Désert-, & ils l’interrogèrent sur la confession des pensées. Moïse leur répondit : “ Il est très Bon, mes Enfants, de ne pas celer ni cacher ses pensées aux Pères, mais de les confesser librement & purement. Il ne faut pas écouter ses jugements propres, ni se fier à soi, mais se soumettre sans restriction à ceux des Pères Saints. Il ne faut cependant pas davantage livrer à n’importe qui les secrets de son Coeur, mais à des Anciens seulement, devenus Spirituels, qui Savent Discerner, qui ont le Bon Témoignage de beaucoup de leurs Pères, & non point seulement des cheveux blancs & chenus. Car, nombreux sont ceux qui s’attachent à la forme extérieure du Père, & croyant livrer leurs pensées à un Saint, c’est à un gourou Egaré qu’ils les dévoilent; lors, au lieu de la guérison Spirituelle, c’est le désespoir qu’ils en obtiennent, à cause de l’inexpérience de ceux qui les ont entendus, & de l’abus de confiance & de liberté qu’ils en ont fait.”

Saint Maxime le Cavsocalyvite - le Brûleur de cabanes, car il brûlait toutes ses cellules l’une après l’autre, à crainte de s’y par trop attacher- fut ainsi la victime, d’abord, d’un confesseur inexpérimenté & usurpateur de cette fonction Spirituelle de confesseur, auquel il avait confessé ses Visions Spirituelles, & l’Apparition de la Mère de Dieu, qu’il avait encontrée au sommet du Mont Athos. Lequel faux confesseur le traita, lui, d’égaré & de fou. Mais, ce fut une Grâce pour Saint Maxime, qui usa de cette catégorisation arbitraire & erronée, & de l’épithète même, discriminante, diffamante, humiliante, & vexatoire, “d’égaré”, pour se préserver de la louange des hommes, criant à tous ceux qui tentaient de l’approcher : “ Eloignez-vous de moi, je ne suis qu’un égaré.”

“ Les Pères Expérimentés”, Enseigne Cassien le Romain, ne se meuvent pas d’eux-mêmes, mais leur Motion & leur Agir sont Célestes, car c’est Dieu, l’Esprit de Grâce Providente, & ce sont les Ecritures Inspirées aussi qui les meuvent. Qu’il faut interroger ceux là seuls qui sont avancés dans la Vertu, c’est ce que l’on peut apprendre de par nombre de passages de l’Ecriture Sainte, comme dans la Vie de Saint Samuel, qui fut, tout Enfant, consacré à Dieu par sa Mère, qui fut digne de converser avec le Seigneur, & qui pourtant ne se fia point à son jugement, & s’en fut consulter son Père Spirituel Elie, pour apprendre de lui ce qu’il devait répondre à Dieu. & bien que dieu l’eût, par Son Appel, rendu digne de Lui, Il continuait de le vouloir soumis à son Père Spirituel, afin de le faire progresser dans l’Humilité.

De même, le Christ qui choisit Paul, & l’Appela, sur le chemin de Damas, eût pu lui ouvrir immédiatement les yeux, & lui montrer aussitôt, & d’emblée, la Voie de la Perfection Spirituelle. & cependant, il l’envoya d’abord à Ananie, & lui enjoignit d’apprendre de ce dernier la voie de la Vérité, lui Disant : “ Lève-toi, rentre dans la ville, & là, l’on te Dira ce que tu devras faire.” Par là, & de telles choses, il nous est donc Enseigné de nous laisser Guider par ceux qui sont Parfaits...” Je montai,” Dit Paul, “ à Jérusalem, pour voir Pierre & Jacques, pour leur exposer l’Evangile que je prêchais, de peur de courir ou d’avoir couru en vain”, & ce, bien que la Grâce du Saint Esprit le suivît dans la Puissance des Miracles qu’il Accomplissait. Quel est l’orgueilleux & le présomptueux qui osera se fier à son propre jugement sur lui-même, quand le Vase d’Election confesse qu’il a besoin de l’avis des Saints Apôtres? Il est donc clair - & ces faits le démontrent- que le Seigneur ne Révèle à personne la voie de la Perfection, si ce n’est à ceux qui y sont Guidés par leurs Pères Spirituels, & si & seulement si encore ceux-ci sont véritablement Saint & Orthodoxes. C’est pourquoi Dieu Dit par le Prophète : “ Interroge ton Père, & il te l’Apprendra, tes Anciens, & ils te le Diront...”

Comme l’Apôtre, le Saint Père Spirituel Connaît les douleurs de l’enfantement Spirituel, dans les attaques des démons déchaînés contre lui, car les démons revendiquent & convoitent à Mort l’Ame du Fils Spirituel, Dit Nil l’Ascète, & viennent le troubler
de Nuit comme de Jour, suscitant contre lui les calomnies, les difficultés de toutes sortes, les dangers, & les périls sans nombre, jusqu’à leur cessation, après qu’a l’Ascète remporté le prix & trophée de la Victoire Spirituelle sur le Diable.

“Il advient parfois, ” Dit Saint Jean le Carpathe, que le maître se livre au déshonneur, & subisse des épreuves pour le Bien de ses Disciples. “ Nous sommes sans honneur & méprisé, vous, vous êtes Glorieux & Forts En Christ”, écrit Paul aux Corinthiens.
Saint Syméon le Théologien fut attaqué par ses propres Moines, incités & excités à ce faire par le Diable. Le Patriarche d le’époque, affecté par leurs calomnies, les condamna à l’exil, mais, sur la demande & les Prières du Saint revint sur sa décision, & se contenta de les disperser. Mais, en Bon Berger qu’était le Saint, ne pouvant souffrir de voir sa Bergerie & son Bercail vides, il se mit en quête de les retrouver tous, & leur fit parvenir ce qui était indispensable à leur vie & subsistance. Il s’en alla les trouver ensuite un à un, leur demandant pardon comme s’il les avait offensés. C’est ainsi qu’au bout d’un temps, il parvint à les rassembler tous dans son Monastère.

“ Reçois donc & écoute avec Piété les Instructions Spirituelles & Divines des Pères. Les Choses Spirituelles sont inaccessibles à ceux qui manquent d’Expérience Spirituelles”, Dit Saint Macaire. La Communication & Communion du Saint Esprit, - c’Est Esprit de Sainteté - , est Octroyée en Don à l’Ame Fidèle, puis Sainte...C’est à celui qui a acquis l’Expérience que sont sensiblement & tangiblement Manifestés les Trésors Célestes de l’Esprit. Mais, celui qui n’est pas Initié n’y peut absolument rien comprendre.”

Or donc, nous Apprennent encore les Saints Kalliste & Ignace ceci même : “ Ecoute donc avec Piété ce que ton Père Saint te Dit de ces Choses, jusqu’à ce que tu deviennes digne de les recevoir à ton tour. Tu Verras alors, par les Yeux Expérimentés de l’Ame, à quels Biens Supérieurs & à quels Divins Mystères les Ames des Vrais Chrétiens Orthodoxes peuvent dès ci-bas Communier Mystériquement...”

(R.P.)Révérend Père Ambroise (Fontrier).




VIE DE SAINT CALLINIQUE L’HESYCHASTE.



CHAPITRE PREMIER


PIEUSES ASPIRATIONS



Années de jeunesse.





C’est en 1853, à Athènes, que naquit celui qui devait devenir Saint Callinique l’Hésychaste. Le petit Constantin - c’était là le nom qu’il avait reçu à la Sainte Illumination du Baptême-
avait pour parents les pieux descendants d’une famille de capitaines, les Thiaspris, qui s’étaient illustrés lors de la révolution de 1821, aidée de la plume & des pinceaux des Romantiques européens, poètes, écrivains, peintres, etc.., & qui, après des luttes héroïques menées par le Peuple grec & ses héros, avait vu la libération de la Grèce, enfin, du joug de la Tyrannie Ottomane.

Les premières années de sa vie se passèrent dans l’Athènes d’alors, tellement irriguée encore des flots de la piété & de l’attachement à la Tradition Chrétienne Orthodoxe des Saints Pères grecs. C’est que la Foi, en vérité, constituait à l’époque toute la science du Peuple, sous la conduite de ses Saints Anciens, était à la plus haute Ecole qui se puisse, l’Ecole de la Sainteté Théologienne. Aussi, rares étaient les agnostiques, indifférents à Dieu comme à l’Eglise, & feignant de rester indécis quant à décider & trancher de la Vitale Question du Salut de leur âme.

Constantin faisait à tous l’effet d’un garçon vif & intelligent, dévoré pour l’Eglise d’un zèle ardent. Il s’adonnait avec passion à l’étude des livres grecs, & ne perdait pas une occasion de venir à l’église, pour y suivre les saints & divins offices, à l’imitation du Prophète s’écriant : “ Le zèle de Ta Maison, Seigneur, me dévore”.

On le voyait souvent même assister à des vigiles entières - ces offices, qui durent toute la nuit, étant alors loin d’être rares dans les paroisses. Il y accourait, pour jouir de leurs Bienfaits Spirituels & de cette nourriture si désirable à l’Ame en quête de sa purification & de son Edification Spirituelle. Et ce qu’il entendait dans les homélies & autres prédications des Saints Anciens & des Prêtres, comme ce qu’il lisait dans les Livres Saints, il le Vivait de toute son Ame, profondément fervente. Car, en vérité, ce à quoi il participait déjà, était un fastueux banquet Spirituel, dont il faisait ses Délices.

Pour sa jeune Ame inquiète, cependant, ces prémices ne représentaient, au demeurant, pas tout encore à ses Yeux Spirituels. Ce qu’il désirait était tout autre chose encore, quelque chose de plus intense & de plus élevé, qu’il ne trouvait pas ici, à Athènes. Et il ignorait alors que ce à quoi il aspirait ainsi, d’une façon confuse encore, fût une Vie Vouée toute entière à Dieu.

Mais il arriva qu’il fit, à point nommé, la connaissance d’une personne qui possédait de la Vie Monastique aghioritique - sur la Sainte Montagne de l’Athos- une Co-Naissance profonde. Aussi connut-il bientôt l’exacte manière dont Les Pères de l’Athos menaient la Vie Divine. Ces leçons ne furent cependant pas sans le troubler. Déjà, toute son Ame inquiète de son Salut se tournait vers la Sainte Montagne. Là-bas, peut-être, songeait-il, trouverait-il ce qu’il cherchait, & ce à quoi aspirait tant son Ame assoiffée comme la Biche des Ecritures, courant se désaltérer & s’étancher aux Sources de la Vie Divine.

Par une belle journée de 1875, l’on eût pu voir, sur le port de mer du Pirée d’Athènes, Costas arpenter le débarcadère en quête d’un caïque qui pût le faire passer jusqu’à l’Athos. Il avait en lui-même pris l’ultime décision. Et ses lèvres, doucement, murmuraient :
- Mon Dieu, si Ta Volonté est que je devienne Aghiorite, présente à ma vue le caïque qui m’emmènera vers la Sainte Montagne.

Il abordait les capitaines, l’un après l’autre, s’enquérant de leur destination. Et il commençait à douter que la réponse fût jamais favorable, lorsqu’un sourire illumina son visage : Il y avait bien un petit caïque qui partait pour l’Athos.

Saisi d’un fol enthousiasme, il pria le pilote de le prendre à son bord, lui promettant de se rendre tout au long du voyage aussi utile qu’il le pourrait. Et le capitaine, peu disposé d’abord à embarquer ce passager peu commun, devant tant d’insistance, à la fin pourtant, se laissa fléchir.

Et, tout en faisant ses adieux au Pirée, Costas, plein de joie, rendait Gloire à Dieu de la tournure que prenaient les événements. A son Seigneur il avait demandé un caïque; le caïque s’était présenté, & voici que ce voyage, dont il avait tant rêvé, prenait une allure de réalité.


En route pour le Monastère d’Iviron.




Le caïque cinglait à présent vers le Monastère d’Iviron, où il devait charger du bois. C’était là un périple de plusieurs jours, sans compter les dangers & les périls qui pouvaient surgir & s’encontrer en mer, une époque où, pour cette même raison, tous les voyages traînaient en longueur.

Or, durant ce temps, Costas, de par sa conduite, s’attira bientôt l’estime de tous. Les passagers s’étonnaient seulement de ce qu’il ne leur répondît pas quant au but de son voyage. Ils voyaient ce garçon toujours aimable, jamais inactif, qu’ils savaient cultivé, - assez du moins pour avoir achevé ses classes au lycée-, & qui arrachait la sympathie de tous, & ils ne pouvaient croire qu’un jeune homme si distingué, & d’aussi fière allure, pût vouloir s’enfermer, sa vie durant, dans quelque Monastère Athonite.

Mais ce n’était pas tant la curiosité de ces gens, ni les questions qu’ils lui faisaient, qui le fatiguaient, que les mauvaises pensées dont le Démon l’assaillait. Assis dans un coin du caïque, Costas était en proie à de troubles inquiétudes. Le Malin le soumettait à dure épreuve, lui rappelant la pittoresque Athènes, ses parents, ses frères, ses soeurs, & tant d’autres visages qui lui étaient chers, dont il s’était ainsi si cruellement séparé, & dont le désarroi avait dû être sans pareil à l’heure où ils s’étaient avisés de son départ, ou plutôt de sa fuite vers la Sainte Montagne. Et l’Ennemi des Ames lui représentait encore, pour l’accabler davantage, les terribles épreuves qui sans nul doute l’attendaient, en ce lieu inconnu où il se rendait, peuplé de visages inconnus de personnes étrangères, qui tous vivaient dans un extrême dénuement, adonnés aux plus austères privations, & se menant la vie si dure.

“ Ta pauvre jeunesse”, lui disait & lui redisait la voix, ne la plains-tu pas? Où vas-tu donc l’enterrer?”

Et pourtant, à peine le sommet de l’Athos parut-il au loin, que toutes ces craintes cédèrent, cependant que l’enthousiasme, de nouveau, le reprenait. Bientôt, se présentèrent à sa vue les divers Monastères, çà & là disséminés au pied de l’Athos. Et ce qu’il avait entendu dire, ce qu’il avait imaginé de la Sainte Montagne, il le voyait à présent se détacher devant lui & vivre sous ses yeux. Ils approchaient du Monastère d’Iviron : son émotion, sa joie ne connaissait plus de bornes. Le caïque allait accoster : sans attendre même qu’il touchât terre, Costas, achevant à peine ses adieux au capitaine du bateau, déjà sautait sur le sol athonite, & s’empressait de courir au Monastère.

Il ne fut pas long à y parvenir. Et, de fait, il arrivait. C’était bien là, ainsi qu’il l’avait lu, que se trouvait cette Icône Miraculeuse de la Toute Sainte que l’on nomme “la Panaghia Portaïtissa.”Agenouillé devant sa majestueuse figure, il implora sa protection, avant que d’entrer dans sa nouvelle vie. Aussi n’est-ce pas un hasard fortuit si, par la suite, & dans la suite de ses Jours Bénis, la Grâce de la Mère de Dieu précéda toujours ses pas, & toujours le prévint en toutes choses.


Le Désert de Katounakia.




Après qu’il eut été hébergé quelques jours à l’hôtellerie du Monastère, il commença de songer au lieu de son séjour. Lui fallait-il rester là, ou bien s’en aller plus loin? Ce qui ne conférait pas à son Ame le repos auquel elle aspirait venait de ce que le Monastère était idiorythmique, à savoir que les Moines avaient chacun leur règle de Prière propre, & ne se retrouvaient que pour la célébration de la Liturgie & des grands Offices. Or, souvent, & la suite des temps le prouva, nombre de ces Monastères idiorythmes, si même ils produisirent des Saints préférant cette liberté qui leur permettait de consacre plus de temps à la Prière du Coeur, à l’étude & aux lectures patristiques, seuls, chacun, en leur cellule, beaucoup, toutefois, eurent des pratiques moins strictes que les autres. Il résolut donc d’aller chercher ailleurs un lieu qui fût plus propice à cette Hésychia qu’il désirait tant, cette Solitude Silencieuse & Paisible enquelle seule se peut mener à bien la Prière du Coeur.

Il apprit peu apprès que s’il voulait mener la Vie Hésychaste, ce lui serait plus aisé au Désert de Katounakia de l’Athos. Il y avait là de grands Ascètes, pareils à ceux qu’il admirait depuis si longtemps. Sans plus attendre, il se mit en route pour la Skyte de Sainte Anne. Et, pressant le pas, il ne mit guère de temps davantage pour atteindre Katounakia.

Katounakia, sise au Nord de l’Athos, sauvage & fort rocailleuse, ainsi que les Déserts avoisinants, Cavsokalyvia, Saint-Vassili, la Petite Sainte-Anne, Karoulia, & jusqu’à Vigla, toutes ces contrées qu’englobe la dernière langue de terre, formant la presqu’île athonite, qui s’avance dans la Mer Egée, oui, en vérité, toutes ces contrées se trouvaient constituer le sol le plus béni, le plus sanctifié, & le plus Saint de la Sainte Montagne. Et s’il fallait imaginer le reste de l’Athos comme la partie centrale d’une église, cette région-là, vraiment, en serait comme le Saint Autel.

Aujourd’hui encore, celui qui chercherait des êtres Vivant pleinement la Vie En Christ, assez même pour avoir progressé dans la voie de la Sainteté, c’est dans ces contrées là qu’il en trouverait, en densité, le plus grand nombre à l’arpent de terre. Que dire alors du siècle dernier, à l’époque où arriva Costas, en ces lieux où abondaient les Saints, comme autant de lys dont fleurissait le Désert?

Désormais, le jeune émule des Ascètes, tant admirateur de la Vie Ascétique, pouvait chercher un Géronda vertueux, un Saint Ancien, dont la conduite de Vie fût suffisamment austère pour le faire, de plus prompte sorte, progresser dans la Vie Spirituelle. C’est ainsi qu’il découvrit Pappa-Daniel - “pappa”, en grec, marquant le diminutif affectueux de “pappas”, qui signifie “prêtre”. L’Ancien Daniel, au demeurant, était un Saint Père Hésychaste admirable, & Père Spirituel confesseur non moins admirable.


CHAPITRE DEUXIEME


LA VIE AU DESERT.



C’est vers 1870, pour s’y exercer à la Vie Hésychaste, que le Pappa-Daniel était arrivé dans l’inhospitalière contrée de Katounakia, qui, légèrement, surplombe la mer. Là, au prix de bien des sueurs & des peines, il fonda l’église de Saint-Gérasime-le-Nouveau, & deux petites cellules de Moines Ermites. Telle était au Désert la cabane où il allait passer le restant de ses jours.

Le Pappa-Daniel était originaire de Zagora, petite ville sise au pied du Pélion. A l’Athos ensuite, il avait été ordonné Higoumène du Monastère de Grégoriou. Mais, l’excès de soucis qui incombaient à sa charge, & les dissensions qu’il avait rencontrées au Monastère, l’avaient fait fuir à Katounakia. Il était venu s’ajouter aux Ascètes, si nombreux déjà, qui peuplaient ce Désert, & rendre Gloire à Dieu pour cette Hésychia dont Il lui faisait Don.

Dès lors, de toute son Ame, il se voua à la Vie Neptique - Vigilante- des Pères Neptiques, -Priants Veilleurs de Vigiles, attentifs aux pensées de leur Coeur, en fermant la porte aux mauvaises pensées, & à toute mauvaiseté, filtrant le Mal à l’entrée de ce Coeur pour n’y laisser entrer que le Bon, le Bel, & le Bien -, à son tour plaçant dans son Coeur, - comme il est dit dans l’Histoire de Philothée-, les deux Ascensions de Dieu, & s’efforçant, comme les colombes, de revêtir des ailes pour atteindre, au Lieu même de son Désir, le Repos Divin dans la Paix des Déifiés, qui Surpasse toute intelligence.

C’est donc à ce remarquable Saint Hésychaste, qui possédait aussi la réputation d’un vertueux Père Spirituel, que furent conduits les pas du jeune Costas, pour qu’il remît son Ame entre ses mains bénies, comme s’il l’eût remise entre les Mains du Seigneur Dieu Lui-Même.

Le Géronda Daniel ne crut pas d’abord que ce jeune homme de bonne éducation, élevé à Athènes, & solidement instruit & versé dans les Lettres anciennes, pût résister à la Vie de Désert. Aussi était-il tout naturel qu’il n’acceptât que malaisément de le prendre à son obéissance, fût-ce comme simple novice.

Costas, cependant, ne semblait pas ébranlé. Il insistait, suppliant ardemment que l’Ancien le reçût.
- Eprouve-moi, Géronda, répétait-il. Et, si je ne fais pas ton affaire, chasse-moi.

Or, l’Ancien, cependant qu’il réitérait à Costas son refus, dans le même temps Priait le Seigneur, implorant une Illumination Divine, qui lui marquât ce qu’il devait résoudre. Il attendait donc que Dieu lui notifiât en son Coeur si ce tout jeune homme, à peine sorti de l’enfance encore, pourrait réellement supporter la lourde croix de la Vie Erémitique.

C’est ainsi qu’il prit pour finir la décision de le prendre sous sa protection & sa direction Spirituelle.

Le Mystère du Désert.



Qui s’est jamais trouvé à la Cabane de Saint Gérasime n’a pu qu’intensément ressentir le grandiose de l’aspect du Désert. A quelques mètres sous les pieds gît la mer, &, les jours de tempête, s’entend fortement, sur la roche à vif de l’abrupte falaise, le grondement des vagues déchaînées en furie.

Au-dessus de la cabane, s’érigent en surplomb, clairement visibles, des rocs escarpés pouvant atteindre jusqu’à cent mètres, parfois, de hauteur en amont. Ici & là, par intervalles, à flanc de falaise, comme posés en l’air, mêmement suspendus au-dessus du vide, à mi-pente entre ciel & mer, s’aperçoivent autres Ermitages de Saints Ascètes, qui, pour l’Amour de leur Christ, se sont exilés, à Vivre dans le Désert sous la voûte étoilée. Un peu plus haut encore, d’admirables Anciens montèrent jusqu’à ces cîmes mener leur périlleuse Ascèse, & dont les noms sont aussi célèbres par toute la Chrétienté Orthodoxe Universelle que ceux d’un Pappa-Daniel, d’un Gérasime, ou d’un Pappa-Ignace, tout autant réputés pour leur Vertu que pour leur Sagesse Divines.


Mais, dans l’enceinte même de la cabane de Pappa-Daniel, celui qui découvre là une anfractuosité du rocher - laquelle sert aujourd’hui de remise à bois- peut y voir également quatre à cinq marches menant à une sorte de grotte enfoncée sous terre, de spacieuse apparence pourtant, où sont encore visibles les traces d’un ancien Ermitage. De quels sentiments un visiteur ne se sent-il pas assailli alors, à s’ainsi découvrir environné de ces secrètes cachettes, où les Pères Saints, naguère, menèrent l’Ascèse.

Puis, tournant ses regards vers le nord-est, au fond du paysage, il distingue, lors, le majestueux sommet de l’Athos. Ce sommet surplombant la vaste étendue de l’Egée, & qui se détache sur les abrupts rochers où s’accrochent, disséminés çà & là, les érémitiques cabanes entourées de buissons arides, voilà qui confère à ces lieux tout chargés de mystère une grandeur quasi surnaturelle, que vient encore sceller l’absolu silence, que rien d’extérieur ne vient jamais troubler.

Tel était le cadre qui charmait véritablement Costas,& pour quoi il renonçait sans regret aux choses vaines de ce monde. Là, aux côtés du Pappa-Daniel, son Ancien, qu’il voyait si savant en l’étude des Saints Pères, & tellement avancé sur la voie de la Sainteté, Costas se regardait comme le plus heureux des jeunes gens. Et, la seule vue de son vénérable Ancien, chenu, aux cheveux tous blanchis par l’âge, suffisait à le faire pleurer d’émotion & de joie tout ensemble.



Epreuves & privations.



“Costas, mon enfant”, lui dit son Père (Spirituel), “ ici, nous ne mangeons qu’une seule fois le jour, & encore prenons-nous ce repas sans huile. Pour l’huile, en effet, nous n’en prenons que le samedi, le dimanche, & les jours de fête...Ici, c’est en Prière que nous passons la plus grande partie de la nuit. Après quoi, nous dormons quelque peu, puis, durant la journée, nous occupons nos mains à quelque travail, pour gagner notre pain.

- “Que cela soit béni, Géronda”, répondit son Fils ( Spirituel), selon la formule monastique habituelle, usitée à marquer l’assentiment. “ Car, pour moi, c’est bien cette Vie-là que je désirais pour mon Ame. Et si j’en eusse voulu une autre, j’eusse pu aller au Monastère, ou bien dans une quelconque skyte que ce fût.”

“-Ici, Costas, “poursuivit son Père, “ nous n’avons ni sources, ni fontaines. Et l’eau de pluie que retient nos citernes, il nous faut beaucoup l’économiser. Ici, parmi ces rochers, nul jardin ne pousse. C’est pourquoi nous ne goûtons ni fruits ni légumes verts. mais quelques herbes sauvages des montagnes, des olives, des légumes secs, une figue, parfois, ou quelque autre chose achetée au magasin de Dafni, où, rarement, nous faisons nos emplettes, voilà de quoi nous subsistons...Ici, au lieu de pain, nous mangeons des biscottes de pain sec.”
- Et, de fait, dans les Monastères de la Sainte Montagne, du pain qui reste au réfectoire l’on fait des sortes de biscottes, plus au vrai croûtons très durs, destinés aux Ermites. C’est ainsi que la cabane de Pappa-Daniel était approvisionnée en ces dites biscottes par le Monastère de Xéropotamou-.

Et, tandis que Costas écoutait attentivement, l’Ancien continuait de lui décrire les dures conditions qui seraient celles de sa nouvelle Vie.

-“Ici, Costas,” poursuivait-il, “nous n’avons ni lait, ni fromage, ni oeufs. A Pâque même, nous ne mangeons pas d’oeufs rouges, peints de ce vermillon qui figure le Sang Christique sur le Tombeau du Christ. Mais, nous sortons celui, de bois peint de volutes & d’ornements, que nous gardons en Mémoire de la Fête Pascale,
& sa vue suffit à nous la remémorer.

Costas témoignait à ces dires le plus grand intérêt, heureux d’entendre pareilles leçons d’austérité pour préluder à sa nouvelle Vie de Saint. Une autre Ascèse pénible encore était de ne point se laver que par petits morceaux. Les bains, comme les ablutions à grandes eaux, il lui fallait les oublier. Saint Jérôme n’écrit-il pas, du reste, que qui s’est une fois lavé dans le Christ, au Jour du bain de la Régénération (Spirituelle) de l’âme, lors de son Baptême, & de sa triple immersion dans les Eaux Baptismales, n’a plus par après besoin de se laver. Et? bien que de prime abord, ce pût paraître curieux, telle est pourtant bien la règle en usage chez les Anachorètes, pour lesquels elle ne constitue qu’une de leurs privations sans nombre. Car le bain est considéré comme un amollissant plaisir du monde, dont un Moine se doit priver par esprit de macération, & il est vrai qu’il crierait de joie, sans doute, à se plonger en un bain profond enfin; Certains Moines, toutefois, se plongent tout habillés de longues tuniques, dans la mer, l’été, qui baigne les pieds de leurs cellules. Mais les plus grands Ascètes, de ce grand plaisir encore se privent, par Esprit de maîtrise souveraine de soi, & suréminente préséance, sur le corps déchu, de l’Ame, des passions victorieuse. Quand à son vêtement de corps, qu’il ne pouvait que rarement laver, il faudrait bien qu’elle devînt - ainsi le disait-il lui-même- comme “la rude étoffe d’un bât.” Quant à sa noire soutane, elle était, & l’été plus encore, toute raidie de sueur chaude & de sel marin.

Et voici qui donnera sans doute une image plus saisissante de ce que pouvaient être les privations d’une Vie Sainte à Katounakia.

Quelques années avaient passé depuis son arrivée, & Costas était devenu le Père Callinique. Un Jour de Pâque, un généreux Moine s’était mis en souci de leur faire don d’un peu de fromage. Aussi la table pascale revêtirait-elle, pour une fois, un caractère de Fête.

- “Mon Enfant,” lui dit l’Ancien, “ n’oublie pas d’ajouter le fromage qu’on nous a offert.”

A ces mots, le Père Callinique s’étonna. Emporté par son Idéal Ascétique, il semblait peu enclin à rompre son jeûne habituel pour s’accorder ce luxe.

-“Que dis-tu, Géronda? Du fromage au Désert? A-t-on jamais ouï pareille chose?”

Mais, à quelque temps de là, il fut, néanmoins, le jouet des circonstances. Deux, trois années avaient passé depuis lors, durant lesquelles il avait suffisamment pu faire l’épreuve des peines de l’obéissance & de la Vie de Désert. Le Jeûne du Grand Carême, cette année-là, maintenant que s’accumulait sa fatigue, & sa peine, cumulative aussi, le fatigua à l’excès. Car le Jeûne des Ermites est beaucoup plus austère encore que celui des autres Moines. Et, si l’on n’en veut pour exemple que la simple entrée en Carême, qui se marque, dans les Monastères, par le Triméron, ou Jeûne complet de trois jours, elle se célèbre, chez les Ermites, par un Jeûne absolu de cinq jours. Enfin, la Pâque arriva. Durant la préparation de la table pascale, il fit part de son désir à l’Ancien :

-A présent que voici la Pâque, Géronda, comme il serait bon d’avoir un peu de fromage!

Alors, pour toute réponse, la Pappa-Daniel lui redit en souriant les paroles mêmes qu’avait eues son novice, quelques années plus tôt :

- Que dis-tu là, mon Enfant? Du fromage au Désert? At-on jamais entendu pareille chose?

Grâce à son enthousiasme juvénile encore, le Père Callinique parvint pourtant à surmonter ce nouveau genre de Vie, si dur, âpre, & pénible fût-il. Mais, il ne laissait pas pour autant d’éprouver, de connaître, & de traverser aussi ses heures difficiles, temps de faiblesse, de lassitude, & d’affliction.

L’Ancien, par exemple, ne voulait pas qu’il sortît de l’enceinte de leur cabanon, pour éviter que son esprit ne se disperse, & que sa pensée ne s’éparpille au vent. Cette clôture totale, & ce complet retrait du monde, proche du grand renfermement, lui inspiraient bien souvent une noire mélancolie, écrasante, tel un poids très lourd lui oppressant la poitrine.

Le Jeûne, ou, pour être plus exact, le manque, les carences, & la quasi-absence de nourriture, l’épuisait à l’excès, dans son jeune âge même, tandis, dans le même temps, que le Diable lui peignait sous les plus vives couleurs les opulentes tables qu’il retrouverait dans le monde, s’il abandonnait l’âpre Vie de Désert.

Le réveil à minuit, après trois heures de sommeil nocturne à peine, suivi, des heures durant, de la longue litanie de Prières, les veilles de nuits entières durant les Agrypnies, tout cela faisait qu’il sentait, par moments, ses forces l’abandonner, & s’évanouir tout-à-fait ses capacités d’endurance & de résistance.

Et, de fait, peut-on aisément s’habituer à ne se laver plus, & à ne manger qu’à peine pour se malaisément soutenir, lorsqu’on est jeune athénien, & de bonne famille?

Et les mille ruses perverses des démons, & leurs attrayantes suggestions de tentations sans nombre, suscitant le soulèvement des pensées de révolte, & les assauts de l’imagination en délire, comment tout ce déchaînement se pouvait-il à tout instant supporter & souffrir?

Pourtant, il ne fléchissait pas. L’esprit d’extrême combattivité dont il était doué l’aidait à y faire front avec noblesse, quelles que fussent les difficultés, &, Dit Saint Nil l’Ermite, “ les afflictions, les épreuves, les mille coups des démons mauvais & diaboliquement méchants, les traits enflammés qu’ils dardaient sur lui, & les machinations de toutes sortes qu’ils fomentaient & tramaient contre lui.”, qui d’ordinaire poursuivent les Ascètes. Parfois, tout à l’inverse, il éprouvait de la joie, non sans que ce qu’il ressentait fût mêlé de quelque orgueil, de ce qu’il avait été jugé digne, si jeune encore, de descendre dans l’arène de sable du Désert.

Et puis, il n’était pas seul. Son pieux Ancien, dans toutes ces épreuves de son Ame, se tenait à ses côtés, toujours prêt à réchauffer son zèle, pour qu’il pût surmonter les obstacles, les pièges, & les machinations du Démon, & qu’il progressât vers l’avant avec bonheur.


La sculpture sur bois.



Comme bien d’autres Ermites, le Pappa-Daniel pratiquait la sculpture sur bois. C’était là le travail auquel il occupait ses mains.

Et, jusqu’à aujourd’hui, dans les Déserts de la Sainte Montagne, l’on rencontre des Pères qui s’exercent à cet art. Ils ont de la sorte une occupation qui leur permet de subvenir à leurs diverses nécessités, &, surtout, de combattre l’Acédie, ce dégoût total de tout, cette lassitude entière, cette absence de tout désir Spirituel, & de nerf vital, cette dépression existentielle, enfin, qui, du fait d’une tentation du Diable, permise par Dieu, pour éprouver l’âme, & la rendre plus forte au sortir de cette longue crise, le laissant totalement apathique, sans force, & de longs jours couché comme sans vie, qui s’abat soudain sur les Moines surexténués par l’excessive Ascèse.

Costas allait donc, lui aussi, apprendre à son tour, de son Géronda, la technique de la sculpture des Croix Orthodoxes Athonites & des objets d’art monastique de la Sainte Montagne. Le bois brut, qu’il fût de chêne, de buis, ou de pin, il saurait bientôt le changer en de la belle ouvrage sculptée. Il fallait tout d’abord, à l’aide d’une petite scie à bois, en ôter de minces copeaux; puis poncer, & polir; après quoi, sur le bois bien poli, d’un léger coup de crayon, l’on pouvait tracer les contours du dessin, que l’on sculpterait. Enfin, avec divers instruments, tels de petites lancettes, entamer la sculpture proprement dite. Le tout, presque achevé, se pouvait encore peindre de diverses couleurs aux tons très délicats. C’est ainsi que l’on obtenait des cuillères, des peignes athonites, des coupe-papiers, des sceaux à imprimer les phosphores de pain bénit, de petites croix sculptées,& de véritables oeuvres d’art même, telle que la belle figure au doux visage d’un Saint, ou bien quelque scène admirable du cycle iconographique des Scènes de la Vie du Christ Seigneur.

Pappa-Daniel faisait surtout des cuillères, & de magnifiques cuillères. Pour parvenir à l’imiter, son jeune novice devait déployer une extrême attention, & faire montre de beaucoup d’application, qu’il devait assortir d’une longue patience.

Ainsi donc, parmi tant de nouvelles découvertes que lui réservait le Désert, il y avait aussi ce travail, qui, jusque là lui était demeuré inconnu, & à l’exercice duquel, pourtant, avec son zèle fort appliqué, dont il était coutumier, il faisait, jour après jour, de merveilleux progrès, comme dans son art. Et jusqu’à aujourd’hui, l’on conserve encore - comme à Larissa, chez le Père Archimandrite Arsène Théodoropoulos une Croix de Bénédiction, gravée de scènes de la Passion- certaines de ses Oeuvres, qui dénotent sa maîtrise d’un art admirable.

Doué d’une grande résistance physique, Costas pouvait également exécuter du gros oeuvre. Le travail n’était pas pour l’effrayer.

Dès les premiers jours de sa Vie à Katounakia, l’on put voir combien il était efficace à la tâche, comme à toute tâche à laquelle il s’attelait.

Il avait remarqué que, tout entour leur cabanon, le sol était inégal & accidenté, ce qui, lors de ses déplacements, causait à son vieux Géronda, une indéniable fatigue inutile. Il eut lors la pensée qu’il pourrait peut-être tout naturellement faire quelque chose pour soulager son Père Spirituel:

-“ Géronda,” s’enquit-il, me donnerais-tu la bénédiction pour ouvrir un chemin entre ces ronces, afin qu’avec tes visiteurs, vous puissiez circuler sans difficulté?

- Dieu nous pardonne, mon Enfant”, lui répartit l’Ancien selon la formule habituelle aux Moines par où se marque le consentement, & s’indique que l’on agrée quelque chose. Et il marquait aussi par ces simples mots qu’il se trouvait tout heureux que son novice ait été d’En Haut inspiré de la sorte pour lui faciliter sa marche malaisée au travers des ronces.

Quelques jours durant, les bruits de la pelle & de la scie vinrent troubler l’Hésychia du Désert. Mais, bientôt, les buissons de ronces une fois taillés, & les grosses pierres enlevées, l’on vit un joli sentier aux contours bien tracés s’élancer avec grâce au travers de ce Désert hostile & caillouteux.


Le Précieux Dépôt.



Toute la conduite de son novice fondait & incitait le Pappa-Daniel, sans l’ombre d’une hésitation, à le tonsurer Moine. Costas prit donc le nom de Callinique - lequel a signifiance de “belle victoire”, par référence à la triple Victoire du Christ Ressuscité descendu aux Enfers y terrasser Hadès, savoir le Péché, la Mort, & le Diable-, nom nouvel, à sa tonsure monastique reçu, symbolisant le renouveau de l’Homme Nouveau, de par la profession de ses Voeux Monastiques, marquant son entrée dans l’état nouveau, désormais par lui nouvellement professé, de la Vie Angélique des Saints Moines -. Et l’Ancien fit lors plus que jamais pour lui monter à Dieu ses Prières, pour que véritablement les Ascétiques Luttes de son Fils fussent quelque jour de la “Belle Victoire” En Christ couronnées.

Déjà cependant le Pappa-Daniel pressentait qu’il lui faudrait avant peu quitter ce monde éphémère, & il voyait avec satisfaction qu’il pouvait passer le relais Spirituel du Dépôt Apostolique à son Fils Spirituel, & sans crainte déposer sur les frêles épaules du Père Callinique, sur lesquelles toute sa Moisson Spirituelle désormais reposerait, celle de sa riche Expérience Hésychaste, & tout ce qu’elle avait engrangée à ce Saint dont Callinique voyait tangiblement qu’il l’était, par l’Esprit, de Ses Embaumantes Arrhes Paradisiaques Attesté, & dont il avait lui-même hérité de la longue chaîne ininterrompue de la Transmission Apostolique, & de la Sainte Tradition Patristique par eux toujours renouvelée, des Grands Saints Hésychastes d’antan, des Temps jadis, & de sa génération même.

Grégoire le Sinaïte n’avait-il pas, au début du XIVème siècle, cependant que parcourant l’Athos, ranimé cette Flamme Sacrée, quoiqu’étouffée jusqu’à s’éteindre quasi, de l’Hésychasme Priant des Saints Pères sur le souffle incessamment pratiquant la Prière du Coeur? C’était lui qui en avait inspiré la Renaissance Hésychaste, y enseignant la Prière du Coeur oubliée, qui, seule, par l’entière purification de l’esprit, a pouvoir d’élever sur les ailes bénies de la Contemplation, en son sublime essor ascendant, jusqu’à conduire à la Mystérieuse & Mystique Union Divine avec la SurEssentielle Déité.

Et c’était cette Flamme encore, qui, telle une Perle Précieuse, pareille à un Flambeau Sacré dont l’on garde entretenu le Feu, pour de Génération en Génération, comme bâton de Relais Spirituel le passer & Transmettre à l’Age à venir, pour, dans la suite des Ages, Intact, Pérenne, & Sans Prix, le Perpétuer, c’était cette Flamme même qui s’était dès longtemps allumée dans la grande Ame aussi de l’Ancien, qu’il décidait présentement de Précieusement Transmettre à son jeune novice, dont il pressentait, respectueux d’icelle Transmission, la belle Ame, à se Sanctifier appelée, & bien davantage s’Embellir Tous Jours.

Aussi longtemps que dura son Enseignement Spirituel, Transmission Directe, & longue Initiation aux secrets de la Prière du Coeur & de la Contemplation Théorétique, nourrie aux Sources Patristiques Authentiques, le Père Callinique ressentait incessamment le parcourir tout entier comme des frissons de Sainte Ferveur.

Il fallait, aux commencements surtout, se violemment vaincre soi-même, se regarder sans fard ni complaisance aucune, & se résoudre, avec grand force de volonté farouche, à de soi chasser, sans vile lâcheté, toute zone d’ombre, dont s’ombrerait la Lumière de l’Esprit, au défoliant désherbant, guettant, épiant, traquant, extirpant, & brusquement arrachant chacune pousse d’ivraie, & mauvaise herbe du vice par l’Ennemi, de celles, sans nombre, immémorialement semées en l’âme du vieil homme. Alors seulement, l’on pourrait se hasarder plus avant, progresser au Chemin de Sainteté, songer à Spirituellement s’Elever, &, dans la Sphère Céleste, par l’Hésychia Sainte ouverte, soudain pénétrer, pour se trouver, conjointement avec la Prière, à elle uni, au Pays entré de son Ame, tel qu’un hôte enfin se verrait chez lui être chez soi, comme jamais, se trouvant.

Cet univers Sublimement Elevé des cîmes Spirituelles de la Contemplation Mystique, de toute son Ame, attirait Callinique. Quelle route ascensionnellement montante s’ouvrait devant lui! Toute d’Illuminations Divines En Esprit de Sainteté, de Thaboriques Contemplations, de pascals Eclats de Lumière, de vertigineuse apProche du Père des Lumières...Ce Père de Gloire, d’icelle Gloire Splendidement Magnificent, qu’il lui semblait déjà d’au loin distinguer, comme la Lumière au bout du chemin!

Désormais, & maintenant seulement, Pappa-Daniel pouvait en Paix s’en aller de ce monde, pareil au BienHeureux Prophétique vieillard Syméon de l’Evangile, dont se chante l’hymne vespérale, laudique devenue, à la Vue du Christ-Né que ses Saints Parents lui viennent porter au Temple dont il est le Grand Prêtre, s’écriant : “ Maintenant que mes Yeux ont Vu, peut mon Ame s’en aller En Paix...”

Il s’endormit dans le Seigneur, & s’en fut de ce monde l’Autre en 1881...Et, tandis qu’on le déposait sans vie dans sa dernière demeure terrestre, le corps de son vieux rasso, - noir Monastique & Presbytéral manteau de sa noire soutane usée - enveloppé, son Fils pleurait à chaudes larmes, à flots coulant, d’une intraduisible affliction déchiré, pour jamais en ce monde séparé de ce qu’il avait de plus cher après Dieu, son cher Ancien, tant bien-aimé.

Les yeux brouillés de larmes, il psalmodiait, tristement chantant, le thrène funèbre de sa Mort & Dormition.

Comment Vivrait-il, maintenant, de la Bienfaisante Protection Priante privé de son Saint Père Spirituel. Son Géonda avait été tout à ses yeux, & représentait tout pour lui. Il était la table de son festin Spirituel, sa cassette, le Trésor de son Coeur enclosant, où profusion se puisait des fonds auxquels se devait recourir aux difficiles heures de la Spirituelle Lutte, en guerre sans merci par les pouvoirs hostiles changée, pour s’en défendre & survivre en son Ame, d’eux purifiée.

Il s’éprouvait Spirituellement Orphelin, à la suite de Saint Syméon le Théologien, lequel, aussi, avait pour son Géronda, chanté le thrène funèbre :

“De Terre tu as pris mon Père. Las!
De devant mes yeux Tu as ôté mon Guide!
Ô Ami de l’Homme ! & seul Tu m’as laissé,
Tout-à-fait Orphelin, à jamais Abandonné!”



CHAPITRE TROISIEME.


SON CHEMINEMENT ASCETIQUE.


Ami de l’étude patristique & philocalique.



Le Père Callinique était à son tour l’Ancien devenu de l’Ermitage Saint-Gérasime. A ses côtés cohabitait & demeurait le Père Néophyte, lequel avait naguère été maçon à Samos, & qui, peu après Costas, était également venu là se (sou)mettre à l’obéissance du Saint Pappa-Daniel.

Le premier dessein de Callinique, son but & sa visée fondamentales, étaient, avant tout, pour en sauver le Trésor Spirituel, & le Transmettre aux Ages à venir, de veiller, comme sur la prunelle de l’oeil, aux Enseignements Spirituels de son BienHeureux Père, afin de justifier quelque jour les riches Espérances à long terme éterne qu’avait son Ancien fondées sur lui. Et c’est vérité que son esprit combatif le fit bientôt apparaître comme le digne Continuateur de cette Haute Tradition Spirituelle des Saints. L’Ascèse, le Jeûne, la Prière du Coeur, les Divins Offices de Prières Psalmodiées à l’Hymnologie Chantée, le profond Silence, le Recueillement des pensées, la Concentration sur les Textes Sacrés des Ecritures & des Saints Pères de l’Eglise, & la Méditation Spirituelle sur ce Saint Corpus Textuel, voilà ce qu’il cultivait avant tout, avec l’esprit de rigueur & de stricte observance Patristique qui le caractérisait. Au point que, dans l’esprit de ses contemporains Athonites, l’Ancien Callinique, plus sévère que lui, ne montrait point le même esprit d’Economie que son Géronda.

Il avait pour l’étude un goût passionné, comme s’il dût demeurer à toujours inassouvi. “Studieux à l’extrême” - ainsi que l’on le disait de lui sur l’Athos-, il se plongea corps & âme dans cette lecture d’un profit Spirituel sans égal, pour laquelle s’augmentait son zèle sacré & sa prédilection sans bornes, que l’on eût pu croire passionnée, s’il ne se fût agi d’un être dépassionné. Et, bien qu’il n’eût pas bénéficié d’une formation supérieure, privé qu’il avait été d’Enseignement Supérieur, n’ayant jamais pu, en sa courte vie de jeune homme dans le monde, fréquenter l’Université, il réussit pourtant, grâce à l’extraordinaire acuité d’esprit qui était la sienne, à pénétrer intimement les Pensées les plus subtile des Saints Pères Déifiés, En Esprit aussi parvenant à comprendre, au profonds, le Sens le plus Mystériquement caché de l’Ecriture & des Pères Saints de l’Eglise Orthodoxe.

Car, pour lui, c’étaient les Pères Neptiques, & autres Saints Hésychastes, qui, après l’Ecriture, venaient au premier rang de la cohorte des Déifiés, tels Saint Hésychius l’Ancien, Saint Isaac le Syrien, Saint Grégoire Palamas, & tout le cortège des Divins Etres qui avaient partagé l’Esprit de la BienHeureuse Hésychia, & vécu la Sainte Ascension Thaborique vers la Transfiguration Spirituelle . Voilà donc quels étaient ses familiers, & ceux, trois fois Bénis de Dieu, de leurs Saints Anciens, & de tous les Saints, qui partageaient son Angélique Solitude d’Anachorète Renonçant au bruyant tumulte du monde, à ses passions malheureuses, à ses vains plaisirs, à ses méchants Démons, à son Diable Hideux, à ses sataniques suppôts, & à leur Barbare tohu-bohu d’Abjecte Iniquité Tueuse, dont le fruit amer, putride, & pourri, est la Misère du Monde, Misère Honteuse de ce Monde Vil, qui l’Abandonne, à sa Misère noire.

Et leur Vie, leur Pensée, leur Cheminement Spirituel, il tâchait à les faire siens. Car, jamais il ne se pardonnerait, Vivant sur le même Mode qu’eux, d’être dénué des Fruits Spirituels qu’ils avaient, quant à eux, cueillis en telle abondance profuse d’Esprit de Sainteté.

Vif & zélé comme il l’était, cultivant, outreplus, le Talent Spirituel que lui avait Dieu Donné, il s’adonna même à l’étude du russe, & du slavon, vieux-russe de la langue slavonne. Tant & si bien qu’au bout de peu de temps, tout seul, de lui-même, & par ses propres Efforts, il parvint à l’écrire & à le bien parler. Bientôt, il le maîtrisa parfaitement. Ce fut là un sain apprentissage, qui devait plus tard se révéler pour lui d’une très grande utilité, & d’un riche profit, tant de pièces maîtresses, de bijoux de notre magnifique Littérature Spirituelle, & d’Ecrits du Corpus Patristique des Saints russes, se trouvant encore celés au public, pour ce qu’hélas! non traduits, faute de Connaisseurs suffisamment Expérimentés en la Vie Spirituelle pour être rompus à cette Pratique Inspirée.

Mais de tous les Ecrits des Saints Pères, c’était la Philocalie qui avait tout son Amour. Le nom de cette Somme Patristique, “Philocalie”, a signifiance “Amour du Beau”. Et de fait, quelle Beauté que cette si Belle Ouvrage! Quelle somme aussi de Spirituelles Beautés ne recèle-t-elle pas! C’est à ce Corpus Textuel d’Extraits, parmi les plus magnifiques des Pères Saints, de tous ceux qui ont magistralement traité de la Prière du Coeur, qu’allait sa préférence de Coeur & d’Esprit & sa prédilection d’Ame, comme passionnée. Transporté, à leur lecture Illuminative, d’un Spirituel BonHeur, son Esprit Eclairé en parcourait les pages, s’unissait à ces Esprits Sublimes, qui naguère avant lui, avaient embrassé l’admirable Neptique & la Vie Sainte de la Contemplation des Choses Divines & des Mystiques Mystères.


L’amour de la Solitude.



Outre le plaisir qu’il goûtait à l’Etude, la Solitude, elle aussi, attirait fortement Callinique. Il lui était plus aisé, du coeur de la Solitude profonde, de s’envoler En Esprit plus près de Dieu qu’il ne l’eût pu faire dans le bruit, le trouble, la confusion, & que s’il eût été en proie aux soucis du monde. Sa Vie durant, il en fut de même ainsi. Que serait, du reste, une Vie Hésychaste où la Solitude n’eût point eu de part?

Voici, en peu de mots, une historiette qui laisse assez paraître ce penchant du Père Callinique, auquel, souvent, il ressentait le besoin d’incliner: Il advenait, parfois, pour s’acquitter de diverses corvées matérielles & nécessités vitales, qu’il lui fallût descendre jusqu’à Daphni.

Cette longue marche, quoique harassante n’effrayait nullement le Père Callinique. Outre qu’il aimait tout particulièrement se mener la Vie dure, la perspective de demeurer assez longtemps à Ciel Ouvert en cette vaste solitude l’enchantait. Echappant aux bruits, comme aux jacassantes discussions & conversations qu’eût sans doute comportées un voyage en barque, ou en caïque, il goûtait, par les chemins déserts, à la Présence de Dieu.
Saint Jean Chrysostome, en sa Dix-neuvième Homélie sur les Actes, ne recommande-t-il point, pour mieux s’adonner à la Paix de la Prière mentale “ les chemins mêmes, lorsqu’ils sont déserts, donnant du répit à nos pensées, nul n’étant là pour les venir troubler”?

Ses pas, seuls, résonnant sur les sentiers abrupts, tandis qu’il franchissait les profonds cours d’eau, qu’il escaladait les hauts talus, ou qu’il se frayait un chemin au travers des bois obscurs, qui confèrent à la Sainte Montagne sa parure d’une si grande beauté, sans relâche, il Priait, d’Esprit en son Coeur.

Que de fois aussi! environné de ces admirables beautés naturelles, & tandis que miroitait au loin la vaste nappe étale de la mer Egée, bruissante à ses pieds, & lumineux miroir des chauds rayons solaires qui, sur elle, partout, scintillait, n’éleva-t-il pas ses mains, pour Glorifier l’Auteur de telle Création, qui tout Créa par Sa Sagesse. Car c’était de Lui, son Dieu & Divin Plasmateur, qu’avait son Coeur l’aiguillonnante nostalgie, Lui, pour jamais, qu’il désirait faire sien.


Maître de tempérance.


Jour après jour, l’esprit de tempérance le tenait davantage, lui tenant à Coeur, à l’Esprit, & à l’Ame. Aussi, ses novices & lui menaient-ils très frugale Vie. Une jarre d’huile leur durait l’entière année, & ce, bien qu’ils en fissent usage, & pour la table, & pour les veilleuses de l’église. Car, le samedi & le dimanche, où l’huile est de règle, il en versait dans le plat la quantité d’un verre à liqueur, & cela faisait si peu, que c’était à peine si l’on en sentait le goût.

Devant sa cellule grimpait une petite vigne à sa treille, qui chaque an donnait jusqu’à dix corbeilles entières d’un beau raisin fruité, de soleil gorgé. Pourtant, jamais il n’en mit à sa bouche, ni ne permit à ses disciples d’en porter à la leur, pour qu’ils ne fussent point, disait-il, privés des Fruits Spirituels de la tempérance qui se prive du terrestre pour s’enrichir des Lumières de Dieu.

Un jour qu’il devait y avoir une Agrypnie, longue veille de Prières à l’église, les Pères lui demandèrent s’ils pouvaient boire un café, pour s’aider à mieux tenir éveillés la Vigile entière durant. La réponse ne se fit pas attendre :

- S’il s’agit que nous veillions à coups de médicaments & de toxiques, mieux vaut encore aller dormir.

Lui-même ne but jamais un café de sa vie. Cependant, il est indéniable que nombre de Moines tiennent contre le sommeil pour ce qu’ils s’accordent ce plaisir encore de boire à outrance cet adjuvant anti-fatigue caféiné. Mais le Père Callinique s’était dénié jusqu’à ce plaisir là, qui, du reste, est à beaucoup cause de coléreuses chutes, ce dont il se fût bien gardé, s’assurant de soi la pleine & entière maîtrise.

Durant le Carême, il faisait de longs Jeûnes. Il lui advenait même de Jeûner intégralement, sans du tout manger, ni boire même la moindre goutte d’eau, durant vingt jours entiers, à l’imitation des Grands Saints d’antan, tels que les peint le Synaxaire de l’Eglise.

Il observait avec un soin scrupuleux la règle athonite, qui veut qu’un Moine ne se lave guère, ou quasi pas. C’est ainsi qu’un soir, dans sa cellule, tandis qu’il écrivait à son pupitre, le sommeil, soudain, subrepticement le gagna. Or, sur ces entrefaites, la lampe-tempête à pétrole se mit à fumer, fuligineusement, d’effrayante sorte, au point qu’il en fut bientôt tout noirci de suie.

Ses disciples eux-mêmes, lorsqu’ils ouvrirent enfin la porte, ne le reconnurent point, tant son visage était noir. Dans leur zèle, ils coururent chercher de l’eau, pour lui en baigner le visage. Mais, il les arrêta, &, s’essuyant du revers de sa main, il les rassura :
- Soyez sans crainte. La suie s’en ira bien, avec les larmes & la sueur.

Et il désirait que ses disciples s’en tinssent à la même conduite. Un jour, l’un d’eux, qui, toute son enfance durant, avait vécu à Larissa, s’apprêtait à mouiller son visage, lorsqu’il entendit l’Ancien lui dire :

- Si tu veux te baigner, va donc à Larissa, ou à Salamvira du Pénée. Car, ici, pour te laver, tu n’auras que les larmes & la sueur.

Il savait bien, l’Ancien Callinique, comme comptent, & importent, les privations que l’on impose au corps récalcitrant. Il savait que “la chair flétrie ne laisse plus aux démons de repos”, ainsi que l’Enseigne Saint Jean Climaque, & qu’au dire de l’Abba Thalassios, & des autres Saints Pères, l’esprit tempérant est le temple du Saint Esprit.

La Simplicité, & l’Humilité, s’observaient en lui au premier regard. De vrai, il était si sobrement & si humblement vêtu, & il était toujours si simple en toute sa conduite comportementale, qu’il faisait toujours, paradoxalement, la forte impression que ne manque pas de laisser, sur tous ceux qui les approchent, l’imparable Authenticité d’être des Saints.

Il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour échapper à la vanité. Nul n’eût pu le persuader de se laisser prendre en photographie. Par bonheur, pourtant, un visiteur, quelque jour, le put photographier à son insu, sauvegardant ainsi pour la postérité de ses Enfants Spirituels à venir, l’impression, si belle, & si forte, de ses humbles traits, farouches presque, d’Icône Spirituelle.

C’était par Humilité aussi, & pour ce qu’il avait conscience des comptes qu’il eût alors dû rendre à Dieu qu’il n’avait jamais voulu accepter la lourde charge en même temps que la Grâce de la Prêtrise. “ Ayant vu,” disait-il, “quelles lourdes charges, & quelles responsabilités incombaient au Prêtre, redevable à Dieu de chacune de ces âmes qu’il portait dans sa Prière, & par son Sacerdoce, j’ai choisi la Vie Paisible du Moine”. Et de vrai, le Moine se désengage de tout pour mieux s’engager pour Dieu, libre de tout souci, à fin d’être libre aussi de s’Abymer En Dieu.

Ce même souci d’Humilité transparaissait encore aux derniers jours de sa Vie sur Terre. Il avait, durant son existence terrestre, reçu nombre de lettres d’admiration, lui décernant félicitations & louanges, émanées de personnes de qualité, parfois, ou de personnages aussi en vue ou bien aussi illustres que le Tsar même de toutes les Russies. Mais, peu de temps avant que de Mourir, il enjoignit à son novice de jeter au feu son entière correspondance.

L’attention qu’il portait à ses Paroles, sa concision, le soin qu’il prenait de fuir tous les excès, son ascèse du Silence, telles étaient les parures précieuses dont s’adornait son Ame. Et, le Jour où il prenait part aux Purs & Saints Mystères de la Communion, il s’enfermait par après dans sa cellule, & ne permettait point, jusqu’au soir, qu’on vînt le déranger.

Pour l’Ascèse du Silence, il n’est pas besoin, peut-être, de s’y arrêter, puisque la Vie d’un Hésychaste ne se conçoit point sans ces profondeurs silencieuses, le Silence, selon Saint Jean Climaque, étant “la Mère de la Prière, & l’Epouse de l’Hésychia” Sainte.

Quant à sa Bonté, elle ne connaissait point de limites. Tous ceux qui le visitaient trouvaient en lui un être d’une grande Douceur, & d’un Amour sans faille. Il allait même jusqu’à délaisser pour ses hôtes sa Prière & son Hésychia, & il se conformait à l’humeur de chacun, selon la Parole du Divin Apôtre, qui Dit : “ Je me suis fait Tout à Tous”, tâchant en outre de répondre à leurs diverses demandes & requêtes en tous genres, & plus encore, par ses Prières, de résoudre toutes leurs existentielles difficultés & d’effacer en eux toutes peines de l’âme. Aussi n’est-ce pas sans raison que l’on le regardait comme un homme “ d’une indulgente Douceur, compatissante à tous, & chaleureusement irradiant un Amour sans pareil.”


Reclus.


Muni de telles armes Spirituelles, le Père Callinique était en mesure de s’Elever davantage, & d’atteindre à la Théorétique Contemplation Théologienne des Mystères Divins.

Dans l’entre-temps, un nouveau Moine, le Père Daniel, était venu s’adjoindre à sa Synodie, s’ajoutant au Père Néophyte. Originaire d’Alatsata en Asie Mineure, il fut comme lui jugé digne de devenir Prêtre. L’Ancien Callinique avait à présent fort à faire, & sa tâche était lourde. Car, outre ses deux disciples, beaucoup de visiteurs pèlerins se présentaient à lui, en quête de Prières & de réconfort Spirituel. Et à tous, sans acception de personne, & pour leur plus grand bonheur, c’était avec la plus grande justesse, & avec le plus grand doigté Spirituel de Maître & Père Confesseur des âmes qu’il répondait à leurs nécessités intérieures.

Mais il ne négligeait pas pour autant son Etude, sa chère Etude, qui consolait son Coeur, nourrissait son Esprit, & étanchait son Ame, & Spirituellement l’Edifiait, & toujours plus Profondément & plus Haut le Guidait en sa Spirituelle Quête, & Thaborique Montée, jalonnant, des repères balisés par les Saints, le chemin montant, ascensionnellement, des Vertus. Car, c’était là, de même que son incessante familiarité avec Dieu, qu’en sa Prière il entretenait sans cesse, l’un des Secrets Mystiques de sa Spirituelle Stature, l’Esprit de Grâce Incréée, peu à peu, au fur-&-à-Mesure de ses Avancées & de ses Percées Spirituelles, Mystériquement lui en Dévoilant & Révélant bien d’autres.
Tant, que, confrontés à lui, bien des soucis de la vie & préoccupations matérielles reprenaient leur véritable place de détails négligeables, sans guère plus d’importance que s’ils eussent été insignifiants quasi.

En 1885, quatre ans après la Mort de son Géronda, l’Ancien Callinique prit la décision de faire un grand pas de l’avant. Il prit l’héroïque décision de se reclure, se limitant, comme à l’étroit d’une prison, à l’espace modique & resserré que couvraient sa cellule, augmentée d’une mince bande de terrain qui en faisait le tour. Les années que Dieu lui donnerait encore à Vivre, il les passerait Reclus, en Reclus confiné dans l’étroitesse de ce lieu confiné.

Et de fait, à l’image de tant de Saints Reclus, entre lesquels tant de Saints Pères du Désert, des temps les plus anciens de la Chrétienté jusqu’à Saint Séraphim de Sarov & Saint Théophane le Reclus, Saint Callinique l’Hésychaste, les quarante-cinq dernières de sa Vie sur Terre, vécut de la sorte, Reclus.
Qu’il eût besoin d’avertir quelqu’un d’une quelconque requête de sa part, pour s’éviter de sortir il hissait une étoffe au bout d’une hampe, tel un signal dressé, auquel accouraient ses disciples, s’enquérant au plus vite de ce que leur voulait signifier leur Père.

Ce fut, sur le Divin Autel, un immense holocauste que l’offrande à Dieu que Lui faisait de son extérieure liberté l’Ancien Callinique. Quarante-cinq années d’une Vie Recluse en une cellule de ce Désert, de cette tombe murée que lui devenait Katounakia, quarante-cinq années durant lesquelles le Géronda s’interdit à lui-même toute sortie, tout voyage, toute excursion, toute promenade, tout commerce avec les hommes. ce n’est qu’avec la Mort qu’il lui fut donné d’enfin sortir de son enfermement, & encore, ne fut-ce qu’avec son Ame seulement qu’il put quitter le tombeau de son corps. mais ce corps, lui, après la Mort même, fidèlement demeura dedans l’étroite enceinte que lui avait fixée sa Sainte Ascèse.

Ce sacrifice tout héroïque de soi, qu’accomplit l’Ancien, fut surabondamment rétribué par Dieu. Evagre ne dit-il pas dans la Philocalie : “ Vois, le vin qui a vieilli dans la même outre, & qui, longtemps, sans bouger, est dans un même lieu demeuré, comme il devient excellent, & quel bouquet subtil il distille aux nez connaisseurs!”

Sa décision de demeurer Reclus, l’Ancien l’assortit d’une ferme intention de ne se vouer plus qu’à la Prière du Coeur, jusqu’à s’adonner tout à la Vigilance Neptique, pour s’Elever à la Co-Naissance des Mystères de la Contemplation. Or, à cet Univers Sublime, auquel bien peu sont jugés dignes d’accéder, la vie matérielle , n’a plus part. L’action le cède à la Contemplation ; le travail des mains, les diaconies, les services, les corvées, & autres tâches auxquelles sont affectés les jeunes Moines d’un Monastère, ici dorénavant quittent la place. Ce n’est plus à la sculpture sur bois que s’occupera désormais Callinique l’Hésychaste. “Bienheureux,” Dit l’Abba Isaac le Syrien, “ ceux qui sont parvenus à ce si haut degré, tant élevé, de l’Ascension Spirituelle. Bienheureux,”écrit-il encore, “ celui qui demeure dans l’Hésychia, & qui, fuyant le trouble des multiples sollicitations, a toutes ses tâches matérielles mué en cet unique labeur Sacro-Saint & Oeuvre Sainte, que lui est la Prière du Coeur.”
Cf : Saint Isaac le Syrien, Oeuvres Ascétiques.

(Discours 23).

Ed. Desclée de Brouwer, coll. Théophanie.



La Vie Hésychaste.



Le Père Néophyte & le Père Daniel, les deux disciples du Père Callinique, se souciaient scrupuleusement de ménager à leur Ancien tout le temps libre nécessaire à l’Hésychia qu’il requérait. Aussi s’arrangeaient-ils seuls des soucis matériels qui incombaient à leur Vie de Cabane, au soin des visiteurs pèlerins, comme à toute chose adventice ou événement fortuit qui pût inopinément survenir. Et ils regardaient comme sujet de gloire propre qu’ils le libérassent de tout en sorte que leur Père fût en mesure d’atteindre, & atteignît par le fait à de si Hautes Spirituelles Cîmes, & qu’il fût, selon que le formule Saint Grégoire de Nysse, jugé Digne “ à tous Jours de sonder les Intelligibles Mystères, & d’aux Cieux s’Elever, avec les Célestes Puissances”.

Et pour ce que la moindre césure en l’Hésychia, de simple coupure & bris de son profond Silence est comme déchirante brisure, de l’Hésychaste ressentie, & que le moindre & plus petit souci ne peut que nuire à sa Contemplation Mystique, le Père Callinique prenait bien, lui aussi, un extrême soin de Vivre libre, l’Esprit entièrement libre, pour ce que de tout souci libéré, à cette fin que ce même Esprit Libre, d’Enfant de Liberté, se gardât pur & serein, tous Jours, comme un Ciel sans nuages, pour ce que désennuagé.

Aussi, depuis qu’il avait embrassé la Neptique, nulle préoccupation qui pût être liée à quelque intérêt matériel que ce fût, nulle affaire de ce monde, ne tenaient plus de place aucune en sa Vie d’Esprit. “ Que la pensée des choses de ce monde”, écrit Saint Nil l’Ermite, “ ne trouble pas la pureté de la Vertu, que les soucis corporels ne ternissent pas le pur Miroir de la Contemplation.”

C’est ainsi que, jamais, l’Ancien Callinique n’ouvrit la bouche pour demander avec curiosité à quelqu’un de ses visiteurs en grand nombre, qui défilaient à sa Skyte, s’il pouvait lui donner des nouvelles de ce monde. Non, il fallait que toute velléité
d’ humeur curieuse fût en lui étouffée. Et, si même le monde entier courait à sa perte & Mort Spirituelle, lui, à tout le moins, ne détachait point son Esprit de la Contemplation Spirituelle. Car, telles sont les hautes exigences que de ses adeptes réclame la Neptique, elle, Dit Saint Hésychius l’Ancien, “ si bonne & si suave, si délectable & si lumineuse, si belle & si radieuse, elle enfin, qui, à jamais comme à toujours, sans répit ni relâche, invoque le Nom tout adorable de la Prière du Coeur : “ Seigneur Jésus, mon Christ!”, enquel Seul elle Respire!”

Et, lorsque tombait le soir, tandis que, jusqu’à minuit, ses disciples goûtaient un peu de repos, & que régnait une parfaite Hésychia, l’Ancien, lui, dans son havre de Paix, à quelque soixantaine de mètres à peine de leurs cellules, continuait toujours de cultiver, seul, l’Oeuvre Sainte & Divine de la Prière. Puis, lorsqu’à minuit ses disciples, levés déjà, entamaient à l’église l’Office du Typikone, lequel est le Livre contenant le rituel des Offices de Prières, selon la règle athonite, il s’allongeait enfin, & se reposait jusqu’à l’aube, l’espace de quelques courtes heures. Et ce n’était, pour lui, qu’une fois la semaine seulement, qu’il se rendait à l’église Saint-Gérasime, à fin d’y participer aux Divins Mystères.

Bien qu’il eût abandonné toute activité pratique, il arrivait parfois, pourtant, qu’il se remît à la cuisine. Ses disciples tenaient le bois prêt, & lui apprêtaient aussi tout le nécessaire. Alors, l’Ancien, comme seul à Seul avec Dieu, de son Hésychia tout environné, faisait le plus souvent cuire tout simplement du riz, frugalement bouilli, cependant qu’en son Coeur, la Prière, palpitante, incessamment continuait de battre. Et son repas à lui, il le prenait à part de ses disciples, pour ne rompre pas sa solitude, qui lui était si chère, en manière, à chaque bouchée même, de pouvoir paisiblement songer & dire en Esprit ces Eternelles Paroles, qui sont celles de la Prière du Coeur des Hésychastes : “ Seigneur Jésus, mon Christ, aie pitié de moi.”

C’est donc dans ce cadre béni que, jour après jour, paisiblement, se déroulait la Vie Hésychaste du Père Callinique, cependant que “les Rayons Eclatants de la Divine Beauté” Eclairaient son Lumineux Esprit. Car telle est aussi la formulation de Saint Callixte le Réfugié, laquelle figure quelque heureuse caractérisation de la Face Transfigurée de Gloire des Glorifiés Déifiés. Et telle était aussi, de fait, Divine, l’Illumination sur son visage de la Grâce Incréée, qui sur tout son être Irradiait, & sur ses disciples mêmes, & sur tous ceux qui jamais l’approchèrent, comme il advient de ces corps faits de verre poli, aux surfaces naturellement brillantes, qui, lorsque viennent sur eux frapper les rayons du soleil, deviennent, Dit Saint Basile le Grand, “ plus étincelants encore, & d’un tout autre éclat, sous l’action même de ces rayons qui les font resplendir.”


Ses disciples.


Lorsqu’il fallait à l’Ancien Callinique recevoir dans sa Synodie quelque nouveau Moine, assez longtemps, d’abord, il l’éprouvait. Et certes, ce n’était pas chose facile, pour le nouveau venu, que de devenir son disciple, surtout s’il ne jouissait pas, corporellement, d’une constitution physiologique capable d’une notable résistance physique.

L’Ancien parlait peu. Toutefois, l’on sentait, aux quelques mots qu’il proférait, qu’il était strict en ses exigences. Et si le disciple ne se conformait pas d’abord à ses ordres en tout point, & ne s’empressait pas d’exécuter fidèlement ses injonctions & prescriptions, il ne pouvait guère espérer de rester longtemps à son obéissance:
- “Allons,” lui disait le Père Callinique, “ puisque c’est ainsi, lève-toi, & va-t-en. Tu ne sais que dire : “Père, bénis-moi, pour que je fasse ma volonté. - & non la tienne- ”. Je ne veux donc pas être damné pour les désobéissances qui sont tiennes.

Et s’il advenait, parfois, qu’il supportât quelque désobéissance, ce n’était que pour ce qu’il discernait à l’avance que le Moine, avec le Temps, s’amenderait, & qu’en usant de quelques remontrances, assorties d’exemples appropriés, il parviendrait assez tôt à le mettre sur la voie droite.

C’est pourquoi, lors même qu’il eût pu posséder une foule de disciples, tant, de toutes parts, l’on accourait à lui, l’extrême ascèse, en vérité, qu’il menait, & que rehaussait encore son austérité propre, tout cela faisait en sorte que bien peu, pour finir, demeuraient avec lui, à ses côtés, dans sa sphère intime, au point de devenir les plus proches de ses Enfants Spirituels.

La Vertu, désormais célèbre, & sur l’Athos, & au-delà, du Saint Père Callinique l’Hésychaste, & sa renommée, qui allait toujours croissant, bientôt attirèrent au filet de la Vie Monastique le gros poisson que constituait, pour la Pêche Spirituelle, Spyridon Ménagias. C’était là une forte personnalité que cet homme, naguère encore riche aristocrate, & célèbre chimiste, membre de la faculté de Zurich, mais qui, en 1920, renonçant subitement à tout, vendit ses biens, & devint le Père Gérasime, disciple de l’Ancien Callinique. C’est ainsi que la synodie du Géronda compta désormais trois Saints Moines.

Plus tard, lorsque s’endormirent le Père Néophyte & le Père Daniel, & que le Père Gérasime dut, à cause de sa santé, gagner Voulgaréli d’Arta, l’Ancien Callinique demeura seul quelque temps. Et bien que, par la suite, de nombreux Moines vinssent à lui, - ainsi Joseph, Athanase, le Diacre Gérasime, Arsène, & Christodoule, il n’en prit cependant que bien peu d’entre eux pour disciples. Le Père Gérasime Ménagias, lui, en 1925, tenta de revenir chez son Père Spirituel, mais, l’humidité, qui montait de la mer toute proche, une nouvelle fois, le contraignit de s’en aller. Il s’en fut donc à la Skyte de Saint Vassili, dont le climat plus sec lui était également plus favorable.


Pédagogue instructeur de ses disciples.



Chaque jour, il consacrait à ses disciples un assez long temps - jusqu’à deux heures, bien souvent, qu’il passait à leur dispenser son Enseignement Spirituel, comme à les entretenir des Vérités Divines. Ils s’en venaient donc à sa cellule tirer profit du grand fonds de son inépuisable richesse Spirituelle. Plus tard, ils dressaient, devisant, comme au fil du pinceau, le tableau de ces soirées passées auprès de leur Père, qu’ils peignaient sous les plus tendres couleurs d’une scène de genre charmante. Au point qu’un étranger, qui n’eût point eu vent de leurs ascèses terribles, & redoutables, en eût envié leur sort. L’on eût cru, relataient-ils donc par après, dans le calme paisible du soir athonite, des Enfants venus à ses pieds déposer leurs soucis & inquiétudes, pour qu’en chargeât ses solides épaules leur Saint Père Ermite de Katounakia. Comme si, de lui confesser leurs pensées, tout en parlant de choses & d’autres, au fil de l’entretien, & comme en passant, eût été pour eux de frapper aux portes de sa tendre sollicitude, immense. Et lui, semblant leur ouvrir les bras de sa Miséricorde, leur dispensait, leur en faisant largesses, infinies, la richesse en le réceptacle enclose de son Coeur purifié. Après quoi, s’inclinant en une humble métanie, humblement touchant terre de leur main, en un ultime signe de respect & de vénération pour leur Saint Père, ses disciples lui embrassaient la main, puis, accompagnés de sa bénédiction, & des incessantes Prières qu’il faisait pour eux, & à leur intention expresse, monter vers Dieu, ils s’en allaient peu de temps dormir, avant l’aurore, & l’office matutinal de Prières de l’aube.
Ces entretiens, pourtant, ne laissaient pas d’être austères, hautement Spirituels, proprement “monastiques” enfin. Car, d’autres sujets divers & variés, de souvenirs ravivant la mémoire des temps anciens, des bavardages futiles à bâtons rompus, trouvés au hasard de la non-pensée, s’abaissant tout le jour à débiter des riens, pour passer le temps, il n’en était pas question. “ C’était au point”, s’étonnait un jour l’un de ses Disciples, “ que l’on n’eût su deviner s’il avait seulement même une histoire, des parents, des frères, des soeurs, ni rien de tel...Car, de toutes ces choses, jamais il ne soufflait mot.”

Sachant trop aussi quels Bienfaits Spirituels procurent aux novices les mortifications, les remontrances, douces ou sévères, & la nécessité, pour commencer à s’édifier Spirituellement, de renoncer à sa volonté propre, pour suivre celle, par l’Esprit de Sainteté Eclairée, de son Père Spirituel, - car c’est là tout le sens de la propédeutique monastique commençant par le fait, selon la formule consacrée, “d’être à l’obéissance de son Saint Ancien”-, le Géronda - l’Ancien - Callinique en usait en conséquence.

C’est ainsi que l’un de ses Disciples, un jour qu’il était allé à Daphni pour y faire des courses, acheta, de son propre mouvement, une belle orange de Jaffa. Il désirait, par esprit de gratitude envers son Saint Père, & pour lui en témoigner, par ce signe, sa reconnaissance, lui offrir ce présent, & dans le même temps aussi, il est vrai, de ce même cadeau que son Père ne manquerait pas de lui partager, de rafraîchir un peu sa bouche, & refaire tant soit peu les forces de son corps malmené & déshydraté par les privations continuelles.

“ - Géronda”, lui annonça-t-il, tout joyeux, à son retour. “ Je t’apporte une orange!”

Ce ne parut guère, toutefois, satisfaire le Père Callinique.

“ Et comment as-tu pu acheter une orange, puisque je ne t’ai pas donné la bénédiction pour le faire? C’est en faisant ta volonté propre que tu l’as achetée. Allons, prends ton orange, & jette-là sur l’instant.”

Et il lui imposa de surcroît un sévère canon de quarante jours.

Un autre de ses Disciples, qui avait sévèrement pris froid, se coucha un soir gravement malade, si malade qu’il passa une fort mauvaise nuit. A son réveil, toutefois, il entendit le Géronda, qui, bien qu’il connût parfaitement en quel pitoyable état il gisait, lui enjoignait :
- Ecoute, mon Enfant. Tu vois cette lettre? Il faut absolument qu’elle parvienne à Karyès aujourd’hui même. Lève-toi donc, & vas-y.
Or, Karyès, la capitale administrative d ela Sainte Montagne, était distante de Katounakia de rien moins que huit heures de marche. Mais, l’Ancien Callinique savait néanmoins que l’obéissance donne des ailes. Cela, son Disciple ne l’ignorait pas non plus. Lors, prenant sur lui pour secouer son exténuement total, il porta la lettre à bon port, ce dont il ne fut pas sans recueillir en sus les Fruits Spirituels de son obéissance absolue, la Main Divine l’inscrivant sur l’Ardoise Céleste, en ajout de tous ses hauts faits & autres actes vertueux.

Une autre fois encore, l’un de ses Moines devait débarquer du caïque la cargaison de biscottes que leur envoyait gracieusement, pour les assister dans leur dénuement extrême, le Monastère de Xéropotamou. Mais il revint peu après, demandant la bénédiction de l’Ancien pour amener la barque en un autre point du rivage, qui fût plus proche du sentier, car elle mouillait trop loin, & il fallait donc, depuis l’endroit où se faisait le débarquement, charrier longtemps les sacs le long de la plage, avant que d’arriver au pied de la sente, - ce qui, à la fatigue déjà intense de la si rude montée ajoutait encore celle d’un charroi inutile, de sorte que la corvée redoublait de la sorte en pénibilité.
Mais le Géronda ne le lui permit pas, objectant simplement :
- Que deviendrait, & quel sens aurait une Vie de Moine dont l’on exempterait fatigues & labeurs corporels?

L’on vit à la Skyte, à une certaine époque, au nombre de ses Disciples, outre un Moine remarquable, un jeune novice, qui, quant à lui, ne laissait guère présager d’une belle croissance Spirituelle capable de se révéler notablement remarquable.
Le Géronda, toutefois, tâchait, ce nonobstant, & par mille biais, moyens, & ressorts de son Art Spirituel, qu’il exerçait sur les âmes avec un doigté Spirituel tout admirable, de l’amener à la claire conscience de son être malade. Mais il lui advenait aussi, bien souvent, & toujours avec une rare maîtrise, d’aller jusqu’à le piquer à vif, comme l’aiguillonnant, pour qu’il se corrigeât.

Lors donc qu’un visiteur, pélerinant jusqu’en ces lieux perdus pour s’édifier à sa vue, & trouver riche profit à ses conseils Spirituels, vint à lui demander :
- Es-tu le même, Père Saint, avec un Moine obéissant, qu’avec un autre, qui ne l’est pas, & refuse, le plus souvent, de t’obéir?
Alors, le Géronda, d’une voix assez forte, pour que l’incorrigible pût l’entendre :
-“Ecoute-moi”, répondit-il, “ j’ai sur moi deux sacs, l’un, plein de farine, l’autre, plein de son. A celui qui obéit, je donne de la farine, & à celui qui n’obéit pas, je donne du son.”
Ces Paroles brûlèrent le Disciple négligent comme les flammes d’un feu. Et son trouble fut tel, qu’il résolut de s’amender enfin, pour goûter, lui aussi, de la fleur de farine blutée de son père.

C’est donc avec ce doigté admirable, & telle subtilement fine connaissance des âmes que le Saint Homme de Dieu paissait ses Disciples en son Divin Bercail, lui qui savait trop combien il lui faudrait qu’il rendît compte à Dieu, & un compte exact, au dernier degré d’exactitude, pour chacune des Ames dont il avait d’En Haut reçu la charge.



CHAPITRE QUATRIEME

ASTRE FLAMBOYANT


Le Charisme du Discernement.



Les Luttes Spirituelles du Saint Père Callinique, la Pureté de sa Vie, & son Incessante Union à Dieu par le sanctifiant commerce de la Prière du Coeur, ne tardèrent pas à faire de lui un nouvel “Astre Flamboyant” au Firmament de l’Eglise. La vive pénétration de son Intelligence acérée par l’Esprit, & la promptitude naturelle de son esprit parurent lors accrues à un point surprenant, de sorte que celui qui, à le fréquenter quelque peu, ne manquait pas de le remarquer, en demeurait confondu de stupeur.

Avec le Charisme du Discernement Spirituel, que bien peu parviennent à acquérir, il est donné à l’Homme Sanctifié, & par l’Esprit de Sainteté octroyé qu’il puisse, dans les circonstances mêmes les plus embrouillées, sonder les profondeurs secrètes des coeurs, séparer la paille du grain de blé, & distinguer la lumière d’avec les Ténèbres. Le Bienheureux Auteur de l’Echelle Sainte, Saint Jean le Climaque - qui signifie Saint Jean “de l’Echelle ”-,
cf Saint Jean le Climaque : L’Echelle Sainte .

( Ed. de Bellefontaine).

ne Dit-il pas que ? : “ le Discernement Spirituel est la CoNaissance par l’Illumination Divine”, “la saisie infaillible de la Volonté de Dieu, en toute chose, en tout temps, & en tout lieu,”, “l’aperception pure”, & “la Lumière de l’Intellect” purifié.

Aussi, sa réputation de Géronda doué du Charisme de Discernement attirait-elle à lui une foule de gens, qui, tous, désiraient du Père Callinique, pour l’objet particulier qui les tourmentait, recevoir une réponse qui fût fiable, & infailliblement en justesse attestée, pour ce que Divinement Inspirée de l’Esprit de Sainteté.

Et, qu’il s’agît d’exposer des requêtes personnelles, de trouver la solution à des questions embarrassantes ou fort délicates, de demander l’exégèse explicative éclairante de passages obscurs de l’Ecriture Sainte, ou de vouloir profiter à l’Edification Spirituelle de son âme, tous avaient recours à l’Ancien Callinique, invités à festoyer au Banquet Spirituel où s’éjouissait son Ame des Délices Divines. De là que tous, par après, s’en retournaient Spirituellement enrichis des trésors Spirituels que recélait l’Ame du Saint, &, par ses Saints Prières, sur la Voie progressant du Bonheur Spirituel.

Disciples, Gérondas & autres Anciens, Ermites, Moines cénobitiques des Monastères, gens du monde, quelle que fût leur profession civile, leur environnement familial, & leur situation socio-culturelle, à quelque nationale qu’ils appartinssent, qu’ils fussent Grecs, Russes, ou de partout ailleurs dans le monde, &, s’ajoutant à eux, les Saintes Communautés Orthodoxes de la Sainte Montagne entière, tous accouraient auprès de l’Hésychaste Reclus de Katounakia, pour être de sa seule vue édifiés, & de ses Saintes Paroles enrichis, thésauriquement.
Et ce n’étaient pas seulement les visiteurs pèlerins, mais les lettres aussi qui, chaque jour, affluaient à sa porte. Car, pour tous, comme pour chacun d’entre eux, le Saint Père Callinique l’Hésychaste était le conseiller d’élection, à l’Ame entre toutes choisie. Tout comme les Saints Pères Théophores - Porteurs de Dieu-, doués du Charisme de ClairVoyance, & qui, pareils à de forts aimants, attirent à eux les êtres de bonne volonté, le Géronda, lui aussi, mystérieusement captivait les amoureux de la Vie Spirituelle.

Ce Charisme, le Géronda le possédait à un très haut degré. Car, selon le niveau de Sainteté, & leur Degré d’Elévation sur l’Echelle Sainte des Vertus, les Saints Pères le détiennent en plus ou moins grande finesse d’Intelligence Spirituelle, & acuité de Vues.
Il semble même qu’il ait eu en sus le Don de Prophétie, car il advint plusieurs fois qu’il prédit avec une extrême précision des événements qui se réalisèrent par la suite, de la façon même dont il les avait décrits. Ce qui est souvent le cas chez les Saints, qui, cependant, par Humilité profonde, évitent de toujours Dire à leurs Disciples ce qu’ils savent, en sorte que ceux-ci ne les déifient pas de leur vivant.
Plus simplement aussi, il advient, par manière générale, que Dieu exauce les voeux de Ses Saints, de telle façon, & en tels modes exactement, qu’ils l’ont par avance instamment demandé à Dieu qu’Il les réalisât plus parfaitement, en Divine Manière, & toute Merveilleuse Sorte, qu’ils ne l’eussent humainement pu faire advenir.



Réponses Inspirées.



Un Moine, que frappait de rudes, difficultueuses, & douloureuses épreuves, s’en trouvait, ensuite de cela, plongé dans
une affliction si profonde, qu’il se trouva bientôt la proie d’une brûlante révolte de ses pensées. Il courut se réfugier auprès de l’Ancien, pour tâcher d’y puiser quelque soulagement à ses peines. Lorsqu’il lui eut exposé l’état pareillement troublé de son psychisme atteint & sensiblement déréglé, il s’entendit recevoir les sages préceptes de consolation du Père Callinique :
- “Ecoute, mon Enfant,”l’exhorta-t-il. “ Prends ce récipient, & emplis-le d’eau. Puis, tu y jetteras de la terre, & tu mélangeras le tout.
Le Moine fit comme l’Ancien le lui avait enjoint.
- “Et maintenant, “ s’enquit le Géronda, “ discernes-tu quelque chose au fond du vase?”
-“ Non, Père”, “ répartit le Moine, je ne peux rien voir : l’eau est toute trouble”.
Sur ces entrefaites, le Père Callinique parut oublier le vase, & se mit à s’entretenir avec lui de tout autre chose. Plein de compassion, de sollicitude, & d’Amour pour le Moine éprouvé, il le consolait par ainsi dans ses afflictions, & le fortifiait intérieurement, lui prodiguant force Conseils Spirituels propices à restaurer en lui la paix de l’esprit, & la sérénité dans ses états d’âme.
Puis, au bout d’un moment, toutefois, il le pria de regarder à nouveau au fond du vase.
- “A présent”, put logiquement observer le jeune Moine, “ c’est à peine si le mélange commence de se clarifier.”
L’édifiant entretien se poursuivit quelque temps encore, roulant sur divers sujets aptes à rasséréner le novice, lorsque l’Ancien lui fit ressouvenir de regarder la suspension boueuse.
-“ Père!” s’écria naïvement le Moine! “le mélange s’est entièrement purifié. J’aperçois fort nettement, à présent, tout un tas de petits cailloux restés tout au fond!”
Et le Sage Géronda de conclure sur ces mots :
- Ce qui t’arrive, vois-tu, n’est pas chose fort dissemblable. Présentement, ton esprit est comme une eau trouble. Mais, sois sans crainte. Prends seulement patience, - si même il faut faire longue patience-, &, dans quelques mois, deux à trois mois d’ici, la boue du mélange se sera déposée au fond de toi. Tu verras pour lors combien tes Pensées seront droites & pures.”
Et il en fut par la suite tout comme l’Ancien avait Dit.

Une autre fois, un Moine venu d’ailleurs, qui, pour une quelconque raison que l’on ne sait point, était tombé dans un état d’exténuation physique qui, ayant influé sur son psychisme, l’avait fait sombrer dans l’absolu découragement, se mit en route pour Katounakia. A peine fut-il parvenu à sa Skyte qu’il ne put cependant du tout en exposer rien au Géronda. Et il demeurait sans mot dire, seul avec son désespoir. Ses difficultés mentales & spirituelles étaient de telle nature, & de telle intensité psychique, qu’il avait peine à trouver les mots pour les dire. Et, comme il advient, le désespoir profond est toujours muet, répugnant même à seulement ouvrir la bouche, pour proférer fût-ce un cri.
Il se trouvait donc en situation fort difficile, &
son âme était en proie au pire désarroi.
C’est alors que, le Saint Père Callinique, mû soudain par l’Esprit de Dieu, se mit à lui conter cette histoire :
“ Un Moine”, commença-t-il, “ venait souvent me voir. Il arriva un jour pour me confier une grande difficulté sienne qu’il avait, l’éprouvant douloureusement en son âme. Or, voici ce qui lui était arrivé. Ecoute donc...”
Et il lui rapporta mot pour mot ce que son interlocuteur troublé hésitait à lui confesser.
Stupéfait, le Moine alors s’écria :
“- Ah! Père Saint! C’est exactement la même chose qui, justement, m’arrive!”
Il était si bouleversé de ce que l’Ancien l’eût d’aussi belle sorte sorti de son désarroi profond que, dans l’excès de sa joie, d’un bond se levant, il étreignit le Géronda, avant que de lui embrasser les mains avec émotion.

Lorsque quelqu’un du monde lui venait dire son désir de devenir Moine, le Géronda ne donnait pas toujours pour autant son assentiment. Loin de là, lorsque le ClairVoyant Hésychaste
discernait par avance que celui qui aspirait ainsi à la Vie Monastique
n’avait cependant pas les épaules solides, non plus que l’esprit de sacrifice, la constance, la ténacité volontaire & longanime, ni, pour tout dire enfin, l’étoffe solide d’un Moine, à l’Ame précieuse entre toutes, il le détournait de son ambitieux projet, & lui conseillait tout bonnement de retourner humblement dans le monde, pour s’y modestement marier avec la Femme la plus douce & la plus gentille qu’il pourrait, par ses Prières, trouver, & y pieusement élever des Enfants dans l’Amour de la Sainte Eglise Orthodoxe.

Lors des Entretiens Spirituels, qu’il tenait à ses pèlerins pour leur Edification Spirituelle, & le profit de leur âme, lorsqu’il voyait son visiteur fatigué par le caractère Théologique par trop subtilement élevé des propos qu’il leur échangeait, le Père Callinique, après ces Spirituelles Montées, - les Anavathmi, comme l’on dit dans les Offices de Prières à l’Eglise-, semblait comme redescendre, s’abaissant, lors, à évoquer de plus plaisants sujets, pour délasser ses auditeurs, leur reposer l’esprit, & ne les point lasser, de ce qu’ils n’étaient point accoutumés à sa faculté de concentration propre, non plus qu’à son agilité d’esprit, parcourant d’un ample coup d’oeil éclairé les vastes étendues de la Théologie Mystique.

C’est ainsi qu’il pouvait s’exclamer soudain, le plus simplement du monde interrompant la conversation de haut vol, comme en proie à la plus vive surprise :
- “ Mais quels beaux raisins se suspendent à cette treille! Comme j’aimerais en goûter une grappe!”

Parfois aussi, l’Ancien, se voyait, comme tous les Ermites accueillant le tout-venant des hommes, importuné par des gens d’allure douteuse, qui, loin qu’ils fussent mus par des intérêts le moins du monde spirituels, ne venaient là que motivés par un esprit de curiosité déplacée. A leur totale indifférence pour les Choses véritablement Spirituelles, il répondait par une feinte égale indifférence, évitant délibérément d’aborder toute Question Spirituelle que ce fût. Paraissant lors oublier jusqu’à sa piété & jusqu’à sa contrition naturelles, - en ce qu’elles lui étaient devenues, d’habitudes premières une seconde nature -, il cessait de vouloir plus tenter aucunement d’élever tant soit peu l’entretien au-dessus de leurs intérêts banals d’hommes du commun :
- “Eh! ” leur lançait-il alors sur un ton bonhomme, jovial quasi : “ le travail marche-t-il comme vous voulez? Vos vignes ont-elles bien donné cette année? Et vos olives, ont-elles rendu beaucoup d’huile, & d’abondance?”
Mais à l’adresse de ceux, a contrario, qui dirigeaient l’entretien sur des Questions toutes Spirituelles, à ceux-là il ouvrait volontiers bien des trésors offerts de son Ame puisés.

Si toutefois il voyait quelqu’un de spirituellement immature manifester avant le temps un zèle par trop excessif , partant, inopiné, de là qu’inopportun, il ne cachait point davantage sa désapprobation. C’est ainsi, qu’en une lettre de Direction Spirituelle qui s’adressait à une Moniale, il la blâma sévèrement, la tançant presque, de jeûner à l’excès, - &, de fait, elle ne mangeait qu’une fois la semaine - :
“ Ce jeûne outrancier”, lui écrivit-il, “ t’est inspiré par le Malin. Suis donc, pour l’heure, “la Voie Moyenne”, qui est aussi “la Voie Royale” de nos Pères Saints.”



Les deux Moines qui voulaient se faire Ermites.


Deux novices, qui avaient déjà fait leurs preuves au Monastère, reçurent de leur Higoumène la bénédiction pour aller au Désert. Là, cherchant à y instaurer, pour leur nouvelle Vie, un mode d’existence réglée, ils s’en vinrent recourir aux Lumières de l’Esprit Eclairé du Saint Ancien Callinique.

L’un d’eux était bien fait d’une étoffe à mener l’âpre Vie Sainte d’Anachorète, qui fuit le monde & se retire au Désert - ce retirement au plus loin du monde, consistant à s’enfoncer au fin fonds du Désert, étant, ce tout de l’Anachorèse, verbalement signalé par le seul & unique terme grec “d’anachorein”-, & ce, quelque rude & dure qu’elle fût. Mais l’autre, qui avait, dans le monde, reçu la délicate & subtile instruction d’un savant & d’un fin lettré, ne supporterait plus, semblait-il, d’être traité d’aussi austère, frugale, fruste, & quasi rustre façon. Aussi, le premier, mû de Pitié, pour l’Amour de son Frère, s’en vint, par compassion pour lui, lui exposer la sensible réalité des faits. Il en était à peu près comme s’il lui eût protesté ceci : “ Ne lui impose pas, Géronda, chose trop difficile pour lui, car il ne parviendra pas à s’ acquitter de telle dureté de Vie.” Et tout en s’expliquant de la sorte au Géronda, il se cachait de son Frère. Mais l’Ancien Callinique croyait bien, quant à lui, qu’au prix d’un effort demeurant raisonnable, & fort envisageable, le second même des deux Moines pourrait, lui aussi, suivre l’ordinaire de l’austère règle des Moines Erémitiques, & de Dieu recevoir un digne salaire, augmenté pour sa part de ce qu’il fût en proportion exacte de ses peines pour lui d’avantage accrues.
Quand donc vint le tour de s’adresser au second, voici quel il lui tint à peu près en guise d’étonnant discours :
“- Pour toi, Frère Bien-Aimé, qui mena sans le monde délicate & molle vie, il semble que tu doives, dans l’arène, la palestre, & le stade olympique ensemble de l’Ascétique Lutte à mener en l’Hésychia, peiner fort au-delà de tes naturelles forces. C’est pourquoi, loin de quitter ton Monastère, prends soin d’y demeurer. Et reçois aussi, pour règle de conduite, cet ecclésial canon : Chaque fois que le Prêtre te donnera du pain bénit, ne le mange pas dans l’instant, mais, va dans ta cellule, & mouille-le de tes larmes, disant : “ Seigneur, mon Seigneur, pardonne-moi, qui suis par trop lâche, si tant que je ne suis point parvenu à mener la Vie Erémitique.” Alors, seulement, tu mangeras cette parcelle de ton pain, prélevé sur la sainte prosphore liturgique.”
Ces Paroles de l’Ancien frappèrent le Moine de même stupeur que s’il eût été étonné de foudre, & atterré de Mort quasi. Il en fut si blessé dans son amour-propre que, se tournant vers le premier Frère, il lui lança véhémentement, du ton le plus ferme qui s’eût pu ouïr :
“- Ce sera toi, sans doute, qui aura dit au Géronda que je suis sans nulle endurance, ni résistance aucune? Sache donc, que, pour moi, je suis prêt à Mourir même, s’il le faut, mais, devant ce, bien disposé à Vivre dans l’Ascèse & les privations, plutôt que de me devoir infliger à moi-même les injures de lâche, de pleutre, & de mol.”
Lors le Saint Père Callinique, dans un sourire, lança :
“- Venez voir un Noble Lutteur & Vaillant Ascète du Christ!”
Et l’Ancien définit, pour lui aussi, la même conduite exacte de Vie qu’il avait donnée au premier.


L’agent scandalisé.



Un policier, qui se trouvait stationné en garnison à l’Athos, était à l’excès choqué de divers faits de violence & autres incongruités sordides auxquelles il avait été confronté dans l’exercice de sa fonction. C’est ainsi que, l’âme révoltée, il s’en vint à sa calyve - à sa cabane- trouver le Père Callinique.
“- Géronda”, lui dit-il, “ pareil état de choses me met en souci, & me laisse totalement désabusé. J’ai tant désiré, pourtant, venir à la Sainte Montagne! J’espérais y trouver de Saints Moines vertueux! Et voici que je n’encontre, à l’inverse, partout, que désordre! S’il y en a donc tellement en ce Saint Lieu, que doit-il donc en être du reste du monde?” ...“Oui”, répétait l’homme avec dégoût, “ je suis venu chercher la vertu, & je n’ai trouvé que d ela méchanceté.”

“- Ami,” lui repartit lors l’Ancien, la vertu n’est pas un habit qu’on lave, & qu’on étend ensuite bien en évidence à la corde en plein Daphni, à la vue de tous, pour le seul effet de la montre des “ m’as-tu-vu”.
Cette sage remarque laissa l’autre sans voix.
Poursuivant toutefois sa bienfaisante thérapie, le Géronda aida le pauvre homme à remettre quelque peu d’arrangement parmi les pensées qui se bousculaient dans son esprit désordonné :

“- Ta fonction”, continua-t-il, “ n’est pas d’observer les fautes, péchés, & manquements des uns & des autres, non plus que leurs errances spirituelles, mais de tâcher, bien plutôt, de les pressentir, déceler, & prévenir à temps, pour éviter qu’elles ne se fassent jour. On ne t’a pas envoyé sur ces lieux pour y admirer la vertu, mais pour tenter d’étouffer le Mal encore à sa racine, & de la sorte en amoindrir les effets fâcheux. Mais tu as oublié que c’était là l’unique mission que l’on t’avait confiée. Tu en as détourné ton attention pour regarder ailleurs. C’est pourquoi tu es tombé dans cetet affliction & ce désespoir. Et n’oublie pas, mon enfant, que la vertu est une chose cachée, que les Saints cultivent en secret dans l’alcôve du Coeur, lorsqu’est celle-ci bien close aux regards d’Autrui.
Ces Paroles, où transparaissaient si clairement la Bonté d’Ame & la Vertu secrète du Géronda firent la joie de l’homme, qui s’en alla tout transporté.


Le Moine ramené à la raison.


Non loin de la cabane de l’Hésychaste Callinique, demeurait un Moine, qui causait incessamment bien du scandale parmi les Frères de par son bavardage inconsidéré, qui faisait du tort à beaucoup. Et, sur les prétextes les plus futiles, il forgeait toutes sortes d’histoires, qui n’étaient que matière à s’acharner contre les Pères, ne craignant pas même, pour ce faire, d’user de paroles fort inconvenantes, frisant l’indécence, dans la bouche d’un moine.
Le Père Callinique lui-même n’échappa pas à sa critique générale de tout & de tous. Un jour que ce moine indigne passait devant sa cabane, l’homme, se saisissant du premier prétexte qu’il put trouver, lequel était, bien entendu, de pure invention, il l’injuria de honteuse sorte & copieuse façon. Le Géronda, quant à lui, cependant qu’il recevait les injures au visage, demeurait paisiblement comme indifférent, ne soufflant mot.
L’autre, son répertoire une fois épuisé, s’en allait s’en retourner à sa skyte.
C’est alors que l’Ancien lui donna la plus belle leçon que ce vaurien eût jamais reçue. Lui désignant du doigt la petite église de Saint Gérasime, il lui signifia seulement :
“- Et maintenant, frère, va communier”.
Le moine, tout d’abord, n’attacha guère d’importance à ces paroles. Mais, plus il approchait de sa cellule, & plus leur signification grandissait à ses yeux. Tant & si bien que le trouble, sans tarder, l’envahit. En vérité, oui, comment oserait-il à présent communier, s’il ne demandait pardon à son Frère Saint, qu’il avait amèrement blessé ? Son inquiétude allait croissant, & son esprit désormais ne pouvait plus trouver nulle paix aucune. Lors, n’y tenant plus, il revint en arrière sur ses pas. Et, lorsqu’il fut devant l’Ancien, il lui fit, tout tremblant, une métanie, implorant, suppliant, de lui son pardon.
Voici donc par quelles subtiles habiletés le Géronda savait la manière de remettre à la raison, & de faire revenir à eux, & à la conscience de soi les êtres par trop inconsidérés dans leurs actions mauvaises.


Heureuses comparaisons.


Pour que s’imprimassent mieux, & d’indélébile sorte, les vérités qu’il enseignait à ses Enfants Spirituels, l’Ancien avait accoutumé de recourir toujours à d’heureuses comparaisons, enquelles, véritablement, il excellait.

Si donc il voulait frapper l’esprit des Moines, en leur remontrant quels dangers ils encourraient à manquer de vigilance, en la Garde du Coeur & des pensées mauvaises, il usait de telle image qu’icelle :
“- Représentez-vous, “ leur disait-il, “ quelque funambule, sur une corde, au-dessus d’un fleuve impétueux marchant, où bouillonnent, écumeux, de terribles courants, furieusement. De même que pareil acrobate, si, l’espace d’un seul instant distrait, il se montrait inattentif, encourrait une lamentable Mort, de même ainsi se perd le Moine qui ne veille pas continûment sur lui”.

Un Ascète, quelque jour, lui demandait pourquoi les Moines d’aujourd’hui ne progressaient plus jusqu’aux Spirituelles Hauteurs que parvenaient à atteindre leurs Anciens. Le Géronda, lors, recourant à une image des plus expressives qui se pussent, lui répartit de la sorte :
“- Nous ne progressons plus, pour ce qu’il est mille & une préoccupations vaines pour nous solliciter inutilement de toutes parts, au point que nous en oubliions l’essentiel. Or nous subissons ce fait incontestable comme s’il se fût agi d’une inexorable fatalité, de même exacte façon que nous nous en laisserions conter par un vulgaire ferrailleur, qui nous fait promesse jurée que, dans trois jours d’ici, notre outil sera prêt, mais qui, lorsque nous venons prendre réception de notre commande, nous explique qu’il n’a pas eu assez de temps de reste pour la fabriquer encore. Il met alors bien en évidence l’objet que nous lui demandons de dupliquer, & nous fixe alors une nouvelle date. Dans l’entre-temps, cependant, ont afflué de nouvelles commandes, l’instrument à reforger a été relégué dans un coin, &, lorsqu’arrive la seconde échéance, le travail n’est pas plus avancé que la première fois. Et, d’atermoiement en atermoiement, l’histoire, à l’infini, se répète, & se peut répéter encore & toujours. Or, c’est la même chose qui, dans la Vie Spirituelle, nous advient. La foule de nos soucis génère l’oubli du plus fondamental, & la négligence à son égard, en sorte que, loin d’atteindre jamais à la Vertu, nous piétinons indéfiniment, rien ne faisant que du sur place.


“- Géronda,” lui demanda-t-on un jour, lorsque deux Disciples reçoivent un ordre, & s’en acquittent tous deux, à cette différence près que l’un, avec joie, s’empresse d’obéir, & que l’autre ne s’acquitte de son devoir, de sa tâche, ou de sa diaconie, qu’en râlant & rechignant à la peine, quelle rétribution recevront-ils chacun?”
“- En pareil cas,” répondit l’Ancien, “bien qu’ils aient tous deux exécuté le même travail, celui qui rechignait à l’accomplir s’est fatigué bien davantage que l’autre. En outre, le premier ne recevra pour tout salaire qu’une piécette rouillée, tandis que celui qui aura fait son ouvrage d’un coeur léger se verra, pour finir, rétribué d’En-Haut du Livre d’Or de la Vie, & des Grâces de l’Esprit”.
Voulant ces Grâces évoquer que dispense Dieu à ceux qui luttent en Vérité, le Père Callinique énonçait le contenu d’expérience suivante, de son vécu tiré, & d’une juste métaphore illustrée :
“- A celui”, Enseignait-il, “ qui véritablement lutte, en vue de fidèlement observer & pratiquer les Divins Préceptes, Dieu, lors de chaque grande Fête, prodigue davantage encore ses Grands Dons Spirituels. Un peu comme lors d’une victoire, célébrée les jours solennels de remises de prix & de trophées, les dignitaires viennent médailler de récompenses du simple non gradé enviées, quoique purement symboliques, leur remettant en prime toutes sortes de dédommagements & rétributions diverses, qu’il s’agît d’espèces sonnantes & trébuchantes, de présents honorifiques divers, de médailles réputées glorieuses, ou de toute autre distinction honorifique que ce fût. Mais, d’un tout autre Or, Spirituel & Mystique, sont les Charismes de l’Esprit de Grâce octroyés, lesquels sont Energies Incréées de l’Essence Divine.



CHAPITRE CINQUIEME


AU SOMMET DU THABOR


Illuminations Divines.



Au Priant Neptique & Vigilant à la Garde du Coeur & des pensées, qui assidûment s’exerce à l’Oeuvre Sainte, exacte, si haute & tant subtile de la Prière du Coeur, & qui toujours, tel un ange dans la chair, garde au Trône de la Déité Sainte les yeux de son Ame attachés, il advient à la fin que se Manifeste à lui, Théophaniquement, les Energies Divines, & qu’il Vît jusqu’à la Lumière Incréée, même, qui de ces Manifestations Divines est la plus Haute, comme si Christ-Dieu Transfiguré Lui-Même lui Apparaissait dans la Surnaturelle Splendeur de la Divine Lumière, la même qui autrefois Resplendit aux Yeux décillés des Apôtres, qui en haut du Mont Thabor, lequel désormais, pour les Mystiques Orthodoxes, symbolise le summum de la Perfection Divine - la Transfiguration de l’humain en Divino-Humain- en tombèrent atterrés, à la renverse, sur la face foudroyés, à la Vue de la Sublimité du Christ Manifestement & Théophaniquement Apparaissante dans toute la Lumière Incréée de Sa Resplendissante Gloire.

Cette Lumière Incréée, que bien peu d’entre les Glorifiés mêmes ont été dignes dès cette Vie de Voir de leurs yeux sensibles, & dont furent éblouis tout, Moÿse, les trois Saint Apôtres lors présents à la Sainte Transfiguration du Christ Dieu-Homme, que met en scène, la relatant, cette péricope de l’Evangile, le Divin Paul, qui, sur le chemin de Damas, l’ayant Vu soudain s’imposer à lui, Surradiante, en tomba renversé à terre, jeté bas de sa monture, & de son éblouissement assez longtemps demeuré totalement aveugle, les yeux physiologiquement brûlés, le temps de la prise de conscience de ses péchés, & de sa pénitence, comme intérieurement d’autant encore enténébré, Saint Vassili le Grand, Saint Maxime le Confesseur, le grand Martyr qui eut la langue & les mains coupées pour son Orthodoxe Foi, plutôt que de la renier, Saint Syméon le Nouveau Théologien, & d’autres encore, l’Ancien Callinique, fut, lui aussi jugé digne, de la contempler à son tour, &, plus d’une fois, d’en être en son Ame éjoui. Et nombre de ceux qui le visitèrent lors même qu’il venait de Voir la Lumière Incréée, étaient à leur tour frappés d’étonnement, à seulement constater, & pouvoir observer ainsi tangiblement quel Rayonnement Extraordinaire émanait encore de sa face, & quel regard étonnamment profond, lumineux, & réjoui en lançaient encore, comme d’autant de Feux, ses yeux lors stupéfiants à voir, tant tout son visage se trouvait être Irradié encore de ce Surnaturel Eclat.

Un jour que, seul dans sa cellule, il naviguait, comme à son accoutumée, sur l’Océan Mystique de la Prière du Coeur, l’un de ses Disciples vint frapper à sa porte. Peu de temps après le Géronda s’en vint ouvrir le petit guichet qui y était pratiqué, faisant office d’ouverture :
“- Que veux-tu, mon Enfant Béni?” s’enquit-il. Ah! Que m’as-tu coupé dans ma Prière?... Si tu avais Vu où j’étais!...Si tu avais Vu quelle Lumière il y avait dans ma cellule!”

L’Ancien Grégoire, d’Eternelle Mémoire, s’en vint un jour à la cabane du Père Callinique. Ainsi, du moins, avait-il accoutumé de faire, chaque fois qu’il était en proie à un trouble dont il ne parvenait point seul à délivrer son âme, pour retrouver son habituelle sérénité. De fait, le Bienheureux Hésychaste, lui, parvenait toujours à la lui rendre. Comme il arrivait pourtant, on le pria d’attendre que le Saint Père Callinique eût achevé sa Prière, après quoi il pourrait plus librement se consacrer à ses visiteurs pèlerins.

Le Géronda Grégoire attendit tout le jour. Le Saint Hésychaste ne paraissait toujours point...L’aurore du second jour, déjà, blanchissait...Mais, l’une après l’autre, les douze heures du jour se passèrent, sans qu’il parût davantage...Plongé dans les abyssales profondeurs de la Prière du Coeur, le Père Callinique, la nuit durant continua de s’entretenir avec son Seigneur, qu’il invoquait tout le jour. Le troisième jour, même, le trouva encore En Prière. Enfin, l’après-midi de ce jour dernier, le Géronda Grégoire, qui attendait toujours, apprit que l’Ancien avait achevé sa Prière enfin.

Lorsqu’alors le fit appeler auprès de lui le Saint Ancien, le Géronda Grégoire se trouva tout soudain devant un phénomène admirable. C’était, à voir, une chose sublime, une chose ineffable. Et quand bien même eurent, par après, de nombreuses années, depuis lors, passé, jamais cependant ne put l’Ancien Grégoire oublier ce qui lui avait lors paru être quelque angélique vision. Souvent, au contraire, il en évoquait devant ses Moines l’émouvant & bouleversant souvenir :
“- Pappa Joachim!” dit-il un jour, s’adressant au Hiéromoine admirable qui se trouvait lors être d’entre ceux de sa skyte, “ si tu avais vu combien brillait la face de l’Ancien Callinique! Il resplendissait! Ah! comme son visage brillait! Que te dire enfin? Tu aurais cru voir Moÿse sitôt redescendu du Sinaï! Quel éclat que le sien! Quel regard singulièrement profond jetaient ses yeux, & si lumineux, que tu en eusses été d’étonnement frappé! Il s’était répandu sur toute sa personne comme une Céleste Lumière qui de sa Luminescence l’enveloppait & de sa Resplendance l’auréolait tout!”

Quelle Joie plus éclatante au Coeur d’un Saint, & quel Bonheur plus Haut, sur cette terre, que d’être jugé digne, dès cette vie même, de voir la Lumière de la Déité Trine?
Ce Bonheur qu’il est aux Bienheureux d’En Haut Donné de Suavement Goûter, tel qu’il fut aussi celui du Saint Père Callinique, c’est avec les mots mêmes dont usa, dans ses Hymnes à l’Amour Divin, Saint Syméon le Nouveau Théologien, qu’ il eût pu le chanter :
“ Je Communie à la Lumière, je Participe à Ta Gloire,
Et mon visage brûle, pareil à Celui de mon Désiré...
Voici mes membres Porteurs de Lumière soudain...
Ah! plus Beau que les beaux suis-je devenu!”


“ Plus Beau que les beaux.”


Ce visage du Saint Père Calinique, qu’avait ainsi Irradié la Lumière du Thabor, l’heure passée même de la Prière, que de fois ne Brilla-t-il pas, & ne continua-t-il pas, par après, d’irradier des Rayons encore de la Grâce Divine!

En Vérité, oui, elles siéraient bien aussi à l’Ancien Callinique, les Paroles desquelles Saint Isaac le Syrien peignit le BienHeureux Arsène, l’Hésychaste Saint, égal aux Anges! “ Sa Vue & sa Contemplation seule”, révèle-t-il, “ éjouissait l’Ame, & toute parole, lors, devenait vaine & superflue, inutile & oiseuse.”

Un Disciple du Père Callinique reçut l’intimation de gagner les abords de la Grande Lavre, pour s’y acquitter d’une tâche. Or, il était ce jour-là épuisé à l’extrême, cependant qu’était la Lavra distante de rien moins que trois heures de marche à pied. S’étant donc mis en route avec quelque mauvaise grâce, il n’avait pas fait cent pas qu’il fut assailli par de mauvaises pensées, qui le poussaient à la révolte & à l’indignation. Aussi ne fut-il pas long à rebrousser chemin, bien décidé à venir se répandre en plaintes auprès de sin Ancien.

Qu’advint-il toutefois? Comme il approchait le Géronda, il vit soudain, épandue sur tout son visage, tant de Divine Grâce, d’Eclatante Bonté, & de Joie Supérieure, qu’il en fut sur-le-champ désarmé tout. Lors, il se prit à pleurer, & se mit à s’adresser à lui-même de vifs reproches, se tançant de la sorte, à soi disant :
“-C’est pour ton Salut, malheureux! que le Géronda te demande pareils efforts, & tu ne sais, toi, que t’en indigner?

Un Ermite qui sortait d’un Entretien Spirituel qu’il avait eu avec le Père Callinique, évoquait, lui aussi, semblable Grâce sur tout son visage épanchée :
“-Cependant qu’il me parlait, il me fixait d’un doux sourire. Son regard brillait, & l’on voyait, sur son visage épandus, la Joie & l’Allégresse; c’était comme s’il ressentait en cette heure les Bienfaits Mystérieux de la Grâce Suave, & qu’il était en son Coeur habité des sentiments mêmes auxquels se complaît Dieu. L’Ecriture ne dit-elle pas : “ En Mes Saints j’ai mis Ma Complaisance”?

Le Père Gérasime, de la Petite-Sainte-Anne, Moine remarquable & célèbre Hymnographe, qui, huit années durant eut l’Ancien Callinique pour Conseiller Spirituel, contait qu’il s’était un matin en l’état d’âme trouvé de se voir si troublé qu’il en avait été poussé vers sa cellule, mu par une insurmontable inquiétude.
“-Bienvenue à toi! Bienvenue! “ s’écria l’Ancien à mon adresse, du plus loin qu’il m’aperçut. “ Je t’attendais.”
Quel ne fut lors mon trouble, à lui entendre me dire qu’en effet il m’attendait, lors même que je ne l’avais nullement averti de mon inopinée survenue. Saisi de crainte, je m’assis à ses côtés. C’est alors que je vis son visage, que je n’avais pas regardé d’abord. Et je l’aperçus rayonner tout d’une Vive lumière, qui semblait de l’Au-Delà venue. A cette vue, je me sentis envahi tout d’une Ineffable Joie, plus forte que je n’en avais jamais sentie, comme si elle n’eût point été de nature sensible, mais toute Surnaturelle, telle une Allégresse nonpareille, dont mon être entier fut soudain comme irrésistiblement baigné tout. Alors, dans le même instant, je sentis de lui s’exhaler les effluves suaves de l’Odeur de Sainteté.
Pour ce qu’en Vérité, de l’Incessant Entretien que, du fonds de son Coeur, vouait l’Ancien à son Christ, - tout le jour avec Lui devisant, & la nuit même l’y suppliant, par l’Ardeur de sa Prière Intense continûment soulevé, & comme transporté, jusqu’en sembler bondir parfois, comme le cerf du Psaume des Sources Mystiques Assoiffé, & de la Sublime Beauté du Dieu-Homme en son Coeur d’Amour épris, Lui, dit la Fiancée du Cantique des cantiques, qui “ par La Beauté est Beau entre tous les fils des hommes”-, s’en trouvait Illuminé, tout, le paysage de son Ame, qui sur son apparence entière, par voie de suite, en rejaillissait.


Contre l’Hérésie.


Aussi bien, ayant, de par le vécu de son expérience propre, de l’Hésychasme acquis une Co-Naissance profonde, & jusque dans ses aspects les plus pratiquement & Théorétiquement complexes, qui ne se peuvent connaître que de la pointe fine d’un Esprit subtil & d’une Ame délicate, l’Ancien Callinique était-il mieux que quiconque à même déceler le caduque, ce qui le mettait fort naturellement en position de lui conférer Autorité Spirituelle pour pouvoir à bon droit condamner tout enseignement qui fût tant soit peu théologiquement erronné.

Or, en 1913, se fit jour, chez les Moines russes de la Sainte Montagne, l’Hérésie dite “des adorateurs du nom.”
L’hérésiarque initiateur était un ascète du Caucase, dénommé d’Hilarion, dont le traité sur la Prière mentale recélait un enseignement hérétique, portant sur l’Invocation du Nom de Jésus, qui, nonobstant, passa tout-à-fait inaperçu du Synode de l’Eglise russe lui-même. L’Hérésie, cependant, commençait de prendre une si grande ampleur, & d’exercer de si grands ravages dans l’esprit des Moines russes de l’Athos, qu’il finissait par être à craindre qu’elle ne s’étendît même nocivement au-dehors de la Sainte Montagne. Dans un état de choses aussi critique pour la sauvegarde de la pureté de la Justesse Théologique de l’Enseignement Orthodoxe, la seule mesure de salut envisageable restait qu’apparût un être véritablement Spirituel, qui fût donc Homme de Discernement, qui résolût de se lever pour se dresser contre pareil égarement, en manière de le combattre avec succès & bonheur. C’est alors que parut l’Homme Providentiel tant attendu. Il n’était autre que le Saint Ancien Callinique l’Hésychaste.
Dans les mémoires qu’il entreprit lors de rédiger à cet égard, relativement à cette fausse doctrine, & qu’il fit parvenir au Patriarche Oecuménique de Constantinople, comme au Patriarche de Moscou tout ensemble, il démontrait la caducité de vues des adorateurs du Nom, qui, selon la juste caractérisation de leur faire que leur attribua l’Ancien, “ délaissent la tête pour en adorer la skoufia”, laquelle désigne la coiffe des Moines athonites.
Sur cette subtile question de doctrine, & pour de plus amples détails, enquels nous n’entrerons point ici, nous nous permettons de renvoyer le lecteur au texte de Gabriel de Dyonisiou, Lausaïque, de la Sainte Montagne, p. 32. Ed. de Volo, 1953).
Les thèses du Théologien Inspiré qu’était Saint Callinique l’Hésychaste furent partout unanimement & universellement reçues. Le Tsar & le Patriarche de Russie lui adressèrent des lettres de félicitations, & le gratifièrent de distinctions honorifiques. L’on rapporte qu’outreplus le Tsar fit au Synode de l’Eglise russe cette remarque piquante :
“- Vous qui étiez constitués en un Synode entier assemblé de Métropolites & d’Evêques, vous n’avez pas même été capables de relever l’Hérésie. Et il a fallu que fassiez éclairer vos entendements peu clairvoyants par un simple Moine de l’Athos!”
Sans doute, à s’exprimer ainsi sans finesse, le Tsar ignorait-il qu’il avait affaire, en la personne de Callinique l’Hésychaste, à un Saint Déifié, ayant atteint aux cîmes de la Théologie Contemplative.

C’est ainsi, pour finir, que tous ceux qui avaient embrassé l’Hérésie, & qui continuaient de vouloir s’en affirmer les tenants - ils n’étaient pas moins, hélas! de mille deux cents moines russes en ce cas- furent priés d’embarquer sur un cuirassier russe, qui les mena s’établir dans les montagnes du Caucase, où ils persistèrent dans leurs errances dogmatiques, altérant la Vraie Foi des Saints Apôtres Orthodoxes.


Son Enseignement de la Prière du Coeur.



Après qu’il eut brillamment & orthodoxement réfuté les Adorateurs du Nom, l’Ancien Callinique fut unanimement réputé connaisseur admirable de la Théologie Hésychaste & de la Prière du Coeur.
Qui, donc, éprouvait sur cette question les doutes d’un esprit inéclairé, recourait à sa Sagesse d’Esprit, & qui voulait avec justesse s’adonner à la Prière du Coeur demandait son aveu, son Enseignement Initiatique, sa bénédiction, & ses Prières pour ce faire. En Vérité, l’Ancien Callinique l’Hésychaste figurait présentement le maître incontesté - & de fait, c’était un maître - de cette Céleste Philosophie de vie.

Cependant, avant que de regarder à Enseigner & Transmettre la Prière du Coeur, le Saint Père Callinique observait le Précepte Evangélique qui recommande aux Apôtres la Prudence du Discernement, énonçant : “ Ne donnez pas les Perles aux pourceaux.”
C’est ainsi qu’il n’eût jamais Enseigné les Mystères de la Prière à un moine qui ne se fût point exercé à la parfaite obéissance envers son Saint Père Spirituel, non plus qu’à la mortification de sa volonté propre, s’ensuivant de son renoncement à icelle, école de Sagesse & de Sainte Humilité, & qui n’eût point davantage fait ses preuves dans les luttes de la pratique de la Vie Sainte, ni, de la sorte, entrepris de déraciner les passions funestes & mortifères d’au-dedans de lui.

Il considérait tout d’abord que l’absolue Hésychia, & que la totale absence de soucis du monde constituaient un fondement premier, nécessaire à la culture édificatrice de la Prière.
- Car l’on cultive la Prière sur des fondements requis absolument de paix parfaite de l’esprit, non moins nécessaires au commençant que ne l’est au laboureur la culture d’une terre rendue plus arable pour ce que mieux nettoyée de partie de ses mauvaise herbes -.
“- Dans le trouble du monde”, insistait-il, “ il ne peut y avoir de Prière mentale. Mais, de la Prière, l’on ne peut que proférer les mots : “ Saigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi.”
Cependant, autre est la Véritable Prière du Coeur, Dite En Esprit dans la Paix profonde, & autre le balbutiement des mots d’une prière que l’on dit sans se pouvoir concentrer, & sans presqu’y penser dans le bruit, le tumulte, &le trouble de l’agitation du monde. La première est à la seconde ce que l’Université est à l’école élémentaire.”

L’Ancien jugeait non moins indispensable l’Initiation à son Art Spirituel par un maître. “ Il ne suffit pas”, insistait-il, “ pour faire l’apprentissage de la Prière du Coeur, de recourir à des livres, que l’on lit sans les pouvoir comprendre de l’intériorité du Coeur profond. Il faut encore la voix & le vivant Exemple d’Edification d’un maître Spirituel sûr, expérimenté, plein de Discernement, rompu à toutes les plus dures Ascèses, possédant véritablement la Prière en son Coeur, en Hésychaste Accompli, & Déifié. &, il sied encore que le Disciple entretienne encore avec lui des liens de proximité & d’étroite dépendance, pour qu’ayant sans cesse, des années durant, sous les yeux son Saint Exemple de Vie, il se pût savoir conformer à ses Saints Préceptes.”

Il désapprouvait grandement que, mus par leurs seules volontés propres, des gens sans expérience aucune de la Vie Spirituelle, & qui n’avaient point même, pour commencer, passé par l’obéissance à un Père Spirituel digne de ce nom, s’adonnassent, sans bénédiction aucune de quelque Père Inspiré, à ce qu’ils s’imaginaient être la Prière mentale. Il allait même jusqu’à identifier une telle attitude à de l’égarement. “ La Prière du coeur”, Enseignait-il, “ est un Don de Dieu, un Charisme de l’Esprit de Sainteté, pouvant par Grâce Providente seule assurer Progrès Spirituel & Secret Avancement de tous ceux qui, sur la voie de la praxis existentielle, & Pratique Ascétique, se sont heureusement pliés à l’ascèse première de l’obéissance, mère d’Humilité.”

Et pour mieux faire saisir combien sont spirituellement égarés ceux qui, sans répondre en rien ni satisfaire aucunement aux conditions préalablement requises, entrent dans le stade & l’arène de la Prière mentale, il recourait à cette anecdote plaisante :
“ Un moine russe qui vivait dans l’Hésychia
avait grand désir de se rendre au Saint Tombeau, pour en voir jaillir la Lumière Divine de la Résurrection. Un jour, donc, de la Sainte & Grande Semaine, il s’en fut à Jérusalem, &, le soir de la Résurrection, étant entré dans l’église, il prit, sans rien demander à personne, la meilleure place, & la plus en vue, qu’il s’attribua sans vergogne, égoïstement. Or, il ignorait là que ce fût là quelqu’un des sièges réservés à des notabilités de première importance.
Il ne s’était donc guère passé de temps que, déjà, les forces de la milice se saisissaient de lui, & apprenant quel il était, savoir un homme de rien, socialement sans importance aucune, & d’un statut déclassé, le jetaient violemment dehors, de ce qu’il eût osé, sans laisser-passer exprès, s’arroger de son propre chef une place d’honneur qui ne lui était pas destinée. C’est ainsi qu’il s’en revint tout honteux à l’Athos, n’ayant seulement pu voir du Tombeau jaillir la Sainte Lumière Bleue, qu’en fait sourdre l’Evêque Orthodoxe, à son cierge pascal de la Veilleuse au Tombeau allumé.
Or, la même chose advient à ceux qui, sans remplir aucune des conditions préalables & nécessaires à son Exercice Spirituel & à sa Sainte Pratique, & sans un Saint Maître Spirituel davantage, se mettent en tête de pouvoir prétendre atteindre jamais à la Prière du Coeur des Saints Hésychastes. Il n’est même jusqu’à certains égarés qui s’imaginent pouvoir être avant peu se trouver enveloppé dans la Thaborique Vision de la Lumière Incréée de la Gloire Divine.


La visite de l’aveugle.


Tous voulaient venir voir ce Maître Eclairé qu’était le Saint Ancien Callinique, quand même il leur fallait, pour parvenir jusqu’à lui, affronter les plus grandes difficultés, - tel ce Père Léonce qui, tout aveugle qu’il était, n’en menait pas moins la Vie Neptique des Vigilants Gardiens des pensées de leur Coeur. Or il avait de si longtemps conçu le vif désir de s’en aller visiter le Père Callinique, & ce, bien que son Ermitage de Saint Syméon, (sis aux entours du Monastère de SimonosPétra, lequel possédait cet Ermitage pour “métochion”-dépendance spirituelle- & dont il dépendait donc, au plan de l’obédience), fût distant de près d’une journée de marche de Katounakia. Un jour enfin, oublieux de son âge - il avait lors soixante dix ans passés-, il s’en fut, guidé par son jeune moinillon de novice, le Moine Daniel, pour tenter ce qui pour lui constituait une expédition, tenter de rejoindre la calyve - le cabanon- de Saint Gérasime.

Outreplus que le chemin se trouvait, comme la plupart des sentes de muletiers sur la montagne de l’Athos, fort inégal, tors, tortu, sinueux, raidement montant, & des plus difficiles à parcourir, l’état général de santé précaire de l’Ancien, fragilement usé de fatigue & tout exténué de tant longue Ascèse de Vie, ne laissait pas escompter que les deux Moines marcheurs pussent arriver avant la tombée du soir sur les lieux auxquels ils pèlerinaient de la sorte. Contre toute attente, cependant, l’après-midi touchait à peine à sa fin qu’ils approchaient déjà de Saint Gérasime. La calyve était donc en vue lorsque le Père Léonce, soudain, glissa si malencontreusement en chemin que, brusquement tombant à terre, il vint se heurter contre une pierre au visage, & s’en trouva si mal en point que le sang se mit, d’une mauvaise blessure à la tête, à couler d’abondance.

C’est en ce triste équipage qu’enfin ils arrivèrent. L’Ancien Callinique n’en fit au Père Léonce qu’un accueil plus chaleureux encore que celui qu’il avait accoutumé de réserver à ses hôtes visiteurs.

“- Le sang, Géronda, que tu as en chemin versé,” lui dit alors le Père Callinique, te seras compté comme un martyre, & imputé pour tel. Car, c’est pour l’Amour du Christ, & pour entendre de Salutaires Paroles, que tu as en route enduré tous ces tourments.

L’Entretien Spirituel se poursuivit plusieurs heures durant, roulant essentiellement sur la matière qui leur tenait le plus à Coeur, la Prière Mentale.
Sur ces entrefaites, le novice entra, venu leur porter un plateau des rafraîchissements usités dans les hôtelleries monastiques pour marquer l’hospitalité des moines, désireuse d’honorer ses hôtes, quelque monachal & frugal que fût ce témoignage de cordiale bienvenue, & comportant généralement un café grec, un grand verre d’eau fraîche, & quelques loukoums, vestige de l’occupation ottomane, & quelques pistaches, parfois, ou des figues à l’instant cueillies sur le grand arbre odoriférant, & qui constituaient, ici, l’ordinaire de la cabane. C’est alors que le Père Léonce s’étonna :
“ - Pourquoi, Géronda, ne laisserais-tu pas ton novice entendre ce que nous disons? Serait-ce que tu ne lui apprends pas la Prière du Coeur, à lui?”
“-Mais si, je la lui enseigne aussi, bien sûr, Père Léonce. Mais si je le tiens à nos côtés, ici, qui nous apporterais le plateau, pour que nous nous rafraîchissions de cette bonne eau fraîche? A ce jeune novice que tu vois, il faut d’abord que je lui montre à briser là sa volonté propre, de par l’obéissance. Puis, bientôt après, avec l’obéissance à son Père Spirituel, viendra la Prière Mentale. S’ensuivra, En Dieu d’Esprit de Grâce, la Libération, & de cette obéissance, & de tout. Mais, de toute Elévation Spirituelle, l’obéissance ( à un Saint Père Spirituel possédant la Prière du Coeur) est la condition première sine qua non - sans laquelle il n’est pas-possible d’entrer en la Vie Spirituelle (sous la conduite d’un Maître confirmé de Spiritualité).”

A l’un de ses jeunes novices, le Saint Père Callinique avait intimé l’injonction de s’en aller chercher du terreau pour les arbres; ce qui nécessitait, pour s’acquitter de cette diaconie - tâche monastique-, une longue marche, & par là même impliquait pour lui une éprouvante fatigue. Lors, le moine, épuisé déjà, & soucieux de pouvoir, lui aussi, se ménager la possibilité d’être aussi libre de son temps que le requiert l’Hésychia, pria l’Ancien qu’il voulût bien lui diminuer le nombre de ces trop fréquentes corvées, en sorte qu’il pût vaquer à la Prière l’esprit plus insoucieux, & qu’il pût s’adonner enfin à l’étude, qu’il eût tant aimé mener à bien, & dont il était tant privé.
Le Géronda, toutefois, ne voulut point lui donner son assentiment.
“- Non,” fut sa réponse. “ Contente-toi, sur l’instant, & pour le moment, d’obéir. Car, c’est à l’obéissance, tout d’abord, que tu trouveras le plus de profit spirituel. Mais, tu verras plus tard, lorsque je ne serai plus en vie, que je t’aurai quitté, & ne serai plus avec toi, tangiblement, ici, à tes côtés, oui, tu verras, lors, que tu auras bien assez de temps de reste pour étudier. Et tu comprendras pour lors, que tout ce qui est écrit dans les livres, tu l’auras appris déjà, à vivre à l’obéissance, toutes ces années passées auprès de moi.


Divins avertissements.


Dieu, bien souvent, parle au secret des Ames purifiées des Saints, les avertissant soudain, selon & par les Voies de Sa Providence, tant des choses présentes, que des choses à venir.
C’est ainsi qu’Il prodiguait En Esprit à Saint Callinique l’Hésychaste les Divines Illuminations qui le dotaient du Don de Diorasis - Don de sonder les coeurs & d’être en l’Esprit Eclairé de ce qui se passe ailleurs-, & du Charisme de Proorasis - lequel est le Charisme de Prophétie & Don de Voir à l’avance ce que réserve l’à venir. Car, Saint Callinique était, de par ses Vertus, lesquelles lui avaient attiré l’Esprit de Grâce, devenu véritablement de par Dieu Voyant des âmes, des esprits, & des coeurs, & il leur pouvait annoncer & prédire ce qui leur adviendrait, en leur futur proche & lointain.

Une Femme très fortunée, mais néanmoins très pieuse, & qui vouait à l’Ancien une très grande vénération, le suppliait par lettres de prier pour toute sa famille, à fin que la Toute Sainte les gardât & protégeât de tout péril.
Or, ils avaient, à Lavrio, une maison de campagne, & le voyage qu’il fallait accomplir en bateau pour s’y rendre présentait, presque chaque fois, d’effroyables dangers.
Un jour, donc, que le caïque se dirigeait vers le domaine familial, ils advint qu’ils se trouvèrent pris, soudain, dans une terrible tempête. Ils crurent, tout d’abord, qu’ils ne réchapperaient pas au naufrage. A la fin, pourtant, & lors même qu’ils se sentaient à toute extrémité, voici qu’au prix des plus farouches efforts, ils parvinrent à échouer sains & saufs sur une plage du bord du rivage. Le mari, lors, qui demeurait fort loin de partager la piété de sa femme, entreprit de s’en prendre à elle :
“- Ah, tu vois!”coléra-t-il. Tu vois par quoi nous avons passé! Notre vie, franchement, ne tenait qu’à un fil! C’est la Mort, vraiment, que nous avons frôlée! Je me demande bien où sont ces fameuses prières que les moines de l’Athos t’assuraient faire pour toi! C’est donc là toute leur protection? Belles intentions de prière pour nous!
Pourtant, arrivés, sur ces entrefaites, à leur propriété secondaire, ils y trouvèrent une lettre du Père Callinique, qui les avait précédés, d’assez longtemps déjà. Ils l’ouvrirent, &, la parcouraient du regard, lorsque leurs yeux, soudain, tombèrent sur ces lignes :
“Vous serez la proie d’une redoutable épreuve. C’est pourquoi soyez très vigilants. Mais, pour finir, toutefois, vous en réchapperez, pour ce que la Toute Sainte vous protégera.”
Ces mots laissèrent sans voix le riche propriétaire incrédule. Et, de cet instant, sa vénération pour le Saint Père Callinique ne connut plus de bornes.

Aux Ermites qui, vivant dans les si grandes privations qu’ils s’imposent, par esprit ascétique, ont aussi, néanmoins, certaines nécessités matérielles, dont la satisfaction permet d’assurer leur survie existentielle, Dieu, en mille manières variées prodigue, dépêche, & envoie tout ce qu’il faut. C’est pourquoi aussi Dieu semble parler au coeur des hommes qui font office de truchement, & servent chacun, comme de canal, à la Providence, auxquels, pour ce qu’ils se trouvent être en mesure d’offrir à Ses Saints ce qui leur fait défaut, Il le leur inspire, sans acception de personne, ni même considérer, d’apparence, s’ils sont pieux Chrétiens ou Impies, ni Fidèles ou Infidèles.
C’est en ce sens qu’Abba Dorothée écrit : “ Pour ce qui est du corps, & de ses nécessités matérielles, s’il se trouve quelqu’un pour être digne que Dieu lui ménageât le Divin Repos chômé de l’Hésychia, le Seigneur pourvoit à tous les besoins de son existence, & pour ce, sait inspirer pour Ses Saints de la Compassion au coeur des Athées, des Musulmans, ou des Sarrasins eux-mêmes, en manière qu’ils répondissent, par l’aumône & leurs dons, charitablement aux nécessités de ceux qui, sans occupation autre, exemptés des soucis du monde, demeurent En Prière dans l’Hésychia.”

C’est ainsi qu’il advint à la Calyve - au cabanon- Saint Gérasime, qu’à la veille de la Pâque, le Père Christodoule se rendit à Daphni, pour y faire les courses de son ravitaillement. Il s’était mis en chemin, lorsque l’Ancien dit à son autre novice :
“-S’il te plaît, Père Arsène, rattrape-le, & dis-lui d’acheter aussi un peu de tarama.”
Le Père Arsène courut, mais il était trop tard. Son Frère était loin déjà.
Lorsque le Père Christodoule revint, le lendemain, le Père Arsène courut à sa rencontre, & tout désolé, lui conta l’histoire. Ce récit laissa le Père Christodoule tout abasourdi :
“-Ecoute, Frère!” - Et, avec stupeur, il se signa-. Voici qui va t’étonner! Lorsque j’eus achevé mes emplettes au magasin de Daphni, & dans le moment même que je m’apprêtais à partir, le patron de l’échoppe s’enquit du nom de mon Géronda, cherchant à savoir lequel des Pères était le mien. Apprenant que c’était l’Ancien Callinique, il en fut tout heureux. Car il avait entendu parler de lui, suffisamment du moins pour qu’il parût le beaucoup respecter. “ Que me dis-tu là!” s’exclama-t-il. Ainsi, tu as le Père Callinique pour Géronda? Attends un peu, s’il te plaît...Tiens, voici; prends cela. Porte-lui de ma part un cadeau, ce petit présent, pour la Pâque !” Et il glissa dans mon sac un gros paquet de tarama!


Perles Spirituelles.



Voici, ci-énumérées, quelques-unes des Sentences Spirituelles, au profond sens caché, ou manifeste, -à l’évidence-, que le Saint Ancien avait prononcées, d’entre ses Dits à ses Disciples :


“ Géronda,” lui dit un jour l’un de ses novices, “ j’éprouve comme un tiraillement, qui me fait souffrir.
“- Eh bien”, lui répondit son Père & Saint Ancien, dis la Prière : “ Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie Pitié de moi, pécheur”; & le démon, qui t’inflige ce tiraillement s’en ira aussitôt”.


“ Il convient de demander à Dieu la purification de ses passions, avant que de vouloir s’essayer à progresser dans la Vie Erémitique : Un vase dont l’intérieur n’est pas purifié, l’y laisserait-on recevoir les Parfums de la Myrrhe?”

“ Qui de nous pourrait-il, à sa Mort, reposer en une châsse d’or, pareil à Saint Niphon de Constantinople, dont sont enchâssées les Saintes Reliques en un reliquaire d’or? Celui le peut qui serait Humble & se satisferait, content, de toutes choses. Qu’on lui présente donc au réfectoire de simples fèves, plat du Pauvre, & menu de Moine en Carême, il s’exclame en joie : “ Ah? Des fèves? Me voici
bien aise, & d’en manger tout ravi.” Qu’on lui présente un quelconque autre plat : ce, tout aussi bien, il le reçoit avec empressement, heureux de ce qu’il a, de ce qu’on lui donne, & de ce que Dieu lui envoie. Mais celui, à l’inverse, qui toujours se plaint, & qui en toute chose ne cherche que son confort matériel, sa paresse physique & intellectuelle, & sa volonté propre , celui-là, non, vraiment, ne peut espérer d’à sa Mort se Savoir, par ses Frères, en une châsse-reliquaire d’or, avec vénération déposé, & leurs lèvres baisant sa Sainte Dépouille Endormie dans le Seigneur.

“Si les journaux rédigent des pamphlets dirigés contre les célébrités à la vie scandaleuse, & contre les personnes des dirigeants & des responsables politiques, ou des dignitaires argentés qui manquent à leurs devoirs de Charité la plus élémentaire, quand ils n’iraient souffler mot d’un vil S.D.F, ou d’une personne qui compte dans l’Oeuvre du Bien, les sycophantes, eux, & les calomniateurs dépourvus de toute vertu, s’en prennent aux êtres vertueux, & réputés tels, fussent-ils Saints, & qui ne sont dignes, au contraire, que d’estime & de vénération. C’est que le Diable Hait la Vertu, & qu’il a toujours pris les Bons en Haine.”

“Les moines qui se lient à des gens du monde & personnes libres de la société civile, s’ils son parfaits, décroissent en vertu, & s’ils sont imparfaits passent par chutes & tribulations. Sur eux s’accomplit la Parole de David : “ Ils se sont mêlés aux Mortels, & ils en ont appris les oeuvres.” (Ps. 105, 35).

“ Veillons, nous, Moines, à nous garder des souillures de la chair. Celui qui tombe dans un péché charnel, sent clairement que Dieu ne peut plus s’Unir purement à lui. C’est pourquoi un homme qui a commis une grande iniquité, un crime même, trouve encore l’audace salutaire d’entrer dans une église, & d’y allumer des cierges. Mais celui qui a souillé sa chair a mauvaise conscience d’entrer vénérer les Saintes Icônes”.


Son Rayonnement.



L’extraordinaire Figure de Callinique l’Hésychaste, qui brillait sur l’Athos de tant de Charismes & de tant de Vertus, constituait pour la Sainte Montagne une immense Bénédiction de Dieu. C’était, dans ce Désert de Katounakia qui surplombe la mer, comme si se fût élevée là une Haute Colonne de Feu, éminente assez pour épancher & répandre sa Radiante Lumière sur tous ceux qui, sous son halo de Phare, traversaient, tant vaste & agité, l’Océan de la vie.

Combien de personnes vertueuses, & réputées même pour leur sagesse, ne s’inclinaient-elles pas devant sa Supérieure Grandeur d’Elévation Spirituelle?

C’est ainsi que l’Ascète russe Pappa-Parthène, naguère général de l’armée impériale, ainsi que le Hiéromoine Théodose, ancien doyen d’une Faculté de Russie, s’en allaient souvent le visiter. Venait aussi à lui un autre Ermite russe encore, que Dieu avait gratifié du grand Charisme dont Il l’avait jugé Digne : Il advenait, en effet, qu’il embaumât, &, dès son arrivée, les Disciples du Père Callinique s’empressaient au plus près de lui, à fin de mieux respirer l’Odeur Suave de Sainteté qu’il Epandait à ses entours, Fleurant les Parfums de la Rose, tout Embaumante.

Le Père Athanase Le Lavriote, ancien médecin, & de grande renommée, fin lettré de surcroît, à la célébrité duquel avait également contribué le nombre quasi pléthorique de ses écrits, jusqu’auprès duquel, pour lui rendre hommage, s’était même rendu, à bord de son yacht privé, le premier ministre Lemonnier, lequel, accostant au pied du Saint Monastère de la Lavra, lui y avait remis une décoration, décernée par l’Etat français, - cette célèbrité monastique qu’était donc le Père Athanase venait lui aussi, en personne, recevoir les Conseils Spirituels Eclairés du Saint Père Callinique.

Et lorsque le roi Constantin Ier de Grèce, captivé par les édifiantes oeuvres de création littéraire, dans la pure Tradition Monastique gréco-byzantine, du grand écrivain Alexandre Moraïtidis, célébré dans la Grèce entière, résolut de le décorer à son tour, d’un quelconque ordre du Mérite, des Lettres, & des Arts, cet homme si pieux voulut préalablement recevoir, en ce sens, & à cet effet, la bénédiction du Saint Père Callinique. Il écrivit donc à son ancien élève, le Père Gérasime Ménagias, devenu Moine sur l’Athos, de demander à ce propos, en premier lieu, son avis, & de s’enquérir quel était sur ce sujet le sentiment & la position de son Géronda. Et ce ne fut que lorsque le Père Callinique eut donné son accord pour ce faire,
que l’écrivain accepta in fine de se voir remettre l’honorifique distinction royale.

En 1931, le périodique religieux russe, connu sous le nom : “ Le Chrétien”, publiait dans son onzième numéro les célébrissimes “Impressions de la Sainte Montagne”, recueillies par le Père Pantéléimon, alors professeur de théologie à l’Académie Saint Serge, à quelques verstes de Moscou, & qui, en 1912, avait, près de six mois durant, depuis la Sainte Russie parcourue toute à pied, par après, de là gagnant Constantinople, puis la Sainte Montagne, péleriné sur tout l’Athos entier. Il y fait, entre autres fidèles récits artistement littérarisés, mention du Père Callinique, au sujet duquel il s’exprime en ces termes :
“ J’ai fait là connaissance avec un être angélique, réunissant admirablement en sa seule personne la prudence du Discernement & l’Expérience Spirituelle la plus profonde. Il témoigne envers les hommes d’une Douceur, & d’un Amour, sans pareils. Et ce Spirituel Trésor de Richesses, il la dispense d’abondance aux Moines russes venus de Russie lui demander ses Prières & son Enseignement.”

Et, parmi les russes, ce n’étaient pas les Moines seulement, mais les Evêques mêmes qui accouraient aussi jusqu’auprès du Saint Père Callinique, tel cet Evêque Nicolas, qui vint recevoir ses Conseils Spirituels, pour qu’il l’aidât, de son Eclairement En Esprit, à mener à bien sa difficultueuse & délicate oeuvre pastorale.

Tandis qu’il n’était encore que jeune Moine Lavriote - du Saint Monastère de Lavra-, le Métropolite Denys, de la Métropole de Trikkis & de Stagiès, fut jugé digne de visiter la calyve - ce qui est dire la cabane, ou le cabanon - de Callinique l’Hésychaste, laquelle lui faisait office d’Ermitage. Son Géronda, le Père Zosime, l’avait en effet pris avec lui, pour aller au Désert de Katounakia visiter les Ascètes, à cette fin d’en être Spirituellement Edifiés. Long Temps après, Monseigneur Denys parlait encore du Saint Père Callinique le Reclus :
“ Il vous donnait le sentiment qu’il portait en lui l’Esprit Saint, & que la Grâce de Dieu reposait sur lui. Son air en imposait. Son visage était sanctifié...Toute son allure était celle d’un Saint. C’était, de part en part, un Homme entièrement Spirituel, austère & mesuré dans ses Paroles, dont la Pensée, Lumineuse, était
bien celle d’un véritable Ascète...Citoyen du Désert, c’était un Ange dans la Chair...”

Qui, au seul souvenir de cette Grande & Haute Figure Spirituelle, toute Extraordinaire, ne l’eût point gardée profondément empreinte, en l’esprit gravée, comme constituant l’une des plus remarquables Figures Spirituelles, en nos sombres Temps d’Apostasie, jamais encontrées?

Sa Fin Bien Heureuse.


L’été 1930 trouva l’Hésychaste alité. Le Temps de son Départ pour le Ciel désormais approchait. Sa maladie propre ravivait néanmoins avec force dans son Esprit le souvenir de son Saint Ancien d’Eternelle Mémoire, célèbre dans toute la Chrétienté Orthodoxe, le Pappa-Daniel.
Car, la maladie qui, - il s’en souvenait maintenant- avait emporté son Saint Géronda, le Père Daniel, était, curieusement, la même exactement qui le visitait & l’éprouvait à son tour. Seulement, tandis que, pour son Père, elle n’avait duré qu’une quinzaine de jours, pour lui, qui était d’une constitution plus robustement solide, elle devait durer quarante jours.

La nouvelle de cette grave maladie, qui devait s’avérer fatale, affligea grandement les Pères Athonites, dont il était le Consolateur Spirituel, & l’Inestimable Guide. Ils espéraient, néanmoins, de le voir guérir. Hélas! Son état ne paraissait point devoir s’améliorer.

Juillet tout entier se passa. Puis, Août arriva.
Ce nécessiterait plusieurs jours encore avant que ne sonnât le glas,
- l’heure de sa Fin.
La Fête de la Transfiguration approchait, dont la Mémoire, aux yeux de tout Hésychaste, revêt sa signification si particulièrement aiguë de Métamorphose dans l’Incréée Lumière Thaborique. Car ceux seuls qui ont Voué leur Vie entière à la Sainte Hésychia peuvent dans Sa Gloire percevoir la Divine nature de la Lumière Incréée du Christ Transfiguré, & les Transfigurant, comme la Sublimité saisir de la Purification de l’Ame au cours de la Montée Thaborique au travers de la Sainte Ascèse, & le Sens Mystérieux de ces Paroles en eux appréhender, celles mêmes, par l’Evangile rapportées des Saints Apôtres, tombés au sol, renversés face contre terre, par la Splendeur d’une telle Lumière de Grâce Christique devenue Gloire, Sa Gloire aux Hommes enfin Se Révélant : “ Qu’il fait bon demeurer ici. Restons-y. Demeurons. Edifions trois tentes,” etc...- toutes Choses Sublimement Surnaturelles, qui font les Coeurs Vrais de Contrition brisés.
Pour ce Saint Véritablement Déifié qu’était Callinique l’Hésychaste, ce Saint Jour Béni de la Transfiguration fut l’avant-dernier de sa Vie sur la Terre des Morts-vivants.

Le 7 Août 1930, le Saint Reclus allait défaire définitivement enfin, par trop entravants pour l’Ame, les liens de la chair, & dans le Libre Infini du Bleu du Ciel s’envoler devers la Jérusalem Céleste, qu’il avait tant chantée dans sa quotidienne Psalmodie des Psaumes, Jérusalem Céleste, notre mère à tous.

Les dernières Heures de sa Vie furent plus Saintes encore, s’il se puit, que n’avaient été le reste entier de ses jours, de leur digne point d’orgue d’une Vie Angélique achevant le Cours. Une secrète Vision lui donna de comprendre que sa Fin approchait, imminente à présent : S’y donnait à Contempler un cortège de Pères Saints, litaniquement venus à sa Rencontre. Emu de cette Divine Visitation, qu’il avait eue à l’état de Veille, en toute Conscience & Coeur Ejoui, il murmura à son Disciple :
“- Va, mon Enfant, va pour apprêter l’Eglise. Car, vois-tu, les Pères Saints sont Venus me Chercher.”

La Joie, dont cette Visitation reçue en une Vision Sainte avait brûlé tout son Coeur, était indescriptible. Les Saints qui lui étaient si chers, & que, toute sa Vie entière, il avait pris pour Héros du Bon Combat, & pour Modèles à suivre pas dans leurs pas, voici - il en avait, à l’instant, reçu, tangiblement, la preuve palpable- qu’ils ne l’avaient jamais oublié, à toute Heure du Jour & de la Nuit, sa Vie durant, ni ne l’oubliaient point, présentement, maintenant qu’à grands pas l’Heure critique approchait, de sa Mort.
Dix longues minutes, avant que de rendre l’Ame, les mains vers le Ciel élevées, il Contemplait, ébloui, les Glorieuses Figures de ces Saints à sa Rencontre Venus en telle sorte & manière tant Chaleureusement l’accueillir dans la Patrie Bien Heureuse de l’Eternel, & de Sa Béatitude Suave.

“Ah!” murmura-t-il doucement, d’une voix faible laissant échapper les soupirs de son Ame exaltée pour son Christ, & sa Douceur, infinie, “ je Te Rends Grâce pour Grâce, mon Dieu, de ce que, quoique n’ayant en ma Vie entière rien fait de Bon, ni qui Vaille, tu me donnes de mourir Orthodoxe...”

Sur ces mots, il ferma les yeux.
Lui qui, Disent, Saintes, les Ecritures, “avait méprisé, passagères, vaines, viles souvent, les choses de ci-bas, & qui n’avait que furtivement, tel une ombre, sur la Terre, éphémère, comme la Fleur des Champs, passé, mais qui, toujours, était des Choses d’En Haut, Sublimes, Suaves, Ineffables, Amoureux, d’icelles Epris, Librement Captif, demeuré, & citoyen du Ciel”, de Félicité tout empli, Saint Callinique l’Hésychaste, l’Ermite Reclus, en l’instant de cette Heure à Dieu remettait, de Sainteté, son Esprit Saint.

Lorsque, trois années plus tard, l’on rouvrit la terre, pour y déterrer, selon l’Orthodoxe coutume, sa vénérable dépouille, l’on y vit, sur ses os déposée, jaunie, cette douce teinte ambrée, qui dénote, aux Dits Inspirés & Grand Expérience de la Tradition Sainte, qu’ont Reçu les Saints de Dieu l’Insigne Faveur d’Eterne Sainteté.
Ainsi vit-on que ces Saintes Reliques étaient bien celles d’un Authentique Saint de Dieu, qui Son Christique Esprit avait, En l’Orthodoxe Foy, tout Humblement, Fidèle, Reçu.



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