DEUXIEME PARTIE
LA PAPAUTE HERETIQUE
I
L'HERESIE DU FILIOQUE
Cette
hérésie est relative au dogme de la sainte Trinité. Personne ne
conteste que, dans l'Eglise romaine, on a ajouté au symbole de
Nicée, après les mots : qui procède du Père, ceux-ci : et du
Fils.
Ces mots
renferment-ils une hérésie formelle, c'est-à-dire une doctrine
opposée à celle qui a été admise dès l'origine de l'Eglise?
Est-il vrai que la doctrine romaine soit une erreur destructive du
dogme d ela Trinité? S'il en est ainsi, cette erreur formera une
hérésie dont la papauté sera principalement responsable.
Nous
reconnaissons que l'addition au symbole a été faite d'abord en
Espagne au VIIe siècle; que l'Eglise de France travailla activement
à sa propagation au VIIIe siècle; que le pape Léon III s'opposa à
l'addition. Mais il n'en est pas moins vrai que, un siècle environ
après, la papauté admit cette addition et que son exemple la
consacra pour l'Occident tout entier.
Ce
sont là des faits historiques sur lesquels nous n'avons pas à nous
étendre, car ils ne sont contestés par aucun théologien sérieux.
Le
principal argument dont on s'est servi pour excuser l'addition faite
au symbole, c'est que les mots filioque n'expriment que l'ancienne
foi, et que, de tout temps, les Eglises particulières ont joui du
droit de compléter le symbole.
Le
symbole primitif, disent les théologiens latins, et principalement
le P. Perrone, a reçu des additions en diverses Eglises, sans que
pour cela l'unité entre ces Eglises ait été rompue (209).
(209)
: ( Perrone, Tract. de Trinit., c. V, proposit.2).
L'Eglise
romaine a donc pu ajouter au symbole de Nicée le filioque sans que
les Grecs aient raison de réclamer.
Ce
raisonnement est faux de tout point. D'abord, il n'y a pas eu de
symbole primitif avec une formule admise universellement. Chaque
Eglise principale avait son symbole; dans tous les symboles sont
exprimées les mêmes doctrines fondamentales du christianisme, et
les différences qui existent entre eux, quant aux expressions,
n'altèrent point le fond d ela doctrine qui était le même dans
toutes les Eglises.
Il
est donc faux de dire qu'un symbole primitif universellement admis a
été modifié en quelques points secondaires dans certaines Eglises
particulières.
Alors que
ce fait serait vrai, l'addition du filioque n'en serait pas moins
illégitime pour deux raisons : d'abord elle a été faite malgré
une défense formelle du concile oecuménique d'Ephèse qui a décrété
que l'on n'ajouterait rien au symbole tel qu'il était reçu de son
temps; de plus, parce que cette addition renferme une grave erreur.
Sans doute,
dans le cas où une hérésie nouvelle demanderait une nouvelle
attestation de la foi constante de l'Eglise, un concile oecuménique
aurait le droit d'insérer au symbole les mots nécessaires à la
profession exacte et explicite de l'ancienne foi. Mais tel n'est pas
le cas de l'addition des mots filioque introduits dans le symbole par
une Eglise particulière, celle d'Espagne, qui n'avait pour cela
aucune autorité. Si l'Eglise de France s'est ensuite prononcée pour
la même addition, et si, enfin, Rome consentit à l'admettre après
plus d'un siècle d'hésitation et entraîna dans l'erreur le reste
des Eglises occidentales, tout cela ne forme pas la voix de l'Eglise
universelle constatant sa foi antique. L'addition étant
exclusivement occidentale est par là même illégitime et constitue
une violation flagrante d'une loi émanant de l'autorité de l'Eglise
elle-même par l'organe du concile oecuménique d'Ephèse.
L'addition
des mots filioque au symbole est d'autant plus illégitime qu'ils
renferment une erreur destructive du dogme de la Trinité, dogme qui
forme la base du christianisme.
Depuis que,
en Occident, on eut admis l'addition, on s'efforça de prouver que la
doctrine dont elle est l'expression était celle des premiers siècles
et de toute l'Eglise primitive. On cita des textes nombreux que l'on
eut soin d'interpréter dans un sens favorable à la thèse qu'on
voulait soutenir.
Ces
textes peuvent être classés en trois catégories : les premiers
sont absolument controuvés; les seconds sont altérés
essentiellement; les troisièmes sont mal interprétés.
Un
docte théologien, Zoernicaw, a consacré sa vie à l'examen de tous
les textes relatifs à cette discussion. Le résultat de ses
recherches a été que l'Eglise orientale avait raison; que les
Eglises occidentales ne pouvaient se prévaloir de l'antique
tradition. Ce résultat le conduisit à un autre : celui de la vérité
de l'Eglise orientale dans laquelle il entra, après avoir abjuré
les erreurs du protestantisme.
Nous
n'entreprendrons pas certainement de refaire le travail de Zoernicaw.
Mais il est nécessaire, pour convaincre la papauté d'hérésie
touchant le dogme de la Trinité, de constater quelle a été la
doctrine antique, et quelle est celle qu'elle soutient aujourd'hui.
Pour bien
comprendre les textes des Pères dont on a prodigieusement abusé sur
cette question, il faut d'abord exposer la doctrine générale sur la
Trinité, d'après les plus anciens monuments doctrinaux de l'Eglise.
La voici :
En Dieu
unique, il y a trois personnes et une seule essence. Les trois
personnes ont donc quelque chose de commun et quelque chose de
distinct. Ce qui est commun, c'est ce qui est essentiel; ce qui est
distinct, c'est ce qui est personnel; l'attribut personnel et
distinctif du Père, c'est qu'il est Père ou principe; l'attribut
personnel et distinctif du Fils, c'est qu'il est Fils ou engendré;
l'attribut personnel et distinctif du Saint-Esprit, c'est qu'il
procède ou émane.
De
qui procède-t-il? Saint Jean, dans son Evangile, dit positivement
qu'il procède du Père (Joann.XV, 26). Il ne pourrait en effet
procéder du Fils sans que le Fils fût principe comme le Père; si
le Fils était principe à un degré quelconque, il participerait à
l'attribut personnel et distinctif du Père; sa personne se
confondrait avec celle du Père, et le dogme trinitaire n'existerait
plus, puisqu'il n'existe qu'à la condition que chaque attribut
personnel reste distinct et incommunicable.
Tous les
textes des Pères allégués par les théologiens latins et dont ils
abusent ne peuvent se rapporter qu'à ce qui est essentiel dans la
Trinité; leur faux raisonnement consiste en ce qu'ils font les font
rapporter, à l'aide de sophismes subtils et souvent
incompréhensibles, à ce qui est personnel, sans vouloir être
convaincus qu'en agissant ainsi ils affirment que tous les Pères
ont, ou nié le dogme fondamental du christianisme, ou manqué
d'intelligence au point de soutenir une vérité qu'ils détruisaient
en réalité par leurs raisonnements.
Parmi les
Pères Latins, celui dont on a le plus abusé et qui, il faut le
reconnaître, fournissait les textes les plus précis en faveur du
dogme romain, est le bienheureux Augustin, évêque d'Hippone. Dans
ses Traités sur saint Jean et son Traité de la Trinité, il semble
si précis en faveur de la procession du Père et du Fils, qu'on le
prendrait pour un moderne défenseur de cette erreur. Cependant, il
n'en est rien, et c'est le bienheureux Angustin lui-même qui
l'atteste dans une phrase que les défenseurs de l'erreur romaine se
sont bien gardés de citer.
Après
s'être étendu fort longuement sur les relations essentielles qui
existaient entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, le docte
écrivain s'exprime ainsi, à la fin de son Traité de la Trinité
(210) :
(210)
: ( Saint August., De Trinit., § 47).
"Le
Saint Esprit procède du Père principalement ( comme de son
principe); il procède de l'un et l'autre communément. S'il
procédait du Fils principalement, on dirait qu'il est le fils du
Père et du Fils, puisque les deux l'auraient engendré, CE QUI
REPUGNE AU BON SENS. Le Saint-Esprit n'a donc pas été engendré par
l'un et l'autre, mais il procède de l'un et l'autre étant l'esprit
des deux."
En
lisant saint Augustin, après avoir médité cette maxime, on
comprend parfaitement que le mot procéder est pris par lui en deux
sens : avoir son origine de et sortir de. Dans le premier sens, il
est contraire au bon sens de dire que le Saint-Esprit procède du
Fils; dans le second sens, le Saint-Esprit vient du Père au Fils qui
l'envoie en ce monde, le communique au monde.
Saint
Augustin soutient ces deux doctrines que principalement ( comme de
son principe) le Saint-Esprit ne procède que du Père; que le Fils
ne le tient que du Père (211).
(211)
: ( Ibid. Tract. XCIX, in Joann., § VI et sq).
Il
contredit ainsi positivement la doctrine romaine : que le
Saint-Esprit procède du Père et du Fils, comme d'un principe
unique; ou par le Fils, comme le moyen par lequel il aurait agi.
En
comparant et en rapprochant les divers textes de saint Augustin sur
le même sujet, on voit sans aucune difficulté qu'on n'a pu en faire
un partisan de l'erreur cachée sous le filioque qu'en interprétant
dans un sens erroné un mot qu'il entendait dans un sens orthodoxe.
Il
y a une double expression, dans les Pères, pour exprimer les
relations du Saint-Esprit avec le Père et le Fils. Les Pères grecs
ne se servent que d'expressions conformes à celles de l'Evangile (
ekporeuesthai, ekporeusis, ekporeuma), pour désigner la procession
du Père comme principe de l'Esprit. Ils emploient d'autres mots qui
n'ont que le sens de communication pour signifier l'action du Fils
envoyant l'Esprit qu'il tenait du Père.
Nous le
prouverons dans la suite d ece travial.
Il
en est de même dans les pères Latins qui se servent des mots fons,
spiratio, ou autres analogues pour dire que le Saint-Esprit vient du
Fils; mais qui réservent le mot processio pour exprimer l'acte
éternel par lequel l'Esprit procède du Père comme de son principe.
Nous le
prouverons également.
Toute
l'habileté des théologiens latins consiste en ce qu'ils
interprètent dans le sens de procession éternelle, tous les mots
employés par les Pères pour exprimer, soit la relation éternelle
et essentielle qui existe entre le Fils et le Saint-Esprit, soit
l'envoi ou la mission du Saint-Esprit par le Fils. C'est au moyen de
ce procédé qu'ils ont pu revendiquer la tradition catholique qui
les condamne formellement.
Après ces
considérations générales, nous allons entrer dans un examen plus
précis de la doctrine des Pères de l'Eglise, afin de constater
quelle a été la foi primitive, à laquelle nous comparerons ensuite
la doctrine romaine.
Avant de
citer les textes où les Pères ont enseigné, soit comme échos de
la foi de leur temps, soit comme théologiens, il sera bon de faire
connaître le sens qu'ils ont attribué aux textes de l'Ecriture,
cités par les Occidentaux à l'appui de leur opinion. De cette
manière, nous interpréterons l'Ecriture d'après la règle
catholique, et les commentaires des docteurs de l'Eglise nous
initieront à leur vraie doctrine.
L'Ecriture
contient ce texte :
"
Lorsque le consolateur, l'Esprit de vérité qui procède du Père,
et que je vous enverrai de la part de mon Père, sera venu, il rendra
témoignage de moi." ( Saint Jean, XV, 26). Est-il vrai que
cette expression : qui procède du Père, désigne la procession
éternelle du Saint Esprit, et non pas son envoi temporaire? S'il
désignait son envoi temporaire, il faudrait admettre que le Sauveur
a exprimé la même idée par les mots : qui procède et je vous
enverrai. Or, il suffit de remarquer que l'action de procéder est
exprimée par un verbe au présent comme un acte qui existe, et que
la seconde est exprimée par un verbe au futur, comme un acte qui
n'existe pas encore, pour être convaincu que Jésus-Christ a eu en
vue deux actes différends : le premier qui a le Père pour principe,
le second dont lui-même est l'agent de la part du Père. La
procession éternelle du Père et l'envoi temporaire, du Père par le
Fils, sont donc fort clairement indiqués dans le texte cité.
Jésus-Christ a toujours désigné de la même manière l'envoi ou la
communication de l'Esprit : " Il vous donnera un autre
consolateur." (Jean, XIV, 16.) " Mon père l'enverra en mon
nom." ( Ibid., 26) " Je vous l'enverrai de la part de mon
Père." (Ibid., XIV, 26.)
Voici les
commentaires des Pères de l'Eglise :
Saint
Basile de Césarée s'exprime ainsi : " L'Esprit de Dieu procède
du Père, c'est-à-dire de sa bouche; ne le prends donc pas pour
quelque chose d'extérieur, de créé, mais glorifie-le comme tenant
de Dieu son hypostase." (Homél. sur le Ps.XXXII.) Le saint
évêque de Césarée entend donc bien, par le mot procéder, l'acte
éternel par lequel le Saint-Esprit est produit. Dans son Homélie
contre les Sabelliens, il donne le même sens au mot procéder : "
Le Fils, dit-il, est sorti du Père, et l'Esprit procède du Père :
l'un par génération, l'autre d'une manière inexprimable." Il
met ainsi sur la même ligne les deux actes éternels du Père, en
les distinguant parfaitement l'un d el'autre et en ne leur donnant
que le Père pour principe.
"
En restant dans les limites qui nous ont été posées, dit saint
Grégoire le Théologien ( serm. 29, sur la tjéologie), nous
prêchons Celui qui n'est pas né, Celui qui est né, et Celui qui
procède du Père, comme le Verbe-Dieu l'a dit lui-même."
Saint
Grégoire entendait donc de l'acte éternel, le mot procéder
prononcé par Jésus-Christ, et il attribue cet acte au Père seul.
Saint Jean
Chrysostome est aussi explicite :
"De
même, dit-il ( 212), qu'il est écrit : l'Esprit de Dieu (Matth.,
XII, 28), et ailleurs ; l'Esprit qui est de Dieu (I Corinth., II,
11), ainsi il est dit : l'Esprit du Père ( Matth., X, 20);
(212)
: ( Homélie sur le Saint-Esprit. Quelques érudits contestent
l'authenticité de cette homélie que d'autres regardent comme très
authentique. Les premiers, tout en prétendant qu'elle n'est pas du
saint patriarche de Constantinople, conviennent qu'elle est digne d
elui et d'un écrivain de la même époque. Cet aveu suffit pour
qu'on puisse en appeler à son témoignage.)
et
pour que tu ne voies pas là une simple analogie, le Sauveur confirme
cette expression en disant : " Lorsque le Consolateur, l'Esprit
de vérité, qui procède du Père, sera venu." Là, c'est de
Dieu que l'Esprit procède; ici, c'est du Père. Comme il dit en
parlant de lui-même : " Je suis sorti de Dieu," (Jean,
XVI, 27), ainsi il atteste, en parlant du Saint-Esprit, qu'il procède
du Père. Par conséquent, l'Esprit est à la fois, et l'Esprit de
Dieu, et l'Esprit qui vient de Dieu le Père, et il procède du Père.
Que signifie le mot procéder? Jésus-Christ ne dit pas: est
engendré. Le Fils est engendré par le Père; le Saint-Esprit
procède du Père. Quelle est la valeur du mot procède? Afin que
l'on ne prenne pas l'Esprit pour le Fils, l'Ecriture n'emploie pas le
mot est engendré, elle dit qu'il procède du Père, elle le
représente procédant comme l'eau de sa source. Qui est-ce qui
procède? Le Saint- Esprit. Comment? Comme l'eau de sa source. Si
saint Jean, en rendant témoignage du Saint-Esprit, le nomme eau vive
(Jean, VII, 38), et si le Père dit de lui-même : Ils m'ont
abandonné, moi qui suis une source d'eau vive (Jean, VII, 38), et si
le Père dit de lui-même : Ils m'ont abandonné, moi qui suis une
source d'eau vive (Jér., II, 13), le Père est la source du Saint-
Esprit, parce que l'Esprit procède de lui."
On ne
pouvait mieux fixer le sens des paroles du Sauveur : Qui procède du
Père.
On
peut affirmer que tous les Pères les ont ainsi entendues de l'acte
éternel en vertu duquel l'Esprit est produit, et le deuxième
concile oecuménique les a interprétées de la même manière en les
insérant dans le symbole pour exprimer cet acte éternel.
Les
interpréter autrement, c'est non seulement torturer le texte en
lui-même, mais se séparer de la tradition catholique, et préférer
son interprétation individuelle à l'interprétation collective de
l'Eglise.
Les
théologiens occidentaux qui n'osent soutenir que les paroles de
Jésus-Christ ne se rapportent pas à l'acte éternel qui produit le
Saint-Esprit, prétendnet que le Sauveur, en disant, qui procède du
Père, n'a pas exclu le Fils, parce que le Père et le Fils ont la
même essence. Si la raison des Occidentaux est bonne, il faut en
conclure que le Saint-Esprit procède aussi de lui-même, puisqu'il a
la même essence que le Père et le Fils. Si l'on attribue à
l'essence divine ce qui fait précisément la distinction des
personnes, il faudra admettre que les actes propres du Père sont
communs au Fils et au Saint-Esprit, et réciproquement; on détruira
ainsi complètement le mystère de la sainte Trinité. Les
théologiens occidentaux n'auraient pas commis leur étrange méprise
s'ils avaient connu ces belles paroles de saint Grégoire de Nazianze
: " L'éternité et la divinité sont communes au Père, au Fils
et au Saint-Esprit; mais il appartient au Fils et au Saint-Esprit de
tenir leur être du Père. L'attribut distinctif du Père, c'est de
ne pas être né; celui du Fils, d'être engendré; celui de
l'Esprit, de procéder." ( Grég. Naz., Sem. 25). Attribuer à
une personne l'attribut qui en distingue une autre, c'est confondre
deux personnes et détruire la Trinité. Ecoutons encore saint
Grégoire de Nazianze : " Si le Fils et l'Esprit sont coéternels
au Père, pourquoi ne sont-ils pas comme lui sans principe? Parce
qu'ils sont du Père, quoiqu'ils ne soient pas après le Père."
Le
Saint-Esprit est la troisième personne, dit le P. Perrone, le Fils
est donc avant lui dans l'ordre de la production, et a contribué à
sa procession. N'est-ce pas là nier ouvertement la coéternité des
trois personnes divines? N'est-ce pas placer dans le temps la
procession du Saint-Esprit; faire par conséquent du Saint-Esprit une
simple créature? C'est à de pareils blasphèmes que les théologiens
occidentaux ont été conduits par leurs efforts pour éluder les
paroles la sainte Ecriture.
Il
suffit, du reste, de comparer entre elles toutes les paroles de
Jésus-Christ pour voir que, chaque fois qu'il parle de l'envoi du
Saint-Esprit, il l'attribue au Père et à lui-même; mais qu'en
parlant de la procession, il ne l'attribue qu'au Père, il ne
mentionne que le Père. N'est-il pas évident qu'il établit ainsi
une différence essentielle entre l'envoi qui est commun au Père et
au Fils, et la procession qui appartient au Père seul.
Les
théologiens occidentaux ont fait presque tous ce raisonnement à
propos des paroles du Sauveur : " Je vous l'enverrai, etc"
: Si le Fils envoie l'Esprit, c'est qu'il procède de lui. De ce
raisonnement, il suivrait qu'une personne, dans la Trinité, ne
pourrait être envoyée par une autre, sans en procéder. Alors, il
faudrait dire que le Fils procède de l'Esprit puisqu'il a été
envoyé par lui, selon cette parole d'Isaïe que Jésus-Christ s'est
appliquée à lui-même : " L'Esprit du Seigneur est sur moi;
c'est pourquoi il m'a sacré et m'a envoyé évangéliser, etc. (
Luc, IV, 18)." Les saints Pères ont considéré l'envoi comme
un acte commun au Père, au Fils et au Saint-Esprit, à cuase d
el'unité d'essence qui existe entre eux; c'est pourquoi l'envoi du
Père est attribué au Saint-Esprit et au Père, et l'envoi du
Saint-Esprit au Père et au Fils; mais ils n'attribuent qu'au Père
la procession du Saint-Esprit et la génération du Fils. Les mêmes
docteurs de l'Eglise n'ont considéré l'envoi que par-rapport à la
manifestation AD EXTRA soit du Fils, soit du Saint-Esprit, car la
divinité est une et ne peut être envoyée séparément. Cette
doctrine de la tradition catholique confond tous les faux
raisonnements des partisans de la procession ex Filio. Citons les
textes de quelques Pères sur les deux points ci-dessus énoncés.
Saint Jean
Chrysostome : " Quand tu entends dire au Christ : Je vous
enverrai l'Esprit, ne prends pas cela au point de vue de la divinité,
car Dieu ne peut être envoyé." Zoernikaw a cité une foule
d'autres textes analogues tirés des Pères, ainsi que sur l'envoi du
Fils par le Saint-Esprit. Saint Ambroise résume ainsi parfaitement
cette doctrine de l'Eglise : " C'est le Père avec l'Esprit qui
envoient le Fils, c'est de même le Père avec le Fils qui envoient
l'Esprit. Si donc le Fils et l'Esprit s'envoient l'un l'autre, comme
les envoie le Père, ce n'est pas l'effet d'une dépendance
quelconque mais d'une communauté de pouvoir." ( De Spirit.
Sanct., lib. III, c.1.) Le même docteur s'exprime ainsi dans un
autre ouvrage : " Le Fils a dit : Qui procède du Père; c'est
en vue de l'origine ( propter originem); il a dit : Je vous
l'enverrai; c'est en vue de la communauté et d el'unité de
l'essence." ( Lib. de Symb., c,10.) Saint Jérôme s'exprime d
ela même manière : " le Saint-Esprit qui procède du Père, et
qui, par communauté d'essence, est envoyé par le Fils."
(Comment., XVI, in Jerem., 57). Saint Cyrille d'Alexandrie dit aussi
: " Le Fils donne l'Esprit comme sien à cause de l'unité de
son essence avec l'essence du Père." ( In Joann., c.10.)
On
doit remarquer que la sainte Ecriture n'attribue au Père aucun acte
ad extra qu'il n'ait fait par le Saint Esprit ou par le Fils. C'est
pourquoi les Pères ne parlent que de l'envoi du Fils et du
Saint-Esprit et en donnent pour principe le Père agissant avec
l'Esprit à l'égard du Fils et avec le Fils à l'égard de l'Esprit,
à cause de la communauté de l'essence.
Le
Père est ainsi la cause première de l'envoi, comme il est le
principe unique et éternel du Fils par génération et d el'Esprit
par procession. Ces deux actes lui sont attribués exclusivement,
tandis que l'envoi ou l'acte ad extra lui est attribué en communauté
soit avec le Fils, soit avec l'Esprit.
Les
partisans de la procession ex Filio n'ont pas voulu voir dans les
monuments de la tradition catholique cette double action du Père
avec le Fils et du Père avec l'Esprit. Ils n'ont voulu voir que la
première, l'ont confondue avec l'opération éternelle, exclusive au
Père, comme principe unique, et lui ont appliqué le raisonnement de
la communauté d'essence, sans s'apercevoir qu'en raisonnant ainsi
ils détruisaient la Trinité, comme nous l'avons démontré
précédemment. De là les textes qu'ils ont cités à faux pour
appuyer leur système erroné.
A
la lumière de la tradition catholique, les faux raisonnements élevés
sur ces mots : Je vous l'enverrai, etc., disparaissent comme une
ombre.
Il
en est de même de ceux que l'on a construits sur ces autres paroles
du Sauveur : " L'esprit recevra de ce qui est à moi... Tout ce
qu'a mon Père est à moi." (S. Jean, XVI, 12-15.) Si tout ce
que possède le Père, le Fils le possède aussi, disent les
théologiens occidentaux, il a donc, comme le Père, l'attribut de
faire procéder le Saint-Esprit; donc le Saint-Esprit procède de lui
comme du Père, et il a reçu de lui l'être, comme du Père.
D'abord,
ces théologiens n'ont pas remarqué que les verbes dont se sert
Jésus-Christ pour exprimer les actes de l'Esprit, sont au futur : il
recevra. Si cet acte se rapporte à son être, il ne l'avait donc pas
reçu lorsque le Sauveur parlait. Peut-on soutenir une pareille
absurdité? Dès qu'il devait recevoir du Fils dans le futur, ce
n'était pas son existence, donc on ne peut conclure de ces
expressions, "il recevra de moi", qu'il procède de lui.
D'un autre côté, si l'on entend de manière absolue ces mots : tout
ce qu'a mon Père est à moi, il n'y a rien qui les distingue l'un de
l'autre; on confond leur personnalité. Dès que l'on admet la
distinction des personnes du Père et du Fils, on admet qu'il y a un
arribut personnel qui distingue le Père du Fils; il faut donc
entendre de ce sens restreint les paroles de Jésus-Christ, ou bien
nier la Trinité. Or, quel est l'attribut personnel qui distingue le
Père des deux autres personnes, si ce n'est celui en vertu duquel il
les produit? Si l'on donne cet attribut au Fils ou à l'Esprit, on
les confond avec le Père et l'on détruit la Trinité. Les paroles
de Jésus-Christ se rapportent donc à l'essence divine qu'il a reçue
du Père et non à l'attribut qui distingue le Père des deux autres
personnes.
C'est ainsi
que les Pères de l'Eglise ont enendu les paroles de Jésus-Christ.
Didyme d'Alexandrie s'exprime ainsi ( Lib. II. De Spirit. S.) : "
Le mot recevra doit s'entendre dans un sens qui convienne à la
nature divine. Par conséquent, comme le Fils, en donnant, ne se
dépossède point de ce qu'il communique, ainsi l'Esprit ne reçoit
rien qu'il n'eût auparavant." Saint Cyrille d'Alexandrie
exprime la même pensée (Lib. XXI, in Joann.) : " Ce que le
Saint Esprit devait recevoir du Fils, c'était la doctrine; il ne
devait pas la recevoir comme quelque chose de nouveau pour lui, mais
cette doctrine qui est du Père, le Fils était envoyé par le Père
et l'Esprit pour l'annoncer au monde, et l'Esprit était envoyé par
le Père et le Fils pour la répandre dans les esprits, avec la
conviction." Saint Jean Chrysostome développe aussi cette
pensée : " Jésus dit : Il recevra de ce qui est à moi,
c'est-à-dire : ce que j'ai dit, il le dira de même. Quand il
parlera, il ne parlera pas de son chef, il ne dira rien de contraire
à ce que j'ai dit; rien de son propre fonds; il dira seulement ce
qui est de moi. De même qu'en parlant de sa personne, le Sauveur
disait : Je ne parle point de moi-même, c'est-à-dire, je ne dis
rien que ce qui est au Père, rien qui me soit propre, rien qui lui
soit étranger, ainsi faut-il l'entendre également du Saint-Esprit.
Cette expression : De ce qui est à moi signifie : de ce que je sais,
de ma science, car ma science et celle d el'Esprit sont une seule et
même chose. Il recevra de ce qui est à moi signifie : il parlera
d'accord avec moi. Tout ce qu'a le Père est à moi; or, comme cela
est à moi et que l'Esprit parlera des choses qui sont au Père, par
conséquent, il parlera de ce qui est à moi." ( S. Chrys., Hom.
in Joann.)
Il
est évident que, d'après la tradition catholique, il ne s'agit
point, dans les paroles de Jésus-Christ, de la procession du
Saint-Esprit. Aussi les Pères n'y ont-ils vu qu'une preuve de la
consubstantialité des personnes divines, de l'unité d'essence,
conformément à ce passage de saint Athanase : " Tout ce qu'a
le Père étant également propre au Fils, celui-ci est considéré
avec raison comme étant consubstantiel au Père. C'est en prenant la
chose dans ce sens, que les Pères reconnurent, au concile de Nicée,
le Fils comme consubstantiel au Père et de substance même." (
Ath., Epist. ad Serap.) " Tout ce qu'a le Père, dit saint
Grégoire le Théologien, le Fils l'a aussi, excepté d'être cause
ou principe." (Greg., Serm., 34.) Pourquoi cette exception?
Parce que l'attribut de principe unique est précisément son
attribut distinctif et personnel. " Nous croyons, dit saint
Cyrille, que le Fils est coéternel au Père et qu'il a tout en
commun avec le Père, excepté de produire." ( Cyrill., Dialog.
II ad Herm.) Telle est la doctrine traditionnelle, et l'on ne peut
donner un autre sens aux paroles du Sauveur sans renier la règle
catholique de l'interprétation de la sainte Ecriture, et sans faire
violence au texte.
Plusieurs
partisans de la doctrine de la procession ex Filio citent en faveur d
eleur thèse quelques autres textes des saintes Ecritures, et les
interprètent à leur manière, sans tenir compte du sens qu'on leur
a toujours attribué dans l'Eglise. Ils n'ont pas voulu voir qu'en
agissant ainsi, ils s'exposaient à mettre leurs propres pensées au
lieu et place de la doctrine révélée, qui est un dépôt, et qui
ne peut être par conséquent constatée que par la voix universelle,
unanime et constante de la société chrétienne; qu'en laissant de
côté cette voix, ils s'exposent à attribuer à Dieu leur propre
doctrine erronée.
Parmi les
textes cités à faux par les partisans du Filioque se trouve
celui-ci, tiré de l'Epître aux Galates : " Parce que vous êtes
enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'esprit de son Fils qui crie
: Père! Père!" ( Galat., IV, 6.) Sur quoi, ils raisonnent
ainsi : L'Esprit est appelé Esprit du Père (Matth., X, 20), parce
qu'il procède du Père; s'il est appelé Esprit du Fils, c'est qu'il
procède aussi du Fils.
On
peut d'abord observer que dans le texte cité, il ne s'agit pas de
l'hypostase du Saint-Esprit; mais seulement de l'Esprit humain
enrichi, grâce à la rédemption du Dieu-Homme, des dons du
Saint-Esprit.
On
peut faire remarquer ensuite que l'Esprit est appelé Esprit du Père,
non seulement parce qu'il procède de lui, mais aussi parce qu'il lui
est consubstantiel. En ce sens, il est l'Esprit du Fils aussi bien
que l'Esprit du Père, puisque le Père, le Fils et le Saint-Esprit
ont la même substance. Les partisans du Filioque supposent donc
gratuitement que le Saint-Esprit n'est l'Esprit du Père que parce
qu'il en procède, afin d'établir sur cette supposition la
procession ex Filio. Or, leur raisonnement, comme l'assertion sur
laquelle il repose, sont contraires à l'enseignement des Pères de
l'Eglise.
"
Si le Saint-Esprit, dit saint Jean Chrysostome (hom. in Pentec.) est
appelé tantôt Esprit du Père, tantôt Esprit du Fils, ce n'est
point pour confondre le Fils avec le Père, mais pour signifier
l'indivisibilité de l'essence divine." - " A cause de
l'identité de nature, dit saint Jérôme (In Epist. ad Gal.), le
Saint-Esprit est appelé indifféremment l'Esprit du Père et
l'Esprit du Fils." - " C'est assez, dit saint Augustin, que
le chrétien croie au Père, au Fils engendré par le Père, à
l'Esprit Saint procédant du même Père, mais qui est en même temps
l'Esprit du Père et du Fils." (Aug., Euch., c. IX.)
Telle est
la foi parfaitement et clairement exprimée. Le Père, comme
principe; le Fils engendré du Père; l'Esprit procédant du même
Père, telle est la foi qui suffit, d'après saint Augustin; il y
ajoute : qu'il faut croire que le Saint-Esprit est l'Esprit du Père
et du Fils, mais non comme une conséquence de la procession.
Pourquoi alors? Parce que selon le sentiment commun des Pères, le
Saint-Esprit a la même essence que le Père et le Fils.
Les
Pères, qui n'ont point entendu les expressions Esprit du Fils dans
le sens d'identité d'essence, les ont interprétées de cette
manière : que le Saint-Esprit est l'Esprit du Fils parce que ce
dernier l'a envoyé dans le monde. "Que l'Esprit procède de
Dieu, dit saint Basile, l'apôtre le confesse clairement lorsqu'il
dit : Nous n'avons point reçu l'Esprit du monde, mais l'Esprit de
Dieu; mais il montre avec évidence que l'Esprit a été manifesté
par le Fils, lorsqu'il le nomme l'Esprit du Fils." ( Bas. Cont.
Eun., lib. 5.) Le même saint ( De Spirit.S., c. 18) dit positivement
: " L'Esprit est aussi nommé Esprit du Christ, parce qu'il lui
est uni en essence." Ses deux interprétations ne se
contredisent point, et aucune des deux ne favorise la procession ex
Filio. Saint Jean Damascène a parfaitement résumé ainsi
l'enseignement traditionnel : " Nous adorons le Saint-Esprit
comme Esprit de Dieu le Père, c'est-à-dire, procédant de lui; nous
l'adorons aussi comme Esprit du Fils, parce que c'est par lui qu'il
apparut et fut communiqué à la créature, et non pas parce qu'il
tient de lui l'hypsotase ou l'existence." (Damasc., Orat. de
Sabb.)
D'après ce
qui précède, on comprend cet autre texte de saint Paul tiré de
l'Epître aux Romains (XIII, 9) : " Vous ne vivez pas selon la
chair, mais selon l'esprit; car si quelqu'un n'a pas l'Esprit de
Jésus-Christ, il n'est point à lui." Il est évident que le
mot esprit de Jésus-Christ est employé ici dans un sens purement
moral; si on veut l'entendre rigoureusement de la personne du
Sain-Esprit, on sait, par les textes que nous avons cités, comment
les Pères d el'Eglise ont entendu ces mots : esprit du Père, esprit
du Christ. Du reste, les meilleurs théologiens occidentaux n'ont
point eu recours aux textes tirés des Epîtres aux Galates et aux
Romains, pour appuyer leur système sur la procession ex Filio. Ils
ont compris qu'il ne s'y agissait même pas de la personne du
Saint-Esprit. L'opposition que fait saint Paul entre les hommes qui
vivent selon la chair et ceux qui vivent selon l'esprit est trop
claire pour que les théologiens tant soit peu sérieux puissent se
tromper sur le sens de l'apôtre. Cependant, quelques théologiens y
ont eu recours, voilà pourquoi nous nous y sommes arrêté.
Après
avoir expliqué, d'après les Pères, les textes de l'Ecriture
relatifs aux relations entre les trois personnes de la très-sainte
Trinité, nous devons citer les passages les plus importants dans
lesquels les Pères ont parlé comme théologiens, afin qu'il ne
reste aucun doute sur la doctrine primitive par rapport à la
Procession du Saint-Esprit.
Plusieurs
Pères établissent que le Saint-Esprit procède du Père, sans
mentionner le Fils.
Saint
Basile : " Comme le Verbe créateur affermit les cieux, de même
l'Esprit qui est de Dieu, qui procède du Père, nous a apporté avec
lui et d elui-même toutes les forces qui sont dans le Père."
Dans le même texte, saint Basile explique la procession par
l'expression : sorti de sa bouche, afin que l'on n'entende pas par
cet acte quelque chose d'extérieur ou de créé.
Saint
Grégoire le Théologien : "L'Esprit est vraiment l'Esprit-Saint
qui procède du Père, non pas cependant comme le Fils, car il ne
procède pas par génération, mais par procession. " (Sermon
39.)
Saint Jean
Chrysostome : " Les sectateurs de Macedonius ne voulaient pas
croire que le Saint-Esprit, qui procède du Père d'une manière
ineffable, fût Dieu." ( Hom. in Ps. CXV.)
Saint
Ephrem : " Le Saint-Esprit n'est point engendré, il procède de
l'essence du Père, non imparfait et non confondu avec elle, car il
n'est ni le Père ni le Fils, mais l'Esprit-Saint." (Serm. de
Confess.)
Saint
Epiphane : " Quoiqu'il y ait beaucoup d'esprits, cet Esprit est
infiniment au-dessus des autres, car il a de toute éternité
l'existence du Père même, et non d'aucun être créé... C'est
d'une seule et même divinité que sont le Fils et le Saint-Esprit :
le Fils étant engendré par le Père, et l'Esprit procédant du
Père." ( Heres. LXXIV.)
Saint
Cyrille d'Alexandrie : " Nous croyons aussi à l'Esprit-Saint...
procédant du Père, non engendré; car il n'y a qu'un seul Fils
unique et non créé... Nous savons qu'il procède du Père, mais
nous ne cherchons point à approfondir comment il procède, restant
dans les limites que nous ont tracées les théologiens et les
bienheureux." (De S. Trinit., C. 19.)
Ainsi la
foi primitive, d'après saint Cyrille, consiste à admettre : le Fils
engendré par le Père, le Saint-Esprit procédant du Père.
Saint
Ambroise : " Si tu nommes le Père, tu nommes en même temps et
son Fils et l'Esprit de sa bouche... Si tu nommes l'Esprit, tu nommes
également le Père de qui l'Esprit procède, et le Fils, parce qu'il
est aussi l'Esprit du Fils." ( De Spirit.S., lib. 1, c. 3.)
Comme on
voit, saint Ambroise ne fait point d'acte éternel en vertu duquel
l'Esprit procède du Père la base de cette autre vérité : que
l'Esprit est l'Esprit du Fils.
Saint
Hilaire de Poitiers : " Viendra le Consolateur que le Fils
ENVERRA du Père; c'est l'Esprit de vérité qui procède du Père."
( De Trinit., lib.VIII, § 19).
Saint
Augustin : " Les Ariens disent le Fils engendré par le Père et
le Saint-Esprit créé par le Fils; mais ils ne trouvent cela nulle
part dans la sainte Ecriture; car le Fils dit lui-même que
l'Esprit-Saint sort du Père... Il est vrai que le Père a donné à
tout l'existence et que lui-même il n'a rien reçu de personne; mais
il ne s'est point donné d'égal, excepté le Fils engendré par lui,
et le Saint-Esprit qui procède de lui." (Cont. Arian., c. 21,
29.)
C'était
bien le cas, pour saint Augustin, d'opposer aux Ariens l'action du
Fils dans la procession de l'Esprit, s'il y eût cru. Mais le saint
docteur n'y croyait pas.
Plusieurs
Pères, en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père,
mentionnent un acte du Fils, différent de la procession, par rapport
au Saint-Esprit.
Voici
quelques-uns de leurs textes :
Saint
Athanase : " S'ils ( les hérétiques) raisonnaient bien sur le
Fils, ils le feraient aussi bien sur le Saint-Esprit qui procède du
Père et qui, étant propre au Fils ( son allié), est accordé par
lui à ses disciples comme à tous ceux qui croient en lui."
(Ath., Epist., ad Serap., 1, 2.)
Le saint
évêque d'Alexandrie distingue donc entre les deux actes du Père et
du Fils par rapport à l'Esprit. En quel sens l'Esprit est-il propre
au Fils ou l'allié du Fils? Il l'explique plus bas, dans le même
ouvrage, en disant que c'est parce qu'ils ont en commun l'essence
divine. Il affirme donc ces trois vérités de la foi : 1° l'Esprit
procède du Père; 2° il est accordé par le Fils aux croyants; 3°
le Fils et le Saint-Esprit sont consubstantiels au Père, et
possèdent également l'essence divine.
Saint
Basile ( Cont. Eunom., lib. 5) : " Que l'Esprit soit de Dieu,
c'est ce qu'annonce clairement l'apôtre en disant : Nous n'avons
point reçu l'Esprit du monde... mais l'Esprit de Dieu (I Cor., II,
12); qu'il ait été manifesté par le Fils, c'est ce que l'apôtre
montre avec évidence en le nommant aussi Esprit du Fils."
Ainsi
l'Esprit est du Fils non parce qu'il en procède, mais parce qu'il a
été manifesté par lui. Saint Basile ajoute d'ailleurs ( De Spirit.
Sanct., c.18) : "L'Esprit est de Dieu non pas comme tout est de
Dieu, mais comme procédant de Dieu; procédant, non par génération
comme le Fils, mais comme esprit de la bouche de Dieu... Il se nomme
aussi Esprit du Christ en tant qu'il est uni au Christ par essence."
Le
Saint évêque de Césarée professe ainsi les trois vérités
enseignées par celui d'Alexandrie, et les distingue parfaitement
l'une de l'autre.
Saint
Grégoire de Nysse ( Adv. Eunom., lib.1) : " Figurons-nous, non
point un rayon du soleil, mais un soleil qui, provenant d'un autre
soleil non engendré, brillerait avec lui, en tirant de lui son
existence... puis, une autre lumière semblable, et pareillement
simultanée avec la lumière engendrée, brillant avec elle, mais
tenant la cause de son existence de la lumière primitive."
Voilà bien
le Fils exclu de l'acte en vertu duquel la troisième lumière ou
l'Esprit a l'existence.
Saint
Cyrille d'Alexandrie : " Pour formuler, touchant la Divinité,
une idée saine et conforme à la vérité, nous disons que Dieu le
Père engendre le Fils qui lui est consubstantiel... et produit le
Saint-Esprit qui vivifie tout, procède du Père d'une manière
ineffable et est accordé à la créature au moyen du Fils."
(Cont. Jul., lib.IV.)
Euloge
d'Alexandrie, que le pape saint Grégoire le Grand appelait son père
et son maître, s'exprime ainsi dans son cinquième discours : "
En vérité, Dieu est un... Le Fils connu dans le Père et le Père
dans le Fils, l'Esprit procédant du Père, et ayant le Père pour
principe, mais descendant sur la créature par le Fils, selon la
bonne volonté de ceux qui le reçoivent."
Les Pères
d'Occident sont d'accord avec ceux d'Orient dans l'enseignement des
mêmes vérités.
Saint
Hilaire de Poitiers : " C'est du Père que procède l'Esprit de
vérité, mais c'est par le Fils qu'il est envoyé du Père."
(De Trinit., lib. VIII, § 20.)
Saint
Ambroise : " Le Seigneur dit dans l'Evangile : Lorsque le
consolateur, l'Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu,
il rendra témoignage de moi. Par conséquent, l'Esprit procède du
Père et rend témoignage du Fils." (De Spirit. Sa,ct., lib.1.)
Saint
Jérôme : " Le Saint-Esprit sort du Père et, à cause de la
communauté de nature, est envoyé par le Fils." (Comment, in
Isa., lib.XVI, § 57.)
Saint
AUgustin : " Il suffit aux chrétiens de croire... que Dieu est
Trinité, le Père et le Fils engendré par le Père, et le
Saint-Esprit procédant de ce même Père, mais seul et même Esprit
du Père et du Fils." (Ench., c. 9.)
Le
saint docteur enseigne ici ce qui est de foi; un point de foi est que
le Saint-Esprit procède du Père, comme le Fils est engendré du
Père; un autre point : c'est que l'Esprit est l'Esprit du Père et
du Fils, mais il n'en tire pas une conclusion contraire à la
première vérité qu'il établit : que le Saint-Esprit procède du
Père. L'évêque d'Hippone a parfaitement distingué l'acte du Père
dans la procession éternelle, de l'acte du Fils dans la mission
temporaire du Saint Esprit.
Les
Pères enseignent que dans la divinité il n'y a qu'un principe
unique, lequel, par une double action analogue, engendre le Fils et
produit le Saint-Esprit. Voici quelques passages dans lesquels ils
établissent cette vérité :
L'auteur
connu sous le nom de saint Denis l'Aréopagite : " Il n'y a
qu'une seule source de divinité : Le Père. Ainsi, le Père n'est
point le Fils, et le Fils n'est point le Père, et à chacune des
personnes divines reviennent des louanges particulières... Nous
avons appris de la Sainte Parole que la Divinité en sa source est le
Père, mais que Jésus et l'Esprit sont, pour ainsi dire, des
branches divinement plantées de la divinité née de Dieu. On dirait
des fleurs et des lumières naturelles; mais comment cela, C'est ce
qu'on ne saurait ni dire ni représenter." ( De Div. Nom., C. 2,
§§ 5-7.)
Origène :
" Il faut comprendre que le Fils et le Saint-Esprit émanent de
la même source de Paternelle divinité. ( Comment. In Epist. ad
Rom., c.5.) " C'est de cette source que viennent, et le Fils qui
est né et l'Esprit qui procède." ( De Princip., lib. 1, c. 2.)
Saint
Athanase : " Nous croyons à une seule et même divinité de la
Trinité, venant du Père seul." (Epist. ad Serap;, § 28.) Dans
la même lettre, saint Athanase n'attribue qu'au Père seul les
qualifications de principe de la Divinité et non deux principes :
voilà pourquoi il y a en Dieu monarchie (monarchia, unité de
principe)."
Saint
Basile : " Le Père a une existence parfaite; il est racine et
source du Fils et du Saint-Esprit... Quoiqu'on dise que tout est de
Dieu, il n'y a proprement de Dieu que le Fils sorti du Père, et
l'Esprit procédant du Père; le Fils est de Dieu par génération,
et l'Esprit, d'une manière ineffable." (Homil; cont. Sabell.,
§§ 4-7.)
Saint
Grégoire le Théplogien : " Si le Fils et le Saint-Esprit sont
coéternels au Père, pourquoi ne sont-ils pas comme lui sans
principe, Parce qu'ils sont du Père, quoique non après le Père."
(Serm. sur la théologie.)
Saint
Augustin : " C'est du Père que reçoit l' Esprit, c'est aussi
du Père que reçoit le Fils; car, dans cette Trinité, le Fils est
engendré par le Père, et l'Esprit procède du Père; le Père seul
n'est engendré de personne et ne procède de personne." (Tract.
C. in Joann.)
"
Quand le seigneur dit : Je vous l'enverrai DE MON PERE, il indique
que l'Esprit est du Père et du Fils; car, après avoir dit : Mon
Père vous l'enverra, il ajoute : en mon nom; mais il ne dit point :
Mon Père vous l'enverra de ma part, comme il dit : Je vous
l'enverrai DE LA PART DE MON PERE, marquant ainsi que le principe de
toute divinité, ou plutôt de toute la divinité, c'est le Père."
( De Trinit., lib. IV, C. 20, § 29.)
Le saint
évêque d'Hippone pouvait-il expliquer plus clairement qu'en disant
que le Saint-Esprit est du Fils il n'entendait pas qu'il en procédait
comme d'un principe, mais qu'il en venait seulement ad extra, comme
nous l'avons exposé?
Dans un
autre ouvrage ( Cont. Maxim;, lib. II, C. 14, § 1), saint Augustin
dit encore : " C'est du Père qu'est le Fils; c'est aussi du
Père qu'est le Saint-Esprit; il est CELUI de qui il procède."
Saint Augustin n'a pas dit de ceux.
Saint
Paulin de Nole : " Le Saint-Esprit et le Verbe de Dieu,
également Dieu l'un et l'autre, demeurent dans le même chef, et
viennent du Père leur unique source, le Fils par génération, et
l'Esprit par procession; ils conservent chacun leur attribut
personnel, et sont différents plutôt que divisés entre eux."
( Epit. 3, ad Amand.)
Nous avons
encore à mentionner les Pères qui reconnaissent que le Saint-Esprit
procède du Père et qui, en même temps, EXCLUENT, soit
implicitement, soit explicitement l'idée qu'il procède également
DU FILS.
Saint
Basile : " Le Saint-Esprit est uni au Fils, et il tient l'être
de son auteur, du Père, dont il procède; son attribut personnel a
donc pour caractère distinctif : d'être connu après le Fils et
avec lui, et de tenir l'existence du Père. Pour le Fils, qui fait
connaître après lui et avec lui le Saint-Esprit qui procède du
Père, il n'a, quant à son attribut distinctif, rien de commun avec
le Père et le Saint-Esprit." ( Saint Basile, lettre 38 à son
frère Grégoire, § 4.)
Pouvait-on
exposer plus clairement que le Père est la source unique dans la
Divinité; que chaque personne en Dieu a son caractère personnel
propre, incommunicable à une personne différente; que le Fils n'a
rien de commun avec le Père en ce qui constitue l'attribut personnel
du Père; que cet attribut est d'être source unique du Fils par
génération; du Saint-Esprit par procession, que l'Esprit est
seulement connu ou manifesté par le Fils?
Le
même docteur s'exprime encore ainsi : " Je me représente, dans
le Saint-Esprit, une parenté avec le Père, parce qu'il procède du
Père, et une autre avec le Fils, parce que je lis : Si quelqu'un n'a
pas l'esprit du Christ, il n'est point à lui." ( Id., Homil.
cont. Sabell., § 6.)
La
parenté avec le Fils ne consiste donc que dans la manifestation et
la communication de l'Esprit par le Christ.
Saint
Grégoire le Théologien : " Ce que le Père, le Fils et le
Saint-Esprit ont de commun, c'est d'être incréés et Dieu; pour le
Fils et le Saint-Esprit, c'est d'être du Père; mais ce qu'il y a de
propre au Père c'est d'être inengendré; au Fils, d'être engendré;
au Saint-Esprit, de procéder." (Orat. in Laud. Her., § 32.)
"
Au Fils appartient tout ce qu'a le Père, excepté d'être cause; et
tout ce que possède le Fils appartient au Saint-Esprit, sauf la
qualité de Fils et tout ce qui est dit corporellement du Fils pour
mon salut." (Orat. in AEgypt. adv.)
Donc
d'après saint Grégoire, l'essence divine appartient aux trois
personnes; mais chaque personne se distingue des deux autres par un
attribut personnel ou hypostatique, et l'on ne peut confondre les
attributs personnels, sans confondre les personnes, et par
conséquent, sans nier la Trinité. L'attribut personnel du Père est
d'être source ou cause; celui du Fils, d'être engendré; celui du
Saint-Esprit, de procéder. Attribuer au Fils, soit directement, soit
indirectement, la qualité d'être cause, c'est lui donner l'attribut
personnel du Père, c'est confondre sa personne avec celle du Père.
Or, dire que le Saint-Esprit procède de lui, d'une manière
quelconque, c'est affirmer qu'il participe à ce qui fait le
caractère distinctif du Père, c'est nier la Trinité.
Saint
Grégoire de Nysse : " Dans la sainte Trinité, une seule et
même personne, le Père engendre le Fils et produit le
Saint-Esprit." ( Advers. Graec. Excomm.)
"
L'Esprit est uni au Fils en ce sens que tous deux sont incréés, et
qu'ils ont pour principe de leur être le Dieu de toutes choses; mais
il s'en distingue en ce qu'il procède du Père autrement que le Fils
unique, et qu'il est manifesté par le Fils." ( Cont. Eunom.,
lib; 1.)
Saint
Augustin : " Le Père ne s'est point amoindri en engendrant le
Fils, mais il a tiré de mon sein un autre lui-même, de telle façon
qu'il reste tout entier et demeure tout entier dans le Fils. De même,
l'Esprit Saint est un tout provenant d'un tout ( integer de integro).
Il ne s'éloigne point de CELUI dont il procède, mais il est avec
LUI, tel qu'il est de LUI, sans LUI rien faire perdre en LE quittant,
ni rien gagner en demeurant en LUI." ( Lettre 170, § 5.)
Saint
Augustin eût parlé au pluriel s'il eût cru que le Saint-Esprit
procédait du Père et du Fils; Or, jamais il ne parle que du Père,
dès qu'il traite de la procession proprement dite;
Rusticus,
diacre de l'Eglise romaine : " Le Père a engendré, mais il
n'est point engendré; le Fils est engendré, mais il n'a rien
engendré de coéternel; le Saint-Esprit procède du Père, mais rien
de coéternel n'est engendré ou ne procède de lui. Quelques anciens
ajoutaient ceci aux attributs : de même que l'Esprit n'a engendré
le Fils de concert avec le Père, de même aussi le Saint-Esprit ne
procède pas du Fils, comme il procède du Père." ( Cont.
Aceph. Disput.)
Rusticus,
qui vivait au VIe siècle, ne veut pas se prononcer sur la procession
du Fils; il constate seulement que les anciens ne l'admettaient pas,
et il expose la doctrine sur les attributs divins de manière à
exclure cette procession prétendue. Si, au VIe siècle, et à Rome
même, l'opinion de la procession ex Filio était une simple opinion
touchant laquelle on jouissait de sa liberté, comment peut-on
prétendre que c'était un dogme de l'Eglise primitive? Comment une
telle opinion a-t-elle pu passer à l'état de dogme?
Au
IXe siècle, Anastase, bibliothécaire du pape, expliquait par
l'envoi dans le monde la procession ex Filio que l'Orient reprochait
à l'Occident d'admettre; il niait ainsi la doctrine de la procession
du Fils, telle qu'elle a passé à l'état de dogme dans l'Eglise
romaine. ( Anast. bibl., Epist. ap. Joann. diac.)
Il
est hors de doute que la tradition catholique s'est exprimée sur les
relations entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, de manière à
déterminer clairement ce qui constitue leur unité d'essence, et
leur attributs personnels. De son témoignage il ressort que le Fils
ne peut ni directement ni indirectement participer à l'attribut de
principe dans la Trinité; qu'on ne peut l'y faire participer, d'une
manière plus ou moins détournée, sans s'attaquer à la distinction
fondamentale qui existe entre les personnalités divines, et sans
détruire la Trinité.
Cette
doctrine acquise, on se demande comment l'Eglise romaine peut
enseigner sa doctrine du filioque sans s'apercevoir qu'en même temps
elle nie la Trinité à laquelle cependant elle veut que l'on croie.
L'Eglise
romaine va plus loin; elle prétend que la tradition catholique est
pour elle. Nous avons indiqué précédemment par quels procédés
ses théologiens ont pu élever une telle prétention. Nos études
sur les Pères ont détruit leurs subterfuges les plus subtils. Il
est bien évident en effet que toutes les expressions dont se sont
servis les Pères de l'Eglise, en dehors des expressions évangéliques
qui désignent la procession éternelle proprement dite, ne
signifient que l'envoi, la mission du Saint-Esprit dans le monde, du
Père, par le Fils; ou comme interprète du Fils ou du Verbe pour
répandre dans les âmes la Vérité, expression éternelle de l'Etre
éternel, c'est-à-dire le Verbe. Il n'est pas moins évident que les
Pères n'ont entendu qu'en ce sens les expressions Esprit du Fils,
dont les théologiens romains ont tant abusé.
Or, que
l'on examine les textes allégués par les théologiens du romanisme
pour s'attribuer la tradition catholique, et l'on sera convaincu
qu'il n'en est pas un seul que l'on ne puisse retourner contre eux
avec avantage, en dévoilant les subterfuges auxquels ils ont recours
pour les interpréter en leur faveur.
Il serait
fastidieux pour nos lecteurs d'entrer avec nous dans la discussion de
tous les textes altérés sur lesquels l'Eglise romaine a appuyé son
faux dogme. Nous avons exposé des principes généraux à l'aide
desquels ceux qui voudraient entreprendre ce travail pourront le
faire sans difficulté. Quel que soit le théologien romaniste qu'ils
aient sous la main, il ne pourra leur échapper, dès qu'ils se
souviendront des indications que nous avons données.
On
pourra cependant rencontrer çà et là quelques textes qui
sembleront plus favorables à l'hérésie romaine. Dans ce cas, il
faudra remonter à la source. Alors on sera tout étonné de
s'apercevoir que les textes en question ont été ou essentiellement
falsifiés, ou absolument inventés.
Nous
citerons quelques exemples.
Parmi ceux
que les envoyés du concile d'Aix-la-Chapelle invoquèrent en faveur
de l'addition, en présence du pape Léon III, on trouve celui-ci
qu'ils disent tiré de l'Exposition du symbole, par saint Jérôme :
" L'Esprit qui procède du Père et du Fils est coéternel au
Père et au Fils et leur est égal en tout." Ces paroles ne se
trouvent ni dans l'ouvrage cité, ni dans les autres textes de saint
Jérôme. Au concile de Florence, les Romains citaient ce texte comme
étant tiré de la Profession de foi du pape Damase : " Nous
croyons au Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils... Le
Consolateur procède du Père et du Fils." Le pape Damase, dans
sa Profession de foi, dit tout le contraire et affirme que le
Saint-Esprit procède du Père seul.
Un des plus
grands théologiens d'Occident, canonisé par l'Eglise romaine sous
le nom de saint Thomas d'Aquin, a cité, dans son ouvrage Contre les
Grecs, plusieurs textes de saint Athanase qu'il prétend tirés des
discours prononcés par ce Père au concile de NIcée, et de sa
lettre à Sérapion. AUcun de ces tetxes n'existe, comme en convient
un critique appartenant à l'Eglise romaine, Casimir Oudin (213).
(213)
: ( Casim. Oud. Dissert. de script. Thom. Aquinat.)
D'autres
graves théologiens, comme Bellarmin et Vasquez, en ont appelé,
d'après Thomas d'Aquin, à un passage de la lettre de saint Athanase
à Sérapion, et ce passage n'existe pas (214).
(214)
: ( Bellarm., de Christ., lib. II; Vasquez, In Prim. Part. Thom.)
D'autres
textes ont été interpolés, soit dna sles manuscrits des Pères,
soit dans les premières éditions, afin de fortifier la doctrine
romaine. Nous citerons en particulier un passage de saint Athanase (
Troisième dicours contre les ariens); une autre du même Père (
Lettre à Sérapion); un texte de saint Ambroise ( Traité du
Saint-Esprit); un de saint Grégoire de Nysse ( sur l'Oraison
dominicale); un de saint Jérôme ( Explication du Symbole); un de
saint Augustin ( Traité de la Trinité); un de saint Jean Damascène
( Histoire de Barlaam). On alla même jusqu'à ajouter le filioque à
la lettre de Photius à Michel, roi des Bulgares. Dans tous ces
textes cités par des théologiens occidentaux, on ajouta le
filioque, et il a été constaté si clairement que cette addition
avait été faite au moyen âge, qu'on l'a retranchée dans les
meilleures éditions mêmes faites en Occident et par des érudits
partisans de la procession ex Filio. Plusieurs de ces passages ont
donc disparu des thèses sur cette question, mais d'autres y sont
restés.
Un
théologien romain encore vivant, le P. Perrone, cite la lettre du
pape Hormisdas à Justinien, en 521, et prétend que dans cette
lettre il faut lire que le Saint-Esprit procède du Fils. Cependant,
Mansi qui a donné une édition complète des Conciles du P. Labbe,
Mansi, dont les sentiments romains sont connus, convient que les mots
et du Fils ont été intercalés par une main étrangère.
Le même
théologien cite un passage de Didyme d'Alexandrie, favorable à sa
thèse. AU neuvième siècle, Ratramne, moine de Corbie, cita le même
texte où ne se trouvaient pas les mots favorables à l'addition; ce
qui prouve qu'au neuvième siècle, ce texte n'était pas encore
interpolé.
Le même
théologien cite comme tiré de saint Basile Contre Eunome, un texte
déjà cité à Florence contre les Grecs. Dès cette époque, Marc
d'Ephèse prouvait qu'il ne se trouvait point dans les meilleurs
manuscrits grecs. Aujourd'hui l'érudition a donné raison à Marc
d'Ephèse. Dans les meilleures éditions faites en occident, on a
admis le texte tel qu'il le soutenait; ce qui n'empêche pas le Père
Perrone de le citer avec l'altération.
A
côté des textes altérés par le P. Perrone, plaçons ceux de
quelques autres théologiens et particulièrement de M. Pitzipios, un
Grec vendu à Rome et dont le pamphlet contre l'Eglise orientale a
été composé à peu près tout entier par des théologiens romains,
et imprimé par la Propagande.
Ce
dernier fait est constaté par le livre lui-même; le premier l'a été
par l'auteur lorsque Rome, satisfaite d'avoir obtenu de lui ce
qu'elle désirait, refusa de continuer ses payements.
Pitzipios
cite ce texte prétendu de saint Basile :
"
Cette expression : Le Père a créé le monde par le Fils, n'indique
point l'imperfection du pouvoir du Père; elle ne diminue pas non
plus l'action du Fils, mais elle marque l'unité de la volonté.
AInsi l'expression créé par leFils n'attaque point, mais elle
atteste la cause primitive.
"
De même que ce terme : le Saint-Esprit procède du Père par le
Fils, n'a pour but ni de qualifier d'imparfaite la procession du
Père, ni de présenter comme faible la procession du Fils; mais elle
démontre l'unité de la volonté. De telle sorte que l'expression
par le Fils, n'attaque point, mais confirme la cause primitive."
M.
Pitzipios renvoie à saint Basile, Sur le Saint-Esprit, à
Amphiloque, ch. VIII.
Nous avons
vérifié le passage. Nous avons trouvé dans saint Basile la
première partie qui s erapporte à l'action créatrice et au Fils.
Quant à la seconde partie qui s erapporte au Saint-Esprit et à sa
procession, il n'y en a pas un seul mot dans saint Basile. M.
Pitzipios a-t-il inventé lui-même ce texte, ou l'a-t-il emprunté à
un autre faussaire? Nous l'ignorons. Mais un fait certain que chacun
pourra vérifier, c'est que le texte cité n'existe pas dans saint
Basile.
Texte de
saint Cyrille : " Le Fils de Dieu par nature est de Dieu, car il
est né de Dieu le Père, et le Saint-Esprit lui est aussi propre; il
est en lui et procède de lui, comme il est entendu qu'il procède
aussi de Dieu le Père lui-même."
Le texte
grec est donné par M. Pitzipios qui renvoie à saint Cyrille,
Commentaire du prophète Joël. Il n'a pas du tout le sens qu'on lui
attribue. Saint Cyrille, expliquant les mots du prophète : Je
répandrai mon Esprit, etc., expose que, en Jésus-Christ nouvel
Adam, le Saint Esprit a été communiqué à la nature humaine et
qu'il a été ainsi, par Jésus-Christ, le principe de notre
génération. Quant à la procession, il n'en est pas dit un seul
mot, ni dans ce passage ni dans les autres ouvrages de saint Cyrille.
Saint
Grégoire de Nysse a expliqué en cinq discours le Pater ou oraison
dominicale. M. Pitzipios a cru que ces derniers mots signifiaient
prière du dimanche; il a tronqué un texte dans ce qu'il appelle
Discours sur la prière du dimanche. On chercherait en vain le texte
indiqué par M; Pitzipios dans les cinq discours de saint Grégoire
de Nysse. On trouve, en revanche, dans le troisième discours, une
colonne entière contraire au système de la procession ex Filio.
On
doit remarquer, d eplus, que le texte faux de M. Pitzipios ne prouve
rien, puisqu'on y lit seulement ceci : " Le Saint-Esprit vient
du Père, et il est attesté qu'il vient aussi du Fils, car il est
dit que celui qui n'a pas l'esprit du Christ ne lui appartient pas."
Il ne s'agit ici que de l'Esprit en tant qu'il est communiqué aux
chrétiens. Ce n'était vraiment pas la peine de tronquer un tetxe
pour arriver à ce résultat.
Voici une
nouvelle preuve de l'érudition de M. Pitzipios et des théologiens
de Rome. Ils citent ce prétendu texte de saint Athanase : " Le
Saint-Esprit vient du Père et du Fils; il n'en a pas été fait ni
créé; il n'en est pas né, mais il en procède." Ils indiquent
ce texte comme étant tiré de l'Homologation de la foi. On croirait,
au premier abord, qu'il s'agit d'une oeuvre théologique du grand
évêque d'Alexandrie; il n'en est rien. M. Pitzipios, qui est Grec,
a traduit par homologation le mot grec qui, en français, signifie
profession, et il a appelé homologation de foi la profession de foi
connue sous le titre de Symbole de saint Athanase. Tous les érudits
conviennent unanimement, et il est démontré que ce symbole a été
composé par un écrivain qui ne serait pas antérieur au sixième
siècle.
Noël-Alexandre
expose parfaitement toutes les raisons qui ont décidé les érudits
à rejeter le symbole en question comme étant du saint archevêque
d'Alexandrie; il fait en particulier cette remarque importante : que
ni saint Cyrielle d'Alexandrie, ni le concile d'Ephèse, ni saint
Léon, ni le concile de Chalcédoine n'ont opposé ce symbole aux
hérétiques Eutychès et Nestorius, dont les erreurs y sont
cependant exposées et réfutées très catégoriquement. Saint
Cyrille, en particulier, assis sur le même siège que saint
Athanase, n'eût certainement pas négligé d'opposer aux hérétiques
cette haute autorité. " Il faut ajouter à cela, continue
Noël-Alexandre, le silence des Latins qui n'ont point opposé ce
symbole aux Grecs, jusqu'au temps de Grégoire IX", c'est-à-dire
jusqu'au treizième siècle. " Peut-on croire, en effet, dit le
même historien, que si l'on avait regardé comme certain que ce
symbole était de saint Athanase, on ne s'en serait pas servi comme
d'un trait contre les Grecs schismatiques, car cet argument n'eût
pas été d'un petit poids, à cause de l'autorité dont jouit saint
Athanase dans les deux Eglises?" ( Natal. ALex., Hist. eccl.
saecul. IV, cap. IV, § X.). Tillemont ( Mem. eccl. t. VIII, note 34,
p. 668) remarque avec beaucoup de raison que les hérésies de
Nestorius et d'Eutychès sont aussi clairement indiquées et réfutées
dans le symbole dit de saint Athanase, que celle d'Arius, et que l'on
n'a pu s'exprimer aussi théologiquement qu'on le fait dans ce
symbole, qu'après la condamnation de ces hérésies, c'est-à-dire
lorsque les conciles d'Ephèse et de Chalcédoine eurent élucidé
toutes les questions soulevées par ces hérétiques et défini la
vraie foi. Il aurait pu ajouter aux hérésies d'Eutychès et de
Nestorius, celle des monothélites qui y est aussi réfutée et qui
ne fut condamnée définitivement qu'au sixième concile général, à
la fin du septième siècle. Le symbole dit de saint Athanase ne peut
donc dater que du septième siècle.
Parmi les
savants, les uns l'attribuent à Eusèbe de Veerceil, d'autres à
Anastase le Sinaïte, d'autres à quelque théologien anonyme
français, du temps de Pépin ou de Charlemagne. ( Natalis-Alexandre,
loc. cit.)
Le P.
Quesnel, dans sa quatorzième dissertation sur les oeuvres de saint
Léon, l'attribue à Vigil de Tapse. ANthelmi a combattu cette
opinion et a attribué le susdit symbole à Vincent de Lérins. Mais
cette opinion a été rejetée par tous les érudits ou à peu près.
Parmi les
preuves multipliées que l'on a données pour prouver que le symbole
attribué à saint Athanase n'est pas de ce saint docteur, les
écrivains occidentaux n'en ont pas fait valoir une qui est cependant
péremptoire, c'est que la doctrine du filioque qui y est enseignée
est contraire à celle que saint Athanase a exposée dans ses
ouvrages authentiques, et en particulier dans sa Lettre à Sérapion
sur le Saint-Esprit.
Il
est bien évident, par les divers auteurs auxquels on attribue le
symbole dit de saint Athanase, que les savants ne sont pas d'accord
sur l'époque où cette profession de foi fut composée.
Vossius (
Dissert. de tribus symb.) affirme positivement que le premier
écrivain qui l'attribua à saint Athanase est Abbon, abbé du
monastère de Fleury, au dixième siècle. Mais Tillemont fait
observer qu'il a été cité de la même manière au neuvième
siècle, par Hincmar de Reims, et par Ratramne et Enée dans les
ouvrages qu'ils ont composés pour la défense de l'addition filioque
au symbole de Nicée.
Ce
n'est donc que depuis cette discussion qu'il est attribué à saint
Athanase. Il était antérieur à cette époque, et Tillemont dit que
"l'on croit que le quatrième et le sixième conciles de Tolède,
en 633 et en 638, en ont emprunté diverses expressions." La
plus haute origine que l'on puisse attribuer au symbole dit de saint
Athanase serait donc le septième siècle. Tillemont croit qu'il peut
dater du sixième siècle, en même temps qu'il avoue qu'on n'en
trouve quelques expressions que dans les conciles d'Espagne du
septième siècle.
Il
est remarquable que sa première apparition dans l'histoire concorde
avec l'époque où l'on agita la question du filioque, et qu'elle ait
eu lieu, en Espagne, à ces mêmes conciles de Tolède où la
doctrine du filioque fut enseignée pour la première fois. Un autre
fait également certain et qui a la plus haute importance, c'est que
les érudits admettent généralement qu'il a été écrit en latin
et qu'il ne peut émaner d'un autre grec qui aurait connu cette
langue, car on n'y rencontre aucun hellénisme. De plus, il existe en
grec plusieurs textes différents de ce symbole, ce qui prouve qu'il
n'a pas été composé en cette langue, mais qu'il a été traduit du
latin par plusieurs auteurs différents, et que l'Orient l'a accepté
de l'Occident, moins les mots Et Filio.
Donc le
symbole dit de saint Athanase n'est pas de ce saint docteur; il n'est
pas antérieur à la doctrine du filioque; il est seulement, comme le
filioque lui-même, antérieur au neuvième siècle où l'addition
passa d'Espagne en France; il est contemporain de la doctrine du
filioque; et il prit probablement naissance dans le même pays et
dans les mêmes circonstances. On ne l'attribua pas à saint Athanase
avant le neuvième siècle.
La
théologie romaine en appelle à saint Jean Chrysostome qui aurait
dit dans son Discours sur l'Incarnation ( lisez : sur la naissance)
de Notre-Seigneur : " Jésus-Christ est venu parmi nous; il nous
a donné l'Esprit qui procède de lui, et il a pris notre chair."
Ce texte, à part le mot : qui procède de lui, lequel ne se trouve
nulle part dans les oeuvres de saint Jean Chrysostome, ce texte,
disons-nous, est imité du passage où le saint patriarche de
Constantinople dit tout simplement : " Il a pris notre chair, et
nous a donné son esprit." Il faut avoir de la bonne volonté
pour voir dans une pareille phrase la procession ex Filio.
Voici
maintenant un texte attribué à saint Epiphane et qui serait tiré
de l'ouvrage intitulé : Encoratus. " Nous devons croire que le
Saint-Esprit procède du Christ ou de tous les deux ( du Père et du
Fils) puisque jésus-Christ dit : " Qui procède du Père et
celui-ci recevra du mien."
Nous avons
ouvert l'Encoratus de saint Epiphane, et nous y avons trouvé ce qui
suit : " Il n'y a pas deux Fils, car le Fils est unique. AInsi,
le Saint-Esprit est l'Esprit-Saint et l'Esprit de Dieu qui est
toujours avec le Père et le Fils, non étranger à la divinité,
mais existant par Dieu, et procédant du Père et recevant du Fils. (
§ VII.)
"
L'Esprit procède du Père et reçoit du Fils. (§ VII.)
"
Et le Saint-Esprit aussi est unique, n'usurpant ni le nom de Fils, ni
le titre de Père, mais appelé l'Esprit-Saint et non étranger au
Père; car le Fils lui-même l'a appelé : l'Esprit du Père, et a
dit : " Qui procède du Père et qui "recevra du mien",
afin qu'il ne fût pas cru étranger au Père et au Fils, et que l'on
sût qu'il avait la même substance et la même divinité." (§
VIII.)
C'est d ece
dernier passage qu'est tiré le texte tronqué et falsifié par la
théologie romaine. Saint Epiphane n'y attribue la Procession qu'au
Père, et elle lui fait enseigner la Procession ex Filio. C'est tout
le contraire de ce qu'enseigne le saint évêque de Chypre.
Pitzipios a
osé en appeler à la liturgie orientale en faveur d el'hérésie
romaine du filioque. Un de ses textes falsifiés est tiré de la
légende de saint Denis l'Aréopagite écrite par Métaphraste,
ouvrage qui n'appartient pas aux livres d'office de l'Eglise
orientale. Que disent les textes allégués? Que le Saint-Esprit est
l'image du Fils; que Jéus-Christ a envoyé le Saint-Esprit sur les
nations infidèles pour les convertir; que le Saint-Esprit est le
fleuve de la Divinité venant du Père par le fils sur le monde; que
l'Esprit est l'Esprit du Fils et du Père; que le Fils a envoyé son
Esprit sur le monde. M. Pitzipios traduit par procéder et procession
les mots qui signifient l'envoi du Saint-Esprit dans le monde; quant
au mot évangélique : qui procède (ekporeuetai), on ne le trouve
pas une seule fois employé pour désigner l'acte du Fils envoyant le
Saint-Esprit. Cette remarque est d'autant plus importante que la
liturgie orientale a été écrite dans la même langue que
l'Evangile. Si les auteurs de cette liturgie avaient voulu exprimer
la procession ex FIlio, comment concevoir qu'ils n'aient pas employé
le mot qui, dans l'Evangile, signifie procéder? Or, ils ne
l'emploient pas une seule fois pour exprimer l'action du Fils par
rapport au Saint-Esprit. Cela n'empêche pas l'auteur de voir partout
la procession. L'Esprit Saint est de la même substance avec le Père
et le Fils; il a reçu du Fils, qui est la vérité essentielle,
cette vérité pour initier le monde à sa connaissance; par la
vérité qu'il a apportée dans le monde, le Saint-Esprit est l'image
du Fils, qui est vérité. Voilà toute la doctrine qui ressort des
prières publiques de l'Eglise orientale. Quant à la procession ex
Filio, on ne trouve pas un seul mot qui y ait rapport.
Terminons
cette nomenclature de falsifications par une dernière qui a été
faite par un théologien romain encore vivant, dans un ouvrage d'un
évêque russe encore vivant.
Dans un
ouvrage intitulé : Essai de conciliation entre l'Eglise latine et
l'Eglise grecque non-unie, m. l'abbé Tilloy, docteur en théologie
et en droit canon, et écrivain fort connu en France, dans le parti
ultramontain, a essayé de prouver l'hérésie romaine du filioque à
l'aide de textes falsifiés. Il en appelle enfin à une profession de
foi qu'il attribue à l'Eglise russe. Citons ses paroles : "
C'est Mgr Macaire qui, sans le vouloir sans doute, me fournit ce
témoignage. Dans sa Théologie orthodoxe, il cite une profession de
foi parfaitement connue, imprimée plusieurs fois, et, pour plus de
sûreté, le théologien russe indique l'édition qu'il préfère;
c'est celle que Kimmel a insérée dans les Libri symbolici
Ecclesiae orientalis, dédiés au comte Protassof et publiés à Iéna
en 1843. J'ouvre le livre à l'endroit indiqué par Mgr Macaire, et
je lis : ..." Suivent deux passages tirés de la première
profession de foi attribuée à Gennadius, patriarche de
Constantinople, et dans lesquels on enseigne en effet la procession
du Père et du Fils.
Avant d
enous occuper de la valeur et de l'authenticité de la profession de
foi en question, nous devons examiner préalablement si Mgr Macaire
l'a donnée, dans sa Théologie orthodoxe, comme acceptée par
l'Eglise russe; s'il a indiqué les passages cités par M. l'abbé
Tilloy; s'il a recommandé l'édition de Kimmel. Notre docteur
l'affirme; et nous affirmons, nous, qu'il faut avoir perdu toute
pudeur pour oser le dire. Notre docteur n'a pas indiqué, et pour
cause, l'endroit où Mgr Macaire aurait parlé de la profession de
foi en question. Nous allons donner des indications précises et l'on
pourra vérifier. Ce n'est pas dans la Théologie orthodoxe que le
savant et vénérable évêque-théologien en a parlé, mais dans
l'Introduction à la théologie orthodoxe, qui forme un ouvrage à
part. Dans la deuxième partie de cet ouvrage, intitulée des Sources
de la théologie orthodoxe, section III, chapitre IV, le docte
théologien parle des expositions d ela foi. Ces expositions sont de
deux classes : 1° celles qui appartiennent à l'ancienne Eglise
oecuménique infaillible; 2° celles qui appartiennent à des églises
particulières et qui n'ont de mérite qu'autant qu'elles sont
conformes aux premières. Parmi les expositions d ela seconde classe,
il distingue celles qui sont communes à toute l'Eglise orientale et
celles qui sont particulières à l'Eglise russe.Il indique comme
communes à toute l'Eglise orientale deux expositions de foi, qui
n'ont aucun rapport avec celle qui est citée par M. Tilloy, puis
celles qui sont contenues : dans le serment des évêques; dans les
Questions dogmatiques pour les Juifs et les Sarrasins qui entrent
dans l' Eglise; dans la profession de foi que récitent les membres
des autres Eglises en entrant dans l'Eglise orthodoxe; dans la
formule d'excommunication. AUcune de ces expositions de foi n'a de
rapport avec celle qu'a citée M. Tilloy.
Celles que
Mgr Macaire indique comme appartenant en particulier à l'Eglise de
Russie sont 1° le Grand Catéchisme composé par Mgr Philarète,
métropolite de Moscou, et publié par le Saint-Synode; 2° des
ouvrages de controverse publiés par la même autorité, comme les
Entretiens composés par Mgr Philarète de Moscou; la Pierre de la
foi, etc.
Mgr Macaire
remarque ensuite en note qu'on ne peut donner pour livre symbolique
d'une Eglise qu'une exposition de foi publiée par tous ceux qui se
trouvent à la tête de cette Eglise qu'une exposition de foi publiée
par tous ceux qui se trouvent à la tête de cette Eglise, et non par
un évêque en particulier, quelle que puisse être sa célébrité.
" C'est pourquoi, ajoute-t-il, les théologiens étrangers ont
grandement tort quand ils rangent parmi les livres symboliques de
l'Eglise d'Orient, etc., etc." Le savant théologien, après
avoir cité quelques exemples de confessions de foi purement
particulières, s'exprime ainsi : " C'est le tort que s'est
donné récemment Kimmel, dans la publication de son ouvrage intitulé
Libri symbolici Ecclesiae orientalis, Ienae 1848." (
Introduction à la théologie orthodoxe, p. 609, édition de Paris,
1857.)
Ainsi Mgr
Macaire blâme Kimmel d'avoir donné pour des expositions de foi de
l'Eglise orientale, des oeuvres qui ne méritent pas ce titre. Il ne
mentionne point, parmi les professions de foi de l'Eglise orientale
en général, ni de l'Eglise russe en particulier, la première
profession de foi, attribuée à Gennade et insérée dans la
collection de Kimmel; il a soin d'établir que les professions de foi
des particuliers ne peuvent appartenir aux Eglises, et M. Tilloy
prétend qu'il a reconnu comme profession de foi de l'Eglise russe la
première profession de Gennade dont il a cité des extraits; et
qu'il a recommandé l'édition de Kimmel!
Comment
caractériser un pareil procédé? Et c'est après avoir imputé au
savant théologien russe le contraire de ce qu'il a enseigné, que M.
Tilloy ose s'exprimer ainsi : " Après un tel aveu de la part de
Mgr Macaire, on a lieu de s'étonner que le savant prélat ait
consacré plus de cent pages de sa théologie pour soutenir une
doctrine diamétralement opposée à celle de la confession de foi
qu'il APPROUVE et dont il RECONNAIT L'ORTHODOXIE!" Quelle
impudence dans ce triste et mauvais langage! Mais M. Tilloy se
surpasse encore dans ce qui suit : " Une telle contradiction
dans un prélat regardé à juste titre comme l'un des plus savants
théologiens de l'Eglise russe serait inexplicable si l'on ne savait
pas que les préjugés de secte, même dans un théologien, ont trop
souvent plus d'empire sur l'esprit que la logique."
Voilà
le digne corollaire d'un des plus grossiers mensonges qu'il nous ait
été donné de rencontrer dans les ouvrages ultramontains, si
féconds cependant en falsifications et en imputations calomnieuses.
Quant à la
profession de foi citée par M. Tilloy, on peut s eposer cette
question : Quel en est l'auteur. Kimmel en a publié deux qu'il
attribue à Gennadius, patriarche de Constantinople. La première est
en forme de dialogue entre le patriarche et le sultan Mohammed. C'est
de celle-ci que M. Tilloy a tiré ses textes favorables à la
procession ex Filio. Dans la seconde, le discours est suivi, et la
doctrine est opposée formellement à la procession ex Filio. Kimmel
n'a prouvé l'authenticité ni de l'une ni de l'autre. A la page 8 de
ses Prolegomena, il dit, sans en donner de preuves, "que le
patriarche semble avoir écrit la première profession de foi; et que
le sultan la lui ayant ensuite demandée par écrit, il la rétracta,
l'abrégea, et SEMBLE l'avoir publié dans cette dernière forme."
Que signifient ces paroles du professeur protestant? Quelle garantie
d'authencité offrent-elles?
Un fait
certain, et qui ne peut être contesté, c'est que Georges
Scholarius, qui fut depuis le patriarche Gennadius, après avoir un
peu faibli au concile de Florence, se déclara si ouvertement en
faveur de la doctrine orientale, après son retour à Constantinople,
que Marc d'Ephèse, lui-même, lui confia le soin de l'orthodoxie
après sa mort; il est certain que Georges Scholarius, n'étant pas
encore patriarche, se montra le digne émule de Marc d'Ephèse dont
il prononça l'éloge funèbre et dont il composa l'épitaphe.
Peut-on croire que ce vigoureux défenseur de la doctrine orientale,
cet adversaire du latinisme, aurait composé une profession de foi
dans laquelle il aurait affecté de s'étendre sur la procession ex
Filio?
La première
profession de foi attribuée à Gennadius ne peut donc être de lui.
Serait-elle de lui qu'elle n'aurait pas d'importance comme profession
de foi d'une Eglise. M. l'abbé Tilloy a donc pris un apocryphe pour
un écrit sérieux, et il a manqué aux premiers devoirs de l'honneur
littéraire en prétendant que Mgr Macaire a donné cet apocryphe,
émanant d'un particulier, comme une profession de foi orthodoxe
reconnue par l'Eglise de Russie.
Du travail
que nous venons de faire, nous sommes en droit de tirer ces deux
conclusions :
1°
La tradition catholique enseigne une doctrine formellement contraire
à celle de l'Eglise romaine sur la procession du Saint-Esprit.
2°
Les théologiens romains n'ont pu en appeler à la tradition qu'en
altérant le sens des textes ou en les falsifiant.
II
L'IMMACULEE
CONCEPTION
1.
UN NOUVEAU DOGME
L'Eglise
romaine professe, touchant l'immaculée conception de la sainte
Vierge, une doctrine formellement opposée au dogme de la rédemption.
En effet, il est de foi que toute l'humanité, sans aucune exception,
est frappée d'un vice originel, lequel vice est transmis par l'acte
même de la génération. Il s'ensuit que l'humanité, dans la
personne de Jésus-Christ, n'a point participé au vice commun,
puisqu'elle n'a pas été engendrée d'après la loi commune. Mais la
sainte Vierge a été engendrée d'après cette loi; donc, elle a été
conçue avec le vice inhérent à la nature humaine; qu'elle en ait
été purifiée, dès le sein de sa mère, comme Jérémie et
Jean-Baptiste, là n'est pas la question. D'après la bulle de Pie IX
du 8 décembre 1854, promulguant la conception immaculée de la
sainte Vierge, il faudrait croire qu'elle n'a pas été conçue dans
le péché originel; qu'elle en a été absolument préservée, de
sorte qu'elle n'aurait pas eu besoin de purificaion. En effet, si
elle avait eu besoin de purification, c'est que sa conception
n'aurait pas été immaculée. Si elle n'en a pas eu besoin, c'est
qu'elle n'appartient pas réellement à l'humanité. Un docteur de
l'Eglise romaine, M. Newman, a tiré cette conséquence du dogme de
1854, et a soutenu à la face de l'Eglise romaine qui ne l'a pas
condamné, qu'à dater de la bulle de 1854, la Trinité a été
complétée par la sainte Vierge élevée au rang divin.
Malgré les
nombreuses innovations que la papauté a fait subir à la doctrine
catholique, jamais elle n'avait osé prmulguer ouvertement un nouveau
dogme; elle avait toujours conservé une certaine pudeur doctrinale,
et elle enveloppait ses innovations, d'un voile qui les dissimuliat
assez bien. Pie IX n'a pas de ces pudeurs que j'appellerai
catholiques. Il a promulgué, en 1854, un dogme nouveau, et il a eu
soin de dire aux évêques réunis autour de lui comme des enfants de
choeur, selon l'expression parfaitement juste de l'abbé Combalot,
qu'il définissait le dogme en vertu de sa propre autorité.
L'Eglise
romaine, par l'organe de son chef, et avec l'assentiment de tous ses
évêques, a donc été dotée, le 8 décembre 1854, d'un dogme
nouveau. Mais on n'a pas craint d'affirmer que ce dogme nouveau
n'était qu'une ancienne doctrine catholique, appartenant à une
tradition latente de l'Eglise, et que la bulle ne faisait que mettre
en lumière (215).
(215)
: ( Pie IX chargea M. Malou, évêque de Bruges, de soutenir cette
thèse. M. Malou l'a fait en deux volumes réfutés par nous dans un
ouvrage intitulé : Le Nouveau dogme en présence de l'Ecriture
sainte et de la tradition catholique).
On
a même osé prétendre que l'Eglise catholique orientale professait
la doctrine élevée par Pie IX à l'état de dogme.
Il
ne nous sera pas difficile d'établir que Pie IX, par sa bulle du 8
décembre 1854, a proclamé un dogme absolument nouveau, et que
l'Eglise romaine, en l'acceptant, professe une hérésie contraire au
dogme de la rédemption.
Afin de
réfuter, non seulement la bulle de Pie IX, mais les théologiens qui
en ont pris la défense, nous devons établir les règles toujours
suivies dans l'Eglise pour les définitions dogmatiques.
Jésus-Christ
n'est point un philosophe, inventeur d'un système susceptible de
perfectionnement indéfinis, selon le progrès des sciences et de
l'esprit humain; il est le fils de Dieu, le Verbe incarné,
l'expression de l'éternelle et essentielle vérité, qui est sortie
du sein du Père, et est descendue pour illuminer tout homme venant
en ce monde. La doctrine de Jésus-Christ est donc la vérité; elle
ne peut être par conséquent qu'un dépôt confié au monde, selon
la belle expression de saint Paul ( I ad Timoth., VI, 20) : " O
Timothée! écrit-il à son disciple chéri, ô Timothée! garde le
dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles!"
Lorsqu'une
discussion s'élève dans l'Eglise, le devoir d'un chrétien
catholique est, selon saint Vincent de Lérins (§ III), de
s'attacher d'abord à l'antiquité, qui ne peut évidemment être
séduite par les fraudes de la nouveauté. Si dans l'antiquité on
découvre plusieurs opinions, il faut s'attacher aux décrets qu'a
rendus anciennement l'Eglise universelle; s'il n'y a pas de
semblables décrets, on doit examiner les opinions des docteurs qui
vécurent en divers temps dans la communion de l'Eglise, et croire,
sans aucun doute, ce que tous, d'un consentement unanime enseignèrent
ouvertement, fréquemment et persévéramment. Le livre de saint
Vincent de Lérins a toujours été regardé dans l'Eglise comme
l'expression de la pensée générale.
Toute la
tradition catholique y est conforme. Nous pourrions citer à peu près
tous les Pères de l'Eglise. Nous nous contenterons d'indiquer
l'ouvrage de saint Irénée xontre les Hérésies et le traité Des
Prescriptions de Tertullien. Dans ces deux magnifiques oeuvres, la
question est traitée avec la clarté et l'éloquence que nous avons
remarquées dans l'Avertissement de saint Vincent de Lérins.
Aucun
docteur, aucun évêque, aucun théologien n'a osé attaquer cette
sublime théorie de la foi chrétienne.
Pour
appliquer ces règles catholiques à la bulle de Pie IX, nous devons
examiner quelle a été la foi ancienne, universelle, unanime,
touchant la conception de la sainte Vierge.
Les témoins
de cette foi sont les Pères de l'Eglise. Si les Pères de l'Eglise
ont unanimement, et dans tous les temps, enseigné une doctrine
contraire à celle de la bulle de Pie IX, il s'ensuivra
nécessairement que cette bulle contient une doctrine nouvelle et par
conséquent hérétique.
Pie
IX prétend que le doctrine d el'immaculée conception est contenue
dans l'Ecriture sainte et dans la tradition.
Comme les
hérétiques dont parle saint Vincent de Lérins, il vole à travers
tous les livres de la sainte Ecriture, depuis la Genèse jusqu'à
l'Apocalypse, pour étayer son opinion; mais, de tous les textes
qu'il indique, nous ne craignons pas de dire qu'il n'en est pas un
seul qui ait été appliqué à la conception de la sainte Vierge par
les Pères de l'Eglise.
Or
il a été reçu de tout temps dans l'Eglise catholique que
l'Ecriture sainte doit être interprétée conformément à la
tradition de tous les siècles. Si aucun des Pères de l'Eglise n'a
appliqué à la conception de la sainte Vierge les passages indiqués
dans la bulle, de quel droit les lui applique-t-on aujourd'hui?
Nous le
disons hautement et sans crainte d'être confondu, aucun Père de
l'Eglise, depuis les temps apostoliques, n'a appliqué à la
conception de la sainte Vierge aucun texte de l'Ecriture sainte; ce
qui n'a pas empêché Pie IX de dire : " Que l'Eglise
catholique, colonne d ela vérité, avait toujours regardé
l'innocence originelle de la Vierge comme une doctrine contenue dans
le dépôt de la révélation... comme l'attestent les monuments de
l'antiquité de l'Eglise orientale et occidentale."
S'il en
était ainsi, on l'eut regardée anciennement, universellement,
unanimement, comme un dogme.
Or
la bulle elle-même qui crée ce dogme ne prouve-t-elle pas à elle
seule qu'avant le 6 des ides de décembre de l'année 1854, il
n'existait pas?
S'il était
vrai, comme on l'a dit dans la bulle, que tous les Pères avaient vu
ce dogme dans l'Ecriture et l'avaient tous proclamé, comment se
fait-il qu'on l'ait nié pendant quatorze cents ans même dans
l'Eglise romaine?
Mais c'est
à tort qu'on invoque le témoignage des Pères.
Tout ce qui
est indiqué dans la bulle comme s'appliquant à la conception de la
sainte Vierge se rapporte à l'innocence de sa vie, à sa virginité,
à sa sanctification dans le sein de sa mère, à s amaternité
divine; mais, nous le répétons, il n'y a pas un mot, un seul mot,
dans les monuments de la tradition des Eglises orientale et
occidentale, pendant les douze premiers siècles, qui ait le moindre
rapport à la conception.
Si
nous en croyons M. Parisis, évêque d'Arras, le dogme de la
conception immaculée était dans la tradition comme un astre voilé
que tous ne discernaient pas; C'est un eveu en faveur de ce que nous
affirmons, c'est-à-dire que les Pères de l'Eglise n'ont point parlé
d ela conception. Seulement, M. Parisis veut faire entendre que les
âmes privilégiées voyaient sous l'écorce de certaines expressions
le dogme que le commun des fidèles n'apercevait pas.
Ce
système et l'affirmation de la bulle tombent sous le poids écrasant
de toute la tradition catholique; car il est constant que tous les
Pères de l'Eglise, sans aucune exception, ont soutenu, comme
enseignement de l'Eglise, une doctrine diamétralement et évidemment
opposée à la conception immaculée de la sainte Vierge.
Nous
affirmons qu'il n'est pas un seul Père de l'Eglise qui soutienne une
autre doctrine que celle qui est contenue dans les textes que nous
avons cités.
Nous
renvoyons ceux qui héisteraient encore à le croire à l'ouvrage que
Vincent de Bandellis composa au XVe siècle sur la question qui nous
occupe, et dans lequel il a indiqué plus de quatre mille textes des
Pères, des papes, des docteurs et des théologiens faisant autorité
dans l'Eglise, et il est loin d'avoir épuisé la matière. Plusieurs
des textes ci-dessus ne sont pas insiqués par lui. Comment se
fait-il donc que dans la bulle on ait dit que les pères et les
écrivains ecclésiastiques, instruits par les enseignements
célestes, n'ont rien eu de plus cher dans leurs livres que de
proclamer à l'envi et de prêcher le dogme d ela conception
immaculée?
Nous avons
cherché dans ces livres des Pères et des écrivains
ecclésiastiques, et nous y avons trouvé tout le contraire de ce que
la bulle affirme, et nous n'y avons rien trouvé en faveur du dogme
qu'elle proclame.
Quand bien
même on citerait ( ce qui n'est pas) quelques textes formels en
faveur de la doctrine de la bulle; quand bien même ces textes
seraient aussi nombreux que ceux qui lui sont contraires, la bulle
n'en serait pas plus légitimé; car alors il n'y aurait jamais eu
dans l'Eglise de croyance constante, universelle, unanime, touchant
la conception de la sainte Vierge : d'où il suivrait qu'une opinion
sur ce point ne pourrait être l'objet d'une définition dogmatique
de la part de l'Eglise.
La
bulle s'appuie sur les prédécesseuers de Pie IX et sur la tradition
de l'Eglise romaine.
Voyons
quelle a été cette tradition.
Saint
Innocent Ier ( ap. Aug. cont. Julian.) soutient que le péché
originel a été communiqué à tous les hommes, sans exception, qui
sont engendré par la voie ordinaire.
Saint
Gélase Ier ( adv. Pelag.) professe la même doctrine dans son livre
contre Pélage : " C'est le propre de l'Agneau immaculé,
dit-il, de n'avoir jamais eu aucun péché."
Saint Léon
le Grand dit et répète souvent ( serm. I, II, V, in Nativ. Dom.) :
"
Jésus-Christ, seul entre tous les enfants des hommes, a conservé
son innocence en naissant, parce que lui seul a été conçu sans
concupiscence charnelle."
Saint
Grégoire le Grand n'a pas d'autre doctrine. Nous pourrions indiquer
cent textes dans ses divers ouvrages. Citons seulement celui-ci, tiré
de ses Morales ( in Job, lib. XVIII) :
"
Celui-là seul est né véritablement saint, qui, pour vaincre la
nature corrompue, n'a pas été conçu par la voie ordinaire."
Le
pape Innocent II ( serm. in Assumpt.) :
"
La glorieuse Vierge a été conçue dans le péché, mais elle a
conçu son fils sans péché."
Le
pape Innocent III ( serm. in Purif.), commentant ces paroles de
l'Ecriture : " Le Saint-Esprit surviendra en vous," dit :
"
Le Saint-Esprit était déjà venu en elle, lorsque, étant encore
dans le sein de samère, il purifia son âme du péché originel."
Le
même pape fait ce parallèle entre Eve et Marie ( serm. in Assumpt.)
:
"
Eve a été formée sans péché, mais elle a conçu dans le péché;
Marie a été conçue dans le péché, mais elle a conçu sans
péché."
Le
pape Innocent V s'exprime en ces termes touchant la sainte Vierge (
Comment. in Lib. III, Sentent.) :
"
La bienheureuse Vierge a été sanctifiée dans le sein de sa mère,
non pas avant que son âme eût été unie à son corps, parce
qu'elle n'était pas encore capable de grâce, ni dans le moment même
de cette union, parce que, si cela était, elle aurait été exempte
du péché originel et n'eût pas eu besoin de la rédemption de
Jésus-Christ, nécessaire à tous les hommes, ce qu'on ne doit pas
dire. Mais il faut croire pieusement qu'elle a été purifiée par la
grâce et sanctifiée très peu d etemps après cette union; par
exemple, le même jour ou dans la même heure, non pas cependant dans
l'instant même de l'union."
Telle fut,
pendnat les douze premiers siècles de l'Eglise, la doctrine du siège
romain, comme la doctrine constante, universelle, unanime de toutes
les Eglises de l'Orient et de l'Occident.
Vers
le XIIe siècle, on commença à parler dans l'Eglise occidentale de
la conception immaculée. Les chanoines de Lyon ayant cru devoir
célébrer dans leur église une fête en l'honneur de la conception
de la sainte Vierge, Bernard, abbé de Clairvaux, leur adressa sur
cette innovation une lettre sévère, dans laquelle il n'est que
l'écho de la tradition catholique, en soutenant d'une manière
solennelle que la sainte Vierge a été conçue dans le péché
originel. Nous citerons quelques passages de cette lettre (Epist.
CLXXIV, ad; Can. Lugd.) :
"
Il a été nécessaire que Marie ait été sanctifiée après avoir
été conçue afin de pouvoir naître dans la sainteté qu'elle
n'avait point eue dans la conception qui a précédé sa naissance.
Direz-vous que sa naissance, quoique postérieure, communique sa
sainteté à sa conception, qui est la première selon l'ordre des
temps? Cela ne s epeut; car la sanctification de Marie, qui a suivi
sa conception, a bien pu s'étendre sur sa naissance; mais elle n'a
pu remonter par un effet rétroactif, jusqu'au temps de sa
conception."
Bernard ne
voit qu'un moyen de soutenir l'opinion de la conception immaculée,
c'est de dire que Marie a été conçue par l'opération du
Saint-Esprit; mais il ajoute aussitôt : " Une pareille
assertion est inouïe, et pour parler le langage de l'Eglise,
toujours infaillible, je dis qu'elle a conçu, mais je ne dis pas
qu'elle a été conçue du Saint-Esprit...
"
Il en est peu qui soient nés saints, mais nul n'a été conçu dans
la sainteté, à la réserve de CELUI qui, devant sanctifier les
hommes et expier le péché, en devait seul être exempt."
Dans sa
lettre entière aux chanoines de Lyon, Bernard, conformément à la
doctrine de tous les Pères, affirme que la sainte Vierge, engendrée
par la voie ordinaire, a contracté le péché originel dont elle a
été purifiée avant sa naissance.
Le
savant abbé trouvant dans cette doctrine un argument puissant pour
s'opposer à la fête de la Conception : on ne pouvait, selon lui,
solenniser le seul instant où Marie avait été sous l'empire du
péché.
2.
PREMIERE LETTRE (216) A MONSEIGNEUR MALOU, EVEQUE DE BRUGES, SUR SON
LIVRE, INTITULE : L'IMMACULEE-CONCEPTION DE LA B. VIERGE CONSIDEREE
COMME DOGME DE FOI
Paris,
1er août 1857
Monseigneur,
Parmi les
nombreux ouvrages qui ont été imprimés depuis quelque temps sur la
Conception de la sainte Vierge, j'ai distinqué d'une manière toute
particulière celui que Votre Grandeur vient de publier sous ce titre
: L'Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge Marie considérée
comme dogme de foi. Votre position dans l'Eglise et la réputation
dont vous jouissez dans l'épiscopat, auraient bien suffi pour donner
à votre oeuvre une haute importance à mes yeux; d'autres
considérations m'ont encore persuadé que je pouvais regarder votre
travail comme le dernier mot de la science théologique de ceux qui
ont adhéré à la définition promulguée par Pie IX, le 8 décembre
1854. En effet, Pie IX a accepté la dédicace de votre livre, et
vous affirmez que vous avez profité de tous les ouvrages publiés
avant le vôtre sur la même question.
Je vous
l'avouerai tout d'abord, Monseigneur; j'appartiens à cette classe de
catholiques timides dont vous parlez dans votre épître dédicatoire
et qui pensent que la définition de Pie IX ne pourra qu'éloigner de
l'Eglise les brebis errantes, sollicitées par la grâce de rentrer
au bercail du divin Pasteur.
Je ne pense
pas, comme vous le dites au même endroit, que, pendant plusieurs
siècles, des milliers de fidèles aient aspiré au bonheur de voir
le jour où le pape déclarerait doctrine de foi la croyance à
l'Immaculée-Conception. La définition de Pie IX, au lieu de me
paraître, comme à vous, l'événement le plus glorieux de son
pontificat, me semble un fait d'autant plus désastreux qu'on y avait
attaché, de par Dieu et la sainte Vierge, des bienfaits spirituels
et temporels dont le monde n'a point joui, tant s'en faut! Vous vous
applaudissez que Pie IX ait exercé sa puissance souveraine en
proclamant dogme ce qui n'était auparavant qu'opinion; les
réjouissances qui ont accompagné dans le monde chrétien tout
entier la définition de ce que vous appelez la prérogative unique
de la mère de Dieu, vous persuadent que l'union la plus intime
existe entre les membres du corps mystique de Jésus-Christ et leur
chef. Hélas! Monseigneur, les réjouissances populaires prouvent
bien peu de chose pour l'observateur calme et consciencieux. On en
provoquera facilement à l'occasion de tout événement
extraordinaire; le peuple est aveugle, et ses réjouissances et
contradictoires ne prouvent que son amour du changement et du
plaisir.
Ce
qui précède vous dit assez, Monseigneur, que je ne suis pas un des
croyants au dogme de l'Immaculée-Conception.
Ai-je pour
cela cessé d'âtre catholique? C'est là, Monseigneur, une question
qui a pour moi la plus haute gravité. Avant la définition de Pie
IX, j'étais catholique par conviction et sans restriction.
J'adhérais à tout ce que l'Eglise catholique m'avait transmis par
une tradition constante et perpétuelle depuis les apôtres. Ma foi
était, grâce à Dieu, pure, solide, perpétuelle depuis les
apôtres. Ma foi était, grâce à Dieu, pure, solide, complète;
Tout ce qui était de foi avant mon adhésion entière, absolue.
J'avais, par conséquent, pour la sainte mère de Jésus-Christ, le
respect, la confiance, l'amour, tous les sentiments qui forment et
constituent une vraie piété. Je m'occupais fort peu de la question
de l'Immaculée-Conception. Tout en ne partageant point l'opinion de
ceux qui mettaient une prérogative hypothétique au-dessus du
privilège de la maternité divine, je n'aurais eu aucun éloignement
pour admettre l'exemption du péché originel en la sainte Vierge, si
l'Ecriture sainte et les écrits des saints Pères m'eussent fourni
sur ce point des lumières que je n'y trouvais pas.
Aujourd'hui,
Monseigneur, j'ai la même foi qu'avant la définition du 8 décembre
1854; j'ai la même piété envers la sainte Vierge; mais, dans ma
conscience, je ne puis me décider à admettre une définition que je
considère comme erronée et contraire aux vrais principes de la foi
catholique.
A
votre point d evue, je ne suis plus catholique; au mien, c'est vous
qui êtes dans l'erreur. Qui de nous deux a raison? C'est ce que j'ai
voulu examiner en lisant votre livre.
J'ai eu
l'intention, en l'étudiant sérieusement, d'y adhérer si j'y
trouvais l'éclaircissement de mes difficultés; je ne l'y ai point
rencontér. Peut-être est-ce faute d'intelligence de ma part; Dans
ce cas, j'espère que vous voudrez bien dissiper mes doutes. Je vais
vous les exposer, Monseigneur, en toute simplicité. Je veux être
catholique; je crois l'être. Je serais désolé de ne point
appartenir à l'Eglise de Jésus-Christ. Mais faut-il, pour
appartenir à l'Eglise, croire que Jésus-Christ lui ait révélé le
dogme de l'Immaculée-Conception? L'Eglise a-t-elle parlé par la
bouche de Pie IX? Les adhésions d'un grand nombre d'évêques
sont-elles la voix de l'Eglise? Les Ecritures et la tradition nous
ont-elles enseigné le dogme défini par Pie IX? Ce dogme a-t-il pour
lui la foi constante et unanime de tous les siècles chrétiens? Ce
sont là, Monseigneur, autant de points sur lesquels des doutes
nombreux assiègent mon esprit.
Me
direz-vous simplement, Monseigneur, que je dois croire aveuglément à
la parole du Pape? Je ne puis le penser, Monseigneur. Puisque vous
avez fait un livre pour prouver le dogme de l'Immaculée-Conception,
c'est que vous voulez qu'on examine s'il appartient bien au dépôt
que le Fils de Dieu a confié à son Eglise. Vous n'ignorez pas, en
outre, que l'infaillibilité du Pape n'est point un dogme, et qu'il
est impossible de croire, de foi divine, une vérité qui ne serait
appuyée que sur une infaillibilité contestable. Enfin, Monseigneur,
vous savez que saint Paul a formellement déclaré qu'il ne faudrait
même pas croire à un ange qui descendrait du ciel pour nous
ensigner une doctrine contraire à celle qu'il avait prêchée.
Vous
admettez comme moi, avec toute l'Eglise, que l'unique motif de la foi
est la véracité de Dieu. Il ne faut donc croire que sur la parole
de Dieu ce qu'il a bien voulu nous révéler; et accepter cette
parole de la bouche de l'Eglise catholique, c'est-à-dire de l'Eglise
universelle de tous les temps. Jésus-Christ a-t-il révélé le
dogme défini par Pie IX? L'Eglise catholique, dans tous les siècles,
a-t-elle rendu témoignage à ce dogme? Voilà les deux points
auxquels se réduit nécessairement toute la discussion entre
catholiques.
Je ne les
perdrai jamais de vue, Monseigneur, dans les doutes que j'ose vous
adresser. Je vous suivrai page par page; vous serez ainsi convaincu
que j'ai étudié votre livre consciencieusement. Cette étude
sérieuse, ma bonne foi, mon intention formelle de rester catholique,
d eposséder une foi aussi complète que vraie : ces dispositions
vous engageront, je l'espère, Monseigneur, à donner quelque
attention aux lettres que j'aurai l'honneur de vous adresser.
Je
commence dès aujourd'hui, Monseigneur, à vous soumettre les
remarques que j'ai faites sur votre préface.
Vous
affirmez dès le début (p.IX), que les évêques qui se trouvèrent
à Rome avec vous en 1854, pour la définition de Pie IX, furent
unanimes sur la nécessité d'un ouvrage qui fût un exposé lucide
de la croyance de l'Eglise sur l'Immaculée-Conception, et un résumé
exact des motifs qui ont déterminé le Saint-Siège à prononcer son
jugement doctrinal. " L'Angleterre, dites-vous, l'Amérique, la
France, l'Allemagne, l'Italie même ne semblaient à leurs yeux
pouvoir se passer d'une pareille publication." Telle fut aussi
votre opinion, Monseigneur. Une réflexion surgit dans mon esprit en
lisant de telles paroles : si la croyance à l'Immaculée-Conception
était celle de l'Eglise, comment les catholiques de tous les pays
l'ignoraient-ils? L'Eglise n'est pas un être abstrait, elle est la
société des fidèles. Si les membres de cette société, dans tous
les pays, avaient un besoin absolu d'un ouvrage qui fût un exposé
de la croyance qu'on voulait définir, c'est que l'Eglise, qui est la
société chrétienne, ignorait cette croyance. Or, l'Eglise
peut-elle ignorer un des points de la révélation qui lui aurait été
transmise d'âge en âge sans interruption?
De plus,
vous attribuez au Saint-Siège la définition du dogme de
l'Immaculée-Conception. Votre expression ne serait juste qu'autant
que Pie IX, en donnant cette définition, aurait été l'écho de la
foi de son Eglise de Rome à tous les siècles. S'il n'en était pas
ainsi, sa définition lui serait purement personnelle. Aucun évêque
ne peut être identifié avec son Eglise ou son siège. Aliud sunt
sedes, dit saint Léon (Epist. 8, c.5), aliud praesidentes. Quoique
premier pasteur de l'Eglise ou du siège de Bruges, vous n'êtes ni
cette Eglise ni ce siège; Pie IX n'est pas davantage l'Eglise ou le
siège de Rome. Il ne peut parler au nom de son Eglise qu'en
s'unissant à la tradition constante de cette Eglise; par cette
union, il ne fera qu'un avec elle; mais, en dehors de cette union, il
est seul, isolé. Nous verrons plus tard si Pie IX a parlé au nom de
son Eglise, et si votre expression, Monseigneur, est d'une
rigoureuses exactitude.
Je
me contenterai donc de vous faire observer, Monseigneur, que
vous-mêmes aviez besoin de lumière touchant l'Immaculée-Conception
puisque vous avouez que ce ne fut qu'à Rome que votre esprit fut
éclairé d'une lumière inattendue (p.X). Il est vrai qu'elle fut si
vive que le mystère de l'Immaculée-Conception vous apparut comme un
des dogmes de foi les plus solidement établis que l'Eglise
catholique ait jamais proposés à notre croyance.
Je
n'en suis que plus étonné de l'opinion émise par tous les évêques
de la nécessité d'un exposé lucide de ce dogme; car encore une
fois, comment se fait-il que l'ignorance fût si universelle sur ce
point, et que depuis des siècles on ne le donnât que comme une
simple opinion? Je vous avoue, Monseigneur, que c'est là pour moi un
problème insoluble. Qu'une conséquence éloignée d'un dogme ne
fasse pas partie de l'enseignement dans l'Eglise, je le comprends;
que la foi sur cette conséquence ne soit qu'implicite, je le
comprends encore; que l'autorité établie par Jésus-Christ pour
veiller au dépôt de la révélation ne s'en préoccupe point, tant
que ce dogme ne sera pas attaqué au moyen d ecette conséquence
éloignée, je n'ai aucune difficulté à l'admettre; mais que
l'Eglise ait ignoré un seul instant un vrai dogme; que les évêques
aient enseigné unanimement dans leurs rituels, que
l'Immaculée-Conception n'était qu'une opinion; que tous les
théologiens catholiques, sans exception, aient écrit dans le même
sens, quoique cette Immaculée-Conception fût un des dogmes de foi
les plus solidement établis que l'Eglise catholique ait jamais
proposés à notre croyance, voilà ce dont je ne puis me rendre
compte.
Les
évêques qui se sont trouvés avec vous à Rome, vos anciens élèves
de l'université de Louvain et le pape lui-même vous ont demandé,
Monseigneur, le livre qui était si nécessaire à l'Eglise; c'est
ainsi que vous avez été amené à le publier. Vous y avez eu pour
but de donner une explication approfondie du mystère de
l'Immaculée-Conception, afin d'aider les pasteurs à le faire mieux
comprendre à leurs ouailles.
Ces
expressions sont-elles justes, Monseigneur? Peut-on expliquer et
faire comprendre les mystères?
Quoi
qu'il en soit, tel est le but que vous vous êtes proposé :
"
Je voulais, dites-vous ( p. XI et XII), réunir en un faisceau les
preuves les plus saillantes de la vérité que le Saint-Siège venait
de définir, afin que les enfants de l'Eglise, après en avoir pris
connaissance, pussent sans effort rendre compte de leur foi. La
pensée qui me guidait était celle-ci : Il importe de prouver que le
dogme de l'Immaculée-Conception appartient à la révélation
catholique; qu'il sort de cette tradition comme une fleur sort de sa
tige. Il faut montrer aux enfants de l'Eglise les racines, le tronc,
les branches, le fruit de cet arbre magnifique, afin que le décret
dogmatique, prononcé par le Saint-Père, apparaisse à tous les yeux
comme la conséquence nécessaire, inévitable des principes de la
théologie et d el'enseignement perpétuel de l'Eglise. Ce n'est
point à la multitude des preuves qu'il faut viser, mais à leur
choix, mais à la clarté et à la solidité de la démonstration.
Dans un sujet aussi vaste, la difficulté la plus grande consiste à
être clair et complet, sans être long; à dire tout ce qui est
nécessaire, en omettant tout ce qui serait superflu. Evitons, me
disais-je, les formes polémiques et les discussions arides; réfutons
les objections les plus spécieuses, par des réponses directes,
courtes et substantielles; faisons justice des autres, en établissant
les faits et les points de doctrine qui les renversent et les
détruisent."
Je
ne dirai rien, Monseigneur, d el'exposition détaillée de votre
plan, puisque j'en étudierai chaque partie en particulier avec le
plus grand soin. Je regretterai seulement que vous ayez pensé qu'il
n'y avait que des ministres protestants ou des demi-savants
désoeuvrés qui pussent élever des difficultés sur votre livre. Il
y a, Monseigneur, nombre de catholiques et même de prêtres, qui ne
sont peut-être pas sans science, qui pourraient même mériter un
titre plus honorable que celui de demi-savants, et qui ne croient pas
à la définition de Pie IX, et qui ne s eregardent pas pour cela
comme moins bons catholiques que vous. Il est de mauvais goût,
Monseigneur, surtout pour un évêque, de se servir d'expressions
outrageantes. C'est montrer de la passion, ce qui n'est ni utile ni
expédient.
Enfin vous
êtes persuadé que vos preuves sont décisives au point de vue
catholique et que les monuments de la tradition sont en faveur de
l'Immaculée- Conception aussi bien que le jugement infaillible de
l'Eglise. J'ai, Monseigneur, à vous proposer de nombreuses
difficultés sur ces deux points. Je commencerai dans ma prochaine
lettre.
Veuillez
agréer l'hommage de mon profond respect.
P.S.
- J'ai remarqué, Monseigneur, les paroles suivantes dans la prière
que vous avez adressée à la sainte Vierge à la fin de votre
préface : " C'est de vous et d evotre divin fils, ô mère
incomparable, que j'attends tout le fruit de mes travaux, et c'est à
vous seule que je veux les rapporter."
Ainsi vous
associez l'action de la sainte Vierge à celle du Dieu-Homme; vous
ne donnez même que le second rang à Jésus-Christ, comme source des
grâces dont votre livre peut être l'occasion; puis vous l'excluez
formellement du motif qui vous dirige dans vos travaux. La sainte
Vierge est votre unique fin; c'est à elle seule que vous les
rapportez.
La
conséquence nécessaire d'une telle doctrine, c'est que la sainte
Vierge est votre Dieu. Pensez-vous, Monseigneur, par de telles
exagérations que l'on pourrait si énergiquement caractériser,
honorer l'humble Vierge qui se glorifiait en Dieu son Sauveur?
3.
TROISIEME LETTRE
Monseigneur,
Vous
affirmez que l'Ecriture sainte atteste clairement le grand privilège
de l'Immaculée-Conception de la sainte Vierge, et que les monuments
traditionnels qui en témoignent sont si nombreux que vous avez
éprouvé "un véritable embarras à les classer de manière à
ce qu'ils n'éblouissent et n'écrasent pas vos lecteurs." (
p.19, 20.)
Pourquoi
alors, Monseigneur, vous être donné la peine d'écrire les
observations préliminaires qui remplissent votre deuxième chapitre?
Si l'Ecriture et la tradition parlent si clairement, il n'était
vraiment pas besoin d'entrer en de si grands détails touchant la
nature de la tradition et des témoignages qu'elle nous a transmis,
et des formes différentes sous lesquelles elle s'offre à nous. Il
me semble, Monseigneur, que l'idée de ces prolégomènes ne fût pas
même venue à Votre Grandeur, si elle n'eût pas compris la
nécessité de disposer d'avance le lecteur à donner à certains
monuments un sens qu'on ne leur avait jamais attribué jusqu'à nos
jours. Vous ne pouvez faire ouvertement le sacrifice de cette grande
règle catholique qui reconnaît dans le témoignage constant et
universel le critérium du dogme révélé. Pie IX lui-même a été
obligé de lui rendre hommage dans sa bulle Ineffabilis. Votre
Grandeur a donc eu recours à tout ce que l'habileté théologique
pouvait avoir d eplus séduisant, afin de nous amener à la croyance
dont vous êtes le défenseur autorisé.
Je
vais examiner, Monseigneur, les divers points de votre théorie.
"
Dès l'origine de la controverse touchant l'Immaculée-Conception,
dites-vous, les défenseurs de ce privilège ne pouvaient avoir
recours aux monuments écrits d ela tradition, qui étaient encore
ignorés. De nos jours, la tradition a revêtu un éclat nouveau, par
les travaux que le Saint-Siège a provoqués ou encouragés; mais, si
la tradition n'était pas décisive à l'origine en faveur de
l'Immaculée-Conception, les adversaires de ce privilège ne
pouvaient établir non plus à son aide que Marie avait contracté le
péché originel." ( p. 20, 21.)
Ces
affirmations, Monseigneur, ne sont pas exactes. Il est certain qu'au
XII° siècle et dans les temps qui suivirent, époque fixée par
Votre Grandeur pour l'origine de la controverse, les monuments écrits
de la tradition n'étaient pas aussi universellement connus qu'ils
l'ont été depuis l'invention de l'imprimerie. Cependant,
Monseigneur, les hommes innstruits de cette époque en connaissaienta
ssez pour savoir certainement ce que la tradition enseignait; Les
bibliothèques des monastères possédaient tous les monuments que
nous avons aujourd'hui, et quoique les exemplaires en fussent moins
multipliés, ils étaient en assez grand nombre pour que les
écrivains d'autorité en eussent connaissance. Les ouvrages des
docteurs du moyen âge, de saint Bernard, de saint Anselme, de saint
Bonaventure, de saint Thomas d'Aquin, de Vincent de Beauvais,
d'Albert le Grand et de tant d'autres, sont là pour attester qu'ils
connaissent mieux la tradition catholique que la plupart de ceux qui,
de nos jours, écrivent sur les matières théologiques.
Votre
Grandeur a donc mal apprécié cette époque. C'est au nom de la
tradition catholique que les grands docteurs du moyen âge
résistèrent à ceux qui, par suite dd'une piéété plus vive
qu'éclairée, selon saint Bernard, crurent que l'honneur dû à la
sainte Vierge demandait qu'elle eût été conçue ssans péché.
Vous semblez, Monseigneur, insinuer que saint Bernard fut vaincu dans
la controverse par ceux dont il condamnait l'opinion avec toute
l'autorité de la science, du génie et de la piété. ( p. 21.) Vous
promettez de le faire voir dans la suite. Nous vous attendons.
Les travaux
des derniers siècles ont-ils été, Monseigneur, aussi satisfaisants
que vous le dites? Si j'en crois Votre Grandeur, ils ont jeté une si
vive lumière sur les monuments de la tradition, que vous n'êtes
point surpris que des savants théologiens aient déclaré, depuis
deux siècles, que l'Immaculée-Conception appartient aux doctrines
de foi. (p. 22.) Cependant, des théologiens non moins savants, et
même d'une réputation beaucoup plus grande, n'ont pas hésité à
dire, depuis deux siècles, que cette opinion ne pouvait appartenir à
la foi, ne pouvait être définie. Les monuments de la tradition ne
leur paraissaient donc pas aussi clairs ni aussi certains qu'à Votre
Grandeur et à ses savants théologiens. Cette diversité d'opinions
chez des hommes également versés dans les études théologiques et
dans la connaissance de la tradition, nous met déjà en garde contre
les expressions un peu exagérées, ce semble, dont se sert Votre
Grandeur, qui ne voit partout que lumières, évidences et clartés
pour son dogme favori.
Telle est
la théorie développée par Votre Grandeur touchant la tradition (
p. 22, 23) :
"
Les traditions catholiques sont des vérités révélées que
l'Eglise conserve dans son sein." Elles se manifestent de
plusieurs manières : les unes ont toujours été connues et
enseignées en termes clairs et précis; les autres n'ont été crues
qu'implicitement, c'est-à-dire qu'elles étaient contenues en germe
dans des vérités explicites; enfin, il y a un troisième ordre de
vérités " qui, révélées d'une manière directe, mais
obscure, se sont éclaircies par le rapprochement des vérités déjà
certaines et par l'enseignement de plus en plus précis de l'Eglise."
Votre
Grandeur n'a appuyé sur aucune preuve ces assertions. A mon avis,
elles ne peuvent soutenir l'examen, et elles détruisent radicalement
les principes de la foi chrétienne.
L'homme
peut certainement progresser dans la connaissance approfondie des
dogmes chrétiens, y découvrir de nouveaux aspects, en déduire de
nouvelles conséquences; mais l'Eglise ne progresse pas ainsi; elle
se contente d'attester sa foi, et d'opposer aux inventions humaines
qui seraient opposées au dépôt qui lui a été confié le poids
accablant de son témoignage constant et universel. L'Eglise, société
permanente, ne fait que transmettre d'âge en âge les vérités
révélées; il ne peut y en avoir pour elles d'inconnues ou d emieux
éclaircies. Lorsqu'une hérésie s'élève, toutes les Eglises
particulières attestent la foi antique par l'organe de leurs chefs
respectifs, c'est-à-dire les évêques : à cette attestation est
attachée l'infaillibilité, en vertu du privilège divin. A côté
de cette attestation, seule infaillible, il ne peut y avoir les
discussions, les conclusions des évêques; mais, dans ces
discussions et conclusions, les évêques ne sont plus que des
théologiens, et il faut soigneusement distinguer leur action
personnelle de l'acte épiscopal par lequel ils témoignent de la foi
constante de leurs Eglises. AInsi, lorsque l'arianisme, l'hérésie
la plus artificieuse qui ait ravagé l'Eglise, eut contesté la
divinité de Jésus-Christ, les évêques assemblés à Nicée
opposèrent à tous ses sophismes cette vérité : le Christ était
Dieu. Mais lorsqu'à Rimini les évêques voulurent entrer en
discussion, les catholiques se laissèrent tromper par les ariens.
Si vous
vous étiez contenté, Monseigneur, de dire que l'Eglise pouvait
faire progresser l'homme dans la connaissance du dogme chrétien et
lui faire apercevoir sous d enouveaux points de vue une vérité déjà
connue, en déjouant par son témoignage accablant et uniforme tous
les artifices des hérétiques, j'eusse partagé votre manière de
voir; mais lorsque vosu dites que l'Eglise peut découvrir de
nouvelles vérités, touchant lesquelles son enseignement n'était
pas précis, je ne puis voir sous d etelles opinions qu'une attaque
directe à la révalation elle-même. Non, Monseigneur, l'Eglise n'a
jamais rien découvert et ne découvrira jamais rien de nouveau dans
le dépôt intact et pur, et, lorsque vous parlez d'une Eglise qui a
sur un point une foi qu'elle n'avait pas auparavant, vous oubliez que
l'Eglise est une société immuable, et que l'Eglise catholique n'est
plus dès que vous la distinguez à tel ou tel siècle. Elle
n'existe, en effet, qu'à la condition d'être perpétuelle,
c'est-à-dire catholique pour les temps, et ce n'est qu'à cette
Eglise perpétuelle, et nécessairement une, que le privilège
d'infaillibilité appartient.
Il
est facile de comprendre, Monseigneur, la raison qui vous a porté à
adopter votre théorie sur les vérités obscures. Vous cherchez à
faire croire que le nouveau dogme est une de ces vérités implicites
qui sont la conséquence rigoureuse de dogmes parfaitement définis.
Quel est, Monseigneur, le dogme dont l'Immaculée- Conception serait
la conséquence rigoureuse? Quant à moi, je n'en aperçois aucun, et
je ne puis envisager l'Immaculée-Conception que comme une opinion
ayant son être propre, son caractère particulier. Vous dites bien,
Monseigneur : " Le mystère de l'Immaculée-Conception
appartient à la catégorie des vérités divines, révélées
implicitement dans d'autres vérités, et à celle des
véritésnrévélées directement d'une manière obscure." Mais
Votre Grandeur se garde bien d'indiquer la vérité révélée, qui
contient implicitement le prétendu dogme qu'elle défend.
Pour
démontrer qu'il appartient à la catégorie des vérités que vous
avez inventées pour les besoins de votre cause, vous déroulez ce
que vous appelez les sources de la tradition catholique.
La
première source de la tradition est, selon Grandeur, la tradition
vivante de l'Eglise, c'est-à-dire sa croyance universelle actuelle.
AInsi, il n'est pas nécessaire de constater la foi des siècles
antérieurs pour avoir un témoignage infaillible. La foi actuelle de
l'Eglise, ou sa tradition vivante, est une règle infaillible de
vérité, indépendamment de tout monument écrit et de tout argument
théologique.
Vous ne
vous êtes pas aperçu, Monseigneur, qu'en isolant l'Eglise de telle
époque, de l'Eglise des siècles antérieurs, vous lui enleviez sa
catholicité. Peut-on parler de l'Eglise d'une manière abstraite,
comme vous l'avez fait? Peut-on supposer que, de nos jours, elle
puisse avoir une foi universelle sur un dogme révélé, sans que
cette foi puisse être constatée dans tous les siècles par les
monuments écrits? Cette supposition serait toujours chimérique
quand elle ne serait pas aussi erronée. C'est là encore une
invention née des besoins de la cause. On s'imagine qu'on peut
démontrer le nouveau dogme par ce raisonnement : aujourd'hui, on
croit partout à l'Immaculée-Conception comme de foi, donc ce dogme
a été révélé; mais encore une fois, Monseigneur, vous détruisez
le témoignage catholique, vous détruisez l'Eglise par une théorie
que la théologie n'a jamais connue.
Quand même
nous l'admettrions, le nouveau dogme n'en serait pas plus solide,
parce que la foi de l'Eglise actuelle n'a pas été constatée, et
qu'il est ridicule de prendre pour un témoignage de la foi
universelle certaines manifestations dont on exagère l'importance
dans un but facile à découvrir; mais cette théorie, inutile pour
ce but, est fausse de tout point, et condamnée par les principes de
l'enseignement de l'Eglise sur la tradition. Qu'est-ce qu'une
tradition vivante, une foi actuelle pour l'Eglise? N'avez-vous
remarqué, Monseigneur, que ces deux termes se détruisent
mutuellement, et ne peuvent être juxtaposés sans détruire toute
idée de tradition? Le mot tradition signifie une chose reçue par
héritage des siècles antérieurs. Une tradition vivante est un
non-sens et pas autre chose. De plus, Monseigneur, que devient
l'apostilicité dans votre système? Car vous ne pourrez persuader à
personne que l'Eglise tienne des Apôtres une foi dont on n'aperçoit
aucun vestige dans les monuments écrits qui constituent la
tradition?
Non
seulement, Monseigneur, vous détruisez l'Eglise et ses caractères
essentiels, en isolant la société chrétienne de telle époque de
celle de telle autre époque, vous la détruisez encore en la
divisant en deux parties distinctes; Votre Grandeur prend à la
lettre, et d'une manière rigoureuse, la distinction, introduite
depuis peu de temps dans l'enseignement théologique, de l'Eglise
enseignante et de l'Eglise enseignée. Que l'on admettre cette
distinction en ce sens que les évêques sont la voix nécessaire de
leurs Eglises respectives, nous n'y voyons pas un inconvénient très
grave; mais d'aller prendre ces mots à la rigueur et de scinder
l'Eglise, qui est une, c'est ce qu'aucun catholique ne doit souffrir.
Les fidèles seuls ne font pas plus l'Eglise que les pasteurs seuls.
Tous ensemble forment un corps compact, un, indivisible; et c'est à
l'Eglise ainsi entendue que les promesses ont été faites : elle
conserve infailliblement la vérité révélée : les évêques la
proclament infailliblement, en attestant la foi constante, chacun
pour son Eglise particulière; voilà toute la théorie catholique
sur l'infaillibilité. Cette infaillibilité est une; et, distinguer
une infaillibilité passive et une infaillibilité active dans
l'Eglise qui est une et qui est seule infaillible, c'est se perdre en
des expressions fausses, incorrectes, qui ne peuvent être que des
sources d'erreurs : je crois l'Eglise catholique; voilà la formule
nettement posée par les Apôtres; toutes les distinctions
théologiques n'exprimeront jamais rien de plus précis, de plus
vrai. Celles que vous avez adoptées, Monseigneur, ne font
qu'ébranler cet article fondamental du Symbole apostolique.
Vous
promettez, Monseigneur, de traiter in extenso, dans votre troisième
chapitre, d ela tradition vivante de l'Eglise. Nous vous suivrons de
nouveau sur ce terrain, lorsque vous y reviendrez.
Passons à
vos principes sur la tradition écrite. Vous distinguez encore dans
cette tradition deux ordres de vérités : celles que vous nommez
explicites et les vérités implicites. Vous donnez pour exemple de
vérité implicite, la définition du dogme des deux volontés en
Jésus-Christ, contenu implicitement dans celui de l'incarnation du
Verbe. Ainsi vous confondez, Monseigneur, les vérités non définies
avec celles que vous appelez implicites et obscures. Il me semble,
Monseigneur, que Votre Grandeur se trompe. De ce que le dogme des
deux volontés en Jésus-Christ n'a été défini qu'au VII° siècle,
vous avez tort d'en conclure que la foi de l'Eglise sur ce point
n'était pas déterminée. L'Eglise ne fait de définition officielle
sur tel ou tel dogme, qu'au moment où ce dogme est attaqué; mais,
de ce qu'elle ne définit pas, il ne faut pas en conclure qu'elle ne
possède pas explicitement la vérité qu'elle définit lorsqu'elle
est obligée de défendre sa foi. La définition de l'Eglise n'est
que la constatation de la foi catholique; on ne peut constater ce qui
n'existe pas. Or, une vérité implicite n'est qu'une vérité
inconnue! L'Eglise ne passe jamais de l'inconnu au connu comme
l'homme; elle n'a pas d'intelligence à exercer comme l'individu :
elle affirme ce qu'elle a reçu par tradition, ce qu'elle a cru de
tout temps.
Vous
n'avez posé votre principe, Monseigneur, que pour expliquer comment
Pie IX a pu déclarer dogme de foi ce qui n'existait pas encore en
1853; mais si vos efforts prouvent votre bonne volonté, ils font peu
d'honneur à la science théologique de Votre Grandeur. Par le
procédé des vérités implicites, révélées d'une manière
obscure et transmises par tradition vivante, sans monuments écrits,
il est facile, Monseigneur, de changer la révélation tout entière
et de substituer une nouvelle religion au christianisme. Est-il
permis, en faveur d'un prétendu dogme de fraîche date, d'inventer
des systèmes aussi dangereux, et d'absuer ainsi de quelques mots
vagues et obscurs usités dans les chicanes théologiques?
Mais, en
adoptant même votre système, on n'en réfute pas moins,
Monseigneur, le nouveau dogme que vous voulez prouver. L'Eglise,
dites-vous, a enseigné l'Immaculée-Conception en termes généraux,
depuis son origine jusqu'à nos jours : depuis le V° siècle, elle
l'a enseigné d'une manière fort claire et fort précise : la
preuve, c'est sa tradition sur la sainteté indéfinie de la sainte
Vierge, qui a toujours existé parallèlement à la tradition de la
transmission du péché originel à tous les hommes. Ces deux
traditions semblent contradictoires; mais la contradiction n'a pas
existé, parce que l'exemption de Marie n'a été qu'une exception à
la loi, qui n'en a pas moins été générale. La tradition de la
sainteté indéfinie de la sainte Vierge renferme implicitement le
privilège de l'Immaculée-Conception. C'est là, Monseigneur, ce
qu'il faudrait prouver. Il ne suffit pas de faire des phrases, de
produire des affirmations gratuites pour opérer la conviction dans
l'esprit des hommes sérieux; Quand Votre Grandeur aura prouvé ce
qu'elle a avancé du parallélisme de l'enseignement de l'Eglise sur
le péché originel et sur l'Immaculée-Conception, nous pourrons
discuter; pour le moment, nous opposons simplement nos négations à
vos affirmations, et nous n'avons trouvé rien de vrai dans le
tableau que vous avez tracé.
J'ai
été, je vous l'avoue, Monseigneur, scandalisé profondément par le
trait qui termine votre deuxième chapitre. Je ne m'attendais certes
pas à vous voir escamoter aussi légèrement le grand principe
catholique si nettement formulé par saint Vincent de Lérins : quod
ubique, quod semper, quod ab omnibus. " Cette maxime,
dites-vous, n'est point applicable à tous les dogmes catholiques, en
ce sens que tous ont été crus et professés explicitement,
toujours, partout, et par tous les fidèles."
Ces paroles
prouvent au moins que la règle de saint Vincent de Lérins ne peut
s'accorder avec la théorie des vérités implicites. Or, cette règle
a toujours été reconnue comme le critérium de toute vérité
catholique, sans exception; donc, la théorie des vérités
implicites est opposée à la règle catholique.
Si cette
règle ne s'applique pas à toutes les vérités révélées, on peut
en inventer de nouvelles; on peut faire de nouveaux dogmes; la
religion devient un système humain, n'est plus un fait divin; tout
homme logique, en suivant vos théories, Monseigneur, rejettera non
seulement l'Immaculée-Conception, en faveur de laquelle vous les
avez exposées; il rejettera toute révélation et sera rationaliste.
Tel est le résultat qu'obtiendra Votre Grandeur; car, encore une
fois, jamais vous ne pourrez persuader qu'un dogme ait toujours été
cru, parce qu'il vous plaira de dire qu'il était implicitement
renfermé dans telle ou telle croyance.
Vos
théories générales sont fausses. Nous allons les étudier dans
l'application que vous en avez faite au dogme du 8 décembre 1854.
Agréez,
Monseigneur, etc.
4.
VINGT-CINQUIEME LETTRE
Monseigneur,
Nous voici
arrivés au XIX° siècle, et nous n'avons pas rencontré une seule
preuve, tant soit peu solide, à l'appui de votre opinion et de la
définition de Pie IX. Vous enregistrez avec complaisance les
autorisations accordées par Pie VII et par Grégoire XVI de joindre
l'épithète Immaculée au mot Conception, dans la préface de la
messe de la fête du 8 décembre; d'invoquer Marie, dans les
litanies, comme ayant été conçue sans péché; vous parlez des
demandes faites par des particuliers pour que le pape définît la
question. Le cardinal Lambrruschini en 1843, et le P. Perrone,
jésuite, en 1847, entreprirent de démontrer que cette question
pouvait être définie. Ces ouvrages, selon Votre Grandeur, eurent
beaucoup d'influence sur la détermination de Pie IX. Ils prouvent du
moins qu'on avait besoin, à Rome même, de nouveaux éclaircissements
pour savoir si l'Immaculée- Conception pouvait ou non être définie.
Si cette opinion eût appartenu de tout temps à la croyance
catholique, comme vous avez osé le prétendre, il n'en eût pas été
ainsi.
En
1847, ou 1848, dites-vous, Pie IX nomma une commission pour examiner
l'affaire. Ne dirait-on pas, à vous entendre parler ainsi, qu'on
définit un dogme, comme on décide une affaire diplomatique. La
commission suivit Pie IX de Rome à Gaëte. Elle était composée des
plus grands partisans de la définition. Le P. Perrone, jésuite, y
brillait à côté du P. Passaglia. Ce dernier est auteur de
l'ouvrage le plus important sur la matière. Votre Grandeur en
convient; elle en a pris les meilleurs textes, que nous avons prouvés
être apocryphes ou nuls. Cependant c'est cet ouvrage, véritable
Babel de textes faux, apocryphes, tronqués ou nuls, qui a servi de
moule à la bulle de Pie IX. Vous êtes obligé de l'avouer : "
La bulle de la définition, dites-vous, a été calquée sur cet
ouvrage." (p. 348, note 4.)
C'est donc
avec raison que nous avons désigné le P. Passaglia comme le
principal inspirateur de Pie IX, et le véritable auteur de la bulle
Ineffabilis. Pie IX s'est laissé tromper par ses commissions, dans
lesquelles on n'avait laissé pénétrer aucun adversaire de la
définition.
C'est là
un fait acquis à l'histoire.
Ces
commissions s'attachèrent à prouver qu'une définition pouvait être
rendue par le pape sans qu'il eût besoin de téoignages de
l'Ecriture, et d'une tradition non interrompue. Votre Grandeur
l'avoue ( p. 352), et les preuves en sont écrites.
Les
commissions ont donc méconnu la règle de foi catholique.
C'est là
un second fait incontestable.
D'après
votre Grandeur, il n'y a que l'ignorance ou le demi-savoir (p. 353)
qui peuvent prétendre que les témoignages de l'Ecriture sainte et
d'une tradition constante sont nécessaires pour une définition
dogmatique. Il est peu flatteur, Monseigneur, d'être classé dans la
catégorie des ignorants et des demi-savants. Nous vous avouerons
cependant que nous aimons mieux y être placés par des savants comme
vous, Monseigneur, ou comme le P. Passaglia, que de mériter à vos
yeux le titre de savant. Votre science est peut-être fort étendue,
mais nous sommes assez peu instruits pour croire que, l'Ecriture
Sainte étant la parole de Dieu, et la tradition catholique son
interprète, il vaut mieux les avoir pour nous que la parole du pape,
corroborée de vos textes apocryphes et de vos systèmes. Que
voulez-vous, Monseigneur, tout le monde ne comprend pas que l'on
doive mettre le pape à la place de l'Eglise, et la sainte Vierge au
milieu des personnes de la sainte Trinité. C'est un grand malheur à
vos yeux, sans doute. Pour nous, nous regardons comme un plus grand
malheur : que le pape ait été trompé par quelques fanatiques, qui
ont osé dire tout haut qu'ils ne tenaient aucun compte de l'ancienne
règle de foi de l'Eglise; et qu'un évêque comme vous, Monseigneur,
qui a écrit pour obéir au pape, loue ces fanatiques de leur erreur,
insulte ceux qui ne veulent pas la partager, et fasse l'apologie
d'une bulle erronée, dont il voudrait faire porter la responsabilité
à l'Eglise elle-même.
Comptez
tant qu'il vous plaira, Monseigneur, les commissions instituées par
Pie IX; parlez avec emphase des précautions prises par ce pape pour
s'éclairer sur la question; énumérez les volumes imprimés pour
répandre la lumière; tout cela prouve le contraire de ce que vous
avez en vue. Nous vous dirons toujours : on n'eût pas eu besoin de
se donner tant de peine si la croyance à l'Immaculée-Conceprion eût
été une croyance universelle et constante dans l'Eglise; tous les
efforts tentés pour le prouver n'ayant eu pour résultat que de
faire appel à des tetxes nuls ou apocryphes, et à des systèmes
inconnus jusqu'à nos jours, il s'ensuit que la définition était
impossible, et que la bulle Ineffabilis doit être classée dans la
catégorie déjà trop nombreuse des actes pontificaux rejetés comme
erronés.
En
même temps que Pie IX instituait ses commissions, il demandait aux
évêques, par une circulaire, quelle était leur piété et la
dévotion des fidèles de leurs diocèses envers
l'Immaculée-Conception. Les évêques n'avaient pas à répondre sur
la foi d eleur Eglise, touchant laquelle on ne les consultait pas; la
demande et les réponses n'eurent donc qu'un caractère privé, et
non un caractère épiscopal.
Tout était
préparé à Rome pour la définition, dès 1853. Au commencement de
1854, "on sut que le souverain pontife avait pris la résolution
de définir le mystère de l'Immaculée-Conception de la très sainte
Vierge." Ce sont vos paroles, Monseigneur. ( p. 356.) Il prit
cette résolution d'après les avis de ses commissions et d'après
les réponses des évêques. Les avis étaient erronés, et les
réponses n'avaient rien du caractère catholique et épiscopal. La
bulle ne pouvait, par conséquent, être considérée que comme un
acte particulier à Pie IX. Un certain nombre d'évêques furent
invités à assister à la cérémonie de la définition. Cette
invitation ne fut faite qu'à ceux qui s'étaient le plus distingués
par leur ultramontanisme. Vous affirmez le contraire, Monseigneur, et
vous prétendez prouver ce que vous avancez, en disant que M. Sibour,
archevêque de Paris, connu par son opposition, fut invité à
plusieurs reprises par le pape, et que M. Sibour vous le déclara à
vous-même. Et nous vous dirons, nous, Monseigneur, parce que nous le
savons de manière à n'en pas pouvoir douter, que M. Sibour ne fut
invité qu'après avoir témoigné son étonnement et sa peine de ne
l'avoir pas été; qu'arrivé à Rome, il s emontra indigné de
trouver dans les Pareri un mémoire latin adressé par lui,
ridiculisé au moyen de certains monosyllabes destinés à en relever
les fautes; qu'il menaça de se retirer si ces insultes ne
disparaissaient pas au moyen de cartons; qu'on le prit par son
faible, qu'on l'adula, qu'on lui fit certaines promesses pour
éteindre en lui les velléités d'opposition qu'on avait remarquées;
qu'on affecta de lui faire porter le bougeoir à la cérémonie de la
définition, ce qui fut pour les séminaristes, et pour d'autres
encore, un sujet de plaisanteries assez multipliées.
Ces
faits-là, nous les connaissons parfaitement, Monseigneur, et il en
est beaucoup d'autres, à Paris comme ailleurs, qui les connaissent
aussi bien que nous.
L'invitation
de M. Sibour ne prouve donc point que les évêques connus par leur
ultramontanisme ne furent pas choisis de préférence aux autres pour
assister à la définition. Du reste, ce point a fort peu
d'importance, car vous convenez que les évêques ne furent pas
appelés à Rome pour juger la question, mais pour assister seulement
à une fête et y remplir le rôle d'enfants de choeur, selon
l'expression pittoresque si souvent répétée en chaire par M.
l'abbé Combalot. Le cardinal Brunelli, qui les présida pendant les
quatre séances où l'on daigna leur faire connaître le projet de
bulle calqué sur l'ouvrage du P. Passaglia, le cardinal Brunelli,
disons-nous, eut grand soin de les avertir " que le souverain
pontife n'avait point eu l'intention de réunir les évêques en
concile, ni d'autoriser une discussion sur le fond de la question ou
sur l'opportunité de la définition, deux points dont il se
réservait le jugement." Nous parlons d'après vous,
Monseigneur. ( p. 359, 360.)
Votre
Grandeur prétend que les témoignages des saints Pères contenus
dans la bulle furent soumis à un examen sévère de la part des
évêques. Vous faites peu d'honneur à leur érudition; car il n'est
pas difficile d'en découvrir d'apocryphes, comme nous l'avons
remarqué.
Nous avons
eu déjà occasion de citer, Monseigneur, un extrait du discours que
vous avez prononcé, dans une des séances, pour constater que les
évêques n'avaient point été juges dans la question; que la
définition appartenait au pape seul, en vertu de son infaillibilité.
Contentons-nous donc de mentionner cette harangue et de dire que
l'infaillibilité du pape est au moins contestée au sein de
l'Eglise; nous sommes modestes; vous ne pouvez nous accorder moins;
or, comment, en vertu d'une infaillibilité contestée, le pape
a-t-il pu prononcer une définition dogmatique qui oblige tous les
catholiques? Les évêques adhèrent, dites-vous; mais d'abord leur
adhésion ne donne, selon vous, aucune valeur à la définition qui
la reçoit toute de l'infaillibilité pontificale; de plus, les
évêques n'ont pas été juges dans la question; vous en convenez
avec l'assemblée réunie à Rome; s'ils n'ont pas jugé, ils n'ont
pas agi en évêques; leurs adhésions n'ont qu'un caractère privé
: il y a eu quelques centaines d'individus qui ont courbé la tête
devant la volonté de Pie IX; il n'y a pas un seul évêque qui ait
jugé ni adhéré en EVEQUE; il n'en est pas un seul qui ait osé
dire qu'il était témoin de la foi constante et universelle de son
Eglise; s'il n'y a pas eu de TEMOIGNAGE EPISCOPAL, l'EGLISE n'a pas
parlé; le pape seul a défini en son nom et sous sa propre
responsabilité. Telles sont, Monseigneur, les conséquences
rigoureuses, nécessaires, de vos aveux. Ces aveux sont conformes aux
faits, nous le reconnaissons; nous aimons votre franchise sur ce
point, et nous en profitons pour le triomphe de la vérité.
Après les
quatre séances employées à entendre le projet de bulle, il ne
restait plus qu'à définir. Pour honorer les évêques qui y avaient
assisté, le pape nomma évêques assistants au trône pontifical
ceux qui n'étaient pas encore revêtus de cette dignité,
c'est-à-dire qu'il leur donna le droit de s'asseoir à ses pieds,
dans les cérémonies publiques. Ce droit est bien honorable vraiment
pour la dignité épiscopale, il était digne de la déférence que
l'on avait eue pour l'infaillibilité de Pie IX. Après la
définition, le pape fit un nouvel honneur aux évêques : il leur
donna à chacun une médaille commémorative, frappée d'avance et
fabriquée avec l'or de l'Autriche. Cette circonstance est mentionnée
sur la médaille et mérite d'être remarquée.
Au
milieu des belles phrases, plus ou moins belges, que vous consacrez
aux détails de la solennité, nous remarquons surtout le discours
qu'adressa au pape le doyen du Sacré Collège, le cardinal Macchi.
Nous en avons déjà parlé; mais il est bon de rappeler que cette
Eminence affecta de dire que c'était par un jugement suprême et
infaillible de Pie IX que l'Immaculée Conception était définie.
Les catholiques qui ne croient pas à l'infaillibilité de ce
jugement, comme ils en ont le droit, peuvent donc regarder la
définition comme non avenue. En cela, ils sont très logiques. La
base de l'adhésion au jugement de Pie IX n'étant que son
infaillibilité, dès que cette infaillibilité est repoussée, le
jugement ne peut subsister.
Vous
faites, Monseigneur, un tableau enthousiaste de la joie
qu'éprouvèrent ceux qui assistaient à la définition. Nous voulons
bien y croire; mais croyez de votre côté, Monseigneur, que bon
nombre de catholiques, et des plus sérieux, ont ressenti la plus
vive douleur, en voyant la foi et l'Eglise compromises par les
exagérations ultramontaines. Tous les catholiques, soyez-en certain,
Monseigneur, ne partagent pas vos illusions sur l'opportunité et
l'utilité de la définition.
A
vos yeux, elle a été opportune, parce que le pape et les évêques
en ont jugé ainsi. Lorsqu'on veut, Monseigneur, que l'on respecte
les dignitaires de l'Eglise, il ne faut pas exagérer la soumission
qu'on leur doit. On peut, sans manquer à l'autorité épiscopale, se
prononcer contre une opinion du pape et des évêques. Ils se sont
assez souvent trompés pour que l'on se tienne sur ses gardes; les
principes avant les personnes; la foi avant les opinions : telles
sont les règles de tout chrétien instruit. Si les fidèles avaient
suivi le pape Libère et les évêques, du temps de l'arianisme, ils
eussent été ariens. Le grand Hilaire de Poitiers dit anathème à
LIbère, et il fit rentrer les évêques dans le devoir; on peut agir
comme saint Hilaire sans cesser d'être catholique; à plus forte
raison peut-on, sans cesser de l'être, refuser modestement son
adhésion à un acte erroné, et discuter les preuves sur lesquelles
on prétend l'appuyer.
Vous ne
voulez pas, Monseigneur, que l'on juge que la définition a été
inopportune, en ce qu'elle aurait été l'occasion des blasphèmes
des impies; on ne doit pas prévenir, dites-vous, le scandale
pharisaïque des hommes égarés : ce sont vos paroles. D'après
l'Evangile, le devoir des pasteurs de l'Eglise est de courir après
les brebis égarées; de les préférer, pour ainsi dire, à celles
qui peuvent se passer de leurs soins, et de les ramener à la
bergerie du Seigneur. Votre principe est donc diamétralement opposé
à celui de l'Evangile.
"
Les âmes faibles, les indifférents, les demi-savants, les
demi-chrétiens qui s'embarrassent dans les objections que le faux
savoir sème sous leurs pas, qui reculent devant un accroissement du
symbole", ne méritaient pas plus d'être ménagés que les
adversaires de l'Eglise et que les protestants, qui tendaient vers un
rapprochement avec l'Eglise catholique. C'est vous qui l'affirmez. (
p. 382.)
Selon Votre
Grandeur, les craintes que la définition leur faisait concevoir
étaient chimériques. " Aujourd'hui, ajoutez-vous, les effets
de la définition le prouvent." ( p. 383.) Vous vous êtes
aperçu que, depuis la définition, il y a eu trêve dans la guerre
faite à l'Eglise; que le mouvement de retour des protestants paraît
s'être activé; vous voyez les choses en beau, Monseigneur : nous ne
vous en félicitons pas.
La
définition de Pie IX fut non seulement opportune à vos yeux, elle
était devenue nécessaire, après tout ce qu'on avait fait, dans
l'Eglise, en faveur d el'Immaculée-Conception, qui, de sa nature,
appartient à la foi (p. 385.)
Tout ce qui
se fait dans l'Eglise n'engage pas l'Eglise elle-même, vous devez le
comprendre, Monseigneur. Les fêtes, les indulgences, les confréries
de l'Immaculée-Conception, pouvaient très bien être laissées à
certains papes, et aux jésuites qui les avaient provoquées par
leurs pénitents couronnés, ou par leurs affiliés, et ne pas
compromettre davantage l'Eglise. Vous prétendez que la croyance à
l'Immaculée-Conception est, de sa nature, matière de foi. Bossuet,
qui était un plus grand théologien que vous, Monseigneur, nous
pouvons vous le dire sans vous humilier, prétend le contraire.
Molanus lui avait parlé de cette question en ces termes, dans son
projet de réunion des catholiques et des protestants : " Une
partie de l'Eglise romaine approuve l'Immaculée-Conception de la
Vierge Marie, et une partie l'improuve. Toute l'Eglise des
protestants a décidé que la bienheureuse Marie, quoique très
sainte et très pleine de grâce, a été conçue, cependant, avec le
péché originel. Pour la paix et la concorde, les catholiques, dans
l'assemblée projetée, seront priés de se ranger à la croyance que
l'Eglise protestante entière a adoptée."
Bossuet lui
répondit ainsi, dans son contre-projet : " Ce n'est pas une
partie de l'Eglise, mais TOUTE l'Eglise romaine qui regarde
l'Immaculée-Conception de la bienheureuse Vierge pour une chose
indifférente et qui n'appartient pas à la foi." "Non pars
Ecclesiae, sed TOTA Ecclesia romana Immaculatam Beatae Virginis
Conceptionem pro re indifferenti habet, neque ad fidem pertinente."
D'après un
docte Allemand, que vous respectez sans doute, Monseigneur, le savant
prêtre Doellingen, Bossuet est le plus grand théologien qu'ait
fourni l'épiscopat catholique depuis trois siècles. Que devient
votre opinion sous le tonnerre de cette grande voix? Le plus grand
théologien pouvait, à la fin du XVII° siècle, prononcer de telles
paroles sans cesser d'être regardé comme le premier et le plus
grand des défenseurs de l'Eglise; et aujourd'hui parce que Pie IX
s'est laissé tromper par les pères Passaglia et Péronne, nous
serions obligé de préférer votre opinion à celle de Bossuet! Non,
Monseigneur, non, il n'en peut être ainsi.
Comment
Votre Grandeur a-t-elle pu faire ce raisonnement incroyable?
"
L'Immaculée-Conception, qui de sa nature est matière de foi, est
admise par l'Eglise universelle; elle est donc évidemment révélée."
(p. 386.)
Non,
l'Immaculée-Conception n'est pas, de sa nature, matière de foi;
elle n'est pas admise par l'Eglise universelle. L'Eglise universelle
est catholique, en ce sens qu'elle est permanente dans la possession
de la vérité révélée, depuis les apôtres jusqu'à nos jours.
Votre ouvrage, à lui seul, Monseigneur, démontre que la doctrine de
l'Immaculée-Conception est nouvelle, et qu'on ne peut en trouver de
traces dans les onze premiers siècles qu'en tronquant ou en
dénaturant les monuments traditionnels. Donc l'Eglise universelle ou
catholique n'admet pas votre dogme. Même en entendant comme vous le
mot universel, il est impossible que vous admettiez que le
consentement de l'Eglise actuelle soit pour vous. L'Eglise n'a pas
été consultée, elle n'a donc pas consenti. Entendez-vous par
Eglise un troupeau de dévots ou de dévotes disposés à croire tout
ce qu'on voudra, sous prétexte de piété? Si c'est là votre
Eglise, dites-le franchement. Quant aux lettres des évêques, nous
les avons réduites à leur juste valeur.
Si
l'Eglise n'avait pas défini, dites-vous, lorsque le consentement
universel était pour l'Immaculée-Conception, on n'eût pas
considéré ce consentement universel comme décisif en matière de
foi. Vous trouvez ce raiosnnement spécieux (p. 386); dites ridicule,
Monsiegneur, le mot sera mieux choisi; le catholique qui le ferait
donnerait la preuve la plus évidente qu'il ne connaît pas les
premiers éléments d ela doctrine chrétienne. Est-ce dans le
consentement actuel, quand bien même il serait universel, que la foi
réside? Le quod ab omnibus de Vincent de Lérins est précédé du
quod ubique et du quod semper. Admettre le dernier mot de la règle
de foi catholique n'est pas l'admettre tout entière; en scindant
cette règle de foi, vous scindez l'Eglise.
Allons,
Monseigneur, de la bonne foi. Avouez que votre prétendue
universalité n'existe pas; que l'immense majorité des catholiques
sont indifférents pour le nouveau dogme ou s'en moquent; que les
oppositions sont nombreuses parmi les catholiques les plus éclairés,
comme dans le clergé. Si elles ne se manifestent pas davantage,
surtout dans le clergé, vous en connaissez bien les raisons,
Monseigneur. Les évêques eux-mêmes sont-ils libres à l'égard de
Rome sur cette question? Pie IX, en leur annonçant d'avance, dans
ses circulaires, qu'il voulait définir la question, et en leur
faisant entendre que ses lettres n'étaient qu'une formalité, ne
leur fermait-il pas la bouche? Plût à Dieu qu'ils eussent parlé,
et qu'ils eussent attesté que jamais leurs églises n'avaient eu une
pareille foi! Plût à Dieu qu'ils eussent pu, au moins, garder le
silence sans se mettre en suspicion vis-à-vis du parti qui domine et
violente l'Eglise! Mais, du moins, ils n'ont pas répondu en évêques,
et vous ne pouvez réclamer, en faveur de la définition, que
quelques centaines d'hommes plus ou moins instruits. Voilà,
Monseigneur, votre universalité réduite à sa véritable
expression.
Vous pouvez
faire garnd bruit de cette universalité, l'exalter, vous en
applaudir; vous ne convaincrez aucun chrétien instruit que
l'universalité actuelle soit règle de foi; et personne ne croira
même que cette universalité actuelle existe.
Vous
affirmez qu'il fallait enfin être agréable, par la définition, aux
pieux fidèles qui fatiguaient le Saint-Siège de leurs instances.
(p. 336.)
Il
eût mieux valu, Monseigneur, que Pie IX écrivît une bonne fois,
dans un bref rendu public, que ces pieux fidèles n'avaient pas une
dévotion assez éclairée; que la sainte Vierge ne serait ni plus
respectée, ni plus glorieuse, quan dil donnerait la définition
réclamée; et que, de plus, en la donnant, il porterait atteinte à
la foi, causerait un grand scandale dans l'Eglise, et réjouirait les
ennemis de la papauté.
Si
Pie IX se fût prononcé une seule fois en ce sens, le SaintSiège
n'eût plus été fatigué de réclamations; et ceux qui font
aujourd'hui le plus de zèle en faveur de la définition, auraient
montré le plus d'empressement à féliciter Pie IX de sa sagesse.
III
LE
SACRE-COEUR,
HERESIE
SUR L'INCARNATION
Nous ne
pensons pas que l'on puisse raisonnablement contester ce que nous
avons établi touchant l'hérésie de la papauté, relative à la
sainte Trinité. Les théories prétendues philosophiques à l'aide
desquelles on a essayé de justifier l'addition du filioque au
symbole ne supportent pas l'examen. On comprend même à peine que
l'on ait tenté ce genre de preuves dans une Eglise qui enseigne que
la Trinité est un mystère incompréhensible, et que la preuve
traditionnelle est seule admissible lorsqu'il s'agit de constater
l'existence d'un dogme révélé.
Nous ne
perdons pas de temps à discuter des théories se rapportant à un
dogme incompréhensible. Nous avons employé la seule méthode
raisonnable en exposant, sous tous les rapports, et dans tous ses
détails, la tradition constante de l'Eglise chrétienne.
Le
dogme papal étant contraire à cette tradition est une hérésie.
Du
premier dogme fondamental du christianisme, nous passons au second,
c'est-à-dire, au mystère de l'Incarnation. La papauté a imposé
aux Eglises occidentales plusieurs hérésies desctructives de ce
dogme.
Exposons
d'abord en quoi il consiste.
Toutes les
Eglises chrétiennes ont professé et professent que le Verbe,
deuxième personne de la Trinité, s'est fait homme; qu'il a pris un
corps humain et une âme humaine; qu'il est apparu dans le monde sous
le nom de Jésus, et avec la qualification de Christ.
Il
y a donc en Jésus-Christ deux natures, la divine et l'humaine.
Cependant, il n'y a qu'un Jésus-Christ, c'est-à-dire une seule
personne en lui; cette personne est celle du Verbe, de sorte que
Jésus-Christ, Dieu-Homme, est appelé à juste titre Fils de Dieu.
De
ce qu'en Jésus-Christ il n'y a qu'une seule personne, et que cette
personne est divine, il doit être adoré, c'est-à-dire qu'on lui
doit le culte de latrie qui ne peut s'adresser qu'à Dieu.
Nestorius a
contredit cet enseignement chrétien. Il n'osa pas, comme les anciens
Gnostiques, dire ouvertement qu'il y avait en Jésus-Christ deux
personnes, mais il attribua à chacune des deux natures un état
tellement distinct que l'on pouvait bien en conclure qu'il
considérait chaque nature comme une personnalité. Il allait jusqu'à
séparer tellement la nature humaine de la nature divine qu'il
prétendait que la divinité devait être adorée séparément de
l'humanité.
Si, dans la
personne unique de Jésus-Christ, on pouvait séparer l'humanité de
la divinité, il esst bien évident que cette humanité ne mériterait
pas le culte de latrie qui n'est dû qu'à Dieu; car, séparée de la
divinité, l'humanité est créature et n'est pas Dieu. C'est à
cette conséquence que tendait Nestorius qui voulait faire de l'homme
en Jésus-Christ, une personne humaine, distincte de la personne
divine.
Pour
répondre à son hérésie, l'Eglise devait proclamer qu'une seule
adoration s'adressait à Jésus-Christ, parce qu'il n'y a en lui
qu'une personne qui est celle du Fils de Dieu. C'est ce que décida
le concile oecuménique d'Ephèse.
Les
cinquième et sixième conciles oecuméniques proclamèrent la même
vérité, conformément à l'enseignement de l'Eglise primitive, dont
saint Athanase d'Alexandrie était l'organe lorsqu'il disait : "
Nous n'adorons pas une chose créée, mais le maître des choses
créées, le Verbe de Dieu fait chair, quoique la chair elle-même
considérée séparément, fasse partie des choses créées,
cependant elle est devenue le corps de Dieu; nous n'adorons pas ce
corps, après l'avoir séparé du Verbe; de même, nous ne séparons
pas le Verbe du corps lorsque nous voulons l'adorer; mais sachant que
le Verbe s'est fait chair, nous reconnaissons comme Dieu le Verbe
existant dans la chair." (S. Ath. Epist. ad Adelph., § 3.) Tel
est le dogme défini depuis par les conciles oecuméniques, et admis
par toutes les Eglises, y compris celle de Rome.
Il n'est
pas nécessaire de nous étendre davantage sur la constatation d'un
point de foi qui n'est pas contesté. Pour prouver que la papauté a
été hérétique sur ce point, nous devons seulement démontrer que,
à côté de l'enseignement commun, elle en a ajouté un particulier,
qui détruit radicalement le dogme de l'unité de personne en
Jésus-Christ, qu'elle n'adore pas Jésus-Christ d'une seule
adoration se rapportant à sa personne divine; qu'elle adresse un
culte spécial à son humanité et même à des parties de son corps,
spécialement au coeur, et qu'elle adresse à ce coeur, abstraction
faite de la personne divine, un culte de latrie.
Si
nous prouvons ce fait, on devra en conclure que la papauté a
enseigné et imposé aux Eglises occidentales une hérésie plus
déplorable encore que le Nestorianisme.
Quelques
mots sur l'origine du culte du Sacré-Coeur sont nécessaires pour
l'intelligence de ce que nous allons dire.
Le
premier théologien qui l'ait enseigné est un jésuite nommé La
Colombière, mort en 1682. Il était confesseur d'une religieuse de
la congrégation dite de la Visitation et nommée Marie Alacoque. Le
père La Colombière prêta à sa pénitente une foule de
révélations, qui passèrent, de ses papiers, dans plusieurs
publications faites par les jésuites, et dans la vie de Marie
Alacoque, publiée par Languet évêque de Soissons, évêque jésuite
s'il en fut jamais.
Lorsque
Languet publia cet ouvrage, il y eut un tel scandale que, de concert
avec le curé de Saint-Sulpice de Paris, son frère, il se hâta de
faire disparaître les exemplaires. Quelques-uns cependant avaient
été vendus, et il en parut une traduction italienne. Le pape
Clément XIV la condamna aussitôt en 1772.
Marie
Alacoque, religieuse de Paray-le-Monial, au diocèse d'Autun, était
morte dès 1690.
Par
ces dates, on voit que le culte du Sacré-Coeur ne remonte pas à une
très haute antiquité; à la fin du dix-huitième siècle, la
papauté ne lui était pas encore favorable.
Mais
les jésuites se mirent si bien à l'oeuvre depuis cette époque, que
le culte qui avait leur prédilection fit d erapides progrès. Leur
but évident était d'établir le Nestorianisme. Deux de leurs Pères,
Hardoin et Berruyer, avaient enseigné cette hérésie. Tandis que
les évêques, unis au pape, condamnaient les ouvrages de ce dernier
écrivain, les bons Pères en faisaient publier secrètement une
seconde édition (217).
(217)
: ( V. Notre Histoire de l'Eglise de France, pour les preuves).
Ne
pouvant braver ostensiblement l'autorité ecclésiastique par un
enseignement théologique évidemment hérétique, ils urent recours
à la dévotion pour insinuer leur erreur sous une pieuse apparence,
et par leurs récits surnaturels, ils lui donnèrent comme une
consécration divine. Berruyer fut abandonné; le père La Colombière
et sa Marie Alacoque conduisirent plus sûrement au même but.
Marie
Alacoque prétendait que la dévotion au Sacré-Coeur avait été
révélée. Un jour qu'elle était en prière devant le saint
sacrement, Jésus lui dit, en lui montrant son coeur, qu'il exigeait
d'elle que le vendredi après la Fête-Dieu fût consacré au culte
de son coeur, en récompense des témoignages d'amour qu'il avait
donnés aux hommes; adresse-toi, continua-t-il, à mon serviteur le
Père La Colombière, jésuite; dis-lui de ma part de travailler
autant qu'il lui sera possible à établir cette dévotion, afin de
donner ce plaisir à mon coeur. Marie Alacoque communiqua au P. La
Colombière la mission divine qu'elle avait reçue et ajouta :
Jésus-Christ espère beaucoup de votre Compagnie.
La
Compagnie des Jésuites, après s'être ainsi délégué de la part
de Jésus-Christ la mission d'établir la dévotion au Sacré-Coeur,
y travailla par tous ses moyens ordinaires.
D'abord les
révélations se multipièrent, si nous en croyons le P. La
Colombière et l'historien Languet. Marie Alacoque, d'après eux,
passait des nuits presque entières en colloques amoureux avec son
bien-aimé Jésus. Un jour, il lui permi d'appuyer sa tête sur sa
poitrine et lui demanda son coeur. Elle y consentit; alors Jésus le
prit, le mit dans le sien, puis le lui rendit. Dès lors, elle sentit
une douleur continuelle au côté par où son coeur était sorti et
rentré. Jésus lui conseilla de se faire saigner quand la douleur
serait trop forte.
Marie
Alacoque donna son coeur à Jésus par un acte en bonne forme qu'elle
signa de son sang en cette manière : " Soeur Marguerite Marie,
disciple du divin amour de l'adorable Jésus." En retour de cet
acte, Jésus lui en fit un autre par lequel il la constitua héritière
de son coeur pour le temps de l'éternité : " N'en sois pas
chiche, lui dit-il, je te permets d'en disposer à ton gré, tu seras
le jouet de mon bon plaisir." A ces mots Marie Alacoque prit un
canif et traça sur sa poitrine le nom de Jésus en caractères
grands et profonds.
Un jour, la
sainte Vierge lui apparut, tenant dans ses bras Jésus enfant. Elle
lui permit de le caresser et d ele tenir entre ses bras. Marie
Alacoque lui dit, entre autres choses intéressantes, qu'elle voulait
être en prison dans son coeur jusqu'à ce qu'elle eût payé toutes
ses dettes.
Languet
s'étend fort longuement sur la promesse de mariage intervenue entre
Jésus et Marie Alacoque, sur les fiançailles et les épousailles.
Le respect pour nos lecteurs nous interdit de citer les expressions
dont s'est servi l'évêque jésuite.
Les
soeurs de Marie Alacoque n'avaient pas, à ce qu'il paraît, autant
de ferveur qu'on l'eût désiré. Mais la dévotion au Sacré-Coeur
suppléait au reste; aussi, devant cette dévotion, le diable fut-il
forcé de déguerpir du couvent, non sans renverser les rideaux et
les tringles de la grille du choeur. Il devait au moins commettre une
espièglerie, en quittant les lieux.
Le
grave historien Languet raconte ces belles choses sans rire. Il nous
apprend que le premier vendredi de chaque mois, les douleurs de côté
de son héroîne étant fort vives, elle s efaisait saigner, comme
Jésus le lui avait conseillé. Seulement, il n'a pas réfléchi que
les saignées ayant été pratiquées chaque mois, d epuis
l'apparition en 1674, jusqu'à la mort de Marie Alacoque en 1690, il
s'ensuivrait qu'elle aurait été saignée cent quatre-vingt-douze
fois en l'honneur du Sacré-Coeur. Si elle n'a pas succombé à un
tel traitement, c'est encore par miracle sans doute.
Les
jésuites, en donnant une origine céleste à la dévotion au
Sacré-Coeur, profitaient de la circonstance pour recommander leurs
autres doctrines de prédilection. AUtant les bons pères sont
rigoureux pour ceux qui n'aiment pas leur Compagnie, autant ils sont
débonnaires pour les autres. Si les vertus des premiers ne leur
servent point pour le salut, les péchés des seconds ne peuvent leur
nuire dès qu'ils ont aimé la pieuse Société. Aussi, Marie
Alacoque vit-elle un jour le purgatoire, et fut-elle très heureuse
d'y apercevoir une foule d'âmes qui n'avaient sur elles que cette
étiquette : Elle n'a pas haï le Seigneur ( lisez : la Compagnie de
Jésus). S'il suffit de ne pas haïr le Seigneur pour être sauvé,
en passant par le purgatoire, il est bien évident qu'il n'y aura de
damnés que ceux qui auront haï la sainte Compagnie.
L'Immaculée-Conception
devait nécessairement être recommandée par le Sacré-Coeur. Marie
Alacoque la faisait entrer dans l'esprit au moyen de petits billets
que l'on devait avaler en guise de pilules. Elle écrivait donc à
son frère qui était prêtre : " Nous avons promis que vous
prendriez les billets que je vous envoie, un, chaque jour, à jeu, et
que vous diriez ou que vous feriez dire neuf messes, durant neuf
samedis, en l'honneur de l'Immaculée-Conception, et autant de messes
de la Passion, pendant neuf vendredis, en l'honneur du Sacré-Coeur.
Je crois que nul ne périra de ceux qui lui seront particulièrement
consacrés."
On sait que
les jésuites sont très prodigues du salut pour tous ceux qui
consentent à suivre aveuglément leurs ordonnances. Le sang
rédempteur n'est plus pour rien dans le salut de l'homme, dès
qu'une invocation au Sacré-Coeur et à l'Immaculée-Conception vous
rendent certain du salut.
Nous
reviendrons sur ce sujet à propos des hérésies de l'Eglise
romaine, contraires à la doctrine catholique sur la rédemption.
Nous
pourrions citer une foule de miracles très singuliers racontés par
les cordicoles, pour établir l'origine divine de leur culte de
prédilection (218);
(218)
: ( Il faut lire Larguet, dans sa Vie de Marie Alacoque, et le Culte
de l'amour divin ou la Dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, par
Fumel, évêque de Lodève. Depuis ces deux ouvrages, on en a publié
par centaines plus ridicules et plus hérétiques les uns que les
autres).
mais
il serait inutile de chercher à prouver que l'hérésie nestorienne,
cachée sous la dévotion au Sacré-Coeur, est donnée comme un
erévélation divine; personne ne le conteste dans l'Eglise romaine,
surtout aujourd'hui que par la faveur de Pie IX, Marie Alacoque est
placée au nombre des saintes.
Pour
établir que le coeur charnel de Jésus est réellement l'objet du
culte, il suffit de jeter un coup d'oeil sur le premier livre venu
relatif à cette dévotion. On s'adresse à lui comme à un être
distinct dans toutes les litanies et prières qui lui sont adressées.
On y lit, par exemple : " Coeur de Jésus, riche envers ceux qui
vous invoquent! Coeur de Jésus, propitiation pour nos péchés, etc,
etc., intercédez pour nous!" On l'invoque dans le ciel, dans
l'Eucharistie, partout où l'on place Jésus-Christ; il a ses prières
spéciales; on en fait un objet séparé que l'on offre au Père, au
Fils, au Saint-Esprit; on parle de ses palpitations, de sa
dilatation; on affirme qu'il a été formé du sang de David; qu'il
est tissu de fibres d'une exquise sensibilité; que son mouvement est
doux, etc., etc. (219).
(219)
: ( V. Recueil de différents exercices de piété en l'honneur du
très-saint Coeur de Jésus; la Dévotion au Sacré-Coeur, etc.,
etc.).
Un
jésuite, le P. Galifet, a cherché à excuser le culte rendu au
Sacré-Coeur par celui que l'Eglise romaine rend à la chair de
Jésus-Christ dans le fête du Saint-Sacrement, appelée vulgairement
Fête-Dieu. Il est certain que cette fête est appelée dans les
livres liturgiques romains : Festum Corporis, le Fête du Corps. Sur
cela, le Père Galifet raisonne ainsi : "Le seul et propre objet
de la Fête-Dieu est la chair de Jésus-Christ : d'où l'on doit
conclure qu'on n'a pas précisément institué cette fête pour
honorer la personne de Jésus-Christ, mais pour honorer sa chair, son
corps, son sang, puisque ni l'ême, ni la divinité, ni la personne
ne sont l'objet formel de cette fête. L'objet direct et immédiat
est la chair très sainte de Jésus-Christ dans le sacrement (220)".
(220)
: ( Dévotion au Sacré-Coeur, liv. II. c. 2).
Le
P. Galifet raisonne bien. En effet, si l'Eglise romaine a établi la
fête du corps de Jésus-Christ, sans relation à la personne divine,
elle a pu établir celle du sacré-Coeur. Seulement, du raisonnement
du P. Galifet résultent deux preuves au lieu d'une à l'appui du
nestorianisme de l'Eglise romaine.
On
ne se fit point illusion à Rome sur le caractère hérétique de la
dévotion au Sacré-Coeur. Aussi, lorsque les jésuites sollicitèrent
l'établissement d'une fête du Sacré-Coeur, leur demande fut-elle
rejetée par la Congrégation des Rites. Après cet échec, éprouvé
en 1797, ils attendirent trente ans pour adresser une nouvelle
requête; mais ils profitèrent largement de ce délai pour répndre
la dévotion nouvelle dans le peuple ignorant et dévot. Les images,
les médailles, les petits livrets, les miracles, les prophéties,
les prédications, les exhortations au confessionnal, les
congrégations, tous ces moyens par lesquels les jésuites préparent
les doctrines qu'ils veulent définir, furent employés. Le terrain
étant ainsi préparé, deux requêtes sont adressées coup sur coup
pour l'établissement de la fête, en 1727 et en 1729.
La
Congrégation des Rites avait alors pour promoteur de la foi Prosper
Lamberini qui fut depuis le pape Benoît XIV. Il était instruit et
peu jésuite. Il fit rejeter les requêtes. C'est lui qui a conservé
les détails de cette affaire dans son ouvrage intitulé : De la
Canonisation des Saints. Si l'on demande, dit-il, une fête pour le
Sacré-Coeur de Jésus, pourquoi n'en pas demander aussi pour le
sacré côté, les sacrés yeux, et même pour le coeur de la sainte
Vierge?
Cette
dernière est aujourd'hui en usage dans l'Eglise romaine. Benoît XIV
ne se doutait pas que ce qu'il trouvait ridicule, serait institué de
la part de Dieu.
L'échec
des jésuites ne les découragea pas. Les miracles se multiplièrent;
on avait fait surtout grand bruit de la peste de Marseille. Cette
ville avait, en 1722, pour évêque un ancien jésuite nommé
Belzunce, lequel n'avait quitté la Société, comme tant d'autres,
que pour la mieux servir dans l'épiscopat (221).
(221)
: ( On sait que les jésuites sont doués d'un si admirable
désintéressement que, en restant jésuites, ils ne peuvent être
évêques : seulement il y a plusieurs manières d'être jésuite, et
avec le ciel et le désintéressement, il y a des accommodements).
On
lui avait inspiér l'idée de dédier sa ville épiscopale au
Sacré-Coeur, pour arrêter le fléau. Il fait cette consécration
avec une mise en scène très émouvante. Quel en fut le résultat?
Rome ne se laissa point toucher; le jésuite Galifet et Languet,
contemporains du fait, dirent timidement que le fléau avait commencé
à diminuer, à dater du jour de la consécration. Mais il fallait
quelque chose de plus positif; c'est pourquoi, Drouas, évêque de
Toul, élève de Languet, assura, en 1763, que la contagion avait
cessé le jour même de la consécration. En 1823, M. de Quélen,
archevêque de Paris, affirmait que la contagion avait cessé
subitement.
Aujourd'hui
tout le monde, dans l'Eglise romaine, accepte ce miracle subit. Ce
fait, très bien exploité, servit beaucoup à la propagation de la
dévotion nouvelle et prépara l'institution de la fête.
Deux
papes, amis des jésuites, Clément XI et Clément XIII, firent les
premières concessions. Ce dernier se fit adresser des lettres par
quelques évêques polonais; il supposa en avoir reçu une de
Philippe V, roi d'Espagne, lequel, en étant averti, fit déclarer
que cette prétendue lettre était apocryphe. Les jésuites, le pape
et son ministre Torrégiani étaient dans ce complot ténébreux.
Cependant, Clément XIII n'osa pas établir une fête en l'honneur du
coeur matériel de Jésus-Christ; il autorisa seulement, en 1765, une
fête en l'honneur du coeur symbolique, c'est-à-dire de l'amour du
Sauveur pour les hommes. Cependant, son décret fut interprété dans
le sens du culte rendu au coeur matériel par Fumel, évêque de
Lodève. Rome intervint par l'organe du canoniste Blasi qui publia,
en 1771, une dissertation dans le but d'établir que le culte du
coeur matériel n'était pas autorisé. Depuis, le pape Pie VI fit
une déclaration analogue.
Ceci prouve
évidemment que Rome ne se faisait point illusion sur la nature du
nouveau culte et sur l'hérésie qu'il couvrait; afin d'y échapper,
les cordicoles imaginèrent de dire qu'ils adoraient le coeur en ce
sens qu'il était uni hypostatiquement à la divinité, et ils ne
s'apercevaient pas qu'ils s'exprimaient comme Nestorius, lequel
adorait ce qui paraissait, à cause de ce qui était caché. En
effet, le coeur matériel était toujours à leurs yeux l'objet
direct du culte nouveau. Ils n'osaient pas dire avec le jésuite
Berruyer : " Jesu Christi humanitas est in se directe et in
recto adoranda et cultu latriae prosequenda"; mais ils n'en
faisaient pas moins du coeur matériel personnifié l'objet direct de
leur culte; c'est à lui qu'ils adressent leirs prières; Du reste,
en remontant à l'origine de la dévotion, il est évident que le
coeur matériel est l'objet exclusif du culte. Le P. Galifet
l'affirme de cette manière : " Il s'agit du ceour de
Jésus-Christ dans sa signification propre et naturelle et nullement
métaphorique. Jésus-Christ parle de son coeur réellement pris (
dans les révélations de Marie Alacoque); cela est manifeste par
l'action qu'il fait de découvrir son coeur et de le montrer; il
parle de ce coeur qu'il découvre et qu'il montre; c'est ce coeur
qu'il veut qu'on honore, et dont il veut qu'on fasse la fête. On ne
peut prendre dans un autre sens le mot de coeur répété plusieurs
fois dans cette révélation, sans faire manifestement violence aux
paroles et aux actions de Jésus-Christ. D'ailleurs, il est
manifeste, dans la vie de la vénérable mère Marguerite ( Marie
Alacoque) que, dans tous les endroits où elle parle de cette
dévotion, elle a toujours pris le coeur de Jésus dans le sens
naturel. Voilà donc l'objet sensible de la dévotion que
Jésus-Christ veut établir (222). "
(222)
: ( De l'excellence de la dévotion au Coeur adorable de
Jésus-Christ).
La doctrine
du P. Galifet qui était celle de tous les cordicoles, l'emporta sur
les réticences de Rome.
La
plupart des évêques, à la fin du XVIII° siècle, firent des
mandements pour établir dans leurs diocèses le culte du
Sacré-Coeur, et indiquèrent le coeur matériel comme objeet du
culte; ils composèrent des offices qui furent insérés dans les
Bréviaires et les Missels de leurs diocèses; ils laissèrent
répandre des livrets, des prières, des exercices de piété, où le
coeur matériel était donné le plus explicitement possible comme
objet d'adoration.
Après la
révolution française, la dévotion au Sacré-Coeur devint le point
de ralliement de tous ceux qui se déclaraient pour le trône et
l'autel; de vastes associations s'établirent, semi-politiques,
semi-religieuses; le culte du Sacré-Coeur acquit ainsi une nouvelle
et à mesure qu'il s'étendait, il s'accentuait avec moins de
ménagement dans le sens nestorien. Les papes entrèrent dans la même
voie. Les indukgences furent prodiguées au nouveau culte; on
prétendit que la nouvelle dévotion était destinée à vaincre
l'impiété, comme si ceux qui refusaient d'être disciples de
Jésus-Christ allaient devenir ceux de Marie Alacoque.
De
nos jours, Marie Alacoque a été mise dans le catalogue des saints
par Pie IX. Cette béatification est l'approbation directe de ses
révélations et de sa doctrine. Or, comme il est impossible d'élever
le plus léger doute sur ce que Marie Alacoque entendait par le coeur
de Jésus-Christ, Rome a abandonné les distinctions théologiques de
Clément XIII et de Pie VI, pour proclamer le coeur matériel de
Jésus-Christ digne d'adoration, sans aucune relation à la personne
divine, conformément à la doctrine de Marie Alacoque, expliquée
par La Colombière, Galiget, les deux Languet de Sens et de
Saint-Sulpice de Paris, Fumel et cent autres docteurs cordicoles.
Aussi cette
doctrine ne fait-elle plus doute aujourd'hui. Nous pourrions citer
plusieurs ouvrages autorisés qui le prouvent jusqu'à l'évidence.
Nous préférons donner la parole à un évêque qui, il y a quelques
jours '223), s'exprimait ainsi dans un mandement publié pour vouer
son diocèse au Sacré-Coeur :
(223)
: ( Mandement de l'évêque du Mans, en date du 16 mai 1872).
"
Dans quelques jours, l'Eglise, après avoir entouré des hommages de
sa foi et de son amour le corps du Sauveur toujours vivant pour nous
dans la sainte Eucharistie, adressera des adorations spéciales au
coeur sacré de Jésus, à ce coeur toujours palpitant pour nous de
tendresse et d'amour...
"
Pour répondre à notre double nature, cette dévotion, comme toutes
les autres, a un double objet, l'un matériel et sensible, l'autre
spirituel. C'est d'abord le coeur matériel même de Jésus à cause
de son union avec la divinité. L'humanité tout entière de notre
divin Sauveur est, en effet, l'objet de notre adoration...
"
Comment donc le coeur de jésus ne serait-il pas l'objet d'un culte
spécial? Non seulement il est uni à la divinité, mais n'est-il pas
ce qu'il y a de plus excellent dans la création? N'est-il pas la
partie la plus noble de sa vie physique? N'est-ce pas de ce coeur que
sont sorties toutes les gouttes du sang répandu sur la croix et
qu'il nous est donné de recueillir dans le calice eucharistique? Ce
coeur enfin, percé sur la croix par la lance du soldat, ne nous
présente-t-il pas une des plaies les plus touchantes de notre doux
Sauveur?...
"
Si le coeur matériel de Jésus-Christ est déjà digne de tous nos
hommages, que sera-ce si, en nous conformant au langage universel,
nous considérons ce coeur comme le siège, comme l'emblème et le
symbole de l'amour infini du Verbe éternel, de l'amour de Dieu fait
homme pour nous?"
L'évêque
qui a prononcé de telles paroles s'étend en vain sur l'union de
l'humanité avec le Verbe et sur le coeur symbolique; il n'en a pas
moins affirmé : que l'humanité de Jésus-Christ en elle-même est
adorable; que le corps est adorable; qu'ils ne sont pas adorés d'une
seule et même adoration s'adressant à la personne divine.
Il
est vrai que l'évêque du Mans n'enseigne pas une doctrine qui lui
soit personnelle; sa doctrine est celle de son Eglise, comme il a
soin de le déclarer.
Or,
cette doctrine ets hérétique, et a été condamnée par les deux
conciles oecuméniques d'Ephèse et de Constantinople.
Le
premier de ces conciles approuva le huitième anathème de saint
Cyrille dans lequel on condamnait celui qui n'adorait pas l'Emmanuel
ou la personne divine Jésus-Christ par une seule adoration.
Le
deuxième concile oecuménique de Constantinople s'exprime ainsi : "
Si quelqu'un soutient que Jésus-Christ doit être adoré dnas
chacune de ses deux natures, de manière qu'il introduise deux
adorations, l'une de Dieu, l'autre de l'homme en Jésus-Christ, au
lieu d'adorer par une seule et unique adoration le Verbe incarné et
la nature humaine qu'il s'est rendue propre et sienne, ainsi que
l'Eglise, par une tradition constante, l'a toujours cru et observé,
qu'il soit anathème."
Les
cordicoles cherchent à échapper à cette condamnation, en
prétendant que leur adoration ne s'adresse au coeur qu'à cause de
l'union hypostatique de l'humanité avec la divinité. Nestorius
avait recours au même subterfuge, comme le lui reprochait Théodote
d'Ancyre en plein concile d'Ephèse, mais ce subterfuge n'empêcha
pas les Pères de condamner ses erreurs, car il n'y avait recours que
pour dissimuler la division qu'il établissait dans la personne
unique du Verbe incarné.
L'Eglise
romaine divise non seulement la personne unique du Verbe pour rendre
à chacune des deux natures une adoration, mais elle divise même la
nature humaine pour adorer séparément le coeur matériel de
Jésus-Christ; elle va donc plus loin que Nestorius lui-même, et son
hérésie est plus monstrueuse encore.
IV
DIFFERENTS
POINTS DE CONTROVERSE
1.
LE BAPTEME ET LA CONFIRMATION
Baptême
Mais, à côté de
ces rites essentiels, il en est qui sont si respectables et si
antiques, qu'une Eglise ne peut les abolir sans encourir le reproche
mérité d'innovation et d'irrévérence à l'égard des traditions
apostoliques.
Parmi ces rites, nous en
indiquerons deux principaux : La triple immersion dans l'eau, et
l'union des deux sacrements de baptême et de confirmation.
La
papauté s'est rendue coupable de l'abolition de ces deux
institutions dans les Eglises occidentales.
On
ne pourrait fixer d'une manière absolument certaine l'époque
précise où l'on a abandonné, en Occident, la pratique apostolique
de la triple immersion baptismale. Il est probable que cette
innovation s'est établie peu à peu, et non en vertu d'un décret de
date certaine. Dans tous les livres rituels ou pontificaux manuscrits
de cinq cents ans et au-dessus, on ne mentionne que le baptême donné
par immersion (224).
(224)
: ( Don Martène l'affirmait, il y a environ deux siècles, des
manuscrits qui alors avaient trois cents ans de date. De antiq. Eccl.
Rit. Lib. I. C.I. art. 14, ! 6).
On
peut affirmer en conséquence que, au XIV° siècle, on conservait
encore le rite apostolique dans l'administration du baptême.
Avait-on conservé la triple
immersion en usage dans l'antiquité, ou baptisait-on par une
immersion unique?
L'hérétique Eunomius, à la fin
du IV° siècle, fut le premier qui enseigna que le baptême devait
être administré par une immersion unique (225).
(225)
: ( Act. Concil. I. Constantinopol; Sozomen. Hist. Eccl. I. VI. c.
26).
Deux
disciples de cet hérésiarque, Théophronius et Eutychius,
contribuèrent surtout à répandre cette innovation.
Elle se répandit en Occident, de
sorte que, à la fin du VI° siècle, on y suivait indifféremment
les deux rites d'une seule immersion ou de trois. Léandre, évêque
de Séville, en Espagne, ayant consulté à ce sujet Grégoire le
Grand, évêque de Rome, celui-ci répondit que l'on pouvait suivre
légitimement l'un ou l'autre usage (226).
(226)
: ( Gregor. Magn. Epist. Lib. I. Epist. 41).
Le quatrième concile de Tolède
alla plus loin, et décréta que l'on devrait baptiser par une seule
immersion (227).
(227)
: ( Concil. Toletan. IV. C. 6).
Hildephonse,
archevêque de Tolède (228), donne comme motif de ce règlement, que
les hérétiques, par la triple immersion, avaient l'intention de
diviser l'essence divine.
(228)
: ( Hildeph. Annot. de Cognit. Bapt. Lib. I. C. 117).
Ce
fut sous le même prétexte que les évêques d'Espagne ajoutèrent
le filioque au symbole, sans réfléchir qu'en voulant enseigner
l'unité d'essence, ils s'attaquaient à la Trinité des Personnes.
L'usage espagnol n'avait pas
pénétré en France, au IX° siècle. En effet, à cette époque, le
docte Alcuin s'éleva contre lui aussi bien que contre l'addition du
filioque, et blâma sévèrement les hérésies espagnoles (229).
(229)
: ( Alcuin. Epist. 69 ad Lugdun.; Epist. 81 ad Paulm.).
Walfrid blâma également, à la
même époque, l'innovation espagnole (230);
(230)
: (Walfrid. De reb. Eccl.)
mais,
en 868, un concile de Worms en prit la défense, et affirma que les
deux usages de trois immersions ou d'une seule étaient également
légitimes (231).
(231)
: (Conc. Wormat. C. 5).
La
coutume d'une immersion unique s'était conservée en France, dans le
diocèse de Saint-Malo, jusqu'au XVII° siècle (232).
(232)
: ( V. Statut. Guillelm. ann. 1620).
A
la fin du XIII° siècle, des prêtres du diocèse d'Angers s'étaient
permis de baptiser, les uns par une immersion unique, les autres en
versant d el'eau sur les baptisés. L'évêque Nicolas Gélant, dans
son synode de 1275 (233), blâma ces deux usages et ordonna de suivre
le rite apostolique de la triple immersion.
(233)
: ( V. D'Archery Spicil. T. XI).
D'après ce document, on voit que
le baptême par infusion commençait à être administré par
quelques prêtres, à la fin du XIII° siècle, mais que cet usage
était considéré comme blâmable. Il arrivait parfois que, pour
donner le baptême, on plongeait seulement trois fois la tête du
catéchumène dans l'eau (234).
(234)
: ( Hiéron. Dialog. adv. Luciferian.).
Cet
usage s'est conservé à Milan jusqu'au XVII° siècle. Il fut
probablement le rite intermédiaire entre l'immersion et l'infusion.
A
dater du XIV° siècle, le baptême administré par infusion
s'établit dans l'Occident tout entier, sans que la papauté, dont
l'autorité y était universellement reconnue, s'y soit opposée.
Elle doit en conséquence porter la responsabilité d'une innovation
contraire au rite apostolique de l'administration du baptême.
Nous ne prétendons pas que le
baptême, administré par infusion ou par aspersion soit invalide.
Quelques Grecs l'ont prétendu, mais d'autres Grecs et l'immense
majorité des orthodoxes acceptent comme valide le baptême
administré de cette manière. On sait que, dans la primitive Eglise,
on baptisait ainsi les malades obligés de garder le lit et que l'on
désigne dans les antiques monuments par le nom de cliniques (
alités). L'Eglise n'eût pas conféré le baptême de cette manière,
même aux malades, si elle l'eût considéré comme nul. Il est à
remarquer qu'elle ne le renouvelait pas. Seulement on n'admettait pas
aux ordres ceux qui avaient été ainsi baptisés, et le baptême des
cliniques n'était pas accompagné de l'imposition des mains,
c'est-à-dire de la confirmation.
D'après ces dispositions, que l'on
rencontre dans les plus anciens documents canoniques, il est évident
que le baptême adminsitré aux cliniques par aspersion ou infusion,
tout en étant valide, était cependant considéré comme défectueux,
en ce sens qu'il n'était pas administré selon le rite apostolique.
C'était un baptême de nécessité, et non pas un baptême régulier.
Peut-on dire que la papauté ait pu
introduire ou laisser introduire impunément, dans les Eglises
soumises à son autorité, un baptême considéré comme défectueux
par l'Eglise primitive? qu'elle a pu décider qu'un baptême
administré d'une manière défectueuse et dans des cas de nécessité,
pouvait licitement devenir le baptême ordinaire et légal?
D'après ce que nous avons dit plus
haut, on peut fixer le fin du XIV° siècle et le commencement du XV°
comme l'époque où s'établit l'inovation. AUssi rencontre-t-on
encore, dans plusieurs Eglises antérieures à cette époque, les
baptistères qui servaient au baptême par immersion. Ces vieilles
pierres sont autant de témoins muets de l'innovation romaine.
A
dater du commencement du XV° siècle, cette innovation s'était
tellement répandue que, au XVI°, les protestants qui avaient la
prétention de ramener l'Eglise à sa pureté primitive,
l'acceptèrent et la mirent en pratique. Aujourd'hui encore, ceux
d'entre eux qui baptisent, le font par infusion ou par aspersion, et
souvent, dans certaines sectes, avec une telle légèreté, que l'on
peut douter si leur baptême peut être considéré comme réel, s'il
n'est pas un vain simulacre de sacrement.
Confirmation
Une grave erreur s'est introduite
dans l'Eglise romaine relativement au sacrement de confirmation.
L'ancienne coutume, dit Dom Martène
(235), coutume qui s'est perpétuée presque jusqu'à notre temps,
était de donner le sacrement de confirmation aux enfants aussitôt
après le baptême.
(235)
: ( Dom Martène. De antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C.2, art. I).
Non
seulement les rituels et les pontificaux l'attestent, mais encore
tous les Pères qui ont écrit sur ce sujet.
La raison de cette coutume, c'est
que par le baptême on naît seulement à la vie régénérée, et
que l'on a besoin de la vertu du Saint-Esprit pour croître et
devenir homme parfait. Selon la sainte Ecriture, on doit renaître en
même temps par l'eau et par l'Esprit. On renaît par l'eau au moyen
du baptême; on renaît par l'Esprit au moyen de la confirmation.
En consultant les plus anciens
sacramentaires occidentaux, on acquiert la preuve que l'ancienne
Eglise latine professait la même doctrine que l'Eglise orientale
actuelle, touchant l'union des deux sacrements de baptême et de
confirmation, leur administration et leur ministre.
Dans l'ancien sacramentaire
gélasien, édité par le cardinal Thomasi, on trouve, après le rite
du baptême, celui de la confirmation. On y lit cette règle : "
Par trois fois tu immergeras l'enfant dans l'eau; puis quand il sera
retiré des fonts, l'enfant sera marqué du chrême sur la tête par
le prêtre qui dira : " Dieu Tout-Puissant, Père de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui t'a régénéré par l'eau et le
Saint-Esprit, et qui t'a accordé la rémission de tes péchés, te
fait l'onction avec le chrême du salut, en Jésus-Christ, Notre
Seigneur, pour la vie éternelle."
Le
samedi saint, lorsque le baptême était donné d'une manière
solennelle, l'évêque ajoutait une prière pour demander les sept
dons du Saint-Esprit.
Mais le vrai sacrement de
confirmation était administré par l'onction du chrême; et c'est
l'évêque qui faisait lui-même cette onction lorsqu'il donnait la
confirmation (236).
(236)
: ( Codex S. Remog. Rem. (mss du VIII° siècle). Ap. Marten. Lib.I,
C.2, art 18).
Il
la donnait ordinairement le samedi saint avec le baptême. Dans un
vieux manuscrit du IX° siècle (237), on indique la prière suivante
pour conférer la confirmation :
"Dieu Tout-puissant éternel
qui as daigné régénérer tes serviteurs ici présents par l'eau et
le Saint-Esprit, et qui leur as donné la rémission des péchés,
envoie du ciel sur eux ton esprit septiforme, ton saint paraclet,
l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de
force, l'esprit de science et de piété; remplis-les de l'esprit de
ta crainte et, dans ta bonté, marque-les du signe de la croix pour
la vie éternelle."
Il
est évident que cette formule est la même que celle du
sacramentaire gélasien citée plus haut; seulement un peu plus
détaillée.
Elle est indiquée, avec de légères
modifications, comme la formule de la confirmation, qu'elle soit
récitée par l'évêque, lors du baptême solennel de la veille de
Pâques, ou par le prêtre après le baptême ordinaire (238).
(238)
: ( Lib. Sacrament. monast. Moisacens.; mss, Gemmet, et d'autres
anciens manuscrits l'attribuent à l'évêque; d'autres l'attribuent
au prêtre; V. Cod. Gladbac.; Ritual. Lemovic.; Vet. Missale Rom. ad
usum Minorum; Rit Cadom.; Rit. Ambrosian. ap. D. Martène, De antiq.
Eccl. Ritib. Lib. I. C. 1, art.18).
Il
est à remarquer que, dans l'office du baptême, tel qu'il est
administré aujourd'hui dans l'Eglise romaine, on a conservé
l'onction du chrême et la prière indiquée dans tous les anciens
rituels et sacramentaires occidentaux pour la formule du sacrement de
confirmation. On doit en conclure que ce sacrement est encore conféré
aujourd'hui par le prêtre, aussitôt après le baptême, selon
l'ancienne coutume.
Cependant, on enseigne aujourd'hui,
dans l'Eglise romaine, que l'évêque seul peut donner la
confirmation, et que le prêtre ne la confère pas, tout en faisant
l'onction du chrême et en y joignant la prière en usage, de temps
immémorial, pour l'administrer, et dont on s'est servi pour cela
jusqu'au XIII° siècle (239).
(239)
: ( D. Martène. Lib. I.C. 1, art.I, §3).
Il faut remonter assez haut pour
trouver l'origine de cette erreur. En effet, dès le IX° siècle, le
patriarche Photius reprochait à l'évêque de Rome, Nicoals Ier,
d'enseigner qu'il était interdit aux prêtres de conférer la
confirmation. " D'où vient cette loi? disait-il (240);
(240)
: ( St Photios, Encyclique aux Patriarches Orientaux. Trad. française
: Oeuvres Trinitaires, t. 1, Ed. Lumière du Thabor, Paris, 1989, p.
60).
quel
en est le fondateur? Serait-ce un des apôtres? Serait-ce un des
Pères? Serait-ce un des conciles?"
On ne pouvait donner à cette loi
aucune de ces origines et l'on peut penser que certains évêques
cherchaient, dès le IX° siècle, à en abuser au profit de leur
autorité dont ils cherchaient à exagérer les prérogatives.
Sans doute, c'était l'évêque
qui, primitievement, donnait le baptême, à certains jours
solennels; et c'était lui aussi, par conséquent, qui donnait la
confirmation aux nouveaux baprisés. Mais lorsque l'usage s'établit
d'administrer le baptême tous les jours et partout, le prêtre
l'administra et, avec lui, la confirmation.
Le
reproche adressé par Photius à l'évêque de Rome donne à penser
que ce fut dans cette Eglise que l'on commença à réserver à
l'évêque l'administration de la confirmation. C'est pourquoi on
retrouve des traces de l'ancienne coutume jusqu'au XIII° siècle; et
l'on a conservé jusqu'aujourd'hui les rites unis des deux
sacrements.
2.
LE PAIN AZYME
(Sur ce point, comme sur quelques
autres, Guettée reste très dépendant du vocabulaire et des notions
scolastiques : il parle de "forme" et de "matière"
du sacrement. Remarquablement, il retourne cette scolastique contre
elle-même : l'hostie n'est même plus du pain, le sacrement n'existe
donc pas).
Au XI° siècle, il était encore
d'usage en Occident de consacrer un seul pain, d'une assez grande
dimension et qui servait à la communion du prêtre et des fidèles.
Le cardinal Humbert l'attestait positivement en 1054, dans son
ouvrage en faveur du pain azyme dirigé contre le patriarche de
Constantinople Michel Caerularius. Cependant, vers la fin du même
siècle, Bernard, prêtre de Constance, dans ses notes sur l'Ordre
romain, atteste que le pain eucharistique était réduit, de son
temps, à d epetites proportions. Au XII° siècle, on lui avait
donné la forme d'une pièce de monnaie (241).
(241)
: ( Ernulp. Episc. Roff. Epistol. ad Lambert. ap. d'Achéri, Spicil.,
T.2).
Au
même siècle on fit de petites hosties spécialement destinées aux
fidèles, lesquels, dès lors, ne communièrent pas du même pain que
le prêtre (242).
(242)
: ( Eodem saeculo (Duodecimo), breviores hostiae quas populo
communicanti distribuimus adhiberi coeperunt. Juénin. Comment. de
Sacrement. Dissert., IV., C., I. Art. III, n°4).
Primitivement, le pain
eucharistique dont on se servait en Occident, était, comme en
Orient, du pain ordinaire dans lequel il y avait du levain. Le père
Sirmond, jésuite, convient que, en Occident comme en Orient, le pain
avec levain fut en usage pendant les neuf premiers siècles; que
l'Eglise romaine changea l'antique usage, de la fin du IX° siècle à
la première moitié du onzième (243).
(243)
: ( Sirmond, de Azymo).
Le
cardinal Bona (244) adopta l'opinion du père Sirmond.
(244)
: ( Bona. Rerum. Liturg. Lib. 1., C.23).
Le père Mabillon émit, il est
vrai, une opinion contraire (245). Mais nous n'avons pas à
intervenir dans cette discussion, et nous constatons seulement que
les arguments du père Sirmond, acceptés par le cardinal Bona, ont
été si peu détruits par le savant bénédictin que les théologiens
romains les plus doctes se réfugièrent dans un système qui
donnerait raison aux deux opinions et qui consiste à dire que, dans
les premiers siècles, on se servait indifféremment de pain azyme ou
de pain fermenté (246).
(246)
: ( Juénin. Comment. de Sacrament. Dissert., IV., C.I. Art. 4, §5,
n°1).
Ils
ajoutent que ni les grecs ni les latins n'ont le droit aujourd'hui de
changer la coutume de leur Eglise (247).
(247)
: ( Ibid., § 3).
Ce système n'est évidemment
qu'un moyen d'échapper au fait constaté par Sirmonde et Bona et
d'après lequel l'Eglise romaine aurait changé, à partir de la fin
du IX° siècle, l'ancienne coutume suivie depuis le commencement par
l'Eglise universelle.
Est-il vrai que le pain azyme
puisse être la matière de l'Eucharistie?
C'est une question qui a été très
vivement agitée, et les deux opinions contradictoires ont eu de
nombreux et énergiques défenseurs. Nous n'avons pas à la discuter
et l'Eglise ne s'est pas prononcée sur ce point. Nous devons
cependant faire observer qu'il y a une grande différence entre le
pain azyme, tel qu'il est fabriqué, par exemple, par les juifs, et
tel qu'il le fut sans doute dans l'Eglise romaine au début de
l'innovation, et celui qui est fabriqué aujourd'hui. Ce dernier
est-il du pain, dans l'cception usuelle du mot? Non, évidemment.
Suffit-il que, dans une composition de farine et d'eau non soumise à
une vraie cuisson, cette farine et cette eau existent, pour que l'on
appelle cette composition du pain? On peut le soutenir; mais on peut
soutenir le contraire. De là il résulte qu'il est incertain que
l'Eglise romaine ait conservé la vraie matière du sacrement
eucharistique, et que sa consécration soit valide.
C'est ainsi qu'aujourd'hui la
question nous paraît devoir être posée entre l'Eglise orthodoxe et
l'Eglise latine. Elle acquiert incontestablement beaucoup plus de
gravité qu'à l'époque où l'Eglise orientale commença à
reprocher à l'Eglise latine de se servir de pain azyme, puisque ce
pain était alors du vrai pain, quoiqu'il ne fût pas fermenté;
tandis que, à travers les modifications auxquelles l'azyme fut
soumis, l'Eglise papale se sert aujourd'hui, pour la célébration de
l'Eucharistie, d'une matière qui n'est peut-être pas du pain.
3.
L'EPICLESE (248)
(248)
: ( Guettée est très bref sur l'épiclèse. Le lecteur se
rapportera principalement à Nicolas Cabasilas, Explication de la
divine liturgie, Coll. Sources Chrétiennes 4 bis, Paris, 1967).
Pour
ce qui est de la forme du sacrement, comme disent les scolastiques de
l'Eglise latine, c'est-à-dire de la formule de consécration, il
existe un différend fort grave entre les Eglises d'Orient et
d'Occident.
On croit, dans l'Eglise latine, que
le pain et le vin sont consacrés par le prêtre au moment où il
fait mémoire de l'institution du sacrement, et où il répète,
d'une manière historique, les paroles de l'institution : "
Prenez et mangez, ceci est mon corps... Buvez-en tous, ceci est mon
sang..."
Toutes les Eglises orientales, sans
exception, croient que la consécration n'a pas lieu au moment où le
prêtre raconte ce qui s'est passé à la dernière cène, mais
lorsque, après avoir invoqué le Saint-Esprit, le prêtre le prie de
bénir et consacrer les dons par sa grâce toute-puissante.
On peut douter que l'invocation au
Saint-Esprit existe réellement dans la Liturgie romaine suivie
aujourd'hui par toute l'Eglise latine. Elle existait dans plusieurs
anciennes liturgies occidentales, par exemple, la liturgie espagnole
ou mozarabique. Elle existe encore dans la liturgie écossaise. Mais
peut-on affirmer positivement qu'elle existe d'une manière
équivalente dans les prières du Canon romain? Nous coyons qu'on en
peut douter. Il y aurait donc doute au sujet de la validité de la
consécration dans l'Eglise romaine, aussi bien qu'au sujet de la
matière du sacrement. Le doute n'existerait pas s'il était
absolument certain que le Canon de la messe n'a subi aucune
modification depuis le VIII° siècle. Mais cela est-il absolument
certain (249)?
(249)
: ( Il est même certain qu'il a subi un grand nombre de
modifications dans plusieurs églises. V. D. Martène, De antiq.
Eccl. Rélib. Lib. I., C. 4., art. 9).
Un
fait certain c'est que les ancienne sliturgies attribuées à saint
Jacques et à saint Clément de Rome, contiennent l'invocation au
Saint-Esprit, aussi bien que celles de saint Basile et de saint Jean
Chrysostome. Peut-on croire que l'ancienne liturgie romaine aurait
seule fait exception dans l'Eglise (250) ?
(250)
: ( On sait que les Sacramentaires de S. Gélase et de S. Grégoire
le Grand ne nous sont connus que par des manuscrits postérieurs au
huitième siècle, et qui ont pu être interpolés, comme tant
d'autres monuments, par les copistes. On ne peut donc affirmer que
l'invocation au Saint-Esprit ne s'y trouvait pas primitivement).
Suffit-il de dire, avec la plupart
des théologiens romains, que Jésus-Christ consacra par les paroles
de l'institution? Nous ne craignons pas de dire que cet argument est
ridicule. Jésus-Christ, en prononçant ces paroles : " Ceci est
mon corps... ceci est mon sang..." ne les prononça pas d'une
manière historique, mais d'une manière positive qui entraînait
avec elles leur effet. Peut-on affirmer qu'il en soit ainsi du
prêtre?
Le père Lebrun (251) a émis un
système intermédiaire.
(251)
: ( Explication d ela messe, I.I. Part. 4, art.6).
Il
affirme que la consécration a lieu au moyen des paroles de
l'institution, mais il ajoute que la prière de l'Eglise est
nécessaire aussi pour que l'effet soit produit, et regarde comme la
formule de la consécration toute la prière Quam oblationem... qui
renfermerait équivalemment l'invoaction au Saint-Esprit.
Sur cette question, comme sur celle
du pain eucharistique, on voit que les théologiens romains les plus
graves essayent quelques moyens de conciliation, afin de dissimuler
autant que possible la position fâcheuse où leur Eglise s'est mise
par ses changements continuels.
4.
LE PAIN EUCHARISTIQUE
L'Eglise romaine avait
primitivement le même usage que l'Eglise orientale touchant les
dimensions du pain consacré. Comme nous l'avons établi
précédemment, ce ne fut qu'au XII° siècle qu'elle consacra une
hostie pour le prêtre, et des hosties plus petites pour les fidèles.
Elle a détruit ainsi un des plus touchants mystères de la
communion. Saint Paul l'avait indiqué par ces paroles : " Le
calice de bénédiction que nous avons béni, n'est-il pas la
communication au sang du Christ? et le pain que nous avons rompu,
n'est-il pas la participation au corps du Seigneur? Quoisue nombreux,
nous ne sommes qu'un seul pain, qu'un seul corps, nous tous qui
participons à un pain unique." ( 1 Cor. 10, 16, 17.)
La participation à un seul pain
eucharistique est le symbole de l'unité des chrétiens qui ne
forment qu'un seul corps, dans le Corps et le Sang du Christ auxquels
ils participent.
Par
son invention des petites hosties pour les fidèles, l'Eglise romaine
a bouleversé un des plus touchants mystères de la communion; elle a
considéré comme non avenues les paroles de saint Paul qui montrent
si clairement quelle importance on attachait, du temps des apôtres,
à la participation au pain unique consacré; elle a mis de côté
l'exemple de Jésus-Christ lui-même qui a consacré un seul morceau
de pain qu'il distribua à ses apôtres.
Une
Eglise peut-elle être irréprochable, lorsqu'elle méprise ainsi
l'exemple de Jésus-Christ, et une coutume primitive sous laquelle
les apôtres apercevaient un si touchant et si profond mystère?
Nous n'hésitons donc pas à dire
que l'Eglise romaine s'est rendue coupable, par son invention des
petites hosties pour les fidèles, d'une innovation très blâmable.
5.
LA COMMUNION DES ENFANTS
Elle s'est rendue également
criminelle, en abolissant la communion des enfants.
Lorsque les Eglises occidentales,
entraînées dans le schisme par la papauté, se furent séparées de
l'Orient catholique, elles perdirent tellement le sens chrétien, que
leurs théologiens reprochèrent aux Eglises orientales la communion
des enfants comme un abus énorme. Les protestants joignirent leurs
clameurs à celles des Romains. Il faut dire qu'ils étaient plus
intéressés que ces derniers à crier contre l'abus de l'Orient, car
il détruisait leur théorie de la participation par la foi au Corps
et au Sang du Christ.
L'usage de donner la communion aux
enfants n'a cessé, dans l'Eglise romaine, qu'au XII° siècle (252).
(252)
: ( Recueil de jurisprudence, par Guy du Roussaud de Lacombe. V°
Communion. Renaudot, Perpétuité de la foi sur les Sacrements. Liv.
II. C.C. 8 et 9).
Le
concile de Trente (253) reconnaît l'antiquité de cet usage;
(253)
: ( Conc. Trident. Sess. 21. C. 4).
il
n'ose pas blâmer ceux qui l'observeraient dans les Eglises où il
serait conservé encore au XVI° siècle. Seulement il décida que la
communion n'était pas nécessaire au salut des enfants.
Dans cette décision comme dans la
plupart de celles qu'il a rendues, le concile de Trente se plaçait
systématiquement à côté de la question. Il ne s'agissait pas de
décider que les enfants baptisés pouvaient être sauvés, sans
avoir reçu la communion, mais si la communion leur était nécessaire
pour développer en eux la vie chrétienne. Il est incontestable que,
considérée ainsi, la question ne souffrait pas de difficulté. Dans
l'Eglise occidentale primitive on jugeait que la communion était
nécessaire aux enfants de cette manière, et il nous suffit de citer
comme preuves les témoignages multipliés de saint Augustin et de
saint Innocent premier, évêque de Rome (254).
(254)
: ( Voir Aug. De Peccat. Rem. Lib III. C. 4; Saint Innocent. Epist.
26 ad Synod. Milevit.).
Le
concile de Trente a esquivé la difficulté, ne voulant blâmer ni
l'ancienne doctrine occidentale, ni l'usage qui s'était établi dans
l'Eglise romaine depuis trois ou quatre siècles, de priver les
enfants de la communion.
Dès le XIII° siècle, un concile
de Bordeaux défendait de donner la communion aux enfants, et
prescrivait de leur donner à Päques un morceau de pain bénit à la
place (255).
(255)
: ( Concil. Burdigal. ann. 1255).
La défense formulée par le
concile de Bordeaux passa dans le reste de l'Eglise romaine. Les
protestants ayant conservé cette erreur romaine, Bossuet leur en
demandait le motif, puisque la suppression de la communion pour les
enfants n'était pas fondée sur l'Ecriture, mais sur une décision
de l'Eglise. " Je leur ai demandé, dit-il (256), si CE PRECEPTE
: mangez ceci, et buvez-en tous, qu'ils croient si universel, ne
regarde pas tous les chrétiens? Mais s'il regarde tous les
chrétiens, quelle loi a excepté les petits enfants, qui sans doute
sont chrétiens étant baptisés?"
(256)
: ( Bossuet, Traité de la Communion sous les deux espèces, deuxième
partie. Défense de la tradition sur la communion sous une espèce,
première partie C. 5).
L'Eglise, selon Bossuet, avait le
droit de changer l'antique usage; mais comment l'Eglise peut-elle
abolir un PRECEPTE divin? En combattant les protestants, l'évêque
de Meaux flagellait sa propre Eglise. Son argument ad hominem pouvait
être bon contre les protestants; mais que prouve-t-il contre les
catholiques orientaux qui croient que l'Eglise n'a pas le droit
d'abolir un précepte divin? Si l'Eglise catholique n'a pas ce droit,
comment une Eglise particulière, comme celle qu'on nomme romaine,
l'aurait-elle?
Renaudot, qui connaissait bien
l'antiquité chrétienne et la doctrine des Eglises orientales,
s'élève avec beaucoup d'énergie contre les théologiens modernes
qui ont traité d'abus la communion des enfants. Cette accusation,
dit-il ( 257), retombe sur les anciens pères des temps les plus
florissants de l'Eglise.
(257)
: ( Renaudot, Perpétuité de la foi sur les Sacrements, liv.II. C.C.
8 et 9).
Il
ajoute : " On ne peut, sans ignorer entièrement l'ancienne
discipline de l'Eglise, douter qu'elle n'ait été telle que nous la
trouvons encore parmi les Grecs, les Syriens, les AEgyptiens, les
Arméniens et tous les chrétiens d'Orient, de quelque langue et de
quelque secte qu'ils soient. Ce consentement général en fait voir
l'universalité et l'antiquité dont on a un grand nombre de
preuves."
Renaudot prouve fort bien, contre
les exagérations de certains théologiens occidentaux, que les
orientaux sont restés fidèles à l'ancienne discipline, en
administrant la communion aux enfants; et qu'ils n'ont point enseigné
qu'un enfant baptisé ne serait pas sauvé s'il n'avait pas participé
à la communion.
Mais
le docte orientaliste n'a pas osé soulever la question du précepte
divin de la communion pour tous les chrétiens sans distinction. Il
voulait ménager l'Eglise romaine à laquelle il appartenait; c'est
pourquoi il n'a voulu voir qu'une question de discipline dans un
usage qui repose sur la Parole même de Dieu.
Alors même qu'il n' y aurait là
qu'une question de discipline, on pourrait demander de quel droit
l'Eglise romaine a-t-elle aboli une règle universelle et dont
l'origine remonte positivement aux temps apostoliques?
Mais Jésus-Christ ayant ordonné,
d'une manière générale, à tous ses disciples, de communier,
peut-on dire que l'Eglise romaine observe ce commandement, en privant
d ela communion les enfants jusqu'à l'âge de dix ou douze ans? Elle
n'a pas la même excuse que les protestants, ceux-ci ne croyant pas à
la présence réelle, ne croyant qu'à une participation idéale, par
la foi de celui qui communie. D'après ce système, le communiant
doit savoir ce qu'il fait et avoir la foi subjective. Mais l'Eglise
romaine croit à l'effet produit par le sacrement, en dehors des
dispositions du communiant; qu'il reçoive dignement ou indignement
le sacrement, il participe au Corps et au Sang de Jésus-Christ, pour
sa justification ou pour sa condamnation. Comment, lorsqu'on enseigne
une telle doctrine, priver l'âme pure et innocente des enfants de la
participation à un sacrement qui peut développer sûrement en elle
l'esprit chrétien et lui communiquer la grâce?
On peut donc dire que l'Eglise
romaine n'a pu abolir la communion des enfants sans porter atteinte à
sa propre doctrine sur l'efficacité des sacrements; sans s'attaquer
à une règle universelle et apostolique de la discipline de
l'Eglise; sans manquer au précepte divin de la communion imposée à
tous les chrétiens.
Sa culpabilité est donc
incontestable, et son innovation est contraire à la sainte Ecriture
et à la tradition universelle de l'Eglise catholique.
6.
LA COMMUNION SOUS LES DEUX ESPECES
Elle s'est rendue également
coupable en abolissant la communion sous les deux espèces du pain et
du vin.
Pour défendre l'innovation de
l'Eglise romaine sur ce point, on a essayé de prouver : 1° que
c'était là une question de pure discipline et que l'Eglise avait pu
modifier sa discipline sur ce point; 2° que l'on participait à
Jésus-Christ tout entier, soit que l'on communiât sous les deux
espèces, ou sous une seule; 3° que dans l'Eglise primitive, on a
donné quelquefois la communion sous une espèce, quoi qu'il fût
d'usage de la donner ordinairement sous les deux.
Nous répondons : 1° qu'alors même
qu'il s'agirait seulement de discipline, l'Eglise romaine, qui n'est
qu'une Eglise particulière, n'avait pas le droit d'abolir une règle
universelle et apostolique de l'Eglise catholique.
Nous répondons secondement que,
tout en admettant que l'on reçoit Jésus-Christ tout entier, en
communiant sous l'une des deux espèces, il n'en est pas moins vrai
que Jésus-Christ a établi le sacrement sous les deux espèces,
qu'il a dit à tous ses disciples : Prenez et mangez... Buvez-en
TOUS. On n'obéit donc pas au précepte divin en communiant sous une
seule espèce.
Nous répondons troisièmement que,
alors même que les faits allégués seraient certains et bien
compris, ils ne constitueraient que des exceptions légitimées par
la nécessité, et qui ne feraient que confirmer la règle générale
suivie par toute l'Eglise.
Après avoir posé ainsi la
question d'une manière générale, examinons-la dans ses détails.
Il
y avait primitivement trois manières de participer à la communion
sous l'espèce du vin (258).
(258)
: D. Marten. de Antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C. 4, art. 8, § 13).
On
humait le vin consacré à l'aide d'un chalumeau; ou bien on
approcahit le calice des lèvres; ou enfin, on recevait le pain
consacré trempé dans le vin consacré.
Cette dernière manière était
usitée dans tout l'Orient. En Occident on suivait le même usage
dans plusieurs Eglises. Le troisième concile de Brague (259),
l'interdit, tandis qu'un concile de Tours (260), le prescrivit.
(259)
: ( Concil. Bracaren. III, can. I).
(260)
: ( Ap. Burch. Lib. 5. C. 9).
La
raison que ce concile donne à l'appui, c'est que le prêtre en
distribuant la communion n'aurait pas pu dire sans cela : Que le
corps et le sang du Seigneur te soient utiles. Au XII° siècle,
l'usage de donner ainsi la communion était devenu presque général
(261), et on le regardait comme très bon, en ce sens que les fidèles
communiaient ainsi sou les deux espèces, sans que l'on fût exposé
à répandre le vin consacré, comme cela arrivait souvent lorsqu'on
approchait le calice des lèvres des communiants.
(261)
: ( Ernulph. Epist. ad Lambert. ap. D. D'achéri Spicileg T. 2;
Renaudot, Perpétuité de la foi sur les Sacrements, liv. VIII, Ch. I
et suivants).
Cependant il y eut des
protestations contre cet usage, qui ne fut que toléré,
principalement pour les enfants et les malades qui ne pouvaient
recevoir le pain consacré sans être imbibé.
Telle était encore, au XII°
siècle, la doctrine dans l'Eglise romaine.
Bientôt après, l'usage s'établit
peu à peu de distribuer la communion sous la seule espèce du pain,
et on supprima la communion sous l'espèce du vin. Ce sont les moines
de Cîtaux qui, les premiers, la supprimèrent officiellement dans
leur chapitre général de 1261. Leur exemple a été suivi par
l'Eglise romaine tout entière. Peut-on justifier son innovation?
Le
plus grand théologien de l'Eglise romaine, Bossuet, a traité ex
professo, contre les protestants, de la communion sous les deux
espèces. Cette question, dit-il (262), "n'a qu'une difficulté
apparente, qui peut être résolue par une pratique constante et
perpétueelle de l'Eglise et par des principes dont les prétendus
réformés demeurent d'accord."
(262)
: ( Bossuet, Traité de la communion sous les deux espèces).
Bossuet aurait dû élargir la
question. Quoiqu'il n'eût en vue que les prétendus réformés, il
savait parfaitement que l'Eglise catholique orientale était d'accord
avec eux sur ce point, et que l'on ne pouvait la traiter comme une
secte protestante. Mais restons dans les termes fixés par Bossuet et
examinons s'il a prouvé que "la pratique et le sentiment de
l'Eglise dès les premiers siècles" ont été favorables à la
pratique et au sentiment de l'Eglise romaine actuelle.
Il
affirme que "la pratique de l'Eglise dès les premiers siècles
est qu'on y communiât sous une ou sous deux espèces, sans qu'on se
soit jamais avisé qu'il manquât quelque chose à la communion,
lorsqu'on n'en prenait qu'une seule." Quelle preuve le célèbre
évêque de Meaux donne-t-il à l'appui de cette assertion? On peut,
dit-il, des paroles de saint Luc et de saint Paul (263), conclure que
Jésus-Christ donna son corps pendant le souper et son sang après le
souper. Le corps et le sang peuvent donc être reçus séparément et
l'effet que devait que devait avoir la réception du corps n'a pas
été suspendu jusqu'à ce que les apôtres eussent reçu le sang.
Nous
oserons dire, sauf le respect que nous professons pour le grand
Bossuet, que ce raisonnement est une pure chicane.
Nous ne contestons nullement que
Jésus-Christ n'ait donné séparément son corps et son sang; que la
réception du Corps ne soit accompagnée de l'effet du sacrement
aussi bien que la réception du Sang. Là n'est pas la question. Nous
n'avons donc point à entrer dans la discussion du texte de saint Luc
pour savoir si le Corps fut donné pendant le souper et le sang
après; pour savoir si la particule ou dans le texte de saint Paul
équivaut à la particule et, comme le prétendait, contre Bossuet,
le ministre Jurieu. Nous posons la question d'une manière beaucoup
plus simple, et nous demandons : Jésus-Christ a-t-il institué son
sacrement sous l'espèce du pain et sous l'espèce du vin?
Jésus-Christ, en donnant son corps, a-t-il dit à ses apôtres, et
en leur personne à toute l'Eglise : Prenez et mangez, ceci est mon
corps? A-t-il dit, en donnant son sang : Buvez-en TOUS, ceci est mon
sang, le sang de la nouvelle alliance, etc. etc.? On ne peut que
répondre affirmativement à ces deux questions. Nous en concluons
que, pour rester fidèle à l'institution de Jésus-Christ, on doit
participer à son Corps sous l'espèce du pain, et à son Sang sous
l'espèce du vin. De quel droit un théologien peut-il prétendre que
la participation au Corps suffit, lorsque Jésus-Christ a établi la
participation au Sang? De quel droit décide-t-il que le sacrement
est complet, lorsqu'on n'accomplit que la moitié de ce qu'a établi
Jésus-Christ? De quel droit décide-t-il que l'on participe au Corps
et au Sang, en communiant sous une seule espèce, lorsque
Jésus-Christ en a établi deux, une pour le Corps, l'autre pour le
Sang?
7.
L'EVOLUTION LITURGIQUE
Nous avons exposé les trois
erreurs de l'Eglise romaine sur la communion. Maintenant, il nous
reste à prouver qu'elle a erré en permettant de célébrer des
messes privées; et qu'elle a opéré dans les rites de la messe des
changements qui en dénaturent l'esprit.
Au
sujet des messes privées, un canoniste romain (264), s'exprime ainsi
: " L'usage des messes basses n'a commencé que dans le IX°
siècle.
(264)
: ( Guy du Rousseaud de Lacombe, Recueil de Jurisprudence. V°
Messe).
Il
n' y avait qu'une église publique ou paroissiale en chaque ville où
se célébrait la messe publique appelée depuis paroissiale."
Il
suffit de jeter un coup d'oeil sur toutes les liturgies sans
distinction, pour être convaincu que toute messe devait être
publique, et dite à haute voix, puisque l'ensemble de toutes ces
liturgies n'est, pour ainsi dire, qu'un dialogue entre le célébrant,
le diacre et les assistants.
Saint Justin, dans sa seconde
Apologie, ne mentionne que la liturgie du dimanche, à laquelle tous
les fidèles se rendaient. Mais, dès le IV° siècle, saint Epiphane
regardait comme une coutume apostolique celle de célébrer la
liturgie trois fois par semaine : les dimanche, mercredi et vendredi.
Tertullien, dans son livre De la prière, mentionne également ces
trois jours de liturgie. Cependant, dans certaines églises, on
célébrait la liturgie le samedi et à certaines fêtes de martyrs,
ainsi que l'atteste saint Basile (Epist. 289 ad Caesar. Patric.). Les
Eglises d'Alexandrie et de Rome condamnaient l'usage de célébrer la
liturgie le samedi, et s'en tenaient à l'usage primitif des trois
jours par semaine (265).
(265)
: ( Socrat. Hist. eccl. Lib. V. C. C. 22, 34).
Encore,
selon l'historien Socrate, l'Eglise d'Alexandrie ne permettait-elle,
les mercredis et vendredis, que des réunions où on lisait et
commentait les saintes Ecritures. La liturgie n'y aurait été
célébrée que le dimanche. Saint Innocent, évêque de Rome (Epist.
ad Decent.), condamne la liturgie du samedi, et même, selon certains
interprètes, celle du vendredi.
Il est vrai que, dans les
Sacramentaires de saint Gélase et de saint Grégoire le Grand, on
trouve des messes pour le samedi. Mais ces collections ont passé par
les mains des moines compistes du moyen-âge pour arriver jusqu'à
nous. C'est-à-dire qu'elles ont subi des modifications, selon le
temps où elles ont été copiées. Il en est de ces Sacramentaires
comme des Chroniques orientales dans lesquelles les moines copistes
intercalaient les traditions des Eglises ou des monastères
d'Occident.
Malgré la règle généralement
suivie des trois jours liturgiques, on célébrait, dans certaines
églises, une messe tous les jours, ou à certains jours déterminés
(266).
(266)
: ( D. Martène, De antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C. 2. Art. 3).
Mais, en Occident, s'établit
bientôt l'usage pour chaque prêtre de célébrer tous les jours.
Cet usage date du X° siècle. On ne se contenta bientôt plus d'une
messe, et chaque prêtre en célébrait plus de trois (267).
(267.
Ibid.).
Il
est bien évident qu'en raison même de la quantité des messes,
devait s'établir l'usage de les célébrer à voix basse et aussi
rapidement que possible.
Telle a été l'origine des messes
basses ou privées qui sont restées en usage dans l'Eglise romaine.
L'Eglise orientale a conservé
l'usage primitif d'une seule messe ou liturgie publique et chantée,
les dimanche, mercredi et vendredi de chaque semaine. Elle autorise
également une messe à certaines fêtes, ou pour des raisons
particulières, les autres jours de la semaine.
Elle
est restée ainsi dans l'esprit primitif; toute messe devant être
célébrée par le prêtre en commun avec les fidèles, et étant
composée de prières récitées alternativement par le prêtre, le
diacre et les fidèles, à haute voix.
L'Eglise romaine, au contraire, a
abandonné le véritable esprit de la liturgie, par l'usage des
messes basses ou privées. La messe devient ainsi une prière
particulière. Le pape Alexandre II essaya de rétablir l'ancienne
discipline en décrétant (268) que chaque prêtre ne chanterait
qu'une messe par jour, mais l'abus persista, et l'usage actuel, c'est
que chaque prêtre ne récite plus qu'une messe basse chaque jour,
excepté à Noël où il en récite trois.
(268)
: ( Ap. Gratian., De Conscrat. Dist. 1).
Cet
usage date du XIII° siècle (269).
(269)
: (D. Martène. loc. cit.).
Une
chose digne de remarque, c'est que, à l'époque où le prêtre
célébrait plusieurs messes, il était obligé de changer d'autel
pour chaque messe (270).
(270)
: ( D. Martène. loc. cit.).
L'église orientale ne permet pas
de célébrer la messe deux fois en un jour sur le même autel.
L'église romaine suivait cette ancienne règle, même après en
avoir aboli d'autres non moins antiques et respectables. Mais
aujourd'hui, elle laisse la liberté de dire, sur le même autel,
autant de messes que l'on veut.
Peut-on dire que tous les
changements qui se sont opérés dans l'Eglise romaine soient
innocents, et qu'elle ne s'est pas rendue criminelle en les
permettant?
Outre qu'une messe basse ne peut
réellement être considérée comme une liturgie (271), ou service
public, on ne peut la célébrer sans se mettre en opposition avec
l'esprit de l'Eglise primitive, et sans exposer le prêtre à tomber
dans une routine sacrilège. Il n'est pas rare de voir les prêtres
réciter les prières de la liturgie avec une rapidité scandaleuse,
sans esprit de foi, et uniquement pour gagner les émoluments
attachés à la récitation des prières. Cet abus détestable
résulte nécessairement de l'obligation imposée au prêtre de dire
la messe chaque jour sans être astreint aux rites du culte public.
On ne peut non plus considérer
comme licites les nombreux changements que l'Eglise romaine a fait
aux rites de la liturgie. Les anciennes liturgies existent encore;
elles sont connues et conservées par les diverses Eglises
orientales; on n'a qu'à les comparer à la liturgie romaine actuelle
pour être renseigné sur les modifications dont la liturgie romaine
a été l'objet (272).
(272)
: ( Ces modifications sont indiquées, au moins en partie, dans le
grand ouvrage du père Martène sur les anciens rites de l'Eglise).
On
ne peut étudier les Pères de l'Eglise occidentale primitive sans
être convaincu que, d eleur temps, la liturgie occidentale était à
peu près la même que celle de l'Eglise d'Orient. Les différences
ne portaient que sur des détails qui ne modifiaient point l'économie
générale des rites.
Aujourd'hui, quand on voit célébrer
la liturgie orientale, qui est restée comme elle l'éatit aux
premiers siècles, et qu'on voit ensuite célébrer la liturgie
romaine, il est impossible de trouver entre elles quelque rapport.
Cependant, quand on approfondit cette dernière liturgie et que l'on
en étudie tous les rites, on peut retrouver ce qu'elle a conservé
de primitif, et connaître ainsi les nombreuses modifications qu'elle
a fait subir aux anciens rites.
Nous sortirions de notre sujet en
nous étendant sur les preuves que nous pourrions donner à l'appui
des considérations qui précèdent. Aucun homme, tant soit peu
instruit, ne peut contester les modifications qui sont indiquées,
même par les écrivains liturgiqtes de l'Eglise romaine. D'un autre
côté, il suffit, pour en comprendre l'importance, de rapprocher la
messe romaine de l'idée fondamentale de la liturgie. Cette idée a
été de représenter la vie entière et le sacrifice du Sauveur. Or,
peut-on voir un tableau exact et expressif de cette vie et de ce
sacrifice dans les rites romains actuels? Dans les anciennes
liturgies, tous les détails concourent à exprimer parfaitement et
complètement le précepte exprimé par Jésus-Christ dans ces
paroles : Faites ceci en mémoire de moi; La liturgie primitive est
donc comme un drame mystérieux dans lequel le Christ apparaît dans
les grandes circonstances de sa vie terrestre, depuis sa naissance
jusqu'à son ascension et son règne éternel à la droite de son
Père.
La messe romaine, modifiée,
taillée, remaniée de mille manières depuis mille ans,
exprime-t-elle l'idée fondamentale de la vraie liturgie catholique?
Il suffit de voir célébrer une messe basse par un prêtre assisté
d'un enfant de choeur pour répondre négativement.
En parcourant, même à la suite
des liturgistes occidentaux, les variations de l'acte le plus
important du culte chrétien, on ne peut que s'étonner de la rage
d'innovtions que possède l'Eglise romaine depuis sa séparation de
l'Eglise catholique. Ce qui frappe encore en lisant ces liturgistes,
c'est la peine qu'ils se donnent pour expliquer certaines cérémonies
dont on ne comprend pas au premier abord la raison d'être. Les
explications qu'ils en donnent appartiennent parfois à la plus haute
fantaisie mystique. S'ils avaient plus approfondi les liturgies
orientales, ils auraient compris que ces cérémonies, qui y existent
encore, y apparaissent dans leur vraie signification; et que si elles
sont insignifiantes ou à peu près, dans l'Eglise romaine, la raison
en est dans le retranchement ou la modification inintelligente des
rites que ces cérémonies devaient représenter ou accompagner.
Pour la liturgie, l'Eglise romaine
n'a été fidèle que dans la conservation de la langue latine. Or,
en cela elle s'est encore éloignée de l'esprit de l'Eglise
primitive. Les fidèles devant prendre une large part aux rites et
aux prières, il s'ensuit que la liturgie doit être célébrée,
sinon en langue usuelle, du moins en langue compréhensible. Aussi
chaque peuple ayant sa langue propre, a-t-il toujours possédé la
liturgie dans cette langue. Primitivement, il y eut deux langues
principales dans l'Eglise la grecque et la latine. Les Latins
célébraient en latin, et les Grecs en grec. Ainsi, dans les
colonies grecques du midi de la Gaule, on célébrait encore la
liturgie en grec au VI° siècle. A mesure que les peuples dits
Barbares embrassèrent le christianisme, on traduisit pour eux la
liturgie et l'Ecriture sainte. La langue latine n'étant plus parlée
nulle part, aurait dû disparaître de la liturgie. Mais Rome, au
lieu d'imiter la primitive Eglise, affecte de la contredire. Elle a
donc décidé que, dans toutes les églises occidentales, on
célébrait en latin, quoique les fidèles ne comprennent point cette
langue, et que même les prêtres la comprennent peu.
Le
peuple est ainsi isolé du prêtre, et ne peut plus prendre au
sacrifice la part qui lui revient.
Chose
étonnante! Dans une chose antique que l'Eglise romaine veut
absolument conserver sans la modifier, elle s'éloigne autant de
l'esprit de l'Eglise primitive, par cette conservation, que par ses
innovations. C'est assez dire que l'Esprit de Dieu l'a abandonnée,
et qu'elle n'est point la vraie Eglise du Christ.
8.
LE MARIAGE
L'Eglise romaine, s'exprimant par
le concile de Trente (273), a déclaré qu'elle ignorait si le prêtre
était ou non ministre du sacrement de mariage, et s'il n'était pas
seulement témoin nécessaire. Ainsi, lorsque deux fidèles déclarent
en présence du prêtre de leur paroisse, qu'ils se marient, ils sont
mariés légitimement sans la bénédiction du prêtre, et, sans
cette bénédiction, leur mariage est un sacrement.
A
côté de cette étrange doctrine, l'Eglise romaine se montre très
sévère contre le mariage civil, en certaines contrées, tandis
qu'elle s emontre très large en d'autres pays, où elle ne pourrait
agir autrement sans inconvénient.
On
peut donc dire qu'elle n'a, au sujet du mariage, que des doctrines de
circonstance.
Le
sujet, cependant, paraît en lui-même être de la plus grande
simplicité.
Le
mariage est un contrat naturel; ce contrat est la matière du
sacrement, et la bénédiction du prêtre en est la forme. C'est donc
par suite de cette bénédiction que le contrat naturel du mariage
est élevé à la dignité de sacrement de l'Eglise.
Que
ce contrat soit déposé devant l'autorité civile pour obtenir ses
effets extérieurs, cette circonstance ne peut absolument avoir aucun
effet pour le sacrement; elle ne lui est ni favorable, ni contraire.
Que,
dans certaines contrées, le mariage bénit par le prêtre obtienne
ses effets civils; il n'y a encore là aucun inconvénient, dès que
l'autorité civile n'en voit pas.
On
comprendrait donc difficilement les déclamations, parfois
furibondes, des papes et des évêques contre le mariage civil, si
l'on ne savait qu'ils sont mus par un motif tout autre que celui
qu'ils mettent en avant. Ils pensent que ceux qui se marieraient
civilement pourraient bien avoir idée de se passer du mariage
religieux.
On
comprendrait cette susceptibilité dans une Eglise qui aurait
conservé la doctrine du sacrement de mariage conféré par le
prêtre; mais dès que l'Eglise romaine ne croit le prêtre
nécessaire que comme témoin, le sacrement en lui-même subsiste
sans lui. Le contrat naturel entre deux fidèles est sacrement; et
c'est le sacrement qu'ils vont faire enregistrer par l'autorité
civile.
L'Eglise romaine professe une autre
erreur au sujet du mariage. Quoique Jésus-Christ ait enseigné
positivement que le mariage est indissoluble, excepté pour cause
d'adultère ( 274), le mariage est indissoluble.
(274)
: (Evangel. S. Matth.c. XIX, 9).
Les
théologiens ont épuisé toutes les chicanes pour prouver qu'il ne
fallait pas entendre les paroles de Jésus-Christ dans leur sens
clair et évident. Mais ces chicanes ne peuvent rien contre ces
divines paroles.
Le
mariage, selon l'Evangile, est l'unité corporelle de deux êtres qui
n'en font plus qu'un moralement. L'adultère rompt cette unité, la
détruit. Par conséquent, par suite de l'adultère, l'unité
matrimoniale est anéantie.
Donc, dès que l'adultère est
juridiquement prouvé, l'autorité ecclésiastique doit prononcer la
dissolution du mariage, au profit de la partie innocente; car il est
évident que le coupable ne peut bénéficier de sa faute.
Telle est la règle suivie dans
l'Eglise catholique orientale, fidèle à l'esprit et à la lettre de
l'Evangile.
9.
LA FAUSSE PIETE.
Dans son ouvrage sur le miracle de
Lourdes, M. Henri Laserre prétend que la sainte Vierge est bien
apparue à une jeune fille dans la grotte de Lourdes, quoique
personne ne l'ait vue, à part la jeune fille extatique. Il en donne
pour preuves : les miracles qui s'opèrent journellement, et
l'apparition d'une fontaine dans la grotte.
On
dit que la sainte Vierge apparaissant à l'extatique de Lourdes, lui
aurait dit : Je suis l'Immaculée-Conception. Mettre dans la bouche
de la sainte Vierge ce mot ridicule, surtout lorsqu'on l'applique à
une personne, c'est insulter la sainte Vierge et lui faire consacrer
une hérésie. Cela seul prouve que, s'il y a eu apparition à
l'extatique, cette apparition est démoniaque. M. H. Laserre croit
raisonner d'une manière très logique, en donnant certaines
guérisons comme autant de miracles à l'appui de l'apparition dont
il s'est fait l'apologiste. Nous lui ferons observer que ses
guérisons n'offrent pas en leur faveur autant de preuves que celles
qui sont contenues dans le livre de Montgéron, sur les miracles du
diacre Pâris, et dans les procès-verbaux publiés par les prétendus
jansénistes. Il ne veut pas certainement que les miracles des
prétendus jansénistes prouvent en faveur de leur thèse? Alors
comment veut-il que ce qu'il rapporte prouve en faveur de la sienne?
Acceptons que ses récits sont vrais. Mais ce qu'il appelle miracles,
ne sont-ils pas des faits extraordinaires dus à l'influence du
démon? Nous ne nous donnerons pas la peine de les discuter; car,
pour nous, ils ne peuvent être que faux ou démoniaques, alors
qu'ils sont faits en faveur de l'Immaculée-Conception, une hérésie
condamnée par la foi constante de l'Eglise, même de l'Eglise
romaine, jusqu'en 1854. Jésus-Christ a averti que des faits
merveilleux auraient lieu à l'appui de l'erreur, mais qu'il n'y
faudrait pas croire, et que le devoir des fidèles serait de s'en
tenir à la foi reçue. Donc, lorsqu'un ange viendrait du ciel nous
annoncer un nouveau dogme, nous le condamnerions lui et son dogme, et
ses miracles, comme autant d'émanations de l'enfer. Si M. H. Laserre
avait connu ce critérium du vrai catholique, il se serait dispensé
d'écrire son gros volume qui ne prouve absolument rien, ou plutôt
qui prouverait, si les faits relatés par lui sont vrais, que le
démon exerce sa puissance dans l'Eglise dont il fait partie. Cette
action démoniaque prouverait, une fois de plus, que l'Esprit de Dieu
s'en est éloigné.
10.
LE PURGATOIRE
L'Eglise romaine professe qu'avant
le jugement dernier et général, ceux qui meurent subissent un
jugement particulier, d'après lequel ceux qui doivent être punis ou
récompensés, sont envoyés en Enfer ou en Paradis pour l'éternité.
Elle prétend, en outre, que parmi
ceux qui sont passés à l'autre vie, il en est qui n'ont absolument
mérité ni la récompense ni la punition éternelles. Elle les place
donc dans un lieu intermédiaire qu'elle appelle Purgatoire, où ils
souffriraient le tourment du feu, en expiation de leurs fautes
vénielles, jusqu'à ce qu'ils aient entièrement satisfait à la
justice de Dieu. Après cette satisfaction complète, ils entreraient
en Paradis.
Les
âmes enfermées dans le Purgatoire peuvent recevoir du soulagement
des prières et des bonnes oeuvres des vivants; elles peuvent même
être délivrées absolument de leurs peines par l'application d'une
indulgence plénière; car le pape se prétend le droit d'accorder
des indulgences plénières applicables aux âmes du Purgatoire.
S'il en est ainsi, nous ne voyons
pas comment le Purgatoire peut exister pour l'Eglise romaine, dès
que le pape peut si facilement délivrer les âmes qui y souffrent.
Son devoir serait d'appliquer des indulgences plénières
quotidiennes à ces pauvres âmes souffrantes, et il pourrait
attacher ces indulgences à des oeuvres si faciles des vivants,
qu'elles seraient immanquablement gagnées et appliquées.
Le
Purgatoire n'existe donc que par la volonté du pape. Ceci est vrai
sous un double rapport : d'abord, parce que c'est une invention des
papes; ensuite, parce qu'ils pourraient le supprimer, s'ils le
voulaient, au moyen de leurs indulgences plénières.
Parmi les théologiens romains, les
plus savants, comme Bossuet, ont réduit le plus possible la doctrine
du Purgatoire, de manière à se rapprocher très près de
l'orthodoxie. Le concile deTrente leur avait donné l'exemple de ces
atténuations (275).
(275)
: (Concil. Trident. Sess. 25. Décret de Purgat.; Bossuet; Exposition
de la doctrine catholique).
Ce
concile blâme les superstitions et les fausses doctrines dont le
Purgatoire était l'occasion, et réduit ce Purgatoire à un lieu
dans lequel les âmes qui y sont détenues peuvent être aidées par
les prières et les bonnes oeuvres des fidèles, et surtout par le
sacrifice de la messe.
La doctrine du Purgatoire est tout
autre dans la pratique de l'Eglise romaine. Pour s'en convaincre, on
peut lire les innombrables traités qui sont chaque jour publiés sur
ce sujet, avec approbation de l'autorité ecclésiastique. On y
verra, à toutes les pages, que les âmes condamnées au Purgatoire,
y souffrent dans un feu violent; que ce feu les purifie et possède
une vertu d'expiation. C'est, du reste, l'idée qu'emporte avec lui
le nom seul de Purgatoire.
Si
le concile de Trente avait ses raisons de réduire autant que
possible la doctrine du Purgatoire, à cause des attaques trop
justifiées des protestants, les théologiens qui commentèrent
officiellement sa doctrine n'observèrent pas les mêmes ménagements.
Nous lisons, en effet, dans le catéchisme romain, dit du concile de
Trente ou ad Parochos (276), ce qui suit :
"
Par le mot enfer, on entend d'abord le lieu où sont les damnés...
On entend de plus, le feu purgatoire dans lequel les âmes des
personnes pieuses souffrent pendant un temps déterminé, en
expiation de leurs fautes, afin que l'entrée leur soit ouverte dans
l'éternelle patrie où rien de souillé n'entre."
Les théologiens auteurs du
catéchisme prétendent que cette doctrine est appuyée sur
l'Ecriture sainte et la tradition apostolique; ce qu'ils ne prouvent
pas, et pour cause, car il n'en est fait la moindre mention ni dans
les saintes Ecritures, ni dans les monuments d ela tradition
catholique.
Tout
ce que l'on rencontre dans les monuments traditionnels, c'est que les
âmes des défunts peuvent recevoir du secours des prières et des
bonnes oeuvres des vivants, et surtout du sacarifice eucharistique;
parce que ces prières, ces bonnes oeuvres, ce sacrifice, excitent en
leur faveur la bonté de Dieu, en vue des mérites du seul rédempteur
Jésus-Christ.
Mais on ne trouve point dans la
tradition que certaines âmes soient dans un feu expiatoire. Or,
c'est en cela principalement que consiste la doctrine romaine du
Purgatoire.
L'Eglise primitive n'admettait pas
de jugement particulier après la mort; tous damettaient que le
jugement général qui aurait lieu à la fin du monde, fixerait
définitivement le sort des élus et des réprouvés. Tous les Pères
de l'Eglise sont unanimes sur ce sujet.
En
conséquence, toutes les âmes des défunts sont dans un état
provisoire, jusqu'au jugement dernier. Celles des saints ont un
avant-goût du bonheur dont elles jouiront éternellement; celles des
coupables souffrent avant d'être condamnées pour l'éternité. La
parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche ne laisse aucun doute à
cet égard; mais leur sort ne sera cependant irrévocablement fixé
qu'après la sentence de Jésus-Christ au jugement dernier. En
attendant, des liens de communion existent entre les vivants et les
morts qui peuvent, comme sur la terre, prier les uns pour les autres,
d'une manière utile.
Pour comprendre la différence qui
existe entre la doctrine primitive et celle de l'Eglise romaine, il
ne sera pas inutile de les réduire l'une et l'autre à quelques
propositions fort claires :
La
doctrine de l'Eglise primitive peut être ainsi formulée :
1°
Après la mort les âmes sont en des états différents selon les
bonnes oeuvres qu'elles ont faites, ou les fautes qu'elles ont
commises;
2°
Les mêmes relations de communion existent entre les vivants et les
morts, qu'entre les vivants sur la terre;
3°
Ils peuvent prier mutuellement le suns pour les autres; de sorte que
les saints peuvent prier utilement pour les vivants, et que les
vivants peuvent prier utilement pour ceux qui ne seraient pas morts
justifiés. Le sacrifice eucharistique peut surtout leur appliquer
les mérites de Jésus-Christ.
La
croyance de l'Eglise romaine peut être formulée de la manière
suivante :
1°
Outre le ciel où sont les saints avec Dieu, et l'enfer où souffrent
les damnés, il y a un lieu appelé purgatoire où sont les âmes de
ceux qui n'ont pas mérité la damnation, mais qui avaient des péchés
à expier au moment de la mort;
2°
Dans ce lieu, les âmes souffrent de la peine du feu, et leurs
souffrances sont expiatoires, les purifient, et les font satisfaire à
la justice divine;
3°
Les prières et les bonnes oeuvres des fidèles, et le sacrifice de
la messe peuvent aider les âmes du purgatoire;
4°
Le pape peut leur appliquer des indulgences même plénières.
Ce
simple rapprochement des deux doctrines suffit pour en faire
comprendre la différence.
A
l'appui des erreurs de l'Eglise romaine, nous pouvons non seulement
nous appuyer sur le catéchisme romain ou du concile de Trente, mais
sur un canon du concile de Florence que l'on considère comme
oecuménique dans l'Eglise romaine. En effet, ce concile a décrété
que les "âmes de ceux qui sont morts avant d'avoir satisfait
par de dignes fruits de pénitence sont purifiées après la mort par
les peines du purgatoire... Animos poenis purgatorii post mortem
purgari."
L'historien autorisé du concile de
Trente, le cardinal Jésuite Pallavicini, traitant la question du
purgatoire, déclare erronée et absurde la doctrine de quelques
scolastiques du moyen âge, laquelle se rapprochait beaucoup de celle
de l'Eglise primitive (227).
(227)
: ( Pallavic. Histoire du Concile de Trente, liv. I, c. 8. Il
convient d'ajouter que Guettée, encore marqué par les notions de
mérite et de satisfaction, ne développe pas la doctrine entière
des Pères sur l'après-vie. Pour eux, l'enfer n'est ni un lieu ni
une condition créés par Dieu pour châtier, mais la façon dont le
pécheur perçoit l'amour divin. Le même amour de Dieu est paradis
pour le juste et feu pour le pécheur).
Il
ne se faisait donc pas illusion sur les atténuations du concile de
Trente, et il les complétait comme l'a fait le catéchisme du même
concile.
Par
suite de son erreur sur l'état définitif des âmes des justes et
des réprouvés, aussitôt après la mort, l'Eglise romaine a admis
deux autres erreurs : l'une qui consiste à dire que les justes
jouissent de la vision béatifique; la seconde, que le pape peut
décréter que telle personne qui a été vertueuse sur la terre est
admise dans le ciel, ce qu'on appelle canonisation.
Le
pape Jean XXII, dans un ebulle fameuse, lncée ex cathedra et avec
solennité, avait décidé, par une réminiscence de la doctrine
orthodoxe, que la vision béatifique n'aurait lieu qu'après le
jugement dernier, lorsque le sort des justes serait irrévocablement
fixé par le décret du Juge souverain, Jésus-Christ.
Mais
ses successeurs ont condamné solennellement et également ex
cathedra, la doctrine de Jean XXII.
Les
infaillibles n'ont pas toujours été d'accord.
Une
fois l'erreur de la vision béatifique immédiate adoptée, les papes
se sont accordés le droit d'imposer à Dieu des saints, en les
canonisant. Le pape s'attribue ainsi une autorité directe sur les
justes, comme sur les âmes du purgatoire. Il élève les uns à la
vision béatifique par ses canonisations; il délivre les autres par
ses indulgences!
Du
reste, le pape actuel n'a-t-il pas élevé la sainte Vierge elle-même
en décrétant son Immaculée-Conception? Et les théologiens romains
ne prétendent-ils pas chaque jour que cette décision a été un
degré de gloire d eplus pour la sainte Mère de Dieu? Le père
Newman, un théologien autorisé, n'a-t-il pas osé dire que, par ce
décret, la Trinité était devenue plus parfaite?
On
ne pourrait croire à de telles hérésies, à de telles absurdités,
si on ne les imprimait tous les jours avec l'autorisation du pape et
des évêques.
V
LA
TRES SAINTE INQUISITION
ET
AUTRES POLEMIQUES
1.
LA TRES SAINTE INQUISITION ET LES BENEDICTINS
(L'extrait suivant, paru dans
l'Union Chrétienne en 1870, est une note d electure de Guettée,
composée principalement d'un extrait des Mémoires du R. P. Dom des
Pilliers. Nous l'avons introduit ici du fait de son influence
probable sur Dostoïevsky et le récit du Grand Inquisiteur. Voir
notre Introduction, 3° partie, La Postérité de Guettée.
On remarquera aussi que le célèbre
liturgiste Dom Guéranger était, comme la plupart des ultramontains,
partisan du retour à l'Inquisition).
"
Parmi les institutions du moyen âge, si pompeusement célébrées en
récréation par Dom Guéranger, figure en première ligne
l'Inquisition qu'il a soin de qualifier toujours de très sainte.
"
- Ah! dit-il avec transport, l'Espagne n'est restée profondément
catholique que grâce à ce sacré tribunal! Si la France l'avait
fait heureusement fonctionner jusqu'à nos jours, nous n'aurions pas
dans notre infortunée patrie deux millions d'hérétiques, tant de
millions d'incrédules de toutes dénominations, et enfin nous
n'aurions point eu à subir l'exécrable Révolution de 89.
"
Avec la très-sainte Inquisition tous les esprits rebelles ou
téméraires rentreraient vite dans le giron de la sainte Eglise; car
les justes châtiments infligés aux plus mutins imprimeraient à
tout le monde une crainte salutaire. Les hérétiques mêmes
fuiraient au moins comme au temps de la révocation de l'Edit de
Nantes. La France ne formerait qu'un peuple homogène par l'unité de
sa croyance et de ses aspirations, et, comme au moyen âge où elle
donnait le mouvement à toute l'Europe, elle redeviendrait le bras
droit de l'Eglise, sa fille aînée dont elle tient encore à honneur
de porter le glorieux titre.
"-
Mais, dit un religieux, de même que vos attaques contre les
liturgies gallicanes entachées de jansénisme ont été couronnées
de succès, de même aussi, mon Révérendissime abbé, si vous
composiez un ouvrage dans lequel, montrant la nécessité de la foi
catholique pour le salut des fidèles et pour la grandeur même des
nations, vous établiriez comme moyen infaillible, mais indispensable
de leur garantir cette foi précieuse, l'institution en France et
dans tout l'univers catholique du sacré tribunal de l'Inquisition,
il est à présumer que cet ouvrage porterait, comme celui des
Inquisitions liturgiques, ses conséquences naturelles, savoir :
l'établissement de ce saint tribunal.
"- Oui, lui dit Sa Paternité,
si je venais à suivre votre beau conseil, nous pourrions nous
attendre à voir prochainement fermer notre abbaye.
"
Pensez donc à tout ce qu'un pareil livre déchaînerait contre nous
de fureurs, de violences et de passions mauvaises!
"
Les protestants, les incrédules, les rationalistes, les gallicans,
et tant de catholiques superficiels qui n'ont du catholicisme que le
nom, feraient dans les journaux et dans mille brochures, un tel
vacarme pour exciter les passions antireligieuses et antisociales,
que le gouvernement profiterait de la circonstance pour faire
dissoudre peut-être même par le Saint-Siège, notre Congrégation
victime de son zèle à servir les intérêts de l'Eglise et de la
société civile elle-même.
"
- Par le Saint-Siège, mon Révérendissime?
"
- Certainement, Dom N... Le Saint-Siège redoute les embarras,
surtout dans un moment où il ne se sent pas le plus fort. Si
quelques-uns des siens le servent autrement qu'il ne le juge
convenable selon les circonstances, il ne craint point de les
qualifier d'imprudents et de compromettants. En conséquence, si la
partie adverse lui demande de les sacrifier de par son autorité
suprême, le Saint-Siège, pour éviter un conflit nuisible à son
influence, transige avec le gouvernement en lui accordant ce qu'il
désire et lui demandant en retour un dédommagement qui, dans une
pareille occurence, lui est toujours gracieusement octroyé.
"
Aujourd'hui que je réfléchis à ce langage, je me demande comment
un homme jugeant le Saint-Siège capable d etrahir aainsi ses
défenseurs et de tirer de cette lâcheté une prime lucrative, peut
continuer à le servir et à vouloir lui créer des millions
d'adhérents, même par l'Inquisition.
"
Peut-on concevoir, ou une perversité plus diabolique, ou une
aberration plus monstrueuse?
"
Mais continuons le dialogue.
"
- Alors, répliqua le religieux, il faut désespérer de voir
rétablir la sainte Inquisition, et les voeux que nous formons sont
des voeux superflus?
"
- Vous vous trompez, mon cher Père; il est d'autres moyens d'arriver
à notre but impunément et sans danger.
"
- Lesquels, mon Révérendissime abbé?
"
- Il faut commencer par détruire le gallicanisme, et c'est à quoi
je travaille de tous mes efforts avec nos bons amis, les rédacteurs
et collaborateurs de l'Univers.
"
Cela fait, nous prêcherons la nécessité du droit canonique romain.
"
La lumière s'étant bien répandue dans le clergé d'abord, ensuite,
par son influence, chez les laïcs instruits, on sentira le besoin de
mettre d'accord la législation civile, encore athée, avec les
saintes lois de l'Eglise reconnue pour directrice suprême de toutes
les consciences.
"
De là, vous le comprenez, il n'y aura plus qu'un pas à
l'établissement de la Sainte-Hermandad, et ce pas sera bientôt
fait. On obtiendra facilement, sinon de la piété, au moins de la
sage politique du chef d'un pays aussi profondément catholique que
le sera devenue la France, l'emploi du moyen que l'expérience de
l'Espagne a montré comme seul capable de maintenir intacte la pureté
de la foi.
"
Un grand nombre de mes confrères applaudirent de tout leur coeur ce
beau langage.
"
Ils s'extasiaient en exprimant leur ferme espoir de l'établissement
plus ou moins prochain de la très-sainte Inquisition fonctionnant,
dans toutes les nations devenues ultramontaines, pour l'extermination
complète, par le feu, des hérétiques de ces pays, et cela, ad
majorem Dei gloriam!
"
L'un d'eux, même, dont je tiens le nom en réserve, que j'avais cru
jusqu'à ce jour beaucoup moins fanatique, transporté tout à coup
d'une joie féroce, nous tint ce discours :
"
- Oh! que ne puis-je voir ce beau temps et être nommé
Grand-Inquisiteur! Je pardonnerai volontiers encore à ceux qui se
rétracteraient avec des signes non équivoques de repentir. Mais
quelle puissance j'éprouverais à condamner au feu les relaps
opiniâtres ou hypocrites, violateurs sacrilèges de leurs promesses!
"
Mon suprême bonheur serait d'être leur bourreau, DE LES TOURNER ET
RETOURNER DE MES PROPRES MAINS, A L'AIDE D'UN LONG FOURGON, SUR LE
BRASIER INCANDESCENT DU BUCHER."
"
Plusieurs rirent aux éclats d'un rire d'allégresse en savourant ces
nobles sentiments.
"
Que l'on dise maintenant que le monachisme qui les inspire n'est pas
la perfection même du christianisme, comme les moines cherchent à
le persuader aux bonnes âmes!
"
N'y eut-il pas de protestations contre ce langage d'énergumène?
peut-on me demander.
"
Oui, mais une seule; ce fut la mienne.
"
- Quels voeux horribles! m'écriai-je. Est-il possible que des
sentiments aussi barbares sortent d ela bouche d'un moine?
"-
Dom des Pilliers, me fut-il répondu, vous nous faites l'air d'avoir
de la sympathie pour les hérétiques et de blâmer l'Eglise qui,
elle, cette tendre mère! n'a pas craint de les livrer au bras
séculier pour les faire brûler.
"
Du reste, si Dieu lui-même brûle les hérétiques pendant toute
l'éternité, l'Eglise peut bien brûler leurs corps ici-bas pour
empêcher que l'erreur ne se répande et ne fasse des millions de
victimes des flammes éternelles.
"
Qu'un jour la France, redevenue franchement catholique, établisse
les tribunaux de la très-sainte Inquisition, vous serez alors l'un
des premiers que nous ferions brûler si vous ne rétractiez
solennellement vos erreurs relatives à la légitimité même de ces
sacrés tribunaux.
"
- Si vous attendez cette époque, mes chers confrères, je puis
longtemps encore vivre en paix. La France, fort heureusement, n'est
pas à la veille d'adopter vos idées.
"
- Fort heureusement? me dit le Révérendissime; mais vous exprimez
là, mon cher père, un sentiment tout à fait hérétique. Pour un
prêtre, originaire même d'une province naguère encore espagnole,
je vous assure que vous me surprenez étrangement. Mon désir de vous
excuser ici devant vos confrères me porte à croire que vous avez
voulu faire une plaisanterie afin de provoquer les réponses si
orthodoxes qu'ils vous ont faites.
"
- Dans une matière aussi grave, mon Révérendissime abbé, je ne me
permettrais pas de plaisanter; je crois n'exprimer qu'un sentiment
chrétien en blâmant l'Inquisition espagnole comme monstrueuse et
contraire aux maximes de l'Evangile.
"-
Voyons, Dom des Pilliers, comment établiriez-vous ce paradoxe?
"
- La vérité que je soutiens, mon Révérendissime, je l'établis
sur ce qui suit :
"
Lorsque les apôtres demandèrent à Jésus-Christ de faire descendre
le feu du ciel sur les habitants d'un bourg de Samarie qui avaient
refusé de le recevoir, le Christ, au lieu d'y consentir, les
réprimanda fortement et leur dit :
"
Vous ne savez pas à quel esprit vous êtes appelés, le Fils de
l'homme n'est pas venu pour perdre les hommes, mais pour les sauver."
( Luc, IX, 54, 56).
"
- D'abord, mon cher Père, il n'est pas question de la foi dans le
texte que vous citez.
"
D'ailleurs, Jésus-Christ n'avait point encore établi son Eglise;
elle ne pouvait donc avoir des droits.
"
De plus, dans les trois premiers siècles, celle-ci n'étant pas en
mesure de disposer du bras séculier, qui loin de la soutenir la
persécutait à outrance, elle ne pouvait songer à établir des
moyens de se maintenir par la force.
"
Mais quand, plus tard, elle fut devenue une société parfaite, elle
en acquit naturellement tous les droits. Or, le premier et le plus
incontestable, assurément, est celui de se conserver et de se
défendre contre les agressions soit intestines, soit étrnagères;
de là l'établissement fort légitime de la très-sainte
Inquisition. Qu(avez-vous à dire à l'encontre?
"
- J'ai entendu votre raisonnement, mon Révérendissime; voici le
mien :
"
Si le Christ qui, comme Dieu, est tout-puissant, voulait que son
Eglise usât de la force et non simplement de la persuasion, de la
prière et d ela patience pour se maintenir et se propager, il eût
certainement communiqué cette force matérielle à ses apôtres, à
ses disciples, aux évêques, aux prêtres et aux chrétiens des
trois premiers siècles qui constituaient aussi bien son Eglise que
peuvent la constituer aujourd'hui le pape, les cardinaux, les huit
cents évêques, les trois à quatre cent mille prêtres et les cent
quatre-vingts à deux cent millions d'âmes de la catholicité. Or,
vous voyez les apôtres et les disciples de Jésus-Christ, les
évêques et des millions de chrétiens des trois premiers siècles,
manquant totalement de cette force matérielle, triompher néanmoins
de tous leurs ennemis du dedans et du dehors, hérétiques et païens,
apostats et persécuteurs, non en les envoyant au bûcher, mais en
mourant eux-mêmes, à l'exemple du Maître, pour la défense de la
vérité.
"
Cette conduite de la primitive Eglise et le triomphe qui en a été
le résultat sont donnés même par tous les panégyristes comme une
preuve spéciale de son institution divine.
"
Si donc aujourd'hui l'Eglise avait besoin, pour se maintenir, du
secours des forces humaines, on pourrait en conclure que la force
divine l'a délaissée et qu'elle n'est plus la véritable épouse du
Christ.
"
- La belle âme que celle de notre bon Père des Pilliers! dit en
raillant le Révérendissime qui évita de répondre à mon argument;
il se laisserait égorger sans défense par les hérétiques, lors
même qu'il aurait en mains le pouvoir de réprimer leur rébellion.
Il voudrait ramener l'Eglise à son berceau et lui rendre ses langes
par une fausse compassion pour des pervers que son bras, devenu
puissant, est à même de soumettre à son autorité ou de rendre
incapables de lui nuire.
"
Pour ramener au giron de l'Eglise des âmes égarées, ne pourrait-on
pas, lui dis-je, trouver des moyens plus conformes à l'esprit du
Christ que de rôtir ses semblables?
"
- Vous oubliez, Dom des Pilliers, que mettre les méchants dans
l'impuissance de pervertir les bons, c'est la meilleure charité à
exercer envers ceux-ci, en même temps que l'on fait justice des
coupables.
"Quant
au choix des châtiments, il est avantageux d'employer les plus
terribles comme étant les plus efficaces pour arrêter l'audace des
mécréants révoltés contre Jésus-Christ et son Eglise.
"
D'ailleurs, voici un raisonnement péremptoire : l'Inquisition est
l'oeuvre de l'Eglise; or, tout ce que fait l'Eglise ets conforme à
l'esprit du Christ, parce qu'elle est son épouse infaillible : donc
l'Inquisition est justement appelée très-sainte et doit être
considérée comme telle par quiconque se croit et se dit l'enfant de
l'Eglise. Répondez à ce syllogisme, mon cher Père Dom des
Pilliers.
"
- Cela ne me paraît point fort difficile, mon Révérendissime abbé.
"
D'abord, je ne puis accepter votre majeure; car, loin d'admettre que
l'Inquisition soit l'oeuvre de l'Eglise, bon nombre d'ouvrages,
sortis de la plume d'ecclésiastiques et d erelogieux, rejettent sur
les gouvernements civils tout l'odieux des bûchers de l'Inquisition
pour en disculper absolument la sainte épouse du Christ.
"
- C'est vrai, répliqua Dom Guéranger; mais ces auteurs n'en usent
ainsi que pour atténuer l'impression défavorable que ce nom
d'Inquisition, devenu odieux à tant de soi-disant catholiques,
produit sur ces âmes faibles qu'il est bon de ménager dans leur
propre intérêt; car, vu leurs dispositions du moment, elles
seraient exposées à rompre avec l'Eglise si on la leur montrait
responsable du supplice des criminels livrés par elle au bras
séculier. Ces auteurs, mon cher Père, suivant le principe : "
Que toute vérité n'est pas bonne à dire", cachent cette
dernière dans d'excellentes intentions; mais, entre nous, aucun
motif ne s'oppose à ce que nous nous la disions à nous-mêmes,
c'est-à-dire les uns aux autres. De la sorte nous nous animons
réciproquement à aimer d'une affection filiale et respectueuse
toutes les institutions de notre mère la sainte Eglise.
"
Quand les esprits seront moins prévenus, et que la simplicité de la
foi catholique animera tous les enfants de l'Eglise, alors ce sera le
temps d'affirmer bien haut que la très-sainte Inquisition est
parfaitement son oeuvre.
"
- Dès lors, mon Révérendissime, ces auteurs trompent le public en
disculpant l'Eglise d'une responsabilité qui lui incombe, et la
Congrégation de l'Index devrait censurer de pareils livres.
"
- L' Eglise ne met à l'Index que les ouvrages qui tendent à lui
nuire; ces derniers, au contraire, lui étant favorables, comment
voulez-vous qu'elle les censure? Peut-elle se détruire de ses
propres mains?
"
Mais il me semble que l'Eglise, avant tout, doit défendre la vérité
dont elle se dit l'infaillible dépositaire, mon Révérendissime.
"
- Mon cher Père Dom des Pilliers, vous devenez bien raisonneur
aujourd'hui, tandis que vous devez vous soumettre à l'Eglise en vous
fondant sur ce principe catholique : l'Eglise agit de telle manière;
donc c'est bien, donc c'est conforme à l'esprit du Christ; donc la
très-sainte Inquisition est excellente.
"
- Si vous n'aimez pas m'entendre raisonner, je consens volontiers à
me taire, mon Révérendissime. Toutefois, je garde les sentiments
que je viens d'émettre tant que je ne verrai pas l'Eglise prendre
ouvertement sous sa responsabilité la Sainte-Hernandad avec tout son
cortège de tortures. Jusque-là je ne pourrai croire que
l'inquisition soit l'oeuvre de l'Epouse du Christ.
"
Ainsi se termina la discussion.
"
Maintenant je pourrais dire de moi-même comment ce tribunal proclamé
saint, était organisé et de quelle manière il fonctionnait. Mais
je préfère citer ici l'article d'un prêtre, docteur en théologie,
l'abbé Moréri, tel qu'il se trouve dans son grand dictionnaire au
titre : Inquisition espagnole. Le voici in extenso :
"
L'Inquisition connaît des crimes d'hérésie, de judaïsme, de
mahométanisme, de sodomie, de sortilège et de polygamie. La coutume
est que le roi d'Espagne nomme au pape un inquisiteur général pour
tous les royaumes, et Sa Sainteté le confirme. Cet inquisiteur
général nomme ensuite les inquisiteurs particuliers de chaque lieu
qui ne peuvent pourtant exercer leurs charges avant que d'avoir eu le
consentement et l'agrément du roi. Le roi, de plus, met un conseil
au sénat pour cette matière dans le lieu où est le roi, de plus,
met un conseil au sénat pour cette matière dans le lieu où est le
souverain inquisiteur ou président, et le conseil a une juridiction
souveraine sur toutes les affaires qui regardent l'Inquisition. Les
seigneurs les plus considérables se font officiers de l'Inquisition
sous le nom de familiers. Leur fonction est de faire la capture des
accusés. Le respect extrême qu'on porte aux familiers et la terreur
que cette juridiction jette dans les esprits autorise si fort les
emprisonnements, qu'un accusé se laisse emmener sans oser rien dire
dès qu'un familier lui a prononcé ces paroles : De la part de la
sainte Inquisition. Aucun voisin n'ose murmurer; le père même livre
ses enfants et le mari sa femme, et s'il arrivait quelque révolte,
on mettrait en la place du criminel tous ceux qui auraient refusé de
donner main-forte pour empêcher son évasion. On met les prisonniers
un à un ou deux à deux dans de petites cellules d'où on les tire
les jours de conseil, pour être interrogés à la manière de ce
tribunal, où on ne leur dit pas de quoi ils sont accusés, mais on
se contente de leur demander de quoi ils se sentent coupables.
"
D'abord tous les parents du criminel s'habillent en deuil et en
parlent comme d'un homme mort. Ils n'osent solliciter pour sa grâce
ni même s'approcher de la prison, tant ils craignent d'être
suspects et enveloppés dans le même malheur, jusque-là que les
parents se réfugient quelquefois dans les pays étrangers : car
chacun craint d'être pris pour complice. Quand il n'y a point de
preuves contre l'accusé, on le renvoie après une longue prison;
mais il perd toujours la meilleure partie de son bien qui s econsume
pour fournir aux frais de l'Inquisition.
"
Le secret de toute la procédure est gardé si étroitement qu'on ne
sait jamais le jour destiné à prononcer leur sentence. Ce jugement
se rend, pour tous les accusés, une fois l'année, en un jour choisi
par les inquisiteurs. L'arrêt qu'on y donne s'appelle un auto-da-fé,
c'est-à-dire un arrêt de foi, et il est aussitôt suivi de
l'exécution des coupables.
"
On rend cet arrêt en public avec des solennités extraordinaires.
"
On élève un théâtre de charpentes qui occupe presque toute la
place publique, et qui peut tenir jusqu'à trois mille personnes. On
y dresse un autel richement paré, et à côté on élève des rangs
de sièges en façon d'amphithéâtre, pour faire asseoir les
familiers et les accusés.
"
Vis-à-vis est une chaire fort haute, où un des inquisiteurs appelle
chaque accusé l'un après l'autre, pour écouter la lecture des
crimes dont on l'accuse et l'arrêt de condamnation qu'on lui
prononce.
"
Les prisonniers qui sortent de la prison pour venir sur le théâtre
jugent de leurs destinées par les différents habits qu'on leur a
donnés.
"
Ceux qui ont leurs habits ordinaires en sont quittes pour une amende.
"Ceux qui ont un san-benito,
qui est une manière de justaucorps sans manche, chargé d'une croix
rouge de saint André cousue dessus, sont assurés de la vie; mais
ils perdent leurs biens qui sont confisqués au profit d ela chambre
royale et pour payer les frais de l'Inquisition.
"
Ceux à qui l'on a fait porter sur le san-benito quantité de flammes
de serge rouge, cousues dessus sans aucune croix, sont convaincus
d'être relaps et d'avoir eu déjà une fois leur grâce, et sont
menacés d'être brûlés en cas de rechute.
"
Mais ceux qui, outre les flammes représentées sur leur san-benito,
y portent leur propre tableau environné de figures de diables, sont
destinés à la mort.
"
Les inquisiteurs étant ecclésiastiques ne prononcent point l'arrêt
de mort; ils dressent seulement un acte qu'ils lisent à l'accusé où
ils marquent que, le coupable ayant été convaincu de crimes, la
sainte Inquisition le livre avec douleur au bras séculier; Cet acte
est mis entre les mains de sept juges qui sont au côté gauche de
l'autel, lesquels condamnent les criminels à être brûlés, après
avoir été étranglés, si ce n'est qu'ils soient juifs, car en ce
cas on les brûle tout vifs.
"
On dresse des fagots avec un poteau au milieu, où le criminel, étant
assis, est étranglé par l'exécuteur, puis brûlé.
"
La Confrérie de la Miséricorde est présente à ce spectacle, où
elle vient avec une bannière suivie de plusieurs prêtres qui
conduisent le criminel au lieu patibulaire et font des prières pour
lui."
"
Voilà ce que j'avais à citer de l'abbé Moréri sur l'Inquisition
espagnole.
"Et
telle est l'admirable institution du moyen-âge dont l'abbé et les
moines de Solesmes s'efforcent de préparer l'établissement dans
notre chère patrie!
"
C'est là le but ultérieur des travaux de Dom Guéranger et de la
direction qu'il imprime à sa Congrégation, ainsi qu'aux évêques
s'inspirant de ses conseils et de son esprit.
"
Qu'on laisse agir les moines dans l'ombre et se développer à leur
aise par les moyens habituels dont ils usent, et les gouvernements
devront plus tard compter avec eux comme avec une puissance d'autant
plus formidable qu'elle sera plus occulte et plus mystérieuse."
2.
LA PAPAUTE ET LES JUIFS
Le concile de Latran de 1215,
présidé par le pape et regardé comme oecuménique par l'Eglise
romaine, décida que les juifs devraient porter sur leur habit une
marque particulière qui les ferait distinguer des chrétiens. Dans
quel but fit-on un tel décret? Etait-ce pour faire des juifs un
objet de respect ou de répulsion?
Etait-ce dans un esprit de
tolérance que le pape Grégoire IX écrivait à tous les évêques
des contrées européennes : " Nous vous ordonnons que le
premier samedi du carême prochain, lorsque les juifs seront
assemblés dans leurs synagogues, vous fassiez prendre tous leurs
livres, en vertu de notre autorité, chacun dans votre province, que
vous les fassiez garder soigneusement chez les Frères Prêcheurs ou
Mineurs, en implorant, s'il est nécessaire, le bras séculier."
Le
pape Alexandre II a loué les évêques d'Espagne d'avoir pris la
défense des juifs contre ceux qui les massacraient; mais puisque
l'évêque jésuite de Smyrne a lu sa lettre avec tant de transport,
pourquoi ne l'a-t-il pas citée? On y aurait alors lu ce passage : "
Dieu les a conservés (les juifs) par s amiséricorde pour vivre
dispersés par toute la terre, après avoir perdu leur patrie et leur
liberté en punition du crime de leurs pères."
C'était donc à titre d'exécuteur
de la condamnation providentielle portée contre les juifs que la
papauté voulait la conservation des juifs. Cette idée était celle
de tous ceux qui prenaient la défense de cette malheureuse nation.
Ecoutons saint Bernard cité par l'évêque jésuite de Smyrne : "
Les juifs, dit-il ( Epist. 36), sont les plus grands ennemis des
chrétiens; ils sont pires que les Sarrasins; toutefois, il ne faut
pas les faire mourir, mais les réserver à un plus grand supplice,
celui d'être toujours esclaves, fugitifs et sous l'étreinte de la
frayeur." En conséquence, saint Bernard demande au roi de
France de les punir dans ce qu'ils ont d eplus cher, c'est-à-dire
dans leur argent. L'abbé de Cluny, pénétré de sentiments
identiques, priait le même roi de prélever sur les juifs l'argent
nécessaire pour faire la guerre aux Sarrasins.
Telle fut, de tout temps, la
politique du clergé romain à l'égard des juifs : les laisser
vivre, mais les tenir dans l'esclavage, sans droits politiques ni
civils; leur fixer des quartiers particuliers dans les villes, et les
marqyer d'infamie.
Ils
sont encore en cet état à Rome, malgré les phrases pompeuses de
l'évêque jésuite de Smyrne sur les actes du pape régnant.
L'Eglise orientale, qui ne s'occupe
pas de politique, n'a jamais enseigné, touchant les juifs, de
semblables théories; elle n'a pas plus approuvé les massacres dont
ils ont été victimes, que le système d'humiliation et d'esclavage
suivi de tout temps et encore aujourd'hui par la papauté. Elle a
cherché au contraire à inspirer à ses fidèles, à l'égard des
juifs comme de tous les autres ennemis du christianisme, des
sentiments de tolérance et de charité chrétienne...
Revue
du mois
Paris,
3/15 juin 1870
Eglise orthodoxe. - Les journaux
grecs publient une lettre adressée, par S.S. le patriarche de
Constantinople, aux chrétiens orthodoxes de son diocèse, contre les
préjugés que des chrétiens nourrissent depuis longtemps au sujet
des juifs. Voici cette lettre :
" Le préjugé est une chose
terrible! Malheureusement, chez presque tous les peuples d'orient, a
prédominé l'idée extravagante que les juifs boivent du sang
humain, et surtout chrétien, soit comme une boisson sanctifiante,
soit à cause de leur ancienne haine contre les chrétiens. De là
arrivent quelquefois des soupçons et des outrages qui troublent
l'harmonie sociale et la sympathie que les habitants d'une même
patrie et les sujets d'un même Etat doivent conserver les uns à
l'égard des autres. Dernièrement encore, on répandait le bruit que
plusieurs enfants avaient été enlevés, ce qui raviva les haines et
les accusations. Quant à nous, nous rejetons ce bruit comme
invraisemblable et nous le considérons comme un préjugé d'hommes
simples et crédules; c'est pourquoi nous le condamnons
officiellement. En même temps, nous engageons tout vrai chrétien à
juger avec plus de douceur nos concitoyens israélites; à penser que
la loi de Moïse, leur développement social et leur civilisation
actuelle ne justifient point les préjugés entretenus contre eux; à
prendre en considération : d'un côté, la dignité humaine, l'image
divine et l'antiquité historique des Israélites; de l'autre,
l'incomparable beauté morale et la grandeur de la perfection
évangélique de notre céleste Maître et Sauveur Jésus-Christ, qui
a défendu, sous peine de la géhenne, les simples mots de Raca et de
fou; qui nous recommande l'amour et la charité, même envers nos
ennemis; qui a donné cet ordre exprès : " Que votre lumière (
c'est-à-dire la lumière de vos oeuvres) luise tellement devant les
hommes qu'ils voient vos oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui
est dans les cieux." ( Math. V, 16.)
" Donné au Patriarcat, le 18
février (1er mars) 1870."
Le peuple orthodoxe se montre animé
des mêmes sentiments de douceur et de tolérance que S.S. le
Patriarche. A peu près à la même époque où était publiée la
communication du patriarche Grégoire, les orthodoxes de Corfou
élisaient membres du conseil municipal trois Israélites, hommes
d'une réputation connue et d'une capacité distinguée.
A propos de cette élection et d
ela lettre patriarcale, la Revue orthodoxe d'Athènes s'exprime ainsi
au sujet de la tolérance :
"
La tolérance est une vertu chrétienne; elle serait erronée
seulement si son motif était l'indifférence à l'égard des
diverses religions; cette dernière tolérance équivaudrait au
scepticisme. Mais elle est une vertu chrétienne quand, en croyant
fermement à la vérité de la religion chrétienne, on ne veut pas
cependant imposer cette religion aux autres d'une manière violente;
quand on cherche à persuader de sa vérité seulement par la parole,
et qu'on laisse les autres libres de la recevoir ou non. C'est ce
qu'enseigne S. Lactantius : "Religio cogi non potest; et, verbis
potius quam verberibus res agenda est, ut sit voluntas; et, nihil est
tam voluntarium, quam religio; et, nos non expectamus, ut Deum
nostrum, qui est omnium, velint, nolint, colat aliquis invitus, nec
si non coluerit irascimur". (La religion ne peut être imosée
de force; et il faut y conduire par le verbe plutôt que par les
verges, afin d ela faire accepter par la volonté; il n'y a rien de
plus libre que la religion, et nous ne souhaitons pas nous-mêmes
voir qui que ce soit adorer de force, bon gré, mal gré, notre Dieu,
qui est celui de tous les hommes, pas plus que nous n'avons de colère
si quelqu'un ne l'adore pas). (Institutiones, V. 19, 20.) Nous
comprenons ainsi la tolérance chrétienne envers les dissidents;
cette tolérance est une conséquence immédiate du commandement
évangélique de l'amour envers tous, même envers nos ennemis... Si
nous passons d'Orient en Occident, nous voyons en Rome 156 membres du
concile qui soumettent un projet concernant les juifs, dont l'état
religieux paraît occuper lesdits Pères; après leur avoir fait
subir de si nombreuses persécutions et injustices, on songe à les
appeler au giron de l'Eglise catholique romaine. Mais les vénérables
Pères auraient dû savoir qu'une telle invitation pourrait être
adressée aux juifs plutôt d ela part de toute autre Eglise que de
l'Eglise romaine. Non seulement pendant le moyen âge les juifs
trouvèrent dans l'Eglise latine un ennemi implacable, mais encore
jusqu'à nos jours, au sein de la Ville éternelle, ils ne peuvent
jouir des droits communes. Les 156 Pères semblent ignorer
volontairement l'histoire de la nation israélite, comme aussi celle
de leur conversion au christianisme. Les persécutions et les
invitations solennelles ne réussiront jamais à convertir les juifs
au christianisme; c'est la parole de l'Evangile et la vie sainte des
chrétiens qui peuvent seules convaincre les Israélites comme tout
autre dissident et leur faire embrasser le christianisme."
3.
LES INDULGENCES
Dans le principe, l'Eglise
accordait à des pécheurs condamnés aux pénitences publiques, des
adoucissements, soit à cause de leurs bonnes dispositions
exceptionnelles, soit sur les instances des martyrs qui intercédaient
pour les pécheurs, et dont l'intercession était agréée par
l'Eglise.
Le mot indulgence n'eut d'abord que
ce sens d'adoucissement aux pénitences canoniques. Mais peu à peu,
l'Eglise romaine en a dénaturé le caractère, de sorte
qu'aujourd'hui le mot indulgence a un sens complètement différent.
Il signifie l'application faite à un individu des mérites de
Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints. Ces mérites
formeraient, par leur surabondance, un trésor qui serait à la
disposition du pape, et duquel il pourrait tirer des mérites qu'i
appliquerait, selon sa volonté, à d'autres que ceux qui les ont
eus, lesquels accompliraient certaines conditions déterminées.
Le pouvoir du pape, dans la
dispensation du trésor des mérites surabondants serait si grand,
qu'il pourrait les appliquer non seulement aux pécheurs vivants,
mais aux pécheurs morts qui seraient condamnés à expier leurs
péchés dans un lieu appelé Purgatoire (278).
(278)
: ( Concil. Trident. Sess. 26, Decret. de Indulg.).
Nous avons déjà examiné la
doctrine erronée du Purgatoire. Nous nous contentons ici
d'enregistrer la prétention du pape d'étendre son pouvoir jusque
dans l'autre monde.
La
doctrine des indulgences repose sur une fausse notion des mérites de
la sainte Vierge et des saints que l'on place pêle-mêle, dans un
même trésor avec ceux de Jésus-Christ. Cette erreur est contraire
à la sainte doctrine de la rédemption et de la Justification, par
Jésus-Christ, seul médiateur entre Dieu et l'humanité coupable.
Personne n'a devant Dieu de mérite personnel, sinon en Jésus-Christ
et par Jésus-Christ. Les mérites de la sainte Vierge et des saints
n'ont donc de valeur que par Jésus-Christ; alors comment peut-on les
dire surabondants, et les mettre, dans un prétendu trésor, à côté
de ceux de Jésus-Christ dont ils seraient distincts, dont ils
formeraient comme un supplément. Si la sainte Vierge et les saints
ont des mérites surabondants, ils ont donc été plus que saints,
plus que justifiés devant Dieu?
Il
n'y a aucune proportion entre les oeuvres auxquelles on attache des
indulgences, et ces faveurs spirituelles. Pour établir ce point,
nous n'avons pas besoin de citer une foule d'indulgences fort
singulières, pour ne pas dire ridicules, dont les divers traités
d'indulgences sont remplis.
Il
nous suffira d eciter celles-ci, reconnues comme authentiques dans
toute l'Eglise romaine et par les plus graves théologiens.
1°
Quatre cents jours pour tous ceux qui, s'étant confessés, assistent
à la grand'messe le jour de la fête du très-saint Sacrement;
autant pour ceux qui assistent aux matines ou aux vêpres du même
jour; cent soixante pour ceux qui assistent à l'une des petites
heures, et la moitié de tout cela pour ceux qui assistent à la
messe ou aux matines, etc... pendant l'octave. Sixte IV a accordé
les mêmes indulgences à ceux qui assistent aux mêmes offices le
jour et pendant l'octave de l'Immaculée-Conception, et Clément VIII
à ceux qui assistent à l'office du saint nom de Jésus.
2°
Sixte IV a accordé trois cents jours d'indulgences à ceux qui
récitent dévotement les litanies du saint nom de Jésus, et deux
cents à ceux qui récitent celles de la sainte Vierge.
3°
Sept années sept fois quarante jours d'indulgences à ceux qui
portent un cierge ou un flambeau lorsqu'on porte le saint Viatique
aux malades. Trois années et trois quarantaines à ceux qui le font
porter, ne pouvant le porter eux-mêmes. Cinq années et cinq
quarantaines à ceux qui accompagnent le saint Viatique sans porter
de lumière. ( Innocent XII, par un indult du 5 Janvier 1695.)
4°
Indulgence plénière à tous ceux qui, étant confessés, contrits
et communiés, assistent aux prières des quarante heures. ( Grégoire
XIII par son indult du 5 avril 1580.)
5°
Indulgence plénière une fois le mois, le jour que l'on choisira à
son gré, à tous ceux qui, étant confessés, contrits et communiés,
réciteront ce jour-là, à genoux, l'Angelus Domini, le matin, à
midi et le soir au son de la cloche, et cents jours d'indulgence
chaque fois qu'on le récitera de même les autres jours. ( Benoît
XIII, par son indult du 14 septembre 1724.) Le même pape, par ses
lettres in forma brevis du 5 septembre 1727, a étendu la même
indulgence aux religieux qui, étant occupés à quelques exercices
réguliers pendant qu'on sonne l'Angelus, le réciteraient à genous
dans un autre temps. Benoît XIV a confirmé la même indulgence le
20 avril 1742, et a ajouté qu'on la gagnerait en récitant le Regina
caeli au temps de Pâques, avec le verset et l'oraison Deus, qui per
resurrectionem, etc., pour ceux qui le savent, en sorte néanmoins
que ceux qui ne savent ni le Regina ni cette oraison gagneront
également cette indulgence en récitant l'Angelus. On gagnera aussi
l'indulgence, sans dire à genoux soit le Regina caeli, soit
l'Angelus, pendant le temps pascal et tous les dimanches de l'année,
partout où ce n'est pas la coutume de réciter ces prières à
genoux.
6° Indulgence de cent jours à
ceux qui se salueront l'un en disant Laudetur Christus, ou loué soit
Jésus-Christ, l'autre répondant In saecula, dans tous les siècles,
ou amen, ainsi soit-il, ou semper, toujours. Même indulgence pour
les prédicateurs ou pour les autres fidèles qui tâcheront
d'introduire cette manière de saluer. De plus, indulgence plénière
à l'article de la mort pour ceux qui, s'étant servis à l'ordinaire
de cette façon de se saluer pendant leur vie, invoqueront au moins
de coeur, s'ils ne le peuvent de bouche, les noms de Jésus et de
Marie. ( Par indult de Sixte V, renouvelé par Benoît XIII le 22
janvier 1728.)
Les ordres religieux ont leurs
indulgences particulières.
Les
indulgences se divisent en locales, réelles et personnelles.
L'indulgence locale est attachée à un certain lieu, comme chapelle,
église, etc. On la gagne en visitant ce lieu et en observant toutes
les conditions marquées par la bulle; en sorte que si la bulle
ordonne d'entrer réellement dans l'église ou d'y faire quelque
exercice qui exige réellement cette entrée, comme d'y communier,
d'y visiter cinq autels, etc., on ne gagnera point l'indulgence sans
y entrer réellement, quoiqu'on en soit empêché ou par la violence
ou par la multitude; au lieu que si la bulle exige seulement de
visiter l'église et d'y prier, on gagnera l'indulgence en priant à
la porte de l'église dans laquelle on ne pourra entrer, parce que
l'on sera censé pour lors l'avoir visitée et y avoir prié
moralement parlant. Lorsqu' une église à laquelle est attachée une
indulgence tombe en ruine par partie, et se réédifie de même,
l'indulgence subsiste, parce que l'église subsiste elle-même. Mais
si l'église tombe entièrement et n'est point rétablie,
l'indulgence cesse. Que si l'on rétablit l'église dans le même
lieu ou dans un autre, il est plus sûr de demander de nouvelles
indulgences, quoiqu'il soit probable que les anciennes subsistent
dans le premier cas et même dans le second, lorsqu'elles sont
accordées en vue du patron d'un tel endroit, ou à l'église qu'une
communauté y possède.
L'indulgence réelle est celle qui
est attachée à certaines choses mobiles et passagères, comme
rosaires, grains bénits, médailles, et accordée aux fidèles qui
portent ces choses avec dévotion. Lorsque ces choses sont changées,
de façon qu'elles cessent d'être les mêmes, selon l'estimation
commune des hommes, l'indulgence cesse; mais si les choses subsistent
et sont censées les mêmes, malgré le changement qui leur est
arrivé, l'indulgence subsiste. Tel serait le changement d'un rosaire
auquel on aurait mis un cordon nouveau, ou quelques grains en moindre
nombre que cex qui susbsistent.
L'indulgence personnelle est celle
qu'on accorde immédiatement à quelques personnes en particulier, ou
en commun aux personnes, par exemple, d'une certaine confrérie. Ces
personnes peuvent gagner ces sortes d'indulgences en quelque lieu que
ce soit, ou saines, ou malades ou mourantes.
Nous
n'entrerons pas dans des détails plus circonstanciés sur les
indulgences. Ceux qui voudront en savoir davantage pourront lire,
s'ils en ont le courage, des traités spéciaux. Les plus doctes sont
ceux du père Wolf, plus connu comme téhologien sous son nom
latinisé de Lupus; des pères Théodore du Saint-Esprit, et Honoré
de Sainte-Marie.
Ce
que nous avons dit suffit pour établir notre thèse, c'est-à-dire
que les indulgences sont des faveurs tout à fait disproportionnées
avec les oeuvres prescrites pour les mériter.
Pour
légitimer les indulgences, les théologiens de l'Eglise romaine
confondent les indulgences modernes de cette Eglise avec celles que
l'Eglise primitive accordait aux pécheurs repentants, lesquels, par
leurs excellentes dispositions, méritaient qu'on leur remît une
partie des pénitences publiques fixées par les canons. Il est bien
évident que l'Eglise qui a établi ces pénitences, qui en a
déterminé la nature et la durée, peut modifier sa législation,
dans certaines circonstances de lieu, de temps, de personnes. Mais
lorsque l'Eglise romaine a laissé tomber en désuétude, non
seulement les pénitences canoniques, mais les pénitences générales,
recommandées à tous les chrétiens, comme les jeûnes de carêmes
et les abstinences, peut-on soutenir que ses indulgences soient des
actes de même nature que ceux de l'Eglise primitive, abrégeant pour
certaines personnes la durée des pénitences publiques?
Les théologiens de l'Eglise
romaine raisonnent donc fort mal lorsqu'ils ont recours à ces actes
de l'Eglise primitive pour légitimer les indulgences modernes.
Pour
trouver l'origine de ces indulgences, il faut remonter à la fin du
neuvième siècle (279).
(279)
: ( V. Juenin. Dissert. de Indulgent. c.2.; Morin. de Paenit.).
Une
disposition du concile de Tribur, près de Mayence, tenu en 895, est
le premier document que l'on puisse citer à l'appui de la faculté
de se rattacher, moyennant une certaine somme d'argent, des
pénitences canoniques. Dès qu'il fut permis d'échapper à ces
pénitences en payant, elles furent bientôt abolies, et les
canonistes occidentaux, comme Réginon et Pierre de Poitiers, ne
s'appliquèrent plus qu'à déterminer la somme qui puvait compenser
telle ou telle pénitence.
Tel
était l'état de la question à la fin du dixième siècle. On avait
eu soin de multiplier les années de pénitence en théorie, pendant
qu'on les abolissait en pratique; de sorte que les canonistes
indiquaient gravement quelles prières il fallait réciter, combien
d'argent il fallait verser, combien de coups il fallait
s'administrer, pour compenser cinquante, cent ou mille années de
pénitences canoniques. Dès qu'on pouvait facilement se racheter de
si longues pénitences, on en déduisait naturellement que l'on
pouvait faire beaucoup d epéchés. Mais comment concilier de si
longues pénitences avec les limites de la vie humaine? On ne le
pouvait, mais on imagina que les pénitences qui n'étaient pas
accomplies en ce monde devaient l'être dans l'autre, et que, dès
cette vie on pouvait se racheter pour la vie future. C'est de là
qu'est sortie la doctrine du Purgatoire et des indulgences
applicables aux âmes qui souffriraient en ce lieu.
Au
onzième siècle, on inventa l'indulgence plénière, c'est-à-dire
la remise totale de toutes les pénitences que l'on serait obligé de
faire soit en cette vie soit en l'autre. On eut recours à ce moyen
pour exciter le zèle pour les croisades. Au concile de Clermont, en
1096, où fut proclamée la première croisade, le pape Urbain II
d'accord avec les évêques présents, décida que "le voyage à
Jérusalem pour la délivrance de cette Eglise tiendrait lieu de
toute pénitence."
En 1122, au premier concile de
Latran, le pape Callixte II confirma l'indulgence plénière d'Urbain
II et l'étendit à ceux qui iraient combattre les Musulmans en
Espagne. En 1145, le pape Eugène III la confirma de nouveau, et en
1195, Clément III en fit autant.
Selon Bernard de Clairvaux (280),
les scélérats et les impies, les ravisseurs, les sacrilèges, les
homicides, les parjures, les adultères, s'engagèrent pour un an,
comme croisés, et débarrassèrent les lieux témoins de leurs
crimes. Cependant des hommes pieux voulurent aussi en profiter, selon
le même écrivain (281).
(281)
: ( Ibid. Epist. 246).
D'après
la population qui formait la majorité dans les croisades, on ne peut
s'étonner des crimes et des atrocités qui furent commis pendant ces
expéditions.
Le
zèle pour l'indulgence des croisades se refroidissant, le pape
Boniface VIII annonça avec beaucoup d'éclat une indulgence plénière
pour tous ceux qui visiteraient Rome la première année du XIV°
siècle. L'an 1300 fut indiqué comme une année sainte, et on lui
donna le nom de Jubilé, en réminiscence du Jubilé de l'Ancienne
Alliance. Une foule innombrable de pèlerins se rendirent à Rome et
y apportèrent beaucoup d'argent. La cour papale prit goût à des
démonstrations aussi utiles à ses intérêts. Clément VI, élu
pape en 1342, décida qu'un Jubilé avec indulgence plénière aurait
lieu à chaque demi-siècle. Le pape Grégoire XI, qui mourut en
1378, publia une bulle pour instituer un Jubilé à chaque tiers de
siècle. Cette bulle ne fut pas observée par ses successeurs jusqu'à
Paul II, à la fin du XV° siècle. ce pape décida qu'un Jubilé
aurait lieu à chaque quart de siècle, et c'est la règle qui a été
suivie depuis.
Les évêques s'attribuaient
d'abord le droit de distribuer des indulgences, ce qui portait
préjudice aux intérêts de Rome. Innocent III voulut remédier à
cet inconvénient. C'est pourquoi, dans le quatrième concile de
Latran, en 1215, il se plaignit des indulgences épiscopales qui
énervaient la discipline. Celles de Rome l'affermissaient-elles? Le
concile réduisit le droit des évêques à une indulgence d'un an
qui pourrait être accordée à l'occasion de la consécration d'une
basilique, et une de quarante jours à l'occasion de l'anniversaire
de cette consécration.
Les
évêques cherchaient, au moyen des indulgences, à attirer le plus
de pèlerins possibles dans leurs diocèses, surtout lorsqu'on avait
besoin d'argent pour bâtir ou décorer des églises.
Le
décret du quatrième concile de Latran passa dans le corps du droit
canonique occidental.
Le
pape Sixte IV (1471) paraît être le premier qui ait appliqué les
indulgences aux âmes des défunts; Léon X condamna une proposition
dans laquelle Luther affirmait que les indulgences n'étaient pas
utiles aux morts.
Quant au trésor des mérites de
Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints, qui serait confié
au pape, on en trouve la première mention nettement exprimée dans
l'Extravagante Unigenitus du pape Clément VI (1342).
Ces
notes historiques sur les indulgences disent assez à quels abus on
se laissa entraîner dans toutes les Eglises occidentales. Nous
pourrions faire le tableau de ces abus mais notre thèse n'en serait
pas mieux démontrée. Pour tout homme instruit et impartial, il
reste constaté que les indulgences en usage dans l'Eglise romaine ne
sont point analogues à celles dont l'Eglise primitive usait à
l'égard des pénitents qui avaient accompli avec édification et des
dispositions exceptionnelles, une partie des pénitences publiques
qui leur avaient été imposées. Il est également démontré que le
sindulgences romaines sont une atteinte grave portée à la doctrine
catholique de la Satisfaction, et à la discipline de l'Eglise (282).
(282)
: ( Outre Juénin et Morin que nous avons cités plus haut, et les
autres théologiens que nous avons mentionnés, on peut consulter le
père Perrone, Tract. de Indulgent., pour s'assurer que nous avons
exposé exactement la doctrine romaine).
L'Eglise romaine a erré sur la
doctrine de la pénitence, non seulement par ses indulgences, mais
encore par les dispenses dont elle fait le plus étrange abus.
Non
seulement l'Eglise romaine prodigue ses indulgences pour remplacer
les oeuvres satisfactoires, mais elle prodigue aussi les dispenses au
moyen desquelles, avec de l'argent, on peut se soustraire à toutes
les obligations.
L'Eglise romaine possède des
dispenses pour toutes ses lois. Elle dispense des voeux; des
irrégularités pour les ordres; des empêchements de mariage; des
censures; des crimes secrets; du célibat; des abstinences et des
jeûnes du carême et autres jours d epénitence; des serments; de la
récitation du bréviaire c'est-à-dire de l'office quotidien imposé
au clergé; enfin de toutes les lois, quelle qu'en soit la nature;
seulement pour les lois divines, on n'en dispense qu'indirectement,
et les casuistes ont exercé leur art sur ce point comme sur tant
d'autres. Les évêques peuvent accorder certaines dispenses; mais
les plus importantes sont réservées au pape qui possède deux
congrégations pour les expédier la sacrée Pénitencerie et la
sacrée Daterie.
Les canonistes font généralement
des réserves touchant la validité de certaines dispenses; mais on
peut dire que, dans la pratique, ces réserves sont éludées à
l'aide des mille distinctions de la casuistique. En thèse générale,
on peut dire que l'on obtient de Rome tout ce que l'on veut, pourvu
qu'on paye bien.
On
a dressé plusieurs tarifs pour les dispenses; la nomenclature des
obligations ou des crimes dont on peut se libérer, argent comptant,
est véritablement scandaleuse. Plusieurs de ces tarifs ont été
publiés; Rome s'est hâtée de protester contre leur authenticité;
mais cette protestation n'était que de pure forme. Pour le fond, ces
traifs sont authentiques; ils sont connus de tous ceux qui ont eu
recours aux dispenses de Rome, et certains bureaux intermédiaires
ont pris soin d'en publier le résumé; car il existe auprès des
congrégations des Agences qui se chargent d'obtenir toutes les
dispenses, et qui communiquent aux clients les prix auxquels leurs
boutiques peuvent les procurer.
Certaines dispenses sont
particulières, et données dans des cas spéciaux; mais il en est
aussi de générales. C'est ainsi que chaque année, officiellement
et du haut de la chaire, les évêques, soit en leur nom, soit au nom
du pape, dispensent des obligations du carême; permettent d'user de
tels ou tels aliments; de manger de la viande à certains jours, le
tout sous la réserve pour chacun de donner une somme d'argent
proportionnée à ses moyens.
On
peut dire, d'une manière générale, qu'avec de l'argent, et
moyennant quelques actes ou prières faciles auxquels on a attaché
le sindulgences les plus étendues, on peut, dans l'Eglise romaine,
se dispenser de faire pénitence, et se bercer de l'espoir d'aller en
Paradis sans beaucoup de peine, pourvu toutefois que l'on ne fasse
pas d'opposition aux bons Pères ou à leurs amis. Dans ce cas,
l'enfer est incontestablement votre partage, alors même que vous
seriez très vertueux.
Nous pourrions citer des cas de
dispense vraiment scandaleux, et faire le tableau des abus de la cour
romaine, sous ce rapport; mais notre but, dans cet ouvrage, n'est pas
de faire du scandale; nous voulons seulement discuter des questions
de doctrine. Or, ce que nous avons dit suffit pour faire comprendre
combien l'Eglise romaine, par sa théorie des dispenses et des
indulgences, a nui à la pénitence.
4.
LES JESUITES, INSPIRATEURS DE LA PAPAUTE
L'inspirateur de la papauté, c'est
le jésuitisme. Depuis sa fondation, la Compagnie de Loyola n'a eu
qu'un but : détruire dans les Eglises latines tout ce qui pouvait
faire obstacle à sa domination, et élever la papauté sur les
ruines de l'Eglise. Ce n'est pas que le jésuite aime la papauté;
mais il comprit de bonne heure que, par lui-même, il ne pourrait
arriver à son but; qu'il n'y parviendrait qu'en investissant le pape
d'un pouvoir absolu, et en se seravnt du pape, comme d'un instrument
: tel est le secret de son dévouement apparent pour la papauté. Il
a marché dans sa voie avec une opiniâtreté que rien n'a pu
ébranler. Lorsqu'il a rencontré des obstacles, il les a brisés ou
il les a tournés habilement; quelques papes se montrèrent
impatients du joug qu'il voulait leur imposer, il les fit
disparaître; il ne recula jamais devant le crime lorsqu'il ne put se
débarrasser autrement de ses adversaires.
L'histoire de la Compagnie de
Loyola n'est qu'une série de conspirations contre l'épiscopat,
contre les doctrines et les institutions ecclésiastiques qui
pouvaient lui faire obstacle. D'un côté elle démolit; de l'autre,
elle poursuit sans relâche l'exaltation de la papauté. C'est elle
qui a dicté aux papes les nouveaux dogmes qu'ils ont promulgués
depuis trois siècles; qui leur a inspiré cette ambition démesurée
dont ils ont donné tant de preuves, qui leur a dicté ces
entreprises audacieuses qui ont occasionné tant de désastres. Le
jésuite est sur le point de remporter une complète victoire par la
définition conciliaire de l'infaillibilité du pape. Depuis trois
siècles, cette doctrine est enseignée par les théologiens de sa
secte; ils l'ont infiltrée dans les écoles ecclésiastiques; ils
l'ont prêchée dans toutes les chaires. Ils ont gagné des
complices, en grand nombre, même au sein de l'épiscopat, et c'est
tout au plus si l'on rencontre aujourd'hui un écrivain catholique
romain assez hardi pour la contester, même timidement.
En
fait, l'infaillibilité papale existe au sein de l'Eglise latine;
mais ce n'est pas encore assez pour le jésuite. Il faut poursuivre
jusqu'en ses derniers retranchements le gallican le plus modeste qui
chercherait dans l'épiscopat un refuge contre les envahissements du
papisme. On ne veut plus lui permettre de dire que l'épiscopat n'a
pas adhéré formellement; que l'infaillibilité papale n'a pas été
promulguée par lui : qu'elle ne peut être un dogme. Le jésuite
veut donc que l'épiscopat proclame le pape infaillible.
Dès
lors, il possède l'instrument le plus redoutable pour étendre sa
domination sur toute l'Eglise. Il s'empare du pape et le fait servir
à ses desseins. Tous les hommes, toutes les doctrines qu'il déteste,
il les fait condamner par le pape; la plus légère aspiration vers
un ensiegnement plus chrétien, il l'étouffe; il pose, au moyen du
pape, sa main de fer sur les consciences, sur les intelligences; il
fait des membres de l'Eglise latine un troupeau d'esclaves qu'il
dirige comme il lui plaît.
Voilà ce que rêve le jésuite
depuis la fondation de sa Compagnie; il est sur le point de
triompher.
La
papauté y perdra la plus garnde partie de ce qui lui reste encore de
fidèles intelligents; mais le jésuitisme y gagnera, car il
possédera tous ceux qui n'auront ni assez d'intelligence ni assez
d'énergie pour se soustraire au joug qui leur sera imposé. L'Eglise
latine ne sera plus qu'une Compagnie de jésuites, c'est-à-dire
d'esclaves n'ayant d'autre conscience ni d'autre intelligence que
celles qui leur seront données au nom du pape. Les iniquités de
Babylone seront alors à leur comble, et l'ange du Seigneur fera
entendre ces terribles paroles : " Mon peuple, sortez de
Babylone afin que vous ne participiez ni à ses iniquités ni aux
plaies qui vont tomber sur elle." (Apocalypse, XVIII, 4).
5.
LA PAPAUTE USURPATRICE
Le pape est roi et se prétend
souverain pontife de l'Eglise chrétienne.
Les défenseurs de la papauté
commettent donc d'abord une erreur historique des plus grossières,
en faisant remonter la papauté, c'est-à-dire la souveraineté
papale, à l'origine du christianisme. Cette erreur les a conduits à
mille autres; car ils ont voulu trouver dans l'histoire de l'Eglise
et dans les récits des anciens Pères des preuves à l'appui de leur
fausse théorie. Ils ont donc torturé les faits, dénaturé les
témoignages. Ils ont osé s'attaquer même à l'Ecriture sainte et,
par des interprétations mensongères, anti-catholiques, la forcer à
donner un faux témoignage en faveur de leur système.
C'est ainsi que l'Eglise de Rome a
donné, la première, l'exemple de ces interprétations individuelles
qu'elle reproche si amèrement au protestantisme. La première, elle
a abandonné la règle catholique de l'interprétation des livres
sacrés; elle a laissé de côté l'interprétation collective dont
les Pères de l'Eglise ont été les fidèles échos, et, de sa
propre autorité, elle a voulu voir dans l'Ecriture ce que l'Eglise
n'y a pas vu. Elle est arrivée ainsi à attribuer à sa souveraineté
usurpée une base divine. Elle a tiré de ce principe toutes les
conséquences qui en découlent le pape est devenu le vicaire de
Jésus-Christ, le centre nécessaire de l'Eglise, le pivot du
christianisme, l'organe infaillible du ciel.
Ces erreurs papales furent si
habilement répandues dans les contrées occidentales qu'elles y
furent peu à peu généralement adoptées. Les réclamations
qu'elles soulevèrent furent permanentes, il est vrai; mais, avec le
temps, elles prirent un caractère moins accentué; ceux mêmes qui
s'élevaient contre les abus de la papauté admettaient comme
incontestable la base divine de cette institution.
Depuis plusieurs années nous la
poursuivons avec persévérance, et, grâce à Dieu, nos travaux
n'ont pas été sans utilité. Nous espérons que le nouvel ouvrage
aue nous publions portera aussi ses fruits, et qu'il viendra en aide
à ces hommes religieux, dont le nombre s'accroît chaque jour; qui,
en présence des abus, des excès de tout genre, commis par la
papauté, ne peuvent plus à son égard conserver leurs anciennes
illusions. Habitués à voir en elle le centre divin de l'Eglise, ils
ne peuvent plus le reconnaître dans ce foyer d'innovations,
d'usurpations sacrilèges; ils se demandent : Où est donc l'Eglise
de Jésus-Christ?
Le
pape veut, dans son intérêt, circonscrire l'Eglise en ceux qui
reconnaissent sa souveraineté, afin de les absorber ensuite et de
dire : l'Eglise, c'est moi. Rompons les digues qu'il a élevées, et
aussitôt, nous verrons l'Eglise dans toute sa beauté,
s'épanouissant en liberté, sans être entravée par des
démarcations territoriales; ayant pour membres toutes les Eglises
particulières, liéées entre elles par la même foi; communiquant
entre elles par des pasteurs également apostoliques, identifiées en
Jésus-Christ, le grand pontife, le seul chef de l'Eglise, et dans
l'Esprit Saint qui la dirige.
Qui a rompu cette admirable unité
des premiers siècles chrétiens?
Le
pape.
Il
a usurpé la place de Jésus-Christ, et il a dit à toutes les
Eglises : " C'est à moi et par moi que vous serez unies; le
ministère de vos pasteurs viendra d emoi; la doctrine vous viendra
de moi. Je suis le pasteur suprême. J'ai droit de tout gouverner. Je
suis le juge suprême, je puis tout juger sans être jugé par qui
que ce soit; je suis l'écho du ciel, l'interprète infaillible de
Dieu."
Est-ce parce que la papauté a
profité des circonstances extérieures pour étendre sa domination
usurpée sur un certain nombre d'Eglises particulières, que
l'harmonie de l'Eglise catholique sera détruite? Non assurément. Au
lieu de mettre en dehors de cette harmonie les Eglises qui ont
résisté à ses usurpations, c'est elle-même qui s'y est placée.
Non seulement, elle a rompu avec les Eglises vraiment catholiques,
mais elle a brisé les traditions de sa propre Eglise; elle les a
scindées en deux parties distinctes, comme l'épiscopat romain
lui-même. Les traditions romaines des huit premiers siècles ne sont
pas les mêmes qu'aux siècles postérieurs. La papauté a donc perdu
sa véritable perpétuité dans les points où elle a innové.
Donc, un membre de l'Eglise romaine
qui remonte à la doctrine primitive de cette Eglise, qui rejette les
innovations de la papauté, rentre aussitôt dans l'harmonie
catholique, appartient à la véritable Eglise de Jésus-Christ, à
cette Eglise qui s'est maintenue avec son double caractère de
perpétuité, d'universalité.
Loin
donc de nous ces déplorables accusations de schisme lancées à de
vénérables Eglises qui ont conservé la doctrine révélée dans sa
pureté primitive, qui ont conservé le ministère apostolique! La
papauté les appelle schismatiques, parce qu'elles ont refusé de
reconnaître ses usurpations. Il est temps d'en finir avec un pareil
malentendu.
Nous allons donc prouver que c'est
la papauté elle-même qui est coupable du schisme; qu'après avoir
provoqué la division, elle l'a perpétuée et affermie par ses
innovations, enfin qu'elle l'a fait passer à l'état de schisme.
Ceci
prouvé, nous serons en droit de conclure que ceux qui sont
considérés par la papauté comme schismatiques, à cause de leur
opposition à son autocratie, ceux-là sont les vrais catholiques, et
que c'est elle-même qui s'est séparée de l'Eglise en voulant en
séparer les autres.
Il
en est, en Occident, qui veulent donner la papauté comme le
développement légitime de l'idée chrétienne, comme le
Christianisme arrivé à son complet développement. La vérité est
qu'elle est la négation de l'idée évangélique, de l'idée
chrétienne. Or, la négation d'une idée peut-elle en être
considérée comme le développement?
On
sera étonné peut-être de nous voir aborder un tel sujet avec cette
franchise. Nous répondrons qu'à l'époque où nous vivons, il faut
parler nettement, sans arrière-pensées. Nous ne comprenons pas les
ménagements à l'égard de l'erreur. Indulgent, charitable pour les
hommes qui se trompent, nous croyons obéir à un vrai sentiment de
charité en poursuivant à outrance l'erreur qui trompe les hommes :
" Dire la vérité, comme l'écrivait le patriarche Photius au
pape Nicolas, c'est le plus grand acte de charité."
6.
LA PAPAUTE OU LA GRANDE HERESIE OCCIDENTALE
Les hérésies, erreurs et
innovations qui ont souillé les Eglises occidentales depuis le IX°
siècle ne sont pas émanées toutes de la papauté, comme d'une
source corrompue. Mais c'est la papauté qui leur a donné leur
caractère d'institutions ou de doctrines occidentales, en les
enseignant, en les approuvant, en les propageant et même en les
imposant, au besoin, à toutes les Eglises qui montraient, parfois,
de bonnes intentions pour le maintien ou la défense de l'orthodoxie.
C'est donc avec raison que nous lui
faisons porter la responsabilité de toutes les erreurs de
l'Occident.
Aujourd'hui, non seulement on ne
conteste pas que la papauté ait eu une influence toute-puissante sur
les Eglises latines; mais on s'autorise de cette toute-puissance pour
affirmer que ce qu'elle a fait a toujours été bien; qu'en vertu
d'un privilège divin, elle ne peut se tromper; qu'il suffit qu'elle
décrète une doctrine, pour que cette doctrine soit nécessairement
vraie.
Nous
prouverons au contraire qu'on a voulu abriter sous l'autorité papale
des erreurs pour en faire des vérités; que cette autorité est
illégitime; qu'elle a prouvé elle-même son illégitimité par ses
erreurs; qu'au lieu de l'accepter comme une institution divine, on
doit la rejeter comme une institution funeste et anti-évangélique.
Il
y a eu, dans la puissance de la papauté, deux phases bien
distinctes.
Pendant les neuf premiers siècles
de l'Eglise, le pape n'était que l'évêque de Rome et n'avait de
juridiction que sur les Eglises qui se trouvaient dans la province
dont Rome était la capitale.
Après
le IX° siècle, des circonstances dans le détail desquelles nous
n'entrerons pas pour le moment, investirent la papauté d'un pouvoir
spirituel et temporel sur l'Occident. Dès lors, les évêques de
Rome s'efforcèrent de faire considérer ce double pouvoir comme un
droit inhérent à leur dignité, et donnèrent ainsi naissance à
l'opinion que l'on appelle ultramontanisme, et qui ne fut nettement
formulée qu'au XVI° siècle.
Depuis cette époque, tous les
catholiques intelligents ont protesté contre le système de
l'absolutisme papal; mais des hommes serviles et ambitieux l'ont
soutenu par intérêt, et ont formé un parti qui ne recule devant
aucune absurdité pour soutenir ses erreurs.
Croirait-on que d enos jours ce
parti est parvenu à acquérir une foule d'adeptes, qui ont exagéré
jusqu'à l'absurde le système ultramontain?
Grâce
à l'ignorance presque générale du droit canonique et de la
théologie, l'ultramontanisme fait chaque jour de nouveaux progrès.
Vraiment nos romains choisissent
bien leur temps pour essayer d'implanter des doctrines que les
siècles passés ont répudiées; des doctrines qui ont fait perdre à
l'Eglise la moitié de ses enfants! Quoi! c'est de nos jours où
l'intelligence fait de si nobles conquêtes; où la raison agrandit
son domaine d'une manière si surprenante, que des chrétiens s'en
viennent exalter des doctrines du moyen âge? Lorsqu'une institution
est soutenue par des moyens diamétralement opposés aux tendances, à
l'esprit d'une époque, elle doit nécessairement tomber. Les
institutions sont faites pour les hommes, elles doivent, en
conséquence, s'harmoniser avec les goûts des peuples. La loi du
progrès, ou, si l'on veut, de transformation, est un des principes
fondamentaux de l'humanité. L'Eglise, dépositaire de la vérité et
établie sur des bases divines, ne peut subir sans doute de
modifications essentielles. Elle n'en a pas besoin, du reste, pour ce
qui lui vient de Dieu; sous ce rapport, elle sera toujours en
harmonie avec tous les progrès possibles de l'esprit humain et de la
société; mais l'Eglise, qui d'un côté tient à Dieu, tient de
l'autre à l'homme; or, il faut soigneusement distinguer en elle ce
qui est divin de ce qui est humain; car ce qui est humain doit être
modifié suivant les circonstances. Ceux qui se glorifient du titre
de romains, rêvent l'établissement universel de l'absolutisme papal
et l'admettent jusque dans ses dernières conséquences. Non
seulement ils concentrent toute l'Eglise dans le pape, mais ils
gratifient libéralement de privilège de l'infaillibilité de
simples congrégations, et essayent de faire des avis de ces
congrégations autant de lois générales pour l'Eglise. Le
néo-ultramontanisme laisse donc bien loin derrière lui Bellarmin et
ces vieux ultramontains qui croyaient le pape infaillible, mais qui
mettaient à cette prérogative des conditions qui les feraient
condamner par nos modernes romains comme gallicans. Ils crieraient
bien haut à l'hérésie, s'ils entendaient aujourd'hui le docte et
vertueux cardinal Contarini (283) leur répéter ce qu'il disait à
Paul III.
(283)
: ( Contarini, de Composit. ap. Roccabert. Biblioth.).
"
C'est de l'idolâtrie de prétendre que le pape n'a aucune autre
règle que sa volonté pour établir et pour abolir le droit positif.
La loi du Christ est une loi de liberté, et elle défend une
servitude aussi grossière, que les luthériens avaient tout à fait
raison de comparer à la captivité de Babylone. Peut-on bien appeler
gouvernement ce qui n'a pour règle que la volonté d'un homme? Un
pape doit savoir que c'est sur des hommes libres qu'il exerce son
autorité."
C'est ainsi que raisonnait un
cardinal au XVI° siècle. Aujourd'hui, non seulement on abjure le
libéralisme de Contarini; on ne veut même plus de l'ultramontanisme
de Bellarmin. On n'admet plus, avec ce théologien, qu'un pape puisse
être hérétique et déposé par l'Eglise. On fait du pape un Dieu;
et nos ultramontains modernes diraient volontiers, avec Champvalon,
que le pape a plus de pouvoir que Jésus-Christ.
N'est-ce pas un devoir rigoureux
pour tout chrétien de s'élever avec énergie contre de telles
folies, dont on voudrait faire l'Eglise responsable?
C'est
principalement sur la nature de l'autorité dans l'Eglise qu'ont erré
les ultramontains. Ils ont tellement faussé les idées, qu'il est
nécessaire de leur rappeler les vrais principes sur ce point.
Jésus-Christ nous a donné, sur la
nature et l'exercice de l'autorité, des enseignements que l'on s'est
trop aplliqué à oublier. Nous lisons dans l'Evangile selon saint
Matthieu (284) :
(284)
: (Matth., C. XX, V. 25 et seq. - Luc., Evang., C.XXII, V. 25 et
seq.).
"
Les princes des nations dominent sur elles, et ceux qui sont plus
élevés exercent sur elles le pouvoir. Il n'en sera pas ainsi parmi
vous. Celui qui voudra être plus grand parmi vous sera votre
serviteur; à l'exemple du Fils de l'homme qui est venu, non pour
être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption
d'un grand nombre."
Ainsi, d'après Jésus-Christ, la
domination ne doit pas être confondue avec l'autorité dans son
Eglise. L'homme ne doit être soumis dans son intelligence qu'à
Dieu, et personne à son égard ne doit prendre le titre de maître
(285).
(285)
: ( Matth., C. XXIII, V. 8, 10. - Jacob., Epist. cath., C. III, V.
1.).
L'autorité
dans l'Eglise, au lieu d'être une domination, n'est qu'un service
social, un ministère (286) dont la première condition est le
dévouement absolu de l'individu à la société spirituelle dont il
est ministre.
(286)
: ( Matth., C. XXIII, V. 11 et C. XX, V. 26. - Luc., C. XXII, V. 26).
L'autorité ecclésiastique est
donc obligée d'éloigner d'elle tout ce qui pourrait la faire
confondre avec le despotisme. Un despote mitré est un monstre :
c'est Bélial assis sur le trône de Dieu. Trouve-t-on cependant au
sein de l'Eglise beaucoup de dignitaires qui comprennent en chrétiens
la mission qui leur est confiée? Nous nous contentons de poser la
question, laissant le soin de répondre à ceux qui, ayant autorité
dans l'Eglise, comprennent l'Evangile et peuvent rappeler les autres
à la justice et à la vérité. S'il en est qui, au lieu d'être
l'exemple de leur troupeau, dominent sur lui comme sur un héritage
(287), ils exercent l'autorité en païens;
(287)
: (Pet., Epist. 1, C. V, V. 3.).
car
ils procèdent violemment, ce qui est le caractère de l'autorité
païenne, tandis que l'autorité ecclésastique s'exerce sans
coaction, avec spontanéité, selon Dieu, avec désintéressement et
sans contrainte (288) comme un service et un ministère.
(288)
: (Pet., Epist. 1, C. V, V.2).
Voilà sur quelles bases doit être
appuyée l'autorité ecclésiastique, dans l'exercice qui lui est
propre, c'est-à-dire dans le droit qu'elle a reçu de Jésus-Christ
de faire des lois pour le bon gouvernement de la société
chrétienne. Il faut soigneusement distinguer ce droit que possède
l'autorité ecclésiastique de gouverner la société chrétienne, de
celui qu'elle a de définir le dogme chrétien. Cette distinction est
essentielle; et, pour ne l'avoir pas faite, une foule d'écrivains
sont tombés en des erreurs très pernicieuses. Dans les lois qu'elle
établit, l'autorité ecclésiastique doit être obéie, parce
qu'elle a droit de les porter; mais elle n'est pas infaillible dans
l'établissement de ces lois, qu'elle doit modifier suivant les temps
et les circonstances.
Dans la définition du dogme
chrétien, elle ne procède pas par manière d'autorité, mais de
déclaration; et dans cette déclaration elle est infaillible, pour
vu qu'elle se contente d'affirmer la foi catholique de l'Eglise
touchant tel ou tel fait dogmatique ou moral, qui fait partie du
dépôt sacré de la révélation. Hors de là, il n'y a plus
d'autorité infaillible, et nous ne voyons, dans l'Eglise comme
ailleurs, que des hommes gouvernant une société par des moyens
qu'ils trouvent sans doute bons, qui peuvent du moins leur paraître
tels, et qui peuvent l'être dans les circonstances où ils les
emploient, mais qui, cependant, ont besoin d'être modifiés pour
être en harmonie avec les besoins des peuples.
Les
ultramontains ne font pas, dans l'exercice de l'autorité
ecclésiastique, cette distinction, qui n'a pas échappé cependant
aux grands théologiens occidentaux; ils ne voient que l'autorité en
général, prétendent qu'on ne peut mériter le titre de catholique
qu'en la poussant jusqu'à ses dernières limites. Nous ne partageons
pas cette opinion, et nous pensons que cette autorité n'en sera que
plus respectée si on la circonscrit dans les bornes au-delà
desquelles son droit pourrait être contesté.
Ainsi : l'autorité ecclésiastique
a le droit de faire des lois, et c'est un devoir pour les fidèles
d'obéir à ces lois, quoique, en les portant, l'autorité ne soit
pas infaillible; car, dans toute société, il est de première
nécessité d'obéir à une autorité légitimement constituée, sous
peine de voir cette société se dissoudre.
Pour
ce qui tient au dépôt de la révélation, l'Eglise, c'est-à-dire
la société chrétienne représentée par ses chefs légitimes,
décide seulement une question de fait, lorsqu'elle est appelée à
formuler une décision. Les chefs de l'Eglise n'imposent pas leur
manière de voir, n'érigent pas en dogme leur opinion, mais ils
affirment seulement que tel ou tel point dogmatique ou moral a été
toujours et partout admis comme révélé.
Ainsi l'homme, dans le domaine de
l'intelligence, ne reconnaît réellement que Dieu pour maître. En
dehors des vérités révélées, il conserve toute sa liberté, et
c'est une impiété d'oser porter atteinte à cette liberté que Dieu
a écrite dans le coeur de tout homme, comme le caractère nécessaire
et sacré de tout être intelligent. Sans la liberté, sans la noble
indépendance de toute autre autorité que de celle de Dieu, dans le
domaine de la pensée, l'homme ne serait plus homme; sa conscience et
sa raison seraient annulées; il ne serait plus qu'un être passif
que l'autorité formerait à son image, une table rase sur laquelle
l'autorité écrirait ses principes. Tel n'a pas été le dessein de
Dieu en créant l'homme. De puis la déchaéance de l'humanité, il a
été nécessaire que Dieu vint en aide par son VERBE à
l'intelligence obscurcie de l'homme, mais il n'a pas détruit cette
intelligence, et il a laissé à son activité un vaste domaine où
elle peut s'exercer en toute liberté.
Les grands écrivains de
l'antiquité chrétienne ont parfaitement compris les droits de la
raison humaine, tout en respectant ceux de l'autorité. Qu'on lise le
traité des Prescriptions de Tertullien, ou l'Avertissement de saint
Vincent de Lérins; l'on y trouvera toute la doctrine que nous venons
d'exposer, mais on y chercherait en vain les principes émis par les
ultramontains. L'autorité, telle que nous venons de la définir, est
celle qui a été reconnue par toute l'antiquité chrétienne.
La
foi, appuyée sur une telle autorité, est bien cette obéissance
raisonnable qu'exige saint Paul de tout fidèle : Rationabile
obsequium. Par ces deux mots, l'Apôtre exprime les deux conditions
nécessaires à l'adhésion de tout être intelligent : l'obéissance
à une autorité légitime sans laquelle il n'existe pas plus de
société intellectuelle que de société extérieure, et la raison
sans laquelle aucune adhésion ne peut être intelligente, ne peut
être par conséquent digne de l'homme.
Que l'on compare cette notion de
l'autorité ecclésiastique avec celle que cherchent à répandre nos
ultramontains, et l'on verra qu'il y a autant de différence entre
elles qu'entre la raison et la folie, entre l'obéissance et le
servilisme.
Cependant nos contempteurs de la
raison humaine, qui semblent garder rancune à l'intelligence, se
prétendent seuls bons catholiques. Bel hommage vraiment qu'ils
rendent à l'Eglise en posant, comme première condition d'adhésion
à ses dogmes, l'abnégation de la raison! La raison, aussi bien que
la religion, a Dieu pour auteur; il ne peut en conséquence y avoir
contradiction entre elles. Sans doute, l'homme s'égare souvent dans
ses pensées, mais est-ce un motif pour nier la raison et ses droits?
Il faudrait alors nier la conscience parce que l'homme s'égare dans
ses sentiments et qu'il fait plus souvent le mal que le bien. Malgré
l'égarement moral de l'homme, sa conscience subsiste et ses droits
sont incontestables; il en est de même de la raison. L'homme a beau
se perdre au milieu des erreurs et des préjugés, il reste toujours
au fond de son âme les vérités premières qui forment en lui une
conscience intellectuelle, comme les grands principes moraux forment
sa conscience morale. De même qu'il y a harmonie entre les principes
qui font la base de la conscience morale de l'homme et les principes
moraux de l'Evangile, ainsi il y a harmonie entre les dogmes
évangéliques et les premiers principes intellectuels qui
constituent la raison. Heurter ces principes, froisser la raison dans
sa liberté et dans ses droits, poser l'abnégation de la raison
comme base de la foi, c'est saper l'autorité religieuse, c'est faire
à l'Eglise une guerre d'autant plus redoutable qu'on la fait,
dit-on, pour la défendre et la sauver.
Nous voulons croire que les
ultramontains ne sont pas de propos délibéré ennemis de l'Eglise;
mais, en vérité, ils ne feraient pas mieux, s'ils avaient entrepris
contre elle une guerre hypocrite, s'ils avaient juré de la détruire
en paraissant la servir. Nous n'hésitons pas à dire que si jamais
l'Eglise a eu à soutenir une lutte dangereuse, c'est bien celle que
lui font, sans le savoir peut-être, les partisans exagérés de
l'absolutisme papal.
Que
les ultramontains remontent à la source du christianisme, et ils
verront qu'alors tout était appuyé sur le caractère catholique ou
d'universalité; que l'on ne fait aucune mention de cette
infaillibilité épiscopale ou papale qu'ils posent comme base de
leur système anticatholique, antichrétien. On dirait que les
ultramontains repoussent ce titre de catholique qui fait notre
gloire; car ils essayent de faire dégénérer en parti, en coterie,
cette Eglise chrétienne dont l'universalité a toujours été la
gloire et la force; de circonscrire dans l'étroite province de Rome
cette belle Eglise qui a su jusqu'ici se faire toute à tous,
s'accommoder aux coutumes des nations pour les gagner toutes à
Jésus-Christ.
Que
l'on approfondisse l'histoire des huit premiers siècles de l'Eglise,
et l'on ne trouvera aucune preuve en faveur du système papal. Tous
les docteurs ne parlent que de l'autorité catholique ou universelle
des Eglises, pour mettre un terme aux discussions touchant la
doctrine; les conciles oecuméniques où chaque évêque est
convoqué, où un grand nombre viennent attester la foi de leurs
Eglises, sont seul reconnus comme témoins et interprètes
infaillibles de la révélation. Dans les écrits nombreux, dans les
faits éclatants qui remplissent ces huit siècles de l'histoire du
christianisme, les papistes ne peuvent glaner que quelques mots
vagues, sans portée, qui n'ont de valeur pour eux que séparés de
leur contexte. En revanche, ils en trouvent dans les fausses
décrétales et dans les écrits des papes du moyen âge. Il faut
avouer que les règles de la logique et du sens commun sont
renversées, si, pour connaître la constitution véritable de
l'Eglise chrétienne, il faut préférer à l'histoire entière des
huit premiers siècles, quelques écrits d'une authenticité au moins
contestable, ou les assertions de certains papes, élevés par les
circonstances au faîte d'une souveraineté temporelle et absolue, et
intéressés à faire envisager cette souveraineté comme une des
prérogatives de leur dignité spirituelle.
L'église orthodoxe est en butte,
depuis quelque temps, à une recrudescence de calomnies de la part
des journeaux papistes. Ils sont si fiers de leurs triomphes, ces
papistes! La gloire les suffoque; leurs zouaves à 500 francs par
tête leur inspirent un tel enthousiasme que déjà ils rêvent une
victoire universelle. Il va sans dire que l'église orthodoxe est
celle qu'ils voudraient soumettre tout d'abord; c'est un témoin par
trop gênant de toutes les innovations qui ont défiguré le
christianisme en Occident. Depuis huit siècles que la papauté
remplace les doctrines primitives par ses systèmes de circonstance,
l'Eglise orthodoxe est là pour lui dire : " On ne croyait pas
ainsi autrefois; tu mets tes idées à la place des dogmes révélés.
Arrière tes systèmes, qui n'ont l'avantage ni d'être
philosophiques ni d'être chrétiens!" Si la papauté entreprend
de faire croire à ses adeptes que ses dogmes nouveaux sont anciens
et ont toujours été crus; si elle en appelle à de prétendus
textes des Pères et des conciles de l'Eglise primitive pour faire
illusion; l'Eglise orthodoxe est là pour lui dire : " Les
textes que tu cites sont tronqués; tu dénatures les écrits des
Pères et les actes des conciles pour en faire les complices de tes
erreurs." Lorsqu'il prend à la papauté la fantaisie d'invoquer
les témoignages de la sainte Ecriture, pour mettre sur le compte de
Dieu le produit de son esprit d'innovation, l'Eglise orthodoxe est là
pour lui dire : " Tu falsifies l'Ecriture; et la preuve : c'est
que tu ne l'interprètes pas comme on l'interprétait dans l'Eglise
primitive, dans cette Eglise qui a été l'écho sincère et vrai de
l'enseignement apostolique."
C'est donc, pour la papauté et
pour son Eglise, un témoin bien gênant que l'Eglise orthodoxe; un
témoin d'autant plus redoutable qu'il est impossible de contester
son origine apostolique et d'indiquer, dans son existence dix-huit
fois séculaire, un seul instant où elle ait changé une doctrine
quelconque.
On
comprend donc pourquoi la papauté se livre à tant d'intrigues pour
soumettre l'Eglise orthodoxe. Mais, depuis des siècles, ses efforts
n'ont pas eu de résultat, quoiqu'elle ait appelé à son aide,
d'abord le fanatisme des Croisés, et, de nos jours, la politique et
l'argent. Quoi qu'elle fasse, elle ne réussira pas.
APPENDICE
I
DU
GALLICANISME A L'ORTHODOXIE
(
Dans ses souvenirs, Guettée a raconté sa vie et le cheminement
intellectuel et spirituel qui l'a conduit à l'Eglie Orthodoxe. Nous
donnons ici quelques extraits des Souvenirs de Guettée ainsi que le
récit qu'il fit, dans ses lettres au Père J. Wassilieff, de son
voyage en Russie).
1.
DECOUVERTE DE L'ORTHODOXIE
Je ne regrette pas d'avoir été en
butte aux attaques de la secte (289).
(289)
: ( Les Jésuites).
J'envisageai
de plus près cette papauté qui voulait se donner comme infaillible,
même dans les questions historiques, et qui essayait de comprimer la
science et l'intelligence. Bientôt je la vis sous son vrai jour. Il
n'y avait qu'un fil entre le gallicanisme et l'orthodoxie. Le
gallican voulait une papauté soumise aux canons, soumise au concile
oecuménique qui était la plus haute autorité dans l'Eglise.
Seulement il admettait, en théorie, le pape comme chef de l'Eglise
de droit divin. C'était une inconséquence. Un chef de droit divin
ne peut être soumis ni à une autorité humaine, ni à des lois
ecclésiastiques. Les ultramontains ont profité de ce manque de
logique pour battre en brèche le gallicanisme. J'étudiai de près
leurs arguments. Je lus les ouvrages des plus savants défenseurs de
la papauté; je les lus, non pas au point de vue gallican, mais avec
la plus entière indépendance. Je fus convaincu que gallicans et
ultramontains n'appuyaient leurs thèses que sur des textes faux,
altérés, tronqués, mal interprétés et j'arrivai à cette
conclusion : que la papauté n'existait que depuis le neuvième
siècle, et n'était qu'une usurpation sacrilège sur les droits de
l'Eglise représentée par l'épiscopat.
J'arrivai ainsi à l'orthodoxie
avant d'être officiellement orthodoxe.
Ce
grand pas une fois fait, je ne pouvais plus voir une Eglise
schismatique dans cette vénérable Eglise orientale, touchant
laquelle j'avais accepté quelques-uns des préjugés que soutiennent
tous les écrivains occidentaux, soit gallicans, soit ultramontains,
pour se donner raison dans leurs systèmes touchant la papauté.
C'est ainsi que les attaques
injustes de mes ennemis m'ont fait acquérir de nouvelles lumières
et m'ont conduit à l'orthodoxie véritable.
Nous avons reçu la lettre suivante
:
"
Monsieur l'abbé,
"
Je lis avec le plus grand soin tout ce qui paraît d'important sur
l'Eglise et sur la papauté, car ce sont là, ce me semble, les
questions importantes du moment. Je lisais ces jours derniers les
conférences de M. l'abbé Besson sur l'Eglise. J'y cherchais quelque
chose, et je n'ai trouvé que des phrases. Des phrases, nous en avons
déjà trop; des faits, nous n'en aurons jamais assez; car, au fond,
laq uestion de l'Eglise et celle de la papauté sont avant tout
historiques. Ce que j'aime surtout dans vos publications, M.l'abbé,
c'est que vous procédez en véritable historien, par des faits; en
véritable théologien catholique, par des témoignages
traditionnels. Aussi vos ouvrages, et particulièrement la Papauté
schismatique, ont-ils fait beaucoup d'impression sur moi.
"
Permettez-moi donc de m'adresser à vous pour vous demander si
réellement l'Eglise gallicane a toujours professé, je ne dirai pas
l'ultramontanisme, puisque nous avons assisté à l'inauguration de
ce système dans l'enseignement ecclésiastique, mais la doctrine
gallicane, telle que je la trouve, par exemple, dans les oeuvres de
Bossuet.
Les études approfondies que vous
avez faites sur notre Eglise gallicane, comme le prouve votre belle
Histoire de l'Eglise de France, me persuadent que vous pourrez, sans
difficulté, répondre à la question que je me permets de vous
adresser. Ce n'est point, de ma part, une simple curiosité, mais le
désir de m'instruire de plus en plus, sur un sujet qui me péroccupe
beaucoup.
"
Je vois l'Eglise si dénaturée, de nos jours, en Occident, sa
constitution tellement bouleversée, les innovations si multipliées,
que je ne sais vraiment plus où trouver un abri solide pour ma foi,
sinon dans cette Eglise orientale que vous avez le courage de
proclamer la véritable Eglise, au milieu même du romanisme et du
jésuitisme, qui vous payent largement, en haine, les travaux que
vous faites pour la vérité.
"
Croyez bien que, dans le clergé latin, vous avez des amis qui vous
lisent avec sympathie et qui vous suivraient bientôt, si jamais une
Eglise orthodoxe occidentale existait chez nous. Peut-être que la
solution de la question que je vous adresse pourra hâter le moment
où l'on comprendra mieux, qu'en suivant nos vraies traditions
gallicanes, nous devons adhérer à l'orthodoxie orientale. S'il en
était ainsi, j'en serais, pour ma part, bien heureux.
"
Agréez, monsieur l'abbé, l'assurance de mes sympathies et de mon
respect.
R.,
"Prêtre."
Nous croyons pouvoir répondre à
la question qui nous est proposée de manière à satisfaire notre
honorable correspondant.
S'il veut bien remonter seulement
au moyen âge, il rencontrera un enseignement qui, s'il n'est pas
absolument l'orthodoxie orientale, y mène tout droit.
Cet
enseignement s'est perpétué jusqu'au seizième siècle. A cette
époque, les jésuites ont systématisé toutes les prétentions des
papes appuyées sur les Fausses Décrétales, et en ont formé ce
qu'on a appelé depuis ultramontanisme.
Ce
système apparut, en France surtout, sous la Ligue. Il n'eut pas
beaucoup de succès, et un des plus chauds partisans en devint même
l'adversaire le plus redoutable : je veux parler de Richer, qui
réagit contre la doctrine des jésuites avec une vigueur étonnante,
et revint à l'ancien enseignement gallican. Mais, tout en ne gagnant
pas beaucoup d'adeptes déclarés à leur système ultramontain, les
jésuites, grâce à leurs procédés habituels, imprimèrent au
gallicanisme un caractère plus timide, plus indécis. De là les
contradictions accumulées chez les théologiens, comme dans la
conduite de l'épiscopat français, pendant les dix-septième et
dix-huitième siècles.
Ce
gallicanisme mitigé a pour expression authentique les quatre
articles de 1682. Bossuet surtout le mit en faveur; non pas qu'il
regardât les quatre articles comme l'expression d'une doctrine de
foi, mais il pensait que, vu les circonstances, on ne pouvait mieux
faire. Il essaya de concilier le gallicanisme avec le premier
principe de l'ultramontanisme, qui est la papauté de droit divin, et
s'il mit ce dernier point si fort en relief dans son discours
officiel sur l'unité, c'était, come il le dit lui-même dans une de
ses lettres, pour flatter les tendres oreilles des romains et les
amener à accepter ce que les articles contenaient de gallican.
Rome rejeta les articles; Bossuet
échoua comme diplomate. Quant à la science théologique qu'il
dépensa en faveur des quatre articles, elle est de bon aloi dès
qu'il se place résolument sur le terrain gallican; mais dès qu'il
aborde la papauté de droit divin, il n'a à son service qu'un petit
nombre de textes, détournés évidemment de leur signification.
Si
le génie de Bossuet a échoué dans une pareille tâche, qui pourra
réussir? Si l'aigle de Meaux, que personne n'admire plus que moi,
n'a pu concilier le gallicanisme avec le premier principe romain, qui
jamais pourra se flatter de mieux faire?
Arrivons maintenat à une question
pratique.
Il
est bien évident que si l'évêque de Rome est devenu formellement
et ouvertement hérétique, il a perdu, par là-même, la primauté
que l'Eglise lui avait donnée.
Le
vrai gallican doit admettre cette conséquence, et il ne s'agit pour
lui que d'examiner cette question de fait :
Le
pape professe-t-il une doctrine nouvelle, hérétique, inconnue à
l'ancienne Eglise?
La
réponse n'est pas difficile.
Autre question pratique :
L'épiscopat romain a-t-il erré
avec son chef?
C'est encore une question à
laquelle il est facile de répondre.
Que
doit donc faire le gallican logique?
Rejeter dans l'évêque de Rome une
primauté qu'il ne possédait que de droit ecclésiastique, et qu'il
a perdue;
Reconnaître que l'épiscopat
romain ne représente pas l'Eglise infaillible;
Chercher ailleurs une Eglise qui
n'ait point innové.
Elle est facile à trouver, il n'y
en a qu'une, la sainte Eglise apostolique d'Orient.
C'est ainsi qu'en partant du
gallicanisme vrai, on arrive directement à l'orthodoxie, et qu'en
embrassant l'orthodoxie on reprend les saines traditions de
l'ancienne Eglise gallicane, qui ont leur source dans la doctrine de
l'Eglise orientale et occidentale des huit premiers siècles.
2.
LE PERE J. WASSILIEFF ET LA DECOUVERTE DE L'EGLISE ORTHODOXE
Je
continuais à poursuivre le système papal et j'en étais arrivé sur
ce point à l'orthodoxie. Je n'avais lu cependant encore aucun
ouvrage orthodoxe; mais j'avais lu avec la plus sérieuse attention
les ouvrages des ultramontains et j'avais vérifié les textes des
Pères et des conciles qu'ils sitaient en faveur de leur système. Je
fus ainsi initié à toute la tradition sur la fameuse question de la
papauté. J'avais acquis la certitude que tous les textes cités en
faveur de la papauté étaient faux, tronqués, détournés de leur
vrai sens; que l'on avait fabriqué avec eux une tradition fausse,
absolument opposée à la vraie. L'Observateur catholique était
devenu une véritable publication orthodoxe.J'y publiai, en
particulier, un travail spécial sur la papauté pour établir que
cette institution ne datait que du neuvième siècle, qu'elle n'avait
aucune base divine; que le pape n'était le premier patriarche de
l'Eglise que par décision des premiers conciles oecuméniques.
Lorsque je faisais imprimer ce
travail, je reçus la visite d'un Russe, M. Serge Souchkoff. Pendant
son séjour à Paris M.S Souchkoff avait eu des relations avec
quelques-uns de ses compatriotes qui avaient abandonné l'orthodoxie
et qui cherchaient à l'attirer à eux. Pour répondre à leurs
attaques contre l'Eglise orthodoxe, M.S. Souchkoff s'adressa à M.
l'archiprêtre Joseph Wassilieff, alors supérieur de l'Eglise russe
de Paris. Celui-ci était abonné à l'Observateur catholique. Il
montra à M.S. Souchkoff le travail que j'avais publié contre la
papauté en lui disant qu'il y trouverait les réponses à toutes les
objections des pseudo-Russes. M. Souchkoff lut mon travail et en fut
si satisfait qu'il voulut faire ma connaissance personnelle. Il vint
me voir; c'était le premier Russe que je voyais. Je le reçus avec
empressement, et il m'engagea à faire visite à M. l'archiprêtre J.
Wassikieff, s'offrant pour être notre intermédiaire. J'acceptai et
j'allai avec lui faire visite à M. l'archiprêtre. Aussitôt des
relations plus suivies et plus intimes s'établirent. Naturellement,
la conversation roula sur des questions théologiques.
Après quelques entretiens, M. J.
Wassilieff me dit : " Si vous aviez fait vos études
théologiques à l'académie ecclésiastique de Moscou, vous ne
seriez pas plus orthodoxe que vous ne l'êtes". Au fond, j'avais
toujours été orthodoxe, excepté sur la prétendue autorité divine
du pape que l'on m'avait donnée comme un dogme de foi et que j'avais
acceptée comme on accepte les dogmes d'une Eglise à laquelle on
apparient par sa naissance. Cette erreur m'avait nécessairement
conduit à d'autres erreurs de fait qui en étaient la conséquence;
mais, dès que les excentricités ultramontaines dont j'étais
victime m'eurent conduit à l'examen approfondi de tout le système
papal, ce système et les erreurs de fait qui en découlaient
tombèrent comme les murs de Jéricho au son des trompettes de Josué.
Sur toutes les autres questions,
l'enseignement des grands théologiens occidentaux était orthodoxe,
et j'étais orthodoxe avec eux. C'est ainsi que M.J. Wassilieff me
trouva orthodoxe comme si j'avais étudié à l'académie
ecclésiastique de Moscou.
Dans les entretiens que j'eus avec
M.J. Wassilieff, je soulevai la question d'une Revue orthodoxe dans
laquelle viendrait se fondre mon Observateur catholique qui verrait
ainsi s'agrandir le cercle de son action. Dans la nouvelle revue on
ne se bornerait pas à attaquer les erreurs occidentales, l'Eglise
catholique orthodoxe d'Orient se ferait entendre et opposerait ses
doctrines apostoliques aux erreurs de la papauté et de ses
adhérents. Mon idée fut acceptée; c'est ainsi que fut fondée
l'Union chrétienne, le premier journal orthodoxe qui parut en
Occident. Je fis le numéro-programmequi eut un grand retentissement.
Il intéressa principalement les anglicans et m'attira les colères
des papistes.
L'Union chrétienne était fondée
lorsque Mgr Leontius, évêque-vicaire de Mgr Isidor, métropolitain
de Novgorod et Saint-Pétersbourg, arriva à Paris pour consacrer
l'église russe orthodoxe que M. l'archiprêtre J. Wassilieff avait
fait construire.
J'assistai à la cérémonie de la
consécration et au dîner qui suivit. Je fus placé auprès de
Monseigneur qui fut rempli de bienveillance pour moi. Le résumé de
notre conversation fut que, sans appartenir à l'Eglise orthodoxe,
j'étais cependant un écrivain orthodoxe, et que je n'appartenais
plus à l'Eglise papiste qui me condamnait et que je combattais
moi-même. " Tout mon désir, dis-je à Monseigneur, c'est
d'appartenir à l'Eglise orthodoxe de Russie, mais je ne sais pas le
russe et je ne pourrai par conséquent me rendre utile."
Monseigneur voulut bien me répondre que, en résidant à Paris et en
continuant à travailler pour l'orthodoxie je serais très utile à
l'Eglise. Il fut donc convenu que je remettrais entre ses mains une
demande au Saint-Synode, suppliant le vénérable Concile de vouloir
bien m'accepter parmi les prêtres de l'Eglise orthodoxe de Russie.
Mgr Leontius remit cette supplique au Saint-Synode, et quelque temps
après je reçus l'oukase par lequel j'étais accepté et autorisé à
exercer toutes les fonctions du ministère sacerdotal auprès des
orthodoxes.
C'est ainsi que je suis entré dans
la sainte et vénérable Eglise orthodoxe de Russie.
Mes
adversaires, et spécialement M. Pallu, évêque de Blois, se
flattaient que je deviendrais protestant, et ils s'en réjouissaient;
à leurs yeux, en entrant dans le protestantisme, j'aurais abjuré ma
foi. Cependant, dans le protestantisme, j'aurais abjuré ma foi.
Cependant, dans le protestantisme on rencontre de meilleurs chrétiens
qu'eux.
Je
n'avais aucune tendance pour le protestantisme. Ses principes
fondamentaux n'avaient pas mon adhésion. Toutes mes études, en me
conduisant à l'orthodoxie, me confirmaient dans les vrais principes
catholiques, et je retrouvais ces principes dans toute leur pureté
au sein de l'Eglise orthodoxe. Je m'étais toujours cru exclusivement
catholique au sein du papisme. Mes études me démontrèrent que je
m'étais trompé, et que la papauté au lieu d'être catholique, dans
le vrai sens de ce mot, avait créé un schisme dans l'Eglise de
Jésus-Christ. Je devais donc devenir orthodoxe pour être
véritablement catholique.
Dans tous mes ouvrages, je n'ai
jamais dévié de cette doctrine, et c'est au nom du vrai principe
catholique que j'attaquai l'Eglise qui usurpe le titre de catholique
et qui ne l'est pas.
Mes
ennemis furent décontenancés en me voyant prendre cette voie. Ils
crièrent que j'étais devenu schismatique en entrant dans une Eglise
schismatique. Je leur répondis par un volume intitulé la Papauté
schismatique. Cette publication mit mes ennemis en fureur. Je reçus
une foule de lettres anonymes dans lesquelles on m'insultait de la
manière la plus stupide. Au lieu de me répondre, on m'appelait
horrible schismatique et l'on me disait que ma main avait dû
trembler en écrivant seulement le titre de mon épouvantable volume.
Ma
main n'avait pas tremblé du tout et j'étais bien convaincu, en mon
âme et conscience, que le plus horrible schismatique était le pape.
On
pouvait m'injurier; mais me réfuter, non.
Mon
excellent ami Martin de Noirlieu comprit parfaitement mon entrée
dans l'Eglise orthodoxe. En traversant la Bavière pour aller
présenter ses hommages à son roi, le comte de Chambord, il rendit
visite au plus grand théologien allemand et lui demanda son avis
touchant la Papauté schismatique. Il répondit : " C'est là un
de ces ouvrages qu'il est impossible de réfuter".
Un jour, M. Martin de Noirlieu se
rendit à l'église russe de Paris. Après l'avoir examinée dans
tous ses détails, il se prosterna sur les degrés du sanctuaire
devant la Porte Sainte et dit à demi voix : " Mon Dieu, je vous
rends grâce de ce que vous m'avez fait voir votre Eglise telle
qu'elle était dans les anciens jours", et le bon prêtre se
retira après avoir donné de nouvelles marques de son respect et de
sa vénération.
La
curie romaine qui n'aurait pu me réfuter, eut assez de talent pour
me censurer et me mettre sur le catalogue de l'Index. Au lieu
d'entrer en polémique avec la Sacrée Congrégation, je la remerciai
de l'honneur qu'elle avait bien voulu me faire.
Le
jour où j'apprenais par les journaux la mise à l'index de mon
ouvrage, je recevais une lettre très élogieuse de Sa Sainteté le
patriarche oecuménique de Constantinople. Ce vénérable évêque
est le premier patriarche de l'Eglise, depuis que l'évêque de Rome,
par son schisme et ses hérésies, a perdu les droits que les
premiers conciles oecuméniques lui avaient accordés.
Si
j'avais eu besoin d'être consolé de la censure de l'Index, je
l'aurais été surabondamment par les éloges du premier évêque de
l'Eglise. Comme on voit, j'entrais dans l'Eglise orthodoxe sous
d'heureux auspices.
Parmi les lettres des évêques
orthodoxes russes qui me félicitèrent de mon entrée dans leur
vénérable Eglise, je dois citer celle de Son Eminence Mgr Isidor
qui m'écrivait comme à un frère, et celle de S. Em. Mgr Philarète
de Moscou. C'est sur l'initiative de ce saint et savnt évêque que
l'académie ecclésiastique de Moscou me proposa au Saint-Synode pour
le titre de docteur à l'effet de me récompenser de mon ouvrage
intitulé : Papauté schismatique et tous les autres écrits
orthodoxes que j'avais publiés.
Je fus d'autant plus flatté de cet
honneur que je ne l'avais pas sollicité, et qu'il m'était accordé
sur l'initiative d'un savant évêque, vénéré dans toute l'Eglise
de Russie. C'est avec respect que je vois sur le diplôme qui me fut
adressé, la signature de l'illustre métropolite, suivie de celles
des docteurs Gorsky et Ternowsky, et des autres professeurs de la
docte académie. Un tel diplôme m'a amplement dédommagé des
attaques injurieuses de quelques écrivassiers papistes qui, malgré
leurr désir de me trouvr en faute n'ont jamais pu relever dans mes
nombreux écrits une seule erreur véritable. Ils n'ont pu me
reprocher qu'une chose : de n'avoir pas courbé la tête devant les
honteuses doctrines ultramontaines. Je l'avoue, ils ont eu raison d
eme faire ce reproche, mais je m'en honore, et je suis heureux
qu'avant même d'appartenir à la vénérable Eglise orthodoxe, j'ai
pu découvrir si nettement la vérité sur une foule de questions que
le papisme a dénaturées.
3.
LETTRES DE RUSSIE
Première lettre à M.
l'Archiprêtre J. Wassilieff
Saint-Pétersbourg,
5 juin 1865
Vénérable et très
cher ami,
Je vous ai promis de vous écrire
quelquefois pendant mon voyage en Russsie, et d evous faire connaître
mes impressions. Je vous dirai tout de suite que ces impressions sont
celles que je pressentais à l'avance. Les relations que j'avais
eues, soit par lettre, soit de vive voix, avec plusieurs vénérables
évêques et prêtres de l'Eglise orthodoxe, m'avaient donné la plus
juste idée du caractère élevé et des vertus des pasteurs de cette
vénérable Eglise; ce que j'ai vu de mes propres yeux, n'a fait que
confirmer, fortifier, augmenter encore l'idée que j'en avais conçue.
Je
n'ai encore point quitté Saint-Pétersbourg. Depuis mon arrivée
dans cette belle capitale de la Russie, j'ai eu l'honneur d'être
reçu par les membres du Saint-Synode; j'ai visité un grand nombre
de prêtres et d'hommes religieux. Je les ai tous trouvés aussi
distingués par l'amabilité de leur caractère, que par leurs
connaissances et leur esprit profondément chrétien. Je voudrais que
ceux qui, en Occident, parlent de l'Eglise et du clergé orthodoxe de
Russie avec tant de passion et d'amertume, pussent faire trêve,
seulement pour un jour, avec leurs préjugés, et examiner, de
sang-froid et avec justice, ce clergé et cette Eglise. Ils
comprendraient aussitôt qu'au lieu de leur départir l'injure avec
tant de prodigalité, ils leur devraient respect et vénération.
Vous pensez bien, très cher ami,
que ma première visite a été pour Son Eminence Mgr le métropolite
de Saint-Pétersbourg. Je me suis donc rendu au magnifique monastère
de Saint-Alexandre Newski, sa résidence, et j'ai été reçu par Son
Eminence avec une simplicité vraiment épiscopale, avec une
bienveillance qui m'a profondément touché; Son Eminence m'a invité
à officier avec elle, le lendemain, aux matines des fêtes de la
Sainte-Trinité et du Saint-Esprit, ainsi que le dimanche à la
liturgie et aux vêpres célébrées par elle pontificalement, dans
la grande église du monastère. Les matines, chantées le samedi
soir, ont duré trois heures et demie; l'office du lendemain a duré
quatre heures et demie. Pendant la liturgie, Son Eminence m'a revêtu
solennellement de l'épigonate; C'est une distinction dont je me
trouve très honoré.
J'ai été frappé du caractère
religieux des solennités auxquelles j'ai pris part. Tout était
grand, pompeux, magnifique dans les rites et dans les chants; mais il
n'y avait rien de théâtral, et c'est en cela que j'ai surtout
remarqué la différence qui existe entre l'Eglise orthodoxe et
l'Eglise romaine, quant au culte extérieur. Dans les offices
pontificaux d'Occident, les instruments de musique, les cérémonies
exécutées, pour ainsi dire, géométriquement, jouent le grand
rôle, et il faut connaître à fond l'histoire des transformations
liturgiques qui ont eu lieu successsivement dans l'Eglise romaine,
pour retrouver le sens de la plupart des cérémonies. Il n'en est
pas ainsi dans l'Eglise orthodoxe. Tout est resté en même temps
dans la simplicité primitive; il suffit de voir pour comprendre.
Comme j'aime les chants si harmonieux de l'Eglise russe dans la
bouche des clercs et sans mélange d'instruments! Ces chants
n'ébranlent pas les nerfs; ils disposent doucement à la piété;
ils remuent et impressionnent le coeur comme un bon sentiment. Les
rites, dans leur grave simplicité, reportent tout naturellement
l'esprit vers les âges primitifs, où évêques, prêtres et fidèles
se réunissaient pour chanter ensemble les louanges de Dieu, célébrer
sa gloire et ses bienfaits, implorer sa miséricorde.
Dès le commencement des offices,
l'église de Saint-Alexandre Newski était comble, et pas un seul des
assistants n'est sorti avant la dernière bénédiction. Pauvres et
riches étaient placés côte à côte, sans distinction. Les hommes
étaient au moins aussi nombreux que les femmes. Tous se tenaient
debout dans l'attitude la plus respectueuse, en silence et dans le
recueillement. Ils suivaient avec une attention soutenue toutes les
cérémonies, s'inclinaient respectueusement et faisaient le signe de
la croix, lorsque, dans les prières, on implorait avec plus de
sentiment la miséricorde de Dieu. Quand les chants cessaient et que
Son Em. Mgr le métropolite récitait une prière, la foule immense
qui remplissait l'église était si recueillie, qu'on n'entendait que
le religieux écho d ela prière.
Le
sentiment religieux du peuple russe m'a singulièrement frappé, et
chacun s'accorde à me dire que Saint Pétersbourg, sous ce rapport,
n'approche pas de Moscou. Cependant, tel qu'il m'apparaît à Saint
Pétersbourg, il m'inspire déjà des réflexions qui ne sont point à
l'avantage de l'Eglise romaine. Que sont devenues, sous l'influence
de cette Eglise, toutes les populations occidentales? Ne sont-elles
pas dévorées par le scepticisme et l'indifférence? La foi
n'a-t-elle pas disparu? Et, parmi les peuples que l'on cite encore
comme religieux, est-ce un véritable sentiment chrétien qui y
règne? N'est-ce pas plutôt la superstition? Les innovations du
papisme ont donc détruit la vraie foi; elles ont détruit tout
sentiment religieux, et l'Eglise romaine ne possède plus aujourd'hui
qu'une immense majorité sceptique, et une faible minorité
superstitieuse. Tel est le résultat qu'elle devait nécessairement
obtenir. Or, si comme le veut Notre Seigneur Jésus-Christ, on doit
juger l'arbre par les fruits qu'il produit, que doit-on penser de
l'Eglise romaine?
Ce sont là, très cher ami,
quelques unes des réflexions que je faisais en voyant la foule si
sincèrement recueillie qui remplissait la grande église de Saint
Alexandre Newsky.
Monseigneur le Métropolite me fit
l'honneur de m'inviter au dîner qui eut lieu, après l'office du
dimanche, au réfectoire du monastère. C'était la fête du couvent;
la règle n'en fut pas moins observée. On fit une lecture pieus
ependant le repas et l'on n'y servit que du poisson et des légumes;
tous les habitants du monastère, y compris son Eminence, ne mangent
jamais de viande. Monseigneur le Métropolite me dit, pendant le
repas, les choses les plus aimables, et j'eus là une nouvelle
occasion d'apprécier tout ce qu'il y a de bon et d'apostolique dans
le coeur de ce digne prélat; J'avais admiré sa profonde piété
pendant les offices; mes relations personnelles avec son Eminece me
convainquirent que la haute position qu'elle occupe ne lui ont
inspiré ni vanité ni orgueil.
Les évêques de Russie savent
garder leur dignité; les prêtres leur témoignent un profond
respect; mais je n'ai remarqué ni servilisme dans le respect des
prêtres, ni orgueil dans la dignité des évêques. La foi anime et
dirige les uns et les autres.
Vous connaissez, très cher ami, ma
franchise parfois un peu rude. Vous savez que j'aimerais mieux me
taire que flatter ceux qui ne mériteraient pas d'éloges. Vous
croirez donc à la sincérité de mes paroles. Eh bien, d'après ce
que j'ai vu jusqu'ici à Saint-Pétersbourg, j'ai l'intime conviction
que le clergé de Russie est aussi distingué par la gravité de ses
meours que par ses connaissances et son esprit vraiment
ecclésiastiques; n'en déplaise au clergé de France qui passe en
Occident, et avec raison, pour le meilleur de l'Eglise romaine, et
que je ne veux pas rabaisser plus qu'il ne le mérite, je lui
souhaite de tout mon coeur de ressembler à celui de
Saint-Pétersbourg.
Mais je m'aperçois, très cher
ami, que ma lettre dépasse les bornes légitimes. Je m'arrête donc,
et je me réserve de vous écrire de nouveau après avoir visité
Moscou.
Agréez, etc.
Deuxième
lettre à M. l'Archiprêtre Wassilieff
Saint-Pétersbourg,
12 juin 1865
Très
cher ami,
Je ne veux pas partir pour Moscou
sans vous écrire encore une fois de Saint-Pétersbourg, où je viens
d'assister aux funèbres cérémonies de l'arrivée du corps du feu
grand-duc héritier, et du convoi de ce jeune prince si estimé, si
aimé, et, on peut le dire, si vénéré en Russie. Je n'oublierai
jamais le tableau qu'il m'a été donné de voir. Jamais, en France,
je n'ai été témoin de pareilles scènes. Je ne vous parle point,
comme vous le pensez bien, d ela pompe du cortège, des troupes, de
la foule immense qui se pressait surtout aux abords de la cathédrale
de Saint-Pierre et Saint-Paul, le Saint-Denis de la famille impériale
de Russie. On est trop habitué, à Paris, aux cérémonies
pompeuses, aux troupes, à la foule, pour que tout cela ait pu faire
impression sur moi, à Saint-Pétersbourg. Mais ce dont j'ai été
frappé, c'est de la douleur de la famille impériale, et surtout de
Sa Majesté l'empereur qui oubliait, pendant la célébration des
offices religieux, qu'il était le souvearin d'un immense empire, et
qui se rappelait seulement qu'il était père. Selon une coutume
touchante qui existe en Russie, le cercueil du grand-duc avait été
ouvert à son arrivée, et sa figure et ses mains restèrent à
découvert, depuis son entrée à la cathédrale jusqu'au moment du
convoi. Pendant plusieurs jours les offices se succédèrent devant
le corps. J'y officiai plusieurs fois avec Son Eminence Mgr le
métropolite, et je pus voir ainsi, de mes propres yeux, avec quel
amour l'empereur et son auguste famille rendirent les derniers
devoirs au défunt grand-duc. Sa ajesté l'impératrice n'assistait
pas aux offices publics, mais elle s erendait chaque jour auprès de
son fils bien-aimé; sa douleur et sa piété étaient si touchantes,
que tous ceux qui en étaient témoins ne pouvaient retenir leurs
larmes. L'empereur assistait à tous les offices; il faisait de vains
efforts pour comprimer sa douleur; le père l'emportait sur
l'empereur, et son émotion se communiquait à tous ceux qui
l'entouraient. J'ai vu plus d'un vieux militaire essuyer furtivement
une larme lorsqu'il voyait pleurer son souverain, qu'il nomme si
affectueusement son père.
A
la fin de chaque office, l'empereur et tous les membres de la famille
impériale s'approchaient du corps du défunt, l'embrassaient sur la
figure et sur les mains. Cette pieuse coutume des deniers adieux
existe dans le peuple comme dans les familles les plus élevées en
Russie. Les morts n'y inspirent pas une sotte terreur comme en
Occident; au contraire, on les conserve le plus longtemps possible,
on leur prodigue les témoignages de la plus vive affection; on les
entoure des soins les plus délicats, et on ne laisse pas fermer leur
cercueil sans leur avoir prodigué les derniers embrassements. Cette
pieuse coutume m'a vivement ému.
L'Eglise orthodoxe, de son côté,
entoure les corps des morts d'une grande vénération. On comprend
qu'elle les considère, avec les yeux de la foi, comme ayant été la
dmeure de l'âme rachetée par le sang de Jésus-Christ, comme les
organes qui ont servi, par les sacrements, à la régénération de
l'âme elle-même, comme des vases consacrés dans lesquels Dieu a
déposé un germe d'immortalité. Toutes les prières exxpriment ces
hautes pensées; elles sne sont pas pénétrées, comme les prièress
de l'Eglise latine, d'une sombre tristesse; elles sont plutôt
remplies d'espérance; on sent que, pour l'Eglise orthodoxe, le
tombeau est le berceau d'une vie meilleure, et, autour du cercueil,
elle fait entendre l'Alleluia que l'âme du défunt chanté déjà,
en présence de Dieu, dans la société des élus. Comme une bonne
mère, elle console ceux qu'une séparation douloureuse a jetés dans
la tristesse; elle leur fait voir que ceuxx qui restent en ce monde
sont plus à plaindre que celui qui a passé à la vie immortelle.
Pendant les cérémonies funèbres,
j'ai eu l'occasion de faire connaissance avec un grand nombre de
prêtres de l'Eglise orthodoxe, et la bonne opinion que j'ai émise à
leur sujet, dans ma précedente lettre, n'a fait que se confirmer.
Dimanche dernier, j'ai assisté à
la liturgie dans la belle et riche église métropolitaine de
Saint-Isaac; j'ai officié au Te Deum avec Mgr le métropolite, qui a
eu pour moi les attentions les plus délicates, et qui m'a prodigué
les témoignages de son affection paternelle.
Le premier évêque de Russie était
au milieu des prêtres comme un bon père; tous se sont assis à la
même table chez le vénérable archiprêtre de Saint-Isaac, digne et
zélé pasteur, aussi distingué par ses vertus et ses talents que
par son aménité. A la fin de l'office, j'ai été singulièrement
frappé de l'empressement de tous les fidèles à demander la
bénédiction de Son Eminence le métropolite. La vaste basilique
était comble, ce qui vous donnera une idée de la foule qui s
eprécipitait au devant du saint évêque; tous, grands et petits,
hommes et femmes, riches et pauvres voulaient lui baiser la main, et
ce n'est qu'à travers les flots de cette foule pieuse qu'il a pu
gagner sa voiture, qui l'attendait au bas des degrés de l'église.
Son Eminence m'y fit asseoir à côté d'elle, et je pus voir alors
l'immense place couverte de fidèles qui tous, respectueusement
découverts, faisaient le signe d ela croix, en recevant les
dernières bénédictions. Quel respect ont les fidèles orthodoxes
pour le caractère épiscopal! ce respect leur fait honneur, mais il
honore en même temps les évêques qui savent mériter tant de
vénération.
A
la vue de tant de choses qui m'étonnent et qui m'édifient ici, je
fais, vénérable ami, de bien tristes réflesxions sur ma chère
France, si douce, si bonne, si intelligente et qui mériterait si
bien de connaître la vérité. Hélàs! ne dirait-on pas que tout
conjure contre elle! Tandis que le romanisme, par ses innovations et
son fanatisme y éteint les dernières étincelles de la foi
chrétienne, tous les systèmes soi-disant philosophiques réunissent
en un faisceau toutes leurs contradictions pour fausser les esprits,
et répandre partout les ténèbres. Cependant, le Français reste
religieux au fond de son âme. Il n'aime pas le romanisme; il n'aime
pas davantage le protestantisme; le philosophisme échoue contre son
bon sens naturel, mais il se trouve sans culte, sans Eglise, et il
paraît insensible à tout ce qui porte un caractère religieux.
Pourquoi? parce qu'il sent que la vérité n'est pas au fond de tous
les systèmes qu'on lui offre sous les fausses étiquettes de
christianisme ou de phiosophie. Oh! si l'Eglise orthodoxe pouvait se
faire mieux connaître en France! Si elle pouvait s'y manifester
clairement! tous retrouveraient en elle l'Eglise de leurs pères si
étrangement défigurée par le romanisme, et ils s'y réfugieraient
comme dans l'arche sainte du salut. Plus je vois l'Eglise ortodoxe
dans sa vie, mieux je comprends que c'est à elle qu'appartient
l'avenir. Je la connaissaiss en théorie; je savais que sa doctrine,
ses lois, sa liturgie, sont celles de l'Eglise primitive; mais
aujourd'hui que je la vois vivre, agir, sous mes yeux, je la
comprends mieux encore. J'étais étonné jadis lorsque, par hasard,
je rencontrais à Paris des Russes qui répétaient, ou les diatribes
anticléricales de nos libéraux, ou les non-sens mystiques de ces
petites jésuitières qu'ils appellent pompeusement les Salons du
faubourg Saint-Germain. Je déplorais l'aveuglement qui les empêchait
de comprendre, ou que les reproches adressés au clergé romain ne
peuvent s'appliquer sous aucun rapport, au clergé orthodoxe, ou que
les petites anecdotes du faubourg Saint-Germain ne sont que de
perfides insinuations des bons Pères. Mais, aujourd'hui, je suis
encore beaucoup plus étonné de la simplicité de ces Russes
cosmopolites qui croient se distinguer en laissant ça et là les
lambeaux de leur beau caractère national et orthodoxe, pour
s'affubler des oripeaux ridicules des charlatans des divers peuples
qu'ils visitent. Heureusement que les pseudo-Russes sont rares et
qu'ils ne forment que des exceptions, même parmi ceux qui voyagent à
l'étranger.
Vous voyez, très cher ami, que mon
voyage en Russie ne sera pas inutile pour moi au point de vue
religieux, et que j'en rapporterai une idée plus complète de la
sainte et vénérable Eglise orthodoxe.
Je
pars, dans deux jours, pour Moscou, d'où je vous écrirai une
nouvelle lettre.
Agréez, etc.
Troisième lettre à M.
l'Archiprêtre Wassilieff
Moscou,
10/22 juin 1865
Monsieur et très cher
ami,
Je vous écris de Moscou,
l'ancienne capitale de l'empire de Russie, et encore aujourd'hui la
capitale de l'Eglise orthodoxe, par le souvenir des anciens
patriarches et par la foi qui règne dans toute sa population. Le
jour même de mon arrivée, je me suis rendu au Kremlin qui est en
même temps une citadelle, un couvent, un lieu saint dominé par les
cocupoless de plusieurs magnifiques églises, enfin un palais rempli
de souvenirs des vieux souverains et que les nouveaux se plaisent à
enrichir chaque jour. Je suis entré par cette porte que les
empereurs eux-mêmess ne franchissent qu'en se découvrant avec
respect, et j'ai joui, du haut des terrasses, d'une vue grandiose et
peut-être unique dans le monde. Je voyais à mes pieds toute la
ville composée d'élégantes villas ensevelies dans la verdure, et
dominée par une forêt de clochers aux formes gracieuses, les uns
étincelants d'or, les autres ornés de peintures variées. J'ai
compris, au premier coup d'oeil, que Moscou est une ville éminemment
chrétienne. Je n'ai donc point été surpris, en la parcourant, de
rencontrer à chaque pas des actes de foi, de piété, de respect
pour le sacerdoce de Jésus-Christ. A tout moment, des hommes du
peuple s'approchaient de moi, me demandant ma bénédiction et
baisant la croix suspendue à mon cou, et cela, sans autre intention
que d etémoigner leur respect pour le caractère sacerdotal et pour
la croix du Sauveur. La foi candide et pure de ces braves gens avait
quelque chose de bien touchant, et je me reportais tout naturellement
à nos contéres occidentales où la vue du prêtre excite des
sentiments tout contraires. D'où vient cette différence? Je ne
pourrais répondre à cette question sans entrer en des
considérations qui m'éloigneraient trop du but que je me suis
proposé en vous écrivant cette lettre.
Du reste, ce n'est pas seulement à
Moscou que le peuple orthodoxe témoigne de son respect pour le
sacerdoce. A Saint-pétersbourg, malgré le mélange de la
population, on ne peut parcourir pendant cinq minutes une des rues de
la ville, sans être témoin d'un de ces actes qui attestent la foi
sincère et profonde que le sacerdoce orthodoxe a su comuniquer aux
fidèles qui lui sont confiés.
Cependant, en Russie, la plus large
tolérance règne pour tous les cultes. Même à Moscou, tous les
cultes ont leurs églises; les catholiques romains y jouissent de la
plus entière liberté, et la colonie française, en particulier y a
son clergé et son église. Mais ces cultes divers n'ont aucune
influence sur les orthodoxes, qui sentent la supériorité de leur
vénérable Eglise qui n'a jamais eu à se reprocher la plus légère
innovation dans le dépôt de la doctrine divine. Permettez-moi une
petite réflexxion au sujet de la tolérance de la Russie : c'est
qu'il existe des nations qui parlent beaucoup de tolérance, et qui
la pratiquent beaucoup moins qu'on ne le fait en Russie.
Le lendemain de mon arrivée à
Moscou, j'ai été reçu par le vénérable métropolite Philarète.
Je n'ai point à vous faire l'éloge de ce grand évêque qui est âgé
aujourd'hui de quatre-vingt-trois ans et qui, depuis quarante-trois
ans, occupe si dignement la chaire métropolitaine. Tout le monde
connaît sa science, son éloquence, ses vertus, et la Russie entière
le vénère déjà comme un saint. En mettant le pied sur le seuil de
son humble habitation, on comprend tout de suite que là doit
demeurer un évêque profondément imbu de l'esprit apostolique. Tout
est simple et modeste dans cette maison qui n'est un palais que par
la dignité de celui qui l'habite. J'ai rencontré, chez son Eminence
le métropolite, un de ses vicaires, Mgr Léonide, auquel je rendis
visite le lendemain et qui m'offrit gracieusement un logement chez
lui. Le disciple est digne du maître. On ne dirait pas que Mgr
Léonide fut jadis un officier distingué. Il a oublié le monde pour
ne se souvenir que de ses devoirs de moine et d'évêque.
Je ne pouvais visiter Moscou sans
aller jusqu'au monastère de saint Serge, car, à côté de ce
couvent historique qui fut le rempart de la nationalité russe à
l'époque de l'invasion polonaise, on trouve l'Académie
ecclésiastique. Or, je devais des remerciements au digne et savant
recteur Gorsky; à l'inspecteur, l'archimandrite Michel; aux docteurs
et professeurs de ce corps savant qui ont signé le diplôme qui m'a
élevé à la dignité du doctorat. J'ai donc eu l'occasion de voir à
Saint Serge, comme à Moscou et à Saint-Pétersbourg un grand nombre
de prêtres, et je suis d eplus en plus persuadé que j'ai été trop
réservé dans les éloges que j'ai faits du clergé orthodoxe, en
vous écrivant de Saint-Pétersbourg. Chez tous les prêtres que j'ai
vus, j'ai remarqué le plus grand mérite uni à la plus aimable
modestie. J'aurais voulu faire connaissance avec un plus grand nombre
d'entre eux; mais ce qui est différé n'est pas perdu. Je sais
maintenant le chemin de la Russie et j'y reviendrai. Je m'y trouve
trop bien au milieu de pères et de frères qui rivalisent de bons
procédés à mon égard, pour ne pas désirer vivement de me
retrouver au milieu d'eux. La plupart comprennent le français
quoiqu'ils ne puissent pas le parler, faute de pratique. Je suis
beaucoup plus ignorant et je comprends fort mal le russe; mais je me
fortifierai dans cette langue; j'en sens le besoin. Outre le plaisir
d em'entretenir avec des hommes distingués, il y a en Russie une
littérature religieuse aussi riche que variée et que l'Occident
ignore absolument. Il faut la faire connaître, surtout à ces
théologiens romains si riches de présomption, à ces Tilloy qui se
permettent d'aussi injustes critiques contre un clergé dont ils ne
connaissent ni la science ni les vertus. Je me dévouerai à cette
oeuvre avec l'aide de quelques amis, et pour commencer tout de suite,
je vous adresserai dans quelques jours, la traduction d'un fort beau
discours adressé au Saint-Synode par l'évêque-recteur de
l'Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg, lors de son
élévation à l'épiscopat. Ce discours est aussi fortement pensé
qu'élégamment écrit et donne d'utiles renseignements sur l'Eglise
de Russie.
Revenons à Moscou. Il ne faudrait
qu'un séjour de plusieurs mois dans cette intéressante ville pour
en visiter les églises et les couvents; pour admirer toutes les
richesses religieuses et artistiques qu'elle renferme. Je suis
obligé, à mon grand regret, de n'y rester que neuf jours. Je ne la
quitterai pas, du moins, sans emporter la plus haute opinion de son
Eglise, et les meilleurs sentiments pour l'aménité et la gracieuse
hospitalité de la société moscovite. On m'a fait promettre de
revenir, je tiendrai ma promesse, soyez en certain. Une autre raison
encore, très cher ami, me fait aimer Moscou, c'est qu'on vous y aime
vous-même. Tout le monde me parle de vous en des termes que je ne
vous répéterai pas, mais qui, je vous assure, pourraient flatter
qui que ce soit. Je vous arriverai à Paris avec une énorme
cargaison d'amitiés, de compliments, de respects, etc., du reste,
Saint-Pétersbourg n'est pas en retard sur ce point, et je me trouve
très heureux en Russie d'être considéré comme votre ami.
Je
devrais, en quittant Moscou, aller à Kiev, la ville sainte de la
Russie; visiter ses catacombes et saluer ce beau fleuve Dnieper, où
vos ancêtres ont été régénérés par le baptême. J'y ai été
cordialement invité par monseigneur le métropolitain de Kiev, un de
ces évêques comme en possédait l'Eglise primitive et comme en
possède encore l'Eglise orthodoxe, mais je dois ajourner mon
pèlerinage à Kiev. Le chemin de fer ne va pas encore jusqu'à cette
ville et j'ai trop peu de temps à passer en Russie pour entreprendre
d'y voir tout ce qui mérite d'être visité. Donc, à mon futur
voyage, mon pèlerinage à Kiev et à tant d'autres lieux saints que
possède votre excellent pays. Du reste, j'ai vu Monseigneur de Kiev
à Saint-Pétersbourg, et je n'ai pas besoin de vous dire quels sont
mes sentiments de respect et d'amour filial pour ce bon et saint
métropolitain, vous les connaissez depuis longtemps.
J'espère pouvoir vous écrire
encore une fois à mon retour à Saint-Pétersbourg, et avant de
quitter la Russie. Donc, à bientôt et croyez-moi toujours votre ami
bien sincère.
APPENDICE
II
GUETTEE ET L'UNIVERSALITE DE
L'EGLISE
(
Pour Guettée, être orthodoxe ne signifiait pas devenir russe ou
grec, mais revenir à la foi apostolique et à l'Eglise véritable.
Aussi a-t-il été le premier à s'intéresser à la création d'une
orthodoxie française comme en témoigne le texte ci-dessous qui est
aussi un appel à l'aide des orthodoxes grecs, russes, serbes,
roumains, pour la documentation de l'Histoire de l'Eglise).
L'ORTHODOXIE
FRANCAISE
Depuis que nous avons été
admis dans la sainte Eglise orthodoxe, nous n'avons été préoccupé
que d'une seule pensée : la faire connaître en Occident, et la
défendre contre les attaques des romanistes et des protestants.
Nous ne pouvions, en entrant
dans l'Eglise orthodoxe, espérer la servir par les fonctions du
ministère sacerdotal; car cette vénérable Eglise a assez de
prêtres respectables, soit à l'intérieur, soit à l'étranger,
pour satisfaire aux besoins spirituels de ses fidèles.
Notre ligne était donc tracée
d'avance : consacrer notre vie tout entière à écrire en faveur de
l'orthodoxie. C'est ce que nous avons fait jusqu'ici; c'est ce que
nous ferons encore exclusivement, tant que nos travaux seront bénis
par la haute autorité de laquelle nous relevons, et dont les simples
désirs seront toujours pour nous des ordres.
Plusieurs journaux orthodoxes
ont annoncé, il y a quelque temps, que nous avions l'intention de
fonder à Paris une église orthodoxe de langue française, et que
nous allions ainsi abandonner la vie studieuse et retirée
d'écrivain ecclésiastique, pour la vie active du ministère. Ces
journaux, dont la sympathie nous aprofondément touché, ont été
trompés par le projet dont nous avons entretenu les lecteurs de
l'Union chrétienne et dont l'initiative est due, non pas à nous,
mais à des grecs pieux et zélés. Nous avons reçu plusieurs
lettres très pressantes, dans lesquelles on nous engageait à
établir à Paris une église où la divine liturgie et les saints
offices seraient célébrés en français, à l'usage des orthodoxes
qui n'entendent pas la langue slave, et qui, à cause de leurs
relations avec la France, comprennent le français.
Nous aurions été heureux de
pouvoir obéir au désir de nos honorables correspondants; mais nous
avons dû répondre aue, par caractère, nous nous sentions peu fait
pour la vie active que demanderait la réalisation d'un pareil
projet; qu'il vaudrait mieux que l'église orthodoxe française fût
élevée par les soins d'un comité d'orthodoxes; et que tout ce
qu'il nous était possible de promettre, c'était notre coopération
comme écrivain et comme prêtre, dans le cas où nous obtiendrions
pour cela l'autorisation, d'abord du Saint Synode de Russie, dont
nous sommes le fils soumis, puis des vénérables patriarches et
synode d'Orient, qui pourraient seuls autoriser leurs fidèles à
s'adresser à notre ministère.
Les choses en sont restées là; et
peut-être que, dans les vues de la Providence, le temps n'est pas
encore venu d'établir à Paris une église orthodoxe d elangue
française. Quand Dieu le voudra, il saura bien inspirer à quelqu'un
de ses enfants la volonté d'en prendre l'initiative et aplanir tous
les obstacles.
En attendant, nous n'avons à
poursuivre que notre but principal et le plus conforme à nos goûts,
celui de former, par nos écrits, des orthodoxes solides, convaincus,
qui seront, plus tard, les premiers membres d'une Eglise française.
C'est cette pensée qui nous a
guidé dans l'Exposition de la doctrine orthodoxe, ouvrage bien
minime sans doute, en lui-même, et relativement à son volume, mais
qui est reçu, en Russie comme en Orient, en Angleterre et en
Amérique, comme en France, avec une faveur qui prouve que nous avons
répondu à un besoin général; et nous pouvons espérer que notre
humble opuscule contribuera à faire tomber une foule de préjugés
contre la sainte Eglise orthodoxe. Il atteindra d'autant mieux ce but
qu'il est plus court, et qu'il peut être ainsi lu par un grand
nombre de personnes qui sont d'ordinaire effrayées par les gros
volumes de théologie.
L'Exposition, s'adressant à tous,
nous avons dû être sobre d'érudition pour ne pas lui donner des
proportions qui eussent empêché le grand nombre de la lire. Mais
nous comprenons que, pour les hommes d'étude, il est nécessaire de
composer un travail plus érudit et plus complet. C'est pour cela
que, depuis plusieurs années, nous travaillons à une Histoire de
l'Eglise, qui ne sera que l'exposition et la démonstration de
l'orthodoxie par les faits et les témoignages de tous les siècles.
Nous avions concçu ce projet
lorsque nous étions encore prêtre de l'Eglise romaine, et notre
évêque de Blois, monseigneur Fabre des Essarts, de vénérée
mémoire, nous avit fait promettre d'y travailler, aussitôt après
avoir mis la dernière main à l'Histoire de l'Eglise d eFrance que
nous publiions alors avec son approbation. Nous nous applaudissons de
n'avoir pas commencé ce travail lorsque notre impartialité et notre
amour de la vérité auraient été gênés par les préjugés que
nous avait imposés une éducation romaniste. Aujourd'hui que, par
suite d'études approfondies et d'une conviction ferme, nous sommes
devenus prêtre de la sainte, catholique et apostolique Eglise
orthodoxe, et que nous sommes débarrassé des préjugés romains,
nous pourrons accepter, sans arrière-pensée, sans réserves, dans
toute leur exactitude, les monuments de l'histoire de l'Eglise, et
composer un ouvrage rigoureusement vrai.
Pour obtenir complètement ce
résultat, nous avons besoin du concours de nos frères d'Orient.
C'est pour cela que nous nous sommes permis de composer le présent
article, que nous prions de considérer comme un appel à tous les
amis de la vérité et de l'Eglise, sans le secours desquels nous ne
pourrions exécuter le plan que nous avons formé.
Sans doute les documents ne
manquent pas en Occident, mais nous pensons que, dans les archives
des patriarcats et dans les bibliothèques des anciens couvents
d'Orient, on doit posséder des pièces importantes qui nous mettront
à même de faire, aussi complète que possible, l'histoire, si
inconnue jusqu'ici, en Occident, des Eglises orientales, depuis les
invasions des Turcs.
(
Les textes présents sont extraits des ouvrages suivants :
La
Paputé schismatique
La
Papauté moderne condamnée par saint Grégoire-le-Grand
Histoire
de l'Eglise
La
Papauté hérétique
Le
Nouveau Dogme... ou Lettres à Mgr Malou
L'Union
Chrétienne
Les
Souvenirs d'un prêtre Romain devenu prêtre Orthodoxe).
TABLE DES
MATIERES
INTRODUCTION.
GUETTEE
OU LE RETOUR A L'ORTHODOXIE
I
La Vie de l'Abbé Guettée
II
L'Oeuvre du Père Guettée
III
La postérité de Guettée
Guettée et l'orthodoxie
française
Guettée et l'oecuménisme
Guettée à l'origine du
mouvement
vieux-catholique : l'Abbé
Michaud
Guettée inspirateur de
Dostoïevsky
et de la légende du Grand
Inquisiteur
IV
Les limites de l'oeuvre de Guettée
L'augustinisme de Guettée
L'influence de la théologie
académique russe
PREMIERE PARTIE.
LA
PAPAUTE SCHISMATIQUE.
I
L'Autorité Papale condamnée par la Parole de Dieu
II
Les Règles de la Tradition.
1. Saint Cyprien
2. Saint Vincent de Lérins
3. Conclusion : le témoignage
des monuments
dogmatiques
III Le témoignage des Pères de
l'Eglise
1. Saint Clément
2. La question de la Pâque
3. Saint Irénée
4. Saint Hilaire de Poitiers
et saint Epiphane
5. Le Pape saint Léon le
Grand
6. Saint Jean Chrysostome
7. Les Cappadociens : St
Grégoire de Naziance,
St Grégoire de Nysse
et St Basile de Césarée
8. Le témoignage des
Occidentaux :
Saint Ambroise et Saint
Jérôme
9. L'Invention de la
"Papauté"
IV
Le Témoignage des Conciles oecuméniques et locaux
1. Le Concile de Nicée
2. Le Deuxième Concile
Oecuménique
3. Le Troisième Concile
Oecuménique
4. Le Quatrième Concile
Oecuménique
5. Faits et textes
V
La Papauté moderne
condamnée par le Pape Saint
Grégoire le Grand
VI
La Crise du IXème siècle
Le Concile de 879 ( VIIIème
Oecuménique)
VII
1054
DEUXIEME
PARTIE.
LA
PAPUTE HERETIQUE
I
L'hérésie du Filioque
II
L'Immaculée Conception
1. Un nouveau dogme
2. Première lettre à
Monseigneur Malou...
3. Troisième lettre
4. Vingt-cinquième lettre
III
Le Sacré-Coeur, Hérésie sur l'Incarnation
IV
Différents points de controverse
1. Le Baptême et la
Confirmation
2. Le Pain Azyme
3. L'Epiclèse
4. Le Pain Eucharistique
5. La Communion des Enfants
6. La Communion sous les deux
espèces
7. L'Evolution Liturgique
8. Le Mariage
9. La Fausse Piété
10. Le Purgatoire
V
La Très Sainte Inquisition et autres polémiques
1. La Très Sainte Inquisition
et les Bénédictins
2. La Papauté et les Juifs
3. Les Indulgences
4. Les Jésuites inspirateurs
de la Papauté
5. La Papauté Usurpatrice
6. La Papauté ou la Grande
Hérésie Occidentale
7. Conclusion. Le Témoin
Gênant : l'Orthodoxie
Appendice
I. Du Gallicanisme à l'Orthodoxie
1. Découverte de
l'Orthodoxie
2. Le Père J. Wassilieff
et la découverte
de l'Eglise Orthodoxe
3. Lettres de Russie
Appendice
II. Guettée et l'Universalité de l'Eglise
L' orthodoxie française
(QUATRIEME
DE COUVERTURE)
"
J'étudiai la Papauté non dans les livres de ses adversaires, mais
dans ceux de ses défenseurs, les Bellarmin, les Zaccharia et tant
d'autres. Comme ils prétendent que la papauté a pour fondement la
tradition catholique, je contrôlai tous les textes des Pères et des
Conciles qu'ils ont cités. Je trouvai que tous les textes cités par
eux étaient faux, tronqués, détournés de leur vrai sens. Je dus
en conclure que la papauté n'était qu'une institution fondée sur
le mensonge."
Ainsi, dans ses Souvenirs d'un
prêtre Romain devenu prêtre Orthodoxe, Guettée résume son oeuvre
et sa vie, celle d'un prêtre catholique, d'un savant historien
gallican conduit par ses recherches sur l'Eglise de France à une
critique méthodique de l'institution et des dogmes de la papauté.
Héritier de la protestation
gallicane contre l'extension du pouvoir des papes sur les Eglises
locales, Guettée lui donne une force nouvelle en remontant aux
causes profondes de l'institution de la papauté : l'introduction de
dogmes nouveaux et inconnus jusque-là dans l'Eglise.
Après avoir réuni ses recherches
en plus de quarante volumes historiques, et pour rester fidèle à la
tradition catholique universelle de l'Eglise, Guettée devint
orthodoxe, ouvrant ainsi la voie, avec un siècle d'avance, à tous
ceux qui, en Occident, ont soif de la doctrine authentique et d ela
vie en Christ qui est celle des Apôtres et des Pères de l'Eglise.
De
la Papauté est un choix des meilleurs textes de Guettée, ceux qui
influencèrent le grand historien Döllinger, inspirèrent le
vieux-catholicisme suisse, renouvelèrent l'étude de l'Histoire de
l'Eglise et sont l'une des sources probables de la légende du Grand
Inquisiteur de Dostoïevski.
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