dimanche 11 novembre 2018
Nostalgie de la Vie Spirituelle, Mère Xénie
Mère Xénie
NOSTALGIE
de la
VIE SPIRITUELLE
Ed. de la Fraternité orthodoxe Saint Grégoire Palamas
Traduit du grec par Presbytéra Anna
...Lorsqu'un marin fait route au milieu de la mer, il regarde les étoiles, et sur elles dirige son vaisseau, pour atteindre au port. Mais un moine considère la prière, qui le met droit devant, et dirige sa course, tout au long, vers ce port où tend son ascèse. Le moine à chaque instant fixe la prière, elle qui lui désigne l'île, où il fait bon mouiller, et charger ses denrées ; puis, une nouvelle fois, il remet à la voile, reprenant sa course vers quelque île inconnue. Tel est le voyage d'un moine en sa vie : comme d'une île à l'autre, de connaissance en connaissance, il s'en va naviguant, et par cet ondoyant changement d'amures, par ces escales d'île en île – figures des degrés de la connaissance -, il progresse, quittant la haute mer, lorsque son voyage touche à sa vraie fin, - cette ville dont les habitants ont cessé désormais tout commerce, et vivent chacun de leurs richesses propres. Ah ! Bienheureux l'homme dont la course ne s'est point perdue parmi la mer immense de ce vain monde ! Bienheureux l'homme dont le navire ne s'est pas brisé et qui, plein d'allégresse, entre dans le port !
Saint Isaac le Syrien, Quarante-Huitième Homélie Ascétique.
(Traduction Presbytéra Anna).
TABLE DES MATIERES
En hommage à Mère Xénie.
Chapitre I.
La Purification et le chemin vers Dieu
Chapitre II.
La Prière et la perfection des vertus.
Chapitre III.
La Vie en Christ.
Perles spirituelles
recueillies parmi les sentences
des Homélies ascétiques d'Isaac le Syrien.
Epilogue.
En hommage à
Mère Xénie
Toutes les tentatives de réforme et de destruction de la foi orthodoxe au cours de l'histoire se sont portées contre le monachisme orthodoxe. Ce n'est pas un hasard : la foi orthodoxe est le sel de la terre, et selon les Pères, le diable ferait tout pour la faire disparaître, s'il pouvait, afin que notre monde puisse se décomposer. Or le monachisme orthodoxe est le flambeau qui maintient allumée, à travers toutes les générations, jusqu'à nos jours, la lumière de la foi que le Seigneur a révélée.
Ainsi, depuis 1920, année où parut l'Encyclique du Patriarcat de Constantinople qui proposait l'aggiornamento de la vie spirituelle et ecclésiale de l'Eglise orthodoxe, le monachisme est attaqué.
Inversement, toutes les résurgences de l'eau vive de l'orthodoxie, toutes les renaissances théologiques et spirituelles, ont été ascétiques, fondées sur le retour au monachisme orthodoxe, comme l'a très bien écrit le Père Justin Popovitch : « L'orthodoxie crée toujours des renaissances ascétiques. Elle ignore d'autres renaissances. Les ascètes sont les seuls missionnaires de l'orthodoxie. L'orthodoxie est ascèse et vie ; c'est seulement par l'ascèse et par la vie qu'elle proclame sa mission ».
La grèce, pays orthodoxe par excellence, a connu au XX° siècle la décadence d'une Eglise d'Etat, qui transforma ses prêtres en fonctionnaires, ses évêques en représentants de l'ordre, et son évangile en morale formaliste – et une renaissance monastique et ecclésiale, due à tous ceux qui refusèrent cette décadence et les réformes introduites selon l'esprit du monde et inévitablement liées à l'intrusion de la politique dans l'Eglise d'Etat : ce fut, en 1924, l'adoption du calendrier grégorien ; c'est, aujourd'hui, le projet d'un « marché commun des religions ». Cette religiosité vide et tapageuse n'empêche pas la vie en Christ de continuer dans certains monastères, qui gardent la lampe allumée pour ceux qui la désirent.
En effet, ce sont les humbles moniales et les doux prêtres persécutés parce qu'ils refusaient l'Encyclique de 1920, le changement anti-canonique de calendrier, la transformation du monachisme par les néo-athonites, et la nouvelle théologie des néo-orthodoxes, ce sont tous ces pieux moines et laïcs ordinairement obscurs et cachés, qui ont gardé vivant un îlot, une oasis d'orthodoxie en Grèce. Ce sont ces zélotes du Christ qui ont construit inlassablement des monastères, des skites, des églises, de petites chapelles votives, qui ont pieusement allumé, chaque jour, les veilleuses des églises quelquefois maintenant sans prêtre ou perdues dans la montagne, ce sont eux qui ont gardé l'usage des agrypnies, ces offices où l'on psalmodie toute la nuit à la gloire du Christ, - comme si le monde, son bruit, sa prétention à dicter ses lois même à Dieu, n'avaient jamais existé. Chez eux, chez ces zélotes de l'Absolu, qui ignorent même le plus souvent qu'ils sont zélés et apostoliques, la seule vraie noblesse est le baptême, et la seule vraie éducation est la psalmodie des chants de l'Eglise, pédagogie perpétuelle poursuivie depuis l'enfance jusque dans la plus profonde vieillesse. Comme dans leurs églises où les veilleuses, symbole de la prière, semblent allumées en permanence, la vie en Christ se perpétue, le deuil est celui qu'on vit avec le Christ et la joie, celle des fêtes de l'Eglise : la nostalgie de la vie spirituelle se transmet sans fin.
La Mère Xénie, dont le livre paraît ici, traduit par Presbytéra Anna, appartient à cette vie secrète de l'orthodoxie du XX° siècle, qui a contribué inlassablement à construire des églises et des chapelles, en vielle et dans les montagnes ou dans les îles, et à prêcher le dépôt inaltéré de la vraie foi.
Jeune, Mère Xénie aimait lire et prier la nuit entière. Elle fit des études brillantes avec sa sœur – qui est aujourd'hui avocate -, fut diplômée de plusieurs universités et elle parle couramment plusieurs langues. Ses études à peine achevées, à l'époque de la grande persécution que l'archevêque d'Etat Spyridon avait déclenchée contre les monastères, elle décida de devenir moniale et de se consacrer totalement à la vie spirituelle, sous la direction de son Père spirituel, aujourd'hui l'Archevêque Auxence d'Athènes de l'Eglise traditionnelle (V.C.O, Vrais Chrétiens Orthodoxes), qui refusa les réformes ecclésiologiques de l'Etat.
Dans la banlieue d'Athènes, à Pétroupolis, Mère Xénie fonda alors, avec Monseigneur Auxence, le monastère de Saint-Jean-le-Théologien, dont l'église fut bâtie de leur main, semblable aux petites chapelles des îles grecques. Aujourd'hui, le monastère de Saint6Jean-le-Théologien abrite aussi une école de jeunes filles, qui permet aux moniales de survivre dans la pauvreté.
A corinthe et à Egine, Mère Xénie construisit aussi deux petites skites pour ses filles spirituelles, et en 1975 fut fondé le grand monastère de l'Ascension du Seigneur à Kapandriti, à une trentaine de kilomètres d'Athènes, dans l'Attique montagneuse, où Monseigneur Auxence aime à se retirer pour se consacrer à la vie de prière et d'hésychia.
L'organisation de ses deux communautés monastiques n'a pas empêché Mère Xénie d'écrire un grand nombre d'ouvrages de spiritualité qui sont très lus en Grèce et dans la disapora grecque aux Etats-Unis et au Canada. Parmi ses livres, citons Sur l'agenda d'une âme fidèle, exhortations journalières d'une âme qui tire, de chaque fête de l'Eglise, l'occasion d'une réflexion ou d'un progrès spirituel ; Le calendrier des Pères, qui expose les arguments patristiques pour le maintien du calendrier traditionnel dans la célébration liturgique ; son doctorat de théologie, rédigé en français : Questions douloureuses posées à toute l'Eglise orthodoxe à propos d'une nouvelle hérésie : l'oecuménisme ; ses études sur Saint Grégoire Palams, l'Eglise d'Athènes sous la domination turque et ses vies de Saints : Saint Nectaire, Sainte Irène Chrysovalante, Saint Jean le Théologien le disciple de l'amour, Saint Cosmas d'Etolie le docteur des esclaves, et plusieurs traductions en français.
Son ouvrage sur Saint Cosmas d'Etolie est traduit en anglais, et celui qu'elle a consacré à Saint Jean le Théologien vient de recevoir le prix du meilleur livre décerné par l'Union des Ecrivains et Artistes Grecs, sous l'égide du Ministère grec de la culture.
Son livre le plus aimé des fidèles, cependant, est sans doute La Nostalgie de la vie spirituelle, ce désir de la pointe de l'âme, du cœur, de chercher, dans la prière perpétuelle, la perfection et la seule et vraie patrie de l'homme qui est le Paradis. Ce qui frappe, dans le témoignage de Mère Xénie, c'est sa vérité, sa fraîcheur et sa fidélité aux Pères. Les enseignements de Mère Xénie sont simples, comme l'Ecriture, comme les Psaumes qu'elle aime citer : c'est qu'ils sont faits pour être mis en pratique, immédiatement vécus et testés par ceux qui lisent le livre, qui l'emportent avec eux, en voyage, partout. Comme le dit le Père Justin Popovic à propos des dogmes de l'Eglise orthodoxe : « ...les dogmes ne sont pas des vérités ontologiques en soi et pour soi, mais... chaque dogme est source de vie éternelle, sainte et spirituelle, suivant l'Evangile de Vérité de l'unique et irremplaçable Seigneur et Sauveur : « Mes paroles sont Esprit et Vie » (Jean, 6, 63). Car de chaque « parole du Seigneur », de chaque parole de Dieu, découle une force de salut, de sanctification, qui donne la Grâce, vivifie et transforme ».
Ce titre de la nostalgie de la vie spirituelle prend un sens particulier pour nous, hommes de l'Europe d'aujourd'hui, de cette ancienne Partie Occidentale de l'Empire Romain, cet Empire qui, en réalisant l'absence de frontières et l'union des peuples, avait permis la prédication des Apôtres. Autrefois, avant que les Francs ne détruisent l'organisation conciliaire de l'Eglise gallo-romaine, les Gaules, l'Italie, l'Espagne, les rives du Rhin, les côtes de l'Angleterre, l'Irlande ont été orthodoxes. En témoignent les vies des Saints et les lieux de pèlerinage : Saint Irénée de Lyon, Saint Hilaire de Poitiers, Saint Martin de Tours, Saint Saturnin de Toulouse, Sainte Geneviève de Paris, Saint Ronan de Bretagne, et tant d'autres encore, sont des Saints orthodoxes ; leur spiritualité, leur confession de foi furent identiques à celle des Pères du désert ou des grands docteurs de l'Orient. En témoignent aussi les formes de l'architecture et l'iconographie : les églises romanes sont proches des petites églises dites « byzantines », elles symbolisent le Ciel sur la terre par leur voûte ou leurs coupoles, et par leur plan au sol, la Croix sur le monde. Les cathédrales gothiques, au contraire, rompent cette unité de l'Orient et de l'Occident, voire du nord et du sud de nos pays. Car c'est une nouvelle religion, un « autre christianisme » qui s'imposa en Europe, dans certaines régions à partir du XI° siècle, à partir du XII° siècle dans d'autres, et qui usa volontiers du fer et du sang et de la glèbe de la féodalité, pour vaincre les résistances de la piété ancienne nourrie de l'héritage immédiat des Apôtres et de l'exemple des grands Saints comme Martin de Tours. Longtemps étouffé sous la chape de plomb de cette religion franque et féodale, dont les croisades, l'inquisition, la sur-culpabilisation due aux dogmes augustiniens – qui ont engendré le purgatoire, les indulgences et tous les abus de la papauté – comptent parmi les manifestations les plus nettes, l'européen d'aujourd'hui est libre, s'il le veut, de retrouver l'orthodoxie – la religion qui fut celle de ses Pères. La Nostalgie de la vie spirituelle est, en Occident, pour ceux qui ont soif d'un Evangile vécu et authentique, et non d'une représentation abstraite, philosophico-politique, le désir qui saisit leur âme quand ils découvrent l'orthodoxie, sa vie liturgique, sa beauté spirituelle, irriguées par les dogmes des Pères de l'Eglise et qu'ils s'exclament, comme Jacob : « Dieu est en ce lieu et je ne le savais pas ! »
Mère Xénie, avec la bénédiction de Monseigneur Auxence, a très vite compris ce désir de retour à l'orthodoxie, chez les européens troublés par toutes les adaptations, revirements, réformes et autres dédogmatisations de leurs confessions habituelles. Très tôt, elle est venue en France, en Suisse – plus tard, elle est allée aussi au Canada et aux USA – pour témoigner partout de la vérité de la foi orthodoxe.
Tous les fidèles et amis de la Fraternité Orthodoxe Saint-Grégoire-Palamas gardent un souvenir particulièrement ému du voyage que Mère Xénie fit en France en juin 1989 pour accompagner Monseigneur Auxence avec le Père Panayotis Panayotopoulos, secrétaire du Saint Synode, et sa Presbytéra. A Paris, à Giverny, à Dinan et à Lyon, les fidèles vinrent nombreux pour entendre le bon et authentique pasteur de l'Eglise, et ils furent heureux de connaître de la bouche de Mère Xénie de nombreux récits sur la vie et les luttes spirituelles des monastères grecs. Certains fidèles de Lyon se rendirent l'été suivant à Pétroupolis et à Kapandriti où Mère Xénie leur fit visiter d'autres monastères de l'Attique.
En novembre 1989, pour la consécration à Pétroupolis de Monseigneur Photios de Lyon, des fidèles français vinrent de Dinan, de Langon, de Pau et de Toulouse. Ils purent apprécier la généreuse hospitalité des moniales du monastère Saint-Jean-le-Théologien qui les reçurent, et mieux connaître leurs frères et sœurs chrétiens de Grèce.
Tous ceux qui connaissent Mère Xénie savent le zèle qu'elle déploie pour la foi, le grand nombre de ses enfants spirituels, en Grèce et même hors de la Grèce. C'est cet amour de la foi qui transparaît aussi dans ses écrits comme dans le petit livre que nous publions ci-après.
Nous y avons ajouté les perles spirituelles de Saint Isaac le Syrien, qui sont une anthologie de ses célèbres homélies, lues dans les monastères grecs, et que Mère Xénie apprécie particulièrement.
Puisse ce petit livre donner le goût à de nombreux europééns, qui nourrissent la nostalgie de la vie spirituelle, de venir puiser à l'eau vive, qui rafraîchit éternellement, de la vie orthodoxe en Christ.
+ Père Patric (Ranson).
I
LA PURIFICATION ET LE CHEMIN VERS DIEU
Misère de cette vie présente
O mon âme sœur,
Vois cette vie présente, toute emplie de peines et d'afflictions, de maux, d'épreuves et de tentations, comme de milliers d'autres tribulations.
Telle est la « vallée de larmes », tel est le « lieu d'exil » où il te faut vivre les courtes années de ta vie, et où, selon qu'il est écrit, il te faut endurer et gémir. Vois au livre de Job peintes la grande infortune et la misère de l'homme en cette vie présente :
« L'homme né de la femme ! Sa vie est courte, sans cesse agitée. Il naît, il est coupé comme une fleur ; il fuit et disparaît comme une ombre ». - Job 14, 1-3 -.
Voilà bien la destinée de l'homme, telle que le péché l'a faite. Ah ! Misérable la vie présente, et misérables ses biens éphémères, qui tous sont vains et illusoires, incertains et fâcheux !... Mais voici pourtant que, du milieu même de cette misère extrême, s'est levée la clarté d'une folle espérance.
Et quelle est-elle donc, cette folle espérance, C'est la pensée sublime que lorsqu'auront passé les épreuves et les tribulations de cette vie présente, sans plus tarder s'en ensuivra l'autre vie, celle qui est éternelle, la vie de la joie véritable et de la béatitude qui ne connaît point de fin ; Cette vie éternelle, et ses biens impérissables, dont il est parlé par l'Apôtre Paul, évoquant « ces choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont point montées jusqu'au cœur de l'homme, que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment ». - 1 Cor. 2, 9. - .
O mon âme sœur,
Avec courage donc, patience et persévérance, affronte les assauts, comme les vicissitudes de la vie présente. Loin de chercher, en cette vallée de larmes, à t'assurer à jamais une paix durable, ni une joie pérenne, sache que c'est au Ciel seulement, parmi la béatitude des siècles sans fin, que tu jouiras de tous les biens éternels et parfaits, en lesquels tu espères d'une espérance ferme. Et dis à Dieu chaque jour ces mots de ton désir qui, tel un feu, te brûle : « Toujours je chanterai, Seigneur, Tes miséricordes. Ma bouche fera connaître à jamais ta fidélité. Car tu as dit : Ma bonté sera fondée éternellement, ma vérité sera établie dans les Cieux. » -Ps.88, 2-3. - .
La renonciation du monde et l'abandon à Dieu
O mon âme sœur,
Si tu as résolu de vivre la vie spirituelle, hais d'une haine parfaite le monde « qui gît dans le péché », comme aussi ses plaisirs, ses richesses, ses délices et sa gloire, et avec tout le reste ensemble de ses biens, qui tous également sont vains, illusoires et menteurs. La parole de Dieu y insiste assez, disant : « Le monde passe, avec sa convoitise ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » - 1 Jn 2, 17. - .
A Dieu donc offre ta vie, ne faisant rien d'autre que ce qui lui est agréable. Le monde, lui, avec ses biens tout de matière, par là corruptibles et d'essence éphémère, ne te donnera jamais qu'ennui, affliction, angoisse et mélancolie. Mais Dieu, au contraire, t'emplissant en esprit de ses biens célestes, ineffablement baignera ton cœur de joie, de bonheur et d'allégresse spirituelle.
Car qu'est-ce que la vie ? Et combien dure-t-elle ? Ne dit-il pas, Jacques, le frère du Seigneur : « Vous êtes une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite disparaît » ? - Jac. 4, 14. - .
Que te sied-il, dans ton intérêt, de faire ? Voici : il te convient, à cause des éternels, de mépriser les plaisirs de ce monde, et de donner tout ton être pour le service de Dieu.
Les épreuves, certes, les appâts du monde, les difficultés et les obstacles sont sans nombre, mais la Grâce de Dieu, dans sa richesse surabondante, ne te fera point non plus défaut, elle qui, dans ton dur combat, toujours te fortifiera et te recréera. Et si l'Apôtre Paul, la bouche du Christ, ne le cèle point : « Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes » - Eph. 6, 12. - , - cette confession du Saint Apôtre n'est pas pour abattre ton courage, mais t'animer au contraire d'une ferveur et d'un entrain nouveaux, par là te donnant d'atteindre à cette fin sublime qu'est l'entier, absolu et parfait abandon à Dieu.
O mon âme sœur,
Prends donc la ferme décision de vivre en Dieu, et Lui, dès lors, te ceindra de la force invincible d'En-Haut, celle qui revêt du « pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions et sur toute la puissance de l'ennemi » - Luc 10, 19 -, par quoi tu pourras mener à sa fin victorieuse le combat que tu livres en vue de ton Salut et de ta déification.
La paix spirituelle.
O mon âme sœur,
Par-dessus toute chose, chéris la paix intérieure. C'est lorsqu'est harmonieux et paisible ton monde intérieur, et seulement alors, qu'il t'est donné d'accomplir dans la vertu de grands progrès, comme d'être aux autres d'un riche profit.
Qui vit en Dieu d'une vie spirituelle, lorsqu'il est dans la paix, partout épanche le parfum de la noble bonté, avec la myrrhe du miséricordieux amour. L'être paisible, en tout temps, resplendit de joie, inclinant chacun à croire en vérité que c'est le Christ Lui-même qui seul est la paix, toute la paix, la joie, toute la joie, la lumière, toute la lumière.
Le Seigneur à ses disciples promet sa paix, disant : « Je vous donne ma paix – non pas comme le monde la donne ». - Jn 14, 27. - . Et l'Apôtre Paul, du fond des siècles, fait retentir sa voix : « Car Il est notre paix, Lui qui des deux n'a fait qu'un, et qui a détruit le mur de séparation. » - Eph. 2, 14. - .
Entends l'exhortation du saint Psalmiste ; cède à son invite : « Cherche la paix et poursuis-la ». Autant qu'il est en toi, lutte, oeuvrant à établir ton âme dans la paix, et le Christ, « le Prince de la Paix », demeurera en elle, et Il te comblera de Ses dons en abondance, t'octroyant bientôt Ses charismes spirituels.
Des choses de ce monde, ne laisse aucune pénétrer en toi, pour te spolier de ta paix. Et si néanmoins, ta paix troublée, pour un peu de temps s'est enfuie, aussitôt efforce-toi de la ramener en ton monde intérieur, car l'âme sans elle gît misérable, sombre, dénudée de tout bien. De cela témoigne la parole de Dieu : « Son lieu est dans la Paix et sa demeure dans Sion. » - Ps. 75, 3. - . Vois-tu bien à cela que Dieu se repose parmi les cœurs paisibles ? C'est pourquoi aussi fais-toi un cœur paisible. Trois fois heureuse alors deviendras-tu dès cette vie même. Car tu jouiras, partiellement déjà, de cette joie dont les Justes dans les Cieux se réjouissent, et tu goûteras les prémices de la Béatitude à venir, celle pour laquelle dès l'origine nous avions été façonnés, et qui sur la terre eût été la nôtre, si nous eussions vécu selon le dessein de Dieu.
O mon âme sœur,
Aussi le diable, qui est le prince de la ténèbre, du trouble et de la confusion, te combattra-t-il violemment, oeuvrant par mille biais à te spolier d'un bien si précieux.
Mais toi, n'aie crainte. Lutte seulement, t'acharnant à faire de la paix de Dieu ton bien propre – la paix de Dieu, celle « qui surpasse toute intelligence », et qui, telle une lumière sur le sentier t'apparaîtra, pour te guider, te fortifier et t'affermir, dans ce combat de haute lutte, qui a pour prix la vertu, et pour couronne la perfection.
La Patience.
O mon âme sœur,
Parmi les plus belles vertus venues orner la vie de qui respire en Dieu, figure la patience. Notre Seigneur ne dit-il pas dans son Saint Evangile : « Par votre persévérance, vous sauverez vos âmes » - Luc 21, 19 – et : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé » - Mat.10, 22 -, tout comme l'Apôtre Paul : « Courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, ayant les regards sur Jésus qui suscite la foi et la mène à la perfection » - Hébr. 12, 1-2. - . Car nul, sans la patience, ne peut plaire à Dieu, ni mener la vie de la vertu et de la perfection ; Qu'est-elle donc, en effet, notre existence présente, sinon une somme de maux et d'afflictions, de misères et d'amertumes, de tourments de toute espèce et de mille sortes d'épreuves ? Comment donc sans la patience pourrait-on seulement faire face à tant de difficultés et de détours, que chaque jour nous présente ? Sans la patience, en effet, on se désespérera avant même que d'avoir mené à bien l'oeuvre de la vertu. C'est par la patience que les Saints sont parvenus à affronter, avec un courage et une force spirituelle dignes de leur être enviés, tous les assauts du mal et du péché, qui si aisément nous circonviennent, - par leur patience encore, qu'ils s'en sont allés triomphants, portant les symboles de la victoire, après avoir mené le bon combat, le seul, la vie en Christ.
O mon âme sœur,
Quelque affliction qui t'advienne, tiens ferme dans la patience. La patience est cette vertu qui te donnera la force invincible « de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l'ennemi ». - Luc 10, 19. -.
La patience te changera en lutteur intrépide, en héros véritable, et elle t'enrichira de tout le choeur des vertus. Pour toi, suis fidèlement l'exemple du Seigneur qui, dans sa patience et sa longanimité ineffables, supporta de la part des hommes, pour leur donner le Salut avec sa justice, les injures, les insultes, les coups et mille autres outrages, mais plus que tout cela encore, la mort sur une croix.
Oui, suis son exemple précieux, le seul, l'unique exemple digne d'être imité, et tu seras sauvée, et tu te sanctifieras.
La pensée de la mort.
O mon âme sœur,
Si tu désires, si tu cherches en vérité à mener une vie sainte, pieuse et vertueuse, il te faut songer toujours à la mort ; Car le souvenir incessant de la mort fera de toi bientôt un véritable philosophe, capable de philosopher de la vie et de la mort, par là t'incitant aux œuvres bonnes et agréables à Dieu. Oui, de nombreux péché le souvenir de la mort te gardera, jusqu'à te mener à la vertu et à la sainteté.
Et vois ce que là-dessus dit la Sainte Ecriture : « En toutes tes paroles souviens-toi de ta fin, et aux siècles des siècles tu ne pécheras pas » - Ecclésiastique, 7, 36 -, et ailleurs : « Prépare tes œuvres en vue de ta fin » - Prov.24, 27. - .
Les Saints Pères, eux aussi, le redisent sans trêve : le souvenir de la mort est un glaive contre le péché.
Saint Jean Climaque l'écrit : « Il est impossible de passer pieusement le jour présent si nous ne le regardons pas comme le dernier de toute cette vie », et après lui le Grand Athanase, dans sa célèbre Homélie sur la Vierge : « A toute heure, souviens-toi de ta sortie de ce monde ; aie chaque jour la mort devant les yeux ; rappelle-toi devant qui il faut te présenter », comme aussi Saint Ephrem le Syrien : « Frère, attends d'instant en instant ta sortie de ce séjour. Et prépare-toi pour ce voyage ultime ; car à l'heure où tu ne l'attendras pas, surviendra la terrible injonction, et malheur alors à qui ne se trouve pas prêt ».
Comme le pain est nécessaire pour le corps, de toutes les nourritures étant même la plus nécessaire, de la même façon aussi le souvenir de la mort est le plus nécessaire et le plus salutaire à l'âme, selon que le dit le grand Basile : « La plus nécessaire des nourritures à qui fait pénitence : le souvenir de la mort ».
O mon âme sœur,
Toutes choses en cette vie présente ne sont qu'incertaines. Oui, incertaines toutes ces choses que l'on voit, comme toutes celles en quoi l'on espère. Une seule certitude demeure : la mort. « Tu es terre, et à la terre tu retourneras ». Le décret de Dieu est irrévocable... » Et comme il est réservé aux hommes de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement... » - Hébr. 9, 27. - .
C'est pourquoi il faut lutter et songer toujours à la mort, pour te préparer dès à présent à l'immortalité, et orner ton âme de vertus et d'oeuvres bonnes, lesquelles t'ouvriront toutes grandes les portes du Royaume des Cieux.
La connaissance de soi.
O mon âme sœur,
Il est impossible que tu fasses de la vertu ton bien et que tu te perfectionnes spirituellement, si tu n'as pas acquis d'abord la connaissance de soi. C'est pourquoi pratique en premier lieu l'autocritique ; L'autocritique te mènera à la connaissance de soi, et la connaissance de soi, à son tour, te fera prendre conscience de ton indignité pécheresse à la face de Dieu. La connaissance de soi est un salutaire moyen de t'humilier, et de te faire sentir ta faiblesse, la misère et l'imperfection de la nature humaine. La connaissance de soi est le ressort principal du progrès dans la vertu. C'est un retour effectué sur notre véritable dignité – l'indignité -, et sur la restitution exacte de la pauvre vérité de notre être. C'est le juste sentiment de ce que nous sommes et la reconnaissance de notre véritable état. Dieu, par la bouche de Salomon, appelait « Sagesse » la connaissance de soi, disant : « Ceux qui se connaissent eux-mêmes, ceux-là sont les véritables sages ». - Prov.13, 10. - . Car celui qui possède la connaissance de soi, loin de s'enorgueillir de ses vertus, s'humilie toujours davantage. Oui, intelligent, celui qui possède la connaissance de soi, parce que sans se comparer jamais à ceux qui vivent dans la négligence et d efaçon blâmable, il ne voit au contraire que ceux qui, luttant pour atteindre à la perfection, tâchent de se hisser sur les cîmes de la vertu.
O mon âme sœur,
Si tu désires progresser spirituellement, aie toujours à l'esprit ce qu'à ce propos dit le Grand Basile : « Ne sois pas de toi-même un juge trop partial, et ne va pas, oubliant volontairement tes chutes, examiner avec complaisance ce qu'il te semble avoir fait de bon, pour mieux le soumettre ensuite à l'approbation d'autrui ; et ne te grandis pas non plus à tes propres yeux pour ce que tu as, aujourd'hui, pu mener à bien, t'accordant à toi-même le pardon pour tout ce qu'autrefois tu avais mal fait ; mais, tout au contraire, lorsque tu t'enorgueillis du présent, rappelle à ta mémoire le passé, pour que cette brûlure en se réveillant fasse cesser l'anesthésie de ton insensibilité ».
L'anéantissement de soi à la face de Dieu.
O mon âme sœur,
Ne va pas surtout te vanter de tes vertus ni de tes exploits spirituels. Mais dans chacune de tes vertus, si tu veux mener la vie de la philosophie, attache-toi à trouver des manques et des imperfections. Toi-même, sais-tu seulement si tes vertus plaisent à Dieu ? Humilie-toi donc, et comprends que quoi que tu mènes à bien, c'est par la Grâce de Dieu qu'il t'est donné d'y parvenir. Notre Seigneur ne dit-il pas dans le Saint Evangile : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » - Jn 15, 5 -, et l'Apôtre Paul : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Celui qui fait miséricorde. « - Rom.9, 16. - .
Lutte donc pour acquérir la ferme pensée que tu n'es que « terre et cendre », que tu n'es qu'un « ver de terre », que tu n'es qu'un rien devant la Grandeur divine – comme en vérité tu l'es. Si nombreuses – crois-le bien – que soient les vertus auxquelles tu parviennes, de toutes, la plus grande est encore l'humilité, et avec elle, la conscience de son indignité pécheresse. Garde ce fait à l'esprit, que « ta justice est comme une guenille présentée à Dieu ». - Is.64, 6. - . Car tel est pour toi l'exploit le plus haut, tel le plus grand combat : cultiver la juste connaissance de ta misère spirituelle, et croire que sans la Grâce divine tu ne peux rien obtenir.
O mon âme sœur,
Nombreux sont tes travers, tes imperfections, tes faiblesses et tes manques. Aussi humilie-toi, loin de t'enorgueillir. Car il n'est pas jusqu'à tes vertus qui ne soient tissées de bassesses, d'égoïsme, d'intérêts sordides et d'autres vices insoupçonnés. Oui, humilie-toi, et redis toujours : « Ma justice est comme une guenille présentée à Dieu ». Alors tu attireras la Grâce, elle qui repose sur « les doux », sur « les humbles de coeur », et sur ceux qui tremblent aux paroles de Dieu.
Cacher ses vertus par humilité.
O mon âme sœur,
Mets tous tes soins à fuir le bruit, l'ostentation, la prétention, l'affectation, le goût de paraître en public, la compagnie et la fréquentation du monde. L'Abba Isaac dit : « Celui qui aime à s'entretenir avec le Christ aime à demeurer seul, mais celui qui recherche l'estime du nombre, celui-ci est ami du monde ». L'on noue beaucoup de liens – mais c'est, allègue-t-on, pour mieux secourir autrui... Fais attention cependant que le désir de sauver les autres ne soit pas corrompu par le poison de l'orgueil et du sentiment de ta supériorité. Si tu veux diriger les autres d'une façon sûre et agréable à Dieu, c'est en cachant tes vertus que tu les enseigneras.
Ne laisse pas apparaître tes vertus secrètes, car dès l'instant où elles seront publiées tu auras perdu ton salaire. Jeûne, prie, veille, gémis, pleure sur tes péchés et lutte secrètement. Mais si, sans que tu le veuilles aucunement, tes vertus se découvrent et deviennent connues des autres, fais attention que la louange n'entame pas leur sainteté. Et vis la vie secrète qu'avant toi ont vécue tous les Saints de l'Eglise.
Aie toujours à l'esprit les paroles du Seigneur : « Quiconque s'abaisse sera élevé » (Luc 14, 11), et celles de Saint Jean Chrysostome : « Rien ne plaît tant à Dieu que de se compter soi-même au rang des derniers ».
Si tu veux qu'on te donne les premières places, prends toujours la dernière. Et si cela te semble difficile – car il te faudra pour cela briser ton ego – supplie le Seigneur de te prêter sa main secourable, et tu réussiras ce difficile exploit spirituel, qui surpasse tous les autres. Car être humble et cacher tes vertus, voilà pour toi le premier moyen de parvenir au Salut, voilà qui te rend spirituelle, voilà qui te mène à l'acquisition de toutes les vertus, et par elle à la perfection. Si donc tu désires te voir élevée et louée devant le tribunal de Dieu, mets avec empressement en pratique ce que dit l'Apôtre Pierre : « Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu, afin qu'Il vous élève au temps marqué ». - 1 Pierre 5,6. - .
Se faire continûment violence.
O mon âme sœur,
Ne crois pas que la voie de Dieu soit facile et jonchée de fleurs. Tout au contraire, elle est difficile, escarpée et semée d'épines. Le Seigneur, dans son Saint Evangile, le dit clairement : « Etroite est la porte, resserré le chemin qui mène à la vie, et il y en a peu qui les trouvent » - Mat.7,14 -, et l'Apôtre Paul : « C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu » - Actes 14, 22 -.
Dans la vie spirituelle en Christ, afflictions, scandales, difficultés et obstacles difficiles à passer, surgissent en grand nombre – auxquels viennent s'ajouter les tentations de l'extérieur et de l'intérieur, propres à troubler comme à accabler l'être qui vit selon Dieu, et qui ne se peuvent parer avec courage que par une violence fortement combative exercée sur soi. Car il faut beaucoup user de violence sur soi, il faut même user continûment de violence sur soi, si l'on veut n'être pas vaincu, dans cette lutte dure et inégale qui nous oppose aux puissances des ténèbres. Oui, c'est une incessante violence sur soi dont il est besoin, pour qui veut parvenir à vaincre le monde du péché, des passions et des désirs mauvais. L'Abba Marc dit :
« Plus en effet tu marches sur la voie royale, plus tu approches de la ville du Seigneur, plus en réponse t'assaille la force des tentations ; plus tu progresses, plus tu rencontres les épreuves amoncelées contre toi. Quand donc tu sens plus fortement en ton âme te combattre les épreuves ou les ennemis, alors sache que tu as reçu un surcroît de Grâce et de force d'En-Haut, et que tu as monté un degré dans l'avancement spirituel ».
O mon âme sœur,
Pour autant que tu désires devenir égale aux anges, et vivre sur la terre une vie sainte et agréable à Dieu, sache que la route qui mène aux sommets de la vertu est âpre et semée d'épines, et qu'il est difficile d'y marcher.
Lutte donc, et le plus qu'il te sera possible, fais-toi violence à toi-même, afin que Dieu qui voit ta lutte te fortifie de sa Grâce divine. Et n'oublie jamais que « le Royaume des Cieux est forcé, et que ce sont les violents qui s'en emparent ». - Matt.11, 12. - .
L'ascèse, mère de la sanctification.
O mon âme sœur,
Ne crois pas que tu gagneras le Paradis en assurant tes aises et ton confort, ni en vivant parmi les jouissances et les plaisirs, ni même en accomplissant tes volontés.
Mais en matière de Salut, fais-toi violence à toi-même.
Mets un frein à tes mauvais désirs, mène à ton corps la vie dure, tâche de t'imposer de sévères limites, s'agissant de fuir le péché, lequel est un serpent venimeux. « Le Royaume de Dieu n'est pas dans la nourriture et la boisson, mais dans la justice et l'ascèse, pour la sanctification », chante notre Sainte Eglise.
Chéris l'ascèse, qui seule peut t'aider à dépouiller toutes tes passions, tous tes mauvais désirs et tous les penchants qui t'inclinent au péché. Car l'ascèse, lorsqu'elle est menée avec discernement et intelligence, mène à l'apathéïa et à la sainteté. - Apathéïa : absence de passions. Etat d'impassibilité où les passions négatives n'agissent plus. - .
Personne jamais ne s'est sanctifié sans sueurs ni combats ascétiques, sans labeurs spirituels ni violence continuelle exercée sur soi-même.
Le péché, dans l'âme, entre par le plaisir. Comment donc en sortira-t-il, sinon par la douleur ? Et l'ascèse est cette voie de douleurs, de gémissements, de larmes et de luttes incessantes.
O mon âme sœur,
Sans l'ascèse, tu ne peux être sauvée ; Ecoute ce que, sur lui-même, dit l'Apôtre Paul : « Je traite durement mon corps, et je le tiens assujetti, de peur d'être moi-même désapprouvé après avoir prêché aux autres ». - I Cor. 9, 27. - . Toi aussi donc, traite durement ton corps, asservis-le, et, par l'ascèse, vis une vie austère, afin de devenir quelque jour « une nouvelle créature dans le Christ Jésus ».
Ainsi tu acquerras la pureté des anges et la sainteté des Saints, et tu hériteras les biens à venir – mais sans cette sanctification qui s' acquiert par l'ascèse, nul ne verra jamais la face de Dieu.
II
LA PRIERE ET LA PERFECTION DES VERTUS
Des péchés de l'oubli.
O mon âme sœur,
De toi le Seigneur n'attend pas seulement que tu fuies le péché. Mais il te demande aussi de t'attacher au bien.
Il n'est pas que de faire le mal qui soit un péché, non plus que de chuter, ni de se rendre coupable de manquements. Mais cela l'est au même titre de négliger de faire le bien que nous eussions pu faire.
La perfection tient en ce seul verset du Psalmiste : « Fuis le mal et fais le bien ». - Ps.33, 15. - .
Et l'Apôtre Paul ne dit pas autre chose, qui enjoint : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien ». - Rom.12, 21. - .
Il t'est donc donné de faire miséricorde, et tu ne fais pas miséricorde ? Tu pèches. Il t'est donné d'oeuvrer au Salut des âmes et tu négliges d'y oeuvrer ? Tu pèches. Et ainsi pour tout le reste : lorsque tu pousses l'indifférence jusqu'à ne pas faire pour le prochain ce que tu pourrais faire pour lui, tu te rends coupable d'un péché dont il te faudra rendre compte devant Dieu même.
C'est pécher encore que de s'agiter tout le jour et de se mettre en souci de mille choses vaines, au point d'omettre pour cela de faire les œuvres qui, de façon sûre, donneraient à ton âme le Salut.
Les Pythagoriciens quant à eux, lorsqu'ils se livraient à l'examen de leur cœur, se demandaient d'ordinaire : « En quoi ai-je mal agi ? Par où ai-je transgressé, Qu'était-il nécessaire que je fisse, dont je ne me suis pas acquitté ? »
O mon âme sœur,
La voie de la perfection n'est point celle seulement qui passe loin du mal et du péché, mais elle est aussi la voie qui passe au long des bonnes et saintes œuvres.
Si donc tu désires être sauvée, et marcher sur cette voie de la perfection, garde toujours présent à l'esprit l'exemple de ce mauvais serviteur qui, pour avoir reçu un talent que dans sa paresse il n'avait pas fait fructifier, encourut la condamnation du maître. N'oublie pas non plus la parabole des cinq vierges folles, qui se virent condamner non point pour un quelconque péché qu'elles eussent commis, mais pour ce qu'elles n'avaient pas eu compassion de leur frère.
Et garde aussi la mémoire de cette parole très sage de Saint Grégoire de Nysse : « De même que chacun recevra le salaire de ses peines, de même il recevra le châtiment du peu de peines qu'il aura prises, et dans la mesure même où il eût pu les prendre ».
Que la Grâce parfait l'homme et non pas ses luttes seules.
O mon âme sœur,
Ne prends pas assurance sur tes luttes, non plus que sur tes efforts, et ne pense pas qu'il te soit possible par eux d'assurer le Salut de ton âme. Non certes qu'il ne te faille point lutter ni t'efforcer, mais avant toute chose recherche la Grâce de Dieu, elle « qui guérit les maladies et supplée à tous les manques ». Car la Grâce toute-puissante de Dieu, et elle seule, a ce pouvoir de te fortifier spirituellement, tout comme elle peut, elle seule, te faire progresser dans la vertu, jusqu'à te donner même d'atteindre la perfection.
Aussi te faut-il, avant chacun de tes efforts, requérir la divine Grâce et, tout au long de ta vie spirituelle, lui attribuer comme sien chacun de tes succès. Et comme l'Apôtre Paul, dis et redis à ton tour : « par la Grâce de Dieu je suis ce que je suis, et sa Grâce envers moi n'a pas été vaine ; loin de là, j'ai travaillé plus qu'eux tous, non pas moi toutefois, mais la Grâce de Dieu qui est avec moi ». - 1 Cor. 15, 10. - .
Nul de ceux qui vivent selon Dieu n'est en mesure de rien mener à bien, s'il n'est en premier lieu affermi par Sa Grâce. De quoi l'on se convaincra sans peine par l'étude de la vie des Saints, eux qui, jour et nuit, supplièrent Dieu, sans cesse implorant Sa Grâce. Et s'ils obtinrent à la fin d'être sanctifiés, c'est par la Grâce de Dieu qu'ils le furent, pour ce qu'elle les couvrit de son ombre, et toujours leur porta secours, durant les grands combats qu'ils livrèrent, à cette fin d'atteindre à la vertu, à la sanctification. Car en vérité, ce fut bien la Grâce de Dieu qui les sanctifia, faisant d'eux des Saints, et non point leurs luttes seules.
S'il convient en effet que l'homme assurément s'offre lui-même en sacrifice, et se soumette à des peines comme à des afflictions, il est nécessaire néanmoins que ces peines et ces afflictions soient d'abord assistées du secours de la Grâce de Dieu.
O mon âme sœur,
Jour après jour, sois en quête de la Grâce divine, et dans le même temps lutte pour t'efforcer d'atteindre l'humaine perfection, laquelle, n'en doute pas, est à ta portée ; Car le Seigneur attend de ses fidèles disciples que tous y parviennent, et leur donne ce commandement : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait ». - Mat. 5, 48. - . De la sorte, alliant à un esprit combatif la Grâce toute-puissante de Dieu, il te sera donné d'obtenir ce qu'il y a de plus haut et de plus divin dans la vie spirituelle – ce à quoi s'attachent tes désirs.
Qu'il convient dans les chutes de fuir la pusillanimité.
O mon âme sœur,
Es-tu désespérée de ce que tu es tombée dans le péché ? Songe que c'est pour toi que le Seigneur s'est laissé crucifier.
Songe encore que tant d'autres gens tombent aussi, tout vertueux et spirituels qu'ils soient.
Songe enfin à ce que disent les Pères : « Tu es tombé ? Redresse-toi ! »
Mais si à la chute, tu joins la pusillanimité, il te sera bien malaisé dès lors de te redresser, puis de te hisser sur les cîmes. Pis que cela, la perte de tout courage mène, avec la pusillanimité, à des chutes plus funestes que les premières, et dont la fin est l'absolu désespoir.
Et qui es-tu donc, toi, pour vouloir t'élever plus haut que ne s'élèvent les autres ?
L'Apôtre Pierre lui-même n'est-il pas tombé ? Les disciples n'ont-ils pas douté ? Combien d'être vertueux et pieux n'ont-ils pas, dans leur lâcheté, renié le Christ ?
Et combien d'autres après eux n'abandonnèrent-ils pas une douloureuse ascèse, avant de sombrer dans les plus grands péchés ?
Tout cela, non pas pour que tombant à ton tour dans la négligence, tu chutes sciemment, alléguant ensuite pour ta justification qu'une multitude d'autres sont tombés, mais pour que tu ne perdes pas ton courage, et que tu tâches à l'inverse, lorsque tu tombes, de te redresser au plus vite.
Que dit l'Apôtre Paul ? « Car ce n'est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné ; au contraire, son Esprit nous remplit des forces d'amour et de sagesse ». - 2 Tim. 1, 7. - .
Mais la chute, une fois suivie de crainte et de lâcheté, donne lieu à des chutes nouvelles, lesquelles peu à peu poussent l'âme au désespoir, comme à la léthargie spirituelle.
A l'inverse, l'âme spirituelle peut à cette chute même trouver un gain, la mettant à profit pour cultiver davantage encore la vertueuse humilité, avec la pleine conscience de son humaine misère. Libre à elle aussi d'en user pour se réfugier en Dieu plus souvent qu'elle n'en avait coutume, implorant Sa Grâce, et par là cultivant cette vertu grande entre toutes qu'est la prière.
Elle aura loisir enfin de se repentir d'un cœur véritablement contrit, et de s'appliquer à soi-même la parole du Saint Psalmiste : « Dieu ne méprise pas un cœur brisé et humilié ». - Ps. 50, 19. - .
O mon âme sœur,
Ne sois donc ni pusillanime, ni désespérée.
Et lorsque tu tombes dans quelque péché, ne montre nulle lâcheté, ni ne t'afflige outre mesure ; mais d'une forte repentance sincère et d'une contrite humilité, réfugie-toi en Jésus, Lui, le seul médecin des âmes, qui dans ton cœur épanchera le baume de ses consolations, te guérira, et par le secours de sa divine Grâce te fortifiera, de sorte qu'il te soit donné de poursuivre ta lutte contre le diable, et de devenir une créature nouvelle, une enfant véritable du « Père des lumières. »
Fuir le bavardage.
O mon âme sœur,
Comment se peut-il, lorsque tu veux et prétends lutter pour vivre selon Dieu et de façon toute spirituelle, qu'à l'inverse tu te répands en bavardages inopportuns, en palabres interminables, Oublieras-tu ce qu'a dit le Seigneur ? « Au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu'ils auront proférée ». - Matt. 12, 36. - . Car, poursuit le Christ : « Par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu sera condamné ». - Matt. 12, 37. - . Les paroles en effet ne constituent-elles pas le critère et comme la mesure du monde intérieur de l'homme, selon ce que dit encore le Seigneur ? « C'est de l'abondance du cœur que parle la bouche ». - Matt. 12, 34. - . Si donc tu voues à Dieu un véritable amour, c'est de solitude et de silence, de pénitence et de recueillement que tu ressentiras un besoin tout accru. La solitude en effet, comme le silence selon Dieu, te mèneront vite sur les hautes cîmes de la vertu, tandis que les longues causeries ne feront rien de toi qu'un plaisantin bavard, dénué de toute vertu. Le silence selon l'Abba Isaac n'est-il pas plus haut que la théologie même ? Fais donc beaucoup, et parle peu, très peu. La vie spirituelle est un combat, un effort perpétuel, un sacrifice toujours recommencé, une manifestation dans les faits de l'amour qu'une âme porte à Dieu comme au prochain, lequel n'a nulle part avec le bavardage et la littérature. « Qu'est-ce que la vie d'un chrétien, dit Saint Jean Chrysostome, si ce n'est une existence lumineuse, ne comportant rien de ténébreux en elle ». De toi donc, le Seigneur attend cette vie lumineuse, non point des paroles.
O mon âme sœur,
Aborde et poursuis dans le silence ta vie spirituelle, dans ce même silence te livrant à ta propre critique, et méditant sur ton âme. Mais les innombrables entretiens, eux, ne pourront qu'ôter à ton âme sa sérénité, et flétrir ton zèle pour la piété comme pour la vertu ; Garde donc toujours à l'esprit les paroles de la Sainte Ecriture : « Il est bon pour l'homme de porter le joug dans sa jeunesse. Il se tiendra solitaire et silencieux. » - Lam.3, 27. - . Et garde aussi celles de l'Abba Isaac le Syrien : « Le silence est le mystère du siècle à venir, les paroles sont l'instrument de ce monde ».
O comme tu deviendrais heureuse et sereine, si tu entrais au nombre des mystes de ce silence qui est selon Dieu !
Du bien que nul ne peut vous ôter.
O mon âme sœur,
Par-dessus toute chose aime la vertu et, de toutes tes forces, lutte, à cette fin d'en faire ton bien propre. Car c'est là pour toi l'unique moyen d'obtenir le Salut, comme de plaire à Dieu, de devenir un ange sur la terre, - un être aux sentiments tout célestes -, avant que d'être glorifiée dans les cieux.
Si donc tu acquiers la vertu, rien autre ne te manque, car tu possèdes tout . Et si tu atteins à la vertu, tes ennemis eux-mêmes te loueront, et ils t'admireront, selon cette parole sage qui dit que « les ennemis eux-mêmes savent admirer la vertu d'un homme ». De plus, ce sera la vertu encore qui fera de toi un autre être, enclin bien volontiers à souffrir toute peine et tout renoncement, et cela jusqu'au sacrifice de ta vie.
Ah ! Trésor inviolable, richesse inestimable que la vertu ! Vois ce que d'elle disent de grands sages, et ce que surtout en disent les Saints de l'Eglise : « C'est, dit Sophocle, une arme très puissante que la vertu ». « Pas plus qu'un banquet sans discours, proclame Antisthène, richesse sans vertu ne peut donner de plaisir ». « La vertu est saine, enseigne Platon, et que serait sans elle fût-ce la beauté même et la vigueur de l'âme, sinon nuisible, malade, honteuse et débile ? » « Nul bien, tonne Isocrate, ne saurait être plus sûr, ni plus estimable que n'est la vertu » ; Et voici Saint Jean Chrysostome faisant retentir sa voix : « Quel honorable bien que la vertu, elle qui s'attache à Dieu, et nous ouvre le Royaume des Cieux ». Ou Saint Nil encore : « Réjouis-toi lorsque tu agis selon la vertu, mais ne t'exalte pas pour cela, de crainte qu'au port même tu ne fasses naufrage ». « Supporter par vertu toute peine, prêche aussi Macaire, voilà qui est bienheureux ! » « La vertu seule, clame à son tour Cosmas de Jérusalem, est une gloire pour jamais, par tous louangée, et un bien pour l'éternité ».
Et ce ne sont là que peu, fort peu des infinis éloges décernés dès longtemps au prix de la vertu.
O mon âme sœur,
Ne va pas dissipant en vain ton temps, mais sache le mettre à profit pour acquérir et cultiver la vertu, laquelle peut seule te sauver et te sanctifier, et t'être de quelque secours lors de ton voyage éternel à venir, celui qui te mènera devers l'autre vie.
Aussi garde toujours à l'esprit ce précepte de Saint Basile le Grand, que « seule de tous les biens la vertu est telle que nul ne peut vous l'ôter, et qu'elle demeure en qui la possède, tant mort que vivant ».
De la soumission au vouloir de Dieu.
O mon âme sœur,
Pour ce que tu désires vivre spirituellement, et progresser dans la vertu, ne cherche pas à faire ta volonté propre. Mais en chacune de tes œuvres, tache au contraire de discerner quelle est la volonté divine. Avec le saint Psalmiste redis sans cesse : « Comment mon âme ne serait-elle pas soumise à Dieu ? » - Ps. 36, 7. - . Et en tout temps répète : « Seigneur, que ta volonté soit faite, et non point la mienne ».
Lutte afin de mener à bien ce que chaque jour tu dis dans le Notre Père : « Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au Ciel ». Et que ton souci en tout temps soit de connaître la volonté de Dieu, laquelle est « bonne, agréable et parfaite ».
Imite le Seigneur et la Très Sainte Mère de Dieu, comme avec eux tous les Saints, qui en tout point se soumirent à la volonté divine. Garde toujours à l'esprit les paroles de la Vierge Sainte, toutes emplies d'humilité, toutes d'abandon au vouloir de Dieu. « Je suis la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole ». - Luc 1, 38. - .
Que l'être qui vit en Dieu réussisse à se soumettre au vouloir de Dieu, et il parvient à l'acquisition de toutes les vertus, jusqu'à devenir homme céleste et Père théophore.
De cette soumission même sourdra l'humilité, comme de l'humilité la douceur, puis de celle-ci tour à tour s'ensuivront toutes les autres vertus, et tous les charismes du Saint Esprit.
O mon âme sœur,
Si tu désires être sauvée, si tu veux progresser spirituellement, et sans peine gravir les degrés de la vertu, de la perfection et de la sainteté, de toutes tes forces lutte pour soumettre ton âme au vouloir de Dieu.
De la mise en pratique de la divine loi.
O mon âme sœur,
Des lèvres tu confesses et tu clames que tu aimes Dieu.
Las, ce n'est pourtant point la vérité, puisque ta vie entière dément tes paroles. Le Christ ne dit-il pas dans son Evangile : « Ce n'est pas celui qui crie « Seigneur, Seigneur », qui entrera dans le royaume des Cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les Cieux ». - Matt.7, 21. - . Et l'Apôtre Paul ensuite ne confirme-t-il pas ces paroles en disant : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ce sont ceux qui la mettent en pratique qui seront justifiés ». - Rom.2, 13. - .
Pour toi, tu te dois aussi, et tu as le saint devoir de prêcher la parole de Dieu, comme d'illuminer tes frères par les paroles divinement inspirées de la Sainte Ecriture. Et cependant, que gagnerait à cela l'âme d'autrui, quand il verrait ta vie n'être en rien conforme à tes dires ? Le Seigneur là-dessus n'enseigne-t-il pas encore : « Celui qui enseigne et qui fait, celui-là sera appelé grand dans le Royaume des Cieux ». - Matt.5, 19. - . Pour l'homme en effet qui vit selon Dieu, il conviendrait que lui-même tout le premier vive selon la parole de Dieu, et qu'ensuite seulement il se mette en devoir d'enseigner les autres.
C'est ce que Saint Grégoire le Théologien exprime avec la plus grande clarté et le plus grand bonheur : « Il faut d'abord se purifier et, ensuite, purifier ; devenir sage et, ensuite, rendre sage ; devenir lumière et illuminer ; approcher Dieu et y mener les autres ; se sanctifier, et sanctifier ; guider de ses mains, et conseiller avec intelligence ».
O mon âme sœur,
Vis en Dieu, et lutte, à cette fin de ne pas seulement entendre la parole de Dieu, mais de la mettre encore en pratique.
Par là tu assureras ton Salut, et tu deviendras cause du Salut de beaucoup. Que toujours résonnent à tes oreilles ces paroles du Christ Sauveur : « Qu'ainsi brille votre lumière devant les hommes, afin qu'ils voient vos œuvres bonnes et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les Cieux ». - Matt. 5, 16. - .
De la condamnation d'autrui.
O mon âme sœur,
Vois ce que dit le Seigneur dans son Saint Evangile : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez ». - Matt. 7, 1-2. - .
Si donc tu désires être sauvée, et pouvoir sans condamnation te tenir devant le tribunal du Christ, garde-toi de juger les autres. Car pour ce que tu condamnes chez ton frère, et que tu considères en lui comme blâmable et répréhensible, Dieu permettra que tu tombes à ton tour dans les mêmes travers, afin qu'humiliée tu recouvres tes sens. Que tes mots d'ordre dans la vie soient ceux-ci : « Connais-toi toi-même », et « creuse au-dedans de toi ». Et applique-toi sans relâche à mettre à nu tes vices, tes passions, tes manques, tes faiblesses, et tes imperfections.
Il sied que l'homme spirituel toujours examine ses propres folies, non point celles des autres ; L'Apôtre Paul, par ses paroles, n'interdit-il pas, et de façon toute expresse, la condamnation du prochain, lorsqu'il dit : « Qui es-tu, toi qui juges un serviteur d'autrui ? S'il se tient debout, ou s'il tombe, cela regarde son maître ; Mais il se tiendra debout, car le Seigneur a le pouvoir de l'affermir ». - Rom. 14, 4. - . Et Grégoire le Théologien ne dit pas autre chose, qui enjoint : « Sonde en toi-même, plutôt que dans les profondeurs voisines. Car le jugement malveillant à l'égard du prochain attire la colère de Dieu, et rend celui qui juge passible de condamnation auprès de la justice divine ».
O mon âme sœur,
Tu as pour devoir absolu, pour extrême obligation de faire ton Salut. Et tu ne pourras être sauvée que lorsque, t'étant jugée toi-même dès cette vie présente, tu te seras appliquée à rejeter de ton âme les honteuses passions qui tissent « le vieil homme » pour revêtir le nouveau, devenant ainsi, selon les mots mêmes du Saint Apôtre Paul « une créature nouvelle en Jésus-Christ » . Si donc en vérité tu désires ton Salut, et avec lui l'héritage des biens incorruptibles qui sont dans les Cieux, tâche ne chacun de tes actes, en chacune de tes paroles, comme en chacune de tes pensées, de garder toujours présentes à l'esprit ces salutaires paroles de Jacques, le Frère du Seigneur : « Ne parlez point mal les uns des autres, frères. Celui qui parle mal d'un frère, ou qui juge son frère, parle mal de la loi et juge la loi. Or, si tu juges la loi, tu n'es pas observateur de la loi, mais tu en es juge. Un seul est Législateur et Juge, c'est Celui qui peut sauver et perdre ; mais toi, qui es-tu, qui juges le prochain ? » - Jacques 4, 11-12. - .
De la vie secrète en Christ.
O mon âme sœur,
Si tu veux acquérir bien des vertus et atteindre à la perfection spirituelle, aime la vie secrète et cachée dans le Christ. « Entre dans ta chambre, dit le Seigneur, et là, dans le secret » du recueillement et de l'hésychia, tu trouveras le Christ. - Hésychia : tranquillité, repos ; la terre du repos ; la paix des passions, le silence des pensées. Le moine hésychaste est celui qui s'adonne à la prière du cœur. - .
Ce n'est pas dans le bruit, ni dans les clameurs, que se révèle le doux époux de ton âme, mais dans l'hésychia, dans la paix, et dans la solitude. Un Saint Père de l'Eglise ne disait-il pas dans sa sagesse : « S'asseoir tout bonnement dans sa cellule, voilà ce qui comble le moine de tous les biens » ?
Mais cela vaut aussi pour tout être qui vit selon Dieu, et qui, reclus dans le secret de sa chambre close, a le loisir d'acquérir une grande richesse spirituelle, et de progresser fort avant dans la vertu. A la vie secrète appartiennent la prière mentale, la pureté du cœur, la conscience aiguë de ses propres péchés, la contrition, les larmes, les envols et les montées de l'esprit vers la vision de Dieu dans le feu de l'amour divin.
Nul n'a pu aimer véritablement Dieu tout en se trouvant toujours dans la compagnie des hommes. Telle est la raison même pour laquelle Saint Arsène s'efforçait de fuir ses frères, ne désirant rien autre que se trouver sans cesse dans le commerce de Dieu. Et aux plaintes des moines, il opposait cette simple réponse toute empreinte de sagesse : « C'est que je ne puis, mes frères, être tout ensemble avec vous et avec Dieu ».
O mon âme sœur,
Applique-toi souvent à t'isoler du reste des hommes et là, dans le secret, rassemble tes esprits. Car avant longtemps, le silence, la solitude, et la méditation te mèneront très haut dans la vertu, faisant de toi un être bienheureux sur la terre.
Oh ! Par-dessus toute chose, aime la vie secrète en Christ, celle qui mène l'homme spirituel sur les hauteurs insignes de la perfection, jusqu'à le rendre saint, et, dès cette vie présente, citoyen des Cieux.
III
LA VIE EN CHRIST
De la méditation de la parole divine.
O mon âme sœur,
Il n'est point, pour te perfectionner dans la vertu et pour approcher Dieu, de meilleur exercice que de méditer la parole divine. Et cette méditation de la parole inspirée est une occupation sainte et divine, pour ce qu'elle donne des ailes à l'intellect, et qu'elle sait élever l'homme qui vit en Dieu sur les cîmes d'une haute spiritualité et d'une grande vertu. C'est là une étude qui illumine, comme elle soutient, affermit et fortifie, octroyant en outre une force invincible capable de parer les attaques du péché et du mal. Car l'étude, en vérité, enrichit l'esprit des connaissances mêmes qui sont utiles et nécessaires au Salut.
Par l'étude l'intellect s'élève, et se représente les choses d'En-Haut, lesquelles sont toutes célestes, spirituelles et hypercosmiques. Saint Sérapion ne dit-il pas : « L'esprit qui possède la connaissance spirituelle s'épure jusqu'à la perfection » ?
L'étude avive les qualités et les dons naturels et innés.
L'étude donne la nourriture spirituelle sans laquelle dépérit l'âme et se brise le lien qui l'unit à Dieu. L'étude imprime à l'âme le sceau de la vertu et de la sainteté. L'étude donne au fidèle qui vit selon Dieu les ailes spirituelles qui le font se jeter avec zèle dans l'accomplissement de ses devoirs spirituels. L'étude aiguillonne et incite aux pensées pures comme aux saints entretiens. L'étude ravive la divine Grâce reçue lors de l'approche pieuse des mystères de l'Eglise.
Notre Seigneur lui-même ne nous exhorte-t-il pas à l'étude des Ecritures lorsqu'il dit : « Vous sondez les Ecritures, parce que vous pensez que vous aurez en elles la vie éternelle ; ce sont elles qui rendent témoignage de moi ». - Jean 5, 39. - . Et Saint Jean Chrysostome ne s'exclame-t-il pas à l'unisson : « La lecture des Ecritures est la porte qui ouvre les Cieux » ?
O mon âme sœur,
Chéris l'étude de la parole divine, et tu passeras paisiblement et saintement tous les jours de ta vie dans l'accomplissement des commandements de Dieu.
Garde toujours présentes à l'esprit ces paroles du Saint à la Bouche d'Or : « Agréable, certes, est la vue d'un pré ou d'un parc ombragé, mais combien plus agréable encore la lecture des divines Ecritures ! Ici ne sont que des fleurs éphémères, là le sens des vérités éternelles. Ici n'est qu'un doux zéphyr, là souffle avec force la brise de l'Esprit. Ici des murs de paille, là, pour sauvegarde, la sûre Providence de Dieu. Ici, le bruit des cigales, là le chant inspiré des prophètes. Ici, le mièvre plaisir des yeux, là les fruits précieux de la méditation.
« Appliquons-nous donc, poursuit le Saint, à la lecture des Ecritures. Sache en effet, si tu t'attaches à l'Ecriture, que tu chasseras de toi tout découragement, planteras en toi la vraie joie, ôteras le mal, enracineras la vertu, loin de souffrir dans le bruit des choses de la vie, qui nous malmènent plus que la tempête ». - Saint Jean Chrysostome, éd. Bareille Oeuvres Complètes, t.6, p.13. - .
De la neptique.
-La neptique est l'état de vigilance de l'intellect qui veille sur les pensées du cœur et en chasse, en refuse les mauvaises. Les Pères disent que nous ne sommes pas responsables des pensées mauvaises, mais de l'adhésion que nous y donnons. - .
O mon âme sœur,
Si tu désires garder un cœur pur et un esprit brillant du feu du Saint Esprit, veille à ce que les pensées et les passions ne souillent pas ton âme. A quoi, si tu veux y atteindre, tu te dois d'ajouter la neptique, laquelle est une mise en éveil et une continuelle attention de l'esprit. La neptique, en effet, selon l'Abba Hésychius l'Ancien se définit en ces termes : « Persistante fixité de la pensée et vigilance de celle-ci à la porte du cœur, à cette fin de voir de loin venir les pensées désireuses de s'insinuer en malfaiteurs, comme d'entendre ce que disent et ce que font ces meurtrières, et de discerner quelle forme empruntée aux démons elles revêtent, par laquelle elles tentent de duper l'esprit en imagination ». Quant à Saint Philothée le Sinaïte, il voit en la neptique « la voie qui mène au royaume, tant au-dedans de nous que dans la vie à venir ».
C'est par la neptique que les Pères de l'Eglise Orthodoxe – ceux-là même que l'on dit Neptiques – parvinrent à chasser de leur esprit les pensées impures, comme à mortifier en eux tout mal et toute passion, jusqu'à devenir des êtres « déifiés », véritablement « égaux aux anges », et vastes réceptacles du Saint Esprit ». A l'Eglise du Christ les Pères Neptiques laissèrent en héritage les merveilleux exploits de leurs vies saintes, tels des fruits beaux à voir nés de la neptique, tandis qu'il leur fut donné par celle-ci de s'unir au céleste en une « union divine et supérieure », devenant ainsi les vénérables porteurs de la Grâce surabondante de Dieu.
O mon âme sœur,
Veux-tu parvenir aux sommets de la déification et de la sainteté, Chéris la neptique et vis cette vie de la neptique. Car par la neptique, par la prière incessante, par l'étude de la parole divine, et par le blâme de soi, il te sera donné d'atteindre à la sainteté, et de devenir telle que Dieu attend que tu sois.
Du silence selon Dieu.
O mon âme sœur,
Si tu désires progresser très avant dans la vertu et atteindre aux cîmes d'une haute spiritualité et d'une grande sainteté, chéris encore le silence.
Tout silence cependant n'est pas toujours agréable à Dieu ; Le silence aimé de Dieu est celui qu'accompagnent le recueillement, la prière du cœur, l'envol de l'esprit vers le haut, et bien d'autres vertus secrètes aussi.
La Sainte Ecriture ne dit-elle pas : « Il est bon pour l'homme de porter le joug dans sa jeunesse. Il se tiendra solitaire et silencieux ». - Lam. 3, 27-28. - .
Du silence encore l'Abba Isaac, grand, très grand ascète entre les Pères, dit à son tour : « Le silence est plus haut que la théologie, et que toutes les œuvres de la vie solitaire ».
Grand en vérité est le silence selon Dieu, pour ce qu'il est l'auxiliaire de bien d'autres vertus, et qu'il prépare l'union de l'âme avec Dieu.
Celui qui, pour Dieu, se tait, songe à tous et prie pour le Salut de tous.
Celui qui pour Dieu demeure en silence, devient très ressemblant aux anges, et se fait théophore comme pneumatophore.
O mon âme sœur,
Par-delà toute chose aime le silence qui est saint, et qui comme tel te mènera sur les hauteurs toutes sublimes de la perfection, faisant de toi un ange sur la terre et un être céleste, jusqu'à te changer en un « Dieu selon la Grâce », pour que s'accomplisse en toi la parole du Roi-prophète : « Moi j'ai dit : Vous êtes tous des dieux, des fils du Très Haut ! » - Ps. 81, 6. - .
De la prière du cœur.
O mon âme sœur,
Lorsque tu aimes beaucoup, tu désires continuellement la présence de l'être que tu aimes. Souvent même tu mets à cette recherche un zèle intempestif. Il n'en va pas autrement pour les amoureux de Dieu . Aimes-tu Dieu ? Il te convient de t'unir à lui par la prière du cœur.
Car la prière du cœur unit l'âme à Dieu, et elle sanctifie l'homme qui vit spirituellement. Et il n'est pas, dans la vie en Dieu, d'instants plus beaux ni plus doux, plus exquis ni plus délectables que ceux où l'homme, « déposant tout souci du monde », s'entretient intérieurement avec Dieu par la prière du cœur.
A la prière du cœur, il est possible de s'adonner toujours, en tout temps et en tout lieu. « Priez sans cesse » - I Thess. 5, 17 -, enjoint l'Apôtre Paul. Prier, cela est donné que l'on travaille de ses mains, que l'on marche, que l'on mange, ou que l'on pérégrine.
Bien des Saints s'entretiennent en leur cœur avec Dieu, et ce, lors même qu'ils se trouvent avec d'autres. Et ils se sont tant exercés à cette union en esprit avec Dieu que rien désormais n'est plus en mesure de les y arracher.
Atteindre à ces hauteurs de la perfection spirituelle signifie que l'on est parvenu à la mesure des Saints. Toute âme cependant qui vit selon Dieu peut sans peine y atteindre, si elle persévère dans une lutte continuelle, et qu'elle implore le secours de la Grâce de Dieu.
O mon âme sœur,
Livre à Dieu par la prière du cœur ton esprit et ton âme ; Dieu lui-même vient te le demander : « Fils, est-il écrit, donne-moi ton coeur ». - Prov.23, 26. - .
Cherche ton Seigneur par la prière du cœur, et donne toute ton âme à ton Doux Epoux. Et ce faisant tu t'uniras au Ciel, et tu verras ton cœur changé en celui d'un Ange sur la terre ; Ton âme de plus s'emplira d'une joie spirituelle que nul ne pourra te ravir, et la parole du Saint Psalmiste en toi s'accomplira : « Mon cœur et ma chair ont tressailli d'allégresse dans le Dieu vivant ». - Ps. 83, 3. - .
De la reconnaissance pour les innombrables grâces données par Dieu.
O mon âme sœur,
Redis à chaque heure de ta vie sur la terre : « Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a donné ? » - Ps. 115, 3. - .
Car c'est là une hymne d'actions de grâces digne de ton Créateur, Lui qui t'a façonnée et qui, « dès le ventre de ta mère » jusqu'à ton dernier souffle ne cesse de te combler de mille dons, les matériels comme les spirituels.
Si tu sondes en philosophe ces dons excellents que Dieu t'a octroyés, tu défailleras et tu pleureras de ce que jamais tu n'as su dignement répondre à son amour.
Et quoi que tu fasses pour l'amour de Dieu, tu garderas toujours envers Lui une dette infinie.
Entends ce que sur cette matière dit le Saint Psalmiste : « Tu l'as fait de peu inférieur aux anges, tu l'as couronné de gloire et d'honneur, et tu l'as établi en maître sur l'oeuvre de tes mains, soumettant tout à son empire ». - Ps. 8, 6-7 ». De qui parle-t-il donc ainsi, Mais de l'homme ! Hélas !
Ingrat et oublieux de toutes les grâces et de tous les bienfaits dont Dieu a usé envers lui, l'homme ne veut pas vivre selon l'ordonnance de la volonté divine.
O mon âme sœur,
Examine un peu les dons que Dieu t'a prodigués.
Et jamais n'oublie que tout ce que tu as te vient de lui. « Qu'as-tu, dit l'Apôtre Paul, que tu n'aies reçu ? Et si tu l'as reçu, que te glorifies-tu, comme ne l'ayant pas reçu ? » - 1 Cor.4, 7. - .
En vérité, à toute heure de ta vie, rends à Dieu gloire et honneur ; Emplie pour lui d'amour et de reconnaissance, dis et redis sans cesse : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les bienfaits dont Il m'a comblée ? »
Et pour plus belle action de grâce, pour plus saint témoignage de reconnaissance, pour plus grand amour de Dieu, il n'est rien que l'offrande de ton cœur, et que la vie en Christ, celle qui fait s'exclamer avec le divin Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vis en moi ». -Gal.2, 20. - .
De l'entier abandon à Dieu.
O mon âme sœur,
Que « te troubles-tu et te mets-tu en peine de mille choses ? » - Luc 10, 41. - . Ignores-tu donc qu' »une seule chose est nécessaire » ? - Luc 10, 42. - . Le Christ ne dit-il pas dans son Saint Evangile : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît » ? - Matt. 6, 33 -.
Il ne sied pas que l'homme spirituel, qui vit selon Dieu, mette ses espoirs dans les biens matériels, que ce soit la richesse, les honneurs, la gloire, l'argent, le bien-être, ou la nourriture, mais en Dieu seul, Lequel est le Donateur de tout bien, Lui qui « ouvre sa main et comble tous les êtres de sa sollicitude ». La parole de Dieu ne nous exhorte point d'autre sorte, qui dit : « Remets ton souci au Seigneur, et Il te soutiendra ». - Ps. 54, 23. - . Et ce n'est pas pour les seuls biens matériels que l'homme spirituel se doit de remettre son espoir dans le Seigneur, mais pour les spirituels encore. Le saint Psalmiste ne dit-il pas, regardant la confiance que l'on peut mettre en l'homme : « N'ayez nulle confiance en ceux qui gouvernent ni dans les fils des hommes, car il n'est point en eux de Salut ». - Ps ; 145, 2-3. - .
Non, il n'est point de plus grande joie en cette vie présente que celle qu'éprouve l'âme, lorsqu'elle remet tout à Dieu, et nourrit en Lui une absolue confiance, entière et sans limites.
O mon âme sœur,
Laisse-là les soucis de la vie, qui tous sont terrestres et éphémères, et tourne-toi vers Dieu et vers Dieu seul, Lui la source de tout bien comme de tout bonheur spirituel. Viens ça plutôt, et assise « aux pieds de Jésus », entends la douce voix de ton Maître Céleste te dire de divines paroles. Et dès lors, n'en doute pas, tu seras emplie de joie, de lumière, de vie, de force et de consolation.
Remets-toi en lui de tout ce qui te charge et te fatigue. Car Lui seul peut te donner le repos, et te rendre force et courage contre les attaques de l'Ennemi.
Ah ! Si tu pouvais à chaque instant t'entretenir avec Lui !
Il ne serait pas sur la terre de plus grand bonheur pour toi !
De la délectation de Dieu par-delà toute chose.
O mon âme sœur,
Ne te laisse point ébranler par les choses présentes qui toutes en ce monde sont vaines et éphémères. C'est là ce que clairement et positivement marque la parole de Dieu : « Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, tout est vanité ». - Ecclésiaste, 1, 2. - .
Que délaisses-tu Dieu dès lors, Lui le Bien Suprême, Lui le Tout Désirable, pour t'en aller chercher la joie parmi les honneurs, les richesses, les plaisirs, ou quelque autre sorte de bien matériel ? Ignores-tu que toute jouissance matérielle, que toute satisfaction des désirs les plus bas, loin d'emplir le cœur de joie ne laisse en lui qu'amertume et chagrin ?
Mais vis en Dieu, prie, lutte pour unir ton cœur au Christ, et tu verras dès lors...Oh ! Tu verras quelle ineffable joie tu goûteras, une joie que nul ne pourra t'ôter, selon la parole du Maîter Céleste, Jésus ton Doux Epoux : « Nul ne vous prendra votre joie ». - Jn 16, 22. - .
Et si véritablement tu trouves la joie spirituelle qui est en Dieu, il n'est rien d'autre que tu voudras ni désireras. Ton plus grand désir, ton souhait le plus ardent sera de pouvoir demeurer seulà à Seul, avec l'unique Dieu-Homme.
Alors tu verras s'accomplir en toi ce mystérieux prodige, tel que l'évoque l'illustre Père de l'Eglise, le grand amoureux d ela vie hésychaste que fut l'Abba Isaac : « Celui qui aime à s'entretenir avec le Christ, dit-il, aime à être seul ; Mais celui qui aime à parler devant une assistance, celui-là est ami de ce monde ».
O mon âme sœur,
Par-delà toute chose aime la solitude, le silence et l'hésychia.
Tu en recevras des ailes pour voler en esprit jusqu'au Ciel, où tu jouiras, dans la lumière inaccessible, de la vue du Seigneur, ton Très Doux Epoux ; et tu te délecteras de sa présence ineffable, pour ce que Lui seul peut emplir ton cœur d'une paix et d'une joie céleste, et te donner à goûter les prémices des biens du siècle à venir.
Et lorsque tu auras réussi cela, tu auras tout réussi, et d'ores et déjà, dès cette vie présente, tu entreras dans la Chambre Nuptiale pour y prendre part à la Béatitude Céleste.
De l'illumination de l'intelligence.
O mon âme sœur,
Prie chaque jour le Seigneur qu'il veuille bien illuminer ton esprit, en sorte que tu vives comme lui le veut et fasses toujours sa sainte volonté. Et à chaque heure de ta vie redis-lui : « En vérité ton bon Esprit me conduira dans la voie droite, O mon Christ, toi la véritable lumière qui illumine et sanctifie tout homme venant en ce monde, et fais que soit marquée sur moi la lumière de ta Face ». Car de cette illumination de la pensée s'ensuivra bientôt l'illumination de ton monde intérieur tout entier, et de là ensuite, la parfaite adéquation de ton être à la volonté divine.
Oui, supplie le Très Saint Esprit de t'éclairer à chacun de tes pas, à cette fin que tu puisses marcher dans la « voie droite », laquelle est « la voie des divins préceptes ». Mais quand te sera-t-il donné d'atteindre à l'illumination de l'intelligence dès lors que tu vivras selon Dieu ? Cela te sera donné lorsque ton esprit se sera purifié de toutes ses pensées impures, et qu'il se sera affranchi de ses mauvais désirs. Car il n'est rien pour illuminer l'esprit davantage que la pureté.
O mon âme sœur,
Si tu désires parler et agir pour un quelconque profit spirituel, tant le tien que celui d'autrui, supplie l'Esprit Saint de t'illuminer et de t'irradier de sa Sainte lumière, à cette fin que tu puisses vivre selon Dieu, et te gouverner de sainte sorte, selon qu'il plaît au Seigneur.
Et lorsque ton esprit aura été illuminé par l'Esprit Saint, tu deviendras pneumatophore et théophore, et tu parviendras sur les hauteurs sublimes de la vertu et de la perfection.
Ah ! Pour l'illumination de ton intelligence dès lors, ne cesse plus de prier !
De l'union de l'âme à Jésus-Christ.
O mon âme sœur,
Il n'est rien au monde que Jésus pour te donner le repos. Mais quand donc Jésus fera-t-Il sa demeure de ton cœur ? Quand le délivrera-t-Il de son fol attachement aux pauvres créatures ? Quand le purifiera-t-Il du péché et l'offrira-t-Il à Dieu, pur, libre, affranchi de tout ce qui le rive à la terre ?
Car c'est lorsque tu seras devenu parfaitement étrangère à toute chose que tu trouveras en Christ le repos, et que tu goûteras comme est doux le Seigneur. Alors s'accomplira l'union sainte et céleste qui te liera à ton Bien-Aimé Jésus, union mystagogique qui fera s'accomplir en toi la divine promesse : « Je ne vous laisserai pas orphelins ; mais je viendrai à vous ». - Jn 14, 18. - .
Ah ! Trésor inestimable, richesse inviolable, bien par-delà tout bien que cette union de l'âme au Seigneur !
Car qui trouve Jésus, trouve tout en Lui. Et il est bienheureux, celui qui a été jugé digne de s'entretenir sans cesse avec Lui, et de le posséder habitant en son cœur.
Non, il n'est pas sur la terre de bien plus précieux que de posséder Dieu en son âme.
O mon âme sœur,
De toutes tes forces, lutte et purifie le lieu de ton monde intérieur, ôtant de lui tout souci terrestre, et Dieu habitera en toi.
Toujours demeure en cette paix sereine qui naît de l'hésychia. Mais tout ce qui à l'inverse t'éloigne du Christ, apprends à le haïr d'une haine parfaite. Et dès lors, oui, dès lors, Jésus viendra, et Il habitera en toi, t'emplissant de ses grâces et de ses dons célestes, entre lesquels est le plus grand, sa paix, « qui surpasse toute intelligence ». Car Il te l'octroiera aussi, et elle te changera en un instrument de sa divine Grâce, faisant de toi un « vase d'élection » et murmurant à ton cœur tant d'exquises consolations qu'il ne sera plus nul entretien en ce monde pour te retenir captive.
Et sans cesse, ô mon âme sœur, tu rediras alors : « J'écouterai ce que me dira le Seigneur Dieu, car il parle de paix à ses saints et à son peuple, comme à ceux dont le cœur est tourné vers lui. » - Ps . 84, 7-9. - .
De l'imitation des Saints.
O mon âme sœur,
Garde toujours devant les yeux la vie sainte de tous ceux qui pour l'amour du Christ ont tout sacrifié. Et autant qu'il est en toi, imite l'infini renoncement, le zèle, l'humilité, la patience, l'ascèse et le courage qui furent les leurs. Car si tu parcours attentivement le récit de leurs vies, tu verras clairement qu'ils dépassèrent les lois de la chair, du monde, et de la nature même.
D'eux, le saint Psalmiste s'exclame : « Dieu est admirable dans ses Saints ». - Ps. 67, 36. - . Et ailleurs : « Par les Saints qui sont sur sa terre, le Seigneur accomplit des prodiges ! » - Ps. 15, 3. - . Mais avant que de briller spirituellement, avant que de rayonner d'un semblable éclat, ils passèrent par l'eau et par le feu, et furent éprouvés par mille sortes de souffrances.
L'Apôtre Paul ne décrit-il pas en des paroles fortes et incisives tout ce que souffrirent les Saints pour l'amour de Dieu ? Les uns, dit-il, « furent livrés aux tourments, et n'acceptèrent point de délivrance, afin d'obtenir une meilleure résurrection ; d'autres subirent les moqueries et le fouet, les chaînes et la prison ; ils furent lapidés, sciés, torturés ; ils moururent tués par l'épée ; ils allèrent çà et là, vêtus de peaux de brebis et de peaux de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités, - eux dont le monde n'était pas digne -, errant dans les déserts et les montagnes, dans les cavernes et les antres de la terre ». - Hébr. 11, 35-38. -. Et tout fidèle, en vérité, toute âme éprise de Dieu se doit d'imiter les Saints, et de se sanctifier, puisque c'est là même ce que Dieu demande à ses disciples, lorsqu'Il dit : « Devenez Saints, comme moi je suis Saint. »
O mon âme sœur,
« L'honneur des martyrs, dit Saint Jean Chrysostome, c'est l'imitation de leur martyre ». Si donc tu admires et honores les Saints, lutte toi aussi pour les imiter, puisque tu ne peux leur rendre de plus grand honneur que d'imiter leur sainteté ; Aussi, redis-toi souvent ce mot qui fut celui d'un Saint : « Comment ? Je ne pourrais point réussir ce que tant d'autres ont réussi avant moi ? » Et lorsque dans le difficile et laborieux combat que tu mènes pour acquérir la vertu et la sainteté, tu sens cruellement tes manques et tes faiblesses, ajoute avec l'Apôtre Paul : « Je peux tout par le Christ qui me fortifie ». - Philip.4, 13. - .
Des divines montées et des envols spirituels.
O mon âme sœur,
S'adressant à Dieu, Augustin d'Hippone écrit dans une page de ses Confessions : « Tu crées le monde pour le corps, le corps pour l'âme, et l'âme pour Toi, afin qu'elle n'adore que Toi, et n'aime que Toi seul ».
Il est manifeste que l'âme humaine fut façonnée à cette fin qu'elle vécût en Dieu, et que Dieu vécût en elle.
L'âme fut façonnée pour méditer les vérités célestes, à cause de quoi elle était aussi destinée à vivre éternellement.
L4apôtre Paul ne dit-il pas : « Notre Cité est dans les Cieux » ? - Philip. 3, 20 ; - . Et ailleurs : « Nous n'avons point ici-bas une cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir ». - Hébr. 13, 14. - . Et c'est dans une attente inquiète que le Saint Psalmiste interroge en disant : « Quand m'en irai-je et verrai-je la face de Dieu ? » -Ps. 41, 3. - .
Indice précieux et significatif de ce regard des Saints Pères continuellement levé vers le Ciel est ce dialogue qu'échangeaient un moine et son Ancien. A la question du disciple : « Géronda, quelles doivent être mes pensées, si je veux être sauvé ? », l'Ancien répondit simplement : « Mon enfant, toute pensée des choses qui se trouvent sous le Ciel n'est que vanité ».
A l'homme selon Dieu, qui de tout son cœur veut dans l'autre vie devenir participant des biens éternels, il convient de vivre sur la terre comme un citoyen des Cieux, tenant jour après jour ses regards fixés sur la Jérusalem d'En Haut, et regardant en esprit, par les yeux de son âme, ces biens « que Dieu a préparés pour ceux qui l'aiment » - 1 Cor. 2, 9. - . Car c'est avec cette pensée de la patrie céleste que nuit et jour vécurent les Saints, et c'est ainsi qu'ils réussirent à ce que leur vie épousât en tout point la volonté de Dieu, jusqu'à devenir par là des anges sur la terre, des êtres à l'âme céleste.
O mon âme sœur,
Apprends à haïr les choses éphémères pour ne désirer que les célestes. Lutte farouchement et résolument, afin de t'affranchir de l'amour du monde, et d'instiller en toi le seul désir des choses célestes.
Sans cesse garde cette vérité présente à l'esprit, qu'il te faudra quelque jour quitter ce vain monde. Après quoi, tu comparaîtras devant le Christ. Et qu'invoqueras-tu, dès lors, pour ta défense ? Auras-tu, par les œuvres de ta vie entière, revêtu la robe des noces, pour entrer dans la chambre nuptiale du Roi du Ciel ?
Ah ! N'oublie jamais combien « il est redoutable de tomber entre les mains du Dieu vivant ». - Hébr. 10, 31. - .
PERLES SPIRITUELLES
recueillies parmi les sentences
des Homélies Ascétiques
de Saint Isaac le Syrien.
Les « perles spirituelles » que nous donnons ci-après sont des citations extraites des Homélies ascétiques d'Isaac le Syrien. Elles ont été traduites, toujours par Presbytéra Anna, d'après l'excellente édition donnée, en anglais, par le Monastère de la Sainte Transfiguration de Boston en 1984. Cette édition a corrigé, d'après le syriaque, une foule de passages de l'édition grecque de Théotokis d'où étaient dérivées toutes les autres traductions en langues modernes. - .
L'homme briguant l'estime ne saurait être affranchi des causes de l'affliction.
Par le dur labeur de la prière, et par l'anxiété de ton âme, communie à ceux qui gardent un cœur brisé, et tu verras s'ouvrir à ta requête la Source des miséricordes.
Garde-toi de lire les doctrines hérétiques, car elles ont le pouvoir, plus que nulle autre, d'armer contre toi l'esprit de blasphème.
Il est tout aussi honteux pour les esclaves du ventre et d ela chair de sonder les choses spirituelles, qu'il le serait pour une prostituée de discourir sur la chasteté.
Chaque fois que tu veux entreprendre une œuvre bonne, apprête-toi d'abord aux épreuves qui viendront t'assaillir, et ne révoque pas en doute la vérité.
Celui qui peut avec joie souffrir l'injustice, quand même il détient entre ses mains le moyen de la repousser, celui-là, en conscience, a reçu pour sa foi la consolation de Dieu.
L'homme qui sait avec humilité endurer des accusations portées contre lui, celui-là est parvenu à la perfection, et devant lui les Saints Anges s'émerveillent, car il n'est pas de vertu plus haute, ni plus difficile à atteindre.
Quand l'épreuve surprend l'homme d'iniquité, il n'a point devant Dieu cette assurance nécessaire pour l'invoquer, ni pour attendre de Lui son Salut, puisqu'aux jours heureux il s etenait trop loin du vouloir de Dieu.
Avant que ne commence la guerre, cherche ton allié ; avant que des maux affligeants ne s'abattent sur toi, prie-Le : au temps de l'épreuve alors, tu Le trouveras, et Il t'entendra.
Avant que de chanceler, appelle et supplie ; et avant que de prononcer un vœu, tiens prêt ce que tu promets, car c'est là ta provision pour la suite des jours.
C'est au temps de la paix que Noé bâtit l'arche et, près de cent ans à l'avance, il en assembla les poutres. Au temps de la colère périrent les iniques, mais l'homme vertueux se réfugia dans l'arche.
Chéris les pauvres, car par eux aussi tu peux obtenir miséricorde.
Ne dédaigne pas ceux qui sont difformes de naissance, car, par un égal privilège, tous nous irons dans la tombe.
Aime les pécheurs, mais déteste leurs œuvres ; et ne les méprise pas pour leurs fautes, de crainte d'être tenté de semblable manière.
Mieux vaut éluder les passions par l'amas des vertus qu'en leur opposant lutte et résistance. Car lorsque les passions, quittant leur lieu, se dressent pour la bataille, elles impriment sur l'esprit images et idoles, et cette campagne, dans sa violence, suffit à émousser l'esprit, enténébrant l'intellect qu'elle trouble durablement ; mais qu'un homme se règle sur la première conduite que nous avons dite, et les passions, lorsqu'elles sont refoulées, sur son esprit ne laissent nulle trace.
Comme le dauphin choisit de nager et d'évoluer là où la mer est en sa surface calme et immobile, de même lorsque la mer du coeur est paisible et tranquille, loin de toute colère et de tout courroux, alors viennent bouillonner en elle les révélations et les divins mystères, lesquels à chaque instant la ravissent.
Ce qui advient au poisson hors de l'eau advient aussi à l'intellect, lorsqu' abandonnant le souvenir de Dieu, il se mêle d'errer dans le souvenir de ce monde.
Comme le poisson périt à cause du manque d'eau, ainsi les mouvements noétiques – spirituels – que Dieu y faisait fleurir s'évanouissent du cœur du moine, lorsqu'il aime à demeurer et à passer sa vie dans la compagnie des mondains.
Plus la langue d'un homme fuit le bavardage, plus son intellect est illuminé, jusqu'à discerner de subtiles pensées ; car le bavardage ne fait qu'embrouiller l'intellect raisonnable.
Qui n'aime l'homme doux et humble ? L'orgueilleux, seul, et le diffamateur, qui sont étrangers à ses œuvres.
Fuis les querelles dogmatiques, comme tu fuirais un lion rugissant ; et ne t'y embarque jamais de toi-même, non plus avec les enfants qu'a produits l'Eglise qu'avec des étrangers.
Lorsque leurs intellects ont été ravis par l'Esprit, les Saints du siècle à venir cessent un temps de prier, et par un miracle admirable demeurent dans cette gloire bienheureuse.
Pareille à la fissure du rocher où Dieu parla à Moïse, telle est la cellule d'un solitaire, selon qu'en témoignent les Pères.
Je maintiens aussi que ceux qui sont châtiés dans la Géhenne sont fouettés avec les verges d el'amour. Oui, qu'est-il de si amer et de si véhément que le tourment de l'amour ? Je veux dire que ceux qui ont acquis la conscience d'avoir péché contre l'amour souffrent de ce fait un plus grand tourment qu'ils ne souffriraient de la crainte d'aucun châtiment. Car la douleur qu'inflige à leur cœur le péché contre l'amour est plus cuisante que ne l'eût été n'importe quel tourment. Et il serait incongru de penser que, fût-ce dans la géhenne, les pécheurs puissent être privés de l'amour de Dieu. L'amour est ce fruit né de la connaissance de la vérité qui, selon l'aveu commun, est donné à tous. La puissance de l'amour œuvre alors de deux sortes : elle tourmente les pécheurs, comme il arrive ici-bas, lorsqu'un ami souffre à cause d'un ami ; mais elle devient une source de joie pour ceux qui ont observé ses commandements. Aussi dis-je que là est le tourment de la géhenne : dans l'amer regret. Mais l'amour, par sa jouissance, grise les âmes des enfants du Paradis.
Ce jour-là, ( au jour du Jugement), Dieu ne nous jugera pas sur la psalmodie, ni sur l'abandon de la prière, mais sur ce qu'en les délaissant, nous aurons ouvert la voie aux démons.
L'hésychia mortifie les sens extérieurs et ressuscite les mouvements intérieurs, là où un mode de vie tout extérieur agit à l'inverse, ressuscitant les sens extérieurs et tuant les mouvements intérieurs.
A quel signe reconnaît-on qu'un homme a atteint à la pureté du cœur, et quand un homme sait-il que son cœur est entré dans la pureté ? Lorsqu'il voit tous les hommes devenus bons, et que nul ne lui paraît plus impur ni souillé, alors en vérité son cœur est pur.
Chaque fois que sur ta route, tu goûtes une paix immuable, demeure sur tes gardes : tu es très loin de ces divins sentiers où marchèrent les pieds appesantis des Saints . Car aussi longtemps que tu chemineras sur la voie qui conduit au Royaume, t'approchant davantage de la cité de Dieu, le déchaînement des épreuves qui t'assailleront sera pour toi un signe. Plus en effet tu t'approcheras, plus avant tu progresseras, plus se multipliera contre toi l'assaut des tentations.
La foi est la porte ouvrant sur les mystères. Ce que les yeux du corps sont aux objets des sens, telle est la foi aux yeux de l'intellect contemplant les trésors cachés.
Amour de Dieu est le Paradis, lieu de la jouissance de toute félicité, là où le bienheureux Paul goûta les nourritures suaves et spirituelles.
Avant que nous ne trouvions l'amour, c'est sur une terre d'épines que nous labourons, et c'est entre les épines que nous semons, et que nous moissonnons, quand même notre semence est celle de la vertu.
L'homme qui a trouvé l'amour, celui-là, chaque jour et à chaque heure, mange et boit le Christ, et par là, devient immortel. « Celui qui mangera ce pain que je lui donnerai, dit le Seigneur, ne verra pas la mort jusque dans l'éternité ». Bienheureux celui qui se sustente du pain d'amour qu'est Jésus Christ ! Celui qui se nourrit d'amour se nourrit du Christ, Dieu de toute chose, comme en témoigne Jean, le disciple qui crie : « Dieu est amour ».
Amour est le Royaume, - cet amour dont le Seigneur, mystiquement, promit à ses disciples de manger dans son Royaume. Car lorsque nous l'entendons dire : « Vous mangerez et boirez à la table de Mon Royaume », que croyons-nous que nous mangerons, sinon l'amour ? Loin qu'il nous faille nourriture et boisson, l'amour suffit à nourrir un homme. Tel est le vin « qui réjouit le cœur de l'homme ». Ah ! Bienheureux celui qui communie à ce vin ! Car des impudiques en ont bu, et ils ont connu la honte ; des pécheurs en ont bu, et ils ont désappris les chemins de l'errance ; des ivrognes en ont bu, et sobres, ils ont aimé le jeûne ; des riches en ont bu, et ils ont choisi la pauvreté ; des pauvres en ont bu, et se sont enrichis d'espérance ; des malades en ont bu, et ils sont devenus sains ; des ignorants en ont bu, et ils sont devenus sages.
Tout comme il est impossible, sans un navire, de passer l'immense océan des mers, ainsi, nul, sans la crainte, ne peut atteindre à l'amour. Mais si, lorsque nous traverserons jusqu'à Dieu la mer de ce monde, montés sur cette barque de la pénitence, nous ne prenons pas pour pilotes les bateliers de la crainte, alors nous sombrerons dans le noir abîme des ondes.
L'homme qui choisit de voir en Dieu un vengeur, pensant par là témoigner de sa justice, ce même homme accuse Dieu d'être dénué de bonté. Loin de nous cette pensée, qu'il puisse jamais se trouver de vengeance parmi cette fontaine d'amour, cet Océan débordant de bonté ! Mais le dessein de Dieu, la fin qu'il poursuit, n'est rien que l'amendement des hommes ; et si nous pouvions être dépouillés de la dignité de notre libre-arbitre, alors peut-être Dieu ne chercherait-il pas même à nous corriger par la réprobation.
L'esprit qui a trouvé la sagesse spirituelle est semblable à un homme qui, trouvant à l'eau un navire tout paré de ses agrès, s'y embarque, et le mène droit de la mer de ce monde jusqu'à l'île du siècle à venir. Car l'intuition qu'il nous est donnée d'avoir, tant que nous sommes en ce monde, du siècle futur, nous le représente pareil, en quelque manière, à un îlot sorti de l'océan ; et celui qui s'en approche cesse de peiner parmi les lames furieuses des apparences de ce siècle.
Le plongeur se jette nu à la mer pour y trouver une perle ; et le moine qui est sage, accomplit, dénué de tout, le voyage de la vie, jusqu'à ce qu'il trouve en lui la Perle sans prix, Jésus Christ le Seigneur ; et lorsqu'il Le trouve, il ne cherche plus à acquérir rien autre que Lui.
Le serpent protège sa tête lorsqu'on écras son corps ; et le solitaire avisé garde en tout temps sa foi, car elle est source et origine de sa vie.
Le chien qui lèche une râpe boit son propre sang, mais il ignore son mal, tant est douce la saveur du sang ; et le solitaire qui s'abaisse à goûter la vaine gloire consume sa vie, mais ne voit pas son mal, tant la flatterie semble douce à qui s'en abreuve.
La gloire de ce monde est semblable à un récif, lequel à peine affleure sous l'eau de la mer ; et comme celui-ci demeure ignoré du marin, jusqu'à ce que son navire, en le heurtant s'y drosse, s'emplisse de saumure et sombre dans l'abîme, ainsi la vaine gloire pour un homme, jusqu'à ce qu'elle l'entraîne et cause sa perte.
N'approche point sans prière les mystères contenus dans les divines Ecritures, mais implorant l'aide de Dieu, dis : « Seigneur, accorde-moi de percevoir la puissance qui est en ces paroles ». Et considère que la prière est la clef de l'intelligence véritable des divines Ecritures.
Une petite ascèse toujours continuée est une grande force ; car une eau légère persévérant à tomber goutte à goutte vient à bout d'une roche dure.
Comme il n'est pas d'enfants nés sans mère, ainsi il n'est pas de passions nées sans distraction de l'esprit, non plus que de péché sans commerce avec les passions.
Bien-être et oisiveté sont ruine de l'âme, plus capables que les démons de lui porter préjudice.
Si tu contrains ton corps lorsqu'il est faible, le faisant oeuvrer à ce qui excède sa force, tu instilleras dans ton âme ténèbre sur ténèbre, et porteras en elle un surcroît de confusion.
Justice et miséricorde voisinant en une même âme sont comme un homme qui, sous un même toit, adorerait Dieu et les idoles ensemble.
Tout comme en un même lieu ne peuvent exister le feu et l'herbe ensemble, ainsi, justice et miséricorde ne peuvent habiter une seule et même âme.
Comme un grain de sable ne peut valoir le poids d'un lourd amas d'or, ainsi, s'il les faut comparer, la justice dont Dieu fait usage ne saurait contrebalancer l'effet de sa miséricorde.
Soyez persécutés, mais ne persécutez point ; soyez crucifiés, mais ne crucifiez point ; soyez lésés, mais ne lésez point ; soyez outragés, mais n'outragez point. Témoignez de la clémence, non du zèle, pour ce qui regarde au mal. Tenez-vous à la bonté, non à la justice.
Soyez l'ami de chacun, mais en l'âme, demeurez solitaire.
Si tu ne peux être miséricordieux, parle, du moins, comme si tu n'étais qu'un pécheur ; Si tu n'es pas un pacificateur, tiens-toi du moins en esprit pour un incapable. Si tu n'es pas victorieux, ne t'exalte pas, du moins, plus haut que les vaincus. Si tu ne peux fermer la bouche d'un qui dénigre son semblable, retiens-toi, du moins, de renchérir sur ses dires.
Nul homme n'a d'intelligence s'il n'est humble, et celui qui manque d'humilité est dépourvu d'intelligence . Nul n'est humble s'il n'est hésychaste, et qui n'est pas hésychaste n'est pas humble non plus. Mais nul n'est hésychaste qu'il ne se réjouisse.
Nous ne devrions point nous affliger à l'excès de ce que nous chutons en quelque manière, mais de ce que nous nous attardons dans notre chute ; Car les parfaits tombent souvent eux-mêmes ; mais s'attarder dans sa chute est mort et ruine totale de l'âme.
Il n'est de connaissance, quelque riche qu'elle soit, qui ne s'infirme pas ; mais le Ciel et la terre ensemble ne peuvent contenir les trésors de la foi.
Vraiment, il faudrait, s'il était possible, que la confusion fût appelée le char du démon, pour ce que Satan, dès longtemps, affectionne d'y monter comme un automédon, et portant avec lui le torrent des passions, il investit la pauvre âme, la plongeant dans le gouffre d ela confusion ;
Ce n'est pas à la peine, mais à l'humilité, qu'est accordé le prix ; Celui qui fait fi de la dernière perd aussi la première.
Ce n'est point l'accomplissement des commandements que demande le Christ, mais la guérison de l'âme, en vue de laquelle seule Il fit aux créatures raisonnables don de ses commandements.
Un charisme reçu sans épreuves n'est rien que désastre pour ceux qui le reçoivent.
Choisir ce qui est bon appartient au bon vouloir de l'homme qui le désire ; mais mener à bien le choix du bon vouloir appartient à Dieu.
Voici des siècles que les générations battent le sentier du Christ, lequel passe aussi par la Croix et la mort de la Croix. Comment se peut-il donc qu'à toi seul les afflictions rencontrées en chemin semblent étrangères au sentier ? Ne souhaites-tu mettre tes pas dans les pas des Saints ? Ou aurais-tu quelque idée d'inventer un chemin à toi, pour y faire route sans souffrir ?
La voie de Dieu est une croix quotidienne. Nul n'est monté au Ciel par la facilité, car nous savons où mène la voie de la facilité, et comment elle s'achève.
Sans afflictions, en vérité, il n'est pas de vie.
L'homme charnel craint la mort comme une bête la boucherie. L'homme raisonnable, lui, craint le jugement de Dieu. Mais l'homme qui est devenu un fils est paré des beautés de l'amour, et n'est point enseigné par l'aiguillon de la crainte. « Moi, dit-il, et la maison de mon Père, nous servirons le Seigneur ».
L'homme miséricordieux est à soi-même le médecin de son âme qui, comme assisté d'un vent impétueux, reconduit hors de son moi la ténèbre des passions.
Conquiers les méchants par ta noble gentillesse, et par ta bonté, porte à l'admiration les hommes zélés. Au vindicatif, par ta compassion, inspire la honte. Avec les affligés, afflige-toi en esprit. Aime tous les hommes, mais reste loin de tous.
Le silence est la préfiguration d'un mystère du siècle à venir, mais les mots sont les instruments de ce monde.
Les passions sont comme ces chiens accoutumés à lécher le sang dans l'échoppe des bouchers. Quand ils se sont sevrés de ce dont leur vice aime à se nourrir, ils se tiennent aux portes, et ils hurlent, jusqu'à ce que passe la force de leur habitude ancienne.
L'homme qui s'assied dans l'hésychia, et qui fait l'expérience de la bonté de Dieu, n'a guère besoin d'arguments propres à le persuader, et son âme n'est point malade du mal d'incrédulité, comme est l'âme de ceux qui révoquent en doute la vérité. Car le témoignage de sa propre intelligence suffit à le persuader, mieux que ne le feraient les interminables discours de ceux qui derrière eux n'ont pas l'expérience.
Sache donc avec certitude que de se tenir debout n'est pas en ton pouvoir, et que cela ne ressortit pas à ta vertu non plus, mais qu'il appartient à la Grâce même, qui te porte sur ses paumes, que tu ne sois pas inquiété.
L'humilité, même sans œuvres, obtient le pardon de beaucoup d'offenses ; mais sans elle, les œuvres ne nous sont de nul profit, et nous préparent bien plutôt de grands maux.
Tout homme paisible n'est pas humble, mais tout humble est paisible.
Fais route devant Dieu dans la simplicité du cœur et non selon l'ordre de la connaissance. La simplicité est assistée par la foi, mais les délibérations obscures et embrouillées le sont par l'orgueil, et ce qui suit l'orgueil est la séparation d'avec Dieu.
Lorsque tu te prosternes en prière devant Dieu, deviens en pensée comme la fourmi, comme les choses rampantes de la terre, comme la limace, et comme le petit enfant minsuscule encore balbutiant. Ne Lui dis rien qui soit selon l'ordre de la connaissance, mais parlant avec le raisonnement d'un enfant, approche-toi de Dieu, et marche devant Lui, pour être jugé digne de cette Providence toute paternelle qu'ont les pères pour leurs petits enfants.
L'homme, s'il ne change son cœur et ne devient semblable au petit enfant, ne peut recevoir la connaissance spirituelle. Car seulement alors il expérimente ce ravissement qui appartient au Royaume des Cieux, ce « Royaume des Cieux », par qui les Ecritures entendent la spirituelle vision de Dieu.
Il est impossible, sans épreuves, que l'homme croisse en sagesse au combat spirituel, comme il est impossible qu'il perçoive son Dieu, qu'il connaisse Celui qui est sa Providence, et qu'il soit secrètement confirmé dans sa foi, si ce n'est par la vertu de l'expérience qu'il s'est acquise.
Jamais l'homme n'apprendra ce qu'est la puissance divine, tant qu'il demeurera dans le confort, menant somptueuse vie.
Tout comme un homme dont la tête est immergée sous l'eau ne peut respirer l'air subtil qui se déverse dans le vide abîme de l'atmosphère, ainsi, celui qui enfouit son esprit dans les soucis de cette vie ne peut inspirer comme un souffle ce que livre la perception du nouveau monde à venir.
C'est pour l'homme un don spirituel venu de Dieu que de percevoir ses péchés.
La vie t'a été donnée pour la pénitence ; ne la dissipe pas en de vains propos.
La Croix est la porte ouvrant sur les mystères. Par cette porte l'esprit entre dans la connaissance des célestes mystères. La connaissance de la Croix gît cachée dans les souffrances de la Croix. Plus grande notre participation à ses souffrances, plus grande la perception des mystères, que nous acquérons par la Croix. Car, selon la parole de l'Apôtre, « Comme abondent en nous les souffrances du Christ, ainsi le Christ a fait abonder notre consolation ». - 2 Cor. 1, 5. - . Et par « consolation », le divin Paul entend cette « contemplation » qu'est la théoria, laquelle s'interprète à son tour comme étant la vision de Dieu par les yeux de l'âme. Car de cette vision naît la consolation.
La prière offerte à Dieu durant la nuit possède un pouvoir plus grand que la prière du jour. D'où vient que tous les êtres vertueux ont prié la nuit, combattant, avec la pesanteur du corps, la suavité du sommeil, et par là repoussant les limites de notre nature corporelle.
Il n'est rien que Satan lui-même ne craigne plus que la prière offerte durant la veille de la nuit. Et quand elle ne serait pas exempte de quelque distraction, elle ne s'avère pas vide de profit, à moins que l'objet qu'on y demande, peut-être, ne soit point souhaitable.
Celui qui dédaigne le malade ne verra pas la lumière, et le jour de celui qui détourne son visage de la vue d'un homme que presse l'affliction deviendra ténèbres. Quant aux fils de l'homme qui méprisent la voix d'un être souffrant des tribulations amères, ils chercheront à tâtons leur chemin, les yeux frappés de cécité.
Car, à moins que ceux qui voyagent, jour après jour n'avancent sur la route, diminuant ainsi d'autant le chemin qui leur reste à parcourir, s'ils s'avisent au contraire de vouloir demeurer sur place, jamais ils ne verront devant eux diminuer la route, et jamais non plus il ne leur sera donné d'arriver à destination. Ainsi en est-il aussi pour nous. Si nous ne nous contraignons pas peu à peu, jamais nous n'aurons la force de nous abstenir des choses corporelles, en sorte de regarder librement vers Dieu.
EPILOGUE
Tant que tu as des pieds, cours derrière l'oeuvre bonne, avant que d'être lié de ce lien indissoluble de la mort qui, lorsqu'il est noué, ne peut plus être délié. Tant que tu as des mains, tends-les, pour prier, vers le Ciel, avant que tes bras ne se démettent de leurs jointures ; car alors, quand même tu voudras prier, tu ne le pourras plus. Tant que tu as des doigts, signe-toi du signe de la Croix, avant que la mort ne vienne à jamais dissoudre la force harmonieuse de leurs muscles. Tant que tu as des yeux, emplis-les de larmes, avant que la poussière ne recouvre tes noirs habits, et que tes pupilles, en un regard aveugle, ne se fixent, immobiles, dans une direction que tu ignoreras. En vérité, oui, emplis de larmes tes paupières, tant que la puissance du discernement peut gouverner ton cœur, avant que ton âme ne lui soit arrachée, laissant à l'abandon ce cœur, telle une demeure désertée par celui qui naguère l'habitait. O toi, l'homme avisé, ne te laisse pas abuser par l'espérance d'une longue vie. Car tout comme la rose expire sous le vent, ainsi, qu'un souffle passe sur un seul de ces éléments qui composent ton corps, et tes genoux tout-à-coup faibliront, sans que tu l'aies escompté. Et tandis que tu songeras que cela n'est rien, et que tu te préoccuperas de soigner un mal léger, l'austère figure de la mort, soudain, s'approchera, elle qui tourne en dérision les sages, et tout aussitôt tu mourras. O misère de notre nature ! Comme nous sommes solidement attachés, par l'amour de cette matière, que Dieu ne veut pas nous laisser !
Imprime en ton cœur la pensée du départ, ô toi qui es homme, et sans cesse redis-toi : « Prends garde, ô mon âme ! Voici, l'ange est à la porte, et c'est pour moi qu'il vient. Que suis-je donc indolent ? Mon départ est éternel, et il n'y aura point de retour ».
Saint Isaac le Syrien, Soixante-Quatrième Homélie ascétique.
CET OUVRAGE
est la traduction du livre publié par le Monastère de Saint Jean le Théologien, Nostalgia Pneumatikês Zoês. Le succès du livre a été tel qu'il a connu plusieurs éditions ; nous avons suivi la seconde, de 1977.
Ceux qui ont aimé le livre et qui souhaiteraient... à l'occasion d'un voyage en Grèce visiter l'un des monastères en Attique de feue Mère Xénie en Grèce, peuvent noter les adresses suivantes :
Monastère de Saint-Jean-le-Théologien
Rue Hagiou Ioannou 47
Pétroupolis 132 31, Attique
Grèce
Monastère de l'Ascension du Seigneur
Village de Kapandriti
Attique
Grèce
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