ARCHIMANDRITE
CHERUBIM KARAMPELAS
FIGURES
ATHONITES
DU
DEBUT DU XXe SIECLE
Editions
L'AGE D'HOMME
Collection
GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES
DU
XXe SIECLE
2013
by Jean-Claude Larchet et Editions L'Age
d'Homme,
Lausanne, Suisse.
Catalogue
et informations :
écrire à
L'Age d'Homme, CP 5076,
1002
Lausanne (Suisse).
INTRODUCTION
Ce
nouveau volume de la collection "Grands spirituels orthodoxes du
XXe siècle" rassemble plusieurs Vies de plusieurs grandes
figures athonites de la fin du XIXe siècle et d ela première moitié
du XXe siècle qui ont été rédigées par l'archimandrite Chérubim
( Karampelas), un ancien moine athonite qui a fondé le monastère
bien connu du Paraclet à Oropos, près d'Athènes. Elles ont été
publiées en grec, par ce monastère, dans des fascicules éparés
formant une série intitulée " Figures aghiorites
contemporaines", et ont été traduites en plusieurs langues.
1.
Sur l'auteur, l'archimandrite Chérubim
L'archimandrite
Chérubim, dans le monde Georges Karampelas, est né en 1920 à
Konstantini en Messénie. Avant sa naissance, son père fut tué au
cours de la guerre avec les Turcs en Asie Mineure, et il passa son
enfance et son adolescence avec sa mère, restée veuve, au Pirée.
Au début de l'année 1938, il se rendit au Mont-Athos, dont le cadre
et le mode de vie monastique avait suscité son intérêt par les
récits de deux moines, les pères Païssios et Chrysante, qu'il
avait entendus lorsqu'il était âgé de quatorze ans.
Après un
bref pèleringe où il visita la skite de Sainte-Anne, Kavsokalyvia,
le site roumain de Saint-Jean-le-Précurseur, la Grande Lavra et le
monastère de Dionysiou, il décida de s'engager dans la vie
monastique à la skyte de Sainte-Anne, dans une callyve dédiée à
la Nativité de la Mère de Dieu, où vivaient dans l'ascèse
l'Ancien Grégoire, le hiéromoine Joachim, et les moines Etienne,
Païssios et Grégoire.
Georges fit
deux ans de noviciat. Le 14 octobre 1940, il fut tonsuré comme moine
et reçut le nom de Chérubim.
Il
ne put cependant séjourner que deux ans à la Sainte Montagne : au
cours du mois d'octobre 1942, il fut atteint d'une amygdalite aiguë
avec des complications cardiaques et rénales qui mirent sa vie en
danger, et son Ancien l'envoya à Athènes pour se faire opérer.
La
situation troublée de ces années ( occupation germano-italienne,
résistance grecque, guerre civile) ne lui permit pas de revenir au
Mont-Athos. D'ailleurs, entre-temps, la communauté de l'Ancien
Grégoire s'était dispersée. Le Père Chérubim fut alors obligé
de rester provisoirement dans la maison familiale du Pirée. Là, il
se lia spirituellement avec des personnalités ecclésiastiques
importantes de cette époque. A la suite de leurs demandes
insistantes, il fut ordonné diacre pendant le Grand Carême de
l'année 1944.
En
1947, il fonda au Pirée, avec les théologiens Constantin
Pouloupatis ( le futur archimandrite Ignace) et Georges Karamantzanis
( le futur archimandrite Athénagoras), la Fraternité apostolique et
monastique "Paraklitos", qui avait une organisation
cénobitique et s eproposait comme objectif de servir l'Eglise dans
le cadre du ministère pastoral et de la catéchèse.
Le
20 décembre 1955, il fut ordonné prêtre pour répondre aux besoins
de cette communauté.
Gardant
dans son coeur l'expérience de la vie monastique au Mont-Athos, il
souhaitait depuis longtemps fonder un monastère, et entraîna les
autres membres de la Fraternité dans la réalisation de ce projet.
En 1962,
après une longue recherche et beaucoup de prières, ils achetèrent
un terrain pour la construction de ce monastère au lieu dit Métochi
dans la région d'oropos, à trois kilomètres du golfe d'Eubée,
dans un paysage paisible parmi les cyprès, les pins et les oliviers.
Le
monastère fut fondé en 1963, année de la célébration du
millénaire du Mont-Athos. Il prit, comme Fraternité, le nom du
Paraclet, et fut doté d'un strict typikon athonite. Statutairement,
il fut pendant une décennie (1968-1978) une dépendance ( métochion)
du monastère athonite de Saint-Paul. Sa reconnaissance officielle
par l'Eglise de Grèce comme monastère cénobitique autonome
relevant du diocèse d'Attique eut lieu en 1978.
Le
fondateur, l'archimandrite Chérubim, fut intronisé premier
higoumène le 19 juin 1978 par le métropolite d'Attique Dorothée (
+ 1993).
Malheureusement,
l'année suivante, le 22 août 1979, une opération chirurgicale
visant à traiter une insuffisance cardiaque chronique provoqua la
mort prématurée du Père Chérubim, alors qu'il était âgé de
cinquante-neuf ans seulement.
Ses
obsèques eurent lieu le 27 août. Il fut enterré au centre du
monastère, à côté de l'église actuelle.
Les
moines du monastère évoquent ainsi sa mémoire :
"
Ceux qui ont connu de près le Père Chérubim ont pu apprécier sa
simplicité, sa mansuétude, sa charité, son humilité, sa
bienveillance et son indulgence. Mais ils ont pu aussi admirer son
esprit monastique, sa patience inlassable face aux épreuves, son
discernement et sa perspicacité. Jusqu'au terme de sa vie terrestre,
il conserva la conscience de son origine spirituelle athonite. Sa
parole exhalait toujours le parfum du jardin de la Mère de Dieu, et
sa plume nous a révélé beaucoup de personnalités et de facettes
inconnues de la Sainte Montagne."
Le Père
Chérubim est en effet l'auteur d'ouvrages qui ont connu un grand
succès : Souvenirs nostalgiques du Jardin de la Vierge, où il
raconte son séjour et ses rencontres au Mont-Athos, et une dizaine
de fascicules dans une série intitulée Figures athonites
contemporaines.
2.
Cinq figures athonites marquantes du début du XXe siècle.
On trouvera
dans ce recueil cinq Vies d'ascètes athonites remarquables dont la
sainteté s'est révélée lors des premières décennies du XXe
siècle. L'auteur a pu rencontrer plusieurs d'entre eux ou recueillir
auprès d eceux qui les ont connus des témoignages de première main
: l'Ancien Joachim de la skite de Sainte Anne (1895-1950), l'Ancien
Athanase de Grigoriou ( 1873-1953), l'Ancien Callinique l'hésychaste
( 1853-1930), l'Ancien Daniel de Katounakia (1846-1929) et l'Ancien
Isaac de Dionysiou ( 1850-1932).
Ces
spirituels sont très différents par leur forme d'intégration dans
le monachisme et constituent pour ainsi dire un "échantillon
représentatif" des divers modes de vie du Mont-Athos :
cénobitisme pour l'Ancien Athanase et l'Ancien Isaac, vie en toute
petite communauté - constituée d'un Ancien et d'un, deux ou trois
moines - pour l'Ancien Joachim et l'Ancien Daniel, érémitisme pour
l'Ancien Callinique.
Ces
spirituels sont également très différents par leurs personnalités.
Ils ont la même foi, le même idéal, la même ascèse, les mêmes
vertus, le même parfum de la grâce divine, mais les expriment de
façon variée, témoignant une fois de plus que la vie chrétienne
conforme à la tradition, tout en étant profondément unifiée, en
reposant sur les mêmes principes et les mêmes pratiques, et en
ayant pour exigence première le renoncement à la volonté propre
dans une obéissance inconditionnelle à l'Ancien ou à l'higoumène,
ne nivelle pas les personnalités, mais permet au contraire à chaque
personne de s'épanouir en Dieu selon s apropre identité,
d'accomplir par Sa grâce le meilleur d'elle-même, et de révéler
pleinement sa vraie personnalité.
Ces Vies
ont d'abord une valeur spirituelle : ces moines sont des exemples de
chrétiens qui ont totalement consacré leur vie au Christ, qui sont
parvenus, par leurs efforts conjugués avec la grâce divine, au
faîte des vertus et qui ont reçu de l'Esprit divers charismes ( de
discernement, de guérison, de prophétie...) qu'ils ont mis au
service du prochain.
Elles ont
aussi une valeur historique. On a beaucoup parlé du renouveau
athonite provoqué, dans les années 1960-1970, par l'afflux de
jeunes moines venus repeupler des monastères qui n'étaient plus
habités que par quelques moines âgés, et y restaurer le
cénobitisme sous la conduite d'higoumènes jeunes et cultivés. Mais
cet apport fut surtout quantitatif, et le premier souci de ces
higoumènes ne fut pas d'innover ou d erénover, mais de se mettre à
l'école de quelques Anciens renommés qui continuaient à entretenir
discrètement mais fidèlement la tradition athonite (1).
(1)
: ( Par exemple l'higoumène Aimilianos de Simonos-Petras prenait des
conseils auprès de l'Ancien Ephrem de Katounakia, l'higoumène
Georges de Grigoriou auprès de l'higoumène Ephrem de Philothéou,
et l'higoumène Basile de Stavronikita auprès du Père Païssios).
Face à
l'image d'un Mont-Athos décadent qu'imposait au milieu du XXe siècle
en France le livre à succès de Jacques Lacarrière, L'été grec,
on savait que la grande tradition hésychaste n'avait en réalité
connu aucune interruption, mais avait été préservée dans d
epetites communautés comme celle de l'Ancien Joseph l'Hésychaste.
Et on a pu observer, dans la seconde moitié du XXe siècle, que
cette tradition s'est répandue dans tout l'Athos grâce aux
remarquables disciples d ece dernier, et à l'extérieur, grâce à
de pieux enfants spirituels ou pèlerins vivant dans le monde,
puisant à cette source pure et vivifiante. On savait aussi que
l'expérience de grands mystiques comme saint Syméon le Nouveau
Théologien ( XIe s.) était vécue par des moines athonites du XXe
siècle, comme saint Silouane, moine cénobite du monastère russe de
Saint-Pantéléimon, qui, sans le témoignage de l'un de ses
disciples, le Père Sophrony, aurait pu rester inconnu.
Ce
recueil nous montre que la tradition ascétique la plus pure et la
plus rigoureuse de l'Orthodoxie, et la tradition hésychaste qui est
une de ses expressions majeures, étaient bien vivaces, en dehors des
cas connus précédemment cités, dans la seconde moitié du XIXe
siècle et dans la première moitié du XXe siècle, et cela au sein
de toutes les formes de la vie monastique ( cénobitique,
idiorythmique, kelliotique, érémitique).
Ces Vies
nous montrent, comme à l'accoutumée, une incarnation vivante des
grandes vertus chrétiennes, en particulier le zèle pour Dieu,
l'esprit de pénitence, l'humilité et la compassion - et toutes les
autres formes de l'amour - à l'égard du prochain. On y voit une
fois de plus comment l'obéissance occupe, dans la vie monastique,
une place fondamentale pour apprendre à renoncer à sa volonté
propre et à être libéré des entraves et de l'esclavage de l'ego,
et à acquérir, dans l'absence de passion (apathéia), l'humilité,
le seul souci de Dieu et de l'autre dans un amour spirituel épuré,
et la vraie liberté et la vraie joie des enfants de Dieu ( Rm 8, 21;
2 Co 8, 2).
L'obéissance
sans réserve à un maître éprouvé, la persévérance dans la
lutte contre les passions au moyen d'une vigilance sans faille
vis-à-vis des pensées mauvaises, la purification permanente de
l'esprit et du coeur dans la pénitence allant jusqu'aux larmes, la
constance dans la prière attentive, la patience inlassable dans les
épreuves, tout cela, vécu au jour le jour sans prétention mais
avec humilité et dans l'amour, aboutit à des résultats spirituels
bien plus sûrs que des exploits ponctuels accomplis dans la
démesure, sans respect du corps et souvent par le faux dynamisme
d'un orgueil inconscient. Dans plusieurs épisodes de ces Vies, on
verra comment, dans un monde dont la littérature se plaît souvent à
vanter les exploits ascétiques surhumains, les Pères spirituels
font preuve de discernement et de mesure, et n'hésitent pas à
inviter des disciples trop zélés à la modération, leur apprenant
à suivre l'itinéraire le plus droit mais aussi le plus difficile :
celui d ela voie royale située, sur une arête étroite, entre le
précipice de l'indolence coupable et le précipice du zèle
inconsidéré.
L'équilibre
dont font preuve ces ascètes remarquables, est bien servi par le
style de l'auteur qui, dans ces récits publiés séparément à
diverses époques, a su constamment rester sobre tout en mettant bien
en valeur les qualités de ces grands spirituels dont il nous a
transmis la mémoire et dont les exemples restent pour nous,
aujourd'hui encore, malgré l'éloignement du temps, du lieu et des
conditions d'existence, étonnamment vivants.
Jean-Claude
Larchet
Je
remercie le Père Placide Deseille de m'avoir confié, pour la
publication dans la collection " Grands spirituels orthodoxes du
XXe siècle", la traduction de ces textes, que lui a léguée
Maurice-Jean Monsaingeon avant son décès. Je remercie aussi les
soeurs du monastère de Solan qui ont contribué à améliorer cette
traduction. Ma reconnaissance va également à l'archimandrite
Timothéos Sakkas, higoumène du monastère du Paraclet d'Oropos, qui
a généreusement cédé les droits de traduction française à la
collection " Grands spirituels orthodoxes du XXe siècle".
Comme les autres volumes de la collection, la révision, une partie
des notes et la mise en page ont été réalisées par mes soins.
J.-C.
L.
I
L'ANCIEN
JOACHIM
DE
LA SKITE DE SAINTE-ANNE
La vie
de Saint Joachim l'Athonite avait déjà été traduite par
Presbytéra Anna et publiée aux Editions de la Fraternité Orthodoxe
Sainte Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, 75004 Paris, et
reproduite sur le blog de Presbytéra Anna.
Chercher
dans les archives du blog : Vie de saint Joachim l'Athonite.
II
L'ANCIEN
ATHANASE DE GRIGORIOU
PROLOGUE
Le deuxième
chapitre des Figures athonites contemporaines nous fait passer de la
vie dans une skite, décrite dans le chapitre précédent consacré
au Père Joachim de la skite Sainte-Anne, à un autre mode de vie
athonite, celui d'un monastère cénobitique.
Le Père
Athanase vécut et s'illustra dans l'un des plus célèbres et
sévères des monastères, le monastère du bienheureux Grigorios.
L'higoumène
actuel de ce saint monastère, l'archimandrite Bessarion, fils
spirituel du Père Athanase, est la source principale à laquelle
nous avons puisé les éléments biographiques. Nous l'en remercions
et le félicitons pour sa profonde vénération envers son Ancien de
sainte mémoire - vénération semblable à celle de saint Syméon le
Nouveau Théologien envers son père spirituel.
En 1950,
nous avons eu nous-même la grande chance de rencontrer le
bienheureux Ancien et d'avoir ainsi pu admirer de près son élévation
spirituelle.
Le
témoignage général des pères de la Sainte Montagne, éclairés en
matière spirituelle, ratifie notre croyance en la grande qualité de
combattant de cet Ancien, et dans ses vertus.
Ainsi le
moine Théoclet de Dionysiou écrit : " Qui était le
bienheureux Athanase du monastère de Grigoriou? Je répondrai
seulement que si j'étais un hagiographe et que si je devais décrire
un saint dont les traits seraient inconnus, c'est le saint hiéromoine
Athanase que je dépeindrais : avec sa haute taille, sa minceur et
l'élancement de son corps désincarné, son regard rempli de
sérénité, son expression douce, le rayonnement intérieur de son
regard, sa paix profonde et la sainte impassibilité de son esprit,
qui se reflète sur son visage, tout en montrant envers ses fils un
amour viril et une douce sévérité. Et enfin, je parlerais de la
lumière spirituelle qui irradiait de toute sa personne."
Nous
sommes assurés que le Seigneur qui récompense ceux qui luttent, a
placé le Père Athanase dans le choeur de ceux qui sont déjà
couronnés.
I.
L'APPEL A LA VIE MONASTIQUE
1.
Les années de l'enfance
Il
y a plus de cent ans est né à Pyrgos de l'Elide, celui qui
deviendra le hiéromoine athonite, le Père Athanase. Il reçut de
Dieu la faveur de naître dans une famille pieuse de douze enfants -
ce nombre d'enfants n'était pas exceptionnel autrefois dans les
familles grecques.
Son
père passait la plus grande partie de son temps dans une des églises
de la ville, où il était sacristain. On le voyait souvent avec ses
jeunes enfants, sous les coupoles de l'église. Et tout
particulièrement avec son fils André - c'était le nom dans le
monde du Père Athanase - qui était tout heureux d'être avec son
père dans l'église.
Il
arrive bien souvent que ceux qui servent à l'église et deviennent
habitués à ce service ne se tiennent pas sur le plan élevé de la
vie spirituelle. Tel n'était pas le cas du père d'André, qui
constituait une exception. Il gardait allumé en son coeur le feu de
la foi et d el'amour de Dieu, ce feu qu'il parvint à communiquer à
ses enfants, et spécialement au jeune André.
Dans cette
sainte atmosphère de l'église, l'âme enfantine et innocente
d'André vivait ses premières émotions sacrées. Et quelles prières
d'enfant, pleines de grâces, faisait-il, celles du matin dans la
pénombre du petit jour et celles du soir, allumant dans le
sanctuaire la veilleuse devant le Crucifié. Et durant les Divines
Liturgies, quelle joie indescriptible ne vivait-il pas quand il
revêtait le sticharion et servait le prêtre.
L'église
était devenue sa seconde maison.
2.
La voix de Dieu
Le désir
d'André pour la vie monastique naquit de la méditation des livres
patristiques. Il aimait lire les Vies des saints Pères, comme les
oeuvres de saint Nicodème l'Hagiorite, les seuls livres religieux
qui circulaient alors en Grèce. Ces livres, les premiers qu'il lut
dans son enfance, élevèrent sa jeune âme dans les hauteurs. Les
merveilleux exploits et les ascensions spirituelles des saints Pères
le transportaient. Les pensées profondes et les ascensions divines
que renfermaient les pages de saint Nicodème submergeaient son
esprit et émouvaient son jeune coeur.
Sans qu'il
le comprît, une voix mystérieuse commença à se faire entendre en
lui; elle l'appelait à quelque chose de haut et de noble. Elle lui
disait qu'il était appelé à une vie supérieure, à une vie
angélique. Il voulait ressembler à ces hommes saints, qui "bien
que liés, sont libres, bien que tenus, ne sont pas réprimés; qui
ne suivent pas la sagesse du monde, mais qui, en tout, sont au-dessus
du monde, qui sont de la terre mais cependant du ciel" ( Saint
Grégoire le Théologien). De tels hommes se montraient si grands à
ses yeux! Cette voix, qui se faisait de plus en plus forte en son
âme, était celle de Dieu.
André
comprit que Dieu l'appelait à suivre un chemin à part. Avec
beaucoup de clarté, cette voie se dessinait peu à peu en lui
jusqu'à ce qu'arrive le jour du courageux départ. C'est grâce à
celui-ci que se sont affermis les fruits abondants de sa vie
spirituelle, que nous allons pouvoir admirer.
3.
La décision courageuse
C'était
l'été 1891, dans la dernière semaine de juillet, quand les jours
sont clairs et éclatants de soleil, que trois jeunes âmes partirent
à la conquête d'une vie pure et lumineuse. De nombreuses
discussions se produisirent, et bien des larmes furent versées
quand on découvrit que trois jeunes gens s'étaient enfuis de chez
eux. ndré et deux de ses amis avaient quitté Pyrgos sans avoir rien
dit à personne, et ils s'en étaient allés très loin.
Aux yeux de
leur âme, se dressait, impérieuse, la montagne de l'Athos. La
Sainte Montagne les appelait et avec tout leur enthousiasme, ils s'y
rendaient. Ils désiraient y vivre pour combler leurs aspirations
spirituelles. Et le fait que la Sainte Montagne fût sous la
dominationturque n'était pas de nature à freiner leur zèle inspiré
par Dieu.
Après
diverses vicissitudes, ils parvinrent à Volos. A partir de là, ils
pouvaient continuer leur route par la terre ferme, mais ils ne le
firent pas à cause des difficultés que pourraient leur causer les
autorités turques. Ils prirent la voie de la mer. Il leur fallait
trouver un caïque, mais en ces jours-là, aucun caïque ne partait
pour la Sainte Montagne. Ils ne désiraient pas attendre ainsi plus
longtemps à Volos. Ils prirent alors la courageuse décision
d'appareiller sur leur propre bateau pour se rendre à la Sainte
Montagne.
4.
Mésaventures nautiques
Après
avoir passé les accords nécessaires avec le capitaine du bateau,
les quatre jeunes gens traversèrent sur leur embarcation le golf de
Pagases ( golfe de Volos), doublèrent Skiatos et s'avancèrent dans
la mer Egée. Longeraient-ils les rivages ou s'avanceraient-ils en
pleine mer? La première route impliquait un long détour, et la
seconde les exposait à des dangers. Cependant, ils préférèrent la
route la plus courte et progressèrent dans la mer Egée, en ligne
droite vers l'Athos.
Tant que le
vent fut favorable, l'embarcation avança à merveille avec la voile.
Quand le vent tombait, il fallait ramer. Une seule chose les
inquiétait : rencontrer le mauvais temps. Malheureusement, ils ne
purent l'éviter. L'un après l'autre, les contretemps apparurent :
le vent contraire, le froid, les grains, et le pire : la mer forte.
Comme cela devait arriver, tout cela les retarda beaucoup, et leurs
vivres commencèrent à manquer. Il leur fallut envisager le risque
de mourir de faim. Dans de telles conditions, ils perdirent peu à
peu leurs forces physiques. L'épuisement ne leur permettait plus de
manier les rames, et quand le vent tombait, leur embracation restait
immobile.
"
Nous ne pouvons pas, par un tel mauvais temps, poursuivre notre
voyage, déclara le capitaine. Il n'y a plus d'eau et les provisions
ne vont pas tarder à manquer. Je n'ai pas du tout envie de laisser
ma peau dans la mer Egée;
-
Faisons demi-tour, commencèrent à dire les deux amis d'André. Il
est impossible de continuer ainsi."
Mais André
ne fléchissait absolument pas dans cette conjoncture critique. Il
gardait une confiance et une fermeté inébranlables dans leur
décision. Il croyait que le Seigneur viendrait à leur aide et que,
tous, ils surmonteraient les difficultés et arriveraient à leur
destination.
Que
disent d'ailleurs les Ecritures : " Si Dieu est avec nous, qui
sera contre nous?" (Rm, 8-31). Ces paroles lui étaient
vraiment chères, et bien des fois, elles furent sur ses lèvres tout
au cours de sa vie, comme nous l'ont dit les pères athonites.
Notre Dame
qui est "le refuge des navigateurs", fêtée en ces jours
parce que le 15 août était proche, n'allait pas les abandonner,
elle entendrait leurs supplications et les exaucerait afin qu'ils
arrivent dans Son jardin béni. Qu'ils y parviennent ou alors qu'ils
meurent.
"
Nous ne retournerons pas en arrière, leur dit-il fermement. Il faut
avoir confiance. Continuons encore notre effort et nous ne tarderons
pas à arriver. Dieu va nous aider."
Et, de
fait, Dieu les secourut. Bientôt un vent souffla qui fit filer le
bateau tout droit vers l'Athos. Et le dix-septième jour de leur
traversée, ils arrivèrent en face du monastère de Grigoriou. Saint
Nicolas, à qui est consacré ce saint monastère, avait entendu les
supplications de ces hommes infortunés et avait accompli un miracle.
Ils
étaient là, devant un monastère athonite. Etait-ce bien vrai? Ils
ne parvenaient pas à le croire. Aucun mot ne peut décrire leur
émotion. Les épreuves étaient terminées, et leurs rêves
commençaient à se réaliser.
"
Sois béni, Seigneur, pour l'amour que Tu nous as montré. Tu ne nous
as pas abandonnés. Nous Te remercions de toute notre âme",
disaient et redisaient les trois jeunes gens.
Au
moment où ils allaient payer le marin et se rendre ensuite sur la
Sainte Montagne, une épreuve vint les bouleverser. Le moine
responsable du port entendit des cris et du tumulte. Que se
passait-il sur ce bateau? Le marin cherchait à obtenir davantage
d'argent; il trouvait trop faible le montant qui avait été convenu.
S'il n'obtenait pas plus d'argent, il menaçait les trois jeunes de
leur faire faire demi-tour.
"
Au secours, Père, au secours!" commencèrent-ils à crier au
moine. Celui-ci les aborda avec sa barque.
"
Ou bien tu laisses débarquer ces enfants, ou bien je te livre aux
autorités turques, crai-t-il, menaçant, au marin."
L'intervention
du moine, qui était fort et musclé, fut efficace. le marin fut
contraint de laisser sortir les jeunes gens de l'embarcation en
prenant seulement la somme qui avait été convenue.
Et
c'est ainsi que se termina cette nouvelle épreuve.
5.
Une épreuve inattendue
Le 15 août
est le jour de la fête de la Mère de Dieu. C'est en ce jour qu'ils
débarquèrent dans le Jardin de la Mère de Dieu! A peine
avaient-ils mis le pied sur la terre athonite, remplis d'une émotion
sacrée et d'élan spirituel. André et ses amis s'agenouillèrent et
embrassèrent la terre, cette terre bénie qui allait un jour les
recouvrir quand ils prendraient congé de cette vie présente. Avec
une crainte religieuse, ils pénétrèrent dans la cour du monastère,
émerveillés par les cellules, les galeries extérieures, les
coupoles et toutes les constructions qui se déployaient devant leurs
yeux.
Ils
prièrent dans le catholicon du monastère, se prosternant avec une
grande vénération devant le saint protecteur, saint Nicolas. Ils
admirèrent l'iconostase, si magnifique; ils vénérèrent les
saintes reliques, et, remplis de joie, se rendirent à l'hôtellerie,
où les attendaient de la nourriture et de l'eau, ce dont ils avaient
tellement besoin, et ils purent ainsi se reposer, ce qui leur était
indispensable après leur odyssée de dix-sept jours.
André ne
pouvait pas cacher sa joie quand il s'écroula sur son lit pour
dormir. Il imaginait qu'ils en avaient fini avec les tribulations et
que tout allait être paisible. Rien ne lui laissait soupçonner
l'épreuve qui les guettait.
L'un de ses
amis, plein de vie, d'un tempérament exubérant, pensa pouvoir
exprimer son juvénile enthousiasme, qu'il avait dû réprimer depuis
tant de jours et qu'il ne maîtrisait plus. Il se mit à faire du
tapage, à faire des taquineries, des plaisanteries, poussant des
cris, sans se rendre compte qu'il empêchait les autres de dormir. Et
le pire, c'est qu'il dérangeait les pères du monastère. Pour
l'ordre et le climat d'austérité du monastère, une telle conduite
était absolument inacceptable. L'higoumène fut obligé de leur
enjoindre de quitter immédiatement le monastère.
Qui aurait
pu rester indifférent devant une telle scène? A la porte du
monastère, au bord de la mer, trois jeunes gens vivaient un drame
épouvantable. Grand était leur chagrin; inconsolables, ils
pleuraient sans s'arrêter.
André se
retira à quelques pas, et l'esprit plein de douleur, s'agenouilla
pour prier. " Saint Nicolas, sauve-nous, secours-nous, ne nous
abandonne pas! Aie pitié de nous et fais que l'higoumène nous
accepte à nouveau! " implorait-il avec des sanglots.
Pour André,
il était impensable de rechercher un autre monastère. Une certitude
intérieure lui faisiat juger qu'il devait rester là où Dieu
l'avait conduit en premier. C'est là qu'il devait vivre, c'est là
qu'il devait mourir.
"
Que se passe-t-il là? Qu'est-ce que je vois?" fit entendre la
voix forte de l'Ancien Victor, qui passait par là.
Il
était le secrétaire du monastère, et fut surpris du spectacle qui
se déroulait sous ses yeux.
"
Comment vous trouvez-vous ici les enfants? Que vous est-il arrivé
pour que vous soyez si troublés. Pourquoi pleurez-vous?
-
Père, sauvez-nous! Nous ne pouvons vous dire tout ce qui nous est
arrivé, toutes les difficultés et les mésaventures qui nous ont
frappés", lui répondirent les trois jeunes gens à travers
leurs sanglots.
L'Ancien
Victor apprit en détail tout ce qui leur était arrivé : le voyage
depuis Pyrgos d'Elée jusqu'à Volos, les péripéties en mer pendant
dix-sept jours, comment ils étaient arrivés au monastère et
comment ils en avaient été chassés. L'Ancien resta stupéfait
d'apprendre tout cela et en fut bouleversé. Après avoir calmé les
enfants, il courut chez l'higoumène et lui rapporta tout ce qu'il
avait appris.
"
Saint Géronda, lui dit-il, je vous supplie de les accueillir à
nouveau. Recherchez lequel des trois est à blâmer, et ayez
compassion des deux autres."
Quand
l'higoumène apprit l'amour qu'ils nourrissaient pour la vie
monastique, l'héroïsme de leur décision et de leurs efforts, et
toutes les épreuves qu'ils avaient traversées, il fut profondément
ému et bouleversé. Et ne tenant pas compte de l'incartade, il donna
l'ordre de les accueillir tous les trois au monastère.
Ce
fut ainsi qu'ils surmontèrent encore cette épreuve.
Profondément
conscients des obstacles redoutables et imprévus que suscite le
tentateur contre ceux qui veulent se consacrer à Dieu, ils
retournèrent au monastère, pleins de joie, décidés à se donner
entièrement au Seigneur.
II.
MOINE AU MONT-ATHOS
1.
La nouvelle arène
Nous
laissons maintenant les deux autres jeunes gens, parce que nous
ignorons leur parcours, et aussi parce que cela ne concerne pas notre
propos. Nous suivons désormais le noble et zélé André
Protogéropoulos - son nom patronymique - qui débarqua ce fameux
jour de l'année 1891 au port du monastère de Grogoriou, pour
commencer une nouvelle page héroïque du livre de sa vie.
Quand André
entra dans la cour du monastère, il se signa et demanda à Dieu de
lui accorder de rester dans ce lieu jusqu'à son dernier soupir. La
rude vie cénobitique, il la voyait comme un champ de bataille sur
lequel il lui fallait combattre pour conquérir le Ciel et le faire
descendre en son coeur.
La voie qui
s'ouvrait devant lui était étroite et pleine d'affliction, mais
elle le conduirait sûrement à la sainteté et à la déification.
Le stade du combat monastique l'appelle et lui fait entrevoir la
victoire. Dans ces luttes, le jeune André - il avait alors dix-sept
ans - renonce à lui-même, sans être soutenu par une quelconque
consolation terrestre.
La chaleur
de sa famille, son bon père, sa mère avec toute sa tendresse, ses
huit frères avec leur amour et leur joie de vivre, tout cela se
trouvait loin, très loin. Il avait tout abandonné pour l'amour de
Dieu. " Il avait renoncé au monde et à tout ce qui est dans le
monde", comme le dit saint Basile le Grand. Dorénavant, son
coeur, son esprit, sa volonté, il les avait remis au monastère et à
son Ancien, pour Dieu.
L'higoumène
du monastère de Grigoriou était alors une éminente personnalité,
le Père Syméon. Il venait du monastère de Saint-Paul, et il était
originaire de Tripolis dans le Péloponnèse. Il était paré de
beaucoup de dons naturels, de vertus supérieures et d'une foi
profonde. Il était sans détours, intègre, paisible, discret et
très actif. Lui et ses moines se donnaient une pein einfinie pour
remédier à la pénurie de logements que connaissait alors le
monastère. Nous noterons seulement ceci : pour transporter et monter
les pierres jusqu'au monastère, ils avaient placé sur leurs épaules
des porte-fardeaux en bois. On ne trouvait pas, en ces temps-là, les
facilités que nous avons aujourd'hui pour les constructions. Et les
finances du monastère étaient dans une situation déplorable, avec
une accumulation de dettes. L'higoumène, avec une patience infinie
et un travail surhumain, réussit à rétablir la situation. Dieu,
qui voyait combien il était indispensable au monastère, le garda
higoumène pendant quarante-six années ( 1859-1905). Pour tant de
vertus et de sacrifice, ses ossements embaumèrent après sa mort.
Entre son
disciple André et lui, naquit tout de suite un accord tacite : André
pratiqua envers lui une parfaite soumission ainsi qu'envers les
moines âgés, même si, à son jeune esprit, certaines choses
semblaient difficiles ou déraisonnables. En contrepartie, son
higoumène devait le conduire en toute sûreté en cette vie vers la
connaissance de Dieu et la sainteté, et lui préparer, dans la vie
future, une place près du trône de Dieu, parmi les 144. 000
"rachetés de ceux d ela terre" dont parle l'Apocalypse.
Cette
harmonie secrète entre eux conduisait à un autre contrat, qui se
ferait plus tard lors d'une cérémonie solennelle dans le
catholicon, en présence de tous les frères.
2.
Moine novice
Le désir
et la décision d'André de revêtir l'habit monastique le
conduisirent à passer par le noviciat. Durant deux années, il
devait être novice, temps durant lequel on jugerait s'il était
digne de devenir moine.
Ces deux
années comportaient de sérieuses difficultés. Il passa
successivement dans tous les services du monastère, sous la férule
des divers responsables. Il souffrit beaucoup. Il supporta patiemment
les rudesses de caractère de certains des frères. Il essuya bien
des fois des rebuffades, qui tombaient sur lui comme des averses de
pluie, les unes après les autres.
A
cause de sa jeunesse et de son caractère sensible et fin, beaucoup
de choses l'accablaient. Mais il ne pouvait pas en être autrement.
Ce n'est pas sans peine que l'on passe de la serre chaude du milieu
familial au champ de la rude vie monastique.
Chacun
l'aidait à s'adapter à sa nouvelle vie - chacun, depuis l'higoumène
jusqu'au plus petit des frères, chacun à sa manière et selon son
savoir. Mais il avait aussi ses propres soutiens dans sa lutte
quotidienne. En premier lieu il avait son higoumène vénéré, son
père sur la terre, "car il est un vrai père, celui qui,
d'abord, est le père de tous et ensuite leur guide dans la vie
spirituelle" ( Saint Basile le Grand). Il lui exposait ses
pensées, ses problèmes, ses doutes et ses difficultés, et il se
trouvait soulagé. L'amour et le discernement de son higoumène lui
donnaient une base solide pour ses premiers pas dans la vie
monastique.
Une autre
consolation, c'était sa cellule. En ce lieu, tranquille et assidu,
il vivait dans la beauté du monde spirituel. Les quelques icônes
qui la garnissaient, parlaient à son âme. Et surtout quand il
ouvrit les livres patristiques, quels trésors il y rencontra, quelle
force et quelle aide il y trouva! Tant de figures saintes, des
centaines d'années avant lui, avaient suivi le même chemin, et
venaient maintenant l'aider. Il ne se rassasiait pas de lire saint
Jean Climaque et de noter ses sages considérations : " De même
que les arbres secoués par le vent prennent de profondes racines,
ainsi ceux qui se tiennent dans l'obéissance acquièrent des âmes
fortes et inébranlables." Et de saint Théodore Stoudite il
apprit que la vie monastique est un combat ininterrompu, "une
guerre incessante contre l'ennemi invisible".
Dans sa
stalle, à l'église, il vivait des instants célestes, lorsque son
esprit goûtait le parfum des prières et des psaumes, des canons et
des synaxes, des cathismes et des acathistes. Pendant les services de
la nuit, Vêpres et Complies, les joyeuses agrypnies des fêtes, les
grandes Divines Liturgies, célébrées avec de nombreux prêtres,
les lents hymnes byzantins, et les hymnes à la Mère de Dieu, il
sentait que le Ciel descendait dans l'église. Les saintes icônes
qui décoraient l'iconostase, les murs, le plafond et les
proskynitaires, ainsi que les icônes de la Mère de Dieu, remplies
de grâces, toutes ces icônes, dont les regards pénétraient dans
son coeur, le remplissaient de paix et de joie spirituelle.
Il
trouvait aussi beaucoup d eréconfort et de force lorsqu'il vénérait
pieusement les saintes reliques du monastère, celles de sainte
Anastasie la Romaine, de saint Grégoire le Théologien, de saint
Cyrique, de saint Damien l'Anargyre (1), de saint Pantéléïmon, et
de beaucoup d'autres saints, entrant ainsi en un vivant contact avec
ces héros et ces martyrs du Christ (2).
(1)
: ( A propos de saint Damien, il y eut un fait miraculeux. Quelques
années auparavant, un grec, Démétrios Théodosiadès, était venu
visiter le monastère de Grigoriou. Lorsque l'ecclésiarque sortit
les saintes reliques pour leur vénération, le pèlerin fut
spécialement ému en voyant la main droite de saint Damien.
Instinctivement, il la prit et la porta sur sa poitrine au niveau de
son coeur. Que se passa-t-il? Depuis des années, cet homme avait de
sérieux problèmes cardiaques. Sa grande foi lui assura que saint
Damien, le médecin anargyre, le guérirait. Et c'est ce qui arriva.
Il fut immédiatement guéri. Après trois jours, il envoya de Daphni
une lettre au monastère pour témoigner du miracle. Tous les frères
ont été très touchés par cette lettre. Ils décidèrent de
l'encadrer et de la mettre dans la pièce d'accueil pour que les
pèlerins puissent la lire et s'émerveiller de la grandeur de Dieu
dans Ses saints.
(2)
: On peut, aujourd'hui encore, vénérer ces précieuses reliques au
monastère de Grigoriou. Celui-ci conserve presque tout le corps de
sainte Anastasie, par lequel Dieu continue à accomplir de nombreuses
guérisons (NdE).
Et, plus
que tout autre chose, il concevait une joie indicible à mesure que
se rapprochait le jour où il lui était accordé de communier au
Corps et au Sang du Christ, pour l'amour duquel il avait tout laissé.
C'est ainsi
que le novice moine se fortifiait spirituellement et s'enracinait
profondément dans le champ où Dieu l'avait planté.
3.
Sa tonsure
André
passa avec succès les épreuves de son noviciat. L'higoumène du
monastère jugea bon de lui donner la tonsure. Ainsi, après avoir
passé deux ans dans le monastère, il fut informé par son higoumène
qu'approchait le jour où il le ferait moine.
Cette
nouvelle le remplit de joie. Il porterait sous peu l'habit
monastique! Dégagé de ses obédiences pour plusieurs jours, il se
prépara pour ce grand événement. Dans le calme de sa cellule, dans
l'étude et la prière, il vécut de grands moments de préparation
et d'attente, comptant les heures qui le séparaient de sa tonsure.
En lisant l'office de la tonsure du grand habit, il ne pouvait
retenir ses larmes. Toutes les promesses qu'il ferait, les anges du
ciel les enregistreraient, et Dieu lui en demanderait compte.
La nuit
avant sa tonsure, il alla chez l'higoumène pour se confesser pour la
dernière fois en tant que novice, et celui-ci lui prodigua sa
bénédiction et de sages conseils. Selon la coutume au Mont-Athos,
il ne dormit pas de toute la nuit pour veiller dans la prière.
L'office de
la tonsure se déroula dans une atmosphère de componction et de
joie. Il reçut solennellement la consécration monastique, et ses
voeux furent inscrits dans le Livre céleste. ANdré, revêtu de
l'habit angélique, avec l'analave portant la croix et la cucule,
tenait en mains un cierge et la croix, et recevait en pleurant les
souhaits des pères :
"
Comment t'appelles-tu, frère? lui demandaient-ils selon le rite
consacré.
-
Moine Athanase, répondait-il d'une voix tremblante d'émotion."
Tous
les frères se réjouissaient de cet événement parce qu'ils
l'aimaient vraiment et le respectaient pour sa conduite
exceptionnelle durant ses deux années de noviciat.
4.
Au métochion de Karyès
Chacun des
vingt grands monastères de la Sainte Montagne possède à Karyès un
métochion, où demeure le moine qui représente son monastère au
Saint Conseil de la Communauté. Le moastère fait accompagner son
représentant par un jeune moine, chargé de prendre soin du
métochion. Ce service fut le premier qui échut au moine
nouvellement tonsuré.
Selon les
canons du monastère, le Père Athanase, qui n'avait pas encore de
barbe, devait vivre à l'extérieur du monastère. C'est ainsi, qu'en
1883, nous le voyons vivre au métochion, auprès du représentant du
monastère. C'est ainsi, qu'en 1883, nous le voyons vivre au
métochion, auprès du représentant du monastère, l'Ancien Jacques.
Il y passera onze années.
Mais quels
étaient le genre de vie et le caractère de l'Ancien Jacques?
C'était un moine dans toute l'acception du terme. Il connaisssait et
vivait la vie monastique dans son expression la plus dure et la plus
authentique. Il appartenait à cette catégorie de moines que "le
Seigneur a éprouvés comme l'or dans la fournaise, ou plutôt, au
sein d'un monastère", selon les termes de saint Jean Climaque.
vec son
regard perspicace, l'Ancien Jacques avait discerné l'âme forte que
cachait le Père Athanase, et il l'entraîna à une grande ascèse.
Il l'aimait beaucoup, mais s'efforça de ne jamais le lui montrer. Il
voulait lui apparaître dur. Il ne lui parla jamais avec douceur et
ne lui sourit jamais. Jamais il ne l'appela par son nom. Il voulait
le garder à distance afin d ele préserver de la suffisance, parce
que la familiarité et la suffisance sont, selon les Pères, la mort
du moine.
Avec
sévérité, il lui ordonna de prendre soin du jardin, des bâtiments,
et de s'occuper de tout le ménage du métochion. Et la plupart du
temps, il lui disait qu'il ne faisait pas bien son travail. IL ne lui
permit pas de faire connaissance avec d'autres personnes dans la
petite ville de Karyès. Et devant les visiteurs, le Père Athanase
se tenait muet. Très souvent, il était traité par son Ancien de
"désobéissant", "n'en faisant qu'à sa tête",
"bon à rien", etc. Comme il était grand et mince, son
Ancien le ridiculisait devant les étrangers, le traitant par exemple
de "ver de terre". " Celui-là n'est bon à rien,
disait l'Ancien, c'est un égoïste, il n'est pas fait pour la vie
supérieure du moine."
La
règle des pères était de destiner au diaconat et à la prêtrise
des moines qui étaient entrés dès leur jeune âge au monastère,
et avaient ainsi préservé la pureté de leur vie. Mais l'Ancien
Jacques n'encouragea pas de telles pensées chez son disciple. "
Toi, tel que tu es, avec l'égoïsme que tu as, il n'est pas question
que tu reçoives l'orarion", lui disait-il. Et il ajoutait que,
en tant que membre du Conseil des Anciens, il ne permettrait jamais
que l'on fasse de lui un prêtre. Et Père Athanase, s'iclinant
humblement avec la main sur le coeur, répondait d'une voix douce : "
Bénissez, Géronda!"
Le dur
travail physique, les longs offices, les jepunes qui l'avaient rendu
si maigre et les rebuffades devant les étrangers, l'absence de toute
consolation humaine - toutes ces choses, il les acceptait patiemment,
comme des cadeaux de Dieu pour le perfectionnement de son âme. Il
supportait tout cela avec patience. Et l'Ancien constatant
qu'Athanase lui répondait toujours avec la plus grande douceur,
qu'il accueillait les plus rudes épreuves en silence et avec
humilité, qu'il disait en toute occasion : " Bénissez,
Géronda", ressentait en lui-même une joie secrète.
Pour
supporter une vie si difficile, le Père Athanase faisait totalement
confiance aux enseignements des saints Pères sur la vie spirituelle.
Ils étaient le fondement de l'édifice que Dieu Se construisait dans
son âme. Son amour des textes patristiques l'armait spirituellement
pour affronter les épreuves et les afflictions. Il pensait que Dieu
voulait qu'il se donnât de la peine et qu'il combattît. Et d'une
âme combattante, il récitait chaque jour le psaume de la Troisième
Heure : " A cause de la parole de Tes lèvres, j'ai suivi les
chemins ardus" ( Ps 16, 5).
5.
Comme l'abeille, à la recherche du nectar spirituel
Quelle
bénédiction que celle de lire des lvres spirituels! Ils sont des
brises douces et rafraîchissantes dans la vie de chacun. Le Père
Athanase les avait aimés dès sa jeunesse, et là, au Mont-Athos, où
foisonnaient les ouvrages spirituels, il allait vers eux dès qu'il
avait un moment libre. Dans les prairies de ses lectures, il
cherchait les fleurs les plus belles pour en faire des bouquets
choisis. Il s'adonna à cette oeuvre dès ses premiers jours à la
Sainte Montagne. Des livres patristiques, ascétiques et
théologiques, il choisissait les perles spirituelles les plus
précieuses et les notait sur unn carnet. Ce travail béni, il le
poursuivit jusqu'à sa vieillesse.
A
l'heure actuelle, nous pouvons voir beaucoup de ses notes manuscrites
entre les mains de nombreux moines de Grigoriou. En les feuilletant,
nous rencontrons des richesses très variées. A côté de textes
ascétiques, sont notés des évènements importants de l'histoire de
l'Eglise; des écrits patristiques voisinent avec des sentences des
sages anciens; outre les enseignements donnés par les Vies des
saints, sont cités des canons importants de la loi ecclésiastique
et des histoires instructives à propos de la Grèce antique.
Voici
quelques exemples de cette collection :
"Puisque
vous êtes mortel, ne vous cnsidérez pas comme immortel."
"
Pas même les plus petits oiseaux ne tombent à terre sans que Dieu
ne le veuille. Nous devrions toujours dire à Dieu : " Que Ta
volonté soit faite"."
"Le
bienheureux Augustin était frappé d'étonnement par les récits sur
saint Antoine et les ascètes égyptiens. " Qu'est-ce que cela?
demandait-il à son ami Alypios. Les illettrés se lèvent et
saisissent le Ciel, et nous, avec notre science sans coeur, voici que
nous roulons dans la chair et le sang.";
"Il
n'a pas été donné à l'Eglise le pouvoir de l'épée en fer, mais
le pouvoir du glaive spirituel, qui est la Parole de Dieu."
"
Personne ne put persuader Pythagore de manger du poisson, parce que
les poissons sont muets et sont le symbole du silence, et que pour
lui le silence était un don divin et céleste.
"
Les esprits des élus cherchent la réclusion, et ils fuient les
assemblées nombreuses."
"
Justinien fonda et établit Sainte-Sophie sur la margelle du puits
sur laquelle le Christ s'était assis."
"
Ecrivez votre inimitié sur l'eau."
"
Il existe cinq baptêmes. En premier, celui de Moïse, lorsqu'il fit
passer les Hébreux à travers la mer Rouge. Le second, celui de
Jean-Baptiste. Le troisième, celui de Notre Seigneur Jésus-Christ,
sans lequel un baptême n'est pas un baptême chrétien. Le quatrième
est le baptême du sang. Le Christ a souffert ce baptême. Et le
cinquième, le baptême des larmes, qui s'opère par le souvenir de
ses propres péchés."
"
Unis ta volonté à celle de Dieu, et tout t'arrivera comme tu le
désires."
"
A la skyte de Véria, saint Grégoire Palamas restait enfermé dans
sa cellule cinq jours par semaine, sans permettre à quiconque d'y
entrer. Il en sortait seulement le samedi et le dimanche pour
célébrer la sainte Liturgie et pour des entretiens spirituels."
"
Ô mon Dieu, Ton apôtre dit justement : " Si quelqu'un ne
commet pas d'écarts de paroles, c'est un homme parfait" ( Jc 3,
2). Applique donc aussi, Seigneur, sur ma propre langue le frein doré
de Ta grâce afin qu'elle ne dise seulement que "tout ce qu'il y
a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable" (
Ph 4, 8)."
III.
" SUR UN CANDELABRE"
1.
Au saint autel
En 1904,
après les onze ans passés à Karyès, l'Ancien Jacques et le Père
Athanase retournèrent au monastère. Comme ce dernier était devenu
riche à son retour! L'arbre de son âme, tant battu et rebattu par
le vent, avait acquis des racines profondes. Et ses branches étaient
chargées de fruits. Après tant de peines, Dieu lui accorda Ses dons
les plus précieux. Sans en avoir eu le moindre présage, il fut
informé par l'higoumène de se préparer à être ordonné. Au
monastère, les moines avaient été tenus au courant de ses progrès
spirituels durant ces années d'absence, et, avec une grande joie,
ils avaient décidé de l'ordonner diacre.
Celui qui
fut le plus ému par cette ordination fut l'Ancien Jacques. Le Père
Athanase reçut de lui les plus chaleureuses bénédictions. Lorsque,
par le passé, il lui avait fermé toute perspective de prêtrise,
c'était par amour.
L'année
suivante, l'Ancien Jacques fut élevé au rang d'higoumène. Il était
en vérité digne d'accéder à cette fonction d'higoumène.
Le
diacre Athanase reçut la charge de servir à la Liturgie et celle de
l'accueil des hôtes. Sa présence à la Divine Liturgie et à
l'hôtellerie répandait la grâce de Dieu sur chacun. Sa discrétion,
sa piété et sa vertu faisaient impression sur tous.
En
1918, à l'âge de trente-quatre ans, il fut ordonné prêtre. Avec
une crainte sacrée, il étreignit le saint autel, se dévouant pour
toujours à ses devoirs de prêtre.
Ses
combats pour la patience et pour l'ascèse portaient beaucoup de
fruits. Gratifié de la divine grâce de la prêtrise, il commençait
une nouvelle phase de sa vie, qui certainement se continuerait
jusqu'à ce qu'il atteigne l'Autel céleste. Cependant, il ne cessa
jamais d'être un humble moine. Bien qu'il fût honoré de la haute
charge de la prêtrise, il resta très modeste et sage, rempli de
patience, d'affabilité et de grâces "devant Dieu et devant les
hommes".
Notons ceci
également : il considérait la prêtrise avec tant de piété et de
crainte, que, plus tard, lorsqu'il devint higoumène et tonsura
vingt-sept moines, il ne permit à aucun d'entre eux d'approcher du
saint autel. Il gardait toujours à l'esprit cette sentence : "
Il vaut mieux être au paradis avec un chapelet (de moine) qu'avec un
épitrachélion ( de prêtre)."
2.
Une rencontre
La famille
du Père Athanase avait totalement perdu sa trace. Mais il se fit
qu'un de ses frères, qui était officier et avait le grade de chef
de bataillon, fut informé qu'il se trouvait au monastère de
Grigoriou au Mont-Athos. Sans attendre, il se mit en route pour le
rencontrer.
Quand il
arriva à Grigoriou, les pères lui apprirent que son frère était
au loin dans un métochion du monastère.
"
Nous l'avons perdu alors qu'il était enfant; nous n'avions pas la
moindre idée de l'endroit où il pouvait être, et maintenant que je
l'ai appris et que je suis venu pour le voir, il n'est pas là!
dit-il aux pères. N'y a-t-il pas moyen que j'aille à ce métochion?"
Le
métochion où se trouvait le Père Athanase était situé dans la
petite presqu'île de la Chalcidique près du village de Balambani -
aujourd'hui Néa-Marmara. Les pères compatissants indiquèrent à
l'officier éploré le chemin pour y parvenir. Et ils prévinrent le
Père Athanase et l'ncien Ananias, l'économe du métochion, de
l'arrivée du frère. La scène qui s'ensuivit révèle la force
morale du Père Athanase.
"
Père Athanase, votre frère est là. Courez l'accueillir", lui
dit-on.
Mais
il ne fut pas ému par cette nouvelle et répondit fermement : "
J'ai renoncé à ma famille pour l'amour de Dieu. Mes frères sont
maintenant ceux qui sont dans le monastère. Je n'ai pas d'autres
frères."
Cependant,
sur l'intervention de l'Ancien Ananias et sur sa demande insistante,
le Père Athanase dut céder et accepta de recevoir son frère un
court moment.
Celui-ci,
qui avait entendu au monastère des paroles très élogieuses sur le
Père Athanase, éclata en sanglots en le voyant.
"
Mon frère! mon frère bien-aimé! Je t'ai retrouvé après tant
d'années! J'étais un petit garçon quand tu es parti de la maison.
Nous t'avions cru perdu, lui dit-il avec une grande émotion et
incapable de se contenir.
-
C'était le dessein de Dieu que je suive un chemin séparé de vous.
Il me fallait me conformer à la volonté divine et que je quitte le
monde", répondit calmement le Père Athanase.
L'officier
lui rappelait des vieux souvenirs, lui parlait de ses parents, de ses
frères et soeurs, de sa famille, de ce qu'ils avaient tous pensé
lorsqu'ils avaient appris qu'il était vivant et s etrouvait sur la
Sainte Montagne. Il lui dit aussi son tourment à lui jusqu'à ce
qu'il puisse venir le voir, et son désir de revenir le voir.
Il
resta tout interloqué quand il entendit son frère lui répondre
fermement et calmement : " Mon frère, je te demande que ce soit
la première et la dernière fois que tu me rendes visite, car, moi,
je suis mort au monde."
A
ces mots, l'officier se mit à pleurer comme un petit enfant. Il
était cependant émerveillé par le courage et la fermeté du Père
Athanase. Quelle force d'âme, quelle grandeur dans ce renoncement
aux personnes même les plus chères! " Qu'il en soit donc
ainsi, mon frère. Je te demande une seule chose : accepte un petit
présent en souvenir de moi."
C'était
une montre. Le Père Athanase l'accepta, ne voulant pas troubler
davantage son frère. " Je la porterai et je ne cesserai pas
d'implorer Dieu pour qu'il t'illumine et te sauve."
Puis son
frère lui fit ses adieux et le quitta pour toujours, le coeur lourd
de chagrin.
3.
La menace des sauterelles
Dans le
village de Voultista, dans la région côtière de Pieria, à l'est
de Véria, le monastère de Grigoriou avait un métochion qu'il avait
acquis en 1857 d'un certain bey turc. L'économe de ce métochion
était très inquiet et appela le monastère à l'aide. Il demanda
qu'on lui envoie un pieux hiéromoine et de saintes reliques.
Un
mal terrible s'était abattu sur la région : d'innombrables armées
de sauterelles, qui, par milliers, apportaient la destruction et
menaçaient de tout faire disparaître.
Sans
tarder, le Conseil des Anciens du monastère décida d'envoyer du
secours. Des saintes reliques furent préparées, parmi lesquelles
furent choisies celle de la sainte martyre Anastasie la Romaine. Le
monastère ne disposait pas de hiéromoine plus pieux que le Père
Athanase. Et lui, habitué à l'obéissance, fit une métanie à
l'higoumène, se mit en prière, prit les bénédictions des pères
et se mit en route pour livrer bataille à ce fléau naturel qui
s'abattait sur ce village.
Quand il
arriva à Voultista, il ressentit une grande peine devant une telle
catastrophe, découvrant tout le dommage fait par les sauterelles.
Dans une détresse évidente, les habitants attendaient que Dieu ait
pitié d'eux; ils n'avaient pas d'autre espoir. Ils accueillirent
avec enthousiasme le secours du monastère, embrassant avec ferveur
les saintes reliques et la main du hiéromoine venu du Mont-Athos,
qui leur fit grande impression dès qu'ils le virent.
"
Père, supplie Dieu pour qu'il fasse un miracle", lui
disaient-ils avec des larmes;
La
situation était critique; il fallait agir vite. Le Père Athanase,
armé de la force de sa foi et portant son étole, commença à faire
des aspersions d'eau bénite. Avec lui, priaient aussi les saints
dont il portait les reliques. Si souvent dans sa vie, il avait
pratiqué l'obéissance envers Dieu! Dieu ne pourrait-il pas obéir à
ses ferventes supplications, Dans un silence de mort qui saisit la
foule de ces chrétiens frappés par ce fléau, on entendait la voix
ferme et harmonieuse du Père Athanase : " Ne condamnez pas ce
pays, ni la vigne, ni le jardin, ni l'arbre, qu'il porte ou ne porte
pas de fruits, ni la feuille verte... Mais partez d ece pays."
Tandis que
les villageois se signaient, le Père Athanase s'avançait au milieu
des champs avec les saintes reliques dans les mains.
Les fidèles
étaient dans l'angoisse. Ce secours venu de la Sainte Montagne était
pour eux l'ultime planche de salut. Mais à leur détresse succéda
bientôt la joie.
Alors que
le Père Athanase continuait à marcher dans les champs avec les
saintes reliques, la nuée de sauterelles, comme fouettée par une
force invisible, s'enfuit, s'envolant au loin. Peu de temps après,
la mer devint méconnaissable, recouverte qu'elle était de myriades
de sauterelles noyées. La région était sauvée de cette plaie
redoutable. Et on ne connaissait pas de précédent à tout ce qui
suivit : l'enthousiasme, les larmes de joies, les baisers sur la main
du prêtre.
Mais ce qui
survint quelques jours après dans le petit port de Grigoriou défie
toute description. Les frères vinrent y accueillir le Père Athanase
en une splendide procession avec de l'encens, des bannières, des
éventails, et dans un climat d'émotion sacrée. Ils l'accueillirent
comme un général romain revenant triomphalement à Rome après
avoir mis en déroute les barbares.
Il
convient d'indiquer que maintenant encore, après tant de décennies,
cet événement est toujours présent à l'esprit des pères, qui en
parlent avec les larmes aux yeux.
4.
Higoumène
En
1914, six ans après son ordination à la prêtrise, on proposa au
Père Athanase d'être higoumène. L'honneur qui lui était échu ne
l'émut pas spécialement, mais, cependant, il ne le rejeta pas. "
Attendons une dizaine d'années", répondit-il, puis nous
verrons.
Durant ce
temps, en dehors de ses fonctions sacerdotales, il assura le service
de la bibliothèque. Il était aussi chargé de faire les prosphores
pour la Sainte Liturgie. Cette obédience n'était donnée qu'à des
moines qui menaient une vie exemplaire.
Quand les
dix ans furent écoulés, ce qu'il avait prévu se réalisa. Qu'il le
voulût ou non, il fut élu higoumène. Sans faire d'objections, il
accepta la volonté des frères qui était aussi celle de Dieu. Tous
les frères se réjouirent de cet événement. Il était celui qui
était le plus digne d'être à la tête du monastère.
En
prenant le gouvernement du monastère, le Père Athanase était
pleinement conscient de la grandeur de sa responsabilité.
Maintenant, en plus de son combat pour sa propre progression, il
devait se soucier de la direction des frères. Il fallait que tous,
sans exception, vivent leur vie monastique le plus parfaitement
possible. Il voyait là un combat difficile.
Il
voulait être pour tous les moines un modèle à imiter. Il
s'efforçait d'être "pour tous, le modèle de la philosophie de
l'obéissance" selon les mots de Théodoret de Cyr. Les plus
négligents des moines trouvaient en lui une aide solide, et ceux qui
étaient diligents, un compagnon d'armes. Il recevait tous les pères
avec une bonté extraordinaire, il prêtait attention à leurs
pensées et à leurs problèmes avec une attention qui ne faiblissait
pas. Ses réponses étaient sages, et il trouvait des solutions à
toutes les difficultés.
Il
arriva qu'un moine, le Père Y. refusa d'accomplir une certaine
tâche. Père Athanase ne dit rien. Il accueillit ce regrettable
évènement dans le calme et la patience. Et il gagna.
Dès les
premières heures du matin suivant, le frère vint à lui, repentant
: " Géronda, pardonnez-moi pour ce que j'ai fait."
Sa
conscience l'avait condamné pour sa désobéissance, et le remords
l'avait empêché de dormir.
L'higoumène,
comme il en avait l'habitude en de semblables occasions, lui répondit
: " Est-ce cela que dit le Christ? Est-ce ainsi qu'Il nous a dit
de nous comporter?" Et après un moment, il continua : "
Sois toujours dans l'obéisssance. Et si une tâche ets fatigante et
difficile, rappelle-toi alors le Seigneur dans Ses souffrances."
Une
autre fois, un certain moine, le Père B., à qui il arrivait d'avoir
de sréactions vives et nerveuses, fit une grande scène dans le
monastère, sans raison sérieuse. Le doux et aimable Père
Athanase, considérant l'intérêt général, usa d'un langage sévère
: " Je vais te donner une leçon dont tu te souviendras."
Le
moine devint enragé et se conduisit envers l'higoumène d'une façon
inconvenante et grossière. Le Père Athanase souffrit en son âme de
la chute du frère et se retira dans son bureau. Lorsque le Conseil
des Anciens du monastère fut informé de ce qui s'était passé, il
demanda que le frère B. fût châtié d'une façon exemplaire et
qu'il fût chassé du monastère. Cependant, le Conseil se heurta à
la charité et à la tolérance de l'higoumène.
"
Si vous prenez une telle décision, je ne la signerai pas", leur
dit-il.
Et
après des incidents de cette sorte, il avait coutume de dire avec
bonté : " L'higoumène est un père pour les moines, et dans
leurs moments de faiblesse, il doit se tenir auprès d'eux."
Le
Père Athanase était particulièrement vigilant pour la façon de
rendre le culte à Dieu dans l'église : " Tout ce qui est fait
pour Dieu doit être fait de la manière la plus parfaite et la plus
digne", avait-il l'habitude de dire.
Il
voulait que tout dans l'aglise fût digne de Dieu, auquel est
adressée l'adoration. Il était méticuleux sur la propreté et la
décoration de l'église; elle devait reluire. Un ecclésiastique âgé
nous rapporta ceci : " C'était mon obédience de nettoyer
l'église, et j'essayais de le faire de mon mieux." Quand, à
l'occasion, l'higoumène d'heureuse mémoire venait me voir et qu'il
voyait le soin que j'apportais à mon travail, il me disait : "Bénis,
Seigneur, ceux qui aiment la beauté de Ta maison!" Quand,
doucement et joyeusement, il disait ces paroles, je ressentais une
émotion indescriptible et il m'était difficile d eretenir mes
larmes.
De
même, il tenait à ce que les ornements liturgiques fussent
somptueux : " Vous avez été jugés dignes d'être les
dispensateurs des Mystères divins, disait-il aux prêtres, vous
devez vous présenter à la Divine Liturgie propres, soignés,
décents et portant vos ornements tout brillants de propreté."
Durant les
agrypnies et aux grandes fêtes, il siégeait sur le trône portant
la mandya de l'higoumène et tenant la crosse. Il donnait ainsi un
caractère solennel et festif à toute la cérémonie.
L'ordre et
l'éclat, qui étaient des caractéristiques traditionnelles au
monastère de Grigoriou, furent renforcés encore de beaucoup sous
l'higouménat du Père Athanase. Dans les cérémonies à l'église,
comme dans les autres domaines de la vie monastique, il donna un
esprit de solennité et de profonde gravité.
La
sobriété, comme cela se disait, il l'avait dans le sang.
Au
moment du repas, il avait l'habitude de ne pas porter son regard à
droite et à gauche, mais d eregarder seulement devant lui. Il levait
les yeux une seule fois pour s'assurer que les pères avaient terminé
leur repas avant d eleur donner le signal de se lever.
Il
n'entrait jamais dans la cour du monastère sans mettre son rasso.
Lorsqu'il parlait, il ne laissait jamais sortir de ses lèvres ni
plaisanteries, ni paroles oiseuses. Chacun de ses mouvements, chacune
de ses actions et de ses rencontres étaient empreints de gravité et
de sérieux. Avant de donner un ordre, il réfléchissait
attentivement, et ensuite il ne le retirait jamais.
Le
dimanche, selon le typikon athonite, il y avait deux lectures à
l'église. L'une après le canon trinitaire et avant l'hexapsalme;
l'autre juste après le second cathisme du psautier. La première
lecture était dite par l'higoumène, la seconde par le prêtre qui
était de service. Lorsque le Père Athanase prenait en charge la
première lecture, il la faisait d'une façon si belle, si
solennelle, si recueillie que tous en étaient profondément émus.
C'était un rare plaisir spirituel. Tous se réjouissaient de le voir
et d el'entendre, et de partager avec lui la signification des
"Sermons sur les évangiles des dimanches."
Le
Père Athanase se distinguait aussi par son application au travail.
Aussi bien comme novice au métochion de Karyès, que comme
higoumène, il était un modèle d'assiduité au travail. Lors des
travaux faits en commun, il insuffalit à tous le zèle. Et plus
tard, lorsqu'il démissionna de l'higouménat, il continua à
travailler intensément. Il faisait chaque jour des travaux manuels,
et d'une façon tout à fait inhabituelle, il demanda à
confectionner les prosphores. C'était une chose inédite qu'un
archimandrite fît les prosphores!
Il
travaillait aussi intellectuellement. Outre l'étude de livres et la
copie de pasages choisis, il étudiait le russe. Il y avait à cette
époque beaucoup de moines russes au Mont-Athos. Avec certains
d'entre eux, il avait noué des liens spirituels, et il lui était
nécessaire de connaître tant soit peu leur langue. On a conservé
des notes de lui qui témoignent des efforts qu'il faisait pour
l'apprendre.
Pour toutes
ces vertus, et d'autres que nous verrons plus loin, le monastère de
Grigoriou pouvait être fier de son higoumène.
5.
Les dons pastoraux du Père Athanase
Quand le
Père Athanase parlait, soit pour exhorter soit pour réfuter, ses
paroles renfermaient une puissance remarquable. Il apparaissait
souvent comme un exemple de personne zélée, remplie de grâce
spirituelle.
Un
moine d eGrigoriou, au caractère turbulent et irascible, était
souvent emporté par la colère et créait des incidents qui ne
s'accordaient pas avec l'atmosphère monastique. L'higoumène, qui
s'affligeait de cette situation, ne disait rien tant que durait la
crise et attendait que le moine se calmât. Un jour, il l'emmena à
la mer.
"
Mon enfant, lui dit-il, sais-tu ce qui arrive avec la mer? Quand elle
est agitée et démontée, elle retourne les barques, brise les
vaisseaux, produit des naufrages et noie des hommes. Et lorsqu'elle
est calmée, attristée, elle contemple ses oeuvres, elle se frappe
la tête et dit : " Hélas! Qu'ai-je fait? Malheur à moi!""
A
un autre moine, peu instruit, qui peinait pour apprendre à lire les
prières de l'office de Minuit, le Père Athanase déclara : "
Père Sabbas, ne dis pas que tu ne peux pas apprendre à lire. Avec
de la patience, on arrive à bout de toute chose. Tu sais combien les
pierres de la margelle du puits sont dures, et cependant la corde, en
tirant le seau, les ronge. Je ne pense pas que ta cervelle soit plus
dure que les pierres du puits."
Quand il
voyait que l'indulgence était nécessaire, il n'était pas sévère.
Mais quand il jugeait que les faits demandaient une répression
sévère, il se montrait rigoureux. C'est ainsi qu'il infligea à un
moine, le Père M., la punition suivante : au prochain repas, il
devait rester debout et dire trois cents prières de Jésus. Celui-ci
considéra la punition comme trop lourde.
"
Géronda, ne me demandez pas cela, vous me feriez partir du
monastère, dut-il.
-
Mon enfant, ici est un chemin, et là un autre! Tu peux choisir celui
que tu veux", lui répliqua calmement le Père Athanase.
Devant la
fermeté de l'Ancien, le frère M. se reprit et se soumit à sa
pénitence.
Le
Père Athanase possédait un grand discernement et une grande
sagesse. Il savait estimer dans quel état se trouvaient les âmes de
ceux qui l'entouraient. Cela était dû à sa pureté intérieure; il
était exempt de toute passion impure qui obscurcit l'entendement.
Quand un homme mène une vie pure, son âme devient "subtile et
lumineuse et infiniment plus pure que l'air le plus léger",
selon les mots de saint Jean Chrysostome dans sa 68e homélie sur
l'évangile de saint Matthieu.
Il
pouvait discerner et apprécier infailliblement les actions secrètes
de ses discimples. Son regrad pénétrait, à travers une apparence
innocente, une réalité loin d'être innocente. Avec un diagnostic
sûr, il pouvait alors intervenir de la manière la plus appropriée
qui soit.
La
façon remarquable qu'il avait de faire face à certaines situations
particulières nous remplit d'admiration pour ses qualités
pastorales. Le récit qui suit nous donne une claire manifestation de
la sagesse avec laquelle il dirigeait les âmes.
Une
nuit, le tentateur chuchota aux oreilles du Père I., le premier
ecclésiarque, des paroles séductrices : " Vas-tu te réveiller
encore au milieu d ela nuit pour frapper la simandre? Interrompre ton
sommeil et supporter ce tourment chaque nuit? Le second ecclésiarque
battra la simandre et, pour une fois, donne un peu de repos à ton
corps, tu es malade."
Peu après,
l'autre ecclésiarque demanda :
"
Père, que se passe-t-il? Pourquoi ce retard? L'heure est passée.
-
Je n'y peux rien, mon frère, je ne me sens pas bien, frappe toi-même
la simandre."
Lorsque
retentit la troisième percussion, les moines occupèrent leurs
stalles; l'office se déroula normalement, tandis que le Père I.,
vaincu par le démon de l'insouciance, restait plongé dans un océan
de sommeil comme du plomb dans une eau impétueuse (Ex 15, 10).
"Juste pour cette nuit", se disait-il, "je vais jouir
de mon repos."
Le
second ecclésiarque informa l'higoumène. Celui-ci, avec sa
clairvoyance habituelle ne put accepter l'excuse de la maladie et
supposa autre chose. Il fallait agir sans tarder et frapper le mal à
sa racine afin d etuer l'ennemi dès son apparition. C'est ainsi que
les Pères de l'Eglise interprètent le psaume 136, 8-9 : "
Fille de Babylone, misérable, bienheureux qui te revaudra les maux
que tu nous valus. Bienheureux celui qui saisira tes petits enfants,
et les brisera contre la pierre (1).
(1)
: ( Selon l'exégèse patristique de ce verset, ces petits enfants
désignent les pensées naissantes et la pierre désigne le Christ
(NdE).).
Quand
on la laisse devenir adulte, l'engeance babylonienne est difficile à
déraciner.
Le
Père Athanase ne tarda pas à esquisser son plan pour résoudre le
problème. Le moine "malade" ne pouvait s'attendre en rien
à ce qui allait se passer.
De
nombreux pères furent surpris de voir un certain nombre de prêtres
revêtus de leurs ornements sortir de l'église. Où pouvaient-ils
donc aller? Où donc, si ce n'est dans la cellule du Père I.?
"
Nous sommes venus t'asperger d'eau bénite et te faire les onctions
d'huile sainte pour te guérir", lui dirent-ils.
Confus de
cette visite imprévue, le Père I. devait rester couché et observer
les prêtres aspergeant tout d'eau bénite, que cela lui convienne ou
non. Il se sentait très mal à l'aise devant cette cérémonie. Il
aurait préféré qu'on le laissât tranquille. Plus le service
avançait, plus sa conscience se troublait. Son âme était remplie
d'anxiété et de malaise. Il craignit que les choses divines ne
fussent tournées en dérision, à cause de lui. Et cela produisit en
lui une grande agitation.
Lorsque les
prêtres eurent fini d'asperger la cellule d'eau bénite, ils se
préparèrent à commencer le service des onctions avec l'huile
sainte (1).
(1)
: ( Il s'agit de l'Onction des malades, ou euchélaion (NdE).).
Alors,
ne pouvant plus en supporter davantage, le moine sauta de son lit.
"
Non! non! Pères! Ne faites pas les onctions d'huile. Cela suffit.
Tout est fini. Je me sens bien. Je vais aller tout de suite à
l'office. Je n'ai rien."
Cela
avait suffi! Le moine n'oserait plus jamais consentir à la tentation
de jouer au malade. En même temps, il ne pouvait s'empêcher
d'admirer la science pastorale de son Ancien. Le diagnostic, la
conception et l'exécution du plan, tout était parfait, bien que
l'Ancien fût un homme sans instruction.
Il
y eut bien d'autres cas semblables. Et dans tous se révélait la
sagesse de l'higoumène.
Un
moine, qui pensait qu'il avait une grave maladie et ne devait pas
assister aux Matines, comprit enfin qu'il était en parfaite santé.
Et
pour relater une autre anecdote, voici celle du Père Gélase. Comme
il était question qu'un prêtre vînt le bénir avec les saintes
reliques et qu'ensuite il fût transféré à l'hôpital, il mit de
côté son terrible mal de tête et se rendit rapidement à sa
stalle.
Et
toujours se révèle cette remarquable pédagogie des Anciens
athonites. D'où tirent-ils leur sagesse? L'auteur de L'Echelle nous
l'apprend : " L'âme unie à Dieu dans la pureté n'a pas besoin
d'instruction, puisque cette âme bénie porte en elle le Verbe
éternel, qui est son initiateur, son guide et son illuminateur (1)."
(1)
: (S. Jean Climaque, Discours au pasteur).
Ô
sagesse des saints Anciens du monachisme!Vous pouvez réduire en
fumée les attaques de l'ennemi. Chacune de vos interventions auprès
des hommes est couronnée de succès. Plaise toujours à Dieu que
nous vous trouvions dans notre quête spirituelle. Alors s'épanouira
parmi nous la certitude que Dieu n'a pas abandonné son peuple.
6.
Le balai volant
Dans la vie
de saint Sabbas le Sanctifié, se trouve une anecdote intéressante
qui témoigne de la façon dont le saint insuffla à ses moines un
esprit d'économie et de frugalité.
Un
moine, nommé Jacques, servait à l'hôtellerie de Lavra. Un jour, il
avait cuisiné une trop grande quantité de fèves, et il jeta le
surplus par la fenêtre dans le fossé. Le saint vit cela de la tour
d'en face. Il vint plus tard ramasser ces fèves, sans être vu.
Quelques
jours plus tard, il invita le Père Jacques à dîner chez lui. A la
fin du repas, il dit au moine :
"
Excuse-moi, frère, de ne pas t'avoir satisfait par ma cuisine.
-
Au contraire, Père saint, tu m'as fait très grand plaisir. Je
t'avoue que depuis des années, je n'ai pas goûté un mets si
savoureux et si bien préparé.
-
Ainsi, cela t'a plus! Mais sais-tu avec quelles fèves j'ai cuisiné?
-
Avec lesquelles?
-
Celles que tu avais jetées dans le fossé, il y a quelques jours."
A
ces mots, le moine se sentit mal. Confus et silencieux, il comprit la
leçon donnée par le saint : tout ce qui appartient au monastère,
que ce soit la nourriture ou tout autre chose, doit être utilisé
avec beaucoup de soin et une grande économie.
Retournons
maintenant au monastère de Grigoriou pour continuer avec une
histoire semblable. Un jour que le Père Athanase regardait la mer
depuis son appartement d'higoumène, il vit un objet surgissant de
l'eau pour aller s'écraser contre les rochers de la côte. En
regardant plus attentivement, il vit que c'était un balai cassé.
Quelques
minutes plus tard eut lieu ce dialogue entre l'Ancien et un moine :
"
C'est toi qui as jeté ce balai?
-
Oui, c'est moi, Géronda.
-
Pourquoi l'as-tu jeté?
-
Parce qu'il était cassé et qu'il ne pouvait plus servir à rien.
-
Oui, le long manche n'était pas du tout abîmé. Pourquoi l'avoir
jeté?
-
Pardonnez-moi, Géronda, je n'avais pas pensé à cela.
-Tu
aurais dû y penser. Un des frères est allé dans les bois, et l'a
coupé d'un arbre, en a ôté l'écorce, puis l'a taillé et mis en
forme. Il a pris toute cette peine! Et toi, comme si tout cela ne
signifiait rien, tu as tout simplement détruit ce manche. Il aurait
très bien pu servir pour un autre balai (1). Maintenant , va le
rechercher en bas de la falaise."
(1)
: ( A cette époque, les moines confectionnaient eux-mêmes leurs
balais avec des buissons épineux).
Pauvre
moine! Il dut faire un grand détour pour trouver un passage
conduisant vers le bas de la falaise. Il dut être très attentif à
ne pas faire de faux pas pour ne pas tomber à l'eau. De plus, il dut
endurer un fort ressentiment intérieur. Comme il le confessa plus
tard, ses pensées le submergèrent. Elles lui disaient : " Quel
ordre absurde t'a donné ton Ancien! Tu risaues d'être précipité
dans la mer juste pour aller chercher ce balai hors d'usage!"
Finalement,
il surmonta toutes ces difficultés extérieures et intérieures et
retourna au monastère sain et sauf, tenant en main ce fameux balai.
A
dater de ce jour - est-il nécessaire de le dire?- il fit très
attention à tous ses gestes, et surtout s'il était question de
jeter quelque chose d'apparemment inutile. Cette descente effrayante
en bas de la falaise vers les vagues écumant sur les rochers fut une
leçon très efficace pour apprendre à faire preuve de soin et
d'économie.
Cet
épisode fut aussi une bonne leçon pour tous les autres pères du
monastère. Le balai volant et les mésaventures du moine qui l'avait
jeté leur apprirent à prendre bien soin des affaires du monastère.
Ils gardèrent toujours à l'esprit ces mots de l'Evangile, "afin
que rien ne soit perdu" ( Jn 6, 12), même s'il s'agit de
quelque chose de petit et d'insignifiant.
7.
La protection des saints
Le poids de
la charge de l'higouménat de Père Athanase était aussi porté par
les saints qui protègent le monastère de Grigoriou. Parmi ces
saints, le premier est saint Nicolas. Environ huit années après que
le Père Athanase fut devenu higoumène, un évènement merveilleux
apporta une grande joie spirituelle à tous les pères, et redonna un
nouvel essor à leur dévotion envers l'évêque de Myre. Comment ne
pas se répandre en glorification quand on est témoin de
l'assistance tangible d'un saint?
Deux pères,
le Père Mikhaïl et le Père Chrysanthos travaillaient à la
boulangerie. Un jour, semblable à tous les autres, ils préparaient
le froment destiné à être moulu au moulin. Ils passaient le
froment dans une machine spéciale pour le débarrasser de toute
saleté ou de tout corps étranger. Mais ils n'étaient pas très
gais parce qu'il n'y avait presque plus de froment et qu'il était
difficile de s'en procurer.
Soudainement,
un vieil homme apparut dans leur aire de travail. Il était petit,
chauve et pauvrement vêtu, et il portait un évangile à la main.
"
Comment allez-vous, Pères? Tout s epasse bien?
-
Bien, gloire à Dieu.
Avez-vous
assez de froment pour vos besoins?
-
Ce que tu vois, petit Père, c'est tout ce que nous avons. C'est
juste assez pour une fournée, et nous devons faire deux fournées
par semaine.
-
Ne vous faites pas de souci, Pères. Dieu est grand."
Puis
il bénit le froment et partit.
Un
moment plus tard, les deux moines se dirent : " Nous n'avons pas
bien fait de laisser ce vieil homme partir. Allons le chercher pour
lui donner quelque chose à manger."
Ils
coururent pour le rattraper, mais ils ne le virent nulle part. Quelle
curieuse chose! On aurait dit qu'il s'était transformé en un jeune
homme ailé pour disparaître si vite. Ils questionnèrent les autres
pères, mais personne ne l'avait vu ni ne savait rien de lui.
Et
peu à peu, ils réalisèrent que ce petit Père était peut-être
saint Nicolas. Bien sûr, ils n'en étaient pas très sûrs, mais
avec le temps ils furent en face d'une merveille : le froment que le
vieil homme avait béni dura pendant six mois! C'était un miracle
éclatant.
Leur
confiance dans la façon dont saint Nicolas veillait avec tendresse à
pourvoir aux besoins du monastère fut alors grandement renforcée,
et tous les pères intensifièrent fortement leur dévotion envers
leur saint patron.
C'est alors
que les moines les plus anciens racontèrent d'autres miracles qui
étaient survenus dans le passé. Les plus jeunes moines ne se
lassaient pas d'écouter ces récits édifiants. Il ne serait pas
superflu pour nous que nous écoutions certaines de ces histoires.
Le
Père Syméon, l'Ancien du Père Athanase, avait une confiance
absolue dans la protection de saint Nicolas. Il estimait que le saint
avait le souci, plus que tout autre, des besoins du monastère.
Un
jour, à l'approche du 6 décembre, tous les pères se retrouvèrent
en assemblée. Avec l'aide de Dieu, tous les préparatifs de la
cérémonie se passaient bien. Seuls étaient inquiets les
cuisiniers, car ils n'avaient pas assez de poissons pour le repas. La
veille de la fête, dans l'après-midi, ils vinrent voir l'higoumène
:
"
Géronda, lui dirent-ils, faudrait-il prévoir de la morue salée?
Dans ce cas, il faudrait la mettre dans l'eau pour la dessaler.
-
Non, non! Ne pensez pas à cela. Nous aurons du poisson frais. Saint
Nicolas va y pourvoir."
Puis
l'agrypnie commença, les Complies, les Grandes Vêpres, la Litie,
puis les Matines avec les six psaumes, les cathismes se succédant.
Pas tranquilles du tout, les cuisiniers retournèrent voir
l'higoumène.
"
Géronda, maintenant c'est trop tard pour faire la morue. Est-ce que
nous faisons des haricots?
-
Non, non! Les poissons vont arriver."
C'était
quelque chose que les cuisiniers ne pouvaient pas comprendre. Comment
pouvaient donc arriver les poissons? Et quand? Les Matines étaient
maintenant arrivées à leur moitié. D'où l'higoumène tenait-il sa
certitude?
Le
choeur commençait à chanter les Laudes, et les cuisiniers étaient
de plus en plus inquiets. C'est alors que des voix joyeuses se firent
entendre dans la cour. C'était le gardien qui, essoufflé et excité,
criait : " Pères, descendez, prenez de grandes corbeilles et
descendez. Le saint a fait un grand miracle!"
Qu'était-il
arrivé? Une vague particulièrement forte avait déposé sur le
rivage une multitude de perches de mer, exquises et très grosses;
C'était un don de Dieu, un miracle éclatant du saint. Tous
restèrent interdits, spécialement les cuisiniers. Ils ne savaient
pas ce qu'ils devaient le plus admirer : le miracle du saint ou
l'inébranlable confiance de l'higoumène. A aucune autre fête, il
ne fut servi des poissons aussi frais et aussi délicieux. Le saint
avait comblé le monastère d'une somptueuse bénédiction, à la
fois spirituelle et matérielle.
Un
autre événement miraculeux eut lieu sous l'higouménat du Père
Syméon, là encore lors d'une solennité de la fête de saint
Nicolas. Cette fois-là, l'hôtelier signala à l'higoumène qu'il ne
pourrait plus donner d'huile aux ermites (à cette époque, c'était
une coutume de donner comme bénédiction une certaine quantité
d'huile aux ermites pauvres qui venaient prendre part à la fête).
"
Où est la difficulté? demanda l'higoumène.
-
Nous n'avons plus beaucoup d'huile. Il n'en reste plus qu'une
demi-jarre.
-
Cela ne fait rien. Donne ce qui reste."
L'hôtelier
obéit. Tandis qu'il donnait l'huile aux ermites, ceux-ci étaient
heureux, mais, lui, non. Il y avait un peu d'huile de reste, mais
bientôt il n'y en aurait plus du tout. Ces pensées étaient dictées
par s alogique, et surtout par son manque de foi. Cependant, ce qui
arriva ensuite, et dont il fut le premier témoin, ranima en lui sa
foi dans la providence et la puissance divines. Le doux et
compatissant protecteur, saint Nicolas, intervint à nouveau. Ce fut
merveilleux : le niveau de l'huile ne baissait pas du tout, pas même
d'un centimètre. Il restait fixe.
Ainsi, les
remites furent assistés sans que le monastère en subît aucun
dommage, et le moine de peu de foi reçut une précieuse leçon.
Si
l'on a la patience de consulter les divers ouvrages et archives du
monastère, on découvrira un grand nombre de miracles de saint
Nicolas. A de nombreuses reprises, il protégea le monastère d'un
incendie certain. Et combien de moines ne sauva-t-il pas de leur
chute dans les rochers en à-pics! Et combien de fois aussi ne
sauva-t-il pas barques et bateaux d'un naufrage inévitable!
Dans
le catholicon du monastère, au grand anneau du lustre en cuivre est
accrochée une maquette en argent d'une goélette. Pourquoi cela?
C'est en souvenir d'une goélette qui arrivait au monastère avec un
chargement d eplanches. La mer était si mauvaise qu'elle allait
sombrer tout près du port. Mais à peine les marins eurent-ils
invoqué saint Nicolas qu'aussitôt la tempête se calma, et que,
au-delà de tout espoir, ils furent sauvés d'une mort certaine.
Le
monastère connut aussi une autre grande protection, celle de la
sainte vierge martyre Anastasie la Romaine. Elle souffrit le martyre
au IIIe siècle, sous Dèce, dans des tourments terribles. Dans la
partie occidentale de la cour extérieure du monastère, se trouve
une émouvante chapelle qui lui est consacrée. Sont également
conservés au monastère beaucoup de fragments de ses saintes
reliques, dont des morceaux de peau qui, avec le temps, se sont mis à
embaumer. Dans un reliquaire, on garde aussi du sang de son martyre.
Sainte
Anastasie veille très particulièrement sur la santé des pères.
Ils l'appellent à juste titre "la Guérisseuse". Il n'est
pas facile de dénombrer les circonstances où les moines furent
guéris grâce à son pouvoir miraculeux. Il y eut des périodes où
les infirmiers du monastère restaient tout à fait inactifs, car
quand un moine était atteint d'une maladie, il faisait une métanie
devant les reliques de la sainte et se trouvait instantanément
guérie.
Il
y a quelque temps, nous sommes venus visiter le monastère de
Grigoriou, et nous sommes montés vers les jardins. Au-dessous des
grands réservoirs à eau se trouve l'habitation du jardinier. Nous y
avons rencontré un moine âgé, le Père Hésychios avec son jeune
aide, novice. Le Père Hésychios, jovial, simple et disert, était
désireux de nous parler du Père Athanase, du monastère et de ses
saints patrons. Il nous dit entre autres choses : " Depuis mon
enfance, je souffrais de saignements de nez. Et ceci me tourmenta
pendant des années. En 1935 - j'avais alors 38 ans - j'eus la charge
de la cuisine. Un jour, me vint une forte hémorragie. J'avais
entendu les autres moines parler sans arrêt des guérisons de sainte
Anastasie. Je courus alors vers le prêtre de service pour lui
demander de sortir les reliques de la sainte. Il mit son étole, prit
la main droite de la sainte et, avec celle-ci, me fit le signe de la
croix sur le nez. Ce fut tout. Depuis lors, quarante ans se sont
passés, et je n'ai plus jamais eu de saignements de nez. La guérison
que m'apporta la sainte fut un "don parfait"."
Les saints
patrons! Plus on se penche sur leur existence, et plus on
s'émerveille. Le Dieu Bon a assigné dans les différentes
institutions de son Eglise des "petites divinités", si
l'on peut se permettre cette expression. Combien doit se sentir
heureux celui qui est protégé à l'ombre de leurs ailes si
puissantes! Mais également, combien faut-il veiller et prier pour
conserver avec eux des relations privilégiées.
8.
La vision d'un moine
Les lignes
de ce chapitre viennent souligner ce que nous avons rapporté à
propos des saints patrons du monastère de Grigoriou. Elles viennent
aussi montrer combien sont grandes la faveur et la bienveillance de
Dieu envers les âmes simples et humbles.
Le
Père Athanase était profondément heureux de la conduite de son
disciple, le Père G., non seulement parce qu'il accomplissait avec
empressement ses devoirs monastiques, mais aussi pour la droiture et
la simplicité de son coeur. Dans leurs conversations, ce dernier lui
présentait toute chose d'une façon simple et directe. Son âme
ressemblait à une voie toute droite ignorant les détours, les
courbes ou les bifurcations. L'Ancien discernait en lui - pour
utiliser une expression patristique - une "nature inaltérée"
ou une "simplicité constante".
Le ciel
descend facilement vers de telles âmes, et s'estompent alors
facilement les voiles tendues entre les choses de la terre et celles
du ciel.
C'était
l'heure de l'Orthros. L'office en était à la neuvième ode du Canon
- l'ode en l'honneur de la très sainte Mère de Dieu -, lorsque ce
moine, regardant vers les portes saintes, vit un spectacle inattendu.
Deux femmes en sortaient, l'une derrière l'autre, solennelles et
imposantes. C'était une chose tout à fait nouvelle, jamais vue
auparavant. " Comment des femmes sont-elles arrivées ici?"
se demanda-t-il. Elles continuèrent à avancer dans l'église et
passèrent devant les moines, auxquels la seconde, sur la demande de
la première, distribua de l'argent.
Après la
Liturgie et le repas, le Père G. se hâta d'aller voir son
higoumène. " Géronda, lui dit-il, qui sont ces deux femmes,
qui sont venues aujourd'hui dans l'église?"
Le
Père Athanase comprit tout de suite que son disciple avait reçu une
bénédiction divine.
"
Comment les as-tu vues? Combien étaient-elles? Quel était leur
aspect?
-
Elles étaient deux, répondit le Père G. La première était un peu
plus grande que la seconde. Elle portait un beau vêtement rouge qui
lui couvrait aussi la tête, et elle ressemblait à une reine. La
seconde était plus jeune, très modeste, de petite taille, et elle
portait des vêtements gris foncé. Elle donnait des pièces de
monnaie aux pères selon l'ordre de la première dame.
-
Dieu t'a fait la grâce d'une très belle vision, mon enfant. La
première dame que tu as vue était la très sainte Mère de Dieu, la
Reine et la Souveraine de la Sainte Montagne, et la seconde était
sainte Anastasie, la protectrice de notre monastère, et dont nous
avons les saintes reliques.
-
C'est ce qu'il me semble. C'est ce que sent mon âme. Mais je ne peux
pas comprendre pourquoi elles distribuaient de l'argent. Qu'est-ce
que les saints ont à faire avec l'argent?
-
Elles voulaient indiquer qu'elles se montrent reconnaissantes du mal
que se donnent les Pères qui se lèvent la nuit pour chanter des
hymnes à Dieu et aux saints, et qu'il convenait de les récompenser.
As-tu oublié ce que nous lisons dans le Synaxaire au premier
octobre?
-
Je ne me rappelle pas ce que nous avons lu.
-
Nous avons lu la vie de saint Jean Koukouzélis, qui était le
meilleur musicien et le meilleur chantre de son temps. Il était chef
de choeur au palais royal! Mais son immense amour pour Dieu le
conduisit à abandonner Constantinople et le palais pour venir au
Mont-Athos, au monastère de Lavra. Voici ce qui lui arriva un jour :
un samedi de l'Acathiste, alors qu'il chantait avec une grande
application dans le catholicon du monastère, il s'assoupit de
fatigue, debout, dans sa stalle. La sainte Mère de Dieu lui apparut
alors et lui dit : " Réjouis-toi, Jean, mon fils. Chante pour
moi et je ne t'abandonnerai pas." Et elle lui mit quelque chose
dans la main. Il s'éveilla aussitôt, rempli d'une grande émotion.
Stupéfait, il vit qu'il tenait réellement dans sa main droite une
pièce d'or. Et lorsqu'il la plaça plus tard dans l'église, elle
accomplit des miracles."
Le
Père G. écoutait, extasié, le récit de l'Ancien. Il comprit le
sens caché de la distribution de l'argent. Il fut aussi affermi dans
sa foi que les saints sont vivants et qu'ils suivent avec tendresse
les efforts des moines. A partir de ce jour, il vénérait avec
encore plus de piété les icônes de la Mère de Dieu et de sainte
Anastasie, ainsi que les saintes reliques de celle-ci.
Quelque
temps plus tard, les Père G. fut affligé d'un érysipèle, connu
aussi sous le nom de "feu de saint Antoine". Son visage et
ses yeux étaient rouges et enflammés, et il souffrait de maux de
tête et de fièvre. Il ne pensa à aucune autre médecine que celle
donnée par les reliques de sainte Anastasie, et fut immédiatement
guéri.
Ne
soyons pas surpris de tous ces faits. Dans la vie d'un moine et
surtout dans la vie d'un moine athonite, l'élément surnaturel est
très tangible. Les moines sont "habitués à l'inhabituel".
Comme le dit saint Paul : " Puisse-t-il illuminer les yeux de
votre coeur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son
appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les
saints" (Ep, 1, 18).
9.
La démission de l'higoumène Athanase
Durant le
temps de son higouménat, le Père Athanase fut souvent confronté à
des problèmes variés et à des difficultés. Durant les premières
années, il fut usé par la question du calendrier. Il n'avait pas la
moindre disposition pour aligner son monastère avec ce qu'imposait
l'esprit d'innovation.
Sa
position rappelait celle des moines studites. " Il convient,
disait-il, que nous restions les colonnes inébranlables des
anciennes traditions de nos Pères et que nous apparaissions comme de
braves soldats du Christ sans dire : " Les évêques et les
patriarches nous l'ont dit!" Et que dit l'apôtre Paul, la
bouche du Christ? " Même si des anges descendent du ciel et
prêchent un autre Evangile, ne les écoutez pas" ( cf; Ga. 1,
8)."
En
1927, le Père Athanase refusa même de recevoir dans le monastère
un représentant de l'Etat en tant que visiteur officiel. Cela lui
valut d'être déposé de sa charge d'higoumène par la Sainte
Communauté; il fut même menacé d'exil. Mais ceci ne tint pas très
longtemps, et, quelques jours après, il retrouva sa charge
d'higoumène.
Lorsque
s'acheva la treizième année de son higouménat, il ressentit
vivement la nécessité de se libérer de la lourde responsabilité
que comportait sa charge.
Durant le
temps de son higouménat, il vait soigneusement observé les
principes que ses prédécesseurs avaient établis pour le monastère.
Il pensait que plus on imite de près les Pères dans leur façon de
vivre, plus on peut parvenir à la réussite de leur vie. Une
déviation des enseignements transmis, et surtout sans raisons
sérieuses, peut conduire à une seconde déviation. La seconde à
une troisième, et le mal progresse...
En 1937,
dans la treizième année de son higouménat, il se trouva dans la
désagréable position d'avoir à affronter la trangression d'un
principe traditionnel concernant la vie intérieure du monastère. Le
fait lui apparut très grave, et pour protester, il donna sa
démission d'higoumène.
Le
moine, qui était cause de cette violation canonique, reconnut
immédiatement sa faute. Il courut vers l'higoumène, tomba à ses
pieds, et lui demanda son pardon.
"
Pardonne-moi, Géronda.
-
Que Dieu te pardonne, Père!
-
Géronda, ne persistez pas dans votre démission. Reprenez-la.
Acceptez à nouveau l'higouménat.
-
Mon enfant, tant que Dieu l'a voulu, j'ai été higoumène."
Avec
cette démission, le monastère se trouvait dans une situation
difficile. Par l'intermédiaire de personnages importants de la
Sainte Montagne, ou personnellement, les moines tentèrent de le
persuader de revenir sur sa démission. Mais le Père Athanase ne
céda pas, bien qu'il fût réélu higoumène du monastère.
"
J'aime l'hésychia par-dessus tout, leur dit-il. J'ai demandé à
Dieu de me l'accorder, et Dieu m'a donné cette opportunité. A
partir de maintenant, je désire vivre comme un simple moine. Il y a
tant d'autres pères dignes et capables de se charger de l'higouménat
et de l'exercer mieux que moi."
Devant une
telle résolution, les moines renoncèrent. Le Père Athanase ne
cherchait pas les hauts postes. Il considérait les honneurs et les
grades seulement sous l'angle du devoir et d ela soumission à la
volonté de Dieu. Les moines le laissèrent se préoccuper un peu de
lui-même, comme il avait coutume de dire, et se préparer au voyage
vers le Ciel.
IV.
RAYONNEMENT SPIRITUEL
1.
Sa grandeur spirituelle
Le
Père Athanase avait une apparence vénérable qui rappelait celle
des anciens Pères de la Thébaïde. En le regardant, on réalisait
qu'il n'était "pas de ce monde". Toutes les vertus des
saints moines semblaient concentrées sur son visage, qui avait une
expression bien caractéristique.
Tous ceux
qui le rencontraient étaient immédiatement impressionnés par
l'expression de son visage. La paix et le calme étaient en
permanence gravés sur lui. Même lorsque des vagues puissantes
déferlaient en lui, il ne perdait jamais sa sérénité. Et s'il
arrivait que quelqu'un l'affligeât, l'accusât ou l'insultât, il ne
disait rien, ni pour se plaindre ni pour se défendre.
Lors
de réunions avec des anciens, il arrivait que certains excentriques
le mortifient vraiment par leur conduite. Cependant, il réprimait
ses réactions intérieures, en restant calme et en ne montrant pas
la moindre irritation. Et lorsque la réunion prenait fin, il se
rendait à l'église et s'immergeait dans la psalmodie,
rafraîchissant ainsi son âme fatiguée. Il plaçait au-dessus de
tout la patience et la paix. Essayant de transmettre à ses disciples
le don du silence, il leur disait souvent : " Par le silence, on
est préservé de tout mal".
Il
avait le don et la capacité de délivrer les âmes du démon de la
tristesse - ce redoutable démon qui plonge les hommes dans les
ténèbres du désespoir. " Comme la mite pour les vêtements et
le ver pour les meubles, disent les Pères, ainsi l'acédie dévore
l'âme de l'homme."
Il
arriva qu'un hiéromoine de la Nouvelle Skite fût grandement
tourmenté par une tentation. Il en était arrivé au point de ne
plus oser célébrer la Liturgie. La dernière fois qu'il l'avait
célébrée, il avait eu du mal à parvenir jusqu'à la fin. En se
rendant au monastère de Grigoriou pour voir son confesseur, il
pensait qu'il allait recevoir une lourde épitimie. Cependant, le
Père Athanase, qui connaissait le carcan étouffant que lui causait
cet esprit de tristesse, le brisa immédiatement.
"
Bravo! dit-il. C'est ainsi que je désire l'humilité des prêtres
qui viennent se confesser à moi. Remplis d'humilité avec le
sentiment de leur indignité. Je te félicite, et comme pénitence,
tu recommenceras à dire la Liturgie dès demain!"
Tant
d'âmes trouvèrent consolation et paix sous son épitrachélion!
Pour les confessions, il utilisait l'épitrachélion qu'il avait reçu
lors de son ordination. Selon la théologie orthodoxe, même les
objets créés participent à la grâce divine incréée. C'est ainsi
que cet épitrachélion est porteur de grâces. Aujourd'hui, il est
conservé dans la cellule d'un moine de Grigoriou, qui a une grande
vénération pour le Père Athanase et dont il porte le nom. De temps
en temps, l'épitrachélion répand une odeur suave de sainteté. On
le pose parfois sur la tête d'un certin moine qui souffre de
tristesse et d'anxiété, et il reçoit immédiatement la paix.
Le
Père Athanase et toutes choses autour de lui étaient des foyers de
joie et de paix.
Le
Père Athanase était circonspect dans ses propos. Il n'ouvrait
jamais la bouche pour juger un frère. S'il arrivait qu'un de ses
disciples, en confession ou dans une conversation, lui rapporte des
faute d'autrui, il l'interrompait : " Ne t'occupe pas des
autres, occupe-toi de toi-même, lui disait-il. Evite à tout prix de
juger; le jugement est un feu qui brûle."
Il
faisait preuve d'une très grande impassibilité. Dans des
circonstances critiques, il se montrait maître de la situation.
Après son temps d'higouménat, quand il comprenait que son
successeur avait besoin d'aide, il prenait son bâton et se rendait
chez lui pour lui apporter un soutien et lui redonner courage.
Dans ses
relations avec les autres, il se montrait toujours d'une extrême
courtoisie et d'une grnde bonté. Il respectait chacun. Et même
lorsqu'il s'adressait aux plus jeunes moines, il ne les appelait pas
par leur nom seul, mais toujour précédé de "Père" ou
"Géronda".
"
Il eut un jour besoin d'un chandelier, raconte un vieil ecclésiarque.
Il ne l'a pas pris lui-même, mais humblement il me l'a demandé. "
Mais, Géronda, lui dis-je, pourquoi me le demandez-vous? Vous êtes
l'higoumène, vous pouvez le prendre sans rien demander. - Non, mon
enfant, répliqua-t-il, ne pense pas ainsi. Dans ta charge
d'ecclésiarque, c'est toi l'higoumène.""
Il
ne pouvait pas supporter que les autres le servent. En tant
qu'higoumène, et selon les canons du monastère, un moine était
désigné pour le servir et s'occuper de son logement. Le Père
Athanase avait le souci de ne pas fatiguer ce moine, et il faisait
lui-même son ménage.
La
simplicité et l'humilité étaient ses précieux ornements. En fait,
à mesure que les années passaient, il devenait de plus en plus
simple. Son âme s'adoucissait et devenait comme celle d'un enfant.
Un tel élément de simplicité enfantine, que le Seigneur a loué
dans son Evangile, est un signe caractéristique des saints.
L'humilité
de son esprit se manifestait en tout. En tant qu'higoumène, il
devait s'intaller dans l'appartement affecté aux higoumènes. Mais
il ne désira pas quitter son humble cellule, et malgré la pression
des pères, il y resta.
Lorsqu'il
entrait en conversation avec quelqu'un, il avait coutume d'incliner
un peu la tête et de baiser son regard, alors que ses paroles
étaient imprégnées d'humilité.
Comment
louer suffisamment sa sobriété? " La mauvaise maîtresse",
comme les Pèress nommaient l'estomac, n'était pas du tout bien vue
par lui. Il ne consommait qu'une petite part de ce qui était servi à
table - environ le quart. Il ne buvait pas non plus de vin, excepté
comme une bénédiction; il ne le prenait alors que coupé d'eau. Il
était un modèle de sobriété et insurpassable dans ce domaine. Il
vivait selon les paroles de saint Basile : " Mépriser la chair
qui passe, et prendre soin de l'âme, qui, elle, est immortelle."
Il aimait beaucoup ces mots, qui étaient souvent sur ses lèvres.
Et
pour la vertu de pauvreté, il voulait être conséquent. La pauvreté
et la privation sont inséparables de la vie d'un vrai moine. Afin de
montrer sa vertu dans ce domaine, nous allons raconter les deux
anecdotes suivantes :
Un
jour, alors qu'il était très âgé, l'higoumène, son successeur,
le visita dans sa cellule. Il était en train de s epréparer un
café. Le Père Bessarion s'aperçut de quelque chose et lui dit :
"
Géronda, pourquoi ne mettez-vous pas de sucre dans votre café?
-
Je n'ai pas de sucre. Je prends une cuillerée de miel car il se
trouve que j'en ai", répondit-il.
L'higoumène
fut surpris par sa privation volontaire, car le monastère avait les
moyens de fournir aux pères du café et du sucre. Attendri, il
veilla à lui apporter du sucre. L'Ancien accepta, le remercia et fit
ce commentaire : " Jusqu'à maintenant, je n'ai jamais manqué
de rien, et que dirai-je à Dieu à propos de la pauvreté que le
moine doit s'infliger?"
La
seconde anecdote a trait au contenu de son sac. Quand on l'ouvrit,
après s amort, on y trouva quelques morceaux de papier étranges.
Sur leur recto, ils portaient ces inscriptions : " 100
drachmes", " 500 drachmes", " 1.000 drachmes",
et, au verso, étaient transcrits des passages de saint Jean
Climaque, de saint Ephrem, de l'Abbé Isaac et d'autres Pères.
C'étaient des billets de banque spirituels! C'était là tout son
argent! Vraiment, combien de grâce et de grandeur se dévoilent dans
cette découverte.
2.
Un événement chargé de grâce
Il
arriva qu'un père de Grigoriou, l'Ancien Barlaam, eût à affronter
une affaire financière difficile. Comme représentant du monastère,
il devait aller dans un métochion pour l'expertise d'un bien
monastique, expertise qui devait être faite par un fonctionnaire. Il
s erendit compte que le prix que proposait le monastère ne serait
peut-être pas accepté, et il pensa alors à demander le secours du
Père Athanase. Le sage Ancien Barlaam, qui était connu à la Sainte
Montagne pour avoir déjà réussi à traiter des affaires
difficiles, à la fois pour le monastère et pour la Sainte
Communauté, était persuadé que la présence du Père Athanse
permettrait un bon dénouement de cette affaire, qui lui paraissait
loin d'être gagné. Avant de partir pour le métochion, il parvint,
à force de supplications, à persuader le Père Athanase de
l'accompagner.
Au
métochion, le Père Barlaam rencontra le fonctionnaire délégué,
et les négociations commencèrent. Comme prévu, le fonctionnaire
restait inflexible. Non seulement il n'accepta pas la proposition du
monastère, mais il proposa un prix très inférieur, portant un
préjudice économique important au monastère. Et il n'y avait
aucune marge d'espoir d'augmentation de sa part. Les efforts du Père
Barlaam n'aboutirent à rien. Brisé, il sortit du bureau, et raconta
au Père Athanase ce qui s'était passé. Celui-ci, cependant, resta
calme et paisible; il calma le Père Barlaam : " Je vais aller
le voir et lui dire où en est notre situation économique au
monastère. Peut-être Dieu va-t-il nous aider et arriverons-nous à
nos fins."
Le
Père Athanase alla vers le bureau, frappa à la porte et rencontra
le représentant de l'Etat. Avec la bonté peinte sur son visage et
sa voix plein ed'affabilité, il le salua et se présenta : " Je
suis venu moi-même pour défendre avec vous le prix du métochion.
Venez à notre aide dans cette affaire, parce que notre monastère
est pauvre."
IL
ne parla pas davantage. Dès qu'il le vit, le fonctionnaire fut
impressionné. Il avait déjà rencontré de nombreux clercs et
moines dans sa vie, mais aucun comme cet Ancien de la Sainte
Montagne, qui ne ressemblait à aucun autre. Se tenait devant lui
quelqu'un qui ressembalit à un patriarche de la Bible. Sans savoir
pourquoi, il se tint immobile à le regarder fixement... et le
résultat fut qu'il devint un autre homme. Quelque chose changea en
son âme... " Pour votre vénérable personne, Géronda,
j'accepte d'augmenter le prix", lui dit-il avec beaucoup de
bonne volonté et de respect.
Lui, qui
précédemment n'avait voulu céder en rien ni bouger d'un pouce de
sa décision, augmenta très sensiblement son estimation, après
l'intervention du Père Athanase. Elle était même supérieure à ce
que le monastère avait proposé. Le Père Athanase avait gagné.
Le
Père Barlaam, qui attendait à l'extérieur anxieusement, courut
vers le Père Athanase dès qu'il le vit sortir du bureau. Quand il
apprit le retournement inespéré du fonctionnaire, il ne savait que
penser. Il ne savait comment exprimer sa joie au Père Athanase pour
sa réussite. En lui-même, il pensait : " Je devais avoir un
pressentiment quand j'ai insisté pour que l'higoumène vienne avec
moi."
En
fait, le rayonnement intérieur du Père Athanase se reflétait sur
sa personne. Le Père Daniel, un moine de la skite du monastère de
Koutloumousiou nous raconta : "Quand j'étais un jeune moine,
j'ai visité le monastère de Grigoriou avec mon Ancien. Il s'est mis
à pleuvoir, et nous sommes restés deux jours. Je fus impressionné
par la personne de l'higoumène. Il remplissait de joie ceux qui le
regardaient. Il était tellement calme, aimable, tellement paisible,
tellement doux et complaisant. Cela me rendait très heureux de
seulement le regarder. Paar sa seule apparence, on savait que c'était
un saint homme."
Le
hiéromoine Pantéléimon de Simonos Pétra souligna pour nous : "
Le très bienheureux Père Athanase était un homme rayonnant. Il
était si doux, que l'on désirait livrer son âme entre ses mains.
Mais, en même temps, il était si vénérable et digne que l'on
ressentait en sa présence un souffle de crainte mêlée de respect."
3.
Lorsqu'il célébrait la Divine Liturgie
Le
Père Athanase révélait toute la richesse de sa foi et de sa piété
lorsqu'il célébrait les offices de l'Eglise. Pour lui, il n'y avait
pas de plus grande joie sur terre que celle de célébrer la Divine
Liturgie. Son coeur bondissait, s'envolait, devenait comme un brûlant
séraphin, chaque fois que lui revenait la dignité de servir au
Saint Autel.
Il
saisissait toutes les occasions pour célébrer la Liturgie. Pendant
la période de son higouménat, il eut comme principe de célébrer
la Liturgie lui-même deux fois par semaine, le jeudi et le samedi.
Le dimanche et aux grandes fêtes, beaucoup de prêtres participaient
à la célébration. Il désirait alors ardemment être proche du
Saint Autel.
Il
est difficile d'imaginer quels moments célestes il vivait chaque
fois qu'il célébrait le Sacrifice non sanglant. Il était dominé
en même temps par une crainte sacrée et une allégresse divine. Il
vibrait profondément devant la redoutable présence de l'Agneau
immolé, et le terrible mystère de l'amour divin et de son
humiliation, il débordait de "larmes du coeur".
Quand il ne
fut plus higoumène, il se tenait pendant la célébration sur le
côté gauche de la sainte Table. Après la Grande Entrée, il
gardait la tête inclinée et le regard baissé, tandis que ses yeux
devenaient des fontaines, noyant son visage de larmes brûlantes. Une
sainte émotion envahissait alors les autres prêtres au point qu'il
leur était parfois difficile de poursuivre la Liturgie. Comme le
remarquaient less céléébrants qui étaient à côté de lui, le
Père Athanase n'avait pas le temps d'essuyer ses larmes avant que ne
survienne un autre flot jaillissant.
Qui
peut savoir quelles réévélation lui étaient faites par l'agneau
de Dieu? Qui peut savoir ce que ses yeux voyaient sur l'autel?
L'Ancien Bessarion, qui lui avait succédé comme higoumène, lui
demanda plusieurs fois avec insistance : " Qu'est-ce qui secoue
ainsi votre âme? Dieu ne vous fait-il pas quelques révélations?"
Mais le
Père Athanase évitait toujours de répondre. Il lui promit une fois
qu'il lui en parlerait plus tard, mais il quitta cette vie sans rien
dévoiler. Saint Paul écrit que notre vie "est cachée avec le
Christ en Dieu" (Col 3, 3).
4.
Les opérations de l'Esprit
Si
la sainte Eucharistie est la communion avec le Christ, le mystère de
la chrismation est la communion avec le Saint Esprit. Tout chrétien
orthodoxe qui est oint du saint-chrême, reçoit le seau sacré du
Paraclet. A partir de ce moment, l'Esprit Saint existe en lui comme
une semence céleste. Si elle trouve une bonne terre et un bon
climat, elle germe, grande, et se développe "en un grand arbre"
( Lc 13, 19) avec des feuilles, et des fleurs et des fruits
paradisiaques. Se produisent alors chez les croyants des phénomènes
indicibles que l'esprit humain n'aurait jamais pu imaginer et qui ne
seraient "jamais montés au coeur de l'homme" ( 1 Co 2, 9).
Dans la
Philocalie orthodoxe se trouvent de longs passages traitant de ces
états célestes ( chez les hétérodoxes, on ne trouve pas de
pareilles grandeurs). Ils décrivent en détail toutes les étapes du
développement du germe spirituel. Des expressions mystiques
inusuelles sont employées, telles que "l'activité du coeur",
"la rosée de l'Esprit", "le sens spirituel", "le
feu du coeur", "l'ivresse divine", "le bondisemnt
du coeur", "le ravissement de l'esprit", etc.
Le
moine qui poursuit sa course en toute vérité et en toute pureté,
rencontrera ces opérations de l'Esprit. Tandis qu'il progresse dans
la sueur et les combats, il arrive à l'heure bénie où il sent en
lui la présence palpable de l'Esprit Saint. A ce moment, son coeur
devient un "vert pâturage", comme dit le psaume (Ps 22,
2). A partir de ce moment, les saintes paroles du Seigneur prennent
tout leur sens divin : " Celui qui croit en moi, de son sein
couleront des fleuves d'eau vive" ( Jn 7, 38). ET ces eaux se
changent parfois en flammes de feu qui réchauffent l'âme et le
corps, et qui font que le corps "brûle", à l'instar des
coeurs des deux disciples sur le chemin d'Emmaüs. Alors, l'homme,
dans l'étonnement, s'écrie avec saint Syméon le Nouveau Théologien
: " Comment existes-tu comme un feu flamboyant? Et comment aussi
comme une eau rafraîchissante?"
Si
un moine se trouve être un digne habitacle de la grâce, le Paraclet
lui est donné encore plus fortement. Ce qui était "ténèbres"
devient "une lumière éclatante" selon les mots de saint
Grégoire le Théologien ( dans son Apologie pour sa fuite). Et
l'activité indicible du coeur est transformée en une lumière
indicible; et même en une lumière qui exhale une suave odeur - "la
lumière odorante". L'odeur suave d'un homme spirituel est
perçue par les âmes vertueuses et spirituelles.
Que
l'on ne considère pas que tout ceci est sans rapport avec notre
sujet. Le hiéromoine dont nous rapportons la biographie gravit tous
les degrés de la sainteté, "procédant de vertu en vertu".
Il y a
quelques années, nous avons visité un vieux moine du Mont-Athos, un
travailleur de la vie intérieure, et voici le dialogue que nous
avons échangé :
"
Qu'avez-vous d'autre à dire, Géronda, sur le Père Athanase, de
sainte mémoire?
-
C'était un jeûneur et un ascète. Il n'est pas possible de
rencontrer un tel combattant, même dans le désert. Le Saint-Esprit
demeurait en lui; quand on approchait de lui et qu'il vous parlait,
une odeur de sainteté s'exhalait de lui. De sa bouche sortait une
bonne odeur.
-
Quelle sorte de bonne odeur était-ce?
-
Une odeur comme celle des reliques des saints.
-
Est-ce que tout le monde la percevait?
-
Non, seulement ceux qui avaient eu une vie pure et vertueuse. Un
homme spirituel comprend un autre homme spirituel. Un prophète peut
discerner un autre prophète. Les autres ne remarquent rien."
Cette
information nous fit une grande impression. Sans aucun doute, le Père
Athanase avait atteint les échelons les plus élevés de la
spiritualité.
De
nombreuses circonstances nous montrent combien les dons du Saint
Esprit étaient manifestes en lui, telle un elumière intérieur de
savoir et de révélation - quelque chose d'analogue à ce qui se
passait chez les prophètes. Le récit suivant d'un moine âgé de
Grigoriou, le Père Sophrone, illustre clairement ceci.
"
Au début de ma vie monastique, soulevé par l'enthousiasme
ascétique, j'ai entrepris diverses sortes d'exercices. AInsi, je
portais sous mes vêtements des chaines de fer, et pour me tourmenter
pendant le sommeil, je mettais des galets sur ma couche. Je supposais
ainsi me rendre agréable à Dieu et suivre les traces des anciens
ascètes. De tout cela je ne dis rien à personne. Personne ne
connaissait mes folies, pas même mon Géronda. Un jour, il vint me
visiter dans ma cellule.
-
Et comment vas-tu, Père Sophrone? Tout va bien?
-
Par vos prières, Géronda, je vais bien.
-
Ne faistu pas plus d'ascèse que ce qui est demandé? Ton corps est
devenu faible et vite fatigable.
-
Je ne fais pas partie des moines assidus, Géronda.
-
Mais, voyons, mon enfant, ce que tu as mis sous tes couvertures.
Qu'est-ce que je vois là, Des galets? Prends-les et jette-les.
Je
restai frappé de stupeur, poursuivit le Père Sophrone. Je pensais
qu'il était humainement impossible que l'higoumène eût
connaissance de ces galets. Et je me disais : " Il se pourrait
qu'il sache quelque chose à propos des chaînes".
Cette
pensée avait à peine effleuré mon esprit qu'il me dit : "
Père Sophrone, montre-moi ce que tu ports sur le corps...Qu'est-ce
que cela? Enlève ces chaînes. Elles ne sont d'aucune utilité pour
toi.""
A
cet instant, le moine novice de Grigoriou ressentit un émoi sacré.
Il comprit qu'il y avait quelque chose de merveilleux avec son
ancien, quelque chose de surnaturel, qui n'était pas de ce monde. Le
Praclet demeurait en lui et lui révélait "les choses secrètes
et cachées". Et si auparavant le Père Sophrone aimait et
respectait son Ancien, sa ferveur à son égard s'accrut alors très
fortement. Manifestement, en lui, la grâce de l'Esprit Saint
habitait, et agissait.
Plusieurs
années après, quand le Père Athanase préparait son départ pour
le ciel, le Père Sophrone reçut de son Ancien, porteur de Dieu, un
semblable trait de lumière. Il visita un jour l'infirmerie du
monastère où vivait son Ancien, soigné par l'infirmier, le Père
Artème. Près de son lit, il vit quelques objets personnels. Il
remarqua parmi eux un réveil qui jouait un air mélodieux lorsqu'il
sonnait. L'Ancien devait distribuer ses objets personnels aux frères
en guise de bénédictions. Le Père Sophrone se laissa captiver par
ce réveil et son désir de l'avoir, pensant en lui-même : "
Comme ce serait bien s'il me le donnait."
A
peine se formula-t-il cette pensée que le Père Athanase se tourna
vers lui et lui dit très naturellement :" Ne pense pas une
telle chose. J'ai promis ce réveil au Père Artème."
5.
Sa clairvoyance
Le
Père Sophrone ne fut pas le seul à expérimenter la clairvoyance de
Père Athanase. Les récits suivants vont faire saisir, encore plus,
la force spirituelle de ce saint homme.
Le
zèle d'Elie, le prophète de feu de l'Ancien Testament ( " Je
suis rempli d'un zèle jaloux pour le Seigneur Sabaoth" ( 1 R
19, 14)), se retrouve aussi chez les moines de la Sainte Montagne. A
des moments critiques, dans le passé, quand la foi et la tradition
de l'Orthodoxie étaient fortement en danger, l'Athos a fait briller
des combattants, des confesseurs et des martyrs. Nous devons
cependant confesser qu'il y eut des circonstances où le zèle de
certains moines de la Sainte Montagne fut lié à de l'ignorance, à
du fanatisme et à un manque de discernement, et qu'il a alors causé
des maux sérieux, à la fois pour les individus et pour les
communautés. L'Ecriture prescrit : " ne t'écarte de la Loi ni
à droite ni à gauche, afin de réussir dans toutes tes démarches"
( Jos 1, 7). Le Père E., un moine de Grigoriou, animé d'un zèle
déraisonnable, décida de quitter le monastère; La raison en était
une question de calendrier ainsi que la visite d'un certain évêque,
ayant célébré la Liturgie au monastère. Ainsi donc, une nuit,
sans que personne ne l sût, il rassembla ses affaires et s'enfuit
par la fenêtre à l'aide d'une corde, et atterrit en dehors de la
clôture. Il réalisa alors qu'il avait laissé une chose importante
dans sa cellule - son livre de prière, un livre dont il avait grand
besoin. Il se cacha dans les buissons au-dessus de l'avant-cour du
monastère et attendit l'ouverture de la grande porte, à l'aube. Il
lui fallait à tout prix retrouver son livre.
La
porte s'ouvrit à l'heure voulue, et plusieurs pères sortirent pour
leur travail. Il les vit tous, mais aucun ne pouvait le voir. Un
moment plus tard, l'higoumène sortit aussi. Doucement et fermement
il marcha vers l'avant-cour. Il atteignit l'endroit juste au-dessous
duquel le Père E. était caché, s'arrêta, se tourna en sa
direction, et, avec une voix légèrement forte, s'adressa au moine
caché : " Père E., descends vite! Descends!"
Le
Père E. était sans voix. Confus, déconcerté et honteux, il ne fit
aucune opposition et descendit. Il comprit que quelque chose de
surnaturel s'était passé chez son Ancien, et il retourna dans sa
cellule, repentant.
La
clairvoyance du Père Athanase se révélait à des moments
opportuns. Dieu sait, à quel moment, à quelle personne et dans
quelles circonstances intervenir et envoyer l'énergie de sa grâce à
Ses serviteurs pneumatophores. Dans chacun de ces cas, un but concret
se fait jour, qui peut être, entre autres, un encouragement moral
pour un combattant, l'affermissement de sa foi, l'embrasement de son
désir divin. Ceci apparaît dans les deux exemples suivants.
Un
jeune étudiant en médecine, Panagiotis Mihas, qui allait devenir
plus tard l'archimandrite et higoumène Bessarion, abandonna ses
parents, ses études et le monde, et emmena le bateau de son âme sur
le rivage de l'Athos, et plus précisément au monastère de
Grigoriou. Alors qu'il montait sur le chemin pavé et avançait vers
la porte du monastère, apparut en face de lui un moine vénérable
et imposant, qui fixait son regard sur lui. Naturellement, il ne
savait pas que c'était l'higoumène Athanase; il ne l'avait jamais
rencontré ni n'avait parlé avec lui. Alors que le jeune homme
s'approchait encore plus d ela porte, le Père Athanase, comme s'il
le connaissait depuis des années, lui souhaita la bienvenue avec une
grande cordialité. " Bienvenue, Panagiotis! Bienvenue à notre
monastère, mon enfant. Je t'attends depuis longtemps. C'est bien que
tu sois venu!"
Le
jeune Panaghiotis, qui n'avait jamais de sa vie rencontré un
prophète, fut très secoué par cet événement. Tout son être fut
frappé d'une sainte émotion. Ce qu'il pouvait avoir comme visions
élevées de la vie monastique, il en voyait une en vrai devant lui.
Et si, sous l'impulsion de l'ennemi, son coeur, à ce moment,
chavirait à l'idée de quitter le monde, cet état fut remplacé par
un état de paix et d'élan spirituel. Par un signe surnaturel, Dieu
assurait à Panagiotis la justesse de sa décision. Il était heureux
d'avoir échangé la vie corrompue du monde contre la vie pure et
lumineuse du moine.
Un Ancien
de Kérasia ( la région sous le sommet de l'Athos et au-dessus de
Kavsokalyvia) envoya son disciple, le Père Syméon, au monastère de
Grigoriou pour demander un certain nombre de prosphores nécessaires
à la Divine Liturgie. L'Ancien n'avait, à propos de cette mission,
aucune autre intention. Dieu, cependant, comptait donner au disciple
de l'Ancien une surprise bénie, afin de lui ouvrir une fenêtre sur
le monde de la grâce divine, et de lui apprendre que les sacrifices
de la vie monastique sont récompensés par des cadeaux célestes.
Montant du
port vers le monastère, le Père Syméon pensait à ce qu'il avait à
faire. D'abord il devait trouver l'higoumène et lui dire pour quelle
raison il avait été envoyé par son Ancien. Puis, avec sa
bénédiction, il devait trouver le moine responsable des prosphores,
qui lui donnerait la quantité requise. AInsi avait-il pensé que les
choses se dérouleraient, mais il en fut tout autrement.
En
face de la porte du monastère, il vit l'higoumène. Il tenait
quelque chose dans ses mains. L'arrêtant, celui-ci lui dit : "
Prends ceci, mon enfant. Ce sont les prosphores que ton Ancien t'a
envoyé chercher."
Le Père
Syméon resta sans parole! Il touchait du doigt l'impalpable. Il
réalisa que l'Athos fournissait encore de saints hommes remplis de
la lumière divine. Tandis qu'il retournait chez son ancien, tout son
monde intérieur subit un changement mystique, inconnu de lui
auparavant. Cet événement fut une page d'or dans le livre de sa
vie. Et chaque fois qu'il le racontait, c'était avec une joie
évidente et un grand enthousiasme.
Le
8 mai 1930, au matin, avant la Divine Liturgie, l'higoumène de
Grigoriou parlait avec un nouveau venu de vingt-huit ans, un marin du
Pirée. Une sorte d'inspiration très forte l'avait conduit à la
Sainte Montagne. Il confia toute l'histoire de sa vie à l'higoumène
et lui demanda de l'admettre au monastère.
Quarante-cinq
années passèrent. Et le marin du Pirée était un moine de
Grigoriou. Plus tard, pour mieux tirer profit de ses talents, on le
transféra dans un monastère voisin. Aujourd'hui, à soixante-treize
ans, il ne peut pas effacer de son esprit la sainte image du Père
Athanase. Il se rappelle même en détail leur première
conversation. Tout ce qu'il lui avait dit sur son caractère, sa
mentalité, les difficultés qu'il rencontrerait dans la vie
monastique et son développement, tout ceci se réalisa. Il lui avait
dit : " Vous les pécheurs, vous les marins, vous êtes habitués
à une vie libre, et vous avez de la difficulté à vous adapter à
la vie réglée du monastère."
6.
Un coeur miséricordieux
"Un
coeur miséricordieux, écrit Isaac le Syrien, c'est une flamme qui
embrase le coeur pour toute la création, pour les hommes, pour les
oiseaux, pour les animaux, pour les démons, et pour tout être créé.
Quand l'homme miséricordieux se souvient d'eux, et quand il les
voit, ses yeux répandent des larmes, à cause de l'abondante et
intense miséricorde qui étreint son coeur. A cause de sa grande
compassion, son coeur devient humble et il ne peut plus supporter
d'entendre ou de voir un tort, ou la plus petite offense, faits à
une créature (1)."
(1)
: ( Discours, 81, 2).
"Un
coeur brûlant pour toute la création!" C'est une parole
magnifique. Qui peut avoir un tel coeur? Qui peut atteindre à une
telle charité au point d'avoir de la compassion même pour les
démons, Mais au Père Athanase, ces hauts sommets, si difficiles
d'accès, n'étaient pas inconnus. Les poumons de son âme
respiraient profondément l'air divin de l'Eden. Sa nature sensible
était remplie d'un amour rare pour toutes les créatures. Il y a
beaucoup d'événements dans sa vie qui en témoignent, et qui
évoquent des faits semblables dans la vie de grands saints moines.
En particulier, ils nous font penser au célèbre ermite de
l'Hélicon, saint Loukas, au Xe siècle, qui nourrissait les oiseaux,
soignait les serpents, protégeait les cerfs des chasseurs,
apprivoisait les bêtes sauvages, se prenait d'amitié pour des
serpents venimeux, et embrassait toute la création dans son amour.
Au sud-est
du monastère de Grigoriou, un cerf courait comme un fou vers la côte
rocheuse, terrifié par la peur. Quelques laïcs, qui travaillaient
dans le monastère, l'avaient découvert sur la montagne et le
pourchassaient avec des flèches et des chiens. Ils l'avaient
encerclé si bien qu'il n'avait d'autre solution que fuir vers le
bas, et le pauvre animal s'élança vers le bord de mer, sauta dans
l'eau, et commença à nager vers le large. Les chasseurs, cependant,
ne perdirent pas de temps, ils coururent sur le quai, détachèrent
un bateau à rames, et se mirent à ramer en direction du cerf. Ils
l'attrappèrent, alors qu'il avait réussi à nager sur deux
kilomètres, vers le large. Ils étaient impatients de le ramener sur
la plage, de le tuer, de le rôtir, et de se régaler de sa chair
savoureuse.
Le Père
Athanase fut bientôt informé de ce qui se passait. Aussitôt, il
abandonna sur-le-champ son travail, comme si quelque chose de grave
était arrivé, et courut vers le quai. Pourquoi cette hâte et cet
extraordinaire intérêt? La seule raison en était qu'il voulait
arriver à temps pour épargner la vie de cet animal capturé, et lui
rendre sa liberté. C'est cela que signifie "un coeur brûlant
pour toute la création".
Laissons
pour le moment le cerf - animal noble et distingué - pour nous
occuper des renards. Aurait-il également éprouvé le même intérêt
pour eux?
Sur
le côté du monastère, en direction de Simonos-Pétra, s'étendent
les vignes de Grigoriou. C'est là que se trouvait toujours le Père
Ioannikios. Il était chargé du vignoble, et il remplissait sa tâche
avec grand soin. Entre autres choses, il devait protéger la vigne
des ennemis qui se cachaient dans les buissons environnants. Même
les Ecritures mentionnent ces ennemis : " Attrapez-nous les
renards, les petits renards, ravageurs de vignes" ( Ct 2, 15).
Le
moine, capable et énergique, prit des mesures effectives contre ses
ennemis rusés, les renards. Il installa des pièges en fer pour les
attraper; Il les tuait ensuite et les dépeçait. Il faisait tout
cela avec la conscience en paix, sûr qu'il était de bien remplir sa
mission.
L'higoumène
ne savait rien des exploits de son disciple. Dès qu'il eut
connaissance de ceux-ci, son âme réagit fortement contre eux. Il ne
pouvait même pas accepter la pensée de telles mesures si cruelles.
Quelle terrible chose que le meurtre d'un animal pris dans un piège!
Le tuer et le dépecer! Quel acte affreux! Et celui qui
l'accomplissait était un moine portant l'habit angélique! Cela ne
pouvait pas continuer. Il ne pouvait en aucune façon supporter une
telle disharmonie. Il convoqua alors le vigneron pour lui donner de
bons conseils.
"
Mon enfant, lui dit-il, tu dois envisager d'autres manières de faire
contre les renards. Accroche des boîtes de fer blanc tout autour des
vignes et frappe-les, ou imagine tout autre chose. N'utilise plus de
pièges. Il n'est pas permis aux moines d'employer des moyens aussi
cruels et brutaux."
Maintenant,
quittons les renards pour une autre espèce d'animaux. Nous
découvrirons alors quelque chose de paradoxal dans la façon de
penser des saints. Pour le sens commun, un animal sauvage et
dangereux doit être exterminé. Cependant, les saints voient les
choses différemment.
De
temps à autre, le Père Athanase allait en visite à Voultista, un
métochion de Grigoriou. Celui-ci était situé dans un site
merveilleux, sur un haut promontoire d'où les yeux peuvent voir
jusqu'à la plaine de Thessalie avec les eaux étincelantes des
rivières de l'Axios et de l'Aliakmonos.
"
Géronda, lui dirent les ouvriers du métochion, lors d'une de ses
visites, nous avons une surprise pour vous. Nous allons vous montrer
un spectacle rare.
-
Quelle est cette surprise?
-
C'est que nous avons trouvé dans les bois deux petits louveteaux.
Nous avons pensé ne pas les tuer tout de suite afin d eles montrer à
votre sainteté."
L'higoumène
fut bientôt en présence des deux petites bêtes sauvages. En fait,
il n'avait jamais rien vu de semblable auparavant. Il examinait
attentivement la belle ligne de leurs corps, leurs longues jambes,
leurs cous, leurs museaux, leurs oreilles en alerte... Ils étaient
effrayés d'être dans un si étrange environnement. Le Père
Athanase ressentit une grande sympathie et de l'affection pour ces
loups. Il en eut pitié et commença à les caresser. Il pensa aussi
à la peine de leur mère. Finalement, il adressa aux ouvriers des
paroles auxquelles ils ne s'attendaient pas.
-
Ecoutez! Ne leur faites aucun mal et ne les tuez pas; laissez-les
retourner dans leur tanière. Leur mère est triste et les attend."
L'affection
que le Père Athanase témoignait aux animaux sauvages était
réciproque. Ils étaient paisibles et doux avec lui, ils lui
obéissaient même, comme nous allons le voir dans le récit suivant.
Dans
le cimetière du monastère, où se rendait souvent le Père Athanse,
un gros serpent rôdait. Une amitié ne tarda pas à naître entre
eux. Aucun des deux n'était gêné par la présence de l'autre. Mais
il n'en était pas ainsi pour les autres moines, tel le Père
hiérodoacre Pachôme, qui devait aller au cimetière pour allumer
les veilleuses. Il était d'une nature craintive, et quand il voyait
le serpent, il n'était pas seulement effrayé, mais il se sauvait
dans une fuite éperdue. Cela faisait pitié à voir.
Quand il
confia à l'higoumène sa malheureuse difficulté, celui-ci le
rassura et l'apaisa en lui assurant que, dorénavant, le serpent
indésirable allait s'éloigner définitivement du cimetière.
Et
cela se passa ainsi. Le Père Pachôme ne revit plus le serpent, à s
agrande joie d'être délivré de cette présence abhorrée. Il
gardait cependant un doute, une question irrésolue : par quels
moyens son higoumène avait-il chassé le serpent? Lui avait-il
ordonné de partir? Avait-il lu quelque office? Avait-il prié?
Personne ne le savait. Il suffisait seulement que le serpent ait
disparu, même si on en ignorait le comment ou le pourquoi.
Le
lien profond des saints avec les créatures - même avec les bêtes
sauvages et les reptiles - révèle une grande vérité : c'est que
le Créateur habite dans leurs âmes. Et lorsque, dans une âme, il y
a des liens d'amour avec le Créateur, il y en a aussi avec les
créatures. " Le premier lien est la preuve du second",
comme le dit le saint auteur de l'Echelle.
7.
Sa renommée
Du
temps où le Père Athanase était un simple hiéromoine, il était
déjà connu dans toute la Sainte Montagne. Mais quand il devint
higoumène, son rayonnement fut encore plus grand.
Beaucoup de
personnes venaient au monastère de Grigoriou avec le seul but de le
rencontrer; quelques-uns cherchaient un conseil spirituel et d'autres
désiraient se confesser à lui. Non seulement des moines du
Mont-Athos, mais encore des clercs et des laïcs venaient de partout
pour se confesser à lui. Jusqu'à sa mort, il rafraîchit et lava
tant d'âmes dans le bain de la pénitence! Tant de monde venait à
lui pour la confession que le monastère fut obligé de prendre des
mesures pour protéger un peu sa tranquillité.
Des
personnes de haute position dans l'Eglise et dans l'Etat le tenaient
en grande estime. L'archevêque Chrysostome Papadopoulos, bien qu'il
ne l'eût pas connu personnellement, le révérait beaucoup et ne
manqua jamais de lui envoyer des voeux et des salutations et de lui
demander ses bénédictions et ses prières. Le roi Georges II, quand
il visita la Sainte Montagne, s'arrêta deux jours au monastère de
Grigoriou. Il rencontra le Père Athanase et fut impressionné par sa
grandeur spirituelle. Il est rapporté qu'il eut un entretien de
plusieurs heures avec lui, et qu'il se confessa aussi à lui. La
profonde révérence du roi pour l'Ancien est attestée par la
circonstance suivante :
Denys, élu
métropolite de Iérissos et de la Sainte Montagne, prêta le serment
de sa consécration devant le roi Georges. Celui-ci lui dit ensuite :
" Quand tu iras dans ton diocèse, ne manque pas de visiter le
monastère de Grigoriou sur la Sainte Montagne, afin d'y rencontrer
le hiéromoine Athanase. Baise-lui la main de ma part. Pour moi, il
n'existe pas d'homme comme lui. C'est un homme vénérable, qui allie
une sainte dignité à l'humilité."
En
fait, le métropolite Denys, qui était lié spirituellement au
Mont-Athos, visita le monastère de Grigoriou et demanda à parler au
Père Athanase ( à cette époque, il avait démissionné de son
higouménat). Avec beaucoup de piété, il lui prit la main et la
baisa, en lui transmettant les salutations du roi. Le Père Athanase
prit soin de baiser aussi les mains du métropolite avec l'humilité
d'un simple fidèle.
Alors que
le Père Athanase était très âgé, l'exarque patriarcal, qu
passait par le monastère de Grigoriou, voulut absolument le
rencontrer. Sur l'insistance de l'higoumène Bessarion, il accepta de
sortir de sa cellule. Les évêques s'empressèrent de lui baiser la
main, et de lui exprimer la profondeur de leur respect. " Nous
avons tellement entendu parler de toi, et nous voulons te voir. Notre
joie est grande...Tu es un saint homme. Nous voudrions avoir ta
bénédiction."
Devant
cette avalanche de louanges, le Père Athanase s'assit
silencieusement, les mains croisées. Les seuls mots qui vinrent
finalement sur ses lèvres furent : " Je ne suis pas digne."
Et
il s'inclina devant eux, prit congé et se retira dans sa cellule.
V. UN
LUMINEUX COUCHER DE SOLEIL
1.
Dans le calme de sa cellule
Les années
passant, le Père Athanase devenait de plus en plus intériorisé et
rempli de componction. Sa componction était si grande qu'il pleurait
à la simple mention du nom du Christ ou d'un épisode de sa vie
terrestre. Sa vie intérieure était élevée au plus haut point. Il
évitait systématiquement de communiquer avec les visiteurs, et il
fermait fortement les lèvres pour ne pas perdre le trésor du
silence.
Pour
celui dont l'amour pour Dieu est illimité, il est absolument
essentiel d'avoir un lieu calme où il puisse L'adorer sans cesse.
Pour le Père Athanase, ce lieu était sa cellule. Dégagé des
charges de l'higouménat, il pouvait pêcher les perles divines dans
la mer de l'hésychia que Dieu lui procurait.
En dehors
des heures des offices à l'église et du temps de la table, il
passait tout son temps dans sa cellule. Cependant, quand le temps le
permettait, il se rendait dans deux endroits qu'il affectionnait. Le
matin, il allait vers l'est, dans un jardin, où se trouvait une
petite grotte. Elle était formée de deux rochers et entourée
d'oliviers. Elle s'ouvrait sur la mer Egée, à l'infini. Cent mètres
plus bas, les vagues se brisaient sur la côte rocheuse.
L'après-midi, il allait vers le nord, à un grand ravin au-dessus du
port. Et là, plaçant une planche sur deux pierres, il s'était fait
un banc. Dans ces deux endroits, il vécut beaucoup de moments bénis.
C'est sa
cellule, cependant, qui était principalement l'arène où il se
livrait à la dernière partie de ses combats spirituels. Là, il
réfléchissait sur la mort et la vanité de la vie présente. C'est
là qu'il devait accomplir ses dernières ascensions spirituelles.
Tous
ceux qui passaient devant sa cellule percevaient que l'Ancien
conversait avec Dieu. Il n'était jamais rassasié de prière. Il
étudiait aussi les textes sacrés, mais sa priorité était la
prière. Son esprit volait très haut et il voyait la beauté du
monde spirituel. Son âme était inondée par "les beautés de
Dieu, incorruptibles, cachées et parfumées" ( saint Denys
l'Aréopagite). La "douceur de la cellule", dont parlent
les pères, était son bien. Tout homme, ayant un peu de
discernement, comprenait, en le voyant, qu'il se trouvait en face
d'un homme complètement absorbé par le monde divin.
Tous les
moines doivent accomplir chaque jour un nombre déterminé de prières
et de métanies avec leur chapelet; ceci constitue leur "règle
" de prière. Le Père Athanase, qui s'adonnait à la prière,
surpassait sur ce point les limites habituelles. Pendant trois ans,
il dépassa sa règle de prière prescrite.
"
Je peux aller au lit un peu plus tard. Pourquoi n'en ferais-je pas un
peu plus, maintenant, tant que j'en suis capable?" disait-il.
Son
amour et sa vénération pour la personne de la Mère de Dieu étaient
sans limites. Le "Réjouis-toi" de l'hymne acathiste
raisonnait dans sa cellule chaque jour. L'icône de la Mère de Dieu
qui ornait sa pauvre cellule, recevait sans cesse ses prosternations
et ses baisers. Il embrassait l'enfant Jésus sur les pieds, et la
Mère de Dieu sur la main. Aujourd'hui, ceux qui visitent la cellule
du Père Athanase peuvent voir les nombreuses traces de ses baisers
sur cette icône.
Il
avait aussi des liens bénis avec d'autres icônes de la Mère de
Dieu. Dans l'un de ses carnets, il avait écrit ceci : " Dans
notre monastère bien-aimé, durant les offices, je me tiens en face
de la douce icône de la Mère de Dieu de l'iconostase; son regard
est celui d'une personne vivante. Ce sont seulement les paroles qui
lui manquent, son regard grave et doux vous suit partout. Oh, combien
je me plais dans la contemplation de sa sainte icône! J'ai
l'impression d'avoir devant moi la Mère de Dieu elle-même."
Il
attachait une telle importance à l'Acathiste à la Mère de Dieu
qu'il n'aurait jamais tonsuré un moine qui ne le savait pas par
coeur. Dans ses notes manuscrites, il arecopié des passages de
livres spirituels qui chantaient la grandeur de l'hymne Acathiste.
Voici quelques-uns de ces passages :
"
Prenez l'habitude de lire avec piété son Acathiste, et vous verrez
avec le temps combien de grâces vous en recevrez : quelque chose, je
vous le dis, que vous n'avez pas encore goûté. Mais "goûtez
et voyez!" Ne vous attendez pas à cela dès le début, parce
que la vigne ne porte pas de raisins aussitôt qu'elle est plantée.
Avec le temps, vous récolterez beaucoup de raisins doux et mûrs."
"
Frappe sans cesse à la porte de sa compassion maternelle et de son
amour pour les hommes, avec les battements incessants de son
Acathiste et des hymnes de louanges qui lui sont consacrés... et tu
obtiendras aide et protection, non seulement dans cette vie
temporelle, mais aussi à l'heure de ta mort."
En
vérité, sa cellule était devenue un paradis. Quand les pères
frappaient à sa porte pour quelque demande, et qu'il l'ouvrait, ils
le voyaient le visage rempli de larmes et resplendissant d'une joie
divine. Si on l'informait que des visiteurs désiraient le voir, il
tentait d'éviter de les rencontrer. La vie cachée et calme de sa
cellule lui était très chère. Il pouvait dire avec saint Syméon
le Théologien dans ses Hymnes à l'amour divin : " Laissez-moi
seul enfermé dans ma cellule. Abandonnez-moi avec Dieu, le seul Ami
de l'homme. Que personne ne frappe à la porte ni ne prononce une
parole."
2.
Les dons spirituels
L'auteur de
ce livre a reçu de Dieu la grande bénédiction de rencontrer le
Père Athanase trois ans avant sa mort. J'avais été visiter la
skite Sainte-Anne, et sur mon chemin de retour, je suis passé au
monastère de Grigoriou, et j'ai demandé à le voir. Devant mes
supplications instantes, il accepta de me recevoir. Je témoigne que
j'ai été saisi par le rayonnement de son visage. Je vis une sainte
silhouette qui semblait ne pas appartenir à notre temps : grande,
mince, la tête blanchie, et cependant avec un visage enfantin. Il
m'accueillit et me parla avec beaucoup d'amour. Sa maturité
spirituelle était évidente. Nous restâmes ensemble vingt minutes.
Pendant ce temps, et selon son habitude, il garda son regard baissé.
Je ne pense pas qu'il m'ait regardé plus de deux ou trois fois.
"
Géronda, lui dis-je, dis-moi une parole; je suis un jeune clerc qui
vis dans le monde, et j'ai tant de besoins spirituels.
-
Il y a des hommes, ici, sur la Sainte Montagne, de grande vertu et de
grande sagesse. Si tu vas les voir, tu recevras ce dont tu as besoin.
-
Où sont-ils ceux dont vous pensez qu'ils pourraient m'aider?
-
Si tu vas à la skyte de Sainte-Anne et aux Katounakia, va voir le
Père Daniel. C'est un homme très cultivé, il a été disciple
durant beaucoup d'années. Tu recevras beaucoup de lui", me
répondit-il.
A
la fois par humilité et par amour de la solitude, le Père Athanase
avait l'habitude dans ses dernières années de recommander d'autres
pères renommés de la Sainte Montagne à ceux qui cherchaient un
conseil spirituel ou à se confesser.
"
Géronda, lui dis-je, je reviens justement de Sainte-Anne, et je
m'apprête à retourner dans le monde. C'est pour cela que je
voudrais avoir une parole de vous - comme une aumône spirituelle."
A
ces mots, il ne dit rien pendant un moment, puis avec une voix pleine
de bonté e de douceur, il me dit : " Puisque Dieu t'a rendu
digne de devenir prêtre, prends soin de participer à la Divine
Liturgie de toute ton âme. Lorsque le prêtre célèbre la Liturgie,
il doit sentir une lampe brûler en lui. Il doit garder cette lampe
allumée jusqu'à la prochaine Liturgie. Depuis sa première Liturgie
jusqu'à sa dernière Liturgie, le prêtre doit garder cette lampe
allumée. Et prends garde, après la Liturgie, de te retirer et, dans
le silence, de revivre ce que tu as vécu. Evite de parler et veille
à ne jamais rire après la Liturgie."
A
ce moment, s'arrêta l'entretien. Il se leva et me congédia
chaleureusement. J'embrassai sa main et nous nous séparâmes.
"
Que Dieu te protège!", tels furent ses derniers mots.
Je
me considère comme très privilégié d'avoir eu cet entretien
céleste et ses inestimables conseils.
Quand on
demandait au Père Athanase la valeur de la vie monastique, il
répondait : " L vie monastique est le plus grand don que Dieu
ait fait à l'homme."
A
quelqu'un qui s eplaignait à lui de souffrances et de maladies, il
répondit : " Avec ton mal, c'est le Christ qui vient te
visiter, mon enfant."
Par-dessus
tout, il possédait la vertu de la charité. A son successeur en tant
qu'higoumène, il donna cet avis : " L'higoumène doit être bon
comme l'était saint Nicolas, et doit assister tous ceux qui viennent
au monastère pour demander du secours. Dieu n'abandonne jamais
personne, mais Il pourvoit à tout."
Son
âme aimait beaucoup l'esprit de paix et de douceur. Et il fit
beaucoup d'efforts pour insuffler cet esprit à ses disciples. Il se
fit même poète et leur donna à lire des vers dédiés à la sainte
douceur. Un certain moine de Grigoriou reçut au métochion de
Voultista le poème suivant :
Que
c'est bon, plus bon que tout
D'être
doux et bienveillant.
Quand un
homme me tourmente,
Pourquoi
l'insulterais-je?
Sa
fureur cessera-t-elle
Si
je lui renvoie sa malédiction?
Sa
colère l'emporte,
Et
je réponds sur le même ton.
Par cette
grossière férocité,
Je suis
tombé très bas.
Dans les
moments de fureur passionnée,
Je garderai
la paix.
La rage se
calmera et s'estompera
Si je la
laisse partir hors de moi.
Et par la
paix et la douceur
J'ai
frappé l'injuste;
Je suis
alors mieux écouté par lui
Que si
je l'avais frappé en retour par la
colère.
A l'un de
ses fils spirituels qui avait renoncé au monde pour devenir moine,
il écrivit : " Je suis infiniment joyeux que tu sois
heureusement arrivé au port spirituel de la Mère de Dieu. Afin de
progresser dans la voie monastique selon Dieu, tu dois poser de
bonnes fondations et des assises parfaites. La première fondation
est l'exil; c'est ce que tu as déjà entrepris" ( 4 mai 1931).
Le fragment
suivant est extrait d'une lettre adressée à un jeune scientifique
avec lequel le Père Athanase avait des liens fraternels très
étroits:
"
Mon frère en Christ,
Mon
ccoeur fut rempli de joie et d eplaisir quand j'ai appris que tu
avais obtenu tes diplômes.
Ce
que je te conseille, selon mes forces et ma connaissance, c'est de
toujours garder en toi ces mots du Seigneur : " Sans moi, vous
ne pouvez rien faire.""
L'observation
suivante - tirée aussi d'une lettre - montre une grande profondeur
de vue dans le domaine psychologique :
"
Ta maladie, mon enfant, ne paraît pas normale, étant donné que les
médecins ne peuvent pas y porter remède. Je crois qu'elle est liée
à quelque chose de caché dans ton coeur."
Le
Père André, un jeune moine de Grigoriou, avait son obédience, pour
un certain temps, au métochion de Voultista. Ses relations
spirituelles avec son higoumène devinrent par nécessité
épistolaires. Le disciple lui confiait ses problèmes, et l'Ancien
lui donnait ses prescriptions thérapeutiques. Dans une de ses
lettres, il lui écrivit :
"Efforce-toi,
mon enfant, d'acquérir dns ta vie la dignité, la simplicité, la
connaissance, la prière continuelle, la virilité, un amour sincère,
la sagesse, la bienséance. Sois compatissant, aime le pauvre.
Parviens au silence et à la patiente endurance. Ne médis pas et ne
te moque pas de qui que ce soit. Acquiers la maîtrise de soi, la
modestie et l'humilité afin que le Seigneur te glorifie en présence
des anges et des saints."
Le
sage Ancien ressemble ici à un montagnard aguerri montrant à son
jeune disciple les saints sommets qu'il doit se fixer comme but de
sa vie.
Le
Père Théoklitos de Dionysiou se rappelle avec émotion cet aveu de
son père spirituel : " Quelle chose excellente, Père
Théoklitos, de se réveiller à minuit et de commencer l'office en
entonnant doucement : " Saint Dieu, Saint Fort, Saint immortel,
aie pitié de nous..."" "Et il disait ces mots, ajouta
le Père Théoklitos, avec sa voix et son visage emplis d'une forte
expression, qui donnait l'impression qu'il était dans un monde
spirituel supérieur. Délivré du remords et du sentiment de
culpabilité, paisible et calme, il évoluait dans les sphères
supérieures et entraînait son auditeur vers celles-ci."
3.
Les révélations divines
La vie du
moine est à mi-chemin entre le temporel et l'éternel. Il vit sur le
côté terrestre de la vie, mais il goûte aussi à des fragments du
ciel.
Au
moine qui vit sérieusement selon sa consécration, travaillant sur
le chemin de l'ascétisme et endurant patiemment "la chaleur
étouffante du jour et le froid glacial d ela nuit", Dieu
envoie, comme l'affirment les Pères, des consolations divines et des
joies célestes. Comme le rapporte saint Nicolas Stéthatos, pour le
moine "qui parvient aux révélations divines et aux visions,
devenant totalement illuminé et sage, le combat s'intensifie."
Il
existe beaucoup d'indications qui témoignent que le Père Athanase
avait reçu de Dieu ces bénédictions divines. Nous avons mentionné,
par exemple, sa façon de se tenir au saint autel.
Les
pères sont arrivés à lui faire dire que quelquefois, quand son
esprit était immergé dans la prière, il entendait de douces
psalmodies célestes, qui ne ressemblaient à aucune autre sur terre.
Sur les
instantes supplications de certains pères, il fut obligé une fois
d'avouer que, de temps à autre, il voyait "des mystères
variés", mais il ne le révéla à aucun.
Dans le
catholicon, il fut un jour digne de voir de ses yeux la protectrice
du monastère, sainte Anastasie, qu'il révérait grandement. Il la
vit dans son jeune âge, habillée en moniale, avec une grâce et une
dignité indescriptibles marquées sur son visage.
Durant une
agrypnie à l'église, il arriva que les pères le virent quitter sa
stalle pour se prosterner profondément sur le sol. Ils furent
surpris, car à ce moment de l'office, aucune métanie n'était
justifiée; Quand il se releva, ils virent que son visage avait
changé. Que s'était-il donc passé, Personne ne put le savoir.
C'est seulement à la fin de sa vie qu'il le révéla à l'higoumène
Bessarion, sur ses instantes supplications.
"
Mon enfant, puisque tu insistes tellement, je vais te dire ce qui est
arrivé. Je ne sais pas si j'avais les yeux ouverts ou fermés, mais
je vis comme une apparition de la mère de Dieu, elle qui est plus
vaste que les Cieux, pleine de grâce et d'incomparable majesté.
Tout en moi terssaillit devant une telle grandeur céleste, et je
tombai à terre pour la vénérer."
Ainsi,
après beaucoup d'années, les moines surent pour quelle raison il
les avait surpris au cours de cette agrypnie. Aprèss tant d'années
de questions pressantes! De même, dans la sainte Ecriture, nous
voyons que l'apôtre Paul révéla son enlèvement au troisième ciel
quatorze ans après l'événement.
Tous ceux
qui facilement révèlent les visions qu'ils pensent recevoir de
Dieu, sont dans le domaine de l'illusion.
4.
" Sur un lit de douleur"
En 1949,
l'Ancien tomba gravement malade et dut garder le lit. L'arthrite, qui
le tourmentait depuis les dernières années, s'aggrava grandement.
Inquiets, les pères lui proposèrent d'aller à Thessalonique pour y
être soigné, mais il n'y consentit pas. Il supportait avec patience
ses pénibles douleurs. Son visage restait toujours empreint de
sérénité et de douceur. Les pères, allant et venant dans sa
cellule, suivaient avec angoisse l'évolution de son mal.
Quand il
avait été précédemment malade, le Père Athanase avait toujours
refusé l'aide des docteurs et de la médecine, comme la quinine et
les ventouses qui étaient alors utilisées. Il considérait sa
maladie sur un plan supérieur. Il ne demanda jamais que l'on lui
prépare des aliments sans sel, mais il mangeait ce qui était
préparé à table, en dépit du fait que cela ne faisait qu'empirer
sa maladie. A la place des médecins, des régimes et des
médicaments, il s'adonnait à la prière et communiait fréquemment.
Son état
de maladie aggravée coïncida avec le Grand Carême. Les pères
insistèrent pour qu'il rompît le jeûne, à cause da sa grande
faiblesse. Mais il refusa. Ce qu'il demanda c'est que l'on lui donnât
la sainte communion le plus souvent possible.
Son
état ne s'améliorait pas. Quand arriva la veille du samedi de
l'Acathiste, le Père Athanase, qui, même au plus mal de sa maladie,
ne manquait jamais de se lever chaque nuit pour chanter l'Acathiste à
la Mère de Dieu, semblait optimiste. Il se préparait pour la sainte
communion. "Je vais prier toute la nuit la Mère de Dieu, dit-il
aux pères. Le matin, je viendrai à la Liturgie, je recevrai la
communion, et, sans doute, je mourrai. Il se peut, cependant, que le
Pain céleste fasse un miracle."
Les pères
le transportèrent à l'église, où il n'était pas venu depuis
longtemps. Au moment de la divine communion, ils le conduisirent au
saint calice, et il communia.
Ses
espérances ne furent pas déçues. La divine eucharistie lui apporta
"joie, santé et bonheur". Sa santé se rétablit et sa vie
reprit son cours normal. Le Pain de vie avait fait son miracle.
En
1951, le Père Athanase dut encore garder le lit. Il savait que ses
forces allaient l'abandonner et il demanda l'Onction des saintes
huiles (1).
(1)
: ( Il s'agit de l'Onction des malades, ou euchèlaion (NdE).).
A
la fin de l'office, il songea à offrir aux pères qui étaient
présents, un cadeau en signe de bénédiction. Il distribua à
chacun quelque chose de ce qu'il avait dans sa cellule. " Je
vous souhaite un bon paradis, leur dit-il. C'est là qu'est notre
demeure éternelle; ici, nous sommes de passage."
Plus tard,
il donna à l'higoumène une valise pleine de livres. mais il garda
pour lui l'Echelle et l'Evérgétinos ( 2).
(2)
: ( L'Echelle, oeuvre de saint Jean Climaque, et l'Evergétinos,
anthologie de textes spirituels des Pères réalisée par Paul
Evergétinos au XIe siècle, sont, avec la Philocalie, les Discours
de saint Isaac le Syrien et les Homélies spirituelles de saint
Macaire d'Egypte, les oeuvres les plus lues par les moines et les
chrétiens soucieux d'approfondir leur vie spirituelle. Toutes ces
oeuvres sont disponibles en traduction française. (NdE).).
Il
garda aussi un épitrachèlion, parce que, si ses forces ne
l'abandonnaient pas totalement, il recevrait des personnes pour la
confession.
Cependant,
le temps de son départ n'était pas encore venu. Le Seigneur devait
encore lui accorder deux années de vie. " Gloire à Dieu!
s'exclamèrent les pères. Il nous a laissé notre "grand-père"
pour encore un peu plus de temps."
5.
Une fin paisible
A plusieurs
reprises, le Père Athanase fut sur le point de mourir, et fut sauvé
au dernier moment. Mais, cette fois-ci, sa course terrestre touchait
à sa fin. En décembre 1953, ayant atteint sa quatre-vingtième
année, il fut à nouveau cloué au lit. Il ne put pas se rendre à
l'église pour Noël. Tout montrait qu'il était sur le point de
quitter cette terre.
Ses
derniers jours furent ceux d'un bienheureux. Il refusait toute
nourriture, et ne se nourrissait plus que des Mystères immaculés.
Son esprit et son coeur étaient immergés dans la prière. De temps
en temps, il levait les mains et bénissait comme s'il célébrait la
Divine Liturgie.
Deux jours
après Noël, le moine qui s'occupait des moines âgés, le Père
Artémios, invita toute la communauté à se réunir autour du Père
Athanase qui voulait faire ses derniers adieux à tous, car il se
sentait tout à fait près de la fin. Rapidement, tous les moines
furent autour de lui. Il était leur père spirituel, leur Ancien,
qui avait été pour leur vie une colonne de feu et "un guide
dans la vie divine, comme le sont les étoiles toujours brillantes
pour les timoniers" ( saint Grégoire de Nysse). Sur leur visage
se marquait une profonde douleur, car ils voyaient qu'il était en
train de les quitter.
"
Géronda, dit l'higoumène, la voix brisée par l'émotion, si tu en
trouves le courage devant Dieu, et sans aucun doute tu l'auras, ne
nous oublie pas.
-
Si j'ai ce courage, je t'aurai sous mes yeux, toi et tous les pères,
et je me souviendrai de vous."
L'atmosphère
était tendue par l'émotion. Chacun essayait de refouler sa peine et
sa douleur; " Maintenant, venons nous pardonner les uns les
autres", dit l'Ancien, alité. Chacun lui embrassa la main et
lui fit ses adieux.
"
Bénissez, Géronda!
-
Bon paradis!
-
Que nous nous retrouvions au Ciel."
Le
jour suivant, aux premières heures, après la Divine Liturgie, il se
sentit un peu mieux. Il était capable de prendre soin de lui-même,
tout seul. Il se leva, sa lava et s'habilla. Les vêtements qu'il
avait enlevés, il les donna au Père Artème. " je n'en ai plus
besoin. Fais-en ce que tu veux."
Un des plus
jeunes moines, voyant qu'il allait mieux, en profita pour se
confesser et pour lui confier certains de ses problèmes. Il trouva
même le courage de lui demander :
"
Géronda, comment savez-vous que votre départ est imminent?
-
Mon enfant, je pars cette nuit. C'est la vérité, mais ne me demande
pas comment je l'ai su."
Dans
l'après-midi, il fit appeler l'higoumène.
"
Dans quelques heures, dit-il, avant ou après les Complies, je
partirai. Et toi, prends soin des frères, et la Mère de Dieu ne
t'abandonnera jamais. Va me chercher les Mystères immaculés pour me
donner la communion."
Il
s'adressa au Père André, le moine qui habillait ceux qui étaient
morts : " Père André, tu n'auras pas à changer mes vêtements.
Je me suis préparé moi-même. Laisse-moi habillé comme je suis."
Quand
l'higoumène revint avec la divine Eucharistie, le Père Athanase
commençait à chanter : " A ta cène mystique aujourd'hui, ô
Fils de Dieu..." Ce furent ses derniers mots. Après la sainte
communion, il se livra au silence et à la prière. Il levait souvent
le regard vers le haut et murmurait quelque chose. Il éleva aussi
ses mains à plusieurs reprises et donnait la bénédiction
pastorale.
Le
soir approchait. Il fut saisi d'un grand frisson, et se refroidit. Il
était clair que le grand moment était proche.
Après
les Complies, tous les pères se réunirent autour de lui. Les larmes
aux yeux, et leur chapelet dans les mains, ils priaient avec ferveur.
La scène évoquait l'icône qui représente la dormition de saint
Ephrem.
A
cet instant, son visage était très paisible et lumineux, il
brillait comme de l'ambre jaune. C'était le prélude de la félicité
du Ciel. Il ne pouvait plus lever les mains, il les croisa sur sa
poitrine et ferma les yeux. Et bientôt, avec une sérénité
surnaturelle et en paix, il remit son esprit dans les mains de Dieu.
L'envol de
son âme vers le Ciel fut si calme que personne ne sut le moment
précis de son départ. Une telle mort si calme fut le sceau et la
confirmation de sa vie hésychaste et paisible.
Sa
mort n'effaça pas son image du coeur de ses disciples; au contraire,
elle établit en eux leur Ancien, regretté et lumineux. Souvent dans
leurs rêves, ils verraient son inoubliable visage vénérable.
Certains le
virent brillant au milieu d'une lumière merveilleuse, d'autres
encore célébrer avec des ornements sacerdotaux sublimes dans une
église magnifique. Il fut aussi vu, venir avec autorité, pour tirer
des personnes d'une situation difficile. C'étaient des rêves bénis,
des dons de la grâce.
Comment
oublierait-on de telles figures? Le bienheureux Ancien Athanase était
sans conteste "façonné en or et décoré de pierres
précieuses". Puisse l'éclat donné par ces "pierres
précieuses" que sont sa vertu et sa grâce, inciter chaque
lecteur de sa biographie à tendre vers des victoires spirituelles
semblables aux siennes!
III
CALLINIQUE
L'HESYCHASTE
Callinique
l'Hésychaste, de l'Archimandrite Chérubim, a également été
traduit par Presbytéra Anna.
Rechercher
dans les archives de ce blog la Vie de Saint Callinique l'Hésychaste.
IV
L'ANCIEN
DANIEL DE KATOUNAKIA
Un peu
au-dessus des abruptes Karoulia, s'étendent les Katounakia désetes,
que domine la grande calyve de la bienheureuse communauté des moines
Daniélites, à une latitude d'environ trois cents mètres au-dessus
de la mer. C'est dans cette calyve que demeura d'abord l'Ancien
Daniel, le fondateur de la communauté; son nom est jusqu'à ce jour
prononcé dans la Sainte Montagne avec une estime particulière et
une grande vénération.
Tous les
pères qui l'ont rencontré et connu de près, parlent avec
admiration de sa personnalité, douée des plus rares qualités
naturelles et spirituelles. C'est de deux de ses disciples déjà
disparus, les bienheureux Pères Gérontios et Niphon, que nous avons
obtenu les principales informations sur sa vie; Et le révérend
prohigoumène Gabriel du saint monastère de Dionysiou nous est venu
en aide pour compléter ces informations. En outre, les pages du
grand homme de lettres Alexandre Moraïtidis ont apporté des
éléments biographiques, utiles et vivants, car il a eu le bonheur
d'être un fils spirituel de l'Ancien Daniel.Mais c'est aussi dans
les manuscrits laissés par ce dernier - méditations, oeuvres
littéraires, lettres - que nous avons trouvé notre matière
première.
A
la fin de l'ouvrage sont présentés les "conseils et
enseignements de l'Ancien Daniel", constitués par des fragments
de ses écrits.
"
Simple, humble, calme, discret", l'Ancien Daniel fut l'une des
plus excellents figures du Mont-Athos, et parmi les plus authentiques
du monachisme orthodoxe contemporain. En méditant en maints endroits
la conduite de sa vie, le lecteur en sera facilement persuadé.
I.
DE SMYRNE A L'ATHOS
1.
Recherches
"
C'était la veille de la fête de la sainte Madeleine... Je suis
entré en épongeant ma sueur...envahi comme par une crainte. Ce
n'était pas une église, le lieu où j'étais entré, mais c'était
décoré comme une église. C'était une chapelle dans laquelle
l'Ancien Daniel, qui n'avait pas d'église proprement dite, lisait
les offices avec ses deux disciples. Ils étaient trois, là, chacun
appuyé sur son bâton monastique fait d'une simple branche de
châtaignier. Au milieu de leurs saintes icônes, de leurs livres et
de leur encensoir, ils chantaient...
C'est là
que je vis l'Ancien Daniel pour la première fois... Il eut à peine
entendu mon nom qu'il manifesta une joie sincère, comme s'il voyait
l'un de ses anciens disciples. Et il ne sut de quelles attentions me
combler.
Après les
Vêpres, nous nous sommes reposés dans la belle salle d'accueil;
nous y avons reçu les rafraîchissements coutumiers dans le désert
: un fruit confit et un verre d'eau fraîche. Nous avions en face de
nous la prodigieuse immensité de la mer, qui s'étendait sans
limites jusqu'aux Sporades du Nord.
Ensuite,
nous avons dîné, par faveur envers moi, car les ermites ne prennent
qu'un seul repas par jour, toujours à la neuvième heure, dans le
petit réfectoire brillant de propreté... Le moine Jean, qui
accomplissait le service de la cuisine, nous servit des aliments
ascétiques, vermicelle bouilli à l'eau, fruits et biscuits sucrés
très savoureux.
Mais ce qui
m'a laissé une impression impérissable, ce fut la nuit aux
Katounakia.
Après
avoir pris, à la table de la calyve, une nourriture frugale mais
délectable - car la Théotokos avait béni cette nourriture et
l'avait rendue si douce -, nous sommes sortis pour nous asseoir en
plein air sur les bancs de pierre, devant la petite salle de
l'hôtellerie. C'est là que nous avons eu le dessert : les paroles
de l'Ancien Daniel, distillant une douceur céleste. Nous avons passé
là de longues heures de conversation, avec, sous nos yeux, la mer
qui brillait sous les rayons argentés de la lune.
Et
puis, la nuit étant avancée, après avoir chanté dehors les
Complies, l'Ancien s'est retiré pour confesser ses deux fils
spirituels dans l'aplotaria, comme chaque nuit, tandis que je restais
comme en extase devant cette vie admirable. Et c'est seulement vers
minuit que je me mis dans le lit qui m'avait été si gentiment
préparé, en songeant aux beautés du désert que je contemplais
pour la première fois."
C'est en
ces termes qu'Alexandre Moraïtidis rapporte sa première rencontre,
inoubliable, avec son père spirituel, l'Ancien Daniel (1).
(1).
( Les Vagues du Nord, 5° série, Athènes, 1926, p. 149-153).
Combien de
fois, vraiment, Alexandre Moraïtidis ne s'assit-il pas près de lui
dans l'aplotaria, bénéficiant de sa direction spirituelle et
entendant ses paroles " qui distillaient une céleste douceur".
L'Ancien
Daniel, dans le monde Dimitri Dimitriadis, est né en 1846 à Smyrne,
ville qui pleura, comme plusieurs autres villes, la ruine de
l'hellénisme en Asie Mineure. Ses parents s'appelaient Stamatis et
Maria. Dieu leur fit grâce de trois fils - Georges, Constantin et
Dimitri - et de trois filles - Catherine, Anne et Parascève. Dimitri
était le plus jeune de ses frères. Sa mère descendait de la
famille des Génnadopoulos; les ancêtres de son père venaient de
Dimitsana, dans le Péloponnèse.
Son père,
S. Dimitriadis, exerçait la profession d'armurier, et son jeune fils
était souvent auprès de lui et observait avec curiosité son
travail. Mais il fréquentait encore davantage une autre armurerie,
celle-ci, spirituelle, qui appartenait à son oncle Anastase. C'était
un homme simple, sans beaucoup de lettres, mais il avait une foi
ardente et beaucoup de vertu. Il avait fait de son magasin, où il
fabriquait et vendait du savon, une palestre d'ascèse, où il
passait ses nuits en prière. Dans le monde, on avait coutume de
l'appeler "le saint savonnier". Il pourvut le jeune Dimitri
des "armes de la lumière". Les jeunes coeurs qui
l'approchaient recevaient la parole de l'Evangile dans la bonne terre
de leurs coeurs ouverts. Chaque dimanche, il les emmenait faire des
excursions dans la nature, loin de l'atmosphère étouffante de la
ville, méditant, priant et respirant l'oxygène de Dieu. De toute sa
vie, ensuite, l'Ancien Daniel ne put jamais oublier ce que cet homme
béni de Dieu lui avait apporté.
Dimitri se
distinguait assurément par ses aptitudes scolaires dans ses études
qu'il fit à l'école évangélique de Smyrne, très renommée. Il
était toujours premier de sa classe; Cependant son travail scolaire
ne le comblait pas. Sa grande passion était ailleurs : c'était les
livres sacrés, l'Ecriture sainte, les Pères de l'Eglise. Il les
méditait sans cesse. Les Pères neptiques le fascinaient. Il arriva
quelque chose d'incroyable : il réussit à apprendre par coeur la
Philocalie, un livre dont ceux de son âge connaissaient à peine
l'existence; Dans ces pages, le fils d el'armurier découvrait des
armes invincibles pour s emesurer avec l'ennemi. Et bientôt germa en
lui le désir de la vie monastique, semblable à celle des anges.
Il
avait formé le projet d'abandonner le plus rapidement possible le
monde.
"
Si vous désirez trouver vertu et sainteté, allez à la Sainte
Montagne, disait son oncle Anastase", chaque fois que l'on
exprimait de l'admiration pour son ascèse.
La
Sainte Montagne! L'Athos! Dimitri pressentait la lueur de sa
magnificence ascétique et de sa majesté byzantine. Pour sûr,
n'était-ce pas l'endroit où il résiderait dans l'avenir?
Un
père spirituel qui habitait alors à Smyrne, dans le métochion de
Chilandari, lui avait dit à ce sujet : " Parmi les jeunes que
je confesse, c'est seulement en toi que j'ai discerné cette
aspiration. Il semble que ce soit la volonté du Seigneur que tu
deviennes moine à la Sainte Montagne."
Il
éprouvait un tel désir divin de la vertu qu'il était naturel qu'il
fût mis à l'épreuve. Son père mourut subitement. Quelle épreuve
imprévue! Il fallait qu'il devînt le protecteur de la famille en
s'occupant du commerce. Mais, en même temps, il avait créé une
association de jeunes gens pieux, auxquels il enseignait les vérités
chrétiennes et qu'il formait sur le chemin de la vertu. Il avait
soif de répandre tout autour de lui la flamme de la foi et de la
piété.
Cependant,
il ne tarda pas à prendre la décision, avec la bénédiction de son
père spirituel, de quitter le monde et de partir à la recherche du
port spirituel de son âme. Il avait dix-neuf ans et partit sans rien
dire à personne.
Il
avait entendu dire que dans le Péloponnèse et dans les îles de la
mer Egée se trouvaient beaucoup de lieux de pèlerinage et de
monastères avec de saints moines. Il avait l'intention d'en faire le
tour. Il visita le Grand Spilaion, la Sainte Lavra, Hydra, Tinos,
Paros, etc. A Paros, à l'ermitage de Saint-Georges, il rencontra le
Père Arsénios, confesseur, qui y vivait dans l'ascèse et était
considéré, de son vivant, comme un saint. Sa rencontre avec ce
saint ascète fut une étape dans sa vie. Il le pria de rester auprès
de lui, mais l'ascète, éclairé qu'il était par Dieu, lui désigna
l'arène de son ascèse : " Va donc, mon enfant, de préférence
à la Sainte Montagne, au monastère de Saint Pantéléïmon."
L'encourageant
à se mettre en route, il lui donna de sages conseils et des
directives inspirés par sa propre expérience. Enfin, il lui prédit
qu'il achèverait sa vie sur les contreforts de l'Athos, ce qui
arriva en effet.
Quant à la
mère de Dimitri, elle ne se remettait pas de son départ soudain;
elle se disait sans cesse : " Etre parti ainsi en se cachant,
sans rien m'en dire... Cela, je ne pourrai pas le lui pardonner.
Pourquoi agir ainsi? Est-ce que je ne vénère pas Dieu? Ne
pouvait-il pas me demander ma bénédiction? Ô ma Théotokos! je
t'en supplie de tout mon coeur : ne lui permets pas de devenir moine
s'il ne revient pas me dire adieu et prendre ma bénédiction."
De
Paros, Dimitri alla en Icarie, où il connaissait de bons moines et
dont il retira un grand profit. Parmi eux se distinguait, tel un
astre brillant, le hiéromoine Isidoros, disciple du merveilleux abbé
Apollos, dont les reliques embaumaient.
Au
moment même où sa pieuse mère appelait à l'aide la Théotokos, le
bateau de son fils quittait Icarie, passait devant Chio et cinglait
au Nord. C'est alors que, chose inespérée, un vent contraire
obligea le bateau à changer de route et à aboutir au port de
Smyrne. près une absence de neuf mois et sans l'avoir prévu,
Dimitri se retrouvait dans sa patrie. Sur l'insistance de l'un de ses
anciens amis, rencontré sur le quai, il décida de revoir sa maison.
Sa mère vit cet événement come un miracle, et elle ne savait
comment remercier la Théotokos qui avait écouté ses prières.
Lorsque son fils lui embrassa la main avant de lui dire adieu, elle
le bénit en pleurant : " Maintenant mon enfant, va en paix, et
que la grâce de Dieu te protège sur la voie que tu as choisie."
Cette
pieuse mère mourut en 1892 à Haut-Machala, près de Smyrne, après
avoir été gratifiée de la révélation de la date de sa mort.
Comment de saints rejetons ne sortiraient-ils pas de telles mères
saintes et bénies?
2.
Sous le joug de l'obéissance
Le
bateau, après ce détour imprévu, poursuivit régulièrement sa
route et, ayant doublé Limnos, se dirigea vers la Sainte Montagne.
Le sommet de l'Athos apparut, revêtu d'une magnificence sacrée aux
yeux du passager émerveillé. Les grands monastères défilaient les
uns après les autres, forteresses spirituelles dans lesquelles se
tenaient des hommes remplis d'amour pour Dieu, livrant le combat
héroïque "contre les princes et les puissances des ténèbres"
( Ep 6, 12). Et la Reine de ces lieux, la Théotokos, que Dimitri
révérait tant, encourageait d'en haut, par Sa grâce, le combat de
Son enfant.
Le Père
Arsénios lui avait indiqué son chemin. Il savait que le monastère
de Saint-Pantéléïmon l'attendait. Après être passé devant
beaucoup de monastères, le bateau se trouva devant cette masse
imposante. C'est là, dans cette fortersse spirituelle qu'il
prendrait part aux luttes ascétiques, sous la protection du
grand-martyr et anargyre Pantéléïmon. La fraternité du monastère
comptait alors deux cent cinquante pères, grecs et russes. Les
Russes étaient en minorité, mais leur nombre s'accroissait.
S'agrandissaient aussi des constructions prodigieuses.
On
se perd aujourd'hui dans la cour d'entrée, où l'on croirait se
trouver dans l'un des palais de la Russie tsariste. Les Russes, peu à
peu, prédominèrent dans ce monastère où ils construisirent des
édifices gigantesques, de véritables oeuvres d'art avec des
escaliers imposants et des églises comme celle de la
Sainte-Protection et celle de Saint-Alexandre-Nevski, chargées d'or
et d'argent, et aussi un immense réfectoire, un gigantesque clocher
qui abrite une des plus grandes cloches du monde, pesant plus de
quinze tonnes. Lorsqu'elle sonne, elle produit un séisme et elle est
entendue jusqu'à Karyès. A une certaine époque, ce monastère
compta jusqu'à trois mille moines. Maintenant, depuis que règne la
situation actuelle en Russie, il ne reste plus qu'un tout petit
nombre de pères.
L'higoumène
du monastère était depuis 1832 l'archimandrite Gérasime de Drama.
Dimitri se présenta à lui, fit une métanie et lui demanda de le
recevoir dans le monastère. L'higoumène en parla aux autres pères.
Certains d'entre eux, apprenant que Dimitri était originaire de
Smyrne, émirent des objections :
"
Nous ne pouvons pas vivre en communauté avec des gens de Smyrne, lui
dirent-ils.
-
Pourquoi ne le pouvez-vous pas? demanda-t-il.
-
Nous ne connaissons que trop bien les smyrniotes.
-
Prenez-le avec vous, je vous en prie, et s'il ne plaît pas, alors
vous le dresserez", leur dit-il fermement.
Les
pères reconnurent son grand zèle et décidèrent de le garder. Ils
lui dirent même plus tard en plaisantant : " Tu as réhabilité
les smyrniotes!"
Ainsi
fut-il accepté et compté parmi les novices. Sa première obédience
fut de servir un très vieux moine, Sabbas, qui avait plus de
quatre-vingt-cinq ans.
L'Ancien
Sabbas était né à Césarée. Il avait joué un rôle important
dans toute l'évolution du monastère. Maintenant qu'il était
invalide, il passait tranquillement ses dernières années dans une
dépendance, un kathisma, en dehors du monastère. Lorsqu'on allait
le voir, on découvrait avec étonnement combien il avait une bonne
mémoire. Entre autres choses, il pouvait raconter avec tous les
détails toutes les péripéties du monastère, comme si elles
s'étaient passées la veille. Mais, sans doute à cause de sa
vieillesse, il était devenu assez capricieux, et il fallait disposer
pour le servir de quelqu'un qui soit très patient.
Et de la
patience, il en fallait au moine novice, déjà pour les épreuves
programmées et les confrontations extrêmement sévères qui lui
étaient imposées, tant spirituellement que physiquement. Pleins
d'expérience, les anciens pères de la Sainte Montagne entraînaient
les jeunes avec intensité, mais aussi avec amour. C'est ainsi que
les masques doivent être ôtés, les égoïsmes supprimés, la
volonté propre extirpée, les traits anguleux rabotés. La route du
disciple est celle du renoncement et de la Croix. C'est son chemin
pour arriver à la gloire et à la vraie liberté.
Donc, le
novice, conformément à l'ordre du monastère, devait prendre soin
de l'Ancien Sabbas en tout point : nettoyer le kathisma, préparer la
nourriture, laver les habits. Mais ce n'était pas tout; il lui
fallait supporter avec patience toute remontrance, juste ou non. A
travers toutes ces difficultés, il fit preuve d'une conduite
irréprochable. Lorsque le vieux Sabbas, sans aucune raison, lui
reprochait son lourd accent oriental, mélange de grec et de turc, il
s'inclinait humblement et disait avec componction : " Bénis-moi,
Géronda."
Un samedi,
Dimitri nettoyait la petite église du kathisma, qui était consacrée
à saint Triphon. Très jolie, elle était dallée de plaques de
marbre. Après qu'il eut lavé avec soin et fait briller le marbre,
le vieux Sabbas vint inspecter le résultat. Il sortit de sa poche un
mouchoir blanc, en essuya le sol pour ramasser, soi-disant, de la
poussière, et trouver ainsi un motif pour humilier son novice : "
C'est comme cela que tu fais le ménage, est-ce cela de la propreté?
Tu vois bien que le mouchoir est sale. As-tu dit les paroles de
l'Ecriture : " Seigneur, j'ai aimé la beauté de Ta maison"?"
C'est comme
cela que le moine postulant était mis à l'épreuve, mais il ne
cessa jamais de rayonner d'humilité, de simplicité et de charité.
Pour toutes ces vertus, l'Ancien Sabbas l'estimait profondément, et
lorsque, plus tard, il en fut séparé, Dimitri ayant changé de
fonction, il n'hésita pas à lui demander pardon pour sa conduite
envers lui.
La
seconde charge qui lui fut confiée fut celle de moutafi ( cordier)
dans un autre cathisme, habité par deux moines bulgares. Il
confectionnait des sacs et d'autres objets en crin. Il se trouva que
ces moines bulgares étaient assez sévères. Cependant il restait
comme une colonne inébranlable d'obéissance. Ce qui allait de
travers, il le considérait comme d'aplomb. Donnons cet exemple.
Chaque vendredi soir, ils avaient coutume de prier, avec le chapelet,
pour les trépassés. Lorsqu'un soir vint le tour du novice, celui-ci
dit correctement la prière en mettant le complément à l'accusatif
plusriel : " Seigneur Jésus-Christ, daigne faire reposer Tes
serviteurs en paix." Mais les Bulgares l'invectivèrent :
"
Eh toi, illettré, on ne dit pas "Tes serviteurs" mais "à
Tes serviteurs".
-
Oui, bénissez, Anciens, je ne dirai plus "Tes serviteurs"
mais "à Tes serviteurs", répondit le véritable enfant de
l'obéissance.
Il
avait certainement lu dans saint Barsanuphe les paroles suivantes,
qui sont la source de la patience et de la vertu : " Tu
t'efforceras de retrancher ta volonté en tout, car "tout le
jour, nous sommes mis à la mort pour Toi, et nous sommes comptés
comme des brebis pour l'abattoir" ( Ps 43, 23)."
3.
Le Père Daniel, moine
La
conduite de Dimitri pendant son temps probatoire avait touché les
pères du monastère. L'higoumène, qui était renseigné sur la
persévarance de sa patience, le prit au monastère et lui confia la
travail de cordier.
Très
rapidement, arriva le grand jour de sa vie, celui de sa tonsure
monastique. De ce jour-là, l'Ancien Daniel se souvenait avec une
émotion intacte. Il se rappelait cet instant où son Ancien l'avait
conduit par la main pour se prosterner devant les saintes icônes,
l'une après l'autre, tandis que les chantres chantaient le tropaire
: " Dans les bras paternels..." Et ces paroles, celles des
prières émouvantes de la tonsure monastique, il ne les oublierait
jamais : " Donne-lui la sagesse de prendre le bouckier de la foi
par lequel il pourra éteindre tous les traits enflammés du Malin,
et de recevoir le casque du salut et l'épée de l'Esprit,
c'est-à-dire la parole de Dieu, en venant en aide aux ineffables
soupirs de son coeur. Introduis-le parmi Tes élus. (...) Fais-en un
instrument parfait, une harpe douce, parfaite du Saint-Esprit..."
Puis, ce
message redoutable du prêtre l'avait cloué de crainte respectueuse,
mais aussi d'une joie inexprimable :
"
Voici, le Christ est présent ici de manière invisible. Considère
que personne ne te force à prendre cet habit. Considère que c'est
toi qui, de propos délibéré, désires ce grand habit angélique.
-
Oui, Révérend Père, c'est de propos délibéré", avait-il
répondu d'une voix assurée.
Lorsque fut
achevée la cérémonie de la tonsure, qui est la reprise symbolique
de la parabole du fils prodigue, le Père Daniel, moine, revêtu du
"premier habit", parut un homme nouveau.
Comme
l'higoumène était d'un âge avancé et qu'il ne lui était plus
aisé de suivre les horaires du monastère, il prit le Père Daniel à
son service pour lui lire les offices.
Jour après
jour, le Père Daniel conquit tout le monastère par son obéissance,
sa courtoisie et sa bonté. Tout le monde l'aimait. On ne l'aimait
pas seulement, on le vénérait, les petits et les grands.
Il
acquit les rudiments de l'art béni de l'iconographie dans ce
monastère russe, ayant pour maître le Père Denys. Comme il attacha
sa vie aux saintes icônes du Christ, de la Toute Sainte, des saints!
Son titre d'"iconographe" le suivit jusqu'à la fin de sa
vie. C'était un iconographe qui avait le sens de son apostolat et de
son service. En plus de la peine qu'il se donnait pour représenter
sur une planche son Seigneur aussi parfaitement que possible, il
luttait également pour "former le Christ dans son coeur".
Sa vie intérieure faisait qu'il travaillait avec des mains pures et
un esprit lumineux. Plusieurs de ses oeuvres sont conservées dans la
maison des icônes, là où vivent maintenant ses petits-enfants
spirituels, les Daniélites. De telles oeuvres rendent encore plus
vivante sa présence au monastère.
4.
Epreuves
Au
Roussikon, sa vie s'écoulait donc paisible et créatrice. Mais les
épreuves et les coups sont l'apanage des élus de Dieu. Ainsi ce
calme déroulement de sa vie fut bouleversé par un sévère accident
de santé. Il fut frappé d'une néphrite aiguë. Cette douloureuse
maladie s'installa peu à peu au cours des années et le tourmenta
continuellement avec de terribles douleurs, des fièvres, des maux de
tête et des vertiges.
Et
s'ajouta à cela une autre épreuve : une discorde s'éleva dans le
monastère entre les Grecs et les Russes. Aux environs de 1876,
l'higoumène grec Sabbas mourut. Le choix du nouvel higoumène créa
une tension car les Grecs voulaient un Grec et les Russes un Russe.
Ce fut une grande tentation de dissensions et de divisions. Et le
Père Daniel se trouva au centre de cette ébullition acr il avait
été élu secrétaire du monastère par un vote commun des Grecs et
des Russes, à cause de l'intégrité de son caractère.
Quotidiennement les vagues du conflit venaient l'assaillir.
L'affaire
parvint jusqu'à Constantinople, et quatre représentants des moines,
deux Grecs, dont le Père Daniel, et deux Russes furent convoqués
devant le patriarche d'alors, Joachim II, qui était originaire de
Chio. En cette circonstance, le Père Daniel, avec sa droiture de
coeur et son courage, plaida la cause de la vérité. Or cela coûte
cher de confesser hardiment la vérité. Le Père Daniel fut expulsé
du monastère et exilé de la Sainte Montagne pour un certain temps.
Sur la
route de l'exil, il parvint à Thessalonique dont le métropolite
était Joachim (1974-1878), qui devait devenir un distingué
patriarche de Constantinople sous le nom de Joachim III. L'exilé lui
rendit visite et lui raconta ce qui était arrivé. Le hiérarque,
dès le premier instant, l'entoura de son affection paternelle : "
Toi, mon fils, lui dit-il, l'Eglise devrait te couronner d'une
branche d'olivier pour ta lutte en faveur de la vérité, au lieu de
te condamner à l'exil."
L'amitié
et la compréhension qu'il trouva auprès du métropolite furent une
rosée rafraîchissante et un soulagement dans l'aridité de son
exil. Ce dernier le garda près de lui pendant dix jours, puis il fit
en sorte qu'il pût aller six mois dans le saint monastère de la
Sainte-Résurrection, à Vassilika, près de Thessalonique.
Pour ce
monastère, la présence du Père Daniel fut une bénédiction
divine; Les moines y étaient ignorants et vivaient dans la mollesse.
Pour ces âmes desséchées et arides, il fit souffler un vent
vivifiant de spiritualité. Par sa vie vertueuse, la richesse de ses
connaissances, la douceur de ses enseignements, le Père Daniel
réorganisa la vie des moines. Il les persuada surtout de mettre en
pratique le typikon athonite, et c'est ainsi que le monastère fut
transformé en un parfait monastère athonite. Les moines
s'attachèrent à sa personne et, lorsqu'il retourna à la Sainte
Montagne, ils furent inconsolables. Le jour où il partit,
trente-cinq moines l'accompagnèrent jusqu'à Galatista, distant de
plusieurs kilomètres, et en lui disant adieu, " ils lui
sautèrent au cou et l'embrassèrent, remplis de tristesse".
5.
A Vatopaidi
De
retour à la Sainte Montagne, il prit ses affaires au monastère de
Saint-Pantéléïmon pour se diriger vers le très ancien monastère
de Vatopaidi. Mais à peine y était-il arrivé qu'il se mit à
souffrir d'une attaque de néphrite aiguë. L'"écharde dans la
chair" qui l'aiguillonnait cette fois-ci très douloureusement,
le cloua au lit pendant des semaines.
Il
fut soigné à Vatopaidi avec une immense charité. Mais le grand
Médecin de la Sainte Montagne, la Mère de Dieu, lui accorda encore
plus de tendresse.
A
Vatopaidi, la Toute Sainte est très vénérée. Le catholicon est
consacré à l'Annonciation de la Mère de Dieu, et beaucoup d'icônes
( Vimatarissa, Esphagméni, Eléobrotis, Antiphonitria, Paramythia,
etc.) sont chargées de pieux récits miraculeux. Dans ce monastère
est précieusement gardée la sainte Ceinture miraculeuse de la Mère
de Dieu, qui était autrefois à Constantinople dans sa maison
vénérable des Blachernes. Le Père Daniel nourrissait une piété
particulière envers la Mère de Dieu, qui était autrefois à
Constantinople dans sa maison vénérable des Blachernes. Le Père
Daniel nourrissait une piété particulière envers la Mère de Dieu,
cette même piété, cette même confiance, cette même vénération
qu'éprouvent envers elle tous les saints. Il la suppliait de prendre
soin de son mal. Il la priait avec des larmes et avec ferveur,
certain de sa réponse. Il connaissait ses promesses. Etait-il
possible qu'elle ne les remplisse pas? Et, en fait, le jour où le
monastère célébrait la fête de la sainte Ceinture, le 31 août,
il fut subitement guéri de sa maladie, et cela d'une façon
définitive. Plus jamais il ne fut tourmenté par cette terrible
maladie qui l'avait fait souffrir pendant dix années.
Comment
remercier la Mère tout irréprochable des moines, et comment chanter
ses louanges?
"
Joie des affligés, réconfort des malades, yoi qui es la Mère de
Dieu, sauve la ville et le peuple, donne la paix aux combattants, le
calme à ceux qui sont battus par les tempêtes, toi, seule
protectrice des croyants."
Ce
sont de telles hymnes de glorification et de prière qui
remplissaient le coeur du Père Daniel, et qui débordaient de ses
lèvres.
Après sa
guérison, il eut l'intention de quitter Vatopaidi, qui était un
monastère idiorythmique. Rester dans un tel climat le fatiguait
beaucoup. Il n'appréciait pas les moines idiorythmiques, ignorants
qu'ils sont de la véritable vie monastique. Au coeur de l'esprit du
vrai moine, selon saint Basile le Grand, "il n'y a pas de place
pour "le mien" ni "le tien", "ma volonté"
ni "ta volonté"."
Il
voulait partir, mais les pères de Vatopaidi le vénéraient. Où
donc retrouveraient-ils un tel homme, un moine si bienfaisant? En
aucune façon, ils ne voulaient le laisser partir.
Il
lui fut donc nécessaire d'aller demander conseil à un confesseur
renommé, le Père Niphon, qui était ascète dans une skite de
Vatopaidi. C'est par obéissance à ce dernier qu'il resta à
Vatopaidi, quoique cela lui parût très dur et qu'il désira un
autre style de vie, cénobitique. C'était vraiment un sacrifice pour
lui de rester à cet endroit, mais il ne pouvait le quitter sans que
le Seigneur lui en accordât sa bénédiction.
Les
responsables du monastère l'affectèrent à la réception des hôtes.
C'était une décision très sensée, car les visiteurs avaient
beaucoup à profiter d'un père hôtelier de cette qualité.
L'hôtellerie de Vatopaidi, très fréquentée, connut alors des
jours historiques. En plus de la propreté et de l'ordre qui y
régnaient, la lecture au réfectoiren la prière en commun, et les
conversations spirituelles lui conféraient une grande qualité. Peu
à peu l'hôtellerie du monastère idiorythmique prit une allure de
coenobium. Et, aux yeux des étrangers, le Père Daniel, avec sa
douceur jointe à son allure austère, représentait de merveilleuse
façon le monachisme athonite, et on le prenait pour l'higoumène
(1).
(1)
: ( Etant à cette époque un monastère idiorythmique, Vatopaidi
n'avait pas d'higoumène).
Pendant les
derniers temps de son séjour à Vatopaidi, il fit un voyage dans sa
patrie de Smyrne, pour une mission du monastère. Il dut y rester
neuf mois. Ses compatriotes étaient fiers de trouver en lui un homme
spirituel de cette dimension, et combien d'âmes ne trouvèrent-elles
pas auprès de lui compréhension, lumière, orientation. Le
métropolite Mélétios avait bien sûr beaucoup entendu parler de
lui, mais maintenant qu'il le connaissait personnellement, il avait
l'assurance de " la certitude du propos". Enthousiasmé, il
lui proposa de le prendre auprès de lui pour en faire son évêque
auxiliaire. Mais le Père Daniel, tout en le remerciant, n'accepta
pas l'offre.
"
Je ne me considère pas digne de l'ordination, Eminence", lui
répondit-il. Et de plus, je ne pourrais plus me retirer dans le
jardin de la Très Sainte Mère de Dieu; or, je lui ai donné ma
promesse.
Et
puis, s'il acceptait de rester dans le monde, qu'aurait-il à y
gagner? Réputation, honneurs, dignités, tout cela est tellement
trompeur, fugace et dangereux lorsqu'il n'y a pas le support de la
volonté divine. Mais s'il devenait évêque, ne travaillerait-il pas
pour le Christ? Certainement. Il n'avait cependant pas d'indication
divine pour le persuader de prendre sur ses épaules une telle
charge. La volonté du Seigneur était, croyait-il, qu'il vive dans
l'obscurité et l'humilité d'un simple moine : " Chacun selon
ce qui lui est fixé." "Il a choisi la meilleure part",
et il évitait les nombreux soucis, qui, lorsqu'ils absorbent
l'homme, lui font négliger son âme, ce qui est terrible pour
soi-même et pour les autres. Le Père Daniel avait une soif ardente
de son Seigneur. Ce qui lui importait, c'était son petit tabouret de
Katounakia, et non pas les trônes. Il préférait "la dernière
place" du moine au "siège du supérieur". Il était
assoiffé de la grandeur que le Seigneur a définie : " Celui
qui voudra être le premier parmi vous, se fera l'esclave de tous"
( Mc 10, 44).
Plusieurs
années plus tard, l'Ancien Daniel écrivait ceci à l'un de ses fils
spirituels de confiance : " Pour que je renonce à ma volonté
propre et à mes sentiments, la Mère de Dieu ne m'a jamais permis
d'apprécier les séjours dans le monde ni d'aimer les vaines
gloires, quoiqu'il se soit présenté des occasions d'ordination et
d'higouménat. C'est pour cela que "je me suis enfui au loin, et
que j'ai demeuré au désert" ( Ps 54, 8), où je suis déjà
depuis quarante-cinq ans, sans aucun désir de connaître les
occupations du monde (1)."
(1)
: ( Lettre du 22 février 1926, à Nicolas Rengos).
6.
Les quarante Liturgies
Nous avons
vu que le Père Daniel fut envoyé, pour affaire, par le monastère
de Vatopaidi, dans sa patrie, où il demeura neuf mois.
"
Dès mon arrivée à Smyrne, est-il indiqué dans les documents qu'il
a laissés, je considérai de mon devoir absolu d'aller rendre visite
au fils, Georges, d'un homme d'éternelle mémoire, Dimitri."
Cet
homme était un simple chrétien, mais sa grande vertu et sa piété
lui avaient conféré la sagesse "d'en haut", à tel point
qu'il était devenu connu par ses conseils et ses avertissements. Par
sa sagesse et ses enseignements, il avait réconforté beaucoup
d'âmes, en particulier le Père Daniel dans son jeune âge.
"
Je voulais le questionner au sujet de la vie de son père, dont
j'avais appris la mort depuis longtemps."
Georges
répondit au désir du moine des Katounakia et lui raconta en détails
la fin de son vertueux père, accompagnant à plusieurs reprises son
récit de larmes; Un évènement fut tellement significatif qu'il
convient de le rapporter.
Dimitri,
parvenu au coucher du soleil de sa vie terrestre, avait prévu,
divinement inspiré par une grâce divine, le jour de sa mort. Ce
jour-là, il fit appeler auprès de lui un saint prêre, pieux et
simple, le père Dimitri.
"
Mon Père, je vais mourir aujourd'hui, lui dit-il. Dis-moi, je t'en
prie, ce que je dois faire à ce moment critique."
Le
prêtre connaissait sa vie vertueuse; il savait qu'il s'était
confessé, avait reçu les Saintes Huiles, et avait communié bien
souvent. Mais, considérant son souhait, il eut l'idée de lui
proposer ce qui suit : " Si tu veux, donne l'ordre qu'après ta
mort, on célèbre quarante Liturgies pour ton âme dans une église
de la campagne."
Le mourant
accueillit avec joie la suggestion du prêtre. Il fit aussitôt venir
son fils et lui dit :
"
Mon fils, j'ai une demande à te faire : je désire qu'après ma mort
tu fasses dire pour moi quarante Liturgies dans une église, loin de
la ville.
-
Et toi, mon Père, donne-moi ta bénédiction; quant à moi, je
m'engage à accomplir ton voeu." telle fut sa réponse.
Deux
heures après, l'homme rendit son âme à Dieu. Son fils, sans
tarder, demanda au Père Dimitri de célébrer quarante Liturgies,
sans savoir que c'était là sa propre suggestion :
"
Père Dimitri, mon père m'a laissé sa volonté de faire dire pour
lui quarante Liturgies en dehors de la ville, et comme tu vis parfois
en hésychaste dans la chapelle rurale des Saints-Apôtres, je te
prie de t'en charger. Je ferai le nécessaire pour ta peine et pour
les frais de l'église."
Très ému,
le Père Dimitri répondit :
"
Cette idée, mon cher georges, c'est moi-même qui l'ai proposée à
ton père, et tant que je vivrai, je me souviendrai de lui. Mais, en
fait, je ne peux pas dire cette quarantaine, car actuellement mon
épouse est assez malade. Il faudrait que tu trouves un autre
prêtre."
Cependant
Georgess, qui connaissait la grande piété du Père Dimitri et la
dévotion que son père avait pour lui, insista jusqu'à ce que
celui-ci fût convaincu d'accepter. Il rentra chez lui et dit à sa
femme et à ses filles : " Je dois célébrer quarante Liturgies
pour l'âme du bon chrétien Dimitri. Ne comptez donc pas sur moi
pendant quarante jours. Je vais vivre en hésychaste aux
Saints-Apôtres."
Le père
commença avec zèle la célébration des Liturgies. Les trente-neuf
premières furent dites sans difficulté. La dernière tombait un
dimanche. Mais la veille au soir, il fut pris d'un terrible mal de
dents qui l'obligea à rentrer chez lui; Il gémissait tant il
souffrait. La presbytéra lui proposa d'appeler quelqu'un pour lui
extraire la dent malade.
"
Ah non, lui répondit-il, demain, je dois dire la dernière
Liturgie."
Mais au
milieu de la nuit, les douleurs furent si fortes que l'on dut faire
venir un spécialiste pour arracher la dent malde. Et il se produisit
ensuite une si forte hémorragie que le père fut obligé de reporter
la quarantième Liturgie au lundi.
Or,
l'après-midi du samedi, Georges se préoccupa de préparer l'argent
pour le Père Dimitri afin de lui remettre le jour suivant. Au milieu
de la nuit du samedi au dimanche, il se leva pour prier. Le calme de
la nuit engageait à la componction. Fatigué, il se recoucha ensuite
et se mit à penser aux vertus, aux charismes et aux sages propos de
son bienheureux défunt père. Et il eut cette idée : " Les
âmes des défunts ont-elles besoin des quarante Liturgies, ou bien
l'Eglise les a-t-elles instituées pour la consolation des vivants?"
A ce moment même, il tomba dans un bienheureux sommeil.
Et
voici qu'il se trouvait dans une campagne d'une incomparable et
indescriptible beauté. Une beauté telle qu'on ne peut en trouver
sur terre. Se sentant indigne d'être dans un tel paradis sacré, il
fut pris de peur. Il craignait d'en être chassé à cause de son
indignité et d'être précipité au fond de l'Hadès. Mais il fut
rassuré avec cette pensée : " Etant donné que le Dieu très
Bon a bien voulu que je me trouve en cet endroit, Il aura pitié de
moi et me conduira au repentir, car je comprends que je suis encore
en vie puisque j'ai mon corps avec moi."
Puis il
aperçut au loin une lumière très pure et très claire, qui
brillait bien plus que le soleil. Il courut vers elle et s etrouva
devant une beauté indescriptible, le plongeant dans un étonnement
indicible : devant lui s'étendait un parc immense, planté d'arbres,
qui embaumaient d'un parfum extraordinaire. Il se dit en lui-même :
" ici, oui, c'est le paradis. Quel bonheur attend ceux qui
vivent vertueusement sur la terre!"
Rempli
d'émerveillement et de jubilation devant toute cette beauté
surnaturelle, il vit un merveilleux palais royal d'une grande grâce
architecturale, extrêmement brillant, dont les murs rayonnaient plus
que l'or et le diamant. Il était impossible d'en décrire l'harmonie
avec des mots humains. Il en restait confondu et stupéfait. Puis,
s'approchant davantage, quelle joie! Il vit son père tout lumineux,
habillé de vêtements étincelants, qui s etenait devant la porte du
palais.
"
Comment te trouves-tu ici, mon fils? lui demanda-t-il tout gentiment
et afectueusement.
-
Mais je n'en sais rien, mon père. Autant que je le comprenne, je ne
suis pas digne de me trouver en ce lieu. Mais dis-moi ce qui se passe
ici. Comment es-tu entré ici et quel est ce palais?
-
La bonté de notre Sauveur Jésus-Christ, par l'intercession de la
Très Sainte Vierge que je vénère tout particulièrement, m'a
accordé cette place et surtout d'entrer aujourd'hui dans ce palais.
Mais, étant donné que le maître d'oeuvre qui le construit a
quelques ennuis avec sa santé, car on lui a arraché aujourd'hui une
dent, il n'a pu achever les quarante jours de sa construction, et
c'est pourquoi j'y rentrerai demain seulement."
Et
Georges se réveilla les yeux pleins de larmes, très étonné et
rempli d'incertitudes; Le reste d ela nuit, il ne put dormir; il
priait sans cesse le Dieu très Bon avec des louanges et des
doxologies. Il se rendit de bonne heure à la Liturgie de l'église
de la métropole, Sainte-Photinie, puis partit pour les environs de
Myrtakia, où se trouvait la chapelle des Saints-Apôtres; Chargé de
ses offrandes : les prosphores, le vin béni et un cierge de cire
vierge, il trouva le Père Dimitri assis sur une chaise dans sa
cellule, qui le reçut avec joie et lui dit : " Je viens juste
de sortir, moi aussi, de la Sainte Liturgie. Ainsi, j'ai terminé la
quarantaine."
Il
dit cela pour ne pas attrister Georges.
Alors
Georges entreprit de lui décrire en détail sa vision de la nuit.
Lorsqu'il en arriva au fait que son père soit retardé pour entrer
dans le palais à cause du mal de dents du constructeur, le prêtre
fut pris d'effroi, mais fut aussi rempli d'admiration et de joie. Il
se leva et dit : " C'est moi, mon cher Georges, le constructeur
qui ai travaillé à la construction de ce palais. Aujourd'hui, je
n'ai pas célébré la Liturgie parce qu'on m'a arraché une dent; le
mouchoir que j'ai dans la main est tout souillé. Je t'ai dit un
mensonge car je ne voulais pas te faire de peine."
L'Ancien
Daniel fut très ému d'entendre ce récit béni. Georges l'engagea à
aller voir le Père Dimitri, qui était alors prêtre ordinaire de la
paroisse de Saint-Jean-le-Théologien. Le prêtre lui fit exactement
le même récit, et lui demanda de l'écrire, car il était d'une
grande utilité. Ce qu'il fit, puisque nous l'avons trouvé parmi ses
manuscrits. A la fin de son texte, l'Ancien Daniel indiqua : "
J'ai entendu ce qui précède au mois d'octobre de l'année 1875.
Dimitri, d'éternelle mémoire, était décédé en 1869."
II.
" REJOUIS-TOI, DESERT!"
1.
Ermite
Plus le
désir divin devient fort et mûrit dans l'âme du moine, plus se
manifeste la nostalgie de l'hésychia, où, tel un autre Elie sur le
mont Carmel, il se consacre tout entier à l'amour de Dieu. Ce désir
du désert était ardent aussi dans le coeur du Père Daniel; il ne
pouvait plus rester davantage éloigné de lui.
Lorsqu'il
revint de Smyrne, il fut informé que les pères de Vatopaidi étaient
décidés à le recevoir comme épitrope ( représentant du
monastère). Mais le Père Daniel ne voulut à aucun prix échanger
le silence contre une quelconque dignité. Ayant vécu cinq années à
Vatopaidi (1876-1881), il quitta le monastère et courut comme un
cerf dans le désert des Katounakia. Il courut " là où les
senteurs du thym rivalisent avec les parfums célestes de l'encens,
là où cesse de murmurer chaque ruisselet, et où seul le chant doux
de la prière se fait entendre, là où les rochers eux-mêmes
respirent la sainteté, arrosés par les larmes des saints
solitaires" (Moraïtidis).
Son nouveau
champ d'ascèse, c'était une calyve déserte, une cabane sans eau,
avec deux chambres et une citerne. En cet endroit, pas de confort
comme à Vatopaidi, mais la pauvreté. Pour pouvoir survivre, il faut
que ceux qui vivent là s'entourent de leur affection réciproque. Il
faut que chacun soit assuré d'y avoir un travail manuel. Le Père
Daniel, au début, tricota des chaussettes, puis il s'adonna ensuite
à la peinture des icônes. Le labeur et la pauvreté furent toujours
ses compagnons de route. Pour s'en convaincre, il suffit de
considérer le chemin qu'il lui fallait monter depuis le petit port
de Sainte-Anne jusqu'à sa cellule afin de transporter le strict
nécessaire. Quant à l'eau, il était difficile d'en avoir,
puisqu'il n'y avait pas de source dans ces rochers. Il n'avait donc,
comme tous les ermites, que de l'eau de pluie.
Toutes ces
difficultés étaient cependant allégées par les joies
spirituelles. Plus que jamais, il pouvait se nourrir assidûment de
l'Ecriture Sainte et des Pères, se consacrer à la prière et à la
sainte contemplation, recevoir les brises mystiques de l'Esprit
Saint. " C'est ici, disait-il avec le prophète Jacob, le chêne
de Mambré... l'échelle qui monte vers le ciel avec les anges y
montant et y descendant... Ce lieu est la montagne du Carmel... Il
est le mont des Oliviers... C'est ici la voie étroite et resserrée
qui mène à la vie."
Il
était tout particulièrement pénétré de joie céleste lorsqu'il
méditait la Philocalie, que sa main ne lâchait presque jamais. Il
souffrait d'entendre certains moines négligents appeler celle-ci
"Philoplanie", l'amour de l'illusion. Il disait d'eux
qu'ils s eméprenaient, n'ayant pas découvert la clef pour ouvrir ce
trésor très précieux. Cette clef, c'est l'amour pour Dieu,
l'humilité et l'obéissance. Il connaissait si bien la Philocalie
qu'il était capable de dire de mémoire de quel chapitre était tiré
tel ou tel passage. C'était un spectacle habituel que de le voir
assis sur un trépied avec un volume de la Philocalie et dans une
profonde méditation.
Il
passa ainsi trois ans et demi seul dans le désert. " Qu'il
vienne le Seul vers l'isolé, qu'Il vienne Celui que mon âme
désirait et désire, qu'Elle vienne la Joie éternelle", ainsi
priait-il le Saint-Esprit, le Roi du Ciel, lorsqu'il essuyait
l'assaut des démons. Il ne courait pas de danger dans le désert,
comme c'est le cas pour les ermites, parce que la grâce de
l'humilité le mettait à couvert. L'Ancien Daniel avait été
éprouvé au creuset de l'obéissance. " Il est dangereux pour
un soldat inexpérimenté de quitter son régiment et de s'engager
seul dans le combat. Et ce n'est pas sans péril pour le moine de
s'isoler dans l'hésychia avant d'avoir vécu les expériences et les
pratiques du combat contre les passions (1)."
(1)
: ( Saint Jean Climaque).
Il
était don cprêt au combat singulier contre le diable, qui, pendant
ces années, lui asséna de nombreux coups. Nous n'avons pas de
détails sur cette période de sa vie de parfaite hésychia.
Cependant, ce que nous savons de la suite de cette période nous rend
certains qu'il a goûté alors aux plus riches bénédictions
divines.
Il
s'est installé aux Katounakia dans les années 1880. Au bout de
trois ans et demi, il y accueillit ses premiers disciples. De même
que les abeilles sont à la recherche de fleurs qui recèlent du
nectar, beaucoup d'âmes sur ce versant aride découvrirent
rapidement le nectar qu'apportait l'Ancien Daniel. Certains, conquis
par sa vertu et sa sagesse lui demandèrent de devenir ses disciples.
Le Père Athanase, venu en 1883 de Patras était l'un d'eux, et le
Père Jean, venu en 1894 de Grévénis, était son autre disciple.
C'est
certainement à cette époque que Moraïtidis vint le voir. Tout en
était encore au début : l'église, les cellules, l'iconographie,
les sièges en pierre, l'hôtellerie, l'aplotaria. Ah! cette
aplotaria, que n'aurait-on pas à en dire! Les méditations sur les
textes patristiques, les confessions, les entretiens spirituels, les
Complies, quels souvenirs devant ce miroir de la mer Egée!
Au-delà de
ses confins, est le monde comme l'entend l'Evangile. Pas un cri, pas
un bruit n'en parvient. Vue de ce coin de paradis que sont les
Katounakia, la pleine mer, que l'on contemple, semble être un
gouffre immense.
2.
Bénédictions, mais aussi tentations
Le grain de
sénévé poussait jour après jour, année après année, et
"devenait un grand arbre" ( Lc 13, 9). Des âmes qui
désiraient ardemment une vie supérieure, "ayant soif du Dieu
vivant" ( Ps 41, 2), fuyaient les confusions du monde et
accouraient au désert. Elles venaient avec empressement courber la
nuque sous l'obéissance à l'Ancien Daniel.
Aux
deux premiers disciples se joignirent le Père Daniel et le Père
Stéphane, tous deux d'Asie Mineure, le Père Mélèce de l'Epire, le
Père Damascène de l'Epire du Nord, le Père Constantin de Mytilène,
le Père Gérasime d'Athènes, le Père Gérontios et le Père
Niphon. Quoique la vie aux Katounakia comportât de sévères
exigences, ceux-ci n'en étaient pas rebutés. Ce qui les attirait,
c'était la vertu, le combat et le discernement de l'homme de Dieu.
Un homme de Dieu, un homme qui avait renoncé à lui-même et s'était
chargé de sa croix pour suivre le Crucifié, c'est un homme d'une
grande valeur. Un seul homme, une seule âme crucifiée pour Jésus,
c'est le Christ Lui-même, qui vit éternellement dans Ses saints. "
Je suis crucifié avec le Christ, ce n'est plus moi qui vis, c'est le
Christ qui vit en moi" ( Gal 2, 20), a proclamé l'apôtre Paul.
Ainsi,
autour d'un homme tel qu'était l'Ancien Daniel, se concentraient
toutes les forces spirituelles et corporelles des frères. Ils
agrandirent leur calyve, ils firent une adduction d'eau depuis la
skite de Sainte-Anne, ils plantèrent des oliviers et cultivèrent un
petit potager, surtout en été. Lors d ela reconstruction de
l'église, qui fut achevée en 1905, le fameux higoumène Codrat du
monastère de Karakallou, leur apporta beaucoup de soutien par l'aura
de sa sainteté. Il fut en effet une autre figure athonite
contemporaine éminente. Et le premier de l'an 1906, après une
agrypnie où s'étaient rassemblés de nombreux moines, eut lieu
l'inauguration de l'église par le métropolite Nil de Kasos et
Karpathos.
Les labeurs
et les sueurs des frères furent couronnés de succès : " Une
confortable calyve à deux étages fut ainsi construite, avec des
cellules, une pièce d'accueil, une salle pour la peinture des
icônes, et enfin une galerie avec une vue extraordinaire sur le
large; A l'étage supérieur était une belle chapelle consacrée à
la mémoire des Pères saints qui brillèrent à l'Athos. Cette
calyve fut la joie et la gloire de ces montagnes rocheuses et arides,
s'élevant des pierres sèches comme un lys immaculé, embaumant de
sainteté et de paix" ( Moraïtidis).
Il
convient de signaler que, pendant toute la durée des travaux de
construction, les plus incroyables contretemps et scandales se
produisirent. L'ennemi n'acceptait pas ces constructions. Entre
autres choses, l'Ancien Daniel fut accusé par la Grande Lavra - le
monastère souverain dont il dépendait - d'avoir prévu ces
logements pour servir les projets de la propagande russe! Les
épreuves atteignirent un tel point que la communauté se préparait
à abandonner les Katounakia. " L'amertume et l'oppression nous
étreignaient, comme l'écrivait le premier disciple de l'Ancien
Daniel, et nous ne savions pas où nous réfugier, ni sur qui nous
appuyer. Tout était sombre et désespéré." Mais pour finir,
le tentateur fut confondu. Et après tous les obstacles, tout se
passa, par miracle, de façon heureuse, comme nous allons le voir.
En
1904, il fut décidé d'édifier une grande construction.
L'architecte Géorgis, d'origine albanaise, commença à en poser les
fondements. Mais alors, à cause d'accusations et de calomnies, la
Grande Lavra retira son autorisation, et les travaux furent
interrompus pour six mois. Lorsque l'autorisation fut de nouveau
obtenue, m. Géorgis était occupé ailleurs. C'est M. Basile, lui
aussi albanais, qui reprit la construction. Il avait travaillé à
Karyès sur un bâtiment appartenant aux Russes. C'était un homme
excellent et très compétent. Il étudia attentivement le sol où
les fondations avaient été implantées par l'architecte précédent,
et il le trouva impropre. Il démolit ce qui avait été construit et
creusa deux mètres cinquante plus profond jusqu'à trouver la roche.
Ainsi le grand édifice fut fondé en toute sécurité et solidité.
Il créa en outre un vaste sous-sol, très commode comme magasin. Pr
des adversités sont évitées des adversités : les voies du
Seigneur sont impénétrables.
Parmi les
épreuves que connut l'Ancien Daniel, il y eut aussi, vers cette même
époque, la mort évitée de justesse de son disciple Athanase.
Qu'était-il donc arrivé?
Quatre ans
s'étaient passés depuis le jour où le Père Athanase s'était mis
sous l'obédience de l'Ancien. Un certain jour, l'un de leurs amis,
moine, leur apporta deux dorades, aliment inconnu dan sla vie
sévèrement ascétique du désert; C'était un supplément agréable
à leur pauvre régime. Le Père athanase s'assit à table,
extrêmement fatigué et affamé. Soit par inattention ou par le
travail de l'ennemi, à la deuxième bouchée, une grosse arête se
planta dans sa gorge. Il ressentit une très forte douleur; il
pouvait à peine respirer, et il commença à étouffer.
L'Ancien
essaya de dégager l'arête avec une bougie, sans résultat. Il donna
au patient à manger des croûtes de pain dans l'espoir de faire
passer l'arête. Mais rien n'y fit. Aucune solution n'apparaissait;
sa mort semblait tout à fait certaine. L'Ancien fondit en larmes.
Mais en dépit de la terrible enflure de la gorge, la mort s'éloigna.
Le soir arriva, la nuit passa, et un nouveau jour pointait.
Dans
cette tourmente, l'Ancien Daniel se tourna vers saint Paul Patriarche
de Constantinople. Une lueur d'espoir éclaira son visage.
"
Père Athanase, disons un molébène à saint Paul le Confesseur, qui
a la grâce de guérir ceux qui souffrent de lagorge, lui que les
ariens étranglèrent avec une étole pour avoir confessé la
consubstantialité du Fils avec le Père."
Incapable
de parler, le Père Athanase accepta et se mit à supplier l'aide du
saint patriarche quand lui vint l'idée de plonger son doigt dans sa
gorge et de faire sortir l'arête. Il agit ainsi sans hésiter, et il
fut sauvé! Il avait en main l'arête longue de plus de deux
centimètres. " Que Dieu est grand dans Ses saints!" La
réponse vint avant même qu'ils aient pu demander l'aide du saint.
Délivré
d'une mort certaine, le Père Athanase put alors, entre autres
choses, voyager à travers la Sainte Montagne pour obtenir des aides
pour couvrir les frais de construction qui les vaient lourdement
endettés. Il vendait aussi des icônes. Et plus tard, dans son
Journal, il put indiquer les résultats de ses efforts :
"
Collectes pour la construction de la maison et de l'église. Ont
apporté : Ioannikos, peintre, 22 piastres, etc. Mon père spirituel
Matthieu de Karakallou, qui me donna l'attestation pour la prêtrise,
a donné 50 Napoléons en or (5.000 piasres)... Ma première tournée
dans la Sainte Montagne, du 13 au 30 octobre 1904, a réuni la somme
de 7. 722 piastres."
C'est grâce
à de telles fatigues et à de telles courses que la rude et
inhospitalière région des katounakia fut rendue habitable. Pour en
témoigner, voici un passage d'une lettre que l'Ancien Daniel écrivit
en 1907, " à celui qui a terminé ses études universitaires à
l'Ecole théologique de Halkis (1), M. Papageorgiadis, Professeur à
l'école de Vatopaidi".
(1)
: ( Située sur l'une des Îles des Princes, non loin de
Constantinople, Halkis était, jusqu'à sa fermeture en 1971 par les
autorités turques, la principale école d ethéologie du patriarcat
de Constantinople (NdL).).
"
Vous m'avez écrit pour me demander si l'église et la maison étaient
terminées. En réponse, je m'empresse de vous faire savoir
confidentiellement que, du fait des difficultés de mes finances, la
construction se trouve dans l'état que vous connaissez, sauf
seulement trois chambres et le réfectoire, que Stéphanos vient à
peine de terminer. Et en ce qui concerne leur crépissage et le
narthex de l'église et leurs plafonds, je suis dans l'obligation de
faire appel à deux maîtres ouvriers pour lesquels, outre la
nourriture qu'ils consomment, j'ai compté que la dépense s'élève
à deux livres ottomanes. Devant cette difficulté, je suis dans
l'obligation de continuer à travailler tout seul toute la journée;
Cela, d'abord pour le remboursement des dettes, ensuite à cause de
la subvention à verser aux ouvriers pour la nourriture, et pour
l'entretien de ma communauté et de plusieurs autres frères à qui
l'on donne l'hospitalité, et pour des mesures de stricte nécessité.
Mais pour que le Seigneur Très Excellent ait des myriades de gloire,
nous poursuivons en partie, sans en avoir reçu l'ordre et sans avoir
le moindre profit ou consolation extérieure ni de notre
hésychastère, ni d'ailleurs; j'ai réglé cette année à nouveau,
en dehors des dépenses courantes, 42 livres ottomanes, et cela,
grâce à notre humble travail manuel. Cette occupation me cause une
grande affliction parce qu'il était déjà grand temps que je me
consacre à l'hésychia et que je fasse valoir mon temps, alors que
se sont présentées à moi de telles épreuves et complexités. Mais
que Dieu soit loué : je suis persuadé que j'atteindrai le but
désiré."
En 1928,
lorsque l'Ancien Daniel était à la fin de sa vie, les frères
purent amener de très loin de l'eau de source à la calyve, grâce à
une canalisation. Et maintenant la calyve de l'Ancien Daniel est
devenue une véritable oasis pour les voyageurs fatigués, venant à
peid de la Kérasia de Saint-Basile ou de Sainte-Anne. Une véritable
oasis aussi pour les ascètes, qui, sous son toit accueillant,
reprennent leur souffle pour poursuivre ensuite dans la tranquillité
absolue du désert leur lutte titanesque contre le diable.
En
passant aujourd'hui aux Katounakia, on y voit une création
remarquable, entreprise au départ par l'Ancien Daniel, et poursuivie
par ses successeurs. Nous croyons qu'il leur a laissé sa grâce en
plus de son nom. Dans la calyve des Daniélites, dans ce coin
tranquille du désert, règne une vie silencieuse et une activité
semblable à celle d'une fourmilière, et l'on clame spontanément
avec le prophète Isaïe : " Réjouis-toi, désert aride, jubile
ô désert, et fleuris comme le lys... Car plus nombreux sont les
enfants de l'abandonnée que ceux de l'épousée" ( Is 35, 1;
54, 1).
III.
" LUMIERE POUR CEUX QUI SONT DANS LES TENEBRES."
1.
Un porteur de lumière
L'ancien
Daniel, doué d'une aptitude et d'une soif remarquables pour la
connaissance, dévora les livres patristiques, s'enrichisssant des
trésors de l'Esprit. Il eut aussi la bonne fortune de rencontrer des
hommes d'une grande sainteté, depuis l'oncle Anastase jusqu'au
patriarche Joachim et à saint Arsène, pères pleins d evertus de la
Sainte Montagne; il profita de leur expérience d'une riche
spiritualité. De même, les trois années et demie de son hésychia
l'enrichirent. AInsi se purifia son esprit, et la sagesse de Dieu
"beaucoup plus lumineuse que le soleil" habita en lui. Ne
comptait pour lui que son ministère d'amour.
Lorsque de
hauts personnages, comme par exemple les envoyés du tsar, venaient à
la Sainte Montagne pour rencontrer des moines vertueux et sages, on
leur en recommandait deux : l'Ancien Daniel et l'Ancien Callinique
l'Hésychaste. Ils étaient des personnalités célèbres de l'Athos,
de l'avis général.
"
Avec son visage pâle et brillant, lumineux de sainteté, avec sa
barbe grisonnante et sa chevelure légèrement blonde, et ses yeux
bleu-vert", comme le décrit l'un de ses fils spirituels, il
s'asseyait, patient et rempli de "la douceur d'un agneau",
pour écouter les problèmes des pères athonites et des pieux
pèlerins, toujours empressé à transmettre quelque chose de son
savoir et de son expérience spirituelle. Combien et combien de
moines, qui étaient tombés dans diverses erreurs, soit par
ignorance, soit dans un esprit d'orgueil, durent leur salut à
l'intervention du Père Daniel. Dans son ermitage, il était en
réalité, comme son homonyme le prophète Daniel, rempli d'"un
esprit extraordinaire, de science, d'intelligence, avec l'art
d'interpréter les rêves, de résoudre les énigmes et de défaire
les noeuds" ( Dn, 5, 12).
A
Stika, dans l'Epire du Nord, vivait Dimos, un bon chrétien avec une
foi simple, maçon de son métier. Une nuit, il rêva que, quelque
part, une église était enfouie sous terre. Il engagea alors tous
ses compatriotes à prendre des pelles et des pioches et à
entreprendre les fouilles. Ils creusèrent et mirent à jour
l'église. Dimos était fier de son exploit, et satisfait d'en
retirer l'admiration de tous. Et lorsqu'une mauvaise pensée lui
murmura : " Eh, Dimos, tu es un homme important, tu es choisi
par Dieu", il l'accueillit sans objection.
En
tant que maçon, il s etrouva que, plus tard, il travailla à la
Sainte Montagne à la construction d'un bâtiment du saint monastère
de Vatopaidi, là où on vénère grandement saint Eudocime. Rien n'a
été conservé de l'histoire de sa vie, mais ses reliques, qui ont
été découvertes en 1840 au cimetière du monastère, sont pleines
de grâces et considérées comme miraculeuses. Dimos montra une
grande dévotion envers le saint et commença à s'imaginer que le
saint l'entourait d'une faveur exceptionnelle. Comme la tradition ne
mentionnait rien au sujet des origines du saint, Dimos imagina qu'il
venait lui aussi de l'Albanie.
"
Le saint est un Albanais comme moi, commençait-il à proclamer.
-
Mais comment le sais-tu?
-
Il est Albanais. Ne voyez-vous pas sa tête qui est aplatie?
D'ailleurs, lorsqu'une nuit, avec mon chapelet, je lui demandai de me
dire quelle était sa patrie, il m'apparut comme s'il était vivant :
" je suis un Albanais, je suis de Stika, nous sommes même
parents...", me dit-il.
Les
pères soupçonnaient qu'il était trompé par le diable.
"
Lorsqu'il t'apparaîtra de nouveau, fais ton signe de croix, lui
dirent-ils; Si c'est une puissance du malin, il disparaîtra
immédiatement."
C'était
trop tard cependant : le diable avait déjà conquis le coeur de
Dimos et il ne le quitta pas facilement.
Il
arriva alors qu'un évêque, Alexandre de Rhodes, se trouvait à
l'Athos. On lui raconta le curieux cas de Dimos et on lui demanda son
avis. L'évêque vit Dimos et en conclut que les visions venaient de
Dieu.
"
Puisque Dimos aime prier avec son chapelet et aime la Croix, ce qui
lui apparaît vient de Dieu."
Et
Dimos était tout fier que même un évêque ait confirmé
l'authenticité de ses visions; Il écrivit plus tard huit livres
remplis de mystères surnaturels : révélations, prophéties de
guerre, la venue de saint Constantin, des miracles, des prodiges et
des monstres.
"
Mais toutes ces histoires-là ne peuvent venir de Dieu. Ce sont des
confusions et des délires, quelles choses singulières sont ces
écrits? disaient entre eux les pères. Pourquoi n'en point parler à
l'Ancien Daniel? Lui, nous résoudrait le problème."
Ils
prirent avec eux les manuscrits de Dimos et se mirent en route.
A
peine l'Ancien Daniel eut-il lu les premières pages qu'il vit de
quoi il s'agissait : " Là, les diables dansent", dit-il.
Il
écrivit un texte argumenté, citant des passages patristiques et
relatifs à l'hagiographie et l'envoya à Vatopaidi. Il n'y avait pas
la moindre ambiguïté à propos de l'immusion produite. Lorsque
Dimos prit connaissance de la réponse, il fut hors de lui. Il cria
farouchement en albanais : " Vois, vois, Maître... vois Prift!"
Après
qu'un évêque et tant de prêtres eurent reconnu que tout cela
venait de Dieu, comment l'Ancien Daniel osait-il aller à
contre-courant? Son diagnostic ne pouvait tenir!
Mais la
charité de ce dernier le conduisit à prier, et le résultat fut
d'arrêter les révélations. Plus tard, les Pères réussirent à
emmener Dimos aux Katounakia. L'Ancien Daniel le reçut avec amour.
Mais lorsqu'il commença à lui démontrer que le prétendu saint
Eudocime qu'il avait vu était un diable camouflé, Dimos ne supporta
pas la lumière de la vérité. Il se dressa et cria avec colère : "
Vois, vois, Maître...vois Prift!"
Néanmoins,
il fut en fait forcé de reconnaître la vérité, parce qu'une fois
que le démon fut démasqué, il ne fit plus ses apparitions. Tous
les pères furent convaincus du jugement de l'Ancien Daniel, et
l'évêque de Rhodes, lui-même, le félicita pour les résultats
obtenus.
Pratiquement,
comme l'a dit l'apôtre Paul, le diable " se transforme en ange
de lumière" ( 2 Co 11, 14) aux dépens de celui qui se laisse
prendre à cette clarté extérieure.
L'Ancien
Daniel disait souvent : " Un pécheur peut facilement se
repentir, mais un ensorcelé difficilement, sauf si le diable a été
démasqué. Celui-ci, à peine apparu, a alors la faiblesse de
s'enfuir."
Au
nombre de ceux qui ont été secourus par l'Ancien Daniel, citons un
instituteur de Corfou qui pensait avoir une étroite relation avec
saint Spyridon. Il mélangeait la foi chrétienne avec le spiritisme
et l'illusionnisme. Il croyait pouvoir opérer des miracles
surprenants. On parlait de lui partout et il était connu des
médecins.
L'esprit
malin lui apparaissait sous la forme de saint Spyridon. Il
l'exhortait à tenir pendant sa prière un cierge allumé. Et lorsque
le cierge se terminait et commençait à lui brûler la main, il ne
devait pas l'éteindre, mais supporter patiemment la brûlure, comme
un martyre. Il l'exhortait aussi à ne pas communier à l'église,
mais à recueillir la matière qui coulait de la brûlure de sa main,
car elle équivalait aux Saints Mystères. On imagine quelles
brûlures et quelles déformations présentaient ses mains.
Lors
de ses excursions avec ses élèves, il faisait une prière dans le
but de faire venir ou de disperser les nuages, et de produire de la
pluie. Ses élèves ne tenaient cependant pas compte de tout cela,
car après "les prodiges", il disait diverses sottises.
Cet
homme, lorsque ses mains furent rendues inutilisables à cause des
brûlures, rechercha quelqu'un pour le sauver. Il parvint jusqu'aux
Katounakia. L'Ancien Daniel lui expliqua comment distinguer les
miracles de Dieu des prodiges diaboliques. Il le délivra de la
domination satanique.
Et
il délivra aussi de l'erreur un moine du monastère de Patmos, le
Père Antipas, qui pensait avoir vu pendant trois ans le Seigneur
Lui-même, qui lui avait dicté l'explication de l'Apocalypse afin
qu'il en fasse un livre.
D'après ce
moine, diverses prophéties significatives de l'Apocalypse avaient
été réalisées lors des événements de la seconde guerre
mondiale. Par exemple, l'action des deux prophètes, dont parle le
onzième chapitre de l'Apocalypse, couvre selon le prophète Daniel
1290 jours qui correspondent au temps entre mai 1941 et octobre 1944.
De même le nombre 666 de l'Antichrist, dont parle le treizième
chapitre, il le voit sous le nom d'Hitler, sur la base de l'alphabet
latin : le A correspond à 100, le B à 101, etc. c'est-à-dire : H=
107, I=108, T=119, L=111, E=104, R=117, et le total = 666.
L'Ancien
Daniel lui conseilla de brûler son Commentaire.
Il
guérit de même un habitant de Kalabryta, qui, avec l'aide du démon,
connaisssait par coeur l'Evangile et marchait dans le feu sans se
brûler.
Il
guérit aussi un moine du Roussikon qui faisait 3.000 métanies par
jour. De ce dernier, il convient de parler davantage.
Lorsque
l'ancien Daniel était au Roussikon, il observa qu'un solitaire dans
une annexe, en dehors du monasstère, semblait être un grand ascète.
Il faisait de grands jeûnes, portait des hardes des plus misérables,
marchait nu-pieds même en hiver, etc. Entre autres, tandis que la
règle prévoit 300 métanies par jour, il en faisait 3.000. Les
autres moines l'admiraient. " Celui-là est un vrai moine, c'est
un ascète à tous égards", disaient-ils.
Le
Père Daniel, malgré son jeune âge à cette époque, ne montrait
pas beaucoup d'enthousiasme. Avec son regard perspicace, il
discernait une situation tout autre qu'agréable à Dieu. Il
découvrit que dans la porte de la calyve se trouvait une certaine
ouverture qui permettait aux passants de voir à l'intérieur la
grande ascèse de ce moine, et ainsi de chanter ses louanges.
Sa
charité le poussa à rapporter ce fait à l'higoumène afin de
sauver le frère de son erreur. Alors celui-ci se rendit à la calyve
du "super ascète".
"
Comment vas-tu, Père?
-
Avec ta bénédcition, mon Ancien, bien. Je lutte et je pleure mes
péchés.
-
Mais tu ne viens pas me dire de temps en temps tes mauvaises pensées.
-
Pourquoi ne te les dirais-je pas, mon Ancien, tu les connais. Je suis
un pécheur qui se bat.
-
Quel combat fais-tu? Dis-moi, fais-tu des métanies?
-
Oui, j'en fais pas mal.
-
Combien?
-
Avec ta bénédiction, 3.000 par jour.
-
Comment? Pourquoi 3.000? Qui t'a donné sa bénédiction pour autant?
Non, tu n'en feras plus 3.000. Que veux-tu représenter? Le super
ascète, Dorénavant, tu n'en feras que 50. De cette façon, tu
n'agiras pas avec orgueil."
L'Ancien
partit. La blessure était faite, et l'abcès percé apparut aussitôt
avec toute sa puanteur. Et il arriva une chose inouïe. Celui qui
était naguère un ascète "grand et éclatant" fit une
conversion à cent quatre-vingts degrés. Des métanies, il ne
pouvait même pas en faire 50. Au lieu de haillons et de lambeaux, il
portait maintenant ce qu'il y avait de plus parfait. La pauvreté de
sa table fit place aux mets les plus choisis. On peut expliquer cette
étonnante transformation parce que les esprits qui plongent dans
l'illusion recherchent les extrêmes. Les extrêmes, les excès et le
superflu, conformément à la sagesse des Pères, "appartiennent
aux démons."
2.
Le discernement de l'Ancien
Pendant la
seconde moitié du siècle passé, vivait à Athènes Apostolos
Makrakis (1831-1905). Il disposait d'une sérieuse formation
théologique et philosophique et d'une énergie infatigable pour la
prédication.
Mais
ses conceptions le firent entrer en conflit avec certains. Et, entre
autres, avec l'Ancien Daniel, qui publia un livre sur le sujet en
1898? Il combattit les écarts de Makrakis non seulement par écrit
mais aussi oralement.
Un
ami partisan de Makrakis, lui aussi savant, et portant le même
prénom, alla visiter la Sainte Montagne pour rallier les athonites à
la cause de Makrakis. Cet Apostolos arriva à la calyve de l'Ancien
Daniel, où il fut reçu avec beaucoup de cordialité. Plus tard, au
cours de leur échange, il commença à dresser les éloges de son
maître sur un ton dithyrambique, et l'Ancien Daniel écoutait,
partageant son enthousiasme. Il n'essaya pas comme l'avaient fait les
autres de le rebuter, eux qui l'auraient bien jeté à la mer... Et
il le laissa s'exprimer. Tel un médecin d'expérience, il savait
toujours quand et de quelle façon intervenir.
Le discours
se prolongea et l'on arriva bientôt au point critique, celui de la
"triple composition". Makrakis reconnaissait justement que
nous sommes faits de corps, d'âme et d'esprit, mais pour lui, le
corps et l'âme proviennent de la terre, tandis que l'esprit est
l'Esprit de Dieu.
L'Ancien
Daniel se mit à parler, rempli de la grâce de Dieu, et Apostolos
s'aperçut qu'il ébranlait les thèses de son maître.
"
Dis-moi, je te prie, notre Seigneur Jésus-Christ est-Il descendu aux
enfers le jour du Grand sabbat, oui ou non?
-
Bien sûr, il est descendu, répondit Apostolos.
-
Et quelle était l'intention de Sa mission de ce côté-là?
-
De délvrer les âmes enfermées dans l'Hadès.
-
Et quelles âmes?
-
D'Adam, d'Eve, et de tous les justes, et encore du Précurseur.
-
Ah! Mais comment toi, le makrakiste, tu détruis déjà de fond en
comble la pensée de ton maître bien-aimé, Makrakis? Selon son
idée, les âmes des morts retournent en poussière comme celles des
animaux. Peut-être que le Christ est descendu aux enfers pour
libérer le troisième composant de l'homme, qui est, selon lui,
l'éternel Esprit de Dieu? Tu vois, mon cher, combien cette opinion
fausse et hérétique de ton maître aboutit à une profonde
superstition."
Devant
cette argumentation, Apostolos demeura longtemps silencieux. Il
rendit les armes, et, de sectateur de Makrakis, il se retrouva dans
le camp opposé. Un pareil retournement était quelque chose
d'inattendu.
Quelque
chose de semblable arriva à Xénophon Papamichaïl. Il était
médecin, il habitait Thessalonique et suivait les yeux fermés les
enseignements de Makrakis. En particulier, il avait publié deux
articles dans la revue Grégoire Palamas, où il portait aux nues son
maître, le voyant supérieur à tous. Pour lui, Makrakis était
l'astre resplendissant de l'Orthodoxie.
Par
une série de lettres, l'Ancien Daniel réussit à convaincre le
médecin de son erreur, et celui-ci lui valut une vénération et une
affection illimitées.
De
tels revirements furent nombreux car l'Ancien avait une grande
puissance de conviction. Nous avons été également informés de ce
que des pères de Longovarda, à Paros, sur les conseils de l'Ancien
Daniel, devinrent de vogoureux opposants aux vues de Makrakis, alors
qu'ils en étaient auparavant d'ardents défenseurs.
Le Père
Alypios du monastère de Xénophontos se distinguait beaucoup par son
zèle. Il aimait en particulier trouver un endroit tranquille pour
dire la prière ininterrompue, c'est-à-dire : " Seigneur
Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi!" Chaque fois
qu'il disait la prière, son âme tressaillait d'une joie céleste
indicible.
Mais il
arriva quee les choses prirent une vilaine tournure; Sans qu'il ait
pu lui-même comprendre ce qui lui arrivait, il devint incapable de
continuer à dire la "prière". Quand il voulait la dire,
son corps commençait à être secoué d'une façon terrible et
inexplicable.
"
Et ce qui était curieux et étonnant, comme l'a écrit le Père
Daniel, c'est que morsque son corps était agité, tous ceux qui
étaient autour de lui, l'étaient aussi. Ainsi lorsqu'il était à
l'office et disait la prière de Jésus, tous les frères debout à
côté de lui dans les stalles contiguës étaient tous comme dansant
dans leurs stalles, et agités du même trouble. Et encore, lorsqu'il
priait dans sa cellule, les cellules voisines vibraient comme sous
l'effet d'une éruption du Vésuve, chose tout à fait inouïe (1)."
(1)
: ( Lettre adressée à l'Ancien Kallistos, le 2 avril 1911).
Des
Anciens et des Pères spirituels vinrent voir le Père Alypios; des
prières et des exorcismes furent dits, mais rien n'y fit.
La
situation tournait au drame. Le Père Alypios était sous l'emprise
de la prière; il ne pouvait plus l'arrêter. Alors, inconsciemment,
dans sa cellule, à l'église, pendant les repas, au travail, etc.,
il disait intérieurement ces saintes paroles. Et aussitôt, tout
était secoué : le lit, la stalle, la table ou les objets du
travail. Et les pères qui se trouvaiant à ses côtés étaient eux
aussi perturbés.
"
Arrête, Père Alypios, de dire la prière; tu vois le mal que cela
cause.
-
Mais qu'y puis-je? Je la dis inconsciemment. Pardonnez-moi, Pères."
Comme tout
espoir pour sortir de cette situation était perdu, on pensa à
l'Ancien Daniel. Le Père Averkios, l'économe du monastère, se mit
en route avec le Père Alypios pour les Katounakia. Ils furent
surpris par le soir à Simonos Petra.
"
Attention, Père Alypios, maintenant que nous entrons dans le
monastère, ne dis pas la Prière pour ne pas terroriser les pères."
Mais, dans
le narthex de l'église, il oublia de ne pas dire la prière; il la
dit une fois, et un séisme eut alors lieu autour de lui. Le
lendemain, ils arrivèrent aux Katounakia.
Le
Père Daniel fut mis au courant de l'histoire en quelques mots, et il
prit le Père Alypios en particulier.
"
Je ne suis pas ton confesseur, il faut donc que je connaisse en
détails toute ta vie spirituelle; Tu vas donc me faire une
confession générale et me décrire la façon dont le phénomène
s'est passé pour la première fois.
-
Cette nuit-là, je veillais dans la chapelle de la Treille, qui est
près du monastère, et je priais avec mon chapelet. A un moment le
loquet d ela porte battit. Je ressentis un frisson dans mon coeur et
une secousse dans mon corps. Je continuai la prière; Cependant les
coups continuaient de plus belle : le loquet montait et descendait.
Puis, bientôt, la porte se mit à battre. Après deux coups
puissants, je compris qu'il se passait quelque chose de satanique. Je
m'avançai jusqu'à la porte, mais je ne vis rien. Puis encore de
nouveaux ébranlements et de nouvelles secousses de tout mon corps.
Je fus alors persuadé que c'était le diable et je ne pris plus
garde à ces manifestations. AVec une ardeur accrue, je dis la
prière. Les coups cependant augmentaient, et non seulement mon corps
était ébranlé, mais aussi la porte et l'église tout entière. A
partir de cet instant, j'arrêtai la prière; les ébranlement
cessèrent. Mais ils recommençaient si je recommençais la prière.
Tels sont les faits, saint Ancien."
Le
Père Daniel s'enfonça dans ses réflexions. Une telle affaire était
inouïe. Mis il ne s'en émut pas, parce que justement rien ne reste
inexplicable aux hommes pneumatophores; Comme l'écrit l'Apôtre,
"l'homme spirituel juge de tout" ( 1 CO 2, 15). Et
subitement, comme s'il avait été éclairé, il demanda au moine : "
Père Alypios, quand les premiers coups puissants battirent contre la
porte et que tu compris qu'il s'agissait d'une action diabolique,
dis-moi, quelles furent tes pensées? Quels sentiments dominèrent en
ton âme? La peur, le sang-froid, le dédain? Ou peut-être toute
autre chose?"
Le
Père Alypios donna des détails et le Père Daniel trouva
l'explication du phénomène : comme le diable faisait son fracas, le
Père Alypios se disait en lui-même : " Qu'il cogne tant qu'il
peut. Il ne s'agit pas que je m'arrête dans ma prière. Il en a fait
autant avec saint Antoine le Grand. Son oeuvre est la mienne aussi.
Et si le tremblement de mon corps est l'oeuvre de la grâce ou celle
du redoutable ennemi du bien, il faut que je dise la prière jusqu'à
mon dernier souffle, et que le diable en crève."
Ainsi, le
Père Alypios avait ressenti une chose, non remarquée à première
vue, une bouffée de présomption, et avait montré à l'ennemi un
mépris arrogant, comme s'il avait atteint à la mesure d'Antoine le
Grand. Sa prière, ainsi souillée de suffisance n'était plus
favorablement reçue par Dieu.
L'Ancien
Daniel analysa à fond sa supposition et conseilla à celui qui avait
été battu : " Désormais tu diras la prière avec humilité et
componction. Il faut la ressentir en la disant; Il fat croire que tu
es pécheur et un inculpé aux yeux de Dieu. Il faut considérer les
troubles de ton corps comme une oeuvre satanique, et dès qu'ils se
présenteront demande de tout ton coeur au Christ d eles faire fuir.
Ainsi seulement tu gagneras la grâce divine."
Le
moine tourmenté par le diable trouva ainsi sa guérison. Il pria
avec humilité et fut en paix. Il se lança alors avec un zèle accru
dns les combats spirituels et la conquête de l'humilité. On raconte
même qu'il acquit des charismes contre les démons, car par ses
soins et ses prières il guérit un possédé du nom d'Eudocime de
l'île de Tinos, qui était au monastère de Xénphontos. Et quel
possédé! Non seulement il poussait des cris désordonnés et
démesurés, mais il lui arrivait de briser ses liens; De plus, il se
souillait constamment. Le Père Alypios lutta trois années pour le
guérir.
3.
L'égarement de Callistrate
Plus on
monte haut, plus on est exposé aux dangers, surtout si l'on est
privé d'un guide spirituel expérimenté, capable d'"éprouver
les esprits" ( 1 Jn 4, 1); C'est quelque chose de cette sorte
qui arriva à un moine, le Père Callistrate du monastère de
Saint-Sabbas. Il luttait dans l'ascèse depuis quarante ans, tant au
monastère que dans d'autres régions de Palestine, comme par exemple
dans une grotte à Koraki, près du mont Nébo, où Moïse fut
enseveli. Bien qu'il eût remporté des victoires et des triomphes
contre l'ennemi invisible, il tomba dans l'erreur vers la fin de sa
vie, prenant pour divin ce qui était satanique. Il avait pris pour
divine une action de Satan qui se manifestait pendant les heures de
prière, et qui apportait un certain trouble à son existence.
Par
exemple, pendant l'office des Mâtines, brusquement les autres moines
voyaient le Père Callistrate se remuer, s'agiter et vaciller
complètement. Lors de discussions familières et d'observations qui
lui étaient faites, il défendait et soutenait que ces
manifestations étaient dues à d'abondantes visites de la grâce
divine. Et il renvoyait principalement au verset de Jean ( 11, 33) :
" Quand Il vit sangloter (Marie, soeur de Lazare), et sangloter
aussi les Juifs qui L'accompagnaient, Jésus frémit intérieurement.
Troublé, Il demanda..."
C'est une
habitude, pour tous ceux qui tombent dans l'erreur, de s'obstiner
dans leur hérésieen s'aidant des versets de l'Ecriture Sainte. Les
hérétiques pentecôtistes en font autant lorsqu'ils croient que
l'Esprit Saint les visite avec force lorsqu'ils sont secous dans leur
corps jusqu'à tomber par terre, et être roulés sur le sol.
Les pères
du monastère étaient scandalisés par ces manifestations du Père
Callistrate et ils cherchèrent à le corriger. Mais ils n'avaient
pas assez de force spirituelle pour le persuader qu'il était dans
l'égarement. Lui-même pensait que les tremblements étaient
produits par une force divine, mais il n'était pas exclu qu'il
puisse en douter quelque peu; Ayant entendu parler de la pénétration
spirituelle de l'Ancien Daniel, il décida de lui demander son avis.
Le
28 mars, il rédigea une très longue lettre et l'envoya aux
Katounakia. Il y décrivit sa situation en détail ainsi que le
désarroi des frères qui ne parvenaient pas à distinguer les signes
de la grâce dans de tels agissements. Finalement, il demandait au
Père Daniel d'indiquer le moyen de faire cesser cette situation
désastreuse.
Le
2 avril, le sage Ancien des Katounakia avait préparé sa réponse.
Il y faisait un long examen des tresssaillements dus à la grâce
divine, et qui se distinguent des mouvements absurdes et des
agitations corporelles qui viennent de l'égarement. Avec des
arguments puissants, il démontrait que les "mouvements étranges
et les convulsions du corps" sont tout autres que divins. Il
expliquait quels sont les préalables à "la communion
infaillible de la grâce", c'est-à-dire un réel renoncement au
monde, une parfaite soumission et un attachement à un ANcien
expérimenté, un plein détachement de sa volonté propre, une
patience sans murmure dans toutes les épreuves physiques, la
complète ascèse de la règle monastique quotidienne, la confession
pure... Il lui rappelait aussi les conseils des grands neptiques,
principalement de saint Grégoire le Sinaïte : Au moment de la
prière, n'acceptons ni lumière, ni feu, ni forme du Christ ou d'un
ange, mais maintenons notre esprit sans imagination. La manifestation
de la grâce divine est comme "la lumière de l'aube" ou
comme "une jubilation tremblante". Elle est connue des
méchants démons qui présentent aux "non purifiés" des
états semblables et les égarent sans qu'ils s'en aperçoivent. La
présentation des signes propres de la grâce à ceux qui combattent
peut conduire à l'erreur si un guide spirituel infaillible fait
défaut. L'ennemi sait les exalter et les voler "en se
dissimulant". Le serpent, prince du mal, est capable de déformer
l'éminente action de la prière du coeur. Et il arrive alors qu'une
personne croie devenir hésychaste tandis qu'elle est devenue
"fantasque" et sert de jouet aux esprits mauvais.
Il
insistait également sur le fait que, par la force de la grâce,
l'homme devient calme, paisible, impassible d'âme et de corps. Et
même souvent, le corps devient immobile, tandis que l'esprit est
ravi dans des ascensions et des contemplations divines. " Car
les corps de nombreux saints, au moment de la prière, vus par
d'autres hommes vertueux, leur semblèrent morts et sans mouvements,
et lorsque cette action divine cessa, ils revinrent à eux-mêmes."
Et il n'arriva jamais que les saints manifestent des mouvements tels
que ceux qui n'ont provoqué que du scandale chez des moines et rien
de profitable pour eux.
Dans un des
paragraphes de sa lettre, l'Ancien Daniel fait une observation
charmante : " Si tu penses, Père Callistrate, que ton
comportement est juste et irréprochable, alors, que les soixante
autres pères de votre monastère t'imitent également et qu'ils
commencent tous à trembler et à s'agiter pendant les offices et les
Liturgies, et imagine alors ce qui va arriver!"
Il
lui soulignait aussi une autre règle selon laquelle la grâce
divine, qui habite dans le coeur d'un homme théophore, manifeste
d'habitude ses énergies et ses théophanies non pas au milieu des
hommes, mais dans la solitude d'une cellule ou d'un désert.
Ensuite,
l'Ancien, inspiré de Dieu, dévoila au Père Callistrate, par de
nombreuses observations, ses égarements. Mais pour ne pas le faire
sombrer dans l'esprit de tristesse, il lui prodigua le baume de la
consolation.
"
Je ne suis pas surpris de ton malheur. Je ne te critique pas pour
cela, mon cher. Seul Dieu est infaillible et immobile. Nous voyons
que beaucoup de saints sont tombés dans de tels égarements, mais
Jésus, le plus grand ami des hommes, ne les a pas abandonnés à
leur illusion, mais les a sauvés de façon admirable.
Mon
Révérend Père, est-ce que saint Cyrille le Philéothe n'était pas
un père très saint et très considéré? Et cependant à la fin de
sa vie terrestre ne tomba-t-il pas dans cette terrible erreur? Mais
le Dieu très bon ne l'abandonna pas jusqu'à la fin, et Il le sauva
de façon miraculeuse.
Ne
tombèrent-ils pas par ignorance dans des hérésies et de fausses
opinions l'abbé Gérasime, et le grand Joannice et saint Augustin?
et pourtant Dieu ménagea leur délivrance et ils sont aujourd'hui
honorés et glorifiés dans l'Eglise. Comme eux qui avaient d'autres
vertus admirables et qui ne furent pas abandonnés, toi aussi, mon
cher Ancien, tu en sortiras vainqueur."
Dans le
coeur du Père Callistrate, il existait une ouverture suffisante pour
que Dieu puisse agir. Il était de bonne intention, seulement il
n'avait pas eu le bonheur d'être aidé jusqu'alors par un Ancien
expérimenté et clairvoyant. C'est pourquoi la lettre de l'Ancien
Daniel eut une influence immédiate sur lui. Comme une lumière
puissante, elle dispersa les ténèbres qui, si longtemps, avaient
embrouillé son esprit. Et lorsque, plus tard, il reçut une seconde
lettre, il fut complètement soustrait à toute erreur et influence
satanique. Et plein d'humilité, il écrivit à l'Ancien athonite,
inspiré par Dieu :
"
Ta lettre fut un sabre à deux tranchants contre l'ennemi. Avec la
soudaineté de l'éclair, l'action de Satan s'est évanouie, sa
tyrannie qui m'avait trompé depuis de nombreuses années et dans
laquelle je croyais voir l'énergie divine et dont je me glorifiais.
Maintenant, surpris, j'admire la façon dont ta vénérable sainteté
a agi, comment elle a montré envers moi, moi, l'opprobre des hommes,
le misérable et indigne, une telle humilité extrême, et comment le
Seigneur, qui voit tout, qui ne veut pas la mort du pécheur, a mis
dans ton coeur si bon l'idée de me relever de la chute où m'avait
conduit le dragon féroce. Tu m'es apparu comme un ange envoyé par
Dieu parce que tes paroles étaient celles de Dieu et, à peine les
avais-je lues et comprises que toute la puissance de l'ennemi
s'effondrait.
Tu
es grand, Seigneur, et admirables sont Tes oeuvres...
Dans
quelle langue chanter, magnifier et exalter ce bienfait? Tu m'as
écouté et tu t'es empressé de me dévoiler l'illusion et l'erreur
de Satan. Je n'ai pas le don d ebien écrire et de trouver les mots
appropriés pour te remercier. Que le Seigneur te récompense pour
tout cela.
Ce
qui m'est arrivé est dû à l'absence de guide. En combattant dans
la nuit, je croyais mener des combats agréables à Dieu."
L'Ancien
Daniel fut extrêmement ému de l'évolution si heureuse de la
situation et commenta cela dans les termes suivants :
"
Toutes choses viennent du Dieu très bon. Dieu voyait sa foi et m'a
éclairé sur ce qu'il fallait lui répondre. Cet homme avait une
bonne disposition et la crainte de Dieu, et c'est pour cela que le
Seigneur l'a délivré de ses extravagances. Quant à moi, je
n'aurais pas cru qu'il serait si rapidement libéré et qu'un lutteur
si ancien ferait preuve de tant de confiance et d'humilité. Plaise à
Dieu que ses prières m'encouragent, moi aussi, qui écris, mais qui
n'agis pas."
4.
Ange de paix et de charité
Non
seulement l'Ancien Daniel sauva par ses paroles inspirées par Dieu
ceux qui étaient frappés d'orgueil et d'égarement, mais aussi ceux
qui souffraient d'esprit chagrin, comme il en advint du Père
Corneille.
Le
Père Corneille, hiéromoine à la Sainte Montagne, était déjà
assez avancé en âge avec une santé ébranlée. Il avait
l'intention d'obtenir une calyve confortable pour y passer dans le
calme ses dernières années. Dans cette optique, il fit un voyage au
Sinaï pour y demander un complément pécuniaire aux pères; Tout se
déroula normalement. Très satisfait, le Père Corneille prit le
chemin du retour, voyant son projet pratiquement réalisé; Cependant
sa joie fut brusquement changée en tristesse : sur la route du
retour, des voleurs l'attaquèrent, lui volèrent son argent, et il
s'en fallut de peu qu'ils ne l'assommassent. Ce fut une vraie loque
de corps et d'esprit qui revint à la sainte Montagne. Cette épreuve
l'avait littéralement cassé. Il fallait trouver quelqu'un pour
redresser "le roseau brsié". Le plus capable pour cela
était l'Ancien Daniel. Mais celui-ci ne put aller immédiatement
voir le frère lorsqu'il apprit son malheur, car il était au lit et
malade. Sa charité lui donna pourtant du courage, et il trouva le
moyen de prendre part à la peine du frère. Il n'était jamais
indifférent aux épreuves et aux souffrances du prochain. Il
consacrait du temps, de la peine et son énergie pour venir en aide
aux âmes. Il avait un mot d'ordre : " La charité ne cherche
pas son intérêt" ( 1 Co 13, 5). Il se redressa un peu sur son
lit, prit du papier et un crayon, et il écrivit une lettre
extrêmement consolante, dont voici quelques extraits :
"
Au révérend hiéromoine Corneille.
Cette amère
nouvelle a vivement ému mon humble esprit et mon coeur. Pourtant le
souvenir de nombre de passages de la Sainte Ecriture me donne du
courage, lorsque je considère que beaucoup parmi les saints et les
justes des temps anciens ont souffert des faits analogues et d'autres
infortunes plus terribles encore. Elles étaient opérées par les
dispositions de la divine Providence, et les bienheureux en ont tiré
profit, recevant une grande richesse spirituelle en échange des
dommages subis.
La
peine peut avoir un pouvoir contre nous si nous faisons le mal
volontairement et si nous sommes enclins à toutes sortes de péchés.
Alors, nous avons à nous affliger et à nous repentir, et tout ce
qui conduit à l'affliction du corps, nous ne devons pas le
dédaigner, mais l'embrasser comme un moyen qui conduit au salut.
Et
que Votre Grande Sainteté témoigne avec des supplications d'une
parfaite patience en ce temps de salut, en se confiant à la
miséricorde de Dieu. Et viendra alors le jour où son âme sera
récompensée largement.
Et
comme esquisse de quelque chose de ladite utilité, je note l'exemple
ci-après. Si, au cours de votre retour du Sinaï, vous aviez vu au
bord de la mer en Egypte beaucoup de chrétiens prisonniers que l'on
conduisait dans les régions les plus reculées d'Afrique, qui se
trouvaient dans un état de famine, de nudité et de soif, ce qui
faisait vraiment craindre le pire non seulement pour leur vie, mais
aussi pour leur confession de la foi orthodoxe, et si Votre Sainteté,
mue par un sentiment de philanthropie et de grande compassion, avait
donné toute sa fortune pour racheter ces malheureux, elle n'en
aurait pas eu autant de profit pour elle-même que si elle supporte
maintenant son épreuve en glorifiant le Seigneur.
Je
vous envoie ces humbles pensées pour vous apporter une légère
diversion. Je me réserve au premier jour de bonne santé d'aller
vous voir en personne, et nous serons consolés en esprit.
Le
dernier des frères en Christ de Votre Grande Sainteté
Daniel,
moine et iconographe.
Aux
Katounakia, le 17 septembre 1894."
L'Ancien
des Katounakia était, en ce qui concerne l'hospitalité, un autre
Abraham, comme le sont tous les véritables moines. L'hospitalité
est le signe d'un coeur doux et aimant. On ne pouvait pas quitter sa
calyve toute simple sans être gratifié d'un petit présent, ne
fût-ce que d'un bol d'eau fraîche. " Ne manquez pas à
l'hospitalité", enseignait-il par son exemple. Déjà, dans sa
jeunesse, il faisait preuve d'affectueuse bonne entente avec son
prochain. En voici un fait caractéristique : il était à la table
familiale, alors âgé de quinze ans, et son père lui dit, préoccupé
: " Nous mangeons et nous buvons, nous avons tout en abondance.
Mais combien de pauvres et d'orphelins manquent de nourriture!"
Ces mots causèrent une forte émotion et un bouleversement dans
l'âme du jeune Dimitri. Et, dès lors, il se fit un programme pour
se priver de certains plaisirs afin de venir en aide aux pauvres.
Et
ses fils spirituels, jusqu'à ce jour, ont conservé cet héritage
concernant le partage, que leur légua leur père d'éternelle
mémoire.
L'hospitalité
qu'il pratiquait avait sa source dans une âme qui rayonnait de
charité, de sympathie et de paix. Cette paix de Dieu! Elle
imprégnait toute son existence. L'Ancien Daniel était béni car il
répandait la paix. De sa silhouette maigre, pâle et rayonnante, de
ses yeux pleins de gaieté, de sa bouche pleine de douceur, se
déversait " l'huile de la compassion" avec laquelle il
guérissait les douleurs de tous ceux qui étaient affligés de
plaies enflammées.
Il
arriva qu'au saint monastère de Konstamonitou les relations de deux
moines furent dangereusement perturbées par l'ennemi de notre salut,
qui enrage lorsque la paix règne dans les âmes, et lutte par tous
les moyens pour semer la discorde. La division, la contestation, les
procès, sont le propre de son empire. Et chaque fois que de telles
hostilités éclataient, l'intervention de l'Ancien Daniel était
miraculeuse, parce qu'elle était exactement adaptée à la
circonstance. Le différend des deux frères avait apporté des
nuages sur tout le monastère. Les pères s'efforçaient en vain de
les réconcilier. L'higoumène se trouvait en situation difficile. Il
pensa alors demander l'aide de l'Ancien Daniel, qui avait vécu un
certain temps au monastère Konstamonitou après son éloignement du
Rossikon, et qui pouvait bien comprendre la situation.
L'Ancien
Daniel, armé du pouvoir de discernement et après avoir prié, se
donna la tâche de réconcilier les frères. Il se donna beaucoup de
peine et réussit finalement, surtout grâce à la charité; Il mit
en oeuvre un artifice; Il prit chacun d'eux séparément et leur dit
: " L'autre frère est tellement chagriné de cette dissension
qu'il s'est repenti et cherche la réconciliation." Au Père
Modeste, qui était le plus dur, il dit : " C'est une tentation,
Père Modeste, et tu vas la gagner. Le Père Athanase, navré, pleure
et se lamente de t'avoir affligé. Il t'attend dans le parloir pour
la réconciliation. Il y est sans doute tout seul et décontenancé,
je vais donc y aller aussi. Et toi qui es le plus fort, fais le
premier geste et demande-lui pardon."
Il
avait dit la même chose au Père Athanase. Lorsque la rencontre eut
lieu au parloir, l'Ancien Daniel fit le premier une métanie. Les
deux autres suivirent, et le démon de la discorde, dominé, fut
chassé.
Et
cela n'est qu'une circonstance parmi beaucoup d'autres, où l'Ancien,
pacificateur, imitant le Fils de Dieu, "annonçait la bonne
nouvelle de la paix" ( Ac 10, 36).
IV.
" LES LIENS SPIRITUELS"
1.
Père spirituel
Le
rayonnement de la sainteté de l'Ancien Daniel s'étendait au loin.
Clercs, moines, laïcs, intellectuels de toutes les régions de la
Grèce se louaient d'être ses fils spirituels et suivaient ses
conseils avec foi.
A
Thessalonique, se distinguait parmi beaucoup d'autres Nicoals Rengos,
qui avait été agent des postes à un rang élevé. C'était un
homme d'une foi et d'une vertu très grandes. Mû par un zèle
inspiré de Dieu, il s'était consacré à la prédication et était
devenu un éminent prédicateur laïc. Il prêchait à l'église de
Saint-Charalampos, du métochion de Simonos-Pétra, et il y
rassemblait les meilleurs chrétiens de la ville. Il éditait le
périodoque Christianisme. Sa dévotion envers l'Ancien touchait à
l'adoration. Sur une photographie de celui-ci, envoyée aux
Katounakia, il avait écrit le témoignage de sa reconnaissance
infinie : " A mon vénéré père spirituel, mon sauveur, après
Dieu et la Très Sainte Vierge, qui me guide, moi pécheur, sur la
vraie voie du salut."
Ce
dont l'Ancien avait besoin, comme, par exemple, d'organiser l'édition
de ses études, Nicolas était tout désireux de s'y dévouer. Il
était prêt à s'y sacrifier. Et son père spirituel, très ému,
faisait monter vers le Seigneur ses prières les plus ferventes :
"
Ô Seigneur, Toi qui bénis et accordes Tes grâces à Tes fidèles
serviteurs et esclaves, à ceux qui, par amour pour toi, sacrifient
leur volonté propre et leurs jugements, et qui ont en leur poitrine
la pure obéissance et la sainte humilité, Toi, le Miséricordieux,
veille sur eux et sur Ton servieteur, mon fils Nicolas, et sur ceux
de s amaison, et sur toute cette fraternité dans le Christ... afin
qu'ils ne soient pas séduits par les pièges du diable, ni de droite
ni de gauche, et fais grâces à leurs supplications pour leur salut
et pour la vie éternelle.
Et
d emême que tu as béatifié les pauvres en esprit et les purs et
les simples de coeur, et ceux qui croient sincèrement en Toi,
accorde Ta grâce à Ton humble serviteur Nicolas, et à toute la
communauté qui le suit."
La mort de
l'Ancien fut pour Nicolas l'événement le plus douloureux de sa vie.
Et lorsque, après un certain nombre d'années, il se rendit à la
calyve des Daniélites, il inonda son vénérable crâne avec le flot
de ses larmes et un parfum de grand prix, qu'il avait apporté tout
exprès.
Jusqu'à la
fin de sa vie, Nicolas Rengos rayonna de vertus, de bienveillance et
de sainteté, et m^me d'esprit prophétique dans certaines
circonstances. Il prédit certains événements à venir, et ses
paroles se trouvèrent pleinement vérifiées. Sa fille Anna nous
parla de cela lorsqu'il nous arriva par bonheur de la rencontrer.
Parmi les
affaires laissées par Nicolas, se trouvaient de nombreuses lettres
adressées à lui par l'Ancien Daniel, et qui montrent le lien étroit
qui s'était établi entre eux. Nous donnons des extraits choisis de
ces lettres à la fin de cet ouvrage.
A
Paros, le Père Philothée Zervakos et d'autres pères de Longovarda
( 1) reçurent a direction de l'Ancien Daniel.
(1)
: ( Le Père Philothée Zervakos, higoumène du monastère de
Longovarda, sur l'île de Paros, fut l'un des grands spirituels
orthodoxes du XX° siècle. ( NdE). ).
Il
s'était établi entre eux un lien spirituel très fort et ils
étaient en relations épistolaires très fréquentes.
Un
autre fils spirituel de l'Ancien Daniel fut l'archimandrite Georges
Papagéorgiadis. Il était connu pour son activité d'auteur
catéchétique. Il fut consacré métropolite de Nevrokopios en 1942.
Un
moine de Kavsokalyvia, le Père Pantéléimon Giamas, était
également un enfant spirituel de l'Ancien. Nous lui avons parlé de
son maître. Il ne trouvait pas de mots suffisants pour en faire
l'éloge : " C'était mon père spirituel; il était le plus
sage de tous. Doué d'un grand discernement, il aidait les âmes. Il
en sauva beaucoup de l'erreur, et ce qu'il m'a dit, à moi, tomba
toujours juste."
Comme nous
le montre l'histoire de la vie monastique, les démons font tout pour
refroidir les liens entre les Anciens et leurs disciples, "inventant
toutes sortes de machinations pour séparer les disciples de leurs
bras paternels. Que ne font-ils et que ne mangent-ils pas? Ils
prennent pour prétextes des soi-disant manières irritantes, et
suscitent de l'hostilité envers le père (1)..."
(1)
: ( Théodore d'Edesse).
Et hélas,
pour ceux des disciples qui s'allient avec l'ennemi, ils ne seront
jamais sauvés de la gueule affamée de l'Hadès.
Parmi les
disciples de l'Ancien Daniel, un ou deux se laissèrent duper par le
diable. L'un d'eux, le Père A., un de ses premiers disciples,
parvint à une grande déchéance. Il suscita une rébellion contre
l'Ancien et l'abreuva d'un amer breuvage empoisonné. Croyant avoir
la haute mission de "sauver le monde", il quitta la calyve
de sa pénitence. " Il n'écoutait malheureusement ni les pères,
ni le saint monastère, ni la hiérarchie de l'Eglise. Il pensait et
il écrivait qu'il tenait sa mission de Dieu et qu'il devait veiller
au progrès du monde", comme l'indique l'Ancien quelque part.
En
outre, les profits tirés de la vente des icônes et des offrandes
qu'il devait envoyer aux Katounakia, il se les attribuait lui-même.
Jamais il
ne changea de mentalité. Il considérait son programme comme plus
divinement inspiré que celui que lui proposait son Ancien. Celui-ci
confessa à une personne en laquelle il avait confiance : " Je
n'aimais pas les opinions et les imaginations mondaines, à divers
titres, égoïstes, et les ambitions profanes que le Père A.
embrassait depuis longtemps en aimant plus le monde que la Montagne
au saint nom, et rejetant, par amour des réalités décevantes du
monde, la sainte obéissance et la sainte humilité."
Et
le pire était que, puisque l'Ancien ne se conformait pas à ses
volontés propres et à ses désirs, il en arrivait à se laisser
aller à des excès virulents envers lui.
L'Ancien
écrivait à ce propos : " Sous l'empire de la plus profonde
affliction et du chagrin le plus cruel, j'en suis à supporter les
infamies répétées et les excès les plus durs que le Père A.
lance contre moi, son malheureux père (1). "
(1)
: ( Lettre du 6.2.1927).
Et
l'Ancien se sanctifiait par sa patience et sa magnanimité, mais ce
triste disciple quitta la Sainte Montagne. Réduit à errer çà et
là, il trouva une mort déplorable dans les rues d'Athènes, sous
les roues d'un camion.
Voici
maintenant l'infortune d'un autre disciple, mais celle-ci n'est pas
tragique. Elle est cependant caractéristique en son genre. Lorsqu'il
arriva dans la communauté, il montra beaucoup de dévouement et
d'obéissance, et parut digne de porter l'habit monastique. Mais il
ne se passa guère de temps avant que les choses ne prissent un autre
tour. L'Ancien ne lui sembla pas très sérieux et ne le convainquit
pas dans sa direction spirituelle. Il lui trouvait de nombreuses
imperfections et de nombreux défauts. Il se passa alors ceci. Il se
dit : " Il faut que je me soucie de trouver un meilleur Ancien,
un ANcien qui me convienne."
Et
dans ce dessein déplorable, il partit un matin pour Karakallou, où
se trouvait un très célèbre maître spirituel, le Père Codrat.
Celui-ci pourrait certainement lui indiquer le meilleur Ancien pour
l'aider à sortir du trouble de son âme. Il rencontra donc le père
Codrat et lui raconta tout, sans lui dire que son "indigne"
Ancien était l'Ancien Daniel, et il attendit la réponse.
"
Est-ce que tu m'as tout dit, Père Damascène? lui demanda le
Confesseur divinement inspiré. Ecoute donc ce que tu vas faire. Tu
vas aller aux Katounakia, et tu y rencontreras un Ancien très
excellent qui s'appelle Daniel. Lui, te conseillera et tu feras ce
qu'il te dira..."
Le
Père Damascène en resta confondu; il s'attendait à tout sauf à
cela! Mais alors, quoi faire? Préoccupé et soucieux, il rentra aux
Katounakia. Et à la suite de cette impressionnante "coïncidence",
il se remit de son trouble, et ne douta plus jamais de son Ancien.
2.
L'higoumène de Kéchrovounios
L'une des
enfants spirituels de l'Ancien Daniel était l'higoumène Théodosia,
renommée pour sa sainteté. Elle était higoumène du monastère de
la Dormition de la Mère de Dieu à Kéchrovounios à Tinos. Depuis
sa jeunesse, elle avait opté pour la vertu, et comme laïque, alors
nommée Théodora N. Karditsi, et comme monaile, puis comme
higoumène, elle agissait sous sa direction spirituelle. Elle ne
faisait jamais rien sans son avis. Elle fit la connaissance de
l'Ancien Daniel par l'intermédiaire d 'Alexandre Moraïtidis, qui
venait souvent avec son épouse faire un séjour dans l'île de
Tinos.
Dès ses
premiers pas dans la vie monastique, elle se conforma aux sages
indications de son père spirituel.
Le
paragraphe qui suit rapporte un extrait de lettre de l'Ancien lorsque
Théodora devait recevoir la tonsure monastique; Chacun pourra
constater avec quelle intelligence et quelle perspicacité il résolut
ses hésitations.
"
Avant votre prise d'habit, vous quitterez votre demeure paternelle,
et vous organiserez vos affaires, si cela est votre intention, de
telle sorte qu'il n'en résultera pas de dommage du côté de votre
famille. Et alors partez avec un esprit hardi, comme une autre sainte
Mélanie, et après avoir expédié vos affaires, retournez dans le
saint monastère, et avancez dans votre décision. Si cependant vous
vous apercevez que vos pensées sont hésitantes et que vous pouvez
plus, par la plume, faciliter vos affaires, alors ce sera
pérférable."
C'est une
grande bénédiction divine qu'il y ait ainsi des hommes porteurs de
Dieu, d'autres juges et prophètes d'Israël, pour diriger
correctement le peuple du Seigneur. Dieu nous fait une grande faveur
lorsqu'il révèle ainsi dans certaines âmes de telles capacités
exceptionnelles. C'est alors que presque toutes les décisions
difficiles, tous les dilemmes, tous les problèmes épineux trouvent
leur solution : il suffit d'une question posée, d'une visite, d'une
lettre, d'un coup de téléphone pour que cela se réalise.
Quand, un
jour, la richissime fille d'un armateur, Christina Garyfallou de
Syros, voulut laisser à la banque sept mille livres-or sur le compte
du monastère de Kéchrovounios, l'higoumène hésita à accepter une
telle donation. Elle envoya aussitôt une lettre aux katounakia; Et
la réponse fut : " En somme, votre monastère n'a pas de
besoins criants; il faut donc refuser la donation. Limitez-vous à
votre travail. Votre travail est une prière; Toute autre voie est
pleine de dangers et détruit les moines."
Et
c'est ainsi que les monailes n'acceptèrent pas ce don.
Lorsqu'il
s'était agi pour Théodora de revêtir l'habit monastique, elle
demanda à se rendre à Iérissos pour que l'Ancien se charge de sa
tonsure; Mais celui-ci, avec sagesse et discernement, n'accepta pas
cette proposition. Il lui écrivit pour lui expliquer qu'il n'était
pas convenable qu'un ascète sorte de son ermitage pour se rendre à
Iérissos pour la tonsure d'une moniale.
Cette
higoumène bénie avait compris les diverses difficultés que
l'Ancien rencontrait aux Katounakia, et lui apportait son aide. Elle
contribua tant financièrement à la construction des bâtiments et
de l'église qu'elle est justement comptée au nombre des fondateurs.
Dans une de ses lettres, elle écrivait à son Ancien :
"
Le retard du commencement des travaux de crépissage est le fait de
la divine Providence, car cette saison est plus favorable. J'ai
confiance que, grâce au secours des pères saints, tout ira de la
meilleure manière, comme ce fut le cas avec le bon travail
artistique des si élégantes portes et fenêtres qu'aménage mon
vénérable frère Stéphane, diligent et envoyé par Dieu.
"
Ce qui me fait beaucoup de peine, c'est de ne pas être digne de voir
la belle église des saints pères et de ne pas en recevoir la
bénédiction de près. C'est bien vrai, mon Père. N'est-il pas
légitime de me désoler de me trouver loin de l'endroit où mon
coeur s'est attaché, et d'être loin de mon vénérable père, très
aimé par Dieu, que je vois toujours par la pensée et dont je me
répète les conseils, doux comme le miel, et dont je lis avec
admiration les écrits divinement inspirés?"
Dans la
bibliothèque de la calyve des Daniélites sont conservées plus de
deux cents lettres de l'Ancien Daniel à cette moniale. Et
caractéristiques sont ses dédicaces :
"
De tout mon coeur, je salue mon enfant spirituelle, très pieuse, en
lui disant : " Que Dieu te garde!""
"
A mon enfant spirituelle, Théodora, aimée de Dieu, j'adresse ma
bénédiction de tout mon coeur, empli de sentiments paternels."
"
A ma très pieuse et fidèle disciple de notre doux Jésus,
Théodosia, très inspirée par Dieu, j'adresse cette bénédiction."
"
A la sainte Théodosia, servante du Christ, très profondément louée
et qui est aimée par Dieu, j'accorde de tout coeur ma bénédiction."
"
A la sainte Théodosia, très aimée par Dieu, et soumise à
Notre-Dame, la Mère de Dieu, j'offre une bénédiction par Dieu et,
en abondance, mes prières toutes paternelles."
"
A la très sainte jeune brebis Théodosia, j'adresse paternellement
le souhait d'être agréable à Dieu et de progresser
spirituellement."
"
A la jeune athlète du Christ, la bienheureuse Théodosia, j'adresse,
en toute affection spirituelle, ce qui la fortifiera."
Parmi
ces lettres se trouvent des trésors de conseils spirituels, très
utiles pour tous ceux qui ont la nostalgie d'atteindre les sommets
des vertus. En voici quelques-uns :
"
Mais étant donné que nous les hommes, mon enfant, portons un corps,
exposé à beaucoup de faiblesses, nous devons, par discernement et
pour l'avoir comme allié dans l'exercice de la vertu, prendre soin
de lui, non pour ce qui concourt à la volupté du corps, mais pour
ce qui concourt à sa constitution régulière, afin qu'il puisse
servir aux vertus de la puissance divine et aux bonnes dispositions
de l'âme. Car quand notre ennemi, le fourbe Satan, ne vainc pas
l'âme combattante par d'éxécrables passions terrestres et le large
chemin des places publiques, il sait faire usage des ascèses
précipitées et des sévices exagérés, ayant en vue de conduire à
une néfaste incapacité corporelle, qui va à l'encontre de
l'ascension vers une vie plus parfaite.
Pour
cette raison, tous les saints Pères, et surtout les Pères
neptiques, ont conseillé, lorsque le corps s'épuise sous le coup de
travaux excessifs ou de maladies, d'en prendre soin avec discernement
afin qu'il soit notre allié pour la prière et les bonnes oeuvres.
C'est pourquoi je m'empresse de te prier de m'obéir en modérant tes
nombreuses fatigues exagérées et tes stations debout, du moment que
tu constates que tu es chaque jour plus accablée. Avec ta
compétence, tu as la charge de la fonction médicale. Il convient
que tu te consacres davantage à l'hésychia dans ta cellule et que
tu demandes de ma part à la sainte higoumène de désigner une autre
soeur pour le service de l'église. Car cette fonction exige des
jambes en bonne santé. Il n'est pas bon, puisque tu as des douleurs
aux jambes, de les augmenter par la station debout. Et je te demande,
au moment de la prière, d'être plus modérée dans ta position
debout, mon enfant, car il convient que nous devenions des tueurs des
passions et non pas des tueurs du corps. Et par la grâce de Notre
Dame, la Mère de Dieu, tu n'es plus une monaile novice pour
t'appliauer au côté matériel du maintien debout, mais tu es
capable de dire la prière assise, non pas avec des distractions,
mais dans la simplicité nue de la prière, qui, de façon constante,
réconforte toujours l'âme.""
L'ennemi
attaque plus manifestement ceux qui combattent dans la solitude,
c'est ce qui est arrivé aussi à Théodosia, et l'Ancien lui écrit
:
"
Mais de quoi la docile Théodora est-elle effrayée, Des bruits, des
frayeurs et des rumeurs de paroles extravagantes, par lesquels, comme
à l'ordinaire, s'insinue le perfide et débile dragon; Face à tout
cela, mon enfant, il faut se tenir courageusement en n'y prêtant pas
la moindre attention, et tout cela disparaît comme des bulles de
savon. La pusillanimité qui te vient est due à la nature et non pas
à l'illusion; C'est seulement la foi et la vaillance d'âme qui
donnent la force d'éloigner ces troubles; Cependant, mon enfant, si
tu es hésychaste selon ta volonté propre, sans faire appel à un
guide d'expérience, et pratiquant l'ascèse dans l'isolement, tu
cours un danger. Mais toi, bien que tu te sois attachée à
l'hésychia par amour pour ton Sauveur, et que tu aies renoncé dès
ton plus jeune âge à tous les agréments du monde, désirant
t'entretenir avec Dieu par la prière et l'extrême solitude, tu as
cependant préféré l'obéissance à ton père spirituel en
supportant la charge d'aller visiter les personnes souffrantes; Et
comme une autre sainte Eupraxie et une autre sainte Mélanie, tu as
préféré le service des malades, malgré leurs diverses faiblesses
et infirmités. Qu'est-ce qui te rend donc craintive et troublée,
mon enfant ? " Tu ne craindras pas les terreurs de la nuit"
( Ps 90, 5); ceux qui sont soutenus par leur volonté n'ont pas peur.
Seulement, autant que tu peux, au moment de la prière, il faut faire
attention de n'accepter ni des images, ni des apparitions mentales,
ni lumière, ni tressaillement de l'âme ou du corps, ni parfums, ni
la consolation de la componction porteuse de joie. Mais tu dois dire
ta prière avec simplicité en faisant seulement attention aux
paroles de la prière. N'accepte aucune pensée terrestre, même
pieuse, et si, pendant le temps de la prière, il te vient, par les
larmes, une grande consolation et que ton corps te paraisse allégé,
et que tu imagines être éthérée, n'accueille rien de tout cela ni
ne donne à cela aucune signification. Le rejet de tout cela est
tout-à-fait louable aux yeux de Dieu. De même si le corps ressent
quelque chaleur ou vibration à cause du combat, sois morte à tout
cela; c'est tout à fait une erreur d'accepter ces manifestations. De
même pour les prodiges des guérisons des malades qui arrivent par
ta foi, ne fais pas du tout attention aux éloges. Ces guérisons
sont dues à l'obéissance et elles sont produites à proprement
parler par la Vierge très pure, à laquelle tu as été consacrée.
Dans
l'imperfection des remèdes, la grâce divine, considérant les
besoins des pauvres malades, est engagée à opérer les guérisons
par un autre moyen. C'est pourquoi, sous le sceau du secret, je
m'empresse de te conseiller : lorsqu'une moniale ou une autre
personne est gravement malade, et que tu vas la voir sans avoir les
remèdes appropriés, feins d'avoir le médicament pour ladite
maladie, et après avoir prié Notre Dame Toujours Vierge, aie foi en
elle pour guérir la malade. C'est ce que firent les saints
Anargyres, qui prétendaient recourir à des remèdes, mais qui
guérissaient eux-mêmes les malades. Il faut seulement, si le mal
est guéri contre toute attente, dire à cette personne guérie : "
J'ai heureusement trouvé le bon médicament, mais sachez que tôt ou
tard, vous obtiendrez le double de médicaments, car la pharmacie de
Dieu pourvoit abondamment ceux qui l'aiment de ce dont ils ont
besoin.""
Le
passage qui suit appartient à la première période de la
correspondance de l'Ancien avec l'higoumène de Kéchrovounios, du
temps où elle était novice. Son contenu justifie que nous
l'ajoutions comme conclusion :
"
Puisse ton Epoux très doux, notre Sauveur Jésus-Christ illuminer
ton obéissance par les jouissances inexprimables du Saint Esprit, et
te faire entendre à l'heure de ta sortie salutaire : " Entre ma
fille bien-aimée dans Mon Royaume, afin de te réjouir avec les
vierges sages et les Myrrhophores, parce que sagement tu as préféré
la pauvreté d'esprit et l'abolition de ta volonté propre à tout
plaisir de la terre." Plais à Dieu, que ces prières que je
fais, mon enfant, soient exaucées! J'écris cela avec un
indescriptible sentiment et une douceur du coeur, confiant dans la
justice du Dieu Très saint, et j'ai bon espoir d'être exaucé."
3.
Moraïtidis
Le grand
auteur de Skiathos, Alexandre Moraïtidis, fut, malgré toute sa
célébrité, l'humble disciple de l'Ancien Daniel.
La
personnalité de l'Ancien tient une place centrale dans la vie de cet
homme de lettres, qui répandit dans la littérature hellénique une
suave odeur spirituelle. Il l'honora et l'enrichit par ses écrits,
et fut lui-même honoré à son tour par des décorations, des
distinctions et l'attribution d'un fauteuil d'académicien.
Il
se distingua dès sa jeunesse par sa piété; Il était d'ailleurs le
neveu de l'Ancien Denys le Très Docte, de Skiathos, et qui "vécut
sans avoir courbé le dos devant quiconque, à l'exception du Dieu
Très Haut." Inspiré par son oncle, Moraïtidis, dès son jeune
âge, avait tourné les désirs de son âme vers les hauteurs. Rien
ne put retenir son élan dans sa course ascendante, ni les honneurs,
ni les louanges, ni même le mariage, car avec sa très pieuse
épouse, l'institutrice Vassiliki Phoulaki, ils vécurent "en
gardant la virginité (1) "
(1)
: ( I. Gizéli, Les Trois Alexandre, p. 101-103).
Il
fallait que cet homme supérieur trouvât son digne équivalent dans
son père spirituel qui n'était autre que l'Ancien Daniel. Le jour
où il fit sa connaissance, il fut fortement frappé par sa vénérable
personne et jusqu'à la fin de sa vie, le "prince des lettres"
ne fit jamais un pas sans l'agrément préalable de son Ancien.
Au
sujet de l'attachement spirituel de Moraïtidis à la personne de
l'Ancien Daniel, celui-ci s'exprima ainsi : " Cet homme aimé de
Dieu me confiait continuellement ses pensées de toutes sortes. Il
considérait mes humbles lettres, bien indignes, comme des bulletins
célestes. Et souvent, comme il me l'a écrit, il les relisait
lorsqu'il était affligé et qu'il ressentait le besoin d'un vrai
soulagement."
Chez ce
moine de l'Athos, Moraïtidis ne savait qu'admirer en premier lieu;
Etait-ce sa généreuse charité, sa douceur à l'image du Christ, sa
sagesse, son habileté à gouverner les âmes? L'Ancien sut, en
effet, avec un grand art, diriger Moraïtidis, qui était un homme
hors du commun.
Un
jour qu'il y avait au monastère d'Iviron une grande solennité en
l'honneur de la fête de la Mère de Dieu du 15 août, Moraïtidis
suivait les offices de l'agrypnie, et son âme s'élevait au ciel
durant cette célébration sacrée. Le soir, après les Vêpres, la
table fut servie. Les pères avaient une coutume naïve : avant
d'exprimer leur joie par une hymne qu'un frère devait chanter, ou
avant de formuler des souhaits de fête, on frappait légèrement son
verre avec un couteau. Ils firent ainsi, puis prièrent de la sorte :
" Bon paradis! que la Très Sainte Vierge nous aide!" mais
pour Moraïtidis, ce bruit sur les verres était un véritable
scandale, une façon mondaine de faire, un acte inadmissible. Il se
retira alors ostensiblement, incapable d'accepter une telle chose. Et
il s emit en route pour mettre le Père Daniel au courant de cette
infraction. Et là, se manifeste à quel point l'Ancien en imposait
au littérateur et le guidait admirablement en tout. Il réussit à
le persuader qu'il avait eu tort, qu'il s'était conduit indécemment
et qu'il devait s'amender de sa faute; Celui-ci, vraiment grand,
retourna au monastère et demanda humblement pardon.
Lorsqu'il
était loin de la Sainte Montagne, sa plus grande joie était de
correspondre avec son Ancien et d'évoquer le souvenir des
Katounakia. Pour lui, les Katounakia avec l'Ancien Daniel, c'était
l'Eden. Lorsqu'il se rendit compte un jour qu'il lui serait difficile
de retourner aux Katounakia, il tomba dans le plus grand chagrin :
"
Qui va m'offrir maintenant ces psalmodies, ces veilles noctrurnes et
ces ascensions vers Dieu par la prière, et ce mode de vie
immatériel, vécu dans les Katounakia, Qui va nous aider dans notre
étude assidue de la Parole de Dieu, que nous faisions principalement
dans Syméon le Nouveau Théologien? Qui pourrait décrire nos
labeurs journaliers et nos travaux manuels? Qui ne se souviendrait
pas de cette cour fraîche où s'asseyait le soir, non pas un riche
propriétaire, mais un moine bien fatigué...?
Moi, j
n'espère plus vous revoir, ô désertes, ô aimables, ô très
regrettées, ô Katounakia tout à fait désolées (1) !"
(1)
: ( Avec les Vagues du Septentrion, chap. 3, p. 174).
Le
16 septembre, Moraïtidis reçut la tonsure monastique dans l'église
des Trois-Hiérarques, à Skiathos, avec la bénédiction de son
Ancien. Auparavant, son épouse était devenue moniale à
Kéchrovounios, sous le nom d'Anastasie. Moraïtidis fut tonsuré par
un de ses anciens étudiants, le métropolite Grégoire de Chalkis,
et reçut le nom d'Andronic. Sur ces entrefaites, il apprit la mort
de son père spirituel. Il ne fut pas capable de résister à une
telle douleur et, quelques semaines plus tard, il mourut lui aussi
pour le retrouver "dans le pays des vivants".
4.
Saint Nectaire d'Egine et l'Ancien Daniel
" Avec
un homme innocent, tu seras innocent, saint avec un saint, élu avec
un élu", dit le psaume. En fait, l'Ancien Daniel fut très aimé
et vénéré par saint Nectaire. Ils s'étaient connus quand le saint
visita la Sainte Montagne, et par une correspondance régulière,
leur aide réciproque et leurs prières mutuelles, un lien très fort
s'établit entre eux; Oui, l'Ancien Daniel est un élu : un saint
caché à côté du saint reconnu, dont la réputation et la gloire
ont gagné, à notre époque, le monde entier.
Saint
Nectaire, qui fut calomnié et fut le bouc émissaire de sa
hiérarchie ecclésiastique, trouva un grand réconfort auprès de
l'Ancien Daniel. Et celui-ci reçut de lui d'abondants secours pour
la construction de son ermitage; il le considérait même comme
"fondateur et père de la communauté". Il recevait les
oeuvres du saint. A propos de l'envoi de la Christologie, saint
Nectaire lui écrivit :
"
Nous avons bien tardé à répondre à votre lettre si noble, car
nous désirions vous envoyer aussi ce souvenir en signe d'amitié. Et
en très petite preuve de celle-ci, nous vous adressons, ci-inclus,
notre photographie, et l'une de nos oeuvres, la sainte Christologie,
qui traite de la divinité et de l'oeuvre de notre Sauveur
Jésus-Christ (1)."
(1)
: ( Lettre d'Egine datée du 6 novembre 1915).
Les
oeuvres de saint Nectaire sont conservées jusqu'à aujourd'hui dans
la bibliothèque des Daniélites : outre la Christologie, La
connaissance de soi, les Pandectes d'Antioche, le Manuel des prêtres,
le Théotokarion, etc.
A
son tour, l'évêque était secouru par l'Ancien. Dans une de ses
lettres, il lui fit une demande à propos de son monastère de femmes
à Egine. " Voulez-vous nous obliger, lui écrit-il, en ayant la
bonté d'écrire un discours spirituel, destiné au réconfort des
vierges. Nous vous suggérons une lettre sur la praxis et la
contemplation, ce qui apporterait des délices spirituelles et un
vrai réconfort moral à celles qui sont privées d'un tel
enseignement vivant."
Et l'Ancien
Daniel, par obéissance et par amour, lui adressa une lettre "Sur
les principes monastiques". Dans celle-ci, il ne traite pas
seulement d'une façon générale et abstraite des sujets de
l'obéissance, de la pauvreté, de la chasteté, de la prière, etc.,
mais il va au fond des choses :
"
Lorsqu'une soeur, au moment de sa prière, perçoit une odeur suave,
on voit une lumière intérieure ou extérieure, ou l'apparition d'un
ange, ou d'un saint, ou du Christ, qu'elle n'accepte pas de telles
visions, ni pendant le sommeil ni pendant la veille, parce que c'est
par de tels phantasmes que le malin démon en a séduit beaucoup.
S'il
arrive que, par l'envie du démon, surgisse une dispute entre deux
soeurs, une grande force est nécessaire pour que l'une d'elle prenne
les devants du silence, en arrêtant les paroles de justifications
détournées, glissées par le démon dans la querelle maudite, et
qu'elle rejette la faute sur elle-même ( même si elle n'a rien fait
de mal) et qu'elle dise à l'autre : " bénis et pardonne-moi
par le Seigneur, car j'ai parlé comme une insensée."
Cependant, cela, c'est la plus jeune qui doit le faire d'abord. Si
toutefois la plus jeune paraît revêche et n'a pas en vue le
"connais-toi toi-même", alors que l'autre, plus
raisonnable, le fasse, afin de gagner celle-ci qui est faible... Mais
que jamais le soleil ne se couche sans la réconciliation
convenable."
Tels
étaient ses conseils, quintessence de sa profonde connaissance et de
sa riche expérience spirituelle. Et le saint nouvellement apparu
réconforta à plusieurs reprises l'Ancien Daniel; Il fut tout
spécialement un ange consolateur quand ce dernier subit une épreuve
sévère. Qu'était-il arrivé?
Un
homme, venant du monde, à l'apparence bien comme il faut, passait
quelque temps à la Sainte Montagne pour récolter des souscriptions
pour une nouvelle édition des oeuvres complètes de saint Jean
Chrysostome, qu'il disait devoir publier. Pour une oeuvre si agréable
à Dieu, l'Ancien Daniel n'avait pas hésité à aider cet homme, et
malgré ses difficultés financières, il emprunta à la Grande Lavra
cinquante livres pour les lui donner.
Beaucoup de
temps s'écoula sans qu'il eût connaissance de la parution des
oeuvres de saint Jean Chrysostome. Il apprit plus tard qu'il était
préférable de ne plus avoir de nouvelles de cet homme qui était un
escroc et qui avait disparu. Quelle déception et quelle épreuve
pour l'Ancien Daniel! Dans son désarroi, il écrivit à saint
Nectaire pour lui dire sa peine. Celui-ci lui renvoya une réponse
digne d'un saint : une lettre d'une très grande profondeur
philosophique où il développe, en véritable chef-d'oeuvre, le fait
que les épreuves conduisent l'âme à la vraie philosophie car tous
les chrétiens doivent devenir des philosophes, et a fortiori les
amants de la sagesse, c'est-à-dire les moines. Ces épreuves que
Dieu permet ouvrent nos yeux et notre intelligence pour que nous
puissions voir et réfléchir encore plus loin sur les choses
invisibles et éternelles, et au-delà de nos défaillances, parvenir
à la perfection. mais il est préférable de prendre connaissance de
cette lettre en son entier :
"
Le Directeur de l'Ecole ecclésiastique à Athènes.
Mars
1903
Très
saint Père Daniel dans le Christ, je salue fraternellement votre
charité.
Ayant
reçu votre lettre, j'en ai pris connaissance avec chagrin, y
découvrant l'affliction qui a troublé la paix de votre âme. Ce qui
est arrivé est véritablement fâcheux, mais nous savons que tout
concourt au bien pour ceux qui aiment Dieu. Par la grâce qui fut
insufflée aux apôtres, la vérité de cette sentence apostolique,
tel un apophtegme divin, possède une autorité absolue. Confiant en
l'amour divin, je crois que j'obtiens un grand bien à partir des
épreuves.
Votre
charité sait que les épreuves conduisent à la perfection. Aucun de
ceux qui n'ont jamais été mis à l'épreuve ne s'élève au-dessus
du plan terrestre, à partir duquel se dresse l'échelle des vertus
qui touche au ciel. Pour ceux qui aiment Dieu, les épreuves sont une
école où est enseignée à l'âme la philosophie; Le christianisme
conduit en effet à la véritable philosophie, pour laquelle le
chrétien doit faire diligence. Aucun de ceux qui ignorent cette
philosophie ne peut atteindre le degré de perfection auquel il
convient de parvenir. Si tous les chrétiens doivent devenir des
philosophes et des parfaits, selon le commandement du Seigneur,
combien davantage encore ceux qui en sont les amants et se sont
consacrés à Lui. Si les épreuves sont une école de philosophie,
et si la philosophie conduit à laa perfection chrétienne, les
épreuves sont indispensables.
Les
épreuves forment à la philosophie et forment aussi à la patience.
Or, la patience est soeur de la philosophie; car aucun philosophe
n'est impatient, et aucun impatient n'est philosophe. Les épreuves
éprouvent la pierre fondamentale des vertus ui est la patience, et
qui conduit au salut. Par la patience, le philosophe chrétien non
seulement ne succombe pas au mal, mais il prend courage, il endure et
se réjouit. Oui, vraiment il se réjouit, puisque selon l'apôtre
Paul, il se glorifie aussi dans les afflictions, sachant que
l'affliction produit la patience, et la patience l'expérience, et
l'expérience l'espérance, et l'espérance ne le déçoit pas, car
l'amour de Dieu est répandu dans son coeur.
Les
épreuves, comme le savent les partisans de la vraie philosophie,
sont permises par l'économie divine, la volonté divine, dans le but
que notre esprit puisse parvenir à une plus parfaite compréhension
du mystère qui nous habite. L'homme non éprouvé ignorera ce qu'est
la vérité. Les épreuves sont le témoignage incontestable de
l'amour et de la miséricorde divine envers l'homme; c'est pourquoi
celui-ci doit rendre grâce à Dieu pour tout. L'imperfection humaine
exige les épreuves afin que l'homme puisse s'accomplir. Pour ceux
qui aiment Dieu, les épreuves ouvrent les yeux de leur entendement
vers la lumière de la vérité et les rendent rayonnants, capables
de voir non seulement ce qui est tout proche, mais aussi ce qui est
éloigné. L'esprit est alors en mesure de comprendre non seulement
les choses intelligibles, mais celles qui sont au-dessus de la
compréhension humaine; et l'esprit non seulement comprend, mais
aussi il connaît exactement, parce que dans la perfection est la
pleine connaissance. Puisque les épreuves conduisent la perfection,
elles conduisent aussi à la pleine connaissance, car la pleine
connaissance entraîne la perfection. Il est donc nécessaire que
nous soyons éprouvés pour devenir parfaits.
Ceci est
très nécessaire non seulement parce que créés à l'image de Dieu,
nous devons parvenir à la ressemblance, mais aussi parce que nous
portons le poids de l'héritage ancestral. Les pouvoirs de l'âme
sont attaqués et affaiblis; l'âme doit alors être aiguillonnée
pour s'élever; et elle a besoin de la lumière céleste pour
l'éclairer. Comme vous le savez, la perfection consiste en ce que
l'homme, créé à l'image de Dieu, atteigne à Sa ressemblance, et
ceci se réalise sur la plus haute marche de l'échelle spirituelle,
qui atteint le ciel, la marche sur laquelle l'homme doit monter. Mais
n'arrive-t-il pas que, lorsqu'il monte ainsi et avance régulièrement
vers les hauteurs, il se trouve attiré vers les choses terrestres,
là où ne manquent pas les épreuves, et n'atteint pas le terme
désiré vers lequel il se hâte et vers lequel son coeur aspire
ardemment?
Frère dans
le Christ, l'épreuve à laquelle vous êtes confronté, selon la
grande Providence divine, vous apportera certainement un grand profit
spirituel. Et puisant dans la certitude de mon coeur, je vous déclare
qu'aujourd'hui vous êtes arrivé à une plus grande perfection que
celle où vous étiez auparavant. C'est pourquoi, je vous en prie,
cessez d'être en peine, et glorifiez le Seigneur qui a pitié de
vous.
Je
vous adresse aujourd'hui sous pli, à Daphni, les oeuvres de saint
Jean Chrysostome, dans une caisse marquée " D.A.", à
votre nom.
Je
vous embrasse fraternellement dans le Christ ainsi que votre
fraternité et je vous prie de vous souvenir de nous dans votre
intercession auprès de Dieu.
Je
reste pour toujours votre frère dans le Christ,
Nectaire de
la Pentapole."
Lorsque
l'Ancien Daniel reçut la lettre du saint, il se sentit des ailes. Sa
peine s'évapora. Les mots du métropolite de la Pentapole n'étaient
pas seulement une consolation humaine; ils étaient "esprit et
vie" car le prélat parlait et écrivait avec la grâce "du
Christ qui s'exprimait par lui". Le saint avait toujours pour
principe inviolable de confirmer sa parole par des actes. C'est
pourquoi il envoya au Père Daniel un colis avec les treize gros
volumes de saint Jean Chrysostome, de l'édition de Venis, réalisée
en 1734-1741 par Bernard de Montfaucon.
Ce fut pour
l'Ancien Daniel "comme la rosée de l'Ermon", un tel océan
de charité si efficace, n'hésitant pas à faire tous les sacrifices
les plus courageux tant sur le plan spirituel que matériel; Comment
l'Ancien pouvait-il exprimer son bonheur et remercier le Seigneur?
Les
tomes des oeuvres de saint Jean Chrysostome sont toujours conservés
dans la bibliothèque des Daniélites, tel un témoignage de l'unité
et de l'entente de ces deux âmes, qui, maintenant, se réjouissent
aux cieux "dans le lien de l'amour éternel".
5.
Les désirs des saints
Les lettres
des Pères saints sont considérées comme les meilleures oeuvres de
la littérature patristique. En elles, se répand naturellement et
simplement l'arôme de leur âme bénie. C'est par ces lettres que
l'on peut connaître les détails inconnus de leur vie quotidienne,
les désirs de leurs âmes et leurs actions y correspondant.
Pour
comprendre par exemple l'univers de saint Basile le Grand, il faut
laisser de côté toutes ses oeuvres pour méditer ses lettres
admirables. Elles nous permettent de discerner, avec précision et
dans le détail, la grandeur de cet homme.
Que
désirait saint Nectaire? Quelles étaient ses aspirations profondes,
et quelles actions envisageait-il pour les combler? Comment
procédait-il pour réaliser ses désirs? La lettre ci-dessous va
nous permettre de répondre à ces questions. Elle est la copie
fidèle de l'original qui est conservé dans la calyve des
Daniélites.
"
Du saint monastère de femmes, de la Très Sainte Trinité, en l'île
d'Egine.
Le
18 août 1913.
Très
saint docteur dans le Christ, frère Daniel, j'embrasse
fraternellement votre très sainte sagesse.
En
me fondant sur le saint amour que vous nous portez, je prends la
liberté de vous confier quelque chose qui me tient fortement à
coeur et que je considère utile pour l'accomplissement d'une oeuvre
d'un grand intérêt pour nous.
Vous
savez bien que nous désirons acheter une cellule à la Sainte
Montagne, orientée au midi, avec un jardin, de l'eau et si possible
une église. Je me propose en effet, au cours de l'année,
d'installer un ou deux de mes fils spirituels qui veulent être
moines à la Sainte Montagne. Un peu plus tard, lorsque j'aurai réglé
les nombreuses charges que j'ai dans notre monastère, je viendrai de
temps en temps sur la Sainte Montagne pour une retraite spirituelle.
Aussi, je
prie votre sainte sagesse de penser à trouver un bon et vertueux
Ancien qui prenne en main la conduite de mes fils spirituels novices.
Ils ont besoin d'un guide bon et invincible qui les fasse entrer dans
le stade des luttes, et les soutienne dans le combat spirituel,
autant par son exemple que par ses paroles.
Le
porteur de la présente, Loukas Kalantzis, vous fournira oralement
toutes autres informations à ce sujet.
En
terminant, j'embrasse votre fraternelle charité, et je reste le
suppliant devant Dieu.
Nectaire de
la Pentapole.
P.S. Par
porteur, je vous envoie aussi deux nouveaux travaux : les deux tomes
de Du Schisme et mes deux études sur L'Eglise et la tradition
sacrée.
Dans
l'attente de votre réponse."
V.
FRUCTIFICATION ET RECOLTE
1.
Soucis d'auteur et d'éditeur
L'Ancien
Daniel, une personnalité si connue dans tout le monde hellénique,
se trouvait dans l'obligation d'obtenir une importante
correspondance. Ses enfants spirituels, dispersés dans tous les
coins de la Grèce, et une foule d'inconnus qui avaient entendu
parler de sa sagesse, lui écrivaient pour lui demander des conseils,
solliciter des éclaircissements sur des thèmes spirituels, afin de
résoudre leurs problèmes.
L'Ancien
avait un bureau original : son tabouret. Assis dessus, il plaçait
son papier sur les genoux et écrivait avec une rare aisance. Bien
souvent, pendant le calme du soir, à la lueur délicate d'une petite
lampe, il chassait le sommeil et veillait en écrivant des lettres.
Et le sommeil? Il n'a aucune puissance sur les ascètes. Il est
réduit à un rôle de serviteur qui obéit, sans exercer aucune
autorité. Cela s'applique à tous les ermites, et pour l'Ancien
Daniel, c'était encore bien plus valable.
C'était un
soldat du Christ, enrôlé dans sa garde du désert, sentinelle
veillant toute la nuit afin d'observer les mouvements de l'ennemi
très malin qui circonvient nuit et jour les âmes afin d eles
prendre au piège.
Il
avait généralement coutume, quand il avai terminé une lettre,
d'aller dans l'atelier d'icônes pour la lire à ses moines et
accueillir avec humilité leurs observations et leurs idées.
Tous
ceux qui recevaient des lettres de l'Ancien les tenaient pour des
joyaux inestimables.
Moraïtidis,
qui correspondit durant trente années avec lui, dit à proposde ses
lettres que "si jamais elles étaient publiées, elles
constitueraient une lecture spirituelle très douce et très utile
aux âmes". La plupart se rapportent à des questions
extrêmement sérieuses et pratiques, et certaines sont de très
longues lettres, comme la lettre adressée le 6 août 1910 "au
mone Eudocime, sur la question de savoir si les hérétiques par
ignorance ou ceux qui ont de fausses croyances, obtiendront
miséricorde, alors qu'ils ont accompli des oeuvres aimées de Dieu
et méritoires devant Lui".
Mais ene
dehors des lettres, l'infatigable Ancien Daniel rédigea une
multitude d'essais, plus de soixante-dix, sur des thèmes
théologiques ou sur des questions d'ordre spirituel, soit pour
répondre à une demande particulière, soit sur un plan général.
Pour que ses oeuvres puissent être diffusées, afin d'aider de
nombreuses âmes, il lui fallut connaître les soucis de l'édition.
Ceux-ci apparaissent nettement dans la lettre qui suit :
"
Quant aux brochures, ne soyez pas inquiet, je vous en prie. Si le
rusé dragon a été jaloux de cela et nous a beaucoup retardés, tôt
ou tard, nous acquitterons la dette des frais de publication. Mais
faites tous vos efforts pour qu'un certain montant soit recueilli par
Emilianos; et moi-même, je prendrai soin de vous faire parvenir
prochainement mille drachmes et le reste par la suite, car je ne veux
pas que vous subissiez un dommage matériel après vous être chargé
d'un tel labeur (1)."
(1)
: ( Lettre du 14 février 1924, à Nicolas Rengos).
Ces
soucis apparaissent encore dans une lettre qu'il envoya plus tard à
la même personne :
"
Aux Katounakia de la Sainte Montagne, le 30 septembre 1927, à mon
très fidèle M. Nicolas Rengos que je bénis paternellement.
Il
est prévu que votre Stéphane vous remettra la présente en mains
propres, et qu'il vous dira de vive voix de bonnes nouvelles en ce
qui nous concerne. Mais si de Daphni, il lui faut voyager par le
vapeur " Sparti", il passera alors par Kavala et vous aurez
cette lettre par la poste.
Sachez que
nous avons mis en sûreté les précieuses reliques et les bonnes
koulourakia, et je vous en remercie de tout coeur. A propos des
saintes reliques, je souhaite que vous obteniez une grande récompense
des saints, car vous célébrerez leur office, comme il convient pour
leur fête.
En
parcourant votre lettre précitée, j'ai compris que certaines
tentations s'étaient de nouveau présentées à vous. Comme il est
naturel, j'en ai été attristé, mais, je vous en prie, ne vous en
alarmez pas. Persévérez une fois pour toutes dans l'infaillible
obéissance au Christ, ces choses arrivent quand les opposants se
mettent à ruer sous l'aiguillon. Tout ce que nous avons à faire ets
d'être attentif à ne pas tomber nous-mêmes sciemment dans la
tentation; mais dites sans crainte avec le prince des prophètes : "
Et moi, comme un sourd, je n'entends pas..." et "
Bienheureux serez-vous lorsque l'on vous outragera."
Je
vous ai écrit pour que vous fassiez un bref prospectus à propos du
livre relatif au document que je vous ai envoyé. J'attends ce
prospectus avec anxiété, et dites-moi combien coûteraient 150
prospectus ou davantage.
Quant aux
épreuves, j'ai écrit précédemment à M. Alexandre Moraïtidis qui
m'honore et m'aide grandement. Comme il séjourne dans sa patrie de
Skiathos, il ne semble pas avoir reçu ma lettre, adressée à
Athènes, et, pour cette raison, ne pourra me renvoyer les épreuves
rapidement. Il est expert dans ce domaine et il cherche à nous faire
plaisir. Ainsi, pour cette raison, je vous demande de vous hâter de
faire le tirage et d eme l'envoyer, car il est nécessaire que
j'avance dans l'opération d el'impression, que je confierai à votre
Stéphane pour ne pas vous déranger. La plupart des saints
monastères m'ont fait connaître leur agrément, et leur désir de
m'apporter une aide financière, parce que l'Etude historique est une
étude très sérieuse et très rigoureuse sur toute l'histoire de la
Sainte Montagne. Cela donnera grandement satisfaction à ceux qui
oeuvrent pour la défense de la vie monastique.
Mais il
serait bon que vous demandiez à votre ami imprimeur combien coûtera
cette impression de 1.500 exemplaires au moins, et comme j'évalue
que chaque exemplaire aura en gros 10 pages chacun, cela fera une
quantité bien supérieure au Contre les millénaristes. Comme à
Patras nous avons un fils spirituel, qui, lui aussi, a une
imprimerie, il y a un espoir qu'il ne me demandera pas des frais
considérables. C'est un homme qui, en reprenant cette imprimerie,
s'est lancé dans l'édition de livres. C'est pourquoi je vous prie
de m'écrire combien l'on me demanderait là où vous êtes.
J'attends
une réponse rapide. Quant aux tentations que vous rencontrez,
dites-moi comment vous leur faites face; je prie pour que vous en
soyez délivré.
Je
bénis de tout mon coeur votre chère famille et votre fraternité
dans le Christ.
Avec
ma toute paternelle affection.
Daniel,
moine iconographe.
2.
Les produits de sa plume
En
vérité, combien et quels théologiens possédant diplômes et
distinctions pourraient être comparés avec ce simple moine, Il
n'avait pas étudié dans les grandes écoles. Ses leçons de pure
orthodoxie, il les avait apprises à "l'université " du
désert, avec les livres dont il disposait : l'Ancien et le Nouveau
Testament, et avec la Tradition de l'Eglise; Ses maîtres étaient
les Pères apostoliques, saint Chrysostome, les Pères neptiques, la
prière et l'hésychia. Sa formation théologique, éloignée de tout
élément non-orthodoxe, et surtout sa pratique, l'avaient désigné
come l'une des figures les plus éminentes de la Sainte Montagne.
De
ses nombreuses études, au nombre de soixante-dis environ, celles qui
furent publiées sont les suivantes : une étude au sujet des
doctrines de Makrakis (1898); la Voix de la Sainte Montagne au sujet
du prochain synode oecuménique; Contre la langue démotique, qui a
été publié dans le périodique Nouvelle création; l'Etude
historique de la contestation dans le saint monastère de Pantéléimon
(1927); Contre les millénaristes, etc.
Pour cette
dernière étude, il reçut une lettre de félicitations du sage
Chrysostome Papadopoulos, archevêque d'Athènes, dont nous citons ce
passage :
"
Par le moine Stéphane, nous avons reçu votre lettre et votre étude
très précise et de très bonne qualité intitulée Contre les
millénaristes, écrite pour éclairer et servir les pieux enfants de
l'Eglise. Nous nous en réjouissons car votre Béatitude a cherché à
atteindre le but véritable et a entrepris, loin du monde, le long
parcours de l'ascèse et d ela vertu selon le Christ. Et, dans votre
traité, si utile pour la communion chrétienne, elle fait ainsi
grand cas de la dévotion, et elle défend avec puissance le juste
esprit de l'Eglise. Tout en décernant à votre Sainteté de justes
éloges, nous lui souhaitons, dans le combat pour l'Orthodoxie, le
réconfort du Père des lumières des Cieux, ainsi que d'atteindre le
but salutaire de son ascèse.
Priant
ardemment Dieu,
Chrysostome
d'Athènes."
Parmi ses
nombreux travaux inédits, les plus nombreux sont des dissertations
épistolaires. Nous citons les suivantes qui sont exceptionnelles :
De la prière du coeur; De l'affliction intempestive; Sur la
suspicion; Du lien du corps, infrangible après la mort; De ce que
doit être le père spirituel; Du jeûne avant la sainte communion;
Apologie du monachisme; Signification du Grand Habit angélique; Le
manuel du moine; Du salut des hérétiques et des hétérodoxes;
Contre ceux de l'Eglise évangélique; Contre les Arméniens. Cette
dernière étude qui a été envoyée le 24 mars 1892 "au très
saint hiéromoine K. Modestos", montre que son auteur fait
grandement autorité dans l'histoire ecclésiastique et la
dogmatique. Contre les kalapothakistes (1) est une étude envoyée
sous forme de deux lettres à Théodore Stergioglidis qui, de
hiéromoine de l'Eglise orthodoxe en vint à être sectateur et
défenseur des doctrinaires protestants du kalapothakisme.
(1)
: ( Les partisans de Michel Kalapothakès (1825-1911), fondateur en
Grèce de l'Eglise évangélique (NdE).).
Il
convient de présenter ici cet excellent prologue de la première et
longue lettre datée du 8 février 1912 :
"
J'ai reçu avec étonnement la lettre que tu m'as écrite le 7 du
mois passé, ainsi que ton texte d eplusieurs pages que j'ai étudié
avec beaucoup d'attention et de "douleur du coeur". J'ai
compris ta triste et déplorable situation...Celui qui a été élevé
dans l'Eglise d'Orient du Christ par des parents orthodoxes se fait
maintenant gloire, après avoir rompu avec l'Eglise d'Orient du
Christ, d'avoir trouvé un asile pour son salut. Il ne l'a certes pas
trouvé dans les "tabernacles de Jacob", mais dans les
"tentes de Kidar " des protestants.
En
dépit de ce que tu m'as écrit, je vois que tes interrogations ne te
conduisent pas à te faire comprendre où sont le salut et la santé
de l'âme, mais elles te servent à propager les idées erronées de
Luther et de Calvin, que tu as embrassées de tout coeur. Pour cette
raison, il ne conviendrait pas, à mon avis, de te répondre. Puisque
tu prétends avoir, selon ta volonté, rompu avec notre propre Eglise
orthodoxe, et avoir trouvé la vérité, toute discussion plus avant
est certainement superflue. Mais pour que tu ne croies pas que nous
cédons aux sophismes fallacieux de tes propres innovations et que
nous les acceptons, j'ai jugé bon de te répondre afin de te faire
notre propre confession. Alors peut-être la grâce divine atteindra
ton coeur et reviendras-tu à la foi et à la piété de tes pères.
Cependant,
si tu étais protestant par tes ancêtres et que tu me proposais tes
arguments de manière querelleuse, alors il serait prudent que je me
taise, prenant en considération les paroles de l'apôtre Paul : "
Si quelqu'un veut ergoter, tel n'est pas notre usage, ni celui des
Eglises de Dieu" ( 1 Co 11, 16), et même, ces paroles à Tite :
" Mais les folles recherches, les généalogies, les disputes,
les polémiques au sujet de la Loi, évite-les" ( Tt 3, 9)."
La
conclusion de la lettre est également importante :
"
Si tu envisages, come tu me l'écris, d efaire une visite à cette
Sainte Montagne tout en persistant dans ta condition, n'aie pas
l'audace de t'y rendre, car Notre Dame, la Théotokos, la Gardienne
et la Protectrice de cette Montagne sainte ne tolère pas que tu
viennes, rebelle que tu es contre elle. Et pour nous aussi, il n'est
pas possible de t'accepter, nous soumettant aux paroles de l'apôtre
Paul : " Congédie l'homme hérétique après une première puis
une seconde remontrance, car tu vois qu'un tel individu est dévoyé"
( Tt 3, 10). De même à celles de saint Jean : " Si quelqu'un
vient à vous sans apporter cette doctrine, ne le recevez pas chez
vous et abstenez-vous de le saluer. Celui qui le salue participe à
ses oeuvres mauvaises" ( 2 Jn 10-11). "
Dans son
étude relative à la convocation du huitième concile oecuménique,
dont le pré-concile était prévu à la Sainte Montagne pour 1932,
l'Ancien exprime clairement son opposition envers certains dirigeants
ecclésiastiques libéraux : "Ils proposent de telles réformes,
de telles nouveautés insolites, afin que nous prenions une voie
large et anti-évangélique, contraire à la prédication du saint
Evangile... Cela pour plaire aux hommes indolents et psychiques, et
afin de mettre en valeur les vues et les attentes des hérétiques,
qui se vanteront de ce que nous-mêmes nous nous rapprochons d'eux."
"
Phobies du moine", diront peut-être certains censeurs
expéditifs. Et pourtant. La sagacité de l'Ancien, sa claire
intelligence, son coeur pur le rendent capable de juger de ce que
serait convertir la voie du Christ en un large boulevard temporel.
Cet homme éclairé, depuis sa longue retraite ascétique, avait
compris avec perspicacité les problèmes de l'Eglise dans toute leur
étendue. Il avait compris que le monde, lorsqu'il incline vers les
solutions de facilité et adopte des positions improvisées dans la
vie spirituelle, ne trouve jamais en elles de plénitude
métaphysique. Une certaine aspiration mystique, profondément
enfouie, pousse l'âme à avancer et à atteindre de haute lutte la
sainte et "ancienne beauté" de l'homme. C'est pourquoi le
plus grand danger pour l'Eglise et le plus mauvais piège pour ses
pasteurs, c'est la tentation de se conformer aux changements
inconstants du monde et à ses modes. Les pasteurs ont un rôle
éminent et une grande responsabilité, car c'est à eux de diriger
leurs brebis, non aux brebis de diriger leurs pasteurs.
Sur
la demande d'un de ses fils spirituels, qui étudiait à Halkis et
qui devint le métropolite Georges de Neurokope, l'Ancien Daniel se
consacra à l'étude de la question : " Les astres sont-ils
habités?" Cette étude admirable frappa d'étonnement le
recteur Irénée ( 1907), qui devint plus tard métropolite de
Kassandra, et qui écrivit : " Nous, nous avons le coffre, mais
nous ne savons pas l'ouvrir; ce moine a trouvé la clé et il l'a
ouvert et en a vu le contenu."
Et
encore une chose incroyable : l'Ancien Daniel, encore très jeune,
âgé de dix-sept ans, élève à l'Ecole évangélique de Smyrne,
rédigea un excellent travail Sur la fuite cosmique. L'Ancien
Callinique l'Hésychaste, parlant de cette étude de jeunesse, alors
que l'Ancien avait quitté ce monde, demanda avec tristesse : "
Où se trouvent de tels pères , maintenant?"
3.
Un repentir difficile
Dans les
dernières années de l'Ancien Daniel se produisit le repentir de
Kostis Marmaras. Il s'agit là d'un événement qui harassa le moine
de Katounakia.
Kostis, qui
venait d'Aïdinos en Asie Mineure et vivait à Arnéa en Chalcidique,
était un esprit inquiet, toujours occupé de beaucoup de choses à
la fois. Il était pharmacien et médecin praticien; il était aussi
photographe, ayant son propre laboratoire. Il avait une réelle
inclination religieuse et connaissait la musique byzantine.
Il
se trouva qu'il rencontra un certain nombre de spirites et
s'intéressa à leur technique. Peu à peu, cet intérêt augmenta au
point qu'il se consacra tout entier au spiritisme. Ensorcelé dans
les filets de cet art satanique, il était devenu incapable de s'en
libérer. Il se voua au spiritisme non pas cinq ou dix ans, mais
durant trente ans, sans se douter que derrière tous ces phénomènes
se cachaient les démons.
Il
avait agi au début par simple curiosité. il avait entendu parler de
tables qui, lors de séances de spiritisme, bougeaient toutes seules.
Il voulut examiner le cas et savoir s'il s'agissait d'un phénomène
électrique ou d'une intervention des esprits; Il s'aperçut qu'un
phénomène électrique ne pouvait expliquer le mouvement des tables.
La cause était alors les esprits, mais de quelle sorte d'esprit
s'agissait-il? Bons ou mauvais? Il pensa que c'étaient des bons
esprits et c'est ainsi qu'il s elivra sans réserve au spiritisme.
Cette
consécration complète au spiritisme lui procura du succès. Il
faisait des progrès dans l'écriture automatique et dans la
divination des pensées. Il pouvait communiquer avec les esprits des
morts. Il s eflattait en particulier de converser avec des médecins
célèbres du passé, et notamment avec...Hippocrate, qui lui avait
donné diverses recettes pharmaceutiques et lui avait pronostiqué le
destin de certains malades. Il communiquait également avec divers
saints, et aussi avec des anges. Il leur posait des questions,
recevait des réponses, des révélations et des messages.
La
première lueur qu'il reçut dnas son égarement fut la lecture d'un
petit livre, qui était l'oeuvre du Père Daniel : Contre les
spirites. Cette lecture le troubla : avec des arguments puissants
l'auteur présentait les phénomènes de spiritisme comme oeuvres des
démons. Commencèrent alors pour Kostis les angoisses et les doutes,
et il dut demander du secours. Il le trouva dans une correspondance
avec le moine de Katounakia.
Les
lettres de l'Ancien l'aidèrent à abandonner peu à peu l'univers
délétère des démons. Mais ce ne fut pas facile car une
collaboration d eplusieurs années avec eux leur avait donné des
droits sur lui; il recevait même des bastonnades de leur part.
"
J'ai rencontré, rapporte Kostis dans l'une de ses lettres, un prêtre
vertueux et je lui ai demandé le moyen de combattre Satan. Il m'a
indiqué la seconde prière des exorcismes de Basile le Grand. A
peine l'eus-je lue, que je m'exclamai : " J'ai trouvé une arme
sûre, j'ai trouvé l'arme pour faire la chasse contre Satan."
Mais la nuit suivante, je venais tout juste d'éteindre ma lampe et d
eme coucher que les démons me frappèrent à coups de poing. Cela se
produisit pendant trois nuits. Je fis venir un prêtre pour me lire
la Paraklisis et la prière de Basile le Grand. Le diable se dressa
invisiblement contre lui et le tira fortement en arrière par son
rasso, tandis qu'une autre fois, tandis que le prêtre lisait les
exorcismes, le diable aboyait comme un chien."
Kostis
réussit à s'affranchir des importunités sataniques. Mais l'ennemi
n'avait pas l'intetion de le laisser définitivement tranquille. Il
l'éprouva d'une autre façon, plus difficile à discerner. Souvent,
il sentait qu'à son esprit se présentait la silhouette vivante de
l'apôtre Paul; Il s eprésentait, grand, avec ses vêtements
habituels, les mains appuyées sur un grand bâton, prenant tantôt
une expression, tantôt une autre. Et d'autres fois, c'est l'Evangile
qui apparaissait à son esprit, et étaient prononcées des phrases
distinctes, celles qu'il avait employées dans ses discussions avec
d'autres. Ces phénomènes, il les considérait comme des produits de
la grâce. Et l'Ancien Daniel eut grand-peine à le persuader qu'ils
appartenaient à l'illusion et qu'il ne fallait pas les accepter.
Il est
extraordinaire de constater que, bien que Kostis eût abandonné le
spiritisme et vécu une vie chrétienne intense, l'ennemi le
tourmenta encore par des pseudo-révélations et des pseudo-visions.
Prenons seulement connaissance de ses combats dans le domaine de la
prière. Il allait chaque matin à l'église des Saints-Anargyres; il
disait les Mâtines et le Canon des saints. Puis de retour chez lui,
il disait dans sa chambre le canon de saint Jean Damascène à la
Mère de Dieu, l'Acathiste, le Canon de tous les saints et le Canon
au Très Doux Jésus. Et lorsqu'il allait à cheval faire une visite
médicale dans un village voisin, il récitait de nombreux canons
paraclitiques adressés à différents saints, les Vêpres et les
Complies, et s'il était en retard, il disait par coeur le "Plus
Vénérable que les chérubins...". Et malgré tout cela, si la
sagesse et le discernement de l'Ancien Daniel n'étaient pas venus à
son secours, il aurait été en danger de devenir la proie de
l'erreur.
Le
cas de Kostis était fort difficile de l'aveu général, mais avec sa
patience, ses prières et ses nombreuses lettres, l'Ancien Daniel
réussit à le délivrer des chaînes de l'ennemi rusé. A ce sujet,
le Frère du Seigneur a écrit : " Celui qui ramène un pécheur
de son égarement sauvera son âme de la mort et couvrira une
multitude de péchés" ( Jc 5, 20).
4.
Vers les demeures célestes
Les
cinquante années de l'Ancien Daniel aux Katounakia furent tissées
par les travaux assidus de la paternité, la direction spirituelle de
ses disciples qui suivaient "le chemin ensanglanté" de la
vie angélique (1), la création de ce refuge spirituel sur les
pierres arides des Katounakia, le combat journalier pour la
sanctification personnelle, le divin amour de l'ascèse et sa
bienveillance envers chaque frère, celui-ci l'eût-il affligé.
Toute une vie! Il avait maintenant dépassé les quatre-vingts ans. "
L'homme, ses jours sont comme l'herbe; comme la fleur des champs, il
fleurira" ( Ps 102, 15).
L'Ancien
était vraiment une fleur rare dans le grand jardin de la Toute
Sainte. Et les fleurs de ce jardin embaument après leur chute à
terre. Elle répandent une odeur suave, liée à leur mémoire, aux
portées de leur vie, à leur simplicité, à leur "imitation de
la vie du Christ" et à leur renoncement à leur "moi".
La
demeure périssable ne cessa jamais de le tourmenter. "
L'écharde dans la chair" fait souffrir tous les saints. Dans
une de ses lettres adressée à l'un de ses très fidèles fils
spirituels, en date du 26 avril 1923, il écrit : " Ta lettre
m'a trouvé sur mon lit de douleurs, où j'ai enduré l'oppression et
la fièvre d'une sorte de grippe, et un oedème de l'oeil droit sur
et sous la paupière me donnant des douleurs insupportables. Mais tes
supplications et tes prières ont abouti à ce que tu n'apprennes pas
subitement la mort de ton père, et qu'après ces six jours pénibles,
je me rétablisse."
L'été de
1929 fut le dernier où il se délassait dans le parloir frais,
conversant avec Alexandros, ses visiteurs ou ses enfants spirituels.
La mauvaise saison arriva un peu en avance. Il dut s'aliter à cause
d'un fort refroidissement. Il voyait ses disciples qui luttaient pour
le soigner; il se voyait lui-même perdre ses forces. Mais il était
tout joyeux. Lorsque le cultivateur voit les épis dorés dans les
champs, il oublie toute sa peine. Et lui, quittant le monde, laissera
une meule de blé bénite... et lui, l'Ancien Daniel le Nouveau (1),
qui fut un ascète discret, un prêtre très pieux, excellent
musicologue, ayant une voix angélique.
(1)
: ( Daniel le Nouveau ou Daniel le Jeune : façon habituelle de
distinguer un Ancien qui porte le même nom que son père spirituel.
( NdE).).
Le
8 septembre, le jour de la Nativité de la Très Sainte Mère de
Dieu, l'âme de l'"oiseau céleste" s'envola dans les
demeures célestes.
Dans
la soirée précédente, il fut trempé d'une sueur froide et dit : "
Mes Pères, je voudrais communier, je ne me sens pas bien."
"Nous
l'avons communié, raconte le Père Gérontios. Les larmes aux yeux
et la voix tremblante, il nous donna, à nous, ses disciples réunis
à son chevet, ses derniers conseils et bénédictions.
"
Géronda, et nous, qu'allons-nous devenir?
-
Le Christ récompensera vos peines."
Et
il nous bénit et il nous prédit pour l'avenir :
"
Dieu n'est pas injuste, mes enfants. Vous m'avez bien aidé. Il
enverra des anges pour vous servir. Et la calyve, il vous faudra
l'agrandir; vous aurez deux prêtres et de nombreux moines vont
venir."
Après le
milieu de la nuit, il bougeait difficilement la langue, et ses lèvres
pâlirent. Il parlait beaucoup, mais on ne le comprenait pas. Le
matin, il y eut la Sainte Liturgie dans la calyve. Deux ou trois
heures passèrent. Son visage rayonnait; il souriait dans une sorte
d'extase. Après les Saintes Huiles, il s'en alla. Combien il
paraissait heureux de partir en ce jour de fête de sa grande
Protectrice, la Très Sainte Mère de Dieu."
Dieu le
rappela à l'âge de quatre-vingt-trois ans, au plus haut de sa vie
spirituelle, rempli d'une immense tranquillité d'esprit, d'une
sagesse profonde, clairvoyante, très douce et miséricordieuse, et
chargé de fruits spirituels.
L'annonce
de sa mort s erépandit comme l'éclair sur la Sainte Montagne. Deux
jours plus tard vint la lettre d'attestation suivante de la Grande
Lavra : " La perte de l'Ancien Daniel d'ééternelle mémoire
n'est pas une perte locale, mais une perte générale pour notre
sainte région... Dans la personne du bienheureux Daniel, la Sainte
Montagne a perdu une sainte figure de la lignée athonite
contemporaine."
Et
les pères de la sainte skite de Kavsokalyvia, dans une lettre de
condoléance, écrivirent : " Il faudra vivre encore. Le défunt
était le cautère de tout innovateur et un grand conducteur de la
vie athonite, et, par ses écrits, il a irrigué les âmes orthodoxes
et tous les coeurs vacillants."
Sois bénis,
Ancien Daniel, qui honoras notre infertile terre d'ascèse de tant de
fruits abondants. Oui, en vérité, "l'Esprit de Dieu réside en
toi, et il se trouve en toi lumière, intelligence et sagesse
extraordinaire" ( Dn, 5, 14).
VI
CONSEILS ET ENSEIGNEMENTS DE L'ANCIEN DANIEL.
EXTRAITS DE
SES ETUDES, ECRITS ET LETTRES
1.
Le combat spirituel
L'ennemi de
nos âmes s'évertue de toutes ses forces à jeter l'homme dans les
passions de la chair et de l'esprit, au moyen du corps et des
attraits du monde; Ne pouvant pas obtenir du premier coup sa mort
spirituelle, l'ennemi dirige ses attaques sur les parties
rationnelle, irascible et concupiscible de l'âme.
Sur la
partie rationnelle, il exhibe les mauvaises supputations de
l'incroyance, la curiosité malsaine, la critique des réalités
difficiles à comprendre dans la Sainte Ecriture et dan sles
Mystères, l'imprudence, la présomption et la suffisance.
Et
pour la partie concupiscible, il apporte le désir des choses de la
terre, les occasions d eplaisir, les impulsions de la chair, et tout
ce que le vieil homme inspire pour souiller l'âme.
Et
enfin pour la partie irascible, il procure le zèle intempestif, la
réprobation, l'envie, la désobéissance, l'opposition, la prétendue
justification de soi : " Un tel m'a fait cela et s'est montré
si ingrat, mais bien que manifestement il me haïsse, je l'aime."
En
n'étant pas attentif à ces choses, on devient l'objet des passions.
Pour
vaincre les grandes passions, le combattant doit être en éveil dès
les premières attaques qui ne sont que des flèches d'enfant. Et
Dieu veuille qu'ainsi, sans dévier et sans chanceler, il puisse
gravir toute l'échelle des vertus.
En
ce qui concerne la partie irascible, il faut toujours résister par
la charité, la longanimité, la tolérance et supporter
courageusement toutes les accusations et ingratitudes des frères.
C'est ainsi que l'homme parvient à la perfection, à la bienheureuse
humilité et à la charité accomplie.
Dans les
écrits ascétiques des saints Pères, les lecteurs verront de quelle
façon purifier les trois parties de l'âme, je veux dire
l'irascible, la concupiscible et la rationnelle, et comment bannir le
vieil homme.
Ils y
verront les raisonnements insidieux, la volupté de l'âme et la
passion du corps.
Ils y
verront toutes les machinations de Satan.
Ils y
seront instruits sur le "connais-toi toi-même" et sur la
condamnation de sa propre conscience dans des faits très subtils, et
ils y observeront l'estime idolâtre de soi-même qui ne permet pas
d'avancer spirituellement.
Lorsque tu
iras vers ton père spirituel pour te confesser, ne te présente pas
comme un accusateur public, en disant : " un tel a dit ceci, un
tel cela", mais dis ce qui t'apportera le pardon.
Sans le
jeûne, on ne parvient pas à la vraie prière et l'on n'accomplit
pas la pure virginité. Et le chrétien, s'il n'asservit pas son
corps par le jeûne qui convient, ne pourra porter la croix de notre
Sauveur Jésus, ni Le suivre.
Notre
Sauveur Jésus, nous laissant un exemple, a jeûné quarante jours et
quarante nuits. Et quand? Après Son baptême. Ceci pour nous montrer
que tout chrétien baptisé doit jeûner, selon son pouvoir.
Au
sujet d ela lecture des livres saints :
Après
avoir fait ta prière à Notre Dame la Mère de Dieu, accomplis trois
prosternations devant sa sainte icône, et après lui avoir demandé
sa grâce, lis alors ton livre avec une extrême attention.
2.
La vie monastique
La vie
monastique, c'est une grande institution éducative, où l'on apprend
ce qu'est la vie selon le Christ, et où la rigueur évangélique est
accomplie en toute chose.
Pour vivre
en moine, il faut éviter les divers pièges du fourbe Satan et les
trames fort embrouillées d'une vie qui incite au péché, et
s'exercer à une vie en complète harmonie avec la perfection
évangélique.
Les
Pères théophores de l'Eglise ont posé comme premier fondement de
la vie monastique la bienheureuse obéissance, qui va de pair avec la
pauvreté en esprit, qui est la première des béatitudes.
L'obéissance,
telle qu'elle est définie dans la perspective monastique, arrache
toutes les radicelles de la vaine gloire et les innombrables
machinations des démons. Elle rend le travailleur de l'obéissance,
pauvre en esprit, affable de coeur, affligé, miséricordieux,
pacifique; en un mot, l'obéissance le remplit des divines béatitudes
du Christ.
Le
silence, chez les moines, doit être fait d'une plénitude de
charité, et non pas de rudesse ni de dédain.
De
même que la saleté est liée au corps et la rouille au fer, le fait
de sortir de son monastère peut souiller la noblesse de l'âme d'un
moine.
Ô
moine, lorsque tu rencontres un autre moine qui te demande comment tu
t'appelles, de quelle communauté tu es, etc., réponds-lui avec
prudence et brièvement. Mais toi ne le soumets pas à des questions
semblables. Que ta propre clef n'ouvre pas la porte de l'autre.
3.
Elévation spirituelle
Lorsque le
chrétien parvient à la pureté du coeur, il accomplit alors les
commandements du Seigneur, et alors il "voit Dieu",
c'est-à-dire qu'il reconnaîtra clairement dans son coeur les
énergies de l'Esprit Saint. Illuminé par celles-ci, il devient un
guide infaillible pour les autres, il saisit les sens révélés de
l'Ecriture Sainte, et la nature non seulement des êtres, mais aussi
de la vérité. En conséqence, il parvient au discernement, à la
clairvoyance, à l'impassibilité, d'où provient l'action des
révélations divines et des miracles.
Tous
ceux qui ont excellé dans la virginité et la sainteté, et ont reçu
d enombreux dons de l'Esprit, en ont été rendus dignes grâce à la
protection de Notre Dame la Mère de Dieu.
Pour garder
intacte la virginité combattante, il faut, avant tout, avoir une
grande dévotion à Notre Dame, la Mère de Dieu, en l'invoquant avec
ardeur. Le vêtement incorruptible de la virginité est obtenu non
seulement par les combats des ascèses individuelles qu'il faut
pratiquer, mais aussi, et principalement, par la grâce accordée par
la Toujours Vierge Marie, qui purifie toujours les âmes des vierges.
Celui qui
exerce l'ascèse dans la virginité doit faire attention de purifier
son âme de toutes pensées sensuelles que produit le malin dans
l'intellect pour souiller l'âme. Il doit chasser de telles pensées
par la prière de Jésus et par l'invocation du nom de Notre Dame, la
Mère de Dieu, qui sait purifier les âmes de ceux qui sont vierges.
4.
Le vice de la suspicion
La
suspicion, en temps de paix, apporte le trouble et la
mésintelligence. La suspicion ne connaît jamais la vérité même
si les yeux la voient et que les circonstances parlent de bonté et
d'amour. La suspicion déforme tout et persuade son amant de croire à
un mensonge plutôt qu'à la vérité des choses qu'il voit.
La
suspicion est un photographe mauvais et grotesque qui, en
photographiant, déforme l'image de ce qui est devant lui.
Quand celui
qui souffre de suspicion reçoit des épreuves, soit des hommes, soit
de Dieu pour sa correction, soit même de conjonctions naturelles, il
suppose que ces épreuves lui sont suscitées par tel ou tel et
condamne gratuitement quelqu'un qui n'est en rien responsable de
celles-ci.
Pour donner
une illustration frappante de ce délire funeste, je vous parlerai
sans passion d'un moine défunt de la Petite-Sainte-Anne, le Père
Théophane. Comme nous l'avons appris, celui-ci, complètement sous
l'emprise de cette maladie, se sépara de ses frères et de ses
voisins, déclarant que tous le détestaient, que lui seul
connaissait la vérité et que tous les autres étaient exécrables.
Il souffrait ainsi parce que sa suspicion lui faisait voir ces
choses, qu'il s'y soumettait et s'appuyait sur elles.
Si,
mon cher, un concile oecuménique, réuni par les saints pères,
condamnait ceux qui sont ainsi trompés par leur suspicion, ceux-ci
ne s erendraient pas pour autant, et continuant à penser qu'ils ont
raison et que les saints pères sont dans l'erreur (1).
(1)
: ( Lettre à Kallinikos l'Hésychaste, du 1er février 1896).
Frères,
enfuyez-vous bien loin du fruit monstrueux de la suspicion!
Autant, à
ses débuts, cette maladie peut paraître bénigne et secondaire,
autant, au contraire, si elle n'est pas prise de court, elle pourra
devenir grave et porter des conséquences funestes. Le dragon fourbe
suggère habituellement cette passion du soupçon aux âmes sottes et
vaines; c'est pour cette raison qu'elles sont prises par les passions
de l'envie et du ressentiment.
Par
conséquent, lorsqu'un frère cède aux suggestions d ecette passion,
il prendra d'abord la mauvaise curiosité comme auxiliaire et comme
défenseur, et par la suite il considèrera comme réel ce que lui
suggèrent ses pensées.
Lorsque
cette affection devient chronique, l'ennemi apporte alors au frère
toutes sortes d'imaginations afin d el'égarer, et d elui faire
perdre la raison; que le Dieu Très Bon et Seigneur veuille nous
préserver de cela!
Pour se
prévenir de ce mal exécrable, le frère doit, dès son apparition,
le fuir comme un venin mortel, en le frappant d'ignominie par une
confession pure et un bienheureux blâme de soi-même.
5.
Orthodoxie et hérésies
Les
Protestants, qui ont abandonné beaucoup de traditions sacrées et
beaucoup de tout ce qui conduit sur le chemin rude et resserré,
n'accomplissant plus même les jeûnes, les veilles nocturnes, les
prières, ces moyens qui font canoniquement partie de la vie des
solitaires, ont, par malheur, convaincu quelques-uns des nôtres, qui
ont été formés en Europe, et pour ne pas dire leur plus grande
partie. Et par beaucoup d'insinuations perfides et de sophismes, ils
ont tenté de bouleverser la pensée orthodoxe dans son ensemble.
Nous, les
moines, nous devons être les colonnes inébranlables d
el'Orthodoxie.
Les
moniales, lorsqu'elles lisent chaque jour les Vies des saints, ne
remarquent-elles pas le zèle de Dieu qu'ils nourrissaient pour
l'Orthodoxie.
Je
mettrai sous vos yeux la très sainte Mélanie. cette sainte ne
surpassa-t-elle pas beaucoup de vierges saintes dans la vie
solitaire, à la fois par la pratique et par la contemplation?
Abandonnant
la tranquillité et la solitude, elle est partie pour Constantinople
où vivait son oncle Voulysianos qui, éparche de Rome, était donc
soumis à l'hérésie de Nestorius et de Sabellius. C'est bien pour
cela et cela seulement qu'elle s'y rendit. Au moyen de diverses
démonstrations tirées des Ecritures et aussi par as vie angélique,
elle convainquit son oncle de renoncer à son impiété, et il devint
un serviteur du Christ, très fidèle...
Elle ne
convertit pas seulement son oncle, mais encore un très grand nombre
de nestoriens.
Si
cette sainte n'avait pas connu la pensée de l'Eglise orthodoxe,
comment aurait-elle pu faire face à une telle hérésie et obtenir
ces trophées (1).
(1)
: ( Lettre à l'higoumène Théodosia, 17 janvier 1924).
Voici ce
qui arriva à l'une de mes cousines germaines, qui aimant un riche
catholique de l'occident, l'épousa, avec l'accord, même, de ses
parents. Et moi, étant encore à Smyrne, j'ai blâmé ceux-ci, ainsi
que ma cousine et même le père du marié, en leur disant que cette
"union dénaturée" détruirait les deux parties, et cela
arriva. A la naissance de leur enfant, ma cousine mourut dnas
d'horribles souffrances, tandis que ce même jour son beau-père fut
frappé d'une attaque d'apoplexie foudroyante. A partir de là, les
parents de ma cousine connurent beaucoup d'épreuves et une triste
fin (1).
(1)
: ( Lettre à N. Rengos du 23 février 1923).
Lorsque
j'écris ces traités antihérétiques, j'invoque Notre Dame la Mère
de Dieu, et je puise toutes mes preuves scripturaires chez les Pères
de l'Eglise.
Il
faut que le chrétien reste ferme sur tout ce qu'il a reçu de
l'Eglise orthodoxe, et qu'il n'accorde pas la moindre audience à ces
dévastateurs, seraient-ils prêtres, évêques, professeurs ou
maîtres spirituels, qui introduisent et enseignent par des sophismes
apparents, des choses contraires à la vérité orthodoxe et aux
saintes traditions.
V
L'ANCIEN
ISAAC DE DIONYSIOU
"Il
était un modèle de simplicité, de rigueur, de piété, de silence
et d'assiduité en tout, un exemple pour tous les autres pères."
(Archimandrite
Gabriel de Dionysiou).
Prologue
Les saints
de Dieu peuvent être comparés à des fleurs de couleurs variées.
Les couleurs diffèrent, mais sous leurs différences se cache le
pinceau du même Artiste. Selon les mots de l'apôtre Paul : "
Il y a diversité de dons, mais c'est le même Esprit." Cette
vérité est confirmée chaque fois que nous présentons la vie d'un
saint moine athonite.
Chez
Callinique l'Hésychaste, nous avons vu les reflets de la lumière du
Thabor; chez Joachim de la skite Sainte-Anne nous avons admiré le
zèle et le témoignage; Daniel des Katounakia nous a émerveillés
par sa perspicacité et la profondeur de sa sagesse, et Athanase de
Grigoriou par ses élans liturgiques et sa componction. Dans ce
cinquième chapitre, qui présente la vie de l'Ancien Isaac de
Dionysiou, nous goûterons un arôme divin extraordinaire.
Le
Père Isaac appartient à cette catégorie très rare de moines que
Dieu envoie dans des monastères qui ont attiré Sa faveur. De tels
hommes, comme des colonnes divinement édifiées, fortifient et
soutiennent les grandes fondations monastiques. Leur présence est
une source d'abondantes bénédictions, un fleuve qui "réjouit
la cité de Dieu". Heureux sont ceux qui sont dignes de vivre
dans de telles cités de Dieu!
Je me
souviens du temps où mes rêves de jeunesse me conduisirent au
monastère de Dionysiou, quelques années seulement après son repos;
Tout le monde parlait du saint Abba isaac; Les merveillesde sa vie
s'imprimaient en moi sous les couleurs les plus vives et les plus
indélébiles. Je n'ai jamais cessé de me faire raconter ses vertus
et d'avoir le projet de publier sa biographie.
L'Ancien
Isaac n'a pas atteint aux sommets de la sainteté grâce à des
études théologiques. Il n'avait pas beaucoup de lettres et n'avait
pas non plus "une bouche éloquente et fleurie". Il n'avait
pas aspiré à de hautes positions dans le monastère, ni à la
prêtrise. Il s'était plutôt distingué par sa simplicité, sa
droiture et son coeur pur tout dévoué aux principes monastiques.
Comme moine cénobitique, il aimait de toute son âme le Christ et
l'adorait. Il suivait avec rigueur le chemin étroit de l'ascèse,
sans en dévier ni à droite ni à gauche. Et c'est ainsi qu'il a été
couronné. Car personne "ne reçoit la couronne que s'il a lutté
suivant les règles" en "prenant sa part de souffrance, en
bon soldat du Christ Jésus" ( 2 Tm 2, 5 et 3).
Dans ce
chapitre, nous aurons l'opportunité de respirer la sainte atmosphère
de ce grand monastère historique de Dionysiou. En ce lieu, la Reine
de la Sainte Montagne n'a jamais cessé de faire fleurir des lys de
sainteté. Le vénérable Précurseur en est toujours le protecteur,
et le saint patriarche Niphon (1) y prêche encore la plus haute
humilité.
(1)
: ( Ancien moine de Dionysiou ( voir infra).).
Pour la
rédaction de ce texte, nous avons reçu l'aide du vénérable
archimandrite Gabriel de Dionysiou, un vétéran et guide de la vie
athonite, l'aide aussi du bien-aimé et respecté Ancien Lazare de
Dionysiou, un travailleur éprouvé dans la vigne spirituelle, qui a
mis à notre disposition ses manuscrits, l'aide enfin de l'Ancien
Barthélémy, ermite, hésychaste dans les terribles Katounakia, et
bien d'autres encore. Eux tous ont vécu et travaillé avec le
bienheureux Ancien Isaac, et ont conservé la mémoire de sa vie
angélique, sainte et bénie. Nous les remercions tous.
I.
LE DEBUT DU VOYAGE
1.
Ses premières années
L'Ancien
Isaac naquit en 1850 dans le village de Kavvaklia d'Adrianoupolis,
une région limitrophe de la Bulgarie. Ses pieux parents lui
donnèrent le nom de Jean Georges. Le petit Jean reçut peu
d'instruction, ce qui n'eut pas une grande influence sur son
évolution. Car, si ce ne fut pas une aide, cela ne l'empêcha pas de
tracer fermement sa route vers la perfection et la sanctification.
Ses
parents étaient fermiers et trop pauvres pour lui donner une
éducation. C'est par lui-même qu'il trouva son chemin vers le
Christ. En gardant les moutons de son père dans les vallées et les
pâturages, il déchiffrait les Vies des saints Pères. Comme il
était heureux ce jeune berger quand il ouvrait la porte d ela
bergerie et emmenait gaiement son troupeau vers les pâturages,
tenant son bâton d'une main et les Vies des saints de l'autre!
Il
traversait des espaces sauvages et des cols, marchant dans la bonne
odeur des sapins et l'air pur de la montagne, toutes choses qui
conduisent toujours les petits montagnards à aspirer aux ascensions
spirituelles.
C'est ainsi
que, en compagnie des oiseaux du ciel et de ses chiens fidèles, Jean
avançait vers la maturité. Et tandis que les années passaient, son
coeur se gonflait d'un saint désir et s'enflammait du feu céleste
de la vie monastique. Peut-être avait-il lu quelque part : " Tu
ne peux devenir moine si ton désir n'est pas un feu consumant."
Sur les
versants des collines de la Thrace du nord-est, il conduisait ses
brebis vers les verts pâturages, les paroles du Seigneur réjouissant
son coeur : " je suis le Bon Pasteur. Le bon pasteur donne sa
vie pour ses brebis... Je connais mes brebis, et mes brebis me
connaissent." De même que Jean connaissait chacune de ses
brebis, ainsi le Christ connaît chacun des siens - et le jeune
berger faisiat partie de son divin troupeau. Il était le berger de
ses propres brebis et était en même temps une brebis bénie du
troupeau du Seigneur. Le Bon Pasteur qui "connaît ses brebis"
connaissait le coeur de Ioannis, ses désirs et ses joies. Il était
"chosi", élu. Et dans le champ de son âme poussait une
fleur des plus rares : le désir du martyre non sanglant, l'appel à
la vie monastique.
"
Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent." Cette
"connaissance" était un amour réciproque, doux et
brûlant, entre le petit Ioannis et son très doux Jésus. Avec le
temps, cette "connaissance" allait devenir pour le jeune
berger, pur et simple, la connaissance d ela volonté de Dieu. Alors,
lorsque, sur le sommet d ela montagne, il chantait des hymnes de ses
lèvres innocentes ou jouait de simples mélodies sur son pipeau de
berger, son esprit et son coeur cherchaient la volonté de Dieu. Il
aspirait à la sainteté des saints moines, à cette pureté si
difficile à atteindre, "sans laquelle on ne peut voir Dieu".
Ainsi,
quand cette pensée mûrit en lui, il partit courageusement pour le
Mont-Athos. Il demanda à ses parents leur bénédiction. Ils la lui
donnèrent de bon coeur, lui faisant leurs adieux et le confiant à
Dieu. heureux sont ces parents qui confient leurs enfants au
Seigneur! Quelle plus grande bénédiction et honneur peuvent-ils
avoir que d'offrir un enfant au Dieu d etout l'univers?
Les parents
de Ioannis embrassèrent leur fils et le virent partir avec joie. Le
Christ avait frappé à leur porte et leur avait demandé leur fils,
et ils ne lui avaient pas refusé. En cela, ils étaient comme
Abraham, qui, entendant la voix de Dieu, n'hésita pas à sacrifier
Isaac, son fils bien-aimé.
2.
Sur la montagne du Seigneur
Arrivé à
la Sainte Montagne, il semble que Ioannis "visita" comme
pèlerin de nombreux monastèress et ermitages. Qu'y admirait-il le
plus? La nature? Bien qu'il fût habitué au plein air et à un
environnement naturel, il était émerveillé par less paysages du
Mont-Athos, toujours changeants - les grandes forêts sans fin, les
torrents étincelants, les smontagnes abruptes, le sommet majestueux
de l'Athos, l'immensité de la mer...
Tout y
était imprégné d'une grâce mystique. Que pouvait-on admirer le
plus? Les monastères royaux s'élevant comme des tours ou les
humbles calyves, cabanes et ermitages? Les églises principales
byzantines et les chapelles annexes couvertes de fresques
incomparablesde l'art iconographique? Les illustres icônes
miraculeuses des saints? Leurs reliques qui embaument et qui sont
porteuses de miracles? Les bibliothèques avec leurs richesses
spirituelles inestimables?
Le Mont
Athos est un fragment de Byzance qui vit et respire encore; il est
une résurgence de la vie ecclésiastique du passé, qui jamais ne
pourra tarir. C'est là qu'on peut sentir la pulsation de la pratique
liturgique orthodoxe, qui donne vie et souffle au corps de l'Eglise,
avec la même force et puissance que du temps de Byzance.
"
Pour un observateur pieux et expérimenté, le Mont-Athos apparaît
comme une réalité infinie emplie d'un contenu religieux très
profond, avec une manière de vivre si surnaturelle que l'on peut à
peine réaliser que l'on est encore sur terre. L'Athos est un idéal,
une expérience spirituelle, un atelier des âmes, un culte
d'adoration immergé dans les cieux. C'est l'arène des hommes saints
(1)..."
(1)
: ( Moine Théoclète de Dionysiou, Entre le ciel et la terre, 2°
éd., p 139).
Au cours de
ses voyages sur l'Athos, Ioannis fut émerveillé par-dessus tout par
les pères qui représentaient le pur idéal du monachisme athonite.
Il rencontra aussi sur sa route des moines qui ne mènent pas la vie
monastique mais fréquentent les places publiques, les ports et vont
ça et là. Ils donnent ainsi des images dénaturées de la vie
monastique, mais ils appartiennent aussi à la communauté athonite .
Regardant l'un d'entre eux, il pensait : " Que Dieu ait pitié
de ces moines ratés!" Et c'est en contemplant des images
silencieuses et d'un autre monde qu'il comblait son coeur assoiffé;
il se disait : " Regarde ces hommes indigents, sans toit,
exsangues, humbles et rejetés du monde, et cependant si près de
Dieu. Ils ont les pieds sales et ils dorment sur le sol. Ils sont
dans le monde, mais sont cependant au-dessus du monde en toutes
choses; ils sont terrestres et cependant célestes, nus mais revêtus
d'incorruptibilité; vivant dans des endroits désolés mais
connaissant la joie de la fête. Deviens un moine comme eux, afin de
ne pas travailler en vain, et de ne pas découvrir que tu es venu en
vain dans cette arène divine."
Ioannis
était transporté par la vie des ermites du Mont-Athos, et était à
la recherche d'un kellion érémitique lui convenant. C'est ainsi
qu'il fit le tour de nombreux endroits, cherchant à satisfaire son
intense désir de vie hésychaste. Dans le voisinage de la Grande
Lavra, à un endroit appelé Vigla, il découvrit un ermitage retiré.
Il se présenta à l'Ancien, qui y vivait la vie hésychaste, et lui
demanda de l'accepter comme novice. Il dut le supplier longtemps
pour obtenir la permission de rester avec lui, car il n'était pas
mûr pour la vie du désert. Cependant, dès le premier jour, il fit
preuve d'une très grande bonne volonté et d'une ferme constance.
L'
ancien le testait continuellement, et en secret il se réjouissait en
voyant la patience et l'obéissance de ce jeune athlète prometteur.
En vérité son coeur courageux et résolu se donnait tout
particulièrement au combat de l'obéissance, consacrant toutes ses
forces à sa conquête intégrale. Il avait vu d'autres novices sur
le Mont Athos qui étaient de vrais imitateurs de l'obéissant Fils
de Dieu. Ils avaient des âmes pures, une apparence joyeuse,
illuminés par la joie de la victoire, et il désirait acquérir
leurs vertus.
Mais plus
il progressait et combattait dans l'arène hésychaste de Vigla, plus
il subissait les attaques du diable. Cet ennemi des moines, ancien et
expérimenté, connaît mille et une façons pour ruiner leurs
progrès. Il s'attaqua à ce novice come il l'avait fait contre saint
Antoine le Grand. Ceux qui allaient rencontrer ce patriarche du
désert enfermé dans sa forteresse " entendaient à l'intérieur
de celle-ci comme des foules tapageuses, des coups et le bruit de
grognements pitoyables." Quelque chose de semblable se passa
pour Ioannis quand le démon se voyait battu dans ses autres
attaques. Il était jaloux de sa détermination et de son zèle, et
il essayait de l'effrayer en l'épouvantant. Quand Ioannis priait la
nuit, il était assailli par toutes sortes de bruits à l'extérieur
de sa cellule : des voix, du remue-ménage, du fracas. Souvent, il
pensait que c'était son Ancien qui frappait à sa porte. Alors, il
se levait et demandait :
"
Bénissez, Géronda! Vous m'appelez pour l'office?
-
Non, mon enfant, sois tranquille et dors. Il est encore tôt",
lui répondait son Ancien qui savait qu'il était sous l'emprise
d'interventions démoniaques.
De telles
tentations et frasques du démon l'éprouvaient continuellement. Tout
cela fut permis par Dieu afin d'orienter Ioannis sur un chemin
monastique qui serait plus sûr pour lui.
Celui-ci,
plusieurs années après, dit au frère Lazare :
"
Quand j'ai réalisé que tout ceci était des manifestations
diaboliques et des tentations, je fus grandement effrayé. Je ne
pouvais pas l'endurer. J'ai décidé de ne pas rester plus longtemps
dans le désert, mais d'aller dans un monastère cénobitique. J'ai
quitté ce lieu et suis venu dans votre monastère, Dionysiou, où je
suis resté."
3.
Au saint monastère de Dionysiou
"
Lorsque du quai, le visiteur lève la tête pour regarder le
monastère, il lui apparaît brillant dans le vide de l'éther, et,
la nuit, les petites lumières des cellules se mêlent aux étoiles
du ciel. En général, aussi bien de près que de loin, il ressemble
à une forteresse médiévale, avec ses murs élevés et sa haute
tour centrale dotée de créneaux dentelés. (1)."
(1)
: (Archimandrite Gabriel, Le Saint monastère athonite de Dionysiou,
p. 16).
Dans ce
monastère, qui occupe une place prépondérante dans la vie de la
grande communauté athonite, dans ce château fort inexpugnable du
monachisme byzantin, entrait avec "le consentement divin"
le novice Ioannis pour y mener la vie cénobitique. Quels sentiments
n'a-t-il pas éprouvés quand il posa le pied sur le quai du
monastère! Il leva les yeux un moment et vit cette phénoménale
maison de Dieu, qui semblait pendue à la voûte céleste et se
balancer comme un grand flambeau. Dans tout son ensemble, le
monastère se donne à voir comme une réelle splendeur. Il est fondé
sur une falaise prodigieuse qui domine le rivage escarpé. Les
cellules des moines se déploient d'étage en étage, les plus hautes
débordant sur les plus basses. Elles forment des balcons supportés
par des poutres, et suspendus au-dessus de la mer. Tel est le
majestueux monastère de Dionysiou.
Un
vrai monastère est comme une ruche qui produit le miel pur de
l'ascétisme et de l'hésychia. Selon saint Jean Climaque, un
monastère comme Dionysiou est "le ciel sur la terre" où
les moines vivent "comme des anges chantant la liturgie du
Seigneur". Il est la réalisation de la promesse du Seigneur : "
La où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu
d'eux." Il est la continuation spirituelle de la vie commune des
apôtres.
Rempli
d'émotions, Ioannis gravissait doucement le large sentier pavé qui
montait en hélice à la porte de ce monastère chargé d'histoire.
Sur sa gauche, apparaissait un grand ravin avec beaucoup de platanes
et d'autres arbres qui aiment l'eau. Ce ravin s'appelle Aéropotamos
(Air-rivière). Les vents violents de l'hiver, venant de l'Athos et
de l'Antiathos, se répandent violemment dans l'Aéropotamos avec les
hurlements d'un ouragan, et font trembler tout entière cette
forteresse divine.
4.
Des modèles lumineux
A
quelques mètres de l'entrée du monastère, Ioannis s'arrâta pour
vénérer une grande châsse en l'honneur de saint Niphon, patriarche
de Constantinople. Parmi beaucoup d'autres saints, le monastère de
Dionysiou produisit cet homme, la gloire et l'ornement du Mont-Athos
et de toute l'Eglise. Saint Niphon II fut patriarche de
Constantinople dans les années 1486-1489 et 1497-1498.
Alors qu'il
était moine, il parcourut toute la Grèce, de l'Illyrie jusqu'en
Dalmatie, avec l'archevêque d'Ochrid, Zacharie, pour combattre les
décisions du concile de Florence et défendre la foi orthodoxe.
Ensuite, Niphon partit pour la Sainte Montagne et fut reçu dans la
communauté du monastère de Dionysiou, où il fut ordonné diacre
puis prêtre.
Lorsque
mourut Parthénios de Thessalonique, les évêques, les notables et
tous les Thessaloniciens, qui connaissaient la sainteté de Niphon,
le choisirent pour être leur métropolite. Une délégation fut
envoyée au monastère pour le persuader d'accepter cet honneur.
Après beaucoup d'insistances et de peines, ils obtinrent gain de
cause. A cette époque, et plus ancinnement aussi, l'Eglise accourait
vers les monastères et les déserts à la recherche de saints
pasteurs dans ces lieux de prière et de purification.
Donc, le
saint, sous la pression de leurs supplications, accepta la charge du
trône épiscopal, travaillant humblement et infatigablement pour son
troupeau; Et Dieu l'honora encore davantage - il fut élevé au
patriarcat de Constantinople. Et sur le très haut trône
oecuménique, il brilla véritablement. Après son abdication, il se
retira à Adrianopolis, et de là il fut invité en Roumanie pour y
prêcher la parole de Dieu. Saint Niphon est reconnu par tous les
Roumains comme le sauveur de leur pays orthodoxe. L'Eglise du pape
avait trouvé là les conditions psychologiques et spirituelles pour
y introduire l'Uniatisme (1), en persuadant les orthodoxes qu'avec la
chute de Byzance l'Orthodoxie était aussi tombée, et ces derniers
auraient pu se laisser facilement séduire (2).
(1)
: ( Politique développée par l'Eglise catholique romaine, à partir
du XVIIe siècle surtout, sur le territoire canonique des différentes
Eglises orthodoxes, pour assimiler des communautés de fidèles
orthodoxes, moyennant certains avantages ( soutien politique, accès
à l'éducation...) ou concessions ( en particulier la possibilité
de conserver le "rite" byzantin, mariage des prêtres). Ont
ainsi été créées, au Moyen-Orient et dans les pays de l'Est
surtout, des Eglises dites "uniates", généralement
désignées comme "Eglises orientales catholiques" ou
"Eglises de rite byzantin rattachées à Rome" ( NdE).).
(2)
: ( Archimandrite Gabriel, op. cit., p. 151).
Par une
reconnaissance immense envers cette oeuvre de saint Niphon, la
Roumanie voulut que ses archevêques portassent son nom. Elle donna
aussi à l'une des rues principales de la capitale le nom du
patriarche (Strata Patriarch Niphon).
Après une
absence d'environ quarante ans, l'ardent patriarche, alors âgé et
méconnaissable, décida de retourner à son bien-aimé "lieu de
repentance", le monastère de Dionysiou. Ce Père de l'Eglise
digne d'admiration désirait vivre caché le reste de sa vie, comme
un simple moine, en taisant son rang et son titre. Il supplia d'être
accepté au monastère en promettant l'obéissance même pour les
travaux les plus bas. Il fut accepté comme novice et fut affecté au
soin des animaux du monastère. Il devait les nettoyer et leur
apporter de la nourriture et de l'eau. Et la nuit, il devait rester
en vigie sur un rocher situé au-dessus du monastère pour surveiller
le large. En cette période, on redoutait les pirates qui infestaient
toute la mer Egée. Le patriarche oecuménique accomplissait ses
obédiences avec empressement et humilité.
Mais Dieu
ne voulut pas que soit abaissé plus longtemps son humble serviteur.
Une nuit, le saint Précurseur, le protecteur du monastère, apparut
à l'higoumène dans son sommeil et lui dit :
"
Pendant combien de temps allez-vous avoir le patriarche oecuménique
- celui qui a sauvé des milliers d'âmes - comme votre garçon
d'écurie? Lève-toi, réunis les pères, et allez l'accueillir avec
l'honneur qui convient.
-
Mais qui est-il, Saint de Dieu, Qui est le patriarche oecuménique?
demanda l'higoumène avec perplexité.
-
C'est Niphon, celui que vous appelez Nicolas, et que vous avez mis
avec les animaux. Il a montré assez d'humilité; même les anges
dans le ciel sont frappés d'étonnement."
Et
l'higoumène se réveilla, effrayé par ce rêve. Quelques-unes de
ses interrogations étaient maintenant clarifiées, comme le
phénomène de la colonne lumineuse qu'il voyait quand le saint
priait la nuit en montant la garde au sommet de son rocher.
Immédiatement, l'abbé frappa la simandre et réunit tous les pères,
et en procession, les moines, les prêtres, avec des flambeaux et des
héxaptériges, sortirent au-delà de la porte d'entrée pour aller à
la rencontre du patriarche quand il reviendrait de la montagne avec
les animaux. Quand le saint découvrit que son identité avait été
découverte, il essaya de se sauver, mais les pères, sur l'ordre de
l'higoumène - avec un infini respect - s'empressèrent de le saisir.
Ils lui firent tous une métanie et lui demandèrent pardon, car dans
leur ignorance, ils ne s'étaient pas comportés envers lui comme il
convenait à sa vénérable personne.
Le
saint resta au monastère jusqu'à sa mort, comme il le désirait. Il
y vécut dans la sainteté durant treize années et mourut le 11 août
1515, à l'âge de quatre-vingt-dix ans.
Aujourd'hui
ses reliques sont conservées au monastère dans une admirable
châsse; Cependant son crâne et sa main droite ont été transférés
en Roumanie en 1520, où ils sont gardés au monastère de Curtea de
Arges. Là, du 11 au 15 août, a lieu chaque année une grande fête
religieuse pour célébrer le patriarche, avec l'afflux de milliers
de personnes qui viennent de toute la Roumanie.
L'émouvant
échange entre le saint et les pères du monastère se passa à
l'endroit d ela châsse, où se tenait maintenant Ioannis - ne
sachant pas bien sûr son histoire exceptionnelle. Il la regarda
attentivement, dit une prière, se signa à nouveau, et continua son
chemin pensivement.
En
dehors de ce grand saint, beaucoup d'autres vécurent dans le
monastère de Dionysiou : saint Denys, le fondateur du monastère, et
saint Dométios, qui fut le père spirituel du précédent; les
saints martyrs Macaire et Joasaph; saint Léonce le Myroblite, qui ne
sortit pas du monastère durant soixante ans; saint Philothée; les
saints martyrs Gennade, Joseph, Christophe et Paul; et aussi saint
Nicodème de la Sainte Montagne, qui fut tonsuré moine dans ce
monastère.
Quelle
bénédiction pour Ioannis de devenir moine dans un tel monastère!
Son propre nom était inscrit dans le livre du monastère où étaient
consignés les noms de ces modèles lumineux.
II.
DANS L'ARENE CENOBITIQUE
1.
Mon frère, pourquoi es-tu venu?
De 1869 à
1874, l'higoumène du monastère était le Père Jacques le
Lacédémonien. C'est en 1872 qu'entra au monastère Ioannis à l'âge
de 22 ans. A cette époque, le monasstère comptait environ cent
moines. Les monastères étaient florissants en ces temps, et
l'admission dans une communauté n'avait lieu qu'après une stricte
et sérieuse probatoire des novices.
L'aspirant
moine se présenta à l'higoumène. Dès qu'il le vit, le supérieur
comprit que l'âme de Ioannis avait comme première vertu la
simplicité. Pour le tester, il lui dit alors quelque choses de très
audacieux : " Ici, dans le monastère, mon enfant, une parfaite
obéissance est exigée. Par exemple, si je te disais de te jeter de
cette fenêtre sur les rochers et dans la mer, le ferais-tu?"
Aussitôt
Ioannis répondit avec sa simplicité particulière : " Je
m'empresserais de sauter, Géronda. mais j'ai l'idée que vous me
rattraperiez par les pieds lorsque je tomberais."
Il dit cela
très sérieusement.
Jamais,
dans aucune circonstance de sa vie, il ne critiqua un ordre de
l'higoumène ou d ese supérieurs. Et même avant d'entendre un
ordre, il disait : " Bénissez!" et se hâtait de
l'exécuter avec une grande paix dans son âme et sur son visage.
L'higoumène
comprit qu'un novice d'une aussi rare qualité serait un trésor
inestimable pour le monastère. Comment ne pourrait-il pas
l'accepter? Après un temps d'épreuve, il informa donc Ioannis de sa
décision de lui donner le Grand Habit. La cérémonie de la tonsure
eut lieu dans le catholicon du monastère, qui est tout recouvert de
fresques de style byzantin, peintes pasr l'iconographe Zorzi au XVIe
siècle.
Où
sont les vains efforts du monde?
Où
est l'illusion de ce qui est temporaire?
Ne
voyons-nous donc pas que tout ceci est poussière et cendre?
Pourquoi
alors travailler en vain?
Pourquoi ne
renonçons-nous pas au monde pour suivre Celui qui a dit :
"
Celui qui veut marcher derrière moi,
Qu'il
prenne sa croix,
Et il
héritera de la vie éternelle."
C'est
ce que chantait le coeur durant l'office de la tonsure du Grand
Habit. Le candidat à la vie monastique fut rempli de joie quand
arriva pour lui le moment de prendre sur ses épaules la croix du
Seigneur, lorsque le prêtre lui demanda : " Pourquoi es-tu
venu, frère, te prosterner devant le saint autel et cette sainte
communauté? " Et il répondit de tout son coeur : " Je
désira la vie ascétique, Révérend Père."
Le
Père Isaac désirait vraiment la vie ascétique et il la vécut dans
toute son âpre intensité. Il devint, comme on le dit sur la Sainte
Montagne, un "violent" cénobitique. Jamais il ne s
eplaignit, ni ne pensa à donner du repos à son corps, ni ne se
confia à sa volonté propre.
"
Le Royaume de Dieu souffre violence" nous dit la Bible, "et
les violents le prennent par la force". Le Seigneur lui-même a
décrété que les combattants spirituels doivent être "violents".
Quand j'ai rencontré des moines "violents" sur le
Mont-Athos, j'ai perçu en eux le Royaume de Dieu.
"
Donne ton sang et tu recevras l'Esprit", c'était la devise du
Père Isaac dans chacun de ses combats ascétiques dans l'arène
cénobitique. Il mortifia ainsi son vieux moi et se fit renaître en
"l'homme nouveau dans le Christ", débordant de vertus et
de grâces comme nous allons le voir plus loin.
2.
Ses obédiences
L'Ancien
Isaac était un homme grand, fort et bien bâti. Il pouvait parcourir
de longues distances à pied dans un temps beaucoup plus court que la
normale. A cette époque, il n'y avait pas de moyens de communication
faciles ni de services postaux garantis. Ainsi donc, le monastère
choisit le judicieux Père Isaac comme étant la personne la plus
capable et sûre pour assurer le travail de postier.
Qui
pourra raconter ses travaux et ses peines dans cette obédience
difficile et lourde de responsabilités? Cela lui prenait treize
heures pour marcher jusqu'au métochion de Dévélikia à Iérissos.
Sikia et Monoxilitis étaient aussi à plusieurs heures de marche.
Mais le métochion le plus éloigné et le plus isolé était celui
de Kalamaria, près du village de Portaria en Chalcidique - une
marche de quatre jours!
Ces
distributions du courrier se faisaient cinq à six fois par an. A
travers les forêts, les montagnes et les plaines, marchait
l'infatigable Père Isaac, portant sa besace de provisions et son sac
postal. Tenant son chapelet, il offrait sans cesse sa bien-aimée
prière de Jésus. Par son pouvoir, il était délivré des pensées
mauvaises des démons, et son coeur était rempli de paix. Par la
douceur de cette prière, il ne sentait pas la peine de ses longs
voyages. Et par ses ravissements, il remplissait parfaitement son
obédience sans jamais se plaindre.
Il fit
preuve aussi d'une patience sans bornes au métochion de Monoxolitis.
Le monastère possédait là quatorze hectares de vignes, qui
produisaient le fameux vin "Monoxoliti". La culture de ces
vignes demandait beaucoup de peine, et celle-ci était augmentée par
le jeûne canonique qui était aussi strict dans le métochion que
dans le monastère principal. Et quand l'économe du métochion était
ferme et sévère, comme l'était un certain Kalymnos, qui tint cette
obédience pendant un temps, c'était alors la double peine et la
double patience. Ecrasé de fatigue, le Père Isaac s'encourageait en
s eremémorant les mots de son patron, saint Isaac le Syrien : "
Le repos et l'oisiveté sont la perdition de l'âme; ils peuvent lui
faire plus de mal que les démons."
Durant une
certaine période, le monastère nomma le Père Isaac chef des
bergers pour un troupeau de 1.700 chèvres. En les conduisant dans
les pâturages, il revivait ses années d'enfance. Il se rappelait
les rêves et les aspirations de ce jeune garçon-berger de
Kavvaklia, et il remerciait Dieu de lui avoir permis de les
accomplir. Il remplit aussi l'obédience de meunier aux moulins des
métochia de Marianon et de Métagitsiou en Chalcidique.
L'Ancien
Isaac était un homme au coeur pur, pratique et énergique, selon
tous ceux qui le connaissaient. Ainsi, tout ce qu'il entreprenait
était chargé de beaucoup de bénédictions. Il accomplissait
parfaitement ses tâches, qui portaient toujours des fruits. Ceci fut
encore plus évident lorsqu'il eut l'obédience du jardinier durant
un très long temps. Les murets en pierre du jardin connurent avec
lui leurs heures de gloire : arrangés et disposés qu'ils étaient
avec un ordre et une précision mathématiques. Tout ce qu'il semait
ou plantait, même dans des endroits secs, portait du fruit! Le
jardin fournissait plus de légumes que ne pouvait en consommer le
monastère. Alors il plaçait les surplus de fèves, de courges, de
tomates, etc., sur le bord de la route pour que les ascètes qui
passeraient par là puissent prendre ce dont ils avaient besoin. Il
fit la même chose aussi à la dépendance du monastère à Karyès.
En plus du pain séché que le monastère donnait en bénédictions,
il préparait des produits frais du jardin pour les ascètes et les
pauvres moines des skites de Koutloumoussiou.
Et plus il
donnait, plus son jardin produisait. Père Isaac avait une âme
sensible, pleine de tendresse et d'amour pour tous ses frères. Un
frère lui demanda un jour de prendre quelques poires, il lui dit : "
Prends-en autant que tu en veux; Dieu donne en double ce que tu
prends."
Il se
sacrifiait en tout pour les autres, et il ne se souciait pas de
lui-même. Il mangeait frugalement et s'habillait simplement. Dans sa
pauvreté inégalée, il était comme "l'aigle volant dans les
hauteurs" selon les mots de saint Nil. Un jour qu'il piochait
dans le jardin, il trouva deux ou trois livres-or. Il les ramassa
sans passion, termina son travail, puis les apporta à l'higoumène.
Et,
par-dessus tout, il était humble au plus haut degré. Tout au cours
de sa vie cénobitique, il recherchait les emplois les plus bas. En
cela, il imitait saint Tryphon, le patriarche-moine, qui l'inspira
tant, le toucha et lui servit de maître. II n'aurait jamais demandé
une obédience comportant autorité et responsabilité, mais voulait
toujours être comme le dernier des novices.
3.
Sa tempérance et son ascèse
Pendant
plus de soixante ans ce moine ne mangea jamais rien en dehors de la
table commune. Il pratiquait une tempérance absolue, que ce soit au
monastère ou dans les métochia qu'il visitait souvent et où il
restait pour y accomplir son obédience. Dans le monastère, la règle
pour la nourriture est très stricte. Toute viande est absolument
interdite.
Les
lundis, mercredis et vendredis, il y a seulement un repas par jour,
sans huile ni vin; S'ajoutent à cela les carêmes stricts. Même
quand il était à l'extérieur du monastère, le Père Isaac en
observait rigoureusement les règles. Durant les périodes de carême,
il était même encore plus strict. Ainsi, pour le Grand Carême, il
faisait les "trois jours", c'est-à-dire trois jours
consécutifs sans rien manger ni boire, la première et la troisième
semaine et la Grande Semaine. C'est à la fin de sa vie qu'il confia
cela confidentiellement à un frère qui le lui demandait avec
insistance.
Durant les
nombreuses années où il vécut dans le métochion de Kalamaria
comme berger des moutons, il ne mangea jamais de viande alors que
l'économe, les ouvriers et le reste de la communauté en mangeaient
souvent. L'économe, le Père Modeste, avait un grand baril de
poisson séché, préparé pour le Père Isaac, à la façon des
moines du Mont-Athos. De cela, le Père Isaac mangeait et rendait
gloire à Dieu, en étant aussi attentif à ne pas juger qu'à ne pas
manger de viande.
Au
métochion de Monoxilitis, il remplissait la charge de vigneron.
Quand les raisins étaient mûrs, il n'en mettait jamais un dans sa
bouche avant l'heure de midi, à l'exception du moment du repas.
Ayant goûté à la douceur de la présence de Dieu, il dédaignait
les biens terrestres et ne mangeait que ce qui lui était nécessaire
pour vivre. " Si nous ne méprisons pas avec plaisir les délices
du monde présent, nous ne sentirons pas avec certitude toute la
douceur de Dieu", dit saint Diadoque de Photicé.
Le futur
saint higoumène de Dionysiou, Gabriel (+1983), quand il était le
novice Georges, séjourna à Motoxilitis avec l'Ancien Isaac. Après
avoir vendangé les raisins, ils virent quelques grappes laissées
dans les vignes. L'Ancien donna ces grappes à manger à ses aides,
mais lui, il n'en goûta même pas.
"
Prenez-en, Georges.
-
Vous aussi, Géronda Isaac.
-
Je suis un moine. Cela ne convient pas.
-
Je veux moi aussi devenir moine", dit le futur higoumène.
Ainsi, par
son exemple, il enseignait les jeunes frères, et leur était utile.
"
Quelle heure est-il, Georges? Allons-nous préparer le repas?"
demandait-il souvent en ajoutant :
"
Qu'y a-t-il aujourd'hui au réfectoire du monastère?
-
Des légumes bouillis, Géronda.
-
Des légumes bouillis au monastère, alors des légumes bouillis ici
aussi."
Il savait
bien que "le jeûne est le frein du moine" et qu'il a été
"institué pour la purification de l'âme", comme dit saint
Grégoire de Nysse. Le jeûne était donc bien loin d'être une
formalité.
Il
ne négligeait jamais sa règle de prière. A Dionysiou, chaque moine
dit 1200 prières de Jésus avec 300 grandes métanies. Pendant le
Grand Carême, l'Ancien Isaac faisait 3000 métanies - un nombre
vraiment étonnant. Quand, au monastère, il y avait une vigile de
toute la nuit, lui aussi veillait et priait où qu'il se trouvât,
tout épuisé qu'il pût être par les durs travaux des métochia.
Comme "une biche altérée", il avait soif de prier et
d'adorer Dieu; il lisait les offices comme ils se déroulaient au
monastère. Quelquefois, quand il était dans sa cellule et
n'entendait pas la simandre, il arrivait un peu en retard à
l'église. Alors quelques-uns des pères le taquinaient, lui disant :
-
Eh, Géronda Isaac, le temps est perdu, il est proscrit.
-
Non, il n'est pas proscrit, j'ai un crédit, répondait-il avec sa
simplicité naturelle."
Et
il n'était en paix que lorsqu'il avait remboursé ses "crédits"
par ses prières personnelles.
Dans
le creuset du monastère, où le métal est fondu et purifié en "or
de la vertu", le Père Isaac faisait de grands progrès. Il
s'entraînait à l'obéissance, au travail, à l'absence de soucis,
au silence et à la crainte de Dieu. Il vivait pour Dieu et pour la
vie monastique avec la simplicité d'un petit enfant.
Il
n'était pas éloquent ni disert, comme les autres moines. Il
préférait de beaucoup le silence à toute parole, et il
encourageait les jeunes moines à développer cette vertu.
"
Diacre, maintenant que tuu as été ordonné, sois silencieux",
conseillait le Père Isaac à un hiérodiacre nouvellement ordonné,
qui n'appréciait pas le silence autant qu'il aurait fallu.
Le
Père Isaac ne connaissait pas non plus la contradiction. Si
quelqu'un lui faisait une observation ou le réprimandait, il
s'inclinait encore plus bas qu'à l'habitude afin d'accepter la
"cautérisation" avec patience, et ensuite il demandait
humblement la bénédiction : "bénis-moi".
Toute
la communauté du monastère l'aimait et le respectait. " C'est
un vrai moine", se disaient les moines les uns aux autres. Et
par respect, ils ne l'appelaient pas "Père Isaac", mais
"Abba Isaac".
Malgré
cela, il ne fut jamais entraîné dans des sentiments d'orgueil : "
ce que je suis, disait-il simplement, Dieu le voit."
Et
quand on le louait, il répondait quelque peu importuné : " Que
dites-vous là? Je suis le plus pécheur des hommes."
Et
il se sauvait humblement à sa cellule ou à son obédience.
Cependant,
plus il essayait de cacher ses vertus, plus sa renommée s'étendait.
L'amoureux du monachisme, l'excellent métropolite Irénée de
Cassandra, avait la plus grande estime pour l'Ancien Isaac. Toutes
les fois qu'il visitait les villages de son diocèse, il passait la
nuit aux métochia de Dionysiou, et spécialement à celui de
Kalamaria, où se trouvait l'"Abba". Il voulait visiter et
profiter de la compagnie de celui qu'il appelait "le Moine".
"
Je vais au métochion de Dionysiou pour voir le Moine, disait le
métropolite.
-
Mais y a-t-il seulement un moine à ce métochion, Très Vénérable?
lui demandait-on, déconcerté.
-
Oui, pour un moine, je vais là-bas..."
4.
Vers les sommets de la vertu
Selon les
saints Pères, tous les travaux ascétiques, qu'ils soient corporels
ou spirituels, ont une fin élevée et sainte : la pureté du coeur.
Les jeûnes, les veilles de toute la nuit, les tribulations, la
pénitence, les règles de prière, les offices, la lecture de livres
spirituels, la prière et d'autres combats ascétiques aident le
moine à s'élever et à vivre une vie pure et sainte. Une telle fin
fut atteinte dans la vie de ce moine de Dionysiou, digne d'éloges.
En
gravissant l'échelle des vertus, il se perfectionna en douceur, en
innocence et en simplicité. Cette dernière vertu, selon saint Jean
Chrysostome, "conduit à la plus grande humilité" et "on
ne verra jamais la simplicité sans l'humilité".
La
profonde humilité ouvre la voie à un autre sommet de la vertu :
l'impassibilité; Notre bon montagnard et soldat du Christ conquit
aussi ce sommet. L'impassibilité est un très haut sommet, et peu
nombreux sont ceux qui l'atteignent. " Il demande du temps et un
grand désir de Dieu... Quand tu vois ou entends que quelqu'un a
acquis en peu d'années la plus sublime impassibilité, tu en conclus
qu'il n'est pas passé par un autre chemin que par le raccourci béni
de la sainte humilité", dit saint Jean Climaque.
Les pères
qui le connaissaient bien, comme le Père Léon, qui vécut avec lui
dans plusieurs métochia, nous ont parlé du haut niveau
d'impassibilité qui ornait la vie de l'Ancien.
"
Car pour l'Ancien Isaac, dit le Père Léon, il n'y avait pas de
différence ou de changement de sentiments quand il conversait ou
négociait avec des laïcs.
-
Que voulez-vous dire par cela, Père? lui demanda le Père Lazare.
-
Je veux dire que l'Ancien Isaac parlait avec les femmes de la même
façon qu'il parlait avec les hommes."
Quand
c'était nécessaire, il échangeait et conversait avec quiconque,
mais toujours à un haut niveau. C'est ce qu'on appelle dans le
langage patristique l'impassibilité. Vraiment, l'Ancien Isaac, bien
que vivant dans les métochia du monastère, au milieu du monde,
était toujours un moine impassible, "un guerrier cuirassé de
fer", "combattant mais non pas agresseur"; Il était
mort au monde; seul le Christ vivait en lui. " celui qui est
parfait en amour et a atteint le sommet de l'impassibilité ne fait
pas de différence entre son peuple et les étrangers, ou entre les
croyants et les infidèles, entre l'esclave et l'homme libre, ni
entre l'homme et la femme...", dit saint Maxime le Confesseur.
Aussi
longtemps que le postier de Dionysiou, cet excellent courrier de
Dieu, continuerait à suivre cette voie, il finirait sa course au
pinacle de la vertu, qui est l'amour parfait.
Il
était arrivé au point qu'il compatissait avec tous, avec le monde
entier, avec toute la création, animée et inanimée, comme son
saint patron l'a écrit quelque part, à propos de l'amour parfait.
En
face du monastère, se trouve la kathisma des Saints-Apôtres.
L'Ancien Isaac y vécut avec le Père Lazare. L'Ancien prenait soin
du jardin avec ses citronniers et ses orangers, tandis que le plus
jeune s'occupait de l'Ancien Modeste, qui souffrait d'hémiplégie.
Celui-ci avait sa cellule près de l'église, tandis que les deux
autres habitaient à l'étage.
"
Après les Complies, nous dit le Père Isaac, lorsque nous nous
étions retirés dans nos cellules, il ne se passait pas une
demi-heure avant qu'il ne priât avec des larmes et des lamentations.
Son visage était inondé de larmes, des larmes qui tombaient de son
âme et de son coeur. Après l'avoir ainsi entendu à plusieurs
reprises, je me décidai à lui demander pourquoi il pleurait ainsi
chaque nuit. Et allant vers lui, je l'entendis dire : " Aie
pitié de ces pauvres hommes, Seigneur. Aie pitié de ces malheureux;
Aie pitié de ces affamés. Fais-leur grâce de Ta bénédiction,
Seigneur, aie pitié."
Mais ne
comprenant pas pour qui il priait ainsi, je lui demandai : "
Père Isaac, pour qui pleures-tu et supplies-tu le Christ depuis si
longtemps? Qui sont ces pauvres et ces malheureux," Il me
répliqua : " Mon enfant, ne te rappelles-tu pas les fermiers
des métochia, qui travaillent tout le jour, un travail si dur... et
ils peuvent à peine en vivre; Comment peuvent-ils faire face aux
dépenses de la famille? Comment peuvent-ils marier leurs filles?
Comment peuvent-ils apprendre à lire à leurs enfants? Comment se
vêtir? Comment ne pourrais-je pas avoir pitié d'eux quand je pense
à eux, eux qui nous aimaient et nous repectaient tant? Et ils nous
obéissaient comme s'ils étaient nos esclaves; Pourquoi ne
pleurerais-je pas et ne supplierais-je pas le Christ pour eux?"
Silencieusement, je le laissais pleurer et supplier le Christ,
m'émerveillant de sa grande compassion."
Dans ce
tableau de sa vie à la kathisma des Saints-Apôtres, on peut voir
l'attitude d'un vrai moine athonite envers ses semblables. Et cela
sous deux aspects : l'amour pour un invalide cloué au lit, manifesté
par le sacrifice, la patience, les gardes de nuit, le travail et
l'oubli de soi; l'amour envers les fermiers, témoigné par les
chaudes larmes et le trouble de l'âme. Nous voyons ici un
comportement qui se révèle ainsi sur toute la Sainte Montagne.
On
s'émerveille devant ces images de la vie de l'Ancien Isaac à la
kathisma des Saints-Apôtres - que nous le voyions soit au premier
étage, priant avec ferveur, soit à l'étage supérieur, soignant
l'invalide. Dans ces deux scènes, on voit réalisés les mots du
Seigneur dans cette chambre haute de Jérusalem : " A cela on
reconnaîtra que vous êtes mes disciples, à l'amour que vous avez
les uns pour les autres."
C'est là
le pur travail social des moines : la prière pour leurs frères les
hommes et pour le monde entier, le secours aux malades jusqu'au
sacrifice personnel, l'hospitalité sans relâche, l'enseignement
effectif par l'exemple. Un tel travail, qui n'est pas répandu, a
pour cette raison sa propre valeur, qui est inestimable.
5.
Des moments célestes
Le
monastère de Dionysiou est ramassé dans son arrangement intérieur,
et son atmosphère est pleine de componction, ce qui porte le pèlerin
au repentir et au recueillement. Les scènes iconographiques,
évocatrices et dignes, qui recouvrent l'intérieur du catholicon,
les scènes de l'Apocalypse, inégalables et expressives, qui
recouvrent les murs du corridor allant au réfectoire, les chapelles
dont la plupart sont décorées de fresques byzantines, tout
spécialement celles des saints Anargyres et de saint Jean le
Théologien, le réfectoire, où l'on mange dans le silence en
écoutant une lecture, et qui a de remarquables fresques représentant
l'échelle sainte de l'ascension des vertus (1), la synaxe des
archanges, le choeur de saints moines, tout cela, parmi d'autres
choses encore, constitue un cadre admirable et idéal pour la vie
monastique et angélique que vivent les pères de ce saint monastère,
selon la stricte et vertueuse tradition.
(1)
: ( D'après L'Echelle sainte de saint Jean Climaque (NdE).).
L'Ancien
Isaac vécut de nombreuses années dans ce saint lieu tout imprégné
de la philosophie chrétienne. A un âge avancé, il avait l'habitude
de s'asseoir dans une des stalles réservées aux anciens, derrière
l'icône ancienne du saint Précurseur. Et là, immobile comme un
pilier, les yeux de l'âme et du corps éveillés, il suivait les
offices, la sainte Liturgie, et tous les cultes de notre Eglise, qui
élèvent de la terre jusqu'au ciel et font descendre le ciel sur la
terre.
Durant les
agrypnies et durant les Mâtines à l'aube, les pères les plus âgés
se tenaient dans leurs stalles sous les fresques des saints. Dans
l'église éclairée seulement par de petites veilleuses, les pères
silencieux dans leurs stalles semblaient parfois se mélanger avec
les saints des fresques. En fait, ils se réjouissaient avec "le
chieur, bien-aimé de Dieu, des saints Pères qui sont au paradis, "
et qui vivent comme eux dans le "jardin de la Mère de Dieu".
"
Inoubliables sont les agrypnies des jours de fête à la Sainte
Montagne, les vigiles tant aimées des dimanches du Grand Carême, et
les offices de la Passion du Seigneur.
"
Comment pourrait-on oublier ces vénérables Anciens, remplis de
dévotion, immobiles comme des piliers, inébranlables comme les
martyrs, silencieux et sobres comme les saints ermites, qui attendent
patiemment leur tour pour se prosterner devant le saint Evangile ou
les saintes reliques ou pour participer à la sainte Communion!
"
Et au-delà de toute description : le prêtre officiant avec les
diacres dans leurs ornements dorés, et les saints pères rassemblés
autour d'eux dans leurs mandyas noires aux nombreux plis, ou dans
leurs sobres rassos et capuchons, tous se tenant avec respect et
crainte de Dieu. (2).
(2)
: ( Archimandrite Gabriel, op. cit., p. 22-23).
Dans une
telle atmosphère céleste et sainte, l'âme de l'Ancien Isaac
s'envolait, devenait brûlante et pleine de componction. Et combien
de fois n'eut-il pas les yeux remplis de larmes quand il écoutait le
chant des Heures Royales de la Théophanie : " La main dont tu
as touché la tête du Seigneur, avec laquelle tu nous as montré le
Sauveur, Baptiste, en notre faveur tends-la vers Lui à cause de
l'assurance dont tu jouis largement, car selon Son témoignage, de
tous les prophètes tu es le plus grand. Et les yeux dont tu vis le
Saint-Esprit descendu sous forme de colombe, Baptiste, tourne-les
vers Lui pour qu'Il nous montre sa faveur. Manifeste ta présence
parmi nous, en patronnant la fête et nos hymnes en son honneur."
Et cette
tendre émotion atteignait son paroxysme quand ils allaient
pieusement vénérer et embrasser la main même du Précurseur, qui
était devant eux - la relique la plus importante des saintes
reliques du monastère. De nombreuses fois, l'Ancien Isaac goûta le
parfum divin de celle-ci, parfum que quelques moines ont pu sentir.
Il
s'agit là d'instants divins, surnaturels et célestes!
6.
Une pépinière spirituelle
A
l'époque de l'Ancien Isaac, un vent spirituel puissant et
sanctifiant soufflait dans le monastère de Dionysiou. Ce coin du
Jardin de la Mère de Dieu regorgeait d'âmes chargées de fruits
spirituels.
Dans
les lignes suivantes, nous présentons quelques-unes de ces figures
qui vécurent et combattirent avec l'Ancien Isaac dans cette même
arène monastique.
Le
Père Marc fut un vrai ornement de ce monastère : un modèle de
vertu, un combattant invincible, un confesseur renommé. Toute sa
vie, il travailla infatigablement à trois ou quatre obédiences à
la fois, et cependant il ne mangeait qu'une fois par jour. Il fut
higoumène dans les années 1926-1931. Sa dormition en 1938, qui fut
accompagnée d'un parfum merveilleux et d'un autre monde, couronna
ses nombreuses années de combat et scella sa sainte vie.
L'Ancien
Ignace entra au monastère en 1914, à l'âge de seize ans, et toute
sa vie fut consacrée à combattre avec beauté mais aussi avec peine
pour la sanctification de l'âme et du corps. Simple, humble, grand
travailleur et doux, il était comme un cierge se consumant dans
l'amour du Christ et le service de ses frères; Il ne négligeait
jamais ses devoirs monastiques. La prière intérieure jaillissait
sans cesse de son coeur, "portée par l'amour divin". Sa
fin fut bénie, et l'exhumation de ses reliques confirma sa sainte
vie. Ses os avaient la couleur ambrée, caractéristique des saintes
reliques, et son crâne exhalait un parfum inhabituel et doux durant
l'office pour le repos de son âme.
Le
bienheureux Ancien Bessarion fut un moine avec une foi chaleureuse et
vivante. Il avait une âme simple et sans artifice. Alors qu'il
remplissait l'obédience d'économe au métochion de Mariana en 1916,
le saint Précurseur lui apparut sous la forme d'un Ancien aux
cheveux blancs; il lui parla d'une manière amicale et lui révéla
que dans le métochion se trouvait une église enfouie. L'Ancien
Bessarion reconstruisit cette église et l'embellit. Sa dormition
correspondit à sa vie. La convocation céleste vint quand il était
dans le métochion de Kalamitsiou. Il dit aussitôt adieu à ses amis
et connaissances leur disant très naturellement qu'il allait au
monastère pour y mourir. Il attendait la mort avec un grand désir.
Quand il arriva au monastère, il remercia Dieu et le saint
Précurseur, demanda pardon aux pères et, en deux jours, il
s'endormit dans le sommeil éternel du juste.
L'ascète
et hésychaste que fut l'Ancien Anthyme doit être aussi compté dans
ce groupe choisi des moines de Dionysiou. Il entra au monastère en
1916, et dès les premièresannées de sa vie monastique il sentit
fortement la protection et l'aide du saint Précurseur et de saint
Niphon, en étant deux fois guéris par eux de graves maladies. Il
dompta sans pitié sa chair, l'épuisant par le jeûne. Avec la
bénédiction de l'higoumène, il suivit la règle spirituelle d'un
ermite, plus stricte que pour les autres pères. Même si, comme
cuisinier, il préparait du poisson, des soupes, etc., pour la table
commune du monastère, lui ne mangeait que du pain séché, trempé,
et des olives. Son héroïsme faisait enrager les démons qui,
incapables de lui faire du mal, allaient la nuit à la cuisine pour y
cogner les ustensiles en fer, crier, hurler, et faire un vrai
remue-ménage. Quand l'Ancien Anthime devint plus tard un ermite
quelque part près de la skite de la Petite-Sainte-Anne, il atteignit
des sommets plus spirituels encore. Il lui arriva d'être brûlant de
fièvre pendant trois semaines, sans aucune assistance humaine, sans
médecine ni nourriture. Il fut alors rendu digne d'une rare
bénédiction divine : un ange de Dieu le visita sous la forme d'un
moine inconnu et le servit jusqu'à ce qu'il fût complètement
guéri.
Dans ces
mêmes années, un autre moine, plein de grâce, l'Ancien Lazare,
entra dans l'arène spirituelle de Dionysiou, son coeur débordant du
désir d'une vie de sainteté. Il entra au monastère en 1911, rempli
d'un zèle divin et d'un enthousiasme qui restèrent toujours aussi
forts jusqu'à sa mort en 1974. Pendant soixante ans, il combattit
"le bon combat" avec une fougue inhabituelle, et il
atteignit un haut degré de vertu. Dans l'obéissance, il était
exemplaire, pour le service, toujours empressé, et pour la prière
du coeur, une colonne de feu. Il vénérait grandement la Très-
Sainte Mère de Dieu, le saint Précurseur et les autres saints du
monastère; c'est pourquoi il lui fut accordé beaucoup d'expériences
célestes. Moine pourvu de dons divins et d'une sagesse venant d'en
haut, il devint un pôle d'attraction pour les frères qui
accouraient vers lui pour avoir conseils et consolations par ses mots
réconfortants. De nature enjouée, sensible et poétique, il
entreprit une oeuvre unique et très utile : il collecta les
histoires merveilleuses de ses contemporains moines, et il rédigea
un beau Patérikon moderne. C'est à partir de ce texte que nous
avons tiré la plupart de nos informations sur la vie de l'Ancien
Isaac.
Un palmier
s'élevant haut dans le ciel, un pilier de la vie athonite, tel fut
l'archimandrite Gabriel ( 1886-1983), un autre Sion du monastère de
Dionysiou, porteur de saints.
L'archimandrite
Gabriel fit ses études "aux pieds" de l'Ancien Isaac, qui
lui enseigna les rudiments de la vie monastique. Pendant quarante
ans, il fut l'higoumène du monastère de Dionysiou, mais ses travaux
et ses préoccupations embrassèrent toute la Sainte Montagne et, en
vérité, toute l'Orthodoxie, toute la Grèce et tout le monde.
Pendant un demi-siècle, il porta dignement, presque à lui seul, le
poids de la sagesse athonite, et, avec un succès impressionnant, il
représenta sa terre spirituelle aux autorités ecclésiastiques et
civiles. Par ses labeurs et ses combats, ses vertus et ses principes
moraux, et par les dons et les talents qu'il possédait, il fut
reconnu comme un moine exemplaire, un auteur édifiant, un confesseur
plein de disernement, un higoumène sage et judicieux. Par sa sagesse
et sa discrétion, il inspirait et enseignait l'humilité et la
douceur, le cérémonial sacerdotal et l'ascétisme, l'éthique
athonite et les principes du combat spirituel. Il était un gardien,
toujours en éveil, d ela foi orthodoxe et de la piété, et aussi un
ardent patriote. Il s'endormit, chargé d'années, en 1983, à l'âge
de quatre-vingt-dix-sept ans.
Enfin, nous
pouvons joindre à ce choeur des saints pères de Dionysiou, l'Ancien
Callinique le Jeûneur, mort en 1903, qui, par sa prière, combla un
jour le monastère de poissons; le Père Averkios, mort en 1900, qui
mit fin à une sécheresse à Thassos par la conduite d'une
procession; le Père Léonce qui vit le saint Précureseur en 1916;
l'Ancien Hilarion, le constructeur de bateaux, mort en 1933, qui
s'est distingué par sa conscience monastique, sa tempérance et son
obéissance jusqu'à sa mort; le Père Gennade, mort en 1933, un
ornement rare du monastère, un moine plein de grâce, d'amour,
d'humilité et de foi; l'Ancien Jacques, mort en 1939, un grand
travailleur de la prière du coeur, qui désirait ardemment voir le
moment où il rencontrerait le Seigneur; le simple et humble Ancien
Constantin, qui dans la quatre-vingt-dixième année de sa vie,
vénérant la main droite du saint Précurseur, le supplia de le
retirer de cette vie, et qui fut immédiatement exaucé; et encore
beaucoup d'autres anges terrestres qui, par leurs combats cachés,
devinrent des fleurs de l'Esprit, embaumant dans le Jardin de la Mère
de Dieu et le décorant.
III.
UNE VIE CHARISMATIQUE
1.
Une délivrance miraculeuse
Aux
combattants qui se sont purifiés et sanctifiés dans leur ascèse
monastique, Dieu donne des dons merveilleux, des grands signes de Son
amour.
Le Père
Isaac ne manquait pas de ces dons, dus à la présence vivante de
Dieu, comme nous le montrent de nombreux prodiges de sa vie.
Quand il
était encore jeune homme, il remplissait la tâche de cellérier (
le gardien des vivres) dans la maison du monastère de Karyés. Il
vivait là avec le représentant du monastère, l'Ancien Gélase, qui
venait de Lakonia. Un jour d'hiver - c'était au mois de février -
une affaire urgente se présenta, et il était absolument nécessaire
pour le Père Gélase de contacter le monastère. A cette époque, il
n'y avait pas de téléphone ni d'autres moyens de communication. Il
était donc nécessaire d'aller à pied au monastère en dépit du
mauvais temps. L'Ancien Gélase appela son disciple, le Père Isaac,
et l'envoya au monastère avec quelques lettres. Père Isaac fit une
métanie, prit son bâton, son sac postal et s emit en route. La
route par la montagne qui va de Karyès à Dionysiou offre un
merveilleux panorama. Le sentier passe par une végétation sauvage
et dense et de hautes forêts de châtaigniers. La distance est
normalement couverte en cinq heures.
Le
bon disciple répondit avec empressement à son obédience, bien que
le ciel s'assombrît et qu'on vît bien qu'une tempête de neige
menaçait - une de celles qui souvent s'abattent sur l'Athos. Au bout
d'environ quinze minutes, il avait atteint la croix, le sommet de la
montagne (1).
(1)
: ( Au sommet du mont Athos est plantée une grande croix. (NdE).).
Rapidement
il prit le sentier qui, depuis la ligne de crête, conduit au chemin
du monastère. Là, il rencontra son ennemie, la neige. Il avait
quitté Karyès à environ une heure de l'après-midi ( sept heures
du soir à l'heure byzantine (2)).
(2)
: ( Selon l'heure byzantine qui prévaut sur la Sainte Montagne, le
jour commence au coucher du soleil. Quand le soleil disparaît
derrière le sommet de l'Athos, les horloges indiquent toutes 12
heures).
A
trois heures ( neuf heures byzantines), il était parvenu à la
limite du domaine de Simonos-Pétra, à la source fraîche de
"Bousdoum". Jusque-là, il pouvait discerner son chemin.
Mais, à cet instant, tout était recouvert de neige. Il essayait par
tous les moyens de se diriger. Priant le doux Nom de Jésus, il
continuait à marcher jusqu'à ce qu'il ne puisse plus faire un pas
dans la neige.
La
tempête avait éclaté avec violence, et la neige comme un ouragan
le fouettait de tous les côtés. Incapable d'avancer, il resta
immobile. Il essaya de faire quelques pas, mais en vain -
l'amoncellement de la neige l'en empêchait. Il avait perdu son
chemin, le froid était intense, et la neige tombant à gros flocons
continuait à monter autour d elui. Il ne pouvait espérer aucun
secours humain ni trouver aucun abri. Le temps passait et la nuit
approchait. Il n'y avait aucune chance de salut. Petit à petit la
neige allait complètement le recouvrir, et cette nuit serait sa
dernière nuit.
Quand tout
espoir semblait perdu, le Père Isaac leva les mains et le regard,
et, avec une foi chaleureuse et inébranlable, cria : " Ô
Seigneur Jésus-Christ, ô Dieu, par les prières de mon Ancien
sauve-moi en cette heure! Ô saint Précurseur, accorde-moi
d'atteindre le monastère sain et sauf!"
Et voici
que s'accomplit la parole du prophète Isaïe : " Comme tu
parlais encore, me voici." A cet instant, une force invisible le
saisit, et, en un clin d'oeil, le déposa à la porte du monastère,
en face de la châsse du saint Précurseur.
Il
était à peu près quatre heures trente de l'après-midi ( dix
heures trente pour l'heure byzantine). Les pères avaient juste
quitté la table. Le portier se préparait à fermer la porte du
monastère quand il vit avec stupéfaction le Père Isaac devant lui.
"
D'où venez-vous, Père? Comment avez-vous réussi à passer par une
telle tempête?", demanda-t-il.
Et
s aperplexité augmenta quand il ne vit aucune trace de pas dans la
neige. Sa surprise fut partagée par les autres pères. Ils
demandèrent tous au Père Isaac ce qui lui était arrivé. Mais
celui-ci ne voulant pas révéler le miracle donna comme il put
quelques explications :
"
Avec l'aide du saint Précurseur, dit-il en désignat son icône,
j'ai pu accomplir mon obédience sans danger."
Après
quelque temps, pour la gloire de Dieu, l'événement miraculeux du
transport aérien du Père Isaac fut révélé par son père
spirituel, à qui il avait tout raconté.
Nous
rencontrons des miracles semblables de transport instantané d'un
endroit à un autre dans les Vies des saints. Il s'agit là d'une
manifestation, parmi beaucoup d'autres, de la vie charismatique et de
grâces particulières du Seigneur.
2.
La vie avant la chute
Aucun
de ceux qui vécurent avec l'Ancien n'oubliera jamais le serpent qui
était son ami inséparable. C'était un énorme aspic venimeux,
d'environ un mère cinquante.
Durant les
deux années que le Père Isaac passa à la boulangerie du monastère,
le serpent ne le quitta jamais. Il lui préparait de bons repas avec
de la pâte et de la farine, et prenait soin d elui sans crainte. Le
serpent rendait aussi un grand service à son "Ancien". Il
chassait impitoyablement les souris et les expulsa toutes de la
boulangerie. Il devint si familiarisé avec le Père Isaac qu'il
monatit sur son lit pour y dormir. Là, il s'enroulait et se reposait
tranquillement.
"
La première fois que je le vis allant et venant dans la boulangerie,
nous dit l'archimandrite Gabriel, j'en ai frissonné. Mais l'Ancien
Isaac avait une relation avec lui comme au temps d'Adam avant la
chute.
"
Père Isaac, pourquoi devez-vous garder cet aspic en cet endroit? lui
demandaient les autres pères avec appréhension.
-
Il est bon, il ne fait d emal à personne. N'en ayez pas peur, il
chasse les souris."
Aussi
longtemps que le Père Isaac resta à la boulangerie, le serpent
demeura avec lui. Mais quand il partit, le serpent disparut dans la
montagne.
Tout
ceci confirme que beaucoup d'hommes de Dieu, du fait de leur grande
vertu, sont dignes d'atteindre l'état d'Adam avant la chute, et
d'avoir comme compagnons des animaux sauvages. Cela se présente non
seulement dans les temps anciens ( nous lisons de tels faits dans les
écrits patristiques) mais aussi dans notre temps, comme nous le
voyons dans la vie de l'Ancien Isaac.
L'ennemi,
qui tenta Adam et Eve, fait aussi une guerre incessante contre ceux
qui ont atteint leur état d'avant la chute. Le Père Isaac fut une
cible pour le démon qui l'offensait souvent, mais qui était
incapable de l'exiler du Jardin de l'Eden. Le Père Barthélémy, un
vieil ermite de Karoulia, qui avait vécu dans sa jeunesse avec le
Père Isaac à Karyès, nous raconta que régulièrement les démons
venaient le troubler. Un jour, il alla le réveiller pour la cuisson
du pain. Il le secoua un peu, et le Père Isaac répondit : "
Va-t'en, démon, va-t'en!"
Et le Père
Barthélémy comprit que le Père Isaac souffrait beaucoup des démons
la nuit.
Une autre
fois, une nuit, le Père Isaac vit un visage étrange alors qu'il
marchait. Il passa devant silencieusement, fit son travail, et
reprenant son chemin de retour passa à nouveau devant ce visage sans
dire un mot. Tous les efforts de l'ennemi invisible pour l'effrayer
étaient vains.
Quand il
vivait à Monoxilitis, il allait tous les samedis soirs à la skyte
russe voisine, appelée Thébaïde, où il suivait l'agrypnie et om
il participait aux Saints Mystères. Sur sa route, les démons
faisaient tout pour l'effrayer et lui faire rebrousser chemin. Tous
les cinquante pas apparaissaient devant lui soit un sanglier sauvage,
soit des loups, des chacals ou d'énormes serpents qui sifflaient.
Mais il continuait sa route sans faire attention à ces apparitions,
répétant le psaume : " Le Seigneur est ma lumière et mon
salut, de qui aurais-je crainte? Le Seigneur est le protecteur de ma
vie, de qui aurais-je peur?" Imperturbable, il continuait à
marcher vers le Perle céleste, le Corps et le Sang du Seigneur,
qu'il allait recevoir en lui.
3.
" Dieu est admirable dans ses saints."
En 1893, le
père Isaac servait au métochion de Kalamaria, dont l'économe était
le vertueux Père Gervais, originaire d'Ithaque. Toute la région
avait été frappée par une terrible sécheresse. On était en
avril, et les récoltes étaient en danger d epérir par manque
d'eau. Connaissant l'assurance qu'avait auprès de Dieu l'Ancien
Isaac, le Père Gervais lui demanda de prier Dieu pour qu'il ait
pitié d'eux et leur envoie un peu d epluie. Et lui, qui ne savait ni
désobéir, ni contredire, se plongea dans la prière toute la nuit,
en suppliant avec des larmes le Dieu Très-Bon d'avoir pitié d'eux
et de faire tomber la pluie sur la terre désséchée, pour que ne
soient pas perdus les espoirs et les peines de ces pauvres fermiers
et du Père Gervais.
Quand
arriva le lever du jour, quelques nuages apparurent à l'horizon.
Tandis qu'ils s'approchaient, devenant de plus en plus gros et
sombres, la pluie se mit à tomber! Un nuage énorme recouvrait tout
l'endroit, jusqu'au village de Portaria. Il plut si fort que la "la
terre était ivre d'eau". Dieu avait entendu les prières de son
serviteur. " Il fait la volonté de ceux qui Le craignent, et Il
entend leurs prières."
Beaucoup de
personnes qui connaissaient l'Ancien Isaac venaient vers lui pour lui
confier leurs afflictions et leurs besoins. Combien d efemmes sans
enfants n'ont-elles pas demandé ses prières? Et il n'oubliait
jamais personne.
Parmi les
diverses obédiences qu'il eut à remplir, il reçut celle de la
préparation des prosphores. Là aussi le Père Isaac laissa sa
marque, non pas seulement par sa bonne volonté et son ardeur au
travail, mais aussi par un miracle exceptionnel.
D'habitude
il est nécessaire, chaque semaine, de cuire quarante à cinquante
prosphores, ce qui demande environ quarante kilos de farine. Quinze
prosphores sont pour le monastère et ses kellia à Karyès. Les
autres prosphores sont donnée comme "bénédictions" aux
ascètes depuis Néa-Skiti jusqu'à Kavsokalyvia. Cette année-là,
la farine était rare. Les intendants du monastère mesurèrent ce
qu'il en restait en février, et découvrirent que cela ne suffirait
pas pour tenir jusqu'à la prochaine récolte. Ils assignèrent Père
Isaac et lui dirent : " Père Isaac, notre réserve de farine
est basse. Si nous faisons très attention, cela suffira.
Rappelle-toi que nous n'en avons plus qu'une seule jarre. Il n'y en a
plus assez pour donner des propshores aux ascètes. Règle bien ton
affaire."
Cette
annonce fut comme un coup de tonnerre sur l'âme bénie de l'Ancien
Isaac. Il ne dit rien mais il était grandement affligé. Il pensait
: " Que vais-je faire maintenant? Les intendants ont sûrement
raison - il ne reste plus qu'une jarre de farine. Mais comment
puis-je priver les ascètes de prosphore du saint Précurseur qui
servent à célébrer la Divine Liturgie pour la gloire de Dieu et la
rémission des péchés? Mon âme n'est pas en paix."
La
prière fut son seul recours. Il alla devant l'icône du Baptiste qui
se trouvait près de la boulangerie des prosphores, il fit trois
métanies, embrassa les pieds du saint avec dévotion et le supplia
de tout son coeur de l'éclairer pour savoir ce qu'il devait faire.
L'Ancien Isaac aimait beaucoup saint Jean-Baptiste et, quand il le
priait, il lui parlait avec une grande simplicité et une grande foi,
comme un petit enfant s'adressant à son grand frère. Après sa
prière, il se releva, le coeur affermi dans sa décision. Il dit au
saint avec une grande foi :
"
Saint Précurseur, je ne vais pas arrêter de donner des prosphores
aux ascètes. Et toi, par ta sainteté, fais un miracle pour que la
farine dure jusqu'à la nouvelle moisson."
Et
le miracle eut lieu. La farine dans la jarre ne diminuait pas. Le
pain était cuit dans les quantités habituelles, et cela jusqu'au 22
juin, deux jours avant la fête du monastère. Ce jour-là, un bateau
arriva au port, chargé du blé du métochion de Kalamaria!
On
peut imaginer la joie de l'Ancien Isaac et sa gratitude envers le
saint Précurseur qui lui avait donné son aide dans une circonstance
si difficile.
4.
La prière avec des larmes
La
grâce de Dieu trouva une demeure sûre dans l'âme de l'Ancien
Isaac. Ses prières étaient pleines de componction. Il avait reçu
de Dieu la grâce des larmes, comme nous l'avons vu précédemment,
dans la manifestation de sa sympathie et de son amour pour ceux qui
étaient dans le besoin et la tristesse.
"
Tu ne peux pas déclarer, dit saint Syméon le Nouveau Théologien,
que, sans larmes et un continuel repentir, quiconque puisse jamais se
purifier ni devenir saint ni recevoir le Saint-Esprit, ni voir Dieu,
ni Le recevoir complètement comme un hôte dans le coeur."
Tout
particulièrement vers la fin de sa vie son regard cillait à cause
de ses larmes perpétuelles. Très souvent les pères remarquaient
que ses yeux étaient gonflés et rougis par les larmes. Et passant
devant sa cellule, ils l'entendaient dire la prière de Jésus du
plus profond de son coeur.
Tout au
long du jour et spécialement la nuit, il communiquait avec le ciel.
Il tâchait de trouver le plus de temps possible pour se consacrer à
la prière. Durant le silence de la nuit, il s etenait éveillé,
au-delà du monde et de toute chose terrestre, et il priait durant
des heures, versant des flots de larmes dans s agrande componction et
son grand amour de Dieu.
Le
Père Lazare lui demanda un jour :
"
Combien d'heures devrais-je dormir, Père Isaac?
-
Pour un jeune comme toi, cinq heures sont suffisantes, trois la nuit
et deux le jour. Pour des moines plus âgés, trois ou quatre heures
par jour sont cependant suffisantes."
En
fait, le Père Isaac dormait une heure durant le jour et deux heures
la nuit. Le reste du temps se passait avec Celui dont son âme avait
insatiablement soif.
Le
Père Lazare raconte : " Quand nous étions à la kathisma des
Saints-Apôtres, nous faisions tous les deux l'office avec notre
chapelet pendant deux heures et demie (1).
(1)
: ( Les ermites, les moines quand ils sont en service dans les
kathisma, hors de leur monastère, et ceux qui n'ont pas de livres ou
qui ne savent pas lire, etc., remplacent l'office par un nombre
correspondant de prières de Jésus. Par exemple pour l'office de
Minuit et des Mâtines, trente-trois centaines de prières sont
dites).
5.
Une belle fin
A l'image
de sa vie sainte et remplie de grâce, sa mort fut aussi sainte et
bénie. Quand quelqu'un a vécu avec le souvenir de la mort comme
étant le doux pain quotidien de son âme, comme ce fut le cas pour
l'Ancien Isaac, sa fin est en vérité "chrétienne, sans
douleur, sans honte et paisible". Les travailleurs de la vertu
attendent la mort avec joie et tranquillité car ils quittent "cette
vie mortelle, pour aller vers l'autre vie, plus lumineuse et n'ayant
pas de fin".
L'Abba
Isaac, le vaillant messager, le marcheur infatigable, le coureur de
la course monastique, "finit sa course". Soixante années
d'ascétisme et d'austérité, d eprière et d'amour. Soixante années
de parfaite obéissance, d emortifications volontaires, d'humilité
et de souffrances pour l'amour du Christ. Soixante années d'une vie
pleine de grâce et sainte.
Abba Isaac
fut un saint, un de ceux qui traversent la vie sans bruit. La Sainte
Montagne enrichit continuellement le corps de l'Eglise avec de tels
hommes. Ils sont partout, mais il est difficile de les découvrir car
ils savent très bien comment se cacher, dans l'obscurité et le
silence, sous un rasso râpé, derrière un manque de considération
et le discrédit, que ce soit dnas de grands monastères ou dans de
belles skites, dans les calyves du désert ou dans des lieux
terriblement sauvages.
Quelques
mois avant son repos, l'Ancien Isaac fut soigné à l'infirmerie du
monastère. Il souffrait de maux d'estomac. L'infirmier proposa
d'appeler le médecin, le Père Nicolas du monastère voisin de
Grigoriou, mais l'Ancien ne le lui permit pas.
"
Laisse les choses se faire, mon enfant. Ne dérange pas le médecin.
Si le Christ veut que je vive encore plus longtemps, je vivrai. Si
c'est le temps pour moi de partir, Il me prendra. C'est déjà
beaucoup que j'aie vécu tout ce temps. Cela se fera selon la volonté
du Seigneur."
Une
paix profonde éclairait son visage. Il était totalement paisible.
Il se confiait à la volonté de Dieu, que ce soit pour la vie ou
pour la mort. Dans ses derniers moments, les frères lui demandèrent
s'il voyait quelque chose.
"
Oui, leur répondit-il, je vois un lion sur le seuil de la porte..."
C'était
"notre adversaire le diable" qui "comme un lion
dévorant cherche qui dévorer". Il nous poursuit sans cesse
jusqu'à notre dernier souffle, avec des promesses, des calomnies et
des menaces. Et quand l'âme quitte le corps, il essaie de la prendre
à son compte et de proclamer qu'elle est sienne.
Mais l'Abba
était paisible. Les anges se tenaient à côté de lui pour
l'assister, lui qui avait représenté et incarné la vie angélique.
Le
21 mai 1932, l'athlète de la vie cénobitique, le combattant de
l'obéissance bénie, s'endormit paisiblement. Il rendit son âme
sainte entre les mains de Dieu. "les âmes des justes sont dans
les mains de Dieu, aucun mal ne peut les atteindre", et "leur
espérance est pleine d'immortalité", selon les mots de
l'Ancien Testament.
L'office
des funérailles de l'Ancien fut très recueilli : durant soixante
ans, il avait suscité l'amour et le respect de ses frères, et
maintenant il dormait là, enveloppé dans son rasso, se reposant
dans le Seigneur.
Le
visiteur qui vient aujourd'hui dans le simple et calme cimetière de
Dionysiou peut voir avec émotion l'endroit béni où fut enterré
l'Ancien d'éternelle mémoire. Dans l'ossuaire, il pourra voir les
os des pères, parmi lesquels sont aussi ceux du Père Isaac,
attendant silencieusement la trompette de l'Archange sonnant la
résurrection...
Quand le
pélerin regarde le Codex du cimetière, il lit à une certaine page
ces quelques mots significatifs, qui concluent la vie de ce saint
contemporain :
"21
mai 1932. En ce jour, notre frère, l'Ancien Isaac, originaire de
Kavvaklia aux Quarante Eglises, s'en est allé vers le Seigneur. Il
resta au monastère pendant soixante années; il y fut un modèle et
un exemple de vertu et d ela règle véritable de la vie monastique,
débordant de sainteté.
Que
le Seigneur notre Dieu fasse reposer parmi les saints notre lumineux
père, porteur de Dieu. Amen."
Ses
reliques ont été transférées dans le mur inférieur le 9
septembre 1937.
FIN
GLOSSAIRE
Acathiste
(hymne) : Hymne en l'honneur de la Mère de Dieu, constitué de
vingt-quatre stances disposées selin l'ordre des lettres de
l'alphabet. Composé probablement vers le VI-VIIe s., il est attribué
par certains à saint Romanos le Mélode. Il est chanté
solennellement en totalité le cinquième samedi du Grand Carême, et
par parties chaque vendredi soir de cette période. Par ailleurs, il
est simplement récité chaque jour aux Complies. Normalement les
moines le connaissent par coeur et aiment à le réciter pendant la
journée, en alternance avec la prière de Jésus. Il existe aussi
des Acathistes pour honorer les saints, les diverses icônes de la
Mère de Dieu, le Christ et la Sainte Trinité.
Agrypnie
: Vigiles ou Veilles de toute la nuit. Office de veille nocturne,
célébré à l'occasion des fêtes importantes, qui est constitué
des Vêpres et des Mâtines réunis et chantés de manière
solennelle. Normalement, cet office, qui commence à une heure
avancée de la nuit, dure de cinq à sept heures et, après un repos,
les moines célèbrent au petit matin les Heures et la Divine
Liturgie, laquelle est suivie d'un repas de fête. Lors des fêtes
patronales des monastères, l'agrypnie peut être célébrée de
manière continue, et dure environ quatorze heures. Le mot est aussi
parfois utilisé pour désigner la veille personnelle quotidienne du
moine dans sa cellule.
Analave
: voir Grand Habit
Ancien
: Désigne le supérieur d'une communauté ou un père spirituel.
Dans les kellia*, à la mort de l'Ancien, c'est le moine le plus
ancien dans l'ordre de la profession monastique qui devient son
successeur, tandis que dans les monastères cénobitiques,
l'higoumène, appelé aussi Ancien, est élu par toute la communauté
des moines profès.
"Bénissez!"
: Expression usuelle dans les monastères, qui sert soit à saluer,
soit à demander l'autorisation de faire quelque chose, soit à
demander pardon. L'expression "Que cela soit béni!" est
utilisée comme expression de cet accord ou de ce pardon.
Calyve
: Littéralement "cabane". Au Mont-Athos, il désigne une
petite maison, pourvue généralement d'une chapelle à l'intérieur,
mais sans domaine agricole, qui est concédée par un monastère à
un moine et à quelques disciples. Ils y mènent une vie familiale,
centrée sur le travail et la prière. On compte aujourd'hui plus de
cent cinquante calyves en activité.
Canon
: 1) Poème composé de neuf odes, chanté dans le cadre d'un service
liturgique ou lu individuellement; 2) Règle définissant le type et
la quantité de prière ainsi que le nombre de métanies que chaque
moine doit effectuer en plus des services liturgiques, et qui est
fixée par son higoumène ou son père spirituel.
Cathisme
: L'une des vingt sections du psautier. Chaque cathisme est lui-même
divisé en trois stances.
Catholikon
: Eglise principale d'un monastère.
Cénobitique
: Mode de vie monastique, dans les communautés d'une certaine
importance, où tous les moines se soumettent à une règle
prédéfinie et où toute décision est soumise à l'higoumène*. Ce
mode de vie se distingue du mode de vie érémitique, du mode de vie
idiorythmique*, et du mode de vie semi-érémitique des kellia* où
un ou quelques moines vivent auprès d'un Ancien.
Chapelet
: Le chapelet ( appelé en grec komboskini et en russe tchotki) qui
est utilisé par les moines et les pieux laïcs pour accompagner la
récitation de la Prière de Jésus est en laine ( pour être
silencieux) noire ( symbole de la mort des pensées, des imaginations
et des pulsions durant la prière); il est composé de 33, 50, 100 ou
300 noeuds, qui sont faits chacun de neuf noeuds ( symbolisant les
neuf ordres angéliques) en forme de croix. Il est terminé par une
croix tressée plus grande, à laquelle peuvent être attachés les
"témoins" ( martyria), petites perles enfilées qui
permettent de compter combien de chapelets ont été faits. Chez les
hésychastes* et dans les kellia*, on remplace souvent les offices
liturgiques ( Vêpres, Complies, Office de Minuit, et Mâtines) par
un nombre déterminé de Prières de Jésus, dites par chacun dans sa
cellule, avec le chapelet. L'expression "faire un chapelet"
signifie en général dire une série de cent Prières de Jésus pour
une intention particulière.
Cucule
: voir Grand Habit
Désert
: Dans le langage ascétique, le mot désigne, au sens propre, une
région désertique, mais aussi un endroit isolé où l'on peut vivre
dans un silnce et une solitude complètes. Au sud du Mont-Athos, la
région de Karoulia, qui répond à ces conditions, est souvent
appelée "le désert".
Diaconie
: Service monastique, travail accompli par chaque moine dans le
monastère, comme cuisinier, hôtelier, jardinier, infirmier,
secrétaire, bibliothécaire, etc. Ce service n'est pas choisi mais
attribué par l'higoumène, et souvent renouvelable chaque année.
Epitrachélion
: Etole du prêtre constituée d'une bande de brocard dont les deux
moitiés sont réunies par une série de boutons à l'exception d'une
ouverture pour passer la tête ( le mot signifie étymologiquement :
autour du cou). Sept croix y sont apposées, une au milieu et trois
sur chaque côté.
Exarque
: Evêque qui représente le patriarche en dehors de son territoire
canonique dans le cadre d'un diocèse ( appelé alors exarchat) ou
une institution particulière.
Géronda,
fém. Gérondissa : Mots grecs habituellement traduits par "Ancien"
et "Ancienne" ( voir ces termes). Nous les avons cependant
gardés pour le vocatif.
Grand
Habit ou Habit angélique ou Grand Schème : Correspond à la
profession monastique. Dans l'Orthodoxie, il n'y a en réalité qu'un
seul habit monastique, même si la tradition a souvent distingué le
Petit Habit - ou arrhes de l'Habit angélique - du Grand Habit
angélique. Il ne s'agit pas de deux degrés par lesquels les moines
doivent nécessairement passer, mais d'une initiation progressive,
nécessaire pour certaines personnes, à l'unique Habit. Le service
du premier degré est souvent désigné par le terme rasoevkhi*.
L'expression "Grand Habit" sert parfois à désigner le
vêtement correspondant constitué : 1) de l'analave ( grec :
analavos; slavon : analav), sorte de large étole noire qui passe sur
les épaules et couvre le dos et la poitrine, et sur laquelle sont
brodés en rouge, bleu et jaune une croix entourée des instruments
de la passion ainsi que les abréviatons suivantes : IC XC NI KA :
Jésus Christ Vainqueur; Phi. Chi. Phi. Pi : Phos Christou Phainei
Pasi ; la lumière du Christ brille sur tout; Théta. Théta. Théta.
Théta : Théou Théa Théion Thauma : vision de Dieu divin miracle;
Chi. Chi. Chi. Chi : Christos Charin Christianois Charizétai : le
Christ donne sa grâce aux chrétiens; Taf. Kappa. Pi. Gamma : Topos
Kraniou Paradeisos Gégoné : le lieu du crâne est devenu paradis;
2) du polystavrion, ruban portant des petites croix, qui sert à
entourer l'analave pour le maintenir, et à rappeler au moine qu'il
est lié au Christ; 3) un capuchon ou cucule, qui dans certaines
églises locales est relié à l'analave et dans d'autres est une
pièce ajoutée; 4) de la paramandya, une large cape noire; 5) d'un
voile ( épanokamilavkion) posé sur la coiffe (kamilavkion) qui
recouvre le dos, les épaules et le haut des bras.
Grande
Semaine : Semaine qui précède la fête de Pâques ( appelée en
Occident Semaine Sainte). Les jours de cette semaine sont précédés
du qualificatif "Grand".
Habit
angélique : Voir Grand Habit;
Hagiorite
: Synonyme d'athonite. Le terme est formé d'après l'autre nom
couramment donné au Mont-Athos : Agion Oros ( la Sainte Montagne).
Hésychasme
: Peut désigner le mode de vie érémitique, par opposition au mode
de vie cénobitique, ou la vie dans l'hésychia*. Le terme
"hésychasme" désigne aussi le mouvement spirituel du XIVe
s., centré sur l'exercice de la Prière de Jésus, pour parvenir à
la déification, par l'expérience, dans l'âme et dans le corps, de
la Lumière incréée. Grâce aux efforts de saint Grégoire Palamas,
qui a montré qu'elle était la récapitulation de toute la
spiritualité orthodoxe, cette doctrine a été reçue
officiellement, à son époque, par plusieurs conciles de l'Eglise
orthodoxe.
Hésychaste
: Moine vivant dans l'hésychia* ou selon la tradition de
l'hésychasme*, et s'adonnant en particulier à la Prière de Jésus*
et à l'ascèse qu'elle présuppose.
Hésychastère:
Lieu isolé où vivent un ou plusieurs ascètes qui souhaitent se
consacrer spécialement à la vie hésychaste.
Hésychia
: Quiétude à la fois extérieure et intérieure, au moyen de
laquelle l'esprit et le coeur restent, dans l'attention et la
vigilance, centrés sur Dieu par la prière. Le mot a également le
sens de solitude et/ou de silence, lesquels avorisent cette quiétude.
Heures
: Petits offices monastiques au nombre de quatre ( Prime, Tierce,
Sexte, None) qui originellement étaient célébrés séparément et
ponctuaient la journée; mais, avec le temps, on a assisté à un
regroupement de ces offices. Dans les monastères, la Première Heure
est lue à la suite des Matines, la Troisième et la Sixième avant
la Divine Liturgie ( ou avant le repas), et la Neuvième Heure juste
avant les Vêpres.
Hexapsalme
: Suite des six psaumes lus au début des Matines.
Higoumène
: Littéralement "guide", "chef". désigne le
supérieur d'un monastère cénobitique, qui est à la fois
l'administrateur et le père spirituel de la communauté.
Idiorythmie
: Mode d'organisation monastique qui s'est répandu au Mont-Athos à
la faveur des difficultés de gestion des monastères durant les
quatre siècles d'occupation turque. Au lieu d'un higoumène, les
monastères idiorythmiques étaient dirigés par un conseil, présidé
par un prohigoumène qui n'exerçait qu'une autorité administrative
sur les moines. Les moines jouissaient d'une large autonomie, n'étant
tenus qu'à l'assistance aux offices et à une obédience pour
laquelle ils recevaient un salaire, au moyen duquel ils devaient
subvenir à leur besoins. Le grand renouveau qu'a connu la
Sainte-Montagne ces trente dernières années a vu la suppression de
ce mode de vie monastique au profit du retour au mode cénobitique
dans lequel les moines sont soumis à l'higoumène et à une règle
de vie communautaire.
Impassibilité,
gr. apatheia : Dans le contexte de l'ascétique orthodoxe, ce mot
signifie non pas un état d'insensibilité et d'indifférence, comme
dans le stoïcisme, mais un état où, purifié des passions, on est
libéré. C'est pourquoi le mot signifie souvent, chez les Pères,
non seulement "absence de passion" mais "liberté
intérieure".
Kamilavkion
(gr.) ou Kamilavka (ru.) : Coiffe rigide de forme cylindrique portée
par les clercs et les moines. Les moines du Grand Habit, les
archimandrites et les évêques le portent recouvert d'un voile noir
appelé épanokamilavkion.
Kathisma
: Ermitage situé à proximité de l'un des grands monastères, où
demeure un membre de la communauté qui désire mener une vie plus
rigoureuse.
Kellion,
pl. kellia : Maison plus importante qu'une calyve, concédée par un
monastère à un groupe d'au moins trois moines, qui mènent une vie
communautaire plus organisée. Il comporte plusieurs corps de
bâtiments, avec une chapelle, et un petit terrain agricole. Nombre
de ces kellia sont en fait, d'anciens monastères historiques.
Kyriakon
: Eglise principale d'une skite.
Métanie
: Du grec métanoïa, repentir. Consiste à se prosterner, en posant
le front à terre, pour se relever aussitôt (grande métanie) ou à
simplement s'incliner en touchant le sol de la main droite (petite
métanie). Un certain nombre de métanies sont prescrites au cours
des offices liturgiques, surtout pendant le Grand Carême, et les
moines peuvent en faire un grand nombre devant les icônes lors de
leur règle de prière privée. On fait aussi une métanie devant un
moine ou un Ancien, pour le saluer ou pour lui demander pardon.
Métochion,
pl. métochia : Dépendance d'un monastère, qui peut être soit un
petit monastère soit une résidence, situé dans une autre région
ou dans une ville.
Mystères
: Selon le vocabulaire en usage dans l'Eglise ancienne, on appelle
"Mystères" dans l'Eglise orthodoxe ce que l'Eglise
catholique a appelé par la suite "sacrements" en en
développant une doctrine plus systématique et plus fermée ( en les
limitant au nombre de sept). Les principaux Mystères sont le
baptême, la chrismation et l'eucharistie. L'expression "les
Saints Mystères" désigne l'eucharistie.
Nepsis
: Attitude spirituelle faite de sobréiété vis-à-vis des mauvaises
pensées, imaginations et pulsions, et de vigilance vis-à-vis des
tentations ( étroitement liées à celles-ci). C'est un état
d'éveil, d'attention à soi et de contrôle de soi dont le but est
de ne pas se détourner de Dieu.
Neptique
: Relatif à la nepsis.
Panaghia
: ( Littéralement, la Toute Sainte, nom d ela Mère de Dieu). Petite
icône de la mère de Dieu, de forme ovale, portée sur la poitrine
par un évêque, et qui est un signe de sa dignité ( les prêtres
portent une croix).
Paraklisis
: Office adressé à la Mère de Dieu pour obtenir de sa part aide et
consolation ( c'est le sens du mot paraklisis) en cas de maladie,
d'affliction ou de péril. Il en existe une forme longue et une forme
brève.
Pères
neptiques : Les Pères neptiques sont ceux qui pratiquent la nepsis*
d'une manière méthodique; l'expression désigne souvent les Pères
sont les textes sont rassemblés dans la Philocalie*, dont le titre
complet est : Philocalie des Pères neptiques.
Phélonion
: Sorte de cape fermée, en forme de cloche, avec une ouverture pour
la tête, que le prêtre revêt pour célébrer les services
liturgiques. Son équivalent latin est la chasuble.
Philocalie
: Célèbre anthologie de textes spirituels éditée au XVIIIe siècle
par saint Nicodème l'Hagiorite et saint Macaire de Corinthe, se
rapportant à la vie ascétique et à la pratique de la prière de
Jésus. Ce recueil, traduit en français par Jacques Touraille, a été
publié sous la forme de onze fascicules par les éditions de
l'Abbaye de Bellefontaine, puis en deux volumes publiés aux éditions
Desclée de Brouwer et J. Cl. Lattès (1995).
Prière
: Utilisé au singulier et sans qualificatif, ce mot désigne
généralement la Prière de Jésus*.
Prière
de Jésus : Appelée aussi "prière monologique" pour la
raison qu'elle consiste en une phrase : " Seigneur Jésus-Christ,
aie pitié de moi!" ( avec diverses variantes). On la dit
généralement à l'aide d'un chapelet* en laine ( komboskini). Cette
prière, qui reste au coeur de la spiritualité athonite
contemporaine, s'inscrit dans la grande tradition hésychaste* dont
témoigne la Philocalie*.
Prière
du coeur : voir Prière mentale.
Prière
mentale : Noera proseuchè ou Prière intérieure. C'est l'activité
qui consiste à répéter mentalement et sans distraction la formule
de la Prière de Jésus* et à s'efforcer de faire descendre l'esprit
dans le coeur. Le terme de "Prière du coeur" lui est
appliqué lorsqu'elle est pratiquée dans ce dernier état qui permet
à l'homme d'être, de tout son être, en communion permanente avec
Dieu.
Prohigoumène
: 1) Ancien higoumène. 2) Faisant fonction d'higoumène ( par
exemple quand l'higoumène en titre n'est pas en mesure d'exercer ses
fonctions, ou dans un monastère idiorythmique*, où il a alors une
autorité purement administrative).
Rasso
: Manteau monastique à larges manches, de couleur noire.
Skite
: Regroupement de calyves, qui dépend de l'un des vingt grands
monastères du Mont-Athos. Apparues au XVIIIe siècle, les skites ont
la structure d'un village, avec une église au centre ( kyriakon), où
les moines se réunissent le dimanche et les jours de fêtes. Sur la
Sainte Montagne*, on rencontre aussi des "skites cénobitiques"
qui fonctionnent comme des monastères sans en avoir le statut. Les
deux sortes de skites dépendent d'un monastère.
Skoufos
ou skoufia : Bonnet en feutre mou, et en forme de tronc de cône que
portent les moines athonites.
Synaxe
: Réunion. Le mot peut désigner : 1) la Liturgie ( Synaxe
eucharistique) ou d'autres offices communs; 2) la réunion, régulière
ou exceptionnelle, soit des "Anciens" du monastère ( ou de
la skite), soit de tous ses moines, dans le but soit de régler
certaines affaires du monastère, soit de donner un enseignement aux
moines.
Typikon
: 1) Livre contenant les rubriques des célébrations liturgiques et
indiquant pour chaque jour l'ordre interne des services et la nature
des parties mobiles ( ou propres) venant s'insérer dans les parties
fixes. 2) Livre précisant le statut canonique et l'organisation de
la vie des moines d'un monastère qui ont été établis par son
fondateur.
Vieux-calendariste(s)
: Toutes les Eglises orthodoxes ( sauf l'Eglise de Finlande) suivent,
pour la détermination de la fête de Pâques et des fêtes qui lui
sont liées ( fêtes mobiles), le calendrier julien ( ou ancier
calendrier) qui retarde de treize jours par rapport au nouveau
calendrier. C'est aussi ce calendrier que suivent, pour les fêtes
fixes, le patriarcat de Jérusalem, les Eglises de Russie, Serbie,
Géorgie, Pologne ainsi que le Mont-Athos. Depuis 1924, le Patriarcat
de Constantinople, suivi par les patriarcats d'Alexandrie, et
d'Antioche, ainsi que les Eglises de Roumanie, de Bulgarie, de Chypre
et de Grèce, a adopté pour les fêtes fixes ( celles du Ménée) le
calendrier grégorien ( ou "nouveau calendrier), correspondant
au calendrier civil universel actuel. La réforme du calendrier, à
cette époque, et son contexte ont provoqué le schisme des
Vieux-calendaristes. Il y a au Mont-Athos un certain nombre de moines
"vieux-calendaristes", aussi appelés "zélotes*",
qui ont rompu la communion avec le patriarcat de Constantinople (
dont dépend le Mont-Athos) et en conséquence avec les autres
patriarcats ( la rupture de commnion avec une Eglise impliquant la
rupture de communion avec toutes les autres qui sont en communion
avec elles). Ils sont eux-même divisés en plusieurs groupes. A la
Sainte-Montagne, ils sont surtout concentrés au monastère
d'Esphigménou et dans la région sud de l'Athos, en particulier à
Katounakia-Karoulia.
Vigiles
: Voir Agrypnie.
Zélote(s)
: Vieux-calendariste(s)*.
TOPONYMES
Daphni
: Le port du Mont-Athos, où arrivent et d'où ârtent les bateaux
faisant la liaison avec Ouranopolis* d'une part et les monastères et
skites du sud-ouest du Mont-Athos d'autre part; c'est aussi le point
de départ et d'arrivée de l'autobus qui assure la liaison avec
Karyès*, la capitale.
Dionysiou
: L'un des vingt monastères de l'Athos, situé sur la côte
sud-ouest de la péninsule, en bord de mer. Son typikon* liturgique
sert de référence à tous les monastères athonites. Il est
aujourd'hui réputé comme l'un des plus ascétiques.
Grigoriou
: L'un des vingt monastères de l'Athos, situé sur la côte
sud-ouest de la péninsule, au bord de la mer.
Iérissos
: ville située non loin de la frontière du Mont-Athos, d'où l'on
peut embarquer pour se rendre dans les monastères situés sur la
côte nord-est de la presqu'île.
Kapsala
: Région située, au Mont-Athos, entre les monastères de
Pantokrator et de Stavronikita et s'étendant à l'ouest de ceux-ci,
qui comporte de nombreuses kellia et callyves.
Karoulia
: Endroit désertique qui se trouve en-dessous de Katounakia. Des
ermites hésychastes y séjournent dans un environnement
particulièrement sévère qui surplombe la mer. Certaines kalyves
semblent suspendues aux rochers et on ne peut y accéder qu'au moyen
d'échelles ou de chaînes. Le mot signifie "poulies",
parce que les ermites, en raison de l'inaccessibilité du lieu,
montent le nécessaire ( qui leur est souvent apporté par d'autres
moines, en barque, depuis la mer) à l'aide de poulies et de cordes.
Karyès
: Capitale administrative de l'Athos, où se trouvent aussi de
nombreux skites, kalyves et kellia.
Katounakia
: Endroit désertique, situé au sud-ouest de l'Athos, au-dessus de
Karoulia*, où se trouvent de nombreuses kellia et kalyves.
Kavsokalyvia
: Skite située à l'extrême sud de l'Athos.
Koutloumousiou:
L'un des vingt monastères de l'Athos, situé non loin de Karyès;
Lavra
(Grande) : Il s'agit du monastère de la Grande Laure ( Megistis
Lavra), le premier et le plus grand monastère de la Sainte-Montagne,
fondé en 963 par saint Athanase l'Athonite. C'est de ce monastère
que dépend administrativement l'hésychastère de Saint-Ephrem.
Chaque ermitage ou kellion des skites dépend administrativement d'un
des vingt monastères souverains du Mont-Athos; c'est dans son
registre monastique (monachologion) que sont inscrits les noms des
moines qui y vivent.
Monoxilitis
: Lieu situé au sud-ouest du Mont-Athos, non loin de la côte, et
qui jouit d'un micro-climat propice notamment à la culture de la
vigne.
Néa-Skiti
: Skite qui dépend du monastère de Saint-Paul et qui se trouve à
proximité de celui-ci en bordure de mer...
Ouranopolis
: Ville frontière entre le territoire de la Grèce et celui,
autonome, du Mont-Athos. Port où l'on embarque pour le Mont-Athos.
Petite-Sainte-Anne
: Skite située à côté de celle de Sainte-Anne*.
Philothéou
: L'un des vingt monastères de l'Athos.
Sainte-Anne
: La plus ancienne et la plus grande skite de la sainte-Montagne,
fondée au XIVe siècle, située au sud-est de la péninsule. elle
dépend du monastère de la Grande Lavra.
Sainte-Montagne
: Autre nom pour le Mont-Athos.
Saint-Paul
: L'un des vingt monastères de l'Athos, situé sur la côte
sud-ouest de la péninsule.
Vatopaidi
: L'un des plus grands monastères de l'Athos, second dans l'ordre
hiérarchique après celui de la Grande Lavra.
Xiropotamou
: L'un des vingt monastères de l'Athos, situé sur la côte
sud-ouest de la péninsule, à mi-pente, un peu à l'ouest de Daphni.
Hiéromoine
Macaire- Jean-Claude Larchet.
TABLE
DES MATIERES
INTRODUCTION
I L'ANCIEN JOACHIM DE LA SKITE DE SAINTE-ANNE
I L'ANCIEN JOACHIM DE LA SKITE DE SAINTE-ANNE
II
L'ANCIEN ATHANASE DE GRIGORIOU
III
CALLINIQUE L'HESYCHASTE
IV
L'ANCIEN DANIEL DE KATOUNAKIA
V L'ANCIEN ISAAC DE DIONYSIOU
V L'ANCIEN ISAAC DE DIONYSIOU
GLOSSAIRE