jeudi 25 janvier 2018
Vie et Propos Spirituels de Saint Ambroise de Paris, dit Papouli.
Presbytéra Anna.
Vie et Propos Spirituels de
Saint Ambroise de Paris, dit Papouli.
In memoriam.
1er juin 1917 - 14 janvier 1992 .
Tropaire de Saint Ambroise de Paris, de bienheureuse mémoire :
(Composé par Mgr Philarète, Métropolite de Paris.)
« Divin prédicateur, égal aux Apôtres, tu as confondu l'oecuménisme, et dans les Gaules tu as fait refleurir la foi orthodoxe. Par tes prières et ton ascèse, tu guéris les malades et tu les offres à la Trinité. Initiateur sacré, Pasteur dévoué, Père Saint Ambroise, prie le Christ Dieu de sauver nos âmes ».
Kondak de Saint Ambroise de Paris : « Nouvel Irénée, venu de Smyrne dans les Gaules, tu nourris de l'ambroisie de la foi les âmes desséchées par l'hérésie. Esclave du Christ, tu Le sers dans les larmes, éclairant les voies de la pénitence. Entré dans la joie de ton Maître, prie-Le de donner la paix au monde et à nos âmes Son infinie bonté. »
Tropaire de Père Patric et de Photinie la Lumineuse, composé par Mgr Philarète, Métropolite de Paris. (sur le modèle du Tropaire des Martyrs).
« Tes Martyrs, Seigneur, sont morts dans l'obéissance à Tes divins commandements, Ton prêtre pour ton troupeau, Ton lecteur pour ton service et Ta pure enfant pour la lumière du monde. Par leur prière, ô Christ Dieu, guide et sauve nos âmes ».
N.B. (Nota bene, note bien, en latin) : Ce livre est encore sur le bâti, inachevé. L'état du texte présenté ci-dessous, et publié sur le « Blog de Presbytéra Anna », est donc incomplet et provisoire, relativement à la version définitive qui y figurera, Dieu voulant, ultérieurement.
Avertissement au lecteur.
Fille spirituelle du Saint Père Ambroise de Paris, j'eusse dû attendre la veille de ma mort pour permettre la publication sur Internet du livre paraissant ci-dessous. De fait, cet ouvrage, qui fait beaucoup – trop - appel à ma vie privée – puisque ma vie fut profondément intriquée à celle de Père Ambroise quatorze ans durant -, ce livre, donc, pourra paraître à d'aucuns bouffi d'orgueil, de superbe et de vanité – cette « superbe, mère de l'ignorance », comme l'établissent les Saints Pères du Désert que peint Pallade en son Histoire Lausiaque. (Cf. Quatre ermites égyptiens, d'après les fragments coptes de l'Histoire Lausiaque, Au IV° siècle, Pambô, Macaire d'Egypte, Macaire d'Alexandrie, Evagre, Ed. de l'Abbaye de Bellefontaine, Spiritualité orientale, n° 60). De là que des clercs mêmes sont venus peu charitablement me dire que ma vie n'intéressait personne. Mais je crois humblement, quant à moi, pour avoir lu des récits de bouleversants témoignages écrits sur des Saints par leurs enfants spirituels, et qui mettent en scène leur vie personnelle, parfois de façon détaillée, voire intime – et je pense en particulier aux enfants spirituels du Père Arsène de Russie, déporté de longues années durant, et miraculeusement sorti vivant de ces camps de la mort, où l'on ne pouvait guère survivre tout au plus qu'un ou deux ans – cf Père Arsène, passeur de la foi, consolateur des âmes, Ed. Du Cerf, Coll. Le sel de la terre, pour le tome I, et, Père Arsène, Présence de Dieu au cœur de la souffrance, pour le tome II – je crois, donc, que ces précieux témoignages d'enfants spirituels sur leur Saint Père, peuvent apporter, aux âmes assoiffées du Christ et des Vies des Saints serviteurs de Dieu, quelque lumière joyeuse et quelque lueur d'espérance, en ce monde totalement déchristianisé, en proie aux ténèbres de l'ignorance, et soumis aux puissances des ténèbres de la grande apostasie de la fin des temps. ( cf Saint Paul, 2 Thess 2). Outre cela, aujourd'hui, à près de soixante ans bientôt, alors que j'entre dans le troisième âge de la vie, c'est à savoir la vieillesse, et que ma mort s'approche, je crains qu'il ne m'advienne quelque chose de fatal et que, de là, tous mes souvenirs touchant Papouli ne fussent perdus, évanouis en fumée. C'est pourquoi, bien qu'à contre coeur, je me résous à entreprendre l'écriture de ce livre, et à laisser à Mgr (Monseigneur) Photios le soin de sa publication sur la toile – sachant par ailleurs que nos livres sont prohibés par la censure exercée insidieusement par les tenants du « politiquement correct » et par l'oecuménisme triomphant, et, partant, par les éditeurs et les libraires, en sorte que nous ne pouvons plus guère nous exprimer que sur Internet. Sans vouloir aucunement me comparer au grand Jean-Jacques Rousseau – loin de moi cette creuse pensée d'insupportable vanité -, je n'ignore pas que le lectorat de cet auteur se gaussait qu'il se plaignît qu'il fût toujours persécuté. On le taxa de faire un complexe de persécution. Pareillement, les instances psychiatriques, lorsque je fus par quatre fois déportée à l'asile, inscrivirent dans leurs rapports d'expertise, tissus d'élucubrations, truffés de mensonges, que je faisais un délire de persécution. Mais lorsque Rousseau mourut, l'on s'aperçut qu'il était vrai qu'il avait été toute sa vie persécuté. De même, notre petite Eglise des Vrais Croyants Orthodoxes ( V.C.O.), Eglise Orthodoxe Française non-oecuméniste, est aujourd'hui persécutée en France, en Grèce, sur le Mont Athos, ( cf l'opuscule de Père Patric : Persécutions des moines du Mont Athos par le Patriarcat de Constantinople, publié par nos soins aux Editions de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème), et ailleurs dans le monde. Je prie humblement pour que ce modeste, humble, et naïf ouvrage contribue à faire partout cesser ces persécutions dont notre Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes est aujourd'hui durement victime sacrificielle. Enfin, je tiens à remercier ici tous ceux qui m'ont encouragée, malgré les critiques acerbes, à poursuivre l'écriture de ce livre à la mémoire du Saint Père Ambroise de Paris. A notre cher et regretté défunt Père Ambroise, endormi dans le Seigneur jusqu'à la Résurrection universelle, qui cependant nous voit du haut du Ciel et nous secourt incessamment de ses saintes prières, Mémoire éternelle ! VIE DU SAINT PERE AMBROISE DE PARIS. Le Père Ambroise ( Fontrier) de Paris fut à la fois un Starets, un Hésychaste et un Saint. L’on peut même dire qu’il fut un Starets parce qu’Hésychaste, et un Saint parce qu’Hésychaste et Starets. Il avait en effet réuni en lui les charismes du Staretsvo et ceux de l’Hésychasme vivant originel. Tel un Starets ou un Ancien – Géron, Géronda, en grec-, il recevait une foule de fidèles pour les confesser et les éclairer de ses conseils salutaires illuminés par le Saint Esprit. Et tel un Hésychaste du XIV°siècle, il possédait la Prière du Cœur, cette Prière incessante, ou perpétuelle, qui consiste à répéter sans cesse sur le souffle « Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi », - sur l’inspir, « Seigneur Jésus Christ », et sur l’expir, « aie pitié de moi » -, de même que la prière à la Toute Sainte : « Très Sainte Mère de Dieu sauve moi ». Cette Prière du Cœur, lorsqu’elle est devenue incessante, chez les Saints, mystérieusement « descend dans le cœur » purifié, en sorte que l ‘Hésychaste devient le tabernacle priant, le priant, du Seigneur. Père Ambroise avait, avec admiration, traduit du grec la Vie de Sainte Photinie l’ermite, - cf Joachim Spétsiéris, Sainte Photinie l'Ermite, Ed. L'Age d'Homme -, jeune fille du dix-neuvième siècle partie au désert de Palestine malgré son extrême jeunesse, comme une nouvelle Marie l’Egyptienne. « - Photinie, ne t’ennuies-tu pas au Désert ? » lui avait, avec étonnement, demandé celui qui l’y avait découverte, et qui avait écrit sa vie. « -Non, jamais, » avait-elle répondu. « Je m’entretiens avec mon Christ dans la prière de Jésus, et cela est délicieux. » Père Ambroise avait, lui aussi, goûté les délices de cette Prière du Cœur. « Que celui qui le veut, » écrit Saint Joseph l'Hésychaste dans sa lettre 55 – cf Joseph l'Hésychaste, Lettres spirituelles, Ed. L'Age d'Homme - « goûte à ce miel, qui deviendra en lui une source de joie et de délectation. » Devenu par la Prière un temple du Saint Esprit, il avait acquis tant de charismes extraordinaires que sa personnalité en avait été transformée et que toute sa personne était devenue charismatique. Dès l'abord, l'on dénotait en lui une très forte personnalité, une extrême vivacité, une intelligence extraordinaire, une volonté à toute épreuve. Il était tellement hors du commun qu'au premier abord il frappait autrui de manière inoubliable. Tout son être était totalement attachant. Qui le voyait pour la première fois en oubliait le monde et, brûlant de lui ressembler, se disposait à le suivre. Il remplissait l'église, et son zèle missionnaire et apostolique infatigable avait fait de lui, au dire de sa hiérarchie grecque et russe, un véritable Apôtre des Gaules. « D'innombrables Saints demeurent inconnus des hommes : Dieu seul les connaît,» écrit, dans sa préface au Prologue d'Ochrid, le Saint Evêque Nicolas Vélimirovitch. Le Royaume Céleste du Christ serait misérablement exigu s'il devait se réduire aux seuls saints dont les noms se trouvent dans notre calendrier. Dieu ne révèle pas au monde tous ses Saints, mais un tout petit nombre seulement, pour répondre aux besoins spirituels d'un temps ou d'un peuple donné. Par les miracles de ces quelques Saints manifestés, Dieu veut faire revivre, raffermir ou justifier la foi des hommes en divers lieux et en divers pays. » En vérité, oui, chaque Saint est comme une étoile dans le Ciel, au firmament de l'Eglise, et il est tant de ces innombrables étoiles que nous ne les connaissons pas même toutes. Mais, - comme l'écrit joliment Marcel Proust dans la Recherche du Temps perdu -, bien des années plus tard, ces astres nous envoient encore « leur rayon spécial. » « Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et qui bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont ils émanaient, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver meer, nous envoient leur rayon spécial .» Si l'auteur de la Recherche évoque, lui, en laïc, ces astres que sont les grands artistes inoubliables, il n'est pas faux de dire que les Saints sont les plus immenses artistes, puisqu'ils pratiquent l'art spirituel, que les Pères de l'Eglise nomment « la science des sciences et l'art des arts. » - C'est ce même grand Marcel Proust qui parle de « la charité universelle de l'artiste ». - Si donc Père Ambroise Fontrier reste encore inconnu du public, nous ne doutons pas que dans bien des années encore, celui qui pour ses enfants spirituels est d'ores et déjà Saint Ambroise de Paris ne cessera pas d'intercéder pour nous auprès de la Providence céleste, de nous entendre du haut du Ciel, de nous exaucer dans nos prières, et qu'il continuera, non pas des siècles après, mais, « dans les siècles des siècles », et jusque dans l'éternité, de nous envoyer, encore et toujours, son « rayon spécial ». Et nous espérons humblement que ces simples, naïves et modestes lignes contribueront à le faire connaître et à le faire placer par l'Eglise Orthodoxe dans la cohorte et dans le choeur des Saints du Ciel des cieux. L'immense hagiographe que fut le Saint Père Justin Popovic écrit, dans sa magnifique préface à ses admirables Vies des Saints, dont nous avons traduit la Vie de Saint Séraphim de Sarov – cf Blog de Presbytéra Anna, Père Justin Popovic, Vie de Saint Séraphim de Sarov- , le Père Justin, donc, écrit que « la vie des Saints n'est rien autre que la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, répétée et poursuivie en chaque Saint, dans une mesure plus ou moins grande. » Chaque vie de Saint est l'imitation de la vie de Jésus-Christ. Car la sanctification, écrivent les Pères, s'obtient à qui parvient à la mesure du Christ. Or Papouli était véritablement parvenu à la stature du Christ, comme nous espérons que ces simples pages pourront en témoigner et parvenir à établir cette réalité extraordinaire, et pour ainsi dire sublime, dont il avait réussi à faire la sienne. Papouli, dans ses cours de catéchèse, qu'il nous dispensait le soir dans son petit appartement, nous enseignait le retour à la pureté de l'âme originelle avant la chute, telle qu'elle était au Paradis. C'est cette pureté première de l'âme qu'enseignent tous les Pères de l'Eglise, et, de là, tous les Startsi. -( Pluriel de Starets) -. Aussi n 'est-il pas étonnant d'entendre le Starets Serbe Thaddée lui faire écho : – Cf Starets Thaddée. Paix et joie dans le Saint Esprit. Ed. L'Age d'Homme. Coll. Les grands Spirituels Orthodoxes du XXème siècle. - « Il nous faut revenir à l'état originel, être pur, doux, humble et bon afin d'être en union, dans l'amour, avec le Seigneur, car Dieu est amour. » Il est loisible d'opérer un rapprochement de ce texte avec celui, fameux, du très religieux Jean-Jacques Rousseau sur un mythe antique – l'on sait que l'immense auteur fut tour à tour catholique, protestant, puis de nouveau catholique –, lequel mythe est celui de la statue de Glaucus, que l'on ressort des eaux très altérée et couverte d'une épaisse couche d'algues, de limon et de coquillages, après qu'elle eût été immergée des siècles durant aux fond des mers. - cf Jean-Jacques Rousseau. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1754), Ed. Hatier. Coll. Classiques Hatier de la philosophie, 1999, pp. 17-19. - «Et comment l'homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l'a formé la nature, à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire dans sa constitution originelle, et de démêler ce qu'il tient de son propre fonds d'avec ce que les circonstances et ses progrès ont ajouté ou changé à son état primitif ? Semblable à la statue de Glaucus que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu'elle ressemblait moins à un dieu qu'à une bête féroce, l'âme humaine altérée au sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes, par l'acquisition d'une multitude de connaissances et d'erreurs, par les changements arrivés à la constitution des corps, et par le choc continuel des passions, a, pour ainsi dire, changé d'apparence au point d'être presque méconnaissable ; et l'on n'y retrouve plus, au lieu d'un être agissant toujours par des principes certains et invariables, au lieu de cette céleste – nous soulignons- et majestueuse simplicité dont son auteur l'avait empreinte que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner et de l'entendement en délire. (…) » Jean Starobinski, dans son beau livre La transparence et l'obstacle, montre combien cette obsession de la quête de la pureté originelle de l'âme, qu'il faut comme gratter et épurer pour en retrouver, par transparence, sous le voile, les traces initiales et édéniques, parcourt comme un fil rouge, - un fil d'or, pourrait-on mieux dire -, toute l'oeuvre, magistrale, de Rousseau. Malheureusement, ses idées théologiques n'en furent pas moins fausses et erronées, comme l'atteste sa lettre à l'Archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, où, contre les Pères de l'Eglise, il nie la réalité du péché originel. Lorsque nous rencontrâmes Père Ambroise, Patric (Ranson) et moi, qui n'avions alors qu'une vingtaine d'années, nous quittâmes tout pour le suivre. Curieusement, par un effet de la Providence, Patric et moi nous connaissions déjà de vue, nous étant aperçus tous les ans depuis trois années, changeant chaque année de lycée, et nous retrouvant, curieusement, toujours dans le même, en terminale au lycée La Bruyère à Versailles, en hypokhâgne au lycée Lakanal à Sceaux, puis en khâgne à Louis- Le- Grand à Paris. A Lakanal, nous avions, en la personne d'Emile Fantou, trouvé un maître. Je n'oublierai pas son premier regard bleu, qu'il me jeta lorsque j'entrai dans la salle, amenée, comme pour faire la connaissance d'un homme rare, d'un être d'exception, par un élève de Janson de Sailly, qui avait eu le parcours inverse du mien, ayant quitté Lakanal pour s'affranchir d'un excès de travail, car les cours de Monsieur Fantou demandaient, rien que pour la prise de notes, que l'on s'accrochât dur. Je lui fis part de mon désir de quitter l'hypokhâgne de Janson de Sailly, où je m'ennuyais ferme, pour venir assister à ses cours. Malheureusement, parce que j'avais eu de mauvaises notes en mathématiques et en physique au baccalauréat scientifique – je voulais alors entrer en médecine-, malgré un dix-sept en français et un seize en philosophie, mon dossier n'avait pas été accepté ailleurs qu'à Janson. Je vous garde ici, me dit-il. Je parlerai au proviseur. Le cours était le premier d'une éblouissante série. Devant un tel raffinement de sa pensée et de son expression, j'avais l'impression de pénétrer dans un salon du XVIIIème siècle. Moi qui m'étais jusqu'à présent ennuyée toute ma scolarité, même s'il m'était advenu d'obtenir jusqu'à des dix-huit ou même la note de vingt sur vingt en dissertation française, qui bondissais sur ma chaise et regardais avec envie par la fenêtre le soleil printanier irradier au dehors, étouffant dans les salles sans air, pour la première fois je ne m'ennuyais pas. J'étais passionnée. Nous sortîmes épuisés, des crampes à la main, tant il avait fallu écrire, et à si à vive allure. J'allais dès lors à tous ses cours, et bien que je ne fusse qu'en hypokhâgne, j'assistais aussi à ses cours de khâgne. Il m'apprit tout ce que je sais du peu que je sais en littérature. Il aimait beaucoup ses élèves. Il m'invitait à me promener avec lui dans les allées du jardin du Luxembourg. Mlle Pannier, me dit-il – c'était mon nom de jeune fille, qui dénotait, de par son étymologie, venue du mot « pain », que mes ancêtres comptaient outre des maçons, des boulangers pétrisseurs de pain, avant que de devenir médecins et chirurgiens de père en fils – votre travail est de premier ordre, absolument. Il faut que vous écriviez. Comment cela se pourrait-il, Monsieur Fantou ? Je n'ai rien à dire. Et, de fait, je n'avais alors, au vrai, aucune expérience encore de la vie. -« La vie t'apprendra ce que tu n'as pas pu apprendre jusqu'ici », me dit un jour sévèrement Papouli dans la confession-. Eh bien, répartit Monsieur Fantou, écrivez des romans d'amour pour les jeunes filles fleur bleue. Mais si j'eusse écrit, j'eusse rêvé quant à moi d'écrire un roman d'amour aussi sublime que les Lettres de la religieuse portugaise, attribué à Guilleragues, ami de Jean Racine, et dont il nous avait fait étudier les bouleversants accents d'une passion amoureuse nonpareille. Ce dont, bien entendu, j'eusse été totalement incapable. Aussi , je ne pensai plus, dès lors, à écrire. Monsieur Fantou, poursuivis-je en détournant la conversation, me léguerez-vous plutôt tous vos cours ? J'aimerais tant en être l'héritière ! Or c'était là l'oeuvre phénoménale d'un travailleur acharné, qui avait un don immense pour la littérature, dont il avait, aussi, fait pour nous une magistrale école de vie. Toute ma vie, j'ai beaucoup travaillé. Mais non, je ne peux pas. Ce ne sont que des notes. Il faudrait tout reprendre. On ne peut pas les publier telles quelles. La Providence pourtant – avait-elle entendu mes prières?- fit qu'à la mort de cet immense professeur, son épouse m'appela en m'annonçant que Monsieur Fantou me léguait ses cours et que les lourdes caisses qui les contenaient me parviendraient bientôt à domicile, par le biais d'un transporteur dont elle m'offrait généreusement les services. Mais c'est à l'église, où nous étions parvenus, amenés là par des amis communs d'hypokhâgne, que Patric et moi nous étions finalement retrouvés et véritablement rencontrés. Entrant pour la première fois dans l'église, j'y aperçus un vieillard impressionnant à la longue barbe blanche, qui se cachait derrière une colonne. C'était la première fois aussi que je voyais celui que l'on me désigna sous le nom de Papouli. Cette autre rencontre fut le début pour moi d'une existence nouvelle. Par la suite, venant aux offices, j'y pleurais sans cesse, derrière un pilier, du fait d’un pesant mal-être qui m’oppressait depuis des années d’adolescence de mal-aimée. J’avais eu des chagrins d’amour, un premier fiancé ayant rompu avec moi, parce que j’étais gravement malade, atteinte d’une maladie pulmonaire mortelle – une sarcoïdose pulmonaire dans sa forme sévère ( mortelle), autrement appelée un Besnier-Boeck-Schumann, du nom de ses trois découvreurs, communément dénommée BBS- et un second fiancé ne se résolvant pas au mariage. J’en avais perdu confiance en moi et, surtout, je me sentais abandonnée, comme en proie à la déréliction. Lorsque mon regard croisait le visage de Père Ambroise, j'étais étonnée de lui voir un aspect tellement iconographique. Papouli semblait tout droit sorti d'une icône de Saint. Il ressemblait, avec sa grand barbe blanche, son long visage, et ses yeux immensément cernés, à certains des Saints des fresques de Saint Théophane le Grec. Et bien que je ne connusse pas encore bien cet art byzantin, n’ayant pas encore appris l’iconographie, je compris aussitôt qu’il avait l’air d’une figure iconographique, d'une icône, non pas tant hiératique et majestueuse, comme celles que l’on peut voir, fresquées sur les murs des basiliques, mais entièrement vibrante de je ne savais quoi, ignorant encore ce qu’était la prière du cœur qui l’habitait tout. Alors me revinrent les calomnies que j’avais entendues sur lui, odieusement proférées par des personnes jalouses, auxquelles il faisait de l’ombre. « L'église de Père Ambroise ? N’y allez pas », m’avait-on dit, « n’allez pas le voir. C’est un moine rustre et mal dégrossi, un moine illettré, qui n’a pas fait d’études ». J’avais pour ma part fait des études – je venais d’entrer à l’Ecole Normale Supérieure-, et cela ne m’empêchait pas de bien voir qu’il avait l’air supérieurement intelligent, de cette intelligence donnée par Dieu, à quoi il ne se peut rien enlever ni ajouter, comme il nous l'expliquait plus tard, que l'on eût ou non des diplômes universitaires. Il avait surtout ce beau visage buriné aux yeux cernés par l’ascèse, les veilles, les jeûnes et les larmes. Et il avait eu aussi, tout de suite, ce si chaleureux sourire… Il m’avait demandé quel travail je faisais. Je lui avais dit vouloir faire une thèse sur la virginité et sur le mariage. « Ah ! »m’avait-il répondu, « voilà une jeune fille qui veut se marier ! ». Et voici comment j’épousai Patric, son fils spirituel chéri, dont il ferait Père Patric : « N'épouse pas un tel », m'avait mise en garde Papouli, me voyant pleurer derrière une colonne, à cause d'un amour malheureux. « Epouse plutôt Grandes Jambes. » Plus tard il m’avait confié : « J’avais prié le Seigneur d’envoyer une fiancée pour mon fils bien-aimé. Et voici qu’Il t’a envoyée ! Alors, je suis allé le voir et je lui ai dit : « Elle n’est pas mal du tout ! » Tout le monde, dans la rue, va m’envier ma belle-fille ! Oui, pourquoi n’épouserais-tu pas Grandes Jambes ? Je l'aime comme mon fils. » Et il me désigna ce jeune homme à la haute stature – il faisait un mètre quatre-vingt-treize – que j'avais déjà repéré depuis longtemps à sa haute silhouette, à sa gentillesse, à sa rare générosité, et à son amour extrême des petits enfants, qu'il faisait en riant tournoyer et virevolter gaiement, à bout de bras, tout autour de lui en des rondes allègres. La conversation de Patric était éblouissante. Non pas tant qu'il parlât comme un livre, mais qu'il restituait à qui voulait l'entendre des contenus livresques érudits, faisant oralement des recensions entières de livres qu'il venait de lire, et se montrant capable d'ouvrir un livre à la bonne page pour y trouver aussitôt, et du premier coup, la page ou la phrase qu'il recherchait, tant sa mémoire était éléphantesque. Au temps des fiançailles, nous restâmes des nuits entières devant un feu de cheminée à la campagne, lui à me parler, moi à l'écouter, médusée. La première fois que je me rendis dans sa chambrette, sous les toits de Paris, - qu'il partageait avec un ami cher, khâgneux à Henri IV, où ce dernier avait rencontré sa future presbytéra, aujourd'hui devenue professeure d'université, et qui devint par la suite, quant à lui, notre merveilleux Père Timothée, admirable maître iconographe, - je fus frappée de l'innombrable quantité de livres que l'on y trouvait de toutes parts. L'on marchait sur les incunables, ces précieux manuscrits de la Renaissance qu'il s'était acheté à force de privations. Son lit était entouré de tous côtés de rayonnages d'étagères, constituant une vaste et admirable bibliothèque. Infatigable lecteur, il lisait incessamment, jour et nuit, depuis l'âge de seize ans. Il ne sortait jamais sans un livre dans sa poche et lisait même en marchant. Moi qui, enfant battue, m'étais réfugiée toute mon enfance dans mes livres, enfermée dans ma chambre comme en une tour d'ivoire, dévorant les contes de fées et les collections enfantines, sans oublier La légende dorée – les vies des saints de l'Occident – de Jacques de Voragine, qui me faisaient rêver et me permettaient d'échapper à ma dure condition d'enfant mal-aimée de sa mère, je me retrouvai avec Patric en terrain d'entente : Nous avions une passion commune : les livres. Patric était d'une générosité à toute épreuve. Pauvre étudiant déchaussé, – sa mère, fort riche, ( successivement attachée de presse du peintre Georges Matthieu, puis commissaire d'exposition au grand Palais, elle collectionnait les toiles de peintres contemporains comme Matthieu ou Botéro, et, fort dépensière, vivait dans un luxe effréné, et dans un divertissement permanent), sa mère, donc, lui ayant coupé les vivres, il n'avait pu s'offrir que d'horribles chaussures en plastique jaune, trop petites pour lui et qui lui faisaient des pieds douloureux -, il donnait tout ce qu'il avait. Il me fit don de son café grec et de son tarama. Après quoi il ne lui restait rien pour subsister. Il avait le cœur sur la main. Plus tard, jeune prêtre désargenté, il nous mettait sur la paille pour envoyer de l'argent en Grèce, et payer les factures d'électricité des monastères trop pauvres pour assurer ces paiements eux-mêmes. Or, la générosité est une qualité fort rare. Mon cœur fut vivement touché par ce jeune homme extravagant et mal-aimé. Cette rencontre fut une révélation. Nous étions tellement sûrs de notre choix que nous décidâmes de nous marier dans les quinze jours. Cela fit scandale. Nos proches étaient furieux : « Cela ne nous laisse même pas le temps d'imprimer des faire-parts, de préparer un buffet ! Et puis l'on croira que tu es enceinte. » Mais cela ne nous importait nullement. « Eh bien nous irons au café après l'office, avec nos amis de l'église. » Mais Papouli voulait nous marier au baptistère de Giverny. C'était la maison de campagne du chef de choeur Jean-Joseph ( Bernard), qu'il avait transformé en baptistère, y ayant construit un profond bassin de pierres, pour y baptiser les adultes. - Car l'on baptise, chez les Orthodoxes, par triple immersion dans l'eau, et l'on rebaptise ceux qui n'ont pas été baptisés dans les règles. - « Nous ferons un grand mariage », s'enchanta Papouli. « Sur une pelouse. A la campagne ». De fait ce fut un beau couronnement, puisque l'office du mariage orthodoxe se nomme couronnement, que l'on pose une couronne sur la tête de chaque marié, et que l'on décrète l'époux couronné par l'épouse et l'épouse couronnée par l'époux. Lorsque nous sortîmes de chez moi, en plein marché, les maraîchers s'écrièrent : « Une mariée ! Une mariée ! » Comme nous passions devant des prunus en fleurs, Patric s'arrêta et cueillit une branche de fleurs roses et mauves qu'il piqua dans mes cheveux. Nous nous perdîmes en route, le chauffeur s'étant complètement trompé de chemin. Nous arrivâmes fort en retard, de deux ou trois heures peut-être sur l'heure prévue. Un ami de mon père, qui avait sept enfants, et qui était aveugle, car blessé de guerre, voulut savoir comment était la mariée. « Très belle, » lui répondit sa femme, « parce que rayonnante. Elle est fort jolie dans sa longue robe blanche, toute simple, sous son voile de tulle. Le marié a l’air d’un jeune premier ». « Ils auront de beaux enfants, ajouta Papouli, beaux comme les enfants du grand amour. »A part cet homme valeureux, qui, de par sa cécité avait eu une vie de martyre, et qui avait connu, lancinante et chaque jour répétée, la grande douleur, confiait-il, de n'avoir jamais pu voir les traits de ses enfants, il y avait près de cinq cents personnes que nous ne connaissions ni d'Eve ni d'Adam, et que, pour la plupart je n'avais pas revus depuis mon berceau. Certains invités s'éclipsèrent, profitant de cette occasion pour aller visiter la maison voisine, celle où Claude Monet avait peint ses toiles impressionnistes des nymphéas que Monsieur Fantou admirait tant. Papouli fit des prières pour que l'enceinte aux musiques psychadéliques d'un proche parent tombât en panne, ce qui ne manqua pas d'arriver sur-le-champ. Nous en fûmes alors réduits à courir sur la pelouse et à jouer à la chandelle. Père Ambroise nous avait offert notre plus beau cadeau de mariage, une icône qu'il avait peinte de ses mains, et qui lui donna beaucoup de soucis, puisque la veille, durant la nuit, le vernis craquela et qu'il dût, touchant la pose du vernis, tout recommencer à zéro. Mais le résultat obtenu était magnifique, et son bonheur à nous la donner n'était pas moindre que notre joie à la recevoir. « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir », enseigne le précepte des Actes des Apôtres. ( Actes, 20-35). Papouli nous maria, fit mon époux – bien qu'il fût très jeune alors - sous-diacre, diacre, prêtre, - ( l'ordination de Père Patric à la prêtrise eut lieu en juillet 1983) - puis, des années plus tard archiprêtre -, et nous vînmes nous installer auprès de lui, à Levallois-Perret, en un immeuble sis à quelque distance du sien, - il habitait une bâtisse décrépite au 18 de la rue Collange, et nous habitions au 16, un immeuble d'un standing quelque peu supérieur, quasiment en bas de chez lui, puis qu' il habitait un quatrième étage sans ascenseur – ce qui constituait une rude ascèse pour lui, lorsque gravement asthmatique, dans son vieil âge, il y montait ses courses - et nous en rez-de-chaussée, comme à ses pieds, au sens, quasiment où Marie, dans l'Evangile de Marthe et Marie (Luc 10, 38-42), s'était assise aux pieds du Christ pour l'écouter. Quatorze années durant, jusqu'à sa dormition, nous vécûmes ainsi près de lui. Cette expérience inoubliable fut pour nous toute une école de vie. Elle infléchit le cours de nos existences, nous marqua à vie de manière indélébile, donna un sens à notre vie, un but et comme une destinée. Cette finalité de l'existence était énoncée par le grand Apôtre Paul, et consistait à courir au Salut en menant le bon combat. Nous regardions vivre Papouli, et nous voyions à travers lui que, comme l'écrit l'auteur de la Vie du Starets Thaddée, « les Saints en vivant les saints mystères et la sainte ascèse de l'Eglise cherchent.. dans leur quête ascétique du royaume de Dieu... à se purifier et à s'élever, à se sauver, et à adorer le Christ. » C'est sur cette voie étroite et difficile qu'il engageait ses enfants spirituels à le suivre. Il se défendait pourtant humblement de toute idée d'élévation personnelle. « Lorsque j'étais jeune moine à Martigues, je m'étais éloigné dans la rase campagne pour y vivre dans un bunker une ascèse plus haute. J'en conçus un jour de l'orgueil. « Je m'élève, songeai-je à part moi. » Car il brûlait, comme les plus grands Saints, de s'élever vers les mystères de la contemplation, tout ainsi que l'on chante dans les Anavathmi de l'office des vêpres le samedi soir à l'église : « Dans la solitude du désert, le désir de Dieu devient naturel et ininterrompu. Les solitaires du désert s'élèvent vers les Mystères de la monade Trinité. » « Ce fut à ce moment même, » poursuivit-il, « que je tombai dans un trou si profond que j'eus du mal à m'en extraire. « Dieu me montre par là que je m'enorgueillis, » en inféra-t-il alors. Et il quitta derechef son bunker pour retourner à sa paroisse grecque de Martigues, dont il était le jeune desservant. La douceur de Papouli était immense, mais sa fermeté ne l'était pas moins. Par l'effet d'une alchimie merveilleuse, étrange, subtile et prodigieuse, il y avait en lui le déconcertant mélange de l'agneau et du lion. Sans doute était-ce là un autre mixte allégorique, un autre sphynx, une autre chimère pareille à ces mystérieuse figures de l'Antiquité, que ne sont pas sans rappeler ce curieux mélange proposé par l'Evangile qui nous propose de devenir cette nouvelle créature étrangement composée de la colombe et du serpent tout ensemble. - (cf : La colombe et le serpent : Mat, 10, 16 )-. Son air austère et sévère parfois nous en imposait. Il advenait même que nous eussions presque peur de ce qu'il penserait de nous si nous péchions. Et cette crainte nous poursuivait à distance, nous gardant de mal faire. Mais cette autorité naturelle se doublait de majesté lorsqu'il revêtait à l'église son long voile monastique. Comme il était beau alors ! Avec sa longue barbe blanche et ce voile magnifique, l'on eût dit un Saint vivant, tout juste sorti d'une icône. Il avait l'air imposant et majestueux d'un autre Saint Nectaire d'Egine. Certains de ses enfants spirituels, qui avaient bien pressenti en lui sa sainteté, lui vouaient, lors, une vénération sans bornes. De là qu'on lui obéissait naturellement. « Deviens Saint, » écrit Saint Isaac le Syrien, dans ses Oeuvres spirituelles, et les êtres obéiront jusqu'au moindre de tes clignements de cils. » Un Saint n'a pas besoin d'enjoindre ni de donner des ordres pour être entendu. Mais plus que son autorité naturelle, ce qui, au premier abord, frappait le plus en Père Ambroise, était son extraordinaire chaleur humaine. Autour de lui venaient se réfugier sous ses ailes paternelles beaucoup de jeunes gens blessés par la vie, mal-aimés par leur famille, qui se sentaient pour ainsi dire perdus dans l'existence, et qui en avaient intensément souffert de longues années durant, tant dans leur enfance que dans leur adolescence ; – c'est ainsi que Père Patric, fils naturel d'un grand philosophe de la Sorbonne, dont il ne partageait toutefois pas les idées politiques, avait beaucoup souffert d'avoir été rejeté par ce père biologique ; une autre des filles spirituelles de Papouli souffrait vivement des séquelles douloureuses qu'avait laissées sur son psychisme dévasté un viol ; une autre avait, dans son enfance, était victime d'un inceste ; une autre encore, jeune mère, avait définitivement perdu la garde de son bébé, qui fut ensuite, de longues années durant, jusqu'à ses dix-huit ans, élevé loin d'elle ; de plus ces jeunes gens étaient parfois sans diplômes, sans métier, n'ayant pour toute subsistance que de fort précaires ressources ; – des jeunes gens blessés par la vie, donc, s'étaient rassemblés autour de lui, et avaient trouvé en lui un immense amour que leurs propres parents n'avaient jamais su leur prodiguer. Oui, au dire de tous, cette chaleur qui émanait de lui était véritablement extraordinaire. Jamais les âmes qui accouraient à lui pour y puiser réconfort et consolation n'en avaient rencontré l'équivalent ailleurs. Il faisait des prières pour que ces jeunes gens s'en sortent dans la vie, pour qu'ils retrouvent équilibre et bien-être psychique, pour qu'ils puissent s'insérer dans la société. Par ses prières, un jeune homme au regard de feu, d'origine juive, qui s'était converti au Christianisme Orthodoxe, devint berger. Il l'avait fait moine. Ce jeune moine, Père Moïse, menait une ascèse extraordinaire. Il me souvient qu'il dormait sur un petit canapé trop court et inconfortable , les jambes repliées, pour faire l'ascèse difficile de ne pouvoir déplier ses jambes à leur aise. Papouli avait prié aussi pour que Père Patric eût une situation. Lorsque je l'avais épousé, il n'en avait aucune, et cela avait fait scandale aux yeux de ma famille, qui était très bourgeoise. « Elle épouse n'importe qui ! Quelqu'un qui n'a même pas de situation ! » se téléphonaient-ils. Et ils s'étaient dès lors répandus en calomnies contre lui. Ma grand-mère paternelle , qui était fort riche – elle avait hérité de trois immeubles dans Paris- , et fort avaricieuse, ne pouvait accepter ce fait. De là que, pleine d'inimitié contre lui, elle avait propagé la fausse nouvelle que Père Patric me battait. Deux ans après mon mariage, j'attendis mon premier enfant. Cet enfant avait tardé à venir, et Papouli avait prié pour sa venue. Mais Père Patric n'avait toujours pas de métier et nous n'avions que mon salaire d'élève de l'Ecole pour vivre. Il était urgent que la situation s'arrangeât, d'autant que ma grand-mère paternelle, de plus en plus hostile à l'Orthodoxie nous chassait à présent de l'appartement que nous occupions dans un de ses immeubles, prétextant qu'elle voulait y faire des travaux, et, surtout, détruire notre coin à icônes pour y mettre une penderie. Comble de difficultés, Père Patric dût partir pour faire son service militaire. Il souffrit à l'armée, y pleurait de froid, y connut l'ennui, s'indigna de la parfaite imbécillité des tests de quotient intellectuel (QI), qui avaient établi qu 'il était quasiment demeuré mental. Par bonheur, il fut réformé, au grand dam de mon grand-père paternel, qui était colonel des armées, et qui eût été fait général s'il n'en eût pas démissionné. Il faut dire que Papouli avait fait des prières pour que Patric pût rentrer au plus tôt dans son foyer afin de préparer son agrégation de philosophie. Père Patric rentra de l'armée en janvier. Le concours avait lieu fin mars. Certes, Patric était un esprit d'une intelligence supérieure. Plus tard, lorsque son grand professeur de Sorbonne, Pierre Magnard, l'incita à se présenter comme chercheur au concours d'entrée au CNRS, il écrivit aux autorités compétentes une lettre de recommandation particulièrement élogieuse envers Patric, qu'il lui communiqua ensuite : « Patric Ranson », y écrivait Monsieur Pierre Magnard, « est un grand esprit, le plus grand peut-être de sa génération. ». Plus tard, le même Monsieur Magnard me confiait : « Votre Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, c'est le nouveau Port-Royal. » Mais à cette époque de jeunesse, il était pratiquement impensable, impossible même, que Patric pût être prêt à concourir à l'agrégation de philosophie en un laps de temps si court. Père Ambroise, alors, multiplia les jeûnes et les prosternations. « Je m'use les genoux pour que tu y arrives, » nous confia-t-il épuisé. « Je prie pour que le jury entende de ta bouche ce qu'il lui plaira d'entendre. » Enfin, -nouveau miracle -, le président François Mitterrand rajouta à la liste initiale, extrêmement réduite et si hautement sélective des agrégés de philosophie, une liste supplémentaire. Ce fut sur cette liste que, par bonheur pour nous, apparut le nom de Patric. Papouli était fou de joie. Papouli dispensait aussi une joie merveilleuse. Il irradiait en permanence autour de lui cette joie spirituelle, semblable à celle que les apparitions des saints laissent au cœur de ceux qu'ils visitent, -signe distinctif à quoi l'on reconnaît qu'il s'agit de véritables apparitions célestes : une joie ineffable et sans pareille. Même aux heures les plus sombres de sa vie, lorsque lui-même était quasiment en proie à des épisodes dépressifs, il savait l'art altruiste de continuer à dispenser cette joie spirituelle autour de lui. Une phrase du fondateur de l'hypnose ericksonienne, quoiqu'il fût laïc, pourrait bien illustrer cette attitude aimante et radieuse : « La vie par elle-même te réservera des afflictions. Mais ta mission est de dispenser de la joie. » Souvent, le soir, Père Ambroise invitait tour à tour ses fidèles à dîner. Même en carême il faisait une cuisine extraordinaire. Il était un cuisinier hors pair. Pourtant, lorsqu'on le complimentait et le félicitait de son excellente cuisine, si succulente, lui, modeste, protestait : « Mais non ! Je n’arrive pas à la cheville de ma mère, qui pourtant mangeait très très peu ! Elle avait coutume de répéter : « N’attends pas d’avoir faim pour te mettre à cuisiner ! » Et sa cuisine était tellement propre ! Le sol brillait comme un miroir ! On aurait pu manger par terre, et se mirer dans le poli de ses casseroles ! Et elle nous faisait de si excellentes choses ! » Les repas chez Papouli semblaient aux fidèles, chaque fois, une fête. Tant Père Ambroise lui-même que sa cuisine leur mettait la joie au cœur. Papouli avait des moments si gais qu'il aurait presque pu passer pour un pitre ou pour un clown. Il racontait à merveille des kyrielles d'histoires drôles. Nul n'eût songé à se choquer de tels instants d'hilarité. « Les moines et les moniales des monastères sont très austères. Certains higoumènes disent qu'il ne faut jamais rire. Mais nous sommes dans le monde. Saint Antoine, le père des moines du désert faisait jouer ses moines à la balle, de peur que l'excès d'austérité ne les brisât. » Mais il était quant à lui très austère, très sévère, et très exigeant avec lui-même. Lorsque l'on arrivait pour dîner chez lui le soir, l'on voyait ses mains trembler de l'excès du jeûne qu'il s'était imposé le jour. Pourtant, s'il pratiquait la rigueur avec lui-même, il nous appliquait à nous « l'économie. » Il arrivait qu'un soir de jeûne il nous servît de la viande. « C'est le soir », disait-il, « il est tard. Vous pouvez rompre le jeûne. Les Saints, pour atteindre les cimes spirituelles, se mettent dans des états extrêmes ; mais ils sont dans des grottes, dans l'hésychia absolue. Ils n'ont pas de travail. Certains font un petit quelque chose pour lutter contre l'acédie. Les parfaits, quant à eux, comme dit Saint Isaac le Syrien, ne font rien. Rien que de la prière. Mais, pour nous, qui sommes dans le monde, ces états sont inaccessibles. C'est comme de vouloir courir après la lune ».… Le Saint Père Ambroise (Fontrier) de Paris naquit le 1er juin 1917 à Smyrne, en Asie Mineure, dans l’actuelle Turquie. Il fut prénommé Achille, en l’honneur d'Homère. Ce ne fut que lors de sa tonsure monastique qu’il reçut le prénom d’Ambroise et le patronage illustre de Saint Ambroise de Milan, qui illumina l’Occident avant que son disciple Augustin d’Hippone n’introduisît des déviances dans la théologie orthodoxe, ce qui entraîna des conséquences désastreuses, néfastes et délétères pour la religion de l’Occident, laquelle sombra dans l’obscurantisme et la sinistrose augustinienne. Père Ambroise décrivait sa grand-mère Argyro comme une sainte, qu’il connut lorsqu’elle était déjà âgée, et qu’elle retrouva sa trace et celle de ses parents après les massacres d’Asie Mineure. Argyro avait eu dix enfants, et perdu la trace de sept d’entre eux, lors de ces mêmes massacres. Elle en avait néanmoins retrouvé trois, à Marseille, où avaient échoué les pauvres parents de son petit-fils Achille, et dans l’île de Lesbos, où Père Ambroise retrouva plus tard une cousine devenue moniale, laquelle avait construit de ses mains tout son ermitage et son petit monastère. Cette sainte grand-mère était venue à trois reprises les visiter, ses parents et lui, à Marseille, et l’avait grandement édifié par l’exemple de sa sainte vie, d’une piété exemplaire. Il l’avait vue prier debout devant lui, réciter psaumes et prières, et elle lui avait parlé de la prière du cœur, qui consiste à répéter sur l’inspir » Seigneur Jésus Christ » et sur l’expir « aie pitié de moi », ainsi que, de la même façon, « Très Sainte Mère de Dieu, Sauve-moi », prière incessante qu’elle abrégeait de la sorte : « Christouli mou – mon petit Christ- aie pitié », et « Manoula mou – ma petite Maman- sauve-moi ». Cet exemple d’une femme sanctifiée, au visage douloureux de Piéta, jeta dans l’âme tendre du petit Achille – ainsi l'avait nommé, en souvenir du glorieux héros de l'Iliade d'Homère, sa mère pétrie de culture et d'humanités grecques- les premiers fondements d’une Foi Orthodoxe inébranlable, et demeura pour lui un lumineux souvenir qui devait l’accompagner toute sa vie. Jusqu’à sa mort, il ne s’était pas séparé de l’unique photographie de cette femme impressionnante de douloureuse gravité, si noble sous son long voile noir de moniale dans le monde. Les massacres d’Asie Mineure, en 1921, sonnèrent le glas de milliers de victimes, et, pour la famille d’Achille, l’heure de l’exil. Ils eussent dû sonner celle de leur mort aussi bien, mais la Providence les en sauva miraculeusement, sans doute pour ce que le jeune Achille allait devenir un réceptacle de la Grâce divine, et accomplir en France une œuvre immense d’apostolat et de transmission missionnaire de la Foi Orthodoxe. Jusqu’alors, en Turquie, en tant que Chrétiens Orthodoxes Grecs d’Asie Mineure, ils avaient vécu pauvrement, mais dignement. Ils avaient même été heureux. Son père Basile parvenait, quoique difficilement, à faire vivre ses quatre enfants, - deux fils, Achille et Antoine, une fille, Christine, et une autre petite fille, Marie, demeurée infirme depuis que quelqu’un l’avait fait tomber d'une certaine hauteur. Basile était très sévère avec ses enfants, et aimait jalousement sa femme. Kyriakoula – la petite du Seigneur- ( c’était le nom de sa Maman) avait un beau jour trouvé de quoi poser devant l’objectif d’un des premiers photographes Smyrniotes. La photographie prise alors la fait apparaître sous les traits d'une belle jeune femme grave et sérieuse, en robe de dentelle blanche, avec, dans les bras, son gros poupon d’Achille, âgé de six mois alors. Nous avons toujours connu Père Ambroise avec ces deux photographies, dont il ne se séparait pas, et qui trônaient sur son étagère, dans son si modeste logement, - la photographie de sa grand-mère, Argyro, et celle de sa Maman, Kyriakoula. Il vouait à ces deux femmes, qu’étaient sa grand-mère et sa mère, une immense affection, une gratitude immense, et faisait monter maintes prières pour le salut de leur âme. Par là, nous commencions de comprendre ce qu’était la transmission de la Foi et de la Tradition. « Elles m’ont transmis ce que je sais, et ce que j’ai de plus précieux », témoignait-il, avec une immense gratitude à leur égard. Une nuit, une amie Turque de sa mère était venue frapper à la fenêtre, pour les réveiller dans l’urgence : « Vite ! Kyriakoula ! Sauvez-vous ! Vite ! Les Turcs arrivent ! Ils tuent, ils massacrent tous les Chrétiens ». Toute la famille grecque était sortie en hâte. En pleine nuit, parents et enfants avaient couru, jonchant la masse de cadavres de tous ceux qui avaient déjà été massacrés quelques instants plus tôt. Peu après, dans la foule des fuyards, le petit Achille avait perdu sa Maman. « Mama mou, mama mou, Kyriakoula ! » criait-il affolé. Il avait cru la perdre pour toujours. Il n’avait que cinq ans alors, mais ce souvenir allait s’avérer un traumatisme violent qu’il n’oublierait plus, de sa vie entière. Par la suite, il en avait cauchemardé souvent ; et, aux heures sombres, cet événement tragique était venu l’assaillir, en sorte qu’il avait été, maintes et maintes fois, en proie à des peurs injustifiées ; de là qu’il appréhendait nombre de situations inédites. Enfin, il avait retrouvé sa maman. Quel bonheur dans ce malheur extrême ! Son père avait réussi à passer, forçant les barrages des Turcs, grâce au passeport qu’il brandissait au-dessus de sa tête : » Français ! Français », criait-il en Turc, « nous sommes Français, laissez-nous passer ! » Et le miracle se produisait : Au vu de leurs papiers, les ennemis déchaînés les laissèrent passer. De fait, l’un de leurs ancêtres était Français, leur ayant légué son nom de « Fontrier », ce qui fait que les Turcs, ignorant qu’ils étaient Grecs, crurent qu'ils étaient Français. Ils étaient maintenant parvenus jusqu’au port, en marchant sur des milliers de cadavres. Là, le spectacle était non moins atroce. Les fuyards s’accrochaient aux bateaux bondés pour tâcher d’embarquer. Ils s’agrippaient au rebord des navires, de leurs mains que les Turcs coupaient aussitôt, en sorte qu’ils tombassent à l’eau. Mais, là, nouveau miracle, l’on avait laissé embarquer les Fontrier. La traversée avait été terrible. Les migrants mouraient de faim et de déshydratation. Le petit frère d’Achille, Antoine, dépérissait. Bébé encore, il s’affaiblissait à l’excès d’inanition. « Jette-le à l’eau ! » avait-on crié à sa pauvre mère. « Tu vois bien qu’il va mourir ! ». Basile, son père, avait fini par trouver un morceau de pain, qu’il lui avait fait déglutir. L’enfant avait repris vie. « Il est seulement affamé », avait conclu un médecin d’entre les passagers. Ceux-ci avaient fini par arriver à Marseille. Mais là, nouvelles difficultés : Les autorités ne voulaient pas accueillir ces ressortissants Grecs. On les fit longtemps attendre à quai, dans les pires conditions, puis on les redirigea vers la Grèce. Une nouvelle traversée suivit la première, guère moins difficile, et des plus pénibles. En Grèce, les réfugiés d’Asie Mineure vivaient dans des conditions misérables, sur la plage du Pirée, souvent, dans des campements de fortune. Le Géronda et Starets Saint Jérôme d’Egine, plus tard, venait souvent les visiter, eux et leurs descendants, qui demeurèrent parqués là, bien des années durant. Enfin, quelque temps après, Basile, le père d’Achille, obtint l’autorisation de s’embarquer pour la France, espérant y trouver une vie moins pénible. La famille débarqua à Marseille. Ce fut là, des années durant, que le petit Achille passa son enfance, et grandit dans des conditions misérables. Son père travaillait à l’usine. Il peinait grandement à faire vivre sa famille. Achille n’ avait pas même un lit où dormir. Il passait la nuit sur un simple tas de paille, qui n’eût pu mériter le nom de paillasse. Quelques années plus tard - il était alors âgé de douze ans- l’on vint un matin le chercher à l’école : « Ton père est mort, lui dit-on laconiquement. Tu dois dès maintenant quitter l’école pour venir le remplacer à l’usine. » Et c’est ainsi que Basile ne put obtenir que son certificat d’études. Mais il était supérieurement intelligent. Toute sa vie, il serait autodidacte. Et, jeune homme, monté à Paris, il assisterait à bien des heures de cours de philosophie dispensés à la Sorbonne. Du fait de son manque de diplômes, ses ennemis diraient méchamment de lui : « N'allez pas le voir. C’est un moine illettré ». Mais ceux qui l’approchaient sans a priori étaient charmés de sa brillante intelligence, de son esprit si vif, et demeuraient éblouis de sa science théologique, qui confinait à une très grande érudition, qu’aucun des spécialistes de patristique ne possédait alors à l’Université. Voici pourquoi le jeune Achille était devenu moine. Envoyé à la guerre, il avait fait le vœu au Seigneur et à la Mère de Dieu de se faire moine s'ils lui laissaient la vie sauve. Dès lors, il n'éprouvait plus de peur. Il se fit sans crainte envoyer au front, échappant par miracle aux tirs nourris des balles et des obus. « Ceux qui avaient été timorés étaient restés à l'arrière », nous raconta-t-il. « Ils furent faits prisonniers, et demeurèrent de longues années déportés en camps. » A son retour, donc, dans sa grande gratitude à Dieu, il se fit moine. « Faites des vœux, et accomplissez les », dit le Psaume (Ps. LXXV, 12). Toute sa vie fut une œuvre d’apostolat : Apôtre infatigable de la Foi Orthodoxe, il passait des journées entières à traduire en français les textes liturgiques, ecclésiastiques, théologiques et patristiques grecs byzantins, pour faire connaître l’Eglise Orthodoxe aux Français et créer pour la première fois dans l'histoire de l'Eglise une Orthodoxie française, transmettant à l'Occident la longue Tradition des Chrétiens Orthodoxes d'Orient. Oui, créer une Orthodoxie française ce fut sans doute là son souhait le plus cher de missionnaire qui consacra sa vie entière à son apostolat. Lorsque la seconde guerre mondiale arriva, il fit cette prière au Seigneur, s’il avait la vie sauve, qu’il promettait de se faire moine. Sans crainte, il partit donc pour le front en première ligne. « Ceux qui avaient eu peur, et qui, par lâcheté, étaient restés à l’arrière, les réservistes, » nous raconta-t-il plus tard, « furent faits prisonniers, et restèrent longtemps parqués dans des camps. Nous fûmes, nous, libérés plus vite qu'eux ». N’ayant pas craint de mourir, ayant mis toute sa confiance en Dieu, il avait eu la vie sauve. Et, de retour chez lui, ayant tenu sa promesse au Seigneur et accomplissant son vœu, il s’était fait moine. Jeune moine, il avait eu une paroisse à Martigues, près de Marseille. Mais il avait rapidement été dégoûté du phyléthisme de paroissiens étrangers qui, au lieu de chercher à s’intégrer dans le pays qui les accueillait, et où ils travaillaient, transformaient l’église en centre culturel de leur pays d’origine, refusaient de célébrer en français, et ne pensaient qu’à entendre leur langue et leurs tons musicaux d’origine, ainsi que débattre politique royaliste ou autre. Ce n’était pas ce que cherchait le jeune Père Ambroise, qui refusait le philéthisme et voulait une Orthodoxie française pour convertir les Français à l’Orthodoxie, ou plus exactement les ramener à leur religion d’origine, celle qui avait fleuri en terre gallo-romaine, où le sang des Martyrs de Lyon et d’ailleurs avait abreuvé la terre de France, et nourri secrètement de son saint phlegme le sang coulant dans les veines de l’occupant romain, puis franc. Insatisfait de ses relations avec les paroissiens grecs, le jeune Père Ambroise monta à Paris, et résolut d’y trouver une paroisse française. Il tomba sur la paroisse de l’ECOF ( Eglise catholique orthodoxe française) dont l’absence de rectitude théologique et dogmatique ne le satisfit pas non plus. Il quitta Mgr Evgraph Kovalevski, et abandonna sa liturgie, dite « liturgie selon le rite des Gaules ». Père Ambroise, alors, s’intégra un temps aux russes, mais là aussi, se heurta, comme avec les Grecs ou les Roumains, à leur politique tsariste, à leur philéthisme invétéré, et à leur œcuménisme outrancier. Or, en vérité, les oecuménistes avaient notre Eglise en haine. Père Ambroise, lui, ne cherchait pas à devenir catholique, sous l’emprise de l’impérialisme fédérateur de Rome. Orthodoxe il était, et Orthodoxe résistant il resterait. Il demeura longtemps dans une situation de précarité qui confinait à la misère, faisant n’importe quel petit travail pour subsister, du plus modeste au plus noble, tour à tour ouvreur de cinéma, figurant d’opéra, iconographe, théologien conférencier orthodoxe... Habitué dès l’enfance à avoir manqué de tout, il se satisfaisait de sa condition. N’avait-il pas, enfant, pris l’habitude d’aller à pied, pour rapporter à sa pauvre Maman, Kyriakoula, l’argent du ticket de tramway ? Plus tard, lorsque passionné de musique, il avait voulu en écouter, ne s’était-il pas façonné lui-même un amplificateur et un tourne-disque, que son frère, à son grand désespoir, avait finalement cassé ? Lorsque, brûlant de devenir un grand pianiste, ses parents n’avaient pu lui offrir de cours de piano, ne s’était-il pas contenté d’être auditeur libre à des leçons de conservatoire, puis à des master-classes, et de jouer sur un piano du conservatoire ? Il serait sans doute, du reste, devenu un grand pianiste s’il ne s’était pas, gravement, blessé au doigt. « Je voulais devenir pianiste, » disait-il, « mais Dieu en a décidé autrement. Il a voulu que je devinsse moine. » Mais la musique était toujours restée sa consolation. Lorsqu’il était trop triste, il écoutait les concerts radiophoniques. Chopin lui arrachait des larmes. « J’ai le cœur en bandoulière », confiait-il, signifiant par là qu’il était un lyrique et un romantique, contrarié par les efforts laborieux de l’ascèse virile. « Lorsque je n'ai pas le moral », confiait-il, « j'écoute de la musique, même profane, et je pleure. Il regrettait une chose : « Dieu ne m’a pas donné de monastère. Il n’a pas voulu que j’en fasse un, bien que l’on m’ait ordonné archimandrite, c’est-à-dire higoumène de monastère… » Mais il se consolait vite : « L’on doit beaucoup s’ennuyer dans les monastères…. Dans certains monastères aussi, en matière d’ascèse, les moines ne forcent plus sur rien, ni sur le jeûne ni sur la veille…Et puis il y a des personnes qui font quarante ans de monastère et qui ne comprennent rien au monachisme ni à la vie angélique. Nous pouvons aussi être sauvés dans le monde… ». Sur le moment, cette déclaration pouvait sembler intempestive, péremptoire, hâtive, osée même. Mais, plus tard, pélerinant dans bien des monastères avec Papouli, nous comprîmes mieux, à voir les divers exemples d'évêques, de clercs, de moniales ou de moines, tombés dans l'orgueil, qu'il nous y désignait, que certains de ces êtres prétendument voués à Dieu se croyaient purs et sans péchés, et qu'ils nous jugeaient durement, du haut de leur innocence prétendue. Plus tard, lorsque je péchai contre les canons de l'Eglise en épousant en secondes noces un Evêque, j'appris que des moniales, en Grèce, pourtant réputées saintes, faisaient des prières pour que je meure ! Curieuse conception de la prière et de la sainteté! D'autres moniales encore, lorsque je m'aventurai à nouveau sur leurs terres, en Grèce, m'accablèrent d'injures, et me chassèrent à coups de pierres de la clôture de leur monastère. Curieuse interprétation explicative, étrange exégèse herméneutique, là encore, de l'accueil évangélique de l'étranger - cet accueil de l'étranger sur lequel les Ecritures, pourtant, insistent tant ;- (Deut 10, 19) ; (Lév 19, 34) ; (Ex 22, 21) ; ( Jér 22, 3) ; ( Mat 5, 47) ; ( Rom 15, 7) - , ou des non moins évangéliques paroles de douceur et de miséricorde du Christ envers un frère pécheur ou une sœur pécheresse. Le Christ ne mangeait-il pas à la table des pécheurs ? - (Mat 9, 10-11) ; ( Marc 2,15-16) ; (Luc 5, 29-30) ; - « L'Abba Sarmate a dit », rapportent les Gérondika – Recueil de sentences, d'Apophtegmes des Pères du Désert -, « je préfère un homme qui a commis un péché mais qui le reconnaît et en fait pénitence, à celui qui n'ayant pas péché comme l'autre, se croit juste et innocent. » La première fois que je vis Papouli, ce qui me frappa le plus fut son immense chaleur humaine. Il avait en lui, pour son Christ et son Dieu, un feu si dévorant, que celui-ci transparaissait encore au-dehors, s’exprimant par une flamme extérieure, dont il enveloppait tous ceux qui l’approchaient. Jamais, je ne m’étais sentie par quiconque aimée au point où, d’emblée, il m’avait réchauffée de son amour spirituel. Ni père, ni mère, ni fiancé, jamais, ne m’avait prodigué ce feu. Cela créait au cœur une impression extraordinaire, d’autant que l’on sentait en lui une personnalité extrêmement forte. Aussitôt que je l’avais approché, j’avais ressenti que je n’avais rencontré au monde nul être pareil à lui. Et non seulement, il était unique, mais, après lui, nul ne se pouvait comparer à lui. Il paraissait désormais la seule personne véritablement authentique que l’on puisse connaître, de sorte que tous les autres, à les lui comparer, paraissaient faux et inauthentiques. De là venait que vous prenait aussitôt l’envie de lui ressembler. Il avait donc ramassé, si l’on peut dire, des enfants spirituels souffrants, qui avaient, dès l’enfance, été délaissés par leurs parents, et qui s’éprouvaient comme des mal-aimés. Et il leur avait dispensé plus d’amour qu’un père, qu’une mère, et qu’un aimé ensemble. Ce sentiment si extraordinaire d’être ainsi aimé par lui, nous ne l’avions jamais éprouvé auparavant. Désormais, sa personne nous devenait ce que nous avions de plus cher, de plus précieux au monde. Sans rien en dire, et ne voulant qu’il y parût, Père Ambroise était très ascétique. Jeune, il était filiforme, ce qui révélait à quel point il jeûnait. En carême, et surtout durant le grand carême, Père Ambroise se soumettait à un jeûne tellement intense qu’il perdait jusqu’à dix kilos en moyenne. « Je dois me serrer la ceinture de plusieurs crans », disait-il en souriant, donnant son vrai sens plénier à l’expression imagée « se serrer la ceinture ». Il évoquait alors diverses recettes de cuisine. « Dans le train, disait-il – il fallait alors huit heures pour se rendre de Paris à Montpellier où il desservait sa paroisse du Sud-, j’ai eu tellement faim, que j’ai songé à plusieurs recettes succulentes ! L’appétit, en carême, rend bon cuisinier. » De fait, c’était un cuisinier hors pair. Durant les quatorze années où Père Patric et moi habitâmes avec nos enfants en bas de chez lui, il nous fit monter presque chaque jour aux repas pour nous nourrir de sa cuisine non pareille. Il descendait souvent chez nous, constatait que je n’avais rien préparé pour nourrir la famille, et, sans me gronder, nous disait en riant : « Au vrai, Anna mou, qu’allez-vous manger ? Les pages de vos livres ? » Et nous laissant à nos écrits, Père Patric à ses travaux de chercheur, moi à mes travaux de traductrice de livres d’hagiographie et autres Vies de Saints, il nous invitait à venir nous restaurer chez lui, ou nous descendait un couffin plein de plats cuisinés, simples mais délicieux. Son chou braisé était inégalable. Lorsque survinrent nos enfants, l’une de ses plus grandes joies fut de les nourrir. « Dieu m’a donné une famille ! » disait-il en pleurant de bonheur. « Il faut bien que je m’en occupe ». Et plein de joie : « Regarde ma Kouli ! » s'exclamait-il. – C’est ainsi qu’il appelait Photinie – ce qui veut dire « Lumineuse », en grec - , notre première née, lui chatouillant les joues avec sa barbe et lui murmurant : « Kouli, Kouli, Kouli !», trouvant que cela était un doux surnom pour ce bébé potelé - . Lorsqu'à neuf mois, elle fut en âge -précoce- de marcher, il s'écria : « Je veux lui acheter ses premières chaussures. » Et, de fait, il l'accompagna au magasin pour les lui offrir. Lorsqu’elle fut un peu plus grande : « Vois quel bon coup de fourchette elle a ! » disait-il, enthousiasmé. « Elle a encore mangé tout ce fromage blanc à la crème et aux raisins secs ! » Il nourrit également toutes les nouvelles bouches qui arrivèrent parmi nous, démultipliées. L’on ne compte pas le nombre de fois où il nous invita. Cela s’était su et faisait des envieux. Cette jalousie qui atteignaient certains fidèles et s'emparaient de leurs cœurs pouvait devenir cette noire passion dévorante, si bien décrite par Racine, qui en dépeint les affres mortelles et dévastatrices. «Que l'esprit de jalousie ne s'empare de nous », dit le Starets Thaddée. « Il nous faut refuser d'entendre les suggestions de l'esprit de jalousie...Il ne faut...pas laisser la jalousie envahir notre cœur, car elle détruit la paix intérieure et le repos de l'âme. » Et encore : « La jalousie est la marque de l'Antéchrist en l'âme. » Mais Père Ambroise suscitait un tel engouement que tous eussent voulu être au nombre de ses préférés. Car, comme le Christ pour Saint Jean, il faut avouer qu’il avait ses favoris. Lorsqu’il ne nous conviait pas chez lui, il s’excusait presque : « Il faut bien que j’invite les autres ! » Beaucoup aussi s’invitaient chez lui, et, visiteurs sans scrupules, l’importunaient jusqu’à minuit. Il n’en pouvait plus parfois, et se plaignait de temps à autre. « C’est trop. Je ne peux pas tout le temps recevoir tout ce monde ». Mais les visiteurs indélicats, même avertis de l’état de fatigue de Père Ambroise, continuaient de venir frapper à sa porte à toute heure du jour, et le soir à des heures indues. « Ma mère Kyriakoula », nous racontait-il alors, disait : « Nous nous reposerons à Saint Pierre ». – Elle voulait dire au cimetière. Et elle veillait la nuit, à vaquer à tout son ménage. « Si je ne le fais pas vite pendant qu’ils dorment, je n’y arriverai pas ! » confiait-elle pour nous transmettre l’amour de la veille, ornement et parure ascétique, qui fait briller les Chrétiens Orthodoxes. Papouli avait toujours été pauvre. « Il y avait si peu d’argent à la maison ! » nous redisait-il souvent. Ma maman ne nous faisait de tout que de très petites quantités de nourriture à la fois, et ne nous donnait de viande qu’une seule fois par semaine. Moi, je mets les sous dans la marmite ! Et puis », ajoutait l’Ancien, « il faut vider sa poche pour que Dieu l’emplisse ! » C’était une allusion au bienfait du don. Père Ambroise était très généreux, gratifiant les fidèles de bons repas et redonnant le plus souvent aux uns ce qu’il recevait des autres. Il nous rappelait que Saint Nectaire donnait à tous ceux qui lui demandaient. Bien qu'il nous citât le proverbe grec : « Doron ou dorité » - « un cadeau ne se donne pas », il donnait aux autres ce que les uns lui donnaient. De fait, beaucoup de ses enfants spirituels lui faisaient de menus cadeaux, lui rapportaient des souvenirs de leurs voyages, etc... Ses étagères en étaient encombrées, au risque qu'il s'en dégageât une impression de fouillis. Un temps, Papouli les y gardait, les y exposait au vu de ses donateurs, pour les honorer et leur exprimer sa gratitude. Pourtant, après un temps, il les donnait à d'autres, qui passaient d'aventure chez lui. Car, selon le précepte de l'Evangile, il ne thésaurisait pas. (Luc 12, 13-21). Mais Papouli ne donnait pas à ceux qu’il soupçonnait de voler. Il ne supportait pas le vol. Il en avait une sainte horreur. Si quelqu’un, racontant que quelqu’un avait volé, tentait de le justifier ou de l’excuser par sa situation de nécessité, il le coupait aussitôt : « Non, ne le justifie pas. Il n’y a pas de justification au vol ». Et de ceux, dans la rue, ou dans le métro, qu’il soupçonnait de faire même du trafic d’enfants, il se détournait avec horreur… Père Ambroise détestait l'avarice, ce vice considéré comme très grave par les Pères de l'Eglise. L'avarice était pour lui une plaie dévorant l'âme. Il rencontra un jour dans son escalier une riche propriétaire avarissime, qui ne donnait rien aux siens. Il la foudroya du regard, puis se détourna ostensiblement d’elle, comme si sa puanteur morale l’incommodait. « L'argent », disait-il, « va à ceux qui l'aiment. Ne recherchez pas l'argent. Si vous cherchez Dieu en premier lieu, il vous en donnera suffisamment et vous ne manquerez de rien. » Et il nous citait l'Evangile : « Cherchez d'abord le Royaume et vous ne manquerez de rien. » (Mat 6, 33). « Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et Mammon. » ( Mat 6, 24) ; ( Luc 16, 13). -. Père Ambroise ne demandait jamais d'argent. Un jour, le trésorier de l'église, qui lui reversait chaque mois une petite partie des modestes aumônes que les fidèles déposaient dans le tronc le dimanche, oublia de le payer. Il n'avait lors rien pour vivre de tout le mois. Mais il ne réclama pourtant rien à Nectaire. Il suivait en cela l'enseignement des Saints Pères du Désert. « Que t'abandonne l'amour de l'argent », enseignent les saints vieillards. (cf. Quatre ermites..., op. Cit.). Cette fois-ci encore ce fut sa bienfaitrice, Yvonne, surnommée Vonnie, qui le sauva de la famine. Papouli, avait épousé Vonnie à l'état-civil, pour des raisons que nous développons ailleurs. Toute sa vie durant, les oecuménistes, qui lui vouaient une véritable haine, tant pour ses positions théologiques et ecclésiales, que parce qu'ils jalousaient son intelligence, sa science, et surtout sa sainteté manifeste, se répandirent dès lors, de ce fait, incessamment, et jusqu'à son dernier souffle, en insultes affreuses et en odieuses calomnies sur son compte. « Les oecuménistes », soupirait -il, « marche-leur sur les pieds, et tu verras s'ils ont pour toi le moindre amour de bienveillance, le moindre pur amour de charité. »Les oecuménistes ne cessaient de colporter que Père Ambroise était un moine marié, bien qu'il vécût en frère et sœur avec celle qui l'avait épousé uniquement pour lui fournir un logement. Un temps, elle l'avait donc hébergé, logé. - C'était dans l'immédiat après-guerre.- Après quoi il avait pu se trouver un pauvre petit logement où demeurer seul. Mais les pressions hostiles avaient été si fortes qu'il avait dû demander le divorce. Car ces gens, curieux et malintentionnés, en véritables charognards qu'il étaient, se rendaient à la mairie et inspectaient à la loupe son état-civil, sans rien connaître de la sainteté de son existence. Et véritablement, Père Ambroise suscitait nombre de jalousies féroces. « C'est le démon, » dit le Starets Thaddée (op.cit.), « qui est jaloux de l'homme pur, et qui infiltre à d'autres hommes la jalousie envers ce Saint ». Et encore : « Quand l'esprit malin voit qu'un homme cherche à être agréable à Dieu, alors il s'infiltre dans le cœur d'autres hommes, et se met à envier intérieurement cet homme de Dieu...Sous l'influence du démon,...ils provoquent beaucoup de contrariétés à l'homme de Dieu, colportent des calomnies à son encontre, lui nuisent dans son activité...C'est l'esprit malin,... l'esprit maléfique qui a pris position en eux (possession d'eux), et ...c'est de l'intérieur de leur cœur que l'esprit maléfique sème la jalousie...(En leur cœur), c'est l'esprit démoniaque qui se réjouit de tout cela. » Et encore : « La jalousie est la marque de l'AntéChrist dans le cœur humain. » Père Ambroise, pourtant, ne supportait pas que l’on jugeât autrui. Un jour que je me montrai très réservée à l’endroit d’une femme qui avait eu trois maris, il me regarda sévèrement : « Ne juge pas. Ou bien il se pourrait que tu tombes dans le même péché. » Etant d’une nature très fidèle, je ne pouvais seulement imaginer cette éventualité, et cette remontrance me surprit grandement. L’hypothèse que j’eusse plus d’un mari me semblait inenvisageable. Plus tard, lorsque je perdis mon mari et que je me remariai quelques années après, cette observation me revint en mémoire… En plus, donc, de l’attrait de la très haute spiritualité de Père Ambroise, se joignait le plaisir d’être nourri de délicieuse façon. Aussi était-ce toujours une grande joie pour tous ceux qu’il conviait chez lui, que de s’y rendre impatiemment. Le soir des jours de jeûne, ce qui est dire le mercredi et le vendredi, plus les jours de carême, lorsqu'il advenait, parfois, que, nous ayant fait venir chez lui, il rompît le jeûne, précisant :« Il est tard ; vous êtes fatigués : Rompez le jeûne, par économie », il ajoutait : « Il y a deux mesures dans l’Eglise : La rigueur et l’économie. Si je n’avais pas, en place de rigueur, fait toujours preuve d’économie, nul fidèle, pas même moi, ne serait, d’après les canons ecclésiastiques, admis dans l’Eglise. Oui, à la rigueur, il faut préférer l’économie ». De là venait sa grande indulgence avec nous, et le fait qu’il paraissait toujours à nos yeux abaisser le niveau spirituel, pour, en réalité, mieux l’élever ensuite. Aux jeunes néophytes que nous étions, dans les commencements, il n’avait rien dévoilé des mystères ni des exigences spirituelles qui attendaient le fidèle Orthodoxe. Il nous avait laissé croire que l’Orthodoxie était un amusant jeu d’enfants. S’il nous avait avertis de ce qui nous attendait, de ce qui nous serait demandé, et de ce que Dieu et l’Eglise exigeraient de nous, sans doute aurions-nous fui bien loin, et nul d’entre nous ne serait resté dans l’Eglise. Plus tard, bien des années après, il m’avait montré une série de dessins athonites qui représentaient un moine assailli par des démons. Plus le moine s’élevait dans la prière et se sanctifiait, et plus il était assailli par des hordes de démons de plus en plus nombreux. C’était terrifiant à voir, et je me demandais bien alors pourquoi Papouli me montrait ces images à faire peur… La musique, la peinture, la littérature, l'on eût dit que Père Ambroise avait reçu tous les dons. Les bonnes fées, si elles eussent existé, eussent dû se pencher sur son berceau. C'était un intuitif, un grand esthète, un immense artiste. Créatif, il n'aimait pas l'esprit rigide de système. C'était une créature d'air. Avec lui, l'on respirait. Un air plus pur ; un air de liberté – celui de la Prière. « La Prière du Coeur », que l'on appelle encore « prière noétique », « prière de l'intellect », 'prière mentale », « prière spirituelle », ou « prière monologique », « la Prière du Coeur, » donc, dit un grand Saint de la Philocalie, « donne la liberté ». Et, parce qu'il était par-dessus tout un spirituel, Père Ambroise avait asservi ses dons à la prière, ces dons qui avaient fait de lui un artiste de la spiritualité, un maître en l'art des arts, en l'art spirituel. Parmi tous ses dons, donc, Papouli possédait celui du dessin. Père Ambroise était un maître iconographe. Il travaillait pour orner l'église, pour honorer des commandes que des fidèles lui faisaient, ou, le plus souvent, pour faire don de ses icônes à des personnes qu'il aimait. Mais il ne les vendait pas, ou bien il les cédait à des prix dérisoires. Par humilité, il les laissait souvent inachevées. Il avait peint le Christ et la Mère de Dieu de l'iconostase de ses paroisses. Les anges des portes royales demeurèrent toutefois à l'état d'ébauche. Il transmit son art à Père Timothée qui devint à son tour un maître iconographe. Père Timothée acheva dans l'église de Paris ce que Père Ambroise n'avait pas terminé. Et il peignit toutes les icônes des fêtes liturgiques fixées au sommet de l'iconostase. Il est vrai que Papouli manquait de temps. Bien qu'il fût un grand contemplatif, il était aussi très actif. Avant que de parvenir à la théoria – la contemplation -, il avait mené à bien les œuvres de l'action – la praxis-. Mais, ayant atteint à la contemplation, il n'en avait pas moins continué de demeurer un grand actif. Père Ambroise menait de pair l'action et la contemplation. Il peignait d'après les enseignements hagiographiques des manuels du grand Photios Kondouglou, lequel avait initié une grande renaissance iconographique, et fresqué les églises de Grèce. La science iconographique de Père Ambroise était immense. Parce qu'il m'avait aidée à faire ma maîtrise d'iconographie sur les fresques de l'église des douze Apôtres à Thessalonique, je savais que ce travail était précieux. Je préparais à l'époque le concours de l'école d'Athènes en section byzantine. Mais l'université est si déchristianisée que lorsque le professeur d'histoire de l'art, qui me faisait soutenir cette maîtrise, apprit, par hasard, et comme par inadvertance, que j'étais orthodoxe, il en devint furieux. Il s'emporta, disant : « Vous êtes orthodoxe ? Ne revenez plus jamais me voir ! » Et parce qu'il ne pouvait pas décemment refuser ma maîtrise, il me mit la note la plus passable. J'étais barrée dans ma future carrière d'archéologue. Quelque temps après, lorsque je revins à un cours d'iconographie byzantine, je m'aperçus que son assistante avait pillé le contenu de ce travail que Papouli, avec toute sa science iconographique, m'avait aidée à faire. Mais le pis était bien que le nom du Christ est devenu si odieux en France, aux universitaires mêmes, que, par le plus grand des paradoxes, les Chrétiens orthodoxes n'avaient pas leurs entrées au cours d'iconographie byzantine, et n'étaient pas habilités à y traiter du Christ ni de la christologie byzantine, par définition chrétienne orthodoxe. Un autre professeur, qui tenait à la Sorbonne la chaire de grec byzantin, traduisait et commentait des histoires de moines du Désert. Mais, ce faisant, à longueur de cours, il blasphémait et se gaussait des moines. Lorsque Papouli l'eut appris, il s'en montra fort contrarié. Le blasphème insupportait Père Ambroise. Très peu de temps après, ce professeur entra à l'hôpital pour une intervention fort bénigne et sans danger aucun. Son cœur ne supporta pourtant pas l'anesthésie, et il mourut sur la table d'opération. Il est insupportable, voire insoutenable, d'entendre aujourd'hui tant de gens railler le Christ et proférer des blasphèmes à l'encontre de l'Eglise et des Chrétiens, particulièrement orthodoxes. Le mal qu'ils font est d'autant plus grand que ces mêmes ont souvent une large audience médiatique, à la télévision ou ailleurs. Le Saint Apôtre Pierre écrit : « Sachez tout d'abord qu'aux derniers jours, il viendra des railleurs pleins de railleries, guidés par leurs passions. » (2 Pi. 3, 3). Le Saint Apôtre Jude, lui, écrit : « Quant à eux, ils blasphèment ce qu'ils ignorent ; et ce qu'ils connaissent par nature, comme des bêtes sans raison, ne sert qu'à les perdre. » (Jude, 10). Quant au Saint Apôtre Paul, il écrit à son tour : « Sache bien, par ailleurs, que dans les derniers jours surviendront des moments difficiles. Les hommes, en effet, seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, ennemis du bien, etc... » (2 Tim 3). Bien qu'il eût ce don si rare de maître iconographe, Père Ambroise délaissait beaucoup l'iconographie au profit de la traduction. Sa connaissance du grec ancien, tardif et byzantin était sans pareille. Il traduisait le grec le plus difficile, tel celui de Saint Maxime le Confesseur, qui rebute les plus érudits des universitaires, au point que nombre de ces œuvres attendent encore leur traducteur. Mais, là encore, il délaissait ce travail, laissé, inachevé, à ses successeurs, pour privilégier la traduction, monumentale, des interminables offices de l'Eglise. Car il est des textes liturgiques, dans la vie en Eglise, pour chaque jour de l'année ecclésiastique. Son but avéré était de transmettre en France, intact, le dépôt de la foi tel qu'il était contenu dans l'Orthodoxie grecque. Ce faisant, Père Ambroise, envers et contre tout, passant par-dessus tous les obstacles, et malgré tous les ennemis acharnés, que ses positions justes et justement orthodoxes lui suscitèrent, Père Ambroise, donc, fut un véritable Confesseur de la Foi. Nouvel Apôtre des Gaules, il créa en France la première église orthodoxe française. Père Ambroise ne s'ennuyait jamais. Il avait vaincu le démon de l'ennui, qui au dire des Saints Pères du Désert, tourmente les Solitaires. ( Cf. Arnauld d'Andilly, Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, in Blog de Presbytéra Anna). « Ainsi, » écrit le grand Blaise Pascal, dans le Fragment Divertissement des Pensées, « l 'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans aucune cause d'ennui. » L'homme est malheureux pour ce que rien ne saurait combler le vide de son cœur. Rien, à part Dieu. Tous les grands spirituels s'accordent à le dire. « Le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, » poursuit Pascal, « que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. » De là vient que l'homme se divertit. Contre ce malheur de l'ennui, il invente le divertissement. Il recourt à cette « puissance trompeuse » qu'est le divertissement. « La moindre chose (suffit) pour le divertir. » « Sans divertissement il n'y a point de joie. Avec le divertissement il n'y a point de tristesse. » « De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. » « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre», écrit enfin Pascal. « Je cours çà et là tout le jour. En vain je m'agite.. », dit le Psaume. (Ps. XXI, 3) ; (Ps. XLI, 4). Et pourtant Père Ambroise ne se divertissait pas. Comme les Pères du Désert, il avait vaincu la tentation du divertissement. Ce n'était pas pour rien que Blaise Pascal était l'ami des Solitaires de Port-Royal, desquels fut l'immense Arnauld d'Andilly, lequel, helléniste incomparable, avait traduit – travail de Titan – l'Echelle Sainte de Saint Jean Climaque ( à paraître in le Blog de Presbytéra Anna) et les Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes (op. Cit.), où il est montré combien les Solitaires du Désert ont eu à se battre contre les puissances adverses des malins démons, pour vaincre enfin le désir permanent et la tentation indéfectible du divertissement. Il est manifeste que Pascal subit profondément l'influence des Solitaires de Port-Royal qui, tout le jour durant, leur vie entière, traduisaient les Saints Pères du Désert, ces Saints vieillards de l'antiquité monastique. Au cœur de la ville, Papouli vivait comme au désert, menant une vie d'une profondeur spirituelle nonpareille. Père Ambroise était un grand Solitaire. Il savait demeurer au repos, dans l'hésychia priante, seul dans sa chambre, ne se lassant point de sa solitude, qu'il goûtait à rebours avec délices. Les Saints s'occupent à l'oeuvre spirituelle - la Prière du Coeur. Ils en font leurs délices suaves et divines. Il n'est, pour s'en persuader, que de lire tous les tomes de la sublime Philocalie, en laquelle Saint Nicodème Aghiorite compila tous les textes des Saints Pères qui avaient transmis leur art de la Prière. Ou bien il sied d'entendre le Hiéromoine Hilarion (Domratchev) décrire, à longueur de pages, ces délices de la Prière du Coeur, telles qu'il les décrit en son célèbre ouvrage, Sur les monts du Caucase. (Ed. Des Syrtes). Saint Joseph l'Hésychaste, en ses Lettres spirituelles ( Ed. L'Age d'Homme), écrit que la Prière du Coeur devient comme un miel dans la bouche de l'orant. Il ne peut se rassasier des délices spirituels qu'elle lui procure. « La prière (du Coeur) ne lasse pas, elle délasse», écrit l'Ancien Païssius dans ses Lettres. Il arrivait que Père Ambroise, allongé sur son lit, par-dessus sa mince couverture, dont il ne se recouvrait pour ainsi dire jamais le jour, épuisé par l'ascèse, qu'il pratiquait comme un moyen de sanctification, il arrivait donc, que Père Ambroise, épuisé, ne fît rien. En apparence, du moins. Cela nous étonnait, parfois. « Papouli pourrait jeûner moins », nous disions-nous, afin de se remettre sur pied pour vaquer à son petit ménage. Et il me souvenait de la discussion qui avait opposé ces grands docteurs que furent les Pères Cappadociens, Saint Basile de Césarée, dit Saint Basile le Grand, et Saint Grégoire de Nysse, son frère,le premier, en ses Lettres, soutenant à son frère, qui tenait à observer un jeûne extrême, qu'il préférait, quant à lui, manger davantage pour pouvoir mieux prier. Mais, à la vérité, nous le comprîmes plus tard, Père Ambroise, épuisé par le jeûne et la veille nocturne, vaquait à l'oeuvre spirituelle, à l'ouvrage de la prière. Il était tout entier une âme orante. Au vrai, tout entier inhabité par la Prière, qui attire sur l'être priant le Saint Esprit, Père Ambroise était devenu un « Temple du Saint-Esprit ». « Fais de nous des Temples du Saint Esprit », implore Saint Basile en sa prière qui figure dans l'Office de minuit des prières quotidienne. ( Cf Père Ambroise : Traduction des Livres de Prière I et II, Ed. De la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas , 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème). De grands débats opposèrent dans l'histoire les tenants des ordres actifs et ceux des ordres contemplatifs. Dans l'Evangile de Marthe et Marie, le Seigneur Jésus-Christ estime que la part de Marie ne lui sera point ôtée, - Marie qui ne fait rien que s'asseoir aux pieds du Seigneur, a la meilleure part, relativement à sa sœur Marthe, qui s'agite en tous sens, s'affairant à vaquer aux soins du ménage. Marthe est active, Marie est contemplative. Aussi les moines, qui, à l'imitation de Marie, appartiennent aux ordres contemplatifs, sont-ils souvent incompris, et deviennent aisément objets de railleries et de critiques. Le tsar Pierre le Grand, les jugeant paresseux et inutiles, les persécuta. « Le moine... », écrit l'Ancien Païssius l'Athonite, dans ses Lettres – Lettre I, Aux novices-, le moine « en entend encore de belles de la part de clercs qui ont, en outre, cette exigence absurde : Les moines devraient quitter le « Désert » et venir dans le monde pour s'occuper d'action sociale et... d'oeuvres de bienfaisance... » Ces critiques traitent les moines de « lâches », d' « égoïstes », de « paresseux » Mais comment seraient-ils paresseux, eux qui s'épuisent à l'oeuvre spirituelle de la Prière, et aux labeurs incessants et si douloureux de la sainte ascèse – ce qui est dire en jeûnes, veilles nocturnes épuisantes, grandes métanies et prosternations etc... ? « Je suis étonné », écrit encore Païssius, « qu'ils ne puissent comprendre la grande mission du moine ! Le moine fuit loin du monde, non par haine du monde, mais par amour. Et alors, par sa prière, il aidera davantage le monde en des choses qui, humainement impossibles, ne sont réalisables que par intervention divine. C'est de cette façon que Dieu sauve le monde. Le moine... prie pour le salut du monde entier comme pour son propre salut. » Le moine, explicite encore Païssius, s'occupe de « choses plus spirituelles » que de bienfaisance. Certes, s'il se trouve pour un temps dans le monde, il pourra matériellement aider ceux qui ont besoin d'aide, les pauvres ou les malades. Mais, en ce cas , il considérera toujours cette œuvre matérielle comme secondaire relativement à l'aide spirituelle que peut prodiguer sa Prière. Assurément, un moine, poursuit Païssius, peut toujours apporter des oranges, ou quelque autre consolation matérielle, tout aussi dérisoire, à un malade. Mais cette aide, ces moyens humains, seront infimes, comparés à la puissance de sa Prière, qui peut obtenir de Dieu la guérison du malade, non seulement celle du corps, mais aussi celle de l'âme, et, de là, par surcroît, lui obtenir son salut, à l'imitation des guérisons opérées par le Christ, qui guérissait l'âme et le corps ; en sus du fait, donc, que ce malade sera guéri par la Prière, il pourra lors à son tour aider son prochain, tant matériellement que spirituellement. La Prière, pour le moine, est toujours première. La consolation bienfaisante, l'aide matérielle, demeure secondaire, tout comme son travail manuel en cellule, -sa diaconie monastique- doit le céder en importance à la Prière et ne jamais prendre le pas sur elle ». Bien entendu, il ne s'agit pas de négliger ni de faire fi de l'activité charitable, de l'activité philanthropique. Une seule petite sœur de Mère Térésa de Calcutta qui, à elle seule, dans un immense faitout, cuisine de délicieuses lentilles pour deux cents SDF (Sans Domicile Fixe), et nourrit autant de pauvres indigents affamés et bleuis de froid, ceux qui sauvent en Mer Méditerranée les migrants de la mort par noyade, ou bien ceux qui hébergent des migrants et les font dormir au chaud, tandis que règne dans les bois où ils dorment habituellement, un froid insoutenable, et qui les nourrissent, tous ces êtres empreints d'esprit de charité, accomplissent un travail admirable et des œuvres bénies qui verront leur rétribution au Ciel. Mais de telles œuvres, dit Saint Issac le Syrien – cf. Saint Isaac le Syrien, Oeuvres spirituelles, et cf. P. Hilarion Alfeyev, L'univers spirituel d'Isaac le Syrien. Ed. Abbaye de Bellefontaine – de telles œuvres sont le fait des séculiers, ou à la rigueur des moines cénobites – qui vivent en des monastères -, mais non des moines érémitiques du désert, ou semi-érémitiques, qui, au cœur des villes mêmes vivent comme au désert, comme faisait Papouli, qui peut dès lors être considéré comme un moine semi-érémitique. Car ces Saints moines, par leur sainte Prière, dans leur hésychia priante, démultiplient à l'infini l'action de ces activités charitables et philanthropiques. « De même, poursuit l'Ancien Païssios l'Athonite, que le moine ne va pas dans les hôpitaux prier pour les malades, il ne visite pas non plus les prisonniers. S'étant lui-même constitué prisonnier pour Dieu dans la forteresse du monastère, et qu'il y goûte, dans la réclusion, la joie de la prière, il demande au Seigneur qu'il prodigue réconfort, et joie même, s'il se peut, aux prisonniers. De surcroît il implore la puissance divine pour leur libération. « Les moines », écrit encore l'Ancien en ses Lettres, « agissent avec des forces divines, par leur Prière, et non pas avec leurs forces personnelles dérisoires. » De la même façon, lorsque nous étions allés voir la Gérondissa Eupraxia la Jeune, dans son ermitage d'Egine, en son île grecque, je m'étais fort étonnée qu'en apparence elle ne fît rien. Recluse là tout le jour, elle ne vaquait même pas aux soins de la cuisine ni du ménage, ayant une, parfois deux ou trois syncelles – compagnes de cellule - pour la servir, une jeune moniale et deux vieilles femmes, dont Dame Christina. « Comme la Gérondissa Eupraxia doit s'ennuyer entre ses quatre murs », songeais-je, « enfermée là, en réclusion totale, à ne rien faire ! » Mais la Gérondissa s'adonnait aux délices de la contemplation de Dieu, sur laquelle, comme sur autant de chambres intérieures et de palais secrets, ouvre la Prière monologique du Nom de Jésus, à quoi eût attenté l'activité multiforme de la praxis, qui éparpille l'esprit. Telle est la vie en Christ de ceux qui ont atteint à la perfection spirituelle. Aussi fallait-il que Père Ambroise demeurât seul, en Prière, tout le jour, de longues heures durant. Ce n'est que vers le soir qu'il acceptait que l'on vînt déranger sa solitude. Un jour que je n'avais personne pour garder ma petite Photinie, - car vingt ans durant, nous n'eûmes aucune grand-mère pour venir voir ni gâter les enfants, et nous n'avions pas les moyens de financer une garde d'enfants - je le priai de me garder quelques heures mon bébé. Quoiqu'il aimât passionnément Photinie, il n'accepta qu'à contrecoeur. Il me la rendit quelque peu contrarié. « Je suis moine », me dit-il, sévère, « ce n'est pas à moi de garder une enfant. » Seul tout le jour, adonné à sa prière, à ses icônes, à ses traductions, à ses lectures de livres saints, ni il ne s'ennuyait, ni il n'avait besoin de rien qui le divertît. IL avait été très peiné, un jour, d'apprendre que des fidèles avaient pris des billets de cinéma, - ou était-ce de théâtre ?- pour aller se distraire un Vendredi Saint. « Se divertir un Grand Vendredi ! » gémissait-il attristé. Lui-même, le grand Vendredi, ne portait rien à sa bouche et jeûnait tout le jour. Pour lui-même, fût-ce ordinairement, il était fort sévère, et menait une existence austère. Il n'avait pas de télévision. Il ne possédait guère qu'un petit poste radiophonique pour écouter les nouvelles, ou aux heures tristes, quelque peu de musique classique. Nous ne l'avions vu regarder la télévision qu'à la « montagne », dans cette maison chère à son cœur où il allait du dimanche soir au lundi. Il me souvient que, l'y voyant un jour regarder les informations, nous lui dîmes en riant : « Papouli, si tu regardes les nouvelles, tu vas, par tes prières, changer le cours du monde ! » Il ne répondait rien, et souriait modestement, regardant humblement par-terre. Lorsqu’il ne traduisait pas, ne peignait pas d’icônes, ne cuisinait pas, ne catéchisait pas, ni ne recevait, comme à son accoutumée, ses enfants spirituels, Père Ambroise desservait ses paroisses. Il en avait fondé plusieurs en France, notamment, outre celle de Paris, une à Lyon, rue du Bœuf, près de la tour rose, dans les vieux quartiers, et une à Montpellier, rue Jean-Jacques Rousseau, où ma grand-mère maternelle, Mamie, femme très bonne, et très méritante, ( elle avait réussi, seule, quoique orpheline de père et de mère à devenir l’une des premières étudiantes en médecine, puis des premières femmes médecins de son temps), une sorte de sainte laïque, - car elle n'allait pas à l'église -, avait, par une curieuse coïncidence, autrefois habité. Plus tard viendraient l’église de Toulouse et celle de Dinan en Bretagne. Il fallait plus de huit heures de train à l’époque pour rejoindre le Sud de la France, et le voyage pour Montpellier, déjà fort long, était, avec les années, devenu de plus en plus fatigant et éprouvant pour lui. Sa vieille mère habitait à Montpellier, chez sa sœur Christine, et, à chaque fois qu’il allait desservir la paroisse de Montpellier, il s’en venait la visiter. Comme il aimait sa mère ! Il passait de longues heures à son chevet, tricotant ou crochetant des couvertures en patchwork coloré, ou brodant, interminablement, de somptueuses nappes au point de croix. Car il avait appris ces paisibles ouvrages manuels méticuleux, pour accomplir un petit travail de ses mains, afin de ne pas tomber dans l'acédie destructrice, tandis qu'il disait inlassablement la prière du cœur. C'est ainsi qu'un jour, pour la fête de Saint Patrick d'Irlande, il avait offert à Père Patric, outre un magnifique exemplaire du XVIIème siècle des Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, traduites du grec tardif par le grand Arnauld d'Andilly, un exemplaire non moins précieux de l'Echelle Sainte, du même Arnauld d'Andilly, agrémenté d'une couverture de feutrine confectionnée de ses propres mains, sur le recto et le verso de laquelle il avait brodé, respectivement, les majuscules S et P, pour Saint Patric. Toutefois, Père Ambroise n'avait pas pris sa mère avec lui, car elle ne lui aurait jamais laissé faire en paix son immense travail d’apostolat. Lorsqu’elle mourut, il pleura d’autant plus qu’il se reprochait de n’avoir pas été là pour ses derniers moments. « Ce fut une si bonne mère », soupirait-il. Et, à son exemple, il souhaitait qu’une mère, plutôt que de travailler, de souffrir au travail, de faire souffrir ses petits par son absence, et de manquer les premières années, si fondamentales, de leur développement, ne travaillât pas et restât auprès de ses très jeunes enfants. Plus tard, le problème était autre. Il nous avait lu un conte de Kondoglou, peintre iconographe, de surcroît brillant conteur grec, qu’il admirait beaucoup. Ce conte populaire décrivait une jeune femme jeûnant, veillant, et priant comme un ange dans sa maison. Le travail était aussi un lieu de rencontres qui favorisait les divorces. Mère Marie nous avait parlé du divorce d’une femme de prêtre, dont son mari avait extrêmement souffert. « Il n’aurait pas dû la laisser aller travailler », concluait-elle. « Elle n’aurait pas rencontré quelqu’un d’autre à son travail, ce qui a détruit son couple » Ce n’est pas tant que Mère Marie de Chio et Père Ambroise eussent eu une vision traditionaliste et anti-féministe du couple, mais qu’ils veillaient à la stabilité et au bonheur des familles. Et combien de jeunes ménages avait-il sauvé du divorce ! On ne les comptait plus. Sans guide, sans expérience, au premier accroc, dès la première année, les jeunes gens eussent voulu divorcer, sans rien savoir des conséquences désastreuses et terriblement douloureuses du divorce, tant pour les parents que pour les enfants. Dans la confession surtout, il recollait les morceaux cassés des couples qui se délitaient ou se brisaient. Et, par ses prières, il réconciliait les jeunes gens. « Le mariage, dans ses commencements », disait-il, recourant aux images les plus simples, « est comme une chaussure neuve qui fait mal. Il faut seulement prendre le temps de s’y habituer. Une fois mariés, il faut tenir bon, tenir coûte que coûte, se pardonner tout, pour ne pas se séparer. Et puis, dans le mariage, le bon vin vient à la fin, comme aux Noces de Cana. ( Jean 2, 1-11)». Mais si les jeunes gens persistaient à se disputer et à venir faire leurs crises jusque chez lui, il pouvait se fâcher, ne plus leur ouvrir sa porte, et demeurer en froid avec eux jusqu’à ce qu’ils comprissent qu’il jugeait leurs disputes déplacées. Dès lors, penauds, et sentant que leurs crises n’étaient plus de mise à ses yeux, les jeunes gens, par ses prières, rétablissaient la concorde dans leur foyer. Nous avions peine à le voir si pauvrement vêtu, presque clochardisé dans sa mise. Je me souviens de sa joie lorsqu’un fidèle lui offrit un manteau neuf, et un autre, un imperméable. Une autre encore de ses filles spirituelles étaient allée chez un grand couturier pour lui acheter un pull-over et une veste en laine. « Cela est beaucoup trop beau pour moi, disait-il. C'est du grand luxe. Il ne fallait pas. » Et il redoublait ses prières pour que Dieu rendît à ses enfants leur bienfait. Mais, pour lui, sa règle était de ne rien s’acheter, au point qu’il manquât du nécessaire même. Et, sans ses enfants, il eût eu l’air d’un miséreux, semblable à ces Anciens du Mont Athos, que Jacques Lacarrière a photographiés dans son livre (-Visages athonites, photographies de Jacques Lacarrière, Ed. Le temps qu'il fait -), sous l'aspect de vieillards déguenillés, aux habits rapiécés ou, pis, entièrement déchirés, plus loqueteux que s'ils eussent été des clochards. Il ne consommait pas. Dans cette société de consommation effrénée, qui était la nôtre, il ne faisait que passer, sans presque rien dépenser. Fidèle à l'enseignement de Saint Paul, il était pareil à l'Apôtre, passant dans ce monde, sans en être. (1 Cor 7 : 29-31). Il ne faisait jamais les boutiques ; la notion de « shopping » lui était étrangère. Lorsque nous passions en voiture, sur le chemin de l'église, devant les boutiques illuminées des beaux quartiers, il était dur pour une jeune femme comme moi, qui avais été élevée dans le luxe, avec beaucoup d'argent, sans manquer de rien, de ne jamais s'arrêter, ne fût-ce que pour faire du « lèche-vitrines ». Lorsque je fais des courses, me racontait-il, je me dis : « Cela, je n’en ai pas besoin. Cela non plus. Cela non plus. Et, de la sorte, j’économise assez pour pouvoir donner plus tard à qui en a besoin ». Des enfants dans la rue, l’appelaient le Père Noël ; de méchantes langues le traitaient même d' « ayatolah ». Il en souffrait. Il s’affligeait de ce que les enfants, les gens, fussent si déchristianisés, au point de ne pas reconnaître en lui un vieux Père, comme c’eût été le cas jadis en terre chrétienne. Autrefois, en Russie, ou en Grèce, ils seraient accourus à lui et l’eussent appelé « Batiouchka ! » ou « Papouli ! » - ce qui signifie « petit Père »-, et il eût été content de leur donner sa bénédiction au lieu de s’en faire moquer. Longtemps, il avait gardé un secret qu’après des années il nous avait dévoilé : Le dimanche après-midi, jusqu'au lundi soir, il allait souvent dans une petite maison de campagne, à une centaine de kilomètres de chez lui, chez une fidèle de l'église, sa protectrice, qui l’avait toujours aidé à échapper à la misère. Mais parce que l’on aurait jasé de le savoir aller chez une dame seule, il avait dû garder la chose secrète. Ils se faisaient passer pour frère et sœur, et, en vérité, ils l’étaient. Un jour il avait fini par s’ouvrir : « Kouli et vous êtes tous les jours et même le week-end sur le béton ». – De fait, Père Patric desservant la paroisse de Paris, nous ne pouvions jamais sortir de Paris le dimanche, pour aller au vert. De plus, notre appartement donnait sur la rue, au rez-de-chaussée, et l’enfant était véritablement à hauteur des gaz émis par les pots d’échappement. « Eh bien, voici, continua-t-il, que demain je vous emmène ! C’est à la campagne, mais l’on dira que c’est à la montagne, au cas où Kouli nous trahirait. Demain, donc, je vous emmène à la montagne ! » Et nous avons découvert ce petit havre de paix dans la verdure où Père Ambroise s’adonnait, dans l’hésychia parfaite, à une prière accrue. Quant à la petite Photinie, folle de joie, elle faisait forces roulades dans l’herbe verte qu’elle n’avait jusque-là encore jamais vue. Mais cette hésychia-là était pour lui si précieuse, qu’il ne voulait pas que l’on parlât de ce refuge à quiconque. « Si cela se savait, tout le monde voudrait y venir. Et c’en serait fini de l’hésychia ! Aussi, n’en parlez à personne ! » Et il ajoutait : « Lorsque nous serons là-bas, nous en profiterons pour jeûner un petit peu et pour veiller. » De fait, nous ne le voyions pas beaucoup manger, et il commençait ses journées à cinq heures du matin après une nuit passée, pour sa plus grande part, à prier. Au matin, il prenait du thé très fort, y faisant infuser plusieurs sachets. « Les moines font comme Anna, expliquait-il en souriant, ils prennent beaucoup de thé et de café. Mais ils ont appris à ne pas s’énerver et à maîtriser leurs mouvement d’humeurs ou de colère. C’est ainsi qu’il nous faut faire. Il nous faut combattre, et vaincre la colère. Quand vous sentez la moutarde vous monter au nez, immédiatement, maîtrisez-vous » Et en vérité, la maîtrise que Père Ambroise avait de lui-même était extraordinaire. IL ne se mettait jamais en colère. Comme l'enseignent les Pères il gardait sa colère pour s'emporter contre les démons et les blasphémateurs. Il gardait cette maîtrise de soi jusque dans le sommeil, ce qui constitue un tour de force surhumain. Il advint plusieurs fois que nous le réveillâmes en sursaut. S'éveillant à grand-peine, il souriait, prodigieusement. A la campagne, loin de se ménager, bien qu'il fût âgé à présent, il travaillait beaucoup. Quoiqu’il eût de graves allergies au pollen, il s’épuisait à tondre la pelouse, à passer le bois de la véranda au brou de noix, à restaurer de vieux meubles. Et puis, parfois, il gémissait « Seigneur ! Je ne peux plus ! Je n’ai plus l’âge, à soixante-dix ans passés, de tant me dépenser physiquement ! Je n’ai plus la force ! » Et puis, me regardant : « Tu vois, je ne le croyais pas que je deviendrais vieux. Je me repose à présent sur mes enfants. » Parce qu'il nous voyait enfermés dans Paris tous les week-ends, soumis à la pollution, et dans l'incapacité financière de nous offrir du repos au vert, il nous en ménageait lui-même. Tous les étés, donc, Père Ambroise nous trouvait des villégiatures de vacances. Il demandait à des fidèles qui habitaient le sud de nous laisser leur maison lorsqu'ils partaient à l'étranger. Ou bien il priait une famille de Pau d'accueillir mes enfants l'été. Ceux-ci allaient donc chez « Mamie », leur Mamie d'adoption, puisque leurs deux grands-mères ne s'intéressèrent pas à eux durant près de vingt ans, n'étant pas venues les voir à l'hôpital pour leur naissance, ne les ayant jamais gardés, ne leur ayant jamais offert le moindre cadeau, pour ce qu'elles avaient rompu toutes relations avec nous, racontant à qui voulait les entendre que nous étions dans une secte, nous séparant également de nos frères et sœurs, et nous brouillant avec ces derniers, prétextant que notre église était un « descenseur social » pour attardés passéistes, qui nous empêcherait de réussir dans la société. Sur ce point, il est à noter que l'Eglise Orthodoxe n'a jamais empêché personne de réussir dans la société. Pour les Saints Byzantins, l'Eglise fut même un ascenseur social, puisque l'Empereur de Constantinople conviait souvent les plus grands Docteurs de l'Eglise à venir occuper à ses côtés les plus hauts postes de l'Empire. Mais il est vrai que les Saints, souvent, se laissaient emporter dans la contemplation des Mystères, lors mêmes qu'ils étaient censés vaquer aux plus hautes tâches de l'administration impériale. « Ne l'interrompez pas, » dit un jour l'Empereur de l'un de ses conseillers impériaux, astres de l'Eglise. « Il ne répond pas. Laissez-le : Il s'est abîmé dans sa prière. » Mes enfants eurent donc leur Mamie d'adoption, Marie. Elle et ses filles les aimèrent comme s'ils eussent été de leur propre famille. Elles mettaient leurs photographies au milieu des leurs, disant : « C'est la famille. Une même famille. »Mes enfants eurent donc le bonheur, tous les étés, vingt ans durant, de retrouver leur famille d'adoption. Tant les liens en Eglise sont plus forts que ceux du sang. « Les liens, s'ils ne se rompent pas, disent les Pères, « c'est qu'ils sont de Dieu. » Quand mes enfants n'allaient pas à Pau, Papouli les emmenait avec nous en Grèce. Nous passions donc une partie de l'été dans les monastères grecs. A Oinoussa, en particulier, la Mère Marie nous laissait à disposition la maison de ses illustres ancêtres armateurs, ou bien, plus proche du monastère, la maison du prêtre desservant, qui vient officier pour les moniales. Mes enfants y étaient fous de joie. Ils se promenaient à dos d'âne, descendaient se baigner dans les criques incomparables de beauté, sautaient et gambadaient sur les chemins escarpés, se régalaient des plats délicieux que cuisinaient les moniales. Un jour, dans un autre monastère, sur une autre île, l'higoumène cousit une robe pour la petite Photinie. Elle ne m'avait pas plu parce qu'elle était rouge, d'un rouge que je jugeais trop voyant. Papouli n'aimait pas l'ingratitude. « Remercie, » me dit-il, « remercie mille fois. Et mets la robe à Kouli pour montrer ta reconnaissance à la moniale qui te l'a cousue. » Car Papouli voulait que l'on remercie mille fois plutôt qu'une. Il ne supportait pas l'ingratitude de ceux qui, lorsqu'on les couvre de cadeaux, ne vous remercient pas même du bout des lèvres. Une autre fois, en Grèce toujours, au monastère d'Oinoussa, il me montra un tableau qui trônait au réfectoire, et que la mère Marie aimait particulièrement. Il représentait une respectable presbytéra, toute de noire vêtue, dans son noir de femme de prêtre traditionnelle, et portait cette légende inscrite au-dessous: « La bonne presbytéra. » « Regarde, » me dit Papouli, même une moniale, même une higoumène, tient en respect la presbytéra. La femme du prêtre est très respectée dans l'Eglise Orthodoxe. Son rôle est d'importance, aux côtés du prêtre ». Saint Jérôme d'Egine, de fait, (cf L'oiseau de Guelvéri, op. Cit), insiste sur le fait que la presbytéra a un rôle à jouer dans l'Eglise, que sa responsabilité est grande, que sa tâche est lourde, et que, pour cela même, il convient de lui demander au préalable, avant qu'elle n'épouse le prêtre, si elle acceptera d'assumer cette tâche. « Hélas », poursuivit Papouli, personne à l'église ne respecte plus la presbytéra. » Et de fait, dans nos paroisses, c'étaient plutôt les fidèles étrangers, venus d'autres contrées orthodoxes, qui gardaient encore la notion du respect dû à la presbytéra, notion qui s'était perdue en France. « En France », soupirait encore Papouli, « il n'est plus de respect de rien. Même les enfants ne respectent plus leurs parents. L'Evangile dit pourtant : « Tu honoreras ton père et ta mère » (Ex. 20, 12) ; ( Deut. 5,1) ; (Lév. 19, 3 ); (Mat 15, 4). Partout, c'est l'ingratitude et l'irrespect qui règnent. » Chez lui, en banlieue parisienne, Père Ambroise faisait venir ses enfants spirituels, soit en groupe, pour leur dispenser une catéchèse spirituelle, soit un à un pour leur enseigner la prière du cœur ou pour s’entretenir en privé avec chacun d’eux. Son appartement était d’un grand inconfort. Il s’agissait, loin d’un terminus de métro, devant le cimetière de Levallois-Perret, d’un appartement exigu de deux pièces au quatrième étage d’un escalier branlant fort raide, qu’il peinait de plus en plus à monter, surtout lorsqu’il était chargé de courses. Outre ses difficultés respiratoires, il était, en effet, gêné par sa hernie récidivante, apparue après qu’il ait tant porté de poids, ayant par exemple rapporté de chacun de ses voyages en Grèce de lourds bagages et d’encombrants colis contenant du matériel et des biens d’église pour ses différentes paroisses, qu’il avait montées à lui seul, en y apportant peu à peu les divers objets sacrés qui les constituaient. Il nous avait raconté que, lors d'une grève d’autobus et de taxis à Athènes, ses valises étaient si lourdes qu’il avait failli les abandonner sur place. Cet appartement se composait de deux petites chambrettes, dont l’une donnait sur la rue, et l’autre sur une cour sombre et malpropre, et d’une minuscule cuisine où ne pouvaient trouver place qu’un évier, une cuisinière et un petit plan de travail. Force lui était de supporter un bruyant mini-frigidaire dans la chambre où il dormait. Il n’y avait pas de salle-de-bains, mais, juste, sur le palier, de sommaires latrines à la turque, rattaché aux parties communes de l’étage. Il plaisantait même sur le caractère si pauvre et si sommaire de ces toilettes, disant : « Cette porte, c'est chez le grand Turc. » Il n’était possible de se laver qu’avec une bassine à l’évier. L’hiver, un froid intense passait sous la porte, réfrigérant les pièces et augmentant la sensation de faim et d’inconfort. « C’est nous les plus pauvres », disait-il alors. Et il est vrai qu’à l’époque Père Patric et moi étions pauvres aussi, nos quatre enfants peinant à vivre et à dormir dans la seule pièce du salon, et notre ordinaire composé, aux repas, de lentilles. Mais il faut reconnaître que Père Ambroise était infiniment plus pauvre que nous. Sa frugalité, sa pauvreté étaient impressionnantes. Oui, véritablement, Père Ambroise menait une vie de pauvreté. Comme les Saints de l’Eglise, il était ce que les Saints Pères Athonites appellent « un non-possesseur ». Comme Mère Térésa, il eût pu dire : « J'ai choisi de ne pas avoir. » Et il est vrai qu’il était pour la non-possession ou pour la dépossession des biens matériels de ce monde. Au supermarché, alors que je voulais toujours acheter davantage, et que je lui disais avoir oublié quelque chose, il m’interrompit : « Non, laisse. Laisse tout cela. Nous reviendrons une autre fois. » Un jour qu’il me voyait encombrée d’affaires que je n’avais pas la place de ranger : « Jette tout cela », me lança-t-il, « cela t’oppresse l’âme ». Ce que je fis, pour la joie de mes voisins, qui vinrent prendre ce que j’avais déposé dehors. Frappaient au vrai sa pauvreté et celle de son logement, lorsqu’on le voyait et qu’on entrait là pour la première fois. Et comme ses paroisses étaient pauvres ! L’on lui avait trouvé, loué, ou fourni des locaux à peine moins piètres que n’avait été le garage désaffecté et en ruine laissé en guise d’église à Paris à Saint Jean Maximovitch, lui qui avait eu une cathédrale à Shangaï et une basilique aux coupoles dorées à l’or fin à San Francisco. Mais le gouvernement français n’avait jamais reconnu en France l’Orthodoxie non-oecuméniste comme un enjeu vital de pacification et de sanctification de la société. Aussi, les églises de Père Ambroise n’étaient-elles jamais que de petites chapelles blanchies à la chaux, peintes de ses icônes, et aménagées par ses seuls soins. Il avait même perdu des églises, lorsque des cabales suscitées par de mauvais paroissiens lui avaient arraché la propriété de ses propres biens et de son œuvre d’apostolat. Mais, pour ce qui était de ses lieux favoris de prière, Père Ambroise répétait : « Je ne me sens vraiment bien qu’entre les quatre murs de ma catoire. C’est là que je peux le mieux prier. » Dans un coin de sa cellule, près de la fenêtre, en face de son petit lit, de la chaise et du bureau qui meublaient sommairement la chambre, trônait le lutrin à prières qu’il avait fabriqué de ses mains, avec des morceaux de bois, recouvert d’un long tapis grec. Il y avait là, aux côtés d’une croix athonite de bois sculpté, la Bible, les livres de prières et son fin psautier rouge, usé par les veilles de lecture au cierge où il le récitait parfois in extenso. Pas même de livres de chants pourtant. Les chants n’étaient-ils pas interdits au Désert, de crainte qu’ils ne charmassent trop l’oreille ? L’Ancien, aux heures de prière, cependant, psalmodiait des chants grecs, que nous réentendîmes plus tard au monastère. Il nous en apprenait certains. « La psalmodie », insistait-il, « est d’un grand secours pour chasser l’acédie et la tristesse. Il convient de chanter lorsque nous nous sentons mal. Outre que les vibrations du chant dynamisent tout l’organisme, Dieu entend nos voix et nous exauce ». Sa règle de prière était celle du petit schème, dont on l’avait revêtu lors de sa tonsure monastique. Par la suite, cependant, alors que le métropolite et les évêques grecs avaient toujours, tous, voulu le faire moine grand schème et Evêque, il ne l 'avait jamais voulu, préférant, par humilité, rester simple et humble moine petit schème, sachant, prétendait-il, qu’il ne pourrait jamais dans le monde accomplir quotidiennement une règle si longue et si difficile que celle du grand schème, comportant tant de prières, de petites et de grandes métanies, et de prosternations. Toutefois, fort de la liberté spirituelle qui était la sienne, et qui lui était si chère, il advenait qu’il accomplît, certains jours, plus encore que ne le comportait la règle du grand schème. Le moine ne fait pas de sport. Lorsqu'il voyait passer, sur les berges de la Seine, un coureur du Marathon de Paris, Papouli ironisait gentiment : « Il arrivera le premier ! » Selon lui, le sport du moine, c'étaient ses prosternations, qui le maintenaient en bonne forme physique et qui surtout le grandissaient spirituellement, à force de l'humilier à terre devant Dieu. A l’un de ses enfants qui passait un concours très difficile dont il avait à cœur qu’il le réussît, il gémissait : « Je me suis usé les genoux en prosternation pour toi. Quand les résultats auront-ils lieu ? Je suis fatigué de faire tant de métanies et de prosternations ! » Et le miracle arrivait : Tout-à-fait inopinément, sans que personne s’y fût attendu, le jury, sur ordre du gouvernement, avait rajouté une liste supplémentaire, et le nom de son fils spirituel chéri s’y trouvait écrit en toutes lettres. Et ainsi de suite, tout au long de la carrière de ses enfants spirituels. Il faisait des prières pour que les enfants travaillent bien à l’école, pour que les parents progressent socialement, et, surtout, pour que tous avancent spirituellement. Il faisait des prières pour tout : pour l’avancement spirituel de ses fidèles, pour leur assurer un avenir serein et spirituel, pour la santé de ses enfants, pour les mariages, pour la concorde des époux et la paix des ménages, pour que ses enfants fussent avec lui au Paradis. « Les Saints », disait-il, « prient pour toute chose ; pour les choses matérielles comme pour les choses spirituelles. Ils demandent tout à Dieu dans leurs prières. » Père Ambroise priait sans cesse et pour toute chose. En tout temps et en tout lieu, il invoquait l’aide divine : Il priait avant de commencer un travail, de peindre une icône, de confectionner fût-ce un plat cuisiné, d’entreprendre quoi que ce soit.Il se signait et embrassait l’icône de la Mère de Dieu avant de sortir de chez lui, se signait à nouveau et l’embrassait en rentrant.Toute sa vie était prière. « « Les pièges du Malin sont si nombreux », s’inquiétait-il. Aussi ajoutait-il: « Cette nuit, j’ai beaucoup prié pour toi. J’ai dit des chapelets entiers pour ton salut et ton progrès spirituel. » Et le lendemain, il disait la même chose à un autre de ses enfants chéris. Une autre fois, il disait : « Cette nuit, je n’ai pas dormi de la nuit… ». Ou bien : « Cette nuit, j'ai dormi une heure. » Et de fait, plus qu'il ne jeûnait encore, il pratiquait incroyablement l'ascèse du sommeil, pratiquement comme ces moines acémètes - étymologiquement akimiti, qui ne dorment pas - qu'évoquent les récits des anciens Pères du désert, qui ne dormaient quasiment pas, car ils avaient vaincu le sommeil, ne concédant au sommeil que ce qu'il fallait pour survivre. « Que faisais-tu, Père », s’étonnait-on. « Je priais », murmurait-il. Pourtant, d’autres fois, malgré son ascèse que trahissaient ses yeux brillants de fatigue et ses paupières immensément noires de cernes, il prônait la modération en matière d’ascèse et de privation de sommeil : « Si je ne dors pas assez, » avouait-il, « je suis comme malade. Je ne peux pas veiller comme les grands moines qui dorment deux heures par nuit. » Pourtant, ses yeux, immensément cernés de noir, du fait de son intense fatigue, disaient tout le contraire. De la Prière du Coeur, il nous avoua un jour : « La Prière du Coeur tout le jour, c'est fatigant ! Car il faut se concentrer, toujours, sur les mots de la prière. » Le Starets Thaddée (op. Cit) explique la même chose, exactement. De la sainte ascèse il nous dit, un autre jour : « L'ascèse, toute une vie entière, c'est fatigant ! C'est long ! » Et il nous rapporta cette historiette, tirée une fois encore des Apophtegmes des Pères du désert qu'il aimait à nous conter, inlassablement, laquelle peignait un moine, lequel s'absenta au loin de sa cellule, dans son saint Désert. Lorsque celui-ci fut de retour et qu'il vit au loin sa cellule, il fut pris de sueurs froides, et s'exclama : « Oh, non ! Pas ma cellule ! Ce lieu de tortures ! » Car il s'y torturait des tourments et de la discipline d'une sainte ascèse rigoureuse et dure. Père Ambroise avait, accrochés chez lui, de grands chapelets athonites en laine noire, longs de trois cents grains. Comme les grands moines de l’Athos, veillant la nuit en prière, il priait beaucoup debout, pouvant faire plus d’une dizaine de ces immenses chapelets pour le Christ, et guère moins pour la Mère de Dieu. C’est seulement lorsqu’il n’en pouvait plus qu’il s’asseyait ou s’allongeait. Mais il lui était souvent arrivé, dans sa jeunesse surtout, comme également par après, de dormir dans son rudimentaire et inconfortable fauteuil de paille. L’air embaume également autour de ceux qui font, ne serait-ce que de temps à autre, cette difficile ascèse de dormir assis, cette ascèse qu'ont pratiquée bien des grands Saints, dont Saint Jean Maximovitch de Shangaï. Bien qu’il fût hautement contemplatif, son activité, néanmoins, dans la prière comme dans tous les autres travaux dont il s’accablait, était quasiment incessante. Et cependant, il n’était encore pas content de ses labeurs ascétiques. « Ah ! » gémissait-il, « je suis paresseux. » Mais nous, nous étions intérieurement choqués de ce qu'il pût, dans son excès d'humilité, se traiter de « paresseux », lors même qu'il s'épuisait incessamment à la tâche. En Grèce surtout, plus qu'en France encore, il était connu comme le loup blanc. Oui, toute la Grèce Orthodoxe le connaissait. L'on savait que c'était un grand ascète, un Starets, un Saint. A l’aéroport d’Athènes, redoutant d’être abordé, il relevait sa soutane sous son imperméable. Cependant, à peine avait-il le pied posé sur le sol grec que quelqu’un le reconnaissait. « Le Père Ambroise est arrivé ! » s’écriait-on. « Le Père Ambroise est à Athènes ! » Et toute la Grèce ecclésiale, toutes les autorités ecclésiastiques, et de multiples fidèles qui l'aimaient de tout cœur, se téléphonaient à son propos. Tout le clergé qui le connaissait voulait le faire Evêque, et tout le peuple qui l’approchait voulait qu’il le devînt. Par humilité, lui, n’avait jamais voulu se laisser introniser. Comme il eût été respecté alors ! Même en France, où nombre de personnes indélicates, sans compréhension aucune des commandements évangéliques d'amour et de charité, sans instruction aucune, sans la moindre connaissance de sa sainte personne, et possédées par les démons de la méchanceté et de la jalousie, le maltraitaient, le calomniaient, le salissaient publiquement sans vergogne, comme la situation eût été différente pour lui ! Mais, dans sa profonde humilité, il préférait encore à la gloire les mauvais traitements. Il faut dire qu'il était haï des oecuménistes, parce qu'il était anti-oecuméniste, et jalousé des anti-oecuménistes, qui ne parvenaient pas à la cheville de sa sainteté. L'on avait le sentiment amer, décourageant parfois, que le diable avait fait l'unanimité de ses ennemis contre lui. Et ils se déchaînaient en calomnies horribles, dont il souffrait aux larmes. Tel un autre Saint Nectaire, Père Ambroise avait eu beaucoup à souffrir du démon de la calomnie. Il n'en avait acquis qu'une humilité toujours plus grande, impressionnante en vérité, pour ceux qui l'approchaient de près et percevaient, quoique confusément, toute l'aura de sa sainteté incontestable. Pourtant, plus ses ennemis le vilipendaient, l'humiliaient, plus Dieu, qui voit dans le secret, l'élevait, l'exaltait et le glorifiait spirituellement. Plutôt qu’un Evêque, il était, par le fait, devenu un Pilier de l'Eglise, un Apôtre de l’Orthodoxie. La Mère Marie du Monastère d’Oinoussa de Chios, qui le tenait en grande estime et haute vénération, le comparait au Saint Apôtre Paul. « Voyez », nous expliquait-elle, nous montrant la magnifique baie où s’abritait son monastère, « le Saint Apôtre Paul s’est arrêté en face sur ce rocher…Le Père Ambroise, lui, évangélise la France entière… » Et elle le couvrait, par gratitude, de biens d’église et de saintes reliques, dont la plus précieuse à ses yeux était celle de sa fille, lrène Myrtidiotissa, dont le corps était conservé intact, habillé en moniale, couché dans son cercueil de verre ; - Irène de Chio, Sainte et incorrompue pour avoir souhaité de prendre sur elle la maladie incurable de son père, lequel avait effectivement été mystérieusement guéri, cependant qu’elle était, à sa place, tombée incurablement malade, et qu’elle avait tant souffert, de la même maladie rare d’Hodgkins, que son os occipital avait été profondément creusé par ses souffrances insoutenables. Père Ambroise avait, à son église de Paris, pour concélébrant, un mauvais prêtre. Celui-ci avait fomenté des cabales contre Papouli, entretenu des coteries, montant les fidèles contre leur Ancien, se déversant en médisances et en calomnies contre lui, jusqu’à entraîner une scission dans l’église. Il avait ses fidèles et Père Ambroise avait les siens. Il se vantait d’être le recteur de la paroisse, ce qui était faux, l’église ayant été fondée par le Saint Père Ambroise, sur les reliques, du reste, de Saint Magloire, que l’on avait par la suite miraculeusement découvertes dans la crypte, comme si ce lieu avait été prédestiné à redevenir un saint sanctuaire. Vingt ans durant, Père Ambroise avait dû supporter ce mauvais pasteur de ses propres ouailles, qui se comportait comme un rival jaloux, ne supportant pas que Père Ambroise lui fît de l’ombre. De là qu’il le tourmentait incessamment. Cela avait été une croix et un calvaire pour lui…Mais vingt ans durant il avait fait cette ascèse d'admirable patience de supporter avec une longanimité étonnante ce mauvais prêtre, qui lui faisait subir les pires avanies et les plus humiliantes vexations. Pour finir, l’Evêque avait prononcé un oukaze obligeant ce prêtre à quitter l’église. La patience de Père Ambroise était enfin venue à bout de cette longue et pénible épreuve. Il avait supporté tout cela, comme il supportait toujours tout le reste de ses épreuves. « Patience », nous répétait-il. « Le bon vin vient à la fin ». Il faisait allusion aux Noces de Cana. Et souvent il me répétait : « Anna, en hébreu signifie « patience ». Patience, Anna mou, patience ! » Et il ajoutait : « Tu verras les fruits de la patience ». Les fruits de la patience, c’était là une formule consacrée, que je lus souvent par la suite dans les écrits patristiques qu’il possédait, par centaines, sur ses étagères, et dont j’héritai par après, lorsqu’il nous fit par testament, avec Père Patric, les héritiers de ses minces biens temporels, entre lesquels biens était une icône miraculeuse en style naïf des îles, du temps de la Turcocratie où s'était perdue la tradition iconographique byzantine classique. Cette icône avait guéri sa maman Kyriakoula de migraines épouvantables. Elle s'était quasi mystérieusement auto-nettoyée, blanchissant par endroits et retrouvant ailleurs ses vives couleurs, lors même que lorsqu'il en avait hérité de sa grand-mère puis de sa mère, elle était toute noircie. Père Ambroise était tellement imprégné de ses innombrables lectures qu'il parlait souvent comme un livre aghiorite, ou bien en citant des péricopes évangéliques. Il nous racontait maintes jolies histoires des Pères du désert et du Gérondiko athonite – livre des dits des Saints Anciens Athonites, Ancien se disant Géronda en grec-. Il me souvient particulièrement d'une très touchante histoire, celle d'un jeune moine en proie à l'acédie, que je me remémorai souvent plus tard, d'autant qu'après la mort de Papouli, de mon époux Père Patric et de mon enfant Photinie, j'avais été des années durant la proie d'une acédie terrible, m'empêchant de faire quoi que ce soit et me maintenant même couchée de longues heures du jour sans pouvoir du tout me lever, ce qui générait en moi une indicible souffrance. Voici quelle était l'historiette : Une légion de démons se concertent devant un monastère disant : « Allons attaquer cette troupe de moines. » Mais un autre démon s'interpose : « Quelle est cette petite silhouette de jeune moinillon là-haut sur la montagne qui incessamment tout le jour balance ses jambes dans le vide ? » « - Non celui-ci, n'y va pas. Il te brûlerait. » Le démon se moqua de leur avis : « J'irai quand même. » Et il y alla. « Que fais-tu, moine, ici ? » « Hélas, lui dit le moinillon, je suis à tel point en proie à l'acédie que je ne puis rien faire, ni même aucune prière. La seule chose que je puis faire pour mon Dieu, c'est de balancer mes jambes tout le jour dans le vide. » A la vue de tant d'humilité, le démon fut consumé. Et lorsque nous disions à Papouli que nous étions incapables de faire la moindre ascèse, n'ayant la force ni le courage de jeûner ni de veiller le moins du monde, pour toute réponse, il nous contait cette histoire : « Un petit moine novice ne faisait aucune ascèse. Ni il ne jeûnait, ni il ne veillait. Il n'en avait pas la force. Mais il obéissait à son Ancien qu'il respectait avec amour. Il mourut bientôt prématurément. Les moines du monastère le virent en rêve au Paradis, admis dan sle choeur des Saints. « - Géronda, » s'insurgèrent-ils, comment se peut-il que ce moinillon soit maintenant compté au nombre des Saints, puisqu'il ne faisait rien de son vivant ? Il était incapable de mener la moindre ascèse ? » « Certes, » répondit le Géronda, « il ne faisait aucune ascèse, mais il garda l'obéissance envers son Ancien. Aussi Dieu le compte-t-il parmi les Saints. » Père Patric, lui, aimait à nous conter l'histoire de Théophile et Marie, les fols-en-Christ d'Antioche, qui tout le jour durant faisaient des pitreries, faisant rire et se gausser les foules, et qui, la nuit, en frère et sœur, s'adonnaient en Prière aux veilles nocturnes agréables à Dieu. « Il faut » nous disait encore Père Ambroise, « arracher les passions, comme de mauvaises herbes, tant qu’il en est encore temps. Autrement, elles grossissent avec le temps, et il devient impossible d’en venir à bout ». Et, ce faisant, il nous citait l'apophtegme correspondant des Pères du désert. Et pour mieux nous faire pratiquement comprendre la chose, il nous faisait, à la campagne, arracher les mauvaises herbes du jardin. Cependant, par après, il nuançait son propre jugement : « De par la sainteté, les passions ne sont pas néanties, mais elles sont transformées, transmutées, transfigurées en Christ. Sainte Marie l'Egyptienne, pécheresse, était une femme passionnée. Par l'ascèse, elle infléchit en un autre sens, positif, ses passions négatives. Celles-ci, de mauvaises passions, devinrent bonnes. Sainte, elle aima passionnément le Christ. » Il nous apprenait à parler comme les Pères : « Lorsque vous voulez faire quelque chose, » expliquait-il, « ajoutez toujours « Dieu voulant ». « Je ferai ceci, Dieu voulant. Un jeune moine avait refusé d’employer cette humble formule. Par orgueil, il avait dit à son Ancien : « Géronda, dans deux jours, je vais à la ville ». –« Dis : j’irai, Dieu voulant. – Mais non, pour quoi faire ? J’irai, un point c’est tout. – Tu verras, se contenta de lui répondre son Ancien. » Le jour venu où il avait prévu de partir, il s’abattit de telles pluies torrentielles que le jeune moine fut contraint de renoncer à son départ et d’ajourner son voyage : « Tu vois, lui dit son Ancien. Tu comprends maintenant que si Dieu ne veut pas que tu partes, tu ne peux pas partir. Nous sommes dans la main de Dieu. Bien des choses ne dépendent pas de nous, mais de lui. Sois plus humble à l’avenir ». Et le jeune moine s’en fut tout contrit. Ces œuvres bénies des Pères, Père Ambroise les avait tellement lues ! Il en était imprégné. « Maintenant, » souffla-t-il un jour, « je ne lis presque plus rien… » Lui qui avait tellement lu, il avait délaissé les livres au profit de la prière perpétuelle. D’autant que, de par son don de diorasis, il savait ce que contenait un livre sans même avoir besoin de le lire. « Mais comme j’ai aimé les livres ! » reprenait-il. « Dès que j’avais trois sous, je courais en acheter ! J’économisais sur tout pour cela. Je marchais à pied pour gagner le prix du ticket de tramway. Et je crois que je n’ai presque jamais pris un taxi de ma vie. Jeune, j’ai eu une voiture, une vieille 2CV. Je l’ai conduite une fois jusqu’à Montpellier pour desservir ma lointaine paroisse. Elle est tombée en panne sur la route. Je n’ai plus jamais eu de voiture depuis. » Et c’était en train, de façon épuisante pour lui, dès lors, qu’il avait, toute sa vie de prêtre, desservi ses paroisses de Lyon, et de Montpellier, où il se rendait tous les quinze jours, en alternance avec son Eglise-Mère de Paris (4ème), du 30 boulevard Sébastopol. Lorsqu'il desservait ses paroisses lointaines, disséminées aux quatre coins de France, s’il arrivait trop tôt à la gare, ou repartait trop tard, ou l’inverse, en raison des heures malcommodes des trains, lui qui ne voulait n’être à charge à personne, ne prévenait point de ses véritables horaires et dormait dans les gares. Assis ou allongé sur un banc avec sa longue barbe blanche et son vieux manteau noir râpé, l’on eût dit un clochard presque. Lorsqu’il revenait d'une paroisse qu'il avait desservie, il descendait du train, fatigué de s’être tant malmené dans les gares : « Le voyage était si long ! » s’exclamait-il. « A la fin, il me semblait que je poussais le train pour arriver et vous voir plus vite ! », nous confiait-il, heureux de nous retrouver sur le quai où nous étions venus l’attendre. En lui battait la prière du cœur. Il incarnait, vivante, la tradition hésychaste originelle. Un jour que tout allait mal pour lui, et qu’il était particulièrement déprimé, la prière, miraculeusement, par un mystère connu des hésychastes seuls, était descendue dans son cœur. « C'est parfois au moment le plus douloureux que le Seigneur apporte une consolation », dit le Starets Thaddée, « quand elle ( l'âme simple) ne reçoit de réconfort ni auprès des hommes, ni dans les choses ; quand elle se sent rejetée et méprisée. » Et, comme en écho, Papouli disait : « C'est dans les épreuves que j'ai reçu la plus grande Grâce. » A quoi, Thaddée, en écho encore, renchérit : « Sans épreuves, il n'y a pas de grâce divine. » Très souvent, le soir, tant à la campagne que chez lui, dans son petit appartement, il faisait venir chez lui Père Patric, des heures durant, pour lui dispenser une très solide formation théologique. Il lui parlait au long, interminablement, de théologie et d'histoire de l'Eglise. « Les étudiants ont l'université pour se former intellectuellement et les catholiques ont des séminaires pour former leurs jeunes séminaristes. Nous n'avons pas les bancs de l'université, ni les séminaires, mais nous avons, nous, l'Eglise qui est notre université de théologie. » Et c'est ainsi que Père Ambroise transmit à Père Patric son immense et inépuisable science théologique. Leurs connaissances étaient immenses, tant en littérature qu'en philosophie, en histoire, particulièrement en histoire de l'Eglise et en théologie. En ces matières, ils étaient tous deux des puits de science, et Père Patric avait beaucoup appris de Père Ambroise, bien qu’il fût déjà, de son côté, jeune chercheur au CNRS en philosophie, féru également d’histoire et d’histoire de l’Eglise. Mais, en réalité, ce qui s'opérait entre Père Ambroise et Père Patric était une véritable transmission apostolique. Comme nous l'enseignait Papouli, le dépôt de la Foi Orthodoxe se transmettait d'Apôtre en Apôtre, de Père spirituel en fils spirituel. « Les Anciens », disent les Saints Pères du Désert, -(cf Quatre ermites, op. Cit.)-, ont appris des Pères qui furent auparavant. Ne sois donc pas incrédule aux paroles des Anciens. » Et encore : « Car ceux qui sont grands par leur science et leur vertu, ce sont eux qui enseignent à ceux qui sont petits les vertus et la science véritable. » - Lorsque Père Patric s'endormit tragiquement dans le Seigneur, après le funeste accident qui lui avait coûté la vie, ainsi qu'à sa petite fille Photinie, et que, totalement désemparés et catastrophés, nous nous demandions avec angoisse comment Dieu avait pu permettre un tel désastre spirituel, un tel manque à gagner pour l'enseignement spirituel en Eglise, la Gérondissa Eupraxia la Jeune d'Egine, - qui était néanmoins à présent déjà fort avancée en âge-, fille spirituelle de Saint Jérôme d'Egine, me dit : « Maintenant, Anna, le Seigneur va mettre sur toi la Grâce de Dieu et les facultés d'intelligence intellectuelle et spirituelle. » - C'est grâce à la si solide formation qu'il avait reçue de Père Ambroise que Père Patric put écrire ses œuvres princeps et majeures que sont le Richard Simon ou Du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie ( Ed. L'Age d'Homme), le dossier H sur Augustin d'Hippone (Saint Augustin, Dossier H, Ed. L'Age d'Homme) et les livres sur l'Abbé Wladimir Guettée, dont le magistral et irréfutable De la papauté ( L'Age d'Homme), lequel écrivit une imposante et irréfutable Histoire de l'Eglise qui fut pilonnée par le Vatican, comme portant tort au papisme qu'il attaque dans ses fondements, pour montrer la nécessité de revenir à l'Eglise Orthodoxe des origines du Christianisme. Car tel était bien le combat principal de Père Ambroise et de Père Patric : Retrouver et refonder dans l'ancienne Gaule l'Eglise primitive de l'Orthodoxie telle qu'elle avait existé dans les premiers temps du Christianisme. Mais parce que Papouli recevait si souvent chez lui le soir Père Patric, de mauvaises langues avaient colporté l'infâme calomnie que Père Ambroise était homosexuel. Il en avait beaucoup souffert. « J'ai tant souffert de la calomnie », disait-il. De fait, comme Saint Nectaire, Père Ambroise avait parmi les oecuménistes suscité par sa personnalité exceptionnelle et charismatique, ses talents sans nombre et son intelligence extrême de vives jalousies, lesquelles avaient donné libre cours à des calomnies épouvantables. Un autre motif de calomnie était que Père Ambroise avait été marié à l'état-civil, parce que durant la guerre, et dans l'immédiat après-guerre, la crise du logement était telle qu'il était beaucoup plus aisé aux gens mariés de se loger qu'aux célibataires. Une fidèle très dévouée à Père Ambroise et qui l'aidait financièrement aux heures de misère qu'il avait traversées de longues années durant, lui avait proposé cet arrangement sur le papier qu'il avait finalement accepté. Bien sûr, ce mariage était un mariage blanc, et il n'y avait jamais rien eu d'autre que ce papier entre Père Ambroise et cette fidèle. Mais des gens malintentionnés étaient allés trouver cette pièce d'état civil à la mairie, et toute sa vie les calomnies l'avaient poursuivi. Ces gens criaient à qui voulait l'entendre : « N'allez pas dans sa paroisse. N'y allez pas. Ce moine illettré est en plus un moine marié, et un moine paillard. » Je l'ai souvent vu en pleurer. « Les gens sont trop méchants », gémissait-il. Un jour aussi je le vis ouvrir la porte de son appartement pour sortir et la refermer aussitôt précipitamment sur une dame qui passait dans l'escalier. « Je n'ai plus envie de sortir, » me dit-il, « les gens sont vraiment trop méchants. » Et de fait, cette femme s'était avérée être une méchante voisine. Mais Père Ambroise avait aussi ses admirateurs. Il attirait à lui des visiteurs plus ou moins illustres. Il recevait la visite de théologiens grecs d'une renommée internationale, d'évêques russes ou grecs venus escortés d'une troupe de leurs moines, de moniales venues du fin fonds de la Russie ou de leurs monastères les plus inaccessibles du fin fonds des îles grecques, dont elles ne sortaient ordinairement jamais, mais qui venaient tout exprès pour le visiter, et voir à quoi ressemblaient sa chambrette, comme sa modeste chapelle au cœur de Paris. A l'église venaient aussi des personnes haut placées, des écrivains de renom, de très riches héritiers, et même des milliardaires, de confession orthodoxe, lesquels, hélas, ne comprenaient pas combien il eût fallu, pour la Gloire de Dieu et la mission apostolique française, aider notre église si pauvre et persécutée. Il était venu un jour un de nos admirateurs secrets, un député qui nous respectait et nous estimait pour nos travaux théologiques. Tout de suite, Père Ambroise l'avait dénommé Nicodème, pour ce que Nicodème était en secret venu demander à Pilate le corps du Christ, qu'il l'avait embaumé, et couvert d'aromates. L'avait accompagnée sa femme, Dolorès, fille d'un président du Chili, lequel avait été assassiné. Dolorès m'avait fort généreusement apporté de très beaux petits vêtements d'un luxe inouï, qu'elle s'était procurés chez Bonpoint, place de la Madeleine. Il y avait là deux petites robes en velours noir et un petit costume composé d'une culotte de velours noire, boutonnée à une chemise de soie couleur crème à grand col orné de petits plis religieux. L'ensemble était ravissant. « Oh ! Cela est beaucoup trop beau pour nous ! » avais-je protesté. « Rien n'est trop beau pour vous, » m'avait-elle gentiment répondu. « Vos enfants sont les princes de l'Eglise ! » Une autre fois, Père Patric était revenu enthousiasmé. « Ca y est ! » nous avait-il lancé, tout joyeux. « J'ai enfin trouvé un éditeur ! » Il s'agissait de Dimitri Dimitrievic, éditeur qui avait fondé L'Age d'Homme, qui fit tant pour faire sortir l'Eglise Orthodoxe du mur du silence derrière lequel la tenaient enfermée ses ennemis, professionnels de la désinformation régnante dans les médias et ailleurs, - sphères politiques et religieuses. Dimitri était venu à l'église, accompagné de sa petite fille Antonia. Il avait tenu à l'y faire baptiser. Notre petite Photinie, toute enfant encore, avait été choisie pour marraine. Photinie était si raisonnable alors ! Elle était si fiable ! On pouvait lui faire une confiance absolue, à toute épreuve. Alors qu'elle était si jeune encore, j'avais tendance à la surcharger de missions à accomplir. Elle s'acquittait de toutes, avec esprit de sagesse et d'intelligence. De là qu'elle fut, très petite encore, plusieurs fois choisie pour marraine d' autres jeunes enfants. D'autres fois, le soir encore, Papouli nous faisait venir en groupe pour former théologiquement ses futurs prêtres, ses futurs moines et moniales, et même tous ceux de ses ouailles qui voulaient bien être catéchisés – et ses catéchèses étaient d'un niveau théologique et intellectuel en tout point admirable-, parmi lesquelles ouailles figuraient nombre de jeunes intellectuels brillants, formant comme une intelligentsia spirituelle. Après quoi, formés intellectuellement et spirituellement par lui, comme marqués de son sceau – le sceau du Saint Esprit -, des jeunes gens de notre église s'en allaient se faire diacres ou prêtres dans d'autres paroisses en France, et jusque dans des paroisses russes, célébrant en slavon, d'autres jeunes gens et jeunes filles, fait plus notoire et plus impressionnant encore, partaient, sans même se retourner en arrière, se faire moines et moniales dans les monastères grecs de notre juridiction, puisque, malheureusement, nous n'avions pas de monastère en France. Tel était, et si grand il était, le rayonnement spirituel de notre Saint Père Ambroise. Car si impressionnante était sa figure, et si haute sa stature spirituelle que qui l'approchait, souvent, brûlait aussitôt du désir de lui ressembler à lui seul, et à personne d'autre qu'à lui. Tant, en vérité, tout son être, toute sa personne, était incomparable, ne ressemblant à personne du commun des mortels, et faisant oublier sur-le-champ tous les gens du monde, donnant l'envie irrépressible de tout quitter pour le suivre, comme un autre Christ pour ses disciples. Car il avait atteint la stature du Christ et était devenu ce que les Pères appellent « un être très ressemblant au Christ. » C'est ainsi que les uns quittaient leurs proches pour venir s'établir auprès de lui, - comme nous avions fait, Père Patric et moi, pour venir vivre au pied de chez lui, quatorze années durant, depuis la date de notre rencontre avec lui jusqu'à celle de sa dormition - , et que d'autres quittaient leurs fiancées pour se faire moines. Père Ambroise, en vérité, suscitait de multiples vocations. De fait, sa force d'attraction était extraordinaire, et il aimantait les êtres, tel un aimant qui magnétise. Oui, en vérité, il magnétisait les cœurs, comme de mille aigrettes qui fussent émanées de sa force de persuasion, de sa personne charismatique, de son halo de sainteté. En d'autres temps, Père Ambroise nous faisait également venir individuellement à ses côtés dans la chambrette qui lui tenait lieu de cellule. Parfois, il nous faisait faire debout le long chapelet de trois cents grains, nous en prescrivant un certain nombre, et parfois, nous voyant fatigués, il nous faisait asseoir. La station debout ou assise dépendait, selon les cas, de notre degré de concentration. Il cherchait toujours à ce que nous fussions le plus concentrés possible. « Assieds-toi au bord du lit…Penche un peu la tête sur ton cœur. Et, sur le souffle, dis la Prière… » Et c’est alors, à le regarder de si près, que nous percevions combien il avait le regard fatigué, l’air épuisé par toute la dure ascèse qu’il avait menée depuis tant d’années. Il devinait la pensée : « Si tu ne souffres pas, » souffla-t-il, « Dieu n’écoute pas tes prières…Mais, » ajouta-t-il, « plus tu souffres, et plus Dieu te console… Oui, dans la vie, il faut souffrir ou s’ennuyer ». Il nous disait avoir été parfois si épuisé qu’il en venait à souhaiter d’aller à l’hôpital pour s’y reposer… Mais chaque fois qu’il se trouvait véritablement hospitalisé pour cause de maladie, comme il était apprécié et aimé des infirmières ! A toutes, oubliant qu’il était malade, il disait un mot gentil et se plaisait à les faire rire par son humour coutumier. « Comme il est aimable, disaient-elles. Non seulement il est malade, mais il trouve encore la force de nous faire rire ! » Et à nous qui venions le visiter, alors que nous savions que la nourriture à l’hôpital n’était pas assez abondante, il nous proposait encore de sa maigre pitance. Nous étions sidérés de sa générosité et de son abnégation. Il avait tellement piétiné son ego ! On eût dit qu’il n’était jamais égoïste. Mais nous nous gardions bien de le léser davantage. « C’est pour toi, Papouli. Garde-le. Tu en as besoin pour reprendre des forces ! » De fait, la santé de Papouli se dégradait. A ses divers maux de vieillesse, s’ajoutait une bronchite chronique qui l’épuisait. Nous le voyions souvent maintenant allongé sur son lit, exténué, y demeurant à ne rien pouvoir faire d’autre que prier ; car la prière était toute sa vie. Un jour, une fois de plus n’en pouvant plus, il était allé voir le médecin. Celui-ci avait été pessimiste. Il avait tenu à nous parler. « Il a vécu trop longtemps en sur régime », nous avait-il confié. « Il est comme un moteur épuisé. Il s’est usé la santé. A vivre comme cela, l’on ne peut durer longtemps, ni faire de vieux os. Il s’est enlevé des années de vie. Il ne vivra pas vieux ». Sur le moment, nous n’avions pas prêté attention à ces dires… D’autres fois encore où Père Ambroise nous faisait venir dans sa chambre, il nous sortait de petites boîtes en métal des cotons embaumants. « Ce coton vient de Saint Nectaire », murmurait-il. « Il a été passé sur ses reliques. Sentez ! Il embaume ». De fait nous sentions comme une odeur de talc parfumé. Il nous faisait sentir plusieurs cotons, provenant de diverses reliques de Saints. « Il y a plusieurs parfums embaumants », nous expliquait-il. Et, de fait, les parfums qu’il nous faisait humer étaient variés. Mais, de tout cela, le plus extraordinaire était bien que c’était lui qui embaumait, fortement, par bouffées suaves, lorsque nous nous tenions devant lui et qu’il nous disait de telles choses. Cela arrivait fréquemment. A maintes reprises, durant les derniers temps surtout de sa vie, lorsque nous nous approchions de lui, il embaumait suavement. Il était le Saint nous évoquant les Vies de ses amis les Saints. En vérité, oui, il était un véritable Saint Père théophore – portant Dieu. Et il nous le confirmait : « Cette nuit, j’ai vu Saint Nectaire. Non, je ne dormais pas. Il vient, parfois, s’entretenir avec moi dans ma cellule. »…Ces confidences nous laissaient sans voix, stupéfaits. « Si vous le vouliez », poursuivait-il étonnamment, « il viendrait aussi vous visiter ». Et un autre jour, il nous disait : « J'ai vu Sainte Photinie l'Ermite. Elle m'a parlé. Je me suis entretenu avec elle. Sainte Photinie l'Ermite est une figure si extraordinaire ! Et il soupirait : « Ah ! Je l'aime tant ! ». Et, plus tard, il traduisit sa vie. Père Patric publia peu après son livre aux éditions de l'Age d'Homme. - cf. Joachim Spétsiéris, Vie de Sainte Photinie l'Ermite, traduction de Père Ambroise Fontrier, Ed. L'Age d'Homme. » -. Un jour qu'une de ses filles spirituelles était très malheureuse, lors d’un pèlerinage que nous faisions avec lui en Grèce, nous fûmes hébergées dans une famille très pieuse de neuf enfants que la mère avait tous vus, par ses prières, rentrer au monastère, -il s'agissait de huit filles- pour y vivre de façon angélique, sauf un, -le fils unique-, et dans la maison desquels ils avaient construit une chapelle dédiée à Sainte Photinie. Comme cette fidèle était gravement, et même – elle l’apprit par la suite- incurablement malade des poumons, le Saint Père Ambroise lui fit une onction d’huile prise à la veilleuse qui brûlait devant l’icône de Sainte Photinie, dans sa chapelle, et prononça sur elle les prières de l’office des saintes huiles des malades. Par la suite, les médecins, à leur grande surprise la dirent guérie de la gravissime et rare affection pulmonaire qu’elle avait contractée, et, quoiqu’ils trouvassent cela mystérieux, se l’expliquèrent par le lourd traitement qu’ils lui avaient fait subir. Mais Papouli, fut plus explicite : « C’est Sainte Photinie, » fut-il catégorique, « qui t’a guérie ! » Ce même soir, en Grèce, elle allait s'endormir plus triste encore qu’à l’ordinaire, du fait d’un chagrin qui la tourmentait, lorsque fit soudain irruption dans sa chambre, une grande apparition. C’était une moniale de haute taille, toute de noir vêtue. Le plus surprenant était qu’elle n’avait pas fait un seul pas pour entrer. Non. D’emblée, elle s’était trouvée là, présente, de toute sa très haute prestance, habitant totalement la chambre. Toute surprise, la jeune femme se redressa pour se tenir sur son séant, assise sur son lit, et elle la regarda. C’est alors qu'elle fut emplie d’une joie indicible, comme elle n’en avait jamais éprouvée la moindre. Il lui souvint plus tard d’avoir lu que les apparitions de Saints comblent d’une joie sans pareille, à quoi aussi elles se reconnaissent, en sus de leur haute taille, plus grande que nature. Puis, soudain, la forme disparut comme elle était entrée, sans faire non plus un pas pour sortir. Disparue, elle avait tout simplement disparu. Le lendemain, la jeune femme alla voir Papouli, pour le prier de demander à la dame de ces lieux, Eugénikie, si c’était elle qui était venue chercher du linge dans l’armoire de ma chambre. « Non, ce n’est pas moi » avait répondu la mère de famille. « C’était Sainte Photinie », ajouta tranquillement Père Ambroise, l’air aussi assuré que si la chose lui eût paru très naturelle. « Elle t’a donné cette grande joie spirituelle et t’a consolée ». De fait, peu après, la vie de cette fidèle avait changé de cours, et sa tristesse s’était changée en joie… Peu avant sa mort, la petite Photinie, âgée de dix ans, vit sa Sainte en songe. « J’ai vu ma Sainte ! s’exclama-t-elle. Elle était pleine de lumière ! » Sur le moment, nous ne prêtâmes guère attention à ce que nous prenions pour un simple rêve d’enfant. L’avenir allait nous détromper. Sans doute la Sainte lui était-elle apparue pour annoncer qu’elle la prendrait bientôt avec elle… C’était Père Ambroise qui avait tenu à ce que nous appelions notre aînée Photinie. Il avait pour cette Sainte une extrême vénération. Il avait donc traduit toute sa vie, et, lorsque le livre avait enfin paru, il ne nous avait pas caché sa joie. « J’aime tellement Sainte Photinie l’Ermite », nous avait-il redit. « Lorsque je traduisais sa vie, il me semblait que j’étais tout le temps avec elle au désert, partageant sa vie. Vous rendez-vous compte ? Qu’en plein dix-neuvième siècle, une si jeune fille ait pu partir au désert et vivre comme cela, toute seule, la vie d’une nouvelle Sainte Marie l’Egyptienne ! Cela est extraordinaire et passe l’imagination ! Je la prie et je la vénère tellement ! Bien sûr, nous ne connaissons pas les carnets de bord de la plupart des Saints, et beaucoup ont dû parfois vivre une vie plus ordinaire qu’il ne l’est dit dans les Synaxaires qui sont trop stéréotypés et embellissent souvent trop la Vie des Saints ! mais une Sainte comme elle n’a rien d’une vie ordinaire ! »… L’été, souvent, Père Ambroise avait accompagné des fidèles en pèlerinage en Grèce. Il allait dans de magnifiques monastères amis, souvent sis au bord de la mer, comme à Chio ou à Kalymnos, où l’on découvrait un monde totalement à part, mystérieux, une vie tout-à-fait inconnue des habitués des sentiers battus, répertoriés par les guides touristiques. Le monastère de Chio était une fidèle réplique des monastères byzantins et athonites du XIV°siècle. Celui de Kalymnos, de dimensions beaucoup plus modestes, était, devant la mer, composé de petites cellules blanches et d’une église d’un charme extraordinaire... Oui, véritablement, ces monastères, situés dans des îles, totalement à l’écart du monde, étaient des lieux paradisiaques. Lovés dans des baies magnifiques, ils surplombaient la mer. En arrière-fond, un cirque de montagnes les rendait très difficilement accessibles par terre, après des heures de marche harassante, en plein soleil, dans des paysages désertiques. Aussi s’y rendait-on plus aisément en caïque. Ces promenades en mer dans ces minuscules bateaux si pittoresques étaient inoubliables. Un jour, malgré tout, la tempête nous surprit. Le bateau faisait des bonds vertigineux sur les lames écumantes, cependant que le vent se déchaînait. Nous étions terrorisés. L’Ancien supplia la Mère de Dieu. Les entours de l’icône suspendue au mur se mirent à embaumer et la tempête se calma. Le reste du temps, ces périples en mer nous donnaient l'occasion d’admirer les merveilles de cette nature incomparable. « Certains Pères de l’Eglise », enseignait-Père Ambroise, « situent le Paradis de la nouvelle terre à venir dans les îles grecques. Là, lorsque de tous les confins de la terre, lors de la Résurrection des morts, selon que le décrivent les poètes renaissants ou le grand prophète Ezéchiel, dans sa magnifique épître, tous les corps brisés, sciés, incinérés, torturés, dépecés, incendiés, se reconstitueront, que toutes leurs cendres et que tous leurs os reprendront vie, insufflés par l’Esprit, qu’aura marché dans la plaine de vie toute l’immense armée des morts, alors nous progresserons incessamment dans la prière et dans les vertus, revêtus de notre corps subtil, léger, beau et jeune du temps où nous avions trente ans… » Et nous de penser au portrait, tracé à la mine de plomb, de Papouli en beau jeune moine, esquissé par un artiste qui avait pressenti la grandeur à venir d’un jeune Père Ambroise, si maigre, à force de jeûnes, qu’il en avait une taille de guêpe serrée dans son ceinturon de moine, mais déjà si imposant par sa forte personnalité charismatique, plus gai que le tableau de l’Ancien affligé de chagrins qu’avait, à la fin de sa douloureuse vie d'épreuves, peint une de ses fidèles. Il en imposait déjà par son absolue authenticité, et l’on sentait, de ce fait, qu’avec lui l’on ne pouvait ni dissimuler ni tricher. Père Ambroise était parfois redoutable, pouvant se fâcher et nous ignorer dans sa colère, jusqu’à nous faire peur, à nous faire croire que nous avions irrémédiablement perdu son amitié. Il pouvait être extrêmement sévère, au point que certains le craignaient, et que d’autres, qui n’avaient point la crainte de Dieu eussent bien dû l’avoir. Une femme hostile à l’Eglise empêchait son mari de venir aux offices et lui faisait à ce propos des crises incessantes. Lorsque Père Ambroise l’apprit, il fut très contrarié. Et voici que, peu de temps après, cette femme fit coup sur coup deux grossesses extra-utérines et devint stérile. La mère d’un fidèle, détestant l’Eglise, vint faire au Père Ambroise une scène extrêmement violente en pleine église. Peu de temps après, on lui découvrit un cancer généralisé et elle mourut subitement. Un autre, complètement athée s’en prit très violemment à Père Patric. Père Ambroise en fut courroucé. Peu après, cet homme, ayant sombré dans le désespoir, se suicida. D’autres fois, au contraire, il sembla, après sa mort, qu’il prenait avec lui des êtres chers. Lorsque Père Patric et Photinie moururent ensemble, au même instant, dans leur pleine jeunesse à trente-cinq et à dix ans, comme faisaient les glorieux héros de l’antiquité, ce double deuil fut trop terrible pour que je pusse l’accepter. Lors de l’enterrement, avant que nous ne soulevions nous-mêmes leurs deux cercueils, brun et blanc, je me sentis si mal, d’autant que je portais dans les bras Vassilissa bébé, qui était déjà lourde, que je glissai et faillis tomber. A ce moment-là, l’air embauma aux entours, comme si Papouli voulait me dire qu’il me soutiendrait tout au long de ma vie dès que je glisserais. A cet instant m’apparut comme une certitude évidente qu’il avait pris avec lui Patric et Photinie, ces deux êtres chers, morts deux ans après lui, et dont il n’avait jamais pu se passer de son vivant, comme s’il n’avait pu attendre plus longtemps qu’ils le rejoignissent.Père Ambroise, du reste, s'était endormi dans le Seigneur un quatorze janvier, jour de l'anniversaire de la naissance de Photinie. D’autres femmes, d’autres hommes jeunes moururent prématurément, d’entre les enfants spirituels de Papouli. Tous leurs proches, se souvenant comme Père Ambroise les avait de son vivant, serrés dans ses bras, eurent ce même sentiment qu’il les avait pris auprès de lui au Paradis. Tous savaient que les enfants spirituels de Père Ambroise avaient sur eux, leur vie durant, et par-delà la mort, outre-tombe, la bénédiction de Papouli, et que cette bénédiction, immense, et très puissante devant Dieu, au vu de son assurance devant Lui, serait leur défense, et leur tiendrait lieu de tout, ici-bas et là-haut, devant le redoutable Tribunal de Dieu. Il était frappant aussi de voir comme, lorsqu’il arrivait dans une assemblée de gens qui lui étaient inconnus, il savait immédiatement discerner quelles étaient les personnes bonnes et aller vers elles, aussitôt, chaleureusement, pouvant aller jusqu’à les serrer dans ses bras. Et ces personnes ensuite devenaient ses enfants spirituels. Il aimait tant ses enfants spirituels ! Parmi eux, il avait une passion pour Père Patric et pour Photinie. Un jour, bébé encore, celle-ci avait par mégarde avalé un morceau de verre. Nous l’avions emmenée à l’hôpital. Mais le diagnostic avait tardé et nous ne rentrâmes que le soir. Lorsque nous arrivâmes, quelle ne fut pas notre surprise de voir Papouli à sa fenêtre, qui y avait attendu tout le jour, en pleurant, des nouvelles de sa Kouli, craignant que la chose ne fût plus grave qu’elle ne l’était en fait, puisque cela, pour finir, avait passé. En vérité, il l’aimait à la folie, la mettant sur son dos, lui chantant des chansons grecques : « Je vends un petit mouton, je vends un petit mouton », et jouant plus encore avec elle qu’avec tous les autres enfants, qu’il aimait également. « j’aime tant mes enfants spirituels, s’exclamait-il. Il faudrait que je coupe les milliers de kilomètres de cordon ombilical qui me rattachent encore à eux, mais je n’y parviens pas, et ne puis seulement m’y résoudre. » Puis, se tournant vers moi : « Ah ! Toi, Anna, tu es une mère admirable. Je n’en ai pas souvent vu de pareilles ! » Il repartait, sans avoir rien mis dans sa bouche entre les repas. Souvent, en sortant, il relevait sa soutane sous son manteau ou son imperméable, selon le temps, pour plus de discrétion. Sauf dans certaines occasions solennelles, il n’aimait pas qu’on le vît dehors en soutane. Il était contre l’ostentation : « Il ne sert à rien, reprenait-il à l’Evangile, de donner les perles aux cochons, ils ne comprendraient pas. » - « Ne jetez pas vos perles aux pourceaux » (Mat 7, 6) intime l'Evangile du Christ. Il remontait à son travail, dans l’immeuble d’à côté. Nous le voyions alors à genoux devant son lit, agrafant un à un les feuillets de la « Catéchèse Orthodoxe » qu’il confectionnait entièrement seul, à la sueur de son front. « Hélas ! je suis seul pour tout ce faire. Cela me rappelle les premiers temps dans la nouvelle paroisse que j’avais fondée. Au début, j’étais presque entièrement seul, et le jour du Grand Vendredi Saint, je pleurais sous l’épitaphion – le drap de l’ensevelissement du Christ- que je portai seul au lieu qu’il y ait cinq personnes pour le tenir en procession autour de l’église jusqu’au tombeau du Christ, sis au centre de l’église, un enfant de choeur à chaque coin, et le prêtre au milieu, sous le drap. Oui, je pleurais, et je gémissais : « Seigneur, je suis tout seul ! Envoie-moi de l’aide ! » Plus tard, il ajoutait, nous regardant non sans tristesse : « Je sème, seul, mais ce n'est pas moi qui moissonnerai plus tard. » Et en vérité, oui, Papouli avait tracé sa route seul, dans la plus grande et la plus désespérante solitude, nous préparant le chemin, nous réservant, à nous et à nos successeurs, de lier les gerbes de la moisson. Père Ambroise avait baptisé mon futur époux, Père Patric, lequel était devenu diacre, puis prêtre et protoprêtre, et avait mis à profit ses immenses qualités de chercheur en philosophie au CNRS pour fonder avec lui la revue internationale de théologie intitulée La Lumière du Thabor. Aucun éditeur ne voulant d’abord nous éditer, avant qu’elle n’ait été reprise par les éditions de l’Age d’Homme, Père Patric avait acheté une gosse off-set de bureau, et nous avions transformé notre minuscule appartement en imprimerie, les bébés jouant sous la table au milieu de l’encre et des feuilles que nous peinions à assembler. Père Ambroise descendait nous voir au travail, transporté de joie à l’idée de recevoir enfin l’aide qu’il avait si longuement et si patiemment attendue pour son œuvre d’apostolat… Il aimait à nous chanter à nous aussi de ces chansons grecques qu'il affectionnait, dans sa langue grecque natale, qui lui rappelaient son enfance en Asie Mineure, et lorsque je tardais à me manifester le matin pour lui proposer mon aide ou du moins lui demander la bénédiction pour la journée, il descendait de chez lui, gagnait la cabine téléphonique et me réveillait en me chantant en grec « la belle nonchalante qui sommeille encore… » Il était, lui, loin d’être nonchalant ; et lorsqu’il n’en pouvait plus, il se tançait lui-même, et murmurait : « Encore un petit peu, Ambroise. » Il était néanmoins plein d’indulgence envers les travers des autres : « Tu fais plus qu’une moniale, m’excusait-il. Au monastère, chaque moniale a sa diaconie spécifique. Toi, tu dois les faire toutes à la fois, plus t’occuper des enfants et de tes hôtes. » Il en venait sans cesse, les uns gentils, les autres malveillants et désagréables, toujours portés à la critique. « Tu es trop gentille », me reprenait Papouli. Malheureusement, les gens méchants ne comprennent que la méchanceté. Tu les traites trop bien. » Père Ambroise, quant à lui, excitait toujours les jalousies, au point qu’il suscitait les calomnies. Des higoumènes de Monastères eux-mêmes s’offusquaient de ce que Père Ambroise leur fît ce qu’ils considéraient comme de l’ombre. Le fondateur d’un Monastère à Boston l’avait invité aux Etats-Unis, sur sa réputation. Lorsqu’il le vit, avec sa longue barbe blanche de Starets qui attirait les foules, tout le monde se précipitant vers lui pour lui baiser la main, il le prit mal, et dès les premiers moments se mit à lui tourner le dos. Aux conférences, loin de le mettre en valeur, il évitait de le regarder en face, comme si sa présence le gênait. Sans doute avait-il des choses à se reprocher. Père Ambroise était objet de jalousie de la part même de moines, de clercs, d'évêques, ou d'autres spirituels. Le halo de sainteté qui le nimbait était si manifeste que bien des êtres envieux s'offusquaient de ce qu'il fût si saint, et non point eux. Il me souvient encore que, jeune convertie, je m’étais découragée du grand nombre des offices, des prières, des jeûnes, et des absences perpétuelles de mon mari, que sa prêtrise appelait partout auprès des fidèles, lesquels lui faisaient tout faire, bénir leur appartements, réconcilier les ménages, baptiser les enfants, et jusqu’à déménager leurs maisons, comme si le prêtre devait être corvéable à merci. A la maison, c’était l’auberge espagnole, et il fallait cuisiner toute la nuit pour accueillir des fidèles qui, par après, critiquaient tout et n’importe quoi. Les gens en divorce appelaient jusqu’à trois heures du matin. Un jour, contrariée, j’avais caché le téléphone dans la machine à laver. Fatiguée de n’avoir aucune vie privée avec mon mari qui, en plus de faire le « boy » des fidèles, exerçait à peu près trois métiers à la fois, imprimant aussi lui-même ses propres textes, pour les faire circuler sur le manteau, les éditeurs n’acceptant pas les textes des Zélotes Orthodoxes, au point qu’il s’endormait assis, tard dans la nuit, le nez sur ses livres, je dis, excédée à Père Ambroise descendu prendre de mes nouvelles : « Je n’en peux plus ! J’en ai assez de vos bondieuseries ! » A ce mot, il devint furieux, comme je ne l’avais jamais vu. « Vos bondieuseries ? Tu blasphèmes ! Ne dis plus jamais ce mot, tu m’entends ? Plus jamais ! »Et il se leva pour partir. Il faut dire que j’en étais à l’alpha bêta de ma vie de Chrétienne Orthodoxe, et que les débuts sont parfois plus rudes que la fin. Il me souvient qu’il m’arrivait encore de n’avoir pas la foi, de me dire, comme dans le pari de Pascal : « Et si tout ce que l’on me racontait n’était que contes de fées ou contes à dormir debout ? L’on se donnerait toute cette peine, l’on ferait tout cela pour rien ? Et s’il n’y avait pas de Salut hors de ce monde ? » En vérité, j’en étais aux balbutiements de la foi. Je n’avais pas encore, en pèlerinage en Grèce, en Russie, en Ukraine, - au Monastère de la Lavra des grottes de Kiev-, en Bulgarie, en Roumanie, en Terre Sainte, dans les monastères du désert, approché tous ces Saints que j’ai rencontrés ensuite et qui, dans leur grande bonté et leur miséricorde infinie, continuent de prier pour nous. Mais où que j’allasse ensuite, nulle part je ne rencontrai un Starets de l’étoffe et de la hauteur spirituelle de Père Ambroise, qui peu à peu, embaumant souvent par bouffées, instilla en nous la vraie Foi Orthodoxe. Les monastères grecs avaient été pour moi une révélation. Car, en Grèce, surtout, nous trouvions enfin nos racines, celles de l’Orthodoxie vivante, dont, jeunes néophytes, nous ignorions beaucoup encore…Nous y revenions à la source de l’Orthodoxie, cette religion des premiers temps du Christ, cette foi des Catacombes, à nulle autre comparable par son authenticité, sa ferveur et l’intensité de la prière de ses Saints. « Les monastères sont les meilleures écoles, » disait l' higoumène de Chio, la mère Marie. « L’on y apprend tout, la prière, la théologie, l’iconographie, la calligraphie, les arts ménagers, la cuisine, la couture, la maçonnerie, le jardinage, l’élevage des poules et des ovins, moutons et chèvres, mais surtout l’on y acquiert nombre de vertus et de charismes divins » Et de fait, nous voyions dans ces lieux déserts de toute beauté, élevant leurs montagnes devant la mer, où se découpaient des baies magnificentes, les formes noires des petites moniales bergères et maçonnes, ajoutant toujours de nouvelles cellules au monastère, leurs robes noires tâchées de plâtre, qui nous saluaient longuement avec leurs mouchoirs, et, au-dessus d’elles, les surplombant, sur un montagneux et abrupt sentier de chèvres, la silhouette noble et majestueuse de Père Ambroise, nous souriant de nous savoir heureux dans ces parages de rêve où il nous avait emmenés, en père aimant attentif à offrir à ses enfants des vacances somptueuses pour les sortir de leur environnement pollué, et surtout, les élever spirituellement. Les moniales étaient si édifiantes. Elles nous faisaient venir dans leurs cellules, et nous montraient le squelette qui y était accroché, « vanité » frappante, destinée à rappeler brutalement au regard qui le rencontrait par inadvertance que la vie ici-bas est éphémère. Aussi, à peine souffrions-nous d'un mal ou d'une épreuve quelconque, qu'elles nous lançaient, souriantes : « Tha pérasi ! Tha pérasi ! » - ça passera ! ça passera!- Tant elles avaient cette notion du temps qui s'enfuit en volant. Les moniales faisaient une cuisine extraordinaire. Elles nous gâtaient d’une façon presque choquante, tant elles nous faisaient d’admirables petits plats. Un jour, Père Ambroise embrassa les mains d’une des cuisinières : « Tu as les mains bénies », s’exclama-t-il en lui faisant un grand sourire jovial. Les offices, en revanche, étaient fort longs, et les agrypnies, particulièrement, offices qui duraient la nuit entière, pouvaient paraître interminables à de non-initiés. Supportant mal le manque récurrent de sommeil, - car les moines et les moniales pratiquent intensément cette ascèse du manque de sommeil-, agenouillée sur les dalles, je piquais du nez et m’endormais à terre. Alors, Papouli venait me toucher doucement l’épaule : « Réveillle-toi ; ne dors pas à l’église. Et, si tu n’en peux plus, va te coucher dans ta cellule… » La vie au monastère était très stricte, même pour les visiteurs. Maris et femmes étaient séparés, dans des cellules différentes, bien que nous eussions souvent entendu Papouli dire à de jeunes mariés qu’il plaçait à table cette parole de l'Evangile : « Il ne faut pas séparer ce que Dieu a unis. » La vie au monastère était l’exception. Mais il y avait des moments de pur bonheur comme la baignade. Se baignant à part des visiteurs, et les femmes à part des hommes, les moniales, comme les moines du Mont Athos, étaient autorisées à se baigner en longues tuniques, blanches, noires, bleues ou grises ; la nature si clémente et le chant des cigales ajoutaient au sentiment d’enchantement de ces heures de joie. Papouli parlait de « chaleur chaude ». De fait, sans la baignade, l’ascèse de la chaleur était dure à supporter pour ces moniales si couvertes, et pour le clergé en soutanes, raidies de sueur. Après la sieste, venait le moment de deviser sous la treille avec l’higoumène, en dégustant une glace parfois. Une moniale, de temps à autre, s’éloignait, semblait se cacher aux regards, penchée sur son cœur, assise sous l’excavation d’un rocher. « Regarde, » me disait Papouli, « elle s’isole pour prier. Elle vit dans la prière, intensément. » Tous moments bénis. Je m’étonnai un jour qu’il fît moines ou moniales tant de jeunes gens. Car nombre de ceux qui l'approchaient, aimantés par sa personne sainte, et portés par sa prière, sentaient l'appel de Dieu et se consacraient à Lui. La directrice de l'Ecole Normale Supérieure, fort contrariée, m'avait convoquée : « Vous envoyez toute la promotion au monastère ! » Et, de fait partirent, successivement, en peu de temps, une jeune fille, Catherine, en Attique, puis une autre, Claire, à Kalymnos, où elle fut baptisée sous le nom de Photinie, puis y devint moniale sous le nom d'Ambrossia, et un troisième, un jeune normalien de la rue d'Ulm, agrégé de mathématiques, Jérôme, qui s'en fut également dans un autre monastère de l'Attique, où il devint le moine Jean. Avec Claire (Photinie), avait également été baptisé, dans l'île grecque de Kalymnos, Laurent, sous le nom d'Ambroise, - car les moniales, en hommage à Papouli, avaient donné à ses deux enfants baptisés les noms d'Ambroise et d'Ambrossia.- Ambroise était lui aussi jeune normalien de la rue d'Ulm, agrégé de lettres et membre de la fondation Thiers. Plus tard, il entra au C.N.R.S. Il devint par la suite le métropolite de notre église, sous le nom de Monseigneur (Mgr) Philarète .D'autres jeunes filles de l'Ecole vinrent aussi grossir notre troupeau à l'église. Mgr Philarète amena à l'église sa sœur, également Sévrienne de l'ENS de jeunes filles (alors dite Sèvres), laquelle prit, dans l'illumination du baptême, le nom de Félicité. La femme de Père Timothée, Hélène, était, elle, fontenaysienne. - de l'Ecole Normale Supérieure de Fontenay.- Un jeune homme de seize ans, Serge, polyglotte, issu d'une famille brillante, aux jolies jeunes sœurs fort douées en de multiples disciplines, né d'un père russe, d'une mère allemande, qui vivait en Amérique et parlait parfaitement le français, fut de passage, un an durant, à notre église, où il était enfant de choeur. Au contact du Saint Père Ambroise, il s'en fut, tout jeune qu'il était, se faire moine au monastère de la Transfiguration de Boston aux Etats-Unis. Papouli magnétisait aussitôt, sanctifiait sans tarder ceux qui l'approchaient, pour peu qu'ils fussent profonds spirituellement. Mais pourquoi ne seraient-ils point partis plus tard au Monastère ? « Il faut partir tout de suite », me répondit Père Ambroise lorsque j'émis devant lui cette réserve, « dès que l’on sent l’appel de Dieu. Autrement, le temps passe, et l’on oublie Dieu et la prière. Et puis, pourquoi voudrais-tu donner à Dieu de vieilles épluchures ? » Car il avait toujours le mot drôle pour rire. Mais sous ce rire apparent, il nous donnait à entrevoir des profondeurs insondables de l’âme. Il emmenait aussi des laïcs de ses paroisses en pèlerinage en Grèce, pour demander la bénédiction des Saints vivants et vénérer les reliques des Saints défunts. Il nous emmena voir un saint vieillard, un Saint vivant. Monseigneur Kallixte de Corinthe, la première fois que nous le vîmes, paraissait fatigué, usé, immobile, mais il avait encore le regard vif, et très bleu. Il ne faisait rien autre, en apparence, que méditer, assis sous un grand pin qui l’ombrageait. Il était en prière. De sa crosse épiscopale, il nous montra les aiguilles de pin. A chaque aiguille de pin, je dis « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! » Ses prières étaient si puissantes que l'on l'appelait partout, dans les monastères et ailleurs, pour chasser toutes les souris, pour faire cesser la sécheresse, et pour mille autres choses encore. S’il priait pour que vînt la pluie, on le suppliait ensuite de prier pour que cessât la pluie. Père Ambroise nous présenta à lui : « Voici Père Patric et Presbytéra Anna, » lui dit-il en nous désignant. « Et voici Photinie, leur petite fille », commença-t-il. Mais Monseigneur Kallixte l'interrompit d'un geste : « Photinie », assura-t-il, péremptoire, « Photinie, c'est pour la lumière du monde»... Papouli nous mena également en Attique chez deux sœurs, originaires de Marseille, qu’il appelait, en riant, les « Cannebières. » Elles habitaient un petit Monastère dans la banlieue d’Athènes. Il y avait là Mère Nectarie et sa sœur Marie, veuve, sans enfants, laïque, mais qui vivait, elle aussi comme une moniale, ayant vécu cinquante ans en frère et sœur avec son mari, alors défunt. Devant la petite église qu’elles avaient fait construire, l’un de mes enfants en bas âge eut soudain un pressant besoin de faire pipi par terre. « Cela ne fait rien, » sourit Mère Nectarie, « c’est du pipi d’ange ». Puis, revenant à ses propos sérieux coutumiers : « Pour moi, » confiait-elle, « j’envisage chaque jour comme si c’était le dernier de ma vie. Je me dis chaque matin que, le soir même, je vais mourir et devoir rendre des comptes à Dieu de mes actes… » . Lorsqu’avec sa sœur, elle sortait faire des courses, et que toutes deux voyaient des gens en chemin, le soir, elles se les remémoraient un à un et priaient pour eux, et pour le salut de leurs âmes… La dernière fois que nous allâmes visiter Mère Nectarie, elle était alitée. Sa sœur Marie venait de mourir, et mère Nectarie ne supportait pas cette absence cruelle. D’autant qu’il n’y avait plus personne pour venir la secourir, cependant qu’elle était grabataire. Elle refusait que qui que ce soit d’autre vînt la servir, et se laissait dès lors mourir de faim. Usant des dernières forces qui lui restaient, elle égrenait son chapelet. Quelle fut son ascèse de patience alors ! Il y avait deux ans qu’elle était alitée sans pouvoir bouger…Tant de patience passe l’imagination… Elle me tendit une image pieuse représentant un bébé avorté. « Dis-le, toi, » souffla-t-elle, « dis-le, en Europe et ailleurs, qu’il ne faut pas avorter. C’est un crime absolu qui tue ces pauvres petits êtres innocents et sans défense…. » Et père Ambroise ajouta : « C’est un grand péché aussi, que de retenir et d’empêcher de naître tous les enfants qui sont dans les reins de l’homme », par là recourant à une image biblique pour condamner la pilule, tout comme il condamnait l’union libre. « Et toi , Papouli, « interrogea l’un de ses enfants spirituels, « est-ce que cela ne t’a pas manqué de ne pas te marier ? » Il ne répondit guère sur ce chapitre, taisant la grande lutte des moines, versant leur sang pour garder la chasteté. « Verse ton sang, enseignent les Pères, et tu recevras l’Esprit et la Grâce. » La sainte ascèse, par ses labeurs et ses combats, dit à peu près Saint Justin Popovic, attire en retour sur les lutteurs la Grâce du Saint Esprit. Père Ambroise reprit : « Ce qui m’a le plus manqué, c’est la paternité. C’est de ne pas avoir d’enfants selon la chair. Aussi, Dieu m’a-t-il consolé avec mes enfants spirituels. » Au vrai, comme l'enseignent les Saints Pères, les moines sont pères de tous les enfants du monde. (- cf L'Ancien Païssios l'Athonite : Lettres. Ed. Du monastère Saint Jean le Théologien, Thessalonique) ; (cf Hiéromoine Grégoire du Mont Athos : Le sacrement du mariage, communion d'amour. Ed. Des Syrtes -). Père Patric avait un jour converti un intellectuel de valeur, d’une intelligence supérieure. « Tu as péché un gros poisson », lui dit Papouli en souriant. De fait, ce nouveau venu était une grosse pointure, sorti à l'agrégation premier à l'écrit, et second à l'oral. Il devint par la suite notre Evêque Photios. Père Patric l'avait rencontré dans la cour de la Sorbonne, devant la liste des résultats, et il avait tout de suite repéré sa croix orthodoxe. « Tu es orthodoxe ? » lui avait-il demandé, fort étonné. « Si l'on veut » avait répondu le brillant jeune homme. J'ai été baptisé orthodoxe, mais, mes parents ne pratiquant pas, je ne suis jamais allé à l'église orthodoxe. » Et il avoua ne presque rien savoir, alors, de sa religion, au point même qu'il s'était entiché du bouddhisme, et ne comprenait, dès lors, quasiment rien aux discours théologiques que Père Patric lui tenait désormais sur l'Orthodoxie. Dès lors, après la pêche, venait pour Père Ambroise l’heure de l’enfantement. Il parlait des périodes où il catéchisait les catéchumènes en termes de grossesse et de gestation. « A chaque fois que j’amène un catéchumène au baptême, disait-il en riant, l’accouchement est plus ou moins difficile ! ». Il est vrai qu’il s’intéressait paternellement à la gestation des femmes enceintes, non moins qu’elles- mêmes, qui eussent pu épier les signes de leur grossesse : « Ton bébé bouge-t-il ? » s’enquérait-il avec amour. Et, l’heure de l’accouchement venue, il allait à l’église ouvrir grand les portes royales de l'ambon, devant l’iconostase, pour faciliter la naissance, et que celle-ci fût aisée. Un jour que ses enfants le voyaient triste et comme accablé : « Que t’arrive-t-il, Papouli ? « « Tout le grand carême, confia-t-il, j’ai dû porter une âme pécheresse, et j’en suis à présent épuisé ! » D’autres fois, toujours en grand carême, désabusé, il se plaignait de la négligence des gens. Il soupirait : « Parce que les gens, aujourd'hui, ne croient plus en rien, le Diable les a jetés dans la chair. Oui, les gens n’ont plus qu’un sexe et qu' un estomac ! » Car, il lui arrivait de parler crûment. C’était chose rare, mais cela lui arrivait aussi pour rire, parfois : « Untel n’a pas de sex-appeal ! Il ferait mieux de se faire moine plutôt que de chercher partout une fiancée ! ». Mais la plupart du temps, il était d’un sérieux imperturbable. Loin d’être un pitre, il révélait une âme d’une profondeur abyssale, montrant également une incroyable connaissance des profondeurs de la psyché humaine. Une autre fois qu’il priait intensément pour un grand malade proche de la mort : « J’ai fait tant de jeûnes, de prières, de métanies et de prosternations pour ce malade, qu’il me semble l'avoir porté en moi. N’est–il donc pas encore guéri ? » Il avait ses enfants chéris, comme le Christ avait eu ses préférés, laissant Saint Jean se reposer sur sa poitrine : « Père Patric, Anna mou, » nous murmurait-il, « vous êtes du miel. C’est pourquoi toutes les mouches à miel de la paroisse viennent chez vous, vous envahir. » Et il poursuivait tendrement : « Il me semble que tu es ma fille, et que je t’ai faite comme ton père. Anna mou, mes entrailles ! »... . Il avait intensément prié aussi pour les enfants à naître dans son église. « Tes enfants sont beaux, » dit-il, joyeux à une jeune mère, « parce que tu les as attendus dans la prière. Tu vois, tout ce que l’on fait dans la prière ne ressemble à rien d’autre. Les choses sont bénies et réussissent comme nulle autre. Tes filles seront si belles que des chiffons mêmes qu’elles se mettraient ne pourraient cacher leur beauté. Les prétendants feront la queue pour les voir, et tu t’inquiéteras si elles ne sont pas rentrées plus tôt. » Il parlait de mes enfants avec émotion. Et lorsque le petit Séraphim fit son entrée dans l’église au quarantième jour de sa naissance, Papouli, le portant très haut au-dessus de sa tête, au bout de ses bras levés vers le Ciel, tandis qu’il lui faisait faire tout le tour de l’église, et même du sanctuaire et de l’autel, - puisque c’était un garçon, les filles n’étant pas admises dans le sanctuaire-, Papouli, donc, ne cessa tout du long de l’office de pleurer d’émotion. Relativement à la beauté, s’il l’aimait comme un don de Dieu, il ne la mettait pourtant pas au pinacle des qualités. A une jeune fille qui regrettait un amoureux fort beau, mais quelque peu inintelligent qu’elle avait aimé surtout pour ses traits, il dit sentencieusement, sur un ton fâché : « La beauté ne se mange pas en dessert ! » Vis à vis de l’amour, il était assez dubitatif, voire pessimiste : « L’amour, cela ne dure pas toujours », murmurait-il. Concernant les laïcs qui n’avaient pas fait vœu de chasteté, il était absolument pour le mariage, sacrement célébrant un mystère, et pour les familles nombreuses, tout comme mère Marie, qui envoyait des subsides à maintes familles très nombreuses de Grèce, qui pouvaient comporter quinze enfants, et répertoriées dans un petit journal spécial qui leur était consacré. Il nous advint, en Grèce, de visiter une de ces familles de treize enfants. Ils étaient rangés, comme des images, en rang d’oignons, toutes les petites filles sagement nattées auprès de leur maman, qui tenait dans ses bras le dernier-né. Le papa était postier et venait souvent aux nouvelles de sa femme et de ses enfants, mais ne pouvait que modestement contribuer à les faire vivre. Il n’y avait pratiquement pas un meuble dans cette maison très pauvre. Mais au mur trônaient les photographies de plusieurs Saints. « Comment faites-vous pour survivre ? » demanda-t-on aux jeunes parents. « Nous avons la bénédiction de notre saint oncle. C'est comme cela, par ses prières incessantes, que nous survivons, que nous nous en sortons », répondirent-ils aussitôt alors, comme à brûle-pourpoint, en désignant l’une des photographies de saints moines qui avaient justement attiré notre regard. De fait, tout le monde alentour aidait cette famille. Et celle-ci le leur rendait en priant pour ses bienfaiteurs. Nous sortîmes de cette maison aussi édifiés que si nous venions de visiter un Monastère. En Grèce, Père Ambroise visitait encore les malades. Une femme l’ayant avisé dans la rue, et reconnaissant en lui un vertueux Géronda, le pria d’entrer chez elle pour venir voir sa mère malade. Cette femme, grabataire depuis des années, était dans un état psychique déplorable. A qui ne fait pas la prière mentale, comment un tel état, même dans un âge qui n’était pas la vieillesse avancée, eût-il pu être supportable ? Ne priant pas, cette femme avait sombré dans une dépression profonde. Père Ambroise avait à son chevet prié pour sa santé physique et psychique. Il faut dire que ses prières étaient extraordinaires. Lorsque nous lui disions, dans la conversation, ou dans la confession, le dimanche, ce qui n’allait pas, à peine avions-nous le temps de rentrer chez nous que tout s’arrangeait inopinément, et promptement, de la manière la plus souhaitable qui se pût pour nous. Son assurance était si grande devant Dieu, et sa prière si fervente, que ses demandes étaient aussitôt ou bientôt exaucées. Il nous amena chez un autre grabataire. Le contraste avec la précédente dame était à peine croyable. Ce malade, un hiéromoine très âgé, faisait incessamment la prière du cœur, au point qu’il en jubilait, tant intérieurement qu’extérieurement. Son visage rayonnait de joie spirituelle. Il était si beau à voir que nous ne pûmes résister au plaisir de le photographier pour garder dans nos mémoires le souvenir de cette face toute rayonnante de la joie de l'Esprit de Dieu. Ceux qui font incessamment la prière du cœur, sentent, dit Saint Joseph l’Athonite, une douceur suave les envahir, et comme un miel fleuri leur couler suavement dans la bouche. Ils éprouvent, explique le Starets serbe Thaddée, et ils ressentent une joie sans pareille, une félicité qui constitue les prémisses de la béatitude paradisiaque. Père Ambroise nous menait encore dans l’île d’Egine, sise dans la baie d’Athènes, vénérer la tombe et les reliques de Saint Jérôme d’Egine et rencontrer ses filles spirituelles. Il y en avait trois générations : Eupraxia l’Ancienne, moniale, Eupraxia la Nouvelle, ou la Jeune, également moniale, et Sotiria, jeune femme laïque. Dans l’île, tous les chauffeurs de taxi connaissaient l’ermitage du Père Jérôme d’Egine, et de la Gérondissa Eupraxia, quoi que cet hésychastérion fût très isolé, retiré dans la campagne. Il était entouré d’un haut mur, et il était difficile de se faire ouvrir la porte. Maintenant que le Père Jérôme s’était endormi dans le Seigneur, ses deux moniales ne recevaient pas tout le monde, comme il l’avait fait, et il fallait montrer patte blanche. Mais pour le Père Ambroise et ses enfants spirituels, la porte s’ouvrait toujours. C’était Eupraxia la Nouvelle qui ouvrait. Bien qu’elle ait eu un certain âge, à l’époque, plus d’une cinquantaine d’années au moins, elle était encore extrêmement belle. Tout de noir vêtue, la tête sous son voile, elle était d’une grande noblesse naturelle, et ses traits étaient particulièrement fins et agréables à regarder. Elle nous ouvrait avec empressement : « Père Ambroise ! Mon Dieu ! Comme je suis contente de vous revoir ! » Elle nous regardait, et, chaque fois redisait : « Toi, Anne, tu restes ici, avec nous ! » Mais, chaque fois aussi, je lui redisais que j’avais les miens, mon mari, mes petits, en France, et que je ne pouvais pas tout laisser pour la suivre. Elle semblait avoir du mal à l’admettre. Elle nous introduisait dans la pièce à vivre. « Venez que je vous présente à Mère Eupraxia l’Ancienne». Mère Eupraxia l’Ancienne était une Sainte vivante. Elle avait près de quatre-vingt dix ans. Elle nous regarda. Elle me dévisagea, puis me regarda longuement, fort longuement : « Comment t’appelles-tu ? » « Mère, c’est Presbytéra Anna », lui glissa Eupraxia la Jeune. « Anna, Anna », répéta-t-elle, et elle se remit à me regarder intensément, sans mot dire. J’étais, moi aussi, comme la femme de prêtre, la presbytéra, ou, plus familièrement la pappadia traditionnelle, tout de noir vêtue, avec une robe assez longue à manches également longues, un collant noir et de petites ballerines noires. Peut-être avait-elle vu en moi une future moniale, qui sait ? Eupraxia l’Ancienne ajouta soudainement : « Anna, si tu charges trop un âne, il tombe ! Ne fais donc pas d'excès en ton ascèse. » Puis, me regardant toujours d’un regard profond : « Tout est vain !...Tout est vain ! ». Elle le répéta plusieurs fois encore, comme pour bien m’en persuader. Puis elle se leva péniblement, et entreprit d’arpenter le couloir en poussant son petit déambulateur, car elle peinait à se déplacer. « Géronda, mon Géronda, » pleurait-elle, en s’adressant à son cher Ancien Jérôme d’Egine, prends-moi, emmène-moi avec toi…Je n’en peux plus…Viens me chercher… » et elle pleurait, répétant en boucle : « Le Père Jérôme m'a oubliée ! Il m'a oubliée ! » L’on sentait mieux alors à quel point, pour les Saints, cette vie n’est pas la vraie vie, cependant que c’est l’autre vie, là-haut, qui est la vraie, la véritable existence. L’on songeait aussi à cette phrase du Bienheureux Augustin d’Hippone, disant à peu près en substance : « Nos morts ne sont pas partis loin…C’est comme s’ils étaient dans la pièce d’à côté. Ils nous entendent…Nous pouvons leur parler…Ils sont avec nous… » De ces murs d’ermitage, aussi, l’on sentait dégoutter la prière, dégageant d’intenses ondes, comme radiantes, nous signifiant combien de prière intense s’était dite ici, en ce lieu béni, où s’étaient succédés et où se succédaient encore de Saints Hésychastes… Puis Mère Eupraxia la Jeune continuait la visite. Elle nous montrait la pièce aussi étroite qu'un boyau, semblable à l'intérieur d'une grotte, où l’on ne tenait qu’accroupi sur un petit banc d'hésychaste posé à terre – lieu de prédilection où l’Ancien Jérôme se retirait pour prier. Puis, nous faisant passer dans une autre pièce, elle nous désignait, près de sa cellule, occupée d’un petit lit étroit et d’un iconostase, la chaise longue dans laquelle il prenait l’essentiel de son repos. Elle nous faisait nous étendre dans cette chaise longue, nous revêtait de la soutane de l’Ancien, pour que nous fût par là donnée la bénédiction de l’Ancien. En partant, elle me fit don d’un épitrachélion, avec lequel Saint Jérôme faisait les confessions. « Je prierai pour toi, » dit-elle. « Et je prierai pour vous ». Nous agitions la main. Elle refermait le portail. Nous nous retrouvions seuls, les yeux mouillés d’émotion, dans la rase campagne, au milieu de nulle part… Nous reprîmes le bateau. A bord, assise sur une chaise, une vieille moniale toute en noir semblait à moitié assoupie sur son chapelet, qu’épuisée, exténuée presque, elle continuait néanmoins d’égrener, cependant que ses paupières tombaient, sous l’emprise de la fatigue. « Regarde », chuchota Papouli, « une Sainte. Elle veille tant en prière qu’elle n’en peut plus. » Père Ambroise emmenait régulièrement ses fidèles, dans cette même île, vénérer les reliques de Saint Nectaire d’Egine. Une dame d’un certain âge avait, à la suite d’une forte grippe, perdu l’odorat, ce qui la faisait souffrir, et constituait pour elle une épreuve pénible. Après avoir vénéré les saintes reliques, dont le saint chef et la mître de Saint Nectaire, Evêque de la Pentapole, elle retrouva l’odorat. Elle en fut très heureuse. « Saint Nectaire », lui dit-il, « a entendu tes prières. » Lui aussi avait, comme les Saints thaumaturges, le don de guérison. L'on découvrit à un enfant de la paroisse de Montpellier une énorme tumeur au cerveau. Il était condamné à mourir, à moins que l'on ne lui fît subir une opération à hauts risques, qui devait se solder, dans l'immense majorité des cas, par de gravissimes séquelles neurologiques. Seule une infime proportion des opérés ressortait, dans ce cas de figure, indemne d'une telle opération. L'enfant fut opéré et les suites de l'opération manifestèrent que l'enfant s'avérait parfaitement guéri. C'était un véritable miracle. Père Ambroise avait également guéri plusieurs cas de cancers. L’un était celui de la dame qui l’avait toujours aidée, et pour laquelle il éprouvait une affection particulière. S’étant aperçue qu’elle avait une tumeur, elle se la fit retirer du sein. « Hélas, » se lamenta Père Ambroise, lorsqu’il connut le résultat de l’opération, « la tumeur était grosse comme une orange. Les médecins disent que ce cancer du sein a été pris trop tard et qu’il est incurable. » Mais contre toute attente, la dame guérit et fut sauvée de ce mal reconnu comme fatal. Un autre cancer qu’il guérit fut un cancer de l’utérus. La jeune paroissienne à qui l’on découvrit ce mal n’avait eu qu’un enfant, et l’on lui dit qu’il était impossible qu’elle en eût un autre. Il fallait lui retirer l’utérus. Elle refusa. Aussitôt après, elle eut un second enfant, et sa matrice s’étant retrouvée mystérieusement guérie, on renonça à la lui enlever totalement. D’autres femmes encore, qui, depuis près de dix ans, n’arrivaient pas à avoir d’enfant, venaient lui exposer leur cas. Et, peu de temps après, elles se retrouvaient enceintes. « A ceux qui sont de l’Eglise », enseignait-il, « nous nous devons. Aux autres, nous ne nous devons pas de la même façon. » Un jour que j’étais venue, très affligée, lui demander des prières pour mon père qui venait d’avoir, aux douleurs suraiguës, un infarctus du mésentère, et dont les jours étaient comptés, il avait paru contrarié : « Pourquoi me demandes-tu des prières pour lui qui n’est pas orthodoxe ? Tu sais que si tes parents sont hostiles à l’Orthodoxie, et qu’ils blasphèment les icônes, il vaut mieux pour toi les quitter. Ainsi tu vivras en paix au lieu qu’ils te déchirent et t’assaillent d’ondes négatives. » Mais je lui rappelai que mon père, Stéphane, était bon. Médecin neurologue, professeur des hôpitaux, toute sa vie, il s'était dévoué pour les handicapés. Infirme lui-même, amputé d'une jambe à l'âge de cinq ans, pour ce que durant la guerre les antibiotiques n'avaient pas encore été découverts, il avait toute sa vie souffert le martyre et mené une vie de lutte et de combat contre la souffrance. Un jour que la ministre de la santé était venue visiter son hôpital de Garches, il avait intercédé pour les paralysés de France et obtenu que les autobus et les trains fussent désormais munis d'une plate-forme amovible, permettant de hisser à bord les fauteuils roulants des handicapés. Il n'allait plus à l'église catholique, mais croyait qu'il existât des saints laïcs. « Celui qui aide un paralysé, ne serai-ce qu'en poussant son fauteuil, les anges le porteront au Ciel, » dit Saint Jérôme d'Egine. - (Cf. Presbytéra Anna, L'Oiseau de Guelvéri, op. Cit.)-. Père Ambroise avait donc prié, et mon père qui, selon les médecins n’avait que quelques jours à vivre, avait miraculeusement vécu huit années encore, par après ce terrible accident de santé. Père Ambroise faisait des prières pour les morts. J’avais perdu une petite fille à la naissance, et j’en étais inconsolable. « Il faut l’appeler Marie, me consola-t-il, en hommage à la Mère de Dieu. Ne t’inquiète pas : j’ai prié pour elle. Tu peux lui parler, car elle est vivante. Comme le dit le bienheureux Augustin d'Hippone, nos morts sont là, juste à côté, comme dans la pièce contiguë à la tienne. Tu la reverras après ta mort avec tous tes enfants morts-nés. » Car, en vérité, j’avais une tel amour, une telle passion des enfants, que, près de vingt ans durant, je tentais d'en mettre au monde. Mais, en plus de mes sept enfants nés vivants, j'avais, inexplicablement, perdu dix enfants en couches. Il me fallait, hélas, concevoir trois enfants pour en garder un vivant. De plus je perdais mes enfants fort tard, souvent au cinquième mois de grossesse, où ils mouraient brusquement in utero, ce qui rendait leur perte d'autant plus éprouvante que je les avais déjà portés un assez long temps. J'avais donc eu neuf parités, et avais dû passer dix fois en salle d’opération pour ce motif, ce qui avait constitué une épreuve très lourde pour moi dans ma vie de jeune femme. De plus, chaque gestation se passant relativement mal, je devais rester couchée de longs mois. Ce fut une longue école de patience. Une dame de l’église, qui par la suite devint la moniale Ambrossia l'Ancienne, fut accidentée. Lorsque je vins la voir à l’hôpital, elle me dit : « J’ai vu Papouli en rêve, avec ta petite Marie et de petits enfants autour de lui ». Un jour que je devais entrer à l’hôpital pour une maternité, je demandai naïvement à Papouli si je devais apporter une veilleuse pour la poser sur la table de nuit. « Pourquoi faire ? » me répondit-il en riant, « puisque tu as la veilleuse dans le cœur ! Ah ! Anna mou, Anna mou ! tu n’en feras jamais d’autres ! » Père Ambroise priait même pour les suicidés. A la famille accablée d’une jeune fille qui s’était suicidée, il prodigua consolation : « Ne vous inquiétez pas…J’ai prié la Mère de Dieu…Elle sera sauvée. » Mais il n’oubliait pas que le suicide est, selon les Pères de l’Eglise, le plus grave des péchés, le péché contre l’Esprit… Certains, à l’église, le sachant par ouï-dire thaumaturge, - car sa réputation s’étendait et rayonnait bien loin par-delà la France où, paradoxalement, il était le moins reconnu, cependant que dans les déserts des Karoulia de l’Athos les Saints ermites connaissaient son nom et ceux des membres de sa synodie, pour lesquels, tous, ils priaient avec feu- certains fidèles Orthodoxes, donc, venaient de fort loin, de Grèce ou de Russie parfois, lui demander ses prières avant une intervention chirurgicale ou pour une maladie grave. Ses enfants venaient aussi, bien entendu, requérir de lui toutes sortes de prières, pour des choses plus bénignes parfois. Il faisait des offices d’intercession pour tout, guérissait des insomnies, des maladies de peau, des problèmes d’yeux, etc…Ses prières semblaient magiques…Oui, il y avait comme une magie de ses prières. Lui-même le savait bien, qui nous demanda un jour : « Si vous aviez une baguette magique, que demanderiez-vous ? » Je lui dis, un autre jour, que j’aimerais avoir une maison en Provence. Le souhait semblait d’autant plus incongru que nous étions depuis des années mal logés, à l’étroit dans un petit appartement de banlieue, et que mon époux devait desservir l’église de Paris tous les dimanches. Papouli sembla d’abord étonné, puis quelque peu ennuyé de cette demande, qui supposait que je m’éloignasse de notre Eglise-mère de Paris, ce qui sur le moment paraissait impensable. Puis il plissa les yeux, comme s’il visualisait une maison provençale dans un beau jardin. « Tu y feras la cuisine », me répondit-il alors. « Tu y auras des fleurs… » Ce rêve me paraissant irréalisable, je n’y pensai plus, jusqu’au jour où je me retrouvai habiter une grande maison en Provence dans un cadre merveilleux, en rase campagne, tant que l'on se serait cru au désert, où l’hésychia paisible était plus exceptionnelle encore qu'en ville, pareille à celle que nous avions connue dans dans les monastères les plus inaccessibles, perdus sur la mer, que nous avions atteints avec Père Ambroise dans des coins perdus et isolés des îles grecques, tels ceux, magnifiques, d'Oinoussa dans l'îlot qui faisait face à l'île de Chios, ou tel celui, totalement inaccessible, de l'île de Kalymnos où nous avions laissé une jeune amie de notre paroisse française pour qu'elle y devînt moniale. Mais cette baguette magique qu’était la prière de Papouli ne nous procurait pas tant des biens matériels que d’indicibles biens spirituels… Père Ambroise n'était déjà plus d ece monde, lorsque, traduisant la vie des moines du Monastère de la grande Lavra des grottes de Kiev, je me dis intérieurement : « Voilà un endroit, hélas ! où je ne pourrai jamais aller ! Mon Dieu, quel dommage ! » Mais, quelque temps après, nous fîmes, par l’intermédiaire d’une association destinée à aider les enfants de Tchernobyl, connaissance avec un magnifique petit garçon, du nom de Micha, que nous hébergeâmes, pour le reposer des radiations. Il se trouva qu’au moment venu de lui faire prendre le car pour rentrer chez lui en Ukraine, je me décidai subitement à le prendre avec lui, et à le raccompagner dans sa ville natale, à trois jours de route de chez nous. « Sa grand-mère doit être une sainte », me disais-je, impulsivement, avant que de sauter brusquement dans le car, « pour l'avoir aussi bien élevé que cela. J'aimerais la voir, la rencontrer. » C’est ainsi qu’arrivée non loin de Kiev, je m’y rendis, et que j’eus le bonheur, peu après, de visiter, avec un interprète, les extraordinaires grottes de la Lavra, ces catacombes blanches où reposent des centaines de Saints dans leurs cercueils de verre, vêtus de leurs ornements ecclésiastiques, et très souvent incorrompus… Papouli, du haut du Ciel, avait exaucé ma prière… Outre le charisme de guérison thaumaturgique, Père Ambroise avait encore celui de lire dans les cœurs. Il possédait ce charisme que l’on nomme don de cardiognosie. Il lisait dans les cœurs comme à livre ouvert. Un jour que je le conduisais en voiture à l’église : « A quoi penses-tu, Anna mou ? » Or, ne jugeant pas utile de lui dire à quoi je songeais, je lui rétorquais que je ne pensais à rien. C’est alors qu’il acheva à voix haute ma pensée, poursuivant mon discours intérieur. J’en demeurai confondue. Et c’est ainsi, souvent, qu’il finissait tout haut les conversations des gens, disant fort ce qu’ils pensaient tout bas. Une autre fois que nous étions dans le chœur à l’église, j’eus cette pensée de vouloir éprouver mon père spirituel. « Si Papouli sait vraiment ce que je pense en cet instant, » pensai-je incongrûment, « je voudrais qu’il se lève pour aller dans le sanctuaire ». A cet instant même, Père Ambroise, vieux et fatigué, se leva de son tabouret de malade pour se diriger vers le sanctuaire. Lorsqu’il revint, j’eus de nouveau, insistante, la même pensée : De nouveau, il se leva et repartit dans le sanctuaire. Lorsqu’il revint, il me regarda longuement et se rassit en silence. Je priai ma mauvaise pensée de me laisser tranquille, et je n’insistai plus... Il avait également le don de diorasis. Il savait ce qui se passait ailleurs, spatialement, à quelque distance que ce fût de lui, aussi clairement que s’il y était. Un jour que je m’escrimais, chez moi, à tourner des phrases de manière précieuse et alambiquée, je l’entendis soudain sonner à ma porte. « Que fais-tu, Anna ? Non, ne fais pas des phrases si compliquées…Tu écris des Vies de Saints. Elles doivent être écrites dans un style clair, pour être comprises de tout le monde »… J’étais restée sans voix. Comment Papouli, dans sa chambrette, avait-il eu connaissance de ce que j’écrivais en bas de chez lui ? Une autre fois, j’étais tombée dans la manie de l’homéopathie à tout crin. Quelqu’un m’avait prêté un ouvrage d’herboristerie et d’homéopathie, et je concoctais des ordonnances sujettes à caution que je faisais préparer chez le pharmacien. Ce faisant, agissant, comme toujours avec excès, je grevais le budget de ma petite famille. Un jour que, dans la cuisine, je m’apprêtai à saisir un tube de granules, Papouli sonna précipitamment à la porte. « Non, Anna mou, pas ce tube ! Qu’allais-tu faire ? Il ferait battre ton petit cœur si vite que c’en serait dangereux ! » Ebahie, je demeurai tout abasourdie. Mais, par la suite, lui désobéissant, j’avalai cette étrange concoction de mon invention. Je fus alors victime d’une telle tachycardie, qu’il me sembla que mon cœur allait se décrocher dans ma poitrine. Très angoissée, je courus à la pharmacie, demander un calmant, regrettant amèrement de n’avoir pas obéi à mon Ancien. Père Ambroise frappait par son naturel et par sa simplicité sainte. En toute chose, par sa mise, par son attitude, par ses propos, il était naturel. Subjugué par ce naturel, et par son tempérament de feu, tout aussi bien, par sa fougue extraordinaire, d'âme passionnée, dont cependant il avait la maîtrise absolue, le grand réalisateur Abel Gance, qui l'avait rencontré par relations, lui avait proposé le rôle-titre de Napoléon dans son film éponyme. Mais, tout humble, comme toujours, Père Ambroise avait poliment décliné l'offre si prestigieuse. Aussi, pour ceux du moins qui avaient conscience de sa sainteté, nous en imposait-il. En montant chez lui, nous nous disions : « Papouli va lire dans mon cœur. Oserai-je soutenir sa présence ? » Si Papouli « parlait juste », c'était aussi parce que ses pensées étaient pures. Nombre de ceux qui le rencontraient, confrontés brusquement à cette sainte présence, se sentaient dès lors tout d'abord « faux » devant lui, comparativement à sa justesse de ton. De là vient que nous avions mené le combat contre les pensées impures. Nous nous étions exercés à la garde des pensées, pour n’éprouver plus de pensée impure. Il faudrait que lorsque notre Ancien lirait en nous, il n’y trouvât nulle pensée mauvaise. « Une telle », dit-il un jour « a l’âme si pure que cela se lit dans ses yeux. Lorsqu’on la regarde on ne voit que ses yeux. On ne voit que son âme. On ne voit que cela….Avec une âme aussi pure, l’on peut aller partout sans crainte. L’on n’a peur nulle part »... Certains pourtant des fidèles de l’église n’avaient jamais perçu la sainteté de Père Ambroise. Il était si humble qu’il mettait ses efforts à la dissimuler et à la cacher aux yeux du tout-venant. « Nous ne savions pas », bredouillaient-ils après sa mort, « que c’était un Saint ». Tout juste s’ils ne l’avaient pas pris pour un simple pitre qui s’était employé à les distraire… Il était si discret, cachant par humilité ses charismes divins… Il me souvient comme il se baissait pour ramasser des objets traînant à terre, à la maison ou dans la voiture. Il le faisait si discrètement que l’on ne s’apercevait pas de l’effort qu’il venait d’accomplir. Et toujours il nous servait, sans mot dire, à table ou ailleurs, debout, derrière nous, à nos soins. Nous y étions si habitués que nous n’y faisions pas même attention, jusqu’à ce qu’il fût parti, qu’il eût quitté ce monde, et que nous comprîmes qu’il nous avait donné l’exemple du serviteur et que notre temps était venu de servir les autres à notre tour. Beaucoup étaient juste sensibles à sa gentillesse, à son humour, et venaient pour qu’il les fît rire par les histoires drôles dont il émaillait ses propos trop sérieux, sachant que ceux qui n’étaient pas des intellectuels ni des spirituels ne pourraient le suivre longtemps sur les voies abruptes de la haute théologie. Il nous rappelait l’apophtegme de Saint Antoine d’entre les Pères du Désert : Celui-ci accordait à ses disciples un temps pour jouer au ballon. A qui s’en choquait, il répondait : « L’on ne peut trop tendre l’attention de ses enfants, comme l’on ferait d’un arc que l’on briserait ». Aussi Papouli aimait-il à faire sourire et rire ses enfants de bon cœur. Il arrivait même qu’il nous racontât des histoires drôles et qu’il se souvînt de l’humour marseillais de son enfance. Lors de ses invitations à dîner, comme il faisait rire les gens ! Ceux qui n’avaient vu en lui qu’un drôle humoriste avec lequel ils n’avaient songé qu’à plaisanter, lorsqu’il mourut en odeur de sainteté, vinrent nous confier étonnés : « Nous ne savions pas que c’était un Saint. Nous ne nous étions aperçus de rien. Il était si drôle. Il nous avait juste paru un bon père aimant » Il avait aussi le don de la parole. Ses homélies à l’église étaient extraordinaires. Il savait parler aussi bien comme un conteur, que comme un acteur, un homme de théâtre. Mais, par-dessus tout cela, ses discours, comme ses propos et ses entretiens étaient ceux d’un grand théologien, féru de patristique, de dogmatique et d’histoire de l’Eglise, et d’un immense spirituel, baignant dans la sainteté comme dans un halo de Grâce céleste, surnaturelle. Il avait une présence extraordinaire. Mais cette présence n’était pas tant celle que l’on évoque pour un grand acteur, ni pour un théâtreux. Elle était celle, incomparable, d’un saint. Il nous semblait, lorsqu’il ne célébrait pas, que l’office ne ressemblait à rien. En son absence, l’église semblait vide ; nous nous sentions orphelins et ne parvenions pas à prier ni même à nous concentrer tant soit peu. Mais qu’il entrât dans l’église, c’était comme si en avait surgi de terre le pilier central. En vérité, oui, il était une colonne de l’Eglise. De son vivant même, des âmes pieuse et théologiennes, conscientes de son éminente sainteté, avaient répandu dans le petit monde de l'Orthodoxie internationale que Père Ambroise était ce que les Pères de l'Eglise dénomment un « pilier de l'Orthodoxie. » Il était le père, le lion, le protecteur de ses ouailles. Il peuplait tout l’espace de sa présence. Et lorsqu’il célébrait, il le faisait avec une intensité, une ferveur, et une majesté insignes. Toute l’église semblait vibrer sous les inflexions de sa voix, qui montait sous la voûte, comme pour atteindre le ciel. Sa concentration était extraordinaire. Il était tout entier abîmé dans la prière. Tous faisaient silence. Il n’eût pas toléré du bruit. Les enfants bruyants, il demandait à leurs mères de les garder à jouer dans le cagibi. Il lui était arrivé de faire sortir des gens qui dérangeaient l’office ou le perturbaient de quelque manière que ce fût. Il avait deviné qu’un paralysé inconnu avait caché sous la couverture de son fauteuil un magnétophone pour enregistrer secrètement les offices. Soulevant la couverture, il l’avait prié de quitter les lieux. Il voulait n’être point dérangé. Il était tout entier tendu dans son oraison. Un lecteur nous avait raconté que Père Ambroise s'était un jour brusquement prosterné dans le sanctuaire. « Pourquoi te prosternes-tu en cet instant précis, Papouli ? Ce n'est pas une prosternation liturgiquement prescrite », s'était-il étonné. « Je me suis prosterné », avait réparti Père Ambroise, « pour demander pardon à Dieu de ce qu'un instant j'avais omis de me concentrer sur les mots de la Prière du Coeur. » Car, en vérité, Père Ambroise pratiquait la garde absolue des pensées et la vigilance de la Nepsis, de la Neptique des grands Priants que l'on appelle les Pères Neptiques. Père Patric l’avait un jour, en Grèce, entendu prier à voix haute dans l’église d’un monastère. Il nous avait rapporté combien cette prière lui avait parue incroyable. Il s’adressait tout haut au Christ, à la Mère de Dieu, et aux Saints, comme s’ils eussent été devant lui. Par moments, dans son extrême émotion, il criait presque à leur adresse, les invoquant avec une force nonpareille. Et en les priant, il pleurait. Il avait le don des larmes aussi. Ses yeux étaient sans cesse humides, comme prêts à pleurer. Mais il ne voulait pas que cela se voit. Dans la confession, nous pleurions aussi, soit que nous fussions trop émus de remords, et que nous fussions gagnés par la pénitence à dévoiler ainsi nos péchés, soit qu’il nous eût grondés, car la confession qui était avec lui le moment le plus formateur, celui où il nous formait et où il nous instruisait véritablement spirituellement et où il nous enseignait, nous apprenait, dans la plus grande intimité qui se pût, à cultiver le jardin de notre âme, à en ôter toutes les mauvaises herbes et à l’ensemencer de vertus, la confession, donc, était aussi le sacrement durant lequel il était avec nous le plus sévère, très exigeant avec ses enfants spirituels les plus proches, ceux du moins qui travaillaient véritablement sur leur âme, n’hésitant pas pour ce faire à nous gronder jusqu’à nous faire pleurer comme des enfants en butte aux remontrances. Alors, après qu’il nous eût donné l’absolution, et qu’il eût vu que nous pleurions encore, il faisait mine de nous gronder : « Va vite sécher ces larmes dans le cagibi », nous pressait-il, « que personne ne vous voit pleurer… » Il celait ce qu’il était par humilité. Son humilité était si grande qu’il eût voulu toujours se dérober aux regards. Il ne laissait pas facilement approcher les secrets de sa vie spirituelle. Il ne se donnait à voir qu’à très peu de personnes, et encore, ceux de ses enfants spirituels les plus proches qui le connaissaient le mieux ne percevaient-ils alors, pour l'heure, que la partie émergée de son iceberg spirituel. Il était secret, mystérieux. Il nous arrivait de le surprendre chez lui avec un visage complètement lumineux et un regard absolument intense, comme s’il descendait à peine des cimes de la contemplation divine. Mais ce qu’il y avait vu d’extraordinaire, nous l’ignorions encore. Simplement, nous ne pouvions jamais plus oublier ce regard si pénétrant, lavé de larmes, qu’irradiait une joie extraordinaire… Il était aussi très indépendant, farouchement épris de sa liberté. Aussi ne voulait-il pas qu’on l’invitât chez soi à dormir, ou bien il n’y allait qu’à contre cœur. « Je ne suis bien », répétait-il en s’excusant, « qu’entre les murs de ma catoire ». Il ne voulait pas même qu’on l’accompagnât au marché pour faire ses courses, même quand il se rendait tous les matins au supermarché, qui était loin de chez lui à pied, ce qui supposait qu’il dût traîner les courses tout au long du chemin du retour. « Non, non, ne m’accompagnez pas, disait-il, « j’ai besoin de marcher. Il me faut de l’exercice physique quotidien. Mon heure de marche m’est nécessaire ». Une autre fois, il m’avait avoué : « J’aime tellement ma liberté ! Il ne faut que personne ne me la prenne ! Je tiens à mon indépendance. Je fais tout seul ce que j’ai à faire. J’aime tellement ma solitude… J’ai demandé à Dieu un monastère, mais, vois-tu, il ne me l’a pas donné… » Il lui restait beaucoup du tempérament de l’ermite qu’il avait cherché à être dans sa jeunesse, lorsqu’il avait habité seul un bunker dans les bois, près de Martigues. Un jour, pourtant, il y avait fait une chute de haut. « Plus je cherche à m’élever, » s’était-il moqué de lui-même, « plus je m’abaisse ». Et il avait renoncé à la vie érémitique. Pourtant, au milieu du monde, c’était bien seul qu’il vivait, en ermite. Sa prière perpétuelle le soulevait souvent, l’entraînait, au sens propre du mot, à des mouvements d’enthousiasme. Nous l’emmenions souvent en voiture dans ses divers déplacements, et nous avions tout loisir, en chemin, de le voir prier de près. Il remuait les lèvres, hochait la tête, soupirait, bougeait son cou en cadence vers l’avant, l’arrière, et sur les côtés, en forme de croix, respirait fort, se soulevait, vibrait tout des radiations de la prière. Il en était devenu une personnalité radiante, comme émettant des ondes de cette prière perpétuelle qu’il irradiait tout. Entre tous ses charismes, il avait encore le don de prophétie. Parfois, il disait le plus simplement du monde, quoique mystérieusement au cours de la conversation, devant témoins : « Une telle va s’élever sur les ailes de la contemplation ». Un jour, il vint chez nous s’asseoir sur la petite chaise basse qui se trouvait devant l’iconostase, médita un temps devant les icônes et nous dit : « Vous atteindrez un niveau très élevé de spiritualité. » Un autre jour, sachant que je songeais à la mort, il me dit : « Tu vivras très vieille…Et puis, un jour, tout doucement, dans ton sommeil, le cœur s’arrêtera. » Père Patric lui lança un jour : « Papouli, quand tu ne seras plus là, j’écrirai un livre sur ta vie ! » « Non, répondit-il fermement, c’est Anna qui l’écrira. » Sur le moment, nous ne comprîmes pas pourquoi, mais lorsque Père Patric s’endormit dans le Seigneur avec Photinie, je compris que Papouli me confiait le soin d’écrire ce livre. Une autre fois, tandis que nous étions en voyage avec lui, et que nous étions immobilisés par la tempête dans le métochion – la dépendance ou le pied-à-terre- d’un monastère, il s’était retiré, fort abattu, dans une cellule. Soudain, nous l’en avions vu reparaître, comme transporté d’enthousiasme au sens propre, où Dieu serait venu s’entretenir avec lui dans son cœur, l’habiter fortement un temps, et le soulever littéralement de joie : « Untel, » s’était-il exclamé en désignant l’un de ses enfants spirituels présents dans la pièce voisine, « untel va devenir saint ! » Et il s’était retiré, paisible et rasséréné. Mais, dans les derniers temps, il semblait de plus en plus accablé par les soucis. Il paraissait même dépressif. Les divisions de l’Eglise Orthodoxe l’accablaient. « Mais où est donc l’Eglise ?» gémissait-il… Il ne supportait plus les disputes de ses enfants spirituels, particulièrement celles des jeunes couples qu’il avait mariés. « Je ne ferai plus jamais de mariage », déplorait-il. Il considérait ces querelles comme un échec personnel de prêtre qui avait marié ses enfants. Sa bronchite chronique s’aggravait de plus en plus. Ses crises d’asthme l’étouffaient davantage . Et surtout, pour une raison inconnue, il s’affaiblissait toujours plus. Il était maintenant presque tout le temps alité. Il devenait de plus en plus pessimiste : « la fin du monde », annonçait-il, « ce sera dans deux ou trois générations, tout au plus ». Une dernière fois, il avait lutté pour aller à l’église. « Aujourd’hui, Anna mou, tu m’emmèneras à l’église » . Et puis, au dernier moment , les forces lui avaient manqué : « Non, je ne pourrai pas y aller… Je n’y arriverai pas… » Mais il avait fait sur lui-même un effort surhumain : Il prenait sur lui pour s’y rendre coûte que coûte. Je l’avais senti si mal en point que je lui avais proposé de de faire demi-tour et de rentrer. « Non », souffla-t-il, « cette fois encore, j’irai. Il faut que j’y aille. Il faut absolument aller à l’église. » Et par son exemple, encore une fois, il nous montrait combien il jugeait nécessaire de se rendre à l’église, quoi qu’il nous en coûtât, et la paroisse fût-elle fort éloignée du domicile. Car, mise à part une fois, la dernière de son existence, où, à l'article de la mort, il avait manqué l'office des vêpres du samedi soir, de sa vie entière il n'avait pas manqué un office. Il nous avait appris à faire de même. Il me souvient que je portais le lourd couffin chargé du bébé que je transportais à l'église. Et, pour me donner du courage, parce que je ployais sous le poids trop lourd, je songeai combien Papouli n'avait jamais manqué un office de sa vie, et combien il avait le feu sacré. Durant le dernier office auquel il avait assisté, contrairement à son habitude, il était demeuré tout le temps assis. Il pouvait à peine se soutenir. C’était la dernière fois qu’il se rendait à l’église qu’il avait fondée, et qui allait désormais se sentir si orpheline sans son bienheureux père fondateur, d'éternelle mémoire. Après quoi, il s’était alité. Mais nous ne percevions pas que c’était sa fin. « Mes enfants », annonça-t-il, « je vais bientôt partir. Je vais bientôt quitter cette vie. » Mais nous nous récriâmes aussitôt : « Mais non, Papouli ! Tu ne peux pas nous quitter. C’est impossible. Nous avons besoin de toi. Nous allons encore te garder longtemps avec nous. Nous te voulons en vie. Tu vas vivre encore bien des années pour nous. » Il avait pris un air désabusé : « Quand le train arrive au terminus, il faut bien descendre. Ainsi en va-t-il avec la vie. Et puis les démons m’ont dit dans mon sommeil qu’ils reviendraient me chercher en 1992. Nous y sommes. »... Le dernier jour -dont j’ignorais que ce fût le dernier- qu’il demeura chez lui, entre ses quatre murs, comme il désignait sa chambrette, qui était bien plutôt sa cellule, il me fit appeler par mon mari. Mais, comme j’étais loin de vivre à l’obéissance parfaite, je négligeai son appel, et je différai jusqu’au soir de monter chez lui. Enfin, quand j’arrivai : « Anna mou, » fit-il réprobateur, « je t’avais priée de monter, et, depuis ce matin, tu n’es pas venue. » Il me semblait que nous avions bien le temps encore de nous voir et de nous revoir. J’étais à mille lieues de penser que ce jour était le dernier qui le trouverait dans son petit appartement. « Pardonne-moi, Papouli, » balbutiai-je, « mais j’avais tellement à faire avec les enfants. » « Je voudrais t’entendre, » ajouta-t-il, « comme si nous étions en confession ». Car il arrivait que nous parlions comme à bâtons rompus et que cet entretien, qu’il regardait parfois comme une confession, s’achevât par l’absolution qu’il me dispensait alors, au milieu des larmes de repentir. Je lui confessai que je n’arrivai pas à me défaire d’une incitation mentale à une tentation que je lui avais confessée depuis longtemps. Ce combat-là était trop dur pour moi. Il le savait, du reste. Il me regarda mystérieusement, l’air soulagé, et presque joyeux : « Anna mou », me dit-il, « je t’ai arrachée à l’Enfer par les cheveux. Mais tout est arrangé maintenant. » Je ne comprenais pas, sur l’instant ce qu’il me disait. Ce ne fut que bien plus tard que ses paroles s’éclairèrent. Une de ses filles spirituelles rapporte qu'elle vint chez lui peu avant sa dormition. Voici son témoignage : « Les jambes allongées sur son lit de souffrances où il reposait, se redressant en position assise et s’appuyant contre le mur, il ferma les yeux et se concentra intensément. Dix minutes, il resta ainsi, sans mot dire. Soudain, ce fut un ravissement : Il s’éleva dans la chambre une nuée, blanche jusqu’au diaphane, légère, à semblance de gaze, vaporeuse, en forme d’arche, qui enveloppait l’espace entier de la cellule et se tint au-dessus de moi. Extasiée, je restai immobile, sans plus pouvoir proférer un seul mot, muette, saisie d’étonnement, tout-à-fait immobile. Cet arc de cercle en forme de nuée resta longtemps au-dessus de ma tête, m’enveloppant toute, pour ce que ce demi-cercle joignait un mur à l’autre. Au bord de la nuée, Papouli, de l’endroit où il était, me regardait longuement. Mais je ne le voyais plus. Toute à la vision de ce phénomène extraordinaire, je ne sentais plus rien d’autre que l’immobilité du temps dans cet espace devenu idéal. Car il me semblait que le temps s’était arrêté. Enfin, comme la nuée avait apparu, de même sorte elle disparut. Retrouvant la notion du temps, il me sembla qu’elle était restée là près d’un long quart d’heure. Je ne pouvais toujours rien dire. Je fis trois pas vers Papouli, l’embrassai, puis lui demandai, comme à l’accoutumée, sa bénédiction. Il me bénit, puis me sourit longuement : « Tu peux y aller, va, » lui avait-il souri alors, « retourne voir les tiens »... Le lendemain, voyant que son état empirait, nous le fîmes entrer en clinique. Il y avait toute la journée attendu sur un brancard dans un vestibule. Son regard était inoubliable. Puis, vers le soir : « Ils ne trouvent pas ce que j’ai », avait-il murmuré. « Ils veulent me transférer à l’hôpital pour faire une transfusion de sang. » De fait, ils le transférèrent dans un lointain hôpital de la région parisienne, spécialisé dans les maladies pulmonaires et les affections rares. Car il avait apparemment une maladie rare, si rare que les médecins ne trouvaient pas encore ce qu’elle était. L’un des graves problèmes qui se posèrent alors était que l’on ne trouvait pas de sang pour lui faire la transfusion. Il dut attendre encore trois jours sans que l’on pût rien faire. Puis, la transfusion enfin effectuée, on le transféra un soir d’hiver, vers un autre pavillon, entièrement nu sous sa couverture de survie. Ce procédé, qui nous parut barbare, nous choqua extrêmement. Comme il fallait s’y attendre, il prit froid durant le transport, et sa bronchite s’aggrava d’autant. Il fut dirigé vers le service de réanimation et de soins intensifs. Ce fut la partie la plus éprouvante de son calvaire. Au milieu des sonneries des machines qui empêchent totalement le malade de dormir, et qui sont une épreuve pour le système nerveux, entubé de divers tuyaux qui constituent pour le patient un supplice, nous le vîmes lutter comme un lion. Je n’oublierai jamais cette énorme impression qu’il me fit d’être un lion, doté d’une force de combat extraordinairement intense, doublé d’un agneau dont il avait toujours eu la douceur. En cela, il était véritablement un personnage évangélique. Mais cette force d’âme qui émanait de lui dans son combat contre la mort, non, jamais, je ne l’oublierai. Car, véritablement, il apparaissait comme le lutteur qu’il avait toujours été dans l’ascèse, mais que masquait sa douceur d’agneau. Oui, en vérité, il luttait comme un lion. Enfin, les médecins, un matin, vinrent nous dire qu’il allait mieux, et qu’ils l’avaient désentubé. Nous pûmes l’approcher dans un petit box, où l’on l’avait enfin délivré des tubes qui le suppliciaient. Lorsqu’il nous vit arriver, Père Patric et moi, il était serein et souriant. Nous étions loin de penser qu’il s’agissait de la rémission finale. Nous pensions qu’il était sauvé. Nous le lui dîmes avec bonheur. Mais nous n’avions pas le droit de rester plus de quelques minutes, comme toujours en salle de soins intensifs, pour ne pas fatiguer le malade. « Nous reviendrons te voir demain, » lui dîmes-nous, et puis le surlendemain, mardi. » « Non, » nous reprit-il très vite. « Mardi, ne venez pas. » Cette réponse nous étonna grandement, mais, sur le moment, nous n’y accordâmes guère d’importance. Nous revînmes donc le lundi, comme la veille. Il était toujours souriant et serein. Une grande paix émanait de lui. Lorsque nous revînmes le mardi, un jeune interne nous accueillit à la porte. « Il n’est plus là. Il est décédé. » Nous étions sidérés, comme foudroyés sur place. « Quoi ? Il est mort ? Non! Ce n’est pas possible ! Il allait tellement mieux hier et avant-hier ! » « Nous non plus, nous ne comprenons pas », répondit le jeune médecin. Il allait tellement mieux que nous l’avions désentubé et débranché des machines d’assistance respiratoire. Mais il avait une maladie très rare du sang… Il ne pouvait pas survivre… » Père Patric, l’air désespéré, se rendit à la morgue. Je m’assis dans le couloir et pleurai longuement toutes les larmes de mon corps… Lorsque, m’étant un peu reprise, je me rendis à la morgue, je sentis me précéder sur le chemin un fort parfum embaumant… C’était l’âme qui, détachée de son corps, précédait la dépouille en route vers le funerarium. A n’en pas douter, Papouli était un Saint, et les anges se réjouissaient de l’accueillir durant son envolée vers le ciel... Au funerarium, les prêtres vinrent le revêtir de ses ornements d’archimandrite. Allongé sur le lit de sa dormition, sous son beau voile noir de moine et son étole de père spirituel et de père confesseur, il semblait une icône majestueuse des plus grands Saints du Synaxaire. Nous lui mîmes avec émotion une rose rouge entre les mains, rouge comme le sang du Christ lors de sa passion salutaire, et rouge vif comme l’amour passionné mais blessé que nous lui portions depuis le premier instant que nous l’avions connu. Ses enfants spirituels défilèrent ensuite devant lui pour lui embrasser la main dans un dernier adieu… Après sa mort, nous nous sentions en proie à un terrible sentiment de déréliction. Le soir même, désespérée, je pris sur l’étagère un livre de piété, me disant intérieurement : « Et maintenant, comment saurons-nous quels livres il nous faut lire ? Qui nous éclairera, à présent que nous n’avons plus notre Père doté du saint discernement spirituel ? » A ce moment, le livre embauma. Je pris un autre livre saint. Il embauma également. Puis, l’ayant reposé sur l’étagère, je pris cette fois un ouvrage profane : Cette fois, le livre n’embauma pas. Père Ambroise continuait, par-delà sa mort, de nous guider spirituellement. Chez lui, je trouvai sur sa table ses dernières paroles écrites à la suite d’une traduction de Saint Nicodème Haghiorite. Elles étaient pour Père Photios, en sorte de le maintenir dans ses fonctions d’Evêque et d’exarque : « Monseigneur Photios, Evêque exarque pour la France. » Lorsque je l’épousai des années après la mort de mon mari, cet épisode et celui de la nuée me donnèrent à penser que les Evêques mariés pouvaient et devaient être maintenus dans leurs fonctions à l’Eglise Orthodoxe, et que le projet de réforme canonique qui avait failli passer au synode de Constantinople en 1921 sur le mariage des Evêques devrait de fait être enfin mis en vigueur dans l’Eglise, le Patriarche de Constantinople s’étant plaint que « tous les Evêques s’en allassent» et quittassent l’Eglise pour cette simple raison dommageable. Le jour d’après, je me posais des questions auxquelles je ne trouvais pas la bonne réponse. Soudain, comme j’avais émis intérieurement une suggestion qui me semblait positive, l’air aux entours embauma. Après quoi, ayant en pensée émis une autre hypothèse qui me paraissait erronée, l’air cessa d’embaumer. De ce temps, j’eus la conviction que Papouli continuait, lorsque nous avions besoin de son aide spirituelle, de répondre à nos demandes et à nos requisits, quels qu’ils fussent, lui qui possédait à un degré si éminent le discernement spirituel, qui permet de trancher de toute question. Je me souviens aussi qu’il disait : « Un jour, Anna mou, tout ce que tu voudras arrivera. » Voilà sans doute ce que signifie la prière des Chrétiens Orthodoxes : « Par les prières de nos Pères Saints, Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous. » Peu après sa mort, beaucoup de fidèles le virent en rêve. L’un d’eux rêva qu’avec Père Patric et Photinie, tous trois, dans le Ciel, couraient partout pour pouvoir exaucer toutes les requêtes infinies des uns et des autres…. Je rêvai, une nuit, qu’il nous mettait sur un grand bateau dont il repeignait tous les murs, puis soufflait sur nous pour impulser notre bonne traversée sur la grande mer de la prière, ainsi que l’on voit, peints sur des ex-votos des anges soufflant sur une nef pour lui souhaiter bon vent….Je le vis, une autre nuit, en rêve, mais de façon si vivante que je m’en éveillai sur- le- champ. C’était lui, tellement lui, qu’à n’en pas douter sa présence était venue me redonner joie, consolation, et courage... Il repose aujourd’hui, au cimetière de Levallois-Perret, dans sa tombe qui s’avère miraculeuse, au vu du nombre de prières formulées sur cet emplacement qui furent exaucées. Père Patric et Photinie, qu’il a tant chéris, et pris avec lui, reposent auprès de lui. Il reste une place dans cette tombe, où j’aimerais reposer avec eux, non loin de tous les miens. Papouli nous avait, par ses saintes prières, assuré dès longtemps le Ciel et le Paradis avec lui. Il avait dit aussi : « Anna mou, tu seras très haut dans le Ciel. » Et encore :« Quand je ne serai plus là, je serai encore avec vous et je vous aiderai », avait-il promis. Pourtant, lorsqu’il partait à l’autre bout de la France, desservir ses paroisses, et qu’il n’était plus auprès de nous, nous avions l’impression que ses prières étaient moins instantes sur nous. Mais, lorsqu’il fut mort, ce fut l’inverse : Ses prières sur nous nous semblèrent encore plus fortes que lorsqu’il était là, à nos côtés, vivant. Je croyais naïvement pourtant, de son vivant, que les prières des Saints canonisés de l’Eglise seraient plus puissantes que les siennes. Aussi invoquais-je, en général, et fort souvent, l’aide de Saint Tychône de Moscou, que je vénérais particulièrement. De fait, la première fois, lors d’un retour de pèlerinage en Russie de Père Patric, que celui-ci me parla avec fougue de Saint Tychône, qui m’était alors inconnu, mes enfants se mirent à se disputer. Je me dis alors, intérieurement : « Saint Tychône, si tu es un aussi grand Saint que cela, fais que mes enfants cessent de se disputer ». Sur-le-champ, alors, la lampe halogène du salon prit feu. Aussitôt même, sans attendre le temps que nous éteignîmes les flammes, les enfants, affolés, avaient cessé de se quereller. Depuis ce jour, je portai à Saint Tychône une vénération particulière et sans bornes, et l’invoquais sans cesse, remarquant que non seulement il exauçait aussitôt les prières qui lui étaient adressées avec foi, mais que, chaque fois, le miracle obtenu portait, extraordinaire, sa marque à lui, ce qui faisait que l’on ne pouvait douter que la chose demandée advînt par les prières de Saint Tychône. Quelle ne fut donc pas ma surprise un jour, lorsque Père Ambroise me murmura : « Pourquoi invoques-tu toujours les prières de Saint Tychône, au lieu de me demander à moi de t’aider ? » Il est vrai que, pour exaucer mes intentions de prière, j'invoquais ceux que j'appelais, de façon groupée, pour plus de promptitude, « tous mes Saints du Ciel », car ils étaient nombreux, entre lesquels figurait Saint Tykhône de Moscou, Saint Nectaire d'Egine et Saint Jean de Cronstadt qui écrit dans Ma vie en Christ qu'il demanda un jour au Seigneur que fussent exaucées toutes les prières de ceux qui l'invoqueraient. Mais comment Papouli savait-il que je n'avais jamais pensé à l'invoquer parmi les Saints dont j'implorais le secours ? Et de ce jour, lui obéissant, je constatais que ses prières étaient aussi puissantes que celles de Saint Tychône, lequel, comme lui, exauce magnifiquement les prières de ceux qui invoquent avec foi leur nom béni.…………………………………… Après la mort de Père Ambroise nous eûmes à affronter des épreuves, dont certaines furent terribles. La plus horrible fut la mort accidentelle de Père Patric, de Photinie et de Michel Aubry, lecteur, survenue à Voula (Attique) en Grèce le 25 décembre 1992. Ils étaient partis en pélerinage, Père Patric emmenant avec lui des fidèles de l'église, emplissant un mini-car de treize personnes en tout. Alors qu'ils venaient de vénérer les reliques de Saint Patapios dans sa grotte, sise dans un ermitage sur la montagne, - et la dernière photographie d'eux les représente, fort graves, devant les reliques du Saint dont nous avions traduit la vie – cf Blog de Presbytéra Anna, Vie de Saint Patapios -, Michel reprit le volant du mini-car et ils partirent en direction de l'aéroport pour aller y chercher une fidèle qui devait les rejoindre. Brusquement, Michel perdit le contrôle de la voiture. Il se retourna vers l'arrière, affolé : « Les enfants, silence ! ». La direction avait lâché. Ils dévièrent de quatre voies sur l'autoroute et passèrent sous un bus. Père Patric et Michel moururent sur le coup. Le choc avait été horrible. Les passagers furent projetés à terre, sur la chaussée. Mère Nectarie, gravement blessée au pied, put trouver Photinie et palper son cœur. Elle avait eu la gorge transpercée. Dix minutes plus tard son cœur ne battait plus. Il y avait donc trois morts et des blessés graves. La fidèle Marie, qui devint plus tard moniale sous le nom d'Ambrossia ( l'Ancienne, pour la différencier d'Ambrossia la Jeune, une autre Ambrossia de notre paroisse- demeura tétraplégique. Mon père la soigna à l'hôpital de Garches où elle avait été transférée, et où elle eut à subir de lourdes interventions chirurgiclaes. Mais les médecins ne purent la faire remarcher ni lui faire recouvrer l'usage de ses mains. Mère Nectarie ne recouvra pas non plus l'usage de son pied, et dut s'aliter jusqu'à sa mort. Deux autres de mes enfants étaient aussi dans l'accident : Irène et Séraphim, - grâces soient rendues à Dieu – s'en sortirent indemnes. Séraphim n'avait qu'une grosse contusion au genou. Mais les séquelles psychologiques demeurèrent longtemps, et mais enfants eurent à lutter de longues années durant contre les affres de la dépression. Certains des passagers de la voiture, victimes de l'accident, furent atteints de névrose traumatique. Une jeune fille avait aussi la mâchoire fracturée. J'étais restée en France pour garder à la maison la dernière de mes enfants, Vassilissa, que son papa avait jugée trop petite pour l'emmener. Soudain, le téléphone sonna : « Madame Ranson, ici le Consul de France. Je vous annonce que votre époux et que votre fille sont décédés en Grèce. » Ce fut un coup de tonnerre. Je n'en pouvais rien croire : « Mais ce n'est pas possible. Il doit y avoir une erreur. » « Non, Madame, il n'y a pas d'erreur. » L'accident était si grave qu'il avait été télévisé en Grèce. Des amis grecs et une ancienne de la paroisse me le confirmèrent ultérieurement par téléphone. De ce moment, je débranchai le téléphone qui me faisait horreur, et je cessai de communiquer. Je ne pouvais plus parler, fut-ce à mes amis de l'église. J'avais perdu la parole, devenue comme aphasique. Il fallut partir en Grèce pour la reconnaissance des corps. Lorsqu'à la morgue de l'hôpital je tirai ma grande Photinie de son caisson frigorifié, ce fut atroce. Elle qui était morte à dix ans en paraissait quinze. Comme son Papa, elle était surdouée. Des tests au lycée l'avait établi, quand elle avait demandé à sauter une troisième classe. A dix ans, elle était en quatrième au lycée Pasteur de Neuilly, apprenant l'anglais, le russe, le grec et le latin. Sa vivacité naturelle et sa gentillesse l'avaient fait aimer de tout le monde. « C'était la mascotte du lycée », me dit bouleversée sa proviseure, une femme bonne et énergique. Les élèves de sa classe, meurtris, déposèrent une plaque sur sa tombe : « A Photinie, ses camarades de quatrième. » A voir mon mari et mon enfant ainsi, sans un mouvement, sans un mot, le corps tout immobile et froid, ma douleur fut indescriptible. Dans la salle d'hôpital où je rejoignis mes autres enfants qui attendaient désespérément depuis de longues, d'interminables heures - plus de vingt-quatre heures- des nouvelles dont il ne leur parvenait aucune, et ne savaient rien encore de la tragédie, je pris Irène sur mes genoux. « Où sont Papa et Photinie ? » me demanda-t-elle avec angoisse. « Ma petite Irène, ils sont morts. » Elle sanglota longtemps, éperdument. Père Patric avait été un ardent défenseur des Serbes qui réclamaient la sauvegarde du berceau national de l'Orthodoxie, le Kossovo aux innombrables monastères, d'une préciosité de véritables joyaux de l'Eglise Orthodoxe. Le monastère de Mgr Athanase Jevtitch était bombardé en plein office religieux. Père Patric avait alors à Paris fait plusieurs conférences pour défendre les Serbes, victimes de l'universelle condamnation prononcée à leur encontre du fait de la désinformation à laquelle étaient en proie les médias. En pleine guerre du Kossovo, tous les téléphones des Serbes et des pro-Serbes, nous avaient affirmé ceux-ci, en France même, et jusqu'à Levallois-Perret, étaient sur écoute. Peu avant leur départ en Grèce, Père Patric avait téléphoné à Michel Aubry, alors banquier à la Hambrose Bank, et sous-directeur de cette banque, mais qui avait néanmoins émis le vœu de devenir moine, pour lui dire quand et où exactement il louerait la voiture. Il se peut que la direction eût été sabotée et que leur mort eût été un attentat. Auquel cas Père Patric, Photinie et Michel, victimes d'un attentat à la voiture piégée, seraient des Martyrs de l'Eglise Orthodoxe. Michel qui était lecteur de l'Eglise, avait fait le vœu, avant sa mort de devenir moine orthodoxe et de mener la vie angélique dans notre église. Le Seigneur avait avec lui pris trois anges. Mes souffrances étaient crucifiantes. Dès lors commença une horrible descente aux enfers. Je fis deux ans d'une dépression aiguë, et je demeurai des journées entières, prostrée sur mon lit, tous volets fermés, dans le noir. Il me restait trois magnifiques enfants, mes je ne les voyais même plus. « - Vous avez du capital, » me dit un médecin en me montrant mes enfants. » Mais une telle impression de vide m'étreignait qu'il me semblait que je n'avais plus rien, que rien ne me restât au monde. A trois reprises, je fus à deux doigts de me suicider. Trois fois, j'avais décidé de me jeter sous le métro. Mais, trois fois, je me retins au dernier instant, songeant que quelques heures plus tard Monseigneur Photios, Evêque de Lyon, l'Evêque de notre église, allait venir me visiter. Il me fallait me reconstruire. J'étais incapable d'y parvenir seule. Mgr Photios vint s'installer au-dessus de nous, dans l'appartement du premier étage de notre immeuble. Mon père lui offrit généreusement son loyer. Peu de temps après survint à l'église une famille de Roumains, constituée d'une maman, enceinte et de quatre petits enfants. Elle avait fui à pied et à la nage son pays où elle avait été persécutée, en temps qu'ayant appartenu à l'église des Vieux-croyants – dont nous n'étions pas, mais qui était composée de fidèles extrêmement pieux et croyants. Elle fuyait aussi un mari alcoolique, qui la battait, et la faisait vivre dans une misère insigne. Les enfants étaient traumatisés. Ils avaient connu la misère ; actuellement encore, ils dormaient sous les ponts. Ils nous avaient été recommandés par l'higoumène du monastère américain de moines de la Transfiguration à Boston. « Il faut les protéger », nous avait-il écrit et téléphoné, « ils sont très croyants. Le frère de la maman assiste à tous nos offices monastiques aux U.S.A. » Mgr Photios convint de leur laisser l'appartement qu'il occupait, et dont mon père payait le loyer, – ce fut la dernière bonne action que celui-ci accomplit avant sa mort-, et il partit s'installer plus loin, à Clichy. La maman était très reconnaissante : « Je fais des prières pour que vous héritiez d'un palais dans le Ciel, à cause de tout ce que vous avez fait pour nous. » Mais ma dépression aiguë empêchait que je m'occupasse bien de cette maman et de ses cinq enfants. Adélaïda, la maman, - renommée Irina dans le baptême, Irina l'Ancienne, pour la distinguer d'Irina la Jeune- et ses cinq enfants, - Irina, Victor, Anatoly, Paola, et Léon - , manquaient de tout, de nourriture et de vêtements. C'est un péché que je confesse et dont je me repens amèrement à présent, même si j'essaie dorénavant de me rattraper avec le bébé de l'aînée. Heureusement, par un effet de compensation divine, Presbytéra Hélène, l'épouse de Père Timothée, se montra à cette occasion d'une générosité à toute épreuve. Elle donnait sans compter. Père Timothée, comme dépassé par le fait que sa femme fût si aumônière, déclarait en souriant : « Je ne suis plus responsable des aumônes d'Hélène. » - Hélène, qui se dépensa également sans compter pour aider Adélaïda à faire ses papiers à l'office de l'immigration, ce qui constituait un véritable casse-tête, et exigeait de longues et patientes démarches. Grandie, Irina comme tous ses frères et sœurs s'est parfaitement intégrée dans notre société française, malgré le barrage de la langue, obstacle qui fut un temps difficile pour eux. Elle est aujourd'hui devenue secrétaire générale de notre fraternité, et a épousé le cousin, - issu d'une famille de la haute bourgeoisie, - le cousin, donc, de notre cher Père Maxime, qui paraît, lui, tout droit sorti du montagneux désert des Karoulia de l'Athos. Père Maxime se rend chaque été sur l'Athos. Il nous assure qu'aux Karoulia, les saints ermites du désert ont la liste des tous les fidèles de la Synodie du Saint Père Ambroise et qu'ils intercèdent et prient pour eux avec ferveur et feu. Sur ces entrefaites, Mgr Photios s'en fut en Russie, accompagné de sa mère, Cassia, et de moi. A Saint-Pétersbourg, - il me souvient que nous ne sentions plus nos pieds, dans nos ballerines, sur le quai de la gare où il faisait un froid de moins dix °C - nous retrouvâmes Olga, qui avait été l'interprète de Père Patric, lorsque celui-ci y avait été, par extraordinaire, invité par le réalisateur de documentaires Ludovic Ségara, aujourd'hui défunt, pour tourner en Russie un film sur l'Orthodoxie. Père Patric, à l'imitation de Père Ambroise, lui aussi suscitait des vocations. En sus de remplir l'église par sa prédication enflammée, des êtres purs, à son contact, entraient dans la vie angélique. Olga, qui était athée, et ignorait tout de la Foi Orthodoxe, au fur et à mesure qu'elle traduisait les dires inspirés de Père Patric, se convertit à la Foi Orthodoxe. Elle est aujourd'hui Mère Cassienne, et vit dans une austérité extraordinaire, ne se nourrissant guère que de pain et de confitures, agrémentées de thé. Moniale idiorythmique, elle prie, travaille et jeûne chez elle toute la semaine, pour se rendre dans une paroisse le samedi et le dimanche, afin d'y assister aux vêpres et à la liturgie. Aujourd'hui Mère Cassienne prie pour nous tous avec ferveur, pour ce que la prière, disent les Saints, abolit les distances. Après que nous eûmes rendu visite à Mère Cassienne, nous nous rendîmes, en camion, par des routes défoncées, Mgr Photios, Cassia et moi dans la lointaine Tambov, au beau milieu d'une vaste campagne, au lieu même où s'était sanctifié Saint Théophane le Reclus, dont les prières ont sans doute, du Haut du Ciel, béni mon dernier fils, Théophane. Nous entrâmes dans une grande isba fort pauvre, que rien ne signalait extérieurement comme une église. Nous trouvâmes là quelques saintes moniales, et leur vieille higoumène, grabataire, sur son lit de mort, revêtue de son impressionnant habit noir brodé de grand-schème. L'higoumène Serguéïa était totalement épuisée. Elle avait fait de longues années de camps soviétiques, et le Goulag avait miné sa santé.Lorsqu'elle vit Mgr Photios, l'higoumène murmura : « Monseigneur Photios, je vous attendais pour mourir... » A quoi elle ajouta : « L'on voit que vous avez reçu le Saint Esprit en vous. » A sa mère, elle dit simplement : « Vous êtes très jolie. » Ce que Cassia rapporte en disant : « J'aurais préféré qu'elle me dise à moi aussi que j'avais reçu le Saint Esprit ! » Néanmoins, les prières des Saints protègent la vieillesse. L'on sent, en particulier, que les prières de Père Ambroise, ainsi que les prières de l'Eglise, sont sur Cassia. A quatre-vingt-dix ans, aujourd'hui, elle se porte comme un charme. Fraîche comme une rose, avec toute sa tête, tenant de longues conversations animées, distribuant avis et conseils, elle paraît vingt ans de moins que son âge, et c'est tout juste si on lui donnerait soixante-dix ans. Les moniales étaient très pauvres. Elles ne purent guère nous offrir, pour toute nourriture, que les pommes de terre qu'elles venaient d'éplucher. Mais, dans leur grande pauvreté, elles nous offrirent deux magnifiques icônes qu'elles avaient peintes avec grand art. A Mgr Photios elles offrirent une icône de Saint Photios le Grand, cependant qu'elles me tendirent une émouvante icône de la grande duchesse Elisabeth, en habit blanc, sous son long voile blanc, et ornée de sa grande croix orthodoxe, elle qui avait été la belle-soeur du tsar Alexandre III, puis, après qu'elle eût mené une vie vouée aux bonnes œuvres de charité, martyre de la révolution russe. Nous assistâmes à la prise d'habits d'une nouvelle moniale. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, extrêmement belle, qui se vouait à la vie angélique. Elle était si secouée de sanglots qu'elle ne pouvait qu'à grand-peine s'avancer dans l'église. Le bonheur, l'émotion, la joie, la contrition extrême qui se pressaient en son âme se traduisaient chez elle presque en cris, qui, retentissant sous la voûte, nous transperçaient le cœur. Elle reçut le nom d'Ambrossia, en hommage à notre Saint Père Ambroise défunt. Lorsque nous revînmes à Tambov, quelque temps plus tard, elle s'en était allée au Ciel, faute de soins médicaux accessibles, en campagne, à la trop grande pauvreté de ce saint monastère de fortune. Ces saintes moniales, qui avaient connu les persécutions du régime stalinien, en étaient encore tout effrayées. Leur église était une simple chapelle aménagée dans une des pièces de l'isba, où l'iconostase était remplacée par un simple rideau, qu'elles étaient prêtes à tirer sur les icônes du sanctuaire pour les dissimuler, au cas où elles seraient inquiétées par une visite inopinée de la police. Bien que les persécutions eussent officiellement cessé, pour l'heure, elle étaient encore totalement traumatisées de leur existence passée au Goulag. Lorsque l'on demanda à l'higoumène Serguéïa comment étaient les fidèles déportés dans les camps : « Tous des Saints, » murmura-t-elle, « tous des Saints ! » Une épreuve qui nous advint par la suite fut la lourde souffrance psychique, aux multiples conséquences douloureuses, occasionnée par le déchaînement de haine qu'avait occasionné mon mariage avec l'Evêque. Il fallut quitter l'Eglise, - « comme des laquais », eût dit Rousseau, dans la honte et l'infamie, s'exiler vingt ans durant, nous cacher, élever nos enfants en secret, prier en ermites. Nos ennemis continuaient cependant de se déchaîner, tant dans l'Eglise qu'au dehors, et jusque sur les réseaux sociaux d'Internet. La souffrance psychique de l'Evêque était indicible. Une nouvelle épreuve fut constituée par la naissance de notre troisième enfant en état de mort apparente. Lors de l'accouchement se produisit malencontreusement une procidence du cordon, et l'enfant, étranglé dans ledit cordon ombilical, étouffait, manquant d'oxygène. Il fallut pratiquer une césarienne d'urgence, mais à cette heure tardive de la nuit l'obstétricien tardait à venir. Enfin, lorsque l'on sortit le nouveau-né, il n'eut pas un cri, ne donnant pas de signe de vie autre que les multiples convulsions qui l'agitaient tout. Désemparée, intérieurement je suppliai la Divinité, m'écriant à part moi : « ô Dieu, manifeste-toi ! » Aussi, lorsque la religieuse catholique qui avait fait fonction d'infirmière durant l'intervention, me badigeonnant de chloroforme, se pencha vers moi, étonnamment souriante, me chuchotant : « Comment s'appelle-t-il ? », et bien que j'eusse d'abord songer à l'appeler Silouane, je m'écriai malgré moi : « Théophane ! Cela veut dire manifestation de Dieu. » Le cas était si désespéré que les médecins laissèrent le pauvre petit corps dans un coin, posé dans une rudimentaire couveuse sur une simple table de travail, avec pour tout apparat médical un unique petit tuyau dans le nez. Ce qui aggravait la situation était qu'il n'y avait pas de place pour le transférer à Marseille en service de réanimation néo-natale. Lorsqu'il y arriva, il était tard déjà. Les médecins, artistes admirables qui s'acharnent à sauver des vies lors même que le pronostic vital est engagé, ne nous cachèrent pas qu'il était perdu. Il ne tarderait pas à mourir, ou bien il resterait à l'état de légume et serait un demeuré mental condamné à mener une vie végétative. Le suspens de l'attente du diagnostic ultime fut terrible, et terriblement long. La doctoresse qui était la seule à pouvoir interpréter un scanner difficilement lisible était en vacances. Théophane, dans sa couveuse, immobile, muet, sans un cri, supplicié, était couvert de tuyaux et de sondes, et ne donnait toujours aucun signe de vie. Le bruit des appareils électroniques du service, qui bipaient continûment, pour avertir de l'état vital ou non du patient, était insoutenable. Je ne venais presque pas le voir, tant je craignais de m'attacher à lui, pour apprendre, aussitôt après qu'il faudrait de nouveau mettre un enfant dans la tombe. Un jour, pourtant, je le sortis de sa couveuse et l'allaitai. Le miracle alors se produisit. Il commença de réagir. Peu après, il cria, et commença de mouvoir ses petits membres. « Quelqu'un a dû prier », s'étonna le médecin, relativement incrédule à son habitude. « Il y a eu un miracle. » « Il a dû beaucoup se battre, ajouta, quant à elle, une infirmière du service. « Seuls ceux qui se battent vraiment peuvent s'en sortir. » Cela me fit songer aux paroles de l'Evangile, qui dit à peu près : « Le Royaume appartient aux violents, et seuls ceux qui se font violence s'en emparent. » (Mat. 11-12). Plût à Dieu que Théophane luttât, par après, pour atteindre au Royaume des Cieux ! Peu après le scanner révéla que son cerveau, loin d'être atteint, était parfaitement normal. Dieu s'était manifesté ! Théophane, le miraculé, lui qui était censé être débile profond, s'avéra par la suite l'un des plus intelligents de la famille. Aujourd'hui, à dix-huit ans bientôt, ce beau jeune homme au physique de jeune premier, intelligent, gentil, doux, et surtout pieux, rapporte des vingt sur vingt de sa faculté d'économie, et veut être chercheur en mathématiques appliquées à l'économie. Dieu le garde ! lui qui fut longtemps enfant de choeur à l'église hors-frontières de Marseille, où nous avions trouvé refuge et où l'évêque continue de prier pour nous. Une autre difficile et longue épreuve – elle dura dix années – fut la démolition de notre maison. Nous étions partis dans l'hésychia et nous avions élu domicile dans une paisible pinède. Nous y demeurions comme au désert. Lorsque j'eus hérité d'une certaine somme, je songeai qu'il serait merveilleux de faire plus tard un monastère dans notre maison. Mais elle était trop petite pour ce faire. Nous convînmes alors de l'agrandir. Parce que j'étais naïve à l'époque, je crus l'entrepreneur véreux qui organisa les travaux – et qui partit sans rien finir en emportant une somme fort conséquente - : « Ici », me dit-il, « tout le monde agrandit dans sa pinède sans demander de permis. » Je ne songeai dès lors nullement à demander un permis de construire à la mairie. Dénoncés par une vieille femme méchante et envieuse – à laquelle l'on découvrit aussitôt après qu'elle était atteinte d'un cancer généralisé – nous fûmes poursuivis au tribunal dix ans durant, lequel tribunal ne tint aucun compte du fait que nous avions bâti en vue de fonder un monastère. Nous résistâmes longtemps en vain. La Direction Départementale de l'Environnement (D.D.E) nous fit tout démolir, et nous condamna à verser une astreinte exorbitante de quatre-vingt dix mille euros. Nous fîmes appel, et un miracle d ela Providence fit que la somme phénoménale de l'astreinte fut abaissé à trente mille euros. Un notable d'Aix-en-Provence s'étonna de la sévérité du verdict lorsque nous passâmes en jugement au tribunal, et m'avoua que les démolitions édictées à Aix-en-Provence étaient fort rares, et que les astreintes, qui étaient taxées faute de démolition, et en place de cette même démolition, ne revêtaient en rien un caractère si disproportionné, comparé à nos revenus relativement modestes. Nous fûmes dès lors ruinés, et jusqu'à ce jour nous peinons à aider nos six enfants qui vivent dans la précarité et connaissent la gêne, vivant un quotidien matériellement difficile. Mais plaise à Dieu que notre terrain devienne un jour constructible et que nous puissions y rebâtir un futur monastère ! Une autre lourde épreuve qui m'advint fut, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, constituée par la noire série de quatre internements successifs, - internements abusifs s'il en est. J'avais, à l'âge de quarante deux ans, écrit un long poème de mille pages, intitulé Ballade des âmes, que j'avais publié sur mon site Internet, comprenant des Vies de Saints, - mon site intitulé Orthodoxie-Solidarnoûs, en raison d'un jeu de mots avec le mot grec « noûs », qui signifie « esprit ». Or j'eus la sottise de faire figurer sur ce site des critiques politiques, et de tenir, dans la partie du poème intitulée « Enfer », des propos considérés comme « non politiquement corrects » - pour utiliser le jargon alors en vigueur. A l'époque, les propos des intellectuels non « politiquement corrects » étaient lourdement sanctionnés. L'on m'avait dit qu'un jeune professeur de la Sorbonne qui avait tenu des propos de ce style avait été interné. J'avais pourtant des fans sur Internet, dont l'un, professeur, m'écrivit : « Mettez-nous encore un peu de vos vers sublimes. » Non que je m'enorgueillisse le moins du monde d'une quelconque, prétendue ou non, méritée ou non, sublimité de mes vers. Mais je cite ces mots d'un admirateur pour montrer l'énorme décalage qui sépare le discours d'un professeur lettré de celui d'experts psychiatres, qui, pour discréditer et invalider toute mon œuvre en bloc, écrivirent dans leurs rapports que mes écrits étaient de la « diarrhée verbale », et que j'étais une « folle psychotique ». Il fallut fermer le site internet : Orthodoxia-solidarnous. Tout mon poème – long travail de cinq années entières de mon existence - avait disparu en fumée. Après quoi les pompiers vinrent me chercher en camion chez moi. Je m'enfermai dans la salle-de-bains. Ils en brisèrent la porte au marteau, et m'emmenèrent de force. L'H.O. – « hospitalisation d'office » - était décrétée par le préfet. Mais l'H.O. avait été maquillée en H.D.T. ( hospitalisation à la demande d'un tiers). En effet, les instances psychiatriques de l'asile d'Aix-en-Provence avaient téléphoné à ma mère – elle habitait à Paris, à huit cent kilomètres de moi, et ne connaissait rien de mon état ni de ma situation – et ils la persuadèrent que mon état psychique nécessitait que je fusse internée en urgence. Elle, médecin par ailleurs, signa sans sourciller leur demande d'hospitalisation en H. P ( hôpital psychiatrique). Les pompiers m'avaient fait monter dans leur camion en me faisant une extrême violence. Mais ils écrivirent que j'y étais montée volontairement, sans encombres. A mon arrivée à l'hôpital, l'on m'administra un psychotrope si violent que je ne pus tenir debout. L'esprit tout troublé, sous l'effet du médicament suppliciant, je dus m'aliter. J'entendis néanmoins les infirmiers du service se prévenir mutuellement : « Pour ce cas-là », dit l'un d'eux, « on doit strictement s'en référer au ministère. » A l'asile on me jeta ensuite en cellule d'isolement. Cet endroit est si horrible que je ne puis même le décrire. L'on m'y laissa cinq jours. Des chercheurs américains ont montré qu'une si longue durée à l'isolement peut rendre réellement fou. Heureusement j'avais pu garder avec moi un tome de la Philocalie. Cette lecture me sauva et me garda de sombrer durant cet interminable supplice. Après ma sortie de la cellule d'isolement l'on me maintint quarante jours à l'asile. Dans un premier temps, qui dura fort longtemps, l'on me refusa l'autorisation de voir mes enfants. Par la suite, je ne pus voir mes enfants que derrière une grille, parquée comme si j'eusse été une bête féroce. L'on me contraignait par force à avaler chaque jour des psychotropes violents qui me donnaient de très forts maux de tête et qui me brouillaient complètement l'esprit. Ma démarche était affectée. Je ne pouvais plus mouvoir mes jambes que péniblement et j'avais les plus grandes peines du monde à marcher. Une première fois, je réussis à m'enfuir. Mais une seconde fois, les pompiers revinrent chez moi me chercher. C'est ainsi que je fus internée quatre fois. La quatrième fois, ce fut parce que j'avais profité de ce que j'étais dans un autre département français ( le 77), où je n'étais pas connue, pour aller au commissariat de police porter plainte contre internement abusif et tortures en cellule d'isolement. Loin de prendre mon dépôt de plainte, les policiers, sans me laisser sortir du commissariat, m'emmenèrent immédiatement en fourgon à l'asile de Coulommiers. Là, le psychiatre qui m'examina décréta que je n'avais strictement rien, et que j'étais tout-à-fait saine d'esprit et normale. Après quoi l'on me laissa en relative paix. Mais l'on m'avait fait perdre mon travail. Dorénavant j'étais fichée, et interdite de reprendre mes fonctions de professeure de Lettres classiques à l'Education Nationale. Nous avions désormais du mal à joindre les deux bouts avec nos nombreux enfants à charge. Peu de temps avant mon premier internement, le proviseur était venu me trouver dans les couloirs : « Savez-vous que vous n'avez plus le droit d'enseigner ? » Et il m'avait fallu quitter dare-dare les lieux comme une malpropre. Ainsi il n'avait servi à rien qu'à quarante ans, après la naissance de mon dernier enfant, je me donnasse la peine de repasser mes concours. - Car l'on m'avait alors prétendu ( ce qui était totalement absurde, là encore) que tous mes diplômes de professeur avaient été perdus et qu'il n'en restait plus nulle trace! - Entre deux de mes internements, j'avais réussi à fuir jusque dans ma chère île de Kouphonissi, joyau inégalable en beauté des petites Cyclades grecques. Mais, là encore, la police de l'île, avertie, organisa de nuit une battue pour me retrouver, alors que je campais en solitaire. Je les entendis dire en grec : « C'est la meneuse de la résistance anti-oecuméniste. On a ordre de l'emmener à l'asile. » Là encore, j'étais traquée, poursuivie. Par un effet miraculeux de la Providence, ils ne purent me localiser dans les terres qui bordaient le rivage, et je pus repartir saine et sauve. Le lendemain, je fis une dernière promenade sur mon île bien-aimée. Lorsque je revins à ma tente, je la trouvai lacérée à coups de couteaux par les policiers grecs, hors d'usage. Je n'avais plus qu'à repartir, La mort dans l'âme, je pliai bagage, et quittai mon île pour n'y plus pouvoir revenir, la crainte dans l'âme et la peur au cœur à l'idée de retourner en France affronter les psychiatres d'Etat. Immédiatement après mon retour, je fus réinternée par force. Peu après mon dernier internement, je m'en fus voir un grand professeur psychiatre de la Salpêtrière. Il m'établit un certificat médical attestant que j'étais parfaitement saine d'esprit, en parfaite santé psychique, en pleine possession de toutes mes facultés mentales, et que ces internements avaient été abusifs. « Je soussigné, Professeur B. Grangier, » atteste le certificat, « certifie que madame Anne Pannier est venue ce jour à ma consultation. Je l'avais déjà reçue en juin 2011. Son état psychique ne justifie aucunement une mesure d'hospitalisation sous contrainte, qui aurait un caractère manifestement abusif. Paris, le 29 octobre 2013. Professeur B. Grangier. Certificat établi à la demande de l'intéressée et remis en mains propres pour faire valoir ce que de droit. » Néanmoins, jusqu'au jour d'aujourd'hui je demeure connue des services de police – lesquels m'ont déclaré un jour brutalement, de but en blanc : « Allez-vous en d'ici ! Quittez la région, vous y êtes trop repérée et trop connue des autorités; vous risquez de gros ennuis ! ». Juste avant l'un de mes internements, j'avais également été détenue en garde à vue, et j'y avais été frappée de la brutalité des policiers à mon égard. Un psychiatre, quant à lui, avait poussé le désir de me voir disparaître du territoire en allant jusqu'à me conseiller de m'expatrier à l'étranger, et, de préférence, dans le Tiers-Monde. Je suis également très surveillée des instances psychiatriques d'Etat, tenue de me rendre à une visite psychiatrique mensuelle, ce qui m'est toujours d'une grande pénibilité, et me remémore chaque fois la cellule d'isolement où j'ai été à vie traumatisée, cette cellule d'isolement innommable, lieu de supplice d'une zone asilaire officiellement proclamée zone de non-droit, et dont nulle plainte à ce jour de ceux qui en ont été victimes et partagent leur traumatisme, formulée jusqu'en cour de justice européenne, n'a pu obtenir l'abolition ultime et définitive de sa pratique courante, quoique dégradante et déshumanisante. Jusqu'à ce jour aussi d'aujourd'hui il me faut vivre incessamment avec l'épée de Damoclès suspendue sur ma tête de la menace d'un réinternement en asile. Enfin, je remercie ici ma fille Irène, qui fit tout pour me faire sortir de ce « grand renfermement » - comme l'on le nommait et le pratiquait au XVIIème siècle - : Elle arpenta la cour de la Sorbonne – elle y avait obtenu un dix-huit en maîtrise de philosophie, grande intellectuelle qu'elle est, dévorant toute la littérature française et étrangère, sans compter la philosophique, quoiqu'elle fût par ailleurs pianiste, danseuse, et comédienne jouant Molière au théâtre, intermittente du spectacle, artiste jusqu'au fonds de son être ; et elle y fit circuler des pétitions de protestation, les unes manuscrites, les autres publiées sur Internet. Celles-ci furent signées entre autres par de grands maîtres, certains mêmes professeurs émérites. Monsieur Pierre Magnard déclara que j'étais une « victimée du système. » A cette occasion, l'un de ces savants professeurs, érudits et férus d'humanités classiques, se renseigna sur notre église, et la rejoignit, converti d'esprit puis de cœur. Irène avait pris beaucoup de peine et consacré beaucoup de temps à obtenir ma libération, mettant extrêmement à la gêne l'administration de l'hôpital psychiatrique, qui m'en fit acerbement le reproche. Mais l'asile psychiatrique m'avait fait perdre tous mes repères psychologiques. J'avais perdu toute confiance en moi et je doutais souvent si je n'étais pas folle. Tant les traitements humiliants et le lavage de cerveau pratiqués à l'asile – où sont parvenue les techniques de tortures psychologiques importés des pays dictatoriaux – tant ces supplices, si longtemps endurés, m'avaient donné à croire que je pouvais bien être folle. A mon retour à l'église, j'interrogeai des fidèles, notre métropolite, et notre bon père Cyprien : « Père Cyprien, crois-tu que je suis folle ? » Et celui-ci, avec son air de bonté coutumière m'avait répondu dans un grand sourire : « Pas le moins du monde. Tu me parais, et tu parais à tous, parfaitement normale et saine d'esprit. » Pour lors, je demande aux autorités compétentes que mon dossier psychiatrique soit radié des archives – dossier infamant s'il en est, qui m'accuse de « délire mystique », de «délire de persécution » et de « folie psychotique » ; - et que ma mémoire soit réhabilitée, en sorte que mes détracteurs – en particulier ceux qui s'acharnent contre moi et contre notre Eglise sur Internet, y vomissant leurs calomnies – ne puissent plus salir mes ouvrages, et qu'il ne soit pas porté préjudice à mon œuvre poétique et spirituelle, afin que ne soit pas discrédité un livre comme celui-ci, que j'écris en hommage à la mémoire de notre Saint Père Ambroise de Paris, dont la mémoire est éternelle. « Méfiez-vous », nous disait Père Ambroise, peu avant sa mort, « des psychiatres et des tribunaux. Car ils peuvent aisément faire passer pour fou n'importe qui, surtout le spirituels. » Je peux ajouter à l'appui de ces dires qu'une de nos fidèles perdit définitivement, jusqu'aux dix-huit ans de l'enfant, la garde de son bébé de deux ans parce qu'elle fut également accusée de « délire mystique », et que les psychiatres avaient établi à l'encontre d'un hiéromoine de passage dans notre paroisse qu'il était « fou psychotique. » Père Patric a clairement montré dans son opuscule sur les Persécutions des moines du Mont-Athos par Constantinople ( Publié par nos soins, Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème), dénonçant les violations des Droits de l'homme au Mont-Athos, que les moines zélotes et ancien-calendaristes étaient persécutés jusque sur l'Athos, et que maints d'entre eux étaient internés en asile et faits passer pour fous. Certains y demeuraient même jusqu'à leur mort. Les biens ecclésiastiques étaient également pillés par les nouveaux-calendaristes, comme il nous advint également avec le magnifique épitaphion de Papouli et les ornements de Père Patric et de Papouli que la police vint chercher chez moi, en décrétant que je les avais volés à une église oecuméniste. J'avais, de fait, hébergé chez moi, huit jours durant, un sans-abri rencontré dans les parages d'une église oecuméniste. J'ignorais alors que ce vagabond volait pour le compte du prêtre de cette église, pour le remercier de l'avoir hébergé dans sa sacristie. Cet individu me déroba donc le magnifique épitaphion de Père Ambroise, dont il nous avait faits les héritiers, ainsi que les ornements sacerdotaux de Père Ambroise et de Père Patric. Lorsque je les retrouvai dans cette église, j'allai les y reprendre. Le prêtre avait en effet encadré et suspendu l'épitaphion au mur. Je les remis chez moi. Mais le prêtre oecuméniste porta plainte contre moi et déclara que je les avais volés. Il mentit sur la date de l'encadrement et toute sa déposition était mensongère. Par la suite il n'advint à ce prêtre que de graves ennuis familiaux. J'étais, pour ma part, déclarée voleuse des biens qui m'appartenaient en propre ! La police vint reprendre chez moi cet héritage sans prix de Père Ambroise et de Père Patric. Je demande aujourd'hui la restitution à ma famille de ces biens bénis par des Saints. Je prie en outre pour que ma mémoire ne soit pas entachée et noircie de la sorte, et que mes enfants ne s'imaginent pas que leur mère était une voleuse et une folle. Si l'on ne nous persécute pas, qu'on nous le montre ! N'étant pas oecuménistes, nous n'avons pas le droit d'avoir pignon sur rue. Nous devons, pour obtenir une église, demander l'autorisation à l'archevêché de Paris, qui s'empresse de nous la refuser. Nous en sommes réduits à n'avoir qu'une petite chapelle obscure et sans fenêtres dans un appartement. Nous n'avons pas même le droit d'apposer une plaque en extérieur pour signaler notre église. Aussi les gens ne peuvent nous connaître, et s'il leur advient d'entendre parler de nous ils craignent d'avoir affaire à une secte. Comme si l'Eglise Orthodoxe pouvait être une secte ! Mais l'Orthodoxie est si mal connue en France, que l'on en arrive à de telles aberrations mentales ! Récemment encore, la situation n'a fait qu'empirer, puisque notre église est maintenant soumise par la mairie de Paris au loyer exorbitant de mille euros par mois, somme colossale et disproportionnée au lieu, que nous peinons à trouver chaque mois, et qui met notre église en danger – ce qui est sans doute le but inavoué escompté par les autorités concernées – en danger, donc, de devoir mettre la clef sous la porte et de mourir. Nul en France ne nous connaît. Nous ne pouvons mener à bien aucune mission d'apostolat. Notre site internet est fermé. Nos livres sont refusés par tous les éditeurs, qui sont pour l'oecuménisme triomphant. Le seul éditeur qui nous ait jamais publié, le Serbe Dimitri Dimitrievic, fondateur de l'Age d'Homme, a aujourd'hui fait faillite. Si nos livres voient enfin le jour, les librairies, surtout religieuses, qui sont toutes oecuménistes, pour peu qu'elles aient accepté nos ouvrages, aussitôt après notre passage, les retirent des rayons et les mettent tout en haut ou tout en bas des étagères, dans ce qu'il est convenu d'appeler « l'Enfer des bibliothèques », ou, en l'occurrence, des librairies. Si l'on leur commande nos livres, elles prétendent que ces commandes n'ont pu être honorées, sous couleur que nos livres seraient prétendument épuisés, ce qui est faux. Et la presse ni les médias, - si ce n'est le journal Libération, qui, très justement louangeur, célébra la beauté de cette hymne à l'amour, criant à la merveille, lors de la parution de l'admirable Cassienne de Nicolas , œuvre d'enseignement sur la conception Chrétienne de l'amour - ne font aucune recension de nos ouvrages. Toute l'oeuvre, énorme et théologiquement fondamentale de chercheurs tels que Père Patric, toute l'oeuvre donc de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, publiée par nos soins, aux Editions de cette même fraternité (3O Bd Sébastopol, Paris 4ème), et tous nos ouvrages parus aux éditions de l'Age d'Homme (Coll. La Lumière du Thabor), dont les tomes de la fondamentale, magistrale, irréfutable et très documentée « Lumière du Thabor », Revue Internationale de Théologie, parue aux mêmes Ed. de l'Age d'Homme, est et demeure totalement introuvable en librairie comme en bibliothèque, passée à la trappe, ghettoïsée derrière un unanime mur du silence généralisé. Les ennemis de l'Eglise Orthodoxe des Vrais Chrétiens Orthodoxes, tant les athées que les faux-frères oecuménistes, pratiquent le « black-out » total de notre existence et de notre œuvres. Le plus grave n'est pas que nous soyons privés du sentiment d'exister, mais que toute notre œuvre, énorme, d'apostolat, tout notre immense travail missionnaire, soit frappé de néantisation. A quoi s'ajoute ce fait désolant, ce malheur, ce fléau même pour l'humanité désemparée et perdue dans la tempête et les flots agités de ce monde, que nombre d'oeuvres, fussent-elles poétiques et de haute volée, ne figurent pas à leur juste place au palmarès des œuvres fondamentales de la littérature mondiale, et ce, uniquement parce que ce sont des œuvres spirituelles, considérées comme de la « littérature d'édification » ( spirituelle), et comme telles traitées et rejetées avec mépris par les spécialistes de la littérature humaniste, de ceux tels que l'on en peut rencontrer même jusque parmi les plus grands érudits de la Sorbonne et du Collège de France. De là que – goutte d'eau dans la mer de cette désolation universelle -, nous avons conçu ce « blog de Presbytéra Anna », pour parer tant soit peu au fait que nos livres sont absolument introuvables, non édités, ou, au mieux, non diffusés, épuisés ou trop chers, à cause du prix fixé par l'éditeur pour qui nous travaillons bénévolement. Nous avons eu à cœur de jeter, faute de mieux, sur la place publique ces ouvrages méconnus, afin de les mettre à la portée des plus intellectuellement curieux, des plus sagement instruits, des plus assoiffés de Dieu, ou des plus pauvres hères. ( Cf L'Evangile du Banquet, Luc 14 : 15 – 24 ; Matt 22 : 1-14). Hélas ! Ne subsistent pratiquement plus, à l'arrivée des courses, que la littérature hagiographique des Vies des Saints, qui ne gêne guère que peu ou prou. La littérature de combat, elle, qui dérange, les livres plus polémiques, et nonobstant si précieux et rares, ceux de Père Patric, qui fut un grand et illustre polémiste, et la Revue internationale de Théologie, magistrale, sans contredit, fondée par lui, La Lumière du Thabor, par exemple, qui figuraient sur le Site Internet Orthodoxia-Solidarnous, ont dû être effacés et le site fermé, sous la pression de la censure, exercée notamment sous la menace des instances de la dictature psychiatrique qui règne sans conteste. Les œuvres inestimables de Père Patric comportent les titres suivants, en sus de sa volumineuse, imparable et irréfutable Revue internationale de théologie intitulée La Lumière du Thabor : Les persécutions des moines de l'Athos par le patriarcat de Constantinople, imprimé par nos soins ( Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas), la doctrine des néo-orthodoxes sur l'amour ( Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas), Père Wladimir Guettée : de la Papauté. Richard Simon ou de Du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie, Saint Augustin ( Dossier H) – tous ouvrages parus aux éditions de l'Age d'Homme. A quoi s'ajouta plus tard Le nouveau Catéchisme contre la foi des Saints Pères de Mgr Photios et de Mgr Philarète, qui est une réfutation imparable du Nouveau Catéchisme catholique, émané du Vatican. Père Patric édita également à l'Age d'Homme Cassienne, de Nicolas Vélimirovitch, les V tomes de l'énorme Philosophie orthodoxe de la vérité, traduite du Serbe par Jean-Louis Palierne, et le dossier Kossovo. Il édita encore à l'Age d'Homme les livres de Père Ambroise, Saint Nectaire d'Egine et Sainte Photinie l'ermite, le livre du lecteur Michel Aubry : Saint païssius Vélichkovsky, puis deux de mes livres, Saint Théophile le Fol-en-Christ de la Lavra des grottes de Kiev, et, ultimement, L'oiseau de Guelvéri, qui relate la Vie et les Propos Spirituels de Saint Jérôme d'Egine, propos extraordinaires qui nous font accroire que nous entendons parler le Saint de vive voix. Je gémissais un jour devant Monsieur Fantou que c'était un dommage inestimable, une perte irréparable, que Père Patric eût été emporté si tôt, si jeune, à trente-cinq ans, comme les héros d'Homère, fauchés dans toute la gloire et dans tout l'éclat de leur fougueuse et magnifique jeunesse. « Patric est passé dans la vie comme un météore dans le ciel », avait, une autre fois, ajouté Monsieur Magnard. Mais, contre toute attente, Monsieur Fantou me répartit : « En tout cas, il a eu le temps de dire ce qu'il avait à dire ! » Plût à Dieu que ces œuvres voient à nouveau le jour et qu'elles éclairent la lanterne et le cœur des chercheurs de Dieu ! Nous sommes et demeurons, quant à nous, de modestes confesseurs de la foi. Ainsi que je l'affirmais à la directrice de l'asile, « l'on pourra tout me faire, mais l'on ne pourra pas me faire renoncer à ma foi. » Nous, pauvres de nous, maigre troupeau d'ouailles solitaires, désargentées et démunies, seuls et sans autres moyens que la Grâce du Saint Esprit et que les prières du Saint Père Ambroise qui a béni cette œuvre pastorale et spirituelle, jusqu'à la fin, nous clamerons, comme le monastère résistant ancien-calendariste d'Esphigménou sur l'Athos le clame sur sa bannière flottant au vent, « l'Orthodoxie ou la mort ! ». Nous eûmes à subir nombre d'autres épreuves encore, trop douloureuses pour pouvoir toutes les étaler ici. Il est difficile de mettre son cœur à nu. La veine du récit intimiste est difficile à tenir tout au long d'une l'oeuvre de conteur, fût-elle autobiographique, et destinée à seulement, humblement, témoigner de ce qui la dépasse, infiniment. Toujours est-il que ces épreuves furent longues, parfois, et qu'elles nous mirent aux prises avec les forces déchaînées des puissances obscures. « Car ce n'est pas contre des adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter » dit l'Apôtre(Eph. 6, 12), mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du Mal qui habitent les espaces célestes ». Saint Joseph l'Hésychaste, ce Saint Ancien de l'Athos, peint à longueur de page, en ses Lettres spirituelles, (Traduction d'Yvan Koenig, Ed. L'Age d'Homme, ouvrage épuisé, à paraître également sur le Blog de Presbytéra Anna), la teneur terrible de ces épreuves incessantes qui assaillent celui qui veut atteindre à la purification du cœur. Car les épreuves purifient, - comme l'enseignent les Saints Pères, et avec eux Saint Isaac le Syrien, et elles nous sont données pour notre humilité. « Dans le monde vous aurez à souffrir », dit le Christ. « Mais gardez courage ! J'ai vaincu le monde. » ( Jean 16,33). Pour l'heure et temporairement, - jusques à quand ? - , Grâce à Dieu – grâces soient rendues à Dieu pour tout -, nous ne traversons plus d'épreuves. « Lorsque j'eus traversé d'innombrables épreuves », affirme Saint Marc l'anachorète, Dieu me garda désormais de toute épreuve. » - ( Cf. Saint Marc l'anachorète, et cf. Saint Onuphre l'ascète, traduction de Presbytéra Anna, imprimés par nos soins aux éditions de la Fraternité Saint Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème -. Sans vouloir aucunement nous comparer à de tels astres de l'Orthodoxie, - loin de moi cette pensée ! - la chose peut aussi s'expliquer par le fait que, comme l'écrit le Starets Serbe Thaddée – opus cité -, à partir d'un moment donné, au sortir de maintes épreuves, Dieu transforme en joie tout ce qui pourrait faire figure de tourment. C'est à ce propos que, lorsqu'on lui demandait s'il supportait encore le flots de calomnies, aux injures, aux insultes que ses détracteurs déversaient contre lui, Papouli répondait : « Oh ! Maintenant tout glisse sur moi comme sur les plumes d'un canard ! ». Et il souriait, joyeux. C'est en ce sens que le Starets Thaddée écrit ( op. Cit) : « Le Seigneur nous purifie...et conduit notre âme vers l'apaisement et la simplicité, de sorte que notre âme ne prend plus à cœur les offenses : elle reste apaisée quelles que soient les circonstances, disant que c'est ainsi que cela doit être. » « Dieu l'a voulu ainsi », répétait souvent Père Ambroise, qui eût pu dialoguer avec ce vieux moine au visage extraordinairement joyeux, où brillait un regard incomparablement regard extraordinairement lumineux. « Ainsi », poursuit Thaddée, « l'âme se purifie progressivement afin de pouvoir recevoir le feu divin et adresser sans cesse des prières au Saint Esprit. » Et encore : « Nous nous mettons habituellement en colère devant des insultes ou des railleries, et cela tant que la Grâce divine ne descend pas sur nous. Mais, quand nous avons reçu la Grâce, nous ne nous sentons plus insultés face aux insultes, et restons toujours calmes, pleins de joie, paisibles, comme s'il ne s'agissait plus de nous. » Mais, d'autre part, et par ailleurs, il ne convient pas d'oublier cette historiette des Pères du Désert – cf Arnauld d'Andilly, Vie des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, in Blog de Presbytéra Anna -, que nous rappelait souvent Papouli, lui qui aimait à nous conter inlassablement ces histoires, cet apophtegme, donc, du moine qui se lamente en sa grotte, disant : « Hélas ! Dieu m'a abandonné. Il m'a laissé dans la déréliction : Il ne m'envoie plus d'épreuve pour la purification et la sanctification de mon âme, en sorte que je puisse m'élever au Ciel par la voie escarpée et montante qui y mène ! » PROPOS SPIRITUELS DU SAINT PERE AMBROISE DE PARIS. Lorsque les jeunes moines novices arrivent sur l'Athos, ils s'enquièrent auprès des Anciens qui vivent encore des Propos Spirituels tenus par les Saints qui viennent de s'endormir dans le Seigneur. Ils les recherchent partout, interrogeant ici et là, et ils les collectionnent comme l'on collectionne des perles, des perles précieuses, pour aider au Salut de leur âme. De toutes ces perles assemblées, comme par congruence, par un merveilleux effet de composition, jaillit la plus belle, l'unique, la figure du Christ. ( Cf. L'Evangile de la pierre précieuse. Mat 13, 44-46). C'est ainsi que nous gravions dans notre cœur, pour nous les remémorer toujours, les précieuses paroles inspirées tombées de la bouche suave de notre Papouli, et dont l'ensemble constitua pour nous une école de vie. - « La Gaule, avant l'invasion Franque, était Orthodoxe. On ne devient pas Orthodoxe ; on revient à l'Orthodoxie première. » « Monseigneur (Mgr) Philarète de New-York a jeté un anathème contre les oecuménistes, Or Mgr Philarète était un Saint de Dieu ». Comme un autre Saint Père Justin Popovic, Père Ambroise redisait après lui : « L'oecuménisme est la plus grande hérésie. C'est l'hérésie des hérésies, l'hérésie du XXème siècle ». « Quatre-vingt pour cent des Orthodoxes ont gardé l'Ancien Calendrier. Ils sont Anciens-Calendaristes. » « Les flammes de l'Enfer seront les flammes de l'Amour de Dieu. Cet Amour est dévorant, et il brûlera ceux qui, toute leur vie, auront rejeté Dieu. » Et en cela, Père Ambroise suivait la théologie de Saint Isaac le Syrien. Certains des enfants spirituels de Papouli, prêtres et moines, s'épuisaient à faire des conférences pour répandre la foi orthodoxe. Lassés de voir que cette prédication n'amenait pas grand-monde à l'église, ils vinrent lui demander s'il jugeait bon qu'ils continuassent ce travail de prédication. « Le prosélytisme a son intérêt », répondit-il, « mais il n'est pas fondamentalement nécessaire. Lorsque Dieu veut convertir le cœur d'un être déjà potentiellement spirituel, il l'amène à ta porte. » « Vous excluez tout le monde », se plaignit un jour à Père Ambroise un incrédule. « Non », lui répondit le Saint. « Nous n'excluons personne. Toute leur vie, les hommes ont eu l'Evangile et les prophètes. Regardez l'Evangile du riche et du pauvre Lazare. Le riche, en proie dans l'Enfer à une soif inextinguible demande à Dieu que l'on aille avertir ses frères qu'il se devaient de réchapper à l'Enfer ; « Non, » lui fut-il répondu, « ils ont eu l'Evangile et les Prophètes. » « Nous n'excluons personne, mais bien peu veulent entendre la Parole de Vérité. Le chemin du Salut est la voie étroite qui mène au Paradis. Beaucoup sont appelés, dit encore l'Evangile, mais peu sont élus. » « L'essentiel, » conclut Père Ambroise, « est d'en sauver au moins quelques-uns ». « Je sème, mais ce n'est pas moi qui récolterai. » « Le plus haut de tous les charismes est le discernement spirituel, qui donne à distinguer le bien du mal, le vrai du faux, l'orthodoxie de l'hétérodoxie. » « Il faut être Orthodoxe pour sauver son âme et entrer au Paradis. Les hérétiques et les hétérodoxes n'hériteront pas du même Paradis ». - « Les oecuménistes, marche-leur sur les pieds, et tu verras s'ils ont pour toi le moindre amour de bienveillance, le moindre pur amour de charité. » « La Prière du Coeur tout le jour, c'est fatigant ! Car il faut se concentrer, toujours, sur les mots de la Prière. » « L'ascèse, toute une vie entière, c'est fatigant ! C'est long ! » « Il convient de se voiler à l'église, et donc d'y porter un foulard, à cause de l'épître de Saint Paul. En dehors de l'église ce n'est pas nécessaire, sauf pour les moniales. Et encore. Dans les paroisses longtemps persécutées, comme à Tambov, dans l'ancienne Russie soviétique, les moniales ne se réunissent que le samedi, pour les vêpres, et le dimanche, pour la liturgie, après avoir vécu en moniales de façon idiorythmique, toute la semaine, chacune chez elle. Elles arrivent à l'église sans voile, et ne portent le voile qu'une fois entrées dans l'église. » Voici quel est le texte de Saint Paul à l'origine du fait que la femme se voile à l'église :« Je vous félicite de ce qu'en toutes choses vous vous souvenez de moi et gardez les traditions, telles que je vous les ai transmises. Je veux cependant que vous sachiez : le chef de tout homme, c'est le Christ ; le chef de la femme, c'est l'homme ; et le chef du Christ, c'est Dieu. Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait affront à son chef. Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c'est exactement comme si elle était tondue. Si donc une femme ne met pas de voile, alors qu'elle se coupe les cheveux ! Mais si c'est une honte pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou tondus, qu'elle mette un voile. L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu ; quant à la femme, elle est le reflet de l'homme. [ 8-9 ] Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des Anges. [ 11-12 ]. Jugez-en par vous-mêmes. Est-il décent que la femme prie Dieu la tête découverte ? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c'est une honte pour l'homme de porter les cheveux longs ; tandis que c'est une gloire pour la femme de les porter ainsi ? Car la chevelure lui a été donnée en guise de voile. " (1 Cor. 11, 2-16). « Il ne convient pas qu'une femme se mette en pantalon à l'église. De plus, cela n'est pas féminin, et cela la grossit ; oui, cela la rend grosse. Ce n'est ni seyant, ni orthodoxe ». « Le mariage et le monachisme sont comme les deux barres de la croix. L'une, verticale, qui va de la terre au Ciel, représente le monachisme. L'autre qui étend ses bras à l'horizontale, représente le mariage. Ces deux voies participent également de la croix. On peut être sauvé par ces deux voies de manière égale. L'une, le monachisme, est simplement plus rapide ». « Un laïc voit ce qu'il fait dans la vie. Il voit ses enfants grandir. Un moine ne voit pas ce qu'il fait. Il ne voit pas ses progrès spirituels lors de son avancement spirituel dans la vie angélique. Il est difficile d'être moine. » « Il n'est pas orthodoxe de vivre hors mariage en concubinage. Il faut régulariser la situation en se mariant ». (Sur cette question, il est bon de lire le petit livre éclairant du Hiéromoine Grégoire du Mont Athos : Le sacrement du mariage, communion d'amour. Ed. des Syrtes). « Le mariage est un martyre. C'est pourquoi les Pères ont fait figurer la danse du martyre dans l'office du couronnement ». ( Note : Le mariage est appelé dans l'Eglise Orthodoxe l'Office du couronnement. Les époux portent des couronnes, les couronnes du martyre, et l'on déclare l'époux couronné par l'épouse et l'épouse couronné par l'époux). « Lorsque des jeunes gens se disputent avant le mariage, il ne faut pas qu'ils se marient ». « Le mariage, dans son commencement, fait mal comme une chaussure neuve. Il faut s'adapter. Cela demande aussi un temps d'adaptation ». « Une fois mariés les époux doivent tenir bon coûte que coûte et tout faire pour ne pas se séparer ». « Cependant l'Eglise Orthodoxe admet le divorce car l'on peut se tromper.L'église catholique a tort de refuser la communion aux divorcés, car les canons des Pères de l'Eglise admettent le divorce et que l'on donne la communion aux divorcés ». « L'église catholique a tort également de refuser le mariage des prêtres. Cela n'est pas la Tradition apostolique, qui mariait les prêtres à des presbytéras. Les catholiques sont plus royalistes que le roi. Car les canons de l'Eglise autorisent le mariage des prêtres. En refusant aux prêtres de se marier, l'église catholique éloigne et détourne beaucoup de vocations de l'église, en faisant fuir les jeunes gens, et crée une église sans prêtres pour ses nombreuses ouailles. L'Eglise orthodoxe a, quant à elle, failli même, en 1921, à Constantinople, autoriser le mariage des évêques. Comme le montre l'Epître, les premiers évêques étaient mariés. « La famille de l'Evêque », dit l'Apôtre, « doit être un modèle pour les autres. » ( Tite 1, 6-9) ; (Timothée 3, 1-7) ». « Quant au fait que ne peuvent prétendument être faits prêtres que les jeunes gens qui n'ont pas eu de relations sexuelles avant le mariage, cela c'est la rigueur, observée par certaines églises en Grèce. Mais cela n'est pas tenable ». « Il y a deux mesures dans l'Eglise, la rigueur et l'économie. Si je ne pratiquais pas l'économie ici, il n'y aurait personne dans notre église. Pas même moi. » A un jeune homme qui voulait se marier : « Dieu », lui dit-il, « te donnera le meilleur ». Et, effectivement, peu de temps après, par les prières du Saint, il rencontra une merveilleuse jeune femme, jolie, extrêmement gentille, intelligente et fort pieuse. Père Ambroise était souvent à l'origine de « mariages arrangés » dans l'église. C'est-à-dire qu'il mariait volontiers les jeunes fidèles de l'église trop timides pour faire le premier pas ou sans discernement, qui se seraient trompés et auraient contracté une union malheureuse s'ils n'avaient pas été détournés de leur premier choix à l'aveugle. « Un tel et une telle ne vont pas ensemble », disait-il, « ils ne sont pas faits l'un pour l'autre. » - « Quand le Seigneur voit un beau bébé, il nous l'envoie ». C'est ce qu'il disait à une jeune mère dont l'enfant était à naître. Il aimait beaucoup les enfants, et il appréciait que son église soit remplie de beaux enfants. Et de fait, par ses prières, les enfants qui naissaient dans l'église étaient tous plus beaux les uns que les autres. A une mère de famille nombreuse d'entre ses filles spirituelles : « Tu es une maman extraordinaire, une mère comme je n'en ai jamais vu. Tu auras des kilomètres de cordon ombilical qui te raccrocheront à tes enfants, même quand ils seront grands. Toi, tu seras sauvée par la maternité ». « Les jeunes gens feront la queue pour épouser tes filles ». C'est ce qu'il prédisait à une jeune maman de l'église dont, par ses prières, les filles étaient magnifiques. « Ton enfant est beau parce que tu l'as attendu dans la prière ». « Patience, patience, mon Anne. Anne, en hébreu, signifie patience. Il faut beaucoup de patience pour la vie en Eglise ». « Ne va pas travailler et garde tes enfants. La maman est la lumière du foyer. Il vaut beaucoup mieux pour faire le bonheur de ses enfants qu'une mère reste au foyer à s'occuper d'eux avec mille soins et attentions et qu'elle soit là pour les élever. En outre, une personne consacrée à l'Eglise ne travaille que pour l'Eglise. Elle n'est pas autorisée à travailler au-dehors. De plus une mère qui reste à la maison peut jeûner, veiller et travailler pour l'Eglise ». « Dieu rend tout au centuple. Le bien comme le mal ». « Une mère qui néglige son enfant, celui-ci le lui rendra au centuple ». « Il y a une justice immanente, sur terre, qui est immédiate, et une justice divine, au Ciel, qui est éternelle. » « Une telle récolte ce qu'elle a semé. Toute sa vie elle a été une femme avaricieuse au cœur dur. Comme la reine des neiges qui avait un glaçon dans le cœur. Elle battait ses enfants, elle les négligeait, elle ne s'en occupait pas elle-même, mais engageait des personnes pour s'en occuper à sa place. Maintenant qu'elle est une vieille femme, nul de ses enfants ni de ses petits-enfants ne vient la voir et elle croupit dans une solitude immonde et abjecte. Sa fin est terrible ». « Une telle, au contraire, c'est un cœur avec une femme autour ». « L'intelligence du cœur, que nous cultivons dans l'Eglise Orthodoxe, est très supérieure à l'intelligence de l'intellect, qui est froide et inutile à long terme ». A une de ses enfants spirituelles : « Je t'aime comme si je t'avais engendrée, comme si j'étais ton père selon la chair. » « Faites la prière du cœur aux moments perdus de la journée : vous verrez qu'il y en aura beaucoup ». « La prière du cœur m'est advenue un jour. Elle est descendue dans mon cœur un jour où tout allait mal et où je désespérais ». « Toi, tu vivras très vieille ». « Une telle va s'élever sur les ailes de la contemplation ». « Untel va devenir saint ». « Chacun des saints a sa forme de sainteté particulière selon son caractère, son individualité, et son mode d'être ». - « Toi, Jean, lorsque tu seras ermite, tu liras entre autres Pères tout Saint Jean Chrysostome. Oui, tu liras et reliras ses œuvres complètes. » - Nous nous étonnions à l'entendre parler ainsi à un fidèle marié et père de quatre enfants. Mais de fait, des années plus tard, ce fidèle laissa sa femme et ses enfants désormais élevés, et se retira pour s'adonner en ermite dans l'hésychia priante absolue à la prière. Cet ermite avait été moine dans sa jeunesse, à Chypre. Rebuté par le barrage de la langue, il avait quitté le monastère et s'était marié. Mais il fallait s'attendre, et nous eussions dû nous en douter, à ce qu'un ancien moine, retournât, avec le temps, à ses anciennes amours, ce qui est dire à la vie angélique du monachisme. A tels de ses enfants spirituels : « Vous serez à un très haut niveau spirituel. Vous serez très hauts dans le Ciel ». Un jour, il nous avait murmuré, l'air mystérieux : « La nuit, Sainte Photinie l'ermite et Saint Nectaire viennent me visiter chez moi. Ils s'entretiennent avec moi. A mon tour, je leur parle. Vous aussi, si vous le vouliez, vous pourriez les voir et vous entretenir avec eux. » « Untel paraît orthodoxe, mais à la vérité son cœur est plein de mauvaises pensées et de pensées impures ». « Je n'invite pas untel chez moi, car son cœur est plein de pensées impures. » « Les mariages se font au Ciel ». Dieu sait par avance quel fiancé épousera quelle fiancée, et c'est Lui qui les fait se rencontrer, Lui qui les marie par avance, Lui qui décide qu'ils seront couronnés l'un par l'autre. « C'est un très grand péché d'empêcher les enfants de venir au monde par la contraception et par l'avortement ». « Si vous avez des enfants, ayez beaucoup d'enfants. Même si les temps sont durs, la Providence, comme une cigogne, apportera son petit baluchon à chacun des enfants à sa naissance. Par les prières des Saints vous ne manquerez de rien. Recherchez d'abord le Royaume. ( Mat 6, 33). Dieu vous assurera votre « pain quotidien ». « Une telle n'a rien compris à l'église. Elle vient à l'église, mais elle reste complètement mondaine, avaricieuse, n'estime que les riches et elle est pleine d'un orgueil de caste insupportable». « Les mondains qui quittent l'Eglise qu'ils jugent trop austère par esprit de frivolité peuvent malgré tout continuer de servir l'Eglise de l'extérieur. Ils peuvent l'aider de par leurs relations publiques et, par leurs conversations, fussent-elles superficielles, nous faire connaître dans le monde. Dieu ne les abandonne pas ». « La valeur d'un être se mesure aussi à son portefeuille, au fait qu'il donne ou qu'il ne donne pas ». « Il faut vider sa poche pour que Dieu la remplisse. » « Enfants, nous étions très, très, pauvres. La pauvreté nous a beaucoup appris. Je n'avais même pas de lit. Ma mère me mettait par terre de la paille et je dormais sur cette paille. Nous ne mangions de la viande qu'une fois par semaine. Et le reste du temps, nous mangions très très peu ». « Les liens d'église sont plus forts que les liens du sang. Si les êtres en Eglise restent unis, c'est que leurs liens sont de Dieu ». « Tu veux en carême complémenter ton alimentation en fer, avec des comprimés ? Mais pourquoi faire ? » Et il faisait mine de dévorer sa cuisinière en fer. Un jour que je l'avais vu, comme souvent, trop épuisé pour faire autre chose que demeurer allongé sur son lit, par-dessus la grossière couverture qui lui servait de courtepointe, je lui avais tendu un remontant très fort – du ginseng- dont j'avais tendance à abuser, ne supportant pas les états de fatigue. Le lendemain il me tendit la boîte pour me la rendre : « Reprends tout cela », murmura-t-il faiblement, « cela ne sera pas nécessaire. » « Les confessions des fidèles le dimanche m'épuisent. Elles sont très lourdes à porter. C'est très pénible ». Mais lorsque ses enfants spirituels lui parlaient en confession, leurs problèmes, de retour à la maison, comme par miracle, par ses prières, s'évanouissaient. « Quand est-ce qu'untel sera guéri ? Depuis qu'il est hospitalisé, je jeûne et je m'use en agenouillements, en génuflexions, et en prosternations pour lui. Je n'en puis plus. Je suis épuisé ». « Tout le carême durant, j'ai porté l'âme d'un jeune homme qui vit dans le péché. Cela était très lourd. Cela m'a épuisé ». « Sèche tes larmes tout de suite. Il ne faut pas qu'on te voit pleurer à l'église. C'est de l'orgueil. Pleure chez toi ». « Ne croise pas les genoux à l'église. C'est de l'orgueil ». « Pendant des années j'ai beaucoup lu .Dès que j'avais un peu d'argent j'achetais un livre. Comme j'ai aimé les livres ! Surtout des livres ecclésiastiques et des histoires de l'Eglise. Mais maintenant que j'ai vieilli, je ne lis presque plus rien. Je ne fais plus que ma Prière ». A certains de ses plus proches enfants spirituels qu'il emmenait régulièrement à la campagne en retraite spirituelle : « Quand nous serons tranquilles dans l'hésychia, nous allons nous mettre à jeûner et à veiller un petit peu ». A la confession, Papouli pouvait être très sévère et faire pleurer ses enfants spirituels. Il leur adressait des propos fermes : « Allons, ressaisis-toi, redresse-toi, remets tes pas dans la voie droite. » Sa sévérité nous étonnait parfois. Passant devant une église catholique, il lança un jour : « Cette église est une boîte de nuit spirituelle. » Une higoumène de monastère, en Grèce, n'était pas sortie pour l'accueillir. « Elle est orgueilleuse », dit-il. « Elle ne veut pas se montrer. Elle croit que sa prière est au-dessus de l'accueil de son frère étranger. Elle oublie l'Evangile du Christ, qui enjoint : « Laisse-là ta prière et va au-devant de ton frère. » (Cf. L'Ev de Jésus-Christ). Et d'une jeune fille qui partait se faire moniale au monastère, il nous dit, l'air sévère : « Elle part au monastère, mais c'est peine perdue, car elle est orgueilleuse. » Comme cette jeune fille faisait, avant de partir, ses adieux à tous, il dit : « Quand on part au monastère, on part sans se retourner. On n'envoie pas de bristols à tout le monde. » « Ces évêques en lunettes noires, qui sont inondés de l'argent des fidèles, qui se déplacent en berline, ou en limousine, et vivent dans le luxe, traitant les moniales comme leurs servantes, se faisant servir par elles, tout en les méprisant, ce sont des « Mamamouchis » », disait-il, faisant allusion au Bourgeois gentilhomme de Molière. Il aimait à redire : « Certains font quarante ans de monastère, mais ils ne comprennent rien à la vie angélique. » Mais il nous racontait en souriant l'histoire de cette grande coquette – était-t-elle princesse ? Impératrice ? Je ne sais plus. Il me souvient qu'il s'agissait d'une certaine Irène, peut-être l'Impératrice -, qui, partie se faire moniale au monastère, avant que d'y entrer, y déposait à la porte à regret toutes ses belles robes et ses riches parures. « Cela est beau », murmurait-il, ému aux larmes. A mieux me remémorer cette histoire, il me souvient qu'il s'agissait d'Irène Chrysovalente. Irène devait épouser le fils de l'impératrice Théodora, qui devint Sainte, parce qu'elle avait sauvé l'Eglise de l'iconoclasme et rétabli le culte des icônes. Lorsque l'impératrice Théodora voulut marier son fils Michel elle envoya par tout le royaume ses émissaires et ses ambassadeurs chargés de trouver la plus belle, la plus pieuse, la plus douce et la plus intelligente des jeunes filles, en sorte qu'elle pût prétendre à épouser le jeune futur empereur. Ils trouvèrent une telle jeune fille, Irène, en Cappadoce. Mais, sur le chemin du retour, elle voulut prendre la bénédiction d'un ermite de renom. Celui-ci la salua en ces termes : « Salut, Irène servante de Dieu. Va au monastère de Chrysovalandou, pour en être l'higoumène, car les jeunes moniales, là-bas, y ont besoin de toi. » Car le sainte ermite, qui avait le don de prophétie, savait à l'avance l'avancement spirituel d'Irène. Irène Chrysovalente devint tellement sainte que les cyprès du monastère, la nuit, s'inclinaient devant cette orante nocturne, ainsi qu'en témoignèrent ses moniales. Aussi, sur son icône, l'iconographe a-t-il représenté cette inclination des arbres devant la Sainte. Ainsi donc, Sainte Irène avait-elle déposé ses belles robes à l'entrée du monastère. Saint Théophile le Fol-en-Christ de la Grande Lavra des Grottes de Kiev, lui, se montre beaucoup plus sévère quant à la montre des grandes dames, fussent-elles aumônières, puisqu'il balançait sans vergogne sa soupe au chou sur leurs belles robes. ( Cf Presbyétra Anna, Théophile le Fol-en-Christ, Ed. L'Age d'Homme). Mais Saint Jérôme d'Egine est fort indulgent pour les belles tenues des dames spirituelles : « Même dans une belle robe, une femme peut être un être de Prière, une âme orante », dit-il à peu près.( Cf. Presbytéra Anna, L'oiseau de Guélvéri, op. Cit). Saint Jean de Cronstadt, quant à lui, cet être de joie totale, qu'irradiait tout l'allégresse divine, prône qu'il sied de mettre à l'église ses plus belles robes, ses plus beaux vêtements liturgiques. Et parce qu'il venait à l'église avec ses ornements d'apparat, il fut vivement critiqué, et même taxé d'orgueil et de vanité par ses détracteurs.Saint Jean de Cronstadt fut donc lui aussi objet de jalousie. Car quels Saints de Dieu sont-ils épargnés par ce fléau des âmes qu'est la jalousie ? Il n'est jusqu'à l'astre céleste, l'astre photoïde au firmament du Ciel que fut Saint Isaac le Syrien, Evêque de Ninive, (cf Saint Isaac le Syrien, Oeuvres spirituelles), qui n'ait été jalousé pour son aura de sainteté ; -Isaac le sublime, qui se démit et résigna sa charge d'évêque, « pour une raison que Dieu sait », et qui s'en fut au saint désert de Scété, et dont il fut dit qu'il écrivait la langue des êtres terrestres, tandis que ses détracteurs écrivaient celle des êtres terrestres.( Cf. Introduction de Mgr Kallistos Ware à L'univers spirituel d'Isaac le Syrien, par Hilarion Alfeyev, Ed. Abbaye de Bellefontaine. Coll. Spiritualité orientale, n° 76) -. Père Ambroise condamnait l'homosexualité. Non point qu'il fût à proprement parler homophobe, ni qu'il détestât la personne pécheresse, mais son péché lui-même : « L'homosexualité, c'est une vie contre nature. » Il avait un jour, sans le savoir, baptisé deux lesbiennes. Lorsqu'il l'avait appris, il avait dit : « Je ne savais pas que je baptisais le diable. » Et à un de ses moines dans l'église, dont il avait découvert qu'il était homosexuel, il avait fait retirer sa soutane et lui avait enjoint de demeurer dans l'Eglise en civil jusqu'à ce qu'il fût venu à résipiscence, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il se repente et fasse pénitence. « Comme j'eusse voulu avoir un monastère ! » - Et, de fait le Métropolite grec l'avait élevé au rang d'Archimandrite, ce qui est dire Higoumène de monastère. - « Mais, » ajoutait-il tristement, « Dieu ne me l'a pas donné. » Mais une autre fois, il nuançait son jugement dans les monastères. « L'on doit s'ennuyer dans les monastères. Le démon de l'ennui y travaille beaucoup les âmes. » Hélas ! Il n'est pas que ce seul démon de l'ennui pour venir tourmenter les moines, et plus encore les Solitaires. Arnauld d'Andilly, en ses Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes (cf Blog de Presbytéra Anna), met en scène ce démon qui inspirera la fameuse gravure de la Mélancholia de Dürer. La tentation de Saint Antoine, de Gustave Flaubert reprend ce même thème des légions de démons qui assaillent les Solitaires du Désert. Entre maintes autres de ces puissances maléfiques, qui se déchaînent contre les ascètes, les Solitaires et les ermites, fussent-ils de Saints vieillards, et les tourmentent profondément, jusqu'à les laisser totalement abattus sur leur couche, figure le démon de la tristesse ; et encore le démon de la paresse ou de l'acédie - « Quand tu es dans l'acédie, prie », portent les manuscrits des Quatre ermites égyptiens ( op. Cit.). Et Père Ambroise de nous raconter cette histoire du Diable que rencontre en chemin un moine. Ce diable, est-il à peu près écrit, porte sur lui, comme porterait son breuvage un porteur d'eau de l'Atlas marocain, diverses calebasses emplies d'étranges concoctions de divers maléfices. « Que portes-tu là sur ton dos ? » s'enquit lors le frère. « Ce sont », lui répondit le Diable, diverses potions, toutes différentes les unes des autres, destinées à divers frères d'entre les Pères du Désert. A chacun j'apporte celle qui le tourmentera. » Père Ambroise aimait bien les Noirs. « Comme j'eusse voulu faire une mission en Afrique ! » disait-il. « Mais Dieu ne me l'a pas accordé. » Une famille entière de Noirs fit un jour son entrée dans l'Eglise, et il les baptisa. « Ah ! » dit-il en souriant, «on se colore un petit peu ! » A ce propos, un jeune homme Noir disait récemment : « Il n'y a ni Blancs, ni Noirs ; il n'y a que des hommes. » Et il ajoutait que « l ' Afrique était le berceau de l'humanité », comme le prouvait le livre qu'il nous tendait, intitulé Nations nègres et culture, aux éditions Présence africaine. Père Ambroise eût pris fait et cause pour les migrants, que les responsables politiques laissent périr par centaines de milliers dans les eaux redoutables de la Mer Méditerranée, qu'ils laissent torturer dans les pays où ils transitent, et qu'ils persécutent, du moins les plus chanceux d'entre eux, lorsque ces miraculés, après cette infernale odyssée, accomplie au péril de leur vie, arrivent enfin sur notre sol béni, prétendument terre d'asile. « Les gouvernants, contrairement au Christ, ne s'occupent pas de leurs pauvres, de leurs clochards, de leurs sans-abris. Ils les laissent mourir dans la rue, sans même les reloger. » Ces pauvres, enroulés en boule, lovés sous leurs cartons, la tête cachée dans leur mince couverture crasseuse, loques humaines, à même le trottoir, n'ont plus figure humaine. Cela fend le cœur. « Les hommes politiques foulent aux pieds la dignité humaine ». « Les divers partis politiques, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. » De fait, tous se sont unanimement entendus pour néantir les humanités classiques, détruire la grande culture, dont la culture gréco-latine, - de laquelle l'apprentissage est si formateur et si fondamental -, comme aussi le théâtre classique, voter des lois persécutrices des religions, plonger leurs nations dans la décadence, les ténèbres de l'ignorance, et la déchristianisation démonique, allant jusqu'à faire de la Sainte Croix du Christ un signe ostentatoire à prohiber haineusement! A de jeunes néophytes enthousiastes qui parlaient de l'ascèse qu'ils voyaient décrite dans les Vies des Saints et qui enjoignaient à tout le monde de faire de l'ascèse, il dit sévèrement : « Vous ne savez pas ce qu'est l'ascèse ; ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas. » Mais, à d'autres moments, Papouli était très tendre, très doux et très indulgent. « J'ai beaucoup de patience, mon enfant. A chacun de mes enfants spirituels que j'engendre en Christ, c'est comme un accouchement, je souffre beaucoup. C'est très difficile. Mais après je suis dans la joie ». Il aimait ses enfants spirituels d'une manière inconcevable. Il était aimant d'une manière qui passe l'imagination. Il devait faire à l'époque en moyenne huit heures de train pour desservir ses paroisses éloignées qu'il avait fondées dans plusieurs régions de France. Il dormait alors dans les gares pour ne pas déranger les fidèles. Et lorsqu'il les voyait enfin à la gare, il leur disait : « J'aurais voulu pousser le train pour arriver plus tôt et vous voir plus vite. » « Tous ces cours d'université où vont certains étudiants, au début c'est très formateur, mais, à la longue, cela ne sert plus à rien. Il faut savoir cesser d'y aller, ne pas être un éternel étudiant, et rester à lire, à travailler et à prier dans la retraite ». « Tels fidèles, c'est comme du miel. Ils attirent tous les autres fidèles. Leur maison, c'est l'auberge espagnole. Ils pratiquent la vertu de l'hospitalité. Mais bien des gens sont ingrats et sortent avec des critiques. » « Aux fidèles de l'Eglise Orthodoxe, nous nous devons. Mais les autres, nous ne pouvons pas les assumer. Dieu en prend soin par nos prières ». « Les religieuses catholiques font des piqûres et de charitables œuvres sociales. Les Orthodoxes sont plus intériorisés. Ils font des prières. Mais la prière est action, et action surpuissante. La prière permet une action supérieure, décuplée et même démultipliée à l'infini, qui surpasse infiniment la praxis et l'agitation de l'action qui s'éparpille à l'extérieur. Les priants agissent au centuple, infiniment plus puissamment que les actifs. Parce que par la prière tu fais intervenir Dieu et l'infini. Les Saints agissent par la prière ». (Sur ce même sujet, cf Païssios l'Athonite, Lettres, Ed.du monastère Saint Jean le Théologien, Thessalonique). « Les religieux catholiques sont déformés en long, en large et en travers, les pauvres, par leur dogmatique fausse et erronée ». « Mais, si leur dogmatique est fausse et hétérodoxe, il y a malgré tout des Saints dans toutes les religions. L'Abbé Pierre, Mère Térésa de Calcutta, Gandhi en sont des exemples . Gandhi explique qu'il a tiré la notion de jeûne des Evangiles Chrétiens. Le Christ au Désert jeûna quarante jours, puis il eut faim (Mat 4, 2) ». « Tu veux une amie ? Pour quoi faire ? Reste chez toi dans l'hésychia, seule avec Dieu, et prie ». « Des amis, tu n'en auras pas dans ta vie plus que les doigts d'une main. » C'était là, le souvenir d'un proverbe grec, venu d'Asie Mineure peut-être. Quant aux liens entre l'amour et l'amitié, Père Patric avait cette formule frappante : « Dans l'Eglise, l'on est tenu à l'amour universel, mais non pas aux atomes crochus de l'amitié. » L'on peut donc aimer son prochain, et l'on y est tenu par le commandement évangélique, sans pour autant éprouver envers lui l'amitié qui lie deux êtres, indissolublement, comme mutuellement attirés l'un vers l'autre par de puissants, d'indéfectibles atomes crochus. Père Ambroise nous rappelait l'image de la roue à laquelle recourent les Pères de l'Eglise pour exprimer l'amour de Dieu et l'amour du prochain. « Plus l'être priant, sur un rayon de la roue, se trouve près de Dieu, qui est au centre de la roue, comme son moyeu, plus il est proche de son prochain, sis sur un autre rayon. » Et à la vérité, il était surprenant de voir comme en notre Eglise, contrairement à ce que j'observais dans les autres églises où j'étais passée avant que de rencontrer Papouli, les êtres étaient proches les uns des autres, s'aimant plus que s'ils eussent été unis par les liens du sang. « A ce signe l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, que vous vous aimerez les uns les autres (Jean 13, 34-35)», enseigne l'Evangile. A un moine qui subissait les affres de la tentation : « Tu veux t'unir à une femme ? Fais comme si c'était fait. » « Il faut arrêter de vivre les uns chez les autres en chapelets de saucisses. Chacun chez soi et Dieu chez tous ». « Celui qui fait l'aumône fait tourner le monde autour de son doigt », me dit un jour une mendiante qui, par un froid frigorifiant, insupportable, insoutenable, se tenait aux portes du magnifique Monastère de la Grand Lavra. Père Ambroise, bien qu'il fût d'une pauvreté déconcertante faisait l'aumône. Parfois, lorsque nous n'avions pas même de quoi donner à un clochard – il est vrai qu'à l'époque Père Patric et moi étions pauvres - : « Eh oui, » disait-il en riant, « c'est nous les plus pauvres. » Et un père de notre église, qui était grand lecteur des œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome, ajoutait : « Crois-tu que Dieu n'est pas assez grand pour prendre soin de ses pauvres ? ». Un autre me disait : « Tant que tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas faire l'aumône. » Notre futur métropolite, Mgr Philarète, complétait ainsi ce discours : « Si tu n'as pas de quoi faire l'aumône, les Pères disent que tu peux faire une prière pour ce pauvre et qu'ainsi, par cette modeste prière, Dieu l'aidera. » « Ne critique pas cette femme en lui reprochant d'avoir eu trois maris » disait encore Père Ambroise à l'une de ses filles spirituelles qui s'avérait moralisante et qui, néophyte dans la foi et inexpérimentée dans la vie, s'avisait de faire la morale aux autres. « Parce qu'il pourrait bien t'arriver par la suite la même chose. » « Il y a trois personnes en une telle : Une femme, une mère et une moniale. C'est la part spirituelle qui l'emportera ». « Méfiez-vous des psychiatres et des tribunaux. Ils peuvent faire passer pour fous qui ils veulent, surtout les spirituels ». Mais il ne niait pas que ces institutions pussent être utiles et rendre service. Certains psychiatres pouvaient secourir leurs malades atteints de dépression et qui ne savaient pas que le millepertuis, plante naturelle, pouvait être plus efficaces que des antidépresseurs abrutissants et grossissants. Ne revient-il pas au psychologue et psychiatre américain Milton Erikson, lequel fut l'inspirateur de l'hypnose américaine, d'avoir écrit cette belle phrase : « La vie par elle-même te réservera des afflictions. Mais ta mission c'est de créer de la joie. » Cette sentence magistrale s'appliquait du reste à merveille à Père Ambroise dont la vie fut semée d'afflictions, - qui souffrit sans cesse des labeurs douloureux d'une ascèse extrême et quasi violente car il était de ceux qui se font violence pour forcer l'entrée du Paradis (Mt 11, 12) -, et qui malgré cela semait incessamment le bonheur et irradiait la joie autour de lui, de façon douce et merveilleusement chaleureuse, au point que tous accouraient à lui dans leurs afflictions comme pour se chauffer à la chaleur humaine qu'il diffusait à foison, comme un être incandescent d'amour qu'il était, au point que certains disaient de lui : « Papouli, c'est un phare ! » Et en vérité, il était un phare de l'Orthodoxie, une resplendissante et irradiante lumière, un luminaire au firmament de l'Eglise qui éclairait tous ceux qui venaient à lui, les faisant échapper aux tempêtes de la mer démontée de cette vie et les faisant accéder au port de l'Eglise bienheureuse, de sa petite église qui était pour tous une arche de Noé les sauvant du déluge de leurs jours éphémères de la déréliction décadente de ce monde de l'apostasie (2 Thess 2), où Dieu est renié par la plupart des âmes aveuglées par les puissances des ténèbres. Des évêques grecs en visite en France dans notre petite église, venus, dans le cadre de leur mission apostolique, bénir la Synodie de Père Ambroise qui dépendait de leur juridiction, se montrèrent choqués de l'état de décadence et de déréliction spirituelle des âmes qu'ils croisaient dans le quartier de la ville qu'ils traversaient pour atteindre notre modeste chapelle. « Vraiment », dirent-ils, « à la fin des temps votre église jugera ce quartier décadent. » « En vérité, oui, » leur répondit Papouli, « notre petite Eglise Orthodoxe jugera le monde sur des trônes, comme il est écrit dans les Ecritures que feront les Apôtres du Seigneur. » (Mat 19, 28). Des visiteurs, entrés par curiosité dans notre modeste chapelle, s'exclamèrent – et ce fait se reproduisit à diverses reprises - : « Votre église, mais on dirait les Catacombes des premiers temps de l'Eglise primitive ! Quelle ferveur de coeur ! Quelle sincérité ! Quelle rectitude dans la foi ! ». Et le compliment était, à nos yeux de néophytes, qui avions dans les premiers temps de notre recherche spirituelle, visité bien des églises avant de rencontrer Père Ambroise, oui, le compliment nous semblait bien mérité. « C'est », répondait invariablement Père Ambroise, prenant l'air austère et sévère qu'on lui connaissait lorsqu'il parlait de choses graves, « c'est que nous observons la foi droite. Orthodoxie, du reste, signifie étymologiquement « croyance droite. » Nous gardons le dépôt de la foi Orthodoxe. « Garde, Timothée, garde le dépôt de la Foi ! » enseigne l'Apôtre Paul. (1 Tim. 6, 20). C'est là notre engagement et notre combat spirituel. Nous nous gardons de l'oecuménisme que le Saint Père Justin Popovic appelle « l'hérésie des hérésies », la plus grande des hérésies, celle qui est apparue au XXème siècle. » - Cf L'oeuvre immense du Père Justin Popovic, parue à l'Age d'Homme : Les voies de la connaissance de Dieu, et les V tomes de la théologie dogmatique Orthodoxe.- Et il prenait un ton mystérieux, doux et ferme à la fois, citant à nouveau et redisant toujours l'injonction de Saint Paul, l'Apôtre des nations : « Garde, Timothée, garde le dépôt de la Foi. » ( 1 Tim 6, 20). A l'église, lorsque l'on passait près de lui, souvent, l'on sentait, par bouffées, embaumer Papouli. « Les Saints embaument », nous avait-il enseigné chez lui. « Il y a diverses odeurs de sainteté. Lorsque cela embaume, ce n'est pas toujours le même parfum. Cela peut être une odeur de rose, une odeur de talc, mais suave, ou une autre encore. Ces senteurs sont merveilleuses et indescriptibles. » Et il nous sortait aussi de diverses petites boîtes des cotons qui avaient été imprégnés de diverses huiles de veilleuses qui avaient brûlé devant des icônes miraculeuses. « Ce coton est imprégné d'une huile de veilleuse qui brûlait devant une icône de Saint Nectaire. » Mais lorsque nous lui disions que nous l'avions souvent senti embaumer, lui, il baissait modestement la tête et ne répondait rien. Tant il était humble. « Mais que croyez-vous donc que je suis ? » s'étonnait-il. « - Un Saint, Papouli ! ». Humblement encore, il ne répondait toujours rien. En vérité il avait atteint « l'akra tapinosis » – l'extrême humilité du Christ. Et il nous montrait une icône du Christ figurant « l'akra tapinosis », figurant le Christ, la tête humblement penchée sur le côté. Saint Antoine peint à merveille la notion d'humilité. Seul l'humble, enseigne-t-il par son exemple, peut échapper aux pièges sans nombre de l'Ennemi, le Diable. « Saint Antoine, » rappelle le Starets Thaddée ( cf. Op. Cit.) vit un filet tendu tout autour du monde, qui représentait les pièges du Malin tendus partout à l'homme sur la terre. Lorsque Saint Antoine eut observé tous les filets installés par les esprits mauvais sous les Cieux, il soupira et dit : « Mon Dieu, qui peut échapper à tout cela ? » Alors, il entendit une voix dire : « Seuls les humbles et les doux passent au travers. De surcroît ils ne sont pas même effleurés » par les traits du Malin Démon. Papouli aimait à nous raconter cette histoire. Père Ambroise, sa vie durant, jusqu'à son dernier souffle avait lutté au corps à corps avec le Diable. De cette lutte, il était sorti vainqueur, embaumant avec suavité, maintes et maintes fois, comme au jour même de sa mort, à l'instant où son âme s'était séparée de son corps. Un jour, sur le chemin que nous empruntions ensemble pour prendre le métro et nous rendre à l'église, il devint soudain triste et pensif : « Je crains pour mes enfants spirituels après ma mort. Les pièges du Malin sont si nombreux ! » « Il ne faut pas laisser au Diable la plus petite faille dans votre âme. Si vous lui laissez une petite faille, sans exercer la vigilance (la nepsis, la neptique des Saints Pères Neptiques), il l'agrandira bientôt jusqu'à la rendre béante, pour y entrer tout entier avec toute sa cohorte de démons. » Papouli nous dit un jour, à Père Patric et à moi : « Une des choses que je redoute le plus, et qui me ferait le plus de peine, serait que le diable ne s'avise de vouloir vous brouiller avec moi, et ne vous sépare de moi. » Il n'encourageait pas les excès, quel que fût notre zèle de néophytes à vouloir faire de l'ascèse. « Anna mou » – mon Anne, en grec -, s'exclamait-il, « tu es toujours hors frontières ! » Et il souriait de ce jeu de mots, car, à l'époque, avant que notre église ne se rattachât aux Anciens Calendaristes Grecs, nous faisions parties de la diaspora russe et nous étions rattachés à l'Eglise Russe Hors-Frontières. « Il ne faut pas dépasser un certain degré de fatigue. Au-delà d'un certain seuil, le corps s'épuise et n'est plus bon à rien faire ». « Notre corps ne peut pas supporter très longtemps la souffrance ». « C'est dans les plus grandes épreuves que j'ai goûté la plus grande Grâce. » De fait, lorsqu'il n'est plus nulle consolation humaine, Dieu envoie et prodigue ses consolations divines. L'Ancien Païssius l'Athonite dans ses Lettres, et le Starets Thaddée expliquent la même chose. « « De qui es-tu le fils spirituel ? » demande-t-on au Mont Athos à un nouveau venu, « nous enseignait Père Ambroise. « Car les lignées de Saints se poursuivent et se perpétuent de père en fils. » « Souvent, dans les familles Orthodoxes, il suffit de deux générations pour que les enfants deviennent moines et moniales. » « Méfiez-vous des moines « vagantes » - du latin, errants-. Un « vagans » erre d'église en église. Il n'est rattaché à aucune juridiction. Il est hors Eglise. » Il avait une immense vénération pour les reliques. Il en possédait beaucoup, car les higoumènes des monastères où il allait en Grèce, voyant sa sainteté, lui en donnaient généreusement. La Mère Marie d'Oinoussa, qui le vénérait particulièrement, et qui en était très riche, lui en avait donné à profusion. On l'avait un jour appelé d'un monastère grec, lui proposant de nouvelles reliques, récemment inventoriées. Aussitôt, il avait fait l'aller-retour en Grèce, rien que pour se les procurer. Il nous racontait un jour en riant l'histoire que l'on prête au curé d'Ars : « Vous voulez des reliques et vous venez m'en demander ? Eh, bien, faites-en vous-mêmes ! Devenez Saints ! » Il s'exclamait avec admiration : « La Mère Marie d'Oinoussa, mère de Sainte Irène de Chio, dont le corps est intact, la Mère Marie était une grande dame. Il en faut dans l'Eglise. » « Mère Marie d'Oinoussa était très riche. Elle donna sa fortune et celle de son mari, armateur richissime, pour édifier son magnifique monastère d'Oinoussa, cet îlot sis en face de Chio. Ce monastère a été construit dans le plus pur style des monastères byzantins du XIV) siècle. Il surplombe la mer. La vue y est magnifique. Son père spirituel, Saint Jérôme d'Egine lui avait dit : « Tes trois enfants sont morts. Tu seras donc moniale, et higoumène de ton monastère. Sur ta tombe, l'on écrira : « Mère Marie, higoumène et pécheresse. » « Mère Marie faisait l'aumône sans compter. Tout le monde, sur son île d'Oinoussa, a mangé du pain de Mère Marie. » « Lorsque l'on exhuma, lors de l'invention de ses reliques, le corps de la moniale Irène de Chio et que l'on s'aperçut qu'il était intact et non décomposé, ce qui manifestait à tous que c'était une Sainte, ceux qui avaient péché contre elle se mirent à sangloter et s'écrièrent : « Pardon, ma Sainte ! » « Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que la Providence. » A deux de ses enfants spirituels, il dit : « Vous pécherez. Mais vous ferez une grande pénitence qui vous placera par la suite plus haut spirituellement que vous n'étiez avant de pécher. » Saint Jean Chrysostome écrit, du reste : « Avez-vous péché ? Entrez dans l'Eglise et repentez-vous de votre péché. Car là se trouve le Médecin, et non pas le Juge. Ici, personne n'est soumis à enquête, chacun repentant reçoit le pardon des péchés ». Et Saint Jérôme d'Egine écrit de nos jours : « Nous sommes tous malades. L'Eglise est un hôpital. Nous y entrons pour guérir et sauver nos âmes. » « La pénitence efface tous les péchés. L'Abba Moïse l'Ethiopien, qui était Noir, n'en déplaise aux racistes, était un chef de terribles brigands et un meurtrier. Mais il s'en fut au désert et fit une si grande pénitence qu'il se sanctifia et devint plus saint que bien des Pères du désert qui n'avaient point péché comme lui. » A quoi l'on voit, du reste, - ce qui est dire : à suivre le parcours du Saint Abba Moïse- se voit, donc, que la peine de mort, qui nie la possibilité du repentir, n'a aucun sens dans l'Eglise Orthodoxe. « Dans la vie, il faut souffrir ou s'ennuyer. » « En faisant tel effort ou telle bonne action, tu ajoutes une perle à ta couronne. » « Si tu souffres ta couronne sera sertie de plus de perles et de joyaux. » « Si tu ne souffres pas, Dieu n'écoute pas tes prières. » « Les Saints prient pour toute chose ; pour les choses matérielles comme pour les choses spirituelles. » Saint Pierre écrit en son Epître : « Quand vous souffririez pour la justice, vous seriez heureux. » ( 1 Pierre 3 : 14). Et il est d'autres textes encore insistant sur la joie dans les souffrances. ( Jac 5, 7-11 ; Actes 5, 41). Il convient d'être joyeux dans la souffrance. « C'est ce que les Pères, » concluait-il, « nomment « le deuil joyeux » ». Les derniers mots écrits de sa main figurèrent sur un petit papier posé sur son bureau, au dernier jour où il vécut chez lui, avant qu'il ne fût hospitalisé : Et ce petit papier portait les mots : « Monseigneur Photios, Evêque de Lyon, Exarque pour la France. » J'interprète ces mots en me disant à part moi que si cet Evêque, quelques années après la Dormition de Papouli et après celle de Père Patric, à strictement lire les très – trop – sévères canons de l'Eglise Orthodoxe, si cet Evêque donc pécha en m'épousant après que j'eusse été veuve, et en me donnant trois magnifiques enfants, Pauline, Angéline et Théophane, il eut aussi la vertu de me faire revivre et de me sauver à trois reprises du suicide, ainsi que la vertu de devenir le père nourricier et adoptif des trois enfants qui me restaient de mon premier mariage avec Père Patric, après la mort de mon aînée Photinie, à savoir Irène, Séraphim et Vassilissa, lesquels, sans son assistance et ses soins paternels, eussent mené une dure vie de misère et de tristesse. « J'admire Mgr Photios, » m'écrivit un ermite, « de t'avoir sauvé la vie en des circonstances aussi douloureuses. Qui l'aurait fait ? » Cet Evêque, que du reste nul n'avait osé déposé, quitta ses fonctions pour mettre un terme au scandale occasionné par ce mariage. Mais, selon moi, si Papouli a de sa main écrit pour derniers mots le nom et la fonction de l'Evêque qu'il avait lui-même choisi et intronisé, c'est qu'il le considérait comme demeurant jusqu'au bout digne de l'épispocat et de l'exercice de ses fonctions épiscopales. Voyant la grande pénitence que Père Photios mena après la naissance de mes trois derniers enfants, et voyant les très grandes souffrances psychiques qu'occasionnèrent pour lui son retrait de ses fonctions ecclésiastiques, souffrances indescriptibles capables de détruire un être, moi, simple et modeste presbytéra, c'est-à-dire femme de prêtre, fille spirituelle de Saint Ambroise de Paris, mère de six enfants vivants, Irène, Séraphim, Vassilissa, Pauline, Angéline et Théophane et de trois enfants défunts, Photinie, Marie et Aliocha, qui donc aurais eu neuf enfants s'ils eussent tous vécu, en tant que femme d'ecclésiastique et que mère, vivant également dans la pénitence en frère et sœur avec mon époux évêque depuis la naissance de mon dernier enfant, je plaide pour le mariage des Evêques, tel qu'il a failli passer et être admis, lors d'une demande de réforme des canons en 1921 lors d'un synode à Constantinople, dans le cadre d'une économie nécessaire dans l'Eglise et devant y figurer pour parer aux épouvantables méfaits du rigorisme pharisien qui y règne parfois de façon par trop délétère, et qui peut dégénérer en quasi-hérésie comme le montrent les Matthéistes dont le rigorisme les fit se séparer du reste des anciens calendaristes. Des lettres de dénonciation et de calomnies furent envoyées par certains de nos fidèles mal intentionnés partout dans l'entièreté du monde orthodoxe. Quoique nul n'eût jamais osé déposé cet Evêque, ni en Grèce, ni en Russie, ni aux Etats-Unis d'Amérique, ni en France, il s'ensuivit nonobstant un raz-de-marée cataclysmique. Certains, et ceux-ci en particulier, quittèrent l'église ; d'autres, l'agonisant d'injures et de lettres sentencieuses et orgueilleuses, émanées d'esprits psycho-rigides et imbus d'eux-mêmes et de leur prétendue science théologico-dogmatique et canonique, adressèrent à Mgr Photios des lettres souillées d'excréments ; d'autres encore se déchaînèrent sur les forums d'Internet. L'on était à milles lieues de la douceur évangélique, qui demande la miséricorde et non le sacrifice. Le Métropolite Bartholomée de Constantinople, quant à lui, se plaignait lors d'une interview télévisée où l'on l'interrogeait sur cette question brûlante que, du fait de cette interdiction trop douloureuse à vivre pour la plupart des jeunes gens, tous ses évêques démissionnaient et, quittant leurs fonctions, abandonnaient l'Eglise, allant même, parfois, s'ils n'y revenaient pas en civil, c'est-à-dire sans leurs ornements, jusqu'à perdre leurs âmes. « Ils s'en vont tous », soupirait-il amèrement. Quel manque inestimable pour l'Eglise qui se retrouve alors sans pasteurs de grande qualité pour ses ouailles, les plus doués s'en allant, laissant la place aux plus incompétents, souvent, aux plus ambitieux, et aux plus orgueilleux, imbus de vaine gloriole et d'esprit de despotisme. Dans l'Eglise Orthodoxe, contrairement à ce qui se passe dans l'église catholique romaine, les décisions ne sont pas prises par un seul, mais par l'assemblée commune, le synode des Evêques. Chacun de ceux qui restent dans l'Eglise, après avoir fait partir un Evêque jugé indésirable, et n'ayant pas l'humilité de le rappeler par après, risque de verser ou tombe franchement dans le césarisme, voire dans le césaro-papisme, centralisant tout, dirigeant tout à soi seul, sans se concerter à plusieurs évêques, n'ordonnant pas même de prêtres, pour ce que n'acceptant pas que quiconque à ses côtés lui fît de l'ombre par son esprit d'intelligence et sa vertu secrète, de là ne créant pas de nouvelles paroisses, et demeurant dans le statu quo ante de l'Eglise telle qu'elle leur avait été confiée bien des années auparavant, n'ayant pas su être des meneurs d'hommes, ne convertissant que de rares âmes, et pour ainsi dire personne, ne publiant quasiment rien, ou bien à titre purement confidentiel, et n'ayant pas su faire preuve d'esprit de mission ni d'apostolat aucun. Aussi, loin de condamner les évêques mariés, siérait-il bien plutôt de les réintégrer dans le sein de l'Eglise, pour laquelle leur absence constitue une perte inestimable, la privant de l'oeuvre apostolique majeure qu'ils y accompliraient magistralement, et manquant cruellement aux fidèles, dont la perte de leurs chers pasteurs fait douloureusement saigner le cœur. Quiconque emmènerait l'Eglise de Père Ambroise dans la voie d'un rigorisme sectaire confinant à l'obscurantisme ne dirigerait pas l'Eglise dans l'esprit de Papouli, et la ferait dévier de la direction spirituelle qu'il imprimait à ses paroisses, où, si même il était sur le dogme orthodoxe, d'une fermeté inébranlable, il faisait avant tout régner un esprit de douceur, d'amour et d'économie absolue, particulièrement en ce qui regardait les canons apostoliques du « Pidalion » - « Gouvernail » ( de l'Eglise). « Il est des gens », se plaignait encore Père Ambroise, « qui interprètent tous les textes au pied de la lettre. Mais il faut comprendre l'esprit d'un texte. Cet esprit, lorsque c'est l'Esprit Saint qui l'a noué, seul l'Esprit Saint peut le dénouer, et en faire percevoir le sens spirituel. » « Ce sont des canons d'or qui joignent ensemble les murs d ela Jérusalem céleste, non des canons faits de main d'homme. La vraie canonique est divine. Cela, les hommes ordinaires ne peuvent le comprendre. » L'Evangile stipule : « La lettre tue, l'Esprit vivifie. » ( 2 Cor 3, 4-10). « Les canons ne sont pas l'Eglise », disait Père Ambroise « L'Eglise se définit par sa théologie dogmatique Orthodoxe. On ne peut pas toucher à la dogmatique de l'Eglise, à son dogme Orthodoxe, qui définit théologiquement l'Eglise, mais on peut reconsidérer sa canonique. » « Saint Théophile le fol en Christ des Grottes de Kiev, lorsqu'il s'est sanctifié dans les bois solitaires par une sainte ascèse plus difficile, disait-il, que de faire un nœud dans l'un de ses cils, n'allait plus au monastère. Ou s'il y allait, il se moquait du clergé, faisait le fou irrespectueux, et se mouchait dans les nappes d'autel. Il ne supportait plus le clergé étroit d'esprit, psycho-rigide, obscurantiste, et fanatisé, qui fait tomber l'Eglise dans la sinistrose. » « Il n'y a pas à craindre de semer la zizanie dans l'Eglise si l'on s'oppose fermement et sans concessions à un clergé rigoriste et obscurantiste. Saint Paul osa bien s'attaquer à Saint Pierre et à le vitupérer lorsqu'un différend les opposa, comme le rapporte l'Epître de Saint Paul aux Galates. ( Gal 2, 11-14). » « A prendre tous les canons du Pidalion au pied de la lettre, on verse dans le fanatisme et dans la sinistrose. » Et il ajoutait : « Augustin d'Hippone fut un Bienheureux. L'Eglise Orthodoxe ne pouvait le déclarer Saint, car il a fait verser tout l'Occident chrétien dans la sinistrose. » - Cf. Père Patric Ranson, Dossier H Augustin. Ed. L'Age d'Homme -. « Il est horrible de déclarer avec Augustin d'Hippone que les enfants morts-nés sans baptême sont voués à l'Enfer. C'est là condamner tout le monde à l'Enfer. C'est du fanatisme ». « Si on regardait les carnets de bord des Saints, on serait choqué par leurs péchés ». « Les figures des Saints tels que les dépeignent les Synaxaires sont trop idéalisées. A chaque page il est écrit : « Le Saint veillait toute la nuit, il jeûnait tout le jour, il priait sans cesse ». Cela ne correspond pas à la réalité. Les Synaxaires sont trop stéréotypés. Ils idéalisent. » « Les Pères disent que même les plus grands Saints pèchent sept fois le jour. » « Il faut de la mesure, même pour atteindre à la sainteté. Garde la mesure. » « Il ne faut pas dépasser un certain niveau de fatigue. Au-delà d'un certain degré, le corps n'est plus bon à rien. » Et il nous ouvrait un passage de la Philocalie, cette autoroute vers le Ciel : « Mange une fois le jour, soit à l'heure de none, à trois heures de l'après-midi, soit le soir. Saint Jean Maximovitch, que j'ai bien connu lorsqu'il séjourna à l'église d'Evgraph Kovalesky, ne mangeait que le soir, vers vingt-deux heures. Cela est plus difficile encore que de ne manger qu'à trois heures. Le Saint de la Philocalie ajoute : « Si tu ne manges qu'une fois le jour, tu ne pourras sauter aucun jour. » « En Carême, je perds dix kilos. » Au vrai, il était fort amaigri. Il avait pour ainsi dire fondu. Et il ôtait sa ceinture pour nous montrer de combien de crans il avait dû la resserrer. « Il est plus difficile de veiller que de jeûner. » « Entre l'espace d'une aube et d'un crépuscule, d'un soir et d'un matin, un homme peut devenir Saint. Les voies de Dieu sont impénétrables. » « Dieu préfère agir par le zig-zag plutôt que par la ligne droite. » - « La voix du peuple orthodoxe revêt beaucoup d'importance. Elle exprime aussi la conscience orthodoxe de l'Eglise », ajoutait-il, « même si cette voix s'élève contre le clergé fanatisé ou contre les canons trop rigoristes. Cela fut vrai tout au long de l'Histoire de l'Eglise, et particulièrement en des temps troublés, comme le furent ceux de la Turcocratie. Ce fut souvent le peuple qui montra au clergé fanatisé ou ignorant de la Tradition apostolique, ou bien encore qui avait perdu cette Tradition à cause de l'envahisseur, ce fut le peuple qui montra, au clergé même, l'exemple de ce qu'il devait faire, et qui, ce faisant, sauva l'Eglise du rigorisme. » « Les Vrais Orthodoxes ne sont pas des fanatiques. Un fanatique tue, par définition. Un Chrétien Orthodoxe a la vocation du Martyre, il se laisse tuer ». « Le mariage d'un Evêque était courant dans l'antiquité chrétienne, comme le montrent les Epîtres de Paul à Tite et à Timothée ( Tite 1, 6-9) ; Timothée (3, 1-7)), stipulant et explicitant que la famille de l'Evêque doit être le modèle des autres familles. Ce n'est qu'ultérieurement que l'Eglise a statué différemment, pour des raisons qui sont principalement d'ordre pratique. De nos jours, le mariage des Evêques est par exemple toléré dans l'Eglise Orthodoxe de Russie ». Réclamer le mariage des Evêques, ce n'est pas tomber dans « le modernisme » incriminé par nos détracteurs ; c'est vouloir retourner à la Tradition originelle et originaire de nos premiers Pères, qui furent les Apôtres de l'Eglise primitive, dans les temps anciens. « En toutes choses », écrit Saint Jean Cassien, « parcourons la voie ouverte devant nous par la Tradition de nos Anciens et la bonté de leurs vies. » « Les Gérondika – Recueil de petites histoires et d'apophtegmes des Pères du Désert - ( Cf. Arnauld d'Andilly, Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, in Blog de Presbytéra Anna), les Gérondika sont pleins d'histoires de moines ayant péché gravement avec des moniales, et revenus avec des enfants au Désert, au lieu de leur pénitence. Ils élevaient le ou les enfants au monastère, et faisaient pénitence. Leur pénitence était si grande qu'elle les élevait plus haut spirituellement qu'ils n'étaient avant leur péché. » « Il y avait aussi, dans ces mêmes recueils d'historiette des Pères du Désert, la Vie de Marie, la nièce d'Abraham le Solitaire. L'Abba Abraham avait mené sa nièce Marie au Désert, et l'avait établie dans une cellule proche de la sienne. Marie avait fui à la ville pour entrer dans un lupanar et s'y faire courtisane. Affligé, la mort dans l'âme de ce qu'il voyait une âme se perdre, l'Abba Abraham s'en était allé au lupanar la rechercher. Il l'avait ramenée à sa cellule. Elle y avait fait une très grande pénitence. Puis elle avait dans sa prière demandé à Dieu s'il agréait sa pénitence. Dieu lui avait montré par des signes, des miracles et des prodiges qu'il l'avait élevée à la sainteté. » Papouli affectionnait particulièrement la vie des plus grandes pécheresses. « Le Christ n'est pas venu pour les parfaits », disait-il, « il est venu pour sauver les pécheurs » (1 Tim. 1, 15) ; ( Mat 9, 12-13) ; (Mc 2, 17) ; (Lc 5, 32). « Il mangeait à la table des publicains et des pécheurs. » (Mt 9, 11). « Notre Seigneur a dit : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés.»(Mat 7, 1 ; Luc 6, 37). « Ah ! » soupirait-il, « Sainte Thaïs, qui fut courtisane ! Et la Vie de Sainte Pélagie la pénitente, qui fut elle aussi courtisane ! Anna, j'aimerais que tu traduises cette Vie. Si nous donnions autant de soins à notre âme que cette courtisane en donnait à sa beauté, s'exclamait l'Evêque qui la voyait passer avec tous ses ornements et ses perles, avant qu'elle ne les ôtât pour faire pénitence, nous serions sauvés ! Comme cela est admirable ! » Et Papouli s'extasiait plus encore sur la Vie de Sainte Marie l'Egyptienne. ( Cf. Vie de Sainte Marie l'Egyptienne, in Arnauld d'Andilly, Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, Blog de Presbytéra Anna). Avec amour, avec fougue, avec passion, il nous racontait souvent cette même vie. Il ne se lassait pas de raconter des histoires qu'il aimait par-dessus tout, si bien qu'à la fin nous les connaissions par cœur. Mais il se méfiait beaucoup des gens moralisants et moralisateurs qui, se croyant parfaits, faisaient la morale aux autres. Ceux-là, qui se permettaient de juger autrui ne regardaient pas la poutre qui était dans leur œil propre, et stigmatisaient la paille qui était dans celui d'autrui (Mat 7, 3) ; ( Lc 6, 41). Ils filtraient le moucheron et gobaient le chameau. (Mat. 23, 24). Ceux-là étaient pour lui des Pharisiens. « Ceux qui jugent autrui ne sont pas des âmes charitables », concluait-il. « L'Eglise est faite pour sauver les pécheurs ». - « Les plus grands Saints ont souvent d'abord été de grands pécheurs. » Père Ambroise n'avait cessé de nous enseigner le sens de l'économie dans l'Eglise : « Il y a deux mesures dans l'Eglise », nous disait-il « : la rigueur et l'économie. Si je n'appliquais pas l'économie, il n'y aurait personne dans cette église. » A quoi il ajoutait : « Pas même moi ». Il insistait :« Je n'applique pas tous les canons de l'Eglise. Lorsque l'on lit le Pidalion – le Gouvernail, en grec- de l'Eglise, qui renferme, rassemblés par Saint Nicodème Aghiorite au XVIIIème siècle, tous les canons ecclésiastiques, l'on s'aperçoit que certains sont inapplicables de nos jours. Il est par exemple un canon qui interdit aux moines et aux moniales de tenir un enfant dans les bras, a fortiori sur les fonds baptismaux, et qui leur interdit d'être parrain ou marraine. Mais, par amour pour mes fidèles, j'ai souvent accepté d'être parrain ». A son instar, je priai la moniale Ambrossia la Jeune d'être la marraine de ma fille Angéline. Elle venait de quitter son monastère, et avait fait son entrée dans notre chapelle, toute vêtue de son noir. « J'avais prié pour qu'elle soit la marraine de mon enfant », pensais-je, « et elle est justement revenue le jour même du baptême ». « Je prierai pour elle », murmura-t-elle après qu'elle eût été sa marraine dans l'illumination du baptême. Et elle disparut, jusqu'à ce jour, priant pour le monde en son désert. « Il est un autre canon, insistait Père Ambroise, souvent strictement appliqué en Grèce, qui interdit aux jeunes gens ayant eu des relations sexuelles avant le mariage, de prétendre à la prêtrise. Ce canon, Père Ambroise ne l'appliquait pas. « Si je l'avais appliqué », nous dit-il, « je n'aurais eu quasiment aucun prêtre, et cela aurait été une grande perte pour l'Eglise. » Il poursuivait : « Il ne faut pas toucher au dogme de l'Eglise Orthodoxe. Mais quant aux canons de l'Eglise, certains sont trop stricts et trop obsolètes. » A la vérité, sur le plan des canons, il est temps, selon nous, enfants spirituels de Saint Père Ambroise de Paris, de « moderniser » les canons apostoliques de l'Eglise Orthodoxe, en en adoucissant, du moins, par la loi de l'économie, le mode d'application aux divers cas particuliers des fidèles et du clergé. Il est fort triste de voir les âmes sombrer dans le rigorisme . Le rigorisme rappelle l'attitude des Pharisiens envers les disciples du Seigneur, concernant les épis arrachés dans l'Evangile. ( Mat 12, 1-8). Ce comportement outrancier, peu charitable, faux et asphyxiant génère un sentiment angoissant d'étouffement que beaucoup partagent. De ce que les églises tombées dans le rigorisme ne sont plus ce qu'elles étaient, l'on peut se sentir pour le moins inquiet. Le rigorisme sectaire a tôt fait de sombrer dans l'obscurantisme. L'on a entendu des prêtres exhorter les fidèles à jeûner excessivement avant que de lire chez soi leurs prières, ou bien avant la liturgie ou certains offices, au point que ces personnes, tombant en hypoglycémie, en vinssent à s'évanouir durant ces mêmes offices ; ces mêmes prêtres leur défendent encore de lire des livres qui ne soient point religieux. C'est vouloir faire sombrer le peuple des fidèles dans l'illettrisme, malheur dont se plaignait beaucoup Papouli : « Il faut élever le niveau intellectuel du peuple Orthodoxe, car il est très bas. Beaucoup, par là, sombrent aussi dans la superstition. En Asie Mineure, beaucoup de Chrétiens étaient superstitieux. Comme il est étouffant, asphyxiant pour l'intellect de vouloir lui interdire toute littérature ! L'on voit dans les Vies des Saints que beaucoup de grands Saints étaient de grands lecteurs, et qu'ils lisaient tout. Le Père Cappadocien et Saint Evêque Grégoire de Nazianze, fils de l'Evêque Saint Grégoire l'Ancien et de l'aristocrate cultivée Nonna, au IVème siècle, renonça à l'érémitisme et lui préféra le cénobitisme, pour ce que le Désert ne pouvait receler assez de livres pour étancher sa soif inextinguible de connaissances. Plus près de nous, au XIXème siècle, Saint Théophane le Reclus de Tambov, lisait des livres de littérature, de philosophie, d'histoire, et même des ouvrages de géographie ». Défendre au peuple de lire, c'est donc le faire sombrer dans l'illettrisme, voire dans l'obscurantisme et dans le fanatisme. Et ce n'est pas sans rappeler les fameux autodafés de l'Inquisition dénoncés par Voltaire, (Cf Voltaire, Candide chap. 6, L'autodafé), dans ce passage où il s'en prend à l'Inquisition, tribunal judiciaire de l'Eglise très catholique, et où il montre que, suite à un tremblement de terre, l'Inquisition organise un autodafé, ce qui est dire une cérémonie où l'on exécute les hérétiques condamnés par ledit tribunal de l'Inquisition, lequel y condamne ici Candide et Pangloss. « Pangloss fut pendu », gémit Candide, se lamentant sur son « cher Pangloss, le plus grand des philosophes ». Bien sûr, il ne s'agit pas ici, comme chez Voltaire, d'un autodafé de personnes, mais d'un autodafé de livres. L'on songe à ceux de l'Inquisition, qui brûlait dans de grands bûchers les livres des plus grands intellectuels de la terre, ou à ce tableau du XVème siècle, qui représente un évêque devant un bûcher de livres qu'il fait brûler au feu, ou encore à la mise à l'index des livres dont le Vatican interdisait la lecture. Il n'est pas imaginable de nos jours que le clergé proscrive la lecture de quelque livre que ce soit, allant même jusqu'à décourager les fidèles de lire certains livres religieux d'une autre juridiction que la sienne ! Certes, Papouli nous montrait aussi un dessin qui circulait sur l'Athos, représentant, à l'instar des crânes de moines défunts que l'on trouve dans les ossuaires des monastères, un amoncellement immense de crânes humains. Sous le dessin figurait la légende : « La connaissance inutile, celle de l'humanisme européen. » Certes, à un certain degré, l'excès de science, comme le dit l'Apôtre, enfle, (1 Cor 8, 1) et devient inutile. Mais, avant que d'atteindre ce point, les Saints se montrent le plus souvent de grands esprits instruits. C'est ainsi que les Grands Cappadociens, Pères de l'Eglise et luminaires resplendissants de l'Orthodoxie, et que nombre de Saints qui occupèrent à la cour de l'Empereur de Byzance les postes les plus élevés, de conseillers impériaux, aux plus hautes responsabilités, firent les études les plus brillantes qui se pussent concevoir à leur époque, voyageant de Constantinople à Athènes pour y suivre les leçons des plus grands philosophes du monde grec. Pour n'en citer qu'un exemple, Saint Grégoire de Nazianze, au IV°siècle, qui fut Evêque de Nazianze puis de Constantinople, avait été professeur de rhétorique à l'Académie d'Athènes. Mais, parvenus à un certain stade de connaissance, ces illustres docteurs cessèrent leurs études profanes, ils renoncèrent à ce qu'Augustin d'Hippone – lui qui ne put jamais apprendre le grec et ne put dès lors maîtriser la théologie des Pères Grecs – ce qu'Augustin, donc, nomme dans ses Confessions, c'est à savoir qu'ils renoncèrent à « étudier des vanités », voyant que ces hautes études, n'étant que « choses vaines », par opposition aux « études sérieuses », ne les menaient plus à rien sans la guidance de l'Esprit de sainteté qui les éclairait également et qu'elles les empêchaient de se consacrer entièrement, de se vouer tout à la Prière. A ce stade pourtant le degré de science profane et d'éloquence qu'ils avaient atteint était admirable, insigne. Ils en devinrent les plus grands orateurs de leur temps, et furent, comme Saint Jean Chrysostome, la « bouche d'or de l'Eglise ». Et ce n'était qu'alors, et alors seulement, qu'ils s'adonnaient tout entiers à la théologie divine, devenus qu'ils étaient, sous l'emprise de l'Esprit Saint qu'ils habitaient, de véritables théologiens mystiques. Papouli nous contait en riant cette histoire : « Deux moines au désert, dont chacun occupait une grotte à quelque distance de l'autre, passaient tout le jour à s'arroser et à s'agonir copieusement d'injures. Ils se criaient à s'égosiller, cependant que l'écho leur répondait : « Hé-ré-ti-ii-que ! Hé-ré-ti-ii-que ! ». Mais, le soir venu, l'un venait trouver l'autre. Il lui passait autour du cou l'étole du Père confesseur, l'épitrachilion, et lui disait : « Pardonne-moi, Père, j'ai péché. J'ai été fort peu charitable. Je t'ai outragé. Je t'ai invectivé. Je me confesse à toi. Je t'en prie, mon frère, donne-moi l'absolution. » A la fin de sa vie, désespéré presque, Papouli gémissait avec angoisse. « Dans cette confusion de notre époque,- si grande elle est -, mais où donc est l'Eglise ? Les uns vous traitent de moderniste, de féministe, de révolutionnaire, les autres au contraire de traditionaliste, d'intégriste, de chauviniste, ou de millénariste. Mais tous s'accordent à vous traiter d'hérétique, d'hétérodoxe et de cacadoxe. Ils vous jettent ensuite l'anathème. Méfions-nous de tous ces « ismes » et de tous ces « istes ». Il est des prêtres, comme le Père Basile Sakkas, qui, écoeurés, dégoûtés des salades ecclésiastiques de tous bords, en ont eux-mêmes fini par déposer leur étole, cessant définitivement de célébrer les Saints Mystères. Seuls les Saints, de par l'Esprit de Sainteté qui les inhabite, savent où est l'Eglise.» « Ce monde n'en a plus pour très longtemps. Dans deux générations peut-être ce sera sans doute la fin du monde ». « Lorsque l'Evangile de Jésus-Christ aura été prêché partout sur toute la terre, jusqu'aux confins du monde, la fin approchera. » Or nous voyons que si Saint Thomas, dès longtemps s'en fut jusques aux fins fonds de l'Inde, où, aujourd'hui encore des Chrétiens persécutés, - dont l'on brûle les maisons, ou que l'on tue -, s'ils survivent cependant, forment de petites communautés qui se réclament directement de Saint Thomas, - ô combien je fus émue et touchée, en pèlerinage aux Lieux Saints de Jérusalem, de voir une Indienne en sari se détacher de tout un nombreux groupe d'Indiens Chrétiens, et tomber à terre, couchée de tout son long en pleurant à gros sanglants, baisant avec un amour éperdu le sol du tombeau du Christ ! - si les Apôtres du Seigneur s'en furent partout sur la terre, si une icône touchante de naïveté nous montre une paroisse entière de Saints Martyrs tués en Chine pour leur foi, aujourd'hui même un Saint Germain d'Alaska et un Saint Innocent d'Alaska – cf leurs vies, traduites du grec, à paraître, Dieu voulant, sur le blog internet de Presbytéra Anna-, s'en furent jusques sur ces lointaines terres australes pour y sanctifier les esquimaux des peuplades Inuits ; -il n'est pas jusqu'aux Pygmées de la forêt équatoriale gabonaise qui n'aient été évangélisés par des missionnaires Chrétiens, lesquelles les scolarisent dans leurs propres écoles privées et les instruisent en Christ, les amenant à la foi Chrétienne et à l'illumination du baptême -, si donc nous voyons sous nos yeux se réaliser tout cela c'est que la foi Chrétienne a, d'ores et déjà, été répandue sur toute la terre. « Lorsque seront nés tous les hommes qui doivent compléter le choeur des Saints laissé vide par la chute des légions d'anges déchus avec Satan lors de la Chute – lorsque ce choeur des Saints sera complet, donc -, le monde finira. » « A la fin des temps, tous les Chrétiens seront Orthodoxes ». « A la fin des temps, disent les Saints Pères, il n'y aura que peu de fidèles dans l'Eglise, mais ils seront tous saints et purs comme le diamant ». « Comme le disent les Pères du désert, les Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O), à la fin des temps n'accompliront plus d'oeuvres saintes ; ils ne feront plus nulle œuvre d'ascèse, plus nuls travaux de sainte ascèse ; leur seule œuvre, leur seule lutte, leur seul combat, sera de garder intact le dépôt de la Foi Orthodoxe, de défendre la pureté de cette Foi, la vraie Foi, la Foi droite – comme la définit son étymologie grecque – « Orthos doxos »(Foi droite). Cette Foi est la Foi Orthodoxe non-oecuméniste ». « La Foi droite constitue les montants de l'Echelle Sainte à grimper pour se hisser au Ciel. Sans ces montants de la Foi droite, il est impossible de monter les barreaux pour s'élever ». « A la fin des temps, nul, hormis le petit troupeau des Chrétiens, ne supportera plus même d'entendre fût-ce prononcer le nom du Christ ». « Comme sous l'atroce dictature de Staline, qui fit soixante millions de morts dans les camps soviétiques, l'on n'aura plus le droit de posséder une icône, ni de porter une croix. Il faut nonobstant porter une croix, car le Diable redoute et hait la croix d'une haine parfaite . La croix, dès lors, repousse et fait fuir le diable. La croix, donc, nous protège des puissances obscures et ténébreuses des malins démons. » Il me souvenait, lorsque Papouli nous tenait ces propos, qu'un ami Bulgare, chercheur en physique, Mikhaïl, rencontré, lorsque j'étais jeune fille, à l'Ecole Normale Supérieure de Pise, et qui aspirait alors à l'obtention du prix Nobel de physique, que j'avais visité en Bulgarie lorsque j'étais fiancée à Patric, lequel m'avait, cependant qu'il partait séjourner sur le Mont Athos, laissée à Thessalonique, où je m'ennuyai tant que j'y pris un car pour Sofia, que Mikhaïl, donc, m'avait fait admirer les basiliques orthodoxes de sa ville natale – l'on était alors encore derrière le rideau de fer en Bulgarie, et la police était venue s'enquérir chez lui de cette visite suspecte -, et qu'il m'avait montré, puis donné l'unique minuscule unique icône portative qu'il cachait alors toujours sur son cœur. Quand aux croix, la terrible loi satanique est déjà passée en France qui interdit aux enfants des écoles d'en porter, comme étant de prétendus signes d'ostentation religieuse. « Ces temps-là seront si terribles que les jours des Justes seront abrégés. L'Ecriture dit que le Christ, à sa nouvelle Parousie, c'est-à-dire à son second Avènement, viendra les chercher sur les nuées » - Cf. Le retour sur les Nuées ( Mat. 26, 64) - . « Il y a une Providence pour tous, et une Providence spéciale pour les Orthodoxes ». « Il faut être vertueux pour faire de l'ascèse ». Il voulait dire, comme il nous l'expliquait par après, qu'il ne sert à rien de jeûner et de veiller pour être coléreux, colérique, ronchon, grognon, grincheux, de mauvaise humeur, atrabilaire, acariâtre, jusqu'à « craquer », se rendant insupportable à tout son entourage. Il fallait rester d'humeur toujours égale. Il fallait savoir se maîtriser et maîtriser ses humeurs. Et de fait, Père Ambroise était toujours d'humeur égale. Même aux heures sombres, il se maîtrisait parfaitement. Sous la plume admirable de l'Archimandrite Chérubim, aujourd'hui endormi dans le Seigneur, - cf l'extraordinaire livre, paru à l'Age d'Homme, des Figures athonites, suivi des Nouvelles Figures athonites, décrivant les Vies bienheureuses de Saints moines de L'Athos -, certains Pères Athonites écrivent qu'il est vertueux pour un jeune moine novice de rester avec des frères ou un Ancien au caractère difficile et pénible. - Car, au vrai, cette ascèse est une école de grande et longue patience. - Mais un autre Père athonite écrit qu'il faut fuir les personnes qui sont perpétuellement de mauvaise humeur. A une de ses filles spirituelles, Papouli déclara : « Un jour, tu n'auras plus peur de rien ». « Si tu as dix mille légions de démons contre toi, le Seigneur t'enverra cent mille légions d'anges qui seront avec toi et qui combattront pour toi. » Et à la même, une autre fois : « Un jour tout ce que tu voudras arrivera ». Et encore : « La prière est comme une baguette magique. Que voudrais-tu demander au Seigneur ? » « La vie est brève et elle a un terme. Quand le train arrive à son terminus, il faut bien descendre ». « Le but de la vie chrétienne est l'union à Dieu, la sanctification, et la déification. » « Quand je ne serai plus là, je serai encore avec vous et je vous aiderai. » « Nous nous retrouverons au Paradis ». EPILOGUE Souvent, lorsque l'on passait près de lui, Père Ambroise embaumait par bouffées l'odeur de sainteté qui exhalait un parfum de rose suave. Après sa dormition, peu après que son âme eût quitté son corps, elle embauma lorsque ses plus proches enfants spirituels rejoignirent sa dépouille au funerarium de l'hôpital. Les mêmes sentirent alors, dans les temps qui suivirent, embaumer à plusieurs reprises chez eux, surtout lorsqu'ils prenaient des livres saints sur leurs étagères, comme si leur Papouli se manifestait alors à eux par ces signes célestes. Plus qu'une « âme forte » - cf. Jean Giono : Les âmes fortes -, Papouli était une âme spirituelle ; et plus encore qu'une âme spirituelle, c'était une âme sainte. Père Ambroise avait mené une vie sainte. Ou, comme le dit le Starets Thaddée, il avait mené « une existence conforme aux principes de sainteté ». Il fut un ascète, un parangon de vertu, un exemple vivant de sainteté, un guide spirituel pour lui-même et pour ceux qui étaient avec lui, un port tranquille pour les âmes ballottées par les tempêtes de la vie, un phare dans la nuit de ceux qui accouraient à lui, en un mot, un saint Ancien, un Maître spirituel, un Starets, et un grand mystique. - Un Starets plus vivant que le Starets Zosime dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski, dont la si brève et si hâtive apparition littéraire avait cependant tant fait pour apporter, à l'Occident tombé dans les ténèbres de l'oubli du Christ et de la déchristianisation, une faible, bien pâle, et falote lueur spirituelle, et ce quoique Zosime eût pour prototype possible le Starets Ambroise d'Optina - . Il fut donc un Starets, un de ces Startsy dont le Hiéromoine Hilarion s'attristait qu'ils fussent devenus si rares – cf. Hiéromoine Hilarion, Sur les monts du Caucase, op. Cit-, et dont il constate même, citant l'Evêque Bryanchaninov, qu'il n'y en a plus aujourd'hui. En vérité, oui, le Starets Ambroise de Paris fut un modèle, mieux, un modèle de sainteté, comme il est dit par les Pères du Désert que la Déité Trine est le modèle des anges, que les anges sont le modèle des moines, et que les moines sont le modèle des laïcs. « Dieu », dit Saint Théodore le Sanctifié, « Dieu ne nous a pas donné seulement les Ecritures. Il nous a donné aussi, comme les chemins menant à Son Royaume, les Vies de Ses serviteurs comme fondement de la Foi dans le Christ. » « L'on reconnaît l'arbre à ses fruits », disait Père Ambroise, citant le Seigneur qui avait prononcé d'abord ces mêmes mots : « A leurs fruits vous les reconnaîtrez. » (Mt 7, 16). « Or le fruit de ceux qui combattent en vérité, - enseignent les Pères du Désert-, c'est, comme l'a dit l'Apôtre, « la charité, la joie, la paix, la longanimité, la bénignité, la bonté, la foi, la douceur, la continence. » ( Ga 5, 22). Ayant toujours gardé sa virginité, il avait vécu toute sa vie dans la chasteté, ayant mené l'ascèse la plus haute, celle des vierges. De cette vertu suprême, Saint Joseph l'hésychaste – cf le livre paru à l'Age d'Homme de ses Lettres spirituelles – dit que le démon tourmente les moines pour maintes de leurs ascèses, mais que, contre cette ascèse-là, la plus haute, le Diable mène une guerre sans merci. Sa vie durant, Père Ambroise s'adonna en outre à l'ascèse des grands jeûneurs : Jeune, il était filiforme et il avait une taille de guêpe, comme le montrent les photographies de cette époque. Par-dessus tout, il passait ses nuits dans la veille et dans la prière, menant l'ascèse plus difficile encore du sommeil, celle des Acémètes des Anciens Pères. - Car, il le reconnaissait lui-même, il est plus difficile encore de veiller que de jeûner. Et combien plus difficile encore est-il de mener conjointement à bien les deux ascèses du jeûne et de la veille. Car le corps épuisé a besoin de compenser le manque de calories généré par la privation des besoins vitaux et fondamentaux du corps, et souvent, si l'organisme est moins nourri, il a tendance à dormir davantage, et, inversement, si l'on le prive de sommeil il a tendance à se jeter sur la nourriture. - Il ne fumait pas. Il buvait très peu de vin, et presque exclusivement du vin sucré de liturgie. Comme un autre Saint Jérôme d'Egine – dont le livre paru à l'Age d'Homme, L'Oiseau de Guelvéri raconte la vie -, il considérait que boire plus d'un verre de vin par jour était d'un être impur. Il fut un saint aumônier : il faisait l'aumône bien qu'il fût d'une pauvreté déconcertante et qu'il se privât beaucoup, et, pour ainsi dire, presque de tout. Père Ambroise reconnaissait le Christ en chaque figure de pauvre. «Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères , c'est à moi que vous l'avez fait. » Ce précepte évangélique, qu'une Mère Térésa avait mis au fondement de son immense œuvre de charité, de son Empire de Charité, pourrait-on dire, ( cf Mère Térésa de Calcutta, La Joie du don, Le livre de poche), ce précepte divin, Père Ambroise le gardait en son cœur. Sa charité universelle, sa charité universelle de grand artiste spirituel, cette charité débordait de lui comme d'un feu. Sans qu'il agît extérieurement, il brûlait intérieurement d'un feu dévorant pour tous ces êtres déshérités que sont les pauvres de de Dieu. Il priait pour les pauvres, il priait pour le monde, et sa Prière, sa Foi droite soulevaient des montagnes ( Mat 21, 21) ; (1 Cor 13, 2). C'était un « non-possesseur » absolu, pour reprendre un terme couramment utilisé sur l'Athos pour qualifier les saints moines qui se sont dépossédés de tout pour le Christ. ( Cf L'Evangile : Mat. 19, 21 : Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres.) Grand esprit – car les plus grands Saints sont de grands esprits théologiens-, doté d'une intelligence vive et pénétrante, il était fort instruit, quoique non diplômé. Il avait certes beaucoup souffert de n'avoir pu avoir que le certificat d'études, ce qui faisait le jeu de ses détracteurs qui le taxaient d'illettré. Mais, par un juste retour des choses que lui offrait la Providence pour sa consolation, lui qui avait une revanche à prendre, il attirait à lui les plus grands esprits, intelligents, cultivés, diplômés, savants, érudits et autres. Il remplissait ses paroisses – aux côtés de bergers et d'âmes au cœur simple, voire de simples d'esprit, - car l'Eglise ne fait acception de personne - de professeurs, d'universitaires, de normaliens, de chercheurs, de polytechniciens, de directeurs d'entreprises, qui constituaient une sorte d'intelligentsia spirituelle. C'est ainsi qu'il reçut la visite exprès, dans l' humble chambrette qui lui faisait office de cellule, du grand professeur grec de théologie, Jean Romanidès, qui écrivit des ouvrages magistraux, quoique peu diffusés, tel celui intitulé : « Franks, Germans, Romans », pour déplorer l'influence des Francs, qui avait détruit le christianisme primitif et originel, lequel avait irradié en Gaule. Le niveau de grec ancien, tardif et byzantin, de Père Ambroise dépassait de loin celui des plus grands humanistes de la Sorbonne et du Collège de France. Il traduisait des ouvrages dont le grec était si difficile qu'il avait rebuté les plus grands traducteurs mêmes, et qui aujourd'hui encore attendent leurs traducteurs, comme le grec de Saint Maxime le Confesseur, pour n'en citer qu'un exemple. Mais, pris par le temps court des jours trop brefs d'une vie éphèmère, il avait dû délaisser la transmission de ces œuvres, accaparé qu'il était par l'immense tâche, monumentale, et le travail de Titan que constituait la traduction en français des interminables offices de l'Eglise. Car il est des textes liturgiques pour chaque fête, et donc pour chaque jour de l'année. Car il voulait fonder la première église Orthodoxe française, intégralement en français, en France. « Nous sommes en France, disait-il. Nous nous devons de célébrer en français, et uniquement en français. L'inverse serait du phyléthisme ». Sa mission, son apostolat, était d'orthodoxiser la France. A ce titre, et parce qu'il essaima plusieurs paroisses aux quatre coins du sol français, il fut un évangélisateur et un bienheureux fondateur d'Eglise, et comme l'énonce la prière d'ecténie à la liturgie, il est enjoint par l'Eglise de prier pour lui : « Prions encore pour Père Ambroise, bienheureux fondateur de cette église, dont la mémoire est éternelle. Car des bienheureux fondateurs d'églises, la mémoire est éternelle. A notre Saint Père Ambroise, donc, chantons : « Mémoire éternelle ! » Quoique Père Ambroise fût autodidacte, il était, de fait, tant il avait lu, devenu fin lettré, historien de l'Eglise, philosophe, mais surtout – car ces facultés demeurent du monde – devenu divin théologien, au sens où Saint Jérôme d'Egine et sa sainte moniale Eupraxia l'Ancienne, avec laquelle il vivait dans son ermitage d'Egine, expliquaient que les Saints étaient par là même théologiens, et non point l'inverse, les théologiens abstrus et abscons ne faisant généralement pas des Saints. Il fut à l'origine, avec Père Patric, qui la fonda véritablement, d'une Communauté Orthodoxe, la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, (sise au 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème), dont de brillants professeurs émérites de l'université de la Sorbonne, à l'éloquence éblouissante, dirent qu'elle – cette synodie- était le nouveau Port-Royal en France. Grand théologien, donc, il rapporta de son Asie Mineure natale le dépôt de la Foi Orthodoxe et le transmit, intact, aux églises qu'il fonda aux quatre coins de France. Dans cette France totalement déchristianisée, où règnent la censure, la mise à l'index, la mise dans l'enfer des bibliothèques et des librairies des livres jugés indésirables, la persécution -notamment psychiatrique et socio-professionnelle des intellectuels spirituellement engagés, dont ceux engagés pour le Seigneur, surtout Chrétiens Orthodoxes non-oecuménistes, la ghéttoïsation de ces derniers, et leur relégation derrière un mur du silence infranchissable et généralisé ; où règne aussi, de là, la désinformation, et partant, l'ignorance obscurantiste et encore, par voie de conséquence, la plus totale déchristianisation, seul et sans moyens aucuns autres que la force de l'Esprit de sainteté qui l'habitait, conformément à l'Evangile qui promet : « Vous recevrez d'En Haut une force nouvelle ( Act. 1, 8. Luc 24, 49) », il devint, en pleine apostasie ( 2 Thess 2), un nouvel Apôtre des Gaules. C'était un Hésychaste, au sens le plus élevé du terme. Car Père Ambroise avait la Prière du Coeur des véritables hésychastes. A ce titre, il était un Père Pneumatophore – portant l'Esprit de Sainteté- et une Père Théophore, - ce qui est dire Porteur de Dieu-, car portant en son cœur la Prière et le Nom incessamment répété du Christ, il y portait le Christ-Dieu. En ce que Père Ambroise pratiquait et enseignait la Prière du Coeur et la garde vigilante des pensées et du coeur, l'on peut dire de lui qu'il était aussi un Père Neptique. La Prière du cœur, selon les Pères, contient toutes les autres vertus, et, comme telle, elle est plus haute que toutes les autres vertus. Aussi, ce qu'il demandait à Dieu dans sa prière, il l'obtenait. Car sa Foi en Dieu, sa confiance en Lui, son assurance devant Dieu – parrhésia, en grec -, dans la prière, était inébranlable. L'on pourrait lui appliquer la formule de l'admirable Saint Isaac le Syrien : « Un homme qui prie comme cela, l'on n'en rencontre qu'un par génération, un par siècle peut-être. » Père Ambroise était un Juste dans tous les sens du terme : Et au sens biblique, et au sens moderne, lui qui avait caché des enfants Juifs pendant la guerre, et avait maquillé la carte d'identité de sa petite sœur morte, Marie, pour en faire don à une enfant Juive, la sauvant par là d'une mort certaine. Quant au sens biblique du terme, qu'est-ce qu'un Juste ? Le terme de Juste, dans l'Ecriture Sainte, désigne principalement l'homme qui fait ou s'efforce de tout son cœur de faire la volonté de Dieu en tout, et par Amour pour Dieu et pour le prochain. « Telle sera notre justice : garder et mettre intégralement en pratique tous ces commandements devant le Seigneur Notre Dieu, comme Il nous l'a prescrit. » (Deut. 6, 25). Par ses prières il soulageait incessamment les fidèles de tous leurs maux et de toutes leurs afflictions. Il ôtait d'eux toute tristesse. « De nos jours », dit le Starets français, Syméon, du monastère russe de Valaam, « on trouve beaucoup d'administrateurs et de bâtisseurs. Mais on ne trouve plus de Startsi, de consolateurs. » De fait, Papouli était la consolation des âmes. Une de ses fidèles lui disait chaque dimanche en confession, - comme elle nous l'avait raconté elle-même-, qu'elle était dans une grande tristesse, une tristesse infinie, à cause de la mort prématurée de sa fille, une jeune fille ravissante, qui s'était pendue à l'âge de dix-neuf ans. Il avait prié pour elle. Et puis, cette dame, un dimanche, était revenue. « Papouli », lui avait-elle confié, joyeuse, « un matin de cette semaine, je me suis réveillée : Je n'avais plus rien. Nulle souffrance, nulle tristesse, nulle peine. Non, je ne suis plus triste. Je suis sereine. » Cela n'était pas sans évoquer une histoire que l'on rapporte de Saint Séraphim de Sarov (op. Cit.). : Un homme désespéré, qui avait perdu un proche, était venu à lui, clamant sa détresse. « Qu'à cela ne tienne », lui avait enjoint le Saint, « rentre chez toi ; enferme-toi dans ta chambre comme en une cellule et fais la prière du cœur : Tu oublieras tout. » Comme un autre Saint Séraphim, qui appelait « ma joie » toute âme qui l'approchait, parce qu'il recevait par effet de retour la joie qu'il épanchait lui-même, Papouli irradiait la joie spirituelle. Il faisait par ses prières encore des miracles étonnants. Comme un Saint guérisseur, c'était un thaumaturge – c'est-à-dire opérant des miracles - , il avait reçu le don de guérison des malades, et il guérissait jusques aux cancers incurables mêmes. Il est trois cas avérés au moins de cancers guéris par Papouli, dont un cancer en phase terminale. Il avait également guéri, par ses prières, une tumeur au cerveau qui devait causer la mort assurée d'un enfant d'une de ses paroisses. Il avait des apparitions de Saints, en particulier de Saint Nectaire et de Sainte Photinie l'Ermite, et il conversait avec eux. Il avait atteint les cimes de la contemplation de Dieu, des Mystères et des choses mystériques d'En-Haut. Son regard, lorsqu'on allait le trouver dans sa cellule après de longues heures de prière et de méditation, était totalement transformé : il apparaissait tout-à-fait extraordinaire, d'une profondeur insondable, extrêmement mystérieux, indescriptiblement lumineux. Quoiqu'il fût un homme éminemment actif, c'était un grand contemplatif. Il connut – fait rarissime parmi les Saints - le ravissement spirituel sous la Nuée dont parlent les Ecritures, et il le fit partager à quelqu'une de ses filles spirituelles dont il prédit devant témoin qu'elle s'élèverait sur les ailes de la contemplation. Il se mouvait dans les hautes sphères de la connaissance divine et spirituelle, sur des hauteurs mystiques dignes de l'expérience évagrienne ou de la vision cosmique de Saint Benoît. Il avait la diorasis – le don de voir à distance et de lire dans les cœurs, ou don de clairvoyance- et la proorasis – le don de voir à l'avance ou don de prophétie. La prière le soulevait tout et le faisait physiquement vibrer de tout son être. Ses tressaillements qui le faisaient tressauter comme de joie manifestaient l'inhabitation en lui de l'Esprit Saint, - l'Esprit de Sainteté. Il était de ceux, illustres et insignes en sainteté, dont Saint Isaac le Syrien écrit à peu près qu' un être qui prie comme cela, il n'en est qu'un par génération, un par siècle peut-être. Il était, toujours et avant tout, un homme de Prière, une âme orante. Père Ambroise, inhabité par sa Prière de feu, reçut en retour l'Esprit. Il mena une vie de sainteté priante et fut un Temple du Saint Esprit. Comme l'explique le starets Serbe Thaddée – cf Le Livre paix et joie dans le Saint Esprit, L'Age d'Homme -, l'Esprit Saint irradie de joie ceux qui prient sans cesse, et cette joie est un don du Saint Esprit donné aux parfaits, quelque soient les moments dépressifs auxquels ils succombent parfois du fait des excès de leur ascèse et des attaques du malin démon. Le magnifique visage de Père Ambroise, qui avait des expressions admirables et un regard sans pareil, brûlant et ardent, comme lançant des escarboucles de feu, irradiait cette joie spirituelle, l'épanchant sur tous et en réchauffant le cœur de ses fidèles, lesquels accouraient à lui, dans leur hâte d'en recevoir les délicieux bienfaits. Père Ambroise était un grand pédagogue. Son enseignement partait du plus simple pour atteindre au plus élevé, mais il respectait le long parcours spirituel que constitue la montée des degrés de l'Echelle Sainte. -( Cf : Saint Jean Climaque, l'Echelle Sainte, trad. Arnauld d'Andilly, à paraître in le Blog de Presbytéra Anna). Un jeune garçon lui dit en arrivant un dimanche à l'église : « Papouli, cette semaine j'ai fait des efforts. » « -C'est bien, mon enfant », lui répondit-il, « c'est cela l'Orthodoxie ; c'est faire de petits efforts continuels, de petits efforts à sa mesure, (en tâchant d'en faire toujours davantage). Dieu, à la fin, voit tous tes efforts. » Il celait aux débutants les mystères que lui découvraient sa haute ascèse. Il n'exigeait pas des laïcs de difficiles ascèses, qui eussent passé leurs forces. Il ne prêchait pas une Orthodoxie héroïque, mais une Orthodoxie à la mesure, à la portée de ses fidèles. Chacun demeurait soi-même, et restait simple, bien que peu à peu, par ses prières, il transformât ses passions et devînt autre. Oui, il nous faisait vivre une Orthodoxie accessible, mesurée, très naturelle, adaptée à nos vies quotidiennes, qui ne nous permettaient pas de fournir d'emblée des efforts surhumains. Il voulait que nous ne menions l'ascèse qu'avec discernement – discernement dans le jeûne, discernement dans la veille, discernement dans les prières. Il ne nous demandait pas une Orthodoxie pour les super-héros que sont les figures des Saints des Synaxaires. Tout doucement, très naturellement, il nous faisait mener une vie orthodoxe selon nos faibles forces. En cela, il pratiquait une sainte simplicité, ce que le Hiéromoine Hilarion (Domratchev) ( cf. Sur les monts du Caucas, op. Cit.) dénomme la « sainte simplicité » d'un Starets. Mais parce que, de par son extrême habileté d'Ancien, qui sculpte comme il l'entend ses enfants, il nous enracinait ainsi, avec un doigté admirable, dans l'Eglise, certains de ses enfants spirituels pouvaient peu à peu s'élever très haut. Compris au petit nombre de ceux qui ont reçu la Grâce de comprendre la vanité de cette vie, ils prenaient leur envol spirituel, et partaient pour le monastère, où ils embrassaient la Vie Angélique. « La Prière », dit à peu près Saint Isaac, est comme cette goutte d'eau, petite et insistante, qui, à la fin, creuse le roc le plus dur. » Père Ambroise fut un grand Confesseur de la Foi. Il voyait, avec le Saint Père Justin Popovic, en l'oecuménisme, « la plus grande des hérésies, l'hérésie des hérésies, l'hérésie du XX° siècle. » Il voyait l'oecuménisme comme un loup entré dans la bergerie (Act 20, 29) , (Jean 10, 1), prêt à y dévorer ses ouailles. Car il avait reçu le plus haut de tous les charismes, nous disait-il, le discernement spirituel, qui donne à distinguer le bien du mal, le vrai du faux, l'orthodoxie de l'hétérodoxie, -le charisme du discernement spirituel. Par-dessus toute chose, donc, - ce qui lui coûta d'innombrables luttes, et lui valut d'incalculables ennemis, qui, bien qu'ils ne le connussent le plus souvent ni d'Eve ni d'Adam, et fussent incultes, sans instruction, ignorant de toute bonté minimalement élémentaire, étrangers à toute compassion, imperméables à tout sentiment aimant de véritable religion, et mêmes incapables de la moindre religiosité d'âme, jusqu'à son dernier souffle, s'acharnèrent contre lui, le persécutèrent et se répandirent en odieuses calomnies sur son compte, - de par son engagement spirituel, celui d'une vie entière de croyance et de conviction, vouée à la défense de la vraie foi orthodoxe, de par sa fermeté inflexible, et de par ses certitudes inébranlables, qui le faisaient oeuvrer à la transmission apostolique du dépôt de la foi - « Garde, Timothée, garde le dépôt de la Foi » ( 1 Tim 6, 20), nous répétait-il inlassablement, litaniquement - il fut un Pilier de l'Eglise. Plus encore qu'un Pilier de l'Eglise, il fut un Docteur de l'Eglise. En attestent toutes ses homélies et tous ses écrits, en particulier sa revue de la Catéchèse Orthodoxe, puis sa nouvelle revue de théologie, qu'il fonda avec Père Patric (Ranson), de la Lumière du Thabor (Ed. L'Age d'Homme). « Ne soyez pas nombreux, mes frères, à devenir docteurs », écrit l'Apôtre Jacques. ( Jacq. 31-2). « Vous le savez, nous n'en recevrons qu'un jugement plus sévère... » Enfin, au même titre qu'un Saint Maxime le Confesseur, luttant contre la nouvelle hérésie du XX° siècle, « l'hérésie des hérésies », l'hérésie de l'oecuménisme, Père Ambroise fut un Confesseur de la Foi, de la vraie Foi, ce qui est dire de la Foi Orthodoxe. Père Ambroise fut également un Illuminateur, au sens où les grands Saints sont déclarés des Illuminateurs de l'Eglise. Ainsi, Sainte Nina est-elle appelée l'Illuminatrice. Par sa parole, par son exemple, par sa vie de sainteté, il illumina les âmes. Il fut doublement un martyre non-sanglant ; Tout d'abord en ce qu'il confessa jusqu'au bout la foi droite orthodoxe non-oecuméniste. « Ne trahis pas ! » nous enjoignait-il à ce propos. Et ce disant, il nous laissait là comme son testament spirituel. Or, ceux, disent les Pères, qui, dans les derniers temps, tiendront bon et confesseront envers et contre tout la foi droite orthodoxe, ceux-là, mériteront la couronne du martyre. Il mérita de Dieu la couronne du martyre à un second titre, en ce qu'il possédait le don des larmes. Or, dit Saint Isaac le Syrien – op. Cité - , « celui qui possède le véritable repentir est un martyr vivant . » « Saint Isaac », écrit Mgr Hilarion Alféyev, - cf. P. Hilarion Alféyev, L'univers spirituel d'Isaac le Syrien – compare, à la suite de la Tradition, les larmes du repentir au sang des martyrs ». « Ceux qui vivaient dans le repentir », dit Saint Isaac, « recevront la couronne avant les autres. » Mais cette double couronne du martyre était en vérité une et trine, à l'image de la Trinité, car Dieu lui décerna la couronne de la sainteté. Enfin, Père Ambroise fut un libérateur des âmes. Sa pensée libératrice nous délivrait d'une vision étouffante, rigoriste, asphyxiante, psycho-rigide de l'Eglise. Vivifié par les flots du Saint-Esprit, que délivre la Prière du Coeur en l'âme orante, il nous en désaltérait de façon vivifiante, et nous en faisait goûter les eaux libres. Il nous avait délivré aussi de l'oppression des canons ecclésiastiques. De l'Eglise, il ne respectait que la théologie et la dogmatique divinement inspirées par l'Esprit vivifiant. Car la Prière l'avait délivré de toutes les oppressions écrasantes, et il avait accédé à la Liberté spirituelle des Enfants de Dieu ( Rom 8, 21). Papouli avait fait l'expérience spirituelle de la Grâce divine. Il avait reçu le Saint-Esprit, l'Esprit qui sanctifie, l'Esprit de Sainteté. Par la Grâce du Saint-Esprit qui l'habitait, il était devenu très ressemblant à Dieu. Il avait atteint la mesure de la perfection spirituelle, la mesure parfaite du Christ. Père Ambroise était, et demeure à jamais, pour l'éternité, dans les siècles des siècles, une figure christique. Sa tombe est miraculeuse, et les prières qui y sont adressées au Saint sont exaucées de manière merveilleuse, offrant à ceux qui les adressent infiniment plus qu'ils n'ont osé demander. Dès lors, nous espérons et prions pour que l'Eglise grecque des Anciens-Calendaristes, laquelle est la juridiction dont dépend notre modeste église Orthodoxe française du 30 Boulevard Sébastopol à Paris 4ème, canonise notre Papouli, Père Ambroise (Fontrier) et le fasse figurer au nombre des Saints du Synaxaire, l'ajoutant ainsi au choeur des Saints du Ciel. Dans l'entretemps, Papouli, pour ses enfants spirituels et pour tous ses fidèles qui l'ont connu, aimé et vénéré de son vivant, est dès longtemps un luminaire au firmament de l'Eglise et un Saint entré dans la ronde des Saints du Ciel. Oui, pour nous tous, déjà, et dès toujours, Papouli est notre Saint Père Ambroise de Paris. Par les prières de notre Père Saint, qu'il aie pitié de nous et nous sauve ! FIN ANNEXE 1. Presbytéra Anna TEMOIGNAGE SUR PERE AMBROISE CHRONIQUE Extrait de LA LUMIERE DU THABOR n° 34 Revue internationale de théologie orthodoxe Imprimée par nos soins aux Editions de la FRATERNITE ORTHODOXE SAINT GREGOIRE PALAMAS 30 Bd Sébastopol Paris 4ème Continuant la publication, commencée dans le numéro 33 de La Lumière du Thabor, des témoignages sur Père Ambroise, apportés par ceux qui l'ont connu et rencontré, nous sommes heureux d'offrir ci-dessous à nos lecteurs le témoignage de la Presbytéra Anna. PAPOULI Papouli. C'est le nom pétri d'amour que nous donnions à Père Ambroise. Parce que c'est lui qui le premier nous avait aimés, comme nul jamais avant lui ne nous avait aimés, nous l'aimions de retour, oh, si peu en regard de cet amour de flamme qu'il portait à tous ses enfants. Il nous avait engendrés en Christ. Lentement, patiemment il nous avait enracinés dans l'Eglise. Malgré nos péchés innombrables, nos cris, nos soupirs, nos plaintes, nos découragements, nos dérobades aussi. Mille fois, il pardonnait. « L'amour n'a pas de rides », disait-il. Et, dans son visage noyé de bonté, ses yeux souriaient, ses yeux qui pour nous avaient tant pleuré. « Que de fois, le soir, il faut pleurer dans sa chambre », murmurait-il. Puis, feignait de rire : « Nous, les orthodoxes, nous sommes des chialeurs ». Et quand nous l'avions trop peiné : « C'est pour toi, cette nuit, que j'ai fait le chapelet », s'attristait-il. Nous le jetions, souvent, dans le plus profond découragement. Mais lui, longanime, s'accrochait encore à l'espoir de notre guérison. « J'ai beaucoup de patience », chuchotait-il douloureux. Il nous avait tout donné. De lui, nous avions tout reçu. Avec lui, nous possédions tout. Il était tout pour nous, qui sans lui n'étions rien. Père, mère, il était tout cela. Lui-même le disait parfois : « Ne sens-tu pas que je suis ton père, ta mère ? Ne vous ai-je pas aimés plus qu'eux en tout cas ? » Jamais nous n'eussions cru qu'il partirait si vite, qu'il nous laisserait sans lui. Ceux mêmes qui ne l'avaient que croisé de loin le jugeaient à part, de la race des immortels. De lui, lorsqu'il s'en fut allé, le médecin qui l'avait assisté dit : « Un être comme cela ne meurt pas ». Il nous semblait que Papouli ne dût jamais mourir. C'est que sa vie entière, déjà, il avait vécu de l'autre côté du mur de séparation. Toutes ses pensées, ses paroles, tous ses actes et jusque ses moindres gestes se référaient à l'autre vie, la vraie, celle du Royaume des Cieux, dans laquelle il ne sera donné qu'aux élus d'entrer. La pénitence Comme tous les Saints de Dieu, il avait dès longtemps effectué sa révolution copernicienne : à la différence du commun des mortels, il avait changé de repère, et son repère était celui qu'oriente la la Jérusalem d'en haut. « Avec les canons du monde, disait-il, l'on ne mesure que les choses du monde. Mais les canons dont l'ange se servit pour mesurer la Jérusalem céleste, ceux-là sont des canons d'or. L'homme commun ne peut comprendre cela. Les cœurs purifiés seulement...Dieu se révèle à ceux qui le cherchent, et à ceux-là seulement ; qui le cherchent par la purification qu'enseigne la pénitence. Comme le pur ne peut s'unir à l'impur, Dieu ne peut pas s'unir au pécheur... » Nous nous découragions à l'entendre. « La voie est étroite et difficile », accordait-il. « Dès maintenant, donc, il faut se mettre à l'oeuvre ». Et il chantait le tropaire de la pénitence que l'on chante durant le grand carême, ce tropaire qu'il avait tant aimé qu'il avait voulu qu'on le lui chante, une dernière fois, à l'office de son ensevelissement : Ouvre-moi les portes de la pénitence O Donateur de vie Car depuis l'aurore, Mon esprit veille devant ton temple saint. Je t'apporte mon corps, Temple rempli de souillures, Mais Toi compatissant, purifie-moi dans Ta miséricorde. Redresse les voies de mon salut, ô Mère bénie de Dieu, Car j'ai souillé mon âme par des péchés honteux ; J'ai dissipé dans la paresse ma vie entière ; Mais par tes prières, délivre-moi de toute impureté. Je comprends maintenant la multitude de mes actes condamnables Et misérable je tremble à l'idée du Jour terrible de Ton Jugement. Mais confiant en la grandeur de Ta bonté, Comme David je crie : Aie pitié de moi, ô Dieu, selon Ta grande miséricorde. Et cet autre encore, de l'office de l'Epoux : Voici qu'arrive l'Epoux, Au milieu de la nuit... Et encore, de l'office de l'Epoux : Voici qu'arrive l'Epoux, Au milieu de la nuit... Et encore, toujours du même office : O mon Sauveur, je contemple Ton palais orné Et je n'ai pas la robe pour y entrer. Illumine la tunique de mon âme, O Donateur de Lumière, Et sauve-moi, ô Sauveur. Et à ces mots il pleurait. Qui d'autre pourtant plus que lui pouvait s'être apprêté la robe des noces ? Jour après jour, nuit après nuit, il s'était préparé. Jeûnant à l'excès, veillant plus encore, priant sans cesse de cette sainte et tendre prière : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi...Christouli, Christouli mou, aie pitié de moi...Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi »...- cette prière de feu que le Seigneur lui avait donnée, comme Lui seul, en un ineffable mystère, ne donne qu'à quelques rares âmes élues, deux, trois peut-être par génération d'hommes, de faire descendre dans son cœur qui, dans le corps fût-il endormi même, continuait de veiller, comme celui de l'Apôtre ou de la Bien-Aimée du Cantique, priant, enflammée, son Seigneur : « Je dors, dit-elle, mais mon cœur veille... » Cette prière du cœur que Dieu ne donne qu'aux parfaits. Car à la perfection Père Ambroise avait atteint. Bien peu s'en doutaient. Qui l'eût cru, d'ailleurs, à voir sa pauvre silhouette qu'enveloppait un pauvre manteau noir, s'en allait chaque jour au marché, sous son vieux béret ordinaire ? A vivre incessamment sous le regard de Dieu, il avait réussi cet exploit de se hisser toujours plus haut sur les cimes de la vertu, jusqu'à la perfection. Sous le regard de Dieu. C'était là son secret. Vérité aussi qu'il avait expérimentée. Avec une précision hallucinante, le Seigneur lui avait enseigné qu'il voyait tout, tout ce qu'il faisait, comme il savait tout, tout ce qu'il pensait, et jusqu'à la moindre imagination qui l'avait traversé en secret. Et Dieu qui n'abandonne pas ceux qui l'aiment gardait son serviteur. Souhaitait-il quelque chose, inconsciemment même parfois, le Seigneur, bientôt, la lui envoyait. Redoutait-il une épreuve, Dieu, bientôt l'en délivrait. Hésitait-il, Dieu, sans tarder, l'éclairait. Point n'était besoin de paroles. Dieu, en secret l'avertissait. Tel songe l'enseignait, tel Saint venait le visiter, tel lieu, tel objet tout-à-coup, par bouffées, embaumait. De semblables mystères, Papouli semblait plutôt jaloux. Nous, petits que nous étions, curieux sans rien comprendre, le pressions, lui faisant mille questions : « Dis-nous, Papouli...Et la Lumière ? As-tu vu la Lumière ? » Fous, nous prétendions l'entendre nous décrire la Lumière incréée du divin ! Lui, chaque fois, comme toujours en pareil cas, faisait le clown, l'idiot même. Il mettait sa skouffia sur son œil, brandissait l'index en pirate, jetait une plaisanterie des plus drôles et, bouffon, riait aux éclats. C'était ce que nous appelions « son côté fol-en-Christ ». Cinquante années durant, desservant ses paroisses aux quatre coins de la France, dormant sur les bancs dans les gares pour n'importuner personne, il s'était fait pécheur d'hommes, et pour gagner une âme se faisait en tout point semblable à elle. Comme l'Apôtre, il s'était « fait tout à tous ». Les êtres ne comprenaient-ils rien de sa vie toute spirituelle, lui feignait de n'être nullement spirituel. Les gens du monde, ses fidèles mêmes, n'aimaient-ils que rire et s'amuser, lui, le jour entier, ne faisait que plaisanter. De ces tournées dans le monde, tel un clown triste, il rentrait triste, exténué. Et sa nuit s epassait à pleurer, « pour que le Seigneur, disait-il, me pardonne d'avoir ri, insensé que je suis ». Jamais Papouli n'eût joué l'ascète. Le contraire lui eût semblé préférable. Combien son humilité lui valut d'être méjugé, jusqu'à la calomnie, jusqu'à la souillure d ela diffamation ! « Cette épreuve-là, disent les Pères, pour l'avoir éprouvée d'expérience, est d'entre les plus dures ». De celle-ci, Papouli, jusqu'à la lie, goûta l'amertume. Etait-il contraint d'accepter une invitation à dîner, Père Ambroise, pour ne paraître pas jeûner, faisait honneur au repas. La porte refermée, les gens se gaussaient : « Un moine paillard, disaient-ils, c'est là ce qu'il est ». L'on tremble à écrire de telles infamies d'un ascète hors du commun qui presque tous les jours de sa vie jeûna, perdant dix kilos en carême, le vendredi ne mangeant que le soir, des jours entiers ne prenant rien que du pain, des pâtes, de la soupe, du thé et de l'eau. Sa tempérance même nous inquiétait. Tant de privations nous semblaient surhumaines. Sans cesse, qui plus est, il augmentait son ascèse. « Mon Dieu, » nous demandions-nous, « jusqu'où ira-t-il ? Où s'arrêtera-t-il ? » Nous lui portions quelques fruits, du lait, des douceurs. « Reprends », gémissait-il, nous voyant l'encombrer. « Voyez, je n'ai pas de place ». Et c'est vérité que de sa cellule l'on avait vite fait le tour ; Tous ceux qui venaient le voir demeuraient stupéfaits d'un si terrible dénuement. « Ma catoire », disait-il en souriant. Rien ; il n'y avait rien. Deux minuscules pièces, si petites, chacune, que trois personnes n'eussent pu à peine s'y tenir, un coin cuisine où l'on ne pouvait poser plus d'un plat, et, sur le palier, des toilettes à la turque. La stupeur commençait dès l'escalier lépreux. Quatre étages branlants d'un escalier sordide et traîtreusement glissant, où lui-même, plusieurs fois s'était de tout son long étalé. Quatre étages essoufflants pour un vieillard asthmatique qui, chaque jour, portait les courses dont, de sa main généreuse, il nourrissait les fidèles. Car des jours entiers, il « faisait restaurant ». Combien s'étaient pressés à sa porte, tristes, accablés, qu'il avait nourris de mille mets délicieux d'une saveur inconnue, si subtile qu'on les êut dits venus presque du Paradis – combien, qui étaient repartis allègres, le cœur lavé et purifié, affronter d'un œil neuf, pleins de forces nouvelles, les tempêtes de cette vie ? « Mes murs », montrait-il. Et plus bas, comme une confidence : « Je ne suis bien qu'entre mes quatre murs », confiait-il. « Ailleurs, je n'ai jamais pu prier. Ma cellule m'est plus qu'un palais... » Etrange palais, en vérité, que ce palais d'un Saint ! L'on y eût vainement cherché fût-ce un porte-manteau. De simples clous faisaient l'affaire. Car, de ficelles mêmes, Papouli faisait merveille. En mettait-il dans les cheveux d'une enfant, avec cette tendresse qui n'était qu'à lui, que de ses mains la fillette sortait coiffée avec le plus grand chic. Celui que donne seule la simplicité sans apprêts. Mais Papouli avait cette vraie simplicité, cette simplicité inspirée que n'ont que les Saints qui, jusque dans ses retranchements, traquent l'illusion mensongère du monde. C'est cette simplicité que le Hiéromoine Hilarion (Domratchev) (cf Sur les monts du Caucase, Ed. Des Syrtes) dénomme la « sainte simplicité » du Starets, celle que peut seule, comme nulle autre, conférer la Prière du Coeur. Et lorsque nous le vîmes, ce que nous ne croyions ne devoir jamais voir, notre Papouli, étendu, mort sur son lit d'hôpital, n'ayant sur lui rien gardé de ce monde, nul vestige, si ce n'est sa pauvre croix de bois qu'attachait un fil, nous pleurâmes, saisissant combien jamais, au grand jamais, il n'avait triché avec cette réalité pure et nue qui, dans sa sincérité sans failles, l'avait gardé de toute compromission, fût-elle la moindre, avec ce monde hypocrite et menteur lequel, tel l'autruche, toujours se cache de la mort, et par là du seul et unique sens de la vie. Ce qui frappait en Père Ambroise, outre sa sainte simplicité, c'était son saint naturel. Il était du plus grand naturel, tant par toute son apparence et par toute son attitude, que par sa parole. Devant lui, quelqu'un qui arrivait du monde et le voyait pour la première fois, se sentait aussitôt parler faux, comme l'eût fait un mauvais acteur. S'il eût été acteur, Papouli eût été un très bon, un très grand acteur, tant il était naturel. Toujours, il parlait juste. Et, à son contact, bientôt ses enfants spirituels mêmes changeaient leur mode de parler, et peu à peu, se mettaient à « parler juste. » « Avez-vous remarqué », écrit à peu près le Starets Thaddée (cf Paix et joie dans le Saint Esprit, Ed. L'Age d'Homme), « combien vos Anciens sont naturels ? » Les dons du Saint-Esprit Et c'était pour n'avoir jamais triché que Papouli avait reçu aussi la rétribution des Saints. Après la prière du cœur, Dieu lui avait donné la clairvoyance. Faisions-nous quelque chose qui pût paraître un peu plus spirituel que d'ordinaire, Papouli nous accueillait avec plus de chaleur encore que de coutume, comme un père qu'eussent pour une fois contenté ses enfants. Etions-nous, au plus profond de nos cœurs, aux prises avec la tempête des passions, assaillis par la noire ténèbre du péché, que Papouli, sans que nous lui eussions rien dit s'en allait très lentement, l'air triste et fatigué. Et si quelquefois nous lui disions quelque chose : » Je le savais », disait-il simplement. L'on eût dit même qu'il lisait dans les cœurs les plus secrètes pensées. Que de fois nombre de fidèles eurent-ils l'étrange impression que Papouli, justement, donnait à l'instant la réponse à la question qu'ils venaient intérieurement de se poser. D'autres fois encore, nous le vîmes chez nous surgir à l'inopinée, tel un ange gardien qui nous eût été dépêché du Ciel. C'est ainsi qu'un jour, à l'heure même où nous allions partir en voiture, - comment l'eût-il su ? Nous ne le lui avions pas dit -, il survint en courant : « Ne partez pas ! » dit-il . « Vous alliez avoir un accident au coin de la rue ! » D'autres fois, il nous disait ce que nous avions fait : « Tu as fait cela ? » disait-il. Nous ne lui avions rien dit. « C'est bien », disait-il. D'autres jours : « Non, pas cela ; Reprends-toi ». Et plus tard, souriant de son air mystérieux : « Tu vois ? C'est mieux ». Et nous repartions, étonnés et penauds, n'osant plus ensuite vivre négligemment comme auparavant. Escaladant souvent les étages de son « pigeonnier » - « Ne me sentez-vous pas vous aider », demandait-il inquiet, « avec mes pauvres prières, du haut de mon pigeonnier ? » - nous percevions dans la pièce, la porte à peine franchie, la suave odeur qu'exhalent les Saints. C'était bien ce même parfum que Papouli, dès le commencement, nous avait fait sentir, imprégnant un coton qui avait été posé sur les reliques de Saint Nectaire. L'on eût dit le parfum émané de cette boîte, plus fort seulement, et revenant par bouffées. « Papouli », disions-nous, « mais cela embaume chez toi ! » Papouli, mystérieusement, souriait : « Mais non, » disiat-il, « j'ai mis de l'encens ». Nous savions, nous, que ce n'était nullement là le parfum d'un encens. Et Papouli, soudain, embaumait plus fortement encore. Beaucoup, à maintes reprises, le sentirent, comme le jour d'une fête de Saint Nectaire que Papouli vénérait tout particulièrement et dans maints moments aussi où sa prière se faisait plus instante. A ces rares charismes, Papouli ajoutait celui de prophétie. L'eussions-nous appelé prophète, il s'en fût fortement défendu, avec colère même peut-être, s'il eût chez lui subsisté les vestiges de cette passion. Mais il était portant difficile de s'y tromper. Au détour d'une phrase parfois, perdus dans de libres propos, il jetait ces mots, comme d'anodine façon : « Plus tard, tu feras ceci...tu feras cela ». Perplexes, nous le regardions ; Mais voyant que les circonstances semblaient absolument inverses de ce qu'il annonçait, ou jugeant que la conjoncture pourrait plus que difficilement s'y prêter, nous jetions, sceptiques, ces dires dans un coin reculé de notre mémoire. Ce n'est que longtemps après, lorsque la chose, plus tard, après bien des péripéties, se produisait tout comme il l'avait prédite, qu'alors, pleins d'une respectueuse stupeur, nous repassions en esprit ces paroles inspirées... Parce qu'il vivait dans la prière perpétuelle, la vie avec Papouli était un continuel miracle ; Dieu sans cesse l'entendait et sans cesse exauçait ses prières ; Que d'aucune fois pourtant Il ne l'entendît pas, et Père Ambroise encore glorifiait le Seigneur. « Dieu, cette fois », disait-il, « n'a pas voulu du miracle. Certes, Il eût pu dans sa toute-puissance l'accomplir, mais Il n'a pas jugé que cela fût nécessaire ; Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Dieu a ses raisons, que l'homme ne connaît pas. Pour le monde d'en-haut, la chose s'entend clairement, quand elle est à nos yeux incompréhensible. L'épreuve est nécessaire. Sans épreuve, nous ne progressons pas. Tout ce qui nous arrive n'arrive que par la permission de Dieu. Et tout ce que fait Dieu est bien fait ». Mais que le miracle ne s'accomplît pas, par les prières de Père Ambroise, était chose rare. Et les miracles qu'il fit, par ses saintes prières, cent livres ne suffiraient pas à seulement les consigner. Chaque jour, chaque heure en apportait un nouveau, tant que nous sentions sa prière nous couvrir comme d'un manteau. Sans évoquer même les cas de guérisons, entre toutes extraordinaires, dont les enfants de ses paroisses furent les témoins étonnés – nombre de guérisons de cancers incurables, dont les médecins eux-mêmes demeurèrent stupéfaits, les ayant jugés dès longtemps désespérés -, il nous souvient surtout de choses plus impalpables, et par là plus mystérieuses, comme ces myriades de dimanches où nous arrivions à l'église fourbus et las de porter nos lourds chapelets de péchés et où, doutant de pouvoir trouver nulle issue aux situations les plus inextricables, nous posions nos cous sous sa bienveillante étole. A peine si nous nous confessions alors, trop honteux dans notre orgueil d'énumérer ces sombres, ces amères kyrielles...Mais lui savait, et de lui-même nous disant ce que nous avions fait, avec la précision du médecin au diagnostic très sûr, cautérisant le mal, sur la blessure déjà prodiguait le baume. La Grâce, qui l'emplissait tout, emplissait d'une respectueuse crainte, si grande que l'être n'y pouvait plus tenir, que le cœur dur aussitôt se brisait, que les larmes silencieuses roulaient. Sur la tête à présent, avec l'étole la miséricorde. Sur la tête à présent, avec l'étole la miséricorde en pluie s'abattait, ondée rafraîchissante où se purifiait l'âme. L'on s'en allait, l'on oubliait la chose était autre, la situation modifiée, les difficultés envolées, la peine en allée. Pour ses enfants, Papouli s'usait, se consumait en prières. Pour eux, il eût tout donné. Pas seulement richesses ni objets. C'était là chose faite, depuis bien longtemps. Toute sa vie, Papouli avait tout donné. A tout le monde ; Quand il allait au marché, qu'il y voyait telle chose qu'il eût aimé acquérir, aussitôt il reprenait sa pensée : « Non, » disait-il, « pour moi ceci n'est pas utile. Cela non plus. Cela non plus ». Et ce que de la sorte il économisait, il le donnait. A moins qu'il n'achetât quelque chose dont il pût faire cadeau. A tous il donnait. Au facteur, au pompier, au coursier quel qu'il fût, qui vînt frapper à sa porte. Nul visiteur, non plus, qui repartît de chez lui les mains vides ; Nul jamais ne franchît son seuil qu'il ne s'en allât l'âme purifiée, le cœur gonflé de joie, le goût sur la langue encore de mets exquis et inconnus, les bras chargés de vivres et de bénédictions de tous genres. De biens matériels, Papouli avait tant donné qu'il n'avait plus rien à présent ; mais il eût donné plus, plus infiniment que cela. Il eût donné sa vie pour ses enfants. « Le martyre... », disait-il. « Ah ! Si l'on te disait, Ambroise, jette-toi dans le feu, comme tu t'y jetterais à l'instant avec joie ! Mais ta vie, qui veut d eta pauvre vie ? ».« Non », corrigeait-il, « il est un autre martyre, un martyre plus lent, mais combien difficile...plus difficile peut-être...le martyre de la cellule ». Et nous tremblions à l'entendre, lui, l'ascète, évoquer ainsi les terribles labeurs de l'ascèse. Sa vie, pourtant, Papouli, tant de fois, l'avait risquée pour autrui. Tirant parfois comme à regret le voile qui couvrait le mystère de sa vie, il mentionnait en passant les Juifs que, sous l'occupation, il avait cachés et nourris chez lui, avant que de leur procurer de faux papiers, pris sur les défunts, et que lui-même maquillait avec soin. De ces êtres ensuite, qu'il avait sauvés d'une mort certaine, plus de nouvelles jamais, comme souvent il advient en de pareils cas. « L'homme », soupirait Papouli, « l'homme est oublieux. Comme il est ingrat ! A-t-on besoin de vous, tel un beau tapis, l'on vous suspend au mur. N'a-t-on plus besoin de vous, l'on vous décroche, et l'on vous piétine. Ah ! Combien m'ont pressé tel un citron, qui, lorsqu'ils eurent pris tout le jus, me jetèrent au rebut ». Pour avoir ainsi donné toute sa substance, Papouli était tôt devenu le rebut du monde. Qui, dans son quartier ne l'eût pris au pis pour un pauvre clochard, au mieux pour le dernier des derniers ? Et pour l'être moyen qui de la sainteté ignore tout, et qui du saint n'a présente à l'esprit que la seule imagerie médiévale du chevalier s'en allant au prix du sang pourfendre au galop l'infidèle, la poitrine barrée d'une croix, son auréole de papier flottant sous le vent, Papouli eût mille fois plus tenu du manant de vile piétaille que du saint. Mais Dieu qui, dans son extrême abaissement, inclina les Cieux et du Ciel descendit sur la terre, des splendeurs d'En Haut venu habiter une étable, le Seigneur, lui, connaît les cœurs. Et c'est aux humbles qu'Il accorde Sa Grâce. Et c'est pour avoir été humble de cœur, pour avoir toujours servi sans s'être jamais fait servir, pour avoir délibérément choisi d'être toujours le dernier et à la dernière place, que Papouli reçut ici-bas de si grands charismes, et qu'il mérita en haut de trouver grâce devant Dieu. La prière Nous montâmes un soir, quoiqu'il fût tard, oubliant sans doute que, dans quelques heures seulement, Papouli déjà se lèverait, dès l'aube entamant la journée nouvelle. Il veillait pourtant, se tenant assis dans son fauteuil d'osier – héritage provençal, au confort douteux, rudimentaire d'aspect, mais simple comme tout ce qu'il aimait. Il leva sur nous son visage fatigué, si beau à cette heure où il l'avait lavé encore dans le très grand silence de la nuit – cette nuit à laquelle tout le jour il aspirait, pour son hésychia bénie, où la prière enfin, comme les larmes, pouvaient couler sans heurt. « Oui », disait-il parfois en riant, citant le mot d'une sainte moniale dont il avait, en Grèce, appris qu'elle était sa cousine, « le jour, tu pries avec les poules, la nuit, tu pries avec les anges ». « Papouli... Nous avions peine à présent à rompre ce silence comme saturé de Grâce. Mes enfants... Papouli...Souvent, tu nous as parlé de la prière. Il semble pourtant que tu ne nous l'aies pas enseignée... Vous n'aviez pas demandé... Un silence encore. De Papouli, l'on eût dit qu'il se concentrait davantage même, s'il eût été possible. Puis, la tête penchée un peu sur son cœur, il commença : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi pécheur...Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi pécheur...Sur le souffle...Vois...D'abord, tu prends une large inspiration, gonflant tes poumons d'air, sans rien dire ni penser mentalement. Puis, lorsque tu commences à expirer, lentement, tu commences à penser la prière : « Seigneur...Jésus...Christ...aie pitié de moi...pécheur... » Voilà, tu n'as plus de souffle, tes poumons sont vides, jusqu'à te faire mal presque, tant l'air s'est raréfié. De cette privation d'air au début – pour les commençants, comprends-tu?- la contrition, soudain, envahit le cœur, et les larmes à leur tour viennent, comme d'elles-mêmes ; oui, comme si toutes seules elles fussent venues aux yeux. Il est d'autres méthodes encore. D'autres te diraient : Sur l'inspiration, la moitié de la prière ; sur l'expiration, l'autre moitié de la prière. Moi, je ne te dis pas cela. L'expérience m'a montré la première méthode comme la plus fructueuse : toute la prière sur l'expiration. C'est, peut-on dire, la prière sur le souffle. Souviens-toi dans les livres : de tel saint, l'on dit : « La prière était comme son souffle ». Cela est utile aussi pour faire la prière en tout temps, lorsque, travaillant de tes mains, tu ne peux tenir un chapelet. Bien sûr, lorsque tu es seul le soir, prends ton chapelet et pleure, ne serait-ce que pour compter tes invocations, et ne pas t'imaginer, illusionnée par le démon, que tu pries tandis que ton esprit en réalité erre en tout sens... Que l'esprit erre, vois-tu, en mille vaines pensées tout le jour, lors même que cela nous paraît normal comme étant le propre de l'animal raisonnable, n'est en vérité, nous enseignent les Pères, qu'un reliquat de la chute où le diable enténébra la raison, tandis que le protoplaste, en être déifié à l'image des anges, tenait son esprit tout entier fixé en Dieu ; C'est de quoi nous instruit la prière : Restaurer, par l'immobilité des pensées, par la fervente invocation du nom divin – restaurer, oui, la ressemblance et la beauté perdues...Au début, certes, la chose est difficile. Comme la pouliche, la pensée s'échappe. Mais captée bientôt, fût-ce même malgré elle, par la suavité sans pareille exhalée du Saint Nom, comme la pouliche encore, elle revient bientôt, puis auprès de sa mère elle demeure. Plus n'est besoin lors de courir à son chapelet. L'état de prière demeure fixe, comme permanent, de temps à autre seulement se faisant plus intense. En ces moments-là dès lors, la prière monte. Oui, l'on dirait qu'elle monte toute seule...qu'elle jaillit en soi. En ces heures, non, pas besoin de chapelet. De larmes seulement. A l'église en tout cas, et chaque fois que tu te trouves en public, ni chapelet, ni larmes. Il n'est pas besoin de toutes ces manifestations extérieures. Plus de discrétion, plus de sobriété. Le Seigneur voit. Dans le secret. Et si, dans le monde, tu es accaparé, accablé par les tâches, le travail, le bruit, de la prière tu peux dire une forme plus courte... Les mots alors lui venaient en grec : « Christouli mou, éléison me » - « Mon petit Christ, aie pitié de moi...Cela suffit : « Christouli mou... » A l'entendre, tout bouleversé, murmurer le doux nom - « Christouli mou »-, nous comprenions mieux combien il aimait son Christ. « Mon Christ... » Il se reprenait : « Le Christ est tout...le reste n'est rien...Oui, si vous voulez : Non pas : « Kyrié Iésou » - et il prononçait, lié, « Kyriésou »- Non pas : « Kyrié Iésou Christé mou éléison mé amartolon – Seigneur Jésus mon Christ aie pitié de moi pécheur -, mais « Christouli mou, éléison. » Comme pour la Mère de Dieu. « Ah ! La Mère de Dieu ! Manoula ! -Petite Maman!-Comme je l'aime ! Je ne me lasse pas de l'invoquer. Comme ma mère ! Je la confonds même avec elle. Je veux dire que mille fois par jour, dix mille fois, je l'appelle : « Aah... » - et il poussait un profond soupir, comme jailli du profond des entrailles : « Aah... ! Manoula mou ! » - Ma petite Maman ! » Et je ne sais plus qui j'appelle : Ma mère, ou la Mère de Dieu. D'abord ma mère. Puis, je l'oublie. Et la Mère de Dieu, tout d esuite, efface l'image de ma mère. Car notre vrair mère, c'est elle...La Mère de Dieu. Manoula mou ! - Ma petite Maman ! Cette prière-là suffit. Non pas : Hyperaghia Mitéra tou Théou, sôson me amartolon ! - Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi pécheur ! - Bien sûr, l'invocation toute entière est celle-ci. Mais lorsque tu es pressé, attaqué, bouleversé, ému, que sais-je encore, alors cette prière-là suffit : Manoula mou, sôson mé – Ma petite Maman, sauve-moi – ou même Manoula mou – Ma petite Maman!- ou ce simple mot, lui seul : Manoula ! » Et Papouli, du fond du cœur, gémit : « Aah...Manoula ! » Il ne se lassait pas... » Lorsque tu es fatigué d'invoquer le Seigneur, invoque la Mère de Dieu. Et lorsque tu es fatigué d'invoquer la Mère de Dieu, invoque le Seigneur. Et si vraiment ton esprit s'est trop fatigué à prier, psalmodie ». Et Papouli, de sa voix profonde et grave, qui dans la nuit montait comme un thrène, entama cette hymne à la Mère de Dieu qu'il aimait tant – parce qu'il était tout à la fois si sublime et si théologique, disait-il, œuvre de génie du divin André de Crète, où la Mère de Dieu est dite « seconde après la Trinité », qu'il était évident que c'était le Saint Esprit qui l'avait composée : « Chairois méta Théon i Théos, Réjouis-toi, Dieu après Dieu -, Ta déftéria tis Triados i échoussa Seconde après la Trinité. » Lorsqu'il eut longtemps chanté, exténué, Papouli ferma les yeux. Et nous comprîmes à quel point sa fatigue était grande, jusqu'au complet épuisement – cet épuisement, qui était le secret de cette contrition si parfaite, celle qui donne à son tour « le cœur brisé et humilié » du Prophète – ce cœur brisé et humilié que Dieu jamais ne méprise, et dont il exauce tous les vœux, jusqu'au moindre d'entre eux : « Dieu ne méprisera pas Un cœur brisé et humilié ». Jamais, jusqu'à cette heure, nous n'avions pris conscience de cet épuisement extrême de notre Papouli aimé – le même qui, le jour, parlait ou riait, jamais ne laissant voir sa fatigue, jusqu'à nous démentir, jusqu'à nous faire oublier ce que disaient pourtant ses yeux d'ascète, si creusés par les jeûnes et les veilles, auxquels depuis tant d'années il s'adonnait, pour l'amour de son Christ, pour atteindre à la stature du Christ... « Et dans tes prières, mon Papouli, comment fais-tu ? Il en est comme si tous, par elles, étaient exaucés. Comme si nous passant en revue, tu pensais à tous...Comme si nous passant en revue, tu pensais à tous...L'on dirait que tu n'oublies personne... Papouli, humblement, baissa la tête. J'essaie...Comme cela, tout en vaquant, vois-tu, aux mille occupations du jour...J'y pense...une fois, deux fois, plusieurs fois. Puis, comme s'excusant : Mais il faudra que je note les noms...tous les noms...Je n'ai pas de mémoire ». Nous eûmes un sourire, sachant suffisamment combien Papouli n'oubliait jamais rien, tant que sa mémoire, chaque fois, nous surprenait davantage. Mais, surtout, nous comprîmes alors combien, tous, il nous aimait ; Et ses fidèles aussi, emplis de gratitude, le dimanche couraient à l'église, percevant assez de par la multitude des prétendus « hasards », tous faits et circonstances par trop miraculeux qui, toute la semaine, leur étaient advenus, combien chaque jour, à chaque instant, les avait portés la prière de leur Ancien béni, de leur Papouli tant aimé que Dieu entendait. « Doulos tou Théou », murmura-t-il. - Esclave de Dieu. » Et, disant ces mots, il esquissa un bienheureux sourire, lequel, immanquablement, nous rappelait celui qui était toujours le sien, lors même qu'on le réveillait en plein sommeil – exploit qui marquait une telle maîtrise de soi, jusque dans le sommeil même, que l'on en demeurait chaque fois stupéfait. Que de fois aussi n'avions-nous pas vu Papouli assis parmi des convives, ou sur quelque canapé chez des hôtes, luttant assis contre le sommeil, fermant quelques instants les yeux, et tout aussitôt les rouvrant, oui, contre le sommeil menant une lutte sans merci, jusqu'au sang eût-on dit... « Donne ton sang, disent les Pères, et tu recevras l'Esprit ». Mais cela, nous ne le pouvions comprendre... « Papouli, tu es si fatigué...Va t'allonger!- Mais non, pour quoi faire ? » « Mon Papouli, cela est si difficile de ne pas dormir ! Plus difficile que de ne pas manger ! » Souriant, Papouli plissait les yeux : Plus difficile, oui ! Mon Papouli ! Et quand tu n'en peux plus...Plus du tout...Comment fais-tu ? » Papouli, douloureusement, sourit : Je dis : Encore un petit peu, Ambroise ». Et il nous couvrit d'un long regard où se lisait une telle intensité d'amour, que nous ne pûmes le soutenir davantage. « Mon papouli, nous te laissons dormir enfin. Soyez en paix, mes enfants ». Et il ajouta la formule monastique : Kalo ximéroma ! - Bon réveil ! » Sur les lèvres d'un Papouli luttant jusqu'au sang, ces mots prenaient tout leur prix. Combien d'héroïsme lui avait-il fallu au réveil, tant d'années durant, à notre Saint Papouli ? La dormition d'un homme de Dieu Que Papouli, dès sa sortie d ece monde, eût trouvé grâce devant Dieu, ses enfants, à sa mort, en reçurent l'assurance. Car à peine nous fut-il donné – vision douloureuse entre toutes -de contempler notre Papouli endormi que, devant la porte même de l'amphithéâtre, à l'hôpital, son cercueil déjà embaumait très fortement, par bouffées, de cette suave odeur à quoi s ereconnaît un Saint. Notre Papouli tant aimé, après une longue agonie de huit jours à laquelle, sachant à l'avance qu'elle commencerait au lendemain même de la liturgie de la Nativité, dont il aimait tant la fête, il s'était préparé par un long et redoutable jeûne – si difficile au milieu du monde – un long jeûne absolu de six jours sans manger ni boire, notre Papouli que durant le temps de sa subite maladie dont les trois derniers jours furent horribles, en réanimation où on lui prodiguait ces soins intensifs, qui ne lui permettaient de dormir que par intervalles de trois ou cinq minutes au plus, notre Papouli que durant tout ce temps d'insupportable souffrance nul, d'entre les médecins ni d'entre ses enfants, ne vit jamais se plaindre, supportant jusqu'aux limites de ce que peut supporter la volonté humaine, lorsqu'elle a atteint à la longanimité des Saints, notre papouli s'en était allé, ne regrettant rien en ce monde que ses enfants aimés. Notre Papouli chéri, comme plein d'allégresse l'on s'en va célébrer des noces, s'en était allé rejoindre son Seigneur, qu'il avait tant aimé, tant désiré, pour qui il avait tout souffert, tout supporté, et qui avait été sa vie, son souffle et son unique raison de vivre en cette vie, jour après jour patientant ici-bas dans l'attente de la Vie immuable et sans fin, pour laquelle s'il nous était donné, dit Saint Séraphim de Sarov, d'en goûter le sprémices, nous supporterions tout en ce monde, préférant même, pour goûter à tant de suavité, nous laisser sur la terre ronger des vers dans notre cellule toute notre existence entière, plutôt que d'en être privés éternellement. Notre Papouli s'en était allé ; nous avions enseveli sous la terre son beau visage très ressemblant à celui d'un Séraphim de Sarov, d'un Ambroise d'Optina, d'un Parthène de Chio, d'un Arsène de Paros, et que tant d'êtres avaient cru celui d'un simple Papouli tout humain. Tout humain, il s'était sa vie entière chaque jour un peu plus empli de la Grâce divine, au point d'atteindre ce que Saint Séraphim et tous les Pères de l'Eglise avec lui disent et confessent être le but de tout homme en ce monde : la déification de l'homme. Et lorsque, à son ensevelissement, les fidèles, dans l'église, purent durant l'office sentir s'exhaler alentour la suave odeur de sainteté par quoi le Seigneur manifestait clairement qu'il avait parmi ses élus reçu son âme bienheureuse, tous perçurent que leur Saint Papouli, par-delà l'image, avait en lui restauré la ressemblance divine. De ce jour les miracles, du saint tombeau de notre Papouli ne cessent de se produire, cependant que se multiplient ses apparitions, par lesquelles, en rêve, il vient consoler ses enfants ou, de façon prémonitoire, les avertir, - prodiges si nombreux que ses enfants s'étonnent, se sentant plus protégés encore, sur l'heure, à la vue de tant de signes, que de son vivant même, de par son amoureuse intercession, puissante devant Dieu. Tant de bienfaits nous comblent, et nous gémissons en nos cœurs, nous sachant par trop indignes de tant de riches sollicitudes. Puisse notre Papouli nous préparer une place avec lui dan sle céleste Royaume de la lumière sans déclin, et notre Seigneur, par Sa Grâce, suppléer à nos manquements infinis. Amin. Presbytéra Anna. ANNEXE 2 Extrait du BLOG DE PRESBYTERA ANNA, reprenant sur Internet la publication de LA LUMIERE DU THABOR n°32. Revue internationale de Théologie Orthodoxe, fondée par Père Ambroise (Fontrier) et Père Patric (Ranson). Saint Ambroise de Paris. TEMOIGNAGE DE PERE PATRIC (RANSON) PERE AMBROISE (1917 - 1992) O Timothée, garde le dépôt, en évitant les discours vains et profanes et les disputes de la fausse science dont font profession quelques-uns, qui se sont ainsi détournés de la foi (1 Tim.6,20). Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus Christ seront persécutés. 2 Tim.3,12. Origines Père Ambroise est né à Smyrne, dans cette Anatolie qui avait vu fleurir les Pères du IVème siècle -saint Jean Chrysostome, saint Basile le Grand, saint Grégoire le Théologien, ces maîtres de la culture chrétienne- et avait gardé d'eux la rigueur et la douceur. Au commencement de notre siècle, en effet, quoique asservie au Turc depuis de longs siècles, la société chrétienne se maintenait en Asie Mineure, et notamment à Smyrne. Père Ambroise apprit beaucoup de sa grand-mère Argyro, de sa mère Kyriacoula et de son père Basile, qui, descendant d'un Français qui s'était fixé dans l'Orient au 18ème siècle, transmit à son fils le nom de famille français de FONTRIER. De ces parents pieux, Père Ambroise apprit la vie chrétienne. La catastrophe d'Asie Mineure força la famille à prendre le chemin de l'exil et Père Ambroise se remémorait le jour où, au milieu du sang qui coulait, marchant sur les cadavres des Chrétiens massacrés, dont il se souvient qu'ils embaumaient, son père, tenant le drapeau français, avait emmené sa famille jusqu'au consulat de France pour y demander asile. Les survivants des massacres firent tous ce qu'avaient fait les Fontrier : ils durent quitter la terre natale si bien que, de nos jours, des sept Eglises dont saint Jean parle dans son Apocalypse, il ne subsiste rien. Smyrne est de ce nombre, et la présence chrétienne y a été presque totalement effacée. Bien des années plus tard, Père Ambroise a reçu, dans Athènes, de la bouche inspirée d'un vieillard, l'explication du dessein de Dieu qui se cache derrière la catastrophe d'Asie Mineure : «Ces Eglises martyres ont disparu, dit le vieillard, et Dieu l'a permis, parce qu'Il a voulu préserver de la souillure de l'oecuménisme les Sept Eglises de l'Apôtre Vierge». Les réfugiés grecs se fixèrent souvent dans le midi de la France, terre anciennement colonisée par les Hellènes, et dont les petits ports ressemblent à ceux des îles d'Asie Mineure. Arrivée à Marseille avec beaucoup d'autres réfugiés, la famille mena une existence très dure, dans la plus grande pauvreté. Ils connurent la faim. Très tôt Père Ambroise fut obligé de travailler et, après la mort de son père, s'occupa de sa mère et de sa famille. Prêtre à vingt-quatre ans Père Ambroise devint prêtre en 1942, à l'âge de 24 ans, car le temps de la guerre rendait urgente son ordination. Il avait songé un instant à devenir musicien, car il jouait parfaitement du piano. Mais, par un accident qu'il attribua à la Providence, il eut le pouce coupé et n'envisagea plus que le service de l'autel et que le Seigneur. Il fut d'abord prêtre d'une paroisse grecque, non loin de Marseille. Dès ce moment, il avait compris la tâche à laquelle Dieu l'appelait : faire connaître la Foi Orthodoxe là où il se trouvait. Le Seigneur a dit aux Apôtres : «Allez, enseignez toutes les nations». L'Eglise garde fidèlement ce commandement : chaque chrétien orthodoxe doit avoir «sa lampe allumée» et rayonner la foi autour de lui, à l'endroit qu'il habite. Père Ambroise a vécu ainsi, devenant, dans ce pays où la main de Dieu l'avait conduit, une lampe pour tous ceux qui reviennent à l'orthodoxie. La Gaule en effet, fut christianisée dès les temps apostoliques, et c'est en Gaule que naquit saint Constantin le Grand, qui fit passer l'Empire romain des ténèbres de l'idolâtrie à la lumière du Christ. Retombée dans les ténèbres à cause des hérésies, la Gaule avait besoin de nouveau d'évangélisation, pour retrouver ses racines Orthodoxes. Hésychasme Père Ambroise vécut un certain temps à Martigues, dans un ancien blockhaus allemand désaffecté, devenu une cellule monastique. Il descendait le dimanche dire la liturgie pour sa paroisse puis remontait dans sa colline retrouver sa solitude, au milieu d'un paysage semblable à la Grèce. Toute sa vie, il rechercha le calme et la tranquillité, pour se consacrer à la prière. La prière monologique, il l'a cherchée, interrogeant un jour un Ancien sur le sens du terme «monologique», et il obtint la réponse : la prière est dite monologique, en un seul mot, parce que, bien qu'il y ait plusieurs mots, l'esprit n'est tendu que vers le Christ ; il n'a qu'une seule idée. Devenu hésychaste, Père Ambroise a souvent parlé de la prière à ses enfants spirituels, leur expliquant notamment comment la prière descendait de l'intellect dans le coeur et comment elle devenait perpétuelle dans le coeur purifié. A la fin de sa vie, il insistait de plus en plus fréquemment dans ses homélies sur la nécessité pour tous de s'efforcer vers la prière du coeur. C'est grâce à cette prière permanente que Père Ambroise put être guidé par Dieu, de même que tous ceux qui discernèrent clairement, dans le changement apparemment anodin du calendrier ecclésiastique, le commencement de l'hérésie la plus redoutable. Père Ambroise, qui savait que la Jérusalem céleste doit être mesurée avec le roseau parfait, le canon d'or que l'ange donne à Jean dans l'Apocalypse, connut vers 1962 l'Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O.), qu'il ne cessa dès lors d'aimer comme la seule donnant à notre époque le témoignage de l'Orthodoxie véritable. La confession de la Foi Avant de parler des paroisses fondées par Père Ambroise sur le sol de France, il faut souligner la base de tout son travail. «Nul ne peut poser d'autre fondement que celui qui existe, à savoir le Christ» dit l'Apôtre. C'est sur le roc de la vraie confession de Foi, le roc du Dieu-Homme, le Christ, que Père Ambroise a bâti. Il a toujours insisté sur la nécessité impérieuse d'une confession de Foi juste. Certains appelaient Père Ambroise trop rigoureux, alors qu'il était doux et n'oubliait jamais que l'Eglise se gouverne par la rigueur et par l'économie ; il répétait simplement cette parole de Marc d'Ephèse : «En matière de Foi, il n'y a pas d'économie», car, ajoutait-il, si la Foi est changée, à quoi s'appliquerait alors l'économie ? Il ne jugeait jamais les personnes, mais appliquait les critères que donne l'Eglise : «Comme les Prophètes ont vu, comme les Apôtres ont prêché, comme les Pères ont dogmatisé, comme l'Eglise a reçu...» ainsi nous enseignons, ainsi nous prêchons, selon le Synodicon de l'Orthodoxie. Selon ces critères des Pères et des Conciles, le patriarcat de Constantinople, disait Père Ambroise, s'est éloigné de la vraie confession de foi en adoptant le nouveau calendrier et en suivant le syncrétisme religieux de l'oecuménisme. Ceux qui ont changé le calendrier se sont placés eux-mêmes sous l'anathème du VIIème Concile Oecuménique qui condamne tous ceux qui ont innové ou qui innoveront non seulement dans le domaine du dogme, mais encore en matière de tradition ecclésiastique. Le calendrier est une tradition. L'évangile que prêche désormais le patriarcat de Constantinople diffère de celui que l'Eglise a reçu ; le syncrétisme oecuménique réduit l'orthodoxie aux dimensions d'une religion nationale, il réduit le Dieu-Homme aux dimensions d'une religion purement humaine ; de cette hérésie, le changement du calendrier est le premier symptôme manifeste. C'est pourquoi chacun doit, disait Père Ambroise, séparer totalement ses responsabilités spirituelles et rompre toute communion avec le Patriarcat de Constantinople et avec ceux qui sont en communion avec lui. De même pour les questions de discipline ecclésiastique. A beaucoup de personnes troublées de voir plusieurs groupes ancien-calendaristes en Grèce même, Père Ambroise répondait que le vrai chrétien possède le critère des canons de l'Eglise. «Qui, disait-il, est l'authentique archevêque d'Athènes et de Grèce, sinon Monseigneur Auxence ? Où est le synode plus grand que le sien, qui aurait reconnu un autre archevêque à sa place ? Lui seul a été reconnu par un Synode orthodoxe plus grand -les Russes du Métropolite Philarète». L'Esprit Saint n'est pas lié par des dépositions réciproques qui le plus souvent n'avaient que des motifs personnels et non ecclésiastiques. En même temps, Père Ambroise aimait tous ceux qui confessaient la foi orthodoxe et souhaitait de tout coeur l'unité des Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O.) de Grèce. Il disait même souvent que s'ils s'unissaient, l'Eglise officielle d'Etat n'existerait plus. Il avait été aussi très heureux de voir avec quel zèle missionnaire Monseigneur Auxence était venu en France. La Mission en France La grande oeuvre du Père Ambroise fut l'édification d'une Orthodoxie française appuyée sur un authentique retour aux Pères. A Paris, il fonda la paroisse de la Sainte Trinité, contribuant souvent de ses mains à l'entretien de la chapelle et offrant tout le matériel du culte et tous les ornements de l'Eglise : encensoir, porte-cierge, veilleuses. Durant des années, il desservit, voyageant en train, la paroisse de la Sainte Trinité à Paris, celle de saint Jean le Théologien à Lyon, et celle de l'Annonciation de la Mère de Dieu, à Montpellier. Nous mentionnons ces trois églises, mais toutes les paroisses existant actuellement dans notre diocèse lui doivent, directement ou indirectement, l'existence. Il a engendré en Christ la plupart de leurs fidèles. a) Père Ambroise a traduit les Offices de l'Eglise, confiant au professeur Jean-Joseph Bernard le soin de les mettre en musique. Cette publication liturgique, l'une des plus importantes qui aient vu le jour dans notre siècle, s'imposait pour deux raisons : la première est que, pour développer l'orthodoxie en France, il fallait s'exprimer en français et mettre à la disposition des fidèles non seulement le texte de la Sainte Liturgie, mais ceux de toutes les fêtes pour pouvoir les célébrer dans chaque paroisse. La Foi Orthodoxe doit imprégner la vie : les chants des Offices ne sont pas de l'art, mais une forme de prière ; ils initient à la vie en Christ. La seconde raison de cette priorité donnée à la traduction des Offices est qu'ils contiennent tous les dogmes. Par eux, les richesses de la Théologie Orthodoxe deviennent accessibles à tous et l'Eglise oppose ainsi sa grande voix au murmure confus des hérésies actuelles. b) Conscient de la difficulté qu'il y a, pour les Orthodoxes, à vivre en Europe, dans un monde façonné par les hétérodoxies -papisme et protestantisme- et aujourd'hui athée et hostile au Christ, Père Ambroise a consacré beaucoup de sa peine et de son temps à traduire les textes des Pères, à faire connaître la vie des saints et des confesseurs de la foi, à enseigner l'histoire de l'Eglise. Il a publié, seul, dans des conditions difficiles, la revue Catéchèse Orthodoxe, qui a été considérée comme l'une des meilleures revues orthodoxes de langue française et qui a été ensuite relayée par La Lumière du Thabor. Père Ambroise, par ses publications, a non seulement permis à des Orthodoxes de voir clair et de rester orthodoxes, mais il a également convaincu beaucoup d'hétérodoxes de la vérité de la Foi Orthodoxe et de la nécessité de revenir à l'Eglise des Apôtres. c) Outre cette oeuvre d'écriture et de traduction, Père Ambroise a peint plusieurs icônes du Seigneur et de la Mère de Dieu, ainsi que celles des iconostases. Il est aussi l'auteur de la première icône de saint Nectaire d'Egine. d) Le couronnement de cette mission vraiment apostolique a été la création du diocèse de France. Toute sa vie Père Ambroise a lutté pour la vraie foi et il souhaitait de voir un évêque de France, afin de renforcer l'Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O.) de France face aux parataxes des oecuménistes. Ce désir se réalisa lorsque Sa Béatitude l'Archevêque Auxence d'Athènes consacra Monseigneur Photios de Lyon. Le diocèse de France et d'Europe compte actuellement neuf (9) paroisses. A tous les fidèles de ces paroisses, Père Ambroise apparaît comme véritablement égal aux Apôtres. Charismes spirituels Dieu avait donné au Père Ambroise de nombreux charismes spirituels... Il entendait les confessions et trouvait toujours le remède à appliquer aux blessures faites par le péché, et il revêtait ceux qui se confiaient à lui de la panoplie de la lutte contre le démon. Il avait le don de consoler et de réconforter, parfois par une seule parole. La grâce demeurait avec lui. Il prêchait comme les Pères. Les fidèles étaient souvent suspendus à ses lèvres. Il expliquait, en suivant les commentaires des Pères, les trésors qui se cachent dans l'Evangile. Ce qu'il disait apparaissait aussi comme le fruit d'une expérience personnelle. Intensément, il priait la Mère de Dieu et Saint Nectaire. Il disait que le Seigneur nous exauce toujours quand Sa Mère intercède pour nous. Par les prières de Père Ambroise et celles de Saint Nectaire, se sont opérées nombre de guérisons. Ses proches nous ont dit qu'il avait souvent eu une véritable diorasis, découvrant à chacun ce qui était dans son coeur. Il enseignait toujours d'une manière enjouée ; quand il avait un reproche à faire, il ne le faisait jamais directement mais toujours d'une manière symbolique, faisant prendre à chacun conscience de ses défauts, sans jamais froisser personne. Ses derniers jours et son enterrement Père Ambroise s'est endormi dans le Seigneur le 1er janvier 1992 (le 14 janvier du calendrier civil), le jour de la Circoncision du Seigneur et de la saint Basile. «Servant déjà de libation» (2 Tim.4,6) par les souffrances qu'il avait endurées d'abord pour la confession de la foi, et ensuite du fait de sa maladie finale, Père Ambroise s'est endormi paisiblement. Quand je le vis dans son cercueil, je fus réconforté par son visage serein, ses membres restés souples, son repos qui illustrait l'enseignement de l'Eglise : «Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais» (Jn 11, 25-26), parce que celui qui s'endort dans le Seigneur ne voit pas la face de la mort, c'est-à-dire le diable, mais voit la face du Christ, la vie personnifiée. Oui, sa mort a été, comme le dit l'Eglise dans les Vêpres du Saint Esprit, au jour de la Pentecôte : «un passage des choses affligeantes aux choses désirables». Tous ceux qui pleuraient sentaient combien c'était sur eux-mêmes qu'ils pleuraient, s'affligeant de perdre leur père. Père Ambroise avait prévu sa mort. Avant la Nativité du Seigneur, il avait raconté qu'il avait vu, en rêve, les prêtres porter son cercueil. La chose n'est pas normalement possible en France, puisqu'il existe des porteurs employés par les Pompes Funèbres. Or, la veille de l'enterrement, Monseigneur Photios fut avisé que tous les porteurs seraient en grève et qu'il faudrait que notre communauté se charge de les remplacer. Le rêve se réalisait. La cérémonie de l'enterrement se déroula le vendredi 4 janvier (17 du calendrier civil), dans la piété et la dignité. Un grand nombre de fidèles se rassembla dès le matin à l'hôpital où eut lieu la mise en bière. Les jours précédents, des pannykhides avaient été célébrées auprès du corps du défunt, grâce à la bienveillance des employés de l'hôpital, respectueux à l'égard des rites de l'Eglise. Après ce dernier adieu au visage de notre père qui nous a tout appris, se déroula l'office dans l'église de la Sainte Trinité Saint Nectaire, au milieu d'une assistance nombreuse. La Mère Xénie, higoumène du monastère de Saint Jean le Théologien, était venue tout exprès d'Athènes, envoyée par Monseigneur Auxence pour le représenter, lui et son synode, ainsi que le Père Ambroise, moine d'un monastère de l'Attique. Le cortège se rendit ensuite au cimetière de Levallois, situé tout près de l'ancien domicile terrestre du Père Ambroise. Tous les fidèles, recueillis, défilèrent pour mettre les poignées de terre sur le cercueil en disant : «La terre est au Seigneur avec tout ce qu'elle renferme, l'univers et tous ses habitants». Père Ambroise repose en paix près de ses enfants. Que sa mémoire soit éternelle ! Son oeuvre, Dieu voulant, continuera, grâce à l'Eglise de France et à tous ceux qui «aiment l'avènement du Seigneur Jésus Christ» (2 Tim.4,8). Père Ambroise parlait souvent de la mort et il envisageait la sienne avec discernement. Il disait qu'il ne s'inquiétait pas pour la poursuite de la mission après sa mort, parce que ses enfants spirituels plaçaient leur espérance non pas dans un homme, mais dans le Seigneur. Que Dieu donne à tous de marcher, comme il l'a fait, jusqu'au bout, sur les traces de nos Pères saints. Et qu'Il nous fasse miséricorde. Amen. PUBLIÉ PAR PRESBYTERA ANNA À 02:13 ENVOYER PAR E-MAILBLOGTHIS!PARTAGER SUR TWITTERPARTAGER SUR FACEBOOKPARTAGER SUR PINTEREST LIBELLÉS : LA LUMIÈRE DU THABOR N°32. SAINT AMBROISE DE PARIS. ANNEXE 3. Du mariage des Evêques. DU MARIAGE DES EVEQUES. L'économie, dans la terminologie ecclésiale, signifie l'adaptation des canons de l'Eglise, c'est-à-dire des règles de l'Eglise, aux circonstances particulières. L'exact contraire de l'économie est la rigueur. L'Eglise des premiers temps pratiquait l'économie. Certains des Apôtres étaient mariés, comme le rapporte la Tradition de l'Eglise. Les premiers Evêques, qui furent les successeurs des Apôtres, selon la succession apostolique, étaient également mariés. Les épîtres de Saint Paul enseignent que la famille de l'Evêque doit être le modèle des autres familles. (Tite 1, 6-9), ( Timothée 3, 1-7). Le Saint Apôtre Philippe, disciple du Christ Seigneur était marié. A l'origine, combien de Saints Hiérarques étaient mariés ! Ils vivaient pieusement avec leur épouse, et Dieu les a bénis. L'Apologète et Père de l'Eglise Tertullien, à la fin du II° siècle et au début du III° siècle épousa une Chrétienne. Voici ce qu'il écrit à son épouse : « Douce et sainte alliance que celle de deux fidèles portant le même joug, réunis dans une même espérance, dans un même vœu, dans une même discipline, dans une même dépendance ! Tous deux, ils sont frères, tous deux serviteurs du même Maître, tous deux confondus dans une même chair, ne forment qu'une seule chair, qu'un seul esprit. Ils prient ensemble, ils se prosternent ensemble, ils jeûnent ensemble, s'enseignant l'un l'autre, s'encourageant l'un l'autre, se supportant l'un l'autre. Vous les rencontrez de compagnie à l'église, de compagnie au banquet divin. Ils partagent également la pauvreté et l'abondance, la fureur des persécutions ou les rafraîchissements de la paix. Nuls secrets à se dérober, ni à se surprendre mutuellement ; confiance inviolable, empressements réciproques ; jamais d'ennui, jamais de dégoûts. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents ; leur aumône est sans disputes, leurs sacrifices sans scrupules, leurs saintes pratiques de tous les jours sans entraves. Chez eux point de signes de croix furtifs, point de timides félicitations, point de muettes actions de grâces. De leurs bouches, libres comme leurs cœurs, s'élancent les hymnes pieux et les saints cantiques. Leur unique rivalité, c'est à qui célébrera le mieux les louanges du Seigneur. » Ou encore : Tertullien s'adresse ainsi à sa femme. (Cf. Tertullien, A sa femme. Trad. F. Quéré, in : Le mariage dans l'Eglise ancienne, coll. Ichtus 13, Ed. Le Centurion/Grasset). « Quel merveilleux joug pour deux chrétiens qu'une même espérance, une même loi, un même service ! Ils sont tous deux frères, tous deux compagnons d'esclavages. Rien ne les divise dans la chair ou l'esprit. Ils sont, en vérité, deux en une seule chair, et là où est une seule chair est aussi un seul esprit. Ensemble ils prient, ensemble se mettent à genoux, ensemble jeûnent. Ils s'instruisent l'un l'autre, s'exhortent l'un l'autre, se soutiennent l'un l'autre. Dans l'Église de Dieu, ils vont côte à côte, partageant le repas de Dieu, affrontant d'un même cœur les épreuves, les persécutions, ensemble se réconfortant. De l'un à l'autre, point de secret, point de faux-fuyant, point de chagrin. En toute liberté, ils visitent les malades, nourrissent les affamés. Ils font l'aumône sans anxiété, accomplissent leurs devoirs quotidiens sans entraves ; ils ne se signent point à la dérobée, ne rendent point grâces en tremblant, ne demandent point de bénédiction en silence. Chez eux retentissent hymnes et psaumes : c'est à qui au Seigneur chantera les plus belles louanges. Le Christ se complaît à les regarder, à les entendre, et leur envoie sa paix. Là où deux sont assemblés, il est (Mt 18, 20)10. » (Tertullien, trad. E.-A. De Genoude). L'Evêque Saint Spyridon, au IIIème siècle, en l'île grecque de Corfou, fut élevé en dignité du fait de l'exemple de sa haute vertu, en un seul et même jour passant par tous les grades et degrés ecclésiastiques successifs de la hiérarchie ecclésiale, du statut de berger au rang de Lecteur, puis à celui de Sous-diacre, de Diacre, de Prêtre et enfin d'Evêque. Il avait été amené en l'église avec femme et enfants, accédant avec eux, par son sacre d'Evêque, au rang éminent de Saint Pâtre des ouailles du Seigneur. Si l'Evêque Saint Grégoire l'Ancien n'eût, au IVème siècle, épousé la vertueuse aristocrate cultivée Nonna, il eût privé l'Eglise d'un de ses plus grands docteurs, Saint Grégoire, Evêque de Nazianze, fruit de leur union bénie, devenu astre au firmament du Ciel. Avec eux furent mariés tant d'autres Saints du Seigneur, Saints Hommes et Saintes Femmes, dont fourmillent les pages de l'Histoire Sainte de l'Eglise Orthodoxe, Christique, Une, Indivise, Originelle et Universelle, furent révélés pour leur éminente sainteté tant de couples de Saints mariés, connus et inconnus, que des livres entiers ne suffiraient pas à en consigner les noms bénis. Saint Sidoine Apollinaire, Evêque Gallo-romain du V°siècle, qui fut un poète fameux, au talent recherché par les personnalités officielles les plus illustres, panégyriste honoré des empereurs, nourri d'Ovide et de Virgile, épousa une femme au caractère bien trempé et au fort tempérament. Ce n'est que par la suite, dans l'Histoire de l'Eglise, que l'Eglise institua une canonique différente des règles en usage dans les premiers temps, et ce pour des raisons purement pratiques, essentiellement pour une question de disponibilité des Evêques, qui devaient consacrer tout leur temps à Dieu. De là que les nouveaux canons décrétèrent que les Evêques seraient dorénavant choisis parmi les moines. Observer rigoureusement ce canon, c'est tomber dans le rigorisme. Revenir aux règles en usage dans les premiers temps de l'Eglise, ce n'est pas tomber dans le modernisme ; c'est revenir aux sources. Le rigorisme de mise dans l'Eglise d'aujourd'hui fait un mal incroyable à l'Eglise. Ce rigorisme exerce des ravages. Il recouvre l'Eglise comme d'un couvercle trop lourd, et d'une chape de plomb pesante, sous lesquels elle étouffe et asphyxie. Les excès de sévérité de l'Eglise actuelle ont fait fuir la foule des gens intelligents, qui l'ont quittée en masse, et sont allés grossir ce qu'Augustin d'Hippone appelle à tort la « massa damnata » - la masse damnée -, la « massa perditionis » - la masse de perdition – de ceux que, contre les Pères de l'Eglise, il voue à l'Enfer. Le Saint Père Ambroise de Paris avait une piètre idée des canons. Et il nous montrait le Pidalion – le gouvernail de l'Eglise, en grec -, cette canonique, cette somme de canons de l'Eglise compilée au XVIIIème siècle par Saint Nicodème l'Haghiorite. Lui-même ne respectait pas les canons. Bien que moine, il prenait les enfants dans les bras, pour les tenir même sur les fonts baptismaux. Il avait été plusieurs fois parrain, ce que les canons interdisent aux moines. « Je l'ai fait par économie », disait-il, « pour ne pas peiner les parents qui me le demandaient. » Les canons interdisent encore d'ordonner prêtres des jeunes gens ayant eu des relations sexuelles avant le mariage. En Grèce, où ce canon est appliqué strictement, l'Eglise peine à trouver des prêtres. Ne restent souvent pour candidats éligibles à la prêtrise que les moins doués intellectuellement, voire aussi spirituellement. Il en résulte une crise des vocations. Il est bien d'autres canons que Papouli n'appliquait pas. Par économie, il souhaitait que fût réformée la canonique écclésiale. « Les canons ne sont pas l'Eglise », disait-il. « L'Eglise se définit par sa théologie dogmatique Orthodoxe. On ne peut pas toucher à la dogmatique de l'Eglise, à son dogme Orthodoxe, qui définit théologiquement l'Eglise, mais on peut reconsidérer sa canonique. » « Ce sont des canons d'or », aimait-il à répéter, « qui ajustent et tiennent ensemble les murs de la Jérusalem céleste, et non pas des canons faits de main d'homme. Les hommes ordinaires », soupirait-il, « ne peuvent pas le comprendre. » Papouli chérissait sa liberté. « La Prière du Coeur », écrit un grand Saint dans la Philocalie, « fait accéder à la liberté. » Et le Starets du Caucase, que fut le Hiéromoine Hilarion (Domratchev), écrit que celui qui a goûté à la suavité de la Prière du Coeur «rempli de (sa) force, entre dans une grande liberté. »( Cf Sur les monts du Caucase, Ed. Des Syrtes). Saint Paul évoque la « liberté des enfants de Dieu » (Rom 8, 21). Père Ambroise faisait souffler sur son Eglise un air, un vent de liberté spirituelle. Il n'y avait nulle trace de rigorisme en lui. Toujours, il usait d'économie. « Si je ne pratiquais pas l'économie, il n'y aurait personne dans cette Eglise, pas même moi. » Ses derniers mots furent pour confirmer la dignité de l'Evêque Photios. Lorsqu'un Evêque est sacré, le peuple crie « axios ! Axios ! » - « Il est digne ! Il est digne! »- Papouli laissa donc ces derniers mots écrits de sa main sainte : « Monseigneur Photios, Evêque de Lyon, Exarque pour la France. » Or le Saint Père Ambroise avait la proorasis, le don de prophétie. Il savait, avant de mourir, que l'Evêque Photios allait pécher relativement aux canons. Relativement à l'amour universel, il n'y a peut-être même pas péché, du reste. Un ermite m'écrivit : « Avez-vous péché ? Cela n'est pas sûr, au vu des circonstances. » En m'épousant, comme le Bon Samaritain, Mgr Photios me sauva du désespoir et du suicide. « Ce que vous avez fait au plus petit des miens », dit le Seigneur, c'est à moi que vous l'avez fait. » (Mat 25, 40). Ce faisant, adoptant mes enfants comme les siens propres, l'Evêque sauva aussi mes enfants de la misère et d'une vie orpheline. En me donnant des enfants, il renoua en moi le fil de la vie qui s'était brisée avec la mort de mon premier époux et de ma fille aînée. Nous fûmes vilipendés, gaussés, lapidés. Des moniales prièrent pour que je meure, d'autres me lapidèrent. Aujourd'hui, l'on assiste à une lapidation des Evêques mariés. Ils sont objet de risée, de diffamation, de persécution, de scandale. Mais la femme adultère, qui osa seulement la lapider ? « Que celui qui est sans péché, dit le Christ, « ose lui jeter la première pierre. » De tous ceux qui avaient amené devant le Christ la femme adultère pour la lapider, nul n'osa. (Jean 8, 7). L'on se souvient peut-être, pourtant, du film de Zorba le Grec, interprété par la grande Irène Papas, et tiré du livre de Nikos Kazantzaki. Il est inconcevable qu'en plein vingtième siècle encore, des grecs, orthodoxes depuis des générations et des générations, aient pu tomber d'accord pour lapider en masse une femme adultère, au plus grand mépris de l'enseignement christique de l'Evangile qu'ils entendent chaque dimanche où ils vont à l'église, la bouche en coeur. Au mieux, ces évêques sont tenus de rester cachés, eux, leur femme, et leurs enfants. Le clergé resté en la place ment à leur sujet, verrouille totalitairement l'information à leur sujet et fait régner sur eux la désinformation. Leur existence est jalousement tue, leur filiation gardée secrète. Ils sont dès lors privés du sentiment d'exister. Plus grave, ils sont mis au ban de l'Eglise, considérés comme réduits à l'état laïc, alors même que nul Evêque dans le monde orthodoxe n'a osé les déposer. Ils sont exilés de l'Eglise, et nul clerc n'est autorisé à les desservir, pour leur constituer une paroisse en exil. Ils sont considérés comme physiquement et spirituellement morts, sans que nul ne connût rien de leur véritable degré d'élévation spirituelle. Quand bien même ils auraient mené la sainte ascèse au saint désert durant près de vingt années d'une vie de pénitence austère, aux souffrances indescriptibles, tant psychiques que fomentées par les puissances ténébreuses des malins démons, contre lesquelles ils eurent à lutter au corps-à-corps, ces Evêques pénitents sont interdits de revenir dans l'Eglise exercer leurs fonctions épiscopales et mener à bien leur irremplaçable tâche pastorale, ce qui constitue un immense manque à gagner pour l'Eglise et pour leurs ouailles, dont le cœur saigne de cette absence désespérante et toujours recommencée chaque jour dans le temps. Or la pénitence efface tous les péchés. « Dans le temps d'une journée, entre l'aube d'un matin et le crépuscule d' un soir, un être peut devenir saint », aimait à redire Père Ambroise. Ces Evêques pénitents, auraient-ils même commis le péché de rompre un temps leurs vœux monastiques, pour avoir trop souffert sur le chemin du monachisme, et désiré, continuant malgré tout sur le chemin du Salut, une épouse à leurs côtés, telle une parèdre amie, « pour mener le bon combat » paulinien, il conviendrait de les rappeler dès qu'ils seraient venus à résipiscence, ce qui est dire au premier jour même de leur pénitence. Car le Seigneur ne demande pas vingt ans de pénitence pour rétablir un être dans son état premier et antérieur, celui d'avant son péché. Et par la pénitence, il l'élève plus haut même qu'il n'était spirituellement avant de tomber. « Vous pécherez », nous disait Papouli, « mais la pénitence vous élèvera plus haut que vous n'étiez avant de chuter ». Il siérait de reconsidérer la canonique ecclésiale relative au mariage des Evêques. L'on voit actuellement des Evêques- Pharisiens, qui se croient purs et sans péchés, et des Evêques-Publicains, qui, ayant conscience d'avoir péché aux yeux des canons plus ou moins récents de l'église, ont fait une longue pénitence, fort douloureuse, devant Dieu. Il conviendrait que les autorités ecclésiastiques rappelassent ces derniers, les réintégrassent et leur rendissent leur fonction pastorale et épiscopale première et originaire. Les Evêques sont actuellement choisis parmi les moines. Il faudrait qu'ils puissent être également choisis parmi les prêtres mariés. Pour Père Ambroise, il était deux voies égales pour mener à la sainteté, le monachisme et le mariage. « Le monachisme », disait Père Ambroise, est seulement la voie la plus rapide pour atteindre à la sainteté. Il figure la branche verticale de la Croix. Le mariage en est la branche horizontale. Le Christ a institué le sacrement du mariage et béni la couche nuptiale de ceux, dit l'office du couronnement, qui sont appelés à « vivre chastement dans le mariage ». Il existe, tout au long de l'Histoire de l'Eglise, une multitude, une myriade de Saints mariés. (Cf L'ouvrage intitulé Married Saints). Les Synaxaires en fourmillent d'exemples. Dans l'histoire de l'Occident même, l'on vit que l'abbaye de Fontevrault, pour ne citer qu'un exemple, au XI° siècle, choisit pour supérieure de ses moines une femme, et une femme qui avait été mariée, comme ayant par là acquis une plus grande expérience de la vie que ses moines. Père Ambroise avait choisi pour lui succéder dans son Eglise en droite ligne, eu égard à la filiation spirituelle, Père Patric, qui n'était qu'un simple prêtre marié, et non un moine. Il faut cesser dans l'Eglise de condamner la chair, la paternité et la maternité. L'Eglise, au sens où ce terme n'est pas entendu dans son acception juste, droite, et orthodoxe, mais où elle est déviée vers l'hérésie Cathare, garde un gros contentieux, un énorme problème à régler avec la chair. En condamnant la chair, en jetant la pierre à ceux qui commettent le « péché de la chair », elle sombre dans le Catharisme. Certes, les moines et les moniales versent leur sang pour ne pas tomber dans le péché de la chair. « Si tu savais, Anna, comme j'ai combattu pour garder ma virginité », me confia un jour en soupirant Mère Eupraxia l'Ancienne, qui avait vécu avec Saint Jérôme dans un même ermitage à Egine. Ces saints moines et ces saintes moniales versent leur sang et ils reçoivent en contrepartie l'Esprit. « Verse ton sang, tu recevras l'Esprit », disent les Pères. Mais il est bien des manières de verser son sang pour le Christ. Pourquoi les Saints mariés n'auraient-ils pas versé ou ne verseraient-ils pas eux aussi leur sang pour le Seigneur, de maintes et maintes autres façons, ou de la même égale sorte ? Si l'on continue dans l'Eglise d'appliquer la canonique au pied de la lettre, l'Eglise va mourir. Ou si l'on pense qu'elle ne peut pas mourir, puisque le Christ sera avec elle jusqu'à la fin des temps, du moins la voit-on désertée des masses intelligentes, lassées de ses excès d'austérité, de son étroitesse d'esprit et de sa psycho-rigidité, qu'y font régner ceux qui la dirigent jusqu'à nos jours sans intelligence intellectuelle ni intelligence spirituelle, l'Esprit Saint, l'Esprit de Sainteté, seul, pouvant conférer, par union divine aux âmes pures, ce qu'il est Lui-même, - l'Esprit d'intelligence. L'Esprit est aussi Esprit de Liberté spirituelle. Il confère la « Liberté » paulinienne « des enfants de Dieu. »(Rom 8, 21). Il faut pouvoir, par la Prière du Coeur, accéder à cette Liberté spirituelle et la retrouver, la recouvrer telle quelle, pleine et entière, cette Liberté originelle qui régnait dans l'Eglise primitive, celle des premiers temps, ce qui est dire l'Eglise Orthodoxe au sens exact du terme. Puisse le Christ-Dieu nous donner de retrouver dans l'Eglise Orthodoxe cette Liberté spirituelle fondamentale et originelle des Enfants de Dieu (Rom 8, 21)! Amin. ANNEXE 4. LA PATERNITE SPIRITUELLE CHEZ LES PERES DU DESERT ET DANS LA TRADITION BYZANTINE Par le Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris. Publié dans la Revue de Théologie Orthodoxe Contacts. (Ce texte inspiré paraît, post mortem, d'autant plus extraordinaire qu'il semble prophétique, le Saint Père Ambroise s'y exprimant comme d'une voix d'outre-tombe, pour décrire le modèle du Père spirituel idéal, pareil à celui qu'il fut véritablement lui-même). “Considère les années des générations passées... Interroge ton Père ( spirituel), & il te l’apprendra. Tes Anciens, & ils te le diront...” La Bible, Deutéronome. 32, 7 Avant d’écrire les lignes qui suivent, nous confessons que, pour le Chrétien Orthodoxe, il n’y a qu’un seul et unique Maître Spirituel, qui est l’Esprit Saint, le Consolateur, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas, et ne le connaît pas. “Vous Le connaîtrez”, disait encore le Seigneur à Ses Apôtres, et à travers eux à tous ceux qui croiraient en Lui, “vous Le connaîtrez, car Il demeurera avec vous et sera en vous...Il vous enseignera toute chose,& vous rappellera tout ce que je vous ai dit...Il vous conduira dans toute la Vérité...car Il ne parlera pas de Lui-même, mais Il dira tout ce qu’Il aura entendu, et vous annoncera les choses à Venir... Sans le Saint Esprit, Esprit de Sainteté, nul ne peut recevoir l’Illumination spirituelle, nul ne peut contempler les Mystères, nul ne peut recevoir la Grâce déifiante, nul ne peut être changé & transformé, nul ne peut enseigner, nul ne peut être ni devenir Père spirituel orthodoxe. Le Seigneur a tracé la voie royale de la perfection : “ Si tu veux être parfait, va, et vends tes biens, distribue-les aux pauvres, et tu auras un trésor dans les Cieux. Puis, viens, et suis-moi.” Les Pères des déserts, cette multitude d’hommes amoureux de Dieu, et plus qu’amants épris de Lui, au sens où Saint Paul dit “ J’ai été saisi, et pris par le Christ”, ont entendu l’appel du Seigneur, et, à cet appel, ont quitté ce monde, pour aller chercher la perfection, la purification et l’union avec Dieu, l’Union divine, dans “ les déserts et les montagnes, les cavernes, grottes, et antres de la terre”, nous dit encore Saint Paul en son Epître. Ils ont pris à la lettre les commandements et préceptes de Dieu, les ont vécus, les ont médités jour et nuit. Pour montrer combien la lutte est âpre, dure, & difficile, les Pères recouraient à cet adage, qu’ils usitaient à l’adresse de leurs enfants spirituels, pour les exhorter à persévérer dans le combat spirituel et la lutte ascétique - (car la constance est une grande vertu spirituelle, et très nécessaire autant que patience et longanimité) : “Donne ton sang, et tu recevras l’Esprit.” C’est pourquoi ils sont devenus des Maîtres et des Pères spirituels,et ont formé cette lignée ininterrompue de Pneumatophores - ce qui dit : Porteurs de l’Esprit (de Sainteté)-, de pasteurs véritables et authentiques, ayant atteint à la simplicité du coeur, la simplicité enfantine, celle de l’enfant spirituel, exigée par le Saint Evangile. “Heureux les coeurs purs...et tous ceux qui, sans cesse, dans les profondeurs de leur coeur, méditent, invoquent, et prient le Nom très glorieux & très désirable du Seigneur Jésus”, écrivent Callixte et Ignace, ces Saints Pères Théophores - ce qui signifie “ Porteurs de Dieu”-. Ceux-là peuvent voir la Lumière incréée en leur Intellect Purifié...et parcourir en Dieu le restant de leur route & cheminement terrestre, marchant dans la Lumière de l’Esprit qui éclaire et illumine l’esprit, le coeur, et l’âme, puisque devenus Fils de la Lumière de la Grâce illuminative et illuminatrice, d’un pas sûr et sans obstacle, la Providence, sans cesse déblayant la voie devant eux, et leur frayant un chemin sans encombres, puisque, dit le Psaume, qui ne ment pas : “ Les Anges te porteront, de crainte que ton pied ne heurte une pierre”, et comme le dit encore Jésus, qui donne la Lumière de Sa Grâce, laquelle est Esprit aussi de Sainteté : “Pendant que vous avez avec vous la Lumière, croyez en la Lumière, afin de devenir fils de la Lumière.” Et aussi : “Je suis la Lumière du monde : Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie.” Et David crie encore la même chose : “C’est en Ta Lumière que nous verrons la Lumière”. Et le divin Paul : “Dieu qui a dit que la Lumière brille au sein des ténèbres, c’est Lui qui a fait luire Sa clarté dans vos coeurs.” C’est par elle (la Lumière de la Grâce), comme de par une lampe inextinguible et toute brillante, que ceux qui croient en Vérité sont guidés mystériquement, et atteignent les choses spirituelles et mystérieuses qui sont au-delà des sens sensibles, et c’est par elle que s’ouvre à eux, par ce qu’ils sont purs de coeur, la porte céleste des Mystères mystiques, les menant en la Vie sublime qui les fait égaux aux Anges dans la chair purifiée. C’est alors que jaillit pour eux, non comme du disque solaire, mais du Christ-Soleil de Justice, le don de scruter, d’examiner, de discerner, de voir, de prévoir à l’avance, avec préscience, et d’autres dons semblables octroyés par la Grâce, & pour tout dire d’un mot, que leur sont sensiblement manifestés et tangiblement révélés les mystères indicibles et ineffables. Ils sont lors emplis en Esprit, en force surnaturelle et divine, au point que, telle une poussière dans le soleil devenue subtile et comme immatérielle, ils s’élèvent et semblent voler dedans l’espace et le temps, et au-dessus de ces repères spatio-temporels même. Par cette Puissance illuminatrice à eux communiquée en l’Esprit Saint, et bien qu’ils fussent encore dans la chair, mais une chair purifiée, certains Pères, tels des Incorporels et des Immatériels, ont traversé des fleuves et des mers, et ont marché sur les eaux comme à pied sec, ont parcouru en un clin d’oeil de longues & interminables routes, ont accompli des prodiges dans le Ciel, sur la terre, sous le soleil et sur le soleil, dans les mers, dans les déserts, dans les villes, les cités, les bourgs, et les campagnes, en tous lieux, pays, et contrées, parmi les fauves et le reptiles, d’un mot dans toute la création entière et parmi tous les éléments...Et à leur mort, leurs corps vénérables portent le caractère de l’Incorruptibilité, laquelle manifeste la Grâce qui les habite, et continue de les habiter, jusque dans leurs Saintes Reliques. et après la Résurrection générale et universelle, par la Puissance illuminatrice de l’Esprit, ils seront élevés, comme ayant des ailes, dans les airs, à la Sainte Rencontre du Seigneur, comme l’a dit l’Initié aux Choses ineffables, le divin Paul, et ils seront toujours avec Lui. Et David chante également : “ Seigneur, c’est dans la Lumière de Ta Face que nous marcherons, et dans Ton Nom nous nous réjouirons tout le jour”, ce qui est dire : "Dans l’Eternité à toujours”. Et se fait entendre la grande voix aussi d’Isaïe : “Mais ceux qui se confient dans le Seigneur prennent des forces nouvelles (d’En-Haut reçues); ils s’élèveront dans leur vol...” “Le Saint Père spirituel”, dit Saint Basile le Grand, est celui qui ne vit plus selon la chair, mais qui vit mené, conduit, et (en toutes choses) guidé par l’Esprit de Dieu; qui, lors, est devenu Fils de Dieu, à l’image du Fils de Dieu. Un tel homme peut être dit & appelé spirituel. ”Il ne suffit pas, pour être un Père spirituel, d’avoir un charisme de l’Esprit, mais il lui sied d’avoir la Grâce en abondance, comme l’on vient de le voir, ainsi qu’Elisée, le Prophète, demandait à Elie son maître spirituel, le prophète : “Que j’obtienne, je te prie, une double part de ton Esprit”. Il faut avoir guéri et maîtrisé ses propres passions avant que d’éclairer les autres. En un mot, il faut d’abord avoir acquis, avant que de pouvoir distribuer à profusion. Il faut être l’Homme spirituel dont Parle l’Apôtre Paul le Divin. Car si l’homme charnel, qui n’entend rien aux Choses de l’Esprit de Sainteté, commet par exemple l’iniquité (l’injustice), si l’homme psychique ne la commet pas, mais ne veut pas la subir, l’Homme spirituel, lui, l’Homme parfait, l’imitateur du Christ, non seulement ne commet pas l’injustice, mais il la subit, en rendant grâces, et ne cherche point à s’en venger, mais à l’épargner à autrui, et à l’annihiler radicalement de la terre des Hommes. Si l’on interrogeait les Pères du désert sur ce que doit être le Père spirituel, ils répondraient avec Abba Poemène que : “ Celui qui en enseigne un autre, il faut qu’il soit lui-même en parfaite santé d’âme & sans passions. Il ne faut pas fonder, construire, édifier, & consolider la maison du voisin au prix de ruiner la sienne propre. Celui qui enseigne les autres & n’effectue ni ne réalise rien de ce qu’il enseigne, est semblable à un puits qui arrose et lave ce qui l’environne, alors que lui-même est plein de toutes sortes d’impuretés.” Abba Hyperechios disait que celui qui enseigne non par des paroles, mais par des oeuvres, est un sage véritable. et un autre Père compare celui qui enseigne seulement en paroles, et sans oeuvres, à un arbre qui a des feuilles et ne porte pas de fruits spirituels... Saint Nil l’Ascète dit que “ ceux qui ont charge d’âmes doivent posséder une parfaite connaissance spirituelle, afin de diriger avec prudence ceux qui lui sont confiés. Ils doivent enseigner avec sagesse tout ce qui regarde le combat spirituel, et ne pas se contenter d’indiquer d’un geste de la main les choses de la victoire contre le Diable, mais diriger la lutte contre l’Adversaire et l’Ennemi des âmes. Car la lutte spirituelle est plus difficile que le combat qui regarde les corps. Dans l’un, ce sont les corps qui ploient, mais peuvent se redresser sans peine. Dans l’autre, ce sont des âmes qui tombent, et risquent de retomber dès qu’elles se sont relevées...” Le même Saint Nil du désert dit en somme que celui qui est encore dans les passions ne peut pas être un guide spirituel. et il illustre son enseignement spirituel en interprétant spirituellement la Sainte Ecriture, prenant comme exemple le roi David, qui voulait construire le temple de Dieu. “ Si celui qui combat encore dans la vie passionnelle, et dont les mains sont couvertes de sang, veut édifier le temple de Dieu avec des âmes raisonnables, il entendra ceci, de la voix de sa conscience mise en lui par Dieu pour le juger & redresser ses voies : “ Ce n’est pas toi qui m’élèveras un temple, car tu es un homme de sang...” Il faut donc être en paix, et pacifié, “de la Paix divine et mystérieuse qui est au-dessus de toute intelligence”, dit l’Ecriture Sainte, pour pouvoir édifier un temple spirituel à Dieu...Voilà pourquoi Moïse prend la tente, et la dresse hors du camp, manifestant par là que le maître spirituel se doit de se trouver loin des bruits de la guerre, loin de l’armée toute éclaboussée de sang, et qu’il doit résider en un lieu de prière & de paix...” Saint Barsanuphe le Grand appliqua rigoureusement la règle de vie de Saint Nil, et vécut Reclus, emmuré en la cellule d’une skite, sise hors du monastère, près de Gaza, en Palestine. Il fut le Père spirituel non seulement des moines de son couvent, mais également d’un grand nombre de Chrétiens. Il ne voyait jamais personne, et l’on correspondait avec lui par petits billets de papier, et par l’entremise de l’Abba du monastère. “C’est dans sa cellule”, écrit de lui Saint Nicodème l’Athonite, “qu’il récolta et goûta le très doux miel de l’hésychia. Il s’imposa une pénitence si rigoureuse qu’il ne trouva de consolation que dans les larmes...Il pouvait se passer de manger, de boire, & ne se vêtait d’autre sorte qu'avec des guenilles, car, sa nourriture, sa boisson, son vêtement, c’était le Saint Esprit...A l’humilité, il lui fut ajouté la plus grande des vertus, peut-être, celle du discernement spirituel...Au discernement, s’ajouta le don de voir & de scruter les raisons mystérieuses et les causes spirituelles des êtres sensibles, et des Etres Intelligibles même. Puis, s’adjoignit en son âme le don de voir les choses lointaines, tout comme si elles étaient proches, le don de prophétie, le don de lire dans les coeurs, & comme à livre ouvert, & le don de connaître les pensées d’autrui....En Père tendre qu’il était, il ne cessait jamais de prier jour et nuit Dieu, pour qu’Il fît de ses frères des Théophores. Voici ses paroles : “ Avant que vous ne le demandiez, par la flamme embrasée qui brûle en moi pour le Christ qui a dit : “ Aime ton prochain comme toi-même”, par les ardentes - brûlantes- brûlures de l’Esprit Saint, je ne cesse jamais, de jour comme de nuit, de prier Dieu de vous faire tous Théophores, d’habiter en vous, d’envoyer en vous l’Esprit Saint...Je suis devenu pour vous un Père, qui met tout en oeuvre pour mobiliser Ses enfants pour le Roi de Gloire...” Saint Barsanuphe est le modèle grandiose du Père spirituel, dont l’ambition est de faire de ses enfants des Porteurs de Dieu. Dans l’amour du prochain, il parvient à la mesure spirituelle d’un Paul, d’un Moïse. “ Crois-moi, frère”, écrivit-il à quelqu’un, “ je suis prêt à dire à mon Maître Jésus Christ, qui se réjouit des demandes de Ses serviteurs : “ Introduis-moi dans Ton Royaume avec mes enfants, ou efface-moi de Ton Livre de Vie éternelle.” L’Art, la manière d’enseigner du Père spirituel est toujours vivant, simple, comme une parabole de l’Evangile. Souvent, les exemples sont pris dans la Sainte Ecriture, comme dans le suivant, où Dieu dit à Ezéchiel : “ Toi, fils de l’homme, prends une brique, pose-la devant toi, et dessine sur elle une ville : “Jérusalem”. - & c’est la Jérusalem céleste.- Par là, il est signifié, selon les Pères, que le maître spirituel doit faire de son disciple, qui est sur terre, un temple saint. “ Souligne bien”, dit Saint Nil, “ les mots : “ Pose-la devant toi”, car les progrès spirituels du disciple seront rapides si celui-ci se trouve en permanence sous les regards de son Père spirituel. Le spectacle continuel des bons exemples donnés par le Saint Père imprimera des images semblables dans les âmes les plus sèches & les plus endurcies...” Puis, un nouvel exemple est emprunté à l’Ecriture : Judas a trahi dès qu’il s’est soustrait aux regards du Maître. Voici une autre manière usitée, celle d’un des Pères du Désert, pour redresser l’un de ses Fils venu le consulter. “- Je viens te trouver, Père”, dit-il, “ pour te dire que je vais attaquer en justice un voisin qui me fait beaucoup de tort...” “- Fais comme bon te semble,”lui répondit l’Ancien. “-J’y vais donc de ce pas. “Va. Mais, auparavant, prions un peu.” Et l’Ancien se mit en prière, & récita le Notre Père. Parvenu aux paroles : “ Remets-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs...,” l’Ancien dit ceci : “ Ne nous remets pas nos dettes, comme nous ne remettons pas à nos débiteurs.” “- Père!”, le coupa l’autre, “tu te trompes ! Ce n’est pas ainsi...” “- Mais”, repartit l’Ancien, “ n’est-ce pas cela que tu as décidé de faire?” Et le Chrétien partit spirituellement édifié, instruit, le regard intérieur tourné sur sa faute. Le Saint Père Spirituel, celui qui véritablement un maître, dit Saint Cassien le Romain, est indispensable à celui qui veut pratiquer l’Art Spirituel. ( & ce, dans les premiers temps surtout de son initiation à la vie spirituelle). Si pour les arts & les sciences humaines nous avons des leçons à recevoir, & s’il nous faut nous en instruire, par devoir, dans le but & la visée d’y progresser notablement, bien que ces choses soient pour nous à portée de mains, d’yeux, & d’oreilles, s’il ne nous en faut pas moins un maître éprouvé pour nous y diriger doctement, n’est-ce pas folie que de prétendre apprendre sans maître l’Art Spirituel, lequel est l’Art de tous arts le plus difficile, un art caché, mystérique, secret, invisible, où la Grâce mystérieusement agit, & tel que celui-là seul peut le saisir qui a le coeur purifié? Echouer en cet art n’est point simplement dommageable. Mais il y va de la perdition & de la mort éternelle de l’âme. Aussi est-ce à un Saint Père orthodoxe, & à un Saint seulement, qu’il nous faut confier notre âme néophyte comme à un maître en l’Art des arts. “ On ne peut apprendre de soi-même la science des vertus”, enseigne encore un autre Père, Saint Grégoire le Sinaïte, bien que certains aient recouru à l’expérience comme maître. Celui qui agirait ainsi, & ne prendrait pas conseil auprès de ceux qui ont progressé est un présomptueux. Si le Fils ne fait rien qu’Il ne voit faire au Père, si l’Esprit Saint ne parle pas de Lui-même, quel est donc celui qui peut prétendre être monté si haut dans la vertu sans personne pour l’initier? Folle témérité! S’il croit posséder la vertu, il se trompe. Remettez-vous donc à ceux qui connaissent les douleurs de la vertu pratique, c’est-à-dire le jeûne jusqu’à la faim, la chaste continence, les veilles prolongées dans la nuit, les prosternations épuisantes, jusqu’au nombre de trois cents & plus pour les moines Grands Schèmes du Grand Habit Angélique, la station debout & immobile, la Prière persévérante, l’humilité véritable, la contrition du coeur, les soupirs incessants invoquant l’Esprit, le silence béni enveloppant la Prière du coeur, &, en toute chose, la Longanime Patience... L’Ecriture Sainte dit bien : “Tu mangeras les peines & douleurs de tes vertus”, et aussi : “ Le Royaume des Cieux appartient à ceux qui en forcent l’entrée.” Bien qu’il ait vécu en ascète dans la pratique de toutes les vertus, un souci préoccupait Saint Grégoire le Sinaïte : celui de trouver un homme spirituel qui fût en mesure spirituelle de le conduire & mener là où il n’était pas parvenu de lui-même, car il sentait au fond de son coeur comme un vide encore qu’il fallait combler, & le besoin d’apprendre ce que les Anciens qu’il avait connus ne lui avaient pas enseigné. “ Dieu exauça sa demande, & lui donna le guide spirituel qu’il cherchait. Il révéla à un certain Père Arsène, Anachorète, l’existence de Grégoire, & son désir ardent de s’élever plus haut encore sur les cîmes spirituelles. Arsène, poussé par le Saint Esprit, se rendit chez Grégoire, qui le reçut avec joie. Après les salutations d’usage, propres aux moines, le vieillard & Saint Ancien Arsène commença de parler, comme s’il lisait en un Livre divin. Il parla de la garde de l’intellect, de la purification du coeur, de l’attention & de la vigilance neptique, de la Prière intellective et hyper-noétique, dévoilant comment l’intellect se purifie par la pratique des commandements & préceptes divins, & comment l’esprit devient Lumière, sous l’effet de la Grâce déifiante. Puis, s’adressant à Grégoire, il lui demanda : - A toi, donc, mon fils, quelle est ton labeur et oeuvre spirituelle ? Le divin Grégoire lui exposa tout ce qu’il avait fait depuis le commencement : sa séparation d’avec le monde, son amour de la solitude, tous les combats qu’il y avait livrés... Le divin Arsène, qui connaissait parfaitement la voie fort ascendante qui mène aux sommets de la vertu, sourit, et lui dit : “- Tout cela, mon Enfant, tout ce que tu viens de me conter se dénomme, selon les Pères Théophores, “Praxis”- “Pratique”-, & non point encore Théoria - “Contemplation.” En entendant ces paroles, Grégoire tomba aux pieds de l’Ancien, & le supplia, au Nom du Seigneur, de lui enseigner ce qu’était la Prière intellective & hyper-noétique, l’hésychia priante, la garde de l’intellect, & la Prière du coeur. Arsène prit occasion, sans perdre plus de temps, d’entreprendre là d’initier son nouveau disciple, & de lui communiquer tout ce que lui-même avait reçu de la Grâce divine. Dans l’Orthodoxie, ce n’est pas la règle qui fait le moine, mais le Saint Père & maître spirituel. Nous avons connu des moines qui ont quitté leur monastère pour aller vivre auprès d’un saint Père spirituel, puis en chercher à nouveau un autre après la mort de ce dernier. Saint Grégoire a formé des disciples dignes du Royaume des Cieux. C’est lui qui a manifesté au monde Saint Maxime le Kavsokalyvite - le Brûleur de cabanes-, qui jusque là errait dans les déserts Athonites, se faisant passer pour fou. Un maître et Père spirituel non manifesté par un autre, non recommandé, dirions-nous, par un autre maître connu de ses Pères & éprouvé par ses fils spirituels, est un faux maître, & peut-être même un gourou, dont il faut se garder. Le Christ se réfère à Son Père, & le Père le manifeste au monde. Il a deux témoins lors de son baptême dans le Jourdain, le Père & l’Esprit, descendu sur Lui sous forme de colombe. L’Esprit ne parle pas de Lui-même, mais Il dit ce qu’Il a entendu auprès du Père. Nous avons souvent entendu chez les Anachorètes poser la question suivante : “ De qui es-tu disciple? De quel Saint Père & maître spirituel? ”, qu’ils se posent lorsqu’ils se rencontrent la première fois, pour savoir aussitôt à qui ils ont affaire & nous avons entendu de Saints moines avouer aussi qu’ils ne se déplaçaient pas toujours pour aller accueillir les pèlerins qui leur arrivaient, fût-ce de très loin : “ Cela dépend de qui il s’agit”, disaient-ils, &, traduisant en anglais, au cas où l’on ne les aurait pas compris : “ It depends on who it is.” Car les Saints ont aussi entre eux leurs “ V.I.P” - “Very Important Persons”-. Revenons à Saint Grégoire & à son disciple Kalliste, qui devint plus tard Patriarche de Constantinople, & pénétrons, grâce à celui-ci, dans la sphère intime et la familiarité de son maître, par le récit & l’entretien qui suit : “- Je le questionnais d’une manière simple & dépourvue de curiosité, quand je le voyais sortir de sa cellule, le visage en joie...Et il me disait : - L’Ame qui s’attache à Dieu, qui a été blessée de Son amour, qui est montée & s’est élevée au-dessus de toute la création, qui vit au-dessus de tout le visible, qui est tout entière enchaînée par le désir de Dieu, ne peut plus se cacher tout-à-fait totalement ni complètement à la vue des autres. Car la Grâce, de toutes parts transpire de cet être, et jusqu’au plus loin de lui rayonne mystérieusement, & surpuissamment. Du reste, le Seigneur Lui-même annonça de tels prodiges, lorsqu’Il dit : “ Ton Père, qui voit dans le secret (des coeurs) se manifestera au vu & su de tous.” Et encore : “qu’ainsi brille votre lumière devant les hommes, afin que, voyant vos oeuvres bonnes, ils rendent gloire à votre Père qui est dans les Cieux.” Car le coeur danse de joie, l’esprit tressaille d’allégresse, le visage rayonne de joie, selon le Sage qui a dit : “ Le coeur en liesse fait de joie resplendir le visage.” - Je lui dis encore : “Divin Père, enseigne-moi, pour l’amour de la vérité, ce qu’est l’âme,& comment les Saints la prennent en vue. Oui, dis-moi : Comment la considèrent-ils? Lui, accueillant favorablement ma requête, & avec toute la sérénité tranquille qui lui était coutumière : “ Très cher enfant spirituel”, me répondit-il, “ ne cherche pas ce qui est au-dessus de ta portée, & n’examine pas ce qui est plus profond que toi. Devant la question d’importance que tu viens de poser, tu n’es encore qu’un enfant, ce qui est dire spirituellement imparfait. Tu ne peux ingérer encore une nourriture solide, non plus qu’appréhender ni saisir des choses qui sont au-dessus de ta mesure spirituelle, & dont la compréhension, de ce fait, par imparticipation à leurs faits mystériques, t’échappe. La nourriture solide & substantielle des hommes faits ne convient pas aux nourrissons qui ne peuvent absorber & digérer que du lait. Je tombai à ses pieds, et les pressai fortement, le suppliant avec plus d’insistance encore de m’en donner l’explication. & lui, condescendant à ma prière, me dit, quoique très brièvement, & comme en passant, &, par souci d’humilité, comme l’air de rien : - Si quelqu’un ne voit pas la résurrection de son âme, il ne peut apprendre ce qu’est exactement l’âme spiritualisée toute. De nouveau, insistant respectueusement, je le priai de m’en dire plus : - Montre-moi, Père, si tu es parvenu au sommet de cette ascension spirituelle, c’est-à-dire si tu as appris, toi, ce qu’est l’âme spiritualisée toute, entièrement devenue spirituelle. Lors, c’est avec beaucoup d’humilité qu’il me fit cette réponse, toute simple,& confondante, en vérité, de sainte simplicité : - Oui. - Pour l’amour du Seigneur, repris-je alors, enseigne-moi encore cela, pour le bien de mon âme. Cette âme divine & toute vénérable satisfit alors à mon saint désir, & me dispensa cet enseignement si spirituel : - Lorsque l’âme a mis toute sa volonté entière à combattre les passions par le moyen et truchement de la mise en oeuvre de toutes les vertus pratiques, avec la raison surrationnelle & le discernement spirituel, peu à peu elle les réduit, & progressivement se les soumet . Après les avoir soumises, elle cultive les vertus naturelles qui l’enseignent et la conduisent aux choses qui sont au-dessus de la nature, l’y faisant monter comme par une Sainte Echelle spirituelle, dont les degrés sont les vertus. Quand l’intellect purifié, par la Grâce du Christ, & désembarrassé de toute pensée mauvaise, est parvenu dans la sphère supérieure qu’est le monde spirituel, il est alors illuminé par la Lumière du Saint Esprit. Il s’élargit lors, lumineusement, dans la Contemplation des Choses Saintes, il s’élève au-dessus de lui-même, se dépasse, & se surpasse, selon la mesure de la Grâce de l’Esprit de Sainteté que Dieu lui a répartie, et il voit plus clairement, plus purement, jusqu’en leur intime, la nature profonde des êtres, selon l’ordre & la relation qui leur sont propres, & non plus comme spéculent, en un rapport d’extériorité, les philosophes du dehors, qui ne perçoivent que l’ombre des choses, & qui ne cherchent pas à suivre, comme il convient, l’opération de la nature. Car, comme l’enseigne l’Ecriture divine, “ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, & leur coeur sans intelligence s’est rempli de ténèbres.” Mais l’âme qui a reçu les embaumantes arrhes de la Grâce du Saint Esprit, par les fréquentes Contemplations qu’elle a des choses d’en bas & d’En Haut, peu à peu délaisse ce qui est en bas, pour ne plus monter & s’élever que vers ce qui Est En Haut, le plus Divin. Comme le dit Saint Paul aux Philippiens, “ oubliant ce qui est derrière moi, & m’élançant vers ce qui est devant moi, je cours vers le but suprême...” L’âme, ainsi éclairée & illuminée par l’Esprit de Sainteté, brille, resplendit, scintille, & lumine toute. Elle est peu à peu élevée jusque sur les sommets de la Contemplation. Unie à l’Epoux Céleste, Christ, par l’immortel Eros - car cet amour pour Dieu est pour le Saint Erotique Divine-, elle s’entretient continûment avec Dieu, comme dialoguant toujours avec Lui, qui surabondamment la comble, & de Ses richesses l’adorne.” “ Lorsqu’on rencontre & que l’on trouve de tels maîtres spirituels, “ dit Nil l’Ascète, “ les disciples se doivent lors, dans les premiers temps, de renoncer à eux-mêmes, & à leurs volontés propres, au point de ne différer plus presque d’un corps inanimé, pour devenir telle la matière docile, ductile,& le matériau façonnable de la glaise montant au tour entre les mains heureuses du Saint Potier qui lui confère forme, art, & signification... Car c’est ainsi, oui, c’est ainsi que travaille la vertu le maître chez ses disciples bénis, lors, par ses saintes Prières, devenus dociles assez, dans leur si grand soif d’apprendre les Mystères de son Art, pour ne le contredire jamais, le sachant Saint. “ Ne te leurre donc pas, mon Enfant, en te croyant capable de te guider tout seul dans le labyrinthe ardu des Choses Spirituelles,” conseille Abba Poemène. “ Va te soumettre à un Ancien, & laisse-le te diriger en tout.” Un autre Père du Désert, instruisant un Novice, lui disait : “ Sois, frère, comme le chameau. Charge-toi de tes imperfections, & laisse-toi guider par un Père spirituel sur la voie sainte qu’il connaît mieux que toi, ô combien! incomparablement.” Car le fils spirituel auprès de son Saint Père a la semblance d’un nain aux côtés d’un géant; sa lumière est celle d’une lanterne sourde auprès d’un astre irradiant son irrésistible chaleur; et sa science est celle d’un néophyte se mesurant à un génie de l’humanité, hélas! “ Si l’on veut critiquer les recettes de vie auxquelles recourt le maître, l’on ne progressera jamais, car ce qui, aux yeux du disciple, peut paraître sans importance, voire insensé,” dit encore Saint Nil, est en vérité fort bon, & de très longue date, et du tréfonds, et de Très Haut éprouvé. Celui qui est artiste, & celui qui ne l’est pas, & ne comprend rien à l’art, jugent différemment l’oeuvre d’art. Le premier a la science pour règle, ou plutôt il donne à la nature son génie pour seule & unique règle de tout, que, pour finir, il lui impose, de par la force de son art, & le second n’a pour critère que la ressemblance aux choses déjà vues, conformes à ses préjugés banals & préventions indigentes.” L’on dit qu’Abba Jean le Kolobe, avant de devenir ascète, vécut de longues années, sous la direction spirituelle d’un Ancien, dans la Thébaïde. Son maître, au commencement, qui voulait l’éprouver, un jour le prit, & lui fit faire une interminable & harassante marche de douze longues heures, depuis leur hutte de branchages jusqu’en un lieu aride de désert. Là, l’Ancien prit son bâton, le piqua dans la terre, & ordonna au jeune Jean, son disciple, de venir tous les jours l’y arroser, en y venant porter un lourd seau d’eau depuis sa hutte, située, donc, nous l’avons vu, à douze heures de là. Le bon disciple fit nonobstant avec zèle ce que son maître & Père spirituel lui avait enjoint de faire. Et, trois ans après, voici que le bois sec reprit vie, & se mit à produire des noix fraîches. L’Ancien les cueillit, &, le dimanche suivant les apporta aux ermites, qui, une fois la semaine, ce saint jour, se retrouvaient à l’église. Après l’office divin, il les leur distribua donc, leur disant : “ Venez, frères, & goûtez aux fruits de l’obéissance.” Abba Hyperéchios disait que l’obéissance était le joyau le plus précieux du moine. Celui qui le possède sera exaucé de Dieu, & entrera dans la familiarité du Crucifié, qui s’est fait obéissant jusqu’en mourir. Saint Marc l’Ascète, fidèle à la Tradition des Pères Saints, enseigne de même : “ Il est dangereux de vivre seul, selon sa fantaisie, sans nul témoin, ou avec des hommes sans expérience réelle du combat spirituel. Les machinations du Mauvais sont innombrables, celées, et fort dissimulées, & ces pièges de l’Ennemi sont de surcroît divers et variés, & partout habilement posés & disposés. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, il faut s’appliquer à vivre avec des hommes sages & vertueux, ou les voir fréquemment. Quand on ne possède pas la lampe de la connaissance véritable, pour n’avoir pas atteint encore l’âge spirituel des parfaits, étant encore enfant inexpérimenté de ces pièges de l’Ennemi des âmes, il sied de suivre celui qui possède, porte, et tient haut la lampe, en manière de ne pas marcher à l’aveugle pour trébucher dans les ténèbres, de ne s’exposer pas aux périls des tumultueux orages, & des froids intenses, et ne courir point le risque de tomber tout vivant en la gueule des fauves anti-spirituels qui peuplent ces ténèbres, & s’emparent, pour les dévorer tous crus, jusqu’à l’os de l’âme, de ceux qui marchent dans le noir de leurs âmes égarées, sans la lampe spirituelle de la divine Parole de l’Esprit du Verbe.” Relativement à cette fréquentation de sages hommes saints, plus d’une histoire de Désert nous viennent à l’esprit: Un Ancien disait que celui qui entre dans une parfumerie, même s’il n’achète rien, en ressort tout imprégné de bonnes odeurs & de suaves effluves. La même chose advient à celui qui fréquente de saints hommes, car il s’imprègne, sans même s’en aviser parfois, du parfum de leurs embaumantes vertus. “ Trois Anciens”, lit-on dans la Vie de Saint Antoine, “ avaient coutume de se rendre une fois l’an au Mont de l’Abba Antoine, pour y recevoir l’enseignement spirituel du grand Saint. Une fois, deux d’entre eux lui posèrent des questions sur l’ascèse de l’âme & du corps, pour donner ainsi au Saint occasion d’épancher la Sagesse divine qui jaillissait de ses lèvres saintes. Le troisième écoutait en silence, & ne posait nulle question. Le Saint lui dit alors : - “Depuis tant d’années que tu me viens visiter, tu n’as pas encore posé une seule question. Ne veux-tu rien apprendre de l’ascèse?” - “Il me suffit de te regarder, Abba”, repartit l’autre Ancien. Cela m’a beaucoup enseigné”. De tout ce qui précède, nous apprenons qu’il n’est pas d’autre voie sûre que celle de confesser tout le jour ses pensées, dans l’entretien spirituel, & la vie quotidienne aux côtés de l’Ancien & des Pères qui ont le don de discernement spirituel, de ne recevoir que d’eux seuls la règle de leur conduite dans la vertu, & de ne se fier jamais à son jugement propre...Car, se confesser à quelqu’un qui n’a pas & ne possède pas le discernement spirituel, non plus qu’il n’a davantage l’expérience pratique & théorétique de la vie spirituelle, c’est risquer sa propre perte, & jusqu’à la sienne ensemble. Abba Poemène conseille donc de ne pas livrer ni confier le secret de sa confession à quelqu’un sur qui notre conscience ne nous avertit pas de ce qu’il est réellement au fond de lui. Abba Cassien et la suite de ses moines visitèrent Abba Moïse - qui fut un ancien brigand Ethiopien devenu, par la vertu de la pénitence, l’un des plus grands Saints, des plus illustres, et des plus réputés du désert-, et ils l’interrogèrent sur la confession des pensées. Moïse leur répondit : “ Il est très bon, mes enfants, de ne pas celer ni cacher ses pensées aux Pères, mais de les confesser librement & purement. Il ne faut pas écouter ses jugements propres, ni se fier à soi, mais se soumettre sans restriction à ceux des Pères Saints. Il ne faut cependant pas davantage livrer à n’importe qui les secrets de son coeur, mais à des Anciens seulement, devenus spirituels, qui savent discerner, qui ont le bon témoignage de beaucoup de leurs Pères, & non point seulement des cheveux blancs & chenus. Car, nombreux sont ceux qui s’attachent à la forme extérieure du Père, & croyant livrer leurs pensées à un Saint, c’est à un gourou égaré qu’ils les dévoilent; lors, au lieu de la guérison spirituelle, c’est le désespoir qu’ils en obtiennent, à cause de l’inexpérience de ceux qui les ont entendus, & de l’abus de confiance & de liberté qu’ils en ont fait.” Saint Maxime le Cavsocalyvite - le Brûleur de cabanes, car il brûlait toutes ses cellules l’une après l’autre, à crainte de par trop s'y attacher- fut ainsi la victime, d’abord, d’un confesseur inexpérimenté & usurpateur de cette fonction Spirituelle de confesseur, auquel il avait confessé ses visions spirituelles, & l’apparition de la Mère de Dieu, qu’il avait encontrée au sommet du Mont Athos. Lequel faux confesseur le traita, lui, d’égaré & de fou. Mais, ce fut une Grâce pour Saint Maxime, qui usa de cette catégorisation arbitraire et erronée, & de l’épithète même, discriminante, diffamante, humiliante, & vexatoire, “d’égaré”, pour se préserver de la louange des hommes, criant à tous ceux qui tentaient de l’approcher : “ Eloignez -vous de moi, je ne suis qu’un égaré.” “Les Pères expérimentés”, enseigne Cassien le Romain, ne se meuvent pas d’eux-mêmes, mais leur motion et leur agir sont célestes, car c’est Dieu, l’Esprit de Grâce Providente, et ce sont les Ecritures inspirées aussi qui les meuvent. Qu’il faut interroger ceux là seuls qui sont avancés dans la vertu, c’est ce que l’on peut apprendre de par nombre de passages de l’Ecriture Sainte, comme dans la vie de Saint Samuel, qui fut, tout enfant, consacré à Dieu par sa Mère, qui fut digne de converser avec le Seigneur, & qui pourtant ne se fia point à son jugement, & s’en fut consulter son Père spirituel Eli, pour apprendre de lui ce qu’il devait répondre à Dieu. Et bien que Dieu l’eût, par Son appel, rendu digne de Lui, Il continuait de le vouloir soumis à son Père spirituel, afin de le faire progresser dans l’humilité. De même, le Christ qui choisit Paul, & l’appela, sur le chemin de Damas, eût pu lui ouvrir immédiatement les yeux, et lui montrer aussitôt, et d’emblée, la voie de la perfection spirituelle. Et cependant, il l’envoya d’abord à Ananie, et lui enjoignit d’apprendre de ce dernier la voie de la vérité, lui disant : “ Lève-toi, rentre dans la ville, & là, l’on te dira ce que tu devras faire.” Par là, & de telles choses, il nous est donc enseigné de nous laisser guider par ceux qui sont parfaits...” Je montai,” dit Paul, “ à Jérusalem, pour voir Pierre & Jacques, pour leur exposer l’Evangile que je prêchais, de peur de courir ou d’avoir couru en vain”, & ce, bien que la Grâce du Saint Esprit le suivît dans la puissance des miracles qu’il accomplissait. Quel est l’orgueilleux & le présomptueux qui osera se fier à son propre jugement sur lui-même, quand le vase d’élection confesse qu’il a besoin de l’avis des Saints Apôtres? Il est donc clair - et ces faits le démontrent- que le Seigneur ne révèle à personne la voie de la perfection, si ce n’est à ceux qui y sont guidés par leurs Pères spirituels, & si & seulement si encore ceux-ci sont véritablement Saints & Orthodoxes. C’est pourquoi Dieu dit par le Prophète : “ Interroge ton Père, & il te l’ apprendra, tes Anciens, et ils te le diront...” Comme l’Apôtre, le Saint Père Spirituel connaît les douleurs de l’enfantement spirituel, dans les attaques des démons déchaînés contre lui, car les démons revendiquent & convoitent à mort l’âme du fils spirituel, dit Nil l’Ascète, & viennent le troubler de nuit comme de jour, suscitant contre lui les calomnies, les difficultés de toutes sortes, les dangers, & les périls sans nombre, jusqu’à leur cessation, après que l’Ascète a remporté le prix et trophée de la victoire spirituelle sur le Diable. “Il advient parfois, ” dit Saint Jean le Carpathe, que le maître se livre au déshonneur, & subisse des épreuves pour le bien de ses disciples. “ Nous sommes sans honneur et méprisé, vous, vous êtes glorieux et forts en Christ”, écrit Paul aux Corinthiens. Saint Syméon le Théologien fut attaqué par ses propres moines, incités & excités à ce faire par le diable. Le Patriarche de l’époque, affecté par leurs calomnies, les condamna à l’exil, mais, sur la demande et les Prières du Saint revint sur sa décision, & se contenta de les disperser. Mais, en bon berger qu’était le Saint, ne pouvant souffrir de voir sa bergerie & son bercail vides, il se mit en quête de les retrouver tous, & leur fit parvenir ce qui était indispensable à leur vie et subsistance. Il s’en alla les trouver ensuite un à un, leur demandant pardon comme s’il les avait offensés. C’est ainsi qu’au bout d’un temps, il parvint à les rassembler tous dans son monastère. “ Reçois donc et écoute avec piété les instructions spirituelles & divines des Pères. Les Choses Spirituelles sont inaccessibles à ceux qui manquent d’expérience spirituelle”, dit Saint Macaire. La communication et communion du Saint Esprit, - c’est Esprit de Sainteté - , est octroyée en don à l’âme fidèle, puis sainte...C’est à celui qui a acquis l’expérience que sont sensiblement et tangiblement manifestés les trésors célestes de l’Esprit. Mais, celui qui n’est pas initié n’y peut absolument rien comprendre.” Or donc, nous apprennent encore les Saints Kalliste et Ignace ceci même : “ Ecoute donc avec piété ce que ton Père Saint te dit de ces Choses, jusqu’à ce que tu deviennes digne de les recevoir à ton tour. Tu verras alors, par les yeux expérimentés de l’âme, à quels biens supérieurs et à quels Divins Mystères les âmes des Vrais Chrétiens Orthodoxes peuvent dès ci-bas communier mystériquement...” (R.P.)Révérend Père Ambroise (Fontrier). FIN
1er juin 1917 - 14 janvier 1992 .
Tropaire de Saint Ambroise de Paris, de bienheureuse mémoire :
(Composé par Mgr Philarète, Métropolite de Paris.)
« Divin prédicateur, égal aux Apôtres, tu as confondu l'oecuménisme, et dans les Gaules tu as fait refleurir la foi orthodoxe. Par tes prières et ton ascèse, tu guéris les malades et tu les offres à la Trinité. Initiateur sacré, Pasteur dévoué, Père Saint Ambroise, prie le Christ Dieu de sauver nos âmes ».
Kondak de Saint Ambroise de Paris : « Nouvel Irénée, venu de Smyrne dans les Gaules, tu nourris de l'ambroisie de la foi les âmes desséchées par l'hérésie. Esclave du Christ, tu Le sers dans les larmes, éclairant les voies de la pénitence. Entré dans la joie de ton Maître, prie-Le de donner la paix au monde et à nos âmes Son infinie bonté. »
Tropaire de Père Patric et de Photinie la Lumineuse, composé par Mgr Philarète, Métropolite de Paris. (sur le modèle du Tropaire des Martyrs).
« Tes Martyrs, Seigneur, sont morts dans l'obéissance à Tes divins commandements, Ton prêtre pour ton troupeau, Ton lecteur pour ton service et Ta pure enfant pour la lumière du monde. Par leur prière, ô Christ Dieu, guide et sauve nos âmes ».
N.B. (Nota bene, note bien, en latin) : Ce livre est encore sur le bâti, inachevé. L'état du texte présenté ci-dessous, et publié sur le « Blog de Presbytéra Anna », est donc incomplet et provisoire, relativement à la version définitive qui y figurera, Dieu voulant, ultérieurement.
Avertissement au lecteur.
Fille spirituelle du Saint Père Ambroise de Paris, j'eusse dû attendre la veille de ma mort pour permettre la publication sur Internet du livre paraissant ci-dessous. De fait, cet ouvrage, qui fait beaucoup – trop - appel à ma vie privée – puisque ma vie fut profondément intriquée à celle de Père Ambroise quatorze ans durant -, ce livre, donc, pourra paraître à d'aucuns bouffi d'orgueil, de superbe et de vanité – cette « superbe, mère de l'ignorance », comme l'établissent les Saints Pères du Désert que peint Pallade en son Histoire Lausiaque. (Cf. Quatre ermites égyptiens, d'après les fragments coptes de l'Histoire Lausiaque, Au IV° siècle, Pambô, Macaire d'Egypte, Macaire d'Alexandrie, Evagre, Ed. de l'Abbaye de Bellefontaine, Spiritualité orientale, n° 60). De là que des clercs mêmes sont venus peu charitablement me dire que ma vie n'intéressait personne. Mais je crois humblement, quant à moi, pour avoir lu des récits de bouleversants témoignages écrits sur des Saints par leurs enfants spirituels, et qui mettent en scène leur vie personnelle, parfois de façon détaillée, voire intime – et je pense en particulier aux enfants spirituels du Père Arsène de Russie, déporté de longues années durant, et miraculeusement sorti vivant de ces camps de la mort, où l'on ne pouvait guère survivre tout au plus qu'un ou deux ans – cf Père Arsène, passeur de la foi, consolateur des âmes, Ed. Du Cerf, Coll. Le sel de la terre, pour le tome I, et, Père Arsène, Présence de Dieu au cœur de la souffrance, pour le tome II – je crois, donc, que ces précieux témoignages d'enfants spirituels sur leur Saint Père, peuvent apporter, aux âmes assoiffées du Christ et des Vies des Saints serviteurs de Dieu, quelque lumière joyeuse et quelque lueur d'espérance, en ce monde totalement déchristianisé, en proie aux ténèbres de l'ignorance, et soumis aux puissances des ténèbres de la grande apostasie de la fin des temps. ( cf Saint Paul, 2 Thess 2). Outre cela, aujourd'hui, à près de soixante ans bientôt, alors que j'entre dans le troisième âge de la vie, c'est à savoir la vieillesse, et que ma mort s'approche, je crains qu'il ne m'advienne quelque chose de fatal et que, de là, tous mes souvenirs touchant Papouli ne fussent perdus, évanouis en fumée. C'est pourquoi, bien qu'à contre coeur, je me résous à entreprendre l'écriture de ce livre, et à laisser à Mgr (Monseigneur) Photios le soin de sa publication sur la toile – sachant par ailleurs que nos livres sont prohibés par la censure exercée insidieusement par les tenants du « politiquement correct » et par l'oecuménisme triomphant, et, partant, par les éditeurs et les libraires, en sorte que nous ne pouvons plus guère nous exprimer que sur Internet. Sans vouloir aucunement me comparer au grand Jean-Jacques Rousseau – loin de moi cette creuse pensée d'insupportable vanité -, je n'ignore pas que le lectorat de cet auteur se gaussait qu'il se plaignît qu'il fût toujours persécuté. On le taxa de faire un complexe de persécution. Pareillement, les instances psychiatriques, lorsque je fus par quatre fois déportée à l'asile, inscrivirent dans leurs rapports d'expertise, tissus d'élucubrations, truffés de mensonges, que je faisais un délire de persécution. Mais lorsque Rousseau mourut, l'on s'aperçut qu'il était vrai qu'il avait été toute sa vie persécuté. De même, notre petite Eglise des Vrais Croyants Orthodoxes ( V.C.O.), Eglise Orthodoxe Française non-oecuméniste, est aujourd'hui persécutée en France, en Grèce, sur le Mont Athos, ( cf l'opuscule de Père Patric : Persécutions des moines du Mont Athos par le Patriarcat de Constantinople, publié par nos soins aux Editions de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème), et ailleurs dans le monde. Je prie humblement pour que ce modeste, humble, et naïf ouvrage contribue à faire partout cesser ces persécutions dont notre Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes est aujourd'hui durement victime sacrificielle. Enfin, je tiens à remercier ici tous ceux qui m'ont encouragée, malgré les critiques acerbes, à poursuivre l'écriture de ce livre à la mémoire du Saint Père Ambroise de Paris. A notre cher et regretté défunt Père Ambroise, endormi dans le Seigneur jusqu'à la Résurrection universelle, qui cependant nous voit du haut du Ciel et nous secourt incessamment de ses saintes prières, Mémoire éternelle ! VIE DU SAINT PERE AMBROISE DE PARIS. Le Père Ambroise ( Fontrier) de Paris fut à la fois un Starets, un Hésychaste et un Saint. L’on peut même dire qu’il fut un Starets parce qu’Hésychaste, et un Saint parce qu’Hésychaste et Starets. Il avait en effet réuni en lui les charismes du Staretsvo et ceux de l’Hésychasme vivant originel. Tel un Starets ou un Ancien – Géron, Géronda, en grec-, il recevait une foule de fidèles pour les confesser et les éclairer de ses conseils salutaires illuminés par le Saint Esprit. Et tel un Hésychaste du XIV°siècle, il possédait la Prière du Cœur, cette Prière incessante, ou perpétuelle, qui consiste à répéter sans cesse sur le souffle « Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi », - sur l’inspir, « Seigneur Jésus Christ », et sur l’expir, « aie pitié de moi » -, de même que la prière à la Toute Sainte : « Très Sainte Mère de Dieu sauve moi ». Cette Prière du Cœur, lorsqu’elle est devenue incessante, chez les Saints, mystérieusement « descend dans le cœur » purifié, en sorte que l ‘Hésychaste devient le tabernacle priant, le priant, du Seigneur. Père Ambroise avait, avec admiration, traduit du grec la Vie de Sainte Photinie l’ermite, - cf Joachim Spétsiéris, Sainte Photinie l'Ermite, Ed. L'Age d'Homme -, jeune fille du dix-neuvième siècle partie au désert de Palestine malgré son extrême jeunesse, comme une nouvelle Marie l’Egyptienne. « - Photinie, ne t’ennuies-tu pas au Désert ? » lui avait, avec étonnement, demandé celui qui l’y avait découverte, et qui avait écrit sa vie. « -Non, jamais, » avait-elle répondu. « Je m’entretiens avec mon Christ dans la prière de Jésus, et cela est délicieux. » Père Ambroise avait, lui aussi, goûté les délices de cette Prière du Cœur. « Que celui qui le veut, » écrit Saint Joseph l'Hésychaste dans sa lettre 55 – cf Joseph l'Hésychaste, Lettres spirituelles, Ed. L'Age d'Homme - « goûte à ce miel, qui deviendra en lui une source de joie et de délectation. » Devenu par la Prière un temple du Saint Esprit, il avait acquis tant de charismes extraordinaires que sa personnalité en avait été transformée et que toute sa personne était devenue charismatique. Dès l'abord, l'on dénotait en lui une très forte personnalité, une extrême vivacité, une intelligence extraordinaire, une volonté à toute épreuve. Il était tellement hors du commun qu'au premier abord il frappait autrui de manière inoubliable. Tout son être était totalement attachant. Qui le voyait pour la première fois en oubliait le monde et, brûlant de lui ressembler, se disposait à le suivre. Il remplissait l'église, et son zèle missionnaire et apostolique infatigable avait fait de lui, au dire de sa hiérarchie grecque et russe, un véritable Apôtre des Gaules. « D'innombrables Saints demeurent inconnus des hommes : Dieu seul les connaît,» écrit, dans sa préface au Prologue d'Ochrid, le Saint Evêque Nicolas Vélimirovitch. Le Royaume Céleste du Christ serait misérablement exigu s'il devait se réduire aux seuls saints dont les noms se trouvent dans notre calendrier. Dieu ne révèle pas au monde tous ses Saints, mais un tout petit nombre seulement, pour répondre aux besoins spirituels d'un temps ou d'un peuple donné. Par les miracles de ces quelques Saints manifestés, Dieu veut faire revivre, raffermir ou justifier la foi des hommes en divers lieux et en divers pays. » En vérité, oui, chaque Saint est comme une étoile dans le Ciel, au firmament de l'Eglise, et il est tant de ces innombrables étoiles que nous ne les connaissons pas même toutes. Mais, - comme l'écrit joliment Marcel Proust dans la Recherche du Temps perdu -, bien des années plus tard, ces astres nous envoient encore « leur rayon spécial. » « Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et qui bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont ils émanaient, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver meer, nous envoient leur rayon spécial .» Si l'auteur de la Recherche évoque, lui, en laïc, ces astres que sont les grands artistes inoubliables, il n'est pas faux de dire que les Saints sont les plus immenses artistes, puisqu'ils pratiquent l'art spirituel, que les Pères de l'Eglise nomment « la science des sciences et l'art des arts. » - C'est ce même grand Marcel Proust qui parle de « la charité universelle de l'artiste ». - Si donc Père Ambroise Fontrier reste encore inconnu du public, nous ne doutons pas que dans bien des années encore, celui qui pour ses enfants spirituels est d'ores et déjà Saint Ambroise de Paris ne cessera pas d'intercéder pour nous auprès de la Providence céleste, de nous entendre du haut du Ciel, de nous exaucer dans nos prières, et qu'il continuera, non pas des siècles après, mais, « dans les siècles des siècles », et jusque dans l'éternité, de nous envoyer, encore et toujours, son « rayon spécial ». Et nous espérons humblement que ces simples, naïves et modestes lignes contribueront à le faire connaître et à le faire placer par l'Eglise Orthodoxe dans la cohorte et dans le choeur des Saints du Ciel des cieux. L'immense hagiographe que fut le Saint Père Justin Popovic écrit, dans sa magnifique préface à ses admirables Vies des Saints, dont nous avons traduit la Vie de Saint Séraphim de Sarov – cf Blog de Presbytéra Anna, Père Justin Popovic, Vie de Saint Séraphim de Sarov- , le Père Justin, donc, écrit que « la vie des Saints n'est rien autre que la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, répétée et poursuivie en chaque Saint, dans une mesure plus ou moins grande. » Chaque vie de Saint est l'imitation de la vie de Jésus-Christ. Car la sanctification, écrivent les Pères, s'obtient à qui parvient à la mesure du Christ. Or Papouli était véritablement parvenu à la stature du Christ, comme nous espérons que ces simples pages pourront en témoigner et parvenir à établir cette réalité extraordinaire, et pour ainsi dire sublime, dont il avait réussi à faire la sienne. Papouli, dans ses cours de catéchèse, qu'il nous dispensait le soir dans son petit appartement, nous enseignait le retour à la pureté de l'âme originelle avant la chute, telle qu'elle était au Paradis. C'est cette pureté première de l'âme qu'enseignent tous les Pères de l'Eglise, et, de là, tous les Startsi. -( Pluriel de Starets) -. Aussi n 'est-il pas étonnant d'entendre le Starets Serbe Thaddée lui faire écho : – Cf Starets Thaddée. Paix et joie dans le Saint Esprit. Ed. L'Age d'Homme. Coll. Les grands Spirituels Orthodoxes du XXème siècle. - « Il nous faut revenir à l'état originel, être pur, doux, humble et bon afin d'être en union, dans l'amour, avec le Seigneur, car Dieu est amour. » Il est loisible d'opérer un rapprochement de ce texte avec celui, fameux, du très religieux Jean-Jacques Rousseau sur un mythe antique – l'on sait que l'immense auteur fut tour à tour catholique, protestant, puis de nouveau catholique –, lequel mythe est celui de la statue de Glaucus, que l'on ressort des eaux très altérée et couverte d'une épaisse couche d'algues, de limon et de coquillages, après qu'elle eût été immergée des siècles durant aux fond des mers. - cf Jean-Jacques Rousseau. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1754), Ed. Hatier. Coll. Classiques Hatier de la philosophie, 1999, pp. 17-19. - «Et comment l'homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l'a formé la nature, à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire dans sa constitution originelle, et de démêler ce qu'il tient de son propre fonds d'avec ce que les circonstances et ses progrès ont ajouté ou changé à son état primitif ? Semblable à la statue de Glaucus que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu'elle ressemblait moins à un dieu qu'à une bête féroce, l'âme humaine altérée au sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes, par l'acquisition d'une multitude de connaissances et d'erreurs, par les changements arrivés à la constitution des corps, et par le choc continuel des passions, a, pour ainsi dire, changé d'apparence au point d'être presque méconnaissable ; et l'on n'y retrouve plus, au lieu d'un être agissant toujours par des principes certains et invariables, au lieu de cette céleste – nous soulignons- et majestueuse simplicité dont son auteur l'avait empreinte que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner et de l'entendement en délire. (…) » Jean Starobinski, dans son beau livre La transparence et l'obstacle, montre combien cette obsession de la quête de la pureté originelle de l'âme, qu'il faut comme gratter et épurer pour en retrouver, par transparence, sous le voile, les traces initiales et édéniques, parcourt comme un fil rouge, - un fil d'or, pourrait-on mieux dire -, toute l'oeuvre, magistrale, de Rousseau. Malheureusement, ses idées théologiques n'en furent pas moins fausses et erronées, comme l'atteste sa lettre à l'Archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, où, contre les Pères de l'Eglise, il nie la réalité du péché originel. Lorsque nous rencontrâmes Père Ambroise, Patric (Ranson) et moi, qui n'avions alors qu'une vingtaine d'années, nous quittâmes tout pour le suivre. Curieusement, par un effet de la Providence, Patric et moi nous connaissions déjà de vue, nous étant aperçus tous les ans depuis trois années, changeant chaque année de lycée, et nous retrouvant, curieusement, toujours dans le même, en terminale au lycée La Bruyère à Versailles, en hypokhâgne au lycée Lakanal à Sceaux, puis en khâgne à Louis- Le- Grand à Paris. A Lakanal, nous avions, en la personne d'Emile Fantou, trouvé un maître. Je n'oublierai pas son premier regard bleu, qu'il me jeta lorsque j'entrai dans la salle, amenée, comme pour faire la connaissance d'un homme rare, d'un être d'exception, par un élève de Janson de Sailly, qui avait eu le parcours inverse du mien, ayant quitté Lakanal pour s'affranchir d'un excès de travail, car les cours de Monsieur Fantou demandaient, rien que pour la prise de notes, que l'on s'accrochât dur. Je lui fis part de mon désir de quitter l'hypokhâgne de Janson de Sailly, où je m'ennuyais ferme, pour venir assister à ses cours. Malheureusement, parce que j'avais eu de mauvaises notes en mathématiques et en physique au baccalauréat scientifique – je voulais alors entrer en médecine-, malgré un dix-sept en français et un seize en philosophie, mon dossier n'avait pas été accepté ailleurs qu'à Janson. Je vous garde ici, me dit-il. Je parlerai au proviseur. Le cours était le premier d'une éblouissante série. Devant un tel raffinement de sa pensée et de son expression, j'avais l'impression de pénétrer dans un salon du XVIIIème siècle. Moi qui m'étais jusqu'à présent ennuyée toute ma scolarité, même s'il m'était advenu d'obtenir jusqu'à des dix-huit ou même la note de vingt sur vingt en dissertation française, qui bondissais sur ma chaise et regardais avec envie par la fenêtre le soleil printanier irradier au dehors, étouffant dans les salles sans air, pour la première fois je ne m'ennuyais pas. J'étais passionnée. Nous sortîmes épuisés, des crampes à la main, tant il avait fallu écrire, et à si à vive allure. J'allais dès lors à tous ses cours, et bien que je ne fusse qu'en hypokhâgne, j'assistais aussi à ses cours de khâgne. Il m'apprit tout ce que je sais du peu que je sais en littérature. Il aimait beaucoup ses élèves. Il m'invitait à me promener avec lui dans les allées du jardin du Luxembourg. Mlle Pannier, me dit-il – c'était mon nom de jeune fille, qui dénotait, de par son étymologie, venue du mot « pain », que mes ancêtres comptaient outre des maçons, des boulangers pétrisseurs de pain, avant que de devenir médecins et chirurgiens de père en fils – votre travail est de premier ordre, absolument. Il faut que vous écriviez. Comment cela se pourrait-il, Monsieur Fantou ? Je n'ai rien à dire. Et, de fait, je n'avais alors, au vrai, aucune expérience encore de la vie. -« La vie t'apprendra ce que tu n'as pas pu apprendre jusqu'ici », me dit un jour sévèrement Papouli dans la confession-. Eh bien, répartit Monsieur Fantou, écrivez des romans d'amour pour les jeunes filles fleur bleue. Mais si j'eusse écrit, j'eusse rêvé quant à moi d'écrire un roman d'amour aussi sublime que les Lettres de la religieuse portugaise, attribué à Guilleragues, ami de Jean Racine, et dont il nous avait fait étudier les bouleversants accents d'une passion amoureuse nonpareille. Ce dont, bien entendu, j'eusse été totalement incapable. Aussi , je ne pensai plus, dès lors, à écrire. Monsieur Fantou, poursuivis-je en détournant la conversation, me léguerez-vous plutôt tous vos cours ? J'aimerais tant en être l'héritière ! Or c'était là l'oeuvre phénoménale d'un travailleur acharné, qui avait un don immense pour la littérature, dont il avait, aussi, fait pour nous une magistrale école de vie. Toute ma vie, j'ai beaucoup travaillé. Mais non, je ne peux pas. Ce ne sont que des notes. Il faudrait tout reprendre. On ne peut pas les publier telles quelles. La Providence pourtant – avait-elle entendu mes prières?- fit qu'à la mort de cet immense professeur, son épouse m'appela en m'annonçant que Monsieur Fantou me léguait ses cours et que les lourdes caisses qui les contenaient me parviendraient bientôt à domicile, par le biais d'un transporteur dont elle m'offrait généreusement les services. Mais c'est à l'église, où nous étions parvenus, amenés là par des amis communs d'hypokhâgne, que Patric et moi nous étions finalement retrouvés et véritablement rencontrés. Entrant pour la première fois dans l'église, j'y aperçus un vieillard impressionnant à la longue barbe blanche, qui se cachait derrière une colonne. C'était la première fois aussi que je voyais celui que l'on me désigna sous le nom de Papouli. Cette autre rencontre fut le début pour moi d'une existence nouvelle. Par la suite, venant aux offices, j'y pleurais sans cesse, derrière un pilier, du fait d’un pesant mal-être qui m’oppressait depuis des années d’adolescence de mal-aimée. J’avais eu des chagrins d’amour, un premier fiancé ayant rompu avec moi, parce que j’étais gravement malade, atteinte d’une maladie pulmonaire mortelle – une sarcoïdose pulmonaire dans sa forme sévère ( mortelle), autrement appelée un Besnier-Boeck-Schumann, du nom de ses trois découvreurs, communément dénommée BBS- et un second fiancé ne se résolvant pas au mariage. J’en avais perdu confiance en moi et, surtout, je me sentais abandonnée, comme en proie à la déréliction. Lorsque mon regard croisait le visage de Père Ambroise, j'étais étonnée de lui voir un aspect tellement iconographique. Papouli semblait tout droit sorti d'une icône de Saint. Il ressemblait, avec sa grand barbe blanche, son long visage, et ses yeux immensément cernés, à certains des Saints des fresques de Saint Théophane le Grec. Et bien que je ne connusse pas encore bien cet art byzantin, n’ayant pas encore appris l’iconographie, je compris aussitôt qu’il avait l’air d’une figure iconographique, d'une icône, non pas tant hiératique et majestueuse, comme celles que l’on peut voir, fresquées sur les murs des basiliques, mais entièrement vibrante de je ne savais quoi, ignorant encore ce qu’était la prière du cœur qui l’habitait tout. Alors me revinrent les calomnies que j’avais entendues sur lui, odieusement proférées par des personnes jalouses, auxquelles il faisait de l’ombre. « L'église de Père Ambroise ? N’y allez pas », m’avait-on dit, « n’allez pas le voir. C’est un moine rustre et mal dégrossi, un moine illettré, qui n’a pas fait d’études ». J’avais pour ma part fait des études – je venais d’entrer à l’Ecole Normale Supérieure-, et cela ne m’empêchait pas de bien voir qu’il avait l’air supérieurement intelligent, de cette intelligence donnée par Dieu, à quoi il ne se peut rien enlever ni ajouter, comme il nous l'expliquait plus tard, que l'on eût ou non des diplômes universitaires. Il avait surtout ce beau visage buriné aux yeux cernés par l’ascèse, les veilles, les jeûnes et les larmes. Et il avait eu aussi, tout de suite, ce si chaleureux sourire… Il m’avait demandé quel travail je faisais. Je lui avais dit vouloir faire une thèse sur la virginité et sur le mariage. « Ah ! »m’avait-il répondu, « voilà une jeune fille qui veut se marier ! ». Et voici comment j’épousai Patric, son fils spirituel chéri, dont il ferait Père Patric : « N'épouse pas un tel », m'avait mise en garde Papouli, me voyant pleurer derrière une colonne, à cause d'un amour malheureux. « Epouse plutôt Grandes Jambes. » Plus tard il m’avait confié : « J’avais prié le Seigneur d’envoyer une fiancée pour mon fils bien-aimé. Et voici qu’Il t’a envoyée ! Alors, je suis allé le voir et je lui ai dit : « Elle n’est pas mal du tout ! » Tout le monde, dans la rue, va m’envier ma belle-fille ! Oui, pourquoi n’épouserais-tu pas Grandes Jambes ? Je l'aime comme mon fils. » Et il me désigna ce jeune homme à la haute stature – il faisait un mètre quatre-vingt-treize – que j'avais déjà repéré depuis longtemps à sa haute silhouette, à sa gentillesse, à sa rare générosité, et à son amour extrême des petits enfants, qu'il faisait en riant tournoyer et virevolter gaiement, à bout de bras, tout autour de lui en des rondes allègres. La conversation de Patric était éblouissante. Non pas tant qu'il parlât comme un livre, mais qu'il restituait à qui voulait l'entendre des contenus livresques érudits, faisant oralement des recensions entières de livres qu'il venait de lire, et se montrant capable d'ouvrir un livre à la bonne page pour y trouver aussitôt, et du premier coup, la page ou la phrase qu'il recherchait, tant sa mémoire était éléphantesque. Au temps des fiançailles, nous restâmes des nuits entières devant un feu de cheminée à la campagne, lui à me parler, moi à l'écouter, médusée. La première fois que je me rendis dans sa chambrette, sous les toits de Paris, - qu'il partageait avec un ami cher, khâgneux à Henri IV, où ce dernier avait rencontré sa future presbytéra, aujourd'hui devenue professeure d'université, et qui devint par la suite, quant à lui, notre merveilleux Père Timothée, admirable maître iconographe, - je fus frappée de l'innombrable quantité de livres que l'on y trouvait de toutes parts. L'on marchait sur les incunables, ces précieux manuscrits de la Renaissance qu'il s'était acheté à force de privations. Son lit était entouré de tous côtés de rayonnages d'étagères, constituant une vaste et admirable bibliothèque. Infatigable lecteur, il lisait incessamment, jour et nuit, depuis l'âge de seize ans. Il ne sortait jamais sans un livre dans sa poche et lisait même en marchant. Moi qui, enfant battue, m'étais réfugiée toute mon enfance dans mes livres, enfermée dans ma chambre comme en une tour d'ivoire, dévorant les contes de fées et les collections enfantines, sans oublier La légende dorée – les vies des saints de l'Occident – de Jacques de Voragine, qui me faisaient rêver et me permettaient d'échapper à ma dure condition d'enfant mal-aimée de sa mère, je me retrouvai avec Patric en terrain d'entente : Nous avions une passion commune : les livres. Patric était d'une générosité à toute épreuve. Pauvre étudiant déchaussé, – sa mère, fort riche, ( successivement attachée de presse du peintre Georges Matthieu, puis commissaire d'exposition au grand Palais, elle collectionnait les toiles de peintres contemporains comme Matthieu ou Botéro, et, fort dépensière, vivait dans un luxe effréné, et dans un divertissement permanent), sa mère, donc, lui ayant coupé les vivres, il n'avait pu s'offrir que d'horribles chaussures en plastique jaune, trop petites pour lui et qui lui faisaient des pieds douloureux -, il donnait tout ce qu'il avait. Il me fit don de son café grec et de son tarama. Après quoi il ne lui restait rien pour subsister. Il avait le cœur sur la main. Plus tard, jeune prêtre désargenté, il nous mettait sur la paille pour envoyer de l'argent en Grèce, et payer les factures d'électricité des monastères trop pauvres pour assurer ces paiements eux-mêmes. Or, la générosité est une qualité fort rare. Mon cœur fut vivement touché par ce jeune homme extravagant et mal-aimé. Cette rencontre fut une révélation. Nous étions tellement sûrs de notre choix que nous décidâmes de nous marier dans les quinze jours. Cela fit scandale. Nos proches étaient furieux : « Cela ne nous laisse même pas le temps d'imprimer des faire-parts, de préparer un buffet ! Et puis l'on croira que tu es enceinte. » Mais cela ne nous importait nullement. « Eh bien nous irons au café après l'office, avec nos amis de l'église. » Mais Papouli voulait nous marier au baptistère de Giverny. C'était la maison de campagne du chef de choeur Jean-Joseph ( Bernard), qu'il avait transformé en baptistère, y ayant construit un profond bassin de pierres, pour y baptiser les adultes. - Car l'on baptise, chez les Orthodoxes, par triple immersion dans l'eau, et l'on rebaptise ceux qui n'ont pas été baptisés dans les règles. - « Nous ferons un grand mariage », s'enchanta Papouli. « Sur une pelouse. A la campagne ». De fait ce fut un beau couronnement, puisque l'office du mariage orthodoxe se nomme couronnement, que l'on pose une couronne sur la tête de chaque marié, et que l'on décrète l'époux couronné par l'épouse et l'épouse couronnée par l'époux. Lorsque nous sortîmes de chez moi, en plein marché, les maraîchers s'écrièrent : « Une mariée ! Une mariée ! » Comme nous passions devant des prunus en fleurs, Patric s'arrêta et cueillit une branche de fleurs roses et mauves qu'il piqua dans mes cheveux. Nous nous perdîmes en route, le chauffeur s'étant complètement trompé de chemin. Nous arrivâmes fort en retard, de deux ou trois heures peut-être sur l'heure prévue. Un ami de mon père, qui avait sept enfants, et qui était aveugle, car blessé de guerre, voulut savoir comment était la mariée. « Très belle, » lui répondit sa femme, « parce que rayonnante. Elle est fort jolie dans sa longue robe blanche, toute simple, sous son voile de tulle. Le marié a l’air d’un jeune premier ». « Ils auront de beaux enfants, ajouta Papouli, beaux comme les enfants du grand amour. »A part cet homme valeureux, qui, de par sa cécité avait eu une vie de martyre, et qui avait connu, lancinante et chaque jour répétée, la grande douleur, confiait-il, de n'avoir jamais pu voir les traits de ses enfants, il y avait près de cinq cents personnes que nous ne connaissions ni d'Eve ni d'Adam, et que, pour la plupart je n'avais pas revus depuis mon berceau. Certains invités s'éclipsèrent, profitant de cette occasion pour aller visiter la maison voisine, celle où Claude Monet avait peint ses toiles impressionnistes des nymphéas que Monsieur Fantou admirait tant. Papouli fit des prières pour que l'enceinte aux musiques psychadéliques d'un proche parent tombât en panne, ce qui ne manqua pas d'arriver sur-le-champ. Nous en fûmes alors réduits à courir sur la pelouse et à jouer à la chandelle. Père Ambroise nous avait offert notre plus beau cadeau de mariage, une icône qu'il avait peinte de ses mains, et qui lui donna beaucoup de soucis, puisque la veille, durant la nuit, le vernis craquela et qu'il dût, touchant la pose du vernis, tout recommencer à zéro. Mais le résultat obtenu était magnifique, et son bonheur à nous la donner n'était pas moindre que notre joie à la recevoir. « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir », enseigne le précepte des Actes des Apôtres. ( Actes, 20-35). Papouli nous maria, fit mon époux – bien qu'il fût très jeune alors - sous-diacre, diacre, prêtre, - ( l'ordination de Père Patric à la prêtrise eut lieu en juillet 1983) - puis, des années plus tard archiprêtre -, et nous vînmes nous installer auprès de lui, à Levallois-Perret, en un immeuble sis à quelque distance du sien, - il habitait une bâtisse décrépite au 18 de la rue Collange, et nous habitions au 16, un immeuble d'un standing quelque peu supérieur, quasiment en bas de chez lui, puis qu' il habitait un quatrième étage sans ascenseur – ce qui constituait une rude ascèse pour lui, lorsque gravement asthmatique, dans son vieil âge, il y montait ses courses - et nous en rez-de-chaussée, comme à ses pieds, au sens, quasiment où Marie, dans l'Evangile de Marthe et Marie (Luc 10, 38-42), s'était assise aux pieds du Christ pour l'écouter. Quatorze années durant, jusqu'à sa dormition, nous vécûmes ainsi près de lui. Cette expérience inoubliable fut pour nous toute une école de vie. Elle infléchit le cours de nos existences, nous marqua à vie de manière indélébile, donna un sens à notre vie, un but et comme une destinée. Cette finalité de l'existence était énoncée par le grand Apôtre Paul, et consistait à courir au Salut en menant le bon combat. Nous regardions vivre Papouli, et nous voyions à travers lui que, comme l'écrit l'auteur de la Vie du Starets Thaddée, « les Saints en vivant les saints mystères et la sainte ascèse de l'Eglise cherchent.. dans leur quête ascétique du royaume de Dieu... à se purifier et à s'élever, à se sauver, et à adorer le Christ. » C'est sur cette voie étroite et difficile qu'il engageait ses enfants spirituels à le suivre. Il se défendait pourtant humblement de toute idée d'élévation personnelle. « Lorsque j'étais jeune moine à Martigues, je m'étais éloigné dans la rase campagne pour y vivre dans un bunker une ascèse plus haute. J'en conçus un jour de l'orgueil. « Je m'élève, songeai-je à part moi. » Car il brûlait, comme les plus grands Saints, de s'élever vers les mystères de la contemplation, tout ainsi que l'on chante dans les Anavathmi de l'office des vêpres le samedi soir à l'église : « Dans la solitude du désert, le désir de Dieu devient naturel et ininterrompu. Les solitaires du désert s'élèvent vers les Mystères de la monade Trinité. » « Ce fut à ce moment même, » poursuivit-il, « que je tombai dans un trou si profond que j'eus du mal à m'en extraire. « Dieu me montre par là que je m'enorgueillis, » en inféra-t-il alors. Et il quitta derechef son bunker pour retourner à sa paroisse grecque de Martigues, dont il était le jeune desservant. La douceur de Papouli était immense, mais sa fermeté ne l'était pas moins. Par l'effet d'une alchimie merveilleuse, étrange, subtile et prodigieuse, il y avait en lui le déconcertant mélange de l'agneau et du lion. Sans doute était-ce là un autre mixte allégorique, un autre sphynx, une autre chimère pareille à ces mystérieuse figures de l'Antiquité, que ne sont pas sans rappeler ce curieux mélange proposé par l'Evangile qui nous propose de devenir cette nouvelle créature étrangement composée de la colombe et du serpent tout ensemble. - (cf : La colombe et le serpent : Mat, 10, 16 )-. Son air austère et sévère parfois nous en imposait. Il advenait même que nous eussions presque peur de ce qu'il penserait de nous si nous péchions. Et cette crainte nous poursuivait à distance, nous gardant de mal faire. Mais cette autorité naturelle se doublait de majesté lorsqu'il revêtait à l'église son long voile monastique. Comme il était beau alors ! Avec sa longue barbe blanche et ce voile magnifique, l'on eût dit un Saint vivant, tout juste sorti d'une icône. Il avait l'air imposant et majestueux d'un autre Saint Nectaire d'Egine. Certains de ses enfants spirituels, qui avaient bien pressenti en lui sa sainteté, lui vouaient, lors, une vénération sans bornes. De là qu'on lui obéissait naturellement. « Deviens Saint, » écrit Saint Isaac le Syrien, dans ses Oeuvres spirituelles, et les êtres obéiront jusqu'au moindre de tes clignements de cils. » Un Saint n'a pas besoin d'enjoindre ni de donner des ordres pour être entendu. Mais plus que son autorité naturelle, ce qui, au premier abord, frappait le plus en Père Ambroise, était son extraordinaire chaleur humaine. Autour de lui venaient se réfugier sous ses ailes paternelles beaucoup de jeunes gens blessés par la vie, mal-aimés par leur famille, qui se sentaient pour ainsi dire perdus dans l'existence, et qui en avaient intensément souffert de longues années durant, tant dans leur enfance que dans leur adolescence ; – c'est ainsi que Père Patric, fils naturel d'un grand philosophe de la Sorbonne, dont il ne partageait toutefois pas les idées politiques, avait beaucoup souffert d'avoir été rejeté par ce père biologique ; une autre des filles spirituelles de Papouli souffrait vivement des séquelles douloureuses qu'avait laissées sur son psychisme dévasté un viol ; une autre avait, dans son enfance, était victime d'un inceste ; une autre encore, jeune mère, avait définitivement perdu la garde de son bébé, qui fut ensuite, de longues années durant, jusqu'à ses dix-huit ans, élevé loin d'elle ; de plus ces jeunes gens étaient parfois sans diplômes, sans métier, n'ayant pour toute subsistance que de fort précaires ressources ; – des jeunes gens blessés par la vie, donc, s'étaient rassemblés autour de lui, et avaient trouvé en lui un immense amour que leurs propres parents n'avaient jamais su leur prodiguer. Oui, au dire de tous, cette chaleur qui émanait de lui était véritablement extraordinaire. Jamais les âmes qui accouraient à lui pour y puiser réconfort et consolation n'en avaient rencontré l'équivalent ailleurs. Il faisait des prières pour que ces jeunes gens s'en sortent dans la vie, pour qu'ils retrouvent équilibre et bien-être psychique, pour qu'ils puissent s'insérer dans la société. Par ses prières, un jeune homme au regard de feu, d'origine juive, qui s'était converti au Christianisme Orthodoxe, devint berger. Il l'avait fait moine. Ce jeune moine, Père Moïse, menait une ascèse extraordinaire. Il me souvient qu'il dormait sur un petit canapé trop court et inconfortable , les jambes repliées, pour faire l'ascèse difficile de ne pouvoir déplier ses jambes à leur aise. Papouli avait prié aussi pour que Père Patric eût une situation. Lorsque je l'avais épousé, il n'en avait aucune, et cela avait fait scandale aux yeux de ma famille, qui était très bourgeoise. « Elle épouse n'importe qui ! Quelqu'un qui n'a même pas de situation ! » se téléphonaient-ils. Et ils s'étaient dès lors répandus en calomnies contre lui. Ma grand-mère paternelle , qui était fort riche – elle avait hérité de trois immeubles dans Paris- , et fort avaricieuse, ne pouvait accepter ce fait. De là que, pleine d'inimitié contre lui, elle avait propagé la fausse nouvelle que Père Patric me battait. Deux ans après mon mariage, j'attendis mon premier enfant. Cet enfant avait tardé à venir, et Papouli avait prié pour sa venue. Mais Père Patric n'avait toujours pas de métier et nous n'avions que mon salaire d'élève de l'Ecole pour vivre. Il était urgent que la situation s'arrangeât, d'autant que ma grand-mère paternelle, de plus en plus hostile à l'Orthodoxie nous chassait à présent de l'appartement que nous occupions dans un de ses immeubles, prétextant qu'elle voulait y faire des travaux, et, surtout, détruire notre coin à icônes pour y mettre une penderie. Comble de difficultés, Père Patric dût partir pour faire son service militaire. Il souffrit à l'armée, y pleurait de froid, y connut l'ennui, s'indigna de la parfaite imbécillité des tests de quotient intellectuel (QI), qui avaient établi qu 'il était quasiment demeuré mental. Par bonheur, il fut réformé, au grand dam de mon grand-père paternel, qui était colonel des armées, et qui eût été fait général s'il n'en eût pas démissionné. Il faut dire que Papouli avait fait des prières pour que Patric pût rentrer au plus tôt dans son foyer afin de préparer son agrégation de philosophie. Père Patric rentra de l'armée en janvier. Le concours avait lieu fin mars. Certes, Patric était un esprit d'une intelligence supérieure. Plus tard, lorsque son grand professeur de Sorbonne, Pierre Magnard, l'incita à se présenter comme chercheur au concours d'entrée au CNRS, il écrivit aux autorités compétentes une lettre de recommandation particulièrement élogieuse envers Patric, qu'il lui communiqua ensuite : « Patric Ranson », y écrivait Monsieur Pierre Magnard, « est un grand esprit, le plus grand peut-être de sa génération. ». Plus tard, le même Monsieur Magnard me confiait : « Votre Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, c'est le nouveau Port-Royal. » Mais à cette époque de jeunesse, il était pratiquement impensable, impossible même, que Patric pût être prêt à concourir à l'agrégation de philosophie en un laps de temps si court. Père Ambroise, alors, multiplia les jeûnes et les prosternations. « Je m'use les genoux pour que tu y arrives, » nous confia-t-il épuisé. « Je prie pour que le jury entende de ta bouche ce qu'il lui plaira d'entendre. » Enfin, -nouveau miracle -, le président François Mitterrand rajouta à la liste initiale, extrêmement réduite et si hautement sélective des agrégés de philosophie, une liste supplémentaire. Ce fut sur cette liste que, par bonheur pour nous, apparut le nom de Patric. Papouli était fou de joie. Papouli dispensait aussi une joie merveilleuse. Il irradiait en permanence autour de lui cette joie spirituelle, semblable à celle que les apparitions des saints laissent au cœur de ceux qu'ils visitent, -signe distinctif à quoi l'on reconnaît qu'il s'agit de véritables apparitions célestes : une joie ineffable et sans pareille. Même aux heures les plus sombres de sa vie, lorsque lui-même était quasiment en proie à des épisodes dépressifs, il savait l'art altruiste de continuer à dispenser cette joie spirituelle autour de lui. Une phrase du fondateur de l'hypnose ericksonienne, quoiqu'il fût laïc, pourrait bien illustrer cette attitude aimante et radieuse : « La vie par elle-même te réservera des afflictions. Mais ta mission est de dispenser de la joie. » Souvent, le soir, Père Ambroise invitait tour à tour ses fidèles à dîner. Même en carême il faisait une cuisine extraordinaire. Il était un cuisinier hors pair. Pourtant, lorsqu'on le complimentait et le félicitait de son excellente cuisine, si succulente, lui, modeste, protestait : « Mais non ! Je n’arrive pas à la cheville de ma mère, qui pourtant mangeait très très peu ! Elle avait coutume de répéter : « N’attends pas d’avoir faim pour te mettre à cuisiner ! » Et sa cuisine était tellement propre ! Le sol brillait comme un miroir ! On aurait pu manger par terre, et se mirer dans le poli de ses casseroles ! Et elle nous faisait de si excellentes choses ! » Les repas chez Papouli semblaient aux fidèles, chaque fois, une fête. Tant Père Ambroise lui-même que sa cuisine leur mettait la joie au cœur. Papouli avait des moments si gais qu'il aurait presque pu passer pour un pitre ou pour un clown. Il racontait à merveille des kyrielles d'histoires drôles. Nul n'eût songé à se choquer de tels instants d'hilarité. « Les moines et les moniales des monastères sont très austères. Certains higoumènes disent qu'il ne faut jamais rire. Mais nous sommes dans le monde. Saint Antoine, le père des moines du désert faisait jouer ses moines à la balle, de peur que l'excès d'austérité ne les brisât. » Mais il était quant à lui très austère, très sévère, et très exigeant avec lui-même. Lorsque l'on arrivait pour dîner chez lui le soir, l'on voyait ses mains trembler de l'excès du jeûne qu'il s'était imposé le jour. Pourtant, s'il pratiquait la rigueur avec lui-même, il nous appliquait à nous « l'économie. » Il arrivait qu'un soir de jeûne il nous servît de la viande. « C'est le soir », disait-il, « il est tard. Vous pouvez rompre le jeûne. Les Saints, pour atteindre les cimes spirituelles, se mettent dans des états extrêmes ; mais ils sont dans des grottes, dans l'hésychia absolue. Ils n'ont pas de travail. Certains font un petit quelque chose pour lutter contre l'acédie. Les parfaits, quant à eux, comme dit Saint Isaac le Syrien, ne font rien. Rien que de la prière. Mais, pour nous, qui sommes dans le monde, ces états sont inaccessibles. C'est comme de vouloir courir après la lune ».… Le Saint Père Ambroise (Fontrier) de Paris naquit le 1er juin 1917 à Smyrne, en Asie Mineure, dans l’actuelle Turquie. Il fut prénommé Achille, en l’honneur d'Homère. Ce ne fut que lors de sa tonsure monastique qu’il reçut le prénom d’Ambroise et le patronage illustre de Saint Ambroise de Milan, qui illumina l’Occident avant que son disciple Augustin d’Hippone n’introduisît des déviances dans la théologie orthodoxe, ce qui entraîna des conséquences désastreuses, néfastes et délétères pour la religion de l’Occident, laquelle sombra dans l’obscurantisme et la sinistrose augustinienne. Père Ambroise décrivait sa grand-mère Argyro comme une sainte, qu’il connut lorsqu’elle était déjà âgée, et qu’elle retrouva sa trace et celle de ses parents après les massacres d’Asie Mineure. Argyro avait eu dix enfants, et perdu la trace de sept d’entre eux, lors de ces mêmes massacres. Elle en avait néanmoins retrouvé trois, à Marseille, où avaient échoué les pauvres parents de son petit-fils Achille, et dans l’île de Lesbos, où Père Ambroise retrouva plus tard une cousine devenue moniale, laquelle avait construit de ses mains tout son ermitage et son petit monastère. Cette sainte grand-mère était venue à trois reprises les visiter, ses parents et lui, à Marseille, et l’avait grandement édifié par l’exemple de sa sainte vie, d’une piété exemplaire. Il l’avait vue prier debout devant lui, réciter psaumes et prières, et elle lui avait parlé de la prière du cœur, qui consiste à répéter sur l’inspir » Seigneur Jésus Christ » et sur l’expir « aie pitié de moi », ainsi que, de la même façon, « Très Sainte Mère de Dieu, Sauve-moi », prière incessante qu’elle abrégeait de la sorte : « Christouli mou – mon petit Christ- aie pitié », et « Manoula mou – ma petite Maman- sauve-moi ». Cet exemple d’une femme sanctifiée, au visage douloureux de Piéta, jeta dans l’âme tendre du petit Achille – ainsi l'avait nommé, en souvenir du glorieux héros de l'Iliade d'Homère, sa mère pétrie de culture et d'humanités grecques- les premiers fondements d’une Foi Orthodoxe inébranlable, et demeura pour lui un lumineux souvenir qui devait l’accompagner toute sa vie. Jusqu’à sa mort, il ne s’était pas séparé de l’unique photographie de cette femme impressionnante de douloureuse gravité, si noble sous son long voile noir de moniale dans le monde. Les massacres d’Asie Mineure, en 1921, sonnèrent le glas de milliers de victimes, et, pour la famille d’Achille, l’heure de l’exil. Ils eussent dû sonner celle de leur mort aussi bien, mais la Providence les en sauva miraculeusement, sans doute pour ce que le jeune Achille allait devenir un réceptacle de la Grâce divine, et accomplir en France une œuvre immense d’apostolat et de transmission missionnaire de la Foi Orthodoxe. Jusqu’alors, en Turquie, en tant que Chrétiens Orthodoxes Grecs d’Asie Mineure, ils avaient vécu pauvrement, mais dignement. Ils avaient même été heureux. Son père Basile parvenait, quoique difficilement, à faire vivre ses quatre enfants, - deux fils, Achille et Antoine, une fille, Christine, et une autre petite fille, Marie, demeurée infirme depuis que quelqu’un l’avait fait tomber d'une certaine hauteur. Basile était très sévère avec ses enfants, et aimait jalousement sa femme. Kyriakoula – la petite du Seigneur- ( c’était le nom de sa Maman) avait un beau jour trouvé de quoi poser devant l’objectif d’un des premiers photographes Smyrniotes. La photographie prise alors la fait apparaître sous les traits d'une belle jeune femme grave et sérieuse, en robe de dentelle blanche, avec, dans les bras, son gros poupon d’Achille, âgé de six mois alors. Nous avons toujours connu Père Ambroise avec ces deux photographies, dont il ne se séparait pas, et qui trônaient sur son étagère, dans son si modeste logement, - la photographie de sa grand-mère, Argyro, et celle de sa Maman, Kyriakoula. Il vouait à ces deux femmes, qu’étaient sa grand-mère et sa mère, une immense affection, une gratitude immense, et faisait monter maintes prières pour le salut de leur âme. Par là, nous commencions de comprendre ce qu’était la transmission de la Foi et de la Tradition. « Elles m’ont transmis ce que je sais, et ce que j’ai de plus précieux », témoignait-il, avec une immense gratitude à leur égard. Une nuit, une amie Turque de sa mère était venue frapper à la fenêtre, pour les réveiller dans l’urgence : « Vite ! Kyriakoula ! Sauvez-vous ! Vite ! Les Turcs arrivent ! Ils tuent, ils massacrent tous les Chrétiens ». Toute la famille grecque était sortie en hâte. En pleine nuit, parents et enfants avaient couru, jonchant la masse de cadavres de tous ceux qui avaient déjà été massacrés quelques instants plus tôt. Peu après, dans la foule des fuyards, le petit Achille avait perdu sa Maman. « Mama mou, mama mou, Kyriakoula ! » criait-il affolé. Il avait cru la perdre pour toujours. Il n’avait que cinq ans alors, mais ce souvenir allait s’avérer un traumatisme violent qu’il n’oublierait plus, de sa vie entière. Par la suite, il en avait cauchemardé souvent ; et, aux heures sombres, cet événement tragique était venu l’assaillir, en sorte qu’il avait été, maintes et maintes fois, en proie à des peurs injustifiées ; de là qu’il appréhendait nombre de situations inédites. Enfin, il avait retrouvé sa maman. Quel bonheur dans ce malheur extrême ! Son père avait réussi à passer, forçant les barrages des Turcs, grâce au passeport qu’il brandissait au-dessus de sa tête : » Français ! Français », criait-il en Turc, « nous sommes Français, laissez-nous passer ! » Et le miracle se produisait : Au vu de leurs papiers, les ennemis déchaînés les laissèrent passer. De fait, l’un de leurs ancêtres était Français, leur ayant légué son nom de « Fontrier », ce qui fait que les Turcs, ignorant qu’ils étaient Grecs, crurent qu'ils étaient Français. Ils étaient maintenant parvenus jusqu’au port, en marchant sur des milliers de cadavres. Là, le spectacle était non moins atroce. Les fuyards s’accrochaient aux bateaux bondés pour tâcher d’embarquer. Ils s’agrippaient au rebord des navires, de leurs mains que les Turcs coupaient aussitôt, en sorte qu’ils tombassent à l’eau. Mais, là, nouveau miracle, l’on avait laissé embarquer les Fontrier. La traversée avait été terrible. Les migrants mouraient de faim et de déshydratation. Le petit frère d’Achille, Antoine, dépérissait. Bébé encore, il s’affaiblissait à l’excès d’inanition. « Jette-le à l’eau ! » avait-on crié à sa pauvre mère. « Tu vois bien qu’il va mourir ! ». Basile, son père, avait fini par trouver un morceau de pain, qu’il lui avait fait déglutir. L’enfant avait repris vie. « Il est seulement affamé », avait conclu un médecin d’entre les passagers. Ceux-ci avaient fini par arriver à Marseille. Mais là, nouvelles difficultés : Les autorités ne voulaient pas accueillir ces ressortissants Grecs. On les fit longtemps attendre à quai, dans les pires conditions, puis on les redirigea vers la Grèce. Une nouvelle traversée suivit la première, guère moins difficile, et des plus pénibles. En Grèce, les réfugiés d’Asie Mineure vivaient dans des conditions misérables, sur la plage du Pirée, souvent, dans des campements de fortune. Le Géronda et Starets Saint Jérôme d’Egine, plus tard, venait souvent les visiter, eux et leurs descendants, qui demeurèrent parqués là, bien des années durant. Enfin, quelque temps après, Basile, le père d’Achille, obtint l’autorisation de s’embarquer pour la France, espérant y trouver une vie moins pénible. La famille débarqua à Marseille. Ce fut là, des années durant, que le petit Achille passa son enfance, et grandit dans des conditions misérables. Son père travaillait à l’usine. Il peinait grandement à faire vivre sa famille. Achille n’ avait pas même un lit où dormir. Il passait la nuit sur un simple tas de paille, qui n’eût pu mériter le nom de paillasse. Quelques années plus tard - il était alors âgé de douze ans- l’on vint un matin le chercher à l’école : « Ton père est mort, lui dit-on laconiquement. Tu dois dès maintenant quitter l’école pour venir le remplacer à l’usine. » Et c’est ainsi que Basile ne put obtenir que son certificat d’études. Mais il était supérieurement intelligent. Toute sa vie, il serait autodidacte. Et, jeune homme, monté à Paris, il assisterait à bien des heures de cours de philosophie dispensés à la Sorbonne. Du fait de son manque de diplômes, ses ennemis diraient méchamment de lui : « N'allez pas le voir. C’est un moine illettré ». Mais ceux qui l’approchaient sans a priori étaient charmés de sa brillante intelligence, de son esprit si vif, et demeuraient éblouis de sa science théologique, qui confinait à une très grande érudition, qu’aucun des spécialistes de patristique ne possédait alors à l’Université. Voici pourquoi le jeune Achille était devenu moine. Envoyé à la guerre, il avait fait le vœu au Seigneur et à la Mère de Dieu de se faire moine s'ils lui laissaient la vie sauve. Dès lors, il n'éprouvait plus de peur. Il se fit sans crainte envoyer au front, échappant par miracle aux tirs nourris des balles et des obus. « Ceux qui avaient été timorés étaient restés à l'arrière », nous raconta-t-il. « Ils furent faits prisonniers, et demeurèrent de longues années déportés en camps. » A son retour, donc, dans sa grande gratitude à Dieu, il se fit moine. « Faites des vœux, et accomplissez les », dit le Psaume (Ps. LXXV, 12). Toute sa vie fut une œuvre d’apostolat : Apôtre infatigable de la Foi Orthodoxe, il passait des journées entières à traduire en français les textes liturgiques, ecclésiastiques, théologiques et patristiques grecs byzantins, pour faire connaître l’Eglise Orthodoxe aux Français et créer pour la première fois dans l'histoire de l'Eglise une Orthodoxie française, transmettant à l'Occident la longue Tradition des Chrétiens Orthodoxes d'Orient. Oui, créer une Orthodoxie française ce fut sans doute là son souhait le plus cher de missionnaire qui consacra sa vie entière à son apostolat. Lorsque la seconde guerre mondiale arriva, il fit cette prière au Seigneur, s’il avait la vie sauve, qu’il promettait de se faire moine. Sans crainte, il partit donc pour le front en première ligne. « Ceux qui avaient eu peur, et qui, par lâcheté, étaient restés à l’arrière, les réservistes, » nous raconta-t-il plus tard, « furent faits prisonniers, et restèrent longtemps parqués dans des camps. Nous fûmes, nous, libérés plus vite qu'eux ». N’ayant pas craint de mourir, ayant mis toute sa confiance en Dieu, il avait eu la vie sauve. Et, de retour chez lui, ayant tenu sa promesse au Seigneur et accomplissant son vœu, il s’était fait moine. Jeune moine, il avait eu une paroisse à Martigues, près de Marseille. Mais il avait rapidement été dégoûté du phyléthisme de paroissiens étrangers qui, au lieu de chercher à s’intégrer dans le pays qui les accueillait, et où ils travaillaient, transformaient l’église en centre culturel de leur pays d’origine, refusaient de célébrer en français, et ne pensaient qu’à entendre leur langue et leurs tons musicaux d’origine, ainsi que débattre politique royaliste ou autre. Ce n’était pas ce que cherchait le jeune Père Ambroise, qui refusait le philéthisme et voulait une Orthodoxie française pour convertir les Français à l’Orthodoxie, ou plus exactement les ramener à leur religion d’origine, celle qui avait fleuri en terre gallo-romaine, où le sang des Martyrs de Lyon et d’ailleurs avait abreuvé la terre de France, et nourri secrètement de son saint phlegme le sang coulant dans les veines de l’occupant romain, puis franc. Insatisfait de ses relations avec les paroissiens grecs, le jeune Père Ambroise monta à Paris, et résolut d’y trouver une paroisse française. Il tomba sur la paroisse de l’ECOF ( Eglise catholique orthodoxe française) dont l’absence de rectitude théologique et dogmatique ne le satisfit pas non plus. Il quitta Mgr Evgraph Kovalevski, et abandonna sa liturgie, dite « liturgie selon le rite des Gaules ». Père Ambroise, alors, s’intégra un temps aux russes, mais là aussi, se heurta, comme avec les Grecs ou les Roumains, à leur politique tsariste, à leur philéthisme invétéré, et à leur œcuménisme outrancier. Or, en vérité, les oecuménistes avaient notre Eglise en haine. Père Ambroise, lui, ne cherchait pas à devenir catholique, sous l’emprise de l’impérialisme fédérateur de Rome. Orthodoxe il était, et Orthodoxe résistant il resterait. Il demeura longtemps dans une situation de précarité qui confinait à la misère, faisant n’importe quel petit travail pour subsister, du plus modeste au plus noble, tour à tour ouvreur de cinéma, figurant d’opéra, iconographe, théologien conférencier orthodoxe... Habitué dès l’enfance à avoir manqué de tout, il se satisfaisait de sa condition. N’avait-il pas, enfant, pris l’habitude d’aller à pied, pour rapporter à sa pauvre Maman, Kyriakoula, l’argent du ticket de tramway ? Plus tard, lorsque passionné de musique, il avait voulu en écouter, ne s’était-il pas façonné lui-même un amplificateur et un tourne-disque, que son frère, à son grand désespoir, avait finalement cassé ? Lorsque, brûlant de devenir un grand pianiste, ses parents n’avaient pu lui offrir de cours de piano, ne s’était-il pas contenté d’être auditeur libre à des leçons de conservatoire, puis à des master-classes, et de jouer sur un piano du conservatoire ? Il serait sans doute, du reste, devenu un grand pianiste s’il ne s’était pas, gravement, blessé au doigt. « Je voulais devenir pianiste, » disait-il, « mais Dieu en a décidé autrement. Il a voulu que je devinsse moine. » Mais la musique était toujours restée sa consolation. Lorsqu’il était trop triste, il écoutait les concerts radiophoniques. Chopin lui arrachait des larmes. « J’ai le cœur en bandoulière », confiait-il, signifiant par là qu’il était un lyrique et un romantique, contrarié par les efforts laborieux de l’ascèse virile. « Lorsque je n'ai pas le moral », confiait-il, « j'écoute de la musique, même profane, et je pleure. Il regrettait une chose : « Dieu ne m’a pas donné de monastère. Il n’a pas voulu que j’en fasse un, bien que l’on m’ait ordonné archimandrite, c’est-à-dire higoumène de monastère… » Mais il se consolait vite : « L’on doit beaucoup s’ennuyer dans les monastères…. Dans certains monastères aussi, en matière d’ascèse, les moines ne forcent plus sur rien, ni sur le jeûne ni sur la veille…Et puis il y a des personnes qui font quarante ans de monastère et qui ne comprennent rien au monachisme ni à la vie angélique. Nous pouvons aussi être sauvés dans le monde… ». Sur le moment, cette déclaration pouvait sembler intempestive, péremptoire, hâtive, osée même. Mais, plus tard, pélerinant dans bien des monastères avec Papouli, nous comprîmes mieux, à voir les divers exemples d'évêques, de clercs, de moniales ou de moines, tombés dans l'orgueil, qu'il nous y désignait, que certains de ces êtres prétendument voués à Dieu se croyaient purs et sans péchés, et qu'ils nous jugeaient durement, du haut de leur innocence prétendue. Plus tard, lorsque je péchai contre les canons de l'Eglise en épousant en secondes noces un Evêque, j'appris que des moniales, en Grèce, pourtant réputées saintes, faisaient des prières pour que je meure ! Curieuse conception de la prière et de la sainteté! D'autres moniales encore, lorsque je m'aventurai à nouveau sur leurs terres, en Grèce, m'accablèrent d'injures, et me chassèrent à coups de pierres de la clôture de leur monastère. Curieuse interprétation explicative, étrange exégèse herméneutique, là encore, de l'accueil évangélique de l'étranger - cet accueil de l'étranger sur lequel les Ecritures, pourtant, insistent tant ;- (Deut 10, 19) ; (Lév 19, 34) ; (Ex 22, 21) ; ( Jér 22, 3) ; ( Mat 5, 47) ; ( Rom 15, 7) - , ou des non moins évangéliques paroles de douceur et de miséricorde du Christ envers un frère pécheur ou une sœur pécheresse. Le Christ ne mangeait-il pas à la table des pécheurs ? - (Mat 9, 10-11) ; ( Marc 2,15-16) ; (Luc 5, 29-30) ; - « L'Abba Sarmate a dit », rapportent les Gérondika – Recueil de sentences, d'Apophtegmes des Pères du Désert -, « je préfère un homme qui a commis un péché mais qui le reconnaît et en fait pénitence, à celui qui n'ayant pas péché comme l'autre, se croit juste et innocent. » La première fois que je vis Papouli, ce qui me frappa le plus fut son immense chaleur humaine. Il avait en lui, pour son Christ et son Dieu, un feu si dévorant, que celui-ci transparaissait encore au-dehors, s’exprimant par une flamme extérieure, dont il enveloppait tous ceux qui l’approchaient. Jamais, je ne m’étais sentie par quiconque aimée au point où, d’emblée, il m’avait réchauffée de son amour spirituel. Ni père, ni mère, ni fiancé, jamais, ne m’avait prodigué ce feu. Cela créait au cœur une impression extraordinaire, d’autant que l’on sentait en lui une personnalité extrêmement forte. Aussitôt que je l’avais approché, j’avais ressenti que je n’avais rencontré au monde nul être pareil à lui. Et non seulement, il était unique, mais, après lui, nul ne se pouvait comparer à lui. Il paraissait désormais la seule personne véritablement authentique que l’on puisse connaître, de sorte que tous les autres, à les lui comparer, paraissaient faux et inauthentiques. De là venait que vous prenait aussitôt l’envie de lui ressembler. Il avait donc ramassé, si l’on peut dire, des enfants spirituels souffrants, qui avaient, dès l’enfance, été délaissés par leurs parents, et qui s’éprouvaient comme des mal-aimés. Et il leur avait dispensé plus d’amour qu’un père, qu’une mère, et qu’un aimé ensemble. Ce sentiment si extraordinaire d’être ainsi aimé par lui, nous ne l’avions jamais éprouvé auparavant. Désormais, sa personne nous devenait ce que nous avions de plus cher, de plus précieux au monde. Sans rien en dire, et ne voulant qu’il y parût, Père Ambroise était très ascétique. Jeune, il était filiforme, ce qui révélait à quel point il jeûnait. En carême, et surtout durant le grand carême, Père Ambroise se soumettait à un jeûne tellement intense qu’il perdait jusqu’à dix kilos en moyenne. « Je dois me serrer la ceinture de plusieurs crans », disait-il en souriant, donnant son vrai sens plénier à l’expression imagée « se serrer la ceinture ». Il évoquait alors diverses recettes de cuisine. « Dans le train, disait-il – il fallait alors huit heures pour se rendre de Paris à Montpellier où il desservait sa paroisse du Sud-, j’ai eu tellement faim, que j’ai songé à plusieurs recettes succulentes ! L’appétit, en carême, rend bon cuisinier. » De fait, c’était un cuisinier hors pair. Durant les quatorze années où Père Patric et moi habitâmes avec nos enfants en bas de chez lui, il nous fit monter presque chaque jour aux repas pour nous nourrir de sa cuisine non pareille. Il descendait souvent chez nous, constatait que je n’avais rien préparé pour nourrir la famille, et, sans me gronder, nous disait en riant : « Au vrai, Anna mou, qu’allez-vous manger ? Les pages de vos livres ? » Et nous laissant à nos écrits, Père Patric à ses travaux de chercheur, moi à mes travaux de traductrice de livres d’hagiographie et autres Vies de Saints, il nous invitait à venir nous restaurer chez lui, ou nous descendait un couffin plein de plats cuisinés, simples mais délicieux. Son chou braisé était inégalable. Lorsque survinrent nos enfants, l’une de ses plus grandes joies fut de les nourrir. « Dieu m’a donné une famille ! » disait-il en pleurant de bonheur. « Il faut bien que je m’en occupe ». Et plein de joie : « Regarde ma Kouli ! » s'exclamait-il. – C’est ainsi qu’il appelait Photinie – ce qui veut dire « Lumineuse », en grec - , notre première née, lui chatouillant les joues avec sa barbe et lui murmurant : « Kouli, Kouli, Kouli !», trouvant que cela était un doux surnom pour ce bébé potelé - . Lorsqu'à neuf mois, elle fut en âge -précoce- de marcher, il s'écria : « Je veux lui acheter ses premières chaussures. » Et, de fait, il l'accompagna au magasin pour les lui offrir. Lorsqu’elle fut un peu plus grande : « Vois quel bon coup de fourchette elle a ! » disait-il, enthousiasmé. « Elle a encore mangé tout ce fromage blanc à la crème et aux raisins secs ! » Il nourrit également toutes les nouvelles bouches qui arrivèrent parmi nous, démultipliées. L’on ne compte pas le nombre de fois où il nous invita. Cela s’était su et faisait des envieux. Cette jalousie qui atteignaient certains fidèles et s'emparaient de leurs cœurs pouvait devenir cette noire passion dévorante, si bien décrite par Racine, qui en dépeint les affres mortelles et dévastatrices. «Que l'esprit de jalousie ne s'empare de nous », dit le Starets Thaddée. « Il nous faut refuser d'entendre les suggestions de l'esprit de jalousie...Il ne faut...pas laisser la jalousie envahir notre cœur, car elle détruit la paix intérieure et le repos de l'âme. » Et encore : « La jalousie est la marque de l'Antéchrist en l'âme. » Mais Père Ambroise suscitait un tel engouement que tous eussent voulu être au nombre de ses préférés. Car, comme le Christ pour Saint Jean, il faut avouer qu’il avait ses favoris. Lorsqu’il ne nous conviait pas chez lui, il s’excusait presque : « Il faut bien que j’invite les autres ! » Beaucoup aussi s’invitaient chez lui, et, visiteurs sans scrupules, l’importunaient jusqu’à minuit. Il n’en pouvait plus parfois, et se plaignait de temps à autre. « C’est trop. Je ne peux pas tout le temps recevoir tout ce monde ». Mais les visiteurs indélicats, même avertis de l’état de fatigue de Père Ambroise, continuaient de venir frapper à sa porte à toute heure du jour, et le soir à des heures indues. « Ma mère Kyriakoula », nous racontait-il alors, disait : « Nous nous reposerons à Saint Pierre ». – Elle voulait dire au cimetière. Et elle veillait la nuit, à vaquer à tout son ménage. « Si je ne le fais pas vite pendant qu’ils dorment, je n’y arriverai pas ! » confiait-elle pour nous transmettre l’amour de la veille, ornement et parure ascétique, qui fait briller les Chrétiens Orthodoxes. Papouli avait toujours été pauvre. « Il y avait si peu d’argent à la maison ! » nous redisait-il souvent. Ma maman ne nous faisait de tout que de très petites quantités de nourriture à la fois, et ne nous donnait de viande qu’une seule fois par semaine. Moi, je mets les sous dans la marmite ! Et puis », ajoutait l’Ancien, « il faut vider sa poche pour que Dieu l’emplisse ! » C’était une allusion au bienfait du don. Père Ambroise était très généreux, gratifiant les fidèles de bons repas et redonnant le plus souvent aux uns ce qu’il recevait des autres. Il nous rappelait que Saint Nectaire donnait à tous ceux qui lui demandaient. Bien qu'il nous citât le proverbe grec : « Doron ou dorité » - « un cadeau ne se donne pas », il donnait aux autres ce que les uns lui donnaient. De fait, beaucoup de ses enfants spirituels lui faisaient de menus cadeaux, lui rapportaient des souvenirs de leurs voyages, etc... Ses étagères en étaient encombrées, au risque qu'il s'en dégageât une impression de fouillis. Un temps, Papouli les y gardait, les y exposait au vu de ses donateurs, pour les honorer et leur exprimer sa gratitude. Pourtant, après un temps, il les donnait à d'autres, qui passaient d'aventure chez lui. Car, selon le précepte de l'Evangile, il ne thésaurisait pas. (Luc 12, 13-21). Mais Papouli ne donnait pas à ceux qu’il soupçonnait de voler. Il ne supportait pas le vol. Il en avait une sainte horreur. Si quelqu’un, racontant que quelqu’un avait volé, tentait de le justifier ou de l’excuser par sa situation de nécessité, il le coupait aussitôt : « Non, ne le justifie pas. Il n’y a pas de justification au vol ». Et de ceux, dans la rue, ou dans le métro, qu’il soupçonnait de faire même du trafic d’enfants, il se détournait avec horreur… Père Ambroise détestait l'avarice, ce vice considéré comme très grave par les Pères de l'Eglise. L'avarice était pour lui une plaie dévorant l'âme. Il rencontra un jour dans son escalier une riche propriétaire avarissime, qui ne donnait rien aux siens. Il la foudroya du regard, puis se détourna ostensiblement d’elle, comme si sa puanteur morale l’incommodait. « L'argent », disait-il, « va à ceux qui l'aiment. Ne recherchez pas l'argent. Si vous cherchez Dieu en premier lieu, il vous en donnera suffisamment et vous ne manquerez de rien. » Et il nous citait l'Evangile : « Cherchez d'abord le Royaume et vous ne manquerez de rien. » (Mat 6, 33). « Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et Mammon. » ( Mat 6, 24) ; ( Luc 16, 13). -. Père Ambroise ne demandait jamais d'argent. Un jour, le trésorier de l'église, qui lui reversait chaque mois une petite partie des modestes aumônes que les fidèles déposaient dans le tronc le dimanche, oublia de le payer. Il n'avait lors rien pour vivre de tout le mois. Mais il ne réclama pourtant rien à Nectaire. Il suivait en cela l'enseignement des Saints Pères du Désert. « Que t'abandonne l'amour de l'argent », enseignent les saints vieillards. (cf. Quatre ermites..., op. Cit.). Cette fois-ci encore ce fut sa bienfaitrice, Yvonne, surnommée Vonnie, qui le sauva de la famine. Papouli, avait épousé Vonnie à l'état-civil, pour des raisons que nous développons ailleurs. Toute sa vie durant, les oecuménistes, qui lui vouaient une véritable haine, tant pour ses positions théologiques et ecclésiales, que parce qu'ils jalousaient son intelligence, sa science, et surtout sa sainteté manifeste, se répandirent dès lors, de ce fait, incessamment, et jusqu'à son dernier souffle, en insultes affreuses et en odieuses calomnies sur son compte. « Les oecuménistes », soupirait -il, « marche-leur sur les pieds, et tu verras s'ils ont pour toi le moindre amour de bienveillance, le moindre pur amour de charité. »Les oecuménistes ne cessaient de colporter que Père Ambroise était un moine marié, bien qu'il vécût en frère et sœur avec celle qui l'avait épousé uniquement pour lui fournir un logement. Un temps, elle l'avait donc hébergé, logé. - C'était dans l'immédiat après-guerre.- Après quoi il avait pu se trouver un pauvre petit logement où demeurer seul. Mais les pressions hostiles avaient été si fortes qu'il avait dû demander le divorce. Car ces gens, curieux et malintentionnés, en véritables charognards qu'il étaient, se rendaient à la mairie et inspectaient à la loupe son état-civil, sans rien connaître de la sainteté de son existence. Et véritablement, Père Ambroise suscitait nombre de jalousies féroces. « C'est le démon, » dit le Starets Thaddée (op.cit.), « qui est jaloux de l'homme pur, et qui infiltre à d'autres hommes la jalousie envers ce Saint ». Et encore : « Quand l'esprit malin voit qu'un homme cherche à être agréable à Dieu, alors il s'infiltre dans le cœur d'autres hommes, et se met à envier intérieurement cet homme de Dieu...Sous l'influence du démon,...ils provoquent beaucoup de contrariétés à l'homme de Dieu, colportent des calomnies à son encontre, lui nuisent dans son activité...C'est l'esprit malin,... l'esprit maléfique qui a pris position en eux (possession d'eux), et ...c'est de l'intérieur de leur cœur que l'esprit maléfique sème la jalousie...(En leur cœur), c'est l'esprit démoniaque qui se réjouit de tout cela. » Et encore : « La jalousie est la marque de l'AntéChrist dans le cœur humain. » Père Ambroise, pourtant, ne supportait pas que l’on jugeât autrui. Un jour que je me montrai très réservée à l’endroit d’une femme qui avait eu trois maris, il me regarda sévèrement : « Ne juge pas. Ou bien il se pourrait que tu tombes dans le même péché. » Etant d’une nature très fidèle, je ne pouvais seulement imaginer cette éventualité, et cette remontrance me surprit grandement. L’hypothèse que j’eusse plus d’un mari me semblait inenvisageable. Plus tard, lorsque je perdis mon mari et que je me remariai quelques années après, cette observation me revint en mémoire… En plus, donc, de l’attrait de la très haute spiritualité de Père Ambroise, se joignait le plaisir d’être nourri de délicieuse façon. Aussi était-ce toujours une grande joie pour tous ceux qu’il conviait chez lui, que de s’y rendre impatiemment. Le soir des jours de jeûne, ce qui est dire le mercredi et le vendredi, plus les jours de carême, lorsqu'il advenait, parfois, que, nous ayant fait venir chez lui, il rompît le jeûne, précisant :« Il est tard ; vous êtes fatigués : Rompez le jeûne, par économie », il ajoutait : « Il y a deux mesures dans l’Eglise : La rigueur et l’économie. Si je n’avais pas, en place de rigueur, fait toujours preuve d’économie, nul fidèle, pas même moi, ne serait, d’après les canons ecclésiastiques, admis dans l’Eglise. Oui, à la rigueur, il faut préférer l’économie ». De là venait sa grande indulgence avec nous, et le fait qu’il paraissait toujours à nos yeux abaisser le niveau spirituel, pour, en réalité, mieux l’élever ensuite. Aux jeunes néophytes que nous étions, dans les commencements, il n’avait rien dévoilé des mystères ni des exigences spirituelles qui attendaient le fidèle Orthodoxe. Il nous avait laissé croire que l’Orthodoxie était un amusant jeu d’enfants. S’il nous avait avertis de ce qui nous attendait, de ce qui nous serait demandé, et de ce que Dieu et l’Eglise exigeraient de nous, sans doute aurions-nous fui bien loin, et nul d’entre nous ne serait resté dans l’Eglise. Plus tard, bien des années après, il m’avait montré une série de dessins athonites qui représentaient un moine assailli par des démons. Plus le moine s’élevait dans la prière et se sanctifiait, et plus il était assailli par des hordes de démons de plus en plus nombreux. C’était terrifiant à voir, et je me demandais bien alors pourquoi Papouli me montrait ces images à faire peur… La musique, la peinture, la littérature, l'on eût dit que Père Ambroise avait reçu tous les dons. Les bonnes fées, si elles eussent existé, eussent dû se pencher sur son berceau. C'était un intuitif, un grand esthète, un immense artiste. Créatif, il n'aimait pas l'esprit rigide de système. C'était une créature d'air. Avec lui, l'on respirait. Un air plus pur ; un air de liberté – celui de la Prière. « La Prière du Coeur », que l'on appelle encore « prière noétique », « prière de l'intellect », 'prière mentale », « prière spirituelle », ou « prière monologique », « la Prière du Coeur, » donc, dit un grand Saint de la Philocalie, « donne la liberté ». Et, parce qu'il était par-dessus tout un spirituel, Père Ambroise avait asservi ses dons à la prière, ces dons qui avaient fait de lui un artiste de la spiritualité, un maître en l'art des arts, en l'art spirituel. Parmi tous ses dons, donc, Papouli possédait celui du dessin. Père Ambroise était un maître iconographe. Il travaillait pour orner l'église, pour honorer des commandes que des fidèles lui faisaient, ou, le plus souvent, pour faire don de ses icônes à des personnes qu'il aimait. Mais il ne les vendait pas, ou bien il les cédait à des prix dérisoires. Par humilité, il les laissait souvent inachevées. Il avait peint le Christ et la Mère de Dieu de l'iconostase de ses paroisses. Les anges des portes royales demeurèrent toutefois à l'état d'ébauche. Il transmit son art à Père Timothée qui devint à son tour un maître iconographe. Père Timothée acheva dans l'église de Paris ce que Père Ambroise n'avait pas terminé. Et il peignit toutes les icônes des fêtes liturgiques fixées au sommet de l'iconostase. Il est vrai que Papouli manquait de temps. Bien qu'il fût un grand contemplatif, il était aussi très actif. Avant que de parvenir à la théoria – la contemplation -, il avait mené à bien les œuvres de l'action – la praxis-. Mais, ayant atteint à la contemplation, il n'en avait pas moins continué de demeurer un grand actif. Père Ambroise menait de pair l'action et la contemplation. Il peignait d'après les enseignements hagiographiques des manuels du grand Photios Kondouglou, lequel avait initié une grande renaissance iconographique, et fresqué les églises de Grèce. La science iconographique de Père Ambroise était immense. Parce qu'il m'avait aidée à faire ma maîtrise d'iconographie sur les fresques de l'église des douze Apôtres à Thessalonique, je savais que ce travail était précieux. Je préparais à l'époque le concours de l'école d'Athènes en section byzantine. Mais l'université est si déchristianisée que lorsque le professeur d'histoire de l'art, qui me faisait soutenir cette maîtrise, apprit, par hasard, et comme par inadvertance, que j'étais orthodoxe, il en devint furieux. Il s'emporta, disant : « Vous êtes orthodoxe ? Ne revenez plus jamais me voir ! » Et parce qu'il ne pouvait pas décemment refuser ma maîtrise, il me mit la note la plus passable. J'étais barrée dans ma future carrière d'archéologue. Quelque temps après, lorsque je revins à un cours d'iconographie byzantine, je m'aperçus que son assistante avait pillé le contenu de ce travail que Papouli, avec toute sa science iconographique, m'avait aidée à faire. Mais le pis était bien que le nom du Christ est devenu si odieux en France, aux universitaires mêmes, que, par le plus grand des paradoxes, les Chrétiens orthodoxes n'avaient pas leurs entrées au cours d'iconographie byzantine, et n'étaient pas habilités à y traiter du Christ ni de la christologie byzantine, par définition chrétienne orthodoxe. Un autre professeur, qui tenait à la Sorbonne la chaire de grec byzantin, traduisait et commentait des histoires de moines du Désert. Mais, ce faisant, à longueur de cours, il blasphémait et se gaussait des moines. Lorsque Papouli l'eut appris, il s'en montra fort contrarié. Le blasphème insupportait Père Ambroise. Très peu de temps après, ce professeur entra à l'hôpital pour une intervention fort bénigne et sans danger aucun. Son cœur ne supporta pourtant pas l'anesthésie, et il mourut sur la table d'opération. Il est insupportable, voire insoutenable, d'entendre aujourd'hui tant de gens railler le Christ et proférer des blasphèmes à l'encontre de l'Eglise et des Chrétiens, particulièrement orthodoxes. Le mal qu'ils font est d'autant plus grand que ces mêmes ont souvent une large audience médiatique, à la télévision ou ailleurs. Le Saint Apôtre Pierre écrit : « Sachez tout d'abord qu'aux derniers jours, il viendra des railleurs pleins de railleries, guidés par leurs passions. » (2 Pi. 3, 3). Le Saint Apôtre Jude, lui, écrit : « Quant à eux, ils blasphèment ce qu'ils ignorent ; et ce qu'ils connaissent par nature, comme des bêtes sans raison, ne sert qu'à les perdre. » (Jude, 10). Quant au Saint Apôtre Paul, il écrit à son tour : « Sache bien, par ailleurs, que dans les derniers jours surviendront des moments difficiles. Les hommes, en effet, seront égoïstes, cupides, vantards, orgueilleux, diffamateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, ennemis du bien, etc... » (2 Tim 3). Bien qu'il eût ce don si rare de maître iconographe, Père Ambroise délaissait beaucoup l'iconographie au profit de la traduction. Sa connaissance du grec ancien, tardif et byzantin était sans pareille. Il traduisait le grec le plus difficile, tel celui de Saint Maxime le Confesseur, qui rebute les plus érudits des universitaires, au point que nombre de ces œuvres attendent encore leur traducteur. Mais, là encore, il délaissait ce travail, laissé, inachevé, à ses successeurs, pour privilégier la traduction, monumentale, des interminables offices de l'Eglise. Car il est des textes liturgiques, dans la vie en Eglise, pour chaque jour de l'année ecclésiastique. Son but avéré était de transmettre en France, intact, le dépôt de la foi tel qu'il était contenu dans l'Orthodoxie grecque. Ce faisant, Père Ambroise, envers et contre tout, passant par-dessus tous les obstacles, et malgré tous les ennemis acharnés, que ses positions justes et justement orthodoxes lui suscitèrent, Père Ambroise, donc, fut un véritable Confesseur de la Foi. Nouvel Apôtre des Gaules, il créa en France la première église orthodoxe française. Père Ambroise ne s'ennuyait jamais. Il avait vaincu le démon de l'ennui, qui au dire des Saints Pères du Désert, tourmente les Solitaires. ( Cf. Arnauld d'Andilly, Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, in Blog de Presbytéra Anna). « Ainsi, » écrit le grand Blaise Pascal, dans le Fragment Divertissement des Pensées, « l 'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans aucune cause d'ennui. » L'homme est malheureux pour ce que rien ne saurait combler le vide de son cœur. Rien, à part Dieu. Tous les grands spirituels s'accordent à le dire. « Le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, » poursuit Pascal, « que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. » De là vient que l'homme se divertit. Contre ce malheur de l'ennui, il invente le divertissement. Il recourt à cette « puissance trompeuse » qu'est le divertissement. « La moindre chose (suffit) pour le divertir. » « Sans divertissement il n'y a point de joie. Avec le divertissement il n'y a point de tristesse. » « De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. » « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre», écrit enfin Pascal. « Je cours çà et là tout le jour. En vain je m'agite.. », dit le Psaume. (Ps. XXI, 3) ; (Ps. XLI, 4). Et pourtant Père Ambroise ne se divertissait pas. Comme les Pères du Désert, il avait vaincu la tentation du divertissement. Ce n'était pas pour rien que Blaise Pascal était l'ami des Solitaires de Port-Royal, desquels fut l'immense Arnauld d'Andilly, lequel, helléniste incomparable, avait traduit – travail de Titan – l'Echelle Sainte de Saint Jean Climaque ( à paraître in le Blog de Presbytéra Anna) et les Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes (op. Cit.), où il est montré combien les Solitaires du Désert ont eu à se battre contre les puissances adverses des malins démons, pour vaincre enfin le désir permanent et la tentation indéfectible du divertissement. Il est manifeste que Pascal subit profondément l'influence des Solitaires de Port-Royal qui, tout le jour durant, leur vie entière, traduisaient les Saints Pères du Désert, ces Saints vieillards de l'antiquité monastique. Au cœur de la ville, Papouli vivait comme au désert, menant une vie d'une profondeur spirituelle nonpareille. Père Ambroise était un grand Solitaire. Il savait demeurer au repos, dans l'hésychia priante, seul dans sa chambre, ne se lassant point de sa solitude, qu'il goûtait à rebours avec délices. Les Saints s'occupent à l'oeuvre spirituelle - la Prière du Coeur. Ils en font leurs délices suaves et divines. Il n'est, pour s'en persuader, que de lire tous les tomes de la sublime Philocalie, en laquelle Saint Nicodème Aghiorite compila tous les textes des Saints Pères qui avaient transmis leur art de la Prière. Ou bien il sied d'entendre le Hiéromoine Hilarion (Domratchev) décrire, à longueur de pages, ces délices de la Prière du Coeur, telles qu'il les décrit en son célèbre ouvrage, Sur les monts du Caucase. (Ed. Des Syrtes). Saint Joseph l'Hésychaste, en ses Lettres spirituelles ( Ed. L'Age d'Homme), écrit que la Prière du Coeur devient comme un miel dans la bouche de l'orant. Il ne peut se rassasier des délices spirituels qu'elle lui procure. « La prière (du Coeur) ne lasse pas, elle délasse», écrit l'Ancien Païssius dans ses Lettres. Il arrivait que Père Ambroise, allongé sur son lit, par-dessus sa mince couverture, dont il ne se recouvrait pour ainsi dire jamais le jour, épuisé par l'ascèse, qu'il pratiquait comme un moyen de sanctification, il arrivait donc, que Père Ambroise, épuisé, ne fît rien. En apparence, du moins. Cela nous étonnait, parfois. « Papouli pourrait jeûner moins », nous disions-nous, afin de se remettre sur pied pour vaquer à son petit ménage. Et il me souvenait de la discussion qui avait opposé ces grands docteurs que furent les Pères Cappadociens, Saint Basile de Césarée, dit Saint Basile le Grand, et Saint Grégoire de Nysse, son frère,le premier, en ses Lettres, soutenant à son frère, qui tenait à observer un jeûne extrême, qu'il préférait, quant à lui, manger davantage pour pouvoir mieux prier. Mais, à la vérité, nous le comprîmes plus tard, Père Ambroise, épuisé par le jeûne et la veille nocturne, vaquait à l'oeuvre spirituelle, à l'ouvrage de la prière. Il était tout entier une âme orante. Au vrai, tout entier inhabité par la Prière, qui attire sur l'être priant le Saint Esprit, Père Ambroise était devenu un « Temple du Saint-Esprit ». « Fais de nous des Temples du Saint Esprit », implore Saint Basile en sa prière qui figure dans l'Office de minuit des prières quotidienne. ( Cf Père Ambroise : Traduction des Livres de Prière I et II, Ed. De la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas , 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème). De grands débats opposèrent dans l'histoire les tenants des ordres actifs et ceux des ordres contemplatifs. Dans l'Evangile de Marthe et Marie, le Seigneur Jésus-Christ estime que la part de Marie ne lui sera point ôtée, - Marie qui ne fait rien que s'asseoir aux pieds du Seigneur, a la meilleure part, relativement à sa sœur Marthe, qui s'agite en tous sens, s'affairant à vaquer aux soins du ménage. Marthe est active, Marie est contemplative. Aussi les moines, qui, à l'imitation de Marie, appartiennent aux ordres contemplatifs, sont-ils souvent incompris, et deviennent aisément objets de railleries et de critiques. Le tsar Pierre le Grand, les jugeant paresseux et inutiles, les persécuta. « Le moine... », écrit l'Ancien Païssius l'Athonite, dans ses Lettres – Lettre I, Aux novices-, le moine « en entend encore de belles de la part de clercs qui ont, en outre, cette exigence absurde : Les moines devraient quitter le « Désert » et venir dans le monde pour s'occuper d'action sociale et... d'oeuvres de bienfaisance... » Ces critiques traitent les moines de « lâches », d' « égoïstes », de « paresseux » Mais comment seraient-ils paresseux, eux qui s'épuisent à l'oeuvre spirituelle de la Prière, et aux labeurs incessants et si douloureux de la sainte ascèse – ce qui est dire en jeûnes, veilles nocturnes épuisantes, grandes métanies et prosternations etc... ? « Je suis étonné », écrit encore Païssius, « qu'ils ne puissent comprendre la grande mission du moine ! Le moine fuit loin du monde, non par haine du monde, mais par amour. Et alors, par sa prière, il aidera davantage le monde en des choses qui, humainement impossibles, ne sont réalisables que par intervention divine. C'est de cette façon que Dieu sauve le monde. Le moine... prie pour le salut du monde entier comme pour son propre salut. » Le moine, explicite encore Païssius, s'occupe de « choses plus spirituelles » que de bienfaisance. Certes, s'il se trouve pour un temps dans le monde, il pourra matériellement aider ceux qui ont besoin d'aide, les pauvres ou les malades. Mais, en ce cas , il considérera toujours cette œuvre matérielle comme secondaire relativement à l'aide spirituelle que peut prodiguer sa Prière. Assurément, un moine, poursuit Païssius, peut toujours apporter des oranges, ou quelque autre consolation matérielle, tout aussi dérisoire, à un malade. Mais cette aide, ces moyens humains, seront infimes, comparés à la puissance de sa Prière, qui peut obtenir de Dieu la guérison du malade, non seulement celle du corps, mais aussi celle de l'âme, et, de là, par surcroît, lui obtenir son salut, à l'imitation des guérisons opérées par le Christ, qui guérissait l'âme et le corps ; en sus du fait, donc, que ce malade sera guéri par la Prière, il pourra lors à son tour aider son prochain, tant matériellement que spirituellement. La Prière, pour le moine, est toujours première. La consolation bienfaisante, l'aide matérielle, demeure secondaire, tout comme son travail manuel en cellule, -sa diaconie monastique- doit le céder en importance à la Prière et ne jamais prendre le pas sur elle ». Bien entendu, il ne s'agit pas de négliger ni de faire fi de l'activité charitable, de l'activité philanthropique. Une seule petite sœur de Mère Térésa de Calcutta qui, à elle seule, dans un immense faitout, cuisine de délicieuses lentilles pour deux cents SDF (Sans Domicile Fixe), et nourrit autant de pauvres indigents affamés et bleuis de froid, ceux qui sauvent en Mer Méditerranée les migrants de la mort par noyade, ou bien ceux qui hébergent des migrants et les font dormir au chaud, tandis que règne dans les bois où ils dorment habituellement, un froid insoutenable, et qui les nourrissent, tous ces êtres empreints d'esprit de charité, accomplissent un travail admirable et des œuvres bénies qui verront leur rétribution au Ciel. Mais de telles œuvres, dit Saint Issac le Syrien – cf. Saint Isaac le Syrien, Oeuvres spirituelles, et cf. P. Hilarion Alfeyev, L'univers spirituel d'Isaac le Syrien. Ed. Abbaye de Bellefontaine – de telles œuvres sont le fait des séculiers, ou à la rigueur des moines cénobites – qui vivent en des monastères -, mais non des moines érémitiques du désert, ou semi-érémitiques, qui, au cœur des villes mêmes vivent comme au désert, comme faisait Papouli, qui peut dès lors être considéré comme un moine semi-érémitique. Car ces Saints moines, par leur sainte Prière, dans leur hésychia priante, démultiplient à l'infini l'action de ces activités charitables et philanthropiques. « De même, poursuit l'Ancien Païssios l'Athonite, que le moine ne va pas dans les hôpitaux prier pour les malades, il ne visite pas non plus les prisonniers. S'étant lui-même constitué prisonnier pour Dieu dans la forteresse du monastère, et qu'il y goûte, dans la réclusion, la joie de la prière, il demande au Seigneur qu'il prodigue réconfort, et joie même, s'il se peut, aux prisonniers. De surcroît il implore la puissance divine pour leur libération. « Les moines », écrit encore l'Ancien en ses Lettres, « agissent avec des forces divines, par leur Prière, et non pas avec leurs forces personnelles dérisoires. » De la même façon, lorsque nous étions allés voir la Gérondissa Eupraxia la Jeune, dans son ermitage d'Egine, en son île grecque, je m'étais fort étonnée qu'en apparence elle ne fît rien. Recluse là tout le jour, elle ne vaquait même pas aux soins de la cuisine ni du ménage, ayant une, parfois deux ou trois syncelles – compagnes de cellule - pour la servir, une jeune moniale et deux vieilles femmes, dont Dame Christina. « Comme la Gérondissa Eupraxia doit s'ennuyer entre ses quatre murs », songeais-je, « enfermée là, en réclusion totale, à ne rien faire ! » Mais la Gérondissa s'adonnait aux délices de la contemplation de Dieu, sur laquelle, comme sur autant de chambres intérieures et de palais secrets, ouvre la Prière monologique du Nom de Jésus, à quoi eût attenté l'activité multiforme de la praxis, qui éparpille l'esprit. Telle est la vie en Christ de ceux qui ont atteint à la perfection spirituelle. Aussi fallait-il que Père Ambroise demeurât seul, en Prière, tout le jour, de longues heures durant. Ce n'est que vers le soir qu'il acceptait que l'on vînt déranger sa solitude. Un jour que je n'avais personne pour garder ma petite Photinie, - car vingt ans durant, nous n'eûmes aucune grand-mère pour venir voir ni gâter les enfants, et nous n'avions pas les moyens de financer une garde d'enfants - je le priai de me garder quelques heures mon bébé. Quoiqu'il aimât passionnément Photinie, il n'accepta qu'à contrecoeur. Il me la rendit quelque peu contrarié. « Je suis moine », me dit-il, sévère, « ce n'est pas à moi de garder une enfant. » Seul tout le jour, adonné à sa prière, à ses icônes, à ses traductions, à ses lectures de livres saints, ni il ne s'ennuyait, ni il n'avait besoin de rien qui le divertît. IL avait été très peiné, un jour, d'apprendre que des fidèles avaient pris des billets de cinéma, - ou était-ce de théâtre ?- pour aller se distraire un Vendredi Saint. « Se divertir un Grand Vendredi ! » gémissait-il attristé. Lui-même, le grand Vendredi, ne portait rien à sa bouche et jeûnait tout le jour. Pour lui-même, fût-ce ordinairement, il était fort sévère, et menait une existence austère. Il n'avait pas de télévision. Il ne possédait guère qu'un petit poste radiophonique pour écouter les nouvelles, ou aux heures tristes, quelque peu de musique classique. Nous ne l'avions vu regarder la télévision qu'à la « montagne », dans cette maison chère à son cœur où il allait du dimanche soir au lundi. Il me souvient que, l'y voyant un jour regarder les informations, nous lui dîmes en riant : « Papouli, si tu regardes les nouvelles, tu vas, par tes prières, changer le cours du monde ! » Il ne répondait rien, et souriait modestement, regardant humblement par-terre. Lorsqu’il ne traduisait pas, ne peignait pas d’icônes, ne cuisinait pas, ne catéchisait pas, ni ne recevait, comme à son accoutumée, ses enfants spirituels, Père Ambroise desservait ses paroisses. Il en avait fondé plusieurs en France, notamment, outre celle de Paris, une à Lyon, rue du Bœuf, près de la tour rose, dans les vieux quartiers, et une à Montpellier, rue Jean-Jacques Rousseau, où ma grand-mère maternelle, Mamie, femme très bonne, et très méritante, ( elle avait réussi, seule, quoique orpheline de père et de mère à devenir l’une des premières étudiantes en médecine, puis des premières femmes médecins de son temps), une sorte de sainte laïque, - car elle n'allait pas à l'église -, avait, par une curieuse coïncidence, autrefois habité. Plus tard viendraient l’église de Toulouse et celle de Dinan en Bretagne. Il fallait plus de huit heures de train à l’époque pour rejoindre le Sud de la France, et le voyage pour Montpellier, déjà fort long, était, avec les années, devenu de plus en plus fatigant et éprouvant pour lui. Sa vieille mère habitait à Montpellier, chez sa sœur Christine, et, à chaque fois qu’il allait desservir la paroisse de Montpellier, il s’en venait la visiter. Comme il aimait sa mère ! Il passait de longues heures à son chevet, tricotant ou crochetant des couvertures en patchwork coloré, ou brodant, interminablement, de somptueuses nappes au point de croix. Car il avait appris ces paisibles ouvrages manuels méticuleux, pour accomplir un petit travail de ses mains, afin de ne pas tomber dans l'acédie destructrice, tandis qu'il disait inlassablement la prière du cœur. C'est ainsi qu'un jour, pour la fête de Saint Patrick d'Irlande, il avait offert à Père Patric, outre un magnifique exemplaire du XVIIème siècle des Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, traduites du grec tardif par le grand Arnauld d'Andilly, un exemplaire non moins précieux de l'Echelle Sainte, du même Arnauld d'Andilly, agrémenté d'une couverture de feutrine confectionnée de ses propres mains, sur le recto et le verso de laquelle il avait brodé, respectivement, les majuscules S et P, pour Saint Patric. Toutefois, Père Ambroise n'avait pas pris sa mère avec lui, car elle ne lui aurait jamais laissé faire en paix son immense travail d’apostolat. Lorsqu’elle mourut, il pleura d’autant plus qu’il se reprochait de n’avoir pas été là pour ses derniers moments. « Ce fut une si bonne mère », soupirait-il. Et, à son exemple, il souhaitait qu’une mère, plutôt que de travailler, de souffrir au travail, de faire souffrir ses petits par son absence, et de manquer les premières années, si fondamentales, de leur développement, ne travaillât pas et restât auprès de ses très jeunes enfants. Plus tard, le problème était autre. Il nous avait lu un conte de Kondoglou, peintre iconographe, de surcroît brillant conteur grec, qu’il admirait beaucoup. Ce conte populaire décrivait une jeune femme jeûnant, veillant, et priant comme un ange dans sa maison. Le travail était aussi un lieu de rencontres qui favorisait les divorces. Mère Marie nous avait parlé du divorce d’une femme de prêtre, dont son mari avait extrêmement souffert. « Il n’aurait pas dû la laisser aller travailler », concluait-elle. « Elle n’aurait pas rencontré quelqu’un d’autre à son travail, ce qui a détruit son couple » Ce n’est pas tant que Mère Marie de Chio et Père Ambroise eussent eu une vision traditionaliste et anti-féministe du couple, mais qu’ils veillaient à la stabilité et au bonheur des familles. Et combien de jeunes ménages avait-il sauvé du divorce ! On ne les comptait plus. Sans guide, sans expérience, au premier accroc, dès la première année, les jeunes gens eussent voulu divorcer, sans rien savoir des conséquences désastreuses et terriblement douloureuses du divorce, tant pour les parents que pour les enfants. Dans la confession surtout, il recollait les morceaux cassés des couples qui se délitaient ou se brisaient. Et, par ses prières, il réconciliait les jeunes gens. « Le mariage, dans ses commencements », disait-il, recourant aux images les plus simples, « est comme une chaussure neuve qui fait mal. Il faut seulement prendre le temps de s’y habituer. Une fois mariés, il faut tenir bon, tenir coûte que coûte, se pardonner tout, pour ne pas se séparer. Et puis, dans le mariage, le bon vin vient à la fin, comme aux Noces de Cana. ( Jean 2, 1-11)». Mais si les jeunes gens persistaient à se disputer et à venir faire leurs crises jusque chez lui, il pouvait se fâcher, ne plus leur ouvrir sa porte, et demeurer en froid avec eux jusqu’à ce qu’ils comprissent qu’il jugeait leurs disputes déplacées. Dès lors, penauds, et sentant que leurs crises n’étaient plus de mise à ses yeux, les jeunes gens, par ses prières, rétablissaient la concorde dans leur foyer. Nous avions peine à le voir si pauvrement vêtu, presque clochardisé dans sa mise. Je me souviens de sa joie lorsqu’un fidèle lui offrit un manteau neuf, et un autre, un imperméable. Une autre encore de ses filles spirituelles étaient allée chez un grand couturier pour lui acheter un pull-over et une veste en laine. « Cela est beaucoup trop beau pour moi, disait-il. C'est du grand luxe. Il ne fallait pas. » Et il redoublait ses prières pour que Dieu rendît à ses enfants leur bienfait. Mais, pour lui, sa règle était de ne rien s’acheter, au point qu’il manquât du nécessaire même. Et, sans ses enfants, il eût eu l’air d’un miséreux, semblable à ces Anciens du Mont Athos, que Jacques Lacarrière a photographiés dans son livre (-Visages athonites, photographies de Jacques Lacarrière, Ed. Le temps qu'il fait -), sous l'aspect de vieillards déguenillés, aux habits rapiécés ou, pis, entièrement déchirés, plus loqueteux que s'ils eussent été des clochards. Il ne consommait pas. Dans cette société de consommation effrénée, qui était la nôtre, il ne faisait que passer, sans presque rien dépenser. Fidèle à l'enseignement de Saint Paul, il était pareil à l'Apôtre, passant dans ce monde, sans en être. (1 Cor 7 : 29-31). Il ne faisait jamais les boutiques ; la notion de « shopping » lui était étrangère. Lorsque nous passions en voiture, sur le chemin de l'église, devant les boutiques illuminées des beaux quartiers, il était dur pour une jeune femme comme moi, qui avais été élevée dans le luxe, avec beaucoup d'argent, sans manquer de rien, de ne jamais s'arrêter, ne fût-ce que pour faire du « lèche-vitrines ». Lorsque je fais des courses, me racontait-il, je me dis : « Cela, je n’en ai pas besoin. Cela non plus. Cela non plus. Et, de la sorte, j’économise assez pour pouvoir donner plus tard à qui en a besoin ». Des enfants dans la rue, l’appelaient le Père Noël ; de méchantes langues le traitaient même d' « ayatolah ». Il en souffrait. Il s’affligeait de ce que les enfants, les gens, fussent si déchristianisés, au point de ne pas reconnaître en lui un vieux Père, comme c’eût été le cas jadis en terre chrétienne. Autrefois, en Russie, ou en Grèce, ils seraient accourus à lui et l’eussent appelé « Batiouchka ! » ou « Papouli ! » - ce qui signifie « petit Père »-, et il eût été content de leur donner sa bénédiction au lieu de s’en faire moquer. Longtemps, il avait gardé un secret qu’après des années il nous avait dévoilé : Le dimanche après-midi, jusqu'au lundi soir, il allait souvent dans une petite maison de campagne, à une centaine de kilomètres de chez lui, chez une fidèle de l'église, sa protectrice, qui l’avait toujours aidé à échapper à la misère. Mais parce que l’on aurait jasé de le savoir aller chez une dame seule, il avait dû garder la chose secrète. Ils se faisaient passer pour frère et sœur, et, en vérité, ils l’étaient. Un jour il avait fini par s’ouvrir : « Kouli et vous êtes tous les jours et même le week-end sur le béton ». – De fait, Père Patric desservant la paroisse de Paris, nous ne pouvions jamais sortir de Paris le dimanche, pour aller au vert. De plus, notre appartement donnait sur la rue, au rez-de-chaussée, et l’enfant était véritablement à hauteur des gaz émis par les pots d’échappement. « Eh bien, voici, continua-t-il, que demain je vous emmène ! C’est à la campagne, mais l’on dira que c’est à la montagne, au cas où Kouli nous trahirait. Demain, donc, je vous emmène à la montagne ! » Et nous avons découvert ce petit havre de paix dans la verdure où Père Ambroise s’adonnait, dans l’hésychia parfaite, à une prière accrue. Quant à la petite Photinie, folle de joie, elle faisait forces roulades dans l’herbe verte qu’elle n’avait jusque-là encore jamais vue. Mais cette hésychia-là était pour lui si précieuse, qu’il ne voulait pas que l’on parlât de ce refuge à quiconque. « Si cela se savait, tout le monde voudrait y venir. Et c’en serait fini de l’hésychia ! Aussi, n’en parlez à personne ! » Et il ajoutait : « Lorsque nous serons là-bas, nous en profiterons pour jeûner un petit peu et pour veiller. » De fait, nous ne le voyions pas beaucoup manger, et il commençait ses journées à cinq heures du matin après une nuit passée, pour sa plus grande part, à prier. Au matin, il prenait du thé très fort, y faisant infuser plusieurs sachets. « Les moines font comme Anna, expliquait-il en souriant, ils prennent beaucoup de thé et de café. Mais ils ont appris à ne pas s’énerver et à maîtriser leurs mouvement d’humeurs ou de colère. C’est ainsi qu’il nous faut faire. Il nous faut combattre, et vaincre la colère. Quand vous sentez la moutarde vous monter au nez, immédiatement, maîtrisez-vous » Et en vérité, la maîtrise que Père Ambroise avait de lui-même était extraordinaire. IL ne se mettait jamais en colère. Comme l'enseignent les Pères il gardait sa colère pour s'emporter contre les démons et les blasphémateurs. Il gardait cette maîtrise de soi jusque dans le sommeil, ce qui constitue un tour de force surhumain. Il advint plusieurs fois que nous le réveillâmes en sursaut. S'éveillant à grand-peine, il souriait, prodigieusement. A la campagne, loin de se ménager, bien qu'il fût âgé à présent, il travaillait beaucoup. Quoiqu’il eût de graves allergies au pollen, il s’épuisait à tondre la pelouse, à passer le bois de la véranda au brou de noix, à restaurer de vieux meubles. Et puis, parfois, il gémissait « Seigneur ! Je ne peux plus ! Je n’ai plus l’âge, à soixante-dix ans passés, de tant me dépenser physiquement ! Je n’ai plus la force ! » Et puis, me regardant : « Tu vois, je ne le croyais pas que je deviendrais vieux. Je me repose à présent sur mes enfants. » Parce qu'il nous voyait enfermés dans Paris tous les week-ends, soumis à la pollution, et dans l'incapacité financière de nous offrir du repos au vert, il nous en ménageait lui-même. Tous les étés, donc, Père Ambroise nous trouvait des villégiatures de vacances. Il demandait à des fidèles qui habitaient le sud de nous laisser leur maison lorsqu'ils partaient à l'étranger. Ou bien il priait une famille de Pau d'accueillir mes enfants l'été. Ceux-ci allaient donc chez « Mamie », leur Mamie d'adoption, puisque leurs deux grands-mères ne s'intéressèrent pas à eux durant près de vingt ans, n'étant pas venues les voir à l'hôpital pour leur naissance, ne les ayant jamais gardés, ne leur ayant jamais offert le moindre cadeau, pour ce qu'elles avaient rompu toutes relations avec nous, racontant à qui voulait les entendre que nous étions dans une secte, nous séparant également de nos frères et sœurs, et nous brouillant avec ces derniers, prétextant que notre église était un « descenseur social » pour attardés passéistes, qui nous empêcherait de réussir dans la société. Sur ce point, il est à noter que l'Eglise Orthodoxe n'a jamais empêché personne de réussir dans la société. Pour les Saints Byzantins, l'Eglise fut même un ascenseur social, puisque l'Empereur de Constantinople conviait souvent les plus grands Docteurs de l'Eglise à venir occuper à ses côtés les plus hauts postes de l'Empire. Mais il est vrai que les Saints, souvent, se laissaient emporter dans la contemplation des Mystères, lors mêmes qu'ils étaient censés vaquer aux plus hautes tâches de l'administration impériale. « Ne l'interrompez pas, » dit un jour l'Empereur de l'un de ses conseillers impériaux, astres de l'Eglise. « Il ne répond pas. Laissez-le : Il s'est abîmé dans sa prière. » Mes enfants eurent donc leur Mamie d'adoption, Marie. Elle et ses filles les aimèrent comme s'ils eussent été de leur propre famille. Elles mettaient leurs photographies au milieu des leurs, disant : « C'est la famille. Une même famille. »Mes enfants eurent donc le bonheur, tous les étés, vingt ans durant, de retrouver leur famille d'adoption. Tant les liens en Eglise sont plus forts que ceux du sang. « Les liens, s'ils ne se rompent pas, disent les Pères, « c'est qu'ils sont de Dieu. » Quand mes enfants n'allaient pas à Pau, Papouli les emmenait avec nous en Grèce. Nous passions donc une partie de l'été dans les monastères grecs. A Oinoussa, en particulier, la Mère Marie nous laissait à disposition la maison de ses illustres ancêtres armateurs, ou bien, plus proche du monastère, la maison du prêtre desservant, qui vient officier pour les moniales. Mes enfants y étaient fous de joie. Ils se promenaient à dos d'âne, descendaient se baigner dans les criques incomparables de beauté, sautaient et gambadaient sur les chemins escarpés, se régalaient des plats délicieux que cuisinaient les moniales. Un jour, dans un autre monastère, sur une autre île, l'higoumène cousit une robe pour la petite Photinie. Elle ne m'avait pas plu parce qu'elle était rouge, d'un rouge que je jugeais trop voyant. Papouli n'aimait pas l'ingratitude. « Remercie, » me dit-il, « remercie mille fois. Et mets la robe à Kouli pour montrer ta reconnaissance à la moniale qui te l'a cousue. » Car Papouli voulait que l'on remercie mille fois plutôt qu'une. Il ne supportait pas l'ingratitude de ceux qui, lorsqu'on les couvre de cadeaux, ne vous remercient pas même du bout des lèvres. Une autre fois, en Grèce toujours, au monastère d'Oinoussa, il me montra un tableau qui trônait au réfectoire, et que la mère Marie aimait particulièrement. Il représentait une respectable presbytéra, toute de noire vêtue, dans son noir de femme de prêtre traditionnelle, et portait cette légende inscrite au-dessous: « La bonne presbytéra. » « Regarde, » me dit Papouli, même une moniale, même une higoumène, tient en respect la presbytéra. La femme du prêtre est très respectée dans l'Eglise Orthodoxe. Son rôle est d'importance, aux côtés du prêtre ». Saint Jérôme d'Egine, de fait, (cf L'oiseau de Guelvéri, op. Cit), insiste sur le fait que la presbytéra a un rôle à jouer dans l'Eglise, que sa responsabilité est grande, que sa tâche est lourde, et que, pour cela même, il convient de lui demander au préalable, avant qu'elle n'épouse le prêtre, si elle acceptera d'assumer cette tâche. « Hélas », poursuivit Papouli, personne à l'église ne respecte plus la presbytéra. » Et de fait, dans nos paroisses, c'étaient plutôt les fidèles étrangers, venus d'autres contrées orthodoxes, qui gardaient encore la notion du respect dû à la presbytéra, notion qui s'était perdue en France. « En France », soupirait encore Papouli, « il n'est plus de respect de rien. Même les enfants ne respectent plus leurs parents. L'Evangile dit pourtant : « Tu honoreras ton père et ta mère » (Ex. 20, 12) ; ( Deut. 5,1) ; (Lév. 19, 3 ); (Mat 15, 4). Partout, c'est l'ingratitude et l'irrespect qui règnent. » Chez lui, en banlieue parisienne, Père Ambroise faisait venir ses enfants spirituels, soit en groupe, pour leur dispenser une catéchèse spirituelle, soit un à un pour leur enseigner la prière du cœur ou pour s’entretenir en privé avec chacun d’eux. Son appartement était d’un grand inconfort. Il s’agissait, loin d’un terminus de métro, devant le cimetière de Levallois-Perret, d’un appartement exigu de deux pièces au quatrième étage d’un escalier branlant fort raide, qu’il peinait de plus en plus à monter, surtout lorsqu’il était chargé de courses. Outre ses difficultés respiratoires, il était, en effet, gêné par sa hernie récidivante, apparue après qu’il ait tant porté de poids, ayant par exemple rapporté de chacun de ses voyages en Grèce de lourds bagages et d’encombrants colis contenant du matériel et des biens d’église pour ses différentes paroisses, qu’il avait montées à lui seul, en y apportant peu à peu les divers objets sacrés qui les constituaient. Il nous avait raconté que, lors d'une grève d’autobus et de taxis à Athènes, ses valises étaient si lourdes qu’il avait failli les abandonner sur place. Cet appartement se composait de deux petites chambrettes, dont l’une donnait sur la rue, et l’autre sur une cour sombre et malpropre, et d’une minuscule cuisine où ne pouvaient trouver place qu’un évier, une cuisinière et un petit plan de travail. Force lui était de supporter un bruyant mini-frigidaire dans la chambre où il dormait. Il n’y avait pas de salle-de-bains, mais, juste, sur le palier, de sommaires latrines à la turque, rattaché aux parties communes de l’étage. Il plaisantait même sur le caractère si pauvre et si sommaire de ces toilettes, disant : « Cette porte, c'est chez le grand Turc. » Il n’était possible de se laver qu’avec une bassine à l’évier. L’hiver, un froid intense passait sous la porte, réfrigérant les pièces et augmentant la sensation de faim et d’inconfort. « C’est nous les plus pauvres », disait-il alors. Et il est vrai qu’à l’époque Père Patric et moi étions pauvres aussi, nos quatre enfants peinant à vivre et à dormir dans la seule pièce du salon, et notre ordinaire composé, aux repas, de lentilles. Mais il faut reconnaître que Père Ambroise était infiniment plus pauvre que nous. Sa frugalité, sa pauvreté étaient impressionnantes. Oui, véritablement, Père Ambroise menait une vie de pauvreté. Comme les Saints de l’Eglise, il était ce que les Saints Pères Athonites appellent « un non-possesseur ». Comme Mère Térésa, il eût pu dire : « J'ai choisi de ne pas avoir. » Et il est vrai qu’il était pour la non-possession ou pour la dépossession des biens matériels de ce monde. Au supermarché, alors que je voulais toujours acheter davantage, et que je lui disais avoir oublié quelque chose, il m’interrompit : « Non, laisse. Laisse tout cela. Nous reviendrons une autre fois. » Un jour qu’il me voyait encombrée d’affaires que je n’avais pas la place de ranger : « Jette tout cela », me lança-t-il, « cela t’oppresse l’âme ». Ce que je fis, pour la joie de mes voisins, qui vinrent prendre ce que j’avais déposé dehors. Frappaient au vrai sa pauvreté et celle de son logement, lorsqu’on le voyait et qu’on entrait là pour la première fois. Et comme ses paroisses étaient pauvres ! L’on lui avait trouvé, loué, ou fourni des locaux à peine moins piètres que n’avait été le garage désaffecté et en ruine laissé en guise d’église à Paris à Saint Jean Maximovitch, lui qui avait eu une cathédrale à Shangaï et une basilique aux coupoles dorées à l’or fin à San Francisco. Mais le gouvernement français n’avait jamais reconnu en France l’Orthodoxie non-oecuméniste comme un enjeu vital de pacification et de sanctification de la société. Aussi, les églises de Père Ambroise n’étaient-elles jamais que de petites chapelles blanchies à la chaux, peintes de ses icônes, et aménagées par ses seuls soins. Il avait même perdu des églises, lorsque des cabales suscitées par de mauvais paroissiens lui avaient arraché la propriété de ses propres biens et de son œuvre d’apostolat. Mais, pour ce qui était de ses lieux favoris de prière, Père Ambroise répétait : « Je ne me sens vraiment bien qu’entre les quatre murs de ma catoire. C’est là que je peux le mieux prier. » Dans un coin de sa cellule, près de la fenêtre, en face de son petit lit, de la chaise et du bureau qui meublaient sommairement la chambre, trônait le lutrin à prières qu’il avait fabriqué de ses mains, avec des morceaux de bois, recouvert d’un long tapis grec. Il y avait là, aux côtés d’une croix athonite de bois sculpté, la Bible, les livres de prières et son fin psautier rouge, usé par les veilles de lecture au cierge où il le récitait parfois in extenso. Pas même de livres de chants pourtant. Les chants n’étaient-ils pas interdits au Désert, de crainte qu’ils ne charmassent trop l’oreille ? L’Ancien, aux heures de prière, cependant, psalmodiait des chants grecs, que nous réentendîmes plus tard au monastère. Il nous en apprenait certains. « La psalmodie », insistait-il, « est d’un grand secours pour chasser l’acédie et la tristesse. Il convient de chanter lorsque nous nous sentons mal. Outre que les vibrations du chant dynamisent tout l’organisme, Dieu entend nos voix et nous exauce ». Sa règle de prière était celle du petit schème, dont on l’avait revêtu lors de sa tonsure monastique. Par la suite, cependant, alors que le métropolite et les évêques grecs avaient toujours, tous, voulu le faire moine grand schème et Evêque, il ne l 'avait jamais voulu, préférant, par humilité, rester simple et humble moine petit schème, sachant, prétendait-il, qu’il ne pourrait jamais dans le monde accomplir quotidiennement une règle si longue et si difficile que celle du grand schème, comportant tant de prières, de petites et de grandes métanies, et de prosternations. Toutefois, fort de la liberté spirituelle qui était la sienne, et qui lui était si chère, il advenait qu’il accomplît, certains jours, plus encore que ne le comportait la règle du grand schème. Le moine ne fait pas de sport. Lorsqu'il voyait passer, sur les berges de la Seine, un coureur du Marathon de Paris, Papouli ironisait gentiment : « Il arrivera le premier ! » Selon lui, le sport du moine, c'étaient ses prosternations, qui le maintenaient en bonne forme physique et qui surtout le grandissaient spirituellement, à force de l'humilier à terre devant Dieu. A l’un de ses enfants qui passait un concours très difficile dont il avait à cœur qu’il le réussît, il gémissait : « Je me suis usé les genoux en prosternation pour toi. Quand les résultats auront-ils lieu ? Je suis fatigué de faire tant de métanies et de prosternations ! » Et le miracle arrivait : Tout-à-fait inopinément, sans que personne s’y fût attendu, le jury, sur ordre du gouvernement, avait rajouté une liste supplémentaire, et le nom de son fils spirituel chéri s’y trouvait écrit en toutes lettres. Et ainsi de suite, tout au long de la carrière de ses enfants spirituels. Il faisait des prières pour que les enfants travaillent bien à l’école, pour que les parents progressent socialement, et, surtout, pour que tous avancent spirituellement. Il faisait des prières pour tout : pour l’avancement spirituel de ses fidèles, pour leur assurer un avenir serein et spirituel, pour la santé de ses enfants, pour les mariages, pour la concorde des époux et la paix des ménages, pour que ses enfants fussent avec lui au Paradis. « Les Saints », disait-il, « prient pour toute chose ; pour les choses matérielles comme pour les choses spirituelles. Ils demandent tout à Dieu dans leurs prières. » Père Ambroise priait sans cesse et pour toute chose. En tout temps et en tout lieu, il invoquait l’aide divine : Il priait avant de commencer un travail, de peindre une icône, de confectionner fût-ce un plat cuisiné, d’entreprendre quoi que ce soit.Il se signait et embrassait l’icône de la Mère de Dieu avant de sortir de chez lui, se signait à nouveau et l’embrassait en rentrant.Toute sa vie était prière. « « Les pièges du Malin sont si nombreux », s’inquiétait-il. Aussi ajoutait-il: « Cette nuit, j’ai beaucoup prié pour toi. J’ai dit des chapelets entiers pour ton salut et ton progrès spirituel. » Et le lendemain, il disait la même chose à un autre de ses enfants chéris. Une autre fois, il disait : « Cette nuit, je n’ai pas dormi de la nuit… ». Ou bien : « Cette nuit, j'ai dormi une heure. » Et de fait, plus qu'il ne jeûnait encore, il pratiquait incroyablement l'ascèse du sommeil, pratiquement comme ces moines acémètes - étymologiquement akimiti, qui ne dorment pas - qu'évoquent les récits des anciens Pères du désert, qui ne dormaient quasiment pas, car ils avaient vaincu le sommeil, ne concédant au sommeil que ce qu'il fallait pour survivre. « Que faisais-tu, Père », s’étonnait-on. « Je priais », murmurait-il. Pourtant, d’autres fois, malgré son ascèse que trahissaient ses yeux brillants de fatigue et ses paupières immensément noires de cernes, il prônait la modération en matière d’ascèse et de privation de sommeil : « Si je ne dors pas assez, » avouait-il, « je suis comme malade. Je ne peux pas veiller comme les grands moines qui dorment deux heures par nuit. » Pourtant, ses yeux, immensément cernés de noir, du fait de son intense fatigue, disaient tout le contraire. De la Prière du Coeur, il nous avoua un jour : « La Prière du Coeur tout le jour, c'est fatigant ! Car il faut se concentrer, toujours, sur les mots de la prière. » Le Starets Thaddée (op. Cit) explique la même chose, exactement. De la sainte ascèse il nous dit, un autre jour : « L'ascèse, toute une vie entière, c'est fatigant ! C'est long ! » Et il nous rapporta cette historiette, tirée une fois encore des Apophtegmes des Pères du désert qu'il aimait à nous conter, inlassablement, laquelle peignait un moine, lequel s'absenta au loin de sa cellule, dans son saint Désert. Lorsque celui-ci fut de retour et qu'il vit au loin sa cellule, il fut pris de sueurs froides, et s'exclama : « Oh, non ! Pas ma cellule ! Ce lieu de tortures ! » Car il s'y torturait des tourments et de la discipline d'une sainte ascèse rigoureuse et dure. Père Ambroise avait, accrochés chez lui, de grands chapelets athonites en laine noire, longs de trois cents grains. Comme les grands moines de l’Athos, veillant la nuit en prière, il priait beaucoup debout, pouvant faire plus d’une dizaine de ces immenses chapelets pour le Christ, et guère moins pour la Mère de Dieu. C’est seulement lorsqu’il n’en pouvait plus qu’il s’asseyait ou s’allongeait. Mais il lui était souvent arrivé, dans sa jeunesse surtout, comme également par après, de dormir dans son rudimentaire et inconfortable fauteuil de paille. L’air embaume également autour de ceux qui font, ne serait-ce que de temps à autre, cette difficile ascèse de dormir assis, cette ascèse qu'ont pratiquée bien des grands Saints, dont Saint Jean Maximovitch de Shangaï. Bien qu’il fût hautement contemplatif, son activité, néanmoins, dans la prière comme dans tous les autres travaux dont il s’accablait, était quasiment incessante. Et cependant, il n’était encore pas content de ses labeurs ascétiques. « Ah ! » gémissait-il, « je suis paresseux. » Mais nous, nous étions intérieurement choqués de ce qu'il pût, dans son excès d'humilité, se traiter de « paresseux », lors même qu'il s'épuisait incessamment à la tâche. En Grèce surtout, plus qu'en France encore, il était connu comme le loup blanc. Oui, toute la Grèce Orthodoxe le connaissait. L'on savait que c'était un grand ascète, un Starets, un Saint. A l’aéroport d’Athènes, redoutant d’être abordé, il relevait sa soutane sous son imperméable. Cependant, à peine avait-il le pied posé sur le sol grec que quelqu’un le reconnaissait. « Le Père Ambroise est arrivé ! » s’écriait-on. « Le Père Ambroise est à Athènes ! » Et toute la Grèce ecclésiale, toutes les autorités ecclésiastiques, et de multiples fidèles qui l'aimaient de tout cœur, se téléphonaient à son propos. Tout le clergé qui le connaissait voulait le faire Evêque, et tout le peuple qui l’approchait voulait qu’il le devînt. Par humilité, lui, n’avait jamais voulu se laisser introniser. Comme il eût été respecté alors ! Même en France, où nombre de personnes indélicates, sans compréhension aucune des commandements évangéliques d'amour et de charité, sans instruction aucune, sans la moindre connaissance de sa sainte personne, et possédées par les démons de la méchanceté et de la jalousie, le maltraitaient, le calomniaient, le salissaient publiquement sans vergogne, comme la situation eût été différente pour lui ! Mais, dans sa profonde humilité, il préférait encore à la gloire les mauvais traitements. Il faut dire qu'il était haï des oecuménistes, parce qu'il était anti-oecuméniste, et jalousé des anti-oecuménistes, qui ne parvenaient pas à la cheville de sa sainteté. L'on avait le sentiment amer, décourageant parfois, que le diable avait fait l'unanimité de ses ennemis contre lui. Et ils se déchaînaient en calomnies horribles, dont il souffrait aux larmes. Tel un autre Saint Nectaire, Père Ambroise avait eu beaucoup à souffrir du démon de la calomnie. Il n'en avait acquis qu'une humilité toujours plus grande, impressionnante en vérité, pour ceux qui l'approchaient de près et percevaient, quoique confusément, toute l'aura de sa sainteté incontestable. Pourtant, plus ses ennemis le vilipendaient, l'humiliaient, plus Dieu, qui voit dans le secret, l'élevait, l'exaltait et le glorifiait spirituellement. Plutôt qu’un Evêque, il était, par le fait, devenu un Pilier de l'Eglise, un Apôtre de l’Orthodoxie. La Mère Marie du Monastère d’Oinoussa de Chios, qui le tenait en grande estime et haute vénération, le comparait au Saint Apôtre Paul. « Voyez », nous expliquait-elle, nous montrant la magnifique baie où s’abritait son monastère, « le Saint Apôtre Paul s’est arrêté en face sur ce rocher…Le Père Ambroise, lui, évangélise la France entière… » Et elle le couvrait, par gratitude, de biens d’église et de saintes reliques, dont la plus précieuse à ses yeux était celle de sa fille, lrène Myrtidiotissa, dont le corps était conservé intact, habillé en moniale, couché dans son cercueil de verre ; - Irène de Chio, Sainte et incorrompue pour avoir souhaité de prendre sur elle la maladie incurable de son père, lequel avait effectivement été mystérieusement guéri, cependant qu’elle était, à sa place, tombée incurablement malade, et qu’elle avait tant souffert, de la même maladie rare d’Hodgkins, que son os occipital avait été profondément creusé par ses souffrances insoutenables. Père Ambroise avait, à son église de Paris, pour concélébrant, un mauvais prêtre. Celui-ci avait fomenté des cabales contre Papouli, entretenu des coteries, montant les fidèles contre leur Ancien, se déversant en médisances et en calomnies contre lui, jusqu’à entraîner une scission dans l’église. Il avait ses fidèles et Père Ambroise avait les siens. Il se vantait d’être le recteur de la paroisse, ce qui était faux, l’église ayant été fondée par le Saint Père Ambroise, sur les reliques, du reste, de Saint Magloire, que l’on avait par la suite miraculeusement découvertes dans la crypte, comme si ce lieu avait été prédestiné à redevenir un saint sanctuaire. Vingt ans durant, Père Ambroise avait dû supporter ce mauvais pasteur de ses propres ouailles, qui se comportait comme un rival jaloux, ne supportant pas que Père Ambroise lui fît de l’ombre. De là qu’il le tourmentait incessamment. Cela avait été une croix et un calvaire pour lui…Mais vingt ans durant il avait fait cette ascèse d'admirable patience de supporter avec une longanimité étonnante ce mauvais prêtre, qui lui faisait subir les pires avanies et les plus humiliantes vexations. Pour finir, l’Evêque avait prononcé un oukaze obligeant ce prêtre à quitter l’église. La patience de Père Ambroise était enfin venue à bout de cette longue et pénible épreuve. Il avait supporté tout cela, comme il supportait toujours tout le reste de ses épreuves. « Patience », nous répétait-il. « Le bon vin vient à la fin ». Il faisait allusion aux Noces de Cana. Et souvent il me répétait : « Anna, en hébreu signifie « patience ». Patience, Anna mou, patience ! » Et il ajoutait : « Tu verras les fruits de la patience ». Les fruits de la patience, c’était là une formule consacrée, que je lus souvent par la suite dans les écrits patristiques qu’il possédait, par centaines, sur ses étagères, et dont j’héritai par après, lorsqu’il nous fit par testament, avec Père Patric, les héritiers de ses minces biens temporels, entre lesquels biens était une icône miraculeuse en style naïf des îles, du temps de la Turcocratie où s'était perdue la tradition iconographique byzantine classique. Cette icône avait guéri sa maman Kyriakoula de migraines épouvantables. Elle s'était quasi mystérieusement auto-nettoyée, blanchissant par endroits et retrouvant ailleurs ses vives couleurs, lors même que lorsqu'il en avait hérité de sa grand-mère puis de sa mère, elle était toute noircie. Père Ambroise était tellement imprégné de ses innombrables lectures qu'il parlait souvent comme un livre aghiorite, ou bien en citant des péricopes évangéliques. Il nous racontait maintes jolies histoires des Pères du désert et du Gérondiko athonite – livre des dits des Saints Anciens Athonites, Ancien se disant Géronda en grec-. Il me souvient particulièrement d'une très touchante histoire, celle d'un jeune moine en proie à l'acédie, que je me remémorai souvent plus tard, d'autant qu'après la mort de Papouli, de mon époux Père Patric et de mon enfant Photinie, j'avais été des années durant la proie d'une acédie terrible, m'empêchant de faire quoi que ce soit et me maintenant même couchée de longues heures du jour sans pouvoir du tout me lever, ce qui générait en moi une indicible souffrance. Voici quelle était l'historiette : Une légion de démons se concertent devant un monastère disant : « Allons attaquer cette troupe de moines. » Mais un autre démon s'interpose : « Quelle est cette petite silhouette de jeune moinillon là-haut sur la montagne qui incessamment tout le jour balance ses jambes dans le vide ? » « - Non celui-ci, n'y va pas. Il te brûlerait. » Le démon se moqua de leur avis : « J'irai quand même. » Et il y alla. « Que fais-tu, moine, ici ? » « Hélas, lui dit le moinillon, je suis à tel point en proie à l'acédie que je ne puis rien faire, ni même aucune prière. La seule chose que je puis faire pour mon Dieu, c'est de balancer mes jambes tout le jour dans le vide. » A la vue de tant d'humilité, le démon fut consumé. Et lorsque nous disions à Papouli que nous étions incapables de faire la moindre ascèse, n'ayant la force ni le courage de jeûner ni de veiller le moins du monde, pour toute réponse, il nous contait cette histoire : « Un petit moine novice ne faisait aucune ascèse. Ni il ne jeûnait, ni il ne veillait. Il n'en avait pas la force. Mais il obéissait à son Ancien qu'il respectait avec amour. Il mourut bientôt prématurément. Les moines du monastère le virent en rêve au Paradis, admis dan sle choeur des Saints. « - Géronda, » s'insurgèrent-ils, comment se peut-il que ce moinillon soit maintenant compté au nombre des Saints, puisqu'il ne faisait rien de son vivant ? Il était incapable de mener la moindre ascèse ? » « Certes, » répondit le Géronda, « il ne faisait aucune ascèse, mais il garda l'obéissance envers son Ancien. Aussi Dieu le compte-t-il parmi les Saints. » Père Patric, lui, aimait à nous conter l'histoire de Théophile et Marie, les fols-en-Christ d'Antioche, qui tout le jour durant faisaient des pitreries, faisant rire et se gausser les foules, et qui, la nuit, en frère et sœur, s'adonnaient en Prière aux veilles nocturnes agréables à Dieu. « Il faut » nous disait encore Père Ambroise, « arracher les passions, comme de mauvaises herbes, tant qu’il en est encore temps. Autrement, elles grossissent avec le temps, et il devient impossible d’en venir à bout ». Et, ce faisant, il nous citait l'apophtegme correspondant des Pères du désert. Et pour mieux nous faire pratiquement comprendre la chose, il nous faisait, à la campagne, arracher les mauvaises herbes du jardin. Cependant, par après, il nuançait son propre jugement : « De par la sainteté, les passions ne sont pas néanties, mais elles sont transformées, transmutées, transfigurées en Christ. Sainte Marie l'Egyptienne, pécheresse, était une femme passionnée. Par l'ascèse, elle infléchit en un autre sens, positif, ses passions négatives. Celles-ci, de mauvaises passions, devinrent bonnes. Sainte, elle aima passionnément le Christ. » Il nous apprenait à parler comme les Pères : « Lorsque vous voulez faire quelque chose, » expliquait-il, « ajoutez toujours « Dieu voulant ». « Je ferai ceci, Dieu voulant. Un jeune moine avait refusé d’employer cette humble formule. Par orgueil, il avait dit à son Ancien : « Géronda, dans deux jours, je vais à la ville ». –« Dis : j’irai, Dieu voulant. – Mais non, pour quoi faire ? J’irai, un point c’est tout. – Tu verras, se contenta de lui répondre son Ancien. » Le jour venu où il avait prévu de partir, il s’abattit de telles pluies torrentielles que le jeune moine fut contraint de renoncer à son départ et d’ajourner son voyage : « Tu vois, lui dit son Ancien. Tu comprends maintenant que si Dieu ne veut pas que tu partes, tu ne peux pas partir. Nous sommes dans la main de Dieu. Bien des choses ne dépendent pas de nous, mais de lui. Sois plus humble à l’avenir ». Et le jeune moine s’en fut tout contrit. Ces œuvres bénies des Pères, Père Ambroise les avait tellement lues ! Il en était imprégné. « Maintenant, » souffla-t-il un jour, « je ne lis presque plus rien… » Lui qui avait tellement lu, il avait délaissé les livres au profit de la prière perpétuelle. D’autant que, de par son don de diorasis, il savait ce que contenait un livre sans même avoir besoin de le lire. « Mais comme j’ai aimé les livres ! » reprenait-il. « Dès que j’avais trois sous, je courais en acheter ! J’économisais sur tout pour cela. Je marchais à pied pour gagner le prix du ticket de tramway. Et je crois que je n’ai presque jamais pris un taxi de ma vie. Jeune, j’ai eu une voiture, une vieille 2CV. Je l’ai conduite une fois jusqu’à Montpellier pour desservir ma lointaine paroisse. Elle est tombée en panne sur la route. Je n’ai plus jamais eu de voiture depuis. » Et c’était en train, de façon épuisante pour lui, dès lors, qu’il avait, toute sa vie de prêtre, desservi ses paroisses de Lyon, et de Montpellier, où il se rendait tous les quinze jours, en alternance avec son Eglise-Mère de Paris (4ème), du 30 boulevard Sébastopol. Lorsqu'il desservait ses paroisses lointaines, disséminées aux quatre coins de France, s’il arrivait trop tôt à la gare, ou repartait trop tard, ou l’inverse, en raison des heures malcommodes des trains, lui qui ne voulait n’être à charge à personne, ne prévenait point de ses véritables horaires et dormait dans les gares. Assis ou allongé sur un banc avec sa longue barbe blanche et son vieux manteau noir râpé, l’on eût dit un clochard presque. Lorsqu’il revenait d'une paroisse qu'il avait desservie, il descendait du train, fatigué de s’être tant malmené dans les gares : « Le voyage était si long ! » s’exclamait-il. « A la fin, il me semblait que je poussais le train pour arriver et vous voir plus vite ! », nous confiait-il, heureux de nous retrouver sur le quai où nous étions venus l’attendre. En lui battait la prière du cœur. Il incarnait, vivante, la tradition hésychaste originelle. Un jour que tout allait mal pour lui, et qu’il était particulièrement déprimé, la prière, miraculeusement, par un mystère connu des hésychastes seuls, était descendue dans son cœur. « C'est parfois au moment le plus douloureux que le Seigneur apporte une consolation », dit le Starets Thaddée, « quand elle ( l'âme simple) ne reçoit de réconfort ni auprès des hommes, ni dans les choses ; quand elle se sent rejetée et méprisée. » Et, comme en écho, Papouli disait : « C'est dans les épreuves que j'ai reçu la plus grande Grâce. » A quoi, Thaddée, en écho encore, renchérit : « Sans épreuves, il n'y a pas de grâce divine. » Très souvent, le soir, tant à la campagne que chez lui, dans son petit appartement, il faisait venir chez lui Père Patric, des heures durant, pour lui dispenser une très solide formation théologique. Il lui parlait au long, interminablement, de théologie et d'histoire de l'Eglise. « Les étudiants ont l'université pour se former intellectuellement et les catholiques ont des séminaires pour former leurs jeunes séminaristes. Nous n'avons pas les bancs de l'université, ni les séminaires, mais nous avons, nous, l'Eglise qui est notre université de théologie. » Et c'est ainsi que Père Ambroise transmit à Père Patric son immense et inépuisable science théologique. Leurs connaissances étaient immenses, tant en littérature qu'en philosophie, en histoire, particulièrement en histoire de l'Eglise et en théologie. En ces matières, ils étaient tous deux des puits de science, et Père Patric avait beaucoup appris de Père Ambroise, bien qu’il fût déjà, de son côté, jeune chercheur au CNRS en philosophie, féru également d’histoire et d’histoire de l’Eglise. Mais, en réalité, ce qui s'opérait entre Père Ambroise et Père Patric était une véritable transmission apostolique. Comme nous l'enseignait Papouli, le dépôt de la Foi Orthodoxe se transmettait d'Apôtre en Apôtre, de Père spirituel en fils spirituel. « Les Anciens », disent les Saints Pères du Désert, -(cf Quatre ermites, op. Cit.)-, ont appris des Pères qui furent auparavant. Ne sois donc pas incrédule aux paroles des Anciens. » Et encore : « Car ceux qui sont grands par leur science et leur vertu, ce sont eux qui enseignent à ceux qui sont petits les vertus et la science véritable. » - Lorsque Père Patric s'endormit tragiquement dans le Seigneur, après le funeste accident qui lui avait coûté la vie, ainsi qu'à sa petite fille Photinie, et que, totalement désemparés et catastrophés, nous nous demandions avec angoisse comment Dieu avait pu permettre un tel désastre spirituel, un tel manque à gagner pour l'enseignement spirituel en Eglise, la Gérondissa Eupraxia la Jeune d'Egine, - qui était néanmoins à présent déjà fort avancée en âge-, fille spirituelle de Saint Jérôme d'Egine, me dit : « Maintenant, Anna, le Seigneur va mettre sur toi la Grâce de Dieu et les facultés d'intelligence intellectuelle et spirituelle. » - C'est grâce à la si solide formation qu'il avait reçue de Père Ambroise que Père Patric put écrire ses œuvres princeps et majeures que sont le Richard Simon ou Du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie ( Ed. L'Age d'Homme), le dossier H sur Augustin d'Hippone (Saint Augustin, Dossier H, Ed. L'Age d'Homme) et les livres sur l'Abbé Wladimir Guettée, dont le magistral et irréfutable De la papauté ( L'Age d'Homme), lequel écrivit une imposante et irréfutable Histoire de l'Eglise qui fut pilonnée par le Vatican, comme portant tort au papisme qu'il attaque dans ses fondements, pour montrer la nécessité de revenir à l'Eglise Orthodoxe des origines du Christianisme. Car tel était bien le combat principal de Père Ambroise et de Père Patric : Retrouver et refonder dans l'ancienne Gaule l'Eglise primitive de l'Orthodoxie telle qu'elle avait existé dans les premiers temps du Christianisme. Mais parce que Papouli recevait si souvent chez lui le soir Père Patric, de mauvaises langues avaient colporté l'infâme calomnie que Père Ambroise était homosexuel. Il en avait beaucoup souffert. « J'ai tant souffert de la calomnie », disait-il. De fait, comme Saint Nectaire, Père Ambroise avait parmi les oecuménistes suscité par sa personnalité exceptionnelle et charismatique, ses talents sans nombre et son intelligence extrême de vives jalousies, lesquelles avaient donné libre cours à des calomnies épouvantables. Un autre motif de calomnie était que Père Ambroise avait été marié à l'état-civil, parce que durant la guerre, et dans l'immédiat après-guerre, la crise du logement était telle qu'il était beaucoup plus aisé aux gens mariés de se loger qu'aux célibataires. Une fidèle très dévouée à Père Ambroise et qui l'aidait financièrement aux heures de misère qu'il avait traversées de longues années durant, lui avait proposé cet arrangement sur le papier qu'il avait finalement accepté. Bien sûr, ce mariage était un mariage blanc, et il n'y avait jamais rien eu d'autre que ce papier entre Père Ambroise et cette fidèle. Mais des gens malintentionnés étaient allés trouver cette pièce d'état civil à la mairie, et toute sa vie les calomnies l'avaient poursuivi. Ces gens criaient à qui voulait l'entendre : « N'allez pas dans sa paroisse. N'y allez pas. Ce moine illettré est en plus un moine marié, et un moine paillard. » Je l'ai souvent vu en pleurer. « Les gens sont trop méchants », gémissait-il. Un jour aussi je le vis ouvrir la porte de son appartement pour sortir et la refermer aussitôt précipitamment sur une dame qui passait dans l'escalier. « Je n'ai plus envie de sortir, » me dit-il, « les gens sont vraiment trop méchants. » Et de fait, cette femme s'était avérée être une méchante voisine. Mais Père Ambroise avait aussi ses admirateurs. Il attirait à lui des visiteurs plus ou moins illustres. Il recevait la visite de théologiens grecs d'une renommée internationale, d'évêques russes ou grecs venus escortés d'une troupe de leurs moines, de moniales venues du fin fonds de la Russie ou de leurs monastères les plus inaccessibles du fin fonds des îles grecques, dont elles ne sortaient ordinairement jamais, mais qui venaient tout exprès pour le visiter, et voir à quoi ressemblaient sa chambrette, comme sa modeste chapelle au cœur de Paris. A l'église venaient aussi des personnes haut placées, des écrivains de renom, de très riches héritiers, et même des milliardaires, de confession orthodoxe, lesquels, hélas, ne comprenaient pas combien il eût fallu, pour la Gloire de Dieu et la mission apostolique française, aider notre église si pauvre et persécutée. Il était venu un jour un de nos admirateurs secrets, un député qui nous respectait et nous estimait pour nos travaux théologiques. Tout de suite, Père Ambroise l'avait dénommé Nicodème, pour ce que Nicodème était en secret venu demander à Pilate le corps du Christ, qu'il l'avait embaumé, et couvert d'aromates. L'avait accompagnée sa femme, Dolorès, fille d'un président du Chili, lequel avait été assassiné. Dolorès m'avait fort généreusement apporté de très beaux petits vêtements d'un luxe inouï, qu'elle s'était procurés chez Bonpoint, place de la Madeleine. Il y avait là deux petites robes en velours noir et un petit costume composé d'une culotte de velours noire, boutonnée à une chemise de soie couleur crème à grand col orné de petits plis religieux. L'ensemble était ravissant. « Oh ! Cela est beaucoup trop beau pour nous ! » avais-je protesté. « Rien n'est trop beau pour vous, » m'avait-elle gentiment répondu. « Vos enfants sont les princes de l'Eglise ! » Une autre fois, Père Patric était revenu enthousiasmé. « Ca y est ! » nous avait-il lancé, tout joyeux. « J'ai enfin trouvé un éditeur ! » Il s'agissait de Dimitri Dimitrievic, éditeur qui avait fondé L'Age d'Homme, qui fit tant pour faire sortir l'Eglise Orthodoxe du mur du silence derrière lequel la tenaient enfermée ses ennemis, professionnels de la désinformation régnante dans les médias et ailleurs, - sphères politiques et religieuses. Dimitri était venu à l'église, accompagné de sa petite fille Antonia. Il avait tenu à l'y faire baptiser. Notre petite Photinie, toute enfant encore, avait été choisie pour marraine. Photinie était si raisonnable alors ! Elle était si fiable ! On pouvait lui faire une confiance absolue, à toute épreuve. Alors qu'elle était si jeune encore, j'avais tendance à la surcharger de missions à accomplir. Elle s'acquittait de toutes, avec esprit de sagesse et d'intelligence. De là qu'elle fut, très petite encore, plusieurs fois choisie pour marraine d' autres jeunes enfants. D'autres fois, le soir encore, Papouli nous faisait venir en groupe pour former théologiquement ses futurs prêtres, ses futurs moines et moniales, et même tous ceux de ses ouailles qui voulaient bien être catéchisés – et ses catéchèses étaient d'un niveau théologique et intellectuel en tout point admirable-, parmi lesquelles ouailles figuraient nombre de jeunes intellectuels brillants, formant comme une intelligentsia spirituelle. Après quoi, formés intellectuellement et spirituellement par lui, comme marqués de son sceau – le sceau du Saint Esprit -, des jeunes gens de notre église s'en allaient se faire diacres ou prêtres dans d'autres paroisses en France, et jusque dans des paroisses russes, célébrant en slavon, d'autres jeunes gens et jeunes filles, fait plus notoire et plus impressionnant encore, partaient, sans même se retourner en arrière, se faire moines et moniales dans les monastères grecs de notre juridiction, puisque, malheureusement, nous n'avions pas de monastère en France. Tel était, et si grand il était, le rayonnement spirituel de notre Saint Père Ambroise. Car si impressionnante était sa figure, et si haute sa stature spirituelle que qui l'approchait, souvent, brûlait aussitôt du désir de lui ressembler à lui seul, et à personne d'autre qu'à lui. Tant, en vérité, tout son être, toute sa personne, était incomparable, ne ressemblant à personne du commun des mortels, et faisant oublier sur-le-champ tous les gens du monde, donnant l'envie irrépressible de tout quitter pour le suivre, comme un autre Christ pour ses disciples. Car il avait atteint la stature du Christ et était devenu ce que les Pères appellent « un être très ressemblant au Christ. » C'est ainsi que les uns quittaient leurs proches pour venir s'établir auprès de lui, - comme nous avions fait, Père Patric et moi, pour venir vivre au pied de chez lui, quatorze années durant, depuis la date de notre rencontre avec lui jusqu'à celle de sa dormition - , et que d'autres quittaient leurs fiancées pour se faire moines. Père Ambroise, en vérité, suscitait de multiples vocations. De fait, sa force d'attraction était extraordinaire, et il aimantait les êtres, tel un aimant qui magnétise. Oui, en vérité, il magnétisait les cœurs, comme de mille aigrettes qui fussent émanées de sa force de persuasion, de sa personne charismatique, de son halo de sainteté. En d'autres temps, Père Ambroise nous faisait également venir individuellement à ses côtés dans la chambrette qui lui tenait lieu de cellule. Parfois, il nous faisait faire debout le long chapelet de trois cents grains, nous en prescrivant un certain nombre, et parfois, nous voyant fatigués, il nous faisait asseoir. La station debout ou assise dépendait, selon les cas, de notre degré de concentration. Il cherchait toujours à ce que nous fussions le plus concentrés possible. « Assieds-toi au bord du lit…Penche un peu la tête sur ton cœur. Et, sur le souffle, dis la Prière… » Et c’est alors, à le regarder de si près, que nous percevions combien il avait le regard fatigué, l’air épuisé par toute la dure ascèse qu’il avait menée depuis tant d’années. Il devinait la pensée : « Si tu ne souffres pas, » souffla-t-il, « Dieu n’écoute pas tes prières…Mais, » ajouta-t-il, « plus tu souffres, et plus Dieu te console… Oui, dans la vie, il faut souffrir ou s’ennuyer ». Il nous disait avoir été parfois si épuisé qu’il en venait à souhaiter d’aller à l’hôpital pour s’y reposer… Mais chaque fois qu’il se trouvait véritablement hospitalisé pour cause de maladie, comme il était apprécié et aimé des infirmières ! A toutes, oubliant qu’il était malade, il disait un mot gentil et se plaisait à les faire rire par son humour coutumier. « Comme il est aimable, disaient-elles. Non seulement il est malade, mais il trouve encore la force de nous faire rire ! » Et à nous qui venions le visiter, alors que nous savions que la nourriture à l’hôpital n’était pas assez abondante, il nous proposait encore de sa maigre pitance. Nous étions sidérés de sa générosité et de son abnégation. Il avait tellement piétiné son ego ! On eût dit qu’il n’était jamais égoïste. Mais nous nous gardions bien de le léser davantage. « C’est pour toi, Papouli. Garde-le. Tu en as besoin pour reprendre des forces ! » De fait, la santé de Papouli se dégradait. A ses divers maux de vieillesse, s’ajoutait une bronchite chronique qui l’épuisait. Nous le voyions souvent maintenant allongé sur son lit, exténué, y demeurant à ne rien pouvoir faire d’autre que prier ; car la prière était toute sa vie. Un jour, une fois de plus n’en pouvant plus, il était allé voir le médecin. Celui-ci avait été pessimiste. Il avait tenu à nous parler. « Il a vécu trop longtemps en sur régime », nous avait-il confié. « Il est comme un moteur épuisé. Il s’est usé la santé. A vivre comme cela, l’on ne peut durer longtemps, ni faire de vieux os. Il s’est enlevé des années de vie. Il ne vivra pas vieux ». Sur le moment, nous n’avions pas prêté attention à ces dires… D’autres fois encore où Père Ambroise nous faisait venir dans sa chambre, il nous sortait de petites boîtes en métal des cotons embaumants. « Ce coton vient de Saint Nectaire », murmurait-il. « Il a été passé sur ses reliques. Sentez ! Il embaume ». De fait nous sentions comme une odeur de talc parfumé. Il nous faisait sentir plusieurs cotons, provenant de diverses reliques de Saints. « Il y a plusieurs parfums embaumants », nous expliquait-il. Et, de fait, les parfums qu’il nous faisait humer étaient variés. Mais, de tout cela, le plus extraordinaire était bien que c’était lui qui embaumait, fortement, par bouffées suaves, lorsque nous nous tenions devant lui et qu’il nous disait de telles choses. Cela arrivait fréquemment. A maintes reprises, durant les derniers temps surtout de sa vie, lorsque nous nous approchions de lui, il embaumait suavement. Il était le Saint nous évoquant les Vies de ses amis les Saints. En vérité, oui, il était un véritable Saint Père théophore – portant Dieu. Et il nous le confirmait : « Cette nuit, j’ai vu Saint Nectaire. Non, je ne dormais pas. Il vient, parfois, s’entretenir avec moi dans ma cellule. »…Ces confidences nous laissaient sans voix, stupéfaits. « Si vous le vouliez », poursuivait-il étonnamment, « il viendrait aussi vous visiter ». Et un autre jour, il nous disait : « J'ai vu Sainte Photinie l'Ermite. Elle m'a parlé. Je me suis entretenu avec elle. Sainte Photinie l'Ermite est une figure si extraordinaire ! Et il soupirait : « Ah ! Je l'aime tant ! ». Et, plus tard, il traduisit sa vie. Père Patric publia peu après son livre aux éditions de l'Age d'Homme. - cf. Joachim Spétsiéris, Vie de Sainte Photinie l'Ermite, traduction de Père Ambroise Fontrier, Ed. L'Age d'Homme. » -. Un jour qu'une de ses filles spirituelles était très malheureuse, lors d’un pèlerinage que nous faisions avec lui en Grèce, nous fûmes hébergées dans une famille très pieuse de neuf enfants que la mère avait tous vus, par ses prières, rentrer au monastère, -il s'agissait de huit filles- pour y vivre de façon angélique, sauf un, -le fils unique-, et dans la maison desquels ils avaient construit une chapelle dédiée à Sainte Photinie. Comme cette fidèle était gravement, et même – elle l’apprit par la suite- incurablement malade des poumons, le Saint Père Ambroise lui fit une onction d’huile prise à la veilleuse qui brûlait devant l’icône de Sainte Photinie, dans sa chapelle, et prononça sur elle les prières de l’office des saintes huiles des malades. Par la suite, les médecins, à leur grande surprise la dirent guérie de la gravissime et rare affection pulmonaire qu’elle avait contractée, et, quoiqu’ils trouvassent cela mystérieux, se l’expliquèrent par le lourd traitement qu’ils lui avaient fait subir. Mais Papouli, fut plus explicite : « C’est Sainte Photinie, » fut-il catégorique, « qui t’a guérie ! » Ce même soir, en Grèce, elle allait s'endormir plus triste encore qu’à l’ordinaire, du fait d’un chagrin qui la tourmentait, lorsque fit soudain irruption dans sa chambre, une grande apparition. C’était une moniale de haute taille, toute de noir vêtue. Le plus surprenant était qu’elle n’avait pas fait un seul pas pour entrer. Non. D’emblée, elle s’était trouvée là, présente, de toute sa très haute prestance, habitant totalement la chambre. Toute surprise, la jeune femme se redressa pour se tenir sur son séant, assise sur son lit, et elle la regarda. C’est alors qu'elle fut emplie d’une joie indicible, comme elle n’en avait jamais éprouvée la moindre. Il lui souvint plus tard d’avoir lu que les apparitions de Saints comblent d’une joie sans pareille, à quoi aussi elles se reconnaissent, en sus de leur haute taille, plus grande que nature. Puis, soudain, la forme disparut comme elle était entrée, sans faire non plus un pas pour sortir. Disparue, elle avait tout simplement disparu. Le lendemain, la jeune femme alla voir Papouli, pour le prier de demander à la dame de ces lieux, Eugénikie, si c’était elle qui était venue chercher du linge dans l’armoire de ma chambre. « Non, ce n’est pas moi » avait répondu la mère de famille. « C’était Sainte Photinie », ajouta tranquillement Père Ambroise, l’air aussi assuré que si la chose lui eût paru très naturelle. « Elle t’a donné cette grande joie spirituelle et t’a consolée ». De fait, peu après, la vie de cette fidèle avait changé de cours, et sa tristesse s’était changée en joie… Peu avant sa mort, la petite Photinie, âgée de dix ans, vit sa Sainte en songe. « J’ai vu ma Sainte ! s’exclama-t-elle. Elle était pleine de lumière ! » Sur le moment, nous ne prêtâmes guère attention à ce que nous prenions pour un simple rêve d’enfant. L’avenir allait nous détromper. Sans doute la Sainte lui était-elle apparue pour annoncer qu’elle la prendrait bientôt avec elle… C’était Père Ambroise qui avait tenu à ce que nous appelions notre aînée Photinie. Il avait pour cette Sainte une extrême vénération. Il avait donc traduit toute sa vie, et, lorsque le livre avait enfin paru, il ne nous avait pas caché sa joie. « J’aime tellement Sainte Photinie l’Ermite », nous avait-il redit. « Lorsque je traduisais sa vie, il me semblait que j’étais tout le temps avec elle au désert, partageant sa vie. Vous rendez-vous compte ? Qu’en plein dix-neuvième siècle, une si jeune fille ait pu partir au désert et vivre comme cela, toute seule, la vie d’une nouvelle Sainte Marie l’Egyptienne ! Cela est extraordinaire et passe l’imagination ! Je la prie et je la vénère tellement ! Bien sûr, nous ne connaissons pas les carnets de bord de la plupart des Saints, et beaucoup ont dû parfois vivre une vie plus ordinaire qu’il ne l’est dit dans les Synaxaires qui sont trop stéréotypés et embellissent souvent trop la Vie des Saints ! mais une Sainte comme elle n’a rien d’une vie ordinaire ! »… L’été, souvent, Père Ambroise avait accompagné des fidèles en pèlerinage en Grèce. Il allait dans de magnifiques monastères amis, souvent sis au bord de la mer, comme à Chio ou à Kalymnos, où l’on découvrait un monde totalement à part, mystérieux, une vie tout-à-fait inconnue des habitués des sentiers battus, répertoriés par les guides touristiques. Le monastère de Chio était une fidèle réplique des monastères byzantins et athonites du XIV°siècle. Celui de Kalymnos, de dimensions beaucoup plus modestes, était, devant la mer, composé de petites cellules blanches et d’une église d’un charme extraordinaire... Oui, véritablement, ces monastères, situés dans des îles, totalement à l’écart du monde, étaient des lieux paradisiaques. Lovés dans des baies magnifiques, ils surplombaient la mer. En arrière-fond, un cirque de montagnes les rendait très difficilement accessibles par terre, après des heures de marche harassante, en plein soleil, dans des paysages désertiques. Aussi s’y rendait-on plus aisément en caïque. Ces promenades en mer dans ces minuscules bateaux si pittoresques étaient inoubliables. Un jour, malgré tout, la tempête nous surprit. Le bateau faisait des bonds vertigineux sur les lames écumantes, cependant que le vent se déchaînait. Nous étions terrorisés. L’Ancien supplia la Mère de Dieu. Les entours de l’icône suspendue au mur se mirent à embaumer et la tempête se calma. Le reste du temps, ces périples en mer nous donnaient l'occasion d’admirer les merveilles de cette nature incomparable. « Certains Pères de l’Eglise », enseignait-Père Ambroise, « situent le Paradis de la nouvelle terre à venir dans les îles grecques. Là, lorsque de tous les confins de la terre, lors de la Résurrection des morts, selon que le décrivent les poètes renaissants ou le grand prophète Ezéchiel, dans sa magnifique épître, tous les corps brisés, sciés, incinérés, torturés, dépecés, incendiés, se reconstitueront, que toutes leurs cendres et que tous leurs os reprendront vie, insufflés par l’Esprit, qu’aura marché dans la plaine de vie toute l’immense armée des morts, alors nous progresserons incessamment dans la prière et dans les vertus, revêtus de notre corps subtil, léger, beau et jeune du temps où nous avions trente ans… » Et nous de penser au portrait, tracé à la mine de plomb, de Papouli en beau jeune moine, esquissé par un artiste qui avait pressenti la grandeur à venir d’un jeune Père Ambroise, si maigre, à force de jeûnes, qu’il en avait une taille de guêpe serrée dans son ceinturon de moine, mais déjà si imposant par sa forte personnalité charismatique, plus gai que le tableau de l’Ancien affligé de chagrins qu’avait, à la fin de sa douloureuse vie d'épreuves, peint une de ses fidèles. Il en imposait déjà par son absolue authenticité, et l’on sentait, de ce fait, qu’avec lui l’on ne pouvait ni dissimuler ni tricher. Père Ambroise était parfois redoutable, pouvant se fâcher et nous ignorer dans sa colère, jusqu’à nous faire peur, à nous faire croire que nous avions irrémédiablement perdu son amitié. Il pouvait être extrêmement sévère, au point que certains le craignaient, et que d’autres, qui n’avaient point la crainte de Dieu eussent bien dû l’avoir. Une femme hostile à l’Eglise empêchait son mari de venir aux offices et lui faisait à ce propos des crises incessantes. Lorsque Père Ambroise l’apprit, il fut très contrarié. Et voici que, peu de temps après, cette femme fit coup sur coup deux grossesses extra-utérines et devint stérile. La mère d’un fidèle, détestant l’Eglise, vint faire au Père Ambroise une scène extrêmement violente en pleine église. Peu de temps après, on lui découvrit un cancer généralisé et elle mourut subitement. Un autre, complètement athée s’en prit très violemment à Père Patric. Père Ambroise en fut courroucé. Peu après, cet homme, ayant sombré dans le désespoir, se suicida. D’autres fois, au contraire, il sembla, après sa mort, qu’il prenait avec lui des êtres chers. Lorsque Père Patric et Photinie moururent ensemble, au même instant, dans leur pleine jeunesse à trente-cinq et à dix ans, comme faisaient les glorieux héros de l’antiquité, ce double deuil fut trop terrible pour que je pusse l’accepter. Lors de l’enterrement, avant que nous ne soulevions nous-mêmes leurs deux cercueils, brun et blanc, je me sentis si mal, d’autant que je portais dans les bras Vassilissa bébé, qui était déjà lourde, que je glissai et faillis tomber. A ce moment-là, l’air embauma aux entours, comme si Papouli voulait me dire qu’il me soutiendrait tout au long de ma vie dès que je glisserais. A cet instant m’apparut comme une certitude évidente qu’il avait pris avec lui Patric et Photinie, ces deux êtres chers, morts deux ans après lui, et dont il n’avait jamais pu se passer de son vivant, comme s’il n’avait pu attendre plus longtemps qu’ils le rejoignissent.Père Ambroise, du reste, s'était endormi dans le Seigneur un quatorze janvier, jour de l'anniversaire de la naissance de Photinie. D’autres femmes, d’autres hommes jeunes moururent prématurément, d’entre les enfants spirituels de Papouli. Tous leurs proches, se souvenant comme Père Ambroise les avait de son vivant, serrés dans ses bras, eurent ce même sentiment qu’il les avait pris auprès de lui au Paradis. Tous savaient que les enfants spirituels de Père Ambroise avaient sur eux, leur vie durant, et par-delà la mort, outre-tombe, la bénédiction de Papouli, et que cette bénédiction, immense, et très puissante devant Dieu, au vu de son assurance devant Lui, serait leur défense, et leur tiendrait lieu de tout, ici-bas et là-haut, devant le redoutable Tribunal de Dieu. Il était frappant aussi de voir comme, lorsqu’il arrivait dans une assemblée de gens qui lui étaient inconnus, il savait immédiatement discerner quelles étaient les personnes bonnes et aller vers elles, aussitôt, chaleureusement, pouvant aller jusqu’à les serrer dans ses bras. Et ces personnes ensuite devenaient ses enfants spirituels. Il aimait tant ses enfants spirituels ! Parmi eux, il avait une passion pour Père Patric et pour Photinie. Un jour, bébé encore, celle-ci avait par mégarde avalé un morceau de verre. Nous l’avions emmenée à l’hôpital. Mais le diagnostic avait tardé et nous ne rentrâmes que le soir. Lorsque nous arrivâmes, quelle ne fut pas notre surprise de voir Papouli à sa fenêtre, qui y avait attendu tout le jour, en pleurant, des nouvelles de sa Kouli, craignant que la chose ne fût plus grave qu’elle ne l’était en fait, puisque cela, pour finir, avait passé. En vérité, il l’aimait à la folie, la mettant sur son dos, lui chantant des chansons grecques : « Je vends un petit mouton, je vends un petit mouton », et jouant plus encore avec elle qu’avec tous les autres enfants, qu’il aimait également. « j’aime tant mes enfants spirituels, s’exclamait-il. Il faudrait que je coupe les milliers de kilomètres de cordon ombilical qui me rattachent encore à eux, mais je n’y parviens pas, et ne puis seulement m’y résoudre. » Puis, se tournant vers moi : « Ah ! Toi, Anna, tu es une mère admirable. Je n’en ai pas souvent vu de pareilles ! » Il repartait, sans avoir rien mis dans sa bouche entre les repas. Souvent, en sortant, il relevait sa soutane sous son manteau ou son imperméable, selon le temps, pour plus de discrétion. Sauf dans certaines occasions solennelles, il n’aimait pas qu’on le vît dehors en soutane. Il était contre l’ostentation : « Il ne sert à rien, reprenait-il à l’Evangile, de donner les perles aux cochons, ils ne comprendraient pas. » - « Ne jetez pas vos perles aux pourceaux » (Mat 7, 6) intime l'Evangile du Christ. Il remontait à son travail, dans l’immeuble d’à côté. Nous le voyions alors à genoux devant son lit, agrafant un à un les feuillets de la « Catéchèse Orthodoxe » qu’il confectionnait entièrement seul, à la sueur de son front. « Hélas ! je suis seul pour tout ce faire. Cela me rappelle les premiers temps dans la nouvelle paroisse que j’avais fondée. Au début, j’étais presque entièrement seul, et le jour du Grand Vendredi Saint, je pleurais sous l’épitaphion – le drap de l’ensevelissement du Christ- que je portai seul au lieu qu’il y ait cinq personnes pour le tenir en procession autour de l’église jusqu’au tombeau du Christ, sis au centre de l’église, un enfant de choeur à chaque coin, et le prêtre au milieu, sous le drap. Oui, je pleurais, et je gémissais : « Seigneur, je suis tout seul ! Envoie-moi de l’aide ! » Plus tard, il ajoutait, nous regardant non sans tristesse : « Je sème, seul, mais ce n'est pas moi qui moissonnerai plus tard. » Et en vérité, oui, Papouli avait tracé sa route seul, dans la plus grande et la plus désespérante solitude, nous préparant le chemin, nous réservant, à nous et à nos successeurs, de lier les gerbes de la moisson. Père Ambroise avait baptisé mon futur époux, Père Patric, lequel était devenu diacre, puis prêtre et protoprêtre, et avait mis à profit ses immenses qualités de chercheur en philosophie au CNRS pour fonder avec lui la revue internationale de théologie intitulée La Lumière du Thabor. Aucun éditeur ne voulant d’abord nous éditer, avant qu’elle n’ait été reprise par les éditions de l’Age d’Homme, Père Patric avait acheté une gosse off-set de bureau, et nous avions transformé notre minuscule appartement en imprimerie, les bébés jouant sous la table au milieu de l’encre et des feuilles que nous peinions à assembler. Père Ambroise descendait nous voir au travail, transporté de joie à l’idée de recevoir enfin l’aide qu’il avait si longuement et si patiemment attendue pour son œuvre d’apostolat… Il aimait à nous chanter à nous aussi de ces chansons grecques qu'il affectionnait, dans sa langue grecque natale, qui lui rappelaient son enfance en Asie Mineure, et lorsque je tardais à me manifester le matin pour lui proposer mon aide ou du moins lui demander la bénédiction pour la journée, il descendait de chez lui, gagnait la cabine téléphonique et me réveillait en me chantant en grec « la belle nonchalante qui sommeille encore… » Il était, lui, loin d’être nonchalant ; et lorsqu’il n’en pouvait plus, il se tançait lui-même, et murmurait : « Encore un petit peu, Ambroise. » Il était néanmoins plein d’indulgence envers les travers des autres : « Tu fais plus qu’une moniale, m’excusait-il. Au monastère, chaque moniale a sa diaconie spécifique. Toi, tu dois les faire toutes à la fois, plus t’occuper des enfants et de tes hôtes. » Il en venait sans cesse, les uns gentils, les autres malveillants et désagréables, toujours portés à la critique. « Tu es trop gentille », me reprenait Papouli. Malheureusement, les gens méchants ne comprennent que la méchanceté. Tu les traites trop bien. » Père Ambroise, quant à lui, excitait toujours les jalousies, au point qu’il suscitait les calomnies. Des higoumènes de Monastères eux-mêmes s’offusquaient de ce que Père Ambroise leur fît ce qu’ils considéraient comme de l’ombre. Le fondateur d’un Monastère à Boston l’avait invité aux Etats-Unis, sur sa réputation. Lorsqu’il le vit, avec sa longue barbe blanche de Starets qui attirait les foules, tout le monde se précipitant vers lui pour lui baiser la main, il le prit mal, et dès les premiers moments se mit à lui tourner le dos. Aux conférences, loin de le mettre en valeur, il évitait de le regarder en face, comme si sa présence le gênait. Sans doute avait-il des choses à se reprocher. Père Ambroise était objet de jalousie de la part même de moines, de clercs, d'évêques, ou d'autres spirituels. Le halo de sainteté qui le nimbait était si manifeste que bien des êtres envieux s'offusquaient de ce qu'il fût si saint, et non point eux. Il me souvient encore que, jeune convertie, je m’étais découragée du grand nombre des offices, des prières, des jeûnes, et des absences perpétuelles de mon mari, que sa prêtrise appelait partout auprès des fidèles, lesquels lui faisaient tout faire, bénir leur appartements, réconcilier les ménages, baptiser les enfants, et jusqu’à déménager leurs maisons, comme si le prêtre devait être corvéable à merci. A la maison, c’était l’auberge espagnole, et il fallait cuisiner toute la nuit pour accueillir des fidèles qui, par après, critiquaient tout et n’importe quoi. Les gens en divorce appelaient jusqu’à trois heures du matin. Un jour, contrariée, j’avais caché le téléphone dans la machine à laver. Fatiguée de n’avoir aucune vie privée avec mon mari qui, en plus de faire le « boy » des fidèles, exerçait à peu près trois métiers à la fois, imprimant aussi lui-même ses propres textes, pour les faire circuler sur le manteau, les éditeurs n’acceptant pas les textes des Zélotes Orthodoxes, au point qu’il s’endormait assis, tard dans la nuit, le nez sur ses livres, je dis, excédée à Père Ambroise descendu prendre de mes nouvelles : « Je n’en peux plus ! J’en ai assez de vos bondieuseries ! » A ce mot, il devint furieux, comme je ne l’avais jamais vu. « Vos bondieuseries ? Tu blasphèmes ! Ne dis plus jamais ce mot, tu m’entends ? Plus jamais ! »Et il se leva pour partir. Il faut dire que j’en étais à l’alpha bêta de ma vie de Chrétienne Orthodoxe, et que les débuts sont parfois plus rudes que la fin. Il me souvient qu’il m’arrivait encore de n’avoir pas la foi, de me dire, comme dans le pari de Pascal : « Et si tout ce que l’on me racontait n’était que contes de fées ou contes à dormir debout ? L’on se donnerait toute cette peine, l’on ferait tout cela pour rien ? Et s’il n’y avait pas de Salut hors de ce monde ? » En vérité, j’en étais aux balbutiements de la foi. Je n’avais pas encore, en pèlerinage en Grèce, en Russie, en Ukraine, - au Monastère de la Lavra des grottes de Kiev-, en Bulgarie, en Roumanie, en Terre Sainte, dans les monastères du désert, approché tous ces Saints que j’ai rencontrés ensuite et qui, dans leur grande bonté et leur miséricorde infinie, continuent de prier pour nous. Mais où que j’allasse ensuite, nulle part je ne rencontrai un Starets de l’étoffe et de la hauteur spirituelle de Père Ambroise, qui peu à peu, embaumant souvent par bouffées, instilla en nous la vraie Foi Orthodoxe. Les monastères grecs avaient été pour moi une révélation. Car, en Grèce, surtout, nous trouvions enfin nos racines, celles de l’Orthodoxie vivante, dont, jeunes néophytes, nous ignorions beaucoup encore…Nous y revenions à la source de l’Orthodoxie, cette religion des premiers temps du Christ, cette foi des Catacombes, à nulle autre comparable par son authenticité, sa ferveur et l’intensité de la prière de ses Saints. « Les monastères sont les meilleures écoles, » disait l' higoumène de Chio, la mère Marie. « L’on y apprend tout, la prière, la théologie, l’iconographie, la calligraphie, les arts ménagers, la cuisine, la couture, la maçonnerie, le jardinage, l’élevage des poules et des ovins, moutons et chèvres, mais surtout l’on y acquiert nombre de vertus et de charismes divins » Et de fait, nous voyions dans ces lieux déserts de toute beauté, élevant leurs montagnes devant la mer, où se découpaient des baies magnificentes, les formes noires des petites moniales bergères et maçonnes, ajoutant toujours de nouvelles cellules au monastère, leurs robes noires tâchées de plâtre, qui nous saluaient longuement avec leurs mouchoirs, et, au-dessus d’elles, les surplombant, sur un montagneux et abrupt sentier de chèvres, la silhouette noble et majestueuse de Père Ambroise, nous souriant de nous savoir heureux dans ces parages de rêve où il nous avait emmenés, en père aimant attentif à offrir à ses enfants des vacances somptueuses pour les sortir de leur environnement pollué, et surtout, les élever spirituellement. Les moniales étaient si édifiantes. Elles nous faisaient venir dans leurs cellules, et nous montraient le squelette qui y était accroché, « vanité » frappante, destinée à rappeler brutalement au regard qui le rencontrait par inadvertance que la vie ici-bas est éphémère. Aussi, à peine souffrions-nous d'un mal ou d'une épreuve quelconque, qu'elles nous lançaient, souriantes : « Tha pérasi ! Tha pérasi ! » - ça passera ! ça passera!- Tant elles avaient cette notion du temps qui s'enfuit en volant. Les moniales faisaient une cuisine extraordinaire. Elles nous gâtaient d’une façon presque choquante, tant elles nous faisaient d’admirables petits plats. Un jour, Père Ambroise embrassa les mains d’une des cuisinières : « Tu as les mains bénies », s’exclama-t-il en lui faisant un grand sourire jovial. Les offices, en revanche, étaient fort longs, et les agrypnies, particulièrement, offices qui duraient la nuit entière, pouvaient paraître interminables à de non-initiés. Supportant mal le manque récurrent de sommeil, - car les moines et les moniales pratiquent intensément cette ascèse du manque de sommeil-, agenouillée sur les dalles, je piquais du nez et m’endormais à terre. Alors, Papouli venait me toucher doucement l’épaule : « Réveillle-toi ; ne dors pas à l’église. Et, si tu n’en peux plus, va te coucher dans ta cellule… » La vie au monastère était très stricte, même pour les visiteurs. Maris et femmes étaient séparés, dans des cellules différentes, bien que nous eussions souvent entendu Papouli dire à de jeunes mariés qu’il plaçait à table cette parole de l'Evangile : « Il ne faut pas séparer ce que Dieu a unis. » La vie au monastère était l’exception. Mais il y avait des moments de pur bonheur comme la baignade. Se baignant à part des visiteurs, et les femmes à part des hommes, les moniales, comme les moines du Mont Athos, étaient autorisées à se baigner en longues tuniques, blanches, noires, bleues ou grises ; la nature si clémente et le chant des cigales ajoutaient au sentiment d’enchantement de ces heures de joie. Papouli parlait de « chaleur chaude ». De fait, sans la baignade, l’ascèse de la chaleur était dure à supporter pour ces moniales si couvertes, et pour le clergé en soutanes, raidies de sueur. Après la sieste, venait le moment de deviser sous la treille avec l’higoumène, en dégustant une glace parfois. Une moniale, de temps à autre, s’éloignait, semblait se cacher aux regards, penchée sur son cœur, assise sous l’excavation d’un rocher. « Regarde, » me disait Papouli, « elle s’isole pour prier. Elle vit dans la prière, intensément. » Tous moments bénis. Je m’étonnai un jour qu’il fît moines ou moniales tant de jeunes gens. Car nombre de ceux qui l'approchaient, aimantés par sa personne sainte, et portés par sa prière, sentaient l'appel de Dieu et se consacraient à Lui. La directrice de l'Ecole Normale Supérieure, fort contrariée, m'avait convoquée : « Vous envoyez toute la promotion au monastère ! » Et, de fait partirent, successivement, en peu de temps, une jeune fille, Catherine, en Attique, puis une autre, Claire, à Kalymnos, où elle fut baptisée sous le nom de Photinie, puis y devint moniale sous le nom d'Ambrossia, et un troisième, un jeune normalien de la rue d'Ulm, agrégé de mathématiques, Jérôme, qui s'en fut également dans un autre monastère de l'Attique, où il devint le moine Jean. Avec Claire (Photinie), avait également été baptisé, dans l'île grecque de Kalymnos, Laurent, sous le nom d'Ambroise, - car les moniales, en hommage à Papouli, avaient donné à ses deux enfants baptisés les noms d'Ambroise et d'Ambrossia.- Ambroise était lui aussi jeune normalien de la rue d'Ulm, agrégé de lettres et membre de la fondation Thiers. Plus tard, il entra au C.N.R.S. Il devint par la suite le métropolite de notre église, sous le nom de Monseigneur (Mgr) Philarète .D'autres jeunes filles de l'Ecole vinrent aussi grossir notre troupeau à l'église. Mgr Philarète amena à l'église sa sœur, également Sévrienne de l'ENS de jeunes filles (alors dite Sèvres), laquelle prit, dans l'illumination du baptême, le nom de Félicité. La femme de Père Timothée, Hélène, était, elle, fontenaysienne. - de l'Ecole Normale Supérieure de Fontenay.- Un jeune homme de seize ans, Serge, polyglotte, issu d'une famille brillante, aux jolies jeunes sœurs fort douées en de multiples disciplines, né d'un père russe, d'une mère allemande, qui vivait en Amérique et parlait parfaitement le français, fut de passage, un an durant, à notre église, où il était enfant de choeur. Au contact du Saint Père Ambroise, il s'en fut, tout jeune qu'il était, se faire moine au monastère de la Transfiguration de Boston aux Etats-Unis. Papouli magnétisait aussitôt, sanctifiait sans tarder ceux qui l'approchaient, pour peu qu'ils fussent profonds spirituellement. Mais pourquoi ne seraient-ils point partis plus tard au Monastère ? « Il faut partir tout de suite », me répondit Père Ambroise lorsque j'émis devant lui cette réserve, « dès que l’on sent l’appel de Dieu. Autrement, le temps passe, et l’on oublie Dieu et la prière. Et puis, pourquoi voudrais-tu donner à Dieu de vieilles épluchures ? » Car il avait toujours le mot drôle pour rire. Mais sous ce rire apparent, il nous donnait à entrevoir des profondeurs insondables de l’âme. Il emmenait aussi des laïcs de ses paroisses en pèlerinage en Grèce, pour demander la bénédiction des Saints vivants et vénérer les reliques des Saints défunts. Il nous emmena voir un saint vieillard, un Saint vivant. Monseigneur Kallixte de Corinthe, la première fois que nous le vîmes, paraissait fatigué, usé, immobile, mais il avait encore le regard vif, et très bleu. Il ne faisait rien autre, en apparence, que méditer, assis sous un grand pin qui l’ombrageait. Il était en prière. De sa crosse épiscopale, il nous montra les aiguilles de pin. A chaque aiguille de pin, je dis « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! » Ses prières étaient si puissantes que l'on l'appelait partout, dans les monastères et ailleurs, pour chasser toutes les souris, pour faire cesser la sécheresse, et pour mille autres choses encore. S’il priait pour que vînt la pluie, on le suppliait ensuite de prier pour que cessât la pluie. Père Ambroise nous présenta à lui : « Voici Père Patric et Presbytéra Anna, » lui dit-il en nous désignant. « Et voici Photinie, leur petite fille », commença-t-il. Mais Monseigneur Kallixte l'interrompit d'un geste : « Photinie », assura-t-il, péremptoire, « Photinie, c'est pour la lumière du monde»... Papouli nous mena également en Attique chez deux sœurs, originaires de Marseille, qu’il appelait, en riant, les « Cannebières. » Elles habitaient un petit Monastère dans la banlieue d’Athènes. Il y avait là Mère Nectarie et sa sœur Marie, veuve, sans enfants, laïque, mais qui vivait, elle aussi comme une moniale, ayant vécu cinquante ans en frère et sœur avec son mari, alors défunt. Devant la petite église qu’elles avaient fait construire, l’un de mes enfants en bas âge eut soudain un pressant besoin de faire pipi par terre. « Cela ne fait rien, » sourit Mère Nectarie, « c’est du pipi d’ange ». Puis, revenant à ses propos sérieux coutumiers : « Pour moi, » confiait-elle, « j’envisage chaque jour comme si c’était le dernier de ma vie. Je me dis chaque matin que, le soir même, je vais mourir et devoir rendre des comptes à Dieu de mes actes… » . Lorsqu’avec sa sœur, elle sortait faire des courses, et que toutes deux voyaient des gens en chemin, le soir, elles se les remémoraient un à un et priaient pour eux, et pour le salut de leurs âmes… La dernière fois que nous allâmes visiter Mère Nectarie, elle était alitée. Sa sœur Marie venait de mourir, et mère Nectarie ne supportait pas cette absence cruelle. D’autant qu’il n’y avait plus personne pour venir la secourir, cependant qu’elle était grabataire. Elle refusait que qui que ce soit d’autre vînt la servir, et se laissait dès lors mourir de faim. Usant des dernières forces qui lui restaient, elle égrenait son chapelet. Quelle fut son ascèse de patience alors ! Il y avait deux ans qu’elle était alitée sans pouvoir bouger…Tant de patience passe l’imagination… Elle me tendit une image pieuse représentant un bébé avorté. « Dis-le, toi, » souffla-t-elle, « dis-le, en Europe et ailleurs, qu’il ne faut pas avorter. C’est un crime absolu qui tue ces pauvres petits êtres innocents et sans défense…. » Et père Ambroise ajouta : « C’est un grand péché aussi, que de retenir et d’empêcher de naître tous les enfants qui sont dans les reins de l’homme », par là recourant à une image biblique pour condamner la pilule, tout comme il condamnait l’union libre. « Et toi , Papouli, « interrogea l’un de ses enfants spirituels, « est-ce que cela ne t’a pas manqué de ne pas te marier ? » Il ne répondit guère sur ce chapitre, taisant la grande lutte des moines, versant leur sang pour garder la chasteté. « Verse ton sang, enseignent les Pères, et tu recevras l’Esprit et la Grâce. » La sainte ascèse, par ses labeurs et ses combats, dit à peu près Saint Justin Popovic, attire en retour sur les lutteurs la Grâce du Saint Esprit. Père Ambroise reprit : « Ce qui m’a le plus manqué, c’est la paternité. C’est de ne pas avoir d’enfants selon la chair. Aussi, Dieu m’a-t-il consolé avec mes enfants spirituels. » Au vrai, comme l'enseignent les Saints Pères, les moines sont pères de tous les enfants du monde. (- cf L'Ancien Païssios l'Athonite : Lettres. Ed. Du monastère Saint Jean le Théologien, Thessalonique) ; (cf Hiéromoine Grégoire du Mont Athos : Le sacrement du mariage, communion d'amour. Ed. Des Syrtes -). Père Patric avait un jour converti un intellectuel de valeur, d’une intelligence supérieure. « Tu as péché un gros poisson », lui dit Papouli en souriant. De fait, ce nouveau venu était une grosse pointure, sorti à l'agrégation premier à l'écrit, et second à l'oral. Il devint par la suite notre Evêque Photios. Père Patric l'avait rencontré dans la cour de la Sorbonne, devant la liste des résultats, et il avait tout de suite repéré sa croix orthodoxe. « Tu es orthodoxe ? » lui avait-il demandé, fort étonné. « Si l'on veut » avait répondu le brillant jeune homme. J'ai été baptisé orthodoxe, mais, mes parents ne pratiquant pas, je ne suis jamais allé à l'église orthodoxe. » Et il avoua ne presque rien savoir, alors, de sa religion, au point même qu'il s'était entiché du bouddhisme, et ne comprenait, dès lors, quasiment rien aux discours théologiques que Père Patric lui tenait désormais sur l'Orthodoxie. Dès lors, après la pêche, venait pour Père Ambroise l’heure de l’enfantement. Il parlait des périodes où il catéchisait les catéchumènes en termes de grossesse et de gestation. « A chaque fois que j’amène un catéchumène au baptême, disait-il en riant, l’accouchement est plus ou moins difficile ! ». Il est vrai qu’il s’intéressait paternellement à la gestation des femmes enceintes, non moins qu’elles- mêmes, qui eussent pu épier les signes de leur grossesse : « Ton bébé bouge-t-il ? » s’enquérait-il avec amour. Et, l’heure de l’accouchement venue, il allait à l’église ouvrir grand les portes royales de l'ambon, devant l’iconostase, pour faciliter la naissance, et que celle-ci fût aisée. Un jour que ses enfants le voyaient triste et comme accablé : « Que t’arrive-t-il, Papouli ? « « Tout le grand carême, confia-t-il, j’ai dû porter une âme pécheresse, et j’en suis à présent épuisé ! » D’autres fois, toujours en grand carême, désabusé, il se plaignait de la négligence des gens. Il soupirait : « Parce que les gens, aujourd'hui, ne croient plus en rien, le Diable les a jetés dans la chair. Oui, les gens n’ont plus qu’un sexe et qu' un estomac ! » Car, il lui arrivait de parler crûment. C’était chose rare, mais cela lui arrivait aussi pour rire, parfois : « Untel n’a pas de sex-appeal ! Il ferait mieux de se faire moine plutôt que de chercher partout une fiancée ! ». Mais la plupart du temps, il était d’un sérieux imperturbable. Loin d’être un pitre, il révélait une âme d’une profondeur abyssale, montrant également une incroyable connaissance des profondeurs de la psyché humaine. Une autre fois qu’il priait intensément pour un grand malade proche de la mort : « J’ai fait tant de jeûnes, de prières, de métanies et de prosternations pour ce malade, qu’il me semble l'avoir porté en moi. N’est–il donc pas encore guéri ? » Il avait ses enfants chéris, comme le Christ avait eu ses préférés, laissant Saint Jean se reposer sur sa poitrine : « Père Patric, Anna mou, » nous murmurait-il, « vous êtes du miel. C’est pourquoi toutes les mouches à miel de la paroisse viennent chez vous, vous envahir. » Et il poursuivait tendrement : « Il me semble que tu es ma fille, et que je t’ai faite comme ton père. Anna mou, mes entrailles ! »... . Il avait intensément prié aussi pour les enfants à naître dans son église. « Tes enfants sont beaux, » dit-il, joyeux à une jeune mère, « parce que tu les as attendus dans la prière. Tu vois, tout ce que l’on fait dans la prière ne ressemble à rien d’autre. Les choses sont bénies et réussissent comme nulle autre. Tes filles seront si belles que des chiffons mêmes qu’elles se mettraient ne pourraient cacher leur beauté. Les prétendants feront la queue pour les voir, et tu t’inquiéteras si elles ne sont pas rentrées plus tôt. » Il parlait de mes enfants avec émotion. Et lorsque le petit Séraphim fit son entrée dans l’église au quarantième jour de sa naissance, Papouli, le portant très haut au-dessus de sa tête, au bout de ses bras levés vers le Ciel, tandis qu’il lui faisait faire tout le tour de l’église, et même du sanctuaire et de l’autel, - puisque c’était un garçon, les filles n’étant pas admises dans le sanctuaire-, Papouli, donc, ne cessa tout du long de l’office de pleurer d’émotion. Relativement à la beauté, s’il l’aimait comme un don de Dieu, il ne la mettait pourtant pas au pinacle des qualités. A une jeune fille qui regrettait un amoureux fort beau, mais quelque peu inintelligent qu’elle avait aimé surtout pour ses traits, il dit sentencieusement, sur un ton fâché : « La beauté ne se mange pas en dessert ! » Vis à vis de l’amour, il était assez dubitatif, voire pessimiste : « L’amour, cela ne dure pas toujours », murmurait-il. Concernant les laïcs qui n’avaient pas fait vœu de chasteté, il était absolument pour le mariage, sacrement célébrant un mystère, et pour les familles nombreuses, tout comme mère Marie, qui envoyait des subsides à maintes familles très nombreuses de Grèce, qui pouvaient comporter quinze enfants, et répertoriées dans un petit journal spécial qui leur était consacré. Il nous advint, en Grèce, de visiter une de ces familles de treize enfants. Ils étaient rangés, comme des images, en rang d’oignons, toutes les petites filles sagement nattées auprès de leur maman, qui tenait dans ses bras le dernier-né. Le papa était postier et venait souvent aux nouvelles de sa femme et de ses enfants, mais ne pouvait que modestement contribuer à les faire vivre. Il n’y avait pratiquement pas un meuble dans cette maison très pauvre. Mais au mur trônaient les photographies de plusieurs Saints. « Comment faites-vous pour survivre ? » demanda-t-on aux jeunes parents. « Nous avons la bénédiction de notre saint oncle. C'est comme cela, par ses prières incessantes, que nous survivons, que nous nous en sortons », répondirent-ils aussitôt alors, comme à brûle-pourpoint, en désignant l’une des photographies de saints moines qui avaient justement attiré notre regard. De fait, tout le monde alentour aidait cette famille. Et celle-ci le leur rendait en priant pour ses bienfaiteurs. Nous sortîmes de cette maison aussi édifiés que si nous venions de visiter un Monastère. En Grèce, Père Ambroise visitait encore les malades. Une femme l’ayant avisé dans la rue, et reconnaissant en lui un vertueux Géronda, le pria d’entrer chez elle pour venir voir sa mère malade. Cette femme, grabataire depuis des années, était dans un état psychique déplorable. A qui ne fait pas la prière mentale, comment un tel état, même dans un âge qui n’était pas la vieillesse avancée, eût-il pu être supportable ? Ne priant pas, cette femme avait sombré dans une dépression profonde. Père Ambroise avait à son chevet prié pour sa santé physique et psychique. Il faut dire que ses prières étaient extraordinaires. Lorsque nous lui disions, dans la conversation, ou dans la confession, le dimanche, ce qui n’allait pas, à peine avions-nous le temps de rentrer chez nous que tout s’arrangeait inopinément, et promptement, de la manière la plus souhaitable qui se pût pour nous. Son assurance était si grande devant Dieu, et sa prière si fervente, que ses demandes étaient aussitôt ou bientôt exaucées. Il nous amena chez un autre grabataire. Le contraste avec la précédente dame était à peine croyable. Ce malade, un hiéromoine très âgé, faisait incessamment la prière du cœur, au point qu’il en jubilait, tant intérieurement qu’extérieurement. Son visage rayonnait de joie spirituelle. Il était si beau à voir que nous ne pûmes résister au plaisir de le photographier pour garder dans nos mémoires le souvenir de cette face toute rayonnante de la joie de l'Esprit de Dieu. Ceux qui font incessamment la prière du cœur, sentent, dit Saint Joseph l’Athonite, une douceur suave les envahir, et comme un miel fleuri leur couler suavement dans la bouche. Ils éprouvent, explique le Starets serbe Thaddée, et ils ressentent une joie sans pareille, une félicité qui constitue les prémisses de la béatitude paradisiaque. Père Ambroise nous menait encore dans l’île d’Egine, sise dans la baie d’Athènes, vénérer la tombe et les reliques de Saint Jérôme d’Egine et rencontrer ses filles spirituelles. Il y en avait trois générations : Eupraxia l’Ancienne, moniale, Eupraxia la Nouvelle, ou la Jeune, également moniale, et Sotiria, jeune femme laïque. Dans l’île, tous les chauffeurs de taxi connaissaient l’ermitage du Père Jérôme d’Egine, et de la Gérondissa Eupraxia, quoi que cet hésychastérion fût très isolé, retiré dans la campagne. Il était entouré d’un haut mur, et il était difficile de se faire ouvrir la porte. Maintenant que le Père Jérôme s’était endormi dans le Seigneur, ses deux moniales ne recevaient pas tout le monde, comme il l’avait fait, et il fallait montrer patte blanche. Mais pour le Père Ambroise et ses enfants spirituels, la porte s’ouvrait toujours. C’était Eupraxia la Nouvelle qui ouvrait. Bien qu’elle ait eu un certain âge, à l’époque, plus d’une cinquantaine d’années au moins, elle était encore extrêmement belle. Tout de noir vêtue, la tête sous son voile, elle était d’une grande noblesse naturelle, et ses traits étaient particulièrement fins et agréables à regarder. Elle nous ouvrait avec empressement : « Père Ambroise ! Mon Dieu ! Comme je suis contente de vous revoir ! » Elle nous regardait, et, chaque fois redisait : « Toi, Anne, tu restes ici, avec nous ! » Mais, chaque fois aussi, je lui redisais que j’avais les miens, mon mari, mes petits, en France, et que je ne pouvais pas tout laisser pour la suivre. Elle semblait avoir du mal à l’admettre. Elle nous introduisait dans la pièce à vivre. « Venez que je vous présente à Mère Eupraxia l’Ancienne». Mère Eupraxia l’Ancienne était une Sainte vivante. Elle avait près de quatre-vingt dix ans. Elle nous regarda. Elle me dévisagea, puis me regarda longuement, fort longuement : « Comment t’appelles-tu ? » « Mère, c’est Presbytéra Anna », lui glissa Eupraxia la Jeune. « Anna, Anna », répéta-t-elle, et elle se remit à me regarder intensément, sans mot dire. J’étais, moi aussi, comme la femme de prêtre, la presbytéra, ou, plus familièrement la pappadia traditionnelle, tout de noir vêtue, avec une robe assez longue à manches également longues, un collant noir et de petites ballerines noires. Peut-être avait-elle vu en moi une future moniale, qui sait ? Eupraxia l’Ancienne ajouta soudainement : « Anna, si tu charges trop un âne, il tombe ! Ne fais donc pas d'excès en ton ascèse. » Puis, me regardant toujours d’un regard profond : « Tout est vain !...Tout est vain ! ». Elle le répéta plusieurs fois encore, comme pour bien m’en persuader. Puis elle se leva péniblement, et entreprit d’arpenter le couloir en poussant son petit déambulateur, car elle peinait à se déplacer. « Géronda, mon Géronda, » pleurait-elle, en s’adressant à son cher Ancien Jérôme d’Egine, prends-moi, emmène-moi avec toi…Je n’en peux plus…Viens me chercher… » et elle pleurait, répétant en boucle : « Le Père Jérôme m'a oubliée ! Il m'a oubliée ! » L’on sentait mieux alors à quel point, pour les Saints, cette vie n’est pas la vraie vie, cependant que c’est l’autre vie, là-haut, qui est la vraie, la véritable existence. L’on songeait aussi à cette phrase du Bienheureux Augustin d’Hippone, disant à peu près en substance : « Nos morts ne sont pas partis loin…C’est comme s’ils étaient dans la pièce d’à côté. Ils nous entendent…Nous pouvons leur parler…Ils sont avec nous… » De ces murs d’ermitage, aussi, l’on sentait dégoutter la prière, dégageant d’intenses ondes, comme radiantes, nous signifiant combien de prière intense s’était dite ici, en ce lieu béni, où s’étaient succédés et où se succédaient encore de Saints Hésychastes… Puis Mère Eupraxia la Jeune continuait la visite. Elle nous montrait la pièce aussi étroite qu'un boyau, semblable à l'intérieur d'une grotte, où l’on ne tenait qu’accroupi sur un petit banc d'hésychaste posé à terre – lieu de prédilection où l’Ancien Jérôme se retirait pour prier. Puis, nous faisant passer dans une autre pièce, elle nous désignait, près de sa cellule, occupée d’un petit lit étroit et d’un iconostase, la chaise longue dans laquelle il prenait l’essentiel de son repos. Elle nous faisait nous étendre dans cette chaise longue, nous revêtait de la soutane de l’Ancien, pour que nous fût par là donnée la bénédiction de l’Ancien. En partant, elle me fit don d’un épitrachélion, avec lequel Saint Jérôme faisait les confessions. « Je prierai pour toi, » dit-elle. « Et je prierai pour vous ». Nous agitions la main. Elle refermait le portail. Nous nous retrouvions seuls, les yeux mouillés d’émotion, dans la rase campagne, au milieu de nulle part… Nous reprîmes le bateau. A bord, assise sur une chaise, une vieille moniale toute en noir semblait à moitié assoupie sur son chapelet, qu’épuisée, exténuée presque, elle continuait néanmoins d’égrener, cependant que ses paupières tombaient, sous l’emprise de la fatigue. « Regarde », chuchota Papouli, « une Sainte. Elle veille tant en prière qu’elle n’en peut plus. » Père Ambroise emmenait régulièrement ses fidèles, dans cette même île, vénérer les reliques de Saint Nectaire d’Egine. Une dame d’un certain âge avait, à la suite d’une forte grippe, perdu l’odorat, ce qui la faisait souffrir, et constituait pour elle une épreuve pénible. Après avoir vénéré les saintes reliques, dont le saint chef et la mître de Saint Nectaire, Evêque de la Pentapole, elle retrouva l’odorat. Elle en fut très heureuse. « Saint Nectaire », lui dit-il, « a entendu tes prières. » Lui aussi avait, comme les Saints thaumaturges, le don de guérison. L'on découvrit à un enfant de la paroisse de Montpellier une énorme tumeur au cerveau. Il était condamné à mourir, à moins que l'on ne lui fît subir une opération à hauts risques, qui devait se solder, dans l'immense majorité des cas, par de gravissimes séquelles neurologiques. Seule une infime proportion des opérés ressortait, dans ce cas de figure, indemne d'une telle opération. L'enfant fut opéré et les suites de l'opération manifestèrent que l'enfant s'avérait parfaitement guéri. C'était un véritable miracle. Père Ambroise avait également guéri plusieurs cas de cancers. L’un était celui de la dame qui l’avait toujours aidée, et pour laquelle il éprouvait une affection particulière. S’étant aperçue qu’elle avait une tumeur, elle se la fit retirer du sein. « Hélas, » se lamenta Père Ambroise, lorsqu’il connut le résultat de l’opération, « la tumeur était grosse comme une orange. Les médecins disent que ce cancer du sein a été pris trop tard et qu’il est incurable. » Mais contre toute attente, la dame guérit et fut sauvée de ce mal reconnu comme fatal. Un autre cancer qu’il guérit fut un cancer de l’utérus. La jeune paroissienne à qui l’on découvrit ce mal n’avait eu qu’un enfant, et l’on lui dit qu’il était impossible qu’elle en eût un autre. Il fallait lui retirer l’utérus. Elle refusa. Aussitôt après, elle eut un second enfant, et sa matrice s’étant retrouvée mystérieusement guérie, on renonça à la lui enlever totalement. D’autres femmes encore, qui, depuis près de dix ans, n’arrivaient pas à avoir d’enfant, venaient lui exposer leur cas. Et, peu de temps après, elles se retrouvaient enceintes. « A ceux qui sont de l’Eglise », enseignait-il, « nous nous devons. Aux autres, nous ne nous devons pas de la même façon. » Un jour que j’étais venue, très affligée, lui demander des prières pour mon père qui venait d’avoir, aux douleurs suraiguës, un infarctus du mésentère, et dont les jours étaient comptés, il avait paru contrarié : « Pourquoi me demandes-tu des prières pour lui qui n’est pas orthodoxe ? Tu sais que si tes parents sont hostiles à l’Orthodoxie, et qu’ils blasphèment les icônes, il vaut mieux pour toi les quitter. Ainsi tu vivras en paix au lieu qu’ils te déchirent et t’assaillent d’ondes négatives. » Mais je lui rappelai que mon père, Stéphane, était bon. Médecin neurologue, professeur des hôpitaux, toute sa vie, il s'était dévoué pour les handicapés. Infirme lui-même, amputé d'une jambe à l'âge de cinq ans, pour ce que durant la guerre les antibiotiques n'avaient pas encore été découverts, il avait toute sa vie souffert le martyre et mené une vie de lutte et de combat contre la souffrance. Un jour que la ministre de la santé était venue visiter son hôpital de Garches, il avait intercédé pour les paralysés de France et obtenu que les autobus et les trains fussent désormais munis d'une plate-forme amovible, permettant de hisser à bord les fauteuils roulants des handicapés. Il n'allait plus à l'église catholique, mais croyait qu'il existât des saints laïcs. « Celui qui aide un paralysé, ne serai-ce qu'en poussant son fauteuil, les anges le porteront au Ciel, » dit Saint Jérôme d'Egine. - (Cf. Presbytéra Anna, L'Oiseau de Guelvéri, op. Cit.)-. Père Ambroise avait donc prié, et mon père qui, selon les médecins n’avait que quelques jours à vivre, avait miraculeusement vécu huit années encore, par après ce terrible accident de santé. Père Ambroise faisait des prières pour les morts. J’avais perdu une petite fille à la naissance, et j’en étais inconsolable. « Il faut l’appeler Marie, me consola-t-il, en hommage à la Mère de Dieu. Ne t’inquiète pas : j’ai prié pour elle. Tu peux lui parler, car elle est vivante. Comme le dit le bienheureux Augustin d'Hippone, nos morts sont là, juste à côté, comme dans la pièce contiguë à la tienne. Tu la reverras après ta mort avec tous tes enfants morts-nés. » Car, en vérité, j’avais une tel amour, une telle passion des enfants, que, près de vingt ans durant, je tentais d'en mettre au monde. Mais, en plus de mes sept enfants nés vivants, j'avais, inexplicablement, perdu dix enfants en couches. Il me fallait, hélas, concevoir trois enfants pour en garder un vivant. De plus je perdais mes enfants fort tard, souvent au cinquième mois de grossesse, où ils mouraient brusquement in utero, ce qui rendait leur perte d'autant plus éprouvante que je les avais déjà portés un assez long temps. J'avais donc eu neuf parités, et avais dû passer dix fois en salle d’opération pour ce motif, ce qui avait constitué une épreuve très lourde pour moi dans ma vie de jeune femme. De plus, chaque gestation se passant relativement mal, je devais rester couchée de longs mois. Ce fut une longue école de patience. Une dame de l’église, qui par la suite devint la moniale Ambrossia l'Ancienne, fut accidentée. Lorsque je vins la voir à l’hôpital, elle me dit : « J’ai vu Papouli en rêve, avec ta petite Marie et de petits enfants autour de lui ». Un jour que je devais entrer à l’hôpital pour une maternité, je demandai naïvement à Papouli si je devais apporter une veilleuse pour la poser sur la table de nuit. « Pourquoi faire ? » me répondit-il en riant, « puisque tu as la veilleuse dans le cœur ! Ah ! Anna mou, Anna mou ! tu n’en feras jamais d’autres ! » Père Ambroise priait même pour les suicidés. A la famille accablée d’une jeune fille qui s’était suicidée, il prodigua consolation : « Ne vous inquiétez pas…J’ai prié la Mère de Dieu…Elle sera sauvée. » Mais il n’oubliait pas que le suicide est, selon les Pères de l’Eglise, le plus grave des péchés, le péché contre l’Esprit… Certains, à l’église, le sachant par ouï-dire thaumaturge, - car sa réputation s’étendait et rayonnait bien loin par-delà la France où, paradoxalement, il était le moins reconnu, cependant que dans les déserts des Karoulia de l’Athos les Saints ermites connaissaient son nom et ceux des membres de sa synodie, pour lesquels, tous, ils priaient avec feu- certains fidèles Orthodoxes, donc, venaient de fort loin, de Grèce ou de Russie parfois, lui demander ses prières avant une intervention chirurgicale ou pour une maladie grave. Ses enfants venaient aussi, bien entendu, requérir de lui toutes sortes de prières, pour des choses plus bénignes parfois. Il faisait des offices d’intercession pour tout, guérissait des insomnies, des maladies de peau, des problèmes d’yeux, etc…Ses prières semblaient magiques…Oui, il y avait comme une magie de ses prières. Lui-même le savait bien, qui nous demanda un jour : « Si vous aviez une baguette magique, que demanderiez-vous ? » Je lui dis, un autre jour, que j’aimerais avoir une maison en Provence. Le souhait semblait d’autant plus incongru que nous étions depuis des années mal logés, à l’étroit dans un petit appartement de banlieue, et que mon époux devait desservir l’église de Paris tous les dimanches. Papouli sembla d’abord étonné, puis quelque peu ennuyé de cette demande, qui supposait que je m’éloignasse de notre Eglise-mère de Paris, ce qui sur le moment paraissait impensable. Puis il plissa les yeux, comme s’il visualisait une maison provençale dans un beau jardin. « Tu y feras la cuisine », me répondit-il alors. « Tu y auras des fleurs… » Ce rêve me paraissant irréalisable, je n’y pensai plus, jusqu’au jour où je me retrouvai habiter une grande maison en Provence dans un cadre merveilleux, en rase campagne, tant que l'on se serait cru au désert, où l’hésychia paisible était plus exceptionnelle encore qu'en ville, pareille à celle que nous avions connue dans dans les monastères les plus inaccessibles, perdus sur la mer, que nous avions atteints avec Père Ambroise dans des coins perdus et isolés des îles grecques, tels ceux, magnifiques, d'Oinoussa dans l'îlot qui faisait face à l'île de Chios, ou tel celui, totalement inaccessible, de l'île de Kalymnos où nous avions laissé une jeune amie de notre paroisse française pour qu'elle y devînt moniale. Mais cette baguette magique qu’était la prière de Papouli ne nous procurait pas tant des biens matériels que d’indicibles biens spirituels… Père Ambroise n'était déjà plus d ece monde, lorsque, traduisant la vie des moines du Monastère de la grande Lavra des grottes de Kiev, je me dis intérieurement : « Voilà un endroit, hélas ! où je ne pourrai jamais aller ! Mon Dieu, quel dommage ! » Mais, quelque temps après, nous fîmes, par l’intermédiaire d’une association destinée à aider les enfants de Tchernobyl, connaissance avec un magnifique petit garçon, du nom de Micha, que nous hébergeâmes, pour le reposer des radiations. Il se trouva qu’au moment venu de lui faire prendre le car pour rentrer chez lui en Ukraine, je me décidai subitement à le prendre avec lui, et à le raccompagner dans sa ville natale, à trois jours de route de chez nous. « Sa grand-mère doit être une sainte », me disais-je, impulsivement, avant que de sauter brusquement dans le car, « pour l'avoir aussi bien élevé que cela. J'aimerais la voir, la rencontrer. » C’est ainsi qu’arrivée non loin de Kiev, je m’y rendis, et que j’eus le bonheur, peu après, de visiter, avec un interprète, les extraordinaires grottes de la Lavra, ces catacombes blanches où reposent des centaines de Saints dans leurs cercueils de verre, vêtus de leurs ornements ecclésiastiques, et très souvent incorrompus… Papouli, du haut du Ciel, avait exaucé ma prière… Outre le charisme de guérison thaumaturgique, Père Ambroise avait encore celui de lire dans les cœurs. Il possédait ce charisme que l’on nomme don de cardiognosie. Il lisait dans les cœurs comme à livre ouvert. Un jour que je le conduisais en voiture à l’église : « A quoi penses-tu, Anna mou ? » Or, ne jugeant pas utile de lui dire à quoi je songeais, je lui rétorquais que je ne pensais à rien. C’est alors qu’il acheva à voix haute ma pensée, poursuivant mon discours intérieur. J’en demeurai confondue. Et c’est ainsi, souvent, qu’il finissait tout haut les conversations des gens, disant fort ce qu’ils pensaient tout bas. Une autre fois que nous étions dans le chœur à l’église, j’eus cette pensée de vouloir éprouver mon père spirituel. « Si Papouli sait vraiment ce que je pense en cet instant, » pensai-je incongrûment, « je voudrais qu’il se lève pour aller dans le sanctuaire ». A cet instant même, Père Ambroise, vieux et fatigué, se leva de son tabouret de malade pour se diriger vers le sanctuaire. Lorsqu’il revint, j’eus de nouveau, insistante, la même pensée : De nouveau, il se leva et repartit dans le sanctuaire. Lorsqu’il revint, il me regarda longuement et se rassit en silence. Je priai ma mauvaise pensée de me laisser tranquille, et je n’insistai plus... Il avait également le don de diorasis. Il savait ce qui se passait ailleurs, spatialement, à quelque distance que ce fût de lui, aussi clairement que s’il y était. Un jour que je m’escrimais, chez moi, à tourner des phrases de manière précieuse et alambiquée, je l’entendis soudain sonner à ma porte. « Que fais-tu, Anna ? Non, ne fais pas des phrases si compliquées…Tu écris des Vies de Saints. Elles doivent être écrites dans un style clair, pour être comprises de tout le monde »… J’étais restée sans voix. Comment Papouli, dans sa chambrette, avait-il eu connaissance de ce que j’écrivais en bas de chez lui ? Une autre fois, j’étais tombée dans la manie de l’homéopathie à tout crin. Quelqu’un m’avait prêté un ouvrage d’herboristerie et d’homéopathie, et je concoctais des ordonnances sujettes à caution que je faisais préparer chez le pharmacien. Ce faisant, agissant, comme toujours avec excès, je grevais le budget de ma petite famille. Un jour que, dans la cuisine, je m’apprêtai à saisir un tube de granules, Papouli sonna précipitamment à la porte. « Non, Anna mou, pas ce tube ! Qu’allais-tu faire ? Il ferait battre ton petit cœur si vite que c’en serait dangereux ! » Ebahie, je demeurai tout abasourdie. Mais, par la suite, lui désobéissant, j’avalai cette étrange concoction de mon invention. Je fus alors victime d’une telle tachycardie, qu’il me sembla que mon cœur allait se décrocher dans ma poitrine. Très angoissée, je courus à la pharmacie, demander un calmant, regrettant amèrement de n’avoir pas obéi à mon Ancien. Père Ambroise frappait par son naturel et par sa simplicité sainte. En toute chose, par sa mise, par son attitude, par ses propos, il était naturel. Subjugué par ce naturel, et par son tempérament de feu, tout aussi bien, par sa fougue extraordinaire, d'âme passionnée, dont cependant il avait la maîtrise absolue, le grand réalisateur Abel Gance, qui l'avait rencontré par relations, lui avait proposé le rôle-titre de Napoléon dans son film éponyme. Mais, tout humble, comme toujours, Père Ambroise avait poliment décliné l'offre si prestigieuse. Aussi, pour ceux du moins qui avaient conscience de sa sainteté, nous en imposait-il. En montant chez lui, nous nous disions : « Papouli va lire dans mon cœur. Oserai-je soutenir sa présence ? » Si Papouli « parlait juste », c'était aussi parce que ses pensées étaient pures. Nombre de ceux qui le rencontraient, confrontés brusquement à cette sainte présence, se sentaient dès lors tout d'abord « faux » devant lui, comparativement à sa justesse de ton. De là vient que nous avions mené le combat contre les pensées impures. Nous nous étions exercés à la garde des pensées, pour n’éprouver plus de pensée impure. Il faudrait que lorsque notre Ancien lirait en nous, il n’y trouvât nulle pensée mauvaise. « Une telle », dit-il un jour « a l’âme si pure que cela se lit dans ses yeux. Lorsqu’on la regarde on ne voit que ses yeux. On ne voit que son âme. On ne voit que cela….Avec une âme aussi pure, l’on peut aller partout sans crainte. L’on n’a peur nulle part »... Certains pourtant des fidèles de l’église n’avaient jamais perçu la sainteté de Père Ambroise. Il était si humble qu’il mettait ses efforts à la dissimuler et à la cacher aux yeux du tout-venant. « Nous ne savions pas », bredouillaient-ils après sa mort, « que c’était un Saint ». Tout juste s’ils ne l’avaient pas pris pour un simple pitre qui s’était employé à les distraire… Il était si discret, cachant par humilité ses charismes divins… Il me souvient comme il se baissait pour ramasser des objets traînant à terre, à la maison ou dans la voiture. Il le faisait si discrètement que l’on ne s’apercevait pas de l’effort qu’il venait d’accomplir. Et toujours il nous servait, sans mot dire, à table ou ailleurs, debout, derrière nous, à nos soins. Nous y étions si habitués que nous n’y faisions pas même attention, jusqu’à ce qu’il fût parti, qu’il eût quitté ce monde, et que nous comprîmes qu’il nous avait donné l’exemple du serviteur et que notre temps était venu de servir les autres à notre tour. Beaucoup étaient juste sensibles à sa gentillesse, à son humour, et venaient pour qu’il les fît rire par les histoires drôles dont il émaillait ses propos trop sérieux, sachant que ceux qui n’étaient pas des intellectuels ni des spirituels ne pourraient le suivre longtemps sur les voies abruptes de la haute théologie. Il nous rappelait l’apophtegme de Saint Antoine d’entre les Pères du Désert : Celui-ci accordait à ses disciples un temps pour jouer au ballon. A qui s’en choquait, il répondait : « L’on ne peut trop tendre l’attention de ses enfants, comme l’on ferait d’un arc que l’on briserait ». Aussi Papouli aimait-il à faire sourire et rire ses enfants de bon cœur. Il arrivait même qu’il nous racontât des histoires drôles et qu’il se souvînt de l’humour marseillais de son enfance. Lors de ses invitations à dîner, comme il faisait rire les gens ! Ceux qui n’avaient vu en lui qu’un drôle humoriste avec lequel ils n’avaient songé qu’à plaisanter, lorsqu’il mourut en odeur de sainteté, vinrent nous confier étonnés : « Nous ne savions pas que c’était un Saint. Nous ne nous étions aperçus de rien. Il était si drôle. Il nous avait juste paru un bon père aimant » Il avait aussi le don de la parole. Ses homélies à l’église étaient extraordinaires. Il savait parler aussi bien comme un conteur, que comme un acteur, un homme de théâtre. Mais, par-dessus tout cela, ses discours, comme ses propos et ses entretiens étaient ceux d’un grand théologien, féru de patristique, de dogmatique et d’histoire de l’Eglise, et d’un immense spirituel, baignant dans la sainteté comme dans un halo de Grâce céleste, surnaturelle. Il avait une présence extraordinaire. Mais cette présence n’était pas tant celle que l’on évoque pour un grand acteur, ni pour un théâtreux. Elle était celle, incomparable, d’un saint. Il nous semblait, lorsqu’il ne célébrait pas, que l’office ne ressemblait à rien. En son absence, l’église semblait vide ; nous nous sentions orphelins et ne parvenions pas à prier ni même à nous concentrer tant soit peu. Mais qu’il entrât dans l’église, c’était comme si en avait surgi de terre le pilier central. En vérité, oui, il était une colonne de l’Eglise. De son vivant même, des âmes pieuse et théologiennes, conscientes de son éminente sainteté, avaient répandu dans le petit monde de l'Orthodoxie internationale que Père Ambroise était ce que les Pères de l'Eglise dénomment un « pilier de l'Orthodoxie. » Il était le père, le lion, le protecteur de ses ouailles. Il peuplait tout l’espace de sa présence. Et lorsqu’il célébrait, il le faisait avec une intensité, une ferveur, et une majesté insignes. Toute l’église semblait vibrer sous les inflexions de sa voix, qui montait sous la voûte, comme pour atteindre le ciel. Sa concentration était extraordinaire. Il était tout entier abîmé dans la prière. Tous faisaient silence. Il n’eût pas toléré du bruit. Les enfants bruyants, il demandait à leurs mères de les garder à jouer dans le cagibi. Il lui était arrivé de faire sortir des gens qui dérangeaient l’office ou le perturbaient de quelque manière que ce fût. Il avait deviné qu’un paralysé inconnu avait caché sous la couverture de son fauteuil un magnétophone pour enregistrer secrètement les offices. Soulevant la couverture, il l’avait prié de quitter les lieux. Il voulait n’être point dérangé. Il était tout entier tendu dans son oraison. Un lecteur nous avait raconté que Père Ambroise s'était un jour brusquement prosterné dans le sanctuaire. « Pourquoi te prosternes-tu en cet instant précis, Papouli ? Ce n'est pas une prosternation liturgiquement prescrite », s'était-il étonné. « Je me suis prosterné », avait réparti Père Ambroise, « pour demander pardon à Dieu de ce qu'un instant j'avais omis de me concentrer sur les mots de la Prière du Coeur. » Car, en vérité, Père Ambroise pratiquait la garde absolue des pensées et la vigilance de la Nepsis, de la Neptique des grands Priants que l'on appelle les Pères Neptiques. Père Patric l’avait un jour, en Grèce, entendu prier à voix haute dans l’église d’un monastère. Il nous avait rapporté combien cette prière lui avait parue incroyable. Il s’adressait tout haut au Christ, à la Mère de Dieu, et aux Saints, comme s’ils eussent été devant lui. Par moments, dans son extrême émotion, il criait presque à leur adresse, les invoquant avec une force nonpareille. Et en les priant, il pleurait. Il avait le don des larmes aussi. Ses yeux étaient sans cesse humides, comme prêts à pleurer. Mais il ne voulait pas que cela se voit. Dans la confession, nous pleurions aussi, soit que nous fussions trop émus de remords, et que nous fussions gagnés par la pénitence à dévoiler ainsi nos péchés, soit qu’il nous eût grondés, car la confession qui était avec lui le moment le plus formateur, celui où il nous formait et où il nous instruisait véritablement spirituellement et où il nous enseignait, nous apprenait, dans la plus grande intimité qui se pût, à cultiver le jardin de notre âme, à en ôter toutes les mauvaises herbes et à l’ensemencer de vertus, la confession, donc, était aussi le sacrement durant lequel il était avec nous le plus sévère, très exigeant avec ses enfants spirituels les plus proches, ceux du moins qui travaillaient véritablement sur leur âme, n’hésitant pas pour ce faire à nous gronder jusqu’à nous faire pleurer comme des enfants en butte aux remontrances. Alors, après qu’il nous eût donné l’absolution, et qu’il eût vu que nous pleurions encore, il faisait mine de nous gronder : « Va vite sécher ces larmes dans le cagibi », nous pressait-il, « que personne ne vous voit pleurer… » Il celait ce qu’il était par humilité. Son humilité était si grande qu’il eût voulu toujours se dérober aux regards. Il ne laissait pas facilement approcher les secrets de sa vie spirituelle. Il ne se donnait à voir qu’à très peu de personnes, et encore, ceux de ses enfants spirituels les plus proches qui le connaissaient le mieux ne percevaient-ils alors, pour l'heure, que la partie émergée de son iceberg spirituel. Il était secret, mystérieux. Il nous arrivait de le surprendre chez lui avec un visage complètement lumineux et un regard absolument intense, comme s’il descendait à peine des cimes de la contemplation divine. Mais ce qu’il y avait vu d’extraordinaire, nous l’ignorions encore. Simplement, nous ne pouvions jamais plus oublier ce regard si pénétrant, lavé de larmes, qu’irradiait une joie extraordinaire… Il était aussi très indépendant, farouchement épris de sa liberté. Aussi ne voulait-il pas qu’on l’invitât chez soi à dormir, ou bien il n’y allait qu’à contre cœur. « Je ne suis bien », répétait-il en s’excusant, « qu’entre les murs de ma catoire ». Il ne voulait pas même qu’on l’accompagnât au marché pour faire ses courses, même quand il se rendait tous les matins au supermarché, qui était loin de chez lui à pied, ce qui supposait qu’il dût traîner les courses tout au long du chemin du retour. « Non, non, ne m’accompagnez pas, disait-il, « j’ai besoin de marcher. Il me faut de l’exercice physique quotidien. Mon heure de marche m’est nécessaire ». Une autre fois, il m’avait avoué : « J’aime tellement ma liberté ! Il ne faut que personne ne me la prenne ! Je tiens à mon indépendance. Je fais tout seul ce que j’ai à faire. J’aime tellement ma solitude… J’ai demandé à Dieu un monastère, mais, vois-tu, il ne me l’a pas donné… » Il lui restait beaucoup du tempérament de l’ermite qu’il avait cherché à être dans sa jeunesse, lorsqu’il avait habité seul un bunker dans les bois, près de Martigues. Un jour, pourtant, il y avait fait une chute de haut. « Plus je cherche à m’élever, » s’était-il moqué de lui-même, « plus je m’abaisse ». Et il avait renoncé à la vie érémitique. Pourtant, au milieu du monde, c’était bien seul qu’il vivait, en ermite. Sa prière perpétuelle le soulevait souvent, l’entraînait, au sens propre du mot, à des mouvements d’enthousiasme. Nous l’emmenions souvent en voiture dans ses divers déplacements, et nous avions tout loisir, en chemin, de le voir prier de près. Il remuait les lèvres, hochait la tête, soupirait, bougeait son cou en cadence vers l’avant, l’arrière, et sur les côtés, en forme de croix, respirait fort, se soulevait, vibrait tout des radiations de la prière. Il en était devenu une personnalité radiante, comme émettant des ondes de cette prière perpétuelle qu’il irradiait tout. Entre tous ses charismes, il avait encore le don de prophétie. Parfois, il disait le plus simplement du monde, quoique mystérieusement au cours de la conversation, devant témoins : « Une telle va s’élever sur les ailes de la contemplation ». Un jour, il vint chez nous s’asseoir sur la petite chaise basse qui se trouvait devant l’iconostase, médita un temps devant les icônes et nous dit : « Vous atteindrez un niveau très élevé de spiritualité. » Un autre jour, sachant que je songeais à la mort, il me dit : « Tu vivras très vieille…Et puis, un jour, tout doucement, dans ton sommeil, le cœur s’arrêtera. » Père Patric lui lança un jour : « Papouli, quand tu ne seras plus là, j’écrirai un livre sur ta vie ! » « Non, répondit-il fermement, c’est Anna qui l’écrira. » Sur le moment, nous ne comprîmes pas pourquoi, mais lorsque Père Patric s’endormit dans le Seigneur avec Photinie, je compris que Papouli me confiait le soin d’écrire ce livre. Une autre fois, tandis que nous étions en voyage avec lui, et que nous étions immobilisés par la tempête dans le métochion – la dépendance ou le pied-à-terre- d’un monastère, il s’était retiré, fort abattu, dans une cellule. Soudain, nous l’en avions vu reparaître, comme transporté d’enthousiasme au sens propre, où Dieu serait venu s’entretenir avec lui dans son cœur, l’habiter fortement un temps, et le soulever littéralement de joie : « Untel, » s’était-il exclamé en désignant l’un de ses enfants spirituels présents dans la pièce voisine, « untel va devenir saint ! » Et il s’était retiré, paisible et rasséréné. Mais, dans les derniers temps, il semblait de plus en plus accablé par les soucis. Il paraissait même dépressif. Les divisions de l’Eglise Orthodoxe l’accablaient. « Mais où est donc l’Eglise ?» gémissait-il… Il ne supportait plus les disputes de ses enfants spirituels, particulièrement celles des jeunes couples qu’il avait mariés. « Je ne ferai plus jamais de mariage », déplorait-il. Il considérait ces querelles comme un échec personnel de prêtre qui avait marié ses enfants. Sa bronchite chronique s’aggravait de plus en plus. Ses crises d’asthme l’étouffaient davantage . Et surtout, pour une raison inconnue, il s’affaiblissait toujours plus. Il était maintenant presque tout le temps alité. Il devenait de plus en plus pessimiste : « la fin du monde », annonçait-il, « ce sera dans deux ou trois générations, tout au plus ». Une dernière fois, il avait lutté pour aller à l’église. « Aujourd’hui, Anna mou, tu m’emmèneras à l’église » . Et puis, au dernier moment , les forces lui avaient manqué : « Non, je ne pourrai pas y aller… Je n’y arriverai pas… » Mais il avait fait sur lui-même un effort surhumain : Il prenait sur lui pour s’y rendre coûte que coûte. Je l’avais senti si mal en point que je lui avais proposé de de faire demi-tour et de rentrer. « Non », souffla-t-il, « cette fois encore, j’irai. Il faut que j’y aille. Il faut absolument aller à l’église. » Et par son exemple, encore une fois, il nous montrait combien il jugeait nécessaire de se rendre à l’église, quoi qu’il nous en coûtât, et la paroisse fût-elle fort éloignée du domicile. Car, mise à part une fois, la dernière de son existence, où, à l'article de la mort, il avait manqué l'office des vêpres du samedi soir, de sa vie entière il n'avait pas manqué un office. Il nous avait appris à faire de même. Il me souvient que je portais le lourd couffin chargé du bébé que je transportais à l'église. Et, pour me donner du courage, parce que je ployais sous le poids trop lourd, je songeai combien Papouli n'avait jamais manqué un office de sa vie, et combien il avait le feu sacré. Durant le dernier office auquel il avait assisté, contrairement à son habitude, il était demeuré tout le temps assis. Il pouvait à peine se soutenir. C’était la dernière fois qu’il se rendait à l’église qu’il avait fondée, et qui allait désormais se sentir si orpheline sans son bienheureux père fondateur, d'éternelle mémoire. Après quoi, il s’était alité. Mais nous ne percevions pas que c’était sa fin. « Mes enfants », annonça-t-il, « je vais bientôt partir. Je vais bientôt quitter cette vie. » Mais nous nous récriâmes aussitôt : « Mais non, Papouli ! Tu ne peux pas nous quitter. C’est impossible. Nous avons besoin de toi. Nous allons encore te garder longtemps avec nous. Nous te voulons en vie. Tu vas vivre encore bien des années pour nous. » Il avait pris un air désabusé : « Quand le train arrive au terminus, il faut bien descendre. Ainsi en va-t-il avec la vie. Et puis les démons m’ont dit dans mon sommeil qu’ils reviendraient me chercher en 1992. Nous y sommes. »... Le dernier jour -dont j’ignorais que ce fût le dernier- qu’il demeura chez lui, entre ses quatre murs, comme il désignait sa chambrette, qui était bien plutôt sa cellule, il me fit appeler par mon mari. Mais, comme j’étais loin de vivre à l’obéissance parfaite, je négligeai son appel, et je différai jusqu’au soir de monter chez lui. Enfin, quand j’arrivai : « Anna mou, » fit-il réprobateur, « je t’avais priée de monter, et, depuis ce matin, tu n’es pas venue. » Il me semblait que nous avions bien le temps encore de nous voir et de nous revoir. J’étais à mille lieues de penser que ce jour était le dernier qui le trouverait dans son petit appartement. « Pardonne-moi, Papouli, » balbutiai-je, « mais j’avais tellement à faire avec les enfants. » « Je voudrais t’entendre, » ajouta-t-il, « comme si nous étions en confession ». Car il arrivait que nous parlions comme à bâtons rompus et que cet entretien, qu’il regardait parfois comme une confession, s’achevât par l’absolution qu’il me dispensait alors, au milieu des larmes de repentir. Je lui confessai que je n’arrivai pas à me défaire d’une incitation mentale à une tentation que je lui avais confessée depuis longtemps. Ce combat-là était trop dur pour moi. Il le savait, du reste. Il me regarda mystérieusement, l’air soulagé, et presque joyeux : « Anna mou », me dit-il, « je t’ai arrachée à l’Enfer par les cheveux. Mais tout est arrangé maintenant. » Je ne comprenais pas, sur l’instant ce qu’il me disait. Ce ne fut que bien plus tard que ses paroles s’éclairèrent. Une de ses filles spirituelles rapporte qu'elle vint chez lui peu avant sa dormition. Voici son témoignage : « Les jambes allongées sur son lit de souffrances où il reposait, se redressant en position assise et s’appuyant contre le mur, il ferma les yeux et se concentra intensément. Dix minutes, il resta ainsi, sans mot dire. Soudain, ce fut un ravissement : Il s’éleva dans la chambre une nuée, blanche jusqu’au diaphane, légère, à semblance de gaze, vaporeuse, en forme d’arche, qui enveloppait l’espace entier de la cellule et se tint au-dessus de moi. Extasiée, je restai immobile, sans plus pouvoir proférer un seul mot, muette, saisie d’étonnement, tout-à-fait immobile. Cet arc de cercle en forme de nuée resta longtemps au-dessus de ma tête, m’enveloppant toute, pour ce que ce demi-cercle joignait un mur à l’autre. Au bord de la nuée, Papouli, de l’endroit où il était, me regardait longuement. Mais je ne le voyais plus. Toute à la vision de ce phénomène extraordinaire, je ne sentais plus rien d’autre que l’immobilité du temps dans cet espace devenu idéal. Car il me semblait que le temps s’était arrêté. Enfin, comme la nuée avait apparu, de même sorte elle disparut. Retrouvant la notion du temps, il me sembla qu’elle était restée là près d’un long quart d’heure. Je ne pouvais toujours rien dire. Je fis trois pas vers Papouli, l’embrassai, puis lui demandai, comme à l’accoutumée, sa bénédiction. Il me bénit, puis me sourit longuement : « Tu peux y aller, va, » lui avait-il souri alors, « retourne voir les tiens »... Le lendemain, voyant que son état empirait, nous le fîmes entrer en clinique. Il y avait toute la journée attendu sur un brancard dans un vestibule. Son regard était inoubliable. Puis, vers le soir : « Ils ne trouvent pas ce que j’ai », avait-il murmuré. « Ils veulent me transférer à l’hôpital pour faire une transfusion de sang. » De fait, ils le transférèrent dans un lointain hôpital de la région parisienne, spécialisé dans les maladies pulmonaires et les affections rares. Car il avait apparemment une maladie rare, si rare que les médecins ne trouvaient pas encore ce qu’elle était. L’un des graves problèmes qui se posèrent alors était que l’on ne trouvait pas de sang pour lui faire la transfusion. Il dut attendre encore trois jours sans que l’on pût rien faire. Puis, la transfusion enfin effectuée, on le transféra un soir d’hiver, vers un autre pavillon, entièrement nu sous sa couverture de survie. Ce procédé, qui nous parut barbare, nous choqua extrêmement. Comme il fallait s’y attendre, il prit froid durant le transport, et sa bronchite s’aggrava d’autant. Il fut dirigé vers le service de réanimation et de soins intensifs. Ce fut la partie la plus éprouvante de son calvaire. Au milieu des sonneries des machines qui empêchent totalement le malade de dormir, et qui sont une épreuve pour le système nerveux, entubé de divers tuyaux qui constituent pour le patient un supplice, nous le vîmes lutter comme un lion. Je n’oublierai jamais cette énorme impression qu’il me fit d’être un lion, doté d’une force de combat extraordinairement intense, doublé d’un agneau dont il avait toujours eu la douceur. En cela, il était véritablement un personnage évangélique. Mais cette force d’âme qui émanait de lui dans son combat contre la mort, non, jamais, je ne l’oublierai. Car, véritablement, il apparaissait comme le lutteur qu’il avait toujours été dans l’ascèse, mais que masquait sa douceur d’agneau. Oui, en vérité, il luttait comme un lion. Enfin, les médecins, un matin, vinrent nous dire qu’il allait mieux, et qu’ils l’avaient désentubé. Nous pûmes l’approcher dans un petit box, où l’on l’avait enfin délivré des tubes qui le suppliciaient. Lorsqu’il nous vit arriver, Père Patric et moi, il était serein et souriant. Nous étions loin de penser qu’il s’agissait de la rémission finale. Nous pensions qu’il était sauvé. Nous le lui dîmes avec bonheur. Mais nous n’avions pas le droit de rester plus de quelques minutes, comme toujours en salle de soins intensifs, pour ne pas fatiguer le malade. « Nous reviendrons te voir demain, » lui dîmes-nous, et puis le surlendemain, mardi. » « Non, » nous reprit-il très vite. « Mardi, ne venez pas. » Cette réponse nous étonna grandement, mais, sur le moment, nous n’y accordâmes guère d’importance. Nous revînmes donc le lundi, comme la veille. Il était toujours souriant et serein. Une grande paix émanait de lui. Lorsque nous revînmes le mardi, un jeune interne nous accueillit à la porte. « Il n’est plus là. Il est décédé. » Nous étions sidérés, comme foudroyés sur place. « Quoi ? Il est mort ? Non! Ce n’est pas possible ! Il allait tellement mieux hier et avant-hier ! » « Nous non plus, nous ne comprenons pas », répondit le jeune médecin. Il allait tellement mieux que nous l’avions désentubé et débranché des machines d’assistance respiratoire. Mais il avait une maladie très rare du sang… Il ne pouvait pas survivre… » Père Patric, l’air désespéré, se rendit à la morgue. Je m’assis dans le couloir et pleurai longuement toutes les larmes de mon corps… Lorsque, m’étant un peu reprise, je me rendis à la morgue, je sentis me précéder sur le chemin un fort parfum embaumant… C’était l’âme qui, détachée de son corps, précédait la dépouille en route vers le funerarium. A n’en pas douter, Papouli était un Saint, et les anges se réjouissaient de l’accueillir durant son envolée vers le ciel... Au funerarium, les prêtres vinrent le revêtir de ses ornements d’archimandrite. Allongé sur le lit de sa dormition, sous son beau voile noir de moine et son étole de père spirituel et de père confesseur, il semblait une icône majestueuse des plus grands Saints du Synaxaire. Nous lui mîmes avec émotion une rose rouge entre les mains, rouge comme le sang du Christ lors de sa passion salutaire, et rouge vif comme l’amour passionné mais blessé que nous lui portions depuis le premier instant que nous l’avions connu. Ses enfants spirituels défilèrent ensuite devant lui pour lui embrasser la main dans un dernier adieu… Après sa mort, nous nous sentions en proie à un terrible sentiment de déréliction. Le soir même, désespérée, je pris sur l’étagère un livre de piété, me disant intérieurement : « Et maintenant, comment saurons-nous quels livres il nous faut lire ? Qui nous éclairera, à présent que nous n’avons plus notre Père doté du saint discernement spirituel ? » A ce moment, le livre embauma. Je pris un autre livre saint. Il embauma également. Puis, l’ayant reposé sur l’étagère, je pris cette fois un ouvrage profane : Cette fois, le livre n’embauma pas. Père Ambroise continuait, par-delà sa mort, de nous guider spirituellement. Chez lui, je trouvai sur sa table ses dernières paroles écrites à la suite d’une traduction de Saint Nicodème Haghiorite. Elles étaient pour Père Photios, en sorte de le maintenir dans ses fonctions d’Evêque et d’exarque : « Monseigneur Photios, Evêque exarque pour la France. » Lorsque je l’épousai des années après la mort de mon mari, cet épisode et celui de la nuée me donnèrent à penser que les Evêques mariés pouvaient et devaient être maintenus dans leurs fonctions à l’Eglise Orthodoxe, et que le projet de réforme canonique qui avait failli passer au synode de Constantinople en 1921 sur le mariage des Evêques devrait de fait être enfin mis en vigueur dans l’Eglise, le Patriarche de Constantinople s’étant plaint que « tous les Evêques s’en allassent» et quittassent l’Eglise pour cette simple raison dommageable. Le jour d’après, je me posais des questions auxquelles je ne trouvais pas la bonne réponse. Soudain, comme j’avais émis intérieurement une suggestion qui me semblait positive, l’air aux entours embauma. Après quoi, ayant en pensée émis une autre hypothèse qui me paraissait erronée, l’air cessa d’embaumer. De ce temps, j’eus la conviction que Papouli continuait, lorsque nous avions besoin de son aide spirituelle, de répondre à nos demandes et à nos requisits, quels qu’ils fussent, lui qui possédait à un degré si éminent le discernement spirituel, qui permet de trancher de toute question. Je me souviens aussi qu’il disait : « Un jour, Anna mou, tout ce que tu voudras arrivera. » Voilà sans doute ce que signifie la prière des Chrétiens Orthodoxes : « Par les prières de nos Pères Saints, Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous. » Peu après sa mort, beaucoup de fidèles le virent en rêve. L’un d’eux rêva qu’avec Père Patric et Photinie, tous trois, dans le Ciel, couraient partout pour pouvoir exaucer toutes les requêtes infinies des uns et des autres…. Je rêvai, une nuit, qu’il nous mettait sur un grand bateau dont il repeignait tous les murs, puis soufflait sur nous pour impulser notre bonne traversée sur la grande mer de la prière, ainsi que l’on voit, peints sur des ex-votos des anges soufflant sur une nef pour lui souhaiter bon vent….Je le vis, une autre nuit, en rêve, mais de façon si vivante que je m’en éveillai sur- le- champ. C’était lui, tellement lui, qu’à n’en pas douter sa présence était venue me redonner joie, consolation, et courage... Il repose aujourd’hui, au cimetière de Levallois-Perret, dans sa tombe qui s’avère miraculeuse, au vu du nombre de prières formulées sur cet emplacement qui furent exaucées. Père Patric et Photinie, qu’il a tant chéris, et pris avec lui, reposent auprès de lui. Il reste une place dans cette tombe, où j’aimerais reposer avec eux, non loin de tous les miens. Papouli nous avait, par ses saintes prières, assuré dès longtemps le Ciel et le Paradis avec lui. Il avait dit aussi : « Anna mou, tu seras très haut dans le Ciel. » Et encore :« Quand je ne serai plus là, je serai encore avec vous et je vous aiderai », avait-il promis. Pourtant, lorsqu’il partait à l’autre bout de la France, desservir ses paroisses, et qu’il n’était plus auprès de nous, nous avions l’impression que ses prières étaient moins instantes sur nous. Mais, lorsqu’il fut mort, ce fut l’inverse : Ses prières sur nous nous semblèrent encore plus fortes que lorsqu’il était là, à nos côtés, vivant. Je croyais naïvement pourtant, de son vivant, que les prières des Saints canonisés de l’Eglise seraient plus puissantes que les siennes. Aussi invoquais-je, en général, et fort souvent, l’aide de Saint Tychône de Moscou, que je vénérais particulièrement. De fait, la première fois, lors d’un retour de pèlerinage en Russie de Père Patric, que celui-ci me parla avec fougue de Saint Tychône, qui m’était alors inconnu, mes enfants se mirent à se disputer. Je me dis alors, intérieurement : « Saint Tychône, si tu es un aussi grand Saint que cela, fais que mes enfants cessent de se disputer ». Sur-le-champ, alors, la lampe halogène du salon prit feu. Aussitôt même, sans attendre le temps que nous éteignîmes les flammes, les enfants, affolés, avaient cessé de se quereller. Depuis ce jour, je portai à Saint Tychône une vénération particulière et sans bornes, et l’invoquais sans cesse, remarquant que non seulement il exauçait aussitôt les prières qui lui étaient adressées avec foi, mais que, chaque fois, le miracle obtenu portait, extraordinaire, sa marque à lui, ce qui faisait que l’on ne pouvait douter que la chose demandée advînt par les prières de Saint Tychône. Quelle ne fut donc pas ma surprise un jour, lorsque Père Ambroise me murmura : « Pourquoi invoques-tu toujours les prières de Saint Tychône, au lieu de me demander à moi de t’aider ? » Il est vrai que, pour exaucer mes intentions de prière, j'invoquais ceux que j'appelais, de façon groupée, pour plus de promptitude, « tous mes Saints du Ciel », car ils étaient nombreux, entre lesquels figurait Saint Tykhône de Moscou, Saint Nectaire d'Egine et Saint Jean de Cronstadt qui écrit dans Ma vie en Christ qu'il demanda un jour au Seigneur que fussent exaucées toutes les prières de ceux qui l'invoqueraient. Mais comment Papouli savait-il que je n'avais jamais pensé à l'invoquer parmi les Saints dont j'implorais le secours ? Et de ce jour, lui obéissant, je constatais que ses prières étaient aussi puissantes que celles de Saint Tychône, lequel, comme lui, exauce magnifiquement les prières de ceux qui invoquent avec foi leur nom béni.…………………………………… Après la mort de Père Ambroise nous eûmes à affronter des épreuves, dont certaines furent terribles. La plus horrible fut la mort accidentelle de Père Patric, de Photinie et de Michel Aubry, lecteur, survenue à Voula (Attique) en Grèce le 25 décembre 1992. Ils étaient partis en pélerinage, Père Patric emmenant avec lui des fidèles de l'église, emplissant un mini-car de treize personnes en tout. Alors qu'ils venaient de vénérer les reliques de Saint Patapios dans sa grotte, sise dans un ermitage sur la montagne, - et la dernière photographie d'eux les représente, fort graves, devant les reliques du Saint dont nous avions traduit la vie – cf Blog de Presbytéra Anna, Vie de Saint Patapios -, Michel reprit le volant du mini-car et ils partirent en direction de l'aéroport pour aller y chercher une fidèle qui devait les rejoindre. Brusquement, Michel perdit le contrôle de la voiture. Il se retourna vers l'arrière, affolé : « Les enfants, silence ! ». La direction avait lâché. Ils dévièrent de quatre voies sur l'autoroute et passèrent sous un bus. Père Patric et Michel moururent sur le coup. Le choc avait été horrible. Les passagers furent projetés à terre, sur la chaussée. Mère Nectarie, gravement blessée au pied, put trouver Photinie et palper son cœur. Elle avait eu la gorge transpercée. Dix minutes plus tard son cœur ne battait plus. Il y avait donc trois morts et des blessés graves. La fidèle Marie, qui devint plus tard moniale sous le nom d'Ambrossia ( l'Ancienne, pour la différencier d'Ambrossia la Jeune, une autre Ambrossia de notre paroisse- demeura tétraplégique. Mon père la soigna à l'hôpital de Garches où elle avait été transférée, et où elle eut à subir de lourdes interventions chirurgiclaes. Mais les médecins ne purent la faire remarcher ni lui faire recouvrer l'usage de ses mains. Mère Nectarie ne recouvra pas non plus l'usage de son pied, et dut s'aliter jusqu'à sa mort. Deux autres de mes enfants étaient aussi dans l'accident : Irène et Séraphim, - grâces soient rendues à Dieu – s'en sortirent indemnes. Séraphim n'avait qu'une grosse contusion au genou. Mais les séquelles psychologiques demeurèrent longtemps, et mais enfants eurent à lutter de longues années durant contre les affres de la dépression. Certains des passagers de la voiture, victimes de l'accident, furent atteints de névrose traumatique. Une jeune fille avait aussi la mâchoire fracturée. J'étais restée en France pour garder à la maison la dernière de mes enfants, Vassilissa, que son papa avait jugée trop petite pour l'emmener. Soudain, le téléphone sonna : « Madame Ranson, ici le Consul de France. Je vous annonce que votre époux et que votre fille sont décédés en Grèce. » Ce fut un coup de tonnerre. Je n'en pouvais rien croire : « Mais ce n'est pas possible. Il doit y avoir une erreur. » « Non, Madame, il n'y a pas d'erreur. » L'accident était si grave qu'il avait été télévisé en Grèce. Des amis grecs et une ancienne de la paroisse me le confirmèrent ultérieurement par téléphone. De ce moment, je débranchai le téléphone qui me faisait horreur, et je cessai de communiquer. Je ne pouvais plus parler, fut-ce à mes amis de l'église. J'avais perdu la parole, devenue comme aphasique. Il fallut partir en Grèce pour la reconnaissance des corps. Lorsqu'à la morgue de l'hôpital je tirai ma grande Photinie de son caisson frigorifié, ce fut atroce. Elle qui était morte à dix ans en paraissait quinze. Comme son Papa, elle était surdouée. Des tests au lycée l'avait établi, quand elle avait demandé à sauter une troisième classe. A dix ans, elle était en quatrième au lycée Pasteur de Neuilly, apprenant l'anglais, le russe, le grec et le latin. Sa vivacité naturelle et sa gentillesse l'avaient fait aimer de tout le monde. « C'était la mascotte du lycée », me dit bouleversée sa proviseure, une femme bonne et énergique. Les élèves de sa classe, meurtris, déposèrent une plaque sur sa tombe : « A Photinie, ses camarades de quatrième. » A voir mon mari et mon enfant ainsi, sans un mouvement, sans un mot, le corps tout immobile et froid, ma douleur fut indescriptible. Dans la salle d'hôpital où je rejoignis mes autres enfants qui attendaient désespérément depuis de longues, d'interminables heures - plus de vingt-quatre heures- des nouvelles dont il ne leur parvenait aucune, et ne savaient rien encore de la tragédie, je pris Irène sur mes genoux. « Où sont Papa et Photinie ? » me demanda-t-elle avec angoisse. « Ma petite Irène, ils sont morts. » Elle sanglota longtemps, éperdument. Père Patric avait été un ardent défenseur des Serbes qui réclamaient la sauvegarde du berceau national de l'Orthodoxie, le Kossovo aux innombrables monastères, d'une préciosité de véritables joyaux de l'Eglise Orthodoxe. Le monastère de Mgr Athanase Jevtitch était bombardé en plein office religieux. Père Patric avait alors à Paris fait plusieurs conférences pour défendre les Serbes, victimes de l'universelle condamnation prononcée à leur encontre du fait de la désinformation à laquelle étaient en proie les médias. En pleine guerre du Kossovo, tous les téléphones des Serbes et des pro-Serbes, nous avaient affirmé ceux-ci, en France même, et jusqu'à Levallois-Perret, étaient sur écoute. Peu avant leur départ en Grèce, Père Patric avait téléphoné à Michel Aubry, alors banquier à la Hambrose Bank, et sous-directeur de cette banque, mais qui avait néanmoins émis le vœu de devenir moine, pour lui dire quand et où exactement il louerait la voiture. Il se peut que la direction eût été sabotée et que leur mort eût été un attentat. Auquel cas Père Patric, Photinie et Michel, victimes d'un attentat à la voiture piégée, seraient des Martyrs de l'Eglise Orthodoxe. Michel qui était lecteur de l'Eglise, avait fait le vœu, avant sa mort de devenir moine orthodoxe et de mener la vie angélique dans notre église. Le Seigneur avait avec lui pris trois anges. Mes souffrances étaient crucifiantes. Dès lors commença une horrible descente aux enfers. Je fis deux ans d'une dépression aiguë, et je demeurai des journées entières, prostrée sur mon lit, tous volets fermés, dans le noir. Il me restait trois magnifiques enfants, mes je ne les voyais même plus. « - Vous avez du capital, » me dit un médecin en me montrant mes enfants. » Mais une telle impression de vide m'étreignait qu'il me semblait que je n'avais plus rien, que rien ne me restât au monde. A trois reprises, je fus à deux doigts de me suicider. Trois fois, j'avais décidé de me jeter sous le métro. Mais, trois fois, je me retins au dernier instant, songeant que quelques heures plus tard Monseigneur Photios, Evêque de Lyon, l'Evêque de notre église, allait venir me visiter. Il me fallait me reconstruire. J'étais incapable d'y parvenir seule. Mgr Photios vint s'installer au-dessus de nous, dans l'appartement du premier étage de notre immeuble. Mon père lui offrit généreusement son loyer. Peu de temps après survint à l'église une famille de Roumains, constituée d'une maman, enceinte et de quatre petits enfants. Elle avait fui à pied et à la nage son pays où elle avait été persécutée, en temps qu'ayant appartenu à l'église des Vieux-croyants – dont nous n'étions pas, mais qui était composée de fidèles extrêmement pieux et croyants. Elle fuyait aussi un mari alcoolique, qui la battait, et la faisait vivre dans une misère insigne. Les enfants étaient traumatisés. Ils avaient connu la misère ; actuellement encore, ils dormaient sous les ponts. Ils nous avaient été recommandés par l'higoumène du monastère américain de moines de la Transfiguration à Boston. « Il faut les protéger », nous avait-il écrit et téléphoné, « ils sont très croyants. Le frère de la maman assiste à tous nos offices monastiques aux U.S.A. » Mgr Photios convint de leur laisser l'appartement qu'il occupait, et dont mon père payait le loyer, – ce fut la dernière bonne action que celui-ci accomplit avant sa mort-, et il partit s'installer plus loin, à Clichy. La maman était très reconnaissante : « Je fais des prières pour que vous héritiez d'un palais dans le Ciel, à cause de tout ce que vous avez fait pour nous. » Mais ma dépression aiguë empêchait que je m'occupasse bien de cette maman et de ses cinq enfants. Adélaïda, la maman, - renommée Irina dans le baptême, Irina l'Ancienne, pour la distinguer d'Irina la Jeune- et ses cinq enfants, - Irina, Victor, Anatoly, Paola, et Léon - , manquaient de tout, de nourriture et de vêtements. C'est un péché que je confesse et dont je me repens amèrement à présent, même si j'essaie dorénavant de me rattraper avec le bébé de l'aînée. Heureusement, par un effet de compensation divine, Presbytéra Hélène, l'épouse de Père Timothée, se montra à cette occasion d'une générosité à toute épreuve. Elle donnait sans compter. Père Timothée, comme dépassé par le fait que sa femme fût si aumônière, déclarait en souriant : « Je ne suis plus responsable des aumônes d'Hélène. » - Hélène, qui se dépensa également sans compter pour aider Adélaïda à faire ses papiers à l'office de l'immigration, ce qui constituait un véritable casse-tête, et exigeait de longues et patientes démarches. Grandie, Irina comme tous ses frères et sœurs s'est parfaitement intégrée dans notre société française, malgré le barrage de la langue, obstacle qui fut un temps difficile pour eux. Elle est aujourd'hui devenue secrétaire générale de notre fraternité, et a épousé le cousin, - issu d'une famille de la haute bourgeoisie, - le cousin, donc, de notre cher Père Maxime, qui paraît, lui, tout droit sorti du montagneux désert des Karoulia de l'Athos. Père Maxime se rend chaque été sur l'Athos. Il nous assure qu'aux Karoulia, les saints ermites du désert ont la liste des tous les fidèles de la Synodie du Saint Père Ambroise et qu'ils intercèdent et prient pour eux avec ferveur et feu. Sur ces entrefaites, Mgr Photios s'en fut en Russie, accompagné de sa mère, Cassia, et de moi. A Saint-Pétersbourg, - il me souvient que nous ne sentions plus nos pieds, dans nos ballerines, sur le quai de la gare où il faisait un froid de moins dix °C - nous retrouvâmes Olga, qui avait été l'interprète de Père Patric, lorsque celui-ci y avait été, par extraordinaire, invité par le réalisateur de documentaires Ludovic Ségara, aujourd'hui défunt, pour tourner en Russie un film sur l'Orthodoxie. Père Patric, à l'imitation de Père Ambroise, lui aussi suscitait des vocations. En sus de remplir l'église par sa prédication enflammée, des êtres purs, à son contact, entraient dans la vie angélique. Olga, qui était athée, et ignorait tout de la Foi Orthodoxe, au fur et à mesure qu'elle traduisait les dires inspirés de Père Patric, se convertit à la Foi Orthodoxe. Elle est aujourd'hui Mère Cassienne, et vit dans une austérité extraordinaire, ne se nourrissant guère que de pain et de confitures, agrémentées de thé. Moniale idiorythmique, elle prie, travaille et jeûne chez elle toute la semaine, pour se rendre dans une paroisse le samedi et le dimanche, afin d'y assister aux vêpres et à la liturgie. Aujourd'hui Mère Cassienne prie pour nous tous avec ferveur, pour ce que la prière, disent les Saints, abolit les distances. Après que nous eûmes rendu visite à Mère Cassienne, nous nous rendîmes, en camion, par des routes défoncées, Mgr Photios, Cassia et moi dans la lointaine Tambov, au beau milieu d'une vaste campagne, au lieu même où s'était sanctifié Saint Théophane le Reclus, dont les prières ont sans doute, du Haut du Ciel, béni mon dernier fils, Théophane. Nous entrâmes dans une grande isba fort pauvre, que rien ne signalait extérieurement comme une église. Nous trouvâmes là quelques saintes moniales, et leur vieille higoumène, grabataire, sur son lit de mort, revêtue de son impressionnant habit noir brodé de grand-schème. L'higoumène Serguéïa était totalement épuisée. Elle avait fait de longues années de camps soviétiques, et le Goulag avait miné sa santé.Lorsqu'elle vit Mgr Photios, l'higoumène murmura : « Monseigneur Photios, je vous attendais pour mourir... » A quoi elle ajouta : « L'on voit que vous avez reçu le Saint Esprit en vous. » A sa mère, elle dit simplement : « Vous êtes très jolie. » Ce que Cassia rapporte en disant : « J'aurais préféré qu'elle me dise à moi aussi que j'avais reçu le Saint Esprit ! » Néanmoins, les prières des Saints protègent la vieillesse. L'on sent, en particulier, que les prières de Père Ambroise, ainsi que les prières de l'Eglise, sont sur Cassia. A quatre-vingt-dix ans, aujourd'hui, elle se porte comme un charme. Fraîche comme une rose, avec toute sa tête, tenant de longues conversations animées, distribuant avis et conseils, elle paraît vingt ans de moins que son âge, et c'est tout juste si on lui donnerait soixante-dix ans. Les moniales étaient très pauvres. Elles ne purent guère nous offrir, pour toute nourriture, que les pommes de terre qu'elles venaient d'éplucher. Mais, dans leur grande pauvreté, elles nous offrirent deux magnifiques icônes qu'elles avaient peintes avec grand art. A Mgr Photios elles offrirent une icône de Saint Photios le Grand, cependant qu'elles me tendirent une émouvante icône de la grande duchesse Elisabeth, en habit blanc, sous son long voile blanc, et ornée de sa grande croix orthodoxe, elle qui avait été la belle-soeur du tsar Alexandre III, puis, après qu'elle eût mené une vie vouée aux bonnes œuvres de charité, martyre de la révolution russe. Nous assistâmes à la prise d'habits d'une nouvelle moniale. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, extrêmement belle, qui se vouait à la vie angélique. Elle était si secouée de sanglots qu'elle ne pouvait qu'à grand-peine s'avancer dans l'église. Le bonheur, l'émotion, la joie, la contrition extrême qui se pressaient en son âme se traduisaient chez elle presque en cris, qui, retentissant sous la voûte, nous transperçaient le cœur. Elle reçut le nom d'Ambrossia, en hommage à notre Saint Père Ambroise défunt. Lorsque nous revînmes à Tambov, quelque temps plus tard, elle s'en était allée au Ciel, faute de soins médicaux accessibles, en campagne, à la trop grande pauvreté de ce saint monastère de fortune. Ces saintes moniales, qui avaient connu les persécutions du régime stalinien, en étaient encore tout effrayées. Leur église était une simple chapelle aménagée dans une des pièces de l'isba, où l'iconostase était remplacée par un simple rideau, qu'elles étaient prêtes à tirer sur les icônes du sanctuaire pour les dissimuler, au cas où elles seraient inquiétées par une visite inopinée de la police. Bien que les persécutions eussent officiellement cessé, pour l'heure, elle étaient encore totalement traumatisées de leur existence passée au Goulag. Lorsque l'on demanda à l'higoumène Serguéïa comment étaient les fidèles déportés dans les camps : « Tous des Saints, » murmura-t-elle, « tous des Saints ! » Une épreuve qui nous advint par la suite fut la lourde souffrance psychique, aux multiples conséquences douloureuses, occasionnée par le déchaînement de haine qu'avait occasionné mon mariage avec l'Evêque. Il fallut quitter l'Eglise, - « comme des laquais », eût dit Rousseau, dans la honte et l'infamie, s'exiler vingt ans durant, nous cacher, élever nos enfants en secret, prier en ermites. Nos ennemis continuaient cependant de se déchaîner, tant dans l'Eglise qu'au dehors, et jusque sur les réseaux sociaux d'Internet. La souffrance psychique de l'Evêque était indicible. Une nouvelle épreuve fut constituée par la naissance de notre troisième enfant en état de mort apparente. Lors de l'accouchement se produisit malencontreusement une procidence du cordon, et l'enfant, étranglé dans ledit cordon ombilical, étouffait, manquant d'oxygène. Il fallut pratiquer une césarienne d'urgence, mais à cette heure tardive de la nuit l'obstétricien tardait à venir. Enfin, lorsque l'on sortit le nouveau-né, il n'eut pas un cri, ne donnant pas de signe de vie autre que les multiples convulsions qui l'agitaient tout. Désemparée, intérieurement je suppliai la Divinité, m'écriant à part moi : « ô Dieu, manifeste-toi ! » Aussi, lorsque la religieuse catholique qui avait fait fonction d'infirmière durant l'intervention, me badigeonnant de chloroforme, se pencha vers moi, étonnamment souriante, me chuchotant : « Comment s'appelle-t-il ? », et bien que j'eusse d'abord songer à l'appeler Silouane, je m'écriai malgré moi : « Théophane ! Cela veut dire manifestation de Dieu. » Le cas était si désespéré que les médecins laissèrent le pauvre petit corps dans un coin, posé dans une rudimentaire couveuse sur une simple table de travail, avec pour tout apparat médical un unique petit tuyau dans le nez. Ce qui aggravait la situation était qu'il n'y avait pas de place pour le transférer à Marseille en service de réanimation néo-natale. Lorsqu'il y arriva, il était tard déjà. Les médecins, artistes admirables qui s'acharnent à sauver des vies lors même que le pronostic vital est engagé, ne nous cachèrent pas qu'il était perdu. Il ne tarderait pas à mourir, ou bien il resterait à l'état de légume et serait un demeuré mental condamné à mener une vie végétative. Le suspens de l'attente du diagnostic ultime fut terrible, et terriblement long. La doctoresse qui était la seule à pouvoir interpréter un scanner difficilement lisible était en vacances. Théophane, dans sa couveuse, immobile, muet, sans un cri, supplicié, était couvert de tuyaux et de sondes, et ne donnait toujours aucun signe de vie. Le bruit des appareils électroniques du service, qui bipaient continûment, pour avertir de l'état vital ou non du patient, était insoutenable. Je ne venais presque pas le voir, tant je craignais de m'attacher à lui, pour apprendre, aussitôt après qu'il faudrait de nouveau mettre un enfant dans la tombe. Un jour, pourtant, je le sortis de sa couveuse et l'allaitai. Le miracle alors se produisit. Il commença de réagir. Peu après, il cria, et commença de mouvoir ses petits membres. « Quelqu'un a dû prier », s'étonna le médecin, relativement incrédule à son habitude. « Il y a eu un miracle. » « Il a dû beaucoup se battre, ajouta, quant à elle, une infirmière du service. « Seuls ceux qui se battent vraiment peuvent s'en sortir. » Cela me fit songer aux paroles de l'Evangile, qui dit à peu près : « Le Royaume appartient aux violents, et seuls ceux qui se font violence s'en emparent. » (Mat. 11-12). Plût à Dieu que Théophane luttât, par après, pour atteindre au Royaume des Cieux ! Peu après le scanner révéla que son cerveau, loin d'être atteint, était parfaitement normal. Dieu s'était manifesté ! Théophane, le miraculé, lui qui était censé être débile profond, s'avéra par la suite l'un des plus intelligents de la famille. Aujourd'hui, à dix-huit ans bientôt, ce beau jeune homme au physique de jeune premier, intelligent, gentil, doux, et surtout pieux, rapporte des vingt sur vingt de sa faculté d'économie, et veut être chercheur en mathématiques appliquées à l'économie. Dieu le garde ! lui qui fut longtemps enfant de choeur à l'église hors-frontières de Marseille, où nous avions trouvé refuge et où l'évêque continue de prier pour nous. Une autre difficile et longue épreuve – elle dura dix années – fut la démolition de notre maison. Nous étions partis dans l'hésychia et nous avions élu domicile dans une paisible pinède. Nous y demeurions comme au désert. Lorsque j'eus hérité d'une certaine somme, je songeai qu'il serait merveilleux de faire plus tard un monastère dans notre maison. Mais elle était trop petite pour ce faire. Nous convînmes alors de l'agrandir. Parce que j'étais naïve à l'époque, je crus l'entrepreneur véreux qui organisa les travaux – et qui partit sans rien finir en emportant une somme fort conséquente - : « Ici », me dit-il, « tout le monde agrandit dans sa pinède sans demander de permis. » Je ne songeai dès lors nullement à demander un permis de construire à la mairie. Dénoncés par une vieille femme méchante et envieuse – à laquelle l'on découvrit aussitôt après qu'elle était atteinte d'un cancer généralisé – nous fûmes poursuivis au tribunal dix ans durant, lequel tribunal ne tint aucun compte du fait que nous avions bâti en vue de fonder un monastère. Nous résistâmes longtemps en vain. La Direction Départementale de l'Environnement (D.D.E) nous fit tout démolir, et nous condamna à verser une astreinte exorbitante de quatre-vingt dix mille euros. Nous fîmes appel, et un miracle d ela Providence fit que la somme phénoménale de l'astreinte fut abaissé à trente mille euros. Un notable d'Aix-en-Provence s'étonna de la sévérité du verdict lorsque nous passâmes en jugement au tribunal, et m'avoua que les démolitions édictées à Aix-en-Provence étaient fort rares, et que les astreintes, qui étaient taxées faute de démolition, et en place de cette même démolition, ne revêtaient en rien un caractère si disproportionné, comparé à nos revenus relativement modestes. Nous fûmes dès lors ruinés, et jusqu'à ce jour nous peinons à aider nos six enfants qui vivent dans la précarité et connaissent la gêne, vivant un quotidien matériellement difficile. Mais plaise à Dieu que notre terrain devienne un jour constructible et que nous puissions y rebâtir un futur monastère ! Une autre lourde épreuve qui m'advint fut, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, constituée par la noire série de quatre internements successifs, - internements abusifs s'il en est. J'avais, à l'âge de quarante deux ans, écrit un long poème de mille pages, intitulé Ballade des âmes, que j'avais publié sur mon site Internet, comprenant des Vies de Saints, - mon site intitulé Orthodoxie-Solidarnoûs, en raison d'un jeu de mots avec le mot grec « noûs », qui signifie « esprit ». Or j'eus la sottise de faire figurer sur ce site des critiques politiques, et de tenir, dans la partie du poème intitulée « Enfer », des propos considérés comme « non politiquement corrects » - pour utiliser le jargon alors en vigueur. A l'époque, les propos des intellectuels non « politiquement corrects » étaient lourdement sanctionnés. L'on m'avait dit qu'un jeune professeur de la Sorbonne qui avait tenu des propos de ce style avait été interné. J'avais pourtant des fans sur Internet, dont l'un, professeur, m'écrivit : « Mettez-nous encore un peu de vos vers sublimes. » Non que je m'enorgueillisse le moins du monde d'une quelconque, prétendue ou non, méritée ou non, sublimité de mes vers. Mais je cite ces mots d'un admirateur pour montrer l'énorme décalage qui sépare le discours d'un professeur lettré de celui d'experts psychiatres, qui, pour discréditer et invalider toute mon œuvre en bloc, écrivirent dans leurs rapports que mes écrits étaient de la « diarrhée verbale », et que j'étais une « folle psychotique ». Il fallut fermer le site internet : Orthodoxia-solidarnous. Tout mon poème – long travail de cinq années entières de mon existence - avait disparu en fumée. Après quoi les pompiers vinrent me chercher en camion chez moi. Je m'enfermai dans la salle-de-bains. Ils en brisèrent la porte au marteau, et m'emmenèrent de force. L'H.O. – « hospitalisation d'office » - était décrétée par le préfet. Mais l'H.O. avait été maquillée en H.D.T. ( hospitalisation à la demande d'un tiers). En effet, les instances psychiatriques de l'asile d'Aix-en-Provence avaient téléphoné à ma mère – elle habitait à Paris, à huit cent kilomètres de moi, et ne connaissait rien de mon état ni de ma situation – et ils la persuadèrent que mon état psychique nécessitait que je fusse internée en urgence. Elle, médecin par ailleurs, signa sans sourciller leur demande d'hospitalisation en H. P ( hôpital psychiatrique). Les pompiers m'avaient fait monter dans leur camion en me faisant une extrême violence. Mais ils écrivirent que j'y étais montée volontairement, sans encombres. A mon arrivée à l'hôpital, l'on m'administra un psychotrope si violent que je ne pus tenir debout. L'esprit tout troublé, sous l'effet du médicament suppliciant, je dus m'aliter. J'entendis néanmoins les infirmiers du service se prévenir mutuellement : « Pour ce cas-là », dit l'un d'eux, « on doit strictement s'en référer au ministère. » A l'asile on me jeta ensuite en cellule d'isolement. Cet endroit est si horrible que je ne puis même le décrire. L'on m'y laissa cinq jours. Des chercheurs américains ont montré qu'une si longue durée à l'isolement peut rendre réellement fou. Heureusement j'avais pu garder avec moi un tome de la Philocalie. Cette lecture me sauva et me garda de sombrer durant cet interminable supplice. Après ma sortie de la cellule d'isolement l'on me maintint quarante jours à l'asile. Dans un premier temps, qui dura fort longtemps, l'on me refusa l'autorisation de voir mes enfants. Par la suite, je ne pus voir mes enfants que derrière une grille, parquée comme si j'eusse été une bête féroce. L'on me contraignait par force à avaler chaque jour des psychotropes violents qui me donnaient de très forts maux de tête et qui me brouillaient complètement l'esprit. Ma démarche était affectée. Je ne pouvais plus mouvoir mes jambes que péniblement et j'avais les plus grandes peines du monde à marcher. Une première fois, je réussis à m'enfuir. Mais une seconde fois, les pompiers revinrent chez moi me chercher. C'est ainsi que je fus internée quatre fois. La quatrième fois, ce fut parce que j'avais profité de ce que j'étais dans un autre département français ( le 77), où je n'étais pas connue, pour aller au commissariat de police porter plainte contre internement abusif et tortures en cellule d'isolement. Loin de prendre mon dépôt de plainte, les policiers, sans me laisser sortir du commissariat, m'emmenèrent immédiatement en fourgon à l'asile de Coulommiers. Là, le psychiatre qui m'examina décréta que je n'avais strictement rien, et que j'étais tout-à-fait saine d'esprit et normale. Après quoi l'on me laissa en relative paix. Mais l'on m'avait fait perdre mon travail. Dorénavant j'étais fichée, et interdite de reprendre mes fonctions de professeure de Lettres classiques à l'Education Nationale. Nous avions désormais du mal à joindre les deux bouts avec nos nombreux enfants à charge. Peu de temps avant mon premier internement, le proviseur était venu me trouver dans les couloirs : « Savez-vous que vous n'avez plus le droit d'enseigner ? » Et il m'avait fallu quitter dare-dare les lieux comme une malpropre. Ainsi il n'avait servi à rien qu'à quarante ans, après la naissance de mon dernier enfant, je me donnasse la peine de repasser mes concours. - Car l'on m'avait alors prétendu ( ce qui était totalement absurde, là encore) que tous mes diplômes de professeur avaient été perdus et qu'il n'en restait plus nulle trace! - Entre deux de mes internements, j'avais réussi à fuir jusque dans ma chère île de Kouphonissi, joyau inégalable en beauté des petites Cyclades grecques. Mais, là encore, la police de l'île, avertie, organisa de nuit une battue pour me retrouver, alors que je campais en solitaire. Je les entendis dire en grec : « C'est la meneuse de la résistance anti-oecuméniste. On a ordre de l'emmener à l'asile. » Là encore, j'étais traquée, poursuivie. Par un effet miraculeux de la Providence, ils ne purent me localiser dans les terres qui bordaient le rivage, et je pus repartir saine et sauve. Le lendemain, je fis une dernière promenade sur mon île bien-aimée. Lorsque je revins à ma tente, je la trouvai lacérée à coups de couteaux par les policiers grecs, hors d'usage. Je n'avais plus qu'à repartir, La mort dans l'âme, je pliai bagage, et quittai mon île pour n'y plus pouvoir revenir, la crainte dans l'âme et la peur au cœur à l'idée de retourner en France affronter les psychiatres d'Etat. Immédiatement après mon retour, je fus réinternée par force. Peu après mon dernier internement, je m'en fus voir un grand professeur psychiatre de la Salpêtrière. Il m'établit un certificat médical attestant que j'étais parfaitement saine d'esprit, en parfaite santé psychique, en pleine possession de toutes mes facultés mentales, et que ces internements avaient été abusifs. « Je soussigné, Professeur B. Grangier, » atteste le certificat, « certifie que madame Anne Pannier est venue ce jour à ma consultation. Je l'avais déjà reçue en juin 2011. Son état psychique ne justifie aucunement une mesure d'hospitalisation sous contrainte, qui aurait un caractère manifestement abusif. Paris, le 29 octobre 2013. Professeur B. Grangier. Certificat établi à la demande de l'intéressée et remis en mains propres pour faire valoir ce que de droit. » Néanmoins, jusqu'au jour d'aujourd'hui je demeure connue des services de police – lesquels m'ont déclaré un jour brutalement, de but en blanc : « Allez-vous en d'ici ! Quittez la région, vous y êtes trop repérée et trop connue des autorités; vous risquez de gros ennuis ! ». Juste avant l'un de mes internements, j'avais également été détenue en garde à vue, et j'y avais été frappée de la brutalité des policiers à mon égard. Un psychiatre, quant à lui, avait poussé le désir de me voir disparaître du territoire en allant jusqu'à me conseiller de m'expatrier à l'étranger, et, de préférence, dans le Tiers-Monde. Je suis également très surveillée des instances psychiatriques d'Etat, tenue de me rendre à une visite psychiatrique mensuelle, ce qui m'est toujours d'une grande pénibilité, et me remémore chaque fois la cellule d'isolement où j'ai été à vie traumatisée, cette cellule d'isolement innommable, lieu de supplice d'une zone asilaire officiellement proclamée zone de non-droit, et dont nulle plainte à ce jour de ceux qui en ont été victimes et partagent leur traumatisme, formulée jusqu'en cour de justice européenne, n'a pu obtenir l'abolition ultime et définitive de sa pratique courante, quoique dégradante et déshumanisante. Jusqu'à ce jour aussi d'aujourd'hui il me faut vivre incessamment avec l'épée de Damoclès suspendue sur ma tête de la menace d'un réinternement en asile. Enfin, je remercie ici ma fille Irène, qui fit tout pour me faire sortir de ce « grand renfermement » - comme l'on le nommait et le pratiquait au XVIIème siècle - : Elle arpenta la cour de la Sorbonne – elle y avait obtenu un dix-huit en maîtrise de philosophie, grande intellectuelle qu'elle est, dévorant toute la littérature française et étrangère, sans compter la philosophique, quoiqu'elle fût par ailleurs pianiste, danseuse, et comédienne jouant Molière au théâtre, intermittente du spectacle, artiste jusqu'au fonds de son être ; et elle y fit circuler des pétitions de protestation, les unes manuscrites, les autres publiées sur Internet. Celles-ci furent signées entre autres par de grands maîtres, certains mêmes professeurs émérites. Monsieur Pierre Magnard déclara que j'étais une « victimée du système. » A cette occasion, l'un de ces savants professeurs, érudits et férus d'humanités classiques, se renseigna sur notre église, et la rejoignit, converti d'esprit puis de cœur. Irène avait pris beaucoup de peine et consacré beaucoup de temps à obtenir ma libération, mettant extrêmement à la gêne l'administration de l'hôpital psychiatrique, qui m'en fit acerbement le reproche. Mais l'asile psychiatrique m'avait fait perdre tous mes repères psychologiques. J'avais perdu toute confiance en moi et je doutais souvent si je n'étais pas folle. Tant les traitements humiliants et le lavage de cerveau pratiqués à l'asile – où sont parvenue les techniques de tortures psychologiques importés des pays dictatoriaux – tant ces supplices, si longtemps endurés, m'avaient donné à croire que je pouvais bien être folle. A mon retour à l'église, j'interrogeai des fidèles, notre métropolite, et notre bon père Cyprien : « Père Cyprien, crois-tu que je suis folle ? » Et celui-ci, avec son air de bonté coutumière m'avait répondu dans un grand sourire : « Pas le moins du monde. Tu me parais, et tu parais à tous, parfaitement normale et saine d'esprit. » Pour lors, je demande aux autorités compétentes que mon dossier psychiatrique soit radié des archives – dossier infamant s'il en est, qui m'accuse de « délire mystique », de «délire de persécution » et de « folie psychotique » ; - et que ma mémoire soit réhabilitée, en sorte que mes détracteurs – en particulier ceux qui s'acharnent contre moi et contre notre Eglise sur Internet, y vomissant leurs calomnies – ne puissent plus salir mes ouvrages, et qu'il ne soit pas porté préjudice à mon œuvre poétique et spirituelle, afin que ne soit pas discrédité un livre comme celui-ci, que j'écris en hommage à la mémoire de notre Saint Père Ambroise de Paris, dont la mémoire est éternelle. « Méfiez-vous », nous disait Père Ambroise, peu avant sa mort, « des psychiatres et des tribunaux. Car ils peuvent aisément faire passer pour fou n'importe qui, surtout le spirituels. » Je peux ajouter à l'appui de ces dires qu'une de nos fidèles perdit définitivement, jusqu'aux dix-huit ans de l'enfant, la garde de son bébé de deux ans parce qu'elle fut également accusée de « délire mystique », et que les psychiatres avaient établi à l'encontre d'un hiéromoine de passage dans notre paroisse qu'il était « fou psychotique. » Père Patric a clairement montré dans son opuscule sur les Persécutions des moines du Mont-Athos par Constantinople ( Publié par nos soins, Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème), dénonçant les violations des Droits de l'homme au Mont-Athos, que les moines zélotes et ancien-calendaristes étaient persécutés jusque sur l'Athos, et que maints d'entre eux étaient internés en asile et faits passer pour fous. Certains y demeuraient même jusqu'à leur mort. Les biens ecclésiastiques étaient également pillés par les nouveaux-calendaristes, comme il nous advint également avec le magnifique épitaphion de Papouli et les ornements de Père Patric et de Papouli que la police vint chercher chez moi, en décrétant que je les avais volés à une église oecuméniste. J'avais, de fait, hébergé chez moi, huit jours durant, un sans-abri rencontré dans les parages d'une église oecuméniste. J'ignorais alors que ce vagabond volait pour le compte du prêtre de cette église, pour le remercier de l'avoir hébergé dans sa sacristie. Cet individu me déroba donc le magnifique épitaphion de Père Ambroise, dont il nous avait faits les héritiers, ainsi que les ornements sacerdotaux de Père Ambroise et de Père Patric. Lorsque je les retrouvai dans cette église, j'allai les y reprendre. Le prêtre avait en effet encadré et suspendu l'épitaphion au mur. Je les remis chez moi. Mais le prêtre oecuméniste porta plainte contre moi et déclara que je les avais volés. Il mentit sur la date de l'encadrement et toute sa déposition était mensongère. Par la suite il n'advint à ce prêtre que de graves ennuis familiaux. J'étais, pour ma part, déclarée voleuse des biens qui m'appartenaient en propre ! La police vint reprendre chez moi cet héritage sans prix de Père Ambroise et de Père Patric. Je demande aujourd'hui la restitution à ma famille de ces biens bénis par des Saints. Je prie en outre pour que ma mémoire ne soit pas entachée et noircie de la sorte, et que mes enfants ne s'imaginent pas que leur mère était une voleuse et une folle. Si l'on ne nous persécute pas, qu'on nous le montre ! N'étant pas oecuménistes, nous n'avons pas le droit d'avoir pignon sur rue. Nous devons, pour obtenir une église, demander l'autorisation à l'archevêché de Paris, qui s'empresse de nous la refuser. Nous en sommes réduits à n'avoir qu'une petite chapelle obscure et sans fenêtres dans un appartement. Nous n'avons pas même le droit d'apposer une plaque en extérieur pour signaler notre église. Aussi les gens ne peuvent nous connaître, et s'il leur advient d'entendre parler de nous ils craignent d'avoir affaire à une secte. Comme si l'Eglise Orthodoxe pouvait être une secte ! Mais l'Orthodoxie est si mal connue en France, que l'on en arrive à de telles aberrations mentales ! Récemment encore, la situation n'a fait qu'empirer, puisque notre église est maintenant soumise par la mairie de Paris au loyer exorbitant de mille euros par mois, somme colossale et disproportionnée au lieu, que nous peinons à trouver chaque mois, et qui met notre église en danger – ce qui est sans doute le but inavoué escompté par les autorités concernées – en danger, donc, de devoir mettre la clef sous la porte et de mourir. Nul en France ne nous connaît. Nous ne pouvons mener à bien aucune mission d'apostolat. Notre site internet est fermé. Nos livres sont refusés par tous les éditeurs, qui sont pour l'oecuménisme triomphant. Le seul éditeur qui nous ait jamais publié, le Serbe Dimitri Dimitrievic, fondateur de l'Age d'Homme, a aujourd'hui fait faillite. Si nos livres voient enfin le jour, les librairies, surtout religieuses, qui sont toutes oecuménistes, pour peu qu'elles aient accepté nos ouvrages, aussitôt après notre passage, les retirent des rayons et les mettent tout en haut ou tout en bas des étagères, dans ce qu'il est convenu d'appeler « l'Enfer des bibliothèques », ou, en l'occurrence, des librairies. Si l'on leur commande nos livres, elles prétendent que ces commandes n'ont pu être honorées, sous couleur que nos livres seraient prétendument épuisés, ce qui est faux. Et la presse ni les médias, - si ce n'est le journal Libération, qui, très justement louangeur, célébra la beauté de cette hymne à l'amour, criant à la merveille, lors de la parution de l'admirable Cassienne de Nicolas , œuvre d'enseignement sur la conception Chrétienne de l'amour - ne font aucune recension de nos ouvrages. Toute l'oeuvre, énorme et théologiquement fondamentale de chercheurs tels que Père Patric, toute l'oeuvre donc de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, publiée par nos soins, aux Editions de cette même fraternité (3O Bd Sébastopol, Paris 4ème), et tous nos ouvrages parus aux éditions de l'Age d'Homme (Coll. La Lumière du Thabor), dont les tomes de la fondamentale, magistrale, irréfutable et très documentée « Lumière du Thabor », Revue Internationale de Théologie, parue aux mêmes Ed. de l'Age d'Homme, est et demeure totalement introuvable en librairie comme en bibliothèque, passée à la trappe, ghettoïsée derrière un unanime mur du silence généralisé. Les ennemis de l'Eglise Orthodoxe des Vrais Chrétiens Orthodoxes, tant les athées que les faux-frères oecuménistes, pratiquent le « black-out » total de notre existence et de notre œuvres. Le plus grave n'est pas que nous soyons privés du sentiment d'exister, mais que toute notre œuvre, énorme, d'apostolat, tout notre immense travail missionnaire, soit frappé de néantisation. A quoi s'ajoute ce fait désolant, ce malheur, ce fléau même pour l'humanité désemparée et perdue dans la tempête et les flots agités de ce monde, que nombre d'oeuvres, fussent-elles poétiques et de haute volée, ne figurent pas à leur juste place au palmarès des œuvres fondamentales de la littérature mondiale, et ce, uniquement parce que ce sont des œuvres spirituelles, considérées comme de la « littérature d'édification » ( spirituelle), et comme telles traitées et rejetées avec mépris par les spécialistes de la littérature humaniste, de ceux tels que l'on en peut rencontrer même jusque parmi les plus grands érudits de la Sorbonne et du Collège de France. De là que – goutte d'eau dans la mer de cette désolation universelle -, nous avons conçu ce « blog de Presbytéra Anna », pour parer tant soit peu au fait que nos livres sont absolument introuvables, non édités, ou, au mieux, non diffusés, épuisés ou trop chers, à cause du prix fixé par l'éditeur pour qui nous travaillons bénévolement. Nous avons eu à cœur de jeter, faute de mieux, sur la place publique ces ouvrages méconnus, afin de les mettre à la portée des plus intellectuellement curieux, des plus sagement instruits, des plus assoiffés de Dieu, ou des plus pauvres hères. ( Cf L'Evangile du Banquet, Luc 14 : 15 – 24 ; Matt 22 : 1-14). Hélas ! Ne subsistent pratiquement plus, à l'arrivée des courses, que la littérature hagiographique des Vies des Saints, qui ne gêne guère que peu ou prou. La littérature de combat, elle, qui dérange, les livres plus polémiques, et nonobstant si précieux et rares, ceux de Père Patric, qui fut un grand et illustre polémiste, et la Revue internationale de Théologie, magistrale, sans contredit, fondée par lui, La Lumière du Thabor, par exemple, qui figuraient sur le Site Internet Orthodoxia-Solidarnous, ont dû être effacés et le site fermé, sous la pression de la censure, exercée notamment sous la menace des instances de la dictature psychiatrique qui règne sans conteste. Les œuvres inestimables de Père Patric comportent les titres suivants, en sus de sa volumineuse, imparable et irréfutable Revue internationale de théologie intitulée La Lumière du Thabor : Les persécutions des moines de l'Athos par le patriarcat de Constantinople, imprimé par nos soins ( Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas), la doctrine des néo-orthodoxes sur l'amour ( Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas), Père Wladimir Guettée : de la Papauté. Richard Simon ou de Du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie, Saint Augustin ( Dossier H) – tous ouvrages parus aux éditions de l'Age d'Homme. A quoi s'ajouta plus tard Le nouveau Catéchisme contre la foi des Saints Pères de Mgr Photios et de Mgr Philarète, qui est une réfutation imparable du Nouveau Catéchisme catholique, émané du Vatican. Père Patric édita également à l'Age d'Homme Cassienne, de Nicolas Vélimirovitch, les V tomes de l'énorme Philosophie orthodoxe de la vérité, traduite du Serbe par Jean-Louis Palierne, et le dossier Kossovo. Il édita encore à l'Age d'Homme les livres de Père Ambroise, Saint Nectaire d'Egine et Sainte Photinie l'ermite, le livre du lecteur Michel Aubry : Saint païssius Vélichkovsky, puis deux de mes livres, Saint Théophile le Fol-en-Christ de la Lavra des grottes de Kiev, et, ultimement, L'oiseau de Guelvéri, qui relate la Vie et les Propos Spirituels de Saint Jérôme d'Egine, propos extraordinaires qui nous font accroire que nous entendons parler le Saint de vive voix. Je gémissais un jour devant Monsieur Fantou que c'était un dommage inestimable, une perte irréparable, que Père Patric eût été emporté si tôt, si jeune, à trente-cinq ans, comme les héros d'Homère, fauchés dans toute la gloire et dans tout l'éclat de leur fougueuse et magnifique jeunesse. « Patric est passé dans la vie comme un météore dans le ciel », avait, une autre fois, ajouté Monsieur Magnard. Mais, contre toute attente, Monsieur Fantou me répartit : « En tout cas, il a eu le temps de dire ce qu'il avait à dire ! » Plût à Dieu que ces œuvres voient à nouveau le jour et qu'elles éclairent la lanterne et le cœur des chercheurs de Dieu ! Nous sommes et demeurons, quant à nous, de modestes confesseurs de la foi. Ainsi que je l'affirmais à la directrice de l'asile, « l'on pourra tout me faire, mais l'on ne pourra pas me faire renoncer à ma foi. » Nous, pauvres de nous, maigre troupeau d'ouailles solitaires, désargentées et démunies, seuls et sans autres moyens que la Grâce du Saint Esprit et que les prières du Saint Père Ambroise qui a béni cette œuvre pastorale et spirituelle, jusqu'à la fin, nous clamerons, comme le monastère résistant ancien-calendariste d'Esphigménou sur l'Athos le clame sur sa bannière flottant au vent, « l'Orthodoxie ou la mort ! ». Nous eûmes à subir nombre d'autres épreuves encore, trop douloureuses pour pouvoir toutes les étaler ici. Il est difficile de mettre son cœur à nu. La veine du récit intimiste est difficile à tenir tout au long d'une l'oeuvre de conteur, fût-elle autobiographique, et destinée à seulement, humblement, témoigner de ce qui la dépasse, infiniment. Toujours est-il que ces épreuves furent longues, parfois, et qu'elles nous mirent aux prises avec les forces déchaînées des puissances obscures. « Car ce n'est pas contre des adversaires de chair et de sang que nous avons à lutter » dit l'Apôtre(Eph. 6, 12), mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du Mal qui habitent les espaces célestes ». Saint Joseph l'Hésychaste, ce Saint Ancien de l'Athos, peint à longueur de page, en ses Lettres spirituelles, (Traduction d'Yvan Koenig, Ed. L'Age d'Homme, ouvrage épuisé, à paraître également sur le Blog de Presbytéra Anna), la teneur terrible de ces épreuves incessantes qui assaillent celui qui veut atteindre à la purification du cœur. Car les épreuves purifient, - comme l'enseignent les Saints Pères, et avec eux Saint Isaac le Syrien, et elles nous sont données pour notre humilité. « Dans le monde vous aurez à souffrir », dit le Christ. « Mais gardez courage ! J'ai vaincu le monde. » ( Jean 16,33). Pour l'heure et temporairement, - jusques à quand ? - , Grâce à Dieu – grâces soient rendues à Dieu pour tout -, nous ne traversons plus d'épreuves. « Lorsque j'eus traversé d'innombrables épreuves », affirme Saint Marc l'anachorète, Dieu me garda désormais de toute épreuve. » - ( Cf. Saint Marc l'anachorète, et cf. Saint Onuphre l'ascète, traduction de Presbytéra Anna, imprimés par nos soins aux éditions de la Fraternité Saint Grégoire Palamas, 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème -. Sans vouloir aucunement nous comparer à de tels astres de l'Orthodoxie, - loin de moi cette pensée ! - la chose peut aussi s'expliquer par le fait que, comme l'écrit le Starets Serbe Thaddée – opus cité -, à partir d'un moment donné, au sortir de maintes épreuves, Dieu transforme en joie tout ce qui pourrait faire figure de tourment. C'est à ce propos que, lorsqu'on lui demandait s'il supportait encore le flots de calomnies, aux injures, aux insultes que ses détracteurs déversaient contre lui, Papouli répondait : « Oh ! Maintenant tout glisse sur moi comme sur les plumes d'un canard ! ». Et il souriait, joyeux. C'est en ce sens que le Starets Thaddée écrit ( op. Cit) : « Le Seigneur nous purifie...et conduit notre âme vers l'apaisement et la simplicité, de sorte que notre âme ne prend plus à cœur les offenses : elle reste apaisée quelles que soient les circonstances, disant que c'est ainsi que cela doit être. » « Dieu l'a voulu ainsi », répétait souvent Père Ambroise, qui eût pu dialoguer avec ce vieux moine au visage extraordinairement joyeux, où brillait un regard incomparablement regard extraordinairement lumineux. « Ainsi », poursuit Thaddée, « l'âme se purifie progressivement afin de pouvoir recevoir le feu divin et adresser sans cesse des prières au Saint Esprit. » Et encore : « Nous nous mettons habituellement en colère devant des insultes ou des railleries, et cela tant que la Grâce divine ne descend pas sur nous. Mais, quand nous avons reçu la Grâce, nous ne nous sentons plus insultés face aux insultes, et restons toujours calmes, pleins de joie, paisibles, comme s'il ne s'agissait plus de nous. » Mais, d'autre part, et par ailleurs, il ne convient pas d'oublier cette historiette des Pères du Désert – cf Arnauld d'Andilly, Vie des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, in Blog de Presbytéra Anna -, que nous rappelait souvent Papouli, lui qui aimait à nous conter inlassablement ces histoires, cet apophtegme, donc, du moine qui se lamente en sa grotte, disant : « Hélas ! Dieu m'a abandonné. Il m'a laissé dans la déréliction : Il ne m'envoie plus d'épreuve pour la purification et la sanctification de mon âme, en sorte que je puisse m'élever au Ciel par la voie escarpée et montante qui y mène ! » PROPOS SPIRITUELS DU SAINT PERE AMBROISE DE PARIS. Lorsque les jeunes moines novices arrivent sur l'Athos, ils s'enquièrent auprès des Anciens qui vivent encore des Propos Spirituels tenus par les Saints qui viennent de s'endormir dans le Seigneur. Ils les recherchent partout, interrogeant ici et là, et ils les collectionnent comme l'on collectionne des perles, des perles précieuses, pour aider au Salut de leur âme. De toutes ces perles assemblées, comme par congruence, par un merveilleux effet de composition, jaillit la plus belle, l'unique, la figure du Christ. ( Cf. L'Evangile de la pierre précieuse. Mat 13, 44-46). C'est ainsi que nous gravions dans notre cœur, pour nous les remémorer toujours, les précieuses paroles inspirées tombées de la bouche suave de notre Papouli, et dont l'ensemble constitua pour nous une école de vie. - « La Gaule, avant l'invasion Franque, était Orthodoxe. On ne devient pas Orthodoxe ; on revient à l'Orthodoxie première. » « Monseigneur (Mgr) Philarète de New-York a jeté un anathème contre les oecuménistes, Or Mgr Philarète était un Saint de Dieu ». Comme un autre Saint Père Justin Popovic, Père Ambroise redisait après lui : « L'oecuménisme est la plus grande hérésie. C'est l'hérésie des hérésies, l'hérésie du XXème siècle ». « Quatre-vingt pour cent des Orthodoxes ont gardé l'Ancien Calendrier. Ils sont Anciens-Calendaristes. » « Les flammes de l'Enfer seront les flammes de l'Amour de Dieu. Cet Amour est dévorant, et il brûlera ceux qui, toute leur vie, auront rejeté Dieu. » Et en cela, Père Ambroise suivait la théologie de Saint Isaac le Syrien. Certains des enfants spirituels de Papouli, prêtres et moines, s'épuisaient à faire des conférences pour répandre la foi orthodoxe. Lassés de voir que cette prédication n'amenait pas grand-monde à l'église, ils vinrent lui demander s'il jugeait bon qu'ils continuassent ce travail de prédication. « Le prosélytisme a son intérêt », répondit-il, « mais il n'est pas fondamentalement nécessaire. Lorsque Dieu veut convertir le cœur d'un être déjà potentiellement spirituel, il l'amène à ta porte. » « Vous excluez tout le monde », se plaignit un jour à Père Ambroise un incrédule. « Non », lui répondit le Saint. « Nous n'excluons personne. Toute leur vie, les hommes ont eu l'Evangile et les prophètes. Regardez l'Evangile du riche et du pauvre Lazare. Le riche, en proie dans l'Enfer à une soif inextinguible demande à Dieu que l'on aille avertir ses frères qu'il se devaient de réchapper à l'Enfer ; « Non, » lui fut-il répondu, « ils ont eu l'Evangile et les Prophètes. » « Nous n'excluons personne, mais bien peu veulent entendre la Parole de Vérité. Le chemin du Salut est la voie étroite qui mène au Paradis. Beaucoup sont appelés, dit encore l'Evangile, mais peu sont élus. » « L'essentiel, » conclut Père Ambroise, « est d'en sauver au moins quelques-uns ». « Je sème, mais ce n'est pas moi qui récolterai. » « Le plus haut de tous les charismes est le discernement spirituel, qui donne à distinguer le bien du mal, le vrai du faux, l'orthodoxie de l'hétérodoxie. » « Il faut être Orthodoxe pour sauver son âme et entrer au Paradis. Les hérétiques et les hétérodoxes n'hériteront pas du même Paradis ». - « Les oecuménistes, marche-leur sur les pieds, et tu verras s'ils ont pour toi le moindre amour de bienveillance, le moindre pur amour de charité. » « La Prière du Coeur tout le jour, c'est fatigant ! Car il faut se concentrer, toujours, sur les mots de la Prière. » « L'ascèse, toute une vie entière, c'est fatigant ! C'est long ! » « Il convient de se voiler à l'église, et donc d'y porter un foulard, à cause de l'épître de Saint Paul. En dehors de l'église ce n'est pas nécessaire, sauf pour les moniales. Et encore. Dans les paroisses longtemps persécutées, comme à Tambov, dans l'ancienne Russie soviétique, les moniales ne se réunissent que le samedi, pour les vêpres, et le dimanche, pour la liturgie, après avoir vécu en moniales de façon idiorythmique, toute la semaine, chacune chez elle. Elles arrivent à l'église sans voile, et ne portent le voile qu'une fois entrées dans l'église. » Voici quel est le texte de Saint Paul à l'origine du fait que la femme se voile à l'église :« Je vous félicite de ce qu'en toutes choses vous vous souvenez de moi et gardez les traditions, telles que je vous les ai transmises. Je veux cependant que vous sachiez : le chef de tout homme, c'est le Christ ; le chef de la femme, c'est l'homme ; et le chef du Christ, c'est Dieu. Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait affront à son chef. Toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c'est exactement comme si elle était tondue. Si donc une femme ne met pas de voile, alors qu'elle se coupe les cheveux ! Mais si c'est une honte pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou tondus, qu'elle mette un voile. L'homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu ; quant à la femme, elle est le reflet de l'homme. [ 8-9 ] Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des Anges. [ 11-12 ]. Jugez-en par vous-mêmes. Est-il décent que la femme prie Dieu la tête découverte ? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c'est une honte pour l'homme de porter les cheveux longs ; tandis que c'est une gloire pour la femme de les porter ainsi ? Car la chevelure lui a été donnée en guise de voile. " (1 Cor. 11, 2-16). « Il ne convient pas qu'une femme se mette en pantalon à l'église. De plus, cela n'est pas féminin, et cela la grossit ; oui, cela la rend grosse. Ce n'est ni seyant, ni orthodoxe ». « Le mariage et le monachisme sont comme les deux barres de la croix. L'une, verticale, qui va de la terre au Ciel, représente le monachisme. L'autre qui étend ses bras à l'horizontale, représente le mariage. Ces deux voies participent également de la croix. On peut être sauvé par ces deux voies de manière égale. L'une, le monachisme, est simplement plus rapide ». « Un laïc voit ce qu'il fait dans la vie. Il voit ses enfants grandir. Un moine ne voit pas ce qu'il fait. Il ne voit pas ses progrès spirituels lors de son avancement spirituel dans la vie angélique. Il est difficile d'être moine. » « Il n'est pas orthodoxe de vivre hors mariage en concubinage. Il faut régulariser la situation en se mariant ». (Sur cette question, il est bon de lire le petit livre éclairant du Hiéromoine Grégoire du Mont Athos : Le sacrement du mariage, communion d'amour. Ed. des Syrtes). « Le mariage est un martyre. C'est pourquoi les Pères ont fait figurer la danse du martyre dans l'office du couronnement ». ( Note : Le mariage est appelé dans l'Eglise Orthodoxe l'Office du couronnement. Les époux portent des couronnes, les couronnes du martyre, et l'on déclare l'époux couronné par l'épouse et l'épouse couronné par l'époux). « Lorsque des jeunes gens se disputent avant le mariage, il ne faut pas qu'ils se marient ». « Le mariage, dans son commencement, fait mal comme une chaussure neuve. Il faut s'adapter. Cela demande aussi un temps d'adaptation ». « Une fois mariés les époux doivent tenir bon coûte que coûte et tout faire pour ne pas se séparer ». « Cependant l'Eglise Orthodoxe admet le divorce car l'on peut se tromper.L'église catholique a tort de refuser la communion aux divorcés, car les canons des Pères de l'Eglise admettent le divorce et que l'on donne la communion aux divorcés ». « L'église catholique a tort également de refuser le mariage des prêtres. Cela n'est pas la Tradition apostolique, qui mariait les prêtres à des presbytéras. Les catholiques sont plus royalistes que le roi. Car les canons de l'Eglise autorisent le mariage des prêtres. En refusant aux prêtres de se marier, l'église catholique éloigne et détourne beaucoup de vocations de l'église, en faisant fuir les jeunes gens, et crée une église sans prêtres pour ses nombreuses ouailles. L'Eglise orthodoxe a, quant à elle, failli même, en 1921, à Constantinople, autoriser le mariage des évêques. Comme le montre l'Epître, les premiers évêques étaient mariés. « La famille de l'Evêque », dit l'Apôtre, « doit être un modèle pour les autres. » ( Tite 1, 6-9) ; (Timothée 3, 1-7) ». « Quant au fait que ne peuvent prétendument être faits prêtres que les jeunes gens qui n'ont pas eu de relations sexuelles avant le mariage, cela c'est la rigueur, observée par certaines églises en Grèce. Mais cela n'est pas tenable ». « Il y a deux mesures dans l'Eglise, la rigueur et l'économie. Si je ne pratiquais pas l'économie ici, il n'y aurait personne dans notre église. Pas même moi. » A un jeune homme qui voulait se marier : « Dieu », lui dit-il, « te donnera le meilleur ». Et, effectivement, peu de temps après, par les prières du Saint, il rencontra une merveilleuse jeune femme, jolie, extrêmement gentille, intelligente et fort pieuse. Père Ambroise était souvent à l'origine de « mariages arrangés » dans l'église. C'est-à-dire qu'il mariait volontiers les jeunes fidèles de l'église trop timides pour faire le premier pas ou sans discernement, qui se seraient trompés et auraient contracté une union malheureuse s'ils n'avaient pas été détournés de leur premier choix à l'aveugle. « Un tel et une telle ne vont pas ensemble », disait-il, « ils ne sont pas faits l'un pour l'autre. » - « Quand le Seigneur voit un beau bébé, il nous l'envoie ». C'est ce qu'il disait à une jeune mère dont l'enfant était à naître. Il aimait beaucoup les enfants, et il appréciait que son église soit remplie de beaux enfants. Et de fait, par ses prières, les enfants qui naissaient dans l'église étaient tous plus beaux les uns que les autres. A une mère de famille nombreuse d'entre ses filles spirituelles : « Tu es une maman extraordinaire, une mère comme je n'en ai jamais vu. Tu auras des kilomètres de cordon ombilical qui te raccrocheront à tes enfants, même quand ils seront grands. Toi, tu seras sauvée par la maternité ». « Les jeunes gens feront la queue pour épouser tes filles ». C'est ce qu'il prédisait à une jeune maman de l'église dont, par ses prières, les filles étaient magnifiques. « Ton enfant est beau parce que tu l'as attendu dans la prière ». « Patience, patience, mon Anne. Anne, en hébreu, signifie patience. Il faut beaucoup de patience pour la vie en Eglise ». « Ne va pas travailler et garde tes enfants. La maman est la lumière du foyer. Il vaut beaucoup mieux pour faire le bonheur de ses enfants qu'une mère reste au foyer à s'occuper d'eux avec mille soins et attentions et qu'elle soit là pour les élever. En outre, une personne consacrée à l'Eglise ne travaille que pour l'Eglise. Elle n'est pas autorisée à travailler au-dehors. De plus une mère qui reste à la maison peut jeûner, veiller et travailler pour l'Eglise ». « Dieu rend tout au centuple. Le bien comme le mal ». « Une mère qui néglige son enfant, celui-ci le lui rendra au centuple ». « Il y a une justice immanente, sur terre, qui est immédiate, et une justice divine, au Ciel, qui est éternelle. » « Une telle récolte ce qu'elle a semé. Toute sa vie elle a été une femme avaricieuse au cœur dur. Comme la reine des neiges qui avait un glaçon dans le cœur. Elle battait ses enfants, elle les négligeait, elle ne s'en occupait pas elle-même, mais engageait des personnes pour s'en occuper à sa place. Maintenant qu'elle est une vieille femme, nul de ses enfants ni de ses petits-enfants ne vient la voir et elle croupit dans une solitude immonde et abjecte. Sa fin est terrible ». « Une telle, au contraire, c'est un cœur avec une femme autour ». « L'intelligence du cœur, que nous cultivons dans l'Eglise Orthodoxe, est très supérieure à l'intelligence de l'intellect, qui est froide et inutile à long terme ». A une de ses enfants spirituelles : « Je t'aime comme si je t'avais engendrée, comme si j'étais ton père selon la chair. » « Faites la prière du cœur aux moments perdus de la journée : vous verrez qu'il y en aura beaucoup ». « La prière du cœur m'est advenue un jour. Elle est descendue dans mon cœur un jour où tout allait mal et où je désespérais ». « Toi, tu vivras très vieille ». « Une telle va s'élever sur les ailes de la contemplation ». « Untel va devenir saint ». « Chacun des saints a sa forme de sainteté particulière selon son caractère, son individualité, et son mode d'être ». - « Toi, Jean, lorsque tu seras ermite, tu liras entre autres Pères tout Saint Jean Chrysostome. Oui, tu liras et reliras ses œuvres complètes. » - Nous nous étonnions à l'entendre parler ainsi à un fidèle marié et père de quatre enfants. Mais de fait, des années plus tard, ce fidèle laissa sa femme et ses enfants désormais élevés, et se retira pour s'adonner en ermite dans l'hésychia priante absolue à la prière. Cet ermite avait été moine dans sa jeunesse, à Chypre. Rebuté par le barrage de la langue, il avait quitté le monastère et s'était marié. Mais il fallait s'attendre, et nous eussions dû nous en douter, à ce qu'un ancien moine, retournât, avec le temps, à ses anciennes amours, ce qui est dire à la vie angélique du monachisme. A tels de ses enfants spirituels : « Vous serez à un très haut niveau spirituel. Vous serez très hauts dans le Ciel ». Un jour, il nous avait murmuré, l'air mystérieux : « La nuit, Sainte Photinie l'ermite et Saint Nectaire viennent me visiter chez moi. Ils s'entretiennent avec moi. A mon tour, je leur parle. Vous aussi, si vous le vouliez, vous pourriez les voir et vous entretenir avec eux. » « Untel paraît orthodoxe, mais à la vérité son cœur est plein de mauvaises pensées et de pensées impures ». « Je n'invite pas untel chez moi, car son cœur est plein de pensées impures. » « Les mariages se font au Ciel ». Dieu sait par avance quel fiancé épousera quelle fiancée, et c'est Lui qui les fait se rencontrer, Lui qui les marie par avance, Lui qui décide qu'ils seront couronnés l'un par l'autre. « C'est un très grand péché d'empêcher les enfants de venir au monde par la contraception et par l'avortement ». « Si vous avez des enfants, ayez beaucoup d'enfants. Même si les temps sont durs, la Providence, comme une cigogne, apportera son petit baluchon à chacun des enfants à sa naissance. Par les prières des Saints vous ne manquerez de rien. Recherchez d'abord le Royaume. ( Mat 6, 33). Dieu vous assurera votre « pain quotidien ». « Une telle n'a rien compris à l'église. Elle vient à l'église, mais elle reste complètement mondaine, avaricieuse, n'estime que les riches et elle est pleine d'un orgueil de caste insupportable». « Les mondains qui quittent l'Eglise qu'ils jugent trop austère par esprit de frivolité peuvent malgré tout continuer de servir l'Eglise de l'extérieur. Ils peuvent l'aider de par leurs relations publiques et, par leurs conversations, fussent-elles superficielles, nous faire connaître dans le monde. Dieu ne les abandonne pas ». « La valeur d'un être se mesure aussi à son portefeuille, au fait qu'il donne ou qu'il ne donne pas ». « Il faut vider sa poche pour que Dieu la remplisse. » « Enfants, nous étions très, très, pauvres. La pauvreté nous a beaucoup appris. Je n'avais même pas de lit. Ma mère me mettait par terre de la paille et je dormais sur cette paille. Nous ne mangions de la viande qu'une fois par semaine. Et le reste du temps, nous mangions très très peu ». « Les liens d'église sont plus forts que les liens du sang. Si les êtres en Eglise restent unis, c'est que leurs liens sont de Dieu ». « Tu veux en carême complémenter ton alimentation en fer, avec des comprimés ? Mais pourquoi faire ? » Et il faisait mine de dévorer sa cuisinière en fer. Un jour que je l'avais vu, comme souvent, trop épuisé pour faire autre chose que demeurer allongé sur son lit, par-dessus la grossière couverture qui lui servait de courtepointe, je lui avais tendu un remontant très fort – du ginseng- dont j'avais tendance à abuser, ne supportant pas les états de fatigue. Le lendemain il me tendit la boîte pour me la rendre : « Reprends tout cela », murmura-t-il faiblement, « cela ne sera pas nécessaire. » « Les confessions des fidèles le dimanche m'épuisent. Elles sont très lourdes à porter. C'est très pénible ». Mais lorsque ses enfants spirituels lui parlaient en confession, leurs problèmes, de retour à la maison, comme par miracle, par ses prières, s'évanouissaient. « Quand est-ce qu'untel sera guéri ? Depuis qu'il est hospitalisé, je jeûne et je m'use en agenouillements, en génuflexions, et en prosternations pour lui. Je n'en puis plus. Je suis épuisé ». « Tout le carême durant, j'ai porté l'âme d'un jeune homme qui vit dans le péché. Cela était très lourd. Cela m'a épuisé ». « Sèche tes larmes tout de suite. Il ne faut pas qu'on te voit pleurer à l'église. C'est de l'orgueil. Pleure chez toi ». « Ne croise pas les genoux à l'église. C'est de l'orgueil ». « Pendant des années j'ai beaucoup lu .Dès que j'avais un peu d'argent j'achetais un livre. Comme j'ai aimé les livres ! Surtout des livres ecclésiastiques et des histoires de l'Eglise. Mais maintenant que j'ai vieilli, je ne lis presque plus rien. Je ne fais plus que ma Prière ». A certains de ses plus proches enfants spirituels qu'il emmenait régulièrement à la campagne en retraite spirituelle : « Quand nous serons tranquilles dans l'hésychia, nous allons nous mettre à jeûner et à veiller un petit peu ». A la confession, Papouli pouvait être très sévère et faire pleurer ses enfants spirituels. Il leur adressait des propos fermes : « Allons, ressaisis-toi, redresse-toi, remets tes pas dans la voie droite. » Sa sévérité nous étonnait parfois. Passant devant une église catholique, il lança un jour : « Cette église est une boîte de nuit spirituelle. » Une higoumène de monastère, en Grèce, n'était pas sortie pour l'accueillir. « Elle est orgueilleuse », dit-il. « Elle ne veut pas se montrer. Elle croit que sa prière est au-dessus de l'accueil de son frère étranger. Elle oublie l'Evangile du Christ, qui enjoint : « Laisse-là ta prière et va au-devant de ton frère. » (Cf. L'Ev de Jésus-Christ). Et d'une jeune fille qui partait se faire moniale au monastère, il nous dit, l'air sévère : « Elle part au monastère, mais c'est peine perdue, car elle est orgueilleuse. » Comme cette jeune fille faisait, avant de partir, ses adieux à tous, il dit : « Quand on part au monastère, on part sans se retourner. On n'envoie pas de bristols à tout le monde. » « Ces évêques en lunettes noires, qui sont inondés de l'argent des fidèles, qui se déplacent en berline, ou en limousine, et vivent dans le luxe, traitant les moniales comme leurs servantes, se faisant servir par elles, tout en les méprisant, ce sont des « Mamamouchis » », disait-il, faisant allusion au Bourgeois gentilhomme de Molière. Il aimait à redire : « Certains font quarante ans de monastère, mais ils ne comprennent rien à la vie angélique. » Mais il nous racontait en souriant l'histoire de cette grande coquette – était-t-elle princesse ? Impératrice ? Je ne sais plus. Il me souvient qu'il s'agissait d'une certaine Irène, peut-être l'Impératrice -, qui, partie se faire moniale au monastère, avant que d'y entrer, y déposait à la porte à regret toutes ses belles robes et ses riches parures. « Cela est beau », murmurait-il, ému aux larmes. A mieux me remémorer cette histoire, il me souvient qu'il s'agissait d'Irène Chrysovalente. Irène devait épouser le fils de l'impératrice Théodora, qui devint Sainte, parce qu'elle avait sauvé l'Eglise de l'iconoclasme et rétabli le culte des icônes. Lorsque l'impératrice Théodora voulut marier son fils Michel elle envoya par tout le royaume ses émissaires et ses ambassadeurs chargés de trouver la plus belle, la plus pieuse, la plus douce et la plus intelligente des jeunes filles, en sorte qu'elle pût prétendre à épouser le jeune futur empereur. Ils trouvèrent une telle jeune fille, Irène, en Cappadoce. Mais, sur le chemin du retour, elle voulut prendre la bénédiction d'un ermite de renom. Celui-ci la salua en ces termes : « Salut, Irène servante de Dieu. Va au monastère de Chrysovalandou, pour en être l'higoumène, car les jeunes moniales, là-bas, y ont besoin de toi. » Car le sainte ermite, qui avait le don de prophétie, savait à l'avance l'avancement spirituel d'Irène. Irène Chrysovalente devint tellement sainte que les cyprès du monastère, la nuit, s'inclinaient devant cette orante nocturne, ainsi qu'en témoignèrent ses moniales. Aussi, sur son icône, l'iconographe a-t-il représenté cette inclination des arbres devant la Sainte. Ainsi donc, Sainte Irène avait-elle déposé ses belles robes à l'entrée du monastère. Saint Théophile le Fol-en-Christ de la Grande Lavra des Grottes de Kiev, lui, se montre beaucoup plus sévère quant à la montre des grandes dames, fussent-elles aumônières, puisqu'il balançait sans vergogne sa soupe au chou sur leurs belles robes. ( Cf Presbyétra Anna, Théophile le Fol-en-Christ, Ed. L'Age d'Homme). Mais Saint Jérôme d'Egine est fort indulgent pour les belles tenues des dames spirituelles : « Même dans une belle robe, une femme peut être un être de Prière, une âme orante », dit-il à peu près.( Cf. Presbytéra Anna, L'oiseau de Guélvéri, op. Cit). Saint Jean de Cronstadt, quant à lui, cet être de joie totale, qu'irradiait tout l'allégresse divine, prône qu'il sied de mettre à l'église ses plus belles robes, ses plus beaux vêtements liturgiques. Et parce qu'il venait à l'église avec ses ornements d'apparat, il fut vivement critiqué, et même taxé d'orgueil et de vanité par ses détracteurs.Saint Jean de Cronstadt fut donc lui aussi objet de jalousie. Car quels Saints de Dieu sont-ils épargnés par ce fléau des âmes qu'est la jalousie ? Il n'est jusqu'à l'astre céleste, l'astre photoïde au firmament du Ciel que fut Saint Isaac le Syrien, Evêque de Ninive, (cf Saint Isaac le Syrien, Oeuvres spirituelles), qui n'ait été jalousé pour son aura de sainteté ; -Isaac le sublime, qui se démit et résigna sa charge d'évêque, « pour une raison que Dieu sait », et qui s'en fut au saint désert de Scété, et dont il fut dit qu'il écrivait la langue des êtres terrestres, tandis que ses détracteurs écrivaient celle des êtres terrestres.( Cf. Introduction de Mgr Kallistos Ware à L'univers spirituel d'Isaac le Syrien, par Hilarion Alfeyev, Ed. Abbaye de Bellefontaine. Coll. Spiritualité orientale, n° 76) -. Père Ambroise condamnait l'homosexualité. Non point qu'il fût à proprement parler homophobe, ni qu'il détestât la personne pécheresse, mais son péché lui-même : « L'homosexualité, c'est une vie contre nature. » Il avait un jour, sans le savoir, baptisé deux lesbiennes. Lorsqu'il l'avait appris, il avait dit : « Je ne savais pas que je baptisais le diable. » Et à un de ses moines dans l'église, dont il avait découvert qu'il était homosexuel, il avait fait retirer sa soutane et lui avait enjoint de demeurer dans l'Eglise en civil jusqu'à ce qu'il fût venu à résipiscence, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il se repente et fasse pénitence. « Comme j'eusse voulu avoir un monastère ! » - Et, de fait le Métropolite grec l'avait élevé au rang d'Archimandrite, ce qui est dire Higoumène de monastère. - « Mais, » ajoutait-il tristement, « Dieu ne me l'a pas donné. » Mais une autre fois, il nuançait son jugement dans les monastères. « L'on doit s'ennuyer dans les monastères. Le démon de l'ennui y travaille beaucoup les âmes. » Hélas ! Il n'est pas que ce seul démon de l'ennui pour venir tourmenter les moines, et plus encore les Solitaires. Arnauld d'Andilly, en ses Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes (cf Blog de Presbytéra Anna), met en scène ce démon qui inspirera la fameuse gravure de la Mélancholia de Dürer. La tentation de Saint Antoine, de Gustave Flaubert reprend ce même thème des légions de démons qui assaillent les Solitaires du Désert. Entre maintes autres de ces puissances maléfiques, qui se déchaînent contre les ascètes, les Solitaires et les ermites, fussent-ils de Saints vieillards, et les tourmentent profondément, jusqu'à les laisser totalement abattus sur leur couche, figure le démon de la tristesse ; et encore le démon de la paresse ou de l'acédie - « Quand tu es dans l'acédie, prie », portent les manuscrits des Quatre ermites égyptiens ( op. Cit.). Et Père Ambroise de nous raconter cette histoire du Diable que rencontre en chemin un moine. Ce diable, est-il à peu près écrit, porte sur lui, comme porterait son breuvage un porteur d'eau de l'Atlas marocain, diverses calebasses emplies d'étranges concoctions de divers maléfices. « Que portes-tu là sur ton dos ? » s'enquit lors le frère. « Ce sont », lui répondit le Diable, diverses potions, toutes différentes les unes des autres, destinées à divers frères d'entre les Pères du Désert. A chacun j'apporte celle qui le tourmentera. » Père Ambroise aimait bien les Noirs. « Comme j'eusse voulu faire une mission en Afrique ! » disait-il. « Mais Dieu ne me l'a pas accordé. » Une famille entière de Noirs fit un jour son entrée dans l'Eglise, et il les baptisa. « Ah ! » dit-il en souriant, «on se colore un petit peu ! » A ce propos, un jeune homme Noir disait récemment : « Il n'y a ni Blancs, ni Noirs ; il n'y a que des hommes. » Et il ajoutait que « l ' Afrique était le berceau de l'humanité », comme le prouvait le livre qu'il nous tendait, intitulé Nations nègres et culture, aux éditions Présence africaine. Père Ambroise eût pris fait et cause pour les migrants, que les responsables politiques laissent périr par centaines de milliers dans les eaux redoutables de la Mer Méditerranée, qu'ils laissent torturer dans les pays où ils transitent, et qu'ils persécutent, du moins les plus chanceux d'entre eux, lorsque ces miraculés, après cette infernale odyssée, accomplie au péril de leur vie, arrivent enfin sur notre sol béni, prétendument terre d'asile. « Les gouvernants, contrairement au Christ, ne s'occupent pas de leurs pauvres, de leurs clochards, de leurs sans-abris. Ils les laissent mourir dans la rue, sans même les reloger. » Ces pauvres, enroulés en boule, lovés sous leurs cartons, la tête cachée dans leur mince couverture crasseuse, loques humaines, à même le trottoir, n'ont plus figure humaine. Cela fend le cœur. « Les hommes politiques foulent aux pieds la dignité humaine ». « Les divers partis politiques, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. » De fait, tous se sont unanimement entendus pour néantir les humanités classiques, détruire la grande culture, dont la culture gréco-latine, - de laquelle l'apprentissage est si formateur et si fondamental -, comme aussi le théâtre classique, voter des lois persécutrices des religions, plonger leurs nations dans la décadence, les ténèbres de l'ignorance, et la déchristianisation démonique, allant jusqu'à faire de la Sainte Croix du Christ un signe ostentatoire à prohiber haineusement! A de jeunes néophytes enthousiastes qui parlaient de l'ascèse qu'ils voyaient décrite dans les Vies des Saints et qui enjoignaient à tout le monde de faire de l'ascèse, il dit sévèrement : « Vous ne savez pas ce qu'est l'ascèse ; ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas. » Mais, à d'autres moments, Papouli était très tendre, très doux et très indulgent. « J'ai beaucoup de patience, mon enfant. A chacun de mes enfants spirituels que j'engendre en Christ, c'est comme un accouchement, je souffre beaucoup. C'est très difficile. Mais après je suis dans la joie ». Il aimait ses enfants spirituels d'une manière inconcevable. Il était aimant d'une manière qui passe l'imagination. Il devait faire à l'époque en moyenne huit heures de train pour desservir ses paroisses éloignées qu'il avait fondées dans plusieurs régions de France. Il dormait alors dans les gares pour ne pas déranger les fidèles. Et lorsqu'il les voyait enfin à la gare, il leur disait : « J'aurais voulu pousser le train pour arriver plus tôt et vous voir plus vite. » « Tous ces cours d'université où vont certains étudiants, au début c'est très formateur, mais, à la longue, cela ne sert plus à rien. Il faut savoir cesser d'y aller, ne pas être un éternel étudiant, et rester à lire, à travailler et à prier dans la retraite ». « Tels fidèles, c'est comme du miel. Ils attirent tous les autres fidèles. Leur maison, c'est l'auberge espagnole. Ils pratiquent la vertu de l'hospitalité. Mais bien des gens sont ingrats et sortent avec des critiques. » « Aux fidèles de l'Eglise Orthodoxe, nous nous devons. Mais les autres, nous ne pouvons pas les assumer. Dieu en prend soin par nos prières ». « Les religieuses catholiques font des piqûres et de charitables œuvres sociales. Les Orthodoxes sont plus intériorisés. Ils font des prières. Mais la prière est action, et action surpuissante. La prière permet une action supérieure, décuplée et même démultipliée à l'infini, qui surpasse infiniment la praxis et l'agitation de l'action qui s'éparpille à l'extérieur. Les priants agissent au centuple, infiniment plus puissamment que les actifs. Parce que par la prière tu fais intervenir Dieu et l'infini. Les Saints agissent par la prière ». (Sur ce même sujet, cf Païssios l'Athonite, Lettres, Ed.du monastère Saint Jean le Théologien, Thessalonique). « Les religieux catholiques sont déformés en long, en large et en travers, les pauvres, par leur dogmatique fausse et erronée ». « Mais, si leur dogmatique est fausse et hétérodoxe, il y a malgré tout des Saints dans toutes les religions. L'Abbé Pierre, Mère Térésa de Calcutta, Gandhi en sont des exemples . Gandhi explique qu'il a tiré la notion de jeûne des Evangiles Chrétiens. Le Christ au Désert jeûna quarante jours, puis il eut faim (Mat 4, 2) ». « Tu veux une amie ? Pour quoi faire ? Reste chez toi dans l'hésychia, seule avec Dieu, et prie ». « Des amis, tu n'en auras pas dans ta vie plus que les doigts d'une main. » C'était là, le souvenir d'un proverbe grec, venu d'Asie Mineure peut-être. Quant aux liens entre l'amour et l'amitié, Père Patric avait cette formule frappante : « Dans l'Eglise, l'on est tenu à l'amour universel, mais non pas aux atomes crochus de l'amitié. » L'on peut donc aimer son prochain, et l'on y est tenu par le commandement évangélique, sans pour autant éprouver envers lui l'amitié qui lie deux êtres, indissolublement, comme mutuellement attirés l'un vers l'autre par de puissants, d'indéfectibles atomes crochus. Père Ambroise nous rappelait l'image de la roue à laquelle recourent les Pères de l'Eglise pour exprimer l'amour de Dieu et l'amour du prochain. « Plus l'être priant, sur un rayon de la roue, se trouve près de Dieu, qui est au centre de la roue, comme son moyeu, plus il est proche de son prochain, sis sur un autre rayon. » Et à la vérité, il était surprenant de voir comme en notre Eglise, contrairement à ce que j'observais dans les autres églises où j'étais passée avant que de rencontrer Papouli, les êtres étaient proches les uns des autres, s'aimant plus que s'ils eussent été unis par les liens du sang. « A ce signe l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, que vous vous aimerez les uns les autres (Jean 13, 34-35)», enseigne l'Evangile. A un moine qui subissait les affres de la tentation : « Tu veux t'unir à une femme ? Fais comme si c'était fait. » « Il faut arrêter de vivre les uns chez les autres en chapelets de saucisses. Chacun chez soi et Dieu chez tous ». « Celui qui fait l'aumône fait tourner le monde autour de son doigt », me dit un jour une mendiante qui, par un froid frigorifiant, insupportable, insoutenable, se tenait aux portes du magnifique Monastère de la Grand Lavra. Père Ambroise, bien qu'il fût d'une pauvreté déconcertante faisait l'aumône. Parfois, lorsque nous n'avions pas même de quoi donner à un clochard – il est vrai qu'à l'époque Père Patric et moi étions pauvres - : « Eh oui, » disait-il en riant, « c'est nous les plus pauvres. » Et un père de notre église, qui était grand lecteur des œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome, ajoutait : « Crois-tu que Dieu n'est pas assez grand pour prendre soin de ses pauvres ? ». Un autre me disait : « Tant que tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas faire l'aumône. » Notre futur métropolite, Mgr Philarète, complétait ainsi ce discours : « Si tu n'as pas de quoi faire l'aumône, les Pères disent que tu peux faire une prière pour ce pauvre et qu'ainsi, par cette modeste prière, Dieu l'aidera. » « Ne critique pas cette femme en lui reprochant d'avoir eu trois maris » disait encore Père Ambroise à l'une de ses filles spirituelles qui s'avérait moralisante et qui, néophyte dans la foi et inexpérimentée dans la vie, s'avisait de faire la morale aux autres. « Parce qu'il pourrait bien t'arriver par la suite la même chose. » « Il y a trois personnes en une telle : Une femme, une mère et une moniale. C'est la part spirituelle qui l'emportera ». « Méfiez-vous des psychiatres et des tribunaux. Ils peuvent faire passer pour fous qui ils veulent, surtout les spirituels ». Mais il ne niait pas que ces institutions pussent être utiles et rendre service. Certains psychiatres pouvaient secourir leurs malades atteints de dépression et qui ne savaient pas que le millepertuis, plante naturelle, pouvait être plus efficaces que des antidépresseurs abrutissants et grossissants. Ne revient-il pas au psychologue et psychiatre américain Milton Erikson, lequel fut l'inspirateur de l'hypnose américaine, d'avoir écrit cette belle phrase : « La vie par elle-même te réservera des afflictions. Mais ta mission c'est de créer de la joie. » Cette sentence magistrale s'appliquait du reste à merveille à Père Ambroise dont la vie fut semée d'afflictions, - qui souffrit sans cesse des labeurs douloureux d'une ascèse extrême et quasi violente car il était de ceux qui se font violence pour forcer l'entrée du Paradis (Mt 11, 12) -, et qui malgré cela semait incessamment le bonheur et irradiait la joie autour de lui, de façon douce et merveilleusement chaleureuse, au point que tous accouraient à lui dans leurs afflictions comme pour se chauffer à la chaleur humaine qu'il diffusait à foison, comme un être incandescent d'amour qu'il était, au point que certains disaient de lui : « Papouli, c'est un phare ! » Et en vérité, il était un phare de l'Orthodoxie, une resplendissante et irradiante lumière, un luminaire au firmament de l'Eglise qui éclairait tous ceux qui venaient à lui, les faisant échapper aux tempêtes de la mer démontée de cette vie et les faisant accéder au port de l'Eglise bienheureuse, de sa petite église qui était pour tous une arche de Noé les sauvant du déluge de leurs jours éphémères de la déréliction décadente de ce monde de l'apostasie (2 Thess 2), où Dieu est renié par la plupart des âmes aveuglées par les puissances des ténèbres. Des évêques grecs en visite en France dans notre petite église, venus, dans le cadre de leur mission apostolique, bénir la Synodie de Père Ambroise qui dépendait de leur juridiction, se montrèrent choqués de l'état de décadence et de déréliction spirituelle des âmes qu'ils croisaient dans le quartier de la ville qu'ils traversaient pour atteindre notre modeste chapelle. « Vraiment », dirent-ils, « à la fin des temps votre église jugera ce quartier décadent. » « En vérité, oui, » leur répondit Papouli, « notre petite Eglise Orthodoxe jugera le monde sur des trônes, comme il est écrit dans les Ecritures que feront les Apôtres du Seigneur. » (Mat 19, 28). Des visiteurs, entrés par curiosité dans notre modeste chapelle, s'exclamèrent – et ce fait se reproduisit à diverses reprises - : « Votre église, mais on dirait les Catacombes des premiers temps de l'Eglise primitive ! Quelle ferveur de coeur ! Quelle sincérité ! Quelle rectitude dans la foi ! ». Et le compliment était, à nos yeux de néophytes, qui avions dans les premiers temps de notre recherche spirituelle, visité bien des églises avant de rencontrer Père Ambroise, oui, le compliment nous semblait bien mérité. « C'est », répondait invariablement Père Ambroise, prenant l'air austère et sévère qu'on lui connaissait lorsqu'il parlait de choses graves, « c'est que nous observons la foi droite. Orthodoxie, du reste, signifie étymologiquement « croyance droite. » Nous gardons le dépôt de la foi Orthodoxe. « Garde, Timothée, garde le dépôt de la Foi ! » enseigne l'Apôtre Paul. (1 Tim. 6, 20). C'est là notre engagement et notre combat spirituel. Nous nous gardons de l'oecuménisme que le Saint Père Justin Popovic appelle « l'hérésie des hérésies », la plus grande des hérésies, celle qui est apparue au XXème siècle. » - Cf L'oeuvre immense du Père Justin Popovic, parue à l'Age d'Homme : Les voies de la connaissance de Dieu, et les V tomes de la théologie dogmatique Orthodoxe.- Et il prenait un ton mystérieux, doux et ferme à la fois, citant à nouveau et redisant toujours l'injonction de Saint Paul, l'Apôtre des nations : « Garde, Timothée, garde le dépôt de la Foi. » ( 1 Tim 6, 20). A l'église, lorsque l'on passait près de lui, souvent, l'on sentait, par bouffées, embaumer Papouli. « Les Saints embaument », nous avait-il enseigné chez lui. « Il y a diverses odeurs de sainteté. Lorsque cela embaume, ce n'est pas toujours le même parfum. Cela peut être une odeur de rose, une odeur de talc, mais suave, ou une autre encore. Ces senteurs sont merveilleuses et indescriptibles. » Et il nous sortait aussi de diverses petites boîtes des cotons qui avaient été imprégnés de diverses huiles de veilleuses qui avaient brûlé devant des icônes miraculeuses. « Ce coton est imprégné d'une huile de veilleuse qui brûlait devant une icône de Saint Nectaire. » Mais lorsque nous lui disions que nous l'avions souvent senti embaumer, lui, il baissait modestement la tête et ne répondait rien. Tant il était humble. « Mais que croyez-vous donc que je suis ? » s'étonnait-il. « - Un Saint, Papouli ! ». Humblement encore, il ne répondait toujours rien. En vérité il avait atteint « l'akra tapinosis » – l'extrême humilité du Christ. Et il nous montrait une icône du Christ figurant « l'akra tapinosis », figurant le Christ, la tête humblement penchée sur le côté. Saint Antoine peint à merveille la notion d'humilité. Seul l'humble, enseigne-t-il par son exemple, peut échapper aux pièges sans nombre de l'Ennemi, le Diable. « Saint Antoine, » rappelle le Starets Thaddée ( cf. Op. Cit.) vit un filet tendu tout autour du monde, qui représentait les pièges du Malin tendus partout à l'homme sur la terre. Lorsque Saint Antoine eut observé tous les filets installés par les esprits mauvais sous les Cieux, il soupira et dit : « Mon Dieu, qui peut échapper à tout cela ? » Alors, il entendit une voix dire : « Seuls les humbles et les doux passent au travers. De surcroît ils ne sont pas même effleurés » par les traits du Malin Démon. Papouli aimait à nous raconter cette histoire. Père Ambroise, sa vie durant, jusqu'à son dernier souffle avait lutté au corps à corps avec le Diable. De cette lutte, il était sorti vainqueur, embaumant avec suavité, maintes et maintes fois, comme au jour même de sa mort, à l'instant où son âme s'était séparée de son corps. Un jour, sur le chemin que nous empruntions ensemble pour prendre le métro et nous rendre à l'église, il devint soudain triste et pensif : « Je crains pour mes enfants spirituels après ma mort. Les pièges du Malin sont si nombreux ! » « Il ne faut pas laisser au Diable la plus petite faille dans votre âme. Si vous lui laissez une petite faille, sans exercer la vigilance (la nepsis, la neptique des Saints Pères Neptiques), il l'agrandira bientôt jusqu'à la rendre béante, pour y entrer tout entier avec toute sa cohorte de démons. » Papouli nous dit un jour, à Père Patric et à moi : « Une des choses que je redoute le plus, et qui me ferait le plus de peine, serait que le diable ne s'avise de vouloir vous brouiller avec moi, et ne vous sépare de moi. » Il n'encourageait pas les excès, quel que fût notre zèle de néophytes à vouloir faire de l'ascèse. « Anna mou » – mon Anne, en grec -, s'exclamait-il, « tu es toujours hors frontières ! » Et il souriait de ce jeu de mots, car, à l'époque, avant que notre église ne se rattachât aux Anciens Calendaristes Grecs, nous faisions parties de la diaspora russe et nous étions rattachés à l'Eglise Russe Hors-Frontières. « Il ne faut pas dépasser un certain degré de fatigue. Au-delà d'un certain seuil, le corps s'épuise et n'est plus bon à rien faire ». « Notre corps ne peut pas supporter très longtemps la souffrance ». « C'est dans les plus grandes épreuves que j'ai goûté la plus grande Grâce. » De fait, lorsqu'il n'est plus nulle consolation humaine, Dieu envoie et prodigue ses consolations divines. L'Ancien Païssius l'Athonite dans ses Lettres, et le Starets Thaddée expliquent la même chose. « « De qui es-tu le fils spirituel ? » demande-t-on au Mont Athos à un nouveau venu, « nous enseignait Père Ambroise. « Car les lignées de Saints se poursuivent et se perpétuent de père en fils. » « Souvent, dans les familles Orthodoxes, il suffit de deux générations pour que les enfants deviennent moines et moniales. » « Méfiez-vous des moines « vagantes » - du latin, errants-. Un « vagans » erre d'église en église. Il n'est rattaché à aucune juridiction. Il est hors Eglise. » Il avait une immense vénération pour les reliques. Il en possédait beaucoup, car les higoumènes des monastères où il allait en Grèce, voyant sa sainteté, lui en donnaient généreusement. La Mère Marie d'Oinoussa, qui le vénérait particulièrement, et qui en était très riche, lui en avait donné à profusion. On l'avait un jour appelé d'un monastère grec, lui proposant de nouvelles reliques, récemment inventoriées. Aussitôt, il avait fait l'aller-retour en Grèce, rien que pour se les procurer. Il nous racontait un jour en riant l'histoire que l'on prête au curé d'Ars : « Vous voulez des reliques et vous venez m'en demander ? Eh, bien, faites-en vous-mêmes ! Devenez Saints ! » Il s'exclamait avec admiration : « La Mère Marie d'Oinoussa, mère de Sainte Irène de Chio, dont le corps est intact, la Mère Marie était une grande dame. Il en faut dans l'Eglise. » « Mère Marie d'Oinoussa était très riche. Elle donna sa fortune et celle de son mari, armateur richissime, pour édifier son magnifique monastère d'Oinoussa, cet îlot sis en face de Chio. Ce monastère a été construit dans le plus pur style des monastères byzantins du XIV) siècle. Il surplombe la mer. La vue y est magnifique. Son père spirituel, Saint Jérôme d'Egine lui avait dit : « Tes trois enfants sont morts. Tu seras donc moniale, et higoumène de ton monastère. Sur ta tombe, l'on écrira : « Mère Marie, higoumène et pécheresse. » « Mère Marie faisait l'aumône sans compter. Tout le monde, sur son île d'Oinoussa, a mangé du pain de Mère Marie. » « Lorsque l'on exhuma, lors de l'invention de ses reliques, le corps de la moniale Irène de Chio et que l'on s'aperçut qu'il était intact et non décomposé, ce qui manifestait à tous que c'était une Sainte, ceux qui avaient péché contre elle se mirent à sangloter et s'écrièrent : « Pardon, ma Sainte ! » « Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que la Providence. » A deux de ses enfants spirituels, il dit : « Vous pécherez. Mais vous ferez une grande pénitence qui vous placera par la suite plus haut spirituellement que vous n'étiez avant de pécher. » Saint Jean Chrysostome écrit, du reste : « Avez-vous péché ? Entrez dans l'Eglise et repentez-vous de votre péché. Car là se trouve le Médecin, et non pas le Juge. Ici, personne n'est soumis à enquête, chacun repentant reçoit le pardon des péchés ». Et Saint Jérôme d'Egine écrit de nos jours : « Nous sommes tous malades. L'Eglise est un hôpital. Nous y entrons pour guérir et sauver nos âmes. » « La pénitence efface tous les péchés. L'Abba Moïse l'Ethiopien, qui était Noir, n'en déplaise aux racistes, était un chef de terribles brigands et un meurtrier. Mais il s'en fut au désert et fit une si grande pénitence qu'il se sanctifia et devint plus saint que bien des Pères du désert qui n'avaient point péché comme lui. » A quoi l'on voit, du reste, - ce qui est dire : à suivre le parcours du Saint Abba Moïse- se voit, donc, que la peine de mort, qui nie la possibilité du repentir, n'a aucun sens dans l'Eglise Orthodoxe. « Dans la vie, il faut souffrir ou s'ennuyer. » « En faisant tel effort ou telle bonne action, tu ajoutes une perle à ta couronne. » « Si tu souffres ta couronne sera sertie de plus de perles et de joyaux. » « Si tu ne souffres pas, Dieu n'écoute pas tes prières. » « Les Saints prient pour toute chose ; pour les choses matérielles comme pour les choses spirituelles. » Saint Pierre écrit en son Epître : « Quand vous souffririez pour la justice, vous seriez heureux. » ( 1 Pierre 3 : 14). Et il est d'autres textes encore insistant sur la joie dans les souffrances. ( Jac 5, 7-11 ; Actes 5, 41). Il convient d'être joyeux dans la souffrance. « C'est ce que les Pères, » concluait-il, « nomment « le deuil joyeux » ». Les derniers mots écrits de sa main figurèrent sur un petit papier posé sur son bureau, au dernier jour où il vécut chez lui, avant qu'il ne fût hospitalisé : Et ce petit papier portait les mots : « Monseigneur Photios, Evêque de Lyon, Exarque pour la France. » J'interprète ces mots en me disant à part moi que si cet Evêque, quelques années après la Dormition de Papouli et après celle de Père Patric, à strictement lire les très – trop – sévères canons de l'Eglise Orthodoxe, si cet Evêque donc pécha en m'épousant après que j'eusse été veuve, et en me donnant trois magnifiques enfants, Pauline, Angéline et Théophane, il eut aussi la vertu de me faire revivre et de me sauver à trois reprises du suicide, ainsi que la vertu de devenir le père nourricier et adoptif des trois enfants qui me restaient de mon premier mariage avec Père Patric, après la mort de mon aînée Photinie, à savoir Irène, Séraphim et Vassilissa, lesquels, sans son assistance et ses soins paternels, eussent mené une dure vie de misère et de tristesse. « J'admire Mgr Photios, » m'écrivit un ermite, « de t'avoir sauvé la vie en des circonstances aussi douloureuses. Qui l'aurait fait ? » Cet Evêque, que du reste nul n'avait osé déposé, quitta ses fonctions pour mettre un terme au scandale occasionné par ce mariage. Mais, selon moi, si Papouli a de sa main écrit pour derniers mots le nom et la fonction de l'Evêque qu'il avait lui-même choisi et intronisé, c'est qu'il le considérait comme demeurant jusqu'au bout digne de l'épispocat et de l'exercice de ses fonctions épiscopales. Voyant la grande pénitence que Père Photios mena après la naissance de mes trois derniers enfants, et voyant les très grandes souffrances psychiques qu'occasionnèrent pour lui son retrait de ses fonctions ecclésiastiques, souffrances indescriptibles capables de détruire un être, moi, simple et modeste presbytéra, c'est-à-dire femme de prêtre, fille spirituelle de Saint Ambroise de Paris, mère de six enfants vivants, Irène, Séraphim, Vassilissa, Pauline, Angéline et Théophane et de trois enfants défunts, Photinie, Marie et Aliocha, qui donc aurais eu neuf enfants s'ils eussent tous vécu, en tant que femme d'ecclésiastique et que mère, vivant également dans la pénitence en frère et sœur avec mon époux évêque depuis la naissance de mon dernier enfant, je plaide pour le mariage des Evêques, tel qu'il a failli passer et être admis, lors d'une demande de réforme des canons en 1921 lors d'un synode à Constantinople, dans le cadre d'une économie nécessaire dans l'Eglise et devant y figurer pour parer aux épouvantables méfaits du rigorisme pharisien qui y règne parfois de façon par trop délétère, et qui peut dégénérer en quasi-hérésie comme le montrent les Matthéistes dont le rigorisme les fit se séparer du reste des anciens calendaristes. Des lettres de dénonciation et de calomnies furent envoyées par certains de nos fidèles mal intentionnés partout dans l'entièreté du monde orthodoxe. Quoique nul n'eût jamais osé déposé cet Evêque, ni en Grèce, ni en Russie, ni aux Etats-Unis d'Amérique, ni en France, il s'ensuivit nonobstant un raz-de-marée cataclysmique. Certains, et ceux-ci en particulier, quittèrent l'église ; d'autres, l'agonisant d'injures et de lettres sentencieuses et orgueilleuses, émanées d'esprits psycho-rigides et imbus d'eux-mêmes et de leur prétendue science théologico-dogmatique et canonique, adressèrent à Mgr Photios des lettres souillées d'excréments ; d'autres encore se déchaînèrent sur les forums d'Internet. L'on était à milles lieues de la douceur évangélique, qui demande la miséricorde et non le sacrifice. Le Métropolite Bartholomée de Constantinople, quant à lui, se plaignait lors d'une interview télévisée où l'on l'interrogeait sur cette question brûlante que, du fait de cette interdiction trop douloureuse à vivre pour la plupart des jeunes gens, tous ses évêques démissionnaient et, quittant leurs fonctions, abandonnaient l'Eglise, allant même, parfois, s'ils n'y revenaient pas en civil, c'est-à-dire sans leurs ornements, jusqu'à perdre leurs âmes. « Ils s'en vont tous », soupirait-il amèrement. Quel manque inestimable pour l'Eglise qui se retrouve alors sans pasteurs de grande qualité pour ses ouailles, les plus doués s'en allant, laissant la place aux plus incompétents, souvent, aux plus ambitieux, et aux plus orgueilleux, imbus de vaine gloriole et d'esprit de despotisme. Dans l'Eglise Orthodoxe, contrairement à ce qui se passe dans l'église catholique romaine, les décisions ne sont pas prises par un seul, mais par l'assemblée commune, le synode des Evêques. Chacun de ceux qui restent dans l'Eglise, après avoir fait partir un Evêque jugé indésirable, et n'ayant pas l'humilité de le rappeler par après, risque de verser ou tombe franchement dans le césarisme, voire dans le césaro-papisme, centralisant tout, dirigeant tout à soi seul, sans se concerter à plusieurs évêques, n'ordonnant pas même de prêtres, pour ce que n'acceptant pas que quiconque à ses côtés lui fît de l'ombre par son esprit d'intelligence et sa vertu secrète, de là ne créant pas de nouvelles paroisses, et demeurant dans le statu quo ante de l'Eglise telle qu'elle leur avait été confiée bien des années auparavant, n'ayant pas su être des meneurs d'hommes, ne convertissant que de rares âmes, et pour ainsi dire personne, ne publiant quasiment rien, ou bien à titre purement confidentiel, et n'ayant pas su faire preuve d'esprit de mission ni d'apostolat aucun. Aussi, loin de condamner les évêques mariés, siérait-il bien plutôt de les réintégrer dans le sein de l'Eglise, pour laquelle leur absence constitue une perte inestimable, la privant de l'oeuvre apostolique majeure qu'ils y accompliraient magistralement, et manquant cruellement aux fidèles, dont la perte de leurs chers pasteurs fait douloureusement saigner le cœur. Quiconque emmènerait l'Eglise de Père Ambroise dans la voie d'un rigorisme sectaire confinant à l'obscurantisme ne dirigerait pas l'Eglise dans l'esprit de Papouli, et la ferait dévier de la direction spirituelle qu'il imprimait à ses paroisses, où, si même il était sur le dogme orthodoxe, d'une fermeté inébranlable, il faisait avant tout régner un esprit de douceur, d'amour et d'économie absolue, particulièrement en ce qui regardait les canons apostoliques du « Pidalion » - « Gouvernail » ( de l'Eglise). « Il est des gens », se plaignait encore Père Ambroise, « qui interprètent tous les textes au pied de la lettre. Mais il faut comprendre l'esprit d'un texte. Cet esprit, lorsque c'est l'Esprit Saint qui l'a noué, seul l'Esprit Saint peut le dénouer, et en faire percevoir le sens spirituel. » « Ce sont des canons d'or qui joignent ensemble les murs d ela Jérusalem céleste, non des canons faits de main d'homme. La vraie canonique est divine. Cela, les hommes ordinaires ne peuvent le comprendre. » L'Evangile stipule : « La lettre tue, l'Esprit vivifie. » ( 2 Cor 3, 4-10). « Les canons ne sont pas l'Eglise », disait Père Ambroise « L'Eglise se définit par sa théologie dogmatique Orthodoxe. On ne peut pas toucher à la dogmatique de l'Eglise, à son dogme Orthodoxe, qui définit théologiquement l'Eglise, mais on peut reconsidérer sa canonique. » « Saint Théophile le fol en Christ des Grottes de Kiev, lorsqu'il s'est sanctifié dans les bois solitaires par une sainte ascèse plus difficile, disait-il, que de faire un nœud dans l'un de ses cils, n'allait plus au monastère. Ou s'il y allait, il se moquait du clergé, faisait le fou irrespectueux, et se mouchait dans les nappes d'autel. Il ne supportait plus le clergé étroit d'esprit, psycho-rigide, obscurantiste, et fanatisé, qui fait tomber l'Eglise dans la sinistrose. » « Il n'y a pas à craindre de semer la zizanie dans l'Eglise si l'on s'oppose fermement et sans concessions à un clergé rigoriste et obscurantiste. Saint Paul osa bien s'attaquer à Saint Pierre et à le vitupérer lorsqu'un différend les opposa, comme le rapporte l'Epître de Saint Paul aux Galates. ( Gal 2, 11-14). » « A prendre tous les canons du Pidalion au pied de la lettre, on verse dans le fanatisme et dans la sinistrose. » Et il ajoutait : « Augustin d'Hippone fut un Bienheureux. L'Eglise Orthodoxe ne pouvait le déclarer Saint, car il a fait verser tout l'Occident chrétien dans la sinistrose. » - Cf. Père Patric Ranson, Dossier H Augustin. Ed. L'Age d'Homme -. « Il est horrible de déclarer avec Augustin d'Hippone que les enfants morts-nés sans baptême sont voués à l'Enfer. C'est là condamner tout le monde à l'Enfer. C'est du fanatisme ». « Si on regardait les carnets de bord des Saints, on serait choqué par leurs péchés ». « Les figures des Saints tels que les dépeignent les Synaxaires sont trop idéalisées. A chaque page il est écrit : « Le Saint veillait toute la nuit, il jeûnait tout le jour, il priait sans cesse ». Cela ne correspond pas à la réalité. Les Synaxaires sont trop stéréotypés. Ils idéalisent. » « Les Pères disent que même les plus grands Saints pèchent sept fois le jour. » « Il faut de la mesure, même pour atteindre à la sainteté. Garde la mesure. » « Il ne faut pas dépasser un certain niveau de fatigue. Au-delà d'un certain degré, le corps n'est plus bon à rien. » Et il nous ouvrait un passage de la Philocalie, cette autoroute vers le Ciel : « Mange une fois le jour, soit à l'heure de none, à trois heures de l'après-midi, soit le soir. Saint Jean Maximovitch, que j'ai bien connu lorsqu'il séjourna à l'église d'Evgraph Kovalesky, ne mangeait que le soir, vers vingt-deux heures. Cela est plus difficile encore que de ne manger qu'à trois heures. Le Saint de la Philocalie ajoute : « Si tu ne manges qu'une fois le jour, tu ne pourras sauter aucun jour. » « En Carême, je perds dix kilos. » Au vrai, il était fort amaigri. Il avait pour ainsi dire fondu. Et il ôtait sa ceinture pour nous montrer de combien de crans il avait dû la resserrer. « Il est plus difficile de veiller que de jeûner. » « Entre l'espace d'une aube et d'un crépuscule, d'un soir et d'un matin, un homme peut devenir Saint. Les voies de Dieu sont impénétrables. » « Dieu préfère agir par le zig-zag plutôt que par la ligne droite. » - « La voix du peuple orthodoxe revêt beaucoup d'importance. Elle exprime aussi la conscience orthodoxe de l'Eglise », ajoutait-il, « même si cette voix s'élève contre le clergé fanatisé ou contre les canons trop rigoristes. Cela fut vrai tout au long de l'Histoire de l'Eglise, et particulièrement en des temps troublés, comme le furent ceux de la Turcocratie. Ce fut souvent le peuple qui montra au clergé fanatisé ou ignorant de la Tradition apostolique, ou bien encore qui avait perdu cette Tradition à cause de l'envahisseur, ce fut le peuple qui montra, au clergé même, l'exemple de ce qu'il devait faire, et qui, ce faisant, sauva l'Eglise du rigorisme. » « Les Vrais Orthodoxes ne sont pas des fanatiques. Un fanatique tue, par définition. Un Chrétien Orthodoxe a la vocation du Martyre, il se laisse tuer ». « Le mariage d'un Evêque était courant dans l'antiquité chrétienne, comme le montrent les Epîtres de Paul à Tite et à Timothée ( Tite 1, 6-9) ; Timothée (3, 1-7)), stipulant et explicitant que la famille de l'Evêque doit être le modèle des autres familles. Ce n'est qu'ultérieurement que l'Eglise a statué différemment, pour des raisons qui sont principalement d'ordre pratique. De nos jours, le mariage des Evêques est par exemple toléré dans l'Eglise Orthodoxe de Russie ». Réclamer le mariage des Evêques, ce n'est pas tomber dans « le modernisme » incriminé par nos détracteurs ; c'est vouloir retourner à la Tradition originelle et originaire de nos premiers Pères, qui furent les Apôtres de l'Eglise primitive, dans les temps anciens. « En toutes choses », écrit Saint Jean Cassien, « parcourons la voie ouverte devant nous par la Tradition de nos Anciens et la bonté de leurs vies. » « Les Gérondika – Recueil de petites histoires et d'apophtegmes des Pères du Désert - ( Cf. Arnauld d'Andilly, Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, in Blog de Presbytéra Anna), les Gérondika sont pleins d'histoires de moines ayant péché gravement avec des moniales, et revenus avec des enfants au Désert, au lieu de leur pénitence. Ils élevaient le ou les enfants au monastère, et faisaient pénitence. Leur pénitence était si grande qu'elle les élevait plus haut spirituellement qu'ils n'étaient avant leur péché. » « Il y avait aussi, dans ces mêmes recueils d'historiette des Pères du Désert, la Vie de Marie, la nièce d'Abraham le Solitaire. L'Abba Abraham avait mené sa nièce Marie au Désert, et l'avait établie dans une cellule proche de la sienne. Marie avait fui à la ville pour entrer dans un lupanar et s'y faire courtisane. Affligé, la mort dans l'âme de ce qu'il voyait une âme se perdre, l'Abba Abraham s'en était allé au lupanar la rechercher. Il l'avait ramenée à sa cellule. Elle y avait fait une très grande pénitence. Puis elle avait dans sa prière demandé à Dieu s'il agréait sa pénitence. Dieu lui avait montré par des signes, des miracles et des prodiges qu'il l'avait élevée à la sainteté. » Papouli affectionnait particulièrement la vie des plus grandes pécheresses. « Le Christ n'est pas venu pour les parfaits », disait-il, « il est venu pour sauver les pécheurs » (1 Tim. 1, 15) ; ( Mat 9, 12-13) ; (Mc 2, 17) ; (Lc 5, 32). « Il mangeait à la table des publicains et des pécheurs. » (Mt 9, 11). « Notre Seigneur a dit : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés.»(Mat 7, 1 ; Luc 6, 37). « Ah ! » soupirait-il, « Sainte Thaïs, qui fut courtisane ! Et la Vie de Sainte Pélagie la pénitente, qui fut elle aussi courtisane ! Anna, j'aimerais que tu traduises cette Vie. Si nous donnions autant de soins à notre âme que cette courtisane en donnait à sa beauté, s'exclamait l'Evêque qui la voyait passer avec tous ses ornements et ses perles, avant qu'elle ne les ôtât pour faire pénitence, nous serions sauvés ! Comme cela est admirable ! » Et Papouli s'extasiait plus encore sur la Vie de Sainte Marie l'Egyptienne. ( Cf. Vie de Sainte Marie l'Egyptienne, in Arnauld d'Andilly, Vies des Saints Pères du Désert et de quelques Saintes, Blog de Presbytéra Anna). Avec amour, avec fougue, avec passion, il nous racontait souvent cette même vie. Il ne se lassait pas de raconter des histoires qu'il aimait par-dessus tout, si bien qu'à la fin nous les connaissions par cœur. Mais il se méfiait beaucoup des gens moralisants et moralisateurs qui, se croyant parfaits, faisaient la morale aux autres. Ceux-là, qui se permettaient de juger autrui ne regardaient pas la poutre qui était dans leur œil propre, et stigmatisaient la paille qui était dans celui d'autrui (Mat 7, 3) ; ( Lc 6, 41). Ils filtraient le moucheron et gobaient le chameau. (Mat. 23, 24). Ceux-là étaient pour lui des Pharisiens. « Ceux qui jugent autrui ne sont pas des âmes charitables », concluait-il. « L'Eglise est faite pour sauver les pécheurs ». - « Les plus grands Saints ont souvent d'abord été de grands pécheurs. » Père Ambroise n'avait cessé de nous enseigner le sens de l'économie dans l'Eglise : « Il y a deux mesures dans l'Eglise », nous disait-il « : la rigueur et l'économie. Si je n'appliquais pas l'économie, il n'y aurait personne dans cette église. » A quoi il ajoutait : « Pas même moi ». Il insistait :« Je n'applique pas tous les canons de l'Eglise. Lorsque l'on lit le Pidalion – le Gouvernail, en grec- de l'Eglise, qui renferme, rassemblés par Saint Nicodème Aghiorite au XVIIIème siècle, tous les canons ecclésiastiques, l'on s'aperçoit que certains sont inapplicables de nos jours. Il est par exemple un canon qui interdit aux moines et aux moniales de tenir un enfant dans les bras, a fortiori sur les fonds baptismaux, et qui leur interdit d'être parrain ou marraine. Mais, par amour pour mes fidèles, j'ai souvent accepté d'être parrain ». A son instar, je priai la moniale Ambrossia la Jeune d'être la marraine de ma fille Angéline. Elle venait de quitter son monastère, et avait fait son entrée dans notre chapelle, toute vêtue de son noir. « J'avais prié pour qu'elle soit la marraine de mon enfant », pensais-je, « et elle est justement revenue le jour même du baptême ». « Je prierai pour elle », murmura-t-elle après qu'elle eût été sa marraine dans l'illumination du baptême. Et elle disparut, jusqu'à ce jour, priant pour le monde en son désert. « Il est un autre canon, insistait Père Ambroise, souvent strictement appliqué en Grèce, qui interdit aux jeunes gens ayant eu des relations sexuelles avant le mariage, de prétendre à la prêtrise. Ce canon, Père Ambroise ne l'appliquait pas. « Si je l'avais appliqué », nous dit-il, « je n'aurais eu quasiment aucun prêtre, et cela aurait été une grande perte pour l'Eglise. » Il poursuivait : « Il ne faut pas toucher au dogme de l'Eglise Orthodoxe. Mais quant aux canons de l'Eglise, certains sont trop stricts et trop obsolètes. » A la vérité, sur le plan des canons, il est temps, selon nous, enfants spirituels de Saint Père Ambroise de Paris, de « moderniser » les canons apostoliques de l'Eglise Orthodoxe, en en adoucissant, du moins, par la loi de l'économie, le mode d'application aux divers cas particuliers des fidèles et du clergé. Il est fort triste de voir les âmes sombrer dans le rigorisme . Le rigorisme rappelle l'attitude des Pharisiens envers les disciples du Seigneur, concernant les épis arrachés dans l'Evangile. ( Mat 12, 1-8). Ce comportement outrancier, peu charitable, faux et asphyxiant génère un sentiment angoissant d'étouffement que beaucoup partagent. De ce que les églises tombées dans le rigorisme ne sont plus ce qu'elles étaient, l'on peut se sentir pour le moins inquiet. Le rigorisme sectaire a tôt fait de sombrer dans l'obscurantisme. L'on a entendu des prêtres exhorter les fidèles à jeûner excessivement avant que de lire chez soi leurs prières, ou bien avant la liturgie ou certains offices, au point que ces personnes, tombant en hypoglycémie, en vinssent à s'évanouir durant ces mêmes offices ; ces mêmes prêtres leur défendent encore de lire des livres qui ne soient point religieux. C'est vouloir faire sombrer le peuple des fidèles dans l'illettrisme, malheur dont se plaignait beaucoup Papouli : « Il faut élever le niveau intellectuel du peuple Orthodoxe, car il est très bas. Beaucoup, par là, sombrent aussi dans la superstition. En Asie Mineure, beaucoup de Chrétiens étaient superstitieux. Comme il est étouffant, asphyxiant pour l'intellect de vouloir lui interdire toute littérature ! L'on voit dans les Vies des Saints que beaucoup de grands Saints étaient de grands lecteurs, et qu'ils lisaient tout. Le Père Cappadocien et Saint Evêque Grégoire de Nazianze, fils de l'Evêque Saint Grégoire l'Ancien et de l'aristocrate cultivée Nonna, au IVème siècle, renonça à l'érémitisme et lui préféra le cénobitisme, pour ce que le Désert ne pouvait receler assez de livres pour étancher sa soif inextinguible de connaissances. Plus près de nous, au XIXème siècle, Saint Théophane le Reclus de Tambov, lisait des livres de littérature, de philosophie, d'histoire, et même des ouvrages de géographie ». Défendre au peuple de lire, c'est donc le faire sombrer dans l'illettrisme, voire dans l'obscurantisme et dans le fanatisme. Et ce n'est pas sans rappeler les fameux autodafés de l'Inquisition dénoncés par Voltaire, (Cf Voltaire, Candide chap. 6, L'autodafé), dans ce passage où il s'en prend à l'Inquisition, tribunal judiciaire de l'Eglise très catholique, et où il montre que, suite à un tremblement de terre, l'Inquisition organise un autodafé, ce qui est dire une cérémonie où l'on exécute les hérétiques condamnés par ledit tribunal de l'Inquisition, lequel y condamne ici Candide et Pangloss. « Pangloss fut pendu », gémit Candide, se lamentant sur son « cher Pangloss, le plus grand des philosophes ». Bien sûr, il ne s'agit pas ici, comme chez Voltaire, d'un autodafé de personnes, mais d'un autodafé de livres. L'on songe à ceux de l'Inquisition, qui brûlait dans de grands bûchers les livres des plus grands intellectuels de la terre, ou à ce tableau du XVème siècle, qui représente un évêque devant un bûcher de livres qu'il fait brûler au feu, ou encore à la mise à l'index des livres dont le Vatican interdisait la lecture. Il n'est pas imaginable de nos jours que le clergé proscrive la lecture de quelque livre que ce soit, allant même jusqu'à décourager les fidèles de lire certains livres religieux d'une autre juridiction que la sienne ! Certes, Papouli nous montrait aussi un dessin qui circulait sur l'Athos, représentant, à l'instar des crânes de moines défunts que l'on trouve dans les ossuaires des monastères, un amoncellement immense de crânes humains. Sous le dessin figurait la légende : « La connaissance inutile, celle de l'humanisme européen. » Certes, à un certain degré, l'excès de science, comme le dit l'Apôtre, enfle, (1 Cor 8, 1) et devient inutile. Mais, avant que d'atteindre ce point, les Saints se montrent le plus souvent de grands esprits instruits. C'est ainsi que les Grands Cappadociens, Pères de l'Eglise et luminaires resplendissants de l'Orthodoxie, et que nombre de Saints qui occupèrent à la cour de l'Empereur de Byzance les postes les plus élevés, de conseillers impériaux, aux plus hautes responsabilités, firent les études les plus brillantes qui se pussent concevoir à leur époque, voyageant de Constantinople à Athènes pour y suivre les leçons des plus grands philosophes du monde grec. Pour n'en citer qu'un exemple, Saint Grégoire de Nazianze, au IV°siècle, qui fut Evêque de Nazianze puis de Constantinople, avait été professeur de rhétorique à l'Académie d'Athènes. Mais, parvenus à un certain stade de connaissance, ces illustres docteurs cessèrent leurs études profanes, ils renoncèrent à ce qu'Augustin d'Hippone – lui qui ne put jamais apprendre le grec et ne put dès lors maîtriser la théologie des Pères Grecs – ce qu'Augustin, donc, nomme dans ses Confessions, c'est à savoir qu'ils renoncèrent à « étudier des vanités », voyant que ces hautes études, n'étant que « choses vaines », par opposition aux « études sérieuses », ne les menaient plus à rien sans la guidance de l'Esprit de sainteté qui les éclairait également et qu'elles les empêchaient de se consacrer entièrement, de se vouer tout à la Prière. A ce stade pourtant le degré de science profane et d'éloquence qu'ils avaient atteint était admirable, insigne. Ils en devinrent les plus grands orateurs de leur temps, et furent, comme Saint Jean Chrysostome, la « bouche d'or de l'Eglise ». Et ce n'était qu'alors, et alors seulement, qu'ils s'adonnaient tout entiers à la théologie divine, devenus qu'ils étaient, sous l'emprise de l'Esprit Saint qu'ils habitaient, de véritables théologiens mystiques. Papouli nous contait en riant cette histoire : « Deux moines au désert, dont chacun occupait une grotte à quelque distance de l'autre, passaient tout le jour à s'arroser et à s'agonir copieusement d'injures. Ils se criaient à s'égosiller, cependant que l'écho leur répondait : « Hé-ré-ti-ii-que ! Hé-ré-ti-ii-que ! ». Mais, le soir venu, l'un venait trouver l'autre. Il lui passait autour du cou l'étole du Père confesseur, l'épitrachilion, et lui disait : « Pardonne-moi, Père, j'ai péché. J'ai été fort peu charitable. Je t'ai outragé. Je t'ai invectivé. Je me confesse à toi. Je t'en prie, mon frère, donne-moi l'absolution. » A la fin de sa vie, désespéré presque, Papouli gémissait avec angoisse. « Dans cette confusion de notre époque,- si grande elle est -, mais où donc est l'Eglise ? Les uns vous traitent de moderniste, de féministe, de révolutionnaire, les autres au contraire de traditionaliste, d'intégriste, de chauviniste, ou de millénariste. Mais tous s'accordent à vous traiter d'hérétique, d'hétérodoxe et de cacadoxe. Ils vous jettent ensuite l'anathème. Méfions-nous de tous ces « ismes » et de tous ces « istes ». Il est des prêtres, comme le Père Basile Sakkas, qui, écoeurés, dégoûtés des salades ecclésiastiques de tous bords, en ont eux-mêmes fini par déposer leur étole, cessant définitivement de célébrer les Saints Mystères. Seuls les Saints, de par l'Esprit de Sainteté qui les inhabite, savent où est l'Eglise.» « Ce monde n'en a plus pour très longtemps. Dans deux générations peut-être ce sera sans doute la fin du monde ». « Lorsque l'Evangile de Jésus-Christ aura été prêché partout sur toute la terre, jusqu'aux confins du monde, la fin approchera. » Or nous voyons que si Saint Thomas, dès longtemps s'en fut jusques aux fins fonds de l'Inde, où, aujourd'hui encore des Chrétiens persécutés, - dont l'on brûle les maisons, ou que l'on tue -, s'ils survivent cependant, forment de petites communautés qui se réclament directement de Saint Thomas, - ô combien je fus émue et touchée, en pèlerinage aux Lieux Saints de Jérusalem, de voir une Indienne en sari se détacher de tout un nombreux groupe d'Indiens Chrétiens, et tomber à terre, couchée de tout son long en pleurant à gros sanglants, baisant avec un amour éperdu le sol du tombeau du Christ ! - si les Apôtres du Seigneur s'en furent partout sur la terre, si une icône touchante de naïveté nous montre une paroisse entière de Saints Martyrs tués en Chine pour leur foi, aujourd'hui même un Saint Germain d'Alaska et un Saint Innocent d'Alaska – cf leurs vies, traduites du grec, à paraître, Dieu voulant, sur le blog internet de Presbytéra Anna-, s'en furent jusques sur ces lointaines terres australes pour y sanctifier les esquimaux des peuplades Inuits ; -il n'est pas jusqu'aux Pygmées de la forêt équatoriale gabonaise qui n'aient été évangélisés par des missionnaires Chrétiens, lesquelles les scolarisent dans leurs propres écoles privées et les instruisent en Christ, les amenant à la foi Chrétienne et à l'illumination du baptême -, si donc nous voyons sous nos yeux se réaliser tout cela c'est que la foi Chrétienne a, d'ores et déjà, été répandue sur toute la terre. « Lorsque seront nés tous les hommes qui doivent compléter le choeur des Saints laissé vide par la chute des légions d'anges déchus avec Satan lors de la Chute – lorsque ce choeur des Saints sera complet, donc -, le monde finira. » « A la fin des temps, tous les Chrétiens seront Orthodoxes ». « A la fin des temps, disent les Saints Pères, il n'y aura que peu de fidèles dans l'Eglise, mais ils seront tous saints et purs comme le diamant ». « Comme le disent les Pères du désert, les Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O), à la fin des temps n'accompliront plus d'oeuvres saintes ; ils ne feront plus nulle œuvre d'ascèse, plus nuls travaux de sainte ascèse ; leur seule œuvre, leur seule lutte, leur seul combat, sera de garder intact le dépôt de la Foi Orthodoxe, de défendre la pureté de cette Foi, la vraie Foi, la Foi droite – comme la définit son étymologie grecque – « Orthos doxos »(Foi droite). Cette Foi est la Foi Orthodoxe non-oecuméniste ». « La Foi droite constitue les montants de l'Echelle Sainte à grimper pour se hisser au Ciel. Sans ces montants de la Foi droite, il est impossible de monter les barreaux pour s'élever ». « A la fin des temps, nul, hormis le petit troupeau des Chrétiens, ne supportera plus même d'entendre fût-ce prononcer le nom du Christ ». « Comme sous l'atroce dictature de Staline, qui fit soixante millions de morts dans les camps soviétiques, l'on n'aura plus le droit de posséder une icône, ni de porter une croix. Il faut nonobstant porter une croix, car le Diable redoute et hait la croix d'une haine parfaite . La croix, dès lors, repousse et fait fuir le diable. La croix, donc, nous protège des puissances obscures et ténébreuses des malins démons. » Il me souvenait, lorsque Papouli nous tenait ces propos, qu'un ami Bulgare, chercheur en physique, Mikhaïl, rencontré, lorsque j'étais jeune fille, à l'Ecole Normale Supérieure de Pise, et qui aspirait alors à l'obtention du prix Nobel de physique, que j'avais visité en Bulgarie lorsque j'étais fiancée à Patric, lequel m'avait, cependant qu'il partait séjourner sur le Mont Athos, laissée à Thessalonique, où je m'ennuyai tant que j'y pris un car pour Sofia, que Mikhaïl, donc, m'avait fait admirer les basiliques orthodoxes de sa ville natale – l'on était alors encore derrière le rideau de fer en Bulgarie, et la police était venue s'enquérir chez lui de cette visite suspecte -, et qu'il m'avait montré, puis donné l'unique minuscule unique icône portative qu'il cachait alors toujours sur son cœur. Quand aux croix, la terrible loi satanique est déjà passée en France qui interdit aux enfants des écoles d'en porter, comme étant de prétendus signes d'ostentation religieuse. « Ces temps-là seront si terribles que les jours des Justes seront abrégés. L'Ecriture dit que le Christ, à sa nouvelle Parousie, c'est-à-dire à son second Avènement, viendra les chercher sur les nuées » - Cf. Le retour sur les Nuées ( Mat. 26, 64) - . « Il y a une Providence pour tous, et une Providence spéciale pour les Orthodoxes ». « Il faut être vertueux pour faire de l'ascèse ». Il voulait dire, comme il nous l'expliquait par après, qu'il ne sert à rien de jeûner et de veiller pour être coléreux, colérique, ronchon, grognon, grincheux, de mauvaise humeur, atrabilaire, acariâtre, jusqu'à « craquer », se rendant insupportable à tout son entourage. Il fallait rester d'humeur toujours égale. Il fallait savoir se maîtriser et maîtriser ses humeurs. Et de fait, Père Ambroise était toujours d'humeur égale. Même aux heures sombres, il se maîtrisait parfaitement. Sous la plume admirable de l'Archimandrite Chérubim, aujourd'hui endormi dans le Seigneur, - cf l'extraordinaire livre, paru à l'Age d'Homme, des Figures athonites, suivi des Nouvelles Figures athonites, décrivant les Vies bienheureuses de Saints moines de L'Athos -, certains Pères Athonites écrivent qu'il est vertueux pour un jeune moine novice de rester avec des frères ou un Ancien au caractère difficile et pénible. - Car, au vrai, cette ascèse est une école de grande et longue patience. - Mais un autre Père athonite écrit qu'il faut fuir les personnes qui sont perpétuellement de mauvaise humeur. A une de ses filles spirituelles, Papouli déclara : « Un jour, tu n'auras plus peur de rien ». « Si tu as dix mille légions de démons contre toi, le Seigneur t'enverra cent mille légions d'anges qui seront avec toi et qui combattront pour toi. » Et à la même, une autre fois : « Un jour tout ce que tu voudras arrivera ». Et encore : « La prière est comme une baguette magique. Que voudrais-tu demander au Seigneur ? » « La vie est brève et elle a un terme. Quand le train arrive à son terminus, il faut bien descendre ». « Le but de la vie chrétienne est l'union à Dieu, la sanctification, et la déification. » « Quand je ne serai plus là, je serai encore avec vous et je vous aiderai. » « Nous nous retrouverons au Paradis ». EPILOGUE Souvent, lorsque l'on passait près de lui, Père Ambroise embaumait par bouffées l'odeur de sainteté qui exhalait un parfum de rose suave. Après sa dormition, peu après que son âme eût quitté son corps, elle embauma lorsque ses plus proches enfants spirituels rejoignirent sa dépouille au funerarium de l'hôpital. Les mêmes sentirent alors, dans les temps qui suivirent, embaumer à plusieurs reprises chez eux, surtout lorsqu'ils prenaient des livres saints sur leurs étagères, comme si leur Papouli se manifestait alors à eux par ces signes célestes. Plus qu'une « âme forte » - cf. Jean Giono : Les âmes fortes -, Papouli était une âme spirituelle ; et plus encore qu'une âme spirituelle, c'était une âme sainte. Père Ambroise avait mené une vie sainte. Ou, comme le dit le Starets Thaddée, il avait mené « une existence conforme aux principes de sainteté ». Il fut un ascète, un parangon de vertu, un exemple vivant de sainteté, un guide spirituel pour lui-même et pour ceux qui étaient avec lui, un port tranquille pour les âmes ballottées par les tempêtes de la vie, un phare dans la nuit de ceux qui accouraient à lui, en un mot, un saint Ancien, un Maître spirituel, un Starets, et un grand mystique. - Un Starets plus vivant que le Starets Zosime dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski, dont la si brève et si hâtive apparition littéraire avait cependant tant fait pour apporter, à l'Occident tombé dans les ténèbres de l'oubli du Christ et de la déchristianisation, une faible, bien pâle, et falote lueur spirituelle, et ce quoique Zosime eût pour prototype possible le Starets Ambroise d'Optina - . Il fut donc un Starets, un de ces Startsy dont le Hiéromoine Hilarion s'attristait qu'ils fussent devenus si rares – cf. Hiéromoine Hilarion, Sur les monts du Caucase, op. Cit-, et dont il constate même, citant l'Evêque Bryanchaninov, qu'il n'y en a plus aujourd'hui. En vérité, oui, le Starets Ambroise de Paris fut un modèle, mieux, un modèle de sainteté, comme il est dit par les Pères du Désert que la Déité Trine est le modèle des anges, que les anges sont le modèle des moines, et que les moines sont le modèle des laïcs. « Dieu », dit Saint Théodore le Sanctifié, « Dieu ne nous a pas donné seulement les Ecritures. Il nous a donné aussi, comme les chemins menant à Son Royaume, les Vies de Ses serviteurs comme fondement de la Foi dans le Christ. » « L'on reconnaît l'arbre à ses fruits », disait Père Ambroise, citant le Seigneur qui avait prononcé d'abord ces mêmes mots : « A leurs fruits vous les reconnaîtrez. » (Mt 7, 16). « Or le fruit de ceux qui combattent en vérité, - enseignent les Pères du Désert-, c'est, comme l'a dit l'Apôtre, « la charité, la joie, la paix, la longanimité, la bénignité, la bonté, la foi, la douceur, la continence. » ( Ga 5, 22). Ayant toujours gardé sa virginité, il avait vécu toute sa vie dans la chasteté, ayant mené l'ascèse la plus haute, celle des vierges. De cette vertu suprême, Saint Joseph l'hésychaste – cf le livre paru à l'Age d'Homme de ses Lettres spirituelles – dit que le démon tourmente les moines pour maintes de leurs ascèses, mais que, contre cette ascèse-là, la plus haute, le Diable mène une guerre sans merci. Sa vie durant, Père Ambroise s'adonna en outre à l'ascèse des grands jeûneurs : Jeune, il était filiforme et il avait une taille de guêpe, comme le montrent les photographies de cette époque. Par-dessus tout, il passait ses nuits dans la veille et dans la prière, menant l'ascèse plus difficile encore du sommeil, celle des Acémètes des Anciens Pères. - Car, il le reconnaissait lui-même, il est plus difficile encore de veiller que de jeûner. Et combien plus difficile encore est-il de mener conjointement à bien les deux ascèses du jeûne et de la veille. Car le corps épuisé a besoin de compenser le manque de calories généré par la privation des besoins vitaux et fondamentaux du corps, et souvent, si l'organisme est moins nourri, il a tendance à dormir davantage, et, inversement, si l'on le prive de sommeil il a tendance à se jeter sur la nourriture. - Il ne fumait pas. Il buvait très peu de vin, et presque exclusivement du vin sucré de liturgie. Comme un autre Saint Jérôme d'Egine – dont le livre paru à l'Age d'Homme, L'Oiseau de Guelvéri raconte la vie -, il considérait que boire plus d'un verre de vin par jour était d'un être impur. Il fut un saint aumônier : il faisait l'aumône bien qu'il fût d'une pauvreté déconcertante et qu'il se privât beaucoup, et, pour ainsi dire, presque de tout. Père Ambroise reconnaissait le Christ en chaque figure de pauvre. «Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères , c'est à moi que vous l'avez fait. » Ce précepte évangélique, qu'une Mère Térésa avait mis au fondement de son immense œuvre de charité, de son Empire de Charité, pourrait-on dire, ( cf Mère Térésa de Calcutta, La Joie du don, Le livre de poche), ce précepte divin, Père Ambroise le gardait en son cœur. Sa charité universelle, sa charité universelle de grand artiste spirituel, cette charité débordait de lui comme d'un feu. Sans qu'il agît extérieurement, il brûlait intérieurement d'un feu dévorant pour tous ces êtres déshérités que sont les pauvres de de Dieu. Il priait pour les pauvres, il priait pour le monde, et sa Prière, sa Foi droite soulevaient des montagnes ( Mat 21, 21) ; (1 Cor 13, 2). C'était un « non-possesseur » absolu, pour reprendre un terme couramment utilisé sur l'Athos pour qualifier les saints moines qui se sont dépossédés de tout pour le Christ. ( Cf L'Evangile : Mat. 19, 21 : Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres.) Grand esprit – car les plus grands Saints sont de grands esprits théologiens-, doté d'une intelligence vive et pénétrante, il était fort instruit, quoique non diplômé. Il avait certes beaucoup souffert de n'avoir pu avoir que le certificat d'études, ce qui faisait le jeu de ses détracteurs qui le taxaient d'illettré. Mais, par un juste retour des choses que lui offrait la Providence pour sa consolation, lui qui avait une revanche à prendre, il attirait à lui les plus grands esprits, intelligents, cultivés, diplômés, savants, érudits et autres. Il remplissait ses paroisses – aux côtés de bergers et d'âmes au cœur simple, voire de simples d'esprit, - car l'Eglise ne fait acception de personne - de professeurs, d'universitaires, de normaliens, de chercheurs, de polytechniciens, de directeurs d'entreprises, qui constituaient une sorte d'intelligentsia spirituelle. C'est ainsi qu'il reçut la visite exprès, dans l' humble chambrette qui lui faisait office de cellule, du grand professeur grec de théologie, Jean Romanidès, qui écrivit des ouvrages magistraux, quoique peu diffusés, tel celui intitulé : « Franks, Germans, Romans », pour déplorer l'influence des Francs, qui avait détruit le christianisme primitif et originel, lequel avait irradié en Gaule. Le niveau de grec ancien, tardif et byzantin, de Père Ambroise dépassait de loin celui des plus grands humanistes de la Sorbonne et du Collège de France. Il traduisait des ouvrages dont le grec était si difficile qu'il avait rebuté les plus grands traducteurs mêmes, et qui aujourd'hui encore attendent leurs traducteurs, comme le grec de Saint Maxime le Confesseur, pour n'en citer qu'un exemple. Mais, pris par le temps court des jours trop brefs d'une vie éphèmère, il avait dû délaisser la transmission de ces œuvres, accaparé qu'il était par l'immense tâche, monumentale, et le travail de Titan que constituait la traduction en français des interminables offices de l'Eglise. Car il est des textes liturgiques pour chaque fête, et donc pour chaque jour de l'année. Car il voulait fonder la première église Orthodoxe française, intégralement en français, en France. « Nous sommes en France, disait-il. Nous nous devons de célébrer en français, et uniquement en français. L'inverse serait du phyléthisme ». Sa mission, son apostolat, était d'orthodoxiser la France. A ce titre, et parce qu'il essaima plusieurs paroisses aux quatre coins du sol français, il fut un évangélisateur et un bienheureux fondateur d'Eglise, et comme l'énonce la prière d'ecténie à la liturgie, il est enjoint par l'Eglise de prier pour lui : « Prions encore pour Père Ambroise, bienheureux fondateur de cette église, dont la mémoire est éternelle. Car des bienheureux fondateurs d'églises, la mémoire est éternelle. A notre Saint Père Ambroise, donc, chantons : « Mémoire éternelle ! » Quoique Père Ambroise fût autodidacte, il était, de fait, tant il avait lu, devenu fin lettré, historien de l'Eglise, philosophe, mais surtout – car ces facultés demeurent du monde – devenu divin théologien, au sens où Saint Jérôme d'Egine et sa sainte moniale Eupraxia l'Ancienne, avec laquelle il vivait dans son ermitage d'Egine, expliquaient que les Saints étaient par là même théologiens, et non point l'inverse, les théologiens abstrus et abscons ne faisant généralement pas des Saints. Il fut à l'origine, avec Père Patric, qui la fonda véritablement, d'une Communauté Orthodoxe, la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, (sise au 30 Bd Sébastopol, Paris 4ème), dont de brillants professeurs émérites de l'université de la Sorbonne, à l'éloquence éblouissante, dirent qu'elle – cette synodie- était le nouveau Port-Royal en France. Grand théologien, donc, il rapporta de son Asie Mineure natale le dépôt de la Foi Orthodoxe et le transmit, intact, aux églises qu'il fonda aux quatre coins de France. Dans cette France totalement déchristianisée, où règnent la censure, la mise à l'index, la mise dans l'enfer des bibliothèques et des librairies des livres jugés indésirables, la persécution -notamment psychiatrique et socio-professionnelle des intellectuels spirituellement engagés, dont ceux engagés pour le Seigneur, surtout Chrétiens Orthodoxes non-oecuménistes, la ghéttoïsation de ces derniers, et leur relégation derrière un mur du silence infranchissable et généralisé ; où règne aussi, de là, la désinformation, et partant, l'ignorance obscurantiste et encore, par voie de conséquence, la plus totale déchristianisation, seul et sans moyens aucuns autres que la force de l'Esprit de sainteté qui l'habitait, conformément à l'Evangile qui promet : « Vous recevrez d'En Haut une force nouvelle ( Act. 1, 8. Luc 24, 49) », il devint, en pleine apostasie ( 2 Thess 2), un nouvel Apôtre des Gaules. C'était un Hésychaste, au sens le plus élevé du terme. Car Père Ambroise avait la Prière du Coeur des véritables hésychastes. A ce titre, il était un Père Pneumatophore – portant l'Esprit de Sainteté- et une Père Théophore, - ce qui est dire Porteur de Dieu-, car portant en son cœur la Prière et le Nom incessamment répété du Christ, il y portait le Christ-Dieu. En ce que Père Ambroise pratiquait et enseignait la Prière du Coeur et la garde vigilante des pensées et du coeur, l'on peut dire de lui qu'il était aussi un Père Neptique. La Prière du cœur, selon les Pères, contient toutes les autres vertus, et, comme telle, elle est plus haute que toutes les autres vertus. Aussi, ce qu'il demandait à Dieu dans sa prière, il l'obtenait. Car sa Foi en Dieu, sa confiance en Lui, son assurance devant Dieu – parrhésia, en grec -, dans la prière, était inébranlable. L'on pourrait lui appliquer la formule de l'admirable Saint Isaac le Syrien : « Un homme qui prie comme cela, l'on n'en rencontre qu'un par génération, un par siècle peut-être. » Père Ambroise était un Juste dans tous les sens du terme : Et au sens biblique, et au sens moderne, lui qui avait caché des enfants Juifs pendant la guerre, et avait maquillé la carte d'identité de sa petite sœur morte, Marie, pour en faire don à une enfant Juive, la sauvant par là d'une mort certaine. Quant au sens biblique du terme, qu'est-ce qu'un Juste ? Le terme de Juste, dans l'Ecriture Sainte, désigne principalement l'homme qui fait ou s'efforce de tout son cœur de faire la volonté de Dieu en tout, et par Amour pour Dieu et pour le prochain. « Telle sera notre justice : garder et mettre intégralement en pratique tous ces commandements devant le Seigneur Notre Dieu, comme Il nous l'a prescrit. » (Deut. 6, 25). Par ses prières il soulageait incessamment les fidèles de tous leurs maux et de toutes leurs afflictions. Il ôtait d'eux toute tristesse. « De nos jours », dit le Starets français, Syméon, du monastère russe de Valaam, « on trouve beaucoup d'administrateurs et de bâtisseurs. Mais on ne trouve plus de Startsi, de consolateurs. » De fait, Papouli était la consolation des âmes. Une de ses fidèles lui disait chaque dimanche en confession, - comme elle nous l'avait raconté elle-même-, qu'elle était dans une grande tristesse, une tristesse infinie, à cause de la mort prématurée de sa fille, une jeune fille ravissante, qui s'était pendue à l'âge de dix-neuf ans. Il avait prié pour elle. Et puis, cette dame, un dimanche, était revenue. « Papouli », lui avait-elle confié, joyeuse, « un matin de cette semaine, je me suis réveillée : Je n'avais plus rien. Nulle souffrance, nulle tristesse, nulle peine. Non, je ne suis plus triste. Je suis sereine. » Cela n'était pas sans évoquer une histoire que l'on rapporte de Saint Séraphim de Sarov (op. Cit.). : Un homme désespéré, qui avait perdu un proche, était venu à lui, clamant sa détresse. « Qu'à cela ne tienne », lui avait enjoint le Saint, « rentre chez toi ; enferme-toi dans ta chambre comme en une cellule et fais la prière du cœur : Tu oublieras tout. » Comme un autre Saint Séraphim, qui appelait « ma joie » toute âme qui l'approchait, parce qu'il recevait par effet de retour la joie qu'il épanchait lui-même, Papouli irradiait la joie spirituelle. Il faisait par ses prières encore des miracles étonnants. Comme un Saint guérisseur, c'était un thaumaturge – c'est-à-dire opérant des miracles - , il avait reçu le don de guérison des malades, et il guérissait jusques aux cancers incurables mêmes. Il est trois cas avérés au moins de cancers guéris par Papouli, dont un cancer en phase terminale. Il avait également guéri, par ses prières, une tumeur au cerveau qui devait causer la mort assurée d'un enfant d'une de ses paroisses. Il avait des apparitions de Saints, en particulier de Saint Nectaire et de Sainte Photinie l'Ermite, et il conversait avec eux. Il avait atteint les cimes de la contemplation de Dieu, des Mystères et des choses mystériques d'En-Haut. Son regard, lorsqu'on allait le trouver dans sa cellule après de longues heures de prière et de méditation, était totalement transformé : il apparaissait tout-à-fait extraordinaire, d'une profondeur insondable, extrêmement mystérieux, indescriptiblement lumineux. Quoiqu'il fût un homme éminemment actif, c'était un grand contemplatif. Il connut – fait rarissime parmi les Saints - le ravissement spirituel sous la Nuée dont parlent les Ecritures, et il le fit partager à quelqu'une de ses filles spirituelles dont il prédit devant témoin qu'elle s'élèverait sur les ailes de la contemplation. Il se mouvait dans les hautes sphères de la connaissance divine et spirituelle, sur des hauteurs mystiques dignes de l'expérience évagrienne ou de la vision cosmique de Saint Benoît. Il avait la diorasis – le don de voir à distance et de lire dans les cœurs, ou don de clairvoyance- et la proorasis – le don de voir à l'avance ou don de prophétie. La prière le soulevait tout et le faisait physiquement vibrer de tout son être. Ses tressaillements qui le faisaient tressauter comme de joie manifestaient l'inhabitation en lui de l'Esprit Saint, - l'Esprit de Sainteté. Il était de ceux, illustres et insignes en sainteté, dont Saint Isaac le Syrien écrit à peu près qu' un être qui prie comme cela, il n'en est qu'un par génération, un par siècle peut-être. Il était, toujours et avant tout, un homme de Prière, une âme orante. Père Ambroise, inhabité par sa Prière de feu, reçut en retour l'Esprit. Il mena une vie de sainteté priante et fut un Temple du Saint Esprit. Comme l'explique le starets Serbe Thaddée – cf Le Livre paix et joie dans le Saint Esprit, L'Age d'Homme -, l'Esprit Saint irradie de joie ceux qui prient sans cesse, et cette joie est un don du Saint Esprit donné aux parfaits, quelque soient les moments dépressifs auxquels ils succombent parfois du fait des excès de leur ascèse et des attaques du malin démon. Le magnifique visage de Père Ambroise, qui avait des expressions admirables et un regard sans pareil, brûlant et ardent, comme lançant des escarboucles de feu, irradiait cette joie spirituelle, l'épanchant sur tous et en réchauffant le cœur de ses fidèles, lesquels accouraient à lui, dans leur hâte d'en recevoir les délicieux bienfaits. Père Ambroise était un grand pédagogue. Son enseignement partait du plus simple pour atteindre au plus élevé, mais il respectait le long parcours spirituel que constitue la montée des degrés de l'Echelle Sainte. -( Cf : Saint Jean Climaque, l'Echelle Sainte, trad. Arnauld d'Andilly, à paraître in le Blog de Presbytéra Anna). Un jeune garçon lui dit en arrivant un dimanche à l'église : « Papouli, cette semaine j'ai fait des efforts. » « -C'est bien, mon enfant », lui répondit-il, « c'est cela l'Orthodoxie ; c'est faire de petits efforts continuels, de petits efforts à sa mesure, (en tâchant d'en faire toujours davantage). Dieu, à la fin, voit tous tes efforts. » Il celait aux débutants les mystères que lui découvraient sa haute ascèse. Il n'exigeait pas des laïcs de difficiles ascèses, qui eussent passé leurs forces. Il ne prêchait pas une Orthodoxie héroïque, mais une Orthodoxie à la mesure, à la portée de ses fidèles. Chacun demeurait soi-même, et restait simple, bien que peu à peu, par ses prières, il transformât ses passions et devînt autre. Oui, il nous faisait vivre une Orthodoxie accessible, mesurée, très naturelle, adaptée à nos vies quotidiennes, qui ne nous permettaient pas de fournir d'emblée des efforts surhumains. Il voulait que nous ne menions l'ascèse qu'avec discernement – discernement dans le jeûne, discernement dans la veille, discernement dans les prières. Il ne nous demandait pas une Orthodoxie pour les super-héros que sont les figures des Saints des Synaxaires. Tout doucement, très naturellement, il nous faisait mener une vie orthodoxe selon nos faibles forces. En cela, il pratiquait une sainte simplicité, ce que le Hiéromoine Hilarion (Domratchev) ( cf. Sur les monts du Caucas, op. Cit.) dénomme la « sainte simplicité » d'un Starets. Mais parce que, de par son extrême habileté d'Ancien, qui sculpte comme il l'entend ses enfants, il nous enracinait ainsi, avec un doigté admirable, dans l'Eglise, certains de ses enfants spirituels pouvaient peu à peu s'élever très haut. Compris au petit nombre de ceux qui ont reçu la Grâce de comprendre la vanité de cette vie, ils prenaient leur envol spirituel, et partaient pour le monastère, où ils embrassaient la Vie Angélique. « La Prière », dit à peu près Saint Isaac, est comme cette goutte d'eau, petite et insistante, qui, à la fin, creuse le roc le plus dur. » Père Ambroise fut un grand Confesseur de la Foi. Il voyait, avec le Saint Père Justin Popovic, en l'oecuménisme, « la plus grande des hérésies, l'hérésie des hérésies, l'hérésie du XX° siècle. » Il voyait l'oecuménisme comme un loup entré dans la bergerie (Act 20, 29) , (Jean 10, 1), prêt à y dévorer ses ouailles. Car il avait reçu le plus haut de tous les charismes, nous disait-il, le discernement spirituel, qui donne à distinguer le bien du mal, le vrai du faux, l'orthodoxie de l'hétérodoxie, -le charisme du discernement spirituel. Par-dessus toute chose, donc, - ce qui lui coûta d'innombrables luttes, et lui valut d'incalculables ennemis, qui, bien qu'ils ne le connussent le plus souvent ni d'Eve ni d'Adam, et fussent incultes, sans instruction, ignorant de toute bonté minimalement élémentaire, étrangers à toute compassion, imperméables à tout sentiment aimant de véritable religion, et mêmes incapables de la moindre religiosité d'âme, jusqu'à son dernier souffle, s'acharnèrent contre lui, le persécutèrent et se répandirent en odieuses calomnies sur son compte, - de par son engagement spirituel, celui d'une vie entière de croyance et de conviction, vouée à la défense de la vraie foi orthodoxe, de par sa fermeté inflexible, et de par ses certitudes inébranlables, qui le faisaient oeuvrer à la transmission apostolique du dépôt de la foi - « Garde, Timothée, garde le dépôt de la Foi » ( 1 Tim 6, 20), nous répétait-il inlassablement, litaniquement - il fut un Pilier de l'Eglise. Plus encore qu'un Pilier de l'Eglise, il fut un Docteur de l'Eglise. En attestent toutes ses homélies et tous ses écrits, en particulier sa revue de la Catéchèse Orthodoxe, puis sa nouvelle revue de théologie, qu'il fonda avec Père Patric (Ranson), de la Lumière du Thabor (Ed. L'Age d'Homme). « Ne soyez pas nombreux, mes frères, à devenir docteurs », écrit l'Apôtre Jacques. ( Jacq. 31-2). « Vous le savez, nous n'en recevrons qu'un jugement plus sévère... » Enfin, au même titre qu'un Saint Maxime le Confesseur, luttant contre la nouvelle hérésie du XX° siècle, « l'hérésie des hérésies », l'hérésie de l'oecuménisme, Père Ambroise fut un Confesseur de la Foi, de la vraie Foi, ce qui est dire de la Foi Orthodoxe. Père Ambroise fut également un Illuminateur, au sens où les grands Saints sont déclarés des Illuminateurs de l'Eglise. Ainsi, Sainte Nina est-elle appelée l'Illuminatrice. Par sa parole, par son exemple, par sa vie de sainteté, il illumina les âmes. Il fut doublement un martyre non-sanglant ; Tout d'abord en ce qu'il confessa jusqu'au bout la foi droite orthodoxe non-oecuméniste. « Ne trahis pas ! » nous enjoignait-il à ce propos. Et ce disant, il nous laissait là comme son testament spirituel. Or, ceux, disent les Pères, qui, dans les derniers temps, tiendront bon et confesseront envers et contre tout la foi droite orthodoxe, ceux-là, mériteront la couronne du martyre. Il mérita de Dieu la couronne du martyre à un second titre, en ce qu'il possédait le don des larmes. Or, dit Saint Isaac le Syrien – op. Cité - , « celui qui possède le véritable repentir est un martyr vivant . » « Saint Isaac », écrit Mgr Hilarion Alféyev, - cf. P. Hilarion Alféyev, L'univers spirituel d'Isaac le Syrien – compare, à la suite de la Tradition, les larmes du repentir au sang des martyrs ». « Ceux qui vivaient dans le repentir », dit Saint Isaac, « recevront la couronne avant les autres. » Mais cette double couronne du martyre était en vérité une et trine, à l'image de la Trinité, car Dieu lui décerna la couronne de la sainteté. Enfin, Père Ambroise fut un libérateur des âmes. Sa pensée libératrice nous délivrait d'une vision étouffante, rigoriste, asphyxiante, psycho-rigide de l'Eglise. Vivifié par les flots du Saint-Esprit, que délivre la Prière du Coeur en l'âme orante, il nous en désaltérait de façon vivifiante, et nous en faisait goûter les eaux libres. Il nous avait délivré aussi de l'oppression des canons ecclésiastiques. De l'Eglise, il ne respectait que la théologie et la dogmatique divinement inspirées par l'Esprit vivifiant. Car la Prière l'avait délivré de toutes les oppressions écrasantes, et il avait accédé à la Liberté spirituelle des Enfants de Dieu ( Rom 8, 21). Papouli avait fait l'expérience spirituelle de la Grâce divine. Il avait reçu le Saint-Esprit, l'Esprit qui sanctifie, l'Esprit de Sainteté. Par la Grâce du Saint-Esprit qui l'habitait, il était devenu très ressemblant à Dieu. Il avait atteint la mesure de la perfection spirituelle, la mesure parfaite du Christ. Père Ambroise était, et demeure à jamais, pour l'éternité, dans les siècles des siècles, une figure christique. Sa tombe est miraculeuse, et les prières qui y sont adressées au Saint sont exaucées de manière merveilleuse, offrant à ceux qui les adressent infiniment plus qu'ils n'ont osé demander. Dès lors, nous espérons et prions pour que l'Eglise grecque des Anciens-Calendaristes, laquelle est la juridiction dont dépend notre modeste église Orthodoxe française du 30 Boulevard Sébastopol à Paris 4ème, canonise notre Papouli, Père Ambroise (Fontrier) et le fasse figurer au nombre des Saints du Synaxaire, l'ajoutant ainsi au choeur des Saints du Ciel. Dans l'entretemps, Papouli, pour ses enfants spirituels et pour tous ses fidèles qui l'ont connu, aimé et vénéré de son vivant, est dès longtemps un luminaire au firmament de l'Eglise et un Saint entré dans la ronde des Saints du Ciel. Oui, pour nous tous, déjà, et dès toujours, Papouli est notre Saint Père Ambroise de Paris. Par les prières de notre Père Saint, qu'il aie pitié de nous et nous sauve ! FIN ANNEXE 1. Presbytéra Anna TEMOIGNAGE SUR PERE AMBROISE CHRONIQUE Extrait de LA LUMIERE DU THABOR n° 34 Revue internationale de théologie orthodoxe Imprimée par nos soins aux Editions de la FRATERNITE ORTHODOXE SAINT GREGOIRE PALAMAS 30 Bd Sébastopol Paris 4ème Continuant la publication, commencée dans le numéro 33 de La Lumière du Thabor, des témoignages sur Père Ambroise, apportés par ceux qui l'ont connu et rencontré, nous sommes heureux d'offrir ci-dessous à nos lecteurs le témoignage de la Presbytéra Anna. PAPOULI Papouli. C'est le nom pétri d'amour que nous donnions à Père Ambroise. Parce que c'est lui qui le premier nous avait aimés, comme nul jamais avant lui ne nous avait aimés, nous l'aimions de retour, oh, si peu en regard de cet amour de flamme qu'il portait à tous ses enfants. Il nous avait engendrés en Christ. Lentement, patiemment il nous avait enracinés dans l'Eglise. Malgré nos péchés innombrables, nos cris, nos soupirs, nos plaintes, nos découragements, nos dérobades aussi. Mille fois, il pardonnait. « L'amour n'a pas de rides », disait-il. Et, dans son visage noyé de bonté, ses yeux souriaient, ses yeux qui pour nous avaient tant pleuré. « Que de fois, le soir, il faut pleurer dans sa chambre », murmurait-il. Puis, feignait de rire : « Nous, les orthodoxes, nous sommes des chialeurs ». Et quand nous l'avions trop peiné : « C'est pour toi, cette nuit, que j'ai fait le chapelet », s'attristait-il. Nous le jetions, souvent, dans le plus profond découragement. Mais lui, longanime, s'accrochait encore à l'espoir de notre guérison. « J'ai beaucoup de patience », chuchotait-il douloureux. Il nous avait tout donné. De lui, nous avions tout reçu. Avec lui, nous possédions tout. Il était tout pour nous, qui sans lui n'étions rien. Père, mère, il était tout cela. Lui-même le disait parfois : « Ne sens-tu pas que je suis ton père, ta mère ? Ne vous ai-je pas aimés plus qu'eux en tout cas ? » Jamais nous n'eussions cru qu'il partirait si vite, qu'il nous laisserait sans lui. Ceux mêmes qui ne l'avaient que croisé de loin le jugeaient à part, de la race des immortels. De lui, lorsqu'il s'en fut allé, le médecin qui l'avait assisté dit : « Un être comme cela ne meurt pas ». Il nous semblait que Papouli ne dût jamais mourir. C'est que sa vie entière, déjà, il avait vécu de l'autre côté du mur de séparation. Toutes ses pensées, ses paroles, tous ses actes et jusque ses moindres gestes se référaient à l'autre vie, la vraie, celle du Royaume des Cieux, dans laquelle il ne sera donné qu'aux élus d'entrer. La pénitence Comme tous les Saints de Dieu, il avait dès longtemps effectué sa révolution copernicienne : à la différence du commun des mortels, il avait changé de repère, et son repère était celui qu'oriente la la Jérusalem d'en haut. « Avec les canons du monde, disait-il, l'on ne mesure que les choses du monde. Mais les canons dont l'ange se servit pour mesurer la Jérusalem céleste, ceux-là sont des canons d'or. L'homme commun ne peut comprendre cela. Les cœurs purifiés seulement...Dieu se révèle à ceux qui le cherchent, et à ceux-là seulement ; qui le cherchent par la purification qu'enseigne la pénitence. Comme le pur ne peut s'unir à l'impur, Dieu ne peut pas s'unir au pécheur... » Nous nous découragions à l'entendre. « La voie est étroite et difficile », accordait-il. « Dès maintenant, donc, il faut se mettre à l'oeuvre ». Et il chantait le tropaire de la pénitence que l'on chante durant le grand carême, ce tropaire qu'il avait tant aimé qu'il avait voulu qu'on le lui chante, une dernière fois, à l'office de son ensevelissement : Ouvre-moi les portes de la pénitence O Donateur de vie Car depuis l'aurore, Mon esprit veille devant ton temple saint. Je t'apporte mon corps, Temple rempli de souillures, Mais Toi compatissant, purifie-moi dans Ta miséricorde. Redresse les voies de mon salut, ô Mère bénie de Dieu, Car j'ai souillé mon âme par des péchés honteux ; J'ai dissipé dans la paresse ma vie entière ; Mais par tes prières, délivre-moi de toute impureté. Je comprends maintenant la multitude de mes actes condamnables Et misérable je tremble à l'idée du Jour terrible de Ton Jugement. Mais confiant en la grandeur de Ta bonté, Comme David je crie : Aie pitié de moi, ô Dieu, selon Ta grande miséricorde. Et cet autre encore, de l'office de l'Epoux : Voici qu'arrive l'Epoux, Au milieu de la nuit... Et encore, de l'office de l'Epoux : Voici qu'arrive l'Epoux, Au milieu de la nuit... Et encore, toujours du même office : O mon Sauveur, je contemple Ton palais orné Et je n'ai pas la robe pour y entrer. Illumine la tunique de mon âme, O Donateur de Lumière, Et sauve-moi, ô Sauveur. Et à ces mots il pleurait. Qui d'autre pourtant plus que lui pouvait s'être apprêté la robe des noces ? Jour après jour, nuit après nuit, il s'était préparé. Jeûnant à l'excès, veillant plus encore, priant sans cesse de cette sainte et tendre prière : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi...Christouli, Christouli mou, aie pitié de moi...Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi »...- cette prière de feu que le Seigneur lui avait donnée, comme Lui seul, en un ineffable mystère, ne donne qu'à quelques rares âmes élues, deux, trois peut-être par génération d'hommes, de faire descendre dans son cœur qui, dans le corps fût-il endormi même, continuait de veiller, comme celui de l'Apôtre ou de la Bien-Aimée du Cantique, priant, enflammée, son Seigneur : « Je dors, dit-elle, mais mon cœur veille... » Cette prière du cœur que Dieu ne donne qu'aux parfaits. Car à la perfection Père Ambroise avait atteint. Bien peu s'en doutaient. Qui l'eût cru, d'ailleurs, à voir sa pauvre silhouette qu'enveloppait un pauvre manteau noir, s'en allait chaque jour au marché, sous son vieux béret ordinaire ? A vivre incessamment sous le regard de Dieu, il avait réussi cet exploit de se hisser toujours plus haut sur les cimes de la vertu, jusqu'à la perfection. Sous le regard de Dieu. C'était là son secret. Vérité aussi qu'il avait expérimentée. Avec une précision hallucinante, le Seigneur lui avait enseigné qu'il voyait tout, tout ce qu'il faisait, comme il savait tout, tout ce qu'il pensait, et jusqu'à la moindre imagination qui l'avait traversé en secret. Et Dieu qui n'abandonne pas ceux qui l'aiment gardait son serviteur. Souhaitait-il quelque chose, inconsciemment même parfois, le Seigneur, bientôt, la lui envoyait. Redoutait-il une épreuve, Dieu, bientôt l'en délivrait. Hésitait-il, Dieu, sans tarder, l'éclairait. Point n'était besoin de paroles. Dieu, en secret l'avertissait. Tel songe l'enseignait, tel Saint venait le visiter, tel lieu, tel objet tout-à-coup, par bouffées, embaumait. De semblables mystères, Papouli semblait plutôt jaloux. Nous, petits que nous étions, curieux sans rien comprendre, le pressions, lui faisant mille questions : « Dis-nous, Papouli...Et la Lumière ? As-tu vu la Lumière ? » Fous, nous prétendions l'entendre nous décrire la Lumière incréée du divin ! Lui, chaque fois, comme toujours en pareil cas, faisait le clown, l'idiot même. Il mettait sa skouffia sur son œil, brandissait l'index en pirate, jetait une plaisanterie des plus drôles et, bouffon, riait aux éclats. C'était ce que nous appelions « son côté fol-en-Christ ». Cinquante années durant, desservant ses paroisses aux quatre coins de la France, dormant sur les bancs dans les gares pour n'importuner personne, il s'était fait pécheur d'hommes, et pour gagner une âme se faisait en tout point semblable à elle. Comme l'Apôtre, il s'était « fait tout à tous ». Les êtres ne comprenaient-ils rien de sa vie toute spirituelle, lui feignait de n'être nullement spirituel. Les gens du monde, ses fidèles mêmes, n'aimaient-ils que rire et s'amuser, lui, le jour entier, ne faisait que plaisanter. De ces tournées dans le monde, tel un clown triste, il rentrait triste, exténué. Et sa nuit s epassait à pleurer, « pour que le Seigneur, disait-il, me pardonne d'avoir ri, insensé que je suis ». Jamais Papouli n'eût joué l'ascète. Le contraire lui eût semblé préférable. Combien son humilité lui valut d'être méjugé, jusqu'à la calomnie, jusqu'à la souillure d ela diffamation ! « Cette épreuve-là, disent les Pères, pour l'avoir éprouvée d'expérience, est d'entre les plus dures ». De celle-ci, Papouli, jusqu'à la lie, goûta l'amertume. Etait-il contraint d'accepter une invitation à dîner, Père Ambroise, pour ne paraître pas jeûner, faisait honneur au repas. La porte refermée, les gens se gaussaient : « Un moine paillard, disaient-ils, c'est là ce qu'il est ». L'on tremble à écrire de telles infamies d'un ascète hors du commun qui presque tous les jours de sa vie jeûna, perdant dix kilos en carême, le vendredi ne mangeant que le soir, des jours entiers ne prenant rien que du pain, des pâtes, de la soupe, du thé et de l'eau. Sa tempérance même nous inquiétait. Tant de privations nous semblaient surhumaines. Sans cesse, qui plus est, il augmentait son ascèse. « Mon Dieu, » nous demandions-nous, « jusqu'où ira-t-il ? Où s'arrêtera-t-il ? » Nous lui portions quelques fruits, du lait, des douceurs. « Reprends », gémissait-il, nous voyant l'encombrer. « Voyez, je n'ai pas de place ». Et c'est vérité que de sa cellule l'on avait vite fait le tour ; Tous ceux qui venaient le voir demeuraient stupéfaits d'un si terrible dénuement. « Ma catoire », disait-il en souriant. Rien ; il n'y avait rien. Deux minuscules pièces, si petites, chacune, que trois personnes n'eussent pu à peine s'y tenir, un coin cuisine où l'on ne pouvait poser plus d'un plat, et, sur le palier, des toilettes à la turque. La stupeur commençait dès l'escalier lépreux. Quatre étages branlants d'un escalier sordide et traîtreusement glissant, où lui-même, plusieurs fois s'était de tout son long étalé. Quatre étages essoufflants pour un vieillard asthmatique qui, chaque jour, portait les courses dont, de sa main généreuse, il nourrissait les fidèles. Car des jours entiers, il « faisait restaurant ». Combien s'étaient pressés à sa porte, tristes, accablés, qu'il avait nourris de mille mets délicieux d'une saveur inconnue, si subtile qu'on les êut dits venus presque du Paradis – combien, qui étaient repartis allègres, le cœur lavé et purifié, affronter d'un œil neuf, pleins de forces nouvelles, les tempêtes de cette vie ? « Mes murs », montrait-il. Et plus bas, comme une confidence : « Je ne suis bien qu'entre mes quatre murs », confiait-il. « Ailleurs, je n'ai jamais pu prier. Ma cellule m'est plus qu'un palais... » Etrange palais, en vérité, que ce palais d'un Saint ! L'on y eût vainement cherché fût-ce un porte-manteau. De simples clous faisaient l'affaire. Car, de ficelles mêmes, Papouli faisait merveille. En mettait-il dans les cheveux d'une enfant, avec cette tendresse qui n'était qu'à lui, que de ses mains la fillette sortait coiffée avec le plus grand chic. Celui que donne seule la simplicité sans apprêts. Mais Papouli avait cette vraie simplicité, cette simplicité inspirée que n'ont que les Saints qui, jusque dans ses retranchements, traquent l'illusion mensongère du monde. C'est cette simplicité que le Hiéromoine Hilarion (Domratchev) (cf Sur les monts du Caucase, Ed. Des Syrtes) dénomme la « sainte simplicité » du Starets, celle que peut seule, comme nulle autre, conférer la Prière du Coeur. Et lorsque nous le vîmes, ce que nous ne croyions ne devoir jamais voir, notre Papouli, étendu, mort sur son lit d'hôpital, n'ayant sur lui rien gardé de ce monde, nul vestige, si ce n'est sa pauvre croix de bois qu'attachait un fil, nous pleurâmes, saisissant combien jamais, au grand jamais, il n'avait triché avec cette réalité pure et nue qui, dans sa sincérité sans failles, l'avait gardé de toute compromission, fût-elle la moindre, avec ce monde hypocrite et menteur lequel, tel l'autruche, toujours se cache de la mort, et par là du seul et unique sens de la vie. Ce qui frappait en Père Ambroise, outre sa sainte simplicité, c'était son saint naturel. Il était du plus grand naturel, tant par toute son apparence et par toute son attitude, que par sa parole. Devant lui, quelqu'un qui arrivait du monde et le voyait pour la première fois, se sentait aussitôt parler faux, comme l'eût fait un mauvais acteur. S'il eût été acteur, Papouli eût été un très bon, un très grand acteur, tant il était naturel. Toujours, il parlait juste. Et, à son contact, bientôt ses enfants spirituels mêmes changeaient leur mode de parler, et peu à peu, se mettaient à « parler juste. » « Avez-vous remarqué », écrit à peu près le Starets Thaddée (cf Paix et joie dans le Saint Esprit, Ed. L'Age d'Homme), « combien vos Anciens sont naturels ? » Les dons du Saint-Esprit Et c'était pour n'avoir jamais triché que Papouli avait reçu aussi la rétribution des Saints. Après la prière du cœur, Dieu lui avait donné la clairvoyance. Faisions-nous quelque chose qui pût paraître un peu plus spirituel que d'ordinaire, Papouli nous accueillait avec plus de chaleur encore que de coutume, comme un père qu'eussent pour une fois contenté ses enfants. Etions-nous, au plus profond de nos cœurs, aux prises avec la tempête des passions, assaillis par la noire ténèbre du péché, que Papouli, sans que nous lui eussions rien dit s'en allait très lentement, l'air triste et fatigué. Et si quelquefois nous lui disions quelque chose : » Je le savais », disait-il simplement. L'on eût dit même qu'il lisait dans les cœurs les plus secrètes pensées. Que de fois nombre de fidèles eurent-ils l'étrange impression que Papouli, justement, donnait à l'instant la réponse à la question qu'ils venaient intérieurement de se poser. D'autres fois encore, nous le vîmes chez nous surgir à l'inopinée, tel un ange gardien qui nous eût été dépêché du Ciel. C'est ainsi qu'un jour, à l'heure même où nous allions partir en voiture, - comment l'eût-il su ? Nous ne le lui avions pas dit -, il survint en courant : « Ne partez pas ! » dit-il . « Vous alliez avoir un accident au coin de la rue ! » D'autres fois, il nous disait ce que nous avions fait : « Tu as fait cela ? » disait-il. Nous ne lui avions rien dit. « C'est bien », disait-il. D'autres jours : « Non, pas cela ; Reprends-toi ». Et plus tard, souriant de son air mystérieux : « Tu vois ? C'est mieux ». Et nous repartions, étonnés et penauds, n'osant plus ensuite vivre négligemment comme auparavant. Escaladant souvent les étages de son « pigeonnier » - « Ne me sentez-vous pas vous aider », demandait-il inquiet, « avec mes pauvres prières, du haut de mon pigeonnier ? » - nous percevions dans la pièce, la porte à peine franchie, la suave odeur qu'exhalent les Saints. C'était bien ce même parfum que Papouli, dès le commencement, nous avait fait sentir, imprégnant un coton qui avait été posé sur les reliques de Saint Nectaire. L'on eût dit le parfum émané de cette boîte, plus fort seulement, et revenant par bouffées. « Papouli », disions-nous, « mais cela embaume chez toi ! » Papouli, mystérieusement, souriait : « Mais non, » disiat-il, « j'ai mis de l'encens ». Nous savions, nous, que ce n'était nullement là le parfum d'un encens. Et Papouli, soudain, embaumait plus fortement encore. Beaucoup, à maintes reprises, le sentirent, comme le jour d'une fête de Saint Nectaire que Papouli vénérait tout particulièrement et dans maints moments aussi où sa prière se faisait plus instante. A ces rares charismes, Papouli ajoutait celui de prophétie. L'eussions-nous appelé prophète, il s'en fût fortement défendu, avec colère même peut-être, s'il eût chez lui subsisté les vestiges de cette passion. Mais il était portant difficile de s'y tromper. Au détour d'une phrase parfois, perdus dans de libres propos, il jetait ces mots, comme d'anodine façon : « Plus tard, tu feras ceci...tu feras cela ». Perplexes, nous le regardions ; Mais voyant que les circonstances semblaient absolument inverses de ce qu'il annonçait, ou jugeant que la conjoncture pourrait plus que difficilement s'y prêter, nous jetions, sceptiques, ces dires dans un coin reculé de notre mémoire. Ce n'est que longtemps après, lorsque la chose, plus tard, après bien des péripéties, se produisait tout comme il l'avait prédite, qu'alors, pleins d'une respectueuse stupeur, nous repassions en esprit ces paroles inspirées... Parce qu'il vivait dans la prière perpétuelle, la vie avec Papouli était un continuel miracle ; Dieu sans cesse l'entendait et sans cesse exauçait ses prières ; Que d'aucune fois pourtant Il ne l'entendît pas, et Père Ambroise encore glorifiait le Seigneur. « Dieu, cette fois », disait-il, « n'a pas voulu du miracle. Certes, Il eût pu dans sa toute-puissance l'accomplir, mais Il n'a pas jugé que cela fût nécessaire ; Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Dieu a ses raisons, que l'homme ne connaît pas. Pour le monde d'en-haut, la chose s'entend clairement, quand elle est à nos yeux incompréhensible. L'épreuve est nécessaire. Sans épreuve, nous ne progressons pas. Tout ce qui nous arrive n'arrive que par la permission de Dieu. Et tout ce que fait Dieu est bien fait ». Mais que le miracle ne s'accomplît pas, par les prières de Père Ambroise, était chose rare. Et les miracles qu'il fit, par ses saintes prières, cent livres ne suffiraient pas à seulement les consigner. Chaque jour, chaque heure en apportait un nouveau, tant que nous sentions sa prière nous couvrir comme d'un manteau. Sans évoquer même les cas de guérisons, entre toutes extraordinaires, dont les enfants de ses paroisses furent les témoins étonnés – nombre de guérisons de cancers incurables, dont les médecins eux-mêmes demeurèrent stupéfaits, les ayant jugés dès longtemps désespérés -, il nous souvient surtout de choses plus impalpables, et par là plus mystérieuses, comme ces myriades de dimanches où nous arrivions à l'église fourbus et las de porter nos lourds chapelets de péchés et où, doutant de pouvoir trouver nulle issue aux situations les plus inextricables, nous posions nos cous sous sa bienveillante étole. A peine si nous nous confessions alors, trop honteux dans notre orgueil d'énumérer ces sombres, ces amères kyrielles...Mais lui savait, et de lui-même nous disant ce que nous avions fait, avec la précision du médecin au diagnostic très sûr, cautérisant le mal, sur la blessure déjà prodiguait le baume. La Grâce, qui l'emplissait tout, emplissait d'une respectueuse crainte, si grande que l'être n'y pouvait plus tenir, que le cœur dur aussitôt se brisait, que les larmes silencieuses roulaient. Sur la tête à présent, avec l'étole la miséricorde. Sur la tête à présent, avec l'étole la miséricorde en pluie s'abattait, ondée rafraîchissante où se purifiait l'âme. L'on s'en allait, l'on oubliait la chose était autre, la situation modifiée, les difficultés envolées, la peine en allée. Pour ses enfants, Papouli s'usait, se consumait en prières. Pour eux, il eût tout donné. Pas seulement richesses ni objets. C'était là chose faite, depuis bien longtemps. Toute sa vie, Papouli avait tout donné. A tout le monde ; Quand il allait au marché, qu'il y voyait telle chose qu'il eût aimé acquérir, aussitôt il reprenait sa pensée : « Non, » disait-il, « pour moi ceci n'est pas utile. Cela non plus. Cela non plus ». Et ce que de la sorte il économisait, il le donnait. A moins qu'il n'achetât quelque chose dont il pût faire cadeau. A tous il donnait. Au facteur, au pompier, au coursier quel qu'il fût, qui vînt frapper à sa porte. Nul visiteur, non plus, qui repartît de chez lui les mains vides ; Nul jamais ne franchît son seuil qu'il ne s'en allât l'âme purifiée, le cœur gonflé de joie, le goût sur la langue encore de mets exquis et inconnus, les bras chargés de vivres et de bénédictions de tous genres. De biens matériels, Papouli avait tant donné qu'il n'avait plus rien à présent ; mais il eût donné plus, plus infiniment que cela. Il eût donné sa vie pour ses enfants. « Le martyre... », disait-il. « Ah ! Si l'on te disait, Ambroise, jette-toi dans le feu, comme tu t'y jetterais à l'instant avec joie ! Mais ta vie, qui veut d eta pauvre vie ? ».« Non », corrigeait-il, « il est un autre martyre, un martyre plus lent, mais combien difficile...plus difficile peut-être...le martyre de la cellule ». Et nous tremblions à l'entendre, lui, l'ascète, évoquer ainsi les terribles labeurs de l'ascèse. Sa vie, pourtant, Papouli, tant de fois, l'avait risquée pour autrui. Tirant parfois comme à regret le voile qui couvrait le mystère de sa vie, il mentionnait en passant les Juifs que, sous l'occupation, il avait cachés et nourris chez lui, avant que de leur procurer de faux papiers, pris sur les défunts, et que lui-même maquillait avec soin. De ces êtres ensuite, qu'il avait sauvés d'une mort certaine, plus de nouvelles jamais, comme souvent il advient en de pareils cas. « L'homme », soupirait Papouli, « l'homme est oublieux. Comme il est ingrat ! A-t-on besoin de vous, tel un beau tapis, l'on vous suspend au mur. N'a-t-on plus besoin de vous, l'on vous décroche, et l'on vous piétine. Ah ! Combien m'ont pressé tel un citron, qui, lorsqu'ils eurent pris tout le jus, me jetèrent au rebut ». Pour avoir ainsi donné toute sa substance, Papouli était tôt devenu le rebut du monde. Qui, dans son quartier ne l'eût pris au pis pour un pauvre clochard, au mieux pour le dernier des derniers ? Et pour l'être moyen qui de la sainteté ignore tout, et qui du saint n'a présente à l'esprit que la seule imagerie médiévale du chevalier s'en allant au prix du sang pourfendre au galop l'infidèle, la poitrine barrée d'une croix, son auréole de papier flottant sous le vent, Papouli eût mille fois plus tenu du manant de vile piétaille que du saint. Mais Dieu qui, dans son extrême abaissement, inclina les Cieux et du Ciel descendit sur la terre, des splendeurs d'En Haut venu habiter une étable, le Seigneur, lui, connaît les cœurs. Et c'est aux humbles qu'Il accorde Sa Grâce. Et c'est pour avoir été humble de cœur, pour avoir toujours servi sans s'être jamais fait servir, pour avoir délibérément choisi d'être toujours le dernier et à la dernière place, que Papouli reçut ici-bas de si grands charismes, et qu'il mérita en haut de trouver grâce devant Dieu. La prière Nous montâmes un soir, quoiqu'il fût tard, oubliant sans doute que, dans quelques heures seulement, Papouli déjà se lèverait, dès l'aube entamant la journée nouvelle. Il veillait pourtant, se tenant assis dans son fauteuil d'osier – héritage provençal, au confort douteux, rudimentaire d'aspect, mais simple comme tout ce qu'il aimait. Il leva sur nous son visage fatigué, si beau à cette heure où il l'avait lavé encore dans le très grand silence de la nuit – cette nuit à laquelle tout le jour il aspirait, pour son hésychia bénie, où la prière enfin, comme les larmes, pouvaient couler sans heurt. « Oui », disait-il parfois en riant, citant le mot d'une sainte moniale dont il avait, en Grèce, appris qu'elle était sa cousine, « le jour, tu pries avec les poules, la nuit, tu pries avec les anges ». « Papouli... Nous avions peine à présent à rompre ce silence comme saturé de Grâce. Mes enfants... Papouli...Souvent, tu nous as parlé de la prière. Il semble pourtant que tu ne nous l'aies pas enseignée... Vous n'aviez pas demandé... Un silence encore. De Papouli, l'on eût dit qu'il se concentrait davantage même, s'il eût été possible. Puis, la tête penchée un peu sur son cœur, il commença : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi pécheur...Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi pécheur...Sur le souffle...Vois...D'abord, tu prends une large inspiration, gonflant tes poumons d'air, sans rien dire ni penser mentalement. Puis, lorsque tu commences à expirer, lentement, tu commences à penser la prière : « Seigneur...Jésus...Christ...aie pitié de moi...pécheur... » Voilà, tu n'as plus de souffle, tes poumons sont vides, jusqu'à te faire mal presque, tant l'air s'est raréfié. De cette privation d'air au début – pour les commençants, comprends-tu?- la contrition, soudain, envahit le cœur, et les larmes à leur tour viennent, comme d'elles-mêmes ; oui, comme si toutes seules elles fussent venues aux yeux. Il est d'autres méthodes encore. D'autres te diraient : Sur l'inspiration, la moitié de la prière ; sur l'expiration, l'autre moitié de la prière. Moi, je ne te dis pas cela. L'expérience m'a montré la première méthode comme la plus fructueuse : toute la prière sur l'expiration. C'est, peut-on dire, la prière sur le souffle. Souviens-toi dans les livres : de tel saint, l'on dit : « La prière était comme son souffle ». Cela est utile aussi pour faire la prière en tout temps, lorsque, travaillant de tes mains, tu ne peux tenir un chapelet. Bien sûr, lorsque tu es seul le soir, prends ton chapelet et pleure, ne serait-ce que pour compter tes invocations, et ne pas t'imaginer, illusionnée par le démon, que tu pries tandis que ton esprit en réalité erre en tout sens... Que l'esprit erre, vois-tu, en mille vaines pensées tout le jour, lors même que cela nous paraît normal comme étant le propre de l'animal raisonnable, n'est en vérité, nous enseignent les Pères, qu'un reliquat de la chute où le diable enténébra la raison, tandis que le protoplaste, en être déifié à l'image des anges, tenait son esprit tout entier fixé en Dieu ; C'est de quoi nous instruit la prière : Restaurer, par l'immobilité des pensées, par la fervente invocation du nom divin – restaurer, oui, la ressemblance et la beauté perdues...Au début, certes, la chose est difficile. Comme la pouliche, la pensée s'échappe. Mais captée bientôt, fût-ce même malgré elle, par la suavité sans pareille exhalée du Saint Nom, comme la pouliche encore, elle revient bientôt, puis auprès de sa mère elle demeure. Plus n'est besoin lors de courir à son chapelet. L'état de prière demeure fixe, comme permanent, de temps à autre seulement se faisant plus intense. En ces moments-là dès lors, la prière monte. Oui, l'on dirait qu'elle monte toute seule...qu'elle jaillit en soi. En ces heures, non, pas besoin de chapelet. De larmes seulement. A l'église en tout cas, et chaque fois que tu te trouves en public, ni chapelet, ni larmes. Il n'est pas besoin de toutes ces manifestations extérieures. Plus de discrétion, plus de sobriété. Le Seigneur voit. Dans le secret. Et si, dans le monde, tu es accaparé, accablé par les tâches, le travail, le bruit, de la prière tu peux dire une forme plus courte... Les mots alors lui venaient en grec : « Christouli mou, éléison me » - « Mon petit Christ, aie pitié de moi...Cela suffit : « Christouli mou... » A l'entendre, tout bouleversé, murmurer le doux nom - « Christouli mou »-, nous comprenions mieux combien il aimait son Christ. « Mon Christ... » Il se reprenait : « Le Christ est tout...le reste n'est rien...Oui, si vous voulez : Non pas : « Kyrié Iésou » - et il prononçait, lié, « Kyriésou »- Non pas : « Kyrié Iésou Christé mou éléison mé amartolon – Seigneur Jésus mon Christ aie pitié de moi pécheur -, mais « Christouli mou, éléison. » Comme pour la Mère de Dieu. « Ah ! La Mère de Dieu ! Manoula ! -Petite Maman!-Comme je l'aime ! Je ne me lasse pas de l'invoquer. Comme ma mère ! Je la confonds même avec elle. Je veux dire que mille fois par jour, dix mille fois, je l'appelle : « Aah... » - et il poussait un profond soupir, comme jailli du profond des entrailles : « Aah... ! Manoula mou ! » - Ma petite Maman ! » Et je ne sais plus qui j'appelle : Ma mère, ou la Mère de Dieu. D'abord ma mère. Puis, je l'oublie. Et la Mère de Dieu, tout d esuite, efface l'image de ma mère. Car notre vrair mère, c'est elle...La Mère de Dieu. Manoula mou ! - Ma petite Maman ! Cette prière-là suffit. Non pas : Hyperaghia Mitéra tou Théou, sôson me amartolon ! - Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi pécheur ! - Bien sûr, l'invocation toute entière est celle-ci. Mais lorsque tu es pressé, attaqué, bouleversé, ému, que sais-je encore, alors cette prière-là suffit : Manoula mou, sôson mé – Ma petite Maman, sauve-moi – ou même Manoula mou – Ma petite Maman!- ou ce simple mot, lui seul : Manoula ! » Et Papouli, du fond du cœur, gémit : « Aah...Manoula ! » Il ne se lassait pas... » Lorsque tu es fatigué d'invoquer le Seigneur, invoque la Mère de Dieu. Et lorsque tu es fatigué d'invoquer la Mère de Dieu, invoque le Seigneur. Et si vraiment ton esprit s'est trop fatigué à prier, psalmodie ». Et Papouli, de sa voix profonde et grave, qui dans la nuit montait comme un thrène, entama cette hymne à la Mère de Dieu qu'il aimait tant – parce qu'il était tout à la fois si sublime et si théologique, disait-il, œuvre de génie du divin André de Crète, où la Mère de Dieu est dite « seconde après la Trinité », qu'il était évident que c'était le Saint Esprit qui l'avait composée : « Chairois méta Théon i Théos, Réjouis-toi, Dieu après Dieu -, Ta déftéria tis Triados i échoussa Seconde après la Trinité. » Lorsqu'il eut longtemps chanté, exténué, Papouli ferma les yeux. Et nous comprîmes à quel point sa fatigue était grande, jusqu'au complet épuisement – cet épuisement, qui était le secret de cette contrition si parfaite, celle qui donne à son tour « le cœur brisé et humilié » du Prophète – ce cœur brisé et humilié que Dieu jamais ne méprise, et dont il exauce tous les vœux, jusqu'au moindre d'entre eux : « Dieu ne méprisera pas Un cœur brisé et humilié ». Jamais, jusqu'à cette heure, nous n'avions pris conscience de cet épuisement extrême de notre Papouli aimé – le même qui, le jour, parlait ou riait, jamais ne laissant voir sa fatigue, jusqu'à nous démentir, jusqu'à nous faire oublier ce que disaient pourtant ses yeux d'ascète, si creusés par les jeûnes et les veilles, auxquels depuis tant d'années il s'adonnait, pour l'amour de son Christ, pour atteindre à la stature du Christ... « Et dans tes prières, mon Papouli, comment fais-tu ? Il en est comme si tous, par elles, étaient exaucés. Comme si nous passant en revue, tu pensais à tous...Comme si nous passant en revue, tu pensais à tous...L'on dirait que tu n'oublies personne... Papouli, humblement, baissa la tête. J'essaie...Comme cela, tout en vaquant, vois-tu, aux mille occupations du jour...J'y pense...une fois, deux fois, plusieurs fois. Puis, comme s'excusant : Mais il faudra que je note les noms...tous les noms...Je n'ai pas de mémoire ». Nous eûmes un sourire, sachant suffisamment combien Papouli n'oubliait jamais rien, tant que sa mémoire, chaque fois, nous surprenait davantage. Mais, surtout, nous comprîmes alors combien, tous, il nous aimait ; Et ses fidèles aussi, emplis de gratitude, le dimanche couraient à l'église, percevant assez de par la multitude des prétendus « hasards », tous faits et circonstances par trop miraculeux qui, toute la semaine, leur étaient advenus, combien chaque jour, à chaque instant, les avait portés la prière de leur Ancien béni, de leur Papouli tant aimé que Dieu entendait. « Doulos tou Théou », murmura-t-il. - Esclave de Dieu. » Et, disant ces mots, il esquissa un bienheureux sourire, lequel, immanquablement, nous rappelait celui qui était toujours le sien, lors même qu'on le réveillait en plein sommeil – exploit qui marquait une telle maîtrise de soi, jusque dans le sommeil même, que l'on en demeurait chaque fois stupéfait. Que de fois aussi n'avions-nous pas vu Papouli assis parmi des convives, ou sur quelque canapé chez des hôtes, luttant assis contre le sommeil, fermant quelques instants les yeux, et tout aussitôt les rouvrant, oui, contre le sommeil menant une lutte sans merci, jusqu'au sang eût-on dit... « Donne ton sang, disent les Pères, et tu recevras l'Esprit ». Mais cela, nous ne le pouvions comprendre... « Papouli, tu es si fatigué...Va t'allonger!- Mais non, pour quoi faire ? » « Mon Papouli, cela est si difficile de ne pas dormir ! Plus difficile que de ne pas manger ! » Souriant, Papouli plissait les yeux : Plus difficile, oui ! Mon Papouli ! Et quand tu n'en peux plus...Plus du tout...Comment fais-tu ? » Papouli, douloureusement, sourit : Je dis : Encore un petit peu, Ambroise ». Et il nous couvrit d'un long regard où se lisait une telle intensité d'amour, que nous ne pûmes le soutenir davantage. « Mon papouli, nous te laissons dormir enfin. Soyez en paix, mes enfants ». Et il ajouta la formule monastique : Kalo ximéroma ! - Bon réveil ! » Sur les lèvres d'un Papouli luttant jusqu'au sang, ces mots prenaient tout leur prix. Combien d'héroïsme lui avait-il fallu au réveil, tant d'années durant, à notre Saint Papouli ? La dormition d'un homme de Dieu Que Papouli, dès sa sortie d ece monde, eût trouvé grâce devant Dieu, ses enfants, à sa mort, en reçurent l'assurance. Car à peine nous fut-il donné – vision douloureuse entre toutes -de contempler notre Papouli endormi que, devant la porte même de l'amphithéâtre, à l'hôpital, son cercueil déjà embaumait très fortement, par bouffées, de cette suave odeur à quoi s ereconnaît un Saint. Notre Papouli tant aimé, après une longue agonie de huit jours à laquelle, sachant à l'avance qu'elle commencerait au lendemain même de la liturgie de la Nativité, dont il aimait tant la fête, il s'était préparé par un long et redoutable jeûne – si difficile au milieu du monde – un long jeûne absolu de six jours sans manger ni boire, notre Papouli que durant le temps de sa subite maladie dont les trois derniers jours furent horribles, en réanimation où on lui prodiguait ces soins intensifs, qui ne lui permettaient de dormir que par intervalles de trois ou cinq minutes au plus, notre Papouli que durant tout ce temps d'insupportable souffrance nul, d'entre les médecins ni d'entre ses enfants, ne vit jamais se plaindre, supportant jusqu'aux limites de ce que peut supporter la volonté humaine, lorsqu'elle a atteint à la longanimité des Saints, notre papouli s'en était allé, ne regrettant rien en ce monde que ses enfants aimés. Notre Papouli chéri, comme plein d'allégresse l'on s'en va célébrer des noces, s'en était allé rejoindre son Seigneur, qu'il avait tant aimé, tant désiré, pour qui il avait tout souffert, tout supporté, et qui avait été sa vie, son souffle et son unique raison de vivre en cette vie, jour après jour patientant ici-bas dans l'attente de la Vie immuable et sans fin, pour laquelle s'il nous était donné, dit Saint Séraphim de Sarov, d'en goûter le sprémices, nous supporterions tout en ce monde, préférant même, pour goûter à tant de suavité, nous laisser sur la terre ronger des vers dans notre cellule toute notre existence entière, plutôt que d'en être privés éternellement. Notre Papouli s'en était allé ; nous avions enseveli sous la terre son beau visage très ressemblant à celui d'un Séraphim de Sarov, d'un Ambroise d'Optina, d'un Parthène de Chio, d'un Arsène de Paros, et que tant d'êtres avaient cru celui d'un simple Papouli tout humain. Tout humain, il s'était sa vie entière chaque jour un peu plus empli de la Grâce divine, au point d'atteindre ce que Saint Séraphim et tous les Pères de l'Eglise avec lui disent et confessent être le but de tout homme en ce monde : la déification de l'homme. Et lorsque, à son ensevelissement, les fidèles, dans l'église, purent durant l'office sentir s'exhaler alentour la suave odeur de sainteté par quoi le Seigneur manifestait clairement qu'il avait parmi ses élus reçu son âme bienheureuse, tous perçurent que leur Saint Papouli, par-delà l'image, avait en lui restauré la ressemblance divine. De ce jour les miracles, du saint tombeau de notre Papouli ne cessent de se produire, cependant que se multiplient ses apparitions, par lesquelles, en rêve, il vient consoler ses enfants ou, de façon prémonitoire, les avertir, - prodiges si nombreux que ses enfants s'étonnent, se sentant plus protégés encore, sur l'heure, à la vue de tant de signes, que de son vivant même, de par son amoureuse intercession, puissante devant Dieu. Tant de bienfaits nous comblent, et nous gémissons en nos cœurs, nous sachant par trop indignes de tant de riches sollicitudes. Puisse notre Papouli nous préparer une place avec lui dan sle céleste Royaume de la lumière sans déclin, et notre Seigneur, par Sa Grâce, suppléer à nos manquements infinis. Amin. Presbytéra Anna. ANNEXE 2 Extrait du BLOG DE PRESBYTERA ANNA, reprenant sur Internet la publication de LA LUMIERE DU THABOR n°32. Revue internationale de Théologie Orthodoxe, fondée par Père Ambroise (Fontrier) et Père Patric (Ranson). Saint Ambroise de Paris. TEMOIGNAGE DE PERE PATRIC (RANSON) PERE AMBROISE (1917 - 1992) O Timothée, garde le dépôt, en évitant les discours vains et profanes et les disputes de la fausse science dont font profession quelques-uns, qui se sont ainsi détournés de la foi (1 Tim.6,20). Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus Christ seront persécutés. 2 Tim.3,12. Origines Père Ambroise est né à Smyrne, dans cette Anatolie qui avait vu fleurir les Pères du IVème siècle -saint Jean Chrysostome, saint Basile le Grand, saint Grégoire le Théologien, ces maîtres de la culture chrétienne- et avait gardé d'eux la rigueur et la douceur. Au commencement de notre siècle, en effet, quoique asservie au Turc depuis de longs siècles, la société chrétienne se maintenait en Asie Mineure, et notamment à Smyrne. Père Ambroise apprit beaucoup de sa grand-mère Argyro, de sa mère Kyriacoula et de son père Basile, qui, descendant d'un Français qui s'était fixé dans l'Orient au 18ème siècle, transmit à son fils le nom de famille français de FONTRIER. De ces parents pieux, Père Ambroise apprit la vie chrétienne. La catastrophe d'Asie Mineure força la famille à prendre le chemin de l'exil et Père Ambroise se remémorait le jour où, au milieu du sang qui coulait, marchant sur les cadavres des Chrétiens massacrés, dont il se souvient qu'ils embaumaient, son père, tenant le drapeau français, avait emmené sa famille jusqu'au consulat de France pour y demander asile. Les survivants des massacres firent tous ce qu'avaient fait les Fontrier : ils durent quitter la terre natale si bien que, de nos jours, des sept Eglises dont saint Jean parle dans son Apocalypse, il ne subsiste rien. Smyrne est de ce nombre, et la présence chrétienne y a été presque totalement effacée. Bien des années plus tard, Père Ambroise a reçu, dans Athènes, de la bouche inspirée d'un vieillard, l'explication du dessein de Dieu qui se cache derrière la catastrophe d'Asie Mineure : «Ces Eglises martyres ont disparu, dit le vieillard, et Dieu l'a permis, parce qu'Il a voulu préserver de la souillure de l'oecuménisme les Sept Eglises de l'Apôtre Vierge». Les réfugiés grecs se fixèrent souvent dans le midi de la France, terre anciennement colonisée par les Hellènes, et dont les petits ports ressemblent à ceux des îles d'Asie Mineure. Arrivée à Marseille avec beaucoup d'autres réfugiés, la famille mena une existence très dure, dans la plus grande pauvreté. Ils connurent la faim. Très tôt Père Ambroise fut obligé de travailler et, après la mort de son père, s'occupa de sa mère et de sa famille. Prêtre à vingt-quatre ans Père Ambroise devint prêtre en 1942, à l'âge de 24 ans, car le temps de la guerre rendait urgente son ordination. Il avait songé un instant à devenir musicien, car il jouait parfaitement du piano. Mais, par un accident qu'il attribua à la Providence, il eut le pouce coupé et n'envisagea plus que le service de l'autel et que le Seigneur. Il fut d'abord prêtre d'une paroisse grecque, non loin de Marseille. Dès ce moment, il avait compris la tâche à laquelle Dieu l'appelait : faire connaître la Foi Orthodoxe là où il se trouvait. Le Seigneur a dit aux Apôtres : «Allez, enseignez toutes les nations». L'Eglise garde fidèlement ce commandement : chaque chrétien orthodoxe doit avoir «sa lampe allumée» et rayonner la foi autour de lui, à l'endroit qu'il habite. Père Ambroise a vécu ainsi, devenant, dans ce pays où la main de Dieu l'avait conduit, une lampe pour tous ceux qui reviennent à l'orthodoxie. La Gaule en effet, fut christianisée dès les temps apostoliques, et c'est en Gaule que naquit saint Constantin le Grand, qui fit passer l'Empire romain des ténèbres de l'idolâtrie à la lumière du Christ. Retombée dans les ténèbres à cause des hérésies, la Gaule avait besoin de nouveau d'évangélisation, pour retrouver ses racines Orthodoxes. Hésychasme Père Ambroise vécut un certain temps à Martigues, dans un ancien blockhaus allemand désaffecté, devenu une cellule monastique. Il descendait le dimanche dire la liturgie pour sa paroisse puis remontait dans sa colline retrouver sa solitude, au milieu d'un paysage semblable à la Grèce. Toute sa vie, il rechercha le calme et la tranquillité, pour se consacrer à la prière. La prière monologique, il l'a cherchée, interrogeant un jour un Ancien sur le sens du terme «monologique», et il obtint la réponse : la prière est dite monologique, en un seul mot, parce que, bien qu'il y ait plusieurs mots, l'esprit n'est tendu que vers le Christ ; il n'a qu'une seule idée. Devenu hésychaste, Père Ambroise a souvent parlé de la prière à ses enfants spirituels, leur expliquant notamment comment la prière descendait de l'intellect dans le coeur et comment elle devenait perpétuelle dans le coeur purifié. A la fin de sa vie, il insistait de plus en plus fréquemment dans ses homélies sur la nécessité pour tous de s'efforcer vers la prière du coeur. C'est grâce à cette prière permanente que Père Ambroise put être guidé par Dieu, de même que tous ceux qui discernèrent clairement, dans le changement apparemment anodin du calendrier ecclésiastique, le commencement de l'hérésie la plus redoutable. Père Ambroise, qui savait que la Jérusalem céleste doit être mesurée avec le roseau parfait, le canon d'or que l'ange donne à Jean dans l'Apocalypse, connut vers 1962 l'Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O.), qu'il ne cessa dès lors d'aimer comme la seule donnant à notre époque le témoignage de l'Orthodoxie véritable. La confession de la Foi Avant de parler des paroisses fondées par Père Ambroise sur le sol de France, il faut souligner la base de tout son travail. «Nul ne peut poser d'autre fondement que celui qui existe, à savoir le Christ» dit l'Apôtre. C'est sur le roc de la vraie confession de Foi, le roc du Dieu-Homme, le Christ, que Père Ambroise a bâti. Il a toujours insisté sur la nécessité impérieuse d'une confession de Foi juste. Certains appelaient Père Ambroise trop rigoureux, alors qu'il était doux et n'oubliait jamais que l'Eglise se gouverne par la rigueur et par l'économie ; il répétait simplement cette parole de Marc d'Ephèse : «En matière de Foi, il n'y a pas d'économie», car, ajoutait-il, si la Foi est changée, à quoi s'appliquerait alors l'économie ? Il ne jugeait jamais les personnes, mais appliquait les critères que donne l'Eglise : «Comme les Prophètes ont vu, comme les Apôtres ont prêché, comme les Pères ont dogmatisé, comme l'Eglise a reçu...» ainsi nous enseignons, ainsi nous prêchons, selon le Synodicon de l'Orthodoxie. Selon ces critères des Pères et des Conciles, le patriarcat de Constantinople, disait Père Ambroise, s'est éloigné de la vraie confession de foi en adoptant le nouveau calendrier et en suivant le syncrétisme religieux de l'oecuménisme. Ceux qui ont changé le calendrier se sont placés eux-mêmes sous l'anathème du VIIème Concile Oecuménique qui condamne tous ceux qui ont innové ou qui innoveront non seulement dans le domaine du dogme, mais encore en matière de tradition ecclésiastique. Le calendrier est une tradition. L'évangile que prêche désormais le patriarcat de Constantinople diffère de celui que l'Eglise a reçu ; le syncrétisme oecuménique réduit l'orthodoxie aux dimensions d'une religion nationale, il réduit le Dieu-Homme aux dimensions d'une religion purement humaine ; de cette hérésie, le changement du calendrier est le premier symptôme manifeste. C'est pourquoi chacun doit, disait Père Ambroise, séparer totalement ses responsabilités spirituelles et rompre toute communion avec le Patriarcat de Constantinople et avec ceux qui sont en communion avec lui. De même pour les questions de discipline ecclésiastique. A beaucoup de personnes troublées de voir plusieurs groupes ancien-calendaristes en Grèce même, Père Ambroise répondait que le vrai chrétien possède le critère des canons de l'Eglise. «Qui, disait-il, est l'authentique archevêque d'Athènes et de Grèce, sinon Monseigneur Auxence ? Où est le synode plus grand que le sien, qui aurait reconnu un autre archevêque à sa place ? Lui seul a été reconnu par un Synode orthodoxe plus grand -les Russes du Métropolite Philarète». L'Esprit Saint n'est pas lié par des dépositions réciproques qui le plus souvent n'avaient que des motifs personnels et non ecclésiastiques. En même temps, Père Ambroise aimait tous ceux qui confessaient la foi orthodoxe et souhaitait de tout coeur l'unité des Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O.) de Grèce. Il disait même souvent que s'ils s'unissaient, l'Eglise officielle d'Etat n'existerait plus. Il avait été aussi très heureux de voir avec quel zèle missionnaire Monseigneur Auxence était venu en France. La Mission en France La grande oeuvre du Père Ambroise fut l'édification d'une Orthodoxie française appuyée sur un authentique retour aux Pères. A Paris, il fonda la paroisse de la Sainte Trinité, contribuant souvent de ses mains à l'entretien de la chapelle et offrant tout le matériel du culte et tous les ornements de l'Eglise : encensoir, porte-cierge, veilleuses. Durant des années, il desservit, voyageant en train, la paroisse de la Sainte Trinité à Paris, celle de saint Jean le Théologien à Lyon, et celle de l'Annonciation de la Mère de Dieu, à Montpellier. Nous mentionnons ces trois églises, mais toutes les paroisses existant actuellement dans notre diocèse lui doivent, directement ou indirectement, l'existence. Il a engendré en Christ la plupart de leurs fidèles. a) Père Ambroise a traduit les Offices de l'Eglise, confiant au professeur Jean-Joseph Bernard le soin de les mettre en musique. Cette publication liturgique, l'une des plus importantes qui aient vu le jour dans notre siècle, s'imposait pour deux raisons : la première est que, pour développer l'orthodoxie en France, il fallait s'exprimer en français et mettre à la disposition des fidèles non seulement le texte de la Sainte Liturgie, mais ceux de toutes les fêtes pour pouvoir les célébrer dans chaque paroisse. La Foi Orthodoxe doit imprégner la vie : les chants des Offices ne sont pas de l'art, mais une forme de prière ; ils initient à la vie en Christ. La seconde raison de cette priorité donnée à la traduction des Offices est qu'ils contiennent tous les dogmes. Par eux, les richesses de la Théologie Orthodoxe deviennent accessibles à tous et l'Eglise oppose ainsi sa grande voix au murmure confus des hérésies actuelles. b) Conscient de la difficulté qu'il y a, pour les Orthodoxes, à vivre en Europe, dans un monde façonné par les hétérodoxies -papisme et protestantisme- et aujourd'hui athée et hostile au Christ, Père Ambroise a consacré beaucoup de sa peine et de son temps à traduire les textes des Pères, à faire connaître la vie des saints et des confesseurs de la foi, à enseigner l'histoire de l'Eglise. Il a publié, seul, dans des conditions difficiles, la revue Catéchèse Orthodoxe, qui a été considérée comme l'une des meilleures revues orthodoxes de langue française et qui a été ensuite relayée par La Lumière du Thabor. Père Ambroise, par ses publications, a non seulement permis à des Orthodoxes de voir clair et de rester orthodoxes, mais il a également convaincu beaucoup d'hétérodoxes de la vérité de la Foi Orthodoxe et de la nécessité de revenir à l'Eglise des Apôtres. c) Outre cette oeuvre d'écriture et de traduction, Père Ambroise a peint plusieurs icônes du Seigneur et de la Mère de Dieu, ainsi que celles des iconostases. Il est aussi l'auteur de la première icône de saint Nectaire d'Egine. d) Le couronnement de cette mission vraiment apostolique a été la création du diocèse de France. Toute sa vie Père Ambroise a lutté pour la vraie foi et il souhaitait de voir un évêque de France, afin de renforcer l'Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes (V.C.O.) de France face aux parataxes des oecuménistes. Ce désir se réalisa lorsque Sa Béatitude l'Archevêque Auxence d'Athènes consacra Monseigneur Photios de Lyon. Le diocèse de France et d'Europe compte actuellement neuf (9) paroisses. A tous les fidèles de ces paroisses, Père Ambroise apparaît comme véritablement égal aux Apôtres. Charismes spirituels Dieu avait donné au Père Ambroise de nombreux charismes spirituels... Il entendait les confessions et trouvait toujours le remède à appliquer aux blessures faites par le péché, et il revêtait ceux qui se confiaient à lui de la panoplie de la lutte contre le démon. Il avait le don de consoler et de réconforter, parfois par une seule parole. La grâce demeurait avec lui. Il prêchait comme les Pères. Les fidèles étaient souvent suspendus à ses lèvres. Il expliquait, en suivant les commentaires des Pères, les trésors qui se cachent dans l'Evangile. Ce qu'il disait apparaissait aussi comme le fruit d'une expérience personnelle. Intensément, il priait la Mère de Dieu et Saint Nectaire. Il disait que le Seigneur nous exauce toujours quand Sa Mère intercède pour nous. Par les prières de Père Ambroise et celles de Saint Nectaire, se sont opérées nombre de guérisons. Ses proches nous ont dit qu'il avait souvent eu une véritable diorasis, découvrant à chacun ce qui était dans son coeur. Il enseignait toujours d'une manière enjouée ; quand il avait un reproche à faire, il ne le faisait jamais directement mais toujours d'une manière symbolique, faisant prendre à chacun conscience de ses défauts, sans jamais froisser personne. Ses derniers jours et son enterrement Père Ambroise s'est endormi dans le Seigneur le 1er janvier 1992 (le 14 janvier du calendrier civil), le jour de la Circoncision du Seigneur et de la saint Basile. «Servant déjà de libation» (2 Tim.4,6) par les souffrances qu'il avait endurées d'abord pour la confession de la foi, et ensuite du fait de sa maladie finale, Père Ambroise s'est endormi paisiblement. Quand je le vis dans son cercueil, je fus réconforté par son visage serein, ses membres restés souples, son repos qui illustrait l'enseignement de l'Eglise : «Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais» (Jn 11, 25-26), parce que celui qui s'endort dans le Seigneur ne voit pas la face de la mort, c'est-à-dire le diable, mais voit la face du Christ, la vie personnifiée. Oui, sa mort a été, comme le dit l'Eglise dans les Vêpres du Saint Esprit, au jour de la Pentecôte : «un passage des choses affligeantes aux choses désirables». Tous ceux qui pleuraient sentaient combien c'était sur eux-mêmes qu'ils pleuraient, s'affligeant de perdre leur père. Père Ambroise avait prévu sa mort. Avant la Nativité du Seigneur, il avait raconté qu'il avait vu, en rêve, les prêtres porter son cercueil. La chose n'est pas normalement possible en France, puisqu'il existe des porteurs employés par les Pompes Funèbres. Or, la veille de l'enterrement, Monseigneur Photios fut avisé que tous les porteurs seraient en grève et qu'il faudrait que notre communauté se charge de les remplacer. Le rêve se réalisait. La cérémonie de l'enterrement se déroula le vendredi 4 janvier (17 du calendrier civil), dans la piété et la dignité. Un grand nombre de fidèles se rassembla dès le matin à l'hôpital où eut lieu la mise en bière. Les jours précédents, des pannykhides avaient été célébrées auprès du corps du défunt, grâce à la bienveillance des employés de l'hôpital, respectueux à l'égard des rites de l'Eglise. Après ce dernier adieu au visage de notre père qui nous a tout appris, se déroula l'office dans l'église de la Sainte Trinité Saint Nectaire, au milieu d'une assistance nombreuse. La Mère Xénie, higoumène du monastère de Saint Jean le Théologien, était venue tout exprès d'Athènes, envoyée par Monseigneur Auxence pour le représenter, lui et son synode, ainsi que le Père Ambroise, moine d'un monastère de l'Attique. Le cortège se rendit ensuite au cimetière de Levallois, situé tout près de l'ancien domicile terrestre du Père Ambroise. Tous les fidèles, recueillis, défilèrent pour mettre les poignées de terre sur le cercueil en disant : «La terre est au Seigneur avec tout ce qu'elle renferme, l'univers et tous ses habitants». Père Ambroise repose en paix près de ses enfants. Que sa mémoire soit éternelle ! Son oeuvre, Dieu voulant, continuera, grâce à l'Eglise de France et à tous ceux qui «aiment l'avènement du Seigneur Jésus Christ» (2 Tim.4,8). Père Ambroise parlait souvent de la mort et il envisageait la sienne avec discernement. Il disait qu'il ne s'inquiétait pas pour la poursuite de la mission après sa mort, parce que ses enfants spirituels plaçaient leur espérance non pas dans un homme, mais dans le Seigneur. Que Dieu donne à tous de marcher, comme il l'a fait, jusqu'au bout, sur les traces de nos Pères saints. Et qu'Il nous fasse miséricorde. Amen. PUBLIÉ PAR PRESBYTERA ANNA À 02:13 ENVOYER PAR E-MAILBLOGTHIS!PARTAGER SUR TWITTERPARTAGER SUR FACEBOOKPARTAGER SUR PINTEREST LIBELLÉS : LA LUMIÈRE DU THABOR N°32. SAINT AMBROISE DE PARIS. ANNEXE 3. Du mariage des Evêques. DU MARIAGE DES EVEQUES. L'économie, dans la terminologie ecclésiale, signifie l'adaptation des canons de l'Eglise, c'est-à-dire des règles de l'Eglise, aux circonstances particulières. L'exact contraire de l'économie est la rigueur. L'Eglise des premiers temps pratiquait l'économie. Certains des Apôtres étaient mariés, comme le rapporte la Tradition de l'Eglise. Les premiers Evêques, qui furent les successeurs des Apôtres, selon la succession apostolique, étaient également mariés. Les épîtres de Saint Paul enseignent que la famille de l'Evêque doit être le modèle des autres familles. (Tite 1, 6-9), ( Timothée 3, 1-7). Le Saint Apôtre Philippe, disciple du Christ Seigneur était marié. A l'origine, combien de Saints Hiérarques étaient mariés ! Ils vivaient pieusement avec leur épouse, et Dieu les a bénis. L'Apologète et Père de l'Eglise Tertullien, à la fin du II° siècle et au début du III° siècle épousa une Chrétienne. Voici ce qu'il écrit à son épouse : « Douce et sainte alliance que celle de deux fidèles portant le même joug, réunis dans une même espérance, dans un même vœu, dans une même discipline, dans une même dépendance ! Tous deux, ils sont frères, tous deux serviteurs du même Maître, tous deux confondus dans une même chair, ne forment qu'une seule chair, qu'un seul esprit. Ils prient ensemble, ils se prosternent ensemble, ils jeûnent ensemble, s'enseignant l'un l'autre, s'encourageant l'un l'autre, se supportant l'un l'autre. Vous les rencontrez de compagnie à l'église, de compagnie au banquet divin. Ils partagent également la pauvreté et l'abondance, la fureur des persécutions ou les rafraîchissements de la paix. Nuls secrets à se dérober, ni à se surprendre mutuellement ; confiance inviolable, empressements réciproques ; jamais d'ennui, jamais de dégoûts. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents ; leur aumône est sans disputes, leurs sacrifices sans scrupules, leurs saintes pratiques de tous les jours sans entraves. Chez eux point de signes de croix furtifs, point de timides félicitations, point de muettes actions de grâces. De leurs bouches, libres comme leurs cœurs, s'élancent les hymnes pieux et les saints cantiques. Leur unique rivalité, c'est à qui célébrera le mieux les louanges du Seigneur. » Ou encore : Tertullien s'adresse ainsi à sa femme. (Cf. Tertullien, A sa femme. Trad. F. Quéré, in : Le mariage dans l'Eglise ancienne, coll. Ichtus 13, Ed. Le Centurion/Grasset). « Quel merveilleux joug pour deux chrétiens qu'une même espérance, une même loi, un même service ! Ils sont tous deux frères, tous deux compagnons d'esclavages. Rien ne les divise dans la chair ou l'esprit. Ils sont, en vérité, deux en une seule chair, et là où est une seule chair est aussi un seul esprit. Ensemble ils prient, ensemble se mettent à genoux, ensemble jeûnent. Ils s'instruisent l'un l'autre, s'exhortent l'un l'autre, se soutiennent l'un l'autre. Dans l'Église de Dieu, ils vont côte à côte, partageant le repas de Dieu, affrontant d'un même cœur les épreuves, les persécutions, ensemble se réconfortant. De l'un à l'autre, point de secret, point de faux-fuyant, point de chagrin. En toute liberté, ils visitent les malades, nourrissent les affamés. Ils font l'aumône sans anxiété, accomplissent leurs devoirs quotidiens sans entraves ; ils ne se signent point à la dérobée, ne rendent point grâces en tremblant, ne demandent point de bénédiction en silence. Chez eux retentissent hymnes et psaumes : c'est à qui au Seigneur chantera les plus belles louanges. Le Christ se complaît à les regarder, à les entendre, et leur envoie sa paix. Là où deux sont assemblés, il est (Mt 18, 20)10. » (Tertullien, trad. E.-A. De Genoude). L'Evêque Saint Spyridon, au IIIème siècle, en l'île grecque de Corfou, fut élevé en dignité du fait de l'exemple de sa haute vertu, en un seul et même jour passant par tous les grades et degrés ecclésiastiques successifs de la hiérarchie ecclésiale, du statut de berger au rang de Lecteur, puis à celui de Sous-diacre, de Diacre, de Prêtre et enfin d'Evêque. Il avait été amené en l'église avec femme et enfants, accédant avec eux, par son sacre d'Evêque, au rang éminent de Saint Pâtre des ouailles du Seigneur. Si l'Evêque Saint Grégoire l'Ancien n'eût, au IVème siècle, épousé la vertueuse aristocrate cultivée Nonna, il eût privé l'Eglise d'un de ses plus grands docteurs, Saint Grégoire, Evêque de Nazianze, fruit de leur union bénie, devenu astre au firmament du Ciel. Avec eux furent mariés tant d'autres Saints du Seigneur, Saints Hommes et Saintes Femmes, dont fourmillent les pages de l'Histoire Sainte de l'Eglise Orthodoxe, Christique, Une, Indivise, Originelle et Universelle, furent révélés pour leur éminente sainteté tant de couples de Saints mariés, connus et inconnus, que des livres entiers ne suffiraient pas à en consigner les noms bénis. Saint Sidoine Apollinaire, Evêque Gallo-romain du V°siècle, qui fut un poète fameux, au talent recherché par les personnalités officielles les plus illustres, panégyriste honoré des empereurs, nourri d'Ovide et de Virgile, épousa une femme au caractère bien trempé et au fort tempérament. Ce n'est que par la suite, dans l'Histoire de l'Eglise, que l'Eglise institua une canonique différente des règles en usage dans les premiers temps, et ce pour des raisons purement pratiques, essentiellement pour une question de disponibilité des Evêques, qui devaient consacrer tout leur temps à Dieu. De là que les nouveaux canons décrétèrent que les Evêques seraient dorénavant choisis parmi les moines. Observer rigoureusement ce canon, c'est tomber dans le rigorisme. Revenir aux règles en usage dans les premiers temps de l'Eglise, ce n'est pas tomber dans le modernisme ; c'est revenir aux sources. Le rigorisme de mise dans l'Eglise d'aujourd'hui fait un mal incroyable à l'Eglise. Ce rigorisme exerce des ravages. Il recouvre l'Eglise comme d'un couvercle trop lourd, et d'une chape de plomb pesante, sous lesquels elle étouffe et asphyxie. Les excès de sévérité de l'Eglise actuelle ont fait fuir la foule des gens intelligents, qui l'ont quittée en masse, et sont allés grossir ce qu'Augustin d'Hippone appelle à tort la « massa damnata » - la masse damnée -, la « massa perditionis » - la masse de perdition – de ceux que, contre les Pères de l'Eglise, il voue à l'Enfer. Le Saint Père Ambroise de Paris avait une piètre idée des canons. Et il nous montrait le Pidalion – le gouvernail de l'Eglise, en grec -, cette canonique, cette somme de canons de l'Eglise compilée au XVIIIème siècle par Saint Nicodème l'Haghiorite. Lui-même ne respectait pas les canons. Bien que moine, il prenait les enfants dans les bras, pour les tenir même sur les fonts baptismaux. Il avait été plusieurs fois parrain, ce que les canons interdisent aux moines. « Je l'ai fait par économie », disait-il, « pour ne pas peiner les parents qui me le demandaient. » Les canons interdisent encore d'ordonner prêtres des jeunes gens ayant eu des relations sexuelles avant le mariage. En Grèce, où ce canon est appliqué strictement, l'Eglise peine à trouver des prêtres. Ne restent souvent pour candidats éligibles à la prêtrise que les moins doués intellectuellement, voire aussi spirituellement. Il en résulte une crise des vocations. Il est bien d'autres canons que Papouli n'appliquait pas. Par économie, il souhaitait que fût réformée la canonique écclésiale. « Les canons ne sont pas l'Eglise », disait-il. « L'Eglise se définit par sa théologie dogmatique Orthodoxe. On ne peut pas toucher à la dogmatique de l'Eglise, à son dogme Orthodoxe, qui définit théologiquement l'Eglise, mais on peut reconsidérer sa canonique. » « Ce sont des canons d'or », aimait-il à répéter, « qui ajustent et tiennent ensemble les murs de la Jérusalem céleste, et non pas des canons faits de main d'homme. Les hommes ordinaires », soupirait-il, « ne peuvent pas le comprendre. » Papouli chérissait sa liberté. « La Prière du Coeur », écrit un grand Saint dans la Philocalie, « fait accéder à la liberté. » Et le Starets du Caucase, que fut le Hiéromoine Hilarion (Domratchev), écrit que celui qui a goûté à la suavité de la Prière du Coeur «rempli de (sa) force, entre dans une grande liberté. »( Cf Sur les monts du Caucase, Ed. Des Syrtes). Saint Paul évoque la « liberté des enfants de Dieu » (Rom 8, 21). Père Ambroise faisait souffler sur son Eglise un air, un vent de liberté spirituelle. Il n'y avait nulle trace de rigorisme en lui. Toujours, il usait d'économie. « Si je ne pratiquais pas l'économie, il n'y aurait personne dans cette Eglise, pas même moi. » Ses derniers mots furent pour confirmer la dignité de l'Evêque Photios. Lorsqu'un Evêque est sacré, le peuple crie « axios ! Axios ! » - « Il est digne ! Il est digne! »- Papouli laissa donc ces derniers mots écrits de sa main sainte : « Monseigneur Photios, Evêque de Lyon, Exarque pour la France. » Or le Saint Père Ambroise avait la proorasis, le don de prophétie. Il savait, avant de mourir, que l'Evêque Photios allait pécher relativement aux canons. Relativement à l'amour universel, il n'y a peut-être même pas péché, du reste. Un ermite m'écrivit : « Avez-vous péché ? Cela n'est pas sûr, au vu des circonstances. » En m'épousant, comme le Bon Samaritain, Mgr Photios me sauva du désespoir et du suicide. « Ce que vous avez fait au plus petit des miens », dit le Seigneur, c'est à moi que vous l'avez fait. » (Mat 25, 40). Ce faisant, adoptant mes enfants comme les siens propres, l'Evêque sauva aussi mes enfants de la misère et d'une vie orpheline. En me donnant des enfants, il renoua en moi le fil de la vie qui s'était brisée avec la mort de mon premier époux et de ma fille aînée. Nous fûmes vilipendés, gaussés, lapidés. Des moniales prièrent pour que je meure, d'autres me lapidèrent. Aujourd'hui, l'on assiste à une lapidation des Evêques mariés. Ils sont objet de risée, de diffamation, de persécution, de scandale. Mais la femme adultère, qui osa seulement la lapider ? « Que celui qui est sans péché, dit le Christ, « ose lui jeter la première pierre. » De tous ceux qui avaient amené devant le Christ la femme adultère pour la lapider, nul n'osa. (Jean 8, 7). L'on se souvient peut-être, pourtant, du film de Zorba le Grec, interprété par la grande Irène Papas, et tiré du livre de Nikos Kazantzaki. Il est inconcevable qu'en plein vingtième siècle encore, des grecs, orthodoxes depuis des générations et des générations, aient pu tomber d'accord pour lapider en masse une femme adultère, au plus grand mépris de l'enseignement christique de l'Evangile qu'ils entendent chaque dimanche où ils vont à l'église, la bouche en coeur. Au mieux, ces évêques sont tenus de rester cachés, eux, leur femme, et leurs enfants. Le clergé resté en la place ment à leur sujet, verrouille totalitairement l'information à leur sujet et fait régner sur eux la désinformation. Leur existence est jalousement tue, leur filiation gardée secrète. Ils sont dès lors privés du sentiment d'exister. Plus grave, ils sont mis au ban de l'Eglise, considérés comme réduits à l'état laïc, alors même que nul Evêque dans le monde orthodoxe n'a osé les déposer. Ils sont exilés de l'Eglise, et nul clerc n'est autorisé à les desservir, pour leur constituer une paroisse en exil. Ils sont considérés comme physiquement et spirituellement morts, sans que nul ne connût rien de leur véritable degré d'élévation spirituelle. Quand bien même ils auraient mené la sainte ascèse au saint désert durant près de vingt années d'une vie de pénitence austère, aux souffrances indescriptibles, tant psychiques que fomentées par les puissances ténébreuses des malins démons, contre lesquelles ils eurent à lutter au corps-à-corps, ces Evêques pénitents sont interdits de revenir dans l'Eglise exercer leurs fonctions épiscopales et mener à bien leur irremplaçable tâche pastorale, ce qui constitue un immense manque à gagner pour l'Eglise et pour leurs ouailles, dont le cœur saigne de cette absence désespérante et toujours recommencée chaque jour dans le temps. Or la pénitence efface tous les péchés. « Dans le temps d'une journée, entre l'aube d'un matin et le crépuscule d' un soir, un être peut devenir saint », aimait à redire Père Ambroise. Ces Evêques pénitents, auraient-ils même commis le péché de rompre un temps leurs vœux monastiques, pour avoir trop souffert sur le chemin du monachisme, et désiré, continuant malgré tout sur le chemin du Salut, une épouse à leurs côtés, telle une parèdre amie, « pour mener le bon combat » paulinien, il conviendrait de les rappeler dès qu'ils seraient venus à résipiscence, ce qui est dire au premier jour même de leur pénitence. Car le Seigneur ne demande pas vingt ans de pénitence pour rétablir un être dans son état premier et antérieur, celui d'avant son péché. Et par la pénitence, il l'élève plus haut même qu'il n'était spirituellement avant de tomber. « Vous pécherez », nous disait Papouli, « mais la pénitence vous élèvera plus haut que vous n'étiez avant de chuter ». Il siérait de reconsidérer la canonique ecclésiale relative au mariage des Evêques. L'on voit actuellement des Evêques- Pharisiens, qui se croient purs et sans péchés, et des Evêques-Publicains, qui, ayant conscience d'avoir péché aux yeux des canons plus ou moins récents de l'église, ont fait une longue pénitence, fort douloureuse, devant Dieu. Il conviendrait que les autorités ecclésiastiques rappelassent ces derniers, les réintégrassent et leur rendissent leur fonction pastorale et épiscopale première et originaire. Les Evêques sont actuellement choisis parmi les moines. Il faudrait qu'ils puissent être également choisis parmi les prêtres mariés. Pour Père Ambroise, il était deux voies égales pour mener à la sainteté, le monachisme et le mariage. « Le monachisme », disait Père Ambroise, est seulement la voie la plus rapide pour atteindre à la sainteté. Il figure la branche verticale de la Croix. Le mariage en est la branche horizontale. Le Christ a institué le sacrement du mariage et béni la couche nuptiale de ceux, dit l'office du couronnement, qui sont appelés à « vivre chastement dans le mariage ». Il existe, tout au long de l'Histoire de l'Eglise, une multitude, une myriade de Saints mariés. (Cf L'ouvrage intitulé Married Saints). Les Synaxaires en fourmillent d'exemples. Dans l'histoire de l'Occident même, l'on vit que l'abbaye de Fontevrault, pour ne citer qu'un exemple, au XI° siècle, choisit pour supérieure de ses moines une femme, et une femme qui avait été mariée, comme ayant par là acquis une plus grande expérience de la vie que ses moines. Père Ambroise avait choisi pour lui succéder dans son Eglise en droite ligne, eu égard à la filiation spirituelle, Père Patric, qui n'était qu'un simple prêtre marié, et non un moine. Il faut cesser dans l'Eglise de condamner la chair, la paternité et la maternité. L'Eglise, au sens où ce terme n'est pas entendu dans son acception juste, droite, et orthodoxe, mais où elle est déviée vers l'hérésie Cathare, garde un gros contentieux, un énorme problème à régler avec la chair. En condamnant la chair, en jetant la pierre à ceux qui commettent le « péché de la chair », elle sombre dans le Catharisme. Certes, les moines et les moniales versent leur sang pour ne pas tomber dans le péché de la chair. « Si tu savais, Anna, comme j'ai combattu pour garder ma virginité », me confia un jour en soupirant Mère Eupraxia l'Ancienne, qui avait vécu avec Saint Jérôme dans un même ermitage à Egine. Ces saints moines et ces saintes moniales versent leur sang et ils reçoivent en contrepartie l'Esprit. « Verse ton sang, tu recevras l'Esprit », disent les Pères. Mais il est bien des manières de verser son sang pour le Christ. Pourquoi les Saints mariés n'auraient-ils pas versé ou ne verseraient-ils pas eux aussi leur sang pour le Seigneur, de maintes et maintes autres façons, ou de la même égale sorte ? Si l'on continue dans l'Eglise d'appliquer la canonique au pied de la lettre, l'Eglise va mourir. Ou si l'on pense qu'elle ne peut pas mourir, puisque le Christ sera avec elle jusqu'à la fin des temps, du moins la voit-on désertée des masses intelligentes, lassées de ses excès d'austérité, de son étroitesse d'esprit et de sa psycho-rigidité, qu'y font régner ceux qui la dirigent jusqu'à nos jours sans intelligence intellectuelle ni intelligence spirituelle, l'Esprit Saint, l'Esprit de Sainteté, seul, pouvant conférer, par union divine aux âmes pures, ce qu'il est Lui-même, - l'Esprit d'intelligence. L'Esprit est aussi Esprit de Liberté spirituelle. Il confère la « Liberté » paulinienne « des enfants de Dieu. »(Rom 8, 21). Il faut pouvoir, par la Prière du Coeur, accéder à cette Liberté spirituelle et la retrouver, la recouvrer telle quelle, pleine et entière, cette Liberté originelle qui régnait dans l'Eglise primitive, celle des premiers temps, ce qui est dire l'Eglise Orthodoxe au sens exact du terme. Puisse le Christ-Dieu nous donner de retrouver dans l'Eglise Orthodoxe cette Liberté spirituelle fondamentale et originelle des Enfants de Dieu (Rom 8, 21)! Amin. ANNEXE 4. LA PATERNITE SPIRITUELLE CHEZ LES PERES DU DESERT ET DANS LA TRADITION BYZANTINE Par le Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris. Publié dans la Revue de Théologie Orthodoxe Contacts. (Ce texte inspiré paraît, post mortem, d'autant plus extraordinaire qu'il semble prophétique, le Saint Père Ambroise s'y exprimant comme d'une voix d'outre-tombe, pour décrire le modèle du Père spirituel idéal, pareil à celui qu'il fut véritablement lui-même). “Considère les années des générations passées... Interroge ton Père ( spirituel), & il te l’apprendra. Tes Anciens, & ils te le diront...” La Bible, Deutéronome. 32, 7 Avant d’écrire les lignes qui suivent, nous confessons que, pour le Chrétien Orthodoxe, il n’y a qu’un seul et unique Maître Spirituel, qui est l’Esprit Saint, le Consolateur, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas, et ne le connaît pas. “Vous Le connaîtrez”, disait encore le Seigneur à Ses Apôtres, et à travers eux à tous ceux qui croiraient en Lui, “vous Le connaîtrez, car Il demeurera avec vous et sera en vous...Il vous enseignera toute chose,& vous rappellera tout ce que je vous ai dit...Il vous conduira dans toute la Vérité...car Il ne parlera pas de Lui-même, mais Il dira tout ce qu’Il aura entendu, et vous annoncera les choses à Venir... Sans le Saint Esprit, Esprit de Sainteté, nul ne peut recevoir l’Illumination spirituelle, nul ne peut contempler les Mystères, nul ne peut recevoir la Grâce déifiante, nul ne peut être changé & transformé, nul ne peut enseigner, nul ne peut être ni devenir Père spirituel orthodoxe. Le Seigneur a tracé la voie royale de la perfection : “ Si tu veux être parfait, va, et vends tes biens, distribue-les aux pauvres, et tu auras un trésor dans les Cieux. Puis, viens, et suis-moi.” Les Pères des déserts, cette multitude d’hommes amoureux de Dieu, et plus qu’amants épris de Lui, au sens où Saint Paul dit “ J’ai été saisi, et pris par le Christ”, ont entendu l’appel du Seigneur, et, à cet appel, ont quitté ce monde, pour aller chercher la perfection, la purification et l’union avec Dieu, l’Union divine, dans “ les déserts et les montagnes, les cavernes, grottes, et antres de la terre”, nous dit encore Saint Paul en son Epître. Ils ont pris à la lettre les commandements et préceptes de Dieu, les ont vécus, les ont médités jour et nuit. Pour montrer combien la lutte est âpre, dure, & difficile, les Pères recouraient à cet adage, qu’ils usitaient à l’adresse de leurs enfants spirituels, pour les exhorter à persévérer dans le combat spirituel et la lutte ascétique - (car la constance est une grande vertu spirituelle, et très nécessaire autant que patience et longanimité) : “Donne ton sang, et tu recevras l’Esprit.” C’est pourquoi ils sont devenus des Maîtres et des Pères spirituels,et ont formé cette lignée ininterrompue de Pneumatophores - ce qui dit : Porteurs de l’Esprit (de Sainteté)-, de pasteurs véritables et authentiques, ayant atteint à la simplicité du coeur, la simplicité enfantine, celle de l’enfant spirituel, exigée par le Saint Evangile. “Heureux les coeurs purs...et tous ceux qui, sans cesse, dans les profondeurs de leur coeur, méditent, invoquent, et prient le Nom très glorieux & très désirable du Seigneur Jésus”, écrivent Callixte et Ignace, ces Saints Pères Théophores - ce qui signifie “ Porteurs de Dieu”-. Ceux-là peuvent voir la Lumière incréée en leur Intellect Purifié...et parcourir en Dieu le restant de leur route & cheminement terrestre, marchant dans la Lumière de l’Esprit qui éclaire et illumine l’esprit, le coeur, et l’âme, puisque devenus Fils de la Lumière de la Grâce illuminative et illuminatrice, d’un pas sûr et sans obstacle, la Providence, sans cesse déblayant la voie devant eux, et leur frayant un chemin sans encombres, puisque, dit le Psaume, qui ne ment pas : “ Les Anges te porteront, de crainte que ton pied ne heurte une pierre”, et comme le dit encore Jésus, qui donne la Lumière de Sa Grâce, laquelle est Esprit aussi de Sainteté : “Pendant que vous avez avec vous la Lumière, croyez en la Lumière, afin de devenir fils de la Lumière.” Et aussi : “Je suis la Lumière du monde : Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie.” Et David crie encore la même chose : “C’est en Ta Lumière que nous verrons la Lumière”. Et le divin Paul : “Dieu qui a dit que la Lumière brille au sein des ténèbres, c’est Lui qui a fait luire Sa clarté dans vos coeurs.” C’est par elle (la Lumière de la Grâce), comme de par une lampe inextinguible et toute brillante, que ceux qui croient en Vérité sont guidés mystériquement, et atteignent les choses spirituelles et mystérieuses qui sont au-delà des sens sensibles, et c’est par elle que s’ouvre à eux, par ce qu’ils sont purs de coeur, la porte céleste des Mystères mystiques, les menant en la Vie sublime qui les fait égaux aux Anges dans la chair purifiée. C’est alors que jaillit pour eux, non comme du disque solaire, mais du Christ-Soleil de Justice, le don de scruter, d’examiner, de discerner, de voir, de prévoir à l’avance, avec préscience, et d’autres dons semblables octroyés par la Grâce, & pour tout dire d’un mot, que leur sont sensiblement manifestés et tangiblement révélés les mystères indicibles et ineffables. Ils sont lors emplis en Esprit, en force surnaturelle et divine, au point que, telle une poussière dans le soleil devenue subtile et comme immatérielle, ils s’élèvent et semblent voler dedans l’espace et le temps, et au-dessus de ces repères spatio-temporels même. Par cette Puissance illuminatrice à eux communiquée en l’Esprit Saint, et bien qu’ils fussent encore dans la chair, mais une chair purifiée, certains Pères, tels des Incorporels et des Immatériels, ont traversé des fleuves et des mers, et ont marché sur les eaux comme à pied sec, ont parcouru en un clin d’oeil de longues & interminables routes, ont accompli des prodiges dans le Ciel, sur la terre, sous le soleil et sur le soleil, dans les mers, dans les déserts, dans les villes, les cités, les bourgs, et les campagnes, en tous lieux, pays, et contrées, parmi les fauves et le reptiles, d’un mot dans toute la création entière et parmi tous les éléments...Et à leur mort, leurs corps vénérables portent le caractère de l’Incorruptibilité, laquelle manifeste la Grâce qui les habite, et continue de les habiter, jusque dans leurs Saintes Reliques. et après la Résurrection générale et universelle, par la Puissance illuminatrice de l’Esprit, ils seront élevés, comme ayant des ailes, dans les airs, à la Sainte Rencontre du Seigneur, comme l’a dit l’Initié aux Choses ineffables, le divin Paul, et ils seront toujours avec Lui. Et David chante également : “ Seigneur, c’est dans la Lumière de Ta Face que nous marcherons, et dans Ton Nom nous nous réjouirons tout le jour”, ce qui est dire : "Dans l’Eternité à toujours”. Et se fait entendre la grande voix aussi d’Isaïe : “Mais ceux qui se confient dans le Seigneur prennent des forces nouvelles (d’En-Haut reçues); ils s’élèveront dans leur vol...” “Le Saint Père spirituel”, dit Saint Basile le Grand, est celui qui ne vit plus selon la chair, mais qui vit mené, conduit, et (en toutes choses) guidé par l’Esprit de Dieu; qui, lors, est devenu Fils de Dieu, à l’image du Fils de Dieu. Un tel homme peut être dit & appelé spirituel. ”Il ne suffit pas, pour être un Père spirituel, d’avoir un charisme de l’Esprit, mais il lui sied d’avoir la Grâce en abondance, comme l’on vient de le voir, ainsi qu’Elisée, le Prophète, demandait à Elie son maître spirituel, le prophète : “Que j’obtienne, je te prie, une double part de ton Esprit”. Il faut avoir guéri et maîtrisé ses propres passions avant que d’éclairer les autres. En un mot, il faut d’abord avoir acquis, avant que de pouvoir distribuer à profusion. Il faut être l’Homme spirituel dont Parle l’Apôtre Paul le Divin. Car si l’homme charnel, qui n’entend rien aux Choses de l’Esprit de Sainteté, commet par exemple l’iniquité (l’injustice), si l’homme psychique ne la commet pas, mais ne veut pas la subir, l’Homme spirituel, lui, l’Homme parfait, l’imitateur du Christ, non seulement ne commet pas l’injustice, mais il la subit, en rendant grâces, et ne cherche point à s’en venger, mais à l’épargner à autrui, et à l’annihiler radicalement de la terre des Hommes. Si l’on interrogeait les Pères du désert sur ce que doit être le Père spirituel, ils répondraient avec Abba Poemène que : “ Celui qui en enseigne un autre, il faut qu’il soit lui-même en parfaite santé d’âme & sans passions. Il ne faut pas fonder, construire, édifier, & consolider la maison du voisin au prix de ruiner la sienne propre. Celui qui enseigne les autres & n’effectue ni ne réalise rien de ce qu’il enseigne, est semblable à un puits qui arrose et lave ce qui l’environne, alors que lui-même est plein de toutes sortes d’impuretés.” Abba Hyperechios disait que celui qui enseigne non par des paroles, mais par des oeuvres, est un sage véritable. et un autre Père compare celui qui enseigne seulement en paroles, et sans oeuvres, à un arbre qui a des feuilles et ne porte pas de fruits spirituels... Saint Nil l’Ascète dit que “ ceux qui ont charge d’âmes doivent posséder une parfaite connaissance spirituelle, afin de diriger avec prudence ceux qui lui sont confiés. Ils doivent enseigner avec sagesse tout ce qui regarde le combat spirituel, et ne pas se contenter d’indiquer d’un geste de la main les choses de la victoire contre le Diable, mais diriger la lutte contre l’Adversaire et l’Ennemi des âmes. Car la lutte spirituelle est plus difficile que le combat qui regarde les corps. Dans l’un, ce sont les corps qui ploient, mais peuvent se redresser sans peine. Dans l’autre, ce sont des âmes qui tombent, et risquent de retomber dès qu’elles se sont relevées...” Le même Saint Nil du désert dit en somme que celui qui est encore dans les passions ne peut pas être un guide spirituel. et il illustre son enseignement spirituel en interprétant spirituellement la Sainte Ecriture, prenant comme exemple le roi David, qui voulait construire le temple de Dieu. “ Si celui qui combat encore dans la vie passionnelle, et dont les mains sont couvertes de sang, veut édifier le temple de Dieu avec des âmes raisonnables, il entendra ceci, de la voix de sa conscience mise en lui par Dieu pour le juger & redresser ses voies : “ Ce n’est pas toi qui m’élèveras un temple, car tu es un homme de sang...” Il faut donc être en paix, et pacifié, “de la Paix divine et mystérieuse qui est au-dessus de toute intelligence”, dit l’Ecriture Sainte, pour pouvoir édifier un temple spirituel à Dieu...Voilà pourquoi Moïse prend la tente, et la dresse hors du camp, manifestant par là que le maître spirituel se doit de se trouver loin des bruits de la guerre, loin de l’armée toute éclaboussée de sang, et qu’il doit résider en un lieu de prière & de paix...” Saint Barsanuphe le Grand appliqua rigoureusement la règle de vie de Saint Nil, et vécut Reclus, emmuré en la cellule d’une skite, sise hors du monastère, près de Gaza, en Palestine. Il fut le Père spirituel non seulement des moines de son couvent, mais également d’un grand nombre de Chrétiens. Il ne voyait jamais personne, et l’on correspondait avec lui par petits billets de papier, et par l’entremise de l’Abba du monastère. “C’est dans sa cellule”, écrit de lui Saint Nicodème l’Athonite, “qu’il récolta et goûta le très doux miel de l’hésychia. Il s’imposa une pénitence si rigoureuse qu’il ne trouva de consolation que dans les larmes...Il pouvait se passer de manger, de boire, & ne se vêtait d’autre sorte qu'avec des guenilles, car, sa nourriture, sa boisson, son vêtement, c’était le Saint Esprit...A l’humilité, il lui fut ajouté la plus grande des vertus, peut-être, celle du discernement spirituel...Au discernement, s’ajouta le don de voir & de scruter les raisons mystérieuses et les causes spirituelles des êtres sensibles, et des Etres Intelligibles même. Puis, s’adjoignit en son âme le don de voir les choses lointaines, tout comme si elles étaient proches, le don de prophétie, le don de lire dans les coeurs, & comme à livre ouvert, & le don de connaître les pensées d’autrui....En Père tendre qu’il était, il ne cessait jamais de prier jour et nuit Dieu, pour qu’Il fît de ses frères des Théophores. Voici ses paroles : “ Avant que vous ne le demandiez, par la flamme embrasée qui brûle en moi pour le Christ qui a dit : “ Aime ton prochain comme toi-même”, par les ardentes - brûlantes- brûlures de l’Esprit Saint, je ne cesse jamais, de jour comme de nuit, de prier Dieu de vous faire tous Théophores, d’habiter en vous, d’envoyer en vous l’Esprit Saint...Je suis devenu pour vous un Père, qui met tout en oeuvre pour mobiliser Ses enfants pour le Roi de Gloire...” Saint Barsanuphe est le modèle grandiose du Père spirituel, dont l’ambition est de faire de ses enfants des Porteurs de Dieu. Dans l’amour du prochain, il parvient à la mesure spirituelle d’un Paul, d’un Moïse. “ Crois-moi, frère”, écrivit-il à quelqu’un, “ je suis prêt à dire à mon Maître Jésus Christ, qui se réjouit des demandes de Ses serviteurs : “ Introduis-moi dans Ton Royaume avec mes enfants, ou efface-moi de Ton Livre de Vie éternelle.” L’Art, la manière d’enseigner du Père spirituel est toujours vivant, simple, comme une parabole de l’Evangile. Souvent, les exemples sont pris dans la Sainte Ecriture, comme dans le suivant, où Dieu dit à Ezéchiel : “ Toi, fils de l’homme, prends une brique, pose-la devant toi, et dessine sur elle une ville : “Jérusalem”. - & c’est la Jérusalem céleste.- Par là, il est signifié, selon les Pères, que le maître spirituel doit faire de son disciple, qui est sur terre, un temple saint. “ Souligne bien”, dit Saint Nil, “ les mots : “ Pose-la devant toi”, car les progrès spirituels du disciple seront rapides si celui-ci se trouve en permanence sous les regards de son Père spirituel. Le spectacle continuel des bons exemples donnés par le Saint Père imprimera des images semblables dans les âmes les plus sèches & les plus endurcies...” Puis, un nouvel exemple est emprunté à l’Ecriture : Judas a trahi dès qu’il s’est soustrait aux regards du Maître. Voici une autre manière usitée, celle d’un des Pères du Désert, pour redresser l’un de ses Fils venu le consulter. “- Je viens te trouver, Père”, dit-il, “ pour te dire que je vais attaquer en justice un voisin qui me fait beaucoup de tort...” “- Fais comme bon te semble,”lui répondit l’Ancien. “-J’y vais donc de ce pas. “Va. Mais, auparavant, prions un peu.” Et l’Ancien se mit en prière, & récita le Notre Père. Parvenu aux paroles : “ Remets-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs...,” l’Ancien dit ceci : “ Ne nous remets pas nos dettes, comme nous ne remettons pas à nos débiteurs.” “- Père!”, le coupa l’autre, “tu te trompes ! Ce n’est pas ainsi...” “- Mais”, repartit l’Ancien, “ n’est-ce pas cela que tu as décidé de faire?” Et le Chrétien partit spirituellement édifié, instruit, le regard intérieur tourné sur sa faute. Le Saint Père Spirituel, celui qui véritablement un maître, dit Saint Cassien le Romain, est indispensable à celui qui veut pratiquer l’Art Spirituel. ( & ce, dans les premiers temps surtout de son initiation à la vie spirituelle). Si pour les arts & les sciences humaines nous avons des leçons à recevoir, & s’il nous faut nous en instruire, par devoir, dans le but & la visée d’y progresser notablement, bien que ces choses soient pour nous à portée de mains, d’yeux, & d’oreilles, s’il ne nous en faut pas moins un maître éprouvé pour nous y diriger doctement, n’est-ce pas folie que de prétendre apprendre sans maître l’Art Spirituel, lequel est l’Art de tous arts le plus difficile, un art caché, mystérique, secret, invisible, où la Grâce mystérieusement agit, & tel que celui-là seul peut le saisir qui a le coeur purifié? Echouer en cet art n’est point simplement dommageable. Mais il y va de la perdition & de la mort éternelle de l’âme. Aussi est-ce à un Saint Père orthodoxe, & à un Saint seulement, qu’il nous faut confier notre âme néophyte comme à un maître en l’Art des arts. “ On ne peut apprendre de soi-même la science des vertus”, enseigne encore un autre Père, Saint Grégoire le Sinaïte, bien que certains aient recouru à l’expérience comme maître. Celui qui agirait ainsi, & ne prendrait pas conseil auprès de ceux qui ont progressé est un présomptueux. Si le Fils ne fait rien qu’Il ne voit faire au Père, si l’Esprit Saint ne parle pas de Lui-même, quel est donc celui qui peut prétendre être monté si haut dans la vertu sans personne pour l’initier? Folle témérité! S’il croit posséder la vertu, il se trompe. Remettez-vous donc à ceux qui connaissent les douleurs de la vertu pratique, c’est-à-dire le jeûne jusqu’à la faim, la chaste continence, les veilles prolongées dans la nuit, les prosternations épuisantes, jusqu’au nombre de trois cents & plus pour les moines Grands Schèmes du Grand Habit Angélique, la station debout & immobile, la Prière persévérante, l’humilité véritable, la contrition du coeur, les soupirs incessants invoquant l’Esprit, le silence béni enveloppant la Prière du coeur, &, en toute chose, la Longanime Patience... L’Ecriture Sainte dit bien : “Tu mangeras les peines & douleurs de tes vertus”, et aussi : “ Le Royaume des Cieux appartient à ceux qui en forcent l’entrée.” Bien qu’il ait vécu en ascète dans la pratique de toutes les vertus, un souci préoccupait Saint Grégoire le Sinaïte : celui de trouver un homme spirituel qui fût en mesure spirituelle de le conduire & mener là où il n’était pas parvenu de lui-même, car il sentait au fond de son coeur comme un vide encore qu’il fallait combler, & le besoin d’apprendre ce que les Anciens qu’il avait connus ne lui avaient pas enseigné. “ Dieu exauça sa demande, & lui donna le guide spirituel qu’il cherchait. Il révéla à un certain Père Arsène, Anachorète, l’existence de Grégoire, & son désir ardent de s’élever plus haut encore sur les cîmes spirituelles. Arsène, poussé par le Saint Esprit, se rendit chez Grégoire, qui le reçut avec joie. Après les salutations d’usage, propres aux moines, le vieillard & Saint Ancien Arsène commença de parler, comme s’il lisait en un Livre divin. Il parla de la garde de l’intellect, de la purification du coeur, de l’attention & de la vigilance neptique, de la Prière intellective et hyper-noétique, dévoilant comment l’intellect se purifie par la pratique des commandements & préceptes divins, & comment l’esprit devient Lumière, sous l’effet de la Grâce déifiante. Puis, s’adressant à Grégoire, il lui demanda : - A toi, donc, mon fils, quelle est ton labeur et oeuvre spirituelle ? Le divin Grégoire lui exposa tout ce qu’il avait fait depuis le commencement : sa séparation d’avec le monde, son amour de la solitude, tous les combats qu’il y avait livrés... Le divin Arsène, qui connaissait parfaitement la voie fort ascendante qui mène aux sommets de la vertu, sourit, et lui dit : “- Tout cela, mon Enfant, tout ce que tu viens de me conter se dénomme, selon les Pères Théophores, “Praxis”- “Pratique”-, & non point encore Théoria - “Contemplation.” En entendant ces paroles, Grégoire tomba aux pieds de l’Ancien, & le supplia, au Nom du Seigneur, de lui enseigner ce qu’était la Prière intellective & hyper-noétique, l’hésychia priante, la garde de l’intellect, & la Prière du coeur. Arsène prit occasion, sans perdre plus de temps, d’entreprendre là d’initier son nouveau disciple, & de lui communiquer tout ce que lui-même avait reçu de la Grâce divine. Dans l’Orthodoxie, ce n’est pas la règle qui fait le moine, mais le Saint Père & maître spirituel. Nous avons connu des moines qui ont quitté leur monastère pour aller vivre auprès d’un saint Père spirituel, puis en chercher à nouveau un autre après la mort de ce dernier. Saint Grégoire a formé des disciples dignes du Royaume des Cieux. C’est lui qui a manifesté au monde Saint Maxime le Kavsokalyvite - le Brûleur de cabanes-, qui jusque là errait dans les déserts Athonites, se faisant passer pour fou. Un maître et Père spirituel non manifesté par un autre, non recommandé, dirions-nous, par un autre maître connu de ses Pères & éprouvé par ses fils spirituels, est un faux maître, & peut-être même un gourou, dont il faut se garder. Le Christ se réfère à Son Père, & le Père le manifeste au monde. Il a deux témoins lors de son baptême dans le Jourdain, le Père & l’Esprit, descendu sur Lui sous forme de colombe. L’Esprit ne parle pas de Lui-même, mais Il dit ce qu’Il a entendu auprès du Père. Nous avons souvent entendu chez les Anachorètes poser la question suivante : “ De qui es-tu disciple? De quel Saint Père & maître spirituel? ”, qu’ils se posent lorsqu’ils se rencontrent la première fois, pour savoir aussitôt à qui ils ont affaire & nous avons entendu de Saints moines avouer aussi qu’ils ne se déplaçaient pas toujours pour aller accueillir les pèlerins qui leur arrivaient, fût-ce de très loin : “ Cela dépend de qui il s’agit”, disaient-ils, &, traduisant en anglais, au cas où l’on ne les aurait pas compris : “ It depends on who it is.” Car les Saints ont aussi entre eux leurs “ V.I.P” - “Very Important Persons”-. Revenons à Saint Grégoire & à son disciple Kalliste, qui devint plus tard Patriarche de Constantinople, & pénétrons, grâce à celui-ci, dans la sphère intime et la familiarité de son maître, par le récit & l’entretien qui suit : “- Je le questionnais d’une manière simple & dépourvue de curiosité, quand je le voyais sortir de sa cellule, le visage en joie...Et il me disait : - L’Ame qui s’attache à Dieu, qui a été blessée de Son amour, qui est montée & s’est élevée au-dessus de toute la création, qui vit au-dessus de tout le visible, qui est tout entière enchaînée par le désir de Dieu, ne peut plus se cacher tout-à-fait totalement ni complètement à la vue des autres. Car la Grâce, de toutes parts transpire de cet être, et jusqu’au plus loin de lui rayonne mystérieusement, & surpuissamment. Du reste, le Seigneur Lui-même annonça de tels prodiges, lorsqu’Il dit : “ Ton Père, qui voit dans le secret (des coeurs) se manifestera au vu & su de tous.” Et encore : “qu’ainsi brille votre lumière devant les hommes, afin que, voyant vos oeuvres bonnes, ils rendent gloire à votre Père qui est dans les Cieux.” Car le coeur danse de joie, l’esprit tressaille d’allégresse, le visage rayonne de joie, selon le Sage qui a dit : “ Le coeur en liesse fait de joie resplendir le visage.” - Je lui dis encore : “Divin Père, enseigne-moi, pour l’amour de la vérité, ce qu’est l’âme,& comment les Saints la prennent en vue. Oui, dis-moi : Comment la considèrent-ils? Lui, accueillant favorablement ma requête, & avec toute la sérénité tranquille qui lui était coutumière : “ Très cher enfant spirituel”, me répondit-il, “ ne cherche pas ce qui est au-dessus de ta portée, & n’examine pas ce qui est plus profond que toi. Devant la question d’importance que tu viens de poser, tu n’es encore qu’un enfant, ce qui est dire spirituellement imparfait. Tu ne peux ingérer encore une nourriture solide, non plus qu’appréhender ni saisir des choses qui sont au-dessus de ta mesure spirituelle, & dont la compréhension, de ce fait, par imparticipation à leurs faits mystériques, t’échappe. La nourriture solide & substantielle des hommes faits ne convient pas aux nourrissons qui ne peuvent absorber & digérer que du lait. Je tombai à ses pieds, et les pressai fortement, le suppliant avec plus d’insistance encore de m’en donner l’explication. & lui, condescendant à ma prière, me dit, quoique très brièvement, & comme en passant, &, par souci d’humilité, comme l’air de rien : - Si quelqu’un ne voit pas la résurrection de son âme, il ne peut apprendre ce qu’est exactement l’âme spiritualisée toute. De nouveau, insistant respectueusement, je le priai de m’en dire plus : - Montre-moi, Père, si tu es parvenu au sommet de cette ascension spirituelle, c’est-à-dire si tu as appris, toi, ce qu’est l’âme spiritualisée toute, entièrement devenue spirituelle. Lors, c’est avec beaucoup d’humilité qu’il me fit cette réponse, toute simple,& confondante, en vérité, de sainte simplicité : - Oui. - Pour l’amour du Seigneur, repris-je alors, enseigne-moi encore cela, pour le bien de mon âme. Cette âme divine & toute vénérable satisfit alors à mon saint désir, & me dispensa cet enseignement si spirituel : - Lorsque l’âme a mis toute sa volonté entière à combattre les passions par le moyen et truchement de la mise en oeuvre de toutes les vertus pratiques, avec la raison surrationnelle & le discernement spirituel, peu à peu elle les réduit, & progressivement se les soumet . Après les avoir soumises, elle cultive les vertus naturelles qui l’enseignent et la conduisent aux choses qui sont au-dessus de la nature, l’y faisant monter comme par une Sainte Echelle spirituelle, dont les degrés sont les vertus. Quand l’intellect purifié, par la Grâce du Christ, & désembarrassé de toute pensée mauvaise, est parvenu dans la sphère supérieure qu’est le monde spirituel, il est alors illuminé par la Lumière du Saint Esprit. Il s’élargit lors, lumineusement, dans la Contemplation des Choses Saintes, il s’élève au-dessus de lui-même, se dépasse, & se surpasse, selon la mesure de la Grâce de l’Esprit de Sainteté que Dieu lui a répartie, et il voit plus clairement, plus purement, jusqu’en leur intime, la nature profonde des êtres, selon l’ordre & la relation qui leur sont propres, & non plus comme spéculent, en un rapport d’extériorité, les philosophes du dehors, qui ne perçoivent que l’ombre des choses, & qui ne cherchent pas à suivre, comme il convient, l’opération de la nature. Car, comme l’enseigne l’Ecriture divine, “ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, & leur coeur sans intelligence s’est rempli de ténèbres.” Mais l’âme qui a reçu les embaumantes arrhes de la Grâce du Saint Esprit, par les fréquentes Contemplations qu’elle a des choses d’en bas & d’En Haut, peu à peu délaisse ce qui est en bas, pour ne plus monter & s’élever que vers ce qui Est En Haut, le plus Divin. Comme le dit Saint Paul aux Philippiens, “ oubliant ce qui est derrière moi, & m’élançant vers ce qui est devant moi, je cours vers le but suprême...” L’âme, ainsi éclairée & illuminée par l’Esprit de Sainteté, brille, resplendit, scintille, & lumine toute. Elle est peu à peu élevée jusque sur les sommets de la Contemplation. Unie à l’Epoux Céleste, Christ, par l’immortel Eros - car cet amour pour Dieu est pour le Saint Erotique Divine-, elle s’entretient continûment avec Dieu, comme dialoguant toujours avec Lui, qui surabondamment la comble, & de Ses richesses l’adorne.” “ Lorsqu’on rencontre & que l’on trouve de tels maîtres spirituels, “ dit Nil l’Ascète, “ les disciples se doivent lors, dans les premiers temps, de renoncer à eux-mêmes, & à leurs volontés propres, au point de ne différer plus presque d’un corps inanimé, pour devenir telle la matière docile, ductile,& le matériau façonnable de la glaise montant au tour entre les mains heureuses du Saint Potier qui lui confère forme, art, & signification... Car c’est ainsi, oui, c’est ainsi que travaille la vertu le maître chez ses disciples bénis, lors, par ses saintes Prières, devenus dociles assez, dans leur si grand soif d’apprendre les Mystères de son Art, pour ne le contredire jamais, le sachant Saint. “ Ne te leurre donc pas, mon Enfant, en te croyant capable de te guider tout seul dans le labyrinthe ardu des Choses Spirituelles,” conseille Abba Poemène. “ Va te soumettre à un Ancien, & laisse-le te diriger en tout.” Un autre Père du Désert, instruisant un Novice, lui disait : “ Sois, frère, comme le chameau. Charge-toi de tes imperfections, & laisse-toi guider par un Père spirituel sur la voie sainte qu’il connaît mieux que toi, ô combien! incomparablement.” Car le fils spirituel auprès de son Saint Père a la semblance d’un nain aux côtés d’un géant; sa lumière est celle d’une lanterne sourde auprès d’un astre irradiant son irrésistible chaleur; et sa science est celle d’un néophyte se mesurant à un génie de l’humanité, hélas! “ Si l’on veut critiquer les recettes de vie auxquelles recourt le maître, l’on ne progressera jamais, car ce qui, aux yeux du disciple, peut paraître sans importance, voire insensé,” dit encore Saint Nil, est en vérité fort bon, & de très longue date, et du tréfonds, et de Très Haut éprouvé. Celui qui est artiste, & celui qui ne l’est pas, & ne comprend rien à l’art, jugent différemment l’oeuvre d’art. Le premier a la science pour règle, ou plutôt il donne à la nature son génie pour seule & unique règle de tout, que, pour finir, il lui impose, de par la force de son art, & le second n’a pour critère que la ressemblance aux choses déjà vues, conformes à ses préjugés banals & préventions indigentes.” L’on dit qu’Abba Jean le Kolobe, avant de devenir ascète, vécut de longues années, sous la direction spirituelle d’un Ancien, dans la Thébaïde. Son maître, au commencement, qui voulait l’éprouver, un jour le prit, & lui fit faire une interminable & harassante marche de douze longues heures, depuis leur hutte de branchages jusqu’en un lieu aride de désert. Là, l’Ancien prit son bâton, le piqua dans la terre, & ordonna au jeune Jean, son disciple, de venir tous les jours l’y arroser, en y venant porter un lourd seau d’eau depuis sa hutte, située, donc, nous l’avons vu, à douze heures de là. Le bon disciple fit nonobstant avec zèle ce que son maître & Père spirituel lui avait enjoint de faire. Et, trois ans après, voici que le bois sec reprit vie, & se mit à produire des noix fraîches. L’Ancien les cueillit, &, le dimanche suivant les apporta aux ermites, qui, une fois la semaine, ce saint jour, se retrouvaient à l’église. Après l’office divin, il les leur distribua donc, leur disant : “ Venez, frères, & goûtez aux fruits de l’obéissance.” Abba Hyperéchios disait que l’obéissance était le joyau le plus précieux du moine. Celui qui le possède sera exaucé de Dieu, & entrera dans la familiarité du Crucifié, qui s’est fait obéissant jusqu’en mourir. Saint Marc l’Ascète, fidèle à la Tradition des Pères Saints, enseigne de même : “ Il est dangereux de vivre seul, selon sa fantaisie, sans nul témoin, ou avec des hommes sans expérience réelle du combat spirituel. Les machinations du Mauvais sont innombrables, celées, et fort dissimulées, & ces pièges de l’Ennemi sont de surcroît divers et variés, & partout habilement posés & disposés. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, il faut s’appliquer à vivre avec des hommes sages & vertueux, ou les voir fréquemment. Quand on ne possède pas la lampe de la connaissance véritable, pour n’avoir pas atteint encore l’âge spirituel des parfaits, étant encore enfant inexpérimenté de ces pièges de l’Ennemi des âmes, il sied de suivre celui qui possède, porte, et tient haut la lampe, en manière de ne pas marcher à l’aveugle pour trébucher dans les ténèbres, de ne s’exposer pas aux périls des tumultueux orages, & des froids intenses, et ne courir point le risque de tomber tout vivant en la gueule des fauves anti-spirituels qui peuplent ces ténèbres, & s’emparent, pour les dévorer tous crus, jusqu’à l’os de l’âme, de ceux qui marchent dans le noir de leurs âmes égarées, sans la lampe spirituelle de la divine Parole de l’Esprit du Verbe.” Relativement à cette fréquentation de sages hommes saints, plus d’une histoire de Désert nous viennent à l’esprit: Un Ancien disait que celui qui entre dans une parfumerie, même s’il n’achète rien, en ressort tout imprégné de bonnes odeurs & de suaves effluves. La même chose advient à celui qui fréquente de saints hommes, car il s’imprègne, sans même s’en aviser parfois, du parfum de leurs embaumantes vertus. “ Trois Anciens”, lit-on dans la Vie de Saint Antoine, “ avaient coutume de se rendre une fois l’an au Mont de l’Abba Antoine, pour y recevoir l’enseignement spirituel du grand Saint. Une fois, deux d’entre eux lui posèrent des questions sur l’ascèse de l’âme & du corps, pour donner ainsi au Saint occasion d’épancher la Sagesse divine qui jaillissait de ses lèvres saintes. Le troisième écoutait en silence, & ne posait nulle question. Le Saint lui dit alors : - “Depuis tant d’années que tu me viens visiter, tu n’as pas encore posé une seule question. Ne veux-tu rien apprendre de l’ascèse?” - “Il me suffit de te regarder, Abba”, repartit l’autre Ancien. Cela m’a beaucoup enseigné”. De tout ce qui précède, nous apprenons qu’il n’est pas d’autre voie sûre que celle de confesser tout le jour ses pensées, dans l’entretien spirituel, & la vie quotidienne aux côtés de l’Ancien & des Pères qui ont le don de discernement spirituel, de ne recevoir que d’eux seuls la règle de leur conduite dans la vertu, & de ne se fier jamais à son jugement propre...Car, se confesser à quelqu’un qui n’a pas & ne possède pas le discernement spirituel, non plus qu’il n’a davantage l’expérience pratique & théorétique de la vie spirituelle, c’est risquer sa propre perte, & jusqu’à la sienne ensemble. Abba Poemène conseille donc de ne pas livrer ni confier le secret de sa confession à quelqu’un sur qui notre conscience ne nous avertit pas de ce qu’il est réellement au fond de lui. Abba Cassien et la suite de ses moines visitèrent Abba Moïse - qui fut un ancien brigand Ethiopien devenu, par la vertu de la pénitence, l’un des plus grands Saints, des plus illustres, et des plus réputés du désert-, et ils l’interrogèrent sur la confession des pensées. Moïse leur répondit : “ Il est très bon, mes enfants, de ne pas celer ni cacher ses pensées aux Pères, mais de les confesser librement & purement. Il ne faut pas écouter ses jugements propres, ni se fier à soi, mais se soumettre sans restriction à ceux des Pères Saints. Il ne faut cependant pas davantage livrer à n’importe qui les secrets de son coeur, mais à des Anciens seulement, devenus spirituels, qui savent discerner, qui ont le bon témoignage de beaucoup de leurs Pères, & non point seulement des cheveux blancs & chenus. Car, nombreux sont ceux qui s’attachent à la forme extérieure du Père, & croyant livrer leurs pensées à un Saint, c’est à un gourou égaré qu’ils les dévoilent; lors, au lieu de la guérison spirituelle, c’est le désespoir qu’ils en obtiennent, à cause de l’inexpérience de ceux qui les ont entendus, & de l’abus de confiance & de liberté qu’ils en ont fait.” Saint Maxime le Cavsocalyvite - le Brûleur de cabanes, car il brûlait toutes ses cellules l’une après l’autre, à crainte de par trop s'y attacher- fut ainsi la victime, d’abord, d’un confesseur inexpérimenté & usurpateur de cette fonction Spirituelle de confesseur, auquel il avait confessé ses visions spirituelles, & l’apparition de la Mère de Dieu, qu’il avait encontrée au sommet du Mont Athos. Lequel faux confesseur le traita, lui, d’égaré & de fou. Mais, ce fut une Grâce pour Saint Maxime, qui usa de cette catégorisation arbitraire et erronée, & de l’épithète même, discriminante, diffamante, humiliante, & vexatoire, “d’égaré”, pour se préserver de la louange des hommes, criant à tous ceux qui tentaient de l’approcher : “ Eloignez -vous de moi, je ne suis qu’un égaré.” “Les Pères expérimentés”, enseigne Cassien le Romain, ne se meuvent pas d’eux-mêmes, mais leur motion et leur agir sont célestes, car c’est Dieu, l’Esprit de Grâce Providente, et ce sont les Ecritures inspirées aussi qui les meuvent. Qu’il faut interroger ceux là seuls qui sont avancés dans la vertu, c’est ce que l’on peut apprendre de par nombre de passages de l’Ecriture Sainte, comme dans la vie de Saint Samuel, qui fut, tout enfant, consacré à Dieu par sa Mère, qui fut digne de converser avec le Seigneur, & qui pourtant ne se fia point à son jugement, & s’en fut consulter son Père spirituel Eli, pour apprendre de lui ce qu’il devait répondre à Dieu. Et bien que Dieu l’eût, par Son appel, rendu digne de Lui, Il continuait de le vouloir soumis à son Père spirituel, afin de le faire progresser dans l’humilité. De même, le Christ qui choisit Paul, & l’appela, sur le chemin de Damas, eût pu lui ouvrir immédiatement les yeux, et lui montrer aussitôt, et d’emblée, la voie de la perfection spirituelle. Et cependant, il l’envoya d’abord à Ananie, et lui enjoignit d’apprendre de ce dernier la voie de la vérité, lui disant : “ Lève-toi, rentre dans la ville, & là, l’on te dira ce que tu devras faire.” Par là, & de telles choses, il nous est donc enseigné de nous laisser guider par ceux qui sont parfaits...” Je montai,” dit Paul, “ à Jérusalem, pour voir Pierre & Jacques, pour leur exposer l’Evangile que je prêchais, de peur de courir ou d’avoir couru en vain”, & ce, bien que la Grâce du Saint Esprit le suivît dans la puissance des miracles qu’il accomplissait. Quel est l’orgueilleux & le présomptueux qui osera se fier à son propre jugement sur lui-même, quand le vase d’élection confesse qu’il a besoin de l’avis des Saints Apôtres? Il est donc clair - et ces faits le démontrent- que le Seigneur ne révèle à personne la voie de la perfection, si ce n’est à ceux qui y sont guidés par leurs Pères spirituels, & si & seulement si encore ceux-ci sont véritablement Saints & Orthodoxes. C’est pourquoi Dieu dit par le Prophète : “ Interroge ton Père, & il te l’ apprendra, tes Anciens, et ils te le diront...” Comme l’Apôtre, le Saint Père Spirituel connaît les douleurs de l’enfantement spirituel, dans les attaques des démons déchaînés contre lui, car les démons revendiquent & convoitent à mort l’âme du fils spirituel, dit Nil l’Ascète, & viennent le troubler de nuit comme de jour, suscitant contre lui les calomnies, les difficultés de toutes sortes, les dangers, & les périls sans nombre, jusqu’à leur cessation, après que l’Ascète a remporté le prix et trophée de la victoire spirituelle sur le Diable. “Il advient parfois, ” dit Saint Jean le Carpathe, que le maître se livre au déshonneur, & subisse des épreuves pour le bien de ses disciples. “ Nous sommes sans honneur et méprisé, vous, vous êtes glorieux et forts en Christ”, écrit Paul aux Corinthiens. Saint Syméon le Théologien fut attaqué par ses propres moines, incités & excités à ce faire par le diable. Le Patriarche de l’époque, affecté par leurs calomnies, les condamna à l’exil, mais, sur la demande et les Prières du Saint revint sur sa décision, & se contenta de les disperser. Mais, en bon berger qu’était le Saint, ne pouvant souffrir de voir sa bergerie & son bercail vides, il se mit en quête de les retrouver tous, & leur fit parvenir ce qui était indispensable à leur vie et subsistance. Il s’en alla les trouver ensuite un à un, leur demandant pardon comme s’il les avait offensés. C’est ainsi qu’au bout d’un temps, il parvint à les rassembler tous dans son monastère. “ Reçois donc et écoute avec piété les instructions spirituelles & divines des Pères. Les Choses Spirituelles sont inaccessibles à ceux qui manquent d’expérience spirituelle”, dit Saint Macaire. La communication et communion du Saint Esprit, - c’est Esprit de Sainteté - , est octroyée en don à l’âme fidèle, puis sainte...C’est à celui qui a acquis l’expérience que sont sensiblement et tangiblement manifestés les trésors célestes de l’Esprit. Mais, celui qui n’est pas initié n’y peut absolument rien comprendre.” Or donc, nous apprennent encore les Saints Kalliste et Ignace ceci même : “ Ecoute donc avec piété ce que ton Père Saint te dit de ces Choses, jusqu’à ce que tu deviennes digne de les recevoir à ton tour. Tu verras alors, par les yeux expérimentés de l’âme, à quels biens supérieurs et à quels Divins Mystères les âmes des Vrais Chrétiens Orthodoxes peuvent dès ci-bas communier mystériquement...” (R.P.)Révérend Père Ambroise (Fontrier). FIN
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RépondreSupprimerÉmouvant et intéressant témoignage
RépondreSupprimerDenis Michalak, qui ai connu nombre des personnes citées ici - arrivé en 98 à Sébastopol avec le futur père Maxime ;-)
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