mardi 1 novembre 2011

Vies de Saints, d'Arnaud d'Andilly

LES VIES DES SAINTS PERES DES DESERTS
& DE QUELQUES SAINTES
ECRITES PAR DES PERES DE L’EGLISE
& autres Anciens Auteurs Ecclésiastiques
TRADUITES EN FRANçOIS
Par Mr ARNAULD d’ANDILLY
RETRANSCRITES PAR PRESBYTERA ANNA.
Edition de M.DC.XCIV.
SAINT THEON
Anachorète.

Traduit de Rufin, p.307.
Nous vîmes aussi assez proche de cette ville du côté qui va au Désert, un Saint homme nommé Théon reclus dans une cellule, où on assurait qu’il avait demeuré trente ans entiers dans un continuel silence : &il faisait tant de miracles qu’il passait en ce pays pour un Prophète. Il n’y avait point de jour que grand nombre de malades n’allassent vers lui ; & sortant la main de sa fenêtre & la mettant sur la tête de chacun d’eux, il leur donnait sa bénédiction, & les guérissait de toutes leurs maladies. On voyait reluire tant de douceur & de gaieté dans ses yeux : une telle majesté éclatait sur son visage, & il était comblé de tant de grâces, qu’il paraissait comme un Ange entre les hommes.
Quelque temps auparavant, des voleurs étant venus la nuit vers lui, sur ce qu’ils croyaient qu’il avait de l’argent, il les arrêta comme liés de telle sorte par la prière qu’il fit à Dieu, qu’ils demeurèrent attachés auprès de sa porte, sans pouvoir du tout se remuer. Plusieurs d’entre les peuples voisins étant venus le matin cers le Saint, ainsi qu’ils avaient accoutumé, ils les trouvèrent en cet état & résolurent de les brûler. Sur quoi la nécessité l’y contraignant, ce grand serviteur de Dieu leur dit seulement ces paroles : « Permettez-leur de s’en aller sans leur faire mal, puis qu’autrement notre Seigneur retirerait de moi la Grâce qu’Il m’a accordée de guérir des maladies. Ce peuple n’osant le contredire, les laissa aller ; & ces voleurs considérant ce qui leur était arrivé, renoncèrent à leur méchanceté, & touchés du désir de faire pénitence de leurs crimes, se retirèrent dans les Monastères voisins, où ils embrassèrent les règles & les exercices d’une Sainte Vie.
Ce même Saint savait non seulement les langues Grecque & Egyptienne ; mais la Latine, comme nous l’apprîmes de ceux qui étaient auprès de lui-même, qui pour nous réjouir &nous délasser du travail d’un si long chemin, voulut bien nous faire voir, en écrivant sur des tablettes, quelle était sa connaissance de ces langues qu’il avait acquise par la Grâce. Il ne mangeait jamais rien de cuit. Et on nous dit que lors qu’il marchait la nuit dans le désert, il se faisait accompagner par plusieurs bêtes sauvages, qu’il récompensait de leur travail & du service qu’elles lui rendaient, en leur donnant à boire de l’eau de son puits, dont il ne faut point de meilleure preuve que ce que l’on voyait près de sa cellule, la piste de quantité de buffles, de chèvres, & d’ânes sauvages.

***
Traduit de Pallade.
P.400

SAINTE OLYMPIADE

La sage & excellente Olympiade a marché avec tant de courage dans le chemin qui conduit au Ciel, & pratiqué si fidèlement en toutes choses les préceptes de l’Evangile, qu’elle n’a manqué à rien de ce qui la pouvait avancer dans la perfection de la Vie Spirituelle. Elle fut fille selon la chair du comte Céleuce, & véritable fille de Dieu selon l’Esprit. Son aïeul Ablave fut gouverneur de province, & son mari Nébride, avec lequel elle demeura quelque temps, le fut de Constantinople. Mais pour en parler selon la vérité, elle ne fut point sa femme, puis qu’on assure qu’elle demeura toujours vierge, se nourrissant de la Parole de Dieu, embrassant la véritable humilité, assistant tous les pauvres, & n’employant qu’à cela ses immenses & quasi infinies richesses. Car il n’y avait point de villes, de bourgades, & de solitudes qui ne ressentissent des libéralités de cette admirable vierge. Elle donnait aussi aux églises tout ce qui était nécessaire pour le service des Autels, & faisait du bien aux Monastères, aux Hôpitaux, aux prisons, & aux exilés : & pour dire tout en un mot, toute la terre avait part à ses aumônes.
Son humilité était si grande qu’il ne s’y pouvait rien ajouter ; & jamais la vanité n’eut part à ses actions, tant son esprit était éloigné de toute présomption & de toute gloire. Elle ne savait ce que c’était que de dissimulation. Jamais personne ne fut plus sincère. On voyait la franchise peinte sur son visage. Son corps était plein de vigueur. Elle agissait avec jugement & sans précipitation. Ses veilles étaient si grandes qu’elle ne dormait presque point. Elle n’était point du tout curieuse. Sa charité était sans bornes, ses entretiens simples, son habit pauvre, sa continence parfaite, ses intentions droites, ses espérances toujours élevées vers le Ciel ; & ses aumônes qui étaient comme l’ornement & le comble de toutes ses autres vertus allaient au-delà de tout ce qu’on en saurait dire.
Le démon que sa propre volonté a rendu méchant & qui est Ennemi mortel de tout Bien, la tenta en tant de manières, que dans les rudes combats qu’elle eut à soutenir contre lui, elle versa durant plusieurs années quantité de larmes, sans refuser néanmoins d’être assujettie pour l’amour de Dieu à toutes les créatures. Elle se soumettait humblement aux Saints Evêques, révérait les Prêtres, honorait les Ecclésiastiques, respectait les Solitaires, retirait les vierges, secourait les veuves, prenait soin des orphelins, assistait les vieillards, visitait les malades, avait pitié des pécheurs, & ramenait au bon chemin ceux qui s’égaraient. Ainsi, elle faisait du bien à tout le monde, mais elle usait particulièrement de profusion envers les pauvres : Elle instruisait dans la Foy plusieurs femmes infidèles, à qui elle donnait aussi de quoi vivre ; faisant éclater en toutes ses actions une bonté sans pareille, & qui ne peut-être trop admirée.
Elle affranchit un nombre infini d’esclaves, qu’elle rendit ses égaux ; son humilité lui faisant oublier la grandeur de sa naissance : & pour en parler selon la vérité, ils étaient beaucoup mieux vêtus qu’elle, ne se pouvant rien ajouter à la pauvreté de son habit, qui allait même au-delà de celle des personnes qui mendient. Sa douceur & sa simplicité étaient si extrêmes qu’elle surpassait même celle des enfants. On n’a jamais entendu sortir de sa bouche une parole désavantageuse à son prochain ; mais elle passait toute sa vie dans le sentiment des défauts dont elle s’imaginait d’être remplie, & dans des pleurs si continuels, qu’on verrait plutôt en elle tarir les eaux d’une source qu’on n’aurait vu les yeux toujours élevés vers le Ciel, & regardant son Sauveur, cesser de répandre des larmes.
Que si sans m’arrêter davantage à remarquer tant d’excellentes qualités, je voulais passer à ce qui est des combats & des travaux soutenus par cette Sainte, avec un courage invincible, & un esprit aussi ferme qu’un rocher, ce serait alors que mes paroles se trouveraient encore beaucoup plus disproportionnées à la grandeur de ses actions. Sur quoi l’on ne doit pas s’imaginer que je veuille par des termes élevés & magnifiques, rehausser le mérite des suffrages de cette grande servante de Dieu, ni que j’affecte de rechercher jusques aux moindres choses de ce qu’on pourrait dire de la très chaste Olympiade, qui a été comme un vase précieux, tout rempli du Saint Esprit, puisque je ne rapporte rien de la manière de vivre toute angélique de cette bienheureuse femme que je n’aie vu de mes propres yeux, comme n’ayant été fort ami de tous ses proches, & le sien si intime & si confident, qu’elle m’a mis entre les mains de très grandes sommes d’argent, que j’ai distribuées par ses ordres.
Cette Sainte Femme n’ayant donc plus de sentiment pour les choses de la terre, s’était soumise aux puissances supérieures, & obéissait aux magistrats, ainsi que Dieu le commande ; avait une profonde révérence pour le Sacerdoce ; honorait tous les Ecclésiastiques, & a mérité aussi de tenir rang entre les Confesseurs de la Vérité, par les grandes persécutions qu’elle a si courageusement soutenues : ce qui a obligé toutes les personnes de piété de Constantinople de la mettre de ce nombre, comme ayant couru fortune avec sa mère de perdre la vie en ces combats, où il s’agit de l’honneur du souverain maître : & parce qu’elle est morte au milieu de tant d’épreuves de sa vertu, elle jouit au Ciel avec les Saints, dans un bonheur inaliénable, de la couronne de Gloire qu’elle a si justement méritée, & reçoit des mains de Jésus-Christ la récompense de ses bonnes œuvres, sans craindre de la pouvoir jamais perdre.


***

P.566 SUITE DES ACTIONS & PAROLES REMARQUABLES
DES SAINTS PERES
DES DESERTS

TIREES D’UN ANCIEN AUTEUR GREC

TRADUIT PAR PELAGE DIACRE.

LXIII.
Paroles d’un Solitaire sur la Mort de son père.

PELAG. DIACRE. L’Abbé Evagre disait qu’un Solitaire avait répondu à un homme qui lui apportait la
TIT.I nouvelle de la mort de son père : Ce que vous dites est un blasphème. Car mon
Num.5. père est immortel.


LXIV.
Des fruits de la vie solitaire.
Num.15. L’Abbé Pastor disait : La pauvreté, la souffrance, & le discernement, sont des fruits
de la Vie Solitaire, dont l’un est représenté par Noé, lequel ne possédait rien ;
l’autre par Job qui a tant souffert, & le dernier par Daniel qui a été rempli de tant
de lumières. Ainsi, lors que ces trois choses se rencontrent dans une personne,
Dieu repose sans doute sur elle.

LXV.
La Solitude garantit de trois dangereux ennemis.
PELAG
DIACRE

TIT.II. Saint Antoine disait : que celui qui demeure en repos dans la Solitude se met
à couvert de trois dangereux ennemis, l’ouïe, la parole, & la vue ; & qu’il ne lui
reste plus à combattre que contre les mouvements qui s’élèvent dans son cœur.
Num.2.

PELAG. DIACR.
LXVI.
Num. 9.
La retraite apprend toutes choses.

Un Solitaire étant allé trouver en Scété l’Abbé Moïse pour le prier de lui donner quelque instruction, il lui répondit : Retournez vous-en : demeurez en repos dans votre cellule ; & Dieu vous apprendra toutes choses.

P.567.
LXVII.
Combien il importe de fuir les objets des sens.

L’Abbé Pastor disait pour montrer qu’il est utile de fuir les choses corporelles : Que celui qui s’occupe à soutenir les assauts que lui livrent ses sens corporels, ressemble à un homme qui étant sur le bord d’un lac très profond peut à toute heure y être précipité par son Ennemi. Mais que celui qui s’éloigne des objets des sens, ressemble à un homme qui étant fort loin de l’eau, lorsque son Ennemi veut l’y traîner pour le noyer, Dieu vient à son secours & le délivre.

LXVIII.
Qu’il est inutile de vivre dans la retraite, si on y conserve l’esprit du monde.
Num. 16.

L’abbesse Matrona disait : Ceux qui s’étant retirés dans le désert y vivent comme dans le monde, ne laissent pas de périr. Car il vaut mieux être avec plusieurs, & mener en secret dans le fond de son cœur une vie retirée & solitaire, que de vivre seul, & d’être par le fait toujours dans le monde, par les dispositions que l’on conserve dans le fond du cœur.

LXIX.
Que le repos dans la solitude rend les hommes capables de connaître leurs péchés.
Num.14.
Matth. 15.

Trois jeunes gens qui étudiaient ensemble, & étaient extrêmement amis, s’étant rendus Solitaires : L’un choisit de s’employer à réconcilier ceux qui auraient quelque différend, suivant cette Parole de l’Evangile : « Bien heureux sont les pacifiques. L’autre se résolut de s’occuper à visiter les malades : & le dernier se retira dans la solitude pour y demeurer en repos. Le premier travaillant à ce que j’ai dit, & voyant qu’il ne pouvait rien gagner sur l’esprit de la plupart de ceux qu’il exhortait de vivre en paix avec leur prochain, il en conçut un tel déplaisir qu’il se retira vers celui qui assistait les malades : mais il le trouva aussi tout découragé de ce que son dessein ne lui réussissait pas mieux qu’à lui. Enfin, ils s’en allèrent vers celui qui était dans le Désert, & lui ayant raconté leurs peines, le prièrent de lui dire de quelle sorte lui avait succédé son entreprise. Avant que de leur répondre, il mit de l’eau dans un verre, puis il leur dit : « Considérez cette eau, je vous prie » : ce qu’ayant fait ils virent qu’elle était trouble. Quelque temps après, il leur dit : Regardez maintenant comme elle est claire. Ils la regardèrent, & se virent dedans ainsi que dans un miroir. Alors il ajouta : « Celui qui demeure parmi la multitude ressemble à cette eau. Car l’agitation & le trouble l’empêche de voir ses péchés. Mais, lorsqu’il se tient en repos &principalement dans la solitude, il se rend capable de les discerner & de les connaître. »

LXX. Qu’un Chrétien doit à l’exemple des criminels trembler dans l’attente de la venue de son juge.
Tit.III.
Num.2
Un Solitaire priant l’Abbé Ammon de lui dire quelque chose pour son instruction, il lui répondit : « Faites comme les criminels qui sont en prison, lesquels demandent quand le Juge doit venir, & gémissent dans l’appréhension de souffrir les peines qu’ils ont méritées. Car le Solitaire doit de même appréhender pour ses péchés, & en se mettant en colère contre soi-même dire en son cœur : « Misérable que je suis, que ferai-je quand il me faudra comparaître devant le Tribunal de Jésus-Christ ; & comment lui rendrai-je raison de mes actions ? »Que si vous vous entretenez toujours de ces pensées, vous pourrez opérer votre salut. »

P.568.
Pélag . Diacr.
LXXI.
Excellente méditation pour mortifier ses sens.
Num.3.

Le Saint Abbé Evagre disait à ses frères : « Soyez retenus en toutes choses, & veillez sur vos actions, afin de ne vous point affaiblir en la résolution que vous avez prise de vivre dans le repos de la solitude, & d’y persévérer toujours. Et quand vous êtes assis dans vos cellules, rappelez vos pensées en vous-mêmes, & mettez-vous devant les yeux le jour de la Mort, puisque c’est un puissant moyen de mortifier vos sens. Considérez en quel état vous serez réduits alors, & les douleurs que vous souffrirez : Songez quel est l’horrible malheur des Damnés : Représentez-vous cet insupportable silence, ces profonds gémissements, ces craintes continuelles, ces combats intérieurs qui leur déchirent le cœur, ces douleurs présentes, cette cruelle attente d’être encore plus malheureux à l’avenir, & ces larmes amères qui ne diminueront ni ne finiront jamais. Souvenez-vous aussi du Jour de la Résurrection : Imaginez-vous ce divin, terrible, & épouvantable Jugement : Songez quelle sera la confusion que les pécheurs recevront à la Vue de dieu & de Jésus-Christ, en présence de tous les Anges & de tous les hommes : Considérez que cette confusion sera suivie d’un Feu Eternel, d’un remords de conscience qui comme un ver immortel ne cessera jamais de les ronger, des Ténèbres de l’Enfer, d’un grincement de dents, d’une frayeur épouvantable, & de tous les autres supplices que l’on ne saurait imaginer. Représentez-vous d’un autre côté les récompenses qui sont réservées aux gens de bien, leur confiance en Dieu & en Jésus-Christ Son Fils, dont tous les Anges & tous les Saints seront témoins, & le repos, la joie, & les autres Grâces qui les combleront de Bonheur dans l’Eternité. Que ces états si différents soient sans cesse présents à votre esprit : Gémissez, répandez des larmes, & tremblez en pensant au Jugement des pécheurs, dans l’appréhension d’être compagnons de leurs misères : Et soyez pleins de consolation, de contentement, & de joie en songeant aux récompenses que Dieu réserve pour les élus, afin de ne rien omettre de tout ce qui pourra dépendre de vous pour vous approcher des uns, & vous éloigner des autres. Et soit que vous soyez dans votre cellule ou dehors, prenez garde de n’oublier jamais ces choses : Mais ayez-les toujours présentes, afin d’éviter au moins par ce moyen de tomber en de mauvaises & sales pensées. »

LXXII.
Num.9.
Que les larmes sont la plus puissante de toutes les exhortations.

Les Anciens Pères de la montagne de Nitrie ayant envoyé prier l’Abbé Saint Macaire qui était en Scété de les venir visiter, & lui ayant fait dire que s’il ne leur accordait cette Grâce ils iraient le trouver tous ensemble, parce qu’ils désiraient de le voir auparavant que Dieu l’appelât à lui, il se rendit à leurs prières. Lors qu’il fut arrivé sur la montagne, & que tous les Solitaires furent assemblés autour de lui, les Anciens le conjurèrent de leur faire quelque exhortation. Sur quoi ce Saint Homme leur dit en pleurant : « Pleurons, mes frères, & que nos yeux se fondent en larmes, afin qu’au sortir de cette vie nous ne soyons pas ensevelis dans ces flammes éternelles que les larmes de ceux qu’elles brûleront ne pourront éteindre. » A ces Paroles, ils se mirent tous à pleurer ; & s’étant jetés le visage contre terre, ils lui dirent : « Mon Père, Priez pour nous. »

LXXIII.

Que la conversion d’un pécheur est précédée de beaucoup de peine, & suivie de beaucoup de consolation.
Num.16.

Sainte Synclétique disait : « Les impies souffrent de très grandes peines, & il se passe de très grands combats dans leur esprit avant que de se pouvoir convertir à Dieu. Mais ils ressentent ensuite des joies & des plaisirs inconcevables. Car Dieu étant appelé dans l’Ecriture un Feu dévorant, il arrive que comme ceux qui veulent allumer du feu sont d’abord si incommodés de la fumée qu’elle les contraint de pleurer : Nous devons de même allumer dans nous le Feu de l’Amour Divin avec beaucoup de larmes & de travail. »

P.569.
LXXIV.
Histoire étrange pour faire voir combien il est dangereux de tomber dans la négligence.
Num.20.

Un Saint vieillard racontait qu’un jeune homme voulant se donner au service de Dieu, & sa mère s’y opposant, il ne laissa pas de continuer dans son dessein, en lui disant qu’il voulait sauver son âme. Enfin cette femme après beaucoup de résistance voyant qu’il demeurait toujours ferme, y consentit. S’étant donc rendu Solitaire, il vécut fort négligemment dans cette sainte profession. Sa mère mourut, & quelque Temps après étant tombé dans une très grande maladie, il fut ravi en Esprit & eut une vision dans laquelle il lui sembla qu’étant mené pour être jugé, sa mère s’y trouva aussi, & que très étonnée de le voir, elle lui dit : « Qu’est-ce que cela , mon fils, & comment se peut-il faire que vous vous rencontriez avec moi dans une même condamnation ? Où sont donc ces beaux discours que vous faisiez en me disant : « J’ai résolu de sauver mon âme » ? Ce qui le remplit de tant de confusion & de douleur, qu’il ne savait que lui répondre. Dieu ayant ensuite permis par Sa Miséricorde qu’il guérît de sa maladie, cette Vision, qu’il ne pouvait douter qu’il n’eût permise, fit une telle impression sur son esprit, qu’il s’enferma dans sa cellule, où, plein de repentir & de regret d’avoir vécu si négligemment, il ne faisait autre chose que pleurer & penser à son Salut avec une si forte application, que plusieurs le priant de modérer un peu ses pleurs excessifs, ils ne le purent jamais obtenir de lui. Mais il leur répondait toujours : « Si je n’ai pu soutenir les reproches de ma mère, comment pourrai-je au Jour du Jugement soutenir ceux de Jésus-Christ & de Ses Saints Anges ? »
LXXV.
Si les âmes étaient mortelles, elles mouraient de frayeur lors du Jugement.
Num.21.

Un Saint Vieillard disait : « Si nos âmes étaient mortelles, tous les hommes mourraient de frayeur quand Dieu viendra nous juger après la Résurrection. Car avec quelle épouvante verrons-nous les Cieux s’entrouvrir, & Dieu paraître dans Sa fureur accompagné d’une infinité de légions d’Anges ? C’est pourquoi, mes frères, nous devons vivre comme étant obligés de lui rendre un Jour compte de toutes nos actions & de toutes nos pensées. »

LXXVI.
Combien il est nécessaire de se reprendre soi-même.
Num. 22.

Un Solitaire disant à un Saint vieillard : « D’où vient, mon Père, cette dureté de cœur dans laquelle je me trouve ? » Il lui répondit : « J’estime que pourvu qu’un homme soit dans la répréhension de soi, il ne manquera pas d’être dans la crainte ». « Qu’est-ce que la répréhension ? » lui repartit ce Solitaire ? « C’est, » lui dit ce Saint Homme, de reprendre son âme dans chaque action, en lui disant : « Souviens-toi qu’il te faudra comparaître en la présence de Dieu ; » & d’y ajouter : « Qu’ai-je à faire avec les hommes ? « Car j’estime qu’en observant ces deux choses on entre dans la crainte de Dieu. »

LXXVII.
Num. 23.

Qu’on doit toujours trembler dans la Vue du Jugement.
Un Saint Vieillard voyant un homme qui riait, lui dit : « Il nous faudra rendre compte de toutes nos actions en présence du Dieu du Ciel & de la terre ; & vous riez. »

LXXVIII.
De la circonspection & de la retenue que l’on doit avoir dans ses discours.
Tit.IV.
Num.3.

Quelques Solitaires allant de Scété vers Saint Antoine montèrent dans un vaisseau, où ils trouvèrent un vieillard lequel ils ne connaissaient pas qui s’y en allait aussi. Etant assis ils s’entretenaient de l’Ecriture Sainte, de quelques traités des Pères & des ouvrages de leurs mains : Sur quoi ce bon homme ne disait mot. Lors qu’ils furent arrivés, Saint Antoine dit à ces Solitaires : « Vous avez eu mes frères une bonne compagnie en votre voyage en rencontrant ce bon vieillard. » Et se tournant vers ce vieillard il lui dit : « & vous, mon Père, vous en avez aussi trouvé une bonne en rencontrant ces bons frères ». « Il est vrai qu’ils sont bons », lui repartit ce saint homme : mais il n’y a point de porte en leur maison ; &, ainsi, entre qui veut dans l’étable, & emmène les bêtes qui y sont. » Ce qu’il disait parce qu’ils s’entretenaient de tout ce qui leur venait en l’esprit.

P. 570.
LXXIX.

Que le silence est un des meilleurs moyens de fuir les occasions du péché.
Num.27.
Saint Macaire l’Ancien qui demeurait en Scété dit un jour aux Solitaires : « Mes frères, fuyez vous-en aussitôt que les Liturgies seront dites ». Sur quoi l’un d’eux répondant : Et où pouvons-nous fuir, mon Père, au-delà de ce désert ? » Le Saint mit son doigt sur sa bouche,& lui repartit : « C’est là que je dis qu’il faut fuir ». Puis, en achevant ces paroles, il entra dans sa cellule, & ferma la porte sur lui.

LXXX
Qu’il faut reprendre avec douceur.
Num. 28.

Le même Saint disait : « Si en voulant reprendre votre frère, vous vous mettez vous-même en colère, vous satisfaites davantage votre propre passion, que vous n’exercez la charité. Car il ne faut pas se perdre pour sauver un autre. »

LXXXI.
Num. 40.
Combien il faut être exact à garder le jeûne.

L’Abbé Silvain & Zacharie son disciple étant arrivés en un Monastère, les frères les firent un peu manger avant qu’ils se remissent en chemin. Comme ils marchaient, ce disciple rencontra de l’eau, & voulut boire. Sur quoi le Saint vieillard lui dit : « Mon fils, c’est jour de jeûne ». « Mais n’avons-nous pas mangé aujourd’hui, mon Père ? » lui répondit Zacharie. « Oui, » lui repartit le Saint vieillard : « Mais c’a été la charité qui nous a obligés de manger ; & c’est maintenant à nous à observer notre jeûne. »

LXXXII.
La chasteté n’est pas parfaite, si tous les autres sens ne sont pas réglés.
Num.41.

Sainte Synclétique disait : « Il faut que tout ce que nous sommes qui avons résolu de servir Dieu parfaitement observions une chasteté parfaite, & non pas semblable à celle des gens du monde, qui est accompagnée de folie, puis qu’ils sont déréglés dans leurs autres sens, leurs regards n’étant pas modestes, & leurs rires étant excessifs. »

LXXXIII.
Exemple d’une grande Sainte, pour faire voir qu’il ne faut jamais perdre courage dans les tentations.
Tit.V.
Num.10.
Num.11
L’Abbesse Sara ayant été durant treize ans violemment tentée par le démon, elle ne demanda jamais à Dieu de la délivrer de cette peine; mais elle lui disait seulement : « Seigneur, donnez-moi la force de la supporter. » Un jour, cette tentation étant plus forte, & cet Ennemi des hommes représentant à son esprit toutes les vanités du siècle, cette Sainte, sans rien diminuer pour cela de sa crainte de Dieu & de son Amour pour Lui, ni de sa résolution à continuer ses austérités, se mit dans son lit pour Prier. & alors, le Démon, ayant pris une forme humaine, lui apparut, & lui dit : « Tu m’as vaincu Sara ! » A quoi elle répondit : « Ce n’est pas moi, mais c’est Jésus-Christ mon Sauveur qui t’a vaincu. »

LXXXIV.
Qu’on peut par la pénitence, non seulement réparer le péché qu’on a commis, mais aussi arriver à une grande perfection.
Num.26.
Un Solitaire demandant à un Saint vieillard ce que celui qui succombe dans quelque situation doit faire pour réparer le scandale dont il est cause, ce Saint homme lui dit pour réponse : « Un officier étant poursuivi en justice vint avec toute sa famille se réfugier dans un Monastère d’Egypte où il y avait un Diacre fort célèbre, lequel étant poussé par le mouvement du Démon offensa Dieu avec le femme de cet officier. Voyant ensuite dans quelle confusion il avait mis tous les frères, il s’en alla trouver un bon vieillard auquel il découvrit son péché, & sachant qu’outre sa cellule il en avait encore une autre plus reculée, il lui dit : « Mon Père, enterre-moi ici tout vif, je te prie, sans que personne en ait connaissance ». & ainsi étant entré dans cette obscure cellule il y fit une très austère pénitence. Long Temps après il arriva que le Nil ne débordant point à son ordinaire, & tous les peuples se trouvant dans une grande désolation, il fut révélé à un Saint Père que le seul remède à ce mal était de faire venir ce Diacre qui était caché chez ce Solitaire. Ce qui ayant rempli tout le monde d’étonnement ils le tirèrent par force de sa cellule, &, après qu’il se fût mis en Prière, le Nil ne manqua pas de déborder. Ainsi, ceux qui avaient été scandalisés par son péché, furent édifiés de sa Pénitence, & en Glorifièrent Dieu.

P.571.

LXXXV.
Que la considération de la Mort & de l’Enfer peut servir de remède contre les mauvaises pensées.
Num.30.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Que ferai-je, mon Père, étant accablé comme je suis de sales pensées ? » Il lui répondit : « Quand une femme veut sevrer son enfant, elle met quelque chose d’amer sur son sein, afin que venant ainsi que de coutume pour la téter, cette amertume le rebute & l’en dégoûte. Mets donc de même de l’amertume sur tes pensées ». « Et quelle est cette amertume qu’il y faut mettre ? » répliqua ce Solitaire. « C’est », lui repartit ce bon Ancien, la pensée de la Mort, & des tourments éternels préparés aux pécheurs dans l’autre Vie».
LXXXVI.
Deux Solitaires également pénitents, dont l’un était toujours dans la Joie, & l’autre dans la crainte.
Num.34.
Deux frères succombant à la tentation quittèrent la Solitude, & se marièrent. Quelque Temps après, ils se dirent l’un à l’autre : « Quel avantage tirons-nous d’avoir abandonné une manière de Vie toute Angélique pour en prendre une si impure, & passer de là dans des tourments éternels ? Retournons dans le désert pour y faire pénitence de notre péché. » Ainsi, ils s’en retournèrent, & après avoir confessé leur faute, ils prièrent les Saints Pères de les recevoir à pénitence. Ce que leur ayant accordé, ils les tinrent enfermés un an entier, & leur donnaient également par poids & par mesure du pain & de l’eau. Le Temps de leur pénitence étant achevé & étant sortis, ces bons Pères s’étonnèrent extrêmement de ce que se ressemblant auparavant fort de visage, l’un d’eux était fort pâle & fort triste, & l’autre vermeil & fort gai, vu qu’il n’y avait eu nulle différence en leur nourriture. Sur quoi ayant demandé à celui qui était triste quelles étaient les pensées dont il s’entretenait dans sa cellule, il leur répondit : Je passais & repassais par mon esprit les peines que je méritais de souffrir pour le châtiment de mes péchés ; & ma frayeur a été telle que ma peau s’est séchée & comme collée sur mes os. » Ils demandèrent ensuite à l’autre : « Et toi, à quoi pensais-tu dans ta cellule ? » « Je rendais grâces à Dieu », leur repartit-il, « de ce qu’il lui avait plu me retirer de la corruption de ce monde, & me garantir des tourments de l’autre, pour me rappeler à cette manière de Vie toute Angélique. Ainsi, ayant continuellement la bonté de mon Sauveur devant les yeux, j’étais plein de consolation & de Joie. » Ces sages Anciens les ayant entendus parler de la sorte jugèrent que leur pénitence était égale devant Dieu. »

LXXXVII.
Chute d’un grand Solitaire arrivée par sa désobéissance ; & de la pénitence qu’il en fit.
Num.35.
Un Solitaire de Scété qui était déjà fort âgé étant tombé dans une grande maladie, & les frères l’assistant avec beaucoup de soin & de travail, il se résolut d’aller en Egypte pour les délivrer de cette peine. Sur quoi l’Abbé Moyse lui dit : « Crois-moi, n’y va pas. Car si tu y vas, tu tomberas dans le péché d’impureté. » Ce qui l’ayant fort attristé, il lui répondit : « Comment me dis-tu cela, mon Père, puis que tu vois que mon corps est à demi-mort ? » Ensuite de quoi il s’en fut en Egypte. Les habitants des environs ayant appris son arrivée lui vinrent faire de grandes offres ; & une vierge qui jusques alors avait été fort fidèle à Dieu vint le trouver pour le servir en sa maladie, dont étant revenu quelque Temps après & commençant à se bien porter, il offensa Dieu avec elle ; & elle accoucha d’un fils. Ses voisins lui demandant de qui elle l’avait eu, elle répondit : « De cet Ancien. » Ce qu’ayant peine de croire, il leur dit : « Il est vrai que c’est moi qui ai commis ce péché. Mais ayez soin, je vous prie, de cet enfant. » Après qu’il fut sevré, il le mit sur ses épaules, &, le jour de la fête de Scété, il entra ainsi dans l’église en présence de tous les frères, qui se mirent à pleurer en le voyant. Sur quoi, il leur dit : « Mes frères, voyez-vous cet enfant ? C’est le fruit de ma désobéissance. Tenez-vous donc sur vos gardes, puis que je suis tombé dans une telle faute en ma vieillesse, & priez pour moi. » De là, il alla s’enfermer dans sa cellule, où il se conduisit de telle sorte qu’il rentra dans une manière de vivre aussi parfaite que celle qu’il faisait auparavant.

P.572.
LXXXVIII.
Combien les Supérieurs sont obligés d’user de discrétion dans les travaux qu’ils imposent.
Num.42.
Il y avait un Solitaire, qui étant marié & ayant quitté le monde pour se retirer dans le Désert était fort souvent tenté du désir de retourner avec sa femme. Ce qu’il dit aux plus anciens du Monastère, qui voyant qu’il travaillait avec tant d’affection, & faisait encore davantage qu’on ne lui commandait, lui ordonnèrent des travaux tout-à-fait excessifs, afin de lui affaiblir le corps de telle sorte qu’il ne pût pas seulement se remuer. Sur quoi Dieu permit qu’un Ancien étant arrivé en Scété, & ayant passé devant sa cellule qui était ouverte, sans que personne en sortît, il y retourna en disant : « Le frère qui demeure ici ne serait-il point peut-être malade ? » Il frappa ensuite à la porte, puis entra ; & trouvant qu’il se portait très mal, il lui dit : « Qu’est-ce donc, mon Père, que tu as ? » Il lui répondit : « J’ai passé de la vie du monde à celle que je sais maintenant, & le Démon me tente de retourner voir ma femme. Ce qu’ayant confié à nos Anciens, ils m’ont imposé des travaux si rudes, que m’efforçant de les accomplir avec une exacte obéissance, je me trouve accablé sous le faix, sans sentir néanmoins diminuer ce fâcheux désir qui me persécute ; mais au contraire il s’augmente de plus en plus. » L’Ancien, l’entendant parler de la sorte en fut fort attristé, & lui dit : « Ces bons Pères, comme étant extrêmement parfaits dans le service de Dieu, vous ont imposé des fardeaux que vous avez peine de porter. Mais si vous voulez croire mon conseil, déchargez-vous en ; nourrissez-vous modérément ; reprenez vos forces. Exercez-vous à quelque ouvrage de Dieu ; & priez-le de vous délivrer de toutes ces fâcheuses pensées qu’il n’est pas en votre puissance de surmonter par votre travail. » Ce frère ayant pratiqué ces instructions, il fut délivré peu de jours après de cette pénible tentation.

LXXXIX.
Tit.VI.
Num.9.
Qu’il n’y a point d’apparence d’être bien vêtu dans le Désert.
L’Abba Isaïe dit à ses frères : « L’Abba Pambon & ceux qui étaient auparavant nous, portaient de vieux habits tout pleins de pièces. Mais vous, au contraire,vous êtes bien aises d’en avoir de beaux. Sortez donc d’ici, vous qui semblez avoir quitté dans le désert l’esprit du désert. »

XC.
Num.11.

Un Solitaire disant à l’Abba Pistéramon : « Que dois-je faire, mon Père, dans la peine que j’ai de me résoudre à vendre les ouvrages que je fais ? » Il lui répondit : « Pourquoi as-tu peine de suivre en cela l’exemple de l’Abba Sisoès & des autres ? Mais, lorsque tu vendras tes ouvrages, dis en un mot ce que tu en voudras avoir ; & si tu désires même de les donner à moins qu’on a accoutumé, tu le pourras faire ; & ainsi tu ne sentiras plus de peine. » Ce frère lui disant ensuite : « Mais, mon Père, si je puis avoir d’ailleurs de quoi satisfaire à mon besoin, n’estimes-tu pas que je puisse me dispenser de travailler de mes mains ? » « Nullement, mon fils, » lui répondit l’Ancien : Mais travaille autant que tu le pourras, sans t’inquiéter ni te troubler. »

P. 573.
XCI.
Num. 18.

De quelques pauvres personnes, qui, se confiant en Dieu, & travaillant de leurs mains, ne voulaient point recevoir d’aumônes.

Quelques Grecs étant venus en la ville d’Ostracine pour y faire des aumônes, & ayant avec eux les économes de l’Eglise, pour leur montrer ceux qui étaient en nécessité, ils les menèrent chez un lépreux, lequel refusa ce qu’ils lui voulaient donner, disant : « J’ai quelques feuilles de palmier dont je fais de la corde, & cela me suffit pour avoir du pain. » Ils les menèrent ensuite chez une veuve qui avait des filles, & gagnait sa vie à blanchir. Cette femme étant sortie pour aller travailler, l’une de ses filles, qui avait à peine des habits pour se couvrir, vint à ouvrir la porte, & refusa ce qu’ils lui voulaient donner, disant que sa mère lui avait appris à se confier en Dieu, & qu’elle avait trouvé de l’ouvrage qui les pourrait nourrir durant ce jour. Un peu après sa mère étant arrivée, ils la pressèrent de recevoir de l’argent ; ce qu’elle refusa en disant : « Mon Dieu est celui qui prend soin de moi ; & vous me le voulez ravir aujourd’hui, en faisant que je ne me confie plus en lui, mais aux hommes. » Ces personnes admirant sa foi en rendirent grâces à Dieu, & se retirèrent.

XCII

Du mépris que les Solitaires de Scété faisaient de l’argent.
Num. 19.

Un homme de grande condition & qui ne voulait point être connu, vint avec quantité d’argent en Scété, & pria le Prêtre de ce Désert de le distribuer aux Solitaires. Sur ce qu’il lui répondit qu’ils n’en avaient pas besoin, cet homme qui voulait ardemment ce qu’il voulait, ne se contentant pas de cette réponse, jeta cet argent dans une corbeille qui était à l’entrée de l’église, & le Prêtre dit ensuite tout haut : « Que ceux qui en ont besoin en prennent. » Mais pas un seul n’y voulut toucher ; & plusieurs ne le regardèrent pas seulement. Alors, ce bon Prêtre dit à ce seigneur : « Monsieur, Dieu a reçu votre offrande : retournez-vous en chez vous en paix, & donnez cet argent aux pauvres. Ainsi, il s’en alla très édifié.


XCIII.
Admirable réponse d’un ancien Solitaire en refusant aussi de recevoir de l’argent.
Num.20.

Un homme apportant de l’argent à un Ancien, Solitaire, qui était lépreux, lui dit : « Je te prie, mon Père, de recevoir ceci pour satisfaire à tes besoins, maintenant que tu es vieil & infirme. » Ce Saint Homme le refusant absolument lui répondit : « Viens-tu à dessein de me ravir Celui qui me nourrit depuis plus de soixante ans, & qui par Sa Miséricorde a fait que dans mon infirmité je n’ai eu besoin de rien durant tout ce Temps ? »

XCIV.
Bel exemple pour faire voir qu’il se faut abandonner entièrement à la Providence de Dieu.
Num. 21.

Les Anciens Pères racontaient qu’il y avait un jardinier, qui travaillant avec grand soin employait à faire des aumônes tout ce qu’il gagnait, & retenait seulement pour lui ce dont il avait besoin pour vivre. Mais le Diable lui ayant mis dans l’esprit d’amasser quelque argent pour se faire assister quand il serait vieux ou infirme, il remplit d’argent une petite bouteille. Etant quelque Temps après tombé malade, & s’étant fait une grande apostume à l’un de ses pieds, il donna inutilement tout ce qu’il avait amassé à des médecins, dont l’un des plus habiles lui dit qu’il fallait de nécessité lui couper le pied. Le jour ayant été pris pour faire cette opération, il rentra la nuit en soi-même, & étant touché de sa faute, dit avec beaucoup de larmes & de soupirs : « Souviens-toi, mon Dieu, des bonnes œuvres que je faisais, lors que, travaillant dans mon jardin, je donnais aux pauvres tout ce que je gagnais. » Il n’eut pas plutôt achevé ces paroles, qu’un Ange du Seigneur s’apparut à lui, & lui dit : « Où est cet argent que tu avais amassé, & cette confiance que tu y avais ? Alors, connaissant encore mieux quelle était la grandeur de sa faute, il répondit : « J’ai péché, Seigneur, je le confesse : Mais pardonne-moi s’il te plaît, & je n’y retournerai jamais. » L’Ange lui ayant ensuite touché le pied, il fut guéri au même moment, &, après s’être levé de grand matin, s’en alla travailler dans son jardin. Le médecin, étant venu à l’heure qui avait été résolue avec tout ce qui était nécessaire pour l’opération, lors qu’on lui dit qu’il était sorti dès le matin pour aller travailler dans le jardin, il en fut si étonné qu’il l’y fut trouver, & le voyant labourer la terre, rendit grâces à Dieu de ce miracle.

XCV.
Les ouvrages continuels, quoi que légers, sont préférables aux autres.
TIT.VII.
Num.11.

L’ Abba Mutoïs disait qu’il aimait beaucoup mieux un ouvrage léger & continuel qu’un ouvrage difficile & qui durait peu.

XCVI.
Belle considération d’une grande Sainte, pour ne se point affliger dans les maladies.
Num.17.

Sainte Synclétique disait : « Si nous tombions dans des infirmités & dans des maladies, quoi que fâcheuses, ne nous attristons pas de ce qu’elles nous empêchent de nous tenir debout pour prier, ou de pouvoir chanter l’Office, puis que ces incommodités détruisent en nous les désirs charnels ; & ainsi en faisant le même effet que les jeûnes & les travaux qu’on nous impose, elles nous dispensent de les observer. Car, comme les maladies sont chassées par de fortes médecines, les vices sont chassés de même par les maladies ; & c’est une grande vertu que d’être patient & de rendre grâces à Dieu dans l’infirmité. Ainsi, si nous devenons aveugles, ne nous en affligeons point, puis que nous perdons en perdant la vue un grand instrument de vanité ; mais contemplons avec les Yeux de l’Esprit la Gloire de Dieu. Si nous devenons sourds , n’en soyons pas pour cela tristes, puis que nous aurons perdu un moyen d’apprendre plusieurs choses vaines. Si nos mains sont affaiblies par quelque maladie, servons-nous de nos mains intérieures pour repousser les tentations de l’Ennemi. Et s’il arrive même que tout notre corps tombe dans l’infirmité, reconnaissons que notre homme intérieur en devient plus sain & plus robuste.

XCVII.
Belle considération de la même Sainte pour ne se point décourager dans nos bonnes œuvres.
Num.18.
La même Sainte disait : « Puis que ceux qui commettent quelque crime dans le monde, sont mis en prison, malgré qu’ils en aient, nous pouvons bien nous y mettre nous-mêmes pour satisfaire à nos péchés, afin de nous garantir par ce châtiment volontaire des peines que nous souffririons en l’autre Vie. C’est pourquoi si en jeûnant vous tombez malade, ne vous imaginez pas que ce soit le jeûne qui en soit la cause, puis que ceux qui ne jeûnent point ne sont pas exempts de maladies . & si vous commencez quelque bonne œuvre, gardez-vous bien de l’abandonner par les traverses que le Démon y apporte ; mais, au contraire, confondez-le par votre persévérance, puis que comme ceux qui naviguent & ont le vent favorable au sortir du port, ne déchargent pas leur vaisseau, ou ne l’abandonnent pas lorsqu’ils sont attaqués par des vents contraires, mais résistent courageusement à l’orage, & puis reprennent leur première route. Nous devons de même quand le Malin, comme un vent contraire, s’oppose à nos bonnes intentions, déployer, au lieu de voiles, la Croix de notre Sauveur ; & ainsi nous surmonterons tous les périls qui nous pourraient empêcher d’achever heureusement notre course durant cette vie».

XCVIII.

Qu’il est très dangereux d’embrasser la Vie d’Anachorète, auparavant que d’être assez confirmé dans la vertu.
Num.24.

Un Solitaire disant à un Ancien : « Que ferai-je, mon Père, pour résister à ces fâcheuses tentations, qui ne me permettent pas de demeurer seulement une heure dans ma cellule ? » Il lui répondit : « Mon fils, retourne dans ta cellule, & là demeure assis en travaillant de tes mains. Prie Dieu sans cesse : entretiens-toi avec lui, & prends garde que personne ne te trompe en te persuadant d’en sortir. » Il lui conta ensuite cette histoire : « Il y avait un jeune homme dans le monde qui désirait de se rendre Solitaire. Mais son père ne le lui voulait point permettre, quelque instance qu’il lui en fît. Enfin, il l’en fit tant prier par ses plus intimes amis qu’il y consentit. Ayant été reçu au Monastère, & pris l’habit, il accomplissait parfaitement toute le règle, jeûnant au commencement tous les jours, puis ne mangeant que de deux jours l’un, & enfin, une fois la semaine seulement. L’Abba l’admirait, & bénissait Dieu de le voir agir de la sorte. Quelque Temps après, ce frère le supplia de lui permettre d’aller demeurer dans le Désert. A quoi cet homme bon lui répondit : « Mon fils, ne te mets point, je te prie, cela dans l’esprit : C’est un travail qui passe tes forces. Tu n’y pourrais résister aux tentations & aux artifices du Diable. & lors qu’il t’attaquerait, tu n’aurais personne à qui avoir recours pour t’assister ». Sur ce refus, le Solitaire redoubla ses prières, & ainsi l’Abba voyant qu’il ne pouvait l’arrêter, le laissa aller, après s’être mis en Prière,& lui donna à sa demande deux Solitaires pour lui montrer le chemin qu’il devait tenir. Ayant marché deux jours dans le Désert par une excessive chaleur, ils se trouvèrent si faibles que n’en pouvant du tout plus, ils se jetèrent par terre & s’endormirent.. Alors, il vint un aigle qui les frappa de ses ailes, & après avoir ensuite volé assez loin devant eux s’assit en terre. S’étant éveillés, les deux Solitaires qui accompagnaient celui-ci lui dirent : « Voilà ton Ange. Lève-toi & suis-le ». Il se leva, & prenant congé d’eux, il suivit l’aigle, qui après que le Solitaire fut arrivé au lieu où il l’attendait, se leva & vola jusqu’à un stade de là ; pui s’assit encore ; & ainsi se levant toujours, & le Solitaire le suivant, cela continua de la sorte durant trois heures. Enfin l’aigle prit son vol à sa main droite, & ne parut plus. Ce Solitaire voulant néanmoins continuer de le suivre, il aperçut trois palmiers, une source, & une petite grotte ; & il dit alors en soi-même : « Voici sans doute le lieu que le Seigneur m’a préparé». Il entra ensuite dans la grotte, où il demeura seul durant six ans sans voir personne, mangeant des dattes de ces palmiers & buvant de l’eau de cette fontaine. Un jour, le Diable vint à lui sous la forme d’un Ancien, Solitaire, avec une figure affreuse. Ce qui l’ayant rempli de crainte, il se jeta contre terre pour prier, puis se releva. Alors le Diable lui dit : « Mon frère, prions encore. » Après qu’ils eurent prié & se furent relevés, cet esprit infernal lui dit : « Combien y a-t-il de temps que tu demeures ici ? » « Six ans », lui répondit-il. « Je t’avais pour voisin », ajouta le Démon, « mais il n’y a que quatre jours que je le sais. Mon Monastère est proche d’ici, & depuis onze ans je n’en suis sorti sinon aujourd’hui qu’ayant su que j’étais si proche de toi, j’ai dit en moi-même : « J’irai visiter cet Homme de Dieu pour conférer avec lui de ce qui peut servir à notre salut. Ce que je te dis, mon frère, parce que je crois que ce n’est pas y travailler utilement, que de demeurer ainsi dans nos cellules, sans y recevoir le corps & le sang de Jésus-Christ ; & je crains que nous nous perdions si nous manquons de participer à ce sacrement. C’est pourquoi, mon frère, j’estime que nous devons tous les dimanches, ou au moins de quinze jours en quinze jours, aller à un Monastère qui n’est qu’à trois milles d’ici, & dans lequel il y a un Prêtre, afin d’y communier, & puis retourner dans nos cellules. » Ce discours plut à ce frère, & le Dimanche suivant, le Diable vint & lui dit : « Allons, il est heure de partir. » Ainsi, ils allèrent dans ce Monastère où il y avait un Prêtre, & étant entrés dans l’église, ils se mirent tous deux en prière. Ce Solitaire ayant achevé la sienne, & ne voyant plus celui qui l’avait amené, dit en lui-même : « Où pourrait-il donc être allé ? » Après avoir attendu long temps, il sortit pour aller le chercher, & ne le trouvant pas, demanda aux frères s’ils ne savaient point ce qu’était devenu ce bon père avec lequel il était entré dans l’église. Ils lui répondirent : « Nous n’avons vu entrer personne avec toi. » Alors, il connut que c’était le Démon, & dit : « Voyez, je vous prie, avec quel artifice il m’a fait sortir du lieu où j’étais. Mais je n’ai pas sujet de m’en plaindre, puis que je suis venu ici pour un bon sujet, & qu’après avoir reçu le Corps & le Sang de Jésus-Christ, je retournerai dans ma cellule. » La Liturgie étant achevée, comme il s’en voulait aller, l’Abba le retint pour se sustenter avec la Communauté ; & puis il s’en retourna. A quelque temps de là, le Diable s’apparut encore à lui sous la forme d’un jeune homme séculier, qui après l’avoir considéré depuis les pieds jusques à la tête, dit : « Est-ce lui ? Ne l’est-ce pas ? »Sur quoi le Solitaire lui demandant pourquoi il le considérait de la sorte, il lui répondit : « Quoi, ne me reconnais-tu plus ? Je n’ai pas sujet néanmoins de m’en étonner, puis qu’il y a si long temps que nous ne nous sommes vus, je suis le fils du voisin de ton père. Ne se nommait-il pas ainsi ? & ta mère n’avait-elle pas un tel nom ? & ta sœur un tel ? & les serviteurs de ton logis ne s’appelaient-ils pas ainsi ? & toi, ne portes-tu pas un tel nom ? Il y a déjà plus de trois ans que ta mère & ta sœur ne sont plus au monde. Quant à ton père, il y a fort peu qu’il est mort, & il t’a institué son héritier en disant : « A qui puis-je laisser mon bien sinon à mon fils qui est un homme de sainte vie, & qui a quitté le monde pour servir Dieu ? Je lui donne donc tout mon bien, & veux qu’on l’aille chercher afin qu’il vienne recueillir ma succession, & la distribuer aux pauvres pour le salut de son âme & de la mienne. » Plusieurs sont allés ensuite te chercher inutilement ; & moi étant venu ici par occasion & pour quelque affaire, je t’ai rencontré & reconnu. Ne diffère donc pas davantage à t’en venir, pour vendre tout le bien que ton père t’a laissé, & exécuter sa volonté. » Ce Solitaire lui répondit : « Je ne vois point de nécessité qui m’oblige à retourner dans le monde. » « Si tu manques d’y retourner », lui répartit le Démon, « ce bien dépérit, tu en rendras compte devant Dieu. Car quel Mal y a-t-il, je te prie, d’y venir pour y distribuer comme un fidèle dispensateur ce bien aux pauvres, & empêcher que des personnes de mauvaise vie ne profitent de ce qui t’a été laissé ? Quel Mal y a-t-il que suivant la volonté de ton père tu fasses des aumônes pour le salut de son âme & de la tienne, & puis que tu retournes dans ta cellule ? » Enfin le Démon lui allégua tant de raisons qu’il lui persuada de retourner dans le monde, & l’accompagna jusques à la ville, & puis le laissa. Le Solitaire, voulant entrer dans la maison de son père qu’il croyait Mort & qui néanmoins était vivant, il le rencontra qui sortait, & qui, ne le reconnaissant pas, lui demanda qui il était, dont se trouvant fort surpris il ne savait que lui répondre. Enfin, lui ayant fait une seconde fois la même demande, il lui dit avec beaucoup de confusion qu’il était son fils. « Et qui t’a ramené ? » lui repartit alors son père. Sur quoi, ayant honte de lui, il lui dit que c’était le désir de le revoir, & demeura ensuite près de lui. Quelque Temps après, il tomba dans le péché, & étant très maltraité de son père, il fut si malheureux qu’il ne fit point pénitence. C’est pourquoi, mon frère, je te dis qu’un Solitaire ne doit jamais, pour quelque raison que ce soit, se laisser persuader de sortir de sa cellule. »

XCIX.
Pour quelles raisons il est permis de changer de lieu.
Num.26.

Un Saint Ancien disait : « Nos Anciens ne se résolvaient pas facilement à changer de lieu, sinon pour l’une de ces trois causes : ou que quelqu’un fût mécontent d’eux sans qu’ils puissent regagner son esprit, quelque satisfaction qu’ils lui fissent ; ou s’ils se sentaient attaqués par la vanité ; ou s’ils se trouvaient tentés par des pensées d’impureté ».

C.
Que Dieu nous tient compte de tous les travaux que nous entreprenons pour son service.
Num.31.

Un Ancien qui venait dans le Désert, & n’avait point d’eau plus proche de sa cellule que de douze milles, allant un jour en quérir se trouva si las que, n’en pouvant plus, il dit en lui-même : « Qu’est-il besoin que je me donne tant de peine, & ne vaut-il pas mieux que je vienne demeurer proche de cette eau ? » Comme il achevait ces paroles, il aperçut derrière lui un jeune homme qui le suivait & comptait ses pas. Lui ayant demandé qui il était, il lui répondit : « Je suis l’Ange du Seigneur qui suis envoyé pour compter tes pas, & t’en donner la récompense ». A ces paroles, il reprit courage de telle sorte que, redoublant sa ferveur, il s’en alla loger dans une cellule encore plus éloignée de cette eau que ne l’était la première.

CI.

Belle comparaison pour faire voir qu’un Solitaire ne doit point se relâcher, quelques obstacles qu’il rencontre.
Num.35.

Sur ce qu’on demandait à un Saint Ancien ce que doit faire un Solitaire vertueux, pour ne se point scandaliser quand il en voit d’autres s’en retourner dans le monde : « Il doit, » répondit -il, « imiter un lévrier qui, ayant découvert un lièvre, le poursuit toujours ; au lieu que les autres chiens qui ne courent que parce qu’ils l’ont vu courir, s’en retournent aussitôt qu’ils commencent à se lasser. Mais lui poursuit le lièvre jusqu’à la fin, sans se rebuter ni de voir retourner les autres, ni de rencontrer des chemins creux, ni des buissons, ni des halliers, ni même des épines qui le piquent. Car un Solitaire qui cherche Notre Seigneur Jésus-Christ doit de même continuellement regarder la Croix, & passer par-dessus tous les obstacles qui se rencontrent dans sa course, jusques à ce qu’il possède Celui qui y a été attaché pour son Salut».

CII.
Ne changer pas aisément de lieu.
Num.36.

Un Saint Ancien disait : « Ainsi qu’un arbre ne saurait fructifier lors qu’on le transplante souvent, un Solitaire ne saurait s’avancer dans la Vertu lors qu’il change souvent de lieu ».
CIII.
Comme il faut résister aux tentations.

Num.39.

Un Solitaire étant tenté de quitter son Monastère, il prenait tous les jours la peau sur laquelle il couchait, comme étant près de s’en aller, & lors que le soir était venu, il disait en lui-même : « Attendons jusqu’à demain». Puis, la nuit étant passée, il disait : « Faisons-nous violence pour demeurer encore ici pour l’Amour de Dieu. » Et continuant de jour en jour à en user de la sorte, il passa ainsi neuf années, après lesquelles Dieu le délivra de cette fâcheuse tentation.

CIV .
Qu’en travaillant peu à peu sans se décourager, on peut résister aux tentations.
Num. 40.

Un Solitaire souffrant de si grandes tentations qu’il ne pouvait plus observer les règles de la Vie Religieuse, & que quand il voulait se remettre à les pratiquer, ces mêmes tentations l’en empêchaient, il disait en lui-même : « Quand me retrouverai-je au même état où je me suis vu autrefois ? » Puis, ces tentations l’accablant, il ne pouvait s’appliquer à quoi que ce soit. Enfin, il alla trouver un Ancien, auquel ayant raconté ce qui se passait, ce Saint Homme lui répondit : « Un homme ayant un héritage qu’il négligeait de cultiver, il devint en friche & tout plein de ronces ? Quelque temps après, il s’avisa de le vouloir remettre en valeur, & dit à son fils : « Allez défricher cette terre. » Y étant allé, il la trouva si pleine d’épines que perdant toute espérance d’en venir à bout, il dit en lui-même : « Quand aurai-je arraché & nettoyé tout cela ? » Puis, se jetant contre terre, il se mit à dormir, & continua à faire la même chose durant plusieurs jours. Son père étant venu pour voir son ouvrage, &, trouvant qu’il n’avait rien fait, lui dit : « D’où vient que tu n’as encore rien fait ? » « Mon Père, » lui repartit-il, « toutes les fois que je suis venu pour travailler, cette quantité de ronces m’a fait peur, & m’a découragé de telle sorte qu’au lieu de travailler, je me jetais en terre & m’endormais. » Sur cela son père lui repartit : « défriche chaque jour autant d’espace que tu en occupes lors que tu es couché par terre, & ton ouvrage s’avançant ainsi peu à peu, tu ne te trouveras plus dans ce découragement. » Son fils lui ayant obéi, il défricha dans peu de Temps son héritage. « Ainsi, mon frère, ne te décourage point, mais travaille peu à peu ; & Dieu, par Sa Grâce, te rétablira dans le premier état où tu étais. » Ce frère l’ayant cru, & pratiquant avec patience dans sa cellule ce qu’il lui avait conseillé, ses peines cessèrent par l’assistance de Jésus-Christ, &il rentra dans le calme & dans le repos d’esprit qu’il avait perdu.

CV.
D’un pauvre qui s’estimait heureux dans son extrême misère.
Num.46.

Un Saint Ancien nous disait : « Lors que j’étais à Oxyrinque, il vint des pauvres un samedi pour y recevoir la charité. Il faisait alors un extrême froid ; & quand la nuit fut venue, il y en avait un qui n’ayant pour toute couverture qu’une petite natte de jonc, il en mit la moitié sous lui, & se couvrit avec l’autre comme il put. Le froid le faisant trembler, je l’entendis qui se consolait lui-même en disant : « Je te rends grâces, mon Dieu, d’être en l’état où je suis. Car combien y a-t-il de personnes riches qui, à l’heure que je parle, sont en prison,& qui ont même les fers aux pieds sans jouir de la moindre liberté du monde ; au lieu que je suis heureux comme un roi pouvant aller où bon me semble. » Voilà de quelle sorte il parlait. & quand je le racontai aux frères, ils en furent extrêmement édifiés.

CVI.
Prédiction de Saint Antoine sur le sujet d’un Solitaire qui ne persévéra pas dans la Vertu.
TIT.VIII.
Num.1.

Quelques Anciens ayant rapporté à Saint Antoine un miracle fait en leur faveur par un jeune Solitaire, qui les voyant lassés de la longueur du chemin, avait commandé à des ânes sauvages de les porter jusqu’à sa cellule. Ce Saint leur répondit : « Ce Solitaire ressemble à mon avis à un vaisseau chargé de toutes sortes de richesses, mais qui court fortune de ne point arriver au port. Quelque Temps après Saint Antoine se mit tout d’un coup à pleurer & à s’arracher les cheveux. Ce que ses disciples voyant, ils lui demandèrent : « Mon Père, qu’as-tu donc ainsi à pleurer ? » Il leur répondit : « Je pleure de ce qu’une grande colonne de l’Eglise vient de tomber ; » ce que disant, il entendait parler de ce jeune Solitaire. Puis il ajouta : « Allez le trouver, & voyez ce qui lui est arrivé. » Y étant allés, ils le trouvèrent assis sur sa natte de jonc qui pleurait un péché qu’il avait commis. Aussitôt qu’il les vit, il leur dit : « Faites, je vous prie, que votre Saint Père demande pour moi à Dieu de me donner dix jours de terme, & j’espère qu’il recevra ma pénitence. » Mais il mourut au bout de cinq jours.

CVII.

Qu’il ne faut point parler des choses de Dieu à ceux qui ne s’en instruisent que pour en tirer vanité.
Num.6.

Un Solitaire étant venu de Phermé trouver l’Abba Théodore, & l’ayant prié durant trois jours de lui dire quelque chose, il n’en put tirer un seul mot. Ainsi, s’en étant retourné fort triste, le disciple du Saint Ancien lui dit : « D’où vient mon Père, que tu ne lui aies pas dit une seule parole ? »Il lui répondit : « Je n’avais garde, mon fils, parce qu’il trafique de discours, & ne recherche des instructions que pour les redire ensuite à d’autres, & en tirer vanité».

CVIII.
Ne point parler de ce qu’on ne pratique pas.
Num. 8.

Un autre Solitaire interrogeant le même Saint touchant des choses qu’il ne pratiquait pas, l’Ancien lui répondit : « Tu n’as pas encore fait provision d’un viasseau ; tu ne l’as point encore équipé ; tu n’as point encore commencé à naviguer ;& tu parles comme si tu étais déjà au lieu où tu as dessein d’arriver. Attends-donc à parler de ces choses lors que tu les auras pratiquées».

CIX.
Qu’il ne suffit pas d’être humble en certaines choses ; mais qu’il le faut être en toutes.
Num. 9.

L’Abbé Cassien racontait qu’un Solitaire étant venu trouver l’Abba Sérapion, & ce Saint Ancien le priant de vouloir selon la coutume faire la prière, il le refusa disant qu’il était un pauvre pécheur & indigne de porter l’habit de Solitaire ; & qu’ayant voulu ensuite lui laver les pieds, il avait usé des mêmes termes, sans vouloir jamais le permettre. En suite l’ayant fait manger, il lui donna une instruction charitable en lui disant : « Mon fils, si tu veux t’avancer dans la Vertu, ne bouge de ta cellule, & là, veille avec attention sur toi-même & sur les ouvrages de tes mains. Car il te sera beaucoup plus utile de demeurer ainsi en repos que de sortir comme tu fais. » A ces paroles, le Solitaire s’aigrit tellement & changea si fort de visage, que Saint Sérapion ne pouvant pas ne le point voir, il fut obligé de lui dire : « Tu disais tantôt que tu étais un pauvre pécheur, & que tu n’étais pas digne de vivre.. Comment peux-tu donc maintenant t’emporter comme tu fais à cause que je t’ai donné une instruction charitable ? Que si tu as un vrai désir de devenir humble, apprends à supporter patiemment les avis que l’on te donne, & à n’en murmurer pas en toi-même. » Ce frère fut si touché de ces paroles qu’il fit pénitence en présence du Saint Ancien, & s’en retourna après avoir beaucoup profité de ces sages instructions.
P.579.
CX.
Qu’on doit éviter les actions de grand éclat, de peur de tomber dans la vanité.
L’Abba Nisteron l’Ancien, marchant au travers du Désert accompagné d’un Solitaire, & rencontrant un dragon, il s’enfuit. Sur quoi, ce frère lui dit : « Et quoi, mon Père, as-tu peur ? » « Non, mon fils », lui répondit ce Saint Homme. Mais je suis obligé de m’enfuir à la vue de ce dragon, par ce que je n’ai pas assez de vertu pour faire fuir le Démon de la Vanité »

CXI.
Pratiquer ce que l’on enseigne aux autres.
Num. 14.
L’Abba Pastor disait : « Fais que ton esprit pratique ce que ta langue enseigne aux autres. Car les hommes prennent plaisir à paraître parfaits dans leurs discours ; mais ils se trouvent faibles & imparfaits lors qu’il s’agit de pratiquer ce qu’ils disent».

Qu’il faut relever, & non pas accabler ceux qui sont tombés.
TIT.IX.
Num.1.
Un frère, qui était dans le Monastère de l’Abba Elie, en ayant été chassé à cause de quelque tentation à laquelle il avait succombé, il s’en alla trouver Saint Antoine, qui après l’avoir gardé durant quelque Temps auprès de lui le renvoya d’où il venait. Mais les frères ne le voulant pas recevoir, il s’en alla encore trouver Saint Antoine, & lui dit : « Mon Père, ils n’ont pas voulu me recevoir ». Sur quoi ce grand Serviteur de dieu leur envoya dire ces propres mots : « Un vaisseau après avoir perdu tout ce dont il était chargé & fait naufrage, est arrivé enfin avec grande peine au bord de la mer, où le voyant en cet état vous le voulez faire périr. » Ces paroles leur ayant fait connaître le sentiment & l’intention du Saint, ils reçurent aussitôt ce Solitaire.

CXIII.

Que la considération de nos propres fautes nous doit empêcher de juger trop facilement de celles d’autrui.
Num.4.

Un Solitaire de Scété ayant commis une faute, les Anciens s’assemblèrent & envoyèrent prier l’Abba Moïse de vouloir venir. Ce qu’ayant refusé, ils l’en firent presser une seconde fois par un Prêtre, qui lui dit qu’ils l’attendaient tous. Il vint donc portant sur son dos une vieille corbeille pleine de sable. Etant allés au-devant de lui, & le voyant en cet état, ils lui dirent : « Que veut dire cela, mon Père ? » « Ce sont, » leur répondit-il, « mes péchés que je ne vois pas parce qu’ils sont derrière moi ; & vous me faites venir ici pour être juge de ceux d’autrui. » Ce qu’ayant entendu, ils pardonnèrent à ce frère sans lui parler davantage de la faute qu’il avait faite.

P.580.
CXIV.

Combien il faut garder exactement le précepte de ne point juger son frère.

Num.1
Un Saint Ancien disait : « Quoi que vous soyez chastes, ne jugez pas pour cela celui qui a commis un péché d’impureté, afin de ne contrevenir point à la loi aussi bien que lui, puis que le même qui nous a défendu de commettre une impureté nous défend aussi de juger».

CXV.

Que nous devons nous-même prier Dieu pour nous.

TIT.X.
Num.3.

Un Solitaire priant Saint Antoine de prier pour lui, le Saint répondit : « Ma Prière te sera inutile, & Dieu n’aura pas pitié de toi, si tu n’as aussi soin de t’adresser à lui, & de le prier toi-même».

CXVI.

Que la vigilance sur nous-mêmes est encore plus importante que le travail.

Num.11.

Sur ce qu’on demandait à l’Abba Agathon : « Quel est le plus important & le plus considérable devant Dieu, ou le travail extérieur & corporel, ou le soin de veiller intérieurement sur nous-mêmes ? », il répondit : « L’homme ressemble à un arbre, dont les feuilles se rapportent au travail du corps, & le fruit au soin de veiller sur ce qui se passe au-dedans de nous. Ainsi puis qu’il est écrit que tout arbre qui ne portera pas de bon fruit sera coupé & jeté au feu, nous devons mettre notre principal soin à veiller sur notre âme pour lui faire produire de bons fruits, c’est-à-dire de bonnes pensées & de bonnes intentions. Ce qui n’empêche pas que nous n’ayons besoin aussi du travail du corps, puis qu’il est comme les feuilles qui servent aux arbres, non seulement pour les orner, mais encore pour les couvrir & pour les défendre ». Or cet Abba Agathon était également intelligent dans les choses spirituelles, & infatigable dans ses actions, travaillant sans cesse de ses mains, étant fort austère dans sa nourriture & dans ses habits, & accomplissant parfaitement tous les exercices de la Vertu.

CXVII.
Que nos passions peuvent bien être liées & attachées, mais qu’elles demeurent toujours vivantes.
Num.15.

Ayant été rapporté à l’Abba Abraham qu’un Solitaire qui avait passé cinquante ans sans manger de pain & sans boire que fort peu d’eau, disait qu’il avait surmonté les tentations de la chair, l’avarice & la vaine gloire, il l’alla trouver & lui demanda s’il avait tenu ce discours. A quoi ayant répondu qu’oui, il lui dit : « Si entrant dans ta cellule, tu y trouvais une femme, pourrais-tu bien t’empêcher de songer que c’est une femme. » « Non », lui repartit-il ; « mais je combattrais contre la pensée que j’en aurais, afin de ne point offenser Dieu avec elle. » « Tu n’as donc pas entièrement étouffé cette passion, » repartit Saint Abraham, « mais elle vit encore en toi, & est seulement comme liée & attachée. » Puis il ajouta : « Si tu rencontrais en même temps dans ton chemin des pierres & quelque vase plein d’or, pourrais-tu ne mettre point de différence entre l’un & l’autre ? » « Non, » répondit le Solitaire, mais je résisterais à mes pensées, afin de ne point relever cet or de terre. » « Cette passion vit donc encore en toi, » repartit l’Abba Abraham, « mais elle est seulement comme liée. » Puis il continua ainsi : « Si on t’avait rapporté qu’il y a un des frères qui t’aime & qui dit du bien de toi, & qu’un autre te hait & parle à ton désavantage, & que tous deux te vinssent voir, les recevrais-tu d’aussi bon cœur l’un que l’autre ? » « Non », répondit ce Solitaire ; mais je me ferais violence, afin de ne pas moins bien traiter celui qui me hait que celui qui m’aime. » « Tu vois donc, » lui dit Saint Abraham, que les passions demeurent toujours vivantes, & que les Saints les arrêtent & les lient seulement en quelque sorte. »

CXVIII.
Que l’affaiblissement du corps augmente les forces de l’âme.

Num.27.

L’Abba Daniel disait : « Plus le corps est dans la force & dans la vigueur, & plus l’âme est sèche & aride . Et au contraire, plus le corps est abattu & languissant, & plus l’âme est forte & vigoureuse».

P.581.

CXIX.
Il y a plus sujet de s’étonner de voir des personnes demeurer dans la vertu, que d’en voir qui l’abandonnent.
Num.5.

Un bon Père disant à l’Abba Théodore qu’un frère avait quitté la solitude pour retourner dans le monde, il lui répondit : « Ne t’en étonne pas ; mais admire plutôt d’en voir qui surmontent les efforts que fait le Démon pour les rengager dans le siècle ».

CXX.
Que les hommes ne doivent pas s’imaginer de pouvoir vivre en ce monde comme des Anges.
Num.28.

L’Abba Jean le Petit ayant dit un jour à son frère aîné qu’il eût bien voulu être commeles Anges qui ne travaillent point, & n’ont soin que de louer Dieu incessamment, & ayant ensuite quitté son habit, & s’en étant allé dans le Désert ; après y avoir passé une semaine, il revint trouver son frère, qui, l’entendant frapper à la porte, lui dit : « Qui es-tu ? » Il répondit : « Je suis Jean ». « Jean, » lui repartit-il, « n’est plus maintenant entre les hommes, mais est devenu un Ange ». Sur quoi l’autre continuant toujours à frapper & à dire que c’était lui, il le laissa passer ainsi toute la nuit sans vouloir jamais lui ouvrir. Enfin, quand le jour fut venu, il ouvrit sa porte, & lui dit : « Si tu es un Ange, tu n’as pas besoin de me demander permission pour entrer dans ma cellule ; & si tu es un homme, ne faut-il pas que tu travailles afin de gagner ta vie ? » Alors, reconnaissant sa faute, il lui répondit : « J’ai failli, mon frère, pardonne-le moi ».

CXXI.
Belle réponse d’un Saint à un autre sur trois pensées qu’il disait lui être venues en l’esprit.
Num.33.
Isaï.58.
L’Abba Longin disant à l’Abba Loukas : « Trois pensées me sont venues dans l’esprit : « La première de faire un pèlerinage ; la seconde de jeûner ; & la troisième de fuir la vue des hommes. » Il lui répondit : « Quant à la première, où que tu ailles, tu n’y seras point pèlerin, si tu ne donnes un frein à ta langue ; mais tu le seras sans partir d’ici si tu la retiens dans le silence. Pour ce qui est de la seconde, le Prophète Isaïe dit : « Quand tu jeûnerais jusques à tomber dans une telle faiblesse que ta tête n’eût pas la force de se soutenir, & que tu deviendrais courbé comme un arc, cette mortification ne te rendrait pas si agréable à Dieu que lorsque tu empêcherais ton esprit de se laisser emporter à aucune mauvaise pensée. » Et pour ce qui est de la troisième, si tu ne te corriges pas de tes défauts en conversant avec les hommes, tu ne t’en corrigeras pas quand tu seras seul. »

CXXII.
Qu’il ne faut pas penser aux maux que nous font les hommes, mais à ceux que les démons nous peuvent faire.

Num.34.

Saint Macaire disait : « En nous souvenant des maux que nous font les hommes, notre esprit perd toute l’attention qu’il devrait avoir pour s’appliquer fortement à penser à Dieu. Mais en repassant par notre esprit les maux dans lesquels les Démons s’efforcent de nous faire tomber, nous nous rendons invincibles à leurs tentations ».

CXXIII.

D’un Saint qui augmenta étant Evêque les austérités qu’il faisait étant Solitaire.
Num.36.

On dit que lors que l’Abba Natyre, disciple de l’Abba Saint Silouane, demeurait dans l’hésyxhia de sa cellule sur la montagne du Sinaï, ses austérités corporelles étaient assez modérées. Mais lorsqu’il fut fait Evêque de Phrate, il les augmenta extrêmement. Sur quoi son disciple lui disant : « D’où vient, mon Père, que, lors que nous étions dans le Désert, tu ne te tourmentais pas de la sorte ? » Il lui répondit : « Mon fils, nous étions là dans la Solitude, dans la pauvreté, & dans l’hésychia. Ce qui faisait que je voulais ménager ma santé, de crainte qu’étant malade je ne fusse obligé de rechercher les commodités de la vie qui me manquaient. Mais, maintenant, nous voici engagés dans le Siècle, où il se rencontre tant d’occasions de sortir des bornes de la modération & de passer dans l’excès, que s’il arrive que vivant comme je fais je tombe malade, je ne manquerai pas de secours, & n’aurai rien fait néanmoins qui contrevienne à la résolution que j’ai prise de Vivre toujours en Solitaire ».

P.582.
CXXIV.
Qu’il faut user de douceur envers ceux qui avouent leurs fautes.
Num.48.

Le Saint Abba Pastor disait : « lors qu’un homme a commis un péché & qu’il l’avoue, il ne faut pas l’en reprendre avec aigreur, de peur de lui faire perdre courage. Mais il lui faut dire : « Mon frère, ne t’afflige point, & prends garde seulement à ne plus tomber en semblables fautes. » Par ce moyen vous fortifierez son esprit dans la résolution d’en faire pénitence. »

CXXV.
Que le vrai silence ne consiste pas à se taire, mais à ne point parler inutilement.
Num.51.

Le même Saint disait aussi : « IL y en a qui semblent se taire & qui parlent toujours néanmoins, parce que leur cœur condamne les autres. Et il y en a qui parlant depuis le matin jusques au soir demeurent toujours dans le silence, parce qu’ils ne disent une seule parole qui n’édifie ceux qui les écoutent, & qui ne leur soit utile. »

CXXVI.
Que la Vertu peut être égale dans des états entièrement différents.
Num.52.

Le même Saint disait encore : « S’il se rencontre trois hommes ensemble, dont l’un demeure dans une Sainte Hésychia, l’autre soit malade & rende grâce à Dieu dans sa maladie, & le troisième serve les deux autres de tout son cœur : Ces trois sont aussi semblables & aussi égaux entre eux que s’ils ne faisaient tous qu’une même chose.

CXXVII.
Comment on peut distribuer une succession selon Dieu.

Num.56.

Un Solitaire demandant au même Saint ce qu’il devait faire d’une succession qui lui était arrivée, il lui répondit : « Viens me voir dans trois jours, & je t’en dirai mon sentiment. » Etant revenu, il lui dit : « Mon frère, je ne sais que te dire. Que si je te conseille de la donner à tes parents, tu n’en recevras point de récompense devant Dieu. Et si je te conseille de la donner aux pauvres, ce sera le moyen de mettre ton âme en repos. Fais donc ce que tu jugeras être le meilleur sans t’en rapporter à moi. »

CXXVIII.

Qu’il ne faut pas consulter pour ne pas faire ce qui est visiblement mauvais.

Num.61.

Le même Saint disait : « Quand un homme voit qu’il ne saurait continuer de vivre comme il accoutumé sans préjudicier à son âme, il n’a point besoin de demander conseil pour savoir ce qu’il soit faire. Car, comme il est bon de consulter nos Anciens touchant nos secrètes pensées, afin qu’ils examinent si elles sont bonnes ou mauvaises, il n’est nul besoin de les consulter touchant les péchés qui sont manifestes ; mais il faut y renoncer & les quitter à l’heure même. »

CXXIX.

Que les Démons ne font point la guerre à ceux qui se conduisent par leur propre volonté.

Num.62.

L’Abba Abraham qui était disciple de l’Abba Agathon disant au même Saint : « D’où vient, mon Père, que les Démons me font une si cruelle guerre ? » Il lui répondit : « Les Démons te font la guerre ? Sache qu’ils ne nous la font jamais lors que nous faisons notre volonté propre. »

P.583.
CXXX.
Qu’il faut apprendre avec soin ce que l’on ignore dans ce qui regarde le Salut.
Num.67.

Qu’il y a une tristesse utile, & une qui est dangereuse.

Num. 71.

Sainte Synclétique disait : « Il y a une tristesse qui est utile, & une autre qui est dangereuse. Celle qui est utile est de gémir pour nos péchés, de déplorer l’ignorance de notre prochain, & d’appréhender, en nous départant de nos bons desseins, de n’arriver pas à la perfection où nous aspirons. Voilà quelles sont les bonnes tristesses. Mais le Diable nous en jette d’autres dans l’esprit qui ne sont point fondées en raison, & que l’on nomme chagrin, lesquelles il faut chasser par la Prière fréquente, & principalement en chantant des Cantiques.

CXXXII.
Que les Démons inspirent de faire des austérités excessives ; & du moyen de les discerner.

Num. 72.

La même Sainte disait : « Le Diable nous porte à faire des austérités excessives ; & nous en voyons pratiquer à ceux dont il est le maître. Mais quel moyen, dira-t-on, de discerner l’abstinence royale et toute divine, d’avec la tyrannique & diabolique ? Je réponds que la véritable règle du jeûne ne doit s’étendre que jusques à un temps limité & médiocre. Car c’est réjouir le Diable que de demeurer quatre à cinq jours sans manger, & puis de rompre son jeûne en mangeant avec excès, parce que tout ce qui n’est point renfermé dans certaines bornes ne dure guère. Gardez-vous donc bien de tirer soudain toutes vos flèches, de crainte que vous trouvant après cela désarmé dans cette guerre spirituelle, vous ne soyez surmonté facilement. Nos armes sont notre corps ; & notre âme est le soldat qui s’en sert pour bien combattre :Prenez donc soin de l’un & de l’autre, afin de n’être jamais surpris. »

CXXXIII.
De la véritable sagesse.
Num.75.

L’Abba Ypériquie disait : « Celui-là est véritablement sage qui instruit les autres plutôt par ses actions que par ses paroles. »

P.584.
CXXXIV.
Belle histoire, pour montrer qu’il ne faut pas juger de la Vertu par les austérités corporelles.
Num.76.

Un seigneur qui avait été en grand crédit en la cour de l’Empereur, étant venu de Rome & s’étant rendu Solitaire, demeurait en Scété tout contre l’église, & avait avec lui un serviteur. Le Prêtre de cette église reconnaissant la faiblesse de sa complexion, & qu’il avait toujours été nourri fort délicatement, lui envoyait ce que Dieu lui donnait, ou dont on faisait présent à l’église. Ayant passé vingt-cinq années de la sorte, il devint extrêmement Spirituel, homme de grande conduite, & se rendit fort célèbre. Un des plus grands Solitaires de toute l’Egypte, ayant su en quelle estime il était, le vint voir, dans l’espérance d’apprendre de lui à pratiquer des austérités corporelles encore plus grandes qu’il ne faisait. Après qu’il fut entré, qu’il l’eut salué, & qu’ils se furent assis, l’Egyptien voyant qu’il était vêtu d’une étoffe assez fine, qu’il avait un assez bon matelas, qu’il était couché sur une peau, qu’il avait un petit oreiller sous sa tête, qu’il avait les pieds fort nets, & qu’il portait des sandales, il se scandalisa en lui-même, parce que la coutume de ces lieux-là n’est pas d’en user ainsi, mais au contraire d’y vivre fort autrement. Le Romain à qui Dieu avait donné le don de Discernement s’en aperçut aussitôt & dit à son serviteur : « Traite-nous bien aujourd’hui à cause de ce bon Père qui vient d’arriver. » Ayant ensuite fait cuire quelques herbes, ils mangèrent à l’heure ordinaire, & il fit aussi boire à l’Egyptien un peu de vin, dont il usait à cause de son infirmité. Le soir, ils chantèrent douze psaumes, puis s’endormirent, & firent la nuit la même chose, c’est-à-savoir de chanter douze autres psaumes. L’Egyptien se levant de bon matin, lui dit : « Mon Père, prie pour moi s’il te plaît, & puis s’en alla assez mal édifié de lui. Comme il n’était encore guère loin, le Romain voulant lui faire perdre la mauvaise opinion qu’il voyait bien qu’il avait conçue sans sujet, envoya après lui pour le prier de revenir. Lorsqu’il fut retourné, il le reçut avec grande joie, puis lui dit : « Mon Père, dis-moi, je te prie, de quel pays es-tu ? » Il lui répondit : « Je suis d’Egypte. » « Et de quelle ville ? » ajouta-t-il. « Je ne suis d’aucune ville, & n’y ai jamais demeuré », repartit l’Egyptien. « Mais auparavant que de faire la vie que tu fais maintenant », lui dit le Romain, « à quoi t’occupais-tu dans le lieu où tu demeurais ? » « Je gardais, » lui répondit-il, « quelques héritages, pour empêcher que l’on n’y fît tort. » « Et où dormais-tu ? » « Dans le champ même. » « Et sur quoi couchais-tu ? » « Et sur quoi me serais-je couché ? » repartit l’Egyptien. « A-t-on des paillasses dans les champs ? » « Comment dormais-tu donc ? » continua le Romain. « Sur la terre toute nue », répondit-il. « Et que mangeais-tu, & quel était le vin que tu buvais ? » « Ne sais-tu pas, » lui répliqua-t-il, « ce que l’on mange & ce que l’on boit dans les champs ? » « Comment y vivais-tu donc ? » ajouta le Romain. « Je mangeais d’ordinaire, » lui répondit-il, « du pain tout sec, & quelquefois des salures, si j’en trouvais, & je buvais de l’eau toute claire. » « Voilà une rude manière de vivre », dit le Romain. « Et avais-tu quelque bain dont tu puisses disposer pour t’y laver ? » « Mon bain était la rivière, où je me baignais quand je voulais, » répliqua l’Egyptien. Alors ce sage Romain ayant tiré de lui toutes ces réponses, & reconnu par là quelle avait été sa première manière de vivre, & combien elle était pénible, lui raconta, pour son instruction & pour son utilité tout ensemble, quelle avait été la vie qu’il avait passée lors qu’il était dans le monde, en lui disant : « Ce misérable que tu vois est né dans cette grande & superbe ville de Rome, où je vivais en très grand crédit auprès de l’Empereur. » L’Egyptien fut si touché de ces premières paroles qu’il en écouta la suite avec beaucoup d’attention ; & le Romain continua de la sorte : « J’abandonnai Rome pour venir en cette solitude. Je quittai de grands palais & de très grandes richesses, pour me venir enfermer dans cette petite cellule. J’avais des lits en broderie d’or & des couvertures magnifiques : Au lieu de quoi Dieu m’a donné ce matelas & cette peau. J’avais des habits d’un prix incroyable, & voici maintenant ceux dont je me sers. Ma table était servie somptueusement ; & à présent, je mange un peu d’herbes, & je bois un peu de vin. J’avais quantité de serviteurs : & Dieu a mis au cœur de celui que tu vois de me tenir lieu de tout ce grand nombre. J’usais de bains très délicieux ; & maintenant je lave mes pieds avec un peu d’eau, & suis chauffé comme tu vois ? Et au lieu de la musique qui me divertissait dans mes festins, je chante douze psaumes durant le jour & autant durant la nuit. Mais le peu de service que je rends à Dieu dans l’hésychia & la tranquillité de ma retraite est si disproportionné aux péchés que j’ai commis dans le monde, que j’avoue avec regret que je lui suis un serviteur très inutile, & je te prie, mon Père, de ne te point scandaliser des choses que tu as vues auxquelles mon infirmité m’oblige. » Ce discours ayant extrêmement touché l’Egyptien, & l’ayant fait rentrer dans soi-même, il lui dit : « Quel sujet de confusion ne dois-je point avoir, mon Père ? moi qui, étant dans le monde, y étais si misérable, que l’ayant quitté pour embrasser la Vie Solitaire, je n’y ai trouvé que de la douceur & du repos, y étant beaucoup plus à mon aise qu’auparavant ; au lieu que tu as quitté volontairement, & sans que personne t’y obliges, toutes les délices du siècle pour passer dans une vie laborieuse ; & tu as abandonné les richesses & l’honneur, pour embrasser la pauvreté & l’humilité. » Ainsi, après avoir extrêmement profité de sa visite, il s’en retourna ; & ayant fait amitié particulière avec lui, il venait souvent le visiter pour recevoir ses avis. Car c’était un homme d’un grand Discernement & plein de l’Esprit de Dieu.

P.585. CXXXV.

Les lieux saints chassent ceux qui n’y vivent pas saintement.

Num.79.

Un Saint Ancien disait : « Quand un homme qui est dans un lieu saint n’y vit pas comme on doit vivre, ce lieu-là même le chasse, comme n’étant pas digne d’y demeurer. »

CXXXVI.
Qu’il faut bien se garder de jeter les âmes dans le désespoir.
Num.85.
Un autre Saint Ancien disait : « Un Solitaire qui avait commis un fort grand péché voulant en faire pénitence, il alla trouver un Ancien, auquel il ne dit pas ce qu’il avait fait. Mais il lui demanda si celui qui serait tombé dans une telle faute pouvait encore prétendre au Salut. Il lui répondit que non. Sur quoi ce frère dit en lui-même : « Puis qu’aussi bien je suis perdu, je m’en retournerai donc dans le monde. Comme il s’en allait, il lui vint en l’esprit de consulter l’Abba Silouane, qui était un homme très éclairé, & l’ayant été trouver, il lui proposa la chose ainsi qu’il avait fait à l’autre. Sur quoi ce Saint Homme, après lui avoir allégué plusieurs passages de l’Ecriture Sainte, lui dit : « Nous ne serons pas si sévèrement jugés à cause de nos mauvaises pensées que pour des péchés actuels. » Ces paroles ayant fait impression sur l’esprit de ce frère, & lui ayant donné quelque espérance, il lui déclara ce qu’il avait fait. Alors, Saint Silouane, comme un excellent médecin, aplliqua sur son âme un remède tiré des Divines Ecritures, en lui disant qu’il y avait un lieu de pénitence pour ceux qui se convertissent à Dieu par un véritable mouvemenet d’Amour & de charité. Quelques années après, cet autre Ancien qui avait jeté ce frère dans le désespoir, étant venu voir Saint Silouane, celui-ci lui dit : « Ce frère que ta réponse avait porté à se désespérer, & qui s’en retournait dans le monde, reluit maintenant comme une Etoile entre les autres Solitaires ».
J’ai cru devoir rapporter ceci pour faire voir combien, lors qu’on est tombé dans un péché de pensée, ou dans un péché réel, il est périlleux de le découvrir à ceux qui n’ont pas le don de Discernement.

CXXXVII.
Qu’il faut combattre principalement celle de toutes les mauvaises pensées qui nous persécute davantage.
Num.88.

Un frère disant à un Saint Ancien : « Que ferai-je mon Père, étant combattu de mille mauvaises pensées, auxquelles je ne sais comment résister ? » Il lui répondit : « Ne les combats pas toutes ensemble ; mais combats-en une seulement. Car les mauvaises pensées des Solitaires en ont une principale qui est comme la tête de toutes les autres. C’est pourquoi il faut bien prendre garde quelle est celle-là, afin de la combattre puissamment ; puis que par ce moyen, l’on surmonte aussi toutes les autres. »

CXXXVIII.
Qu’encore que l’heure de ce qu’on doit faire soit passée, il ne faut pas laisser de le faire après.
Num.99.
Ps.75.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Mon Père, lors qu’il arrive que je m’endors,, & qu’ainsi l’heure de faire ce que je suis obligé, se passe, j’en ai tant de honte que je ne puis plus me résoudre à m’en acquitter. » Il lui répondit : « Quand il arriverait que tu t’endormirais jusques au jour, lors que tu t’éveilleras, lève-toi, ferme ta porte & tes fenêtres, & travaille à ton ouvrage. Car il est écrit : « Le jour & la nuit sont à toi. » ; & il n’y a point de Temps auquel on ne puisse glorifier Dieu. »

CXXXIX.
Se considérer comme étant seul avec Dieu seul.
TIT.II
Num.5.

Le Saint Abba Aloïs disait : « Un homme ne saurait être dans une pleine hésychia, s’il ne se considère comme étant seul dans le monde avec Dieu seul. »

P.586.
CXV.
Qu’il ne faut jamais se lasser d’exercer la charité.
Num.15.

Il y avait un Ancien en Scété qui était assez austère dans les travaux du corps, mais qui ne prenanit pas grand soin de retnir ce qu’on lui disait pour son instruction. Sur quoi, il alla trouver l’Abba Jean, afin d’apprendre de lui ce qu’il devait faire pour se corriger de ses défauts. Mais lors qu’il fut revenu dans sa cellule, il trouva qu’il avait oublié tout ce que ce Saint Homme lui avait dit. Il l’alla trouver une seconde fois. & il lui en arriva de même. Et ainsi encore par diverses fois. Quelque Temps après, ayant rencontré ce Saint Abba, il lui dit : « Mon Père, j’ai oublié comme auparavant tout ce que vous m’avez fait la charité de me dire, & n’ai osé revenir vers vous de crainte de vous importuner. Alors ce Saint Père lui dit : « Allume cette lampe ». & il l’alluma. Il lui ordonna ensuite d’apporter encore d’autres lampes, & de les allumer avec la première : ce qu’il fit ; & puis il lui dit : « La clarté de cette première lampe n’est –elle point diminuée parce que tu t’en es servi pour en allumer tant d’autres ? » « Non », lui repartit ce Solitaire. « De même, » reprit ce Saint Homme, Jean ne souffrirait aucune peine quand toute la Scythie viendrait vers lui, & rien ne saurait l’empêcher de s’acquitter de la charité à laquelle Dieu l’oblige. C’est pourquoi, ne fais nulle difficulté de me venir voir toutes les fois que tu le désireras. » Ainsi Dieu par la patience que chacun d’eux eut de son côté, l’un à demander instruction, & l’autre à ne la point refuser, guérit ce Solitaire de cette fâcheuse oubliance. Et il faut donner cette louange aux Solitaires de Scété, qu’ils travaillaient de tout leur pouvoir pour empêcher ceux qui étaient combattus par quelque violente passion de perdre courage, & qu’il n’y avait rien qu’ils ne fissent pour les porter à s’avancer dans le service de Dieu.

CXLI.

Qu’il faut régler la langue pour garder le cœur.
Num.27.
Un Solitaire disant à l’Abba Sisoès : « Mon Père, je désirerais extrêmement de conserver mon cœur dans une si grande pureté que rien ne la lui pût faire perdre, il lui répondit : « Et comment pouvons-nous conserver notre cœur dans cette pureté, si notre langue en ouvre la porte ? »

CXLII.
Avec quel soin nous devons fermer l’entrée de notre âme aux objets extérieurs.
Num.32.

Sainte Synclétique disait : « Nous devons vivre dans une vigilance continuelle, parce qu’encore que nous ne le voulions pas, les larrons entrent dans nous par nos sens comme par autant de portes. Et comment une maison peut-elle n’être point remplie de fumée, lors que celle qui vient du dehors en trouve les fenêtres ouvertes ? »

CXLIII.
Que l’on ne se perd pas seulement par les péchés extérieurs, mais aussi par les secrètes pensées.
Num.33.

La même Sainte disait : » Nous devons toujours être armés, & nous tenir sans cesse sur nos gardes pour résister aux Démons, d’autant qu’ils nous attaquent & par le dehors & par le dedans. Car de même qu’un vaisseau succombe sous l’effort des vagues qui l’attaquent par le dehors, ou coule à fond lors que la sentine s’entr’ouvre au-dedans, ainsi nous nous perdons quelquefois en commettant des péchés extérieurs & visibles, & quelquefois en nous laissant aller au dérèglement secret & caché de nos pensées. C’est pourquoi nous ne devons pas seulement nous opposer aux efforts que les démons font au-dehors pour faire périr notre âme ; mais nous devons tâcher aussi de dissiper toutes les mauvaises pensées qui se forment dans le fond & comme dans la sentine de notre cœur. »

P.587.
CXLIV.
Comme il arrive que l’on se sauve dans le monde, & que l’on se perde dans la retraite.
Num.34.
I.Cor.10.
Ps.103.

La même Sainte disait : « Nous ne sommes point assurés de notre Salut tandis que nous sommes en ce monde, comme il paraît par ces paroles de l’Apôtre : « Que celui qui est debout prenne garde de ne tomber pas ». & notre navigation est toujours douteuse, parce qu’ainsi que dit le Prophète : « Notre vie est semblable à une mer. »Mais comme il y a certains endroits dans la mer extrêmement périlleux, & d’autres qui sont fort tranquilles, ceux qui sont engagés dans le siècle naviguent dans cette partie de la mer qui est sujette à tant d’orages & de tempêtes, & non dans cette autre partie la plus tranquille & la plus calme. Ils naviguent dans les ténèbres & dans la nuit de l’ignorance, ce pendant que nous naviguons durant le jour & à la faveur du Soleil de Justice qui nous éclaire. Mais il arrive souvent néanmoins que ces séculiers recourant à Dieu dans l’appréhension des périls qui les menacent, & n’oubliant rien de tout ce qui peut dépendre d’eux, sauvent leur vaisseau ; & que nous au contraire par le mépris du péril que cette bonace nous donne, nous faisons naufrage, en abandonnant le gouvernail de la justice.

CXLV.
Que pour aller au Ciel, il faut y avoir le Cœur.
Num.35.

Le Saint Abba Hyperiquie disait : « Elevez sans cesse votre pensée vers le Royaume du Ciel, & vous l’aurez bientôt en partage. »

CXLVI.
Que la négligence fait qu’on ne s’aperçoit pas de ses fautes.

Num.43.

Un Solitaire disait à un Saint Ancien : « Mon Père, je ne sens rien dans mon cœur qui me combatte & me fasse peine », il lui répondit : « Tu ressembles à une maison qui a quatre portes par lesquelles toutes les pensées entrent & sortent en toi, sans que tu y prennes garde. Mais si ton cœur n’avait qu’une porte, & que tu la tiennes fermée pour empêcher les mauvaises pensées d’y entrer, tu les verrais s’arrêter au dehors & combattre contre toi. »

CXLVII.
On ne peut être réglé au-dedans quand on ne l’est pas au-dehors.
Num.45.

Un Saint Ancien disait : « Si notre homme extérieur n’est dans une vigilance continuelle, il est impossible de bien régler l’intérieur. »

CXLVIII.
Trois moyens dont le Démon se sert pour nous faire tomber dans le péché.
Num.46.

Un autre Saint Ancien disait : « Le Diable, pour nous faire tomber dans tous les péchés, se sert de trois moyens qui les précèdent toujours : & ces moyens sont l’oubli, la négligence, & la concupiscence. Car l’oubli engendre la négligence ; la négligence la concupiscence, & la concupiscence nous fait tomber dans le péché. Mais si notre esprit est si attentif sur lui-même qu’il ne se laisse jamais emporter à oublier ses devoirs, il ne tombe point dans la négligence ; & ainsi ne donne point d’entrée à la concupiscence, qui n’ayant nul pouvoir sur lui, il ne tombera jamais moyennant la Grâce de Jésus-Christ. »

CXLIX.
Qu’il n’y a rien de plus difficile à pratiquer que la Prière, & pourquoi.

TIT.XII.
Num.20.

Quelques Solitaires demandant à l’Abba Saint Agathon laquelle de toutes les vertus était la plus difficile à pratiquer, il leur répondit : « J’estime que c’est celle de la Prière, parce que lors que nous voulons Prier Dieu, il n’y a point d’effort que les démons ne fassent pour interrompre notre Prière, à cause qu’ils savent que rien n’est si puissant pour les désarmer & les empêcher de nous nuire. C’est pourquoi, en tous les autres travaux que nous entreprenons dans la Vie Religieuse, quelque continuels & pénibles qu’ils puissent être, nous ne laissons pas de jouir de quelque repos. Mais il ne se passe pas un moment dans la Prière que nous n’ayons toujours beaucoup à combattre.

CL.
Qu’il faut combattre les mauvaises pensées par les larmes.

Num.5.
Le Saint Abba Evagre disait : « Lors que dans votre prière il vous vient en l’esprit des pensées qui vous inquiètent, ne vous mettez pas en peine, pour vous en délivrer, d’en chercher d’autres. Mais servez-vous de vos larmes comme d’une épée bien tranchante pour combattre ces ennemis invisibles qui vous attaquent. »

CLI.
Que les véritables Solitaires doivent toujours Prier ou louer Dieu dans leur Cœur.
Num.6.

L’Abba du Monastère qu’Epiphane, de Sainte Mémoire, Evêque de Chypre, avait fondé dans la Palestine, lui ayant mandé que par l’assistance de ses Prières ils avaient soin d’observer leur règle, & de dire tous les jours exactement Tierce, Sexte, None, & Vêpres ; ce Saint Evêque, pour lui faire connaître que cela ne suffisait pas, lui répondit : » Il paraît par ce que vous dites que vous ne priez point aux autres heures, sans songer que les véritables Solitaires doivent Prier incessamment, ou louer du moins Dieu dans leur Cœur. »

CLII.
Sur le même sujet.
Num.12.

Un Saint Ancien disait : « Le moyen de nous corriger bientôt de nos défauts est de Prier Dieu sans cesse. »

CLIII.
Qu’il faut que notre âme soit purifiée auparavant que de pouvoir Contempler Dieu dans la Prière.
Num.13.
Un autre Saint Ancien disait : « Comme nous ne pouvons voir notre visage dans l’eau trouble, ainsi notre âme ne peut Contempler Dieu dans la Prière, si elle ne se purifie auparavant de toutes les pensées vaines qui la remplissent de nuages. »

CLIV.
Qu’on peut relâcher quelque chose de son austérité ordinaire pour pratiquer l’hospitalité.
TIT.XIII.
Num.1.

Quelques bons Prêtres étant allés en Panèphe vers l’Abba Joseph, pour apprendre de lui de quelle sorte ils se devaient conduire envers les frères qui les venaient visiter, & s’ils devaient en leur considération & pour les mieux recevoir diminuer quelque chose de leurs austérités ordinaires, il dit à son disciple avant qu’ils lui eussent parlé : « Demeurez-là, & prenez garde à ce que je ferai aujourd’hui. » Il mit ensuite deux sièges de jonc, l’un à main droite, & l’autre à main gauche, & dit à ces Pères de s’asseoir. Puis il entra dans sa cellule, & s’étant revêtu de vieux habits qui ne valaient du tout rien, il sortit & passa au milieu d’eux. Il rentra après dans sa cellule où il reprit les mêmes habits qu’il avait auparavant, & étant encore sorti, il se vint asseoir au milieu d’eux. Ce qui les ayant étonnés, ils lui demandèrent ce que cela voulait dire, & il leur répondit : « Avez-vous vu ce que j’ai fait ? » « Oui, » lui repartirent-ils. Puis il ajouta : « Ce méchant habit a-t-il causé quelque changement en moi ? » « Non, » lui répliquèrent-ils. « Et cet autre qui était meilleur m’a-t-il rendu pire ? » « Non, » lui dirent-ils. « J’ai donc toujours été le même », continua-t-il,& avec l’un & avec l’autre : & comme ce premier habit ne m’a point changé, ni le second ne m’a rendu pire que j’étais, nous nous devons conduire de la même sorte lors qu’il s’agit de recevoir les visites de nos frères, suivant ces Paroles du Saint Evangile : « Rendez à César ce qui appartient à César, & à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Ainsi, quand nos frères nous viennent visiter, nous devons les recevoir avec joie ; & lors que nous sommes seuls, nous devons répandre des larmes en la Présence de Dieu. » Ce discours remplit ces bons Pères d’admiration, parce qu’il leur fit voir qu’il avait connu leurs pensées auparavant qu’ils les lui eussent déclarées ; & ils s’en retournèrent en Glorifiant le Nom de Dieu.

CLV.
Belle réponse d’un grand Saint que l’on craignait d’importuner en le voulant voir.
Num.5.

Un Solitaire étant venu trouver l’Abba Pasteur la seconde semaine de Carême, après lui avoir découvert le fonds de son cœur, & que ses réponses lui eurent mis l’esprit en repos, il lui dit : « Il ne s’en est guère fallu, mon Père, que je ne sois point venu aujourd’hui. » « Et pourquoi ? » lui répondit le Saint Ancien. « Parce que je craignais, » lui repartit-il, « qu’à cause du Temps de Carême, tu ne voulusses pas m’ouvrir ta porte. » « Je ne sais point »,lui répliqua ce grand Serviteur de Dieu, « fermer cette porte qui n’est que de bois. Mais je fais tout ce que je puis pour tenir fermée celle de ma langue. »

CLVI.
Comme on doit toujours pratiquer la charité.
Num.6.

Un Solitaire disant au même Saint : « Lors que je donne un peu de pain, ou quelqu’autre chose à l’un de mes frères, le Démon gâte tout ce qu’il pourrait y avoir de bon en cette action, en me mettant dans l’esprit de plaire par là aux hommes. » Il lui répondit : « Cela n’empêche pas que nous ne devions assister nos frères dans leurs besoins. » Et il ajouta ensuite cette parabole : « Deux laboureurs demeuraient dans un même bourg, dont l’un ayant semé sa terre recueillit fort peu de grain & mêlé de beaucoup d’ordure ; & l’autre, ayant négligé de semer, ne recueillit rien du tout. Que si la famine fût arrivée, lequel des deux à ton avis pouvait plutôt l’éviter ? « Il n’y a point de doute, » lui répondit le Solitaire, « que c’eût été celui qui avait semé, quoi qu’il eût peu recueilli, & que ce peu fût mêlé de beaucoup d’ordure. « Ne manquons donc pas de semer », dit alors le Saint Ancien, « quoi que nous recueillions peu, & de mauvais grain, afin que dans un Temps de famine nous ne mourions pas de faim. »

CLVII.
Belle réponse d’un Solitaire touchant l’hospitalité.

Un Solitaire en étant venu visiter un autre, il lui dit en le quittant : « Pardonne-moi, mon Père, ce que je t’ai fait rompre ta règle. » « Ma règle », lui répondit ce Saint Homme, est de pratiquer la vertu d’hospitalité envers ceux qui me viennent voir, & de les renvoyer en paix. »

CLVIII.
Que la charité doit régler le jeûne.
Deux Solitaites étant venus voir une Saint Ancien qui pasait d’ordinaire un jour entier sans manger, il les reçut avec Joie, & leur dit : « Il est vrai que le jeûne a son mérite & sa récompense. Mais celui qui mange par un pur mouvement de charité pour faire honneur à son frère accomplit en même Temps deux préceptes, l’un de renoncer à sa volonté propre, & l’autre de bien recevoir ses frères. »

CLIX.
Qu’il y a plus de charité à obliger les personnes à vivre de leur travail, que non pas à les nourrir sans rien faire.
Num.13.

Un Solitaire, qui avait un frère séculier fort pauvre, lui donnait tout ce qu’il pouvait gagner par son travail. Mais, plus il l’assistait, plus sa nécessité augmentait. Ce qu’ayant rapporté à un Ancien, qui était un homme bon, ce Saint Homme lui dit : « Ne lui donne plus rien si tu m’en crois. Mais au contraire, dis-lui : « Mon frère, lorsque j’ai eu de quoi te donner, je l’ai fait. Maintenant, c’est à toi à travailler, pour m’assister à ton tour . » & quand il t’apportera quelque chose, reçois-le, & le donne à quelque pauvre étranger, ou à quelque pauvre Ancien, & prie-les de prier pour lui. » Ce Solitaire suivant ce conseil parla à son frère, lequel s’en alla fort triste. Quelque Temps après, il lui apporta des herbes de son jardin, que ce Solitaire donna à des Anciens, & les pria de prier pour lui, qui après avoir reçu la bénédiction s’en retourna en sa maison. A quelque Temps de là, il apporta encore des herbes & trois pains, que ce Solitaire distribua comme le reste, & le renvoya aussi après avoir reçu la bénédiction. Etant revenu pour une troisième fois, il apporta diverses choses, & du vin, & du poisson. Ce que ce Solitaire admirant, il fit assembler des pauvres, & le leur distribua. Puis, le Solitaire dit à son frère : « N’as-tu plus besoin que je te donne du pain ? » « Non », lui répondit-il. « Car, lors que tu me donnais quelque chose, il semblait qu’en même Temps le feu entrât dans ma maison pour le consumer ; & depuis que tu ne me donnes plus rien, Dieu m’assiste de telle sorte que j’ai beaucoup plus qu’il ne faut. » Ce Solitaire ayant rapporté ce qui s’était passé au Saint Ancien qui lui avait donné ce conseil, lui répondit : « Ne sais-tu pas que l’ouvrage des Solitaires est un feu qui consume tout ce qu’il rencontre, & qu’il est utile à ton frère de faire des charités de son travail, afin que les gens de bien prient pour lui, & que cela répande la bénédiction dans sa maison ? »

CLX.
Comme Dieu fait des choses extraordinaires en faveur de ceux qui s’abandonnent à Sa Providence.
Un Ancien qui était fort charitable vivait en commun avec un autre Solitaire. Etant arrivé une famine, quelques-uns venaient à leur cellule pour y demander l’aumône. Il ne la refusait à personne, mais donnait du pain à tous. Ce que ce frère voyant, il lui dit : « Donne-moi la part qui m’appartient, & fais ce que tu voudras de la tienne. » L’Ancien ayant ensuite partagé avec lui, selon son désir, tout ce qu’il avait de pain, il continua de ce qui lui en resta à faire l’aumône comme de coutume, & plusieurs venaient à lui sachant quelle était sa charité. Dieu voyant sa sainte résolution répandit Sa Bénédiction sur ses pains. Et au contraire ce frère qui avait voulu avoir sa part & n’en rien donner, se voyant réduit à n’en avoir presque plus, pria l’Ancien de trouver bon qu’il recommençât de vivre en commun avec lui : ce qu’il lui accorda volontiers. Une autre famine étant arrivée, & plusieurs pauvres venant encore pour recevoir la charité, il en entra un, en même Temps que ce frère venait d’apercevoir que le pain leur manquait. & ainsi cet Ancien lui ayant dit de donner l’aumône à ce pauvre, ce frère lui répondit qu’il n’y avait plus de pain. « Entrez dans la cellule & cherchez, » lui repartit ce Saint Homme. Ce qu’ayant fait, le frère vit que le lieu où on avait accoutumé de le mettre en était tout plein. Il en prit un qu’il donna au pauvre non sans un grand étonnement, & apprenant par là quelle était la Foy & la Vertu de l’Ancien, il en glorifia Dieu.

P.591.
CLXIV.
D’un Solitaire qui chassa la Démon par sa patience.

L’Abba Daniel racontait que la fille d’un des principaux notables de la ville de Babylone qui aimait fort un Solitaire, étant possédée par le Démon, ce Solitaire lui dit : « Je crois que personne ne peut guérir ta fille, sinon certains Solitaires que je connais. Mais ils sont si humbles que si tu la leur mènes, ils ne se résoudront jamais de l’entreprendre. Ainsi, le seul remède que j’y vois est, lors qu’ils viendront dans la ville vendre leurs ouvrages, de les acheter & de leur dire de venir chez toi pour en recevoir le prix ; & lors qu’ils y seront, tu les prieras de se mettre en Prière. Car j’espère que par ce moyen ta fille sera guérie. » Etant allés ensuite dans le marché, ils y trouvèrent un disciple des Saints Anciens du Désert qui y venait vendre ses corbeilles. Ils les achetèrent, & le menèrent dans la maison pour en recevoir le prix. Aussitôt qu’il fut entré, la fille lui donna un soufflet ; & lui, suivant le précepte de notre Seigneur lui présenta l’autre joue. Sur quoi le démon s’écria : « Quelle violence ! L’observation des préceptes de Jésus-Christ me chasse d’ici. » Les Saints Anciens du Désert ayant su ce qui s’était passé en rendirent grâces à Dieu, & dirent : « C’est ainsi que l’humilité des préceptes de notre Sauveur dompte les démons. »

CLXV.
Combien il importe de se reprendre soi-même.
Num.15.

L’Abba Evagre disait : « Le commencement du Salut est de se reprendre soi-même. »

CLXVI.
Sur le même sujet.
Num.29.

Théophile de Sainte Mémoire, Patriarche d’Alexandrie, étant allé voir les Solitaires de la montagne de Nitrie ; & demandant à leur Abba quelle était la chose qu’il avait reconnue dans la Vie qu’il embrassait, pour être la plus utile à s’avancer dans le service de Dieu, ce Saint Ancien lui répondit : C’est de m’accuser & de me reprendre sans cesse moi-même. A quoi le Patriarche repartit : « Tu as raison, mon Père, & il n’y a point d’autre voie qui mène au Salut que celle-là. »

CLXVII.
Quelle pureté il faut avoir pour être Diacre.

Num.21.

Les Solitaires de Scété racontaient que l’Abba Théodore ayant été ordonné Diacre, & ne se pouvant résoudre d’en exercer la fonction, il fuyait tantôt d’un côté, & tantôt d’un autre ; & que les pères le ramenant & l’exhortant de ne point abandonner ainsi son ministère, il leur répondit : « Laissez-moi aller s’il vous plaît, afin que je prie Dieu de me faire connaître Sa Volonté. Et s’Il Veut que j’exerce cette charge, je ne manquerai pas de m’y soumettre. » Puis il pria Dieu en ces termes : « Seigneur, si c’est Ta Volonté que j’exerce cette fonction, fais-le moi s’il te plaît connaître. Et en suite de cette Prière, il aperçut une colonne de feu qui allait depuis la terre jusques au Ciel, & entendit une voix qui lui dit : « Si tu peux être tel que cette colonne, va, & exerce ce ministère. » Ces Paroles le firent résoudre de ne point faire la fonction de Diacre. Et étant allé à l’église, ces bons Pères lui firent des excuses de l’y avoir voulu contraindre, & le prièrent que s’ilne voulait pas exercer les autres fonctions de Diacre, il ne refusât pas au moins de tenir le Saint Calice ; mais il ne s’y put résoudre : & sur ce qu’il leur dit, que s’ils l’y voulaient obliger il se retirerait tout-à-fait, ils le laissèrent en paix.
P.592.
Faire plutôt ce que l’on doit que de s’enquérir de ce qui ne nous regarde point.
Num.24.

Les Solitaires de Scété étant un jour assemblés, entrèrent en discours touchant le grand Prêtre Melchisédech ; & l’Abba Coprès, qui ne s’y était pas trouvé au commencement, étant venu dans l’assemblée sur l’instance qu’ils lui en firent, ils le prièrent de leur dire son sentiment sur ce sujet. Sur quoi, après avoir frappé trois fois sur ses lèvres, il dit : « Malheur à toi, Coprès, qui négliges de faire ce que Dieu t’ordonne, & oses t’enquérir des choses qu’il ne t’oblige point de savoir. » Tous les frères, l’entendant parler de la sorte, s’enfuirent dans leurs cellules.
CLXIX.
De l’humilité & de la crainte de Dieu.
Num.32.

Le Saint Abba Pastor disait que nous devons aussi continuellement respirer la crainte de Dieu & l’humilité, comme l’air sans lequel nous ne saurions vivre.

CLXX.
Moyen de vivre en repos dans la solitude.
Num.33.

Un autre Solitaire lui demandant de quelle sorte il se devait conduire dans le lieu où il demeurait, il lui répondit : « Veille avec autant de soin sur toi-même que si tu ne faisais que d’entrer dans la solitude, & ne désire jamais que l’on défère à tes sentiments : Ainsi tu vivras dans un très grand repos. »

CLXXI.
Moyens pour travailler à son Salut.
Num.34.
Le même Saint disait : « Seprosterner en terre en la Présence de Dieu ; n’entrer point dans une opinion avantageuse de soi-même ; & renoncer à sa volonté propre sont comme les instruments dont l’âme se sert pour travailler à l’ouvrage de son Salut. »

CLXXII.
De l’humilité.
Num.37.
Le même Saint disait que l’humilité était comme la terre sur laquelle Dieu voulait qu’on lui fît des sacrifices.

CLXXIII.
Ne point répondre à ceux qui nous louent.
Num.39.

Le même Saint disait : « Quelques-uns des plus Anciens d’entre les Solitaires étant un jour assis à table pour manger, & ayant loué la Vertu de l’Abba Alone qui les servait, il ne répondit un seul mot, dont quelques-uns lui ayant demandé la cause, il leur dit : « C’est parce que si j’avais répondu, il aurait semblé que je prenais plaisir qu’on me louât. »

CLXXIV.
Que le silence édifie plus que les discours.
Num.42.

Théophile, de Sainte Mémoire, Patriarche d’Alexandrie, étant un jour venu en Scété, tous les Solitaires s’assemblèrent pour le recevoir, & prièrent l’Abba Pambon de lui vouloir dire quelque chose dont il pût être édifié. Il leur répondit : « Si mon silence ne l’édifie, mes paroles n’auront garde de l’édifier. »

CLXXV.
De l’excellence de l’humilité.
Num. 49.

Le Saint Abba Hyperiquie disait : « Quelque grand que soit l’arbre de Vie, l’humilité d’un Solitaire s’élève jusques aux plus hautes de ses branches. »

CLXXVI.
Num.55.
Un Saint Ancien disait à un Solitaire : « Garde-toi bien de mépriser ton frère, en te croyant ou plus tempérant, ou plus chaste, ou plus habile que lui. Mais assaisonne toutes tes actions comme avec un sel spirituel, en les réglant sur la Sagesse de Jésus-Christ ; & soumets-toi à la Grâce de Dieu dans un esprit de pauvreté, & avec une charité non feinte, afin de ne perdre pas le fruit de tous tes travaux en te laissant emporter à la vanité. »

CLXXVII.
Ce que c’est que l’humilité.
Num.60.

Quelqu’un demandant à un Saint Ancien ce que c’était que l’humilité, il lui répondit : « C’est de pardonner à celui qui vous a offfensé, auparavant même qu’il vous en ait témoigné d’en avoir regret. »
CLXXVIII.
N’accuser que soi-même des maux que l’on souffre.
Num.61.

Un autre Saint Ancien disait : « Il ne faut point rejeter sur les autres, mais seulement sur nous-mêmes la cause de tous les maux qui nous arrivent, & nous devons croire que c’est une punition de nos péchés. »
CLXXIX.
Belle réponse d’un Solitaire que l’on avait maltraité.
Num.64.

Un Solitaire étranger étant arrivé à une église où les frères s’étant assemblés le jour d’une fête faisaient l’un de ces repas de charité que les Grecs nomment Agapes, du mot Amour, Agapè, quelques-uns demandèrent qui l’avait convié de demeurer, & lui dirent de se lever & de s’en aller ; ce qu’il fit. D’autres, étant fâchés qu’on l’eût traité de la sorte, sortirent après lui, & le ramenèrent ; & l’un d’entre eux lui demandant ensuite quels avaient été ses sentiments dans ce qui s’était passé, il lui répondit : « Je me considère comme si j’étais un chien, qui sort de la maison quand on le chasse, & y rentre quand on le rappelle. »

CLXXIX.
Belle réponse d’un Solitaire au Démon, qui se disait être un Ange de Lumière.
Num.68.

Le Démon s’étant transformé en un Ange de Lumière, il se présenta à un Solitaire & lui dit : « Je suis l’Ange Gabriel, & Dieu m’a envoyé vers toi. » A quoi lui ayant répondu : « Prends garde que ce ne soit vers quelque autre qu’il t’envoie. Ca quant à moi je ne suis pas digne de recevoir une si grande faveur », il disparut aussitôt.

CLXXXI.
Sur le même sujet.
Num.69.

Les Saints Pères disaient : « Quand bien même un Ange vous apparaîtrait véritablement, ne vous rendez pas facile à le croire . Mais humiliez-vous en disant : « Un pécheur tel que je suis n’est pas digne de voir un Ange. »

CLXXXII.
Que l’humilité est encore plus agréable à Dieu que le jeûne.
Num. 72.

Un Saint Ancien ayant jeûné durant soixante-dix semaines de suite, sans manger sinon une seule fois en chaque semaine, pour obtenir de Dieu l’Intelligence d’un certain passage de l’Ecriture Sainte, voyant qu’Il ne la donnait point, il dit en lui-même : « Puisque j’ai tant travaillé inutilement, j’irai trouver quelqu’un de mes frères, pour lui demander l’intelligence de ce passage. » Etant sorti, & ayant fermé sa porte pour s’en aller, un Ange du Seigneur s’apparut à lui, & lui dit : « Ce jeûne de soixante-dix semaines ne t’a pas rendu plus agréable à Dieu que tu n’étais. Mais maintenant que tu t’es humilié, & que tu as résolu d’aller trouver l’un de tes frères, afin de lui demander l’intelligence de ce passage, je suis envoyé pour te la donner ». Il le lui expliqua ensuite, & puis disparut.

CLXXIII.
Que rien ne nous est si avantageux que l’humilité.
Num.74.
Un Saint Ancien disait : « J’aime mieux être le moindre de tous, & demeurer dans l’humilité, que d’avoir toute sorte d’avantage sur les autres & en tirer vanité. »

CLXXXIV.
De la conduite qu’on doit tenir dans les choses qui donnent peine.
Num.76.

Un Solitaire disait à un Saint Ancien : « Mon Père, lorsque je suis avec les frères, & vois faire quelque chose mal à propos, trouves-tu bon que je le dise ? » Il lui répondit : « S’ils sont plus âgés que toi, ou de ton âge, tu feras mieux de n’en point parler, puisque tu t’avanceras d’autant plus dans la voie de ton Salut que tu t’humilieras davantage » . « Mais comment pourrai-je, » lui répliqua ce frère, « dans la peine que cela me donnera, me retenir de la sorte ? » « Si cela te donne tant de peine, » lui repartit ce Saint Ancien, « avertis-les avec humilité de leurs fautes. Mais une fois seulement, & s’ils ne s’en corrigent pas, remets entre les mains de Dieu ta peine, & Il t’en consolera. Car celui qui le sert En Esprit & En Vérité, doit s’abandonner entièrement à Sa Conduite, &renoncer à sa volonté propre. Ainsi, tu dois veiller sur toi-même, afin que, dans les inquiétudes & dans les peines qui t’arrivent, tu ne fasses rien qui lui puisse être désagréable. Et c’est pourquoi j’estime qu’il te sera avantageux de te taire, puis qu’alors ton humilité sera la cause de ton Silence. »

P.594.

CLXXXV.

Qu’il faut mettre un voile sur ses yeux pour s’empêcher de voir le Bien que l’on fait.
Num.80.

Un Saint Ancien disait : « Comme les meuniers couvrent les yeux des animaux dont ils se servent pour faire aller les roues de leurs moulins, afin de les empêcher de tourner la tête & de manger le fruit de leur travail, nous devons aussi avec l’assistance de Dieu mettre un voile sur nos yeux, pour nous empêcher de voir ce que nous faisons de Bien, de crainte qu’en nous estimant déjà parfaits nous ne perdions toute la récompense que nous en pourrions espérer. Et c’est pourquoi Dieu permet que dans certains intervalles nous ayons l’esprit rempli de quelques mauvaises pensées, qui sont comme un voile qui recouvre le peu de Bonnes Œuvres que nous faisons, afin que, les voyant, elles nous obligent par notre propre connaissance de nous condamner nous-mêmes : ce qui est l’une des choses du monde qui nous est plus utile.

CLXXXVI.
Avec quelle prudence on doit donner des instructions.
Num. 81.

Un autre Saint Ancien disait : « J’aime beaucoup mieux que l’on m’instruise que non pas d’instruire les autres. » Il disait aussi : « Quand vous voulez instruire quelqu’un, prenez le Temps propre pour cela, puis qu’autrement vous reculeriez plutôt que d’avancer dans la prudence de la conduite. »

CLXXXVII.
Moyens d’acquérir l’humilité.
Num. 82.
Sur ce qu’un Solitaire demandait à un Saint Ancien ce que c’était que l’humilité, il lui répondit : « C’est un ouvrage tout Divin. & le moyen de l’acqu érie est d’embrasser les travaux corporels, de se reconnaître pécheur, & de s’assujettir à tout le monde. » « Qu’est-ce que s’assujettir à tout le monde ? » répondit le Solitaire. « C’est, » lui réplique ce Saint Homme, « de ne prendre jamais garde aux péchés d’autrui, de considérer tous les siens, & de Prier Dieu sans cesse. »

CLXXXVIII.
Contre la curiosité.
Num.87.

Sur ce qu’on demandait à un Saint Ancien comment il se pouvait faire qu’on Vît des Anges, ainsi que quelques-uns assuraient d’en avoir Vu, il répondit : « Bien heureux est celui qui voit continuellement ses péchés. »

CLXXXIX.
Qu’il n’y a point de plus grande charité que de supporter les défauts d’Autrui.
TIT.XVI.
Num.11.
Un Solitaire en voyant un autre qui portait un Mort, il lui dit : « Mon frère, tu fais bien de porter les Morts. Mais tu feras encore mieux de supporter les vivants. »

CXC.
Que l’Amour chasse la crainte.
TIT.XVII.
Num.I.

Saint Antoine disait : « Je ne crains plus Dieu. Mais je l’Aime, parce que mon Amour pour Lui a chassé la crainte que j’avais auparavant. »

CXCI.

Entrevue de Saint Antoine & de Saint Hilarion.
Num.42.

Saint Antoine ayant dit à Saint Hilarion qui venait de la Palestine le visiter sur sa montagne : « Sois le bienvenu, claire Etoile du matin » ; il lui répondit : « La Paix de Dieu soit avec toi, brillante Colonne de Lumière qui soutient toute la terre. »

P.595.
CXCII.
Invention charitable d’un Saint pour ne point attrister un Solitaire.
Num.7.

Le Saint Abba Jean allant un jour avec quelques-uns de des frères, & celui qui les conduisait s’étant égaré à cause qu’il était nuit, ils lui dirent : « Que ferons-nous, mon Père ? Car ce frère s’est égaré, & nous courons fortune de Mourir faute de savoir le chemin. » Il leur répondit : « Si nous lui en parlons, nous l’affligerons, mais je témoigne être si las que je ne saurais plus du tout marcher, & ainsi je demeurerai ici jusques au jour. » Ce qu’il fit & tous les autres avec lui, afin de ne point attrister ce frère en lui disant la faute qu’il avait faite.

CXCIII.
Qu’il y a des rencontres où la charité nous oblige à passer par-dessus les règles ordinaires.
Num.12.

Le Saint Abba Paphnuce, qui ne buvait jamais de vin, allant par les champs, & étant fort fatigué du travail du chemin, rencontra une troupe de voleurs qui buvaient ensemble. Celui qui en était le chef l’ayant reconnu, & sachant qu’il n e buvait point de vin, lui dit en lui présentant d’une main un verre de vin, & tenant de l’autre son épée nue : « Si tu ne bois cela, je te tuerai. » Le Saint Ancien, qui, pour accomplir le commandement de Dieu, voulait gagner à Son service l’âme de cet homme, prit le verre, & but le vin. Ce qui toucha si fort ce voleur, qu’il lui demanda pardon & lui dit : « Pardonne-moi, mon Père, le déplaisir que je t’ai fait. » Le Saint Ancien lui répondit : « J’ai confiance En mon Dieu qu’Il se servira de cette rencontre, pour te faire Miséricorde & en ce monde & en l’autre ». A quoi ce voleur repartit : « Et moi, j’espère qu’à commencer dès ce moment Dieu me fera la Grâce de ne faire de ma vie tort à personne. » Ainsi le Saint gagna ce voleur, & ensuite tout le reste de sa troupe, en s’abandonnant pour l’Amour de Dieu à leur volonté.

CCXIV.
Que la charité envers les malades est préférable aux plus grandes austérités.
Num.18.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien qu’il connaissait deux frères, dont l’un ne bougeait de sa cellule, où il faisait de grandes austérités, & ne mangeait que de six jours l’un, ce qui est dire une seule fois la semaine, &l’autre assistait les malades : & lui demandant lequel des deux il croyait être le plus agréable à Dieu, il lui répondit : « Quand celui qui ne mange que de six jours l’un ferait des austérités encore plus grandes, il ne saurait égaler celui qui assiste les malades. »

CXCV.
Admirable & sainte dispute entre quelques solitaires.
Num.20.

Trois Solitaires étant allés pour travailler à la moisson, & ayant entrepris de foyer une certaine quantité de blé, l’un d’eux tomba malade dès le premier jour, & s’en retourna dans sa cellule. Sur quoi, l’un des deux qui étaient restés, dit à l’autre : « Tu vois, mon frère, que notre frère est tombé malade. Fais donc un peu d’effort de ton côté comme j’en ferai du mien, & j’espère qu’avec la Grâce de Dieu, & par le mérite de ses Prières, nous viendrons à bout, outre notre part, de celle qu’il avait entreprise, & qu’ainsi nous achèverons tout l’ouvrage. Cette proposition ayant été suivie de l’effet, lors qu’ils eurent touché le prix dont ils étaient convenus, ils dirent à ce frère de recevoir la portion qui lui en appartenait. Ce que refusant de faire, parce qu’il n’avait point travaillé, eux soutenaient au contraire qu’il la devait accepter, parce que ses Prières avaient été cause de ce qu’ils avaient achevé l’ouvrage. Sur cette dispute, ils se remirent au Jugement d’un Saint Ancien, auquel chacun d’eux ayant présenté ses raisons, il en fut si touché d’admiration qu’il commanda à l’un de ses disciples de faire assembler tous les frères. Ceux-ci étant arrivés, il leur dit : « Ecoutez, mes frères, un Jugement Equitable que je vais rendre. Il leur rapporta ensuite tout ce qui s’était passé, & puis ordonna que ce frère qui avait été malade recevrait sa part du travail des autres, pour en dispose comme il lui plairait ; dont ce dernier fut si affligé que, comme si on lui eût fait un grand tort, il se retira en pleurant.

P.596.
CXCVI.
Qu’il faut redoubler sa charité envers ceux qui ont le moins de Vertu.
Num. 23.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Lors que je vois un frère que j’ai appris avoir commis quelque faute, je ne puis me résoudre à le faire entrer dans ma cellule. Et quand j’en vois quelqu’un qui est vertueux, je l’y reçois avec Joie ». Il lui répondit : « Si tu vis bien avec celui qui est bon, vis encore deux fois mieux avec celui qui ne l’est pas, puis qu’étant faible, & comme malade, il a besoin d’une plus grande assistance. »

CXCVII.
Que Dieu ne permet pas que les Saints demeurent dans les erreurs où ils ne sont tombés que par une pure simplicité.
TIT.XVIII.
Num.4.
L’Abba Daniel racontait qu’un Ancien, un Solitaire, qui demeurait dans la basse Egypte, & dont la Vertu était admirable, disant que Melchisédech était Fils de Dieu, & cela ayant été rapporté à Saint Cyrille, Patriarche d’Alexandrie, ce grand personnage sachant que ce Saint Ancien était si agréable à Dieu qu’Il lui révélait tout ce qu’il lui demandait, & qu’ainsi ce n’avait été que par une pure simplicité qu’il avait tenu ce discours, il s’avisa, pour le détromper, de lui écrire ces mots : « Mon Père, me venant quelquefois en la pensée que Melchisédech est Fils de Dieu, & d’autres fois croyant au contraire qu’il ne l’est pas, mais que ç’a été seulement un homme qui était souverain pontife grand Prêtre du Seigneur, le doute où je suis me fait envoyer vers vous, pour vous prier de demander à Dieu qu’Il lui plaise de te révéler ce qu’on doit croire sur ce sujet. » L’Ancien, dans la confiance qu’il avait En Dieu, répondit sans hésiter : « S’il te plaît me donner trois jours de terme, je Prierai Dieu sur ce sujet, & puis te rendrai compte de ce qu’il lui aura plus de me révéler. » Il s’enferma ensuite dans sa cellule, & après avoir Prié Dieu durant trois jours, il dit au Bien heureux Cyrille : « Melchisédech n’est qu’un homme. » A quoi le Patriarche lui répondant : « Comment le sais-tu, mon Père ? » il lui répartit : « Dieu ayant fait passer devant moi tous les Patriarches depuis Adam jusques à Melchisédech, mon Bon Ange m’a dit : « Vois-tu celui-là. C’est Melchisédech. » N’en doute donc pas s’il te plaît. » Et depuis ce jour, le Saint Ancien, sans que personne l’y conviât, publiait partout que Melschisédec était un homme. Ce qui donna une extrême Joie au Saint Patriarche Cyrille de Jérusalem.

CXCVIII.
Que ceux qui Vivent selon Dieu ne doivent rien craindre.
Num. 53.

L’Abba Moïse qui demeurait en Scété disait : « Si nous gardons les préceptes des Saints Pères qui onté été auparavant nous, j’ai tant de confiance en la Miséricorde que j’ose sans crainte vous promettre que nous ne verrons point ici les Barbares. Mais si nous ne les observons pas, ce lieu sera sans doute détruit. »

CXCIX.
Des grands avantages que les âmes pures tirent de la Sainte Eucharistie.
Num.17.
Ps. 40.

L’Abba Pasteur disait : « Nous lisons dans les Psaumes que le cerf ne désire pas avec plus d’ardeur de désaltérer sa soif dans une fontaine que notre âme désire de goûter les délices de son Dieu. Or comme les cerfs après avoir mangé des serpents dans le Désert, & que leur venin s’est répandu dans tout leur corps, se sentent embrasés d’une telle ardeur qu’ils cherchent par tout des fontaines pour l’éteindre, de même les Solitaires étant embrasés dans la solitude par l’ardeur du venin des Malins esprits, désirent de rencontrer au jour du Dimanche de claires fontaines, c’est-à-dire le corps & le sang de notre Seigneur-Christ, pour être purifiés de l’infection d’un poison si redoutable.

P.597.
CC.
De l’incroyable humilité d’une Sainte Religieuse du Monastère de Thabène.
Num.19.
I.Cor.3.
L’Evêque Saint Vassili racontait que dans un Monastère de vierges il y en avait une qui, feignant d’être folle & possédée du Démon, était si méprisée de toutes les autres qu’elles ne la faisaient jamais manger avec elles. Ce qui, au lieu de l’affliger lui donnait beaucoup de Joie, d’autant que par ce moyen elle ne bougeait jamais de la cuisine, où elle seule suffisait à à tout ce qu’il y avait à faire. Ainsi, elle était le rebut de toute la maison, & faisait voir par effet ce que l’Apôtre nous enseigne par ces paroles : « Si quelqu’un d’entre vous désire d’être véritablement Sage en ce monde, il doit paraître fol pour être sage. » Toutes les autres Religieuses portant des capuches, elle se couvrait seulement la tête avec de méchants haillons. Elle les servait en toutes choses, & nulles d’elles, quoi qu’elles fussent jusques au nombre de quatre cent, ne la virent jamais manger, ni s’asseoir à table, ni recevoir seulement un morceau de pain ; mais, en nettoyant le réfectoire & en lavant les écuelles, elle vivait des miettes qui étaient tombées sous la table. Elle ne fit jamais le moindre déplaisir à personne ; elle n’ouvrit jamais la bouche pour dire la moindre parole, & ne se plaignit jamais de quoi que ce fût, bien qu’elle fût maltraitée de toutes les autres, & l’objet continuel de leur mépris. Saint Pistère, qui était un Anachorète d’une Vertu admirable, étant un jour assis au lieu nommé Porphyrite, un Ange du Seigneur s’apparut à lui, & lui dit : « Sur quoi te fondes-tu pour avoir une si bonne opinion de toi-même ? & t’imagines-tu d’être un Saint à cause que tu passes ta Vie dans le Désert ? Veux-tu voir une fille qui est plus Sainte que toi ? Va au Monastère des Religieuses de Thabène : tu y en trouveras une qui n’a la tête couverte que de haillons qui lui tiennent lieu de couronne, & qui est meilleure que toi, puis que combattant seule jour & nuit contre un très grand nombre d’autres qui lui font une si cruelle guerre, son cœur ne s’éloigne jamais de Dieu ; au lieu que toi, en demeurant toujours ici sans en partir, tu te promènes en esprit & par la pensée dans toutes les villes. » Ce Saint Homme n’eut pas plutôt entendu ces paroles qu’il s’en alla au Monastère de Thabène, & pria les higoumènes de le faire entrer dans la clôture des Religieuses ; ce qu’ils lui accordèrent fort volontiers, comme étant un homme non seulement très célèbre par sa Vertu, mais vénérable aussi par son grand-âge. Etant entré, & ayant vu toutes les sœurs excepté la Moniale pour le sujet de laquelle il était venu, il leur dit : « Faites venir, je vous prie, toutes vos sœurs. Car il me semble qu’il en manque quelqu’une. » Elles lui répondirent : « Il n’en reste qu’une qui est folle, laquelle est à la cuisine. » « Faites-la venir, je vous prie » leur repartit-il, « & que je la voie. » Les sœurs l’ayant ensuite appelée & voyant qu’elle ne voulait point venir, soit pour quelque autre raison, ou parce que Dieu lui avait révélé possible ce qui se passait, elles lui dirent : « Saint Pistère » – car c’était un homme fort célèbre & dans une haute réputation de Vertu- « te veut voir, & te demande. » Alors elle vint ; & quand elle se présenta devant lui ayant la tête couverte de haillons, il se jeta à ses pieds, & lui demanda sa bénédiction. Elle de son côté se jeta aux siens en le priant de lui vouloir donner la sienne, dont toutes les sœurs étant demeurées extrêmement étonnées, elles dirent à ce Saint Homme : « Mon Père, ne te fais pas ce tort s’il te plaît. Car cette fille a perdu l’esprit ». « C’est plutôt vous toutes, » leur répondit-il, « qui l’avez perdu. Elle est beaucoup plus Spirituelle que vous ni que moi, & je Prie Dieu de tout mon Cœur qu’au Jour du Jugement je sois trouvé semblable à elle. » Il n’eut pas plutôt dit ces paroles qu’elle se jetèrent toutes à ses pieds, & lui confessèrent toutes les injures & tous les outrages qu’elles avaient faits à cette grande Servante de Dieu. Le Saint se mit en Prière pour elles toutes, afin qu’il plût à Dieu de leur pardonner, & puis s’en alla. Peu de jours après, cette Sainte Vierge ne pouvant souffrir l’estime que l’on avait d’elle, & l’extrême honneur que toutes les sœurs lui rendaient, & ayant honte des excuses qu’elles lui faisaient de l’avoir si mal traitée, elle sortit en secret du Monastère, sans que l’on ait jamais pu savoir où elle alla, où elle se retira, & de quelle sorte elle Mourut.

SUITE DES
ACTIONS & PAROLES
REMARQUABLES
DES SAINTS PERES
DES DESERTS,
TIRéES
D’UN ANCIEN AUTEUR GREC,
TRADUIT
PAR JEAN SOUS-DIACRE,
MIS DU GREC EN FRANçOIS
PAR LE GRAND ARNAULD d’ANDILLY.


CCI.
D’où vient qu’en ce monde les méchants sont heureux, & les bons sont affligés.
TIT.I.
Num.13.
JEAN SOUS-DIACR.

Un Saint Père racontait que, dans le Désert de Nilopole, il y avait un Solitaire très vertueux, qui était servi par un séculier fort Homme de Bien, & que dans la ville qui porte ce même nom, il y avait un homme riche & impie, lequel étant Mort,l’Evêque accompagné de toute la ville assista à ses obsèques avec quantité de torches. En ce même Temps, celui qui servait ce Solitaire, étant sorti selon sa coutume pour lui aller chercher du pain, il rencontra cette grande pompe funèbre, & trouva à son retour qu’une bête avait dévoré le fidèle serviteur de Dieu. Alors il se jeta le visage contre terre En la Présence du Seigneur, & dit : « Je ne me lèverai point, mon Dieu, jusques à ce que Tu me fasses connaître d’où vient que cet impie a eu des obsèques si magnifiques, & qu’au contraire celui-ci, qui s’employait jour & nuit à Ton Service, est Mort d’une telle sorte. » Sur cela un Ange de Dieu s’apparut à lui, & lui dit : « Cet impie ayant fait quelque peu de bien durant sa vie, il en a reçu la récompense en ce monde, pour être éternellement tourmenté en l’autre. Et ce Solitaire au contraire, qui quoi qu’orné de toutes sortes de Vertus, avait par l’humains fragilité fait quelques petites fautes, en a été puni ici-bas, afin d’être trouvé pur dans le Ciel En la Présence de son Seigneur & Maître. » Ces Paroles ayant consolé ce pauvre homme, il rendit Grâce à Dieu de la Justice de Ses Jugements.

P.599.
CCII.
De la Vertu & de la Sainteté admirable d’un berger & de sa femme.
TIT.III
Num.3.

Deux Solitaires déjà fort âgés ayant Prié Dieu de leur faire connaître en quel état ils étaient, ils entendirent une voix qui leur dit : « Vous n’êtes pas encore si Vertueux qu’un séculier nommé Eucariste & que sa femme nommée Marie, lesquels demeurent dans ce bourg qui est de l’Egypte. » Aussitôt ils partirent pour y aller ; & là, s’étant enquis du lieu où ces deux personnes demeuraient, ils entrèrent dans leur petite maison, où ils trouvèrent seulement la femme, à qui ayant demandé où était alors son mari, elle leur répondit qu’étant berger il était allé mener paître son troupeau ; & ensuite elle les reçut. Eucariste étant revenu le soir avec ses brebis, & ayant trouvé ces Bons Anciens, il leur apprêta à manger, & mit de l’eau dans un bassin afin de leur laver les pieds. Sur quoi ils lui dirent : « « Nous ne mangerons point que vous ne nous ayez dit auparavant quelle est votre manière de Vivre. » Il leur répondit avec grande Humilité : « Je suis berger, & voilà ma femme. » Ces Bons Anciens insistant, & lui ne pouvant se résoudre à leur en déclarer d’avantage, ils lui dirent : « Dieu nous a envoyés vers vous. » A ces Paroles se trouvant saisi de crainte, il leur dit : « Ce troupeau que vous voyez nous est venu par succession de père en fils. Nous séparons en trois parts tout l’accroissement qu’il plaît à Dieu lui donner, dont nous en donnons une aux pauvres ; nous en employons une autre à recevoir les étrangers, & la troisième est pour nous entretenir & nous nourrir. Nous avons toujours vécu en continence, ma femme étant aussi vierge que le jour que je l’épousai. Nous dormons séparément, nous revêtant de sacs durant la nuit, & reprenant nos habits ordinaires quand il est jour, sans que jusques à cette heure qui que ce soit ait eu connaissance de ce que je viens de vous dire. » Ces deux Bons Anciens ayant entendu cela avec une extrême admiration, ils en rendirent Grâces à Dieu & s’en retournèrent.

CCIII.
Histoire étrange rapportée par Saint Macaire pour faire voir qu’il ne méritait pas de porter le nom de Solitaire.
Num.4.
JEAN SOUS-DIACR.

Saint Macaire d’Egypte étant venu de Scété au Monastère de l’Abba Pambon sur la montagne de Nitrie le jour qu’on y devait offrir le Saint Sacrifice, & les plus Anciens de ces Bons pères l’ayant prié de faire quelque exhortation aux frères, il leur répondit : « Je ne mérite pas encore de porter le nom de Solitaire. Mais j’en ai vu qui l’étaient véritablement. » & il leur dit en suite : « Comme j’étais en Scété dans ma cellule, il me venait sans cesse une pensée en l’Esprit, qui me pressait d’aller dans le Désert pour y considérer ce que j’y verrais. A quoi je résistai durant cinq ans dans la crainte que ce ne fût une tentation du Démon. Mais cette même pensée ne me quittait point. Enfin, j’allai dans le Désert, où je trouvai un étang au milieu duquel était une île. Je vis ensuite diverses sortes d’animaux qui venaient boire dans cet étang, & parmi eux deux hommes tout nus ; ce qui me fit trembler de crainte dans la créance que ce ne fussent des esprits, dont s’étant aperçus ils me dirent : « N’ayez point de peur : nous sommes hommes tout comme toi » Alors je leur demandai d’où ils étaient, & qui les avait amenés dans le désert. Ils me répondirent : « L’un de nous est né en Egypte, & l’autre en Lybie. Nous étions tous deux Solitaires, & nous sortîmes du Monastère d’un commun contentement pour Vivre dans le désert, où il y a quarante ans que nous demeurons. » Ils me demandèrent ensuite de quelle sorte allait le monde ; si les saisons suivaient toujours leur cours ordinaire ; si le Nil débordait comme de coutume, & si la terre continuait d’être fertile. A quoi leur ayant répondu, je leur demandai ce que je devais faire pour être un vrai Solitaire, & ils me dirent : « On ne saurait l’être sans renoncer à tout ce qui est dans le monde. » « Mais je suis faible », leur repartis-je, & je ne saurais faire ce que vous faites. » « Si tu ne le peux, » répliquèrent-ils demeure dans l’Hésychia, & pleure tes péchés dans ta cellule. » Leur ayant demandé en suite s’ils ne sentaient point durant l’hiver la rigueur du froid, & s’ils n’étaient point brûlés en été par l’extrême chaleur du soleil, , ils me répondirent que Dieu leur faisait la Grâce de les garantir de ces deux incommodités. Vous voyez donc mes frères si j’ai raison de vous dire que je ne mérite pas encore de porter le nom de Solitaire. C’est pourquoi dispensez-moi, s’il vous plaît, d’entreprendre de vous instruire de ce qu’il faut faire pour se rendre Parfaits dans une Profession si Sainte.

P.600.
JEAN SOUS-DIACR.
CCIV.
Que les Anges ont la même horreur de l’infection des péchés que nous de la puanteur des corps Morts.
Num.18.

Un Saint Ancien raconta qu’il y en avait un qui, marchant dans le Désert, Vit deux Anges qui l’accompagnaient, l’un à sa main droite, & l’autre à sa gauche ; & qu’après avoir marché un peu de Temps ils rencontrèrent un corps Mort. Sur quoi ce Bon Ancien s’étant bouché le nez à cause de la puanteur, & ces Anges ayant fait la même chose, il leur demanda s’ils avaient senti cette puanteur. Ils lui répondirent que non, & que ce qu’ils en avaient fait n’avait été qu’à cause de lui ; mais que comme ils ne sentaient point l’odeur de toutes les choses corporelles, ils sentaient & ne pouvaient souffrir la puanteur dont les âmes sont infectées.


CCV.
TIT.IV.
Num.4.
Ps. 48.
Qu’il faut rendre nos actions conformes à nos Prières.

Le Saint Abba Moïse disant que l’homme travaillait en vain si ses actions n’étaient conformes à ses Prières. Et un frère lui demandant ce que c’était que de rendre ses actions conformes à ses Prières, il lui répondit : « C’est de ne plus retomber dans les imperfections dont nous Prions Dieu de nous délivrer. Car lors que nous renonçons à notre volonté propre, nous revenons En Grâce avec Dieu, & Il exauce nos Prières. « Qu’est-ce qui nous aide le plus dans tous nos travaux ? » ajouta ce frère. « C’est », repartit le Saint Ancien, « Dieu qui nous aide, & qui nous assiste de Sa Grâce. Car il est écrit : « Notre Dieu est notre refuge & notre force, & c’est lui qui nous assiste dans nos plus grands maux & dans l’excès de nos souffrances ».

CCVI.
Ce que doit faire un son serviteur lors que son maître le châtie. Et comme il ne faut juger de personne.
Num.7.
Matth. 7.

Un Solitaire disant au même Saint : « Lors qu’un homme châtie son serviteur à cause d’une faute qu’il a faite, qu’est-ce que ce serviteur doit faire ? » « S’il est tel qu’il doit être, » répondit ce Saint Ancien, « il faut qu’il demande pardon à son maître. » « Et rien davantage ? » repartit le Solitaire. « Non »,dit l’Ancien, « parce qu’aussitôt qu’il confessera d’avoir failli & en aura demandé pardon, son maître le lui accordera. Mais en cela, comme en toute autre chose, ce que nous devons observer principalement, c’est de ne point juger notre prochain. Car nous devons nous souvenir que lors que Dieu fit Mourir tous les premiers-nés d’Egypte, il n’y avait point de maison où l’on ne pleurât un Mort. » « Que veut dire cela ? » répliqua ce frère. « C’est », repartit ce Saint Homme que si nous nous arrêtons à considérer nos péchés, nous ne penserons point à ceux d’Autrui, puis qu’il y aurait de la folie à un homme qui aurait perdu un de ses proches, d’abandonner son corps pour aller pleurer auprès d’un autre qui serait Mort chez son voisin. Or c’est être Mort à l’égard de notre prochain que de pleurer nos propres péchés, sans penser à ceux d’Autrui, sans dire : « Celui-ci est Homme de Bien, mais cet autre est un méchant ; sans faire mal à personne ; sans penser mal de qui que ce soit ; sans mépriser même celui qui fait mal, & sans néanmoins y consentir, ni s’en réjouir. Il ne faut aussi porter jugement de personne, mais se contenter de dire : C’est Dieu qui connaît le fond des cœurs. Il ne faut ni consentir à celui qui médit, ni prendre plaisir à ses médisances. Il ne faut point non plus consentir au jugement qu’on porte d’Autrui, puis qu’en cela consiste l’accomplissement de ce précepte de notre Seigneur : « Ne jugez point & vous ne serez pas jugés. » Il ne faut haîr qui que ce soit, non pas même celui qui hait son prochain, & ne consentir point toutefois à la haine qu’il lui porte. Par ce moyen nous acquérerons une Paix qui nous remplira de Consolation ; & en suite d’un travail de peu de Temps nous jouirons avec la Grâce de notre Seigneur Jésus-Christ d’un Repos & d’une Hésychia qui dureront Eternellement.

CCVII.
Qu’on ne peut être en repos qu’en s’abandonnant à la Volonté de Dieu.
Num.8.
Luc 4.
Jean 2.
Jean 13.
Luc 13.
Matth.26.
JEAN SOUS-DIACR.

Un Saint Ancien disait : « C’est pour nous misérables pécheurs que notre Sauveur est né. C’est pour nous sauver que le Fils de Dieu est venu au monde ; qu’il a voulu se faire Homme comme nous sans toutefois cesser d’être Dieu ; qu’Il a Voulu être Enfant ; qu’Il a Voulu exercer l’office de Lecteur en prenant le livre dans la synagogue, & en lisant ces Paroles : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi : Il m’a consacré par Son Onction Divine, & m’a envoyé prêcher aux pauvres Son Evangile » ; qu’Il a Voulu exercer la charge de Sous- Diacre,lors que faisant un fouet avec des cordes Il a chassé les vendeurs du temple, les bœufs, les moutons, & toutes les autres choses qui en profanaient la Sainteté ; qu’Il a Voulu exercer l’office de Diacre, lors que, mettant un linge autour de Lui, Il a lavé les pieds de Ses Disciples, & leur a ordonné de laver à Son Imitation ceux de leurs frères ; qu’Il a Voulu exercer la charge de Prêtre, lors qu’Il s’est assis entre les Docteurs pour les Enseigner ; & qu’enfin Il a voulu faire la charge d’Evêque, lors qu’Il a pris le pain, l’a rompu, l’a béni, & l’a donné à Ses Disciples. C’est pour nous qu’Il a été déchiré à coups de fouet ; qu’Il a été Crucifié, qu4il est Mort, qu’Il est Ressuscité le Troisième Jour, & qu4il est monté dans le Ciel. Il a Voulu, pour l’Amour de nous se charger de toutes nos infirmités & de tous nos maux. Il a Voulu Accomplir par ordre & avec une Conduite & une Sagesse admirable toutes les choses qui étaient nécessaires pour nous Sauver. Et nous ne voulons rien souffrir pour Son Amour. Soyons donc sobres, mes frères ; soyons attentifs sur nous-mêmes, & assidus à la Prière, afin qu’en accomplissant ce qui lui est agréable, nous puissions opérer notre Salut. Joseph n’a-t-il pas été vendu à des Egyptiens & mené dans une terre étrangère ? Les Trois Enfants de la fournaise qui étaient captifs en Babylone n’étaient-ils pas abandonnés de tout le monde ? Et lors qu’ils étaient en cet état, Dieu ne s’est-Il pas rendu leur Protecteur ; ne les a-t-Il pas assistés, & ne les a-t-Il pas comblés d’Honneur & de Gloire, parce qu’ils avaient Sa crainte gravée dans le Cœur ? Celui qui renonçant à sa volonté propre s’abandonne entièrement à Dieu & remet son âme entre Ses Mains, demeure dans un plein Repos, parce qu’il ne veut que ce qui lui plaît au lieu que nous travaillons & nous tourmentons inutilement, lors que sans attendre Son Secours nous nous efforçons d’accomplir notre volonté propre. »

CCVIII.
Qu’il ne se faut pas étonner des mauvaises pensées, mais travailler courageusement pour son Salut.
Num.23.
Le Saint Abba Isidore de Scété étant enquis par un Solitaire des moyens qu’il devait tenir pour résister aux pensées d’impureté, il lui répondit : « S’il ne nous venait point de pensées dans l’esprit, nous serions semblables à des bêtes. Mais comme le Diable fait de son côté tout ce qu’il peut pour nous perdre, tâchons aussi de faire du nôtre tout ce qui peut contribuer à notre Salut. Prions avec assiduité,& nous mettrons les Démons en fuite. Persévérons dans le Bien, & nous remporterons la Victoire. Combattons, & nous serons Couronnés. »

CCIX.
De la confiance que l’on doit avoir en la Miséricorde de Dieu.
Num.30.
Un homme qui travaillait à se corriger de ses défauts, demandant à un Saint Ancien si Dieu pardonnait aux Pénitents. Après qu’il lui eu répondu plusieurs choses capables de le Consoler, enfin il lui dit : « Mon fils, lorsque ton habit est rompu, le jettes-tu ? » « Non », lui repartit-il, mais je le racommode, & puis je continue à m’en servir. Si tu as tant de soin à conserver un habit, » lui dit alors ce Saint Homme, crois-tu que que Dieu ne prenne point de soin,& n’ait point de Pitié d’une créature qu’Il a formée à Son Image ? »

p.602.
CCX.
De l’appréhension qu’avait un grand Saint qu’on ne troublât le repos & l’hésychia de sa Solitude.
Num.32

Un juge de province étant venu en celle où l’Abba Pasteur demeurait, & les habitants du lieu ayant conjuré ce Saint Homme de l’aller trouver pour lui faire une Prière, il leur demanda trois jours de Temps, durant lesquels il Pria Dieu en ces termes : « Seigneur, fais que ce juge ne m’accorde point la grâce que je lui demanderai, puis que, si je l’obtenais, ces gens-ci viendraient sans cesse troubler l’hésychia de ma Solitude. Ayant en suite été prier le juge en faveur de ses habitants, il lui répondit : « Sais-tu bien mon Père que celui pour qui tu t’emploies est un voleur ? » Sur quoi le Saint au lieu de s’affliger de ce refus, s’en retourna dans sa cellule avec Joie de l’avoir reçu.




SUITE DES
ACTIONS ET PAROLES
REMARQUABLES
DES SAINT PERES
DES DESERTS
TIREES
DE PASCHAZE DIACRE.

CHAP.I.
Num.2.
PASCH.DIACR.

CCXI.
Qu’il y a danger de se nuire à soi-même en servant les autres.

Un Saint Ancien dit à un autre qui était extrêmement charitable, & recevait quantité de personnes qui le venaient voir, tant Solitaires que séculières : « La lampe fait sans doute du Bien à plusieurs en les éclairant par sa Lumière ; mais elle se consume aussi elle-même. »

CCXII.
Chap.7.
Num.3

. Qu’il faut guérir la malice des autres par notre Bonté.
L’Abba Pimène disait souvent : « On ne guérit jamais un homme de sa malice en lui faisant mal. Mais si vous lui rendez le Bien pour le Mal, vous surmonterez sa malice par votre bonté. »

CCXIII.
D’un grand Saint qui ne répondait volontiers que quand on lui parlait avec mépris.
CHAP .12.
Num.2.
PASCHAZ.
DIACR.
Lors qu’on venait trouver Saint Macaire avec grand respect pour recevoir de lui quelque instruction comme d’un Homme dont on révérait & vénérait la Sainteté, il était impossible de tirer une seule Parole de lui. Mais lors qu’on lui disait comme avec mépris : « Abba Macaire, quand tu menais des chameaux, ton maître ne te battaient-ils point lors que tu dérobais du salpêtre, & qu’ils t’y surprenaient ? » il répondait avec Joie à toutes les questions qu’on lui faisait.


P.603.
CCXIV.
Du soin que les Saints ont de cacher leur Vertu.

Lors que l’Abba Sisoès était Ravi en Extase, ou qu’il soupirait, en présence de quelqu’un des frères, il en avait tant de déplaisir qu’il disait : « Pardonne-moi, mon frère, je te Prie ; car il paraît bien que je ne suis pas encore un vrai Solitaire, puis que j’ai soupiré en la présence d’un autre. » Et lors qu’en se mettant En Prière il levait les mains au Ciel, il les abaissait aussitôt qu’il voyait venir quelqu’un, de peur d’en être loué.

CCXV.
Effets de la véritable Humilité.
CHAP.13.
Num.11.


L’Abba Matoïs disait : « Celui qui est véritablement Humble, non seulement ne se met jamais en colère, mais il empêche même par sa Douceur que les autres ne s’y mettent. »

CCXVI.
Combien il importe de se bien considérer soi-même.
CHAP.15.
Num.4.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Mon Père, quand je me considère moi-même, il me semble que je suis Bon, » il lui répondit : « Celui qui ne voit pas ses péchés s’imagine toujours d’être Bon. Mais lors qu’il les voit, les pensées qui lui passent dans l’esprit, ne sauraient le persuader qu’il soit Bon, parce qu’il s’arrête à ce qu’il voit. C’est pourquoi nous devons extrêmement travailler à nous bien considérer nous-mêmes, puis que la négligence, la paresse,& le relâchement aveuglent les yeux de notre âme. »
CXXVII.
Se considérer toujours comme étant plus grand pécheur que les autres.
CHAP.16.
Num. 3.

Un Saint Ancien en voyant un autre qui agissait avec négligence se mit à pleurer amèrement, & dit : « Ne suis-je pas bien misérable, puis que je tomberai demain dans la même faute que celui-ci commet aujourd’hui ? » Et en même Temps, il donna cette instruction à son Disciple : « Lors que quelqu’un tombe dans de grandes fautes en notre présence, ne le condamnez pas pour cela ; mais regardez-vous comme étant encore un plus grand pécheur que lui, quand ce serait même un séculier, si ce n’est qu’il blasphémât le Nom de Dieu : ce qui n’appartient qu’aux Hérétiques.

CCXVIII.
Que la Foy, l’Humilité, & la Charité sont inséparables.
CHAP.27.
Num.2.
Un Solitaire demandant à l’Abba Pimène ce que c’était que la Foy, il lui répondit : « C’est de pratiquer toujours la Charité & l’Humilité, & faire du bien à son Prochain. »

CCXIX.
Avec quelle Joie on doit assister son Prochain.

Lors que quelque Solitaire priait le Saint Abba Apollon de l’assister dans son travail, il y allait aussitôt avec une extrême Joie,& disait ces belles Paroles : « Je vais travailler aujourd’hui avec Jésus-Christ mon Roy pour le Salut de mon Ame. Car c’est elle qui en recevra la récompense. »

CCXX.
CHAP.24.
Num.1.

Du sujet que ceux qui font Pénitence ont d’espérer en la Miséricorde de Dieu, encore qu’ils Meurent auparavant que de l’avoir accomplie.

Un Solitaire ayant dit à l’Abba Piimène qu’il avait commis une grande faute, & lui ayant demandé ce qu’il devait faire pour en obtenir le pardon, il lui répondit : « Eloigne-toi du lieu où tu demeures maintenant d’autant d’espace de chemin que tu en pourras faire en marchant continuellement durant trois jours & trois nuits, & jeûne un an tout entier jusques à la nuit. » « Mais si je Meurs auparavant la fin de l’année, » lui repartit ce Solitaire, que deviendrai-je ? » « J’espère en la Miséricorde de Dieu, » répliqua le Saint, « que si tu prends une ferme résolution d’exécuter ce que je te dis, quand bien même tu Mourrais dans ce moment, il recevra ta Pénitence comme si tu l’avais entièrement accomplie. »

P.604.
CCXXI.
Ce qu’il faut faire pour être comme Mort au monde.

Le même Saint Abba Pimène disait : « Le Solitaire qui après avoir travaillé durant quelque jour se relâche dans son travail, puis recommence à travailler & retombe encore dans la négligence, doit passer pour lâche & pour négligent, & ne peut prétendre aux récompenses promises à ceux qui ont une Patience Persévérante. »

CCXXII.
CHAP.17.
Num.1.
De quelle sorte nous nous devons conduire quand on nous parle mal à propos.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « S’il arrive que quelqu’un des frères vienne à me parler de quelque chose qui ne regarde point notre profession, dois-je le prier de vouloir changer de discours ? » Il lui répondit : « Non, » parce que nous avons grande peine à observer cela nous-mêmes, & qu’il faut prendre garde de ne reprendre pas les autres d’une chose dans laquelle nous pourrions tomber avec encore plus d’imperfection qu’eux. » « Que faut-il donc faire ? » repartit le Solitaire. « Il suffira de demeurer dans le Silence, » répliqua le Saint Ancien, puis que par ce moyen nous donnerons exemple à notre Prochain d’en faire de même. »

CCXXIV.
CHAP.32.
Num.1.
De l’Humilité qu’il faut observer dans le Silence.
Saint Antoine disait d’ordinaire à son Disciple : « Lors que tu demeures dans le Silence, ne t’imagine pas pour cela de faire un acte de Vertu, mais reconnais plutôt que c’est que tu n’es pas digne de parler. »
CCXXV.
CHAP.35.
Num.2.
Qu’il se faut guérir soi-même avant que de penser à guérir les autres.
Saint Antoine disait souvent : « Les Saints Pères qui sont entrés auparavant nous dans le Désert, après s’y être guéris de toutes leurs infirmités & être devenus d’excellents médecins des âmes, ils en sont sortis, & ont ensuite guéri les autres. Mais lors que nous allons dans le Désert, nous voulons guérir les autres avant que de nous être guéris nous-mêmes : ce qui nous fait retomber dans nos premières infirmités, & nous met en pire état que nous n’étions auparavant. C’est pourquoi on a grande raison de nous dire : « Médecin, guéris-toi toi-même avant que de penser à guérir les autres. »

CCXXVI.
Excellentes Paroles de douze Saints Anachorètes.
CHAP.44.
Psalm.2.
Matth.11.
Ps.107.
Ps.18.
Ps.15.
Ps.41.

Douze Anachorètes fort Saints, fort Sages, & fort Spirituels s’étant un jour assembles, & se demandant les uns aux autres quell avait été le profit qu’ils avaient fait dans leur Solitude, & ce qu’ils y avaient médité de plus important.
Le premier & le plus âgé de tous dit : « Mes frères, depuis que j’ai commencé à Vivre dansl’Hésychia de la retraite du monde, je me suis résolu de Mourir entièrement à tout ce qui était hors de ma cellule, me souvenant des Paroles du Psaume : « Rompons leurs liens & secouons leur joug . » Je bâtis ensuite comme un mur entre mon Ame & les actions qui ne regardent que le corps, & dis en moi-même : « Ainsi que celui qui est au pied d’un mur ne saurait voir celui qui est de l’autre côté, ne regarde point non plus les actions extérieures, mais regarde-toi toi-même, &prend Patience en espérant que quelque jour Dieu accomplira Ses promesses. Considère comme autant de serpents & de scorpions toutes tes mauvaises pensées & tous tes mauvais désirs. Que si ensuite de ces résolutions je sens qu’il s’en élève dans mon esprit, j’y prends garde de si près, & les menace avec tant de chaleur & de colère que je les étouffe. Voilà comme j’en use sans cesse, sans rien pardonner à mon corps ni à mon esprit, de crainte qu’il ne le porte dans quelque dérèglement. »
P.605.
Le second dit : « Depuis que j’ai renoncé au monde, je ne cesse point de me dire à moi-même : « Songe que tu as reçu aujourd’hui une nouvelle naissance ; que tu as commencé d’aujourd’hui à Servir Dieu ; & que tu habites d’aujourd’hui dans cette cellule. Et ainsi, considère-toi sans cesse comme un Pèlerin qui doit demain finir son voyage en sortant de la prison de ce corps. »
Le troisième dit : » Aussitôt que le jour commence à paraître j’élève mon Esprit vers Dieu, & en L’adorant le visage contre terre je lui confesse tous mes péchés ; puis, en descendant plus bas, je Prie Ses Saints Anges &tous les Saints d’Intercéder envers Lui pour moi. Je porte ensuite mes pensées dans les Enfers, où je Vois des Yeux de l’Ame les peines éternelles des Damnés. Et ces considérations font que je traite mon corps avec rigueur, & que je pleure avec ceux qui pleurent. »
Le quatrième dit : « Je m’imagine d’être toujours sur la montagne des Oliviers avec notre Seigneur Jésus-Christ & Ses Apôtres, & je me dis à moi-même : « Renonce à la connaissance de tous ceux qui vivent encore sur la terre, & demeure toujours avec ceux-ci, afin de participer à la conversation toute Céleste qu’ils ont avec leur Sauveur, ainsi que Marie-Magdeleine se jetait aux pieds de Jésus-Christ, & entendait ces Divines Paroles sortir de Sa Bouche : » Devenez Saints & Parfaits comme votre Père qui est dans le Ciel, & apprenez de moi que Je Suis Doux & Humble de Cœur. »
Le cinquième dit : « Je considère que les Anges descendent du Ciel & y remontent pour y conduire les âmes qui sortent de la prison de ce corps, & j’attends continuellement cette dernière heure qui doit mettre fin à ma Vie, en disant à Dieu : « Mon Cœur est tout prêt, Seigneur, à Te recevoir.
Le sixième dit : « Je m’ordonne tous les jours à moi-même de ne rien dire que je ne veuille bien que Dieu entende, & je m’imagine que c’est à moi qu’Il adresse ces Paroles : « Travaillez pour l’Amour de Moy, & je récompenserai ce travail d’un grand repos. Combattez encore un peu, &vous possèderez le Bonheur que Je vous prépare, & verrez l’Eclat de Ma Gloire. Si vous M’Aimez & si vous êtes mes Enfants, implorez Mon Secours, & venez à moi comme à votre père. Si vous êtes mes frères, ne craignez point de souffrir pour Moy ainsi que J’ai tant souffert pour vous. Et si vous êtes Mes brebis, Mourez pour votre Pasteur & pour votre Maître, ainsi qu’Il a bien Voulu Mourir pour vous. »
Le septième dit : « Je médite & m’entretiens continuellement dans la pensée de ces trois grandes Vertus, la Foy, l’Espérance, & la Charité, afin de me fortifier par la Foy, de me consoler par l’Espérance ;& d’Aimer de telle sorte mon Prochain par la Charité, que je ne fasse jamais rien qui lui puisse tant soit peu déplaire.
Le huitième dit : « Je me tiens sans cesse sur mes gardes contre cet esprit de Ténèbres, qui comme un lion rugissant poursuit toujours quelqu’un pour le dévorer ; de quelque côté qu’il aille je le suis des Yeux de mon Esprit, &implore contre lui l’assistance de mon Sauveur, afin que ses efforts soient inutiles, principalement contre ceux qui craignent Dieu.
Le neuvième dit : « Je m’imagine tous les jours de voir cette heureuse assemblée des Esprits Célestes, & au milieu d’eux le Dieu de Gloire tout Eclatant d’une Splendeur incomparable. Je considère ensuite la merveilleuse Beauté de Ses Anges, &les Saints & admirables Cantiques qu’ils chantent sans cesse à Son Honneur, dont la Douceur me Ravit, & me fais souvenir de ces Paroles de l’Ecriture : « Les Cieux racontent la Gloire de Dieu, & le firmament annonce la Grandeur de Ses ouvrages » ; ce qui me donne un tel mépris pour tout ce qui est sur la terre que je ne le regarde plus que comme du fumier & de la fange.
Le dixième dit : « Je considère sans cesse l’Ange qu’il a plu à Dieu de me donner pour me conduire, & je veille sur mes actions en me souvenant de Ses Paroles : »J’avais toujours mon Seigneur devant les Yeux », sachant qu’il est continuellement auprès de moi, afin de m’empêcher de tomber.
P.606.
« Ainsi je révère & crains beaucoup cet Esprit Céleste commis à ma garde, parce que je sais qu’il observe toutes mes Paroles & toutes mes actions, & qu’il en fait tous les jours le rapport à Dieu.
L’onzième dit : « je considère les Vertus, telles que sont l’abstinence, la chasteté, la bonté & la charité, comme si c’étaient autant de personnes qui m’environnassent ; & ainsi en quelque lieu que j’aille, je me dis toujours à moi-même : Où sont tes fidèles compagnes, & comment pourrais-tu manquer d’assurance & perdre courage les ayant ainsi toujours auprès de toi ? Prends garde à ne les entretenir que de bons discours, afin qu’elles puissent après ta Mort rendre Témoignage à Dieu qu’elles n’ont jamais trouvé rien à redire à tes Paroles. »
Le douzième dit : « Je ne m’étonne pas, mes Pères, si toute votre conversation étant dans le Ciel, vous possédez une Sagesse toute Céleste. ; & si n’ayant de l’Amour que pour ce qui est Là-Haut, toutes vos actions sont si élevées. Que dirai-je donc de vous ? Dirai-je que votre Vertu vous donne un si grand mépris de la terre, qu’il semble que vous l’ayez déjà abandonnée ; & ne puis-je pas dire sans crainte que vous êtes des Anges terrestres & des Homme tout Célestes ? Quant à moi qui me reconnais si indigne de vous imiter, je considère qu’en quelque lieu que j’aille, & de quelque côté que je me tourne, je suis tout environné de mes péchés ; ce qui fait que je me regarde comme ayant mérité l’enfer, & que je me dis à moi-même : « Va- t’-en avec ceux à qui tu devrais déjà tenir compagnie, & dont tu dois très bientôt augmenter le nombre. Là, je Vois des Yeux de l’Esprit des pleurs continuels, accompagnés de gémissements, de grincements de dents, & de tremblements inconcevables. Je vois une mer toute de Feu, qui n’a point de bornes, dont les flots brûlants s’élevant à gros bouillons avec un bruit épouvantable, semblent aller jusques au Ciel, &qui réduisent en cendre tout ce qu’ils rencontrent. Je Vois un nombre innombrable d’hommes précipités par le Démon dans cette mer, qui tous ensemble jettent des cris & des hurlements si terribles que l’on n’en entend point dans le monde qui en approchent, & la Miséricorde de Dieu s’enfuit & s’éloigne d’eux, à cause de l’énormité de leurs crimes. Alors je me jette contre terre ; je me couvre la tête de poussière ; je Prie Dieu de ne pas permettre que je tombe dans ces horribles tourments ; je pleure le malheur des hommes, qui sans considérer l’excès de ces maux qui les attendent dans l’autre Vie, osent parler & s’entretenir d’autre chose en celle-ci ; j’occupe mon Esprit à les méditer ; j’ai toujours devant les Yeux ces douleurs & ces châtiments dont Dieu nous menace ; je me reconnais indigne que la terre me porte, ni que le Ciel me regarde ; & je considère ces Paroles du Prophète-roy, comme s’il les avait dites sur mon sujet : « Mes pleurs ont été le pain dont je me suis nourri nuit & jour. »
Voilà quelles furent les Paroles de ces Sages & Saints Anciens si savants dans la Vie Spirituelle. & Dieu veuille par Sa Miséricorde nous en rendre le souvenir si utile que nous puissions faire voir par nos actions que nous les avons gravées dans le Cœur, afin que devenant irrépréhensibles & Parfaits, nous nous rendions agréables à notre Sauveur, auquel soit Honneur & Gloire aux Siècles des siècles. Amin.
FIN.




ACTIONS ET PAROLES
REMARQUABLES
DES SAINTS PERES
DES DESERTS,
ECRITES
PAR DIVERS ANCIENS AUTEURS ECCLESIASTIQUES.

RUFIN
DANS SON TROISIEME LIVRE DE LA VIE DES PERES.

P.501.
I.

D’un excellent Solitaire qui ayant été visité par l’Empereur Théodose s’enfuit dans le Désert.
RUFIN
Num.10.
Vie de Pélag.
Lib 15.
Num.65.

Le Saint Ancien Poëmen disait un jour à ses frères : « Dans un des faubourgs de Constantinople qu’on appelle le Septième, où les Empereurs au sortir de la ville vont d’ordinaire se divertir, il y avait un Solitaire qui ne partait jamais de sa petite cellule. L’Empereur Théodose l’ayant su, alla pour le voir en se promenant, & défendit à tous ceux de sa suite d’approcher de la cellule. Puis, s’étant avancé tout seul, & ayant frappé à la porte, le Solitaire le reçut sans savoir que ce fût lui,
par ce qu’il avait ôté son diadème afin de n’être point connu. Après s’être mis en Prière, ils s’assirent, & l’Empereur lui demandant de quelle sorte les Saints Pères vivaient en Egypte, il lui répondit : « Ils Prient tous Dieu pour ta prospérité. » Théodose regarda ensuite de tous côtés dans sa cellule, où ne voyant autre chose que du pain sec dans une corbeille, il lui dit : « Mon Père, donne-moi ta Bénédiction, & puis nous mangerons un peu. Aussitôt le Solitaire prit de l’eau dans laquelle il but du sel & y trempa des morceaux de pain dont ils mangèrent ensemble, & puis il lui présenta de l’eau dont il but. Alors l’Empereur lui dit : « Me connais-tu ? », « Dieu sait qui vous êtes », répondit le Solitaire ». « Je suis l’Empereur, » lui repartit-il, « qui suis venu par dévotion pour te voir. » A ces paroles, le Solitaire se prosterna devant lui, & Théodose lui dit : « O que vous êtes heureux, vous autres Solitaires ! qui étant libres & dégagés des occupations du Siècle, passez une Vie douce & tranquille, sans avoir autre soin que du Salut de vos Ames, & sans penser à autre chose qu’à vous rendre dignes de recevoir dans le Ciel une Vie & des récompenses éternelles. Moi, au contraire, qui suis né dans la pourpre Impériale & suis assis sur le Trône, je puis dire avec vérité que je ne me suis jamais mis à table sans avoir l’esprit rempli de soins & de soucis. » L’Empereur lui fit ensuite de grandes flatteries, & puis s’en alla.
Cette même nuit, ce Serviteur de Dieu raisonna ainsi en soi-même. « Il ne faut pas que je demeure davantage ici, puis qu’après cette visite de l’Empereur, plusieurs non seulement d’entre le Peuple, mais même des personnes de la Cour & des sénateurs pourraient à son exemple me venir voir, & me rendre de l’honneur comme à un Serviteur de Dieu : ce qui ne leur nuirait pas à eux, puis qu’ils le feraient dans la vue de Dieu ; mais quant à moi, j’aurais grand sujet d’appréhender que le Diable ne se servît de cette occasion pour me tromper, en me portant à les recevoir volontiers, & à ressentir de la joie du bien qu’ils diraient de moi, & de l’honneur qu’ils me rendraient ; ce qui me ferait perdre la Vertu d’Humilité par le plaisir que je prendrais à être loué & honoré par les hommes. Ce Serviteur de Jésus-Christ entrant dans ces considérations s’enfuit cette même nuit, & s’en alla en Egypte vers les Saints Pères du Désert.

P.552.

II.
Que l’on peut par Humilité souffrir de grandes calomnies ; mais non pas celle d’être accusé d’Hérésie.
I.Pet. 2.
Entre les plus excellents des Pères il y en avait un nommé Agathon, qui était dans une très grande estime à cause de son extrême Humilité. Quelques frères voulant éprouver si elle était telle qu’on la publiait, ils le furent trouver, & lui dirent : « Mon Père, plusieurs des frères se scandalisent de ce que tu es si vain & vaniteux, & de ce que ne te contentant pas de mépriser les autres, tu passes même jusques à médire d’eux ; – ce que plusieurs assurent que tu fais, d’autant qu’étant encore sujet à d’autres vices, tu ne veux pas paraître être le seul qui manque de satisfaire à son devoir. » Le Saint Ancien leur répondit : « Je ne puis désavouer que je suis coupable de toutes ces fautes. » Puis, se prosternant en terre comme pour les adorer, il leur dit : « Je vous conjure, mes frères, que cela vous engage à redoubler votre charité pour ce misérable, qui a offensé par tant de péchés notre Seigneur Jésus-Christ ; & de ne vous point lasser de Le prier qu’il Lui plaise de me les pardonner & me les remettre. » En suite de cette réponse ces Solitaires ajoutèrent : « Nous ne pouvons aussi Te dissimuler que plusieurs assurent que tu es Hérétique. » Sur quoi le Saint leur repartit : « Quoique je me reconnaisse coupable de plusieurs autres péchés, je suis exempt de celui-là ; & Dieu me garde s’il Lui plaît de tomber jamais dans un tel malheur. » Alors tous ces frères se jetèrent à ses pieds & le conjurèrent de leur dire pourquoi ne s’étant point ému de toutes les autres choses dont ils l’avaient accusé, il n’avait pu souffrir qu’on le soupçonnât d’être Hérétique. Il leur répondit : « L’Humilité m’a obligé de supporter ces autres reproches, afin que vous me reconnaissiez pour un grand pécheur, sachant que la pratique de cette vertu est principalement ce qui nous Sauve, ainsi que Jésus-Christ notre Seigneur l’a bien fait voir, lors que les Juifs le chargeant de tant d’injures & de tant d’outrages, Il les supporta si patiemment, pour nous donner exemple d’Humilité, & souffrir jusques à la Mort, & la Mort de la Croix sans s’en émouvoir, tout ce que les faux témoins déposèrent contre Lui.
-Ce qui a fait dire à Saint Pierre : « Jésus-Christ a souffert pour nous, & nous a montré l’exemple que nous devons suivre, afin que nous marchions sur Ses pas. » Ce qui nous oblige de supporter patiemment & humblement tout ce qu’on dit contre nous. Mais quant à ce qui est de l’Hérésie, cette accusation m’a fait horreur, & je n’ai pu en endurer le reproche, d’autant que l’Hérésie sépare d’avec le Dieu Vivant & Véritable celui qui en est infecté pour le joindre à Lucifer & à ses malheureux anges noirs».

P. 553.
III.
D’un grand saint qui s’enfuit pour éviter d’être fait Prêtre.

Num.22.
Les plus Anciens d’entre les Pères, & tous les Solitaires qui demeuraient dans le Désert de Scété s’étant assemblés, ils résolurent d’ordonner Prêtre de l’Eglise qui est dans ce même Désert le Père Isaac, & ayant pris jour pour ce sujet, ils s’y trouvèrent tous en grand nombre. Ce Saint Homme en ayant eu avis, & se jugeant indigne d’un aussi grand Ministère qu’est celui du Sacerdoce, s’enfuit en Egypte, où il se cacha sous un arbre dans un champ. Plusieurs frères l’ayant suivi pour l’arrêter, ils arrivèrent sur le soir auprès de ce champ, où, la nuit les ayant surpris, & étant fort las, ils y demeurèrent pour se reposer, & débridèrent l’âne qui leur portait quelques vivres, afin de le laisser paître ; ce que faisant, il arriva au lieu où l’Ancien était caché ; lors que le jour fut venu ces Solitaires en cherchant leur âne trouvèrent le Saint, & admirant la Conduite & Guidance de Dieu ils l’arrêtèrent, &le voulant lier pour le ramener par force, ce qu’il les pria de ne point faire en leur disant : « Je ne puis maintenant vous résister, de crainte de résister à Dieu, qui veut possible que je sois Prêtre encore que j’en sois indigne. »


IV.
En quoi consiste la véritable sobriété.
Num.48.

Un des Saints Pères disait : « Il y a des personnes qui mangeant beaucoup se lèvent néanmoins de table ayant encore faim, parce qu’ils ne veulent pas se rassasier entièrement. Et d’autres qui mangeant peu se rassasient. Or il est sans doute que les premiers sont plus Parfaits que les autres.

V.


Manger avec action de Grâces.

Num.49.

Un autre Ancien disait : « Ne mangez pas ce que vous désirez de manger ; mais mangez ce que Dieu vous donne, sans cesser jamais de lui rendre Grâces. »

VI.
Manière de faire Pénitence d’un désir que l’on a eu.
Num. 90.

Quelques frères disaient qu’un Ancien ayant désiré de manger un concombre, lors qu’on lui en eut apporté un, il le mit devant lui & n’y toucha point, afin de ne se laisser pas surmonter par l’intempérance ; & fit ainsi Pénitence de l’envie qu’il en avait eue.

VII.
Combien la singularité est blâmable.
Num.54.

Les Solitaires s’étant assemblés dans l’Eglise le jour d’une grande Fête, & tous les autres mangeant, il y en eut un qui dit au frère qui les servait : « Je te prie qu’on m’apporte un peu de sel, parce que je ne mange rien de cuit. » Ce frère ayant en suite dit tout haut : « Apportez un peu de sel, parce que voici un frère qui ne mange rien de cuit», le Bien heureux Théodore prit la parole, & s’adressant à ce Solitaire lui dit : « Mon frère, il vaudrait mieux que tu mangeasses de la chair dans ta cellule que d’avoir tenu ce discours en la présence des frères. »

VIII.
De quelle sorte un grand Saint fit connaître à un Solitaire la faute qu’il faisait de ne joindre pas le travail des mains à la Prière.
Num.55.
Un Solitaire étranger étant venu trouver l’Abba Silouane qui demeurait sur la montagne du SinaÏ, voyant les frères qui travaillaient, il leur dit : « Pourquoi travaillez-vous ainsi pour une nourriture périssable ? Magdeleine n’a-t-elle pas choisi la meilleure part ? » Le Saint Ancien ayant su cela dit à Zacharie son Disciple : « Donne un livre à ce frère pour l’entretenir, & le mets dans une cellule où il n’y ait rien à manger. » L’heure de None étant venue, ce Solitaire étranger regardait si l’Abba ne le ferait point appeler pour aller déjeuner ; & lors qu’elle fut passée, il le vint trouver & lui dit : « Mon Père, les frères n’ont-ils point déjeuné aujourd’hui ? » ; « Oui », lui répondit ce Saint Homme . « Et d’où vient donc », ajouta ce Solitaire, « que tu ne m’as pas fait appeler ? » . « D’autant, » lui repartit le Saint, « que toi qui es un Homme tout Spirituel, qui as choisi la meilleure part, & qui passe les journées entières à lire, n’as pas besoin de cette nourriture périssable ; au lieu que nous, qui somme charnels, nous ne pouvons passer de nous sustenter ; ce qui nous oblige à travailler pour gagner notre pain. » ces Paroles ayant fait voir à ce Solitaire quelle était sa faute, il en eut regret, & dit à Silouane : « Pardonne-moi, je te prie, mon Père. » Sur quoi le Saint lui répondit : « je suis bien aise que tu connaisses que Magdeleine ne saurait se passer de Marthe ; & qu’ainsi Marthe a part aux louanges que l’on donne à Magdeleine. »

P.554.
IX.
Conduite d’un saint Ancien envers un Solitaire qui avait eu la pensée de garder quelque argent.
Num.69.
Un Solitaire ayant demandé à un Saint Ancien : « Mon Père, trouverais-tu bon que, de l’argent que j’ai reçu de mon travail, j’en retienne deux écus pour les besoins que je puis avoir, à cause de mes infirmités corporelles ? » Le Serviteur de Dieu, jugeant qu’il désirait de retenir ces deux écus lui dit : « Tu peux les retenir. » Le Solitaire étant de retour dans sa cellule se trouva combattu en lui-même, & disait : « Ce Bon Père a-t-il approuvé ou désapprouvé mon dessein ? » Il vint le retrouver en suite & lui dit : « Je te conjure au Nom de Dieu, mon Père, de me dire avec sincérité quel est votre sentiment touchant ces deux écus dont je vous ai parlé. Car je sens beaucoup de trouble & d’agitation dans mon esprit sur ce sujet. » Le Saint Ancien lui répondit : « Il est vrai que je t’ai dit de les retenir à cause que j’ai reconnu que tu en avais le désir ; & je ne l’aurais pas fait sans cela, parce qu’on ne doit pas réserver davantage d’argent que ce dont on a besoin pour sa nourriture. Ton Espérance n’est-elle fondée que sur ces deux écus que tu peux perdre ? Et Dieu n’a-t-il donc point soin de nous ? Mets, oui, mets toute ta confiance en Lui, & Il ne t’abandonnera pas. »

X.
Belle réponse d’un Saint à qui on voulait donner de l’argent.
Num.71.
Un homme voulant mettre son argent entre les mains de l’Abba Agathon pour en disposer comme il lui plairait, il le refusa en disant que le travail de ses mains suffisait pour le nourrir. Sur quoi, l’autre insistant & le priant que s’il n’en avait point de besoin pour lui, il le prit pour le distribuer aux pauvres, il lui répondit : « J’aurais doublement honte de le recevoir ; puis pour ce qui me regarde, je n’en ai point de besoin ; & qu’en distribuant aux autres le bien d’Autrui, je courrais fortune d’être tenté de vanité.

XI.
D’un Solitaire qui se voulait venger.
Num.77.
Un Solitaire qui avait été fort offensé par un autre vint trouver l’Abba Sisoès, & après lui avoir conté l’outrage qu’il avait reçu, lui dit : « Mon Père, je suis résolu de m’en venger. » Le Saint Ancien le conjura de laisser la vengeance à Dieu. Mais ce Solitaire continuant à protester qu’il se vengerait hautement, ce Saint Homme lui dit : « Puis que tu es si résolu, au moins Prions Dieu. & alors se levant, il commença de Prier tout haut en cette sorte : « Mon Dieu, il n’est pas besoin que Tu prennes soin de nos intérêts, & que Tu sois notre Protecteur, puis que ce frère soutient que nous pouvons & devons nous venger nous-mêmes. » Ce Solitaire fut si touché de ces Paroles qu’aussitôt il se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, & lui promit de ne vouloir jamais de Mal à celui contre lequel il avait été si en colère.

XII.
Qu’il y a de l’avantage à être maltraité des hommes.
Num.80.
Il y avait un Solitaire, qui, plus on l’injuriait & on se moquait de lui, & plus il témoignait de Joie, & disait : « Ce sont ceux qui nous traitent de la sorte qui nous donnent moyen d’avancer dans la Vertu. & au contraire, ceux qui nous flattent & nous louent, ruinent nos âmes. Car il est écrit : « Ceux qui vous veulent faire passer pour des Saints vous trompent. »

P.555.
XIII.
Un vrai Solitaire doit tout souffrir.
Num.86.

Des Solitaires priant l’Abba Moïse de leur vouloir donner quelque instruction, il dit à Zacharie sons Disciple de leur dire quelque chose. Alors Zacharie jeta son manteau par terre, & après l’avoir foulé aux pieds, il leur dit : « On ne saurait être Solitaire à moins que de souffrir volontiers d’être traité de la sorte. »

XIV.
Qu’il ne faut point différer à se réconcilier.
L’Abba Agathon disait : « Lors que j’ai été mal avec quelqu’un, non seulement je ne me suis pas endormi, mais je ne l’ai jamais laissé dormir sans faire tout ce qui a pu dépendre de moi pour me réconcilier avec lui. »
XV.
De deux Solitaires qui ne purent jamais avoir aucun différend.
Num. 96.
Deux Saints Anciens qui demeuraient dans une même cellule n’ayant jamais eu ensemble la moindre contestation, il y en eut un qui dit : « Feignons d’avoir quelque différend ainsi que les autres hommes en ont. » L’autre répondit : « Je ne sais ce que c’est qu’un différend». Sur quoi le premier répliqua : « Voilà une brique que je mets entre nous deux : Je dirai qu’elle est à moi, & toi au contraire soutiendras qu’elle est à toi : Ainsi nous contesterons ensemble». Ils mirent donc cette brique au milieu d’eux. Puis le premier disant : « Elle est à moi », le second répondit : « Je pense qu’elle m’appartient ». « Nullement », repartit le premier, « mais elle est à moi ». « Si elle est à toi », répliqua le second, prends-la donc ». Ainsi ils se trouvèrent d’accord, & ne purent avoir aucune dispute.
XVI.
Qu’il ne suffit pas d’être seul pour se guérir de ses passions.
Un frère se sentant souvent ému de colère dans le Monastère dit en lui-même : « Je m’en irai dans le Désert, afin que n’y ayant là personne avec qui je puisse rien avoir à démêler, cette passion me laisse en repos ». S’en étant donc allé dans le Désert, & demeurant seul dans une caverne, son pot qu’il avait rempli d’eau & mis à terre se renversa trois fois de suite. Ce qui l’ayant mis en colère, il le jeta & le cassa. Après quoi revenant à soi, il dit : « Le Démon de la Colère m’a trompé & abusé, car encore que je sois seul, elle ne laisse pas de me vaincre. Ainsi puisque, partout où il y a combat nous avons besoin de Patience & de l’Assistance de Dieu, je m’en retournerai au Monastère ».

XVII.
Que l’humble confiance En Dieu nous rend victorieux des Démons.
Num.102.

Les Démons disaient souvent à l’Abba Moïse : « Tu nous as Vaincus, Moïse, & tous nos efforts sont vains contre toi, parce que lorsque nous voulons t’abaisser pour te porter dans le Désespoir, tu te relèves ; & lorsque nous voulons t’élever pour te faire entrer dans la Vanité, tu t’abaisses & tu t’Humilies. »
XVIII.
Que les tentations Surmontées pour l’Amour de Dieu sont comme autant de Couronnes.
Num.104.
Un Ancien eut durant dix ans continuels des tentations si violentes qu’enfin Désespérant de son Salut, il dit en lui-même : « Ne pouvant plus espérer de Sauver mon âme, puis qu’elle est perdue, je retournerai dans le monde. » Comme il partait pour s’y en aller, il entendit une Voix qui disait : « Les dix années durant lesquelles tu as combattu te seront autant de Couronnes. Retourne donc dans ta cellule. A commencer dès cette heure je te Délivrerai de toutes ces fâcheuses pensées. » Il n’eut pas plutôt oui ces Paroles qu’il s’en retourna, & continua de Servir Dieu comme auparavant. Ce qui fait voir qu’il ne faut jamais se Désespérer à cause des mauvaises pensées, puis qu’au lieu de nous nuire, elles servent à nous Couronner, si nous y résistons & les méprisons avec Courage ».

P.556.
XIX.
Trois avis donné par Saint Antoine pour plaire à Dieu.
Num.108.
Un Solitaire demandant à Saint Antoine tout ce qu’il devait faire pour plaire à Dieu, il lui répondit : « En quelque part que tu ailles, aie toujours Dieu devant les Yeux. Quelque ouvrage que tu fasses, propose-toi toujours pour modèle quelque exemple de l’Ecriture Sainte. Et en quelque lieu que tu sois, n’en sors pas aisément, mais demeures-y avec Patience ».
XX.
Différence des Humbles & des superbes dans le sentiment qu’ils ont d’eux-mêmes.
Num.111.
Un Solitaire Egyptien étant venue en Syrie trouver l’Abba Zénon, il s’accusait tout haut de vant lui de ses pensées. Ce que le saint Ancien admirant, il dit : « Les Egyptiens cachent les Vertus qu’ils ont, & s’accusent des vices qu’ils n’ont pas. Et au contraire les Syriens & les Grecs se vantent des Vertus qu’ils n’ont pas, & cachent les vices qu’ils ont ».

XXI.
Du désavantage qu’il y a d’être loué.
Num.112.
Un Saint Ancien disait : « Ceux que les hommes louent avec excès n’en reçoivent pas peu de préjudice en leurs Ames. Et ceux au contraire dont les hommes ne disent point du tout de bien en recevront de la part de Dieu des rétributions & récompenses d’autant plus grandes.
XXII.
Sur le même sujet.
Num.114.
Le même disait ; « Comme un Trésor diminue lors qu’on le découvre, il en arrive ainsi à la Vertu lors qu’elle est manifestée, parce que comme la cire se fond au feu, l’âme s’affaiblit & se relâche par les louanges ».

XXIII.
Moyens de résister aux pensées de Vanité.
Num. 115.
Le même disait : « Lors que vous vous sentez combattu par une pensée de Vanité, examinez dans le fond de votre cœur si vous accomplissez tous les Préceptes & Commandements de Dieu ; si vous aimez vos ennemis ; si vous êtes bien aises qu’on les estime, & fâché qu’on les méprise ; & si vous vous considérez comme étant un Serviteur inutile & le plus grand pécheur du monde. Que si vous vous trouvez dans toutes ces dispositions, gardez-vous bien pour cela d’avoir la moindre opinion avantageuse de vous-mêmes, comme si vous aviez fait quelque chose de considérable, puis que vous ne pouvez ignorer qu’une seule pensée d’orgueil serait capable de détruire toutes ces bonnes actions ».
XXIV.
Que tandis que l’on est en cette vie, l’on doit toujours craindre.
Num.116.
Un Ancien étant venu en trouver un autre, il lui dit : « mon Père, je suis déjà Mort au monde». « Garde-toi bien, » lui répondit celui-ci, « de parler avec cette confiance en toi tant que tu seras en vie. Car si tu crois être Mort, ne sais-tu pas que le Diable est toujours vivant, & nous tend des pièges sans nombre. »
XXV.
Comment l’Abba Sisoès Ressuscita un Enfant qu’on lui avait amené pour recevoir sa Bénédiction.
Num.120.
L’Abba Sisoès demeurant sur la même montagne où Saint Antoine était reclus, un homme lui amena son fils qui était encore jeune, afin de recevoir sa Bénédiction. L’Enfant étant mort en chemin, le père sans se troubler le porta au Saint Ancien, & le mit à terre dans sa cellule ainsi qu’on a accoutumé d’y mettre ceux pour qui l’on demande la Bénédiction. La Prière étant achevée, il sortit & laissa son fils aux pieds du Saint, qui ne sachant pas qu’il fût Mort, & croyant qu’il fût demeuré là pour Prier encore, lui dit : « Lève-toi, mon fils,, & va. »Ce que l’Enfant fit en même Temps. Le père, voyant ce Miracle fut touché d’un merveilleux étonnement, &, retournant en la cellule du Saint, & lui dit tout simplement quelle avait été son Affliction & quelle était alors sa Joie. Le Bien heureux Sisoès en fut fâché, parce qu’il craignait extrêmement qu’on sût qu’il fît des Miracles, & lui fit dire par son Disciple qu’il se gardait bien d’en parler avant sa Mort.

XXVI.
Comment l’Abba Bessarion délivra un possédé, en lui disant de se lever.
Num.121.
Un homme possédé du Malin Démon étant venu à l’église, & tous les frères s’étant mis en Prières sans le pouvoir délivrer, ils dirent entre eux : « Que ferons-nous ? Personne sans doute n’est capable de chasser le Démon du corps de cet homme que l’Abba Bessarion. Mais si nous lui en parlons, il ne voudra pas même venir à l’église, où puis qu’il arrive toujours le premier, il n’y a point de meilleur moyen que de mettre ce possédé à la porte, & dire au Saint Ancien quand il viendra qu’il réveille cet homme qui dort ». Ayant pris cette résolution, lors qu’ils virent venir le Saint Ancien, ils se mirent tous debout pour la Prière, & lui dirent : « Mon Père, réveille cet homme qui dort». Le saint dit ensuite à ce possédé : « Lève-toi & sors dehors ! » ; & soudain le Démon sortit de son corps, & il fut entièrement Délivré.

XXVII.
Comment le même Saint guérit en la même sorte un paralytique.
Num.122.
Un Egyptien ayant un fils paralytique, il le porta à la cellule du même Saint, où le laissant sur le pas de la porte il se retira. Sur quoi l’Enfant ayant commencé de pleurer, & l’Ancien le voyant de sa fenêtre, il lui dit : « Mon fils, qui t’a apporté ici ? » « C’est mon père, « lui répondit-il, & puis il m’a laissé, & s’en est allé. » Alors le Saint lui dit : « Lève-toi, & va le trouver ». & soudain il fut guéri, & alla trouver son père.

XXVIII.
Comment il arrive que les personnes engagées dans le monde se Sauvent quelquefois plutôt que celles qui sont dans la retraite.
Num.123.
I.Cor. 10.
Le Saint Abba Mutuïs disait : « D’autant plus qu’un homme s’approche de Dieu, d’autant plus il se reconnait pécheur. C’est pourquoi le Prophète Isaïe considérant cette Divine Majesté, disait qu’il était pécheur & misérable. Ne croyons donc jamais être en sûreté tandis que nous sommes dans le monde, suivant ces Paroles de l’Apôtre : « Que celui qui est debout prenne garde de ne tomber pas. » cette vie est une navigation douteuse. » Quoi qu’il soit vrai que nous naviguons ainsi que sur une mer tranquille ; au lieu que les séculiers naviguent ainsi que sur une mer agitée. Nous marchons comme durant le jour, parce que le Soleil de Justice nous éclaire ; au lieu qu’ils marchent comme durant la nuit sans savoir la route qu’ils doivent tenir. Mais il arrive souvent qu’encore que le séculier navigue dans de si épaisses Ténèbres, il Sauve néanmoins son vaisseau par sa vigilance & par son travail ; au lieu que nous en naviguant durant le jour & durant le calme, cette sûreté apparente nous fait tomber dans la négligence, & nous fait périr en abandonnant le gouvernail de l’Humilité. Car il n’est pas moins impossible de se Sauver sans l’Humilité que de conduire un vaisseau sans gouvernail. »

XXIX.
L’Humilité surmonte les Démons.
Num.124.

Saint Macaire retournant au point du jour en sa cellule chargé de feuilles de palmiers, le diable vint au-devant de lui avec à la main une faux extrêmement tranchante, dont il s’efforça de le frapper, & ne le pouvant, il s’écria : « O Macaire, tu me fais souffrir une grande violence, lors qu’ayant dessein de te nuire je trouve que je n’en ai pas la force, encore que j’accomplisse plus parfaitement que toi toutes les choses que tu fais. Car tu Jeûnes quelquefois, il est vrai. Mais moi je ne mange jamais. Tu Veilles quelquefois ; mais pour moi jamais le sommeil ne me ferme les paupières. Et il y a une seule chose en laquelle je confesse que tu me surmontes. Sur quoi Saint Macaire lui demandant ce que c’était, il lui répondit : « C’est ton Humilité. » Et ayant achevé ces Paroles, & le Saint étendant les mains pour Prier, il s’évanouit.

XXX.
L’Humilité précède toujours la charité.
Num.126.
Un des Saints Pères disait : « Tout le travail d’un Solitaire est inutile sans l’Humilité, parce qu’elle marche toujours devant la charité, comme Saint Jean le Baptiste marchant devant Jésus-Christ ; & qu’ainsi que ce Bien heureux Précurseur attirait tous les hommes à Jésus-Christ, ainsi l’Humilité les attire à la charité, & par conséquent à Dieu même, puis que Dieu est Amour de charité.

XXXI.
Comment Saint Macaire par sa Douceur convertit un prêtre Solitaire.
Num.127.

Saint Macaire montant un jour sur la montagne de Nitrie, il commanda à son Disciple de marcher un peu devant lui ; ce que faisant il rencontra un prêtre idolâtre qui courait extrêmement fort, & qui portait un gros bâton, auquel il commença de crier : « Où cours-tu ainsi, Démon ? » Ce qui mit ce prêtre en telle colère qu’il lui donna mille coups & le laissa à demi-Mort. Ayant ensuite recommencé à courir, il rencontra assez près delà Saint Macaire, qui lui dit : « Bonjour, bonjour ; tu prends beaucoup de peine. » Cet homme s’étonnant de cette salutation lui répondit : « Qu’as-tu remarqué de bon en moi qui t’oblige à me saluer de la sorte ? » L’Ancien lui répliqua : « Je t’ai salué, parce que j’ai vu que tu étais lassé de travail, & que tu courais sans savoir où tu allais. » Lors le prêtre lui dit : « Ta salutation m’a fait connaître que tu es un grand Serviteur de Dieu, & m’a touché très sensiblement ; au lieu qu’un autre malheureux Solitaire que j’ai rencontré m’a dit des injures, dont je l’ai payé sur-le-champ en lui donnant quantité de coups. » Puis, embrassant les pieds du Saint, il ajouta : « Je ne te quitterai point que tu ne m’aies fait Solitaire. » Après quoi ils s’en allèrent ensemble au lieu où ce frère était étendu sur la terre, tout meurtri de coups ; & parce qu’il ne pouvait se remuer, ils le portèrent à l’église. Les frères furent extrêmement étonnés de voir Saint Macaire mener ainsi avec lui ce prêtre idolâtre, auquel ils donnèrent l’habit de Solitaire. Et plusieurs païens, à son imitation, embrassèrent le Christianisme.
Le même Saint Macaire disait que les paroles insolentes & pleines d’orgueil font une mauvaise impression dans l’esprit même des gens de bien ; & qu’au contraire les Paroles Humbles & Douces changent même les méchants en mieux.

XXXII.
Que la seule Humilité nous peut empêcher de tomber dans les pièges du Démon.
Num.291.
Saint Antoine rapportait qu’il avait vu étendus sur la terre tous les pièges & tous les filets dont le Diable se sert pour nous tromper. Sur quoi ayant dit en soupirant : « Qui pourra passer par-dessus sans y être pris ? », il avait entendu une voix qui lui avait répondu : « Antoine, l’Humilité seule le pourra. »

XXIII.
Par quel moyen on peut éviter de parler au désavantage de son prochain.
Num.133.
Un Solitaire disant à Saint Poëmen : « Mon Père, comment peut-on s’empêcher de parler au désavantage de son prochain ? », il lui répondit : « Il faut toujours avoir devant nos yeux le portrait de notre prochain, & le nôtre. Que si nous regardons attentivement le nôtre & en considérons bien les défauts, alors nous ferons cas de celui de notre prochain. Mais si au contraire nous estimons le nôtre, nous mépriserons le sien. Ainsi, pour ne parler jamais mal d’Autrui, il faut nous reprendre toujours nous-mêmes. »
P.559.
XXXIV.
Combien la médisance est un grand péché.
Num.134.
L’Abba Yperichie disait : « Il vaut mieux manger de la chair & boire du vin que de dévorer son Prochain en déchirant sa réputation. Car, comme le serpent par ses paroles empoisonnées chassa Eve du Paradis terrestre, de même, celui qui médit de son prochain perd non seulement son âme, mais aussi l’âme de la personne qui l’écoute. »

XXXV.
Que les corrections doivent être charitables & modérées.
Num.138.
Un frère ayant à ce que l’on disait fait quelque faute dans le Monastère, & en ayant été repris assez aigrement, il s’en alla trouver Saint Antoine. Ce que les autres voyant, ils le suivirent pour le ramener, & lui reprochaient cette faute en présence du Saint. Lui, au contarire soutenait de ne l’avoir point commise. Saint Paphnuce, surnommé Céphale, s’y étant rencontré , leur dit à tous cette parabole dont ils n’avaient jamais entendu parler : « J’ai vu sur le bord du fleuve un homme qui était dans la bourbe jusques aux genoux, & quelques-uns qui venant lui donner la main pour l’en retirer l’y ont enfoncé jusques au cou. Alors Saint Antoine regardant Paphnuce disait : « Voilà un homme qui juge des choses selon la Vérité, & qui est capable de Sauver les âmes. » Ces Solitaires furent si touchés de ce discours, qu’ils firent Pénitence de la mauvaise conduite qu’ils avaient tenue, & remenèrent au Monastère celui qui en était sorti par leur faute.

XXXVI.
Bel exemple pour faire voir la Compassion qu’on doit avoir des fautes d’Autrui.
Num.141.
Un Abba demandant à un Anachorète nommé Timothée de quelle sorte il se devait conduire envers un Solitaire négligent, il conseilla de le renvoyer. Ce qu’ayant fait Timothée tomba dans une tentation qui lui donnait grande peine. Comme il répandait sur cela quantité de larmes, & disait à Dieu : « Seigneur, aie Pitié de moi ! » il entendit une Voix qui lui répondit : « Timothée, tu es tombé dans cette tentation parce que tu n’as point eu de Pitié de celle de ton frère. »

XXXVII.
On ne doit avoir peine que quand on agit par sa volonté propre.
Num.150.
Il y avait un Anachorète qui demeurait dans une caverne proche d’un Monastère, & faisait plusieurs Miracles. Quelques frères de ce même Monastère l’étant venu voir l’obligèrent de manger à une heure qui ne lui était pas ordinaire, & puis lui dirent : « N’as-tu pas eu de peine, mon Père, d’avoir mangé aujourd’hui contre ta coutume ? » « Nullement, » leur répondit-il. « Car rien ne me peine que lors que j’agis par ma volonté propre. »

XXXVIII.
Belle Consolation pour un malade.
Num.157.

Un très Saint Ancien disait à son Disciple qui était malade : « Ne t’attriste point, mon fils, de voir ton corps affaibli par la maladie ; puisque c’est l’effet d’une haute Piété que de rendre Grâces à Dieu quand on est malade. Que si tu n’es que du fer, le feu des souffrances te purifieras de la rouille qui te mange. Et si tu es de l’or, ce même feu servira d’épreuve à ta Vertu pour te faire passer dans une plus grande Perfection. Ne t’afflige donc point, mon fils. Car si Dieu veut que ton corps soit dans les douleurs, qui es-tu pour lui pouvoir résister ? Maie aie Patience, je te prie, & demande-lui qu’il lui plaise de te traiter selon Sa Sainte Volonté. »

XXIX.
Vertu admirable d’un Saint qui s’affligeait de ne point souffrir.
Num.158.
Un Saint Ancien qui avait accoutumé d’être toujours malade, ayant passé une année sans souffrir d’incommodité, il en était si touché qu’il disait à Dieu les larmes aux yeux : » Seigneur, Tu m’as abandonné ; & n’as daigné visité Ton Serviteur durant toute cette année. »
P.560.
XL.
Du sujet que les plus gens de bien ont d’appréhender les jugements de Dieu.
Num.161.
Le Saint Abba Agathon étant à l’extrémité demeura durant trois jours les yeux ouverts vers le Ciel sans les remuer. Et les frères lui disant : « Où pensez-vous être maintenant, mon Père ? » il leur répondit : « En la Présence de Dieu, de qui j’attends le Jugement. » « Ne l’appréhendes-tu point, mon Père », ajoutèrent-ils. « J’ai toujours tâché autant qu’il m’a été possible »,leur répartit le Saint, « d’accomplir les commandements de Dieu. Mais étant homme comme je suis, que sais-je si mes actions lui ont été agréables ? » « Et ne crois-tu pas, » lui répliquèrent-il , « qu’elles ont été conformes à sa volonté ? » « Je n’ose m’en assurer, » leur répondit-il, « lors que je m’examine En Sa Présence, parce que Son Jugement & celui des hommes sont fort différends. »

XLI.
Du Respect qu’on doit avoir pour les Serviteurs de Dieu. Et belle réflexion sur le sujet d’une comédienne.
Num.164.
L’Abba Pamnon étant, sur la Prière de Saint Athanase, descendu de la montagne avec quelquess-uns de ses frères pour aller en Alexandrie, il dit à des séculiers qu’il rencontra : « Levez-vous, & saluez ces Solitaires, afin qu’ils vous donnent leur Bénédiction. Car ils parlent souvent à Dieu ; & ainsi leurs lèvres sont sanctifiées. » Puis, voyant une comédienne, il commença de pleurer. Et sur ce qu’on lui en demanda la cause, il répondit : « Deux raisons m’y ont obligé : l’une la compassion que j’ai de la perte de cette femme ; & l’autre la confusion que je reçois de voir que je n’ai pas tant de soin de plaire à Dieu qu’elle en a de plaire à ses impudiques amants. »

XLII.
Qu’il ne faut jamais différer à bien faire.
Num.165.

On rapportait d’un Saint Ancien que toutes les fois que toutes les fois que sa pensée lui disait : « Laisse passer cette journée, & tu feras demain Pénitence », il répondait : « Non, mais il faut aujourd’hui faire Pénitence, & faire demain ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner. »
XLIII.
Excellent moyen pour acquérir l’Humilité.
Num.171.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Que faut-il faire, mon Père, pour acquérir l’Humilité ? » il lui répondit : « Il faut seulement considérer nos défauts, & ne considérer point ceux d’Autrui, parce que l’Humilité rend l’homme Parfait ; & d’autant plus qu’ils s’abaissent par cette Vertu, d’autant plus il se trouve élevé dans l’estime de tout le monde. Car comme l’orgueil en voulant monter dans le Ciel, tombe dans l’Enfer, ainsi l’Humilité en voulant s’abaisser jusques dans l’Enfer, s’il était possible, c’est-dire jusques au néant, s’élève jusques dans le Ciel. »

XLIV.
Quelles sont nos armes contre les Démons.
Num.173.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Mon Père, d’où vient que les Démons nous font une si cruelle guerre ? » il lui répondit : « C’est parce que nous abandonnons nos armes, qui sont la Patience, l’Humilité, la Douceur & l’obéissance.

XLV.
Combien il importe de déclarer nos pensées.
Num.177.
L’Abba Poëmen disait que rien ne réjouit tant le Démon que de voir que nous ne voulons pas déclarer le secret de nos pensées.

XLVI.
Consolation pour ceux qui ayant souvent reçu de saintes instructions ne les peuvent retenir.
Num.178.
Un Solitaire disant à un Ancien qui était un homme fort bon : « Mon Père, je prie souvent nos Anciens Pères de me donner des avis & des instructions salutaires pour ma conduite ; mais je suis si malheureux que je ne retiens rien de ce qu’ils me disent. » Le Saint Homme qui avait dans sa cellule deux cruches vides lui dit : « Mon fils, prends l’une de ces cruches : Mets-y de l’eau ; lave-la ; puis répands l’eau : & après l’avoir ainsi nettoyée, remets-la en sa place. » Le frère ayant fait cela deux fois de suite, l’Ancien lui dit de lui apporter ces deux cruches ; ce qu’ayant aussi fait, il lui demanda laquelle des deux était la plus nette. « C’est », lui répondit le Solitaire, « celle où j’ai mis de l’eau, & que j’ai lavée. » Alors le Saint Ancien lui dit : « Mon fils, il en est ainsi de ton âme. Car celui qui entend souvent la Parole de Dieu, encore qu’il ne retienne pas les réponses que l’on fait à ses demandes, il est beaucoup plus pur dans le cœur que celui qui ne daigne pas s’enquérir de ce qui regarde son Salut. »

P.561.
XLVII.
De ceux qui instruisent les autres, & ne pratiquent pas ce qu’ils enseignent.
Num.183.

Le Saint Abba Poëmen disait : « Celui qui instruit les autres & ne pratique pas ce qu’il leur enseigne, ressemble à une grande fontaine, où chacun se lave & désaltère sa soif ; mais qui faisant du bien aux autres ne peut se laver elle-même, & se purifier de la bourbe & des autres ordures qui s’y rencontrent. »

XLVIII.
Qu’il ne faut jamais contester.
Num.185.

Un Saint Ancien disait : « Lors que quelqu’un parle en votre présence, soit de l’Ecriture Sainte ou de quelque autre sujet, ne contestez jamais avec lui ; mais si ce qu’il dit est bon, approuvez-le ; & s’il ne l’est pas, contentez-vous de lui dire : « Tu as sans doute quelque raison que je ne vois pas qui te fait parler ainsi. » Par ce moyen vous demeurerez toujours dans l’Humilité, & ne vous ferez point d’ennemis ; au lieu que si vous disputez pour soutenir votre opinion, il en naîtra sans doute du scandale ; & il vous sera du tout impossible de vivre dans la Paix de l’Hésychia si vous n’évitez d’entrer en contestation pour quelque sujet que ce puisse être. »

XLIX.
Jusques à quand il faut demeurer dans le Silence.
Num.186.

Un Solitaire demandant à un Saint Ancien jusques à quand il fallait demeurer dans le Silence, il lui répondit : « Jusques à ce que l’on t’interroge : & en observant toujours cela, tu Vivras dans une grande Hésychia. »

L.
D’un grand Saint qui ayant été consacré Prêtre n’osa jamais célébrer la Liturgie.
Num.188.

Le Saint Abba Muthuès étant venu de Ragitan en Gebalin avec son Disciple, l’Evêque du lieu l’arrêta, & le fit Prêtre contre son gré. Puis il lui dit : « Pardonne-moi, je te prie, mon Père, car je n’ignore pas que je t’ai fait violence. Mais le désir que j’avais de recevoir Ta Bénédiction en a été cause. » Le Saint Ancien lui répondit avec son Humilité ordinaire : « Il est vrai que je ne le désirais nullement ; & ce me sera aussi une grande peine de ce que cela me séparant du frère avec qui je suis, je ne pourrai pas faire seul mes Prières accoutumées ». « Si tu le juges digne du Sacerdoce, » lui repartit l’Evêque, « je l’ordonnerai aussi Prêtre ». « Je ne sais pas, » lui répliqua le Saint Homme, « s’il en est digne ; mais je sais bien qu’il vaut beaucoup mieux que moi. » L’Evêque, en suite de ces Paroles, ordonna aussi ce frère Prêtre. Mais Saint Muthuès & lui ne montèrent jamais à l’autel pour y consacrer. Sur quoi le Saint disait quelquefois : « Par la Miséricorde de Dieu je n’aurai pas grand compte à lui rendre à cause de cette ordination, puis que je n’ai jamais osé entreprendre de consacrer Son Divin Corps : ce qui n’appartient qu’à ceux qui sont si purs & si justes qu’ils sont entièrement irrépréhensibles. Mais, quant à moi, je me connais bien. »

LES VIES DES SAINTS PERES DES DESERTS
& DE QUELQUES SAINTES
ECRITES PAR DES PERES DE L’EGLISE
& autres Anciens Auteurs Ecclésiastiques
TRADUITES EN FRANçOIS
Par Mr ARNAULD d’ANDILLY
RETRANSCRITES PAR PRESBYTERA ANNA.
Edition de M.DC.XCIV.
SAINT THEON
Anachorète.

Traduit de Rufin, p.307.
Nous vîmes aussi assez proche de cette ville du côté qui va au Désert, un Saint homme nommé Théon reclus dans une cellule, où on assurait qu’il avait demeuré trente ans entiers dans un continuel silence : &il faisait tant de miracles qu’il passait en ce pays pour un Prophète. Il n’y avait point de jour que grand nombre de malades n’allassent vers lui ; & sortant la main de sa fenêtre & la mettant sur la tête de chacun d’eux, il leur donnait sa bénédiction, & les guérissait de toutes leurs maladies. On voyait reluire tant de douceur & de gaieté dans ses yeux : une telle majesté éclatait sur son visage, & il était comblé de tant de grâces, qu’il paraissait comme un Ange entre les hommes.
Quelque temps auparavant, des voleurs étant venus la nuit vers lui, sur ce qu’ils croyaient qu’il avait de l’argent, il les arrêta comme liés de telle sorte par la prière qu’il fit à Dieu, qu’ils demeurèrent attachés auprès de sa porte, sans pouvoir du tout se remuer. Plusieurs d’entre les peuples voisins étant venus le matin cers le Saint, ainsi qu’ils avaient accoutumé, ils les trouvèrent en cet état & résolurent de les brûler. Sur quoi la nécessité l’y contraignant, ce grand serviteur de Dieu leur dit seulement ces paroles : « Permettez-leur de s’en aller sans leur faire mal, puis qu’autrement notre Seigneur retirerait de moi la Grâce qu’Il m’a accordée de guérir des maladies. Ce peuple n’osant le contredire, les laissa aller ; & ces voleurs considérant ce qui leur était arrivé, renoncèrent à leur méchanceté, & touchés du désir de faire pénitence de leurs crimes, se retirèrent dans les Monastères voisins, où ils embrassèrent les règles & les exercices d’une Sainte Vie.
Ce même Saint savait non seulement les langues Grecque & Egyptienne ; mais la Latine, comme nous l’apprîmes de ceux qui étaient auprès de lui-même, qui pour nous réjouir &nous délasser du travail d’un si long chemin, voulut bien nous faire voir, en écrivant sur des tablettes, quelle était sa connaissance de ces langues qu’il avait acquise par la Grâce. Il ne mangeait jamais rien de cuit. Et on nous dit que lors qu’il marchait la nuit dans le désert, il se faisait accompagner par plusieurs bêtes sauvages, qu’il récompensait de leur travail & du service qu’elles lui rendaient, en leur donnant à boire de l’eau de son puits, dont il ne faut point de meilleure preuve que ce que l’on voyait près de sa cellule, la piste de quantité de buffles, de chèvres, & d’ânes sauvages.

***
Traduit de Pallade.
P.400

SAINTE OLYMPIADE

La sage & excellente Olympiade a marché avec tant de courage dans le chemin qui conduit au Ciel, & pratiqué si fidèlement en toutes choses les préceptes de l’Evangile, qu’elle n’a manqué à rien de ce qui la pouvait avancer dans la perfection de la Vie Spirituelle. Elle fut fille selon la chair du comte Céleuce, & véritable fille de Dieu selon l’Esprit. Son aïeul Ablave fut gouverneur de province, & son mari Nébride, avec lequel elle demeura quelque temps, le fut de Constantinople. Mais pour en parler selon la vérité, elle ne fut point sa femme, puis qu’on assure qu’elle demeura toujours vierge, se nourrissant de la Parole de Dieu, embrassant la véritable humilité, assistant tous les pauvres, & n’employant qu’à cela ses immenses & quasi infinies richesses. Car il n’y avait point de villes, de bourgades, & de solitudes qui ne ressentissent des libéralités de cette admirable vierge. Elle donnait aussi aux églises tout ce qui était nécessaire pour le service des Autels, & faisait du bien aux Monastères, aux Hôpitaux, aux prisons, & aux exilés : & pour dire tout en un mot, toute la terre avait part à ses aumônes.
Son humilité était si grande qu’il ne s’y pouvait rien ajouter ; & jamais la vanité n’eut part à ses actions, tant son esprit était éloigné de toute présomption & de toute gloire. Elle ne savait ce que c’était que de dissimulation. Jamais personne ne fut plus sincère. On voyait la franchise peinte sur son visage. Son corps était plein de vigueur. Elle agissait avec jugement & sans précipitation. Ses veilles étaient si grandes qu’elle ne dormait presque point. Elle n’était point du tout curieuse. Sa charité était sans bornes, ses entretiens simples, son habit pauvre, sa continence parfaite, ses intentions droites, ses espérances toujours élevées vers le Ciel ; & ses aumônes qui étaient comme l’ornement & le comble de toutes ses autres vertus allaient au-delà de tout ce qu’on en saurait dire.
Le démon que sa propre volonté a rendu méchant & qui est Ennemi mortel de tout Bien, la tenta en tant de manières, que dans les rudes combats qu’elle eut à soutenir contre lui, elle versa durant plusieurs années quantité de larmes, sans refuser néanmoins d’être assujettie pour l’amour de Dieu à toutes les créatures. Elle se soumettait humblement aux Saints Evêques, révérait les Prêtres, honorait les Ecclésiastiques, respectait les Solitaires, retirait les vierges, secourait les veuves, prenait soin des orphelins, assistait les vieillards, visitait les malades, avait pitié des pécheurs, & ramenait au bon chemin ceux qui s’égaraient. Ainsi, elle faisait du bien à tout le monde, mais elle usait particulièrement de profusion envers les pauvres : Elle instruisait dans la Foy plusieurs femmes infidèles, à qui elle donnait aussi de quoi vivre ; faisant éclater en toutes ses actions une bonté sans pareille, & qui ne peut-être trop admirée.
Elle affranchit un nombre infini d’esclaves, qu’elle rendit ses égaux ; son humilité lui faisant oublier la grandeur de sa naissance : & pour en parler selon la vérité, ils étaient beaucoup mieux vêtus qu’elle, ne se pouvant rien ajouter à la pauvreté de son habit, qui allait même au-delà de celle des personnes qui mendient. Sa douceur & sa simplicité étaient si extrêmes qu’elle surpassait même celle des enfants. On n’a jamais entendu sortir de sa bouche une parole désavantageuse à son prochain ; mais elle passait toute sa vie dans le sentiment des défauts dont elle s’imaginait d’être remplie, & dans des pleurs si continuels, qu’on verrait plutôt en elle tarir les eaux d’une source qu’on n’aurait vu les yeux toujours élevés vers le Ciel, & regardant son Sauveur, cesser de répandre des larmes.
Que si sans m’arrêter davantage à remarquer tant d’excellentes qualités, je voulais passer à ce qui est des combats & des travaux soutenus par cette Sainte, avec un courage invincible, & un esprit aussi ferme qu’un rocher, ce serait alors que mes paroles se trouveraient encore beaucoup plus disproportionnées à la grandeur de ses actions. Sur quoi l’on ne doit pas s’imaginer que je veuille par des termes élevés & magnifiques, rehausser le mérite des suffrages de cette grande servante de Dieu, ni que j’affecte de rechercher jusques aux moindres choses de ce qu’on pourrait dire de la très chaste Olympiade, qui a été comme un vase précieux, tout rempli du Saint Esprit, puisque je ne rapporte rien de la manière de vivre toute angélique de cette bienheureuse femme que je n’aie vu de mes propres yeux, comme n’ayant été fort ami de tous ses proches, & le sien si intime & si confident, qu’elle m’a mis entre les mains de très grandes sommes d’argent, que j’ai distribuées par ses ordres.
Cette Sainte Femme n’ayant donc plus de sentiment pour les choses de la terre, s’était soumise aux puissances supérieures, & obéissait aux magistrats, ainsi que Dieu le commande ; avait une profonde révérence pour le Sacerdoce ; honorait tous les Ecclésiastiques, & a mérité aussi de tenir rang entre les Confesseurs de la Vérité, par les grandes persécutions qu’elle a si courageusement soutenues : ce qui a obligé toutes les personnes de piété de Constantinople de la mettre de ce nombre, comme ayant couru fortune avec sa mère de perdre la vie en ces combats, où il s’agit de l’honneur du souverain maître : & parce qu’elle est morte au milieu de tant d’épreuves de sa vertu, elle jouit au Ciel avec les Saints, dans un bonheur inaliénable, de la couronne de Gloire qu’elle a si justement méritée, & reçoit des mains de Jésus-Christ la récompense de ses bonnes œuvres, sans craindre de la pouvoir jamais perdre.


***

P.566 SUITE DES ACTIONS & PAROLES REMARQUABLES
DES SAINTS PERES
DES DESERTS

TIREES D’UN ANCIEN AUTEUR GREC

TRADUIT PAR PELAGE DIACRE.

LXIII.
Paroles d’un Solitaire sur la Mort de son père.

PELAG. DIACRE. L’Abbé Evagre disait qu’un Solitaire avait répondu à un homme qui lui apportait la
TIT.I nouvelle de la mort de son père : Ce que vous dites est un blasphème. Car mon
Num.5. père est immortel.


LXIV.
Des fruits de la vie solitaire.
Num.15. L’Abbé Pastor disait : La pauvreté, la souffrance, & le discernement, sont des fruits
de la Vie Solitaire, dont l’un est représenté par Noé, lequel ne possédait rien ;
l’autre par Job qui a tant souffert, & le dernier par Daniel qui a été rempli de tant
de lumières. Ainsi, lors que ces trois choses se rencontrent dans une personne,
Dieu repose sans doute sur elle.

LXV.
La Solitude garantit de trois dangereux ennemis.
PELAG
DIACRE

TIT.II. Saint Antoine disait : que celui qui demeure en repos dans la Solitude se met
à couvert de trois dangereux ennemis, l’ouïe, la parole, & la vue ; & qu’il ne lui
reste plus à combattre que contre les mouvements qui s’élèvent dans son cœur.
Num.2.

PELAG. DIACR.
LXVI.
Num. 9.
La retraite apprend toutes choses.

Un Solitaire étant allé trouver en Scété l’Abbé Moïse pour le prier de lui donner quelque instruction, il lui répondit : Retournez vous-en : demeurez en repos dans votre cellule ; & Dieu vous apprendra toutes choses.

P.567.
LXVII.
Combien il importe de fuir les objets des sens.

L’Abbé Pastor disait pour montrer qu’il est utile de fuir les choses corporelles : Que celui qui s’occupe à soutenir les assauts que lui livrent ses sens corporels, ressemble à un homme qui étant sur le bord d’un lac très profond peut à toute heure y être précipité par son Ennemi. Mais que celui qui s’éloigne des objets des sens, ressemble à un homme qui étant fort loin de l’eau, lorsque son Ennemi veut l’y traîner pour le noyer, Dieu vient à son secours & le délivre.

LXVIII.
Qu’il est inutile de vivre dans la retraite, si on y conserve l’esprit du monde.
Num. 16.

L’abbesse Matrona disait : Ceux qui s’étant retirés dans le désert y vivent comme dans le monde, ne laissent pas de périr. Car il vaut mieux être avec plusieurs, & mener en secret dans le fond de son cœur une vie retirée & solitaire, que de vivre seul, & d’être par le fait toujours dans le monde, par les dispositions que l’on conserve dans le fond du cœur.

LXIX.
Que le repos dans la solitude rend les hommes capables de connaître leurs péchés.
Num.14.
Matth. 15.

Trois jeunes gens qui étudiaient ensemble, & étaient extrêmement amis, s’étant rendus Solitaires : L’un choisit de s’employer à réconcilier ceux qui auraient quelque différend, suivant cette Parole de l’Evangile : « Bien heureux sont les pacifiques. L’autre se résolut de s’occuper à visiter les malades : & le dernier se retira dans la solitude pour y demeurer en repos. Le premier travaillant à ce que j’ai dit, & voyant qu’il ne pouvait rien gagner sur l’esprit de la plupart de ceux qu’il exhortait de vivre en paix avec leur prochain, il en conçut un tel déplaisir qu’il se retira vers celui qui assistait les malades : mais il le trouva aussi tout découragé de ce que son dessein ne lui réussissait pas mieux qu’à lui. Enfin, ils s’en allèrent vers celui qui était dans le Désert, & lui ayant raconté leurs peines, le prièrent de lui dire de quelle sorte lui avait succédé son entreprise. Avant que de leur répondre, il mit de l’eau dans un verre, puis il leur dit : « Considérez cette eau, je vous prie » : ce qu’ayant fait ils virent qu’elle était trouble. Quelque temps après, il leur dit : Regardez maintenant comme elle est claire. Ils la regardèrent, & se virent dedans ainsi que dans un miroir. Alors il ajouta : « Celui qui demeure parmi la multitude ressemble à cette eau. Car l’agitation & le trouble l’empêche de voir ses péchés. Mais, lorsqu’il se tient en repos &principalement dans la solitude, il se rend capable de les discerner & de les connaître. »

LXX. Qu’un Chrétien doit à l’exemple des criminels trembler dans l’attente de la venue de son juge.
Tit.III.
Num.2
Un Solitaire priant l’Abbé Ammon de lui dire quelque chose pour son instruction, il lui répondit : « Faites comme les criminels qui sont en prison, lesquels demandent quand le Juge doit venir, & gémissent dans l’appréhension de souffrir les peines qu’ils ont méritées. Car le Solitaire doit de même appréhender pour ses péchés, & en se mettant en colère contre soi-même dire en son cœur : « Misérable que je suis, que ferai-je quand il me faudra comparaître devant le Tribunal de Jésus-Christ ; & comment lui rendrai-je raison de mes actions ? »Que si vous vous entretenez toujours de ces pensées, vous pourrez opérer votre salut. »

P.568.
Pélag . Diacr.
LXXI.
Excellente méditation pour mortifier ses sens.
Num.3.

Le Saint Abbé Evagre disait à ses frères : « Soyez retenus en toutes choses, & veillez sur vos actions, afin de ne vous point affaiblir en la résolution que vous avez prise de vivre dans le repos de la solitude, & d’y persévérer toujours. Et quand vous êtes assis dans vos cellules, rappelez vos pensées en vous-mêmes, & mettez-vous devant les yeux le jour de la Mort, puisque c’est un puissant moyen de mortifier vos sens. Considérez en quel état vous serez réduits alors, & les douleurs que vous souffrirez : Songez quel est l’horrible malheur des Damnés : Représentez-vous cet insupportable silence, ces profonds gémissements, ces craintes continuelles, ces combats intérieurs qui leur déchirent le cœur, ces douleurs présentes, cette cruelle attente d’être encore plus malheureux à l’avenir, & ces larmes amères qui ne diminueront ni ne finiront jamais. Souvenez-vous aussi du Jour de la Résurrection : Imaginez-vous ce divin, terrible, & épouvantable Jugement : Songez quelle sera la confusion que les pécheurs recevront à la Vue de dieu & de Jésus-Christ, en présence de tous les Anges & de tous les hommes : Considérez que cette confusion sera suivie d’un Feu Eternel, d’un remords de conscience qui comme un ver immortel ne cessera jamais de les ronger, des Ténèbres de l’Enfer, d’un grincement de dents, d’une frayeur épouvantable, & de tous les autres supplices que l’on ne saurait imaginer. Représentez-vous d’un autre côté les récompenses qui sont réservées aux gens de bien, leur confiance en Dieu & en Jésus-Christ Son Fils, dont tous les Anges & tous les Saints seront témoins, & le repos, la joie, & les autres Grâces qui les combleront de Bonheur dans l’Eternité. Que ces états si différents soient sans cesse présents à votre esprit : Gémissez, répandez des larmes, & tremblez en pensant au Jugement des pécheurs, dans l’appréhension d’être compagnons de leurs misères : Et soyez pleins de consolation, de contentement, & de joie en songeant aux récompenses que Dieu réserve pour les élus, afin de ne rien omettre de tout ce qui pourra dépendre de vous pour vous approcher des uns, & vous éloigner des autres. Et soit que vous soyez dans votre cellule ou dehors, prenez garde de n’oublier jamais ces choses : Mais ayez-les toujours présentes, afin d’éviter au moins par ce moyen de tomber en de mauvaises & sales pensées. »

LXXII.
Num.9.
Que les larmes sont la plus puissante de toutes les exhortations.

Les Anciens Pères de la montagne de Nitrie ayant envoyé prier l’Abbé Saint Macaire qui était en Scété de les venir visiter, & lui ayant fait dire que s’il ne leur accordait cette Grâce ils iraient le trouver tous ensemble, parce qu’ils désiraient de le voir auparavant que Dieu l’appelât à lui, il se rendit à leurs prières. Lors qu’il fut arrivé sur la montagne, & que tous les Solitaires furent assemblés autour de lui, les Anciens le conjurèrent de leur faire quelque exhortation. Sur quoi ce Saint Homme leur dit en pleurant : « Pleurons, mes frères, & que nos yeux se fondent en larmes, afin qu’au sortir de cette vie nous ne soyons pas ensevelis dans ces flammes éternelles que les larmes de ceux qu’elles brûleront ne pourront éteindre. » A ces Paroles, ils se mirent tous à pleurer ; & s’étant jetés le visage contre terre, ils lui dirent : « Mon Père, Priez pour nous. »

LXXIII.

Que la conversion d’un pécheur est précédée de beaucoup de peine, & suivie de beaucoup de consolation.
Num.16.

Sainte Synclétique disait : « Les impies souffrent de très grandes peines, & il se passe de très grands combats dans leur esprit avant que de se pouvoir convertir à Dieu. Mais ils ressentent ensuite des joies & des plaisirs inconcevables. Car Dieu étant appelé dans l’Ecriture un Feu dévorant, il arrive que comme ceux qui veulent allumer du feu sont d’abord si incommodés de la fumée qu’elle les contraint de pleurer : Nous devons de même allumer dans nous le Feu de l’Amour Divin avec beaucoup de larmes & de travail. »

P.569.
LXXIV.
Histoire étrange pour faire voir combien il est dangereux de tomber dans la négligence.
Num.20.

Un Saint vieillard racontait qu’un jeune homme voulant se donner au service de Dieu, & sa mère s’y opposant, il ne laissa pas de continuer dans son dessein, en lui disant qu’il voulait sauver son âme. Enfin cette femme après beaucoup de résistance voyant qu’il demeurait toujours ferme, y consentit. S’étant donc rendu Solitaire, il vécut fort négligemment dans cette sainte profession. Sa mère mourut, & quelque Temps après étant tombé dans une très grande maladie, il fut ravi en Esprit & eut une vision dans laquelle il lui sembla qu’étant mené pour être jugé, sa mère s’y trouva aussi, & que très étonnée de le voir, elle lui dit : « Qu’est-ce que cela , mon fils, & comment se peut-il faire que vous vous rencontriez avec moi dans une même condamnation ? Où sont donc ces beaux discours que vous faisiez en me disant : « J’ai résolu de sauver mon âme » ? Ce qui le remplit de tant de confusion & de douleur, qu’il ne savait que lui répondre. Dieu ayant ensuite permis par Sa Miséricorde qu’il guérît de sa maladie, cette Vision, qu’il ne pouvait douter qu’il n’eût permise, fit une telle impression sur son esprit, qu’il s’enferma dans sa cellule, où, plein de repentir & de regret d’avoir vécu si négligemment, il ne faisait autre chose que pleurer & penser à son Salut avec une si forte application, que plusieurs le priant de modérer un peu ses pleurs excessifs, ils ne le purent jamais obtenir de lui. Mais il leur répondait toujours : « Si je n’ai pu soutenir les reproches de ma mère, comment pourrai-je au Jour du Jugement soutenir ceux de Jésus-Christ & de Ses Saints Anges ? »
LXXV.
Si les âmes étaient mortelles, elles mouraient de frayeur lors du Jugement.
Num.21.

Un Saint Vieillard disait : « Si nos âmes étaient mortelles, tous les hommes mourraient de frayeur quand Dieu viendra nous juger après la Résurrection. Car avec quelle épouvante verrons-nous les Cieux s’entrouvrir, & Dieu paraître dans Sa fureur accompagné d’une infinité de légions d’Anges ? C’est pourquoi, mes frères, nous devons vivre comme étant obligés de lui rendre un Jour compte de toutes nos actions & de toutes nos pensées. »

LXXVI.
Combien il est nécessaire de se reprendre soi-même.
Num. 22.

Un Solitaire disant à un Saint vieillard : « D’où vient, mon Père, cette dureté de cœur dans laquelle je me trouve ? » Il lui répondit : « J’estime que pourvu qu’un homme soit dans la répréhension de soi, il ne manquera pas d’être dans la crainte ». « Qu’est-ce que la répréhension ? » lui repartit ce Solitaire ? « C’est, » lui dit ce Saint Homme, de reprendre son âme dans chaque action, en lui disant : « Souviens-toi qu’il te faudra comparaître en la présence de Dieu ; » & d’y ajouter : « Qu’ai-je à faire avec les hommes ? « Car j’estime qu’en observant ces deux choses on entre dans la crainte de Dieu. »

LXXVII.
Num. 23.

Qu’on doit toujours trembler dans la Vue du Jugement.
Un Saint Vieillard voyant un homme qui riait, lui dit : « Il nous faudra rendre compte de toutes nos actions en présence du Dieu du Ciel & de la terre ; & vous riez. »

LXXVIII.
De la circonspection & de la retenue que l’on doit avoir dans ses discours.
Tit.IV.
Num.3.

Quelques Solitaires allant de Scété vers Saint Antoine montèrent dans un vaisseau, où ils trouvèrent un vieillard lequel ils ne connaissaient pas qui s’y en allait aussi. Etant assis ils s’entretenaient de l’Ecriture Sainte, de quelques traités des Pères & des ouvrages de leurs mains : Sur quoi ce bon homme ne disait mot. Lors qu’ils furent arrivés, Saint Antoine dit à ces Solitaires : « Vous avez eu mes frères une bonne compagnie en votre voyage en rencontrant ce bon vieillard. » Et se tournant vers ce vieillard il lui dit : « & vous, mon Père, vous en avez aussi trouvé une bonne en rencontrant ces bons frères ». « Il est vrai qu’ils sont bons », lui repartit ce saint homme : mais il n’y a point de porte en leur maison ; &, ainsi, entre qui veut dans l’étable, & emmène les bêtes qui y sont. » Ce qu’il disait parce qu’ils s’entretenaient de tout ce qui leur venait en l’esprit.

P. 570.
LXXIX.

Que le silence est un des meilleurs moyens de fuir les occasions du péché.
Num.27.
Saint Macaire l’Ancien qui demeurait en Scété dit un jour aux Solitaires : « Mes frères, fuyez vous-en aussitôt que les Liturgies seront dites ». Sur quoi l’un d’eux répondant : Et où pouvons-nous fuir, mon Père, au-delà de ce désert ? » Le Saint mit son doigt sur sa bouche,& lui repartit : « C’est là que je dis qu’il faut fuir ». Puis, en achevant ces paroles, il entra dans sa cellule, & ferma la porte sur lui.

LXXX
Qu’il faut reprendre avec douceur.
Num. 28.

Le même Saint disait : « Si en voulant reprendre votre frère, vous vous mettez vous-même en colère, vous satisfaites davantage votre propre passion, que vous n’exercez la charité. Car il ne faut pas se perdre pour sauver un autre. »

LXXXI.
Num. 40.
Combien il faut être exact à garder le jeûne.

L’Abbé Silvain & Zacharie son disciple étant arrivés en un Monastère, les frères les firent un peu manger avant qu’ils se remissent en chemin. Comme ils marchaient, ce disciple rencontra de l’eau, & voulut boire. Sur quoi le Saint vieillard lui dit : « Mon fils, c’est jour de jeûne ». « Mais n’avons-nous pas mangé aujourd’hui, mon Père ? » lui répondit Zacharie. « Oui, » lui repartit le Saint vieillard : « Mais c’a été la charité qui nous a obligés de manger ; & c’est maintenant à nous à observer notre jeûne. »

LXXXII.
La chasteté n’est pas parfaite, si tous les autres sens ne sont pas réglés.
Num.41.

Sainte Synclétique disait : « Il faut que tout ce que nous sommes qui avons résolu de servir Dieu parfaitement observions une chasteté parfaite, & non pas semblable à celle des gens du monde, qui est accompagnée de folie, puis qu’ils sont déréglés dans leurs autres sens, leurs regards n’étant pas modestes, & leurs rires étant excessifs. »

LXXXIII.
Exemple d’une grande Sainte, pour faire voir qu’il ne faut jamais perdre courage dans les tentations.
Tit.V.
Num.10.
Num.11
L’Abbesse Sara ayant été durant treize ans violemment tentée par le démon, elle ne demanda jamais à Dieu de la délivrer de cette peine; mais elle lui disait seulement : « Seigneur, donnez-moi la force de la supporter. » Un jour, cette tentation étant plus forte, & cet Ennemi des hommes représentant à son esprit toutes les vanités du siècle, cette Sainte, sans rien diminuer pour cela de sa crainte de Dieu & de son Amour pour Lui, ni de sa résolution à continuer ses austérités, se mit dans son lit pour Prier. & alors, le Démon, ayant pris une forme humaine, lui apparut, & lui dit : « Tu m’as vaincu Sara ! » A quoi elle répondit : « Ce n’est pas moi, mais c’est Jésus-Christ mon Sauveur qui t’a vaincu. »

LXXXIV.
Qu’on peut par la pénitence, non seulement réparer le péché qu’on a commis, mais aussi arriver à une grande perfection.
Num.26.
Un Solitaire demandant à un Saint vieillard ce que celui qui succombe dans quelque situation doit faire pour réparer le scandale dont il est cause, ce Saint homme lui dit pour réponse : « Un officier étant poursuivi en justice vint avec toute sa famille se réfugier dans un Monastère d’Egypte où il y avait un Diacre fort célèbre, lequel étant poussé par le mouvement du Démon offensa Dieu avec le femme de cet officier. Voyant ensuite dans quelle confusion il avait mis tous les frères, il s’en alla trouver un bon vieillard auquel il découvrit son péché, & sachant qu’outre sa cellule il en avait encore une autre plus reculée, il lui dit : « Mon Père, enterre-moi ici tout vif, je te prie, sans que personne en ait connaissance ». & ainsi étant entré dans cette obscure cellule il y fit une très austère pénitence. Long Temps après il arriva que le Nil ne débordant point à son ordinaire, & tous les peuples se trouvant dans une grande désolation, il fut révélé à un Saint Père que le seul remède à ce mal était de faire venir ce Diacre qui était caché chez ce Solitaire. Ce qui ayant rempli tout le monde d’étonnement ils le tirèrent par force de sa cellule, &, après qu’il se fût mis en Prière, le Nil ne manqua pas de déborder. Ainsi, ceux qui avaient été scandalisés par son péché, furent édifiés de sa Pénitence, & en Glorifièrent Dieu.

P.571.

LXXXV.
Que la considération de la Mort & de l’Enfer peut servir de remède contre les mauvaises pensées.
Num.30.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Que ferai-je, mon Père, étant accablé comme je suis de sales pensées ? » Il lui répondit : « Quand une femme veut sevrer son enfant, elle met quelque chose d’amer sur son sein, afin que venant ainsi que de coutume pour la téter, cette amertume le rebute & l’en dégoûte. Mets donc de même de l’amertume sur tes pensées ». « Et quelle est cette amertume qu’il y faut mettre ? » répliqua ce Solitaire. « C’est », lui repartit ce bon Ancien, la pensée de la Mort, & des tourments éternels préparés aux pécheurs dans l’autre Vie».
LXXXVI.
Deux Solitaires également pénitents, dont l’un était toujours dans la Joie, & l’autre dans la crainte.
Num.34.
Deux frères succombant à la tentation quittèrent la Solitude, & se marièrent. Quelque Temps après, ils se dirent l’un à l’autre : « Quel avantage tirons-nous d’avoir abandonné une manière de Vie toute Angélique pour en prendre une si impure, & passer de là dans des tourments éternels ? Retournons dans le désert pour y faire pénitence de notre péché. » Ainsi, ils s’en retournèrent, & après avoir confessé leur faute, ils prièrent les Saints Pères de les recevoir à pénitence. Ce que leur ayant accordé, ils les tinrent enfermés un an entier, & leur donnaient également par poids & par mesure du pain & de l’eau. Le Temps de leur pénitence étant achevé & étant sortis, ces bons Pères s’étonnèrent extrêmement de ce que se ressemblant auparavant fort de visage, l’un d’eux était fort pâle & fort triste, & l’autre vermeil & fort gai, vu qu’il n’y avait eu nulle différence en leur nourriture. Sur quoi ayant demandé à celui qui était triste quelles étaient les pensées dont il s’entretenait dans sa cellule, il leur répondit : Je passais & repassais par mon esprit les peines que je méritais de souffrir pour le châtiment de mes péchés ; & ma frayeur a été telle que ma peau s’est séchée & comme collée sur mes os. » Ils demandèrent ensuite à l’autre : « Et toi, à quoi pensais-tu dans ta cellule ? » « Je rendais grâces à Dieu », leur repartit-il, « de ce qu’il lui avait plu me retirer de la corruption de ce monde, & me garantir des tourments de l’autre, pour me rappeler à cette manière de Vie toute Angélique. Ainsi, ayant continuellement la bonté de mon Sauveur devant les yeux, j’étais plein de consolation & de Joie. » Ces sages Anciens les ayant entendus parler de la sorte jugèrent que leur pénitence était égale devant Dieu. »

LXXXVII.
Chute d’un grand Solitaire arrivée par sa désobéissance ; & de la pénitence qu’il en fit.
Num.35.
Un Solitaire de Scété qui était déjà fort âgé étant tombé dans une grande maladie, & les frères l’assistant avec beaucoup de soin & de travail, il se résolut d’aller en Egypte pour les délivrer de cette peine. Sur quoi l’Abbé Moyse lui dit : « Crois-moi, n’y va pas. Car si tu y vas, tu tomberas dans le péché d’impureté. » Ce qui l’ayant fort attristé, il lui répondit : « Comment me dis-tu cela, mon Père, puis que tu vois que mon corps est à demi-mort ? » Ensuite de quoi il s’en fut en Egypte. Les habitants des environs ayant appris son arrivée lui vinrent faire de grandes offres ; & une vierge qui jusques alors avait été fort fidèle à Dieu vint le trouver pour le servir en sa maladie, dont étant revenu quelque Temps après & commençant à se bien porter, il offensa Dieu avec elle ; & elle accoucha d’un fils. Ses voisins lui demandant de qui elle l’avait eu, elle répondit : « De cet Ancien. » Ce qu’ayant peine de croire, il leur dit : « Il est vrai que c’est moi qui ai commis ce péché. Mais ayez soin, je vous prie, de cet enfant. » Après qu’il fut sevré, il le mit sur ses épaules, &, le jour de la fête de Scété, il entra ainsi dans l’église en présence de tous les frères, qui se mirent à pleurer en le voyant. Sur quoi, il leur dit : « Mes frères, voyez-vous cet enfant ? C’est le fruit de ma désobéissance. Tenez-vous donc sur vos gardes, puis que je suis tombé dans une telle faute en ma vieillesse, & priez pour moi. » De là, il alla s’enfermer dans sa cellule, où il se conduisit de telle sorte qu’il rentra dans une manière de vivre aussi parfaite que celle qu’il faisait auparavant.

P.572.
LXXXVIII.
Combien les Supérieurs sont obligés d’user de discrétion dans les travaux qu’ils imposent.
Num.42.
Il y avait un Solitaire, qui étant marié & ayant quitté le monde pour se retirer dans le Désert était fort souvent tenté du désir de retourner avec sa femme. Ce qu’il dit aux plus anciens du Monastère, qui voyant qu’il travaillait avec tant d’affection, & faisait encore davantage qu’on ne lui commandait, lui ordonnèrent des travaux tout-à-fait excessifs, afin de lui affaiblir le corps de telle sorte qu’il ne pût pas seulement se remuer. Sur quoi Dieu permit qu’un Ancien étant arrivé en Scété, & ayant passé devant sa cellule qui était ouverte, sans que personne en sortît, il y retourna en disant : « Le frère qui demeure ici ne serait-il point peut-être malade ? » Il frappa ensuite à la porte, puis entra ; & trouvant qu’il se portait très mal, il lui dit : « Qu’est-ce donc, mon Père, que tu as ? » Il lui répondit : « J’ai passé de la vie du monde à celle que je sais maintenant, & le Démon me tente de retourner voir ma femme. Ce qu’ayant confié à nos Anciens, ils m’ont imposé des travaux si rudes, que m’efforçant de les accomplir avec une exacte obéissance, je me trouve accablé sous le faix, sans sentir néanmoins diminuer ce fâcheux désir qui me persécute ; mais au contraire il s’augmente de plus en plus. » L’Ancien, l’entendant parler de la sorte en fut fort attristé, & lui dit : « Ces bons Pères, comme étant extrêmement parfaits dans le service de Dieu, vous ont imposé des fardeaux que vous avez peine de porter. Mais si vous voulez croire mon conseil, déchargez-vous en ; nourrissez-vous modérément ; reprenez vos forces. Exercez-vous à quelque ouvrage de Dieu ; & priez-le de vous délivrer de toutes ces fâcheuses pensées qu’il n’est pas en votre puissance de surmonter par votre travail. » Ce frère ayant pratiqué ces instructions, il fut délivré peu de jours après de cette pénible tentation.

LXXXIX.
Tit.VI.
Num.9.
Qu’il n’y a point d’apparence d’être bien vêtu dans le Désert.
L’Abba Isaïe dit à ses frères : « L’Abba Pambon & ceux qui étaient auparavant nous, portaient de vieux habits tout pleins de pièces. Mais vous, au contraire,vous êtes bien aises d’en avoir de beaux. Sortez donc d’ici, vous qui semblez avoir quitté dans le désert l’esprit du désert. »

XC.
Num.11.

Un Solitaire disant à l’Abba Pistéramon : « Que dois-je faire, mon Père, dans la peine que j’ai de me résoudre à vendre les ouvrages que je fais ? » Il lui répondit : « Pourquoi as-tu peine de suivre en cela l’exemple de l’Abba Sisoès & des autres ? Mais, lorsque tu vendras tes ouvrages, dis en un mot ce que tu en voudras avoir ; & si tu désires même de les donner à moins qu’on a accoutumé, tu le pourras faire ; & ainsi tu ne sentiras plus de peine. » Ce frère lui disant ensuite : « Mais, mon Père, si je puis avoir d’ailleurs de quoi satisfaire à mon besoin, n’estimes-tu pas que je puisse me dispenser de travailler de mes mains ? » « Nullement, mon fils, » lui répondit l’Ancien : Mais travaille autant que tu le pourras, sans t’inquiéter ni te troubler. »

P. 573.
XCI.
Num. 18.

De quelques pauvres personnes, qui, se confiant en Dieu, & travaillant de leurs mains, ne voulaient point recevoir d’aumônes.

Quelques Grecs étant venus en la ville d’Ostracine pour y faire des aumônes, & ayant avec eux les économes de l’Eglise, pour leur montrer ceux qui étaient en nécessité, ils les menèrent chez un lépreux, lequel refusa ce qu’ils lui voulaient donner, disant : « J’ai quelques feuilles de palmier dont je fais de la corde, & cela me suffit pour avoir du pain. » Ils les menèrent ensuite chez une veuve qui avait des filles, & gagnait sa vie à blanchir. Cette femme étant sortie pour aller travailler, l’une de ses filles, qui avait à peine des habits pour se couvrir, vint à ouvrir la porte, & refusa ce qu’ils lui voulaient donner, disant que sa mère lui avait appris à se confier en Dieu, & qu’elle avait trouvé de l’ouvrage qui les pourrait nourrir durant ce jour. Un peu après sa mère étant arrivée, ils la pressèrent de recevoir de l’argent ; ce qu’elle refusa en disant : « Mon Dieu est celui qui prend soin de moi ; & vous me le voulez ravir aujourd’hui, en faisant que je ne me confie plus en lui, mais aux hommes. » Ces personnes admirant sa foi en rendirent grâces à Dieu, & se retirèrent.

XCII

Du mépris que les Solitaires de Scété faisaient de l’argent.
Num. 19.

Un homme de grande condition & qui ne voulait point être connu, vint avec quantité d’argent en Scété, & pria le Prêtre de ce Désert de le distribuer aux Solitaires. Sur ce qu’il lui répondit qu’ils n’en avaient pas besoin, cet homme qui voulait ardemment ce qu’il voulait, ne se contentant pas de cette réponse, jeta cet argent dans une corbeille qui était à l’entrée de l’église, & le Prêtre dit ensuite tout haut : « Que ceux qui en ont besoin en prennent. » Mais pas un seul n’y voulut toucher ; & plusieurs ne le regardèrent pas seulement. Alors, ce bon Prêtre dit à ce seigneur : « Monsieur, Dieu a reçu votre offrande : retournez-vous en chez vous en paix, & donnez cet argent aux pauvres. Ainsi, il s’en alla très édifié.


XCIII.
Admirable réponse d’un ancien Solitaire en refusant aussi de recevoir de l’argent.
Num.20.

Un homme apportant de l’argent à un Ancien, Solitaire, qui était lépreux, lui dit : « Je te prie, mon Père, de recevoir ceci pour satisfaire à tes besoins, maintenant que tu es vieil & infirme. » Ce Saint Homme le refusant absolument lui répondit : « Viens-tu à dessein de me ravir Celui qui me nourrit depuis plus de soixante ans, & qui par Sa Miséricorde a fait que dans mon infirmité je n’ai eu besoin de rien durant tout ce Temps ? »

XCIV.
Bel exemple pour faire voir qu’il se faut abandonner entièrement à la Providence de Dieu.
Num. 21.

Les Anciens Pères racontaient qu’il y avait un jardinier, qui travaillant avec grand soin employait à faire des aumônes tout ce qu’il gagnait, & retenait seulement pour lui ce dont il avait besoin pour vivre. Mais le Diable lui ayant mis dans l’esprit d’amasser quelque argent pour se faire assister quand il serait vieux ou infirme, il remplit d’argent une petite bouteille. Etant quelque Temps après tombé malade, & s’étant fait une grande apostume à l’un de ses pieds, il donna inutilement tout ce qu’il avait amassé à des médecins, dont l’un des plus habiles lui dit qu’il fallait de nécessité lui couper le pied. Le jour ayant été pris pour faire cette opération, il rentra la nuit en soi-même, & étant touché de sa faute, dit avec beaucoup de larmes & de soupirs : « Souviens-toi, mon Dieu, des bonnes œuvres que je faisais, lors que, travaillant dans mon jardin, je donnais aux pauvres tout ce que je gagnais. » Il n’eut pas plutôt achevé ces paroles, qu’un Ange du Seigneur s’apparut à lui, & lui dit : « Où est cet argent que tu avais amassé, & cette confiance que tu y avais ? Alors, connaissant encore mieux quelle était la grandeur de sa faute, il répondit : « J’ai péché, Seigneur, je le confesse : Mais pardonne-moi s’il te plaît, & je n’y retournerai jamais. » L’Ange lui ayant ensuite touché le pied, il fut guéri au même moment, &, après s’être levé de grand matin, s’en alla travailler dans son jardin. Le médecin, étant venu à l’heure qui avait été résolue avec tout ce qui était nécessaire pour l’opération, lors qu’on lui dit qu’il était sorti dès le matin pour aller travailler dans le jardin, il en fut si étonné qu’il l’y fut trouver, & le voyant labourer la terre, rendit grâces à Dieu de ce miracle.

XCV.
Les ouvrages continuels, quoi que légers, sont préférables aux autres.
TIT.VII.
Num.11.

L’ Abba Mutoïs disait qu’il aimait beaucoup mieux un ouvrage léger & continuel qu’un ouvrage difficile & qui durait peu.

XCVI.
Belle considération d’une grande Sainte, pour ne se point affliger dans les maladies.
Num.17.

Sainte Synclétique disait : « Si nous tombions dans des infirmités & dans des maladies, quoi que fâcheuses, ne nous attristons pas de ce qu’elles nous empêchent de nous tenir debout pour prier, ou de pouvoir chanter l’Office, puis que ces incommodités détruisent en nous les désirs charnels ; & ainsi en faisant le même effet que les jeûnes & les travaux qu’on nous impose, elles nous dispensent de les observer. Car, comme les maladies sont chassées par de fortes médecines, les vices sont chassés de même par les maladies ; & c’est une grande vertu que d’être patient & de rendre grâces à Dieu dans l’infirmité. Ainsi, si nous devenons aveugles, ne nous en affligeons point, puis que nous perdons en perdant la vue un grand instrument de vanité ; mais contemplons avec les Yeux de l’Esprit la Gloire de Dieu. Si nous devenons sourds , n’en soyons pas pour cela tristes, puis que nous aurons perdu un moyen d’apprendre plusieurs choses vaines. Si nos mains sont affaiblies par quelque maladie, servons-nous de nos mains intérieures pour repousser les tentations de l’Ennemi. Et s’il arrive même que tout notre corps tombe dans l’infirmité, reconnaissons que notre homme intérieur en devient plus sain & plus robuste.

XCVII.
Belle considération de la même Sainte pour ne se point décourager dans nos bonnes œuvres.
Num.18.
La même Sainte disait : « Puis que ceux qui commettent quelque crime dans le monde, sont mis en prison, malgré qu’ils en aient, nous pouvons bien nous y mettre nous-mêmes pour satisfaire à nos péchés, afin de nous garantir par ce châtiment volontaire des peines que nous souffririons en l’autre Vie. C’est pourquoi si en jeûnant vous tombez malade, ne vous imaginez pas que ce soit le jeûne qui en soit la cause, puis que ceux qui ne jeûnent point ne sont pas exempts de maladies . & si vous commencez quelque bonne œuvre, gardez-vous bien de l’abandonner par les traverses que le Démon y apporte ; mais, au contraire, confondez-le par votre persévérance, puis que comme ceux qui naviguent & ont le vent favorable au sortir du port, ne déchargent pas leur vaisseau, ou ne l’abandonnent pas lorsqu’ils sont attaqués par des vents contraires, mais résistent courageusement à l’orage, & puis reprennent leur première route. Nous devons de même quand le Malin, comme un vent contraire, s’oppose à nos bonnes intentions, déployer, au lieu de voiles, la Croix de notre Sauveur ; & ainsi nous surmonterons tous les périls qui nous pourraient empêcher d’achever heureusement notre course durant cette vie».

XCVIII.

Qu’il est très dangereux d’embrasser la Vie d’Anachorète, auparavant que d’être assez confirmé dans la vertu.
Num.24.

Un Solitaire disant à un Ancien : « Que ferai-je, mon Père, pour résister à ces fâcheuses tentations, qui ne me permettent pas de demeurer seulement une heure dans ma cellule ? » Il lui répondit : « Mon fils, retourne dans ta cellule, & là demeure assis en travaillant de tes mains. Prie Dieu sans cesse : entretiens-toi avec lui, & prends garde que personne ne te trompe en te persuadant d’en sortir. » Il lui conta ensuite cette histoire : « Il y avait un jeune homme dans le monde qui désirait de se rendre Solitaire. Mais son père ne le lui voulait point permettre, quelque instance qu’il lui en fît. Enfin, il l’en fit tant prier par ses plus intimes amis qu’il y consentit. Ayant été reçu au Monastère, & pris l’habit, il accomplissait parfaitement toute le règle, jeûnant au commencement tous les jours, puis ne mangeant que de deux jours l’un, & enfin, une fois la semaine seulement. L’Abba l’admirait, & bénissait Dieu de le voir agir de la sorte. Quelque Temps après, ce frère le supplia de lui permettre d’aller demeurer dans le Désert. A quoi cet homme bon lui répondit : « Mon fils, ne te mets point, je te prie, cela dans l’esprit : C’est un travail qui passe tes forces. Tu n’y pourrais résister aux tentations & aux artifices du Diable. & lors qu’il t’attaquerait, tu n’aurais personne à qui avoir recours pour t’assister ». Sur ce refus, le Solitaire redoubla ses prières, & ainsi l’Abba voyant qu’il ne pouvait l’arrêter, le laissa aller, après s’être mis en Prière,& lui donna à sa demande deux Solitaires pour lui montrer le chemin qu’il devait tenir. Ayant marché deux jours dans le Désert par une excessive chaleur, ils se trouvèrent si faibles que n’en pouvant du tout plus, ils se jetèrent par terre & s’endormirent.. Alors, il vint un aigle qui les frappa de ses ailes, & après avoir ensuite volé assez loin devant eux s’assit en terre. S’étant éveillés, les deux Solitaires qui accompagnaient celui-ci lui dirent : « Voilà ton Ange. Lève-toi & suis-le ». Il se leva, & prenant congé d’eux, il suivit l’aigle, qui après que le Solitaire fut arrivé au lieu où il l’attendait, se leva & vola jusqu’à un stade de là ; pui s’assit encore ; & ainsi se levant toujours, & le Solitaire le suivant, cela continua de la sorte durant trois heures. Enfin l’aigle prit son vol à sa main droite, & ne parut plus. Ce Solitaire voulant néanmoins continuer de le suivre, il aperçut trois palmiers, une source, & une petite grotte ; & il dit alors en soi-même : « Voici sans doute le lieu que le Seigneur m’a préparé». Il entra ensuite dans la grotte, où il demeura seul durant six ans sans voir personne, mangeant des dattes de ces palmiers & buvant de l’eau de cette fontaine. Un jour, le Diable vint à lui sous la forme d’un Ancien, Solitaire, avec une figure affreuse. Ce qui l’ayant rempli de crainte, il se jeta contre terre pour prier, puis se releva. Alors le Diable lui dit : « Mon frère, prions encore. » Après qu’ils eurent prié & se furent relevés, cet esprit infernal lui dit : « Combien y a-t-il de temps que tu demeures ici ? » « Six ans », lui répondit-il. « Je t’avais pour voisin », ajouta le Démon, « mais il n’y a que quatre jours que je le sais. Mon Monastère est proche d’ici, & depuis onze ans je n’en suis sorti sinon aujourd’hui qu’ayant su que j’étais si proche de toi, j’ai dit en moi-même : « J’irai visiter cet Homme de Dieu pour conférer avec lui de ce qui peut servir à notre salut. Ce que je te dis, mon frère, parce que je crois que ce n’est pas y travailler utilement, que de demeurer ainsi dans nos cellules, sans y recevoir le corps & le sang de Jésus-Christ ; & je crains que nous nous perdions si nous manquons de participer à ce sacrement. C’est pourquoi, mon frère, j’estime que nous devons tous les dimanches, ou au moins de quinze jours en quinze jours, aller à un Monastère qui n’est qu’à trois milles d’ici, & dans lequel il y a un Prêtre, afin d’y communier, & puis retourner dans nos cellules. » Ce discours plut à ce frère, & le Dimanche suivant, le Diable vint & lui dit : « Allons, il est heure de partir. » Ainsi, ils allèrent dans ce Monastère où il y avait un Prêtre, & étant entrés dans l’église, ils se mirent tous deux en prière. Ce Solitaire ayant achevé la sienne, & ne voyant plus celui qui l’avait amené, dit en lui-même : « Où pourrait-il donc être allé ? » Après avoir attendu long temps, il sortit pour aller le chercher, & ne le trouvant pas, demanda aux frères s’ils ne savaient point ce qu’était devenu ce bon père avec lequel il était entré dans l’église. Ils lui répondirent : « Nous n’avons vu entrer personne avec toi. » Alors, il connut que c’était le Démon, & dit : « Voyez, je vous prie, avec quel artifice il m’a fait sortir du lieu où j’étais. Mais je n’ai pas sujet de m’en plaindre, puis que je suis venu ici pour un bon sujet, & qu’après avoir reçu le Corps & le Sang de Jésus-Christ, je retournerai dans ma cellule. » La Liturgie étant achevée, comme il s’en voulait aller, l’Abba le retint pour se sustenter avec la Communauté ; & puis il s’en retourna. A quelque temps de là, le Diable s’apparut encore à lui sous la forme d’un jeune homme séculier, qui après l’avoir considéré depuis les pieds jusques à la tête, dit : « Est-ce lui ? Ne l’est-ce pas ? »Sur quoi le Solitaire lui demandant pourquoi il le considérait de la sorte, il lui répondit : « Quoi, ne me reconnais-tu plus ? Je n’ai pas sujet néanmoins de m’en étonner, puis qu’il y a si long temps que nous ne nous sommes vus, je suis le fils du voisin de ton père. Ne se nommait-il pas ainsi ? & ta mère n’avait-elle pas un tel nom ? & ta sœur un tel ? & les serviteurs de ton logis ne s’appelaient-ils pas ainsi ? & toi, ne portes-tu pas un tel nom ? Il y a déjà plus de trois ans que ta mère & ta sœur ne sont plus au monde. Quant à ton père, il y a fort peu qu’il est mort, & il t’a institué son héritier en disant : « A qui puis-je laisser mon bien sinon à mon fils qui est un homme de sainte vie, & qui a quitté le monde pour servir Dieu ? Je lui donne donc tout mon bien, & veux qu’on l’aille chercher afin qu’il vienne recueillir ma succession, & la distribuer aux pauvres pour le salut de son âme & de la mienne. » Plusieurs sont allés ensuite te chercher inutilement ; & moi étant venu ici par occasion & pour quelque affaire, je t’ai rencontré & reconnu. Ne diffère donc pas davantage à t’en venir, pour vendre tout le bien que ton père t’a laissé, & exécuter sa volonté. » Ce Solitaire lui répondit : « Je ne vois point de nécessité qui m’oblige à retourner dans le monde. » « Si tu manques d’y retourner », lui répartit le Démon, « ce bien dépérit, tu en rendras compte devant Dieu. Car quel Mal y a-t-il, je te prie, d’y venir pour y distribuer comme un fidèle dispensateur ce bien aux pauvres, & empêcher que des personnes de mauvaise vie ne profitent de ce qui t’a été laissé ? Quel Mal y a-t-il que suivant la volonté de ton père tu fasses des aumônes pour le salut de son âme & de la tienne, & puis que tu retournes dans ta cellule ? » Enfin le Démon lui allégua tant de raisons qu’il lui persuada de retourner dans le monde, & l’accompagna jusques à la ville, & puis le laissa. Le Solitaire, voulant entrer dans la maison de son père qu’il croyait Mort & qui néanmoins était vivant, il le rencontra qui sortait, & qui, ne le reconnaissant pas, lui demanda qui il était, dont se trouvant fort surpris il ne savait que lui répondre. Enfin, lui ayant fait une seconde fois la même demande, il lui dit avec beaucoup de confusion qu’il était son fils. « Et qui t’a ramené ? » lui repartit alors son père. Sur quoi, ayant honte de lui, il lui dit que c’était le désir de le revoir, & demeura ensuite près de lui. Quelque Temps après, il tomba dans le péché, & étant très maltraité de son père, il fut si malheureux qu’il ne fit point pénitence. C’est pourquoi, mon frère, je te dis qu’un Solitaire ne doit jamais, pour quelque raison que ce soit, se laisser persuader de sortir de sa cellule. »

XCIX.
Pour quelles raisons il est permis de changer de lieu.
Num.26.

Un Saint Ancien disait : « Nos Anciens ne se résolvaient pas facilement à changer de lieu, sinon pour l’une de ces trois causes : ou que quelqu’un fût mécontent d’eux sans qu’ils puissent regagner son esprit, quelque satisfaction qu’ils lui fissent ; ou s’ils se sentaient attaqués par la vanité ; ou s’ils se trouvaient tentés par des pensées d’impureté ».

C.
Que Dieu nous tient compte de tous les travaux que nous entreprenons pour son service.
Num.31.

Un Ancien qui venait dans le Désert, & n’avait point d’eau plus proche de sa cellule que de douze milles, allant un jour en quérir se trouva si las que, n’en pouvant plus, il dit en lui-même : « Qu’est-il besoin que je me donne tant de peine, & ne vaut-il pas mieux que je vienne demeurer proche de cette eau ? » Comme il achevait ces paroles, il aperçut derrière lui un jeune homme qui le suivait & comptait ses pas. Lui ayant demandé qui il était, il lui répondit : « Je suis l’Ange du Seigneur qui suis envoyé pour compter tes pas, & t’en donner la récompense ». A ces paroles, il reprit courage de telle sorte que, redoublant sa ferveur, il s’en alla loger dans une cellule encore plus éloignée de cette eau que ne l’était la première.

CI.

Belle comparaison pour faire voir qu’un Solitaire ne doit point se relâcher, quelques obstacles qu’il rencontre.
Num.35.

Sur ce qu’on demandait à un Saint Ancien ce que doit faire un Solitaire vertueux, pour ne se point scandaliser quand il en voit d’autres s’en retourner dans le monde : « Il doit, » répondit -il, « imiter un lévrier qui, ayant découvert un lièvre, le poursuit toujours ; au lieu que les autres chiens qui ne courent que parce qu’ils l’ont vu courir, s’en retournent aussitôt qu’ils commencent à se lasser. Mais lui poursuit le lièvre jusqu’à la fin, sans se rebuter ni de voir retourner les autres, ni de rencontrer des chemins creux, ni des buissons, ni des halliers, ni même des épines qui le piquent. Car un Solitaire qui cherche Notre Seigneur Jésus-Christ doit de même continuellement regarder la Croix, & passer par-dessus tous les obstacles qui se rencontrent dans sa course, jusques à ce qu’il possède Celui qui y a été attaché pour son Salut».

CII.
Ne changer pas aisément de lieu.
Num.36.

Un Saint Ancien disait : « Ainsi qu’un arbre ne saurait fructifier lors qu’on le transplante souvent, un Solitaire ne saurait s’avancer dans la Vertu lors qu’il change souvent de lieu ».
CIII.
Comme il faut résister aux tentations.

Num.39.

Un Solitaire étant tenté de quitter son Monastère, il prenait tous les jours la peau sur laquelle il couchait, comme étant près de s’en aller, & lors que le soir était venu, il disait en lui-même : « Attendons jusqu’à demain». Puis, la nuit étant passée, il disait : « Faisons-nous violence pour demeurer encore ici pour l’Amour de Dieu. » Et continuant de jour en jour à en user de la sorte, il passa ainsi neuf années, après lesquelles Dieu le délivra de cette fâcheuse tentation.

CIV .
Qu’en travaillant peu à peu sans se décourager, on peut résister aux tentations.
Num. 40.

Un Solitaire souffrant de si grandes tentations qu’il ne pouvait plus observer les règles de la Vie Religieuse, & que quand il voulait se remettre à les pratiquer, ces mêmes tentations l’en empêchaient, il disait en lui-même : « Quand me retrouverai-je au même état où je me suis vu autrefois ? » Puis, ces tentations l’accablant, il ne pouvait s’appliquer à quoi que ce soit. Enfin, il alla trouver un Ancien, auquel ayant raconté ce qui se passait, ce Saint Homme lui répondit : « Un homme ayant un héritage qu’il négligeait de cultiver, il devint en friche & tout plein de ronces ? Quelque temps après, il s’avisa de le vouloir remettre en valeur, & dit à son fils : « Allez défricher cette terre. » Y étant allé, il la trouva si pleine d’épines que perdant toute espérance d’en venir à bout, il dit en lui-même : « Quand aurai-je arraché & nettoyé tout cela ? » Puis, se jetant contre terre, il se mit à dormir, & continua à faire la même chose durant plusieurs jours. Son père étant venu pour voir son ouvrage, &, trouvant qu’il n’avait rien fait, lui dit : « D’où vient que tu n’as encore rien fait ? » « Mon Père, » lui repartit-il, « toutes les fois que je suis venu pour travailler, cette quantité de ronces m’a fait peur, & m’a découragé de telle sorte qu’au lieu de travailler, je me jetais en terre & m’endormais. » Sur cela son père lui repartit : « défriche chaque jour autant d’espace que tu en occupes lors que tu es couché par terre, & ton ouvrage s’avançant ainsi peu à peu, tu ne te trouveras plus dans ce découragement. » Son fils lui ayant obéi, il défricha dans peu de Temps son héritage. « Ainsi, mon frère, ne te décourage point, mais travaille peu à peu ; & Dieu, par Sa Grâce, te rétablira dans le premier état où tu étais. » Ce frère l’ayant cru, & pratiquant avec patience dans sa cellule ce qu’il lui avait conseillé, ses peines cessèrent par l’assistance de Jésus-Christ, &il rentra dans le calme & dans le repos d’esprit qu’il avait perdu.

CV.
D’un pauvre qui s’estimait heureux dans son extrême misère.
Num.46.

Un Saint Ancien nous disait : « Lors que j’étais à Oxyrinque, il vint des pauvres un samedi pour y recevoir la charité. Il faisait alors un extrême froid ; & quand la nuit fut venue, il y en avait un qui n’ayant pour toute couverture qu’une petite natte de jonc, il en mit la moitié sous lui, & se couvrit avec l’autre comme il put. Le froid le faisant trembler, je l’entendis qui se consolait lui-même en disant : « Je te rends grâces, mon Dieu, d’être en l’état où je suis. Car combien y a-t-il de personnes riches qui, à l’heure que je parle, sont en prison,& qui ont même les fers aux pieds sans jouir de la moindre liberté du monde ; au lieu que je suis heureux comme un roi pouvant aller où bon me semble. » Voilà de quelle sorte il parlait. & quand je le racontai aux frères, ils en furent extrêmement édifiés.

CVI.
Prédiction de Saint Antoine sur le sujet d’un Solitaire qui ne persévéra pas dans la Vertu.
TIT.VIII.
Num.1.

Quelques Anciens ayant rapporté à Saint Antoine un miracle fait en leur faveur par un jeune Solitaire, qui les voyant lassés de la longueur du chemin, avait commandé à des ânes sauvages de les porter jusqu’à sa cellule. Ce Saint leur répondit : « Ce Solitaire ressemble à mon avis à un vaisseau chargé de toutes sortes de richesses, mais qui court fortune de ne point arriver au port. Quelque Temps après Saint Antoine se mit tout d’un coup à pleurer & à s’arracher les cheveux. Ce que ses disciples voyant, ils lui demandèrent : « Mon Père, qu’as-tu donc ainsi à pleurer ? » Il leur répondit : « Je pleure de ce qu’une grande colonne de l’Eglise vient de tomber ; » ce que disant, il entendait parler de ce jeune Solitaire. Puis il ajouta : « Allez le trouver, & voyez ce qui lui est arrivé. » Y étant allés, ils le trouvèrent assis sur sa natte de jonc qui pleurait un péché qu’il avait commis. Aussitôt qu’il les vit, il leur dit : « Faites, je vous prie, que votre Saint Père demande pour moi à Dieu de me donner dix jours de terme, & j’espère qu’il recevra ma pénitence. » Mais il mourut au bout de cinq jours.

CVII.

Qu’il ne faut point parler des choses de Dieu à ceux qui ne s’en instruisent que pour en tirer vanité.
Num.6.

Un Solitaire étant venu de Phermé trouver l’Abba Théodore, & l’ayant prié durant trois jours de lui dire quelque chose, il n’en put tirer un seul mot. Ainsi, s’en étant retourné fort triste, le disciple du Saint Ancien lui dit : « D’où vient mon Père, que tu ne lui aies pas dit une seule parole ? »Il lui répondit : « Je n’avais garde, mon fils, parce qu’il trafique de discours, & ne recherche des instructions que pour les redire ensuite à d’autres, & en tirer vanité».

CVIII.
Ne point parler de ce qu’on ne pratique pas.
Num. 8.

Un autre Solitaire interrogeant le même Saint touchant des choses qu’il ne pratiquait pas, l’Ancien lui répondit : « Tu n’as pas encore fait provision d’un viasseau ; tu ne l’as point encore équipé ; tu n’as point encore commencé à naviguer ;& tu parles comme si tu étais déjà au lieu où tu as dessein d’arriver. Attends-donc à parler de ces choses lors que tu les auras pratiquées».

CIX.
Qu’il ne suffit pas d’être humble en certaines choses ; mais qu’il le faut être en toutes.
Num. 9.

L’Abbé Cassien racontait qu’un Solitaire étant venu trouver l’Abba Sérapion, & ce Saint Ancien le priant de vouloir selon la coutume faire la prière, il le refusa disant qu’il était un pauvre pécheur & indigne de porter l’habit de Solitaire ; & qu’ayant voulu ensuite lui laver les pieds, il avait usé des mêmes termes, sans vouloir jamais le permettre. En suite l’ayant fait manger, il lui donna une instruction charitable en lui disant : « Mon fils, si tu veux t’avancer dans la Vertu, ne bouge de ta cellule, & là, veille avec attention sur toi-même & sur les ouvrages de tes mains. Car il te sera beaucoup plus utile de demeurer ainsi en repos que de sortir comme tu fais. » A ces paroles, le Solitaire s’aigrit tellement & changea si fort de visage, que Saint Sérapion ne pouvant pas ne le point voir, il fut obligé de lui dire : « Tu disais tantôt que tu étais un pauvre pécheur, & que tu n’étais pas digne de vivre.. Comment peux-tu donc maintenant t’emporter comme tu fais à cause que je t’ai donné une instruction charitable ? Que si tu as un vrai désir de devenir humble, apprends à supporter patiemment les avis que l’on te donne, & à n’en murmurer pas en toi-même. » Ce frère fut si touché de ces paroles qu’il fit pénitence en présence du Saint Ancien, & s’en retourna après avoir beaucoup profité de ces sages instructions.
P.579.
CX.
Qu’on doit éviter les actions de grand éclat, de peur de tomber dans la vanité.
L’Abba Nisteron l’Ancien, marchant au travers du Désert accompagné d’un Solitaire, & rencontrant un dragon, il s’enfuit. Sur quoi, ce frère lui dit : « Et quoi, mon Père, as-tu peur ? » « Non, mon fils », lui répondit ce Saint Homme. Mais je suis obligé de m’enfuir à la vue de ce dragon, par ce que je n’ai pas assez de vertu pour faire fuir le Démon de la Vanité »

CXI.
Pratiquer ce que l’on enseigne aux autres.
Num. 14.
L’Abba Pastor disait : « Fais que ton esprit pratique ce que ta langue enseigne aux autres. Car les hommes prennent plaisir à paraître parfaits dans leurs discours ; mais ils se trouvent faibles & imparfaits lors qu’il s’agit de pratiquer ce qu’ils disent».

Qu’il faut relever, & non pas accabler ceux qui sont tombés.
TIT.IX.
Num.1.
Un frère, qui était dans le Monastère de l’Abba Elie, en ayant été chassé à cause de quelque tentation à laquelle il avait succombé, il s’en alla trouver Saint Antoine, qui après l’avoir gardé durant quelque Temps auprès de lui le renvoya d’où il venait. Mais les frères ne le voulant pas recevoir, il s’en alla encore trouver Saint Antoine, & lui dit : « Mon Père, ils n’ont pas voulu me recevoir ». Sur quoi ce grand Serviteur de dieu leur envoya dire ces propres mots : « Un vaisseau après avoir perdu tout ce dont il était chargé & fait naufrage, est arrivé enfin avec grande peine au bord de la mer, où le voyant en cet état vous le voulez faire périr. » Ces paroles leur ayant fait connaître le sentiment & l’intention du Saint, ils reçurent aussitôt ce Solitaire.

CXIII.

Que la considération de nos propres fautes nous doit empêcher de juger trop facilement de celles d’autrui.
Num.4.

Un Solitaire de Scété ayant commis une faute, les Anciens s’assemblèrent & envoyèrent prier l’Abba Moïse de vouloir venir. Ce qu’ayant refusé, ils l’en firent presser une seconde fois par un Prêtre, qui lui dit qu’ils l’attendaient tous. Il vint donc portant sur son dos une vieille corbeille pleine de sable. Etant allés au-devant de lui, & le voyant en cet état, ils lui dirent : « Que veut dire cela, mon Père ? » « Ce sont, » leur répondit-il, « mes péchés que je ne vois pas parce qu’ils sont derrière moi ; & vous me faites venir ici pour être juge de ceux d’autrui. » Ce qu’ayant entendu, ils pardonnèrent à ce frère sans lui parler davantage de la faute qu’il avait faite.

P.580.
CXIV.

Combien il faut garder exactement le précepte de ne point juger son frère.

Num.1
Un Saint Ancien disait : « Quoi que vous soyez chastes, ne jugez pas pour cela celui qui a commis un péché d’impureté, afin de ne contrevenir point à la loi aussi bien que lui, puis que le même qui nous a défendu de commettre une impureté nous défend aussi de juger».

CXV.

Que nous devons nous-même prier Dieu pour nous.

TIT.X.
Num.3.

Un Solitaire priant Saint Antoine de prier pour lui, le Saint répondit : « Ma Prière te sera inutile, & Dieu n’aura pas pitié de toi, si tu n’as aussi soin de t’adresser à lui, & de le prier toi-même».

CXVI.

Que la vigilance sur nous-mêmes est encore plus importante que le travail.

Num.11.

Sur ce qu’on demandait à l’Abba Agathon : « Quel est le plus important & le plus considérable devant Dieu, ou le travail extérieur & corporel, ou le soin de veiller intérieurement sur nous-mêmes ? », il répondit : « L’homme ressemble à un arbre, dont les feuilles se rapportent au travail du corps, & le fruit au soin de veiller sur ce qui se passe au-dedans de nous. Ainsi puis qu’il est écrit que tout arbre qui ne portera pas de bon fruit sera coupé & jeté au feu, nous devons mettre notre principal soin à veiller sur notre âme pour lui faire produire de bons fruits, c’est-à-dire de bonnes pensées & de bonnes intentions. Ce qui n’empêche pas que nous n’ayons besoin aussi du travail du corps, puis qu’il est comme les feuilles qui servent aux arbres, non seulement pour les orner, mais encore pour les couvrir & pour les défendre ». Or cet Abba Agathon était également intelligent dans les choses spirituelles, & infatigable dans ses actions, travaillant sans cesse de ses mains, étant fort austère dans sa nourriture & dans ses habits, & accomplissant parfaitement tous les exercices de la Vertu.

CXVII.
Que nos passions peuvent bien être liées & attachées, mais qu’elles demeurent toujours vivantes.
Num.15.

Ayant été rapporté à l’Abba Abraham qu’un Solitaire qui avait passé cinquante ans sans manger de pain & sans boire que fort peu d’eau, disait qu’il avait surmonté les tentations de la chair, l’avarice & la vaine gloire, il l’alla trouver & lui demanda s’il avait tenu ce discours. A quoi ayant répondu qu’oui, il lui dit : « Si entrant dans ta cellule, tu y trouvais une femme, pourrais-tu bien t’empêcher de songer que c’est une femme. » « Non », lui repartit-il ; « mais je combattrais contre la pensée que j’en aurais, afin de ne point offenser Dieu avec elle. » « Tu n’as donc pas entièrement étouffé cette passion, » repartit Saint Abraham, « mais elle vit encore en toi, & est seulement comme liée & attachée. » Puis il ajouta : « Si tu rencontrais en même temps dans ton chemin des pierres & quelque vase plein d’or, pourrais-tu ne mettre point de différence entre l’un & l’autre ? » « Non, » répondit le Solitaire, mais je résisterais à mes pensées, afin de ne point relever cet or de terre. » « Cette passion vit donc encore en toi, » repartit l’Abba Abraham, « mais elle est seulement comme liée. » Puis il continua ainsi : « Si on t’avait rapporté qu’il y a un des frères qui t’aime & qui dit du bien de toi, & qu’un autre te hait & parle à ton désavantage, & que tous deux te vinssent voir, les recevrais-tu d’aussi bon cœur l’un que l’autre ? » « Non », répondit ce Solitaire ; mais je me ferais violence, afin de ne pas moins bien traiter celui qui me hait que celui qui m’aime. » « Tu vois donc, » lui dit Saint Abraham, que les passions demeurent toujours vivantes, & que les Saints les arrêtent & les lient seulement en quelque sorte. »

CXVIII.
Que l’affaiblissement du corps augmente les forces de l’âme.

Num.27.

L’Abba Daniel disait : « Plus le corps est dans la force & dans la vigueur, & plus l’âme est sèche & aride . Et au contraire, plus le corps est abattu & languissant, & plus l’âme est forte & vigoureuse».

P.581.

CXIX.
Il y a plus sujet de s’étonner de voir des personnes demeurer dans la vertu, que d’en voir qui l’abandonnent.
Num.5.

Un bon Père disant à l’Abba Théodore qu’un frère avait quitté la solitude pour retourner dans le monde, il lui répondit : « Ne t’en étonne pas ; mais admire plutôt d’en voir qui surmontent les efforts que fait le Démon pour les rengager dans le siècle ».

CXX.
Que les hommes ne doivent pas s’imaginer de pouvoir vivre en ce monde comme des Anges.
Num.28.

L’Abba Jean le Petit ayant dit un jour à son frère aîné qu’il eût bien voulu être commeles Anges qui ne travaillent point, & n’ont soin que de louer Dieu incessamment, & ayant ensuite quitté son habit, & s’en étant allé dans le Désert ; après y avoir passé une semaine, il revint trouver son frère, qui, l’entendant frapper à la porte, lui dit : « Qui es-tu ? » Il répondit : « Je suis Jean ». « Jean, » lui repartit-il, « n’est plus maintenant entre les hommes, mais est devenu un Ange ». Sur quoi l’autre continuant toujours à frapper & à dire que c’était lui, il le laissa passer ainsi toute la nuit sans vouloir jamais lui ouvrir. Enfin, quand le jour fut venu, il ouvrit sa porte, & lui dit : « Si tu es un Ange, tu n’as pas besoin de me demander permission pour entrer dans ma cellule ; & si tu es un homme, ne faut-il pas que tu travailles afin de gagner ta vie ? » Alors, reconnaissant sa faute, il lui répondit : « J’ai failli, mon frère, pardonne-le moi ».

CXXI.
Belle réponse d’un Saint à un autre sur trois pensées qu’il disait lui être venues en l’esprit.
Num.33.
Isaï.58.
L’Abba Longin disant à l’Abba Loukas : « Trois pensées me sont venues dans l’esprit : « La première de faire un pèlerinage ; la seconde de jeûner ; & la troisième de fuir la vue des hommes. » Il lui répondit : « Quant à la première, où que tu ailles, tu n’y seras point pèlerin, si tu ne donnes un frein à ta langue ; mais tu le seras sans partir d’ici si tu la retiens dans le silence. Pour ce qui est de la seconde, le Prophète Isaïe dit : « Quand tu jeûnerais jusques à tomber dans une telle faiblesse que ta tête n’eût pas la force de se soutenir, & que tu deviendrais courbé comme un arc, cette mortification ne te rendrait pas si agréable à Dieu que lorsque tu empêcherais ton esprit de se laisser emporter à aucune mauvaise pensée. » Et pour ce qui est de la troisième, si tu ne te corriges pas de tes défauts en conversant avec les hommes, tu ne t’en corrigeras pas quand tu seras seul. »

CXXII.
Qu’il ne faut pas penser aux maux que nous font les hommes, mais à ceux que les démons nous peuvent faire.

Num.34.

Saint Macaire disait : « En nous souvenant des maux que nous font les hommes, notre esprit perd toute l’attention qu’il devrait avoir pour s’appliquer fortement à penser à Dieu. Mais en repassant par notre esprit les maux dans lesquels les Démons s’efforcent de nous faire tomber, nous nous rendons invincibles à leurs tentations ».

CXXIII.

D’un Saint qui augmenta étant Evêque les austérités qu’il faisait étant Solitaire.
Num.36.

On dit que lors que l’Abba Natyre, disciple de l’Abba Saint Silouane, demeurait dans l’hésyxhia de sa cellule sur la montagne du Sinaï, ses austérités corporelles étaient assez modérées. Mais lorsqu’il fut fait Evêque de Phrate, il les augmenta extrêmement. Sur quoi son disciple lui disant : « D’où vient, mon Père, que, lors que nous étions dans le Désert, tu ne te tourmentais pas de la sorte ? » Il lui répondit : « Mon fils, nous étions là dans la Solitude, dans la pauvreté, & dans l’hésychia. Ce qui faisait que je voulais ménager ma santé, de crainte qu’étant malade je ne fusse obligé de rechercher les commodités de la vie qui me manquaient. Mais, maintenant, nous voici engagés dans le Siècle, où il se rencontre tant d’occasions de sortir des bornes de la modération & de passer dans l’excès, que s’il arrive que vivant comme je fais je tombe malade, je ne manquerai pas de secours, & n’aurai rien fait néanmoins qui contrevienne à la résolution que j’ai prise de Vivre toujours en Solitaire ».

P.582.
CXXIV.
Qu’il faut user de douceur envers ceux qui avouent leurs fautes.
Num.48.

Le Saint Abba Pastor disait : « lors qu’un homme a commis un péché & qu’il l’avoue, il ne faut pas l’en reprendre avec aigreur, de peur de lui faire perdre courage. Mais il lui faut dire : « Mon frère, ne t’afflige point, & prends garde seulement à ne plus tomber en semblables fautes. » Par ce moyen vous fortifierez son esprit dans la résolution d’en faire pénitence. »

CXXV.
Que le vrai silence ne consiste pas à se taire, mais à ne point parler inutilement.
Num.51.

Le même Saint disait aussi : « IL y en a qui semblent se taire & qui parlent toujours néanmoins, parce que leur cœur condamne les autres. Et il y en a qui parlant depuis le matin jusques au soir demeurent toujours dans le silence, parce qu’ils ne disent une seule parole qui n’édifie ceux qui les écoutent, & qui ne leur soit utile. »

CXXVI.
Que la Vertu peut être égale dans des états entièrement différents.
Num.52.

Le même Saint disait encore : « S’il se rencontre trois hommes ensemble, dont l’un demeure dans une Sainte Hésychia, l’autre soit malade & rende grâce à Dieu dans sa maladie, & le troisième serve les deux autres de tout son cœur : Ces trois sont aussi semblables & aussi égaux entre eux que s’ils ne faisaient tous qu’une même chose.

CXXVII.
Comment on peut distribuer une succession selon Dieu.

Num.56.

Un Solitaire demandant au même Saint ce qu’il devait faire d’une succession qui lui était arrivée, il lui répondit : « Viens me voir dans trois jours, & je t’en dirai mon sentiment. » Etant revenu, il lui dit : « Mon frère, je ne sais que te dire. Que si je te conseille de la donner à tes parents, tu n’en recevras point de récompense devant Dieu. Et si je te conseille de la donner aux pauvres, ce sera le moyen de mettre ton âme en repos. Fais donc ce que tu jugeras être le meilleur sans t’en rapporter à moi. »

CXXVIII.

Qu’il ne faut pas consulter pour ne pas faire ce qui est visiblement mauvais.

Num.61.

Le même Saint disait : « Quand un homme voit qu’il ne saurait continuer de vivre comme il accoutumé sans préjudicier à son âme, il n’a point besoin de demander conseil pour savoir ce qu’il soit faire. Car, comme il est bon de consulter nos Anciens touchant nos secrètes pensées, afin qu’ils examinent si elles sont bonnes ou mauvaises, il n’est nul besoin de les consulter touchant les péchés qui sont manifestes ; mais il faut y renoncer & les quitter à l’heure même. »

CXXIX.

Que les Démons ne font point la guerre à ceux qui se conduisent par leur propre volonté.

Num.62.

L’Abba Abraham qui était disciple de l’Abba Agathon disant au même Saint : « D’où vient, mon Père, que les Démons me font une si cruelle guerre ? » Il lui répondit : « Les Démons te font la guerre ? Sache qu’ils ne nous la font jamais lors que nous faisons notre volonté propre. »

P.583.
CXXX.
Qu’il faut apprendre avec soin ce que l’on ignore dans ce qui regarde le Salut.
Num.67.

Qu’il y a une tristesse utile, & une qui est dangereuse.

Num. 71.

Sainte Synclétique disait : « Il y a une tristesse qui est utile, & une autre qui est dangereuse. Celle qui est utile est de gémir pour nos péchés, de déplorer l’ignorance de notre prochain, & d’appréhender, en nous départant de nos bons desseins, de n’arriver pas à la perfection où nous aspirons. Voilà quelles sont les bonnes tristesses. Mais le Diable nous en jette d’autres dans l’esprit qui ne sont point fondées en raison, & que l’on nomme chagrin, lesquelles il faut chasser par la Prière fréquente, & principalement en chantant des Cantiques.

CXXXII.
Que les Démons inspirent de faire des austérités excessives ; & du moyen de les discerner.

Num. 72.

La même Sainte disait : « Le Diable nous porte à faire des austérités excessives ; & nous en voyons pratiquer à ceux dont il est le maître. Mais quel moyen, dira-t-on, de discerner l’abstinence royale et toute divine, d’avec la tyrannique & diabolique ? Je réponds que la véritable règle du jeûne ne doit s’étendre que jusques à un temps limité & médiocre. Car c’est réjouir le Diable que de demeurer quatre à cinq jours sans manger, & puis de rompre son jeûne en mangeant avec excès, parce que tout ce qui n’est point renfermé dans certaines bornes ne dure guère. Gardez-vous donc bien de tirer soudain toutes vos flèches, de crainte que vous trouvant après cela désarmé dans cette guerre spirituelle, vous ne soyez surmonté facilement. Nos armes sont notre corps ; & notre âme est le soldat qui s’en sert pour bien combattre :Prenez donc soin de l’un & de l’autre, afin de n’être jamais surpris. »

CXXXIII.
De la véritable sagesse.
Num.75.

L’Abba Ypériquie disait : « Celui-là est véritablement sage qui instruit les autres plutôt par ses actions que par ses paroles. »

P.584.
CXXXIV.
Belle histoire, pour montrer qu’il ne faut pas juger de la Vertu par les austérités corporelles.
Num.76.

Un seigneur qui avait été en grand crédit en la cour de l’Empereur, étant venu de Rome & s’étant rendu Solitaire, demeurait en Scété tout contre l’église, & avait avec lui un serviteur. Le Prêtre de cette église reconnaissant la faiblesse de sa complexion, & qu’il avait toujours été nourri fort délicatement, lui envoyait ce que Dieu lui donnait, ou dont on faisait présent à l’église. Ayant passé vingt-cinq années de la sorte, il devint extrêmement Spirituel, homme de grande conduite, & se rendit fort célèbre. Un des plus grands Solitaires de toute l’Egypte, ayant su en quelle estime il était, le vint voir, dans l’espérance d’apprendre de lui à pratiquer des austérités corporelles encore plus grandes qu’il ne faisait. Après qu’il fut entré, qu’il l’eut salué, & qu’ils se furent assis, l’Egyptien voyant qu’il était vêtu d’une étoffe assez fine, qu’il avait un assez bon matelas, qu’il était couché sur une peau, qu’il avait un petit oreiller sous sa tête, qu’il avait les pieds fort nets, & qu’il portait des sandales, il se scandalisa en lui-même, parce que la coutume de ces lieux-là n’est pas d’en user ainsi, mais au contraire d’y vivre fort autrement. Le Romain à qui Dieu avait donné le don de Discernement s’en aperçut aussitôt & dit à son serviteur : « Traite-nous bien aujourd’hui à cause de ce bon Père qui vient d’arriver. » Ayant ensuite fait cuire quelques herbes, ils mangèrent à l’heure ordinaire, & il fit aussi boire à l’Egyptien un peu de vin, dont il usait à cause de son infirmité. Le soir, ils chantèrent douze psaumes, puis s’endormirent, & firent la nuit la même chose, c’est-à-savoir de chanter douze autres psaumes. L’Egyptien se levant de bon matin, lui dit : « Mon Père, prie pour moi s’il te plaît, & puis s’en alla assez mal édifié de lui. Comme il n’était encore guère loin, le Romain voulant lui faire perdre la mauvaise opinion qu’il voyait bien qu’il avait conçue sans sujet, envoya après lui pour le prier de revenir. Lorsqu’il fut retourné, il le reçut avec grande joie, puis lui dit : « Mon Père, dis-moi, je te prie, de quel pays es-tu ? » Il lui répondit : « Je suis d’Egypte. » « Et de quelle ville ? » ajouta-t-il. « Je ne suis d’aucune ville, & n’y ai jamais demeuré », repartit l’Egyptien. « Mais auparavant que de faire la vie que tu fais maintenant », lui dit le Romain, « à quoi t’occupais-tu dans le lieu où tu demeurais ? » « Je gardais, » lui répondit-il, « quelques héritages, pour empêcher que l’on n’y fît tort. » « Et où dormais-tu ? » « Dans le champ même. » « Et sur quoi couchais-tu ? » « Et sur quoi me serais-je couché ? » repartit l’Egyptien. « A-t-on des paillasses dans les champs ? » « Comment dormais-tu donc ? » continua le Romain. « Sur la terre toute nue », répondit-il. « Et que mangeais-tu, & quel était le vin que tu buvais ? » « Ne sais-tu pas, » lui répliqua-t-il, « ce que l’on mange & ce que l’on boit dans les champs ? » « Comment y vivais-tu donc ? » ajouta le Romain. « Je mangeais d’ordinaire, » lui répondit-il, « du pain tout sec, & quelquefois des salures, si j’en trouvais, & je buvais de l’eau toute claire. » « Voilà une rude manière de vivre », dit le Romain. « Et avais-tu quelque bain dont tu puisses disposer pour t’y laver ? » « Mon bain était la rivière, où je me baignais quand je voulais, » répliqua l’Egyptien. Alors ce sage Romain ayant tiré de lui toutes ces réponses, & reconnu par là quelle avait été sa première manière de vivre, & combien elle était pénible, lui raconta, pour son instruction & pour son utilité tout ensemble, quelle avait été la vie qu’il avait passée lors qu’il était dans le monde, en lui disant : « Ce misérable que tu vois est né dans cette grande & superbe ville de Rome, où je vivais en très grand crédit auprès de l’Empereur. » L’Egyptien fut si touché de ces premières paroles qu’il en écouta la suite avec beaucoup d’attention ; & le Romain continua de la sorte : « J’abandonnai Rome pour venir en cette solitude. Je quittai de grands palais & de très grandes richesses, pour me venir enfermer dans cette petite cellule. J’avais des lits en broderie d’or & des couvertures magnifiques : Au lieu de quoi Dieu m’a donné ce matelas & cette peau. J’avais des habits d’un prix incroyable, & voici maintenant ceux dont je me sers. Ma table était servie somptueusement ; & à présent, je mange un peu d’herbes, & je bois un peu de vin. J’avais quantité de serviteurs : & Dieu a mis au cœur de celui que tu vois de me tenir lieu de tout ce grand nombre. J’usais de bains très délicieux ; & maintenant je lave mes pieds avec un peu d’eau, & suis chauffé comme tu vois ? Et au lieu de la musique qui me divertissait dans mes festins, je chante douze psaumes durant le jour & autant durant la nuit. Mais le peu de service que je rends à Dieu dans l’hésychia & la tranquillité de ma retraite est si disproportionné aux péchés que j’ai commis dans le monde, que j’avoue avec regret que je lui suis un serviteur très inutile, & je te prie, mon Père, de ne te point scandaliser des choses que tu as vues auxquelles mon infirmité m’oblige. » Ce discours ayant extrêmement touché l’Egyptien, & l’ayant fait rentrer dans soi-même, il lui dit : « Quel sujet de confusion ne dois-je point avoir, mon Père ? moi qui, étant dans le monde, y étais si misérable, que l’ayant quitté pour embrasser la Vie Solitaire, je n’y ai trouvé que de la douceur & du repos, y étant beaucoup plus à mon aise qu’auparavant ; au lieu que tu as quitté volontairement, & sans que personne t’y obliges, toutes les délices du siècle pour passer dans une vie laborieuse ; & tu as abandonné les richesses & l’honneur, pour embrasser la pauvreté & l’humilité. » Ainsi, après avoir extrêmement profité de sa visite, il s’en retourna ; & ayant fait amitié particulière avec lui, il venait souvent le visiter pour recevoir ses avis. Car c’était un homme d’un grand Discernement & plein de l’Esprit de Dieu.

P.585. CXXXV.

Les lieux saints chassent ceux qui n’y vivent pas saintement.

Num.79.

Un Saint Ancien disait : « Quand un homme qui est dans un lieu saint n’y vit pas comme on doit vivre, ce lieu-là même le chasse, comme n’étant pas digne d’y demeurer. »

CXXXVI.
Qu’il faut bien se garder de jeter les âmes dans le désespoir.
Num.85.
Un autre Saint Ancien disait : « Un Solitaire qui avait commis un fort grand péché voulant en faire pénitence, il alla trouver un Ancien, auquel il ne dit pas ce qu’il avait fait. Mais il lui demanda si celui qui serait tombé dans une telle faute pouvait encore prétendre au Salut. Il lui répondit que non. Sur quoi ce frère dit en lui-même : « Puis qu’aussi bien je suis perdu, je m’en retournerai donc dans le monde. Comme il s’en allait, il lui vint en l’esprit de consulter l’Abba Silouane, qui était un homme très éclairé, & l’ayant été trouver, il lui proposa la chose ainsi qu’il avait fait à l’autre. Sur quoi ce Saint Homme, après lui avoir allégué plusieurs passages de l’Ecriture Sainte, lui dit : « Nous ne serons pas si sévèrement jugés à cause de nos mauvaises pensées que pour des péchés actuels. » Ces paroles ayant fait impression sur l’esprit de ce frère, & lui ayant donné quelque espérance, il lui déclara ce qu’il avait fait. Alors, Saint Silouane, comme un excellent médecin, aplliqua sur son âme un remède tiré des Divines Ecritures, en lui disant qu’il y avait un lieu de pénitence pour ceux qui se convertissent à Dieu par un véritable mouvemenet d’Amour & de charité. Quelques années après, cet autre Ancien qui avait jeté ce frère dans le désespoir, étant venu voir Saint Silouane, celui-ci lui dit : « Ce frère que ta réponse avait porté à se désespérer, & qui s’en retournait dans le monde, reluit maintenant comme une Etoile entre les autres Solitaires ».
J’ai cru devoir rapporter ceci pour faire voir combien, lors qu’on est tombé dans un péché de pensée, ou dans un péché réel, il est périlleux de le découvrir à ceux qui n’ont pas le don de Discernement.

CXXXVII.
Qu’il faut combattre principalement celle de toutes les mauvaises pensées qui nous persécute davantage.
Num.88.

Un frère disant à un Saint Ancien : « Que ferai-je mon Père, étant combattu de mille mauvaises pensées, auxquelles je ne sais comment résister ? » Il lui répondit : « Ne les combats pas toutes ensemble ; mais combats-en une seulement. Car les mauvaises pensées des Solitaires en ont une principale qui est comme la tête de toutes les autres. C’est pourquoi il faut bien prendre garde quelle est celle-là, afin de la combattre puissamment ; puis que par ce moyen, l’on surmonte aussi toutes les autres. »

CXXXVIII.
Qu’encore que l’heure de ce qu’on doit faire soit passée, il ne faut pas laisser de le faire après.
Num.99.
Ps.75.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Mon Père, lors qu’il arrive que je m’endors,, & qu’ainsi l’heure de faire ce que je suis obligé, se passe, j’en ai tant de honte que je ne puis plus me résoudre à m’en acquitter. » Il lui répondit : « Quand il arriverait que tu t’endormirais jusques au jour, lors que tu t’éveilleras, lève-toi, ferme ta porte & tes fenêtres, & travaille à ton ouvrage. Car il est écrit : « Le jour & la nuit sont à toi. » ; & il n’y a point de Temps auquel on ne puisse glorifier Dieu. »

CXXXIX.
Se considérer comme étant seul avec Dieu seul.
TIT.II
Num.5.

Le Saint Abba Aloïs disait : « Un homme ne saurait être dans une pleine hésychia, s’il ne se considère comme étant seul dans le monde avec Dieu seul. »

P.586.
CXV.
Qu’il ne faut jamais se lasser d’exercer la charité.
Num.15.

Il y avait un Ancien en Scété qui était assez austère dans les travaux du corps, mais qui ne prenanit pas grand soin de retnir ce qu’on lui disait pour son instruction. Sur quoi, il alla trouver l’Abba Jean, afin d’apprendre de lui ce qu’il devait faire pour se corriger de ses défauts. Mais lors qu’il fut revenu dans sa cellule, il trouva qu’il avait oublié tout ce que ce Saint Homme lui avait dit. Il l’alla trouver une seconde fois. & il lui en arriva de même. Et ainsi encore par diverses fois. Quelque Temps après, ayant rencontré ce Saint Abba, il lui dit : « Mon Père, j’ai oublié comme auparavant tout ce que vous m’avez fait la charité de me dire, & n’ai osé revenir vers vous de crainte de vous importuner. Alors ce Saint Père lui dit : « Allume cette lampe ». & il l’alluma. Il lui ordonna ensuite d’apporter encore d’autres lampes, & de les allumer avec la première : ce qu’il fit ; & puis il lui dit : « La clarté de cette première lampe n’est –elle point diminuée parce que tu t’en es servi pour en allumer tant d’autres ? » « Non », lui repartit ce Solitaire. « De même, » reprit ce Saint Homme, Jean ne souffrirait aucune peine quand toute la Scythie viendrait vers lui, & rien ne saurait l’empêcher de s’acquitter de la charité à laquelle Dieu l’oblige. C’est pourquoi, ne fais nulle difficulté de me venir voir toutes les fois que tu le désireras. » Ainsi Dieu par la patience que chacun d’eux eut de son côté, l’un à demander instruction, & l’autre à ne la point refuser, guérit ce Solitaire de cette fâcheuse oubliance. Et il faut donner cette louange aux Solitaires de Scété, qu’ils travaillaient de tout leur pouvoir pour empêcher ceux qui étaient combattus par quelque violente passion de perdre courage, & qu’il n’y avait rien qu’ils ne fissent pour les porter à s’avancer dans le service de Dieu.

CXLI.

Qu’il faut régler la langue pour garder le cœur.
Num.27.
Un Solitaire disant à l’Abba Sisoès : « Mon Père, je désirerais extrêmement de conserver mon cœur dans une si grande pureté que rien ne la lui pût faire perdre, il lui répondit : « Et comment pouvons-nous conserver notre cœur dans cette pureté, si notre langue en ouvre la porte ? »

CXLII.
Avec quel soin nous devons fermer l’entrée de notre âme aux objets extérieurs.
Num.32.

Sainte Synclétique disait : « Nous devons vivre dans une vigilance continuelle, parce qu’encore que nous ne le voulions pas, les larrons entrent dans nous par nos sens comme par autant de portes. Et comment une maison peut-elle n’être point remplie de fumée, lors que celle qui vient du dehors en trouve les fenêtres ouvertes ? »

CXLIII.
Que l’on ne se perd pas seulement par les péchés extérieurs, mais aussi par les secrètes pensées.
Num.33.

La même Sainte disait : » Nous devons toujours être armés, & nous tenir sans cesse sur nos gardes pour résister aux Démons, d’autant qu’ils nous attaquent & par le dehors & par le dedans. Car de même qu’un vaisseau succombe sous l’effort des vagues qui l’attaquent par le dehors, ou coule à fond lors que la sentine s’entr’ouvre au-dedans, ainsi nous nous perdons quelquefois en commettant des péchés extérieurs & visibles, & quelquefois en nous laissant aller au dérèglement secret & caché de nos pensées. C’est pourquoi nous ne devons pas seulement nous opposer aux efforts que les démons font au-dehors pour faire périr notre âme ; mais nous devons tâcher aussi de dissiper toutes les mauvaises pensées qui se forment dans le fond & comme dans la sentine de notre cœur. »

P.587.
CXLIV.
Comme il arrive que l’on se sauve dans le monde, & que l’on se perde dans la retraite.
Num.34.
I.Cor.10.
Ps.103.

La même Sainte disait : « Nous ne sommes point assurés de notre Salut tandis que nous sommes en ce monde, comme il paraît par ces paroles de l’Apôtre : « Que celui qui est debout prenne garde de ne tomber pas ». & notre navigation est toujours douteuse, parce qu’ainsi que dit le Prophète : « Notre vie est semblable à une mer. »Mais comme il y a certains endroits dans la mer extrêmement périlleux, & d’autres qui sont fort tranquilles, ceux qui sont engagés dans le siècle naviguent dans cette partie de la mer qui est sujette à tant d’orages & de tempêtes, & non dans cette autre partie la plus tranquille & la plus calme. Ils naviguent dans les ténèbres & dans la nuit de l’ignorance, ce pendant que nous naviguons durant le jour & à la faveur du Soleil de Justice qui nous éclaire. Mais il arrive souvent néanmoins que ces séculiers recourant à Dieu dans l’appréhension des périls qui les menacent, & n’oubliant rien de tout ce qui peut dépendre d’eux, sauvent leur vaisseau ; & que nous au contraire par le mépris du péril que cette bonace nous donne, nous faisons naufrage, en abandonnant le gouvernail de la justice.

CXLV.
Que pour aller au Ciel, il faut y avoir le Cœur.
Num.35.

Le Saint Abba Hyperiquie disait : « Elevez sans cesse votre pensée vers le Royaume du Ciel, & vous l’aurez bientôt en partage. »

CXLVI.
Que la négligence fait qu’on ne s’aperçoit pas de ses fautes.

Num.43.

Un Solitaire disait à un Saint Ancien : « Mon Père, je ne sens rien dans mon cœur qui me combatte & me fasse peine », il lui répondit : « Tu ressembles à une maison qui a quatre portes par lesquelles toutes les pensées entrent & sortent en toi, sans que tu y prennes garde. Mais si ton cœur n’avait qu’une porte, & que tu la tiennes fermée pour empêcher les mauvaises pensées d’y entrer, tu les verrais s’arrêter au dehors & combattre contre toi. »

CXLVII.
On ne peut être réglé au-dedans quand on ne l’est pas au-dehors.
Num.45.

Un Saint Ancien disait : « Si notre homme extérieur n’est dans une vigilance continuelle, il est impossible de bien régler l’intérieur. »

CXLVIII.
Trois moyens dont le Démon se sert pour nous faire tomber dans le péché.
Num.46.

Un autre Saint Ancien disait : « Le Diable, pour nous faire tomber dans tous les péchés, se sert de trois moyens qui les précèdent toujours : & ces moyens sont l’oubli, la négligence, & la concupiscence. Car l’oubli engendre la négligence ; la négligence la concupiscence, & la concupiscence nous fait tomber dans le péché. Mais si notre esprit est si attentif sur lui-même qu’il ne se laisse jamais emporter à oublier ses devoirs, il ne tombe point dans la négligence ; & ainsi ne donne point d’entrée à la concupiscence, qui n’ayant nul pouvoir sur lui, il ne tombera jamais moyennant la Grâce de Jésus-Christ. »

CXLIX.
Qu’il n’y a rien de plus difficile à pratiquer que la Prière, & pourquoi.

TIT.XII.
Num.20.

Quelques Solitaires demandant à l’Abba Saint Agathon laquelle de toutes les vertus était la plus difficile à pratiquer, il leur répondit : « J’estime que c’est celle de la Prière, parce que lors que nous voulons Prier Dieu, il n’y a point d’effort que les démons ne fassent pour interrompre notre Prière, à cause qu’ils savent que rien n’est si puissant pour les désarmer & les empêcher de nous nuire. C’est pourquoi, en tous les autres travaux que nous entreprenons dans la Vie Religieuse, quelque continuels & pénibles qu’ils puissent être, nous ne laissons pas de jouir de quelque repos. Mais il ne se passe pas un moment dans la Prière que nous n’ayons toujours beaucoup à combattre.

CL.
Qu’il faut combattre les mauvaises pensées par les larmes.

Num.5.
Le Saint Abba Evagre disait : « Lors que dans votre prière il vous vient en l’esprit des pensées qui vous inquiètent, ne vous mettez pas en peine, pour vous en délivrer, d’en chercher d’autres. Mais servez-vous de vos larmes comme d’une épée bien tranchante pour combattre ces ennemis invisibles qui vous attaquent. »

CLI.
Que les véritables Solitaires doivent toujours Prier ou louer Dieu dans leur Cœur.
Num.6.

L’Abba du Monastère qu’Epiphane, de Sainte Mémoire, Evêque de Chypre, avait fondé dans la Palestine, lui ayant mandé que par l’assistance de ses Prières ils avaient soin d’observer leur règle, & de dire tous les jours exactement Tierce, Sexte, None, & Vêpres ; ce Saint Evêque, pour lui faire connaître que cela ne suffisait pas, lui répondit : » Il paraît par ce que vous dites que vous ne priez point aux autres heures, sans songer que les véritables Solitaires doivent Prier incessamment, ou louer du moins Dieu dans leur Cœur. »

CLII.
Sur le même sujet.
Num.12.

Un Saint Ancien disait : « Le moyen de nous corriger bientôt de nos défauts est de Prier Dieu sans cesse. »

CLIII.
Qu’il faut que notre âme soit purifiée auparavant que de pouvoir Contempler Dieu dans la Prière.
Num.13.
Un autre Saint Ancien disait : « Comme nous ne pouvons voir notre visage dans l’eau trouble, ainsi notre âme ne peut Contempler Dieu dans la Prière, si elle ne se purifie auparavant de toutes les pensées vaines qui la remplissent de nuages. »

CLIV.
Qu’on peut relâcher quelque chose de son austérité ordinaire pour pratiquer l’hospitalité.
TIT.XIII.
Num.1.

Quelques bons Prêtres étant allés en Panèphe vers l’Abba Joseph, pour apprendre de lui de quelle sorte ils se devaient conduire envers les frères qui les venaient visiter, & s’ils devaient en leur considération & pour les mieux recevoir diminuer quelque chose de leurs austérités ordinaires, il dit à son disciple avant qu’ils lui eussent parlé : « Demeurez-là, & prenez garde à ce que je ferai aujourd’hui. » Il mit ensuite deux sièges de jonc, l’un à main droite, & l’autre à main gauche, & dit à ces Pères de s’asseoir. Puis il entra dans sa cellule, & s’étant revêtu de vieux habits qui ne valaient du tout rien, il sortit & passa au milieu d’eux. Il rentra après dans sa cellule où il reprit les mêmes habits qu’il avait auparavant, & étant encore sorti, il se vint asseoir au milieu d’eux. Ce qui les ayant étonnés, ils lui demandèrent ce que cela voulait dire, & il leur répondit : « Avez-vous vu ce que j’ai fait ? » « Oui, » lui repartirent-ils. Puis il ajouta : « Ce méchant habit a-t-il causé quelque changement en moi ? » « Non, » lui répliquèrent-ils. « Et cet autre qui était meilleur m’a-t-il rendu pire ? » « Non, » lui dirent-ils. « J’ai donc toujours été le même », continua-t-il,& avec l’un & avec l’autre : & comme ce premier habit ne m’a point changé, ni le second ne m’a rendu pire que j’étais, nous nous devons conduire de la même sorte lors qu’il s’agit de recevoir les visites de nos frères, suivant ces Paroles du Saint Evangile : « Rendez à César ce qui appartient à César, & à Dieu ce qui appartient à Dieu. » Ainsi, quand nos frères nous viennent visiter, nous devons les recevoir avec joie ; & lors que nous sommes seuls, nous devons répandre des larmes en la Présence de Dieu. » Ce discours remplit ces bons Pères d’admiration, parce qu’il leur fit voir qu’il avait connu leurs pensées auparavant qu’ils les lui eussent déclarées ; & ils s’en retournèrent en Glorifiant le Nom de Dieu.

CLV.
Belle réponse d’un grand Saint que l’on craignait d’importuner en le voulant voir.
Num.5.

Un Solitaire étant venu trouver l’Abba Pasteur la seconde semaine de Carême, après lui avoir découvert le fonds de son cœur, & que ses réponses lui eurent mis l’esprit en repos, il lui dit : « Il ne s’en est guère fallu, mon Père, que je ne sois point venu aujourd’hui. » « Et pourquoi ? » lui répondit le Saint Ancien. « Parce que je craignais, » lui repartit-il, « qu’à cause du Temps de Carême, tu ne voulusses pas m’ouvrir ta porte. » « Je ne sais point »,lui répliqua ce grand Serviteur de Dieu, « fermer cette porte qui n’est que de bois. Mais je fais tout ce que je puis pour tenir fermée celle de ma langue. »

CLVI.
Comme on doit toujours pratiquer la charité.
Num.6.

Un Solitaire disant au même Saint : « Lors que je donne un peu de pain, ou quelqu’autre chose à l’un de mes frères, le Démon gâte tout ce qu’il pourrait y avoir de bon en cette action, en me mettant dans l’esprit de plaire par là aux hommes. » Il lui répondit : « Cela n’empêche pas que nous ne devions assister nos frères dans leurs besoins. » Et il ajouta ensuite cette parabole : « Deux laboureurs demeuraient dans un même bourg, dont l’un ayant semé sa terre recueillit fort peu de grain & mêlé de beaucoup d’ordure ; & l’autre, ayant négligé de semer, ne recueillit rien du tout. Que si la famine fût arrivée, lequel des deux à ton avis pouvait plutôt l’éviter ? « Il n’y a point de doute, » lui répondit le Solitaire, « que c’eût été celui qui avait semé, quoi qu’il eût peu recueilli, & que ce peu fût mêlé de beaucoup d’ordure. « Ne manquons donc pas de semer », dit alors le Saint Ancien, « quoi que nous recueillions peu, & de mauvais grain, afin que dans un Temps de famine nous ne mourions pas de faim. »

CLVII.
Belle réponse d’un Solitaire touchant l’hospitalité.

Un Solitaire en étant venu visiter un autre, il lui dit en le quittant : « Pardonne-moi, mon Père, ce que je t’ai fait rompre ta règle. » « Ma règle », lui répondit ce Saint Homme, est de pratiquer la vertu d’hospitalité envers ceux qui me viennent voir, & de les renvoyer en paix. »

CLVIII.
Que la charité doit régler le jeûne.
Deux Solitaites étant venus voir une Saint Ancien qui pasait d’ordinaire un jour entier sans manger, il les reçut avec Joie, & leur dit : « Il est vrai que le jeûne a son mérite & sa récompense. Mais celui qui mange par un pur mouvement de charité pour faire honneur à son frère accomplit en même Temps deux préceptes, l’un de renoncer à sa volonté propre, & l’autre de bien recevoir ses frères. »

CLIX.
Qu’il y a plus de charité à obliger les personnes à vivre de leur travail, que non pas à les nourrir sans rien faire.
Num.13.

Un Solitaire, qui avait un frère séculier fort pauvre, lui donnait tout ce qu’il pouvait gagner par son travail. Mais, plus il l’assistait, plus sa nécessité augmentait. Ce qu’ayant rapporté à un Ancien, qui était un homme bon, ce Saint Homme lui dit : « Ne lui donne plus rien si tu m’en crois. Mais au contraire, dis-lui : « Mon frère, lorsque j’ai eu de quoi te donner, je l’ai fait. Maintenant, c’est à toi à travailler, pour m’assister à ton tour . » & quand il t’apportera quelque chose, reçois-le, & le donne à quelque pauvre étranger, ou à quelque pauvre Ancien, & prie-les de prier pour lui. » Ce Solitaire suivant ce conseil parla à son frère, lequel s’en alla fort triste. Quelque Temps après, il lui apporta des herbes de son jardin, que ce Solitaire donna à des Anciens, & les pria de prier pour lui, qui après avoir reçu la bénédiction s’en retourna en sa maison. A quelque Temps de là, il apporta encore des herbes & trois pains, que ce Solitaire distribua comme le reste, & le renvoya aussi après avoir reçu la bénédiction. Etant revenu pour une troisième fois, il apporta diverses choses, & du vin, & du poisson. Ce que ce Solitaire admirant, il fit assembler des pauvres, & le leur distribua. Puis, le Solitaire dit à son frère : « N’as-tu plus besoin que je te donne du pain ? » « Non », lui répondit-il. « Car, lors que tu me donnais quelque chose, il semblait qu’en même Temps le feu entrât dans ma maison pour le consumer ; & depuis que tu ne me donnes plus rien, Dieu m’assiste de telle sorte que j’ai beaucoup plus qu’il ne faut. » Ce Solitaire ayant rapporté ce qui s’était passé au Saint Ancien qui lui avait donné ce conseil, lui répondit : « Ne sais-tu pas que l’ouvrage des Solitaires est un feu qui consume tout ce qu’il rencontre, & qu’il est utile à ton frère de faire des charités de son travail, afin que les gens de bien prient pour lui, & que cela répande la bénédiction dans sa maison ? »

CLX.
Comme Dieu fait des choses extraordinaires en faveur de ceux qui s’abandonnent à Sa Providence.
Un Ancien qui était fort charitable vivait en commun avec un autre Solitaire. Etant arrivé une famine, quelques-uns venaient à leur cellule pour y demander l’aumône. Il ne la refusait à personne, mais donnait du pain à tous. Ce que ce frère voyant, il lui dit : « Donne-moi la part qui m’appartient, & fais ce que tu voudras de la tienne. » L’Ancien ayant ensuite partagé avec lui, selon son désir, tout ce qu’il avait de pain, il continua de ce qui lui en resta à faire l’aumône comme de coutume, & plusieurs venaient à lui sachant quelle était sa charité. Dieu voyant sa sainte résolution répandit Sa Bénédiction sur ses pains. Et au contraire ce frère qui avait voulu avoir sa part & n’en rien donner, se voyant réduit à n’en avoir presque plus, pria l’Ancien de trouver bon qu’il recommençât de vivre en commun avec lui : ce qu’il lui accorda volontiers. Une autre famine étant arrivée, & plusieurs pauvres venant encore pour recevoir la charité, il en entra un, en même Temps que ce frère venait d’apercevoir que le pain leur manquait. & ainsi cet Ancien lui ayant dit de donner l’aumône à ce pauvre, ce frère lui répondit qu’il n’y avait plus de pain. « Entrez dans la cellule & cherchez, » lui repartit ce Saint Homme. Ce qu’ayant fait, le frère vit que le lieu où on avait accoutumé de le mettre en était tout plein. Il en prit un qu’il donna au pauvre non sans un grand étonnement, & apprenant par là quelle était la Foy & la Vertu de l’Ancien, il en glorifia Dieu.

P.591.
CLXIV.
D’un Solitaire qui chassa la Démon par sa patience.

L’Abba Daniel racontait que la fille d’un des principaux notables de la ville de Babylone qui aimait fort un Solitaire, étant possédée par le Démon, ce Solitaire lui dit : « Je crois que personne ne peut guérir ta fille, sinon certains Solitaires que je connais. Mais ils sont si humbles que si tu la leur mènes, ils ne se résoudront jamais de l’entreprendre. Ainsi, le seul remède que j’y vois est, lors qu’ils viendront dans la ville vendre leurs ouvrages, de les acheter & de leur dire de venir chez toi pour en recevoir le prix ; & lors qu’ils y seront, tu les prieras de se mettre en Prière. Car j’espère que par ce moyen ta fille sera guérie. » Etant allés ensuite dans le marché, ils y trouvèrent un disciple des Saints Anciens du Désert qui y venait vendre ses corbeilles. Ils les achetèrent, & le menèrent dans la maison pour en recevoir le prix. Aussitôt qu’il fut entré, la fille lui donna un soufflet ; & lui, suivant le précepte de notre Seigneur lui présenta l’autre joue. Sur quoi le démon s’écria : « Quelle violence ! L’observation des préceptes de Jésus-Christ me chasse d’ici. » Les Saints Anciens du Désert ayant su ce qui s’était passé en rendirent grâces à Dieu, & dirent : « C’est ainsi que l’humilité des préceptes de notre Sauveur dompte les démons. »

CLXV.
Combien il importe de se reprendre soi-même.
Num.15.

L’Abba Evagre disait : « Le commencement du Salut est de se reprendre soi-même. »

CLXVI.
Sur le même sujet.
Num.29.

Théophile de Sainte Mémoire, Patriarche d’Alexandrie, étant allé voir les Solitaires de la montagne de Nitrie ; & demandant à leur Abba quelle était la chose qu’il avait reconnue dans la Vie qu’il embrassait, pour être la plus utile à s’avancer dans le service de Dieu, ce Saint Ancien lui répondit : C’est de m’accuser & de me reprendre sans cesse moi-même. A quoi le Patriarche repartit : « Tu as raison, mon Père, & il n’y a point d’autre voie qui mène au Salut que celle-là. »

CLXVII.
Quelle pureté il faut avoir pour être Diacre.

Num.21.

Les Solitaires de Scété racontaient que l’Abba Théodore ayant été ordonné Diacre, & ne se pouvant résoudre d’en exercer la fonction, il fuyait tantôt d’un côté, & tantôt d’un autre ; & que les pères le ramenant & l’exhortant de ne point abandonner ainsi son ministère, il leur répondit : « Laissez-moi aller s’il vous plaît, afin que je prie Dieu de me faire connaître Sa Volonté. Et s’Il Veut que j’exerce cette charge, je ne manquerai pas de m’y soumettre. » Puis il pria Dieu en ces termes : « Seigneur, si c’est Ta Volonté que j’exerce cette fonction, fais-le moi s’il te plaît connaître. Et en suite de cette Prière, il aperçut une colonne de feu qui allait depuis la terre jusques au Ciel, & entendit une voix qui lui dit : « Si tu peux être tel que cette colonne, va, & exerce ce ministère. » Ces Paroles le firent résoudre de ne point faire la fonction de Diacre. Et étant allé à l’église, ces bons Pères lui firent des excuses de l’y avoir voulu contraindre, & le prièrent que s’ilne voulait pas exercer les autres fonctions de Diacre, il ne refusât pas au moins de tenir le Saint Calice ; mais il ne s’y put résoudre : & sur ce qu’il leur dit, que s’ils l’y voulaient obliger il se retirerait tout-à-fait, ils le laissèrent en paix.
P.592.
Faire plutôt ce que l’on doit que de s’enquérir de ce qui ne nous regarde point.
Num.24.

Les Solitaires de Scété étant un jour assemblés, entrèrent en discours touchant le grand Prêtre Melchisédech ; & l’Abba Coprès, qui ne s’y était pas trouvé au commencement, étant venu dans l’assemblée sur l’instance qu’ils lui en firent, ils le prièrent de leur dire son sentiment sur ce sujet. Sur quoi, après avoir frappé trois fois sur ses lèvres, il dit : « Malheur à toi, Coprès, qui négliges de faire ce que Dieu t’ordonne, & oses t’enquérir des choses qu’il ne t’oblige point de savoir. » Tous les frères, l’entendant parler de la sorte, s’enfuirent dans leurs cellules.
CLXIX.
De l’humilité & de la crainte de Dieu.
Num.32.

Le Saint Abba Pastor disait que nous devons aussi continuellement respirer la crainte de Dieu & l’humilité, comme l’air sans lequel nous ne saurions vivre.

CLXX.
Moyen de vivre en repos dans la solitude.
Num.33.

Un autre Solitaire lui demandant de quelle sorte il se devait conduire dans le lieu où il demeurait, il lui répondit : « Veille avec autant de soin sur toi-même que si tu ne faisais que d’entrer dans la solitude, & ne désire jamais que l’on défère à tes sentiments : Ainsi tu vivras dans un très grand repos. »

CLXXI.
Moyens pour travailler à son Salut.
Num.34.
Le même Saint disait : « Seprosterner en terre en la Présence de Dieu ; n’entrer point dans une opinion avantageuse de soi-même ; & renoncer à sa volonté propre sont comme les instruments dont l’âme se sert pour travailler à l’ouvrage de son Salut. »

CLXXII.
De l’humilité.
Num.37.
Le même Saint disait que l’humilité était comme la terre sur laquelle Dieu voulait qu’on lui fît des sacrifices.

CLXXIII.
Ne point répondre à ceux qui nous louent.
Num.39.

Le même Saint disait : « Quelques-uns des plus Anciens d’entre les Solitaires étant un jour assis à table pour manger, & ayant loué la Vertu de l’Abba Alone qui les servait, il ne répondit un seul mot, dont quelques-uns lui ayant demandé la cause, il leur dit : « C’est parce que si j’avais répondu, il aurait semblé que je prenais plaisir qu’on me louât. »

CLXXIV.
Que le silence édifie plus que les discours.
Num.42.

Théophile, de Sainte Mémoire, Patriarche d’Alexandrie, étant un jour venu en Scété, tous les Solitaires s’assemblèrent pour le recevoir, & prièrent l’Abba Pambon de lui vouloir dire quelque chose dont il pût être édifié. Il leur répondit : « Si mon silence ne l’édifie, mes paroles n’auront garde de l’édifier. »

CLXXV.
De l’excellence de l’humilité.
Num. 49.

Le Saint Abba Hyperiquie disait : « Quelque grand que soit l’arbre de Vie, l’humilité d’un Solitaire s’élève jusques aux plus hautes de ses branches. »

CLXXVI.
Num.55.
Un Saint Ancien disait à un Solitaire : « Garde-toi bien de mépriser ton frère, en te croyant ou plus tempérant, ou plus chaste, ou plus habile que lui. Mais assaisonne toutes tes actions comme avec un sel spirituel, en les réglant sur la Sagesse de Jésus-Christ ; & soumets-toi à la Grâce de Dieu dans un esprit de pauvreté, & avec une charité non feinte, afin de ne perdre pas le fruit de tous tes travaux en te laissant emporter à la vanité. »

CLXXVII.
Ce que c’est que l’humilité.
Num.60.

Quelqu’un demandant à un Saint Ancien ce que c’était que l’humilité, il lui répondit : « C’est de pardonner à celui qui vous a offfensé, auparavant même qu’il vous en ait témoigné d’en avoir regret. »
CLXXVIII.
N’accuser que soi-même des maux que l’on souffre.
Num.61.

Un autre Saint Ancien disait : « Il ne faut point rejeter sur les autres, mais seulement sur nous-mêmes la cause de tous les maux qui nous arrivent, & nous devons croire que c’est une punition de nos péchés. »
CLXXIX.
Belle réponse d’un Solitaire que l’on avait maltraité.
Num.64.

Un Solitaire étranger étant arrivé à une église où les frères s’étant assemblés le jour d’une fête faisaient l’un de ces repas de charité que les Grecs nomment Agapes, du mot Amour, Agapè, quelques-uns demandèrent qui l’avait convié de demeurer, & lui dirent de se lever & de s’en aller ; ce qu’il fit. D’autres, étant fâchés qu’on l’eût traité de la sorte, sortirent après lui, & le ramenèrent ; & l’un d’entre eux lui demandant ensuite quels avaient été ses sentiments dans ce qui s’était passé, il lui répondit : « Je me considère comme si j’étais un chien, qui sort de la maison quand on le chasse, & y rentre quand on le rappelle. »

CLXXIX.
Belle réponse d’un Solitaire au Démon, qui se disait être un Ange de Lumière.
Num.68.

Le Démon s’étant transformé en un Ange de Lumière, il se présenta à un Solitaire & lui dit : « Je suis l’Ange Gabriel, & Dieu m’a envoyé vers toi. » A quoi lui ayant répondu : « Prends garde que ce ne soit vers quelque autre qu’il t’envoie. Ca quant à moi je ne suis pas digne de recevoir une si grande faveur », il disparut aussitôt.

CLXXXI.
Sur le même sujet.
Num.69.

Les Saints Pères disaient : « Quand bien même un Ange vous apparaîtrait véritablement, ne vous rendez pas facile à le croire . Mais humiliez-vous en disant : « Un pécheur tel que je suis n’est pas digne de voir un Ange. »

CLXXXII.
Que l’humilité est encore plus agréable à Dieu que le jeûne.
Num. 72.

Un Saint Ancien ayant jeûné durant soixante-dix semaines de suite, sans manger sinon une seule fois en chaque semaine, pour obtenir de Dieu l’Intelligence d’un certain passage de l’Ecriture Sainte, voyant qu’Il ne la donnait point, il dit en lui-même : « Puisque j’ai tant travaillé inutilement, j’irai trouver quelqu’un de mes frères, pour lui demander l’intelligence de ce passage. » Etant sorti, & ayant fermé sa porte pour s’en aller, un Ange du Seigneur s’apparut à lui, & lui dit : « Ce jeûne de soixante-dix semaines ne t’a pas rendu plus agréable à Dieu que tu n’étais. Mais maintenant que tu t’es humilié, & que tu as résolu d’aller trouver l’un de tes frères, afin de lui demander l’intelligence de ce passage, je suis envoyé pour te la donner ». Il le lui expliqua ensuite, & puis disparut.

CLXXIII.
Que rien ne nous est si avantageux que l’humilité.
Num.74.
Un Saint Ancien disait : « J’aime mieux être le moindre de tous, & demeurer dans l’humilité, que d’avoir toute sorte d’avantage sur les autres & en tirer vanité. »

CLXXXIV.
De la conduite qu’on doit tenir dans les choses qui donnent peine.
Num.76.

Un Solitaire disait à un Saint Ancien : « Mon Père, lorsque je suis avec les frères, & vois faire quelque chose mal à propos, trouves-tu bon que je le dise ? » Il lui répondit : « S’ils sont plus âgés que toi, ou de ton âge, tu feras mieux de n’en point parler, puisque tu t’avanceras d’autant plus dans la voie de ton Salut que tu t’humilieras davantage » . « Mais comment pourrai-je, » lui répliqua ce frère, « dans la peine que cela me donnera, me retenir de la sorte ? » « Si cela te donne tant de peine, » lui repartit ce Saint Ancien, « avertis-les avec humilité de leurs fautes. Mais une fois seulement, & s’ils ne s’en corrigent pas, remets entre les mains de Dieu ta peine, & Il t’en consolera. Car celui qui le sert En Esprit & En Vérité, doit s’abandonner entièrement à Sa Conduite, &renoncer à sa volonté propre. Ainsi, tu dois veiller sur toi-même, afin que, dans les inquiétudes & dans les peines qui t’arrivent, tu ne fasses rien qui lui puisse être désagréable. Et c’est pourquoi j’estime qu’il te sera avantageux de te taire, puis qu’alors ton humilité sera la cause de ton Silence. »

P.594.

CLXXXV.

Qu’il faut mettre un voile sur ses yeux pour s’empêcher de voir le Bien que l’on fait.
Num.80.

Un Saint Ancien disait : « Comme les meuniers couvrent les yeux des animaux dont ils se servent pour faire aller les roues de leurs moulins, afin de les empêcher de tourner la tête & de manger le fruit de leur travail, nous devons aussi avec l’assistance de Dieu mettre un voile sur nos yeux, pour nous empêcher de voir ce que nous faisons de Bien, de crainte qu’en nous estimant déjà parfaits nous ne perdions toute la récompense que nous en pourrions espérer. Et c’est pourquoi Dieu permet que dans certains intervalles nous ayons l’esprit rempli de quelques mauvaises pensées, qui sont comme un voile qui recouvre le peu de Bonnes Œuvres que nous faisons, afin que, les voyant, elles nous obligent par notre propre connaissance de nous condamner nous-mêmes : ce qui est l’une des choses du monde qui nous est plus utile.

CLXXXVI.
Avec quelle prudence on doit donner des instructions.
Num. 81.

Un autre Saint Ancien disait : « J’aime beaucoup mieux que l’on m’instruise que non pas d’instruire les autres. » Il disait aussi : « Quand vous voulez instruire quelqu’un, prenez le Temps propre pour cela, puis qu’autrement vous reculeriez plutôt que d’avancer dans la prudence de la conduite. »

CLXXXVII.
Moyens d’acquérir l’humilité.
Num. 82.
Sur ce qu’un Solitaire demandait à un Saint Ancien ce que c’était que l’humilité, il lui répondit : « C’est un ouvrage tout Divin. & le moyen de l’acqu érie est d’embrasser les travaux corporels, de se reconnaître pécheur, & de s’assujettir à tout le monde. » « Qu’est-ce que s’assujettir à tout le monde ? » répondit le Solitaire. « C’est, » lui réplique ce Saint Homme, « de ne prendre jamais garde aux péchés d’autrui, de considérer tous les siens, & de Prier Dieu sans cesse. »

CLXXXVIII.
Contre la curiosité.
Num.87.

Sur ce qu’on demandait à un Saint Ancien comment il se pouvait faire qu’on Vît des Anges, ainsi que quelques-uns assuraient d’en avoir Vu, il répondit : « Bien heureux est celui qui voit continuellement ses péchés. »

CLXXXIX.
Qu’il n’y a point de plus grande charité que de supporter les défauts d’Autrui.
TIT.XVI.
Num.11.
Un Solitaire en voyant un autre qui portait un Mort, il lui dit : « Mon frère, tu fais bien de porter les Morts. Mais tu feras encore mieux de supporter les vivants. »

CXC.
Que l’Amour chasse la crainte.
TIT.XVII.
Num.I.

Saint Antoine disait : « Je ne crains plus Dieu. Mais je l’Aime, parce que mon Amour pour Lui a chassé la crainte que j’avais auparavant. »

CXCI.

Entrevue de Saint Antoine & de Saint Hilarion.
Num.42.

Saint Antoine ayant dit à Saint Hilarion qui venait de la Palestine le visiter sur sa montagne : « Sois le bienvenu, claire Etoile du matin » ; il lui répondit : « La Paix de Dieu soit avec toi, brillante Colonne de Lumière qui soutient toute la terre. »

P.595.
CXCII.
Invention charitable d’un Saint pour ne point attrister un Solitaire.
Num.7.

Le Saint Abba Jean allant un jour avec quelques-uns de des frères, & celui qui les conduisait s’étant égaré à cause qu’il était nuit, ils lui dirent : « Que ferons-nous, mon Père ? Car ce frère s’est égaré, & nous courons fortune de Mourir faute de savoir le chemin. » Il leur répondit : « Si nous lui en parlons, nous l’affligerons, mais je témoigne être si las que je ne saurais plus du tout marcher, & ainsi je demeurerai ici jusques au jour. » Ce qu’il fit & tous les autres avec lui, afin de ne point attrister ce frère en lui disant la faute qu’il avait faite.

CXCIII.
Qu’il y a des rencontres où la charité nous oblige à passer par-dessus les règles ordinaires.
Num.12.

Le Saint Abba Paphnuce, qui ne buvait jamais de vin, allant par les champs, & étant fort fatigué du travail du chemin, rencontra une troupe de voleurs qui buvaient ensemble. Celui qui en était le chef l’ayant reconnu, & sachant qu’il n e buvait point de vin, lui dit en lui présentant d’une main un verre de vin, & tenant de l’autre son épée nue : « Si tu ne bois cela, je te tuerai. » Le Saint Ancien, qui, pour accomplir le commandement de Dieu, voulait gagner à Son service l’âme de cet homme, prit le verre, & but le vin. Ce qui toucha si fort ce voleur, qu’il lui demanda pardon & lui dit : « Pardonne-moi, mon Père, le déplaisir que je t’ai fait. » Le Saint Ancien lui répondit : « J’ai confiance En mon Dieu qu’Il se servira de cette rencontre, pour te faire Miséricorde & en ce monde & en l’autre ». A quoi ce voleur repartit : « Et moi, j’espère qu’à commencer dès ce moment Dieu me fera la Grâce de ne faire de ma vie tort à personne. » Ainsi le Saint gagna ce voleur, & ensuite tout le reste de sa troupe, en s’abandonnant pour l’Amour de Dieu à leur volonté.

CCXIV.
Que la charité envers les malades est préférable aux plus grandes austérités.
Num.18.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien qu’il connaissait deux frères, dont l’un ne bougeait de sa cellule, où il faisait de grandes austérités, & ne mangeait que de six jours l’un, ce qui est dire une seule fois la semaine, &l’autre assistait les malades : & lui demandant lequel des deux il croyait être le plus agréable à Dieu, il lui répondit : « Quand celui qui ne mange que de six jours l’un ferait des austérités encore plus grandes, il ne saurait égaler celui qui assiste les malades. »

CXCV.
Admirable & sainte dispute entre quelques solitaires.
Num.20.

Trois Solitaires étant allés pour travailler à la moisson, & ayant entrepris de foyer une certaine quantité de blé, l’un d’eux tomba malade dès le premier jour, & s’en retourna dans sa cellule. Sur quoi, l’un des deux qui étaient restés, dit à l’autre : « Tu vois, mon frère, que notre frère est tombé malade. Fais donc un peu d’effort de ton côté comme j’en ferai du mien, & j’espère qu’avec la Grâce de Dieu, & par le mérite de ses Prières, nous viendrons à bout, outre notre part, de celle qu’il avait entreprise, & qu’ainsi nous achèverons tout l’ouvrage. Cette proposition ayant été suivie de l’effet, lors qu’ils eurent touché le prix dont ils étaient convenus, ils dirent à ce frère de recevoir la portion qui lui en appartenait. Ce que refusant de faire, parce qu’il n’avait point travaillé, eux soutenaient au contraire qu’il la devait accepter, parce que ses Prières avaient été cause de ce qu’ils avaient achevé l’ouvrage. Sur cette dispute, ils se remirent au Jugement d’un Saint Ancien, auquel chacun d’eux ayant présenté ses raisons, il en fut si touché d’admiration qu’il commanda à l’un de ses disciples de faire assembler tous les frères. Ceux-ci étant arrivés, il leur dit : « Ecoutez, mes frères, un Jugement Equitable que je vais rendre. Il leur rapporta ensuite tout ce qui s’était passé, & puis ordonna que ce frère qui avait été malade recevrait sa part du travail des autres, pour en dispose comme il lui plairait ; dont ce dernier fut si affligé que, comme si on lui eût fait un grand tort, il se retira en pleurant.

P.596.
CXCVI.
Qu’il faut redoubler sa charité envers ceux qui ont le moins de Vertu.
Num. 23.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Lors que je vois un frère que j’ai appris avoir commis quelque faute, je ne puis me résoudre à le faire entrer dans ma cellule. Et quand j’en vois quelqu’un qui est vertueux, je l’y reçois avec Joie ». Il lui répondit : « Si tu vis bien avec celui qui est bon, vis encore deux fois mieux avec celui qui ne l’est pas, puis qu’étant faible, & comme malade, il a besoin d’une plus grande assistance. »

CXCVII.
Que Dieu ne permet pas que les Saints demeurent dans les erreurs où ils ne sont tombés que par une pure simplicité.
TIT.XVIII.
Num.4.
L’Abba Daniel racontait qu’un Ancien, un Solitaire, qui demeurait dans la basse Egypte, & dont la Vertu était admirable, disant que Melchisédech était Fils de Dieu, & cela ayant été rapporté à Saint Cyrille, Patriarche d’Alexandrie, ce grand personnage sachant que ce Saint Ancien était si agréable à Dieu qu’Il lui révélait tout ce qu’il lui demandait, & qu’ainsi ce n’avait été que par une pure simplicité qu’il avait tenu ce discours, il s’avisa, pour le détromper, de lui écrire ces mots : « Mon Père, me venant quelquefois en la pensée que Melchisédech est Fils de Dieu, & d’autres fois croyant au contraire qu’il ne l’est pas, mais que ç’a été seulement un homme qui était souverain pontife grand Prêtre du Seigneur, le doute où je suis me fait envoyer vers vous, pour vous prier de demander à Dieu qu’Il lui plaise de te révéler ce qu’on doit croire sur ce sujet. » L’Ancien, dans la confiance qu’il avait En Dieu, répondit sans hésiter : « S’il te plaît me donner trois jours de terme, je Prierai Dieu sur ce sujet, & puis te rendrai compte de ce qu’il lui aura plus de me révéler. » Il s’enferma ensuite dans sa cellule, & après avoir Prié Dieu durant trois jours, il dit au Bien heureux Cyrille : « Melchisédech n’est qu’un homme. » A quoi le Patriarche lui répondant : « Comment le sais-tu, mon Père ? » il lui répartit : « Dieu ayant fait passer devant moi tous les Patriarches depuis Adam jusques à Melchisédech, mon Bon Ange m’a dit : « Vois-tu celui-là. C’est Melchisédech. » N’en doute donc pas s’il te plaît. » Et depuis ce jour, le Saint Ancien, sans que personne l’y conviât, publiait partout que Melschisédec était un homme. Ce qui donna une extrême Joie au Saint Patriarche Cyrille de Jérusalem.

CXCVIII.
Que ceux qui Vivent selon Dieu ne doivent rien craindre.
Num. 53.

L’Abba Moïse qui demeurait en Scété disait : « Si nous gardons les préceptes des Saints Pères qui onté été auparavant nous, j’ai tant de confiance en la Miséricorde que j’ose sans crainte vous promettre que nous ne verrons point ici les Barbares. Mais si nous ne les observons pas, ce lieu sera sans doute détruit. »

CXCIX.
Des grands avantages que les âmes pures tirent de la Sainte Eucharistie.
Num.17.
Ps. 40.

L’Abba Pasteur disait : « Nous lisons dans les Psaumes que le cerf ne désire pas avec plus d’ardeur de désaltérer sa soif dans une fontaine que notre âme désire de goûter les délices de son Dieu. Or comme les cerfs après avoir mangé des serpents dans le Désert, & que leur venin s’est répandu dans tout leur corps, se sentent embrasés d’une telle ardeur qu’ils cherchent par tout des fontaines pour l’éteindre, de même les Solitaires étant embrasés dans la solitude par l’ardeur du venin des Malins esprits, désirent de rencontrer au jour du Dimanche de claires fontaines, c’est-à-dire le corps & le sang de notre Seigneur-Christ, pour être purifiés de l’infection d’un poison si redoutable.

P.597.
CC.
De l’incroyable humilité d’une Sainte Religieuse du Monastère de Thabène.
Num.19.
I.Cor.3.
L’Evêque Saint Vassili racontait que dans un Monastère de vierges il y en avait une qui, feignant d’être folle & possédée du Démon, était si méprisée de toutes les autres qu’elles ne la faisaient jamais manger avec elles. Ce qui, au lieu de l’affliger lui donnait beaucoup de Joie, d’autant que par ce moyen elle ne bougeait jamais de la cuisine, où elle seule suffisait à à tout ce qu’il y avait à faire. Ainsi, elle était le rebut de toute la maison, & faisait voir par effet ce que l’Apôtre nous enseigne par ces paroles : « Si quelqu’un d’entre vous désire d’être véritablement Sage en ce monde, il doit paraître fol pour être sage. » Toutes les autres Religieuses portant des capuches, elle se couvrait seulement la tête avec de méchants haillons. Elle les servait en toutes choses, & nulles d’elles, quoi qu’elles fussent jusques au nombre de quatre cent, ne la virent jamais manger, ni s’asseoir à table, ni recevoir seulement un morceau de pain ; mais, en nettoyant le réfectoire & en lavant les écuelles, elle vivait des miettes qui étaient tombées sous la table. Elle ne fit jamais le moindre déplaisir à personne ; elle n’ouvrit jamais la bouche pour dire la moindre parole, & ne se plaignit jamais de quoi que ce fût, bien qu’elle fût maltraitée de toutes les autres, & l’objet continuel de leur mépris. Saint Pistère, qui était un Anachorète d’une Vertu admirable, étant un jour assis au lieu nommé Porphyrite, un Ange du Seigneur s’apparut à lui, & lui dit : « Sur quoi te fondes-tu pour avoir une si bonne opinion de toi-même ? & t’imagines-tu d’être un Saint à cause que tu passes ta Vie dans le Désert ? Veux-tu voir une fille qui est plus Sainte que toi ? Va au Monastère des Religieuses de Thabène : tu y en trouveras une qui n’a la tête couverte que de haillons qui lui tiennent lieu de couronne, & qui est meilleure que toi, puis que combattant seule jour & nuit contre un très grand nombre d’autres qui lui font une si cruelle guerre, son cœur ne s’éloigne jamais de Dieu ; au lieu que toi, en demeurant toujours ici sans en partir, tu te promènes en esprit & par la pensée dans toutes les villes. » Ce Saint Homme n’eut pas plutôt entendu ces paroles qu’il s’en alla au Monastère de Thabène, & pria les higoumènes de le faire entrer dans la clôture des Religieuses ; ce qu’ils lui accordèrent fort volontiers, comme étant un homme non seulement très célèbre par sa Vertu, mais vénérable aussi par son grand-âge. Etant entré, & ayant vu toutes les sœurs excepté la Moniale pour le sujet de laquelle il était venu, il leur dit : « Faites venir, je vous prie, toutes vos sœurs. Car il me semble qu’il en manque quelqu’une. » Elles lui répondirent : « Il n’en reste qu’une qui est folle, laquelle est à la cuisine. » « Faites-la venir, je vous prie » leur repartit-il, « & que je la voie. » Les sœurs l’ayant ensuite appelée & voyant qu’elle ne voulait point venir, soit pour quelque autre raison, ou parce que Dieu lui avait révélé possible ce qui se passait, elles lui dirent : « Saint Pistère » – car c’était un homme fort célèbre & dans une haute réputation de Vertu- « te veut voir, & te demande. » Alors elle vint ; & quand elle se présenta devant lui ayant la tête couverte de haillons, il se jeta à ses pieds, & lui demanda sa bénédiction. Elle de son côté se jeta aux siens en le priant de lui vouloir donner la sienne, dont toutes les sœurs étant demeurées extrêmement étonnées, elles dirent à ce Saint Homme : « Mon Père, ne te fais pas ce tort s’il te plaît. Car cette fille a perdu l’esprit ». « C’est plutôt vous toutes, » leur répondit-il, « qui l’avez perdu. Elle est beaucoup plus Spirituelle que vous ni que moi, & je Prie Dieu de tout mon Cœur qu’au Jour du Jugement je sois trouvé semblable à elle. » Il n’eut pas plutôt dit ces paroles qu’elle se jetèrent toutes à ses pieds, & lui confessèrent toutes les injures & tous les outrages qu’elles avaient faits à cette grande Servante de Dieu. Le Saint se mit en Prière pour elles toutes, afin qu’il plût à Dieu de leur pardonner, & puis s’en alla. Peu de jours après, cette Sainte Vierge ne pouvant souffrir l’estime que l’on avait d’elle, & l’extrême honneur que toutes les sœurs lui rendaient, & ayant honte des excuses qu’elles lui faisaient de l’avoir si mal traitée, elle sortit en secret du Monastère, sans que l’on ait jamais pu savoir où elle alla, où elle se retira, & de quelle sorte elle Mourut.

SUITE DES
ACTIONS & PAROLES
REMARQUABLES
DES SAINTS PERES
DES DESERTS,
TIRéES
D’UN ANCIEN AUTEUR GREC,
TRADUIT
PAR JEAN SOUS-DIACRE,
MIS DU GREC EN FRANçOIS
PAR LE GRAND ARNAULD d’ANDILLY.


CCI.
D’où vient qu’en ce monde les méchants sont heureux, & les bons sont affligés.
TIT.I.
Num.13.
JEAN SOUS-DIACR.

Un Saint Père racontait que, dans le Désert de Nilopole, il y avait un Solitaire très vertueux, qui était servi par un séculier fort Homme de Bien, & que dans la ville qui porte ce même nom, il y avait un homme riche & impie, lequel étant Mort,l’Evêque accompagné de toute la ville assista à ses obsèques avec quantité de torches. En ce même Temps, celui qui servait ce Solitaire, étant sorti selon sa coutume pour lui aller chercher du pain, il rencontra cette grande pompe funèbre, & trouva à son retour qu’une bête avait dévoré le fidèle serviteur de Dieu. Alors il se jeta le visage contre terre En la Présence du Seigneur, & dit : « Je ne me lèverai point, mon Dieu, jusques à ce que Tu me fasses connaître d’où vient que cet impie a eu des obsèques si magnifiques, & qu’au contraire celui-ci, qui s’employait jour & nuit à Ton Service, est Mort d’une telle sorte. » Sur cela un Ange de Dieu s’apparut à lui, & lui dit : « Cet impie ayant fait quelque peu de bien durant sa vie, il en a reçu la récompense en ce monde, pour être éternellement tourmenté en l’autre. Et ce Solitaire au contraire, qui quoi qu’orné de toutes sortes de Vertus, avait par l’humains fragilité fait quelques petites fautes, en a été puni ici-bas, afin d’être trouvé pur dans le Ciel En la Présence de son Seigneur & Maître. » Ces Paroles ayant consolé ce pauvre homme, il rendit Grâce à Dieu de la Justice de Ses Jugements.

P.599.
CCII.
De la Vertu & de la Sainteté admirable d’un berger & de sa femme.
TIT.III
Num.3.

Deux Solitaires déjà fort âgés ayant Prié Dieu de leur faire connaître en quel état ils étaient, ils entendirent une voix qui leur dit : « Vous n’êtes pas encore si Vertueux qu’un séculier nommé Eucariste & que sa femme nommée Marie, lesquels demeurent dans ce bourg qui est de l’Egypte. » Aussitôt ils partirent pour y aller ; & là, s’étant enquis du lieu où ces deux personnes demeuraient, ils entrèrent dans leur petite maison, où ils trouvèrent seulement la femme, à qui ayant demandé où était alors son mari, elle leur répondit qu’étant berger il était allé mener paître son troupeau ; & ensuite elle les reçut. Eucariste étant revenu le soir avec ses brebis, & ayant trouvé ces Bons Anciens, il leur apprêta à manger, & mit de l’eau dans un bassin afin de leur laver les pieds. Sur quoi ils lui dirent : « « Nous ne mangerons point que vous ne nous ayez dit auparavant quelle est votre manière de Vivre. » Il leur répondit avec grande Humilité : « Je suis berger, & voilà ma femme. » Ces Bons Anciens insistant, & lui ne pouvant se résoudre à leur en déclarer d’avantage, ils lui dirent : « Dieu nous a envoyés vers vous. » A ces Paroles se trouvant saisi de crainte, il leur dit : « Ce troupeau que vous voyez nous est venu par succession de père en fils. Nous séparons en trois parts tout l’accroissement qu’il plaît à Dieu lui donner, dont nous en donnons une aux pauvres ; nous en employons une autre à recevoir les étrangers, & la troisième est pour nous entretenir & nous nourrir. Nous avons toujours vécu en continence, ma femme étant aussi vierge que le jour que je l’épousai. Nous dormons séparément, nous revêtant de sacs durant la nuit, & reprenant nos habits ordinaires quand il est jour, sans que jusques à cette heure qui que ce soit ait eu connaissance de ce que je viens de vous dire. » Ces deux Bons Anciens ayant entendu cela avec une extrême admiration, ils en rendirent Grâces à Dieu & s’en retournèrent.

CCIII.
Histoire étrange rapportée par Saint Macaire pour faire voir qu’il ne méritait pas de porter le nom de Solitaire.
Num.4.
JEAN SOUS-DIACR.

Saint Macaire d’Egypte étant venu de Scété au Monastère de l’Abba Pambon sur la montagne de Nitrie le jour qu’on y devait offrir le Saint Sacrifice, & les plus Anciens de ces Bons pères l’ayant prié de faire quelque exhortation aux frères, il leur répondit : « Je ne mérite pas encore de porter le nom de Solitaire. Mais j’en ai vu qui l’étaient véritablement. » & il leur dit en suite : « Comme j’étais en Scété dans ma cellule, il me venait sans cesse une pensée en l’Esprit, qui me pressait d’aller dans le Désert pour y considérer ce que j’y verrais. A quoi je résistai durant cinq ans dans la crainte que ce ne fût une tentation du Démon. Mais cette même pensée ne me quittait point. Enfin, j’allai dans le Désert, où je trouvai un étang au milieu duquel était une île. Je vis ensuite diverses sortes d’animaux qui venaient boire dans cet étang, & parmi eux deux hommes tout nus ; ce qui me fit trembler de crainte dans la créance que ce ne fussent des esprits, dont s’étant aperçus ils me dirent : « N’ayez point de peur : nous sommes hommes tout comme toi » Alors je leur demandai d’où ils étaient, & qui les avait amenés dans le désert. Ils me répondirent : « L’un de nous est né en Egypte, & l’autre en Lybie. Nous étions tous deux Solitaires, & nous sortîmes du Monastère d’un commun contentement pour Vivre dans le désert, où il y a quarante ans que nous demeurons. » Ils me demandèrent ensuite de quelle sorte allait le monde ; si les saisons suivaient toujours leur cours ordinaire ; si le Nil débordait comme de coutume, & si la terre continuait d’être fertile. A quoi leur ayant répondu, je leur demandai ce que je devais faire pour être un vrai Solitaire, & ils me dirent : « On ne saurait l’être sans renoncer à tout ce qui est dans le monde. » « Mais je suis faible », leur repartis-je, & je ne saurais faire ce que vous faites. » « Si tu ne le peux, » répliquèrent-ils demeure dans l’Hésychia, & pleure tes péchés dans ta cellule. » Leur ayant demandé en suite s’ils ne sentaient point durant l’hiver la rigueur du froid, & s’ils n’étaient point brûlés en été par l’extrême chaleur du soleil, , ils me répondirent que Dieu leur faisait la Grâce de les garantir de ces deux incommodités. Vous voyez donc mes frères si j’ai raison de vous dire que je ne mérite pas encore de porter le nom de Solitaire. C’est pourquoi dispensez-moi, s’il vous plaît, d’entreprendre de vous instruire de ce qu’il faut faire pour se rendre Parfaits dans une Profession si Sainte.

P.600.
JEAN SOUS-DIACR.
CCIV.
Que les Anges ont la même horreur de l’infection des péchés que nous de la puanteur des corps Morts.
Num.18.

Un Saint Ancien raconta qu’il y en avait un qui, marchant dans le Désert, Vit deux Anges qui l’accompagnaient, l’un à sa main droite, & l’autre à sa gauche ; & qu’après avoir marché un peu de Temps ils rencontrèrent un corps Mort. Sur quoi ce Bon Ancien s’étant bouché le nez à cause de la puanteur, & ces Anges ayant fait la même chose, il leur demanda s’ils avaient senti cette puanteur. Ils lui répondirent que non, & que ce qu’ils en avaient fait n’avait été qu’à cause de lui ; mais que comme ils ne sentaient point l’odeur de toutes les choses corporelles, ils sentaient & ne pouvaient souffrir la puanteur dont les âmes sont infectées.


CCV.
TIT.IV.
Num.4.
Ps. 48.
Qu’il faut rendre nos actions conformes à nos Prières.

Le Saint Abba Moïse disant que l’homme travaillait en vain si ses actions n’étaient conformes à ses Prières. Et un frère lui demandant ce que c’était que de rendre ses actions conformes à ses Prières, il lui répondit : « C’est de ne plus retomber dans les imperfections dont nous Prions Dieu de nous délivrer. Car lors que nous renonçons à notre volonté propre, nous revenons En Grâce avec Dieu, & Il exauce nos Prières. « Qu’est-ce qui nous aide le plus dans tous nos travaux ? » ajouta ce frère. « C’est », repartit le Saint Ancien, « Dieu qui nous aide, & qui nous assiste de Sa Grâce. Car il est écrit : « Notre Dieu est notre refuge & notre force, & c’est lui qui nous assiste dans nos plus grands maux & dans l’excès de nos souffrances ».

CCVI.
Ce que doit faire un son serviteur lors que son maître le châtie. Et comme il ne faut juger de personne.
Num.7.
Matth. 7.

Un Solitaire disant au même Saint : « Lors qu’un homme châtie son serviteur à cause d’une faute qu’il a faite, qu’est-ce que ce serviteur doit faire ? » « S’il est tel qu’il doit être, » répondit ce Saint Ancien, « il faut qu’il demande pardon à son maître. » « Et rien davantage ? » repartit le Solitaire. « Non »,dit l’Ancien, « parce qu’aussitôt qu’il confessera d’avoir failli & en aura demandé pardon, son maître le lui accordera. Mais en cela, comme en toute autre chose, ce que nous devons observer principalement, c’est de ne point juger notre prochain. Car nous devons nous souvenir que lors que Dieu fit Mourir tous les premiers-nés d’Egypte, il n’y avait point de maison où l’on ne pleurât un Mort. » « Que veut dire cela ? » répliqua ce frère. « C’est », repartit ce Saint Homme que si nous nous arrêtons à considérer nos péchés, nous ne penserons point à ceux d’Autrui, puis qu’il y aurait de la folie à un homme qui aurait perdu un de ses proches, d’abandonner son corps pour aller pleurer auprès d’un autre qui serait Mort chez son voisin. Or c’est être Mort à l’égard de notre prochain que de pleurer nos propres péchés, sans penser à ceux d’Autrui, sans dire : « Celui-ci est Homme de Bien, mais cet autre est un méchant ; sans faire mal à personne ; sans penser mal de qui que ce soit ; sans mépriser même celui qui fait mal, & sans néanmoins y consentir, ni s’en réjouir. Il ne faut aussi porter jugement de personne, mais se contenter de dire : C’est Dieu qui connaît le fond des cœurs. Il ne faut ni consentir à celui qui médit, ni prendre plaisir à ses médisances. Il ne faut point non plus consentir au jugement qu’on porte d’Autrui, puis qu’en cela consiste l’accomplissement de ce précepte de notre Seigneur : « Ne jugez point & vous ne serez pas jugés. » Il ne faut haîr qui que ce soit, non pas même celui qui hait son prochain, & ne consentir point toutefois à la haine qu’il lui porte. Par ce moyen nous acquérerons une Paix qui nous remplira de Consolation ; & en suite d’un travail de peu de Temps nous jouirons avec la Grâce de notre Seigneur Jésus-Christ d’un Repos & d’une Hésychia qui dureront Eternellement.

CCVII.
Qu’on ne peut être en repos qu’en s’abandonnant à la Volonté de Dieu.
Num.8.
Luc 4.
Jean 2.
Jean 13.
Luc 13.
Matth.26.
JEAN SOUS-DIACR.

Un Saint Ancien disait : « C’est pour nous misérables pécheurs que notre Sauveur est né. C’est pour nous sauver que le Fils de Dieu est venu au monde ; qu’il a voulu se faire Homme comme nous sans toutefois cesser d’être Dieu ; qu’Il a Voulu être Enfant ; qu’Il a Voulu exercer l’office de Lecteur en prenant le livre dans la synagogue, & en lisant ces Paroles : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi : Il m’a consacré par Son Onction Divine, & m’a envoyé prêcher aux pauvres Son Evangile » ; qu’Il a Voulu exercer la charge de Sous- Diacre,lors que faisant un fouet avec des cordes Il a chassé les vendeurs du temple, les bœufs, les moutons, & toutes les autres choses qui en profanaient la Sainteté ; qu’Il a Voulu exercer l’office de Diacre, lors que, mettant un linge autour de Lui, Il a lavé les pieds de Ses Disciples, & leur a ordonné de laver à Son Imitation ceux de leurs frères ; qu’Il a Voulu exercer la charge de Prêtre, lors qu’Il s’est assis entre les Docteurs pour les Enseigner ; & qu’enfin Il a voulu faire la charge d’Evêque, lors qu’Il a pris le pain, l’a rompu, l’a béni, & l’a donné à Ses Disciples. C’est pour nous qu’Il a été déchiré à coups de fouet ; qu’Il a été Crucifié, qu4il est Mort, qu’Il est Ressuscité le Troisième Jour, & qu4il est monté dans le Ciel. Il a Voulu, pour l’Amour de nous se charger de toutes nos infirmités & de tous nos maux. Il a Voulu Accomplir par ordre & avec une Conduite & une Sagesse admirable toutes les choses qui étaient nécessaires pour nous Sauver. Et nous ne voulons rien souffrir pour Son Amour. Soyons donc sobres, mes frères ; soyons attentifs sur nous-mêmes, & assidus à la Prière, afin qu’en accomplissant ce qui lui est agréable, nous puissions opérer notre Salut. Joseph n’a-t-il pas été vendu à des Egyptiens & mené dans une terre étrangère ? Les Trois Enfants de la fournaise qui étaient captifs en Babylone n’étaient-ils pas abandonnés de tout le monde ? Et lors qu’ils étaient en cet état, Dieu ne s’est-Il pas rendu leur Protecteur ; ne les a-t-Il pas assistés, & ne les a-t-Il pas comblés d’Honneur & de Gloire, parce qu’ils avaient Sa crainte gravée dans le Cœur ? Celui qui renonçant à sa volonté propre s’abandonne entièrement à Dieu & remet son âme entre Ses Mains, demeure dans un plein Repos, parce qu’il ne veut que ce qui lui plaît au lieu que nous travaillons & nous tourmentons inutilement, lors que sans attendre Son Secours nous nous efforçons d’accomplir notre volonté propre. »

CCVIII.
Qu’il ne se faut pas étonner des mauvaises pensées, mais travailler courageusement pour son Salut.
Num.23.
Le Saint Abba Isidore de Scété étant enquis par un Solitaire des moyens qu’il devait tenir pour résister aux pensées d’impureté, il lui répondit : « S’il ne nous venait point de pensées dans l’esprit, nous serions semblables à des bêtes. Mais comme le Diable fait de son côté tout ce qu’il peut pour nous perdre, tâchons aussi de faire du nôtre tout ce qui peut contribuer à notre Salut. Prions avec assiduité,& nous mettrons les Démons en fuite. Persévérons dans le Bien, & nous remporterons la Victoire. Combattons, & nous serons Couronnés. »

CCIX.
De la confiance que l’on doit avoir en la Miséricorde de Dieu.
Num.30.
Un homme qui travaillait à se corriger de ses défauts, demandant à un Saint Ancien si Dieu pardonnait aux Pénitents. Après qu’il lui eu répondu plusieurs choses capables de le Consoler, enfin il lui dit : « Mon fils, lorsque ton habit est rompu, le jettes-tu ? » « Non », lui repartit-il, mais je le racommode, & puis je continue à m’en servir. Si tu as tant de soin à conserver un habit, » lui dit alors ce Saint Homme, crois-tu que que Dieu ne prenne point de soin,& n’ait point de Pitié d’une créature qu’Il a formée à Son Image ? »

p.602.
CCX.
De l’appréhension qu’avait un grand Saint qu’on ne troublât le repos & l’hésychia de sa Solitude.
Num.32

Un juge de province étant venu en celle où l’Abba Pasteur demeurait, & les habitants du lieu ayant conjuré ce Saint Homme de l’aller trouver pour lui faire une Prière, il leur demanda trois jours de Temps, durant lesquels il Pria Dieu en ces termes : « Seigneur, fais que ce juge ne m’accorde point la grâce que je lui demanderai, puis que, si je l’obtenais, ces gens-ci viendraient sans cesse troubler l’hésychia de ma Solitude. Ayant en suite été prier le juge en faveur de ses habitants, il lui répondit : « Sais-tu bien mon Père que celui pour qui tu t’emploies est un voleur ? » Sur quoi le Saint au lieu de s’affliger de ce refus, s’en retourna dans sa cellule avec Joie de l’avoir reçu.




SUITE DES
ACTIONS ET PAROLES
REMARQUABLES
DES SAINT PERES
DES DESERTS
TIREES
DE PASCHAZE DIACRE.

CHAP.I.
Num.2.
PASCH.DIACR.

CCXI.
Qu’il y a danger de se nuire à soi-même en servant les autres.

Un Saint Ancien dit à un autre qui était extrêmement charitable, & recevait quantité de personnes qui le venaient voir, tant Solitaires que séculières : « La lampe fait sans doute du Bien à plusieurs en les éclairant par sa Lumière ; mais elle se consume aussi elle-même. »

CCXII.
Chap.7.
Num.3

. Qu’il faut guérir la malice des autres par notre Bonté.
L’Abba Pimène disait souvent : « On ne guérit jamais un homme de sa malice en lui faisant mal. Mais si vous lui rendez le Bien pour le Mal, vous surmonterez sa malice par votre bonté. »

CCXIII.
D’un grand Saint qui ne répondait volontiers que quand on lui parlait avec mépris.
CHAP .12.
Num.2.
PASCHAZ.
DIACR.
Lors qu’on venait trouver Saint Macaire avec grand respect pour recevoir de lui quelque instruction comme d’un Homme dont on révérait & vénérait la Sainteté, il était impossible de tirer une seule Parole de lui. Mais lors qu’on lui disait comme avec mépris : « Abba Macaire, quand tu menais des chameaux, ton maître ne te battaient-ils point lors que tu dérobais du salpêtre, & qu’ils t’y surprenaient ? » il répondait avec Joie à toutes les questions qu’on lui faisait.


P.603.
CCXIV.
Du soin que les Saints ont de cacher leur Vertu.

Lors que l’Abba Sisoès était Ravi en Extase, ou qu’il soupirait, en présence de quelqu’un des frères, il en avait tant de déplaisir qu’il disait : « Pardonne-moi, mon frère, je te Prie ; car il paraît bien que je ne suis pas encore un vrai Solitaire, puis que j’ai soupiré en la présence d’un autre. » Et lors qu’en se mettant En Prière il levait les mains au Ciel, il les abaissait aussitôt qu’il voyait venir quelqu’un, de peur d’en être loué.

CCXV.
Effets de la véritable Humilité.
CHAP.13.
Num.11.


L’Abba Matoïs disait : « Celui qui est véritablement Humble, non seulement ne se met jamais en colère, mais il empêche même par sa Douceur que les autres ne s’y mettent. »

CCXVI.
Combien il importe de se bien considérer soi-même.
CHAP.15.
Num.4.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Mon Père, quand je me considère moi-même, il me semble que je suis Bon, » il lui répondit : « Celui qui ne voit pas ses péchés s’imagine toujours d’être Bon. Mais lors qu’il les voit, les pensées qui lui passent dans l’esprit, ne sauraient le persuader qu’il soit Bon, parce qu’il s’arrête à ce qu’il voit. C’est pourquoi nous devons extrêmement travailler à nous bien considérer nous-mêmes, puis que la négligence, la paresse,& le relâchement aveuglent les yeux de notre âme. »
CXXVII.
Se considérer toujours comme étant plus grand pécheur que les autres.
CHAP.16.
Num. 3.

Un Saint Ancien en voyant un autre qui agissait avec négligence se mit à pleurer amèrement, & dit : « Ne suis-je pas bien misérable, puis que je tomberai demain dans la même faute que celui-ci commet aujourd’hui ? » Et en même Temps, il donna cette instruction à son Disciple : « Lors que quelqu’un tombe dans de grandes fautes en notre présence, ne le condamnez pas pour cela ; mais regardez-vous comme étant encore un plus grand pécheur que lui, quand ce serait même un séculier, si ce n’est qu’il blasphémât le Nom de Dieu : ce qui n’appartient qu’aux Hérétiques.

CCXVIII.
Que la Foy, l’Humilité, & la Charité sont inséparables.
CHAP.27.
Num.2.
Un Solitaire demandant à l’Abba Pimène ce que c’était que la Foy, il lui répondit : « C’est de pratiquer toujours la Charité & l’Humilité, & faire du bien à son Prochain. »

CCXIX.
Avec quelle Joie on doit assister son Prochain.

Lors que quelque Solitaire priait le Saint Abba Apollon de l’assister dans son travail, il y allait aussitôt avec une extrême Joie,& disait ces belles Paroles : « Je vais travailler aujourd’hui avec Jésus-Christ mon Roy pour le Salut de mon Ame. Car c’est elle qui en recevra la récompense. »

CCXX.
CHAP.24.
Num.1.

Du sujet que ceux qui font Pénitence ont d’espérer en la Miséricorde de Dieu, encore qu’ils Meurent auparavant que de l’avoir accomplie.

Un Solitaire ayant dit à l’Abba Piimène qu’il avait commis une grande faute, & lui ayant demandé ce qu’il devait faire pour en obtenir le pardon, il lui répondit : « Eloigne-toi du lieu où tu demeures maintenant d’autant d’espace de chemin que tu en pourras faire en marchant continuellement durant trois jours & trois nuits, & jeûne un an tout entier jusques à la nuit. » « Mais si je Meurs auparavant la fin de l’année, » lui repartit ce Solitaire, que deviendrai-je ? » « J’espère en la Miséricorde de Dieu, » répliqua le Saint, « que si tu prends une ferme résolution d’exécuter ce que je te dis, quand bien même tu Mourrais dans ce moment, il recevra ta Pénitence comme si tu l’avais entièrement accomplie. »

P.604.
CCXXI.
Ce qu’il faut faire pour être comme Mort au monde.

Le même Saint Abba Pimène disait : « Le Solitaire qui après avoir travaillé durant quelque jour se relâche dans son travail, puis recommence à travailler & retombe encore dans la négligence, doit passer pour lâche & pour négligent, & ne peut prétendre aux récompenses promises à ceux qui ont une Patience Persévérante. »

CCXXII.
CHAP.17.
Num.1.
De quelle sorte nous nous devons conduire quand on nous parle mal à propos.

Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « S’il arrive que quelqu’un des frères vienne à me parler de quelque chose qui ne regarde point notre profession, dois-je le prier de vouloir changer de discours ? » Il lui répondit : « Non, » parce que nous avons grande peine à observer cela nous-mêmes, & qu’il faut prendre garde de ne reprendre pas les autres d’une chose dans laquelle nous pourrions tomber avec encore plus d’imperfection qu’eux. » « Que faut-il donc faire ? » repartit le Solitaire. « Il suffira de demeurer dans le Silence, » répliqua le Saint Ancien, puis que par ce moyen nous donnerons exemple à notre Prochain d’en faire de même. »

CCXXIV.
CHAP.32.
Num.1.
De l’Humilité qu’il faut observer dans le Silence.
Saint Antoine disait d’ordinaire à son Disciple : « Lors que tu demeures dans le Silence, ne t’imagine pas pour cela de faire un acte de Vertu, mais reconnais plutôt que c’est que tu n’es pas digne de parler. »
CCXXV.
CHAP.35.
Num.2.
Qu’il se faut guérir soi-même avant que de penser à guérir les autres.
Saint Antoine disait souvent : « Les Saints Pères qui sont entrés auparavant nous dans le Désert, après s’y être guéris de toutes leurs infirmités & être devenus d’excellents médecins des âmes, ils en sont sortis, & ont ensuite guéri les autres. Mais lors que nous allons dans le Désert, nous voulons guérir les autres avant que de nous être guéris nous-mêmes : ce qui nous fait retomber dans nos premières infirmités, & nous met en pire état que nous n’étions auparavant. C’est pourquoi on a grande raison de nous dire : « Médecin, guéris-toi toi-même avant que de penser à guérir les autres. »

CCXXVI.
Excellentes Paroles de douze Saints Anachorètes.
CHAP.44.
Psalm.2.
Matth.11.
Ps.107.
Ps.18.
Ps.15.
Ps.41.

Douze Anachorètes fort Saints, fort Sages, & fort Spirituels s’étant un jour assembles, & se demandant les uns aux autres quell avait été le profit qu’ils avaient fait dans leur Solitude, & ce qu’ils y avaient médité de plus important.
Le premier & le plus âgé de tous dit : « Mes frères, depuis que j’ai commencé à Vivre dansl’Hésychia de la retraite du monde, je me suis résolu de Mourir entièrement à tout ce qui était hors de ma cellule, me souvenant des Paroles du Psaume : « Rompons leurs liens & secouons leur joug . » Je bâtis ensuite comme un mur entre mon Ame & les actions qui ne regardent que le corps, & dis en moi-même : « Ainsi que celui qui est au pied d’un mur ne saurait voir celui qui est de l’autre côté, ne regarde point non plus les actions extérieures, mais regarde-toi toi-même, &prend Patience en espérant que quelque jour Dieu accomplira Ses promesses. Considère comme autant de serpents & de scorpions toutes tes mauvaises pensées & tous tes mauvais désirs. Que si ensuite de ces résolutions je sens qu’il s’en élève dans mon esprit, j’y prends garde de si près, & les menace avec tant de chaleur & de colère que je les étouffe. Voilà comme j’en use sans cesse, sans rien pardonner à mon corps ni à mon esprit, de crainte qu’il ne le porte dans quelque dérèglement. »
P.605.
Le second dit : « Depuis que j’ai renoncé au monde, je ne cesse point de me dire à moi-même : « Songe que tu as reçu aujourd’hui une nouvelle naissance ; que tu as commencé d’aujourd’hui à Servir Dieu ; & que tu habites d’aujourd’hui dans cette cellule. Et ainsi, considère-toi sans cesse comme un Pèlerin qui doit demain finir son voyage en sortant de la prison de ce corps. »
Le troisième dit : » Aussitôt que le jour commence à paraître j’élève mon Esprit vers Dieu, & en L’adorant le visage contre terre je lui confesse tous mes péchés ; puis, en descendant plus bas, je Prie Ses Saints Anges &tous les Saints d’Intercéder envers Lui pour moi. Je porte ensuite mes pensées dans les Enfers, où je Vois des Yeux de l’Ame les peines éternelles des Damnés. Et ces considérations font que je traite mon corps avec rigueur, & que je pleure avec ceux qui pleurent. »
Le quatrième dit : « Je m’imagine d’être toujours sur la montagne des Oliviers avec notre Seigneur Jésus-Christ & Ses Apôtres, & je me dis à moi-même : « Renonce à la connaissance de tous ceux qui vivent encore sur la terre, & demeure toujours avec ceux-ci, afin de participer à la conversation toute Céleste qu’ils ont avec leur Sauveur, ainsi que Marie-Magdeleine se jetait aux pieds de Jésus-Christ, & entendait ces Divines Paroles sortir de Sa Bouche : » Devenez Saints & Parfaits comme votre Père qui est dans le Ciel, & apprenez de moi que Je Suis Doux & Humble de Cœur. »
Le cinquième dit : « Je considère que les Anges descendent du Ciel & y remontent pour y conduire les âmes qui sortent de la prison de ce corps, & j’attends continuellement cette dernière heure qui doit mettre fin à ma Vie, en disant à Dieu : « Mon Cœur est tout prêt, Seigneur, à Te recevoir.
Le sixième dit : « Je m’ordonne tous les jours à moi-même de ne rien dire que je ne veuille bien que Dieu entende, & je m’imagine que c’est à moi qu’Il adresse ces Paroles : « Travaillez pour l’Amour de Moy, & je récompenserai ce travail d’un grand repos. Combattez encore un peu, &vous possèderez le Bonheur que Je vous prépare, & verrez l’Eclat de Ma Gloire. Si vous M’Aimez & si vous êtes mes Enfants, implorez Mon Secours, & venez à moi comme à votre père. Si vous êtes mes frères, ne craignez point de souffrir pour Moy ainsi que J’ai tant souffert pour vous. Et si vous êtes Mes brebis, Mourez pour votre Pasteur & pour votre Maître, ainsi qu’Il a bien Voulu Mourir pour vous. »
Le septième dit : « Je médite & m’entretiens continuellement dans la pensée de ces trois grandes Vertus, la Foy, l’Espérance, & la Charité, afin de me fortifier par la Foy, de me consoler par l’Espérance ;& d’Aimer de telle sorte mon Prochain par la Charité, que je ne fasse jamais rien qui lui puisse tant soit peu déplaire.
Le huitième dit : « Je me tiens sans cesse sur mes gardes contre cet esprit de Ténèbres, qui comme un lion rugissant poursuit toujours quelqu’un pour le dévorer ; de quelque côté qu’il aille je le suis des Yeux de mon Esprit, &implore contre lui l’assistance de mon Sauveur, afin que ses efforts soient inutiles, principalement contre ceux qui craignent Dieu.
Le neuvième dit : « Je m’imagine tous les jours de voir cette heureuse assemblée des Esprits Célestes, & au milieu d’eux le Dieu de Gloire tout Eclatant d’une Splendeur incomparable. Je considère ensuite la merveilleuse Beauté de Ses Anges, &les Saints & admirables Cantiques qu’ils chantent sans cesse à Son Honneur, dont la Douceur me Ravit, & me fais souvenir de ces Paroles de l’Ecriture : « Les Cieux racontent la Gloire de Dieu, & le firmament annonce la Grandeur de Ses ouvrages » ; ce qui me donne un tel mépris pour tout ce qui est sur la terre que je ne le regarde plus que comme du fumier & de la fange.
Le dixième dit : « Je considère sans cesse l’Ange qu’il a plu à Dieu de me donner pour me conduire, & je veille sur mes actions en me souvenant de Ses Paroles : »J’avais toujours mon Seigneur devant les Yeux », sachant qu’il est continuellement auprès de moi, afin de m’empêcher de tomber.
P.606.
« Ainsi je révère & crains beaucoup cet Esprit Céleste commis à ma garde, parce que je sais qu’il observe toutes mes Paroles & toutes mes actions, & qu’il en fait tous les jours le rapport à Dieu.
L’onzième dit : « je considère les Vertus, telles que sont l’abstinence, la chasteté, la bonté & la charité, comme si c’étaient autant de personnes qui m’environnassent ; & ainsi en quelque lieu que j’aille, je me dis toujours à moi-même : Où sont tes fidèles compagnes, & comment pourrais-tu manquer d’assurance & perdre courage les ayant ainsi toujours auprès de toi ? Prends garde à ne les entretenir que de bons discours, afin qu’elles puissent après ta Mort rendre Témoignage à Dieu qu’elles n’ont jamais trouvé rien à redire à tes Paroles. »
Le douzième dit : « Je ne m’étonne pas, mes Pères, si toute votre conversation étant dans le Ciel, vous possédez une Sagesse toute Céleste. ; & si n’ayant de l’Amour que pour ce qui est Là-Haut, toutes vos actions sont si élevées. Que dirai-je donc de vous ? Dirai-je que votre Vertu vous donne un si grand mépris de la terre, qu’il semble que vous l’ayez déjà abandonnée ; & ne puis-je pas dire sans crainte que vous êtes des Anges terrestres & des Homme tout Célestes ? Quant à moi qui me reconnais si indigne de vous imiter, je considère qu’en quelque lieu que j’aille, & de quelque côté que je me tourne, je suis tout environné de mes péchés ; ce qui fait que je me regarde comme ayant mérité l’enfer, & que je me dis à moi-même : « Va- t’-en avec ceux à qui tu devrais déjà tenir compagnie, & dont tu dois très bientôt augmenter le nombre. Là, je Vois des Yeux de l’Esprit des pleurs continuels, accompagnés de gémissements, de grincements de dents, & de tremblements inconcevables. Je vois une mer toute de Feu, qui n’a point de bornes, dont les flots brûlants s’élevant à gros bouillons avec un bruit épouvantable, semblent aller jusques au Ciel, &qui réduisent en cendre tout ce qu’ils rencontrent. Je Vois un nombre innombrable d’hommes précipités par le Démon dans cette mer, qui tous ensemble jettent des cris & des hurlements si terribles que l’on n’en entend point dans le monde qui en approchent, & la Miséricorde de Dieu s’enfuit & s’éloigne d’eux, à cause de l’énormité de leurs crimes. Alors je me jette contre terre ; je me couvre la tête de poussière ; je Prie Dieu de ne pas permettre que je tombe dans ces horribles tourments ; je pleure le malheur des hommes, qui sans considérer l’excès de ces maux qui les attendent dans l’autre Vie, osent parler & s’entretenir d’autre chose en celle-ci ; j’occupe mon Esprit à les méditer ; j’ai toujours devant les Yeux ces douleurs & ces châtiments dont Dieu nous menace ; je me reconnais indigne que la terre me porte, ni que le Ciel me regarde ; & je considère ces Paroles du Prophète-roy, comme s’il les avait dites sur mon sujet : « Mes pleurs ont été le pain dont je me suis nourri nuit & jour. »
Voilà quelles furent les Paroles de ces Sages & Saints Anciens si savants dans la Vie Spirituelle. & Dieu veuille par Sa Miséricorde nous en rendre le souvenir si utile que nous puissions faire voir par nos actions que nous les avons gravées dans le Cœur, afin que devenant irrépréhensibles & Parfaits, nous nous rendions agréables à notre Sauveur, auquel soit Honneur & Gloire aux Siècles des siècles. Amin.
FIN.




ACTIONS ET PAROLES
REMARQUABLES
DES SAINTS PERES
DES DESERTS,
ECRITES
PAR DIVERS ANCIENS AUTEURS ECCLESIASTIQUES.

RUFIN
DANS SON TROISIEME LIVRE DE LA VIE DES PERES.

P.501.
I.

D’un excellent Solitaire qui ayant été visité par l’Empereur Théodose s’enfuit dans le Désert.
RUFIN
Num.10.
Vie de Pélag.
Lib 15.
Num.65.

Le Saint Ancien Poëmen disait un jour à ses frères : « Dans un des faubourgs de Constantinople qu’on appelle le Septième, où les Empereurs au sortir de la ville vont d’ordinaire se divertir, il y avait un Solitaire qui ne partait jamais de sa petite cellule. L’Empereur Théodose l’ayant su, alla pour le voir en se promenant, & défendit à tous ceux de sa suite d’approcher de la cellule. Puis, s’étant avancé tout seul, & ayant frappé à la porte, le Solitaire le reçut sans savoir que ce fût lui,
par ce qu’il avait ôté son diadème afin de n’être point connu. Après s’être mis en Prière, ils s’assirent, & l’Empereur lui demandant de quelle sorte les Saints Pères vivaient en Egypte, il lui répondit : « Ils Prient tous Dieu pour ta prospérité. » Théodose regarda ensuite de tous côtés dans sa cellule, où ne voyant autre chose que du pain sec dans une corbeille, il lui dit : « Mon Père, donne-moi ta Bénédiction, & puis nous mangerons un peu. Aussitôt le Solitaire prit de l’eau dans laquelle il but du sel & y trempa des morceaux de pain dont ils mangèrent ensemble, & puis il lui présenta de l’eau dont il but. Alors l’Empereur lui dit : « Me connais-tu ? », « Dieu sait qui vous êtes », répondit le Solitaire ». « Je suis l’Empereur, » lui repartit-il, « qui suis venu par dévotion pour te voir. » A ces paroles, le Solitaire se prosterna devant lui, & Théodose lui dit : « O que vous êtes heureux, vous autres Solitaires ! qui étant libres & dégagés des occupations du Siècle, passez une Vie douce & tranquille, sans avoir autre soin que du Salut de vos Ames, & sans penser à autre chose qu’à vous rendre dignes de recevoir dans le Ciel une Vie & des récompenses éternelles. Moi, au contraire, qui suis né dans la pourpre Impériale & suis assis sur le Trône, je puis dire avec vérité que je ne me suis jamais mis à table sans avoir l’esprit rempli de soins & de soucis. » L’Empereur lui fit ensuite de grandes flatteries, & puis s’en alla.
Cette même nuit, ce Serviteur de Dieu raisonna ainsi en soi-même. « Il ne faut pas que je demeure davantage ici, puis qu’après cette visite de l’Empereur, plusieurs non seulement d’entre le Peuple, mais même des personnes de la Cour & des sénateurs pourraient à son exemple me venir voir, & me rendre de l’honneur comme à un Serviteur de Dieu : ce qui ne leur nuirait pas à eux, puis qu’ils le feraient dans la vue de Dieu ; mais quant à moi, j’aurais grand sujet d’appréhender que le Diable ne se servît de cette occasion pour me tromper, en me portant à les recevoir volontiers, & à ressentir de la joie du bien qu’ils diraient de moi, & de l’honneur qu’ils me rendraient ; ce qui me ferait perdre la Vertu d’Humilité par le plaisir que je prendrais à être loué & honoré par les hommes. Ce Serviteur de Jésus-Christ entrant dans ces considérations s’enfuit cette même nuit, & s’en alla en Egypte vers les Saints Pères du Désert.

P.552.

II.
Que l’on peut par Humilité souffrir de grandes calomnies ; mais non pas celle d’être accusé d’Hérésie.
I.Pet. 2.
Entre les plus excellents des Pères il y en avait un nommé Agathon, qui était dans une très grande estime à cause de son extrême Humilité. Quelques frères voulant éprouver si elle était telle qu’on la publiait, ils le furent trouver, & lui dirent : « Mon Père, plusieurs des frères se scandalisent de ce que tu es si vain & vaniteux, & de ce que ne te contentant pas de mépriser les autres, tu passes même jusques à médire d’eux ; – ce que plusieurs assurent que tu fais, d’autant qu’étant encore sujet à d’autres vices, tu ne veux pas paraître être le seul qui manque de satisfaire à son devoir. » Le Saint Ancien leur répondit : « Je ne puis désavouer que je suis coupable de toutes ces fautes. » Puis, se prosternant en terre comme pour les adorer, il leur dit : « Je vous conjure, mes frères, que cela vous engage à redoubler votre charité pour ce misérable, qui a offensé par tant de péchés notre Seigneur Jésus-Christ ; & de ne vous point lasser de Le prier qu’il Lui plaise de me les pardonner & me les remettre. » En suite de cette réponse ces Solitaires ajoutèrent : « Nous ne pouvons aussi Te dissimuler que plusieurs assurent que tu es Hérétique. » Sur quoi le Saint leur repartit : « Quoique je me reconnaisse coupable de plusieurs autres péchés, je suis exempt de celui-là ; & Dieu me garde s’il Lui plaît de tomber jamais dans un tel malheur. » Alors tous ces frères se jetèrent à ses pieds & le conjurèrent de leur dire pourquoi ne s’étant point ému de toutes les autres choses dont ils l’avaient accusé, il n’avait pu souffrir qu’on le soupçonnât d’être Hérétique. Il leur répondit : « L’Humilité m’a obligé de supporter ces autres reproches, afin que vous me reconnaissiez pour un grand pécheur, sachant que la pratique de cette vertu est principalement ce qui nous Sauve, ainsi que Jésus-Christ notre Seigneur l’a bien fait voir, lors que les Juifs le chargeant de tant d’injures & de tant d’outrages, Il les supporta si patiemment, pour nous donner exemple d’Humilité, & souffrir jusques à la Mort, & la Mort de la Croix sans s’en émouvoir, tout ce que les faux témoins déposèrent contre Lui.
-Ce qui a fait dire à Saint Pierre : « Jésus-Christ a souffert pour nous, & nous a montré l’exemple que nous devons suivre, afin que nous marchions sur Ses pas. » Ce qui nous oblige de supporter patiemment & humblement tout ce qu’on dit contre nous. Mais quant à ce qui est de l’Hérésie, cette accusation m’a fait horreur, & je n’ai pu en endurer le reproche, d’autant que l’Hérésie sépare d’avec le Dieu Vivant & Véritable celui qui en est infecté pour le joindre à Lucifer & à ses malheureux anges noirs».

P. 553.
III.
D’un grand saint qui s’enfuit pour éviter d’être fait Prêtre.

Num.22.
Les plus Anciens d’entre les Pères, & tous les Solitaires qui demeuraient dans le Désert de Scété s’étant assemblés, ils résolurent d’ordonner Prêtre de l’Eglise qui est dans ce même Désert le Père Isaac, & ayant pris jour pour ce sujet, ils s’y trouvèrent tous en grand nombre. Ce Saint Homme en ayant eu avis, & se jugeant indigne d’un aussi grand Ministère qu’est celui du Sacerdoce, s’enfuit en Egypte, où il se cacha sous un arbre dans un champ. Plusieurs frères l’ayant suivi pour l’arrêter, ils arrivèrent sur le soir auprès de ce champ, où, la nuit les ayant surpris, & étant fort las, ils y demeurèrent pour se reposer, & débridèrent l’âne qui leur portait quelques vivres, afin de le laisser paître ; ce que faisant, il arriva au lieu où l’Ancien était caché ; lors que le jour fut venu ces Solitaires en cherchant leur âne trouvèrent le Saint, & admirant la Conduite & Guidance de Dieu ils l’arrêtèrent, &le voulant lier pour le ramener par force, ce qu’il les pria de ne point faire en leur disant : « Je ne puis maintenant vous résister, de crainte de résister à Dieu, qui veut possible que je sois Prêtre encore que j’en sois indigne. »


IV.
En quoi consiste la véritable sobriété.
Num.48.

Un des Saints Pères disait : « Il y a des personnes qui mangeant beaucoup se lèvent néanmoins de table ayant encore faim, parce qu’ils ne veulent pas se rassasier entièrement. Et d’autres qui mangeant peu se rassasient. Or il est sans doute que les premiers sont plus Parfaits que les autres.

V.


Manger avec action de Grâces.

Num.49.

Un autre Ancien disait : « Ne mangez pas ce que vous désirez de manger ; mais mangez ce que Dieu vous donne, sans cesser jamais de lui rendre Grâces. »

VI.
Manière de faire Pénitence d’un désir que l’on a eu.
Num. 90.

Quelques frères disaient qu’un Ancien ayant désiré de manger un concombre, lors qu’on lui en eut apporté un, il le mit devant lui & n’y toucha point, afin de ne se laisser pas surmonter par l’intempérance ; & fit ainsi Pénitence de l’envie qu’il en avait eue.

VII.
Combien la singularité est blâmable.
Num.54.

Les Solitaires s’étant assemblés dans l’Eglise le jour d’une grande Fête, & tous les autres mangeant, il y en eut un qui dit au frère qui les servait : « Je te prie qu’on m’apporte un peu de sel, parce que je ne mange rien de cuit. » Ce frère ayant en suite dit tout haut : « Apportez un peu de sel, parce que voici un frère qui ne mange rien de cuit», le Bien heureux Théodore prit la parole, & s’adressant à ce Solitaire lui dit : « Mon frère, il vaudrait mieux que tu mangeasses de la chair dans ta cellule que d’avoir tenu ce discours en la présence des frères. »

VIII.
De quelle sorte un grand Saint fit connaître à un Solitaire la faute qu’il faisait de ne joindre pas le travail des mains à la Prière.
Num.55.
Un Solitaire étranger étant venu trouver l’Abba Silouane qui demeurait sur la montagne du SinaÏ, voyant les frères qui travaillaient, il leur dit : « Pourquoi travaillez-vous ainsi pour une nourriture périssable ? Magdeleine n’a-t-elle pas choisi la meilleure part ? » Le Saint Ancien ayant su cela dit à Zacharie son Disciple : « Donne un livre à ce frère pour l’entretenir, & le mets dans une cellule où il n’y ait rien à manger. » L’heure de None étant venue, ce Solitaire étranger regardait si l’Abba ne le ferait point appeler pour aller déjeuner ; & lors qu’elle fut passée, il le vint trouver & lui dit : « Mon Père, les frères n’ont-ils point déjeuné aujourd’hui ? » ; « Oui », lui répondit ce Saint Homme . « Et d’où vient donc », ajouta ce Solitaire, « que tu ne m’as pas fait appeler ? » . « D’autant, » lui repartit le Saint, « que toi qui es un Homme tout Spirituel, qui as choisi la meilleure part, & qui passe les journées entières à lire, n’as pas besoin de cette nourriture périssable ; au lieu que nous, qui somme charnels, nous ne pouvons passer de nous sustenter ; ce qui nous oblige à travailler pour gagner notre pain. » ces Paroles ayant fait voir à ce Solitaire quelle était sa faute, il en eut regret, & dit à Silouane : « Pardonne-moi, je te prie, mon Père. » Sur quoi le Saint lui répondit : « je suis bien aise que tu connaisses que Magdeleine ne saurait se passer de Marthe ; & qu’ainsi Marthe a part aux louanges que l’on donne à Magdeleine. »

P.554.
IX.
Conduite d’un saint Ancien envers un Solitaire qui avait eu la pensée de garder quelque argent.
Num.69.
Un Solitaire ayant demandé à un Saint Ancien : « Mon Père, trouverais-tu bon que, de l’argent que j’ai reçu de mon travail, j’en retienne deux écus pour les besoins que je puis avoir, à cause de mes infirmités corporelles ? » Le Serviteur de Dieu, jugeant qu’il désirait de retenir ces deux écus lui dit : « Tu peux les retenir. » Le Solitaire étant de retour dans sa cellule se trouva combattu en lui-même, & disait : « Ce Bon Père a-t-il approuvé ou désapprouvé mon dessein ? » Il vint le retrouver en suite & lui dit : « Je te conjure au Nom de Dieu, mon Père, de me dire avec sincérité quel est votre sentiment touchant ces deux écus dont je vous ai parlé. Car je sens beaucoup de trouble & d’agitation dans mon esprit sur ce sujet. » Le Saint Ancien lui répondit : « Il est vrai que je t’ai dit de les retenir à cause que j’ai reconnu que tu en avais le désir ; & je ne l’aurais pas fait sans cela, parce qu’on ne doit pas réserver davantage d’argent que ce dont on a besoin pour sa nourriture. Ton Espérance n’est-elle fondée que sur ces deux écus que tu peux perdre ? Et Dieu n’a-t-il donc point soin de nous ? Mets, oui, mets toute ta confiance en Lui, & Il ne t’abandonnera pas. »

X.
Belle réponse d’un Saint à qui on voulait donner de l’argent.
Num.71.
Un homme voulant mettre son argent entre les mains de l’Abba Agathon pour en disposer comme il lui plairait, il le refusa en disant que le travail de ses mains suffisait pour le nourrir. Sur quoi, l’autre insistant & le priant que s’il n’en avait point de besoin pour lui, il le prit pour le distribuer aux pauvres, il lui répondit : « J’aurais doublement honte de le recevoir ; puis pour ce qui me regarde, je n’en ai point de besoin ; & qu’en distribuant aux autres le bien d’Autrui, je courrais fortune d’être tenté de vanité.

XI.
D’un Solitaire qui se voulait venger.
Num.77.
Un Solitaire qui avait été fort offensé par un autre vint trouver l’Abba Sisoès, & après lui avoir conté l’outrage qu’il avait reçu, lui dit : « Mon Père, je suis résolu de m’en venger. » Le Saint Ancien le conjura de laisser la vengeance à Dieu. Mais ce Solitaire continuant à protester qu’il se vengerait hautement, ce Saint Homme lui dit : « Puis que tu es si résolu, au moins Prions Dieu. & alors se levant, il commença de Prier tout haut en cette sorte : « Mon Dieu, il n’est pas besoin que Tu prennes soin de nos intérêts, & que Tu sois notre Protecteur, puis que ce frère soutient que nous pouvons & devons nous venger nous-mêmes. » Ce Solitaire fut si touché de ces Paroles qu’aussitôt il se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, & lui promit de ne vouloir jamais de Mal à celui contre lequel il avait été si en colère.

XII.
Qu’il y a de l’avantage à être maltraité des hommes.
Num.80.
Il y avait un Solitaire, qui, plus on l’injuriait & on se moquait de lui, & plus il témoignait de Joie, & disait : « Ce sont ceux qui nous traitent de la sorte qui nous donnent moyen d’avancer dans la Vertu. & au contraire, ceux qui nous flattent & nous louent, ruinent nos âmes. Car il est écrit : « Ceux qui vous veulent faire passer pour des Saints vous trompent. »

P.555.
XIII.
Un vrai Solitaire doit tout souffrir.
Num.86.

Des Solitaires priant l’Abba Moïse de leur vouloir donner quelque instruction, il dit à Zacharie sons Disciple de leur dire quelque chose. Alors Zacharie jeta son manteau par terre, & après l’avoir foulé aux pieds, il leur dit : « On ne saurait être Solitaire à moins que de souffrir volontiers d’être traité de la sorte. »

XIV.
Qu’il ne faut point différer à se réconcilier.
L’Abba Agathon disait : « Lors que j’ai été mal avec quelqu’un, non seulement je ne me suis pas endormi, mais je ne l’ai jamais laissé dormir sans faire tout ce qui a pu dépendre de moi pour me réconcilier avec lui. »
XV.
De deux Solitaires qui ne purent jamais avoir aucun différend.
Num. 96.
Deux Saints Anciens qui demeuraient dans une même cellule n’ayant jamais eu ensemble la moindre contestation, il y en eut un qui dit : « Feignons d’avoir quelque différend ainsi que les autres hommes en ont. » L’autre répondit : « Je ne sais ce que c’est qu’un différend». Sur quoi le premier répliqua : « Voilà une brique que je mets entre nous deux : Je dirai qu’elle est à moi, & toi au contraire soutiendras qu’elle est à toi : Ainsi nous contesterons ensemble». Ils mirent donc cette brique au milieu d’eux. Puis le premier disant : « Elle est à moi », le second répondit : « Je pense qu’elle m’appartient ». « Nullement », repartit le premier, « mais elle est à moi ». « Si elle est à toi », répliqua le second, prends-la donc ». Ainsi ils se trouvèrent d’accord, & ne purent avoir aucune dispute.
XVI.
Qu’il ne suffit pas d’être seul pour se guérir de ses passions.
Un frère se sentant souvent ému de colère dans le Monastère dit en lui-même : « Je m’en irai dans le Désert, afin que n’y ayant là personne avec qui je puisse rien avoir à démêler, cette passion me laisse en repos ». S’en étant donc allé dans le Désert, & demeurant seul dans une caverne, son pot qu’il avait rempli d’eau & mis à terre se renversa trois fois de suite. Ce qui l’ayant mis en colère, il le jeta & le cassa. Après quoi revenant à soi, il dit : « Le Démon de la Colère m’a trompé & abusé, car encore que je sois seul, elle ne laisse pas de me vaincre. Ainsi puisque, partout où il y a combat nous avons besoin de Patience & de l’Assistance de Dieu, je m’en retournerai au Monastère ».

XVII.
Que l’humble confiance En Dieu nous rend victorieux des Démons.
Num.102.

Les Démons disaient souvent à l’Abba Moïse : « Tu nous as Vaincus, Moïse, & tous nos efforts sont vains contre toi, parce que lorsque nous voulons t’abaisser pour te porter dans le Désespoir, tu te relèves ; & lorsque nous voulons t’élever pour te faire entrer dans la Vanité, tu t’abaisses & tu t’Humilies. »
XVIII.
Que les tentations Surmontées pour l’Amour de Dieu sont comme autant de Couronnes.
Num.104.
Un Ancien eut durant dix ans continuels des tentations si violentes qu’enfin Désespérant de son Salut, il dit en lui-même : « Ne pouvant plus espérer de Sauver mon âme, puis qu’elle est perdue, je retournerai dans le monde. » Comme il partait pour s’y en aller, il entendit une Voix qui disait : « Les dix années durant lesquelles tu as combattu te seront autant de Couronnes. Retourne donc dans ta cellule. A commencer dès cette heure je te Délivrerai de toutes ces fâcheuses pensées. » Il n’eut pas plutôt oui ces Paroles qu’il s’en retourna, & continua de Servir Dieu comme auparavant. Ce qui fait voir qu’il ne faut jamais se Désespérer à cause des mauvaises pensées, puis qu’au lieu de nous nuire, elles servent à nous Couronner, si nous y résistons & les méprisons avec Courage ».

P.556.
XIX.
Trois avis donné par Saint Antoine pour plaire à Dieu.
Num.108.
Un Solitaire demandant à Saint Antoine tout ce qu’il devait faire pour plaire à Dieu, il lui répondit : « En quelque part que tu ailles, aie toujours Dieu devant les Yeux. Quelque ouvrage que tu fasses, propose-toi toujours pour modèle quelque exemple de l’Ecriture Sainte. Et en quelque lieu que tu sois, n’en sors pas aisément, mais demeures-y avec Patience ».
XX.
Différence des Humbles & des superbes dans le sentiment qu’ils ont d’eux-mêmes.
Num.111.
Un Solitaire Egyptien étant venue en Syrie trouver l’Abba Zénon, il s’accusait tout haut de vant lui de ses pensées. Ce que le saint Ancien admirant, il dit : « Les Egyptiens cachent les Vertus qu’ils ont, & s’accusent des vices qu’ils n’ont pas. Et au contraire les Syriens & les Grecs se vantent des Vertus qu’ils n’ont pas, & cachent les vices qu’ils ont ».

XXI.
Du désavantage qu’il y a d’être loué.
Num.112.
Un Saint Ancien disait : « Ceux que les hommes louent avec excès n’en reçoivent pas peu de préjudice en leurs Ames. Et ceux au contraire dont les hommes ne disent point du tout de bien en recevront de la part de Dieu des rétributions & récompenses d’autant plus grandes.
XXII.
Sur le même sujet.
Num.114.
Le même disait ; « Comme un Trésor diminue lors qu’on le découvre, il en arrive ainsi à la Vertu lors qu’elle est manifestée, parce que comme la cire se fond au feu, l’âme s’affaiblit & se relâche par les louanges ».

XXIII.
Moyens de résister aux pensées de Vanité.
Num. 115.
Le même disait : « Lors que vous vous sentez combattu par une pensée de Vanité, examinez dans le fond de votre cœur si vous accomplissez tous les Préceptes & Commandements de Dieu ; si vous aimez vos ennemis ; si vous êtes bien aises qu’on les estime, & fâché qu’on les méprise ; & si vous vous considérez comme étant un Serviteur inutile & le plus grand pécheur du monde. Que si vous vous trouvez dans toutes ces dispositions, gardez-vous bien pour cela d’avoir la moindre opinion avantageuse de vous-mêmes, comme si vous aviez fait quelque chose de considérable, puis que vous ne pouvez ignorer qu’une seule pensée d’orgueil serait capable de détruire toutes ces bonnes actions ».
XXIV.
Que tandis que l’on est en cette vie, l’on doit toujours craindre.
Num.116.
Un Ancien étant venu en trouver un autre, il lui dit : « mon Père, je suis déjà Mort au monde». « Garde-toi bien, » lui répondit celui-ci, « de parler avec cette confiance en toi tant que tu seras en vie. Car si tu crois être Mort, ne sais-tu pas que le Diable est toujours vivant, & nous tend des pièges sans nombre. »
XXV.
Comment l’Abba Sisoès Ressuscita un Enfant qu’on lui avait amené pour recevoir sa Bénédiction.
Num.120.
L’Abba Sisoès demeurant sur la même montagne où Saint Antoine était reclus, un homme lui amena son fils qui était encore jeune, afin de recevoir sa Bénédiction. L’Enfant étant mort en chemin, le père sans se troubler le porta au Saint Ancien, & le mit à terre dans sa cellule ainsi qu’on a accoutumé d’y mettre ceux pour qui l’on demande la Bénédiction. La Prière étant achevée, il sortit & laissa son fils aux pieds du Saint, qui ne sachant pas qu’il fût Mort, & croyant qu’il fût demeuré là pour Prier encore, lui dit : « Lève-toi, mon fils,, & va. »Ce que l’Enfant fit en même Temps. Le père, voyant ce Miracle fut touché d’un merveilleux étonnement, &, retournant en la cellule du Saint, & lui dit tout simplement quelle avait été son Affliction & quelle était alors sa Joie. Le Bien heureux Sisoès en fut fâché, parce qu’il craignait extrêmement qu’on sût qu’il fît des Miracles, & lui fit dire par son Disciple qu’il se gardait bien d’en parler avant sa Mort.

XXVI.
Comment l’Abba Bessarion délivra un possédé, en lui disant de se lever.
Num.121.
Un homme possédé du Malin Démon étant venu à l’église, & tous les frères s’étant mis en Prières sans le pouvoir délivrer, ils dirent entre eux : « Que ferons-nous ? Personne sans doute n’est capable de chasser le Démon du corps de cet homme que l’Abba Bessarion. Mais si nous lui en parlons, il ne voudra pas même venir à l’église, où puis qu’il arrive toujours le premier, il n’y a point de meilleur moyen que de mettre ce possédé à la porte, & dire au Saint Ancien quand il viendra qu’il réveille cet homme qui dort ». Ayant pris cette résolution, lors qu’ils virent venir le Saint Ancien, ils se mirent tous debout pour la Prière, & lui dirent : « Mon Père, réveille cet homme qui dort». Le saint dit ensuite à ce possédé : « Lève-toi & sors dehors ! » ; & soudain le Démon sortit de son corps, & il fut entièrement Délivré.

XXVII.
Comment le même Saint guérit en la même sorte un paralytique.
Num.122.
Un Egyptien ayant un fils paralytique, il le porta à la cellule du même Saint, où le laissant sur le pas de la porte il se retira. Sur quoi l’Enfant ayant commencé de pleurer, & l’Ancien le voyant de sa fenêtre, il lui dit : « Mon fils, qui t’a apporté ici ? » « C’est mon père, « lui répondit-il, & puis il m’a laissé, & s’en est allé. » Alors le Saint lui dit : « Lève-toi, & va le trouver ». & soudain il fut guéri, & alla trouver son père.

XXVIII.
Comment il arrive que les personnes engagées dans le monde se Sauvent quelquefois plutôt que celles qui sont dans la retraite.
Num.123.
I.Cor. 10.
Le Saint Abba Mutuïs disait : « D’autant plus qu’un homme s’approche de Dieu, d’autant plus il se reconnait pécheur. C’est pourquoi le Prophète Isaïe considérant cette Divine Majesté, disait qu’il était pécheur & misérable. Ne croyons donc jamais être en sûreté tandis que nous sommes dans le monde, suivant ces Paroles de l’Apôtre : « Que celui qui est debout prenne garde de ne tomber pas. » cette vie est une navigation douteuse. » Quoi qu’il soit vrai que nous naviguons ainsi que sur une mer tranquille ; au lieu que les séculiers naviguent ainsi que sur une mer agitée. Nous marchons comme durant le jour, parce que le Soleil de Justice nous éclaire ; au lieu qu’ils marchent comme durant la nuit sans savoir la route qu’ils doivent tenir. Mais il arrive souvent qu’encore que le séculier navigue dans de si épaisses Ténèbres, il Sauve néanmoins son vaisseau par sa vigilance & par son travail ; au lieu que nous en naviguant durant le jour & durant le calme, cette sûreté apparente nous fait tomber dans la négligence, & nous fait périr en abandonnant le gouvernail de l’Humilité. Car il n’est pas moins impossible de se Sauver sans l’Humilité que de conduire un vaisseau sans gouvernail. »

XXIX.
L’Humilité surmonte les Démons.
Num.124.

Saint Macaire retournant au point du jour en sa cellule chargé de feuilles de palmiers, le diable vint au-devant de lui avec à la main une faux extrêmement tranchante, dont il s’efforça de le frapper, & ne le pouvant, il s’écria : « O Macaire, tu me fais souffrir une grande violence, lors qu’ayant dessein de te nuire je trouve que je n’en ai pas la force, encore que j’accomplisse plus parfaitement que toi toutes les choses que tu fais. Car tu Jeûnes quelquefois, il est vrai. Mais moi je ne mange jamais. Tu Veilles quelquefois ; mais pour moi jamais le sommeil ne me ferme les paupières. Et il y a une seule chose en laquelle je confesse que tu me surmontes. Sur quoi Saint Macaire lui demandant ce que c’était, il lui répondit : « C’est ton Humilité. » Et ayant achevé ces Paroles, & le Saint étendant les mains pour Prier, il s’évanouit.

XXX.
L’Humilité précède toujours la charité.
Num.126.
Un des Saints Pères disait : « Tout le travail d’un Solitaire est inutile sans l’Humilité, parce qu’elle marche toujours devant la charité, comme Saint Jean le Baptiste marchant devant Jésus-Christ ; & qu’ainsi que ce Bien heureux Précurseur attirait tous les hommes à Jésus-Christ, ainsi l’Humilité les attire à la charité, & par conséquent à Dieu même, puis que Dieu est Amour de charité.

XXXI.
Comment Saint Macaire par sa Douceur convertit un prêtre Solitaire.
Num.127.

Saint Macaire montant un jour sur la montagne de Nitrie, il commanda à son Disciple de marcher un peu devant lui ; ce que faisant il rencontra un prêtre idolâtre qui courait extrêmement fort, & qui portait un gros bâton, auquel il commença de crier : « Où cours-tu ainsi, Démon ? » Ce qui mit ce prêtre en telle colère qu’il lui donna mille coups & le laissa à demi-Mort. Ayant ensuite recommencé à courir, il rencontra assez près delà Saint Macaire, qui lui dit : « Bonjour, bonjour ; tu prends beaucoup de peine. » Cet homme s’étonnant de cette salutation lui répondit : « Qu’as-tu remarqué de bon en moi qui t’oblige à me saluer de la sorte ? » L’Ancien lui répliqua : « Je t’ai salué, parce que j’ai vu que tu étais lassé de travail, & que tu courais sans savoir où tu allais. » Lors le prêtre lui dit : « Ta salutation m’a fait connaître que tu es un grand Serviteur de Dieu, & m’a touché très sensiblement ; au lieu qu’un autre malheureux Solitaire que j’ai rencontré m’a dit des injures, dont je l’ai payé sur-le-champ en lui donnant quantité de coups. » Puis, embrassant les pieds du Saint, il ajouta : « Je ne te quitterai point que tu ne m’aies fait Solitaire. » Après quoi ils s’en allèrent ensemble au lieu où ce frère était étendu sur la terre, tout meurtri de coups ; & parce qu’il ne pouvait se remuer, ils le portèrent à l’église. Les frères furent extrêmement étonnés de voir Saint Macaire mener ainsi avec lui ce prêtre idolâtre, auquel ils donnèrent l’habit de Solitaire. Et plusieurs païens, à son imitation, embrassèrent le Christianisme.
Le même Saint Macaire disait que les paroles insolentes & pleines d’orgueil font une mauvaise impression dans l’esprit même des gens de bien ; & qu’au contraire les Paroles Humbles & Douces changent même les méchants en mieux.

XXXII.
Que la seule Humilité nous peut empêcher de tomber dans les pièges du Démon.
Num.291.
Saint Antoine rapportait qu’il avait vu étendus sur la terre tous les pièges & tous les filets dont le Diable se sert pour nous tromper. Sur quoi ayant dit en soupirant : « Qui pourra passer par-dessus sans y être pris ? », il avait entendu une voix qui lui avait répondu : « Antoine, l’Humilité seule le pourra. »

XXIII.
Par quel moyen on peut éviter de parler au désavantage de son prochain.
Num.133.
Un Solitaire disant à Saint Poëmen : « Mon Père, comment peut-on s’empêcher de parler au désavantage de son prochain ? », il lui répondit : « Il faut toujours avoir devant nos yeux le portrait de notre prochain, & le nôtre. Que si nous regardons attentivement le nôtre & en considérons bien les défauts, alors nous ferons cas de celui de notre prochain. Mais si au contraire nous estimons le nôtre, nous mépriserons le sien. Ainsi, pour ne parler jamais mal d’Autrui, il faut nous reprendre toujours nous-mêmes. »
P.559.
XXXIV.
Combien la médisance est un grand péché.
Num.134.
L’Abba Yperichie disait : « Il vaut mieux manger de la chair & boire du vin que de dévorer son Prochain en déchirant sa réputation. Car, comme le serpent par ses paroles empoisonnées chassa Eve du Paradis terrestre, de même, celui qui médit de son prochain perd non seulement son âme, mais aussi l’âme de la personne qui l’écoute. »

XXXV.
Que les corrections doivent être charitables & modérées.
Num.138.
Un frère ayant à ce que l’on disait fait quelque faute dans le Monastère, & en ayant été repris assez aigrement, il s’en alla trouver Saint Antoine. Ce que les autres voyant, ils le suivirent pour le ramener, & lui reprochaient cette faute en présence du Saint. Lui, au contarire soutenait de ne l’avoir point commise. Saint Paphnuce, surnommé Céphale, s’y étant rencontré , leur dit à tous cette parabole dont ils n’avaient jamais entendu parler : « J’ai vu sur le bord du fleuve un homme qui était dans la bourbe jusques aux genoux, & quelques-uns qui venant lui donner la main pour l’en retirer l’y ont enfoncé jusques au cou. Alors Saint Antoine regardant Paphnuce disait : « Voilà un homme qui juge des choses selon la Vérité, & qui est capable de Sauver les âmes. » Ces Solitaires furent si touchés de ce discours, qu’ils firent Pénitence de la mauvaise conduite qu’ils avaient tenue, & remenèrent au Monastère celui qui en était sorti par leur faute.

XXXVI.
Bel exemple pour faire voir la Compassion qu’on doit avoir des fautes d’Autrui.
Num.141.
Un Abba demandant à un Anachorète nommé Timothée de quelle sorte il se devait conduire envers un Solitaire négligent, il conseilla de le renvoyer. Ce qu’ayant fait Timothée tomba dans une tentation qui lui donnait grande peine. Comme il répandait sur cela quantité de larmes, & disait à Dieu : « Seigneur, aie Pitié de moi ! » il entendit une Voix qui lui répondit : « Timothée, tu es tombé dans cette tentation parce que tu n’as point eu de Pitié de celle de ton frère. »

XXXVII.
On ne doit avoir peine que quand on agit par sa volonté propre.
Num.150.
Il y avait un Anachorète qui demeurait dans une caverne proche d’un Monastère, & faisait plusieurs Miracles. Quelques frères de ce même Monastère l’étant venu voir l’obligèrent de manger à une heure qui ne lui était pas ordinaire, & puis lui dirent : « N’as-tu pas eu de peine, mon Père, d’avoir mangé aujourd’hui contre ta coutume ? » « Nullement, » leur répondit-il. « Car rien ne me peine que lors que j’agis par ma volonté propre. »

XXXVIII.
Belle Consolation pour un malade.
Num.157.

Un très Saint Ancien disait à son Disciple qui était malade : « Ne t’attriste point, mon fils, de voir ton corps affaibli par la maladie ; puisque c’est l’effet d’une haute Piété que de rendre Grâces à Dieu quand on est malade. Que si tu n’es que du fer, le feu des souffrances te purifieras de la rouille qui te mange. Et si tu es de l’or, ce même feu servira d’épreuve à ta Vertu pour te faire passer dans une plus grande Perfection. Ne t’afflige donc point, mon fils. Car si Dieu veut que ton corps soit dans les douleurs, qui es-tu pour lui pouvoir résister ? Maie aie Patience, je te prie, & demande-lui qu’il lui plaise de te traiter selon Sa Sainte Volonté. »

XXIX.
Vertu admirable d’un Saint qui s’affligeait de ne point souffrir.
Num.158.
Un Saint Ancien qui avait accoutumé d’être toujours malade, ayant passé une année sans souffrir d’incommodité, il en était si touché qu’il disait à Dieu les larmes aux yeux : » Seigneur, Tu m’as abandonné ; & n’as daigné visité Ton Serviteur durant toute cette année. »
P.560.
XL.
Du sujet que les plus gens de bien ont d’appréhender les jugements de Dieu.
Num.161.
Le Saint Abba Agathon étant à l’extrémité demeura durant trois jours les yeux ouverts vers le Ciel sans les remuer. Et les frères lui disant : « Où pensez-vous être maintenant, mon Père ? » il leur répondit : « En la Présence de Dieu, de qui j’attends le Jugement. » « Ne l’appréhendes-tu point, mon Père », ajoutèrent-ils. « J’ai toujours tâché autant qu’il m’a été possible »,leur répartit le Saint, « d’accomplir les commandements de Dieu. Mais étant homme comme je suis, que sais-je si mes actions lui ont été agréables ? » « Et ne crois-tu pas, » lui répliquèrent-il , « qu’elles ont été conformes à sa volonté ? » « Je n’ose m’en assurer, » leur répondit-il, « lors que je m’examine En Sa Présence, parce que Son Jugement & celui des hommes sont fort différends. »

XLI.
Du Respect qu’on doit avoir pour les Serviteurs de Dieu. Et belle réflexion sur le sujet d’une comédienne.
Num.164.
L’Abba Pamnon étant, sur la Prière de Saint Athanase, descendu de la montagne avec quelquess-uns de ses frères pour aller en Alexandrie, il dit à des séculiers qu’il rencontra : « Levez-vous, & saluez ces Solitaires, afin qu’ils vous donnent leur Bénédiction. Car ils parlent souvent à Dieu ; & ainsi leurs lèvres sont sanctifiées. » Puis, voyant une comédienne, il commença de pleurer. Et sur ce qu’on lui en demanda la cause, il répondit : « Deux raisons m’y ont obligé : l’une la compassion que j’ai de la perte de cette femme ; & l’autre la confusion que je reçois de voir que je n’ai pas tant de soin de plaire à Dieu qu’elle en a de plaire à ses impudiques amants. »

XLII.
Qu’il ne faut jamais différer à bien faire.
Num.165.

On rapportait d’un Saint Ancien que toutes les fois que toutes les fois que sa pensée lui disait : « Laisse passer cette journée, & tu feras demain Pénitence », il répondait : « Non, mais il faut aujourd’hui faire Pénitence, & faire demain ce qu’il plaira à Dieu d’ordonner. »
XLIII.
Excellent moyen pour acquérir l’Humilité.
Num.171.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Que faut-il faire, mon Père, pour acquérir l’Humilité ? » il lui répondit : « Il faut seulement considérer nos défauts, & ne considérer point ceux d’Autrui, parce que l’Humilité rend l’homme Parfait ; & d’autant plus qu’ils s’abaissent par cette Vertu, d’autant plus il se trouve élevé dans l’estime de tout le monde. Car comme l’orgueil en voulant monter dans le Ciel, tombe dans l’Enfer, ainsi l’Humilité en voulant s’abaisser jusques dans l’Enfer, s’il était possible, c’est-dire jusques au néant, s’élève jusques dans le Ciel. »

XLIV.
Quelles sont nos armes contre les Démons.
Num.173.
Un Solitaire disant à un Saint Ancien : « Mon Père, d’où vient que les Démons nous font une si cruelle guerre ? » il lui répondit : « C’est parce que nous abandonnons nos armes, qui sont la Patience, l’Humilité, la Douceur & l’obéissance.

XLV.
Combien il importe de déclarer nos pensées.
Num.177.
L’Abba Poëmen disait que rien ne réjouit tant le Démon que de voir que nous ne voulons pas déclarer le secret de nos pensées.

XLVI.
Consolation pour ceux qui ayant souvent reçu de saintes instructions ne les peuvent retenir.
Un Solitaire disant à un Ancien qui était un homme bon : « Mon Père, je prie souvent nos Anciens de me donner des avis & des instructions salutaires pour ma conduite ; mais je suis si malheureux que je ne retiens rien de ce qu’ils me disent. Le Saint Homme qui avait dans sa cellule deux cruches vides lui dit : « Mon fils, prends l’une de ces cruches ; mets-y de l’eau ; lave-là ; puis répands l’eau ; & après l’avoir ainsi nettoyée, remets-la en sa place. » Le frère ayant fait cela deux fois de suite, l’Ancien lui dit de lui apporter ces deux cruches ; ce qu’ayant aussi fait, il lui demanda laquelle des deux était la plus nette. « C’est », lui répondit le Solitaire, celle où j’ai mis de l’eau, & que j’ai lavée. » Alors le Saint Ancien lui dit : « Mon fils, il en est ainsi de ton âme. Car celui qui entend souvent la Parole de Dieu, encore qu’il ne retienne pas les réponses que l’on fait à ses demandes, il est beaucoup plus pur dans le cœur que celui qui ne daigne pas s’enquérir de ce qui regarde son Salut. »
P.561.
XLVII.
De ceux qui instruisent les autres, & ne pratiquent pas ce qu’ils enseignent.
Num.183.
Le Saint Abba Poëmen disait : « Celui qui instruit les autres & ne pratique pas ce qu’il leur enseigne, ressemble à une grande fontaine, où chacun se lave & désaltère sa soif ; mais qui faisant du bien aux autres ne peut se laver elle-même, & se purifier de la bourbe & des autres ordures qui s’y rencontrent.
XLVIII.
Qu’il ne faut jamais contester.
Num.185.

Un Saint Ancien disait : Lors que quelqu’un parle en votre présence, soit de l’Ecriture Sainte ou de quelque autre sujet, ne contestez jamais avec lui. Mais si ce qu’il dit est bon, approuvez-le ; & s’il ne l’est pas, contentez-vous de lui dire : « Tu as sans doute quelque raison que je ne vois pas qui te fait parler ainsi. » Par ce moyen vous demeurerez toujours dans l’Humilité, & ne vous ferz point d’ennemis ; au lieu que si vous disputez pour soutenir votre opinion, il en naîtra sans doute du scandale ; & il vous sera du tout impossible de vivre dans la Paix de l’Hésychia, si vous n’évitez d’entrer en contestation pour quelque sujet que ce puisse être. »

XLIX.
Jusques à quand il faut demeurer dans le Silence.
Num.186.
Un Solitaire demandant à un Saint Ancien jusques à quand il fallait demeurer dans le Silence, il lui répondit : « Jusques à ce que l’on t’interroge ; & en observant toujours cela tu vivras dans la grande Paix de l’Hésychia. »

L.
D’un grand Saint qui ayant été consacré Prêtre n’osa jamais célébrer la Liturgie.
Le Saint Abba Muthuès étant venu de Ragitan en Gebalin avec son Disciple, l’Evêque du lieu l’arrêta, & le fit Prêtre contre son gré. Puis il lui dit : « Pardonne-moi, je te prie, mon Père, car je n’ignore pas que je t’ai fait violence ; mais le désir que j’avais de recevoir ta Bénédiction en a été cause. » Le Saint Ancien lui répondit avec son Humilité ordinaire : « Il est vrai que je ne le désirais nullement ; & ce me sera aussi une grande peine de ce que cela me séparant du frère avec qui je suis, je ne pourrai pas faire seul mes Prières accoutumées. » « Si tu le juges digne du Sacerdoce, » lui repartit l’Evêque, « je l’ordonnerai aussi Prêtre. » « Je ne sais pas, » lui répliqua le Saint Homme, « s’il en est digne ; mais je sais bien qu’il vaut beaucoup mieux que moi. » L’Evêque en suite de ces Paroles ordonna aussi ce frère Prêtre. Mais Saint Muthuès & lui ne montèrent jamais à l’autel pour y consacrer. Sur quoi le Saint disait quelquefois : « Par la Miséricorde de Dieu je n’aurai pas grand compte à lui rendre à cause de cette ordination, puis que je n’ai jamais osé entreprendre de consacrer Son Divin Corps, ce qui n’appartient qu’à ceux qui sont si purs & si justes qu’ils sont entièrement irrépréhensibles. Mais, quant à moi, je me connais bien. »

LI.
Belle instruction de Saint Macaire à un Solitaire.
Num.885.
Un Solitaire priant Saint Macaire de lui dire quelque chose qui pût contribuer à son Salut, il lui dit : « Fuis la compagnie des hommes ; demeure dans ta cellule ; pleure continûment tes péchés, & travaille sur toutes choses à n’être pas seulement tempérant en ta nourriture, mais aussi dans ton parler, en donnant un frein à ta langue, comme tu en donnes un à ton appétit. »
P.562.
LII.
D’une femme qui, ayant vécu comme un excellent Anachorète, ne fut reconnue pour femme qu’après sa Mort.
Num.194.

L’Abba Bessarion marchant au travers du Désert avec son Disciple arriva à une caverne, dans laquelle étant entré, ils y trouvèrent un Anachorète qui était assis & travaillait à faire des cordes avec des feilles de palmier, lequel ne les regarda, ni ne les salua, ni ne leur dit un seul mot.. Sur quoi l’Abba dit à son Disciple : « Allons nous-en puis que ce Bon Ancien ne veut pas nous voir. » Ils furent ensuite trouver l’Abba Jean, & se rencontrant à leur retour auprès de la même caverne, Bessarion dit à son Disciple : « Entrons encore dans cette grotte pour voir si Dieu mettra au cœur de ce Bon Père de nous parler. » Etant entrés, ils trouvèrent qu’il venait de rendre l’Esprit. Et alors Bessarion en jetant de grands soupirs dit à son Disciple : « Viens, mon frère, afin que nous l’ensevelissions. Car Dieu nous a sans doute amenés ici pour lui rendre les derniers devoirs. » Comme ils s’cquittaient de cet office de Piété,ils trouvèrent que c’était une Femme ; ce qui les remplit d’admiration & leur fit dire : « Voyez de quelle sorte les Femmes combattent aussi bien que les Hommes contre les Démons, & en remportent la Victoire. » Après quoi ils se retirèrent en louant & Glorifiant Dieu, qui est également le Maître & le Protecteur de l’un & de l’autre sexe.

LIII.
De l’admirable & extraordinaire Vertu de deux jeunes Solitaires.
Num.195.

Deux jeunes gens vinrent un jour trouver Saint Macaire, dont l’un était fort savant & l’autre ne faisait que commencer ses études. S’étant jetés à ses pieds, ils le prièrent de trouver bon qu’ils demeurassent avec lui. Le Saint voyant qu’ils paraissaient être fort délicats, & jugeant qu’ils ne pourraient supporter les austérités qui se pratiquent dans le Désert leur dit : « Mes frères, vous ne sauriez demeurer ici. » Ils lui répondirent : « Que ferons-nous donc, mon Père, si nous ne pouvons être avec toi ? » Le Saint pensant alors en lui-même que s’il les renvoyait ils s’en scandaliseraient,il leur dit : « Batissez donc si vous le pouvez une cellule pour vous loger. » Ce qu’ayant accepté fort volontiers, ils le prièrent de leur montrer seulement le lieu où ils pourraient la bâtir. Le Saint les mena sur une roche, & leur dit, dans la créance que cette proposition ferait qu’ils se retireraient à l’heure même : « Taillez une place dans cette roche ; et puis allez quérir du bois dans le marais pour la couvrir, & vous y loger. » S’y étant résolus aussitôt, ils lui dirent : « A quel ouvrage vous plaît-il, mon Père, que nous nous exercions ici ? » Alors il leur montra des palmiers, & leur dit d’en prendre des feuilles, & d’en faire de la corde qu’ils vendraient pour se nourrir ; & puis les laissa & s’en alla. Ils exécutèrent ensuite avec une extrême Patience tout ce qu’il leur avait ordonné. Le Saint Ancien voyant qu’ils s’avançaient de jour en jour dans la pratique des Bonnes Œuvres & qu’ils venaient souvent à l’église où ils demeuraient long Temps en Prière dans un grand Silence, il désira de savoir au vrai quelles étaient leurs occupations. Ayant donc jeûné toute une semaine, il Pria Dieu qu’il Lui plût de les lui faire connaître, & puis, les étant allé trouver, il frappa à la porte de leur cellule. La lui ayant ouverte & connaissant que c‘était l’Homme de Dieu qui venait les visiter, ils se prosternèrent en terre comme pour l’adorer. Après s’être mis En Prière selon la coutume & s’être assis, l’aîné fit signe au plus jeune, lequel sortit aussitôt, & lui en continuant de travailler à son ouvrage demeura toujours assis sans dire une seule Parole. A l’Heure de None - c’est la Troisième Heure-, son frère revint avec ce qui était nécessaire pour leur nourriture ; & alors lui ayant fait un autre signe, il apporta une petite table sur laquelle il mit trois petits pains, & se tint debout sans dire mot. Après qu’ils eurent mangé, ils dirent à Saint Macaire : « Mon Père, t’en retourneras-tu aujourd’hui ? » « Non, » leur répondit-il, « mais je passerai la nuit avec vous. » Alors ils mirent pour lui dans un des coins de la cellule une autre natte faite de jonc, & se couchèrent dans un autre coin, comme pour se reposer & pour dormir. Saint Macaire adressa encore sa Prière à Dieu afin qu’il lui plut de lui faire connaître plus particulièrement quelle était leur manière de Vivre. Aussitôt le dessus de la cellule s’étant comme ouvert, une Lumière aussi claire qu’elle pourrait être en plein midi remplit toute la cellule sans que les deux frères s’en aperçussent. « Quand ils crurent que le Saint Ancien dormait, ils se levèrent, & ne pouvant le voir, quoi que de son côté il les vît fort bien, ils se mirent en Prière en étendant les mains vers le Ciel. L’Ancien les considérant attentivement aperçut les Démons qui venaient ainsi que des mouches pour se poser sur la bouche & sur les yeux du plus jeune, & un Ange du Seigneur qui avec une épée tranchante des deux côtés les en empêchait & les chassait. Mais quant à l’aîné, il vit qu’ils ne pouvaient en aucune sorte approcher de lui. Le point du jour venant, ils se jetèrent tous deux sur leur natte ; & Saint Macaire se levant comme s’il n’eût fait que de s’éveiller, ils se levèrent aussi comme s’ils fussent sortis d’un long sommeil. L’aîné des deux frères s’approchant de lui, lui dit : « Aurez-vous agréable, mon Père, que nous chantions douze Psaumes ? » S’étant mis ensuite à chanter, l’Ancien aperçut qu’à chaque verset qu’ils disaient, il sortait de leur bouche comme des globes de feu qui s’élevaient vers le Ciel. Quand ils eurent achevé de dire les Mâtines, Saint Macaire les pria de vouloir Prier Dieu pour lui. Sur quoi, sans lui rien répondre, ils se jetèrent à ses pieds pour se recommander à ses Prières. Et ainsi le Saint reconnût quel’aîné était Parfait devant Dieu, & que les démons faisaient encore la guerre au plus jeune. Peu de jours après l’aîné changea les travaux de la terre contre le repos du Ciel ; & son frère ne lui survêquit que de trois jours.
P.563.
LIV.
Qu’il ne faut point se relâcher de sa première ferveur.
Num.98.

Un Solitaire disant à l’Abba Agathon : « Mon Père, Dieu m’ayant donné le désir de demeurer dans le Monastère avec les frères, je te supplie de m’apprendre de quelle sorte je me dois conduire avec eux », il lui répondit : « Observe sur toutes chose de Vivre durant tout le Temps que tu demeurers en cette maison comme tu y as vécu le premier jour, & pratique toujours l’Humilité .»
LV.
Qu’un Vrai Solitaire doit être insensible aux reproches qu’on lui fait, & au pardon qu’on lui en demande.
Num.99.
Les Maziques étant venue en Scété, & y ayant tué grand nombre de ces Bons Pères, l’Abba Poëmen avec un plus Ancien que lui nommé Nub, & cinq autres Pères s’en étant fuis, vinrent en un lieu nommé Terenut, où, trouvant un temple abandonné, ils y passèrent sept jours en attendant que Dieu leur fît connaître en quel lieu de l’Egypte ils devaient se retirer ; & selon l’ordre de l’Abba Nub, ils demeuraient dans une paisible Hésychia, chacun en particulier sans parler à nul des autres. Durant ce Temps, ce Saint Homme jetait tous les matins des pierres à une idole qui était dans ce temple, & lui disait tous les soirs : « J’ai eu tort, pardonne-le moi ». S’étant rassemblés le samedi, l’Abba Poëmen lui dit : « D’où vient, mon Père, que durant toute cette semaine un homme aussi fidèle que toi a dit à cette idole : « Pardonne-moi » ? Le Saint Ancien lui répondit : « C’est pour l’Amour de vous tous que j’ai fait cela. Car dites-moi, je vous prie, lors que j’ai jeté des pierres à cette idole, a-t-elle proféré une seule parole, ou s’est-elle mise en colère ? Et lors que je lui ai demandé pardon, s’est-elle glorifiée, & en a-t-elle tiré vanité ? » « Non, certes », lui repartit l’Abba Poëmen. « Mes frères », continua ce Saint Homme, nous voici sept. Que si vous désirez que nous demeurions ensemble, il faut qu’à l’exemple de cette idole nul de nous ne se fâche quand on lui fera des reproches, ni ne se laisse emporter à la vanité quand on lui demander pardon. Et si vous ne voulez observer cette règle, chacun peut s’en aller où il lui plaira. » En suite de ces Paroles, ils se jetèrent à terre, & lui promirent de n’y point manquer. Ainsi, ils demeurèrent ensemble durant plusieurs années dans une grande Humilité & Patience. Ils employaient quatre heures de la Nuit à dormir, quatre à travailler, & quatre à chanter des Psaumes. Et durant le jour ils travaillaient jusques à l’Heure de Sexte ; ils lisaient jusques à None ; & puis ramassaient quelques herbes pour leur nourriture.
P.564.
LVI.
De l’avantage que les tièdes donnent sur eux aux Démons.
Num. 204.

Un Saint Ancien disait : « Comme les mouches ne s’approchent point d’un pot lors que l’eau qui est dedans est toute bouillante, mais s’arrêtent dessus & la remplissent d’ordure lors qu’elle n’est seulement que tiède, ainsi les Démons fuient les Solitaires qu’ils voient être embrasés du Feu du Divin Amour, & méprisent & persécutent ceux qu’ils connaissent être tièdes.

LVII.
De la manière de Prier.
Num.207.
Quelques Solitaires demandant à Saint Macaire en quelle manière ils devaient Prier, il leur répondit : « Il n’est point besoin d’user de quantité de paroles ; mais il suffit d’étendre les mains vers le Ciel, & de dire : « Seigneur, que Ta Volonté soit faite & Ton Bon Plaisir accompli. » Et lorsque nous nous sentons combattus & pressez de quelque tentation, il faut dire : « Secours-moi, mon Dieu ! » Car Il Sait bien ce qui nous est nécessaire. »

LXIII.
Combattre les mauvaises pensées par la Prière.
Num.208.
Le Saint Abba Jean disait : « Comme un homme qui étant assis au pied d’un arbre & voit venir à lui quantité de bêtes farouches & de serpents dont il ne saurait se défendre, monte sur l’arbre pour se Sauver, de même un Solitaire qui étant assis dans sa cellule se voit assiégé de mauvaises pensées auxquelles il ne peut résister, doit pour se Sauver recourir à Dieu par la Prière. »

LIX.
Sur le même sujet.
Num.209.
Le même Saint disait : Comme un homme qui ayant du feu d’un côté & de l’eau de l’autre, se sert de cette eau pour éteindre ce feu toutes les fois qu’il s’allume, un Solitaire doit de même, toutes les fois que le Démon excite quelque mauvaise pensée dans son esprit, répandre dessus l’eau de la Prière, afin de l’éteindre.

LX.
Comment le Saint Abba Loukas confondit des Solitaires qui sous prétexte de Prier toujours, ne voulaient point travailler de leurs mains.
Num.212.
Thess.5.
Quelque Solitaires étant allés trouver l’Abba Loukas, il leur dit : « A quels ouvrages des mains vous occupez-vous, mes frères ? » « Nous ne travaillons à aucun ouvrage des mains, » répondirent-ils. « Mais selon ce que nous Enseigne l’Apôtre nous Prions sans cesse. » « Ne mangez-vous point ? » leur dit-il. « Oui, nous mangeons. » « Et qui Prie alors pour vous ? » A cela ils ne surent que répondre. « Ne dormez-vous point ? » ajouta ce Saint Homme. « Oui, nous dormons. » « Et quand vous dormez, qui Prie pour vous ? » Sur quoi n’ayant rien à répliquer, l’Ancien leur dit : « Pardonnez-moi, mes frères, si je vous avertis que vous ne faites pas ce que vous dites. Mais, quant à moi, je veux vous faire voir de quelle sorte en travaillant de mes mains je Prie sans cesse. » Demeurant assis depuis le matin jusques à une certaine heure, je trempe dans de l’eau quelques feuilles de palmier dont je fais de la corde, & durant cela je Prie en disant : « Aie Pitié de moi, mon Dieu, selon l’étendue de Ta grande Miséricorde, & efface tous mes péchés selon la grandeur & la multitude de Ta Bonté. » Et après avoir achevé cet ouvrage des mains & fait quelques corbeilles ou quelques nattes, quand j’en ai vendu pour une somme considérable, j’en emploie une partie pour me nourrir, & donne le reste aux pauvres, qui par ce moyen lors que je mange ou que je dors demandent à Dieu pour moi qu’il lui plaise de pardonner mes péchés ; & suppléant ainsi à ce qui manque à ma Prière, ils la rendent continuelle. »
P.565.
LXI.
Qu’il importe peu d’être privé des yeux du corps, pourvu qu’on fasse l’usage que l’on doit des Yeux de l’Esprit.
Num.218.
Saint Athanase ayant obligé Saint Antoine de venir en Alexandrie pour y réfuter les Hérétiques, Dydime qui était un homme trsè savant quoiqu’il fût aveugle, vint le trouver & s’entretint fort avec lui touchant l’Ecriture Sainte. Saint Antoine admirant la grandeur & la Vivacité de son Esprit, lui demanda s’il ne portait point avec peine d’être ainsi privé des yeux du corps.. A quoi Dydime ne répondant rien, parce qu’il avait quelque honte de l’avouer, le Saint le pressa une seconde & une troisième fois ; & enfin il lui fit confesser que cela l’attristait fort. Alors ce grand Serviteur de Dieu lui dit : « J’admire qu’étant aussi sage que tu es, tu t’affliges d’être privé d’une chose qui nous est commune avec les formis, & les moucherons ; au lieu de te Réjouir d’en posséder une qui se rencontre dans les Saints & dans les Apôtres. Car n’est-il pas beaucoup plus avantageux de Voir avec l’Esprit qu’avec le corps ? & d’avoir ces Yeux Spirituels dont les péchés qui sont ces pailles, desquelles l’Evangile parle, ne sauraient troubler la Lumière, que non pas ces yeux charnels qui peuvent par un seul regard impudique précipiter un homme dans les Enfers ? »

LXII.
Jugement Terrible sur ce qu’un Solitaire en Mourant avait laissé de l’argent.
Num.219.
Un Solitaire de Nitrie, qui ignorait que notre Seigneur Jésus-Christ a été vendu pour trente pièces d’argent, ayant plutôt par épargne que par avarice amassé durant sa vie cent écus à filer du lin, tous les Solitaires de ce lieu-là qui habitent diverses cellules jusques au nombre d’environ cinq mille, s’assemblèrent pour aviser à ce qu’il était à propos de faire de cet argent. Les uns furent d’avis de le distribuer aux pauvres ; les autres de le donner à l’Eglise ; & quelques-uns de l’envoyer aux parents du Mort. Mais Saint Macaire, Saint Pambon, Saint Isidore, & les autres plus Anciens d’entre les Pères ordonnèrent, le Saint Esprit parlant par leur Bouche, qu’on enterrerait cet argent avec le Mort, & qu’on dirait ces Paroles sur le corps : « Que ton argent périsse avec toi ». Sur quoi, afin que personne ne s’imagine que ce Jugement fût trop rigoureux, il suffira de savoir qu’il imprima une telle crainte & une telle terreur dans l’esprit de tous les Solitaires d’Egypte, qu’ils mettent maintenant au rang des grands crimes de laisser seulement un écu après la Mort.

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