jeudi 28 octobre 2010

SAINT EVÊQUE NICOLAS VELIMIROVIC


VIE DE SAINT PHILARETE L'AUMÔNIER

Traduite de l'Anglais

par d'aucunes Presbytéras de la Sainte Eglise Orthodoxe Universelle
de l'Univers du Monde Habité.



Le Ier Décembre
Eternelle Mémoire de notre Père entre les Saints
Philarète l'Aumônier


TROPAIRE chanté de l'Office de Célébration de sa Fête :

« Dans la Prospérité, tu as épandu

tes matérielles

& Spirituelles Richesses

& Consolé les Pauvres ;

Dans la Misère, comme Job,

tu as Béni le Christ.

C'est pourquoi, ô Bien Heureux Philarète,

t'a Rendu le Roy du Ciel Digne de Ses Biens Eternels ;

Prie-Le d'à nous aussi le Trésor nous ouvrir

de Son Infinie Bonté. »



INTRODUCTION

A LA VIE DE SAINT PHILARETE L'AUMÔNIER



Le Grand Saint Evêque Serbe Saint Nicolas Vélimirovic admirait grandement la Vertu de Générosité de Saint Philarète l'Aumônier, non moins que son immense Compassion pour tous ceux qu'il encontrait. En son grand Livre Synaxaire, enclosant Vies de Saints, Méditatives Pensées, & Homélies, intitulé « Prologue d'Ochrid », le Bien Heureux Evêque Nicolas écrit du Grand Saint Aumônier : « La vertu est pareille à la Soif : Lors donc qu'un Homme commence de Boire, il n'en devient bien vite que plus assoiffé encore, & cherche comment il se pourra toujours désaltérer d'avantage. Ainsi, à celui qui pratique la Miséricorde, est-il continûment, d'Expérience Spirituelle, d'En Haut Révélé combien, indéfiniment, & sans plus de Fin aucune, elle s'Illimite. Aussi Saint Philarète ne fut-il pas moins Généreux dans sa Pauvreté que dans sa Prospérité. &, lors qu'il devint Riche une nouvelle fois, de ce que sa petite-fille épousa l'Empereur, c'est dans la même Générosité qu'il Persévéra sans discontinuer. »

L'Aumône, laquelle est Généreuse Compassion pour le Prochain, a tous Jours été Reconnue, de par tous les Saints Pères de l'Eglise, comme une Vertu non moins Haute, si ce n'est plus Haute que toutes les autres Vertus, comme Fleurs Embaumantes en Couronne Inflétrissable, Imputrescible, & Immarcescible de purs Lys au Jardin des Vertus, en la Chaîne des Vertus indissolublement Liées Ensemble. Saint Jean Chrysostome, en son particulier, pour l'Oecuméné de l'Univers du Monde, lui Chante Hautement une Hymne de Louange qui parcourt tout son Oeuvre uniment. L'Aumône, tonne en Chaire Episcopale Saint Jean Chrysostome, la Bouche d'Or de l'Orthodoxie, nous fait ressembler au Seigneur qui épanche & répand Ses Biens sur les Justes comme sur les injustes. Ainsi aussi fait-il se lever & briller le soleil, & Son Soleil de Justice, le Christ, sur les Bons comme sur les méchants. « Aumône », en Ecrit-il, « a signifiance : « Commisération Compatissante du Coeur Miséricordieux » . « Ainsi est-elle appelée », poursuit-il, « pour ce qu'il n'en faut point priver ceux mêmes qui s'en montrent Indignes. Nous oeuvrerons donc à l'Imitation Divine de la Déité en Donnant à ceux-là même qui forment l'infâme, l'abjecte, & la Démonique Légion des Méchants».

L'Aumône, prononce encore ce grand Patriarche de Constantinople, est fort comparable à l'huile dont oublièrent de se pourvoir les vierges folles. « L'Huyle, » explicite-t-il, est le symbole de l'Aumône. Qu'elles s'en soient départies, & le Salut de ces vierges en devient incertain. Or, qui sont les vendeurs de cette Huyle Embaumante & Bénie? Qui, si ce ne sont les Pauvres mêmes? Voyez-les : Ils Donnent, bien plus qu'ils ne reçoivent. Vous donc, regardez l'Aumône non comme une Perte, mais, tout à rebours, tenez-là un Gain. Ne la prenez point pour une dépense de sur vos biens débitée, mais pour un prêt avantageux, pour votre intérêt créditée. Car, Donnant, vous Recevez plus, infiniment, que vous ne Donnez, Dieu, en son Ardoise du Haut Cyel, vous inscrivant, registré, & tenant compte exact & serré, d'acribie parfaite, & gré sans bornes ni limites de tout Don, fût-il le plus infime, qu'aurez fait sur la Basse Terre. Dès là, que vous Donniez du pain, c'est l'Eternelle Vie En Christ, Céleste, Embaumante, & Béatifique, que vous en Recevez ».

Car l'Aumône, loin qu'elle ne servît qu'à purifier l'âme de ses péchés, en sus, au surplus, & par surcroît, Dit encore le Saint Patriarche Jean Chrysostome « confond, déconcerte, désarme, & défait la Mort même. » & de rappeler l'épisode de Dorcas, rapporté en Actes des Apôtres ( Actes 9, 40-41), cet épisode, donc, dit de Dorcas, du nom de cette Pieuse Femme, que Saint Pierre Ressuscita d'entre les Morts pour ce qu'elle Donnait leur Vêtement aux Veuves. Dès là, en infère & publie Hautement le Saint Archevêque, devenu Patriarche, & puis Poète, Saint Jean Chrysostome, « c'est Parure, Joliesse, & Ornement de l'Ame que l'Aumône, si tant qu'au Jour Redoutable du Dernier Jugement, au Tribunal Divin même, c'est notre Bonne Défense qu'elle assurera devant Christ-Dieu ».

Cette Louange & ce Panégyrique de l'Aumône se retrouve d'égale sorte & en manière pareille en toutes les Vies des Saints Pères.

L'on se souviendra de l'Histoire des deux Frères dénommés « Donnez », & « Recevez ». Voici, d'un mot, quelle elle est :
L'Higoumène d'un Monastère était très hospitalier & fort charitable. De reste, plus il distribuait à pleines mains & donnait d'Aumônes aux Pauvres, d'autant plus Dieu Bénissait, surabondamment, pléthoriquement, & exponentiellement, son Saint Monastère. Las! Il advint nonobstant, après que ce Saint Homme de Dieu fut Mort & Endormi dans le Seigneur, dans l'Attente de l'Universelle Résurrection des Morts, que son successeur à l'Higouménat, infortunément possédé par l'esprit du lucre & d'avaricieuse avarice, & de cupide cupidité, décida tout bonnement, - ou plutôt fort malement, - de supprimer purement & simplement toute Devoir Sacré d'Hospitalité envers les Etrangers, & de couper aux Pauvres tous Subsides, Aumônes, Providentielles Provendes, & Secours Vitaux à tous Besoins & Nécessités leurs de Vie. Aussi, Dieu, dès lors, cessa-t-Il aussitôt de Bénir, Protéger & Secourir son Monastère d'Apostat de l'Amour de Charité du Christ. Dès là que les Moines éprouvèrent, plus outre que le sentiment de la Faim, les cruelles affres & Tortures de ventre affamé en Disette. & c'était à peine aussi s'il leur restait tant soit peu de quoi pour se décemment vêtir hormis de loqueteuses hardes & haillons de toutes pièces rapiécées. Or, il advint encore, sur ces entrefaites, qu'un Vieillard cacochyme & Vénérable s'en vint présenter à la porte du Couvent au Frère Tourier, priant ce bon portier de le bien vouloir héberger, ce que fit ce dernier, quoiqu'en secret, sachant la proverbiale avarice de son mauvais higoumène, partout aux entours de tous connue, & de son supérieur faisant la risée & le chapon de la farce de tous. Aussi fut-ce en toute confidence que lui dit ce Portier : « Bon Homme – car je te vois Homme Bon, & Etre de Bonté, & respirant la Bonté – ne t'afflige ce pendant point de n'être bien reçu. C'est , vois-tu, qu'antan & naguère, le Monastère était fort prospère. Aussi, tous y étaient-ils aussi fastueusement reçus que s'ils eussent été Monseigneur l'Evêque soi-même sen personne. Mais à présent, vois, oui, nous voici si Pauvres devenus que c'est à fort grand difficultueuse peine & labours que nous pouvons, & encore, si peu soit-il, subvenir aux maigres besoins des plus Nécessiteux des hommes de la glèbe ».
A quoi le Noble Vieillard répondit : « Il s'est, las, trouvé que deux Frères ont été chassés & expulsés de ce Monastère. Aussi long Temps que, pour notre Mal Heur, ils n'y reviendront point, ce Pauvre Monastère Infortuné ne connaîtra plus la Prospérité. Or voici quels ils étaient : Le premier de ces Frères se dénommait : « Donnez », & l'Autre avait nom : « Recevez ».
Sur quoi, dans l'instant & présent, le Vieillard, évanoui, disparaissant, s'invisibilisa tout. Frappé, stupéfait, le portier, néanmoins se reprenant, s'en fut sur-le-champ rapporter à son higoumène, comme aux Frères de toute sa Synodie, devant ce dernier assemblés, quelle étrange Vision il lui venait d'être donnée à Voir. Au terme de quoi, tous, avec le plus grand empressement du Monde, se remirent dare-dare à la Sainte Pratique de la non moins Sainte Hospitalité. En raison Surnaturelle de quoi, il ne se passa guère de Temps que le Monastère, déjà, retrouvait, son ancienne Prospérité, tant matérielle que Spirituelle, de naguère & d'Antan, de Surabondante Abondance, Riche à Terre & Cyel, de la Corne d'Abondance Divine sur les Saints de Dieu Prodigalement Epanchée.

Or voici ce que les Pères ont encore Enseigné : Que l'Aumône est une Vertu aisée, qu'il est donné à tous de pouvoir aisément pratiquer, & à ceux sur tout, les âmes fausses, hypocritement chatemites, & superficielles, qui vivent mondainement dans les creuses Vanités du monde inane de l'inanité vide. & ce, pour ce que l'Aumône Efface, fort avantageusement, & peu malaisément, d'innumérables de parmi leurs péchés sans nombre.
L'on entend souvent dire, en effet, par tout, de çà, de là :
« Hélas! Grand Dieu! Mais comment diantre serons-nous Sauvés? Certes, assurément, s'il nous était donné de vivre en un Monastère écarté, ou dans la Solitude affreuse de quelque Désert perdu, eh bien, pour lors, oui, ce serait chose bien différente! Mais voyons, ici, à qui voudrait s'aviser de vouloir seulement rentrer en soi-même, de quel Temps pourrait-il seulement disposer? Du Temps? Mais il n'en est point! Ni du tout tant fût peu nullement! Car, voyez donc seulement : Incessamment, oui, sans cesse, nous sommes dérangés, sollicités, perturbés, tirés à hue & à dia! En vérité, oui : Comment donc pourrions-nous seulement prétendre pouvoir bien être dans le Monde Sauvés? »

A ce pareil discours de telle mauvaise foi, - la pire du Monde, il le faut bien concéder, reconnaître, avouer, à cette fin d'en convenir en Fin -, les Pères ont ceci répondu : D'entrée de jeu, l'Exemple Saint donnant, de leur propre Spirituelle Conduite, l'Aumône à pleines mains distribuant, comme à foison, ils ont posé l'Aumône & l'ont tenue Vertu Parfaite pour entrer au Royaume. Selon leur Juste Sentiment, ceux mêmes qui vivent dans le Monde, au milieu de ses pièges innombrables, leurres miroitants de miroirs & mirettes aux alouettes, que ceux- là mêmes ne sont point d'avantage éloignés du Salut que les Saints Oeuvrant & labeurant, s'échinant, & s'évertuant, au prix des pires peines & labours, à Vivre Saintement en Monastères & Solitudes de Déserts. Ce ne sont point, de fait, Témoignent-ils, au Pur Témoignage de leur Conscience Sainte, tous les soucis du monde en sa quotidienneté qui pour l'Eterne nous perdent, telles Damnées âmes de Réprouvés. Mais ce seul nous perd qui est notre mauvaise volonté de Mal-Voulants &, pis, de Non-Voulants, prématurément ayant la Liberté Assassiné de leur Vouloir Tué. Que donc ce ne sont point, dès là, les lieux, non plus que les honneurs aux hauts rangs attachés des ecclésiastiques dignités qui nous Sauvent, mais la seule Foy droitement Orthodoxe, & les Oeuvres Saintes agréables à Dieu, pour ce qu'en Bonne Odeur devant Lui, Embaumante, Suave, de Sainteté.

Aussi, à qui désespérait d'au milieu du monde trouver son Salut, Saint Niphon fit-il ce Répons : « Sache, mon Enfant, mon Spirituel Enfant, que point ne nous Sauve ni ne nous perd le lieu dit enquel vivons. Mais ce sont les seuls Actes qu'Accomplissons qui le peuvent faire, générer, & produire. De là qu'il n'est nul bénéfice d'avantage à Vivre en un Lieu Saint, non plus même qu'à être Moine, HiéroMoine, ou Prêtre Marié, à qui n'accomplit point seulement les Commandements de Dieu & Préceptes Divins. De fait : Vois : Le roi Saül vécut dans la pourpre, le byssus, & la royale splendeur. Et pour tant, il a Péri. Mais le Roy David, lui, oui, David-Roy, a vécu parmi Resplendance telle & pareille, & il a néanmoins obtenu la Céleste Couronne, Suave, des Saints Embaumants. Lot, pour lui, Vivait bien au milieu même de l'infâme Sodome, & dans cette ville de Perdition fut nonobstant Sauvé. Judas, quant à lui, quand bien même il figura au nombre des Apôtres, lui, le Prévaricateur, de sa Prévarication d'Avaricieux Cupide infecté tout, pour trente deniers vendit son Seigneur ; puis, la conscience, du ver rongeur du dévorant Remords, dévorée, le Diable, Ennemi des âmes, la lui voulant prendre toute, le dévora tout, si tant qu'il s'alla pendre de Honte, désespérément. & ce fut de la Géhenne qu'il hérita, éternellement. Par ainsi donc, qui soutient que, de ce qu'il a pris Femme & eu des Enfants, ne peut ni ne saurait être Sauvé, rien ne fait qu'user de faux semblants, alibis mensongers, & tels & pareils faux-prétextes pour excuser à ses yeux d'hypocrite pervers narcissique sa folie de Trompeur & tous les vices luxurieux de son abjection d'Infâme. Abraham avait bien une Femme & des Enfants, & trois cent dix-huit serviteurs même, sans compter beaucoup d'or & d'argent, & ce tout mis ensemble ne l'a pour tant point empêché de mériter le beau nom d' « Ami de Dieu ». Car, tant parmi les rois que parmi les esclaves, il est, au même titre égalitaire, des « Enfants de Dieu », qui sont Enfants du Royaume. Ainsi donc, Enfants du Royaume du Christ, gardez-vous de vous laisser séduire de par les choses & les basses pensées du monde. &, en quelque lieu que vous soyez, se peut trouver le Salut de notre Seigneur, & se peut accomplir Sa Volonté Sainte. »

De par l'Aumône, en mille endroits divers, au milieu même du monde, toute une multitude de Chrétiens assoiffés de cette Sainte Vertu, qui, redisons-le « confond, déconcerte, désarme, & défait la Mort », se sont, oui, par elle, obtenus l'inflétrissable Couronne Céleste de l'Immortalité Bien Heureuse.

Puisse ce court ouvrage, par les Prières de Saint Philarète l'Aumônier, susciter, faire naître, & donner le jour, au clos du Coeur profonds de tous ceux qui le pourront lire avec les yeux ouverts de par l'Esprit Illuminateur des Ames, tel nonpareil Amour Brûlant pour tout Prochain de Bien Faisante Compassion.

Que soit d'égale sorte remercié le Monastère Orthodoxe de la Transfiguration de Boston, aux Etats-Unis d'Amérique, lequel, avec sa générosité coutumière, nous autorisa de traduire, sur son texte Anglais, par ses Moines élaboré à partir des Textes Originaux Anciens Grecs, Slavons, & Syriaques, de livrer la Traduction Française de la Vie de Saint Philarète l'Aumônier.

Par les Prières de tous nos Pères Saints, Seigneur Jésus-Christ, aie Pitié de nous!



***


VIE DE SAINT PHILARETE L'AUMÔNIER


Ce fut au Temps du Saint Empereur Constantin, fondateur de Byzance-Constantinople-Nouvelle Rome, & de l'Impératrice Irène, au VIIIème Siècle, que Vécut notre Père dans les Saints, Philarète, dit de Constantinople, quoiqu'il fût originaire d'Amnéia, en Paphlagonie, ville située & sise au Sud de la métropole de Gangra. Et « Philarété » - ce qui a signifiance, en Grec, d' « Ami de la Vertu » -, fut en vérité ce Bien Heureux, Philarète, le Bien nommé, tant il fut Amoureux de la Sainte Vertu de Sainteté des Saints. Car il était, en Vérité, tout ensemble Pieux & Vertueux en tous ses Actes. De là qu'il possédait, en Dons de Dieu reçus, d'immenses Richesses, tant temporelles que Spirituelles, lesquelles sont plus Hautes Infiniment, & plus précieuses, - ô combien! - Suréminemment, au point de lui faire oublier, comme négligeables, & mépriser, comme viles, les matérielles. Or, pour tant, il possédait bétail en abondance, - chevaux, troupeau de boeufs, jusques à six cent têtes de bovins, cheptel de moutons, au nombre de douze mille ovins, & d'avantage de biens terrestres encore, champs à foison, vignobles, & terres immenses, à perte de vue, non moins qu'esclaves & fort nombreux servants. Il avait encore de Dieu reçu noble Femme, de haute naissance, répondant au nom de Théosébie, - lequel beau nom a signifiance : « Celle qui Tient Dieu en Haute Vénération », & puis un fils, prénommé Jean, & deux filles encore, Hypathia, & Evanthia, d'une extrême beauté, si tant qu'elles surpassaient en beauté tout le reste des femmes ensemble de ladite contrée. Mais, plus que tout, sur tout, & par-dessus tout, Philarète surpassait tous les êtres de ce qu'il était, de tous autres, l'Homme le plus Charitable qui se pût voir, grand Ami des Pauvres & des Etrangers, & qui, chacun jour, donnait avec grand Largesse à ceux tous qu'il encontrait se trouvant être dans le besoin. Dès là qu'il donnait à manger à ceux que tenaillait la Faim, qu'il distribuait habits & vêtements à ceux qui en étaient dénués, ou allaient presque nus même, prodiguait tout secours aux Veuves & aux Orphelins, allant jusqu'à procurer un toit aux Etrangers sans logis. Il avait en somme, & d'un mot, Compassion de tous, & des plus Nécessiteux même, leur prodiguant tout ce dont ils avaient besoin & nécessité. Il pourvoyait en Dons généreux, non seulement ses proches & prochains, mais tous ses plus lointains mêmes, oui, tous,
en vérité, sans distinction de personne, si tant qu'il était par tout & par tous regardé comme un nouvel Abraham, tant pour sa Vertu d'Hospitalité, que pour sa Mansuétude sans bornes ni limites à l'égard du Prochain.

Si tant que la Bonne Renommée de ce Véritable Imitateur du Christ, de Sa Bonne Odeur le précédant, bientôt, dans l'Asie Mineure se répandit, de par toute l'entière Anatolie. De là que les Pauvres, les Indigents, & les Nécessiteux, de toutes parts, accouraient devers lui, & de sa main recevaient argent, bétail, ou tout autre objet de leur Nécessité. Aussi la demeure de Philarète paraissait-elle telle Fontaine intarissable, dont eussent coulé, à grandes Eaux, toutes choses & tous biens à dessein d'étancher toute soif de ceux que brûlait, desséchante, terrible, impitoyable, & cruelle, la Pauvreté sans Bon Secours de Sainte Providence. Et, plus Philarète Donnait, d'un Coeur Joyeux & tout Amoureux Enamouré de la Sainte Vertu Divine, & plus Miséricordieux lui multipliait le Seigneur ses Biens innumérables, & les Spirituels plus Hauts encore d'En Haut, Surabondants, Mystériquement lui Epanchait.
Mais l'Ennemi du Bien, le Rusé, le Perfide Démon, ne tarda point, de dévorante jalousie, d'envier la Sainte Vertu de ce Bon Homme, & requit de Dieu la permission d'odieusement le tenter, tout ainsi qu'avait antan cet esprit de serpent sans âme, de par mille épreuves terribles, tenté Job le Vénérable.

Et voici à peu près comment le Malin osait s'en prendre à Dieu : « Avec tout le monceau de richesses que possède cet homme, ce n'est point merveille qu'il fasse aux Pauvres l'Aumône », jactait-il. « Mais, allons, voyons un peu : Laisse-le seulement tant soit peu tomber dans la Pauvreté, & l'on saura, oui, je saurai bien alors si, oui ou non, l'on peut dire de lui qu'il est Bon. » Dieu donc, pour changer en or fin le Coeur de Son Servant, accepta que ce dernier fût éprouvé par le Diable, & que son Aimé Philarète fût nonobstant dénué de sa richesse, jusqu'être même privé de tout. Mais, de lui-même, pour tant, le Diable, seul, ne peut rien contre les Protégés de Dieu. Car, le Démon n'a point ni nulle autorité pour faire, sans permission Divine, de Mal à quiconque, puisque, selon l'Autorité, bien réelle celle-ci, - pour ce qu'Inspirée d'En-Haut au Coeur de Ses Saints – de leurs Saintes Ecritures, ainsi qu'il est Parlé en Rois I, 2,7 : « C'est le Seigneur qui fait les Pauvres, & qui fait les riches. Lui seul abaisse, & élève ».

Or donc, le Saint, comme à son accoutumée, faisait l'Aumône, & , pour lot usuel de sa quotidienneté, continuait de pratiquer cette Sainte Vertu, chaque jour distribuant son bétail & tous ses autres biens. Puis, un jour, des voleurs larronneurs & brigands lui en dérobèrent une grande part. De là, en suite de diverses infortunes & tribulations déplaisantes, il en vint à tomber dans un dénuement quasi total. Si tant que bien tôt, il ne lui resta plus guère qu'une paire de boeufs, un âne, une vache & son veau, ainsi que quelques ruches à miel. En telle sorte & manière que, le voyant réduit à la presque Pauvreté, & mis dans l'incapacité de cultiver assez ses champs, les fermiers du voisinage, sans scrupule, honte, ni vergogne aucuns, firent sur ses terres main basse. Aussi s'en emparèrent & s'en saisirent-ils, de certains par force forcée, d'autres, par feintes suppliques, par le seul intérêt dicté de l'esprit du lucre & de cupidité, ne lui laissant plus que la seule maison enquelle il demeurait. Mais le Serviteur de Dieu, dans le tel malheur se son infortune, ne s'affligea point, & n'eut garde même de seulement avoir fût-ce un mot pour se plaindre. Tout à rebours, tel celui, bien au contraire, qui, tout subit, s'enrichit, de tout son Coeur il se prit à s'éjouir de sa Pauvreté, se remémorant des greniers de sa mémoire, ainsi qu'il est Parlé en Matthieu 19,23, les Bien Heureuses Paroles de Christ-Dieu : « Il est fort malaisé au Riche de pénétrer en le Royaume des Cieux ».

Quelqu'un jour, par après, Philarète prit sa paire de boeufs, & s'en fut au labour en un champ qui, par miracle quasi, lui restait. Or donc, tout en peinant & labeurant, dans le Temps, & tout le Temps durant de son travail, & quelque rude qu'en fût la pénibilité, il rendait nonobstant Grâces au Seigneur, lui ayant grand Gratitude de ce qu'il pût continuer jusqu'à ce jour, de par son labeur propre, celui de ses mains, d'à la sueur de son front pouvoir, au jour le jour, gagner son pain, selon l'ancestrale malédiction Divine, au Seuil du Paradis de Dieu prononcée, lorsqu'Adam & Eve, percevant leur nudité de pécheurs devenus, s'allèrent cacher de crainte. Dès là qu'il ImPlorait le Seigneur, jusqu'au terme de ses jours, qu'il lui donnât l'infinie Patience, à ce nécessaire.
Mais, non loin de là se trouvait un autre fermier. Ce pendant qu'il travaillait en son champ voisin, l'un de ses boeufs, tout subit, s'écroula Mort. Il en fut à l'excès affligé, pour ce qu'il était d'autant plus Pauvre que criblé de dettes. Lors, il s'en vint trouver Philarète, dans l'espoir de soulager un petit sa peine, à lui conter son infortunée malchance, espérant du moins entendre de lui quelque Parole consolatrice. Car le paysan n'ignorait point que Philarète ne pouvait, en tout cas, lui être d'aucun secours, démuni & Pauvre comme Job qu'il était. Toutefois, lorsque cet homme miséricordieux, aux entrailles si compatissantes, qu'à l'Image du Christ était Philarète, son Coeur s'émut de Compassion, si tant que, s'en allant détacher du joug l'un de ses boeufs de labour, il le lui Donna. A quelle vue des telles bonnes dispositions de Coeur du Saint, le paysan de la glèbe s'émerveilla grandement, lui repartant :
« Allons! Je sais bien, seigneur, oui-da! que c'est là votre seul boeuf, & que vous n'en avez point d'autre ! Comment donc ferez vous ? par après ce, pour labourer vostre terroir? » A quoi Philarète répondit : « Ne t'inquiète donc pas : J'en ai un autre, à la maison, meilleur encore que cestui-ci. Ainsi donc, ne t'en fais nullement pour moi. Prends-le pour labourer, mais fais vite, seulement, avant que ne l'apprennent ma femme & mes enfants, & qu'ils ne s'en plaignissent. » Sans plus de façons, lors, le fermier prit le boeuf que lui offrait le Saint, & s'en fut en rendant grâce à Dieu & bénissant le Seigneur qui avait eu pour lui tant Magnifique Bonté, Mirable Libéralité, & Généreuse Prodigalité.

Le Saint reprit donc le joug, charriant à soi seul la lourde charrue sur ses frêles épaules maigres, & s'en revint chez lui avec l'unique boeuf qui lui restait, représentant toute la fortune quasi qui lui restait au monde. & lors donc que sa femme s'enquit de lui de ce qu'était devenu l'autre boeuf, Philarète lui conta qu'il s'était, sur l'heure de midi, quelque peu assoupi, ce pendant que le boeuf continuait de paître, & puis que, profitant de ce court moment d'inattention, l'animal s'était malencontreusement en Sur quoi, son fils, fort contrarié, s'en partit à la recherche du boeuf égaré. Mais, le trouvant attelé à la charrue du fermier qui l'y avait attelé, il en devint colère, & lui lança vertement : « Allons donc! Comment as-tu ainsi pu atteler à la tienne charrue un boeuf échappé qui ne t'appartient pas? C'est pour ce que, nous autres, malheureux, appauvris, désolés, sommes en la Misère tombés, qu'à ce point devenus de vous objets de mépris, vous en profitez ainsi tout abusément de nous, & faites main basse sur le peu de bien qui nous reste aussi? ». Mais l'autre lui rétorqua : « Je t'en prie, mon Enfant, ne te mets point en colère ainsi sans raison contre moi ! Car, ce boeuf, vois-tu, oui, sache-le, c'est ton père lui-même, en personne, qui me l'a donné! »

Quoi entendant, le jeune homme, devenu chagrin soudain, s'en retourna chez lui, faire part de l'affaire à sa mère, laquelle, de rage s'arrachant le voile qui couvrait les cheveux de sa tête, courut en larmes invectiver son mari : « Homme dur, impitoyable, qui n'es au vrai qu'un paresseux invétéré! Ah! Mieux vaudrait pour moi que je ne t'eusse point, ni jamais connu! Et pour tant, si pour moi, ta Femme, oui, si à mon égard, assurément, tu ne ressens ni Peine ni Pitié aucune, aie du moins de tes Enfants Compassion ! Comment vont-ils, quant à eux, subsister? Coeur de silex! Rustre stupide! Cervelle de butor! Animal d'esprit étroit & borné! Sous-homme d'une naïveté intellectuelle à faire pleurer les vaches! C'est pour ce que tu ne voulais plus rien faire, ni travailler, que tu as donné notre boeuf! Bon à rien! Feignant! Feignassier! Bête à brouter du foin! Et tu voudrais faire croire que c'est pour l'Amour de Dieu & pour la Charité du Christ, alors que tu ne voulais au vrai plus rien que dormir comme une brute que tu es! » & autres noms d'oiseaux, & telles pareilles douceurs usuelles aux Femmes vives encolérées encontre leur cher & tendre époux quelque peu stupidement hébété. Mais, sous cette pluie d'amers reproches & ce flux d'invectives acerbes, le Bien Heureux Philarète, demeurant imperturbable, comme impassible, & doué de la Vertu Christique, Sublime, de l'Impassibilité, ne répondit rien, pas un mot même, à crainte qu'il ne reperdît, de par quelqu'une inopportune impatience intempestive, la Divine Rétribution de l'Aumône qu'il avait faite au plus Pauvre que lui, & dont il savait, de la Source Sûre & Infaillible des Saints, que Dieu, comme de chacune autre, lui en tenait, sur son Ardoise au Cyel, un compte exact, d'Exacte Acribie Divine, au verre d'Eau près, même, qu'il prodiguait aux Assoiffés du Ciel & de la Terre. Aussi répliqua-t-il simplement à son impulsive femme : « Ne t'afflige donc point, ma Soeur ! Car, sache- le bien : Dieu est Grand! Si Grand, vois-tu, & si SurInfiniment Riche, tant & tellement Immensément plus riche qu'aucun des plus Riches de la Terre, qu'Il nous rend tout au Centuple, & bien plus encore, selon nos Libéralités, Prodigalités, & Vertus nous comblant d'abondance, Surabondamment, &, d'un mot, Exponentiellement. Or donc, vois : De Celui qui Nourrit les Oyseaux du Cyel, peux-tu croire un seul instant qu'Il nous abandonnera, & qu'Il nous laisserait succomber à la Faim lors qu'à Son Imitation Sainte nous avons nourri Ses Pauvres? Cesse donc de t'inquiéter du lendemain. Oui, n'en aie seulement plus cure. Mais Espère En Dieu. Contente-toi de cet Espoir. Contente-t'en. & sois En Joie! Dieu, lors, te Prodiguera, & te Donnera, chacun Jour, tout ce dont tu as besoin, & tant, & plus, indéfiniment, & Infiniment, d'Abondance matérielle, & de Surabondance Spirituelle. & par-dessus tout ce, au surplus, en sus, & par surcroît, Il te fera Don de l'Eternelle Vie Bien Heureuse des Saints du Ciel ! »
Près d'une semaine plus tard, lors, d'Infortune, que le second boeuf du fermier paissait au champ, cet esprit bovin mangea des herbes empoisonnées. Dont il en Mourut. Quoi voyant, le paysan prit l'autre boeuf, celui que lui avait donné Philarète, &, saisi de scrupule, le lui vint rapporter, marmonnant : « Allons, mon bon seigneur, voyez, je vous rends votre bien, pour ce que ce sera par ma faute, pour sûr, & que ce dut être bien grand péché, aux Yeux de Dieu qui nous Voit, - je savons bien, allez! qu'Il Voit tout, de reste -, oui, Hurlante, que je vous le prisse, & Criante Injustice, Hurlante même, que je dus commettre, à léser ainsi vos enfants, du fruit du travail de glèbe, & blé dur d'un boeuf de labour vôtre. De quoi, j'en suis sûr, n'en doutez point, Il n'a pas toléré mon manque de sagacité, à vous prendre votre avoine. Et c'est pourquoi voilà qu'Il aura fait Mourir raide votre bestiau aussi, comme l'autre d'avant ! » Mais Philarète l'apaisa sur-le-champ : L'encourageant à garder ce sien boeuf qu'il lui avait déjà donné, il lui fit don du lot, pour finir, d'un coup, de tout se désembarrassant, & désentravant, lui Donnant Tout, le sien Tout, le Tout, en Fin, ajoutant même l'autre, le dernier, l'ultime, le seul boeuf qui lui restait encore, & le confortant au surplus, par manière de consolation : « Voyons : Ne t'en fais pas. Prends donc seulement aussi cestui-là, & retourne-t'en travailler la terre. Car j'ai bien cette intention ferme seulement que de partir au loin, là-bas, pour une contrée lointaine, où, sais-tu? Ce bien boeuf ne me sera plus d'utilité aucune. Non, plus n'y aurai de rien besoin. Allez! Va! »
Fort ébaubi, retournant son couvre-chef entre ses grosses mains sales, crasseuses, terreuses, ledit métayer, comme étourdi, d'éblouissement, reprit la voie de sa terre, tout s'éjouissant en chemin de la libéralité prodique d'un si Généreux qu'il fallait bien qu'il soit ou fût, un Saint sur la Terre des Pauvres, d'un Fol, pour sûr, d'un Fol-En-Christ, assez fou pour Donner encore quand même en pleine Misère il était si tout subit tombé. & dire qu'il trouvait encore moyens de faire l'Aumône ! & se ramentevant bien que c'était sûrement aussi cela qu'un Saint, il s'éperdait, confondu, d'admiration béate, au grand soleil froid d'hyver.
& ce pendant, dans l'entre-Temps, à la Maison de Philarète, ses enfants, copiant leur mère, se tordaient les mains, l'un à l'autre complaignant, de rage & de désespoir lamentant :« Hélas! Trois fois hélas! Pauvres de nous! Qu'a-t-il fallu que nous vivions avec ce pauvre vieux demeuré mental, cet insensé, cet imbécille, qui ne pense jamais à rien, & moins que du tout rien jamais à sa propre famille! Oui, nous avions beau être Pauvres, nous possédions du moins encore, pour notre unique consolation, cette vieille paire de boeufs, en sorte qu'ils nous gardassent, pour peu de Temps assez, un petit de tout-à-fait Mourir de famine fatale. » Sur quoi, survenant, le Saint Vieillard oyant, les conforta, paisible : « Ne vous affligez donc pas! Car voici: Ecoutez-moi : J'ai, quelque part, de l'argent bien caché – oui, une somme telle, mieux que sonnante & trébuchante, si tant, que si vous restiez même cent ans entiers, dormant, sans travailler, sortis d'esclavage, lors même, vous auriez encore de quoi d'abondance, plus qu'à suffisance, magnifiquement vous vêtir & nourrir! Oui, c'est bien cela, oyez : Sachant par avance qu'allait la Pauvreté tout soudain subit nous frapper, & comme sauterelles en champ & Misère sur le monde des riches s'abattre, alors, j'ai eu cette idée d'avant ce Temps vendre quelqu'unes de mes têtes de bétail, & j'en ai de côté resserré bien tout l'Argent! » Il leur dit ces naïves Paroles, d'apparence si folle que stupide, avec une assurance rare pour tant. Mais la Vérité était bien que, tel un Prophète devenu, du Don doué de Voir à l'avance, il Voyait déjà, devançant l'Horizon des Temps à ses Yeux de Voyant s'ouvrant, s'éployant, de lui connus dés jà,parfaitement, de par la Grâce du Saint Esprit Parfait, ce qu'il en devait advenir dans la suite des Temps.

Or, en ces jours-là, un impérial décret fut par tout en tous lieux de terre d'empire par forces trompettes promulgué, qui, par force forcée, sonnait & sommait les soldats de s'en aller au loin, là-bas, tout là-bas, faire la guerre aux Agaréniens à la contrée lointaine. Mais, un Pauvre soldat, que l'on nommait Mousoulios, avait sombré dans la Misère totale, si tant que rien plus ne lui restait, qu'un sien cheval étique, bourricot rétif, & son fer de lance aigüe. Et puis ne voici-t-il pas, tandis que tous, à grand hâte se livraient sur le tas à d'idiots affreux exercices militaires improvisés de brutes bidasses mal dégrossis, qu'il fallut encore que l'haridelle du Pauvre infortuné, naguère encore soldat de cavalerie, reçût un mauvais coup, & tout subit, comme bête, croulant, la poussière mordant, Mourût. Quelle ne fut pas, lors, la détresse de Mousoulios! Que grande! qu'indescriptible! Si tant qu'il ne s'en eût pu trouver un de parmi tous ceux aux entours pour la seulement pouvoir peindre. Bref, il pleurait. C'est, comprenez bien, amis, qu'il n'avait seulement point d'Argent pour s'en acheter un autre. Il l'eût bien voulu pour tant! Ce n'était pas cela. Mais, dit le proverbe, l'Argent est le nerf de la Guerre. Il eut, toutefois, comme cela, soudain, la lumineuse idée d'aller voir le renommé Philarète, - le Bien Heureux que l'on sait, (- Il en a été parlé dés-jà-), le réputé si mirablement Généreux. Dès là, il le supplia qu'il voulût bien lui prêter le sien, en place du Mort Trépassé, crevé, pour un peu de Temps seulement, jusqu'à la fin dudit entraînement burlesque, en sorte & mode de n'être point trop tout autant mal traité, mal conduit, mal commandé, & mal mené par son chef qu'un fantassin pédestre courant à pied, de vile piétaille.

Le Saint, d'un regard, d'un seul de ses Yeux Clair-Voyants, ayant toute son entière détresse estimée, jaugée, & jusqu'au tréfonds du bon homme sondée, bien volontiers, sur l'instant, voulut bien, assurément, lui Donner son sien cheval, par ainsi le confortant : « Tiens! Prends-le! &, tant qu'il vivra sans crever ni Mourir, garde-le Bien ! & que Dieu, sur tout, dans tous tes Combats, te Protège! » Mousoulios, se le tenant pour dit, soulagé soudain, prit pour argent comptant ce beau cheval de Saint qu'on lui Donnait ainsi, sans ciller, sans broncher, ni sans plus de façons ni manières, & s'en alla son chemin de destinée de vie, n'oubliant pas toutefois d'en route Glorifier d'au tant le Bon Dieu qui le lui avait, par Son Saint, comme cela, tout bonnement, bêtement, Donné.

Un autre Pauvre homme, quelqu'un autre jour, s'avisa d'à son tour venir voir le Saint, dont grandissait la réputation de Grand Donateur & Généreux Donneur, le priant purement & simplement qu'il lui Donnât un veau, en sorte & manière qu'il pût commencer de se constituer un cheptel. Car, par le fait, tous savaient dés jà que les Dons du Saint avec eux apportaient outreplus d'immenses Bénédictions du Cyel. En sorte, chaque fois, que, lors qu'il se voyait de par Saint Philarète l'Aumônier prodiguer un Don, cestui Don, comme se démultipliant, lui en conférait d'autres, & de grandes choses, & tant & telles, que s'en augmentait & s'en accroissait tout son bien, le matériel, & sur tout, plus encore, Infini, le Spirituel.
..................................................................................................................

***


SAINT PERE JUSTIN POPOVIC





VIE DE SAINT SERAPHIM DE SAROV



Libre Traduction du Grec moderne, par Presbytéra Anna,
d’après l'original du Saint Père Justin Popovic,
sur le texte de la traduction du Serbe, établie par Vassiliki Nikolokaki,
aux Editions du Jardin de la Mère de Dieu Toute Sainte,
Thessalonique, 1983.


Tous droits réservés.
A paraître aux Editions de l’Age d’Homme.
www.l’agedhomme.org



TROPAIRE
de l’OFFICE CHANTé de SAINT SERAPHIM :

Dès ta jeunesse, ô Bien Heureux Séraphim,
Tu as Aimé le Christ.
Pour Lui, tu es parti au Désert,
A fin de Lui plaire par la Prière,
L’Ascèse, & la Contrition du Coeur.
Toi, le Comblé de la Grâce Incréée du Saint Esprit,
Elu de la Mère de Dieu Toute Sainte,
Prie pour le Salut de nos âmes!


LIMINAIRE


Le Saint Père Justin Popovic, Théologien Orthodoxe de renommée mondiale & internationale, marqua fortement son époque, notamment au titre de Professeur de Théologie à l'Académie de Belgrade en Serbie, berceau Orthodoxe de l'ex-Yougoslavie actuelle. Il y contribua à l'Edification Spirituelle, & à la formation Orthodoxement Théologique d'une génération & plus de Prêtres & de Théologiens Orthodoxes.

Ses principales Oeuvres Spirituelles, incluent un Traité de Théologie Dogmatique, intitulé : « Philosophie Orthodoxe de la Vérité »,
cf (Saint) Père Popovic, Justin : Théologie Orthodoxe de la Vérité. (V volumes).

(Ed. de l'Age d'Homme),

& une Vie des Saints en douze volumes, ces Vies d’Hommes Illustres, pour leur majeure part, n’étant point encore traduites du Serbe, hormis cette Vie de Saint Séraphim de Sarov, publiée infra, (-ci-dessous-), sur l’Internet, & à paraître à l’Age d’Homme :
cf ( Saint) Père Popovic, Justin : Vie de Saint Séraphim de Sarov,

ce tout, donc, constituant une véritable Somme Théologique de premier ordre, absolument, d’importance première, & Fondamentale, préciosissime pour le Patrimoine Spirituel Chrétien, & figurant au premier chef, parmi les Oeuvres du Panthéon - lequel signifie étymologiquement “ Demeure de tous les dieux (de l’Humanité)” des Saints Pères de l’Eglise Orthodoxe.

Son attachement indéfectible, inviolable, & invincible, à la Doctrine Orthodoxe des Saints Pères de l'Eglise lui valut d'être interdit de se voir attribuer de hauts postes à responsabilités, dont ses Ecrits Inspirés montrent pourtant assez clairement qu'il avait l'étoffe & la stature pour les assumer avec brio.

Sa Défense de l'Orthodoxie, Ardente & Héroïque, dont il redit après Saint Paul qu'elle constitue le Dépôt Intangible & Inaliénable de la Révélation Divine & Christique, le fait figurer au nombre des Saints Moines Zélotes. L'Orthodoxie, Religion du Christ-Vérité, étant Persécutée par les innumérables Persécutions du Diable, qui Hait la Vérité, il fut assigné à résidence, à l'âge même de quatre-vingts ans, au Monastère de Tchélié, près de Valiévo, en Yougoslavie. Là, jusqu'à sa Dormition dans le Seigneur, & sa naissance au Ciel, il desservit avec zèle un petit Monastère voisin de Saintes Moniales, dont il fut l'Aumônier, & le Saint Moine & Père Archimandrite.

Dans la tourmente des idées fausses & dépravées qui gagne la société moderne, & met en péril toute tentative d'Action Spirituelle, le Peuple Orthodoxe Serbe ayant été récurremment Génocidé, dans l'Histoire sanglante des Crimes contre l'Humanité, pour ses appartenances à la Vraie Foy Orthodoxe du Christ, ses Hommes Péris, toute la fleur des jeunes gens tombés, tous ses jeunes Fidèles Tués & Massacrés, ses Enfants Atrocement Torturés à Mort dans les camps croates des catholiques & bosniaques musulmans, les Moines dans leurs Monastères & les Fidèles dans leurs Eglises bombardés, fussent-elles bondées, & surtout l’étant, la Sainte Nuit même de la Veillée Pascale, par les démoniaques puissants de ce monde, qui, de par leurs actes criminels, se sont eux-mêmes auto-diabolisés à la face de ce même monde, le Vatican, & l'Europe occidentale ayant, en l’origine & la perpétration de ce conflit une part de responsabilité immense & éhontément sans pareille, devant le Tribunal de l’Histoire, & devant celui, surtout du Dernier Jugement du Christ, le Saint Père Justin Popovic s'affirma toujours, dès avant même les pires heures de ces circonstances scandaleusement Tragiques, comme le Sauve Gardien de l'Orthodoxie, sa Vigile Priante, & son héroïque Figure de proue, n'hésitant pas à faire face avec la plus vaillante fermeté d'Ame aux membres de l'église officielle d'Etat, dont certains collaborent avec les puissants, pratiquent, partout dans le monde, la politique oecuméniste de la défiguration de l’Orthodoxie en l’infiltrant du cheval de Troie du papisme jusque dans ses églises Orthodoxes, & sur les terres de l’Orthodoxie, en Roumanie, en Ukraine, en Grèce, jusqu’au coeur du Mont Athos, Jardin de la Mère de Dieu, & fief de l’Orthodoxie naguère encore totalement Orthodoxe & Zélote, mais dont les Saints Patriarches, Evêques, Théologiens, Prêtres, & Moines Zélotes sont à ce jour assassinés ou déportés aux asiles, & déclarés malades mentaux, puis remplacés par de pseudo-évêques formés au Vatican, prêchant en pleine basilique “orthodoxe”, sur l’ambon & les marches de l’autel, l’Hérésie de l’oecuménisme, invitant les fidèles abusés à prier pour “notre saint père le pape”, - ce qui ne s’est jamais ouï, &, ne se saurait jamais ouïr, étant chose inouïe, inaudible, & inacceptable, en quelqu’une Eglise Orthodoxe que ce soit-, faux-évêques, qui, aux termes de la Théologie & de l’Ecclésiologie Orthodoxe, eussent dû être aussitôt immédiatement déposés que prêchant semblable hérésie, escortés de faux-prêtres collaborateurs, placés en “sous-marins papistes” en ces églises par le fait devenues uniates, &, partout dans le monde, totalement latinisées, uniatisées, & catholicisées, sous le nom de “religion catholique grecque orthodoxe”, destinée à abuser la crédulité du Peuple Orthodoxe, & à maquiller de la dénomination & du titre d’Orthodoxe une religion catholique s’avançant masquée, célébrant sous les dehors du rituel liturgique Orthodoxe les louanges de la papauté qui oeuvre, jusqu’à adopter des conduites génocidaires, & n’oeuvre plus, en matière d’Orthodoxie, qu’à détruire radicalement, exterminer, & néantir l’Orthodoxie de l’intérieur, tout ce faux-clergé, loup sous le costume du mouton, tout ce beau monde, donc, se revêtant indûment du beau nom de pasteurs du Christ, n'hésitant pas à livrer les secrets de confessions & à collaborer à la Déportation toujours récurremment réitérée de puis des Siècles, & en France même, aux Asiles Psychiatriques néo-nazis du gouvernement, ou autres Camps de la Mort, de leurs Patriarches, Evêques, Prêtres-Martyrs, Pères Théologiens, & Intellectuels, mis en “ Invalidité Mentale”, sous les yeux de leurs Fidèles abusés.
La scandaleuse & effroyable gravité des Persécutions infligées par le Diable & ses sataniques suppôts à la Sainte Eglise Orthodoxe, tant en Serbie que partout ailleurs dans le monde, conduisirent, à diverses reprises, le Saint Père Justin Popovic à faire appel, pour la Défense de la Sainte Cause Orthodoxe, à la Conscience Orthodoxe universelle, voire à la Conscience générale d'Autrui, & du tout-venant des Ames de Volonté Bonne.

Aussi, l'Oeuvre Sainte du Saint Père Justin demeure-t-elle toujours actuelle, étant Eternelle. Sa sûre réfutation de l'esprit scholastique hérétique, qui avait étendu ses ravages jusque dans les terres Orthodoxes de la Sainte Russie, au XIXème siècle, nous restitue, pour nous le rendre pur &brillant, le joyau de la Sainte Orthodoxie du Christ, qu'avait terni des spéculations pseudo-théologiques étrangères à l'Eglise Orthodoxe.

Saint Zélote de la Foy Transmise par les Saints Pères, nous devons à la Main Inspirée du Saint Père Justin Popovic de brillantes réfutations de l'oecuménisme, qu'il taxait, avec raison, de Pan-Hérésie, & considérait avec justesse comme « la plus grande Hérésie de tous les Siècles ».
Ayant Vécu la Vie Sainte de Vaillant Défenseur de la Vraie Foy Orthodoxe, & mené le Bon Combat d'Héroïque Confesseur de la Sainte Orthodoxie, le Saint Père Justin Popovic quitta ce monde éphémère le Jour de la Fête de la Sainte Annonciation, le 25 mars 1979.


ETERNELLE EST SA MEMOIRE !

Par les Prières de notre Père Saint, Justin, Seigneur, Sauve Ton Peuple Orthodoxe
& Ton Spirituel Héritage, l’Orthodoxie,
& Bénis-nous!
AMIN.


Feu Père Patric Ranson,
Saint Martyr de l’Eglise Orthodoxe,
& son épouse & veuve, Presbytéra Anna.




***



AVANT-PROPOS



La Vie des Saints est, avec l'Ecriture Sainte, la première lecture du Chrétien Orthodoxe, le prolongement naturel de l'Evangile, & part de la Lecture Divine Inspirée faite par les Saints de l'Eglise Orthodoxe, lisant, Vivant, & se mouvant En l'Esprit de Sainteté. Les Saints sont, en effet, l'Evangile vécu, accompli, dans l'Expérience de la Vie Divino-Humaine du Christ, perpétuée de génération en génération.

Aussi, la Vie des Saints est-elle, pour les Orthodoxes, la véritable Encyclopédie, celle des Vertus Divines, celle de la Prière, celle des Dogmes pour lesquels les Saints Pères ont lutté, celle de la Confession de la Foy Véritable.


Les Saints ne vivent pas hors de l'Histoire, comme d'aucuns se l'imaginent parfois naïvement. Ils sont, tout au contraire, au premier chef de ceux qui font l'Histoire. Ils sont les Pédagogues Inspirés de chaque génération, & c'est autour d'eux que se développe la Vie Authentique de l'Eglise. Ils sont les Illuminateurs du Peuple des Chrétiens, car ils ont fait l'Expérience de la Grâce Divine, &, pour les plus grands d'entre eux, de la Gloire Divine, à eux Révélée, de la Lumière Incréée.

Jamais les Saints ne manquent dans l'Eglise de Dieu, mais, il advient parfois qu'ils demeurent obscurs durant leur Vie terrestre, parce que le Peuple Chrétien, ne cherchant plus la Perfection Spirituelle, ne possède plus comme critère de Discernement, comme Mesure de la vie privée & publique, la Révélation Divine, en sorte qu'il ne sait plus les reconnaître pour tels, & que s'il venait à en côtoyer un, il ne s'aviserait pas même qu'il s'agît là d'un Saint, s'abritant derrière son Extrême Humilité, ayant atteint à « l'Akra Tapeïnosis » – « l'Extrême Humilité » - du Christ en Croix.

…....................................................................................................................
Que la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit sur la Presbytéra Anna, qui a traduit ce Livre. Elle a donné à son premier fils le nom de Séraphim, en l’honneur & Mémoire du grand Saint de Sarov, l’immense Starets Séraphim, qui ne cesse de Prier pour nous tous, Fidèles Orthodoxes, qui le vénérons, & d’opérer pour nous Miracles & Prodiges. C’est à ce petit Séraphim, que, pour son Entrée dans l’Eglise, au quarantième jour de sa naissance, Saint Ambroise de Paris, à bout de bras le portant, éleva dans ses mains, en pleurant d’émotion lui faisant faire le tour du Saint Autel. C’est à ce petit Séraphim que ce Livre est dédié. Puisse le nom de ses Pères Saints être le programme de sa Vie En Christ.

Amin.
Père Patric Ranson.


Feu Père Patric Ranson,
Proto-Prêtre, & Père Théologien,
Saint Martyr de l'Eglise Orthodoxe.






***












CHAPITRE UN










SAINT (PERE ARCHIMANDRITE) JUSTIN POPOVIC


VIE DE SAINT SERAPHIM DE SAROV


(1759 -1833)


Saint Séraphim, le Starets de Sarov, naquit dans la ville russe de Koursk, de parents pieux & aisés, Isidore & Agathe Mosnine. Le 19 juillet de l’année 1759, il reçut, avec le Saint Baptême, le nom de Prochore. Son père était marchand, &, bien qu’il brûlât pour la maison de Dieu d’un zèle ardent que rien ne pouvait éteindre, la mère de l’enfant dépassait encore son époux en piété & en oeuvres bonnes. A l’âge de trois ans, Prochore perdit son père. Sa pieuse mère, demeurée son seul pédagogue, lui montra la voie de la Foy Chrétienne Orthodoxe, & l’édifia Spirituellement dans l’Amour de la Vie En Christ.

Dès sa plus tendre enfance, il fut manifeste que s’exerçait sur le Bien Heureux une Protection Divine toute particulière, se manifestant par les effets tout merveilleux agis de par la Providence à son égard, en manière qu’en toute chose elle le secourût, Surnaturellement, en sorte qu’il apparaissait clairement, dès à l’avance, que cet Enfant Béni serait quelque jour instrument d’élection de la Grâce de Dieu. Il arriva donc que, devant veiller à la construction d’une église, dont son époux avait posé les fondements, & qui achevait de se construire, sa mère fit monter avec elle, au sommet du clocher, le petit Prochore, alors âgé de sept ans. Mais l’Enfant, soudain, par mégarde, glissa dans le vide, & fut précipité du haut de la tour jusques en bas. Agathe, épouvantée, descendit quatre à quatre l’escalier du campanile, s’effrayant que son fils n’eût fait une chute mortelle. Mais - ô stupeur & joie!-, voici que le petit se tenait debout, sain & sauf. C’est ainsi que, sur l’Enfant plein de Grâces, s’accomplissaient les Paroles de l’Ecriture : “ Les maux ne t’atteindront pas, & les fléaux n’approcheront point de ta tente; car Il ordonnera à Ses Anges de te Garder dans toutes tes voies. Ils te porteront sur leurs mains, de peur que tes pieds ne heurtent contre une pierre.” ( Psaume 90, versets 10-12).

Son instruction commença vers l’âge de dix ans. Bientôt, le petit garçon posséda à fond la langue Slavonne - le Slavon étant le Vieux-Russe Liturgique - des gens d’Eglise, laissant transparaître au grand jour le brillant de son esprit, & l’agilité de son immense mémoire, tandis que, dans le même temps, il se parait aussi de douceur & d’humilité. Il advint cependant, incidemment, qu’il tomba si gravement malade, que les siens désespérèrent de le pouvoir sauver. Il était en danger de sa vie, lorsque la Toute Sainte Mère de Dieu, tout subitement, lui apparut en songe, qui lui promit de le guérir lors d’une prochaine Visitation qu’elle ne manquerait pas de lui faire. Et, de fait, il fut fait selon sa Parole. Se fit, en effet, à Koursk, une procession à la Vierge dite de Znamenska, dont l’Icône était réputée Miraculeuse. Et, véritablement, elle l’était. Comme la pluie avait détrempé le sol qui n’était plus que boue, & raspoutitsa, le cortège, coupant au plus court, vint à passer aux abords de la maison de Prochore. La pieuse Agathe se hâta de descendre dans sa cour avec l’Enfant, en manière que le petit malade pût vénérer l’Image Sainte. Incontinent après, il fut notoire que l’Enfant avait recouvré son entière santé.

L’on le vit dès après quoi s’adonner à l’étude avec la plus grande ardeur. En sus de l’Ecriture Sainte, il lisait, pour le Salut de son Ame, une foule de Livres Spirituels. C’est ainsi que, brûlant pour Dieu d’un Amour de Feu, en cet âge tendre, il s’abîmait En Esprit, déjà, dans la Méditation des Divins Mystères.

Toutefois, son frère aîné, qui était marchand, voulut entreprendre, peu à peu, de l’initier au négoce. Or, bien loin que cette besogne n’attiédît dans sa Foy dévorante le Coeur brûlant de Prochore - car il ne lui était plus guère loisible, désormais, d’assister en semaine à la Liturgie- il ne se passait toutefois pas de jour, presque, - tant son Ame était désireuse de gagner un Trésor Spirituel, qui ne pût, par essence & nature, ni s’altérer ni tarir-, qu’il ne se rendît à la Maison de Dieu pour l’office des Mâtines, quelque tôt & matinal qu’il fût. Et, lorsque c’était Dimanche ou Fête, il se plaisait éminemment à l’Etude des Livres Divins. Aussi n’était-il pas rare qu’il fît à haute voix la Lecture pour ses compagnons de jeux. Le plus souvent, néanmoins, c’était en Solitaire, & dans le plus profond Silence, tout plein de Dieu, que le jeune Lecteur d’Eglise prenait à sa tâche le plus vif plaisir.

Sa dévote & pieuse mère avait bien deviné, à part soi, ce que désirait intérieurement, & secrètement, l’Ame de Prochore. Elle n’y était, du reste, du tout point hostile. Et, lorsque le pieux jeune homme fut dans sa dix-septième année, il résolut fermement de renoncer au monde, & d’embrasser la Vie Angélique que constitue la profession monastique. Mais il n’eut garde d’omettre d’au préalable prier sa mère qu’elle voulût bien bénir ce voeu si cher qu’il formait de mener la Vie de l’Homme Nouveau En Christ. Ce à quoi se rendant, elle lui fit dans le même temps don d’une croix de bronze, qui le pût protéger à Vie, sa Vie durant, & dont il ne se sépara jamais plus.

Après qu’il eût donc résolu d’ainsi quitter le monde, le Bien Heureux se rendit en premier lieu en Pèlerinage à la Laure de Kiev. Il y rencontra un Reclus, lequel répondait au nom de Dosithée. Discernant d’emblée en Prochore le vaillant Ascète du Christ qu’il allait devenir,& que Dieu l’appelait à être, l’Ermite Clairvoyant & Visionnaire l’exhorta de gagner le Désert. “ Va, Enfant de Dieu”, lui dit-il, “ et, si tu veux être Sauvé, demeure désormais au Saint Monastère de Sarov. C’est en ce lieu dit qu’avec l’Aide de Dieu, tu feras ton Salut. C’est là aussi que tu achèveras ton Exil sur la terre. Le Saint Esprit, le Trésor des Bons & Donateur de Vie, te mènera dans tes voies jusques à la Sainteté.”

Prochore, ne manquant point de se rendre au conseil du Starets, auquel son Charisme de ClairVoyance conférait, sur toutes choses, de si grandes Lumières, fit le voyage jusqu’au Couvent de Sarov. Là, il fut reçu avec Amour par le Père Pachôme, qui en était l’Higoumène; - ce qui est dire le Supérieur-. C’était un Homme Doux & Humble de Coeur qui, Jeûnant & Priant, pliait son être à si rude Ascèse, qu’il était pour ses Frères un Vivant Exemple, toujours proposé à leur Imitation. Il ne tarda pas à discerner en Prochore son heureux naturel. &, de bonne grâce, il accepta de le compter au nombre des jeunes Moines à l’obéissance, dits “hypotaktikoï”. Le plaçant sous sa gouverne, il le confia donc à un Ancien, le HiéroMoine Joseph, qui joignait à ses fonctions celle d’économe du Monastère. Mis à l’obéissance de ce père, Prochore, dès lors, s’acquittait avec zèle de tous ses canons de Prière, de ses “typika”, & de ses diverses diaconies, lesquelles allaient de la confection du pain ou des prosphores à la corvée du bois. A ces tâches s’ajoutait encore cette autre diaconie, celle du soin de veiller à l’entretien de l’église. Bien loin de demeurer jamais sans ouvrage, il prenait soin de se tenir toujours occupé, à dessein de briser de fatigue son corps. Sa visée intentionnelle était, s’ expliquait-il de ce faire exténuant, de se par tous moyens garder & de s’absolument préserver du vice de l’Acédie, tentation redoutée des Saints Moines, qui les plonge tout soudain dans un dépressif abattement, se traduisant par une morose totale inaction, épreuve insidieuse qu’il regardait tant comme incapacitante que comme se pouvant éviter à qui s’en savait vigilamment prémunir par un travail intensif au labeur jamais démenti, occupant le corps non moins que le psychisme, en sorte de les garder sains & aptes à combattre les pensées mauvaises que tâchent incessamment le Diable & ses suppôts à venir instiller en l’esprit distrait du Moine omettant de demeurer précautionneusement Vigilant, à la Garde des Pensées assidu, discernant en chacune des pensées s’apprêtant à pénétrer son Coeur si elle était de Dieu ou du Diable, par le Discernement exercé & rompu à les accueillir, si Divines, ou se devant d’avec la dernière Force les repousser, si du Diable. Aussi enseignait-il plus tard, dans la suite de sa Vie Spirituelle, appris à si magistrale Ecole de Vie, & par son Expérience Spirituelle instruit, qu’il n’était, au fonds, pour guérir l’Acédie dépressive, d’autre issue, ni remèdes autres que la Prière du Coeur, le Silence profonds, la Parole mesurée, la Sainte Ouvrage physique & intellective, l’Etude Inspirée En Esprit de Sainteté de la Sainte Ecriture, la longue Patience, Vertu Longanime, & la Constance indémentie dans la Lutte Spirituelle devenue seconde nature de Ferme & Vaillante Pugnacité Pacifique. Car ce malheur de l’Acédie s’abattant soudain sur le Moine comme un Mal sur sa proie, n’était là, in fine, selon le Bien Heureux, qu’“ un mal évitable, né de l’indolente paresse, de la lâche pusillanimité, de la fainéante négligence, & du vain bavardage, débitant ses sornettes & autres fausses maximes mondaines.”

A l’église, dès lors qu’avait retenti la simandre, & sonné les cloches marquant l’heure de l’Office, il demeurait immobile, en Prière, tel un Saint Stylite droit Priant sur sa colonne. Le service achevé, il aimait à se retirer en sa cellule, pour s’y livrer à quelque diaconie - tâche monastique- que ce soit, ou à quelque ouvrage manuel que ce fût qui, s’il lui tenait les doigts occupés, lui laissait l’esprit libre de vaquer & s’appliquer tout à son aise, Divine, à la Prière du Coeur, cette Prière de Jésus qu’est l’incessante Invocation du Nom Sacré du Seigneur Jésus Christ, consistant à répéter la Sainte Formule Sanctifiante apprise du Saint Apôtre Paul, & des Saints Pères de l’Eglise : “ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi”, ou, par manière d’abrègement : “ Mon petit Christ - Christouli mou, (en grec)-, aie Pitié”, alternativement répétée avec la Prière à la Mère de Dieu : “ Très Sainte Mère de Dieu, Sauve-moi”, ou “ petite Maman, sauve-moi” - “ Manoula mou, soson mé” - (en grec), jusque Sainteté s’ensuivît. Car c’était bien cette Sainte Prière du Coeur, - que dit le débutant en paroles, &, intérieurement en esprit, & qui, chez les Saints est dite être Mystériquement descendue dans le Coeur, leur seconde nature devenue, naturellement, de jour, comme de nuit, palpitant la Prière,- c’était, comme chez tous les Saints, cette Sainte Prière du Coeur que Saint Séraphim, tous jours, gardait présente à l’Esprit, comme au plus profonds enfouie du clos de son Coeur, battant.
Et, il émanait de sa Sainte Prière une Force telle, que sa Puissance suffisait à repousser les assauts de l’Ennemi des âmes. - C’est- à- savoir le Diable-.

Cependant, comme il ne trouvait pas à Sarov le calme paisible de l’Hésychia dont il eût souhaité d’y jouir, à l’imitation de certains Ascètes de la Communauté Cénobitique - Monastique-, qui, avec la Bénédiction de l’Higoumène, après quelques années de cette vie de Monastère, fuyaient ses hauteurs pour s’enfoncer dans les bois, en quête d’absolue Solitude, à son tour il demanda au Père Joseph, son Ancien, de Bénir le dessein qu’il avait formé d’à la première occasion se retirer dans la forêt profonde, afin de s’y adonner au Saint Hésychasme, qu’est la Pratique Silencieuse de la Prière du Coeur, Sainte Prière des Hésychastes.
De surcroît, à la Prière, il alliait encore l’abstinence & le jeûne : Le mercredi & le vendredi, il ne prenait du tout aucune nourriture. Le restant de la semaine, il se contentait, pour son ordinaire, d’un seul & unique repas la journée, à l’heure de none - où se dit l’office de none, ou de la neuvième Heure, ce qui est dire trois heures de l’après midi-, ainsi qu’ont accoutumé les grands Moines, selon les dispositions austères de leur dure & difficultueuse Règle.

Tous, déjà, nourrissaient Amour & Vénération pour cet Ascète extraordinaire, dont ne pouvaient plus désormais demeurés cachés, quelque profonde que fût son Humilité, les exploits ascétiques, d’une Ascèse si haute qu’elle ne connaissait nulle discontinuité, au point de plonger Autrui en une stupeur plus grande que l’on n’eût su dire. Les Anciens Pachôme & Joseph lui vouaient cet Amour & cette fiance tout particuliers, comme l’on en voit chez les pères pour leur enfant de chair & de sang.
Or, un événement survint, au cours de l’année 1870, qui, de façon éclatante presque, rendit plus manifestes ce respect & cette admiration dont, uniment, les Moines de la forêt de Sarov honoraient le jeune athlète du Christ. Car Prochore se vit affecté d’une pathologie qui lui fit tout le corps enfler, au point qu’en proie à ce mal soudain, qui se traduisait par d’atroces douleurs, il demeurait sans pouvoir bouger ni esquisser un mouvement, immobile, sur l’inconfortable planche qui lui servait de lit, plus que rudimentaire. Hélas! Nul médecin à la ronde, ni point de remède quelconque, prompt à le soulager. C’étaient là les signes funestes d’une grave hydropisie, dont, trois longues années, il fut affligé. Il fut donc près de deux ans sans su tout se pouvoir lever. Tout ce temps durant, pourtant, pas une plainte ne s’exhala de sa bouche. Il s’était, Corps & Ame, tout entier remis à Dieu, à son Christ Seigneur, & à l’Esprit de Grâce de sa Providence. Simplement, il Priait sans cesse, comme le Psalmiste baignant sa couche de larmes.

Aussi long Temps que dura la maladie de Prochore, son Père Spirituel, qui lui était aussi le plus précieux des Guides, le servait, à ses côtés se tenant tout comme s’il eût été un simple Moine à l’obéissance, en cela imité des Anciens, dont était le Père Isaïe. A son tour secondé par d’autres Frères, ce dernier l’assistait du même zèle attentif, patient, & bienfaisant. L’Higoumène, point davantage, ne quittait son chevet. A la fin, pourtant, celui-ci, craignant pour la vie même du malade, lui soumit avec insistance son dessein d’aller faire quérir un médecin. Mais, le Bien Heureux déclina cette offre compatissante, refusant avec fermeté cet éventuel recours aux lumières d’une science positiviste, dans l’exercice duquel les médecins, enflés d’orgueil, se prenaient trop souvent pour Dieu le Père Soi-même. “ Père Saint”, repartit-il, “ en ce qui me regarde, je me suis voué à notre Seigneur Jésus Christ & à sa Très Pure Mère. Si votre Amour y consent, donnez-moi pour Viatique de la Vie Eternelle & celle de ci-bas, le Céleste Remède qu’est la Divine Communion.” Sur cette requête que lui adressait par ces fermes Paroles le jeune Saint Moine - requête dont l’objet béni n’était pas sans lui assurer un plaisir moindrement vif qu’à ce dernier-, le Père Joseph se mit en Prière. Ce fut à l’origine d’une Veille qui se prolongea la Nuit entière, pour ne s’achever qu’au petit matin, en une Divine Liturgie où les Frères assemblés ne cessaient de prier pour cette Ame de douleur au Corps souffrant. C’est ainsi qu’il fut donné à Prochore, toujours alité, de se confesser & de communier aux Purs Mystères du Christ. Et voici qu’aussitôt après qu’il eût reçu la Divine Communion, la Toute Sainte Mère de Dieu, soudain, en une Sainte Visitation, dans une indicible Lumière, lui apparut.
Les Saints Apôtres Pierre & Jean le Théologien lui faisaient cortège. Alors, tournant vers ce dernier son Visage tout Divin, elle lui désigna Prochore : “ Celui-ci”, lui dit-elle, “ est de notre Race choisie & nation Sainte.” Et, sur sa tête, elle appuya sa droite. Dans le même instant, l’eau, telle un fleuve, qui lui emplissait le corps, commença de jaillir, d’une incision spontanément ouverte sur sa jambe droite. Bientôt, il guérit tout-à-fait, & il ne lui resta plus, à jamais marquée sur le corps, que l’entaille que lui avait laissée la plaie d’où l’humeur putride, en sanie, s’était écoulée.

A quelque Temps de ce Miraculeux Prodige, Prochore fit élever, sur le lieu même de l’Apparition de la Vierge & Visitation de la Très Sainte Mère de Dieu, une église haute de deux étages, &, non loin de là, sur l’emplacement même de sa cellule, il fonda un hôpital monastique. Chargé par l’Higoumène de rassembler les fonds nécessaires à l’édification, au surplus il confectionna, de ses propres mains de charpentier, un autel en bois de cyprès, destiné à orner la partie basse de la chapelle. En Mémoire de ce Miracle, qui avait sanctifié ce lieu, ce fut cette église même qu’élut, par prédilection, Saint Séraphim, pour y communier jusqu’au dernier jour de sa Vie sur la Terre; car il désirait, chaque fois, se remettre en Mémoire l’immense gage de Miséricorde Divine Infinie, qui s’y était manifesté à ses yeux, signe que Dieu le prenait en Pitié, & sur lui exerçait les bienfaits d’une Providence sienne toute particulière.

Après qu’il eût vécu huit années à l’obéissance au profonds du Désert de Sarov, Prochore fut jugé digne, le 18 août 1786, dans la vingt-huitième année de son âge, de recevoir, avec la tonsure monastique, le nom nouveau de Séraphim, dont la signification de Séraphin réfère à ces Anges aux six ailes, dont deux servent à leur couvrir la face, deux les pieds, & deux le reste du Corps, en signe de Respect & de Vénération pour le Grand Dieu à la Face duquel ils se tiennent, devant Son Trône chérubique & séraphique, avec les Chérubins, mais d’une Prière au Feu plus Ardent encore, incessamment célèbrent la Gloire Divine, dont le signifié de “Séraphim” aux lettres de Feu toujours à son esprit rappelait ce Service Angélique, cet Oeuvre Saint, & cette Diaconie de Feu, que ces Anges Saints, Purs Ineffablement, sans répit, cesse, ni discontinuer, devant l’Eternel & Seigneur accomplissent. Ainsi la seule mention de son nom de Moine à tout instant ravivait, s’il en eût été besoin, son Saint Zèle & son Enflammé Désir de Servir Dieu, incessamment raffermissant son Vouloir. Lors, redoublant de luttes, & ses peines, il désira de vivre une Hésychia plus parfaite encore. Car, déjà, il commençait de s’abymer dans l’intérieure Contemplation de cet Abyme qu’est Christ.

Une année se passa. Au mois de décembre de l’année 1787, le Saint fut ordonné Diacre. De ce moment, & près de six années durant, il ne cessa plus de célébrer la Sainte Liturgie. Intensifiant ses labeurs & combats ascétiques, il Vivait En l’Esprit, selon que s’en exprime le Saint Apôtre & Divin Paul en Romains 12, 11, de l’Amour Divin, à son Grand Exemple, consumé tout.
Les veilles de Dimanches & de Fêtes, sans accorder nul repos à ses paupières, il passait la Nuit, jusqu’à l’heure des cloches sonnant la Liturgie, dans la ferveur d’une brûlante Prière. Après l’Office Divin même, il était longtemps encore à rester & demeurer là, sans vouloir plus quitter l’église. Il faisait mine d’avoir à s’y affairer, &, de fait, y veillait à tout, attentif, & scrupuleux, à ce que les objets sacrés fussent remis en ordre, & que le sanctuaire demeurât immaculé. Mais, nonobstant tous ces soins, le Bien Heureux séraphim ne se ressentait pas presque de ses peines, & n’eût pas même vu l’intérêt de s’un peu reposer, tant qu’il n’était point rare qu’il en oubliât le manger & le boire. Puis, lorsque la nature, en fin, le contraignait de céder à quelqu’un repos nécessaire, il s’affligeait alors, & grandement, de ce qu’il n’est point donné aux hommes de pouvoir sans répit aucun Servir leur Dieu, tels des Anges terrestres.

Et c’était à grandes enVolées maintenant que, sur l’Echelle Sainte des Vertus, en Haut s’infléchissant vers la Contemplation Divine, que s’élevait, à presque s’envoler. Lors, le Seigneur, comme répondant à son Zèle Ardent & Saint, Se découvrit à lui quelque peu, par endroits soulevant le Voile des Célestes Mystères, en de Mystiques & Mystériques Révélations. Venues à lui, aux entours telle une Douce Rosée l’afraîchir en ses Luttes ardues, elles lui ménageaient, suaves, incomparables, un réconfort inestimable, incomparablement, ineffablement. S’y abymant, le Saint, qui, de par ses luttes oeuvrait, peinait, & travaillait à purifier son Ame pure, toujours davantage s’y apurait, peu à peu acquérant une Tempérance parfaite, & le seuil repoussant, éloignant, surélevant, en exaltant les Montées Spirituelles, de la constante Elévation En Esprit, de grâces En Grâce, enquelle il obtenait, par maîtrise Spirituelle, de tenir, s’y maintenir, &, delà, d’ascendre son Ame. Tant, qu’il lui advenait, - de certaines fois, en plein Office même-, de Voir l’église peuplée d’Anges Saints, qui, fort semblables à de splendides jeunes gens, parés d’ornements somptueux, tout de blanc vêtus, où couraient des fils d’or, Resplendissaient d’entre les Frères, Suréminemment, néanmoins concélébrant avec eux, entremêlant à leur Psalmodie litanique des Chants Ineffables, à nulle mélodie terrestre pareils, du monde les plus Mélodieux. Lorsque le Saint, plus tard, se ressouvenait de l’Indicible Joie, incomparablement plus Suave, plus Puissante, & d’une Intensité de Bon Heur nonpareille, qu’au Coeur lui mettaient, tout entier l’y abymant, tout son être plongé, d’elle comme sur les Ailes de la Contemplation SurElevé, ces Célestes Apparitions, c’étaient, tout naturellement, les Paroles du Psalmiste, en le Psaume 21,15, qui, de ce Coeur éJoui, lui montaient aux lèvres : “ Mon Coeur, comme la cire, a fondu”. Et l’excès même de cette Joie dont se trouvait gonflé tout & dilaté son Coeur, était cause qu’il ne se pouvait plus, soudain, de rien se souvenir, hormis qu’il avait bien dû entrer en l’église devant que d’en pouvoir sortir.

Un jour de la Grande & Sainte Semaine - c’était le Grand Jeudi-, une Sublime Vision fut octroyée au Saint, au cours de la Divine Liturgie que célébraient avec lui les pieux Anciens Pachôme & Joseph. - Tous deux, en effet, se plaisaient en l’attrayante compagnie du jeune Moine, plus douce qu’un miel au palais se goûtant, délicieusement. D’autant que les unissaient à lui les liens d’un Amour En Christ toujours plus profond, mêlé d’une admiration sincère pour cet Ascète qui possédait du Spirituel une Expérience propre si consommée déjà. Cette Visitation d’En Haut lui advint soudain lors de la petite Entrée Liturgique, après que Saint Séraphim se fut rituellement écrié, d’un cri jailli du clos du Coeur profonds : “ Seigneur, Sauve les Ames Pieuses!”. Lors, au sortir des Portes Royales, il devait vers l’Assemblée des Fidèles élever sa main soutenant le pan de l’étole, sur son ornement croisée. Dans l’instant qu’il s’écriait, chantant, ces mots : “ et aux Siècles des siècles !”, une Immense Clarté l’enveloppa tout, comme de rayons du soleil irradiée. Levant les yeux, Saint Séraphim Vit le Seigneur Jésus Christ qui, sous l’Humaine forme du Fils de l’Homme, Resplendissait d’une Indicible Lumière. Telles des abeilles en nuées là essaimées, les Puissances Célestes lui faisaient Glorieusement Cortège. Et le Visité de Dieu voyait aux entours se presser les Anges, les Archanges, les Chérubins, & les Séraphins. Le Christ-Dieu s’était avancé par la porte s’ouvrant au fond du sanctuaire. S’arrêtant devant l’estrade qui, devant les Portes Royales, constitue l’ambon, Il éleva les mains, à cette fin de bénir l’ensemble des Célébrants, & le Peuple des Fidèles qui Priait avec eux. Puis, tout aussi subitement qu’Il était apparu, Il sembla comme rentrer, pour y sitôt disparaître, dans l’Icône qui, sur l’Iconostase, touchait aux Portes Royales. L’Ame du Bien Heureux fut alors inondée toute d’une Joie Divine, plus Forte encore en intensité que toute Joie qu’il eut jusqu’alors connue. Baigné lors aussi d’une infinie Douceur, son Coeur se reprit pour le Seigneur de plus d’Amour que jamais, ce pendant qu’il ne pouvait, pour sa part, ni bouger ni proférer un mot. Bien des Fidèles comprirent qu’il avait été l’objet d’une Stupéfiante Vision, mais nul ne pouvait pour autant assigner à l’Evénement Surnaturel sa nature précise, exacte, & singulière. De là que deux HiéroDiacres s’approchèrent lors de lui, qui menèrent Saint Séraphim dans le sanctuaire, où il fut deux heures immobile à la même place, sous l’emprise si forte de ce qu’il lui avait été donné de Contempler. Seul son visage changeait, subissant de continuelles Transfigurantes Métamorphoses. D’une blancheur de neige, d’abord, l’on voyait, l’instant d’après, s’y épandre comme une vive couleur de Rose. Les Anciens, Père Pachôme & Père Joseph, crurent d’abord à quelque trouble d’ordre physique , à quelqu’un malaise physiologique, ce qui n’eût rien eu que de fort naturel un jour de Grand Jeudi Saint, après un si long Jeûne de quarantaine, - le Grand Carême durant quarante jours-, surtout si l’on songeait aux rigueurs extrêmes dont, dans l’excès de son Zèle, l’Ascète, tout au long du Grand Carême, déployait les privations & les austérités. Mais ils durent bien vite se rendre à l’évidence : Sans nul doute s’agissait-il d’une Vision, ou d’une Visitation. Aussi, lorsque Saint Séraphim, comme redescendu d’En Haut, & de la Contemplation de ces Mystériques & Mystiques Hauteurs, eut repris tous ses sens, les Anciens s’empressèrent-ils de s’enquérir de ce qui avait bien pu faire l’objet de sa stupeur, sur l’objet de sa Vision, le Temps suspendu, étonnée, arrêtée. Lui, lors, plein d’une Douceur & d’une Fiance Enfantine presque, leur conta le Prodige qui s’était offert à sa Vue. Eux, toutefois, qui avaient l’expérience de la Vie Spirituelle, l’avertirent qu’il se gardât de tout orgueil, & ne laissât point insinuer en son Ame la délétère pensée, fatale à l’Humilité, qu’il avait désormais trouvé Grâce devant Dieu. Et, bien qu’ils gardassent son récit dans leur Coeur gravé, ils ne découvrirent à personne l’Extase Sublime qu’avait Dieu octroyée au Bien Heureux Séraphim. Or, ce dernier, après qu’il eût été par ainsi Visité du Haut des Cieux, loin d’en rien tirer vanité des Saints Charismes Spirituels dont l’avait doué Dieu, ne fit rien autre qu’en sa modestie coutumière s’abymer & Sainte Humilité davantage. De fait, Sachant Bien qu’était l’ Humilité Sainte le Secret de la Gloire, c’est Fort de cette Puissante Humilité qu’il montait “de gloire En Gloire”, ainsi que s’en exprime le Psaume - ( Ps. 83,8)-, & que de ces Spirituelles Montées en livre, au IV° Siècle à tous Jours, la Divine Exégèse l’immense Saint Grégoire de Nysse, d’entre les Pères Cappadociens. Et, tandis que, toujours aussi, il s’exerçait au blâme de soi, “portant sa Croix”, comme l’enjoint Christ, (en Luc 14, 27), à son Imitation Sainte, il progressait dans la Voie droite, pour ce que droitement Orthodoxe, en toute Fidélité à la Vraie Foy, & Fermeté d’Ame inébranlable dans ses certitudes de par Expérience acquises, ayant fort Grande & entière Assurance devant Dieu qu’Il exauçât ses Prières. Il entreprit lors de rechercher, pour Prier en plus grande recollection, plus concentrée, de ses Puissances, une Hésychia plus parfaite toujours. Aussi était-ce plus souvent désormais qu’on le voyait s’enfoncer au coeur de la forêt de Sarov, où se cachait son Ermitage, qu’aux regards curieux il dérobait. Ses journées, pourtant, de la blanche aube du petit matin, jusqu’à la tombée du soir crépusculaire, il continuait de les passer au Monastère. Il y était, là, de tous les Offices, dans l’intervalle desquels il s’acquittait encore de son canon de Prières, & de ces diaconies monastiques, que sont les tâches à chacun dévolues en propre, & lot commun de la Vie cénobitique. Mais, toutefois, sitôt le soir venu, c’est dans la solitude de sa cellule qu’il se retirait, à dessein, Solitaire Ardent, Vigile du Désert, & sa figure de Proue avancée, d’y nuitemment Veiller, assidu, n’étant plus qu’à celle seule Oeuvre Divine voué, fervemment dans la Prière abymé.

L’an de Grâce 1793, Saint Séraphim, qui avait atteint la trente cinquième année de son âge, fut ordonné HiéroMoine. De ce temps, chaque jour, comme auparavant, mais avec un Amour toujours plus ardent, il communiait, dans la Foy Droitement Orthodoxe & la Crainte de Dieu, aux Saints & Divins Mystères.

Quelque Temps plus tard, Saint Séraphim, s’essayant à une Ascèse plus grande encore, par volonté délibérée, s’éloigna jusques au sein du Désert, dans le retrait d’une solitude plus que jamais profonde. Toutefois, il avai, pour ce faire, attendu jusques après la dormition de son Higoumène Bien-Aimé, le Bien Heureux Pachôme, qui, peu avant sa Bien Heureuse Fin, avait béni le désir du Saint de se mortifier en la sorte. Lors donc qu’ayant sur son cercueil versé d’amères larmes, il eut accompagné son Ancien jusqu’à sa demeure dernière, le jeune Séraphim s’était rendu auprès de l’Ancien Isaïe, - que ses rang & fonctions d’Higoumène désignaient pour devenir, en lieu & place du défunt, son nouveau Père Spirituel-, & il avait sollicité sa Bénédiction, pour cet exercice nouveau d’un vivre plus périlleux encore. Lors, laissant derrière soi son premier Monastère, Séraphim gagna ce Désert profonds qu’il avait élu pour y établir son domicile, en quête de l’Hésychia parfaite. Pour sa cellule, il avait repéré, perdue au coeur de l’impénétrable forêt, le site d’une colline sauvage, s’élevant aux abords des rives du fleuve Sarovka, à quelque six ou sept kilomètres de là. Il s’y ménagea donc une simple cabane boisée de rudimentaires rondins. N’y logeait qu’une piécette lambrissée de planches, avec, pour tout mobilier, un simple poêle à bois. Entour son Ermitage, le Saint Père Séraphim entreprit de cultiver un jardinet potager. Par la suite, il y installa même une ruche d’abeilles à miel. D’autres Ermites, aux entours, se trouvaient également mener la Vie Solitaire. Toute la campagne environnante, entrecoupée de collinettes, que venaient piqueter çà & là des bois épais, fourrés, halliers, & Grottes disséminées, peuplées chacune de Saints Ascètes, n’était pas sans rappeler étrangement les sauvages beautés du Mont Athos, Jardin de la Toute Sainte Mère de Dieu. Aussi le Saint baptisa-t-il sa nouvelle résidence du nom programmatique de “Sainte Montagne”. L’on trouvait encore au hasard de ces bois maints autres endroits propices à la Vie Erémitique. Séraphim les dota donc d’appellations prises aux Saints Lieux, aussi diverses que Jérusalem, Bethléem, Jourdain, Torrent du Cédron, Golgotha, Mont des Oliviers, & Thabor : C’était à fin, par tout & en tout lieu, d’évoquer, de sensible sorte, & sur le mode le plus saillant & le plus aigu qui pût assaillir la mémoire, en sorte que cette oublieuse se le pût le plus aisément remémorer, vénérables, les impérissables, mémorables, & immémoriaux instants qu’avait ci-bas Vécus le Sauveur. Sa Vie qu’il avait, de toute la force entière de sa volonté pleine, vouée à son Christ & Seigneur, Saint Séraphim la passait, du reste, à lire & relire sans répit, en une Lecture Divine Eclairée par l’Esprit de Sainteté, le Saint Evangile du Maître. Et, pour y goûter plus de plaisir encore, chaque fois qu’il venait au lieu éponyme, de même nom que celui d’en les Ecritures relaté, il s’y donnait lecture des moments -phares évangéliques. C’est ainsi qu’au Jardin de Bethléem, il Psalmodiait l’Angélique
Doxologie qu’incessamment chantent au Dieu des Hauteurs les Puissances Angéliques : “Gloire à Dieu dans les Hauteurs, Paix sur la Terre aux Hommes qui L’Aiment, Bien Veillance parmi les Hommes.” Sur les rives du fleuve - qu’il égalait, identifiait, & rejoignait aux rives mêmes du Jourdain-, il entendait En Esprit la Voix criante au Désert, de Saint Jean le Baptiste, proclamer que l’on se hâtât de préparer les Voies du Seigneur, & confesser son indignité propre, & sa crainte avouer qu’il eût à Baptiser son Seigneur, aux chevilles duquel il n’arrivait point. Quant au Sermon sur la Montagne - c’est dire l’Homélie des Béatitudes-, c’était sur la collinette sise aux abords du fleuve qu’il avait accoutumé de les dire. Sur quelqu’une autre éminence, qu’il désignait pour lui représenter & lui être le Mont Thabor de la Transfiguration, il participait - en la présence supposée, devenant réelle, des Saints Apôtres- à la Gloire Thaborique du Seigneur Transfiguré sur le Thabor.
S’enfonçant au coeur du bois le plus touffu, il se remémorait la Prière de Pleurs de Sang au Jardin de Gethsémani, &, bouleversé jusqu’au tréfonds de son Ame par la tant douloureuse Agonie de son Seigneur Dieu, il Priait dans les larmes pour son propre Salut. Enfin, au lieu dit par lui Mont des Oliviers, il Contemplait En Esprit la Gloire de l’Ascension du Christ, & de Son Siège à la Droite du Père Céleste.


***

Le Saint portait continuellement le même habillement grossier - si vilain qu’il eût pu paraître à la vue des chichiteux, des riches, des snobs, qui, par bonheur, ne peuplent point le Désert des Solitaires-, sa vêture n’étant jamais composée que d’une vieille tunique usée, à la blanchâtre couleur passée, de toutes pièces rapiécée, flottant sur un corps dont il ne laissait pas même deviner les formes, cependant qu’était sa tête coiffée d’un vieux kalymafque bosselé, en tous points déformé. Pour réchauffer, de ses mains crevassées, l’hiver gelés, ses doigts bleuis, il ne possédait qu’une vieille paire de gants de cuir tanné. Ses jambes s’enveloppaient de peaux, ayant, plus que de bas, semblance de bandes bandagières. Il ne chaussait ses pieds que de rudimentaires tsaroutes, ne leur offrant point même de bottes par temps de gel & de raspoutitsa boueuse. Sur sa soutane trop courte pour lui, se détachait la Croix, pendant au bout d’une simple chaîne des plus ordinaires, qu’avait à son cou, pour don béni, passée une mère laissant, comme à regret, la gorge nouée, le coeur serré, s’en partir pour le Monastère un fils très aimé. A son épaule, se suspendait une besace grossière, dont il avait usage à resserrer son pauvre nécessaire, se résumant, réduit, au seul Saint Evangile : Ce singulier paquetage avait dessein de lui remémorer ce fait, en Matthieu (11, 30) figurant, préconisé, de n’oublier jamais qu’il se devait, à Vie, de demeurer soumis au joug salutaire, & si doux, du Christ, qu’il avait choisi d’à tous Jours porter. Outre plus qu’il Priait sans cesse, le fervent Ascète du Seigneur partageait encore son temps entre la Psalmodie, la Lecture des Livres Saints, & les peineux labeurs destinés & voués, de fatigue, à briser, tout, le corps.

Les jours de froidure intense & de gel, Séraphim, empoignant sa hache, tronçonnait troncs & branchages, puis, amassant feuillage, bois sec, & menu petit bois de fagot, il en faisait un grand feu clair, & large, aux flammes hautes, dont quelque peu se réchauffait son humble cellule. A la belle saison, il travaillait au jardinet, qu’il cultivait de ses mains, y faisant croître légumineux & végétaux, dont, pour l’essentiel, se composait son ordinaire. L’été, au contraire, tandis qu’au dehors régnait, écrasante & moite, la canicule, à l’étouffer, il s’en partait gagner les marécages. Il y cueillait là quelque pontique herbette, qu’il faisait servir à fumer sa terre. Et c’était nu quasi, ayant la vertu de nudité sainte atteint, érémitiquement, qu’il entrait en ces marais malsains, ceint seulement d’un linge grossier entour ses reins. Aussi les moustiques & tous nuisibles insectes, voire mortels, quels, en ces eaux croupies, pullulaient innumérables, l’y dévoraient-ils tout d’autant, si tant que son corps, souvent, s’en enflait, n’étant plus bientôt qu’une plaie, auxquelles collait le sang. Pourtant était-ce de son plein gré, & tout délibérément, pour l’Amour de son Christ, que le Divin Ascète s’infligeait telle épreuve cuisante, s’en éjouissant même, selon qu’il avait, dans la suite des temps, lui-même accoutumé professer : “ Il faut que les passions nocives & mauvais affects se passent, à la racine même extirpés, de par les seules peines & tribulations ce se pouvant, fussent-elles volontaires, de par soi voulant suscitées, ou par Volonté exprès de la Providence de Dieu ménagées”. Ainsi donc, l’on eût dit que sa personnalité même se plaisait à se délibérément à tels maux soumettre, tant il oeuvrait, s’acharnant, au travail sur son Ame parfaire, pour l’entière & sûre purification d’icelle. Lors, sur ces eaux putrides se baissant, & l’échine courbant, il cueillait cette herbe des marais qu’avons dite, en usait pour fumure, puis, après qu’il avait semé les sablons à germiner, & son potager arrosé, il en arrachait, s’escrimant, l’ivraie, comme l’on fait de son âme, toute mauvaise herbe, mortelle, comme ciguë, travers mauvais, & passion fatale, l’en extirpant sans merci. Ce qui n’empêchait, dans le même temps, tout à la récolte de ses légumes frais, qu’il ne se lassât point de rendre Grâce à Dieu, sa Sainte Joie de Vainqueur des passions exultant, en ces Hymnes sacrées, toujours, qu’il avait sur les lèvres. Et, de ces Hymnes pures, il affraîchissait son Ame, & son Esprit restaurait, qu’il tenait, l’Elevant ainsi, fort dessus ce pénible monotone labeur, dont son corps se brisait tout.

Séraphim, au reste, était doté d’une mémoire singulière, qu’il avait, dans son âge le plus tendre, aux Saints Offices exercée, auxquels il se plaisait de dévouer sa Piété, qui ses objets en faisait d’Amour & de Prédilection. Il savait donc par coeur une foule nombreuse d’Hymnes Liturgiques, qu’il aimait de Psalmodier, cependant qu’il travaillait à la terre, dans la solitude dense de son jardin, de Sa Prière habitée, d’Entretien avec Dieu. Ses familiers, d’entre les rares qui avaient eu cette chance de le pouvoir en son Désert approcher, remarquèrent uniment, non sans en être frappés, combien ces divers Hymnes étaient en concordance parfaite, chaque fois, avec le tout de son ouvrage, & de son Oeuvre Saint, toujours s’harmonisant aux lieux divers &modes variés de son Ascèse une & diverse. Surtout, sans cesse il reprenait, comme en boucle, certains Chants dont il était tout particulièrement épris, tel le Théotokion, qu’aux Vêpres du Samedi, l’Eglise entonne en l’honneur de la Mère de Dieu, qu’il regardait comme la Protectrice toute Particulière de sa Solitude Sacrée. Il prisait aussi tout spécialement le premier Antiphone des Anavathmi - ce qui est dire “montées” chromatiques, métaphorique analogon des Montées Spirituelles que gravissent les Saints devers la Perfection.- Il les chantait plutôt dans le Ton un :
“ Pour les Solitaires du Désert,
qui Vivent hors de la Vanité du monde,
le Désir de Dieu est Ininterrompu ”;
duquel les Paroles, dépeignant l’Intérieure Vie En Esprit de l’Ermite, enFlamme l’Esprit du Désir des Choses Mystériques & Divines. Il s’enthousiasmait encore, ayant Dieu en lui, & Le Portant en son Ame, pour ces Hymnes qui élèvent l’Esprit du Coeur de l’Ame jusqu’à cette grande Oeuvre d’Amour qu’est la Création entière de l’Univers du Monde & de l’Homme Créé. Il Psalmodiait lors l’Hirmos de la IIIème Ode du Canon de la Résurrection du Ton trois : “ Tu as tiré du Non-être toutes les Créatures. Tu les as structurées par Ton Verbe, & parachevées par Ton Esprit.” Ou bien cet autre Hirmos, celui de la IIIème Ode du Canon de la Résurrection du Ton 5 : “ Toi qui as posé, par Ton seul Ordonnancement & Voulant Vouloir, la Terre pesante dans le vide”...

Par ainsi, c’est au prix de mille peines & d’incessantes Prières, cependant qu’à son jardin travaillant, à ses ruches, à son petit bois, qu’il entreprenait d’avancer en la Vie Spirituelle, & de s’avancer si avant dans la Contemplation de ses Spirituels Mystères que, sans qu’il y prît garde, souvent, les outils venaient à lui échapper des mains, qui les laissaient d’inadvertance tomber comme pierre en un lac sans fonds ; dans le même instant, sur son lumineux visage s’attardait un air, étrange, de profonds recueillement, quel, en son regard flottant, y laissait comme un lointain Reflet des Merveilles qu’au secret du Coeur lui Soufflait l’Esprit. Et, tandis qu’en la sorte descendait le Saint en les profondeurs de son Ame, dans le même temps, de parmi elles ressurgissant, comme du fonds de l’Infini, d’icelui tremplin enquel il eût rebondi, il s’élançait, soudain s’Elevant, En Esprit, jusque vers les Hauteurs du Ciel, & là, paisible, immobile, en l’état abymé de Contemplation, de ce que lui y donnait à Voir Dieu, il demeurait, comme suspendu, toujours immobile, entre Ciel & Terre, dans la Contemplation Divine. Et, s’il advenait, qu’en ces instants de Sublimité Heureuse, d’adventice il se trouvât quelqu’un, pour venir à à ses entours passer, lors, confus qu’il eût comme violé son Hésychia Bien Heureuse, en celle Solitude Bénie, aussitôt, bien vite, sans mot dire, & sans oser l’interrompre en son Indicible Stupeur, il l’y laissait à loisir en goûter le Suave, & s’en éJouir, ce pendant, pour lui, promptement, passant son chemin.

Tout objet qu’il voyait, toute chose qu’il avisait, tout ouvrage auquel il s’appliquait, s’offrait au Saint comme l’occasion qu’il dirigeât en Haut les Yeux de son Intelligence. Car il Savait, en toute chose, trouver, déceler, & discerner le lien, & quel lien l’unissait à l’Un Spirituel. Qu’il sciât du bois, coupât trois branches, ou fût-ce une seule, même, & voici qu’il était saisi soudain, comme pris, & repris, par l’abyssale Contemplation, enquelle il s’abymait tout subit, - Abyme, à l’Immense Mystère, du Dieu de Gloire, Dieu Trine, Un En Trois Personnes.
Aux travaux & labeurs destinés à épuiser le corps, Saint Séraphim, brûlant du Désir de s’acheminer toujours plus avant vers la Perfection Spirituelle, alliait, par surcroît, l’étude, noble ouvrage à l’esprit affiner, approfondir, & guider. Il lisait donc livre sur livre, les ouvrages Spirituels sur tout, &, par prédilection, revenait ensuite à la Bible. Il Priait encore à l’aide des Livres Liturgiques, se plongeait, avec dilection, dans les Ecrits des Saints Pères. Et, surtout, il affectionnait la Lecture du Saint Evangile, dont, jamais, il ne se fût séparé. En cette Ascétique Vie, qu’il menait à dessein de Purifier son Coeur, ces Spirituels Entretiens continuels qu’il avait avec Dieu, qui faisaient & qui étaient toute sa Prière, ce Recueillement Profonds, dans la Concentration d’Esprit, resserrant son Intensité d’Etre, contraignait ses Energies psychiques, canalisait ses Intérieures Ressources, & pouvait seul, ensemble, de son Ame ainsi resserrée, comprimée, raréfiée, densifiée, Energisée, tel, en fontaine, canalisé, d’un jet d’eau, s’élevant en féeries de jeux d’eaux, pour Vues de grandes Eaux, permettre du caractère du Coeur de l’Ame, l’Expansion Infinie, & son Elévation Spirituelle devers les Choses d’En Haut, de par telle densification de ses Forces reNouvelées d’Ame ReCréée, & Tout- Merveilleux Eclaircissement, inouï, jusqu’à la Transparence de l’évidence, Diaphane, de ses naturelles lumières, de par celles Illuminées, plus brillamment Lumineuses, en SurBrillance, incomparablement, d’En Esprit Céleste d’En Haut reçues de Sainteté. S’en Dilatait Infiniment son Coeur, d’Extrême Joyeuseté, à ce Spirituel commerce qu’il entretenait avec l’Ecriture Sainte, comme à l’Oeuvre Spirituel des Saints. Et, de ce Tout, se Voyait Baigné son Esprit, Tout, d’une Lumière telle, que son Ame entière entrait, devenue pénétrante, & son Esprit Saint, dedans la Claire Conscience, & l’Intelligence Supérieure, Divinement, de la Parole Divine.

Il s’était, au sien Désert, cette règle donnée d’étudier & commenter, journalièrement, quelqu’unes péricopes de l’Evangile & du Saint Apôtre Paul : “ Il nous faut Nourrir l’Ame, & Substantiellement ”, expliquait-il, si l’on lui demandait le pourquoi de ce faire coutumier, qui lui était devenu un besoin & une nécessité Spirituels, “ de ce Pain Evangélique dont se Sustentent & se Nourrissent les Ames qui du Seigneur ont Faim de Goûter. En premier lieu, il convient avant tout, donc, de s’adonner, de par Lecture Sainte, à l’Etude du Nouveau Testament, & des Psaumes. Lors, peu à peu, chez celui qui fréquente la Sainte Ecriture, l’entendement, Divinement Métamorphosé, s’Illumine, &, sous un Jour à la Clarté toute Nouvelle, saisit le Sens profonds de ces Ecritures Inspirées. Il nous faut nous faire un devoir, chacun pour sa part, d’éduquer notre esprit, l’accoutumant à progresser en l’Intelligence du Coeur, d’Esprit s’Eclairant, Spirituellement nous Edifiant en la Construction de soi, harmonieusement Croissant, s’apProfondissant, & s’Epanouissant En Dieu, Christ & Esprit Saint. Par ainsi nous sera donné d’apprendre à Librement nager au sein de cette Mer immense qu’est la Vie Divine, où Guide d’Esprit de Grâce le Seigneur Dieu, jusques nous abandonner en elle, & la gouverne entière lui confier de notre Vie, dont elle rythmera le moindre battement, lors, pulsativement. Non, rien, au vrai, n’est de plus de Fruit que de tirer profit de la Parole Sainte, de par l’immersion même en la Bible entière. Un tel Effort Spirituel, s’il est mené conjointement aux Oeuvres Bonnes, se voit bientôt par le Seigneur couronné, qui, dans Sa grande Pitié, & Ses inépuisables Miséricordes, au plus loin qu’Il abandonnât l’homme, tout à l’inverse lui octroie le Charisme, immense, de l’Intelligence Divine des Ecritures Saintes.”

Le Saint, par le fait, qui, Jour après Nuit, s’affermissait Spirituellement en & par cette Sainte Etude, avait instamment mérité, de par son long Effort, tous jours continué, de se voir, de par Grâce, gratifié de ce Saint Charisme. Aussi Dieu l’en orna-t-Il, tout comme Il lui fit Don
aussi de ces Charismes sans pareils que sont la Paix de l’Ame, si Divine, qu’à l’homme du commun irreprésentable, & de la Contrition du Coeur profonds. Car, s’abymant dans la Sainte Ecriture, ce n’était point de la seule Vérité qu’il s’y mettait en quête, mais le Désir aussi le brûlait, de goûter à cette instante Contrition qui laisse à l’Esprit comme une brûlure vive, Feu dévorant couvant sous l’Ame profonde, & par où seul se peut en ces Profondeurs entrer, insoupçonnées, du Clos du Coeur de l’Ame. Que de fois, à la seule Lecture des Livres Saints, & des Ouvrages Sacrés, les larmes n’avaient-elles pas roulé de ses paupières brouillées - ces mêmes larmes dont il aimait à dire que l’Homme en était comme réchauffé, & qu’elles font à ces Grâces Spirituelles d’En Haut accéder, qui à l’Esprit & au Coeur impriment, ardente, au Tison Divin, le Sceau de leur Infinie Douceur.

Séraphim, chaque jour, lisait le Psautier aussi, & s’acquittait encore de son canon monastique, - de sa règle de Prières, à l’Imitation des Saints Anciens, Anachorètes, & Ermites de tous les Siècles de l’Orthodoxe Chrétienté. Aussi, au Temps & à l’Heure marquée par la règle, psalmodiait-il les Offices des Heures de Prime - la première Heure-, de Tierce - la Troisième Heure-, de Sexte - la Sixième Heure-, de None - la Neuvième Heure-, de Vêpres, de Complies, des Vigiles, jusques à l’Office de la Mi Nuit.
Parfois, cependant, en place du canon de Vêpres, il faisait mille Métanies, se penchant devant l’Icône, en inclinant sa main à terre. Ou bien il faisait jusqu’à trois cents Prosternations, face contre terre, comme font les Moines Grands Schèmes, - du Grand Habit Angélique-, dont la règle de Prière est la plus exigeante, & la plus difficile. Enfin, après qu’il se fût exercé à toutes les formes les plus difficultueuses de Prières, comme à tous les modes possibles d’Oraison, le Saint, qui, tout ce temps durant, n’avait point cessé de pratiquer la Prière mentale, parvint à la Prière du Coeur, la Prière du Nom Saint de Jésus descendue en son Coeur, l’Inhabitant en Esprit de Sainteté, &, par-delà ce point, Vit qu’il lui était donné sur les Ailes de la Contemplation de s’Elever. Au dessus de quelle cime, il n’en est, pour la passer En Gloire point d’autre, que de s’y surpasser, de gloire En Gloire ascendant. Lors, que l’Esprit au Coeur de par Prière s’Unit, des pensées toute errance cessante, l’Ame d’une Ferveur Embrassée, de Spirituelle Ardence, oui, c’est alors soudain, qu’En une Paix Suave, qui Surpasse toute intelligence, En une Joie Céleste, à toute Terre Supérieure, à tout le Terrestre de l’Univers du Monde non pareille, que, telle une Grande Lumière, sur l’Ame se Lève le Christ, y Re-Naissant, en icelle Venu, l’Homme intérieur Illuminer, quel tout entier, de Radiance ReSplendit.

Les Veillées de Dimanche ou de Fête, Ecclésiale, ou de Saint, le Saint Hésychaste qui, l’entière semaine avait lutté seul au désert, s’en retournait au Monastère de Sarov. Il y suivait Vêpres, assistait aux Vigiles, & Veillait jusqu’à Laudes. &, entre nuit & jour, au petit matin de l’Aube naissante, il participait aux Immaculés Mystères de la Communion au Christ. De là, jusqu’à la tombée du soir, à l’heure des Vêpres, il admettait en son Entretien Spirituel tous Frères qui venaient à lui, pressés de mille maux, accablés de soins importuns, & de tous les soucis du monde, qu’ils n’avaient point déposés encore, de toute chose s’en remettant à Dieu, comme En Lui de Tout se reposant.

En fin, prenant avec lui assez de pain pour une semaine de Désert, il s’en retournait à sa cellule d’Ermite. Mais, la première semaine du Grand Carême, cependant, il demeurait au Monastère, & l’y passait tout entière pour en suivre tous les Saints Offices. Alors seulement, après cette longue préparation propitiatoire, il se confessait au Saint Ancien qu’était l’Higoumène du Monastère, & s’avançait vers les Saints Mystères. A la Prière, le Bien Heureux Ascète joignait une grande abstinence de tout superflu, & un Jeûne sévère. Lors même qu’il n’était encore que dans les commencements de sa Vie d’Ermite, l’Anachorète était déjà parvenu à un degré d’Ascétisme extrême, en sorte qu’il se contentait, pour l’entière semaine, de ne se nourrir que d’une seule & unique miche de pain sec, qu’il s’en venait, tous les Dimanches, prendre au Monastère, pour en faire son content tout au long du restant des jours de la semaine. Et, s’étant ainsi mis de lui-même à la portion congrue, sur cette maigre ration, il prélevait encore la part des animaux de la forêt, & des oiseaux de son Désert, car il n’était point rare que ceux-ci, affectionnant le goût de sa douce compagnie d’Homme Paisible, le vinssent visiter au lieudit de Sarov, en ce sous-bois touffu de l’inextricable forêt où il menait l’Ascèse. Fait plus étrange encore, à ce respect sacré à l’endroit du Saint qu’éprouvaient d’instinct pour lui la gent animalière de ces lieux forestiers n’échappaient point même les bêtes sauvages. Ainsi Saint Séraphim avait-il même laissé l’approcher un quasi mastodonte : un ours énorme qui avait accoutumé de venir à lui chercher sa mangeaille, & de ses mains quérir sa subsistance. Tant il est vrai que, dans son universelle Bonté pour la Créature entière, sa Charité se plaisait de le substantiellement nourrir. La chose, fort extraordinaire à entendre pour le commun des hommes simples, s’étant sue, ses visiteurs le prièrent de le leur laisser voir. C’est alors que des Témoins Oculaires virent cette scène extraordinaire de leur très Aimé Saint, assis sur un tronc d’arbre couché en travers de la forêt profonde, appeler un gros ours naguère sauvage & furieux, prompt à déchirer à Mort d’un seul coup de dents l’infortuné qui eût surgi à son encontre, paisiblement, à son appel, surgir de la forêt, prendre des mains bénies qui la lui offrait sa pitance ordinaire, & sur sa parole encore, soumis, comme étant à son obéissance monastique, se renfoncer dans l’épaisse forêt impénétrable. De quoi tout abasourdie, la Piété populaire, à cette scène merveilleuse, comme à tant d’autres, se muant en Ferveur, fit à son Saint une Icône, le représentant sur ce tronc assis, nourrissant sa bête antan sauvage, sous laquelle figure ce titre si parlant, valant toute éloquence : “ Saint Séraphim nourrissant son Ours”. Par la suite, s’astreignant à un Jeûne plus âpre encore, le Saint résolut de renoncer au pain même, comme trop bon à son goût, & il s’accommoda d’une abstinence telle, qu’il ne prenait plus pour seule nourriture que les légumes de son jardinet, auquel, pour fidèlement illustrer la Parole de l’Apôtre, ainsi que le Divin Paul l’Ecrit en sa Ière Epître aux Corinthiens, en 4, 12 , il “travaillait de ses mains”.
La première semaine du Grand Carême, il ne goûtait d’absolument rien, se vouant à faire un long Jeûne absolu de sept jours pleins accompli. Puis, le Samedi venu, il communiait aux Saints Mystères. Après qu’il se fût tout-à-fait privé de pain, il demeura plus de deux ans encore sans prendre de repas aucun à la table commune des Frères du Monastère voisin. &, tout ce temps durant, le Peuple des Fidèles voyaient les Moines a fortiori bien inquiétés de la subsistance du Saint Anachorète. Ce n’est que lorsqu’il fut sur le point de Mourir que le Saint, à quelqu’unes des personnes chères à son Coeur venues à ses côtés assister à ses derniers moments sur la Terre, qu’il s’ouvrit en fin de ce mystère : Près de trois années durant, il ne s’était plus nourri que du suc d’une herbe appelée “ snits”, qu’il cueillait l’été, & qu’il faisait sécher en prévision de l’hiver à venir. Or, si de cette herbe, en effet, les paysans Russes font usage comme d’un remède en de certaines maladies, & font un potage excellent aussi, l’on s’étonne, toutefois, & s’émerveille tout ensemble, que le Saint eût poussé ses austérités extrêmes jusqu’à ne plus manger rien autre que ce genre de soupe aux orties.

Cette fleur de la Renommée qu’est la réputation de Sainteté ayant précédé le Saint dans le monde, nombreux étaient ceux, qui, sur ces entrefaites, commençaient de vouloir forcer la solitude du Bien Heureux Anachorète, ne pouvant guère se défendre du pieux désir de visiter un Saint Ermite, assoiffés qu’ils étaient de goûter son Enseignement Spirituel, & désireux, sur tout, & plus encore, de venir recevoir ce réconfort de l’âme éprouvée & malade dont un Saint sait seul les mystères de la dispensation bénéfique & précieuse, d’une préciosité sans prix pour qui languit après elle, en l’excès de ses motifs d’affliction. Aussi , il ne se passa guère de Temps que l’on vit, de la communauté des Chrétiens des abords & des lointains de Sarov, un immense concours de Peuple venir en foule à lui, les uns, en quête de Conseils Spirituels, d’injonctions salutaires, & d’Exhortations Spirituelles, & les autres, pélerinant à travers bois, depuis toute la Russie profonde, pour le seul bon heur de jouir un instant de sa vue. Ayant de Dieu reçu la connaissance profonde, jusqu’à l’intime, des êtres, le Saint faisait parfois acception de personne. Il semblait lors opérer un choix, & établir des priorités d’importance, n’ayant pu trouver assez de temps de reste pour s’entretenir à loisir avec le tout-venant de ces curieux admirateurs de tous bords. De vrai, ol le voyait en éviter ostensiblement certains, avec lesquels il observait le plus complet mutisme, & demeurait parfaitement coi, comme s’il n’eût, silencieux, leur daigné dire un mot. A rebours, s’il s’en trouvait, dans le lot confus de cette bigarrure des âmes distinctes, qui lui apparût éprouver, à l’encontre des premières, un réel besoin d’aide & de Secours Spirituels, c’était avec la plus profonde bienveillance qu’il les admettait à son entretien. Lors, les prenant sous sa Sauve Garde & Guidance, comme sous sa houlette & son bâton de Pâtre Saint, il leur prodiguait d’abondance, avec force Conseils Spirituels, des Avis Inspirés de tous ordres, que lui Soufflait Incessamment la Grâce, de ses Flots Divins baignant son Esprit de Sainteté. Mais, bien que d’aucuns de ses visiteurs comptassent parmi ses familiers, tels le Moine Marc qui avait revêtu le Grand Habit Angélique, ou bien encore le Hiérodiacre Alexandre, ceux-ci, non point davantage que les autres, n’avaient garde de troubler l’Ancien s’il advenait qu’ils le trouvassent abymé dans sa Contemplation & ravi En sa Divine Prière. Aussi patientaient-ils alors, jusqu’à ce qu’il eût achevé de s’arracher à ce Ravissement En Dieu, ou bien, furtivement, sans bruit, ils s’éloignaient.

Le Saint était donc visité par des inconnus de toute provenance, qui cherchaient à se trouver sur son chemin, pour parvenir à le seulement voir, & quel il était, & quel visage il avait. Aussi, chaque fois qu’il advenait au Saint de faire, dans l’épaisse forêt, quelque rencontre inopinée, il observait cette règle de rester sans mot dire, & de s’incliner humblement devant eux en une humble métanie jusqu’à terre, pour s’éloigner sitôt après. Au vrai, de l’aveu même dont ses Enseignements Spirituels portèrent plus tard la marque, son silence ne lui valut jamais qu’il le regrettât ni ne s’en repentît. Mais le nombre croissant de ses visiteurs le soumettaient à rude épreuve, d’autant qu’ils n’avaient d’ordinaire guère de scrupule à troubler son Hésychia Sainte, ce qu’il percevait souvent comme un viol presque de cette Paix sans pareille dont il désirait de jouir continûment, ininterrompue.

Ce le contrariait davantage même qu’il fût visité par des Femmes, craignant que leur seul aspect ne lui rendît plus âpre encore la lutte qu’il menait contre les passions de l’âme, s’exerçant à devenir insensible à tout désir qu’eût pu susciter en lui la vue de quelque objet charmant que ce fût. Néanmoins, il leur prodiguait d’égale sorte ses Conseils Spirituels, convaincu qu’il n’eût point été agréable à Dieu qu’il agît autrement. Par la suite, songeant, dans l’intérêt de son âme, de se régler sur la coutume qui avait toujours cours au Mont Athos, où les Femmes n’avaient point accès, l’entrée du site sacré étant marqué par le panonceau portant la mention : “ Avaton”, - “Infranchissable”
(aux Femmes), le Saint se détermina d’en étendre l’usage à sa montagnette propre, qu’il avait du même nom baptisée, de Sainte Montagne. Un jour donc, qu’il était venu au Monastère pour y assister à la Liturgie, il demanda sur cette matière son Avis Inspiré au Père Isaïe, alors Higoumène du Monastère de Sarov, &, s’il y acquiesçait, & le lui concédait, sa bénédiction pour ce faire. Celui-ci commença d’hésiter quelque peu sur ce point litigieux, dénotant les rigueurs d’une Ascèse extrême, puis, devant sa détermination à progresser dans l’escarpement accrue de la voie difficultueuse qu’il s’était choisie, l’Ancien la lui donna en fin. Devant la difficulté de l’entreprise, & pour l’y assister de l’Aide Divine, il le signa avec l’Icône de la Mère de Dieu. Dans le même temps, le Saint, pour sa part, adressait à Dieu & à Sa Très Sainte Mère une brûlante supplique, demandant, s’Ils agréaient sa requête, que la solitude reculée de son inaccessible Ermitage fût fermée aux Femmes, de crainte que leur venue n’y fût pour les Moines une cause de chute, & qu’il n’en fût de même, ou pis encore, pour les laïcs, dans le seul dessein venus d’un Pèlerinage purement Spirituel. Et il ajoutait cette prière encore, que si Dieu l’entendait, qu’Il lui fît un signe, faisant sur le sentier qu’il emprunterait le lendemain de Noël, pour se rendre de sa cellule jusqu’à Sarov, se courber les branches d’arbres. Or, de fait, lorsque, tard dans la nuit du 25 décembre, le Saint, s’étant mis en route pour se rendre à l’église du Monastère & y assister à la Divine Liturgie, arriva au lieu exact où le sol s’inclinait en pente rapide, il s’avisa que, de part & d’autre du sentier forestier, le passage était obstrué de ces immenses branches de pins toujours verts, & que, jonchant toute l’allée, elles en interdisaient désormais l’entrée de sa cellule, lors même que, la veille encore, rien n’avait seulement paru dans la nature alentour, qui pût laisser escompter rien de ce prodige nouveau.
Aussi le Saint Ancien, le coeur empli de gratitude envers le Père Céleste qui l’avait ainsi écouté, & exaucé, fit-il monter vers Dieu
ses actions de Grâces. Il avait, avec ce miracle, reçu l’entière assurance que ce voeu, qui lui tenait à coeur, avait été entendu du Seigneur Dieu. Alors, en grand hâte, il entreprit de continuer l’oeuvre commencé, & de ses mains tirer, traîner, & charrier d’énormes fûts de futaie, à cette fin d’achever d’en barrer tout-à-fait l’entrée de son secret Ermitage. De ce Temps lors, ce n’étaient plus seulement les Femmes, desquelles il avait pris prétexte pour justifier monastiquement sa conduite de si misanthropique apparence, qui par ainsi, donc, se voyaient interdire l’entrée de sa cellule monastique, mais toute la foule aussi des curieux auxquels dorénavant se fermait, jusques présentement, son asile de Silente Paix & refuge, en petit bois sacré, de Sainte Prière, pour l’entièreté du Monde, à Dieu s’Elevant.

A la vue pourtant des Ascétiques Luttes du Saint, le Diable, autrement appelé Satan, le Malin, l’Ennemi en fin du genre humain, de Rage en crevant, ne se départait plus envers lui de cette Haine qui caractérise les puissances obscures & ténébreuses du Mal, qu’il dirige haineusement, envers & contre les agents & Serviteurs du Bien qui le Seigneur Dieu vénèrent, de l’Esprit de Grâce guidés, de Sa Providence Divine aidés, & des Puissances Angéliques assistés, plus nombreuses infiniment que les pouvoirs adverses des Maléfiques Hideux. Les menées diaboliques à l’encontre du Bien Heureux s’intensifièrent donc. Le Diable, enragé, pour ce que mis en Rage de par la Vertu du Saint, le traquait à tout bout de champ, ne cessant plus contre lui d’ourdir machinations perverses & pièges tyranniques. Tyrannie atroce du Diable! vouant ses naïfs adeptes à vivre en régime de Terreur panique pour les mieux dominer au titre de terrorisés. S’escrimant donc à le faire vivre dans la peur, il recourait à divers épouvantails grossiers & sur sa tête agitait force épées de Damoclès, sous son nez, en vain, agitant ses chiffons rouges censés lui inspirer un esprit de crainte. C’est ainsi, tantôt, tandis qu’il se tenait en sa cellule, qu’il semblait au Saint entendre au-dehors comme un rugissement affreux de bête sauvage furieuse. Par instants, d’autres fois, il lui paraissait qu’il y eût un bruit houleux, comme d’une foule entière d’individus se jetant sur sa porte pour la rompre, sous leurs coups de bélier l’enfoncer, &, se ruant sur lui, sur leur passage lui décocher mille traits acérés. Enfin, c’étaient, tout le jour, mille monstruosités monstres de même chimérique nature. De temps à autre, le jour bien souvent, mais la nuit bien plus fréquemment encore, durant les Veilles de Nuit que Saint Séraphim passait En Prière, le toit, soudain, lui semblait comme s’effondrer, ce pendant que, de toutes parts, de redoutables fauves lui paraissaient s’élancer sur lui avec d’affreux rugissements hurlants. D’autres fois mêmes, s’offraient à sa vue, soudain, des sépulchres entrouverts, d’où surgissaient, dressés, des Morts putrides.

A quelque laïc, plus tard, qui, naïvement, lui posait cette question : “ Patérouli ! - petit Père!-, & les esprits Malins, les as-tu vus? ”, le Saint Père Séraphim, dans un sourire, eut cette réponse : “ Ils sont Hideux. De même qu’un pécheur ne saurait tenir les yeux rivés à l’excès d’Irradiante Lumière émanée des Anges, mais dans un registre inverse & tout opposé, la vue des Démons hérisse d’Horreur, tant elle est repoussante.” Mais nonobstant, pour si effrayantes que fussent ces visions d’Horreur, & quelque effroyables que fussent ces épreuves, tribulations, & tentations spirituelles, qui, souvent même, n’allaient pas sans sévices corporels, le Saint Ascète, & parce qu’aussi il était pourvu, surabondamment, des Grâces de l’Esprit, & de par la Force de sa Prière, & de par l’effet Bien Faisant de la Vénérable & Vivifiante Croix du Seigneur, parvenait à les dépasser, surmonter, & se surpasser.
Curieusement, & paradoxalement, il n’était pas jusqu’à l’esprit de vaine gloire qui ne vînt le tourmenter aussi. De fait, c’est à plusieurs reprises qu’en divers Monastères l’on avait chercher à le faire Higoumène, ou Archimandrite, - titres fort honorifiques dans le monde Monastique -, ne fût-ce que pour l’honorer & lui témoigner de la gratitude & de la reconnaissance qu’éprouvaient, à son endroit, bien des personnalités, déjà, du Haut Clergé local.
Mais c’était avec la même opiniâtreté sans réplique qu’il déclinait invariablement l’offre de telles dignités honorifiques, fussent-elles ecclésiales. Et, pénétré d’une Extrême Humilité, Infinie, à l’Imitation de l’“Akra Tapeïnosis” - “ l’Extrême Humilité” du Christ En Croix, telle que le sous-titrent leur Oeuvre les Artistes Iconographes peignant ce motif iconographique de l’Humilité Christique, Extrême jusqu’à la Perfection-, il ne songeait plus de prendre nul repos, jusque qu’il eût atteint à la Mesure Christique de l’Ascèse Parfaite.
Car, de la Vie Monastique, autrement appelée la Vie Angélique, il n’espérait au vrai rien autre, hormis le Salut de son Ame, & celui de ses proches, aux entours tâchant à Vivre, fût-ce lointainement, à son Imitation Sainte.

Voyant donc l’Humilité si Profonde du Saint, le Diable, ce prince des Ténèbres, puissance Obscure, invisiblement, avec ses Légions de Démons, régnant sur les âmes faibles, pour les entraîner au Mal, & à la Perdition, de l’âme, jusqu’à la leur arracher, pour leur Damnation, & ne pouvant supporter que les Ames Vertueuses, au contraire des précédentes, oeuvrassent pour le Bien du Monde, & pour celui de leurs Ames propres, s’acharna à le faire chuter, commençant, pour ce faire, de lui susciter de mauvaises pensées, auxquelles l’Ascète devait, pour s’en délivrer, livrer un combat sans merci. Or, à semblable Lutte contre les pensées mauvaises, avaient notoirement succombé bien des plus grands lutteurs mêmes de parmi les revêtus de l’Habit Angélique. Le nier eût été faire preuve de naïveté, soit candide, ou grossière, ou bien encore de naïveté intellectuelle, & contredire à l’expérience scripturairement attestée des Saints Moines, dont les Expériences Vitales sont séculairement couchées aux pages dorées des Grands Synaxaires de l’Eglise Orthodoxe. Lors, en cette épreuve insupportable à son Ame, Saint Séraphim, En la Prière du Coeur, se tourna vers le Seigneur Jésus Christ, le seul Effectif Artisan de notre Salut, & vers Sa Toute Sainte Mère, la Toute Pure & toujours Vierge. Et, dans le même Temps, à cette fin de mieux écarter les pièges des Démons, & les réduire à néant, il résolut de recourir, en un combat nouveau, à une forme de Prière plus Haute, qui n’était point sans faire songer aux Saints Stylites des Temps Anciens du Christianisme Originaire. Et, désireux d’échapper d’avantage aux regards, il attendait la Nuit, pourvoyeuse de ces instants très rares où, tout à son aise en fin, il laissait dans la plus vastement silente solitude, exhaler, sans contraintes d’Espace ni de Temps, sa Prière de Feu, qui, telle une colonne elle-même s’Elevait droite au Ciel. Alors, comme enfoui dans l’impénétrable forêt, il escaladait une haute roche de granit, &, soit qu’il fût debout, soit qu’il y demeurât agenouillé, il Priait long Temps, laissant sourdre du plus abyssal des Profondeurs de son Ame l’Humble Prière du Publicain, cette Prière de par le Texte Evangélique de Saint Luc, en 18, 13 Enseignée, puis par Saint Paul Apôtre, en ses Epîtres aux Eglises-nations, devenue, lorsqu’en icelui de l’Esprit au Coeur descendu, Prière du Coeur : “ O Dieu! Aie Pitié de moi, pécheur!”

Ce Stylite d’un nouveau genre alla même jusqu’à placer en sa cellule une pierre plate fort large, où, depuis le petit matin jusqu’à l’aube suivante, il faisait, debout ou bien agenouillé, sa Sainte Prière. Il n’en descendait plus, bientôt, que pour se reposer de son excessive fatigue, ou pour se sustenter quelque peu d’une maigre pitance. A cette immense Ascèse, il passa, d’incroyable sorte, & voua, prodigieusement, mille Jours & mille Nuits. Le Diable en fut, en sa Sainte Ame d’Ascète, irrémissiblement défait & terrassé, & son Mal Radical, pour lui, &par lui, & par ses Saintes Prières, en lui radicalement vaincu. Mais, de ces longues Heures qu’il dut, pour ce faire, passer à prier dans les stoïques souffrances s’ensuivant du douloureux état ascétique de l’interminable station debout, il conserva aux jambes des plaies effroyables, qui ne guérirent point, & qui furent le prix qu’il eut à payer, à ses yeux, pour remporter sur le Diable semblable Lutte.

Aussi longtemps que vécut le Saint, nul ne connut ni ne sut jamais la teneur agonistique & l’héroïque intensité de son terrible combat contre les puissances obscures & démoniaques, qui sont Légions, & contre les Saints, plus encore que contre ceux qui leur sont assujettis, se déchaînent, avec rage, & fureur terribles. De ce que les Théologiens Mystiques, après Saint Nicodème Haghiorite, nomment “le Combat Invisible”, il avait tout dérobé aux regards des curieux. Mais, après sa Dormition dans le Seigneur, Sa Béatitude l’Evêque de Tambov, fit remettre au Père Niphon, alors Higoumène du Monastère de Sarov, une requête confidentielle, écrite de sa main, pour le prier de l’éclairer sur certaines circonstances de la Vie de Saint Séraphim de Sarov. Le Supérieur de Sarov y répondit en ces termes : “ Nous avons eu connaissance de bien des Luttes & de la Sainte conduite du Père Séraphim. Mais nul n’a su ses exploits secrets comme sa station En Prière de mille Jours & mille Nuits sur un rocher.” Car, ce n’avait été que peu de Temps, en effet, avant sa Bien Heureuse Fin, que le Saint, formé assez au long sur le difficile habitus de Vie des Ascètes , qu’il s’était laissé allé à conter enfin, devant quelques heureux Frères assemblés, les Hauts Faits tous merveilleux qui avaient été le sien au cours de sa difficultueuse Existence Ascétique. Et, comme il se trouvait parmi l’assistance quelqu’un pour faire observer combien ce combat passe les forces humaines, le Bien Heureux lui repartit, avec cette Humilité étonnamment sincère qui découle de l'Authentique Foy : “ Quarante années durant, Saint Syméon le Stylite se tint En Prière sur sa colonne. Que sont donc nos pauvres peines à nous, en regard de son immense Ascèse?” Et, lorsque son interlocuteur eut fait remarquer que l’Ancien avait bien dû, selon toute vraisemblance, se sentir raffermi par le Secours Provident de la Grâce Divine, Séraphim répondit : “ Oui, bien entendu. Sans quoi, les forces humaines n’y eussent point suffi. Il est d’autant plus indéniable que la Providence Divine de la Déité Trine & que la Grâce de Son Esprit de Sainteté, dans la clarté de l’évidence, sans cesse me secouraient, que c’est d’une manière éclatante que je ressentais les Divins Effets de Sa Consolation d’En Haut jusques sur moi Dispensée, &, de par cette Transcendante Dispensation, l’exponentiel Affermissement de mes faiblesses, de par l’Esprit de Dieu Prodigué, qui faisait toute, Surnaturelle, ma Force d’Ame. & tout ce je ne sais quoi était ce quelque chose en fin, d’infime s’Amplifiant en Expansion de l’Infinité Divine, celle de la Réalité des Choses d’En Haut, Sublime & Vraie, laquelle, En Gloire, est Grâce de parmi les Grâces, & fait ce Don Divin, qui du Haut du Ciel descend du Pères des Lumières de l’Intelligence du Coeur. (- & il s’inspirait en ces dires de l’Apôtre Jacques, Frère du Seigneur, selon qu’en son Epître il s’en exprime, en 1, 17).
Puis, après s’être tu un moment, il ajouta, avec la simplicité la plus modeste du grand Saint : “ Oui; c’est quand le Coeur est empli tout de contrition, qu’alors Dieu est en nous.”

Le Diable, Exécration des Ames Bonnes de parmi le genre humain, & qui, jamais, n’est à court d’invention en matière de machineries démoniaques, mais toujours à bout d’exaspération excédée contre les Saints de Dieu, fit en sorte que se déchaînèrent de nouveaux expédients démoniques destinés à jeter le Saint hors de son lieu d’inhabitation de Désert. Il fit se lever contre lui, du fonds de la forêt obscure, une troupe de louches malfrats, bandits de grands chemins de la pire espèce, pis que simples gaillards malintentionnés, autrement plus dangereux que faucheurs d'épis ou voleurs de poules qui d'ordinaire sévissent en campagnes isolées, & qui, du plus profonds de la forêt, fondirent à l'inopinée sur les entours de la clairière abritant sa cabane, venus, par surprise, se rejeter sur lui, dans le noir dessein de lui extorquer l’argent imaginaire que, dans leur esprit dérangé, de s’être livrés en proie aux plus monstrueuses chimères de leurs passions déréglées, ils avaient été assez fous pour imaginer que l’Ermite en dût à profusion recevoir, des rares laïcs naguère venus le visiter. Le Pauvre Ascète eut beau protester qu’il n’acceptait, par manière générale, rien de personne, les forbans n’en voulurent rien croire. & l’un des larrons, déjà, s’élançait contre lui, lorsqu’il se trouva, de manière toute subite, en mystérieuse façon, & d’inexplicable sorte, inéluctablement rivé au sol.
Toutefois, & bien que la seule force physique de Saint Séraphim, qui pouvait encore s’aider de la cognée qu’il tenait en mains, eût pu suffire à défendre l’intégrité de sa personne contre les trois lascars, l’Ancien,
tout soudain, se remémora les Paroles Révélées du Seigneur, telles qu’elles figurent en Matthieu 26, 52 : “ Qui Tuera de l’épée, périra par l’épée.” Aussi laissa-t-il l’un des malfaiteurs lui arracher sa hache pour, du tranchant, violemment l’en frapper à la tête, tant, &jusques que, le sang à flots lui coulant par la bouche & les oreilles, il chût à terre, sans connaissance. Insatisfaits encore des coupables assauts de leur folie criminelle, ces misérables, vils, à l 'engeance patibulaire, poursuivirent sans vergogne leur entreprise de mise à Mal, s’échinant à le mettre en pièces, ne jurant plus que de le taillader à coups de lame, du tranchant de cette funeste cognée, lui assénant au surplus force coups de poings, de pieds, & de lourds gourdins, jusques Mort s’ensuivît. A la fin, pourtant, ultimement, les détrousseurs, voyant qu’il ne respirait plus, ce leur semblait-il, - la pitoyable vue du Saint gisant à terre, leur devant, sans doute, le lamenteux spectacle d’un être, selon toute apparence, sans vie-, ils le crurent bel & bien Mort. Lui ayant, de grosses cordes grossières de chanvre usé, garrotté les bras, & entravé ses jambes inertes, - car ils avaient, ces prévaricateurs, comme Judas contre Christ, formé le vain projet de le Tuer pour trente deniers, puis, de le jeter au fleuve, son corps sous l’eau, comme pierre coulée au fonds, à jamais possiblement privé de toute émersion à la surface des choses, leur forfaiture devant dissimuler-, ils se ruèrent dans la cabane de rondins, escomptant de faire main basse sur le butin qu’ils guignaient. Mais quelle ne fut point, amère, leur désillusion! Ils eurent beau fouiller partout avec les emportements agités de la plus extrême rage, tout, en furieux, jeter sens dessus dessous, mettre l’humble chambrette entièrement à sac, comme en charpie, les raideurs n’y purent trouver rien, absolument, sur quoi ils eussent pu faire main basse, pour le butiner & razzier, hormis les Saintes Icônes du pieux Ascète, & les quelques pommes de terre qui composaient le meilleur de son ordinaire. Saisis de crainte, alors, & la conscience inquiétée qu’ils eussent, sans nul gain qui valût, Tué ce malheureux Ermite, un Pauvre de Dieu, de Sainte Vie, sans doute, ils prirent leurs jambes à leurs cous, & lestement, coururent au plus vite qu’elles les pouvaient porter, empressés de ces lieux vider de noirceur de leur crime, & fuir.

Par Miracle pour tant, Saint Séraphim, sur ces entrefaites, peu à peu rouvrit les yeux, reprit ses sens, recouvra de sa conscience la sensibilité, un Temps suspendue. Lors, péniblement parvenant à défaire les liens qui le menottaient, & comme une bête l’immobilisaient, il se reprit à Prier, & supplia Dieu qu’Il voulût bien pardonner à ceux qui avaient en leur coeur, plus dur que l’airain, médité de le Tuer. Rampant sur le sol, & traînant après lui ses atroces souffrances, il parvint d’atteindre à sa cellule, où il passa la Nuit dans d’affreux tourments, tant étaient ses douleurs suraiguës.
L’on était alors en l’an de Grâce 1804.

Le Jour suivant, le Saint se traînant sur ses genoux en sang & sanie, & faisant sur lui-même des efforts qui lui coûtaient d’indicible espèce, il réussit, après de longues peines, qui ne se pourraient dépeindre assez, de gagner son Monastère, enquel il avait passé les premiers ans de sa Vie de jeune Moine. C’était l’Heure de la Divine Liturgie.
Il offrait un spectacle effrayant à voir. C’était affreux. Il portait bas, trop lourde devenue, sa tête ensanglantée toute, de cheveux en désordre hérissée, que collaient la poussière & la boue, bouche, oreilles, emplies de sang séché, lèvres vides sur les dents arrachées, tout le visage en fin, & les membres meurtris, brisés, sanguinolents. Cloués de stupeur, les Frères, un Temps demeurèrent interdits. Après quoi, ils tâchèrent de savoir tant soit peu, fussent des riens, du tout de la cruelle infortune & dure mésaventure au Saint advenue. Lui, ce pendant, demeurait coi, comme en proie au plus silencieux mutisme. Enfin, il les pria seulement d’appeler l’Higoumène, le Père Isaïe, Père Spirituel du Monastère, & ce ne fut qu’en présence d’eux seuls qu’il consentit à s’ouvrir de la douloureuse épreuve qu’il venait d’affronter.

C’est ainsi, qu’à la joie maligne du Diable, qui sardoniquement se rit des souffrances qu’il inflige à Autrui, & plus particulièrement aux Vaillants Ascètes qui, pour la Gloire de leur Seigneur, luttent contre le Brigand des âmes, Saint Séraphim se voyait contraint de demeurer un assez long Temps au Monastère. D’insoutenables souffrances le tenaient rivé à son lit de douleurs. Les côtes cassées, à peine respirait-il. & il demeurait là, couché par l’adventice mal corporel causé par le Malin qui le faisait perclus, accidenté, sans pouvoir manger rien. Après qu’il eût passé huit jours en ce déplorable état, l’on commença, au Monastère, de craindre pour sa vie, & l’on résolut de faire quérir des médecins. Un examen précautionneux du malade leur permit de poser l’alarmant diagnostic suivant : L’auscultation révélait que la tête était brisée; les côtes cassées; le thorax enfoncé. A dire le vrai, tout son corps souffrant n’était plus que traumatismes graves & lésions mortelles, jusques, qu’in fine, ces mêmes médecins s’étonnaient grandement qu’ils le vissent de leurs yeux survivre encore à tant d’inquiétants symptômes, dont plus d’un eussent dû lui être fatals, & n’étant du tout plus qu’une plaie.
Alors les Frères, autour du chevet du malade de longue langueur affecté, se consultèrent, par ainsi rassemblés, sur ce qu'ils pouvaient avoir lieu de faire pour le mieux assister. Ils appelèrent aussi le Père Higoumène. C'est à cet instant précis que l'Higoumène se hâtait vers la cellule du Bien Heureux, que Saint Séraphim eut un imperceptible mouvement du corps, comme agité d'un soubresaut soudain, sitôt après quoi, pris d'une fatigue subite, il s'endormit d'un doux sommeil léger, bien fait pour le délasser enfin, grand Souffrant, de tant de douloureuses peines. Il fut lors, comme il le conta par la suite, l'objet d'une merveilleuse Vision, toute de Sublimité. Ce lui rappelait ces Temps anciens déjà où, simple Moine à l'obéissance, & donc novice encore, il s'était en danger trouvé de sa Vie. Et, par le fait, de même sorte, mode, & manière, voici que venait présentement à lui, une nouvelle fois à dessein de le miraculeusement guérir, la Toute Sainte Mère de Dieu, toute de la Pourpre Royale revêtue, d'En sa Gloire Céleste Irradiée, Resplendissante. A sa suite marchaient les Apôtres Jean le Théologien, le Disciple préféré de parmi les Aimés du Seigneur, & Pierre. Ils s'arrêtèrent au chevet du lit du mourant. De sa droite, la Vierge Toute Sainte fit un geste en direction du moribond, &, tournant vers eux tous son Visage tout de Radieuse Pureté, elle dit à l'adresse des médecins : « Pourquoi vous alarmer & tourmenter ainsi? » Puis, attachant longuement ses regards sur le Père Séraphim : « Celui-ci », murmura-t-elle, - &, dans le même temps, elle parlait fermement, d'un ton sans réplique : « Celui-ci est de notre race. »
Sur ces mots, elle disparut, & la vision s'évanouit, sans que l'assistance n'eût rien pu soupçonner seulement de cette Visitation Sainte. C'est alors que l'Higoumène pénétra dans la cellule. Le malade, déjà, revenait à lui. Le Père Isaïe, plein de la sollicitude d'un Amour de Compassion avec lui, le voulait persuader d'entendre les conseils des médecins, & de suivre les avis de leur science, dont il se pouvait faire qu'il y eût à en tirer quelque profit que ce fût. Mais, bien que son état parût désespéré, le patient se montrait ferme dans le refus qu'il opposait à ceux qui croyaient en quelque miracle humain, dont il disait, au demeurant, n'être point désireux, n'espérant plus qu'en l'Assistance de la Providence & les Secours de la Grâce Divine. Il suppliait lors seulement son Higoumène qu'il lui permît de remettre sa Vie entre les Mains de Dieu & de Sa Toute Sainte Mère. Aussi, celui-ci n'eut donc d'autre choix que de se résoudre à faire la Volonté du Saint. La Divine & mirable Visitation l'avait, du reste, pour quelques heures durant, jeté dans les transports d'une Joie sans pareille, Céleste, ineffablement. Le malade se sentit bientôt baigné tout d'une liesse infinie, jubilatoire. Les douleurs, soudain, cessèrent ; &, comme elles étaient venues, de la même façon, le quittèrent. Les forces, tout doucement, peu à peu lui revinrent. Il put, peu après, se lever. Il hasarda quelques pas. Le soir venu, il se sustenta même de quelque nourriture. De ce moment, il recommença de s'adonner à ses Hautes Luttes Spirituelles.

Du jour où l'on lui avait porté ces coups & blessures, le Saint dut demeurer près de cinq mois au Monastère. La maladie accentua sa voussure, lui faisant comme cette bosse dont l'on dit qu'elle cache au dos des ailes d'ange, & qu'on lui voyait depuis quelque Temps déjà, depuis le jour où il avait été écrasé par un arbre, qui lui était tombé dessus, ce pendant qu'il était en train de l'abattre. Pour autant, à peine le Père Séraphim se sentit de nouveau quelque peu de force assez pour reprendre la Vie Erémitique, il se rendit chez l'Higoumène, le prier qu'il le laissât repartir au Désert mener l'Hésychia Sainte. Mais le Père Isaïe, auquel se joignaient tous les Frères du Monastère, tous ensemble, unanimes, le conjurèrent de demeurer à toujours auprès d'eux, pour affermir leur cénobitique compagnie de sa Sainte Présence. Mais, lui, s'obstinait dans les refus qu'il leur opposait invariablement, toujours déclinant leur offre charitable, assurant qu'il ne craignait point que se reproduisît à l'avenir semblable mésaventure infortunée, & qu'il était désormais prêt, sur sa Vie même, à supporter & souffrir toutes afflictions que ce fussent qu'il pourrait lui être encore donné d'endurer. Le Père Isaïe dut donc lui donner sa Bénédiction pour ce faire, & le Solitaire put enfin reprendre le difficultueux chemin de son forestier Ermitage.

Or, le Temps révélant tout des choses celées, peu de ce Temps après l'épreuve douloureuse dont il avait dû endurer, affligeantes, les suites funestes, il advint que les truands qui avaient prémédité de Tuer le Saint furent découverts pour les auteurs du noir forfait, & confondus pour ce crime par le commun du peuple alentour. Il s'avérait que c'étaient des hommes de peine, en état de servage, qui travaillaient sur les terres du grand propriétaire foncier dénommé Tastistev. Mais, le Saint, qui avait atteint à cette difficillissime Vertu de se montrer plein d'Amour pour ses ennemis mêmes, leur pardonna de tout Coeur leur crime, & alla même jusqu'à supplier l'Higoumène & le hobereau, maître sur ses terres, & capable de s'arroger sur ses moujiks le droit de vie &de Mort, de ne les châtier pas. Il ajoutait encore que s'ils refusaient de se rendre à sa prière, il aurait tôt fait de déserter la communauté monastique de Sarov, & de gagner en secret d'autres contrées fussent-elles lointaines, mais bénies celles-là. Force fut bien, pour accéder à sa requête, & accomplir son désir, de pardonner aux larrons. Cependant la Providence, en l'absence de toute justice judiciaire humaine qui ne fût point inique, ou comble d'iniquité même, dépêcha promptement les mystérieux effets de Sa Justice Divine, dont il est deux sortes, l'Immanente & Immédiate, & l'autre, Justice tout aussi Divine, mais Eternelle & à venir, l'Immanente précédent, dès ici-bas, dès en ce monde, l'Eternelle, pour l'Autre Monde promise, par le Seigneur-Dieu, Père Fils & Saint Esprit, Déité Trine, Juge Eternel, & Incorruptible, lorsqu' Il reviendra En Gloire, à Son Dernier Jugement annoncé, pour rendre à chacun ce qui lui convient, exercer la pesée des âmes, & leur Rétribution décerner à chaque être, ou Châtiment décréter, Eternels. C'est ainsi que leurs maisons, bientôt, du sol au plafond, furent promptement calcinées, livrées aux dévorantes flammes, toutes entières consumées. Lors, des brigands, consternés, en état de choc s'en trouvant jetés, les ombres sombres de leurs noirs forfaits sur les parois de leur mental en frayeur affreusement se peignant, leurs yeux, tout-à-coup, se décillèrent : en fin, ils se virent, dans leur vérité vraie, tels qu'ils étaient, sans fard, objet de mépris, de dégoût, de honte, de détestation, d'exécration, - le rebut en fin de tout l'univers des hommes. &, s'auto-condamnant, leur conscience, d'elle-même, les condamnant, porteuse des Préceptes Divins, apportés en naissant sur leur coeur, en lettres de Feu inscrits, ils se reprirent soudain, &, sur eux-mêmes opérant la subite conversion du grand retour à Dieu, ils firent Pénitence.
&, tout en larmes, ils suppliaient Saint Séraphim qu'il voulût bien leur pardonner, & leur promettre ses Saintes Prières de Bénédictions pour toutes choses du cours de leur vie. Ainsi purent-ils, de prime abord, par ses Prières, toutes Merveilleuses, se remettre sur la Voie droite d'une Vie Vertueuse.

Ses Hautes Luttes, & sa Vie en tout point agréable à Dieu – ce Dieu de leur Amour auquel les Saints ont tout fait, & font tout pour Lui plaire, Jeûnant, Veillant, Priant incessamment de la Sainte Prière du Coeur, dans leur Amour de Dieu en venant à Aimer tous les hommes, fors le Diable, ses suppôts, & toutes ses légions de Démons, qu'ils combattent sans trêve -, ce combat valeureux dans l'arène du Bon Combat, valurent donc au Saint d'être devant Dieu trouvé digne, bien tôt, de la Diorasis, ce qui est dire de la Clairvoyance. Mais, pour autant, il n'en fuyait que davantage la vaine gloire des hommes, lui qui, dès longtemps, n'avait plus de regards & de considération que pour la Sainte Ascèse, & la Vie Hésychaste.
L'année 1806, pour ce que le grand âge du Père Isaïe, & sa faiblesse corporelle, l'avaient contraint de résigner sa charge d'Higoumène, ce fut d'une même voix, & d'un commun sentiment que les Moines de la Communauté du Monastère de Sarov s'accordèrent à lui choisir pour successeur Saint Séraphim. Mais lui, toutefois, refusa d'occuper ces lourdes fonctions, ce rang honorifique, & cette prestigieuse charge, tant en vertu de l'Humilité profonde qu'il n'avait eu de cesse de cultiver, comme la plus haute, presque, & plus difficultueuse Vertu, après l'Amour de Dieu & d'Autrui, que de par son désir tout déterminé de protéger son absolue Hésychia. Au vu de quoi, l'on prit lors pour Higoumène, & se substituer à lui dans ce rôle, le Père Niphon, que le Saint Père Séraphim connaissait de fort longue date, & depuis sa première enfance, même.

Quant au Père Isaïe, l'un des Anciens chers à son Coeur, la maladie, comme l'extrême épuisement qui était devenu le sien, lui défendait désormais, pour le pouvoir voir & revoir, d'effectuer la longue course de six kilomètres qui séparait le Monastère de Sarov du Désert de Saint Séraphim, lui dont le Saint Entretien & les Conseils Spirituels Inspirés tout de son Esprit de Sainteté faisait sa consolation. Ce Père Isaïe s'en affligeait à l'excès. Aussi, maintenant que leur corps à tous deux, grands Ascètes devant le Seigneur, était souffrant, les Frères du Monastère de Sarov menaient-ils avec Amour ce grand vieillard qu'il était devenu auprès du Saint Ermite Séraphim. Bientôt, cependant, le Père Isaïe, dernier des bien-Aimés trois compagnons d'Ascèse du Saint, en compagnie & aux côtés desquels il avait mené la Lutte Spirituelle, s'allait voir délié des liens étroits de ce monde ci-bas, pour s'envoler vers son Seigneur enfin. Peu de Temps après donc, survint, in fine, la Dormition dans le Seigneur du Saint Père Isaïe. Saint Séraphim en conçut une douleur inexprimable. Dès là, tous Jours d'avantage, & tous Jours plus profonds, il s'attacha à la pure Méditation de cette Périssable vie Ephémère, à celle de la Vraie Vie à Venir, comme à celle, sur-tout, du Redoutable Dernier Jugement de par Christ-Dieu, auquel devrons compte rendre de tout, & de chacun de nos actes & pensers. Dans le même Temps, il commença de Prier d'un zèle plus brûlant encore que de coutume, pour le repos des Ames des Bien Heureux, si chers à son Coeur, les Pères Pachôme, Joseph, & Isaïe, tous trois endormis dans le Seigneur, dans l'attente de la Résurrection Universelle des Corps, à rejointer leurs Ames. & jamais non plus il ne passait au long du cimetière du Monastère sans faire vers le Très Haut monter, s'élevant, de ferventes Suppliques d'Intercession, à leur intention, ainsi qu'à celles des autres Saints Anciens & Saints Ascètes de Sarov, dont les ardentes Prières, en Agréable & Suave Odeur de Sainteté devers Dieu leur avait valu d'être par Saint Séraphim comparés à « des Colonnes de Feu s'Elevant de la Terre au Ciel. »
& à d'autres aussi qu'à lui, il confiait ce soin, leur en faisant requête, de les confier à Dieu, comme à Ses Saints, & de maintes & maintes fois les mentionner dans leurs Prières, & devant Dieu d'en faire Mémoire, qu'il la leur accordât – Mémoire Eternelle !-.
C'est ainsi qu'il enseigna une Moniale connue de lui à faire de même sorte : « Lorsque tu viens jusques à moi, sur ton chemin, tourne-toi devers leurs Tombes, fais trois métanies jusqu'à terre, te penchant à toucher le sol de ta main, & d'ardeur Supplie Dieu de faire Reposer les Ames de Ses Serviteurs, les Saints Pères, Isaïe, Pachôme, Joseph, Marc, & les autres d'entre Ses Saints. Puis, par ensuite, dis en toi-même, Suppliant pour toi-même : « Pardonnez-moi, Pères Saints, & Intercédez pour moi devant Dieu, y Priant en ma Faveur. »

A la Mort du Père Isaïe – l'on était alors en l'an de Grâce 1807 -, bien loin qu'il renonçât à son Combat contre les Démons, non plus qu'à ses Luttes Spirituelles de Saint Anachorète, Saint Séraphim entreprit d'enrichir son Ascèse d'un nouveau genre tout particulier de Pratique non moins Spirituelle : Il commença lors de se mesurer au Combat du Silence. Dès là qu'aux yeux de qui venait incidemment à le visiter au Désert, il ne se montrait plus. Lui advenait-il de faire une rencontre en forêt, inopinée, lors, sitôt, il se jetait la face contre terre, & demeurait là, à même le sol feuillu, sans plus en relever les yeux, jusqu'à que le visiteur eût éloigné ses pas.
En pareil Silence, il demeura trois ans.
Peu de Temps auparavant, il avait cessé de rendre les visites qu'il faisait naguère à la Communauté des Moines de Sarov, lors que revenait le Dimanche, ou que c'était Jour de la Fête d'un plus grand Saint que de coutume; - chaque Jour de l'Année Liturgique célébrant sa quotidienne kyrielle de Saints du Jour -. Dès là, une fois la semaine, le Dimanche, un Moine lui venait jusques à l'Ermitage porter sa subsistance ; & l'Hyver, sur-tout, lorsque, par grand froid Sibérien, le Saint se voyait a fortiori privé de tout légume potager. Lors donc qu'avait le Frère passé le vestibule de la petite cellule, qui lui servait d'isba, l'Ancien, Séraphim, après qu'il eût en lui-même prononcé l' « Amin! » rituel, la face penchée vers le sol, entr'ouvrait sa porte. Le Frère, alors, faisant mine, exprès, de se retirer aussitôt, le Saint, en retour, plaçant dans le plateau déposé sur la table, une lichette de pain, ou un trognon de chou, par ainsi lui signifiait ce qu'il mandait qu'on lui portât la semaine suivante.

Ce n'était cependant encore là que les extérieures marques de son Saint Silence. L'essence même, nature, caractère, & fin de cette très difficultueuse, pénible, & douloureuse Ascèse, n'était pas tant, pour le Saint, de se garder de toute apparence seulement d'entretien, mais c'était la quête & recherche de l'art encore
de savoir à toute pensée Mourir, pour en son Esprit par ainsi purifié de tout bruit du monde & de toute pensée vaine, fort importune à soi, & tourmentante, inutilement, pour y faire donc naître la pure Hésychia, ce Silence Merveilleux des pensées, en manière de pouvoir offrir à Dieu le plus pur & le plus parfait des Dons de Prière qui fût au monde, pour ce que sis hors du monde & de la vanité de ce monde.
Nombre de fidèles s'affligeaient à l'excès, pour tant, de ce que s'adonnant à sa Vie de Silence Orante, l'Ermite se voulût garder, désormais, & couper de tout lien avec eux, tranché. D'aucuns allaient même jusques à le condamner de s'être ainsi retrait du monde, & barricadé en Solitaire en la forêt profonde où il avait élu & fait son domicile, ce pendant, croyaient-ils, que s'il se fût mêlé à la Communauté des Frères, il les eût utilement Spirituellement Edifiés en Paroles & en Actes, sans pour tant nuire au cheminement propre de son Ame Bénie de Dieu. Mais, à tous ces blâmes & murmures de Mal-contents, l'Ancien se contentait d'opposer ces Saintes Paroles & Injonctions Inspirées du Grand Saint Isaac le Syrien : « Chéris l'Hésychia, pour ce qu'elle te sera de plus de prix bientôt que si tu t'étais dispersé loin de ta Prière à t'en aller leur subsistance porter à tous les affamés du monde. » Car le Saint, par ses Saintes Prières, obtient plus infiniment, irradiant à très grande échelle, en tous points de l'Univers, que qui tout le jour s'épuise oubliant de Supplier son Dieu, qui, Prié, eût Infiniment Agi pour lui comme pour l'entièreté du monde. Mais, les Moines eux-mêmes, qui ne s'étaient point élevés aux Théologales Hauteurs où sa Prière avait haussé le Saint, ignoraient, ne les ayant point expérimentées encore, les Saintes Vertus toutes Merveilleuses, & fort Miraculeuses de la Prière des Saints de Dieu. A quoi Saint Séraphim ajoutait encore à leur Instruction Spirituelle ces autres Paroles, toutes empreintes d'Expérience Spirituelle, de Saint Grégoire le Théologien : « Que tu Théologises pour Dieu, cela est beau, mais que, pour ce, tu commences, dans ton Amour de Lui, de te purifier toi-même d'abord, cela est à tous de plus de profit, & combien plus merveilleux encore . » Car, disent encore les Saints, seuls les Saints Théologisent bien. & seuls les Théologues peuvent de Dieu Parler en Justesse de Spirituels Propos Inspirés de l'Esprit.

C'était donc ainsi, par la très difficultueuse, dure, & douloureuse Ascèse du Grand Silence, que se purifiait tous Jours d'avantage Saint Séraphim, par la Voie la plus parfaite menant son Ame de Juste, & l'Illuminant des Lumières Divines de l'Esprit de Sainteté, tous Jours plus avant la conduisant, sur la Voie Montante & Elevée des Vertus, jusques devers les Mystères Suaves de la Contemplation Divine des Choses Mystériques & Providentes, une fois dépassées les lieux de Péril & de Perdition où les Démons apeurent, assaillent, & attaquent les âmes inexpérimentées, une fois par le Lutteur Spirituel confirmé, patenté, & aguerri, Terrassé le Démon.

Pour connaître les Fruits Spirituels que conférait au Bien Heureux cette Spirituelle Ascèse, il suffit d'entendre quels Propos Inspirés il tenait, & ce qu'il Enseignait de l'Hésychia, se fondant, à n'en douter du tout point, sur son Expérience Spirituelle propre. « Lorsque nous demeurons en Silence, imperturbablement », révélait-il plus tard, « le Diable ne peut rien contre celui que les Apôtres nomment « l'Homme lové en son Coeur » ( I Pierre III, 4). Le Silence de l'Esprit enfante en l'Ame de l'Hésychaste tous Jours Priant les maints Suaves Fruits de l'Esprit. De la Solitude & du Silence naissent l'Esprit de Douceur & de Contrition. Par le Vigilant Silence, si l'Homme Spirituel y joint d'autres Saintes Oeuvres, il s'en voit Spirituellement Elevé fort au-dessus de la crainte de Dieu, mené jusqu'auprès de Dieu, fait Ange sur la terre. Qu'il te suffise, lors, à toi, de t'asseoir, empli de contrition, dans le Silence de ta cellule close. Prends-y de la peine en suite, prends-y toute la peine possible, à fin d'approcher du Seigneur. & Lui, de toi qui es homme, tu verras qu'Il te fera devenir Ange. « & qui regarderai-Je », Dit Dieu, par la bouche su Prophète Isaïe, « sinon celui qui est Doux & Humble de Coeur, & qui révère Mes Paroles » ( Is, 66, 2). D'entre les Perles Spirituelles que tu en recueilleras, figure aussi la Paix de l'Ame, cet autre Fruit du Silence Béni. En Vérité, oui, le Silence est le grand maître de l'Hésychia, le guide, & le compagnon de la Prière Incessante, ce pendant que la Tempérance aussi purifie l'intellect des monstres chimériques & la maîtrise enseigne de la vie pulsionnelle. Jusques au bout du grand Silence progressant, celui qui parachève ce Saint Silence, c'est au Royaume de la Paix nonpareillement Ineffable qu'il aborde.


***

Par ainsi, tandis que Saint Séraphim, progressant dans la Sainte Ascèse, commençait d'acquérir les Charismes Spirituels les plus Hauts, c'est dans la Grâce Divine qu'il puisait toute sa Consolation . & son Coeur, désormais, à tous Jours tressaillait, tout Ineffable, d'une pérenne & perpétuelle « Joie En Esprit de Sainteté », ainsi que la désigne & dénomme le Saint Apôtre Paul, en son Epître aux Romains. ( cf Rom. XIV, 17).
Inlassablement s'élevant sur l'Echelle Sainte des Vertus, ainsi que la nomme Saint Jean le Climaque, dont le nom aussi signifie « l 'Echelle »,
cf Saint Jean Climaque: L'Echelle Sainte.(Ed.de l'abbaye de Bellefontaine),
le Saint entreprit de se mesurer à plus haute Lutte encore : Il désira de Vivre en Reclus. Voici donc ce qu'il fit : A l'époque enquelle il vivait, dont il est ici parlé, l'Higoumène du Monastère de Sarov était le Père Niphon. C'était un Saint Homme de Dieu, qu'inspiraient tout ensemble la crainte de Dieu, les Vertus, & l'Amour désintéressé de ses Frères. Pour le reste, au demeurant, un observant zélé de tout ce qui touchait au Saint Rituel ainsi qu'aux Saints Offices de la Sainte Eglise Orthodoxe. Après que fut Mort le Saint Ancien de Séraphim, le Père Isaïe, & demeuré comme Orphelin de son Saint Père Spirituel, le Père Séraphim, voulant demeurer Fidèle à son voeu de Silence, avait vécu isolé dans son Désert, comme l'on fait, encagé, dedans une prison. Auparavant, lorsque c'était Dimanche ou Jour de la Fête d'un Saint, il avait accoutumé de se rendre au Monastère, à fin d'y recevoir la Sainte Communion. Mais à présent, & depuis qu'il avait Prié si long Temps sur cette grande pierre plate de la forêt de Sarov, sur laquelle ses Enfants Spirituels tenaient de lui, & de son propre aveu, qu'il y était revenu Prier, agenouillé, près de Mille Jours & Mille Nuits, incessamment quasi, & sans presque discontinuer, ses jambes le faisaient cruellement souffrir, à telle enseigne qu'elles refusaient de le porter presque. Nombre de Moines s'en affligeaient pour lui, & dans le désarroi qu'ils en concevaient, & qui les en emplissaient, ils s'enquirent s'ilne se trouverait pas, de parmi leur Communauté, quelqu'un d'entre eux pour porter à Saint Séraphim les Purs & Saints Mystères. Aussi, dès là, l'Higoumène convoqua-t-il une Assemblée, ou Synaxe des Anciens, à cette fin de leur soumettre pareille question. Après qu'ils en eurent débattu, les Frères tombèrent d'accord ensemble, sur une proposition que l'on soumettrait au Saint Père Séraphim, qu'il s'efforçât encore, malgré tout, de venir, comme naguère, au Couvent, pour y prendre part aux Saints Mystères, Purs & Célestes, de la Sainte Communion, à supposer, toutefois, que ses jambes pussent tant soit peu le soutenir ; si pourtant elles persistaient à s'y refuser, l'Ermite viendrait alors, mais en Solitaire, tous Jours, & Saint Anachorète, demeurer au Monastère. Enfin, les Pères résolurent que l'on ferait part au grand Renonçant de cette décision nouvelle par le truchement du Frère qui, chaque un Dimanche, lui venait porter sa maigre subsistance. Telle serait donc l'alternative entre les deux partis de laquelle il lui proposerait de fixer & d'arrêter son choix.

Ainsi fut donc bientôt fait. Le Saint pourtant, à cette offre, tout d'abord ne répondit mot. Aussi, le Dimanche suivant, les Saints Pères du Monastère confièrent ce soin, au Moine qui, tel un ancien Frère Convers, ou un Syncelle, qui eût partagé sa cellule, eût reçu la Diaconie & Service Divin de servir le Saint, de renouveler au Père Séraphim la requête déjà formulée par eux, Pères & Frères de la Synaxe. Le Saint Ascète, lors, pour toute réponse, se contenta de bénir le Frère; puis, lorsqu'il lui eut donné sa Sainte Bénédiction, ils se mirent tous deux en route pour le Monastère de Sarov. Là, le Saint Hésychaste se vit contraint de céder aux Prières de ses Frères, auxquels il n'avait point celé, dérobé, ni déguisé que sa faiblesse physique, - celle, corporelle, d'un organisme usé par les exigeantes rigueurs de l'Ascèse -, lui défendait désormais de se venir joindre à eux en Eglise, pour s'y Ecclésifier avec eux tous ensemble, tant le Dimanche, que les Jours de Fêtes, comme il en avait antan accoutumé.
L'on était alors en 1810, au huitième Jour du joli mois de Mai, & mois de Marie la Vierge & Mère de Dieu aussi. Saint Séraphim était alors entré dans l' âge de sa cinquantième année bénie.

De retour au Monastère, après une Haute Lutte au Désert, en sa forêt profonde, de quinze longues années, & ce Jour même qu'il y rentrait, peu avant que ne débutassent les Saintes Vigiles, le Saint, de préférence à sa cellule, gagna l'Hospice, plutôt, par souci d'une discrétion accrue. Lorsqu'enfin les cloches sonnèrent pour signaler le début de l'Office, il fit irruption, soudain, en l'église de la Dormition de la Mère de Dieu. Quelle ne fut pas, lors, la stupeur de tous les Frères! Lorsque, tel l'éclair, se répandit la nouvelle du retour au Monastère de Saint Séraphim!Le lendemain, 9 Mai, qui était Jour de la Fête de la Translation à Bari, en Italie du Sud, des Saintes Reliques de Saint Nicolas le Thaumaturge, l'Ancien s'en revint à l'église de l'Hospice, où il prit part aux Saints Mystères du Christ. De là, il s'en fut, par après, gagner la cellule de l'Higoumène, le Père Niphon, à cette fin de lui y demander la bénédiction de s'en revenir à son ancienne cellule. Il s'en fut donc s'y enclore.
Là, il ne recevait personne, n'allait nulle part, & ne s'entretenait avec quiconque. Il s'était attelé à un nouveau combat, plus âpre que ses précédentes Luttes : & ce Combat de Haute Lutte avait nom : La Vie Recluse. Saint Séraphim était d'ores & n'avant bien un Reclus.

De ses Hauts Faits dans cette époque nouvelle de sa Vie Sainte, il n'est su, hélas! Que fort peu de choses. Car, ainsi qu'il a été dit déjà, le Saint, en sa Retraite, ne recevait personne, ni quiconque. Mais il est connu, nonobstant, que sa cellule ne renfermait rien, presque, que le strict minimum vital dont il avait usage pour sa dure existence, que son humble pièce à vivre, donc, ne contenait pas le moindre objet superflu, mais qu'elle était, bien au contraire, totalement dépourvue & dénuée de tout, & du plus nécessaire même, hors un pupître à Prières, & l'Icône de la Mère de Dieu, que l'on pouvait seule y voir, devant laquelle brûlait tous Jours une veilleuse à huile. L'on lui voyait aussi, à ce grand Saint non-possesseur, qui s'était dépossédé & appauvri de Tout, pour s'enRichir de Dieu, profusément, surabondamment, & Infiniment, on lui voyait, donc, attachée à son cou, une Sainte Croix, d'un métal point même précieux, signifiant à tous ceux qui la lui voyaient ainsi porter qu'il fallût, ainsi que le dit Saint Paul, en sa Première Epître aux Corinthiens, « que la chair fût Mortifiée, & que l'Esprit fût Sauvé de Sainteté. » ( I, Cor. V, 5). Mais, point de chaînes ni de cilice. Il n'en portait jamais, & ne persuadait à quiconque d'en devoir porter, à l'imitation des Flagellants & des Bourreaux d'eux-mêmes. » Mais, « s'il se trouve quelqu'un », disait le Saint, « pour nous blesser, en paroles ou en actes, & qu'à l'Imitation de l'Evangile, nous en supportions les douloureuses offenses amères, voici nos chaînes, voilà notre cilice; voici notre herse, & voilà notre discipline. Ces chaines-là, toutes spirituelles, sont plus hautes & plus rudes que les chaînes de fer, & ce cilice spirituel, plus haut que cet autre, fait seulement de matérielle matière. » Pour vêtement, il se contentait de celui qu'il avait reçu pour s'en aller au Désert, où vont presque sans rien, quasi, dès tous Jours, les Saints Anachorètes, Grands Renonçants au Monde. Pour toute boisson, il ne s'étanchait que d'un peu d'eau, &, pour toute nourriture, il n'avait à disposition qu'un peu d'orge pilé, & de chou râpé. C'était le Moine Paul, son voisin de cellule, lequel, comme s'il eût été son Syncelle, & qu'il eût, pour le servir, partagé sa cellule, les lui venait porter. Lors, avec les Saintes Paroles d'usage, consacrées par la longue Tradition ininterrompue des Saints qui les ont proférées : « Par les Prières de nos Pères Saints, Père, Bénis! », il les disposait silencieusement devant la porte du Saint, puis, subrepticement, & comme furtivement, sur la pointe des pieds, s'en allait.

Lors, dans la crainte d'être aperçu, le Reclus se couvrait d'une large pièce d'étoffe, &, s'agenouillant, prenait le plat tout comme s'il l'eût reçu de la Main même de Dieu. Il se sustentait quelque peu, puis, réglant sa conduite sur les Anciens Ermites du Désert, qui observaient cet usage antique d'enfouir leur visage dans leur cuculle à capuchon, lorsqu'ils n'en pouvaient plus, en manière, s'y étant encapuchonnés & voilés, comme pour s'y rouler, de s'y endormir enfin, selon que dit l'admirable Grand Saint Isaac le Syrien, en ses Ecrits Ascétiques,
cf Saint Isaac le Syrien : Ecrits Ascétiques. (Ed. Théophanie),
après les Pères Saints cités par Pallade, en son Histoire Lausiaque,
cf Pallade : Histoire Lausiaque.
(Dits & Sentences des Saints Pères du Désert). ( Ed. Desclée de Brouwer),
à son tour consolant : « Lorsque tu n'en pourras plus, enroule-toi dans ton capuchon, & dors », il s'envoilait donc les yeux, & s'en couvrait la face, pour reporter le plat en la place où l'on le lui avait mis, tacitement déposé.

Ce fut une bien Haute Lutte, en Vérité, & diverse en ses formes diversifiées, que mena le Saint pour la Prière Hésychaste, & dans tout le Temps entier qu'il eut à demeurer Vivre en Reclus. Ici tous Jours, comme au Désert antan, hors la Divine Liturgie, il s'acquittait, en sa quotidienneté, & de son canon de Prières psalmodiées, & de ses Saints & Divins Offices. Mais tout ce Temps durant, & sans discontinuer, incessamment, il s'adonnait à la Sainte Ascèse de la Prière Mentale, laquelle, étant Mystérieusement, & Miraculeusement descendue dans son Coeur, y méritait plus au Vrai son nom plus juste de Prière du Coeur, y alternant sur le souffle, & dans ses battements lovée, la Prière du Christ & celle à la Mère de Dieu : « Mon Christ, aie Pitié de moi! Très Sainte Mère de Dieu, Sauve moi! ». en fin, d'un Temps l'Autre, cette Sainte Invocation Priante de l'Ame Orante lui donnait de s'abymer soudain dans l'Infinie Contemplation, Eterne, du Divin. Lors, ascétiquement debout devant l'Icône Vénérable, oublieux, comme d'un oubli subit saisi, de sa règle de Prières, de ses métanies, & prosternations, en Esprit ravi, & de ce Ravissement transporté tout, il Contemplait En son Coeur, Mystériquement, la Déité Sainte.

Durant le Temps de la semaine, Saint Séraphim s'adonnait à la méditative lecture, en son entièreté, du Nouveau Testament. De cette tâche ardue, plus chère aux Ames Pieuses qu'aux gens de l'étude, aride, & stérile au coeur souvent, desséché, de ce que ne nourrissant point l'âme, l'ordre Inspiré, à l'inverse de cet autre, était chez lui immuable. Il lisait donc, le Lundi, Jour des Anges, d'entre lesquels il portait le nom tout de Flammes de Feu d'Esprit de Sainteté, il le vouait à l'Evangile selon Saint Matthieu ; le Mardi, à l'Evangile selon Saint Marc ; le Mercredi, Jour de Jeûne, à l'Evangile selon Saint Luc ; le Jeudi, à l'Evangile selon Saint Jean, le Disciple le plus Tendrement Aimé & le Préféré du Seigneur, pour ce le plus Théologue aussi ; ce pendant que le Vendredi, Jeûné, & le restant, en suite, de sa Sainte Semaine, était par lui consacré aux Actes des Apôtres ainsi qu'aux Epîtres des mêmes Saints Apostoliques. Ce faisant, il advenait que sa porte entr'ouverte, parfois, laissât filtrer le doux son de sa voix, car il se faisait à soi tout haut la lecture attentive ; ou bien, il se commentait à soi-même le Texte Sacré. & il passait en la sorte assez de Temps à plaisir à cette occupation Sainte. En sorte que, la chose s'étant ébruitée, beaucoup venaient derrière sa porte écouter ses Dits, & y puiser plaisir & consolation douce. Car ils y goûtaient, comme d'un Nectar Suave, Nourriture de l'Ame & Profit Spirituel nonpareils. D'aucuns, d'autres fois encore, le voyaient qui avait cessé de feuilleter & tourner les pages de son Livre. Lors, tandis que ses yeux fixaient quelque objet sur lesquel ils s'étaient comme arrêtés sans le voir, pour scruter l'Invisibilité des Choses, pas un membre de son corps ne bougeait plus, & son Esprit, lentement, doucement, semblait s'en être allé, dérivant. Il s'enfonçait, dès là, jusques après, comme l'on glisse sur la pente de la Rêverie d'abord, dans une Contemplation sans fonds, des Purs & Sublimes Mystères d'Intelligence du Coeur fait Esprit de Sainteté. & ce Recueillemnt Parfait de Saint Séraphim Méditant En Esprit Saint les Vérités Evangéliques d'une Profondeur au monde Inégalée, s'accompagnait, en retour, du Don Céleste de Grandes Grâces, & de Spirituels Charismes d'En Haut par Dieu Gracieusement octroyés. Desquels il nourrissait aussi son Ame Sainte . Car il lui avait été donné, & à plus d'une reprise, d'être fort incompréhensiblement ravi jusques aux Demeures Célestes, à l'Imitation d'un Divin Paul, ou d'un grand Saint Barsanuphe, qui furent, eux aussi, de Divin Ravissement au-delà d'eux-mêmes transportés, dans le sensible Vivant par-delà le sensible, comme enlevés jusques au Troisième Ciel.

De semblable état de désaisissement extatique de soi que nulle froide raison humaine ne saurait sensiblement, non plus même qu'imaginativement concevoir, où l'esprit demeure arrêté, comme en suspens, immobile, par l'Esprit saisi tout, le jeune Moine novice Jean, qui devint par la suite, dans le Schème Monastique, le HiéroMoine Joseph, s'explique en ces termes : « Un jour », s'explique-t-il donc, « - c'était dans le Temps que Séraphim avait regagné le Saint Monastère -, je reçus la visite d'un Frère fort épris, Amoureusement, de Dieu. Or, il se trouvait que, dès long Temps déjà, j'avais accoutumé de partager avec lui chacune des joies par le Saint prodiguées, sous la forme souvent des consolantes Paroles de sa bouche tombées, & que, plus précieusement que Perles d'un Trésor Spirituel sans prix, avec vénération, nous récoltions, & ramassions chaque fois pour les engranger dans les vastes greniers de la Mémoire, à telle enseigne de les pouvoir en leur Temps opportun, à l'Heure dite & bien venue, comme autant de Trouvailles Oubliées & de Trésors Insignes voir, à point nommé, fort exact, & Providentiellement opportunément, tout à propos, sur l'instant ressortir, &, pour notre plus grande Joie Spirituelle, resurgir tout Vivants. & comme, une fois de plus, nous nous entre'parlions & nous entre-tenions en l'espèce, il s'enquit à brûle-pourpoint si le Saint Père Séraphim ne m'eût point, d'adventice sorte, dévoilé quelqu'un des Sublimes Mystères qu'il lui avait été donné de goûter d'En Haut octroyés. &, ce disant, il songeait, sur-tout à l'un de ses Ravissements dans les Tentes des Célestes Sé-Jours. Je lui repartis que, pour mon humble part, je n'avais point seulement ouï-dire que Dieu lui eût même octroyé semblable Miséricorde. Dont je le suppliai de m'en conter sur cette Surnaturelle matière le plus qu'il lui fût possible de m'en pouvoir dire. Mais lui ne sut rien m'en reconter qui pût satisfaire à mon si vif désir & spirituelle soif d'en, si peu que ce fût, savoir mot. Dès après, donc, que j'eusse reconduit ce Frère à sa cellule, j'attendis, tout brûlant d'ardente impatience fiévreuse, un moment, providentiellement, par cause occasionnelle, donné, qui fût tant soit peu plus propice à quelque visitation chez le Bien Heureux. Je me voyais déjà le supplier d'envelopper de doux bonheur mon âme de par le récit qu'il ne manquerait pas de me faire enfin de ces gages immenses de la Promesse de Salut qu'il avait d'ores & déjà reçue de la Miséricorde Divine. De fait, à la tombée venue du soir, il me fut donné de pouvoir réaliser ce dessein. Lui-même me réserva l'accueil d'un père tout plein d'amour pour l'enfant de ses entrailles. Sans plus tarder, il referma sur nous la porte à clef, &, quand nous fûmes assis, à peine allais-je le prier de m'expliquer quelqu'un des grands Mystères dont toute sa Vie Spirituelle étai pleine, lorsqu'il coupa court à tout ce que j'eusse pu dire, mettant sa main sur ma bouche : “ Emmure-toi dans le Silence ”, fit-il.
Alors, avec cette simplicité coutumière qui était sienne, il entreprit de m'évoquer à nouveaux frais l'Histoire Sainte des Saints Prophètes du Christ, des Saints Apôtres, des Saints Pères, des Saints Martyrs, & de tous les Saints. “ Tous les Saints”, rappelait-il, “ que fête l'Eglise Orthodoxe du Christ, nous ont laissé, avec leur Vie, de grands modèles d'Edification Spirituelle, proposés à l'Imitation des Vertus leurs. & qquoique tous eussent été, d'abord, des hommes comme tous autres, avec des passions semblables à celles de l'homme du commun, cependant, pour avoir gardé l'observance exacte des Divins préceptes du Christ, ils ont atteint jusques à la perfection, & obtenu le Salut de leur Ame. En sus de quoi, ils ont encore été jugés dignes de recevoir la Divine Grâce, &, avec elle, les divers Dons & Charismes octroyés de l'Esprit de Sainteté. Aux fins de quoi, ils ont obtenu pour héritage le Royaume des Cieux, ce Royaume d'une Splendeur de Gloire sans pareille, & devant quel toute la vaine gloire du monde n'est rien. Oui, toutes les jouissances de ce vain monde ne sont point même l'ombre de celles qui, dans les Demeures Célestes, ont été appêtées pour les Aimants Amoureux de Dieu. Car là seulement sont les Vraies Joies & les Fêtes Eternelles du Jour sans Crépuscule, En la Lumière de Divine Gloire.
Pour tant, avant qu'il nous fût d'En Haut donné de pouvoir ainsi affranchir du Mal & Libérer des limitations du péché nos âmes prisonnières de nos pulsions mauvaises & passions maladives, qui nous tiennent prisonniers des rêts & des filets du Diable, comme avant de pouvoir jusques à ces Hauteurs Sublimes l'Elever, où elle jouit, sans plus d'entraves, désaliénée du Malin, &, comme l'Esprit, légère, subtile, ailée, de la familiarité du Seigneur, dont elle est au Vrai devenue la familière, Lui parlant telle l'Epouse à l'Epoux Unie, & de son doux Entretien, Spirituel, Céleste, & Suave, ininterrompu, il nous faut, de prime abord, en la Prière Incessante, & dans la Veille Persévérante, & souvent renouvelée, nous humilier devant Dieu, l'esprit sans cesse occupé de Lui, jusques en renaître Esprit nouveau, Esprit Saint du Seigneur Dieu Tout Saint, Esprit de Sainteté. Voilà aussi pourquoi ce pauvre Séraphim que tu vois devant toi, chaque jour étudie l'Evangile : C'est ainsi, donc, que, le Lundi, je lis l'Evangile selon Saint Matthieu ; le Mardi, l'Evangile selon Saint Marc ; le Mercredi, l'Evangile selon Saint Luc ; le Jeudi, l'Evangile selon Saint Jean ; & que le restant de la semaine, je le consacre aux Actes des Apôtres, & aux Epîtres. En sorte qu'il n'est pas un seul Jour où j'omette de lire tout ensemble & l'Evangile, &, outreplus, l'Apôtre, - ce qui, succintement, désigne le Saint Apôtre Paul - & le Saint du Jour. De quoi tout, non seulement l'Ame, mais le Corps aussi, sont comme charmés & Vivifiés. C'est ainsi que je m'entretiens avec mon Seigneur, & que je me remémore Sa Vie Sainte, tout ainsi que Ses Saintes Souffrances. Dès là que, de Nuit comme de Jour, je fais vers mon Sauveur monter mes actions de Grâce, & mes humbles louanges. Le Glorifiant de la Miséricorde Infinie qu'Il ne cesse d'épandre sur la race humaine, & sur moi aussi, l'indigne ”. &, après un court silence : “ Ma Joie! “reprit le Saint Père Séraphim. “ Je t'en prie ! acquiers l'Esprit de Paix Divine, qui SurPasse toute intelligence, & alors, tout entour toi, des milliers d'âmes trouveront à leur tour le Salut ». Puis, comme saisi d'une Joie qui ne se peut décrire, à haute voix, il ajouta : « Voici que je vais te parler du pauvre Séraphim. » Aussitôt lors, baissant la voix, il continua : « Il est une Parole Christique qui emplit mon Ame de douleur de contrition : « Dans la Maison de mon Père, il est beaucoup de demeures » pour ceux qui Le Suivent & Glorifient Son Saint Nom. A ces mots de mon Sauveur, je me suis attardé, pauvre de moi, être pitoyable, & j'ai désiré de Voir & Contempler ces Demeures Célestes. & la Miséricorde du Seigneur ne m'a point fait défaut, à moi, l'indigent Spirituel. Il a sans tarder exaucé mon désir, & entendu ma supplication. &, comme le Dit Saint Paul le Divin, « j'ai été ravi au Paradis; - était-ce hors de mon corps, je ne sais; Dieu le Sait. » C'est quelqu'une chose qui ne se peut point oublier. & je ne te puis dire – Il n'est point de mots pour cela- quelle Joie Célsete, quelle Douceur Suave j'y ai goûté, avec délectation toute ineffable. » Sur ces Paroles Inspirées, le Saint Père Séraphim se tut. Dans le même moment, il se pencha, légèrement, en avant, tourna la tête de côté, &, fermant les yeux, lentement, en un geste harmonieux, il porta jusqu'en l'endroit du Coeur la paume de sa droite, qu'il tenait ouverte, en signe d'offrande à Dieu de ce qu'il en avait recueilli. Son visage, profondément changé, rayonna soudain d'une Lumière comme Surnaturelle. Bientôt après, il fut si Lumineux que la vue de son regard ne se pouvait plus soutenir. Sur ses lèvres flottait l'expression d'une Béatitude, mêlée d'un Enthousiasme si Divin, qu' en cet instant, l'on eût cru, véritablement, voir un Ange terrestre, ou bien un Homme Céleste. Aussi long Temps que dura ce Mystérieux Silence, il paraissait Contempler, avec Recueillement, &, comme avec stupeur, ouïr d'Ineffables Choses. Mais, l'objet de ces Divins Transports, & ce qui, au Profonds de lui, Ejouissait son Ame de Juste, Dieu seul le Sait, & Ses Saints. Au Juste de Dieu même, manquent les mots – si grande est l'infirmité de l'humain langage – pour dire assez son sublime Ravissement dans les Demeures d'En-Haut, l'exacte nature & les Manifestations Théophaniques de cette Extase. Néanmoins, l'étrange Lumière qui lui colorait la Face, & son Silence Mystérieux m'en témoignaient assez déjà. & pour moi, bien que j'eusse de mes yeux vu ce prodige de la Transfiguration de son visage par la Divine Lumière Incréée de Dieu, je ne cessais point de me redire ces mêmes mots : « Le Seigneur Sait, quant à Lui, comment tout ce advint. » Ce même jour, cependant, le Saint Père Séraphim, après une longue demi-heure de quasi absence au monde, se reprit enfin à parler. Lors, plein de Joie & de Contrition d'un Coeur que l'Hésychaste Prière brisait tout, dans un de ces soupirs que l'Esprit de Sainteté, ineffablement, exhalait en lui, il s'exclama soudain : « Ah! Bien-aimé Père Jean! Si tu savais la Douceur, & toute la Béatitude d'Extatique Bon Heur qui sont au Ciel, lesquels, de toute Eternité, attendent l'Ame Juste, alors, il n'est point de Persécution, point de calomnies, point d'humiliations que tu ne souffrirais, & de plein gré même, dans l'attente de si Bien Heureuse Résurrection. &, quand même ta cellule grouillerait de vers, & quand bien même ces vers dévoreraient nos chairs, & tous les jours de notre vie sur terre les rongeraient, à cela même, & de tout notre Coeur, il nous faudrait nous résoudre, à cette fin seule de ne se voir pas privés de ce Céleste Bon Heur qu'a Dieu pour ceux qui L'Aiment apprêté. &, de par le fait, Là, les Justes Brilleront comme le Soleil de Justice Christique qu'Est Christ. Mais, quant au Saint Apôtre même, le Pouvoir n'étant point donné de redire cette Gloire & cette Joie qui sont au Ciel, quel humain langage, quelle langue ? pourraient-ils peindre & dépeindre toute l'Ineffable Beauté de ces Demeures d'En-Haut qu'habiteront, pour l'Eternité, les Ames Saintes des Justes?

Aussi long Temps que dura sa Vie de Reclus, & lorsque c'était Dimanche, ou Fête d'un Grand Saint d'entre tous ceux du calendrier du Jour, Saint Séraphim communiait aux Saints Mystères, qu'au petit matin l'on venait en sa cellule lui porter, aussitôt après qu'eût été célébrée la Liturgie dans l'église de l'hospice de soins. Même ainsi pourtant, craignant encore, s'il se pouvait, d'oublier l'heure de sa Mort, & désireux de se pouvoir plus à loisir, & tout à son aise, au plus profonds de son Coeur recueillir, Saint Séraphim pria les Pères Saints de, par avance, lui creuser son cercueil, à cette fin qu'on le mît en sa cellule, dans ce dessein que lui pût sa vue remémorer incessamment le Temps de sa Mort. En sorte & manière d'accéder à son désir, les Moines lui sculptèrent donc une bière en bois de sapin évidé, coiffée d'un couvercle, & placèrent le tout à demeure dans le couloir d'entrée qui menait à sa piécette de vie. Aussi était-ce là désormais, en ce lieu étroit, où flottait un avant-goût de Mort de Saint Homme, que venait Prier le Saint, pour s'y mieux préparer à sa sortie de ce monde. & souventes fois, ce pendant qu'il s'entretenait avec les Moines de Sarov, le Saint faisait devant eux mention de ce Tombeau, suppliant que ce fût en celui-ci, qu'avaient Béni ses Prières, que l'on le déposât, lorsqu'il serait Mort, très Passé, & dans le Seigneur Endormi, dans l'attente de la Résurrection Universelle de tous les Morts au Monde.

A ces Hautes Luttes Spirituelles, le Père Séraphim joignait le dur labeur au grand air. De fort bon matin, donc, avant que ne blanchît l'aube, lors que tout dormait encore, la Prière de Jésus sur les lèvres, il se dirigeait vers les Tombes, entour lesquelles il amassait du bois de chauffe, qu'il charriait ensuite jusque devers sa skyte. Un jour, un jeune novice du Monastère le surprit en son dur travail bûcheronnant. - C'était le Moinillon qui avait pour Diaconie & tâche monastique de sonner la simandre, - longue pièce de bois portée sur l'épaule, en laquelle se frappe au maillet comme d'un heurtoir, pour, de par ce bruit sonnant, réveiller pour l'Office Divin tous les Moines du Monastère endormi. Tout joyeux d'encontrer le Saint à son ouvrage, le jeune rasophore le salua, en s'inclinant devant lui jusqu'à terre, sa main, d'une métanie, touchant le sol, &, s'allant jeter même à ses pieds, il les tint humblement un long Temps embrassés, dans cette manifestation extrême de sa grande dévotion & vénération pour le Saint, lui demandant sa Sainte Bénédiction, en sorte que le Saint, l'accompagnant de ses Saintes Prières, Bénît tout ce qu'il entreprendrait en sa vie. &, comme Saint Séraphim le Bénissait de sa droite, faisant sur lui le Signe Précieux & Vénérable de la Sainte Croix : « Prends garde », lui enjoignit-il, « de te murer dans le Silence de la Prière. & de ce rempart que tu te seras élevé, de tout Mal, te protéger .»

Après qu'il eût passé dans la Réclusion près de cinq années entières, le Saint résolut d'en plusieurs points changer l'ordinaire de sa règle de Prière accoutumée : Lui qui s'était si long Temps coupé tout du monde, à présent tenait ouverte la porte de sa cellule, & chacun l'y pouvait désormais, à son gré, librement visiter. Toutefois, il demeurait muré dans le Silence de sa Prière profonde, laissant sans réponse les questions multiples diverses qu'il advenait qu'on lui posât : &, fidèle à son voeu de Silence, il ne le rompait point, continuant de vaquer à ses diaconies Spirituelles ordinaires, & extraordinaires. Mais tous savaient, ce pendant, que la Sainte Prière du Starets exaucerait leurs demandes & transformerait leur vie, Dieu, par son Saint, leur devant donner tout ce qu'il y avait pour eux de mieux sur la terre, & qui fût dans le même Temps le plus proprement adéquat à réaliser le Salut de leur Ame.
L'Evêque de la région de Tambov, si riche en Monastères, & si profondément irriguée par les secrètes Prières de ses Saints qui manifestement en suite l'en Illuminèrent, lequel Evêque du lieu était alors Monseigneur Jonas, & qui faisait au Monastère de Sarov de fréquentes visites, exprima quelque jour son désir de voir en fin le Saint Père Séraphim en personne. & ce fut dans ce dessein exprès qu'il le vint trouver jusques en sa cellule. Mais cette fois encore, non plus que toutes les autres, l'Ermite qui, devant Dieu, s'acquittait fidèlement de son voeu comme de ses promesses, & désireux de se garder à tous jours de toute humaine vanité, ne voulut point porter atteinte à son Hésychia Sainte, non plus que mettre un terme à sa Réclusion. Il était lors manifeste que le Temps n'était point encore venu, pour lui, de renoncer à la Vie Erémitique des Solitaires & Saints Anachorètes. Ainsi finit aussi par l'entendre le très pieux Evêque qui, de lui-même, déclina la proposition que lui faisait l'Higoumène Niphon de forcer l'entrée de la cellule du Saint Starets, au titre & au motif que son noble visiteur était une personne de marque, en sa qualité d'Evêque. « Non, non », protesta son Eminence Jonas,
« n'en faisons rien, à crainte que nous n'en venions, pour la peine, à chuter par la suite. » & il laissa le Saint à sa Paix Profonde de Bien Heureux.

Peu de Temps après cette aventure, le Temps, l'Heure, & le moment propice, véritablement advinrent où Saint Séraphim se devrait d'abandonner tout-à-fait & la Retraite, & l'exercice en icelle du plus profonds Silence. Dans l'absolu Renoncement à soi, avec Patience, avec Humilité, & jamais ne se départant de son inébranlable Foy, il avait tour à tour emprunté & suivi les voies tous Jours plus étroites du Moine, de l'Ermite, du Stylite, de l'Hésychaste, & du Reclus. Il y en avait reçu de Dieu, outre la Pureté de l'Ame, les plus Hauts Charismes des Grands Saints de Dieu. & maintenant, puisque telle était à présent la Volonté du Seigneur Dieu, ainsi qu'il le sentait, & qu'elle lui était manifestée en son Ame, il se voyait contraint de se déprendre de sa chère Hésychia Sainte; &, tandis que son être entier continuait de Vivre En Dieu & par Dieu seulement, - tout le reste lui en étant donné par surcroît, de par la Protection Extrême, sur lui, en chaque instant & en toute chose, de la Sainte Providence -, d'en cette Vie En Dieu qui paraissait avoir la semblance, plutôt, d'une Mort au monde, lors, de par l'Esprit de Sainteté tout empli désormais d'Amour de Dieu & de ses Frères, - les Charismes de l'Apôtre Prédicateur en Mission Apostolique par toute la Terre, ceux du Clairvoyant, Gratifié du Don de Discernement, ceux du Médecin des âmes & du Thaumaturge des corps, - il entreprit de se vouer à ce même monde dont il s'était d'abord isolé & séparé, & auquel il ferait dorénavant servir la Paternité Spirituelle du Saint Père Spirituel & du Saint Starets qu'il était par ainsi, en telle Sainte Ascèse, devenu, d'en affermir les âmes & de les Fortifier par sa Sainte Prière, &, par ses Exhortations & Conseils Spirituels, faire rejaillir sur lui, monde enténébré d'âmes perdues sans Phare Spirituel & sans pilote d'icelles âmes spirituellement inenseignées & en friche encore, la Consolation qu'au Coeur de Ses Saints fait en leur Persévérante Prière sourdre Dieu Saint, Dieu Fort, & Immortel. Ainsi Saint Séraphim s'attela-t-il à la lourde tâche de Saint Père Spirituel, de Saint Starets, & de Saint Ancien tout ensemble, Spirituellement Enseignant les âmes. Difficultueuse diaconie, qu'il s'en allait mener à bien, & à son dernier point de Perfection Spirituelle même, jusques au terme dernier de sa très ascétique Vie , plus que Sainte.
Cet Oeuvre Saint de Starets, l'Hésychaste toujours de la Prière du Coeur Priant, le commença en admettant à son Entretien Spirituel tous ceux qui le venaient visiter, &, en premier lieu, les Moines. Il leur conseillait, en leurs débuts spirituels, une observance stricte & zélée des canons monastiques, & il les exhortait à s'acquitter de leur règle de prières selon l'ordonnance du Typikon. Il leur enjoignait de se rendre sans faillir à l'Eglise, pour en suivre les Divins Offices, & puis, par la Veille les prolonger fort avant dans la Nuit. Il leur montrait à s'exercer sans répit à la Prière Mentale, laquelle, descendant par après dans le Coeur devient Prière du Coeur. Il les encourageait à remplir avec empressement, application, & Sainte Humilité leurs diverses diaconies, & autres tâches monastiques. Il les avertissait encore de ne point prendre place au réfectoire qu'ils ne sentissent au Coeur la Révérente crainte de Dieu, & de n'avoir point à s'absenter du Monastère, que ce ne fût pour une cause bénie, & présentant quelqu'un caractère de nécessité. Ils se devaient garder d'agir à leur seul gré, & fort inconsidérément. Il seyait qu'ils usassent de Patience & de Longanimité, tous jours avec Constance Persévérant au travers de toutes les épreuves qui leur pussent advenir. Qu'ils veillassent à ce qu'incessamment régnât entre eux la Paix de Dieu, profonde, sans bornes, & sans limites, qui surPasse tout entendement rationnel & toute humaine intelligence. A quoi il ajoutait mille & unes choses de semblable nature.
En sus de quoi, le Saint Ancien entreprit encore de recevoir le tout-venant des gens du monde qui le pouvaient venir, jusques en sa Solitude Sainte d'Hésychaste Priant, trouver. Depuis les Matinales Heures de la Sainte Liturgie jusques sur les huit heures du soir, sa porte d'Ermite & de Saint Anachorète, désormais s'ouvrait à tous. & tous, avec un même joyeux empressement, à bras ouverts il les accueillait, de prime abord réchauffant leurs âmes froidies de la Chaleur débordante de son Coeur, comme d'une Vive Source Chaude, incessamment s'épanchant. A tous, dès lors, il donnait sa Bénédiction Sainte aussi, qu'il assortissait de brèves injonctions, d'entre celles qu'il jugeait les plus nécessaires, pour les faire, à ces naufragés de l'errante vie, des flots battus, & des tempêtes drossés de leur existence, de Dieu vide, servir de planches, ultimes, de Salut. Ses visiteurs pèlerins, il les recevait, comme à son accoutumée, d'une tunique blanche vêtue, - sorte de blouse paysanne de moujik à la Russe -, sur une courte soutane blousant. Mais, le Dimanche, & lorsque c'était jour de Fête d'un grand Saint de l'Eglise Orthodoxe, il portait ses manchettes de Saint Prêtre, & mettait au cou sa longue étole de Père Confesseur, car, ces Jours-là, il communiait aux Saints & Divins Mystères.
C'est avec un Amour tout particulier qu'il laissait venir à lui ceux sur-tout en qui il décelait une Humilité vraie, & un Repentir sincère, ou qui, à l'Imitation des Saints Zélotes de Christ-Dieu, En Esprit de Sainteté, Témoignaient, à l'endroit de la Vie Spirituelle, d'un Zèle tout enflammé. & lorsque l'Entretien Spirituel approchait de sa fin, & que ses Visiteurs-Pèlerins inclinaient la tête afin de recevoir sa Sainte Bénédiction, il leur couvrait la tête du bord de son étole, & les invitaient à réciter avec lui cette Prière de Contrition : « J'ai péché, Seigneur, j'ai péché, en mon corps & en mon âme, en parole, & en acte, en pensée & avec tous les sens, par la vue, l'ouïe, le tact, le goût & l'odorat, volontairement & involontairement, en conscience, & par ignorance. » Le Saint lisait alors sur leurs têtes la Prière d'Absolution des fautes, péchés, & manquements, & les visiteurs ressentaient lors, avec un subit allègement de conscience, les envahir tout, du Saint émanée, Mystériquement Effusant, une étrange Douceur Spirituelle. Puis, sur leur front, il traçait une croix, avec l'huile de la veilleuse continûment brûlant devant l'Icône de sa cellule, où étaient peints les Doux traits de la Mère de Dieu Miséricordieuse, Celle qu'il ne nommait jamais d'autre sorte que « Joie de toute joie » . &, s'il faisait encore matin, il leur donnait un peu de l'eau bénite le jour de la grande Bénédiction des Eaux de la Théophanie, ainsi qu'un morceau de prosphore que sanctifiait le seul toucher du Saint, l'entière Nuit resté & demeuré en Vigile. En fin, dans un ultime baiser, il leur soufflait la salutation pascale : « Christ est Ressuscité! ». Puis, il leur donnait à embrasser la Sainte Icône de la Mère de Dieu, ou bien la Sainte Croix qu'il serrait sur son Coeur.
A ceux qui s'ouvraient à lui de quelque tourment secret, ou de quelqu'une tribulation de leur âme malade, en proie à la détresse,
Saint Séraphim leur apportait la Consolation, non moins que s'il eût été leur père selon la biologique nature, puis il leur administrait les baumes spirituels requis. S'il prodiguait ailleurs des Conseils Spirituels recevables de par tous les Fidèles Chrétiens Orthodoxes, c'était surtout lorsqu'il Enseignait l'incessante Mémoire, Souvenir, & Remémoration de Dieu, la Prière du Coeur, & la modeste Sainte Humilité, qu'il se montrait un Guide Spirituel admirable entre tous. Cependant, sa préoccupation première, moins ambitieuse Spirituellement, était que tous eussent toujours aux lèvres & au coeur la prière Liturgique dominicale du Notre Père, jointe à la Salutation Angélique de l'Archange Gabriel à la Vierge Sainte lors de l'Annonciation : le « Réjouis-toi Vierge très Sainte & Mère de Dieu très Pure », tout ainsi que le Symbole de la Foi du Credo de Nicée-Constantinople transmis par les Saints Pères de l'Orthodoxie, le tout couronné par la Sainte Prière du Coeur incessante, litaniquement en silencieuse conscience répétée : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie Pitié de moi, pécheur ! », ou bien, sous sa forme plus simple abrégée : « Mon petit Seigneur, aie Pitié de moi ! », ou même, comme font les Saints Pères Orthodoxes usant pour invoquer Christ de son affectif surnom Grec: « Christouli mou -( Mon petit Christ-), prends Pitié ! » A quel Enseignement de la Prière du Coeur, affectueusement aussi dénommée « la petite Prière » (- Efkhoula », en Grec-), le Saint Starets ajoutait, insistant : « Concentre-toi. Oui, concentre sur la Prière du Coeur toute ton attention ». « Que tu sois assis, que tu travailles, que tu ailles, que tu viennes, que tu arrives en avance à l'Eglise, tous jours, que ces mots soient sans cesse sur tes lèvres & dans ton Coeur. De par cette invocation, tu trouveras le repos de ta conscience & de ton âme, tu atteindras à la purification de l'Intelligence & du Coeur, d'où l'Esprit de Sainteté, lequel est Source Inépuisable de tous les biens de la terre & du Ciel, - des Spirituels plus encore que des matériels -, établira & fera en toi Sa Demeure & Son Inhabitation, &, par degrés te mènera jusques à la Sanctification, plus qu'en toute Piété en toute Sainteté, jusques à la Sainteté parfaite. »



***


Le tout venant des hommes, jusques aux plus célèbres des mondains de la société civile, le venaient visiter, attirés de par son renom de Saint. Tous donc, pour voir le Saint Homme de Dieu pèlerinaient jusques en sa forêt lointaine de Sarov, n'hésitant point pour ce faire à traverser à pied toute l'immensité de la Sainte Russie. Venaient aussi, en plus grand équipage, de hauts dignitaires de l'état, & les membres mêmes de la prestigieuse famille impériale. Cependant, la majorité de ses visiteurs-pèlerins était, à l'ordinaire, composée des gens les plus simples, de parmi ceux que leur basse condition servile ont rendu les plus humbles. Aussi, devant faire face, au jour le jour, à la dureté de leur pénible existence, ne sollicitaient-ils pas seulement des Conseils Spirituels, mais lui demandaient-ils encore de remédier à leurs difficultés du moment. & c'était merveille en vérité, de voir la confiance aveugle qu'il accordaient a sa Sainteté, guidée par son Charisme de Clairvoyance, eux qui n'hésitaient pas à implorer son secours dans leurs maux les plus secrets, ou si matériels fussent- ils. Lui, bien entendu, & fort volontiers aussi, s'empressait de répondre & satisfaire à leurs nécessités, les corporelles, & les spirituelles. C'est ainsi qu'un jour, parvint au monastère, tout courant et fort échevelé, un simple paysan qui, roulant son chapeau entre ses doigts – son humeur chagrine accroissait sa confusion – fit à brûle-pourpoint cette demande au premier Moine qui vint à passer : « Patérouli », - « Petit Père » -, « peut-être es-tu le Père Séraphim? » & à peine eut-il eu le Temps de s'entendre répondre en quel lieu se trouvait l'Ascète, que déjà il courait vers lui. Il se jeta lors à ses pieds, &, de son ton le plus persuasif, commença de lui exposer sa requête. « Patérouli! » s'exclama-t-il. « On m'a volé mon cheval, - le seul bien que je possédais, & me voilà dorénavant dépourvu & dénué de tout. Comment vais-je bien désormais pouvoir nourrir ma famille? Je n'en sais trop rien. Mais l'on te dit Prophète... » Saint Séraphim le prit lors tendrement par l'épaule, posa contre sa joue la sienne : « Ne dis rien à personne », fit-il. Contente-toi de courir au lieu que je vais t'indiquer. A l'entrée du village, emprunte le chemin qui bifurque à gauche; passe quatre maisons ; tu apercevras une porte basse; entres-y. Détache le licol de ton cheval, & fais-le sortir, sans bruit aucun. » Fou de joie, le paysan, sans plus tarder, se mit en chemin, s'apprêtant à suivre à la lettre les instructions reçues du Saint, & qui, il le sentait bien, étaient hautement fiables. A Sarov, l'on apprit par la suite que le moujik – le paysan- avait trouvé son cheval à l'exact endroit que lui avait indiqué le Saint.

Souvent l'on entendit le Père Paul, Moine à Sarov, rapporter quelque chose d'approchant : « Un jour », contait-il, « j'amenais au Starets Séraphim un jeune villageois, qui, les rênes à la main, pleurait de ce qu'il eût perdu ses chevaux. Je les laissai s'entretenir tous deux seul à seul. A quelque Temps de là, je revis le paysan, & m'enquis de ses chevaux : « Je les ai retrouvé pour sûr, Patérouli », m'assura le jeune homme. « Où? » fis-je, « & comment? ». « Le Père Séraphim m'indiqua le marché, & me certifia que je les y verrais. J'y suis allé, &, de fait, j'y ai vu mes petits chevaux. Alors, je les ai pris avec moi, & je les ai ramenés à la maison. »

Souventes fois aussi, le Saint guérissait les malades. Il suffisait qu'il leur fît une onction avec l'huile de la veilleuse, qui, dans sa petite cellule, brûlait devant l'Icône de la Mère de Dieu, & qu'il Priât pour eux, fervemment, de ses toutes Merveilleuses & Miraculeuses Prières.

Ce pendant, il n'avait point tout-à-fait délaissé pour ce faire la Vie Recluse. Quand bien même il avait dû renoncer à la plus haute forme de Mystérique Silence Priant, à cette fin de recevoir quotidiennement le flot de tous ses visiteurs-pèlerins, il n'en demeurait pas moins cloîtré dans sa cellule. Mais le Temps vint pour lui, néanmoins, d'abandonner tout-à-fait sa solitude. Avant de s'y résoudre, toutefois, il tourna de nouveau ses regards devers Dieu, Le Priant de lui bien vouloir faire connaître à ce sujet Son expresse Volonté précise. & voici qu'en l'an de Grâce 1825, à l'aube du 25 décembre, la Mère de Dieu lui apparut en songe, accompagnée des Saints du Jour, Saint Clément de Rome, & Saint Pierre d'Alexandrie. La Toute Sainte lui venait, par ce signe MétéroThéophanique, - d' Apparition de la Mère de Dieu -, donner son agrément, & celui du Ciel de toutes les Puissances Célestes, pour que le Saint mît fin à son Temps de Réclusion, qu'il délaissât son Désert, & que de Reclus il se fît Pasteur d'âmes. Lors, après qu'il eût achevé la Prière que, chaque jour, lui marquait son canon monastique, il s'en alla faire part de son désir nouvel à l'Higoumène Niphon, auquel il demanda sa bénédiction pour ce faire. Il se mit donc en devoir de retrouver le chemin de sa première cellule de naguère. & c'est là, d'ores & n'avant, qu'il Priait.



***



L'Ermite allait souvent à la source au lieu-dit : « Fontaine Théologique ». Elle était éloignée du Monastère de quelques deux kilomètres. Quoi qu'elle datât & remontât à une époque fort lointaine, elle était par la suite tombée dans l'oubli, demeurant en déshérence, à nouveau inconnue de tous. L'eau était dès long Temps empêchée de sourdre, du fait des troncs d'arbres qui y formaient comme une levée de terre, au point d'en boucher l'arrivée, ne laissant plus l'eau filtrer que par un unique étroit canal. Non loin de là, une colonnette supportait une Icône du Saint Apôtre Evangéliste Jean « le Théologien », lequel avait à la fontaine donné son nom de « Théologique ». Ce lieu plaisait extrêmement à Saint Séraphim. Selon le désir qu'il en avait exprimé, l'on se mit en devoir d'assainir la source & de la remettre en état. L'on en ôta les troncs, &, en leur place, l'on érigea un nouveau portique avec des canaux. C'est là que le Saint, vaquant à des tâches manuelles, & l'esprit toujours occupé de Dieu, de par & d'En la Prière du Coeur, venait désormais passer le plus clair de son Temps, plutôt, pour finir, qu'en sa cellule, où sa faiblesse lui rendait difficile de retourner. Il rassembla lors des pierres prises au fleuve, dont il pava sa chère fontaine. Non loin de là, il aménagea un jardinet, où il fit pousser des légumes potagers. Tout près, sur la collinette, il s'était bâti, avec de rudimentaires troncs d'arbres, une petite cabane, dépourvue de fenêtres, & presque de porte, où l'on accédait de plain-pied, par une minuscule ouverture. Entré dans ce pauvre refuge, Saint Séraphim se délassait de l'âpre ouvrage de ses mains laborieuses, surtout à l'heure de midi, brûlante l'été. Plus tard, l'on lui édifia une nouvelle cellule, munie d'une porte & d'un poêle, mais sans fenêtre aucune. C'est en cet ermitage qu'il passait désormais ses dures journées de grand travailleur, avant que d'au soir s'en retourner au Monastère. Aussi prit-on l'habitude de nommer cet endroit « le Désert prochain du Père Séraphim ». & la source était elle aussi devenue « la Fontaine du Père Séraphim. »



***


C'était fort émouvant que de voir cet Humble vieillard, courbé sur son bâton ou sur sa cognée, travaillant à la corvée de bois, ou à son jardinet. Coiffé d'un vieux chapeau usé, vêtu d'une tunique ravaudée de toutes pièces, il portait à l'épaule une besace où il serrait, outre l'Evangile, une charge de pierres & de sable, pour que ce poids trop lourd accrût la mortification de son corps épuisé déjà par les ans passés dans les Jeûnes & les Veilles. A qui
s'inquiétait de cet excessif fardeau dont il se chargeait encore l'échine, le Saint Ancien citait, pour toute réponse, cette Parole de Saint Ephrem le Syrien : « Je tourmente celui qui me tourmente », - par ce tourmenteur universel désignant le Diable Persécuteur, Tyran Tortionnaire, & Bourreau des corps & des âmes.

Le nombre augmentait toujours de ceux qui venaient rendre visite au Géronda par l'Esprit de Grâce & de Sainteté gratifié de tant de Saints Charismes Spirituels. Tandis que les uns venaient au Monastère, d'autres allaient le surprendre jusques en son nouveau Désert prochain, tant était vif leur désir de voir un Saint de Dieu, avant que de pouvoir solliciter de lui sa Bénédiction & son Enseignement Spirituel. Quel spectacle bouleversant était-ce lors que celui de ce Saint s'en retournant au Désert après qu'il eût reçu la Sainte Communion aux Divins & Vivifiants Mystères, avec, pour tout bagage & vêtement, sa vieille pèlerine de pèlerin Priant, son étole de Confesseur, & ses manchettes de Saint Prêtre. Une nuée de fidèles se pressaient lors tout entour lui, entravant & gênant sa marche chancelante d'Ascète usé & tout épuisé. Mais lui, en ces moments-là ne parlait plus à quiconque ni à personne, ni ne donnait plus nulle Bénédiction. & il paraissait non plus ne rien voir, tant s'abymait tout son être, & sa Pensée, dans la Contemplation des Saints Mystères, de leur Mystérique Puissance, & de leur Vivifiante & Déifiante Grâce. Le Père Niphon, Higoumène, qui portait au Bien Heureux Ancien un ardent Amour de dévotion à son Saint Starets, de la foule des visiteurs qui, de toutes parts, l'assaillaient, contait : « Lorsque le Saint Père Séraphim vivait au Désert, il barrait de troncs d'arbres les sentiers qui eussent pu livrer accès à sa retraite. Tout au contraire, désormais, depuis qu'il s'est mis en devoir de les tous recevoir, je ne puis plus parvenir, avant minuit, à clore la porte du Monastère. »


De cette époque, Dieu fit aux Fidèles, en la charismatique personne de Saint Séraphim, don d'un grand Trésor Spirituel en Vérité sans prix : L'Entretien Spirituel avec ce Saint Ancien, plein des Charismes de l'Esprit, était toute Douceur, toute Consolation, &, pour les âmes en Peines, Source de Salut. Sa Parole était empreinte d'une toute particulière Tendresse, & d'une tranquille Sérénité, tant était grande son Assurance devant Dieu, laquelle assurance il avait même entière, du Seigneur, de par expérience longue, Sachant en pouvoir tout par ses Saintes Prières obtenir.

Son abord frappait d'emblée par l'Humilité profonde, assortie d'un sincère Amour Miséricordieux – l'Amour Vrai d'un Chrétien Parfait pour son Dieu sur ses frères rejaillissant – qui marquait son entière attitude, telle qu'il l'observait envers ses hôtes & visiteurs pèlerins. Sa Parole Inspirée réchauffait même les coeurs les plus froids & les plus durs, dont il savait briser la glace d'indifférence aux autres & de cécité spirituelle ; elle infusait & faisait briller dans les âmes l'Intelligence Spirituelle ; elle les lénifiait & les attendrissait jusques à leur tirer des larmes de Repentir, de Pénitence, & de Contrition ; elle faisait naître, avec l'allégresse, l'espoir du redressement & relèvement des chutes & du Salut de l'Ame, un premier instant, lors, entrevus par les pécheurs, fussent-ils les plus endurcis, par le Diable rendus toujours plus durs, cruels, & sadiques.
C'était donc ainsi qu'il comblait les âmes errantes de Paix & de Grâce Divine. Sans faire acception de personne, ni excepter nuls des tourments, des péchés, ni des nécessités du moment, que pouvaient renfermer l'âme souillée de ses visiteurs, tous, il les étreignait avec Amour, depuis les mendiants en guenilles jusques aux riches vêtus d'habits coûteux, &, s'inclinant jusqu'à terre devant eux, c'était lui-même, tandis qu'il les bénissait, qui leur embrassait la main, au lieu qu'ils lui baisassent la sienne. Il n'était personne qu'il blâmât sévèrement, nul à qui il imposât un lourd fardeau, non plus qu' excessif canon de pénitence, lors que lui-même, portant la Croix du Christ, souffrait de toutes les afflictions possibles de l'ame & du corps dont Dieu permettait au Diable qu'il l'affligeât, pour le purifier encore. & si, de temps à autre, indubitablement, il grondait, c'était encore avec son immense Douceur accoutumée, mêlant à ses reproches le miel de son Amour En Christ & de son Humilité profonde. Veillant, dans ses Exhortations Spirituelles, à éveiller la voix de la Conscience néantie, il indiquait assez la voie du Salut. & si, de prime abord, son interlocuteur, souvent, ne saisissait point que l'enjeu était son âme individuelle d'égotiste, la Puissance de sa même Parole Inspirée continuait par la suite d'exercer son influence sur l'égaré spirituel.

Qu'il fût riche, ou pauvre, docte savant, ou illettré, sorti de l'aristocratie, ou des couches populaires les plus humbles de la société, il ne se trouva personne pour le quitter qu'il n'eût au préalable reçu de lui un véritable Enseignement Spirituel. Elle suffisait à étancher toutes les soifs l'Eau de Vie qui jaillissait de la bouche de cet Ascète, par ailleurs hautement silencieux, Humble à l'extrême, & pauvre jusqu'à s'être volontairement départi & dénué de tout. Aussi, les gens, par milliers, accouraient-ils à lui, dont le nombre ne devait cesser de s'accroître encore tout au long des dernières années qu'il eût à vivre. Chaque jour, au Monastère de Sarov, jusqu'à plus de deux mille pèlerins se pressaient devant sa cellule. Sans que cela lui pesât excessivement pourtant, il trouvait le Temps, néanmoins, de s'entretenir, pour le Salut de son âme malade ou affligée, tant soit peu avec chacun. A chacun de ces Chrétiens, il exposait en peu de mots, ce qui lui était le plus spirituellement nécessaire, à l'étonnement de son interlocuteur, souvent lui découvrant jusques à ses pensées les plus intimes.



***


C'était fort émouvant que de voir cet Humble vieillard, courbé sur son bâton ou sur sa cognée, travaillant à la corvée de bois, ou à son jardinet potager. Coiffé d'un vieux chapeau, vêtu d'une tunique ravaudée, il portait à l'épaule une besace où il rangeait, outre l'Evangile, une charge de sable & de pierres mêmes, pour accroître d'autant la mortification de son corps. A qui s'inquiétait, à le voir ainsi lourdement chargé, de ce fardeau dont il s'appesantisait l'échine, le Saint Géronda, pour toute réponse, citait ce mot de Saint Ephrem : « Je tourmente le Diable qui me tourmente. »

Le nombre augmentait toujours de ceux qui venaient rendre visite au Géronda riche de tant de ses Spirituels Charismes. Tandis que les uns venaient le trouver au Monastère, d'autres allaient le surprendre jusque dans son Désert, tant était vif leur désir de le voir, & de solliciter de lui & sa Bénédiction, dont s'améliorerait grandement tous les faits & gestes de leur existence, & son Enseignement Spirituel, dont s'illumineraient leurs âmes.
Quel bouleversant spectacle que celui de ce Saint s'en retournant à son Désert, après qu'il eût reçu la Sainte Communion aux Divins Mystères, avec, pour tout vêtement, son manteau, son étole, & ses manchettes ! Une multitude de gens se pressaient tout entour lui, l'entravant & gênant dans sa marche. Mais lui, en ces moments-là, ne parlait à personne, ni ne donnait non plus nulle bénédiction. Il paraissait ne rien voir, tant son être s'abymait dans la Contemplative Pensée des Saints Mystères, de leur Grâce Mystérique, & de leur Divine Puissance. L'Higoumène, le Père Niphon, qui portait au Bien Heureux Géronda un ardent Amour, de la foule des visiteurs qui l'assaillaient, disait : « Quand le Père Séraphim Vivait au Désert, il fermait de troncs d'arbres les sentiers qui pouvaient mener à sa retraite. Mais désormais, depuis qu'il a résolu de les recevoir tous, je ne puis, avant minuit, fermer la porte du Monastère. »
De cette époque, Dieu fit don aux Fidèles, en la personne de Saint Séraphim, d'un grand Trésor Spirituel, en vérité sans prix : L'Entretien Spirituel avec cet Ancien, tout empli des Saints Charismes de l'Esprit de Sainteté, était toute Douceur, toute Consolation, &, pour les âmes en Peine, Source de Salut. Sa Parole était empreinte d'une Tendresse toute particulière, & de Sérénité, tant était grande & entière l' Assurance qu'il avait devant Dieu, Sachant que ses Prières, immanquablement, seraient entendues, & exaucées de la Déité Trine.

Frappait dès l'abord son Humilité profonde, assortie d'un Amour sincère & miséricordieux pour Dieu sur ses frères rejaillissant – ce grand Amour authentique & vrai d'un Chrétien ayant atteint à la Mesure de la Perfection Christique. C'était là ce qui marquait l'entière attitude qu'il observait envers ses hôtes. Sa Parole Inspirée réchauffait les coeurs même les plus durs & les plus glacés, réveillant jusqu'aux consciences mortes même des sadiques, des pervers, & de ceux qui, totalement possédés du Diable, ne jouissaient que de pratiquer la cruauté mentale encontre leurs innocentes victimes. Le Saint, par ses mêmes Paroles empreintes de l'Esprit de Grâce, faisait briller dans les âmes son Intelligence Spirituelle, attendrissant les êtres les plus cruels jusqu'à leur tirer des larmes de Repentir, de Pénitence, & de Contrition. Il faisait naître, avec l'allégresse, l'espoir du relèvement de l'âme égarée, & du Salut Spirituel, qu'il laissait, l'espace d'un instant, entrevoir par les pécheurs irrepentis encore, de parmi les plus endurcis d'entre eux. Ainsi comblait-il les âmes de Mystérique Grâce Divine, & de Suréminente Paix, laquelle Paix de Dieu surpasse toute intelligence. Sans s'arrêter à aucun des tourments, des péchés, & des nécessités du moment que pouvaient renfermer l'âme des visiteurs, c'est avec son grand, immense Amour de Dieu, sur les hommes rejaillissant, que, tous, il les étreignait, depuis les mendiants en guenilles jusqu'aux riches, revêtus de leurs somptueux habits, jusques à terre s'inclinant devant Dieu, &, ce pendant qu'il les bénissait, leur embrassant lui-même leur main d'indignes, en lieu &place que ce fussent eux qui, saisissant sa main bénie de Saint, la lui baisassent. Il n'était personne qu'il blâmât sévèrement, personne à qui il imposât un lourd fardeau de peines, ni canon de pénitence, ce pendant que ce qu'il portait, quant à lui, était la Croix du Christ, & qu'il souffrait toutes les afflictions qui se peuvent souffrir, de par permission Divine, laissant le Diable passer au crible les Enfants de prédilection de Dieu, en manière qu'ils fussent par ces épreuves purifiés de Coeur. De Temps à autre, sans nul doute, il grondait bien, mais c'était avec son accoutumée Douceur, & tout mêlant à ses reproches fondés le miel de son Humilité, de son Amour de l'autre, & de son désir qu'il fît Pénitence pour obtenir le Salut de son âme. Veillant en ses exhortations spirituelles à éveiller la voix de la Conscience endormie, étouffée, ou morte du pécheur, il lui indiquait la voie du Redressement Spirituel & du Salut, l'incitant à se Reprendre, à se Redresser, &, par ainsi, à pouvoir Sauver son âme. & quoique, de prime abord, l'interlocuteur, souvent, ne saisît pas que ce qui était en jeu dans cet Entretien Spirituel même était son âme à lui, plus tard, toutefois, la puissance de la Parole du Saint, Inspirée qu'elle était par la Grâce, & toute empreinte de cet Esprit de Grâce, continuait à l'insu même du pécheur d'exercer saintement sur lui sa Bénéfique & Salutaire influence Priante.

Qu'il fût riche ou pauvre, docte savant ou total illettré, issu de l'aristocratie ou sorti de parmi la classe populaire, nul ne le quitta jamais qu'il n'eût reçu de lui un véritable Enseignement Spirituel d'excellence. Suffisait lors à tous l'Eau de Vie, de par l'Esprit de Sainteté toujours jaillissant des lèvres purifiées de cet Ascète du Seigneur, par ailleurs, à son Hésychia Solitaire se vouant & se consacrant, au Silence adonné, de la Communion En Esprit au Divin, & la pauvreté comme l'Humilité avec prédilection cultivant. Aussi, les gens, par milliers, accouraient-ils à lui, dont le nombre grossit encore durant les dernières années qu'il eut à Vivre, enquelles ne cessait sa renommée de croître, exponentiellement. Si tant que l'entière Saine Russie venait-elle à lui, & qu'il n'était nul Fidèle Chrétien Orthodoxe qui n'eût entendu parler de lui, bientôt, & de sa Sainteté, tout reclus qu'il fût au fin fonds de sa forêt de Sarov. Ainsi, chaque jour, donc, au Monastère de Sarov, étaient-ce donc plus de deux mille Pèlerins qui se pressaient devant sa cellule d'Ermite. &, sans que cela lui pesât, il trouvait nonobstant le Temps de s'entretenir avec tout un chacun pour le Salut de son âme. A chacun aussi de ces Fidèles Chrétiens Orthodoxes, il exposait en peu de mots ce qui, de fait, lui était le plus nécessaire, & vital à son âme, allant, à la grande surprise de son interlocuteur stupéfait, jusqu'à lui décrire ses pensées les plus intimes mêmes.



***


A la source des Paroles comme des Actes & de la Vie tout entière du Saint Père Séraphim, toujours l'on trouvait la Sainte Ecriture & les Ecrits des Saints Pères, ainsi que les Vies des Saints de Dieu, qu'il regardait pour modèles d'Edification Spirituelle. De fait, il ne pouvait se défendre d'éprouver, à l'endroit de ces Saints, une admiration sans bornes, eux qu'il Vénérait à l'égal des plus grands Hommes & des plus grandes Ames, ardentes, qui se pussent encontrer, pour s'être élevés en valeureux Zélotes & Défenseurs éclairés de la Foy Orthodoxe, tels Saint Vassili le Grand, Saint Grégoire le Théologien, Saint Athanase le Grand, Saint Cyrille de Jérusalem, Saint Ambroise de Milan, pour ne citer qu'eux, sans ajouter toux ceux qui Vécurent & Vivent à l' Imitation leur d'irradiante Sainteté.
& c'était animé du même Feu d'Esprit de Sainteté qu'il veillait en Vrai Théologien à ce que rien ne vînt altérer la Foy si pure du Peuple des Fidèles Chrétiens Orthodoxes. C'est ainsi que quelqu'un jour qu'il recevait la visite d'un Vieux-Croyant de la secte schismatique de même nom, venu lui demander laquelle Foi de ces deux avait sa préférence, celle de l'Eglise Orthodoxe, ou celle de la secte des Vieux Croyants, - Les Vieux-Croyants, de fait, étaient des schismatiques qui, au XVII7me Siècle, se récriant devant certaines réformes & amendements que le Patriarche Nikhon avait fait subir aux textes liturgiques, avaient préféré l'exil dans les forêts profondes de la Russie, plutôt que de se soumettre au Saint Patriarche. Desquels hérésiarques subsistent encore au jour d'aujourd'hui de rigides sectateurs; - le Saint lui adressa cette sévère répartie : « Laisse-là tes égarements spirituels. Notre vie est une vaste mer agitée où nous ballottent les tempêtes des passions de l'âme égarée, cependant que notre Sainte Eglise Orthodoxe est l'embarcation salutaire qui nous mène au port du Salut, le Christ Soi-même en tenant le gouvernail. Mais, les hommes ont beau posséder semblable gouvernail, c'est la faiblesse de leurs fautes, manquements, & péchés, qui fait qu'ils nagent au milieu d'une infinité de tourments dessus & dessous les vagues de la vie, & que tous, devant ces murs crêtés, ne réchappent point de la noyade. Où t'en vas-tu donc, toi, avec ta misérable barque, & sur quoi pourrais-tu bien fonder l'espoir d'un Salut tien sans gouvernail ? »

En Divine Rétribution de son Ame si Pure, Saint Séraphim avait de Dieu reçu le Grand Don de ClairVoyance.
Aussi, les Conseils Spirituels qu'il donnait à ses visiteurs répondaient-ils aux mouvements les plus cachés de leur âme, comme à leurs pensées les plus secrètes, sans même que ses interlocuteurs s'en fussent jamais préalablement ouverts à lui. C'est ainsi que, dévoré de curiosité, un certain général L. saisit pour se rendre à Sarov la première occasion venue. Toutefois, après qu'il eût dans leurs moindres recoins inspecté les bâtisses du Monastère, il s'en allait repartir sans avoir rien vu qui fût susceptible d'édifier son âme atteinte, & propre à changer son mode d'être maladif. Un riche propriétaire, dénommé Prokoutsine, cependant le retint, lui conseillant de se rendre auprès de l'Ancien Séraphim, qui vivait, lui dit-il, en Solitaire. L'orgueilleux général, tout d'abord s'y refusa avec l'obstination coutumière de sa superbe aveuglée, puis, devant la particulière insistance de Prokoutsine, toutefois finit par y consentir. Entrant lors chez le Saint Père Séraphim, il vit ce dernier venir à lui, & s'incliner devant lui jusqu'à terre. Tant d'Humilité abasourdit celui que son orgueil égarait. Prokoutsine, quant à lui, était, ce pendant, sorti dans le couloir, la délicatesse de son tact lui défendant d'attendre plus longtemps dans la cellule du Starets en présence de son hôte de marque.
Rutilant dans son uniforme chamarré de ses décorations, le militaire, en cet équipage, s'entretint avec le Saint. Mais il ne s'était guère écoulé long Temps que des sanglots se firent entendre jusque dans le vestibule. C'était le généralissime qui pleurait comme un petit enfant. Le Saint avait su, de son spirituel doigté, par la Claivoyance éclairé, percer les enveloppes durcies qui recouvraient son coeur, & jusqu'à son âme prime d'enfant atteindre. Près d'une demi-heure plus tard, la porte se rouvrit sur le Père Séraphim. Il tenait par la main son hôte toujours pleurant, qui, dans son désarroi intense, avait même oublié, à l'intérieur des murs de la cellule du Saint, insignes & képi. Ce même homme, par la suite, reconnut avoir parcouru l'Europe entière, & rencontré toute une foule de gens, mais avouait que c'était la première fois de son existence qu'il voyait semblable Humilité à celle que lui avait témoignée le Reclus de Sarov lorsqu'il était venu à sa rencontre en s'inclinant jusqu'à terre. &, confessait-il encore, il n'avait point davantage jusqu'alors connu de ClairVoyant qui, tel Saint Séraphim, fût en mesure de lui découvrir sa vie dans ses moindres & plus secrets détails. & il ajoutait encore que, lorsqu'au cours de cet entretien spirituel, ses décorations lui étaient soudain tombées de la poitrine, le Géronda lui avait glissé cette Parole qu'Inspirait la Déité : « C'est pour les avoir mêmement acquises sans mérite. »


***
L'Amour que le Géronda, si riche en Charismes de l'Esprit de Sainteté, portait à tous les êtres, ne connaissait ni bornes ni limites. Il semblait les aimer tous & tout un chacun en son particulier, & ce, plus qu'une mère ne chérit l'unique enfant sien de ses entrailles. Nul chagrin, nul malheur de son prochain qui n'éveillât sa compassion tendre, & qui, en son Ame recueilli, ne reçût le baume requis pour la guérison dudit mal. De là que l'on le vit devenir le refuge du Peuple des Fidèles Orthodoxes de Russie, comme aussi le soutien spirituel & la consolation de tous ceux qui sont « chargés & fatigués », selon qu'il en fut parlé de par le Seigneur, & de tous ceux enfin qui requièrent la Miséricorde de Dieu, & qui ont besoin du Prompt Bon Secours de la Grâce Divine. Hommes & Femmes, de tous âges, de toutes professions, & de tous rangs, avec sincérité & simplicité de coeur lui découvraient leurs âmes & leurs pensées, leurs doutes & leurs incertitudes, leurs tourments & leurs nécessités spirituelles, leurs pensées coupables, leurs manquements, leurs péchés, & leurs fautes. Toutefois, en manière d'épargner à ses visiteurs pèlerins, après semblable confession, tout sentiment de fausse honte ou de dissimulation, le Saint se hâtait à leur secours, de lui-même, d'abord, d'emblée lisant dans leurs âmes de Pénitents, &, pour eux, à haute voix révélant leurs fautes & leurs pensées cachées. Puis, tous, il les pacifiait, & de son Amour reposait leurs âmes éprouvées. Pas un être ne le quittait qu'il ne se sentît l'esprit apaisé & l'âme allégée, consolée, & spirituellement édifiée. Oui, de fait, pas un, qu'il fût riche ou pauvre, obscur ou illustre, savant ou ignare, qui ne s'en allât ainsi l'âme en Paix. Tous faisaient ainsi mêmement l'épreuve de son infini Amour de Dieu & d'Autrui, & du Surpuissant Divin Pouvoir de ses Charismes Saints. Si tant qu'il n'était point rare non plus que des hommes au coeur dur, & comme pierre durcis, en vinssent à laisser couler de leurs yeux de véritables flots de larmes.

***
Il advenait que le Saint suscitât l'envieuse jalousie, le blâme, & la suspicion. Car, de par le fait, il recevait égalitairement tout le monde, sans nulle acception de personne. On le voyait lors leur prodiguer à tous les mêmes bienfaits, les écouter avec la même attentive sollicitude, leur prodiguer maintes consolations, les instruire intellectuellement & les édifier spirituellement, sans différencier les sexes, les professions, les ressources matérielles, les qualités morales, ni les sentiments religieux même, de ceux qui venaient à lui. « Si je ferme ma cellule aux uns ou aux autres », avait-il accoutumé de dire à ce propos précis, « les visiteurs, dans l'attente d'un mot de consolation, me supplieront de leur ouvrir la porte, au nom de Dieu, & pour l'Amour de Lui. Ne recevant point de réponse de ma part, c'est le coeur tout empli d'amertume qu'ils s'en retourneront chez eux. D'autant que d'aucuns auront parcouru une fort longue route de milliers de verstes pour venir jusqu'en ces lieux de Prière. Dès là, quelle défense aurai-je à présenter à Dieu devant son redoutable Tribunal du Dernier Jugement ? »
Un moine, une autre fois, lui posait cette question : « Pourquoi donc leur dispenses-tu à tous un Enseignement Spirituel? » Il répondit : « J'observe & je garde le commandement & le précepte de la Sainte Eglise Orthodoxe, qui, aux Laudes du Grand & Saint Mardi de la Sainte Semaine chante ce stichère : « Ne me cèle pas la Parole de Dieu, mais proclame Ses Merveilles. »
C'est ainsi que Saint Séraphim se faisait une affaire de conscience de ce qu'il regardait comme une nécessité première : Le chaleureux accueil de tous ceux qui venaient à lui. Il savait qu'il avait charge d'âmes, & que, de chacune de ces âmes, il aurait à rendre compte au jour redoutable du terrible Jugement de Dieu. &, lorsqu'il voyait ses visiteurs tenir compte de ses Conseils Spirituels, garder l'observance des Divins Préceptes, & se détourner du péché & de la perdition pour revenir sur les voies de la Vertu qui conduit au Salut, loin d'en tirer vanité & de considérer ce bienfait comme le fruit de ses agissements de Juste, il bénissait en toutes choses le Dieu de Bonté, redisant le verset du Psaume 113: « Donne-nous la Gloire, Seigneur! - Non pas à nous, non pas à nous, mais à Ton Nom. » ( Ps. 113,9). A quoi il ajoutait le Précepte Evangélique du Seigneur Jésus Christ : « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis », enjoignait-Il. « Mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans les Cieux. » (Luc, 10-20).

***
Un jour que le Hiéromoine Antoine, alors Higoumène du Monastère de Visokongorsk, était venu présenter au Saint un marchand de la province de Wladimir, il s'était vu presser de rester par le Père Séraphim, qui, sans plus tarder, avait du reste commencé de s'entretenir avec son hôte. Pris de compassion pour son âme malade, il lui fit sur ses défauts des reproches empreints d'une tendresse & d'une infinie bonté. « Tous tes maux, tes malheurs, & tes afflictions ,» lui révéla-t-il, sont le résultat d'une vie funestement livrée aux passions. Laisse-donc là cette vie qui te nuit, reprends-toi, & redresse tes voies. » & il mêlait à ses propos tant de chaleureuse ferveur que, bouleversé, le marchand, dont c'était pourtant là le procès, fut ému jusqu'aux larmes. La même émotion avait gagné jusqu'au Père Antoine. Aussi, lorsque son hôte eut quitté la cellule du Saint Starets, l'Higoumène, qui, depuis de longues années connaissait bien le Père Séraphim, & le vénérait à l'égal d'un Saint, risqua-t-il ces mots : « Patérouli – Petit Père -, l'âme d'un être est devant vous ouverte comme un livre. C'est ainsi que, sous mes yeux, avant même que vous eussiez été mis au courant de l'extrême nécessité en laquelle se trouvait de fait être l'âme de ce pèlerin, ainsi que des tribulations au milieu desquelles il se débat, & auxquelles est le malheureux en proie, vous les aviez déjà toutes annoncées à l'avance. Je vois donc bien maintenant que votre esprit est si pur que rien du coeur de votre prochain ne vous est celé. » Mais, comme s'il eût souhaité de lui couper la parole, Saint Séraphim plaqua sa main sur les lèvres du Père Antoine. « Ma Joie! » l'interrompit-il, « Ce n'est point ainsi que tu devrais parler. Le coeur de l'homme n'est lisible que pour le seul Seigneur, & Dieu seul connaît les coeurs, car, dit le Psaume, ( Ps. 63, 7) : « Le coeur de l'homme est un abîme » insondable à nos sondes. L'Higoumène, cependant insistait : « Comment se peut-il, » s'enquit-il nonobstant, « que vous, Patérouli, avant même que vous n'ayez posé la moindre question au marchand, vous lui ayez pu, cependant, dire tout ce qui était salutaire à son âme? ». Et le Saint de répondre humblement : « C'est pour ce que celui-ci, comme tous les autres, & comme tout aussi bien toi avant lui, voyait en moi un serviteur de Dieu, qu'il est venu à moi. Hé bien ! C'est en même manière que l'humble Séraphim se regarde comme un serviteur de Dieu à l'âme pécheresse. Et si, de quelqu'une chose le Seigneur me signifie qu'elle est source de Salut, je n'omets ni ne néglige point de le faire savoir & de la faire connaître à qui se trouve être dans le Besoin Spirituel. A peine une pensée vient-elle éclore en moi, qu'avant même que j'eusse pu de quoi que ce fût entretenir celui qui vient à moi, ou bien avant même que j'eusse pu lire dedans son coeur, comme à même un livre ouvert, cette pensée, tout aussitôt qu'elle surgit en mon esprit, me paraît une Illumination Divine, de l'Esprit Saint Inspirée. Lors, comme s'il se fût agi là d'un signe Divin, je ne vois rien autre en ladite pensée que la Providentielle Manifestation de la Volonté Divine. Tout ainsi que le fer ardent en la forge forgeronne, incandescent, brûlant, c'est en pareille sorte & manière semblable que j'ai, pour ma part, au Seigneur, remis mon esprit, & livré mon être tout entier. Aussi, ce qui lui est agréable, voilà donc mêmement ce que je fais, en façon, moi aussi, de lui être agréable. Dès là qu'il n'est plus en moi de volonté propre, mais que, tout ce qui plaît à Dieu, voilà ce que je porte à la connaissance du prochain.

***
Toutefois, ce Charisme de ClairVoyance dont avait le Seigneur doté Saint Séraphim était, à la vérité, tant rare que fort inhabituel. C'est ainsi, lorsqu'il recevait le flot de lettres que lui adressaient les Fidèles Orthodoxes de parmi ses pèlerins visiteurs, que, le plus souvent, sans les seulement ouvrir, il en savait par avance & en connaissait parfaitement le contenu précis. Lors, sur-le-champ, il y répondait, par retour du courrier, à son humble manière accoutumée, commençant d'ordinaire en ces termes : « Voici ce que t'en dit le pitoyable Séraphim... » Que s'étonner, dès lors, de ce qu'après sa Bien Heureuse Dormition, l'on eût trouvé une multitude de lettres encore fermées, scellées, & cachetées, auxquelles il avait nonobstant répondu ce pendant qu'il se trouvait encore en cette vie terrestre ? Et, il était pareillement une foule de Saints Ascètes, qu'il connaissait de nom, de vue, ou de Sainte Réputation, auxquels, vivant, il s'unissait en Esprit de Sainteté, quand même, il en était certains d'entre eux qu'il n'avait jamais vus, ou qui ne fussent venus à lui qu'une seule ou que quelques rares fois, & quoiqu'ils demeurassent habituellement à des milliers de kilomètres de lui, & de son lieu de Prière d'élection.
C'est de semblable sorte aussi qu'au lointain Monastère de la Mère de Dieu de Zadonsk, sis en la ville éponyme, un Reclus de la Skyte prochaine d'icelui Monastère, lequel avait eu la pensée de se retirer au profonds d'une plus grande Solitude encore, sans cependant qu'il se fût ouvert à personne encore de son nouveau dessein, vit soudain se présenter à lui, « de la part de Séraphim », disait-il, un pèlerin venu tout exprès du Désert de Sarov, où demeurait le Saint Starets, à seule fin de le blâmer en ces termes : « Le Père Séraphim m'envoie te dire qu'il serait indécent & indigne de toi de te laisser aller à des pensées inspirées du Mauvais, lequel te souffle & te suggère d'abandonner ce lieu où, depuis tant d'années, tu luttes en solitaire contre lui. Mais, garde-toi bien de te vouloir rendre ailleurs, en quelque lieu, du reste, que ce fût. La Très Sainte Mère de Dieu, quant à Elle, intercède aussi pour que tu restes bien & demeures ici, là où, dès long Temps, tu résides, & te tiens à Prier ardemment. ». Mais, ô Divine Surprise ! lorsque l'on s'avisa de vouloir retrouver ledit messager, & que l'on se mit, partout, à sa recherche, l'on s'étonna fort comment l'on ne le pût retrouver ni au Monastère, ni nulle part aux entours de la Skyte monastique.
Lors que l'on ne connaissait encore rien du servant de Dieu Mitrophane, - celui même qui fut le premier Evêque de Voronège, & qui devait par la suite être proclamé « Parfait », & dans le Temps où sa Sainteté ne s'était encore publiquement manifestée d'aucune manière, fût-ce la plus discrète ou la plus infime -, l'on vit Saint Séraphim prendre de lui-même la plume à l'adresse de Sa Béatitude Antoine, alors Archevêque de Voronège, qu'en peu de mots, dans sa missive, il y louait d'avoir fait procéder à l'invention – ce qui est dire au désensevelissement - & au retour des Saintes Reliques du Saint serviteur de Dieu Mitrophane.
A un laïc, qui répondait au nom de A.C. Vorotilov, le Saint fit, à plusieurs reprises réitérée, cette prophétie que l'on verrait contre la Russie s'insurger trois puissances qui la saigneraient à blanc ; il ajoutait toutefois que son Orthodoxie serait cause que Dieu Sauvegarderait la Sainte Russie. & quoique, à la haute époque d'apparence lointaine de leur profération, ces prédictions firent certes l'effet d'un sibyllin oracle, le cours de l'Histoire ne tarda pas à révéler que c'était à la guerre de Crimée que songeait par avance le Bienheureux, doué du Don de Prophétie.
Dès l'année 1831, du reste, &en présence d'un auditoire souvent fort nombreux, il évoquait déjà la grande famine à venir. Aussi, sur son salutaire conseil, veilla-t-on à s'en prémunir, en se pourvoyant de réserves de vivres pour six années d'avance. De là que, grâce à la prudentielle prévoyance du Saint, la famine passa dans la région presque insensiblement, du moins sur le Monastère de Sarov.
& lorsque semblablement ce fut au tour du choléra de faire son apparition en Russie, & ce, pour la première fois de l'Histoire de ce vaste pays, Saint Séraphim, fort d'une ferme certitude intérieure, déclara sans ambages que Sarov, tout comme Diviyévo, où il fondait son Monastère de Femmes – seraient également épargnés. & il en fut exactement comme il l'avait prédit : Car, ni à Sarov, non plus qu'à Diviyévo, il ne se trouva une seule âme pour succomber à cette première épidémie historique.
De par son Charisme de ClairVoyance & grâce aussi à celui de Prophétie, le Saint voyait & les coeurs, & l'ailleurs, & le passé, & l'avenir. En peu de mots, il vous savait, fût-ce succintement, dépeindre & résumer votre vie à venir. & s'il advenait que ses propos, tout d'abord, parussent confus, comme obscures ses Exhortations Spirituelles, la suite des évènements, pourtant, ne manquait point de les éclairer, laissant voir ainsi qu'à l'évidence, c'était ce don de Préscience qui lui avait dicté, tant ses prédictions, que ses Conseils Spirituels. Ce Don, lors, le Saint Père Séraphim, s'employait, de mille manières, à le faire utilement servir aux âmes qui recouraient à ses Prières que, pour leur Secours, ils imploraient de lui.
C'est ainsi que vint un jour à Sarov une pieuse femme d'entre les Fidèles Orthodoxes, originaire, quant à elle, de Penza. Il s'agissait de la veuve d'un Diacre, laquelle répondait au nom d'Eudoxie. Elle désirait de recevoir la Salutaire Sainte Bénédiction du Starets. Elle suivit donc la foule, qui, dès au sortir de l'hospice, se pressait tout entour lui. Elle était, toutefois, demeurée en arrière de tous, fort loin encore, hélas! de la cellule du Saint, se contentant d'attendre son tour. Mais le Starets, soudain, écartant tous les autres d'entre les pèlerins venus à lui, se prit à crier : « Eudocie! Viens vite par ici! » Eudocie fut toute étonnée, jusqu'à la stupeur, de ce qu'il l'appellât par son nom sans l'avoir jamais vue auparavant. De crainte tremblante, elle s'approcha du Saint. Outreplus sa bénédiction, Saint Séraphim lui donna, par surcroît, du pain béni : « Hâte-toi de rentrer! » la pressa-t-il, « si tu veux arriver à Temps pour voir ton fils avant qu'il ne parte. » Sur l'instant, la pieuse femme s'en retourna promptement chez elle. & de vrai, à peine y arrivait-elle, que son fils en partait. De fait, durant son absence, le directeur du séminaire de Penza l'avait sélectionné & choisi pour aller étudier à l'académie de Théologie de Kiev, pour eux, gens de peu, & sans ressources pour se déplacer, au demeurant, ville fort lointaine, où il convenait néanmoins à présent qu'elle le conduisît aussitôt. Par la suite, lorsqu'il eut achevé ses études à l'académie, le jeune Théologien fut fait Moine sous le nom d'Irinarque. Il se vit ensuite proposer des postes de professeur, puis de directeur, en diverses écoles ecclésiastiques. De là, pour finir, l'on le consacra Evêque.
Pour aussi loin qu'elle pouvait remonter dans son enfance, cette autre pieuse femme qu'était Pélagie Ivanovna Skarina, laquelle résidait à Arzana, elle se souvenait sur tout d'une chose : Oui, elle se souvenait avant tout qu'elle avait toujours désiré prendre le voile. Pourtant, cinq ans avant sa Dormition, le Saint , curieusement, lui fit, dans sa Préscience, cette prédiction, quelque étrange qu'elle lui parût & sonnât à ses oreilles : Il lui annonça qu'elle deviendrait orpheline, puis se marierait, qu'elle aurait sept enfants – Ici le Saint les nomma chacun par son nom -. & il ajouta même qu'outreplus toutes ces configurations très difficiles de vie, elle mourrait veuve. Or, la suite des Temps fit voir comment tout advint selon ses Dires Inspirés, de par l'Esprit Eclairés.
S'agissant de Balachna Zayayéva, tout au rebours, le Saint Hésychaste l'exhorta de se faire Moniale. Devant l'opiniâtre refus qu'elle opposait pourtant à cette incitation, il ne lui cacha pas la raison qui le poussait à lui donner semblable conseil : « Ton union, » s'en expliqua-t-il, « sera malheureuse. Certes, tu auras beaucoup d'enfants, mais le veuvage ne te sera pas épargné, & tu connaîtras lors une gêne plus grande que celle dont tu auras souffert du vivant même de ton mari. » Or Zayayéva ne voulut rien entendre, ni point se rendre à ces sages avis. Mais, plus tard, pour tant, elle le regretta amèrement. Car, l'une après l'autre, toutes les prédictions du Saint se réalisèrent.
Pour Adelaïda Théodorovna Ostrovskaïa, voici quels propos elle tint à propos de ce qu'elle savait du Saint : « Mon frère, Wladimir Ostrovski, alors lieutenant-colonel, désireux d'obéir aux injonctions d'une tante qui témoignait envers le Starets d'une confiance aveugle, gagna le Désert de Sarov, &, de là, se rendit chez ce Géronda que tous disaient doués du Don de ClairVoyance. Séraphim lui réserva un accueil empreint d'une infinie tendresse. Et, ce pendant qu' il émaillait son discours de remarques diverses : « Ah! » s'exclama-t-il soudain. « Ah, frère Wladimir! Quel gros ivrogne, oui, vraiment, tu vas bientôt faire! » Mon frère s'attrista fort de ces paroles. Car Dieu l'avait, tout laïc qu'il était, doté de Charismes Spirituels en nombre, que, tous, il faisait servir à la Gloire de Son Nom Divin. Ajoutez à ceci qu'il nourrissait pour le Père Séraphim un attachement profond, & que, pour ses subordonnés, il se montrait l'égal d'un père. Tout cela lui indiquait assez de se garder de toute ivresse comme de toute débauche, dont se seraient fort mal accommodés son métier & son genre de vie. Cependant, toujours Eclairé par son Esprit de ClairVoyance, l'Ancien eut tôt fait de prévenir son trouble : « Loin de toi, « poursuivit-il, « l'inquiétude & l'affliction ! Ne sais-tu pas que le Seigneur peut permettre que tombent en d'odieuses passions des êtres de parmi ceux mêmes dont le zèle est pour Lui le plus ardent? » Et cela pour qu'humiliés & plongés dans l'affliction de ce que fût leur réputation perdue, ils fussent parainsi gardés des péchés plus graves encore que sont la vaine gloire, l'esprit de gloriole, la suffisance narcissique & la superbe de l'orgueil malade. Sache également que la Miséricorde Divine finira bien par mettre un terme à cette dure & pénible épreuve, & que, pour toi, tu couleras humblement le reste de tes jours. Garde-toi seulement d'oublier la liste de tes péchés. » Et, de fait, il en fut exactement ainsi du tout de cette étrange prophétie. Une suite fortuite d'évènements funestes fit plonger mon frère dans cette passion horrible qu'est l'alccolisme. Et, au grand étonnement de tous ses proches, il fut plusieurs années à s'enliser en ce déplorable état. A la fin portant, les Saintes Prières du Père Séraphim & sa propre simplicité de coeur durent attirer sur lui la Compassion du Seigneur. Dès là, non seulement il renonça totalement à ce vice, mais il changea aussi radicalement sa manière de vivre. Il veillait, comme il sied à tout sincère Chrétien Orthodoxe, à suivre une conduite qui ne fût pas en disharmonie avec les préceptes évangéliques.
L'année 1832, le grand propriétaire Bogdanov eut l'heureuse chance de voir Saint Séraphim au Désert de Sarov. Entre mille sujets desquels il s'entretint avec le Bien Heureux Ascète, il lui demanda quelle pouvait bien être la lecture, à son sentiment, qui lui pût être la plus Salutaire. « L'Evangile! » fut sa réponse. Lis-en quatre chapitres par jour; - un de chaque Evangéliste -. & lis aussi la Vie de Job le Juste. Bien que ce dernier s'entendît dire par sa femme que la Mort eût encore été préférable à ce sort calamiteux d'infortuné, en toute chose, nonobstant, il se montra longanime & magnanime. Aussi mérita-t-il son Salut & fut-il Sauvé de par Dieu. & toi, ne néglige pas de faire des dons à ceux mêmes qui t'ont offensé ». Et comme Bogdanov s'inquiétait de ses maux – pouvait-on seulement en demander la guérison? Et que, par manière plus générale, il se souciait d'une manière de passer sa vie qui fût plus agréable à Dieu, l'Ascète lui fit ce Répons Inspiré : « Certes, pour ce qui est du péché, la maladie en fait par le corps servir de purification de l'âme. Mais, qu'il t'advienne selon ta volonté. Marche dans la voie moyenne, plus longtemps tenable que les excès. Ne te charge pas au-delà de tes forces : car, comme un âne bâté trop lourdement chargé, tu tomberais, & le Diable se jouerait de toi ; - tout comme il se joua du Juste auquel il fit cette offre, un jour, de sauter dans un gouffre très profond; lequel Juste, déjà, s'apprêtait à accepter ce marché de dupes, lorsque Saint Grégoire, de justesse, l'y retint au bord. Ce que toi donc, il te faut faire? Voici : Lorsque tu subis l'outrage, ne rends point l'outrage. Lorsqu'on te persécute, reste magnanime. Lorsqu'on porte atteinte à ton honneur, prodigue des louanges; ne juge que toi-même; et alors Dieu même ne te jugera point. Abandonne donc ta volonté à la volonté de Dieu; ne flatte jamais quiconque ; sache discerner ce qui est bon de ce qui est mauvais; le Bon du Mauvais. Il est bienheureux l'homme qui sait discriminer cela, & différencier le Bien du Mal. Aime ton Prochain comme toi-même. (Marc 12,31). Si tu vis selon ta chair, tu perdras & l'âme & le corps. Mais, si tu vis selon Dieu, tu Sauveras et l'âme et le corps. Ce sont là des exploits plus grands que ne seraient des pèlerinages lointains que tu pourrais mener jusqu'à la Lavra des Grottes de Kiev, ou reposent tant de Saints, intacts, en leurs cercueils de verre, ou plus loin encore. » Par ces derniers mots, Saint Séraphim fustigeait alors le désir que ressentait Bogdanov de se rendre jusqu'à Kiev, ou de pèleriner vers d'autres destinées qu'il brûlait de gagner, mais non sans la Bénédiction du Starets. Et pourtant, il n'avait encore confié à personne cette secrète volonté sienne, dont, toutefois, de par sa ClairVoyance, le Saint avait été instruit.
Mais le Seigneur n'avait pas doté Saint Séraphim du seul charisme de la Divination. Il lui avait encore octroyé le Charisme de Guérison des maux corporels. C'est ainsi que que, si l'on remonte plus loin encore dans le Temps, & ce jusqu'à l'année 1823, lors qu'il n'avait pas renoncé tout-à-fait à vivre en Solitaire, l'on assiste à un bouleversant miracle. Car le Saint guérit le mal incurable dont était atteint Mandorov, le grand propriétaire terrien. De fait la maladie de ce dernier avait lors atteint un stade effrayant & critique ; - au point que des pointes osseuses lui tombaient des pieds, & que l'on n'avait plus rien à espérer des médecins ni de leur art. D'où ses parents & ses proches lui conseillèrent, en ultime recours, d'aller rendre visite au Saint Père Séraphim, dont il n'était plus désormais une seule âme qui vive sur un seul arpent de terre russe pour méconnaître la Vie Sainte. Ils menèrent donc le grand malade au Saint Starets, dont l'Ermitage de Sarov était distant de quelques quarante verstes de son domaine. Ce fut donc au prix des plus grandes difficultés qu'ils parvinrent chez le Reclus Thaumaturge. Ils le portèrent non sans mal, jusque dans le couloir du Saint. Là, Mandorov, en larmes, l'implora de le guérir de cette maladie atroce. Lors, avec l'Amour d'un Père Aimant, Saint Séraphim lui demanda s'il croyait en Dieu. Et, lorsque, par trois fois, le malade l'eut assuré de sa Foy Sincère, Authentique, & Véridique En Dieu : « Ma joie », lui repartit alors Séraphim avec son Esprit accoutumé de sensible contrition de Coeur, « si telle est bien ta Foy, crois aussi que le Seigneur, pour cette même Foy tienne, te guérira, & que moi, Séraphim, - pauvre de moi! -, je Prierai pour toi. » Sur ces mots, il se retira dans sa cellule, de laquelle piécette il ne fut pas long à ressortir, portant un flacon d'huile sainte, prise à la veilleuse qui, toujours incessamment, brûlait devant l'Icône de la Mère de Dieu Toute Miséricordieuse. Mandorov s'étant découvert les jambes, le thérapeute Thaumaturge en oignit les parties lésées. Dès là, ce ne fut plus l'affaire que d'un clin d'oeil : Ces membres qui n'étaient plus que plaies, en l'espace de peu de Temps, redevinrent saines. & ce fut un patient guéri déjà qui, sans aide aucune, ni de quiconque, quitta la cellule du Thaumaturge de Sarov aux toutes Miraculeuses Prières. Débordant de joie, le riche propriétaire terrien, comprenant qu'il était désormais hors de danger, se jeta aux pieds du Saint, & se prosterna devant lui. &, si grande était sa gratitude, qu'il se mit à les couvrir de baisers. Mais, le relevant, le Saint avec sévérité le toisant : « Serait-ce le pauvre Séraphim, qui, d'aventure, « Meurt & Donne la Vie, conduit à l'Inferne Hadès & en ramène sauf ? » - &, ce disant, il citait là le Biblique Livre des Rois ; ( 1 Rois 2,6). Que t'est-il par ainsi advenu, Bien-Aimé? Sache-le : Ce Miracle est ici l'Oeuvre Saint du Seul Seigneur, qui, écoutant leurs Ardentes Prières, fait la Volonté de ceux qui Le craignent, le révèrent, & le servent. Dès là, rends donc Grâce au Seigneur des Puissances Angéliques, comme à Sa Toute Pure Mère Vierge. » &, sur ces Paroles Modestes, l'Humble Servant de Dieu laissa s'en repartir Mandorov guéri.
Non moins Miraculeuse fut la Guérison d'Alexandra Lebendéva, survenue en l'an de Grâce 1827. Il y avait plus d'un an qu'elle souffrait de crises, terribles, dont les médecins ne trouvaient point la cause, demeurée inexpliquée, lesquelles crises se signalaient de vomitives nausées, de claquements de dents, & de spasmes dont s'agitait le corps tout entier. Après quoi, chaque fois, elle demeurait évanouie, sans conscience ni connaissance aucune. Or, c'était quotidiennement désormais qu'elle était la proie de semblables accès, pour elle tétanisants. Les remèdes ne servaient absolument de rien. Pour finir, un médecin de confiance, que son expérience rendait respectable, & qui, avec beaucoup de sollicitude avait, pour traiter ce cas, mis à contribution toutes ses connaissances médicales, & y avait bientôt épuisé toutes les ressources de son art, lui conseilla d'en définitive s'en remettre à la Volonté du Très Haut, & de requérir de Lui Secours & Protection, pour ce qu'il n'était plus d'autre issue, ni nulle autre lueur d'espoir aucune que de ce seul côté, n'étant plus du ressort d'aucun humain au monde de la pouvoir guérir. Ces mots plongèrent ses parents dans une affliction profonde. Quant à elle, sans plus de résistance psychique aucune devant l'excès de souffrance qui la submergeait, se laissant sombrer, elle s'abîma dans le désespoir. Mais voici qu'une nuit, curieusement, se présenta à elle une femme d'un très grand âge, qu'elle n'avait jamais vue. & comme la malade, tremblante, se mettait à invoquer la Vénérable Croix, elle entendit l'inconnue lui parler : « Ne crains rien », lui murmurait-elle, « je suis, tout comme toi, une créture humaine. Toutefois, je ne suis plus désormais de ce monde. J'ai traversé le royaume des Morts. Pour toi, maintenant, lève-toi. Gagne promptement le Monastère de Sarov. Là, va trouver le Père Séraphim. Il est chez lui. Il t'y attend. Tu verras : Dès de main, lui te guérira. » La jeune fille stupéfaite trouva néanmoins l'audace de questionner la soudaine Apparition. « Et toi ,» interrogea-t-elle. Qui es-tu? D'où es-tu donc? ». « - Moi », répondit la forme voilée, « je suis la Moniale Agathe, celle qui fut la première Higoumène du Monastère de Diviyévo. » Dès là que, le lendemain, ses parents conduisirent Alexandra jusqu'à Sarov. En chemin, de nouveau, elle fut reprise de spasmophilie, dont s'accompagnaient ces crises effrayantes qui la terrassaient. Tous trois arrivèrent néanmoins au Couvent pour la seconde Divine Liturgie, à l'heure précise où les Frères se trouvaient, pour leur repas commun, assemblés au réfectoire, tandis que Saint Séraphim, lui, demeurait Reclus, enfermé dans sa cellule, où il ne recevait personne. Mais, lorsque la malade se fut approchée de la cellule du Starets, & avant même qu'elle n'eût pu devant sa porte achever la Prière d'usage, le Saint sortit, la prit affectueusement par la main, & la fit entrer en sa chambrette d'Hésychaste Priant. Là, il lui couvrit la tête de son étole de Père Spirituel, qu'il portait sur ses épaules pour confesser l'âme de ceux qui venaient à lui, & lui lut à voix basse les Prières d'usage d'Invocation au Seigneur & à la Très Sainte Mère de Dieu. Puis, après qu'il lui eût fait boire de l'eau bénite lors de la fête des Théophanies du Seigneur Baptisé dans le Jourdain, il lui remit un morceau de pain béni, celui que l'on nomme prosphore, ainsi que trois morceaux de pain dur biscotté : « Prends chaque jour, » lui enjoignit-il, « un petit morceau de pain avec de l' eau bénite, &, partant, rends-toi à Diviyévo sur la tombe de la servante de Dieu Agathe. Là, prends un peu de terre, & fais autant de métanies que tes forces te le permettront. La servante de Dieu Agathe, Higoumène, se montre compatissante à ton égard, & souhaite ta guérison, ainsi qu'elle m'est apparu e pour me le venir confier. Aussi, par la suite, lorsque tu te sentiras mal, Prie Dieu, & dis : « Père Séraphim, souviens-toi de moi, & intercède pour moi, pécheresse, à crainte que mes adversaires ennemis de Dieu ne me plongeassent à nouveau en cette maladie affreuse. » Il se fit lors un grand bruit mystérieux, &, sensiblement, il lui sembla que le Mal, violemment sortait d'elle. Ce fléau qui avait martyrisé sa chair s'en allait pour ne plus revenir. Dans la suite des Temps encore, lui advint ce bonheur que trois fils & cinq filles lui naquirent. L'ancienne grande malade était désormais, par les Miraculeuses Prières du Saint, vaillante mère de huit enfants.
L'on était au mois de septembre de l'année 1831, lorsque l'on vit arriver à Nizegovrondsk, ville de la province de Sibvisk, un propriétaire foncier répondant au nom de Nicolas Motovilov, lequel était alors en proie à des maux & maladies diverses, qui lui causaient de terribles souffrances, jusqu'à que la toute Merveilleuse Prière du Saint, Miraculeusement, le guérît tout-à-fait. Voici à peu près en quels termes son journal intime relate sa spectaculaire guérison. « C'est par le grand Starets Séraphim », y écrivait-il, « que je fus guéri de douleurs plus atroces qu'on ne saurait jamais l'imaginer, occasionnées par des rhumatismes auxquels s'adjoignaient d'autres maladies diverses. Mon corps en était tout entier perclus. J'avais les jambes roidies, & les genoux enflés. Mes hanches & mes épaules n'étaient plus que plaies. Trois années durant, je souffris ces maux affreux, endurant d'insupportables douleurs, sans espoir en vue ni lueur de guérison. Mais voici comment, tout inopinément, survint nonobstant ma délivrance : Le 5 septembre 1831, l'on me conduisit à Sarov . Le 7 & le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge, je pus, par deux fois, m'entretenir avec le Saint Père Séraphim, dans sa cellule même, sans toutefois que mon état en fût modifié le moins du monde. Le 9 septembre, ce fut à son petit Désert sis non loin de là, que je lui fus amené, auprès de sa fontaine, qui, par ses Prières Bénie, était, rapportait-t-on, devenue Miraculeuse, & ses eaux guérisseuses. Juché sur les épaules de quatre hommes gaillards aux épaules solides, & tandis qu'un cinquième me soutenait la tête, Je fus donc déposé près de lui, à ses pieds, chaussés de ses « tsaroutes », vieux sabots usés de paille déjaunie. Ce fut donc dans cette clairière, sur les rives du fleuve, que l'on m'adossa à un énorme pin. Une foule de visiteurs pèlerins se pressait tout autour du Starets, cherchant à s'entretenir ou s'entretenant avec lui. Comme je l'implorai de me secourir &, par ses Saintes Prières, de m'octroyer la guérison, le Saint Père Séraphim me fit cette réponse : « Mais tu sais bien que, pour ma part, je ne suis points médecin! A qui veut obtenir guérison de ses maux, il sied recourir aux lumières de la science. » Je lui fis, pour lors, le récit détaillé, néanmoins, de mes souffrances. J'ajoutai qu'il n'était rien que je n'eusse mis en oeuvre pour tâcher de recouvrer la santé, mais que, néanmoins, rien n'y avait fait, que je n'étais point, ni nullement guéri, & qu'il n'était plus pour moi de guérison possible, ni même seulement d'espoir de guérison, sinon de par l'Opération de la Grâce Divine ; mais que je n'étais malgré tout qu'un pécheur devant Dieu, que je n'avais point, de ce fait, libre accès, dans mes Prières, auprès de mon Seigneur & de mon Dieu, & que c'était pour toutes ces raisons que je venais quérir ses Saintes Prières, par quoi le Seigneur, j'en étais au fond de moi persuadé, ne manquerait pas de me Sauver. ». « - Crois-tu, » m'interrogea-t-il, « que notre Seigneur Jésus Christ Est Vrai Dieu & Vrai Homme, & que la Très Sainte Mère de Dieu Est la toujours Vierge Marie? »? « - Je le crois », répondis-je. « Crois-tu », poursuivit-il, « que le Seigneur qui, antan, d'une seule Parole, ou d'un simple attouchement eut coutume d'à l'instant guérir toutes les maladies des hommes, peut encore, en ce jour même, & de la même sorte, en la même manière, & tout aussi aisément qu'alors, d'un seul Mot de Son Verbe Tout Puissant guérir tous ceux d'entre les êtres qui requièrent Sa Grâce, dont ils ont tant besoin? Crois-tu également que soit auprès de Lui Toute Puissante aussi l'Intercession en notre faveur de Sa Mère Touts Sainte ? Et encore, que le Seigneur Jésus-Christ, par les Suppliques Ardentes de Sa Mère Très Chère, vous puisse, en pareille sorte, ici-même, sur-le-champ, au jour d'aujourd'hui, d'une seule Parole & d'un seul Mot de Lui, te puisse conférer l'entière guérison? » Je l'assurai, lors, que, pour ma part, c'était sincèrement que, de tout mon coeur & de toute mon âme, j'y croyais fermement, & que, du reste, si je n'eusse point cru, je n'eusse point demandé d'être emmené jusqu'en ces lieux-ci, pour m'y trouver à ses côtés, à dessein d'y implorer de plus près ses Prières Saintes. De quoi il conclut en ces termes : « Si donc tu crois de la sorte, alors, te voici guéri! ». « Comment se pourrait-il, », m'étonnai-je, « que je fusse guéri , puisque vous me soutenez encore, mes gens & vous, entre vos bras par-dessous étendus? ». « - Non, »m'assura-t-il. Vous voici maintenant parfaitement sain de corps.» Intimant aux hommes qui me portaient, & soutenaient, l'ordre de me lâcher, il me prit aux épaules pour m'aider à me relever, me fit mettre debout, & me campa bien droit sur mes jambes, en me disant : « Sois désormais plus assuré. Prends sur le sol un appui ferme. Fort bien ! C'est cela! N'aie crainte! Te voici dorénavant en parfaite santé. » A cet instant, il me contempla, radieux, avant que d'ajouter : « Eh bien! Tu vois que tu tiens debout, à présent! ». « Que je le veuille ou non, il est bien vrai que je tiens debout », confirmai-je. Cependant je doutais encore quelque peu : « Mais, c'est vous qui me soutenez fortement aux épaules ». Alors, il ôta ses mains de derrière mon dos, insistant : « Voila! Maintenant, je ne tiens plus du tout; ce n'est plus moi qui t'aide. Tu te tiens seul, fermement sur tes jambes. Allons! Marche hardiment à présent, petit Père : Le Seigneur t'a guéri. Tu peux avancer, allez! Oui, vas-y; marche confiant. C'est Dieu qui t'aide, te porte, & te soutient. Te voilà donc fort de Sa Force Puissante! » D'une main, il me saisit la main, tandis que de l'autre il me poussait légèrement dans le dos, de façon à guider mes pas sur le sol inégal que formait en son milieu la pelouse, tout autour du grand pin. « Vois, » admira-t-il, « ami de Dieu, comme tu marches bien! ». « C'est sans doute », repartis-je, « que vous avez eu la bonté de bien vouloir me guérir, & ce sera la Mère de Dieu Elle-même qui aura Prié pour que le Miracle eût bien lieu. » Mais, lui, plus humblement, l'air de rien : « Tu aurais aussi bien marché sans mon aide ! » répliqua-t-il. « Et tu marcheras toujours bien, désormais !Allez! Avance encore! » Et il se mit à me pousser pour me faire avancer. « Mais », m'inquiétais-je. « Je crains de tomber, de la sorte, & de me faire mal! ». « - Non! » rétorqua-t-il avec assurance. « Tu ne te feras aucun mal. Au contraire, marche sans crainte! »Je ressentis lors, soudain, m'animer, du dedans de moi, une Force Puissante, que je percevais Divine. J'avançai lors d'un pas bien assuré. Soudain, le Père Séraphim m'arrêta net : « Il suffit! Tu as donc bien acquis la ferme conviction que le Seigneur t'a complètement guéri? Oui, le Christ a pris sur Lui tous tes péchés, & t'a purifié de tes iniquités. Vois-tu quel grand Miracle vient en toi d'opérer Dieu le Seigneur ? A cause de quoi, crois en Lui, crois en notre Christ Sauveur, sans douter jamais, & nourris une solide Espérance en la Miséricordieuse Compassion qu'Il te porte. De tout ton Coeur, Aime-le, Attache-toi de toute ton Ame à Lui, Espère toujours en Lui, d'une Espérance que rien ne saurait ébranler jamais, & rends-Grâce à la Toute Sainte Reine des Cieux pour la grande Pitié qu'elle t'a manifestée. Mais pour ce que ton état infortuné, trois ans durant, a épuisé tes forces vives, prends garde de ne point te remettre à trop marcher, ni trop vite. & veille sur ta santé, désormais, comme sur un Don précieux par Dieu octroyé. » Longtemps encore, nous parlâmes, devisâmes, & spirituellement nous entretînmes. & puis il me renvoya à l'hôtellerie des visiteurs parfaitement guéri, de Corps & d'Ame. Nombre de Pèlerins qui s'étaient trouvés là pour assister à ma guérison m'avaient précédé au Monastère, où ils clamaient & proclamaient à la face de tous ce grand Miracle accompli par le Saint Starets Séraphim.


***
En suite de sa Guérison Miraculeuse, Motovilov se mit à faire de fréquentes visites au Monastère, dont il devint un Pèlerin assidu. Au cours d'un entretien qu'il eut avec le Saint à la fin du mois de novembre 1831, il connut le double bonheur de le voir briller dans la Lumière de la Grâce qui le Transfigurait tout, & de s'entendre dire que la Vie Chrétienne se doit de devenir Vie En l'Esprit Saint. Voici donc ce que, de cette entrevue mémorable, à jamais & à toujours marquée par la Transfiguration du Saint, relate le Journal de Motovilov, retrouvé parmi les archives du Monastère de Diviyévo, où Hélène Motovilova, sa Femme, devenue Veuve, s'était retiré pour prendre le Voile, & enquel elle le resserrait précieusement parmi les trésors & les divers joyaux de la Bibliothèque du Couvent. Voici comment y était rapporté « l'Entretien avec Motovilov » :
« C'était un jeudi, par un jour plutôt sombre. Il y avait une assez haute couche de neige recouverte de givre & de cristaux de gel. Le Père Séraphim se mit à me parler dans l'enclos contigu à celui des deux ermitages qui était le plus proche du Monastère, en face du fleuve Sarov, & adossé à la montagne. Il me fit asseoir sur le tronc d'un arbre qu'il venait à peine d'abattre & il s'accroupit devant moi. « Dieu m'a révélé – dit-il – qu'au temps de ta jeunesse, tu désirais ardemment connaître le but, la visée, & l'ultime fin de la Vie Chrétienne, & qu'à ce propos tu as maintes fois interrogé des personnes d'importance & expertes en Spiritualité. »
Notons que cette pensée-là m'avait toujours préoccupé de puis mes douze ans, & que« j'avais, en effet, posé la question à beaucoup d'ecclésiastiques, sans avoir jamais été satisfait de leurs réponses. Or le Starets ignorait certainement tout cela. « Mais personne – poursuivit Saint Séraphim- ne t'a dit quelque chose de précis à cet égard. Ils t'ont répété : « Va à l'église, prie Dieu, observe Ses préceptes, fais du bien autour de toi. Voilà le but de la Vie Chrétienne pour toi ». Ils ne te parlaient pas comme il l'aurait fallu. Or moi, pauvre Séraphim, je vais t'expliquer maintenant quel est le but réel de la Vie Chrétienne ».
« La Prière du Coeur, le Jeûne, les Veilles, & toutes les autres Oeuvres Bonnes d'un Disciple du Christ, pour excellentes qu'elles soient, ne constituent cependant pas le but de la Vie Chrétienne, bien que ce soient les moyens indispensables pour l'atteindre. Le but véritable, c'est l'acquisition de l'Esprit de Sainteté de Dieu. Toute action Bonne accomplie pour le Christ, non seulement nous procure la Couronne de Justice dans le siècle futur, mais, dans la Vie présente, emplit l'Homme de la Grâce de l'Esprit Saint ». « Comment? Acquisition? Ai-je demandé au Père Séraphim. Je ne saisis pas bien. « Acquérir, c'est la même chose que gagner – me répondit-il-. Tu sais ce que signifie gagner de l'argent? Eh bien, c'est exactement la même chose pour l'acquisition de l'Esprit Saint. Tu comprends, toi, ami de Dieu, ce que veut dire acquérir au sens matériel? Le but de la vie sur terre, c'est de gagner de l'argent, ou de recevoir des honneurs, des distractions, etc...L'acquisition de l'Esprit Saint est aussi celle d'un Capital, mais uniquement donné par la Grâce, & Eternel. On l'acquiert presque par les mêmes moyens que pour un capital périssable fait d'argent & d'honneurs. Le Verbe de Dieu, l'Homme-Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ, compare notre vie à un marché, & nos actions bonnes, ici-bas, à des achats...Les marchandises sont les Actes Vertueux accomplis par le Christ; ils nous procurent la Grâce du Saint Esprit, sans laquelle personne n'est Sauvé, ni ne peut se Sauver. Ce même Esprit Saint vient établir Sa Demeure en notre Ame, & cette habitation du Tout-Puissant, cette Présence du Dieu-Trine en nous, n'est accordée que par l'acquisition, dans la mesure de nos forces, de l'Esprit Saint. C'est Lui qui prépare, dans nos âmes & dans nos corps, le Trône de la Présence du Dieu Créateur, selon les Paroles Divines : « J'habiterai chez eux, & Je viendrai, & Je serai leur Dieu, & ils seront mon Peuple ». Il est vrai que chaque Acte de vertu accompli pour le Christ nous procure toujours davantage de la Grâce de l'Esprit de Sainteté; mais c'est surtout la Prière qui la donne, car elle est toujours à toute portée comme un instrument destiné à l'acquisition de la Grâce de l'Esprit. Qu'il soit Pauvre ou riche, faible ou fort, pécheur ou vertueux, tout homme peut prier. Elle est grande la Force de la Prière. C'est grâce à elle que nous sommes admis à parler à Notre-Seigneur & Sauveur ». « Père, lui dis-je, vous me parlez tout le temps de l'acquisition de la Grâce du Saint Esprit, & vous me dites qu'en cela consiste le but de la Vie Chrétienne; mais comment puis-je le Voir? On peut voir de bonnes actions, mais, comment peut-on Voir l'Esprit de Sainteté? Comment savoir s'il est avec moi ou non? » « La Grâce de l'Esprit Saint, répondit le vénérable Starets-, c'est la Lumière qui Illumine l'Homme. C'est à bien des reprises, & devant de nombreux témoins, que le Seigneur a Théophaniquement Manifesté l'action de l'Esprit Saint chez des personnes qu'Il a Sanctifiées, & Illuminées avec EfFusion. Rappelle-toi Moïse...la Transfiguration de Jésus sur le Mont Thabor... » Comment savoir si j'ai reçu l'Esprit? Si j'ai en moi la Grâce, après Réception de l'Esprit Saint? », demandai-je au Saint Père Séraphim.
« Ami de Dieu, c'est très simple », répondit-il. Et, me prenant très fortement les épaules, il ajouta : « En ce moment, petit Frère, nous sommes tous deux dans l'Esprit Divin...Pourquoi ne me regardes-tu pas? » Je répondis : « Je ne peux pas vous regarder, Père, parce que vos yeux jettent des éclairs, votre visage resplendit plus que le soleil, & cela me fait mal aux yeux ». Saint Séraphim reprit : « N'aie pas peur, ami de Dieu : Présentement tu Resplendis tout autant que moi. Tu es maintenant dans la Plénitude de l'Esprit de Dieu; autrement, il te serait impossible de me voir en cet état ». Puis, baissant sa face irradiée de Lumière, il ajouta : « Rends Grâce à Dieu de la Grâce Ineffable qu'Il t'a faite & octroyée...Tu as Vu : Je n'ai pas même fait le signe de croix, mais, en Pensée, dans mon Coeur, j'ai Prié Dieu, & j'ai Dit intérieurement : Seigneur, accorde-lui la Grâce de Voir les Dons que Tu fais & octroies à Tes Serviteurs, quand Tu daignes venir dans la Force de Ta Gloire » Et voilà que tout aussitôt, sur-le-champ, le Seigneur a exaucé l'Humble demande du Pauvre Séraphim. Comment ne pas, de ce, lui rendre Grâce? Dieu n'accorde pas toujours ce qu'Il t'a Donné, même à Ses meilleurs Serviteurs. C'est la Grâce Divine qui, comme une mère, a daigné ramener la Joie Spirituelle dans ton coeur contrit, par l'Intercession de la Vierge Elle-même... Regarde-moi sans crainte : Dieu est avec nous. nous! »...........................................................................
« Que ressens-tu? » « Une extraordinaire Douceur. » « Et encore? » « Une Joie Ineffable, qui m'inonde le Coeur » « Cette Joie, ma Joie, repartit le Starets, - car il appelait « ma Joie! », tous ceux qui venaient à lui- est celle dont le Seigneur parle dans l'Evangile, semblable, & plus grande encore que celle qu'éprouve une Femme qui met au Jour un Enfant...La Joie promise aux Apôtres, & qui, jamais, ne pourra leur être enlevée ».......................................



***

Par la Puissance de la Croix Vénérable, & par la Force de la Prière des Saints, le Starets Séraphim guérissait jusqu'aux possédés même.
« J'étais là », raconte Likatsevski, paysan à Sarov, « lorsqu'une démoniaque, qu'il fallait plusieurs hommes pour maîtriser à grand peine, fut amenée dans le couloir de l'isba – qu'il eût, du reste, mieux valu dire cabane ou modeste cabanon – qui abritait l'Anachorète, au sien Désert de sa Solitude Priante d'Hésychaste Béni de Dieu. Tout le long du chemin, elle s'était férocement débattue. Mais, une fois arrivée en ces lieux de Prière Sainte, elle fut soudain, comme jetée à terre, pour ainsi dire, précipitée, précipitée, &, là, secouant frénétiquement la tête, elle n'avait plus, toujours relancé, qu'un seul cri : « Il va me brûler! »couinait-elle, « il va me consumer toute !» Sur quoi le Saint étant
sorti de sa cellule, il s'avisa de tenter de lui faire boire quelques gouttes d'eau bénite. Ce pendant, comme la femme se refusait à ouvrir la bouche, ce fut non sans mal qu'il y parvint. Nous tous qui étions là présents, témoins de cette séance d'exorcisme ou plutôt de dépossession du Diable qui tourmentait cette malheureuse, nous vîmes en cet instant lui sortir de la bouche quelque chose comme une fumée noirâtre. Lorsque le Starets eut fait sur elle le signe de la Croix Vénérable, & qu'il lui eut lu une Prière circonstanciée du Livre des Offices qu'est le Grand Euchologe, la possédée reprit enfin ses sens, & d'elle-même, entreprit de se mettre en prière. Je la revis, plus tard, à l'église du Monastère de Sarov, totalement guérie, & m'enquit auprès d'elle comment, dorénavant, elle se sentait. « Grâce à Dieu », répondit-elle, « et par les Prières de Son Saint, je ne me ressens plus de mon Mal d'antan. »
Saint Séraphim accomplissait de la sorte une foule de Miracles, & dans les cas mêmes de pathologies gravissimes. Nombre de ces Miracles ont été relatés & répertoriés dans des catalogues recensant tous ces cas cliniques, mais il en est bien d'autres encore, innumérables, & dont le souvenir ne demeura gravé que dans le coeur seul de ces Miraculés de Dieu, Exauceur des Prières de Son Saint. Desquels, sans nombre, il n'a, comme de bien entendu, pu être rapporté ici que fort peu d'exemples. Leur liste exhaustive ne s'eût pu contenir en un unique livre.
Toutefois, le Starets, quelque richissime qu'il fût devenu en Charismes de l'Esprit de Sainteté, jamais n'eût pour autant changé sa conduite de Thérapeute Thaumaturge : Il avait donc par ainsi coutume d'oindre les malades de l'huile de la veilleuse qui, dans sa cellule, brûlait devant l'icône de la Mère de Dieu Toute Miséricordieuse. Qu'on l'interrogeât sur la cause d'une semblable attitude, il répondait : « Nous lisons bien dans la Sainte Ecriture », - selon que l'Ecrit le Saint Evangéliste Marc en (6, 13) -, que les Apôtres « chrismaient nombre de malades & les guérissaient ». Nous donc, qui imiterions-nous, sinon les Saints Apôtres? »


***

Le Temps que lui laissaient ses obligés, le Saint le consacrait à la Prière. Dans le même Temps que, pour le Salut de son Ame, avec l'application & la régularité qui lui étaient coutumières, le Saint Père Séraphim s'acquittait de son canon de prières, il ne se lassait pas, en Hésychaste adonné à la Prière du Coeur, d'Invoquer le Seigneur Dieu par Son Saint Nom, & de le Prier & Supplier avec Feu pour tous les Fidèles Chrétiens Orthodoxes, qu'ils fussent vivants ou endormis dans le Seigneur. Aussi, lorsqu'il lisait le Psautier, n'omettait-il jamais, à chaque strophe, de faire monter de tout son Coeur devers Dieu ses suppliques. De ses demandes, les unes étaient pour les vivants, les autres pour les Morts. « Sauve, Seigneur, « implorait-il, « tous les Chrétiens Orthodoxes, & prends-les en Pitié, comme tous ceux aussi qui Vivent en chacun des lieux de la terre sous le Ciel où Tu Règnes. Accorde-leur, Seigneur, la santé du corps & de l'âme; pardonne-leur tout péché volontaire & involontaire ; et, par les Saintes Prières de Tes Saints, prends aussi Pitié de moi pécheur. « & pour les Défunts, il Priait en ces termes : « Accorde le repos, Seigneur, aux âmes de Tes serviteurs qui reposent ; comme à nos ancêtres, à nos Pères Saints, aux Orthodoxes d'ici & de partout ailleurs. Accorde-leur, Seigneur, Ton Royaume, & la Jouissance de Ton Infinie & Bien Heureuse Vie, & pardonne leur tout péché volontaire & involontaire. »

Le Saint Père, durant la Prière, - ou plutôt, sa Prière étant perpétuelle, durant le Temps de la récitation de son canon de prières, dont il lisait quotidiennement tous les offices des Heures, aux Heures dites de Minuit, du Matin, de Midi, de Tierce, de Sexte, de None, & de Complies, sept fois le jour, le Saint, donc, accordait une grande- importance aux cierges de pure cire vierge d'abeilles, non frelatés de paraffine, qui, dans sa cellule, brûlaient devant ses icônes. Il s'en epliqua au même fameux Nicolas Motovilov, durant l'entretien qu'il eut avec lui au mois de novembre 1831 : « Comme, entrant chez le Starets, j'y avisai une impressionnante quantité de veilleuses, & un nombre plus grand encore de cierges, petites & grandes, qui, à force de couler sur les divers plateaux où elles se consumaient en cercles, y laissaient des monticules quasi de cire, j'eus cette pensée, que je me formulai en mon for intime : « Qu'a donc le Patérouli à allumer une telle quantité, - une infinité presque – de veilleuses & de chandelles, dont la piécette se trouve parainsi surchauffée jusqu'à l'étouffement - ». Mais lui, comme s'il lisait dans mes pensées - & de fait, le Saint Starets lisait bien dans les coeurs comme à livre ouvert -, leur imposant silence me reprità voix haute : « Toi donc, Ami de Dieu, tu aimerais connaître la raison pourquoi tu me vois allumer ainsi tant de veilleuses & tant de cierges devant les Saintes Icônes ? La voici : Comme tu n'es pas sans le savoir, j'ai, pour m'Aimer, quantité d'âmes bonnes qui se montrent tout autant généreuses aussi envers mes petites orphelines du Moulin. - Car c'est ainsi que le Père Saint désignait les petites Moniales du Monastère qu'il avait fondé à Diviyévo -. Ces bonnes âmes me viennent donc porter l'huile pour les veilleuses, & les cierges que requièrent mes offices, & me supplient de Prier pour elles. Aussi, chaque fois que j'entame mon office, je commence d'emblée par les mentionner au diptyque des noms prononcés devant Dieu, pour attirer sur eux les Bénédictions Divines. Mais, comme leurs seuls noms forment une kyrielle immense, & que je ne les puis tous redire à la fois en chaque endroit & moment de l'office où il me faudrait canoniquement les y mentionner à nouveau, litaniquement, pour ce que tout mon Temps, même, n'y saurait plus suffire, alors, j'allume à leur intention, tout ainsi que s'il y en eût eu un pour chacun d'eux, tous les cierges ensemble que l'on me donne, &, sous les icônes, auprès du lutrin à Saintes Icônes, & du pupitre à Livres Saints devant lequel je me tiens debout à dire mes prières, comme autant aussi de sacrifices agréables devant Dieu. & pour certains, je fais servir un grand cierge, & pour d'autres une jolie veilleuse, qu'elle fût rouge Feu ou bleue d'azur de Ciel & de Mer. &, lorsque durant l'office, il me faut faire mention de chacun d'eux, je dis simplement : « Seigneur, souviens-toi de tous Tes serviteurs ensemble, pour les âmes desquels, moi, pauvre Séraphim, ai devant Toi tous ces cierges & toutes ces veilleuses ensemble allumé. » Or, que ce détail n'est point le fruit d'une fantaisie due à ma seule imagination, ni la suite & la conséquence de quelque zèle idiosyncrasique propre à un seul Starets, je t'en donnerai pour preuve les Paroles Inspirées de la Divine Ecriture Sainte : Car il est Parlé là que Moÿse entendit la Voix du Seigneur, lui enjoignant de « faire Brûler dans la Tente du Témoignage une Lampe Perpétuelle, & que ce serait à Aaron & à ses fils qu'il reviendrait de le faire, en manière qu'elle Brûlât devant le Seigneur depuis le soir jusqu'au matin. » ( Exode 27, 20-21). Voici, ami de Dieu, d'où la Sainte Eglise Orthodoxe a tiré, observé, & sauvegardé cette coutume, qui, dans les Temples Saints, & dans les maisons-Eglises Chrétiennes, fait s'allumer des veilleuses devant les Saintes Icônes du Seigneur, de la Mère de Dieu, des Saints Anges, & des Hommes Saints qui ont su plaire au Seigneur Dieu En Leur Esprit de Sainteté.

Il est un Témoignage aussi, selon lequel, tandis qu'il était En Prière, le Saint s'éleva, un jour, jusque dans les airs. D'après le récit qu'en rapporta la princesse E.S., son neveu, qui était fort mal, était venu, depuis Saint Pétersbourg, à cette fin de la voir. Celles-ci, le voyant si valétudinaire, & en tel piètre état, le conduisit à Sarov, chez Saint Séraphim. Or donc, le jeune homme était si faible & si malade, qu'on l'avait porté sur une civière jusque dans la cour du Monastère. En cet instant, Mystériquement En Esprit averti, le Saint était sur le pas de sa porte, s'apprêtant à venir à la rencontre de son visiteur épuisé. Le voyant venu jusqu'à lui en ce triste & déplorable état, il enjoignit aussitôt qu'on le portât jusqu'à sa cellule. Là, se tournant vers le malade : « Toi aussi, ma Joie, lui murmura-t-il, prie pour moi dans le même Temps que, pour toi, je me mets en Prière. Seulement, prends garde de rester allongé tout ainsi que tu es maintenant là, & de ne point te retourner d'autre côté, à criante que tu ne me visses Prier. » Tout d'abord docile, le jeune homme fut longtemps à demeurer ainsi qu'il était, sans oser seulement bouger. Mais, à la fin, dévoré de curiosité, & n'y pouvant tenir, il désira de voir ce, tout ce long Temps durant, pouvait bien faire le Starets. Se retournant alors, il le vit qui, sans même prendre appui sur le sol, Priait en lévitation. Devant cette vision, pour le moins intempestive, il ne put se défendre de laisser échapper un cri de stupeur. Saint Séraphim, qui venait à l'instant d'achever sa Prière, doucement l'approcha : « Et maintenant », s'insurgea-t-il, tu vas sans doute aller crier sur tous les toits que Séraphim est Saint, & qu'il Prie jusque dans les airs! Allons, le Seigneur aura Pitié de toi, & te guérira de ton mal. Seulement, prends garde de t'emmurer dans le Silence, & de ne rien dire à personne de ce que tu as vu, jusqu'au jour de ma délivrance de ce monde, de ma dormition sur la terre, & de ma naissance au Ciel. Au lieu de quoi, si tu te répands en bavardages à ce propos, ta maladie, tout subit, reviendrait fondre sur toi. » Lors, le malade se leva de sa litière, &, s'aidant dans sa marche des bras secourables du Starets, qui s'étaient offerts à lui, il sortit de la piécette du Starets. A l'hôtellerie du Monastère, de tous côtés, lors, aussitôt, importunes, les questions fusèrent : « Q-avait fait, qu'avait dit le Père Séraphim? ». Mais, à l'étonnement de tous, pas un mot, pas un son ne sortit de la bouche du jeune homme. C'est ainsi que, tout-à-fait remis, & ayant recouvré son entière santé, le jeune pèlerin guéri s'en repartit pour Saint-Pétersbourg. De là, après que se fut écoulé quelqu'unTemps, il s'en retourna chez la princesse E.S., sa tante. Ce fut là qu'il apprit que le Bien Heureux Starets & Saint Père Séraphim avait en fin trouvé le repos de ses terrestres peines. Dès lors, le jeune Témoin Oculaire entreprit de raconter partout & en tous lieux les effets & le mode de Prière toute Merveilleuse & Miraculeuse du Saint.

De la dite « Fontaine Théologale » qui avait aussi reçu
nom : « Source de Saint Séraphim », le Bien Heureux avait accoutumé de dire : « J'ai Prié à fin que l'eau de cette fontaine devînt médicinale ». &, par le fait, dès là, cette Eau, avait reçu de particulières vertus de Guérison Thaumaturgique. Ainsi ne se corrompait-elle aussi point, quand même elle demeurait de longues années gardée en des flacons que l'on n'avait point seulement pris garde de boucher. &, y voyait-on, à toute époque de l'année, affluer en la foule innombrable d'un torrent de Peuple Chrétien Orthodoxe, tant malades que bien-portants, pour en venir prendre les Eaux, lesquels jamais ne s'y plongeaient qu'ils n'en retirassent quelque bienfait corporel, profit Spirituel, & mieux-être particulier de quelque sorte que ce fût. Or, il en était beaucoup que faisaient souffrir des plaies effrayantes mêmes, & que le Saint, nonobstant, incitait à venir se baigner à l'eau de la fontaine. & c'était Miracle étonnant, & véritable prodige, de voir comme tous guérissaient, de par ces Mirifiques Eaux. Des aveugles s'y lavaient le visage, & recouvraient la vue. & il se trouvait même, pour y boire, des gens atteints des pathologies les plus graves, & fatidiquement Mortelles, qui, sur l'instant, lors, y devenaient, tout soudain, purs de Corps & purifiés d'Ame.

L'année 1830, où sévit une terrible épidémie de choléra, une foule immense de Fidèles à Dieu, venus parfois des contrées les plus reculées de la Sainte Russie, se pressa audit « Puits de Saint Séraphim ». Là, de par la seule vertu de cette Source Miraculeuse, chacun, selon sa Foy Orthodoxe, & à proportion d'icelle Foy, trouvait, qui, le soulagement de ses terrestres peines, qui, la guérison de ses maux. Il n'en faut pour preuve que l'histoire de Téplov, lequel, alors officier de cavalerie dans la province de Catherinoslavlié, où le choléra faisant rage, exerçait des ravages, lequel Téplov, donc, se souvint tout soudain d'une Parole apparemment fortuite, qui avait paru échapper à Saint Séraphim, & qu'il avait un jour prononcée, comme toujours, l'air de rien, & comme en passant : « Si tu es quelqu'un jour en proie au malheur, songe à passer en ces lieux, par la cellule du pauvre Séraphim. Lui, t'y voyant du haut du Ciel Priera pour toi d'avantage encore. » Ce subit resouvenir incita Téplov & sa femme, bien que de très loin, à adresser une supplique au Saint Père Séraphim, à cette fin qu'il les gardât dans ses Prières, & que, de par ses Saintes Prières, il leur épargnât d'être contaminés par cette maladie funeste en cette effroyable épidémie qui, partout entour d'eux, faisait rage. Et voici que, dès la nuit suivante, le Saint apparut en songe à l'épouse de Téplov, leur enjoignant de se rendre à la Fontaine Théologale, à fin d'y puiser l'Eau Bénite dont ils boiraient & s'étancheraient, son époux & elle, ainsi que leur entière famille aussi, & tous leurs serviteurs, après qu'ils s'y seraient tous baignés. Après donc qu'ils y eussent bu, & qu'ils s'y fussent lavés, tous remplirent de cette Eau Mirifique tout un tonnelet, qu'ils rapportèrent à la résidence domaniale telle un trophée de la Victoire des Prières des Saints sur le Mal, les Maux, & la Mort.
&, par le fait, nombre des membres du domestique & de la maisonnée des Téplov qui avaient contracté ce mal funeste, & qui, déjà, s'en trouvaient au plus mal, en un état si critique, que moribonds même, buvant de cette Eau Merveilleuse, tout subit en obtinrent, Miraculeuse, une prompte Guérison de Vrais Miraculés de Dieu. Dès là qu'il ne se trouva plus chez les Téplov fût-ce âme qui vive pour tomber victime foudroyée du terrifique choléra d'entour par tout rageant & ravageant.

Hélas! A qui eût voulu par ensuite s'en revenir pèleriner à la Source de Saint Séraphim, par les Saintes Prières du Bien Heureux dessus corps & âme coulant Source de Grâce & de Sanctification, il n'en était plus donné à voir rien, la source ayant été asséchée, détruite, & invisibilisée, ce pendant que le Monastère de Sarov avait, par pervers esprit Sacrilège, été défiguré, hideusement, détruit, néanti, & transformé en Camp de Travail, de Concentration, & de la Mort, pour y déporter à Mort les Bonnes Ames Chrétiennes des Saints Martyrs de l' Orthodoxie, Morts pour En la Gloire entrer de l'Orthodoxe Christ.


***


Le Rayonnement Spirituel du Saint Ascète qu'avait l'Esprit inondé de Sa Grâce s'exerçait jusques fort loin, sans s'y borner étroitement, bien par-delà les limites reculées du Désert de Sarov.
Ce provenait aussi de ce que le Saint s'était attaché, avec un zèle tout particulier, dans la contrée environnante, à multiplier les Monastères de Femmes. Bouleversante était la vue des liens indéfectibles d' infrangible Amour qui le retenaient uni par la Prière à la Communauté des Moniales de Divyévo. Ce couvent avait été fondé aux entours de l'année 1780 par la riche jeune veuve d'un colonel, Agathe Méligounova, que son défunt mari avait, dans un âge tendre encore, laissée, richement dotée, seule à la tête de grands biens & de domaines immenses. & quoique très jeune femme encore, elle avait nonobstant songé de se consacrer à Dieu pour le restant de sa vie durant. Elle avait donc, dans cette intention exprès, couru & parcouru à la ronde quantité de Monastères & autres lieux de Pèlerinages, cherchant celui qui retiendrait son coeur, pour s'y fixer auprès d'un site béni, & de prédilection, le plus cher à son âme qui se pût trouver. Et voici que, lors d'une halte qu'elle faisait, à quelque vingt kilomètres de distance du Monastère de Sarov, au village dit de Diviyévo, où, faisant halte pour y prendre quelque repos en son fatigant voyage, elle se trouvait en cet état incertain qui marque le passage de la veille au sommeil, la Mère de Dieu, tout subit, lui apparut, qui l'invitait à demeurer en ces lieux mêmes, en manière d'y fonder une Sainte Eglise à la Gloire de Son Icône Miraculeuse, la dénommée Icône de la Vierge de Kazan. Par la suite des Temps, d'autres Saintes Femmes, venues mener le Bon Combat de la Divine Ascèse, vinrent se joindre à la Pieuse Agathe, laquelle, ayant, dans l'entre-Temps, revêtu le Grand Habit de Pénitence qu'est le Schème Angélique des Saintes Moniales, avait pris le nom d'Alexandra, &, avec ce nom nouveau, signe d'une Vie nouvelle, reçu les hautes fonctions aussi d'Higoumène de son Monastère à venir. C'est ainsi que furent jetés les fondements du Monastère de Diviyévo, auquel est indissolublement lié, & Mémoriellement demeuré attaché le nom de Saint Séraphim de Sarov. De fait, avant de Mourir à cette terrestre vie, la fondatrice de cette Sainte Maison sollicita du Saint Père Séraphim qu'il s'élevât en Saint Patron Protecteur des Soeurs, & s'en remit d'elle-même à lui du soin de veiller sur ses Moniales. & ce, bien qu'à cette haute époque, le Saint n'eût encore exercé dans la Sainte Eglise Orthodoxe que les modestes fonctions de HiéroDiacre. Toutefois, la même recommandation ne laissa pas d'être, sur son lit de Mort aussi, réitérée à Saint Séraphim, par l'Higoumène du Monastère d'Hommes de Sarov, le Bien Heureux Père Pachôme. Tant ces Saintes Ames savaient le jeune Séraphim Vivant Saintement selon Dieu, & promis au Brillant à Venir d'un Homme de Dieu & d'un Grand Saint du Christ-Dieu. Aussi était-ce avec une sollicitude & une tendresse toutes paternelles que le Saint veillait sur les petites Soeurs de Diviyévo qui, de leur côté, venaient à tout bout de champ le trouver, lui demandant, qui, de recevoir sa bénédiction, qui, d'être affermie dans sa première Foy, que le doute & les difficultés du moment ne laissaient pas d'éprouver. & lui, c'était en Saint Père Aimant irradiant la plus affectueuse Chaleur, que, de toute son Ame brûlante d'Amour de Dieu, il prodiguait ses Salutaires Conseils, que son ineffable Bonté rendait plus doux encore à entendre, pour les volontés bonnes qui les venaient salutairement solliciter. &, outre la Concorde selon leurs Coeurs des Ames Choisies, & une Union de Prière qui le reliait à elles, il semblait qu'il eût établi avec elle un lien compassionnel d'identification à leur coeur & de surnaturelle sympathie, qui lui donnait, Eclairé d'En Haut, En Esprit de Sainteté, d'y lire à livre ouvert, & de communier à tous leurs pensers, non moins qu'à leurs souffrirs de l'instant. En sorte qu'il en était venu à tout partager avec elles de leur Canon de Prières Monastiques & de leur Angélique Vie selon Dieu.

Par les Prières du Saint, & grâce aux dons généreux de la pléthore de ceux qu'il avait, par sa Priante Intercession, guéris, la petite communauté des Moniales de Diviyévo ne tarda pas à s'accroître. Peu après, Saint Séraphim la scinda néanmoins en deux parties, quoiqu'il les plaçât sous une même gouverne spirituelle. Car, le servant de Dieu regardait une chose inopportune, voire nuisible, que les jeunes vierges demeurassent en la compagnie des veuves. Aussi, fidèlement attentif aux Instructions Spirituelles de la Toute Sainte Mère de Dieu qui éclairait son Esprit des Lumières de la Sainteté, choisit-il à Diviyévo, non loin de l'Eglise consacrée & dédiée à la Vierge de Kazan, sis en un domaine qui leur avait été abandonné, un lieu enquel il fit installer un moulin à l'usage des Religieuses. De là, dans une cour forclose, l'on édifia encore de nouvelles cellules, &, par la suite, une seconde église, de façon que le tout pût former un nouveau Monastère, sis à part des fondations premières du Couvent, jetées par Agathe Méligounova. Le Saint constituait donc de la sorte un nouveau Monastère, bien distinct du premier, ( quoique l'on pût le prendre pour un Métochion – une dépendance de la Maison d'origine -), & qui, dès lors, mérita bien son qualificatif de « séraphiméen ». « C'est par le Vouloir de Dieu & la Volonté de la Toute Sainte Mère de Dieu », était-il accoutumé d'en dire humblement, dès là, (- comme pour s'exclure de tout rôle laudativement reconnu de Saint Fondateur de Monastère, de Père Spirituel directeur de consciences, & même d'Intervenant Spirituel dans la Vie des Moniales -), « oui, c'est par eux tout seuls que tout cela se fit ».
Veillant sur ses filles de Diviyévo, &, sur celles, plus encore, de la nouvelle communauté du moulin, qui pour lui demeureraient, à jamais, « les petites Soeurs du Moulin », le Bien Heureux ne se lassait point de leur adresser des consolations bien propres à les fortifier, au sein des afflictions & des épreuves que la très laborieuse existence monastique ne pouvait manquer, & de fait, ne laissait point de comporter. Aussi, grâce au Rayonnement intense du Saint Hésychaste, le Saint Monastère commença-t-il d'attirer un nombre toujours croissant de Moniales, venues, sous sa houlette paternelle & sa Guidance Spirituelle Eclairée, embrasser le Monachisme, lequel apparaît bientôt être en si agréable Odeur à Dieu, toute Embaumante, tangiblement, du sensible Parfum de Sainteté, dont il advient toujours à ce jour d'aujourd'hui que, bien des témoins, passant auprès des Saints, les sentissent en effet suavement Embaumer. Pour certaines de ces jeunes filles ou de ces femmes, c'était mues par un sentiment de gratitude que, leur santé, par l'intercession du Starets, une fois recouvrée, elle se consacraient à Dieu. Pour d'autres, c'était l'Oeil Prophétique du ClairVoyant qui, dès long Temps, avait en elles Discerné la vocation pour cette Vie Divine, à laquelle il les avait aussi, pour lors, initiées, & formées de bonne heure.
Enfin, lorsque les Nonnes, inquiètes de l'avenir, commencèrent de s'affliger de ce que les ressources matérielles de la Maison n'étaient plus assurées en l'absence de revenus réguliers, & de dons même, il sut, comme toujours, les consoler : C'était la Reine des Cieux Elle-même, les rassurait-il, qui avait pour elles élu ce lieu, d'Elle donc Béni. Dès là ne manquerait-Elle pas d'en toute chose les secourir, jusqu'à ce qu'Elle leur obtînt, comme Elle l'avait toujours fait pour le Monastère de Sarov, outreplus les biens matériels, les Spirituels, lesquels sont à ces autres infiniment Supérieurs, d'Essence, de Nature, & de caractère. Il ajoutait encore qu'en ce qui le regardait lui, « le pauvre Séraphim », jamais il ne cesserait de fléchir les genoux devant sa Reine des Cieux, sans cesse ni répit l'Implorant pour ses Saintes Femmes de Diviyévo. D'où les Soeurs, par effet de retour, lui vouaient une obéissance parfaite, ne faisant du tout rien sans sa Bénédiction. C'est ainsi, pour exemple, que lorsque l'une d'elles venait à quitter quelque Temps le Monastère, elle ne manquait pas de venir quérir de son Saint Père Spirituel sa Bénédiction, avant qu'elle ne partît, comme après qu'elle fût revenue.


***

Voici quel étrange prodige rapporta Matrona Pleptséyiéva, Moniale au Monastère de Diviyévo : « Lorsque j'arrivai au Monastère, le Saint Père Séraphim me Bénit en manière que je pusse m'acquitter de ma Diaconie, laquelle têche monastique me plaçait à la cuisine, où il me fallait apprêter seule le repas de toutes mes Soeurs. Mais un subit manque de maîtrise de moi-même démultiplié d'une subite tentation que me suscitait le Démon, me plongèrent en un abattement si terriblement profond, & me firent l'humeur si chagrine qu'ayant pris cette Diaconie en irrépressible horreur, je suivis, à l'insu de tous, & sans nulle Bénédiction de mon Saint Père Spirituel, la brusque impulsion qui me poussait irrésistiblement à déserter, sur-le-champ, le Monastère. Sans nul doute le Starets avait-il déjà, en son for intime, Mystériquement eu Connaissance de cette épreuve qui m' était échue, & en laquelle je venais de succomber aux traits enflammés du Malin. Car, étrangement, & à ma grande surprise, il m'intima l'ordre soudain de venir le trouver à sa cellule. « Ma Joie! » murmura-t-il comme j'y entrais, « tout le jour je t'ai attendue. Je Savais que tu viendrais. » J'eus peine à lui répondre au travers de mes larmes : « Mais, Patérouli ! Tu n'ignores pas, toi, ce qu'est ma diaconie, & que, n'ayant point fini de cuisiner pour tout le monde, il ne m'était pas possible d'arriver plus tôt ! Dès, toutefois, que j'eus achevé d'apprêter le repas de mes Soeurs, je me suis mise en route pour ici. &, tout le long du chemin, je n'ai cessé de pleurer ». De son mouchoir, l'Ascète essuya mes larmes. « Ce n'est pas en vain, Mitéroula, - petite Mère - » assura-t-il fermement, « que tes larmes mouillent la terre. » Lors, me prenant par la main, il me mena devant l'Icône de la Toute Sainte Mère de Dieu Miséricordieuse : « Fais une métanie, Mitéroula, » m'intima-t-il, « & embrasse la Reine des Cieux. C'est Elle qui te consolera. » Je fis une métanie, j'embrassai l'icône, &, tout aussitôt, je me sentis l'âme baignée d'une telle Joie, toute Surnaturelle, que j'en fus entière reVivifiée. Après quoi : « Mitéroula », m'enjoignit le Saint Père Séraphim, « à présent, rentre à l'hôtellerie, &, demain, rejoins-moi au Désert, là-bas ». - « Ah! Repris-je », tremblante, « j'ai peur, Patérouli, d'aller tout là-bas, seule au Désert, si loin, à si tant de verstes du Monastère ! », m'écriai-je. Mais lui de répondre : « Pour toi, Mitériula, lorsque tu seras en route pour le Désert, dis sans cesse à haute voix : « Seigneur, aie Pitié! » Et, sans plus tarder, il commença lui-même de psalmodier quelques : « Seigneur, aie Pitié! » Je fis donc ainsi qu'il m'avait dit, &, le jour suivant, tout au long du trajet, je ne cessai d'égrener mes « Seigneur aie pitié », un à chaque boule du chapelet de laine noire que je tenais à la main, tiré de ma poche. &, curieusement, loin de ressentir aucune crainte, je me sentis, tout au contraire, au comble de la Joie. En fin, là-bas, dans le lointain, le petit Ermitage du Saint Hésychaste se dessinait, en forme d'isba recouverte de rondins de bois. Tout-à-coup, j'aperçus, non loin de sa cellule, assis sur une grosse souche d'arbre, le Père Séraphim, &, tout près de lui, à ses pieds se tenant, un ours absolument énorme. La peur, à cette effrayante vue, me figea comme une statue de sel, &, du plus fort que je pus, je me pris à crier : « Patérouli! Au secours! Je vais Mourir! » Et, terrorisée, je me jetai à terre. Au son de ma voix, le Saint donna une légère tape à l'animal sauvage, & lui fit un signe de la main. Lors, tout aussitôt, le mastodonte qu'était cet ours, comme s'il eût néanmoins été une créature douée de raison, obtempérant au vouloir du Saint, sur l'instant le laissant, s'enfonça dans les profondeurs du sous- bois. Toute cette scène m'avait laissée tremblante d'épouvante. Mais, déjà, l'Ermite s'était approché, & se trouvait désormais à mes côtés, m'adjurant de me défaire de toute crainte : « Cesse, Mitéroula », me rassurait-il, « cesse d'avoir aucune crainte. N'appréhende rien. Oui, sois sans nulle appréhension. » Moi, cependant, je continuais toujours de crier, hurlante de peur : « A l'aide ! Je Meurs! ». Mais le Starets, enfin, me calma : « Non, non, Mitéroula », m'assura-t-il, « tu n'es nullement sur le point de Mourir : La Mort se tient fort loin de toi. & puis, vois : Ici, tout n'est que Joie! » C'est alors qu'il me mena jusqu'à ce tronc d'arbre abattu, couché en travers de la clairière, où je l'avais vu assis quelque moment plus tôt. Il y fit une courte Prière, &, m'y ayant fait asseoir, s'y assit lui-même. Or, à peine venions-nous de nous y installer de la sorte que, tout subit, de l'épaisse forêt, le monstre, à nouveau, surgissait. Mais voici que, s'étant approché, il se coucha, tranquille, aux pieds du Bien Heureux. Hélas! A présent que le monstre effrayant avait ressurgi, & qu'il était bien là, si proche, à me toucher, il me prenait une terreur panique. Toutefois, j'eus la surprise nouvelle de constater que l'attitude du Père Séraphim était exempte de tout sentiment de crainte, comme affranchie, & libérée, même, de toute peur. Tout au rebours, & sans hésitation aucune, sa hardiesse allait jusqu'à engager l'ours à venir manger du pain dans la paume de sa main. A ce spectacle étrange, & jusque là tout inouï de moi, recouvrant mes esprits & quelque sang-froid, je revins à moi, & repris la maîtrise de mes sens affolés. Le visage de mon Saint Père Spirituel me fit dans cette instant une impression de singulière étrangeté : Il s'était si tant irradié de Lumière & de Joie, qu'il me parut semblable au visage d'un Ange. Lorsque j'eus achevé de me calmer & m'apaiser, mon Starets m'offrit le reste de son pain qu'il avait aussi partagé à son ours, & m'invita à nourrir à mon tour son protégé. Il me restait néanmoins quelques réticences : « Mais j'ai peur, Patérouli! » m'effrayai-je de nouveau. « Je crains qu'il ne m'arrache la peau d'un coup de dents, & ne m'emporte toute la main ! » Le Saint me regarda, serein : « Non, Mitéroula, » ajouta-t-il, tranquille, dans un lumineux sourire épanoui, « sois bien assurée qu'il ne te mordra pas. » Je pris, pour lors, le quignon de pain qu'il me tendait, &, de bonne grâce, imitant mon Père Saint, le partageai à l'ours, disposée même, cette fois, à lui en redonner s'il le jugeait bon. L'animal, en retour, même envers moi, pécheresse, se montrait, par les Prières du Saint, pacifique, voire conciliant, & comme apprivoisé. Le Père Séraphim reprit : « Te souvient-il, Mitéroula, de ce lion sauvage, qui, sur les bords du Jourdain, servait néanmoins Saint Gérasime, comme s'il eût «été domestiqué & dressé pour ce faire? Eh bien, le pauvre Séraphim, lui, vois-tu, est servi par un ours. Or, lors que les bêtes mêmes nous obéissent, tu t'es montrée, toi, Mitéroula, craintive & pusillanime. Pourquoi faut-il donc que nous demeurions incrédules? » Pour moi, dans ma grande naïveté je ne pus que lui répondre : « Mais si mes Soeurs, Patérouli, voyaient s'approcher pareil ours, elles aussi, à n'en pas douter, bien certainement Mourraient de crainte ». A quoi il me répondit étrangement : « Non, Mitéroula, tes Soeurs ne le verront pas, n'aie crainte. » J'insistai, quelque peu incrédule : « Pourtant, si l'on venait à le tuer, j'en serais bien affligée. » Lui, de même, répondit : « Non. L'on ne saurait non plus le tuer. Car, après toi, nul autre témoin ne le verra. » Je ne cessai point pour autant, en moi-même, de me demander quel conte je pourrais bien, en rentrant, faire à mes compagnes de cette effrayante aventure. Mais, ici, l'Ancien coupa court à mes pensées, qu'il avait, ce semble, parfaitement devinées, ou plutôt lu à même mon coeur : « Mitéroula, » énonça-t-il, « tu ne parleras à personne de ce que tu as vu, & ce, avant qu'il ne se soit écoulé onze années entières. Alors, Dieu te manifestera à qui il siéra que tu en fasses le récit. » De fait, bien des années plus tard, Soeur Matrona vint, pour les nécessités de sa diaconie, s'acquitter de quelqu'une tâche qu'on lui avait enjoint de remplir, à l'ancienne cellule qu'avait de son vivant occupée le Saint Père Séraphim. Il se trouvait que le Moine Iconographe Euthyme ( Vassiliev), avec la Bénédiction du Saint, reçue lors de son Vivant, y peignait. Le voyant ébaucher une Icône du Saint, la Moniale soudain se prit à dire : « Oh! Quelle belle chose ce serait de peindre aussi un ours aux côtés du Saint Père Séraphim! » Surpris de cette suggestion pour le moins étrange, le Frère Euthyme s'enquit de la manière dont pareille idée avait bien pu lui venir à l'esprit. C'est ainsi que ce Moine Iconographe fut le premier auquel la Moniale entreprit de conter l'extraordinaire histoire de l'ours du Saint, laquelle historiette tenait plus au vrai du prodige que de l'anecdote historique. Or, la onzième année, précisément, à compter de la Dormition du Saint, venait juste
alors de s'écouler. Il en était advenu très exactement selon la Prédiction du Saint.

Ce fut le Starets Séraphim lui-même qui donna sa règle canonique au Couvent de Moniales de Diviyévo. Il y institua les directions spirituelles nécessaires à l'usage des petites Soeurs, entre lesquelles il leur marquait comment & de quelle manière il leur revenait de gérer les biens, l'argent, & les revenus de la communauté. Les Religieuses du Monastère d'origine, fondé le premier, ne possédaient tout d'abord pas d'église propre, ce qui générait nombre de difficultés difficiles à gérer. Mais le même Mandorov dont il a déjà été parlé plus haut, après qu'il eût été miraculeusement guéri par l'Homme de Dieu, animé en retour d'un esprit de vive gratitude, vendit tout son bien, &, de là, apporta tout son avoir aux Moniales, que l'on continuait de dénommer « les Soeurs du Moulin », à dessein qu'elle le pussent faire servir à l'édification d'une grande église en pierres de taille, laquelle bâtisse, lorsqu'elle eut été solidement édifiée, devint le bel édifice ecclésial depuis lors consacré pour église, & dédié à la Nativité du Christ, dans le même Temps que voué, tout ensemble, à la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu. De laquelle consécration de ladite église, le solennel Office fut célébré durant l'année de Grâce 1829.

L'Humble Saint Séraphim détournait les Moniales de vaquer à des tâches trop élevées pour elles. Le moulin à eau était la seule exception qu'il faisait à cet habitus. Mais il ne les encourageait point à peindre artistement, non plus qu'à broder sur soie des motifs subtils au fil d'or, ni davantage à se consacrer à toute autre broderie fine que ce fût, d'un travail d'aiguilles par trop délicat, lequel, exigeant de l'esprit une attention excessivement soutenue, ressortit plutôt au domaine de l'art, & d'un art si tant finement ouvragé, & ciselè, comme d'un orfèvre en joaillerie, qu'il les eût mentalement accaparées, au point que nulle d'entre elles n'eût plus été en mesure de se concentrer toute, & d'entière sorte, sur la seule Prière du Coeur.

Resté fidèle, en sus, aux règles canoniques des débuts du Monachisme, il invoquait, pour justification à cette manière Priante de Vie En Christ, les canons monastiques originels, ou datant, plutôt, du Temps de Saint Basile de Césarée, dit Saint Vassili le Grand, l'un des trois Docteurs majeurs de la Sainte Eglise Orthodoxe, - les trois Grands Docteurs, Evêques Théologues, & Hiérarques du Christ étant Saint Basile le Grand, son frère Saint Grégoire le Théologien, & Saint Jean Chrysostome Bouche d'Or, tous trois nés au IVème Siècle, - canons ecclésiastiques, & plus particulièrement, monastiques, établis par Saint Basile, donc, augmentés de ceux de son frère Saint Grégoire le Théologien, non moins Théologue princeps que ce dernier, & continuateur des modes Monastiques de Vie de Désert telles qu'elles furent, au IIIème Siècle, mais, plus au vrai, tout Intemporellement, directement, sans médiation terrestre, & Spirituellement, ce qui est dire En Esprit de Sainteté, au Saint Père Pachôme, contemporain du Grand Saint Antoine, tous deux Fondateurs du Monachisme au Désert de la Thébaïde d'Egypte, Monachisme Divinement Institué par un Ange descendu, dit-on, du Ciel jusques à Scété de Thébaïde, porter à Saint Pachôme ces canons mesurés, psalmodie le Psaume, à la Règle d'Or du Courbe, Souple, & Pliant Roseau Divin, lequel Mesure aussi, modulées par l'Air de l'Esprit Soufflant où Il Veut, souplement, flexiblement, vivacement, liées ensemble, toutes les parties de l'Aérienne Jérusalem Céleste. Lesquels tous Pères Saints enjoignent aux Moines de ne point s'astreindre à de trop lourds labeurs, accapareurs de Temps & de concentration, travail excessif, &, de là, nocif à la Prière, sans compter que ces travaux eussent de surcroît outrepassé les besoins réels du Monastère, vivant frugalement, pour une part autarciquement, pour l'autre, des seuls dons, faits en nombre par les pieux Fidèles, Zélès pour l'Eglise, & emplis aussi de Gratitude envers les Saints Moines pour leurs non moins Saintes Prières, lesquels, pour la plus grande part enfin, Vivent de tout ce que, de par Ses Merveilleux Effets, leur fait, à tout instant, trouver ou parvenir, par tous biais naturels & Surnaturels, de trouvaille ou d'obtention, la Providence Divine, en tous Temps les couvrant, & pourvoyant à toutes leurs nécessités du moment, comme à celles, Eternes, & Salutaires, à venir. Dès là que, touchant la question du travail manuel requis par leur diaconie monastique, le Saint exhortait les Moines à garder en mémoire fidèlement ce précepte : « Aux mains, la Prière, aux lèvres la Prière ».

De tous ces usages établis par le Saint Hésychaste, le Couvent de Diviyévo gardait la plus exacte observance. Le moindre manquement à ces préceptes patristiquement institués ne laissait pas, du reste, de générer des suites funestes à la Communauté des Moniales. Mais il n'était, à la vérité, rien que Saint Séraphim ne tentât pour épargner à ses Enfants Spirituels les épreuves, redoutables parfois, & les travers souvent difficiles suscités par le Malin à dessein d'y piéger les Ames Bonnes, quoiqu'ils fussent permis par Dieu pour aguerrir les Siens & les voir, du Trophée de la Victoire, Triompher à la lutte encontre les puissances obscures & ténébreuses du Diable. L'on en peut prendre pour exemple ce fait que, sur son injonction, une veilleuse & un cierge devaient brûler toujours, comme à toujours, l'une devant l'Icône du Sauveur, & l'autre devant l'Icône de la Mère de Dieu, en l'église de la Nativité du Christ, où, sans relâche, les Moniales s'y relayant incessamment, l'on donnait lecture du Psautier de David-Roi. Il ajoutait qu'à respecter scrupuleusement l'observance de cette coutume, la Communauté de Diviyévo préviendrait le malheur & l'affliction de tous les maux qui se pussent. & qu' en outre, à ce faire, l'huile ne ferait jamais défaut au Monastère. Un jour, pourtant, la Diaconesse s'avisa que la veilleuse s'était éteinte, & que le réceptacle en était vide. Or c'était là toute l'huile qui restait en cuisine. Elle se remémora, lors, les Paroles de Saint Séraphim, &, constatant qu'elles ne s'étaient point accomplies, elle fut un moment en proie en doute, & songea qu'il n'y avait peut-être pas lieu davantage d'ajouter foi à tout le restant des Prédictions qu'il avait faites. Sa croyance en l'effective réalité du Charisme Prophétique du Saint s'en trouva fort ébranlée. Mais voici que, tout-à-coup, se fit entendre un crépitement. Levant la tête, elle aperçut que, la veilleuse, à présent emplie d'huile à ras bord, était allumée, & qu'en surface deux billets de banque y flottaient. Tremblante, elle courut chez la Gérondissa Hélène ( Mandarova), à l'obéissance de laquelle Higoumène elle se trouvait, pour lui faire en hâte le récit du mirifique événement dont elle venait d'être Témoin. Elle était donc en chemin pour se rendre auprès d'elle, lorsque, par surcroît, un villageois l'aborda, qui lui fit don de coupures de trois cents roubles : Il demandait, disait-il, qu'avec cet argent, l'on pût acheter l'huile, dont il désirait alimenter la veilleuse perpétuelle du Monastère, devant laquelle il priait que les Moniales Intercédassent pour le Repos de l'âme de ses parents Défunts.

Ne se contentant point de ce qu'il eût donné une règle de Prière aux Moniales de Diviyévo, le Starets Séraphim fit plus en désignant, de son vivant, le lieu où l'on édifierait l'emplacement de l'église du Monastère, à l'usage surtout des Religieuses, lesquelles se voyaient, jusqu'alors, contraintes de recourir à la paroisse du village, trop distante de leur lieu de Vie, pour la faire servir à leurs Offices Monastiques. « Nous aussi , Mitéroula, », disait, en guise de consolation, le Saint à l'une de ses Filles Spirituelles, « nous aussi, nous aurons notre église bien à nous. & nos troupeaux à nous, aussi, tant boeufs que brebis, pourront paître notre terre. Oui, nous les aurons tout à nous. & pour nos Soeurs encore, labours & semailles. Pour quoi donc nous affliger, Mitéroula? » C'est ainsi que le Père Séraphim créa cette communauté distincte, & bien à part de la communauté d'origine, fondée par la Moniale Agathe ( Maligouniva), & qui, comme il a été parlé plus haut, pour ce mérita qu'elle se dotât du qualificatif de « séraphiméenne ». Regardant le Spirituel, toutefois, il ne s'établit nulle clôture entre la Fraternité du Moulin & celle de Diviyévo; & c'est Agathe, dont lui était chère la Mémoire Eternelle, que Saint Séraphim comptait comme la Fondatrice des deux Monastères jumeaux – duquel compte, immense, de la Sainte Moniale lui saurait gré le Seigneur- , & que faisait figurer le Saint Père dans les tablettes écrites des Diptyques, registrant les Ames pour lesquelles il Priait à la Divine Liturgie. Pour tant, en présence des Moniales de la nouvelle Communauté du Moulin, qui venait de voir le jour, c'était la Toute Sainte qu'il regardait comme sa Sainte Patronne & Toute Puissante Protectrice. « Sachez-le donc, mes Filles, » confia-t-il ainsi à l'une de ses Nonnes, « ce Lieu Béni, c'est la Reine des Cieux Elle-même qui l'a élu, & choisi à la Gloire de Son Nom, pour que les Saintes Moniales l'y Vénérassent. Aussi vous sera-t-Elle toujours, au pis même des épreuves, Citadelle Sainte, Rempart de Séparation du Mal, & Protection de vos Ames éprouvées ».

C'est avec la même Sollicitude encore, & un Amour
égal que le Père Saint veillait sur la Communauté d'Ardatovski, comme sur celle aussi de Zelengorska, en Fidèle Intendant de la Mère de Dieu qu'il était, Elle qui, dans une Vision Sublime qu'il avait eue, s'était remise à lui du soin capable d'assumer la Direction Spirituelle de tous ces divers Monastères féminins.

Lors qu'approcha la fin de sa terrestre Vie, Séraphim fut de par Dieu Jugé Digne des Dons les plus Sublimes de Sa Grâce AdMirable. Plus que jamais, sa personne toute entière respirait la Douceur & l'Humilité. Ses Paroles, son Enseignement Spirituel, ses Conseils Spirituels, & tout son Entretien exerçaient, en leur Simplicité merveilleuse, un irrésistible ascendant sur les âmes spirituellement assoiffées qui accouraient à lui s'étancher, comme les biches à la Source d'Eau Vive. Gens de Lettres & ignorants, lors, riches ou pauvres, laïcs & Moines, tous, de ce sien Entretien Spirituel retiraient Profit Spirituel & Consolation de l'Ame. Il n'était pas jusqu'aux tièdes, ni jusqu'aux incroyants mêmes, qu'il ne ramenât sur la Voie du Repentir & de la Pénitence Sainte. Son Charisme de ClairVoyance, redoublé du Don de Guérison du Saint, dont il s'était vu d'En Haut, Surnaturellement, doté, se faisait de jour en jour plus manifeste, &, sur le monde Orthodoxe, avec plus d'éclat, irradiant. Lisant à même les coeurs de ses Enfants Spirituels & Visiteurs Pèlerins de quelle sorte étaient leurs tribulations, avant que d'eux-mêmes ils n'eussent pu l'en entretenir, il leur y faisait les justes réponses adéquates, propres à les éclairer, à redresser leurs voies ou à se tenir dans la Voie droite, vent debout sur la mer démontée de la vie. L'âme humaine, en effet, ne lui était pas plus celée que ne l'est le visage au miroir.

Le Saint Ascète opérait de continuelles guérisons. Mais, lui en faisait-on la remarque étonnée, que sa Modestie habituelle l'empêchai d'en rien dire, sinon que ce n'en était point lui qui en était cause, mais qu'il les fallait imputer à l'Intercession de la Très Sainte Mère de Dieu, & les mettre au compte aussi des Saints Apôtres du Christ. Et certes, nombreux étaient ceux qui buvaient l'Eau Bénite de « la Source de Séraphim », & s'y venaient plonger. Or, de vrai, tous trouvaient parainsi la guérison. A un Moine, pour exemple, dont les deux mains étaient totalement sèches de n'être plus innervées non plus qu'irriguées de sang, à lui aussi, donc, le Saint Père Séraphim fit boire de Eau Merveilleuse. Celui-ci la but. & tout aussitôt, il fut guéri.

L'on rapporte également que l'épouse d'un certain Vorotilov était à l'article de la Mort. Le mari, qui nourrissait pour le Bien Heureux une Foi ardente, le supplia, non sans larmes, pour qu'il vînt au secours de son épouse Moribonde. Mais le Saint lui révéla qu'elle devait Mourir, son heure était venue selon les Desseins cachés du Dieu des vivants & des Morts. Alors, Vorotilov, ne pouvant accepter cet arrêt fatidique du Destin, tout Divin qu'il fût, se laissa tomber aux pieds du Saint, l'adjurant de se mettre en Prières pour que fussent rendues à sa femme la vie & la santé. Quelque dix longues minutes, le Saint En Esprit s'abîma dans une intense Prière à Dieu. Puis, le visage illuminé, radieux, il rouvrit les yeux, &, le relevant, lui fit part de cette nouvelle à tout le moins inespérée : « Alors, ma Joie, c'est oui ! Le Seigneur consent d'accorder à ton épouse la Vie ! Va! C'est en Paix que tu peux à présent t'en retourner à ta maison! » Dès là que ce fut avec transport que Votovilov courut chez lui retrouver sa femme. Il apprit là que l'état de la malade avait marqué un état de sensible amélioration dans l'instant précis où le Saint, avec Ferveur, s'était mis en Ardente Prière. Bientôt, l'épouse précédemment Mourante se remit tout-à-fait, recouvrant l'entière santé de son corps naguère condamné à la Mort.

S'il prédisait, à de certaines personnes, leur Mort, c'était à cette fin qu'elles ne passassent point à l'Eternité, qu'elles ne s'y fussent Chrétiennement préparées.

A d'autres, encore, il faisait une pareille Prophétie pour les inciter au Repentir, aussi, comme à la Pénitence Sainte, car, s'ils négligeaient de changer, radicalement, de vie, & de redresser leurs voies Mauvaises, passées dans la Malignité des Cruels, c'était le Châtiment Divin, Redoutable & Terrible, auquel ils se devraient seuls affronter, qui les attendait en l'autre monde, pour solder leur compte effrayant, de manquements, de fautes, de péchés, & de crimes.


Parvenu lui-même au déclin de sa Vie de douleur, ce Glorieux athlète du Christ, loin de dorénavant retrancher à ses peines, tout au rebours, ajoutait encore à ses premières luttes des labeurs nouveaux & d'inessayées ascèses. Aussi, les dernières années, les ultimes de sa terrestre existence, est-ce assis à terre qu'il dormait, dos au mur, & les jambes à peine de tout leur long mal dépliées. Il advenait, parfois, qu'il prît pour tout oreiller, afin d'y reposer sa tête, une bûche rugueuse, ou une dure pierre. D'autrefois encore, il s'étendait sur un sac de jute bise, sur une brique cassée, ou sur le tas de fagots qui se trouvait là encombrant sa cellule, & constituant son seul bois de chauffe par le rigoureux froid sibérien qui, l'interminable hiver, gelait la terre russe. Et lorsqu'approcha, de plus près encore, le moment ultime où il lui faudrait sortir de cette vallée de larmes & de ce terrestre monde de Douleur, ce fut à genou qu'il s'accoutuma de dormir, coudes au sol, & visage en terre, la tête entre les mains Priantes. Désormais, il ne se sustentait plus qu'une seule fois le jour, & le soir venu seulement. Sa mise était des plus misérables. Oui ! Comme il était misérablement mis! A quelqu'un riche qui se formalisait de le voir porter semblables guenilles, le Bien Heureux Ancien fit cette réponse : « Le manteau qu'avait reçu Saint Jean, l'Enfant-roi, du Saint Ermite Valaam, était à ses yeux, oui, lui était un habit plus précieux, - ô combien – que la pourpre royale & que le byssus de rois de l'empire de l'entier univers ».

Si tout son être était Mort au monde, déjà, Saint Séraphim n'en éprouvait pas moins le constant Désir, avec un Infini Amour, de Prier Dieu pour les âmes de ce même monde. Pourtant, il était, plus au vrai, un familier du Ciel & de ses Réalités Surréelles. Lorsque des visiteurs Pèlerins, venus de Koursk, s'enquirent de lui s'il était quelque message dont ils se pussent faire auprès de ses parents les porteurs, il se tourna vers les Saintes Icônes, dans un sourire murmurant : « Mes messagers, & mes parents très Aimants, même, les voici. Mais, en ce qui regarde mes parents selon la chair, voici bien long Temps que je ne suis plus pour eux qu'un Mort Vivant. »

Un an & neuf mois avant sa Dormition, il fut au Saint donné cette gratification nonpareille de recevoir la Visitation de la Très Sainte Mère de Dieu. Ce grand Evénement survint tôt, au petit matin de la Fête de l'Annonciation, au jour du 25 mars 1831. « Deux jours plus tôt, » en conta la Moniale Eupraxia de Diviyévo, le Patérouli m'enjoignit de le venir rejoindre en sa cellule. Lorsque je fus près de lui, à ses côtés me tenant, il me dit simplement : « Nous allons recevoir la Visitation de la Mère de Dieu. & nous l'allons voir ici bas venue. » Je ne pus que me laisser tomber à terre, de stupeur, non moins que d'esprit de crainte & de Vénération. Le Saint Père Séraphim, lors, me couvrant de son long manteau noir, lut sur ma tête des prières tirées de son saint Office monastique. Après quoi, il me releva : « Maintenant », me recommanda-t-il, accroche-toi bien à moi, & demeure sans crainte aucune. » A cet instant même, se fit entendre un murmure, tel celui d'une entière forêt toute bruissante de Vent. Et puis, le bruit s'assourdit, & nous parvinrent, lors, les accents d'une mélodie inouïe, qui jamais encore n'avait frappé mes oreilles. La porte, toute seule, s'ouvrit. La cellule, toute inondée soudain d'une Lumière plus Brillante que le Jour en plein midi, vint à s'emplir d'un Parfum plus Suave que la Myrrhe odorante. Je vis que le Patérouli s'était agenouillé, les mains levées vers le Ciel. M'apercevant saisie toute d'une grande frayeur, il se leva de terre : « Sois sans crainte, mon Enfant », murmura-t-il. « Ici, il n'est point de danger aucun : Vois : Dieu fait sur nous descendre Sa grande Miséricorde. Et voici que vient à nous notre Très Glorieuse & Toute Pure Souveraine, la Très Sainte Mère de Dieu! » Et c'était la Vérité pure : S'avançait un Merveilleux cortège, dans la cellule même du Saint Starets. En tête marchaient deux Anges, leurs cheveux d'une blondeur d'or leur tombant sur les épaules, leur éclat épanchant de ruisselant soleil, chacun, dans une main, tenant un rameau de fleurs, plus que fraîchement écloses. De près les suivaient le Précurseur Saint Jean le Baptiste , & l'Apôtre Saint Jean le Théologien, dont Resplendissaient les vêtements immaculés. En fin, venait la Mère de Dieu, de douze Vierges ensuivie, fermant, aérienne, leur marche légère. La Reine des Cieux portait un manteau pareil à celui qui, sur son Icône de la Vierge de Douleur, l'enveloppe, d'icelui parée, Resplendissant tout, quoique je n'en eusse su dire l'indéfinissable couleur, inconnue de moi, & dont je ne savais rien, ni n'en pouvais dire rien, que, de ce tout, son ineffable Beauté. Agrafé sous le cou d'une grande escarboucle ronde, il était aussi retenu d'un cordonnet auquel Brillait tout un semis de petites Croix, par tout jetant leurs pleins Feux d'une étrangeté scintillante, quoique je n'eusse su davantage peindre de tant de Croix tout le non moins Merveilleux Eclat, non plus qu'affixer mes regards sur l'étincelant cordonnet serti, comme d'une poudroyante Voie lactée, de mille Croix d'Or, ni, d'avantage, sur l'escarboucle Royale, de mille Feux SurBrillante. Dessous son long manteau, la Reine Souveraine portait une robe aux tons pairs, Couleur de Mer, qu'à la taille retenait une ceinture Azuréenne aux tons de Bleu de Ciel. Pour par-dessus de sa Resplendance, Elle arborait ce qui me sembla être une Etole de Confesseuse, ou quelque Voile de Prière. Ses poignets, telle d'une Grande Prêtresse du Christ, étaient, pour tous bracelets, ceints de manchettes de Prêtre en Ornements Liturgiques solennels. Et partout, son surplis, comme un Habit Sacerdotal de Fête, ressortissait à celui-là même que l'on dénomme un « Polystavron », ( - c'est à savoir ce beau Tissu Ecclésial Ornemental constitué d'un semis de Maintes Croix blanches rebrodées sur fond damassé Bleu de Mer ou de Ciel), – dont il avait la nonpareille Semblance. La Reine du Ciel, par sa taille Haute & Haute Noblesse d'Ame de Haute Dame, outrepassait les jeunes Filles de parmi les Vierges qui lui faisaient cortège, parement, & concours de brillance. Sa Face Toute Pure, aux traits Luminescents, de la plus attrayante joliesse, & du plus beau dessin qui se pût voir, en Visage si finement ciselé que Ravissant les yeux de l'âme, s'ornait d'un diadème serti d'une Infinité de Croix toutes plus Mirables unes que autres, qui jetaient ensemble un éclat tel, que l'on n'y eût pu long Temps fixer son ébloui regard. Quant aux Yeux liquides, couleur pers de Haute Mer azuréenne, de la Reine du Ciel, c'eût été pure folie que de seulement songer les pouvoir contempler. Sa longue chevelure, & luxuriante, d'Or toute ondoyante, lui flottait aux épaules, lui faisant, blond de paille, comme un Voile enserrant son Visage. & plus bel en était l' AdMirable effet, que du brillement des longs cheveux d'Anges drillants de ceux tous composant, de son étincellement pailletée toute, sa brillante Haute escorte de Hautes Ames. Les Vierges, deux à deux, la suivaient. & il ne s'en trouvait pas une, même, pour porter pareille couronne, ni vêtement de parement mêmement que sa compagne. Il n'était pas davantage jusqu'à la taille, jusqu'à l'expression des traits, jusqu'à la teinte subtile de la chevelure éployée, - ( quand bien même ces cheveux d'écumes de mer épandus leur flottaient en pareille sorte & manière aux épaules)-, qui ne différassent les uns des autres, & ne fussent autres chez les unes que chez les autres. Mais toutes, pareillement, étaient extrêmement Belles, à toute extrémité. Elles faisaient cercle, à présent, autour de nous; un cercle dont était la Reine des Cieux le centre. La cellule, soudain, se fit spacieuse, & le plafond, comme d'autant de cierges que l'on eût allumés ensemble, se couvrit tout de flammes de Feu. La Lumière en était plus Brillante que celle du soleil en plein midi. Mais elle était pour tant d'une si particulière nature, que n'avait point le jour la semblance. A toute cette étrange Vue, j'eus si peur que j'en tombai face contre terre. C'est alors que la Reine toute Céleste me vint approcher de près. De Sa Droite, Elle m'effleura, cependant que je l'entendis avec Bonté m'intimer : « Lève-toi, jeune fille, & sois sans crainte aucune. Car ce sont des Vierges comme toi qui sont ici avec moi venues jusques à vous ». A ces mots rassurants, je me redressai, sans même de ce que je faisais comprendre tant fût peu rien. Elle voulut bien lors, pour la seconde fois, réitérer son dire : « N'aie crainte. Nous sommes venus te visiter. » Ce n'était plus à genoux, mais debout, désormais, que se tenait le Saint Père Séraphim devant la Très Sainte Mère de Dieu. Elle s'entretenait à présent avec lui, tendrement, de cette Tendresse que l'on ne sait avoir que pour un être si tant Aimé que très cher à son Coeur Aimant. Pour moi, sur l'océan de Bon heur où je flottais alors, il me sembla que je m'enquérais auprès de Père Séraphim de l'endroit où nous étions. A tout le moins, croyais-je n'être plus de ce monde. Puis, me sachant désireuse d'apprendre quels pouvaient bien être les noms de ces jeunes filles que nous voyions, la Toute Sainte m'intima de m'approcher d'elles en manière de l'apprendre des lèvres de chacune d'elles. Or, elles se tenaient de part & d'autre de la porte dans le même ordre où elles étaient entrées : En tête venaient donc les MégaloMartyres Sainte Barbara & Sainte Catherine; en second lieu, la première Martyre Sainte Thècle, disciple de Saint Paul, & la Grande Martyre Marina; en troisième lieu, la princesse Irène également Grande Martyre, avec Sainte Eupraxie ; en quatrième lieu, les MégaloMartyres Sainte Pélagie, & Sainte Dorothée ; en cinquième lieu, Sainte Macrine, & la Sainte Martyre Justine : en sixième lieu, la MégaloMartyre Julienne, & la Sainte Martyre Anyssia. Chacune d'elle, avec son nom, me dit les hauts faits de son Martyre, & ses Luttes, pour le Christ menées, durant le Temps entier de sa Vie, telles qu'en tous points l'on les peut effectivement relire, couchées au fil des pages du Livre d'Or du Grand Synaxaire de leurs Vies, où elles dorment. Et toutes, à l'identique, me confiaient :« Ce n'est point un hasard si Dieu nous a octroyé cette Sainte Gloire. Mais c'est là le fait du Saint Martyre & de l'Extrême Humilité. Et sache que, toi aussi, tu seras Martyre. » La Très Sainte Mère de Dieu, quant à elle, murmurait au Bien Heureux bien des choses qu'il ne me fut point donné d'entendre, hormis ces mots : « N'abandonne pas, Père, mes filles de Diviyévo. » « - Ah! Ma Reine! » soupira-t-il en retour. « Je les puis seul réunir, mais, regardant leur gouverne & Guidance Spirituelle, je ne suffis point à la tâche. » La Mère de Dieu repartit alors : « C'est moi, mon Bien-Aimé, qui te secourrai en toute chose. Songe seulement à les bien fixer chacune dans quelque diaconie qui leur fût idoine & adaptée aux capacités de chacune. Qu'elles sachent aussi que si elles s'en acquittent avec soin & zèle appliqué, elles seront avec toi, à mes côtés, auprès de moi. Au lieu de quoi, si elles ne parvenaient point à s'acquitter de la tâche monastique qui leur aura été par toi confiée, elles ne seront point comptées au nombre de celles qui trouvent place à mes côtés. & qu'elles n'auront au Ciel ni semblable place, ni pareille couronne. Car, à mon Combat Spirituel il sera défait celui qui suivra les voies de l'iniquité. Que dit l'Evangile? Le mauvais intendant des biens matériels, menteur, & voleur, trompeur, & fraudeur, improbe, malhonnête, avarissime, frauduleux détourneur, accapareur, & monopolistique confiscateur du bien d'Autrui à lui malencontreusement confié, ne sera point choisi pour rien non plus gérer du Spirituel des Biens de son Saint Maître. Mais celui qui, pour l'Amour du Seigneur, se sera fait Son Bon Serviteur, celui-là, moi, Sa Mère, je le Confesserai devant Dieu, & j'Intercéderai pour son Ame ». Puis, s'étant tournée devers moi : « Vois-tu », poursuivit-Elle, « vois-tu ces jeunes Vierges ceintes de leurs couronnes du Martyre? Fortune, plaisirs, terrestres jouissances, elles ont tout délaissé, n'ayant rien préféré au Céleste Royaume de l'Eternel. Elles ont de plein gré aimé la Pauvreté, & Chéri l'Unique Seigneur du monde, du Ciel & de la terre. C'est pourquoi aussi, vois, elles ont été dignes de tant d'honneur & d'une telle Gloire Sainte. Et, ce qui advint jadis advient encore présentement. Avec cette différence que, si c'est à la face de tous que les Martyrs d'antan ont été Martyrisés, c'est dans le secret que le sont les Saints Martyrs d'aujourd'hui, lesquels le sont par le Martyre de la conscience, & du fait des Cruels, des Sadiques, & des Crudélissimes qui, par toutes voies de fait, les Humilient, les Tourmentent, &, à toute outrance, les Persécutent. Mais les uns comme les autres, pour tant, ceux d'antan, comme ceux de ce jour d'hui, recevront la même récompense & pareille rétribution, dans l'Eternité, du Rétributeur d'Eterne qu'Est l'Eternel. ».
La Visitation s'achevait.
Pour le Saint Père Séraphim, la Mère de Dieu eut encore ces mots : « Mon Bien-Aimé ! avant qu'il ne soit long Temps, tu seras avec nous. » Sur quoi, Elle le Bénit. Tous alors, & les Saintes ensemble, lui firent leur : « à Dieu ! » Saint Jean le Précurseur, & Saint Jean l'Evangéliste, Apôtre, le bénirent, ce pendant que les jeunes Vierges, tour à tour, lui embrassaient la main. & il leur rendait cet embrassement, à son tour, d'un respectueux baiser, embrassant leur main. D'eux tous ensemble, en Choeur Angélique s'exprimant, je m'entendis aviser que ç'avait été de par les Prières de Saint Séraphim qu'il m'avait été donné d'assister à cette Scène Mystérieuse, & d'être Témoin de cette Surnaturelle Vision. L'avaient aussi voulu, & Prié pour ce, les Pères Marc, Pachôme, & Nazarios. Le tout, en fin, s'évanouit. Toute cette féerie, laquelle avait duré non moins d'une grande heure, s'invisibilisa. Lors, le Patérouli retrouva sa voix : « Regarde, Mitéroula, », s'exclama-t-il enthousiaste (– au sens propre, eût-on, au vrai, pu dire, du mot, lequel revêt signifiance de transport divin, causé par la Présence de Dieu En soi -), oui, Vois quelle Grâce Insigne le Seigneur nous a faite, à nous, pauvres de nous, qui sommes si pitoyables ! J'ai reçu de Dieu, sais-tu, douze Visions pareilles à celle-ci, Célestes, ineffablement. Le Seigneur t'en a, toi aussi, jugée Digne. As-tu ressenti cette Joie Merveilleuse, Irrésistiblement, que nous avons éprouvée, Surnaturellement forte, Puissamment d'En Haut envoyée? Cette Joie Céleste, & Suave, qui nous a envahis soudain, nous l'avons donc indubitablement Goûtée. De là que, nous qui avons désormais les meilleures raisons de Croire qui se pussent indéfectiblement recevoir, il nous faut à toujours Espérer en notre Sauveur. De quoi, partant, défais inlassablement ton Ennemi juré, le Diable, Ennemi des Ames; et, dans l'impitoyable Lutte que tu lui opposeras, veille à toujours te montrer avisée, & plus avisée que lui, le Rusé père du Mensonge, &, de par duperie, le Trompeur Perfide. Dont le Seigneur, en toute chose, te secourra. Invoque incessamment le Surnaturel & SurPuissant Secours aussi de Sa Mère Toute Sainte, & de tous Ses Saints, qui vaillamment, sans relâche, ont à jamais, pour Christ-Dieu, encontre le Diable, le Bon Combat combattu. & fais aussi mention de moi, pauvre Séraphim. En fin, dans ta Prière, ne cesse point de dire & de redire : « En quel état spirituel Mourrai-je, Seigneur. Comment me présenterai-je devant Ton Terrible Tribunal? Quelle défense de mes actes invoquerai-je? Ô Reine des Cieux! Secours-moi en cette Heure Redoutable! »

Et tandis que Saint Séraphim, inlassablement, continuait de Spirituellement s'Elever sur l'Echelle Sainte des Vertus & des Luttes monastiques, l'heure s'approcha de sa sortie de ce terrestre monde éphémère. Un an avant que de Mourir, il ressentit que gagnait tout son corps un épuisement extrême. Il venait alors d'achever sa soixante-douzième année révolue. Ses jambes surtout le faisaient terriblement souffrir. Cette douleur était le prix dont il payait désormais ses longues Veilles incessantes, & celles, plus encore, de ses mille jours & de ses mille nuits passées sur son rocher à Prier debout ou à genoux, sans prendre de repos presque, hormis en cette pénible & douloureuse station debout ou agenouillée. A quelles douleurs s'ajoutaient les plus douloureuses encore séquelles à vie de la bastonnade sauvage que lui avaient antan infligée les barbares brigands. Dès là que des plaies & sanies de ses jambes s'écoulait sans discontinuer une humeur putride. Au contraire de quoi, sur son visage, baigné tout de Lumière, se lisait la Joie, déjà, de ceux qui, par avance, en ayant les Arrhes tangibles reçu, tressaillent de l'Allégresse & Liesse Glorieuse qu'a Dieu, dit l'Apôtre, (en Corinthiens (Cor.) I, 2,9), préparée pour ceux qui L'Aiment.

Comme toujours par le passé, il n'en continuait pas moins de Guérir en foule les Fidèles se pressant toujours plus nombreux pour le voir & recevoir ses Bénédictions & se Saintes Prières. Plus nombreux encore étaient ceux auxquels il faisait servir son Charisme de ClairVoyance. Mais c'était plus souvent, désormais, qu'il en venait à prédire l'imminence de sa fin. Parfois même, il y revenait avec insistance, ce pendant qu'il adressait à ses proches ses dernières mises en garde : « Nous ne nous reverrons plus en cette vie, » murmurait-il dans un souffle. » Il préparait certains Moines, & de certains laïcs aussi, à cette idée qu'ils dussent se soucier seuls, désormais, de leur Salut, tâchant de les habituer à ce triste nouvel état de fait aussi, qu'ils ne se reverraient jamais plus ci-bas. &, lors de leurs : « à Dieu! », il suppliait encore qu'ils priassent pour lui, & pour le Repos de son Ame. On le voyait souvent, à présent, se tenir auprès de son cercueil, méditant sur la Vie d'après la Mort, &, de Temps à autre, même, pleurer amèrement. A plusieurs Moniales de Diviyévo, il tint ce clair langage : « Mes forces à présent m'abandonnent. Voici donc, las! que vous vivrez, dorénavant, seules. Bien est-ce, aussi, dès là, que je vous remisse
au Seigneur Dieu & à Sa Très Sainte Mère.
Certaines de parmi les Moniales le prièrent de bénir ce désir qu'elles avaient conçu de s'en revenir à Sarov au Temps du Grand Carême à venir, à cette fin de l'y visiter, tout ainsi que les en brûlait & dévorait l'envie. Mais, lui, étrangement, leur répliqua par ces mots : « Dans ce Temps - là, ma porte sera fermée, & vous ne me verrez pas ».
Il n'était pas jusqu'à l'apparence même du Saint Ascète qui ne laissât voir que sa Vie, comme une flamme, bientôt s'éteindrait. Son Esprit, pour tant, plus que jamais, restait vif & délié. Sa Mort à venir, si toute proche qu'imminente, il l'annonçait à ses amis de Coeur, à ses compagnons d'Ascèse, aux Ames les plus chères, enfin, entre lesquelles figurait celle du Bien Heureux HiéroMoine André, son Fidèle Disciple, qui menait l'Ascèse au Désert lointain de Nordiyévo. Le Saint l'exhortait ainsi, lui prodiguant ses derniers Conseils Spirituels : « Sème, vénérable Père, sème la semence qui t'a été confiée. Sème-là au creux de la bonne terre, mais ne néglige pas, pour autant, de la jeter parmi le sable aussi, & sur la pierre même, sur les bas-côtés de la voie, & jusqu'au coeur même des épines. Oui, jette ta semence, par tout sème-la, & vois s'il ne serait pas quelque lieu où elle pût germer, monter en graine, & donner du fruit, fût-ce avec lenteur, extrême. Et, le talent qui t'a été par Dieu, & le truchement de ton Père Spirituel, d'En Haut confié, garde-toi de l'enfouir sous la terre. Non, ne l'enfouis pas sans Profit Spirituel, à crainte d'en être châtié par ton Seigneur, mais, transmets-le pour l'usance de ceux qui en sauront faire usage, à cette fin qu'ils en usent à de vraies Fins Spirituelles.
Au Moine, son Syncelle, - ce qui est dire son compagnon & servant de cellule -, le Saint Starets, en plusieurs occasions, révéla que ne tarderait plus sa Fin. & après que, sur maints sujets il eut entretenu & repris, de ses Directives Spirituelles, un autre Moine qui demeurait au Monastère aussi de Sarov, il le pria d'éteindre un cierge : « Oui, » murmura-t-il, « vois-tu ? C'est juste ainsi qu'à mon tour je m'éteindrai ». A quelques autres d'entre les Frères, il tint ces propos : « Ma Vie, mes Enfants, est à son déclin. Et si, En Esprit, il me paraît que je viens à peine, dans l'instant, de naître, c'est au contraire de mon corps, enquel il me semble que Mort je suis, & que me voici Mort déjà. »

Ayant de ses yeux vu quelle était la Vie si tant Ascétique de Saint Séraphim, l'un des Moines du Monastère, peu de Temps avant sa Bien Heureuse Dormition, lui fit cette question : « D'où vient donc, Patérouli, que, par le fait, nous ne soumettions plus en ce jour d'hui à la discipline de vie si sévère de nos Pères Saints qui, dans les Temps Anciens farouchement, au prix de leur sang même, vaillamment, en Héros de la Sainte Foy de l'Orthodoxie, Luttèrent pour atteindre à l'Orthodoxe Sainteté? ».« - Ce ne vient, » rétorqua le Saint, « que de n'être plus de par absolu vouloir déterminés à y atteindre. De seulement vouloir à toute force y parvenir, de là, pour lors, nous Vivrions comme nos Pères Saints, Phares de la Sainte Eglise, qui, de tous les Feux Radiants SurBrillèrent de la Sainteté Radieuse, que, sur l'entier Univers du Monde ils Irradièrent. Outre que ces Saints Pères nôtres ceci nous Enseignèrent : « Donne ton Sang, & tu recevras la Grâce de l'Esprit de Sainteté; - oui, l'Esprit de Grâce -, il est avéré, de Vérité Vraie d'Expérience Spirituelle des Saints, que le Seigneur dispense aux Fidèles Orthodoxes, & à ceux aussi qui l'en implorent, la même Plénitude de Grâce & le même immédiat Secours Puissant qu'Il dispensait au Temps jadis aux Anciens. Oui, il peut, à qui le Veut à toute Force, en être à ce jour d'hui tout comme il en était jadis. Jésus Christ ne Dit-Il pas, par la bouche de Ses Bibliques Prophètes, être « le Même, au jour d'hui, comme hier » ? Et cette Vérité profonde, qu'avait, à l'intime de sa chair devenue Esprit, Vécue Saint Séraphim de Sarov, à telle enseigne qu'il en avait dès là éprouvé, ressenti, & Vécu la pleine Intelligence, si tant qu'il l'avait au fondement placée de sa propre Vie d'immense Ascète du Christ, résonnait présentement dans sa bouche comme le chant du cygne d'un Etre qui s'était vu, par ses Hautes Luttes, d'En Haut tangiblement mériter de s'attirer l'Esprit de Grâce, Surabondante, que, sur le long déroulé de ses Luttes Ascétiques, au terme final parvenu de sa course de Vie, il apposait, pour finir, comme l'irréfragable Sceau, Divin, qui cachetait du Signe, Authentique, indubitablement, de Vérité Vraie, sa Vie En Christ, Toute entière Divine.


***

L'année 1832 touchait à sa fin, lorsque le Saint se mit en devoir de mesurer pour sa Tombe un emplacement attenant au sanctuaire de l'église de la Dormition de la Mère de Dieu, qu'il avait, de fait, destiné à faire servir à sa sépulture. Le jour de la Noël, au Temps de la Nativité du Seigneur, une semaine avant le jour ultime de sa Délivrance de cette terrestre vie, Saint Séraphim parvint nonobstant à se rendre au Saint Office de la Divine Liturgie, enquel il prit part aux Saints Mystères de la Communion au Christ. Après quoi, il s'entretint quelque peu avec l'Higoumène, le Père Niphon, qu'il pria de bien vouloir toujours, après la Mort même du Starets, témoigner aux Moines la plus grande attention, & de parmi eux, aux plus jeunes sur tout, une sollicitude plus grande encore. En fin, il demandait qu'on voulût bien l'ensevelir en la tombe même qu'il s'était à cette fin exprès de ses propres mains apprêtée. Le 1er janvier 1833 – l'on était un Dimanche, Jour du Seigneur – il vint jusqu'à l'église des Saints Zosime & Savvas, où, dans un ultime baiser d'A Dieu, il embrassa toutes les Saintes Icônes & alluma une multitude de cierges. C'était, de sa Vie, la dernière fois alors qu'il allait à l'église. Comme à son accoutumée, il y prit part aux Saints Mystères. Et puis, à tous les Frères qui se trouvaient assemblés là, il fit ses derniers A Dieu. Après qu'il les eût bénis & embrassés, il leur adressa cette Consolation : « Voici, mes Frères, que, m'en allant d'ici Là-bas, & quittant cette vie pour l'Autre, Toute Divine, je m'en retourne à Dieu vous y attendre. Vous, tant que vous serez en cette courte vie sur la terre, faites-y, pour l'Eternité, votre Salut Eternel. Gardez-vous de toute lâcheté. & Veillez tant que vous le pourrez. Des Couronnes vous en seront préparées. « Alors, il embrassa la Croix; puis, l'Icône de la Mère de Dieu. En fin, ayant dirigé ses pas vers le Saint Autel, il y fit, sur l'ambon, devant les Portes Royales, encadrées des Saintes Icônes du Seigneur, de la Mère de Dieu, & des deux Archanges, Michel & Gabriel, devant elles, s'inclinant jusques à terre, il fit l'Humble Métanie d'usage, avant que de sortir, quittant l'église par la porte Nord du Sanctuaire.

Ce jour-là, le Frère Paul, qui demeurait auprès du Bien Heureux, lui venant porter ses repas, & le servant pour son Syncelle, s'avisa que Saint Séraphim, par trois fois déjà, s'était rendu sur sa Tombe, que l'on lui tenait prête, & qu'il s'y était longuement arrêté, le regard fixe, attaché à la terre.
Ce même Moine, au soir de ce même jour, se trouvait dans sa cellule, lorsqu'il y entendit le Saint psalmodier dans la sienne des Hymnes chantant la Résurrection. Le lendemain, qui était un deux janvier, quatre jours avant la Noël, au petit jour, sur le coup de six heures, après l'Office des Heures de Mâtines, par chacun des Moines, depuis le petit matin, célébré en cellule depuis l'aube matutinale, blanchoyante, le Père Paul sortit de sa retraite pour se rendre à la Liturgie matinale célébrée en l'église. Passant auprès de la cellule voisine, laquelle était celle du Starets, il s'étonna de sentir une odeur de fumée. Certes, dans la chambre du Batioushka – lequel nom de Petit Père l'on donnait usuellement au Père comme un diminutif affectueux – brûlait toujours quantité de cierges. Et s'il advenait qu'à crainte d'y voir mettre le feu, l'on lui en fit la remarque, il avait coutume à ces appréhensions d'opposer cette curieuse notification : « Aussi long Temps que je demeurerai en cette vie, il ne se déclenchera point d'incendie aucun. Mais, lorsque je Mourrai, c'est au contraire un incendie qui signalera ma Mort ». Or il en fut bien ainsi. De quoi s'avisant, le Père Paul murmura lors la prière rituelle avant que de frapper à la porte de la cellule du Père Séraphim. Mais il n'obtint point de répons aucun. La porte demeurait fermée à clef, & verrouillée de l'intérieur. Se figurant lors que le Starets avait dû regagner son Désert plus lointain, ce pendant qu'à l'intérieur quelque chose brûlait, il appela ses Frères à la rescousse. Ces derniers, accourus, entreprirent de forcer l'entrée de la cellule. Ils n'aperçurent point, tout d'abord, de feu. Dans la semi-pénombre qui régnait là, ils apercevaient un banc, seulement, dans le couloir; &, sur ce banc, quelques livres, avec des vêtements, posés – Sans doute quelque don, reliquat de quelque don d'un visiteur délicat, empli de générosité. Mais c'étaient bien les cierges, d'où voletaient alentour, rougeoyantes, des étincelles de flammes & flammèches, qui avaient enflammé ces habits d'aumônes. Ailleurs, aux entours, nul feu cependant. En cet instant, s'éteignait, au contraire, la dernière braise du poële. Au dehors, l'obscurité régnait encore. L'aurore ne tarderait pas à poindre. Dans cette semi-pénombre qui emplissait la piécette, les Anciens, sous l'Icône, allumèrent un cierge. Alors, seulement, ils virent le Père Séraphim. Tête nue, son voile monastique posé sur l'épaule, vêtu de sa vieille tunique blanche usée & ravaudée, il était demeuré agenouillé devant l'Icône de la Mère de Dieu Toute Miséricordieuse, au lieu usuel, où, pour son ordinaire, il s'était, jour après jour, héroïquement acquitté de son long canon de Prières. Il portait, autour du cou, la simple Croix Orthodoxe argentée que lui avait donnée sa mère, en guise de Bénédiction pour la Vie Sainte qu'il mènerait après elle. Il avait sur son Coeur aussi croisé ses deux bras, en signe encore de la Croix. Sous l'Icône de la Reine Souveraine du Ciel & de la Terre, se tenait le lutrin, portant le Livre Ouvert dont il s'aidait pour sa patiente règle de Prière, enquelle il avait, debout, de jour comme de nuit, tant Lutté contre les épreuves suscitées du Malin.
Alors, pensant qu'il dormait, simplement, ses Frères tentèrent de l'éveiller. En vain. Ils en furent pour leurs peines en effet : Car, sur cette pauvre terre, le grand Saint de Dieu avait achevé le bref cours de sa Vie Sainte d'Ascétiques labeurs de Héros de l'Orthodoxe Foy. Il avait bien les yeux clos, certes, mais, sur sa lumineuse face, se peignaient en ses traits les vivants transports Divins, où l'avait à toujours, avec la Prière, jeté la permanente & Resouvenance pérenne du Ciel qui tient en Joie. Son corps était chaud encore, comme si le Souffle, terrestre, qui, de l'Esprit du Ciel, dès long Temps, l'inHabitait, venait présentement, juste dans l'instant, à peine, de dépouiller sa terrestre enveloppe de charnure charnée.

Avec la bénédiction de l'Higoumène Niphon, les Moines entre leurs bras prirent le corps du Bien Heureux Starets. Ils le déposèrent en la cellule voisine, celle du HiéroMoine Eustrate. Lui faisant se toilette Mortuaire, ils lui lavèrent le front & les genoux. Puis, l'ayant revêtu du Grand Habit Angélique, qu'est l'Habit Monastique d'un Saint Moine Grand Schème, ils le placèrent dans son cercueil, qu'il avait apprêté de ses propres mains, lequel ils portèrent en suite jusques à l'église.
Alors, partout, telle une traînée de poudre, se répandit la nouvelle de la Dormition du Saint. &, sans plus tarder,
de toutes les campagnes avoisinantes, accourut, en masse, l'immense concours de Peuple d'une multitude immense. Tous, amèrement, pleuraient, & lamentaient la Mort du Juste, &les Moniales de Diviyévo, plus que tous autres, elles qui, avec lui, & en lui, avaient perdu leur Père & leur Guide Spirituel. Elles étaient les plus inconsolables, effrayées qu'elles se trouvaient être, à l'idée qu'il ne se rencontrerait plus au monde un seul être de pareille valeur, si singulière que nonpareil, quel eût tant peu pu réparer la perte qu'elles avaient faite avec lui d'un si très Saint Guide devers l'Illumination Déïfique. Cette même nuit, qui vit la Bien Heureuse Fin de Saint Séraphim, le HiéroMoine Philarète, venu du Désert de Glinsk, où il vivait l'Ascèse, pour l'Office de l'Ensevelissement, comme, au sortir de l'église, l'on avait chanté Laudes, désigna du doigt à ses Frères une étrange Lumière dont s'était éclairé tout, le Ciel : « Voici », leur montra-t-il, comment jusques aux Cieux montent les Ames des Justes. En cet instant, voyez, c'est l'Ame du Saint Père Séraphim qui s'élève au Ciel ! »

Huit jours entiers durant, la dépouille du Saint demeura en l'église de la Dormition. Sa Tombe avait été préparée pour être sise au lieu précis qu'il avait lui-même marqué, si fort long Temps à l'avance. Et dès avant le jour des Funérailles, même, l'on vit au Monastère de Sarov les âmes par milliers accourir, des contrées avoisinantes venues. De toutes parts, ce n'était qu'une seule & même lamenteuse complainte de Douleur. Partout aussi, le même désir de donner au Saint l'embrassement du baiser ultime, au dernier séjour conféré, sur la terre, du Grand Saint de Dieu. Au jour marqué pour son Ensevelissement, la Divine Liturgie, que l'on célébrait pour le repos de l'Ame Bien Heureuse du Défunt Père Saint, assembla dans l'église une telle multitude de Peuple que, sur les chandeliers dont s'entourait le cercueil, l'air, par trop raréfié, faisait s'éteindre les cierges. Assisté de nombre d'autres Prêtres, le Père Niphon, alors Higoumène de Sarov, célébrait l'Office des Funérailles & de la Mise au Tombeau. Ce fut sous le côté Est de l'abside, auprès de la Tombe de Saint Marc le Reclus, que l'on ensevelit le corps du Saint. Dans la suite du Temps, fut, sur la pierre tombale, érigé un monument en bronze, où l'on pouvait lire ces mots engravés : « Soixante douze ans, six mois, & douze jours, Saint Séraphim Vécut à la Gloire de son Christ Seigneur. »

En Bien Heureux Endormi dans le Seigneur, Saint Séraphim, quoi donc qu'il fût Mort, & d'autant plus qu'il l'était, - dès là, de fait, s'en trouvant plus près de Dieu pour intercéder pour les siens -, Saint Séraphim continuait d'opérer des Miracles sans nombre, guérissant tous ceux qui l'appelant d'une Foy juste & sincère, recouraient à lui comme à ses Saintes Miraculeuses Prières. &, de là même, il ne cessait plus de témoigner aux êtres, sans discontinuer, ce même Amour d'Autrui, émerveillable de compassionnelle compréhension de tout cet Autre, - de cette compassion sans égale qui, tout
au long de sa Vie sur la terre, transparaissait sous son usuelle salutation, tout empreinte de sa Bonté ineffable, d'une Chaleur de Coeur Irradiante, transmise d'une Ame Brûlante, dont il honorait chacun & chacune au premier regard de leur prime rencontre : « Ma Joie! » s'exclamait-il à les voir. Du Ciel descendu, comme unAnge Immatériel, il apparaissait, aux Moines & aux Moniales, & de ses Célestes Apparitions Gratifiait, Encourageait, & Consolait tant les Frères de Sarov que leurs Soeurs de Diviyévo. & il apparaissait aussi qu'il s'avérait être tant le médecin de leurs corps que l'Esprit Paraclet Consolateur de leurs Ames.

Au sixième mois qui ensuivit sa Délivrance des terrestres liens de la chair, il se trouva que le Démon entra dans une soeur de Diviyévo, qui fut donc & se comporta telle une possédée du Diable. Mais voici qu'une Nuit, elle fit un songe, enquel elle se voyait à l'église transportée. Là, tout près d'elle, comme son plus proche, se tenait aussi Saint Séraphim. Elle perçut, pour lors, le Saint Starets, assisté d'une autre de ses Soeurs, laquelle, avec lui, se tenait aussi là, lui saisir la main, la mener en procession, & tourner tout entour l'autel de la Sainte Table. S'en ensuivit allègement & mélioration soudains. Lors, s'éveillant de sa torpeur, elle fit, avant que de se lever, le signe de Croix, pour s'en signer. Et voici, corps & âme, qu'elle resplendissait de santé. Plus jamais onques, dès là, n'eut-elle à subir d'assauts, ni Mal aucun, de la part des puissances maléfiques.
Il se trouva, au Couvent de Diviyévo, une autre Moniale pour être gravement touchée d'un autre mal funeste : Atteints de cécité, ses yeux n'y voyaient plus. L'on était à la veille du jour de l'an 1835. Elle fit lors un rêve qui l'emmena jusques à l'église de Tichvine, celle-là même qui se trouve être dédiée à la Toute Sainte. Et voici, tout soudain, que surgi hors des Portes Royales, Saint Séraphim, apparaissant, lui tendit le voile, dit « Aer », usité durant la Liturgie pour l'imitation des Souffles d'Air Divin. Et il l'invita à le porter à ses yeux. « C'est toi, Patérouli? » interrogea-t-elle. Et lui de répondre : « Ma joie! Que donc restes-tu incrédule? C'est toi-même qui m'a prié de te secourir; et c'est toi aussi qui demeures sans Foy? C'est bien moi, pourtant, qui dis ordinairement la liturgie parmi vous. » Sur quoi, il devint invisible. Quoi dit aussi, la Moniale reçut du Saint de Dieu la guérison, & recouvra l'entier usage de ses yeux.

Un Saint Ascète de l'Athos, que les exploits de sa Piété avaient par ailleurs rendu célèbre, - un Hiéromoine qui répondait au nom de Séraphim, lequel, lorsqu'il revêtit le Grand Schème Angélique du Grand Habit de Pénitence, reçut le nom nouveau de Serge, mais que l'on ne dénomma pourtant jamais que « l'Haghiorite », cet Ascète, donc, relata ce fait qui fut retrouvé figurant parmi ses notes personnelles : « En l'année 1849, » y écrivait-il, « je fus atteint d'une funeste maladie. Il ne semblait pas que je dusse vivre du tout plus longtemps. Il ne se trouvait nul remède pour me rendre ma santé ni vigueur premières. Aussi avais-je sombré dans le désespoir. L'on était alors à la veille du jour de l'an 1850, lorsque dans la profonde nuit, fort avancée déjà, vint soudain frapper mes oreilles une douce voix inconnue : « Demain est le Jour de la Dormition du Père Séraphim, l'Ancien de Sarov. Célèbre donc une Liturgie à sa mémoire, pour que son Ame repose dans le lieu de fraîcheur où demeurent les Saints. Et lui saura te guérir. » Ces Paroles me furent consolation très douce. Or, j'avais beau n'avoir point de son Vivant connu la Sainte Personne du Starets Séraphim, j'avais toutefois, dès l'année 1838, - date historique pour moi, pour ce qu'à laquelle je m'étais, pour la première fois, rendu jusqu'à Sarov -, j'avais, dès là, donc, commencé d'à son endroit nourrir un Amour extrême & Fiance aveugle, sans limites ni bornes. Un rêve encore me conforta dans ces mêmes sentiments, dès l'an 1839 éprouvés, au plus Profonds du coeur ressentis : J'y chantais à pleine voix un canon de Supplication, enquel, du Tréfonds de mon âme, au Saint Thaumaturge je criai, puis encore m'écriai : « Séraphim! Père Saint! Intercède pour nous! & Prie en la nôtre faveur ! » Et lors que, la sixième Ode venue, il m'incomba de donner lecture de l'Evangile, & ce, quoique je ne susse point quelle péricope il convenait de lire, ne sachant guère s'il s'agissait des textes coutumièrement lus en mémoire des Saints, ou quels autres encore, j'entendis tout soudain une voix me dire : « Annonce la vingt-cinquième péricope de l'Evangile selon Saint Mathieu ». - Et de fait, cette péricope de l'Evangile, en Matt. 11, 27-30, est bien le passage de la lecture que l'on réserve aux jours fêtant l'Eternelle Mémoire d'un Saint. Sur quoi, tout subit, je m'éveillai. Dès lors, & jusqu'au jour d'aujourd'hui, je crois, d'une forte croyance, inébranlable, irréfragablement, que le Père, grand Starets, Séraphim, est un grand Saint de Dieu.
Mais il me faut revenir au sujet qui nous occupe : Celui de la maladie dont je fus atteint en l'année 1849. Obéissant à l'étrange injonction qui m'incitait à célébrer une Liturgie à la Mémoire du Bien Heureux. Mais, ne pouvant seul suffire à la tâche, je m'en fus en hâte quérir un Prêtre, & lui présentai ma demande & requête. Puis là que, à peine la Liturgie s'achevait-elle que j'obtenais la guérison. Et, dans le même instant, je me sentis pénétré tout d'une Paix inconnue de moi, fort insolite & tout inaccoutumée, & je fus délivré du harcèlement incessant dont j'étais de par lui l'objet, & de l'hyper-violente contrainte que n'avait cessé, par force forcée, d'à mon encontre exercer dessus moi le Satané Malin. Et, jusqu'au jour d'aujourd'hui, Dieu m'a cette Grâce octroyée de l' entière & pleine santé.

L'on était en Grand Carême – oui, c'était bien, si je ne m'abuse, durant le Grand Carême de l'an 1858 – lorsque, le mardi de la cinquième semaine, la Moniale Eudoxie de Diviyévo, & quoiqu'elle fût pour ce assistée d'autres de ses Soeurs, s'employait à emplir de glace une fosse énorme, de trois mètres de profondeur. Pour son malheur, ayant par inadvertance inopinément glissé,elle fut d'un coup, tout à trac happée, & tout au fond précipitée du gouffre, dont le fond était, par surcroît, hérissé tout de massifs blocs de glace, gigantesques, saillant en coupantes arêtes vives. Or sa chute, terrible, fut si soudaine, qu'elle n'eut pas le Temps même de seulement jeter un cri. En fin, mais au prix des plus grandes peines & labeurs, l'on parvint à l'en retirer, évanouie. Mais elle était vivante. Voyant qu'elle repirait encore, l'on courut au village, où l'on envoya quérir le médecin. Lors donc que, quelques heures plus tard, elle revint à elle, son Père Spirituel la confessa, pour lui pouvoir donner la communion. Ce pendant, l'infortunée Moniale souffrait à la hanche d'affreuses douleurs. La malheureuse était, au demeurant, couverte toute de contusions. Quelque bleuïe d'échymoses qu'elle fût, elle fit effort pour rechercher en sa mémoire défaillie les fautes légères qui eussent pu ternir au miroir le tain de sa colombine candeur. Mais cette peine, si légère fût-elle, qu'elle prit à la confession de ses fautes plus légères encore, acheva de l'épuiser toute, si tant qu'elle sombra en une aphasie profonde. Lors qu'en suite le médecin arriva sur les lieux du drame, il ne put que se rendre à l'évidence première : Son état, par le fait, semblait désespéré. Lui-même dut convenir que seul un Miracle de Dieu la pouvait encore sauver. Dès là qu'une dizaine de jours en suite se passa, durant quoi ses vives & lancinantes douleurs ne lui laissaient point le répit même de pouvoir trouver le sommeil d'oubliance. Mais voici que, le jour du Grand & Saint Vendredi de la Grande & Sainte Semaine qui précédait la Pâque du Seigneur, sur la mi nuit, il lui advint de tomber en un sommeil léger. En rêve, elle vit Saint Séraphim, qui, tout subit en sa cellule entré, lui dit, souriant : « Je suis venu revisiter mes petites Orphelines. Oui, voici que j'en ai eu quelque peu le loisir ». La petite Moniale se prit à verser d'amères larmes : « Oh! Patérouli! » ne put -elle se défendre de s'exclamer. « Comme ma hanche me fait donc souffrir! » Le Saint, alors, joignant les trois doigts de sa main droite comme pour le Signe de la Croix & Mémoire de la Trinité Sainte, signa, par trois fois, l'endroit malade, y ajoutant ces mots : « Laisse-moi te panser de cette gaze Immatérielle d'Invisibilité. » Sur quoi, il s'évanouit. Eudoxie s'éveillant alors, ouvrit les yeux. Il avait disparu. Mais il régnait, dans la cellule, partout à ses entours, un calme souverain. Elle se rendormit, paisible. Lorsqu'au petit matin, – c'était aux entours de cinq heures -, elle s'éveilla à nouveau, elle se vit reposer sur sa hanche malade, sans que celle-ci, néanmoins, lui causât la moindre sensation de peine, douleur, ni souffrance aucune. Alors, elle se rappela la Visitation de Saint Séraphim. Selon qu'elle était accoutumée par après de le dire, elle avait long Temps comme un bandage senti, que l'on eût appliqué sur l'endroit lésé. Elle put en fin, ce même jour, & sans l'aide de quiconque, se lever de son lit. Dès là qu'elle faisait à tous & à chacun le récit étrange & merveilleux de sa guérison, Miraculeuse.

A nombre de personnes venues à la fontaine en boire l'Eau Bénite, & pour, par manière & guise de Bénédiction, s'y baigner, le Saint accordait aussi la guérison. Il n'est à ce propos que de rapporter cette historiette encore, & cas d'une petite Soeur du Monastère de Diviyévo, gravement atteinte de ce mal funeste du typhus qui faisait rage alors aux entours du Couvent, si tant qu'elle se trouvait sur le point d'en Mourir de Male Mort. Dont son bras, déjà, roidissait. Or, voici qu'en son sommeil lui apparut le Saint. Oui, c'était, à le bien reconnaître, le Starets Séraphim, venu s'enquérir pourquoi elle n'avait pris garde de se rendre à sa source, à fin d' en prendre les Eaux. Mais, déjà, la prenant par son bras inerte, il la fit nonobstant lever, l'incitant à ne plus négliger d'en rien faire, & de s'y faire au plus prompt conduire. En suite de quoi, la Moniale s'éveillant, il lui apparut que sa main était redevenue saine. Obtempérant aux injonctions du Saint, ses Soeurs la menèrent à Sarov. Or, elle ne se fut pas plus tôt là baignée à la Fontaine de Saint Séraphim, que, sur-le-champ, dans l'instant, elle guérissait toute.

L'année 1834, un officier de cavalerie, un dénommé Téplov,qui nourrissait pour Saint Séraphim une vénération sans pareille, se rendit, lui aussi à Sarov, en la compagnie de sa fille, une petite enfant alors âgée de trois ans, atteinte, quoique dans son âge tendre, d'une sévère affection aux jambes, qui la faisait beaucoup souffrir. Après qu'il eût fait, sur la Tombe du Saint, célébrer par un Prêtre une Pannykhide en l'honneur du Starets, à l'Eternelle mémoire du Saint, Téplov mena l'enfant à la Fontaine de Séraphim, fort de l'intime conviction que sa Sainte Intercession inclinerait Dieu à prendre en Pitié sa jeune servante. Il fit donc boire sa fillette à la fontaine, avant que de lui y laver les pieds. Il n'omit pas non plus d'emplir de cette Eau tout un tonnelet, dont, jusqu'au Monastère, il chargea ses épaules, songeant d'y faire dire un canon de Supplication, que le Prêtre ferait s'ensuivre d'une aspersion rituelle des Fidèles, à l'aide d'une balayette qu'il plongerait dans cette Eau Bénite, pour l'en secouer sur la tête comme à la face des Fidèles, en manière qu'ils la reçussent ce pendant que processionnant devant lui. Mais à peine avaient-ils eu le Temps, leur tour venu, de s'avancer jusqu'au Prêtre, que la petite, soudain échappée des bras de sa nourrice, se mit à courir de l'avant, pour s'y avancer seule, comme l'eût fait une enfant parfaitement valide. Et, par le fait, elle avait en effet recouvré sa santé première.

En 1852, un certain Andréï Borski, notable local d'importance relative, pour ce qu'alors gouverneur de la province de Costroma, se trouvait cependant n'avoir qu'un seul fils, jeune garçonnet encore, âgé de quelque huit ans à peine, lequel se prit à souffrir de violentes crises stomacales spasmodiques, des plus douloureuses. Mais ce mal, déjà fort éprouvant, ne tarda pas à le céder à un autre pis encore, lequel se marquait par d'épouvantables crises, dont l'enfant ne sortait guère que si pathologiquement affecté, que les parents finirent par trembler pour la vie de leur fils unique. C'est alors, vers la même époque, que la Moniale S. D. Davidova, laquelle n'était alors que jeune Novice rassophore au Monastère de Femmes sis dans ce même comté de Costroma, fit à la mère du petit malade don d'un livre qui portait ce titre éloquent en ce simple sens que parlant assez par soi : « Vie & Lettres de Saint Séraphim de Sarov. » Cette lecture, qui révélait donc éloquemment , quoique fort simplement, quelles Energies Incréées, de la Grâce Divine reçues, avait le Saint de Dieu laissé paraître, d'En Haut Manifestées dans sa personne, produisit sur les parents du jeune garçon une si forte impression, qu'elle alla jusqu'à les laissa confondus d'admiration. Or, peu de Temps après, une Nuit, l'enfant vit en songe Jésus Christ Sauveur, qui, de toutes parts environné des Cohortes Angéliques, lui faisait cette Promesse qu'un entier abandon de sa volonté propre à celle du Starets, dont il recevrait , ajoutait-Il, prochainement la Visite, lui obtiendrait la guérison parfaite. Et, en effet, le Saint ne tarda point d'apparaître, qui lui confirma cette Parole, lui disant se dénommer Séraphim : « Si tu veux recouvrer la santé, »assura le Saint, « rends-toi promptement à la Fontaine de la forêt de Sarov, celle-là même dite « Fontaine de Séraphim ». Ne néglige pas d'y puiser de l'Eau assez, pour t'en pouvoir asperger à suffisance, de la tête aux pieds. A cette pratique astreins-toi trois jours de suite continûment. Et n'omets pas aussi d'en boire. » Au matin, s'éveillant, le garçonnet conta son rêve à ses parents. Eux, toutefois, s'inquiétaient comment ils se pourraient procurer de cette Eau. De quoi se faisant toute une affaire, ils s'affligeaient à l'excès. Mais, au matin du petit jour suivant, ce fut un nouveau rêve que vint l'enfant relater à ses parents : C'était, cette fois, la Mère de Dieu qu'il avait Vue, environnée toute d'une nuée d'Anges Saints, le presser, en un murmure d'Infini Amour, de régler sa conduite sur les injonctions du Saint. Dont il en respecta fidèlement l'observance. Or, par une coïncidence providentielle – de celles, en effet, que Sait seule ménager la Sainte Providence, à point nommé surgissant au désembarrassement & secours du Fidèle en désarroi - , il se trouva, par extraordinaire, que la Moniale Davidova revenait justement de son pèlerinage à Sarov. De là que les parents de l'enfant purent, par le truchement d'un visiteur, la prier de faire parvenir à leur fils un peu de cette Eau, pour eux magique quasi, de la « Source de Séraphim ». Elle, aussitôt, se rendant à leur requête, s'empressa de leur faire parvenir une fiole de cette Eau. Or, à peine l'enfantelet eut-il commencé d'être traité selon le mode exact de la cure médicinale du Saint Thaumaturge, qu'il en ressentit aussitôt les effets bénéfiques. Bientôt, il guérit tout-à-fait.


***

Saint Séraphim sauvait aussi la vie à nombre d'êtres malencontreusement tombés aux mains de brigands larronneurs. Et ce, en de Miraculeuses Apparitions, qu'il faisait dans ce dessein exprès de terrifier les malfrats que de fait il terrorisait, terrifiquement, tant sa Sainteté en imposait à tous, fût-ce aux pires des hommes . S'ouït là-dessus le témoignage d'une Femme que son Pèlerinage exposait dangereusement à passer au-travers de ce bois de Mourom où, en un lieu écarté, elle avait tout-à-coup entendu de désemparés cris de détresse. Sur l'instant, elle sortit de son fichu quelque minuscule icône de Saint Séraphim de Sarov, dont elle ne se déparait jamais, toujours la serrant dessus elle. L'élevant vers les Hauteurs, elle s'en signa avant que d'en tracer en l'air un signe de croix dans la direction même d'où provenaient les cris. A quelques minutes de là, deux hommes surgirent, tous autant blessés & meurtris, & qui dirent être tombés aux mains de dangereux brigands. Qui pis est, ces tueurs s'apprêtaient en sus à les massacrer. Quand, soudain, ils s'étaient enfuis. D'inexplicable sorte. L'on retrouva par la suite ces mêmes truands, qui, repentis de bonnes repentailles sincères, avouèrent comment ils s'apprêtaient à asséner à leurs victimes le coup de grâce fatal, lors que, tout subit surgi du bois, un Moine d'âge avancé, à la voussure mal dissimulée d'une vieille tunique blanche rapiécée, aux cheveux chenus coiffés d'un vieux chapeau de feutre usé, les avait menacés du doigt, l'air terrible, & redoutable à voir, qui les avait vivement effrayés, & fait trembler de la tête aux pieds : « Et maintenant », avait-il grondé, « je vais vous apprendre, moi, vauriens! » Il était, par surcroît, escorté de toute une foule de gens accourus à sa suite, armés de faux & de gourdins. En suite de ce récit des brigands, l'on montra à ces mêmes malfaiteurs la petite icône de Saint Séraphim, qu'avait à leur vue brandie cette pèlerine en forêt. Les larrons n'eurent lors aucune peine à identifier ce Moine au Saint qu'on leur donnait à voir.

Une jeune paysanne, originaire de la province de Riazan, Olga L., souffrait d'un mal effroyable, qui se marquait de crises bâillements & de langueur, de troubles de la vue, & d'accès de démence, enquels elle se débattait furieusement & faisait montre de forces outrepassant les naturelles, en forcenée, mettant en sus ses vêtements en pièces. Elle passa de longs mois en pareils tourments, jusqu'à qu'en l'année 1858, accompagnée de trois autres Pèlerins, elle désirât de pèleriner à Diviyévo. En chemin, elle fut prise encore de crises épisodiques, en dépit desquelles elle put nonobstant poursuivre son long cheminement à pied. Toutefois, plus elle approchait de Sarov, & plus les crises se faisaient fréquentes & rapprochées. Si tant qu'à peine le Couvent fut-il en vue que, s'étendant en travers du chemin, elle refusa de faire un pas de plus. Comme si le Démon, furieux, plus il approchait du Saint, plus furibond devenu, il se montrait aussi plus forcené encore. Lors, faisant sur eux-mêmes un effort énorme, ses compagnons de route se mirent en devoir de porter la possédée jusque dans l'enceinte du Monastère. Entrés là, ils entreprirent de chanter à la Toute Sainte un canon de Supplication, avant que de faire célébrer une pannykhide à la Mémoire du Saint Père Séraphim. De là, ils la menèrent jusques au Désert de Sarov, à « la Source de Séraphim ». S'y déclara pourtant un accès de forcènement plus effroyable que les précédents encore. S'étant soi-même mise tout en sang, la forcenée hurlait : « Qu'as-tu donc à m'étrangler de la sorte? Tu m'étouffes! Ignores-tu ma force? Que me lies-tu si serré? Détache-moi! Soit ! Je vais sortir de cet être-là! Vois : j'en sors! ». Mais la malheureuse, quoique demi-morte, au paraître, trouvait encore moyen de se cogner violemment la tête contre terre. Elle y demeura près de deux heures, sans voir personne, ni entendre rien. En fin, l'esprit Malin se prit à crier : « Trois esprits impurs sont sortis de la possédée; mais un demeure toujours. » Un jour, puis une nuit se passèrent, avant que la malade ne prît part aux Saints Mystères. De là, elle se put mettre en route pour s'en revenir du Désert de Sarov jusques au Monastère de Diviyévo. Mais voici qu'à moins de quelques verstes du Monastère, de nouveau, l'on la vit s'écrouler au sol. L'esprit impur, par moments, allait la retournant comme une crêpe. Enfin, sur la tombée du soir, l'on parvint à la porter jusques à l'hôtellerie du Monastère, où elle passa une nuit fort agitée. Elle s'en serait enchappée & désenfuie même, si elle ne s'en était trouvée empêchée par ceux qui l'en retinrent. Au matin, sans lui en rien dire, l'on la mena en l'église de la Transfiguration, qui abritait la vêture qu'avait naguère portée Saint Séraphim en son Désert. L'on avait élevé là un Saint Autel. Pour tant, lorsque l'on s'avisa de l'y faire pénétrer, ce fut une force au-dessus de l'humaine qu'avec une résistance farouche elle opposa aux hommes venus en nombre & renfort unir leurs efforts pour l'y maintenir en lieu saint. L'esprit Malin se mit à hurler par sa bouche : « C'est bon! Je vais sortir! Je m'en vais me taire aussi! » Dès là, les hommes traînèrent la possédée jusques au rocher de Saint Séraphim. Elle s'arc-boutait pour s'en défendre, les bras roidis, les jambes arquées, le ventre bombé, le cou révulsé. Après qu'ils l'eurent hissée sur la grande pierre plate où le Saint Père était revenu Prier près de Mille Jours & Mille Nuits, ils lui jetèrent sur l'épaule l'étole & la chape & pèlerine du Saint. La démoniaque hurlait maintenant sans discontinuer. Mais, lorsque ce furent les moufles du Starets que l'on voulut lui enfiler, lors, à ce moment précis, elle parut comme Morte. Peu à peu pourtant, ses membres se détendirent, son ventre, son cou, & tout son corps entier, lequel revint à son état premier. Dès là, elle demeura près d'une grande heure & demie encore sans connaissance aucune. Après quoi, ayant recouvré tout l'usage de ses sens, - chose plus incroyable que tout ce que l'on eût attendu -, elle se mit subitement à prier. Et, Miracle : Au travers de ses larmes, elle rendait Grâces au Seigneur, Lui ayant grand gratitude, & Le remerciant, Lui & Son Serviteur Séraphim, de ce qu'elle avait obtenu en fin la guérison de son âme malade. Mais, épuisée comme elle l'était de la si longue, & par tant épuisante, emprise sur elle du Malin Démon, elle ne pouvait dans l'instant guère parler. Elle abandonna donc ce soin & souci à ses compagnons de route, & amis Pèlerins, se contentant de seulement par instants renchérir à leur paroles & répons de prières. Elle soutenait que jamais onques elle ne s'était si légère sentie, corps & âme, ni si bien en sa peau & ses aises. De là, par manière & guise de bénédiction, la Sainte Higoumène lui remit, pour viatique de voyage, le portrait iconographique de Saint Séraphim, ainsi qu'une parcelle aussi de son rocher de Grand Priant. Au matin du jour suivant, tous se joignant à elle, elle vint assister à la Divine Liturgie, ensuivie du canon de Supplication au Père Saint, & de la Pannykhide de l'Office des Défunts à l'Eternelle Mémoire du Grand Saint de Dieu, avant que de s'en retourner chez elle, dès son département & partance du Monastère à tous jours & à jamais guérie.
***
Voici en quels termes, en son numéro paru en octobre 1884, la gazette « Gradzanine » - dont la dénomination signifie « Le Citoyen » - relate les trois guérisons miraculeuses ensemble d'un certain Yvan Zasouchine,de son fils, & de sa fille, lesquels demeuraient avec leur père, marchand de la ville de Mourom. De fait, au mois de mars de l'année 1882, cet homme, originaire de la ville d'Ouriopine, fut atteint à l'estomac d'une sorte de typhoïde. Le médecin local d'Ouriopine, quoi qu'il lui eût été de quelque secours, lui conseilla néanmoins de retourner en son district natal. Zasouchine se rendit à son avis. Mais le voyage lui ayant été à lourde peine & lui ayant causé un surcroît d'épuisement général, ce fut dans un état d'extrême délabrement qu'il parvint à Mourom. Un certain docteur Stavroski, que l'on y avait lors fait appeler, lui prescrivit divers remèdes d'usage. Aussi, un Temps, le mal parut-il reculer, & céder même un petit. Par le fait, la fièvre chuta de 40°1 à 37°5. Le malade se prit même à reprendre quelques forces. Mais, dans l'entre-Temps, le malade avait développé une tumeur, qui s'était formée derrière son oreille, suivie bientôt d'une nouvelle, localisée au haut de la hanche droite. D'où le médecin jugea opportun, sur l'endroit infecté, de procéder à une incision décisive, à dessein d'en vider & évacuer toute l'humeur qui s'y était accumulée. Par malheur, l'opération échoua. Le purulent liquide ne put s'écouler au-dehors, ni la grosseur s'extraire, & l'excroissance, tout au rebours, prenait chaque jour plus d'ampleur, gagnant du terrain, éployant ses métastases, étendant ses ravages de tumeur maligne &, nous l'avons vu, ses méfaits métastatiques. Aucun des médecins consultés en renfort, & moins encore le pauvre Stavroski abandonné à son triste état bubonneux, & dévoré de cancer généralisé, ne purent venir à bout de cette complication cancéreuse. Dès là qu'ils lui suggérèrent de tenter un voyage à Saint-Pétersbourg, où les renommés chirurgiens Bogdanovski & Mouldanovski se pourraient prononcer sur son cas. Hélas! Ces derniers furent unanimes à lui déclarer qu'ils ne se pouvait qu'ils risquassent quelque nouvelle intervention que ce fût, & n'eurent donc plus qu'à lui conseiller de s'en retourner chez lui, bredouille, gros jean comme devant, &, sur tout, désespéré de sa vie. Au surplus, après qu'il fut de retour à Mourom, Zasouchine se vit encore atteint de nouveaux maux : Il était à présent affecté d'un phlegmon pulmonaire, & comme si cela n'eût point suffi, d'un ulcère à l'estomac. D'autres médecins, auxquels l'on eut aussi recours, au vu de ce cas pathologique sévère, rien ne purent que confirmer le caractère désespéré de son état irrémissible. Bien au rebours de le pouvoir du tout guérir & sauver, Ils allèrent même jusqu'à fixer par avance le jour plausible de sa Mort, le malade, par eux médicalement condamné, n'ayant plus que fort peu à vivre. Dès là que l'on ne laissa pas de mander plutôt le Prêtre & médecin des âmes, à cette fin qu'il célébrât l'Office des Mourants & ne manquât pas, à cette ultime occasion, de prier pour son Salut Eternel. Zasouchine, bien qu'il fût en proie à une faiblesse extrême, & souffrît intensément, demeurait pourtant en la pleine possession de toutes ses facultés mentales. Il fit, en véritable Chrétien, une confession sincère, par quoi il se rendit digne de goûter sans condamnation du Ciel à la divine communion. Il ne se passa guère de jours après, toutefois, que, déjà, l'on rappelait le Prêtre. Mais, lorsqu'arriva l'Homme de Dieu, le malade, déjà, était à toute extrémité. Le Pope se contenta donc de lui lire la Prière des Agonisants. Mais voici que, trois jours à peine plus tard, le Mourant qu'il avait vu sur le point d'agonir tout-à-fait, se reprenait à retrouver d'aucunes forces. Et voici aussi quel prodige était sur ces entrefaites advenu :
La voisine de Zasouchine, Mme M.T. Bitskova, qu'affligeait à l'excès la Mort imminente & prochaine de son voisin & ami, était venue porter à son épouse un peu d'Eau de la « Source de Séraphim », la pressant vivement d'en faire boire à son époux qui se Mourait. Sa femme courut donc donner de cette Eau à Yvan. Mais lui, hélas! déjà, ne pouvait plus même entr'ouvrir les lèvres. S'aidant d'une petite cuillère, elle parvint pourtant , non sans des peines infinies, à lui en instiller quelques gouttes sur la langue. Puis, elle lui en épandit le restant sur la tête. Dès là, & contre toute attente, le malade entra, paisible, en une période de rémission si sereine, que sa femme, s'attendant que ce ne fût là que le prélude à ses derniers instants, s'empressa de prêter au Mourant une attention accrue à l'extrême. & quelle ne fut pas son étonnement, lors qu'elle le vit s'apaiser en un calme sommeil, qui, tout soudain le prit. Or, lorsque, quelques heures plus tard il s'éveilla de nouveau, ce fut, étrangement, comme ressuscitant de la Mort, pour demander à boire. Cette requête inopinée, d'un Mort qui requérait d'elle de l'Eau Vive, jeta son épouse dans un désarroi tel qu'elle ne savait plus que lui donner, à crainte d'aggraver son mal. Elle finit pourtant par s'aviser de lui donner du lait, & entreprit de lui en faire boire un petit. Puis se souvenant, mais trop tard, que cette boisson même avait été interdite au malade, elle se désola, tremblant que son geste n'eût de plus funestes suites. Yvan, ce pendant, parut tout réconforté de ce meilleur breuvage. Son estomac, curieusement, se reprit à fonctionner normalement. De ce jour, qui était un 11 novembre, Zasouchine commença de se refaire, &, avec lui, de refaire ses forces. Le lendemain, le médecin appelé à son chevet, ausculta sa poitrine, & s'étonna grandement de constater un mieux. A la hanche, toutefois, n'était sensible nulle amélioration, & les plaies restaient ouvertes. Le malade, alors, sans plus paraître se soucier de son état d'épuisement extrême, manifesta le désir d'entreprendre le voyage jusqu'à Sarov, à cette fin d'y vénérer les Reliques du Saint de Dieu. Sa femme, lors, rassemblant les quelques effets indispensables au voyage, prit à toute fin avec elle tout ce qui était nécessaire aussi à l'ensevelissement, supputant qu'il dût Mourir en route. Elle emmena même avec eux les enfants, à dessein, dans l'éventualité, la plus probable, d'une issue funeste, que le malade, aux derniers instants de sa vie, pût revoir tous les siens, entre lesquels ses enfants chéris. Le moribond, dans le présent, était au plus mal. Sa jambe malade, roidie déjà, n'autorisait point qu'il pût en l'attelage chavirant garder la position assise; les secousses, qu'imprimaient à la voiture les cahots de la route, lui causaient d'insoutenables douleurs. Aussi, à chaque halte que l'on faisait, plusieurs de ses gens & autres voyageurs l'enlevaient-ils dans leurs bras pour l'extirper de l'inconfortable diligence. Ce fut en cet état bien pitoyable que parvint Zasouchine au Monastère séraphiméen de Diviyévo. Il escomptait assurément y prendre néanmoins le repos que cette harassante équipée lui avait rendue nécessaire absolument. Après quoi, il avait résolu de demeurer vingt-quatre pleines en ce Lieu Saint. L'on était alors au cinquième jour du mois de juin, au lendemain de la Pentecôte, qui, selon que l'indique son nom en Grec, signifie littéralement : « Cinquante jours après la Pâque ». Arriva l'Heure des Vigiles. Rassemblant ses dernières forces, le malade à l'agonie résolut de suivre l'Office, quoi qu'il lui en coûtât, & au mépris des douleurs affreuses qui le faisaient atrocement souffrir. Son épouse & les servants d'entre ses moujiks qui l'assistaient le transportèrent lors depuis l'hôtellerie du Monastère jusqu'en l'église. & il y gisait là, sur son grabat misérablement alité. Tous ceux qui l'entouraient continuaient de le porter & soutenir à bout de bras. Mais lorsqu'à l'instant précédant les Laudes où l'on chante coutumièrement le Mégalinaire, & cependant que l'assemblée des Fidèles s'empressait au-devant de l'Icône de la Sainte Trinité pour l'aller embrasser, voici qu'il désira d'à son tour se mêler à la foule. Alors, faisant sur lui-même un effort immense, il se soutint sur ses béquilles, &, ayant sollicité l'assistance & sitôt obtenu l'appui de bras secourables, parmi lesquels figuraient ceux aussi de son épouse, il pût, contre toute attente, parvenir jusques à l'Icône de la Fête qu'il vénéra pieusement. En suite de quoi, il reçut du Prêtre l'Onction d'Huile Sainte. Son regard, lors, tomba fortuitement sur une icône figurant l'entrée de la Mère de Dieu Enfante au Temple. Or, il se trouvait que celle-ci avait naguère orné la cellule de Saint Séraphim. On laisse à penser avec quel Feu Brûlant d'Irradiante Chaleur avait pu le Saint Prier devant elle, de longues heures de Veille durant. Au même instant lors, il sentit, tout soudain, que sa jambe jusqu'ici vacillante, sans plus lui causer le moindre souffrir, prenait soudain sur le sol un appui ferme. Alors, à la grande stupeur de tous les assistants, plantant là ses béquilles, il s'en revint à sa place première. Lors aussi que l'office divin eut pris fin, Zasouchine, ensuivant & emboîtant aux autres le pas, d'un seul coup se dressa, &, se relevant, sortit vaillamment de l'église. Dehors, l'attendaient, avec le grabat, ses serviteurs. Mais loin de requérir leur secours, comme s'il lui eût été nécessaire, il leur remit jusqu'à ses béquilles mêmes, &, sans l'aide de quiconque, parcourut entièrement seul les quelque deux cent cinquante mètres qui le séparaient encore de l'hôtellerie du Couvent. Le lendemain, ce fut de nouveau à pied qu'il se rendit à l'église sise dans la cour du même Monastère, pour y prendre part aux Saints Mystères. De là, il gagna Sarov, où il fit, sur la tombe du Saint, célébrer un service chanté de funérailles, autrement dit une Pannykhide à la Mémoire Eternelle du Saint. Le matin du jour suivant, au sortir de l'Office, il partit sans plus tarder pour la Source Miraculeusement médicinale du Désert de Sarov, dont l'Eau Merveilleuse l'avait si paradoxalement sauvé des griffes de la Mort. & bien qu'elle fût éloignée du Monastère de quelque deux kilomètres, ce fut, curieusement, avec une extraordinaire aisance d'agilité qu'Yvan couvrit cette distance, qui, dans son état de la veille, eût été pour lui rédhibitoire & impossible à parcourir. En chemin, toutefois, il se demandait s'il lui faudrait retirer le bandage de sa jambe malade. Comme plusieurs le dissuadaient d'en rien faire, il se rangea ce dernier avis. Peu après parvenu à la Fontaine, il ôta ses vêtements, & se laissa glisser tout dans l'Eau fraîche. Or, à peine eut-il senti cette fraîcheur même lui couler entre les épaules, que, paradoxale, une douce chaleur, bientôt suivie d'une force neuve, lui traversèrent le corps entier. Et puis, au sortir de l'Eau, il s'étonna de ne voir plus trace aucune de son bandage. Seul alors, il acheva d'en défaire les lambeaux qui y restaient encore. Au lendemain, durant la Liturgie, il prit part aux Saints Mystères du Christ. Par le fait, Zasouchine était désormais parfaitement Guéri.
A quelque Temps de là, la tête du fils de Zasouchine, lequel n'était alors âgé que de huit ans à peine, n'était plus, quant à elle, qu'une affreuse masse pustuleuse, qui lui causait d'effroyables douleurs. Polotebnov, le professeur de dermatologie qui s'essayait à traiter la peau de l'enfant, voyait là un mal dont la guérison ne demanderait pas moins de près de deux ans. Dès là que Zasouchine reprit le chemin de Sarov, pour y mener son garçonnet. Sur le chemin qui les menait au Désert de Saint Séraphim, toutefois, désireux de prendre quelque repos, ils firent une halte au Monastère séraphiméen de Diviyévo. C'était le cinq juin, jour de la Fête de la Sainte Trinité. Ils apprirent là des Moniales que le Bien Heureux Starets avait souhaité de voir tous les Pèlerins-visiteurs emprunter, la Prière de Jésus sur les lèvres, un inquiétant ravin qui, sur quelque distance, tenait lieu de chemin : C'était une manière de tranchée que, sous la Conduite Spirituelle du Saint, avaient creusée les Nonnes. Saint Séraphim avait en effet voulu par là symboliquement signifier que, par cette voie Etroite, la Personne même toute entière de la Sainte avait nonobstant pu passer. A leur Imitation, donc, Zasouchine & sa famille au complet, à leur tour empruntèrent ce passage, à fin, par ce truchement, de satisfaire au désir manifesté par l'Ancien. C'est ainsi que, sur le conseil de la Moniale qui le guidait, le petit malade descendit au fond de cette fosse, où il coupa des herbes & brassées de fleurs, que, tout le Temps qu'il chemina le long de cette tranchée boyeuse, il tint sur sa tête pressées. En fin, parvenu à Sarov, il courut se baigner à la dite « Fontaine de Séraphim ». Et, lorsque le 15 juin, ils s'en revinrent chez eux, en la ville de Mourom, bien loin que ce fût la tête seule de l'enfant qui se trouvât purifiée, il lui était encore poussée, merveilleusement luxuriante de magnifique ondoyance une telle belle chevelure, aux boucles épaisses, que l'enfantelet en était devenu tant mirable aux yeux que s'il se fût fait le plus bel qui, par tout, aux entours, se pût voir.

***

Plus ne se peuvent compter, innumérables, les Miracles, ni les Guérisons qu'après sa Bien Heureuse Dormition même, opéra Saint Séraphim. Non plus que celles aussi qu'il ne cesse d'opérer en faveur de ceux qui le Prient avec Foy qu'il se fît auprès du Seigneur leur Saint Intercesseur.
Aussi bien, en Signe de Glorification du Saint, & pour qu'Actions de Grâces lui y soient rendues, en Témoignage de Gratitude & Reconnaissance éperdue des Fidèles par lui Guéris, ou en leurs Prières Exaucés, une Eglise Orthodoxe fut-elle, en l'année 1891, érigée sur sa tombe.
Or le Temps, bien loin d'effacer la Mémoire d'une Vie Sainte & d'une si Haute Ascèse, comme bien loin aussi d'éteindre la Foy en une Intercession si Puissante auprès de Dieu d'un tel Grand Saint Sien, tout au rebours, jour après jour, les accroît & intensifie. C'est ainsi que chaque nouveau Fils né à la Romanité Orthodoxe est bientôt en elle plus enraciné que son propre Saint Père Spirituel ! C'est donc fort de cette pleine & entière Assurance de la Sainteté du Starets Séraphim que le Saint Synode du Patriarche, du Métropolite, des Archevêques, des Evêques, des Saints Moines & des Saints Prêtres de Russie, ne cessa point de réitérer sa requête pour que fût donné le premier branle à l'instruction du procès de Canonisation qui placerait le serviteur de Dieu parmi Ses Saints. L'année 1895, donc, Sa Béatitude l'Archevêque de Tambov fit établir, à l'intention du Saint Synode, un recueil où se trouvaient consignés vingt-quatre faits imparablement indéniables & irréfutables de Miracles & de Guérisons opérées par le Saint Thaumaturge, & imputables & redevables à sa Sainte Intercession, dont Son Eminence l'Archevêque du même Haut Lieu Monastique de Tambov, parsemé de Couvents de Saintes Moniales & de Monastères de Saints Moines, dont son Excellence l'Archevêque de Tambov, donc, soumit à la lecture à divers juges extraordinaires en matière de Sainteté, qu'il avait lui-même commis à cet effet exprès. Ce même Evêque de Tambov, durant l'année 1897 ensuite, & par deux fois, tant en son commencement que lorsque l'an en tirait à sa fin, proposa deux recueils de Récits de Miracles, reproduisant les Témoignages & Relations établies & rapportées par diverses personnes, relatives à maints Signes Miraculeux & à d'innumérables Guérisons, dont l'Ancien était indubitablement l'Auteur. Puis, le 19 juillet 1902, jour anniversaire de la naissance du Saint Père Séraphim, le Tsar Nicolas Alexandrovitch, qui n'était pas sans savoir les Hautes Luttes Ascétiques du Bien Heureux Serviteur de Dieu Séraphim, non plus que l'extraordinaire Piété, si toute empreinte que débordante de Ferveur dont le Peuple Chrétien orthodoxe honorait universellement sa Sainte Mémoire, exprima le désir de voir se poursuivre le procès de sa canonisation, dont le Saint Synode Russe avait ouvert l'instruction. Comme l'on n'était encore qu'au commencement de l'année 1903, le Saint Synode, dorénavant assuré que les Miracles opérés par la Sainte Prière du Starets Séraphim pouvaient être tenus pour exacts & véridiques, décida & décréta tout uniment qu'on l'adjoignît au Choeur des Saints Glorifiés par Dieu, & que l'on reconnût sa Sainte Dépouille pour Relique Sacrée. & lors que vint l'heure de l'exil du Tsar & de la Tsarine, l'on apprêta, pour y faire reposer les restes vénérables du Saint une châsse-reliquaire toute rehaussée d'or & d'argent. En fin, ce fut le 19 juillet 1903 qu'eut lieu l'Apothéose ultime de la Fête de la Canonisation du Saint, qu'avait Dieu nouvellement Manifesté du Ciel sur la Terre aux Femmes & aux Hommes de Bonne Volonté, & ce, s'agissant du Pauvre Séraphim, Humble entre tous des Servants de Dieu, en présence du Tsar, de la Tsarine, de nombreux membres de la famille impériale, & d'une foule innombrable de Fidèles Chrétiens Orthodoxes. Or, ce même jour, il se fit encore une multitude de guérisons innumérable.

Pût le Seigneur, par les Saintes Prières de notre Père parmi les Saints, Saint Séraphim le Thaumaturge, nous semblablement garder de toute nécessité physique, matérielle, morale, & psychique, comme de toute affliction du corps, du coeur, & de l'âme !

A Lui, le Seigneur, conviennent tout Honneur, toute Gloire, & Toute Adoration, maintenant & tous jours, & dans les Siècles des siècles, Amin !

Par les Prières de notre Père Saint, Séraphim le Thaumaturge, Faiseur de Miracles, Seigneur Jésus Christ notre Dieu En Esprit de Sainteté, aie Pitié de nous, Amin !


FIN


***