mercredi 29 mai 2019
Miterikon. Vies des Saintes Femmes de l'Eglise Orthodoxe.
MITERIKON (Livre des Mères).
Récits et Vies
des Saintes Mères du Désert,
des Ascètes et des Saintes Femmes
de l'Eglise Orthodoxe.
Tome 2.
Ed. de la Fraternité Sainte Macrine.
Thessalonique 1991.
Traduction,
sur le grec ancien et sur le grec moderne,
de Presbytéra Anna,
pour les
Editions de La Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas
30, boulevard Sébastopol 75001 Paris
Tous droits réservés.
ANASTASIA DE CHYPRE
1. Une femme, originaire de la même ville que Saint Jean de Chypre, entendit dire que le Saint arrivait de Rhodes, et que s'était présenté à lui un ange du Seigneur, qui l'avait averti qu'il était appelé par notre Seigneur. Elle savait qu'elle avait commis un si grand péché qu'elle croyait que des oreilles humaines ne pouvaient pas même l'entendre l'avouer. Elle s'arme d'une foi qui ne laisse pas place à l'hésitation, se rend en courant chez le Saint, se jette à ses pieds en fondant en larmes, le supplie et lui dit, par manière de confidence : " Ô trois fois bienheureux, je suis tombée dans un péché si grave que nulle oreille humaine ne pourrait l'entendre. Je sais que si tu veux, tu peux me pardonner. Le Seigneur a dit aux prêtres : " Tout ce que vous délierez sur terre sera délié dans le ciel et tout ce que vous lierez sur terre sera lié au ciel." Et encore : " Si vous pardonnez les péchés des autres, ils leur seront pardonnés, mais si vous les retenez, ils leur seront retenus"". 2. Le Saint, à entendre de cette femme de telles paroles, craignit que s'il ignorait sa supplique il ne devînt cause qu'elle fût châtiée, cependant qu'elle pouvait être sauvée grâce à la grande foi qui était sienne, et il lui dit humblement : " Si véritablement tu crois, femme, que Dieu, par mon humble entremise, te pardonnera le crime que tu dis, confesse-le moi." "Mais, par le Dieu qui te protège, nul homme ne pourra soutenir cet aveu, Monseigneur", lui répondit-elle. Le Saint se reprit alors à lui dire : " Si tu as trop honte, va l'écrire, selon l'instruction que tu as reçue dans les lettres, et apporte-le moi". " En vérité, Monseigneur, je ne puis m'y résoudre", lui répondit-elle. Demeurant quelque temps silencieux le Saint lui demanda : " Ne peux-tu pas l'écrire sur une feuille, sceller la lettre, et me l'apporter?" "Si, Monseigneur, cela je pourrai le faire. Mais je t'en conjure, par ta vénérable âme angélique, fais en sorte que cette lettre ne tombe jamais entre les mains de personne", lui dit-elle. Le Saint lui donna sa parole que nul d'entre les hommes n'ouvrirait jamais sa lettre ni ne la lirait. Elle alla donc écrire de ses mains son péché sur une feuille, scella la lettre et la porta au bienheureux. Celui-ci la prit et, cinq jours plus tard, il mourut sans donner à quiconque nulle injoonction ni nulle directive, absolument, à suivre, relativement à cette lettre. 3. Par le fait du hasard, ou plutôt par un effet de la divine Providence, cette femme n'était pas à la ville le jour où le patriarche passa paisiblement de cette vie dans l'autre, pour ce que, comme je le crois, le Seigneur voulut montrer de quelle familiarité jouissait son serviteur auprès de lui. Anastasia, - ainsi se dénommait cette femme -, arriva après le jour où la vénérable dépouille du Saint avait été ensevelie avec honneurs dans l'église du Saint thaumaturge Tychône, dont il a été question supra. A peine eut-elle appris la dormition du Patriarche qu' aussitôt elle fut hors d'elle et devint comme folle, croyant que la lettre qu'elle lui avait donnée était restée à l'archevêché, en sorte que son péché allait devenir manifeste et connu de tous. Elle s'élança en hâte, courut, et, recouvrant en son âme sa première foi inébranlable, elle parvint à la dépouille du serviteur de Dieu; elle s'approche alors de lui comme s'il était véritablement vivant et se met à le supplier par ces mots qu'elle lui crie du fond de l'âme : "Homme de Dieu, je n'ai pas pu t'expliquer mon crime, qui était infiniment trop lourd. Or à présent, voici peut-être qu'il est devenu manifeste et connu de tous. Ah! Jamais je n'aurais dû te livrer mon secret. Malheur à moi! En croyant que j'allais être délivrée de ma honte, je suis devenue la risée de tous. Au lieu de ma guérison j'obtiens l'avilissement. Qu'a-t-il fallu que je te confesse mon problème? Mais je ne me lasserai pas de t'importuner, ni perdrai la foi que j'ai en toi, ni non plus je ne cesserai de pleurer devant ta dépouille, qui est une relique, jusqu'à ce que j'en vienne à savoir ce qu'il adviendra de ma supplication. Tu n'es pas mort, ô Saint, mais tu n'es qu'endormi. Il est écrit : " Les justes vivront éternellement.""Et, répétant sans cesse les mêmes mots : " Je ne te demande rien d'autre, ô homme de Dieu, que d'assurer mon coeur de la vérité des faits : Qu'est donc devenue la lettre que je t'ai donnée?" 4. Dieu, donc, qui dit un jour à la Cananéenne : " Ta foi t'a sauvée", voulut aussi sauver cette femme. Il la rassura et la guérit comme une nouvelle Cananéenne. Trois jours entiers elle endura de demeurer, sans rien manger absolument, auprès de la tombe de ce Saint qui, toute sa vie durant, avait vénéré Dieu. La troisième nuit, cependant qu'elle endurait cette dure épreuve, mais que, demeurant pleine de foi, elle répétait toute en larmes ces mêmes paroles au Saint, voici soudain que se relève visiblement de sa tombe le serviteur de Dieu, ainsi que les deux Evêques qui étaient ensevelis avec lui, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. " Jusques à quand, femme", lui dit-il alors, troubleras-tu la paix de ceux qui sont ensevelis ici? Laisse-les à leur hésychia paisible. Tes larmes ont trempé nos habits." Sur ce, il lui tendit sa même lettre scellée : " Prends-la", lui dit-il. " La reconnais-tu bien? Ouvre-la et vois!" Et revenant à elle après cette apparition, elle vit les Saints retourner à leurs tombes, tandis qu'elle-même tenait sa lettre en mains. L'examinant bien, elle vit que le sceau en était intact et que la lettre n'avait pas été ouverte. Elle l'ouvrit donc et découvrit que les caractères en avaient été effacés, et qu'y figurait à la place une mention qui disait : " Par l'entremise de Jean, mon serviteur, ton crime a été pardonné." *** SAINTES ANONYMES I. 1. Les Saints Pères Théonas et Théodore racontaient l'histoire suivante : "Une jeune fille d'Alexandrie perdit ses parents et se vit demeurer toute seule à la tête d'une grande fortune. Elle n'était ni Chrétienne ni baptisée. Un jour qu'elle se promenait dans son jardin, elle aperçut un homme qui s'apprêtait à se pendre. Elle court à lui et lui crie : "Qu'allais-tu donc faire, ô homme?" " Laisse-moi, femme, " lui répondit-il, " je suis désespéré". "Dis-moi la vérité, " lui dit la jeune fille, " et peut-être pourrai-je t'aider." " J'ai emprunté beaucoup d'argent," lui confessa-t-il, "et mes créanciers me harcèlent. J'aime mieux mourir au plus vite plutôt que de vivre une vie si terrible pour moi, et de subir cette tyrannie". " Je t'en prie," le supplia celle-ci, prends tout ce que j'ai et donne-le à tes créanciers, pourvu que tu ne te suicides pas." Celui-ci prit alors à sa bienfaitrice que lui envoyait Dieu tout ce dont il avait besoin, et il remboursa sa dette. 2. Depuis lors la jeune fille fut dans le besoin et contrainte de se prostituer. Il ne se passa guère de temps qu'elle ne tombât malade. Et, ressentant du remords et de la contrition, elle reprit ses esprits. Elle se mit à supplier ses voisins : " Au nom de Dieu, ayez pitié de mon âme, et demandez au Patriarche d'Alexandrie qu'il me fasse Chrétienne." Mais tous se gaussèrent et se moquèrent d'elle : " Qui voudra de toi, qui n'es qu'une catin?" Ce qui plongea son âme dans une grande affliction. Tel était donc l'état où elle se trouvait - noyée de chagrin - lorsque se présenta à elle un ange du Seigneur, sous la forme et avec la figure de l'homme dont elle avait eu compassion : " Qu'est-ce qui te tourmente donc ainsi?" lui demanda-t-elle. " Je veux devenir Chrétienne, mais nul ne veut me faire la grâce de parler en ma faveur au Patriarche", lui répondit-elle. " Pour moi dès lors, je t'amènerai des gens qui t'amèneront à l'église", lui assura-t-il. Et de fait, il lui amena deux personnes, qui en fait étaient eux aussi des anges, et ils l'amenèrent à l'église. Là, ils se changèrent en personnages et en notables importants, et ils appelèrent les prêtres, préposés aux baptêmes. Les prêtres leur demandèrent : " Votre amour répond d'elle?""Oui", répondirent-ils, "elle est digne du baptême." Les prêtres célèbrèrent donc l'office destiné aux catéchumènes, les futurs baptisés, et ils la baptisèrent. Ils la revêtirent des habits blancs de ceux qui sont nouvellement illuminés, et, ainsi parée des vêtements de l'illumination du baptême, elle entra dans sa maison dans la compagnie des anges. Là, ils la laissèrent, se faisant invisibles. 3. Ses voisins, donc, la voyant en vêtements blancs, lui demandèrent: " Qui donc t'a baptisée?" Mais elle ne savait que répondre. Alors ils l'amenèrent au Patriarche, qui appela ceux qui avaient pris la responsabilité de la baptiser. Et, cherchant à savoir la vérité : " Dites-moi, " interrogea-t-il, est-ce vous qui avez baptisé cette femme?" "Elle a été baptisée", lui répondirent-ils, " par untel et untel, sous la responsabilité du préfet augustalis romain d'Egypte." L'Evêque alors envoie chercher les responsables susnommés, et s'informe pour savoir si les choses en vont vraiment ainsi." C'est vous qui vous êtes approchés d'elle?" leur demande-t-il. " Nous ne savons pas de qui il s'agit, Monseigneur," lui dirent-ils, et nous ne connaissons pas ceux qui ont fait cela cela." L'Evêque comprit alors que la chose s'était faite de par la volonté divine. Il appela la jeune femme nouvellement illuminée et lui demanda : " Dis-moi, femme, d'après ce que tu sais, as-tu rien fait de bien?" Celle-ci lui répondit non sans embarras : " J'étais une prostituée, Monseigneur; quel bien aurais-je pu faire? " "De fait, tu ne sais pas si tu as rien fait de bien? Dis-moi", l'interrogea-t-il encore. " Non, Monseigneur", lui dit-elle, " à part ceci seulement : j'ai vu un jour un homme qui voulait se pendre, parce que ses créanciers l'étranglaient, et je lui donnai toute ma fortune, qui était vraiment très grande, de sorte que, ce faisant, je l'ai sauvé de la mort". Et, à peine eut-elle dit ces mots qu'elle s'endormit dans le Seigneur du sommeil des bienheureux, et qu'elle fut par là même déliée de ses crimes volontaires et involontaires. *** II. L'Abba Jean des Cellules d'Egypte, près de Nitrée, racontait une histoire: "Il y avait en Egypte une prostituée très belle et fort riche, et les archontes venaient à elle, comme des mouches à miel. Un jour qu'elle passait par hasard devant l'église, elle songea à y entrer. Le sous-diacre, qui gardait la porte, ne la laissa cependant pas entrer, disant : " "Tu n'es pas digne d'entrer dans la maison de Dieu, car tu es souillée de puanteur." Comme elle répondait vertement, il s'ensuivit une bruyante dispute. Ce qu'entendant, l'Evêque sortit au-dehors. La prostituée lui dit donc : " Il ne me laisse pas entrer dans l'église." "Cela, en effet n'est pas possible," lui répondit-il, parce que tu es impure. La femme, saisie d'une contrition qui l'emplit toute, murmura alors : " Je ne me prostituerai plus." L'Evêque alors insista : " C'est seulement si tu m'apportes ici tes richesses que je croirai que tu ne te vendras plus aux hommes." Elle, dès lors, apporta tous ses biens. Celui-ci les prit et les jeta au feu. Après quoi, la femme entra dans l'église en pleurant :" Si voici ce qui m'arrive ici-bas, qu'est-ce qui m'attend là-haut?" se demandait-elle. Elle fit pénitence et devint un vase d'élection de Dieu." *** III. 1. Un Père théophore racontait : " Il y avait un jour dans la ville d'Ethiopia, près de Gaza, un Evêque empli de piété, qui faisait sans cesse des aumônes. Mais par les machinations du Diable, il tomba dans le péché de la chair, non pas avec une Chrétienne, mais avec une Juive, parce que vivaient ensemble mélangés là des Chrétiens et des Juifs. Or, cette femme faisait des aumônes et craignait Dieu. Chaque jour l'Evêque l'exortait à embrasser la foi chrétienne et à recevoir le saint baptême, lui disant : " Si même nous sommes pécheurs, nous avons l'assurance de notre foi. Notre Sauveur a dit : " Si un être n'est pas renouvelé par l'eau et par le Saint Esprit, il ne peut pas entrer dans le Royaume des Cieux." Mais elle résistait, n'avait garde de lui obéir, et lui disait : " C'est dans la foi dans laquelle je suis née que je mourrai. Est-ce que je ne crois pas en le même Dieu auquel tu crois? Si je ne suis pas sauvée sous prétexte que je ne suis pas baptisée, puissé-je au moins avoir une vie toute entière droite et sans défauts. Et si je ne suis pas sauvée, je voudrais au moins devenir comme Sarah et Rébecca." "Crois-moi", lui répondit-il, " Dieu ne me laissera sûrement pas mourir dans ce péché. Je connais l'amour pour l'homme de mon Dieu, sa philanthropie, et je sais qu'il me recevra lorsque je ferai pénitence. Et toi, il te prendra près de lui, non point avec la foi que tu as maintenant, mais c'est en tant que Chrétienne qu'il te recevra. Viens au moins à l'église, et vois quelle foi ont les Chrétiens envers Dieu et envers moi pécheur". "Entendu", lui répondit-elle. " Ceci du moins je puis le faire. Mais ne me force cependant à rien d'autre." Et cette femme se rendit à l'église. 2. Lorsque l'Evêque fit son entrée dans l'église, - c'était alors jour de grande fête - , elle le vit avec un cortège resplendissant de solennelle pompe, suivi de tout son cortège de clercs. Lorsqu'il s'approcha du saint sanctuaire, voici que par l'effet d'une puissance divine ses yeux s'ouvrirent, et qu'elle vit un homme vêtu de blanc, resplendissant de lumière, dont la beauté passait toute expression. Et voici qu'il sortait du sanctuaire, qu'il se saisissait de l'Evêque, et l'attachait à une colonne. Lui-même entra à sa place dans le sanctuaire, et célébra la liturgie avec les prêtres et les diacres. Et quand vint l'heure d'élever les saints dons, elle vit un nouveau-né se tenir entre ses bras, puis le même découpé en morceaux, et ces morceaux partagés entre les fidèles du monde. Et lorsque tous les fidèles communièrent, elle vit de nouveau ce même enfant nouveau-né, vivant et entier, resplendir comme un feu et comme une vive lumière. Puis, lorsqu'il eut achevé de célébrer la divine liturgie, l'ange délia l'Evêque de sa colonne et disparut. 3. Voyant ce miracle la femme sortit en courant et s'en fut chez elle, pleurant et suppliant : " Rends-moi digne, Seigneur, de devenir Chrétienne et de mourir ainsi." Peu après, l'Evêque vint à elle et lui dit : " As-tu bien vu quelle sorte de foi nous avons nous les Chrétiens, et combien tous nous supplions Dieu avec des larmes aux yeux?" "Mieux eût valu que je ne te voie pas", lui dit-elle. Et, dans ses sanglots, elle lui raconta tout ce qu'elle avait vu. Celui-ci l'écouta comme si ses paroles venaient de Dieu même. Aussitôt il se repentit et lui dit : " Vois, à compter d'aujourd'hui je m'adonne à la pénitence, je m'enferme dans un monastère, et je pleurerai sur mes péchés autant de jours qu'il m'en reste à vivre, jusqu'à ce que je meure." Alors le coeur de la femme s'enflamma de désir pour Dieu. Elle se jette à ses pieds et lui dit : " Ne me laisse pas ici, fais-moi Chrétienne, mets-moi aussi dans un monastère, et marche avec joie sur le chemin que tu as choisi. Et moi, à partir de cet instant, je me donne à Dieu, et je m'en vais là où Il veut me conduire." 4. Sans perdre de temps, l'Evêque la baptisa et la mit dans un monastère. Lui-même s'en fut secrètement, sans que nul ne le sût. Il alla à Jérusalem, et là, renonça au monde. Dès lors, il se distingua tellement dans l'ascèse, qu'au bout de trois années il acquit le charisme prooratique de prévoir l'avenir et de faire des miracles. C'est ainsi qu'il finit ses jours. On l'enterra avec les Saints. Sachez, frères, que la vertu ne se perd pas, surtout la vertu de l'aumône. Ne cessons pas, jusqu'à notre dernier souffle, de rendre gloire à Dieu et de le supplier, car à Lui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Amen". IV. L'un des Pères parlait de l'Abba Pimène et de ses frères : "Ils vivaient en Egypte. Leur mère désira de les voir; mais cela ne lui était pas possible. Elle les guetta, tandis qu'ils se rendaient à l'église, et vint à leur rencontre. Mais eux, dès qu'ils l'aperçurent, firent marche arrière et lui fermèrent la porte au nez. Leur mère frappa à leur porte, criant et se lamentant : " Je ne veux que vous voir, mes chers enfants bien-aimés." L'entendant, l'Abba Anoub alla interroger l'Abba Pimène : " Qu'allons-nous faire avec cette Ancienne qui pleure à notre porte?" Se tenant à l'intérieur, il l'entendait pleurer, crier, et s'agiter, et il lui demanda : " Pourquoi piailles-tu ainsi, Ancienne?" Mais elle, entendant sa voix, se mit à brailler plus fort, et ses yeux versaient des ruisseaux de larmes: " Je veux vous voir, mes enfants," criait-elle. "Qu'est-ce que cela peut vous faire que je vous voie? Ne suis-je pas votre Maman? Ne vous ai-je pas allaités? Je suis à présent très vieille. J'ai grand désir d'entendre votre voix". "Veux-tu nous voir ici-bas ou préfères-tu nous voir dans l'autre monde?" lui demanda l'Ancien. Leur mère fut dans l'embarras: "Si je ne vous vois pas dans ce monde-ci, se peut-il que je vous voie dans l'autre?" "Si, lui répondit-il, tu te fais violence pour ne pas nous voir ici, tu nous verras là-haut". Elle s'en fut joyeuse se disant :" S'il advient que je puisse sans faute vous rencontrer là-haut, je ne désire plus vous voir ici-bas". V. 1. L'on racontait dans la Vie d'Ammoun qu'il avait vécu ainsi : "Il était orphelin, jeune homme d'environ vingt-deux ans, lorsque son oncle le maria par force. N'étant pas de taille à résister à la pression exercée par son oncle, il lui parut bon de se rendre au couronnement de son mariage de prendre part à la cérémonie nuptiale, et, en un mot, d'endurer tout ce qui a trait aux noces. Lorsque tous les invités eurent quitté la noce, et qu'il s'agissait à présent que le couple dormît ensemble sur la couche nuptiale, Ammoun se leva, ferma la porte, et s'assit. Il appela la bienheureuse jeune fille et lui dit : " Viens, ma chère, que je te dise ce qu'il en est. Notre mariage est ce que tu en as vu, et rien de plus. Nous ferons bien, dorénavant, chacun de nous de dormir séparément dans son lit, et, de la sorte, nous plairons à Dieu, en gardant intacte notre virginité." Et sortant de dessous ses habits un petit Evangéliaire, il lui lut les paroles de l'Apôtre et du Sauveur. Pour ce que celle-ci ne connaissait pas les Saintes Ecritures, il lui expliquait le sens de la plupart, et il lui rendit compréhensible la notion de pureté et de virginité, au point que celle-ci, par la Grâce de Dieu, en saisissant le sens, se prit à dire : " A mon tour, j'ai compris ce mystère, ô mon maître. Que me commandes-tu donc? " "Je veux que chacun de nous demeure dorénavant dans une maison séparée", lui dit-il. Mais elle protesta : " Demeurons dans la même maison. Mais ne dormons pas ensemble." 2. il vécut avec elle dix-huit ans dans la même maison. Chaque jour ils vaquaient au jardin et fabriquaient un baume odoriférant, à partir d'un arbre qui se plante, se cultive et se taille comme une vigne, tâche difficile en soi. Le soir, il rentrait à la maison, priait et dînait avec elle, et, la nuit venue, après qu'il se fût mis de nouveau en prières, il s'en allait. Ce fut ainsi qu'ils vécurent, et ils en arrivèrent à un tel point d'impassibilité, que les prières d'Ammoun étaient devenues efficientes, si bien qu'elle finit par lui dire : " Monseigneur, j'ai quelque chose à te dire. Si tu me fais obéissance, j'aurai l'assurance que tu m'aimes, comme Dieu le veut." "Dis-moi ce que tu veux", lui répondit-il. "Il est juste", lui répartit-elle, " que cependant que tu mènes en tant qu'homme l'ascèse de la justice, et que moi, à mon tour, j'essaie de t'imiter et de suivre ta voie, nous vivions séparément. Il est en effet injuste que soit cachée tant de vertu tienne, cependant que tu vis ainsi, ici, avec moi, dans la pureté." Remerciant Dieu, il lui répondit : " Toi donc, garde cette maison, et moi j'en ferai une autre pour moi." Il s'en fut don, et s'installa à l'intérieur de la montagne de Nitrie. Il n'y avait alors pas de monastères dans la région. Il construisit deux pièces coupolées. Il vécut encore là vingt-deux années dans le désert et mourut; ou plutôt il s'endormit, après qu'il fût allé deux fois l'an à la rencontre de sa bienheureuse femme." VI. 1. L'on racontait de l'Abba Jean Kolovos, c'est-à-dire le petit, l'on racontait donc de Petit Jean ceci : "Une jeune fille, que l'on appelait Païssia, vit ses parents mourir, et demeura orpheline. Elle songea à faire de sa maison une hôtellerie pour exercer l'hospitalité envers les Pères de la Skyte. Quelque temps durant, donc, elle établit cet hospice dans le souci des Pères. Mais, par la suite, lorsqu'elle eut épuisé tout son bien, elle commença à manquer du nécessaire; Des hommes mauvais et pervers l'approchèrent alors et la détournèrent de sa bonne et droite visée. Elle se mit à mener une vie de prodigue jusqu'à en arriver au point de se prostituer. Les Pères l'apprirent et s'affligèrent grandement. Ils appelèrent l'Abba Jean Kolovos et lui dirent : " Nous avons appris que cette soeur a suivi la mauvaise voie. Tant que cela lui a été possible, elle nous a témoigné son amour. Voici que notre tour est venu de lui rendre son bienfait et de l'assister. Va auprès d'elle et, de par la sagesse que Dieu t'a octroyée par don, secoure-la". 2. L'Abba Jean alla chez elle, dans sa maison, et dit à la vieille qui faisait office de portière et de soeur tourière : " Dis à ta maîtresse que je suis là". Celle-ci cependant la chassa, lui disant : " C'est vous qui êtes à l'origine de ce que vous lui avez mangé tout le bien qu'elle avait, et qui lui avez pris même ce qu'elle n'avait pas, en sorte que maintenant vous avez fait d'elle une pauvresse." Mais l'Abba insistait : " Dis-le lui malgré tout. Il s'agit que je lui fasse grandement du bien." Mais ses serviteurs à elle se gaussaient de lui à gorge déployée, lui disant : " Qu'aurais-tu donc par hasard à lui donner que tu veuilles à présent la rencontrer?" "D'où et comment sauriez-vous ce dont il s'agit que je lui donne?" fut sa seule réponse. La vieille monta à l'étage et rapporta à la jeune femme les propos de Jean. "Ces moines vont et viennent souvent jusqu'à la mer d'Erythrée et ils y trouvent des perles fines", se dit en elle-même la jeune femme. Elle se vêtit, se para, et lui répondit : " Fais-moi la grâce de m'amener cet homme." Lorsque celui-ci fut monté à l'étage, elle le devança et s'assit sur le lit. L'Abba Jean s'approcha et s'assit auprès d'elle. La regardant face à face, il se prit à lui demander : " Que Jésus t'a-t-il donc fait, pour que tu en sois réduite à cet état?" Comme elle entendait ces mots, son sang se glaça. Lui, inclina la tête, et se mit à pleurer amèrement : " Pourquoi pleures-tu, Abba?" lui demanda-t-elle. Il releva un instant la tête, puis aussitôt, l'inclinant à nouveau, il se reprit à pleurer et lui répondit : " Je vois que Satan se joue de toi, et je ne pleurerais pas?" Elle, qui l'entendait, se remit à parler : " Abba, y a-t-il une pénitence possible?" "Oui", fut sa réponse. "Emmène-moi où tu voudra", lui dit-elle alors. " Allons, partons", lui dit-il. Elle se leva et le suivit. Lui constata qu'elle ne disait rien à propos de sa maison, ni ne prenait aucune disposition avant de la quitter, et il fut dans l'admiration de ce qu'elle quittait tout sur-le-champ sans regarder en arrière. 3. le soir tombait déjà lorsqu'ils parvinrent au désert. Il lui confectionna un petit oreiller de sable, la signa du signe de la croix, et lui dis : " Reste ici pour dormir." Il s'en fit un autre un peu plus loin pour lui, fit sa prière, puis s'étendit à terre. Il était presque minuit lorsqu'il s'éveilla. Et voici qu'il vit une traînée lumineuse descendre du Ciel pour toucher à cette femme. Et il vit les anges de Dieu y transporter son âme. Il bondit sur ses pieds, s'approcha d'elle et la secoua du bout du pied. Il comprit alors qu'elle était morte. Aussitôt il se jeta la face contre terre et se mit à prier Dieu. Il comprit dès lors qu'en une seule heure de pénitence elle avait agréé à Dieu bien plus que beaucoup d'autres, qui passent de longues années en pénitence et qui cependant n'éprouvent pas au cours d'un si long temps la ferveur d'une si grande pénitence que la sienne. VII. Il était une fois une vieille moniale fort âgée, qui avait beaucoup progressé dans la piété. Lorsque je lui demandai comment elle s'était résolue à renoncer au monde, elle me raconta l'histoire suivante : " Lorsque j'étais enfant, mon père, je me souviens que mon père était un homme doux et bon. Mais il était malade et impotent, et passait le plus clair de son temps au lit. C'était un homme simple, qui ne parlait qu'à grand peine et en se faisant violence. Auparavant, lorsqu'il était encore en bonne santé, il cultivait la terre, passait son temps à exercer son métier d'agriculteur, et rapportait à la maison les fruits de son travail. Il était très silencieux, au point que ceux qui ne le connaissaient pas pensaient qu'il était muet. Mais toute contraire à mon père était ma mère, dotée d'une telle curiosité qu'elle voulait savoir tout ce qui se passait au-delà même de notre village. Elle cancanait sans cesse avec tout le monde; nul ne l'avait jamais vue se taire fût-ce un court instant. Mais tantôt elle apparaissait querellant les autres et se disputant avec eux, tantôt elle allait jusqu'à tenir des propos honteux et abjects. Elle dissipait la plupart de son temps à s'enivrer avec des hommes vils, et elle était aussi dépensière qu'une prostituée. Elle ne se souciait guère de notre ménage, et dissipait tout en frivolités, de sorte que quoique nous ayons assez de bien, celui-ci ne nous suffisait plus. Or mon père lui avait confié la gestion des comptes de notre petite économie familiale. Mais malgré la vie qu'elle menait, jamais elle ne tomba malade, ni n'eut à se ressentir du moindre mal. Tout au contraire, elle était solide, forte et robuste, et ce bien qu'elle vécût dans les abus et les excès. 2. Un jour pourtant, épuisé par ses longues et continuelles maladies, mon père mourut. Aussitôt, il se leva un vent terriblement violent, suivi de tonnerre grondant et d'incessants éclairs, et il se prit à tomber une pluie diluvienne, au point que de trois jours entiers, fût-ce un court laps de temps, nous n'osâmes pointer le nez hors de la chambre; ce qui eut pour résultat que mon père demeura sans sépulture confiné dans la maison. Ce que voyant, les villageois alentour s'en prenaient au défunt et cassaient du sucre sur son dos : " Malheur à nous, quelle était cette créature diabolique qui vivait au milieu de nous, sans que nous nous en avisions. A coup sûr, c'était là un ennemi de Dieu; c'est pourquoi la divinité ne permet pas même qu'il soit enterré." Nous cependant, ne pouvant plus laisser le corps se corrompre et la maison devenir inhabitable, nous le prîmes, et en dépit de la tempête qui faisait rage, nous l'ensevelîmes. Ma mère alors, ayant les mains plus libres que jamais, se jeta dans une vie prodigue et dissolue, et fit de notre maison un lieu de débauche et de prostitution. Elle gaspilla notre bien en fêtes continuelles, si bien qu'au bout de peu de temps il ne nous resta pas même un centime. Lorsqu'à quelque temps de là elle mourut, lui furent faites de telles funérailles que l'on eût dit que la nature même la pleurait. 3. Après sa mort, cependant que j'avais grandi en âge, et que les désirs charnels s'étaient éveillés en moi, qui me tyrannisaient, il me vint un soir une pensée à l'esprit. Et je me tins à moi-même ce discours : " De qui donc dois-je suivre la vie? Faut-il que j'imite le genre de vie de mon père, et que je vive ma vie avec mesure, sagesse et piét? Mais quel gain en eut-il, lui qui vécut ainsi? Il consuma son existence dans les maladies et les afflictions, et il mourut de sorte qu'on ne put l'ensevelir comme il se doit pour tout homme. Si sa conduite avait plu à Dieu, pourquoi donc lui serait-il advenu tant de malheurs? Et quelle fut la vie de ma mère? Est-ce que, bien qu'elle se fût adonnée aux jouissances et aux plaisirs, elle ne vécut pas en pleine santé dans l'insouciance? C'est ainsi donc qu'il faudrait que je vive moi aussi, et mieux vaut-il que je me fie à ce que j'ai vu de mes yeux qu'à ce que j'ai entendu dire par autrui." 4. La nuit me trouva qui avais pris, infortunée que j'étais, la décision de suivre les traces de ma mère. Après quoi je sombrai dans le sommeil, lorsque se présenta à moi un homme à l'aspect effrayant, sauvage et redoutable. Il me lança un regard plein d'orgueil et s'enquit d'une voix rauque : " Dis-moi, quelles pensées remues-tu?" Dans ma peur alors tremblant de tout mon corps, je n'osai pas même lever les yeux sur lui. Lui cependant me répéta d'une voix sévère : " Dis-moi donc ce que tu décides?" Mais lorsqu'il vit que j'étais entièrement paralysée de peur et que j'étais près d'en perdre la raison, il me remit en mémoire toutes mes pensées précédentes. Moi, lors, m'enhardissant quelque peu, j'entrepris de le prier et de le supplier de me pardonner. Sur quoi, me prenant par la main il me dit : " Viens donc voir ton père et ta mère, ensuite de quoi tu choisiras la vie que tu préfères." 5. Il me prit donc avec lui et m'emmena dans une grande prairie du Paradis, où se voyaient nombre d'arbres magnificents, ployants sous toute espèce de fruits. Là, cependant que je cheminais avec lui, il advint que mon père vint à ma rencontre, qui m'étreignit dans ses bras et m'embrassa en m'appelant son enfant bien-aimé. Je l'étreignis à mon tour étroitement, le suppliant de faire en sorte que je pusse demeurer avec lui; mais il coupa court à mes demandes : " Il n'est pas possible que cela se fasse dès maintenant. Mais si cependant tu choisis de suivre ma voie, il ne se passera guère de temps que tu puisses venir ici." Je continuai pourtant à le supplier de demeurer avec lui, lorsque l'ange me tira par la main : " Viens", me dit-il, "viens maintenant voir ta mère, pour être en mesure de choisir quelle vie il t'importera de suivre." 6. Alors il me conduisit en un lieu sombre et ténébreux, tout empli de trouble et de gémissements. Il me montra une fournaise toute pleine de feu qui flamboyait et bouillonnait de manière terrifiante, autour de laquelle s'apercevaient des êtres à l'aspect effrayant. Regardant alors dans la fournaise, j'aperçois à l'intérieur ma mère plongée jusqu'au cou dans le feu. Une quantité épouvantable de vers fourmillants la dévoraient de partout; et ses dents claquaient de frayeur. A peine m'eut-elle aperçue qu'elle commença de pleurer de manière déchirante et à me dire : " Malheur à moi, mon enfant, quelles douleurs insupportables, quel martyre infini! Oui, vraiment, malheur à moi malheureuse, qui, pour avoir joui d'un si court contentement, subis maintenant un si grand martyre! Malheur à moi, infortunée, qui pour avoir goûté des plaisirs éphémères, subis maintenant des tourments éternels. Prends pitié, mon enfant, de ta mère qui brûle en ce feu qui me consume et me met en pièces. Souviens-toi de tout ce que je t'ai donné; aie pitié de moi, tends-moi ta main et sors-moi d'ici." Mais je demeurais sans broncher à cause des effroyables créatures qui entouraient la fournaise, n'osant approcher. Aussi me cria-t-elle de plus belle, non sans contrition : "Mon enfant, viens à mon secours! Ne sois pas indifférente aux tourments de ta mère. Ne témoigne pas de mépris à celle qui subit un tel martyre dans cette fournaise et qui est dévorée par des vers insatiables." Ebranlée, j'étendis la main pour la tirer vers moi. Les flammes me léchèrent quelque peu la main, j'eus très mal, et me mis à crier, à hurler, et à larmoyer. A entendre ces hurlements, tous ceux qui dormaient dans la maison s'éveillèrent, s'élancèrent à l'étage, allumèrent la lumière, coururent à moi, et me demandèrent avec insistance pourquoi je pleurais. 7. Je revins à moi et leur racontai mon rêve. Depuis lors je décidai de suivre la vie de mon père. Je prie pour qu'il vienne à nouveau à ma rencontre, et pour avoir part à sa destinée. Par l'effet de la Grâce de Dieu, j'ai pu savoir d'expérience quelle gloire et quels honneurs sont destinés à ceux qui ont choisi de vivre en toute piété, et quels châtiments à l'inverse attendent ceux qui dissipent leur vie dans les plaisirs." VIII. 1. Cependant que l'Abba Arsène menait l'ascèse à Canopée, il arriva de Rome pour faire sa connaissance une fille de sénateur, fort riche et qui vénérait Dieu. L'archevêque Théophile l'accueillit à cette occasion, et elle le supplia qu'il voulût bien intercéder auprès de l'Ancien pour que celui-ci la reçût. Par le fait Théophile alla à lui, lui disant : " Cette fille de sénateur est venue de Rome et elle veut te voir. Mais l'Ancien ne consentit pas à la rencontrer. Lorsqu'ils l'en eurent avisée, elle ordonna néanmoins qu'on lui préparât sa monture et les bêtes de somme de son cortège, déclarant : " J'ai confiance en Dieu et je crois qu'il me jugera digne de faire sa rencontre; Je ne suis pas venu voir un homme banal et ordinaire, semblable à ceux que nous comptons en nombre dans notre capitale. Mais c'est un prophète que je suis venue voir". 2. Lorsqu'elle arriva à la cellule de l'Ancien, il advint, par l'effet d'une économie de Dieu, qu'il se trouvait justement dehors, à l'extérieur de sa cellule. A peine l'eut-elle aperçu qu'elle tomba à terre et se prosterna devant lui pour le vénérer. Mais lui, fâché, la releva, et il s'écria : " Tu veux me voir? Eh bien, voilà, regarde-moi!" Mais elle, saisie de honte et en proie à la confusion, n'osa pas lever les yeux sur lui. " N'as-tu pas entendu parler de mes oeuvres? Ce sont elles qu'il faut considérer. Comment as-tu pu oser entreprendre un tel voyage? As-tu oublié que tu es femme? Il eut mieux valu que tu ne sortes pas de chez toi et que tu n'allasses nulle part. Ou n'as-tu fais tout cela que pour t'en retourner à Rome te vanter auprès de la gente féminine, clamant : " J'ai vu Arsène!", tant et si bien que la mer s'emplira de femmes, qui sillonneront les eaux, navigant jusqu'à moi." "Dieu voulant", murmura la jeune fille pour toute réponse, " je ne laisserai personne venir jusqu'ici. Mais prie pour moi, et, je t'en prie, mentionne-moi incessamment dans tes prières". "Je prie Dieu," lui répondit-il, " qu'il efface ton souvenir de mon coeur", lui dit-il. Elle, alors, à entendre ces mots, s'en fut bouleversée. 3. A peine s'en fut-elle retournée à la capitale, que dans son mal-être elle fut prise d'un accès de fièvre. Quand l'archevêque Théophile apprit qu'elle était malade, il vint auprès d'elle et lui demande de lui dire ce qui la tourmentait. " Ah! Puissé-je n'être jamais allé là-bas! J'ai demandé à l'Ancien de me mentionner dans ses prières, et il m'a répondu : " Je prierai Dieu d'effacer ta mémoire de mon coeur". Et voici que maintenant je me meurs de chagrin", lui confessa-t-elle." Mais ne sais-tu pas que tu es femme et que l'Ennemi combat les Saints par les femmes? C'est pourquoi l'Ancien t'a parlé de la sorte. Mais quant à ton âme, rassure-toi, il priera toujours pour elle", lui répondit l'Archevêque, par manière de consolation. De la sorte, la jeune femme fut rassérénée en pensée, et ce fut joyeuse qu'elle s'en retourna chez elle. IX. 1. L'épisode suivant nous fut conté par l'Abba Pallade : " J'ai entendu un capitaine de vaisseau raconter l'histoire suivante : " Je fis route un jour, transportant sur mon navire nombre de passagers, hommes et femmes. Nous voguions sur l'océan et tous profitaient d'une navigation agréable, les uns faisant cap sur Alexandrie, d'autres sur Constatinople, et d'autres enfin s'en allant vers ailleurs encore. Cependant, voici que le vent tomba, qui était nécessaire à notre navigation, et nous fûmes immobilisés, sans pouvoir plus aucunement avancer, quinze jours durant, bloqués au point où nous étions. Nous étions en proie à l'énervement, et nous étions fort désemparés, nous demandant avec étonnement pourquoi il pouvait bien en être ainsi. Quant à moi, le pilote, qui avais la responsabilité du bateau et de tous les passagers à bord, je me mis à prier Dieu. 2. Un jour soudain, se fit entendre à moi une voix invisible qui me disait: "Fais débarquer Marie, et tu pourras de nouveau naviguer." Je me demandai donc en moi-même ce que cela pouvait signifier, et qui pouvait bien être cette Marie. Mais, comme je demeurais dans l'embarras, perplexe, de nouveau la voix se fit entendre : " Je te l'ai bien dit, déjà : Fais débarquer Marie, et vous serez sauvés." Il me vint alors à l'idée de crier : "Marie!" Je ne savais toujours pas, cependant, qui était cette Marie. Mais celle-ci, qui était allongée dans sa couchette,, m'entendit l'appeler. "Q'ordonnes-tu, maître?" me demanda-t-elle. " Fais-moi l'amitié de venir jusqu'ici!" lui criai-je. Elle se leva donc et vint à moi. Dès qu'elle fut parvenue à ma hauteur, je l'entraînai à part, et lui dis : " Vois-tu donc, soeur Marie, de quels péchés je suis coupable? En sorte qu'à cause de moi, vous courez tous à votre perte". Mais elle répondit, gémissante : " C'est moi, bien plutôt, à la vérité, qui suis la fautive pécheresse." "Quels péchés as-tu commis, femme", lui demandai-je. " Malheur à moi!" répondit-elle. Il n'y a point de péché que je n'aie commis, et c'est à cause de mes crimes que vous vous en allez tous courir à votre perte." 3. "C'est alors", dit le capitaine, "que cette femme me raconta son histoire. Et voici ce qu'elle avoua : " En vérité, ô maître de vaisseau, pour moi, malheureuse femme, j'étais mariée et j'avais deux enfants, l'un âgé de neuf ans, et l'autre de cinq ans. Mon mari mourut, et je demeurai veuve. Un certain militaire demeura à mes côtés, et j'eus le désir de me remarier avec lui. C'est donc à ce sujet que je lui envoyai des personnes s'entremettre avec lui. Il leur répondit : " Je n'épouserai pas une femme qui a déjà des enfants d'un autre homme". Lorsque je les entendis me dire qu'il refuserait de m'épouser à cause de mes enfants, dans la folie de mon amour pour lui, j'étranglai mes deux enfants. Et je m'en vins lui dire : " Vois, je n'ai plus aucun enfant à présent." A peine ce soldat eut-il appris ce que j'avais fait qu'il dit : " Devant le Dieu vivantdu Ciel, je jure que je n'épouserai jamais cette femme." Moi, dès lors, craignant que mon crime ne fût révélé, et que l'on ne me tue, je m'enfuis." 4. Après que cette femme m'eut parlé de la sorte, je ne voulus cependant pas la jeter à la mer, mais je réfléchis à quelque chose de raisonnable, et je lui dis : " Voici, je vais monter dans le canot de sauvetage, et si le bateau se met à se mouvoir, sache, femme, que ce sont mes péchés qui le rivaient, comme à son point d'attache, immobile." Sur ces mots, lors, j'appelai le maître d'équipage et lui ordonnai : " Jette la barque à la mer". Mais lorsque je me fus hissé dans la barque, rien n'advint, et ni celle-ci, ni le navire ne bougèrent. Je remontai donc à bord et dis à cette femme : " Monte à ton tour dans la barque." Elle obéit, et à peine y fut-elle montée qu'aussitôt la barque, ayant tourné cinq fois de suite sur elle-même, fut engloutie par le fond. De la sorte, le navire put mettre le cap sur sa destination, et nous fîmes en trois jours un voyage qui en prenait quinze"". X. 1. Un Dimanche, comme Jean l'Aumônier se rendait à l'église, un homme s'approcha de lui, homme dont l'on avait cambriolé la maison. On lui avait tout pris, jusqu'à son matelas. Or, le malheureux avait ci-devant été très riche. L'on fit une longue enquête, assortie de tout un remue-ménage, mais les voleurs demeurèrent introuvables. Il en vint à se trouver dans la nécessité, du fait de son extrême pauvreté, de venir tomber aux pieds du Saint Patriarche d'Alexandrie, Jean l'Aumônier, et, tout empli de honte, de devoir lui conter son malheur. Celui-ci eut vive compassion de lui. - Il faisait en effet partie des notables étrangers qui s'en étaient venus s'installer dans cette ville - . Aussi vint-il dire à titre confidentielà l'oreille de son intendant de lui donner quinze livres d'or. L'intendant s'apprêtait donc à les lui donner, lorsqu'il s'avisa de demander l'avis du sous-intendant et de l'économe, lesquels, sous une emprise diabolique, furent jaloux de ce qu'on dût lui donner tant d'argent, et qui ne lui donnèrent donc que cinq livres d'or. 2. Lorsque le très vénérable Archevêque s'en revint de l'église, une veuve, qui n'avait qu'un fils unique, lui fit un don : elle lui remit une notice qui stipulait qu'elle lui offrait en cadeau cinq livres d'or. Il les accepta, et lorsqu'il eut quitté son bureau, il appela ses gestionnaires. "Combien, " leur demanda-t-il, avez-vous donné à l'homme qui m'est venu visiter?". "Autant, Monseigneur, que l'a ordonné ta Sainteté. Quinze livres." Mais lui comprit, avec la Grâce de Dieu qui le couvrait, qu'ils lui disaient des mensonges. Il fit donc rappeler le visiteur qui avait reçu l'argent, et il le conjura de lui dire combien exactement lui avait donné son intendant. "Cinq livres", lui répondit cet homme. Le Saint, alors, leur montrant le billet qu'il tenait en sa main, leur dit : " Il est ici écrit la mention : Quinze livres. Dieu vous demandera donc les dix autres livres, pour ce que, si vous aviez donné les quinze livres, comme je vous avais dit de le faire, la veuve qui a offert les cinq livres en eût offer quinze. Et pour vous persuader de la vérité de la chose, je vais envoyer quérir la donatrice qui est venue à ma rencontre". 3. Il envoya donc deux hommes pieux quérir la pieuse femme qui lui avait donné le billet; et ils la trouvèrent au baptistère. Ils lui dirent de sa part : " Cette somme que Dieu t'a en ton coeur inspiré de donner, prends-la et viens me trouver, je t'en prie." Elle se leva donc en hâte et s'en vint trouver le tout Saint avec l'argent. Le Patriarche prit la somme, bénit cette femme et son fils, et lui dit :" Je te donne ma bénédiction, Mère. Mais est-ce là tout ce que tu devais donner au Christ, ou bien y avait-il rien autre?" Elle comprit que l'homme théophore avait compris son manège, et elle fut saisie de crainte et de tremblement : " Par les saintes prières du Patriarche et celles de Saint Ménas, j'ai d'abord écrit sur le billet la mention "quinze livres". Mais une heure avant que de faire ce don au Patriarche, cependant que je me tenais debout dans l'église, sans raison apparente aucune, je rouvris le billet et le relus; Moi, ton indigne servante, je l'avais rédigé de mes propres mains et j'avais d'abord écrit quinze. Mais je découvris que des quinze livres, dix s'étaient effacées toutes seules, d'elles-mêmes, Dieu sait comment. Frappée de stupeur, je me dis alors en moi-même : " Sans doute est-ce la volonté de Dieu que je n'en donne que cinq". Le Patriarche laissa la pieuse femme s'en retourner. Les intendants se laissèrent alors tomber aux pieds du Patriarche, auquel ils avaient désobéi, et faisant force serments, ils jurèrent qu'ils ne le feraient plus. XI. 1. L'Abba Pallade nous dit encore, lorsque nous le visitâmes une autre fois, l'histoire qui figure infra : " Il y avait à Alexandrie un homme très religieux, ami du Christ, très pieux, fort aumônier, et qui exerçait l'hospitalité envers les moines. Il avait également une femme, laquelle était humble et qui jeûnait chaque jour. Et il avait encore une fille de six ans. 2.Un jour cet homme pieux qui craignait Dieu partit pour Constantinople. Il était en effet marchand ambulant. Laissant donc à la maison sa femme et son enfant aux soins d'un serviteur, il s'en fut entreprendre son voyage. Comme sa femme l'accompagnait au bateau, elle lui demanda : " Entre les mains de qui nous laisses-tu, ô mon maître?" "Je vous remets à notre Souveraine, la Toute Sainte", lui répondit-il. Un jour donc que cette femme se tenait assise dans sa maison et qu'elle travaillait à quelque tâche, cependant que son enfant se tenait auprès d'elle, voici que, mû soudain par Satan, le serviteur se mit dans l'esprit de les tuer toutes deux, pour s'emparer de tout ce qui était en leur possession, et de s'enfuir. Saisissant donc à la cuisine un grand couteau, il s'en vint à la table où se tenait sa maîtresse. Mais lorsqu'il parvint à l'entrée de la chambre, voici, soudain, qu'il fut aveuglé, au point qu'il ne pouvait ni retourner à la cuisine, ni pénétrer dans la salle-à-manger. 3. Durant près d'une heure il se démena en rechignant, tentant vainement de mettre un pas devant l'autre. Pour finir, il se mit à crier à sa maîtresse : " Viens donc ici!" Mais celle-ci s'étonnait de ce qu'il se tînt à la porte et qu'il n'entrait cependant pas, lui criant de surcroît : " Toi, plutôt, viens jusqu'ici". Elle ne savait pas, en effet, qu'il était devenu aveugle, en sus d'être paralysé. Le serviteur se mit à la conjurer de plus belle de venir auprès de lui. Mais elle se jurait bien de n'en rien faire. Il lui dit alors :" Envoie-moi l'enfant au moins." Mais la femme n'en fit rien davantage, lui répondant : " Viens, toi, si tu veux". Alors le serviteur, voyant qu'il ne parvenait à rien, se donna un grand coup de couteau, se le plantant dans les entrailles. Ce que voyant, la femme se mit à pousser les hauts cris. A ces hurlements, les voisins se précipitèrent à l'intérieur, auxquels s'ajoutèrent les soldats du prétoire. Ils s'emparèrent du serviteur qui respirait encore, lequel leur confessa tout ce qui venait de se passer. Tous alors glorifièrent Dieu qui avait ainsi accompli Son miracle, par là sauvant l'enfant et sa mère". XII. 1. Nous rencontrâmes l'Abba Eustathe, l'higoumène, au coenobion de la grotte de l'Abba Savva. Il y avait là aussi un certain Jean que l'on appelait Moschos, et, lorsque nous nous en fûmes ensemble à Tyr, il nous raconta l'histoire suivante : "Un soir tard je m'en allai me baigner, lorsque je rencontrai en chemin une femme qui se tenait dans l'ombre. Je l'abordai, lui demandant si elle acceptait de me suivre. Elle accepta. Mû par un désir diabolique pour elle, je renonçai à aller me baigner, et je me précipitai pour dîner. Bien que l'y incitasse fortement, elle ne voulut pas mettre fût-ce une bouchée dans sa bouche. Sans être plus loquaces que cela, nous allâmes nous coucher; A peine, cependant, tentai-je de l'embrasser qu'elle éclata en sanglots. " Malheur à moi, malheureuse!" s'écria-t-elle. Tout tremblant, je lui demandai la raison de ses exclamations larmoyantes. Se mettant alors à pleurer de plus belle, elle me fit cet aveu : " Mon mari est marchand ambulant et il a fait naufrage. Il a, ce faisant, perdu ses biens et ceux de ses créanciers et il est en prison pour dettes. N'ayant pas d'autre moyen de lui porter fût-ce un morceau de pain, je me suis résolue à faire commerce de mon corps, contrainte par l'extrême nécessité, et ce, pour que nous ayons au moins du pain. Tout notre argent est parti en fumée." "Combien devez-vous encore?" lui demandai-je. "Encore cinq livres d'or", me répondit-elle. Je sortis l'argent de ma bourse, le lui donnai et lui dis : " Vois, Dieu m'aurait jugé pour mon péché. Il a donc voulu que je ne te touche pas. Donne l'argent à tes créanciers, sors ton mari de prison, et priez pour moi." 2. Quelque temps plus tard, l'on me condamna auprès du roi, au motif invoqué que j'avais dilapidé l'argent du marchand. Le roi m'envoie quérir, il confisque mon bien, et l'on me traîne à Constantinople, avec pour toute richesse la seule chemise que je portais sur moi. L'on me jette en prison, et j'y passe assez de temps, vêtu de cette vieille chemise. Un jour enfin, j'entendis dire que le roi projetait de me tuer. J'en perdis tout mon courage, et me mis à pleurer et à gémir. A bout de forces, je cédai au sommeil. Je vois alors en rêve une femme fort semblable à celle dont le mari s'était trouvé en prison pour dettes. "Que t'arrive-t-il?" me dit-elle, "maître Moschos? Pourquoi te trouves-tu ici?" "L'on m'a accusé, puis condamné, et je crois que le roi veut à présent me condamner à mort." " Veux-tu que je parle moi-même au roi en ta faveur et que je te fasse libérer?" Perplexe, je lui demandai : " Toi, tu connais donc le roi?" "Oui", me répondit-elle. Je m'éveillai et me demandai avec embarras ce que pouvait bien signifier ce rêve. Mais voici que je refis ce rêve une seconde, puis une troisième fois, et que, chaque fois, cette femme me répétait la même chose : " N'aie crainte : demain tu seras libre." 3. Enfin, à l'aube, l'on me conduisit au palais sur ordre du roi. Lorsque j'entrai et qu'il me vit avec ma vieille chemise déguenillée, il me dit : " Je t'ai pris en pitié. Dorénavant, tout va changer pour toi." Je vis alors cette même femme se tenir à la droite du roi et me faire signe :" Prends courage et sois sans crainte." Sur quoi, le roi donna l'ordre de me rendre ma fortune. Il y ajouta nombre de biens en dotation, me couvrit d'honneurs, et me rétablit dans mon ancienne position, tout en me faisant même administrateur d'une terre. 4. Cette même nuit, la femme se présente à moi : " Sais-tu qui je suis?" me demande-t-elle. Celle que tu as affligée et dont tu n'as pas touché le corps, de par l'effet de la Grâce divine. Et c'est moi qui t'ai arraché au danger de mort que tu encourais. Vois-tu l'amour de Dieu pour l'homme? A cause de ce que tu as fait pour moi, je t'ai témoigné ma compassion"". XIII. 1. A Askalona nous rendîmes visite à l'hôtellerie des Pères, où l'Abba Eusèbe l'Ancien nous conta une histoire : " Un marchand originaire de notre ville, cependant qu'il voyageait en mer, fit naufrage et perdit tout son bien, et, en sus, celui de ses créanciers. Lui seul survécut. Lorsqu'il fut de retour chez lui, ses créanciers se saisirent de lui, le jetèrent en prison, et pillèrent toute sa maison. Il ne lui resta rien que les vêtements qu'il portait sur lui, ainsi que sa femme. Celle-ci, voyant cet excès d'afflictions et cette extrême nécessité où ils se trouvaient, jugea de son devoir de lui porter un morceau de pain. 2. Un jour qu'elle était assise dans la prison et qu'elle mangeait aux côtés de son mari, elle vit entrer un notable qui faisait l'aumône aux prisonniers qui se trouvaient là. Il vit cette femme assis aux côtés de son mari. Elle lui plut. De fait elle était fort belle. Il lui envoya lors un gardien, porteur d'un billet pour elle. Elle, se rendit avec joie auprès du notable, s'attendant à recevoir une aumône. Mais lui, la prenant à part, lui dit : " Que t'arrive-t-il donc? Pourquoi te trouves-tu ici?" Celle-ci lui conta son histoire. Il lui dit alors : " Si je paie ta dette, dormiras-tu avec moi ce soir?" Cette femme, qui était vraiment belle, et intelligente, lui répondit : " Pour moi, maître, j'ai bien entendu ce que dit l'Apôtre : " Ce n'est pas la femme qui est maîtresse de son corps, mais son mari." Laiss-moi donc, maître, demander à mon mari ce qu'il voudra m'ordonner de faire." Elle alla donc de ce pas tout raconter à son mari. Celui-ci, plein d'intelligence et de tendresse pour sa femme, ne fut pas transporté à l'idée d'être à ce prix libéré de prison. Il se contenta de gémir, et tout en larmes lui dit : " Va, ma soeur, congédier cet homme, et contentons-nous d'espérer en Dieu, songeant qu'à la fin des fins il ne nosu abandonnera pas." Elle alla donc chasser cet homme : " J'en ai parlé à mon mari", lui dit-elle, " et il n'a pas été d'accord por que nous péchions." 3. En ces jours-là était également emprisonné, à l'isolement, un bandit qui rançonnait les voyageurs. Cependant, comme il dressait l'oreille, il surprit et entendit les propos qu'échangeaient le couple.Il gémit lors, se disant en lui-même : " Vois en quel état ils ont été réduits, et, malgré cela, ils n'ont pas voulu trahir leur foi ni leur liberté, fût-ce pour recevoir de l'argent, et être libérés. Ils ont placé leur dignité au-dessus de toute richesse, au mépris de toute chose en cette vie. Que vais-je faire, quant à moi, misérable, qui n'ai jamais songé qu'il y avait un Dieu, et qui ai ainsi accompli une foule de forfaitures et de crimes?" Passant la tête au travers du fenestron de sa cellule, qui était fermée à clef, il les appela auprès de lui et leur dit : " J'étais un brigand et j'ai accompli nombre de turpitudes et de meurtres. Je sais que l'heure viendra où l'archonte viendra me convoquer au tribunal, et où je serai mis à mort comme meurtrier. En voyant votre noble dignité j'ai été ému et bouleversé. Toi, dis à ta femme de se rendre en tel endroit, devant un mur de la ville. Creuse la cavité, et prends l'argent que tu y trouveras. Gardez-le pour payer vos dettes et pour ce dont vous aurez besoin d'autre. Et priez pour moi, afin que j'obtienne miséricorde". 4. Quelques jours plus tard, l'archonte arriva en la ville et enjoignit que l'on se saisît du brigand et qu'on le décapitât. Le jour suivant, la femme demanda à son mari : "Me permets-tu, maître, d'aller au lieu que nous a indiqué le brigand et de voir s'il a dit la vérité?" "Fais comme tu le jugeras bon", lui répondit-il. Le soir venu, la femme prit une houe, trouva le lieu indiqué, creusa la cavité, et découvrit un récipient empli à ras-bord d'or fin. Se comportant intelligemment, elle paya peu à peu ses créanciers, comme si elle avait emprunté aux uns et aux autres, jusqu'à ce qu'elle les eût tous payés. Après quoi elle libéra son mari. L'Abba Eusèbe concluait : " Voyez : Tout comme ils ont gardé l'observance du commandement de Dieu, ainsi Celui-ci leur témoigna richement sa miséricorde"". XIV. 1. Un moine déambula plusieurs jours durant dans la ville avec une jeune fille, en compagnie de laquelle il demandait l'aumône. Certains, d'entre ceux qui les voyaient faire, se scandalisèrent, croyant que c'était sa femme, et ils les dénoncèrent au Patriarche. "Très vénérable serviteur de Dieu, il souille le schème angélique de la vie monastique". Et ils ajoutèrent :" Il a pris pour femme une toute jeune fille." Aussitôt donc, le serviteur de Dieu, croyant devoir empêcher les outrages faits à la Face de Dieu, et que c'était là sa mission, ordonna que cette femme fût fouettée et qu'elle fût séparée du moine. Il enjoignit aussi que ce moine fût également fouetté, et qu'il fût enfermé dans une prison, jeté là à l'isolement. A peine l'ordre du Patriarche eût-il été exécuté, - et il l'avait été sur-le-champ - que, la nuit même se présenta dans son sommeil ce moine, qui lui montrait son dos tout flagellé de coups, pour ce que l'avaient roué de coups sans pitié aucune, ni la moindre, les garants de l'ordre ecclésiastique. Et il lui disait : " Es-tu satisfait à présent, ô Patriarche? Crois-moi, pour une fois tu as commis une faute, tel un simple homme mortel." Et sur ces mots il disparut. 2. Lorsque le jour parut, le bienheureux Patriarche se souvint de son rêve nocturne et se redressa sur son lit, tout songeur. Il envoya aussitôt son fidèle syncelle, qui était très fiable, quérir le moine dans sa prison, où il était enfermé. Il enjoignit au syncelle de ne se faire reconnaître de personne et de dire au prisonnier : " Si tu es bien le même que celui qui m'est apparu durant la nuit, et si tu portes les mêmes traces de coups que celles que j'ai vues en rêve, cela suffit à assurer que tu es innocent de toutes les condamnations que l'on m'est venu porter contre toi". Ce fut à grand peine que le moine, escorté du syncelle, se traîna au-devant du Patriarche, tant il ne pouvait se mouvoir du fait des insupportables douleurs que lui causaient ses plaies ouvertes. Le Patriarche se tenait encore dans sa chambre, sans nulle compagnie pour se tenir à ses côtés, si ce n'est Jean et Sophrone, ses autres syncelles, mentionnés supra. A peine l'eut-il aperçu que le Patriarche demeura sans voix, sans un geste, tout pensif. Et véritablement, il ne pouvait articuler un mot, ni proférer un son. Il ne put que lui faire signe de la main de venir s'asseoir auprès de lui sur sa natte. 3. A peine le Patriarche eut-il repris ses esprits et eut-il pris courage, en faisant son signe de croix, qu'il pria le moine, sur lequel on avait jeté un vêtement, d'ôter celui-ci sans honte, pour qu'il pût voir si son dos portait les mêmes traces de flagellation que celles qu'il avait vues en rêve. Mais, parce faire pareille chose semblait trop rude au moine, le bienheureux Patriarche tâcha d'abord de l'en persuader en usant de mots doux, avant que de devoir recourir à la force pour l'y contraindre. Le moine délia, sous son surplis, son omophore, qui recouvrait ses chairs, et entreprit de se dévêtir. Lorsqu'il eut ôté son stichaire afin de pouvoir montrer son dos au saint homme, il advint par un miraculeux vouloir divin, que lui tomba aussi le caleçon, attaché à la taille, et qui couvrait ses parties intimes. Tous alors virent qu'il était eunuque. Mais comme il était jeune, donc imberbe, la chose n'était pas manifeste. Tous, y compris le saint archiprêtre, virent la marque des coups funestes portés sur son dos. Le prélat envoya aussitôt rechercher ceux qui avaient inconsidérément calomnié ce jeune homme. Il ne voulut pas entendre leurs justifications, et leur imposa ce châtiment de demeurer privés de la communion trois ans durant. Au très pieux moine il demanda mille pardons, lui disant que c'était sans le savoir qu'il avait péché contre lui, ou plus exactement contre Dieu. Pour finir, le très juste Patriarche lui donna cependant un coneil spirituel : " Il ne convient pas, mon enfant, qui que l'on soit, que ceux qui ont revêtu le saint schème angélique, comme vous, aillent déambulant dans les villes, sans faire attention, et moins encore qu'ils aillent traînant après eux une femme, devenant par là des objets de scandale pour ceux qui les voient". 4. Alors le moine, en toute humilité, et avec grande piété, s'excusa auprès du patriarche, et lui dit :" Monseigneur, Dieu sait, lui qui t'a établi sur ce trône, que je ne te dis pas de mensonges. Quelques jours auparavant, je me trouvais à Gaza, et je sortais de cette ville pour venir vénérer le saint Abba Cyr, lorsque cette jeune fille vint à ma rencontre, aux portes de la ville, comme le soir tombait. Elle se laissa tomber à mes pieds, et me supplia de la laisser venir avec moi. Elle disait qu'elle était Juive et voulait devenir Chrétienne. Elle ajouta ensuite, assortissant son discours de menaces effrayantes, que je ne devais aucunement la laisser se perdre. Je craignis le jugement de Dieu, et j'acceptai de la prendre avec moi, croyant que Satan ne met pas les eunuques à l'épreuve. J'ignorais que le Diable n'hésite devant rien. Nous fîmes route ensemble. Après quoi nous nous mîmes en prières, et je la baptisai dans l'église du Saint Abba Cyr. Puis nous pérégrinâmes ensemble. Je la menais au long, dans toute l'innocence de mon coeur simple, mendiant de menues aumônes, afin de pouvoir la mener à quelque monastère de femmes". 5. A peine le Patriarche eut -il entendu ce récit qu'il dit à jean et à Sophrone, ses syncelles : " Malheur à moi! Quels serviteurs cachés Dieu possède-t-il, et nous, misérables, nous n'en savions rien!" Le Patriarche leur conta alors le rêve qu'il avait eu cette nuit même, en lequel il l'avait vu apparaître. De ses propres mains, il offrit au jeune homme cent pièces d'or, mais ce dernier, tendre moine aimé de Dieu, ne voulut pas les prendre. Il lui fit, l'air sérieux, cette réponse : " Je n'en ai point besoin, monseigneur. Non, si le moine a la foi, il n'en a nulle nécessité. Et si, à rebours, il en avait besoin, cela signifierait qu'il n'a pas la foi". Ce que voyant, tous ceux qui l'entendaient, furent persuadés qu'il était véritablement serviteur de Dieu. Lui donc, faisant une métanie au Patriarche, s'en fut en paix. Depuis lors, et de toutes les manières, le Patriarche honorait les moines et leur offrait l'hospitalité, tant les bons moines, que ceux qui paraissaient mauvais. Il bâtit sur-le-champ une hôtellerie pour les moines et l'appela : " Au bon accueil de tous les moines". Et il y prodiguait tous les soins que méritait leur fatigue à tous ceux qui venaient s'y refugier pour trouver le repos de leurs peines. XV. 1. Un vénérable Ancien, - il était âgé d'environ soixante ans -, entendant vanter les bonnes actions d'un bienheureux, voulut le mettre à l'épreuve, pour voir s'il était crédule, s'il se scandalisait aisément, et s'il était enclin à condamner une personne sans au préalable bien examiner les choses. Ainsi cet Ancien, cependant qu'il avait habité d'abord au monastère de l'Abba Séridon, se rendit à Alexandrie et commença d'y mener une vie qui pouvait sans aucun doute paraître provocante et scandaleuse aux yeux du monde, mais qui néanmoins était agréable à Dieu, Lui qui donne à chacun selon ce qu'il a dans le coeur, comme le dit David. 2. Il arrive donc à la ville, s'y installe, et établit une liste de toutes les prostituées connues en ces lieux. Il se met à travailller comme ouvrier journalier, gagnant de la sorte chaque jour sa menue pitance. Il ne mangeait qu'au coucher du soleil quelques grammes de graines de lupin. Le reste de sa ration, il la prenait, s'en allait voir une prostituée, la lui donnait, et lui disait : " Fais-moi la grâce, cette nuit, de ne dormir avec personne." Et il demeurait cette nuit-là auprès d'elle, la gardant, et veillant à ce qu'elle ne péchât point. Il se tenait dès le soir dans un coin de sa chambre, devant le lit où dormait cette femme, et il se mettait à à psalmodier et à prier pour le salut de la courtisane. Et, jusqu'à la pointe du jour, il faisait des prosternations pour l'amour de son âme. Puis il lui faisait promettre, en partant, qu'elle ne dirait à quiconque ce qu'il avait fait chez elle. Mais l'une d'elle le trahit et rendit témoignage, dévoilant ses actes, et disant : " Il ne vient pas chez nous pour s'étendre à nos côtés et dormir avec nous, mais il vient pour nous sauver et faire notre salut." Ce qu'apprenant, l'Ancien se mit en prières, et cette femme fut possédée du démon. Les autres courtisanes, effrayées à l'idée qu'il pût leur advenir le même malheur, n'osèrent plus rien dire des actions de l'Ancien, du moins de son vivant. Les gens disaient donc à la possédée : " Qu'est-il advenu? Dieu t'a châtiée pour tes mensonges. C'est bien pour se vautrer avec vous dans la luxure que ce trois fois misérable vient chez vous, et pour rien autre chose". 3. Par la suite, Saint Vitale - ainsi se dénommait-il - , voulant fuir la gloire humaine et sortir les âmes de la ténèbre, se parlait tout haut à lui-même, pour que tous l'entendissent, à la fabrique où il travaillait alors, lorsqu'il achevait son labeur journalier et prenait sa pitance du jour : " Allons, mon ami, unetelle t'attend". Ainsi parlait-il sur son lieu de travail, où il recevait son salaire journalier. Beaucoup alors le condamnaient et se moquaient de lui. Mais lui leur fermait la bouche : " Quoi donc? N'ai-je pas, moi aussi, un corps, comme tous les autres humains? Et est-ce que Dieu ne se courrouce que contre les moines, pour les faire mourir de force? En vérité, eux aussi sont des hommes, comme tout le monde". Mais eux, le reprenant de plus belle, lui dispensaient des conseils : " Marie-toi! Epouse une femme, Abba, ôte ton schème angélique, aie des enfants, afin que Dieu ne soit point blasphémé par ta faute, et pour n'être pas condamné par les âmes que tu scandalises". Mais il leur répondait avec force serments, contrefaisant même l'atrabilaire fâché et courroucé : " Dieu existe; je ne veux plus vous écouter. Allez-vous en d'ici! Pour l'heure, ne puis-je rien faire d'autre, pour que vous ne soyez pas scandalisés, que de prendre femme, d'avoir tous les soucis domestiques d'un foyer, et de couler ainsi une vie de misère? Ah, non merci, Dieu ne le veuille point! Celui, donc, qui veut être scandalisé, qu'il souffre tant qu'il lui plaira, et qu'il se tape la tête contre les murs. Car enfin, que voulez-vous de moi? Croyez-vous, par hasard, que Dieu vous ait institués mes juges? Allez-vous en d'ici! Occupez-vous de vos propres affaires. Il ne s'agit pas que vous rendiez compte pour moi devant Dieu. Il n'est qu'un seul Juge et il n'est qu'un Jour Saint du Jugement divin. Lui seul rendra à chacun selon ses oeuvres. Si Dieu ne l'eût point voulu, je ne fusse point venu à Alexandrie". Et, tout en disant ces mots, il faisait grand tapage, et poussait force cris, au point que tous avaient le désir de lui fermer la bouche. Par-dessus quoi il ajouta : " Par le fait, si vous ne gardez pas le silence à mon sujet, désormais vous vous tairez, pour votre châtiment, à cause de moi." 4. A maintes reprises des juges ecclésiastiques entendirent les propos qui sortaient de sa bouche, et furent témoins de ses folies, de sorte qu' ils s'en vinrent les colporter au Patriarche. Mais Dieu, qui sait que le Saint ne voulait pas s'opposer à lui, lui cuirassa le coeur, au point qu'il n'ajouta foi aux dires de personne. De fait, son expérience, acquise avec l'eunuque, - cette aventure que nous avons rapportée supra - , l'avait empli de crainte devant Dieu. Aussi chassa-t-il ceux qui accusaient l'Abba Vitale, tout en leur adressant de sévères reproches, assortis de maintes recommandations : " Cessez désormais de faire les sycophantes envers les moines. Ne savez-vous pas ce que portent le écrits sur la vie du Saint empereur Constantin? Ils stipulent que certains, moines et Evêques, qui n'avaient point la crainte de Dieu, lorsque s'acheva leur saint Synode, se mirent à se condamner les uns les autres à la face du bienheureux empereur. Mais ce véritable Saint de Dieu qu'était l'empreur Constantin les renvoya dos à dos, tant les juges que les parties. Il leur suscita des adversaires capables de trouver des motifs de condamnationtant aux juges opposants qu'aux fautifs incriminés, pour leur trouver des griefs d'adultères, ou d'autres plus redoutables encore, allant jusqu'au meurtre. Dès qu'il fut anifeste qu'il y avait une grande vérité en nombre de ces condamnations, il cita le grand Apôtre Paul qui s'écrie : " Qui est faible, que je ne sois faible?" (2. Cor.11, 29); et encore, à l'imitation du Seigneur, qui ne condamna pas la femme qui avait pourtant été prise en flagrant délit d'adultère, il tint un cierge allumé, à la face de tous les accusateurs et de leurs accusés, et brûla toutes les condamnations écrites qui lui avaient été remises, disant : " En vérité, si de mes yeux je voyais pécher un prêtre de Dieu ou un moine, revêtu du schème angélique, j'étendrais sur lui ma chlamyde, et je l'en couvrirais pour que nul ne le voit". Vous avez donc cru qu'il en était ainsi avec le serviteur de Dieu, qui était eunuque, et, ce faisant vous m'avez égaré, au point que j'ai rendu mon âme passible d'un grand crime". Et les ayant couverts de honte, il les chassa. 5. Le serviteur de Dieu Vitale, lui, de son côté, n'arrêta point là son oeuvre, et il suppliait Dieu de faire en sorte qu'après sa mort la vérité à son sujet fût révélée à certains en une vision, afin que ne leur fût point imputé à péché le fait qu'ils avaient été scandalisés par sa faute. "Ce que j'ai fait", disait-il, " était une pure provocation de ma part, et nul homme ne sera condamné par ma faute, s'il a dit quelque chose à mon encontre". Son oeuvre bouleversa bien des courtisanes, surtout de ce qu'elles le voyaient la nuit élever les mains et se mettre en prières pour chacune d'elles. De la sorte, les unes cessèrent de se prostituer, d'autres se marièrent, adoptant une conduite sage et sensée, et d'autres, même, renoncèrent définitivement au monde, revêtant le schème angélique des moniales. Jusqu'à sa mort pourtant, nul ne sut que c'était de par ses exhortations spirituelles et par ses prières que ces femmes publiques ne faisaient plus commerce de leur corps. 6. Un jour que pointait l'aube, tandis qu'il sortait de chez l'une des plus célèbres de ces courtisanes, il tomba sur un pécheur, qui allait se souiller avec elle. Dès que celui-ci vit Vitale, qui en sortait à cette heure, il lui donna un soufflet: " ö toi", lui dit-il, " trois fois misérable, qui te moques de Dieu, jusques à quand continueras-tu tes dévoiements?". A quoi le moine lui répondit : " Crois-moi, malheureux, tu vas à ton tour recevoir une telle gifle que toute Alexandrie s'assemblera au bruit de tes cris". Il ne se passa guère de temps que le bienheureux Vitale, dans sa cellule, paisiblement, s'endormit dans le Seigneur, avant que nul n'eut rien compris. Il avait une petite cellule près de la porte d'Elie, et bien des fois, lorsqu'il y avait un office à l'église de Saint Mitra, qui était proche de là, certaines de ces femmes publiques se précipitaient sur ses pas, se disant l'une à l'autre : " Allons, allons, l'Abba Vitale a une nouvelle synaxe à la paraoisse". Elles entraient dans l'église, et, là, il avait souci d'elles, mangeant avec elles et s'amusant, si bien que beaucoup de fidèles qui étaient présents se courrouçaient, marmonnant : " Elles sont toutes entichées de ce pseudo-moine, et elles lui font leur charme". Et cela, sans connaître, ainsi que nous l'avons dit, son oeuvre secrète. La seule chose qu'ils voyaient était que l'Abba Vitale faisait des allées et venues chez ces femmes de mauvaise vie. Mais ils ignoraient qu'il luttât pour leur salut, de ce qu'il était homme noble et pur, réceptacle de Dieu. 7. Lorsqu'il mourut dans sa cellule, ainsi que nous l'avons dit, sans que nul ne songeât aussitôt à s'informer à son sujet, alors, un démon tout noir à l'aspect effrayant se présenta à la vue de celui qui avait administré le soufflet à l'Abba Vitale. Il se campa devant lui, et lui décocha une gigantesque gifle, s'exclamant : "Tiens, voilà pour toi, reçois ce soufflet que t'envoie l'Abba Vitale. Sur-le-champ, lors, l'homme tomba à terre, et se mit à pousser des hurlements épouvantables. A ces cris, comme l'avait prophétisé l'Abba Vitale, toute Alexandrie s'assembla. Telle en effet était la force du coup administré à cet homme par le démon, que le bruit du coup qu'il lui avait asséné s'entendit aussi loin que peut porter la trajectoire d'un projectile lancé à vive allure sur quelqu'un. Lorsque, plusieurs heures plus tard, le possédé reprit ses esprits, il déchira sa chemise comme un fou, et s'en fut en courant à la cellule du Saint, s'écriant : " J'ai péché contre toi, Vitale, serviteur de Dieu, pardonne-moi". Tous ceux qui l'entendirent accoururent derrière lui, et lorsqu'ils parvinrent à la cellule du Saint, le démon sortit de dedans lui, à la vue de tous, et il le mit en pièces. Alors, comme tous entraient dans la cellule, ils virent le Saint agenouillé en prières, qui avait rendu son âme au Seigneur. A terre, gisait une inscription portant ces mots : " Alexandrins, ne jugez de rien avant l'heure, jusqu'à ce que revienne le Seigneur en sa seconde Parousie." Sur ce aussi le démon laissa aussitôt cet homme, qui confessa ce qu'il avait fait au Saint, et ce que celui-ci lui avait prédit. 8. L'on rapporta aussitôt tout cela au Patriarche. Alors ce dernier, avec tout son clergé, se rendit en grande pompe au-devant de la dépouille de Saint Vitale. Lorsqu'il vit l'inscription qui gisait à terre, il déclara : " En vérité, c'est avec la Grâce de Dieu que l'humble Jean a écrit cette sentence, car le soufflet que le malheureux a reçu, c'est moi qui eût du le recevoir". Toutes les courtisanes alors, auxquelles se joignirent celles qui avaient laissé leur mauvaise vie et celles qui s'étaient mariées, tenant des cierges et des lampes, lui firent cortège pour l'ensevelir dans les larmes, au son des chants de thrênes : " Nous avons perdu notre sauveur et notre maître", pleuraient-elles. Elles révélèrent à tous les oeuvres de leur bienfaiteur, ajoutant : " "Il ne venait pas auprès de nous pour accomplir aucune oeuvre honteuse. Jamais il ne s'étendit contre nous, ni il ne but de vin, ni il ne se laissa aller au sommeil, si ce n'est deux heures par nuit, ni il ne tint aucune d'entre nous par la main". Et lorsque certains condamnaient ces femmes, leur disant :" Pourquoi n'avez-vous jamais dit la vérité de ces choses à quiconque, mais avez-vous laissé toute la ville se scandaliser de sa conduite?", elles leur donnaient pour explication l'histoire de ce qu'avait subi ce possédé, ajoutant :" Nous avions peur de subir nous aussi le même sort, et c'est pourquoi nous gardions le silence". 9. L'on l'ensevelit avec les plus grands honneurs. Assistait également à l'ensevelissement celui qui, par l'intercession du Saint, avait été possédé du Diable, puis délivré. Il fut de tout l'office de concélébration des défunts, et fit mention de lui dans ses prières. Pour finir, cet homme s'en alla au monastère de Séridon, à Gaza, et il prit avec piété possession de la cellule même de Vitali, où il demeura jusqu'à la fin de ses jours. Le pieux Patriarche rendit grâces à Dieu du tréfonds de son âme, de ce qu'Il ne l'avait pas laissé pécher à l'encontre de l'Abba Vitale. Depuis lors, nombre d'hommes et de femmes d'Alexandrie trouvèrent grand profit spirituel à exercer l'hospitalité envers les moines, et ils prenaient bien garde à ne pas se laisser aller au jugement et à la condamnation facile, contrairement à ce qui était advenu à l'un d'eux. Après sa mort, la vénérable tombe miraculeuse de Vitale opérait des merveilles et des prodiges. Puisse par ses prières Dieu nous manifester Sa compassion, et faire que nous ayons une bonne défense à Son Tribunal divin, au jour où Il nous découvrira les secrets des hommes et où Il nous dévoilera les désirs du coeur humain. *** SAINTE MARIE, HIGOUMENE. Lorsqu'arriva pour le visiter la soeur de Pachôme, incitée qu'elle était, par sa réputation, à le voir, lui ne voulut pas la recevoir. Aussi fut-ce par l'entremise du frère tourier qui gardait la porte du monastère qu'il lui fit parvenir ce message : " Ne t'afflige pas de ce que tu ne peux pas me voir. Vois, tu sais au moins que je suis en vie. Cependant, si tu veux me suivre dans cette sainte vie et revêtir le saint schème angélique, trouve-toi un monastère non loin d'ici. Peut-être le Seigneur appellera-t-il d'autres femmes auprès de toi, pour que vous y meniez ensemble la vie monastique à l'imitation des anges. Il n'est nul espoir de salut pour l'homme dans le monde, s'il ne fait pas le bien avant que de se séparer de son corps. Ce qui attend chacun après sa sortie de ce monde, c'est le Jugement et la rétribution de ses oeuvres, selon la vie qu'il a vécue sur terre. A entendre ces mots, elle fondit en larmes, et sur-le-champ se tourna vers la vie monastique. Et il se trouva pour elle un monastère au village le plus proche, qui, donc, n'était guère loin du grand monastère de son frère. Elle y mena l'ascèse avec beaucoup de bonne volonté, et d'autres femmes vinrent se joindre à elle, qui choisirent de mener la même ascèse. Il en vint ensuite d'autres, puis d'autres encore pour s'adjoindre à elles, de sorte qu'elles furent en peu de temps fort nombreuses. Et elle était leur mère spirituelle à tous. 2. Le grand Pachôme choisit un dénommé Pierre, qui était très pieux et relativement âgé, pour leur père spirituel. Elles disaient de lui que " sa parole était toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel" ( Col.4,6), pleine de douceur, lorsqu'il enseignait, et empreinte de modestie. En sus de ce guide Pachôme leur transmit aussi les canons du monastère. Si parfois un frère voulait rencontrer une de ses parentes moniale, il l'envoyait à Pierre. Celui-ci à son tour informait la soeur de Pachôme, et ainsi, avec son accord d'higoumène, le frère rendait visite à sa parente, en présence d'une pieuse moniale, de sorte que ces rencontres se faisaient avec toute la décence et les bienséances qui convenaient. 3. Lorsqu'une moniale mourait, l'on enveloppait son corps en un linceul, et l'on le déposait dans la cour du monastère. Du monastère du grand Père Pachôme étaient alors envoyés des moines, qui se tenaient en toute humilité sous le portique extérieur, cependant que les femmes se tenaient en face d'eux, mais à bonne distance de là. Tout en psalmodiant, elles la portaient vers sa tombe, pour rendre à la terre le corps de la sainte, le transportant à l'aide d'un char jusque sur la montagne, où se trouvaient les tombes monastiques. Les moines chantaient leurs psalmodies accoutumées, tandis que les femmes suivaient derrière eux, également chantantes. C'est ainsi que se passaient d'ordinaire les offices d'ensevelissement. Le nombre de moniales s'accrut, jusqu'elles fussent quatre cents. Elles avaient adopté le même type d'ascèse que les frères du grand monastère de Saint Pachôme, à l'exception de la mélote, qu'elles ne revêtaient pas, - cette peau de chèvre, dont le crin rêche est une forme d'ascèse désagréable pour la peau. 5. Il survint un jour dans ce monastère de femmes l'évènement suivant : Un laïc qui vivait dans le monde, tailleur de profession, arriva un jour en ces lieux. Il se tenait au-dehors de la clôture, cherchant à savoir si les moines avaient besoin de recourir à son art. Il se trouva lors qu'une des plus jeunes d'entre les moniales se trouvait aussi à l'extérieur du monastère pour les besoins de son travail. Ce fut par hasard qu'elle tomba sur lui. Apprenant la raison qui le faisait se tenir là, elle lui répondit que le monastère avait ses propres soeurs couturières, et que donc l'on n'avait pas besoin de lui. Par hasard une autre moniale suivait aussi de loin la scène. Après quoi il s'ensuivit un différend entre eux, du fait d'une attaque diabolique, le tout assorti d'une dispute. De là que la seconde moniale fit office de sycophante à l'encontre de la première soeur, inventant devant toute la communauté des soeurs que la première moniale et le tailleur s'étaient rencontrés à l'extérieur de la clôture du monastère dans le but diabolique de pécher. Cette accusation parut aux une mensongère, mais aux autres véridique, comme cela est ordinairement le cas avec les calomnies. Celle qui avait été l'objet d'accusations calomnieuses par sa soeur sycophante ressentit de la rage au coeur, et ne pouvant souffrir la puanteur de cette accusation mensongère, elle sortit à l'insu de tous, et se jeta dans le fleuve, mettant ainsi fin à ses jours. Lorsqu'elle l'apprit sa calomniatrice sentit qu'elle était cause de la perte funeste de la jeune vierge. Il eût convenu qu'elle se redresse de sa chute par la pénitence, la confession, les larmes, et les gémissements. Hélas! Trois fois hélas! Dans son désespoir elle manifesta la même pusillanimité et la même lâcheté que la moniale qu'elle avait calomniée. Elle prit donc une corde et s'en fut sur-le-champ se pendre. Ces faits parvinrent aux oreilles du grand Père Pachôme. Lequel, apprenant de quelle manière ces deux moniales avaient attenté à leurs jours, il défendit que l'on célébrât à leur intention l'office de funérailles. Quant aux autres moniales, qui n'avaient pas examiné scrupuleusement les accusations, mais avaient à rebours si aisément et si inconsidérément accepté pour argent comptant les calomnies de leur soeur sycophante, il les priva de communion sept longues années durant. SAINTE PELAGIE. 1. Il était une fois un jeune homme sans scrupules, qui vint un jour au monastère enlever une moniale, et qui s'enfuit avec elle à Constantinople. Le Patriarche l'apprit, et dans l'excès de son chagrin pensa mourir. C'était pour la jeune fille, surtout, qu'il était peiné. Un peu de temps passa. Un jour qu'il se tenait dans la sacristie avec quelques clercs, - c'était durant la divine anaphore -, ils se lancèrent dans une discussion salutaire; et la conversation roula sur le jeune homme, qui avait commis ce péché d'enlever une moniale. Les clercs, alors, qui se tenaient à ses côtés se mirent à anathématiser le jeune homme, pour ce qu'il avait ruiné deux âmes, la sienne et celle de la moniale. 2. Le bienheureux les fit taire, et coupa court à leur conversation, disant : "Non, mes enfants, non, ne faites pas cela. Mais soyez sûrs, bien plutôt, que vous commettez un double péché. D'une part, vous transgressez le commandement de Celui qui a dit :" Ne jugez pas, pour n'être pas jugés." Et, de surcroît, vous ne savez pas exactement s'ils ont péché jusqu'à ce jour, et s'ils n'ont pas fait pénitence". J'ai lu dans une vie de Saint ce qui suit : Deux moines déambulaient dans une ville à mendier. Comme l'un d'eux passait par un endroit où se tenait une femme publique, celle-ci lui cria : "Sauve-moi, père, comme Dieu a sauvé la courtisane". Celui-ci, sans songer aucunement à la honte que lui en ingligerait le monde, ni aux railleries qu'il en essuierait, lui dit : " Suis-moi.", et la tenant par la main il sortit de la ville au su et à la vue de tous. Le bruit courut donc aussitôt que l'Abba avait pris pour femme cette dame-Porphyria, comme on l'appelait. Tandis qu'ils quittaient les lieux dans l'idée de gagner un monastère pour y mettre cette femme, cette femme trouva dans une église, couché à terre, un enfant abandonné, et elle le prit pour l'élever. Un an plus tard, des personnes vinrent à la ville où vivaient l'Abba et Porphyria la courtisane, et, la voyant avec l'enfant, ils lui dirent : " En vérité, tu as fabriqué un beau petit Abba". Elle n'avait pas encore pris le schème monastique. Ils retournèrent à Tyr, où l'Abba l'avait prise avec lui Là, tout le monde répandait cette rumeur, que dame Porphyria avait eu un enfant de l'Abba. "Nous l'avons vu de nos propres yeux. C'est le portrait craché de l'Abba!". 3. Lorsque, de par une illumination divine, l'Abba comprit que sa fin approchait, il dit à Mère Pélagie - ainsi l'avait-il appelée lorsqu'il lui avait donné le saint schème - : " Viens, nous nous en irons à Tyr; j'ai là-bas un travail qui m'attend, et je veux que tu viennes avec moi". Elle, ne pouvant pas le contrarier, le suivit de ce pas, et tous deux ensemble s'en vinrent à Tyr, accompagnés de l'enfant, qui était âgé d'environ sept ans. Aussitôt le bruit s'en répandit comme une traînée de poudre : "Porphyria, la prostituée, est arrivée ici avec l'Abba, son mari." Mais voici que l'Abba tomba malade et qu'il était déjà demi-mort. " Apportez-moi", demanda-t-il alors, des charbons allumés. On lui en apporta. Par une économie divine, près d'une centaine de personnes étaient venues de la ville pour le visiter. Il prit l'encensoir plein de charbon incandescent, et le vida sur son stichaire, disant : " Par Dieu, qui a gardé le buisson ardent à l'abri du feu, en sorte qu'il ne se consuma pas, et de même que mon stichaire, malgré les charbons enflammés, n'a pas pris feu, de la même façon, depuis l'heure de ma naissance, je n'ai jamais péché avec une femme." Tous alors furent dans l'admiration de ce que son stichaire n'avait pas brûlé, et ils rendirent gloire à Dieu, qui a des adorateurs secrets. Suivant cet exemple, Mère Pélagie, que l'on avait naguère appelée Porphyria, imitée d'autres courtisanes, renoncèrent au monde, et se retirèrent avec elle dans son monastère. Le serviteur de Dieu, lui, qui l'avait revêtu du schème monastique, à peine eut-il fait cette révélation, et crié à la face de tous son innocence, qu'il rendit paisiblement son âme à Dieu. 4. C'est pourquoi je vous le dis, mes enfants, ne vous hâtez pas de condamner qui que ce soit, et n'ayez garde d'examiner les actions des autres. Bien des fois nous avons connaissance du péché de l'homme qui tombe dans le péché de la chair, mais nous n'avons pas connaissance ensuite de son secret repentir. Il nous arrive aussi de voir quelqu'un voler, mais nous ignorons quels soupirs, quels gémissements, et quelles larmes il offre ensuite à Dieu. Nous autres alors, nous croyons, sur la foi d ece que nos yeux ont vu, qu'il s'agit là d'un voleur impénitent et parjure. Mais Dieu cependant a agréé sa pénitence et a reçu sa confession, et au regard divin est libéré de son péché". VIES DES SAINTES DE L'EGLISE. Les VIES DES SAINTES DE L'EGLISE ont commencé d'être écrites après la fin des persécutions, par des auteurs anonymes. Ces oeuvres précieuses et considérables, bien qu'elles diffèrent entre elles par le style et par l'époque de leur auteur, présentent cependant des caractéristiques communes. Toutes font le panégyrique et célèbrent la louange du Saint, témoignent d'un souci d'édification des fidèles, témoignent d'une grandeur dramatique dans le récit, etc... Cependant, leur plus importante caractéristique est leur lien organique avec la Sainte Ecriture, comme cela apparaît non seulement dans le rapprochement avec nombre de passages hagiographiques, mais surtout dans l'effort d'interprétation du message chrétien, au sein des événements de la vie quotidienne. Pour le peuple des fidèles orthodoxes, les Vies des Saints continuent d'être la plus chère mémoire exégétique de la Sainte Ecriture, exactement comme les icônes dans les églises sont le meilleur moyen pédagogique de faire approcher une âme du mystère du Salut en Christ. Habituellement les traductions contemporaines en grec moderne ne restituent pas suffisamment les caractéristiques propres et distinctives des textes hagiographiques, qui souvent sont altérés en arrangements et en traductions libres, simplifiées et prétendument plus littéraires. Dans les traductions qui suivent, nous avons tenté de fournir un effort particulier et de mettre tous nos soins pour faire en sorte de ne pas trahir l'esprit ni le style des textes anciens. SAINTE ATHANASIA D'EGINE. VIE ET OEUVRES DE NOTRE SAINTE MERE ATHANASIA ET RECIT DE QUELQUES-UNS DE SES MIRACLES. 1. Faire mémoire des Saints est une mission apostolique. (Hébr. 13, 7). Mais écrire leurs vies, lesquelles offrent un commun profit spirituel à ceux qui en sont en quête, cela est une des oeuvres les plus louables et les plus salutaires qui soient. J'essaierai donc d'écrire la vie de la bienheureuse Athanasia, et de raconter quelques-uns de ses hauts faits, pour qu'ils soient arrachés aux méfaits délétères du temps, et qu'ils ne sombrent pas dans l'oubli, ce qui serait nuisible à la plupart des fidèles. Cette créature digne de louanges, qui avait reçu le nom d'Athanasia qui lui séyait tant - en effet, il a signifiance :"immortelle" -, vécut sa vie en juste. Elle assumait la charge de diaconnesse du Christ, souverain maître de tous et de toutes. Son père avait nom Nikitas, et sa mère se prénommait Hélène. Ses parents étaient de noble ascendance, et craignaient grandement Dieu. Ils demeuraient dans l'île d'Egine. Athanasia leur naquit, et elle entra dans la vie telle "un vase utile " du Tout Saint Esprit. (2. Tim. 2, 21). A l'âge de sept ans, elle apprit en peu de temps le Psautier par coeur, et elle étudiait avec beaucoup de zèle toutes les saintes Ecritures. 2. Un jour, donc, cependant qu'elle était assise à tisser dans la solitude, voivi qu'elle vit un astre lumineux descendre sur son sein, pour l'irradier de son éclat, avant que de disparaître. Dès lors, ensuite d ecet évènement, elle fut grandement illuminée d'En-Haut, et se mit à détester en tout point la vanité du monde. Elle se donna pour visée d'embrasser la vie monastique. Cependant ses parents, contre son vouloir et son ferme refus d'obtempérer, la marièrent de force. Mais seize jours seulement se passèrent, et voici qu'elle fut veuve. De fait, lorsque les Barbares Maures se répandirent dans cette contrée, ils tuèrent son mari - Dieu sait comment -, qui se trouvait engagé au coeur de la bataille. 3. Un assez long temps passa, cependant qu'Athanasia luttait intérieurement, menant le bon combat, et tournait son esprit vers la vie monastique. Mais voici que fut soudain émis un décret royal, ordonnant que les femmes qui n'étaient point mariées, ainsi que les veuves, épousassent des idolâtres. ce qui fut cause qu'Athanasia n'eut point le temps de se faire moniale, avant que ses parents ne l'engagent dans une seconde union. Mais bien que ce nouveau mariage eût lieu, Athanasia s'était accoutumée à prendre soin de son âme, en vue de faire son salut. Aussi se vouait-elle infatigablement aux psalmodies et à , car Il fait des Livres Saints, et elle s'y appliquait avec soin, sans permettre que rien vînt s'opposer à ces bonnes oeuvres. Toute parée de douceur, elle brillait de sainteté, dans l'humilité de son coeur. D'où venait que tous ceux qui voyaient sa bonne conduite se prenaient à l'aimer et à la louanger; Elle se distinguait tellemnt dans la vertu de l'aumône, qu'il semblait ne pas y avoir assez de biens dans sa maison, qui en était cependant pleine, pour qu'elle pût à profusion les partager de ses mains. Elle accueillait charitablement des moines venus de partout, et leur donnait l'hospitalité. Et elle offrait d'abondance de ses biens, en sorte de faire vivre les veuves, les orphelins, et, avec eux, tous les pauvres de sa contrée. 4. Lorsqu'un jour survint une famine, et que tous se trouvèrent en proie aux affres de la faim, celle-ci accorda de riches subsides, non seulement aux fidèles qui confessaient la même foi orthodoxe qu'elle-même, mais aussi aux tsiganes, qui mouraient de faim et qui, de ce fait, cherchaient refuge auprès d'elle. Celle-ci aplliquait le précepte du Seigneur : " Soyez compatissants, comme est compatissant votre Père céleste, car Il fait luire son soleil sur les bons et les méchants, et il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes." Et elle ne leur donnait pas seulement des vivres et de la nourriture, mais encore elle les revêtaient d'habits et leur prodiguait la consolation de maints autres dons. Le dimanche et les jours de fêtes ecclésiales, elle rassemblait avec amour les voisines autour d'elle et leur lisait les saintes Ecritures, leur illuminant ainsi l'esprit et les guidant avec un tact tout divin dans la crainte et le désir du Seigneur. 5. Elle était ainsi pareille à un jardin orné de mille fleurs, progressant dans les voies de Dieu et dans les vertus, lorsqu'au bout de quelques années de vie commune, elle persuada son époux, après maintes supplications, de renoncer au monde et à toutes les choses du monde, et d'embrasser la sainte vie monastique. Enfin, sur ces entrefaites, cependant qu'elle vivait ainsi saintement, son mari s'endormit "dans le Seigneur." La bienheureuse, donc, maintenant qu'elle avait trouvé là l'occasion d'être enfin libre, entreprit de consacrer entièrement sa vie à Dieu. Elle rassembla d'autres femmes très pieuses, qui se trouvaient avoir le même but qu'elle dans la vie, et que distinguait leur grand zèle spirituel. Sans tarder, elle s'adjoignit à elles de toute son âme, laissant le tumulte du monde. Tout ce qu'elle possédait, elle le partagea aux pauvres, conformément au précepte du Seigneur. Après quoi elle changea son mode de vie, et revêtit le schème angélique, avec ces femmes, dont nous avons parlé. Elle s'isola en un lieu retiré, et, sous l'influence d'un saint homme de grande piété, qui l'avait tonsurée moniale, elle accepta, après trois ou quatre ans, et ce bien que sa volonté s'y opposât, de devenir higoumène des moniales. Celles-ci la considéraient comme la première d'entre elles. Athanasia, cependant, se considérait en pensée comme la dernière d'entre elles, et, de la sorte, elle accomplissait en acte la parole du Seigneur :" Celui d'entre vous qui veut être le premier, qu'il soit le dernier et le serviteur de tous". (Mc. 9, 35). 6. Quel discours, quelle langue pourrait exprimer la profondeur de son humilité? C'est ainsi que durant toutes les années de sa vie, elle n'accepta jamais de se faire servir par aucune des moniales. Elle n'acceptait pas non plus qu'elles lui versassent de l'eau pour la laver. Ainsi que toutes les soeurs, qui s'étaient interrogées l'une l'autre après sa sainte dormition, le firent apparaître, elle leur assurait à toutes et leur répétait qu'elle se considérait indigne de demeurer avec elles, et qu'elle ne pouvait pas être servie par elles en tant qu'higoumène. Comme elle avait acquis une grande tempérance, elle ne goûtait que d'un peu d'eau et d'un peu de pain après l'heure de none, à trois heures de l'après-midi, et ne prenait du tout ni poisson ni laitages. Elle ne prenait de ceux-ci, avec joie, que lors de la fête de la Pâque. Durant les jours du saint Carême, elle se contentait de ne manger que des légumes crus tous les deux jours, et, ces saints jours, elle ne buvait presque pas d'eau. Pour ce qui est du sommeil, elle ne dormait que très peu, et non pas sur une planche, mais sur une pierre pentue exprès, pour lui ôter tout confort. Et cette ascèse, elle ne s'y adonnait pas seulement lors du Grand Carême, mais aussi lors des autres carêmes, celui de Noël, celui des Saints Apôtres Pierre et Paul, et celui de la Mère de Dieu. Sa couche était faite de grosses pierres jonchées sur le sol, recouvertes d'une mince couverture de crin, disposée à terre à l'heure du repos, et qu'elle trempait chaque nuit de ses larmes, pour parler comme le prophète; Pour ce que l'amour divin s'allumait profusément en elle, c'est d'abondance aussi qu'elle versait des larmes dans ses psalmodies et dans ses prières. Ainsi, l'on eût plus aisément pu voir se tarir une fontaine que l'on n'eût su voir ses yeux manquer de larmes. Il semblait que son regard fixait continûment le Christ. 7. Elle avait pour vêtement intérieur un habit de crin qui mettait durement à mal sa peau. Au-dessus, à l'extérieur, elle avait un habit usé de laine d'agneau, qui recouvrait son mince corps négligé. Elle veillait la nuit, retirée dans la solitude, et elle méditait les psaumes de David, ajoutant à chacun des cathismes une prière qu'elle faisait dans une concentration extrême. Le jour, seule parfois, ou bien avec les soeurs, elle usait de stichères, pour rendre incessamment gloire à Dieu. Et, soit oralement, en remuant les lèvres, soit en esprit, elle disiat le psaume de David : " Je rendrai gloire à Dieu en tout temps, sa louange sera sans cesse sur mes lèvres." (Ps. 6, 7). Du jour où elle devint moniale jusqu'à celui où elle s'en fut au Ciel, elle ne goûta d'absolument aucun fruit. De ce qu'elle avait charge d'âmes et que lui incombait le souci de ses soeurs, elle eut à passer par beaucoup d'afflictions. Cependant, si grande était son humilité que jamais elle ne gronda une soeur. Nulle injure ne sortait de sa bouche, qu'elle s'adressât un jeune ou à un adulte, à un homme libre ou même à un esclave, en dépit du fait, pourtant, que, bien des fois, le diable l'eût provoquée. Elle accueillait tout le monde avec une grande douceur d'esprit, et un coeur d'une grande largesse, songeant continûment à la rétribution qui lui en reviendrait dans l'éternité. (Hébr. 11, 26). 8. Après quatre ans passés avec ses soeurs, sa pensée avait mûri le projet qu'elles quittassent le lieu où elles demeuraient, pour gagner une montagne sise dans un lieu écarté et fort éloigné, où elles pourraient, au désert, s'adonner à Dieu dans l'isolement, loin de tout contact humain. C'est ainsi qu'elles partagèrent aux pauvres tout ce qu'elles avaient acquis pour leurs nécessités, et qu'elles se préparèrent, le coeur brûlant de zèle divin, à suivre leur nouveau dessein. Mais voici qu'en chemin elles rencontrèrent un homme de grande vertu qui possédait en son coeur l'amour de Dieu. Il se dénommait Matthias. Il avait revêtu la dignité de prêtre et il était higoumène d'une synodie fort ascétique. Cet homme vénérable, lorsqu'il vit l'amour qu'avaient ces femmes pour la bienheureuse Athanasia, dit à celle-ci : " Ton dessein, comme celui du reste de tes soeurs, est bon et louable. Cependant, fatiguées comme je vous vois par l'ascèse, et faibles comme vous l'êtes devenues, je vous conseille de ne pas vous exposer à une ascèse supplémentaire aussi rude que celle-ci. Mais, si vous agrééz mon conseil spirituel, je vous conduirai en un lieu où vous pourrez bien, comme il convient, vous garder, vous, et vos âmes. Vous m'aurez aussi pour votre assistant dans les difficultés, et je vous servirai en vos nécessitéss, de toute mes forces et de tout mon vouloir." Ce disant, il persuada la ssainte et le restant des soeurs de le suivre bien volontiers. Lorsqu'elles approchèrent le lieu et qu'elles le virent, la bienheureuse fut saisie d'une joie extrême et se prit à dire : " Tel est le lieu que je voyais depuis longtemps avec les yeux de mon âme. Et, comme je le crois, c'est ici que dorénavant nous vivrons et que nous demeurerons jusqu'au terme de notre vie." 9. Il y avait en ce lieu une très belle église, fort ancienne, consacrée au protomartyr Saint Stéphane. Le bienheureux Mathias, après qu'il les eut installées ici avec la bénédiction de l'Evêque de la contrée, se mit en grand souci des moniales. Lui, de son côté faisait une très grande ascèse, jeûnant et veillant. Ce qui est dire que toute la nuit il récitait le Psautier et faisait nombre de prières. Il ne dormait pas allongé, mais c'est assis qu'il concédait au sommeil sa part nécessaire. Si grande était sa contrition dans les psalmodies et durant la célébration de la divine liturgie, que ceux qui le voyaient célébrer le sacrifice non sanglant en tiraient un grand profit spirituel. Il se contentait d'un seul surplis déguenillé, qu'il portait à même la peau, et dont le poil de crin lui endommageait affreusement la chair, qu'il domptait de la sorte. Il portait un grand amour au disciple bien-aimé de notre Seigneur, Jean, l'ami qu'il avait tenu sur sa poitrine. Lorsqu'approchait le moment de faire mémoire de lui, et qu'il célébrait la liturgie non-sanglante, il était empli d'une immense et ineffable contrition. Il dit un jour à quelqu'un qui se trouvait à ses côtés : " Y a-t-il aujourd'hui un homme digne d'aller à Ephèse voir le saint Apôtre Jean?" Et comme il disait ces mots, des fontaines de larmes coulaient de ses yeux et il gémissait en son coeur. Il fut donc jugé digne, quant à lui, du fait de son amour pour lui et de la foi qu'il avait en ce disciple du Seigneur, Jean, de voir ce saint Apôtre se tenir auprès de lui durant le saint Sacrifice divin, du début à la fin de la divine Mystagogie. Et il ne fut pas le seul à le voir, mais deux autres personnes le virent aussi de leurs yeux, qui étaient à ses côtés, cependant qu'il célébrait le sacrifice non-sanglant. Après cette vision, il passa trois jours dans une contrition telle qu'il ne put prendre aucune nourriture humaine. 10. C'est à ce bienheureux Mathias que vint un homme, dont toutes les articulations étaient paralysées. Le Saint le prit en pitié, ôta la mandya qu'il portait, et la posa sur les épaules du paralytique; Aussitôt les os du malade se mirent à trembler de manière effrayante, et l'homme fut sur-le-champ guéri. Un autre, sous le coup d'une manifestation diabolique avait le visage complètement défiguré. De sa main Mathias le signa du signe de la croix, et lui octroya la guérison. Une vieille femme, qui était possédée d'un esprit impur, était venue trouver le bienheureux. Au bout de quelques jours, par l'insistance de ses prières persévérantes, et grâce à sa patience, donc, il obtint que Dieu lui fît recouvrer la santé. Une autre femme, qui était moniale, mais qui était tyrannisée par un esprit impur, rendit visite au monastère. Lorsque le sain arriva et la vit seule, dans l'église, en souffrance, ses entrailles s'émurent de compassion pour elle. Il leva les mains au Ciel et après qu'il eut ainsi prié un certain temps, il se tourna de côté vers elle, et fit trois fois sur elle le signe de la croix. Alors le Malin Démon s'enfuit d'elle, ensuite de quoi la moniale devint saine d'esprit. Toutes choses que nous racontons pour donner une idée du degré d'élévation de la vie de ce saint homme, et pour que soit connue de tous la Grâce que lui avait donnée Dieu de faire des miracles. 11. Mais malheur, hélas! Ici, je ne sais que dire. Ce si saint homme, voué et consacré à Dieu, embarqua sur un navire, et comme il se rendait ainsi par voie d'eau à la capitale, il advint, Dieu sait pourquoi - car Dieu seul le sait - que le vaisseau coula et fit naufrage, en sorte que le saint se noya avec les autres passagers au beau milieu des vagues déchaînées de la mer. Ainsi, nous fûmes mêmes privés du corps du saint et ne pûmes recueillir ses reliques en un reliquaire pour les offrir à la vénération des fidèles, ce qui nous eût été un grand bienfait pour notre profit spirituel. Car cet homme, tandis qu'il vivait sur cette terre, nous avait enrichis de ses guérisons miraculeuses, et à présent qu'il s'en est allé au Ciel, il aurait octroyé plus de bienfaits encore aux fidèles qui eussent pu approcher sa sainte relique pour la vénérer. Ce fut un autre prêtre qui accomplit sa diaconie, lequel était eunuque. On l'appelait Ignace. Et voici que lui-même se distingua par des charismes semblables à ceux qu'avaient possédés son prédécesseur Mathias. Sa fin fut sainte, et de sa tombe miraculeuse s'échappent des sortes d'éclairs qui consument les phalanges de démons. Mais retournons en arrière pour continuer notre récit où nous l'avions laissé, relativement à notre sainte mère Athanasia. 12. Cette bienheureuse avait, comme nous l'avons dit, une grande humilité, assortie d'une douceur plus grande encore, incomparablement. Souventes fois, lorsqu'elle priait les yeux fixés vers le Ciel, elle tombait en extase, et se trouvait en proie à la crainte de Dieu. Et ce, parce qu'elle voyait une nuée lumineuse, dont irradiait des rais comme d'un soleil. Au milieu de la nuée se voyait un homme d'une très grande beauté, dont les regards avaient la semblance des éclairs. Et comme elle avait eu bien des fois cette vision, en proie à la stupeur, elle se disait en elle-même : " Mais qui a rendu cet être si plein de Grâce? Quelle vertu a-t-elle pu le rendre aussi et resplendissant de beauté?" Comme elle agitait ainsi ces pensées en son esprit, il lui sembla entendre une voix lui dire :" Cet homme que tu vois ainsi et que tu admires, ce sont l'humilité et la douceur qui l'ont fait se distinguer entre tous. Et toi, si tu l'imites, il est manifeste que tu brilleras et que tu resplendiras à son imitation". Athanasia, jour après jour revoyant cette vision, oeuvre dès lors à s'orner et à se parer de ces deux vertus, jusqu'à ce qu'il ne restât plus en elle nulle trace de colère ni d'orgueil. Cet être sublime, donc, qui s'était élevée à un degré si visible de vertu, et qui, dans la pureté de son coeur, avait vu cette vision céleste, il n'est point étrange ni paradoxal que Dieu l'eût dès lors ornée de facultés et de dons thaumaturgiques. 13. En effet, un jour qu'elle se tenait assise en son monastère, l'esprit tourné vers Dieu, quelqu'un vint à elle, souffrant des yeux, et la suppliant de prier Dieu pour lui. Elle, dans son humilité, lui disait pour la consoler : " Moi aussi, cette même maladie m'importune. Prends donc patience, et il se peut que Dieu te guérisse.". Lui, cependant, ne s'en allait pas, mais lui demandait avec confiance d'opérer sa guérison. Alors la bienheureuse mit sa sainte main sur ses yeux et dit : " Puisse le Christ, qui a guéri l'aveugle de naissance, t'octroyer la guérison." Quand celui-ci entendit ces mots, comme il recevait ces paroles avec une foi ferme, sur-le-champ il retrouva la santé qu'il désirait recevoir. 14. La bienheureuse, auprès de l'église du protomartyr Stéphane, que nous avons évoquée, bâtit trois autres églises. L'une était consacrée à notre Toute-Louangée Souveraine la Mère de Dieu, une autre à Saint Jean le Précurseur, et la troisième à Saint Nicolas, le divin héraut de Dieu. Après quoi elle se mit en route vers la capitale, où quelque nécessité la réclamait. Elle demeura là six ou sept ans au monastère, et elle disait, dans son chagrin : " Je suis loin de l'église de la Mère de Dieu, que j'ai quittée, et voici que je demeure ici." Mais une divine vision lui apparut et elle trouva l'audace de dire aux soeurs du monastère : " Voici donc qu'est venu le temps pour nous de retourner au lieu où nous étions auparavant. Car, tandis que j'étais en extase, j'ai vu les portes de l'église de notre Toute Sainte Mère de Dieu, qui étaient ouvertes, pour nous inciter à partir d'ici jusque là-bas." Disant ces mots, elle s'en alla de Constantinople vers les Vénérables - ainsi se nommé son leiu d'élection -. Le véritable et vénarable vase d'élection de Dieu arriva donc à destination, car il fallait que ce lieu soit honoré de sa présence, et que la sainte pratique de la bienheureuse assurât cet endroit d'être bien nommé. Elle demeura là six autres années. Il vint à passer là un Père spirituel qui avait le don de diorasis - ce qui est dire de clairvoyance - demeura là. Ce célèbre Père avait nom Ioannikios, et il était célèbre de par le monde entier. Cet être admirable, passant un jour par ce lieu dit "les Vénérables", dit prophétiquement: " Il faut que ce lieu soit vénéré par la déposition en son sol de certains corps vénérables". Et sa prophétie se réalisa. 15. La bienheureuse arriva donc ici et après qu'elle y eut vécu encore quelques jours, elle tomba gravement malade. Elle reçut du Ciel l'avertissement qu'avant douze jours surviendrait sa mort. Elle vit alors deux hommes vêtus de blanc venir à elle. Ils lui tendirent un papier recouvert de caractères écrits et lui dirent : " Voilà ton acte d'affranchissement, qui te donne ta liberté. Prends-le, et sois en heureuse." Lorsque la bienheureuse reprit ses esprits, elle appela à elle l'une des soeurs et lui rapporta toute sa vision par le détail. Dès lors, durant douze jours entiers, elle demeura entièrement adonnée à la contemplation, sans manger ni boire, cependant qu'elle ne disait rien autre chose que ces mots : " Psalmodiez, mes soeurs, psalmodiez, et inlassablement adressez des hymnes à Dieu, pour qu'il ait compassion de nos péchés". Lorsqu'arriva le douzième jour, elle dit aux soeurs : " Secourez ma faiblesse, je vous prie; allez à l'église et, pour l'amour de moi, lisez les psaumes que j'eusse dû lire moi-même, car à présent je ne peux plus m'acquitter de la lecture du Psautier. Je suis dorénavant entièrement paralysée." Et elles, à haute voix répondirent au travers de leurs larmes : " Jusqu'à quel psaume, mère, es-tu arrivée, pour que nous commencions la lecture à partir de là?". Elle répondit paisiblement :" De mes lèvres je suis parvenue au Psaume quatre-vingt-dix. Mais je suis épuisée et je ne peux plus poursuivre." A ces mots, les moniales se hâtèrent d'entrer dans l'église et de compléter la lecture du Psautier. Ensuite de quoi elles sortirent, tombèrent face contre terre et pleurèrent longtemps, demandant à la Sainte sa bénédiction. Celle-ci les bénit toutes. Mais, après qu'elle eut serré Marina et Eupraxia entre ses bras vénérables, elle leur dit : " Mes soeurs bien-aimées, à partir d'aujourd'hui nous allons être séparées les une sdes autres. Mais le Seigneur nous réunira à nouveau dans le siècle à venir. Qu'il vous accorde la paix, l'amour et la concorde, qu'il vous emplisse de ses richesses et vous accorde ses biens à profusion". Comme elle disait ces choses et d'autres, son visage se mit à briller comme s'il en jaillissait une lumière. Si bien que tous ceux qui venaient pour la voir en demeuraient saisis d'admiration et frappés de stupeur. 16. Comme approchait la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, elle leur donna à toutes ces conseils spirituels : " Faites bien attention de ne pas omettre les dispositions établies et les devoirs consacrés à cette fête. Accomplissez l'office en psalmodiant et acquittez-vous de votre diaconie envers les pauvres, autant et aussi bien que vous le pourrez, avec application. Puis, après la divine Liturgie, lorsque vous aurez accompli vos obligations, ensevelissez mon humble corps sous terre." Cependant qu'elle donnait ces derniers ordres, tandis qu'elle tenait encore dans ses bras les deux moniales que nous avons nommées, elle s'endormit si paisiblement que l'on eût dit qu'elle s'était endormie de son sommeil coutumier; Les moniales lui fermèrent comme il sied la bouche et les yeux, et il n'y eut besoin de personne d'autre qu'elles pour le faire. Les soeurs se laissèrent tomber devant sa sainte dépouille, pleurant de ce qu'elles étaient devenues orphelines.: " Où t'en es-tu donc allée, ô notre sainte mère, avec ce nom d'Athanasia, à signifiance d'"immortelle", qui te convenait? Comment as-tu pu nous laisser orphelines, en sorte que nos yeux t'aient perdue de vue? Où verrons-nous désormais ton visage angélique? Où entendrons-nous ta voix, qui emplissait nos âmes de joie et qui nous incitait à accomplir des oeuvres bonnes? Avec toi s'est éteinte la mèche de notre lampe et notre bonne espérance. Toi, tu t'es endormie, et nous demeurons comme mortes, en proie à la mollesse, à l'acédie et au découragement. Nous ne te comptons plus parmi nous, pour ce que le Christ t'a choisie pour t'emmener en une demeure immortelle". 17.Tandis qu'elles se lamentaient ainsi, exhalant ces plaintes et d'autres semblables, elles chantèrent le thrène et le canon qui convient aux défunts. Après la sainte mystagogie - ce qui est dire la liturgie -, elles mirent son saint corps dans une châsse-reliquaire, et placèrent le tout en un lieu convenable, en lui rendant tous les honneurs terrestres qui siéent à une sainte. La moniale qui lui succédait dans l'higouménat demeura sur la tombe, jour et nuit chantant des thrênes avec larmes, sans s'éloigner de la sainte relique. Elle pleurait leur séparation d'avec la sainte. Mais voici que la sainte se présenta à elle dans son rêve, et lui dit : " Prends courage et sache bien que lorsque seront accomplis les quarante jours après ma dormition, Dieu me fera un don que je recevrai." Ce que voyant en son rêve, la moniale s'éveilla, se demandant avec étonnement ce qu'était cette vue et si elle avait bien entendu ce que disait la sainte. Lorsque les quarante jours après la dormition furent passés, les moniales - chose qui advient souvent - oublièrent quel était le jour où il convenait de déterrer la sainte, croyant que l'exhumation devrait avoir lieu deux jours plus tard que la date canonique; Lorsque la nuit fut tombée, la bienheureuse Athanasia apparut à la soeur qui l'avait déjà vue en rêve, lui disant : " Pourquoi as-tu omis de célébrer mes quarante jours, en oubliant de donner des subsides aux pauvres, et en ne te préparant pas à recevoir mes amis?" Ce nouveau rêve mit la moniale dans l'embarras, et, lorsqu'elle eut recouvré ses esprits, elle se mit à compter les jours avec exactitude et précision. Elle comprit alors que l'on était le soir où l'on devait célébrer l'office des quarante jours de la sainte. Lorsqu'il fit jour et que commença la divine liturgie, deux moniales du saint choeur de ces vierges, auxquelles le Seigneur venait d'ouvrir les yeux de leurs âmes, en sorte qu'elles comprissent ces choses redoutables, virent alors deux hommes à l'aspect effrayant, en vêtements blancs tout lumineux, entre lesquels se tenait Athanasia. Ils conduisirent la bienheureuse devant le saint autel. Ils avaient apporté une robe couleur de porphyre rouge, ornée de perles et de pierres précieuses, et ils l'en revêtirent comme une reine, lui ceignirent la tête d'une couronne qui portait sur le devant et sur l'arrière de précieuses croix, et après qu'ils lui eurent mis en la main un sceptre orné, lui aussi, de pierres précieuses, ils la menèrent devant le saint autel. Cette vision était survenue le quarantième jour. De ce moment, et un an durant à compter de là, la châsse-reliquaire, où se trouvait la relique de la sainte, se mit à trembler continûment. 18. Un an après, lorsqu'arriva le jour très vénérable de la dormition de la sainte, deux hommes, accompagnés d'une malheureuse jeune fille, tous trois possédés d'esprits impurs, parvinrent devant la sainte relique de la bienheureuse. On les vit alors danser comme des fous devant sa châsse-reliquaire. De leurs mains, ils ôtèrent de la terre du tombeau, et tirèrent le corps au-desus d ela pierre tombale. Aussitôt alors l'infortunée jeune fille fut guérie. Des prêtres qui se trouvaient là reconnurent la châsse-reliquaire et virent qu'en dégouttait comme d'une fontaine une myrrhe odorante. Ce que voyant, ils ouvrirent le reliqiaire et trouvèrent le corps de la sainte intact. Elle semblait si fraîche en son repos que l'on eût dit qu'elle venait de mourir récemment. Ses yeux étaient lumineux. Ses saints membres et tout son corps de bienheureuse semblait intact, comme si les chairs en eussent été molles. Ses maisn gardaient leur position première et n'étaient point recourbées. Après donc qu'ils eurent vénéré la relique, et versé sur elle bien des larmes, ils jugèrent bon de la placer en un lieu approprié et convenable, où tous pussent voir la sainte en sa châsse-reliquaire. 19. Pour ce faire, ils translatèrent le corps en une nouvelle châsse, où elle gît toujours. Les moniales changèrent ses vêtements, comme il convenait à sa sainteté; et elles tentèrent de la vêtir d'autres habits cousus de fils de soie noire. Cependant, d'aucune manière elle ne sembla vouloir obéir, et elle tenait les mains croisées sur sa poitrine, exprimant de la sorte son absolu refus de se soumettre. Une moniale, lors, de cette sainte synaxe, qui se distinguait par toutes ses vertus et qui était un vase utile de l'Esprit Saint, s'agenouilla devant la sainte, et la supplia en ces mots : " Lorsque tu vivais parmi nous tu étais d'une obéissance sans bornes, ô sainte. Aussi, maintenant encore montre-nous ton obéissance zélée envers nous, et laisse-nous te revêtir de cette autre tunique que nous t'offrons". Lorsque la bienheureuse entendit ces mots, comme si elle était vivante, elle décrispa les mains, et parut accepter de se laisser vêtir de cette nouvelle tunique. Lorsqu'elle fut ainsi parée, les moniales la replacèrent dans sa châsse-reliquaire. 20. Il convient à présent que nous fassions mémoire de quelques-uns des miracles qui survinrent ensuite. Après quoi nous mettrone un terme à ce récit. Il ne se passa guère de jours qu'une fillette de douze ans environ, qui était possédée d'un esprit impur, et se laissait tomber à terre en écumant, se traîna sur le cercueil de la sainte et y demeura continûment quarante jours durant, avac la Grâce de Dieu. Elle s'en fut ensuite guérie. Un autre enfant, d'environ huit ans, était en proie à une attaque du démon, qui se manifesatit sur sa main. Il y voyait fondre comme un corbeau noir, lequel lui causait d'effroyables douleurs à la main. Il demeura sept jours étendu sur la divine relique de la sainte, et, avec l'aide du Saint Esprit, il se releva guéri. 21. Un homme encore, qui dans la vie était esclave, mais qui selon sa foi était un homme libre, avait un démon caché, qui lui faisait enfler le corps comme une outre. Il se rendit au monastère et implora avec feu sa guérison; Sainte Athanasia lui apparut donc en rêve et lui dit : " Attends un peu, mon frère, et avec l'aide de Dieu je te guérirai. Je te ferai toucher une partie de mon corps, et, ce faisant, tu échapperas totalement à ta maladie." Entendant ces paroles, l'homme reprit courage. Un mois plus tard, comme il faisait nuit, il se trouva comme en extase. Il se vit tout dégouttant d'une pluie qui tombait du toit de l'église. Lorsque tous les cierges se furent éteints, du fait de cette pluie, il se réfugia auprès de la relique de la sainte. La châsse-reliquaire fut alors secouée d'un grand tremblement. Il sembla à cet homme entendre une voix lui dire : " Ouvre vite ta bouche; ouvre-la!" Celui-ci l'ouvrit et reçut avec joie ce que la bienheureuse lui envoyait. Aussitôt l'eut-il reçu qu'il obtint la guérison. Lorsque le jour se leva, il apporta à toutes les moniales, à grands cris, la merveilleuse nouvelle de sa guérison. Lorsque toutes furent accourues d'en tous lieux du monastère, voulant savoir la cause de ces cris, il sortit d'un pli de son vêtement le don de la sainte. Et tous virent que c'était un ongle du gros orteil du pied de la sainte, enroulé dans un petit morceau de tissu. Cet homme, déjà vieux, s'en fut donc, glorifiant Dieu et contant à qui voulait les entendre les miracles de la bienheureuse. 22. Une autre fois, cependant que l'on fêtait la mémoire de la sainte, et que beaucoup de peuple s'était assemblé à cette occasion, une femme nommée Théodotie, dont la main était paralysée, suppliait vivement, implorant sa guérison. L'une des soeurs apposa sa main sur le bras de la sainte, couchée dans sa châsse-reliquaire. Par la Grâce de Dieu, elle en retira la main guérie. 23. Une autre femme, qui avait un démon caché, demeurait des jours entiers chez elle sans rien faire, accablée de tristesse. Elle vit en songe la sainte, qui lui dit : " Tu as trompé ton mari et, ce faisant tu as frappé ton âme comme d'une mort redoutable. Va donc, rachète ton péché, et moi, je te délivrerai du Malin Démon qui te tourmente." Cette femme fit comme la sainte lui avait dit de faire, et avec la Grâce du Seigneur elle guérit bientôt. 24. Une femme encore, qui tenait dans ses bras un enfant qu'elle allaitait encore, avait l'oeil droit aveugle ainsi que le bras et le pied paralysés. Elle les posa sur la châsse-reliquaire miraculeuse. Quelquesjours après, elle les retira guéris et s'en retourna toute joyeuse chez elle. 25. Une autre femme, qui souffrait d'un phlegmon aux yeux, en sorte que ses prunelles pendaient comme deux pommes, s'en vint devant le corps de la sainte, et, appuyant sa tête sur la sainte relique, suppliait qu'elle lui obtînt la guérison. Après être demeurée deux ou trois jours auprès d ela sainte, avec l'aide du Seigneur elle guérit. Et ses yeux reprirent leur place originelle. 26. Un enfant de douze ans, ayant les mains et les pieds couverts d'engelures, fut amené à la tombe de la sainte. Après qu'eurent passé quelques jours, l'enfant fut jugé digne de la visite de la Grâce divine, et marchant seul sur ses pieds guéris, il s'en retourna chez lui, cependnat que tous étaient dans l'admiration à la vue de la puissance thaumaturgique de la sainte. 27. Une jeune fille, dénommée Marie, qui demeurait au monastère, fut atteinte au cou d'un mal effroyable. La sainte se présenta à elle en rêve et lui dit : " Prends mon foulard en poils de crin et mets-le à l'endroit où tu souffres." Celle-ci, à son réveil, fit comme la sainte lui avait dit, et d'une manière toute miraculseuse, obtint la guérison. 28. Marina, que nous avons mentionnée plus haut, était atteinte depuis plusieurs années de maux de ventre effrayants; Elle prit donc une des feuilles du laurier-rose qui poussait sur la châsse-reliquaire, la posa trois jours durant sur son ventre, et fut entièrement guérie de sa maladie. 29. Ces propos ont été tenus par nous avec mesure, dans le dessein de rappeler aux pieux fidèles quelques-uns des miracles de la sainte. Mais raconter en détail tous les miracles que la sainte a accomplis, cela m'est impossible, et non seulement à moi, mais ce l'est aussi à ceux qui ont noté dans leurs vies plus de détails que moi, et qui pourraient décrire la réalité en leurs propres termes. Si même je suis jeune, et que me fait totalement défaut l'art littéraire, j'ai offert mes services en cette petite diaconie - ce qui est dire tâche monastique- , pour ce que j'avais été entièrement témoin, non point d'histoires fantastiques, mais de faits que j'avais vus de mes propres yeux, ou que je tenais de pieuses femmes, qui aiment la parole de vérité, qui ont discerné les miracles de notre trois fois bienheureuse mère, Sainte Athanasia, et qui m'ont instruit des éléments biographiques de son existence, qu'elles connaissaient très bien. Quant à la vie et à la conduite vertueuse de ces femmes, qui est d'importance en ce qu'elles produisent du fruit d'édification spirituelle aux âmes assoiffées de Dieu, nous laisserons le soin à d'autres de les décrire et de les retranscrire au temps opportun. 30. Toi cependant, bienheureuse Athanasia, dont le nom signifie immortelle, toi que connaissent les anges en compagnie desquels tu te trouves, toi qui pour le Christ t'es faite pauvre, en sorte que tu as été enrichie des charismes divins, toi qui as continûment mené le deuil joyeux et ainsi trouvé la consolation, toi qui t'es ornée de douceur et as gagné le royaume des doux, toi qui as vécu dans la faim et dans la soif et as trouvé la jouissance inépuisable, toi qui as acquis une âme compatissante et as richement reçu la miséricorde de Dieu, toi qui par la pureté de ton coeur as reçu le rayonnement du soleil de l'Esprit Saint, toi qui as donné la paix à ton âme en la délivrant des passions, et qui es devenue un temple du Saint Esprit, toi dont nous pourrions dire, par manière générale que tu es devenu un trésor pour tous les hommes de bien, et qu'à cause de cela tu as été jugée digne de voir l'ineffable Lumière incréée, maintenant que tu te trouves parmi les bienheureux, et que dans la joie tu participes à la communion des Saints et des Justes, souviens-toi de nous, qui t'invoquons. Garde ton troupeau, que tu as assemblé avec tes peines et tes sueurs de mère. Protège notre vie, que troublent les tempêtes de l'existence. Fais que, par tes prières et tes bénédictions, nous soyons jugés dignes des biens célestes, afin que nous nous dirigions avec piété dans l'existence et que nous vainquions les pièges du Diable, par la Grâce et l'amour pour l'homme de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui convient la gloire, l'honneur et l'adoration, ainsi qu'au Père éternel et au Saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen. SAINTE ANTHOUSSA DE MANTINéE. VIE ET ACTES DE NOTRE SAINTE MERE ANTHOUSSA QUI FUT HIGOUMENE AU MONASTERE DE MANTINéE. 1. Le même jour, ce qui est dire le vingt-sept juillet, nous fêtons la mémoire de Sainte Anthoussa, laquelle fonda le saint monastère de Mantinée. Son nom d'Anthoussa a signifiance de Fleur. Elle vécut à l'époque du roi Constantin Copronyme. Elle avait pour ascendance de pieux parents, qui avaient nom Stratège et Phévronia. Pour ce que, dès sa plus tendre enfance, ainsi que nous l'avons écrit déjà, la bienheureuse désirait la pureté, elle vivait comme dit l'Apôtre, " dans les montagnes et dans les grottes". Elle haïssait et se détournait avec aversion de tout ce qui avait un lien avec les choses de la terre, et elle n'aimait et n'acceptait que la vie menée dans l'hésychia. En ces jours-là, un Ancien parmi les moines, qui se nommait Sisinnios, visitait la région de Mantinée. Il possédait nombre de vertus. Cette bienheureuse désirait avec un zèle fervent vivre à son imitation. Aussitôt alors, il lui enjoint de se préparer à entrer dans un grand four, qui brûlait énormément. Elle en sort sans en avoir subi aucun mal. Elle apprend de lui encore bien d'autres vertus qui rapprochent de Dieu. Il lui prédit qu'elle va fonder un très grand monastère, et qu'elle dirigera spirituellement neuf cents moniales. Après quoi elle devient moniale et ce Géronda thaumaturge lui enjoint de fonder le monastère sur la petite île de Limni, laquelle était proche du bourg de Perkilé, en Paphlagonie. 2. Vivant dorénavant en ces lieux dans la tempérance une vie dure de rigoureuse ascèse, la bienheureuse fit de son propre être une inhabitation de la sainte et consubstantielle Trinité. Après qu'elle se fut attachée avec des chaînes et qu'elle se fut revêtue de vêtements de crin rugueux, elle était considérée par les gens sensés comme une créature hypercosmique, dotée d'une existence immatérielle. Un jour qu'elle était venue à la rencontre du célèbre Sisinios,, elle le supplia instamment d'élever un temple en honneur et à la gloire de la Mère de la Mère de Dieu - ce qui est dire Sainte Anne -. Le saint lui prodigua bien des conseils spirituels et l'instruisit dans la foi, et, après qu'il lui eut révélé très clairement les évènements futurs qui lui adviendraient, il la laissa s'en aller, non sans lui avoir prophétisé au préalable le temps exact de son départ de cette vie. 3. Lorsque se furent rassemblées autour de la Sainte une trentaine de soeurs environ, et que l'église était désormais bâtie, et que commençaient de se réaliser les prédictions qu'avaient prophétisées le Saint, voici que cet admirable et divin Sissinios quitta cette vie. Lorsqu'elle vit que s'accroissait la communauté des soeurs, Anthoussa, de bienheureuse mémoire, entreprit d'édifier deux grandes églises, qu'elle fit sortir de terre, l'une en l'honneur de la Mère de Dieu, et l'autre à la gloire des Apôtres, la première à l'usage des moniales, et l'autre réservée aux moines. Nombre d'êtres qui venaient antan visiter Saint Sissinios, aiguillonné par le remords et l'esprit de pénitence, venaient maintenant trouver la célèbre Anthoussa, laquelle les éduquait et les guidait spirituellemnt. 4. Pour ce qu'elle était véritablement pieuse et orthodoxe, elle se détournait de toute hérésie nouvelle. Et parce qu'elle était connue de tous, sa réputation arriva jusqu'aux archontes. Constantin l'iconomaque, qui haïssait le Christ, ainsi que nous l'avons dit, était alors roi des Romains.Celui-ci, parce qu'il désirait l'entraîner dans son égarement, appela un de ses complices : "Va dans cette contrée", lui dit-il, " et persuade Anthoussa d'embrasser les opinions qui sont les nôtres. Si elle se laisse persuader, tout est pour le mieux. Mais si elle ne s'en laissa pas conter, alors châtie-la conformément à nos lois et agis conformément à ces dernières, en sorte que bon gré mal gré elle en vienne à céder". Celui-ci, après qu'il se fut saisi de nombre de moines, et qu'il eut confisqué un très grand nombre d'icônes de Saints, dont les unes étaient peintes sur bois, et les autres sur toile, après aussi qu'il se fut saisi d'Anthoussa et de son neveu, qui était alors le supérieur du monastère d'hommes, les conduisit au loin pour les faire comparaître en jugement. Aussitôt, son neveu est longuement livré au supplice du fouet, cependant qu'il lui est octroyé, par les prières de la Sainte, et par permission divine, de demeurer ferme dans la foi et de supporter les tourments. Lorsque ses tortionnaires, toutefois, virent qu'il ne pourrait rien supporter de plus, ils le laissèrent, l'abandonnant à son triste sort. La Sainte, ils l'attachent à quatre piliers et lui infligent à son tour le dur supplice du fouet. Puis, après qu'ils ont mis le feu à grand nombre de saintes icônes, ils les lui jettent à la tête, et lui mettent des charbons incandescents sous les pieds pour la brûler. Pour finir, voyant qu'avec la Grâce du Christ, elle n'avait pas brûlé, ils l'exilent. 5. Par la suite, lorsque le roi, avec toute son armée, arriva en cette contrée précise, pour juger et interroger personnellement la célèbre Sainte, celle-ci, par sa prière, l'empêcha d'accomplir ses desseins pervers contre elle, en le rendant aveugle. De surcroît, répondant au roi qui l'interrogeait, elle prophétisa que la reine aurait un accouchement difficile et frôlerait la mort, mais que la délivrance finirait bien et qu'elle donnerait naissance à un garçon et à une fille. De ces deux enfants, elle prophétisa encore le genre de vie. Ce qu'entendant la reine fit beaucoup de dons et d'offrandes aux monastères qu'avait fondés la Sainte, et le roi cessa sa persécution contre elle. Ce que faisant, la Sainte montra combien la vertu apaise les bêtes sauvages et fait des ennemis des amis. Et parce que désormais la renommée de la Sainte grandit encore davantage, et que tous avaient son nom sur les lèvres, nombre de fidèles venaient la visiter pour qu'elle les bénît, d'autres pour se faire moines avec son assistance et ses prières, et d'autres encore pour obtenir la guérison de leurs maladies. Parmi eux se trouvait aussi un soldat, qui vintla visiter a vec sa femme. Il était masqué, car il était alors interdit aux soldats iconomaques de visiter les monastères. Il demanda à la célèbre Sainte d'obtenir par ses prières que sa femme conçût un enfant. Il s'enquit aussi si elle le lui obtiendrait. Elle, avant qu'il ne parle, lui révéla quelles pensées secrètes il avait, et le but de sa visite. Ce que voyant, lui, tout joyeux, s'en retourna chez lui. 6. Si l'on pouvait dénombrer les grains de sable du rivage, compter les gouttes de pluis, sonder l'abîme d ela mer, la hauteur du Ciel, et mesurer les confins de la terre, l'on pourrait lors décrire aussi les miracles qu'accomplissait la célèbre Sainte Anthoussa, et tous ceux qu'elle continue d'accomplir à ce jour. Et parce qu'il fallait, en tant qu'homme et que mortelle, qu'elle goûtât à la mort, et qu'elle s'endormît du sommeil qui convient aux Justes, elle mourut le jour du Martyre du Grand Martyr Pantéléimon. Et elle avait prié pour que sa mort advînt précisément ce jour. Elle fut ensevelie dans la cellule où elle avait vécu en accomplissant de grands miracles, en sorte d'être glorifiée et louangée par le Christ, notre vrai Dieu. ANTHOUSSA, MONIALE. LA VIE ET LES ACTES DE NOTRE SAINTE MERE ANTHOUSSA, FILLE DU ROI CONSTANTIN V. 1. Le même jour, c'est-à-dire le dix-huit avril, nous vénérons la mémoire de Sainte Anthoussa, qui était la fille du roi Constantin Copronyme et de sa troisième femme, Eudocie, laquelle eut cinq fils, et cette seule fille, Anthoussa. Il semble qu'Anthoussa ait reçu son nom en mémoire d'Anthoussa, higoumène de Mantinée, qui avait prophétisé sa naissance. Anthoussa, bien que son père eût, à de nombreuses reprises, fait pression sur elle pour qu'elle se mariât, ne lui céda pas. Après sa mort, puisqu'elle était désormais libre de pouvoir le faire, elle partagea tous ses biens entre les pauvres de la ville, les églises, et les établissements philanthropiques. Elle devint comme une mère pour les orphelins, et s'érigea en protectrice des veuves et de leurs enfants. Mais, bien qu'elle en eût été vivement priée et suppliée par l'auguste impératrice Irène, elle ne voulut point demeurer à ses côtés et régner avec elle. 2. Aussi longtemps qu'elle vécut dans le palais, elle portait extérieurement des habits royaux, mais intérieurement il en allait tout autrement. Elle portait à même la peau une tunique en lambeaux, rugueuse, en poils de crin, et sa nourriture était frugale et ascétique. Elle ne buvait que de l'eau. Elle pleurait continûment et psalmodiait beaucoup. Pour finir, elle embrassa la vie monastique, après qu'elle eut été faite moniale par Saint Taraise, au monastère d'Omonia - qui signifie la concorde -. De ce moment, ni elle, ni aucune autre moniale ne sortit du monastère, ni ne relâcha ses efforts spirituels, ni ne manqua l'église, ni ne négligea sa prière. Ses yeux n'étaient jamais privés de larmes. Elle était dotée d'une grande humilité. Elle se mettait au service de toutes ses soeurs. Elle faisait la corvée d'eau. Au réfectoire, elle se tenait debout et servait ses soeurs. Ce fut ainsi qu'elle coula les jours de sa vie, qu'elle fit route vers Dieu, traçant son chemin vers Lui. Elle accomplit ainsi les exploits de la vertu chrétienne et mena le bon combat en Dieu. A l'âge de cinquante-deux ans, elle s'endormit dans le Seigneur. ANTHOUSSA DE TARSE. LA VIE ET LES ACTES DE NOTRE SAINTE MERE ANTHOUSSA, ET LE MARTYR DU SAINT HIEROMARTYR ATHANASE, DE CHARISSIME ET DE NEOPHYTE. Cependant que l'impie Valérien était empereur des Romains, et qu'il institua une grande persécution contre les Chrétiens, le célèbre Evêque Athanase se trouvait dans la ville de Tarse, et il affermissait tous les fidèles dans leur amour pour le Christ. Il les enseignait tous, les catéchisait, et les exhortait spirituellement. Par ses miracles, il amena à la piété bien des incrédules et des infidèles. Il conféra à beaucoup l'illumination du divin baptême. Sa renommée s'étendit partout , jusqu'en Séleucie même. Anthoussa, fleur poussée dans les épines, bel olivier franc enté sur des oliviers sauvages - car ses parents, Antonin et Marie, étaient idolâtres -, Anthoussa, donc, entendit vanter les vertus d'Athanase, et ressentit le besoin d'écouter ses saintes paroles. Elle désira, lors, faire la connaissance de cet homme, quel qu'il fût. C'est pourquoi elle songea à se rendre chez sa nourrice, laquelle habitait en cette ville. De ce pas, approchant sa mère, elle lui demande de la laisser partir. Mais celle-ci refusa, au motif qu'elle redoutait Paulin, qui était l'époux de son deuxième mariage. Anthoussa en conçut un vif chagrin. Alors, se présente à elle dans son sommeil, le Christ-Evêque, Lui même, sous les traits de l'Evêque Athanase. Et cette visitation emplit son âme d'une joie inexprimable, et affermit sa foi. Aussitôt alors, de grand matin, elle dépêcha chez le Saint quelques-uns de ses serviteurs, qui, ayant vu Mgr Athanase, lui rapportèrent la description de ses traits. 2. Lorsque cette description lui fut parvenue, Anthoussa comprit que la vision qu'elle avait eue était divine, et, à compter de cet instant, elle fut ineffablement joyeuse, et devint optimiste, ayant bon espoir de pouvoir le voir enfin quelque jour. Elle s'en retourne donc chez sa mère, et lui renouvelle sa précedente demande, suppliante. Celle-ci, ne voulant pas affliger sa fille qu'elle aimait beaucoup, accomplit son désir, et l'envoie, accompagnée d'une importante escorte, chez sa nourrice. Lors donc qu'elle se trouvait en route, elle aperçoit de loin Athanase, qui, par hasard, passait par là. Et, comparant son aspect avec celui qu'elle avait vu en songe, elle lui envoie un serviteur l'interroger, pour s'enquérir s'il s'agissait bien de lui. Lorsqu'elle est avertie que c'est bien lui, elle descend de son char, s'approche, seule, de lui, le vénère comme il convient à un tel personnage, lui expose son rêve, demande à lui exposer le contenu de sa foi, et elle le prie de le baptiser au nom du Christ, et de la compter au nombre des fidèles Chrétiens Orthodoxes. 3. Ce grand Saint ne surseoit pas à sa requête, et sans plus attendre, il l'emmène, avec quelques serviteurs de sa suite, dans le lieu éloigné où il se rend. Parce que cet endroit était dépourvu d'eau, il se met en prières. Et lorsque surgit là tout-à-coup une fontaine, en présence des anges surgis dans une apparition, dont tous deux, Anthoussa et lui, furent témoins, il la baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, c'est-à-dire de la Sainte Trinité. Et, après qu'il lui a enseigné bien des articles de foi, il la laisse à la garde de Dieu et aux soins de la Providence. Anthoussa, cette belle fleur de la virginité, s'en va donc chez sa nourrice, et celle-ci la reçoit avec joie, tout en constatant que sa mise est humble et que ses vêtements ne sont aucunement habillés. Elle voit aussi en la jeune fille une figure nouvelle au visage resplendissant, une conduite différente de celle qui était la sienne; Et l'apercevant ainsi, elle est en butte à ses pensées, contre lesquelles elle lutte. Elle apprend des serviteurs de l'escorte qu'elle est devenue chrétienne; et elle s'en inquiète, étant elle-même idolâtre. Elle lui dit alors qu'il n'est pas convenable qu'elle reste, fût-ce peu d etemps, auprès d'elle. 4.La jeune fille quitte donc la maison de sa nourrice et s'en retourne chez elle. Mais sa mère, voyant son nouvel aspect, et sa nouvelle mise, beaucoup plus simple et modeste, s'en étonne et s'en courrouce, tout en cherchant à savoir ce qui s'était produit qui pût justifier ces changements. Les serviteurs, lors, lui relatent ce qui est arrivé, en sorte que cette mère s'en va découvrir les faits à son mari. Cependant, dans l'intervalle, Anthoussa trouve l'occasion propice de s'enfuir, et gagne quelque retraite cachée. Comme elle s'était enfuie, et que nul n'avait pu la découvrir, aussitôt elle s'en va à la rencontre d'Athanase. Il la juge digne de devenir moniale. Après quoi, elle se tourne vers le désert, et demeure dans une grotte. Là elle se livre à de grandes luttes ascétiques, cependant que d'en-haut la sauvegarde et la secourt une main divine. 5. Pendant, donc, que sévissait la persécution de Valréien, et qu'elle était à son point le plus extrême, Athanase est capturé par ses persécuteurs, et emmené devant le roi, qui avait son siège à Tarse. Là, pour ce qu'il ne se laissait pas persuader de sacrifier aux idoles, on l'étend à terre, on lui attache les membres à des pieux épais, puis on lui déchire sauvagement les chairs, et on le met en pièces. La terre se gorge de son sang, et les spectateurs demeurent sans voix. Après quoi, d'un coup d'épée, on tranche la tête de ce glorieux vainqueur de la mort par son martyre, et l'on l'ensevelit dans une vénérable tombe. Des impies viennent alors encore auprès du tyran condamner Charissime et Néophyte, serviteurs d'Anthoussa, qui avaient avec elle reçu le saint baptême, et l'on veut les contraindre à renier le Christ. Comme ils ne veulent rien entendre, on les jette dans une prison obscure, où ils subissent des maux sans nombre. Quelques jours plus tard, ils sont de nouveau traînés en jugement, et l'on veut les forcer à sacrifier aux idoles. Mais eux ne cèdent pas. C'est pourquoi on les pend à des pieux. Avec des ongle de fer on leur déchire la poitrine. Puis, on les passe au fil de l'épée et on leur tranche la tête. C'est ainsi qu'ils finissent leur vie droitement dans le Seigneur, après avoir parcouru la voie du martyre. 6. Cependant que se déroulaient ces évènements tragiques, Anthoussa, dont la renommée était déjà grande, menait une vie heureuse dans les montagnes. Vingt trois ans durant, à ce que l'on rapporte, elle mena ses travaux et ses peines ascétiques, se nourrissant d'herbes et de ce que lui apportait son ange gardien. Ce fut en ces lieux éloignés que par le secours de la divine Grâce elle apprit la fin glorieuse d'Athanase, de Charissime, et de Néophyte. Et elle glorifia Dieu pour tout ce que dans son économie divine il permet dans notre intérêt. Après que le Malin Démon eut disposé contre elle nombre de pièges, il fut, pour finir, vaincu et foulé aux pieds par la Sainte. C'est ainsi, par exemple, qu'il se présenta un jour à elle, ayant revêtu la forme d'un moine, et qu'il lui dit : " Debout, femme, tenons-nous en prières." Mais elle, cependant, comprit la ruse du démon, et par ses prières le fit se dissiper comme une fumée. Ce fut comme s'il tombait en poussière. Mais en voici assez sur ce sujet. 7. Tandis qu'elle priait une nuit dans sa grotte, il y eut un violent séisme, et tandis qu'elle tombait, tremblante, à terre, un ange divin se présenta à elle et lui dit : " Ne crains rien, Anthoussa, tu as bien parcouru la voie ascétique; viens donc; reçois la récompense de tes peines et la couronne de l'incorruptibilité qui t'a été préparée". Lorsque la jeune fille eut entendu ces paroles, elle se leva pour prier, se dressant de la pierre sur laquelle elle avait coutume de s'appuyer lorsqu'elle dormait, chaque fois que l'humaine nécessité la contraignait de céder au sommeil. Et c'est ainsi qu'elle rendit son esprit au Seigneur. 8. Après que, durant quelques années, son saint corps très pur, par un effet de la Divine Providence fut demeuré caché, voici que la célèbre Polychronia, qui menait l'ascèse dans les mêmes montagnes, fut avertie de sa dormition. Aussitôt donc elle se met en route, se rend à la grotte. En sort un léopard, qui tire par les dents son rasso usé, la mène à l'intérieur de la grotte, et s'arrête devant le corps. Polychronia trouve le corps encore chaud, comme s'il venait de mourir, et après l'avoir embrassé à plusieurs reprises, elle le lave de ses larmes, et s'en va, courant, à la rencontre d'Abraham, célèbre parmi les moines, et lui raconte l'évènement dont elle vient d'être témoin. 9. Celui-ci, après avoir pris trois frères avec lui, s'en vient avec Polychronia à la grotte, et après avoir rendu à la Sainte les devoirs qui conviennent, il rend à la terre le corps fleuri d'Anthoussa - dont le nom a signifiance de fleur - , puis il s'en retourne à sa cellule. Il ne se passa guère de temps qu'un ange du Ciel ne vienne lui annoncer qu'il convenait de bâtir près de la grotte d'Anthoussa une église, et d'y fonder par après un monastère. Et après que l'Ancien eut rapidement souscrit à ce que lui disait l'ange, et les eut érigés, une foule de miracles s'accomplit pour le bien commun des fidèles des environs, et ce lieu fut une fontaine de guérisons pour tous ceux qui y recouraient, pressés par le besoin de recouvrer la santé. 10. Tels sont les éléments biographiques de la vie d'Anthoussa, belle jeune fille s'il en fût, et telle fut sa conduite inspirée par Dieu. Toi qui reçois maintenant les rétributions de tes peines et qui possèdes une grande assurance devant Dieu, ô toi Anthoussa, demande au Seigneur que règne, de façon stable et pérenne, notre pieux roi, lui qui est juste, qu'il se réjouisse d'entendre les saints hymnes angéliques, et le concert des choeurs brillants et resplendissants des Saints, qu'il jouisse de tous les biens et qu'il habite le Royaume des Cieux. Au Christ, notre Dieu, appartient la puissance et la gloire, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen. SAINTE ANNE LA MERE DE LA MERE DE DIEU. 1. Neuf septembre. Nous fêtons la synaxe des Justes Joachim et Anne, comme il a été établi de le faire, le lendemain de la fête de la naissance de la Mère de Dieu, non qu'ils auraient ce jour quitté cette vie - leur Dormition est en effet fêtée le 25 juillet -, mais pour ce que les parents de la Sainte vierge sont devenus les auteurs du Salut du monde entier, et qu'ils ont reçu à sa naissance la promesse de la réconciliation du genre humain avec Dieu. La mémoire de ces deux Saints est fêtée dans la toute vénérable église de la Mère de Dieu, près de la grande Basilique de Constantinople, à Chalkopratia. 2. Neuf décembre. La conception de Sainte Anne, la mère de la Mère de Dieu. Notre Seigneur Dieu voulant s'apprêter pour lui-même un saint réceptacle, et l'église d'une âme, pour habiter en elle, il envoya son ange aux Justes Joachim et Anne, dont il voulut que provienne sa mère selon la chair. Et il annonça à l'avance la conception d'Anne, qui était stérile et sans enfant, en sorte d'assurer la naissance de la Vierge. Ainsi eut lieu la conception de la Vierge; et elle ne naquit point, comme certains le disent, au bout de sept mois, et sans un mari, mais au bout de neuf mois accomplis, selon la promesse de Dieu, et d'une union avec un homme. Car seul notre Seigneur Dieu Jésus-Christ naquit de la Sainte et toujours Vierge Marie, sans avoir été le fruit d'une union de l'homme et de la femme. Et ce, d'une manière inexprimable, ineffable, et incompréhensible, comme seul Lui le sait. Et par ce qu'il est Dieu parfait, il prit toutes les caractéristiques de la nature humaine, à la perfection, comme, du reste, il créa la nature humaine et la façonna au commencement. Sa synaxe est fêtée dans sa vénérable église, qui se trouve à Chalkopratia, près de la grande et sainte basilique de Constantinople. 3. Vingt-cinq juillet. Dormition de Sainte Anne, la mère de notre toute sainte Souveraine le Mère de Dieu et toujours vierge Marie. Anne, l'ancêtre, bisaïeule et arrière-grand-mère, selon la chair de notre Seigneur Jésus Christ, était de la tribu de Lévi, fille du prêtre Mathan, et de Marie sa femme. Elle était originaire de Béthléem de Judée. Mathan était prêtre, cependant que régnaient sur les Perses Sapor et Cléopâtre, avant le roi Hérode, fils d'Antiparos. Ce Mathan donc avait trois filles, Marie, Sovie et Anne. La première se maria et enfanta Salomé Maïa. La seconde se maria aussi à Béthléem et enfanta Elisabeth. La troisième sa maria également, en terre de Galilée, et elle enfanta Marie la Mère de Dieu. En conséquence de quoi, Salomé, Elisabeth et Sainte Marie, Mère de Dieu, sont cousines, étant filles de trois soeurs. ANNE DE CONSTANTINOPLE QUI S'APPELA ENSUITE EUPHIMIANOS. 1. Notre sainte mère Anne naquit à Constantinople d'un pieux diacre de l'église des Blachernes, qui était consacrée à notre toute sainte Souveraine la Mère de Dieu. Lorsqu'elle perdit ses parents, sa grand-mère s'empressa de la marier avec un homme fort pieux. Un jour, son oncle, le frère de son père, vint d'Olympe de Bithynie. C'était un homme très ascétique, qui avait le don de discernement. Bien que l'empereur iconomaque Léon lui eût coupé la langue, il parlait cependant sans peine. Et lorsqu'il la vit mariée, il dit : " Pourquoi avez-vous marié celle qui est destinée à des luttes et à des peines divines?" Il la bénit et il s'en fut. Après que se furent écoulées quelques années et que le roi impie fut descendu dans les chambres de l'Enfer, les très croyants empereurs orthodoxes Irène et Constantin firent venir ce saint homme pour lui demander sa bénédiction et ses prières, parce qu'ils avaient appris ce qu'il avait souffert de la part du tyran qui avait régné avant eux. Celui-ci, après qu'il leur eut rappelé ce qui est utile au salut de l'âme, en sorte que nous soyons agréables à Dieu, s'en retourna à sa cellule. Auparavant, il revit la bienheureuse Anne et lui dit : " Prends force et courage, mon enfant, car nombreuses sont les afflictions des justes. Sache qu'avant que ne naisse l'enfant que tu portes dans tes entrailles, tu enseveliras ton mari". Chose qui, de fait, advint. Car cependant qu'elle était enceinte de six mois, son mari mourut. Elle en mena grand deuil et dépérit de chagrin. Puis, à peine son enfant eut-il un peu grandi qu'elle le confia à un autre de ses oncles, et quant à elle, se prépara à mener des luttes spirituelles, dont savent la grandeur et la raison les initiés qui ont beaucoup progressé dans la vie ascétique. 2. Tandis qu'elle se trouvait dans cette disposition, arrive d'Olympe son oncle doué du don de clairvoyance, et elle, tombant à ses pieds pour lui demander sa bénédiction, s'entend dire : " Avec l'aide du Seigneur, prends de la force, mon enfant." Cet homme admirable ajouta : " Où se trouve ton enfant?" Elle répondit : " J'ai mis l'un chez ton frère, qui, après Dieu, est mon bienfaiteur, et je le lui ai confié. Le second, je l'ai avec moi." Après qu'elle eut tenu d'autres propos encore, qui montraient son émotion et le grand chagrin de son coeur, et après qu'elle eut présenté ses deux enfants à ce vénérable Ancien, elle le supplia avec larmes : " Prie, vénérable Père, pour mes enfants." Celui-ci lui répondit : " Ces enfants n'ont pas besoin de bénédiction". Ces paromes qui résonnèrent à ses oreilles lui parurent de très mauvais augure, et elle gémit du fond de son coeur, disant : "Malheur à moi, pécheresse! Que signifie encore cela pour nous?" Le Géronda lui dit : " Ne t'ai-je pas dit, mon enfant, que nombreuses sont les afflictions des justes? Si nous, nous n'avons pas la patience, nous ne serons pas justifiés, parce que c'est cela qui est considéré juste par Dieu et que c'est cela qui lui plaît." Et elle répartit : " Peut-être, ô mon maître, a-t-il paru bon à Dieu que mes enfants en bas âge s'en aillent vers les demeures d'en haut?" Et cet homme admirable répondit : " Tu as dit juste, mon enfant, parce que bientôt le Seigneur te les prendra." Celle-ci, comme il était naturel, remercia alors Dieu, et après qu'elle eut demandé la bénédiction du vénérable Ancien en tombant à ses pieds, elle commença à partager ses biens. Peu de temps après, lorsque ses enfants moururent, elle les pleura. Puis elle partagea tout le reste de ses biens et les abandonna aux pauvres. Après quoi, elle parcourait les églises, y priait, y allumait des cierges, et s'en allait. 3. Enfin, elle rencontra un moine d'Olympe, et, par son entremise, devint moniale. Elle se revêtit secrètement de l'habit masculin des moines, et par-dessus celui-ci, revêtit la robe des moniales. Et sans que nul ne s'en fût rendu compte, elle se retrouva dans les parages de l'Olympe. Alors elle arracha de dessus elle sa robe de moniale, et garda l'habit masculin des moines. Elle s'approcha de l'un des monastères, et après qu'elle y fut entrée, elle s'entretint avec le portier et lui dit que ce qu'elle désirait par-dessus tout, était de rencontrer le supérieur. Le portier informa le supérieur que quelqu'un le demandait, comme cela advenait parfois. Il présenta le nouveau venu et sortit. Cette vénérable femme, tombant aux pieds du supérieur, demanda la bénédiction coutumière, que ce divin homme lui donna, et après qu'il l'eut relevée : " Pour quelle raison", lui dit-il, "es-tu venue à nous, et comment t'appelles-tu?" Celle -ci répondit : " La cause de ma venue dans ce saint monastère, saint père, est que j'ai de nombreux péchés. Je suis venue pour mener l'hésychia jusqu'au restant de mes jours, bien que je sois indigne d'obtenir la divine miséricorde de Dieu au jour du Jugement. Je m'appelle Euphimianos". L'Ancien lui dit alors : " Si tu as une telle pensée dans ton coeur, mon enfant, et que tu désires le salut, fuis la liberté de parole, parce qu'il est dans la nature des eunuques de se laisser aisément prendre par les pensées passionnées". Ayant tenu ces propos, il fit la prière accoutumée et la reçut dans la communauté. Elle progressa et s' avança tant dans chacune des vertus et dans l'humilité, qu'elle devint un modèle et un exemple pour tous les moines qui menaient l'ascèse dans le monastère. Le gérant de sa maison, qui avait été choisi par la sainte, parce qu'il prenait bien soin de tout comme elle le lui avait montré, commença à chercher sa maîtresse; et lorsqu'il rencontra le moine qui l'avait faite moniale, il l'interrogea pour tâcher d'apprendre s'il savait où se trouvait celle qui avait laissé les choses terrestres et ne recherchait plus que les choses célestes. Celui-ci lui dit : " Ce que je sais d'elle, mon enfant, je ne refuserai pas de te le dire. Quant au fait de savoir où elle se trouve en cet instant, je l'ignore. Mais rendons-nous maintenant à ce monastère". Lorsqu'ils arrivèrent, ils apprirent du portier qu'elle était là, et ils cherchèrent à la faire appeler. Lorsqu'elle sortit du monastère, le moine désigna le serviteur et dit à la sainte : " Voici ton très fidèle économe, qui est passé par beaucoup d'épreuves cependant qu'il te cherchait partout, et qui maintenant est ici. Si tu veux, allons à notre monastère". La sainte, entendant ces mots, s'en fut prendre la bénédiction du supérieur et des autres moines, puis quitta le monastère et s'en fut avec son serviteur, accompagnée par le moine du monastère. 4. Dans le monastère où elle arriva, elle demeura quelque temps, et fit d'innombrables miracles. Et parce que la réputation de ses miracles s'était répandue, une grande foule de candisats au monachisme accourut au monastère. Mais l'étroitesse et l'incommodité des lieux empêchait que la communauté ne s'augmente en accueillant ceux qui affluaient. C'est pourquoi le supérieur du monastère, sous l'effet d'une divine inspiration, s'ouvrit à celui qui était alors patriarche de Constantinople, Saint Taraise, lui expliqua quels étaient les admirables exploits du moine Euphimianos, lui révéla ses miracles, lui raconta qu'une grande foule d'hommes candidats au monachisme affluait au monastère, et que les nouveaux venus ne trouvaient pas place au monastère, parce que le lieu était fort petit et étroit, et il pressa le très saint patriarche de donner son avis sur ce sujet. Le patriarche lui fit alors don d'une ruine, sur laquelle s'élève aujourd'hui le monastère des Abramites. Car en peu de temps il fonda sur ces ruines un monastère pour le salut de nombre d'âmes. Et il y établit la sainte pour qu'elle y achève la voie ascétique qui lui restait à parcourir. Lorsque cela fut advenu et que le récit de cette conduite angélique se fut répandu partout, peu à peu le secret de cette vie sainte fut révélé, et je ne puis décrire combien d'âmes affluaient là chaque jour pour la voir. 5. Après quoi la sainte fut tourmentée par un homme, qui pour la forme était moine, mais qui en réalité était un serviteur dévoué du malin démon. Celui-ci avait comme unique occupation d'adresser sauvagement de honteuses injures à la sainte, en tant qu'elle paraissait être eunuque. Mais celle-ci n'y accordait pas d'importance et affirmait même qu'elle considérait cela comme un bienfait les condamnations qui lui étaient adressées. Une femme aimée de Dieu qui entendit les paroles honteuses et répugnantes de l'impie criminel, comme cela apparut par la suite, lui dit : " Fais attention, frère, qu'un jour il pourrait apparaître que cet être n'est pas un eunuque, comme tu le soutiens, ni une personne sujette aux passions, comme tu le sous-entends, mais une femme ayant vaincu les passions. Toi, cependant, c'est l'enfer que tu auras pour rétribution, parce que par tes médisances tu souilles ceux qui t'entendent. Il y a quelques années, une femme distribua toute sa fortune, après quoi elle disparut. Peut-être donc que celui que tu prends pour un eunuque est cette femme même, et que, ce faisant, tu mènes ton âme à la ruine." Mais ce moine malfaisant, fourbe et puant, ajouta encore à sa malignité. Il augmenta ses attaques, répandant ses dires de sycophante auprès de nombre de gens. Il se hâta de renverser la sainte sur un terrain en pente, tâchant de lui enlever les vêtements qu'elle portait, afin de la voir nue et de découvrir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Mais alors qu'il essayait d'avoir le coeur net à ce sujet, il n'eut le temps de rien voir. Car sous le coup de la puissance divine il se trouva soudain à moitié paralysé, et tenta vainement de s'en retourner d'où il venait. Il fut alors pris sur le fait et condamné pour tentative de meurtre. On lui passa la tête à la corde d'un gibet, que les autochtones nomment potence, et c'est ainsi qu'il rendit son âme souillée et funeste. La renommée de la sainte se répandit par la suite encore davantage à cause de cette histoire. Voulant échapper au scandale, elle prit deux moines avec elle et se dirigea vers les régions du Bosphore. Là, ayant trouvé une église avec un jardin et de l'eau, elle s'y installa avec les deux moines, Eustathe et Néophyte. Quelques années plus tard, elle s'en fut de là, car elle avait été appelée par quelques moines à Constantinople, dans la région de Sigma. Ce fut là qu'elle vécut saintement et d'une façon agréable à Dieu durant le restant de sa vie, et, avec la bénédiction de Dieu, elle octroya la grâce de nombre de guérisons et fit bien des miracles pour ceux qui venaient la visiter. Après quoi elle s'en fut vers les demeures du Seigneur. ANNE DE LEUCATE. Cette Sainte vécut à l'époque de l'empereur impie Théophile, à Leucate, promontoire du rivage de Bithynie dans la Propontide, au sud de la Calcédoine. Elle était originaire d'une glorieuse et brillante famille et possédait beaucoup de richesses. Sa mère, de par son éducation, mit tous ses soins à lui insuffler la piété et les vertus. Après qu'elle eut vécu des années avec elle - son père, lui, était déjà mort - et comme la jeune fille avait rassemblé en elle-même tout ce qu'il y avait de meilleur dans son environnement familial, et, particulièrement, qu'elle avait recueilli les qualités spirituelles de sa mère, sa mère quitta cette vie. De même que la bienheureuse jeune fille avait acquis les vertus, elle avait aussi acquis les richesses familiales. Mais elle les distribua aux pauvres et aux indigents pour subvenir aux nécessités de leur vie. A ce moment-là de sa vie, il se trouva qu'un homme mauvais, du nom d'Agarénos, fit connaissance de cette Anne déjà célèbre. Il faisait partie de la cour impériale sous le règne de Basile de Macédoine. Il demanda au roi son assentiment pour épouser Anne, et celui-ci le lui donna. Mais parce que la sainte demeurait inflexible dans son refus, cet homme pitoyable se mit à la tourmenter de manière terrible, cependant qu'il insistait pour qu'elle se pliât à son désir. Celle-ci priait avec ferveur, en versant bien des larmes, que Dieu la délivrât promptement de cette épreuve. Dieu entendit sa servante, et il ôta la vie à ce prétendant violent. Car Dieu "exauce les désirs de ceux qui l'honorent". 2. Qu'advint-il ensuite? Cette bienheureuse femme renonce à tous les plaisirs de cette vie et se réfugie dans une église de la Mère de Dieu. Là, elle s'adonne de toute son âme au jeûne, à la tempérance et aux veilles. Elle jeûnait deux ou trois jours de suite, puis prenait un peu de nourriture. Parfois même elle jeûnait la semaine entière. De la sorte, elle déssécha tant son corps que tous ses os apparaissaient clairement sous sa peau. Elle se menait la vie si excessivement dure que ses chairs avaient fondu et s'étaient presque nécrosées, et que seule la peau lui recouvrait les os. En sorte qu'elle paraissait une icône, semblable à l'image d'elle qu'avait façonnée le Démiurge et divin Plasmateur. 3. Elle vécut cinquante ans de la sorte. Puis, après une brève maladie, elle remit sa sainte âme entre les mains de Dieu. Ses proches ensevelirent son corps qui avait beaucoup enduré et beaucoup souffert dans la tombe familiale où se trouvaient nombre de ses illustres ancêtres. Quelques années passèrent, jusqu'à ce que des possédés malades se missent à creuser la tombe et en sortissent la sainte et vénérable relique de la bienheureuse Anne, laquelle était intègre et incorrompue, et qui exhalait une divine odeur de sainteté. Ce fait faisait bien voir à tous les hommes de bonne volonté qu'il s'agissait là, dans le cas de la sainte, d'un évènement divin. Car, tandis que tous les autres corps, qui étaient enterrés avec le sien, avaient subi la décomposition et la putréfaction naturelles, le seul qui demeurait intact et incorrompu était celui de la sainte. En vérité " le Seigneur sauvegarde tous les os de ses Saints et il n'en est pas un seul d'entre un qui soit brisé." Par cette sainte relique furent guéris des possédés, des aveugles recouvrèrent la vue, des boiteux se mirent à marcher, et, par manière générale, toute maladie se trouvait guérie, d'entre celles qui tourmentent les hommes. Et, tant à cette époque qu'aujourd'hui, les maux s'éloignent, de par l'intervention divine. C'est ainsi que Dieu sait rendre gloire à ceux qui lui rendent gloire. APOLLINARIA. 1. Sainte Apollinaria était fille d'Anthème, qui avait été fait roi par l'empereur Léon pour gouverner Rome. Anthème avait deux filles. L'une de ses filles était possédée du démon, cependant que l'autre se distinguait entre beaucoup de par sa beauté et par son intelligence, et qu'elle était devenue la consolation de ses parents, lesquels avaient placé tous ses espoirs en elle. Dès sa tendre enfance, elle désira vivre dans la virginité, et elle faisait ses délices, jour et nuit, de la lecture des divines Ecritures, et elle suppliait Dieu avec ferveur de répondre au désir qu'elle avait de Lui. Cultivée de par l'étude de la sainte Ecriture, elle considérait que tous les biens de ce monde n'avaient aucune valeur. C'est pourquoi elle supplia ses parents de lui permettre d'aller en pélerinage à Jérusalem, ce que ceux-ci ne lui refusèrent pas. 2. La Sainte prit avec elle des serviteurs, des servantes, de l'or, de l'argent, une garde-robe somptueuse, et tous parvinrent aux saints Lieux. Là ils partagèrent tous ces biens entre les églises, les monastères et tous les nécessiteux qui en avaient besoin. Ensuite de quoi elle visita et vénéra tous les saints lieux. Après quoi elle affranchit ses esclaves, tout en leur fournissant une aide financière pour subvenir à leurs nécessités, et elle leur permit de s'en aller libres. Ayant pris avec elle un Ancien et un eunuque, elle s'en alla à Alexandrie. Parvenant à une plaine, qui fut plus tard dénommée Plaine d'Apollinaria, elle décida de s'y reposer des fatigues du voyage. A peine ses accompagnateurs se furent-ils endormis que, mettant à profit l'occasion, elle ôta ses vêtements de laïque pour revêtir l'habit des moniales. Alors, s'avançant vers le bois adjacent, elle devint invisible. Elle passa là une partie de son existence, se menant la vie si dure à lutter dans de tels combats pour la tempérance que son corps devint pareil à une toile d'araignée, et que sa peau, sous le coup des piqûres de moustiques, devint semblable à la carapace d'une tortue. 3. De longues années elle vécut ainsi au bord de ce redoutable marécage. Après quoi elle s'en fut auprès des Pères de la Skyte, et s'y présenta sous l'apparence d'un eunuque nommé Dorothée. L'admirable père Macaire la reçut et lui octroya une cellule, où, demeurant enfermée et recluse, elle priait jour et nuit. Le père d'Apollinaria, Anthème, lorsqu'iil se fut lassé de la chercher partout, se tourna vers sa fille possédée,et la voyant souffrir terriblement sous l'emprise du démon, s'affligea grandement et l'envoya aux moines de la Skyte pour qu'ils la guérissent. Ceux-ci, lorsqu'ils eurent été avisés de ce qui concernait la jeune fille, se consultèrent et résolurent de la mener à l'abba Dorothée. Lors, en l'espace de quelques jours, par les prières du Saint, l'esprit malin quitta la possédée, et les Pères l'envoyèrent aussitôt au roi, pour qu'il voit le miracle. Celui-ci, lorsqu'il vit sa fille guérie, glorifia Dieu. 4. Avant qu'il se fut passé longtemps, sa fille donna l'impression d'une femme enceinte. Le roi en fut fou furieux, et s'imaginant que ce fait était dû à l'abba Dorothée, il envoya aussitôt des courriers, où, fou de rage et d'indignation, il ordonnait que Dorothée se présentât devant lui. Celle-ci demanda une grâce au roi et réussit à ménager une rencontre avec la reine. Lors, devant elle, dénudant sa poitrine et d'autres parties de son corps, lui dit : " Ma reine, ne vois-tu pas que je suis ta fille Apollinaria?" Lorsque cet évènement eut été divulgué, tous furent saisis de crainte en voyant que celle qu'ils croyaient perdue était vivante, et plus encore qu'elle avait opéré la guérison de sa soeur malade. Apollinaria demeura quelques jours à Rome, puis, par après, s'en retourna à sa cellule, sans rien découvrir aux Pères de tout ce qui était arrivé. Plus tard, lors du départ de cette vie de la sainte, sa nature de femme fut découverte, et tous, frappés de stupeur, glorifiaient Dieu et lui chantaient des louanges. DOMINIKA. La vie et les miracles de notre Sainte mère Dominika. 1. S'agissant de Dominika, qui porte véritablement le nom du Seigneur, ou qui plutôt porte le nom de l'épouse du Christ, et qui rendit virile sa nature féminine, de par son courage viril, elle qui acquit une grande puissance de par son zèle divin, et qui avec intelligence affronta ses passions et les démons et qui les vainquit pa, nrfaitement, comment pourrions-nous ne pas faire mention d'elle? Ou comment réussirions-nous à faire le récit approprié de tous ses grands mérites et de ses miracles, si la Grâce de l'Esprit, qui la fortifiait et l'affermissait en chacune de ses actions divines, de ses études spirituelles, et de ses prières, ne descendait pas en notre esprit trop lent et si ce même Esprit ne donnait de la force à notre discours malhabile du fait de notre manque de formation culturelle et spirituelle? C'est donc elle, la Sainte, qu'à présent nous invoquerons, en la suppliant de nous secourir, en sorte qu'elle nous aide à rendre notre récit agréable, et que nous puissions diriger comme il sied le gouvernail de notre discours sur un océan de paroles paisibles. 2. Ainsi donc, cette pieuse servante de Dieu Dominika brilla très manifestement comme l'astre du jour de par le brillant de sa foi et l'éclat de ses actes, par sa virginité, et par son ascension sur les ailes de la contemplation, au temps du Grand Théodose, qui régna avec piété, lui qui était originaire d'Espagne. Elle était, quant à elle, originaire d'une ville royale - je veux parler de l'ancienne Rome -, et née de parents pieux, qui possédaient la crainte de Dieu. Elle fut par eux, depuis sa tendre enfance, élevée dans les saintes lettres, et instruite selon l'éducation spirituelle qui inculque l'amour du Seigneur. Après qu'elle eut grandi en âge et progressé encore davantage en cette science spirituelle qu'en la profane, lorsqu'elle eut compris combien incertaine et pleine de nuisances est notre vie, et combien est éternelle et pure la vie du siècle à venir, et du fait aussi qu'elle avait choisi d'accomplir plus parfaitement le commandement du Maître, elle résolut de renoncer au monde et à tout ce qui est du monde. 3. Après donc qu'elle eut songé à tout ce qui pouvait être très utile pour son salut, qu'elle eut rejeté sa faiblesse de femme pour acquérir un esprit viril, et qu'elle eut avisé de sa disposition d'âme et de son but ultime ses parents, ses proches, tous les serviteurs et le personnel de sa maison, elle pria du fond du coeur avec gémissements et larmes, suppliant le Seigneur de diriger ses pas sur la voie du salut, et de l'aider à mener à bien son dessein et d'accompli sa vocation pour répondre à l'appel de Dieu. Lors, elle quitte secrètement la maison paternelle et elle atteint le port de la mégalopole de Rome. Là, de par un hasard providentiel ayant trouvé un navire, lequel devait sur-le-champ appareiller pour la célèbre Alexandrie, elle y monta, mue par le plus grand zèle qui fût. Après avoir accompli un voyage qui, de par l'aide et l'assistance divine, s'était révélé paisible, elle arriva devant la ville d'Alexandrie. A la descente du bateau, de nouveau elle supplia le Seigneur, pour qu'il la fît parvenir sans crainte en un lieu propice, qui fût pour elle un refude de salut où elle pût mener l'hésychia. 4. Tandis que la Sainte priait, et demandait à Dieu dans sa prière de lui faire connaître s'il y aurait pour elle un abri salutaire, la divine Providence lui révèle une demeure, qui avait une allure de forteresse, fermée par de solides serrures, et dans laquelle habitaient quatre jeunes filles idolâtres - la religion idolâtre prédominait alors. Celles-ci avaient cependant une conduite exemplaire, et étaient véritablement dignes des noces célestes et de la vie d'en haut. Eclairée par le Saint Esprit, la Sainte comprit qu'elle serait cause que ces vierges pussent faire leur salut. Paraissant donc avoir les mêmes préoccupations que ces jeunes filles, elle demanda aux archontes du lieu de lui permettre d'habiter avec elles. Ils le lui permirent. Elle, ayant reçu leur permission, demeura avec ces vierges un certain temps, durant lequel, jour et nuit, de manière incessante, elle priait et suppliait Dieu dans les larmes que ces vierges se convertissent et fissent leur salut. En même temps, bien souvent elle exhortait ces jeunes filles, leur donnant des conseils spirituels et leur enseignant à garder en toute exactitude les préceptes du Christ, et leur montrant à tâcher d'acquérir toutes les vertus. Elle tenait tous ces propos avec beaucoup d'intelligence, et elle rendait ces dires et son enseignement vivants de par l'exemple pratique parfait que proposait toute sa personne, tant lorsqu'elle parlait que lorsqu'elle gardait le silence. Par sa tempérance elle imitait les anges immatériels et célestes, par ses veilles elle paraissait presque semblable à ces astres qui ne dorment pas, par ses stations debout la nuit entière elle rivalisait avec la nature infatigable des incorporels, par sa doxologie et sa psalmodie qui duraient aussi toute la nuit elle paraissait en quelque sorte chanter l'incessante mélodie chérubique. Si bien qu'à force de leur proposer, avec une foi et un amour sincère, le vivant exemple de toutes les vertus agréables à Dieu, elle parvint miraculeusement à changer leurs coeurs. 5. A entendre donc jour et nuit les douces paroles de la bienheureuse, ses judicieux conseils spirituels inspirés, ses hymnes doxologiques agréables à Dieu, ses prières et ses suppliques, les jeunes filles, avec l'aide et le secours de Dieu, virent s'illuminer leur âme intérieure. Elles furent capturées par le désir divin. Elles se mirent à éprouver la crainte de Dieu et à ressentir une profonde contrition. Leur coeur étant devenu bien intentionné, elles se montrèrent d'une obéissance soumise et docile. Elles prirent en aversion l'égarement idolâtre et furent emplies de foi en la religion christique immaculée. La Sainte, qui était pour eux comme une grande maîtresse et un guide incomparable, les voyant de jour en jour progresser dans le culte divin, monter les degrés de l'échelle des vertus, et s'élever de gloire en gloire et de "puissance en puissance", se réjouissait en son âme et son esprit tressaillait d'allégresse. Recourant donc encore à ses bons conseils spirituels et à ses exhortations, elle les persuada de renoncer complètement à leurs liens familiaux, à prendre sur leurs épaules la croix du Seigneur, et, conformément à l'injonction du maître, de suivre le Christ avec zèle. Elles qui, disciplinées, obéissaient en toute chose à la bienheureuse, la suivirent aussitôt de toute leur volonté avec le plus grand zèle, s'acquittant de ce qu'elle leur enjoignait de faire. Elles craignaient cependant de ne pouvoir s'enfuir de cette austère forteresse extrêmement bien gardée, et la chose même leur semblait impossible. Tandis qu'elles soutenaient cette affirmation et se trouvaient, de là, plongées dans une grande gêne et dans un grand embarras, l'admirable servante, sans hésitation aucune, écoutant l'inclination de son coeur, tourna aussitôt ses yeux vers Celui qui habite le Ciel, et se mit à prier avec gémissements et larmes, invoquant le Christ, qui brisa les barres de fer, les verrous, et les portes de bronze de l'Hadès, et qui en délivra avec courage pour les ressusciter tous ceux qui en étaient prisonniers depuis des siècles. Et de la sorte, elle obtint qu'auusitôt les cadenas des portes se brisassent et que celles-ci s'ouvrissent d'elles-mêmes. 6. C'est de cette manière miraculeuse qu'au beau milieu de la profonde nuit ces vierges purent sortir de la forteresse, joyeuses et glorifiant Dieu, qui accomplit de grands miracles. Elles allèrent au lieu nommé Pharos, et trouvèrent là un bateau prêt à appareiller pour la trois fois bienheureuse mégalopole impériale, je veux dire Constantinople, et elles y embarquèrent. Le navire prit le large. Tandis qu'elles se trouvaient au beau milieu des flots, il advint que se leva sur la mer une grande tempête, en sorte que le bateau était recouvert de hautes vagues et qu'il courait d'instant en instant le risque de s'enfoncer dans l'océan et de périr corps et biens. La Sainte, en mère qui aimait Dieu et chérissait ses enfants, - la préceptrice des âmes, Dominika - , qui se souciait grandement de ces mêmes enfants siens et se battait pour eux, craignant que, de par l'action du malin démon, ne se glissât dans leurs coeurs quelque hésitation et que la pensée du doute ne régnât sur eux, leur prodiguait des encouragements et leur insufflait du courage, les incitant à ne pas tomber dans la lâcheté et à ne pas avoir peur. Elle leur disait que cette effroyable tempête était arrivée pour que leurs âmes devinssent encore plus fortes et pour qu'elles rendissent gloire à Dieu pour ses miracles. Et, comme elle disait ces mots, elle prit de l'huile entre ses mains, en aspergea la mer en y formant sur les vagues déchaînés le signe de la croix, tout en invoquant le nom redoutable du Christ, qui marcha sur la surface des eaux, comme si c'était la terre ferme. Lors, aussitôt, et pour emprunter la langue des psaumes, la mer se calma et les vagues s'apaisèrent, l'ouragan cessa et la redoutable tempête se changea en une bonace paisible. Dès lors, après un voyage serein, le navire, poussé par des vents favorables, parvint en quelques jours devant la capitale impériale. 7. Le navire n'était pas encore entré dans le port et n'avait pas encore jeté l'ancre que Nectaire, le patriarche de Constantinople, qui occupa le trône patriarcal de l'an 381 à l'an 397, au quatrième siècle, vit en rêve, descendu du Ciel, un saint ange, sous la figure d'un jeune homme vêtu de blanc, qui l'incitait à descendre sur-le-champ au port nommé Julianos, pour s'y hâter à la rencontre de la jeune brebis immaculée du Christ, Dominika, qui arrivait en bateau avec ses ouailles irréprochables, afin de les agréger à son troupeau choisi et de nourrir leurs âmes du pain de ses paroles spirituelles de patriarche. Aussitôt donc, il se lève, rassemble autour de lui son saint clergé, conte à ses clercs son étrange vision, et avec eux, en grande pompe, descend au port susdit, où il rencontre la bienheureuse, qui venait à peine de débarquer, et il vient à elle avec vénération et honneur, lui donne le baiser de paix et la mène à la sainte église, où il l'interroge sur la cause de sa venue et sur le lieu dont elle vient, ajoutant encore à ses dires le récit de l'étrange vision angélique qu'il avait vue à son propos. La bienheureuse Dominika raconta brièvement au patriarche tout ce qui la touchait et toutes les étranges oeuvres de la Providence de Dieu relativement aux jeunes vierges, ce qui est dire comment, tandis qu'elles étaient idolâtres, elles avaient renié leur égarement et suivi la voie de la foi et de la vérité. Celles-ci donc, après que le patriarche les eut catéchisées conformément à la Tradition apostolique, et qu'il les eut jugées dignes du bain divin de la régénération et de l'adoption filiale, les baptisa en Christ. Il nomma la première d'entre elles Dorothée, la seconde Evanthia, la troisième Nonna et la quatrième Timothéa. Toute l'Eglise se réjouit grandement et fut inondée d'un grand bonheur à la vue de la régénération de ces bienheureuses vierges, laquelle était un don de Dieu. Mais celle qui se réjouissait plus que tous, comblée de satisfaction, heureuse et trois fois bienheureuse, c'était encore la Sainte, la mère spirituelle de ces vierges, leur guide et leur préceptrice. Car elle voyait s'accomplir son désir et que la graine du très sage enseignement qu'elle avait semée en elles croissait et produisait beaucoup de fruit. Le bruit de sa brillante activité spirituelle se répandit rapidement dans tout le royaume, ainsi que la puissance de ses miracles, et tous venaient à elle, lui amenant leurs malades que tourmentaient divers maux. Ils les déposaient aux pieds de la Sainte, et elle, aussitôt, adressant son ardente prière à Dieu, octroyait à chacun la guérison appropriée. 8. Le très grand éclat et la profusion des miracles de la Sainte parvint donc aux oreilles de l'empereur. C'est ainsi que cet empereur ami du Christ, Théodose, vint en personne, avec l'impératrice et tout le Sénat la visiter en compagnie de ses vierges. A tous elle donna sa bénédiction, exhalant le parfum des bienfaits spirituels qu'elle savait accomplir. Une grande foule de gens se pressait autour d'elle, dont les uns avaient besoin qu'elle les guérît, cependant que les autres voulaient voir ceux qui étaient dignes d'obtenir leur guérison, et que d'autres enfin venaient parce qu'ils voulaient que la Sainte les bénît. Il se fit alors une grosse bousculade dans la foule, au lieu même où la grande Dominika avait fondé son monastère. Ceux surtout que tourmentaient des esprits impurs occasionnaient un grand tumulte avec les cris qu'ils poussaient sauvagement. D'autres menaient le deuil avec une grande contrition. Tandis que la Sainte fouettait les misérables esprits impurs à l'aide du fouet invisible dont l'avait gratifiée la divine Grâce, les possédés, pour ce qu'ils n'en supportaient pas la violence, criaient à haute voix et pleuraient leur mal. Alors les esprits impurs les quittaient. 9. Mais la bienheureuse ne pouvant longtemps souffrir tout ce tumulte qui perturbait sa paix, et poursuivant le contentement que lui conférait l'hésychia, se mit en quête d'un lieu conforme à son désir, elle qui avait confié tous ses désirs au Seigneur. Dieu alors lui révéla un lieu excentré, désert et inhabité, que tous fuyaient à cause de la quantité de démons qu'il contenait. D'autre part, ce lieu était d'autant plus repoussant que l'on y exécutait les malfrats et les condamnés. Pourtant, ce fut là qu'elle pria le patriarche de lui fonder un monastère pour qu'elle y demeurât. Celui-ci commença par refuser quelque temps d'obtempérer à sa demande, avançant pour argument le caractère et l'aspect sauvage du lieu, ajoutant qu'il était impropre à toute habitation, jusqu'à ce qu'il apprît que la bienheureuse y avait été envoyée à l'instigation d'une énergie et d'une voix divines. Le patriarche avise le pieux empereur de cette demande, et ce dernier enjoint aussitôt de fonder là, pour l'amour d'elle et conformément à son désir, un lieu de prière, qui fût dédié au grand prophète Zacharie, pour ce que la Sainte avait été digne de voir à l'avance et de prédire l'avenir et les choses cachées, imitant en cela le prophète, pour ce que Dieu avait insufflé en elle son charisme prophétique. 10. L'oratoire et l'église dédiée au prophète fut achevée en quelques jours, grâce au grand nombre d'ouvriers et au rythme soutenu du travail sur le chantier, ainsi qu'en raison du vif intérêt que portait l'empereur à l'ouvrage, et de ce qu'il lui avait alloué de grosses sommes d'argent. La Sainte pria alors le très saint patriarche de hâter la consécration du lieu. Celui-ci transmit aussitôt sa demande à l'empereur, et ce dernier donna ordre que la consécration eût lieu le vingt six janvier. Mais Dominika qui était véritablement pneumatophore, pour ce qu'elle voyait à l'avance ce qui allait advenir dans le futur, la déité ayant illuminé son esprit très pur, Dominika, donc, supplia le patriarche de célébrer la consécration de l'église le vingt-quatre et non le vingt-six du mois. Lorsque celui-ci voulut apprendre la cause de ce changement et savoir pourquoi elle ne voulait pas attendre le jour fixé, la Sainte lui dit : " Je suis dans une grande crainte, parce que je vois ce même jour une menace effrayante approcher de la ville." Le patriarche ayant été persuadé par ses paroles inspirées, ce fut le vingt-quatre janvier qu'il célébra la consécration et la déposition des vénérables reliques dans l'autel. Ce même jour, il donna à la Sainte le schème sacré de diaconnesse et il la fit higoumène de toutes celles qui viendraient dans ce monastère pour s'y faire moniales. 11. Après ces deux jours, donc, les paroles de la bienheureuse s'avérèrent véridiques, et le peuple qui demeurait dans la mégalopole fut sauvé de façon inespérée par ses prières agréables à Dieu. L'on eût pu comparer le saint monastère de la Sainte à un phare tout illuminé au milieu de l'océan, cependant que la Sainte attirait auprès d'elle tous ceux qui voulaient être sauvés des tempêtes du monde; elle délivrait d'admirable sorte des démons qui les tourmentaient tous les possédés qui venaient à elle; elle avait été jugée digne par Dieu de guérir avec des remèdes divins tous ceux qui se trouvaient victimes de diverses maladies et qui étaient troublés par de véhémentes passions. En deux mots, pour reprendre les termes évangéliques, elle guérissait "toute maladie et toute faiblesse". Satan, le prince des ténèbres, le brigand destructeur de nos âmes, fauteur de tout mal, usant de son habituelle impudence, et de machinations perfides tenta de piéger la vénérable brebis du Christ, quoiqu'elle se trouvât sous la protection du Christ. C'est alors qu'advint un miracle plus grand que tous ceux mentionnés supra : Une bande de malfaiteurs s'abattit soudainement sur le monastère, cherchant à s'emparer de son trésor sacré et voulant dérober des objets précieux, lorsque tous ces malfrats furent immobilisés sur place, se trouvant soudain enveloppés de ténèbres et pris de vertiges. C'est ainsi, de même, qu'à l'époque d'Elysée à Sodome, des iniques enragés avaient été cloués sur place, empêchés d'agir, comme si leurs mains et leurs pieds eussent été attachés, et étaient demeurés immobiles sans pouvoir rien faire. Et, là aussi, survint quelque chose d'étrange. Lorsque la noble servante du Seigneur les aperçut, elle pria pour eux, et ainsi, montrant sa vertu à l'imitation du Christ, et leur permettant d'éviter d'être pris en flagrant délit de forfaiture et de brigandage, elle fit en sorte qu'ils puissent s'enfuir sans qu'il leur fût fait aucun mal. La bienheureuse, non seulemnt guérissait de façon appropriée tous ceux qui souffraient des maladies les plus diverses, mais encore, grâce à son regard clairvoyant et prophétique, elle délivrait du ver qui les rongeait tous ceux qui étaient soumis à des sortilèges et à des envoûtements du Malin. 12. Une femme, un jour, qui appartenait à l'orgueilleuse classe des sénateurs, vint la visiter, pour que la Sainte la bénît. Comme son visage était très pâle et que son corps était épuisé, lorsqu'elle lui demanda à quoi était due cette anomalie et quelle était la cause de son abattement, elle lui dit qu'elle soupçonnait les serviteurs de sa maison, et que sans doute, parce qu'elle avait mauvais caractère, l'un d'entre eux avait dû l'empoisonner, et lui causer cette grave nuisance. Dieu, lors, révéla à la Sainte, dans sa prière, que le coupable était le chef du personnel de la maison. Elle, prenant cet homme à part, le blâma vivement, et lui fit de brûlants reproches. Mais elle le faisait de façon pédagogique, tout en lui prodiguant des conseils spirituels, comme l'eût fait une mère. De là, elle l'aida à se corriger et à s'amender. D'un autre côté, elle demanda à sa maîtresse des garanties, et elle enjoignit à celle-ci en maîtresse femme de ne jamais rendre à son serviteur le mal pour le mal. Par la suite, il se trouva que l'on découvrit dans l'oreiller de cet homme des épées métalliques gravées de caractères écrits, qui semblaient avoir été tracés de par un effet diabolique. Ayant donc échappé à une mort certaine cette femme remercia comme il se devait Dieu son Sauveur, ainsi que sa servante divinement inspirée. Ensuite de quoi, donnant à son serviteur un salaire double de celui qu'il eût dû gagner, elle le congédia avec joie, conformément à ce que cette grande Sainte lui avait conseillé et l'avait incitée à faire. Et ce ne fut pas seulement par ses miracles, par ses prédictions, par ses guérisons que cette thaumaturge devint renommée et célèbre, mais aussi par ses admirables prophéties, par ses révélations, par ses divines illuminations et par ses visions extraordinaires qu'elle acquit une riche et abondante gloire. C'est ce que montrera la suite. 13. Tandis que l'on fêtait au monastère la brillante et lumineuse fête des saintes Théophanies, après s'être acquittées de leur canon de prières et de la divine mystagogie, toutes les soeurs sortirent en compagnie de leur admirable mère spirituelle, pour aller prendre, comme à l'accoutumée, de l'eau bénie durant la panigyrie. La bienheureuse, levant les bras au Ciel, supplia le Seigneur avec larmes d'envoyer le très Saint Esprit pour sanctifier ces eaux. Ayant achevé sa prière, la Sainte inspirée de Dieu, attendait en silence que le Ciel sanctifiât les eaux, cependant que tous, faisant cercle autour d'elle, contemplaient sans mot dire ce spectacle pour voir ce qui allait se passer. Et voici que soudain la bienheureuse eut une étrange vision. Elle vit le Paraclet sous la forme d'un ange, tenant un bâton dont il agitait les eaux. Aussitôt alors, elle s'approcha toute joyeuse du bassin des eaux, invitant tous les assistants à faire joyeusement de même, après qu'elle leur eût dévoilé sa vision divine, véritable visitation venue du Ciel. 14. Quelques jours plus tard, la Sainte, telle un archange au milieu de ces vierges, eut besoin d'entrer dans la salle du trésor sacré du monastère. A peine eut-elle ouvert les portes et fut-elle entrée au lieu où l'on gardait les objets sacrés, qu'elle entendit une voix leur dire : " En cette heure l'empereur Théodose se meurt en paix." La bienheureuse, pleurant lors amèrement, sortit en chantant des thrènes et autres chants de deuil. Elle révéla alors à ses moniales ce que lui avait révélé la voix. Toutes furent troublées et s'affligèrent, pour ce que cet empereur, qui était digne de sa réputation, avait grandement aidé le monastère en subvenant à toutes ses nécessités, et il avait honoré et vénéré la Sainte comme si elle eût été un ange de Dieu. Comme nous le savons de par ceux qui en leurs temps narrèrent les actes des empereurs, de ceux, s'entend, Zénon et Basilisque, qui furent à l'origine d'innovations, lesquelles allaient à l'encontre de la foi orthodoxe, et à cause desquels il advint que les Pères qui habitaient " dans les montagnes, les grottes et les antres de la terre" furent contraiants de prendre courage et d'accourir au secours de notre mère commune à tous, l'Eglise, pour ce qu'uls ne supportaient pas la déraison du blasphème, c'est alors que fut contraint de descendre de sa colonne le grand thaumaturge et Père Daniel. A quoi le contraignairent non seulement des hommes mais même des femmes qui vivaient dans une grande piété et coulaient une existence admirable, parée de toute la beauté des vertus. Et ce fut la mâme chose qui advint à notre fois bienheureuse mère Dominika, thaumaturge. 15. D'aucuns vinrent la visiter et l'incitèrent à se rendre auprès de la reine, pour lui conseiller d'entreprendre de bonnes oeuvres salutaires. Mais Dominika, sous l'effet de l'immumination du Saint Esprit, perçut la dureté de coeur de cette reine inébranlable, et elle ne voulut point s'y rendre. Mais il lui sembla qu'il valait mieux qu'elle dépêchât en sa place celle qui était la seconde après elle au monastère, et qui avait nom Dorothée. Il fallait soutenir cette moniale, car elle était devenue courbée du fait de l'excès de ses peines et de ses luttes ascétiques sans nombre, et elle ne pouvait pas même lever la tête pour voir ce qu'avait à montrer le monde. Lorsqu'elle s'en fut chez l'impératrice et qu'elle lui demanda une audience, elle ne fut pas reçue par la reine. Mais comme elle s'en retournait les mains vides, à l'heure de quitter ces lieux, et tandis que tous pouvaient l'entendre, elle dit prophétiquement à la reine : " De même que tu m'as fait perdre en vain la peine de ma visite, ainsi toi aussi tu frapperas à la porte de la grande église, mais l'on ne t'ouvrira pas. " Ses paroles s'avérèrent véridiques. Peu après la reine mourut sans avoir été jugée digne de pouvoir entrer dans l'église royale. 16. Lors donc que l'heure arriva où Dominika, qui portait le nom du Seigneur, dut s'en aller vers le Christ, elle appela Dorothée, que nous avons mentionnée supra, et lui confia ses soeurs en Christ et le monastère tout entier, disant qu'elle la nommait sa diadoque, ce qui est dire celle qui lui devait succéder. Elle se mit donc en prières devant toutes les soeurs, disant : "Seigneur des puissances, toi qui es un Dieu grand, admirable dans tes décrets, et redoutable à tous ceux qui ses trouvent à tes entours, toi qui accomplis et gardes tes promesses, et octroies ta miséricorde et ta grande pitié à tous ceux qui t'aiment, toi qui, par ton Fils unique Jésus, accordes à tous la rémission des péchés et régénères ceux qui ont vieilli du fait du péché, et qui rends sage jusqu'aux aveugles, toi qui redresses ceux qui sont brisés, qui aimes les justes et sauvegardes ceux qui se sont faits chrétiens, toi qui nous as fait sortir de la ténèbre et de l'ombre de la mort et qui as instillé dans nos coeurs la lumière de ta propre connaissance, par la Grâce du Christ qui dit : " Vous serez délivrés vous tous qui étiez dans les chaînes et vous paraîtrez dans la lumière vous tous qui étiez dans l'ombre", toi qui t'es rendu présent sur la terre et qui as vécu parmi les hommes qui t'ont reçu, toi qui as donné à ces derniers la "faculté de devenir enfants de Dieu" par le bain de la régénersecence, toi qui nous as arrachés à la tyrannie du diable, et qui nous as faits entrer dans ton royaume." C'est à toi maître de toutes choses que je confie ce monastère et les âmes qui maintenant y habitent ainsi que toutes celles qui à l'avenir y habiteront. par les intercessions qui te sont agréables de notre Souveraine Mère de Dieu toute immaculée et de ton prophète Zacharie digne de louanges en toute chose, "garde-les, en ton nom, affermis-les dans ta foi, en sorte que nul ne les trompe par quelque ruse diabolique, qu'aucune pensée venue du diable ne les abuse, et ne les fasse tomber dans le piège du désir du monde, mais de te main puissante octroie-leur une force d'en-haut, agrée qu'elles mènent le bon combat, qu'elles parviennent au terme de leur chemin d'ascèse, et qu'elles jouissent du repos éternel dans tes demeures et dans les séjours d'en haut. Et nous te supplions encore, ô Maître ami de l'homme, de ne pas permettre que fût mélangé à une âme corrompue et impure ce troupeau immaculé de tes brebis, que ce monastère ne soit jamais détruit, que tu as sanctifié, le protégeant du feu funestement sauvage, des bêtes féroces, et que nul esprit impur et démoniaque enfin ne puisse jamais approcher des limites de la clôture de ton monastère. Et que la reine et Mère de Dieu aussi, qui t'es vouée, le garde éternellement intact, protégé des séismes, épargné par la faim, par les épidémies, des inondations, du feu, de la ruine et de l'anéantissement, des incursions barbares et de la guerre étrangère. Fortifie le pouvoir des rois, soumettant à leur force tout ennemi et adversaire, car à toi appartient le règne et la gloire éternelle. Amen. 17. Après qu'elle eut fait sa prière et après qu'elle eut achevé de laisser en ordre toutes les affaires de sa communauté, elle laissa partir toutes les autres soeurs, et dit à Dorothée : " Je t'en prie, ma soeur, demeure un peu avec moi pour ce que le Maître a besoin de moi." Celle-ci, croyant qu'elle parlait du roi, lui répondit : " Pour quelle raison, ma mère, le roi a-t-il besoin de toi?" La bienheureuse répondit :" C'est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs qui m'appelle, mon enfant, à quitter cette vie et à venir demeurer avec lui. " Je te prie donc avec zèle, ma soeur, de t'acquitter de tous les préceptes que je t'ai laissés. C'est sur toi qu'est tombé le sort d'exercer cette diaconie. C'est à toi et au grand prophète Zacharie qu'avec le secours et l'aide de Dieu je confie le soin de ce monastère. Ainsi donc, soucie-toi de paître les âmes qui s'y trouvent, comme s'il s'agissait que tu doives en rendre compte devant le grand tribunal du Christ-Roi". Après que Dominika eut fait à la moniale ces exhortations et d'autres encore, elle dit : " Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit." Alors dans le même temps, paisiblement, elle remit son âme au Seigneur. Aussitôt il se fit un grand séisme, en sorte que toutes pétrifiées de peur, toutes les moniales se précipitèrent dans la cour, pour ce qu'elles croyaient que ce tremblement de terre s'accompagnait de la fin du monde. Alors elles voient dans les airs une foule de moines vêtues de blanc et des troupes de saintes femmes, et au milieu d'elles la bienheureuse Dominika vêtue et parée comme une fiancée. Tout l'air aussitôt s'emplit d'un parfum céleste, cependant que tous ces saints chantaient avec une harmonie mystique et suave : " La mémoire du juste sera éternelle", et "sa puissance sera glorifiée." Ce fut alors que s'entendit une voix du ciel disant :" C'est ainsi que sera béni tout saint au moment adéquat." La moniale Dorothée, qui avait mérité son nom signifiant "Don de Dieu", et qui était aussi devenue sa diadoque pour lui succéder comme higoumène, ferma les yeux du vénérable corps de la bienheureuse Dominika. Dorothée entonna le chant funéraire qui convient aux justes, et avec piété et amour elle psalmodia les chants de thrène avec touta la communauté des soeurs. Elle l'ensevelit avec vénération et avec tous les honneurs dans la châsse-reliquaire que leur mère d'éternelle mémoire avait elle-même préparée pour ses vénérables reliques, lesquelles, jusqu'au jour d'aujourd'hui, opèrent nombre de guérisons miraculeuses, et qui donnent à voir maintes choses extraordinaires, délivrent des esprits impurs et guérissent une foule de malades. 18. Quelque temps après la dormition de la bienheureuse, il se déclara un grand incendie aux abords du monastère, et d'instant en instant l'on était en grand péril que le feu ne se propage à la nef de l'église. L'on vit alors arriver promptement au monatsère, escorté d'une foule de peuple, l'éparque de la ville, du nom d'Irénée, dans le dessein d'arrêter le feu et de sauver le monatsère. Il se tenait à petite distance de la nef, lorsqu'il tomba en extase. Aussitôt la menace du feu fut endiguée, cependant qu'il exposait à tous l'étrange vision qu'il venait de voir. Il disait qu'il avait clairement vu avec le prophète Zacharie une femme vêtue d'une tunique se tenir devant l'église les deux mains étendues pour calmer l'élan du feu et éloigner les flammes. Par là ils comprenaient tous clairement que, même après sa mort, pour ce qu'elle vivait véritablement auprès de Dieu, elle intercédait pour son monastère, le secourait, et en avait souci. Quelque temps après, cependant que l'on fêtait brillamment sa mémoire, pour qu'elle fût éternelle, il se rassembla un grand concours de peuple, hommes et femmes, tant obscurs et inconnus qu'illustres archontes et sénateurs, ainsi qu'ascètes renommés, prêtres renommés et hommes admirables. Et voici que parmi eux se trouva être une femme, qui habitait l'autre rive du fleuve, qui durant de longues années recélait en elle un esprit impur, qui ne se décélait pas publiquement ni ne semblait ouvertement la posséder, mais qui secrètement la rongeait et l'épuisait d'épouvantable et douloureuse sorte. 19. Tandis que l'on célébrait la divine liturgie et que l'on lisait les saints évangiles, à cet instant même, terrassé par quelque puissance divine, l'esprit impur qui demeurait en elle, se mit à la frapper violemment, à la mettre en pièces et hors d'elle-même. Mais la possédée, étant demeurée patiemment plusieurs jours durant auprès des reliques donatrices de vie de la bienheureuse, parvint à se débarrasser entièrement du démon qui la tyrannisait et à se purifier. Le démon, lui, avant que de sortir, proféra de clairs propos que tous entendirent : " Je ne peux supporter ton emprise, Dominika, servante du Christ. Pourquoi me tourmentes-tu si durement de temps à autre? Pourquoi me brûles-tu comme un feu? Ainsi donc, je sors, car je ne supporte plus que tu me châties. Dans quels filets me suis-je pris ici? Quel appât m'a-t-il fait mordre à l'hameçon et m'a-t-il contraint de venir ici me soumettre à l'emprise de cette femme, en sorte que je tombe entre ses mains? Du fait de la grande puissance et du grand pouvoir que tu as acquis contre nous tous, les démons, je jure que si j'avais su plus tôt que tu allais me tourmenter de la sorte, je me serais jeté dans le feu, dans la mer ou dans un puits pour me suicider plutôt que de te subir. Malheur à moi, comment me suis-je tout de suite laissé prendre pour être livré ici à ta force? A présent, me soumettant au pouvoir qui t'a été donné, contre mon gré je sors de cette femme. Mais laisse-moi seulement la briser, ou la laisser paralysée, ou déformer l'un de ses membres." Alors, poussant des cris pitoyables, le démon la laissa pleurant. Et il ne pouvait plus tenir tête à la sainte, pas plus qu'il ne se peut que l'on résiste à un redoutable archonte qui siège et prononce de sévères sentences. En poussant des jurons effrayants cet esprit tout impur s'en alla tomber au pied du trône de Dieu, soumis à la grande puissance du Fils unique de Dieu, Jésus Christ, notre Sauveur, à cause duquel il fut contraint de confesser de façon manifeste qu'il avait été tourmenté par la puissance qu'Il avait conférée à la bienheureuse Dominika et au prophète Zacharie, thaumaturge. Ainsi donc, il était sorti de cette femme, la laissant intacte et n'étant plus en proie à aucun dommage, et jamais plus en sa vie, il ne tenta de s'en reprendre à elle. 20. Par les intercessions agréées par Dieu du grand prophète Zacharie et de notre mère, la grande thaumaturge Dominika, puissions-nous donc obtenir au jour du Jugement la compassion du juste Juge et du Roi de toutes choses, le Christ? Et puissions-nous quitter cette vie avec joie, foi, espérance et amour, innnocents et exempts de condamnation, en sorte d'être jugés dignes de vivre saintement auprès du Christ Lui-même, Lui qui est notre Seigneur, et à qui appartient la gloire et la puissance éternelle. Amen. IRENE L'IMPERATRICE QUI FUT ENSUITE NOMMEE XENIE. 1. Cette sainte qui fut célèbre entre les promesses avait pour parents des rois prospères d'Occident. Et depuis son plus jeune âge, comme il en va pour les plus belles plantes, elle montrait et laissait présager quel serait ses progrès au cours du temps, car elle était dotée de grâce, de toutes les bonnes manières et elle resplendissait d'une grande beauté, tant de l'homme que du corps. Comme elle croissait en âge et devenait plus belle encore, elle brillait aussi davantage par ses vertus parfaites, qui brillaient davantage que ses qualités naturelles. En sorte que la distinction de son existence était connue non seulement de ses proches, mais même aussi de nombre d'êtres qui se trouvaient loin d'elle. Comme les pieux époux royaux d'éternelle mémoire Alexis Comnène et son épouse Irène cherchaient une jeune fille de belle apparence et qui fût vénérable, ils trouvèrent que sa personne offrait toutes les qualités, ainsi que nous l'avons dit, et au suprême degr. De là qu'ils la marièrent avec le rejeton que Dieu leur avait fait la grâce de leur octroyer, le roi Jean Porphyrogénète. De leur union naquit à Irène quatre fils et quatre filles. Elle les éleva avec une grandeur et magnificence royale. Irène considérait comme indignes les joies de la vie et dédaignait jusqu'à la royauté même. Souvent elle se murmurait à voix basse les paroles du divin David : " De quoi cela me sert-il si je dois répandre mon sang pour descendre dans la tombe, où mon corps se corrompra? " Elle servait continûment Dieu, et intercédait pour ceux qui avaient des demandes à soumettre au roi. Elle assistait ceux qui étaient dans la nécessité; elle étendait sa main sur eux pour les secourir; elle se réjouissait des aumônes et de la protection qu'elle prodiguait aux veuves et aux orphelins; et elle se plaisait aussi à faire des dépenses et des dons aux ascètes qui vivaient dans leurs cellules isolées; et par manière générale elle faisait montre d'une très vive sollicitude non seulement du temps où elle était jeune fille, mais même encore depuis qu'elle était reine. Comment, du reste, pourrait-on décrire toutes ses vertus et la foule de ses charismes, ce qui est dire la douceur de son caractère, son tempérament paisible, son humilité, son amour pour tous, sa joie, sa sociabilité, son absence de colère, elle qui ne recourait jamais à la colère contre quiconque, non plus qu'à l'injure ni à la méchanceté. Son monde intérieur n'était que prière perpétuelle et soumission à Dieu, deuil joyeux, repentir et pénitence, âme contristée par le péché. Elle psalmodiait nombre de psaumes, vivait dans la tempérance de la chair, fondait comme un cierge du fait de son ascèse et de son genre de vie. Et elle était ornée de connaissance spirituelle. 2. Mais parce qu'elle regardait toutes ces vertus comme insuffisantes au regard du dessein de l'amour divin qu'elle avait en elle, elle résolut de réaliser, fût-ce un peu tard ce but sublime, puisqu'elle avait eu la chance de recevoir de Dieu la volonté et le zèle de faire le bien et qu'elle avait aussi reçu le secours divin. Lors donc qu'elle devint reine et qu'elle put accéder à ce rang si éminent, comme elle méprisait toutes les choses qui n'étaient pas spirituelles et qu'elle considérait comme sans intérêt tous les soucis du monde, fût-ce même ceux qui paraissaient nécessaires, elle jeta les fondements du monastère royal du Christ Pantocrator, notre Sauveur, non sans avoir au préalable fondé les belles églises que nous voyons aujourd'hui, les hôtelleries et les hospices de vieillards qui surpassent en beauté -sans compter la beauté du site de leur emplacement -, de par l'art aussi de leur architecture, toutes les autres bâtisses de même sorte, qui existaient alors, tant les anciennes, que les contemporaines. Elle fut très aidée en cette vaste entreprise par un homme bon, du nom de Nicéphore, qui oeuvra à l'harmonie, à la beauté des architectures et à l'intelligence des symétries lors de l'édification de ces bâtiments. Nicéphore était le préféré des serviteurs de la reine. Il apporta un grand soin aux travaux jusqu'à l'achèvement des édifices. C'est donc avec son assistance que la vénérable reine d'éternelle mémoire put achever et nous transmettre tout ce magnifique patrimoine sacré, qui constitua le plus bel ornement de la capitale; Et l'on se réjouissait à cette vue, pour ce que le résultat parachevé était de toute beauté et agrééait à Dieu. 3. La reine avait cependant besoin d'une assistance plus grande encore. Et elle l'obtint. Prenant un jour le roi son époux par la main, au moment où il entrait dans la belle église du Christ Pantocrator qu'elle-même avait érigée, elle se laissa soudain tomber à terre et collant sa tête sur le dallage sacré, elle s'écria avec larmes : " Accepte, Maître, cette église qui avec l'aide de Dieu a été fondée pour toi." Et elle continuait de la sorte sa supplication, versant larmes sur larmes, et clamant qu'elle ne se relèverait pas de terre avant qu'elle n'ait préalablement reçu la promesse que son désir serait réalisé. A entendre ces mots, et voyant le sol trempé des larmes de son épouse, le roi promet de satisfaire tous ses désirs. Et ceux-ci comprenaient la fabrication de magnifiques vases sacrés, la consécration de biens meubles et immeubles, la ratification de dépenses annuelles et de dons. Elle désirait encore que ce monastère vénérable soit la fierté, la gloire et le plus beau de tous, qu'il soit appelé Monastère du Pantocrator et qu'il soit honoré comme le premier, tant en paroles qu'en actes. Pour tout cela donc, ayant reçu les promesses du roi, elle se releva emplie d'une joie et d'un bonheur indicibles. 4. Ainsi, lorsque cette reine d'éternelle mémoire eut été délivrée du poids des soucis qui l'écrasaient, de par l'accord donné par son royal époux et par son zèle à lui, elle se laissa aller à son bonheur et à sa joie, et elle rendit grâces à Dieu qui avait réalisé ses souhaits en lui octroyan tous ces biens. Par après, lorsqu'elle se trouva dans l'éparchie de Bithynie, elle s'en fut vers le monastère du Christ Pantocrator où elle désirait être ensevelie. C'est ainsi qu'elle fut inhumée dans ce monastère qu'elle avait fait ériger depuis ses fondements. Quant au pieux roi, après qu'il se fut acquitté de la promesse qu'il avait faite à son épouse, en sorte que le monastère royal du Pantocrator en était parvenu au summum de splendeur que nous avons évoqué, et qu'à tous points de vue il était d'une grandeur qui rayonnait partout, il advint que ce très pieux roi d'éternelle mémoire, Jean, laissa la royauté terrestre pour s'en aller vers le Roi et le Maître des cieux, et son corps fut déposé dans ce même vénérable monastère du Pantocrator. Les deux époux royaux, l'empereur Jean II Comnène et son épouse l'auguste Sainte Irène dite Xénie, sont magnifiquement représentés, de part et d'autre de la Mère de Dieu tenant l'Enfant Christ-Roi, sur les splendides mosaïques du douzième siècle de Sainte Sophie de Constantinople. La mémoire de Sainte Irène est fêtée le 13 août. SAINTE HELENE, IMPERATRICE I C'est le 21 mai qu'est fêtée la mémoire de nos pieux rois Constantin et Hélène. 1. Ce bienheureux, vénérable entre les rois, Constantin, était le fils de Constantin Chloros et de la vénérable Hélène. Ce qui est dire que Constantin était fils de la fille de Claude, qui avait régné sur Rome avant la royauté de Dioclétien. Dioclétien et Maxime Herculius eurent dessein que ce Constantin prendrait part à la royauté avec Maximien de Galère. Tandis que tous les autres avaient violemment décrété leur persécution contre les Chrétiens, lui seul se comportait avec douceur envers les conseillers des affaires royales qui luttaient pour la foi du Christ et il leur témoignait de la sympathie. 2. A ce Constantin, son fils bien-aimé, qui par après devint le premier empereur des Chrétiens, son père enseigna la piété et il le laissa pour diadoque de sa royauté sur les îles de Bretagne. En l'an 5818 après la création du monde, et en l'an 318 de l'incarnation de notre sauveur et grand Dieu, il régna sur l'ancienne Rome, dont il fut le trente-deuxième roi à compter de l'hégémonie d'Auguste. 3.Celui-ci, qui était encore en Bretagne, apprit les méfaits répugnants, odieux, abominables, impies, et sacrilèges qui se déroulaient à Rome, du fait de Maxence, le fils d'Herculius, et mû par un zèle divin, invoquant le Christ pour son allié, il s'élança contre lui. Il avait reçu du ciel, comme le grand Paul, l'appel de la foi. Le Seigneur vit la pureté de son âme et au commencement de son entreprise lui apparut en songe. Puis, vers midi, il fit apparaître au ciel la croix, dessinée de maintes lumières, tandis qu'il lui faisait entendre une voix : " Par ce signe, tu vaincras". Dès après cet appel fut aussitôt rendue manifeste la valeur de celui que Dieu appelait, et Dieu ami de l'homme le jugea digne, ainsi que d'autres, qui le méritaient également, de voir ce signe. C'est pourquoi il prit courage en voyant ce signe de la croix, et, lorsqu'il arriva à Rome il se fit une arme d'or à cette image, et, grâce à elle, mit en déroute l'abominable Maxence, lequel se noya dans le Tibre près du pont de Moulvia. Après quoi, Constantin délivra ses concitoyens du joug de la tyrannie. 4. Ainsi, comme il quittait la ville de Rome, il songeait en chemin à fonder une ville qui porterait son nom. Il voulai la consacrer à Dieu comme un premier gage de sa foi. Désireux d'apprendre avec précision tout ce qui concernait notre foi, il assembla les Pères de l'Eglise venus de partout dans la ville de Nicée. Ces Pères proclamèrent avec exactitude la foi orthodoxe, et le Concile de Nicée fit connaître que le Fils était de même nature que le Père, et les Pères du Concile anathématisèrent Arius et ses sectateurs ainsi que leur pseudo-foi blasphématoire. Sainte Hélène, ( Fl. Julia héléna), mère du grand Constantin, descendait d'une famille obscure. Elle naquit aux environs de 250 et elle vécut les premières années de sa vie à Drépani en Bithynie, qui fut plus tard nommée en son honneur Hélénople. En 273 elle devint l'épouse du général Constantin Chlore et le 27 février 272 elle donna naissance au grand Constantin. Quand Constantin devint empereur et tua le fils de Crispos, Hélène revit son fils à Constantinople. Et après qu'elle lui eut exprimé son indignation et son affliction, elle fit en 326 un voyage expiatoire aux saints Lieux. Hélène fut baptisée comme l'y avait incitée le grand Constantin. Constantin avait envoyé sa mère à Jérusalem, pour lui faire recouvrer la vraie Croix vénérable, sur laquelle notre Christ Dieu avait été cloué dans sa chair. Sainte Hélène trouva les trois croix du Golgotha, et put authentifier la Croix du Christ en la distinguant de celles des deux larrons, parce qu'un mort posé sur la Croix du Christ ressuscita. Hélène laissa des fragments de la Croix à Jérusalem et en apporta d'autres dans la capitale, Constantinople. Elle mourut à Rome après son retour de Palestine en 330, à l'âge de quatre-vingts ans. Elle fut inhumée dans une église nouvellement érigée sur la Via Labicana. L'Eglise orthodoxe fête sa mémoire le 21 mai. 5 Le Grand Constantin fit briller la ville, organisant fêtes et panégyries, et consacrant nombre de magnifiques églises. A l'âge de quarante-deux ans, tandis qu'il était au sommet de a gloire de son règne, il dut subir avec son armée l'oppression Perse, et, arrivant dans la plaine sauvage de Nicomédie, il trouva la mort. On le ramena en grande pompe à Constantinople om l'on fit de grandioses cérémonies en son honneur et on le déposa dans l'église sacrée des saints Apôtres qu'il avait lui-même fondée. C'est dans cette église que, lorsque la sainte Eglise célèbre sa fête, le patriarche vient la célébrer en même temps que celle des saints Apôtres en célébrant avec pompe la divine liturgie et mystagogie du Saint Esprit. II Le 14 septembre notre Eglise fête la trouvaille ou l'invention et l'exaltation de la sainte et vénérable Croix. 1. Constantin le Grand, premier empereur Chrétien, selon que le rapportent ses historiographes, avant de monter sur le trône royal avait été en guerre à Rome contre Magnence. Les uns disent qu'il combattit lors de la guerre contre les Scythes. Lorsqu'il vit que l'armée des ennemis était nombreuse et que la sienne était inférieure en nombre, il fut assailli d'une profonde tristesse et d'un grand désarroi, ne sachant que résoudre. Mais lorsque, de nuit, il éleva ses yeux au ciel, il vit la croix vénérable et une inscription faite d'étoiles qui disait : " Constantin par ce signe tu vaincras." Ensuite de ce qui lui était apparu, il se fit une croix de même semblance et entrant au combat en première ligne, il défit les ennemis. 2. Lorsqu'il devint le maître de toute l'oecuméné et que tous le proclamèrent grand roi dans la vingt-deuxième année de son âge, il apprit où se trouvait sa mère, s'en fut la chercher, et l'amena à ses côtés avec tous les honneurs royaux. Après qu'il l'eut couronnée d'un diadème royal, il lui enjoignit de rester auprès de lui et de régner avec lui. C'est alors que celle-ci, à son instigation, fut illuminée par le saint baptême. Lorsqu'il lui raconta les victoires qu'il avait remportées grâce au signe de la Croix et que dans son âme s'était levé le profond désir d'honorer la Croix victorieuse, il la persuada de n'avoir plus nul autre souci que de faire en sorte qu'ils retrouvent la Croix du Christ et que sa relique en fût leur bien propre. Une nuit donc, cependant qu'elle dormait, la reine eut en songe une vision divine, en laquelle elle était incitée à venir à Jérusalem et à rendre à la lumière du jour les saints Lieux profondément ensevelis sous la terre. Ensuite de quoi il lui était demandé de redécouvrir aussi le vénérable Tombeau de notre Seigneur Jésus-Christ, qui était également profondément enfoui sous terre et recouvert d'un temple idolâtre établi par les habitants du lieu. Elle devait encore chercher la glorieuse et vivifiante Croix du Seiggneur. Alors, s'éveillant, elle raconte à son fils et roi sa vision. Il lui demande alors instamment d'accomplir tout ce qu'elle avait vu en songe. De là qu'il l'envoie à Jérusalem avec des soldats en nombre. Lorsqu'elle arriva, elle persuada les Juifs de la laisser faire, usant pour ce faire d'autant de bons procédés que de pressions et de menaces. Finalement, elle trouva la vénérable et vivifiante Croix. Et elle la trouva parmi maints décombres, l'authentifiant du fait que la Croix redonna vie à un mort que l'on posa sur elle. En sus de la Croix, elle trouva les autres lieux de la passion immaculée de notre Seigneur Jésus Christ. Makarios, le très saint patriarche de jérusalem était avec elle, lorsque tous ces lieux cachés de la Passion revirent le jour. 3. Lorsque Sainte Hélène et lui trouvèrent la Croix, il enjoignit qu'elle soit dressée dans la sainte Eglise, pour que tous les Chrétiens puissent la voir; La vénérable reine Hélène conçut une grande joie de tous ces évènements; Elle fit en sorte que furent érigées des églises sur l'emplacement de la Croix vivifiante, sur le saint Golgotha, sur la grotte de Béthléem et sur le mont des Oliviers. Elle accomplit encore nombre de belles oeuvres dans Jérusalem. Elle prit avec elle les clous et une parcelle de la vénérable et vivifiante Croix. Le reste, après qu'elle l'eut placé dans un reliquaire d'argent, elle le confia à l'évêque Macaire de Jérusalem. Ensuite de quoi, emportant avec elle la partie de la vénérable croix et les clous qui demeuraient, elle s'en retourna chez son glorieux fils. Le roi la reçut avec une grande joie. Il prit les saints clous et en mit une partie dans son casque et une autre à la bride de son cheval. Il déposa des fragments de la vénérable Croix dans un reliquaire d'or qu'il remit à l'évêque de Constantinople, afin qu'il les garde et qu'il fête chaque année l'invention et l'exaltation de la Croix devant tout le peuple assemblé. Cette solennité est fêtée chaque année avec éclat et toute l'Eglise en son entier tressaille de joie et se réjouit d'avoir été glorifiée par la Croix qui sanctifie aussi tout le peuple des fidèles. III 1. Le Grand Constantin se rendit aussi jusqu'à deux grottes secrètes qu'il décora avec éclat. Il honora l'une des grottes comme étant celle de la première apparition du Seigneur dans la chair et de la Nativité du Christ, et la seconde, située au sommet d'une montagne, comme étant celle de l'Ascension au Ciel. Dans son amour du beau, Constantin célébra ces grottes, les consacrant aussi à la mémoire de la Mère de Dieu, qui avait fait tant de bien aux hommes dans leur vie de par l'Incarnation. 2. La vénérable impératrice Hélène considérant comme son devoir et son oeuvre de piété d'exprimer à son Dieu Roi de toutes choses sa profonde dette de gratitude, et pensant également qu'elle devait exprimer par des prières les remerciements qu'elle voulait lui faire, de ce qu'Il lui avait accordé un fils roi, une pieuse reine, et des princes, ses petits-enfants, aimés du Seigneur, alors qu'elle était âgée déjà, mais outrepassant les bornes de son âge, elle entreprit de parcourir, pour la visiter, toute cette terre admirable, et de promettre protection à tous les peuples d'Orient. Cependant qu'elle offrait à Dieu son pélerinage aux saints Lieux qu'avait foulés le Sauveur, elle redisait la parole du Psalmiste, prophète-roi, qu'elle avait maintes fois entendue : " Vénérons les Lieux où le Seigneur a marché". (Ps. 131, 7). C'est ainsi qu'elle transmettait en héritage à ceux qui lui succéderaient dans la vie le fruit de sa propre piété. 3. Concernant ces deux grottes sus-mentionnées, elle érige sans tarder deux églises pour que l'on pût vénérer ces lieux, l'une à la grotte de la Nativité, et l'autre à la grotte de l'Ascension. Car notre Dieu accepta de naître dans la chair, et le lieu de son incarnation était connu des Juifs à Béthléem de Judée. C'est pourquoi la très sainte reine Hélène décora admirablement de brillantes ornementations aux formes monumentales et variées le lieu où la Mère de Dieu avait donné naissance au Christ, cette grotte qu'elle surmonta d'une église. Après quoi l'empereur son fils rendit d'autres honneurs nouveaux à ce lieu, y adjoignant des offrandes royales et des ex-voto d'or, des objets précieux d'or et d'argent, et des tentures aux magnifiques couleurs variées et chamarrées. Il manifestait par là qu'il ajoutait encore aux riches décorations qu'avait apportées sa mère à ces lieux bénis. La reine, en outre, éleva sur le mont des Oliviers des bâtisses remarquables, pour perpétuer le souvenir du passage au Ciel du Sauveur du monde entier. Elle édifia une église au sommet de la montagne, lieu de prière en l'honneur du Seigneur. Pour ce que c'est en ce lieu qu'Il préférait se reposer et les Evangiles attestent que c'est en ce lieu que le Sauveur du monde entier enseignait ses disciples. Là, de par ses ex-voto et ses ornementations, le roi terrestre honorait le grand Roi de l'univers. La reine Hélène très aimée de Dieu, donc, mère d'un roi également aimé de Dieu, édifia ces deux très belles et vénérables églises. De la sorte, elle témoignait de ses pieuses dispositions, et son fils, lui ayant octroyé le pouvoir de régner à sa droite, lui en avait donné, du reste, tous les riches moyens. La reine, cependant, n'eut pas longtemps encore à jouir des fruits de sa piété. Elle acheva le temps de sa vie et de toutes ses oeuvres bonnes au seuil de sa vieillesse. Elle laissait, tant en paroles qu'en ses riches oeuvres, de salutaires conseils à ses . successeurs, ayant accompli sa vie noblement. Et elle s'en allait joyeuse, corps et âme, avec un esprit de vaillance. Grâce à toutes ses vertus, elle trouvait une fin digne de sa piété, et s'en allait au Ciel mériter la riche rétribution que le Seigneur lui avait préparée pour la belle vie qu'elle avait menée en Christ.
Récits et Vies
des Saintes Mères du Désert,
des Ascètes et des Saintes Femmes
de l'Eglise Orthodoxe.
Tome 2.
Ed. de la Fraternité Sainte Macrine.
Thessalonique 1991.
Traduction,
sur le grec ancien et sur le grec moderne,
de Presbytéra Anna,
pour les
Editions de La Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas
30, boulevard Sébastopol 75001 Paris
Tous droits réservés.
ANASTASIA DE CHYPRE
1. Une femme, originaire de la même ville que Saint Jean de Chypre, entendit dire que le Saint arrivait de Rhodes, et que s'était présenté à lui un ange du Seigneur, qui l'avait averti qu'il était appelé par notre Seigneur. Elle savait qu'elle avait commis un si grand péché qu'elle croyait que des oreilles humaines ne pouvaient pas même l'entendre l'avouer. Elle s'arme d'une foi qui ne laisse pas place à l'hésitation, se rend en courant chez le Saint, se jette à ses pieds en fondant en larmes, le supplie et lui dit, par manière de confidence : " Ô trois fois bienheureux, je suis tombée dans un péché si grave que nulle oreille humaine ne pourrait l'entendre. Je sais que si tu veux, tu peux me pardonner. Le Seigneur a dit aux prêtres : " Tout ce que vous délierez sur terre sera délié dans le ciel et tout ce que vous lierez sur terre sera lié au ciel." Et encore : " Si vous pardonnez les péchés des autres, ils leur seront pardonnés, mais si vous les retenez, ils leur seront retenus"". 2. Le Saint, à entendre de cette femme de telles paroles, craignit que s'il ignorait sa supplique il ne devînt cause qu'elle fût châtiée, cependant qu'elle pouvait être sauvée grâce à la grande foi qui était sienne, et il lui dit humblement : " Si véritablement tu crois, femme, que Dieu, par mon humble entremise, te pardonnera le crime que tu dis, confesse-le moi." "Mais, par le Dieu qui te protège, nul homme ne pourra soutenir cet aveu, Monseigneur", lui répondit-elle. Le Saint se reprit alors à lui dire : " Si tu as trop honte, va l'écrire, selon l'instruction que tu as reçue dans les lettres, et apporte-le moi". " En vérité, Monseigneur, je ne puis m'y résoudre", lui répondit-elle. Demeurant quelque temps silencieux le Saint lui demanda : " Ne peux-tu pas l'écrire sur une feuille, sceller la lettre, et me l'apporter?" "Si, Monseigneur, cela je pourrai le faire. Mais je t'en conjure, par ta vénérable âme angélique, fais en sorte que cette lettre ne tombe jamais entre les mains de personne", lui dit-elle. Le Saint lui donna sa parole que nul d'entre les hommes n'ouvrirait jamais sa lettre ni ne la lirait. Elle alla donc écrire de ses mains son péché sur une feuille, scella la lettre et la porta au bienheureux. Celui-ci la prit et, cinq jours plus tard, il mourut sans donner à quiconque nulle injoonction ni nulle directive, absolument, à suivre, relativement à cette lettre. 3. Par le fait du hasard, ou plutôt par un effet de la divine Providence, cette femme n'était pas à la ville le jour où le patriarche passa paisiblement de cette vie dans l'autre, pour ce que, comme je le crois, le Seigneur voulut montrer de quelle familiarité jouissait son serviteur auprès de lui. Anastasia, - ainsi se dénommait cette femme -, arriva après le jour où la vénérable dépouille du Saint avait été ensevelie avec honneurs dans l'église du Saint thaumaturge Tychône, dont il a été question supra. A peine eut-elle appris la dormition du Patriarche qu' aussitôt elle fut hors d'elle et devint comme folle, croyant que la lettre qu'elle lui avait donnée était restée à l'archevêché, en sorte que son péché allait devenir manifeste et connu de tous. Elle s'élança en hâte, courut, et, recouvrant en son âme sa première foi inébranlable, elle parvint à la dépouille du serviteur de Dieu; elle s'approche alors de lui comme s'il était véritablement vivant et se met à le supplier par ces mots qu'elle lui crie du fond de l'âme : "Homme de Dieu, je n'ai pas pu t'expliquer mon crime, qui était infiniment trop lourd. Or à présent, voici peut-être qu'il est devenu manifeste et connu de tous. Ah! Jamais je n'aurais dû te livrer mon secret. Malheur à moi! En croyant que j'allais être délivrée de ma honte, je suis devenue la risée de tous. Au lieu de ma guérison j'obtiens l'avilissement. Qu'a-t-il fallu que je te confesse mon problème? Mais je ne me lasserai pas de t'importuner, ni perdrai la foi que j'ai en toi, ni non plus je ne cesserai de pleurer devant ta dépouille, qui est une relique, jusqu'à ce que j'en vienne à savoir ce qu'il adviendra de ma supplication. Tu n'es pas mort, ô Saint, mais tu n'es qu'endormi. Il est écrit : " Les justes vivront éternellement.""Et, répétant sans cesse les mêmes mots : " Je ne te demande rien d'autre, ô homme de Dieu, que d'assurer mon coeur de la vérité des faits : Qu'est donc devenue la lettre que je t'ai donnée?" 4. Dieu, donc, qui dit un jour à la Cananéenne : " Ta foi t'a sauvée", voulut aussi sauver cette femme. Il la rassura et la guérit comme une nouvelle Cananéenne. Trois jours entiers elle endura de demeurer, sans rien manger absolument, auprès de la tombe de ce Saint qui, toute sa vie durant, avait vénéré Dieu. La troisième nuit, cependant qu'elle endurait cette dure épreuve, mais que, demeurant pleine de foi, elle répétait toute en larmes ces mêmes paroles au Saint, voici soudain que se relève visiblement de sa tombe le serviteur de Dieu, ainsi que les deux Evêques qui étaient ensevelis avec lui, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. " Jusques à quand, femme", lui dit-il alors, troubleras-tu la paix de ceux qui sont ensevelis ici? Laisse-les à leur hésychia paisible. Tes larmes ont trempé nos habits." Sur ce, il lui tendit sa même lettre scellée : " Prends-la", lui dit-il. " La reconnais-tu bien? Ouvre-la et vois!" Et revenant à elle après cette apparition, elle vit les Saints retourner à leurs tombes, tandis qu'elle-même tenait sa lettre en mains. L'examinant bien, elle vit que le sceau en était intact et que la lettre n'avait pas été ouverte. Elle l'ouvrit donc et découvrit que les caractères en avaient été effacés, et qu'y figurait à la place une mention qui disait : " Par l'entremise de Jean, mon serviteur, ton crime a été pardonné." *** SAINTES ANONYMES I. 1. Les Saints Pères Théonas et Théodore racontaient l'histoire suivante : "Une jeune fille d'Alexandrie perdit ses parents et se vit demeurer toute seule à la tête d'une grande fortune. Elle n'était ni Chrétienne ni baptisée. Un jour qu'elle se promenait dans son jardin, elle aperçut un homme qui s'apprêtait à se pendre. Elle court à lui et lui crie : "Qu'allais-tu donc faire, ô homme?" " Laisse-moi, femme, " lui répondit-il, " je suis désespéré". "Dis-moi la vérité, " lui dit la jeune fille, " et peut-être pourrai-je t'aider." " J'ai emprunté beaucoup d'argent," lui confessa-t-il, "et mes créanciers me harcèlent. J'aime mieux mourir au plus vite plutôt que de vivre une vie si terrible pour moi, et de subir cette tyrannie". " Je t'en prie," le supplia celle-ci, prends tout ce que j'ai et donne-le à tes créanciers, pourvu que tu ne te suicides pas." Celui-ci prit alors à sa bienfaitrice que lui envoyait Dieu tout ce dont il avait besoin, et il remboursa sa dette. 2. Depuis lors la jeune fille fut dans le besoin et contrainte de se prostituer. Il ne se passa guère de temps qu'elle ne tombât malade. Et, ressentant du remords et de la contrition, elle reprit ses esprits. Elle se mit à supplier ses voisins : " Au nom de Dieu, ayez pitié de mon âme, et demandez au Patriarche d'Alexandrie qu'il me fasse Chrétienne." Mais tous se gaussèrent et se moquèrent d'elle : " Qui voudra de toi, qui n'es qu'une catin?" Ce qui plongea son âme dans une grande affliction. Tel était donc l'état où elle se trouvait - noyée de chagrin - lorsque se présenta à elle un ange du Seigneur, sous la forme et avec la figure de l'homme dont elle avait eu compassion : " Qu'est-ce qui te tourmente donc ainsi?" lui demanda-t-elle. " Je veux devenir Chrétienne, mais nul ne veut me faire la grâce de parler en ma faveur au Patriarche", lui répondit-elle. " Pour moi dès lors, je t'amènerai des gens qui t'amèneront à l'église", lui assura-t-il. Et de fait, il lui amena deux personnes, qui en fait étaient eux aussi des anges, et ils l'amenèrent à l'église. Là, ils se changèrent en personnages et en notables importants, et ils appelèrent les prêtres, préposés aux baptêmes. Les prêtres leur demandèrent : " Votre amour répond d'elle?""Oui", répondirent-ils, "elle est digne du baptême." Les prêtres célèbrèrent donc l'office destiné aux catéchumènes, les futurs baptisés, et ils la baptisèrent. Ils la revêtirent des habits blancs de ceux qui sont nouvellement illuminés, et, ainsi parée des vêtements de l'illumination du baptême, elle entra dans sa maison dans la compagnie des anges. Là, ils la laissèrent, se faisant invisibles. 3. Ses voisins, donc, la voyant en vêtements blancs, lui demandèrent: " Qui donc t'a baptisée?" Mais elle ne savait que répondre. Alors ils l'amenèrent au Patriarche, qui appela ceux qui avaient pris la responsabilité de la baptiser. Et, cherchant à savoir la vérité : " Dites-moi, " interrogea-t-il, est-ce vous qui avez baptisé cette femme?" "Elle a été baptisée", lui répondirent-ils, " par untel et untel, sous la responsabilité du préfet augustalis romain d'Egypte." L'Evêque alors envoie chercher les responsables susnommés, et s'informe pour savoir si les choses en vont vraiment ainsi." C'est vous qui vous êtes approchés d'elle?" leur demande-t-il. " Nous ne savons pas de qui il s'agit, Monseigneur," lui dirent-ils, et nous ne connaissons pas ceux qui ont fait cela cela." L'Evêque comprit alors que la chose s'était faite de par la volonté divine. Il appela la jeune femme nouvellement illuminée et lui demanda : " Dis-moi, femme, d'après ce que tu sais, as-tu rien fait de bien?" Celle-ci lui répondit non sans embarras : " J'étais une prostituée, Monseigneur; quel bien aurais-je pu faire? " "De fait, tu ne sais pas si tu as rien fait de bien? Dis-moi", l'interrogea-t-il encore. " Non, Monseigneur", lui dit-elle, " à part ceci seulement : j'ai vu un jour un homme qui voulait se pendre, parce que ses créanciers l'étranglaient, et je lui donnai toute ma fortune, qui était vraiment très grande, de sorte que, ce faisant, je l'ai sauvé de la mort". Et, à peine eut-elle dit ces mots qu'elle s'endormit dans le Seigneur du sommeil des bienheureux, et qu'elle fut par là même déliée de ses crimes volontaires et involontaires. *** II. L'Abba Jean des Cellules d'Egypte, près de Nitrée, racontait une histoire: "Il y avait en Egypte une prostituée très belle et fort riche, et les archontes venaient à elle, comme des mouches à miel. Un jour qu'elle passait par hasard devant l'église, elle songea à y entrer. Le sous-diacre, qui gardait la porte, ne la laissa cependant pas entrer, disant : " "Tu n'es pas digne d'entrer dans la maison de Dieu, car tu es souillée de puanteur." Comme elle répondait vertement, il s'ensuivit une bruyante dispute. Ce qu'entendant, l'Evêque sortit au-dehors. La prostituée lui dit donc : " Il ne me laisse pas entrer dans l'église." "Cela, en effet n'est pas possible," lui répondit-il, parce que tu es impure. La femme, saisie d'une contrition qui l'emplit toute, murmura alors : " Je ne me prostituerai plus." L'Evêque alors insista : " C'est seulement si tu m'apportes ici tes richesses que je croirai que tu ne te vendras plus aux hommes." Elle, dès lors, apporta tous ses biens. Celui-ci les prit et les jeta au feu. Après quoi, la femme entra dans l'église en pleurant :" Si voici ce qui m'arrive ici-bas, qu'est-ce qui m'attend là-haut?" se demandait-elle. Elle fit pénitence et devint un vase d'élection de Dieu." *** III. 1. Un Père théophore racontait : " Il y avait un jour dans la ville d'Ethiopia, près de Gaza, un Evêque empli de piété, qui faisait sans cesse des aumônes. Mais par les machinations du Diable, il tomba dans le péché de la chair, non pas avec une Chrétienne, mais avec une Juive, parce que vivaient ensemble mélangés là des Chrétiens et des Juifs. Or, cette femme faisait des aumônes et craignait Dieu. Chaque jour l'Evêque l'exortait à embrasser la foi chrétienne et à recevoir le saint baptême, lui disant : " Si même nous sommes pécheurs, nous avons l'assurance de notre foi. Notre Sauveur a dit : " Si un être n'est pas renouvelé par l'eau et par le Saint Esprit, il ne peut pas entrer dans le Royaume des Cieux." Mais elle résistait, n'avait garde de lui obéir, et lui disait : " C'est dans la foi dans laquelle je suis née que je mourrai. Est-ce que je ne crois pas en le même Dieu auquel tu crois? Si je ne suis pas sauvée sous prétexte que je ne suis pas baptisée, puissé-je au moins avoir une vie toute entière droite et sans défauts. Et si je ne suis pas sauvée, je voudrais au moins devenir comme Sarah et Rébecca." "Crois-moi", lui répondit-il, " Dieu ne me laissera sûrement pas mourir dans ce péché. Je connais l'amour pour l'homme de mon Dieu, sa philanthropie, et je sais qu'il me recevra lorsque je ferai pénitence. Et toi, il te prendra près de lui, non point avec la foi que tu as maintenant, mais c'est en tant que Chrétienne qu'il te recevra. Viens au moins à l'église, et vois quelle foi ont les Chrétiens envers Dieu et envers moi pécheur". "Entendu", lui répondit-elle. " Ceci du moins je puis le faire. Mais ne me force cependant à rien d'autre." Et cette femme se rendit à l'église. 2. Lorsque l'Evêque fit son entrée dans l'église, - c'était alors jour de grande fête - , elle le vit avec un cortège resplendissant de solennelle pompe, suivi de tout son cortège de clercs. Lorsqu'il s'approcha du saint sanctuaire, voici que par l'effet d'une puissance divine ses yeux s'ouvrirent, et qu'elle vit un homme vêtu de blanc, resplendissant de lumière, dont la beauté passait toute expression. Et voici qu'il sortait du sanctuaire, qu'il se saisissait de l'Evêque, et l'attachait à une colonne. Lui-même entra à sa place dans le sanctuaire, et célébra la liturgie avec les prêtres et les diacres. Et quand vint l'heure d'élever les saints dons, elle vit un nouveau-né se tenir entre ses bras, puis le même découpé en morceaux, et ces morceaux partagés entre les fidèles du monde. Et lorsque tous les fidèles communièrent, elle vit de nouveau ce même enfant nouveau-né, vivant et entier, resplendir comme un feu et comme une vive lumière. Puis, lorsqu'il eut achevé de célébrer la divine liturgie, l'ange délia l'Evêque de sa colonne et disparut. 3. Voyant ce miracle la femme sortit en courant et s'en fut chez elle, pleurant et suppliant : " Rends-moi digne, Seigneur, de devenir Chrétienne et de mourir ainsi." Peu après, l'Evêque vint à elle et lui dit : " As-tu bien vu quelle sorte de foi nous avons nous les Chrétiens, et combien tous nous supplions Dieu avec des larmes aux yeux?" "Mieux eût valu que je ne te voie pas", lui dit-elle. Et, dans ses sanglots, elle lui raconta tout ce qu'elle avait vu. Celui-ci l'écouta comme si ses paroles venaient de Dieu même. Aussitôt il se repentit et lui dit : " Vois, à compter d'aujourd'hui je m'adonne à la pénitence, je m'enferme dans un monastère, et je pleurerai sur mes péchés autant de jours qu'il m'en reste à vivre, jusqu'à ce que je meure." Alors le coeur de la femme s'enflamma de désir pour Dieu. Elle se jette à ses pieds et lui dit : " Ne me laisse pas ici, fais-moi Chrétienne, mets-moi aussi dans un monastère, et marche avec joie sur le chemin que tu as choisi. Et moi, à partir de cet instant, je me donne à Dieu, et je m'en vais là où Il veut me conduire." 4. Sans perdre de temps, l'Evêque la baptisa et la mit dans un monastère. Lui-même s'en fut secrètement, sans que nul ne le sût. Il alla à Jérusalem, et là, renonça au monde. Dès lors, il se distingua tellement dans l'ascèse, qu'au bout de trois années il acquit le charisme prooratique de prévoir l'avenir et de faire des miracles. C'est ainsi qu'il finit ses jours. On l'enterra avec les Saints. Sachez, frères, que la vertu ne se perd pas, surtout la vertu de l'aumône. Ne cessons pas, jusqu'à notre dernier souffle, de rendre gloire à Dieu et de le supplier, car à Lui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Amen". IV. L'un des Pères parlait de l'Abba Pimène et de ses frères : "Ils vivaient en Egypte. Leur mère désira de les voir; mais cela ne lui était pas possible. Elle les guetta, tandis qu'ils se rendaient à l'église, et vint à leur rencontre. Mais eux, dès qu'ils l'aperçurent, firent marche arrière et lui fermèrent la porte au nez. Leur mère frappa à leur porte, criant et se lamentant : " Je ne veux que vous voir, mes chers enfants bien-aimés." L'entendant, l'Abba Anoub alla interroger l'Abba Pimène : " Qu'allons-nous faire avec cette Ancienne qui pleure à notre porte?" Se tenant à l'intérieur, il l'entendait pleurer, crier, et s'agiter, et il lui demanda : " Pourquoi piailles-tu ainsi, Ancienne?" Mais elle, entendant sa voix, se mit à brailler plus fort, et ses yeux versaient des ruisseaux de larmes: " Je veux vous voir, mes enfants," criait-elle. "Qu'est-ce que cela peut vous faire que je vous voie? Ne suis-je pas votre Maman? Ne vous ai-je pas allaités? Je suis à présent très vieille. J'ai grand désir d'entendre votre voix". "Veux-tu nous voir ici-bas ou préfères-tu nous voir dans l'autre monde?" lui demanda l'Ancien. Leur mère fut dans l'embarras: "Si je ne vous vois pas dans ce monde-ci, se peut-il que je vous voie dans l'autre?" "Si, lui répondit-il, tu te fais violence pour ne pas nous voir ici, tu nous verras là-haut". Elle s'en fut joyeuse se disant :" S'il advient que je puisse sans faute vous rencontrer là-haut, je ne désire plus vous voir ici-bas". V. 1. L'on racontait dans la Vie d'Ammoun qu'il avait vécu ainsi : "Il était orphelin, jeune homme d'environ vingt-deux ans, lorsque son oncle le maria par force. N'étant pas de taille à résister à la pression exercée par son oncle, il lui parut bon de se rendre au couronnement de son mariage de prendre part à la cérémonie nuptiale, et, en un mot, d'endurer tout ce qui a trait aux noces. Lorsque tous les invités eurent quitté la noce, et qu'il s'agissait à présent que le couple dormît ensemble sur la couche nuptiale, Ammoun se leva, ferma la porte, et s'assit. Il appela la bienheureuse jeune fille et lui dit : " Viens, ma chère, que je te dise ce qu'il en est. Notre mariage est ce que tu en as vu, et rien de plus. Nous ferons bien, dorénavant, chacun de nous de dormir séparément dans son lit, et, de la sorte, nous plairons à Dieu, en gardant intacte notre virginité." Et sortant de dessous ses habits un petit Evangéliaire, il lui lut les paroles de l'Apôtre et du Sauveur. Pour ce que celle-ci ne connaissait pas les Saintes Ecritures, il lui expliquait le sens de la plupart, et il lui rendit compréhensible la notion de pureté et de virginité, au point que celle-ci, par la Grâce de Dieu, en saisissant le sens, se prit à dire : " A mon tour, j'ai compris ce mystère, ô mon maître. Que me commandes-tu donc? " "Je veux que chacun de nous demeure dorénavant dans une maison séparée", lui dit-il. Mais elle protesta : " Demeurons dans la même maison. Mais ne dormons pas ensemble." 2. il vécut avec elle dix-huit ans dans la même maison. Chaque jour ils vaquaient au jardin et fabriquaient un baume odoriférant, à partir d'un arbre qui se plante, se cultive et se taille comme une vigne, tâche difficile en soi. Le soir, il rentrait à la maison, priait et dînait avec elle, et, la nuit venue, après qu'il se fût mis de nouveau en prières, il s'en allait. Ce fut ainsi qu'ils vécurent, et ils en arrivèrent à un tel point d'impassibilité, que les prières d'Ammoun étaient devenues efficientes, si bien qu'elle finit par lui dire : " Monseigneur, j'ai quelque chose à te dire. Si tu me fais obéissance, j'aurai l'assurance que tu m'aimes, comme Dieu le veut." "Dis-moi ce que tu veux", lui répondit-il. "Il est juste", lui répartit-elle, " que cependant que tu mènes en tant qu'homme l'ascèse de la justice, et que moi, à mon tour, j'essaie de t'imiter et de suivre ta voie, nous vivions séparément. Il est en effet injuste que soit cachée tant de vertu tienne, cependant que tu vis ainsi, ici, avec moi, dans la pureté." Remerciant Dieu, il lui répondit : " Toi donc, garde cette maison, et moi j'en ferai une autre pour moi." Il s'en fut don, et s'installa à l'intérieur de la montagne de Nitrie. Il n'y avait alors pas de monastères dans la région. Il construisit deux pièces coupolées. Il vécut encore là vingt-deux années dans le désert et mourut; ou plutôt il s'endormit, après qu'il fût allé deux fois l'an à la rencontre de sa bienheureuse femme." VI. 1. L'on racontait de l'Abba Jean Kolovos, c'est-à-dire le petit, l'on racontait donc de Petit Jean ceci : "Une jeune fille, que l'on appelait Païssia, vit ses parents mourir, et demeura orpheline. Elle songea à faire de sa maison une hôtellerie pour exercer l'hospitalité envers les Pères de la Skyte. Quelque temps durant, donc, elle établit cet hospice dans le souci des Pères. Mais, par la suite, lorsqu'elle eut épuisé tout son bien, elle commença à manquer du nécessaire; Des hommes mauvais et pervers l'approchèrent alors et la détournèrent de sa bonne et droite visée. Elle se mit à mener une vie de prodigue jusqu'à en arriver au point de se prostituer. Les Pères l'apprirent et s'affligèrent grandement. Ils appelèrent l'Abba Jean Kolovos et lui dirent : " Nous avons appris que cette soeur a suivi la mauvaise voie. Tant que cela lui a été possible, elle nous a témoigné son amour. Voici que notre tour est venu de lui rendre son bienfait et de l'assister. Va auprès d'elle et, de par la sagesse que Dieu t'a octroyée par don, secoure-la". 2. L'Abba Jean alla chez elle, dans sa maison, et dit à la vieille qui faisait office de portière et de soeur tourière : " Dis à ta maîtresse que je suis là". Celle-ci cependant la chassa, lui disant : " C'est vous qui êtes à l'origine de ce que vous lui avez mangé tout le bien qu'elle avait, et qui lui avez pris même ce qu'elle n'avait pas, en sorte que maintenant vous avez fait d'elle une pauvresse." Mais l'Abba insistait : " Dis-le lui malgré tout. Il s'agit que je lui fasse grandement du bien." Mais ses serviteurs à elle se gaussaient de lui à gorge déployée, lui disant : " Qu'aurais-tu donc par hasard à lui donner que tu veuilles à présent la rencontrer?" "D'où et comment sauriez-vous ce dont il s'agit que je lui donne?" fut sa seule réponse. La vieille monta à l'étage et rapporta à la jeune femme les propos de Jean. "Ces moines vont et viennent souvent jusqu'à la mer d'Erythrée et ils y trouvent des perles fines", se dit en elle-même la jeune femme. Elle se vêtit, se para, et lui répondit : " Fais-moi la grâce de m'amener cet homme." Lorsque celui-ci fut monté à l'étage, elle le devança et s'assit sur le lit. L'Abba Jean s'approcha et s'assit auprès d'elle. La regardant face à face, il se prit à lui demander : " Que Jésus t'a-t-il donc fait, pour que tu en sois réduite à cet état?" Comme elle entendait ces mots, son sang se glaça. Lui, inclina la tête, et se mit à pleurer amèrement : " Pourquoi pleures-tu, Abba?" lui demanda-t-elle. Il releva un instant la tête, puis aussitôt, l'inclinant à nouveau, il se reprit à pleurer et lui répondit : " Je vois que Satan se joue de toi, et je ne pleurerais pas?" Elle, qui l'entendait, se remit à parler : " Abba, y a-t-il une pénitence possible?" "Oui", fut sa réponse. "Emmène-moi où tu voudra", lui dit-elle alors. " Allons, partons", lui dit-il. Elle se leva et le suivit. Lui constata qu'elle ne disait rien à propos de sa maison, ni ne prenait aucune disposition avant de la quitter, et il fut dans l'admiration de ce qu'elle quittait tout sur-le-champ sans regarder en arrière. 3. le soir tombait déjà lorsqu'ils parvinrent au désert. Il lui confectionna un petit oreiller de sable, la signa du signe de la croix, et lui dis : " Reste ici pour dormir." Il s'en fit un autre un peu plus loin pour lui, fit sa prière, puis s'étendit à terre. Il était presque minuit lorsqu'il s'éveilla. Et voici qu'il vit une traînée lumineuse descendre du Ciel pour toucher à cette femme. Et il vit les anges de Dieu y transporter son âme. Il bondit sur ses pieds, s'approcha d'elle et la secoua du bout du pied. Il comprit alors qu'elle était morte. Aussitôt il se jeta la face contre terre et se mit à prier Dieu. Il comprit dès lors qu'en une seule heure de pénitence elle avait agréé à Dieu bien plus que beaucoup d'autres, qui passent de longues années en pénitence et qui cependant n'éprouvent pas au cours d'un si long temps la ferveur d'une si grande pénitence que la sienne. VII. Il était une fois une vieille moniale fort âgée, qui avait beaucoup progressé dans la piété. Lorsque je lui demandai comment elle s'était résolue à renoncer au monde, elle me raconta l'histoire suivante : " Lorsque j'étais enfant, mon père, je me souviens que mon père était un homme doux et bon. Mais il était malade et impotent, et passait le plus clair de son temps au lit. C'était un homme simple, qui ne parlait qu'à grand peine et en se faisant violence. Auparavant, lorsqu'il était encore en bonne santé, il cultivait la terre, passait son temps à exercer son métier d'agriculteur, et rapportait à la maison les fruits de son travail. Il était très silencieux, au point que ceux qui ne le connaissaient pas pensaient qu'il était muet. Mais toute contraire à mon père était ma mère, dotée d'une telle curiosité qu'elle voulait savoir tout ce qui se passait au-delà même de notre village. Elle cancanait sans cesse avec tout le monde; nul ne l'avait jamais vue se taire fût-ce un court instant. Mais tantôt elle apparaissait querellant les autres et se disputant avec eux, tantôt elle allait jusqu'à tenir des propos honteux et abjects. Elle dissipait la plupart de son temps à s'enivrer avec des hommes vils, et elle était aussi dépensière qu'une prostituée. Elle ne se souciait guère de notre ménage, et dissipait tout en frivolités, de sorte que quoique nous ayons assez de bien, celui-ci ne nous suffisait plus. Or mon père lui avait confié la gestion des comptes de notre petite économie familiale. Mais malgré la vie qu'elle menait, jamais elle ne tomba malade, ni n'eut à se ressentir du moindre mal. Tout au contraire, elle était solide, forte et robuste, et ce bien qu'elle vécût dans les abus et les excès. 2. Un jour pourtant, épuisé par ses longues et continuelles maladies, mon père mourut. Aussitôt, il se leva un vent terriblement violent, suivi de tonnerre grondant et d'incessants éclairs, et il se prit à tomber une pluie diluvienne, au point que de trois jours entiers, fût-ce un court laps de temps, nous n'osâmes pointer le nez hors de la chambre; ce qui eut pour résultat que mon père demeura sans sépulture confiné dans la maison. Ce que voyant, les villageois alentour s'en prenaient au défunt et cassaient du sucre sur son dos : " Malheur à nous, quelle était cette créature diabolique qui vivait au milieu de nous, sans que nous nous en avisions. A coup sûr, c'était là un ennemi de Dieu; c'est pourquoi la divinité ne permet pas même qu'il soit enterré." Nous cependant, ne pouvant plus laisser le corps se corrompre et la maison devenir inhabitable, nous le prîmes, et en dépit de la tempête qui faisait rage, nous l'ensevelîmes. Ma mère alors, ayant les mains plus libres que jamais, se jeta dans une vie prodigue et dissolue, et fit de notre maison un lieu de débauche et de prostitution. Elle gaspilla notre bien en fêtes continuelles, si bien qu'au bout de peu de temps il ne nous resta pas même un centime. Lorsqu'à quelque temps de là elle mourut, lui furent faites de telles funérailles que l'on eût dit que la nature même la pleurait. 3. Après sa mort, cependant que j'avais grandi en âge, et que les désirs charnels s'étaient éveillés en moi, qui me tyrannisaient, il me vint un soir une pensée à l'esprit. Et je me tins à moi-même ce discours : " De qui donc dois-je suivre la vie? Faut-il que j'imite le genre de vie de mon père, et que je vive ma vie avec mesure, sagesse et piét? Mais quel gain en eut-il, lui qui vécut ainsi? Il consuma son existence dans les maladies et les afflictions, et il mourut de sorte qu'on ne put l'ensevelir comme il se doit pour tout homme. Si sa conduite avait plu à Dieu, pourquoi donc lui serait-il advenu tant de malheurs? Et quelle fut la vie de ma mère? Est-ce que, bien qu'elle se fût adonnée aux jouissances et aux plaisirs, elle ne vécut pas en pleine santé dans l'insouciance? C'est ainsi donc qu'il faudrait que je vive moi aussi, et mieux vaut-il que je me fie à ce que j'ai vu de mes yeux qu'à ce que j'ai entendu dire par autrui." 4. La nuit me trouva qui avais pris, infortunée que j'étais, la décision de suivre les traces de ma mère. Après quoi je sombrai dans le sommeil, lorsque se présenta à moi un homme à l'aspect effrayant, sauvage et redoutable. Il me lança un regard plein d'orgueil et s'enquit d'une voix rauque : " Dis-moi, quelles pensées remues-tu?" Dans ma peur alors tremblant de tout mon corps, je n'osai pas même lever les yeux sur lui. Lui cependant me répéta d'une voix sévère : " Dis-moi donc ce que tu décides?" Mais lorsqu'il vit que j'étais entièrement paralysée de peur et que j'étais près d'en perdre la raison, il me remit en mémoire toutes mes pensées précédentes. Moi, lors, m'enhardissant quelque peu, j'entrepris de le prier et de le supplier de me pardonner. Sur quoi, me prenant par la main il me dit : " Viens donc voir ton père et ta mère, ensuite de quoi tu choisiras la vie que tu préfères." 5. Il me prit donc avec lui et m'emmena dans une grande prairie du Paradis, où se voyaient nombre d'arbres magnificents, ployants sous toute espèce de fruits. Là, cependant que je cheminais avec lui, il advint que mon père vint à ma rencontre, qui m'étreignit dans ses bras et m'embrassa en m'appelant son enfant bien-aimé. Je l'étreignis à mon tour étroitement, le suppliant de faire en sorte que je pusse demeurer avec lui; mais il coupa court à mes demandes : " Il n'est pas possible que cela se fasse dès maintenant. Mais si cependant tu choisis de suivre ma voie, il ne se passera guère de temps que tu puisses venir ici." Je continuai pourtant à le supplier de demeurer avec lui, lorsque l'ange me tira par la main : " Viens", me dit-il, "viens maintenant voir ta mère, pour être en mesure de choisir quelle vie il t'importera de suivre." 6. Alors il me conduisit en un lieu sombre et ténébreux, tout empli de trouble et de gémissements. Il me montra une fournaise toute pleine de feu qui flamboyait et bouillonnait de manière terrifiante, autour de laquelle s'apercevaient des êtres à l'aspect effrayant. Regardant alors dans la fournaise, j'aperçois à l'intérieur ma mère plongée jusqu'au cou dans le feu. Une quantité épouvantable de vers fourmillants la dévoraient de partout; et ses dents claquaient de frayeur. A peine m'eut-elle aperçue qu'elle commença de pleurer de manière déchirante et à me dire : " Malheur à moi, mon enfant, quelles douleurs insupportables, quel martyre infini! Oui, vraiment, malheur à moi malheureuse, qui, pour avoir joui d'un si court contentement, subis maintenant un si grand martyre! Malheur à moi, infortunée, qui pour avoir goûté des plaisirs éphémères, subis maintenant des tourments éternels. Prends pitié, mon enfant, de ta mère qui brûle en ce feu qui me consume et me met en pièces. Souviens-toi de tout ce que je t'ai donné; aie pitié de moi, tends-moi ta main et sors-moi d'ici." Mais je demeurais sans broncher à cause des effroyables créatures qui entouraient la fournaise, n'osant approcher. Aussi me cria-t-elle de plus belle, non sans contrition : "Mon enfant, viens à mon secours! Ne sois pas indifférente aux tourments de ta mère. Ne témoigne pas de mépris à celle qui subit un tel martyre dans cette fournaise et qui est dévorée par des vers insatiables." Ebranlée, j'étendis la main pour la tirer vers moi. Les flammes me léchèrent quelque peu la main, j'eus très mal, et me mis à crier, à hurler, et à larmoyer. A entendre ces hurlements, tous ceux qui dormaient dans la maison s'éveillèrent, s'élancèrent à l'étage, allumèrent la lumière, coururent à moi, et me demandèrent avec insistance pourquoi je pleurais. 7. Je revins à moi et leur racontai mon rêve. Depuis lors je décidai de suivre la vie de mon père. Je prie pour qu'il vienne à nouveau à ma rencontre, et pour avoir part à sa destinée. Par l'effet de la Grâce de Dieu, j'ai pu savoir d'expérience quelle gloire et quels honneurs sont destinés à ceux qui ont choisi de vivre en toute piété, et quels châtiments à l'inverse attendent ceux qui dissipent leur vie dans les plaisirs." VIII. 1. Cependant que l'Abba Arsène menait l'ascèse à Canopée, il arriva de Rome pour faire sa connaissance une fille de sénateur, fort riche et qui vénérait Dieu. L'archevêque Théophile l'accueillit à cette occasion, et elle le supplia qu'il voulût bien intercéder auprès de l'Ancien pour que celui-ci la reçût. Par le fait Théophile alla à lui, lui disant : " Cette fille de sénateur est venue de Rome et elle veut te voir. Mais l'Ancien ne consentit pas à la rencontrer. Lorsqu'ils l'en eurent avisée, elle ordonna néanmoins qu'on lui préparât sa monture et les bêtes de somme de son cortège, déclarant : " J'ai confiance en Dieu et je crois qu'il me jugera digne de faire sa rencontre; Je ne suis pas venu voir un homme banal et ordinaire, semblable à ceux que nous comptons en nombre dans notre capitale. Mais c'est un prophète que je suis venue voir". 2. Lorsqu'elle arriva à la cellule de l'Ancien, il advint, par l'effet d'une économie de Dieu, qu'il se trouvait justement dehors, à l'extérieur de sa cellule. A peine l'eut-elle aperçu qu'elle tomba à terre et se prosterna devant lui pour le vénérer. Mais lui, fâché, la releva, et il s'écria : " Tu veux me voir? Eh bien, voilà, regarde-moi!" Mais elle, saisie de honte et en proie à la confusion, n'osa pas lever les yeux sur lui. " N'as-tu pas entendu parler de mes oeuvres? Ce sont elles qu'il faut considérer. Comment as-tu pu oser entreprendre un tel voyage? As-tu oublié que tu es femme? Il eut mieux valu que tu ne sortes pas de chez toi et que tu n'allasses nulle part. Ou n'as-tu fais tout cela que pour t'en retourner à Rome te vanter auprès de la gente féminine, clamant : " J'ai vu Arsène!", tant et si bien que la mer s'emplira de femmes, qui sillonneront les eaux, navigant jusqu'à moi." "Dieu voulant", murmura la jeune fille pour toute réponse, " je ne laisserai personne venir jusqu'ici. Mais prie pour moi, et, je t'en prie, mentionne-moi incessamment dans tes prières". "Je prie Dieu," lui répondit-il, " qu'il efface ton souvenir de mon coeur", lui dit-il. Elle, alors, à entendre ces mots, s'en fut bouleversée. 3. A peine s'en fut-elle retournée à la capitale, que dans son mal-être elle fut prise d'un accès de fièvre. Quand l'archevêque Théophile apprit qu'elle était malade, il vint auprès d'elle et lui demande de lui dire ce qui la tourmentait. " Ah! Puissé-je n'être jamais allé là-bas! J'ai demandé à l'Ancien de me mentionner dans ses prières, et il m'a répondu : " Je prierai Dieu d'effacer ta mémoire de mon coeur". Et voici que maintenant je me meurs de chagrin", lui confessa-t-elle." Mais ne sais-tu pas que tu es femme et que l'Ennemi combat les Saints par les femmes? C'est pourquoi l'Ancien t'a parlé de la sorte. Mais quant à ton âme, rassure-toi, il priera toujours pour elle", lui répondit l'Archevêque, par manière de consolation. De la sorte, la jeune femme fut rassérénée en pensée, et ce fut joyeuse qu'elle s'en retourna chez elle. IX. 1. L'épisode suivant nous fut conté par l'Abba Pallade : " J'ai entendu un capitaine de vaisseau raconter l'histoire suivante : " Je fis route un jour, transportant sur mon navire nombre de passagers, hommes et femmes. Nous voguions sur l'océan et tous profitaient d'une navigation agréable, les uns faisant cap sur Alexandrie, d'autres sur Constatinople, et d'autres enfin s'en allant vers ailleurs encore. Cependant, voici que le vent tomba, qui était nécessaire à notre navigation, et nous fûmes immobilisés, sans pouvoir plus aucunement avancer, quinze jours durant, bloqués au point où nous étions. Nous étions en proie à l'énervement, et nous étions fort désemparés, nous demandant avec étonnement pourquoi il pouvait bien en être ainsi. Quant à moi, le pilote, qui avais la responsabilité du bateau et de tous les passagers à bord, je me mis à prier Dieu. 2. Un jour soudain, se fit entendre à moi une voix invisible qui me disait: "Fais débarquer Marie, et tu pourras de nouveau naviguer." Je me demandai donc en moi-même ce que cela pouvait signifier, et qui pouvait bien être cette Marie. Mais, comme je demeurais dans l'embarras, perplexe, de nouveau la voix se fit entendre : " Je te l'ai bien dit, déjà : Fais débarquer Marie, et vous serez sauvés." Il me vint alors à l'idée de crier : "Marie!" Je ne savais toujours pas, cependant, qui était cette Marie. Mais celle-ci, qui était allongée dans sa couchette,, m'entendit l'appeler. "Q'ordonnes-tu, maître?" me demanda-t-elle. " Fais-moi l'amitié de venir jusqu'ici!" lui criai-je. Elle se leva donc et vint à moi. Dès qu'elle fut parvenue à ma hauteur, je l'entraînai à part, et lui dis : " Vois-tu donc, soeur Marie, de quels péchés je suis coupable? En sorte qu'à cause de moi, vous courez tous à votre perte". Mais elle répondit, gémissante : " C'est moi, bien plutôt, à la vérité, qui suis la fautive pécheresse." "Quels péchés as-tu commis, femme", lui demandai-je. " Malheur à moi!" répondit-elle. Il n'y a point de péché que je n'aie commis, et c'est à cause de mes crimes que vous vous en allez tous courir à votre perte." 3. "C'est alors", dit le capitaine, "que cette femme me raconta son histoire. Et voici ce qu'elle avoua : " En vérité, ô maître de vaisseau, pour moi, malheureuse femme, j'étais mariée et j'avais deux enfants, l'un âgé de neuf ans, et l'autre de cinq ans. Mon mari mourut, et je demeurai veuve. Un certain militaire demeura à mes côtés, et j'eus le désir de me remarier avec lui. C'est donc à ce sujet que je lui envoyai des personnes s'entremettre avec lui. Il leur répondit : " Je n'épouserai pas une femme qui a déjà des enfants d'un autre homme". Lorsque je les entendis me dire qu'il refuserait de m'épouser à cause de mes enfants, dans la folie de mon amour pour lui, j'étranglai mes deux enfants. Et je m'en vins lui dire : " Vois, je n'ai plus aucun enfant à présent." A peine ce soldat eut-il appris ce que j'avais fait qu'il dit : " Devant le Dieu vivantdu Ciel, je jure que je n'épouserai jamais cette femme." Moi, dès lors, craignant que mon crime ne fût révélé, et que l'on ne me tue, je m'enfuis." 4. Après que cette femme m'eut parlé de la sorte, je ne voulus cependant pas la jeter à la mer, mais je réfléchis à quelque chose de raisonnable, et je lui dis : " Voici, je vais monter dans le canot de sauvetage, et si le bateau se met à se mouvoir, sache, femme, que ce sont mes péchés qui le rivaient, comme à son point d'attache, immobile." Sur ces mots, lors, j'appelai le maître d'équipage et lui ordonnai : " Jette la barque à la mer". Mais lorsque je me fus hissé dans la barque, rien n'advint, et ni celle-ci, ni le navire ne bougèrent. Je remontai donc à bord et dis à cette femme : " Monte à ton tour dans la barque." Elle obéit, et à peine y fut-elle montée qu'aussitôt la barque, ayant tourné cinq fois de suite sur elle-même, fut engloutie par le fond. De la sorte, le navire put mettre le cap sur sa destination, et nous fîmes en trois jours un voyage qui en prenait quinze"". X. 1. Un Dimanche, comme Jean l'Aumônier se rendait à l'église, un homme s'approcha de lui, homme dont l'on avait cambriolé la maison. On lui avait tout pris, jusqu'à son matelas. Or, le malheureux avait ci-devant été très riche. L'on fit une longue enquête, assortie de tout un remue-ménage, mais les voleurs demeurèrent introuvables. Il en vint à se trouver dans la nécessité, du fait de son extrême pauvreté, de venir tomber aux pieds du Saint Patriarche d'Alexandrie, Jean l'Aumônier, et, tout empli de honte, de devoir lui conter son malheur. Celui-ci eut vive compassion de lui. - Il faisait en effet partie des notables étrangers qui s'en étaient venus s'installer dans cette ville - . Aussi vint-il dire à titre confidentielà l'oreille de son intendant de lui donner quinze livres d'or. L'intendant s'apprêtait donc à les lui donner, lorsqu'il s'avisa de demander l'avis du sous-intendant et de l'économe, lesquels, sous une emprise diabolique, furent jaloux de ce qu'on dût lui donner tant d'argent, et qui ne lui donnèrent donc que cinq livres d'or. 2. Lorsque le très vénérable Archevêque s'en revint de l'église, une veuve, qui n'avait qu'un fils unique, lui fit un don : elle lui remit une notice qui stipulait qu'elle lui offrait en cadeau cinq livres d'or. Il les accepta, et lorsqu'il eut quitté son bureau, il appela ses gestionnaires. "Combien, " leur demanda-t-il, avez-vous donné à l'homme qui m'est venu visiter?". "Autant, Monseigneur, que l'a ordonné ta Sainteté. Quinze livres." Mais lui comprit, avec la Grâce de Dieu qui le couvrait, qu'ils lui disaient des mensonges. Il fit donc rappeler le visiteur qui avait reçu l'argent, et il le conjura de lui dire combien exactement lui avait donné son intendant. "Cinq livres", lui répondit cet homme. Le Saint, alors, leur montrant le billet qu'il tenait en sa main, leur dit : " Il est ici écrit la mention : Quinze livres. Dieu vous demandera donc les dix autres livres, pour ce que, si vous aviez donné les quinze livres, comme je vous avais dit de le faire, la veuve qui a offert les cinq livres en eût offer quinze. Et pour vous persuader de la vérité de la chose, je vais envoyer quérir la donatrice qui est venue à ma rencontre". 3. Il envoya donc deux hommes pieux quérir la pieuse femme qui lui avait donné le billet; et ils la trouvèrent au baptistère. Ils lui dirent de sa part : " Cette somme que Dieu t'a en ton coeur inspiré de donner, prends-la et viens me trouver, je t'en prie." Elle se leva donc en hâte et s'en vint trouver le tout Saint avec l'argent. Le Patriarche prit la somme, bénit cette femme et son fils, et lui dit :" Je te donne ma bénédiction, Mère. Mais est-ce là tout ce que tu devais donner au Christ, ou bien y avait-il rien autre?" Elle comprit que l'homme théophore avait compris son manège, et elle fut saisie de crainte et de tremblement : " Par les saintes prières du Patriarche et celles de Saint Ménas, j'ai d'abord écrit sur le billet la mention "quinze livres". Mais une heure avant que de faire ce don au Patriarche, cependant que je me tenais debout dans l'église, sans raison apparente aucune, je rouvris le billet et le relus; Moi, ton indigne servante, je l'avais rédigé de mes propres mains et j'avais d'abord écrit quinze. Mais je découvris que des quinze livres, dix s'étaient effacées toutes seules, d'elles-mêmes, Dieu sait comment. Frappée de stupeur, je me dis alors en moi-même : " Sans doute est-ce la volonté de Dieu que je n'en donne que cinq". Le Patriarche laissa la pieuse femme s'en retourner. Les intendants se laissèrent alors tomber aux pieds du Patriarche, auquel ils avaient désobéi, et faisant force serments, ils jurèrent qu'ils ne le feraient plus. XI. 1. L'Abba Pallade nous dit encore, lorsque nous le visitâmes une autre fois, l'histoire qui figure infra : " Il y avait à Alexandrie un homme très religieux, ami du Christ, très pieux, fort aumônier, et qui exerçait l'hospitalité envers les moines. Il avait également une femme, laquelle était humble et qui jeûnait chaque jour. Et il avait encore une fille de six ans. 2.Un jour cet homme pieux qui craignait Dieu partit pour Constantinople. Il était en effet marchand ambulant. Laissant donc à la maison sa femme et son enfant aux soins d'un serviteur, il s'en fut entreprendre son voyage. Comme sa femme l'accompagnait au bateau, elle lui demanda : " Entre les mains de qui nous laisses-tu, ô mon maître?" "Je vous remets à notre Souveraine, la Toute Sainte", lui répondit-il. Un jour donc que cette femme se tenait assise dans sa maison et qu'elle travaillait à quelque tâche, cependant que son enfant se tenait auprès d'elle, voici que, mû soudain par Satan, le serviteur se mit dans l'esprit de les tuer toutes deux, pour s'emparer de tout ce qui était en leur possession, et de s'enfuir. Saisissant donc à la cuisine un grand couteau, il s'en vint à la table où se tenait sa maîtresse. Mais lorsqu'il parvint à l'entrée de la chambre, voici, soudain, qu'il fut aveuglé, au point qu'il ne pouvait ni retourner à la cuisine, ni pénétrer dans la salle-à-manger. 3. Durant près d'une heure il se démena en rechignant, tentant vainement de mettre un pas devant l'autre. Pour finir, il se mit à crier à sa maîtresse : " Viens donc ici!" Mais celle-ci s'étonnait de ce qu'il se tînt à la porte et qu'il n'entrait cependant pas, lui criant de surcroît : " Toi, plutôt, viens jusqu'ici". Elle ne savait pas, en effet, qu'il était devenu aveugle, en sus d'être paralysé. Le serviteur se mit à la conjurer de plus belle de venir auprès de lui. Mais elle se jurait bien de n'en rien faire. Il lui dit alors :" Envoie-moi l'enfant au moins." Mais la femme n'en fit rien davantage, lui répondant : " Viens, toi, si tu veux". Alors le serviteur, voyant qu'il ne parvenait à rien, se donna un grand coup de couteau, se le plantant dans les entrailles. Ce que voyant, la femme se mit à pousser les hauts cris. A ces hurlements, les voisins se précipitèrent à l'intérieur, auxquels s'ajoutèrent les soldats du prétoire. Ils s'emparèrent du serviteur qui respirait encore, lequel leur confessa tout ce qui venait de se passer. Tous alors glorifièrent Dieu qui avait ainsi accompli Son miracle, par là sauvant l'enfant et sa mère". XII. 1. Nous rencontrâmes l'Abba Eustathe, l'higoumène, au coenobion de la grotte de l'Abba Savva. Il y avait là aussi un certain Jean que l'on appelait Moschos, et, lorsque nous nous en fûmes ensemble à Tyr, il nous raconta l'histoire suivante : "Un soir tard je m'en allai me baigner, lorsque je rencontrai en chemin une femme qui se tenait dans l'ombre. Je l'abordai, lui demandant si elle acceptait de me suivre. Elle accepta. Mû par un désir diabolique pour elle, je renonçai à aller me baigner, et je me précipitai pour dîner. Bien que l'y incitasse fortement, elle ne voulut pas mettre fût-ce une bouchée dans sa bouche. Sans être plus loquaces que cela, nous allâmes nous coucher; A peine, cependant, tentai-je de l'embrasser qu'elle éclata en sanglots. " Malheur à moi, malheureuse!" s'écria-t-elle. Tout tremblant, je lui demandai la raison de ses exclamations larmoyantes. Se mettant alors à pleurer de plus belle, elle me fit cet aveu : " Mon mari est marchand ambulant et il a fait naufrage. Il a, ce faisant, perdu ses biens et ceux de ses créanciers et il est en prison pour dettes. N'ayant pas d'autre moyen de lui porter fût-ce un morceau de pain, je me suis résolue à faire commerce de mon corps, contrainte par l'extrême nécessité, et ce, pour que nous ayons au moins du pain. Tout notre argent est parti en fumée." "Combien devez-vous encore?" lui demandai-je. "Encore cinq livres d'or", me répondit-elle. Je sortis l'argent de ma bourse, le lui donnai et lui dis : " Vois, Dieu m'aurait jugé pour mon péché. Il a donc voulu que je ne te touche pas. Donne l'argent à tes créanciers, sors ton mari de prison, et priez pour moi." 2. Quelque temps plus tard, l'on me condamna auprès du roi, au motif invoqué que j'avais dilapidé l'argent du marchand. Le roi m'envoie quérir, il confisque mon bien, et l'on me traîne à Constantinople, avec pour toute richesse la seule chemise que je portais sur moi. L'on me jette en prison, et j'y passe assez de temps, vêtu de cette vieille chemise. Un jour enfin, j'entendis dire que le roi projetait de me tuer. J'en perdis tout mon courage, et me mis à pleurer et à gémir. A bout de forces, je cédai au sommeil. Je vois alors en rêve une femme fort semblable à celle dont le mari s'était trouvé en prison pour dettes. "Que t'arrive-t-il?" me dit-elle, "maître Moschos? Pourquoi te trouves-tu ici?" "L'on m'a accusé, puis condamné, et je crois que le roi veut à présent me condamner à mort." " Veux-tu que je parle moi-même au roi en ta faveur et que je te fasse libérer?" Perplexe, je lui demandai : " Toi, tu connais donc le roi?" "Oui", me répondit-elle. Je m'éveillai et me demandai avec embarras ce que pouvait bien signifier ce rêve. Mais voici que je refis ce rêve une seconde, puis une troisième fois, et que, chaque fois, cette femme me répétait la même chose : " N'aie crainte : demain tu seras libre." 3. Enfin, à l'aube, l'on me conduisit au palais sur ordre du roi. Lorsque j'entrai et qu'il me vit avec ma vieille chemise déguenillée, il me dit : " Je t'ai pris en pitié. Dorénavant, tout va changer pour toi." Je vis alors cette même femme se tenir à la droite du roi et me faire signe :" Prends courage et sois sans crainte." Sur quoi, le roi donna l'ordre de me rendre ma fortune. Il y ajouta nombre de biens en dotation, me couvrit d'honneurs, et me rétablit dans mon ancienne position, tout en me faisant même administrateur d'une terre. 4. Cette même nuit, la femme se présente à moi : " Sais-tu qui je suis?" me demande-t-elle. Celle que tu as affligée et dont tu n'as pas touché le corps, de par l'effet de la Grâce divine. Et c'est moi qui t'ai arraché au danger de mort que tu encourais. Vois-tu l'amour de Dieu pour l'homme? A cause de ce que tu as fait pour moi, je t'ai témoigné ma compassion"". XIII. 1. A Askalona nous rendîmes visite à l'hôtellerie des Pères, où l'Abba Eusèbe l'Ancien nous conta une histoire : " Un marchand originaire de notre ville, cependant qu'il voyageait en mer, fit naufrage et perdit tout son bien, et, en sus, celui de ses créanciers. Lui seul survécut. Lorsqu'il fut de retour chez lui, ses créanciers se saisirent de lui, le jetèrent en prison, et pillèrent toute sa maison. Il ne lui resta rien que les vêtements qu'il portait sur lui, ainsi que sa femme. Celle-ci, voyant cet excès d'afflictions et cette extrême nécessité où ils se trouvaient, jugea de son devoir de lui porter un morceau de pain. 2. Un jour qu'elle était assise dans la prison et qu'elle mangeait aux côtés de son mari, elle vit entrer un notable qui faisait l'aumône aux prisonniers qui se trouvaient là. Il vit cette femme assis aux côtés de son mari. Elle lui plut. De fait elle était fort belle. Il lui envoya lors un gardien, porteur d'un billet pour elle. Elle, se rendit avec joie auprès du notable, s'attendant à recevoir une aumône. Mais lui, la prenant à part, lui dit : " Que t'arrive-t-il donc? Pourquoi te trouves-tu ici?" Celle-ci lui conta son histoire. Il lui dit alors : " Si je paie ta dette, dormiras-tu avec moi ce soir?" Cette femme, qui était vraiment belle, et intelligente, lui répondit : " Pour moi, maître, j'ai bien entendu ce que dit l'Apôtre : " Ce n'est pas la femme qui est maîtresse de son corps, mais son mari." Laiss-moi donc, maître, demander à mon mari ce qu'il voudra m'ordonner de faire." Elle alla donc de ce pas tout raconter à son mari. Celui-ci, plein d'intelligence et de tendresse pour sa femme, ne fut pas transporté à l'idée d'être à ce prix libéré de prison. Il se contenta de gémir, et tout en larmes lui dit : " Va, ma soeur, congédier cet homme, et contentons-nous d'espérer en Dieu, songeant qu'à la fin des fins il ne nosu abandonnera pas." Elle alla donc chasser cet homme : " J'en ai parlé à mon mari", lui dit-elle, " et il n'a pas été d'accord por que nous péchions." 3. En ces jours-là était également emprisonné, à l'isolement, un bandit qui rançonnait les voyageurs. Cependant, comme il dressait l'oreille, il surprit et entendit les propos qu'échangeaient le couple.Il gémit lors, se disant en lui-même : " Vois en quel état ils ont été réduits, et, malgré cela, ils n'ont pas voulu trahir leur foi ni leur liberté, fût-ce pour recevoir de l'argent, et être libérés. Ils ont placé leur dignité au-dessus de toute richesse, au mépris de toute chose en cette vie. Que vais-je faire, quant à moi, misérable, qui n'ai jamais songé qu'il y avait un Dieu, et qui ai ainsi accompli une foule de forfaitures et de crimes?" Passant la tête au travers du fenestron de sa cellule, qui était fermée à clef, il les appela auprès de lui et leur dit : " J'étais un brigand et j'ai accompli nombre de turpitudes et de meurtres. Je sais que l'heure viendra où l'archonte viendra me convoquer au tribunal, et où je serai mis à mort comme meurtrier. En voyant votre noble dignité j'ai été ému et bouleversé. Toi, dis à ta femme de se rendre en tel endroit, devant un mur de la ville. Creuse la cavité, et prends l'argent que tu y trouveras. Gardez-le pour payer vos dettes et pour ce dont vous aurez besoin d'autre. Et priez pour moi, afin que j'obtienne miséricorde". 4. Quelques jours plus tard, l'archonte arriva en la ville et enjoignit que l'on se saisît du brigand et qu'on le décapitât. Le jour suivant, la femme demanda à son mari : "Me permets-tu, maître, d'aller au lieu que nous a indiqué le brigand et de voir s'il a dit la vérité?" "Fais comme tu le jugeras bon", lui répondit-il. Le soir venu, la femme prit une houe, trouva le lieu indiqué, creusa la cavité, et découvrit un récipient empli à ras-bord d'or fin. Se comportant intelligemment, elle paya peu à peu ses créanciers, comme si elle avait emprunté aux uns et aux autres, jusqu'à ce qu'elle les eût tous payés. Après quoi elle libéra son mari. L'Abba Eusèbe concluait : " Voyez : Tout comme ils ont gardé l'observance du commandement de Dieu, ainsi Celui-ci leur témoigna richement sa miséricorde"". XIV. 1. Un moine déambula plusieurs jours durant dans la ville avec une jeune fille, en compagnie de laquelle il demandait l'aumône. Certains, d'entre ceux qui les voyaient faire, se scandalisèrent, croyant que c'était sa femme, et ils les dénoncèrent au Patriarche. "Très vénérable serviteur de Dieu, il souille le schème angélique de la vie monastique". Et ils ajoutèrent :" Il a pris pour femme une toute jeune fille." Aussitôt donc, le serviteur de Dieu, croyant devoir empêcher les outrages faits à la Face de Dieu, et que c'était là sa mission, ordonna que cette femme fût fouettée et qu'elle fût séparée du moine. Il enjoignit aussi que ce moine fût également fouetté, et qu'il fût enfermé dans une prison, jeté là à l'isolement. A peine l'ordre du Patriarche eût-il été exécuté, - et il l'avait été sur-le-champ - que, la nuit même se présenta dans son sommeil ce moine, qui lui montrait son dos tout flagellé de coups, pour ce que l'avaient roué de coups sans pitié aucune, ni la moindre, les garants de l'ordre ecclésiastique. Et il lui disait : " Es-tu satisfait à présent, ô Patriarche? Crois-moi, pour une fois tu as commis une faute, tel un simple homme mortel." Et sur ces mots il disparut. 2. Lorsque le jour parut, le bienheureux Patriarche se souvint de son rêve nocturne et se redressa sur son lit, tout songeur. Il envoya aussitôt son fidèle syncelle, qui était très fiable, quérir le moine dans sa prison, où il était enfermé. Il enjoignit au syncelle de ne se faire reconnaître de personne et de dire au prisonnier : " Si tu es bien le même que celui qui m'est apparu durant la nuit, et si tu portes les mêmes traces de coups que celles que j'ai vues en rêve, cela suffit à assurer que tu es innocent de toutes les condamnations que l'on m'est venu porter contre toi". Ce fut à grand peine que le moine, escorté du syncelle, se traîna au-devant du Patriarche, tant il ne pouvait se mouvoir du fait des insupportables douleurs que lui causaient ses plaies ouvertes. Le Patriarche se tenait encore dans sa chambre, sans nulle compagnie pour se tenir à ses côtés, si ce n'est Jean et Sophrone, ses autres syncelles, mentionnés supra. A peine l'eut-il aperçu que le Patriarche demeura sans voix, sans un geste, tout pensif. Et véritablement, il ne pouvait articuler un mot, ni proférer un son. Il ne put que lui faire signe de la main de venir s'asseoir auprès de lui sur sa natte. 3. A peine le Patriarche eut-il repris ses esprits et eut-il pris courage, en faisant son signe de croix, qu'il pria le moine, sur lequel on avait jeté un vêtement, d'ôter celui-ci sans honte, pour qu'il pût voir si son dos portait les mêmes traces de flagellation que celles qu'il avait vues en rêve. Mais, parce faire pareille chose semblait trop rude au moine, le bienheureux Patriarche tâcha d'abord de l'en persuader en usant de mots doux, avant que de devoir recourir à la force pour l'y contraindre. Le moine délia, sous son surplis, son omophore, qui recouvrait ses chairs, et entreprit de se dévêtir. Lorsqu'il eut ôté son stichaire afin de pouvoir montrer son dos au saint homme, il advint par un miraculeux vouloir divin, que lui tomba aussi le caleçon, attaché à la taille, et qui couvrait ses parties intimes. Tous alors virent qu'il était eunuque. Mais comme il était jeune, donc imberbe, la chose n'était pas manifeste. Tous, y compris le saint archiprêtre, virent la marque des coups funestes portés sur son dos. Le prélat envoya aussitôt rechercher ceux qui avaient inconsidérément calomnié ce jeune homme. Il ne voulut pas entendre leurs justifications, et leur imposa ce châtiment de demeurer privés de la communion trois ans durant. Au très pieux moine il demanda mille pardons, lui disant que c'était sans le savoir qu'il avait péché contre lui, ou plus exactement contre Dieu. Pour finir, le très juste Patriarche lui donna cependant un coneil spirituel : " Il ne convient pas, mon enfant, qui que l'on soit, que ceux qui ont revêtu le saint schème angélique, comme vous, aillent déambulant dans les villes, sans faire attention, et moins encore qu'ils aillent traînant après eux une femme, devenant par là des objets de scandale pour ceux qui les voient". 4. Alors le moine, en toute humilité, et avec grande piété, s'excusa auprès du patriarche, et lui dit :" Monseigneur, Dieu sait, lui qui t'a établi sur ce trône, que je ne te dis pas de mensonges. Quelques jours auparavant, je me trouvais à Gaza, et je sortais de cette ville pour venir vénérer le saint Abba Cyr, lorsque cette jeune fille vint à ma rencontre, aux portes de la ville, comme le soir tombait. Elle se laissa tomber à mes pieds, et me supplia de la laisser venir avec moi. Elle disait qu'elle était Juive et voulait devenir Chrétienne. Elle ajouta ensuite, assortissant son discours de menaces effrayantes, que je ne devais aucunement la laisser se perdre. Je craignis le jugement de Dieu, et j'acceptai de la prendre avec moi, croyant que Satan ne met pas les eunuques à l'épreuve. J'ignorais que le Diable n'hésite devant rien. Nous fîmes route ensemble. Après quoi nous nous mîmes en prières, et je la baptisai dans l'église du Saint Abba Cyr. Puis nous pérégrinâmes ensemble. Je la menais au long, dans toute l'innocence de mon coeur simple, mendiant de menues aumônes, afin de pouvoir la mener à quelque monastère de femmes". 5. A peine le Patriarche eut -il entendu ce récit qu'il dit à jean et à Sophrone, ses syncelles : " Malheur à moi! Quels serviteurs cachés Dieu possède-t-il, et nous, misérables, nous n'en savions rien!" Le Patriarche leur conta alors le rêve qu'il avait eu cette nuit même, en lequel il l'avait vu apparaître. De ses propres mains, il offrit au jeune homme cent pièces d'or, mais ce dernier, tendre moine aimé de Dieu, ne voulut pas les prendre. Il lui fit, l'air sérieux, cette réponse : " Je n'en ai point besoin, monseigneur. Non, si le moine a la foi, il n'en a nulle nécessité. Et si, à rebours, il en avait besoin, cela signifierait qu'il n'a pas la foi". Ce que voyant, tous ceux qui l'entendaient, furent persuadés qu'il était véritablement serviteur de Dieu. Lui donc, faisant une métanie au Patriarche, s'en fut en paix. Depuis lors, et de toutes les manières, le Patriarche honorait les moines et leur offrait l'hospitalité, tant les bons moines, que ceux qui paraissaient mauvais. Il bâtit sur-le-champ une hôtellerie pour les moines et l'appela : " Au bon accueil de tous les moines". Et il y prodiguait tous les soins que méritait leur fatigue à tous ceux qui venaient s'y refugier pour trouver le repos de leurs peines. XV. 1. Un vénérable Ancien, - il était âgé d'environ soixante ans -, entendant vanter les bonnes actions d'un bienheureux, voulut le mettre à l'épreuve, pour voir s'il était crédule, s'il se scandalisait aisément, et s'il était enclin à condamner une personne sans au préalable bien examiner les choses. Ainsi cet Ancien, cependant qu'il avait habité d'abord au monastère de l'Abba Séridon, se rendit à Alexandrie et commença d'y mener une vie qui pouvait sans aucun doute paraître provocante et scandaleuse aux yeux du monde, mais qui néanmoins était agréable à Dieu, Lui qui donne à chacun selon ce qu'il a dans le coeur, comme le dit David. 2. Il arrive donc à la ville, s'y installe, et établit une liste de toutes les prostituées connues en ces lieux. Il se met à travailller comme ouvrier journalier, gagnant de la sorte chaque jour sa menue pitance. Il ne mangeait qu'au coucher du soleil quelques grammes de graines de lupin. Le reste de sa ration, il la prenait, s'en allait voir une prostituée, la lui donnait, et lui disait : " Fais-moi la grâce, cette nuit, de ne dormir avec personne." Et il demeurait cette nuit-là auprès d'elle, la gardant, et veillant à ce qu'elle ne péchât point. Il se tenait dès le soir dans un coin de sa chambre, devant le lit où dormait cette femme, et il se mettait à à psalmodier et à prier pour le salut de la courtisane. Et, jusqu'à la pointe du jour, il faisait des prosternations pour l'amour de son âme. Puis il lui faisait promettre, en partant, qu'elle ne dirait à quiconque ce qu'il avait fait chez elle. Mais l'une d'elle le trahit et rendit témoignage, dévoilant ses actes, et disant : " Il ne vient pas chez nous pour s'étendre à nos côtés et dormir avec nous, mais il vient pour nous sauver et faire notre salut." Ce qu'apprenant, l'Ancien se mit en prières, et cette femme fut possédée du démon. Les autres courtisanes, effrayées à l'idée qu'il pût leur advenir le même malheur, n'osèrent plus rien dire des actions de l'Ancien, du moins de son vivant. Les gens disaient donc à la possédée : " Qu'est-il advenu? Dieu t'a châtiée pour tes mensonges. C'est bien pour se vautrer avec vous dans la luxure que ce trois fois misérable vient chez vous, et pour rien autre chose". 3. Par la suite, Saint Vitale - ainsi se dénommait-il - , voulant fuir la gloire humaine et sortir les âmes de la ténèbre, se parlait tout haut à lui-même, pour que tous l'entendissent, à la fabrique où il travaillait alors, lorsqu'il achevait son labeur journalier et prenait sa pitance du jour : " Allons, mon ami, unetelle t'attend". Ainsi parlait-il sur son lieu de travail, où il recevait son salaire journalier. Beaucoup alors le condamnaient et se moquaient de lui. Mais lui leur fermait la bouche : " Quoi donc? N'ai-je pas, moi aussi, un corps, comme tous les autres humains? Et est-ce que Dieu ne se courrouce que contre les moines, pour les faire mourir de force? En vérité, eux aussi sont des hommes, comme tout le monde". Mais eux, le reprenant de plus belle, lui dispensaient des conseils : " Marie-toi! Epouse une femme, Abba, ôte ton schème angélique, aie des enfants, afin que Dieu ne soit point blasphémé par ta faute, et pour n'être pas condamné par les âmes que tu scandalises". Mais il leur répondait avec force serments, contrefaisant même l'atrabilaire fâché et courroucé : " Dieu existe; je ne veux plus vous écouter. Allez-vous en d'ici! Pour l'heure, ne puis-je rien faire d'autre, pour que vous ne soyez pas scandalisés, que de prendre femme, d'avoir tous les soucis domestiques d'un foyer, et de couler ainsi une vie de misère? Ah, non merci, Dieu ne le veuille point! Celui, donc, qui veut être scandalisé, qu'il souffre tant qu'il lui plaira, et qu'il se tape la tête contre les murs. Car enfin, que voulez-vous de moi? Croyez-vous, par hasard, que Dieu vous ait institués mes juges? Allez-vous en d'ici! Occupez-vous de vos propres affaires. Il ne s'agit pas que vous rendiez compte pour moi devant Dieu. Il n'est qu'un seul Juge et il n'est qu'un Jour Saint du Jugement divin. Lui seul rendra à chacun selon ses oeuvres. Si Dieu ne l'eût point voulu, je ne fusse point venu à Alexandrie". Et, tout en disant ces mots, il faisait grand tapage, et poussait force cris, au point que tous avaient le désir de lui fermer la bouche. Par-dessus quoi il ajouta : " Par le fait, si vous ne gardez pas le silence à mon sujet, désormais vous vous tairez, pour votre châtiment, à cause de moi." 4. A maintes reprises des juges ecclésiastiques entendirent les propos qui sortaient de sa bouche, et furent témoins de ses folies, de sorte qu' ils s'en vinrent les colporter au Patriarche. Mais Dieu, qui sait que le Saint ne voulait pas s'opposer à lui, lui cuirassa le coeur, au point qu'il n'ajouta foi aux dires de personne. De fait, son expérience, acquise avec l'eunuque, - cette aventure que nous avons rapportée supra - , l'avait empli de crainte devant Dieu. Aussi chassa-t-il ceux qui accusaient l'Abba Vitale, tout en leur adressant de sévères reproches, assortis de maintes recommandations : " Cessez désormais de faire les sycophantes envers les moines. Ne savez-vous pas ce que portent le écrits sur la vie du Saint empereur Constantin? Ils stipulent que certains, moines et Evêques, qui n'avaient point la crainte de Dieu, lorsque s'acheva leur saint Synode, se mirent à se condamner les uns les autres à la face du bienheureux empereur. Mais ce véritable Saint de Dieu qu'était l'empreur Constantin les renvoya dos à dos, tant les juges que les parties. Il leur suscita des adversaires capables de trouver des motifs de condamnationtant aux juges opposants qu'aux fautifs incriminés, pour leur trouver des griefs d'adultères, ou d'autres plus redoutables encore, allant jusqu'au meurtre. Dès qu'il fut anifeste qu'il y avait une grande vérité en nombre de ces condamnations, il cita le grand Apôtre Paul qui s'écrie : " Qui est faible, que je ne sois faible?" (2. Cor.11, 29); et encore, à l'imitation du Seigneur, qui ne condamna pas la femme qui avait pourtant été prise en flagrant délit d'adultère, il tint un cierge allumé, à la face de tous les accusateurs et de leurs accusés, et brûla toutes les condamnations écrites qui lui avaient été remises, disant : " En vérité, si de mes yeux je voyais pécher un prêtre de Dieu ou un moine, revêtu du schème angélique, j'étendrais sur lui ma chlamyde, et je l'en couvrirais pour que nul ne le voit". Vous avez donc cru qu'il en était ainsi avec le serviteur de Dieu, qui était eunuque, et, ce faisant vous m'avez égaré, au point que j'ai rendu mon âme passible d'un grand crime". Et les ayant couverts de honte, il les chassa. 5. Le serviteur de Dieu Vitale, lui, de son côté, n'arrêta point là son oeuvre, et il suppliait Dieu de faire en sorte qu'après sa mort la vérité à son sujet fût révélée à certains en une vision, afin que ne leur fût point imputé à péché le fait qu'ils avaient été scandalisés par sa faute. "Ce que j'ai fait", disait-il, " était une pure provocation de ma part, et nul homme ne sera condamné par ma faute, s'il a dit quelque chose à mon encontre". Son oeuvre bouleversa bien des courtisanes, surtout de ce qu'elles le voyaient la nuit élever les mains et se mettre en prières pour chacune d'elles. De la sorte, les unes cessèrent de se prostituer, d'autres se marièrent, adoptant une conduite sage et sensée, et d'autres, même, renoncèrent définitivement au monde, revêtant le schème angélique des moniales. Jusqu'à sa mort pourtant, nul ne sut que c'était de par ses exhortations spirituelles et par ses prières que ces femmes publiques ne faisaient plus commerce de leur corps. 6. Un jour que pointait l'aube, tandis qu'il sortait de chez l'une des plus célèbres de ces courtisanes, il tomba sur un pécheur, qui allait se souiller avec elle. Dès que celui-ci vit Vitale, qui en sortait à cette heure, il lui donna un soufflet: " ö toi", lui dit-il, " trois fois misérable, qui te moques de Dieu, jusques à quand continueras-tu tes dévoiements?". A quoi le moine lui répondit : " Crois-moi, malheureux, tu vas à ton tour recevoir une telle gifle que toute Alexandrie s'assemblera au bruit de tes cris". Il ne se passa guère de temps que le bienheureux Vitale, dans sa cellule, paisiblement, s'endormit dans le Seigneur, avant que nul n'eut rien compris. Il avait une petite cellule près de la porte d'Elie, et bien des fois, lorsqu'il y avait un office à l'église de Saint Mitra, qui était proche de là, certaines de ces femmes publiques se précipitaient sur ses pas, se disant l'une à l'autre : " Allons, allons, l'Abba Vitale a une nouvelle synaxe à la paraoisse". Elles entraient dans l'église, et, là, il avait souci d'elles, mangeant avec elles et s'amusant, si bien que beaucoup de fidèles qui étaient présents se courrouçaient, marmonnant : " Elles sont toutes entichées de ce pseudo-moine, et elles lui font leur charme". Et cela, sans connaître, ainsi que nous l'avons dit, son oeuvre secrète. La seule chose qu'ils voyaient était que l'Abba Vitale faisait des allées et venues chez ces femmes de mauvaise vie. Mais ils ignoraient qu'il luttât pour leur salut, de ce qu'il était homme noble et pur, réceptacle de Dieu. 7. Lorsqu'il mourut dans sa cellule, ainsi que nous l'avons dit, sans que nul ne songeât aussitôt à s'informer à son sujet, alors, un démon tout noir à l'aspect effrayant se présenta à la vue de celui qui avait administré le soufflet à l'Abba Vitale. Il se campa devant lui, et lui décocha une gigantesque gifle, s'exclamant : "Tiens, voilà pour toi, reçois ce soufflet que t'envoie l'Abba Vitale. Sur-le-champ, lors, l'homme tomba à terre, et se mit à pousser des hurlements épouvantables. A ces cris, comme l'avait prophétisé l'Abba Vitale, toute Alexandrie s'assembla. Telle en effet était la force du coup administré à cet homme par le démon, que le bruit du coup qu'il lui avait asséné s'entendit aussi loin que peut porter la trajectoire d'un projectile lancé à vive allure sur quelqu'un. Lorsque, plusieurs heures plus tard, le possédé reprit ses esprits, il déchira sa chemise comme un fou, et s'en fut en courant à la cellule du Saint, s'écriant : " J'ai péché contre toi, Vitale, serviteur de Dieu, pardonne-moi". Tous ceux qui l'entendirent accoururent derrière lui, et lorsqu'ils parvinrent à la cellule du Saint, le démon sortit de dedans lui, à la vue de tous, et il le mit en pièces. Alors, comme tous entraient dans la cellule, ils virent le Saint agenouillé en prières, qui avait rendu son âme au Seigneur. A terre, gisait une inscription portant ces mots : " Alexandrins, ne jugez de rien avant l'heure, jusqu'à ce que revienne le Seigneur en sa seconde Parousie." Sur ce aussi le démon laissa aussitôt cet homme, qui confessa ce qu'il avait fait au Saint, et ce que celui-ci lui avait prédit. 8. L'on rapporta aussitôt tout cela au Patriarche. Alors ce dernier, avec tout son clergé, se rendit en grande pompe au-devant de la dépouille de Saint Vitale. Lorsqu'il vit l'inscription qui gisait à terre, il déclara : " En vérité, c'est avec la Grâce de Dieu que l'humble Jean a écrit cette sentence, car le soufflet que le malheureux a reçu, c'est moi qui eût du le recevoir". Toutes les courtisanes alors, auxquelles se joignirent celles qui avaient laissé leur mauvaise vie et celles qui s'étaient mariées, tenant des cierges et des lampes, lui firent cortège pour l'ensevelir dans les larmes, au son des chants de thrênes : " Nous avons perdu notre sauveur et notre maître", pleuraient-elles. Elles révélèrent à tous les oeuvres de leur bienfaiteur, ajoutant : " "Il ne venait pas auprès de nous pour accomplir aucune oeuvre honteuse. Jamais il ne s'étendit contre nous, ni il ne but de vin, ni il ne se laissa aller au sommeil, si ce n'est deux heures par nuit, ni il ne tint aucune d'entre nous par la main". Et lorsque certains condamnaient ces femmes, leur disant :" Pourquoi n'avez-vous jamais dit la vérité de ces choses à quiconque, mais avez-vous laissé toute la ville se scandaliser de sa conduite?", elles leur donnaient pour explication l'histoire de ce qu'avait subi ce possédé, ajoutant :" Nous avions peur de subir nous aussi le même sort, et c'est pourquoi nous gardions le silence". 9. L'on l'ensevelit avec les plus grands honneurs. Assistait également à l'ensevelissement celui qui, par l'intercession du Saint, avait été possédé du Diable, puis délivré. Il fut de tout l'office de concélébration des défunts, et fit mention de lui dans ses prières. Pour finir, cet homme s'en alla au monastère de Séridon, à Gaza, et il prit avec piété possession de la cellule même de Vitali, où il demeura jusqu'à la fin de ses jours. Le pieux Patriarche rendit grâces à Dieu du tréfonds de son âme, de ce qu'Il ne l'avait pas laissé pécher à l'encontre de l'Abba Vitale. Depuis lors, nombre d'hommes et de femmes d'Alexandrie trouvèrent grand profit spirituel à exercer l'hospitalité envers les moines, et ils prenaient bien garde à ne pas se laisser aller au jugement et à la condamnation facile, contrairement à ce qui était advenu à l'un d'eux. Après sa mort, la vénérable tombe miraculeuse de Vitale opérait des merveilles et des prodiges. Puisse par ses prières Dieu nous manifester Sa compassion, et faire que nous ayons une bonne défense à Son Tribunal divin, au jour où Il nous découvrira les secrets des hommes et où Il nous dévoilera les désirs du coeur humain. *** SAINTE MARIE, HIGOUMENE. Lorsqu'arriva pour le visiter la soeur de Pachôme, incitée qu'elle était, par sa réputation, à le voir, lui ne voulut pas la recevoir. Aussi fut-ce par l'entremise du frère tourier qui gardait la porte du monastère qu'il lui fit parvenir ce message : " Ne t'afflige pas de ce que tu ne peux pas me voir. Vois, tu sais au moins que je suis en vie. Cependant, si tu veux me suivre dans cette sainte vie et revêtir le saint schème angélique, trouve-toi un monastère non loin d'ici. Peut-être le Seigneur appellera-t-il d'autres femmes auprès de toi, pour que vous y meniez ensemble la vie monastique à l'imitation des anges. Il n'est nul espoir de salut pour l'homme dans le monde, s'il ne fait pas le bien avant que de se séparer de son corps. Ce qui attend chacun après sa sortie de ce monde, c'est le Jugement et la rétribution de ses oeuvres, selon la vie qu'il a vécue sur terre. A entendre ces mots, elle fondit en larmes, et sur-le-champ se tourna vers la vie monastique. Et il se trouva pour elle un monastère au village le plus proche, qui, donc, n'était guère loin du grand monastère de son frère. Elle y mena l'ascèse avec beaucoup de bonne volonté, et d'autres femmes vinrent se joindre à elle, qui choisirent de mener la même ascèse. Il en vint ensuite d'autres, puis d'autres encore pour s'adjoindre à elles, de sorte qu'elles furent en peu de temps fort nombreuses. Et elle était leur mère spirituelle à tous. 2. Le grand Pachôme choisit un dénommé Pierre, qui était très pieux et relativement âgé, pour leur père spirituel. Elles disaient de lui que " sa parole était toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel" ( Col.4,6), pleine de douceur, lorsqu'il enseignait, et empreinte de modestie. En sus de ce guide Pachôme leur transmit aussi les canons du monastère. Si parfois un frère voulait rencontrer une de ses parentes moniale, il l'envoyait à Pierre. Celui-ci à son tour informait la soeur de Pachôme, et ainsi, avec son accord d'higoumène, le frère rendait visite à sa parente, en présence d'une pieuse moniale, de sorte que ces rencontres se faisaient avec toute la décence et les bienséances qui convenaient. 3. Lorsqu'une moniale mourait, l'on enveloppait son corps en un linceul, et l'on le déposait dans la cour du monastère. Du monastère du grand Père Pachôme étaient alors envoyés des moines, qui se tenaient en toute humilité sous le portique extérieur, cependant que les femmes se tenaient en face d'eux, mais à bonne distance de là. Tout en psalmodiant, elles la portaient vers sa tombe, pour rendre à la terre le corps de la sainte, le transportant à l'aide d'un char jusque sur la montagne, où se trouvaient les tombes monastiques. Les moines chantaient leurs psalmodies accoutumées, tandis que les femmes suivaient derrière eux, également chantantes. C'est ainsi que se passaient d'ordinaire les offices d'ensevelissement. Le nombre de moniales s'accrut, jusqu'elles fussent quatre cents. Elles avaient adopté le même type d'ascèse que les frères du grand monastère de Saint Pachôme, à l'exception de la mélote, qu'elles ne revêtaient pas, - cette peau de chèvre, dont le crin rêche est une forme d'ascèse désagréable pour la peau. 5. Il survint un jour dans ce monastère de femmes l'évènement suivant : Un laïc qui vivait dans le monde, tailleur de profession, arriva un jour en ces lieux. Il se tenait au-dehors de la clôture, cherchant à savoir si les moines avaient besoin de recourir à son art. Il se trouva lors qu'une des plus jeunes d'entre les moniales se trouvait aussi à l'extérieur du monastère pour les besoins de son travail. Ce fut par hasard qu'elle tomba sur lui. Apprenant la raison qui le faisait se tenir là, elle lui répondit que le monastère avait ses propres soeurs couturières, et que donc l'on n'avait pas besoin de lui. Par hasard une autre moniale suivait aussi de loin la scène. Après quoi il s'ensuivit un différend entre eux, du fait d'une attaque diabolique, le tout assorti d'une dispute. De là que la seconde moniale fit office de sycophante à l'encontre de la première soeur, inventant devant toute la communauté des soeurs que la première moniale et le tailleur s'étaient rencontrés à l'extérieur de la clôture du monastère dans le but diabolique de pécher. Cette accusation parut aux une mensongère, mais aux autres véridique, comme cela est ordinairement le cas avec les calomnies. Celle qui avait été l'objet d'accusations calomnieuses par sa soeur sycophante ressentit de la rage au coeur, et ne pouvant souffrir la puanteur de cette accusation mensongère, elle sortit à l'insu de tous, et se jeta dans le fleuve, mettant ainsi fin à ses jours. Lorsqu'elle l'apprit sa calomniatrice sentit qu'elle était cause de la perte funeste de la jeune vierge. Il eût convenu qu'elle se redresse de sa chute par la pénitence, la confession, les larmes, et les gémissements. Hélas! Trois fois hélas! Dans son désespoir elle manifesta la même pusillanimité et la même lâcheté que la moniale qu'elle avait calomniée. Elle prit donc une corde et s'en fut sur-le-champ se pendre. Ces faits parvinrent aux oreilles du grand Père Pachôme. Lequel, apprenant de quelle manière ces deux moniales avaient attenté à leurs jours, il défendit que l'on célébrât à leur intention l'office de funérailles. Quant aux autres moniales, qui n'avaient pas examiné scrupuleusement les accusations, mais avaient à rebours si aisément et si inconsidérément accepté pour argent comptant les calomnies de leur soeur sycophante, il les priva de communion sept longues années durant. SAINTE PELAGIE. 1. Il était une fois un jeune homme sans scrupules, qui vint un jour au monastère enlever une moniale, et qui s'enfuit avec elle à Constantinople. Le Patriarche l'apprit, et dans l'excès de son chagrin pensa mourir. C'était pour la jeune fille, surtout, qu'il était peiné. Un peu de temps passa. Un jour qu'il se tenait dans la sacristie avec quelques clercs, - c'était durant la divine anaphore -, ils se lancèrent dans une discussion salutaire; et la conversation roula sur le jeune homme, qui avait commis ce péché d'enlever une moniale. Les clercs, alors, qui se tenaient à ses côtés se mirent à anathématiser le jeune homme, pour ce qu'il avait ruiné deux âmes, la sienne et celle de la moniale. 2. Le bienheureux les fit taire, et coupa court à leur conversation, disant : "Non, mes enfants, non, ne faites pas cela. Mais soyez sûrs, bien plutôt, que vous commettez un double péché. D'une part, vous transgressez le commandement de Celui qui a dit :" Ne jugez pas, pour n'être pas jugés." Et, de surcroît, vous ne savez pas exactement s'ils ont péché jusqu'à ce jour, et s'ils n'ont pas fait pénitence". J'ai lu dans une vie de Saint ce qui suit : Deux moines déambulaient dans une ville à mendier. Comme l'un d'eux passait par un endroit où se tenait une femme publique, celle-ci lui cria : "Sauve-moi, père, comme Dieu a sauvé la courtisane". Celui-ci, sans songer aucunement à la honte que lui en ingligerait le monde, ni aux railleries qu'il en essuierait, lui dit : " Suis-moi.", et la tenant par la main il sortit de la ville au su et à la vue de tous. Le bruit courut donc aussitôt que l'Abba avait pris pour femme cette dame-Porphyria, comme on l'appelait. Tandis qu'ils quittaient les lieux dans l'idée de gagner un monastère pour y mettre cette femme, cette femme trouva dans une église, couché à terre, un enfant abandonné, et elle le prit pour l'élever. Un an plus tard, des personnes vinrent à la ville où vivaient l'Abba et Porphyria la courtisane, et, la voyant avec l'enfant, ils lui dirent : " En vérité, tu as fabriqué un beau petit Abba". Elle n'avait pas encore pris le schème monastique. Ils retournèrent à Tyr, où l'Abba l'avait prise avec lui Là, tout le monde répandait cette rumeur, que dame Porphyria avait eu un enfant de l'Abba. "Nous l'avons vu de nos propres yeux. C'est le portrait craché de l'Abba!". 3. Lorsque, de par une illumination divine, l'Abba comprit que sa fin approchait, il dit à Mère Pélagie - ainsi l'avait-il appelée lorsqu'il lui avait donné le saint schème - : " Viens, nous nous en irons à Tyr; j'ai là-bas un travail qui m'attend, et je veux que tu viennes avec moi". Elle, ne pouvant pas le contrarier, le suivit de ce pas, et tous deux ensemble s'en vinrent à Tyr, accompagnés de l'enfant, qui était âgé d'environ sept ans. Aussitôt le bruit s'en répandit comme une traînée de poudre : "Porphyria, la prostituée, est arrivée ici avec l'Abba, son mari." Mais voici que l'Abba tomba malade et qu'il était déjà demi-mort. " Apportez-moi", demanda-t-il alors, des charbons allumés. On lui en apporta. Par une économie divine, près d'une centaine de personnes étaient venues de la ville pour le visiter. Il prit l'encensoir plein de charbon incandescent, et le vida sur son stichaire, disant : " Par Dieu, qui a gardé le buisson ardent à l'abri du feu, en sorte qu'il ne se consuma pas, et de même que mon stichaire, malgré les charbons enflammés, n'a pas pris feu, de la même façon, depuis l'heure de ma naissance, je n'ai jamais péché avec une femme." Tous alors furent dans l'admiration de ce que son stichaire n'avait pas brûlé, et ils rendirent gloire à Dieu, qui a des adorateurs secrets. Suivant cet exemple, Mère Pélagie, que l'on avait naguère appelée Porphyria, imitée d'autres courtisanes, renoncèrent au monde, et se retirèrent avec elle dans son monastère. Le serviteur de Dieu, lui, qui l'avait revêtu du schème monastique, à peine eut-il fait cette révélation, et crié à la face de tous son innocence, qu'il rendit paisiblement son âme à Dieu. 4. C'est pourquoi je vous le dis, mes enfants, ne vous hâtez pas de condamner qui que ce soit, et n'ayez garde d'examiner les actions des autres. Bien des fois nous avons connaissance du péché de l'homme qui tombe dans le péché de la chair, mais nous n'avons pas connaissance ensuite de son secret repentir. Il nous arrive aussi de voir quelqu'un voler, mais nous ignorons quels soupirs, quels gémissements, et quelles larmes il offre ensuite à Dieu. Nous autres alors, nous croyons, sur la foi d ece que nos yeux ont vu, qu'il s'agit là d'un voleur impénitent et parjure. Mais Dieu cependant a agréé sa pénitence et a reçu sa confession, et au regard divin est libéré de son péché". VIES DES SAINTES DE L'EGLISE. Les VIES DES SAINTES DE L'EGLISE ont commencé d'être écrites après la fin des persécutions, par des auteurs anonymes. Ces oeuvres précieuses et considérables, bien qu'elles diffèrent entre elles par le style et par l'époque de leur auteur, présentent cependant des caractéristiques communes. Toutes font le panégyrique et célèbrent la louange du Saint, témoignent d'un souci d'édification des fidèles, témoignent d'une grandeur dramatique dans le récit, etc... Cependant, leur plus importante caractéristique est leur lien organique avec la Sainte Ecriture, comme cela apparaît non seulement dans le rapprochement avec nombre de passages hagiographiques, mais surtout dans l'effort d'interprétation du message chrétien, au sein des événements de la vie quotidienne. Pour le peuple des fidèles orthodoxes, les Vies des Saints continuent d'être la plus chère mémoire exégétique de la Sainte Ecriture, exactement comme les icônes dans les églises sont le meilleur moyen pédagogique de faire approcher une âme du mystère du Salut en Christ. Habituellement les traductions contemporaines en grec moderne ne restituent pas suffisamment les caractéristiques propres et distinctives des textes hagiographiques, qui souvent sont altérés en arrangements et en traductions libres, simplifiées et prétendument plus littéraires. Dans les traductions qui suivent, nous avons tenté de fournir un effort particulier et de mettre tous nos soins pour faire en sorte de ne pas trahir l'esprit ni le style des textes anciens. SAINTE ATHANASIA D'EGINE. VIE ET OEUVRES DE NOTRE SAINTE MERE ATHANASIA ET RECIT DE QUELQUES-UNS DE SES MIRACLES. 1. Faire mémoire des Saints est une mission apostolique. (Hébr. 13, 7). Mais écrire leurs vies, lesquelles offrent un commun profit spirituel à ceux qui en sont en quête, cela est une des oeuvres les plus louables et les plus salutaires qui soient. J'essaierai donc d'écrire la vie de la bienheureuse Athanasia, et de raconter quelques-uns de ses hauts faits, pour qu'ils soient arrachés aux méfaits délétères du temps, et qu'ils ne sombrent pas dans l'oubli, ce qui serait nuisible à la plupart des fidèles. Cette créature digne de louanges, qui avait reçu le nom d'Athanasia qui lui séyait tant - en effet, il a signifiance :"immortelle" -, vécut sa vie en juste. Elle assumait la charge de diaconnesse du Christ, souverain maître de tous et de toutes. Son père avait nom Nikitas, et sa mère se prénommait Hélène. Ses parents étaient de noble ascendance, et craignaient grandement Dieu. Ils demeuraient dans l'île d'Egine. Athanasia leur naquit, et elle entra dans la vie telle "un vase utile " du Tout Saint Esprit. (2. Tim. 2, 21). A l'âge de sept ans, elle apprit en peu de temps le Psautier par coeur, et elle étudiait avec beaucoup de zèle toutes les saintes Ecritures. 2. Un jour, donc, cependant qu'elle était assise à tisser dans la solitude, voivi qu'elle vit un astre lumineux descendre sur son sein, pour l'irradier de son éclat, avant que de disparaître. Dès lors, ensuite d ecet évènement, elle fut grandement illuminée d'En-Haut, et se mit à détester en tout point la vanité du monde. Elle se donna pour visée d'embrasser la vie monastique. Cependant ses parents, contre son vouloir et son ferme refus d'obtempérer, la marièrent de force. Mais seize jours seulement se passèrent, et voici qu'elle fut veuve. De fait, lorsque les Barbares Maures se répandirent dans cette contrée, ils tuèrent son mari - Dieu sait comment -, qui se trouvait engagé au coeur de la bataille. 3. Un assez long temps passa, cependant qu'Athanasia luttait intérieurement, menant le bon combat, et tournait son esprit vers la vie monastique. Mais voici que fut soudain émis un décret royal, ordonnant que les femmes qui n'étaient point mariées, ainsi que les veuves, épousassent des idolâtres. ce qui fut cause qu'Athanasia n'eut point le temps de se faire moniale, avant que ses parents ne l'engagent dans une seconde union. Mais bien que ce nouveau mariage eût lieu, Athanasia s'était accoutumée à prendre soin de son âme, en vue de faire son salut. Aussi se vouait-elle infatigablement aux psalmodies et à , car Il fait des Livres Saints, et elle s'y appliquait avec soin, sans permettre que rien vînt s'opposer à ces bonnes oeuvres. Toute parée de douceur, elle brillait de sainteté, dans l'humilité de son coeur. D'où venait que tous ceux qui voyaient sa bonne conduite se prenaient à l'aimer et à la louanger; Elle se distinguait tellemnt dans la vertu de l'aumône, qu'il semblait ne pas y avoir assez de biens dans sa maison, qui en était cependant pleine, pour qu'elle pût à profusion les partager de ses mains. Elle accueillait charitablement des moines venus de partout, et leur donnait l'hospitalité. Et elle offrait d'abondance de ses biens, en sorte de faire vivre les veuves, les orphelins, et, avec eux, tous les pauvres de sa contrée. 4. Lorsqu'un jour survint une famine, et que tous se trouvèrent en proie aux affres de la faim, celle-ci accorda de riches subsides, non seulement aux fidèles qui confessaient la même foi orthodoxe qu'elle-même, mais aussi aux tsiganes, qui mouraient de faim et qui, de ce fait, cherchaient refuge auprès d'elle. Celle-ci aplliquait le précepte du Seigneur : " Soyez compatissants, comme est compatissant votre Père céleste, car Il fait luire son soleil sur les bons et les méchants, et il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes." Et elle ne leur donnait pas seulement des vivres et de la nourriture, mais encore elle les revêtaient d'habits et leur prodiguait la consolation de maints autres dons. Le dimanche et les jours de fêtes ecclésiales, elle rassemblait avec amour les voisines autour d'elle et leur lisait les saintes Ecritures, leur illuminant ainsi l'esprit et les guidant avec un tact tout divin dans la crainte et le désir du Seigneur. 5. Elle était ainsi pareille à un jardin orné de mille fleurs, progressant dans les voies de Dieu et dans les vertus, lorsqu'au bout de quelques années de vie commune, elle persuada son époux, après maintes supplications, de renoncer au monde et à toutes les choses du monde, et d'embrasser la sainte vie monastique. Enfin, sur ces entrefaites, cependant qu'elle vivait ainsi saintement, son mari s'endormit "dans le Seigneur." La bienheureuse, donc, maintenant qu'elle avait trouvé là l'occasion d'être enfin libre, entreprit de consacrer entièrement sa vie à Dieu. Elle rassembla d'autres femmes très pieuses, qui se trouvaient avoir le même but qu'elle dans la vie, et que distinguait leur grand zèle spirituel. Sans tarder, elle s'adjoignit à elles de toute son âme, laissant le tumulte du monde. Tout ce qu'elle possédait, elle le partagea aux pauvres, conformément au précepte du Seigneur. Après quoi elle changea son mode de vie, et revêtit le schème angélique, avec ces femmes, dont nous avons parlé. Elle s'isola en un lieu retiré, et, sous l'influence d'un saint homme de grande piété, qui l'avait tonsurée moniale, elle accepta, après trois ou quatre ans, et ce bien que sa volonté s'y opposât, de devenir higoumène des moniales. Celles-ci la considéraient comme la première d'entre elles. Athanasia, cependant, se considérait en pensée comme la dernière d'entre elles, et, de la sorte, elle accomplissait en acte la parole du Seigneur :" Celui d'entre vous qui veut être le premier, qu'il soit le dernier et le serviteur de tous". (Mc. 9, 35). 6. Quel discours, quelle langue pourrait exprimer la profondeur de son humilité? C'est ainsi que durant toutes les années de sa vie, elle n'accepta jamais de se faire servir par aucune des moniales. Elle n'acceptait pas non plus qu'elles lui versassent de l'eau pour la laver. Ainsi que toutes les soeurs, qui s'étaient interrogées l'une l'autre après sa sainte dormition, le firent apparaître, elle leur assurait à toutes et leur répétait qu'elle se considérait indigne de demeurer avec elles, et qu'elle ne pouvait pas être servie par elles en tant qu'higoumène. Comme elle avait acquis une grande tempérance, elle ne goûtait que d'un peu d'eau et d'un peu de pain après l'heure de none, à trois heures de l'après-midi, et ne prenait du tout ni poisson ni laitages. Elle ne prenait de ceux-ci, avec joie, que lors de la fête de la Pâque. Durant les jours du saint Carême, elle se contentait de ne manger que des légumes crus tous les deux jours, et, ces saints jours, elle ne buvait presque pas d'eau. Pour ce qui est du sommeil, elle ne dormait que très peu, et non pas sur une planche, mais sur une pierre pentue exprès, pour lui ôter tout confort. Et cette ascèse, elle ne s'y adonnait pas seulement lors du Grand Carême, mais aussi lors des autres carêmes, celui de Noël, celui des Saints Apôtres Pierre et Paul, et celui de la Mère de Dieu. Sa couche était faite de grosses pierres jonchées sur le sol, recouvertes d'une mince couverture de crin, disposée à terre à l'heure du repos, et qu'elle trempait chaque nuit de ses larmes, pour parler comme le prophète; Pour ce que l'amour divin s'allumait profusément en elle, c'est d'abondance aussi qu'elle versait des larmes dans ses psalmodies et dans ses prières. Ainsi, l'on eût plus aisément pu voir se tarir une fontaine que l'on n'eût su voir ses yeux manquer de larmes. Il semblait que son regard fixait continûment le Christ. 7. Elle avait pour vêtement intérieur un habit de crin qui mettait durement à mal sa peau. Au-dessus, à l'extérieur, elle avait un habit usé de laine d'agneau, qui recouvrait son mince corps négligé. Elle veillait la nuit, retirée dans la solitude, et elle méditait les psaumes de David, ajoutant à chacun des cathismes une prière qu'elle faisait dans une concentration extrême. Le jour, seule parfois, ou bien avec les soeurs, elle usait de stichères, pour rendre incessamment gloire à Dieu. Et, soit oralement, en remuant les lèvres, soit en esprit, elle disiat le psaume de David : " Je rendrai gloire à Dieu en tout temps, sa louange sera sans cesse sur mes lèvres." (Ps. 6, 7). Du jour où elle devint moniale jusqu'à celui où elle s'en fut au Ciel, elle ne goûta d'absolument aucun fruit. De ce qu'elle avait charge d'âmes et que lui incombait le souci de ses soeurs, elle eut à passer par beaucoup d'afflictions. Cependant, si grande était son humilité que jamais elle ne gronda une soeur. Nulle injure ne sortait de sa bouche, qu'elle s'adressât un jeune ou à un adulte, à un homme libre ou même à un esclave, en dépit du fait, pourtant, que, bien des fois, le diable l'eût provoquée. Elle accueillait tout le monde avec une grande douceur d'esprit, et un coeur d'une grande largesse, songeant continûment à la rétribution qui lui en reviendrait dans l'éternité. (Hébr. 11, 26). 8. Après quatre ans passés avec ses soeurs, sa pensée avait mûri le projet qu'elles quittassent le lieu où elles demeuraient, pour gagner une montagne sise dans un lieu écarté et fort éloigné, où elles pourraient, au désert, s'adonner à Dieu dans l'isolement, loin de tout contact humain. C'est ainsi qu'elles partagèrent aux pauvres tout ce qu'elles avaient acquis pour leurs nécessités, et qu'elles se préparèrent, le coeur brûlant de zèle divin, à suivre leur nouveau dessein. Mais voici qu'en chemin elles rencontrèrent un homme de grande vertu qui possédait en son coeur l'amour de Dieu. Il se dénommait Matthias. Il avait revêtu la dignité de prêtre et il était higoumène d'une synodie fort ascétique. Cet homme vénérable, lorsqu'il vit l'amour qu'avaient ces femmes pour la bienheureuse Athanasia, dit à celle-ci : " Ton dessein, comme celui du reste de tes soeurs, est bon et louable. Cependant, fatiguées comme je vous vois par l'ascèse, et faibles comme vous l'êtes devenues, je vous conseille de ne pas vous exposer à une ascèse supplémentaire aussi rude que celle-ci. Mais, si vous agrééz mon conseil spirituel, je vous conduirai en un lieu où vous pourrez bien, comme il convient, vous garder, vous, et vos âmes. Vous m'aurez aussi pour votre assistant dans les difficultés, et je vous servirai en vos nécessitéss, de toute mes forces et de tout mon vouloir." Ce disant, il persuada la ssainte et le restant des soeurs de le suivre bien volontiers. Lorsqu'elles approchèrent le lieu et qu'elles le virent, la bienheureuse fut saisie d'une joie extrême et se prit à dire : " Tel est le lieu que je voyais depuis longtemps avec les yeux de mon âme. Et, comme je le crois, c'est ici que dorénavant nous vivrons et que nous demeurerons jusqu'au terme de notre vie." 9. Il y avait en ce lieu une très belle église, fort ancienne, consacrée au protomartyr Saint Stéphane. Le bienheureux Mathias, après qu'il les eut installées ici avec la bénédiction de l'Evêque de la contrée, se mit en grand souci des moniales. Lui, de son côté faisait une très grande ascèse, jeûnant et veillant. Ce qui est dire que toute la nuit il récitait le Psautier et faisait nombre de prières. Il ne dormait pas allongé, mais c'est assis qu'il concédait au sommeil sa part nécessaire. Si grande était sa contrition dans les psalmodies et durant la célébration de la divine liturgie, que ceux qui le voyaient célébrer le sacrifice non sanglant en tiraient un grand profit spirituel. Il se contentait d'un seul surplis déguenillé, qu'il portait à même la peau, et dont le poil de crin lui endommageait affreusement la chair, qu'il domptait de la sorte. Il portait un grand amour au disciple bien-aimé de notre Seigneur, Jean, l'ami qu'il avait tenu sur sa poitrine. Lorsqu'approchait le moment de faire mémoire de lui, et qu'il célébrait la liturgie non-sanglante, il était empli d'une immense et ineffable contrition. Il dit un jour à quelqu'un qui se trouvait à ses côtés : " Y a-t-il aujourd'hui un homme digne d'aller à Ephèse voir le saint Apôtre Jean?" Et comme il disait ces mots, des fontaines de larmes coulaient de ses yeux et il gémissait en son coeur. Il fut donc jugé digne, quant à lui, du fait de son amour pour lui et de la foi qu'il avait en ce disciple du Seigneur, Jean, de voir ce saint Apôtre se tenir auprès de lui durant le saint Sacrifice divin, du début à la fin de la divine Mystagogie. Et il ne fut pas le seul à le voir, mais deux autres personnes le virent aussi de leurs yeux, qui étaient à ses côtés, cependant qu'il célébrait le sacrifice non-sanglant. Après cette vision, il passa trois jours dans une contrition telle qu'il ne put prendre aucune nourriture humaine. 10. C'est à ce bienheureux Mathias que vint un homme, dont toutes les articulations étaient paralysées. Le Saint le prit en pitié, ôta la mandya qu'il portait, et la posa sur les épaules du paralytique; Aussitôt les os du malade se mirent à trembler de manière effrayante, et l'homme fut sur-le-champ guéri. Un autre, sous le coup d'une manifestation diabolique avait le visage complètement défiguré. De sa main Mathias le signa du signe de la croix, et lui octroya la guérison. Une vieille femme, qui était possédée d'un esprit impur, était venue trouver le bienheureux. Au bout de quelques jours, par l'insistance de ses prières persévérantes, et grâce à sa patience, donc, il obtint que Dieu lui fît recouvrer la santé. Une autre femme, qui était moniale, mais qui était tyrannisée par un esprit impur, rendit visite au monastère. Lorsque le sain arriva et la vit seule, dans l'église, en souffrance, ses entrailles s'émurent de compassion pour elle. Il leva les mains au Ciel et après qu'il eut ainsi prié un certain temps, il se tourna de côté vers elle, et fit trois fois sur elle le signe de la croix. Alors le Malin Démon s'enfuit d'elle, ensuite de quoi la moniale devint saine d'esprit. Toutes choses que nous racontons pour donner une idée du degré d'élévation de la vie de ce saint homme, et pour que soit connue de tous la Grâce que lui avait donnée Dieu de faire des miracles. 11. Mais malheur, hélas! Ici, je ne sais que dire. Ce si saint homme, voué et consacré à Dieu, embarqua sur un navire, et comme il se rendait ainsi par voie d'eau à la capitale, il advint, Dieu sait pourquoi - car Dieu seul le sait - que le vaisseau coula et fit naufrage, en sorte que le saint se noya avec les autres passagers au beau milieu des vagues déchaînées de la mer. Ainsi, nous fûmes mêmes privés du corps du saint et ne pûmes recueillir ses reliques en un reliquaire pour les offrir à la vénération des fidèles, ce qui nous eût été un grand bienfait pour notre profit spirituel. Car cet homme, tandis qu'il vivait sur cette terre, nous avait enrichis de ses guérisons miraculeuses, et à présent qu'il s'en est allé au Ciel, il aurait octroyé plus de bienfaits encore aux fidèles qui eussent pu approcher sa sainte relique pour la vénérer. Ce fut un autre prêtre qui accomplit sa diaconie, lequel était eunuque. On l'appelait Ignace. Et voici que lui-même se distingua par des charismes semblables à ceux qu'avaient possédés son prédécesseur Mathias. Sa fin fut sainte, et de sa tombe miraculeuse s'échappent des sortes d'éclairs qui consument les phalanges de démons. Mais retournons en arrière pour continuer notre récit où nous l'avions laissé, relativement à notre sainte mère Athanasia. 12. Cette bienheureuse avait, comme nous l'avons dit, une grande humilité, assortie d'une douceur plus grande encore, incomparablement. Souventes fois, lorsqu'elle priait les yeux fixés vers le Ciel, elle tombait en extase, et se trouvait en proie à la crainte de Dieu. Et ce, parce qu'elle voyait une nuée lumineuse, dont irradiait des rais comme d'un soleil. Au milieu de la nuée se voyait un homme d'une très grande beauté, dont les regards avaient la semblance des éclairs. Et comme elle avait eu bien des fois cette vision, en proie à la stupeur, elle se disait en elle-même : " Mais qui a rendu cet être si plein de Grâce? Quelle vertu a-t-elle pu le rendre aussi et resplendissant de beauté?" Comme elle agitait ainsi ces pensées en son esprit, il lui sembla entendre une voix lui dire :" Cet homme que tu vois ainsi et que tu admires, ce sont l'humilité et la douceur qui l'ont fait se distinguer entre tous. Et toi, si tu l'imites, il est manifeste que tu brilleras et que tu resplendiras à son imitation". Athanasia, jour après jour revoyant cette vision, oeuvre dès lors à s'orner et à se parer de ces deux vertus, jusqu'à ce qu'il ne restât plus en elle nulle trace de colère ni d'orgueil. Cet être sublime, donc, qui s'était élevée à un degré si visible de vertu, et qui, dans la pureté de son coeur, avait vu cette vision céleste, il n'est point étrange ni paradoxal que Dieu l'eût dès lors ornée de facultés et de dons thaumaturgiques. 13. En effet, un jour qu'elle se tenait assise en son monastère, l'esprit tourné vers Dieu, quelqu'un vint à elle, souffrant des yeux, et la suppliant de prier Dieu pour lui. Elle, dans son humilité, lui disait pour la consoler : " Moi aussi, cette même maladie m'importune. Prends donc patience, et il se peut que Dieu te guérisse.". Lui, cependant, ne s'en allait pas, mais lui demandait avec confiance d'opérer sa guérison. Alors la bienheureuse mit sa sainte main sur ses yeux et dit : " Puisse le Christ, qui a guéri l'aveugle de naissance, t'octroyer la guérison." Quand celui-ci entendit ces mots, comme il recevait ces paroles avec une foi ferme, sur-le-champ il retrouva la santé qu'il désirait recevoir. 14. La bienheureuse, auprès de l'église du protomartyr Stéphane, que nous avons évoquée, bâtit trois autres églises. L'une était consacrée à notre Toute-Louangée Souveraine la Mère de Dieu, une autre à Saint Jean le Précurseur, et la troisième à Saint Nicolas, le divin héraut de Dieu. Après quoi elle se mit en route vers la capitale, où quelque nécessité la réclamait. Elle demeura là six ou sept ans au monastère, et elle disait, dans son chagrin : " Je suis loin de l'église de la Mère de Dieu, que j'ai quittée, et voici que je demeure ici." Mais une divine vision lui apparut et elle trouva l'audace de dire aux soeurs du monastère : " Voici donc qu'est venu le temps pour nous de retourner au lieu où nous étions auparavant. Car, tandis que j'étais en extase, j'ai vu les portes de l'église de notre Toute Sainte Mère de Dieu, qui étaient ouvertes, pour nous inciter à partir d'ici jusque là-bas." Disant ces mots, elle s'en alla de Constantinople vers les Vénérables - ainsi se nommé son leiu d'élection -. Le véritable et vénarable vase d'élection de Dieu arriva donc à destination, car il fallait que ce lieu soit honoré de sa présence, et que la sainte pratique de la bienheureuse assurât cet endroit d'être bien nommé. Elle demeura là six autres années. Il vint à passer là un Père spirituel qui avait le don de diorasis - ce qui est dire de clairvoyance - demeura là. Ce célèbre Père avait nom Ioannikios, et il était célèbre de par le monde entier. Cet être admirable, passant un jour par ce lieu dit "les Vénérables", dit prophétiquement: " Il faut que ce lieu soit vénéré par la déposition en son sol de certains corps vénérables". Et sa prophétie se réalisa. 15. La bienheureuse arriva donc ici et après qu'elle y eut vécu encore quelques jours, elle tomba gravement malade. Elle reçut du Ciel l'avertissement qu'avant douze jours surviendrait sa mort. Elle vit alors deux hommes vêtus de blanc venir à elle. Ils lui tendirent un papier recouvert de caractères écrits et lui dirent : " Voilà ton acte d'affranchissement, qui te donne ta liberté. Prends-le, et sois en heureuse." Lorsque la bienheureuse reprit ses esprits, elle appela à elle l'une des soeurs et lui rapporta toute sa vision par le détail. Dès lors, durant douze jours entiers, elle demeura entièrement adonnée à la contemplation, sans manger ni boire, cependant qu'elle ne disait rien autre chose que ces mots : " Psalmodiez, mes soeurs, psalmodiez, et inlassablement adressez des hymnes à Dieu, pour qu'il ait compassion de nos péchés". Lorsqu'arriva le douzième jour, elle dit aux soeurs : " Secourez ma faiblesse, je vous prie; allez à l'église et, pour l'amour de moi, lisez les psaumes que j'eusse dû lire moi-même, car à présent je ne peux plus m'acquitter de la lecture du Psautier. Je suis dorénavant entièrement paralysée." Et elles, à haute voix répondirent au travers de leurs larmes : " Jusqu'à quel psaume, mère, es-tu arrivée, pour que nous commencions la lecture à partir de là?". Elle répondit paisiblement :" De mes lèvres je suis parvenue au Psaume quatre-vingt-dix. Mais je suis épuisée et je ne peux plus poursuivre." A ces mots, les moniales se hâtèrent d'entrer dans l'église et de compléter la lecture du Psautier. Ensuite de quoi elles sortirent, tombèrent face contre terre et pleurèrent longtemps, demandant à la Sainte sa bénédiction. Celle-ci les bénit toutes. Mais, après qu'elle eut serré Marina et Eupraxia entre ses bras vénérables, elle leur dit : " Mes soeurs bien-aimées, à partir d'aujourd'hui nous allons être séparées les une sdes autres. Mais le Seigneur nous réunira à nouveau dans le siècle à venir. Qu'il vous accorde la paix, l'amour et la concorde, qu'il vous emplisse de ses richesses et vous accorde ses biens à profusion". Comme elle disait ces choses et d'autres, son visage se mit à briller comme s'il en jaillissait une lumière. Si bien que tous ceux qui venaient pour la voir en demeuraient saisis d'admiration et frappés de stupeur. 16. Comme approchait la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, elle leur donna à toutes ces conseils spirituels : " Faites bien attention de ne pas omettre les dispositions établies et les devoirs consacrés à cette fête. Accomplissez l'office en psalmodiant et acquittez-vous de votre diaconie envers les pauvres, autant et aussi bien que vous le pourrez, avec application. Puis, après la divine Liturgie, lorsque vous aurez accompli vos obligations, ensevelissez mon humble corps sous terre." Cependant qu'elle donnait ces derniers ordres, tandis qu'elle tenait encore dans ses bras les deux moniales que nous avons nommées, elle s'endormit si paisiblement que l'on eût dit qu'elle s'était endormie de son sommeil coutumier; Les moniales lui fermèrent comme il sied la bouche et les yeux, et il n'y eut besoin de personne d'autre qu'elles pour le faire. Les soeurs se laissèrent tomber devant sa sainte dépouille, pleurant de ce qu'elles étaient devenues orphelines.: " Où t'en es-tu donc allée, ô notre sainte mère, avec ce nom d'Athanasia, à signifiance d'"immortelle", qui te convenait? Comment as-tu pu nous laisser orphelines, en sorte que nos yeux t'aient perdue de vue? Où verrons-nous désormais ton visage angélique? Où entendrons-nous ta voix, qui emplissait nos âmes de joie et qui nous incitait à accomplir des oeuvres bonnes? Avec toi s'est éteinte la mèche de notre lampe et notre bonne espérance. Toi, tu t'es endormie, et nous demeurons comme mortes, en proie à la mollesse, à l'acédie et au découragement. Nous ne te comptons plus parmi nous, pour ce que le Christ t'a choisie pour t'emmener en une demeure immortelle". 17.Tandis qu'elles se lamentaient ainsi, exhalant ces plaintes et d'autres semblables, elles chantèrent le thrène et le canon qui convient aux défunts. Après la sainte mystagogie - ce qui est dire la liturgie -, elles mirent son saint corps dans une châsse-reliquaire, et placèrent le tout en un lieu convenable, en lui rendant tous les honneurs terrestres qui siéent à une sainte. La moniale qui lui succédait dans l'higouménat demeura sur la tombe, jour et nuit chantant des thrênes avec larmes, sans s'éloigner de la sainte relique. Elle pleurait leur séparation d'avec la sainte. Mais voici que la sainte se présenta à elle dans son rêve, et lui dit : " Prends courage et sache bien que lorsque seront accomplis les quarante jours après ma dormition, Dieu me fera un don que je recevrai." Ce que voyant en son rêve, la moniale s'éveilla, se demandant avec étonnement ce qu'était cette vue et si elle avait bien entendu ce que disait la sainte. Lorsque les quarante jours après la dormition furent passés, les moniales - chose qui advient souvent - oublièrent quel était le jour où il convenait de déterrer la sainte, croyant que l'exhumation devrait avoir lieu deux jours plus tard que la date canonique; Lorsque la nuit fut tombée, la bienheureuse Athanasia apparut à la soeur qui l'avait déjà vue en rêve, lui disant : " Pourquoi as-tu omis de célébrer mes quarante jours, en oubliant de donner des subsides aux pauvres, et en ne te préparant pas à recevoir mes amis?" Ce nouveau rêve mit la moniale dans l'embarras, et, lorsqu'elle eut recouvré ses esprits, elle se mit à compter les jours avec exactitude et précision. Elle comprit alors que l'on était le soir où l'on devait célébrer l'office des quarante jours de la sainte. Lorsqu'il fit jour et que commença la divine liturgie, deux moniales du saint choeur de ces vierges, auxquelles le Seigneur venait d'ouvrir les yeux de leurs âmes, en sorte qu'elles comprissent ces choses redoutables, virent alors deux hommes à l'aspect effrayant, en vêtements blancs tout lumineux, entre lesquels se tenait Athanasia. Ils conduisirent la bienheureuse devant le saint autel. Ils avaient apporté une robe couleur de porphyre rouge, ornée de perles et de pierres précieuses, et ils l'en revêtirent comme une reine, lui ceignirent la tête d'une couronne qui portait sur le devant et sur l'arrière de précieuses croix, et après qu'ils lui eurent mis en la main un sceptre orné, lui aussi, de pierres précieuses, ils la menèrent devant le saint autel. Cette vision était survenue le quarantième jour. De ce moment, et un an durant à compter de là, la châsse-reliquaire, où se trouvait la relique de la sainte, se mit à trembler continûment. 18. Un an après, lorsqu'arriva le jour très vénérable de la dormition de la sainte, deux hommes, accompagnés d'une malheureuse jeune fille, tous trois possédés d'esprits impurs, parvinrent devant la sainte relique de la bienheureuse. On les vit alors danser comme des fous devant sa châsse-reliquaire. De leurs mains, ils ôtèrent de la terre du tombeau, et tirèrent le corps au-desus d ela pierre tombale. Aussitôt alors l'infortunée jeune fille fut guérie. Des prêtres qui se trouvaient là reconnurent la châsse-reliquaire et virent qu'en dégouttait comme d'une fontaine une myrrhe odorante. Ce que voyant, ils ouvrirent le reliqiaire et trouvèrent le corps de la sainte intact. Elle semblait si fraîche en son repos que l'on eût dit qu'elle venait de mourir récemment. Ses yeux étaient lumineux. Ses saints membres et tout son corps de bienheureuse semblait intact, comme si les chairs en eussent été molles. Ses maisn gardaient leur position première et n'étaient point recourbées. Après donc qu'ils eurent vénéré la relique, et versé sur elle bien des larmes, ils jugèrent bon de la placer en un lieu approprié et convenable, où tous pussent voir la sainte en sa châsse-reliquaire. 19. Pour ce faire, ils translatèrent le corps en une nouvelle châsse, où elle gît toujours. Les moniales changèrent ses vêtements, comme il convenait à sa sainteté; et elles tentèrent de la vêtir d'autres habits cousus de fils de soie noire. Cependant, d'aucune manière elle ne sembla vouloir obéir, et elle tenait les mains croisées sur sa poitrine, exprimant de la sorte son absolu refus de se soumettre. Une moniale, lors, de cette sainte synaxe, qui se distinguait par toutes ses vertus et qui était un vase utile de l'Esprit Saint, s'agenouilla devant la sainte, et la supplia en ces mots : " Lorsque tu vivais parmi nous tu étais d'une obéissance sans bornes, ô sainte. Aussi, maintenant encore montre-nous ton obéissance zélée envers nous, et laisse-nous te revêtir de cette autre tunique que nous t'offrons". Lorsque la bienheureuse entendit ces mots, comme si elle était vivante, elle décrispa les mains, et parut accepter de se laisser vêtir de cette nouvelle tunique. Lorsqu'elle fut ainsi parée, les moniales la replacèrent dans sa châsse-reliquaire. 20. Il convient à présent que nous fassions mémoire de quelques-uns des miracles qui survinrent ensuite. Après quoi nous mettrone un terme à ce récit. Il ne se passa guère de jours qu'une fillette de douze ans environ, qui était possédée d'un esprit impur, et se laissait tomber à terre en écumant, se traîna sur le cercueil de la sainte et y demeura continûment quarante jours durant, avac la Grâce de Dieu. Elle s'en fut ensuite guérie. Un autre enfant, d'environ huit ans, était en proie à une attaque du démon, qui se manifesatit sur sa main. Il y voyait fondre comme un corbeau noir, lequel lui causait d'effroyables douleurs à la main. Il demeura sept jours étendu sur la divine relique de la sainte, et, avec l'aide du Saint Esprit, il se releva guéri. 21. Un homme encore, qui dans la vie était esclave, mais qui selon sa foi était un homme libre, avait un démon caché, qui lui faisait enfler le corps comme une outre. Il se rendit au monastère et implora avec feu sa guérison; Sainte Athanasia lui apparut donc en rêve et lui dit : " Attends un peu, mon frère, et avec l'aide de Dieu je te guérirai. Je te ferai toucher une partie de mon corps, et, ce faisant, tu échapperas totalement à ta maladie." Entendant ces paroles, l'homme reprit courage. Un mois plus tard, comme il faisait nuit, il se trouva comme en extase. Il se vit tout dégouttant d'une pluie qui tombait du toit de l'église. Lorsque tous les cierges se furent éteints, du fait de cette pluie, il se réfugia auprès de la relique de la sainte. La châsse-reliquaire fut alors secouée d'un grand tremblement. Il sembla à cet homme entendre une voix lui dire : " Ouvre vite ta bouche; ouvre-la!" Celui-ci l'ouvrit et reçut avec joie ce que la bienheureuse lui envoyait. Aussitôt l'eut-il reçu qu'il obtint la guérison. Lorsque le jour se leva, il apporta à toutes les moniales, à grands cris, la merveilleuse nouvelle de sa guérison. Lorsque toutes furent accourues d'en tous lieux du monastère, voulant savoir la cause de ces cris, il sortit d'un pli de son vêtement le don de la sainte. Et tous virent que c'était un ongle du gros orteil du pied de la sainte, enroulé dans un petit morceau de tissu. Cet homme, déjà vieux, s'en fut donc, glorifiant Dieu et contant à qui voulait les entendre les miracles de la bienheureuse. 22. Une autre fois, cependant que l'on fêtait la mémoire de la sainte, et que beaucoup de peuple s'était assemblé à cette occasion, une femme nommée Théodotie, dont la main était paralysée, suppliait vivement, implorant sa guérison. L'une des soeurs apposa sa main sur le bras de la sainte, couchée dans sa châsse-reliquaire. Par la Grâce de Dieu, elle en retira la main guérie. 23. Une autre femme, qui avait un démon caché, demeurait des jours entiers chez elle sans rien faire, accablée de tristesse. Elle vit en songe la sainte, qui lui dit : " Tu as trompé ton mari et, ce faisant tu as frappé ton âme comme d'une mort redoutable. Va donc, rachète ton péché, et moi, je te délivrerai du Malin Démon qui te tourmente." Cette femme fit comme la sainte lui avait dit de faire, et avec la Grâce du Seigneur elle guérit bientôt. 24. Une femme encore, qui tenait dans ses bras un enfant qu'elle allaitait encore, avait l'oeil droit aveugle ainsi que le bras et le pied paralysés. Elle les posa sur la châsse-reliquaire miraculeuse. Quelquesjours après, elle les retira guéris et s'en retourna toute joyeuse chez elle. 25. Une autre femme, qui souffrait d'un phlegmon aux yeux, en sorte que ses prunelles pendaient comme deux pommes, s'en vint devant le corps de la sainte, et, appuyant sa tête sur la sainte relique, suppliait qu'elle lui obtînt la guérison. Après être demeurée deux ou trois jours auprès d ela sainte, avec l'aide du Seigneur elle guérit. Et ses yeux reprirent leur place originelle. 26. Un enfant de douze ans, ayant les mains et les pieds couverts d'engelures, fut amené à la tombe de la sainte. Après qu'eurent passé quelques jours, l'enfant fut jugé digne de la visite de la Grâce divine, et marchant seul sur ses pieds guéris, il s'en retourna chez lui, cependnat que tous étaient dans l'admiration à la vue de la puissance thaumaturgique de la sainte. 27. Une jeune fille, dénommée Marie, qui demeurait au monastère, fut atteinte au cou d'un mal effroyable. La sainte se présenta à elle en rêve et lui dit : " Prends mon foulard en poils de crin et mets-le à l'endroit où tu souffres." Celle-ci, à son réveil, fit comme la sainte lui avait dit, et d'une manière toute miraculseuse, obtint la guérison. 28. Marina, que nous avons mentionnée plus haut, était atteinte depuis plusieurs années de maux de ventre effrayants; Elle prit donc une des feuilles du laurier-rose qui poussait sur la châsse-reliquaire, la posa trois jours durant sur son ventre, et fut entièrement guérie de sa maladie. 29. Ces propos ont été tenus par nous avec mesure, dans le dessein de rappeler aux pieux fidèles quelques-uns des miracles de la sainte. Mais raconter en détail tous les miracles que la sainte a accomplis, cela m'est impossible, et non seulement à moi, mais ce l'est aussi à ceux qui ont noté dans leurs vies plus de détails que moi, et qui pourraient décrire la réalité en leurs propres termes. Si même je suis jeune, et que me fait totalement défaut l'art littéraire, j'ai offert mes services en cette petite diaconie - ce qui est dire tâche monastique- , pour ce que j'avais été entièrement témoin, non point d'histoires fantastiques, mais de faits que j'avais vus de mes propres yeux, ou que je tenais de pieuses femmes, qui aiment la parole de vérité, qui ont discerné les miracles de notre trois fois bienheureuse mère, Sainte Athanasia, et qui m'ont instruit des éléments biographiques de son existence, qu'elles connaissaient très bien. Quant à la vie et à la conduite vertueuse de ces femmes, qui est d'importance en ce qu'elles produisent du fruit d'édification spirituelle aux âmes assoiffées de Dieu, nous laisserons le soin à d'autres de les décrire et de les retranscrire au temps opportun. 30. Toi cependant, bienheureuse Athanasia, dont le nom signifie immortelle, toi que connaissent les anges en compagnie desquels tu te trouves, toi qui pour le Christ t'es faite pauvre, en sorte que tu as été enrichie des charismes divins, toi qui as continûment mené le deuil joyeux et ainsi trouvé la consolation, toi qui t'es ornée de douceur et as gagné le royaume des doux, toi qui as vécu dans la faim et dans la soif et as trouvé la jouissance inépuisable, toi qui as acquis une âme compatissante et as richement reçu la miséricorde de Dieu, toi qui par la pureté de ton coeur as reçu le rayonnement du soleil de l'Esprit Saint, toi qui as donné la paix à ton âme en la délivrant des passions, et qui es devenue un temple du Saint Esprit, toi dont nous pourrions dire, par manière générale que tu es devenu un trésor pour tous les hommes de bien, et qu'à cause de cela tu as été jugée digne de voir l'ineffable Lumière incréée, maintenant que tu te trouves parmi les bienheureux, et que dans la joie tu participes à la communion des Saints et des Justes, souviens-toi de nous, qui t'invoquons. Garde ton troupeau, que tu as assemblé avec tes peines et tes sueurs de mère. Protège notre vie, que troublent les tempêtes de l'existence. Fais que, par tes prières et tes bénédictions, nous soyons jugés dignes des biens célestes, afin que nous nous dirigions avec piété dans l'existence et que nous vainquions les pièges du Diable, par la Grâce et l'amour pour l'homme de notre Seigneur Jésus-Christ, à qui convient la gloire, l'honneur et l'adoration, ainsi qu'au Père éternel et au Saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen. SAINTE ANTHOUSSA DE MANTINéE. VIE ET ACTES DE NOTRE SAINTE MERE ANTHOUSSA QUI FUT HIGOUMENE AU MONASTERE DE MANTINéE. 1. Le même jour, ce qui est dire le vingt-sept juillet, nous fêtons la mémoire de Sainte Anthoussa, laquelle fonda le saint monastère de Mantinée. Son nom d'Anthoussa a signifiance de Fleur. Elle vécut à l'époque du roi Constantin Copronyme. Elle avait pour ascendance de pieux parents, qui avaient nom Stratège et Phévronia. Pour ce que, dès sa plus tendre enfance, ainsi que nous l'avons écrit déjà, la bienheureuse désirait la pureté, elle vivait comme dit l'Apôtre, " dans les montagnes et dans les grottes". Elle haïssait et se détournait avec aversion de tout ce qui avait un lien avec les choses de la terre, et elle n'aimait et n'acceptait que la vie menée dans l'hésychia. En ces jours-là, un Ancien parmi les moines, qui se nommait Sisinnios, visitait la région de Mantinée. Il possédait nombre de vertus. Cette bienheureuse désirait avec un zèle fervent vivre à son imitation. Aussitôt alors, il lui enjoint de se préparer à entrer dans un grand four, qui brûlait énormément. Elle en sort sans en avoir subi aucun mal. Elle apprend de lui encore bien d'autres vertus qui rapprochent de Dieu. Il lui prédit qu'elle va fonder un très grand monastère, et qu'elle dirigera spirituellement neuf cents moniales. Après quoi elle devient moniale et ce Géronda thaumaturge lui enjoint de fonder le monastère sur la petite île de Limni, laquelle était proche du bourg de Perkilé, en Paphlagonie. 2. Vivant dorénavant en ces lieux dans la tempérance une vie dure de rigoureuse ascèse, la bienheureuse fit de son propre être une inhabitation de la sainte et consubstantielle Trinité. Après qu'elle se fut attachée avec des chaînes et qu'elle se fut revêtue de vêtements de crin rugueux, elle était considérée par les gens sensés comme une créature hypercosmique, dotée d'une existence immatérielle. Un jour qu'elle était venue à la rencontre du célèbre Sisinios,, elle le supplia instamment d'élever un temple en honneur et à la gloire de la Mère de la Mère de Dieu - ce qui est dire Sainte Anne -. Le saint lui prodigua bien des conseils spirituels et l'instruisit dans la foi, et, après qu'il lui eut révélé très clairement les évènements futurs qui lui adviendraient, il la laissa s'en aller, non sans lui avoir prophétisé au préalable le temps exact de son départ de cette vie. 3. Lorsque se furent rassemblées autour de la Sainte une trentaine de soeurs environ, et que l'église était désormais bâtie, et que commençaient de se réaliser les prédictions qu'avaient prophétisées le Saint, voici que cet admirable et divin Sissinios quitta cette vie. Lorsqu'elle vit que s'accroissait la communauté des soeurs, Anthoussa, de bienheureuse mémoire, entreprit d'édifier deux grandes églises, qu'elle fit sortir de terre, l'une en l'honneur de la Mère de Dieu, et l'autre à la gloire des Apôtres, la première à l'usage des moniales, et l'autre réservée aux moines. Nombre d'êtres qui venaient antan visiter Saint Sissinios, aiguillonné par le remords et l'esprit de pénitence, venaient maintenant trouver la célèbre Anthoussa, laquelle les éduquait et les guidait spirituellemnt. 4. Pour ce qu'elle était véritablement pieuse et orthodoxe, elle se détournait de toute hérésie nouvelle. Et parce qu'elle était connue de tous, sa réputation arriva jusqu'aux archontes. Constantin l'iconomaque, qui haïssait le Christ, ainsi que nous l'avons dit, était alors roi des Romains.Celui-ci, parce qu'il désirait l'entraîner dans son égarement, appela un de ses complices : "Va dans cette contrée", lui dit-il, " et persuade Anthoussa d'embrasser les opinions qui sont les nôtres. Si elle se laisse persuader, tout est pour le mieux. Mais si elle ne s'en laissa pas conter, alors châtie-la conformément à nos lois et agis conformément à ces dernières, en sorte que bon gré mal gré elle en vienne à céder". Celui-ci, après qu'il se fut saisi de nombre de moines, et qu'il eut confisqué un très grand nombre d'icônes de Saints, dont les unes étaient peintes sur bois, et les autres sur toile, après aussi qu'il se fut saisi d'Anthoussa et de son neveu, qui était alors le supérieur du monastère d'hommes, les conduisit au loin pour les faire comparaître en jugement. Aussitôt, son neveu est longuement livré au supplice du fouet, cependant qu'il lui est octroyé, par les prières de la Sainte, et par permission divine, de demeurer ferme dans la foi et de supporter les tourments. Lorsque ses tortionnaires, toutefois, virent qu'il ne pourrait rien supporter de plus, ils le laissèrent, l'abandonnant à son triste sort. La Sainte, ils l'attachent à quatre piliers et lui infligent à son tour le dur supplice du fouet. Puis, après qu'ils ont mis le feu à grand nombre de saintes icônes, ils les lui jettent à la tête, et lui mettent des charbons incandescents sous les pieds pour la brûler. Pour finir, voyant qu'avec la Grâce du Christ, elle n'avait pas brûlé, ils l'exilent. 5. Par la suite, lorsque le roi, avec toute son armée, arriva en cette contrée précise, pour juger et interroger personnellement la célèbre Sainte, celle-ci, par sa prière, l'empêcha d'accomplir ses desseins pervers contre elle, en le rendant aveugle. De surcroît, répondant au roi qui l'interrogeait, elle prophétisa que la reine aurait un accouchement difficile et frôlerait la mort, mais que la délivrance finirait bien et qu'elle donnerait naissance à un garçon et à une fille. De ces deux enfants, elle prophétisa encore le genre de vie. Ce qu'entendant la reine fit beaucoup de dons et d'offrandes aux monastères qu'avait fondés la Sainte, et le roi cessa sa persécution contre elle. Ce que faisant, la Sainte montra combien la vertu apaise les bêtes sauvages et fait des ennemis des amis. Et parce que désormais la renommée de la Sainte grandit encore davantage, et que tous avaient son nom sur les lèvres, nombre de fidèles venaient la visiter pour qu'elle les bénît, d'autres pour se faire moines avec son assistance et ses prières, et d'autres encore pour obtenir la guérison de leurs maladies. Parmi eux se trouvait aussi un soldat, qui vintla visiter a vec sa femme. Il était masqué, car il était alors interdit aux soldats iconomaques de visiter les monastères. Il demanda à la célèbre Sainte d'obtenir par ses prières que sa femme conçût un enfant. Il s'enquit aussi si elle le lui obtiendrait. Elle, avant qu'il ne parle, lui révéla quelles pensées secrètes il avait, et le but de sa visite. Ce que voyant, lui, tout joyeux, s'en retourna chez lui. 6. Si l'on pouvait dénombrer les grains de sable du rivage, compter les gouttes de pluis, sonder l'abîme d ela mer, la hauteur du Ciel, et mesurer les confins de la terre, l'on pourrait lors décrire aussi les miracles qu'accomplissait la célèbre Sainte Anthoussa, et tous ceux qu'elle continue d'accomplir à ce jour. Et parce qu'il fallait, en tant qu'homme et que mortelle, qu'elle goûtât à la mort, et qu'elle s'endormît du sommeil qui convient aux Justes, elle mourut le jour du Martyre du Grand Martyr Pantéléimon. Et elle avait prié pour que sa mort advînt précisément ce jour. Elle fut ensevelie dans la cellule où elle avait vécu en accomplissant de grands miracles, en sorte d'être glorifiée et louangée par le Christ, notre vrai Dieu. ANTHOUSSA, MONIALE. LA VIE ET LES ACTES DE NOTRE SAINTE MERE ANTHOUSSA, FILLE DU ROI CONSTANTIN V. 1. Le même jour, c'est-à-dire le dix-huit avril, nous vénérons la mémoire de Sainte Anthoussa, qui était la fille du roi Constantin Copronyme et de sa troisième femme, Eudocie, laquelle eut cinq fils, et cette seule fille, Anthoussa. Il semble qu'Anthoussa ait reçu son nom en mémoire d'Anthoussa, higoumène de Mantinée, qui avait prophétisé sa naissance. Anthoussa, bien que son père eût, à de nombreuses reprises, fait pression sur elle pour qu'elle se mariât, ne lui céda pas. Après sa mort, puisqu'elle était désormais libre de pouvoir le faire, elle partagea tous ses biens entre les pauvres de la ville, les églises, et les établissements philanthropiques. Elle devint comme une mère pour les orphelins, et s'érigea en protectrice des veuves et de leurs enfants. Mais, bien qu'elle en eût été vivement priée et suppliée par l'auguste impératrice Irène, elle ne voulut point demeurer à ses côtés et régner avec elle. 2. Aussi longtemps qu'elle vécut dans le palais, elle portait extérieurement des habits royaux, mais intérieurement il en allait tout autrement. Elle portait à même la peau une tunique en lambeaux, rugueuse, en poils de crin, et sa nourriture était frugale et ascétique. Elle ne buvait que de l'eau. Elle pleurait continûment et psalmodiait beaucoup. Pour finir, elle embrassa la vie monastique, après qu'elle eut été faite moniale par Saint Taraise, au monastère d'Omonia - qui signifie la concorde -. De ce moment, ni elle, ni aucune autre moniale ne sortit du monastère, ni ne relâcha ses efforts spirituels, ni ne manqua l'église, ni ne négligea sa prière. Ses yeux n'étaient jamais privés de larmes. Elle était dotée d'une grande humilité. Elle se mettait au service de toutes ses soeurs. Elle faisait la corvée d'eau. Au réfectoire, elle se tenait debout et servait ses soeurs. Ce fut ainsi qu'elle coula les jours de sa vie, qu'elle fit route vers Dieu, traçant son chemin vers Lui. Elle accomplit ainsi les exploits de la vertu chrétienne et mena le bon combat en Dieu. A l'âge de cinquante-deux ans, elle s'endormit dans le Seigneur. ANTHOUSSA DE TARSE. LA VIE ET LES ACTES DE NOTRE SAINTE MERE ANTHOUSSA, ET LE MARTYR DU SAINT HIEROMARTYR ATHANASE, DE CHARISSIME ET DE NEOPHYTE. Cependant que l'impie Valérien était empereur des Romains, et qu'il institua une grande persécution contre les Chrétiens, le célèbre Evêque Athanase se trouvait dans la ville de Tarse, et il affermissait tous les fidèles dans leur amour pour le Christ. Il les enseignait tous, les catéchisait, et les exhortait spirituellement. Par ses miracles, il amena à la piété bien des incrédules et des infidèles. Il conféra à beaucoup l'illumination du divin baptême. Sa renommée s'étendit partout , jusqu'en Séleucie même. Anthoussa, fleur poussée dans les épines, bel olivier franc enté sur des oliviers sauvages - car ses parents, Antonin et Marie, étaient idolâtres -, Anthoussa, donc, entendit vanter les vertus d'Athanase, et ressentit le besoin d'écouter ses saintes paroles. Elle désira, lors, faire la connaissance de cet homme, quel qu'il fût. C'est pourquoi elle songea à se rendre chez sa nourrice, laquelle habitait en cette ville. De ce pas, approchant sa mère, elle lui demande de la laisser partir. Mais celle-ci refusa, au motif qu'elle redoutait Paulin, qui était l'époux de son deuxième mariage. Anthoussa en conçut un vif chagrin. Alors, se présente à elle dans son sommeil, le Christ-Evêque, Lui même, sous les traits de l'Evêque Athanase. Et cette visitation emplit son âme d'une joie inexprimable, et affermit sa foi. Aussitôt alors, de grand matin, elle dépêcha chez le Saint quelques-uns de ses serviteurs, qui, ayant vu Mgr Athanase, lui rapportèrent la description de ses traits. 2. Lorsque cette description lui fut parvenue, Anthoussa comprit que la vision qu'elle avait eue était divine, et, à compter de cet instant, elle fut ineffablement joyeuse, et devint optimiste, ayant bon espoir de pouvoir le voir enfin quelque jour. Elle s'en retourne donc chez sa mère, et lui renouvelle sa précedente demande, suppliante. Celle-ci, ne voulant pas affliger sa fille qu'elle aimait beaucoup, accomplit son désir, et l'envoie, accompagnée d'une importante escorte, chez sa nourrice. Lors donc qu'elle se trouvait en route, elle aperçoit de loin Athanase, qui, par hasard, passait par là. Et, comparant son aspect avec celui qu'elle avait vu en songe, elle lui envoie un serviteur l'interroger, pour s'enquérir s'il s'agissait bien de lui. Lorsqu'elle est avertie que c'est bien lui, elle descend de son char, s'approche, seule, de lui, le vénère comme il convient à un tel personnage, lui expose son rêve, demande à lui exposer le contenu de sa foi, et elle le prie de le baptiser au nom du Christ, et de la compter au nombre des fidèles Chrétiens Orthodoxes. 3. Ce grand Saint ne surseoit pas à sa requête, et sans plus attendre, il l'emmène, avec quelques serviteurs de sa suite, dans le lieu éloigné où il se rend. Parce que cet endroit était dépourvu d'eau, il se met en prières. Et lorsque surgit là tout-à-coup une fontaine, en présence des anges surgis dans une apparition, dont tous deux, Anthoussa et lui, furent témoins, il la baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, c'est-à-dire de la Sainte Trinité. Et, après qu'il lui a enseigné bien des articles de foi, il la laisse à la garde de Dieu et aux soins de la Providence. Anthoussa, cette belle fleur de la virginité, s'en va donc chez sa nourrice, et celle-ci la reçoit avec joie, tout en constatant que sa mise est humble et que ses vêtements ne sont aucunement habillés. Elle voit aussi en la jeune fille une figure nouvelle au visage resplendissant, une conduite différente de celle qui était la sienne; Et l'apercevant ainsi, elle est en butte à ses pensées, contre lesquelles elle lutte. Elle apprend des serviteurs de l'escorte qu'elle est devenue chrétienne; et elle s'en inquiète, étant elle-même idolâtre. Elle lui dit alors qu'il n'est pas convenable qu'elle reste, fût-ce peu d etemps, auprès d'elle. 4.La jeune fille quitte donc la maison de sa nourrice et s'en retourne chez elle. Mais sa mère, voyant son nouvel aspect, et sa nouvelle mise, beaucoup plus simple et modeste, s'en étonne et s'en courrouce, tout en cherchant à savoir ce qui s'était produit qui pût justifier ces changements. Les serviteurs, lors, lui relatent ce qui est arrivé, en sorte que cette mère s'en va découvrir les faits à son mari. Cependant, dans l'intervalle, Anthoussa trouve l'occasion propice de s'enfuir, et gagne quelque retraite cachée. Comme elle s'était enfuie, et que nul n'avait pu la découvrir, aussitôt elle s'en va à la rencontre d'Athanase. Il la juge digne de devenir moniale. Après quoi, elle se tourne vers le désert, et demeure dans une grotte. Là elle se livre à de grandes luttes ascétiques, cependant que d'en-haut la sauvegarde et la secourt une main divine. 5. Pendant, donc, que sévissait la persécution de Valréien, et qu'elle était à son point le plus extrême, Athanase est capturé par ses persécuteurs, et emmené devant le roi, qui avait son siège à Tarse. Là, pour ce qu'il ne se laissait pas persuader de sacrifier aux idoles, on l'étend à terre, on lui attache les membres à des pieux épais, puis on lui déchire sauvagement les chairs, et on le met en pièces. La terre se gorge de son sang, et les spectateurs demeurent sans voix. Après quoi, d'un coup d'épée, on tranche la tête de ce glorieux vainqueur de la mort par son martyre, et l'on l'ensevelit dans une vénérable tombe. Des impies viennent alors encore auprès du tyran condamner Charissime et Néophyte, serviteurs d'Anthoussa, qui avaient avec elle reçu le saint baptême, et l'on veut les contraindre à renier le Christ. Comme ils ne veulent rien entendre, on les jette dans une prison obscure, où ils subissent des maux sans nombre. Quelques jours plus tard, ils sont de nouveau traînés en jugement, et l'on veut les forcer à sacrifier aux idoles. Mais eux ne cèdent pas. C'est pourquoi on les pend à des pieux. Avec des ongle de fer on leur déchire la poitrine. Puis, on les passe au fil de l'épée et on leur tranche la tête. C'est ainsi qu'ils finissent leur vie droitement dans le Seigneur, après avoir parcouru la voie du martyre. 6. Cependant que se déroulaient ces évènements tragiques, Anthoussa, dont la renommée était déjà grande, menait une vie heureuse dans les montagnes. Vingt trois ans durant, à ce que l'on rapporte, elle mena ses travaux et ses peines ascétiques, se nourrissant d'herbes et de ce que lui apportait son ange gardien. Ce fut en ces lieux éloignés que par le secours de la divine Grâce elle apprit la fin glorieuse d'Athanase, de Charissime, et de Néophyte. Et elle glorifia Dieu pour tout ce que dans son économie divine il permet dans notre intérêt. Après que le Malin Démon eut disposé contre elle nombre de pièges, il fut, pour finir, vaincu et foulé aux pieds par la Sainte. C'est ainsi, par exemple, qu'il se présenta un jour à elle, ayant revêtu la forme d'un moine, et qu'il lui dit : " Debout, femme, tenons-nous en prières." Mais elle, cependant, comprit la ruse du démon, et par ses prières le fit se dissiper comme une fumée. Ce fut comme s'il tombait en poussière. Mais en voici assez sur ce sujet. 7. Tandis qu'elle priait une nuit dans sa grotte, il y eut un violent séisme, et tandis qu'elle tombait, tremblante, à terre, un ange divin se présenta à elle et lui dit : " Ne crains rien, Anthoussa, tu as bien parcouru la voie ascétique; viens donc; reçois la récompense de tes peines et la couronne de l'incorruptibilité qui t'a été préparée". Lorsque la jeune fille eut entendu ces paroles, elle se leva pour prier, se dressant de la pierre sur laquelle elle avait coutume de s'appuyer lorsqu'elle dormait, chaque fois que l'humaine nécessité la contraignait de céder au sommeil. Et c'est ainsi qu'elle rendit son esprit au Seigneur. 8. Après que, durant quelques années, son saint corps très pur, par un effet de la Divine Providence fut demeuré caché, voici que la célèbre Polychronia, qui menait l'ascèse dans les mêmes montagnes, fut avertie de sa dormition. Aussitôt donc elle se met en route, se rend à la grotte. En sort un léopard, qui tire par les dents son rasso usé, la mène à l'intérieur de la grotte, et s'arrête devant le corps. Polychronia trouve le corps encore chaud, comme s'il venait de mourir, et après l'avoir embrassé à plusieurs reprises, elle le lave de ses larmes, et s'en va, courant, à la rencontre d'Abraham, célèbre parmi les moines, et lui raconte l'évènement dont elle vient d'être témoin. 9. Celui-ci, après avoir pris trois frères avec lui, s'en vient avec Polychronia à la grotte, et après avoir rendu à la Sainte les devoirs qui conviennent, il rend à la terre le corps fleuri d'Anthoussa - dont le nom a signifiance de fleur - , puis il s'en retourne à sa cellule. Il ne se passa guère de temps qu'un ange du Ciel ne vienne lui annoncer qu'il convenait de bâtir près de la grotte d'Anthoussa une église, et d'y fonder par après un monastère. Et après que l'Ancien eut rapidement souscrit à ce que lui disait l'ange, et les eut érigés, une foule de miracles s'accomplit pour le bien commun des fidèles des environs, et ce lieu fut une fontaine de guérisons pour tous ceux qui y recouraient, pressés par le besoin de recouvrer la santé. 10. Tels sont les éléments biographiques de la vie d'Anthoussa, belle jeune fille s'il en fût, et telle fut sa conduite inspirée par Dieu. Toi qui reçois maintenant les rétributions de tes peines et qui possèdes une grande assurance devant Dieu, ô toi Anthoussa, demande au Seigneur que règne, de façon stable et pérenne, notre pieux roi, lui qui est juste, qu'il se réjouisse d'entendre les saints hymnes angéliques, et le concert des choeurs brillants et resplendissants des Saints, qu'il jouisse de tous les biens et qu'il habite le Royaume des Cieux. Au Christ, notre Dieu, appartient la puissance et la gloire, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen. SAINTE ANNE LA MERE DE LA MERE DE DIEU. 1. Neuf septembre. Nous fêtons la synaxe des Justes Joachim et Anne, comme il a été établi de le faire, le lendemain de la fête de la naissance de la Mère de Dieu, non qu'ils auraient ce jour quitté cette vie - leur Dormition est en effet fêtée le 25 juillet -, mais pour ce que les parents de la Sainte vierge sont devenus les auteurs du Salut du monde entier, et qu'ils ont reçu à sa naissance la promesse de la réconciliation du genre humain avec Dieu. La mémoire de ces deux Saints est fêtée dans la toute vénérable église de la Mère de Dieu, près de la grande Basilique de Constantinople, à Chalkopratia. 2. Neuf décembre. La conception de Sainte Anne, la mère de la Mère de Dieu. Notre Seigneur Dieu voulant s'apprêter pour lui-même un saint réceptacle, et l'église d'une âme, pour habiter en elle, il envoya son ange aux Justes Joachim et Anne, dont il voulut que provienne sa mère selon la chair. Et il annonça à l'avance la conception d'Anne, qui était stérile et sans enfant, en sorte d'assurer la naissance de la Vierge. Ainsi eut lieu la conception de la Vierge; et elle ne naquit point, comme certains le disent, au bout de sept mois, et sans un mari, mais au bout de neuf mois accomplis, selon la promesse de Dieu, et d'une union avec un homme. Car seul notre Seigneur Dieu Jésus-Christ naquit de la Sainte et toujours Vierge Marie, sans avoir été le fruit d'une union de l'homme et de la femme. Et ce, d'une manière inexprimable, ineffable, et incompréhensible, comme seul Lui le sait. Et par ce qu'il est Dieu parfait, il prit toutes les caractéristiques de la nature humaine, à la perfection, comme, du reste, il créa la nature humaine et la façonna au commencement. Sa synaxe est fêtée dans sa vénérable église, qui se trouve à Chalkopratia, près de la grande et sainte basilique de Constantinople. 3. Vingt-cinq juillet. Dormition de Sainte Anne, la mère de notre toute sainte Souveraine le Mère de Dieu et toujours vierge Marie. Anne, l'ancêtre, bisaïeule et arrière-grand-mère, selon la chair de notre Seigneur Jésus Christ, était de la tribu de Lévi, fille du prêtre Mathan, et de Marie sa femme. Elle était originaire de Béthléem de Judée. Mathan était prêtre, cependant que régnaient sur les Perses Sapor et Cléopâtre, avant le roi Hérode, fils d'Antiparos. Ce Mathan donc avait trois filles, Marie, Sovie et Anne. La première se maria et enfanta Salomé Maïa. La seconde se maria aussi à Béthléem et enfanta Elisabeth. La troisième sa maria également, en terre de Galilée, et elle enfanta Marie la Mère de Dieu. En conséquence de quoi, Salomé, Elisabeth et Sainte Marie, Mère de Dieu, sont cousines, étant filles de trois soeurs. ANNE DE CONSTANTINOPLE QUI S'APPELA ENSUITE EUPHIMIANOS. 1. Notre sainte mère Anne naquit à Constantinople d'un pieux diacre de l'église des Blachernes, qui était consacrée à notre toute sainte Souveraine la Mère de Dieu. Lorsqu'elle perdit ses parents, sa grand-mère s'empressa de la marier avec un homme fort pieux. Un jour, son oncle, le frère de son père, vint d'Olympe de Bithynie. C'était un homme très ascétique, qui avait le don de discernement. Bien que l'empereur iconomaque Léon lui eût coupé la langue, il parlait cependant sans peine. Et lorsqu'il la vit mariée, il dit : " Pourquoi avez-vous marié celle qui est destinée à des luttes et à des peines divines?" Il la bénit et il s'en fut. Après que se furent écoulées quelques années et que le roi impie fut descendu dans les chambres de l'Enfer, les très croyants empereurs orthodoxes Irène et Constantin firent venir ce saint homme pour lui demander sa bénédiction et ses prières, parce qu'ils avaient appris ce qu'il avait souffert de la part du tyran qui avait régné avant eux. Celui-ci, après qu'il leur eut rappelé ce qui est utile au salut de l'âme, en sorte que nous soyons agréables à Dieu, s'en retourna à sa cellule. Auparavant, il revit la bienheureuse Anne et lui dit : " Prends force et courage, mon enfant, car nombreuses sont les afflictions des justes. Sache qu'avant que ne naisse l'enfant que tu portes dans tes entrailles, tu enseveliras ton mari". Chose qui, de fait, advint. Car cependant qu'elle était enceinte de six mois, son mari mourut. Elle en mena grand deuil et dépérit de chagrin. Puis, à peine son enfant eut-il un peu grandi qu'elle le confia à un autre de ses oncles, et quant à elle, se prépara à mener des luttes spirituelles, dont savent la grandeur et la raison les initiés qui ont beaucoup progressé dans la vie ascétique. 2. Tandis qu'elle se trouvait dans cette disposition, arrive d'Olympe son oncle doué du don de clairvoyance, et elle, tombant à ses pieds pour lui demander sa bénédiction, s'entend dire : " Avec l'aide du Seigneur, prends de la force, mon enfant." Cet homme admirable ajouta : " Où se trouve ton enfant?" Elle répondit : " J'ai mis l'un chez ton frère, qui, après Dieu, est mon bienfaiteur, et je le lui ai confié. Le second, je l'ai avec moi." Après qu'elle eut tenu d'autres propos encore, qui montraient son émotion et le grand chagrin de son coeur, et après qu'elle eut présenté ses deux enfants à ce vénérable Ancien, elle le supplia avec larmes : " Prie, vénérable Père, pour mes enfants." Celui-ci lui répondit : " Ces enfants n'ont pas besoin de bénédiction". Ces paromes qui résonnèrent à ses oreilles lui parurent de très mauvais augure, et elle gémit du fond de son coeur, disant : "Malheur à moi, pécheresse! Que signifie encore cela pour nous?" Le Géronda lui dit : " Ne t'ai-je pas dit, mon enfant, que nombreuses sont les afflictions des justes? Si nous, nous n'avons pas la patience, nous ne serons pas justifiés, parce que c'est cela qui est considéré juste par Dieu et que c'est cela qui lui plaît." Et elle répartit : " Peut-être, ô mon maître, a-t-il paru bon à Dieu que mes enfants en bas âge s'en aillent vers les demeures d'en haut?" Et cet homme admirable répondit : " Tu as dit juste, mon enfant, parce que bientôt le Seigneur te les prendra." Celle-ci, comme il était naturel, remercia alors Dieu, et après qu'elle eut demandé la bénédiction du vénérable Ancien en tombant à ses pieds, elle commença à partager ses biens. Peu de temps après, lorsque ses enfants moururent, elle les pleura. Puis elle partagea tout le reste de ses biens et les abandonna aux pauvres. Après quoi, elle parcourait les églises, y priait, y allumait des cierges, et s'en allait. 3. Enfin, elle rencontra un moine d'Olympe, et, par son entremise, devint moniale. Elle se revêtit secrètement de l'habit masculin des moines, et par-dessus celui-ci, revêtit la robe des moniales. Et sans que nul ne s'en fût rendu compte, elle se retrouva dans les parages de l'Olympe. Alors elle arracha de dessus elle sa robe de moniale, et garda l'habit masculin des moines. Elle s'approcha de l'un des monastères, et après qu'elle y fut entrée, elle s'entretint avec le portier et lui dit que ce qu'elle désirait par-dessus tout, était de rencontrer le supérieur. Le portier informa le supérieur que quelqu'un le demandait, comme cela advenait parfois. Il présenta le nouveau venu et sortit. Cette vénérable femme, tombant aux pieds du supérieur, demanda la bénédiction coutumière, que ce divin homme lui donna, et après qu'il l'eut relevée : " Pour quelle raison", lui dit-il, "es-tu venue à nous, et comment t'appelles-tu?" Celle -ci répondit : " La cause de ma venue dans ce saint monastère, saint père, est que j'ai de nombreux péchés. Je suis venue pour mener l'hésychia jusqu'au restant de mes jours, bien que je sois indigne d'obtenir la divine miséricorde de Dieu au jour du Jugement. Je m'appelle Euphimianos". L'Ancien lui dit alors : " Si tu as une telle pensée dans ton coeur, mon enfant, et que tu désires le salut, fuis la liberté de parole, parce qu'il est dans la nature des eunuques de se laisser aisément prendre par les pensées passionnées". Ayant tenu ces propos, il fit la prière accoutumée et la reçut dans la communauté. Elle progressa et s' avança tant dans chacune des vertus et dans l'humilité, qu'elle devint un modèle et un exemple pour tous les moines qui menaient l'ascèse dans le monastère. Le gérant de sa maison, qui avait été choisi par la sainte, parce qu'il prenait bien soin de tout comme elle le lui avait montré, commença à chercher sa maîtresse; et lorsqu'il rencontra le moine qui l'avait faite moniale, il l'interrogea pour tâcher d'apprendre s'il savait où se trouvait celle qui avait laissé les choses terrestres et ne recherchait plus que les choses célestes. Celui-ci lui dit : " Ce que je sais d'elle, mon enfant, je ne refuserai pas de te le dire. Quant au fait de savoir où elle se trouve en cet instant, je l'ignore. Mais rendons-nous maintenant à ce monastère". Lorsqu'ils arrivèrent, ils apprirent du portier qu'elle était là, et ils cherchèrent à la faire appeler. Lorsqu'elle sortit du monastère, le moine désigna le serviteur et dit à la sainte : " Voici ton très fidèle économe, qui est passé par beaucoup d'épreuves cependant qu'il te cherchait partout, et qui maintenant est ici. Si tu veux, allons à notre monastère". La sainte, entendant ces mots, s'en fut prendre la bénédiction du supérieur et des autres moines, puis quitta le monastère et s'en fut avec son serviteur, accompagnée par le moine du monastère. 4. Dans le monastère où elle arriva, elle demeura quelque temps, et fit d'innombrables miracles. Et parce que la réputation de ses miracles s'était répandue, une grande foule de candisats au monachisme accourut au monastère. Mais l'étroitesse et l'incommodité des lieux empêchait que la communauté ne s'augmente en accueillant ceux qui affluaient. C'est pourquoi le supérieur du monastère, sous l'effet d'une divine inspiration, s'ouvrit à celui qui était alors patriarche de Constantinople, Saint Taraise, lui expliqua quels étaient les admirables exploits du moine Euphimianos, lui révéla ses miracles, lui raconta qu'une grande foule d'hommes candidats au monachisme affluait au monastère, et que les nouveaux venus ne trouvaient pas place au monastère, parce que le lieu était fort petit et étroit, et il pressa le très saint patriarche de donner son avis sur ce sujet. Le patriarche lui fit alors don d'une ruine, sur laquelle s'élève aujourd'hui le monastère des Abramites. Car en peu de temps il fonda sur ces ruines un monastère pour le salut de nombre d'âmes. Et il y établit la sainte pour qu'elle y achève la voie ascétique qui lui restait à parcourir. Lorsque cela fut advenu et que le récit de cette conduite angélique se fut répandu partout, peu à peu le secret de cette vie sainte fut révélé, et je ne puis décrire combien d'âmes affluaient là chaque jour pour la voir. 5. Après quoi la sainte fut tourmentée par un homme, qui pour la forme était moine, mais qui en réalité était un serviteur dévoué du malin démon. Celui-ci avait comme unique occupation d'adresser sauvagement de honteuses injures à la sainte, en tant qu'elle paraissait être eunuque. Mais celle-ci n'y accordait pas d'importance et affirmait même qu'elle considérait cela comme un bienfait les condamnations qui lui étaient adressées. Une femme aimée de Dieu qui entendit les paroles honteuses et répugnantes de l'impie criminel, comme cela apparut par la suite, lui dit : " Fais attention, frère, qu'un jour il pourrait apparaître que cet être n'est pas un eunuque, comme tu le soutiens, ni une personne sujette aux passions, comme tu le sous-entends, mais une femme ayant vaincu les passions. Toi, cependant, c'est l'enfer que tu auras pour rétribution, parce que par tes médisances tu souilles ceux qui t'entendent. Il y a quelques années, une femme distribua toute sa fortune, après quoi elle disparut. Peut-être donc que celui que tu prends pour un eunuque est cette femme même, et que, ce faisant, tu mènes ton âme à la ruine." Mais ce moine malfaisant, fourbe et puant, ajouta encore à sa malignité. Il augmenta ses attaques, répandant ses dires de sycophante auprès de nombre de gens. Il se hâta de renverser la sainte sur un terrain en pente, tâchant de lui enlever les vêtements qu'elle portait, afin de la voir nue et de découvrir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Mais alors qu'il essayait d'avoir le coeur net à ce sujet, il n'eut le temps de rien voir. Car sous le coup de la puissance divine il se trouva soudain à moitié paralysé, et tenta vainement de s'en retourner d'où il venait. Il fut alors pris sur le fait et condamné pour tentative de meurtre. On lui passa la tête à la corde d'un gibet, que les autochtones nomment potence, et c'est ainsi qu'il rendit son âme souillée et funeste. La renommée de la sainte se répandit par la suite encore davantage à cause de cette histoire. Voulant échapper au scandale, elle prit deux moines avec elle et se dirigea vers les régions du Bosphore. Là, ayant trouvé une église avec un jardin et de l'eau, elle s'y installa avec les deux moines, Eustathe et Néophyte. Quelques années plus tard, elle s'en fut de là, car elle avait été appelée par quelques moines à Constantinople, dans la région de Sigma. Ce fut là qu'elle vécut saintement et d'une façon agréable à Dieu durant le restant de sa vie, et, avec la bénédiction de Dieu, elle octroya la grâce de nombre de guérisons et fit bien des miracles pour ceux qui venaient la visiter. Après quoi elle s'en fut vers les demeures du Seigneur. ANNE DE LEUCATE. Cette Sainte vécut à l'époque de l'empereur impie Théophile, à Leucate, promontoire du rivage de Bithynie dans la Propontide, au sud de la Calcédoine. Elle était originaire d'une glorieuse et brillante famille et possédait beaucoup de richesses. Sa mère, de par son éducation, mit tous ses soins à lui insuffler la piété et les vertus. Après qu'elle eut vécu des années avec elle - son père, lui, était déjà mort - et comme la jeune fille avait rassemblé en elle-même tout ce qu'il y avait de meilleur dans son environnement familial, et, particulièrement, qu'elle avait recueilli les qualités spirituelles de sa mère, sa mère quitta cette vie. De même que la bienheureuse jeune fille avait acquis les vertus, elle avait aussi acquis les richesses familiales. Mais elle les distribua aux pauvres et aux indigents pour subvenir aux nécessités de leur vie. A ce moment-là de sa vie, il se trouva qu'un homme mauvais, du nom d'Agarénos, fit connaissance de cette Anne déjà célèbre. Il faisait partie de la cour impériale sous le règne de Basile de Macédoine. Il demanda au roi son assentiment pour épouser Anne, et celui-ci le lui donna. Mais parce que la sainte demeurait inflexible dans son refus, cet homme pitoyable se mit à la tourmenter de manière terrible, cependant qu'il insistait pour qu'elle se pliât à son désir. Celle-ci priait avec ferveur, en versant bien des larmes, que Dieu la délivrât promptement de cette épreuve. Dieu entendit sa servante, et il ôta la vie à ce prétendant violent. Car Dieu "exauce les désirs de ceux qui l'honorent". 2. Qu'advint-il ensuite? Cette bienheureuse femme renonce à tous les plaisirs de cette vie et se réfugie dans une église de la Mère de Dieu. Là, elle s'adonne de toute son âme au jeûne, à la tempérance et aux veilles. Elle jeûnait deux ou trois jours de suite, puis prenait un peu de nourriture. Parfois même elle jeûnait la semaine entière. De la sorte, elle déssécha tant son corps que tous ses os apparaissaient clairement sous sa peau. Elle se menait la vie si excessivement dure que ses chairs avaient fondu et s'étaient presque nécrosées, et que seule la peau lui recouvrait les os. En sorte qu'elle paraissait une icône, semblable à l'image d'elle qu'avait façonnée le Démiurge et divin Plasmateur. 3. Elle vécut cinquante ans de la sorte. Puis, après une brève maladie, elle remit sa sainte âme entre les mains de Dieu. Ses proches ensevelirent son corps qui avait beaucoup enduré et beaucoup souffert dans la tombe familiale où se trouvaient nombre de ses illustres ancêtres. Quelques années passèrent, jusqu'à ce que des possédés malades se missent à creuser la tombe et en sortissent la sainte et vénérable relique de la bienheureuse Anne, laquelle était intègre et incorrompue, et qui exhalait une divine odeur de sainteté. Ce fait faisait bien voir à tous les hommes de bonne volonté qu'il s'agissait là, dans le cas de la sainte, d'un évènement divin. Car, tandis que tous les autres corps, qui étaient enterrés avec le sien, avaient subi la décomposition et la putréfaction naturelles, le seul qui demeurait intact et incorrompu était celui de la sainte. En vérité " le Seigneur sauvegarde tous les os de ses Saints et il n'en est pas un seul d'entre un qui soit brisé." Par cette sainte relique furent guéris des possédés, des aveugles recouvrèrent la vue, des boiteux se mirent à marcher, et, par manière générale, toute maladie se trouvait guérie, d'entre celles qui tourmentent les hommes. Et, tant à cette époque qu'aujourd'hui, les maux s'éloignent, de par l'intervention divine. C'est ainsi que Dieu sait rendre gloire à ceux qui lui rendent gloire. APOLLINARIA. 1. Sainte Apollinaria était fille d'Anthème, qui avait été fait roi par l'empereur Léon pour gouverner Rome. Anthème avait deux filles. L'une de ses filles était possédée du démon, cependant que l'autre se distinguait entre beaucoup de par sa beauté et par son intelligence, et qu'elle était devenue la consolation de ses parents, lesquels avaient placé tous ses espoirs en elle. Dès sa tendre enfance, elle désira vivre dans la virginité, et elle faisait ses délices, jour et nuit, de la lecture des divines Ecritures, et elle suppliait Dieu avec ferveur de répondre au désir qu'elle avait de Lui. Cultivée de par l'étude de la sainte Ecriture, elle considérait que tous les biens de ce monde n'avaient aucune valeur. C'est pourquoi elle supplia ses parents de lui permettre d'aller en pélerinage à Jérusalem, ce que ceux-ci ne lui refusèrent pas. 2. La Sainte prit avec elle des serviteurs, des servantes, de l'or, de l'argent, une garde-robe somptueuse, et tous parvinrent aux saints Lieux. Là ils partagèrent tous ces biens entre les églises, les monastères et tous les nécessiteux qui en avaient besoin. Ensuite de quoi elle visita et vénéra tous les saints lieux. Après quoi elle affranchit ses esclaves, tout en leur fournissant une aide financière pour subvenir à leurs nécessités, et elle leur permit de s'en aller libres. Ayant pris avec elle un Ancien et un eunuque, elle s'en alla à Alexandrie. Parvenant à une plaine, qui fut plus tard dénommée Plaine d'Apollinaria, elle décida de s'y reposer des fatigues du voyage. A peine ses accompagnateurs se furent-ils endormis que, mettant à profit l'occasion, elle ôta ses vêtements de laïque pour revêtir l'habit des moniales. Alors, s'avançant vers le bois adjacent, elle devint invisible. Elle passa là une partie de son existence, se menant la vie si dure à lutter dans de tels combats pour la tempérance que son corps devint pareil à une toile d'araignée, et que sa peau, sous le coup des piqûres de moustiques, devint semblable à la carapace d'une tortue. 3. De longues années elle vécut ainsi au bord de ce redoutable marécage. Après quoi elle s'en fut auprès des Pères de la Skyte, et s'y présenta sous l'apparence d'un eunuque nommé Dorothée. L'admirable père Macaire la reçut et lui octroya une cellule, où, demeurant enfermée et recluse, elle priait jour et nuit. Le père d'Apollinaria, Anthème, lorsqu'iil se fut lassé de la chercher partout, se tourna vers sa fille possédée,et la voyant souffrir terriblement sous l'emprise du démon, s'affligea grandement et l'envoya aux moines de la Skyte pour qu'ils la guérissent. Ceux-ci, lorsqu'ils eurent été avisés de ce qui concernait la jeune fille, se consultèrent et résolurent de la mener à l'abba Dorothée. Lors, en l'espace de quelques jours, par les prières du Saint, l'esprit malin quitta la possédée, et les Pères l'envoyèrent aussitôt au roi, pour qu'il voit le miracle. Celui-ci, lorsqu'il vit sa fille guérie, glorifia Dieu. 4. Avant qu'il se fut passé longtemps, sa fille donna l'impression d'une femme enceinte. Le roi en fut fou furieux, et s'imaginant que ce fait était dû à l'abba Dorothée, il envoya aussitôt des courriers, où, fou de rage et d'indignation, il ordonnait que Dorothée se présentât devant lui. Celle-ci demanda une grâce au roi et réussit à ménager une rencontre avec la reine. Lors, devant elle, dénudant sa poitrine et d'autres parties de son corps, lui dit : " Ma reine, ne vois-tu pas que je suis ta fille Apollinaria?" Lorsque cet évènement eut été divulgué, tous furent saisis de crainte en voyant que celle qu'ils croyaient perdue était vivante, et plus encore qu'elle avait opéré la guérison de sa soeur malade. Apollinaria demeura quelques jours à Rome, puis, par après, s'en retourna à sa cellule, sans rien découvrir aux Pères de tout ce qui était arrivé. Plus tard, lors du départ de cette vie de la sainte, sa nature de femme fut découverte, et tous, frappés de stupeur, glorifiaient Dieu et lui chantaient des louanges. DOMINIKA. La vie et les miracles de notre Sainte mère Dominika. 1. S'agissant de Dominika, qui porte véritablement le nom du Seigneur, ou qui plutôt porte le nom de l'épouse du Christ, et qui rendit virile sa nature féminine, de par son courage viril, elle qui acquit une grande puissance de par son zèle divin, et qui avec intelligence affronta ses passions et les démons et qui les vainquit pa, nrfaitement, comment pourrions-nous ne pas faire mention d'elle? Ou comment réussirions-nous à faire le récit approprié de tous ses grands mérites et de ses miracles, si la Grâce de l'Esprit, qui la fortifiait et l'affermissait en chacune de ses actions divines, de ses études spirituelles, et de ses prières, ne descendait pas en notre esprit trop lent et si ce même Esprit ne donnait de la force à notre discours malhabile du fait de notre manque de formation culturelle et spirituelle? C'est donc elle, la Sainte, qu'à présent nous invoquerons, en la suppliant de nous secourir, en sorte qu'elle nous aide à rendre notre récit agréable, et que nous puissions diriger comme il sied le gouvernail de notre discours sur un océan de paroles paisibles. 2. Ainsi donc, cette pieuse servante de Dieu Dominika brilla très manifestement comme l'astre du jour de par le brillant de sa foi et l'éclat de ses actes, par sa virginité, et par son ascension sur les ailes de la contemplation, au temps du Grand Théodose, qui régna avec piété, lui qui était originaire d'Espagne. Elle était, quant à elle, originaire d'une ville royale - je veux parler de l'ancienne Rome -, et née de parents pieux, qui possédaient la crainte de Dieu. Elle fut par eux, depuis sa tendre enfance, élevée dans les saintes lettres, et instruite selon l'éducation spirituelle qui inculque l'amour du Seigneur. Après qu'elle eut grandi en âge et progressé encore davantage en cette science spirituelle qu'en la profane, lorsqu'elle eut compris combien incertaine et pleine de nuisances est notre vie, et combien est éternelle et pure la vie du siècle à venir, et du fait aussi qu'elle avait choisi d'accomplir plus parfaitement le commandement du Maître, elle résolut de renoncer au monde et à tout ce qui est du monde. 3. Après donc qu'elle eut songé à tout ce qui pouvait être très utile pour son salut, qu'elle eut rejeté sa faiblesse de femme pour acquérir un esprit viril, et qu'elle eut avisé de sa disposition d'âme et de son but ultime ses parents, ses proches, tous les serviteurs et le personnel de sa maison, elle pria du fond du coeur avec gémissements et larmes, suppliant le Seigneur de diriger ses pas sur la voie du salut, et de l'aider à mener à bien son dessein et d'accompli sa vocation pour répondre à l'appel de Dieu. Lors, elle quitte secrètement la maison paternelle et elle atteint le port de la mégalopole de Rome. Là, de par un hasard providentiel ayant trouvé un navire, lequel devait sur-le-champ appareiller pour la célèbre Alexandrie, elle y monta, mue par le plus grand zèle qui fût. Après avoir accompli un voyage qui, de par l'aide et l'assistance divine, s'était révélé paisible, elle arriva devant la ville d'Alexandrie. A la descente du bateau, de nouveau elle supplia le Seigneur, pour qu'il la fît parvenir sans crainte en un lieu propice, qui fût pour elle un refude de salut où elle pût mener l'hésychia. 4. Tandis que la Sainte priait, et demandait à Dieu dans sa prière de lui faire connaître s'il y aurait pour elle un abri salutaire, la divine Providence lui révèle une demeure, qui avait une allure de forteresse, fermée par de solides serrures, et dans laquelle habitaient quatre jeunes filles idolâtres - la religion idolâtre prédominait alors. Celles-ci avaient cependant une conduite exemplaire, et étaient véritablement dignes des noces célestes et de la vie d'en haut. Eclairée par le Saint Esprit, la Sainte comprit qu'elle serait cause que ces vierges pussent faire leur salut. Paraissant donc avoir les mêmes préoccupations que ces jeunes filles, elle demanda aux archontes du lieu de lui permettre d'habiter avec elles. Ils le lui permirent. Elle, ayant reçu leur permission, demeura avec ces vierges un certain temps, durant lequel, jour et nuit, de manière incessante, elle priait et suppliait Dieu dans les larmes que ces vierges se convertissent et fissent leur salut. En même temps, bien souvent elle exhortait ces jeunes filles, leur donnant des conseils spirituels et leur enseignant à garder en toute exactitude les préceptes du Christ, et leur montrant à tâcher d'acquérir toutes les vertus. Elle tenait tous ces propos avec beaucoup d'intelligence, et elle rendait ces dires et son enseignement vivants de par l'exemple pratique parfait que proposait toute sa personne, tant lorsqu'elle parlait que lorsqu'elle gardait le silence. Par sa tempérance elle imitait les anges immatériels et célestes, par ses veilles elle paraissait presque semblable à ces astres qui ne dorment pas, par ses stations debout la nuit entière elle rivalisait avec la nature infatigable des incorporels, par sa doxologie et sa psalmodie qui duraient aussi toute la nuit elle paraissait en quelque sorte chanter l'incessante mélodie chérubique. Si bien qu'à force de leur proposer, avec une foi et un amour sincère, le vivant exemple de toutes les vertus agréables à Dieu, elle parvint miraculeusement à changer leurs coeurs. 5. A entendre donc jour et nuit les douces paroles de la bienheureuse, ses judicieux conseils spirituels inspirés, ses hymnes doxologiques agréables à Dieu, ses prières et ses suppliques, les jeunes filles, avec l'aide et le secours de Dieu, virent s'illuminer leur âme intérieure. Elles furent capturées par le désir divin. Elles se mirent à éprouver la crainte de Dieu et à ressentir une profonde contrition. Leur coeur étant devenu bien intentionné, elles se montrèrent d'une obéissance soumise et docile. Elles prirent en aversion l'égarement idolâtre et furent emplies de foi en la religion christique immaculée. La Sainte, qui était pour eux comme une grande maîtresse et un guide incomparable, les voyant de jour en jour progresser dans le culte divin, monter les degrés de l'échelle des vertus, et s'élever de gloire en gloire et de "puissance en puissance", se réjouissait en son âme et son esprit tressaillait d'allégresse. Recourant donc encore à ses bons conseils spirituels et à ses exhortations, elle les persuada de renoncer complètement à leurs liens familiaux, à prendre sur leurs épaules la croix du Seigneur, et, conformément à l'injonction du maître, de suivre le Christ avec zèle. Elles qui, disciplinées, obéissaient en toute chose à la bienheureuse, la suivirent aussitôt de toute leur volonté avec le plus grand zèle, s'acquittant de ce qu'elle leur enjoignait de faire. Elles craignaient cependant de ne pouvoir s'enfuir de cette austère forteresse extrêmement bien gardée, et la chose même leur semblait impossible. Tandis qu'elles soutenaient cette affirmation et se trouvaient, de là, plongées dans une grande gêne et dans un grand embarras, l'admirable servante, sans hésitation aucune, écoutant l'inclination de son coeur, tourna aussitôt ses yeux vers Celui qui habite le Ciel, et se mit à prier avec gémissements et larmes, invoquant le Christ, qui brisa les barres de fer, les verrous, et les portes de bronze de l'Hadès, et qui en délivra avec courage pour les ressusciter tous ceux qui en étaient prisonniers depuis des siècles. Et de la sorte, elle obtint qu'auusitôt les cadenas des portes se brisassent et que celles-ci s'ouvrissent d'elles-mêmes. 6. C'est de cette manière miraculeuse qu'au beau milieu de la profonde nuit ces vierges purent sortir de la forteresse, joyeuses et glorifiant Dieu, qui accomplit de grands miracles. Elles allèrent au lieu nommé Pharos, et trouvèrent là un bateau prêt à appareiller pour la trois fois bienheureuse mégalopole impériale, je veux dire Constantinople, et elles y embarquèrent. Le navire prit le large. Tandis qu'elles se trouvaient au beau milieu des flots, il advint que se leva sur la mer une grande tempête, en sorte que le bateau était recouvert de hautes vagues et qu'il courait d'instant en instant le risque de s'enfoncer dans l'océan et de périr corps et biens. La Sainte, en mère qui aimait Dieu et chérissait ses enfants, - la préceptrice des âmes, Dominika - , qui se souciait grandement de ces mêmes enfants siens et se battait pour eux, craignant que, de par l'action du malin démon, ne se glissât dans leurs coeurs quelque hésitation et que la pensée du doute ne régnât sur eux, leur prodiguait des encouragements et leur insufflait du courage, les incitant à ne pas tomber dans la lâcheté et à ne pas avoir peur. Elle leur disait que cette effroyable tempête était arrivée pour que leurs âmes devinssent encore plus fortes et pour qu'elles rendissent gloire à Dieu pour ses miracles. Et, comme elle disait ces mots, elle prit de l'huile entre ses mains, en aspergea la mer en y formant sur les vagues déchaînés le signe de la croix, tout en invoquant le nom redoutable du Christ, qui marcha sur la surface des eaux, comme si c'était la terre ferme. Lors, aussitôt, et pour emprunter la langue des psaumes, la mer se calma et les vagues s'apaisèrent, l'ouragan cessa et la redoutable tempête se changea en une bonace paisible. Dès lors, après un voyage serein, le navire, poussé par des vents favorables, parvint en quelques jours devant la capitale impériale. 7. Le navire n'était pas encore entré dans le port et n'avait pas encore jeté l'ancre que Nectaire, le patriarche de Constantinople, qui occupa le trône patriarcal de l'an 381 à l'an 397, au quatrième siècle, vit en rêve, descendu du Ciel, un saint ange, sous la figure d'un jeune homme vêtu de blanc, qui l'incitait à descendre sur-le-champ au port nommé Julianos, pour s'y hâter à la rencontre de la jeune brebis immaculée du Christ, Dominika, qui arrivait en bateau avec ses ouailles irréprochables, afin de les agréger à son troupeau choisi et de nourrir leurs âmes du pain de ses paroles spirituelles de patriarche. Aussitôt donc, il se lève, rassemble autour de lui son saint clergé, conte à ses clercs son étrange vision, et avec eux, en grande pompe, descend au port susdit, où il rencontre la bienheureuse, qui venait à peine de débarquer, et il vient à elle avec vénération et honneur, lui donne le baiser de paix et la mène à la sainte église, où il l'interroge sur la cause de sa venue et sur le lieu dont elle vient, ajoutant encore à ses dires le récit de l'étrange vision angélique qu'il avait vue à son propos. La bienheureuse Dominika raconta brièvement au patriarche tout ce qui la touchait et toutes les étranges oeuvres de la Providence de Dieu relativement aux jeunes vierges, ce qui est dire comment, tandis qu'elles étaient idolâtres, elles avaient renié leur égarement et suivi la voie de la foi et de la vérité. Celles-ci donc, après que le patriarche les eut catéchisées conformément à la Tradition apostolique, et qu'il les eut jugées dignes du bain divin de la régénération et de l'adoption filiale, les baptisa en Christ. Il nomma la première d'entre elles Dorothée, la seconde Evanthia, la troisième Nonna et la quatrième Timothéa. Toute l'Eglise se réjouit grandement et fut inondée d'un grand bonheur à la vue de la régénération de ces bienheureuses vierges, laquelle était un don de Dieu. Mais celle qui se réjouissait plus que tous, comblée de satisfaction, heureuse et trois fois bienheureuse, c'était encore la Sainte, la mère spirituelle de ces vierges, leur guide et leur préceptrice. Car elle voyait s'accomplir son désir et que la graine du très sage enseignement qu'elle avait semée en elles croissait et produisait beaucoup de fruit. Le bruit de sa brillante activité spirituelle se répandit rapidement dans tout le royaume, ainsi que la puissance de ses miracles, et tous venaient à elle, lui amenant leurs malades que tourmentaient divers maux. Ils les déposaient aux pieds de la Sainte, et elle, aussitôt, adressant son ardente prière à Dieu, octroyait à chacun la guérison appropriée. 8. Le très grand éclat et la profusion des miracles de la Sainte parvint donc aux oreilles de l'empereur. C'est ainsi que cet empereur ami du Christ, Théodose, vint en personne, avec l'impératrice et tout le Sénat la visiter en compagnie de ses vierges. A tous elle donna sa bénédiction, exhalant le parfum des bienfaits spirituels qu'elle savait accomplir. Une grande foule de gens se pressait autour d'elle, dont les uns avaient besoin qu'elle les guérît, cependant que les autres voulaient voir ceux qui étaient dignes d'obtenir leur guérison, et que d'autres enfin venaient parce qu'ils voulaient que la Sainte les bénît. Il se fit alors une grosse bousculade dans la foule, au lieu même où la grande Dominika avait fondé son monastère. Ceux surtout que tourmentaient des esprits impurs occasionnaient un grand tumulte avec les cris qu'ils poussaient sauvagement. D'autres menaient le deuil avec une grande contrition. Tandis que la Sainte fouettait les misérables esprits impurs à l'aide du fouet invisible dont l'avait gratifiée la divine Grâce, les possédés, pour ce qu'ils n'en supportaient pas la violence, criaient à haute voix et pleuraient leur mal. Alors les esprits impurs les quittaient. 9. Mais la bienheureuse ne pouvant longtemps souffrir tout ce tumulte qui perturbait sa paix, et poursuivant le contentement que lui conférait l'hésychia, se mit en quête d'un lieu conforme à son désir, elle qui avait confié tous ses désirs au Seigneur. Dieu alors lui révéla un lieu excentré, désert et inhabité, que tous fuyaient à cause de la quantité de démons qu'il contenait. D'autre part, ce lieu était d'autant plus repoussant que l'on y exécutait les malfrats et les condamnés. Pourtant, ce fut là qu'elle pria le patriarche de lui fonder un monastère pour qu'elle y demeurât. Celui-ci commença par refuser quelque temps d'obtempérer à sa demande, avançant pour argument le caractère et l'aspect sauvage du lieu, ajoutant qu'il était impropre à toute habitation, jusqu'à ce qu'il apprît que la bienheureuse y avait été envoyée à l'instigation d'une énergie et d'une voix divines. Le patriarche avise le pieux empereur de cette demande, et ce dernier enjoint aussitôt de fonder là, pour l'amour d'elle et conformément à son désir, un lieu de prière, qui fût dédié au grand prophète Zacharie, pour ce que la Sainte avait été digne de voir à l'avance et de prédire l'avenir et les choses cachées, imitant en cela le prophète, pour ce que Dieu avait insufflé en elle son charisme prophétique. 10. L'oratoire et l'église dédiée au prophète fut achevée en quelques jours, grâce au grand nombre d'ouvriers et au rythme soutenu du travail sur le chantier, ainsi qu'en raison du vif intérêt que portait l'empereur à l'ouvrage, et de ce qu'il lui avait alloué de grosses sommes d'argent. La Sainte pria alors le très saint patriarche de hâter la consécration du lieu. Celui-ci transmit aussitôt sa demande à l'empereur, et ce dernier donna ordre que la consécration eût lieu le vingt six janvier. Mais Dominika qui était véritablement pneumatophore, pour ce qu'elle voyait à l'avance ce qui allait advenir dans le futur, la déité ayant illuminé son esprit très pur, Dominika, donc, supplia le patriarche de célébrer la consécration de l'église le vingt-quatre et non le vingt-six du mois. Lorsque celui-ci voulut apprendre la cause de ce changement et savoir pourquoi elle ne voulait pas attendre le jour fixé, la Sainte lui dit : " Je suis dans une grande crainte, parce que je vois ce même jour une menace effrayante approcher de la ville." Le patriarche ayant été persuadé par ses paroles inspirées, ce fut le vingt-quatre janvier qu'il célébra la consécration et la déposition des vénérables reliques dans l'autel. Ce même jour, il donna à la Sainte le schème sacré de diaconnesse et il la fit higoumène de toutes celles qui viendraient dans ce monastère pour s'y faire moniales. 11. Après ces deux jours, donc, les paroles de la bienheureuse s'avérèrent véridiques, et le peuple qui demeurait dans la mégalopole fut sauvé de façon inespérée par ses prières agréables à Dieu. L'on eût pu comparer le saint monastère de la Sainte à un phare tout illuminé au milieu de l'océan, cependant que la Sainte attirait auprès d'elle tous ceux qui voulaient être sauvés des tempêtes du monde; elle délivrait d'admirable sorte des démons qui les tourmentaient tous les possédés qui venaient à elle; elle avait été jugée digne par Dieu de guérir avec des remèdes divins tous ceux qui se trouvaient victimes de diverses maladies et qui étaient troublés par de véhémentes passions. En deux mots, pour reprendre les termes évangéliques, elle guérissait "toute maladie et toute faiblesse". Satan, le prince des ténèbres, le brigand destructeur de nos âmes, fauteur de tout mal, usant de son habituelle impudence, et de machinations perfides tenta de piéger la vénérable brebis du Christ, quoiqu'elle se trouvât sous la protection du Christ. C'est alors qu'advint un miracle plus grand que tous ceux mentionnés supra : Une bande de malfaiteurs s'abattit soudainement sur le monastère, cherchant à s'emparer de son trésor sacré et voulant dérober des objets précieux, lorsque tous ces malfrats furent immobilisés sur place, se trouvant soudain enveloppés de ténèbres et pris de vertiges. C'est ainsi, de même, qu'à l'époque d'Elysée à Sodome, des iniques enragés avaient été cloués sur place, empêchés d'agir, comme si leurs mains et leurs pieds eussent été attachés, et étaient demeurés immobiles sans pouvoir rien faire. Et, là aussi, survint quelque chose d'étrange. Lorsque la noble servante du Seigneur les aperçut, elle pria pour eux, et ainsi, montrant sa vertu à l'imitation du Christ, et leur permettant d'éviter d'être pris en flagrant délit de forfaiture et de brigandage, elle fit en sorte qu'ils puissent s'enfuir sans qu'il leur fût fait aucun mal. La bienheureuse, non seulemnt guérissait de façon appropriée tous ceux qui souffraient des maladies les plus diverses, mais encore, grâce à son regard clairvoyant et prophétique, elle délivrait du ver qui les rongeait tous ceux qui étaient soumis à des sortilèges et à des envoûtements du Malin. 12. Une femme, un jour, qui appartenait à l'orgueilleuse classe des sénateurs, vint la visiter, pour que la Sainte la bénît. Comme son visage était très pâle et que son corps était épuisé, lorsqu'elle lui demanda à quoi était due cette anomalie et quelle était la cause de son abattement, elle lui dit qu'elle soupçonnait les serviteurs de sa maison, et que sans doute, parce qu'elle avait mauvais caractère, l'un d'entre eux avait dû l'empoisonner, et lui causer cette grave nuisance. Dieu, lors, révéla à la Sainte, dans sa prière, que le coupable était le chef du personnel de la maison. Elle, prenant cet homme à part, le blâma vivement, et lui fit de brûlants reproches. Mais elle le faisait de façon pédagogique, tout en lui prodiguant des conseils spirituels, comme l'eût fait une mère. De là, elle l'aida à se corriger et à s'amender. D'un autre côté, elle demanda à sa maîtresse des garanties, et elle enjoignit à celle-ci en maîtresse femme de ne jamais rendre à son serviteur le mal pour le mal. Par la suite, il se trouva que l'on découvrit dans l'oreiller de cet homme des épées métalliques gravées de caractères écrits, qui semblaient avoir été tracés de par un effet diabolique. Ayant donc échappé à une mort certaine cette femme remercia comme il se devait Dieu son Sauveur, ainsi que sa servante divinement inspirée. Ensuite de quoi, donnant à son serviteur un salaire double de celui qu'il eût dû gagner, elle le congédia avec joie, conformément à ce que cette grande Sainte lui avait conseillé et l'avait incitée à faire. Et ce ne fut pas seulement par ses miracles, par ses prédictions, par ses guérisons que cette thaumaturge devint renommée et célèbre, mais aussi par ses admirables prophéties, par ses révélations, par ses divines illuminations et par ses visions extraordinaires qu'elle acquit une riche et abondante gloire. C'est ce que montrera la suite. 13. Tandis que l'on fêtait au monastère la brillante et lumineuse fête des saintes Théophanies, après s'être acquittées de leur canon de prières et de la divine mystagogie, toutes les soeurs sortirent en compagnie de leur admirable mère spirituelle, pour aller prendre, comme à l'accoutumée, de l'eau bénie durant la panigyrie. La bienheureuse, levant les bras au Ciel, supplia le Seigneur avec larmes d'envoyer le très Saint Esprit pour sanctifier ces eaux. Ayant achevé sa prière, la Sainte inspirée de Dieu, attendait en silence que le Ciel sanctifiât les eaux, cependant que tous, faisant cercle autour d'elle, contemplaient sans mot dire ce spectacle pour voir ce qui allait se passer. Et voici que soudain la bienheureuse eut une étrange vision. Elle vit le Paraclet sous la forme d'un ange, tenant un bâton dont il agitait les eaux. Aussitôt alors, elle s'approcha toute joyeuse du bassin des eaux, invitant tous les assistants à faire joyeusement de même, après qu'elle leur eût dévoilé sa vision divine, véritable visitation venue du Ciel. 14. Quelques jours plus tard, la Sainte, telle un archange au milieu de ces vierges, eut besoin d'entrer dans la salle du trésor sacré du monastère. A peine eut-elle ouvert les portes et fut-elle entrée au lieu où l'on gardait les objets sacrés, qu'elle entendit une voix leur dire : " En cette heure l'empereur Théodose se meurt en paix." La bienheureuse, pleurant lors amèrement, sortit en chantant des thrènes et autres chants de deuil. Elle révéla alors à ses moniales ce que lui avait révélé la voix. Toutes furent troublées et s'affligèrent, pour ce que cet empereur, qui était digne de sa réputation, avait grandement aidé le monastère en subvenant à toutes ses nécessités, et il avait honoré et vénéré la Sainte comme si elle eût été un ange de Dieu. Comme nous le savons de par ceux qui en leurs temps narrèrent les actes des empereurs, de ceux, s'entend, Zénon et Basilisque, qui furent à l'origine d'innovations, lesquelles allaient à l'encontre de la foi orthodoxe, et à cause desquels il advint que les Pères qui habitaient " dans les montagnes, les grottes et les antres de la terre" furent contraiants de prendre courage et d'accourir au secours de notre mère commune à tous, l'Eglise, pour ce qu'uls ne supportaient pas la déraison du blasphème, c'est alors que fut contraint de descendre de sa colonne le grand thaumaturge et Père Daniel. A quoi le contraignairent non seulement des hommes mais même des femmes qui vivaient dans une grande piété et coulaient une existence admirable, parée de toute la beauté des vertus. Et ce fut la mâme chose qui advint à notre fois bienheureuse mère Dominika, thaumaturge. 15. D'aucuns vinrent la visiter et l'incitèrent à se rendre auprès de la reine, pour lui conseiller d'entreprendre de bonnes oeuvres salutaires. Mais Dominika, sous l'effet de l'immumination du Saint Esprit, perçut la dureté de coeur de cette reine inébranlable, et elle ne voulut point s'y rendre. Mais il lui sembla qu'il valait mieux qu'elle dépêchât en sa place celle qui était la seconde après elle au monastère, et qui avait nom Dorothée. Il fallait soutenir cette moniale, car elle était devenue courbée du fait de l'excès de ses peines et de ses luttes ascétiques sans nombre, et elle ne pouvait pas même lever la tête pour voir ce qu'avait à montrer le monde. Lorsqu'elle s'en fut chez l'impératrice et qu'elle lui demanda une audience, elle ne fut pas reçue par la reine. Mais comme elle s'en retournait les mains vides, à l'heure de quitter ces lieux, et tandis que tous pouvaient l'entendre, elle dit prophétiquement à la reine : " De même que tu m'as fait perdre en vain la peine de ma visite, ainsi toi aussi tu frapperas à la porte de la grande église, mais l'on ne t'ouvrira pas. " Ses paroles s'avérèrent véridiques. Peu après la reine mourut sans avoir été jugée digne de pouvoir entrer dans l'église royale. 16. Lors donc que l'heure arriva où Dominika, qui portait le nom du Seigneur, dut s'en aller vers le Christ, elle appela Dorothée, que nous avons mentionnée supra, et lui confia ses soeurs en Christ et le monastère tout entier, disant qu'elle la nommait sa diadoque, ce qui est dire celle qui lui devait succéder. Elle se mit donc en prières devant toutes les soeurs, disant : "Seigneur des puissances, toi qui es un Dieu grand, admirable dans tes décrets, et redoutable à tous ceux qui ses trouvent à tes entours, toi qui accomplis et gardes tes promesses, et octroies ta miséricorde et ta grande pitié à tous ceux qui t'aiment, toi qui, par ton Fils unique Jésus, accordes à tous la rémission des péchés et régénères ceux qui ont vieilli du fait du péché, et qui rends sage jusqu'aux aveugles, toi qui redresses ceux qui sont brisés, qui aimes les justes et sauvegardes ceux qui se sont faits chrétiens, toi qui nous as fait sortir de la ténèbre et de l'ombre de la mort et qui as instillé dans nos coeurs la lumière de ta propre connaissance, par la Grâce du Christ qui dit : " Vous serez délivrés vous tous qui étiez dans les chaînes et vous paraîtrez dans la lumière vous tous qui étiez dans l'ombre", toi qui t'es rendu présent sur la terre et qui as vécu parmi les hommes qui t'ont reçu, toi qui as donné à ces derniers la "faculté de devenir enfants de Dieu" par le bain de la régénersecence, toi qui nous as arrachés à la tyrannie du diable, et qui nous as faits entrer dans ton royaume." C'est à toi maître de toutes choses que je confie ce monastère et les âmes qui maintenant y habitent ainsi que toutes celles qui à l'avenir y habiteront. par les intercessions qui te sont agréables de notre Souveraine Mère de Dieu toute immaculée et de ton prophète Zacharie digne de louanges en toute chose, "garde-les, en ton nom, affermis-les dans ta foi, en sorte que nul ne les trompe par quelque ruse diabolique, qu'aucune pensée venue du diable ne les abuse, et ne les fasse tomber dans le piège du désir du monde, mais de te main puissante octroie-leur une force d'en-haut, agrée qu'elles mènent le bon combat, qu'elles parviennent au terme de leur chemin d'ascèse, et qu'elles jouissent du repos éternel dans tes demeures et dans les séjours d'en haut. Et nous te supplions encore, ô Maître ami de l'homme, de ne pas permettre que fût mélangé à une âme corrompue et impure ce troupeau immaculé de tes brebis, que ce monastère ne soit jamais détruit, que tu as sanctifié, le protégeant du feu funestement sauvage, des bêtes féroces, et que nul esprit impur et démoniaque enfin ne puisse jamais approcher des limites de la clôture de ton monastère. Et que la reine et Mère de Dieu aussi, qui t'es vouée, le garde éternellement intact, protégé des séismes, épargné par la faim, par les épidémies, des inondations, du feu, de la ruine et de l'anéantissement, des incursions barbares et de la guerre étrangère. Fortifie le pouvoir des rois, soumettant à leur force tout ennemi et adversaire, car à toi appartient le règne et la gloire éternelle. Amen. 17. Après qu'elle eut fait sa prière et après qu'elle eut achevé de laisser en ordre toutes les affaires de sa communauté, elle laissa partir toutes les autres soeurs, et dit à Dorothée : " Je t'en prie, ma soeur, demeure un peu avec moi pour ce que le Maître a besoin de moi." Celle-ci, croyant qu'elle parlait du roi, lui répondit : " Pour quelle raison, ma mère, le roi a-t-il besoin de toi?" La bienheureuse répondit :" C'est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs qui m'appelle, mon enfant, à quitter cette vie et à venir demeurer avec lui. " Je te prie donc avec zèle, ma soeur, de t'acquitter de tous les préceptes que je t'ai laissés. C'est sur toi qu'est tombé le sort d'exercer cette diaconie. C'est à toi et au grand prophète Zacharie qu'avec le secours et l'aide de Dieu je confie le soin de ce monastère. Ainsi donc, soucie-toi de paître les âmes qui s'y trouvent, comme s'il s'agissait que tu doives en rendre compte devant le grand tribunal du Christ-Roi". Après que Dominika eut fait à la moniale ces exhortations et d'autres encore, elle dit : " Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit." Alors dans le même temps, paisiblement, elle remit son âme au Seigneur. Aussitôt il se fit un grand séisme, en sorte que toutes pétrifiées de peur, toutes les moniales se précipitèrent dans la cour, pour ce qu'elles croyaient que ce tremblement de terre s'accompagnait de la fin du monde. Alors elles voient dans les airs une foule de moines vêtues de blanc et des troupes de saintes femmes, et au milieu d'elles la bienheureuse Dominika vêtue et parée comme une fiancée. Tout l'air aussitôt s'emplit d'un parfum céleste, cependant que tous ces saints chantaient avec une harmonie mystique et suave : " La mémoire du juste sera éternelle", et "sa puissance sera glorifiée." Ce fut alors que s'entendit une voix du ciel disant :" C'est ainsi que sera béni tout saint au moment adéquat." La moniale Dorothée, qui avait mérité son nom signifiant "Don de Dieu", et qui était aussi devenue sa diadoque pour lui succéder comme higoumène, ferma les yeux du vénérable corps de la bienheureuse Dominika. Dorothée entonna le chant funéraire qui convient aux justes, et avec piété et amour elle psalmodia les chants de thrène avec touta la communauté des soeurs. Elle l'ensevelit avec vénération et avec tous les honneurs dans la châsse-reliquaire que leur mère d'éternelle mémoire avait elle-même préparée pour ses vénérables reliques, lesquelles, jusqu'au jour d'aujourd'hui, opèrent nombre de guérisons miraculeuses, et qui donnent à voir maintes choses extraordinaires, délivrent des esprits impurs et guérissent une foule de malades. 18. Quelque temps après la dormition de la bienheureuse, il se déclara un grand incendie aux abords du monastère, et d'instant en instant l'on était en grand péril que le feu ne se propage à la nef de l'église. L'on vit alors arriver promptement au monatsère, escorté d'une foule de peuple, l'éparque de la ville, du nom d'Irénée, dans le dessein d'arrêter le feu et de sauver le monatsère. Il se tenait à petite distance de la nef, lorsqu'il tomba en extase. Aussitôt la menace du feu fut endiguée, cependant qu'il exposait à tous l'étrange vision qu'il venait de voir. Il disait qu'il avait clairement vu avec le prophète Zacharie une femme vêtue d'une tunique se tenir devant l'église les deux mains étendues pour calmer l'élan du feu et éloigner les flammes. Par là ils comprenaient tous clairement que, même après sa mort, pour ce qu'elle vivait véritablement auprès de Dieu, elle intercédait pour son monastère, le secourait, et en avait souci. Quelque temps après, cependant que l'on fêtait brillamment sa mémoire, pour qu'elle fût éternelle, il se rassembla un grand concours de peuple, hommes et femmes, tant obscurs et inconnus qu'illustres archontes et sénateurs, ainsi qu'ascètes renommés, prêtres renommés et hommes admirables. Et voici que parmi eux se trouva être une femme, qui habitait l'autre rive du fleuve, qui durant de longues années recélait en elle un esprit impur, qui ne se décélait pas publiquement ni ne semblait ouvertement la posséder, mais qui secrètement la rongeait et l'épuisait d'épouvantable et douloureuse sorte. 19. Tandis que l'on célébrait la divine liturgie et que l'on lisait les saints évangiles, à cet instant même, terrassé par quelque puissance divine, l'esprit impur qui demeurait en elle, se mit à la frapper violemment, à la mettre en pièces et hors d'elle-même. Mais la possédée, étant demeurée patiemment plusieurs jours durant auprès des reliques donatrices de vie de la bienheureuse, parvint à se débarrasser entièrement du démon qui la tyrannisait et à se purifier. Le démon, lui, avant que de sortir, proféra de clairs propos que tous entendirent : " Je ne peux supporter ton emprise, Dominika, servante du Christ. Pourquoi me tourmentes-tu si durement de temps à autre? Pourquoi me brûles-tu comme un feu? Ainsi donc, je sors, car je ne supporte plus que tu me châties. Dans quels filets me suis-je pris ici? Quel appât m'a-t-il fait mordre à l'hameçon et m'a-t-il contraint de venir ici me soumettre à l'emprise de cette femme, en sorte que je tombe entre ses mains? Du fait de la grande puissance et du grand pouvoir que tu as acquis contre nous tous, les démons, je jure que si j'avais su plus tôt que tu allais me tourmenter de la sorte, je me serais jeté dans le feu, dans la mer ou dans un puits pour me suicider plutôt que de te subir. Malheur à moi, comment me suis-je tout de suite laissé prendre pour être livré ici à ta force? A présent, me soumettant au pouvoir qui t'a été donné, contre mon gré je sors de cette femme. Mais laisse-moi seulement la briser, ou la laisser paralysée, ou déformer l'un de ses membres." Alors, poussant des cris pitoyables, le démon la laissa pleurant. Et il ne pouvait plus tenir tête à la sainte, pas plus qu'il ne se peut que l'on résiste à un redoutable archonte qui siège et prononce de sévères sentences. En poussant des jurons effrayants cet esprit tout impur s'en alla tomber au pied du trône de Dieu, soumis à la grande puissance du Fils unique de Dieu, Jésus Christ, notre Sauveur, à cause duquel il fut contraint de confesser de façon manifeste qu'il avait été tourmenté par la puissance qu'Il avait conférée à la bienheureuse Dominika et au prophète Zacharie, thaumaturge. Ainsi donc, il était sorti de cette femme, la laissant intacte et n'étant plus en proie à aucun dommage, et jamais plus en sa vie, il ne tenta de s'en reprendre à elle. 20. Par les intercessions agréées par Dieu du grand prophète Zacharie et de notre mère, la grande thaumaturge Dominika, puissions-nous donc obtenir au jour du Jugement la compassion du juste Juge et du Roi de toutes choses, le Christ? Et puissions-nous quitter cette vie avec joie, foi, espérance et amour, innnocents et exempts de condamnation, en sorte d'être jugés dignes de vivre saintement auprès du Christ Lui-même, Lui qui est notre Seigneur, et à qui appartient la gloire et la puissance éternelle. Amen. IRENE L'IMPERATRICE QUI FUT ENSUITE NOMMEE XENIE. 1. Cette sainte qui fut célèbre entre les promesses avait pour parents des rois prospères d'Occident. Et depuis son plus jeune âge, comme il en va pour les plus belles plantes, elle montrait et laissait présager quel serait ses progrès au cours du temps, car elle était dotée de grâce, de toutes les bonnes manières et elle resplendissait d'une grande beauté, tant de l'homme que du corps. Comme elle croissait en âge et devenait plus belle encore, elle brillait aussi davantage par ses vertus parfaites, qui brillaient davantage que ses qualités naturelles. En sorte que la distinction de son existence était connue non seulement de ses proches, mais même aussi de nombre d'êtres qui se trouvaient loin d'elle. Comme les pieux époux royaux d'éternelle mémoire Alexis Comnène et son épouse Irène cherchaient une jeune fille de belle apparence et qui fût vénérable, ils trouvèrent que sa personne offrait toutes les qualités, ainsi que nous l'avons dit, et au suprême degr. De là qu'ils la marièrent avec le rejeton que Dieu leur avait fait la grâce de leur octroyer, le roi Jean Porphyrogénète. De leur union naquit à Irène quatre fils et quatre filles. Elle les éleva avec une grandeur et magnificence royale. Irène considérait comme indignes les joies de la vie et dédaignait jusqu'à la royauté même. Souvent elle se murmurait à voix basse les paroles du divin David : " De quoi cela me sert-il si je dois répandre mon sang pour descendre dans la tombe, où mon corps se corrompra? " Elle servait continûment Dieu, et intercédait pour ceux qui avaient des demandes à soumettre au roi. Elle assistait ceux qui étaient dans la nécessité; elle étendait sa main sur eux pour les secourir; elle se réjouissait des aumônes et de la protection qu'elle prodiguait aux veuves et aux orphelins; et elle se plaisait aussi à faire des dépenses et des dons aux ascètes qui vivaient dans leurs cellules isolées; et par manière générale elle faisait montre d'une très vive sollicitude non seulement du temps où elle était jeune fille, mais même encore depuis qu'elle était reine. Comment, du reste, pourrait-on décrire toutes ses vertus et la foule de ses charismes, ce qui est dire la douceur de son caractère, son tempérament paisible, son humilité, son amour pour tous, sa joie, sa sociabilité, son absence de colère, elle qui ne recourait jamais à la colère contre quiconque, non plus qu'à l'injure ni à la méchanceté. Son monde intérieur n'était que prière perpétuelle et soumission à Dieu, deuil joyeux, repentir et pénitence, âme contristée par le péché. Elle psalmodiait nombre de psaumes, vivait dans la tempérance de la chair, fondait comme un cierge du fait de son ascèse et de son genre de vie. Et elle était ornée de connaissance spirituelle. 2. Mais parce qu'elle regardait toutes ces vertus comme insuffisantes au regard du dessein de l'amour divin qu'elle avait en elle, elle résolut de réaliser, fût-ce un peu tard ce but sublime, puisqu'elle avait eu la chance de recevoir de Dieu la volonté et le zèle de faire le bien et qu'elle avait aussi reçu le secours divin. Lors donc qu'elle devint reine et qu'elle put accéder à ce rang si éminent, comme elle méprisait toutes les choses qui n'étaient pas spirituelles et qu'elle considérait comme sans intérêt tous les soucis du monde, fût-ce même ceux qui paraissaient nécessaires, elle jeta les fondements du monastère royal du Christ Pantocrator, notre Sauveur, non sans avoir au préalable fondé les belles églises que nous voyons aujourd'hui, les hôtelleries et les hospices de vieillards qui surpassent en beauté -sans compter la beauté du site de leur emplacement -, de par l'art aussi de leur architecture, toutes les autres bâtisses de même sorte, qui existaient alors, tant les anciennes, que les contemporaines. Elle fut très aidée en cette vaste entreprise par un homme bon, du nom de Nicéphore, qui oeuvra à l'harmonie, à la beauté des architectures et à l'intelligence des symétries lors de l'édification de ces bâtiments. Nicéphore était le préféré des serviteurs de la reine. Il apporta un grand soin aux travaux jusqu'à l'achèvement des édifices. C'est donc avec son assistance que la vénérable reine d'éternelle mémoire put achever et nous transmettre tout ce magnifique patrimoine sacré, qui constitua le plus bel ornement de la capitale; Et l'on se réjouissait à cette vue, pour ce que le résultat parachevé était de toute beauté et agrééait à Dieu. 3. La reine avait cependant besoin d'une assistance plus grande encore. Et elle l'obtint. Prenant un jour le roi son époux par la main, au moment où il entrait dans la belle église du Christ Pantocrator qu'elle-même avait érigée, elle se laissa soudain tomber à terre et collant sa tête sur le dallage sacré, elle s'écria avec larmes : " Accepte, Maître, cette église qui avec l'aide de Dieu a été fondée pour toi." Et elle continuait de la sorte sa supplication, versant larmes sur larmes, et clamant qu'elle ne se relèverait pas de terre avant qu'elle n'ait préalablement reçu la promesse que son désir serait réalisé. A entendre ces mots, et voyant le sol trempé des larmes de son épouse, le roi promet de satisfaire tous ses désirs. Et ceux-ci comprenaient la fabrication de magnifiques vases sacrés, la consécration de biens meubles et immeubles, la ratification de dépenses annuelles et de dons. Elle désirait encore que ce monastère vénérable soit la fierté, la gloire et le plus beau de tous, qu'il soit appelé Monastère du Pantocrator et qu'il soit honoré comme le premier, tant en paroles qu'en actes. Pour tout cela donc, ayant reçu les promesses du roi, elle se releva emplie d'une joie et d'un bonheur indicibles. 4. Ainsi, lorsque cette reine d'éternelle mémoire eut été délivrée du poids des soucis qui l'écrasaient, de par l'accord donné par son royal époux et par son zèle à lui, elle se laissa aller à son bonheur et à sa joie, et elle rendit grâces à Dieu qui avait réalisé ses souhaits en lui octroyan tous ces biens. Par après, lorsqu'elle se trouva dans l'éparchie de Bithynie, elle s'en fut vers le monastère du Christ Pantocrator où elle désirait être ensevelie. C'est ainsi qu'elle fut inhumée dans ce monastère qu'elle avait fait ériger depuis ses fondements. Quant au pieux roi, après qu'il se fut acquitté de la promesse qu'il avait faite à son épouse, en sorte que le monastère royal du Pantocrator en était parvenu au summum de splendeur que nous avons évoqué, et qu'à tous points de vue il était d'une grandeur qui rayonnait partout, il advint que ce très pieux roi d'éternelle mémoire, Jean, laissa la royauté terrestre pour s'en aller vers le Roi et le Maître des cieux, et son corps fut déposé dans ce même vénérable monastère du Pantocrator. Les deux époux royaux, l'empereur Jean II Comnène et son épouse l'auguste Sainte Irène dite Xénie, sont magnifiquement représentés, de part et d'autre de la Mère de Dieu tenant l'Enfant Christ-Roi, sur les splendides mosaïques du douzième siècle de Sainte Sophie de Constantinople. La mémoire de Sainte Irène est fêtée le 13 août. SAINTE HELENE, IMPERATRICE I C'est le 21 mai qu'est fêtée la mémoire de nos pieux rois Constantin et Hélène. 1. Ce bienheureux, vénérable entre les rois, Constantin, était le fils de Constantin Chloros et de la vénérable Hélène. Ce qui est dire que Constantin était fils de la fille de Claude, qui avait régné sur Rome avant la royauté de Dioclétien. Dioclétien et Maxime Herculius eurent dessein que ce Constantin prendrait part à la royauté avec Maximien de Galère. Tandis que tous les autres avaient violemment décrété leur persécution contre les Chrétiens, lui seul se comportait avec douceur envers les conseillers des affaires royales qui luttaient pour la foi du Christ et il leur témoignait de la sympathie. 2. A ce Constantin, son fils bien-aimé, qui par après devint le premier empereur des Chrétiens, son père enseigna la piété et il le laissa pour diadoque de sa royauté sur les îles de Bretagne. En l'an 5818 après la création du monde, et en l'an 318 de l'incarnation de notre sauveur et grand Dieu, il régna sur l'ancienne Rome, dont il fut le trente-deuxième roi à compter de l'hégémonie d'Auguste. 3.Celui-ci, qui était encore en Bretagne, apprit les méfaits répugnants, odieux, abominables, impies, et sacrilèges qui se déroulaient à Rome, du fait de Maxence, le fils d'Herculius, et mû par un zèle divin, invoquant le Christ pour son allié, il s'élança contre lui. Il avait reçu du ciel, comme le grand Paul, l'appel de la foi. Le Seigneur vit la pureté de son âme et au commencement de son entreprise lui apparut en songe. Puis, vers midi, il fit apparaître au ciel la croix, dessinée de maintes lumières, tandis qu'il lui faisait entendre une voix : " Par ce signe, tu vaincras". Dès après cet appel fut aussitôt rendue manifeste la valeur de celui que Dieu appelait, et Dieu ami de l'homme le jugea digne, ainsi que d'autres, qui le méritaient également, de voir ce signe. C'est pourquoi il prit courage en voyant ce signe de la croix, et, lorsqu'il arriva à Rome il se fit une arme d'or à cette image, et, grâce à elle, mit en déroute l'abominable Maxence, lequel se noya dans le Tibre près du pont de Moulvia. Après quoi, Constantin délivra ses concitoyens du joug de la tyrannie. 4. Ainsi, comme il quittait la ville de Rome, il songeait en chemin à fonder une ville qui porterait son nom. Il voulai la consacrer à Dieu comme un premier gage de sa foi. Désireux d'apprendre avec précision tout ce qui concernait notre foi, il assembla les Pères de l'Eglise venus de partout dans la ville de Nicée. Ces Pères proclamèrent avec exactitude la foi orthodoxe, et le Concile de Nicée fit connaître que le Fils était de même nature que le Père, et les Pères du Concile anathématisèrent Arius et ses sectateurs ainsi que leur pseudo-foi blasphématoire. Sainte Hélène, ( Fl. Julia héléna), mère du grand Constantin, descendait d'une famille obscure. Elle naquit aux environs de 250 et elle vécut les premières années de sa vie à Drépani en Bithynie, qui fut plus tard nommée en son honneur Hélénople. En 273 elle devint l'épouse du général Constantin Chlore et le 27 février 272 elle donna naissance au grand Constantin. Quand Constantin devint empereur et tua le fils de Crispos, Hélène revit son fils à Constantinople. Et après qu'elle lui eut exprimé son indignation et son affliction, elle fit en 326 un voyage expiatoire aux saints Lieux. Hélène fut baptisée comme l'y avait incitée le grand Constantin. Constantin avait envoyé sa mère à Jérusalem, pour lui faire recouvrer la vraie Croix vénérable, sur laquelle notre Christ Dieu avait été cloué dans sa chair. Sainte Hélène trouva les trois croix du Golgotha, et put authentifier la Croix du Christ en la distinguant de celles des deux larrons, parce qu'un mort posé sur la Croix du Christ ressuscita. Hélène laissa des fragments de la Croix à Jérusalem et en apporta d'autres dans la capitale, Constantinople. Elle mourut à Rome après son retour de Palestine en 330, à l'âge de quatre-vingts ans. Elle fut inhumée dans une église nouvellement érigée sur la Via Labicana. L'Eglise orthodoxe fête sa mémoire le 21 mai. 5 Le Grand Constantin fit briller la ville, organisant fêtes et panégyries, et consacrant nombre de magnifiques églises. A l'âge de quarante-deux ans, tandis qu'il était au sommet de a gloire de son règne, il dut subir avec son armée l'oppression Perse, et, arrivant dans la plaine sauvage de Nicomédie, il trouva la mort. On le ramena en grande pompe à Constantinople om l'on fit de grandioses cérémonies en son honneur et on le déposa dans l'église sacrée des saints Apôtres qu'il avait lui-même fondée. C'est dans cette église que, lorsque la sainte Eglise célèbre sa fête, le patriarche vient la célébrer en même temps que celle des saints Apôtres en célébrant avec pompe la divine liturgie et mystagogie du Saint Esprit. II Le 14 septembre notre Eglise fête la trouvaille ou l'invention et l'exaltation de la sainte et vénérable Croix. 1. Constantin le Grand, premier empereur Chrétien, selon que le rapportent ses historiographes, avant de monter sur le trône royal avait été en guerre à Rome contre Magnence. Les uns disent qu'il combattit lors de la guerre contre les Scythes. Lorsqu'il vit que l'armée des ennemis était nombreuse et que la sienne était inférieure en nombre, il fut assailli d'une profonde tristesse et d'un grand désarroi, ne sachant que résoudre. Mais lorsque, de nuit, il éleva ses yeux au ciel, il vit la croix vénérable et une inscription faite d'étoiles qui disait : " Constantin par ce signe tu vaincras." Ensuite de ce qui lui était apparu, il se fit une croix de même semblance et entrant au combat en première ligne, il défit les ennemis. 2. Lorsqu'il devint le maître de toute l'oecuméné et que tous le proclamèrent grand roi dans la vingt-deuxième année de son âge, il apprit où se trouvait sa mère, s'en fut la chercher, et l'amena à ses côtés avec tous les honneurs royaux. Après qu'il l'eut couronnée d'un diadème royal, il lui enjoignit de rester auprès de lui et de régner avec lui. C'est alors que celle-ci, à son instigation, fut illuminée par le saint baptême. Lorsqu'il lui raconta les victoires qu'il avait remportées grâce au signe de la Croix et que dans son âme s'était levé le profond désir d'honorer la Croix victorieuse, il la persuada de n'avoir plus nul autre souci que de faire en sorte qu'ils retrouvent la Croix du Christ et que sa relique en fût leur bien propre. Une nuit donc, cependant qu'elle dormait, la reine eut en songe une vision divine, en laquelle elle était incitée à venir à Jérusalem et à rendre à la lumière du jour les saints Lieux profondément ensevelis sous la terre. Ensuite de quoi il lui était demandé de redécouvrir aussi le vénérable Tombeau de notre Seigneur Jésus-Christ, qui était également profondément enfoui sous terre et recouvert d'un temple idolâtre établi par les habitants du lieu. Elle devait encore chercher la glorieuse et vivifiante Croix du Seiggneur. Alors, s'éveillant, elle raconte à son fils et roi sa vision. Il lui demande alors instamment d'accomplir tout ce qu'elle avait vu en songe. De là qu'il l'envoie à Jérusalem avec des soldats en nombre. Lorsqu'elle arriva, elle persuada les Juifs de la laisser faire, usant pour ce faire d'autant de bons procédés que de pressions et de menaces. Finalement, elle trouva la vénérable et vivifiante Croix. Et elle la trouva parmi maints décombres, l'authentifiant du fait que la Croix redonna vie à un mort que l'on posa sur elle. En sus de la Croix, elle trouva les autres lieux de la passion immaculée de notre Seigneur Jésus Christ. Makarios, le très saint patriarche de jérusalem était avec elle, lorsque tous ces lieux cachés de la Passion revirent le jour. 3. Lorsque Sainte Hélène et lui trouvèrent la Croix, il enjoignit qu'elle soit dressée dans la sainte Eglise, pour que tous les Chrétiens puissent la voir; La vénérable reine Hélène conçut une grande joie de tous ces évènements; Elle fit en sorte que furent érigées des églises sur l'emplacement de la Croix vivifiante, sur le saint Golgotha, sur la grotte de Béthléem et sur le mont des Oliviers. Elle accomplit encore nombre de belles oeuvres dans Jérusalem. Elle prit avec elle les clous et une parcelle de la vénérable et vivifiante Croix. Le reste, après qu'elle l'eut placé dans un reliquaire d'argent, elle le confia à l'évêque Macaire de Jérusalem. Ensuite de quoi, emportant avec elle la partie de la vénérable croix et les clous qui demeuraient, elle s'en retourna chez son glorieux fils. Le roi la reçut avec une grande joie. Il prit les saints clous et en mit une partie dans son casque et une autre à la bride de son cheval. Il déposa des fragments de la vénérable Croix dans un reliquaire d'or qu'il remit à l'évêque de Constantinople, afin qu'il les garde et qu'il fête chaque année l'invention et l'exaltation de la Croix devant tout le peuple assemblé. Cette solennité est fêtée chaque année avec éclat et toute l'Eglise en son entier tressaille de joie et se réjouit d'avoir été glorifiée par la Croix qui sanctifie aussi tout le peuple des fidèles. III 1. Le Grand Constantin se rendit aussi jusqu'à deux grottes secrètes qu'il décora avec éclat. Il honora l'une des grottes comme étant celle de la première apparition du Seigneur dans la chair et de la Nativité du Christ, et la seconde, située au sommet d'une montagne, comme étant celle de l'Ascension au Ciel. Dans son amour du beau, Constantin célébra ces grottes, les consacrant aussi à la mémoire de la Mère de Dieu, qui avait fait tant de bien aux hommes dans leur vie de par l'Incarnation. 2. La vénérable impératrice Hélène considérant comme son devoir et son oeuvre de piété d'exprimer à son Dieu Roi de toutes choses sa profonde dette de gratitude, et pensant également qu'elle devait exprimer par des prières les remerciements qu'elle voulait lui faire, de ce qu'Il lui avait accordé un fils roi, une pieuse reine, et des princes, ses petits-enfants, aimés du Seigneur, alors qu'elle était âgée déjà, mais outrepassant les bornes de son âge, elle entreprit de parcourir, pour la visiter, toute cette terre admirable, et de promettre protection à tous les peuples d'Orient. Cependant qu'elle offrait à Dieu son pélerinage aux saints Lieux qu'avait foulés le Sauveur, elle redisait la parole du Psalmiste, prophète-roi, qu'elle avait maintes fois entendue : " Vénérons les Lieux où le Seigneur a marché". (Ps. 131, 7). C'est ainsi qu'elle transmettait en héritage à ceux qui lui succéderaient dans la vie le fruit de sa propre piété. 3. Concernant ces deux grottes sus-mentionnées, elle érige sans tarder deux églises pour que l'on pût vénérer ces lieux, l'une à la grotte de la Nativité, et l'autre à la grotte de l'Ascension. Car notre Dieu accepta de naître dans la chair, et le lieu de son incarnation était connu des Juifs à Béthléem de Judée. C'est pourquoi la très sainte reine Hélène décora admirablement de brillantes ornementations aux formes monumentales et variées le lieu où la Mère de Dieu avait donné naissance au Christ, cette grotte qu'elle surmonta d'une église. Après quoi l'empereur son fils rendit d'autres honneurs nouveaux à ce lieu, y adjoignant des offrandes royales et des ex-voto d'or, des objets précieux d'or et d'argent, et des tentures aux magnifiques couleurs variées et chamarrées. Il manifestait par là qu'il ajoutait encore aux riches décorations qu'avait apportées sa mère à ces lieux bénis. La reine, en outre, éleva sur le mont des Oliviers des bâtisses remarquables, pour perpétuer le souvenir du passage au Ciel du Sauveur du monde entier. Elle édifia une église au sommet de la montagne, lieu de prière en l'honneur du Seigneur. Pour ce que c'est en ce lieu qu'Il préférait se reposer et les Evangiles attestent que c'est en ce lieu que le Sauveur du monde entier enseignait ses disciples. Là, de par ses ex-voto et ses ornementations, le roi terrestre honorait le grand Roi de l'univers. La reine Hélène très aimée de Dieu, donc, mère d'un roi également aimé de Dieu, édifia ces deux très belles et vénérables églises. De la sorte, elle témoignait de ses pieuses dispositions, et son fils, lui ayant octroyé le pouvoir de régner à sa droite, lui en avait donné, du reste, tous les riches moyens. La reine, cependant, n'eut pas longtemps encore à jouir des fruits de sa piété. Elle acheva le temps de sa vie et de toutes ses oeuvres bonnes au seuil de sa vieillesse. Elle laissait, tant en paroles qu'en ses riches oeuvres, de salutaires conseils à ses . successeurs, ayant accompli sa vie noblement. Et elle s'en allait joyeuse, corps et âme, avec un esprit de vaillance. Grâce à toutes ses vertus, elle trouvait une fin digne de sa piété, et s'en allait au Ciel mériter la riche rétribution que le Seigneur lui avait préparée pour la belle vie qu'elle avait menée en Christ.
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