FRATERNITE ORTHODOXE SAINT GREGOIRE PALAMAS, ECRIRE A :
FRATERNITE ORTHODOXE SAINT GREGOIRE PALAMAS,
30 BOULEVARD SEBASTOPOL, 75004 PARIS.
LE STARETS ZACHARIE.
Traduction de Presbytéra Anna.
Editions de la FRATERNITE ORTHODOXE
SAINT GREGOIRE PALAMAS,
30 BOULEVARD SEBASTOPOL, 75004 PARIS.
LA VIE DU STARETS ZACHARIE.
Le 2 septembre 1850,au jour où l’Eglise Orthodoxe célèbre l’éternelle mémoire de Mamas, le Saint Martyr, naissait dans la province russe de Kalonga, près de Moscou, celui dont la vie toute admirable et parfaite répandrait bientôt sur les âmes affligées, sublime et merveilleux, le parfum d’une fleur de Paradis exhalant l’odeur embaumante et suave du Très Saint Esprit. A ce fils qui était le dernier de leurs onze enfants, Dimitrievic et Tatiana Miraevna, ses parents, simples et pieuses gens de village, donnèrent le nom de Zacharie, le plaçant ainsi sous la protection de Saint Zacharie, le père du Vénérable Précurseur.
I.
SA SAINTE MERE.
Tatiana Miraevna, la mère de Zacharie, était une Ame Sainte qui, devant Dieu, jouissait d’une grande assurance. Aussi abreuvait-elle son fils aux purs et saints courants des ondes de la piété. Et lui, à son tour, petit arbrisseau toujours assoiffé, ne pouvant assouvir son grand désir de Dieu, buvait une à une les paroles bénies de cette mère bienheureuse. Si bien qu’à force de croître ainsi en Esprit, il devenait un grand arbre, cèdre ombragé de la Grâce, dont l’épais feuillage invitait déjà les Fidèles sous sa ramée, les appelant à goûter au réconfort de l’Esprit Consolateur qui raffermit les Ames. Car, à son fils encore tout enfant, Tatiana, cette paysanne trois fois bénie, avait enseigné la crainte de Dieu, l’amour des pauvres et la compassion pour les malades. Plus tard, avec le temps, c’était, entre toutes ses Vertus à celle-ci surtout, à cette compassion alors devenue parfaite, que l’on reconnaissait le Starets.
Mais son enfance déjà, marquée toute d’évènements extraordinaires, laissait assez deviner à l’avance à quelle Vie Sainte et sublime le Seigneur destinait Zacharie.
Il n’avait pas encore sept ans que, déjà, il lui arrivait de quitter les siens à la dérobée. Il s’enfonçait alors dans les bois durant des jours entiers, appliqué seulement à prier. C’est ainsi qu’il grimpa un jour en haut d’un sapin où, toute la nuit, il veilla en Prière. Et lorsqu’au matin il eut faim, il descendit de son arbre, mangea quelques racines avec des touffes d’herbe, puis de nouveau remonta à son poste de vigie. Cela continua plusieurs jours, tandis que son cœur, tout empli d’un zèle divin, se dilatait d’une immense Joie spirituelle.
Tatiana, elle, durant ce temps, en proie au plus grand désarroi, avait couru demander conseil au prêtre du village. Le Père Alexis, un Saint Homme, qui faisait des miracles, apaisa la mère inquiète, et lui prophétisa que plus tard ce fils bien-aimé deviendrait Saint.
***
La Grâce en Tatiana continua de surabonder, jusqu’à ce qu’un jour, elle sentît sa fin approcher. Elle fit venir à son chevet ses enfants, les bénit, puis, se tournant vers l’une de ses filles : « Maria », dit-elle, « à tous, j’ai fait mes adieux ; mais à Zacharie, mon bien-aimé, je n’ai pas donné ma bénédiction. Or, je ne mourrai pas que je ne l’aie béni. Je vais demander à Dieu un peu de temps encore…le temps que tu ailles à la ville lui porter la nouvelle que ma dormition approche. » Peu après Zacharie, tout en larmes, arrivait. Sa mère alors lui prédit tout son avenir : il lui faudrait passer par bien des épreuves – et ici elle les lui énuméra toutes – mais à la fin, il deviendrait Moine. Puis, lui remettant une icône de la Toute Sainte de Kazan : « Ton Guide, » murmura-t-elle. Après quoi, elle dit à Zacharie de retourner à la ville. Son travail l’attendait. Elle ne voulait même pas qu’il abandonnât sa besogne le temps de son enterrement. Il lui suffisait que son fils priât pour son Ame. Son fils parti, Tatiana se dressa à demi sur son lit ; elle fit sur son oreiller le signe de la Croix, puis, se signant à son tour, rendit au Seigneur son Ame très Sainte. A l’autre bout de la ville, au même instant, Zacharie sentit un parfum céleste l’envelopper, plus doux qu’une odeur d’encens. « Ah ! » songea-t-il, ma mère s’est endormie ! »Et il pleura.
Longtemps après, quand Zacharie fut devenu Starets, il raconta comment il avait un jour vu un démon. « Des Chrétiens », lui avait-il alors demandé, est-ce que vous en détenez en Enfer ? ». « Et comment ! » avait rétorqué l’autre. « Si nous en détenons ? Mais ton père même y était ! Et il y serait encore si toutes ces aumônes et toutes ces fichues prières que tu as faites pour son âme ne nous l’avaient arraché ! » . « Et ma mère ? » interrogea encore le Starets. « Ah, ta mère ! » fit l’autre, grimaçant. « Non, ta mère n’est pas avec nous…Parce que, tu le sais bien d’ailleurs, tout le long de sa route, elle a répandu du pain. Et nous, nous avons eu beau regarder et scruter au plus près, jamais nous ne sommes parvenus à la voir passer… »
Aussi entendait-on souvent le Starets redire : « Celui qui fait mention de Tatiana et de Jean, mes parents, le Seigneur Lui-même se souviendra de lui. »
II.
LA VIE TOUTE MERVEILLEUSE DU STARETS.
Après que sa sainte mère se fut endormie, il fallut à Zacharie, ainsi qu’elle le lui avait prédit, passer par une longue suite d’épreuves, dont, à chaque fois, le Seigneur et la Mère de Dieu Toute bénie venaient par miracle le sauver ; car il était dans l’Economie divine que bientôt il se libérât des liens du monde pour se consacrer tout entier à la vie monastique.
Zacharie tout d’abord, sans être jamais allé à l’école, se rendit au Monastère de la Toute Sainte situé à Tripotamos, sur les Rives Blanches. Il voulait y entrer comme novice. De là, il partit au célèbre Monastère d’Optina, où, par une miraculeuse intervention de la Mère de Dieu, il lui fut donné de rencontrer le célèbre Starets Ambroise. Le Saint, après lui avoir à son tour prédit son avenir, le bénit pour qu’il devînt Moine aussitôt, sans retourner préalablement dans le monde. « Dans le Royaume des Cieux », lui dit mystérieusement Ambroise, « il y a un chêne vert planté pour toi… »
Zacharie –il avait alors une vingtaine d’années- s’en retourna donc aux Rives Blanches. Là, il dut passer par de grandes épreuves. Par deux fois, il fut longtemps malade, si gravement que l’on crut à chaque fois que la fin était proche. Mais le Seigneur le guérit, et Zacharie put ainsi se rendre auprès d’un Saint Ascète nommé Daniel, qui vivait non loin de Kalouga.
Il demeurait depuis plusieurs mois chez cet Ancien, lorsque, pour la troisième fois, il tomba gravement malade. Alors, au bord de l’agonie, il fit à Saint Serge de Radonège cette prière : « Saint Serge, mon Père, quoique l’on me dise qu’il y a de mauvais moines à la Trinité, je voudrais, moi, le pire de tous, vivre auprès de toi. Aussi, Père Saint, je t’en supplie, reçois-moi au nombre des frères de ton Monastère. » Saint Serge entendit la prière de Zacharie, et bientôt il le guérit. C’est ainsi que Zacharie, après que Daniel l’Hésychaste lui eut donné sa bénédiction, partit pour le Monastère de la Trinité- Saint- Serge.
L’entrée de Zacharie au célèbre Monastère de la Trinité –Saint- Serge, où il allait vouer à Dieu sa vie entière, ne se fit pas, elle non plus, sans miracles. Car, là comme ailleurs, toujours de miraculeuses Théophanies, manifestations de Dieu, venaient ponctuer l’existence de Zacharie.
Mais avant d’aller faire sa métanie à l’Higoumène, il se rendit, non loin de là, à la skyte du Saint Starets Barnabé que le Seigneur avait doué du charisme de clairvoyance. Zacharie, qui désirait lui demander ses saints conseils, se trouva, à son arrivée, devant une si grande foule de gens qui, tous, attendaient de voir le Starets, qu’il désespéra de jamais voir venir son tour.
Et il se tenait là, ne sachant que faire, lorsque se produisit une chose tout-à-fait inattendue. Le père Barnabé, soudain, sortit de sa cellule et, s’adressant à la foule : « S’il y a ici quelque Moine du Monastère », cria-t-il d’une voix forte, qu’il entre. » Tous alors de regarder autour d’eux ; mais, nulle part, il n’y avait trace de Moine. Alors, pour la seconde fois, le Saint Ancien tonna, plus fort encore : « Laissez monter le Moine du Monastère ! » Et, au même instant, il dirigea son regard vers Zacharie. Puis il alla le prendre par la main, et avec tendresse lui dit : « Allons, viens donc dans ma cellule». «Mais, » fit Zacharie interdit, « je ne suis pas du Monastère ! Je suis des Rives Blanches ! » « Oui, je sais », répondit le Starets. « Jusqu’ici, tu étais de là-bas. Mais maintenant, c’est ici, parmi nous, que tu vas vivre ».
Et, sur ces mots, il le mena à sa cellule. Là, il le bénit et dit : « Demeure dans notre Monastère et reviens ici me voir. » Alors Zacharie, dans sa confusion, murmura : « Mais, Père, et si les moines ne me reçoivent pas ? » « Ils te recevront », lui dit le bon Starets. Et ces mots apaisèrent Zacharie. « Allons, » poursuivit le Géronda, « va maintenant à Saint-Serge, parce que les trois Anciens du Monastère se tiennent à la porte, qui t’attendent. » Zacharie prit la bénédiction du Starets et, joyeux, s’en alla, glorifiant Dieu.
Il parvenait au Monastère lorsque, de loin, il vit que l’Higoumène se tenait à la porte, qui l’attendait avec deux Anciens. Alors, Zacharie les supplia de bien vouloir l’accepter au nombre des frères. Eux avec empressement le reçurent, et leur bienveillance ne fit que s’accroître lorsqu’il leur eut dit que c’était le Père Barnabé qui l’envoyait vers eux.
***
Zacharie qui, avant d’entrer au Monastère de la Sainte Trinité pour y être mis à l’obéissance, avait -déjà bien des fois été durement éprouvé, le fut bien davantage alors, plus peut-être, par la permission de Dieu, que ne le fut jamais aucun novice. Car il était selon l’Economie divine qu’à Zacharie fût pleinement appliquée la parole du Livre des proverbes : « Comme au creuset sont éprouvés l’or et l’argent, ainsi devant le Seigneur le cœur des élus. » (Prov. 17, 3).
Après les maladies par lesquelles il avait passé, et dont, toute sa vie, il devait porter les séquelles, une nouvelle tribulation l’attendait au Monastère, devant lui ôter le peu de santé qui lui était resté.
Au nombre des frères novices figurait un ivrogne toujours hors de lui et tenant des propos orduriers. Ce Théodore qui se disait moine était un ancien forçat évadé de prison, qui, pour couvrir ses vices et ses crimes, n’avait rien trouvé de mieux que la soutane. Or, un soir qu’il était plus ivre que de coutume, il vint à la cellule du bienheureux Zacharie, fracassa sa porte et, comme un fou furieux, se jeta sur lui. Puis, sauvagement, à coups de poings et à coups de pieds, il le frappa et le piétina, jusqu’à ce qu’enfin il le laissât demi-mort, les os brisés, les dents cassées, les oreilles et le nez arrachés, d’où giclait le sang, qui coulait aussi à flots du ventre, où le criminel avait ouvert une grande plaie. C’était même miracle qu’il eût seulement réchappé aux mains de l’assassin et qu’il respirât encore, lorsqu’au matin les moines le trouvèrent dans cet état pitoyable. Ils le transportèrent aussitôt à l’hôpital du Monastère où, quinze jours durant, il demeura sans connaissance.
Lorsqu’il fut un peu remis, sa santé était désormais si chancelante – irrémédiablement- qu’il craignit de mourir avant que d’avoir été revêtu du Schème, ce qui est dire de l’habit angélique des Moines. Aussi alla-t-il, plus mort que vif, visiter le Starets Barnabé, pour s’ouvrir à lui de ce qui le tourmentait. « Père », lui dit-il, « le jeune novice m’a grièvement blessé, et je crains de mourir avant d’avoir reçu le Grand Schème. Je t’en prie, revêts-moi du schème en secret, car on ne parle pas au Monastère de me faire Moine. » Mais la réponse du Géronda ne fut pas celle qu’il attendait : « Non», lui dit l’Ancien dans sa clairvoyance. « Non, ce n’est pas dans le secret, mais bien aux yeux de tous qu’il te faut devenir Moine. » Puis il ajouta : « En ce qui concerne le médecin, je t’interdis d’y aller. Ne prends pas non plus de médicaments. Si tu fais ainsi, tu vivras et tu supporteras, longanime, cette épreuve que le Seigneur a permise. Ne lui demande donc rien d’autre que de te secourir. Oui, fais ainsi et je rendrai compte pour toi de ton âme devant Dieu. De la sorte, tu vivras cent ans. Mais si tu vas chez le médecin, c’est dans la fleur de l’âge que tu mourras. Toutes choses adviendront, mais selon la volonté du Seigneur. Et pour toi, sache-le, tu seras fait Diacre, Hiéromoine – ce qui est dire Moine Prêtre- et, à la fin, Père Spirituel et Confesseur des frères du Monastère. »
Mais la lourde croix de la maladie n’était pas la seule que le bienheureux Zacharie eût eue à porter. Il lui fallait encore faire face à un état de choses quasi-désespéré dont presque tous les moines du Monastère étaient responsables. Depuis le début, en effet, il était en butte à leur hostilité ; leur aversion allait souvent jusqu’à la haine. Car ils ressentaient comme un outrage la Sainte Vie que menait Zacharie, quand eux-mêmes s’adonnaient à leurs passions et à leurs vices et que, pour la plupart d’entre eux, ils étaient égoïstes, indolents et avares. Aussi le persécutaient-ils à longueur de temps, l’empêchant de prier, lui volant son chapelet, le raillant, le chargeant de reproches et lui imposant, avec des diaconies accablantes, des tâches qui l’épuisaient à l’excès.
Or ce Martyre continua longtemps, même après son ordination, pour ne cesser vraiment qu’avec l’éparpillement final des moines, lorsque les communistes les eurent tous expulsés ; il était resté seul dans le Monastère désormais désert, avant que vînt son tour d’être chassé. Mais aussi longtemps qu’ils étaient demeurés avec lui, ils n’avaient cessé de le persécuter. Entre autres tourments qu’ils lui infligeaient, il leur suffisait de l’apercevoir au loin pour crier : « Au fou ! Au fou ! » espérant dans leur folie qu’on le prendrait pour un aliéné. Car ils rêvaient, ces insensés, de le faire enfermer pour ne plus l’avoir sous leurs yeux comme un vivant reproche.
Mais cela ne troublait guère Zacharie, l’amoureux du Christ, qui ne savait, lui, que leur dire doucement : « Mais jusque dans l’asile se trouve mon Seigneur ! Faites comme il vous plaira, mais, pour moi, jamais je ne pourrai faire ces choses que vous dites. Car j’ai le devoir d’obéir à ma conscience et de vivre selon les commandements de Dieu. »
Et les persécutions continuaient. Un jour, les frères précipitaient Zacharie du haut de l’échelle, et lui, en tombant, se blessait grièvement. Un autre jour, ils renversaient sur lui de l’eau bouillante. D’autres fois, ils le rouaient de coups et, lorsque l’innocent demandait pourquoi on le frappait ainsi : « C’est », lui criaient-ils, « pour que tu cesses de faire le Saint. Tu n’as qu’à vivre comme tout le monde ! Ou bien, nous te frapperons encore ! Est-ce qu’on ne frappait pas toujours les Saints ? »
Telle était l’effrayante situation où le Diable maintenait Zacharie pour le détourner de mener sa Vie Sainte, toute de prière, d’amour et de bonté, de résignation, de patience et d’abnégation. Toutefois, la situation parut bientôt à ce point insoutenable au bienheureux que, parce qu’il était homme, il craignit de plier dans l’épreuve. Craignant d’autre part d’agir de son propre chef, il alla trouver l’Abba Barnabé, son Père Spirituel, pour lui demander conseil. S’ouvrant à lui de toutes ses difficultés, il lui demanda s’il le bénissait pour trouver un autre Monastère. « Non », fit le Géronda, « je ne te donne pas la bénédiction. Là où ta placé la miséricorde de Dieu, là tu seras sauvé. Prends garde seulement de n’amasser aucun argent, de t’abstenir de vin et de ne pas prendre de médicaments. »
Aussi le très longanime Zacharie demeura-t-il au Monastère. Et c’est avec un zèle accru que désormais il menait la lutte spirituelle. Cette admirable constance porta d’ailleurs ses fruits. La conversion de nombre des frères ne fut pas le moindre de ses effets. Zacharie devint la cause de leur Salut. Par lui, il leur fut donné de se repentir avant la fin.
L’accès à la dignité d’Higoumène d’un moine encore jeune, le père Tobie, ne fit que consommer une décadence spirituelle commencée depuis longtemps déjà dans le monastère. Ce dernier père, sous l’instigation du Malin, s’était pris pour le bienheureux d’une haine aussi peu croyable que déraisonnée. Multipliant les outrages à son égard, il n’avait de cesse qu’il n’ait exterminé Zacharie de la race des hommes. Si bien que, n’y pouvant plus tenir, Tobie incita le moine Anthime à tuer le Saint. Trop heureux de commettre ce forfait, Anthime vint donc prier Zacharie de l’aider à porter une grande armoire très lourde. Aussitôt, avec son zèle coutumier, le bon Zacharie accepta. Mais, au moment qu’il avait escompté, Anthime lâcha exprès l’armoire sur lui. Le meuble, de tout son poids, s’abattit sur le malheureux.
Tandis qu’il gisait ainsi écrasé, l’autre se jeta sur lui, le frappant sans merci. Par bonheur, un pèlerin vint à passer, juste à temps pour sauver le très longanime esclave du Christ. Et le Seigneur permit qu’Anthime, pour son châtiment, sombrât peu après dans la folie, et qu’il mourût bientôt, dans ce pitoyable état.
Tandis que les épreuves se succédaient les unes aux autres, tel un ange de patience, le bienheureux Zacharie ne savait qu’implorer son Seigneur dans les larmes ; et il suppliait le Christ qu’il voulût bien éclairer le père Tobie, son higoumène, lui inspirant avant la fin un repentir sincère, en sorte que son âme ne fût pas perdue pour l’éternité.
Dieu alors, voyant quel était son amour et sa longanimité, ne demeura pas sourd aux prières que lui adressait son fils pour l’infortuné Tobie. C’est ainsi que l’incapacité de ce dernier à diriger le Monastère, assortie des nombreux scandales dont il était cause, remontèrent bientôt jusqu’aux oreilles des autorités ecclésiastiques qui furent contraintes de le destituer de sa dignité d’higoumène. Lui, cependant, réussit à prévenir un scandale public. Prétextant la maladie, il renonça de lui-même à sa charge. Il ne put néanmoins pas demeurer au Monastère, tant était grande la haine que les frères avaient conçue contre lui.
Il ne s’était guère passé de temps depuis sa démission que le père Tobie commençait d’éprouver du remords. Par deux fois déjà, il était venu dans sa cellule rendre visite à Zacharie, implorant son pardon avec des larmes. Il s’était fait en lui un changement si profond qu’il s’inquiétait du moment où l’on ferait Prêtre un être tel que Zacharie, en qui surabondait la Grâce – alors que, naguère, higoumène, il n’avait jamais accepté de célébrer la liturgie avec ce frère, objet de toute sa haine. Plus tard, par les prières du bienheureux Zacharie, le père Tobie fut rendu digne de recevoir le grand schème angélique des Moines et de quitter justifié ce monde de vanité.
Martyr, toutefois, Zacharie ne l’était pas du seul fait des moines. Lui, si maladif, dont le corps était si faible, pour avoir tant souffert, s’épuisait encore au travail d’une façon qui passe l’imagination. Longtemps il avait assumé la diaconie harassante de boulanger, pétrissant chaque jour plus de deux mille pains et se laissant la nuit, à bout de forces, tomber sur un banc, pour y dormir deux petites heures dans le fournil.
Une autre fois, Zacharie s’était vu assigner la diaconie de « veilleur de reliques ». Elle consistait à se tenir auprès de la châsse où reposait Saint Serge, pour veiller sur ses reliques, proposées à la vénération des Fidèles. Et il se tenait là, un jour, debout, à quelque distance du reliquaire, lorsqu’il vit s’approcher un jeune homme dont, sans le vouloir, il entendit la demande : « Ô Père Serge, mon ami, je voudrais tant t’imiter ! Je t’en prie, apprends-moi à marcher sur tes pas. » Telle était la supplique de celui qui, plus tard, allait devenir le grand Saint Jean de Cronstadt, dont Saint Serge avait entendu la Prière.
Quant à Zacharie, il était, par la suite, passé successivement par toutes les diaconies du Monastère, depuis le service du réfectoire jusqu’à la tâche de maître cirier, pour fournir en cierges cette église que d’autres fois il avait la charge d’entretenir, tout comme on l’employait aussi à nettoyer les cellules des Anciens. Si bien qu’à la veille de devenir Moine petit schème – c’est-à-dire du petit habit-Zacharie n’avait pas assumé moins de vingt diaconies ! Pourtant, tandis que le bienheureux peinait ainsi en serviteur diligent et zélé de son Christ, s’acquittant de son travail avec un soin et une application jamais pris en défaut, mais surtout avec une abnégation exemplaire, il ne s’en attirait que davantage la haine et la jalousie des autres frères.
Notre Seigneur et Sa Toute Pure Mère cependant, loin de détourner leurs regards de toute cette peine que prenait pour eux leur très éprouvé serviteur, loin de dédaigner ces luttes qu’il soutenait pour eux, le consolaient toujours, de diverses manières, par des visions et des rêves qu’Ils lui envoyaient. C’est ainsi que, d’une façon merveilleuse, tout comme Saint Serge cinq siècles auparavant, le bienheureux Zacharie fut jugé digne d’une Apparition divine.
Deux mystérieux pèlerine vinrent à lui, et son Cœur, tandis qu’il les accueillait dans sa cellule, était tout brûlant de la Grâce du Saint Esprit. Alors ils lui prophétisèrent le nom qui lui serait donné à l’heure de son Monachisme, lui révélant même les plus grands évènements dont sa vie à venir lui déroulerait le cours. Une seconde fois, tous deux ensemble, ils revinrent ; puis, la troisième fois, tandis que Zacharie se tenait dans sa cellule avec un autre frère, le plus jeune apparut seul, se manifestant à leurs yeux éblouis dans une Gloire indicible.
***
Cependant, Zacharie avait reçu, avec le nom de Zosime, l’habit de rasophore – premier degré du Monachisme-. Puis, un an plus tard, il était devenu Moine petit schème. Tous, durant ce temps, continuaient contre lui leur persécution. Alors, de façon inopinée, en dépit de tous les obstacles – parce que, comme Zacharie le révéla plus tard à un vertueux Ancien, la Reine des Cieux l’avait ainsi voulu- il advint que le bienheureux fût enfin ordonné Diacre et Prêtre des mains de l’Evêque Tryphon. Ce dernier le tenait, lui, en si particulière estime, qu’il n’hésita pas à lui confier la tâche de Père Spirituel.
De cette diaconie de Confesseur, le bienheureux s’acquitta à la perfection. Plein d’une grande piété, sans hâte, avec la patience qui lui était coutumière, il prenait le temps, dans ses entrailles compatissantes, d’écouter résonner la voix de celui qui avouait ses péchés. Puis, avec son infini amour, il dispensait ses saints conseils auxquels les pécheurs, qui avaient été blessés par les traits aigus du Malin, trouvaient un grand soulagement et un grand profit spirituel. Aussi voyait-on sa cellule devenue, pour les pauvres, un asile, et, pour les affligés, un havre de consolation.
Les moines avaient beau faire pour l’entraver dans sa tâche, ils ne purent plus rien contre le bienheureux, car la Mère de Dieu Toute Sainte était avec lui : Elle lui était apparue en rêve, le bénissant pour qu’il accueillît le peuple de Dieu souffrant, ce peuple qui suppliait qu’on vînt le réconforter et l’affermir.
Ainsi donc, le bienheureux Père Zosime – qui bientôt recevrait pour la seconde fois le nom de Zacharie- avait reçu de Dieu ce grand Don charismatique du « startsevo », cette mission de Starets, d’Ancien ou de Géronda, qui ne revient qu’aux Saints Anciens. Lui aussi en vérité, semblable au vrai Starets qui ne s’apparente en rien au » directeur de conscience » ou au « confesseur » au sens sacramentel du terme, était après eux ce que certains nommeraient un « charismatique », mais que l’on appelle plus justement un « Père théophore », qui, pour avoir reçu de l’Esprit Saint son charisme a été jugé digne au Ciel de porter Dieu en lui. Car tels sont nos théophores, nos véritables Anciens, ceux qui pour l’avoir voulu de toutes leurs forces et avoir été couronnés en vérité et non d’apparence, se sont rendus très semblables au Christ, jusqu’à prendre toute sa ressemblance – tels sont aussi nos Pasteurs et nos Bergers, auxquels il a fallu, avant d’aller aux pâturages de Dieu mener paître les âmes, purifier la leur jusqu’au tréfonds de l’être et parcourir jusqu’au bout la route qu’ils exhortent maintenant les autres d’emprunter, et au terme de laquelle s’acquiert au plus haut point le discernement de l’esprit.
Et tandis que Zacharie se donnait ainsi tout entier au peuple de Dieu, les moines, eux, bien loin de sentir l’approche du grand danger qui menaçait et qui s’achèverait sous peu par la fermeture des portes de leur Monastère – par décret du régime encore nouveau des communistes- eux donc, s’enfonçaient chaque jour davantage dans leur indifférence et dans leurs chutes, toute la communauté baignant dans un profond climat de décadence spirituelle. A les voir vivre ainsi, le Père Zosime, amèrement, pleurait. Or, un jour où tous étaient réunis à l’église pour y célébrer une grande fête, il vit la Reine des Cieux avec quatre Martyrs franchissant les Portes Royales. Un peu de temps, elle était restée là, debout, regardant les moines assemblés dans l’église. Puis, désignant d’un geste Zosime le bienheureux et, avec lui, trois autres frères, elle s’était attristée : « Ah ! » soupirait-elle, des moines, ici, il y en a quatre, mais, en dehors d’eux, point ». Ensuite, retournant dans le sanctuaire, elle avait disparu.
***
Après quoi, était venue la révolution de 1917, et avec elle, la victoire du parti révolutionnaire. Voulant fermer les portes du Monastère, le nouveau régime en avait déjà chassé tous les moines.
Dans ces lieux déserts et désolés de la Laure Saint-Serge, qui naguère encore jouissaient d’un renom éclatant, seul demeurait Zosime, unique témoin d’une piété glorieuse, attendant qu’on vînt à son tour le chasser. Jusqu’au dernier instant Zosime, le dernier de tous ses frères, mais le premier en Gloire devant Dieu, dont il était le plus pur et le plus authentique serviteur, Zosime priait et pleurait, suppliant Saint Serge de pardonner à ses frères égarés et de les secourir aujourd’hui qu’ils étaient çà et là, disséminés au hasard des maisons de la ville. Et avec feu, il priait le Seigneur de rouvrir un jour les portes de son Monastère, et de rendre aux Moines et aux laïcs ce port de leur Salut. De fait, quelque temps plus tard – en 1945- le Monastère fut rouvert aux Moines, et il l’est encore, jusqu’à aujourd’hui.
Mais en ce jour de 1917 qui voyait l’exil du dernier Moine de la Laure, le Saint Géronda quittait avec tristesse ces parages aimés, qu’il avait élus pour être ceux de sa pénitence. De là il rejoignit à Moscou la maison d’une de ses filles spirituelles, qui lui offrit l’hospitalité. Il y avait même dans la cour attenante une petite chapelle où, de temps à autre, il célébrait. Sa renommée, partant de là, se répandit bientôt. A Son Saint qui avait tant souffert pour Lui, Dieu, pour prix de sa longanimité, accordait maintenant les charismes excellents du Très Saint Esprit. Et, de toute part, le peuple de Dieu venait chercher auprès de lui la consolation de ses peines et l’issue de ses tribulations. Car la simple vue du Starets menait au repentir, et tous s’émerveillaient de le voir ainsi chasser les démons, prédire l’avenir, lire dans les cœurs et faire des miracles.
Le Saint, lui, durant ce temps, fondait comme la cire, épuisé par ses maladies. Il lui fallait user d’une grande violence sur son corps exténué de tant de mortifications, pour réussir seulement à recevoir toute cette foule de Fidèles. Et pourtant, lorsqu’ils étaient devant lui, ces êtres désemparés, il se faisait pour eux comme un tendre père qui, pour secourir ses enfants, oublie ses propres souffrances. Vers la fin cependant, ressentant davantage encore le besoin de l’hésychia, le Saint s’était retiré à la campagne pour y jouir d’une plus grande solitude. La nature faisait ses délices. Il se promenait dans la forêt pour y élever son cœur vers le Seigneur.
Or, un nouveau Martyre l’attendait, venant s’ajouter à tous ceux qu’il avait déjà passés. C’était la police secrète qui maintenant le persécutait, organisant sans cesse de nouvelles perquisitions, cherchant chaque jour contre lui de nouveaux chefs d’accusation, dans l’espoir de l’arrêter et de mettre ainsi un terme à sa prétendue « propagande ». Car son apostolat, s’il plaisait à Dieu, suscitait la haine du Malin. Comme il était déjà gravement malade, et que le temps de sa dormition approchait, la police fit encercler la maison, interdisant à quiconque d’approcher le Starets.
Vers cette époque, peu avant que le Seigneur ne le rappelât à Lui, le Père Zosime fit un pèlerinage à Sarov, pour y vénérer les lieux bénis où avait lutté Saint Séraphim. Il alla aussi à la fontaine miraculeuse du Saint. Là, comme dans une nouvelle piscine de Siloam, descendaient les infirmes et les malades, et ils étaient guéris. Mais lorsque vint son tour, il hésita un instant à l’idée que son corps souffreteux ne pourrait endurer le contact d’une eau glacée. Alors, il eut un léger soupir, et d’un ton suppliant murmura : « Séraphim, mon Père, tu sais comme je suis vieux et malade. Aussi, je t’en supplie, viens à mon aide et réchauffe un peu cette eau pour que je puisse y entrer. » A peine eut- il dit ces mots que le grand Saint de Dieu fit pour lui son miracle. Le Starets entra dans la piscine et vit que l’eau était presque brûlante ! Ce miracle de la miséricorde de Dieu et de son grand Thaumaturge Séraphim, bouleversa tellement Zacharie que jamais, jusqu’à la mort, il ne put l’oublier. Et, se le remémorant sans cesse, il rendait grâces à Saint Séraphim.
***
Dieu avait averti le Starets de l’heure où il quitterait ce monde de vanité. Et lui, qui se voyait rivé au lit par la maladie, jusqu’à la fin, attendait avec joie le moment de sortir de cette vie. Mais surtout, il se consumait dans l’attente du grand instant où il se présenterait enfin devant son Seigneur tant désiré, le Maître des vivants et des morts. Aussi, étant à l’agonie, il se lisait à lui-même « l’office des agonisants » et psalmodiait d’une voix éteinte le Canon de la Résurrection. Toutefois, alors même qu’il était si près de mourir, un évènement extraordinaire émut à ce point la compassion de notre Sauveur miséricordieux que la vie du Starets fut prolongée de deux années encore !
Car voici que sur son lit de douleur, le Starets entendit en lui une voix lui dire que l’Evêque Tryphon – celui qui l’avait ordonné – avait sur-le-champ besoin de son secours et qu’il demandait instamment à le voir. Alors aussitôt, prenant son chapelet, Zacharie le mit à son oreille et, devant son hôtesse stupéfaite, il s’écria : « Seigneur, fais, je t’en supplie, que ce chapelet devienne un téléphone ! » Et, enchaînant aussitôt : « Tryphon, mon ami ! » s’exclama-t-il, « viens vite ! J’allais quitter ce monde, mais j’apprends que tu as besoin de moi. Viens vite, que nous parlions ensemble. » Ensuite, il ne se passa guère de temps : l’Evêque Tryphon arriva. Les deux amis s’embrassèrent tendrement. L’Evêque forma des vœux pour la santé du Starets. « Que Dieu te prête vie, Père Zosime ! J’ai tellement besoin de toi : il faut que tes Prières viennent secourir mon Ame quand le temps sera venu pour elle de passer les redoutables péages du Ciel ! Et maintenant, je t’en prie, lève-toi, que je te confesse mes péchés ! » « Ah ! Mon Evêque bien-aimé », murmura le Starets exténué, « vois, je ne puis même pas soulever ma tête de cet oreiller…je ne peux pas. » « Lève-toi, » insista le pieux Evêque, « lève-toi, l’obéissance te le commande !... » Alors, au prix de mille difficultés, le Starets se leva et confessa son bien-aimé visiteur. Puis, de nouveau, il étendit son corps brisé. De ce moment-là, son état ne fit qu’empirer.
Bouleversé à cette vue, et très alarmé, Tryphon repartit pour l’église de l’Ascension, sa paroisse. Lorsque, la liturgie achevée, il monta comme de coutume sur l’ambon pour prêcher, ce fut pour parler de son très cher ami : « Frères », implorait-il, « prions, je vous en supplie, pour l’Ancien Zosime qui est fort malade. Et s’il en est parmi vous qui ne le connaissent pas, je vous dirai quelle sorte d’homme il est : Lorsque j’étais jeune archimandrite à Pétrograd, j’en étais venu à un tel point de désespoir que j’étais sur le point de renier le sacerdoce pour vivre une vie selon le monde. Je me trouvais donc aux prises avec cette terrible épreuve lorsque l’on me suggéra d’aller voir un Moine qui avait été depuis peu chassé du Monastère de Saint-Serge, et dont les conseils, disait-on, m’éclaireraient certainement. C’est ainsi que j’allai voir le Père Zosime. Il consacra une nuit entière à examiner avec moi la cause d’un si profond abattement. Et, au matin, toutes mes pensées et mes sentiments étaient changés de fond en comble. Si donc aujourd’hui vous voyez devant vous le Métropolite Tryphon, ce vieillard indigne, c’est bien à l’Ancien Zosime que vous le devez. »
Tous alors s’agenouillèrent et l’on fit un office d’intercession pour la santé du grand Starets. Et le Seigneur tout compatissant entendit la brûlante supplique des Fidèles. Le Saint, tout-à-coup, recouvra des forces. Et lorsque l’on vint lui dire que l’Evêque avait fait faire pour lui une paraclèse : « Oui, » fit le Starets en souriant, « oui, je sais…C’est mon Tryphon « de cire » qui a fait ce miracle. » Il appelait ainsi son ami, sachant bien que, comme la cire se fond très vite à la flamme, Tryphon, lui aussi, quitterait bientôt cette vie.
De fait, l’Evêque, peu de temps après, tomba gravement malade. Alors le Starets, avec un bouleversant amour, fit pour lui monter vers Dieu ses prières. Et lorsque Tryphon s’endormit, on le vit avec un amour plus ardent encore, supplier Dieu pour son Ame. Et si l’un ou l’autre de ses enfants spirituels venait le voir, il recommandait avec feu à ses prières l’ami défunt.
Quelque temps plus tard, l’on enterra Tryphon. Ce fut un ensevelissement sans une fleur parce que le bienheureux l’avait voulu ainsi. Mais en place des fleurs, tout autour de la tombe, la foule des fidèles se pressait, les yeux brouillés de larmes. Et cette terre du cimetière qui recevait maintenant le corps du pieux Tryphon pour son dernier repos serait la même qui, un peu plus tard, recevrait aussi en son sein le Starets, l’ami bien-aimé.
***
Déjà pointait l’aube de l’été 1936. Elle arrivait enfin l’heure où le Saint Ancien laisserait à jamais cette vallée de pleurs et de larmes pour s’en aller goûter au repos éternel dans le sein d’Abraham. Mais ici encore, tout comme il est rappelé aux Livres Synaxaires des Vies des Saints de notre Eglise Orthodoxe, une foule d’événements surnaturels et merveilleux devaient signaler, après les premiers, les derniers instants de sa Vie.
Le bienheureux Zacharie était maintenant au plus mal et le moment n’était pas loin où le Seigneur viendrait prendre son Ame. C’est alors que lui rendit visite une de ses filles spirituelles. N’ayant nullement conscience de l’état désespéré où se trouvait le Starets, elle le pria de venir chez elle. Lui, sur son visage plein de larmes, esquissa un sourire : « Sois sans inquiétude », lui dit-il, « encore un peu de temps et je passerai devant chez toi, et tu sortiras pour m’accompagner jusqu’à ma maison. » Mais la jeune fille ne comprit pas ce que lui disait son Ancien : « Qui m’avertira, mon Père, de ton passage devant chez moi, pour que je puisse sortir à temps et venir au-devant de toi afin de prendre ta bénédiction ? Et qui donc te mènera jusque chez moi ? » « A cette heure-là », répondit le Starets, « tu comprendras, Dieu t’avertira. » Quelques jours plus tard, tandis que la jeune fille vaquait chez elle aux soins du ménage, les effluves d’un Parfum Céleste emplirent soudain la maison. On eût dit, à le sentir embaumer ainsi, qu’il s’exhalait de mille fleurs ensemble ; Surprise, elle s’approcha de la fenêtre et vit dans la rue un convoi funèbre. Elle se hâta de descendre et demanda quelle était cette personne que l’on allait inhumer ainsi. On lui dit que c’était le Moine Zacharie. Alors elle se rappela les paroles du Géronda. Elle comprenait maintenant que son Ancien ne l’avait pas oubliée et qu’il lui envoyait ce Parfum admirable en guise de dernier adieu. Bouleversée jusqu’au fond d’elle-même, le visage tout ruisselant de larmes, elle suivit jusqu’à sa dernière demeure son bien-aimé Starets.
Car, depuis la visite qu’elle lui avait faite, et très peu de temps après que, des mains d’un hiérarque de l’Eglise cachée des Catacombes – qu’il reconnaissait désormais pour seule Eglise de Russie – il eut reçu dans le plus grand secret le Grand Schème angélique et le nom de Zacharie, le Saint Géronda s’était doucement endormi dans le Seigneur. Ce jour-là, le 2 (15) juillet 1936, était celui où l’Eglise en liesse célèbre la déposition aux Blachernes de la robe de la Toute Sainte : le bienheureux Starets s’en allait pour la fête de la Mère de Dieu sa Reine, dont, toute sa Vie, il avait été le fervent et fidèle serviteur.
***
A la même époque, une de ses filles spirituelles – celle à qui l’on doit ce récit de la Vie merveilleuse du bienheureux- avait quitté Moscou pour la lointaine Poltava, afin d’assister une malade. A peine y parvenait-elle, qu’elle reçut de la capitale une lettre, où elle apprenait que le très vénérable Starets, l’Archimandrite, le Grand Schème Zacharie, si aimé de tous, s’en était allé dans les tentes célestes goûter dans la Joie à la Gloire des Justes. La douleur de sa fille fut indescriptible. Elle pleurait plus encore à penser qu’elle n’avait pu, aux derniers instants de sa Vie, se tenir auprès de son Père Saint. Dans cette disposition de l’Ame, elle se mit à lire le Psautier. Or voici que la porte s’ouvrit tout-à-coup, laissant entrer le Père Zacharie revêtu de ses ornements et portant son étole. Doucement, il s’approcha et posa sur elle un long regard que noyait un tendre amour. Elle, oubliant sa peine, se mit à contempler le visage de son Père bien-aimé. Et elle se sentait un cœur contrit mais tout illuminé comme de la Joie du Ressuscité. « Qu’est cela ? » lui dit-il alors. « Et pourquoi te tourmenter ainsi ? Ne te rappelles-tu pas ce que je t’ai dit de la tristesse ? Allons, viens que je te lise la prière d’absolution. » Et en disant ces mots, il lui mit l’étole sur la terre, et lui lut la prière. « Tu vois », dit-il enfin, ne t’inquiète plus de ce que tu n’étais pas là pour me dire le dernier adieu. Non, cela n’était pas nécessaire, puisque je suis toujours avec toi… » Et il disparut à ses yeux…
III.
QUELQUES MIRACLES DU BIENHEUREUX.
Des innombrables miracles qu’accomplit Zacharie, le Starets théophore, il n’est rapporté ici que quelques-uns, mais qui tous également témoignent de la grande assurance dont jouissait Zacharie devant notre Sauveur, qui lui avait donné pouvoir jusque sur la nature humaine et sur les éléments mêmes qui déterminent le temps de la vie et de la mort.
C’est ainsi qu’au temps où il demeurait encore au Monastère de Saint-Serge et qu’il passait en ce lieu béni par bien des tourments et des épreuves, l’higoumène l’envoya visiter le Père Agathon qui menait l’Ascèse dans un petit Ermitage situé non loin de là. Le Père Zosime – c’était alors le nom du bienheureux- crut bon de s’y rendre en coupant au plus court. Il fallait pour cela passer par un lac qui se trouvait gelé. Se signant, il commença d’avancer sur la glace. Mais celle-ci tout-à-coup se rompit, le laissant enfoncer dans l’eau glaciale. Lui, gardant ses esprits, serra seulement plus fort contre lui les Saintes Icônes qu’il portait toujours sur son Cœur et redoubla de ferveur dans sa Prière. Et voici qu’il marchait sur les eaux !
« Père Zosime ! » s’écria stupéfait un diacre qui, de loin, avait vu le miracle, est-ce que tu te mettrais à faire aussi des miracles ? » « Pardonne-moi », fit humblement le Saint. Et avec sa simplicité coutumière, il ajouta : « Je croyais l’eau gelée, mais elle avait fondu par endroits. Grâce à Dieu, j’avais sur moi les vénérables Icônes des Saints Zosime et Sabbas, avec une prosphore de pain de notre Toute Sainte ! C’est ainsi que notre Christ m’a sauvé… »
Le Starets avait aussi pour fille spirituelle la mère de famille des Rescetnikov. Celle-ci vint un jour supplier l’Ancien de faire quelque chose pour son fils Paul. Toute en larmes, le cœur brisé, elle lui conta sn drame : « Père Saint », disait-elle dans ses sanglots, « il a chuté, et la chute est complète. Ni il ne craint Dieu, ni il ne va pas à l’église, ni il ne respecte ses parents qu’il insulte. Il fume, il s’enivre, il gît au fond du bourbier des passions charnelles. J’ai beau tenter de le mettre en garde, il n’écoute pas et se moque de moi. Je n’en dors pas la nuit et mes yeux ne tarissent plus de larmes. Et pour couronner le tout, il va maintenant jusqu’à tenir des propos orduriers et il blasphème… » Le Saint lui témoigna beaucoup de compassion et elle repartit consolée, réconfortée par ses conseils. Mais Paul n’en continua pas moins sa vie dissipée. Sa mère se consumait de désespoir.
Le Starets, lui, sans se lasser, réitérait ses Prières au Seigneur et à la Toute Sainte, les suppliant d’inspirer à Paul le repentir. Alors, à la fin, le Seigneur éclaira son Saint, lui révélant que Paul ne pourrait être sauvé que si lui, le Géronda, fixait une date pour la mort du jeune homme, un jour prochain. Le Saint pourtant, dont les entrailles s’affligeaient pour la malheureuse mère, supplia Dieu de lui indiquer un autre moyen de corriger le malheureux. Mais du Ciel, la réponse, inexorablement, restait la même. Il dut donc se résoudre à manifester à la mère la volonté de Dieu. Elle, tout d’abord, ne put accepter ; mais lorsqu’au bout de quelque temps, elle vit que son fils s’enfonçait toujours plus dans sa vie de débauche, il lui fallut bien se soumettre. Elle vint donc prier le Saint de marquer une date pour la mort de Paul. Le Starets alors fixa son départ, jour pour jour, à l’année suivante.
Ainsi, durant près d’un an encore, le jeune homme, toujours florissant et bon vivant, continua de vivre dans le péché. Mais quand approcha le terme que Dieu et Son Saint avaient fixé pour sa vie, le typhus soudain se déclara, et il tomba si gravement malade qu’il dut aussitôt s’aliter. Son cœur alors s’adoucit tout-à-coup, et Paul, peu à peu, se repentit. Bientôt il se confessa, communia, implora le pardon de tous et, paisiblement, passa dans l’éternité. Et sa mère, qui allait chez le Starets lui annoncer que son fils, justifié, s’était endormi,le trouva chez lui, chantant le « Trisaghion » - le « Trois fois Saint » pour l’âme de son Paul !
Une autre fois, comme le Starets se promenait dans les bois avec quelques-uns de ses enfants spirituels, il leur dit tout-à-coup : « Comme ce serait beau de trouver des champignons blancs ! Pourtant aujourd’hui, sans que l’on sache pourquoi, il n’y en a pas un seul…Mais prions le Seigneur de nous en envoyer douze avec, au milieu, un plus gros qui soit aussi le plus beau, pour symboliser Notre Sauveur avec Ses Apôtres ! » Il dit cela et, tout en marchant, il commença sa Prière. Comme son visage parut changé alors ! Il semblait éclairé d’une Lumière céleste. Et, près d’une demi-heure plus tard, ses enfants stupéfaits se trouvèrent devant un grand champignon blanc d’une extraordinaire beauté, autour duquel se pressaient douze autres plus petits ! L’Ancien les regarda, sourit, et dit : « Pardonne-nous, Seigneur, de ce que nous t’avons prié comme des enfants ! Mais, Toi, dont les entrailles sont si compatissantes, Tu nous consoles même avec des choses d’enfant ! »
***
Le Saint fut un jour appelé dans un Monastère pour participer à une litie – office d’intercession assorti d’une procession – que l’on adressait à Dieu pour Le supplier de mettre fin à la sécheresse. Or, tandis que les Fidèles marchaient en procession, de gros nuages menaçants s’amoncelèrent sur leurs têtes, si bien que, craignant d’être trempés, ils furent tentés d’écourter les prières, qui étaient très longues, pour disperser plus vite la procession. « Non, non », leur dit alors le Starets. Ne vous dépêchez pas… Finissons d’abord et, dès que nous aurons achevé, il pleuvra… » La prière s’acheva donc, et l’’on regagna l’église. Alors, du narthex, le Saint éleva vers la voûte sa main bénie et dit : « Eh bien, soit ! Tu peux tomber à présent ». A l’instant, des trombes de pluie s’abattirent.
IV.
AUTRES BELLES FIGURES DE SAINTS.
Au temps où le bienheureux demeurait au Monastère béni de Saint-Serge, et malgré toute l’indigence spirituelle qui s’y faisait alors sentir, l’on comptait encore, outre sa merveilleuse figure, d’autres frères – hélas, peu nombreux-, eux aussi personnages admirables, auprès desquelles, parce qu’ils avaient comme lui reçu le Saint Esprit, le bienheureux puisait une immense consolation.
Au nombre de ces êtres très spirituels était le hiéromoine Irénée, auquel Dieu révéla à l’avance le moment de sa mort. Aussi, lorsque ce fut le temps, il alla à la cellule du Saint pour l’en avertir : « Père Zosime », lui dit-il, « mon bien-aimé…Je suis venu te faire mes adieux et me confesser à toi. Car je dois mourir demain, après l’heure de la communion. Oui, d’abord je communierai, et aussitôt après, je mourrai… » Le Saint se récria de stupeur, mais le Père Irénée insista : « C’est la vérité que je dis, je dois mourir demain. Toi, au contraire, tu vivras, et tu seras le guide spirituel et la consolation des pécheurs, des affligés, des orphelins, des pauvres et de tant d’autres encore ! Car telle est la vocation à laquelle t’appelle la Reine des Cieux. » Puis, ayant fait devant Dieu une bouleversante confession, le Père Irénée serra sur son Cœur l’ami qu’il chérissait.
Durant tout le temps de ses adieux, pourtant, pas un instant le Père Zosime n’avait sérieusement cru que le lendemain verrait la dormition du bienheureux Irénée. Aussi, le matin suivant, lorsqu’il vint à passer devant la cellule de son ami, il dit au novice qui le servait : « Je t’en prie, frère, salue pour moi le Père Irénée ! » Alors le frère, avec douleur soupira : « Et comment le pourrais-je, puisqu’il a quitté ce monde…Il a communié, puis, tandis que j’allais préparer le thé, il a regagné sa cellule. A mon retour, il était allongé là, sur son lit, les mains croisées sur la poitrine ! »…Car en vérité, comme le Seigneur le lui avait manifesté, et à l’heure dite, le Père Irénée s’était endormi, laissant ce monde de vanité.
***
Au Monastère, Zosime avait encore eu pour ami le bienheureux Nicolas. C’était un ancien soldat qui, pour s’être ruiné la santé en campagnes, avait dû ensuite demeurer couché pendant plus de quarante ans. Comme il n’avait pas dans le monde de parents proches pour se soucier de lui, on l’avait pris au Monastère.
Là, parce qu’il avait, longanime, porté la lourde croix de la maladie, souffrant avec une infinie patience, et persévérant dans la prière en toute humilité, le Seigneur l’avait enrichi des charismes du Saint Esprit. Aussi prophétisa-t-il, dix ans avant la Révolution de 1917, que le Tsar Nicolas serait détrôné et chassé, le Monastère fermé et les moines disséminés en ville, dans les maisons des Fidèles. A son ami Zosime, Nicolas prédit aussi tout ce qui par la suite devait lui arriver.
Le bienheureux Nicolas était encore un thaumaturge extraordinaire. Ce fut lui qui guérit la sœur du Saint Starets, Maria, qui, depuis dix ans déjà, était aveugle. Voici comment : lorsqu’il eut prié pour elle, il lui demanda de se faire sur les yeux une onction avec l’huile de la veilleuse, qui brûlait devant son iconostase. Et de fait, Maria recouvra la vue et vécut les dix années qui lui restaient à vivre en y voyant très clair.
Un autre jour, le bienheureux Nicolas se trouvait dans sa cellule avec le Starets, quand survint un jeune visiteur arborant fièrement une belle toque de fourrure. Aussitôt, Nicolas se précipita sur lui et la lui arracha. « Je ne te la rendrai pas, » s’écria-t-il, « elle ne t’appartient pas. La tienne est encore dans le train. » Et comme, à la fin, le Saint Géronda demandait des explications au jeune homme : « Il y avait », reconnut-il, « étendu sur une banquette du train, un homme ivre et, près de lui, sa toque, neuve. En descendant, je l’ai prise, laissant à la place la mienne qui était vieille. »
Mais au bienheureux Nicolas arrivaient même de plus étonnants prodiges. La nuit, les Anges Saints venaient en chantant lui porter les Saints Mystères afin qu’il pût communier. Mais parce qu’ils avaient l’aspect de moines du Monastère, et que celui qui marchait devant eux avait les traits de l’higoumène qui confessait le bienheureux, il ne comprenait pas que c’était là une Visitation ; et, plein de reconnaissance pour ses frères, il songeait en lui-même : »Quel amour ont pour moi l’higoumène et les frères ! Sans même attendre le jour, ils viennent la nuit consoler mon affliction ! » Et Nicolas qui, avec son humilité et sa simplicité ordinaires, regardait ce prodige comme l’évènement le plus naturel, ne s’était confié à personne du miracle.
Or, le Starets apprit un jour de la bouche des moines que, depuis son entrée au Monastère – il y avait de cela bien des années- jamais le Hiéromoine n’avait communié. Il alla donc fort triste le voir dans sa cellule, s’offrant à le confesser et à lui donner la communion. Mais le bienheureux malade le remercia, disant : « Si tu savais quelle grande joie j’éprouve quand, lors des grandes fêtes, l’higoumène et les frères viennent me porter la communion ! » Et il lui expliqua comment à chaque fois se faisait cette venue. Alors, le Starets se tut, plein de confusion. Il comprenait que Nicolas, sans doute, avait de temps à autre des Visitations. Aussi, lorsque l’admirable Nicolas se fut endormi, il interrogea les moines et s’assura pleinement de l’étrange miracle.
V.
LA VENERATION DU STARETS POUR LA MERE DE DIEU.
A notre Toute Sainte Mère, la Mère de Dieu, le Starets Zacharie, à l’exemple de Saint Séraphim et de tous les Saints de notre bienheureuse Orthodoxie, vouait une immense vénération, à la mesure de l’amour sans limites qu’il lui portait. Lui-même ne voyait à son enseignement d’autre fin que de léguer à ses enfants spirituels un peu de son brûlant amour pour la Vierge, sa Reine. Tel était, en effet, le fondement des préceptes qu’il leur donnait :
« Ne commencez jamais rien, » leur disait-il, « sans la bénédiction de la Reine des Cieux. Et lorsque vous avez fini, de nouveau rendez-lui grâce… »
Pourchaque chose, demandez à la Reine des Cieux sa bénédiction, et notre Seigneur vous élèvera sur le premier degré de l’échelle de la Grâce : la reconnaissance de vos péchés… »
« Je crois fermement, » disait-il encore pour leur édification, que si vous vous efforcez d’acqu érir une pleine conscience de la perpétuelle présence à vos côtés de Notre Seigneur et de la Reine des Cieux, et que tout en gardant à chaque instant ce sentiment très présent à l’esprit, vous vous efforciez de ne rien faire sans demander d’abord à la Mère de Dieu sa bénédiction, alors vous recevrez le charisme de la Prière incessante et, avec celui-ci, le désir d’accomplir tout ce qui plaît à notre Seigneur Jésus Christ… »
« En l’âme de chacun de nous se réjouit le Christ, par l’intercession de la Mère de Dieu Très Sainte. Priez donc sa Mère Toute Pure, et vous serez avec son Fils… »
***
Le Saint Starets jugeait encore comme un devoir très nécessaire d’allumer les veilleuses qui brûlaient devant les Icônes de la Toute Sainte.
Et s’il arrivait à quelqu’un de tomber malade, il insistait pour qu’on fît sur lui le signe de la Croix avec un peu d’huile prise à la veilleuse d’une icône miraculeuse de la Mère de Dieu.
Enfin, il exhortait ses enfants spirituels à redire sans cesse la belle prière que garde notre Eglise :
Salut, Mère de Dieu et Vierge,
Marie pleine de Grâces,
Le Seigneur est avec toi.
Tu es bénie entre toutes les femmes ;
Le Fruit de tes entrailles est béni.
Car tu as enfanté
Le Sauveur de nos âmes.
Et il se réjouissait au plus haut point s’il voyait quelqu’un réciter le « Canon de la Toute Sainte », tel qu’elle était en personne venue l’enseigner à Saint Séraphim de Sarov, et qui consiste à redire cent cinquante fois par jour cette même prière : « Salut, Mère de Dieu et Vierge… »
VI.
SON CHARISME DE CLAIRVOYANCE.
Comment le charisme de clairvoyance, au degré si élevé où le possédait Zacharie, pourrait-il ne pas inspirer de crainte à ceux qui lisent le Vie du Starets ? Car dans le Cœur si parfaitement purifié du Saint était venue habiter la Grâce du Très Saint Esprit, abolissant toutes les limites du temps et de l’espace, et donnant au bienheureux connaissance du passé et de l’avenir, comme aussi de ce qui, au même instant survenait en un autre lieu ou dans le cœur de celui qui s’entretenait avec lui.
C’est ainsi qu’un jour où il était à table avec ses enfants spirituels, on le vit se lever soudain, comme mû par une divine inspiration, et s’exclamer avec transport : « Ah ! Ma Pélagie ! …Comme elle se repent !...Comme elle me supplie de lui pardonner, et comme elle pleure avec contrition !...Allons, laissez là le repas et venez avec moi prier pour son âme ! » Il alla à l’iconostase lire une prière puis, en esprit, il bénit Pélagie. Et comme ses enfants lui demandaient où elle se trouvait en cet instant, il leur répondit qu’elle était au loin, dans le nord, mais qu’à son retour elle leur parlerait de l’évènement. Et de fait, lorsque six mois plus tard Pélagie revint, d’elle-même elle raconta quel profond repentir avait été le sien, et avec quelles larmes elle avait imploré le pardon de l’Ancien, au jour et à l’heure précis où le Starets en avait eu la révélation.
Une autre fois, comme deux femmes se rendaient chez le Starets pour se confesser à lui, faisant route ensemble, l’une, à chaque instant, se représentait ses péchés et son cœur était à la pénitence, au point que, versant d’abondantes larmes, elle demandait pardon au Seigneur, tandis que l’autre , personne très superficielle, ne faisait que songer, avec une vanité frivole, à des futilités mondaines, s’inquiétant du vêtement qu’elle pourrait bien acheter à sa fille pour compléter sa garde-robe, des teintes dont elle l’assortirait, et d’autres bagatelles de même acabit. Or, lorsqu’elles arrivèrent à la cellule du Saint, à peine étaient-elles entrées que, sans leur laisser le temps de se confesser à lui, il dit à la première : « Agenouille-toi, ma fille, que je te dise la prière d’absolution ». « Mais, Père Saint », se récria-t-elle, je ne me suis pas encore confessée. » « Ce n’est pas utile, » répondit le Starets. Tu t’es confessée au Seigneur…Tout au long du chemin, tu t’es repentie. J’ai tout entendu…Maintenant, je vais te donner l’absolution, et demain tu communieras. » Puis, se tournant vers la seconde : « Toi, » lui dit-il, « va faire tes emplettes et achète ce tissu dont tu rêves pour ta fille…Regarde bien au coloris surtout, et étudie la coupe. Et, quand tu seras sincèrement repentie, alors, reviens, et confesse-toi !... »
***
Une vieille femme vint un jour visiter le Starets avec une parente à elle, toute jeune et resplendissante de santé. Tout-à-coup, le Saint se tourna vers la jeune fille : « Demain matin, » lui dit-il, « il faut que tu communies…Tout-à-l’heure, tu reviendras te confesser. Mais va d’abord frotter les marches de l’escalier. Je te dis cela, bien qu’elles soient presque propres, mais c’est pour qu’à chaque marche, tu te rappelles un de tes péchés et que, pour chacun, tu fasses pénitence…Puis, lorsque tu auras fini, alors, songe à la manière dont l’âme à la fin s’élève, et passe les redoutables péages du Ciel. »
La jeune fille trouva bien cela un peu étrange, mais néanmoins elle obéit. La vieille, elle, émit quelques réserves, ennuyée de ce que sa parente communie sans s’être d’abord préparée par le jeûne. Mais le Saint apaisa ses scrupules. « Demain », lui dit-il, « tu comprendras. Reviens après la sainte liturgie et nous en reparlerons. » Lorsqu’elle eut fini ses escaliers, la jeune fille vint se confesser au Starets et recevoir sa bénédiction. Puis, le jour suivant, elle communia et, toute joyeuse, elle s’en retourna chez elle. Alors, comme elle s’était tranquillement assise sur une chaise, elle parut soudain s’endormir…Notre Seigneur avait pris son âme comme cela, d’une façon simple et paisible. Saisie d’une crainte respectueuse, sa vieille parente courut aussitôt chez le Saint pour lui faire part de ce qui était arrivé. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle le trouva récitant un « Trisaghion » pour l’âme de la jeune fille ! Et quand ce fut fini : « Pourquoi t’être inquiétée ? » lui dit-il. « J’ai su que notre Seigneur allait la prendre, et c’est pour cela que je lui ai permis de communier… »
***
Deux étudiantes en théologie vinrent un jour à la cellule du Starets, désireuses de l’interroger sur de nombreux points qui les embarrassaient. Il y en avait même tant que, craignant d’en oublier, elles en avaient dressé la liste par écrit. Car la première avait plus de quinze questions, et la seconde n’en avait pas moins de quarante ! Mais, lorsqu’arrivées à la cellule, elles virent qu’il leur faudrait passer à la suite d’une grande foule de gens que le Starets avait à voir d’abord, qui avaient, plus qu’elles, besoin de conseils et de consolation, elles ne purent s’empêcher de marquer leur impatience.
Alors, se tournant vers elles, le Starets les pria de prendre un papier et un crayon pour noter les solutions de leurs questions. Et, sans même prendre le temps de les lire ni d’en écouter l’énoncé, il commença à dicter les réponses. Il les détailla au complet, reprenant dans l’ordre, une à une, les difficultés proposées.
VII.
ACQUERIR LE SAINT ESPRIT.
Fidèle à l’Ecriture et à la Tradition des Pères Hésychastes – et plus particulièrement à l’enseignement de Saint Séraphim de Sarov, qu’il avait en immense vénération -, le Starets Zacharie proclamait qu’il n’est d’autre but à la Vie Chrétienne que l’acquisition du Saint Esprit, de sorte que la nature humaine, illuminée et fortifiée par la Grâce du Divin Paraclet, Esprit Consolateur, s’acquitte envers le prochain de toutes ces belles œuvres que dicte l’Amour.
La Sainte Tradition de l’Orthodoxie n’enseigne-t-elle pas, en effet, que c’est au nom du Christ qu’il nous faut pratiquer les Vertus et que, par elles, peut dès lors s’acquérir le Très Saint Esprit ? Car c’est « le Fruit de l’Esprit » qui seul importe ; mais la Vertu sans l’Esprit ressemble aux vierges folles, qui possédaient bien ces lampes que sont les vertus, mais auxquelles manquait l’huile, qui est le Saint Esprit.
La Prière, disait encore le Starets, a beaucoup de force, parce que c’est elle qui, plus qu’aucune autre Vertu, nous confère le Saint Esprit. Et sur ce point, le bienheureux se montrait très insistant, exhortant ses enfants spirituels à prier sans cesse, et à lutter avec force pour acquérir le Saint Esprit. « Quel homme est sage », aimait-il à dire, « sinon celui qui possède le Saint Esprit ? »
VIII.
SON ENSEIGNEMENT SUR LA PRIERE.
Le Starets Zacharie était devenu tout Prière. Il n’était plus désormais dans sa Vie un seul instant où il ne fût, par sa Prière, en communion avec Dieu. Aussi, bien souvent, ses enfants spirituels lui demandaient –ils de les enseigner sur la Prière. Et quelle simplicité émanait alors de ses conseils, et quelle profondeur aussi !
« Mes enfants », disait-il, « tâchez d’acquérir l’Esprit de la Prière incessante. Demandez-le sans vous lasser à la Mère de Dieu qui, sans jamais dormir, veille pour nous en prière… »
« Sans Prière, l’homme ne vit pas, mais à chaque instant meurt un peu plus, même s’il n’en a pas conscience. »
« Prenez donc l’habitude de ne rien commencer sans la Prière. »
« La Prière est mère d’humilité et, sans humilité, il n’est point de Salut. »
« A chacun de vos mouvements, tâchez à joindre la Prière. »
« Ne dites pas vos prières à la hâte. La prière est la santé de l’Ame comme elle est le profit du Cœur. »
« Même s’il nous faut tenir des discours mondains, il convient que, dans nos Cœurs, nous gardions la Prière. »
« Il ne faut pas que la prière devienne mécanique, ni qu’on la dise de façon impie, sans éprouver la crainte de Dieu, parce que cela constitue une offense à la Prière ».
Et ce qui faisait parler ainsi le Saint Géronda, c’est qu’un jour, dans sa cellule, il avait tremblé, en voyant, debout devant les Saintes Icônes de son iconostase, un démon. Sa figure était celle d’un grotesque, et il s’occupait à lire le Psautier d’une façon toute décousue et incohérente. « Que fais-tu là ? » gronda le Starets. « Moi ? » fit le démon. « Je tourne la prière en dérision ! » et il disparut. C’est ainsi que se moquent de la Prière tous ceux qui la font à l’étourdie, d’une façon heurtée et décousue, sans garder sur elle toute leur attention, ni ressentir la crainte de Dieu en leur cœur.
IX.
AUTRES ENSEIGNEMENTS.
« Il convient que chacun sache discerner les rêves. Ceux qui viennent de Dieu donnent à l’âme paix et joie. Ils incitent le cœur au repentir, chassent les pensées orgueilleuses et éveillent l’homme à la lutte contre le péché. »
« Faites chaque jour l’aumône », disait-il encore. « Le jour qui se passe sans aumône est perdu pour l’âme et pour l’éternité. Nos aumônes au contraire nous préparent à recevoir la Grâce du Saint Esprit. « Bienheureux les miséricordieux », est-il dit, « car ils obtiendront miséricorde. » Les aumônes ont tant de force devant Dieu que, jusque dans la gueule de l’Enfer, elles ont le pouvoir d’aller rechercher une âme. Car toujours devant le trône du Seigneur se tient l’Ange de cette Vertu, proclamant bien haut à la face de Dieu, quelles, en ce jour, ont été les aumônes, et quelles leurs aumôniers. »
« Gardez toujours ce fait bien présent à la mémoire, qu’à chaque instant le seigneur vous regarde, examinant chacun de vos actes et de vos sentiments, comme aussi chacune de vos pensées. »
« Il n’est pas d’ascèse plus haute que de supporter sans un murmure tout ce qui, dans cette vallée de larmes, peut nous advenir. Et celui qui jusqu’à la fin aura tout supporté, celui-là sera sauvé. »
« Si, longanime, tu sais souffrir l’affliction sans murmurer, tel un Martyr, tu rends au Christ témoignage de ta fidélité envers Lui et, silencieusement, tu proclames ton attachement à ton Sauveur, lui chantant ton Amour pour Lui, le Ressuscité des morts qui, tous, nous appelle à ses côtés. »
Il faut que chacun ait pour premier souci la pureté de son âme. Or seule est pure l’Ame qui toute entière a fait don d’elle-même à Dieu. Mais avant cela, il convient tout d’abord que l’âme ne mente pas ni ne se désespère, et ne se livre pas non plus à la méchanceté. »
« De toutes nos forces, avec un Saint et profond Amour, il nous faut vouloir alléger le joug des autres et plus encore celui des infortunés qui sont dans la tribulation. Il nous faut aussi vouloir gagner à Dieu d’autres âmes, tout comme nous sommes nous-mêmes gagnés à Lui par notre pénitence incessante. Car c’est un Dieu d’Amour que notre Dieu. »
« Nul ne possède le charisme du discernement des esprits, qui n’ait d’abord celui de la prière incessante. »
« De toutes vos forces, fuyez le péché et, avec le secours de la Reine des Cieux combattez toutes les formes du Mal. Alors, plus vous approcherez notre Seigneur, plus au-dedans de vous s’ouvriront les yeux de l’humilité, et plus vous vous tiendrez en l’état d’un profond et perpétuel repentir. Et si, sans vous lasser, toujours vous redites la Prière du Cœur : « Seigneur J »sus Christ, aie pitié de moi, » plus près encore vous serez de notre Seigneur qui bientôt vous donnera le céleste, le divin amour de tous vos frères, fussent-ils mêmes vos ennemis. »
« Jamais en aucun cas ne laissez la tristesse vous gouverner. Le désespoir est le bourreau de nos âmes qui, en nous, met à mort l’énergie spirituelle, celle-là même dont nous avons tant besoin pour recevoir en nos Cœurs le Saint Esprit. Trop affligé, l’homme perd toute faculté de prière, et son être est tout entier mort à la lutte spirituelle. »
A Celui qui peut nous préserver de toute chute
et nous faire paraître devant Sa Gloire
irréprochables et pleins d’allégresse,
à Dieu seul, notre Sauveur,
par Jésus Christ notre Seigneur,
soient la gloire, la majesté,
la force et la puissance,
dès avant tous les temps,
et maintenant,
et aux siècles des siècles !
Amen.
(Epître de Jude, 24-25).
Par les Prières de notre Père Zacharie, ton Saint, Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie pitié de nous !
***