lundi 27 janvier 2020

Saint Jean Maximovitch, La Vénération de la Mère de Dieu, suivie de la Vie de Saint Jean Maximovitch.

Saint Jean Maximovitch
La Vénération de la Mère de Dieu
dans l'Eglise orthodoxe
ED. L'AGE D'HOMME
COLLECTION LA LUMIERE DU THABOR
La Vénération de la Mère de Dieu dans l'Eglise orthodoxe
Collection La Lumière du Thabor
Fondée par Patric RANSON (+)
Dirigée par Laurent MOTTE
La Lumière du Thabor est le nom d'une revue orthodoxe Publiée par la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas 30, boulevard de Sébastopol, 75004 Paris, et les éditions L'Age d'Homme
DEJA PARUS P. AMBROISE FONTRIER, Saint Nectaire d'Egine, Ed. Augmentée. 1993. CYRIAQUE LAMPRYLLOS, La Mystification Fatale, Etude sur le Filioque, 1987. EVEQUE N. VELIMIROVITCH, Cassienne, L'enseignement sur l'amour chrétien, 1988. P. JUSTIN POPOVITCH, L'Homme et le Dieu-Homme. 1989. Philosophie orthodoxe de la Vérité (Dogmatique de l'Eglise Orthodoxe). Tomes I à V, 1992-1997. Les Voies de la Connaissance de Dieu. Macaire d'Egypte. Isaac le Syrien. Syméon le Nouveau Théologien. 1988. PATRIC RANSON, Richard Simon, ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie. 1990. WLADIMIR GUETTEE, De la Papauté, 1990. MGR ATHANASE JEVTITCH, Dossier Kossovo. 1991. Etudes Hésychastes. 1995. MICHEL AUBRY, Saint Païssius Vélichkovsky, 1992. NICOLAS CABASILAS, La Mère de Dieu, 1992. ARCHIM. JOACHIM SPETSIERIS, Sainte Photinie l'Ermite. 1992. MGR PHOTIOS, ARCHIM. PHILARETE, Le nouveau Catéchisme contre la Foi des Pères, 1993. PRESBYTERA ANNA, Saint Théophile le Fol en Christ. 1999. SAINT THEODORE DU STUDION, L'Image Incarnée. 1999. THEOPHANE LE RECLUS, Pour garder la Flamme. 2001. PRESBYTERA ANNA, L'Oiseau de Guelvéri. 2003. MGR JEAN MAXIMOVITCH, La Vénération de la Mère de Dieu dans l'Eglise orthodoxe, 2005. c 2OO5, Editions L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse. Saint Jean Maximovitch
La Vénération de la Mère de Dieu dans l'Eglise orthodoxe
Traduit par Mikhaïl Syrokhvachine Avec deux Appendices
L'AGE D'HOMME
COLLECTION LA LUMIERE DE THABOR
Traduit de Pravoslavnoïé Bogeiei Materi,
1ère éd. 1933; réed. Mission de l'Europe occidentale de l'ERHF, et Monastère de la Résurrection Novodiévitchi de Saint-Pétersbourg, Eglise Russe Hors Frontières. Villemoisson - Saint- Pétersbourg, 1992.
SAINT JEAN MAXIMOVITCH
CHANTRE ET THEOLOGIEN DE LA MERE DE DIEU
Ceux qui te chantent, ô Mère de Dieu,
Source vivante et intarissable,
forment un choeur spirituel
en ce jour de ta vénérable conception.
Rends-les dignes de la couronne de gloire.
Canon de l'Annonciation, Hirmos 3
Etymologiquement, l'Orthodoxie signifie la foi juste; mais elle est aussi prière et authentique louange de Dieu, piété véritable. L'Orthodoxie est mentionnée dans l'Ecriture pour la première fois dès le livre de la Genèse, à propos du sacrifice d'Abel qui est orthos, parce qu'il a été offert selon les règles prescrites; au contraire, celui de Caïn est rejeté parce que son sacrifice n'a pas été offert justement : Caïn a fait le partage ouk orthôs, gardant le meilleur pour lui-même au lieu de l'offrir à Dieu. Le bien n'est bien que s'il est bien fait. L'Eglise orthodoxe, qui ne sépare point dogme et prière, théologie et vénération, a dû lutter pour garder sa piété vraie et salutaire. Dès les premiers temps de son histoire, l'Eglise a ainsi été traversée par une contradiction apparente entre la nécessité de réserver ses mystères et ses doctrines aux seuls initiés pour éviter qu'ils ne soient mécompris, moqués ou falsifiés, volontairement ou non, par les esprits non régénérés en Christ, et celle de les formuler par des mots, de les verbaliser afin de les défendre contre les hérésies et de fixer clairement la frontière entre la vérité et l'erreur. Comme le dit saint Basile le Grand : " Pourquoi Moïse le Grand n'a-t-til pas rendu toutes les parties du sanctuaire accessibles à tous, pourquoi les laïcs devvaient-ils se tenir hors de l'enceinte sacrée de la Tente? Il savait bien que les objets familiers inspirent souvent le mépris, tandis que les choses extraordinaires suscitent naturellement notre intérêt. De la même manière, les apôtres et les Pères ont, dès les premiers temps de l'Eglise, fixé des règles sur la manière de traiter des choses saintes dans l'Eglise. Ces mystères redoutables étaient précieusement gardés, dans le silence et dans le secret, de peur que le dogme chrétien ne fût avili par une divulgation trop familière de la tradition orale qui les conservait" ( Traité du Saint Esprit, 66, 188 A - 189 A). En même temps, l'Eglise est la gardienne du dépôt de la foi des apôtres, qui lui a été remis : " L'Eglise est la gardienne attentive et soigneuse des doctrines qui lui ont été confiées, n'y change rien, n'en retranche rien, n'y ajoute rien; elle ne tronque pas les choses nécessaires, n'en introduit pas de superflues; elle ne laisse rien perdre de ce qui est à elle et n'usurpe rien d'autrui. Elle met toute son industrie à conserver avec sagesse les choses anciennes, à façonner et polir ce qui fut autrefois commencé, ébauché; à consolider et affermir ce qui fut exprimé, éclairci; à garder ce qui fut confirmé et défini (1)". (1) : ( Saint Vincent de Lérins, Commonitorium, XXIII, cité par Guettée dans son Histoire de l'Eglise, tome IV, p. 440). Le texte de saint Jean Maximovitch montre qu'au fil des siècles l'Eglise orthodoxe a gardé précieusement le dépôt d el'enseignement concernant la Mère de Dieu et l'a défendu contre les attaques de l'hérésie. L'histoire des hérésies ou déformations du message apostolique constitue, comme le dit le Père Vladimir Guettée, une oeuvre extrêmement utile, voire indispensable, pour la connaissance et l'approfondissement du dogme chrétien. Historiquement, l'un des premiers grands textes théologiques qui nous soit parvenu n'est-il pas le Contre les Hérésies de saint Irénée de Lyon, qui date du second siècle après Jésus Christ? Le présent ouvrage de saint Jean Maximivitch a été publié pour la première fois en 1933. A cette époque, saint Jean, né en 1896, et baptisé sous le nom de Michel, avait quitté sa Russie natale à cause de la guerre civile des années 20 et, avec de nombreux compatriotes fidèles à l'Orthodoxie, trouvé refuge en Serbie. Le Synode Russe Hors Frontières s'y organisait, sous la houlette du célèbre métropolite Antoine Khrapovitsky, et conformément à l'oukase du saint patriarche Tikhon, qui avait prévu les risques du bolchévisme et fixé les règles pour l'empêcher d'asservir toute l'église russe. Le Synode des évêques russes en exil porta longtemps le nom de la ville serbe de Karlovic, qui l'avait accueilli. C'est dans ces circonstances difficiles que le futur archevêque Jean obtint, en 1925, le diplôme d ela faculté de théologie de Belgrade et s emit à enseigner la dogmatique orthodoxe au séminaire Saint-Jean-le-Théologien de Bitol, où il demeura jusqu'en 1934. Sa vie fut une longue ascèse, et son amour de Dieu lui donna d'être l'une des figures missionnaires les plus rayonnantes du vingtième siècle. Devenu évêque de l'Eglise Russe Hors Frontières, il fut, comme les hiérarques des premiers âges du christianisme, un authentique "évêque des nations" pour notre temps. Quel continent n'a pas entendu sa voix? Il a laissé le souvenir de ses miracles un peu partout dans le monde, en Asie surtout, où il fut longtemps évêque de Changaï, y compris dans les années les plus noires de la Seconde Guerre Mondiale, aux Philippines, en Europe Occidentale, où il s'attacha à faire refleurir la foi orthodoxe et la vénération des saints de la Romanité, et en Amérique, dans la ville de San Francisco, où son corps repose, intact, témoin sensible de la grâce de Dieu qu'il avait, si l'on peut dire, emmagasinée durant sa vie. Il dort d'un sommeil d'honneur, sous l'icône de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu, attendant une glorieuse Résurrection. L'archevêque Jean Maximovitch a été plus grand que beaucoup parce que, suivant la règle de saint Grégoire le Théologien, il a préféré se purifier pour Dieu que d eparler de Dieu. Ascète extraordinaire au milieu du monde, il célébrait presque chaque jour la liturgie, mentionnant pendant plusieurs heures des milliers de noms. Il dormait à peine une ou deux heures par nuit, ne mangeant qu'une fois par jour, le soir vers vingt-deux heures, faisant tout pour plaire à Dieu. Il fut un maître de la piété véritable, et c'est pour cette raison que les quelques rares textes qu'il nous a laissés introduisent si bien au dogme chrétien. Quelles sont les autres sources de sa théologie? La vie des saints, l'Ecriture, les Pères de l'Eglise et les offices. Il connaissait parfaitement l'Ancien et le Nouveau Testament et, entendant un jour dans l'Eglise un lecteur qui, par paresse, sautait un grand passage de son texte, saint Jean le récita entièrement de mémoire. Il s'appuie toujours sur les Pères, et, comme on le verra en lisant le présent ouvrage, nourrit sa réflexion des offices de l'Eglise orthodoxe. Les chants qu'ils contiennent ont, au fil des siècles, intégré toutes les définitions des conciles oecuméniques et tout le vocabulaire mis au point par les Pères pour préciser la foi et la protéger des déformations. Aussi sa théologie respire les prières de l'Eglise orthodoxe qui suffisent pour faire d'un homme pieux et amoureux de Dieu un grand théologien. Sa piété pour la Mère de Dieu était immense. Toujours il portait sur lui son icône. Son livre sur la vénération de la Mère de Dieu est à la fois une présentation de la vraie doctrine orthodoxe et le récit de la victoire de la vénération de la Mère de Dieu sur les hérésies et les déformations historiques. Saint Jean s'y adresse, coeur à coeur, aux enfants de l'Eglise. Il consacre un long chapitre à une hérésie d'un genre nouveau et plus pernicieux car elle prétend rendre à la Mère de Dieu un culte plus parfait : c'est l'immaculée Conception, apparue dans l'occident médiéval, contestée et tardivement légitimée au XIXème siècle par une bulle papale. Dans ce chapitre saint Jean quitte les rivages des sept premiers conciles oecuméniques pour aborder l'histoire de l'Eglise d'Occident après le schisme. Rappelant les origines historiques et théologiques du dogme de l'Immaculée Conception (Paschase Radbert au IXème siècle puis Duns Scot au XIIIème), le saint archevêque montre que ce dogme, loin de faire l'unanimité dans l'Eglise d'Occident, a provoqué, à l'intérieur de celle-ci, des contestations qui mirent aux prises les plus grands docteurs de l'Eglise latine, puisque Bernard de Clairvaux et Thomas d'Aquin le condamnèrent. Les travaux du Père Patric Ranson (2) ont éclairé d'une lumière nouvelle la guerre civile qui a fait rage dans la théologie occidentale, et dont l'Immaculée Conception est un épisode. IL en analyse l'origine. (2) : ( Voir son introduction à Wladimir Guettée, De la Papauté, Lausanne, l'Age d'Homme, 19990, pp. 30-31. Comme le montre Père Patric, pour les Pères de l'Eglise, d'Orient comme d'Occident, il n'y a pas de culpabilité originelle transmise à tout homme : " Il n'y a donc pas lieu de (...) préserver ( la Mère de Dieu) d'une culpabilité inexistante, ni de lui ôter, avec la possibilité du péché, la gloire d'en avoir triomphé" ( p. 31). Voir également le Dossier H consacré à Saint Augustin, conçu et dirigé par Père Patric Ranson, L'Age d'Homme, 1988). Selon la doctrine d'Augustin d'Hippone, considéré par l'Eglise latine comme son plus grand Docteur, tous les hommes en naissant sont personnellement coupables du péché commis par Adam et Eve dans le Paradis et la colère divine pèse sur eux. Comment celle qui était destinée à devenir la Mère de Dieu pourrait-elle être souillée par cette tache originelle et coupable devant son propre Fils? Pour répondre à ce paradoxe et en corriger les conséquences, il faudra exempter la Toute Sainte du "péché originel" : c'est la doctrine de l'Immaculée Conception proclamée en 1854 par le pape Pie IX et réaffirmée par le catéchisme de Jean Paul II, publié en 1992. Ce texte enseigne : " Pour être la Mère du Sauveur, Marie " fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d'une si grande tâche". L'ange Gabriel, au moment de l'Annonciation la salue comme "pleine de grâce". En effet, pour pouvoir donner l'assentiment libre de sa foi à l'annonce de sa vocation, il fallait qu'elle fût toute portée par la grâce de Dieu". " Au long des siècles l'Eglise a pris conscience que Marie "comblée de grâce par Dieu" ( Luc 1, 28), avait été rachetée dès sa conception (...)" " Cette "sainteté éclatante absolument unique" dont elle est "enrichie dès le premier instant de sa conception", lui vient tout entière du Christ : elle est "rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils (3)". (3) : (Catéchisme de l'Eglise Catholique, Paris, Mame/ Plon, 1992, pp. 108-109. Pour une critique de ce texte, voir Evêque Photios, Le Nouveau Catéchisme contre la Foi des Pères, l'Age d'Homme, 1994, p. 86-90). Rejetant la théologie augustinienne de la rédemption (4), saint Jean Maximovitch démontre que l'Immaculée Conception n'est qu'une innovation théologique, qui n'a aucune justification dans la Tradition, dans l'Ecriture Sainte, chez les Pères ni dans les décisions des consiles oecuméniques; (4) : ( Voir page 54-55 du présent ouvrage). cette doctrine ne répond pas aux critères définis par saint Vincent de Lérins qui prescrivent de "ne s'attacher qu'a ce qui a été cru en tout lieu, toujours et par tous". Elle est le fruit d'une piété déréglée qui n'est plus guidée et mesurée par le dogme et la juste confession de la Foi, " ce bon dépôt" que le saint apôtre Paul recommande de conserver précieusement : " garde le bon dépôt par le Saint Esprit qui habite en nous" ( 2 Tim. 1, 14). Le pape s'est déclaré infaillible par-delà le témoignage de l'Eglise ( voir ici p. 44). En outre, le dogme de l'Immaculée Conception fait de la Vierge la co-rédemptrice ( Vénération, p. 47-48). Enfin, dans la théorie catholique romaine, la Vierge devient un instrument aveugle de la providence de Dieu (Vénération, p. 55-56). Or, comme le dit saint Athanase le Grand, " Marie est notre soeur car nous sommes tous d'Adam (5)". (5) : ( Cité par P. Justin Popovitch, Philosophie orthodoxe de la Vérité, t. 2, l'Age d'Homme, 1993, p. 243). Pour l'Eglise orthodoxe, Marie a, seule, remporté la victoire sur le péché et il n'y a pas lieu de la préserver d'une culpabilité originelle mythique. Son ascèse et sa victoire sur less passions sont ruinées par le nouveau dogme de l'Immaculée Conception. La démonstration de saint Jean contraste singulièrement avec les affirmations plus récentes de certains orthodoxes oecuménistes tels Kallistos Ware, qui veut nous voir "suspendre notre jugement sur cette question" : " L'Eglise orthodoxe ne s'est jamais officiellement et définitivement prononcée sur cette question. Dans le passé, nombre de pieux chrétiens orthodoxes ont cru à l'Immaculée Conception. Ainsi du point de vue orthodoxe...toute cette question relève du domaine de l'opinion théologique (6)". (6) : ( " The Orthodox Church has never in fact made any formal and definitive pronouncement on the matter." " In the past many orthodox Christians believed in the Immaculate Conception. Thus from the orthodox point of view, the whole question belongs to the realm of theological opinion". Kallistos Ware, The Orthodox Church, Baltimore, 1964, p. 264). Loin de nous inciter à suspendre notre jugement, le texte de saint Jean Maximovitch invite le lecteur à exercer son esprit critique, à réfléchir sur cette question et nous fournit un certain nombre d'éléments et d'arguments clefs ( à la fois historiques, théologiques et ecclésiologiques) pour la trancher. Précisons que, à proprement parler, aucun orthodoxe n'a jamais cru à l'Immaculée Conception. La phrase de Kallistos Ware fait allusion aux influences occidentales qui, certes, ont parfois touché même de pieux orthodoxes. L'école kiévienne (XVIIème- XVIIIème siècles) en est un exemple. Sous le rectorat de Joasaph Krokovsky, qui avait étudié la théologie à Rome, se formèrent à Kiev les Sodalités mariales, ou associations dévouées à la " Vierge Marie conçue sans la tache originelle". Le Père Georges Florovsky précise bien qu'il s'agit " d'un emprunt à la pensée et aux pratiques de l'Eglise catholique romaine (7)". (7) : ( P. G. Florovsky, Les Voies de la Théologie russe, l'Age d'Homme, Lausanne, 2001, p. 77). Et la conclusion pourrait être celle du Père Michel Azkoul : " L'Immaculée Conception n'est qu'un épisode de plus dans la comédie des erreurs latines (8)". (8) : ( Père Michel Azkoul, An Orthodox Apology for the New Millenium, Seattle, Saint Nectarios Press, 2000, p. 173). Cette réfutation limpide et vigoureuse des diverses erreurs et hérésies qui ont attaqué la vénération orthodoxe de la Mère de Dieu est couronnée par le dernier chapitre; après l'examen des enseignements qui ont nié et déformé la vérité apostolique, vient l'affirmation liturgique, scripturaire et patristique du dogme orthodoxe regardant la Toute Sainte Mère de Dieu. célébrer la Toute Sainte comme Mère de Dieu, c'est chanter toute l'économie de notre salut et d ela divine kénose du Dieu devenu homme par amour de l'homme : le mot Théotokos manifeste le fait que l'enfant que Marie porta n'était pas un simple homme, mais le Fils de Dieu, l'Un de la Sainte Trinité, qui s'est incarné par amour de l'humanité, pour que l'homme devienne Dieu : " Mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme" ( Gal. 4, 4); comme le dit saint Jean Damascène, le nom de Théotokos "contient tout le mystère de l'Incarnation" ( De la Foi orthodoxe, 3, 12). Devant la grandeur de ce mystère, il est significatif que le texte de saint Jean Maximovitch s'achève sur une réticence : " Il n'est pas de mots, ni d'intelligence assez talentueuse pour exprimer la grandeur de celle qui naquit de la race humaine pécheresse mais devint "plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins" ( La Vénération de la Mère de Dieu dans l'Eglise orthodoxe, p. 68). S'il faut défendre la Foinlorsque les Vérités de l'Eglise sont attaquées, s'il convient, comme le fit saint Jean tout au long de sa vie, de mettre à profit l'exil pour prêcher et faire redécouvrir la doctrine orthodoxe, en revanche de quelle piété et de quelle sobriété le chrétien ne doit-il pas faire preuve devant le mystère de la sainteté de la Mère de Dieu... A cette sobriété et à ce pieux silence se reconnaissent les hommes de Dieu. Tel était Jean Maximovitch, tel aussi Père Patric, et son Père spirituel Père Ambroise, qui firent renaître la foi orthodoxe en France au vingtième siècle. A l'image de leur être et de leur témoignage, citons pour finir ces quelques lignes lumineuses et pénétrantes : " Le Mystère de la Mère de Dieu ne scintille qu'au plus profond du sanctuaire. Telle est la vraie raison pour laquelle la vénération de la Mère de Dieu occupe une si grande place dans l'Eglise, et si restreinte dans les textes destinés à la prédication extérieure. Les évangélistes et tous les saints, et toute la Tradition sacrée, ont été d'une grande sobriété quand ils ont parlé de la Mère de Dieu, pour ne pas exposer aux incrédules ce qui dépasse totalement la raison humaine. S'il est inconcevable que Dieu se soit fait homme, il est encore plus inconcevable que le désir d'une seule créature ait contribué à ce miracle. Toute la Vénération de la Mère de Dieu dans l'Eglise orthodoxe prend son sens à la lumière de cette Vérité (9)". (9) : (Père Patric Ranson, introduction à l'ouvrage de Nicolas Cabasilas, La Mère de Dieu, Paris, l'Age d'Homme, 1992, p. 26). Mykhaïl Syrokhvachine I LA VENERATION DE LA MERE DE DIEU DURANT SA VIE TERRESTRE Il est digne en vérité de te célébrer Toi qui enfantas Dieu bienheureuse à jamais et très pure et Mère de notre Dieu. Toi plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins Qui sans tache enfantas Dieu le Verbe Toi véritablement la Mère de Dieu nous t'exaltons. Depuis les temps apostoliques, tous les amoureux véritables du Christ vénèrent Celle qui, aux jours de Sa jeunesse, L'a enfanté, élevé et entouré de sa protection. Oui, si Dieu le Père la choisit, si le Saint Esprit descendit sur elle, et si le Fils fit en elle sa demeure, se soumettant dans l'enfance à son autorité, et, lors même de la Crucifixion, témoignait encore à son endroit la plus grande sollicitude, comment ceux qui confessent la Sainte Trinité se dispenseraient-ils de la vénérer? Durant la vie terrestre de la Toute Sainte, les amis du Christ, ses apôtres, la comblaient de prévenances et lui manifestaient la plus profonde dévotion, tout spécialement saint Jean l'Evangéliste, qui, accomplissant la volonté de son divin Fils, la prit chez lui, et eut soin d'elle comme de sa propre mère, dès l'instant que le Seigneur, pendu sur le bois de la Croix, lui eut murmuré : " Voici ta mère". Le saint évangéliste Luc peignit plusieurs icônes de la Mère de Dieu, seule ou tenant dans ses bras l'enfant divin. Lorsqu'il les présenta à la Toute Sainte, elle se réjouit et entonna l'hymne qui avait déjà raisonné dans la maison d'Elisabeth : " Mon âme magnifie le Seigneur et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur". Pourtant la Toute Sainte ne rechercha pas, durant sa vie terrestre, la gloire qui lui revenait en tant que Mère de Dieu. Elle mena une vie retirée, préférant se préparer au séjour des saints. Jusqu'aux derniers instants de sa vie, elle s'efforça de se montrer digne du royaume de son Fils; avant sa dormition, elle Le supplia de délivrer son âme des esprits malins qui veulent s'emparer des âmes cheminant vers le Paradis, pour les précipiter, avec eux, dan sles Enfers. Le Seigneur exauça la prière de Sa Toute Sainte Mère et à l'heure de sa dormition, Il vint Lui-même, entouré d'une myriade d'anges, accueillir son âme. C'est encore pour exaucer la prière de la Mère de Dieu que le Seigneur assembla les apôtres à son chevet le jour de sa Dormition (10), à l'exception de Thomas toutefois. (10) : ( Lors de la fête de la Dormition de la Toute Sainte ( 15 août), l'Eglise orthodoxe célèbre la mort et la résurrection de la Mère de Dieu : " Apôtres, rassemblés ici, des confins de la terre, au village de Gethsémani, ensevelissez mon corps. Et toi, mon Fils et mon Dieu, reçois mon esprit" (Exapostilaire de la Fête de la Dormition). Traduction de Père Ambroise Fontrier, qui sera utilisée dans toutes les autres notes où est cité le texte des offices de l'Eglise orthodoxe). Transportés des confins du monde des vivants où ils s'en étaient allés prêcher l'Evangile, jusqu'à Jérusalem, ils assistèrent ainsi à sa bienheureuse Dormition. Les apôtres ensevelirent son corps en chantant de saintes hymnes, et le troisième jour ouvrirent son tombeau pour vénérer ses reliques en présence de l'apôtre Thomas, arrivé entre temps à Jérusalem. Ne trouvant pas son corps dans le sépulcre, ils s'en retournèrent chez eux dans l'étonnement. Plus tard, alors qu'ils partageaient le repas, la Mère de Dieu elle-même, leur apparut, resplendissante de lumière céleste, et leur annonça que le Seigneur avait glorifié son corps et qu'elle se tenait, ressuscitée, devant le trône divin (11). (11) : ( A l'occasion de la Fête de la Dormition, l'hymnologie orthodoxe exalte la Mère de Dieu qui connut la mort comme tout être humain, puis l'ascension glorieuse et la résurrection. " La mort et la sépulture n'ont pu retenir la Mère de Dieu, notre intercession perpétuelle; celui qui a habité son sein toujours vierge, a élevé vers la Vie, la Mère de la Vie" ( Kondak de la Dormition). " Tu as dépassé la nature, ô innocente qui enfanta Dieu, et tu as remporté contre elle tous les prix de la victoire. Puis, à l'imitation de ton créateur et Fils, tu te soumets à la nature, tu meurs et tu ressuscites, pour vivre, avec ton Fils, éternellement" ( Canon de l'office de la Dormition de la Mère de Dieu, Ode I, tropaire). Elle leur promit aussi d'être avec eux jusqu'à la fin des siècles. Les apôtres, tout joyeux, saluèrent la Mère de Dieu et dès lors vouèrent vénération à celle qui fut la Mère de leur bien-aimé Maître et Seigneur, mais aussi leur secours céleste, la protection des chrétiens et l'intercession pour toute la race humaine auprès du Juste Juge. Et partout où se répandit la prédication de l'Evangile du Christ, sa très pure Mère fut elle aussi glorifiée. II PREMIERE ATTEINTE A LA VENERATION DE LA MERE DE DIEU Plus la foi en Christ se propageait, plus étaient glorifiés sur terre le nom du Sauveur du monde et de la Mère du Dieu-Homme, et plus s'attisait contre elle aussi la haine des ennemis du Christ. Marie était la Mère de Jésus. Sa vie avait été un modèle de pureté et de droiture, jamais égalé, et, à présent qu'elle avait quitté ce monde, elle était devenue, d'une manière invisible aux yeux du corps, un puissant secours pour les chrétiens. Ainsi tous ceux qui haïssaient notre Seigneur Jésus Christ, qui ne croyaient pas en Sa parole, qui n'entendaient rien à son enseignement, ou pour être plus exact, ne désiraient pas l'entendre de la même manière que l'Eglise, mais substituer à la prédication du Christ leurs propres sophismes, tous ceux-là reportèrent leur haine du Sauveur, de l'Evangile et de l'Eglise sur la Vierge Marie toute Sainte. En discréditant la Mère du Christ, ils pensaient aussi réduire à néant la Foi en son Fils, et en donnant une fausse image d'elle aux hommes, ils ambitionnaient de reconstruire le christianisme sur de nouveaux fondements. Dans le sein de Marie, la divinité et l'humanité s'étaient unies. N'avait-elle pas pas été, pour ainsi dire, l'échelle par où le Fils de Dieu était descendu des cieux? Nier que les chrétiens dussent vouer vénération à la Mère de Dieu, c'était, en attaquant le dogme chrétien dans ses fondements, en détruire tout l'édifice. Ainsi les débuts de sa gloire céleste furent aussitôt marqués, de la part des incroyants, par un déchaînement de haine et de malignité à son endroit. Après la sainte Dormition de la Vierge, les apôtres transportèrent son corps pour l'ensevelir à Gethsémani au lieu qu'elle avait choisi; Jean marchait en tête, tenant en main un rameau du paradis, don de l'Archange Gabriel venu des hauteurs, trois jours auparavant, pour annoncer à la Toute Sainte son prochain départ vers les demeures célestes. Pierre entonna le psaume 113 : " Quand Israël sortit d'Egypte, la maison de Jacob se sépara d'un peuple barbare", "alléluia", reprenait en écho l'assemblée des apôtres et de leurs disciples, et, parmi eux, saint Denis l'Aréopagite, lui aussi miraculeusement transporté jusqu'à Jérusalem. Et, pendant que l'assistance modulait le psaume laudique (12), sainte hymne qui pour Israël a nom " grand alléluia" ( " louez le Seigneur"), un prêtre juif, Jéphonias, courut vers le cercueil, cherchant à jeter à terre le corps de la Mère de Dieu. (4) : ( Il s'agit du psaume 148 : " Louez le Seigneur! Louez-le du haut des cieux! Louez-le, tous ses anges! Louez-le, toutes ses vertus! Louez-le, soleil et lune! Louez-le, étoiles lumineuses! Louez-le, cieux des cieux!...", célébration unanime de toute la création qui chante les oeuvres de son créateur; ce psaume est récité à la fin de l'office des matines). L'affront de Jéphonias reçut aussitôt son châtiment : l'Archange Michel, armé d'une épée invisible, lui coupa la main, qui demeura accrochée au cercueil. Jéphonias, terrassé par la violence de la douleur et comprenant son péché, se tourna vers le Seigneur Jésus que jusqu'alors il avait eu en haine, lui adressa une fervente prière et reçut aussitôt la guérison. Devenu chrétien, il confessa le Christ devant ses anciens co-religionnaires, qui le mirent à mort, et il reçut ainsi la couronne du martyre. Voilà comment, en tentant d'outrager la Mère de Dieu, il avait contribué à la glorifier davantage. Dès lors, les ennemis du Christ n'osèrent plus manifester leur hostilité par la violence, mais leur haine ne s'évanouit pas pour autant. Voyant que le christianisme était prêché en tous lieux, ils se mirent à colporter maintes calomnies à propos des chrétiens. Ils n'épargnèrent pas non plus la réputation de la Mère du Seigneur, et ils inventèrent la fable selon laquelle Jésus de Nazareth était issu d'un milieu sordide et immoral, et que sa mère avait fréquenté certain soldat romain. Mais cette fois le mensonge était trop criant pour pouvoir retenir l'attention du peuple. Toute la famille de Joseph le fiancé et de Maarie elle-même était bien connue des habitants de Nazareth et des environs. " Quelle est cette sagesse que Dieu lui a donnée? Et comment de tels miracles s'accomplissent-ils par ses mains? N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Jude et de Simon? Et ses soeurs ne sont-elles pas ici parmi nous? " (Matt, 13, 54-55; Marc 6, 3; Luc 4, 22). C'est aussi ce que dirent ses compatriotes à Nazareth, lorsque le Christ manifesta sa sagesse céleste devant eux, dans la synagogue. Dans les petites villes, les affaires de famille de chacun sont bien connues, et l'on surveillait alors de près la pureté de la vie conjugale. Les gens eussent-ils témoigné tant de respect à Jésus, l'eussent-ils appelé pour prêcher dans la synagogue, s'il était né d'une union illégitime? En effet, on eût appliqué à Marie la loi de Moïse, selon laquelle pareil crime méritait la lapidation; et les Pharisiens eussent eu beau jeu de reprocher au Christ la conduite de Sa Mère. Or, bien au contraire, Marie forçait l'estime et le respect de tous; aux noces de Cana, elle était une invitée d'honneur, et même après la condamnation du Christ, personne n'eût osé tourner sa Mère en dérision ni élever contre elle le moindre blâme. III CALOMNIES CONTRE LA VIRGINITE ETERNELLE DE MARIE Les impies durent bientôt renoncer à discréditer la Mère de Jésus, dont la droiture était trop bien établie. Alors les Juifs n'eurent plus recours à cette calomnie, que les païens reprirent à leur compte ( voir Origène, Contre Celse, I), mais du moins s'efforcèrent-ils de prouver que Marie n'était pas vierge lorsqu'elle donna naissance au Christ. ILs prétendirent même que les prophéties regardant la naissance virginale du Messie étaient pure invention, et que, dès lors, il était totalement vain que les chrétiens exaltassent la personne du Christ au nom d'une prophétie en Lui accomplie. On invoquait des auteurs juifs ( Aquila, Symmaque, Théodotion) qui proposaient de nouvelles traductions de l'Ancien Testament en grec; et d ela célèbre prophétie d'Isaïe ( Is. 7, 14) : " C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe. Voici qu'une vierge va enfanter, elle enfantera un fils, et lui donnera le nom d'Emmanuel", ils donnèrent cette traduction : " Voici qu'une jeune femme va enfanter", soutenant que le mot hébreu aalma signifiait "une jeune femme", et non une "vierge", comme c'était le cas en grec dans la traduction sacrée des Septante où ce passage avait bien été traduit : " Voici qu'une vierge (parthénos en grec) va enfanter". Grâce à cette nouvelle version, ils espéraient prouver que les chrétiens, à partir d'une traduction fausse du mot aalma, attribuaient à Marie une chose tout à fait impossible, un enfantement sans le concours de l'homme, alors qu'en réalité la naissance du Christ ne différait en rien des autres naissances humaines. Or la malveillance de ces nouveaux traducteurs était manifeste, car, si l'on examine divers passages de la Bible, on constate que le terme aalma signifie bel et bien une "vierge". Et, en effet, les juifs, aussi bien que les païens, en se fondant sur leurs traditions particulières et sur diverses prophéties, s'attendaient à ce que le Rédempteur du monde naquît d'une Vierge (13). (13) : ( Pour la traduction de aalma, voir l'article de W. F. Beck " What does almah mean?", The Christian News, décembre 1995, qui expose toutes les données linguistiques et confirme les Septante. Voir aussi l'opinion de saint Cyrille de Jérusalem, Catéchèses baptismales, 12). "Comment cela se produira-t-il, puisque je ne connais point d'homme?" avait demandé Marie, Vierge consacrée au Seigneur, à l'Archange Gabriel, qui lui annonçait la naissance du Christ. Et l'ange de répondre : " Le Saint Esprit descendra sur toi, et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu" ( Luc 1, 34-35). Plus tard, l'ange apparut aussi au juste Joseph qui avait voulu renvoyer Marie, car elle avait conçu avant d'avoir vécu avec lui. A Joseph, l'Archange Gabriel s'adressa ainsi : " Joseph, fils de David, ne crains pas d eprendre avec toi Marie, sa femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient du Saint Esprit" et il lui rappela la prophétie d'Isaïe, selon laquelle une vierge devait concevoir ( Matt. 1, 18-20). La verge d'Aaron qui fleurit, le rocher qui de lui-même se détache de la montagne, symbole que Nabuchodonosor avait vu en songe et dont le prophète Daniel avait donné l'explication, la porte close que le prophète Ezéchiel avait contemplée (14) et bien d'autres passages de l'Ancien Testament, préfigurent la manière dont la Vierge allait enfanter. Tout comme le Verbe de Dieu avait créé Adam à partir d'une terre vierge et non défrichée, de même le Verbe de Dieu s'est créé pour Lui-même une chair dans un sein vierge; ainsi le Fils de Dieu est-il devenu le nouvel Adam, afin d'effacer le péché du premier Adam ( voir saint Irénée de Lyon, La Prédication apostolique, livre I) (15). (14) : ("Il me ramena vers le portique extérieur du sanctuaire, celui qui est face à l'Orient. Il était fermé. Le Seigneur me dit : " Ce portique sera fermé, il ne s'ouvrira pas, et personne n'y passera, car le Seigneur, le Dieu d'Israël, est entré par là. Il restera fermé" ( Ezéchiel 44, 1-2).). (15) : ( Ici saint Jean résume l'argumentation de saint Irénée, que l'on peut citer plus amplement : " Or, Dieu prit du limon de cette terre, tandis qu'elle était encore vierge, et il en créa l'homme qui fut la souche du genre humain. Le Seigneur voulant récapituler l'homme a suivi, en s'incarnant, la même économie. Il est né d'une Vierge, par la volonté et la sagesse de Dieu, afin qu'il fût évident qu'il avait un corps semblable à celui d'Adam, et qu'il était devenu ce qu'avait été au commencement l'homme, fait à l'image et à la ressemblance ( cf. Gen. 1, 27). (...) En effet, il était nécessaire qu'Adam fût récapitulé dans le Christ afin que ce qui est mortel fût englouti par l'immortalité, qu'Eve fût restaurée en Marie, afin qu'une Vierge devenant l'avocate d'une vierge, la désobéissance de l'une fût détruite par l'obéissance de l'autre". Saint Irénée de Lyon, La Prédication des apôtres et ses preuves, Paris, Desclée de Brouwer, 1977, pp. 42-43. Ce parallèle entre Marie et la nouvelle Eve apparaît pour la première fois chez saint Justin le Philosophe ( Dialogue avec Tryphon, § 100, Paris, Migne, Diffusion Brépols, 1994, p. 256).). Nier la conception sans semence du Fils de Dieu, c'était rejeter tout l'Evangile alors que l'Eglise avait toujours confessé le Christ "incarné du Saint Esprit et de Marie la Vierge". Mais la naissance de Dieu du sein de la Toujours Vierge causiat le plus grand embarras à ceux qui désiraient porter le nom de chrétiens sans toutefois s'humilier en esprit ni rechercher avec zèle la pureté. La vie de Marie brillait d'un trop pur éclat pour ceux qui s'étaient accoutumés à vivre dans l'obscurité de leurs pensées. Pour continuer à se dire chrétiens, certains n'osèrent pas aller jusqu'à nier la virginité de Marie, mais ils se mirent à professer qu'elle était demeurée vierge seulement " jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel elle donna le nom de Jésus" ( Matt. 1, 25). Helvidius, au IVème siècle après Jésus Christ, et beaucoup de faux docteurs (16) avant et après lui, ont affirmé que, après la naissance du Christ, Marie aurait vécu une vie conjugale avec Joseph et qu'elle aurait eu d'autres enfants de lui, appelés dans l'Evangile "les frères et les soeurs du Christ". (16) : ( On appelle antidicomarianites ceux qui prétendaient que la Mère de Dieu n'avait pas conservé une perpétuelle virginité. Saint Jérôme écrivit un Traité contre Helvidius dont il réfuta les erreurs). Mais le mot "jusqu'à" ne signifie pas que Marie soit demeurée vierge seulement pendant un certain temps. Le terme "jusqu'à" et d'autres synonymes signifient souvent pour l'éternité (17). (17) : ( La même argumentation figure chez nombre de Pères, ainsi chez saint Ambroise de Milan, dans son Traité sur l'Evangile de saint Luc, Paris, Sources chrétiennes, Cerf, 1971, p. 74). Dans l'Ecriture sainte, on dit du Christ : " En ces jours, le juste fleurira, et la paix abondera jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de lune" (Ps. 71, 7), mais est-ce à dire que lorsqu'il n'y aura plus de lune, à la fin du monde, la justice de Dieu cessera d'exister? Au contraire, c'est bien à ce moment que la justice de Dieu triomphera. Et que signifierait alors cet autre passage de l'Ecriture : " Car Il doit régner, jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds" ( 1 Cor. 15, 25). Le Seigneur devra-t-il régner seulement pendant le temps où Ses ennemis seront mis à ses pieds?" (1 Cor. 15, 25). Le Seigneur devra-t-il régner seulement pendant le temps où Ses ennemis seront mis à ses pieds? Si David, dans le quatrième psaume des montées, déclare : " Comme les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse, ainsi nos yeux se tournent vers le Seigneur notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous" ( Ps. 122, 2), le prophète a-t-il donc les yeux tournés vers le Seigneur jusqu'à ce qu'il obtienne miséricorde, mais une fois exaucé, les dirigerait-il à nouveau vers la terre? ( saint Jérôme, Sur la Virginité de la Toute Sainte). " Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde" dit le Seigneur aux apôtres dans l'Evangile (Matt. 28, 20); le Seigneur doit-il s'éloigner de ses disciples, puis, une fois qu'ils auront jugé les douze tribus d'Israël, n'hériteront-ils point de la communion que Dieu leur a promise? ( saint Jérôme, ibid.). De la même manière, il est erroné de croire que les frères et les soeurs du Christ étaient les enfants de sa Toute Sainte Mère. Les termes de "frère" et de "soeur" ont des sens très divers. Indiquant une certaine parenté entre des personnes ou leur proximité spirituelle, ces mots sont parfois employés dans un sens plus restreint. Quoi qu'il en soit, on appelle frères et soeurs des personnes qui ont en commun le même père ou la même mère, soit que leurs parents se soient remariés à la suite d'un veuvage ( ils sont alors demi-frères), ou que leurs parents soient liés par un proche degré de parenté (18). (18) Ainsi dans la Genèse Abraham et Lot sont appelés frères, alors que Lot était le neveu d'Abraham ( Gen. 13, 8). Ceux que l'on nomme les frères de Jésus ne sont nulle part présentés ni considérés comme les enfants de Marie. Au contraire, chacun savait que Jacques et les autres étaient fils de Joseph, le fiancé de Marie, qui était veuf et avait eu des enfants de sa première femme ( saint Epiphane de Chypre, Panarion, 78). De même, Marie, la soeur de Sa mère, femme de Cléopas, qui se tenait avec elle au pied de la Croix du Seigneur ( Jn 19, 25), avait eu elle aussi des enfants, que l'on pouvait de plein droit appeler frères du Seigneur (19), étant donné leurs liens de parenté avec lui. Ceux que l'on nommait frères et soeurs du Seigneur n'étaient pas les enfants de sa mère : cela est manifesté clairement par le fait que le Seigneur, avant sa mort, a confié Sa Mère à Jean, son disciple bien-aimé. Pourquoi aurait-Il agi de la sorte si elle avait eu d'autres enfants hormis Lui-même? Ces derniers eussent pris soin d'elle. Les fils de Joseph, père adoptif de Jésus, ne se sont pas sentis tenus de prendre sous leur protection celle qui était leur belle-mère, ou du moins ne lui vouaient-ils pas l'amour que les enfants selon la chair portent à leurs parents, et qui animait saint Jean, le fils adoptif. Ainsi, une étude attentive de la Sainte Ecriture réfute avec une clarté parfaite les ineptes objections des négateurs de la virginité éternelle de Marie et couvre d'opprobre ceux qui oseraient répandre à ce sujet un autre enseignement. IV LE BUISSON ARDENT L'HERESIE NESTORIENNE ET LE TROISIEME CONCILE OECUMENIQUE Lorsque tous les détracteurs de la sainteté et de la pureté de la Toujours Vierge eurent été réduits au silence, certains élevèrent une nouvelle contestation, touchant à la vénération de Marie comme Mère de Dieu. Au Vème siècle, l'archevêque de Constantinople, Nestorius, se mit à prêcher que de Marie n'était né que l'homme Jésus; en lui la divinité avait fait sa demeure, et résidé comme en un temple. Il donna liberté à son prêtre Anastase d'enseigner cette doctrine, puis lui-même commença de prêcher tête nue dans l'Eglise qu'il ne fallait point appeler Marie "Théotokos", puisqu'elle n'avait point donné naissance au Dieu-Homme (20). (20) : (Lors des fêtes de Noël 428, Nestorius prêcha ainsi dans Sainte Sophie : " J'ai été informé, dit-il, que plusieurs d'entre vous désirent apprendre de moi s'il faut appeler Marie Mère de Dieu ou mère de l'homme. Voici ma réponse : c'est renouveler l'erreur des païens que de donner une mère à Dieu; la Vierge Marie a enfanté l'homme auquel le Verbe s'est uni; l'homme a été le vase dans lequel la divinité s'est renfermée; a été le vêtement dont elle s'est couverte. J'adore le vase pour ce qu'il contient; le vêtement pour ce qu'il couvre; j'adore ce qui paraît à cause du Dieu caché que je n'en sépare pas". Cité par Guettée, Histoire de l'Eglise, tome IV, pp. 311-12). Il regardait comme avilissant d'adorer un enfant emmailloté dans les langes et couché dans une crèche (21). (21) : (Nestorius : " Je ne peux adorer un Dieu mort et enseveli"; " Marie a engendré un homme, instrument de la divinité". Cité dans P. - Th. Camelot, Ephèse et Chalcédoine, Paris, Editions de l'Orante, 1961, p. 28). Pareille prédication entachait la pureté de la foi, et sema la confusion tout d'abord dans Constantinople, puis dans tous les lieux où parvint la rumeur de cette nouvelle doctrine. Saint Proclus, disciple de saint Jean Chrysostome, alors évêque de Cyzique et futur archevêque de Constantinople, prononça dans l'église, en présence de Nestorius, un sermon dans lequel il confessa le Fils de Dieu, né selon la chair de la Vierge Marie, qui est en vérité Théotokos ( celle qui a donné naissance à Dieu); car dans le sein de la Toute Pure, dès le moment de la conception, la divinité s'est unie à l'enfant conçu du Saint Esprit, et cet Enfant, quoiqu'il fût né de la Vierge uniquement dans Sa nature humaine, était pourtant déjà vrai Dieu et vrai homme. Nestorius refusa obstinément de modifier son enseignement, affirmant qu'il fallait faire une distinction entre Jésus et le Fils de Dieu, que l'on ne devrait pas appeler Marie "Théotokos", mais bien "Christotokos" ( celle qui a donné naissance au Christ) puisque Jésus, né de Marie, était seulement l'homme Christ ( mot qui signifie le "Messie", l'Oint), semblable à ceux que Dieu avait oints jadis, les prophètes, et qui les surpassait par la plénitude de la communion entre Dieu et lui-même. L'enseignement de Nestorius constituait une négation de toute l'économie du Seigneur, car si de Marie ne naquit qu'un simple homme, alors ce ne fut pas Dieu qui souffrit pour nous, et la rédemption du genre humain ne fut point accomplie (22). (22) : (" Pour saint Jean Maximovitch, l'hérésie de Nestorius avait donc des tendances arianisantes. En affirmant que Marie était seulement mère de l'homme Christ, Nestorius séparait la nature humaine du Christ de sa nature divine, comme l'observe saint Léon, pape de Rome : " Il sépare dans notre Christ la nature divine et la nature humaine, tantôt il en fait un homme seulement ( solum hominem), tantôt, quand il le veut bien, il lui accorde la communion ( societatem) avec Dieu" ( cité par Camelot, ibid., p. 41); ce qui, malgré les dénégations de Nestorius, aboutissait logiquement à l'existence de deux personnes distinctes en Christ). Saint Cyrille, l'archevêque d'Alexandrie, dès qu'il eut connaissance de l'enseignement de Nestorius et du désordre qu'il introduisait dans l'Eglise de Constantinople, rédigea une lettre à son intention, dans laquelle il s'efforçait de le persuader de garder intact l'enseignement que l'Eglise avait confessé dès sa fondation, et de ne rien y ajouter de nouveau. Saint Cyrille écrivit d'autre part au clergé et au peuple de Constantinople pour leur enjoindre de demeurer fermes dans l'Orthodoxie et de ne point redouter les persécutions de Nestorius contre ses opposants. Saint Cyrille adressa aussi une lettre au saint pape Célestin de Rome qui, avec tout son troupeau, demeurait ferme dans l'Orthodoxie, pour l'informer de toute cette affaire. Saint Célestin, quant à lui, fit parvenir une missive à Nestorius, où il l'exhortait à prêcher la foi orthodoxe, et non un enseignement de son invention. Mais Nestorius demeura sourd à toute exhortation, et protesta de l'orthodoxie de sa doctrine, accusant d'hérésie ses propres adversaires. Saint Cyrille adressa une nouvelle lettre à Nestorius, et composa douze anathèmes, exposant en douze paragraphes les différences entre l'enseignement orthodoxe et celui de Nestorius, et déclarant excommunié de l'Eglise quiconque refuserait ne fût-ce qu'un des paragraphes par lui rédigés. Nestorius rejeta le texte composé par saint Cyrille dans son intégralité, et rédigea son propre exposé en douze paragraphes également, frappant d'anathème ( c'est-à-dire d'excommunication) quiconque le rejetterait. Le danger pour la pureté de la foi allait croissant au fil des jours. Saint Cyrille écrivit à l'empereur Théodose le jeune, et à Pulchérie, sa soeur, en leur enjoignant d'avoir soin des affaires ecclésiastiques et de contenir l'hérésie (23). (23) : ( Nestorius n'avait pas été élu canoniquement évêque de Constnatinople, mais avait été intronisé sur ordre de l'empereur Théodose. En revanche, la pieuse impératrice Pulchérie, soeur de Théodose, rejetait l'enseignement de Nestorius comme hérétique). Il fut décidé (24) de convoquer un concile oecuménique, au cours duquel les hiérarques rassemblés des confins de la terre se prononceraient sur l'orthodoxie de la foi prêchée par Nestorius. Pour réunir la sainte assemblée, qui devait être le troisième concile oecuménique, ils élirent la cité d'Ephèse, dans laquelle la Toute Sainte Vierge Marie avait jadis demeuré avec le saint apôtre Jean le théologien. Saint Cyrille rassembla ses frères évêques en Egypte et avec eux il fit voile vers Ephèse. D'Antioche, par les terres, arriva Jean (25), archevêque de cette cité, ainsi que les évêques orientaux. (25) : (En fait, le Concile commença plus tard que prévu; on attendait les évêques orientaux. Jean et un groupe d'évêques arriva en retard; or les évêques orientaux déjà présents au concile annoncèrent que l'on pouvait commencer sans lui. Ce dernier, froissé que le concile eût tranché la question en son absence, refusa d'abord d'en reconnaître la validité). L'évêque de Rome, saint Célestin, ne pouvant se rendre en personne au concile, demanda donc à saint Cyrille de défendre la Foi orthodoxe, et il y dépêcha deux évêques ainsi que Philippe, prêtre de l'Eglise de Rome, auxquels il confia ses instructions. A Ephèse se rendirent également Nestorius, les évêques de la région de Constantinople, et ceux de Palestine, d'Asie Mineure et de Chypre. Le dix des calendes de juillet, selon le calendrier romain, c'est-à-dire le 22 juin 431, dans l'église de la Théotokos à Ephèse, les hiérarques, emmenés par l'évêque d'Alexandrie, Cyrille, et l'évêque d'Ephèse, Memnon, s'assemblèrent pour siéger. Au milieu d'eux, l'on déposa l'Evangile, signe du gouvernement invisible du concile oecuménique par le Christ lui-même. On commença par lire le symbole de la Foi, composé des 1er et 2ème conciles oecuméniques; puis on donna lecture au concile de l'édit impérial, remis par des représentants des empereurs d'Orient et d'Occident, Théodose et Valentinien. Cette lecture achevée, on commença celle des documents, d'abord des épîtres de Cyrille (26) et de Célestin à Nestorius, puis de la réponse de Nestorius. (26) : ( " Puisque, en outre, la sainte Vierge a enfanté charnellement un Dieu uni selon l'hypostase à une chair, pour cette raison nous disons aussi qu'elle est Mère de Dieu, non que la nature du Verbe tienne le principe de son existence de la chair, car Il a existé dès le commencement et le Verbe était Dieu et le Verbe était auprès de Dieu, et Il est le créateur des siècles, coéternel au Père et le démiurge de l'univers, mais, comme nous l'avons déjà dit, parce qu'Il s'est uni selon l'hypostase l'élément humain et qu'Il a accepté aussi à partir de la Vierge une génération charnelle, non qu'Il eût besoin nécessairement ou à cause de sa propre nature d'une génération dans le temps, et dans les derniers moments de ce siècle, mais pour qu'Il bénît aussi le principe même de notre existence. Ainsi il fallait qu'une femme l'enfantant uni à la chair prît fin la malédiction portée contre tout le genre humain, qui envoyait nos corps terrestres à la mort et que l'abrogation par Lui de la parole : " Tu enfanteras des fils dans la douleur" manifestât la vérité de ce qui a été dit par la voix du prophète : la mort l'a englouti usant de sa force, mais de nouveau Dieu a essuyé toute larme sur tout visage". Troisième lettre de saint Cyrille à Nestorius, publiée dans Les Conciles oecuméniques, tome II, Les Décrets, Paris, Cerf, 1994, p. 58). Le concile, par la voix de tous ses membres, proclama impie l'enseignement de Nestorius, le condamna, et déchut le patriarche de son siège et de la prêtrise. A cette fin, l'on rédigea un décret signé par les quelque cent-soixante participants au concile; or, comme certains d'entre eux représentaient d'autres évêques qui n'avaient pu être présents en personne, le décret de l'Eglise fut, en fait, l'oeuvre de plus de deux cents hiérarques, dont l'évêché se situait dans les diverses provinces de l'Eglise de cette époque; ils témoignaient ainsi qu'ils confessaient unanimement la Foi préservée dans leur cité depuis les temps anciens. Ainsi, le décret du concile fut la voix de l'Eglise oecuménqiue, qui exprimait clairement sa foi en Christ, né de la Vierge, Vrai Dieu devenu homme; et puisque Marie avait donné naissance à l'Homme parfait et Dieu parfait, on devait à bon droit la vénérer comme Mère de Dieu ou Théotokos (27). (27) : ( " Nous confessons donc que notre Seigneur Jésus, le Christ, le Fils de Dieu, l'unique engendré, est Dieu parfait et homme parfait, composé d'une âme raisonnable et d'un corps, engendré du Père avant les siècles selon la divinité, le même à la fin des jours, à cause de nous et pour notre salut, engendré de la Vierge Marie selon l'humanité, le même consubstantiel au Père selon la divinité et consubstantiel à nous selon l'humanité. Il y a eu, en effet, union de deux natures : c'est pourquoi nous confessons un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur. En raison de cette notion de l'union sans mélange, nous confessons que la sainte Vierge est Mère de Dieu, parce que le Dieu Verbe a été incarné, qu'il est devenu homme et que dès le moment de la conception, il s'est uni à lui-même le Temple qu'il a tiré de la Vierge". Définition concernant la confession de foi de Nicée, ibid., p. 70). A la fin de la session, on communiqua immédiatement les décrets du concile au peuple qui les attendait avec impatience. Toute la ville d'Ephèse se réjouit d'apprendre que l'on avait confirmé la vénération de la Toute Sainte, car on lui vouait une dévotion toute particulière dans cette cité, où durant sa vie terrestre elle avait résidé, et qu'elle couvrait de sa protection depuis sa Dormition. Le peuple dans l'allégresse fit bon accueil aux Pères à leur retour dans la soirée, au terme de la session. Tenant en main des flambeaux, ils les raccompagnèrent jusqu'à leur logis et dans les rues se répandaient les effluves de l'encens qu'ils faisaient brûler sur leur passage. En tous lieux, la cité résonnait de salutations joyeuses, de louanges à la Toujours Vierge, et d'éloges des Pères, qui avaient défendu son nom contre les hérétiques. On afficha les décrets du concile dans les rues d'Ephèse. Le concile devait comporter encore cinq sessions, les 10 et 11 juin, les 16, 17 et 22 juillet, et le 31 août. Lors de ces sessions, on exposa en six canons les peines infligées à ceux qui oseraient professer l'enseignement de Nestorius et altérer les décrets du concile d'Ephèse. Par suite d'une plainte des évêques de Chypre, qui protestaient contre les prétentions de l'évêque d'Antioche, le concile décréta que l'Eglise de Chypre devrait conserver son indépendance dans le gouvernement des affaires ecclésiastiques, indépendance qu'elle possédait depuis les temps apostoliques, et qu'en général nul évêque ne devrait soumettre à sa propre autorité des provinces qui, dans le passé, avaient été indépendantes, "de peur que, sous le prétexte d'exercer la prêtrise, ne s'introduise subrepticement l'orgueil que procure le pouvoir terrestre et que nous ne perdions, en la détruisant petit à petit, la liberté que notre Seigneur Jésus Christ, libérateur de tous les hommes, nous a donnée par son Sang". De même, le concile confirma la condamnation de l'hérésie pélagienne, qui enseignait que l'homme peut être sauvé par ses propres forces, et n'a nul besoin de la grâce de Dieu. Il statua également sur diverses affaires ecclésiastiques, et adressa des épîtres aux évêques qui n'avaient pu assister au concile, leur faisant connaître ses décrets et les exhortant tous à se montrer vigilants dans la défense de la Foi orthodoxe et de la paix de l'Eglise. En même temps, le concile proclama que l'enseignement de l'Eglise orthodoxe oecuménique avait été pleinement et clairement exposé dans le symbole de la Foi de Nicée- Constantinople, ce qui explique pourquoi le concile lui-même ne composa pas de nouveau symbole et interdit à l'avenir de "compose un autre Credo", c'est-à-dire de rédiger d'autres Symboles de la Foi ou d'apporter des modifications au Symbole confirmé lors du second concile oecuménique(28). (28) : ( " Le saint Concile a décidé qu'il n'est permis à personne de professer ou d'écrire ou de composer une confession de foi autre que celle définie par les saints Pères réunis à Nicée avec le Saint Esprit. Ceux qui oseront composer une autre confession de foi ou la publier ou la professer devant ceux qui veulent se convertir à la connaissance de la vérité, qu'ils viennent du paganisme, ou du judaïsme ou de n'importe quelle hérésie, ceux-là s'ils sont évêques ou clercs, seront privés, les évêques de l'épiscopat et les clercs de la cléricature; s'ils sont laïcs, ils seront excommuniés". Ibid., p. 65. Cette fixation du Credo empêchait la circulation de symboles innovant, nestoriens ou autres). Plusieurs siècles plus tard, ce même décret fut transgressé par les chrétiens d'Occident, d'abord dans divers lieux, puis dans l'ensemble de l'Eglise romaine, lorsque celle-ci ajouta au symbole de la Foi le filioque, c'est-à-dire la croyance selon laquelle le Saint Esprit procède du Père "et du Fils", addition officiellement approuvée par les papes de Rome à partir du XIème siècle, alors que jusque-là leurs prédécesseurs, à commencer par saint Célestin, respectaient scrupuleusement les décisions du concile d'Ephèse, troisième concile oecuménique, et les appliquaient avec rigueur. Nestorius avait jeté le trouble dans l'Eglise mais la paix avait été restaurée. La Vraie Foi était sauve et l'hérésie condamnée. Depuis lors, le concile d'Ephèse est honoré, à juste titre, comme oecuménique, tout autant que les conciles de Nicée et de Constantinople, qui l'avaient précédé. A ce concile assistèrent des représentants de l'Eglise tout entière. L'Eglise "de toute la terre habitée" reconnut la validité de ses décrets. A cette occasion, on rappela l'enseignement gardé intact depuis les Temps Apostoliques. Le concile n'en inventa pas de nouveau, mais il rendit témoignage de la Vérité, à laquelle d'aucuns avaient tenté de substituer leurs faux enseignements, inventés de toute pièce. Il exposa avec clarté le dogme de la Divino-humanité du Christ qui naquit de la Vierge. La foi de l'Eglise et son jugement sur cette question avaient reçu une formulation claire, et nul ne pouvait prétendre attribuer à l'Eglise ses propres sophismes. A l'avenir, d'autres questions pourraient se poser, nécessitant une décision de l'Eglise réunie en concile, mais la controverse sur la divinité de notre Seigneur Jésus Christ était définitivement close. Les conciles ultérieurs appuyèrent leurs décisions sur les décrets des premiers conciles (29). (29) : ( L'une des preuves du caractère authentique d'un Concile Oecuménique est sa fidélité à tous les conciles précédents. C'est pourquoi Père Justin Popovitch écrivait au Saint Synode de l'Eglise serbe en 1971, alors que le patriarcat de Constantinople souhaitait préparer un Concile en vue de moderniser l'Eglise et de promouvoir l'oecuménisme : " Tout nouveau " Concile Oecuménique" ne sera ni saint ni oecuménique ni le Huitième, s'il n'accepte au préalable tous les Conciles Oecuméniques précédents, toutes leurs décisions saintes, catholiques, oecuméniques et immuables...Pour cette raison, je prie et je supplie le Saint Synode : que notre Eglise orthodoxe serbe s'abstienne de prendre part aux préparatifs en vue du Concile et de participer au Concile même si, par malheur, il se réunissait..."). Ils ne composèrent pas de nouveau Symbole de Foi, mais se contentèrent d'en fournir de nouvelles explications. Lors du troisième concile oecuménique, le dogme de l'Eglise concernant la Mère de Dieu fut exposé avec clarté et proclamé au monde. Les saints Pères avaient condamné les calomniateurs et les contempteurs de la Mère de Dieu en proclamant : " Si quelqu'un ne confesse pas Emmanuel comme vrai Dieu et vrai Homme, et la sainte Vierge Marie comme Mère de Dieu (Théotokos) car elle a donné naissance dans la chair au Verbe, qui a la même nature que Dieu le Père, et qui s'est fait chair, qu'il soit anathème! " (premier anathème de saint Cyrille d'Alexandrie). V LA DEFAITE DES ICONOCLASTES Après le troisième concile oecuménique, les prières à la Mère de Dieu redoublèrent en ferveur et en empressement et l'espérance des chrétiens ne fut point déçue. Elle apporta son secours à d'innombrables malades, et à tous ceux qui, dans l'affliction ou dans le désespoir, imploraient son aide. A de multiples reprises, elle apparut au peuple orthodoxe, défendit Constantinople (30) contre ses ennemis extérieurs, et manifesta de manière sensible à saint André le Fol en Christ la protection miraculeuse dont elle entorait les fidèles en prière dans l'église des Blachernes (31). (30) : ( En 626, durant le règne de l'empereur Héraclius, Constantinople fut assiégée par les Avars et les Perses. L'apparition miraculeuse de la Toute Sainte les mit en fuite et Serge, patriarche de Constantinople, composa un chant en l'honneur de la Mère de Dieu, pour la remercier de ce miracle, qui avait sauvé la capitale de l'empire : " A Toi, le suprême stratège, le prix de la victoire! Moi, ta ville libérée des dangers, je t'offre l'action de grâces, ô Mère de Dieu. Toi dont la force est invincible, délivre-moi de tout péril, moi qui t'acclame en criant : Salut, Epouse inépousée!" Ce kondak est chanté au jour de l'Annonciation et dans l'hymne acathiste à la Mère de Dieu et le miracle commémoré chaque année le cinquième samedi du Grand Carême. Dans le synaxaire, à la date du 11 mai, est commémorée la dédicace de Constantinople, placée sous la protection de la Très Sainte Mère de Dieu). (31) : ( Vers la quatrième heure d ela nuit, au cours d'une vigile célébrée dans l'église des Blachernes à Constantinople, Saint André le Fol en Christ vit la sainte Mère de Dieu se tenir au-dessus de l'assemblée, déployant sur les fidèles son voile. Son disciple Epiphane en fut lui aussi témoin. C'est ainsi que fut instituée la fête de la sainte Protection de la Mère de Dieu, célébrée le 1er octobre, car ces évènements eurent lieu le 1er octobre 911, au temps de l'empereur Léon le Philosophe. A ce sujet, voir la narration de saint Nicolas Vélimirovitch, dans Le Prologue d'Ochrid : Vies des Saints et Homéies pour chaque jour de l'année, Ed; L'Age d'Homme). La reine des cieux avait donné la victoire aux empereurs orthodoxes dans leurs batailles; aussi avaient-ils pour coutume d'emporter avec eux pendant leurs campagnes l'icône Hodigitria (Guide). Celle-ci affermissait ascètes et zélotes de la vie en Christ dans leurs luttes contre les passions et les faiblesses humaines. Elle illumina et instruisit les Pères et les Docteurs de l'Eglise, comme saint Cyrille d'Alexandrie quand lui-même hésitait à reconnaître l'innocence et la sainteté de saint Jean Chrysostome. La Vierge toute pure inspira de saintes hymnes aux mélodes de l'Eglise, métamorphosant de pieux ouvriers, si dépourvus de talent pour le chant fussent-ils, en de renommés hymnographes, tel saint Romain le Mélode (32). (32) : ( Saint Romain le Mélode est l'auteur de nombreuses hymnes, dont peut-être l'Acathiste à la Mère de Dieu. La nature l'avait doté d'une voix peu harmonieuse mais la Mère de Dieu fit un miracle : elle lui donna un petit livre à manger. Alors il reçut l'illumination d'en haut et s emit à chanter mélodieusement de nouveaux cantiques; le premier ainsi improvisé fut le kondak que l'Eglise orthodoxe chante à Noël). Dès lors, qui s'étonnera que les chrétiens magnifient celle qui est leur constante intercession? On institua des fêtes en son honneur, on lui dédia de merveilleux cantiques, et l'on vénéra les icônes peintes à son image. Mais, une nouvelle fois, la méchanceté du prince de ce monde arma contre notre Sauveur et contre sa Très Pure Mère les fils de l'apostasie, et cela dans la ville de Constantinople même, elle qui, à présent, tout comme Ephèse jadis, vouait vénération à la Mère de Dieu, sa protectrice. N'osant calomnier le Christ, la tête de l'Eglise, ils désiraient priver la Toute Sainte de l"honneur qui lui revenait, en interdisant la vénération des icônes du Seigneur et de ses saints, qu'ils tenaient pour de l'idôlatrie. D'innombrables manifestations miraculeuses accomplies par-devant les icônes représentant la Toute Sainte furent les signes visibles de s aprotection et affermirent les zélateurs de la piété, qui luttaient pour la défense des saintes icônes; saint Jean Damascène, qu'une sentence inique avait condamné à avoir la main tranchée, fut guéri par un miracle de la Mère de Dieu. La persécution des iconodoules (33) et des saints s'acheva par la victoire triomphale de l'Orthodoxie; (33) : (Iconodule : qui vénère les icônes. Le culte de doulie est la vénération des saints et de sobjets sacrés; le culte de latrie ets l'adoration réservée à Dieu). la vénération que le fidèle voue à l'icône s'élève jusqu'au prototype qu'elle représente; ainsi l'on vénère les saints de Dieu comme ses amis, en vertu de la divine grâce qui habita en eux, selon les paroles du psalmiste : " Tes amis me sont très précieux (34)". (34): ( Ps. 15, 3). L'hérésie iconoclaste a connu deux vagues successives : la première, sous léon l'Isaurien et Constantin Copronyme, commencée en 726, s'acheva en 787 avec le VIIème Concile Oecuménique. La seconde, entamée en 813 par Léon l'Arménien, se tremina en 843 par le triomphe de l'Orthodoxie). On rendit gloire et honneur à la Toute Sainte sur la terre et dans les cieux, et même aux jours où les saintes icônes furent bafouées par les impies, la Mère de Dieu manifesta en elles d'innombrables signes merveilleux que nous nous remémorons aujourd'hui avec action de grâce : l'hymne " en toi se réjouit toute la créature, ô pleine de grâce ( 35) " et l'icône de la Vierge aux trois mains, qui nous rappelle la guérison de saint Jean Damascène; (35) : ( " En toi se réjouit toute la créature, ô Pleine de grâce, l'assemblée angélique et la race humaine. Temple sanctifié, paradis raisonnable, louange virginale, de Toi Dieu s'est incarné et devint enfant, Lui notre Dieu d'avant les siècles. Il fit de tes entrailles Son trône et rendit ton sein plus vaste que les cieux. En toi se réjouit toute la créature, gloire à toi!" Cette hymne fut composée par saint Grégoire du monastère de la Grande Laure sur le Mont Athos. Elle est chantée pendant la liturgie de saint Basile après l'anaphore). l'icône de la Mère de Dieu d'Iviron qu'une veuve abandonna aux flots de la mer (36), ne pouvant chez elle la conserver, nous rappelle qu'elle peut, par un miracle, nous délivrer de tout ennemi. (36) : ( Au temps de l'hérésie iconoclaste, une pieuse veuve de Nicée jeta à la mer une magnifique icône de la Mère de Dieu, pour qu'elle échappât à la destruction. L'existence de cette icône fut révélée plus tard, au XIème siècle, à un moine du monastère d'Iviron sur le Mont Athos. Ce miracle de l'icône de la Portaïtissa est commémoré le 13 mai dans le synaxaire). Persécuter ceux qui vénéraient la Mère de Dieu et tout ce qui rappelait sa mémoire, ne servit à rien; rien ne pouvait amoindrir l'amour des chrétiens pour leur intercesseur. On prit pour règle de clore chaque série d'hymnes par un chant en l'honneur de la Mère de Dieu ( que l'on appelle en grec un théotokion). Au cours de l'année, et à de nombreuses occasions, les chrétiens, depuis les confins du monde, s'assemblent dans les églises, comme jadis, pour louanger la Toute Sainte, la remercier de tous ses bienfaits et implorer sa miséricorde. Mais l'adversaire des chrétiens, le démon, qui "rôde, tel un lion rugissant, charchant qui dévorer" (I Pi. 5, 8), pouvait-il, devant la gloire de la Toute Sainte, se tenir coi? Pouvait-il s'avouer vaincu, et cesser de faire, avec ses acolytes, la guerre à la vérité? Et tandis que l'univers entier résonnait de la bonne nouvelle de la Foi en Christ, qu'en tous lieux on invoquait le nom de la Toute Sainte, que les églises fleurissaient sur toute la terre et que les maisons des chrétiens s'ornaient de son icône, une nouvelle hérésie concernant la Mère de Dieu commença de se répandre. Bien peu en saisissaient la portée et mesuraient à quel point elle mettait en péril la vénération orthodoxe de la Mère de Dieu. VI " UN ZELE NON CONFORME A LA VERITE" (Romains 10, 2) Ou comment les Latins, en inventant le nouveau dogme de l'Immaculée Conception, ont corrompu le culte véritable de la Toute Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie. Après la condamnation des hérésiarques qui avaient mis en doute la pureté de la vie de la Toute Sainte, de ceux qui niaient sa virginité éternelle, ou méprisaient son icône, alors que la gloire de la Mère de Dieu illuminait tout l'univers, d'aucuns se mirent à professer un nouvel enseignement, qui semblait exalter la Toujours Vierge, mais, en réalité, la dépouillait de toutes ses vertus : il s'agissait de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie, doctrine défendue par les zélateurs de la Papauté. Selon elle, la Vierge Marie, bénie entre toutes les femmes, dès le premier instant de sa conception, par la grâce spéciale du Dieu tout puissant et par un privilège particulier, en vertu des mérites futurs de Jésus Christ, Sauveur de la race humaine, fut préservée de toute souillure due au péché originel ( bulle (37) du pape Pie IX proclamant l'Immaculée Conception). (37) : ( Bulle Ineffabilis Deus du 8 décembre 1854). En d'autres termes, la Mère de Dieu, dès sa conception, fut indemne du péché originel, et, par la grâce de Dieu, fut placée dans un état où il lui était impossible de commettre des péchés personnels. Dès le neuvième siècle, les chrétiens avaient eu connaissance de cette doctrine, lorsque, pour la première fois, l'abbé de Corbie, Paschase Radbert (38), émit l'opinion que la Vierge Marie avait été conçue sans le péché originel. (38) : ( Paschase Radbert (c. 785 - c. 860) fut le premier abbé de l'abbaye bénédictine de Corbie, près d'Amiens. Théologien, il est surtout connu pour son traité De Corpore et Sanguine Domini, qui suscité à son époque une controverse et fut considéré par les calvinistes comme la source du dogme catholique de la Transsubstantiation). A partir du XIIème siècle, l'idée commença à se répandre dans le clergé et dans le troupeau de l'Eglise occidentale, qui avaient déjà chuté et s'étaient séparés de l'Eglise universelle, perdant ainsi la grâce du Saint Esprit. Toutefois, tous les membres de l'Eglise romaine - loin s'en faut! - n'acceptèrent pas ce nouvel enseignement. Il y eut des divergences d'opinion parmi les théologiens occidentaux le splus renommés, ceux que l'on tenait pour les piliers de l'Eglise latine. Thomas d'Aquin et Bernard de Clairvaux le condamnèrent catégoriquement, tandis que Duns Scot (39) s'en fit le champion. (39) : ( Duns Scot (1266-1308), surnommé le Doctor Subtilis, frère franciscain et théologien scolastique écossais dont la vie est assez mal connue. Sa défense de l'Immaculée Conception suscita l'indignation des Dominicains, qui considéraient celle-ci comme une hérésie. Pour Duns Scot, Marie a reçu en quelque sorte un privilège de perfection puisque la grâce de Dieu l'a sanctifiée dès sa naissance et l'a préservée du péché originel. La controverse sera si virulente entre Franciscains et Dominicains qu'un concile sera réuni en 1439. Duns Scot a été béatifié par le pape Jean Paul II en mars 1993). Des Pères, la dispute gagna les disciples : les moines latins dominicains, suivant sur cette voie leur maître Thomas d'Aquin, prêchèrent contre la doctrine de l'Immaculée Conception, tandis que les Franciscains, partisans de Duns Scot, s'efforcèrent de la faire admettre en tous lieux. La bataille entre les deux courants se poursuivit au long d eplusieurs siècles. D'un côté comme de l'autre, figuraient des personnages reconnus par les catholiques comme leurs plus hautes autorités spirituelles. Les révélations célestes dont certains se prétendaient gratifiés ne furent d'aucun secours en la matière. Soeur Brigitte, célèbre chez les catholiques du XIVème siècle, décrit dans ses oeuvres les apparitions de la Mère de Dieu dont elle avait été témoin. Celle-ci lui aurait affirmé avoir été conçue sans tache, et sans le péché originel. Mais sa contemporaine, Catherine de Sienne (40), ascète encore plus renommée, affirma tout au contraire que la sainte Vierge, lors de sa Conception, n'avait pas été exempte du péché originel, et que le Christ en personne lui en avait fait la révélation ( à ce propos, voir le livre de l'archiprêtre A. Lebedev, Différences de doctrine entre l'Orient et l'Occident concernant la Toute Sainte Mère de Dieu) ( 41). (40) : ( Catherine de Sienne (1347-1380) a été canonisée par le pape Pie II en 1461). (41) : ( Alexandre Lebedev (1833-1898), Raznosti tserkveï vostotchnoï i zapadnoï b outchenii o precv. diévié Marii Bogoroditse, Saint Pétersbourg, 1903). Ainsi, pendant longtemps, les fidèles de l'Eglise latine ne purent discerner le vrai du faux, car miracles et traités de théologie ne s'accordaient point. Les papes de Rome jusqu'à Sixte IV (à la fin du XVème siècle) se tinrent à l'écart de ces querelles, et en 1475 le même Sixte IV finit par approuver officiellement la composition d'un office en l'honneur de l'Immaculée Conception; quelques années plus tard, il interdit de condamner les partisans de l'Immaculée Conception. Toutefois il ne put se résoudre à prétendre que l'Eglise avait, dès l'origine, professé ce dogme; ainsi donc, tout en interdisant d'en condamner les partisans, il n'en condamna pas pour autant les adversaires! Dans l'intervalle, la doctrine de l'Immaculée Conception gagnait, au sein de l'Eglise romaine, un nombre croissant de partisans. Ils pensaient qu'en la couronnant d'une gloire infinie ils feraient ainsi montre d'une piété supérieure et plus agréable à la Reine des Cieux. Le peuple désirait faire honneur à la médiatrice céleste, tandis que les théologiens occidentaux s'égaraient dans la scolastique, fruit d'abstraites spéculations portant seulement le manteau de la vérité; pour finir, après Sixte IV, les papes se firent les champions de cette doctrine. Dès lors ce qui, au IXème siècle, n'était qu'une opinion professée par Paschase Radbert s'avérait dix siècles plus tard dogme de l'Eglise de Rome! Il ne restait plus qu'à la proclamer officiellement doctrine de l'Eglise, ce qui fut chose faite le 8 décembre 1854; lors d'un office célébré en grandes pompes, le pape Pie IX fit l'annonce solennelle du nouveau dogme romain. Ainsi la Papauté se détournait une fois encore de l'enseignement qu'elle avait confessé lorsqu'elle était encore membre de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, et de la foi des apôtres, conservée intacte et inchangée par l'Eglise orthodoxe. La proclamation de cette nouvelle doctrine contentait la majorité des fidèles de l'Eglise romaine, qui, dans la simplicité de leur coeur, croyaient ainsi honorer plus parfaitement la Mère de Dieu, et lui faire, en quelque sorte, le don d'un précieux présent. La vanité des théologiens occidentaux, créateurs et chantres de cette doctrine, s'en trouvait également satisfaite. Mais surtout, la proclamation du nouveau dogme profita au trône romain lui-même; n'était-ce pas le pape, qui, de sa propre autorité, en avait pris l'initiative? S'il avait tenu compte de l'opinion de ses évêques, il s'était néanmoins permis d'altérer l'enseignement de l'Eglise romaine, plaçant sa propre voix au-dessus du témoignage de la sainte Ecriture et de la Tradition. Par voie de conséquence, les papes de Rome devenaient infaillibles en matière de foi, ce que Pie IX proclama dogme de l'Eglise catholique en 1870. Ainsi, après que l'Eglise romaine eut rompu la communion avec la Véritable Eglise, elle modifia considérablement ses enseignements. Elle croyait magnifier davantage la Vérité en progressant dans la nouveauté (42), mais, en fait, elle la dénaturait toujours davantage. (42) : ( Saint Vincent de Lérins, Père du Vème siècle, explique pourquoi il faut rejeter l'innovation en ce qui concerne le dogme : "Quand j'y réfléchis, je m'étonne toujours davantage de la folie de certains hommes, de leur impiété, de leur passion pour l'erreur, qui les porte à ne pas se contenter d'une règle de foi donnée et reçue anciennement; à chercher sans cesse du nouveau; à vouloir toujours ajouter, changer, retrancher dans la religion. Comme si elle n'était pas une doctrine céleste, comme s'il ne suffisait pas qu'elle ait été révélée une fois, comme si elle était une institution humaine qui ne pût arriver à sa perfection que par des réformes et des corrections continuelles". " Quelqu'un dit, peut-être : " Ne peut-il donc y avoir aucun progrès religieux dans l'Eglise du Christ?" Je souhaite qu'il y en ait un, et un très grand. Pourrait-il y avoir quelqu'un assez ennemi de Dieu et des hommes pour le comprimer, pour l'arrêter? Mais il faut que ce soit un vrai progrès et non un changement. Ce qui constitue le progrès d'une chose quelconque, c'est qu'elle croisse en elle-même sans changer d'essence. Ce qui constitue son changement, c'est qu'elle passe d'une nature à une autre. Qu'elles croissent donc et avec force et avec vigueur, l'intelligence, la science, la sagesse de chacun et de tous, de l'individu comme de l'Eglise; qu'elles croissent en raison des âges et des siècles, mais qu'elles ne sortent pas de leur être; que toujours le dogme soit le même, que le sens du dogme ne change pas de nature(...)" " Il est permis de soigner, de polir, de limiter avec le temps ces dogmes antiques d'une philosophie qui nous ets venue du ciel; mais il est défendu de les changer, de les tronquer, d eles mutiler. Qu'on les entoure d'évidence, de lumière, de clarté, mais qu'ils gardent leur plénitude, leur intégrité, leur essence. Si une fois on se permet une fraude impie, je frémis du péril que courra la religion. Une partie quelconque du dogme orthodoxe rejeté, on en rejettera une autre, puis une autre et encore une autre, ce sera bientôt chose licite et habituelle". Saint Vincent de Lérins, Commonitorium, cité par Guettée, Histoire de l'Eglise, tome IV, pp. 438-39). Tandis que l'Eglise orthodoxe confesse humblement ce qu'elle a reçu du Christ et des apôtres, l'Eglise romaine ne craint pas d'ajouter de nouveaux enseignements par "zèle non conforme à la vérité" ( Rom. 10, 2) en s'égarant parfois dans les superstitions et "les disputes de la fausse science" ( 1 Tim. 6, 20). Il ne pouvait en être autrement. La promesse que "les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre l'Eglise" (Matt. 16, 18) est faite seulement à l'Eglise véritable et universelle; mais pour ceux qui ont chuté et se sont séparés d'Elle, s'accomplit la parole du Seigneur : " De même que le sarment ne peut d elui-même porter du fruit, s'il ne demeure sur le cep, de même vous non plus si en moi vous ne demeurez" (Jn 15, 4). Certes, la bulle qui présente ce nouveau dogme précise bien qu'il ne s'agit pas de créer un nouvel enseignement, mais uniquement de proclamer une doctrine enseignée par l'Eglise dès son origine et défendue par de nombreux Pères saints; et de citer, à cette fin, divers extraits de leurs oeuvres. Or, nombre de ces citations ne font que célébrer la sainteté et la perfection de la Vierge Marie, vénérée par les fidèles, et lui reconnaissent diverses qualités telles sa pureté et la puissance de son intercession; mais nulle part, il n'est question d'une "Immaculée Conception". En outre, les saints Pères invoqués affirment, dans d'autres passages, que seul le Christ est totalement exempt de péché, tandis que tout homme né d'Adam porte une chair soumise à la loi du péché. Pour aucun des premiers Pères saints de l'Eglise, la Vierge Marie n'a été, par miracle, purifiée dès le sein maternel; la Mère de Dieu, comme tout être humain, a enduré le combat avec le péché, mais victorieuse des tentations, elle a été sauvée par son Fils : tel est l'enseignement patristique (43). (43) : ( " Mais la Vierge très pure, sans avoir le Ciel pour cité - car elle ne provenait pas des corps célestes mais de la terre, de la manière qui nous est commune à tous en cette race déchue oublieuse de sa propre nature - seule parmi les hommes a tenu, du début jusqu'à la fin, contre toute méchanceté. Seule elle a rendu à Dieu intacte la beauté qu'Il nous avait donnée, seule elle a usé de toute la puissance et de toutes les armes qu' Il nous avait remises. Par son amour de Dieu et la force de sa pensée, par la rectitude de sa volonté et l'immensité de sa sagesse, elle a repoussé tout péché et remporté une victoire semblable à aucune autre. Ainsi a-t-elle révélé l'homme tel qu'il fut créé, ainsi a-t-elle révélé Dieu et sa sagesse ineffable - et combien Il aime l'homme". Nicolas Cabasilas, La Mère de Dieu, Homélie sur la Nativité, Lausanne, l'Age d'Homme, 1992, p. 35. "... Dieu ne l'avait pas préparée particulièrement pour cette sagesse, pas plus qu'en lui offrant autant qu'aux autres il ne l'avait jugée digne d'une assistance plus grande; c'est seulement en usant d'elle-même et des moyens communs donnés pour la vertu qu'elle a remporté cette victoire inouïe et au-dessus de la nature" ( ibid., p. 37).). Les commentateurs de confession latine affirment eux aussi que la Vierge a été sauvée par le Christ. Mais par là ils entendent que Marie a été préservée de la souillure du péché originel en prévision des mérites futurs du Christ ( bulle sur l'Immaculée Conception). La Vierge Marie, selon cet enseignement, reçut comme par anticipation le don du Christ fait aux hommes par ses souffrances et sa mort sur la Croix. En outre, s'ils évoquent les souffrances que la Mère de Dieu endura au pied de la Croix de son Fils bien-aimé, et plus généralement les afflictions dont fut remplie la vie de la Mère de Dieu, ils considèrent celles-ci comme s'ajoutant aux souffrances du Christ et Marie comme notre co-rédemptrice. Selon le commentaire des théologiens latins, " Marie collabore avec notre rédempteur dans l'oeuvre du salut" ( voir Lebedev, op. cit. p. 273). " Dans l'acte de la rédemption, elle a, d'une certaine manière, apporté son aide au Christ" ( catéchisme du théologien Weimar). " La Mère de Dieu, écrit le théologien Lentz, a porté le fardeau de son martyre avec un coeur brisé, mais avec foi et courage aussi : c'est pourquoi elle est le complément de la Sainte Trinité, et tout comme son Fils est le seul intermédiaire choisi par Dieu entre sa majesté offensée et les pécheurs, de même, la principale médiatrice entre son Fils et nous est la Vierge Marie" ( Mariologie de Lentz). " Sous trois aspects, comme jeune fille, mère et épouse de Dieu, la Sainte Vierge est exaltée jusqu'à une certaine égalité avec le Père, une certaine supériorité sur le Fils, et une certaine proximité avec le Saint Esprit (44)". (44) : ( In Monseigneur Jean-Baptiste Malou, évêque de Bruges, L'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie considérée comme dogme de foi, Bruxelles, H. Goemaere, 1857). Ainsi, selon l'enseignement de ces théologiens latins, la Vierge Marie, dans l'oeuvre de la Rédemption, est placée sur le même plan que le Christ lui-même et est exaltée au point de devenir l'égale de Dieu. On ne saurait pousser plus loin la louange. Si cette théorie n'a pas encore été officiellement proclamée dogme de l'Eglise romaine, Pie IX, qui a sans aucun doute fait un premier pas dans cette direction, a indiqué la marche à suivre pour faire progresser cet enseignement de l'Eglise catholique aujourd'hui communément admis, et en a par avance affirmé la validité. Dès lors l'Eglise romaine, en voulant exalter la Toute Sainte, fait quasiment de sa personne une nouvelle divinité (45). (45) : ( L'historien Michelet fait le même commentaire : " La grâce prévalant sur la loi, il se fit sensiblement une grande révolution religieuse. Dieu changea de sexe, pour ainsi dire. La Vierge devient le Dieu du monde; elle envahit presque tous les temples et tous les autels. La piété se tourna en enthousiasme de galanterie chevaleresque. L'église mystique de Lyon célébra la fête de l'Immaculée Conception (1134)". Jules Michelet, Le Moyen Age, réédition. Paris, Robert Laffont, 1981, p. 285; et des théoligiens catholiques virent dans le nouveau dogme la proclamation d'une quatrième Personne divine au sein de la Trinité, et quittèrent l'Eglise du pape). Et si aujourd'hui les autorités catholiques considèrent Marie comme le "complément de la Sainte Trinité", ne peut-on bientôt s'attendre à ce qu'ils adorent la Vierge comme un second Dieu? C'est, en tout cas, sur cette voie que s'est engagé un groupe de penseurs qui, à cette date, font encore partie de l'Eglise orthodoxe (46), quoiqu'ils aient inventé une nouvelle doctrine qui a nom Sophia ( Sagesse de Dieu); (46) : ( A la date où Monseigneur Jean Maximovitch écrit son texte (1933), ils n'ont pas encore été condamnés par l'Eglise. En 1930, le saint Archevêque publia plusieurs articles contre la sophiologie intitulés " La doctrine de la sainte Sophia, sagese de Dieu", qui furent réunis en un livre. Le 24 août 1935, le patriarche Serge de Moscou publiera un décret condamnant la doctrine de la Sophia, complété par un second décret le 7 septembre 1935. A propos de la controverse que suscita la doctrine de la Sophia, voir La Lumière du Thabor, Revue internationale de théologie orthodoxe, n°32 et 34). la Sophia est un pouvoir particulier qui lie la divinité à la création. En ce qui regarde la dignité de la Mère de Dieu, ils professent que sa personne est d'essence divine, et qu'elle constitue, en quelque sorte, un triat d'union entre l'homme et Dieu. Par certains aspects, ils sont plus modérés que les théologiens latins, mais par d'autres ils les ont largement dépassés! Tout en rejetant la doctrine de l'Immaculée Conception et de l'absence du péché originel en la Toute Sainte, ils enseignent pourtant qu'elle a été préservée de tout péché personnel et ils la considèrent comme un intermédiaire entre Dieu et les hommes, tout comme le Christ : dans la personne du Christ, est apparue sur terre la seconde Personne de la Sainte Trinité, Verbe prééternel et Fils de Dieu, tandis qu'en la Vierge Marie, c'est la personne du Saint Esprit qui s'est manifestée. Si l'on en croit l'un des représentants de ce courant de pensée, lorsque le Saint Esprit est venu demeurer en la Vierge Marie, elle a acquis une "vie dyadique, humaine et divine; elle a été entièrement déifiée car dans son être hypostatique s'est manifestée la révélation vivante et créatrice du Saint Esprit" ( archiprêtre Serge Boulgakov, Le Buisson ardent, 1927, p. 154). " Elle est une manifestation parfaite de la Troisième Hypostase" ( ibid. p. 175), "une créature, qui en même temps n'en est plus une" ( p. 191). Cette volonté d'attribuer à la Mère de Dieu une nature divine se manifeste surtout en Occident, où, paradoxalement au même moment, diverses sectes d'obédience protestante très populaires, tout comme les branches principales du protestantisme ( luthéranisme et calvinisme) refusent de vénérer la Mère de Dieu et de demander son intercession dans leurs prières. Mais, avec saint Epiphane de Chypre, il nous faut rappeler que ces deux hérésies sont tout aussi néfastes l'une que l'autre. Il est tout aussi néfaste de dénigrer la Vierge que de la glorifier au-delà de ce qui convient ( Panarion, contre les collyridiens (47)). (47) : ( Au IVème siècle, l'hérésie des collyridiens, qui avait de nombreux adeptes en Arabie et en Palestine, exaltait la Toute Sainte au point d'en faire une déesse digne d'adoration. Pour le Père Vladimir Guettée, il existe une grande similitude entre cette hérésie ancienne et la doctrine de l'Immaculée Conception (Histoire de l'Eglise, tome IV, p. 99). Ce saint Père condamne ceux qui adorent la Toute Sainte comme Dieu : " Que Marie soit honorée, mais que l'adoration soit rendue à Dieu seul" ( idem). " Quoique Marie fût le vase chosi par Dieu, elle était femme, et avait en partage l'humaine nature cmme tout être humain. Si l'histoire de Marie et la Tradition racontent que son père Joachim entendit cette annonce : " Ton épouse a conçu", toutefois cela n'eut pas lieu sans union conjugale et sans la semence de l'homme" (id.). " Il ne faut pas vénérer les saints au-delà de ce qui convient, mais vénérer leur Maître. Marie n'est pas Dieu, et n'a pas reçu un corps venant des cieux; mais elle est issue de l'union d'un homme et d'une femme; et, selon la promesse, comme Isaac, elle s'est préparée à prendre part à l'économie divine. Pour autant, que nul n'ose avoir la folie d'offenser la Toute Sainte" ( Saint Epiphane, Contre les Antidicomarianites). L'Eglise orthodoxe, qui exalte la Mère de Dieu dans ses hymnes de louange, n'a pas l'audace de lui attribuer ce que la Tradition ou la Sainte Ecriture n'ont pas transmis à son sujet. " La Vérité ne connaît ni l'exagération ni l'amoindrissement. Elle donne à chaque chose la place et la mesure qui conviennent" ( saint évêque Ignace Brianchaninov). Les Pères de l'Eglise glorifient la Vierge Marie pour sa pureté et son courage viril face aux afflictions de la vie terrestre, mais rejettent l'idée qu'elle eût été Médiatrice entre Dieu et les hommes, et que Dieu et elle auraient de concert accompli la rédemption de la race humaine. Si la Toute Sainte était prête à mourir avec son Fils et à souffrir avec lui pour le salut de tous, saint Ambroise, célèbre Père de l'Eglise latinophone, commente : " Mais les souffrances du Christ n'avaient pas besoin de secours, comme le Seigneur lui-même l'avait jadis prophétisé : " J'ai regardé autour de moi, et il n'y avait pas de secours" (Is. 63, 5)", ( saint Ambroise, A propos de l'éducation de la Vierge et de la virginité éternelle de la Toute Sainte, chapitre 7). Voici ce que saint Ambroise enseigne concernant l'universalité du péché ancestral, dont seul le Christ est exempt : " Le seul, en effet, des enfants de la femme qui soit parfaitement saint, c'est le Seigneur Jésus, à qui toute atteinte de la corruption terrestre a été épargnée par la nouveauté de son enfantement sans tache (48)" ( saint Ambroise, Commentaire sur saint Luc, chapitre 2). (48) : ( Saint Ambroise de Milan, Traité sur l'Evangile de saint Luc, livre II. Paris, Cerf, 1971, p. 98). "Dieu seul est sans péché. Tous ceux qui sont nés de l'homme et d ela femme de la manière habituelle, c'est-à-dire selon l'union charnelle, deviennent un jour coupables de péché. Par conséquent, celui qui n'a pas de péché, n'a pas été conçu de cette manière" ( saint Ambroise dans Augustin Du mariage et de la conception). " Un homme seulement, le Médiateur entre Dieu et l'homme, est libre des liens de la naissance pécheresse, parce qu'il est né d'une Vierge, et parce qu'à se naissance, il n'a pas connu l'attaque du péché" ( saint Augustin, Contre Julien, livre 2). Cet autre célèbre docteur de l'Eglise - Augustin -, vénéré surtout en Occident, affirme également : " A l'exclusion de celui qui est la pierre angulaire, je ne sache pas qu'aucun homme devienne temple de Dieu et demeure du Seigneur autrement que par la renaissance spirituelle, elle-même précédée par la naissance charnelle. En effet, quoi que nous puissions penser des enfants qui sont encore dans le sein de leur mère, et nonobstant les paroles du saint évangéliste selon lesquelles Jean le Baptiste a tressailli de joie dans le sein de sa mère ( ce qui n'a pu se produire que par l'action du Saint Esprit) ou celles du Seigneur lui-même à Jérémie ( "je t'ai sanctifié dès le sein de ta mère"), même si celles-ci peuvent laisser entendre que les enfants, à ce moment de leur vie, sont capables d'une certaine sanctification, on ne peut toutefois douter que la sanctification par laquelle tous ensemble et chacun d'entre nous individuellement devenons temples de Dieu n'est possible que pour ceux qui connaissent une renaissance, et la renaissance présuppose toujours la naissance. Seuls ceux qui sont déjà nés peuvent s'unir au Christ et être en communion avec son Corps divin, qui fait de son Eglise le temple vivant de la majesté de Dieu" (49) ( saint Augustin, lettre 187). (49) : ( Quoi que l'on pense de ces paroles d'Augustin, elles ne sont en tout cas pas favorables à l'Immaculée Conception). Ces citations des Pères de l'Eglise ancienne montrent qu'en Occident l'enseignement qui est aujourd'hui de rigueur fut autrefois motif de condamnation. Après la chute de l'Eglise latine, Bernard de Clairvaux que cette Eglise tient pour une autorité en matière dogmatique écrit : " Aujourd'hui je suis dans la crainte, en voyant que certains d'entre vous ont désiré altérer le contenu du dogme, en introduisant une nouvelle fête inconnue de l'Eglise, réprouvée par la raison et par la tradition ancienne. Sommes-nous plus pieux et plus savants que nos Pères? Mais, dites-vous, il faut "glorifier la Mère de Dieu autant qu'il est possible". Cela est vrai, mais la glorification que l'on accorde à la Reine des Cieux exige du discernement. La Vierge royale n'a nul besoin d'un faux honneur, elle qui est décorée de stitres les plus glorieux. Honorez sa virginité, la sainteté de sa vie, sa pureté angélique, sa maternité virginale. Emerveillez-vous de l'abondance de ses dons. Vénérez son Divin Fils; exaltez celle qui a conçu sans concupiscence et a donné niassance sans connaître la douleur. Mais que manque-t-il encore à ces honneurs? D'aucuns disent qu'il faut honorer la conception, car, dit-on, elle a précédé sa sainte naissance, laquelle n'eût pas eu lieu sans la conception. Faut-il alors, pour la même raison, instituer des fêtes pour honorer le père et la mère de sainte Marie, ou même ses aïeux et ses ancêtres encore plus reculés? En outre, comment ne peut-il y avoir de péché là où il y a eu concupiscence (50)? (50) : ( Cette notion de concupiscence, héritée d'Augustin d'Hippone, n'existe pas dans la théologie orthodoxe. Voir le commentaire du Père Michel Azkoul à ce sujet, dans An Orthodox Apology For the New Millenium, Saint Nectarios Press, 2000, p. 170; pour Augustin, l'homme transmet le péché originel à sa descendance, par l'acte de la procréation, idée que reprendra Thomas d'Aquin : " Le commerce des sexes, qui, après le péché de notre premier parent, ne peut avoir lieu sans concupiscence, transmet le péché originel à toute leur descendance", cité par Azkoul, ibid., p. 170). Enfin, que personne ne dise que la Sainte Vierge a été conçue du Saint Esprit et non de l'homme. Je vous le dis fermement : le Saint Esprit est descendu sur elle, mais il n'est pas venu avec elle. Je déclare que la vierge Marie n'a pu être sanctifiée avant sa conception, dans la mesure où elle n'existait pas encore. Si, bien plus, elle ne pouvait être sanctifiée au moment de sa conception, à cause du péché qui est indissociable de l'acte de la conception, alors tout porte à croire qu'elle a été sanctifiée dans le sein de sa mère après la conception. Cette sanctification, si elle annihile le péché, rend sainte sa naissance, mais non sa conception. A personne il n'est donné le droit d'être conçu dans la sainteté; seul le Seigneur Jésus Christ a été conçu du Saint Esprit, et lui seul est saint depuis sa conception même. Les justes paroles du prophète : " Voici j'ai été conçu dans l'iniquité" ( Ps. 50, 7) que dans son humilité il rapporte à lui-même, visent en réalité tous les descendants d'Adam; Comment peut-on affirmer que cette conception soit sainte, alors qu'elle n'a pas été l'oeuvre du Saint Esprit, sans parler du fait qu'elle est le fruit de la concupiscence? La Sainte Vierge ne saurait agréer cette louange, qui, à l'évidence, exalte ce qui est péché. En aucun cas elle ne peut approuver un culte que l'Eglise catholique n'a pas établi, car elle déteste la nouveauté qui est mère de la présomption, soeur de la superstition, et fille de la légèreté" ( Bernard de Clairvaux (51), épître 174, citée par Lebedev, tout comme les références au bienheureux Augustin). Les citations précédentes révèlent tout ensemble la nouveauté et l'absurdité du dogme de l'Eglise romaine. (51) : ( Cette lettre de Bernard de Clairvaux est adressée aux chanoines de Lyon, qui furent les premiers en France à célébrer la fête de la Conception de la Sainte Vierge, au douzième siècle). La doctrine de l'impeccabilité ( ou incapacité totale de pécher ) de la Mère de Dieu est contraire à la Sainte Ecriture, qui évoque, à de multiples reprises, l'impeccabilité du "Seul médiateur entre Dieu et l'homme, le Seigneur Jésus Christ" ( 1 Tim. 2, 5) : " et en lui il n'y a pas de péché" ( 1 Jn 3, 5); " Qui n'a jamais péché, et dans la bouche duquel il ne se trouva point de tromperie" ( 1 Pi. 2, 22); " Il a été tenté comme nous à tous égards, sans commettre de péché" ( Héb. 4, 15); "Celui qui n'a pas connu le péché, il l'a fait devenir péché pour nous" ( 2 Cor 5, 21). Mais, à propos du reste de l'humanité, il est dit : " Qui est sans souillure? Pas même celui dont la vie sur terre n'a duré qu'un seul jour" ( Job 14, 4-5, Sept). " En ceci, Dieu prouve son amour pour nous : alors que nous étions pécheurs, Christ est mort pour nous. Car si, alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie" ( Rom. 5, 8-10). Cet enseignement contredit également la sainte Tradition, et les Pères de l'Eglise, qui vénèrent la sainteté de la Vierge et enseignent que c'est lorsqu'elle conçut le Christ que la toute Sainte fut purifiée par l'Esprit divin, et non pas quand Anne, sa mère, la conçut. " Nul n'est sans souillure devant Toi, quand même sa vie ne serait que d'un jour; Toi seul es apparu sans péché sur la terre, Toi notre Seigneur Jésus Christ, par qui nous espérons obtenir pitié et pardon de nos péchés" ( saint Basile le Grand, 3ème prière des Vêpres de la n, ,n,n, ,nnn,n, n,n n, n,n n, nn, n nn, n,,,n,,n, n,,bb,nbnb nbb n bnbb b nbb nbbn bbnbn bnb n bn bb nhjjhj jnjbnj entecôte). " Mais lorsque le Christ est né d'une mère pure, vierge, inépousée, craignant Dieu et sans souillure, sans époux et sans père, comme il convenait à sa naissance, Il purifia la nature féminine, effaça l'amertume d'Eve et renversa les lois de la chair" ( saint Grégoire le Théologien, Eloge d ela Virginité). Cependant, même à ce moment, comme le disent saint Basile le Grand et saint Jean Chrysostome, la Toute Sainte ne fut pas placée dans un état où elle eût été incapable de pécher, mais elle continua de prendre soin de son salut et vainquit toutes les tentations ( saint Jean Chrysostome, Commentaire sur l'Evangile de Jean, homélie 85; saint Basile le Grand, épître 160). La doctrine selon laquelle la Mère de Dieu a été purifiée avant sa naissance, pour permettre la naissance sans tache du Christ, confine à l'absurde car si le Seigneur immaculé ne pouvait naître que d'une mère elle-même née sans tache, il s'ensuivrait alors que les parents de la Vierge eux aussi eussent dû être exempts du péché originel, et naître de parents purifiés, et ainsi de suite..., et de conclure que le Christ n'aurait pas pu s'incarner si tous ses ancêtres dans la chair, jusqu'à Adam inclus, n'eussent été purifiés du péché originel au préalable! Mais, dans ce cas, en quoi alors l'Incarnation du Christ, descendu sur terre pour anéantir le péché, eût-elle même été nécessaire? Mais si la Toute Sainte a été préservée du péché originel et de tout péché personnel par une grâce spéciale, ce ne peut être que le fait d'un Dieu inique et impitoyable : en effet, si le Seigneur a pu préserver Marie du péché et la purifier avant sa naissance, pourquoi n'a-t-il pas agi de même avant chaque naissance, pourquoi laisse-t-il plutôt languir tous et toutes dans le péché? Est-ce que Dieu sauve les hommes indépendemment de leur volonté, en prédestinant certains au salut avant qu'ils ne viennent au monde (52) ? (52) : ( Dans son introduction aux homélies de Nicolas Cabasilas, théologien laïc du XIVème siècle ( La Mère de Dieu, déjà cité), Père Patric, de bienheureuse mémoire, souligne magnifiquement ces contradictions : " Si Dieu, comme dans le système très tardif de l'Immaculée Conception, avait séparé la Mère de Dieu, par un décret particulier, de l'humanité qui descend d'Adam, non seulement son fiat serait sans signification, simple écho de la grâce divine irrésistible, coupé de celle de l'inconnaissance, dont parle saint Grégoire Palamas, après le grand Denys; mais encore on ne comprendrait pas pourquoi Dieu n'aurait pas mis à part, de la même façon, n'importe quelle autre créature, bien avant le cours de l'histoire, ce qui aurait ainsi évité tant de tragédies - que disons-nous? - mais Dieu, à qui tout est facile, ne se devait-il pas alors d'exempter tous les hommes du péché par le même décret? Si, comme le soutiennent certains protestants, il n'a tenu qu'à Dieu de s'incarner de celle-ci plutôt que de telle autre, la volonté humaine se trouve semblablement anéantie devant la volonté divine" ( ibid;, p. 25). Sous le boisseau des fausses louanges, cette doctrine cache les vertus véritables de la Mère de Dieu; Qui trouvera des mérites à Marie, si, avant même qu'elle ait pu désirer le bien ou le mal, sa pureté lui était déjà toute acquise, dès le sein maternel et à jamais? De quelle sorte de gloire le Christ revêtira-t-il un être qui n'aura fait que garder un état qu'il ne pouvait quitter? Si sa pureté ne lui a coûté ni effort ni la moindre résistance, pourquoi ces couronnes et ce titre de "souveraine du monde"? A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire! La Mère de Dieu, qui avait en partage avec nous l'humaine nature et les passions, a tant aimé le Seigneur qu'elle lui a fait entièrement don d'elle-même, et, par sa pureté, Elle a été exaltée au-dessus du reste de la nature humaine. Pour tout cela, le Seigneur, dans sa prescience, la choisit à l'avance, et le Saint Esprit descendit sur elle, la purifia, et de Lui elle conçut le Sauveur du monde. La doctrine de l'impeccabilité de la Mère de Dieu, don de la grâce, lui dénie toute victoire sur les tentations; d'un vainqueur digne de la couronne de gloire, elle devient l'aveugle instrument des desseins de la Providence. Ce don que firent à la Mère de Dieu le pape Pie IX et tous ceux qui pensaient l'honorer en inventant de nouveaux dogmes, ne lui confère pas une gloire supérieure, mais l'abaisse tout au contraire. Le Seigneur lui-même l'a exaltée, a magnifié sa vie sur terre et sa gloire dans les cieux, de sorte qu'aucune invention humaine ne saurait ajouter quoi que ce soit à sa gloire et à son honneur. Les inventions humaines ne font qu'obscurcir la face du Seigneur aux yeux des hommes. " Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie selon la tradition des hommes, selon les principes élémentaires du monde, et non selon le Christ" ( Col.2, 8), écrit le saint apôtre Paul, sous l'inspiration du Saint Esprit. " Vaine tromperie" que cette doctrine de l'immaculée Conception de la Vierge Marie par sainte Anne! Du dehors, elle semble l'exalter, mais en vérité elle la diminue tout-à-fait. Comme tout mensonge, elle est l'oeuvre du "père des mensonges" ( Jn 8, 44), le malin, qui par ce biais réussit à tromper la multitude de ceux qui, en professant ce dogme, blasphèment, sans le comprendre, contre la Toute Sainte. En même temps que l'Immaculée Conception, il faut aussi rejeter tous les enseignements qui s'y apparentent ou en découlent (53) : (53) : ( Par là saint Jean Maximovitch implique tout enseignement qui en dérive, condamnant à l'avance ( son texte a été publié en 1933) le dogme de l'Assomption, proclamé par l'Eglise catholique en 1950; selon ce dogme, la Vierge n'ayant pas connu le péché originel, a pu monter aux cieux sans passer par la mort et son corps a été transféré au ciel. Nouveau dogme auquel on peut opposer les paroles de saint Jean Damascène : " Ce n'est pas merveille que soit morte la Vierge, salvatrice du monde, si le créateur du monde lui-même est mort dans sa chair!" ( Canon de l'office de la Dormition de la Mère de Dieu, versets du synaxaire). Ou plus loin, " si son fruit incompréhensible, dont elle fut le ciel, subit volontairement le tombeau comme un mortel, comment celle qui l'enfanta dans la virginité, refuserait-elle la sépulture?" ( saint Jean Damascène, 2ème canon de la Dormition, ode IV). comme l'exaltation des souffrances maternelles de la Toute Sainte à l'égal de celles de son Fils lors de la crucifixion, de telle sorte que le rédempteur et la "co-rédemptrice" eussent souffert tout autant l'un que l'autre, selon la doctrine catholique romaine, ou la théorie selon laquelle "la nature humaine de la Mère de Dieu dans les cieux, ainsi que le Dieu-Homme Jésus révèlent conjointement la pleine image de l'homme" ( Archiprêtre Serge Boulgakov, Le Buisson ardent, p. 141). Balivernes de philosophe! En Christ Jésus, il n'est ni homme ni femme ( Gal. 3, 28) et Christ a sauvé toute la race humaine; ainsi, lors de sa résurrection, "Adam a dansé de joie, et tout autant qu'Eve, il s'est réjoui" ( Kondak des dimanches des 1er et 3ème tons) et par son ascension, le Seigneur a élevé toute la nature humaine. Ainsi donc, vénérer la Mère de Dieu comme "le complément de la Sainte Trinité", ou comme une "quatrième hypostase", ou bien conjointement avec le Fils comme révélation du Père par l'intermédiaire de la seconde et d ela troisième hypostase, comme une "créature, mais qui en mêm temps, n'en est plus une", toutes ces ratiocinations sont le fruit d'une vaine et fausse sagesse qui ne se satisfait ni d ela prédication apostolique conservée par l'Eglise, ni même du modèle de piété laissé par le Christ. Ainsi les paroles de saint Epiphane de Chypre sont-elles accomplies : " Certains insensés, qui professent de fausses opinions sur la Toute Sainte, veulent à tout prix la mettre à la place de Dieu" ( saint Epiphane, Contre les Antidicomarianites). Or ces louanges offertes à la Vierge par pure folie ne sont que blasphème; Mère de la Vérité, la Toute Sainte ne saurait s eplaire au mensonge (Jn 14, 6). VII LA VENERATION ORTHODOXE DE LA MERE DE DIEU Ce que l'Eglise orthodoxe enseigne au sujet de la Mère de Dieu a été révélé par la Sainte Ecriture et par la Tradition, et chaque jour elle lui rend gloire dans ses temples, implorant d'elle secours et protection. Convaincus qu'elle agrée seulement la prière véridique, les saints Pères et les hymnographes supplient la Toute Sainte et son Fils de leur enseigner l'art de composer des hymnes en son honneur (54). (54) : ( " Le silence dans la crainte est sans péril, mais composer par amour et sans relâche des hymnes brillantes est oeuvre difficile. Ô Mère de Dieu, donne-nous une force égale à notre désir", Hirmos 9 du 2ème canon, office d ela Nativité du Seigneur). "Sauveur, fortifie mon esprit car j'ose célébrer le rempart du monde, Ta Mère toute pure" ( ikos de la Dormition). " l'Eglise enseigne que le Christ est vraiment né de Marie la toujours Vierge" ( saint Epiphnane, La parole de vérité concernant la Foi). " Il est essentiel pour nous de confesser que la très Sainte Vierge Marie est vraiment Théotokos ( celle qui a donné naissance à Dieu) afin d ene pas tomber dans le blasphème. Car ceux qui nient que la Toute Sainte soit vraiment Théotokos ne sont plus des croyants mais les disciples des Pharisiens et des Sadducéens" ( saint Ephrem le Syrien, à saint Jean le Moine). Par la tradition (55), nous savons que Marie était fille de Joachim et d'Anne, tous deux avancés en âge; (55) : (Ces évènements sont relatés dans le Proto-Evangile de Jacques; l'Eglise orthodoxe reconnaît la validité des cinq premiers chapitres de ce texte). Joachim était issu de la lignée royale de David; Anne, elle, était issue d ela lignée sacerdotale. Malgré la noblesse de leurs origines, ils vivaient dans la pauvreté. Or de cela ils ne s'affligeaient point, mais s'attristaient plutôt de ne pas avoir d'enfant, car ils ne pouvaient espérer que leur descendance verrait l'avènement du Messie; Méprisés des Hébreux pour leur stérilité, au point de se voir refuser leur offrande dans le temple, ils adressaient, dans leur chagrin, d'ardentes prières au Seigneur, Joachim retiré sur la montagne et Anne dans son jardin, pleurant son opprobre, lorsqu'un ange leur apparut, annonçant la naissance prochaine d'une petite fille. Transportés de joie, ils promirent de consacrer l'enfant au Seigneur. Neuf mois plus tard, naquit une petite fille prénommée Marie, qui, dès sa tendre enfance, manifesta les plus parfaites dispositions. Lorsqu'elle eut trois ans, ses parents, tenant leur promesse, amenèrent solennellement la petite Marie au temple de Jérusalem; elle gravit toute seule les hautes marches et, suivant une révélation divine, elle fut conduite par le grand prêtre, venu à sa rencontre, dans le Saint des Saints, apportant avec elle dans le Temple du Seigneur la grâce de l'Esprit divin : " Le temple très pur du Sauveur, la chambre nuptiale précieuse, la Vierge, trésor sacré de la gloire de Dieu, entre en ce jour dans la maison du Seigneur, apportant avec elle la grâce de l'Esprit divin. Les anges l'acclament en disant : voici le tabernacle céleste" ( kondak de l'entrée au temple de la Mère de Dieu). Il s'agissait du temple nouvellement bâti sur lequel la grâce de Dieu n'était pas encore descendue comme sur l'arche ou sur le Temple de Salomon. Marie devait vivre dans la partie du temple réservée aux vierges mais passait tout son temps en prières dans le Saint des Saints, au point pour ainsi dire d'y habiter ( Office de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu, troisième stichère du lucernaire " aujourd'hui le temple vivant (56)..."). (56) : (" Aujourd'hui le temple vivant de la sainte Gloire du Christ notre Dieu, l'innocente et seule bénie parmi toutes les femmes est présentée au Temple de la Loi pour habiter les lieux saints. Avec elle, Joachim et Anne se réjouissent en esprit, les choeurs des Vierges chantent le Seigneur et honorent sa Mère en modulant des psaumes", ( Entrée au Temple, Lucernaire, stichère 3). " Des justes Joachim et Anne, est sorti le fruit de la promesse, Marie l'enfant divine. Dès son enfance dans la chair, elle est offerte dans le temple sacré, comme un encens agréable, pour habiter en tant que sainte, le saint des saints" ( Entrée au Temple, 2ème canon, versets de l'ode 9). " Tu es, ô vénérable, le saint des saints. Tu as aimé le séjour dans le temple, en compagnie des anges. Ô Vierge, tu as grandi, nourricière de la Vie, en recevant ton pain miraculeusement du ciel. Après avoir mis au monde, contre toute espérance, l'innocente et toute pure, Joachime et Anne promirent de l'offrir pieusement à Dieu. Aujourd'hui ils accomplissent leur voeu et apportent l'enfant comme une offrande à la Maison de Dieu" ( Entrée au Temple, 2ème canon, versets de l'ode 4).). Parée de toutes les vertus, elle donnait l'exemple d'une vie extraordinairement pure. Soumise et vivant à l'obéissance de tous, jamais elle ne fit offense à quiconque par de rudes paroles, mais témoignait à chacun son affection, en rejetant loin d'elle toute mauvaise pensée ( je cite en résumant le texte de saint Ambroise de Milan, De la Virginité éternelle de la Toute Sainte). Malgré la droiture et la perfection de sa vie, le péché et la mort éternelle manifestèrent en elle leur présence (57). (57) : ( La Mère de Dieu "avec la nature humaine, hérite, si l'on veut, le "péché" des ancêtres, c'est-à-dire la faiblesse et la mortalité de la nature adamique, usée par le péché; mais, victorieuse personnellement de tout péché, elle fait un usage agréable à Dieu des "potentialités" toujours présentes de cette nature humaine. L'Incarnationmanifeste alors la coopération des volontés divine et humaine. La Mère de Dieu accepte l'Annonce de l'ange. Et le Verbe de Dieu s'incarne dans le sein d'une créature pure et sans tache, mais non créée d'emblée consentante par un décret suprahistorique et plein d'un merveilleux étranger à la Tradition Biblique"; Père Patric Ranson, introduction à La Papauté de Wladimir Guettée, Lausanne, L'Age d'Homme, 1990, p. 31). Ils devaient nécessairement se manifester : tel est l'enseignement exact et fidèle au dogme de l'Eglise orthodoxe sur la Mère de Dieu, la mort et le péché ancestral ( saint évêque Ignace Brianchaninov, Exposé de l'enseignement de l'Eglise orthodoxe sur la Mère de Dieu). " Etrangère à toute chute dans le péché" ( saint Ambroise de Milan, Commentaire sur le psaume 118), elle ne fut pas étrangère aux tentations du péché : " Dieu seul est sans péché" ( saint Ambroise, même source), tandis que l'homme en lui-même sera toujours perfectible afin d'accomplir le commandement de Dieu : " Soyez saint comme le Seigneur votre Dieu est saint" ( Lévitique 19, 2). Plus l'on est pur et parfait, plus l'on connaît son imperfection et l'indignité qui l'accompagne. La Très Sainte Mère de Dieu, qui s'était consacrée tout entière au Seigneur, bien qu'elle rejetât toute inclination au péché, connaissait néanmoins la faiblesse de la nature humaine et désirait ardemment l'avènement du Seigneur. Dans son humilité, elle se regardait comme indigne d'être ne fût-ce que la servante de la Vierge qui devait enfanter le Christ; Afin que rien ne pût la distraire de la prière et de la vigilance vis-à-vis d'elle-même, Marie fit voeu de célibat, ne cherchant à plaire qu'à Dieu seul tout au long de sa vie. Lorsque son âge ne lui permit plus de demeurer dans le temple, elle fut fiancée au vieillard Joseph, chez qui elle vécut désormais. C'est là que vint la visiter l'Archange Gabriel, porteur de la bonne nouvelle : d'elle naîtrait le Fils du Très Haut : " Je te salue, pleine d egrâce; le Seigneur est avec toi; Le Saint Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre : c'est pourquoi le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu" ( Luc 1, 28, 35). Marie accepta les paroles de l'Ange avec humilité et obéissance. " Alors, le Verbe, d'une manière connue de lui seul, descendit des cieux, et selon son dessein vint, entra, et habita en elle" ( saint Ephrem le Syrien, Louange à la Mère de Dieu). " Comme l'éclair qui jette sa lumière sur ce qui est caché, le Christ purifie la nature invisible des choses. Il purifia aussi la Toute Sainte, puis il vint au monde, afin de montrer que là où est le Christ, la pureté se manifeste dans toute sa puissance. Il purifia la Mère de Dieu après que le Saint Esprit l'y eut préparée. Alors son sein devenu pur conçut le Seigneur. Il purifia la Vierge alors qu'elle était restée intacte; après sa naissance, il laissa son sein vierge. Je ne dis pas que Marie devint immortelle, mais qu'elle était illuminée par la grâce. Elle n'était pas troublée par le désir du péché" ( saint Ephrem le Syrien, Homélie contre les hérétiques). La lumière demeura en elle, purifia son esprit, ses pensées, rendit chastes ses préoccupations, et sanctifia sa virginité ( saint évêque Ignace Brianchaninov, Exposé de l'enseignement de l'Eglise orthodoxe sur la Mère de Dieu). Marie ne parla à personne de l'apparition de l'ange, mais celui-ci révéla à Joseph la conception miraculeuse par la grâce du Saint Esprit ( Matt. 1, 18-25); après la Nativité du Christ, accompagné d'une myriade d'hôtes célestes, l'ange annonça la bonne nouvelle aux bergers. Ces derniers, venus adorer le nouveau-né, racontèrent ce qui leur avait été dit à son sujet; Marie, gardant le silence devant la louange comme devant le soupçon, conservait dans son coeur les paroles proclamant la grandeur de son Fils ( Luc 2, 8-19). Quarante jours plus tard, elle ouït la prière de louange de Syméon et la prophétie concernant le glaive qui percerait son âme. Plus tard, elle vit comment Jésus grandissait en sagesse; elle L'entendit à l'âge de douze ans enseigner dans le Temple, et garda tout dans son coeur ( Luc 2, 21-51). Si pleine de grâce qu'elle fût, elle ne comprenait pas encore parfaitement en quoi consisteraient le service et la grandeur de son Fils. Les conceptions judaïques du Messie lui étaient encore familières, et les sentiments naturels la portaient à s'inquiéter au sujet de Jésus, et à vouloir le préserver des labeurs et des dangers excessifs, ou qui paraissaient l'être. aussi accordait-elle involontairement la préférence à son Fils, ce qui suscita les remarques du Seigneur concernant la supériorité de la parenté spirituelle sur la parenté charnelle (58) ( Matt 12, 46-49), "car s'il tenait à honorer sa mère, il avait encore bien plus à coeur son salut, et le bien qu'il devait faire au monde, s'étant pour cette fin revêtu de notre chair" ( saint Jean Chrysostome, Commentaire sur saint Jean, homélie 21). (58) : " Pensez donc à ces choses : rappelez-vous les, lorsque vous entendrez une femme dire : " Heureuses sont les entrailles qui t'ont porté, et les mamelles qui t'ont nourri" et Jésus répondre : " Mais plutôt heureux ceux qui font la volonté de mon Père" ( Luc 11, 27, 28); et soyez persuadés que c'est dans la même intention et dans le même esprit qu'il répond de la sorte à sa mère. Jésus ne fait pas à sa mère cette réponse pour la rebuter, mais pour lui déclarer qu'il ne lui serait nullement avantageux de L'avoir enfanté, si elle n'était très vertueuse et très fidèle. Or s'il n'eût été d'aucune utilité à Marie d'avoir enfanté Jésus-Christ, à supposer que son âme n'eût pas été intérieurement ornée de vertu, à plus forte raison nous sera-t-il inutile à nous, qui n'avons rien de bon, d'avoir eu un père, un frère, un enfant bon et vertueux, si nous sommes éloignés de la vertu; car David dit : " Le frère ne rachète point son frère, l'homme étranger le rachètera-t-il?" (Ps. 48, 7). En effet, après la grâce de Dieu, on ne doit fonder l'espérance du salut sur nulle autre chose que sur les bonnes oeuvres". Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur l'Evangile de Jean, homélie XXI, trad. Jeannin, Paris 1865, p. 200). Marie comprenait tout cela, écoutait la parole de Dieu et la gardait ( Luc 11, 27-28). Plus que tout être au monde, elle avait la pensée qui était en Christ Jésus ( Phil. 2, 5), supportant sans murmure sa douleur maternelle en voyant son Fils persécuté et souffrant sur la Croix. Pleine d'allégresse le jour d ela Résurrection, elle fut revêtue de la puissance d'en haut ( Luc 24, 49); lors de la Pentecôte, le Saint Esprit descendit sur elle, lui enseigna toutes choses ( Jn 14, 26) et la conduisit dans toute la vérité ( Jn 16, 13). Illuminée, elle redoubla de zèle pour accomplir ce qu'elle avait entendu des lèvres de son Fils et Sauveur, afin de s'élever vers le Seigneur et de demeurer à jamais auprès de Lui. La fin de la vie terrestre de la Toute Sainte Mère de Dieu révéla les prémices de sa grandeur. " Parée de gloire divine" ( hirmos du canon de la Dormition), elle se tient à la droite du trône de son Fils, elle s'y tiendra au jour du Jugement, et dans la vie à venir. Elle règne avec le Christ, ayant auprès de lui l'audace maternelle; en esprit, elle est unie à son Fils, ayant accompli la volonté divine et instruit les croyants. Miséricordieuse et pleine d'amour, elle témoigne son amour pour son Fils et Seigneur par son amour du genre humain. Elle intecède pour nous auprès du Seul Miséricordieux, et sur toute la terre, elle porte secours aux hommes (59). (59) : ( Ce que Père Patric commente ainsi : " Oui, s'étant librement unie à Dieu, la Mère de Dieu lui a prêté notre nature et c'est pourquoi, dans la tradition patristique orthodoxe, elle est celle qui peut intercéder pour nous : " Unique et seule parmi tous les hommes, la Bienheureuse, offrant une âme digne de Dieu, a pu prendre la défense d'autrui". Le Christ s'est fait le débiteur de sa créature, de la Vierge qui lui a prêté la chair. Devenu redevable envers elle de sa nature humaine, le Seigneur exauce toujours ses prières. Il l'écoute lorsque le coeur des chrétiens se tourne vers elle et la supplie "très sainte Mère de Dieu, sauve-nous" ( introduction à la Mère de Dieu de Nicolas Cabasilas, Lausanne, L'Age d'Homme, 1992, p. 26).). Connaissant d'expérience toutes les afflcictions de la vie terrestre, la médiatrice des chrétiens voit toutes les larmes, entend tous les gémissements et toutes les supplications qui lui sont adressés. Ceux qui luttent contre les passions et qui, pleins de zèle, veulent mener une vie agréable à Dieu, lui sont particulièrement proches. Et jusque dans les soucis du monde, elle est une aide irremplaçable. " Joie de tous ceux qui s'affligent, défense des opprimés, nourricière des affamés, consolation des voyageurs, port des naufragés, visitation des malades, protection et secours des infirmes, soutien des vieillards, nous te supplions Mère du Dieu très haut, ô toute pure..." ( stichère de l'office de la Paraclèse), "l'espoir, l'intercession et le refuge de tous les chrétiens, la Mère de Dieu aux prières incessantes" ( théotokion du troisième ton). Nuit et jour, elle prie pour nous, et "ses prières affermissent le sceptre des rois " ( office de minuit). Il n'est pas de mots, ni d'intelligence assez talentueuse pour exprimer la grandeur de celle qui naquit de la race humaine pécheresse mais devint "plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins". " Voyant la grâce des mystères de Dieu se manifester dans la Vierge et s'accomplir clairement, je suis dans la joie, bien qu'incapable d'en concevoir le mode étrange et indicible. Comment la Toute Pure a-t-elle été seule choisie parmi toutes les créatures, visibles et invisibles? Voulant la célébrer, mais muet d'étonnement, je suis frappé d'impuissance en mon esprit comme en mes paroles. Cependant, j'oserai encore la proclamer et la magnifier : elle est le tabernacle céleste" ( Ikos de l'entrée au Temple). " Nulle langue n'est capable d ete chanter dignement; pour tout esprit, même hypercosmique, ta louange est un vertige. Toi qui es bonne considère notre foi et notre désir ardent. Protection des chrétiens, nous t'exaltons" ( office de la Théophanie, hirmos de la neuvième ode). VINGT PAROLES DES PERES SUR LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU Traduites par l'Archimandrite Ambroise Fontrier Les apôtres théophores, sur un signe divin, enlevés dans les airs, vinrent ensevelir ta dépouille toute pure et principe de vie et la couvrirent de baisers. Les puissances célestes les plus élevées, présentes avec leur Maïtre, firent, dans la crainte, cortège au corps virginal, demeure de la Divinité. Elles s'avancèrent, invisibles, au-dessus de la terre et crièrent aux puissances supérieures : voici que s'approche la fille de Dieu, la reine de l'univers. Ouvrez larges vos portes et accueillez avec magnificence la Mère de la Lumière intarissable. Par elle, le salut a été donné à la race des mortels. Nous ne pouvons porter sur elle nos regards, aucun honneur n'est digne d'elle. Sa suréminence dépasse toute pensée. Ô Mère de Dieu toute pure, toujours vivante avec ton Fils le Roi de la Vie, prie sans cesse pour que tes enfants soient préservés et sauvés de toute attaque ennemie. Tu es notre protection et, avec éclat, nous te proclamons bienheureuse à jamais. Fête de la Dormition de la Mère de Dieu, Vêpres, Lucernaire, Théotokion. Aux jours de la création du monde, lorsque Dieu prononça ces paroles puissantes et vivifiantes : qu'il en soit ainsi, la parole du créateur produisit dans le monde les créatures, mais en ce jour nonpareil dans l'existence du monde, lorsque la divine Marie, toute modestie et obéissance, dit à l'ange : " Qu'il me soit fait selon ta parole", j'ose à peine exprimer ce qui se passa alors : la parole de la créature fit descendre dans le monde le Créateur! Ce modeste fiat était nécessaire pour que le grand fiat de l'économie divine eût son efficace. Quelle force secrète est donc contenue dans ces simples paroles : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole, pour produire un effet si extraordinaire? Cette force merveilleuse est le pur et parfait dévouement de Marie à Dieu, dévouement de sa volonté, de sa pensée, de son âme, de tout son être, de toutes ses facultés, de toutes ses actions, de toutes ses espérances, et de toute son attente. Saint Philarète de Moscou, Homélie pour l'Annonciation de la Toute Sainte. Mère de Dieu, tu es la magnificence de l'Economie redoutable de Dieu, où les anges désirent plonger leurs regards. Saint André de Crète, Homélie sur la Dormition. Jadis dans la Mer Rouge, fut tracée l'image de l'Epouse inépousée : là-bas, Moïse divisa les eaux, ici, Gabriel servit le miracle. Israël traversa l'abîme à pied sec, la Vierge enfanta sans union le Christ. Après le passage d'Israël, la mer redevint infranchissable; après l'enfantement de l'Emmanuel, la pure demeura vierge. Dieu qui es, qui étais et te fis homme, prends pitié de nous. Octoèque, dimanche du ton 5, Lucernaire. L'Emmanuel est sorti de la Vierge sainte, de celle qui a dit : comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme? Oui, la Vierge n'a pas été soumise à la purification imposée par la Loi, qui veut que la femme, selon le Lévitique, qui sera ensemencée et qui enfantera un fils, soit impure pendant sept jours. La Vierge, devenue sans semence la Mère de l'Emmanuel, a été pure, sainte et sans tache; même après la maternité, elle est restée vierge. Saint Basile le Grand. Dans ta maternité, tu n'as pas connu la corruption. Tu as prêté la chair au Verbe, artisan de l'univers. Epouse inépousée, Vierge Mère de Dieu, réceptacle de l'Infini, vaste Demeure de ton créateur, nous t'exaltons. Octoèque, dimanche du ton 7, Canon des Matines, Hirmos 9. La Vierge, aujourd'hui, met au monde l'Eternel, et la terre offre une grotte à l'Inaccessible. Les anges et les pasteurs Le louent et les mages avec l'étoile s'avancent. Car tu es né pour nous, petit enfant, Dieu éternel. Saint Romanos ou Romain le Mélode, Kondak de la Nativité de notre Seigneur Jésus Christ. Ô Mère de Dieu, tu es le paradis mystique, en toi a germé sans culture le Christ. Il a planté sur la terre l'arbre de la Croix qui porte la Vie. En la voyant en ce jour exaltée, nous l'adorons et te magnifions. Sainte Cassia, Fête de l'Exaltation de la Croix, Canon des Matines, Hirmos 9. Comme l'or dans le creuset, la Mère de Dieu devait déposer dans la mort l'épaisseur terne et terrestre de la mortalité et ressusciter du tombeau, rayonnante dans l'éclat de la chair incorruptible et pure. Aujourd'hui elle reçoit de Celui qui lui avait donné le commencement de la première vie, le commencement de la vie nouvelle. Qu'est-ce que cette vie nouvelle, cette existence nouvelle, si ce n'est la résurrection? Saint Jean Damascène, Troisième homélie sur la Dormition. La mort ne t'a pas faite bienheureuse, ô Mère de Dieu, c'est toi qui l"as embellie, en détruisant sa tristesse et en la changeant en joie. Saint Jean Damascène, Troisième Homélie sur la Dormition. La Mère de Dieu accepte la mort. Déposée dans le sépulcre, après trois jours, elle ressuscite en gloire, pour régner avec son Fils et prier pour le pardon de nos fautes. Saint Marc d'Ephèse, Fête de la Dormition, Canon, Ode 9. Après avoir régné depuis Adam jusqu'à Marie, la mort s'approcha aussi de la Toute Sainte. Heurtant contre le fruit de sa virginité, elle s'y brisa comme sur un rocher. De même en toute âme qui dépasse la vie charnelle par la virginité, le pouvoir de la mort se brise et se dissout. Saint Grégoire de Nysse, Sur la Virginité. Souveraine qui as enfanté la joie, donne-moi le deuil qui m'apportera la consolation divine au Jour qui doit venir. Grand Canon, Jeudi de la cinquième Semaine du Grand Carême, ode 9. "Je contemple un mystère étrange et paradoxal : la caverne est devenue un ciel, la Vierge un trône chérubique, la crèche, un lieu où est couché l'Incontenable, le Christ notre Dieu. Chantons-le et magnifions-le!" ( ode 9, Canon de la Nativité). Mais, ô divin Cosmas, dira quelqu'un, tu as raison de t'émerveiller sur la grotte, qui de terrestre est devenue un ciel, de même que sur la crèche, qui bien qu'étroite est devenue le vaste lieu de Celui que rien ne peut contenir. Mais pour la Vierge, t'es-tu émerveillé comme il convenait en l'appelant trône chérubique? N'est-elle pas plus vénérable que les Chérubins? Peut-être l'as-tu ainsi appelée, à cause de sa pureté, de sa sagesse exceptionnelle et de sa profonde connaissance de Dieu, car Chérubin signifie selon Denys l'Aréopagite, masse de connaissance, effusion de sagesse... Saint Nicodème l'Hagiorite, Commentaire du canon de la Nativité du Seigneur. Devant la splendeur de ta virginité et l'éclat de ton innocence, Gabriel bouleversé te clame, Mère de Dieu : quelle louange t'offrir qui fût digne de toi? Quel nom te donner? Etonné, stupéfait, je te crie ce qui m'a été ordonné, salut, pleine de grâces! Octoèque, dimanche du ton 3, Matines, cathisme I. Chantons la porte et l'arche du ciel, la montagne sainte, la nuée lumineuse, l'échelle céleste, le paradis spirituel, la délivrance d'Eve, le grand Trésor de l'univers. En elle se sont opérés le salut du monde et la rémission des crimes anciens. Ainsi lui crions-nous : prie ton Fils notre Dieu d'accorder le pardon des fautes à ceux qui adorent avec piété ton saint enfant. Octoèque, dimanche du ton 8, matines, cathisme I. Rien ici-bas ne saurait être comparé à Marie la Mère de Dieu. Homme, parcours en esprit toute la création, et vois s'il y a quelque chose qui égale ou qui soit plus grand que la Vierge, la Mère de Dieu. Fouille la terre, parcours la mer, examine l'air, visite par la pensée les cieux, te souvenant des puissances invisibles et vois s'il y a, dans la création, une autre merveille qu'elle. Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Vierge Sainte. Salut, montagne sainte franchie par Dieu. Salut, buisson vivant et ardent jamais consumé. Salut, arche unique entre le monde et Dieu, passage des morts à la Vie éternelle. Salut, jeune et innocente Vierge, qui enfantas, sans l'homme, le salut de nos âmes. Octoèque, dimanche du ton 5, matines, cathisme I. Elle seule est la frontière entre la nature créée et incréée, nul ne va à Dieu que par elle et par le médiateur qu'elle a mis au monde; tout don de Dieu ne vient que par elle aux anges et aux hommes. Saint Grégoire Palamas, Homélie sur l'Entrée de la Vierge au Temple. Réjouis-toi! Dieu après Dieu, Seconde après la Trinité! Seule, tu reçois La plénitude de tous les dons divins Que tu transmets ensuite aux anges et aux hommes, Epouse du Père, Mère sans tache du Fils, Temple saint de l'Esprit inondé de lumière Fin ultime et sublime De toute la création, Dont la beauté pour toi a été faite! En ta naissance Ô innocente, S'est accompli Le dessein éternel du Créateur! Saint André de Crète, Idiomèle pour la Nativité de la Mère de Dieu.

VIE DE NOTRE PERE DANS LES SAINTS
JEAN MAXIMOVITCH
Archevêque de Shangaï et de San Francisco
1896-1966





Introduction





e saint archevêque Jean Maximovitch a été, en plein XXème siècle, à la fois un ascète comme ceux de l’ancien temps, semblable aux Pères du désert, proche aussi, par certains côtés, des fols en Christ de la Russie, tant le monde lui était indifférent, et un confesseur de la foi parce qu’il refusa, en Chine, dans une période très difficile, où il risquait sa vie, de se soumettre à la hiérarchie sergianiste du patriarcat de Moscou. En même temps, le Bienheureux Archevêque Jean a eu le souci de prêcher à tous les peuples la foi orthodoxe, et il a conduit des Chinois, des Français, des Hollandais, des Américains à la vraie Eglise du Christ.
En partie grâce aux publications de la communauté de saint Germain d’Alaska à Platina, qui édite la revue Orthodox Word, la vie du saint Archevêque est connue dans le monde entier, et sa vénération confirmée par une multitude de miracles.
Rappelons aussi que la mission française fondée par l’Archimandrite Ambroise a reçu la bénédiction de l’Archevêque Jean. Le Père Ambroise, comme aussi le chef de choeur et adaptateur des offices en français, le Professeur Jean Joseph Bernard, ont connu l’Archevêque Jean. La pierre de l’autel qui a été celui de l’église du Boulevard de Sébastopol et qui est destinée à devenir celui de la nouvelle église Saint-Ambroise-de-Milan, a été consacrée par l’Archevêque Jean, dont nous gardons, comme relique, un tout petit morceau de soutane.
Dieu est admirable dans ses saints, chante l’Eglise orthodoxe. «Les saints, disait l’évêque Nicolas Vélimirovitch, sont comme de clairs miroirs dans lesquels nous voyons la beauté et la puissance de Jésus Christ».
C’est pourquoi, de même qu’il n’appartient pas à tous de tracer sur l’icône les traits de la sainteté, il n’est pas davantage permis ni possible à tous de raconter la sainte vie de ceux qui se sont purifiés pour le Seigneur, au point de ramener l’«image» à la «ressemblance», de devenir, par les vertus, de vraies icônes du Christ, et des réceptacles de la grâce déifiante de l’Esprit. Voilà pourquoi il était plus juste pour nous de garder le silence sur saint Jean, que Dieu a manifesté en nos temps ; mais les paroles de l’Evêque Savva d’Edmonton nous sont venues en mémoire : «Je vous supplie, mes frères bien-aimés, de ne pas me juger sur mon ignorance si, rempli d’amour pour ce saint, j’ai décidé de raconter absolument tout ce que je sais de lui, de crainte que les paroles de Notre Seigneur au serviteur méchant et paresseux ne s’appliquent à moi... Mais avant toutes choses je m’adresse au Seigneur : Seigneur Tout-Puissant, dispensateur de la grâce, Père de Notre Seigneur Jésus Christ, aide-moi, éclaire mon coeur pour que je connaisse tes commandements, ouvre mes lèvres pour que je raconte Tes merveilles et la gloire de Ton saint».
Telle est la raison pour laquelle, quoique indignes, nous entreprenons de résumer ci-après quelques-uns des exploits de saint Jean, en attendant que soit publiée en français une chronique plus complète de sa vie et de ses miracles.


Un enfant de la Sainte Russie (1896-1917)

Saint Jean Maximovitch naquit dans la verdoyante Russie du Sud, dans la province de Kharkov, au village nommé Adamovka, le 4 juin 1896, jour de la fête de Marthe et de Marie. Ses parents, Boris et Glafira, le baptisèrent sous le nom de Michel.
Sa famille tenait rang dans la noblesse : elle descendait de nobles serbes qui, sur la fin du XVème siècle, avaient fui leur patrie tombée aux mains des Turcs. Parmi ses ancêtres ou ses proches, Michel comptait des personnages de vaste culture, tels Michel Alexandrovitch Maximovitch, qui fut une lumière dans diverses branches de la science, et recteur de l’Université de Kiev. Un autre de ses ancêtres était le Métropolite Jean de Tobolsk, qui fleurit au XVIIème siècle et s’endormit sous le règne de Pierre le Grand : poète, traducteur d’un livre célèbre intitulé Héliotrope ou synergie de la volonté humaine avec la volonté divine, ce premier Jean Maximovitch avait illuminé la Sibérie occidentale et mandé la première mission orthodoxe en Chine. D’infinis miracles accomplis par sa relique avaient révélé à tous le crédit qu’il avait obtenu auprès de Dieu. Heureux, dit le psalmiste, qui a un parent dans Jérusalem ! Bienheureux le petit Michel, sur le berceau duquel veillait l’Archange, et qui avait un parent dans la Jérusalem d’En-Haut !
Dès sa plus tendre enfance, Micha aima les choses de l’Eglise. Doux et silencieux, délicat de santé, mangeant peu, avant même de pouvoir lire les Vies des saints, il jouait au monastère avec ses soldats de plomb. Dès qu’il eut accès aux livres, il rassembla icônes, livres religieux, livres d’histoire et vies des saints, communiquant naturellement sa ferveur à ses quatre frères et à sa soeur, car il était l’aîné de la famille. Il priait longuement durant la nuit. Sa gouvernante française, voyant le zèle de Michel pour tout ce qui était de l’Eglise, touchée de la grâce, demanda le baptême orthodoxe.
Chaque été, Michel et les siens se rendaient dans la propriété familiale située non loin du grand monastère de Sviatogorsk. Sur la rive de la rivière Donets, s’élevaient un Mont Thabor et plusieurs églises majestueuses : dans les skites et les grottes, plus de six cents moines vivaient selon le typicon athonite. La famille fréquentait ces lieux et Michel prit l’habitude de venir retrouver, seul, ces ascètes porteurs de l’habit angélique, au milieu desquels son coeur de moine enfant baignait dans la crainte de Dieu.
«Dès les premiers moments que j’eus pris conscience de moi-même, dit Monseigneur Jean lors de sa consécration épiscopale, je désirai servir la justice et la Vérité. Mes parents firent brûler en moi l’ardeur de tenir toujours ferme pour la Vérité et mon âme se prenait de passion devant l’exemple de ceux qui avaient donné leur vie pour Elle».
A l’âge de onze ans, Michel fut envoyé à Poltava, pour y suivre, sur les traces de son père, les cours de l’Académie Militaire. Quoique soumis à ses supérieurs et bon élève, il appliquait dans son coeur le précepte des vrais soldats du Christ : «Recherche et poursuis la paix». Un jour, alors qu’il avait treize ans, son unité participait à un défilé solennel commémorant le deux-centième anniversaire de la victoire de Poltava. Passant devant la Cathédrale, le Cadet Michel se tourna et fit le signe de croix. Ses camarades se moquèrent et ses supérieurs résolurent de châtier cet écart de conduite. Toutefois, quoique envahie par l’esprit du monde, la Sainte Russie gardait encore «un petit reste». Un des camarades de Michel était le fils du Patron du Corps des Cadets, le Grand Prince Constantin Constantinovitch, lequel, apprenant l’affaire, commanda que le jeune homme ne fût pas puni pour un acte qui, loin de mériter le blâme, appelait la louange d’une foi profonde... Devant l’Arche mystérieuse, David avait dansé en jubilant, malgré les railleries de la fille de Saül à laquelle il répondit : «Je serai vil à tes yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai en honneur».
A Poltava, Michel, loin des siens, dut rencontrer une figure exceptionnelle, l’évêque Théophane Bistrov. Frêle et mince, il avait reçu du peuple le qualificatif de «transparent» ; il apparaissait tel un être dématérialisé ou tel un saint des temps d’autrefois, qui serait descendu d’une fresque de Théophane le Grec pour rapprendre aux fidèles la voie étroite. Son silence intérieur, ses yeux clos lorsqu’il officiait, son immobilité, tout en lui enseignait avec une éloquence d’icône la vie spirituelle ; immergé dans la prière, il parlait fort doucement, mais les perles qui tombaient de sa bouche réjouissaient le coeur, surtout celui de la jeunesse.
Lorsque l’on relate la vie des hommes de ce monde, on énumère parfois les traits qu’ils ont pu imiter chez tels ou tels de ceux qu’ils ont admirés ; mais, dans le cas des hommes de Dieu, qui pourrait sonder l’amour dont ils se remplissent à la vue d’un saint vaisseau de l’Esprit ? «Celui qui est épris de la sainteté, de la beauté, de l’éclat, de la splendeur d’une âme, serait-il lui-même repoussant et difforme, serait-il le dernier des hommes, s’il persiste dans cet amour des saints, il ne tardera pas à ressembler à ceux qu’il aime» dit saint Jean Chrysostome (Sur la Folie de saint Paul, 1). Vers le soir de sa vie, Monseigneur Jean, devenu lui-même «transparent» semblait une vivante image de l’ancien de Poltava ; il était devenu un nouveau Théophane, en qui Dieu transparaissait.
En 1914, ayant achevé ses études secondaires, Michel désirait s’inscrire à l’Académie Théologique de Kiev ; docile à ses parents, toutefois, il suivit les cours de la faculté de Droit de l’Université Impériale de Kharkov, dont il obtint le diplôme en 1918.
Ville ancienne, Kharkov était imprégnée du parfum de l’ascèse et de la sainteté. Au monastère de la Protection de la Mère de Dieu reposait, sous l’autel, dans une crypte, la relique du saint Archevêque Méléty Léontovitch, endormi en 1841. Sur ceux qui venaient lire à son tombeau l’office des défunts, saint Méléty versait la grâce des miracles et des guérisons. Le jeune Michaïl le vénérait profondément et, comme le remarque son biographe, à présent que tous deux habitent dans la lumière de la Trinité, trois ressemblances se font voir entre saint Méléty et son disciple de par-delà les générations : ils ont tous deux mené la dure ascèse de la fuite du sommeil, s’exerçant, dans un corps de chair, à la vigilance et à la prière ; l’un et l’autre ont connu l’heure de leur départ d’ici-bas ; l’un comme l’autre attend à présent le jour glorieux de la Résurrection dans la crypte d’une cathédrale, le premier dans la Sainte Russie, le second, dans le Nouveau Monde.
Durant ces années d’études universitaires, la piété de Michel atteignit sa force adulte, pénétrant le sens des réalités auxquelles il avait été nourri. Il fut, certes, un brillant étudiant, acquérant les sciences que les Pères appellent «du dehors», car elles ne profitent qu’à l’homme extérieur ; mais, dans le même temps, il assimilait parfaitement les vies des saints, y découvrant les trésors de la sagesse incréée, le sens de l’ascèse et de la vie, les labeurs variés de l’activité sanctifiante, les fruits de la prière. Dans l’homélie, déjà citée, qu’il prononça lors de sa consécration épiscopale, l’Archevêque résume ainsi cette période de sa vie : «Tout en étudiant les sciences de ce monde, j’allai toujours plus profond dans la science des sciences, dans la connaissance de la vie spirituelle».
A la tête du diocèse de Kharkov se trouvait alors un homme éclairé du Saint Esprit et qui, tel le scribe de l’Evangile, tirait de son trésor du neuf et de l’ancien, parce qu’il joignait à la science l’amour et la piété selon Dieu. Dans cette époque difficile pour la vie de foi, alors que les institutions de l’Etat et l’organisation de l’enseignement menaçaient d’étouffer l’Esprit, le Métropolite Antoine Khrapovitsky se distinguait par son zèle pour la foi juste, sa recherche d’une théologie débarrassée des influences occidentales, enracinée dans la prière, et sa requête du retour à l’institution du Patriacat1.
L’Archevêque Jean lui-même a laissé le récit détaillé de sa rencontre avec le Métropolite Antoine. Après avoir évoqué le soin que celui-ci avait des jeunes et la cordialité avec laquelle il leur offrait son aide matérielle et spirituelle, il continue ainsi :
«Soucieux d’élever le niveau éthique général de la jeunesse, Vladika ne laissait pas de se montrer attentionné pour chaque jeune en particulier qu’il avait vu, et c’est avec chaleur qu’il conversait avec lui. Si Vladika, d’aventure, apprenait que quelque personne avait une inclination telle qu’elle pût recevoir du profit de ses instructions, il mettait tout son soin à la découvrir et à la rencontrer. L’on apprit un jour à l’Archevêque Antoine qu’un des chefs de la noblesse locale de la province de Kharkov avait un fils aîné, un étudiant, qui s’intéressait vivement aux questions spirituelles. Sans délai, Vladika demanda au père de lui présenter son fils. Une telle requête était chose inconnue dans la Kharkov d’alors, où même les hommes de haut rang hésitaient à venir trouver l’Archevêque en personne, qui était toujours extraordinairement pressé d’un grand nombre de visiteurs... Quelques mois passèrent. L’invitation de l’Archevêque fut oubliée. Il advint que l’Archevêque Antoine fut appelé pour servir un moleben lors d’une réunion dans laquelle se trouvait le gentilhomme dont nous avons parlé. Comme il s’approchait, à la fin du moleben, pour recevoir la bénédiction de l’Archevêque : «Pourquoi me caches-tu ton fils ? interrogea Vladika. Crains-tu que je le fasse moine ?» Stupéfait que l’Archevêque se souvînt de son jeune fils, le père affirma qu’il ne le cachait pas, mais qu’il n’avait pas jugé possible ou convenable d’amener un jeune enfant à un Archevêque si lourdement accablé de tâches importantes. «Non, tu te dois absolument de le mener ; alors seulement je te croirai» répondit Vladika. De retour à la maison, le père raconta la nouvelle, qui remplit tout le monde d’étonnement... Quelque peu ébranlé par la tournure des événements, le père se promit de présenter son fils à l’Archevêque, mais quelque chose semblait toujours empêcher la rencontre. D’abord, le fils tomba malade, puis le père dut quitter Kharkov pour son travail. Et la visite à l’Archevêque fut remise à une date indéterminée... Or, un jour, l’Archevêque Antoine donnait une conférence dans la Maison des Propriétaires Fonciers. Parmi les auditeurs figurait l’étudiant dont nous parlons. Durant la pause, il s’avança pour recevoir la bénédiction de l’Archevêque. Les personnes qui l’entouraient lui expliquèrent qu’il s’agissait du jeune homme dont il avait parlé avec son père. «C’est donc toi que tes parents me cachent !» s’exclama Vladika en l’embrassant. L’autre répondit que ses parents ne le cachaient pas le moins du monde, à preuve, sa présence même à la conférence. «Alors dis à ton père qu’il doit absolument venir me voir avec toi».
C’est ainsi que se nouèrent des liens très affectueux et spirituels entre la famille de Michel et l’Archevêque Antoine.
Selon le mot du Père Justin Popovitch, grand était le «mystère de la personnalité» de l’Archevêque Antoine Khrapovitsky, qui guida la formation du jeune Michel, comme il avait fait pour beaucoup d’autres êtres avides de la Vérité ; grande aussi, cette rencontre des amoureux de Dieu, qui communient d’âme à âme. Sur eux, bientôt, allaient s’abattre la tourmente de la Révolution, les guerres et les affres de l’exil, et, tel saint Jean Chrysostome, loin de s’en aigrir, ils trouveraient la force d’offrir au Seigneur le fruit des lèvres qui confessent Sa Bonté : «Gloire à Dieu en toutes choses».

L’exil et l’épiscopat (1917-1934)

La Révolution Russe éclata. Fidèle à son tsar orthodoxe, la noble famille des Maximovitch connut le deuil dès les premiers jours de février 1917, où le tsar, abandonné de tous, fut contraint d’abdiquer. Plus tard, dans une homélie prononcée à la mémoire du tsar martyr, lors du quarantième anniversaire de cette abdication, saint Jean découvrait ainsi le sens des événements : «La signature du Souverain, de l’Empereur Nicolas Alexandrovitch, sur l’acte d’abdication du trône, dresse la frontière historique qui sépare le grand et glorieux passé de la Russie des circonstances sombres et cruelles qu’elle connaît actuellement... Lorsque le souverain eut besoin de soutien moral, ses proches les plus intimes, loin de le lui fournir, violèrent leur serment. Certains prirent part à la conspiration ; d’autres, par faiblesse, conseillèrent l’abdication. Le Tsar demeura absolument seul, environné de «trahison, bassesse et lâcheté». Du jour où il abdiqua, l’effondrement général commença. Il ne pouvait en aller autrement. Le lien de l’unité universelle, la sentinelle de la Vérité, était abattu. Un péché avait été commis : désormais, le péché s’engouffrait librement. Octobre n’est que la conséquence de Février, il est vain de vouloir les disjoindre».
Les Révolutionnaires cherchaient à s’emparer des biens des églises, prétendument pour subvenir aux nécessités des pauvres et des malheureuses victimes de la guerre ; mais la plus grande part des richesses ainsi collectées devaient alimenter un trésor de guerre à la taille de leurs ambitions politiques. Le Métropolite Benjamin de Pétrograd, voulait que des assemblées du peuple surveillassent la distribution de l’argent aux pauvres ; les bolcheviks le condamnèrent. A Kharkov, prise de peur ou d’enthousiasme, l’assemblée ecclésiale proposait de fondre la cloche d’argent de la cathédrale ; avec quelques autres coeurs hardis, Michel brava la majorité et exprima bien haut son contredit.
Le danger se fit pressant pour tous ceux qui osaient s’opposer ouvertement à l’esprit du jour. Les arrestations resserrèrent leur étau et les proches de Michel l’exhortaient à quitter le domicile familial pour se réfugier dans quelque cachette sûre. Il n’est point d’endroit, leur répliqua-t-il, où l’on puisse se dérober à la volonté de Dieu : sans elle, rien n’arrive, et pas un cheveu ne peut tomber de nos têtes. Il fut arrêté à deux reprises, puis relâché, la première fois, au bout d’un mois, la seconde, plus vite encore, tant son insouciance d’être libre ou en prison paraissait manifeste.
Avec sa famille, il passa la frontière durant la Guerre civile et parvint à Belgrade en 1921.
La Sainte Trinité, qui avait décerné la couronne du martyre à tant de saints confesseurs de Russie durant ces années, réservait donc Michel pour une autre oeuvre à Sa gloire. Plus tard, dans une homélie sur la marche historique de l’Eglise russe, l’Archevêque Jean exposa le sens spirituel le plus élevé des événements terribles de la Révolution Russe : la Russie avait, jusqu’au vingtième siècle, connu bien des formes de sainteté, mais son Eglise triomphante comptait peu de martyrs. En quelques années, des nuées de témoins, enfants de la terre russe, sont montés dans les cieux. Le Seigneur ajoutait ainsi une nouvelle couronne à son Eglise Sainte.
Soulignons ici qu’il n’a jamais été question, pour les chrétiens orthodoxes, de courir au martyre : «Nous ne louons pas, disaient les chrétiens de Smyrne rapportant le martyre de saint Polycarpe, ceux qui se présentent d’eux-mêmes, puisque ce n’est pas l’enseignement de l’Evangile» (Mat. 10,23, Jn 7,1). Le futur archevêque Jean allait remplir une mission apostolique : au coeur même de ce monde devenu une nouvelle fournaise de Babylone, il allait garder l’ascèse et la vie justes, et faire connaître la foi orthodoxe dans diverses nations. La vie toute entière de saint Jean Maximovitch fut un long «martyre blanc» pour l’amour de Son Seigneur. Les Pères, en effet, ont appelé «martyre rouge», celui du sang versé, et «martyre blanc» le long tourment et le chagrin joyeux de l’ascèse...
En Serbie, Michel se retrouva au coeur d’un pays engagé dans la voie de la foi orthodoxe et du martyre, depuis le jour où le tsar Lazare, au champ du Kossovo, avait préféré, à la victoire sur les Turcs, la mort qui lui ouvrirait le Royaume des Cieux. Ce choix du Kossovo, toutes les générations orthodoxes sont appelées à le refaire et le saint évêque d’Ochrid, Nicolas Vélimirovitch, définissait la paix d’ici-bas, pour les chrétiens, comme «l’intervalle entre deux persécutions».
A Belgrade, Michel poursuivit ses études dans la faculté de théologie. Un de ses condisciples de l’époque nous a laissé ce portrait : «De petite taille, carré et large d’épaules, aux joues rondes, avec des lèvres rouges sous une moustache rousse de style petit-russien, il donnait l’impression d’une grande force intérieure concentrée. Comme il ne se liait guère avec les autres étudiants, ce n’est que vers la fin de nos études que je le connus un peu mieux et que nous eûmes quelques conversations amicales. Très pauvre, il gagnait son pain en vendant des journaux. Dans ces années, une boue inextricable, durant la saison des pluies, recouvrait Belgrade. Maximovitch portait un lourd manteau de fourrure et de vieilles bottes russes. Il entrait pesamment dans la salle de cours, assez en retard, couvert d’une épaisse couche de boue, sortait un cahier crasseux et un crayon mâchonné et commençait à prendre des notes de sa large écriture. Il lui arrivait, peu après, de s’endormir, mais dès qu’il s’éveillait, il reprenait immédiatement son travail. Beaucoup d’entre nous, intrigués, auraient bien aimé voir quelle sorte de notes Maximovitch pouvait arriver à prendre, mais aucun n’eut l’audace de lui demander la permission de les lire».
Le Métropolite Antoine Khrapovitsky était devenu la tête de l’Eglise Russe en exil ; il lui revenait la tâche d’organiser la fraction des évêques et du peuple qui, dans le monde libre, représentaient l’esprit des catacombes russes -c’est-à-dire de l’Eglise clandestine, hostile au bolchevisme et à toute compromission avec le communisme athée. En 1924, il fit Michel lecteur, puis, en 1926, le revêtit de l’habit monastique en lui donnant le nom de son parent saint Jean de Tobolsk et lui conféra le diaconat, dans le monastère de Milkovo. Monseigneur Gabriel de Chelyabinsk l’ordonna prêtre le 21 novembre de la même année.
Dès 1925, Michel avait obtenu le diplôme de la Faculté de Théologie. Il enseigna, dès lors, dans l’Ecole Supérieure d’Etat de Serbie, puis, de 1929 à 1934, au séminaire Saint-Jean-le-Théologien de Bitol. Dans cette ville vivait une communauté hellénophone, pour laquelle Jean célébra la liturgie en grec, et qui eut pour son pasteur une profonde vénération.
Au séminaire de Bitol se révélèrent les ascèses de saint Jean Maximovitch : telle une lampe allumée, il ne put rester caché mais devint pour tous un modèle vivant de vertu. Un grand hiérarque de l’Eglise Russe, Monseigneur Averky, qui fut père spirituel du Monastère de la Sainte Trinité de Jordanville et qui, aujourd’hui, s’est endormi dans le Seigneur, recueillit précieusement les témoignages des anciens étudiants du hiéromoine Jean.
Ils avaient vu arriver leur nouveau professeur : un homme de taille médiocre, portant d’épais cheveux noirs qui descendaient sur ses épaules. Son visage sans ride s’éclairait de deux grands yeux inoubliables. Il avait le nez droit, la barbe peu fournie ; mais sa mâchoire inférieure lui causait de la gêne et rendait sa parole embarrassée. Comme il avait la jambe droite plus courte que la gauche, il portait une chaussure spéciale dont le talon résonnait haut dans les couloirs de l’école. Fréquemment, on le voyait avec une canne. Qui aurait soupçonné les trésors spirituels qu’abritait cette figure ? «La grande nouvelle que le christianisme déclare journellement au monde est que rien ne tire sa valeur de son apparence, mais de son essence ; les choses ne sont pas jaugées sur leur forme et leur couleur, mais par leur signification ; l’être humain n’est pas évalué selon son statut et ses biens, mais d’après son coeur, où s’unissent ses sentiments, son esprit et sa volonté» (Nicolas Vélimirovitch).
Appartenait-il au ciel ou à la terre ? Sa vie rappelait celle des ascètes du désert : il avait la même douceur, et une profonde humilité. Il ne mangeait chaque jour que le strict nécessaire pour sustenter son corps ; sa chambre, au rez-de-chaussée, avait une seule fenêtre sans rideau donnant sur la cour. Une table, une chaise, un lit ; sur la table, le saint Evangile, sur l’étagère les offices de l’Eglise. A toute heure de la nuit, on pouvait le voir lisant la Bible : «Ta parole est une lumière à mes pieds». De l’Evangile, saint Jean avait une connaissance qui n’était pas de ce monde. Doué d’une mémoire extraordinaire, il pouvait parler de tels ou tels événements des évangiles comme s’il les voyait sous ses yeux et savait le chapitre qui les relatait, étant même, au besoin, capable de citer le verset.
Les offices de l’Eglise étaient la base de sa prière aussi bien que de son enseignement. Il se préparait avec grand soin à la liturgie, mangeant moins à partir du jeudi, jeûnant quasi totalement le vendredi. Durant la première semaine du Grand Carême, il ne prenait aucune nourriture, mais tous les deux jours célébrait l’office des Présanctifiés, de même que pendant la Sainte et Grande Semaine. Le Grand Samedi le trouvait épuisé ; mais, après la liturgie de Pâques, les forces lui revenaient et une joie angélique inondait son visage.
Il convoquait les étudiants par groupes de huit dans sa cellule, et demandait à quatre d’entre eux de trouver dans les livres liturgiques tous les textes qui seraient lus ou chantés lors de la fête ou du jour suivant ; les autres écoutaient. En même temps, il expliquait les gestes et le symbolisme des rites.
Il exigeait une grande attention durant les offices. Avant chaque cours, il interrogeait au hasard un étudiant pour qu’il résumât l’Epître ou l’Evangile lus ce jour-là dans l’église. Alors, il en faisait un commentaire succinct et lumineux. Il tenait à ce que les futurs prêtres comprissent que la source de tout savoir théologique n’est autre que le Saint Evangile.
En théologie pastorale, comme dans l’histoire de l’Eglise, il éclairait toutes choses. «Le prêtre, enseignait-il, doit se conformer au portrait qu’en dresse Paul, il doit être un exemple pour le croyant, en parole, en vie, en esprit, en foi, en pureté (1 Tim. 4,12)». Père spirituel de sa paroisse, le prêtre devait voir en elle une grande famille qui ne saurait subsister sans amour pastoral ni prière quotidienne. Autant que possible, il devait venir en aide à ses fidèles et partager leurs tristesses et leurs joies.
Père Jean connaissait bien chacun de ses étudiants et sa vaste mémoire ne laissait pas échapper qui avait répondu à telle ou telle question. Un amour mutuel unissait le maître et les disciples. Il n’était pas un conflit qu’il ne pût apaiser, pas une question qu’il laissât sans réponse. Jour et nuit, Père Jean priait pour ses enfants spirituels.
Bientôt les étudiants remarquèrent un trait particulier du hiéromoine Jean. Longtemps après que tous étaient couchés, il demeurait éveillé ; traversant de nuit les dortoirs, il bénissait les dormeurs d’un signe de croix et arrangeait les couvertures ; enfin les étudiants découvrirent qu’il ne se permettait qu’une ou deux heures de sommeil par jour, et jamais allongé, mais assis ou prosterné devant les icônes. Il avoua plus tard que, depuis sa prise d’habit monastique, il n’avait jamais dormi dans un lit.
Par cette ascèse, Jean rejoignait les anciens Pères du désert. Saint Antoine le Grand n’écrivait-il pas à ses disciples : «Veillez, ne dormez pas», tandis qu'un autre Père exercé à la prière perpétuelle, lorsqu'il sentait venir le sommeil, le traitait de voleur, avant de s'assoupir quelques instants. Le grand Pachôme, instituteur des monastères, n'ignora pas non plus cette ascèse, lorsqu'il reçut des Anges la règle des moines et qu'il en fixa la loi aux cénobites : «Qu’ils prennent leur repos non point couchés, mais assis sur leurs sièges, la tête sur les genoux» (règle 4).
La ville de Bitol appartient au diocèse d’Ochrid, à la tête duquel se trouvait alors le saint évêque Nicolas Vélimirovitch. Grand par l’ascèse, théologien et pasteur infatigable, Vladika Nicolas apparaissait telle une colonne de l’orthodoxie. Engagé durant le jour dans les multiples soucis de son ministère, Monseigneur Nicolas consacrait ses nuits à la prière et à la composition de beaux ouvrages, comme le Prologue d’Ochrid, recueil de vies de saints et d’homélies, qui lui ont valu d’être appelé le «Chrysostome serbe». Les critères de la sainteté ne lui étaient pas inconnus. Lorsqu’il visitait le séminaire de Bitol, les deux hiérarques, Jean et Nicolas, s’inclinaient l’un vers l’autre, puis devisaient avec amour et ferveur, flambeaux jumeaux confondant leur lumière. Un jour, avant son départ, Monseigneur Nicolas, se tournant vers un petit groupe d’étudiants leur dit : «Enfants, écoutez ce que dit Père Jean ; c’est un ange de Dieu en forme d’homme». Et plus d’une fois il déclara : «Voulez-vous voir un saint vivant ? Rendez-vous à Bitol, auprès du Père Jean».
Le hiéromoine Jean reçut un jour une convocation du Synode, l’engageant à venir à Belgrade recevoir l’épiscopat. Il pensa qu’il s’agissait d’une méprise et qu’un autre hiéromoine du nom de Jean avait dû être choisi pour cette charge. Dans un tram de la capitale, rencontrant une dame de sa connaissance, la future novice Maria, il lui conta toute l’affaire. Or, revenant du concile, il croisa la même personne, et lui avoua que l’erreur était pire qu’il n’avait cru : c’était bien lui que les évêques avaient élu successeur des Apôtres !
Il avait tenté de s’excuser sur son bégaiement ; mais les évêques lui répondirent que Moïse, le Voyant de Dieu, souffrait de la même infirmité : «Enveloppé dans la nuée divine, le Bègue publia la Loi écrite par Dieu...» et qu’elle ne l’empêcherait pas lui-même d’accomplir sa tâche.
Le 28 mai 1934, le saint Métropolite Antoine Khrapovitsky imposa, pour la dernière fois de sa vie, les mains sur un pasteur choisi comme «veilleur sur la Maison d’Israël». En lui donnant la crosse épiscopale, Monseigneur Antoine adressa ces mots à Jean :
«Depuis mon enfance, j’ai été témoin de beaucoup de consécrations épiscopales. Dès ce moment, je prêtais attention aux paroles adressées aux nouveaux hiérarques. Je me souviens de la manière dont le vieux Métropolite Isidore de Pétersbourg et de Novgorod disait, lorsqu’il confiait la crosse aux nouveaux évêques : «C’est très simple ; efforce-toi seulement d’accomplir deux commandements : Bien servir, et ne pas s’enorgueillir». Plus que tout au monde, tu aimes les offices divins et, du fait que tu n’as nulle prétention, tu seras à même de pratiquer ces préceptes à la perfection. (...) Beaucoup d’évêques et de membres élevés du clergé, tandis qu’ils étaient dans un rang inférieur, aimaient avec ferveur les offices divins mais, ayant accru le nombre de leurs années et quelquefois leur fortune, ils se sont peu à peu refroidis ; mais tu ne deviendras jamais comme eux. Je souffre toujours lorsque j’entends dire que tel évêque est indifférent aux offices et négligent dans la prière, mais que «du moins, c’est un bon administrateur». Le talent d’administrateur n’est pas requis d’un hiérarque. S’il considère la prière comme son premier devoir, l’administration prendra soin d’elle-même, et toutes choses, autour de lui, iront s’améliorant d’elles-mêmes. De plus, abstiens-toi toujours de juger tes frères archipasteurs pour leur manque de zèle, et ne permets pas qu’aucune auto-déception subtile pénètre ton coeur. (...) Aime la théologie et essaye d’en pénétrer les profondeurs. Répands sa lumière sur ton âme et sur celle des hommes qui t’entourent, et que ton savoir donne à ton esprit une nourriture salutaire à l’âme. (...) Ne désespère pas, si, au long du chemin, tu rencontres l’ingratitude...»
Ces paroles devaient, pour Vladika Jean, se révéler prophétiques. Peu de temps après la consécration, la Mission d’Extrême-Orient sollicita la venue d’un nouvel Archevêque. L’Archevêque Dimitri, connaissant les chagrins et les tribulations que le Métropolite de l’Eglise Russe Hors Frontières rencontrait en Yougoslavie, lui proposa de venir à Harbin : «Ici vous vous reposerez, Vladika». En réponse, Monseigneur Antoine lui écrivit cette lettre mémorable : «Ami, me voici déjà si vieux et si faible, que je ne puis songer d’entreprendre nul voyage, sinon celui qui mène au cimetière...Mais à ma place, comme mon âme et mon coeur, je vous envoie Monseigneur Jean. Ce petit homme frêle, d’un aspect que l’on dirait presque d’un enfant, est un miracle de fermeté ascétique et de rigueur dans nos temps de paralysie spirituelle générale...»

En Chine (1934-1949)

Monseigneur Jean parvint dans Shangaï le 21 novembre/ 4 décembre 1934, jour de la fête de l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu.
Vladika Jean aimait vivement cette fête. Il avait pris l’habit monastique dans un monastère consacré à cette solennité. Plus tard, c’est encore dans ce jour qu’il prendrait possession de son dernier siège épiscopal, celui de San Francisco. Enfin, quand l’Archevêque Jean se fut endormi dans le Seigneur, une pieuse famille, sans connaître les liens qui avaient noué sa vie à cette fête, promit de faire don d’une icône de l’Entrée au Temple si l’on obtenait des autorités que le corps de l’Archevêque restât dans la crypte de la Cathédrale. Cette icône orne aujourd’hui la sépulture du saint.
Voici en quels termes l’Archevêque Jean décrivait l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu : «Lorsqu’elle eut trois ans, ses parents, accomplissant leur promesse, conduisirent solennellement la petite Marie au Temple de Jérusalem ; d’elle-même, Elle gravit les degrés majestueux et, par une révélation divine, fut introduite, par le Grand Prêtre venu à Sa rencontre, dans le Saint des Saints même. La grâce de Dieu qui reposait sur Elle, Elle l’apportait avec Elle dans le Temple qui, jusque-là, n’avait pas connu la grâce, comme l’enseigne le Kondak de la fête. Il s’agissait du Second Temple, sur lequel la Grâce de Dieu n’était pas encore venue, comme elle était descendue sur l’Arche et sur le Temple de Salomon». En luttant toute sa vie pour raffermir la diaspora russe et pour renouveler la foi orthodoxe en Occident, l’Archevêque Jean n’a-t-il pas lui aussi rappelé la grâce de l’Esprit divin ?
A Shangaï, Monseigneur Jean trouva la communauté divisée par des querelles qui entravaient la construction de la cathédrale et son premier soin fut de rétablir la concorde entre les chrétiens. Le monument s’acheva dans la paix.
A un pieux fidèle, futur prêtre, Monseigneur Jean confia un jour cette règle : «La prière est le fondement de la réussite en toute activité pastorale. Chaque jour, il faut consacrer six heures à la célébration des offices de l’Eglise, six heures à la contemplation, six heures aux bonnes oeuvres et six heures au repos». «Accomplissant fidèlement ce programme, dit l’Archimandrite Benjamin, il en devenait remarquablement ferme, profondément humble et pénétrant».
Vladika Jean était tout prière. Le hiéromoine Méthode disait : «Tous, nous nous mettons à prier ; mais Vladika Jean n’a pas besoin de le faire : il est toujours en prière...»
Monseigneur Jean célébrait chaque jour la liturgie, assisté par divers prêtres, à tour de rôle. Quand, pour une raison ou une autre, il ne pouvait célébrer, il communiait néanmoins aux Saints Mystères. Les services duraient fort longtemps. Le soir, les Vêpres étaient suivies des Complies, qui comportaient toujours la lecture d’un canon des saints. A six heures du matin commençait l’office de Minuit, suivi des Matines puis de la Liturgie. Vladika tenait à l’ordre des offices ; quoiqu’il n’eût pas l’oreille musicale, il voulait que toutes les parties destinées au chant fussent chantées et non lues. Le polyéléos était chanté en entier. Beaucoup murmuraient, n’appréciant pas la longueur des offices.
Vladika pourtant y puisait la vie. Comment eût-il vécu, si la prière n’eût été sa nourriture et son repos ? Il mangeait une seule fois par jour, à onze heures du soir. Durant les première et dernière semaines du Grand Carême, il ne mangeait rien, et durant les autres semaines du Carême, ainsi que dans celui de Noël, il se nourrissait exclusivement de pain bénit. Il passait ses nuits en prière ; quand la fatigue le prenait, il posait sa tête sur le sol et laissait le sommeil lui voler quelques heures avant l’aurore. Le moment de célébrer Matines étant venu, ses familiers avaient beau tambouriner à sa porte, il restait muet ; l’on entrait, pour le trouver recroquevillé sur le plancher, devant les icônes, épuisé. A peine on lui touchait l’épaule qu’il se dressait aussitôt, allait prendre un bain froid et, quelques minutes après, se tenait dans l’église, prêt à célébrer. Des gouttes d’eau perlaient encore de sa barbe, mais il était bien éveillé.
A la tête de l’immense troupeau de Shangaï, Monseigneur Jean n’avait donc rien diminué de son ascèse ; il représentait en lui-même ces paroles que saint Jean Chrysostome dédie à saint Timothée : «Quoiqu’il fût parvenu à une si haute perfection, loin de présumer de lui-même, il était toujours dans la crainte et dans l’inquiétude ; il jeûnait sans relâche, et n’imitait pas la légèreté de ces personnes qui, après quelques mois de jeûne, renoncent aux austérités. Il ne se disait pas à lui-même : Qu’ai-je besoin de jeûner toujours ? J’ai triomphé de mes passions, je m’en suis rendu maître, j’ai mortifié mon corps, j’ai effrayé et chassé les démons, ressuscité les morts, guéri les lépreux, je me suis rendu redoutable à toutes les puissances ennemies ; qu’ai-je besoin maintenant du jeûne et de tous les avantages qu’on en retire ? Il ne s’est jamais permis aucune de ces réflexions, aucun de ces discours ; mais plus il était rempli de vertu, plus il craignait, plus il tremblait pour lui-même, en cela digne disciple de son illustre maître».
Vladika aimait particulièrement les jours de fêtes des saints Martyrs et chérissait tout spécialement le saint Martyr Tryphon. Pour rien au monde il n’aurait manqué un office ! Il restait longtemps dans l’église après la liturgie, et on l’entendit un jour faire cette confidence : «Qu’il est pénible de s’arracher à la prière et de revenir sur terre !»
Un jour, sa jambe parut si enflée que les médecins de la colonie russe se concertèrent et ordonnèrent l’hospitalisation immédiate, craignant la gangrène. Vladika refusa. Les médecins prévinrent alors le conseil qu’ils déclinaient toute responsabilité quant à la santé et même à la vie du patient. Les membres du conseil supplièrent longuement l’archevêque, menaçant même de l’emmener de force à l’hôpital ; il se rendit finalement à leurs instances et, la veille de l’Exaltation de la Croix, entra dans l’Hôpital Russe, comme le jour se levait. Dès six heures, pourtant, il se remit à marcher et gagna, clopin-clopant, la cathédrale, où il officia. Dans la journée, l’enflure disparut.
La source de la vigilance inaltérable de Vladika, de son soin constant à se mortifier, où faut-il la chercher ? Dans la crainte de Dieu qu’il possédait selon la tradition de l’Eglise ancienne, dit le saint évêque Savva qui fut l’un des premiers à retracer la vie et les exploits de saint Jean. Voici un geste qui montre cet attachement indéfectible au Christ et sa foi inébranlable. Une dame, Mrs Menshikova, fut mordue par un chien enragé. Elle ne reçut pas comme il l’aurait fallu toutes les injections de sérum et contracta l’affreuse maladie. Jean l’apprit et vint au chevet de la mourante. A l’instant précis où il lui donnait la Sainte Communion, la malade, prise d’une convulsion, écumant de la bouche, recracha les Saints Dons. Sur-le-champ, Vladika reprit la parcelle et la consomma, à l’effroi des assistants : «Vladika, que fais-tu ? La rage est terriblement contagieuse !» A quoi l’homme de Dieu répondit, paisible : «Rien de fâcheux n’arrivera... ce sont les Saints Dons». Il en fut ainsi.
Un sens aigu et inaltérable de ce qui est, en tout domaine, juste et droit, gouvernait sa vie. Plus tard, dans un sermon, il résuma toute l’histoire de la Russie à ce sens de la pravda, de la justice et de la justesse que les orthodoxes appellent aussi orthodoxie et orthopraxie. Tant que la connaissance de cette justice resta vivante dans tous et dans chacun, la Russie, disait Monseigneur Jean, ne s’égara point ; nulle autre contrée au monde n’offre l’exemple de dévastations plus terribles, de redressements plus soudains. En effet, les invasions atteignaient le corps, non l’âme de la Russie. Il se trouvait, certes, des pécheurs, de grands pécheurs ; mais, dans toutes les couches de la société, au plus profond de l’âme, brillait le discernement du juste et du vrai, recouvert mais non détruit par les fautes et les transgressions. Tout commença de changer avec Pierre le Grand ; son règne qui apporta la gloire de ce monde à la Russie marque aussi le temps où la conscience intime de la vérité et de la justice commence à s’obscurcir. Dès lors, le chemin à suivre n’apparut plus clairement à tous les yeux, quoique de grands saints vinssent encore ranimer l’esprit de justice autrefois universellement partagé.
Or, comme Vladika Jean l’explique dans une autre homélie, cette justice est l’essence même du Royaume de Dieu, chose que le bon larron fut le premier à comprendre... Tel fut donc le sentiment de la justice qui habitait en permanence l’âme de Monseigneur Jean et qui l’accompagna dans toutes ses démarches, en sorte qu’il pouvait dire avec le psalmiste : «Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier».
Vladika portait un vêtement de la plus grossière toile chinoise et de simples sandales, qu’il lui arrivait même de donner à un pauvre de rencontre : il continuait sa route nu-pieds et célébrait parfois de même, insoucieux du qu’en-dira-t-on de certaines gens qui lui reprochaient sa négligence. Son mépris du monde était à la mesure de son amour de l’Eglise. Pour Elle, pour ses fidèles, il aurait tout donné : «Dès les premiers jours de son arrivée, écrit Régine Von Setters, Monseigneur Jean déborda de force et d’énergie pour les malades, les malheureux, les petits orphelins auxquels il consacrait tout son temps -les jours, et souvent les nuits- sans parler de ses prières extraordinaires et des offices de l’Eglise ; il s’oubliait lui-même, négligeant de manger ou même tout simplement de se vêtir «correctement» comme il est d’usage chez les personnes de son rang. Or, autour de lui pullulaient des adversaires malfaisants qui, non contents de troubler son travail de mille manières, portaient contre lui les accusations les plus absurdes, lesquelles, aujourd’hui encore, lorsque l’on y songe, font terriblement mal... Oui, c’est vrai, Vladika ne regardait point à son habillement, ne prenait pas soin de sa personne, portait des sandales à ses pieds nus et posait à la hâte son klobouk peu importait comment. Aux yeux de ses détracteurs, il paraissait indigne de l’image de son rang, mais ceux qui l’ont étroitement connu et qui ont vu son sourire gai d’enfant, ses yeux bons et amicaux -en particulier lorsqu’il parlait aux petits- ces personnes, elles, ne peuvent s’empêcher de voir en lui un pasteur authentique qui a donné sa vie pour son troupeau».
Vladika Jean déployait, en effet, une activité inlassable et consacrait beaucoup de temps aux enfants et aux adolescents. Visitant toutes les écoles russes, il prêtait une attention spéciale aux cours d’instruction religieuse et assistait en personne à tous les examens. Il exigeait que chaque enfant connût le nom de son saint patron et l’histoire de sa vie et qu’il communiât au jour de sa fête. Lors de la fête des Saints Cyrille et Méthode, Illuminateurs des Slaves, les enfants de toutes les écoles participaient à la liturgie dans la Cathédrale, le choeur étant formé de jeunes chanteurs issus des diverses institutions. Après la liturgie, Vladika restait avec les centaines d’enfants qui prenaient leur repas dans la cour de la cathédrale. Il tenait beaucoup à les faire participer aux services liturgiques : dans les couvents, les filles l’habillaient de ses ornements durant l’office ; à la cathédrale, les garçons servaient dans le sanctuaire avec lui.
Il savait que plusieurs familles de la colonie envoyaient leurs enfants dans des institutions catholiques romaines, où les religieuses tentaient de les convertir ; il venait à la porte de ces écoles bénir les enfants orthodoxes et les exhorter à ne pas porter les uniformes et à fréquenter les écoles russes.
Tatiana Kennedy Urusov, qui a noté ces traits, témoigne du zèle infatigable que déployait l’archevêque pour secourir les malheureux : «Des fenêtres du troisième étage du couvent, où se trouvait notre orphelinat, nous voyions Vladika arpenter les rues sous la pluie battante et le mauvais temps, été comme hiver, tandis qu’il se dirigeait vers la maison de ses enfants, l’orphelinat Saint-Tykhon-de-Zadonsk. Son chemin passait près de la Maison de Miséricorde, asile réservé aux hommes, puis d’un refuge comportant aussi une église, destiné aux femmes âgées ; plus bas, une prison. Nous savions que Vladika visiterait chacune de ces institutions».
L’une des principales oeuvres de Monseigneur Jean à Shangaï fut, en effet, la fondation de l’orphelinat qu’il mit sous la protection de saint Tykhon de Zadonsk. Le troupeau dont il avait la garde se composait, pour une grande part, de réfugiés d’Union Soviétique, qui vivaient dans la plus grande pauvreté. Loin de fréquenter les riches salons, Vladika Jean se trouvait toujours auprès des nécessiteux, de ceux qui avaient besoin de lui. Il rassembla donc les orphelins et les enfants des plus démunis, parcourant lui-même les quartiers où régnait la misère, pour en tirer les petits affamés. Un jour, il racheta même une petite chinoise contre une bouteille d’eau de vie. Au commencement, l’orphelinat comptait huit enfants ; il en sauva finalement trois mille cinq cents.
Le saint évêque tenait à choyer ses protégés. Le temps le plus dur qu’ils aient à supporter, disait-il, c’est l’approche de Noël et de Pâques, lorsqu’ils voient les familles se préparer pour les fêtes, les parents prendre un soin affectueux de leurs enfants ; les orphelins n’ont rien. C’est pourquoi Vladika Jean, qui avait souci de les élever dans l’orthodoxie, les entourait aussi de la tendresse d’un père et d’une mère, qui n’oubliait ni les jeux, ni les cadeaux, ni l’arbre de Noël. Lors de cette dernière fête, il recevait les enfants après la liturgie, les bénissait, leur donnait un sac de bonbons.
Il fit également acheter des cors et d’autres instruments à vent, pour former un bon orchestre de cuivres. Sa grande joie était de voir les jeunes adolescents se réunir dans l’association Saint-Joasaph pour y écouter des conférences sur la foi et étudier la Bible.
Les enfants ne se sentaient plus jamais seuls, puisqu’ils avaient un protecteur, un père selon l’Esprit, qui ne laisserait personne toucher un seul de leurs cheveux. Oui, les enfants aimaient Vladika ; mais les termes humains sont ici faibles. Notre Christ a dit : «Laissez venir à moi les petits enfants, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent». Dans son amour vibrant, Monseigneur Jean vivait ce verset de l’Evangile et il entretenait avec le coeur des enfants une relation mystique dont l’Esprit seul sait le secret ; les guérisons innombrables qu’il accomplit, cette rosée bienfaisante dont il rafraîchit la ville de Shangaï, témoignent la force de cet amour, comme les gouttelettes de rosée reflètent celle du soleil.
«Si vous parlez de Monseigneur Jean à des Russes de Shangaï, dit Valentine Harvey, chacun vous promettra qu’il était son ou sa préférée. Impossible de ne pas le croire : lorsque Vladika posait son regard sur vous, il semblait que vous fussiez son seul enfant, son unique souci». Elle-même guérit de la diphtérie par les prières de saint Jean, dans des circonstances difficiles. Tandis que ses parents l’emmenaient, semi-consciente, à l’hôpital, comme la route longeait la cathédrale, elle songea : «Pas d’église aujourd’hui ! J’ai manqué les offices». A l’hôpital, une infirmière sortit : «Nous n’avons pas de lits. Ramenez-la». De retour chez elle, l’enfant tomba dans un sommeil comateux. Soudain, il lui sembla dévaler un toboggan et elle entendit sa maman : «Voici Vladika», cependant qu’elle pensait : «Que veut-il ? J’ai sommeil !» Mais l’archevêque Jean lui dit : «Que t’arrive-t-il encore ? Tu ferais vraiment n’importe quoi pour rater l’office !» Les yeux sur lui, la fillette répondit : «J’ai envie de dormir». Il repartit : «Impossible ; il faut que je te raconte une histoire drôle». Et saint Jean de raconter plaisanterie sur plaisanterie, jusqu’à ce que la petite, quoique épuisée, se mît à rire de bon coeur, au point d’en avoir la nausée. Alors, appelant la mère, il lui dit de laver la bouche de l’enfant et affirma que tout allait bien. Posant la main sur le front de la jeune fille, il lui dit : «Maintenant que tu as ri de mon histoire, tu peux retourner dormir». Et la fillette que les médecins avaient condamnée se remit parfaitement de la diphtérie, dont elle ne garda qu’un timbre de voix légèrement plus grave.
Il apparut bientôt aux fidèles de Shangaï que Vladika Jean n’était pas simplement un ascète et un homme juste, pieux et dévoué ; mais qu’il s’était élevé haut sur l’échelle de la sainteté, au point que Dieu l’avait gratifié de grands dons, en particulier celui d’opérer des miracles. Raconter tous les bienfaits et toutes les guérisons que sa prière accomplit est chose impossible. La Fraternité Saint-Germain d'Alaska, en Amérique, a rassemblé des dizaines de témoignages -et les livres qu'elle en a publiés sont loin d'être exhaustifs. A la gloire du serviteur de Dieu Jean, nous en résumerons quelques-uns.
Une femme de la colonie russe -qui, plus tard, devint moniale sous le nom d’Augusta- avait marié sa fille à un Italien qui, après onze jours de vie commune, dut quitter son épouse pour servir dans l’armée d’Afrique. Les beaux-parents ne voulurent pas héberger la jeune femme plus longtemps et celle-ci se retrouva seule, à dix-sept ans, en Italie, pays dont elle ignorait la langue ; ses lettres à sa mère témoignaient de sa détresse. Or la mère priant pour elle se rendait quotidiennement dans la cathédrale ; mais, deux mois s’étant écoulés, sa ferveur diminua et elle commença de retourner dans le monde, visitant ses connaissances au lieu de suivre les offices. Un jour, d’aventure, son chemin longeait la cathédrale et le chant parvint à ses oreilles. Elle entra. Vladika célébrait l’office et disait la prière de l’anaphore ; les portes royales étaient ouvertes, et les paroles du Christ se faisaient entendre : «Prenez et mangez, ceci est mon Corps...» puis «Ceci est mon Sang... répandu pour vous et pour un grand nombre en rémission des péchés». Le célébrant se prosterna. Alors la pieuse fidèle vit une haute flamme, en forme de tulipe, descendre sur le Saint Calice. En cet instant, comme jadis à saint Siméon, disciple de saint Serge de Radonège, il lui fut donné de voir la sanctification des Saints Dons. La lumière de la foi et de l’espérance se ralluma dans son coeur... Telle était la force de la foi de saint Jean.
Un petit garçon de neuf ans se mit à souffrir du ventre, si violemment que durant trois jours il ne put soulever la jambe droite. Les parents pensaient à un mal d’estomac, mais l’acolyte de Monseigneur Jean, vint les visiter et ordonner, de la part de l’archevêque, que l’enfant rentrât sans délai à l’hôpital. Il était environ minuit. Le médecin qui l’examina déclara : «Cet enfant souffre de péritonite et va mourir. Nous ne pouvons le sauver ; il est trop tard». Les médecins tentèrent néanmoins l’opération, puis attendirent de voir si l’enfant survivrait. Trois jours après, le samedi 7 octobre, en fin de soirée, vers l’heure où s’achèvent les Vêpres, l’enfant ouvrit les paupières. Vladika, debout devant lui, dit : «Georges !» L’enfant leva les yeux : il n’avait pas eu à chercher bien loin la guérison2...
La prière de saint Jean guérissait tous les malades. Un jour, Vladika fut appelé au chevet d’un enfant mourant. A peine entré dans l’appartement, il se dirigea droit vers la chambre du malade, sans hésiter, quoique personne n’ait eu le temps de lui montrer le chemin. Sans examiner l’enfant, avisant l’icône au coin de la pièce, il tomba immédiatement à genoux, selon sa coutume, et pria un long moment. Puis, ayant assuré que l’enfant guérirait, il prit rapidement congé des parents. Au matin, le petit garçon allait mieux et ce prompt rétablissement rendit bientôt les médecins inutiles3.
Une orpheline de Saint-Tykhon, âgée de six ou sept ans, raconte Maria Petrovna, professeur à l’école de commerce de Shangaï, fut prise un soir d’une forte fièvre accompagnée de violentes douleurs. Vers la minuit, elle fut transportée à l’hôpital de la Fraternité Orthodoxe Russe. Le médecin diagnostiqua un convolvulus ou déformation intestinale. Il manda d’autres médecins, ainsi que la mère, au chevet de la petite fille. Après l’avoir auscultée et examinée, ils déclarèrent l’état de l’enfant désespéré, au point que même une opération pourrait lui être fatale. La maman les supplia néanmoins de la tenter pour sauver sa fille et, sans attendre, au coeur de la nuit, se hâta vers la cellule de Vladika Jean, qui jouxtait la cathédrale. Le saint, qui ne s’allongeait jamais de la nuit, prêta aussitôt l’oreille à sa requête et l’emmena sur-le-champ dans l’église. A toute heure, il était disponible à tous et prompt à soulager les souffrants. Ouvrant les portes royales, il se mit en prière devant l’autel, tandis que la pieuse mère s’agenouillait devant l’iconostase. Le jour pointait lorsque Vladika, se relevant, vint bénir sa fidèle et lui dire de rentrer chez elle sans crainte, car sa fille vivrait. La mère, alors, de se hâter, non vers sa maison, mais jusqu’à l’hôpital. Le docteur Kazakov lui apprit le succès de l’opération ; mais il ajouta que, de toute sa carrière, il n’avait jamais rien vu de tel. Dieu seul, conclut-il, a pu lui venir en aide. La nouvelle de cette guérison se répandit dans tout Shangaï.
A l’hôpital de la Fraternité Russe de Shangaï, en 1948, une nuit, vers trois heures du matin, un malade appela l’infirmière pour réclamer qu’on fît venir Monseigneur Jean, car il se sentait au plus mal. Agonisant, il désirait la Sainte Communion. Or un typhon sévissait, des trombes d’eau s’abattaient, le vent avait arraché les fils du téléphone. L’hôpital était coupé du monde et l’unique infirmière de l’établissement ne pouvait s’absenter. Devant les instances du malade, cette dernière promit que, dès l’instant de la relève, à six heures du matin, elle se précipiterait chez l’archevêque. Quarante minutes plus tard, des coups frappés au portail résonnaient avec force.
- Qui est là ?
- Ouvrez ! C’est Vladika Jean. On m’a appelé, je suis attendu.
Le gardien fit entrer l’évêque qui, bénissant le jardin, pénétra dans le bâtiment et dit à l’infirmière : «Où se trouve l’homme qui est si mal ? Il m’attend. Conduisez-moi à lui».
Dieu avait donc gratifié son serviteur Jean du charisme de la vision à distance. Un miracle analogue, mais plus extraordinaire encore, est raconté par celle qui en fut la bénéficiaire, Anna Petrovna, fille spirituelle de Monseigneur Jean. C’est elle qui, professeur de chant, avait compris que l’infirmité de la bouche dont souffrait l’archevêque était due à l’épuisement général de tout son corps. Elle lui avait donné des leçons de diction, qu’il tenait à payer d’un billet de vingt dollars. Durant la guerre, en 1945, elle fut blessée à Shangaï et laissée agonisante dans un hôpital français. Sentant sa fin prochaine, elle suppliait que l’on avertît l’évêque de lui porter la Sainte Communion. Il était environ onze heures du soir et, dehors, le vent, la pluie et la tempête faisaient rage. A la pauvre Anna qui criait sur son lit de douleurs, le médecin et les infirmières déclarèrent qu’il était hors de question qu’on allât trouver Monseigneur Jean : l’on était en temps de guerre, les portes resteraient fermées jusqu’au matin...
Anna, cependant, continuait d’implorer : «Vladika, viens ! Viens, Vladika !» Soudain, du milieu de l’orage, la porte de la chambre ouverte, Vladika apparut, trempé de pluie. Comme la malade le touchait hésitante, se demandant si ce qui arrivait était réel, il dit : «C’est moi, en chair et en os !» et il lui donna la communion. Ensuite, elle ferma les yeux et dormit dix heures d’affilée. Au réveil, se sentant mieux, elle affirma qu’elle le devait à la visite de Monseigneur Jean. Personne, cependant, ne voulait y croire : l’époque, le mauvais temps, la porte verrouillée, tout plaidait contre. La voisine de chambre, seule, confirmait Anna. Les doutes subsistèrent cependant, jusqu’à ce que l’infirmière découvrit, tandis qu’elle faisait le lit, un billet de vingt dollars sous l’oreiller, don du saint à sa fille spirituelle, dont il avait même deviné le besoin d’argent...
Ajoutons ici que cette même Anna eut le bonheur d’être exaucée après sa mort et après celle de Monseigneur Jean. En effet, étant allée, en 1968, trouver la Fraternité Saint Germain d’Alaska à San Francisco, elle avait raconté toute l’histoire que l’on vient de lire, et les autres miracles encore de Jean dont elle avait reçu le bienfait ; s’en allant, elle ajouta qu’elle aurait vivement souhaité être ensevelie par l’Archevêque Jean. Peu de temps après son retour chez elle, ayant assisté aux Vigiles de la Sainte Transfiguration, elle mourut durant la nuit. Cette nuit-là, Olga Semeniuk vit, en songe, la cathédrale de San Francisco, un cercueil qui était celui d’Anna, et Vladika Jean, avec l’encensoir, conduisant la cérémonie, tandis que résonnait le chant triomphal du choeur. Au matin, l’on apprit la mort d’Anna et l’on sut qu’au jour de la Sainte Transfiguration, saint Jean Maximovitch avait célébré les funérailles d’Anna dans le monde transfiguré, où les limites de la mort et du temps sont abolies.
Le prêtre George Larin, né en 1934, l’année même de l’arrivée de Monseigneur Jean à Shangaï, eut lui aussi le saint évêque pour père spirituel. Voici en quels termes il décrit leur rencontre :
«J’avais environ huit ou neuf ans quand, par une chaude journée d’été, je pénétrai dans l’immense cathédrale où régnait une fraîcheur constante, pour me reposer un peu. C’était un jour de semaine, vers sept heures du soir et dehors, il faisait encore grand jour. L’office, célébré par le prêtre de service, avait déjà commencé et la cathédrale restait pratiquement vide. A sa place, près de la colonne massive, entre le maître-autel et l’autel latéral de droite, face à son lutrin portant les livres liturgiques, se tenait Monseigneur Jean. J’appris plus tard qu’il assistait immanquablement aux neuf offices du cycle quotidien prescrit par l’Eglise Orthodoxe -y compris la Divine Liturgie- et qu’il communiait tous les jours. Après l’office, j’allai jusqu’à lui pour recevoir sa bénédiction. Il me demanda mon nom et m’invita chez lui pour bavarder. Je n’oublierai jamais qu’avant de quitter l’église, il fit de nombreuses prosternations au sol, devant chacune des icônes qui se trouvaient dans la cathédrale, comme s’il faisait ses adieux pour un temps à ses proches amis, les saints. Je le suivis, portant sa crosse. Ma jeune âme fut immédiatement attirée vers cet homme extraordinaire, car je sentais sans m’en rendre compte cet amour chrétien si profond dont le bon évêque «nourrissait» littéralement les êtres, et particulièrement les enfants. Pour la première fois de ma vie j’entrai dans son cabinet de travail, au premier étage du presbytère. Du plafond jusqu’au niveau de l’analogion, dans le coin, le mur de droite était complètement recouvert d’une multitude d’icônes de tailles variées. Pour une raison que j’ignore, il me semblait tout à fait naturel qu’aussitôt entré dans son bureau, il se mettrait à faire des prosternations devant les icônes et qu’il prierait à nouveau pendant longtemps. Enfin, il s’assit à son bureau qui était littéralement couvert de journaux et il eut une petite conversation avec moi. Tout comme il le ferait plus tard, il me parla de l’Eglise, de la vie des ascètes et des saints, des martyrs et des fêtes de l’Eglise. Je ne voulais plus rentrer à la maison ni quitter cet homme si peu ordinaire. Ainsi, il était déjà nuit quand l’évêque me donna sa bénédiction et m’ordonna de partir. A compter de ce jour, j’assistai quodidiennement aux offices qui se déroulaient dans la cathédrale, servant matin et soir dans le sanctuaire. Lors des fêtes, il consommait lui-même les Saints Dons après la Divine Liturgie et restait prier avec ferveur dans le sanctuaire, longtemps après le départ du prêtre qui avait officié. Et comme toujours, il vénérait toutes les icônes de la cathédrale avant de les quitter pour se rendre à son appartement...»
«Tous les enfants, dit encore le Père George, qui servaient dans le sanctuaire, petits et grands, aimaient l’évêque en dépit de sa rigueur -un jour, il avait ordonné à Michel, le gardien, d’en fouetter quelques uns, coupables d’un mauvais tour- et saint Jean devint pour moi le modèle que je décidai d’imiter en tout. Une année, durant le Grand Carême, je cessai de dormir dans mon lit pour coucher sur le sol ; je ne partageai plus les repas avec ma famille comme j’en avais l’habitude, me contentant de pain et d’eau, et ainsi de suite. Bouleversés par mon attitude, mes parents me conduisirent auprès du bon évêque. Après les avoir écoutés, il ordonna au gardien de se rendre à l’épicerie et d’en rapporter du saucisson. A toutes les objections que j’élevai, en larmes : «C’est le Grand Carême...», le sage archevêque ne répondit qu’en me faisant apporter une assiette de saucisson qu’il m’ordonna de manger jusqu’à la dernière miette, en n’oubliant jamais que l’obéissance à ses parents est plus importante que le jeûne que l’on s’impose de soi-même. «Alors, Vladika, comment devrai-je continuer ?» lui demandai-je, souhaitant toujours poursuivre mon podvig (exploit ascétique) par quelques pratiques spéciales. Mais lui se contenta de me répondre : «Continue de fréquenter l’église comme tu le fais, mais à la maison, fais ce que ton père et ta mère te disent». Je me souviens combien j'étais fâché qu'il ne m'eût pas prescrit quelque ascèse spéciale».
Dans son témoignage, le Père George rapporte un miracle dont il fut le témoin : tandis qu’il se trouvait un jour dans la cellule de l’évêque, le téléphone sonna. Vladika Jean, au cours de la conversation, écrasé de fatigue, s’assoupit et laissa le combiné tomber sur sa soutane. Or, il continuait d’entendre dans son sommeil, son correspondant, et murmurait à mi-voix des réponses que, contre toutes les lois physiques, son interlocuteur recevait pareillement !
Si hauts que fussent le charisme des guérisons et celui de la connaissance à distance, ils n'étaient pas les plus grands de ceux que Dieu avait donné à Jean. Comme le dit encore le Père George Larin : «Le souci de l'âme humaine. Telle serait, peut-être, la meilleure expression pour décrire le principe vital qui gouverna toute la vie et l'activité de ce juste, de cet homme de prière qui opérait des merveilles, grand -non seulement dans notre siècle de tiédeur, mais, j'en suis persuadé, dans toute l'histoire de l'Eglise universelle du Christ... Le plus frappant chez lui était son don de clairvoyance du coeur de l'homme et sa façon de l'attirer au Christ. Sans ce hiérarque plein de vertus, je n'eusse jamais songé servir l'Eglise dans le sacerdoce. Et quelle prédiction surprenante il nous fit de ce qui nous attendait ! Dans une lettre datée du 23 octobre/7 novembre 1949, qu'il nous adressa en Australie, à mon frère et à moi, alors que nous n'avions encore respectivement que treize et quinze ans et que, fraîchement débarqués des Philippines, nous avions déjà commencé à fréquenter moins souvent l'église, il nous donna cet avertissement : «Lorsque nous abandonnons les voies de Dieu, nous ne jouissons de nos corps que pour un temps ; après, nous ressentons l'amertume de ce mal qui nous semblait agréable». Aujourd'hui encore, trente-cinq ans après, je ne peux lire ces paroles prophétiques sans verser de brûlantes larmes de reconnaissance. Il savait que je lui écrirais le 15 mai/1er juin 1960 : «Oh, comme j'aimerais pouvoir te rencontrer et te parler, Vladika ! Tant de choses se sont produites et restent gravées dans ma mémoire depuis mon séjour aux Philippines que je ne me reconnais pas. L'aspiration spirituelle de mon enfance a été noyée dans le monde pécheur et matérialiste qui m'entoure». Mais ce grand saint vit que tous mes efforts n'étaient pas noyés et il continua de m'appeler au service de l'Eglise, me conseillant de «suivre un enseignement théologique et de prendre à cet effet une inscription au Séminaire de la Sainte Trinité. Que le Seigneur t'aide et te bénisse en cette voie» (lettre du 18/31 janvier 1961).
Doué de la diorasis, de la clairvoyance, Vladika se faisait tout à tous. S'adressant à des personnes qu'il n'avait jamais vues, il les appelait par leur nom et d'un mot, restaurait en elle la foi et le courage... Une juive russe avait un fils si malade qu'aucun soin n'avait pu le guérir ; elle sentait le désespoir la gagner. Ayant entendu raconter que, chez les orthodoxes, officiait à la cathédrale un certain Batiouchka Jean, dont les prières étaient toute-puissantes, elle s'y rendit et, à la fin de l'office, voyant l'évêque sur le point de quitter les lieux, l'aborda pour lui demander d'intercéder en faveur de son fils. Préférant que l'archevêque ignorât qu'elle était juive, elle avait résolu de dissimuler le nom de son fils et de l'appeler Michel. Peux-tu prier pour Micha, demandait-elle. Saint Jean la regarda et lui répondit : «Je prierai pour Moché (Moïse)», qui était le vrai prénom de l'enfant. Ce dernier, peu après, se rétablit.
Quand il visitait les hôpitaux, saint Jean prodiguait son amour à tous les souffrants, sans faire acception de personne. A l'hôpital de Shangaï, une Lettone, Maria Osolin, fut placée parmi des Russes. Elle-même raconta comment elle avait vu saint Jean distribuer des petits morceaux de prosphores aux malades. Il s'était dirigé vers elle, mais elle avait dit : «Je ne suis pas orthodoxe, mais je vous demande de beaucoup prier pour moi». Saint Jean lui répondit que ce n'était pas grave si elle n'était pas orthodoxe et lui donna un morceau de prosphore. Après avoir visité chaque malade, il partit. La dame se rétablit et gagna ensuite les Etats-Unis. «Je crois, disait-elle, en la prière de Monseigneur Jean et je sais que c'est lui qui m'a guérie». Lors d'une autre visite à l'hôpital, durant la semaine qui suit Pâques, saint Jean avisa, dans l'une des salles, un paravent derrière lequel une vieille femme juive se mourait. Ses parents, assemblés dans le vestibule, attendaient tristement l'annonce de sa fin. Elevant la sainte Croix au-dessus du paravent, le saint cria d'une voix forte : «Christ est ressuscité !» La malade reprend connaissance, demande à boire. Tout le personnel de l'établissement fut stupéfait ; celle que la mort avait frôlée se rétablit et rentra chez elle. Une autre dame juive, qui avait pour compagne de chambre une dame orthodoxe, se demandait si l'archevêque Jean, dont elle savait la prière pour les malades efficace, accepterait de prier pour une personne d'une autre confession. Sa voisine intercéda pour elle, et saint Jean dit : «Devant Dieu, tous sont égaux» et, après lui avoir demandé son nom, il se mit à prier. En quelques jours seulement, cette femme se rétablit ! Elle vint ensuite voir Monseigneur Jean à la cathédrale : «Vous avez prié pour moi et aujourd’hui je suis en bonne santé ; je veux devenir orthodoxe». L’évêque cependant lui répondit que, si sa guérison miraculeuse était l’unique raison qui la poussât à demander le baptême, alors ce n’était pas une raison suffisante et il ne la baptisa point.
Un espagnol se trouvait dans un hôpital français tenu par des soeurs catholiques. Son état paraissait si désespéré qu’il avait été isolé derrière un paravent afin que nul ne vînt le déranger durant les derniers instants de sa vie. Il devait mourir d’un moment à l’autre. Soudain, la cloche d’appel sonna dans sa chambre. Une infirmière accourut et le vit qui s’était, de lui-même, mis sur son séant ; il lui adressa cette question : «Qui était ici à l’instant ? Quelle sorte de prêtre ? J’étais mourant, il a prié pour moi et j’ai senti les forces me revenir». La soeur répondit qu’elle n’avait vu personne. Lorsqu’il eut quitté l’hôpital, cet homme visita toutes les églises catholiques dans l’espoir d’y trouver son guérisseur. L’un des prêtres catholiques qu’il rencontra lui suggéra de visiter aussi la cathédrale orthodoxe et d’y jeter un coup d’oeil car, comme il le lui expliqua, un évêque peu ordinaire y officiait, une sorte de fol-en-Christ. Or, à cette époque-là, de nombreux agents soviétiques rendaient visite à l’évêque Victor de Pékin qui avait rejoint Moscou et, craignant pour Monseigneur Jean, plusieurs jeunes gens de l’orphelinat ou des écoles de commerce, se relayaient pour ne pas le laisser sans surveillance. Un soir, donc, durant les Vêpres, ils virent entrer un homme taillé comme un géant, vêtu d’un superbe complet bleu et portant une énorme fleur rouge au revers de sa veste. Les fidèles, inquiets, pensèrent qu’il s’agissait d’un bolchevique, car ceux-ci avaient l’habitude de porter du rouge, en signe de reconnaissance. Après Vêpres, quand tout le monde vint recevoir la bénédiction de l’évêque avant de se retirer, les enfants spirituels de Vladika Jean, voyant l’homme approcher, se mirent avec calme et détermination à entourer leur pasteur, bien décidés, au cas où un danger se préciserait, à le défendre, au moins par le poids du nombre. A leur grande surprise, ils virent le colosse s’agenouiller devant le saint et demander sa bénédiction. Il expliqua ensuite qu’il venait de retrouver celui qui l’avait, si miraculeusement, guéri à l’hôpital. Le visage du saint s’illumina, il lui sourit et le bénit. Tous poussèrent un soupir de soulagement : aucun danger ne menaçait sa vie, mais la gloire de Dieu rayonnait tout autour de lui. L’homme débordait de reconnaissance, l’appelant un hiérarque universel.
«Toutes les nations ont vu le salut de notre Dieu» et à ceux même «qui n’avaient pas entendu parler» de la foi orthodoxe, Monseigneur Jean en révélait la puissance en répandant les guérisons. Il se faisait ainsi tout à tous ; mais ne confondait jamais les bienfaits de la bonté de Dieu avec la grâce du salut, que Dieu tient en réserve pour ceux qui, sans y être contraint, prennent leur croix et marchent à la suite du Christ.
En lui existaient la tendresse et la rigueur ; la rigueur dans la confession de la foi -et c’est durant les années de Shangaï qu’il écrivit sa réfutation de la sophiologie de Boulgakov, dont nous reparlerons- et la miséricorde à l’égard de toutes les faiblesses. L’Eglise orthodoxe n’a-t-elle pas recours tantôt à l’acribie -application exacte des règles- et tantôt à l’économie ? Vladika savait que la base de l’économie est la confession juste de la foi. Sur ce fondement, il édifiait sa conduite dans l’Eglise.
Comme il lisait dans les coeurs, le saint évêque savait quand il fallait tempérer les canons et quand, au contraire, la parole devait se faire plus sévère, pour reprendre et redresser les âmes. Une dame était venue lui parler de sa soeur, qui, restée en Russie, avait perdu la raison. Elle lui demanda ses prières, sans toutefois lui dire le nom de sa soeur. Après l’avoir entendu, l’archevêque la bénit, puis partit sans dire une parole. Fâchée de voir combien peu il s’apitoyait, la dame avait éclaté en sanglots et murmuré contre ceux qui lui avaient conseillé de venir le trouver. Or, quelque temps après, elle revint à la cathédrale, portant une lettre qui lui annonçait la guérison de sa soeur. Elle venait en remercier le Seigneur, mais elle pensait dans son coeur, à l’adresse de l’archevêque qui était en train d’encenser l’Eglise : «Vous voyez ! Même sans vos prières, ma soeur a recouvré la santé !», lorsque passant près d’elle et l’encensant, il lui dit : «Eh bien, rendez gloire à Dieu ! Votre soeur Barbara va bien !» Et il continua son encensement, tandis que la malheureuse, pleine de confusion, aurait voulu disparaître sous terre. Elle avait mis en doute la prière d’un saint qui lisait dans les pensées et à qui le Seigneur révélait même les choses cachées ! Un autre fidèle, le futur moine Nestor (Levitin), témoigne de la tendresse de Vladika Jean et de sa justesse de vue spirituelle : «Un samedi soir, les cloches sonnèrent à six heures pour les Vigiles et j’allai devant les portes de la cathédrale. Je désirais recevoir la Sainte Communion le lendemain, mais je dois dire que je n’en avais parlé à personne. Comme j’approchai des portes, je vis saint Jean venir de l’autre bout de l’église ; il venait manifestement d’une de ses visites à l’hôpital de la Fraternité Orthodoxe. Je me dirigeai vers lui pour prendre sa bénédiction et il me demanda : «Tu vas communier demain ?
- Non, Vladika, répondis-je.
- Mais pourquoi ? reprit le saint.
- En fait, j’en avais l’intention, mais j’ai rendu visite à Basile Ivanovitch et il m’a offert un peu de viande. (Bien que ce ne fût pas une période de carême, je m’abstenais toujours de viande avant de communier).
- Que ressens-tu dans ton âme ? demanda le saint.
- Je me repens, Vladika, répondis-je.
- Alors, qu’est-ce que la viande vient faire là ? Je te donne ma bénédiction pour communier !»
Ainsi Vladika faisait passer du culte extérieur au culte spirituel.
«Les grands charismes, écrit Père Ambroise dans sa vie de saint Nectaire d’Egine, comportent de redoutables épreuves». De telles épreuves, Monseigneur Jean les connut, par la permission de Dieu. Un jour de semaine, alors qu’il assistait à la liturgie célébrée par un des prêtres de la cathédrale, ce dernier, dans son sermon, s’emporta contre son évêque qu’il traita de serpent, de crapaud et de scorpion. Impassible, saint Jean poursuivit sa lecture du livre d’offices ouvert devant lui sur le pupitre. Quand des fidèles, scandalisés, lui demandèrent de sévir contre le misérable, il refusa de prendre la moindre sanction, alléguant qu’il s’agissait là d’une affaire personnelle. Tant son coeur ignorait la rancune !
Ses ennemis allèrent jusqu’à l’empoisonner. Son état parut si alarmant que les médecins lui recommandèrent de tout abandonner et d’entrer dans un sanatorium. Ils lui donnaient deux mois de vie. Il refusa, demandant qu’une pieuse femme nommée Olga Ivanovna Seminiuk priât pour lui. Les médecins acceptèrent qu’elle s’occupât de lui, ses jours étant désormais comptés. Elle entreprit de le soigner ; le Carême approchait : elle lui fit, durant la semaine des laitages, des varenniki à la crème et d’autres plats de ce genre. Vint la première semaine du jeûne, où il ne mangea rien et ne but ni thé ni café. Le samedi, il consommait une soupe de légumes sans huile. La pieuse Olga lui préparait-elle des légumes, il disait : «Prépare-les séparément», c’est-à-dire, sans mélanger diverses sortes de légumes. Par ascèse, il mangeait soit uniquement de la betterave, soit de la carotte, soit des pommes de terre seules... La personne qui lui préparait son plat le surveillait pendant qu’il mangeait, pour s’assurer que nul ne touchât à sa nourriture. Et il guérit...
Une autre tentative d’empoisonnement eut lieu après la Sainte Pâque. A l’issue de la Liturgie, Monseigneur Jean, selon sa coutume, était resté dans le sanctuaire pour consommer les Saints Dons. En sortant, il fut pris de vomissements. Une servante de l’église, Anna Chijoff, ramassa la vomissure et l’enterra dans le jardin. Le poison se cachait probablement dans le vin destiné au nettoyage du calice. Plus tard, le prêtre Medvedyev, sentant sa fin prochaine, s’accusa d’avoir, dans sa haine de l’archevêque, perpétré ce crime, dont il demandait pardon et Monseigneur Jean se réjouit de son repentir.
Lorsque la Seconde guerre mondiale éclata, la situation devint difficile pour la cité de Shangaï. La cathédrale de la Mère de Dieu Protection des Chrétiens se trouvait dans la concession française. Outre l’autel principal, elle comportait une chapelle dédiée à saint Innocent d’Irkoutsk et une autre à saint Siméon le Zélote. Dans le conflit sino-japonais, cette église fut le théâtre de violents combats. Les Chinois avaient ouvert le feu contre les cuirassés nippons, à l’ancre sur la rivière Wampoo, dissimulés par un grand bâtiment de trente-six appartements, au milieu desquels se trouvait l’église orthodoxe. Le feu chinois détruisit les appartements, jusqu’aux fondations, à l’exception d’un seul. Les obus pleuvaient. Dès la première explosion, les habitants s’enfuirent. Au premier étage, dans une ancienne cuisine, devenue réserve de médicaments, un obus pulvérisa étagères et bocaux. Un appartement toutefois restait intact ; tous ceux qui l’entouraient était démolis, mais ses murs n’offraient pas une fissure. C’était l’église.
Informé, Monseigneur Jean décida d’aller sur les lieux. De nuit, donc, à l’heure où les rues de la concession étaient désertes, il partit pour sa visite. Arrivé au pont du canal, il fut arrêté par la garde japonaise et comme les soldats ne le comprenaient pas, l’un d’entre eux courut chercher un interprète qui apprit à l’évêque que personne ne passait car tout le long de la rue, une bataille mettait aux prises l’infanterie chinoise et les marines japonaises. Les rumeurs du combat leur parvenait distinctement. L’interprète ajouta : «Vous marchez à une mort certaine». L’évêque, qui tenait à passer coûte que coûte, demanda un permis écrit que l’interprète lui rapporta du quartier général. Le saint descendit la rue sombre et, lorsqu’il pénétra dans la zone de combat, les coups de feu cessèrent. Ils ne reprirent que lorsqu’il quitta les lieux. Après avoir visité l’église, il revint de la même manière. Quand il repassa le pont, la garde japonaise, stupéfaite, lui fit le salut militaire. Il raconta ensuite que, dans l’église, toutes les vitres étaient intactes et pas une icône n’était tombée.
Avec la guerre, pour la communauté orthodoxe de Shangaï, sonnait aussi le temps de l’épreuve de feu spirituelle. Le tyran Staline, en effet, comprenant qu’il ne parviendrait à susciter le sursaut patriotique de son peuple qu’en s’appuyant sur l’Eglise, et désireux, d’autre part, de mettre fin à l’Eglise Russe Hors Frontières, pour dominer les Russes exilés, commanda l’élection d’un «Patriarche». Nulle part, la campagne publicitaire ne fut mieux orchestrée qu’en Extrême-Orient. Un film circula, montrant l’élection du Patriarche Alexis ; des bruits couraient sur le retour de la liberté religieuse en Union Soviétique ; les agents de Staline faisaient vibrer, en virtuoses, toutes les cordes du patriotisme russe. Le Métropolite Anastase, tête de l’Eglise Russe Hors Frontières, demeurait au loin et, durant les années de guerre, les Russes de Chine n’avaient pu entretenir aucun contact avec leurs frères d’Occident. Des milliers de Russes tombèrent dans les griffes de Staline, ainsi que cinq des six hiérarques d’Extrême-Orient : ils se soumirent au Patriarche de Moscou, demandèrent des passeports soviétiques ; un grand nombre, dont quatre évêques, retournèrent en URSS... et, de la plupart d’entre eux, nul n’entendit plus jamais parler.
Résistant aux pressions, aux violences et aux intimidations, dont les tentatives d’empoisonnement faisaient partie, Vladika Jean refusa de prendre aucune décision avant de savoir des nouvelles du Métropolite Anastase. Ce n’est que sur la fin de 1945 qu’il apprit que le Synode existait toujours, et qu’il vit le film concernant l’élection d’Alexis. Aussitôt, renouvelant sa fidélité au Synode Russe Hors Frontières et au serment qu’il lui avait donné, il rejeta, comme anticanonique, l’élection du pseudo-patriarche. Ce fut alors que les jeunes de l’entourage de Monseigneur Jean se mirent sur le qui-vive, craignant que les soviétiques ne vinssent l’enlever dans un navire soviétique.
Or le supérieur immédiat de Vladika Jean, l’Archevêque Victor de Pékin, prit lui-même un passeport soviétique. Le recteur de la cathédrale de Shangaï, le protoprêtre Michael Rogozhin, avait fait de même. Un jour, le consulat soviétique annonça à Monseigneur Jean la visite de l’Archevêque Victor. Vladika Jean assembla son clergé et déclara qu’il ne rencontrerait pas Victor. Le prêtre chinois Elias Wen, qui rapporte cette histoire, faisait partie de ceux qui restèrent fidèles à l’Eglise et soutinrent Monseigneur Jean. L’Archevêque Victor arriva de Pékin, entouré de huit jeunes des Komsomol et se rendit à la cathédrale comme le Père Michel y achevait un moleben. Le lendemain, Victor, rencontrant Elias Wen, l’accusa d’être du parti des «Joanites». «Oui, répondit-il, et savez-vous pourquoi nous le soutenons ? Si vous désirez le savoir, je vous le dirai. Qui a amené Vladika ici ? C’est vous qui nous l’avez amené. Après son installation, vous êtes venus vous-même à plusieurs reprises et vous lui avez dit : Vladika Jean, je vous estime, je reconnais la haute tenue de votre vie, vous êtes un excellent guide. Poursuivez dans cette voie. Et si le clergé ne vous obéit pas, n’hésitez pas à le corriger. Vladika, n’avez-vous pas dit ces choses ?» «Si, c’est vrai», reconnut l’évêque Victor. «Voilà pourquoi nous l’écoutons. A présent, c’est vous qui êtes contre lui. Vous êtes devenus citoyen soviétique, il nous est impossible d’être en communion avec vous. Pour moi, je suis chinois ; notre clergé est demeuré blanc, mais vous êtes un rouge. Faites comme il vous plaira...»
Victor déposa Monseigneur Jean de son siège de Shangaï et lui interdit d’officier. Ce dernier, sans l’ombre d’une crainte, se rendit dans la cathédrale, monta en chaire et annonça : «Je ne me soumettrai à cet oukase que s’il est prouvé par la Sainte Ecriture et par les lois de quelque pays que ce soit, que rompre son serment soit vertu, et lui rester fidèle, péché gravissime». Et nonobstant l’interdit, il servit la Divine Liturgie. Les fidèles, ralliés à lui, témoignaient par leur attitude de la sainteté personnelle de leur archevêque, non moins que de la justesse de sa confession. Il réussit ainsi à sauver six mille croyants des horreurs des camps de concentration soviétiques et de l’erreur subtile du sergianisme, cet abattoir des âmes. Le courageux témoignage que Monseigneur Jean rendait à la Vérité lui valut la haine inexpiable du Patriarcat de Moscou et l’honneur -car c’en était bien un- de se voir calomnier dans le Journal du Patriarcat qui parlait du «schisme de l’évêque suffragant Jean Maximovitch». Monseigneur Jean rejoignait ainsi le Métropolite Joseph et les saints confesseurs des catacombes qui, depuis 1927, souffraient de la part des impies. Comme le dit saint Photios le Grand : «L’innocence se rit des punitions décrétées par ces gens-là (les ennemis de la Vérité) ; elle fait justement retomber sur eux la condamnation et la transforme, pour leur victime, en couronnes inflétrissables et en gloire éternelle».
Couronne inflétrissable au front de Monseigneur Jean, le salut de son troupeau, qu’il assura par ses prières ardentes au Dieu Trinité. Une fidèle russe raconte qu’à la fin de la guerre, lorsque les premiers américains arrivaient à Shangaï, elle reçut chez elle trois pilotes. Le chef d’escadrille déclara à ses hôtes : «Ici, à Shangaï, se trouve un saint grâce auquel vous ne subissez aucun dommage». Et de raconter qu’un jour il avait reçu l’ordre de bombarder la ville. Quelques minutes seulement avant le vol, un contrordre était arrivé : «Nous avons compris, disait l’aviateur, que quelqu’un priait pour vous, pour votre salut». Dans l’esprit de tous les auditeurs de cette histoire, un seul nom, bien sûr, apparut, celui du serviteur de Dieu Jean.
Pasteur donnant sa vie pour ses brebis, Vladika partagea toutes les souffrances de son troupeau, d’abord à Shangaï durant la guerre puis dans le difficile exode qui suivit. Les Russes furent dirigés vers les Philippines. Quoique l’archevêque eût déjà un passeport américain, il resta avec les siens sur l’île de Tubabao. Il y réorganisa la vie religieuse, rétablissant couvent, églises, cathédrale même -ouverte dans les baraquements militaires. Souvent l’on voyait l’archevêque bénir le camp ; un matin, raconte Madame Petukhov, Vladika fit le tour de toutes les tentes, en les bénissant. La nuit venue, un cyclone fit rage à travers l’île, mais laissa le camp intact. Ces lieux furent épargnés tout le temps qu’ils servirent de refuge à l’homme de Dieu et à son troupeau. A peine ces derniers furent-ils partis, qu’un typhon dévasta le campement abandonné. Les indigènes ne doutèrent pas de la sainteté de Jean. Ces signes sont voilés aux incrédules, mais clairs aux yeux qui voient : «Vous savez discerner l’aspect de la terre et du ciel, comment ne discernez-vous pas ce temps-ci ?»
A Tubabao, Monseigneur Jean visitait sans relâche les malades, distribuant des évangéliaires de poche et de petites icônes. Un jour, comme il pénétrait dans l’hôpital russe, il entendit, venant de loin, des cris épouvantables. Une infirmière, interrogée, lui apprit qu’une malade, dont l’état était désespéré, dérangeait les autres patients avec ses hurlements et avait donc été transportée dans un bâtiment adjacent, celui d’un ancien hôpital militaire américain. Saint Jean décida sur-le-champ d’aller voir cette femme, mais l’infirmière voulut l’en dissuader : la malade exhalait une odeur écoeurante. «Cela ne veut rien dire», répondit-il et, à grandes enjambées, il se hâta vers le bâtiment voisin, accompagné du futur prêtre George Larin, témoin de cette histoire. L’infirmière avait dit vrai ; mais, sans être troublé par la puanteur, Vladika posa une croix sur la tête de la malheureuse et se mit à prier. Son compagnon quitta la pièce, tandis qu’il continuait sa prière ; puis il confessa la malade et lui donna la Sainte Communion. Au départ de l’archevêque, elle avait cessé de crier, se contentant de gémir faiblement. Quelque temps passa... L’évêque revint visiter l’hôpital ; à peine sa jeep pénétrait dans l’enceinte, qu’une femme sortit en courant et se jeta aux pieds du saint évêque. Celle que les médecins terrestres condamnaient avait recouvré la santé par les prières de son père selon l’Esprit.
Un plus grand exploit de prière l’attendait néanmoins. Nul n’ignore la rigueur avec laquelle les Etats Unis d’Amérique maintiennent leurs quotas d’émigration. Vladika fit le voyage des U.S.A. pour obtenir des puissants de ce monde l’accueil de ses petits orphelins et des autres réfugiés russes. Sur les marches du Congrès, il resta en prière, jusqu’à ce que Celui qui incline le coeur des rois à droite et à gauche l’ait exaucé et qu’une loi spéciale permît l’installation aux Etats Unis des protégés de Monseigneur Jean.
Nous ne saurions dire pourquoi la cathédrale où Vladika célébrait ne fut pas détruite par les communistes, ni pourquoi l’édifice, aujourd’hui, abrite une bourse de commerce, ni combien de temps cette situation durera. Le Seigneur le sait, qui tient les clefs de l’Histoire. Le sens des événements nous apparaît lorsque les ténèbres des hommes sont passées, de la même façon que l’icône révèle le visage d’éternité des saints. Ecoutons encore deux témoignages sur la liturgie de l’archevêque Jean de Shangaï : «Qui pourrait jamais oublier l’office de la nuit de Pâques dans la cathédrale ? De quel éclat brillait Vladika ! Spectacle qui n’était pas de ce monde ! A chaque encensement, il semblait faire d’un élan tout le tour de la cathédrale. Avec quelle joie exultante il clamait, ou plutôt, lançait à pleins poumons le salut pascal de la victoire ! Je n’avais jamais rien vu de tel nulle part...» Comment, se demande le prêtre George, expliquer «son visage littéralement transformé lors des grandes fêtes durant la Divine Liturgie, rayonnant d’une lumière qui n’était pas de ce monde ; et ses yeux, toujours débordant de divin amour, devenus clairs miroirs de l’ineffable joie -que nous pécheurs ne saurions atteindre- que donne la présence du Saint Esprit. Ou comment, lors de la nuit pascale, il volait à l’entour dans la vaste cathédrale de Shangaï -on l’eût dit porté par les anges- et dans son débordement d’allégresse, faisait retentir l’acclamation victorieuse : «Christ est Ressuscité ! Christ est Ressuscité !»

Confesseur de la foi

La fidélité de Monseigneur Jean à la hiérarchie non-sergianiste avait fait de lui un confesseur de la foi, éprouvé comme l’or au creuset des persécutions.
Toute sa vie durant, Monseigneur Jean lutta pour la foi que tout évêque orthodoxe s’engage à garder à tout prix. La Diaspora russe, en effet, se trouvait dispersée, surtout en Occident, au milieu de confessions hétérodoxes et la méconnaissance du dogme orthodoxe risquait d’entraîner les fidèles dans les hérésies, ou pire encore, dans l’indifférentisme dogmatique et dans l’oecuménisme qui commençait à se répandre.
Comme le disait saint Jean Chrysostome : «Celui qui est obligé, en qualité de pasteur, de corriger l’ignorance des autres et de les avertir que le démon s’avance pour les combattre, ne peut pas s’excuser sur son ignorance et venir dire : Je n’ai pas ouï la trompette, je n’ai pas prévu la guerre, puisque c’est à lui de leur servir de trompette...» Sentinelle vigilante de la maison d’Israël, Vladika Jean dénonça l’enseignement de Serge Boulgakov en rappelant le véritable enseignement patristique, cité dans les textes originaux. Ses écrits théologiques, comme le remarquait le Père Séraphim Rose de la Fraternité Orthodoxe Saint Germain d’Alaska, qui en a entrepris la publication en anglais, ne s’adressent pas aux savants, mais à la conscience orthodoxe non corrompue des fidèles. Les sources qu’ils citent sont la Sainte Ecriture, les Saints Pères et, avec plus d’abondance peut-être qu’aucun autre théologien, les saints offices de l’Eglise. Ce trait prouve combien Vladika était plongé dans la conscience priante de l’Eglise et confond l’orgueil des auteurs de «systèmes» anti-ecclésiaux.
Les écrits théologiques de l’archevêque Jean rappellent en effet aux enfants de l’Eglise les dogmes attaqués par les hérésies anciennes que rencontrait partout la Diaspora russe, ou par les hérésies nouvelles qui surgissaient dans son sein. Ainsi, dans son livre sur La Vénération Orthodoxe de la Mère de Dieu, l’Archevêque Jean réfute l’hérésie du catholicisme romain qui, par la doctrine de l’Immaculée Conception, tend à faire de la Mère de Dieu un dieu par nature, «un complèment de la Sainte Trinité» ; puis il ajoute : «Sont entrés sur le même chemin un groupe de penseurs qui, pour le moment, appartiennent à l’Eglise Orthodoxe, mais qui sont en train d’édifier un nouveau système théologique fondé sur la doctrine philosophique de la Sophia, la Sagesse, conçue comme une puissance particulière liant la Divinité et la création... Sur certains points, ils sont plus modérés que les théologiens latins, mais sur d’autres, permettez-moi de dire qu’ils les ont déjà largement dépassés... (ils disent que) dans la Personne du Christ a paru sur terre la Seconde Personne de la Sainte Trinité, le Verbe pré-éternel, le Fils de Dieu, tandis que le Saint Esprit est rendu manifeste à travers Marie la Vierge»...
La même Fraternité de Saint Germain écrivait encore ceci de la fermeté de l’Archevêque Jean : «Il interdisait à son clergé toute participation aux offices ’panorthodoxes’ à cause de la canonicité douteuse de certains participants ; et il secouait la tête en signe d’incrédulité devant les activités des ’oecuménistes’. Il était d’une rigueur absolue en ce qui concerne la sainte doctrine de l’orthodoxie... Quiconque l’a vu n’est pas près d’oublier le regard redoutable de Vladika abaissant les trikeria (chandeliers) épiscopaux lors de la proclamation des anathèmes contre les hérétiques, le Dimanche de l’Orthodoxie ; alors, il ne faisait qu’un avec l’Eglise excluant de son sein tous ceux qui rejettent la foi intègre et salvatrice de l’orthodoxie. Cette attitude procédait non de quelque ’pharisaïsme’ ou ’fanatisme’ étroit, mais de la même crainte de Dieu que Vladika conserva toute sa vie, et qui interdit à quiconque de transgresser la Loi de Dieu sinon au péril de son propre salut».
Protégeant son troupeau contre toutes les déviations, Monseigneur Jean «défendait avec fermeté le calendrier ecclésiastique (Julien) contre les innovateurs néo-calendaristes». Il savait, en effet, quel danger fait courir à l’orthodoxie le changement d’un seul point de la tradition. En 1938 se tint, en Yougoslavie, une importante réunion du Synode des évêques, sous la présidence du Métropolite Anastase, successeur du Métropolite Antoine. Monseigneur Jean, secrétaire de l’assemblée, présenta un rapport sur les Eglises Autocéphales. Il y décrivit notamment, sans complaisance, la marche du Patriarcat de Constantinople dans le XXème siècle : «L’autorité morale des Patriarches est tombée très bas en raison de leur extrême instabilité en matière ecclésiastique. Ainsi le Patriarche Mélétios IV a organisé un «Congrès Pan-Orthodoxe» comprenant des représentants de différentes Eglises, qui décréta l’introduction du Nouveau Calendrier. Le décret, reconnu seulement par une partie de l’Eglise, a introduit un schisme dramatique parmi les Chrétiens orthodoxes. Le Patriarche Grégoire VII a reconnu le décret du concile de l’Eglise Vivante portant la déposition du Patriarche Tykhon que, peu de temps auparavant, le Synode de Constantinople avait déclaré être un «confesseur», et le Patriarcat reste, encore à présent, en communion avec les rénovationnistes4 de Russie». Vladika Jean demandait aussi aux familles russes de ne pas suivre le calendrier civil quand il s’agissait de donner aux enfants des cadeaux de Noël : il fallait attendre la fête orthodoxe de la Nativité du Seigneur, le 25 décembre du calendrier ecclésiastique, 7 janvier du calendrier civil.
Monseigneur Jean avait mesuré exactement le sens de la politique du Patriarcat de Constantinople et les dangers qu’elle faisait courir à l’orthodoxie. La perte de la plus grande partie de son territoire et son humiliation politique en Turquie, expliquait-il devant le Sobor des évêques, a poussé ce patriarcat à tenter de s’étendre dans le monde entier. «Simultanément, ajoutait-il, l’on a procédé à l’assujettissement des différentes parties de l’Eglise Russe Orthodoxe qui avait été arrachée de Russie». C’est ainsi que la Finlande, l’Estonie, la Pologne, la Lithuanie passèrent sous la surveillance du Patriarcat oecuménique. «Au total, le Patriarcat Oecuménique, embrassant en théorie presque l’univers tout entier, et n’étendant en fait son autorité que sur quelques diocèses, n’ayant dans d’autres endroits qu’un droit de regard supérieur superficiel et recevant par ce moyen quelque revenu ; persécuté sur son territoire propre par le gouvernement turc, et ne jouissant, à l’étranger, d’aucun appui gouvernemental ; ayant perdu son rôle de pilier de la Foi et devenant lui-même cause de division ; possédé en même temps d’un amour démesuré du pouvoir -offre un spectacle désolant qui rappelle les pires périodes de l’histoire du Siège de Constantinople».
Par la modification du calendrier ecclésiastique et l’ambition de «ramasser toute la terre», le Patriarcat de Constantinople entrait dans la voie du modernisme et de la complaisance à l’égard du monde. C’est dans un sens diamétralement opposé que Monseigneur Jean comprenait le rôle universel de la Diaspora et celui de la mission.
Pour comprendre la grandeur, la hardiesse et la force de l’oeuvre missionnaire de Vladika Jean et le contexte dans lequel elle s’est déroulée, il convient de revenir sur l’origine de la diaspora russe et le sens spirituel de cet exil.
Dans un autre rapport au Synode de 1938, intitulé L’état spirituel du peuple russe dans la diaspora, Vladika Jean répond à trois questions : pourquoi le Seigneur a-t-il permis le châtiment qui s’est abattu sur le peuple russe ? qu’attend-Il, désormais, de son peuple, et particulièrement de ceux qui habitent le monde dit libre ? comment, enfin, les Russes ont-ils, jusqu’à présent, répondu à cet appel et que doivent-ils faire pour l’avenir ?
«Le peuple russe a, dans son ensemble, commis de grands péchés, qui sont la cause des malheurs présents : j’ai nommé la violation de son serment et le régicide... Coupables du péché de régicide sont non seulement ceux qui perpétrèrent effectivement ce crime, mais le peuple entier, qui se réjouit lorsque le Tsar fut renversé et qui accepta sa déposition, son arrestation, son exil, le livrant sans défense aux mains des assassins... Ainsi, la calamité qui atteint la Russie est une conséquence directe de péchés effroyables et sa renaissance ne sera possible que lorsqu’elle en aura été lavée... Tout en châtiant le peuple russe, le Seigneur, dans le même temps, lui indique le chemin du salut en faisant de lui le prédicateur de l’orthodoxie à travers le monde».
Avec les «grands yeux de la foi» Monseigneur Jean discerne donc, dans la présence des Russes sur tous les continents, à la fois une punition divine et une voie de pénitence et de salut, si le peuple russe, purifié par l’exil et la souffrance, accepte la nouvelle mission que Dieu lui confie.
Un orthodoxe a dit justement : «Notre Eglise est confessante et missionnaire, non qu’elle puisse faire un choix différent, mais de par sa nature même». Où qu’il soit, l’orthodoxe doit rayonner la lumière de la foi, tout en restant conscient de son caractère de «miroir indigne» de la Vérité.
Monseigneur Jean analyse aussi l’origine des déchéances spirituelles de la diaspora russe. «Un nombre important des Russes de l’émigration vient de la classe des intellectuels qui vivait naguère selon les idées de l’Occident. Quoique qu’ils appartinssent à l’Eglise orthodoxe et se reconnussent comme tels, les membres de cette classe s’étaient égarés loin de l’orthodoxie dans leur vision du monde. Leur péché principal était de ne pas fonder leurs croyances et leur manière de vivre sur les enseignements de la foi orthodoxe ; ils essayaient de concilier les règles et les doctrines de l’Eglise avec leurs propres désirs et habitudes. En conséquence, ils ne montraient, d’une part, qu’un intérêt très médiocre pour l’essence même de la doctrine orthodoxe, considérant même souvent les dogmes de l’Eglise comme quelque chose de tout-à-fait secondaire ; et, d’autre part, ils n’observaient les rites et les exigences de l’Eglise Orthodoxe que dans la mesure où cette pratique n’entrait pas en conflit avec leur mode de vie plus européen que russe. Cette attitude les conduisit à négliger les carêmes, à ne fréquenter l’église que brièvement et davantage pour des motifs esthétiques que par sens religieux, enfin à perdre toute conscience de la foi religieuse comme fondement principal de la vie spirituelle. Un grand nombre, assurément, avait d’autres dispositions intérieures ; mais peu montrèrent suffisamment de forces spirituelles et de capacités pour le manifester au grand jour dans leur mode de vie».
Avec clairvoyance, le saint Archevêque note toutes les conséquences du retour des intellectuels à l’Eglise : «Une partie de l’intelligentsia fut détruite, une autre assura son salut par la fuite à l’étranger... Se retrouvant hors de ses frontières, le peuple russe connut un grand ébranlement spirituel. Dans la plupart des âmes, ce fut une crise profonde, qui se traduisit par le retour massif des intellectuels à l’Eglise. Beaucoup d’églises à l’étranger sont pleines, avant tout, de ce type d’hommes... De nombreux cercles et sociétés se sont formés pour répandre la lumière de l’enseignement religieux. Leurs membres étudient les Saintes Ecritures, les oeuvres des Saints Pères, les points généraux de la vie spirituelle et de la théologie, et beaucoup d’entre eux entrent dans le clergé. Toutefois, ces manifestations encourageantes ont leur revers. Il s’en faut de beaucoup que tous ceux qui reviennent à la foi aient adopté l’enseignement orthodoxe dans sa plénitude. L’esprit d’orgueil ne saurait avouer qu’il s’est tenu, jusque là, sur un chemin erroné. Beaucoup ont déjà tenté un accommodement entre l’enseignement chrétien et leurs idées et opinions de naguère. D’où l’émergence de tout un éventail de nouveaux courants philosophico-religieux, dont certains sont complètement étrangers à la doctrine de l’Eglise. L’un de ces courants, particulièrement répandu, est la Sophiologie. Elle se fonde sur la reconnaissance d’une valeur de l’homme en lui-même et par lui-même. C’est l’expression de la psychologie des membres de l’intelligentsia. Comme doctrine précise, la Sophiologie n’est connue que d’un groupe relativement restreint et très peu nombreux sont ses adhérents déclarés. Néanmoins, une part importante des émigrés de l’intelligentsia entretient avec elle des liens spirituels, parce que la psychologie qu’elle reflète a pour base le culte de l’homme, non pas comme humble serviteur de Dieu, mais au contraire, comme petit dieu lui-même, qui n’a pas besoin d’obéir en aveugle au Seigneur Dieu. Un sentiment aigu d’orgueil, associé à la foi dans les capacités de l’homme qui vit de sa propre sagesse, tels sont les traits saillants d’un grand nombre de ces hommes que les critères du jour nous font qualifier de «gens cultivés». Ces personnes font de leurs propres raisonnements la norme suprême et ne consentent nullement à suivre en tout les préceptes de l’Eglise sur laquelle elles jettent un regard favorable mais condescendant. Il en est résulté, pour l’Eglise de la diaspora, les secousses des schismes successifs qui lui ont fait beaucoup de mal jusqu’à présent et ont même entraîné une partie de la hiérarchie».
Ces dernières phrases font allusion aux louvoiements du Métropolite Euloge, qui présidait au diocèse d’Europe d’Occidentale et avait son siège à Paris, dans la cathédrale de la rue Daru. Monseigneur Jean dévoile la racine de cette «politique ecclésiastique». En 1922, les soviétiques avaient relâché un groupe d’intellectuels orthodoxes, dont faisait partie le Père Serge Boulgakov. Celui-ci, devenu recteur de l’Institut de Théologie Saint-Serge de Paris, se mit à y enseigner ouvertement sa doctrine de la Sophia. C’est dans cette hérésie que Monseigneur Jean discerne le ferment d’orgueil qui devait conduire au schisme. En effet, au lieu de condamner la sophiologie de Boulgakov, Euloge devint l’otage de ses partisans. En 1926, lors d’une réunion du Synode des évêques de l’Eglise Hors Frontières, qui siégeait toujours en Yougoslavie, Euloge, craignant les critiques, le quitta brusquement. Il se rattacha alors à ce qu’il nommait «l’Eglise-Mère» de Moscou, laquelle, sous la conduite du Métropolite Serge devenait la vassale fidèle de l’Etat communiste athée. Selon les termes de la Déclaration de loyauté souscrite par Serge en 1927 et par Euloge après lui, ces loups-pasteurs exprimaient leur «reconnaissance au gouvernement soviétique pour son attention aux besoins spirituels du peuple orthodoxe» et partageaient de coeur les joies et les malheurs du régime. En 1930, exclu du sein de «l’Eglise-Mère» pour avoir prié avec les catholiques pour le salut de la Russie, le Métropolite Euloge fut reçu par le Patriarcat de Constantinople, qui prétendait, dans une sorte de néo-papisme, à une juridiction universelle sur les terres n’appartenant à aucune Eglise autocéphale. Les Russes de la diaspora se trouvaient donc, dès 1938, divisés en plusieurs groupes.
Or les propos de Monseigneur Jean, si pleins de grâce et de force qu’ils fussent, loin de s’imposer à tous, heurtaient de front deux maladies jumelles : le phylétisme, ou nationalisme religieux, et le libéralisme dogmatique, proche de l’oecuménisme. Beaucoup de Russes croyaient que la vocation de leur Eglise à l’étranger était de garder le troupeau russe afin de préparer le retour des exilés dans la Mère Patrie, mais nullement de jeter les bases d’une Eglise locale, occidentale ; le talent reçu de Dieu, enfoui dans la terre étrangère, Lui serait rendu intact lorsque les frontières de Russie se rouvriraient. Beaucoup aussi considéraient les schismes dus à de fausses conceptions ecclésiologiques ou théologiques comme des «coupures juridictionnelles» qui ne faisaient pas perdre la grâce aux corps qui les confessaient ; malgré leur chute dans le schisme sergianiste ou dans l’hérésie de l’oecuménisme Moscou et Constantinople conservaient, selon eux, la grâce sanctifiante. Cette mentalité à la fois tiède et nationaliste atteignait jusqu’à certains représentants de l’épiscopat. Monseigneur Jean fut donc persécuté, à l’intérieur de sa propre Eglise, par ceux qui n’appréciaient ni son zèle missionnaire et les économies qui l’accompagnaient, ni son intransigeance à l’endroit des schismes et des hérésies qui attaquaient la diaspora. Comme le dit Zénaïde, l’une de ses filles spirituelles qui servait l’église à Paris : «ce hiérarque était un authentique saint vivant, incompris de beaucoup d’hommes d’Eglise tout simplement parce qu’ils ne savaient pas ce que sont vraiment les saints et comment ils se comportent».
Continuant sa description de l’état spirituel de la diaspora, Monseigneur Jean traçait le portrait contrasté des divers types d’hommes qui la composait.
«D’anciens nobles, des généraux, sont devenus de simples ouvriers, artisans et commerçants, sans mépriser aucun genre de travail et se souvenant qu’il n’en est aucun de déshonorant, du moment qu’il n’implique rien d’immoral... L’école de la vie d’exilé a moralement régénéré et élevé une multitude de personnes... En vérité, beaucoup d’entre eux, hommes et femmes, ont plus de gloire à présent dans leur déshonneur qu’ils n’en possédaient dans leurs années brillantes. La richesse spirituelle qu’ils se sont acquise vaut mieux que la richesse matérielle qu’ils ont abandonnée dans leur patrie et leur âme, tel l’or épuré au feu, s’est purifiée au feu de la souffrance et brûle comme un flambeau qui luit avec éclat. Non sans tristesse, toutefois, nous devons dire que les souffrances sont loin d’avoir eu le même effet sur tous. A l’épreuve, certains se sont révélés n’être ni or ni métal précieux mais paille et chaume qui périt dans la flamme... Se croyant justes et s’imaginant souffrir en victimes innocentes, ces gens ont plus d’orgueil dans le coeur que le Pharisien qui se vantait, mais surpassent souvent le publicain dans leurs péchés...» Le saint évêque stigmatise les riches «qui ne s’occupent que d’accroître leur fortune et passent leur temps libre en divertissement» au lieu d’aider leurs compatriotes nécessiteux. Et, parlant de l’éducation des enfants, Monseigneur Jean ajoute des mots prophétiques :
«La génération future des enfants et des adolescents grandit en prenant de ses anciens des leçons d’immoralité. En outre, la présente génération pèche devant celle qui suit en prêtant si peu d’attention à l’éducation des enfants... les institutions éducatives que nous possédons doivent davantage leur existence aux dons des populations locales qu’à ceux des Russes... Beaucoup de parents ne se soucient absolument pas de la vision du monde qu’auront leurs enfants. Certains, grâce aux bourses, et d’autres, même parmi les gens très aisés, envoient leurs enfants dans des institutions qui ont pour but de les élever dans un esprit absolument contraire à l’orthodoxie». Evoquant les enfants abandonnés qui deviendront des criminels, le sage Archevêque ajoute que ces malheureux «dans la vie future ne seront pas aussi sévèrement traités que ceux qui, éduqués dans des collèges splendides, seront devenus ensuite les pires ennemis de la Russie. Déjà l’on voit poindre le temps où, de la Diaspora, sortiront les ouvriers qui travailleront sciemment contre la Russie Orthodoxe, s’efforçant soit de la convertir au catholicisme romain, soit de répandre le sectarisme dans ses frontières. Ces hommes, tout en demeurant extérieurement orthodoxes et russes, oeuvreront secrètement contre elle. D’entre les élèves que l’on forme aujourd’hui dans les écoles des divers pays, notamment les couvents, un nombre considérable -mais non pas tous, assurément- deviendront apostats et traîtres à la Russie Orthodoxe. Ils ne seront pas les seuls coupables ; leurs parents le seront davantage, qui ne les auront pas gardés d’un tel sentier ni n’auront inspiré dans leur âme un amour solide et fervent de l’Orthodoxie. Déployant tous leurs efforts pour assurer l’avenir de leurs enfants en cette vie et choisissant en conséquence les établissements les mieux à même, selon eux, de réaliser cet objectif, ces parents négligent l’âme de leurs enfants et portent donc la responsabilité de leur chute future hors de l’orthodoxie et de leur trahison à l’égard de leur patrie. De tels parents sont de plus grands criminels devant la Russie que leurs enfants, souvent gagnés à une autre religion dans un âge qui ne leur permet pas d’en être conscients et élevés ensuite dans un esprit hostile à l’Orthodoxie. Le mal est égal chez ceux qui abandonnent la foi orthodoxe et en embrassent une autre afin de s’assurer un style de vie plus confortable et un travail mieux rémunéré. Leur péché est celui de Judas, et le travail ou les autres avantages qu’ils reçoivent en échange de la trahison de leur Foi vaut les «trente pièces d’argent». Certains d’entre eux allégueront peut-être qu’ils ont agi ainsi par la conviction que l’Orthodoxie n’est pas la vérité, et qu’ils essaieront de servir la Russie tout en confessant leur foi nouvelle. La Russie a été fondée sur l’Orthodoxie, a fleuri par elle, et seule l’Orthodoxie sauvera la Russie».
Le saint évêque se demande avec angoisse : «Mais quelle contribution la Diaspora apportera-t-elle à l’avenir, vu son état présent de dégénération ? Ne deviendra-t-elle pas source d’une nouvelle infection spirituelle lorsque nous rentrerons dans notre patrie ?» Et il répond, en citant l’héroïsme de champions de la vérité, dont certains ont même donné leur vie pour recréer la vie ecclésiale en Russie : «Ces exemples, et d’autres semblables, ainsi que la voix de la conscience, que rien ne saurait baîllonner, nous donnent l’espérance qu’il se trouvera toujours les dix hommes pour lesquels le Seigneur consentait à épargner Sodome et Gomorrhe, et qui montreront le chemin à la Diaspora russe».
Monseigneur Jean conclut enfin en plaçant, comme autrefois Moïse, son peuple devant l’alternative décisive :
«Les Russes de l’étranger ont reçu pour mission de faire luire la lumière de l’Orthodoxie à travers le monde afin que les autres peuples, voyant leurs bonnes oeuvres, pussent glorifier Notre Père qui est aux cieux, et eux-mêmes, ce faisant, approcher du salut. Parce qu’elle n’a pas accompli cette tâche et qu’elle a même, par sa vie, déshonoré l’orthodoxie, la Diaspora ne voit que deux chemins devant elle : ou bien emprunter la voie du repentir, implorer le pardon de Dieu et se renouveler spirituellement pour se rendre capable de régénérer notre patrie souffrante, ou bien subir l’abandon final de Dieu et rester en exil, persécutée par tous, jusqu’à ce que, dans une dégénérescence graduelle, elle disparaisse de la surface de la terre».

Apôtre de l’Occident (1951-1966)

La situation difficile et d’extrême confusion décrite par Monseigneur Jean dans ce discours régnait toujours lorsque, après avoir accompli le transfert de son troupeau de Shangaï dans la libre Amérique, il fut placé par le Synode des évêques à la tête de l’archidiocèse d’Europe Occidentale. Dans cet Occident qui gisait depuis des siècles dans les ténèbres des hérésies et qui maintenant devenait le théâtre de divisions entre les orthodoxes, il déploya le zèle infatigable du pasteur et du missionnaire. En lui se réalisèrent ces autres paroles de saint Jean Chrysostome décrivant Timothée : «Ce que l’on doit surtout admirer dans cet illustre disciple, c’est qu’étant si faible, accablé de tant d’infirmités, il se soit montré plus actif que ceux même dont la constitution est la plus saine et la plus robuste. On le voit voler tantôt à Ephèse, tantôt à Corinthe, dans l’Italie, la Macédoine, accompagner son maître sur terre et sur mer, partager ses combats et ses périls, sans que la faiblesse du corps ralentisse jamais l’activité de l’âme : tant le zèle selon Dieu a de vertu ! Tant il donne des ailes légères à celui qu’il anime !»
Monseigneur Jean était au-dessus de tout phylétisme. Son amour sans borne de l’Orthodoxie dépassait les frontières humaines et sa connaissance de l’histoire de l’Eglise l’embrasait de désir pour les saints qui ont fleuri dans la Romanité, dans l’Empire chrétien, avant que celui-ci ne connût les drames des invasions puis des schismes et des hérésies qui en furent la conséquence. Depuis longtemps, il avait rassemblé les textes de leurs vies, parfois même leurs icônes ; et en 1952, il présida un synode rassemblant tous les évêques d’Europe Occidentale, qui décréta d’ajouter au calendrier de l’Eglise orthodoxe les saints occidentaux qui, à cause du schisme papal, n’avaient pas reçu de vénération dans la «partie orientale» de l’Empire Romain et ne figuraient pas dans les synaxaires slaves. Il rétablit ainsi la mémoire des Martyrs Victor de Marseille, Pothin, Blandine et ses compagnons, Alexandre et Epipode de Lyon, des saints hiérarques Anschaire d’Hambourg, Germain d’Auxerre, Loup de Troyes, Germain de Paris, Hilaire de Poitiers, Patric d’Irlande, Honorat de Lérins, de saint Vincent de Lérins, des saints confesseurs Colomban, Clodoald, Gall, Fridolin... Cette liste n’étant qu’une première et incomplète collection. Pour mieux faire comprendre le sens de cette manifestation des saints glorifiés par Dieu, nous citerons la conclusion du décret synodal, et quelques paroles extraites de l’homélie que Monseigneur Jean prononça à l’occasion de la glorification d’un saint russe nouvellement reconnu, Jean de Cronstadt5.
«Révérant la mémoire des saints qui ont plu à Dieu, et trouvant sur les lieux de notre Diaspora des missionnaires et des ascètes des temps anciens, dont les noms ne nous étaient pas connus, nous glorifions le Seigneur, admirable dans Ses saints, et vénérons ceux qui Lui ont été agréables, glorifiant leurs souffrances et leurs exploits ascétiques et les invoquant pour qu’ils intercèdent et soient nos ambassadeurs auprès de Dieu. Mus par ces considérations, nous instituons que les justes dont les noms précèdent soient vénérés par toute l’Eglise Orthodoxe, et nous invitons les pasteurs et le peuple à vénérer ces saints et à recourir à leur intercession».
«La Sainteté, dit Vladika Jean dans son Homélie sur Jean de Cronstadt, n’est point la simple justice, qui donne aux justes la récompense de la béatitude dans le Règne de Dieu ; elle représente un degré si haut de justice que ses possesseurs sont à ce point emplis de la grâce de Dieu qu’elle découle d’eux et se répand même au-dehors, sur ceux qui les approchent. Grande est leur félicité, qui provient de la contemplation immédiate qu’ils ont de la gloire de Dieu. Egalement pleins d’amour pour les hommes, cet amour qui vient de celui de Dieu, ils s’intéressent à leurs besoins et, à leur prière, jouent pour eux le rôle de médiateurs et d’intercesseurs auprès de Dieu. Tels étaient, en tout premier lieu, les justes de l’Ancien Testament, ceux que le Christ a libérés de l’Hadès et conduits dans le Paradis, et Jean le Baptiste, le plus grand parmi ceux qui sont nés de femmes. Puis vinrent les Apôtres et leurs successeurs immédiats. Nul d’entre les Chrétiens ne douta jamais de leur sainteté et, après leur départ de cette vie -la plupart moururent martyrs- ils commencèrent aussitôt à les vénérer et à les invoquer dans la prière. Tels furent aussi les martyrs des premiers siècles de persécution, quand la ferveur spirituelle abondait. La mort d’un martyr était, en soi, une porte qui s’ouvrait vers les demeures d’en-haut, et les chrétiens se mirent à les prier comme des hommes saints qui avaient plu à Dieu. Signes et miracles confirmèrent cette foi des chrétiens et manifesta clairement leur sainteté. De même, par la suite, les chrétiens commencèrent à vénérer les grands ascètes. Personne n’a pris de décret enjoignant que Antoine le Grand, Macaire le Grand, Basile le Grand, Grégoire le Théologien, Nicolas le Thaumaturge et une multitude de leurs pareils devraient être honorés comme saints, mais ils sont vénérés aussi bien par l’Orient que par l’Occident et leur sainteté ne peut être niée que par ceux qui ne croient pas à la sainteté. L’assemblée de ceux qui plaisent à Dieu croissait sans cesse ; partout où se tenaient des chrétiens, de nouveaux ascètes se manifestaient. Il arriva néanmoins un temps où la vie des chrétiens connut un certain déclin ; l’ardeur spirituelle commença de se refroidir ; l’on cessa de connaître distinctement ce qu’est la justice divine. Pour cette raison, la conscience collective des fidèles ne put toujours reconnaître qui était un authentique ascète, agréable à Dieu. Dans certains endroits surgirent des personnages douteux qui, simulant des exploits d’ascèse, dupèrent certains membres du troupeau. C’est pourquoi l’autorité ecclésiastique entreprit de superviser la vénération des saints, dans le souci de garder le troupeau de la superstition...»
Après avoir exposé l’origine des décrets de l’autorité épiscopale concernant la vénération des saints, Vladika Jean ajoute : «Après tout, l’autorité ecclésiastique ne fait qu’attester la sainteté. Les justes deviennent saints non pas en vertu d’un quelconque décret d’une autorité ecclésiastique terrestre, mais par la miséricorde et la grâce de Dieu. L’autorité ecclésiastique a simplement approuvé la glorification du nouveau saint dans l’Eglise et son invocation dans la prière».
Dans son archidiocèse européen, Vladika Jean se montra tel qu’il avait brillé à Shangaï -plus extraordinaire peut-être, compte tenu des difficultés de la mission. S’intéressant avec une sollicitude paternelle à tous ceux qui oeuvraient, en France, en Hollande, en Espagne pour le retour des peuples d’Occident à l’orthodoxie, il leur apporta son aide généreuse. Aux coeurs sincères qui voulaient entrer dans l’Eglise orthodoxe, il ouvrit évangéliquement la porte. Il préférait assurer, fût-ce dans des conditions difficiles, le gardiennage du troupeau plutôt que de laisser se perdre «un seul de ces petits qui croient» dans le Christ selon la foi pure et immaculée des orthodoxes.
Ceux qui l’ont connu nous ont transmis le témoignage de ses vertus, et tout d’abord de son amour de la rigueur dans tout ce qui touchait à l’ordre de l’Eglise. Durant un des offices de la Grande Semaine, il arriva qu’un laïc lisait une péricope de l’Ecriture qui lui parut un peu longue. Songeant que s’il tournait deux pages au lieu d’une, personne ne s’en apercevrait, il sauta un long passage ; mais ne put échapper à la vigilance de l’Archevêque debout au milieu de l’Eglise. Vladika fit entendre un petit «tst» désapprobateur et se mit à réciter de mémoire tout ce que le lecteur négligent avait omis -ce qui lui servit de leçon pour le reste de sa vie.
Un autre jour, alors qu’il arrivait de voyage, à peine il eut posé sa valise, qu’il se rendit à l’autel, pour voir si les prêtres qui avaient célébré en son absence avaient bien replié l’antimension sans laisser aucune miette.
Il fit un examen diligent d’une liturgie composée selon «le rite de saint Germain» pour savoir si elle méritait d’être appelée orthodoxe et célébrée comme telle. Nous tenons de la personne qui lui apporta le texte de cette liturgie en latin, en français et en russe, les détails suivants. Les séances duraient tard dans la nuit et quoique le Père Métrophane signalât qu’il était temps d’y mettre fin, Monseigneur Jean continuait sa lecture et son entretien. Il comparait avec diligence le texte latin et le texte français, signalant que ce dernier n’était pas une traduction de celui-là. Enfin, il constata que l’anaphore de ladite liturgie de saint Germain n’était rien d’autre que celle de la liturgie de saint Jacques qu’il célébrait lui-même tous les ans lors de la fête de l’Apôtre. Lorsque, pour cette raison, il eut donné sa bénédiction pour célébrer ce rite dit de saint Germain, la personne qui avait tant oeuvré pour le faire agréer était elle-même persuadée que ce rite ne représentait qu’une composition arbitraire, sans justification profonde...
Du temps qu’il présidait aux destinées du diocèse européen, Vladika prit divers décrets qui montrent l’amour de l’ordre ecclésiastique qui l’habitait et qu’il désirait transmettre aux serviteurs de l’autel, puis à tous les fidèles. Il rappelait que, durant les offices, personne ne doit parler, si ce n’est pour les besoins du service, et brièvement ; et il faisait appliquer avec soin cette règle dans le sanctuaire.
Une seconde éminente vertu de Monseigneur Jean était sa faculté de toujours être présent là où la lutte l’attendait. Il traversait la vie à la fois tout présent à la terre et à son entourage et, en même temps, au-dessus d’eux. Il était dans le monde sans être du monde. Il voyagea beaucoup, dans toute l’Europe. Souvent ses occupations lui créaient du retard ; plusieurs fois aussi, inexplicablement, les avions ou les trains qui devaient l’emmener prenaient, eux aussi, un retard suffisant pour que Vladika Jean pût les emprunter. Tout tournait à l’avantage du serviteur de Dieu.
Un jour, une de ses filles spirituelles, Zénaïde, s’était rendue au monastère de Lesna, établi alors à Provémont, en Normandie : Monseigneur Jean devait y célébrer la liturgie le lendemain matin. Elle s’était préparée pour la communion, lisant les prières préparatoires dans la soirée. Au matin, comme elle achevait ses prières, elle entendit un remue-ménage et apprit que l’Archevêque devait brusquement se rendre à Paris. Voyant que la liturgie n’aurait pas lieu au monastère, Zénaïde, dans son amertume, appela dans son coeur le secours de l’Archevêque : «Prends-moi avec toi» pensait-elle. Soudain les moniales vinrent la chercher : il fallait qu’elle-même se rendît d’urgence à Paris, où sa famille l’attendait. Or, il n’y avait aucun train à cette heure-là. Zénaïde prit donc rapidement place aux côtés de l’Archevêque dans la voiture, qui partit accompagnée du chant des moniales recommandant les voyageurs à la protection de leur ange gardien. Arrivé à Paris, Vladika célébra la liturgie et Zénaïde communia. Elle ressentit une joie infinie, la grâce surabondante... Alors seulement, ivre d’allégresse, elle retourna chez elle... où non seulement personne ne l’attendait, mais où sa famille s’étonna de la voir rentrer si tôt du monastère !
Vladika Jean se rendait parfois à Montpellier, pour y célébrer et aussi visiter un de ses frères qui s’y trouvait hospitalisé. Dans le train, il restait debout dans le couloir, en seconde classe, un sac de terre sainte pendant à son cou ; le moment venu, il célébrait les offices des heures. Il lui arriva de passer deux jours pleins à visiter les grands cimetières de la ville, cherchant, tombe par tombe, les noms des orthodoxes éventuellement enterrés là et qui attendaient ses prières. Un jour, descendant la rue, il ouvrit soudain sa valise et, dépliant ses ornements, commença de célébrer sur le trottoir l’office des défunts. Deux jours auparavant, à cet endroit, un motocycliste avait trouvé la mort ; mais nulle trace de l’accident ne subsistait. Qui, sinon l’Esprit Saint, l’en avait averti ?
La famille française qui l’accueillait savait qu’il ne mangeait que très peu, des légumes, une fois par jour, et qu’il demandait, pour la nuit, un fauteuil. Il ne s’y reposait guère pourtant ; une nuit, ils l’entendirent marcher sans cesse à travers toutes les pièces, priant et bénissant la demeure de ses hôtes.
La troisième haute vertu de Monseigneur Jean était son charisme de directeur des âmes. Il lisait dans les coeurs à livre ouvert et de sa bouche coulaient les paroles d’édification. Un Russe nommé Alliocha le suivait comme son père spirituel. Un jour, cet Alliocha vit s’ouvrir pour lui la possibilité d’un travail mieux payé et d’une carrière dans un des métiers du cinéma. Il s’en alla voir l’Archevêque et lui posa la question : «Que me conseilles-tu, Vladika ? Me donnes-tu ta bénédiction pour changer de métier ? Dois-je accepter cette offre, ou non ?» Alors -racontait Alliocha- sans me regarder, Vladika me dit : «Si cela ne fait point de mal à ton âme, pourquoi pas ?» Rentrant en moi-même, je songeai que ce nouvel emploi comportait de grands risques pour mon âme, et je ne les pris pas.
«Il est impossible, dit saint Jean Chrysostome, d’être bon de force» et les saints de Dieu, sans jamais accepter un rôle de dictateur infaillible ni participer au péché d’autrui, savent renvoyer chacun à cette liberté que le Créateur nous a donnée, «fardeau» pour les hommes, mais sans laquelle le salut ne serait pas.
Vladika Jean donnait ses conseils également par écrit. Un nombre croissant de fidèles lui écrivait. Il postait toujours lui-même ses lettres, sans oublier de faire le signe de croix sur elles. A Paris, la boîte aux lettres qui se trouvait non loin de son Eglise ayant été déplacée, Monseigneur Jean, de retour d’Amérique, se faisant accompagner de la fidèle Zénaïde, s’en alla asperger d’eau bénite la nouvelle boîte. Quand il souhaitait à quelqu’un sa fête, il écrivait la lettre le jour même où l’on célébrait le saint, sans céder à la coutume qui consiste à envoyer ses voeux à l’avance. Il n’oubliait personne ; aux moments de découragement, ses connaissances recevaient soudain un petit mot griffonné par lequel l’Archevêque les assurait de ses prières. Que d’enseignements il savait prodiguer en peu de mots ! Voici un billet qu’il écrivit à une de ses fidèles, Olga Makarova : «Le 24 février/9 mars 1954. Découverte du Précieux Chef de Saint Jean le Précurseur. A vous Olga, qui êtes dans l’affliction : que le Seigneur vous aide et vous guérisse. Le Seigneur permet nos souffrances pour que nous sentions notre faiblesse et que nous recherchions avec plus de ferveur la Source de tous biens, notre Créateur Qui donne à chacun ce qui lui convient. Que le Seigneur vous redonne donc des forces. J’ai déjà prié pour vous et je recommencerai durant la Divine Liturgie. Que le Seigneur vous pardonne aussi toutes vos transgressions. Allez vous confesser et recevez la Communion aux Saints Mystères. Que la Bénédiction du Seigneur soit avec vous, avec votre soeur Sophia et aussi avec votre nièce Gaïda pour qu’elle guérisse. Jean, Votre Archevêque».
Tout dans Vladika Jean, et jusqu’à son humour, était une manière d’enseignement. Certaines personnes ayant déposé auprès des autres évêques une plainte à propos de Monseigneur Jean parce qu’il marchait les pieds nus, le Saint Synode s’en émut. Il enjoignit à l’Archevêque de porter désormais des chaussures. Les paroissiens lui en offrirent une paire. L’on vit alors Vladika, poursuivant son ascèse, se mettre à circuler, une boîte de chaussures sous le bras. Et quand, après une nouvelle plainte, le Synode l’en eut réprimandé, il déclara qu’il mettrait les chaussures, en ajoutant pour se justifier : «Vous m’aviez dit de les porter...»
En 1962, Monseigneur Jean fut placé par le Synode à la tête du diocèse de San Francisco en Amérique du Nord. En effet, des dissensions déchiraient la communauté, formée en grande partie des anciens fidèles de Shangaï, et empêchaient les travaux de la grande cathédrale dédiée à la Mère de Dieu Joie des Affligés. L’archevêque retrouvait son troupeau de naguère, et des peines analogues à celles qu’il avait connues. Monseigneur Jean ramena la paix et acheva le temple, mais non sans douleurs. Accusé d’avoir couvert un détournement des fonds paroissiaux, il dut se justifier devant un tribunal civil, qui le reconnut innocent. A quelqu’un qui lui demandait qui était responsable de ces troubles et de ces divisions, Monseigneur Jean répondit brièvement : «Le démon». Il n’attribuait pas aux hommes ses malheurs et, en conséquence, ne gardait rancune à personne. Les paroles prononcées lors de son sacre épiscopal par Monseigneur Antoine trouvaient leur terme : Vladika Jean rencontrait l’ingratitude, les calomnies, la persécution, mais comme l’Apôtre, «injurié, il bénissait, calomnié, il parlait avec bonté» et nulle amertume n’avait la force de diminuer le soin qu’il prenait de son troupeau.
Le récit de L.A. Lu est un témoignage éloquent sur ces années de persécutions : «A San Francisco mon mari eut un accident de voiture et en sortit gravement blessé ; il ne pouvait plus contrôler son équilibre et en souffrait atrocement. A cette époque, Monseigneur lui-même avait beaucoup d’ennuis. Je connaissais la force de ses prières et je me disais : si j’invitais Vladika à venir voir mon mari, il le guérirait sûrement ; mais je n’osais le faire car il était très occupé. Deux jours passèrent quand tout à coup Vladika fit irruption chez nous en compagnie de M. B.M. Troyan qui l’avait conduit en voiture. Vladika ne resta chez nous que cinq minutes mais j’avais confiance que mon mari guérirait. C’était le moment le plus pénible de sa maladie et après la visite de l’évêque, il eut une crise à la suite de laquelle il commença de se rétablir ; il devait vivre encore quatre ans... Plus tard, je rencontrai B.M. Troyan dans une réunion de la paroisse et il me dit qu’il conduisait Vladika à l’aéroport lorsque, soudain, celui-ci lui avait dit : «Allons maintenant chez Lu». Il avait objecté qu’il risquait de manquer l’avion et qu’il ne pouvait pas à l’instant précis faire demi-tour en voiture. Alors Monseigneur lui avait dit : «Pouvez-vous prendre sur vous la responsabilité de la vie d’un homme ?» Il n’y avait rien à répliquer et il dut conduire Monseigneur chez nous. Néanmoins, Vladika ne manqua pas son avion car l’on en retarda le décollage à cause de lui...»
La prière de Vladika Jean transcendait l’espace et le temps. Tandis qu’il se trouvait aux U.S.A., son familier, le Père Métrophane, resté à Paris, eut un jour recours à lui. Voici comme il le raconte lui-même : «Aux confins de Paris, dans une grande impasse, gîtait, à l’écart, une paroisse de notre Eglise Russe Hors Frontières dédiée à Tous les Saints de Russie. Cette impasse était une rangée de garages, ou plutôt d’abris pour automobiles. Trouver un emplacement convenable pour une église dans la capitale se révélant difficile, l’on avait décidé de louer ces garages. Il n’avaient ni fondation, ni plafond, ni fenêtre, ni aération ; outre l’humidité, le froid régnait. Aucun habitant dans l’impasse, aucun téléphone près de l’église ni dans la ruelle (...) Il arriva que je tombai assez malade un jour d’hiver, avant une grande fête. Je pris toutes sortes de médicaments, mais rien n’y fit. Je restai ainsi quatre jours durant. Ma faiblesse était telle, que je n’avais pas la force de me lever ; néanmoins, je sentais très bien que l’une des douze grandes fêtes de l’Eglise était proche. Il n’existait qu’une seule paroisse de l’Eglise Russe Hors Frontières à Paris. Les fidèles s’en venaient non seulement de tous les coins de Paris, mais aussi de banlieue. Or la veille de la fête approchait et moi, j’étais cloué au lit. En outre, je me trouvais sans aide, seul dans une maison à un étage. Dans quelques heures seulement, il me faudrait prendre le train pour aller à l’église et commencer les Vigiles, et je ne pouvais même envoyer quelqu’un mettre une note sur la porte pour prévenir que j’étais malade et qu’il n’y aurait pas d’office ce jour-là. Je m’imaginais mes pauvres paroissiens, venus de loin, plantés, en ce jour désolé, dans le froid, la confusion et la tristesse, devant les portes closes de l’église -en vain. J’étais dans l’effroi. Que faire ? Soudain, comme un rayon de lumière dissipe l’obscurité, mes tristes réflexions furent chassées par un trait lumineux : j’avais omis la chose la plus importante, je ne m’étais pas tourné vers Monseigneur Jean pour implorer son secours. Il vivait alors en Amérique, à San Francisco, cherchant des fonds pour son précédent troupeau, afin de construire une église à Paris. Dès que je me souvins de lui, je sentis immédiatement un afflux de force. Je me levais, ce dont j’étais incapable jusque-là, m’assis à ma table et commençai la lettre suivante : «Cher Vladika, je t’écris une lettre non pour t’accabler ou t’affliger. J’ai été malade presque toute la semaine, cloué au lit, mais demain est une grande Fête pour l’Eglise, et dans quelques heures, il faudra que j’aille célébrer les Vigiles. Je suis absolument sans force. Aussi, j’ai la ferme conviction que, dès que je t’aurai écrit cette lettre, je serai en bonne santé».
La boîte aux lettres était en bas, contre le mur de notre maison. Je m’habillai prestement, descendis l’escalier et postai ma lettre ; j’avais oublié mon mal comme s’il n’eût jamais existé et je remontai dans ma chambre avec entrain. Je pris le nécessaire pour célébrer et, tout-à-fait remis, je me rendis à l’église. L’évêque avec son coeur infiniment aimant, tel un père, avait entendu l’appel affligé de son fils spirituel et, comme bien des années plus tôt, il s’était empressé de l’aider. Il m’avait entendu encore, malgré les onze mille kilomètres qui nous séparaient. Ayant brisé les barrières du temps et de l’espace, ce saint Père m’avait non seulement entendu, de quelque endroit qu’il fût, mais dans le moment même, il m’avait également procuré la grâce de Dieu ; la force et la santé étaient entrées en moi à flots, triomphant ainsi de toutes les lois de notre nature humaine et de notre existence terrestre».
A San Francisco, Monseigneur Jean demeurait dans une petite cellule de l’asile Saint-Tykhon-de-Zadonsk. Il continuait de prendre un soin tout particulier des enfants et des adolescents. Lisons plutôt le sermon qu’il adressa aux orphelins de Saint-Tykhon en 1952, alors qu’il se trouvait en Europe, à l’occasion de la fête de l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu :
«Mes chers enfants !
Dès aujourd’hui, nous chantons dans les offices de l’Eglise : «Le Christ est né, rendez-Lui gloire !» C’est pour nous l’annonce de la venue du Seigneur et une invitation à nous préparer pour Le rencontrer. Que signifie cette préparation ? Elle signifie qu’il faudrait conditionner notre âme de telle sorte qu’elle puisse devenir, pour ainsi dire, une crèche pour le Christ. La fête doit nous y aider. A la fin de ce carême de la Nativité, l’Eglise célèbre tout particulièrement les trois Adolescents et Daniel le Prophète, qu’elle nous offre comme des modèles à imiter. Et comment sont-ils devenus illustres ?
Voyez-vous, tout jeunes encore, ils furent élevés à la cour du roi Nabuchodonosor et, dès leur enfance, ils se privèrent de tous les mets superflus de la table royale, ne mangeant que des légumes pour ne pas transgresser la Loi de l’Eglise de l’Ancien Testament. Voyant que leur abstinence et leur obéissance à la Loi de Dieu était si grande, le Seigneur les récompensa et leur donna une sagesse par laquelle ils surpassèrent leurs pairs. Par l’expérience du jeûne, leur âme fut affermie et ainsi, ils eurent la force de refuser d’obéir au roi qui leur ordonnait de se prosterner devant une idole. Et lorsqu’à cause de ce refus, les trois Adolescents furent jetés dans une fournaise ardente et Daniel dans la fosse aux lions, le Seigneur les préserva de tout mal. On chante d’ailleurs tous les jours aux Matines des hymnes qui nous remémorent la vaillance de ces Adolescents et les désignent comme des exemples pour nous.
Mes enfants ! Vous vous trouvez aujourd’hui devant une situation identique à celle des Adolescents de Babylone. Nous sommes entourés de gens qui ne connaissent pas l’Eglise Orthodoxe et qui ne se soumettent pas à ses lois. Vous avez un choix à faire : soit vous vous gavez de toutes les nourritures interdites par l’Eglise, soit comme Ananias, Misaël et Azarias, vous rejetez librement ce qui est interdit. Quel parti prenez-vous : voulez-vous suivre l’exemple de ces divins Adolescents ou préférez-vous marcher avec ceux qui s’opposent à eux ? Voulez-vous marcher dans la voie large en dédaignant toutes les règles ? Il a fallu beaucoup de maturité et une grande force de caractère à ces enfants pour accomplir les Lois de l’Eglise et les Traditions patristiques : après tout, ils n’étaient que quatre face à une multitude innombrable d’incroyants ! Et pour cela, le Seigneur, dans Sa miséricorde, les a glorifiés devant le monde entier et pour tous les siècles. Le Seigneur récompensera aussi chacun d’entre vous de la même manière si vous suivez l’exemple de ces enfants.
Chaque fois que vous êtes tentés de vous faire plaisir en mangeant la même nourriture que ceux qui ne connaissent pas les lois divines de l’Eglise du Christ, souvenez-vous de Daniel et des trois Adolescents ; et répondez ensuite à cette question : êtes-vous avec eux, êtes-vous prêts à les suivre pour être sous la protection divine, ou préférez-vous la jouissance des choses agréables qui peut-être, paraissent innocentes, mais qui font de nous les transgresseurs de ce qui rendit les Adolescents forts, glorieux et invincibles ? Avec qui êtes-vous mes enfants et qui voulez-vous suivre ?
Que le Seigneur vous protège des tentations et qu’Il vous affermisse. Que saint Tykhon de Zadonsk vous enseigne à marcher dans la voie droite.
Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous tous, mes chers enfants.
Votre archevêque Jean qui vous aime».
Cette homélie montre quelle conscience aigüe Monseigneur Jean avait des difficultés rencontrées par les orthodoxes dans la «Babylone» des rites et des coutumes du monde.
La veille du dimanche 19 octobre/2 novembre 1964, où l’Eglise devait, pour la première fois, célébrer solennellement la mémoire de saint Jean de Cronstadt, Monseigneur Jean constata, aux Vêpres, l’absence de beaucoup de paroissiens. En effet, ce dimanche coïncidait avec la fête catholique de tous les saints et une tradition veut que la veille, les forces du mal célèbrent leur propre cérémonie noire, appelée Halloween. Déguisés en diables et en sorciers, les jeunes s’adonnent à des danses et à des réjouissances qui sont une parodie du christianisme. Or un groupe de Russes avaient organisé une telle mascarade. Après l’office vespéral, Monseigneur Jean dit à son fidèle acolyte, Paul Loukianoff : «Maintenant, emmène-moi au bal». Avec son bâton d’évêque à la main, Monseigneur Jean fit irruption dans la pièce et, lentement, foudroyant du regard l’assistance, sans prononcer un mot, il fit le tour de la pièce. La musique avait cessé. Sous le regard de leur maître, les yeux de la conscience s’ouvraient et chacun des danseurs connaissait qu’il était nu spirituellement. Le lendemain, en chaire, Vladika Jean, cet ange de douceur, tonna tel un nouveau Moïse chantant le cantique de pénitence. Saint Tykhon de Zadonsk avait, en son temps, mit fin de même, par sa seule présence, à une célébration païenne.
Il est trop tôt pour énumérer tous les fruits de l’oeuvre missionnaire de l’Archevêque Jean, mais l’on peut affirmer que son exemple, ses paroles et ses miracles ont jeté de profondes racines dans bien des endroits du monde. Prédicateur de la Diaspora russe et missionnaire de l’Occident, Monseigneur Jean annonce clairement dans sa vie le temps où il n’existera plus aucune structure ni étatique ni sociale qui puisse s’appeler «orthodoxe». Les orthodoxes du monde entier, qu’ils appartiennent à des pays d’ancienne culture orthodoxe, à des pays tombés dans l’hérésie ou dans l’athéisme, ou à des pays païens ne doivent-ils pas tous affronter la grande apostasie et la culture unique qui recouvrira le monde ? «Malheur à celles qui seront enceintes en ces jours-là» c’est-à-dire aux âmes qui, connaissant la Vérité qui sauve, ne la prêcheront pas. Monseigneur Jean La prêchait à temps et à contretemps ; il n’avait pas soin de lui-même, l’Eglise universelle était son seul souci.
De ce désintéressement sublime, il donna une preuve supplémentaire en 1964, quand le Métropolite Anastase dut se retirer. Les évêques réunis pour élire son successeur partagèrent leurs voix entre deux candidats, dont Monseigneur Jean. Celui-ci, néanmoins, persuada le plus jeune d’entre les hiérarques, Monseigneur Philarète, d’accepter la redoutable charge. Et, rejetant l’un et l’autre des deux candidats, les évêques du Synode élirent à l’unanimité celui que la Providence leur désignait par l’entremise de Vladika Jean.

Dormition et glorification de Vladika Jean

Ayant gardé la foi et combattu le bon combat, Vladika achevait maintenant sa course terrestre. Dieu lui révéla l’heure de son départ de ce monde. Au printemps de 1966, comme il s’entretenait avec le directeur de l’orphelinat Saint-Tykhon d’une réunion diocésaine qui devait avoir lieu à trois ans de là, il précisa : «Alors, je n’y serai plus». En mai 1966, une femme qui connaissait Vladika depuis douze ans et dont le témoignage, au dire du Métropolite Philarète, est digne de toute confiance, fut stupéfaite de l’entendre dire : «Je vais mourir bientôt, fin juin... non à San Francisco, mais à Seattle». L’adieu qu’il fit au Métropolite Philarète lors du dernier synode où ils se virent sortait de l’ordinaire : au lieu de s’asperger lui-même d’eau bénite, à la suite d’un moleben, Vladika Jean demanda à Monseigneur Philarète de le faire et il lui embrassa les mains sans lui laisser baiser la sienne. A la veille de son départ pour Seattle, quatre jours avant sa mort, il dit à un fidèle : «Tu n’embrasseras plus ma main désormais». Le samedi 19 juin/2 juillet 1966, il célébra la liturgie, puis resta trois heures dans le sanctuaire. Il passa ensuite quelque temps chez un fidèle, Yury K. Khruschoff, qui l’interrogea, entre autres, sur son prochain voyage au Canada. «Dieu seul, répondit-il, sait ce qui va m’arriver aujourd’hui ou demain». Il retourna vers l’église -il devait aller voir un malade avec l’icône de la Mère de Dieu de Koursk- et rendit quelque temps après le dernier soupir dans sa cellule, devant l’icône miraculeuse. Vladika Jean s’était endormi comme son saint patron Jean de Tobolsk.
Des pannykhides eurent lieu d’abord à Seattle, puis à San Francisco où le corps de Vladika fut ramené dès le lendemain de sa mort. «Dès le premier jour de la vigile, il apparut qu’il ne s’agissait pas d’un adieu ordinaire, même s’agissant d’un hiérarque. Nous avions l’impression d’assister à la révélation d’un mystère, le mystère de la sainteté. Tous les présents étaient ardemment convaincus d’être venus pour enterrer un saint. Dans toutes ces journées, il y eut une extraodinaire effusion d’amour...» écrit un témoin de ces jours mémorables.
L’évêque Ignace Brianchaninov, dans ses Pensées sur la mort, écrit : «Avez-vous vu le corps d’un juste que son âme a quitté ? Nulle odeur de décomposition ne s’en dégage ; il n’y a point de crainte à l’approcher. Lors de ses funérailles, le chagrin se dissout dans une inexplicable joie». Cette joie, continue saint Ignace, est un signe que «le défunt a obtenu du Seigneur grâce et miséricorde». Ces impressions, tous ceux qui accompagnèrent avec piété l’Archevêque Jean au lieu de son repos les ressentirent.
A peine Monseigneur Jean se fut-il endormi, que des miracles manifestèrent sa sainteté à l’univers, confirmant les sentiments des pieux fidèles. Ceux qui venaient lire les psaumes dans la crypte de la cathédrale de la Mère de Dieu Joie des Affligés, à San Francisco, repartaient le coeur illuminé, et voyaient leur demande exaucée : l’un trouvait la guérison, un autre une épouse, le troisième du travail, certains mêmes étaient guidés vers la vraie foi par la prière du hiérarque. Une infirmière devenue aveugle d’un oeil vint supplier le saint ; ouvrant une nuit au hasard le saint Evangile, elle tomba sur le miracle de l’aveugle-né et s’exclama : «Seigneur, si seulement je pouvais aller en Terre Sainte, laver mes yeux au réservoir de Siloé, ou du moins obtenir ne fût-ce qu’une goutte de cette eau, je verrais de nouveau !» Au matin, elle retourna au sépulcre du saint Archevêque, où une inconnue lui dit qu’elle revenait de Terre Sainte, apportant une bouteille d’eau de Siloé, et que le Métropolite lui-même viendrait le lendemain célébrer la liturgie dans la crypte. Le désir de la jeune femme s’exauçait : après avoir communié et appliqué de l’eau sur ses yeux malades, la vue lui fut rendue par Celui qui ouvre les yeux des aveugles.
Grand est le nombre de ces miracles... souhaitons qu’à la gloire du saint ils soient un jour tous racontés par écrit. En 1993, des évêques examinèrent les reliques de Monseigneur Jean et les trouvèrent incorrompues ; et une grande cérémonie de glorification eut lieu le 19 juin/ 2 juillet 1994. En canonisant saint Jean Maximovitch, l’Eglise Russe Hors Frontières confirmait le sentiment unanime des chrétiens pieux et orthodoxes. Dès avant cette date, les fidèles orthodoxes le vénéraient, peignaient son icône, donnaient son nom à leurs enfants... Reprenant les mots qu’il adressait aux fidèles lors de la glorification de saint Jean de Cronstadt, l’on pourrait dire que la sainteté de Jean ne sera mise en doute par aucun de ceux qui croient à la sainteté...
A la sainteté et à la lumière. Peu après la dormition de saint Jean, plusieurs fidèles l’ont contemplé en songe -ou en vision- environné de la lumière de la Résurrection. Ainsi, le Père Amvrossy P., qui ne l’avait aperçu qu’une fois de son vivant, le vit revêtu des ornements de Pâques, éclatant de lumière ; il encensait la cathédrale et lui lança ce cri de joie tout en le bénissant : «Heureux !» Un autre de ses proches, directeur de l’orphelinat Saint-Tykhon de Zadonsk, rêva d’une foule transportant le cercueil de Vladika dans l’église Saint-Tykhon ; saint Jean ressuscita et, se tenant au centre des portes royales, dit à la foule : «Dites au peuple : quoique mort, je suis toujours vivant !»
Par les prières de notre saint Père Jean de Shangaï et de San Francisco, Seigneur Jésus Christ Notre Dieu ait pitié de nous !


Tropaire, Ton 5

Ta sollicitude pour ton troupeau dans son exil a préfiguré les prières que tu fais monter sans cesse pour le monde entier. Ayant connu ton amour, nous avons confiance, O hiérarque Jean. Pleinement sanctifié par Dieu dans la célébration des très purs mystères et t’étant, par eux, fortifié toi-même, tu t’empressais vers les souffrants, médecin réconfortant. Hâte-toi de nous secourir, nous aussi qui t’honorons de tout coeur.

Kondak, Ton 4

Par tes affectueuses prières, O hiérarque Jean, ton coeur se répand sur ceux qui célèbrent ta vie remplie de labeurs et ta facile dormition sans douleur, fidèle serviteur de la Toute-pure Conductrice.


Note sur les sources

La présente biographie a été composée principalement à partir des livres suivants :
- Bishop Savva, Blessed John. The Chronicle of the veneration of Archbishop John Maximovitch, Platina, Californy, Saint Herman of Alaska Brotherhood, 1979. Ecrit par l’évêque Savva d’Edmonton, qui fit connaître la vie et les miracles de saint Jean, ce livre contient aussi l’hymne acathiste à saint Jean Maximovitch.
- Father Seraphim Rose and Abbot Herman, Blessed John the Wonderworker. 3rd ed. Platina, 1987.
- Archbishop John Maximovitch, The Orthodox Veneration of the Mother of God. Tr. by F.Seraphim Rose, St Herman of Alaska Brotherhood, 1987.
- Man of God. Saint John of Shangaï and San Francisco, compiled by Archpriest Peter Perekrestov, Nikodemos Orth. Pub. Society, Redding, CA, 1994.
Les textes en anglais ont été traduits par Sylvie Dubuisson, qui prépare l’édition des miracles, et par Jean Béziat. Nous avons également mis à profit les témoignages de personnes qui ont connu l’Archevêque, tels Joëlle Tarroux, Lazare Audié et Jean-Joseph Bernard. Que tous soient remerciés de leur collaboration. Signalons que la revue du Père Quentin, La Voie Orthodoxe, a publié dans son numéro 7 (Lyon, 1995) une vie.
QUATRIEME DE COUVERTURE Dispersé de par le monde après la Révolution de 1917, le grand troupeau du peuple russe avait une mission : faire connaître à tous la foi juste et salutaire. Telle fut l'idée féconde du saint Evêque Jean Maximovitch ( 1896-1966), surnommé l'Apôtre de l'Occident, qui ramena beaucoup d'âmes dans le bercail de l'Eglise orthodoxe. Son ouvrage sur la Mère de Dieu retrace l'histoire des hérésies qui ont, au cours des siècles, attaqué le mystère central du christianisme. Il montre la victoire de l'Eglise sur ces systèmes " humains trop humains". Alors que le Pape vient de célébrer le cent cinquantième anniversaire du dogme de l'Immaculée Conception, ce livre rappelle, humblement mais fermement, que l'Eglise orthodoxe le rejette comme contraire au dépôt révélé, aux Conciles et aux Pères. Ce livre est complété de deux appendices : le premier donne un aperçu des poèmes que l'Eglise offre à la Toute Sainte, le second donne la vie de saint Jean Maximovitch, proclamé saint en 1994.

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