mercredi 24 décembre 2014

Vie et miracles du Staretz Zacharie

POUR TOUT RENSEIGNEMENT CONCERNANT LES PUBLICATIONS DE LA
                           FRATERNITE ORTHODOXE SAINT GREGOIRE PALAMAS, ECRIRE A :
                                    FRATERNITE ORTHODOXE SAINT GREGOIRE PALAMAS,
                                         30 BOULEVARD SEBASTOPOL, 75004 PARIS.
                                         

                                           LE STARETS ZACHARIE.

                                                          Traduction de Presbytéra Anna.

                                       Editions de la FRATERNITE ORTHODOXE
                                                 SAINT GREGOIRE PALAMAS,
                                         30 BOULEVARD SEBASTOPOL, 75004 PARIS.



                                                                       
                                               LA VIE DU STARETS ZACHARIE.



                         Le 2 septembre 1850,au jour où l’Eglise Orthodoxe célèbre l’éternelle mémoire de Mamas, le Saint Martyr, naissait dans la province russe de Kalonga, près de Moscou, celui dont la vie toute admirable et parfaite répandrait bientôt sur les âmes affligées, sublime et merveilleux, le parfum d’une fleur de Paradis exhalant l’odeur embaumante et suave du Très Saint Esprit. A ce fils qui était le dernier de leurs onze enfants, Dimitrievic et Tatiana Miraevna, ses parents, simples et pieuses gens de village, donnèrent le nom de Zacharie, le plaçant ainsi sous la protection de Saint Zacharie, le père du Vénérable Précurseur.

                                                                                    I.
                                                                      SA SAINTE MERE.

   Tatiana Miraevna, la mère de Zacharie, était une Ame Sainte qui, devant Dieu, jouissait d’une grande assurance. Aussi abreuvait-elle son fils aux purs et saints courants des ondes de la piété. Et lui, à son tour, petit arbrisseau toujours assoiffé, ne pouvant assouvir son grand désir de Dieu, buvait une à une les paroles bénies de cette mère bienheureuse. Si bien qu’à force de croître ainsi en Esprit, il devenait un grand arbre, cèdre ombragé de la Grâce, dont l’épais feuillage invitait déjà les Fidèles sous sa ramée, les appelant à goûter au réconfort de l’Esprit Consolateur qui raffermit les Ames. Car, à son fils encore tout enfant, Tatiana, cette paysanne trois fois bénie, avait enseigné la crainte de Dieu, l’amour des pauvres et la compassion pour les malades. Plus tard, avec le temps, c’était, entre toutes ses Vertus à celle-ci surtout, à cette compassion alors devenue parfaite, que l’on reconnaissait le Starets.
   Mais son enfance déjà, marquée toute d’évènements extraordinaires, laissait assez deviner à l’avance à quelle Vie Sainte et sublime le Seigneur destinait Zacharie.
   Il n’avait pas encore sept ans que, déjà, il lui arrivait de quitter les siens à la dérobée. Il s’enfonçait alors dans les bois durant des jours entiers, appliqué seulement à prier. C’est ainsi qu’il grimpa un jour en haut d’un sapin où, toute la nuit, il veilla en Prière. Et lorsqu’au matin il eut faim, il descendit de son arbre, mangea quelques racines avec des touffes d’herbe, puis de nouveau remonta à son poste de vigie. Cela continua plusieurs jours, tandis que son cœur, tout empli d’un zèle divin, se dilatait d’une immense Joie spirituelle.
   Tatiana, elle, durant ce temps, en proie au plus grand désarroi, avait couru demander conseil au prêtre du village. Le Père Alexis, un Saint Homme, qui faisait des miracles, apaisa la mère inquiète, et lui  prophétisa que plus tard ce fils bien-aimé deviendrait Saint.

                                                                            ***

   La Grâce en Tatiana continua de surabonder, jusqu’à ce qu’un jour, elle sentît sa fin approcher. Elle fit venir à son chevet ses enfants, les bénit, puis, se tournant vers l’une de ses filles : «  Maria », dit-elle, « à tous, j’ai fait mes adieux ; mais à Zacharie, mon bien-aimé, je n’ai pas donné ma bénédiction. Or, je ne mourrai pas que je ne l’aie béni. Je vais demander à Dieu un peu de temps encore…le temps que tu ailles à la ville lui porter la nouvelle que ma dormition approche. » Peu après Zacharie, tout en larmes, arrivait. Sa mère alors lui prédit tout son avenir : il lui faudrait passer par bien des épreuves – et ici elle les lui énuméra toutes – mais à la fin, il deviendrait Moine. Puis, lui remettant une icône de la Toute Sainte de Kazan : «  Ton Guide, » murmura-t-elle. Après quoi, elle dit à Zacharie de retourner à la ville. Son travail l’attendait. Elle ne voulait même pas qu’il abandonnât sa besogne le temps de son enterrement. Il lui suffisait que son fils priât pour son Ame. Son fils parti, Tatiana se dressa à demi sur son lit ; elle fit sur son oreiller le signe de la Croix, puis, se signant à son tour, rendit au Seigneur son Ame très Sainte. A l’autre bout de la ville, au même instant, Zacharie sentit un parfum céleste l’envelopper, plus doux qu’une odeur d’encens. «  Ah ! » songea-t-il, ma mère s’est endormie ! »Et il pleura.
   Longtemps après, quand Zacharie fut devenu Starets, il raconta comment il avait un jour vu un démon. « Des Chrétiens », lui avait-il alors demandé, est-ce que vous en détenez en Enfer ? ». « Et comment ! » avait rétorqué l’autre. «  Si nous en détenons ? Mais ton père même y était ! Et il y serait encore si toutes ces aumônes et toutes ces fichues prières que tu as faites pour son âme ne nous l’avaient arraché ! » . « Et ma mère ? » interrogea encore le Starets. « Ah, ta mère ! » fit l’autre, grimaçant. « Non, ta mère n’est pas avec nous…Parce que, tu le sais bien d’ailleurs, tout le long de sa route, elle a répandu du pain. Et nous, nous avons eu beau regarder et scruter au plus près, jamais nous ne sommes parvenus à la voir passer… »
   Aussi entendait-on souvent le Starets redire : «  Celui qui fait mention de Tatiana et de Jean, mes parents, le Seigneur Lui-même se souviendra de lui. »



                                                                                  II.
                                                         LA VIE TOUTE MERVEILLEUSE DU STARETS.

    Après que sa sainte mère se fut endormie, il fallut à Zacharie, ainsi qu’elle le lui avait prédit, passer par une longue suite d’épreuves, dont, à chaque fois, le Seigneur et la Mère de Dieu Toute bénie venaient par miracle le sauver ; car il était dans l’Economie divine que bientôt il se libérât des liens du monde pour se consacrer tout entier à la vie monastique.
   Zacharie tout d’abord, sans être jamais allé à l’école, se rendit au Monastère de la Toute Sainte situé à Tripotamos, sur les Rives Blanches. Il voulait y entrer comme novice. De là, il partit au célèbre Monastère d’Optina, où, par une miraculeuse intervention de la Mère de Dieu, il lui fut donné de rencontrer le célèbre Starets Ambroise. Le Saint, après lui avoir à son tour prédit son avenir, le bénit pour qu’il devînt Moine aussitôt, sans retourner préalablement dans le monde. « Dans le Royaume des Cieux », lui dit mystérieusement Ambroise, « il y a un chêne vert planté pour toi… »
   Zacharie –il avait alors une vingtaine d’années- s’en retourna donc aux Rives Blanches. Là, il dut passer par de grandes épreuves. Par deux fois, il fut longtemps malade, si gravement que l’on crut à chaque fois que la fin était proche. Mais le Seigneur le guérit, et Zacharie put ainsi se rendre auprès d’un Saint Ascète nommé Daniel, qui vivait non loin de Kalouga.
   Il demeurait depuis plusieurs mois chez cet Ancien, lorsque, pour la troisième fois, il tomba gravement malade. Alors, au bord de l’agonie, il fit à Saint Serge de Radonège cette prière : « Saint Serge, mon Père, quoique l’on me dise qu’il y a de mauvais moines à la Trinité, je voudrais, moi, le pire de tous, vivre auprès de toi. Aussi, Père Saint, je t’en supplie, reçois-moi au nombre des frères de ton Monastère. » Saint Serge entendit la prière de Zacharie, et bientôt il le guérit. C’est ainsi que Zacharie, après que Daniel l’Hésychaste lui eut donné sa bénédiction, partit pour le Monastère de la Trinité- Saint- Serge.
   L’entrée de Zacharie au célèbre Monastère de la Trinité –Saint- Serge, où il allait vouer à Dieu sa vie entière, ne se fit pas, elle non plus, sans miracles. Car, là comme ailleurs, toujours de miraculeuses Théophanies, manifestations de Dieu, venaient ponctuer l’existence de Zacharie.
   Mais avant d’aller faire sa métanie à l’Higoumène, il se rendit, non loin de là, à la skyte du Saint Starets Barnabé que le Seigneur avait doué du charisme de clairvoyance. Zacharie, qui désirait lui demander ses saints conseils, se trouva, à son arrivée, devant une si grande foule de gens qui, tous, attendaient de voir le Starets, qu’il désespéra de jamais voir venir son tour.
   Et il se tenait là, ne sachant que faire, lorsque se produisit une chose tout-à-fait inattendue. Le père Barnabé, soudain, sortit de sa cellule et, s’adressant à la foule : « S’il y a ici quelque Moine du Monastère », cria-t-il d’une voix forte, qu’il entre. » Tous alors de regarder autour d’eux ; mais, nulle part, il n’y avait trace de Moine. Alors, pour la seconde fois, le Saint Ancien tonna, plus fort encore : « Laissez monter le Moine du Monastère ! » Et, au même instant, il dirigea son regard vers Zacharie. Puis il alla le prendre par la main, et avec tendresse lui dit : « Allons, viens donc dans ma cellule». «Mais, » fit Zacharie interdit, «  je ne suis pas du Monastère ! Je suis des Rives Blanches ! » « Oui, je sais », répondit le Starets. « Jusqu’ici, tu étais de là-bas. Mais maintenant, c’est ici, parmi nous, que tu vas vivre ».
   Et, sur ces mots, il le mena à sa cellule. Là, il le bénit et dit : « Demeure dans notre Monastère et reviens ici me voir. » Alors Zacharie, dans sa confusion, murmura : « Mais, Père, et si les moines ne me reçoivent pas ? » « Ils te recevront », lui dit le bon Starets. Et ces mots apaisèrent Zacharie. « Allons, » poursuivit le Géronda, « va maintenant à Saint-Serge, parce que les trois Anciens du Monastère se tiennent à la porte, qui t’attendent. » Zacharie prit la bénédiction du Starets et, joyeux, s’en alla, glorifiant Dieu.
   Il parvenait au Monastère lorsque, de loin, il vit que l’Higoumène se tenait à la porte, qui l’attendait avec deux Anciens. Alors, Zacharie les supplia de bien vouloir l’accepter au nombre des frères. Eux avec empressement le reçurent, et leur bienveillance ne fit que s’accroître lorsqu’il leur eut dit que c’était le Père Barnabé qui l’envoyait vers eux.

                                                                             ***

   Zacharie qui, avant d’entrer au Monastère de la Sainte Trinité pour y être mis à l’obéissance, avait -déjà bien des fois été durement éprouvé, le fut bien davantage alors, plus peut-être, par la permission de Dieu, que ne le fut jamais aucun novice. Car il était selon l’Economie divine qu’à Zacharie fût pleinement appliquée la parole du Livre des proverbes : « Comme au creuset sont éprouvés l’or et l’argent, ainsi devant le Seigneur le cœur des élus. » (Prov. 17, 3).
 Après les maladies par lesquelles il avait passé, et dont, toute sa vie, il devait porter les séquelles, une nouvelle tribulation l’attendait au Monastère, devant lui ôter le peu de santé qui lui était resté.
   Au nombre des frères novices figurait un ivrogne toujours hors de lui et tenant des propos orduriers. Ce Théodore qui se disait moine était un ancien forçat évadé de prison, qui, pour couvrir ses vices et ses crimes, n’avait rien trouvé de mieux que la soutane. Or, un soir qu’il était plus ivre que de coutume, il vint à la cellule du bienheureux Zacharie, fracassa sa porte et, comme un fou furieux, se jeta sur lui. Puis, sauvagement, à coups de poings et à coups de pieds, il le frappa et le piétina, jusqu’à ce qu’enfin il le laissât demi-mort, les os brisés, les dents cassées, les oreilles et le nez arrachés, d’où giclait le sang, qui coulait aussi à flots du ventre, où le criminel avait ouvert une grande plaie. C’était même miracle qu’il eût seulement réchappé aux mains de l’assassin et qu’il respirât encore, lorsqu’au matin les moines le trouvèrent dans cet état pitoyable. Ils le transportèrent aussitôt à l’hôpital du Monastère où, quinze jours durant, il demeura sans connaissance.
   Lorsqu’il fut un peu remis, sa santé était désormais si chancelante – irrémédiablement- qu’il craignit de mourir avant que d’avoir été revêtu du Schème, ce qui est dire de l’habit angélique des Moines. Aussi alla-t-il, plus mort que vif, visiter le Starets Barnabé, pour s’ouvrir à lui de ce qui le tourmentait. «  Père », lui dit-il, « le jeune novice m’a grièvement blessé, et je crains de mourir avant d’avoir reçu le Grand Schème. Je t’en prie, revêts-moi du schème en secret, car on ne parle pas au Monastère de me faire Moine. » Mais la réponse du Géronda ne fut pas celle qu’il attendait : « Non», lui dit l’Ancien dans sa clairvoyance. « Non, ce n’est pas dans le secret, mais bien aux yeux de tous qu’il te faut devenir Moine. » Puis il ajouta : « En ce qui concerne le médecin, je t’interdis d’y aller. Ne prends pas non plus de médicaments. Si tu fais ainsi, tu vivras et tu supporteras, longanime, cette épreuve que le Seigneur a permise. Ne lui demande donc rien d’autre que de te secourir. Oui, fais ainsi et je rendrai compte pour toi de ton âme devant Dieu. De la sorte, tu vivras cent ans. Mais si tu vas chez le médecin, c’est dans la fleur de l’âge que tu mourras. Toutes choses adviendront, mais selon la volonté du Seigneur. Et pour toi, sache-le, tu seras fait Diacre, Hiéromoine – ce qui est dire Moine Prêtre- et, à la fin, Père Spirituel et Confesseur des frères du Monastère. »
   Mais la lourde croix de la maladie n’était pas la seule que le bienheureux Zacharie eût eue à porter. Il lui fallait encore faire face à un état de choses quasi-désespéré dont presque tous les moines du Monastère étaient responsables. Depuis le début, en effet, il était en butte à leur hostilité ; leur aversion allait souvent jusqu’à la haine. Car ils ressentaient comme un outrage la Sainte Vie que menait Zacharie, quand eux-mêmes s’adonnaient à leurs passions et à leurs vices et que, pour la plupart d’entre eux, ils étaient égoïstes, indolents et avares. Aussi le persécutaient-ils à longueur de temps, l’empêchant de prier, lui volant son chapelet, le raillant, le chargeant de reproches et lui imposant, avec des diaconies accablantes, des tâches qui l’épuisaient à l’excès.
   Or ce Martyre continua longtemps, même après son ordination, pour ne cesser vraiment qu’avec l’éparpillement final des moines, lorsque les communistes les eurent tous expulsés ; il était resté seul dans le Monastère désormais désert, avant que vînt son tour d’être chassé. Mais aussi longtemps qu’ils étaient demeurés avec lui, ils n’avaient cessé de le persécuter. Entre autres tourments qu’ils lui infligeaient, il leur suffisait de l’apercevoir au loin pour crier : «  Au fou ! Au fou ! »  espérant dans leur folie qu’on le prendrait pour un aliéné. Car ils rêvaient, ces insensés, de le faire enfermer pour ne plus l’avoir sous leurs yeux comme un vivant reproche.
   Mais cela ne troublait guère Zacharie, l’amoureux du Christ, qui ne savait, lui, que leur dire doucement : « Mais jusque dans l’asile se trouve mon Seigneur ! Faites comme il vous plaira, mais, pour moi, jamais je ne pourrai faire ces choses que vous dites. Car j’ai le devoir d’obéir à ma conscience et de vivre selon les commandements de Dieu. »
   Et les persécutions continuaient. Un jour, les frères précipitaient Zacharie du haut de l’échelle, et lui, en tombant, se blessait grièvement. Un autre jour, ils renversaient sur lui de l’eau bouillante. D’autres fois, ils le rouaient de coups et, lorsque l’innocent demandait pourquoi on le frappait ainsi : « C’est », lui criaient-ils, « pour que tu cesses de faire le Saint. Tu n’as qu’à vivre comme tout le monde ! Ou bien, nous te frapperons encore ! Est-ce qu’on ne frappait pas toujours les Saints ? »
   Telle était l’effrayante situation où le Diable maintenait Zacharie pour le détourner de mener sa Vie Sainte, toute de prière, d’amour et de bonté, de résignation, de patience et d’abnégation. Toutefois, la situation parut bientôt à ce point insoutenable au bienheureux  que, parce qu’il était homme, il craignit de plier dans l’épreuve. Craignant d’autre part d’agir de son propre chef, il alla trouver l’Abba Barnabé, son Père Spirituel, pour lui demander conseil. S’ouvrant à lui de toutes ses difficultés, il lui demanda s’il le bénissait pour trouver un autre Monastère. « Non », fit le Géronda, «  je ne te donne pas la bénédiction. Là où ta placé la miséricorde de Dieu, là tu seras sauvé. Prends garde seulement de n’amasser aucun argent, de t’abstenir de vin et de ne pas prendre de médicaments. »
   Aussi le très longanime Zacharie demeura-t-il au Monastère. Et c’est avec un zèle accru que désormais il menait la lutte spirituelle. Cette admirable constance porta d’ailleurs ses fruits. La conversion de nombre des frères ne fut pas le moindre de ses effets. Zacharie devint la cause de leur Salut. Par lui, il leur fut donné de se repentir avant la fin.
   L’accès à la dignité d’Higoumène d’un moine encore jeune, le père Tobie, ne fit que consommer une décadence spirituelle commencée depuis longtemps déjà dans le monastère. Ce dernier père, sous l’instigation du Malin, s’était pris pour le bienheureux d’une haine aussi peu croyable que déraisonnée. Multipliant les outrages à son égard, il n’avait de cesse qu’il n’ait exterminé Zacharie de la race des hommes. Si bien que, n’y pouvant plus tenir, Tobie incita le moine Anthime à tuer le Saint. Trop heureux de commettre ce forfait, Anthime vint donc prier Zacharie de l’aider à porter une grande armoire très lourde. Aussitôt, avec son zèle coutumier, le bon Zacharie accepta. Mais, au moment qu’il avait escompté, Anthime lâcha exprès l’armoire sur lui. Le meuble, de tout son poids, s’abattit sur le malheureux.
   Tandis qu’il gisait ainsi écrasé, l’autre se jeta sur lui, le frappant sans merci. Par bonheur, un pèlerin vint à passer, juste à temps pour sauver le très longanime esclave du Christ. Et le Seigneur permit qu’Anthime, pour son châtiment, sombrât  peu après dans la folie, et qu’il mourût bientôt, dans ce pitoyable état.
   Tandis que les épreuves se succédaient les unes aux autres, tel un ange de patience, le bienheureux Zacharie ne savait qu’implorer son Seigneur dans les larmes ; et il suppliait le Christ qu’il voulût bien éclairer le père Tobie, son higoumène, lui inspirant avant la fin un repentir sincère, en sorte que son âme ne fût pas perdue pour l’éternité.
  Dieu alors, voyant quel était son amour et sa longanimité, ne demeura pas sourd aux prières que lui adressait son fils pour l’infortuné Tobie. C’est ainsi que l’incapacité de ce dernier à diriger le Monastère, assortie des nombreux scandales dont il était cause, remontèrent bientôt jusqu’aux oreilles des autorités ecclésiastiques qui furent contraintes de le destituer de sa dignité d’higoumène. Lui, cependant, réussit à prévenir un scandale public. Prétextant la maladie, il renonça de lui-même à sa charge. Il ne put néanmoins pas demeurer au Monastère, tant était grande la haine que les frères avaient conçue contre lui.
   Il ne s’était guère passé de temps depuis sa démission que le père Tobie commençait d’éprouver du remords. Par deux fois déjà, il était venu dans sa cellule rendre visite à Zacharie, implorant son pardon avec des larmes. Il s’était fait en lui un changement si profond qu’il s’inquiétait du moment où l’on ferait Prêtre un être tel que Zacharie, en qui surabondait la Grâce – alors que, naguère, higoumène, il n’avait jamais accepté de célébrer la liturgie avec ce frère, objet de toute sa haine. Plus tard, par les prières du bienheureux Zacharie, le père Tobie fut rendu digne de recevoir le grand schème angélique des Moines et de quitter justifié ce monde de vanité.

   Martyr, toutefois, Zacharie ne l’était pas du seul fait des moines. Lui, si maladif, dont le corps était si faible, pour avoir tant souffert, s’épuisait encore au travail d’une façon qui passe l’imagination. Longtemps il avait assumé la diaconie harassante de boulanger, pétrissant chaque jour plus de deux mille pains et se laissant la nuit, à bout de forces, tomber sur un banc, pour y dormir deux petites heures dans le fournil.
   Une autre fois, Zacharie s’était vu assigner la diaconie de « veilleur de reliques ». Elle consistait à se tenir auprès de la châsse où reposait Saint Serge, pour veiller sur ses reliques, proposées à la vénération des Fidèles. Et il se tenait là, un jour, debout, à quelque distance du reliquaire, lorsqu’il vit s’approcher un jeune homme dont, sans le vouloir, il entendit la demande : «  Ô Père Serge, mon ami, je voudrais tant t’imiter ! Je t’en prie, apprends-moi à marcher sur tes pas. » Telle était la supplique de celui qui, plus tard, allait devenir le grand Saint Jean de Cronstadt, dont Saint Serge avait entendu la Prière.
   Quant à Zacharie, il était, par la suite, passé successivement par toutes les diaconies du Monastère, depuis le service du réfectoire jusqu’à la tâche de maître cirier, pour fournir en cierges cette église que d’autres fois il avait la charge d’entretenir, tout comme on l’employait aussi à nettoyer les cellules des Anciens. Si bien qu’à la veille de devenir Moine petit schème – c’est-à-dire du petit habit-Zacharie n’avait pas assumé moins de vingt diaconies ! Pourtant, tandis que le bienheureux peinait ainsi en serviteur diligent et zélé de son Christ, s’acquittant de son travail avec un soin et une application jamais pris en défaut, mais surtout avec une abnégation exemplaire, il ne s’en attirait que davantage la haine et la jalousie des autres frères.
   Notre Seigneur et Sa Toute Pure Mère cependant, loin de détourner leurs regards de toute cette peine que prenait pour eux leur très éprouvé serviteur, loin de dédaigner ces luttes qu’il soutenait pour eux, le consolaient toujours, de diverses manières, par des visions et des rêves qu’Ils lui envoyaient. C’est ainsi que, d’une façon merveilleuse, tout comme Saint Serge cinq siècles auparavant, le bienheureux Zacharie fut jugé digne d’une Apparition divine.
   Deux mystérieux pèlerine vinrent à lui, et son Cœur, tandis qu’il les accueillait dans sa cellule, était tout brûlant de la Grâce du Saint Esprit. Alors ils lui prophétisèrent le nom qui lui serait donné à l’heure de son Monachisme, lui révélant même les plus grands évènements dont sa vie à venir lui déroulerait le cours. Une seconde fois, tous  deux ensemble, ils revinrent ; puis, la troisième fois, tandis que Zacharie se tenait dans sa cellule avec un autre frère, le plus jeune apparut seul, se manifestant à leurs yeux éblouis dans une Gloire indicible.


                                                                                           ***

   Cependant, Zacharie avait reçu, avec le nom de Zosime, l’habit de rasophore – premier degré du Monachisme-. Puis, un an plus tard, il était devenu Moine petit schème. Tous, durant ce temps, continuaient contre lui leur persécution. Alors, de façon inopinée, en dépit de tous les obstacles – parce que, comme Zacharie le révéla plus tard à un vertueux Ancien, la Reine des Cieux l’avait ainsi voulu- il advint que le bienheureux fût enfin ordonné Diacre et Prêtre des mains de l’Evêque Tryphon. Ce dernier le tenait, lui, en si particulière estime, qu’il n’hésita pas à lui confier la tâche de Père Spirituel.
   De cette diaconie de Confesseur, le bienheureux s’acquitta à la perfection. Plein d’une grande piété, sans hâte, avec la patience qui lui était coutumière, il prenait le temps, dans ses entrailles compatissantes, d’écouter résonner la voix de celui qui avouait ses péchés. Puis, avec son infini amour, il dispensait ses saints conseils auxquels les pécheurs, qui avaient été blessés par les traits aigus du Malin, trouvaient un grand soulagement et un grand profit spirituel. Aussi voyait-on sa cellule devenue, pour les pauvres, un asile, et, pour les affligés, un havre de consolation.
   Les moines avaient beau faire pour l’entraver dans sa tâche, ils ne purent plus rien contre le bienheureux, car la Mère de Dieu Toute Sainte était avec lui : Elle lui était apparue en rêve, le bénissant pour qu’il accueillît le peuple de Dieu souffrant, ce peuple qui suppliait qu’on vînt le réconforter et l’affermir.
   Ainsi donc, le bienheureux Père Zosime – qui bientôt recevrait pour la seconde fois le nom de Zacharie- avait reçu de Dieu ce grand Don charismatique du « startsevo », cette mission de Starets, d’Ancien ou de Géronda, qui ne revient qu’aux Saints  Anciens. Lui aussi en vérité, semblable au vrai Starets qui ne s’apparente en rien au » directeur de conscience » ou au « confesseur » au sens sacramentel du terme, était après eux ce que certains nommeraient un « charismatique », mais que l’on appelle plus justement un « Père théophore », qui, pour avoir reçu de l’Esprit Saint son charisme a été jugé digne au Ciel de porter Dieu en lui. Car tels sont nos théophores, nos véritables Anciens, ceux qui pour l’avoir voulu de toutes leurs forces et avoir été couronnés en vérité et non d’apparence, se sont rendus très semblables au Christ, jusqu’à prendre toute sa ressemblance – tels sont aussi nos Pasteurs et nos Bergers, auxquels il a fallu, avant d’aller aux pâturages de Dieu mener paître les âmes, purifier la leur jusqu’au tréfonds de l’être et parcourir jusqu’au bout la route qu’ils exhortent maintenant les autres d’emprunter, et au terme de laquelle s’acquiert au plus haut point le discernement de l’esprit.
   Et tandis que Zacharie se donnait ainsi tout entier au peuple de Dieu, les moines, eux, bien loin de sentir l’approche du grand danger qui menaçait et qui s’achèverait sous peu par la fermeture des portes de leur Monastère – par décret du régime encore nouveau des communistes- eux donc, s’enfonçaient chaque jour davantage dans leur indifférence et dans leurs chutes, toute la communauté baignant dans un profond climat de décadence spirituelle. A les voir vivre ainsi, le Père Zosime, amèrement, pleurait. Or, un jour où tous étaient réunis à l’église pour y célébrer une grande fête, il vit la Reine des Cieux avec quatre Martyrs franchissant les Portes Royales. Un peu de temps, elle était restée là, debout, regardant les moines assemblés dans l’église. Puis, désignant d’un geste Zosime le bienheureux et, avec lui, trois autres frères, elle s’était attristée : «  Ah ! » soupirait-elle, des moines, ici, il y en a quatre, mais, en dehors d’eux, point ». Ensuite, retournant dans le sanctuaire, elle avait disparu.

                                                                                       ***

   Après quoi, était venue la révolution de 1917, et avec elle, la victoire du parti révolutionnaire. Voulant fermer les portes du Monastère, le nouveau régime en avait déjà chassé tous les moines.
   Dans ces lieux déserts et désolés de la Laure Saint-Serge, qui naguère encore jouissaient d’un renom éclatant, seul demeurait Zosime, unique témoin d’une piété glorieuse, attendant qu’on vînt à son tour le chasser. Jusqu’au dernier instant Zosime, le dernier de tous ses frères, mais le premier en Gloire devant Dieu, dont il était le plus pur et le plus authentique serviteur, Zosime priait et pleurait, suppliant Saint Serge de pardonner à ses frères égarés et de les secourir aujourd’hui qu’ils étaient çà et là, disséminés au hasard des maisons de la ville. Et avec feu, il priait le Seigneur de rouvrir un jour les portes de son Monastère, et de rendre aux Moines et aux laïcs ce port de leur Salut. De fait, quelque temps plus tard – en 1945- le Monastère fut rouvert aux Moines, et il l’est encore, jusqu’à aujourd’hui.
   Mais en ce jour de 1917 qui voyait l’exil du dernier Moine de la Laure, le Saint Géronda quittait avec tristesse ces parages aimés, qu’il avait élus pour être ceux de sa pénitence. De là il rejoignit à Moscou la maison d’une de ses filles spirituelles, qui lui offrit l’hospitalité. Il y avait même dans la cour attenante une petite chapelle où, de temps à autre, il célébrait. Sa renommée, partant de là, se répandit bientôt. A Son Saint qui avait tant souffert pour Lui, Dieu, pour prix de sa longanimité, accordait maintenant les charismes excellents du Très Saint Esprit. Et, de toute part, le peuple de Dieu venait chercher auprès de lui la consolation de ses peines et l’issue de ses tribulations. Car la simple vue du Starets menait au repentir, et tous s’émerveillaient de le voir ainsi chasser les démons, prédire l’avenir, lire dans les cœurs et faire des miracles.
   Le Saint, lui, durant ce temps, fondait comme la cire, épuisé par ses maladies. Il lui fallait user d’une grande violence sur son corps exténué de tant de mortifications, pour réussir seulement à recevoir toute cette foule de Fidèles. Et pourtant, lorsqu’ils étaient devant lui, ces êtres désemparés, il se faisait pour eux comme un tendre père qui, pour secourir ses enfants, oublie ses propres souffrances. Vers la fin cependant, ressentant davantage encore le besoin de l’hésychia, le Saint s’était retiré à la campagne pour y jouir d’une plus grande solitude. La nature faisait ses délices. Il se promenait dans la forêt pour y élever son cœur vers le Seigneur.
   Or, un nouveau Martyre l’attendait, venant s’ajouter à tous ceux qu’il avait déjà passés. C’était la police secrète qui maintenant le persécutait, organisant sans cesse de nouvelles perquisitions, cherchant chaque jour contre lui de nouveaux chefs d’accusation, dans l’espoir de l’arrêter et de mettre ainsi un terme à sa prétendue « propagande ». Car son apostolat, s’il plaisait à Dieu, suscitait la haine du Malin. Comme il était déjà gravement malade, et que le temps de sa dormition approchait, la police fit encercler la maison, interdisant à quiconque d’approcher le Starets.
   Vers cette époque, peu avant que le Seigneur ne le rappelât à Lui, le Père Zosime fit un pèlerinage à Sarov, pour y vénérer les lieux bénis où avait lutté Saint Séraphim. Il alla aussi à la fontaine miraculeuse du Saint. Là, comme dans une nouvelle piscine de Siloam, descendaient les infirmes et les malades, et ils étaient guéris. Mais lorsque vint son tour, il hésita un instant à l’idée que son corps souffreteux ne pourrait endurer le contact d’une eau glacée. Alors, il eut un léger soupir, et d’un ton suppliant murmura : «  Séraphim, mon Père, tu sais comme je suis vieux et malade. Aussi, je t’en supplie, viens à mon aide et réchauffe un peu cette eau pour que je puisse y entrer. » A peine eut- il dit ces mots que le grand Saint de Dieu fit pour lui son miracle. Le Starets entra dans la piscine et vit que l’eau était presque brûlante ! Ce miracle de la miséricorde de Dieu et de son grand Thaumaturge Séraphim, bouleversa tellement Zacharie que jamais, jusqu’à la mort, il ne put l’oublier. Et, se le remémorant sans cesse, il rendait grâces à Saint Séraphim.

                                                                                            ***

   Dieu avait averti le Starets de l’heure où il quitterait ce monde de vanité. Et lui, qui se voyait rivé au lit par la maladie, jusqu’à la fin, attendait avec joie le moment de sortir de cette vie. Mais surtout, il se consumait dans l’attente du grand instant où il se présenterait enfin devant son Seigneur tant désiré, le Maître des vivants et des morts. Aussi, étant à l’agonie, il se lisait à lui-même « l’office des agonisants » et psalmodiait d’une voix éteinte le Canon de la Résurrection. Toutefois, alors même qu’il était si près de mourir, un évènement extraordinaire émut à ce point la compassion de notre Sauveur miséricordieux que la vie du Starets fut prolongée de deux années encore !
   Car voici que sur son lit de douleur, le Starets entendit en lui une voix lui dire que l’Evêque Tryphon – celui qui l’avait ordonné – avait sur-le-champ besoin de son secours et qu’il demandait instamment à le voir. Alors aussitôt, prenant son chapelet, Zacharie le mit à son oreille et, devant son hôtesse stupéfaite, il s’écria : « Seigneur, fais, je t’en supplie, que ce chapelet devienne un téléphone ! » Et, enchaînant aussitôt : « Tryphon, mon ami ! » s’exclama-t-il, « viens vite ! J’allais quitter ce monde, mais j’apprends que tu as besoin de moi. Viens vite, que nous parlions ensemble. » Ensuite, il ne se passa guère de temps : l’Evêque Tryphon arriva. Les deux amis s’embrassèrent tendrement. L’Evêque forma des vœux pour la santé du Starets. « Que Dieu te prête vie, Père Zosime ! J’ai tellement besoin de toi : il faut que tes Prières viennent secourir mon Ame quand le temps sera venu pour elle de passer les redoutables péages du Ciel ! Et maintenant, je t’en prie, lève-toi, que je te confesse mes péchés ! » « Ah ! Mon Evêque bien-aimé », murmura le Starets exténué, « vois, je ne puis même pas soulever ma tête de cet oreiller…je ne peux pas. » « Lève-toi, » insista le pieux Evêque, « lève-toi, l’obéissance te le commande !... » Alors, au prix de mille difficultés, le Starets se leva et confessa son bien-aimé visiteur. Puis, de nouveau, il étendit son corps brisé. De ce moment-là, son état ne fit qu’empirer.
   Bouleversé à cette vue, et très alarmé, Tryphon repartit pour l’église de l’Ascension, sa paroisse. Lorsque, la liturgie achevée, il monta comme de coutume sur l’ambon pour prêcher, ce fut pour parler de son très cher ami : « Frères », implorait-il, « prions, je vous en supplie, pour l’Ancien Zosime qui est fort malade. Et s’il en est parmi vous qui ne le connaissent pas, je vous dirai quelle sorte d’homme il est : Lorsque j’étais jeune archimandrite à Pétrograd, j’en étais venu à un tel point de désespoir que j’étais sur le point de renier le sacerdoce pour vivre une vie selon le monde. Je me trouvais donc aux prises avec cette terrible épreuve lorsque l’on me suggéra d’aller voir un Moine qui avait été depuis peu chassé du Monastère de Saint-Serge, et dont les conseils, disait-on, m’éclaireraient certainement. C’est ainsi que j’allai voir le Père Zosime. Il consacra une nuit entière à examiner avec moi la cause d’un si profond abattement. Et, au matin,  toutes mes pensées et mes sentiments étaient changés de fond en comble. Si donc aujourd’hui vous voyez devant vous le Métropolite Tryphon, ce vieillard indigne, c’est bien à l’Ancien Zosime que vous le devez. »
   Tous alors s’agenouillèrent et l’on fit un office d’intercession pour la santé du grand Starets. Et le Seigneur tout compatissant entendit la brûlante supplique des Fidèles. Le Saint, tout-à-coup, recouvra des forces. Et lorsque l’on vint lui dire que l’Evêque avait fait faire pour lui une paraclèse : « Oui, » fit le Starets en souriant, « oui, je sais…C’est mon Tryphon « de cire » qui a fait ce miracle. » Il appelait ainsi son ami, sachant bien que, comme la cire se fond très vite à la flamme, Tryphon, lui aussi, quitterait bientôt cette vie.
   De fait, l’Evêque, peu de temps après, tomba gravement malade. Alors le Starets, avec un bouleversant amour, fit pour lui monter vers Dieu ses prières. Et lorsque Tryphon s’endormit, on le vit avec un amour plus ardent encore, supplier Dieu pour son Ame. Et si l’un ou l’autre de ses enfants spirituels venait le voir, il recommandait avec feu à ses prières l’ami défunt.
   Quelque temps plus tard, l’on enterra Tryphon. Ce fut un ensevelissement sans une fleur parce que le bienheureux l’avait voulu ainsi. Mais en place des fleurs, tout autour de la tombe, la foule des fidèles se pressait, les yeux brouillés de larmes. Et cette terre du cimetière qui recevait maintenant le corps du pieux Tryphon pour son dernier repos serait la même qui, un peu plus tard, recevrait aussi en son sein le Starets, l’ami bien-aimé.

                                                                               ***

   Déjà pointait l’aube de l’été 1936. Elle arrivait enfin l’heure où le Saint Ancien laisserait à jamais cette vallée de pleurs et de larmes pour s’en aller goûter au repos éternel dans le sein d’Abraham. Mais ici encore, tout comme il est rappelé aux Livres Synaxaires des Vies des Saints de notre Eglise Orthodoxe, une foule d’événements surnaturels et merveilleux devaient signaler, après les premiers, les derniers instants de sa Vie.
   Le bienheureux Zacharie était maintenant au plus mal et le moment n’était pas loin où le Seigneur viendrait prendre son Ame. C’est alors que lui rendit visite une de ses filles spirituelles. N’ayant nullement conscience de l’état désespéré où se trouvait le Starets, elle le pria de venir chez elle. Lui, sur son visage plein de larmes, esquissa un sourire : « Sois sans inquiétude », lui dit-il, « encore un peu de temps et je passerai devant chez toi, et tu sortiras pour m’accompagner jusqu’à ma maison. » Mais la jeune fille ne comprit pas ce que lui disait son Ancien : « Qui m’avertira, mon Père, de ton passage devant chez moi, pour que je puisse sortir à temps et venir au-devant de toi afin de prendre ta bénédiction ? Et qui donc te mènera jusque chez moi ? » « A cette heure-là », répondit le Starets, « tu comprendras, Dieu t’avertira. » Quelques jours plus tard, tandis que la jeune fille vaquait chez elle aux soins du ménage, les effluves d’un Parfum Céleste emplirent soudain la maison. On eût dit, à le sentir embaumer ainsi, qu’il s’exhalait de mille fleurs ensemble ; Surprise, elle s’approcha de la fenêtre et vit dans la rue un convoi funèbre. Elle se hâta de descendre et demanda quelle était cette personne que l’on allait inhumer ainsi. On lui dit que c’était le Moine Zacharie. Alors elle se rappela les paroles du Géronda. Elle comprenait maintenant que son Ancien ne l’avait pas oubliée et qu’il lui envoyait ce Parfum admirable en guise de dernier adieu. Bouleversée jusqu’au fond d’elle-même, le visage tout ruisselant de larmes, elle suivit jusqu’à sa dernière demeure son bien-aimé Starets.
   Car, depuis la visite qu’elle lui avait faite, et très peu de temps après que, des mains d’un hiérarque de l’Eglise cachée des Catacombes – qu’il reconnaissait désormais pour seule Eglise de Russie – il eut reçu dans le plus grand secret le Grand Schème angélique et le nom de Zacharie, le Saint Géronda s’était doucement endormi dans le Seigneur. Ce jour-là, le 2 (15) juillet 1936, était celui où l’Eglise en liesse célèbre la déposition aux Blachernes de la robe de la Toute Sainte : le bienheureux Starets s’en allait pour la fête de la Mère de Dieu sa Reine, dont, toute sa Vie, il avait été le fervent et fidèle serviteur.

                                                                                   ***

   A la même époque, une de ses filles spirituelles – celle à qui l’on doit ce récit de la Vie merveilleuse du bienheureux- avait quitté Moscou pour la lointaine Poltava, afin d’assister une malade. A peine y parvenait-elle, qu’elle reçut de la capitale une lettre, où elle apprenait que le très vénérable Starets, l’Archimandrite, le Grand Schème Zacharie, si aimé de tous, s’en était allé dans les tentes célestes goûter dans la Joie à la Gloire des Justes. La douleur de sa fille fut indescriptible. Elle pleurait plus encore à penser qu’elle n’avait pu, aux derniers instants de sa Vie, se tenir auprès de son Père Saint. Dans cette disposition de l’Ame, elle se mit à lire le Psautier. Or voici que la porte s’ouvrit tout-à-coup, laissant entrer le Père Zacharie revêtu de ses ornements et portant son étole. Doucement, il s’approcha et posa sur elle un long regard que noyait un tendre amour. Elle, oubliant sa peine, se mit à contempler le visage de son Père bien-aimé. Et elle se sentait un cœur contrit mais tout illuminé comme de la Joie du Ressuscité. « Qu’est cela ? » lui dit-il alors. « Et pourquoi  te tourmenter ainsi ? Ne te rappelles-tu pas ce que je t’ai dit de la tristesse ? Allons, viens que je te lise la prière d’absolution. » Et en disant ces mots, il lui mit l’étole sur la terre, et lui lut la prière. « Tu vois », dit-il enfin, ne t’inquiète plus de ce que tu n’étais pas là pour me dire le dernier adieu. Non, cela n’était pas nécessaire, puisque je suis toujours avec toi… » Et il disparut à ses yeux…

                                                                           III.

                                                    QUELQUES MIRACLES DU BIENHEUREUX.

   Des innombrables miracles qu’accomplit Zacharie, le Starets théophore, il n’est rapporté ici que quelques-uns, mais qui tous également témoignent de la grande assurance dont jouissait Zacharie devant notre Sauveur, qui lui avait donné pouvoir jusque sur la nature humaine et sur les éléments mêmes qui déterminent le temps de la vie et de la mort.
   C’est ainsi qu’au temps où il demeurait encore au Monastère de Saint-Serge et qu’il passait en ce lieu béni par bien des tourments et des épreuves, l’higoumène l’envoya visiter le Père Agathon qui menait l’Ascèse dans un petit Ermitage situé non loin de là. Le Père Zosime – c’était alors le nom du bienheureux- crut bon de s’y rendre en coupant au plus court. Il fallait pour cela passer par un lac qui se trouvait gelé. Se signant, il commença d’avancer sur la glace. Mais celle-ci tout-à-coup se rompit, le laissant enfoncer dans l’eau glaciale. Lui, gardant ses esprits, serra seulement plus fort contre lui les Saintes Icônes qu’il portait toujours sur son Cœur et redoubla de ferveur dans sa Prière. Et voici qu’il marchait sur les eaux !
   « Père Zosime ! » s’écria stupéfait un diacre qui, de loin, avait vu le miracle, est-ce que tu te mettrais à faire aussi des miracles ? »  « Pardonne-moi », fit humblement le Saint. Et avec sa simplicité coutumière, il ajouta : « Je croyais l’eau gelée, mais elle avait fondu par endroits. Grâce à Dieu, j’avais sur moi les vénérables Icônes des Saints Zosime et Sabbas, avec une prosphore de pain de notre Toute Sainte ! C’est ainsi que notre Christ m’a sauvé… »
   Le Starets avait aussi pour fille spirituelle la mère de famille des Rescetnikov. Celle-ci vint un jour supplier l’Ancien de faire quelque chose pour son fils Paul. Toute en larmes, le cœur brisé, elle lui conta sn drame : « Père Saint », disait-elle dans ses sanglots, « il a chuté, et la chute est complète. Ni il ne craint Dieu, ni il ne va pas à l’église, ni il ne respecte ses parents qu’il insulte. Il fume, il s’enivre, il gît au fond du bourbier des passions charnelles. J’ai beau tenter de le mettre en garde, il n’écoute pas et se moque de moi. Je n’en dors pas la nuit et mes yeux ne tarissent plus de larmes. Et pour couronner le tout, il va maintenant jusqu’à tenir des propos orduriers et il blasphème… » Le Saint lui témoigna beaucoup de compassion et elle repartit consolée, réconfortée par ses conseils. Mais Paul n’en continua pas moins sa vie dissipée. Sa mère se consumait de désespoir.
   Le Starets, lui, sans se lasser, réitérait ses Prières au Seigneur et à la Toute Sainte, les suppliant d’inspirer à Paul le repentir. Alors, à la fin, le Seigneur éclaira son Saint, lui révélant que Paul ne pourrait être sauvé que si lui, le Géronda, fixait une date pour la mort du jeune homme, un jour prochain. Le Saint pourtant, dont les entrailles s’affligeaient pour la malheureuse mère, supplia Dieu de lui indiquer un autre moyen de corriger le malheureux. Mais du Ciel, la réponse, inexorablement, restait la même. Il dut donc se résoudre à manifester à la mère la volonté de Dieu. Elle, tout d’abord, ne put accepter ; mais lorsqu’au bout de quelque temps, elle vit que son fils s’enfonçait toujours plus dans sa vie de débauche, il lui fallut bien se soumettre. Elle vint donc prier le Saint de marquer une date pour la mort de Paul. Le Starets alors fixa son départ, jour pour jour, à l’année suivante.
   Ainsi, durant près d’un an encore, le jeune homme, toujours florissant et bon vivant, continua de vivre dans le péché. Mais quand approcha le terme que Dieu et Son Saint avaient fixé pour sa vie, le typhus soudain se déclara, et il tomba si gravement malade qu’il dut aussitôt s’aliter. Son cœur alors s’adoucit tout-à-coup, et Paul, peu à peu, se repentit. Bientôt il se confessa, communia, implora le pardon de tous et, paisiblement, passa dans l’éternité. Et sa mère, qui allait chez le Starets lui annoncer que son fils, justifié, s’était endormi,le trouva chez lui, chantant le « Trisaghion » - le « Trois fois Saint » pour l’âme de son Paul !
   Une autre fois, comme le Starets se promenait dans les bois avec quelques-uns de ses enfants spirituels, il leur dit tout-à-coup : « Comme ce serait beau de trouver des champignons blancs ! Pourtant aujourd’hui, sans que l’on sache pourquoi, il n’y en a pas un seul…Mais prions le Seigneur de nous en envoyer douze avec, au milieu, un plus gros qui soit aussi le plus beau, pour symboliser Notre Sauveur avec Ses Apôtres ! » Il dit cela et, tout en marchant, il commença sa Prière. Comme son visage parut changé alors ! Il semblait éclairé d’une Lumière céleste. Et, près d’une demi-heure plus tard, ses enfants stupéfaits se trouvèrent devant un grand champignon blanc d’une extraordinaire beauté, autour duquel se pressaient douze autres plus petits ! L’Ancien les regarda, sourit, et dit : « Pardonne-nous, Seigneur, de ce que nous t’avons prié comme des enfants ! Mais, Toi, dont les entrailles sont si compatissantes, Tu  nous consoles même avec des choses d’enfant ! »

                                                                                  ***

   Le Saint fut un jour appelé dans un Monastère pour participer à une litie – office d’intercession assorti d’une procession – que l’on adressait à Dieu pour Le supplier de mettre fin à la sécheresse. Or, tandis que les Fidèles marchaient en  procession, de gros nuages menaçants s’amoncelèrent sur leurs têtes, si bien que, craignant d’être trempés, ils furent tentés d’écourter les prières, qui étaient très longues, pour disperser plus vite la procession. « Non, non », leur dit alors le Starets. Ne vous dépêchez pas… Finissons d’abord et, dès que nous aurons achevé, il pleuvra… » La prière s’acheva donc, et l’’on regagna l’église. Alors, du narthex, le Saint éleva vers la voûte sa main bénie et dit : « Eh bien, soit ! Tu peux tomber à présent ». A l’instant, des trombes de pluie s’abattirent.

                                                                              IV.

                                                      AUTRES BELLES FIGURES DE SAINTS.

   Au temps où le bienheureux demeurait au Monastère béni de Saint-Serge, et malgré toute l’indigence spirituelle qui s’y faisait alors sentir, l’on comptait encore, outre sa merveilleuse figure, d’autres frères – hélas, peu nombreux-, eux aussi personnages admirables, auprès desquelles, parce qu’ils avaient comme lui reçu le Saint Esprit, le bienheureux puisait une immense consolation.
   Au nombre de ces êtres très spirituels était le hiéromoine Irénée, auquel Dieu révéla à l’avance le moment  de sa mort. Aussi, lorsque ce fut le temps, il alla à la cellule du Saint pour l’en avertir : « Père Zosime », lui dit-il, « mon bien-aimé…Je suis venu te faire mes adieux et me confesser à toi. Car je dois mourir demain, après l’heure de la communion. Oui, d’abord je communierai, et aussitôt après, je mourrai… » Le Saint se récria de stupeur, mais le Père Irénée insista : «  C’est la vérité que je dis, je dois mourir demain. Toi, au contraire, tu vivras, et tu seras le guide spirituel et la consolation des pécheurs, des affligés, des orphelins, des pauvres et de tant d’autres encore ! Car telle est la vocation à laquelle t’appelle la Reine des Cieux. » Puis, ayant fait devant Dieu une bouleversante confession, le Père Irénée serra sur son Cœur l’ami qu’il chérissait.
   Durant tout le temps de ses adieux, pourtant, pas un instant le Père Zosime n’avait sérieusement cru que le lendemain verrait la dormition du bienheureux Irénée. Aussi, le matin suivant, lorsqu’il vint à passer devant la cellule de son ami, il dit au novice qui le servait : « Je t’en prie, frère, salue pour moi le Père Irénée ! » Alors le frère, avec douleur soupira : «  Et comment le pourrais-je, puisqu’il a quitté ce monde…Il a communié, puis, tandis que j’allais préparer le thé, il a regagné sa cellule. A mon retour, il était allongé là, sur son lit, les mains croisées sur la poitrine ! »…Car en vérité, comme le Seigneur le lui avait manifesté, et à l’heure dite, le Père Irénée s’était endormi, laissant ce monde de vanité.

                                                                                 ***

    Au Monastère, Zosime avait encore eu pour ami le bienheureux Nicolas. C’était un ancien soldat qui, pour s’être ruiné la santé en campagnes, avait dû ensuite demeurer couché pendant plus de quarante ans. Comme il n’avait pas dans le monde de parents proches pour se soucier de lui, on l’avait pris au Monastère.
   Là, parce qu’il avait, longanime, porté la lourde croix de la maladie, souffrant avec une infinie patience, et persévérant dans la prière en toute humilité, le Seigneur l’avait enrichi des charismes du Saint Esprit. Aussi prophétisa-t-il, dix ans avant la Révolution de 1917, que le Tsar Nicolas serait détrôné et chassé, le Monastère fermé et les moines disséminés en ville, dans les maisons des Fidèles. A son ami Zosime, Nicolas prédit aussi tout ce qui par la suite devait lui arriver.
   Le bienheureux Nicolas était encore un thaumaturge extraordinaire. Ce fut lui qui guérit la sœur du Saint Starets, Maria, qui, depuis dix ans déjà, était aveugle. Voici comment : lorsqu’il eut prié pour elle, il lui demanda de se faire sur les yeux une onction avec l’huile de la veilleuse, qui brûlait devant son iconostase. Et de fait, Maria recouvra la vue et vécut les dix années qui lui restaient à vivre en y voyant très clair.
   Un autre jour, le bienheureux Nicolas se trouvait dans sa cellule avec le Starets, quand survint un jeune visiteur arborant fièrement une belle toque de fourrure. Aussitôt, Nicolas se précipita sur lui et la lui arracha. «  Je ne te la rendrai pas, » s’écria-t-il, « elle ne t’appartient pas. La tienne est encore dans le train. » Et comme, à la fin, le Saint Géronda demandait des explications au jeune homme : « Il y avait », reconnut-il, « étendu sur une banquette du train, un homme ivre et, près de lui, sa toque, neuve. En descendant, je l’ai prise, laissant à la place la mienne qui était vieille. »
   Mais au bienheureux Nicolas arrivaient même de plus étonnants prodiges. La nuit, les Anges Saints venaient en chantant lui porter les Saints Mystères afin qu’il pût communier. Mais parce qu’ils avaient l’aspect de moines du  Monastère, et que celui qui marchait devant eux avait les traits de l’higoumène qui confessait le bienheureux, il ne comprenait pas que c’était là une Visitation ; et, plein de reconnaissance pour ses frères, il songeait en lui-même : »Quel amour ont pour moi l’higoumène et les frères ! Sans même attendre le jour, ils viennent la nuit consoler mon affliction ! » Et Nicolas qui, avec son humilité et sa simplicité ordinaires, regardait ce prodige comme l’évènement le plus naturel, ne s’était confié à personne du miracle.
   Or, le Starets apprit un jour de la bouche des moines que, depuis son entrée au Monastère – il y avait de cela bien des années- jamais le Hiéromoine n’avait communié. Il alla donc fort triste le voir dans sa cellule, s’offrant à le confesser et à lui donner la communion. Mais le bienheureux malade le remercia, disant : « Si tu savais quelle grande joie j’éprouve quand, lors des grandes fêtes, l’higoumène et les frères viennent me porter la communion ! » Et il lui expliqua comment à chaque fois se faisait cette venue. Alors, le Starets se tut, plein de confusion. Il comprenait que Nicolas, sans doute, avait de temps à autre des Visitations. Aussi, lorsque l’admirable Nicolas se fut endormi, il interrogea les moines et s’assura pleinement de l’étrange miracle.

                                                                                V.
                                 LA VENERATION DU STARETS POUR LA MERE DE DIEU.

   A notre Toute Sainte Mère, la Mère de Dieu, le Starets Zacharie, à l’exemple de Saint Séraphim et de tous les Saints de notre bienheureuse Orthodoxie, vouait une immense vénération, à la mesure de l’amour sans limites qu’il lui portait. Lui-même ne voyait à son enseignement d’autre fin que de léguer à ses enfants spirituels un peu de son brûlant amour pour la Vierge, sa Reine. Tel était, en effet, le fondement des préceptes qu’il leur donnait :
   « Ne commencez jamais rien, » leur disait-il, «  sans la bénédiction de la Reine des Cieux. Et lorsque vous avez fini, de nouveau rendez-lui grâce… »
   Pourchaque chose, demandez à la Reine des Cieux sa bénédiction, et notre Seigneur vous élèvera sur le premier degré de l’échelle de la Grâce : la reconnaissance de vos péchés… »
   « Je crois fermement, » disait-il encore pour leur édification, que si vous vous efforcez d’acqu érir une pleine conscience de la perpétuelle présence à vos côtés de Notre Seigneur et de la Reine des Cieux, et que tout en gardant à chaque instant ce sentiment très présent à l’esprit, vous vous efforciez de ne rien faire sans demander d’abord à la Mère de Dieu sa bénédiction, alors vous recevrez le charisme de la Prière incessante et, avec celui-ci, le désir d’accomplir tout ce qui plaît à notre Seigneur Jésus Christ… »
   « En l’âme de chacun de nous se réjouit le Christ, par l’intercession de la Mère de Dieu Très Sainte. Priez donc sa Mère Toute Pure, et vous serez avec son Fils… »

                                                                                 ***

   Le Saint Starets jugeait encore comme un devoir très nécessaire d’allumer les veilleuses qui brûlaient devant les Icônes de la Toute Sainte.
   Et s’il arrivait à quelqu’un de tomber malade, il insistait pour qu’on fît sur lui le signe de la Croix avec un peu d’huile prise à la veilleuse d’une icône miraculeuse de la Mère de Dieu.
   Enfin, il exhortait ses enfants spirituels à redire sans cesse la belle prière que garde notre Eglise :
                                             Salut, Mère de Dieu et Vierge,
                                                  Marie pleine de Grâces,
                                                Le Seigneur est avec toi.
                                              Tu es bénie entre toutes les femmes ;
                                              Le Fruit de tes entrailles est béni.
                                                       Car tu as enfanté
                                               Le Sauveur de nos âmes.

Et il se réjouissait au plus haut point s’il voyait quelqu’un réciter le « Canon de la Toute Sainte », tel qu’elle était en personne venue l’enseigner à Saint Séraphim de Sarov, et qui consiste à redire cent cinquante fois par jour cette même prière : «  Salut, Mère de Dieu et Vierge… »

                                                                          VI.
                                                  SON CHARISME DE CLAIRVOYANCE.

   Comment le charisme de clairvoyance, au degré si élevé où le possédait Zacharie, pourrait-il ne pas inspirer de crainte à ceux qui lisent le Vie du Starets ? Car dans le Cœur si parfaitement purifié du Saint était venue habiter la Grâce du Très Saint Esprit, abolissant toutes les limites du temps et de l’espace, et donnant au bienheureux connaissance du passé et de l’avenir, comme aussi de ce qui, au même instant survenait en un autre lieu ou dans le cœur de celui qui s’entretenait avec lui.
   C’est ainsi qu’un jour où il était à table avec ses enfants spirituels, on le vit se lever soudain, comme mû par une divine inspiration, et s’exclamer avec transport : « Ah ! Ma Pélagie !  …Comme elle se repent !...Comme elle me supplie de lui pardonner, et comme elle pleure avec contrition !...Allons, laissez là le repas et venez avec moi prier pour son âme ! » Il alla à l’iconostase lire une prière puis, en esprit, il bénit Pélagie. Et comme ses enfants lui demandaient où elle se trouvait en cet instant, il leur répondit qu’elle était au loin, dans le nord, mais qu’à son retour elle leur parlerait de l’évènement. Et de fait, lorsque six mois plus tard Pélagie revint, d’elle-même elle raconta quel profond repentir avait été le sien, et avec quelles larmes elle avait imploré le pardon de l’Ancien, au jour et à l’heure précis où le Starets en avait eu la révélation.
   Une autre fois, comme deux femmes se rendaient chez le Starets pour se confesser à lui, faisant route ensemble, l’une, à chaque instant, se représentait ses péchés et son cœur était à la pénitence, au point que, versant d’abondantes larmes, elle demandait pardon au Seigneur, tandis que l’autre , personne très superficielle, ne faisait que songer, avec une vanité frivole, à des futilités mondaines, s’inquiétant du vêtement qu’elle pourrait bien acheter à sa fille pour compléter sa garde-robe, des teintes dont elle l’assortirait, et d’autres bagatelles de même acabit. Or, lorsqu’elles arrivèrent à la cellule du Saint, à peine étaient-elles entrées que, sans leur laisser le temps de se confesser à lui, il dit à la première : « Agenouille-toi, ma fille, que je te dise la prière d’absolution ». « Mais, Père Saint », se récria-t-elle, je ne me suis pas encore confessée. » « Ce n’est pas utile, » répondit le Starets. Tu t’es confessée au Seigneur…Tout au long du chemin, tu t’es repentie. J’ai tout entendu…Maintenant, je vais te donner l’absolution, et demain tu communieras. » Puis, se tournant vers la seconde : « Toi, » lui dit-il, «  va faire tes emplettes et achète ce tissu dont tu rêves pour ta fille…Regarde bien au coloris surtout, et étudie la coupe. Et, quand tu seras sincèrement repentie, alors, reviens, et confesse-toi !... »

                                                                            ***

   Une vieille femme vint un jour visiter le Starets avec une parente à elle, toute jeune et resplendissante de santé. Tout-à-coup, le Saint se tourna vers la jeune fille : « Demain matin, » lui dit-il, « il faut que tu communies…Tout-à-l’heure, tu reviendras te confesser. Mais va d’abord frotter les marches de l’escalier. Je te dis cela, bien qu’elles soient presque propres, mais c’est pour qu’à chaque marche, tu te rappelles un de tes péchés et que, pour chacun, tu fasses pénitence…Puis, lorsque tu auras fini, alors, songe à la manière dont l’âme à la fin s’élève, et passe les redoutables péages du Ciel. »
   La jeune fille trouva bien cela un peu étrange, mais néanmoins elle obéit. La vieille, elle, émit quelques réserves, ennuyée de ce que sa parente communie sans s’être d’abord préparée par le jeûne. Mais le Saint apaisa ses scrupules. « Demain », lui dit-il, « tu comprendras. Reviens après la sainte liturgie et nous en reparlerons. » Lorsqu’elle eut fini ses escaliers, la jeune fille vint se confesser au Starets et recevoir sa bénédiction. Puis, le jour suivant, elle communia et, toute joyeuse, elle s’en retourna chez elle. Alors, comme elle s’était tranquillement assise sur une chaise, elle parut soudain s’endormir…Notre Seigneur avait pris son âme comme cela, d’une façon simple et paisible. Saisie d’une crainte respectueuse, sa vieille parente courut aussitôt chez le Saint pour lui faire part de ce qui était arrivé. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle le trouva récitant un « Trisaghion » pour l’âme de la jeune fille ! Et quand ce fut fini : « Pourquoi t’être inquiétée ? » lui dit-il. « J’ai su que notre Seigneur allait la prendre, et c’est pour cela que je lui ai permis de communier… »

                                                                               ***
   Deux étudiantes en théologie vinrent un jour à la cellule du Starets, désireuses de l’interroger sur de nombreux points qui les embarrassaient. Il y en avait même tant que, craignant d’en oublier, elles en avaient dressé la liste par écrit. Car la première avait plus de quinze questions, et la seconde n’en avait pas moins de quarante ! Mais, lorsqu’arrivées à la cellule, elles virent qu’il leur faudrait passer à la suite d’une grande foule de gens que le Starets avait à voir d’abord, qui avaient, plus qu’elles, besoin de conseils et de consolation, elles ne purent s’empêcher de marquer leur impatience.
   Alors, se tournant vers elles, le Starets les pria de prendre un papier et un crayon pour noter les solutions de  leurs questions. Et, sans même prendre le temps de les lire ni d’en écouter l’énoncé, il commença à dicter les réponses. Il les détailla au complet, reprenant dans l’ordre, une à une, les difficultés proposées.

                                                                                VII.
                                                        ACQUERIR LE SAINT ESPRIT.

   Fidèle à l’Ecriture et à la Tradition des Pères Hésychastes – et plus particulièrement à l’enseignement de Saint Séraphim de Sarov, qu’il avait en immense vénération -, le Starets Zacharie proclamait qu’il n’est d’autre but à la Vie Chrétienne que l’acquisition du Saint Esprit, de sorte que la nature humaine, illuminée et fortifiée par la Grâce du Divin Paraclet, Esprit Consolateur, s’acquitte envers le prochain de toutes ces belles œuvres que dicte l’Amour.      
   La Sainte Tradition de l’Orthodoxie n’enseigne-t-elle pas, en effet, que c’est au nom du Christ qu’il nous faut pratiquer les Vertus et que, par elles, peut dès lors s’acquérir le Très Saint Esprit ? Car c’est « le Fruit de l’Esprit » qui seul importe ; mais la Vertu sans l’Esprit ressemble aux vierges folles, qui possédaient bien ces lampes que sont les vertus, mais auxquelles manquait l’huile, qui est le Saint Esprit.
   La Prière, disait encore le Starets, a beaucoup de force, parce que c’est elle qui, plus qu’aucune autre Vertu, nous confère le Saint Esprit. Et sur ce point, le bienheureux se montrait très insistant, exhortant ses enfants spirituels à prier sans cesse, et à lutter avec force pour acquérir le Saint Esprit. « Quel homme est sage », aimait-il à dire, « sinon celui qui possède le Saint Esprit ? »

                                                                                      VIII.
                                                  SON ENSEIGNEMENT SUR LA PRIERE.

   Le Starets Zacharie était devenu tout Prière. Il n’était plus désormais dans sa Vie un seul instant où il ne fût, par sa Prière, en communion avec Dieu. Aussi, bien souvent, ses enfants spirituels lui demandaient –ils de les enseigner sur la Prière. Et quelle simplicité émanait alors de ses conseils, et quelle profondeur aussi !
   « Mes enfants », disait-il, « tâchez d’acquérir l’Esprit de la Prière incessante. Demandez-le sans vous lasser à la Mère de Dieu qui, sans jamais dormir, veille pour nous en prière… »
   « Sans Prière, l’homme ne vit pas, mais à chaque instant meurt un peu plus, même s’il n’en a pas conscience. »
   « Prenez donc l’habitude de ne rien commencer sans la Prière. »
   « La Prière est mère d’humilité et, sans humilité, il n’est point de Salut. »
   « A chacun de vos mouvements, tâchez à joindre la Prière. »
   « Ne dites pas vos prières à la hâte. La prière est la santé de l’Ame  comme elle est le profit du Cœur. »
   « Même s’il nous faut tenir des discours mondains, il convient que, dans nos Cœurs, nous gardions la Prière. »
   « Il ne faut pas que la prière devienne mécanique, ni qu’on la dise de façon impie, sans éprouver la crainte de Dieu, parce que cela constitue une offense à la Prière ».
   Et ce qui faisait parler ainsi le Saint Géronda, c’est qu’un jour, dans sa cellule, il avait tremblé, en voyant, debout devant les Saintes Icônes de son iconostase, un démon. Sa figure était celle d’un grotesque, et il s’occupait à lire le Psautier d’une façon toute décousue et incohérente. «  Que fais-tu là ? » gronda le Starets. « Moi ? » fit le démon. «  Je tourne la prière en dérision ! » et il disparut. C’est ainsi que se moquent de la Prière tous ceux qui la font à l’étourdie, d’une façon heurtée et décousue, sans garder sur elle toute leur attention, ni ressentir la crainte de Dieu en leur cœur.
               
                                                                         IX.
                                                       AUTRES ENSEIGNEMENTS.

   « Il convient que chacun sache discerner les rêves. Ceux qui viennent de Dieu donnent à l’âme paix et joie. Ils incitent le cœur au repentir, chassent les pensées orgueilleuses et éveillent l’homme à la lutte contre le péché. »
   « Faites chaque jour l’aumône », disait-il encore. « Le jour qui se passe sans aumône est perdu pour l’âme et pour l’éternité. Nos aumônes au contraire nous préparent à recevoir la Grâce du Saint Esprit. « Bienheureux les miséricordieux », est-il dit, « car ils obtiendront miséricorde. » Les aumônes ont tant de force devant Dieu que, jusque dans la gueule de l’Enfer, elles ont le pouvoir d’aller rechercher une âme. Car toujours devant le trône du Seigneur se tient l’Ange de cette Vertu, proclamant bien haut à la face de Dieu, quelles, en ce jour, ont été les aumônes, et quelles leurs aumôniers. »
   « Gardez toujours ce fait bien présent à la mémoire, qu’à chaque instant le seigneur vous regarde, examinant chacun de vos actes et de vos sentiments, comme aussi chacune de vos pensées. »
   « Il n’est pas d’ascèse plus haute que de supporter sans un murmure tout ce qui, dans cette vallée de larmes, peut nous advenir. Et celui qui jusqu’à la fin aura tout supporté, celui-là sera sauvé. »
   « Si, longanime, tu sais souffrir l’affliction sans murmurer, tel un Martyr, tu rends au Christ témoignage de ta fidélité envers Lui et, silencieusement, tu proclames ton attachement à ton Sauveur, lui chantant ton Amour pour Lui, le Ressuscité des morts qui, tous, nous appelle à ses côtés. »
   Il faut que chacun ait pour premier souci la pureté de son âme. Or seule est pure l’Ame qui toute entière a fait don d’elle-même à Dieu. Mais avant cela, il convient tout d’abord que l’âme ne mente pas ni ne se désespère, et ne se livre pas non plus à la méchanceté. »
   « De toutes nos forces, avec un Saint et profond Amour, il nous faut vouloir alléger le joug des autres et plus encore celui des infortunés qui sont dans la tribulation. Il nous faut aussi vouloir gagner à Dieu d’autres âmes, tout comme nous sommes nous-mêmes gagnés à Lui par notre pénitence incessante. Car c’est un Dieu d’Amour que notre Dieu. »
   « Nul ne possède le charisme du discernement des esprits, qui n’ait d’abord celui de la prière incessante. »
   « De toutes vos forces, fuyez le péché et, avec le secours de la Reine des Cieux combattez toutes les formes du Mal. Alors, plus vous approcherez notre Seigneur, plus au-dedans de vous s’ouvriront les yeux de l’humilité, et plus vous vous tiendrez en l’état d’un profond et perpétuel repentir. Et si, sans vous lasser, toujours vous redites la Prière du Cœur : «  Seigneur J »sus Christ, aie pitié de moi, » plus près encore vous serez de notre Seigneur qui bientôt vous donnera le céleste, le divin amour de tous vos frères, fussent-ils mêmes vos ennemis. »
   « Jamais en aucun cas ne laissez la tristesse vous gouverner. Le désespoir est le bourreau de nos âmes qui, en nous, met à mort l’énergie spirituelle, celle-là même dont nous avons tant besoin pour recevoir en nos Cœurs le Saint Esprit. Trop affligé, l’homme perd toute faculté de prière, et son être est tout entier mort à la lutte spirituelle. »
                                             
                                                A Celui qui peut nous préserver de toute chute
                                                      et nous faire paraître devant Sa Gloire
                                                        irréprochables et pleins d’allégresse,
                                                                  à Dieu seul, notre Sauveur,
                                                              par Jésus Christ notre Seigneur,
                                                                  soient la gloire, la majesté,
                                                                    la force et la puissance,
                                                                   dès avant tous les temps,
                                                                             et maintenant,
                                                                     et aux siècles des siècles !
                                                                                   Amen.

                                                                          (Epître de Jude, 24-25).

   Par les Prières de notre Père Zacharie, ton Saint, Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie pitié de nous !                        

                                                                              ***

jeudi 18 décembre 2014

Ballade des âmes. Le Paradis. Version corrigée.

CHANT  TROIS    

           

                                                                                   LE       PARADIS                                                                                                                                                          NOTRE DIEU EST AU CIEL,                                                                   IL FAIT TOUT CE QU’IL VEUT.                                                                                            Ps. 115, 3.        

                                                                                                                                                    A TOUS LES SAINTS DU CIEL DESDIE,                                                                     QUE PAR LEUR SAINTE PRIERE ILS NOUS PORTENT,                                                                                    QUI FAIT TOUT CE QU’ELLE VEUT.          

            Avez-vous vu, amants, avez-vous vu leurs Ames? Ils ont quitté rivage, aux grèves d’oriflammes, Folle de vie; en nef de mort, leur jour dérobent;   Poupe au Levant tournée, la rame en voile monte, Voile en manteau de prière, jusqu’où la mer Sur tous se referme; y ondulent ses escarpes;   Au palanquin des eaux, le sang n’est plus si rouge; Résédas, lyserons, shintz à son coeur, l’en ornent; A Noces d’or, Dieu ! grand' favorite l’on mène;   Qui L’aime, avec lui marche Dieu. Qui, au secret, Juste se fait, Christ de Ses eaux le lave, épure; Au Déluge, Esprit met l’arc-en-ciel en Nuée;   Las, en terre ont laissé ceux qui leur bonheur pur Partager n’eussent su, ni leur souffle en baiser, En haute mer mener, à l’horizon jointive;   Se pourraient-ils déjoindre, s’ils ne se discernent? De poussière d’étoiles une même nuit Désennuie mer et ciel; à leur reflet s’ajointent ;   Ton Ange les accompagne; ses voies sont sûres; Larmes, au rayon vert guidés, des anses saintes! En comète sacrée, marine a ciels limpides.   Alizés propices en tous sens y agite, Sous Tes Zéphyrs ils ondoient, ses bons Vents sont saufs; Si se profilent brisants, les changes d’amure;   En la mâture, as exhalé faveur d’Amour; Au rinceau de nos coeurs, coque en fusion ne plie; Au pays de l’Aimé  porte amants le vaisseau;   Sous Ta Lumière, ils font route; cinglent au large; La mer son tulle irise. Dieu! Quelle Beauté! L’ai-je donc rêvé? Non, ces Noces bien advinrent;   Toi! qui d’algues bleues nouas l’Ame aux  noeuds du voile! Dont franges aulx quatre coins de terre en mis, angles Où Ton fil, d’Azur Tu brodas, Gaze en turquoise,   Qu’en dais nuptial, sur la mariée, posas, Qu’au Palais de saphir, voile couvre d’Amour, Dont Tu nous borderas, quand serons en linceuls!   Lors, les vêt l’anneau d’épithalame, manteau Fleurdelisé de l’ancolie, près l’île heureuse D’Amour parfait; en nef d’Amour, les mène en Gloire;   Comme d’Occident en Orient vont les Astres, Amour, aux pourpris du Palais, mène les âmes; Et c’est à l’Orient qu’éclate Sa splendeur!   “Enamourée, joyeuseté, m’en vais périe; D’Amour ne suis laissée, ses débords m’emportèrent, Fors Sien baiser, à Ses lèvres retient mon âme”;   Au gré vont du rebond, des lames de haut-fonds; Or, si tôt départis, par voie des airs, relâchent; Aux avant-ports de Désirade est leur mouillage;   A leur chaîne s’amarre Liberté d’En-Haut; Y ondoie la lune; elle, oh! à leurs doigts s’effile, Qui leur semblait si loin, tout près, d’avoisinance;   Qui, de chaîne d’ancre jetée, au navie d’Ame Intérieure arrimé demeure, un jour parvient, Au plus profonds du coeur, au point d’inconnaissance;   A mi-cercle, de lune d’eau, en cycloïde Réflection, tourne Ta roue sans loi, parfaite, En lune du coeur, sans éclipse, dans son cercle;   Au visage nous regardes, d’un seul regard Tien, verses en l’Ame ennoblie, si vile n’est, Fleur de Sceau de Lumière, en cire d’estampille;   Amant du Christ, l’être à cire est fait le semblable, De Sceau Tien de Justice, en perle au monde, digne Receleur, de souffrance issu, qu’au front, Dieu Pose;   Ta Fiancée! ce Sceau, au coeur pris du Seigneur, Qui son coeur fit, et son Amour, plus fort que mort. Car, éteindre l’Amour, les grandes eaux ne peuvent;   Aux cerisiers où s’embrassaient les amants, Ce même temps pleurions, où vînmes complaignants; D’en l’amoureuse vie, pleurs en Toi nous transirent;   En fleurs son Ame, à la passion grandit cypres; Y a pleuré sa chair; y a pleuré sa mort. Aux cerisiers de Pâque, pleure joie de l’Ame;   Si tant sublime est l’amour qu’à la fiancée Porte le fiancé, que de plus haute Amour L’aime encore Dieu de belle Amour précieuse!   Tant qu’à Abraham, l’arrachement de l’épouse, A bu l’aimé ce qu’il lui en coûta de larmes; Enserrée sirène, en chambre gondolière!   Or nous, qui sous cette onde étions enterrée, Aux vanités de la terre y dormîmes-nous? De vains madrigaux aux notes renés qui s’aiment;   D’où cascades en mers, ouragans sur la grève, En rocailles s’ouvrent, aux grottes du connaître; Que s’y rie le jour, lui appartient la veille;   Comme en Ta nudité se cherche vérité, Par Tes berges en noyés nous laissons rouler, A fonds de barque étendus de la vie sous Toi;   En nous vit Christ; où nous ne voudrions nous mène; Nous fait paix jaillir; a joie, des vertus, l'arôme; Mais, au nard de myrrhe, en vertu, tous parfums entrent;   A la Face de l'Oint, par larmes s’en  épanchent; Ô joie nuptiale ! Myrmidons, n'en savez rien. L'Epoux mon coeur a pris. Du Sien promit l’aurore.   D'aimer à grand deuil, Lui, fait aimer à grand' joie. Sur Ses mains Il porte : c'est flèche d'ascension. En cet envol Il Presse; elle, à Son Sein, repose.   Ce qu’ell’ possède, fuit; plus haut, tous jours, désire. L’archer arme à gauche; de Sa droite l’étreint; A son côté, blessure elle porte d’Amour;   Pleure sa vie; jusqu’à mourir, en pleurera; A ce signe, Seigneur, les Tiens reconnaîtras; Et Ta paix leur donneras: ô blanche colombe!   Coucou de mon Amour! Ma Lumière, mon Air! Colombe, ô Justice! Ma Liberté d’Envol! Liberté : Grande Dame, qui, à l'aumônière,   Suspendit coeur du monde, esclaves d’attelage, Qu'au char de mort elle arrache - oeuvre de merci-. Obscènes empires, sans Gloire, elle piétine,   De ses pieds nus, que nul roi n'embrasse du monde Vaincu! Dieu de splendeur d’Amour te fait diadème, De cristal de larmes, de cristallin de Ciel!   Sa couronne est sagesse, qui donne allégresse; Colombe, son nom de Toi, Dieu de Tout, Esprit! De son Seigneur, Fiancée, la Dame d’Amour;   Ceignons de vie les couronnes! Demain, vois-tu, Nous Mourons, déjà! N’attendons d’en partager Roses rouges, d’en effeuiller partage au vent!   A vie noue ta vie, qui plus n’erre au songe-creux; Mort d’Amour plus ne s’offense. Amour l’a vaincue; D’Amour la mort est Vie; Sa senteur vit en myrrhe;   Qui? Douceur saura du vivre en rémission ? A nous qui sommes en sursis, ajournés ivres, Elle n’est qu’avant-part d’entre frères du Ciel;   L’on s’y fait joie des insoumises. Passion D’Amants ceint le thyrse, dont couronne est vertu; Amour s’en honore, comme maître d’ancille;   Dieu vêt l’Ame, Sa fiancée, en plénitude De Gloire, de Sa beauté sublime. Plus belle Qu’Aaron la fit, d’habits d’Amour d’or, de pourpre   Violine, d’un damasseur tissée d’écarlate. Loin que la fit périr à l’hyménée sa robe, Ains’, de jalouse Médée mise à sa rivale,   Pour qu’elle en chût morte, trépassées ses amours, Icelle, en Amour, dès là que portée, la hausse. Rosée du Fiancé ! Beau, plus que lune céleste,   Larmes d’Amour en tête; en sont pleines Ses boucles, Des gouttes de la nuit. Car c’est la nuit qu’Il vient, Par l’huis du coeur d’Ame qui son Amour Lui donne;   Suis allée voir en la nuit si m’Ami m’aimait; Par seule Amour, reçus en Toi celle fiance : Ton sang fut signe à la porte; Tu la rouvris;   Nous qui de mer n’avions vue que fente aux volets, En Prince changé, par l’huis du coeur, regardais; L’oculus heurtas. Qu’éblouit les yeux Ta vue!   Ah! Dieu! Te voici, ô mon Epoux, qui arrives! Bel Amant de mon âme indigne! Ô mon Sauveur, Je n’ai pas la robe, ni tunique des Noces!   Ô mon Dieu! Désonge-moi, du baiser d’Amour! Si longtemps! j’ai dormi...et c’est la onzième heure! A dos de Dieu m’emmène en palefroi montée!   S’était souillée mon âme, maculée, vêtant De fautes costumée tunique. A Vents rebrousse, De mer la déferlaient ceux qui Tes eaux ne craignent;   Mais Ta Divinité vêtis de moi, mantel De mon humanité vraie, que fût retirée De sa prison mon âme aux portes de la mort;   Ô mon Maître! moi qui dormais en nonchaloir, Quand ravit mes dépouilles, du mal le stratège. D’exil rappelle-moi, et de la servitude!   D’où répons me fis qu’à l’Ame éprise Te fiances, Pour, au clos d’elle, y établir Ta demeurance; Mis robe pour Lui plaire. Lui se vit Lumière;   Ô mon Aimé, donne-les moi, et m’en revêts! Rossignols, doux cytharèdes, à mon Seigneur Chantez! Qu’en Palais nuptial d’Âme, enfin, Il entre!   L'homme libre, s’il se veut saint, par Grâce, incline; Lors, le Christ-Roi, de tous les amants le plus doux, L'unique à toute épreuve fidèle, l’amante   Sienne, portant ses pas, partout, mène, accompagne, En enchanteur, de tous ses voeux puissant Servant. D'esclave amère, de souillarde, en fée de joie   Après sale Peau d’Ane, et, du Temps couleur lente, Pour qu'à robe de l'Ame, Il mette le Soleil, Qu'au bal des Astres, Cendrillon, son Prince mène;   La Change. Et, sur sa nuque, Son Souffle très Saint, Pour qu'en son sein béni, se pût porter le monde, Jour après jour, à tout instant d'heure, Il inspire;   Si pudiques étaient nos Pères! Abraham Vit la terre promise, Israël, puis l’Egypte, Avant qu’il n’eût bien Sarah regardée, sa femme,   De si longtemps son accordée. Aux eaux d’Egypte, Son voile ôté mit son reflet. “Aimée”, dit-il, “Je te sais à présent de Chaldée la plus belle.”   En voit plus une servante, aux hautes époques, Qu’un Prophète. A Abraham dit l’Eternel : “Fais Ce que dit Sarah.” - Génération de Désert. -   Pour ce jourd'Hui que si peu savent, Dieu Sa Grâce Moins malaisément donne, aux pécheurs aises même, Rien, qu’au coeur d’Amour vrai probe, ne regarde autre;   Ô Dieu! qu’à Ta vérité s’ouvrent les mémoires, De Tes dûs oublieuses! Sursois à la peine, Et Tout cayolar excepte! où piété règne,   Comme dans l’Egypte aux Hébreux Tu fis, lorsque Au long leurs portes Tu passas, du sang marquées Des Justes, qui de souffrir leur scellent l’alliance!   Mais, du Cantique, la fiancée, est du Christ La soeur, du péché de Pharaon  non plus serve; De s’offrir elle néglige aux regards des hommes;   La séparée, tant soudainement, s’ébahit : Delà l’être, c’est à savoir, Christ, vient, lui verse, Epanche à ses soupirs consolation suave;   Sous les flots  fougueux, vois! ci, roulée d’Amour, l’Ame, Qu’en trombe, en mer, en terre, sous la Nue balaie, Tout, autour de Toi, Christ, irradiant Ta bonté;   Intelligiblement, vient l’Amant divin d’Ame; Elle marche aux flots d’un océan de délices; Deuil de vie reflète Son visage en Lumière;   A qui s’efforce plus, Il dispense Son feu; Qui, d’Amour de Lui, se meurt, Il mène à Sa Gloire. L’Ame, à sa trame, les variations emperle,   D’Amour; l’avancée en Lumière aux Lais poursuit;        Comme le musicien à ses mêmes vieux thèmes Se retrouve, en chute a point de rebroussement,   D’en abîme - en Dieu - de sagesse, elle ressaute; Sa robe de tristesse elle n’a dévêtue Que pour leur corps de Christ vêtir, Ame d’Amour;   De Sanctimonie vêts Tienne! aulx damasquinures, Dieu, qui, devant l’Arche, à Ton peuple, toute entrave Dissipes, au désert du bon - Bonté, Ton nom-;   Le lys des champs qu’a Dieu de Sa splendeur Vêtu Que leur radieux visage point plus ne scintille, Epure de lune en marche, sous quelle ils vaguent;   Que de plus grand beauté l’Ame est de Dieu Vêtue, Lui, de l’Ame! Qui toute forfaiture oublie, Et le Nud Amour, plus que d’amour, lui décèle;   Leurs Ames tissulaires, les a Dieu frangées, Aux plages d’amour, du bleu prison coquillage, Qu’au monde ils redéploient de Prière ses voiles;   De leur sein sourd l’aurore, soleil n’en décline : Dieu, Lumière incréée leur est de création, Sa traîne de Gloire à leurs pas. En proue, Justice;   En cette Lumière contemplait tout Adam. A l’aube de création, il y voyait D’un bord l’autre, espace, temps, bords, rives du monde;   Du Seigneur la fiancée est comme l’aurore, La lune, et le soleil. Elle est l’Ame divine. D’apparat  robe est en Dieu, de joie sa parure;   Ci, comme une fiancée, l’Eglise, la belle, De sa blanche robe des noces a ornée, De Sa chlamyde d'Or la revêt  Son Seigneur;   Pour tunique, a pris sinople, au bliaud du Ciel; Des belles vertus, Il veut faire la parure, Qui, de Ses beautés, voudrait la semblance prendre;   Outre Lune et Soleil, Christ s’y fait Jupiter; Ainsi Sa fiancée rend-t-Il, si sa comète, Trop près de Lui passée, n’en fût désintégrée;   Noueuse, aux voûtes d' En-Haut, pose soie d'Iris, De leurs couleurs tissée, de son sang s'entre-tisse; A sa voilure, a mis blancs anneaux d’astres perles;   Sa toque de soleil, safrané pourpre y dore : Du sang d’aimés, ses chers morts, vivants y abreuve, Fontaine au carrefour des Vents, ruissel d’Amour;   Des fouleurs de pressoir s’assortit sa vêture; A la saignée s’allie du manteau de l'Epoux; L'Epouse, à Son Ombre, désirée, s'est assise,   D'Amour soumise; en elle, Luy, l'Amour ordonne : Justice lui est, par seule Grâce, infusée; Lors, plus n’est  nôtre notre vie; Christ vient, nous presse;   Vêtement de Gloire est sa robe, vêture, oh! De Thaborique Lumière, qui transfigure, Lors qu’âme, par l’Union, est faite Ame en Gloire!   De Son fort cyprès, a pris Sa robe de Gloire, Plus qu’olivier, Ta Paix, Justice  emblématise, Qu’à l’Abîme, en sa profondeur, Toi seul mesures;   "Pour don nuptial, de feu t’envoie l’escarboucle : Mon Esprit," souffle-t-Il, "sens, sur ce cou t'effuse. Fille de Roi te fais, pour entrer en ton Ame,   Qu'à ton paraître, n'aie de mon nom déshonneur." En sa coiffure, Il a mis l’or de cheveux d'Anges, A la Tête a posé voile d'argent de Grâce,   Lui qui, gracieuse, et glorieuse, désire, Aux lais des harpeurs de divine épithalame, Sa fiancée, d’Abyssinie, qu'en reine Il voile,   Qu’aux confins  de l'Occident et de l’Orient, Qu'au Kamtchatka même se reconnût  Sa Gloire, Surnaturelle, suressentielle puissance,   Au Monomotapa, plus que reine de pluie, Qui sur les hommes règne de sa sombre Afrique, Exauçant qui L’aime en véridicité simple,   Là-bas, sous la berce des Vents, loin dessus Iles Aléoutiennes, en la ceinture de feu, Aux lieux où  glaciers choient dedans le Pacifique,

mardi 16 décembre 2014

Ballade des âmes. Le Paradis. Version corrigée.

                           

                                                                             BALLADE DES AMES.
                                                                                       CHANT III.
                                                                                      LE PARADIS.

                                                                                Notre Dieu est au Ciel.
                                                                                Il fait tout ce qu’Il veut.
                                                                                                       Ps. 115,3

                                                                               A tous les Saints du Ciel dédié,
                                                                               Que par leur Sainte Prière ils nous portent,
                                                                                Qui fait tout ce qu’elle veut.

                                         
                                                                          Ballade des Ames.

1.Avez-vous vu, Amants, avez-vous vu leurs Ames ?
Ils ont quitté la rive, aux grèves d’oriflammes,
Folle de vie ; en nef de Mort, leur Jour  dérobent.

2.La poupe est au Levant tournée ; la rame monte
Sur la voile, Soufflant en Manteau de Prière.
La mer sur eux  se ferme ; ondulent ses escarpes.


3.Au palanquin des Eaux, le sang n’est plus si rouge ;
Résédas, liserons, shintz à son cœur l’en ornent ;
Aux Noces de Dieu,  une favorite on mène.

4.Qui L’aime, Dieu marche avec lui. Qui, au Secret
Du Cœur, se fait Juste, Christ de Ses Eaux le lave.
Au Déluge, l’Esprit dessine l’arc-en-Nuée.

5.Las, en terre ils ont laissé ceux qui n’eussent su
Partager leur bonheur pur,  leur souffle en baiser
Mener en haute Mer, à l’Horizon jointive.
.
6.Se pourraient-ils déjoindre, s’ils ne se discernent ?
De poussière d’étoiles une même nuit
Désennuie la Mer et le Ciel qui s’ajointent.

7.Ton Ange les accompagne ; ses voies sont sûres ;
Larmes ! guidez au rayon vert des anses saintes !
Comme l’aire marine a des ciels limpides !

8.Elle y agite, propices, les alizés ;
Sous tes zéphyrs, ils ondoient ; Ses bons vents sont saufs ;
Des brisants se profilent ?  Ils changent d’amure.

9.En la mâture, faveur d’Amour Tu exhales ;
Au rinceau des cœurs, la coque en fusion ne plie ;
En Terre Aimée, le vaisseau porte les Amants.

10.Sous Ta lumière, ils font route ; ils cinglent au large ;
La Mer irise son tulle. Dieu ! Quelle Beauté !
L’ai-je rêvé ? Non, ces Noces bien advinrent.

11.Toi ! qui d’algues bleues nouas l’Ame aux nœuds du voile !
Dont aux coins de la terre tu posa les franges ;
Aux angles, tu brodas ton fil d’azur,  turquoise,


12.Gaze qu’en dais nuptial, sur la mariée, Tu mis,
Qu’au palais de saphir ce voile couvre Amour,
Dont tu nous borderas dedans nos blancs linceuls !

13.Lors, les vêt l’anneau d’épithalame, la cape
Fleurdelysée de l’ancolie, près l’Ile heureuse
D’Amour parfait . Nef d’Amour ! qu’ en Gloire Tu mènes.

14.Comme d’Occident en Orient vont les astres,
Amour aux pourpris du palais conduit les Ames ;
Et c’est à l’Orient qu’éclate Sa Splendeur !

15.« Enamourée, Joyeuseté, m’en  vais périe ;
D’Amour ne suis laissée, Ses débords m’emportèrent ;
Seul un Sien baiser à Ses lèvres tient mon âme. »

16.Au gré ils vont du rebond, des lames de fonds ;
Si tôt départis, par voie des airs, ils relâchent ;
Aux avant-ports de Désirade est leur mouillage.

17.A leur chaîne s’amarre Liberté d’En-Haut ;
Y ondoie la lune ; elle, oh ! à leurs doigts s’effile ;
Celle qui leur semblait loin est d’avoisinance.

18.Qui,  l’ encre jetée, au navire de son Ame
Intérieure arrimé demeure, un jour parvient,
Au plus profonds du Cœur, au point d’Inconnaissance.

19.A mi-cercle d’une lune d’eau,  cycloïde,
 Réflexion- , tourne ta roue sans loi, parfaite,
En lune du Cœur, sans éclipse, dans son cercle.

20.Au visage Tu nous regardes, d’un regard
Tien, et verses en l’Ame ennoblie, qui  n’est vile,
Ta fleur de Sceau de Lumière, en cire estampille.


21.L’Amant du Christ, par cette cire, est fait Ton Etre ;
Il est  de Ta Justice un digne receleur,
De souffrance résilient ;  Sceau, Ta  Perle au front.

22.Ta fiancée ! Ce Sceau, au Cœur pris du Seigneur,
Fit son Cœur, et son Amour, plus forts que la Mort.
Car, éteindre l’Amour, les grandes Eaux ne peuvent.

23.Aux cerisiers où s’embrassaient les amants,
Ce même temps nous pleurions, venus complaignants ;
D’amoureuse Vie, nos pleurs pour Toi nous transirent.

24.En fleurs son Ame, à la passion grandit des cypres ;
Sa chair y a pleuré ; y a pleuré sa Mort.
Aux cerisiers de Pâque, pleure Joie de l’Ame.

25.Si tant sublime est l’amour qu’à la fiancée
Porte le Fiancé, que de plus Haute Amour
L’aime encore Dieu, de belle Amour précieuse !

26.Tant qu’à Abraham l’arrachement d’une épouse,
L’Aimé a bu ce qu’il lui en coûta de larmes ;
Enserrée la sirène, en chambre gondolière !-

27.Or nous, qui sous cette onde étions enterrée
Aux vanités de la terre y dormîmes-nous ?
Les vains  madrigaux font renaître ceux qui s’aiment.

28.D’où cascades en mers, ouragans sur la grève,
En rocailles s’ouvrant, aux grottes du co-naître ;
Que s’y rie le jour, lui appartient la veille.

29.Comme En Ta Nudité se cherche Vérité,
A Tes berges, en noyés, nous laissant rouler,
A fonds de barque de Vie nous dormons sous Toi.


30.En nous Vit Christ ; où ne voudrions, Il nous mène ;
Il  jaillit Paix ; la Joie des Vertus Il embaume ;
Mais, au Nard de Myrrhe, En Vertu, tous Parfums entrent.

31.A Face de l’Oint, par larmes ils s’en épanchent ;
Ô Joie nuptiale ! Myrmidons, n’en savez rien.
L’Epoux a pris mon Cœur ; du Sien promet l’Aurore.

32.D’aimer à grand Deuil, Lui, fait aimer à grand’Joie.
Sur Ses mains, Il porte : c’est flèche d’Ascension.
En cet Envol, Il presse ; elle, à Son Sein, repose.

33.Ce qu’elle possède, elle fuit ; plus Haut,  désire.
L’Archer arme à gauche ; de Sa droite, Il l’étreint ;
A son côté, elle porte blessure d’Amour.

34.Elle pleure sa vie ; jusqu’au Mourir,  en pleurera ;
A ce signe, Seigneur, Tu reconnais les Tiens ;
 Ta Paix Tu leur donneras ; ô Blanche Colombe !

35.Coucou de mon Amour ! Ma Lumière, mon Air !
Colombe, ô Justice ! Ma Liberté d’Envol !
Liberté : Grande Dame, qui, à l’aumônière,

36.Suspendit Cœur du Monde, esclaves d’attelage,
Qu’au char de Mort elle arrache – Œuvre de Mercy-
D’obscènes empires, sans Gloire, elle piétine,

37.De ses pieds nus, que nul roi du monde n’embrasse,
Dieu, de Splendeur d’Amour, te fait un Diadème,
D’un cristal de larmes, de cristallin de Ciel !

38.Sa Couronne est Sagesse, qui donne Allégresse ;
Colombe est son nom, donné par Toi, Dieu, Esprit !
De son Seigneur est fiancée la Dame d’Amour.


39.Ceignons les Couronnes de Vie ! Demain, vois-tu,
Nous Mourons, déjà ! N’attendons d’en partager
Les Roses rouges, d’effeuiller Partage au Vent !

        40 . A la Vie noue ta vie, qui n’erre au songe-creux ;
               La Mort d’Amour plus ne s’offense. Amour la vainc;
               D’Amour la Mort est vie ; Sa senteur vit En Myrrhe ;

41.Qui saurait la douceur du Vivre en rémission ?
              A nous qui sommes en sursis, ajournés ivres,
Elle est avant-part d’entre ses frères du Ciel .


42.L’on s’y fait Joie des Insoumises. Passion
D’Amants ceint le thyrse, dont la Couronne est Vertu ;
Amour s’en honore,  et Maître de son Ancille ;

43.Dieu vêt l’Ame, Sa fiancée, en Plénitude
De Gloire, de Sa beauté Sublime. Plus Belle
Qu’Aaron Il la fit, d’habits d’Amour, d’Or, Pourpre

44.Violine, d’un Damasseur tissée d’écarlate.
Loin qu’à l’Hyménée la fît périr le poison
De sa robe,  de  Médée mise à sa rivale,

45.Pour qu’elle  en chût Morte, trépassées ses amours,
Celle-ci, En Amour, dès là que  portée,  hausse
La Rosée du Fiancé , si Beau, plus que Lune,

46.Des larmes d’Amour en Sa tête,  boucles  pleines,
Des gouttes de la Nuit. Car c’est la Nuit qu’Il vient,
Par l’huis du Cœur d’Ame qui son Amour Lui donne ;


47.Je suis allée voir en la Nuit si m’ Ami m’Aime ;
Par ta seule Amour, je reçus  cette fiance :
Ton Sang fut signe à la porte ; Tu la rouvris ;

48.Nous qui de Mer n’avions qu’une fente aux volets,
En  Prince changé, par l’huis du cœur, Tu voyais ;
L’oculus Tu heurtas. Qu’éblouissent Tes Yeux !

49.Ah ! Dieu ! Te voici, ô mon Epoux, qui arrives !
Bel Amant de mon âme indigne ! Ô mon Sauveur,
Je n’ai pas la robe,  la Tunique des Noces !

50.Ô mon Dieu ! Désonge-moi, du Baiser d’Amour !
Si long Temps ! j’ai dormi…et c’est la onzième Heure !
A dos de Dieu, en palefroi, emmène-moi   !

51.Mon âme s’était souillée, maculée, vêtant
De fautes la tunique costumée. A  Vents
De Mer , la déferlaient ceux qui de Toi  n’ont crainte.

52.Mais Ta Divinité me vêtis, du manteau
De mon humanité vraie,  que fût retirée
De sa prison mon âme aux Portes de la Mort.

        53.Ô mon Maître ! moi qui dormais en Nonchaloir
              Quand le stratège du Mal ravit mes dépouilles !
              D’Exil rappelle-moi, et de la servitude !

54.Mon Aimé, donne-moi la robe de Lumière !
Rossignols, doux cytharèdes, à mon Seigneur
Chantez ! Qu’en Palais Nuptial de l’Ame,  Il entre !


55.D’où  ce répons qu’à l’Ame éprise Tu Te fiances,
Pour au clos d’elle y établir Sa demeurance ;
Je mis Sa robe à Lui plaire. Il  Se Vit  Lumière ;

56.L’Homme libre, s’il se veut Saint, s’incline à Grâce,
Lors, ce Christ-Roi, de tous les Amants le plus Doux,
L’Unique à toute épreuve fidèle, l’Amante

57.Sienne accompagne, portant ses pas, partout, mène,
En Enchanteur, de tous ses vœux  Puissant servant.
D’esclave amère, de souillarde, en fée de Joie,

58.Après sale Peau d’Ane, et, du Temps couleur lente,
Pour qu’à la robe d’ Ame Il mette le Soleil,
Qu’au Bal des Astres son Prince Cendrillon mène.

59.Il la Change. Et, sur sa nuque, Son Souffle Saint,
Pour qu’en son sein béni se pût porter le monde,
Jour après  jour, à tout instant d’heure, Il inspire.

60.Si pudiques étaient nos Pères ! Abraham
Vit la Terre promise, Israël, puis l’Egypte,
Avant qu’il n’eût bien regardé Sarah, sa femme,

61.De si long Temps son accordée. Aux eaux d’Egypte,
Son voile ôté mit son reflet. « Aimée », dit-il,
« Je te sais à présent de Chaldée la plus belle. »

62.Une servante en voit plus aux hautes époques
Qu’un prophète. L’Eternel dit à Abraham :
Fais ce que dit Sarah ». – Vocation de Désert-.


63.Maintenant que si peu savent, Dieu aisément
Donne Sa Grâce. Il la confère aux pécheurs même :
Il ne regarde rien autre qu’au cœur Aimant.

64.Ô Dieu ! Qu’à Ta Vérité s’ouvrent les mémoires,
Oublieuses de Ton dû ! Surseois à la peine,
Et tout cayolar  excepte ! où règne  Piété,

65.Comme dans l’Egypte Tu fis aux Hébreux, lorsque
Au long de leurs Portes Tu passas, du Sang pleines
Des Justes, qui de leur Souffrir scellent l’Alliance !

66.Mais la fiancée du Cantique est la Vraie Sœur
Du Christ, non plus serve au péché de Pharaon ;
De s’offrir aux regards des hommes, elle néglige.

67.La séparée tout soudainement s’ébahit :
De par-delà l’Etre, le Christ vient, lui éverse,
 Epanche à ses soupirs  Consolation suave ;

68.Sous les flots fougueux, vois ! cy, roulée d’Amour, l’Ame
Qu’en trombe, en Mer, en terre, sous la Nue balaye,
Tout autour de Lui, Christ, irradiant Sa bonté ;

69.Intelligiblement vient l’Amant Divin d’Ame.
Elle marche aux flots d’un Océan de Délices ;
C’est le Deuil de  vie que reflète son Visage ;


70.A qui s’efforce plus, Il dispense Son Feu ;
Qui, d’Amour de Lui, se meurt, Il mène à Sa Gloire.
L’Ame, à sa trame, les variations emperle

         71 . D’Amour ; elle poursuit aux lais  son Avancée  ;
                 Comme le musicien à ses mêmes vieux thèmes,
                  Se trouve, en chute  a son point de rebroussement,
   
    72.D’En Abime – En Dieu-, de Sagesse, elle ressaute.
         Elle n’a dévêtu sa robe de tristesse
         Que pour vêtir leur corps de Christ ; Ame d’Amour !

     73.  Christ , la Sienne En Sainteté vêt ! Damasquinures,
            Où Tu Te tiens, Toi qui, devant l’Arche, à Ton Peuple
            Dissipes toute entrave, au Désert de Bonté.

        74. Le lys des champs qu’a Dieu de Sa Splendeur vêtu
             Point plus ne scintille que leur Radieux Visage ;
              Epure de lune en marche ;  dessous, ils vaguent ;

          75. Comme est très en Beauté l’Ame vêtue de Dieu !
                Lui se vêt d’Ame, toute forfaiture oublie
                Et le Pur Amour, plus que l’amour, lui décèle ;

             76. Leurs Ames tissulaires, Dieu les a frangées
                    Aux plages d’Amour, de son tant bleu coquillage
                    Qu’au monde ils redéploient Ses Voiles de Prière ;

               77. De leur Sein sourd l’Aurore ; Soleil n’en décline :
                      Dieu  est Lumière Incréée, sur Sa Création ;
                      Sa traîne de Gloire à leurs pas. En proue , Justice.

               78. En cette Lumière Adam contemplait tout.
                      A l’aube de la Création, il y voyait,
                       D’un bord à l’autre, l’Espace, le Temps,  le Monde.

                79.  La fiancée du Seigneur est comme l’Aurore,
                       La Lune et le Soleil. Elle est l’Ame Divine.
                        Sa Robe est d’Apparat En Dieu,  Joie sa Parure.

                     80. Cy, comme une fiancée, l’Eglise, la Belle,
                           De  Blanche Robe des Noces Il a orné ;
                            De Sa Chlamyde d’Or la revêt son Seigneur ;

                          81. Pour sa tunique, Il a pris du sinople au Ciel ;
                                 Des Belles Vertus, Il veut faire la Parure
                                  Qui de Ses Beautés voudrait la semblance prendre.
       
                   82. Outre Lune et Soleil, Christ s’y fait Jupiter ;
                          Ainsi eût-il fait Sa fiancée, si sa comète,
                          Trop près de Lui passée, n’en fût désintégrée ;

                    83. Aux voûtes d’En-Haut  sa soie d’Isis elle pose,
                           De leurs couleurs tissée, qui  Son Sang  entre-tisse ;
                           A sa voilure elle a mis de blancs anneaux d’Astres ;

                       84. Sa toque de Soleil y dore, safran pourpre ;
                              Du Coeur de ses  chers Morts,  mais bien  Vivants Là-Haut,
                              Elle Vit, palpite, fontaine au bois d’Amour.
                                                                                                                                                             
                       85. Aux fouleurs de pressoir s’assortit sa vêture ;
                             A la saignée s’allie le  Manteau de l’’Epoux ;
                            L’épouse, à Son Ombre désirée, s’est assise,

                        86. D’Amour soumise ; en elle, l’Amour édifie ;
                             Justice lui est, par seule Grâce, infusée ;
                             Lors, notre vie n’est plus nôtre ; Christ vient, nous presse ;

                         87. Sa robe est vêtement de Gloire, vêture, oh !
                               De Thaborique Lumière, qui transfigure
                              Lorsqu’une âme, par l’Union, est faite Ame En Gloire.
                           
                         88. Près  Son cyprès, Il a pris Sa Robe de Gloire,
                              Qui plus qu’olivier –Paix-Justice  emblématise ,
                              Qu’au fort de l’Abime, En Son Profonds, Tu mesures ;

                          89. «  Pour Don Nuptial, Je t’envoie l’escarboucle en Feu,
                                 Mon Esprit », Souffle-t-Il. « sur ce cou , que  j’Effuse.
                                Fille de Roi Je te fais, qu’en ton Ame j’Entre,

                             90 Qu’a ton paraître Clair, Je n’aie point déshonneur. »
                                  En  sa coiffure, Il a mis l’or de cheveux d’Anges ;
                                  Ceignant sa tête,  un Voile argent de Grâce Il  pose,

                             91. Lui qui, Gracieuse, et Glorieuse, désire,
                                   Aux lais des harpeurs de Divine Epithalame,
                                   Sa fiancée, d’Abyssinie, qu’en Reine Il voile,

                             92. Qu’aux confins de l’occident et de l’Orient,
                                   Qu’au Kamtchatka même se reconnût Sa Gloire,
                                   Surnaturelle, Suressentielle Puissance,

                               93. Au Monomotapa,  chez la reine de  pluie,
                                     Qui sur les hommes règne de sa sombre Afrique,
                                     Exauçant qui L’Aime En Véridicité simple,

                                94. Là-bas, sous la berce des Vents,  delà les Iles
                                      Aléoutiennes, en la ceinture de feu,
                                      Aux lieux où choient les glaciers dans le Pacifique ;

                                 95. Vois ces hauteurs immenses,  Désert de Montagne,
                                       Où, d’en  skyte de Feu, prie le Prophète Elie,
                               -Sa skyte  qu’au jour de sa fête il donne à voir-,

                                                96. Aux pentes des volcans, qui ces îles embrassent,
                                                      Où, glabres, les morses plus ne se colorisent ,
                                                      En  polaire froidure où meurt le chromatisme,

                                                 97. Aux sites oubliés où vit le Roi des glaces,
                                                       Où rien ne s’offre aux naufragés en tempête,                            d
                                                      Que le Mourir resté, trace d’un Aléoute,

                                                   98. Celui de Saint Germain d’Alaska, les Chapelles
                                                           Orthodoxes après lui essaimées, kayaks
                                                            A l’entoilage en loutres,  princesses marines ;  

                                                   99. Torturé des Latins, Saint Pierre l’Aléoute
                                                         Prie pour nous ! Ô Saints Martyrs ! Vénérons ! vos pas
                                                         Qui, d’audace prise au Christ, Ses brisées foulâtes !.

                                                    100. Ô Dieu des glaces ! au fonds  demeuré du puits
                                                           De Vie où Tu  Sais, fraîchissant,le Secret d’Humbles
                                                           Ames,  Tu les  Rétribues,  Doigt d’Or,  au centuple.

                                                     101. Neige aux branches ! Pousse nos  Limites Ultimes,
                                                             Qu’au son des Vents nous abasourdisse  un  Tonnerre,
                                                             Que sur l’ombre au déclin regagnât Ta Lumière !

                                                        102. Qui, un soir, à sa porte, Ta Sagesse y voit,
                                                                Assise, sans en rien dire venue, furtive,
                                                              Qu’il sache :  plus onque elle ne s’éloignera.
         


                                                  103. En grand Désir, il n’a Cesse qu’il ne la veille ;
                                                            Elle, à mesure d’Amour, en retour le recouvre ;
                                                              Chaque jour, de plus Beau elle orne sa Parure ;

                                                    104. A nul elle ne vient qu’il ne l’eût suppliée,
                                                            L’en eût requise, à grand peine de Patience.
                                                            Persévérance brûle en veilleuse du Moine ;

                                                     105. Il en oublie son pain. A peine s’il boirait ;
                                                               Il en perd le sommeil. Son esprit, d’elle est plein ;
                                                                D’amoureux transports frémissant, s’ouvre son Cœur ;

                                                         106. Celui qu’elle Aime, pour elle devient transi ;
                                                                    La passion le transporte ; En Esprit il jubile ;
                                                                     S’ouvre un Infini d’Amour, tous  jours plus grandiose.

                                                             107. Sagesse est d’Esprit la figure. Sa forme, elle
                                                                     La sait. Ses haillons, habits noircis, humiliants,
                                                                     Ne voilent plus Sa Beauté,  trop resplendissante ;

                                                     108. Qui la verrait sans Voile, en terre tomberait ;
                                                               A telle sublimité, les yeux s’obscurcissent ;
                                                               Mais elle, veut, d’Amour, ouvrir toutes paupières ;

                                                      109. «  Qui s’unit au Seigneur avec Lui n’est plus qu’Un
                                                               Esprit, chair de Sa Chair, os de Ses Os. Y brille,
                                                               En qui n’est  régénéré, l’Etincellement ;

                                                      110. De ses vêtements il se dépouille : abandon
                                                               Du vieil homme.  Mais il vêt Nudité de Voile.
                                                                Son Ame ceint la Couronne. Honorance à l’ Œuvre !

                                                      111. Qu’au Christ mort En Myrrhe, le mort au péché sombre
                                                              Mystiquement avec Lui se meure,  se Joigne
                                                             A u Plasmateur  par saintes luttes ascétiques ;


                 

                                                           112. Si pour sa nudité fut acquittée Phryné
                                                                    De n’être semblante à la  déesse sculptée,
                                                                    Le Mystère est plus que le beau signe sensible.

                                                            113. Qui revêt la ceinture d’Aphrodite, un Temps
                                                                   Court  Semble irrésistible, mais qui, pour Toi, ceint
                                                                  Le Chapelet, par la  Prière du Cœur, vainc.                                                                      
                                                                                                                                                                                                                           
                                                             114. Pour Toi, Ta fiancée se dépouille des vices ;
                                                                 Tu lui brisas le cœur ; sois lui Bon ;  ouïs ! s’exhalent
                                                                 Ses soupirs : c’est Vertu (Voie de Joie) –L’ Ame y danse- ;

                                                           115. A l’Aimée le Seigneur prodigue Ses Hauts Dons ;
                                                                   - Plus de Biens profus qu’elle n’en eût rêvés jamais.-          
                                                     Epousant Son Amante Ondine, Il la fait, nue



                                             116. De Mal, sortir de la Cythère du péché,
                                                      Roi des Ondes,   loin de la souillure, qui crée
                                                      Purs le Soleil et la Lune,  et le Ciel  en terre

                                                117. Unit ; qui sur la voûte étoilée,  Firmament
                                                         Des Cieux,   harmonisa les Astres, et posa
                                                          La terre par-dessus les Eaux. Il la recrée.

                                                  118. Que si étroitement l’aimé tient embrassée
                                                           L’aimée, Christ, Lui,  au plus près séjourne de l’Ame,
                                                           Qu’Il Aime, et d’Ame Aimante Il fait Son habitacle ;

                                                    119. Et comme d’Yseult Tristan disant : «  Je ne puis
                                                            Me séparer d’elle, ni elle de moi, » l’Ame
                                                             Eprise de Christ ne s’en peut désassembler ;

                                                          120. Ah ! Plus Chère qu’avec l’ami la Demeurance,
                                                                   Si même il l’eût enserrée, en jonchée fraîchie,
                                                                    Jusqu’à la Rosée, tout contre son noir Manteau,

                                                       121 Veillée, l’eût-il délacée, devant l’aubépine,
                                                                Entre ses bras l’eût-il prise, eussent-ils en lits
                                                                 De fleurs songé, tant que pour amants fussent pris,  


                                                         122  Plus chère que Chastes Noces, qu’en Terre Hymen,                      
                                                                   Delà  brumes des Mers, qui les Amours séparent,
                                                                   Delà  franchîment du Noroit,  Ta Retrouvance !

                                                          123. Christ, à l’Eglise, Orthodoxie, s’est fiancé.
                                                                   Il la dit Belle comme Lune, pure en Soleil ;
                                                                    Il la Fait bosquet de Fontaine, l’ouvre grande ;

                                                             124. Sa Beauté ne décline ; elle est inaltérable.
                                                                     De Nuits en Aurores s’avive sa Splendeur ;
                                                                     Aux opulentes chambres, de Désir, elle entre ;

                                                              125. Il est Vie ; au jardin de son Cœur Il descend ;
                                                                       En l’intérieure Chambre, au Palais Nuptial
                                                                       Des Noces, Radieux, En Sa Mandorle, Il paraît ;

                                                              126. Dès avant la naissante Aurore, -  Vérité-,
                                                                       Sans que nul ne les eût su lire en cette sorte,
                                                                        Il devance les souhaits traversés de Sa Belle ;

                                                                 127. Avant qu’elle n’eût pu les proférer, consciente,
                                                                          A l’orée des pensées, Il les a devinés ;
                                                                          De Son Amante, Il est le Souffle ; Il est son Air ;

                                                                     128. Elle le profère sur le Souffle de Prière
                                                                             Du Cœur, au grand Parc qu’est l’Eternité – Prière
                                                                              Encore -. Il y sanctifie son dévoilement.      


                                                                      129. Aux Yeux de Sa Bien-Aimée seule, Il Se dévêt ;
                                                                               Du Manteau de Sa Gloire, Il la pare ; Il Vient ; ah !
                                                                                Et l’étreignant, célèbre leur Union Sainte.

                                                                      130. Oui, Seigneur ! Tu la Fais Reine d’Amour de Toi,
                                                                               Qui, en dessaisissement, souillon s’était faite.
                                                                                Tu combles son Vide, de Ta Présence intense !

                                                                       131. Dans le Silence, qui borde les murs très Hauts,
                                                                                Où flotte, si tangible, Présente, la Grâce,
                                                                                Fleure, Embaumante, Son Exhalaison Suave ;

                                                             132. Ses baisers d’Amour, toute Ta Tendresse y  Soufflent ;
                                                                        Ses lèvres exhalent ce qu’à sa vue Il montre ;
                                                                        Dieu, de Son Aimée, fait le Fondement du Monde ;

                                                               133. Des baisers de Sa bouche, Il tient ses paupières
                                                                        Closes ; lui fait oublier tout. Lors, s’abolit
                                                                          Sa peine, de ce que, d’Amour, toute, Il l’enivre.

                                                         134. Il lui ouvre en son Cœur des Jardins d’Hespérides.
                                                                   C’est Nectar, Senteurs d’Ambroisie, Blanche Fleur Belle.          
                                                                    Là, il n’est plus de soif, de faim, ni de sommeil ;

                                                          135. Aux rivages sans rives Il la mène – contrées
                                                                   Oublieuses – En Paradis l’esquif aborde ;
                                                                   De Mara, Il l’a retirée, des eaux amères.                

                 
                                                           136. Loin des flots du péché, aux tempêtes atroces,
                                                                    Ses lèvres ont pris le goût des Eaux du Repos ;
                                                                     Ce qu’Il lui donne à voir sont les Splendeurs des Saints.

                                                          137.   Après la terre d’Exil, c’est terre Promise,
                                                                     Après la Croix et la Bannière, Vents d’Esprit ;
                                                                      C’est Oriflamme-Victoire, au Pays planté ;

                                                           138. C’est Lune, c’est Miel, Bonheurs d’Abondance irène,                                                                                        
                                                                     Dont l’omphale est planté du rameau de la Paix ;
                                                                      Après désespérance, message d’Espoir ;

                                                            139. Parmi vasques et roses sont les Paradis
                                                                     De l’Ame, aux blancs cerisiers du Cœur qui pleure ;
                                                                     Crève cœurs, fontaines d’Amour y chantentpleurent ;

                                                            140. A leurs jeux irisés, l’Ame en rosée se mire ;
                                                                     Gouttelettes d’embellie, à la fraîche, bruinent ;
                                                                     Douce est l’Heure, clair le Temps, l’Ame a mal de Bien ;

                                                            141. Il la fait un jardin fermé et sa fontaine
                                                                     Prend Son Sceau ; car cette Ame est à Lui, Lui à elle.
                                                                     Il la garde, Celui qui le Jour lui donna ;

                                                    142. Au Lieu Saint qui tout enclot – Sein de fiancée-
                                                              Du fleuve de l’Eden sourd la Source Gardée ;
                                                               Les Eaux d’En-Haut, toutes eaux, en gelées, s’englacent ;


                                                      143. Le Vent du Nord Souffle à ces Eaux ; s’en cristallisent,
                                                                Givrées, des Fleurs de Neige. L’Eau n’en eût fondu
                                                                Si le Vent du Sud ne les eût brisées, Soufflant.              
                                           
                     
                                                       144. Tout autant incessamment qu’eau en glace, et Glace
                                                                En Eau, l’une en l’autre mutuellement se fondent ;
                                                                Ainsi fait l’âme en Dieu, et Dieu en l’Ame pure ;

                                                        145. Elle, de Lui, monte Bonne Garde. Il la rend
                                                                  Terrible, plus qu’aux oriflammes les guisarmes.
                                                                   A Sa Parole Il Donne le tranchet du Verbe.

                                                         146. Par ses Prières s’accomplit le mieux du Bien ;
                                                                  Il détourne le Mal, opère le Prodige.
                                                                  Tous ses Ennemis en demeurent atterrés.

                                                          147. En Dieu, dépouille tout ; abaisse armes, bannières ;
                                                                   Se voit Sien l’Univers ; les galaxies scintillent ;
                                                                   Les voix qui s’y entendent sont Voix d’Ames Pures ;

                                                            148. C’est un Immatériel, aux Yeux rendu sensible,
                                                                     Qui met En Suavita l’Irreprésentable ;
                                                                     Terribilita, Son Sublime apaise En Beau ;

                                                              149.  Amante ! est Justice ; elle se lève en Aurore,
                                                                        Fulgente, plus que Lune de Mer exquise ; ah !
                                                                        Dis-moi celle qui, en huile, à l’eau ne se mêle !




                                                            150. De la Blanche, la Parole, du Désert, monte,
                                                                     Qui ne Vit plus qu’Inclinée sur son Bien-Aimé ;
                                                                      Aux Oasis des Jardins d’Eden, Christ, l’installe

                                                         151. Habitante. Aux portes, Il met des grenadiers,
                                                                   Tout le mieux sous les Cieux, tant que durent les cieux ;    
                                                                   En sa Fleur Fruitée, Il lui sourd un Jardin d’Eaux ;

                                                            152. A Cour et à Jardin d’Eden se configurent
                                                                     Les Splendeurs d’Esprit qui ruissellent Son Verbe ;
                                                                     C’est l’Amour Blanchoyant sur des rives nacreuses ;

                                                             153. Seigneur ! Source de Sanctification, Fontaine
                                                                     Baptismale ! En Tes Théophanies s’enfle l’oued !
                                                                     L’Océan d’Amour, au long, au large T’éploie ;

                                                             154. Comme a l’Eau en Mer reçu tant de si grands fleuves,
                                                                      Un Flot de Vie Coule En Christ, roule en si Fort Flux
                                                                      Qu’Il emporte l’impur En l’Océan de Joie ;

                                                                155. Vont des vaisseaux en Ciel Libre ; les Oiseaux servent
                                                                         Christ-Enfant aux grèves où ils viennent, s’arriment,
                                                                        La vague à l’Ame, de Rêverie fluctuante ;



                                                                  156. Ils sont longtemps restés sur le Lac de leur Ame,
                                                                           En Immersion , sentant l’Eau aux points de l’Etre,
                                                                            Au Profonds plongeant du Méditer des Mystères ;

                                                           157.  Tant ils y enfoncent qu’ils ne se soutiennent,
                                                                      Jusqu’à passer au point où Dieu tout leur pardonne,
                                                                      Leurs manquements – force enfuie-, à tout suppléant ;

                                                             158. Défaillies leurs âmes , Dieu de Tout leur tient Lieu ;
                                                                       Ils touchent au Lieu de Vie qu’est l’Indescriptible ;
                                                                       Ils y sont illunés, y Voient le Christ Azur.

                                                               159. Les Murs de la Prison du moi choient en poussière ;
                                                                         D’âme individuelle, du moi le sens se fond
                                                                         En Moi Universel, joint de Toi-moi l’Abime ;

                                                                 160. Toi ! qui des Exilés le Prince, l’Exilarque,
                                                                           De Perse, au Jardin de Tes Roses, rappelas,
                                                                           Rappelle-moi et m’épargne, endeuillée, pleurante.

                                                                    161. Au Lieu des Délices, Tu donnes un Royaume ;
                                                                              Y règnent les Humbles ; dessus eux Tes Parfums
                                                                              Des mandragores s’exhalent, aux Fruits d’Amour.

                                                                       162. Ils ne songent plus à haïr des Ennemis
                                                                                Les lunes nouvelles, pâles, qui sont d’hiver ;
                                                                               Car, En Vie, l’Amour, plus Fort, a vaincu la Mort.  


                                                                163. Et cet Amour est Fol, qu’enivre Sa Passion ;
                                                                        Embaumant Il découle, aux grandes Eaux ne meurt ;
                                                                        D’Amour, au palais de Douceur, Vit Suavité ;

                                                                 164. Jardin secret ! où se cultive Eternité ;
                                                                         Dieu Se penche en Tendresse, murmure à Noèse :
                                                                        « Fais ci, va là, regarde, écoute, pour le dire » ;

                                                                     165. Au Jardin d’Amour, de Co-Naissance secrète
                                                                             Entrée, l’Ame perçoit, pur, le phrasé du siècle,
                                                                             Saisit que Dieu est le Bien, le Lieu du Monde ;

                                                                       166. Lors, à ses fautes, la Grâce supplée, ses manques
                                                                               Vient corriger. En ce qu’elle ne pouvait seule,
                                                                               Dans sa Nuit, mener à Bien, Elle y met Son Jour ;

                                                                      167. Psyché, Femme, est l’Ame, qui s’y fait Pénitente,
                                                                               De Nuit, en Lieux Secrets, s’unit à l’Invisible ;
                                                                               En Eden, au Jardin d’Amour, elle conçoit

                                                                         168. Volupté ; Amour lui aura rendu Ses Ailes
                                                                                  Alors, lorsqu’En Cime dernière, à l’Un Beau,
                                                                                  Son Point Haut, Centre de l’Ame, elle coïncide ;

                                                                        169. Tout le jour, elle y peine extrêmement, prostrée                                            
                                                                                 D’épuisement demeure. Acédie vient, l’assaille ;
                                                                                 Mais, au soir, elle déterre des talents d’Or.


                                                                         170. Ô !ce Jardin qu’est l’Ame !en dispendieuse crue
                                                                                   Des Energies Fertile de l’Intelligible !
                                                                                   Infinitise ! Son seuil de Désir, recule !

                                                                         171. D’où fut Aphrodite femme puis sœur d’Amour ;        
                                                                                  La Richesse et la Pauvreté connut cette Ame,
                                                                                  Qui ce Jour n’est plus Psyché, mais Fille de Roy ;

                                                                        172. Du Principe Divin la Fille, du Roy-Dieu,
                                                                                 Reine est Psyché, au Jardin d’Amour, qui détient
                                                                                 De l’Age d’Or la tout édénique Science :

 173. Dieu découvre aux Devineresses les Mystères                                                                                                                                 De l’Esprit ; c’est Lit d’Amour, plus qu’Alphée, Suave,  
Qu’Esprit, le Saint, le Lien d’Amour de l’Anneau Trine ;

174. La Contemplation des Mystères s’y abrite,
         Qu’à Ses Amants déploie Dieu, de Lui consumés ;
          Transis ils demeurent, dans la Sidération.

175. Leurs membres s’arrêtent, leurs Yeux, mi-clos, se ferment ;
         L’on dirait des Morts immobiles, qui louangent ;
         De l’Effort Surhumain, même, ils ne se ressentent ;

176. Dieu, d’Invisibilité leur prête le casque,
         De Méduse le Miroir, terrifique aux vils,
          Et tous monstres méprennent la proie pour leurs Ombres ;


177. S’y jugent les rois qui rien n’ont que des couronnes.
        - Dieu Voit l’araigne tisser sa toile de Vie,
          Sachant le Soleil plus brillant au Crépuscule - ;

178. Ah ! Prenons le courage des Cohortes Saintes !
        Aux traversées des Gués, à Dieu nous recommande,
        Couleur vair de paon, la Dame si Bien Parlante ;

179. Ses Souffles en baiser, aux Vents d’Autan, murmurent :
         « Gagnez l’Amour d’un Fils, pour entrer En Sa Lande ;
           Dès l’Aube Rosissante y Vient le Vavasseur ;

180. Vous qui guettiez la moindre brise de l’Ombre
         Trine,  En Vallée de la Mort, sans nulle balise,
         Sous vos pas écloront des Cierges sur les Eaux ;

 181. Le Cabotin semble un Faux, plein de singeresses
          Figures. Qu’adviendra-t-il de lui, si, Mourant,
          Il abandonne sa dépouille et son cadavre ?

  182.Il ne se veut pleurer ? Fort bien. Qu’il se Voie Mort,
          - Quelque insensible que soit son être sans Ame -
           Au cercueil étendu, que l’on va reclouer,

   183. Lorsqu’à l’Office chanté de ses funérailles
           L’on psalmodiera l’hymne : « Venez, donnons, Frères,
           Au défunt le dernier baiser… » Ah ! Il Pleure…


    184. Mais au Méditant croît son Arbre ; il devient Ange,
             Et comme une Constellation Météore,
             Va traversant les Cieux, Galaxie d’Andromède ;

    185. Telle un mendiant errant, passant à tous Vents
             Sa Vie, de pèlerinage en pardon, fraîcheur
              Lunaire, qu’après le plein jour torride il goûte,

       186. D’éternité En Eternité perpétuée,
                Sans s’accrocher à rien, moins que la lune aux Cloches
                Du Campanile droit, demeure sa Mémoire ;

      187. Aux requérants des Droits de la Droiture Intègre,
              En Nuits de vos Douleurs :  Dieu sera toujours vôtre,
             Qui l’Ame à son Faîte incante, lui ceint diadème ;

       188. Hauts Ecrits – de vertigineuses Ecritures ;
               Veilleurs de tours des Vertus, Etres Inspirés !
               Qui, visités d’Esprit de Prophétie, au char

          189. Céleste pris, En Ravissante Grâce,  y Vîtes
                   La Mystique contemplée, aux flambeaux d’Amour,
                   Après Josué, en Nard entrez ! aux Aires Hautes :

             190. C’est Terre Promise que Contemplation
                      En l’Orthodoxie. La Tunique est recousue,
                      Antan scindée. – Tradition de Saints Anciens-.


               191. Les uns, pour ne l’avoir connu, n’ont reconnu
                        Christ ; les catholiques, en autodafés, tuèrent
                        Ses Ancêtres Juifs ; puis, les Chrétiens Orthodoxes

                192. Durcirent leurs Traditions sacrées et Saintes,
                         D’esprit étroit, de Littéralisme empiégés ;
                         L’Esprit, aux Vrais Orthodoxes Son Souffle agite

                  193. Aux Eaux. Partout, du Christ, nomade est la Demeure ;
                          « Qu’il n’y ait guerre d’eaux aux pistes du Désert. »
                          A ces mots ouïr, nous reconnûmes la Vierge ;

                      194.Sa couronne est tressée des Vertus exemplaires ;
                              S’y Voient les roses d’hiver de la vie. Les Roses
                              D’Auréation s’y mêlent, Vie dont l’Etre est rare ;

                        195. «  Si d’Enfer sortis, vous fussiez En Paradis
                                Avancés, tel Saint Joseph de l’Athos, peut-être
                                Nous eussiez-vous Vus, mon Fils et moi, de l’Icône

                         196. Surgis soudain, à ses Yeux, animés, Vivants ;
                                  Le Saint n’en sut plus, Irradiée sa cellule,
                                  Si plaine elle était, Ciel, Paradis, ou Palais.

                          197 .  Pour ce faire, il sied, en champ de Forces puissant,
                                    De muer à l’Eglise en Prière des cœurs durs,
                                    Mieux que l’on ne change l’étain en antimoine ;


                           198. Christ était ce Vavasseur ! pour Dieu-Roy Oeuvrant,
                                    Qui Sa Gente Vierge en litière étendue mène,
                                    Par l’irisé damier des champs, Chevaucheresse ;
                         
                             199. Mais à cette pleine Co-Naissance de Source
                                     Eternelle où l’Un se réalise de l’Etre,
                                     N’accèdent que des Ames épanouies, ouvertes ;

                              200. Elles peuvent atteindre à l’Union Divine,
                                       Qui  la Perfection Spirituelle leur délivre,
                                       Et de ces Ames -là Dieu exauce les vœux.

                              201. Au point de passage entre l’être et le Divin,
                                      Au Saint sous la Nuée d’Union à Toi,
                                       S’inaugure en l’Ame déifiée, l’Etre Dieu ;

                             202. La Nuée est le Lieu de Retournement,
                                     Où, sans Nécessité, l’Esprit Libre, Amoureux
                                     De Dieu, sur Lui s’incline, s’éploie, de Grâce ;      

                             203. Lors le monde-Homme, par Centration Sainte,
                                     Tend sa chaîne vers le Monde-Dieu, que Lui treuille,
                                     Arrime En Haut  ses anneaux ; Dieu Se L’allie .    

                            204. Libre, en ses Jardins de Nuit, s’accomplit le Temps ;
                                    Christ-Roy ! qui, au matin, vient devant l’ouverture
                                    Du Jour rendre à l’Ame l’Oeuvre de Nuit scellée ;



                           205. L’Ame aux confins croisait, gardez-lui souvenance,
                                    D’absolue Perfection, aux marches du Royaume ;
                                    Lors, par Dieu, se tisse sa chair de Grâce Sainte ;

                           206. Ce Joyau appartient aux Non-possesseurs,
                                     Qui, pour l’obtenir, ont su le Renoncement,
                                     Que plus rien n’afflige – ce sont des Enfants de Joie-.

                            207. A leur Fête Nuptiale, Orient les voile ;
                                    Abaissez vos regards, qu’à Lui Il vous élève
                                     Où les abrupts tout l’Espace En Ciel épousent.

                           208. Rends-nous Byzance, la toute Orthodoxe reine
                                   Des villes d’Ame ; aux sables lève Ta Splendeur ;
                                   Ta Beauté est Sublime, ô Christ ; Toi Seul T’en pares ;

                           209. Dans Ton Orthodoxie brille encore Ta Gloire.
                                    D’ivresse d’Amour En ivresse s’est enclose,
                                    Ta Relique de baisers ; - châsse reliquaire-.

                            210. Au seuil du Temple s’image l’Eternité.
                                     D’un même trait ténu s’éveille l’Ame de Chair,
                                    Que l’Esprit Seul y trace, aux mille crayons d’Or,

                           211. Ombre astrale qui reflète la Lumière.
                                   Comme d’un habit royal l’entourent Ses Œuvres ;
                                  En leur déliaison se goûte le repos ;

                           212. En cet Abime de Dieu, s’évanouit l’Ame…
                                    L’Esprit l’ouvre en Psyché d’intérieure Ame et Science,
                                    Et lui Souffle Tout, Temps et Lieux, et Faits d’Amour ;

                             213. Puis, de si Haut, l’huis de Délices lui entrouvre ;  
                                      Mais, Embaumante et Suave – ô combien- Sa Grâce,
                                       Il la décèle à Ses seuls pauvres en Esprit ;


                              214. Aux Déserts étendus à la paroi des Cieux ;
                                       L’Ame au Firmament du Ciel suprêmement sise,
                                       Prend la Vision du Cœur de Pays immenses ;

                               215. Aux branches de ses Fleurs, tous ses Fruits naissent Miels ;
                                       Aux violes d’Amour de Dieu l’Ame s’ajuste ;
                                       La Mystique, Erotique de l’Ame, s’y fiance ;    

                                216. Là, sourdent des Fontaines, des Sources de Lait,
                                        Dont la Rosée étanche les Gazelles Vives,
                                        Mieux que tous les mirages du grand monde ensemble,

                                 217. Aux délectations mièvres. Car l’Ame épousée
                                         Du Roy  est conviée au festin d’Hyménée
                                         D’Amour, aux Parvis du Ciel, aux marges gardée

                                    218 Des Palais de Séraphins, des anges servie ;
                                            Là, il n’est plus besoin de nul autre, ni Prince,
                                             Ni Pauvre. En Dieu Tout est ; rien, d’Amour, jamais,

                                    219. Ne saurait plus faillir.  A ceux qui L’ont trouvé,
                                            Les Grottes de Sirènes sont des châteaux forts ;
                                            Les géhennes d’Exil sont des Palais ; Déserts,

                                    220. Cités interdites d’Impératrices ; Caves
                                             De Solitaires sont foules insouciantes ;
                                              Les ermitages des Basiliques très Saintes.                              
                             
                                     221. L’ermite aux sables passe sa traîne de Reine.
                                              Rien ne compte sous le Manteau Voilant  de la Nue
                                               Que l’Ame Recluse des Renonçants du monde ;

                                      222. Aux filets de l’Amour de leur Seigneur captifs,
                                              Tout, Palais comme bouge émine en Citadelles
                                              Intérieures, d’où s’acquiert leur Vue distanciée,


                                      223. Qui s’ouvre de plain-pied sur l’Infinité pure ;
                                              Vermisseaux, Etoiles, Tout, en leur Cœur s’avive ;
                                              Ce sont des Saints qui vivent en la Nef des Fols ;

                                      224. Métaxyque, Eros, dans l’intervalle se tient,
                                               - Finitude dépassée à Face Divine -.
                                               Que Tes paupières à mes cils, Aimé, sont douces !

                                      225. L’Ame, qui au Vrai contemple l’Un, tout Soi-même
                                               Devient, sans Dualité ni Schyze enfin,
                                               D’amoureux maux passant au Pur Amour atteint ;

                                      226. S’apprend à chérir ceux qui furent mal Aimés ;
                                               Le Fruit de chaque instant se cueille en Jouissance ;
                                               Et Toute Chose se goûte, ah ! d’intense sorte !

                                      227. Qui, pour ce Pur Amour, de tout, En Pur Esprit
                                               Se délie, l’Esprit l’inhabite, et Se le lie,
                                               De l’Aube des Siècles à la Fin le soutient,
                                   
                  228. Ineffablement.  Mais nul, avant que d’atteindre
                          A cette anse sacrée, havre de sûreté,
                           Clairement ne perçoit les Mystères d’Amour,

                  229. Les divins secrets de l’Amour purifié-.
                           Ensuite des combats, Il restaure les forces
                           Démâtées par la rage des luttes anciennes,

                 230. Et le jaloux courroux des Démons et des hommes.
                           Puissance d’Esprit, en l’Infini d’Horizon,
                           Illimite ceux dont l’Amour fol, à la voile

                   231. Ample, outrepasse l’aune d’homme faible et piètre.
                            A l’Ancre, au mouillage, là, paisible, Il confère
                            Clairvoyante Sagesse, Félicité, Liesse


                   232. Sereine, Allégresse introublée. La rêverie
                            S’y sculpte une statue, plus belle, d’Ame-Vie.
                            Mais à ceux seuls Il donne, qui vœu Lui ont fait

                   233. Mourir, et, pour leur Seigneur d’Amour, remourir,
                            - D’invisible mourir, être Tout l’Un à l’Autre-
                            Qui, de tous, le plus beau risque à courir demeure ;  

                   234. Si disent les amants : « Il nous faut séparer »,
                            - Ce ne se peut, crainte d’en même Jour mourir -,  
                            Comme il se vit « lui par elle, et elle par lui »,

                   235. Ainsi, s’il fallait qu’avec Dieu – l’Esprit- l’on meure,
                            Ce ne serait que par Lui, avec Lui, en Lui ;
                             Car n’est telle la Lune, apparaissant plus grande,        

                     236. A l’Horizon qu’au Zénith, mais tel, de cet Astre,
                             -Soleil- diffère en éclat, Puissance et Beauté,
                              L’être chéri de Lui, de l’Amour, - Soleil-, Dieu ;

                      237. Aux sables de Vie, visage en vague s’efface ;
                               Toute face en la mer s’engouffre, en Toi renaît ;
                               Si Lui par elle meurt, elle par Lui revit ;

                       238. «  Enamourée, Joyeuseté, m’en vais périe ;
                                D’Amour ne suis laissée ; Ses débords m’emportèrent ;
                                 Seul Sien Baiser à Ses Lèvres retient mon Ame » ;

                       239. A mes lèvres Il porta Sa Coupe d’Amour ;
                                Philtre en est plus fort que tous breuvages ensemble,
                                Dont le sortilège au buveur ne se peut rompre,

                       240. Ni longues Nuits d’Amour jamais plus oublier ;
                                Et, de Liesse, Larmes m’en ruissellent encore,
                                Et sans pleurer n’y puis, à Bonne Heure, songer ;

                        241. De Ses Lèvres l’effleurement Tout enamoure.
                                 Qu’on ne mésentende : La déposition
                                 Ne dérobe à soi : Aux insondées profondeurs,

                         242. L’Ame, en terre, à la racine s’ente du Ciel ;
                                  La Dépossession met l’Ame En Grand Amour ;
                                  Des Doux Archanges se transmet la Co-Naissance ;

                           243. Sur leurs orbes, Planètes, Comètes ils meuvent ;
                                    Depuis le Commencement des choses, aux Ames
                                    Ils veillent, de Retranchement, de Vigilance ;                
                   
                                          244. Rien ne peut Dieu refuser, nulle Grâce à l’Humble ;
                                                   La Racine, entée, de Vertu, luit en Clarté,
                                                   Qu’Humilité germine, En Lumière diffuse ;
           
                 245. Grand Dieu, Sa Déité lui donne, étincelante,
                      Laquelle en Lui flue, d’Effluence fluctuante,
                       Par Prière émanée de l’Essentielle Cause ;

              246. Ce qu’a l’hiver de Vie, en dormance, germé
                       En l’opacifiée chair de ses Saints, l’Eden,
                       En Dieu, le transparaît, et les corps irradie.

               247. Où sont temps passés, que claquemurés vécûmes ?
                        Qui, de nos saisons, nous rend la couleur celée ?
                        Qui restaurera ? las ! péries nos amours mortes,

                 248. Dont, pavoisés, nos cœurs portent à s’enchérir,
                          A la rive posés des hommes de douleur.
                          Mais Tu Tends la chaîne de Foy qui treuille aux Cieux.

                   249. Fallut-il qu’en telle durée Tu nous laissasses,
                            Au gros Temps, nos Leçons repasser de Ténèbres,
                            Avant qu’au Secret d’Ineffables Tu nous misses ?

                     250. Les Plis des Choses d’En Haut défont les mystères
                               D’en-bas ; des amours défuntes la meurtrissure
                               S’entourne en vrille aux ombres du domaine vieil ;

     251. – Péremption- . Dessaisi de ses appartenances,
              Où perdait sa peine l’âme aux pauvres ébauches,
              Le Temps, des venets, sur l’Eternel prend l’Echappe !    

252. Songe que cette vie va vers sa Mort marchant,
         Aux Yeux des Volants, en son plonge, en vain, s’abyme,
        Où les Dormants, d’un Somme, leurs Tombes se creusent !



253. Pour eux se sont, en gouffre, déjointes les rives
         D’Ame et de corps, qui, en chair éphémère, furent
        Un Temps en consonance, près le Grand Départ ;

254.  D’où vient qu’à Ton Penser eussions perdu Mémoire ?
         Tyrannie des Passions le cède à Paix fertile ?
         Qu’en Ravissements Fonte de Larmes muassent ?

 255. Quelle est cette Douceur, qui pénètre nos Ames ?
         Quoi, en nous, s’insuffle ? Là-bas, dans ce silence,
         Dort le sonneur. Lui, l’Eveilleur, songe et resonge…

   256. Evanescence, en bas, de formes fantomales !
            Tout s’abolit, de ce qui nous tint lieu de sûr.
            Qu’en dérobée de vie nos yeux tant s’abusèrent ?

   257. Nous qui de glace étions, pareils à Tes anges
            Dormants – long endormement -, recrus de fatigue,
            De Martyre épuisés, en leur Grotte reclus ;                  

258. De tant étrange Vie morte, la Remembrance
        Se garde, comme du mourir d’un naufragé,
       Qui lentement dérive aux rives oublieuses ;

259. De l’endormement des Dormants, en dormitance
   Ils dormaient, lorsqu’à l’Office angéliciel
Ils accourent soudain, rendus à Vigilance ;

260. – Beaux Sept Dormants ! Priants enfants persécutés,
        En crypte d’ église emmurés, tous Vifs,  l’an deux
        Cent cinquante, après deux siècles, trouvés d’un pâtre !

261. L’on les eût dits péris, d’un immortel sommeil chus,
       - Psyché, pour cent années dormante restée, n’eut,
         Au royaume des Morts, leur élixir – Parfum-,

262. Par pleurement d’Aimance, pris à ce dormir,
      - De leur destin la trame, en semblance, défaite –
       De leur tardance, Vigilants, ils s’éveillèrent ;

   263. A nous élever Bien Haut, veillons notre Veille,
           Au grès des Grottes grèges, soupirant, d’humides
           Pièces d’eaux, vers Ta Sainteté de Chaleur chaude ;



   264. Plus que du puyloubier au secret des celliers,
           Dont les Danaïdes savent la cache sombre,
           Résinée, - clairet rare dont fleurent les pleurs -,

265. Le Sang du Christ est rouge, Puissant, Mystérieux :
        Si vos péchés ont de l’écarlate le rouge,
        Neige ils seront ; blancs, si pourpre incarnate ils furent ;

266. C’est pour punissement de leur orgueil qu’aux hommes
         Dieu donna le vin, dit Platon. La pie ils croquent.
        Mais les Siens d’Ambroisie le Christ ensuave ;

267. Que s’en allât leur mie, ils font en Dieu l’Amour,
        Nicement. Ils rencontreront les Désireux
        Là-Haut, qui aux bords de l’Abyme L’ont Prié ;

   268. Du Sublime, ardente vocation ! Aux Cieux Clairs
           Montent, Uniques, de dilection ces Ames ;
          D’Emmurement, elles cueillent la Liberté ;

   269. Aux fenêtres de l’Ame, en miroir, numineuse
          Captation de Dieu, Principe Intelligible,
          Appert, mue son Icône en Radiance pure.

   270. De Sébaste les Quarante Martyrs, en lac
           Gelé jetés, mirent une nuit à périr ;
          Morts debout, de Glace En Feu d’Amour ils passèrent.

   271. Au Saint des saints, vide de tout, n’est que Ton Trône
           De Gloire ; là, l’Ame Divine Tout emplit,
           Et bénit en Grâce ceux qui le Bien désirent ;

272. Vois ! De tous êtres le plus Noble, l’Amant veille,
        Tel le Veilleur du Guet, sur son Eternité
        D’Amante. O Lui ! qui fut proue ! et poupe du Monde !

273. Du Seuil du Palais Se penche au Trône Son Ombre ;
        Nul désormais ne triomphera de son Ame ;
       De ce qu’elle a Vu, il n’est plus d’abdication.

274. Servants ! Suspendez vos soins ! Vous, Ses affranchis !
         Elle ira seule au Roi poser Son diadème !
         De vos mains la fit s’enjalouser Sa Beauté !



275. Toi ! qui, des Temps, la naissance élus, et son  Jour !
         Toi ! qui, des Lieux, fixas le centre, où Tu n’habites !
         Penche-toi, et regarde : Ici se tient Ton sacre !

 276. Ah ! Qu’en rivage, en Lunaison, Splendeur s’incline !
          Qu’au cercle solaire, aurée, fulgure Ton Ombre,
         Qu’à ceux Tu mets, qui ont en Toi leur Demeurance !

277. Sur Son Cœur Il la pose, où battit l’Univers ;
         L’Exilée, Sienne Il clame, à la face des Astres ;
        A Chambre Haute Il la mène, royale, où s’aiment,

 278. Et, hors le Temps, s’aimèrent tous Amants du Ciel ;
          Des Saints la fuite au Désert, réprouvés pour Dieu,
         Voyage au Pays haut, mouille en Ciel d’abysse ;

279. De Cœur de Tout à Tes Splendeurs, Guide ! ô mon Ame !
        Lors, ainsi que Colombelles, à l’Orthodoxe,
        Nous aimerons, Colombellement, Vie d’Un Siècle !

280. Mon Bien-Aimé! Mon Doux Amour ! O ma Colombe !
        Rends nos pieds de biches ! nous passe aux Lieux très Hauts !
        Que de Ta Grâce nous étanche Ta Rosée !

  281.  A Ta Fontaine, les colombelles d’amour,
            Venues s’aimer, à leur insu l’Amour y burent,
            Vie qui ne meurt, ô Source, au Monde, d’Immortel !

282. Ah ! Que sous l’arc-en-ciel, ne suis-je colombelle,
         L’arc d’Amour arquant, aux ponts déserts, Nuée
         Des Fiançailles, Lieu du Christ, qui Ses Ailes donne !

283. Que n’ai-je ces Ailes, pour nos Morts y pleurer,
        Leur plein Souffle du Vivre toucher au Soleil,
       De Lune oublier le plein, Isis se baignant !

 284. Que ne puis-je l’Eau rouvrir qui, dès prime y fut,
          Quand, au Temps primordial, tout n’était qu’Eaux encore,
         L’Eau de Dieu qui monte, et vers Rébecca s’en vint !

   285. De malgracieux chameaux suivie, Rébecca
           Vers Eliézer s’en fut ; femme-clavecine,
           A chaque touche elle vibre, pour l’Envoyé ;



286. La Terre en Ciel monte, embrasée, s’y affraîchir ;
        Les chaudes vapeurs d’humus s’embuent, aux senteurs
        Se mêlent ; d’Ames Vives, leurs Parfums s’exhalent ;

287. Toi ! qui de mainte peine tressas la Couronne,
        De violence telle Aimas que nonpareille ;
        A Tes Amants fervents, viens !  insuffler, infuse,

   288.-  Qu’En Gloire porteuse de Grâce, Tu T’attaches-,
             O Toi, Délectation !  qui ailes les Ames,
            Et de nos Cœurs le colombier de Paix consumes !

289. Colombe de l’Ame, palombe à tourterelles,
        Joignons, en jardin d’Amour, aux jacinthes d’Eaux !
        Par Amour, aux Portes du Jour, m’en vais mourir !

290. O Dieu ! Toi ! qui donnes à qui T’aime d’Amour,
         Et de Toi la requiert, Ta Grâce en luxuriance,
        Puis sur Ton Trésor prodigues, à Foisonnance !

   291. En Son Temple, Son Cœur a mon cœur dérobé ;
            Pour Lui navrée, prie d’aubade Sa colombelle ;
            Amin ! Que tôt Tu nous reviennes et nous Vives !

292. L’Epousée, des Mondes hérite ; sa Prière
         Point ne retombe inexaucée. Elle prononce,
          Tout absous son Empire, et Dieu scelle et couronne ;

293. Eaux ! Ecartez-vous devant l’Arche ! Chérubins,
        Couvrez-la de vos Ailes ! L’Autel des Parfums
        Figure le Cœur, Repos au bois d’oliviers ;

294. Qui nous donnera Tes Ailes de Colombelle ?
         Qu’ailés nous volions vers Tes Eaux Salutaires ?
         Au Bleu du Ciel, nous garde ! En l’état de Vertu !

295. Goélette a quitté l’Arche, tous les pinsons,
         Dessus les Grandes Eaux a éployé ses Ailes ;
          Musc y fleure d’Aloès ; ô Paix ! sur sa Bouche !

296. Ô mon Seigneur ! Libérateur ! Ta Puissance ouvre
         L’Image où pleurait l’Aloe ; elle a pris Son vol ;
        Ô Viduité Sainte ! S’y abyme l’Extase.



   297. Par Tes Prières, la folie qu’ils me pardonnent
            De follement T’aimer. Tu ouvris Ton Silence ;
            Pour Toi cette pavane fit Ton flamant-rose ;

    298. Ô nobles alcyons ! Craignez de révérer
             Ses pieds, Lui qui, pour L’adorer, aux Séraphims
             Aux six Ailes, fit Don d’aimer Vacuité.

   299. Comme au-delà d’aimer aime l’Amour de Dieu,
            A qui n’en veut s’offre l’Amour, intempestif ;
            Violant Pudicité, l’Etre Pudique est Don.

   300. Qui de Toi jouit plus Rien ne veut que trop Aimer,
            A en mourir ; - de ce trop de Jouissance, ah !
             Mourir-. Mais Tu le ressuscites, pour qu’il crie :

   301. «  Je crie vers Toi, mon Dieu, qui m’entends : Vois, Tu viens !
             En Toi Seigneur, je crie ! Emmène-moi encore !
             Je crie pour Toi, Sauveur ! Qui T’aime nous revienne ! »

302.  Qui T’adore, de Pureté tu rebaptises ;
          Ce Baptême est de Feu. S’y ordore tout miasme.
          En Son Cryste est Colombe. S’y complaît Amour.

   303. Avez-vous vu, Amants, avez-vous vu leurs Ames ?
           Ils ont quitté la rive, aux grèves d’oriflammes,
           Folle de vie ; en nef de Mort, leur Jour dérobent ;

304. L’Aurore, de ses doigts, à leurs mains mit l’Alliance ;
         A leur lèvre, éclose, incarnat, Sa Rose Amour ;
         Au Cœur, Perle sans prix du Royaume, elle enchâsse ;

  305. Le lys des champs, qu’a Dieu de Sa Splendeur vêtu,
           Point plus ne scintille que leur radieux visage ;
           C’est épure de Lune, sous laquelle ils vaguent ;

     306. Lorsqu’aux flots le Soleil s’abyme, Astre rapide,
             De splendeurs du Couchant en Fleurs de Mer sombré,
             En ses yeux ocellés, un paon mire ses plumes.

   307. En l’Océan du Ciel, sur la barque du Jour,
            Dieu du Soleil, à Fleur de Sa Terre, navigue ;
            En barque de Nuit, aux Embaumeurs Il s’enfonce ;



    308. Caps vifs-argent, lames dorées, Rosaces d’Ondes,
              Plus rien, à Ton cou d’Aède, n’effraie l’Amante ;
              Au miroir de Tes Eaux, Tu as miré Tes chantres ;

  309. Leur âme Tu fais Tienne ; et cette Ame est Ton Ame ;
           S’y contemple Cryste, Aigues marines, Glycines
          De Ciel, cristallines lueurs, opale En Feu.

   310. Brûlant d’au Pays de l’Ame amarrer l’Esquif,
            De Justice nous hissons le foc, aux Vertus
             Chantant nos lais d’Amour ; là, nous verrons le Prince ;

   311. Vite ! A la Belle, courons ! C’est là qu’est le Prince !
            Ailleurs, tout dort, rêvant de dormir. Floralie,
            En ce Paradis, de l’estive tient le lieu.

   312. Comme au cou de l’amant l’amante fort s’accroche,
            L’Amante à l’Amant son Ame lasse recharge ;
            De son cœur sur le Sien ouït le pulsatile ;

   313. Ainsi qu’à Dieu se refait l’Ame épuisée ;
            A Lui, d’ultime Effort, elle s’agrippe toute ;
            Son miroir brisé capte les Ondes divines ;

     314. Dessus Son Cœur s’incline l’Ame violine ;
              A la Source elle s’accorde de la Puissance,
              D’enstase s’enforce, qui l’Extase précède ;

   315. Lors, Tu dévoiles l’Ampleur, amplifies le Cœur ;
            Aux Souffles du Large, Tu éploies sa mantia ;
            Jours alcyoniens, d’Amplitude étayent Ton Amble.

316. Tu lui fermes les Yeux – Captation intense - ;
         Tu invoques Ta Force, en biche l’y étanches,
         En Vertu de cette Eau, dynamique Puissance ;

317. La Nuit verse ses pleurs de rosée ; c’est d’orgueil ;
         Le Cœur cache les siens : c’est de Contrition :
         L’Humilité couronne une Beauté secrète ;

318. Soleil que leur Nuit ! Noce à l’arrachée du monde !
         Hors l’entrelacement, se prenant de courage,
         Ils s’avouent être à l’Extrême de leur Possible :



 319. Mieux écoute Dieu la Prière de qui souffre ;
          S’étrécit l’Ame que l’Ascèse canalise ;
         De souffrir pathique, toute, elle se concentre,
       
     320. Monte bleuie, se hisse, haute à l’Horizon ;
         Elle prend des couleurs, Vertus en sa parure ;
Ce n’est plus le voile d’Isis - ; s’en orne un Monde ;

321. Ayant de tout manqué par pénurie d’Ascèse,
        Hélitreuillée naguère, elle est montée très haut.
        Inséparée de Christ, elle goûte la Vraie Vie.

  322. D’un ventre nue surgie, nue elle s’en ira,
           En ses seules Vertus s’approchera du Ciel ;
          Elle y retrouvera un Corps de jeune femme ;
         
323. Telle est la Rose qui de soi n’a plus souci,
         Ni d’être vue ne désire, car Dieu, de Tout
         Prend soin, et son Désert Il refleurit d’Or pur ;

324. Ce Désert, sous le linceul de ses sables blancs,
       Ses Eaux cèle, sous d’écarlates plis d’Esprit,
      Qui lui sont chaudes fontaines, bienfaisantes ;

325. Chair contre chair, cœur contre Cœur, âme contre Ame,
        Etre contre Christ – Est-il Bonheur plus Suave ?- ;
        De rassembler un Monde s’y trouve la force ;

   326. Au corps à Corps, l’Energie de Vie se diffuse ;
           C’est un Souffle Vital , en Respiration d’Ame ;
           Car la Prière du Cœur est Pulsation ;

   327. Vif, l’Etre en soi-même au Bonheur parfait atteint ;
          - Souverain Bien, non point contentement
          De son état, mais unitive Fusion

     328. De l’hypostase humaine avecques la Divine,
             Somptueuse, Splendide, en quoi s’accroît chacune,
            Et, croissant sans cesse, Son Essence conserve :

   329. En rien extirpés, ses opposés coïncident ;
           Se quitte enfin l’Enfer de la Disproportion
          De soi à Soi. Le Cœur Voit, en sa Transparence ;



330. L’on y Voit dans l’Azur. Pensée passionnée
        D’un corps de mort-vivant, lourde, plus ne s’y meut ;
        S’allège tout fardeau. Les souffrants sont chantants.

  331. Au portail Ecclésial, monte Acclamation ;
          Les pas s’enguirlandent aux mains des Tympanons ;
        -Bois d’emmêlement - ; qu’aux Vents aillent les clarines !

332. Rhapsodes chamoisés ! Vos pieds, cabris aux pentes,
         De lestes dahus les sentes sacrées foulèrent,
         Où l’Ame En Dieu reçoit l’Illumination ;

  333. Aux rapiéçants poètes, « lyres de l’Esprit »,
           Consonnez-vous ? Fut ainsi dénommé le grand
           Saint Isaac le Syrien, Poète d’Art.

334. Dieu dans l’Etre comme à Sa porture se tient ;
         Mais Il est Temple, sur ce parvis érigé ;
         Son Intellect suprême a le Lieu, le Temps, l’Etre.

   335. Sur la vague de fond de l’éclipse où la Lune
            Et le Soleil s’encontrent, en Nuit de sa Douleur,
             Pose un poète la Rose du Témoignage ;

336. Du Seigneur de la Mer sont fleuris les parvis ;
         En Mimésis se cherche Originarité ;
         L’Ame s’applique à saisir les Energies Saintes.

337. Point elle ne se dévêt, touchant à l’Essence ;
         Des Mers la Souveraine approche à son rescrit,
         Qui de Désir les bleues Transparences arpente ;

338. Au péril du Temps, elle guide à l’Absolu,
        De Nuit l’absout ; au matin, Elle le retrouve,
         Au cône du Cœur sise, où s’aiguise Acuité,

339. Au-delà de la pente de la rêverie,
        Au plus intime enclos, au plus forclos de Soi,
        Lui apprend ces mots : « Sainte Mère, sauve-moi ! »

340. – En l’état se mettre, au plus retiré de soi,
           De recueillie méditation, d’Art Spirituel-
          Pour en ses régions entrer de Contemplation ;



   341. Mon Christ ! Théophanie ! D’Amour Visitation !
            De Tes Yeux les tons changent, de Couleur christique !
            Les Grands Transparents en Félicité se meuvent ;

    342. A qui Te chérit paraît Ta Couleur non-peinte
             D’inassouvissement ; Ton Nom est l’Innommé ;
             Car Tu Te meus parmi les lumineux Principes ;

    343. Qui du monde voit les couleurs ne peut saisir
            Le Secret Saint de l’Angélification
            De Perfection sereine En Lumière Incréée ;

   344. Diaphane Intelligence ! en l’Ame qui laissa
            Passer du Paradis la Lumière des Anges,
           Dont le Premier Ordre est Christ Irradié !

   345. Pivoine est la Mauve, où la Robe d’Eaux s’aère ;
            Brûlante, Ta Tiédeur, qui ne se nomme encore ;
            Va ce vaisseau, d’Amour ; un lé joint les Amants ;

   346. Au Commencement sera l’Etre. Oublie l’amour.
            L’Amour est seul possible. Deçà gît le reste.
            L’Innocence, au Premier Jour, cy restaure Eden.

   347. Ici ils n’ont rien laissé, mes Aimés, Beaux frères,
            Que leur Chanson douce d’Aimer, qu’ils font entendre
             Au Firmament. Veillent ris, pleurs, et vos amours.

    348. En Palais Crystal, Amour, Sa cage de verre
            Elève, d’Air, les larmes y transmue, filantes ;
            Lucarne de Lune, Nuit, veillent Sa Radiance ;

   349. Au navigateur des passes, Phare est l’Eglise ;
           Nuit y flamboie, Soleil fuschia y voit Rose ;
          D’ocelles de paons, l’Immense forme la voûte ;

350. Criantes Couleurs ! – ô plumes de ces oisels !-
         Dont, vibrantes de Dieu, ils ornèrent Son Trône,
         En leur Cœur sis, par l’OInt fait Œil et Cœur de Dieu !

351. Aux Yeux fertiles, se décoche, ailée, Sa Flèche
        D’Amour de Dieu ; et sur le dôme fuse celle
        En Croix des Croyants Orthodoxes, qui cy prient ;



 352. Ainsi vit Sainte Sophie Paul le Silentiaire,
          Qui Ta Basilique de Silence habita,
          Où de Ton Esprit s’approfondit le Mystère ;

 353. Que sous l’or des coupoles parut au grand Jour
         Le Triomphe de l’Orthodoxie, la Vraie Foi,
          Où Tu reconnaîtras les Tiens au Jugement.

   354. Mystère sacré de la Quête du Salut !
           Qui meurt avec Toi, Seigneur, avec Toi renaît !
          Comment l’officier ? En nef basilicale ;

   355. Saint Patriarche, Photios de Constantinople,
            En sa Bibliothèque immense peignit Christ,
            En grand Humaniste, dont l’œuvre est Basilique ;

  356. Sophia ! Ta Divine Sagesse qu’aux Saints
          De par Tes Lèvres Tu fais fuser ! Qu’en jaillisse
          L’Arbre de Vie, pour ombrager l’Ame germante ;

   357. Ses pommes d’or sont les fruits d’Immortalité
           De l’Ame de Dieu, qui goûte aux Vertus jouissives ;
          Mais sur sa table elle écrit, et revit Ta Cène ;


 358. Aux frondaisons elle voit rinceaux fleuris, pointes,
            Pinacles, encorbellements, de baptistères
            Fleurons, ressauts sublyrés, voûtes des ogives ;

359. Des transepts s’ouvrent les roses, couleur de Grâce ;
         Des lapidaires les sables, perles de pierre
        Fine, au dessin brillent, d’où s’éclot Vérité ;

360. Mosaïques-miroirs ! Les tesselles n’ont gemmes
        De semblable eau. Sur ces bains d’or, brocards diaphanes,
        Des silhouettes ondulent, d’eau drapées de Mer ;

361. A l’embellie, le Mosaïste vient, s’éverse
        La lumière. Au vaisseau de l’abside il meut
        Une grand’ Résonance, en chambre thalamique ;

362. D’un voile masquées les Beautés se renchérissent.
        Mais par la lumière haillonnée de ces fresques,
       La Couleur, royale, ôte sa gaze à l’Aveugle ;


   363. La luminescence éther, d’ondes concentriques,
           Sur la voûte, à plis lents, se déploie, du Regard
          Christifiant ; limpide, Il transperce qui Le voit ;

 364. A ce milieu lumineux les feux consonnent
          Du liquide miroir où, réfléchi, frissonne
         L’Oeil vivant : Dieu, Voyant Tout, Sa Splendeur répand ;

365. Œil de Dieu ! Oh Pantocrator ! Christ Tout Puissant !
         Fresqué, Tu rassembles Tout, relève l’Espace
         De la terre au théurgique sacre du Ciel ;

  366.  En ce solsticial Espace où tous points s’échangent,
           L’Ascensionnel au Déscensionnel se noue ;
           Le Très-Haut rédime : Sur Ses Mains l’on s’envole ;

  367. Ta Chaîne d’Or relie tous les Priants ensemble,
           Invisible aux Fidèles, en ce vide immense,
           Sous Ta Coupole, à Ton Essence Nue s’ouvrant ;

368.  En chambre intime d’Intériorité, l’Ame
         Résonne. Jaspée vibrance, Colombe, Sein
        D’une Vierge, au lutrin Te médite, féconde.

369. Las ! mon luth est sans cordes, mon cœur sans Pitié ;
        Qu’ouïrais-je en l’esprit tinter la Voix Divine ?
        Qu’En Esprit Te peindre ? Un Vertige est Ta Louange !

370. Bleue de Spiritualité, sa Robe en Simplesse,
        De Lumière se tisse, et ses cheveux de Vierge ;
        Ce lit du désir, pour Ton Feu, Elle renonce ;

371. A ce clos virginal surgi, l’Archistratège
         En l’Esprit met sa sanguine d’Arc-en-Ciel ;
         Iris, au Beau du Ciel son écharpe en oublie ;

  372. Qui ne peut son écharpe donner, en tient lieu
          Un fil, un pétale à qui n’a de Rose Rouge ;
         Plus est de Bonheur à donner qu’à recevoir

373. L’homme vil est un caméléon ; sa couleur mue ;
         Retiré, un Contemplateur, en sanctuaire
        D’Esprit, se fait une Divine Puissance ;.



374. Ô toi, l’Annoncée ! Puits sans fonds, que ne sonda
        Nulle main d’homme ! Que les intempérants soient
        Emus à boire le Pur à ta Fontenelle ;

375. Ô Vierge ! L’Esprit te voulut ensemencée
         Sans qu’en ta matrice les verrous ne s’ouvrissent ;
         Sur toi brillent en polyèdres les étoiles ;

376. En toi du Ciel la Constellation se forme
       Des constellations. Au front, tu ceins l’Etoile,
       Deux aux épaules : Tu portes la Trinité.

  377. Dieu, Tienne est cette Constellation, d’où fluent
           Toutes choses, qui en émanations ruissellent,
           En Roses, que la rosée de l’Hermon plus Suaves ;

    378. Ô Mère de Dieu ! Vêts ta Robe de Soleil,
            L’Or des Impératrices en Hauts Diadèmes ;
            Que te couvre de Dieu l’Ombre, ornée de Lumière !

379. En Soleil rayonne ta Gloire, en pluie d’Etoiles ;
         Ô fille d’Israël ! Plus proche es-tu des hommes,
         D’eux l’Intercédante, à Ton Seigneur la plus Chère ;
380. L’infiniment touchante ! d’être infiniment
        Touchée ! Ô toi ! L’infiniment Droite ! inclinée
         Infiniment vers Dieu pour l’être vers les hommes !

381. Los à la Reine ! Des Arbres muscades fusent
        De blancs pétales ! Mille Fleurs musquent son Sein !
         Cloches aux rosiers ! Du Ciel en blêmit la Lune ;

  382. Aurorale Grâce ! Intelligible Lumière
          De l’Ame Clairvoyante ! Son Regard Voyant
          Se Voit ; la Déité Contemple, a Vue de Tout ;

  383. Mysticité ! Au Couronnement de la Vierge,
          D’Etoiles tiarée, c’est Opale boréale !
          Enigme en miroir ! Ombre  Lumière de Myste !

384. Louange virginale ! A Celui qui vient,
        Tout Lieu habite, et que nul ne peut contenir,
        Ton Sein fit Son trône, plus vaste que les Cieux !

  385. De toi, Mère de Dieu, le Sein est infini,
           Azur bliaud du Ciel, habit de Sainteté,
           D’Incorruptibilité ; - Vie delà la Mort- ;
  386. Icône au miroir, onirique, ci dépeinte,
           Sur ta nef, aux membrures ajustant les voiles ;
           Embrassons ton Ombre, ce peu d’Illuminisme ;

  387. Ce chemin suit nos rêves en la voie lactée,
           A l’émerveillante foule menant des Saints.
           Mirons au Crépuscule du Matin l’Etoile !

  388. Christ En Mère de Dieu, Mère de la Lumière !
          Reine de Ciel et Terre ! Haute Reine des Anges !
           Aux poètes de toi, tu insuffles ta Science ;

389. Aux vitres d’émeraudes, en médaillons ornés,
        S’élucide un reflet, moire d’étoffe peinte ;
        Dans l’Or et dans le Sang s’abolit le couchant ;

390. S’est couché l’astre ; il a dedans la Mer pleuré ;
         A l’aube, les vapeurs en la rosée se mouillent ;
        Le coq de la girouette aux Vents tourne, s’affole ;

391. Aux Lieux où entre le Divin plus n’est nul vide ;
         Surgit Surabondance, en Plénitude d’Etre ;
         De l’enceinte d’une fenêtre, la Vie sourd ;
 392. En Clôture enceinte, l’Ame à son Cœur contemple ;
         En verrière spiralée, tout s’effuse au myste ;
         Le pénètre la Grâce à la rosace vive ;

  393. Hors Fantaisie, tous les Vertueux y reçoivent
          En Image la Contemplation du Bien ;
         De Son Etre s’est assurée la Certitude ;

394. Véronique ! Tu es verrine verrière,
        Du Conseiller merveilleux Belle estampillée ;
        Capte ! des Etoiles mortes la Lumière !

395. Cette Assurance de l’Unique est Infaillible.
        Hors de toute raison discursive, Il délivre
        Par Sa Vision, la Connaissance parfaite ;

   396. Aux injonctions de Conscience, les Témoins,
           Par leur Vie, leurs œuvres, d’Amour l’Amour vous crient ;
            Tels ces statues-colonnes, aux tympans d’églises ;

   397. Aux porches, d’humble mutisme un instant surgis,
           Aux Fidèles ils éploient ce voile au parvis,
          D’Arachné toile tissée, en Vision pure,
398. Aux brocarts fleuris, mêlés de fils de soie ;
        C’est d’Esprit faste Puissance, invite à entrer.
        Puis lors, ces humbles, en statuaire s’effacent.

399. Aux Cryptes voûtées, bat, de cœur basilical,
        L’office ecclésial, où sont reines d’antan,
        Emperesses d’Eglise, et leur Sainte éponyme.

400. De royal époux laissée, gisante, Ingebruge,
         En Abbaye fermée, soit Douleur, soit Blessure,
        De s’abymer prit Désir En Tienne Amour Sainte.

401. Des reines, sous ces berceaux d’ogives, les tombes
        Géminées, aux baies lovées du cœur, quoique closes,
        S’ouvrent aux plafonds de glace, en voûte de Ciel ,

402. Aux Eaux très élevées des étendues célestes ;
        Elles s’en font des surplis ; du Ciel des Cieux
         S’y prend naissance ; le Co-naître en phiale émane.

403. Il est tant d’êtres pour Morts laissés dont le Mal
         S’est en Bien mu. Ces Ames de grande Douleur,
          De par mon Dieu ont, au Ciel, trouvé le Repos.

404. Or, ce ne sont point les Vierges tendres toujours
         Qui eurent pour Mission de rapporter le Ciel
        En terre, comme par un miracle nouveau ;

405. L’Esprit Poétique, ou ce Bonheur partagé !
        Le Réel qu’il rêve advient. Quels plus vrais Poètes
       Que les Saints ? Leur chant mue la terre, sonne l’Aube ;

406. Le Seigneur au matin leur Souffle ce qu’au soir
        Ils diront. Or est Saint celui dont Dieu ouït
         Toutes requêtes souffrantes et épleurées.

 407. Christine de Pisan en vers celait sa peine ;
          En Moniale hors Moniage vécut cette veuve ;
          Qu’écrivassière obscure Il aime, Dieu l’élève ;

408. Serait-ce Epistolière, quelque Ephéméride
         Lisant ou la Lettre d’Amour du Prince, en veille
        Qu’Il trépassera, à Sa Bien-Aimée léguée ?



409. En Sa Poésie, de Dieu les Voyants appris,
         Aux bassins Voient des lacs ; aux mers des Renaissances ;
        Aux parterres, des prairies ; aux fonds, des pinèdes…

410. Sauve-nous ! Seigneur : Il n’est plus de Saints en France !
        Ô vous ! tous les Saints du Seigneur ! Priez pour nous !
       Et vous, louez-Le, Astres et Sa Lumière !

411. Louez-Le, Cieux des Cieux ! Eau ! par-dessus les Cieux,
        Dragons, et tous les Abymes ! Par l’Eau lustrale
        Des pleurs, purifions-nous de Malignité !

412. Qui saurait l’Art conter de la geste des Saints ?
        Qui pourrait ces Ames sentir, aux mille Fleurs ?
       D’aucuns, aux pages des Synaxaires, peignirent

413. Ces Lamentants, las d’une vie de finitude.
        Au Jardin de Ses Saints, qui sont autant de Fleurs,
       La Providence recrée Sa Geste d’Amour ;

414. Car l’Ame n’est plus ce falot entendement
        Qui rien n’entendait, n’intelligeait. Pulsatile,
       Intuitive, et sensitive, en toi, Cœur, bat l’Ame ;
415. Heureux ! sont ceux entrés par l’Echappée des Portes
         De la pénitence, de Pleurs lavant leurs Robes :
         Dieu, celles d’Amour leur ouvre, qui tout éclaire ;

416. Mère de Dieu, Porte du Ciel, et de l’Eglise !
        Marie la Vierge, Aimante et Mère de Christ,
        Ô Douceur des Anges ! Souveraine aux Archanges !

417. Pareille est la Vierge en Manteau protecteur
        A la Sagesse éternelle : Jeune figure
        D’Humilité vêtue, couvrant la Race Humaine,

418. Au Trône chérubique, à la Droite de Dieu
        Sise, seconde après la Trinité, qui tant,
        Tant, en Mère pleuras, gisant, Son Christ voilé ;

 419. Reine ! Ô Tour de David ! Porte de l’Orient !
          Porte Sacrée, par où la Mort fut terrassée,
         Qu’y fit Nidation l’Orient des Orients !

    420. Sur Lui, Son Baptême, s’est la Porte des Cieux
             Déclose, qu’aux battants, grands, tiennent les pasteurs,
             Cortège Lui faisant, dans la Gloire des Anges,
  421. Devant les Siens, auxquels Ses Consacrés d’Eglise,
           Par le Baptême, en Immersion, d’Orthodoxie,
           Le seul Passage livrent devers le Royaume.

422. Les grands Saints du Haut de leurs montagneuses Skytes,
        Les Ermites, vivant au creux des arbres secs,
       Loin du monde, de ses haines, de ses colères,

423. Ont Vu qu’au Jugement Redoutable des âmes,
        Le Christ apparaîtra à ceux qui n’auront Cru,
        Et qu’ils seront assis en Ténèbre au Schéol.

 424. Face à l’Occident, le baptisé en Lumière
          Par trois fois crache sur Satan : Il le renonce.
          Il se lie à son Christ, indissolublement.

425. Tous les regards, en Un Centre, se surimposent ;
         Christ est ce Centre qui fut au Commencement ;
        Du crâne d’Adam mort,  la Croix rejoint la Vie ;

426. Du profonds de son Cœur, où gîte jas d’Amour,
        L’Ame au tombeau ses péchés vient ensevelir.
        Au seul  à Seul, plus jamais l’on n’est seul En Dieu.
427. Sous Ses Ailes brille du Firmament l’Eclat,
        Au Roi des rois, son usufruit, se lie son Ame ;
        Lui, l’Eternel, des passions, un jour déliera.

428. Tes Belles de Nuit sont telles des libellules
         Aux ailes azurine ; la Lumière à l’Ombre
          Se rejoint. C’est l’heure du pieux Récitatif.

429. Au sein de Ta Clôture, Christ, sur Tes Fils s’ouvrent
        Les Portes de la Paix. Ô mon Seigneur ! Tes Enfants,
        Vois, vers les Portes du Ciel ont tendu leurs mains.

430. A leur voûte d’Ombre enclose, au cœur de Ses Saints,
        Montent en stalactites, à la verticale,
        Les Eaux de Rose de leur Ame, au Dieu de Source ;

431. En leur caves cloîtrés, ils s’invisibilisent ;
         De cette Retraite sûre, ils ne se déclosent,
         Pour acquérir du monde la Claire Vision ;

432. Les Sages, en palimpseste vieil, voient le Monde
         Premier, si Pur, auquel Christ a mis Son Reflet ;
        S’y défont du réel les illusoires encres ;
   433. De l’Un-Miroir chaque fragment d’Ame réfracte
           Le beau Désintérêt et l’Eclat magnanime ;
           De Ses bris Il a rassemblé leur Liberté ;

434. A leur huis,, admirant du Seigneur les Beautés,
       Et l’Aurore vêtir la pourpre du Grand Roi,
       Comme au jour, une à une, mènent les Etoiles,

435. Veillent aux fenestrons les Observants de Dieu ;
        Des Yeux, ils suivent les Astres, en leur esprit
         Parcourent les dunes, au long du noir rivage,

436. Où s’allume une alternance d’Etoiles mortes,
        Ou sur leur fin, du faîte voûtant la courbure.
       Vénus, invisible, suit le Soleil de près ;

437. Le Sage est Miroir de Ciel, de Terre Ecritoire ;
        En lui se reflète le Tout : Son esprit, d’Anges
        Se tisse. Bien peu osent l’approcher, de crainte.

438. Mais Dieu est Perfection, en Tout, par Tout, sur Tout,
        Au balancement oscillant de Son Vertige ;
       De cet Enchantement, plus n’est d’Escamotage ;
439. Lune, au lac d’Ame, l’ombre de son âme joint ;
        Que cette Lune trop tôt, trop tard, au point-nœud,
        Frôle la terre,  en varie, solaire, l’éclipse ;

440. Ainsi qu’au tien Soleil, la Lune à Temps s’égale,
        Toi ! Dieu, fis Ton Fils à Toi Egal, et la Femme
        Egale à l’Homme, au point-nœud de sa côte prise ;

441. Au lieu d’Effervescence se consume l’Etre,
        Plus que pâle Vénus, en planète d’amour ;
        L’Ame purifiée la brûlure n’en souffre ;

442. Comme  Vénus, libre étoile matutinale,
        Au-devant du Soleil se lève, dessus lui,
       Après ce dernier, à la nuit, pose sa course,

443. Vespérale, se couche, étoile d’un long soir,
        Et que l’Etoile aussi du Matin, Radieuse
       Encor’paraît, sous son Soleil sa course mène,

444. Toujours du Soleil demeure également proche,
        Ni plus proche, ni plus lointaine que toute autre
        Etoile, - sa très Blanche, seule Confidente-,
445. Ou comme est la Lune en son plein, pleine en ses Jours,
        Sur la Nature ayant sa seigneurie, pleureuse,
       Au sommet de sa force au plus loin la Mer jette,

446. De même, qui veut à l’Union parvenir
        Ne doit, lune faible, en terre sa clarté perdre,
        Qui s’offusque et pâlit, mais en Lune bien pleine,

447. Ou de son dense brouillard sortie, libre Etoile,
        Soir, matin, en tout temps – plénitude des Temps-
        Près Dieu demeurer, en Prière, Acte, ou Pensée ;

448. A qui, humblement, fait tout pour l’Amour de Christ,
        Dieu donne à diriger la Navire du Monde,
       Que, de l’Ombre sortant, Il le mette En Lumière ;

449. Fi de toute échappée ! Angélique est le Temps
        De ceux qui firent tout pour plaire à leur Seigneur.
       Ce sont des Veilleurs, sous verres d’Eternité.

450. Un verrier maître d’œuvre, en une trois rosaces
        Enceignant, tous bris de lumière, En Vision
       Fond, d’un Monde Unitaire – Unicité Divine- ;
451. Or Un est le Monde où Dieu créa l’Homme égal,
       Dit Saint Basile, que d’ailes d’Ange Il orna,
       Multicolores, qu’en la Mort il ne restât ;

452. Qui  de l’Un ne fut enveloppé l’Un n’a Vu ;
        Mais un Saint le fut sous la Nuée, En Vision ;
        Las ! l’œil atteint de chassie ne voit le Soleil ;

453. Qui Bit l’Un, ce fut en lien d’un à Un, sans science
        Que l’Art des arts, Spirituel, d’unitive Amour ;
       La Nuée arquée descend en Cellule Sainte,

454. Par la Prière Sainte appelée, envoilant
       Cosmos, qui tout l’Univers contient, réel,
       Psychique et Spirituel : Trois Roses d’Homme en Un ;

455. S’y Contemple un autre Ciel, non les bouches mauves,
        De blanc de céruse peint, de gloire de Naples,
        De rouge laque, aux effeuillés pétales verts

456. Fusant aux Astres, leur course y achevant, d’Or ;
         Mais ce Ciel est sur terre, oh ! tout mystérieux,
        Et l’Ame, béate, en jouit, silencieuse ;

457. Que l’Ame est grandie de Voir ainsi l’œil de Dieu
Qui l’enserre d’un arc de Roses ! Mais tant Humble
Se sent celle qui naquit poussière d’Etoiles ;

458. Aux arceaux du cloître assis, au Cœur leur Vision,
 Au monde ces Saints  ouvrent tout  grand leurs croisées,
Des verres colorés serties du grand vitrail ;

459. En cime suraiguê de la plus haute chambre
D’esprit pur, ils convoquent l’Union Divine,
En cœur profonds, soupirant à Dieu : «  Viens ! Descends ! »

460. A la pointe fine de la Concentration,
Ils se sont En Dieu par la Prière immergés,
Qui la Mer Divine aux Feux de leur Cœur balise ;

461 C’est là, en cette Vue, que se tient leur Repos,
En Sa Chambre d’Echos que s’épanouit l’Ame ;
Le diamant du Beau, librement, s’irise au prisme ;

462. Ceux-là dans les espaces intuitifs vécurent
D’intériorité profonde, en l’Ile d’Amour ;
S’éclaireront les fonds de leur Recueillement ;

463. Lors, leur Vie devient une lanterne Magique ;
   L’irisé s’ peint de l’étoffe de l’Esprit,
  Qui leur accorde d’exaucer leurs plus chers vœux ;

464. Sous les cabochons ternis des vitraux du monde,
  Ils révèlent l’Art de purifier ce Cœur
   Qu’en Premier Lieu tissa Dieu, au sein d’une mère ;

465. Les Justes, en Cénacle, le Tout parachèvent,
De Divines Beautés investissent le monde.
Ils veillent ceux qui meurent en Joie, jubilants :

466. Ils sont heureux des Retrouvailles avec Dieu ;
Leur Visage n’est plus qu’Illumination.
Mais vous, au contraire, qui gisiez, déprimés,

467. Croyant de vous toute vie retirée, debout !
Et vous qui si longtemps fûtes disparaissantes,
Revenez aux arcatures d’hyperborée,

468. Au matin penchées du balcon où nous vous vîmes ;
En vos intérieurs profonds, ô reines des îles,
Bannissez tout esprit de Découragement !

469. Au Temps long, l’Ame a mal aussi d’Oisiveté ;
A qui de soi se déprend, le Temps ne s’égrène ;
 Que l’Ame, de ses disparus, fasse Mémoire !

470. Dans son petit coin sombre où la restreint Amour,
« Où d’être homme d’honneur on ait la liberté »,
La Conscience Désirante demeure En Dieu ;

471. Il est deux branches à la Croix : l’Apostolat
Est l’une. Vois cy les Douze en leur Cénacle clos
Qui par Foy s’apprêtent à sillonner le monde ;

472. Mais les Ascètes exténués sur l’Athos
Et dans leurs cellules demeurent, à chanter
La Vierge qui d’en pâmoison revient, près Christ ;

473. Ces Fils, pour leur Seigneur, se sanctifient encore ;
D’un seul Cœur ils L’attendent ; sur eux l’Esprit souffle ;
Dieu leur met la Couronne de Béatitude ;

474. Les Saints, usés, T’acclament, gisants sur leur couche ;
Ils ont en leur Voix le glaive, et des ceps de fer
Pour lier les rois de chaînes : C’est là leur gloire ;


475. Hauts sont les pays, là-bas, des amas stellaires,
Où vont, en leurs Constellations, les Etoiles,
Qui sont chanteresses de Tes couleurs d’Amour ;

476. De Dieu célébrante, d’enchanteresse Gloire,
Sourd d’un même jet, sacrée, la poésie pure,
Doctrinale un peu, pour disposer à Tes Voies ;

477. D’Essence Religieuse fut le plus grand Art.
Saints Anargyres ! Savoir-faire et Haute Science
De guérison Tu donnas à Tes Thaumaturges !

478. Tu confères aux Tiens tous les styles de Saints
Et Tes charismes. Car tous reçoivent tes Dons.
Le voyant, Tu veux spiritualiser l’homme.

479.  Vous qui, Tout à Tous vous étant faits, fûtes Un,
De plusieurs faits, en votre universalité,
Les prières que vous dites sont des poèmes ;

480. Christ, en vos Ames, Sa Parole a déposé.
De Sa Divine Incompréhensibilité,
Incirconscrite, vous fîtes le Ménologe ;

481. Du Passionnaire, Il apprend la Sublimité
A Ses Passionnistes, poètes aux violes
D’Amour, religieux – si tant passionnément.

482. C’est Déni de croire que de Nécessité,
De Moïra, mère des Parques, s’enfantât
L’Art, dont, long Temps, elle se dit seule accouchée.

483. Au Cœur de l’Artiste se scrutent les secrets ;
Mais pour que ce que l’Esprit Saint est vraiment très Humble,
Il a instruit cette Ame en Humilité ;


484. De son Art ni le secret ni la fin n’a l’Ame,
Ni Ton Poïétique Génie, Contemplateur,
Dont chacune galaxie ouvre en nues d’Etoiles ;

485. Quel Art ils se sont acquis se voit aux Artistes :
Mais le plus grand Art est celui qu’accomplit Christ ;
Christ couronne de Gloire et d’honneur ceux qui peinent

486. Pour Lui, le Parfait, le Dieu-Homme accompli.
Ceux qu’Il éclaire, Il les fait devenir Lumière.
De Surnaturelle Beauté l’Esprit adorne.

487. C’est l’Heure délicate où l’Ame, le fermoir
Clos des livres, plus rien n’en lit, l’envie éteinte ;
Lors la Prière monte vers son Seigneur Dieu.

488. Combien de Saints, qui rien n’écrivirent, vécurent
Pourtant des Vies dont le récit seul serait fol !
Mais leur Humilité les fit taire, ô Sublimes !

489. Ils restent avec leurs secrets ensevelis ;
Auprès de Toi ils n’ont guère dormi ; debout,
Déjà, ils exultent à Tes côtés, en Gloire !

490. Ils ont vaincu la Mort qui rôdait aux parages ;
Leur vie de souffrants s’est muée en autre Vie
Béatifique, qui croît En Béatitude ;

491. Dieu Poïète ! Ton amplitude ouvre un Monde !
A nos chansons anciennes, mets la ciselure
De Peïthô qui persuade, et beaux traits de déesse ;

492. Et l’Artiste Tien, l’Assonancé, qui Te suit
En Tes Voies montantes devers le Paradis,
Pousse-le, puis l’embrasse de Tes voiles d’Aube !


493. Qui de Dieu, en son Penser, tout attend, se meut
Par son seul vouloir. S’il ne sait quel parti prendre,
Au Temps dit, Dieu le lie, tout en le laissant Libre ;

494. L’Homme Libre n’est point le noble au haut lignage,
Mais celui qui T’a abandonné son vouloir :
Tu lui fais Don-Liberté, rendue au centuple.

495. Mon Dieu ! Vois qu’à de vains vers futiles grimer,
A notre insu passe, impartie, la vie, si brève
Que nous n’aurons rien fait d’Amour que T’en écrire !

496. De ce qu’ont Vu les Contemplatifs, ils soulèvent
Le Voile, en donnent à goûter l’Eau précieuse ;
Ce qu’ils ont fait, ils l’ont écrit avec leur Sang ;

497. Ce qu’ils dépeignirent vient des Textes Sacrés,
Et de leur Expérience aussi de Jeûneurs,
De Veilleurs. Dieu les fit Aèdes Inspirés ;

498. Certains de leurs Livres firent d’amples forêts ;
Ils y mirent à chanter l’Amour Magicien,
Pour enseigner la Sagesse Théorétique ;

499. Sous la Sagesse Pratique, court leur Vie même,
Sous le Labyrinthique, l’Authenticité ;
Sous l’allusif se restitue la Dogmatique ;

500. Ils ont dépassé l’œuvre au noir de l’alchimiste ;
Leur Silence a sculpté l’espace de la Nuit,
Et ils l’ont rempli de leur Prière vibrante ;

501. Ils ont rejoint la Nuit Originelle, non
Point l’antique nuit, de nos péchés alourdie,
Du Chaos venue, la primordiale nuit,


502. Qui Chronos le Temps, puis le Diable, et la Mort
Enfanta, malfaisante, ennemie du beau jour,
Nuit de l’âme obscurée, aux Enfers dévolue,

503. Abyme d’Informe, qui n’est la Nuit Divine
De Moïse entré En la Ténèbre Divine,
Où sourd, en Arc de Nuée, le Voile de Gloire ;

504. Ces Voyants ont descellé, de Sept Sceaux Scellé,
Le Livre qu’au Temps du Malheur descelle l’Ange,
Au Cœur de qui, dans l’Ombre, crie vers la Lumière,

505. Sachant que la tristesse et la joie se succèdent
Comme la nuit et le jour. Mais la Joie en Dieu,
-Joie d’Amour-, la tristesse plus jamais ne vainc ;

506. Cette irrépressible Joie aux Adversités
Même demeure, celle d’avant tous les Ages,
Celle d’avant les Temps de la Vraie Vie d’antan,

507. D’avant cette longue traversée des années,
Lorsque les Saints nageaient en la Béatitude ;
C’était cette Nuit qui se faisait Lumière.

508. La Solitude, la Persécution, la Mort,
De si Très Haut, sonneraient plus avantageuses,
Que d’être à soi-même une lyre dissonante ;

509. Mais en bonne compagnie ils s’y voient, et belle
Harmonie des contraires, sous Christ subsumés ;
Dieu leur y est Jour et Nuit, Ombre de Lumière ;

510. De la mer démontée des passions sauvés,
Des éléments déchaînés, l’Ame avec le Ciel
L’Affinité retrouve et l’Incorruption.


511. Sous les Vents ils attendent l’Union Divine,
Les Manifestations Fastes, les Miracles,
Et, de la Révélation, la Libération ;

512. Celui qui aux ailes du Désespoir pendu
Ne pouvait que choir, à présent serein, et Libre,
Quoi qu’il en fût, lût-il en Dieu, plane En Esprit ;

513. L’escorte, en Blanche éployée, l’Oiselle des Mers,
Qui guide à la Paix les médusés du radeau
De l’Ame, aux Lieux Hauts fortifiés, Antres des Sages,

514. Vers l’Idéale Cité le menant, aux Portes
Eternelles, leurs linteaux étageant vers Dieu,
De mille fenêtres à la Lumière ouvrant,

515. D’Eclairs transperçant la chape de l’Apparence ;
Aux solives se pouvait lire cet adage :
« Aime et fais ce que voudras, d’un qui n’appliqua ;

516 .Ô vous qui toute nébuleuse aviez perdu !
Regards d’orbites ! Bouches chues ! Plis d’amertume !
Ames idiotistes, inaccomplies,  malades !

517. Vous qui des yeux ne pouviez sonder nulle abysse,
Sans crainte d’y sombrer votre désespérance !
Ô vous, approchez ! Son Abyme est Plénitude !

518. Nuit ! de Ta grande Pâque ! Ondée spirituelle !
Ta Lumière lève de tout le voile, oh !
Illumine le Ciel, l’Enfer, et la Terre !

519. Venez ! Naissez Lumière ! où s’allume l’Aurore ;
Le Prince de toute Mansuétude y gîte !
Qui vient à Lui, courbé, d’un autre âge exténué,


520. A Sa Source n’épuise les flots de l’Aimer ;
S’y verse Alacrité, en corne d’Abondance ;
Au dard des yeux n’y sont pétrifiées les Licornes ;

521. Si la Licorne veut ce que l’Eléphant fuit,
L’Ascète s’attelle à l’Ouvre de la Vertu.
Vois, Seigneur Dieu, qu’en Cerf brame Ton Solitaire !

522. Aux pieds de Jérôme, son Lion, de Séraphim,
Son Ours, de Marc, son Aigle : C’est un bestiaire.
Les bêtes ont reconnu leur Dieu. L’homme, non.

523. Si Licorne fut Orgueil, Sirène, Flatterie,
Christ-Dieu est Pélican, qui donne aux Siens Son Sang,
Lequel, en l’air lancé, sur les Impies retombe.

524. Si vous voulez cueillir les Fleurs de la Vie, faites
Ce que vous voudrez mais avec la clef d’Amour ;
D’où, vers le soir, Tu viens, mets sur l’autel Ta lampe,

525. A l’Heure où de Désir le Brasier s’allume ;
Dès lors, l’amer n’entre plus au Pays de l’Ame ;
Les Suavités du Ciel et l’Amour y descendent ;

526. Les Saints ont cessé de parcourir l’Univers
Sous le Soleil, qu’ils savent, sur son char doré,
N’être plus qu’un rayon du Soleil de Justice ;

527. Se purifier pour Christ, en Pénitence Sainte,
Est devant Dieu plus grand que tous ses biens donner
Et courir le monde en Vaticination ;

528. De cette Terre qui, jadis, fut un Soleil,
Ils ont vu – semi-Lunes- les solaires taches
Des péchés de ceux qu’Humblesse ferait des Astres ;


529. Ô Verbe ! Tu es le Dieu Trine Intelligible !
Au Ciel Tu tournes Ton char de Joie Spirituelle !
Tu ordonnes le Monde, éclaires les Ténèbres ;

530. Au Soleil allait Constantin se dévouer,
L’Empereur, du dieu Phoïbos fervent idolâtre,
Aux autels sacrifiant de cendre et de sang,

531. Lorsqu’à l’astre il vit ce Signe en Croix du Sauveur,
Et ces idéogrammes : «  Jésus-Christ Vainqueur » :
« Par ce Signe tu vaincras », disait le prodige.

532. Au Jour de fête de l’Ancien Calendrier,
Sur l’Eglise assiégée des Chrétiens, Diamantée,
Apparut au Ciel une longue Croix d’Etoiles.

533. Sans plus de nuit ni de pluie, sous les Vents d’Esprit,
Les Yeux ouverts sur les mondes intérieurs
Distinguent, Immense, la Présence Divine ;

534. Le triste pouvoir du Temps qui Tout désagrège
N’y a prise. Dans la Nuit où s’embrase un Cœur,
A l’œil visité d’Esprit s’enflambe un Soleil ;

535. A la Visitation de l’Esprit de Grâce,
- Ô Vraie Luminescence de l’Ame Théophore-,
L’être, de Phénoménalité se délie ;

536. De la chaîne causale des causes causées,
Qui des choses n’exhibe que le seul comment,
Le Pourquoi de la Cause Incausée se délivre ;

537. C’est de Beauté la Révélation ! Ô Miroir !
Et comme deux miroirs se renvoient l’Infini,
La Vision Sainte réfléchit le Mystère.


538. S’y voit à fonds de Ciel, renversé l’Infini.
La fée des Eaux de Paix en garde, inamissible,
Le Trésor. Dans sa paume, elle détient un Monde.

539. Orthodoxie ! Cause planétaire ! A sauver
Ce Continent englouti, se sauvera, Tout,
Le Monde, allant de Vertu En Perfection.

540. Car son Fondement, dit Saint Nectaire d’Egine,
Est la Vertu, et sa Fin est Perfection.
Sa planète est celle de Dieu la plus proche ;

541. S’y sublime l’Approfondissement ; s’élève
Tout. Y sourd le Débordement de Ton Amour.
L’Eternité d’Un seul Jour enfin se recourbe ;

542. A perte de Vue, sans cloisonnage aucun, oh !
S’y étend la plaine de Vérité – Splendeurs !
Les Reines des steppes à cœur ouvert y lisent ;

543. Sainte Vassilissa, qui a nom de Princesse,
Martyre Romaine, n’y croise plus Guenièvre,
Périe trop bel objet, sous l’Arbre aux Ames sise ;

544. Il n’y est plus de brèche ni plus de créneau,
Où pleurait Antigone, à défendre le Droit
Des Vifs, à l’altercation s’épouvantant

545. De ses deux frères, tombant demi-morts, percés
L’un par l’autre. Il n’y est plus de Volupté nulle,
En prompt Temps flétrie, telle la peau des Grées, vieilles ;

546. Telle Antigone pourtant, pour le Droit des Morts,
Vint l’Ame à s’ensevelir, menée, blanche, aux marches
De la Mort, d’un Tombeau sur la Mer, s’emmurer ;


547. Aux fenêtres s’encadre la Mer, mais n’en partent
Plus les Fils de la sombre Afrique qui, hélas !
Antan, furent vendus pour un miroir plein d’ombre.

548. La Joconde, maîtresse d’un Doge en secret
S’est évanouie. De son Palais, aux fenêtres,
La Charmeuse, la Dormeuse, plus ne paraît ;

549. En loggia sur rien accoudée, d’où s’admirait,
Au fonds du val d’eau venir une grand’princesse,
Qu’aux noces escortent Tritons, Génies, et Nymphes,

550. C’est la Sainte Abbesse Thaïssia qui s’enclot,
Fille Spirituelle de Jean de Cronstadt,
Saints à leur balcon captant la Semblance à Dieu ;

551. D’Apollon l’inspir au poète plus ne tombe ;
Les cordes d’un luth vide à l’autre sont cédées ;
Aux formes décousues il crée l’Habit de l’Ame ;

552. Le roi et la reine plus n’y viennent saluer ;
A Dieu ! princesses ! Vois cy le roi mis en caisse ;
C’est la fin de la vie, un Memento Mori ;

553. Léonard  plus ne livre sa commande : Il aime
Son modèle ; chaque jour, plus beau le refait,
Et le Monde ; Mort vient, les prend inachevés ;

554. Qu’eût cultivé Mona la Vertu, son sourire
L’énigmatique semblance eût eu de Gandjy ;
-Sa Lumineuse Sérénité Souriante ;

555. Ô ! ces Yeux mi-clos, ces paupières baissées, sages,
Qui du Cœur coupolé Tout l’intérieur espace
D’un unique regard embrasse, et l’Innocence - ;


556.  Cléopâtre est en l’Intemporel enfouie,
Aux alexandrines fenêtres de son phare,
Dont nul ne sut l’éblouissement des miroirs ;

557. S’y voit qu’en pyramide, au profonds, s’en étagent
Force appartements, à la Montée plus Somptueux ;
Comme est loin l’Etage Nival du viol de Lucrèce !

558. Aux pièces d’Eaux penchées des Intérieurs Jardins,
Sous les mortes ondes, dormantes, des canaux,
Flamboyantes, flottent aux fonds des cathédrales

559. D’ombre sombrées, leurs villes englouties, à s’être
Au gouffre brisées du mauvais infini, qui,
Sur leurs pilotis lacustres T’édifièrent ;

560. Péris leurs architectes, gauches astronomes,
Ton Ciel par petit bout scrutant de lorgnette, où
Ne se dévoile, Infinie, la Suite des Choses ;

561. Où sont de Ninive les murs, de Babylone
Les claustras, de Persépolis tous les palais,
Les temples de Baalbeck, la muraille de Chine ?

562. Des rois de Juda les nécropoles royales ?
Où ? La  basilique d’ombre au soleil offerte,
De Stonehenge les pierres, les dolmens des dieux ?

563. Babel n’était de « Dieu la porte », ô Doux Messie
Du Monde ! aux pieds de qui point ne s’étaient assis,
Avant que de la bâtir, ceux qui Ton Nom Saint,

564. Sans Tes fondations y creuser, usurpèrent.
Qui veut, l’entier édifice, au faîte apposer
Du Ciel, sache que Toi seul en choisis les pierres ;


565. Où est Egée ? qu’aux bras de Phèdre oublie Thésée,
Egée qui sur sa terrasse la voile guette,
Noire, par faute d’oubli : S’en jette en Mer, Meurt ;

566. Où ? les royales momies, bleues aux nécropoles,
Aux sceaux de bracelets lazulis, inhumés
Les pharaons ? qui se prirent pour des Etoiles ?

567. Les soleils huréus en jaspe scarabées ?
Les masques d’or Mycéniens, les sarcophages ?
La tête d’Ibis, faux dieu façant dieu Granit ?

568. Thot ? sans son habit plissé, qui en linceul
Emmailloté, fut aux marais déserts laissé ?
Dont les convois par la plaine à présent l’on mène,

569. Ne croisant plus qu’ânons dedans la poussière,
Et des cobras, bouchant nos Puits, où d’Eaux écrit
Maryam, dont, au soir de la Création,

570. L’Esprit ouvrit  les Bouches, lui qui descella
Nos lèvres, bénissant nos dits. Car Dieu est Grand.
Où ? Tancrède, en prison mis du château d’Armide ?

571. Où Charlemagne ? Les Croisades des Impies ?
Qui nos Livres brûlèrent, nos Tours arasèrent,
Nos reliques pillèrent en le Saint Sépulcre ?

572. Ici, au Paradis d’Eden, Vit Wladimir,
Le Saint Tsar qui  en Quête fut de la Vraie Foy,
Lequel, en l’Amour, la Sainte Russie baptise ;

573. Par le Monde il envoya ses ambassadeurs ;
Lorsqu’ils virent de l’Asie Mineure l’Eglise
Orthodoxe, ils se dirent transportés au Ciel ;


574. Qu’à la Lune nous cessions de mesurer
Le Temps apparent, sur la ligne d’Horizon ;
Que Claire fût la Nuit du Jour des Corps Célestes…

575. Perle irradiait, dedans la boue enfouie,
Parmi les ombres de vie, qui passe, Olga, Sainte,
Princesse de Kiev, de Saint Wladimir l’Aïeule ;

576. Saint Serge de Radonège ! aux pins résineux,
Ange du Ciel, Ermite ; par Dieu préservé
Des tentations, aux Tempérants sa Paix instille ;

577. Toi qui, de ta retraite secrète mûri,
Assez, sortit pour devenir de l’entière
Russie l’Illuminateur Tout Spirituel !

578. L’Astronaute, en la Lune, vit bleue la planète ;
Se féconde au fleuve Amour la Sainte Russie ;
Ses Saints ! D’Amour vous avez la Surpuissance !

579. Saint François, de Dieu le Louangeur, et Son Pauvre !
D’Evangélique Simplesse acquit l’Ame Orphique,
Qui Tout chante, Eau Pure, Frère Soleil, Sœur Lune !

580. Terre ! Icône du Ciel Archangélique ! Eau bleue
D’Intensification de soi ! Vie phlogistique !
En Science des Miroirs, Océan Catoptrique !