dimanche 19 avril 2009

Père Justin Popovitch

CROIX ET REDEMPTION
Nécessité de la Passion salutaire du Dieu-Homme
Tous les sentiments et toutes les attitudes du Dieu-Homme, le Christ, sont divinement infinis, bien qu'humainement réels1. Même leur infinité est divino-humaine, et même leur réalité est divino-humaine, car ils surpassent incommensurablement tout ce qui est humain. Mais la Passion du Dieu-Homme représente pour l'esprit de l'homme un mystère exceptionnellement énigmatique et troublant, car toutes les infinités du Dieu-Homme y sont présentes, tristement réelles et tendrement salutaires pour toute la Création. Tout ce qui appartient au Dieu-Homme est merveilleux et salutaire, car le Sauveur -Jésus- est totalement présent en chacun de ses sentiments, en chacune de ses attitudes, en chacun de ses actes, en chacune de ses paroles. Cela vaut particulièrement pour sa Passion, car c'est l'ensemble le plus complexe et le plus profond de sentiments du Dieu-Homme, dans lequel le Sauveur est présent dans toute la plénitude de sa Personne divino-humaine. Mais, bien qu'humainement réelle, la Passion du Dieu-Homme est divine - bien plus que la raison humaine ne saurait le concevoir. La raison analytique des hommes est incapable de pénétrer jusqu'au fond de la structure interne de la souffrance du Dieu-Homme, et d'en saisir pleinement la valeur axiologique, car en son essence mystérieuse, elle s'imprime en des infinités divino-humaines que l'esprit humain ne peut scruter.
La Passion du Sauveur, dans sa simple, mais inéluctable réalité évangélique, apparaît par cela-même comme un besoin divino-humain et une nécessité divino-humaine de l'économie du salut du monde. La logique humaine peut s'élever contre, mais la logique divino-humaine du Sauveur est tout entière ici. Le Seigneur Christ n'a rien soutenu ni rien souligné aussi résolument que le besoin et la nécessité de sa souffrance. Dès que ses divins disciples eurent découvert en Lui le Fils de Dieu, par la Révélation de Dieu, il les emmena aussitôt dans le grand mystère de la souffrance qui Lui est destinée. «Jésus commença dès lors à montrer à ses disciples qu'il lui fallait partir pour Jérusalem pour y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour2».
Quelle fut la détermination avec laquelle le Sauveur a parlé du caractère nécessaire et indispensable de sa Passion pour le salut du monde, c'est ce qu'on peut voir en particulier aux mots par lesquels l'évangéliste Marc accompagne cette déclaration du Sauveur : «Il en parlait ouvertement» (Marc 8, 32). Mais bien que le Sauveur ait parlé avec détermination et avec clarté, sur la nécessité de sa Passion, l'esprit humain ne peut saisir, ni se réconcilier avec la souffrance du très-juste, du très-doux Fils de Dieu, qui est sans péché. Même le plus grand des Apôtres s'est scandalisé de ce suprême mystère. L'Evangéliste écrit : «Pierre le prit à part et se mit à lui faire des reproches : A Dieu ne plaise, Seigneur! Cela ne t'arrivera pas !» (Matt. 16, 22 ; cf. Marc 8, 32). Ce qui arriva alors démontre de la façon la plus évidente que la logique humaine, dans ses limites, ne peut comprendre le caractère nécessaire et inéluctable de la Passion du Dieu-Homme dans son oeuvre de salut du monde. L'Evangéliste continue : «Mais Jésus se retourna et dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Matt. 16, 23 ; cf. Marc. 8, 33).
Cette réponse du Seigneur constitue la défense la plus explicite du caractère nécessaire de la Passion du Dieu-Homme pour le salut des hommes. Cela se voit en particulier à ce que le très-doux Seigneur appelle "Satan" le disciple que peu avant il avait appelé "bienheureux", parce que le Père des cieux l'avait rendu digne de lui révéler le mystère de la Personne du Dieu-Homme (Matt. 16, 16-17). Il est satanique de désirer et de vouloir que le Dieu-Homme sauve le monde sans souffrance. Il n'est pas d'erreur plus pernicieuse pour l'esprit humain que celle qui consiste à croire qu'il n'est pas nécessaire, qu'il est absurde que le Seigneur Christ doive souffrir. Il est satanique de tenter de détourner le Dieu-Homme de sa Passion, car ce serait le détourner de la Croix et de la Résurrection, et c'est là le centre du salut. Si le Sauveur n'avait pas souffert, s'il n'était pas mort, le plus douloureux problème de la vie humaine, celui de la souffrance et de la mort, n'aurait pas été résolu, le plus lourd de nos tourments n'aurait pas été allégé, et le plus grave de nos maux n'aurait pas été anéanti. La conscience humaine n'est pas en état de justifier, jusqu'à ses dernières conséquences, l'existence de la souffrance et de la mort en ce monde. Subsiste toujours cette troublante et redoutable réalité dont la pensée humaine ne peut trouver la véritable signification. On ne peut en trouver la signification que lorsque la souffrance et la mort deviennent celles de Dieu, lorsque le Dieu-Homme y est passé.
Sauver le monde du péché, du mal et de la mort, est une oeuvre si complexe que seul Dieu peut savoir ce qui y contribue. Que la souffrance et la mort du Dieu-Homme constituent des contributions indispensables à son exploit du salut du monde, et le but incontestable du dessein divino-humain de Dieu sur le monde, c'est ce qu'affirme la parole catégorique du Sauveur à l'apôtre Pierre : «Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Matt. 16, 22). Il convient à Dieu, il fait partie de la providence divine que le Dieu-Homme souffre et meure pour le salut du monde ; il est de l'homme, il est du diable, d'exclure la souffrance et la mort de l'exploit divino-humain du salut du monde, de les considérer comme quelque chose que le Sauveur devrait éviter. Si le plus grand des Apôtres, dit saint Jean Chrysostome, avant d'avoir tout clairement saisi, est appelé Satan pour avoir eu honte de la Croix, quelle excuse pourront trouver ceux qui, après de telles évidences, rejettent l'économie du salut ? Car si un tel reproche peut être adressé à celui qui avait été déclaré bienheureux pour avoir confessé la Divinité du Christ, alors songe au reproche qu'endureront ceux qui maintenant encore rejettent le mystère de la Croix ! Le Seigneur Christ n'a pas dit : «Satan parle par ta bouche», mais : «Arrière de moi, satan !» Car c'est justement cela que l'ennemi désirait, que le Christ ne souffrît point, et c'est pour cela qu'il réprimanda Pierre si fort, car il savait que c'était cela que Pierre et les autres craignaient le plus et qu'ils ne pouvaient en entendre parler sans inquiétude. C'est pour cela que le Seigneur révéla leurs pensées secrètes en disant : «Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes» (Matt. 16, 23). Pierre, jugeant les choses d'une pensée humaine et terrestre, pensait que la souffrance était chose indigne et inconvenante pour le Christ. Mais le Christ, pénétrant ses pensées, déclara : «Pour moi, la souffrance n'est pas chose inconvenante, c'est d'un point de vue sensible que tu en juges ainsi ; mais si tu écoutes mes paroles selon Dieu, en te libérant de ce point de vue sensible, alors tu comprendras que les souffrances me conviennent parfaitement. Tu considères qu'il est indigne que je souffre ; et moi je te dis que la pensée que je ne doive point souffrir vient du diable3».
A ce sujet, le bienheureux Théodoret s'exprime ainsi : «Après que les disciples eurent confessé qu'il était vraiment le Christ, le Seigneur leur a révélé aussi le mystère de la Croix, mais incomplètement, puisqu'ils n'ont pas compris ses paroles ni saisi ce que signifiait ressusciter, mais ils ont pensé qu'il vaudrait mieux qu'il ne souffrît point. C'est pourquoi Pierre commença à protester en disant qu'il avait tort de se livrer à la mort alors qu'il pouvait ne pas souffrir. Mais le Sauveur, montrant que cette souffrance serait pour le salut et que seul Satan pouvait désirer qu'il ne souffrît point et qu'il ne sauvât point, appelle Pierre "Satan" à cause de ses pensées, propres à Satan, puisqu'il n'avait pas désiré que le Christ souffrît mais qu'il s'y était opposé... Pierre pensait, selon les paroles du Seigneur, ce qui est selon les hommes, en imaginant ce qui est vil et charnel et désirait que le Seigneur restât en paix, qu'il ne se livrât point à la crucifixion et qu'il ne souffrît point de malheur pour le salut du monde4».
Le Dieu-Homme a choisi la mort sur la Croix comme nécessaire et inévitable à l'économie du salut de la race humaine5. Ce mystère réside dans les profondeurs insondables de l'éternelle sagesse divine. La Passion sur la Croix du Dieu-Homme est devenue, selon le dessein de l'amour de Dieu pour les hommes, le moyen par lequel le Dieu-Homme offre aux hommes la vie éternelle. C'est ce que le Sauveur mit en évidence lorsqu'il disait : «De même que Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en Lui ait la vie éternelle» (Jean 3, 14-15 ; cf. 8, 28 ; 12, 32-33).
Le Dieu-Homme a souffert selon l'insondable sagesse de la volonté divine et selon la providence salutaire de Dieu6. C'est cela le calice que le Père des cieux présente à son divin Fils - le Dieu-Homme, le Christ : «Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée ?» (Jean 18, 11). Le Fils de Dieu incarné se livre volontairement et librement à sa passion salutaire. Il remet Lui-même son âme : «Personne ne me l'ôte, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre7». Le Christ n'aurait jamais souffert s'il ne l'avait voulu ; aussi est-ce seulement de sa propre volonté qu'il a été soumis à la mort. Il avait encore le droit de reprendre son âme ; comme il nous l'a dit, il avait reçu de son Père ce commandement de mourir pour le monde. Je ne suis pas l'ennemi de Dieu, dit-il, et à tel point que cette mort m'a été donnée en commandement. Après que le Sauveur eût dit préalablement à son sujet : «J'ai le pouvoir de la reprendre» (et par là il montre bien qu'il est le Seigneur de la vie et de la mort), il ajoute cet élément de paix : «tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père». Il unit ainsi l'un et l'autre d'une manière extraordinaire, afin que nous ne puissions pas le considérer comme inférieur au Père, ni comme un serviteur du Père, ni un ennemi de Dieu, mais comme n'ayant qu'une puissance et qu'une volonté avec le Père8.
En disant qu'il a reçu du Père le commandement de mourir pour le monde, le Seigneur Jésus exprime seulement que ce qu'il fait est conforme à la volonté du Père, afin que nous ne puissions pas penser, lorsqu'on le tue, qu'on le tue parce que le Père l'a abandonné9. Si le Sauveur appelle "commandement" cette mort volontaire, c'est également pour nous montrer de quelle importance elle est pour le salut du monde. S'il y a là quelque chose d'inévitable, c'est l'amour de Dieu, qui s'est exprimé symboliquement par les Prophètes de l'Ancien Testament, ces hérauts inspirés des volontés divines. Tout l'Ancien Testament prophétise, proclame et montre que la mort du Messie est nécessaire et inévitable pour l'oeuvre de salut de la race humaine. Elle est si nécessaire et si inévitable que le Sauveur traite d'insensés ses disciples qui ne le croient pas et qui ne le comprennent pas : «O hommes sans intelligence et dont le coeur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses pour qu'il entrât dans sa gloire !» (Luc 24, 25-26 ; cf. 22, 37 ; Actes 17, 3 ; 20, 23).
A l'instant de sa Transfiguration sur le Thabor, alors qu'il montrait de la manière la plus évidente sa Divinité et sa gloire divine, le Seigneur Christ parlait avec Moïse et Elie de la Passion salutaire qu'il devait subir à Jérusalem (Luc 9, 31). Le Seigneur témoignait ainsi de manière irréfutable que le mystère de sa Passion pour le salut des hommes est inséparable du mystère de sa Personne divino-humaine. De quelque côté que se présente ce mystère, il est entouré d'un abîme impénétrable. Qu'en tant que Dieu-Homme, le Christ «doive» (deî) est si infini, si insondable, que la raison humaine ne peut le comprendre, ni l'évaluer à aucune mesure humaine. Au centre se trouve un mystère qui s'élève au-dessus de tous les sommets de la pensée humaine, qui s'enfonce dans les abîmes insondables de la très-sage providence divine. De l'Evangile nous n'apprenons que ceci : la Passion du Dieu-Homme était indispensable au salut de la race humaine, affaiblie par le péché et par la mort, pour sa guérison et le rétablissement de sa santé. Montant vers sa Passion pour le salut du monde, le Dieu-Homme, le Christ, conduit toute sa vie terrestre vers ce sommet : «Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure !» (Jean 12, 27).
Tous les chemins de la vie divino-humaine du Sauveur sur terre conduisent à sa Passion sur la Croix à Jérusalem. Le Sauveur en souligna l'importance et la signification pour ses disciples après sa Transfiguration, après qu'il leur eût montré sa gloire divine. Il désirait attirer toute leur attention sur tout cela (Matt. 17, 22-23) et il les conduisait seulement vers ce mystère : «Voici, nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes. Ils Le condamneront à mort et ils Le livreront aux païens pour qu'ils se moquent de Lui, Le battent de verges et Le crucifient ; et le troisième jour Il ressuscitera» (Matt. 20, 17-19 ; cf. Marc 9, 31).
Un effroi sacré saisit les disciples voyant le très doux Sauveur se hâter vers Jérusalem. «Ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient troublés et le suivaient avec crainte. Et Jésus prit de nouveau les douze auprès de Lui et commença à leur dire ce qui devait Lui arriver : Voici, nous montons à Jérusalem et le Fils de l'homme sera livré... et ils Le condamneront à mort, et ils Le livreront aux païens qui se moqueront de Lui, cracheront sur Lui, Le battront de verges et Le feront mourir ; et trois jours après Il ressuscitera» (Marc 10,32-34 ; cf. Luc 18, 31-33). -Mais tout cela, lorsqu'on le considère avec la logique d'un homme qui n'est pas né à nouveau, semble irraisonnable, incompréhensible et inutile. C'est pourquoi le saint Evangéliste dit encore des disciples du Sauveur : «Mais ils ne comprirent rien à cela, c'était pour eux un langage caché, des mots dont ils ne saisissaient pas le sens» (Luc 18, 34).
Plus encore, le mystère de la Passion du Dieu-Homme se cache dans les desseins divins d'avant le monde. Il commence avant la fondation du monde, se cachant dans les abîmes de la sagesse et de l'amour de Dieu -abîmes inaccessibles à la pensée de l'homme. Selon les desseins ineffables de la Divinité trinitaire, le salut du monde devait s'achever par la Passion et la mort du Dieu-Homme, du Christ, et c'est pour cette raison qu'il est parlé de Lui comme d'un agneau innocent et sans tache, «prédestiné avant la fondation du monde» (1 Pi. 1, 19), mais aussi «immolé dès la fondation du monde» (Apo. 13, 8).
La Passion salutaire du Seigneur Christ commence dès sa naissance en ce monde et s'étend jusqu'à Sa mort sur la Croix entre les deux brigands. Le Dieu-Homme tout-puissant et sans-péché est né dans une grotte (Luc 2, 7) -n'était-ce pas une souffrance ? La vie de l'enfant-Dieu est placée depuis le début sous la menace du cruel Hérode, qui cherche à le tuer (Matt. 2, 13-14). Le Dieu incarné peine et travaille comme un artisan ordinaire -comme un menuisier (Marc 6, 3)- n'était-ce pas une souffrance ? Ce merveilleux Souverain des cieux et des cieux d'au-dessus les cieux vit sur terre comme un misérable (Luc 8, 2-3; cf. 2 Cor. 8, 9), il vagabonde par le monde comme un sans-abri qui n'a pas où poser sa tête (Matt. 8, 20; Luc 9, 58; 21, 37). Il souffre la faim et il est tenté (Matt. 4, 1-11; Marc 1, 13; Luc 4, 2-13; Héb. 2, 18; 4, 15). Il a faim (Matthieu 21, 18; Marc 11, 12), il a soif (Jean 4, 7; 19, 28), il est fatigué (Jean 4, 6). On l'insulte sans retenue en disant que c'est avec l'aide du prince des démons qu'il chasse les démons (Matt. 9, 34; cf. 12, 24; Marc 3, 22; Luc 11, 15) ; on l'appelle Béelzébul (Matt. 10, 25), on l'accuse d'être mangeur et buveur (Matt. 11, 19; Luc 7, 34) ; on assure qu'il est un diable (Jean 8,48; 7, 20; 10, 20), qu'il est fou (Jean 10, 20) ! Lui, qui est seul sans péché, supporte d'horribles outrages de la part des pécheurs, et l'infamie (Héb. 12, 3; Luc 23, 11). Sa vie est constamment dans le danger à cause des Juifs10 ; Lui, l'amour de l'homme incarné, le monde le hait et le persécute (Jean 15, 18-20). Il succombe à cause des Juifs infidèles et de leur aveuglement spirituel (Matt. 23, 3), et il en pleure (Luc 19, 41-44). Il pleure la mort de Lazare (Jean 11, 33-35). Ses souffrances d'avant la mort sont émouvantes et bouleversantes11. Comme un tendre agneau innocent, il porte sur lui les péchés du monde et il souffre12. Il se sent tristement délaissé de Dieu dans ses souffrances (Matt. 27, 46; Marc 15, 34; Ps. 21, 2). Il souffre beaucoup de ce qu'un disciple le trahit et le vend13.
Etait-ce trop peu de souffrance pour le Dieu-Homme lorsque les hommes, aveuglés par la haine de Dieu, se levèrent contre Lui comme contre un brigand, armés d'épées et de bâtons14 et le lièrent (Jean 18, 3-12) ? Quel tourment n'a pas dû souffrir le tendre coeur du Seigneur affligé, lorsque le plus grand des Apôtres Le renia résolument par trois fois, lui qui avait juré avec insistance qu'il ne Le renierait jamais15 ? Le coeur divin du Seigneur Jésus ne fut-il pas déchiré de douleur lorsque ses disciples l'abandonnèrent et se dispersèrent (Matt. 26, 56 ; Marc 14, 50 ; Jean 16, 32) ? Beaucoup de souffrances envahirent l'âme du Sauveur lorsque les Grands Prêtres et les Anciens dépensèrent et violèrent leur conscience pour trouver de faux témoins qui témoignèrent faussement contre Lui16.
Etait-ce trop peu de souffrance pour le Dieu-Homme tendre et innocent lorsqu'on le fouetta et qu'on le frappa (Matt. 27, 26 ; Marc 15, 15 ; Luc 23, 22), lorsqu'on lui plaça sur la tête une couronne d'épines (Matt. 27, 29 ; Marc 15, 17 ; Jean 19, 2), lorsqu'on le railla et qu'on le bafoua (Matt. 27, 29 ; Marc 15, 18 ; Luc 22, 63-65), lorsqu'on le couvrit de crachats et de soufflets (Matt. 27, 30 ; Marc 15, 19 ; Luc 22, 64 ; Jean 19, 3 ; 18, 22), lorsqu'on le contraignit, lui épuisé, à porter une lourde Croix (Matt. 27, 32 ; Marc 15, 21 ; Luc 23, 26), lorsqu'on le cloua à la Croix (Matt. 27, 35 ; Marc 15, 24 ; Luc 23, 33 ; Jean 19, 18), lorsqu'on le dressa entre deux brigands (Matt. 27, 38 ; Marc 15, 27-28 ; Luc 23, 33 ; Jean 19, 18), lorsqu'on lui donna, alors qu'il avait soif, du vinaigre mélangé de fiel (Matt. 27, 34 et 48 ; Marc 15, 23 et 36 ; Luc 23, 36 ; Jean 19, 28-30) ; lorsque les Grands Prêtres, les scribes, les Anciens du peuple et les soldats le raillèrent et l'injurièrent, alors qu'il était fixé sur la Croix (Matt. 27, 39-43 ; Marc 15, 29-32 ; Luc 23, 35-39), lorsqu'il rendit l'âme en un cri de mort (Matt. 27, 50 ; Marc 15, 37 ; Luc 23, 46 ; Jean 19, 30) ?
Toute la vie du Sauveur sur la terre représente un unique exploit continuel de souffrance pour le salut du monde. Le Dieu-Homme ne pouvait pas ne pas souffrir continuellement alors que continuellement, devant ses yeux qui voient tout, il avait tous les péchés, tous les vices, toutes les méchancetés, de tous ses contemporains -comme ceux de tous les hommes de tous les temps. Sans aucun doute, ce dut être vraiment une pénible souffrance, pour qu'on n'ait jamais vu rire le Seigneur Christ, et qu'on l'ait si souvent vu pleurer. Souvent il arrivait, dit saint Jean Chrysostome au sujet du Sauveur, qu'on l'ait vu pleurer, mais jamais on ne l'a vu rire, ni même sourire paisiblement. C'est pourquoi aucun des Evangélistes ne le mentionne17.
Toutes les souffrances de notre Seigneur Jésus, en qui il n'est pas de méchanceté, atteignent leur terrible mais salutaire sommet dans sa mort sur la Croix. C'est pourquoi il se hâte de tout son être vers elle comme vers l'accomplissement du salut du monde : «C'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure» (Jean 12, 27), que je suis venu pour souffrir en ce monde pour le salut du monde : «Je suis venu jusqu'à cette heure pour recevoir la mort pour tous18».
Tout ce qui constitue la vie divino-humaine du Seigneur Christ sur la terre constitue aussi son économie du salut du monde. La mort du Sauveur sur la Croix porte à son comble son immense amour pour l'homme et sa souffrance pour l'homme ; c'est pourquoi la Croix représente le sommet de l'exploit divino-humain du salut du monde. La mort du Dieu-Homme sur la Croix est en même temps le rachat du monde, le salut du monde et la victoire sur le péché, sur la mort et sur le diable. La Croix est la synthèse de tout cela : et du rachat, et du salut, et de la victoire. Ce sont seulement trois aspects d'un seul et même exploit divino-humain, entier et indivisible. Il n'est pas possible de diviser en parties l'oeuvre unique et indivisible du salut, accompli par l'unique et indivisible Sauveur. Dans cette oeuvre, tout est infiniment important, mais le sommet de tout est la mort du Sauveur sur la Croix. C'est ce que le Seigneur Lui-même souligne, lorsqu'il dit : «C'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure» (Jean 12, 27).
Si l'on me demande, déclare très sagement saint Jean Chrysostome, ce que le Christ a fait d'extraordinaire, je passerai le ciel, la terre, la mer et la résurrection de nombreux morts, et les autres mirables qu'il a faits, pour retenir seulement la Croix, qui est plus glorieuse que tout le reste19. Chaque oeuvre, chaque miracle du Christ est très grand, et divin, et merveilleux, mais sa vénérable Croix est plus admirable que tout20.
Tout ce qui fait partie de l'exploit du salut de la race humaine, le Seigneur Christ l'a fait parce qu'il est l'indivisible Dieu-Homme, le Sauveur et le Rédempteur. Cela vaut aussi pour sa mort sur la Croix. C'est pourquoi elle a aussi une signification sotériologique aussi infinie. C'est de cela que parle le Seigneur Christ Lui-même, et après Lui et avec Lui ses saints Apôtres, les saints Pères et toute la conscience conciliaire et la connaissance conciliaire de l'Eglise orthodoxe, une, sainte, catholique et apostolique. La mort sur la Croix du Dieu-Homme, le Christ, représente le mystère le plus merveilleux et le plus grandiose dans tous les mondes, pour autant que la pensée humaine puisse penser à ces mondes. Enraciné en son essence invisible et inexplorée, prééternelle et supra-temporelle et dans les profondeurs insondables de la Providence divine, le mystère de la mort du Sauveur sur la Croix descend jusque dans notre monde tri-dimensionnel, spatio-temporel, pour l'irriguer de son émouvant mystère divin. La conscience humaine peut à peine saisir quelque chose de ce mystère, et la connaissance humaine peut à peine en embrasser si peu que ce soit, tandis que le reste s'enfonce et s'évanouit dans les profondeurs abyssales de l'omniscience de Dieu et dans le silence des paroles divines.
A travers toutes ses souffrances divino-humaines, le Seigneur Christ conduit la nature humaine à être sauvée du péché, du mal et de la mort. En représentant de l'humanité tout entière -car il est véritablement et Dieu et Homme, véritablement Dieu-Homme- il a livré tous les combats, il a subi tous les tourments pour le salut de la race humaine tout entière. En réalité, il a essentiellement souffert toutes les souffrances humaines et subi tous les tourments humains. Il a particulièrement expérimenté ce maximum de la souffrance à Gethsémani et sur le Golgotha. Et jusqu'à Gethsémani, mais surtout à Gethsémani, le Seigneur, l'Ami de l'homme, a vécu tous les tourments de la nature humaine, qui se sont accumulés sur Lui à cause de notre péché ; il a souffert toutes les souffrances qu'a souffertes la nature humaine depuis Adam jusqu'à son ultime descendant ; il a éprouvé toutes les maladies humaines comme siennes, il s'est attristé de toutes les tristesses humaines comme des siennes, il a vécu tous les malheurs de l'humanité comme les siens et, en même temps, il a eu présents devant ses yeux si pénétrants tout ces milliards d'êtres humains qui souffrent à cause du péché dans les angoisses de la mort, de la maladie et du vice. C'est pourquoi il s'est écrié avec accablement : «Mon âme est triste jusqu'à la mort» (Matt. 26, 38).
Dans son amour infini pour l'homme, le Seigneur très miséricordieux a traversé pour nous et à notre place tous les tourments et toutes les tristesses qui ont ravagé la nature humaine depuis sa chute dans le péché et dans la mort. En les traversant pour tous les hommes et à leur place, il a pleuré et il s'est attristé sur les péchés du monde entier, il a prié jusqu'à en transpirer du sang (Luc 22, 44). Tout cela, il ne l'a pas fait pour lui-même (Luc 23, 27-38), mais pour la race humaine, dont il avait volontairement pris sur Lui les péchés, les souffrances et la mort. Toutes les souffrances, toutes les morts, tous les châtiments qui se sont accumulés sur la race humaine, le Dieu-Homme les a pris sur lui par compassion, avec toutes les horribles conséquences qui en découlent pour la nature humaine, à travers d'innombrables tourments, d'innombrables maladies et d'innombrables tristesses. L'immensité du péché humain, avec tout ce qui l'accompagne : maladies, malheurs, tristesses, morts, tourments passagers et éternels, ont brisé le coeur compatissant de Jésus, et se sont présentés devant ses yeux comme un calice d'amertume, soulignant la tragique responsabilité de la race humaine devant Dieu. En Lui, le véritable Dieu-Homme, c'est toute la nature humaine qui pleurait et se lamentait, voyant tout ce qu'elle avait provoqué en tombant dans le péché et dans la mort. A notre place à nous tous et pour nous tous, elle s'effrayait de tous ses péchés et de toutes ses chutes. Et comme si tout cela se rassemblait en un unique calice d'amertume : «Mon Père ! S'il est possible, que ce calice passe loin de moi !» (Matt. 26, 30).
Cela veut dire que dans le Seigneur Christ la nature humaine est tout juste arrivée à une pleine conscience de l'horreur infernale du péché et de la mort. Jusque là, elle vivait comme dans l'enthousiasme du péché, comme dans un délire, dans un demi-sommeil, dans l'ivresse du mal et de la passion. Pour qu'elle s'éveille, pour qu'elle se dégrise, et qu'elle se sauve du péché et de la mort, le Seigneur, l'Ami de l'homme, en homme véritable, possesseur de la véritable nature humaine, a volontairement passé par toutes les souffrances et par la mort, pour purifier et pour sanctifier la nature humaine du péché et de la mort. En outre, il a agi en Dieu véritable : voyant sa mort sur la Croix, il n'a pas faibli, il n'a pas pleuré, il a vécu toute la tragédie de la race humaine, il a volontairement souffert et il est véritablement entré dans la mort pour sauver la race humaine par sa passion et par sa mort divino-humaines sur la Croix. C'est pourquoi il a dit : «Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux» (Matt. 26, 39).
Ressentant tous les tourments de la vie humaine touchée par le péché et par la mort, le Seigneur Jésus, seul dans toute la race humaine, était pleinement conscient de l'immensité de notre chute et de notre désespoir sans issue. Aussi est-ce dans les larmes et avec un grand gémissement qu'il a prié à notre place à nous tous et pour nous tous son Père des cieux, obtenant de Lui par sa pitié que les hommes fussent sauvés du péché et de la mort. C'est ce que l'Apôtre exprime par ces mots : «Dans les jours de sa chair, ayant présenté avec de grands cris et des larmes, des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort, il a été exaucé à cause de sa piété» (Héb. 5, 7). Le Seigneur Jésus fut exaucé en ce qu'il Lui fut accordé, en tant que véritable Dieu-Homme, en tant que représentant authentique de toute la race humaine, de sauver la race humaine du péché et de la mort éternelle par sa Passion et par sa mort divino-humaines. Selon le témoignage de saint Jean Chrysostome, les mots de l'Apôtre : «Il fut exaucé à cause de sa piété» veulent indiquer l'exploit du Christ plutôt que la grâce de Dieu21.
Seul Dieu pouvait faire passer la nature humaine de la mort éternelle à la vie éternelle, seul un homme pouvait faire sienne la vie éternelle ; c'est pourquoi seul le Dieu-Homme peut être et est notre Sauveur. Par sa Passion divino-humaine, le Seigneur a sanctifié les souffrances humaines, il les a adoucies et les a transformées en joie, et elles sont devenues la joie de ceux qui portent le Christ22. C'est pourquoi on dit du Seigneur Jésus non seulement qu'il a souffert pour nous, mais encore qu'il a souffert à notre place. Sa Passion a une signification salutaire et vivifiante pour toute l'humanité parce qu'elle est divino-humaine, et que par elle il fait passer la nature humaine de la servitude à la liberté, de la mort à la vie. Faire passer de la condition d'esclave à la liberté, être appelé enfant de Dieu, retrouver la vie alors qu'on était mort n'est possible à aucun autre qu'à Celui qui, jouissant de l'intimité de nature avec Dieu échappe à la condition servile. Car comment ferait-il entrer dans l'intimité de Dieu, celui qui y est étranger ? Comment celui qui est lui-même sous le joug de la servitude pourrait-il en libérer23 ?
En tant que Dieu-Homme, le Sauveur a souffert en plénitude tous les tourments de l'esprit humain, qui a été éloigné de Dieu par le péché et les passions, qui a délaissé Dieu, et qui a donc été à son tour abandonné par Dieu. Comme homme, le Sauveur a ressenti le comble de cet abandon de l'homme par Dieu ; il l'en a guéri comme Dieu-Homme par son cri d'agonie : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?» (Marc 15, 34 ; Matt. 27, 46). Souffrir, pleurer, crier, sont le propre de la nature humaine et non de la nature divine, dit saint Athanase le Grand. Dans le Verbe incorporel, il n'y avait rien de ce qui est le propre du corps, tant qu'il n'avait pas assumé une chair soumise à la corruption et à la mort, car sainte Marie était mortelle, de laquelle il a pris chair. C'est justement parce qu'il était dans une chair soumise à la souffrance, aux larmes et à la peine, qu'il était indispensable de Lui attribuer en même temps qu'à la chair ce qui est le propre de la chair. Ainsi donc, même lorsqu'il pleurait et qu'il était bouleversé, ce n'était pas le Verbe en tant que Verbe qui pleurait et qui était bouleversé, c'était le propre de sa chair ; et lorsqu'il priait que le calice passât loin de Lui, ce n'était pas la Divinité qui pleurait, mais cette faiblesse aussi était le propre de son humanité. Et les paroles : «Pourquoi m'as-tu abandonné ?», l'Evangéliste les Lui attribue, bien qu'en tant que Verbe il n'ait aucunement souffert, et n'ait souffert tout cela et qu'il n'ait dit tout cela qu'en tant qu'homme afin d'alléger les souffrances de la chair et de l'en rendre libre. Mais lorsque nous méditons ces paroles du Sauveur : «Si cela est possible, que ce calice passe loin de moi» (Matt. 26, 39), il faut faire attention à ces mots qu'il avait dits à Pierre pour le reprendre en semblable occasion : «Tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais les pensées des hommes» (Matt. 16, 23). Il a prié que passât loin de Lui ce qu'il avait Lui-même désiré et ce pour quoi il était venu. Mais de même qu'il Lui était propre de le désirer, car c'est pour cela qu'il était venu, de même c'était le propre de la chair que de pleurer, et c'est pour cela qu'en tant qu'homme il a prononcé ces paroles. Ou bien encore il a dit et l'un et l'autre pour montrer que c'est Lui -Dieu- qui a voulu cela ; devenu homme, les larmes lui étaient devenues naturelles, et c'est pour cela qu'il a mélangé sa volonté avec la faiblesse humaine, afin qu'en anéantissant cette faiblesse, il rendît à nouveau l'homme intrépide devant la mort... Les bienheureux Apôtres eux aussi après sa mort, ont si bien méprisé la mort à cause de ces paroles, qu'ils ne faisaient pas attention aux juges, mais disaient : «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes» (Actes 5, 29). Les autres saints Martyrs aussi ont été si intrépides qu'il ne faut pas considérer qu'ils aient été livrés à la mort, mais qu'ils se sont offerts à la mort. Cela montre que ce n'est pas la Divinité qui a pleuré, mais que le Sauveur a effacé notre peur. Car de même que la mort est écrasée par la mort, de même notre peur a été effacée par une peur semblable, faisant que les hommes ne craignent plus la mort24.
Ces paroles : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?», le Sauveur les a prononcées du point de vue de l'humanité, au nom de l'humanité et, pour mettre fin à la malédiction et incliner vers nous la face de son Père, il Le prie de jeter un regard sur nous, parce qu'il a assumé ce qui est nôtre ; car nous avons été rejetés et abandonnés à cause de la transgression d'Adam, et maintenant nous sommes acceptés et sauvés... L'humanité représentée en Christ prie pour être libérée de ses chutes et de ses péchés25.
Puisque le Sauveur a assumé nos péchés et s'est attristé sur nous (Is. 53, 4), il est tout-à-fait naturel qu'il prie pour être délivré de la tentation, mais c'est au nom de la nature humaine qu'il prie26.
Dieu le Verbe incarné a tout souffert, non pas pour Lui, mais pour nous, afin qu'ayant revêtu l'impassibilité et l'incorruptibilité par ses souffrances, nous demeurions dans la vie éternelle27.
Ces mots pathétiques du Sauveur : «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?» selon le témoignage de saint Grégoire le Théologien, ne signifient pas que ni le Père, ni sa Divinité l'aient abandonné, mais qu'il nous représente en sa Personne. Car c'est auparavant que nous étions abandonnés et méprisés ; mais maintenant nous sommes assumés et sauvés par la Passion de l'Impassible. C'est la même signification qu'ont ces paroles : «Il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes» (Héb. 5, 8), de même que ce qui est dit sur les larmes du Sauveur, son gémissement, sa prière, sa piété (Héb. 5, 7). Car ce n'est pas en tant que Verbe qu'il était Lui-même obéissant ou désobéissant, mais c'est en la forme d'esclave (Phil. 2, 7) qu'il descend vers ses compagnons d'esclavage, qu'il a assumé une forme étrangère, devenant l'homme tout entier et tout ce qui est humain, afin d'anéantir en Lui ce qui est mauvais en l'homme, comme le feu anéantit la cire ou le soleil la brume de la terre, et afin que l'homme, s'unissant à Lui, prenne part à ce qui est propre à Lui-même. C'est pourquoi il honore en acte l'obéissance et il l'éprouve dans la souffrance, car il ne lui suffit pas d'une disposition intérieure, de même qu'à nous non plus elle ne suffit pas, si nous ne passons pas aux actes, car l'acte est la preuve de la disposition28.
Que voulait le Seigneur Christ lorsqu'il disait :«Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?», demande saint Cyrille d'Alexandrie, et il répond : Lorsque notre ancêtre Adam méprisa le commandement qui lui avait été donné, et négligea la loi de Dieu, la nature humaine fut en quelque sorte abandonnée de Dieu et elle devint pour cela maudite et soumise à la mort. Mais puisque le Fils unique et Verbe de Dieu vient ramener à l'incorruptibilité ce qui avait déchu, puisqu'il adopte la postérité d'Abraham et la considère comme des frères (Héb. 2, 16. 17), il fallait bien faire cesser, avec la malédiction antique et la corruption contractée, cet éloignement de Dieu où demeurait depuis longtemps la nature humaine. Se trouvant donc parmi ceux qui étaient abandonnés, puisque notre semblable a lui aussi part au sang et à la chair (Héb. 2, 14), il dit : «Pourquoi m'as-tu abandonné ?» ce qui évidemment efface l'abandon où nous nous trouvions. Il se concilie ainsi la faveur du Père, et invoque sur Lui-même la miséricorde qui nous était nécessaire. Le Christ est, en effet, devenu pour nous la source et le donateur de tout bien ; c'est pourquoi, bien qu'il soit dit de Lui qu'il a reçu en tant qu'homme quelque chose du Père, il l'a reçu pour notre nature, puisqu'en tant que Dieu il est comblé et n'a besoin de quoi que ce soit29.
En souffrant comme homme, le Sauveur a, en son principe, renouvelé la nature humaine tout entière, par la force de l'union hypostatique et indivisible des deux natures. Grâce aux souffrances du Christ, nous sommes créés à nouveau, dit saint Grégoire le Théologien. Je ne dis pas que certains sont renouvelés et d'autres non, je dis que nous sommes tous renouvelés, nous qui avons participé au même Adam et qui avons été trompés par le serpent, nous qui avons été mis à mort par le péché et sauvés par l'Adam céleste, nous qui, par l'arbre de la honte (c'est-à-dire la Croix) avons retrouvé l'arbre de vie dont nous avions été déchus30 ; en un mot : le Christ sauve par ses souffrances31, car c'est par ses souffrances qu'Il a divinisé l'homme, unissant la forme céleste à la forme humaine32. C'est pourquoi saint Grégoire appelle le Nouveau Testament, la «Loi du Nouveau Testament», le «mystère de la Passion33».
Une merveilleuse force salutaire coule, sur toute la race humaine, des souffrances du Dieu-Homme, qui était sans péché. Là s'accomplit indiciblement le mystère du salut de l'homme qui était tombé impuissant dans le péché. Le Verbe de Dieu, dit saint Hippolyte, est incorporel, mais il a assumé un corps saint de la sainte Vierge, comme un fiancé endosse un vêtement, qu'il s'était tissé Lui-même pour les souffrances de la Croix, afin qu'en unissant notre corps mortel avec sa puissance et en mélangeant le corruptible avec l'incorruptible, le faible au fort, il pût sauver l'homme déchu. Nous n'avons pas été capables, déclare Tertullien, de vaincre la mort autrement que par la Passion du Christ, et nous n'avons pas été capables de rétablir la vie en nous autrement que par la Résurrection du Christ34. Ressentant fortement la force toute -salutaire des souffrances divino-humaines du Sauveur, saint Jean Chrysostome enseigne : «Par ses souffrances, le Christ a vaincu la mort35».
Par sa Personne divino-humaine, le Seigneur Christ embrasse tout ce qui est humain, hormis le péché. C'est pourquoi ses souffrances aussi ont une puissance et une signification pour l'homme tout entier. Tout ce qui lui est arrivé se répercute dans toute la nature humaine en général. Devenu homme en assumant la forme d'esclave, dit saint Grégoire de Nysse, le Verbe dans sa majesté s'approprie les souffrances de l'esclave. En nous-mêmes, à cause des liens entre les membres du corps, si quelque chose arrive au bout d'un ongle, tout le corps ressent la douleur à cause de la partie atteinte, parce qu'une sensation commune étreint le corps tout entier ; de même, lorsque le Seigneur s'est uni à notre nature, il a fait siennes nos souffrances, comme le dit le prophète Isaïe : Il a pris nos infirmités et il s'est chargé de nos maladies (Matt. 8, 17) et il a été soumis aux blessures pour nous, afin que nous soyons guéris par sa blessure (Is. 53, 4-5). Ce n'est pas sa Divinité qui a souffert les blessures, c'est l'homme qui, grâce à cette union, s'est uni à la Divinité, car la nature humaine est accessible aux blessures. Or il s'est produit que le mal a été anéanti de la même manière qu'il est survenu : puisque la mort était entrée dans le monde par la désobéissance du premier homme, elle en a été chassée par l'obéissance du second homme. C'est pour ceci que le Seigneur est obéissant même jusqu'à la mort (Phil. 2, 8) : pour guérir par l'obéissance le péché de désobéissance, car la résurrection d'un homme de la mort est l'anéantissement de la mort36.
Dieu nous a créés pour l'incorruptibilité, mais lorsque nous avons transgressé son commandement salutaire, il nous a condamné à la souillure de la mort, afin que le mal ne devienne pas immortel ; mais comme il est très miséricordieux, descendant vers ses esclaves et devenu semblable à nous, par sa propre Passion il nous a délivrés de la corruption ; de son saint côté immaculé, il a fait couler une source de pardon : de l'eau pour le bain de notre nouvelle naissance, et du sang comme nourriture donnant la vie éternelle37.
Chaque souffrance du Sauveur est une source intarissable de cette puissance divino-humaine qui nous sauve. De même que derrière chaque souffrance humaine se trouve le péché, de même, derrière chaque souffrance du Dieu-Homme se trouve le remède. Adam a été condamné à cause du péché, dit saint Cyrille de Jérusalem et Dieu a prononcé cette sentence : «Que la terre soit maudite en tes oeuvres, elle fera pousser pour toi les épines et les ronces» (Gen. 3, 17-18) ; voilà pourquoi le Seigneur Christ reçoit des épines, afin de délier la sentence, voilà pourquoi il a été enseveli dans la terre, afin que la terre maudite, lieu de la malédiction, reçoive la bénédiction38. Par le péché, les hommes avaient transformé leur nature en épines, dit saint Grégoire de Nysse ; par l'économie de sa mort salutaire, le Seigneur Christ s'est fait une couronne pour Lui-même, transformant par sa Passion les épines en honneur et en gloire39. Il ne fait pas de doute, déclare saint Cyrille d'Alexandrie, que le monde tout entier est sauvé parce que l'Emmanuel est mort pour lui40, car sa mort sanctifie tous et tout41.
La vérité sur les souffrances très salutaires du Christ constitue l'essence de la conscience priante et de la connaissance bénie de l'Eglise catholique. Le Seigneur est venu dans le monde pour souffrir pour nos péchés, pour nous délivrer de l'asservissement à l'ennemi de la race humaine -le diable42. Le Seigneur Christ est volontairement né dans la chair, et a pris en Lui toutes les souffrances pour sauver le monde. En supportant la souffrance le Seigneur Christ déverse d'une mystérieuse manière sur tous les hommes la puissance de l'incorruptibilité43. L'Ami de l'homme, le Seigneur, marche au supplice, comme un Agneau, il va recevoir des coups, des blessures, il est condamné à une mort honteuse. Lui qui est sans péché, il accepte tout cela afin de pouvoir accorder à tous la Résurrection des morts44. Les Juifs ont condamné à mort le Seigneur qui est la vie de tous. Ils l'ont fixé à la Croix, eux qui avaient traversé la mer Rouge par sa force. Ils Lui ont donné du fiel, eux qui avaient mangé du miel tiré de la pierre. Mais le Christ notre Dieu a tout volontairement souffert, afin de nous délivrer de notre asservissement au diable45. En souffrant tout, le Seigneur qui n'a commis aucun péché a tout sauvé46. Par sa Passion divino-humaine, le Sauveur nous délivre de nos passions, de l'amertume et de l'absurdité de nos passions, et nous élève dans ses hauteurs divines47.
Unie pour toujours par l'hypostase avec sa Divinité, la nature humaine de notre Seigneur le Christ nous a tous sauvés de la corruption par sa Passion et par sa sépulture48. Par ses souffrances divines, le Sauveur délivre l'homme des souffrances corruptibles49. Par ses souffrances, le Sauveur nous a accordé l'incorruptibilité, et délivrés de l'amertume et de la corruption des passions qui nous conduisent à la mort éternelle50.
Dans la Passion du Dieu-Homme, nous avons un spectacle merveilleux : par sa Passion le Roi de l'éternité accomplit l'économie du salut51. Par sa Passion, le Seigneur Christ délivre tous les hommes des passions et de la corruptibilité52. Une force vivifiante rayonne de la Passion du Christ qui, d'une vie immortelle revivifie les hommes mis à mort par les péchés53. Dieu le Verbe, devenu homme, souffre en tant que mortel, et par sa Passion, il revêt l'homme de la beauté de l'immortalité54.
Par les souffrances de son corps, le Seigneur Christ est devenu une force toute puissante, de résurrection pour les déchus et d'incorruptibilité pour les défunts55. Par ses souffrances, le Seigneur a accompli le salut de l'univers56. Cloué à la Croix, le Seigneur a cloué le péché des ancêtres ; frappé, il a donné la liberté à tous les hommes ; par ses souffrances, nous avons été délivrés d'innombrables passions57. En souffrant en son corps, le Seigneur qui n'a pas commis de péché a vivifié d'une mystérieuse manière les hommes mortels, il les a vivifiés d'une vie immortelle58.
Par les souffrances de son corps vénérable, le Seigneur a sauvé les hommes, blessés par le péché, emprisonnés par la mort et étranglés par d'innombrables passions59. Par ses divines souffrances, le Seigneur, l'Ami de l'homme, a fait cesser les nôtres et nous a conduits vers la vie, une vie dans laquelle la souffrance n'est plus un cauchemar absurde, insensé, mais un remède salutaire60. Incarné dans la totalité de l'homme, le Seigneur a offert par sa Passion sur la Croix le salut à l'homme tout entier61.
Le Christ notre Seigneur, par ses souffrances très pures, a délivré de la corruption l'homme tout entier qu'il avait assumé en s'unissant avec lui tout entier dans le sein de la sainte Vierge, mais sans prendre part à son péché62. En tant que médecin des hommes malades et défunts, le Seigneur a guéri par sa Passion sur la Croix la nature humaine, rendue malade par le péché et mise à mort par le mort63. C'est pourquoi l'Eglise lui crie avec joie : «Par ta Passion, ô Christ, nous sommes délivrés de nos souffrances64 !» Et le Renvoi du Vendredi saint, où elle résume avec une divine inspiration ses innombrables sentiments sur la Passion salutaire du Christ, exprime clairement que le Seigneur a souffert tout cela «pour nous les hommes et pour notre salut».
Le rachat par le Dieu-homme
Le Nouveau Testament est tout entier dans le mystère sacré et ineffable de la Croix du Christ. C'est dans le mystère de la Croix du Dieu-Homme que s'enracinent toutes les vérités contenues dans le Nouveau Testament et tous les biens qu'il nous offre ; c'est dans ce mystère qu'ils puisent leur force salutaire et vivifiante. Il est évident que la puissance de salut universel de la Croix du Christ s'étend en l'homme à tous ses précipices, à ses passions, à ses vices, à ses péchés, et qu'elle l'embrasse en entier, pour le sauver, le racheter, le purifier et le sanctifier.
Lors de la Dernière Cène, notre merveilleux Sauveur nous a révélé plus pleinement le mystère de sa mort sur la Croix, et il a presque réduit à ce mystère sa nouvelle Alliance (le «Nouveau Testament»). Car la nouvelle Alliance est une alliance dans le sang du Dieu-Homme, du Christ, qui est versé pour la rémission des péchés, c'est-à-dire pour sauver de la mort, du mal et du diable. Le Sauveur, l'Ami de l'homme, nous a mystérieusement révélé la signification salutaire et la force vivifiante de sa mort lorsqu'il a dit : «Ceci est mon corps, qui est livré pour vous» et : «Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle Alliance, qui est répandu pour beaucoup, pour la rémission des péchés65». Le Seigneur a joint pour toujours le mystère de la Croix avec le mystère de la sainte Communion. Ce mystère est le fondement de tous les biens, dit saint Jean Chrysostome, car c'est par ce mystère aussi que le Sauveur sauve et enseigne66. Le soir de la Dernière Cène, le Sauveur a accompli le mystère du Salut67, qui concerne toute la race humaine. Selon le bienheureux Théophylacte, les paroles du Sauveur «qui est livré pour vous» et «qui est répandu» ne signifient pas qu'il livre son corps ni qu'il répande son sang seulement pour les Apôtres, mais pour toute la race humaine, pour toute la nature humaine prise dans son ensemble68.
C'est le Sauveur Lui-même qui appelle «rachat» (lutron) son sacrifice pour la race humaine : «Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et pour livrer son âme pour le rachat de beaucoup69». Selon le témoignage de saint Jean Chrysostome, ces paroles du Sauveur signifient que le Seigneur n'est pas venu seulement pour le service de beaucoup, mais pour donner son âme comme rançon même pour ses ennemis, en se laissant crucifier sur la Croix70. Mais selon le témoignage du bienheureux Théophylacte, les paroles «pour beaucoup» signifient «pour tous», car tous sont beaucoup71.
Par sa vie divino-humaine tout entière sur la terre, et en particulier par sa mort volontaire sur la Croix, le Seigneur Jésus a montré qu'il est vraiment l'agneau sans tache, celui qui ôte les péchés du monde72, c'est-à-dire tout le péché dans toute sa réalité et sa plénitude physique et métaphysique73.
Le Seigneur Christ a pu assumer tout le péché du monde, sans en être contaminé, parce qu'il est le Dieu-Homme sans péché, car dans la Divinité il n'y a pas de place pour le péché, pas plus que dans la nature humaine qui est hypostatiquement unie avec la Divinité. Il est évident, dit le bienheureux Théophylacte, que celui qui est tellement pur qu'il prend sur lui le péché du monde et qu'il anéantit le péché ne peut avoir de péché74. Le Christ s'appelle l'Agneau de Dieu, soit parce que Dieu l'a livré pour nous à la mort, soit parce qu'il a accepté la mort pour notre salut. De même que nous disons usuellement : «Ceci est le sacrifice d'Un tel ou d'Un tel», au lieu de dire : «Un tel ou Un tel a offert ce sacrifice», de même le Seigneur s'appelle «Agneau de Dieu» parce que Dieu le Père l'a livré par amour pour nous pour être égorgé pour nous75. Les agneaux qui étaient égorgés dans l'Ancien Testament n'effaçaient pas complètement le péché, mais cet Agneau là prend sur Lui les péchés du monde entier, c'est-à-dire qu'il les efface, qu'il les abolit76.
Puisqu'il a pris sur Lui tout le péché du monde dans son immense et funeste horreur77, et qu'il s'est offert Lui-même comme Agneau innocent et immaculé en victime pour le monde, le Seigneur Christ a accompli toute la justice divine, celle qui avait à bon droit et très naturellement condamné l'homme à mort à cause du péché. Par nature, la justice divine ne tolère pas le péché qui inclut la mort ; par sa nature humaine à l'image de Dieu, elle veut un monde vivant, sans péché. Par son économie divino-humaine du salut, le Sauveur a accompli volontairement la justice divine, et comme nouvel Adam, en représentant de la nouvelle humanité, il a acquis le droit, qu'il avait depuis toujours en tant que Dieu, de remettre aux hommes leurs péchés, pour les sanctifier par son sang et les mener à la vie éternelle.
Comme le Seigneur Jésus Christ est sans péché sous tous les aspects de la réalité de sa personne divino-humaine, selon les immuables lois divines, il ne pouvait pas mourir, puisque la mort est une conséquence du péché, le salaire du péché (Rom. 6, 23). Il est devenu pour nous le nouvel Adam et un Dieu, selon les mots de saint Grégoire le Théologien, capable de souffrir dans la lutte contre le péché78. Bien qu'il fût, selon sa nature divine, sans péché, hors de la mort et au-dessus de la mort, le Seigneur, l'Ami de l'homme, a volontairement accepté la mort pour les hommes que la mort avait ravagés à cause de leurs péchés et de leur état général pécheur ; dans son sacrifice de rachat il est devenu Rédempteur, et il a sauvé la race humaine du péché et de la mort.
Bon Pasteur offrant son âme pour ses brebis, le Seigneur Christ rachète et sauve les hommes du péché et de la mort en leur assurant la vie éternelle en abondance (Jean 10, 11, 10 et 15 ; cf. Jean 3, 14-14). Le Sauveur a souligné le caractère rédempteur de sa mort volontaire lorsqu'il a proclamé le sens de la divine Eucharistie : «Je suis le pain vivant qui descend du ciel ; qui mange de ce pain vivra à jamais ; et le pain que je donnerai, c'est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde» (Jean 6, 51). Et lors de la sainte Cène, comme pour confirmer ces paroles, le Seigneur dit du saint pain de l'Eucharistie : «Ceci est mon corps qui est livré pour vous» (Luc 22, 19).
Seul le Seigneur Jésus, dit saint Athanase le Grand, est mort, conduit à la mort pour l'iniquité humaine (Is. 51, 8) ; seul aussi, il est resté libre, alors qu'il était mort, parce qu'il n'avait pas en Lui de péché qui l'eût soumis à la mort, et c'est à cause de cela qu'il a dit : «J'ai pouvoir de donner mon âme et j'ai pouvoir de la reprendre» (Jean 10, 18)79. La vie ne peut mourir, mais, plus encore, c'est Lui-même qui vivifie les morts. Issu du Père selon la Divinité, le Seigneur est donc la source de vie, et l'homme qui est né de la Vierge Marie, Celui qui prie pour nous, et que la Divinité du Verbe a assumé à cause de nous, est mort et est ressuscité... Mais dans le Seigneur, l'homme n'est pas mort contre sa volonté ni de maladie, il est entré de sa propre volonté dans la mort par laquelle il a accompli l'économie du salut, affermi par Dieu le Verbe qui avait établi sa demeure en Lui et qui a dit : «Personne ne m'ôte mon âme, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner et de la reprendre» (Jean 10, 18). C'est donc la Divinité du Verbe qui donne et qui reprend l'âme de l'homme, celle que le Fils a assumée, car il a assumé l'homme complet, afin de vivifier l'homme complet et avec Lui même les morts. En tant que Tout-Puissant et Créateur de l'univers, le Fils s'est ménagé un temple en la Vierge -sa chair- il se l'est acquise comme un outil, y faisant sa résidence et se laissant connaître à travers elle. C'est pourquoi il assume une chair qui peut mourir, afin que devenue la chair de Dieu le Verbe, elle devienne capable de mourir pour tous, tout en restant incorrompue à cause de l'inhabitation du Verbe en elle80.
La mort du Seigneur Christ n'a pas été comme la mort de notre nature ; sa chair n'était pas soumise à la loi du péché, pour être soumise à la sentence de mort à cause du péché, c'est à cause du péché des autres qu'il a été supplicié... Il n'est pas mort pour ses péchés, mais pour les péchés des autres ; il est mort d'une nature mortelle et non vivante81.
Adam a péché, et il est mort ; le Christ n'a pas péché, et il est mort Lui aussi. Voici une chose inhabituelle et étrange : Adam a péché, et il est mort ; le Christ n'a pas péché, et il est mort Lui aussi. D'où cela vient-il, et pourquoi ? Parce que celui qui a péché et qui est mort a pu, avec l'aide de Celui qui n'avait pas péché et qui est mort, être libéré des liens de la mort. Ainsi en arrive-t-il souvent lorsqu'on doit de l'argent : si quelqu'un doit de l'argent à quelqu'un et qu'il ne puisse pas le lui rendre, il tombe entre les mains de son créancier ; mais un autre, à qui il ne doit rien, mais qui a la possibilité de payer, paye et libère le créancier. Il en a été ainsi d'Adam et du Christ. Adam devenu débiteur, soumis à la mort, est tombé entre les mains du diable ; le Christ n'était pas débiteur et n'était pas entre les mains du diable, mais il est venu payer de sa mort pour celui qui était entre les mains du diable, afin que l'homme fût délivré de cette mort82.
Le Christ est mort une fois pour toutes (Rom. 6, 10) ; il ne faut pas en tirer la conclusion qu'il reste mort. Au contraire, c'est justement à cause de cela qu'il reste immortel, puisque sa mort devient la mort de la mort, et puisqu'il est mort, c'est pour cela qu'il ne meurt pas. C'est ce que montrent aussi les paroles : «Par la mort, il est mort pour le péché» (Rom. 6, 10). Que signifie donc : «pour le péché» ? Cela veut dire que par Lui-même il n'était pas soumis au péché, mais qu'il est mort pour notre péché. Car c'est pour ceci qu'il est mort : pour anéantir le péché, pour lui trancher les nerfs et lui ôter toute force83.
C'est une Personne une et indivisible qui est à la fois et Sauveur et Rédempteur, parce que seul le Seigneur Christ à la fois sauve et délivre. Quelle différence y a-t-il entre sauver et délivrer ? demande saint Basile le Grand, et il répond : Celle-ci que le salut est nécessaire en réalité pour ceux qui sont affaiblis, et la délivrance pour ceux qui sont détenus en esclavage. C'est pourquoi celui qui a en lui une faiblesse mais qui trouve en lui la foi, sa foi l'emplit de salut, car il est dit : «Ta foi t'a sauvée» (Luc 7, 50) ; et aussi : «Qu'il te soit fait selon ta foi» (Matt. 8, 13). Celui qui a besoin de délivrance attend qu'un autre paye pour lui la rançon nécessaire. C'est pourquoi celui que la mort menace, sachant qu'il n'y a qu'un seul Sauveur et qu'un seul Rédempteur, dit : «En Toi je me remets, sauve-moi de ma faiblesse, et délivre-moi de l'esclavage84».
Le mystère du rachat de la race humaine est enveloppé de toute part par les infinités de l'amour divin : le Dieu-Homme, qui ne connaît pas le péché, meurt volontairement bien qu'il soit immortel par nature, afin de racheter les hommes de la mort par sa mort divino-humaine. On comprend qu'ici se trouve la redoutable antinomie de la foi, et en elle un mystère infini, dont la réalité salutaire est présente dans ce cri d'admiration de la foi : «Oh, miracle ! Comment la vie de tous et de chacun peut-elle goûter à la mort85
La vérité divine sur la signification et la puissance rédemptrice de la mort du Sauveur est un élément constitutif de la Révélation de l'Ancien et du Nouveau Testament. Dans sa divine inspiration, le prophète Isaïe l'annonçait avec une clarté toute évangélique. Selon lui, le Messie -le Serviteur souffrant sans péché- apparaît par ses souffrances innocentes et sa mort volontaire pour nous, comme la victime offerte en rachat grâce à laquelle nous sommes guéris du péché et de la mort : «Il porte nos péchés et il assume nos souffrances86 ; il a été blessé pour nos péchés, et broyé pour nos iniquités ; le châtiment était sur lui pour notre paix ; par ses plaies nous avons été guéris87 ; tous, nous errions comme des brebis, chacun errait sur son chemin ; et le Seigneur l'a livré pour nos péchés88 ; il a été maltraité et opprimé, comme un agneau qu'on mène à l'abattoir89 ; il a porté les péchés de beaucoup, et c'est pour leurs péchés qu'il a été livré90».
La mort rédemptrice du Sauveur n'a pas seulement été prophétisée, elle a été aussi préfigurée dans l'Ancien Testament, car les sacrifices de l'Ancien Testament préfigurent cette mort. Le but final de ces sacrifices de l'Ancien Testament était de purifier les hommes du péché et de les réconcilier avec Dieu91. Les péchés étaient transférés aux victimes vivantes, avec la culpabilité et la responsabilité des hommes92. Mais les sacrifices de l'Ancien Testament et leur efficacité n'étaient que la préfiguration et l'ombre du sacrifice du Christ, par lequel il a, une fois pour toutes, racheté les hommes du péché et de la mort (Cf Héb. 10, 1-14).
Pleins de l'Esprit Saint et conduits par Lui à travers tous les mystères de la Révélation, les saints Apôtres ont ressenti d'une seule âme, ont su et ont confessé que le Seigneur Christ a accompli par sa mort sur la Croix le rachat et le salut de la race humaine.
Le Premier des Apôtres a la vision cosmique de l'immense valeur du sang divino-humain du Christ, par lequel le Christ nous a rachetés d'une vie de vanité et d'amour du péché et emplis des infinies valeurs divines. Sur ces valeurs, nous devons monter la garde avec soin et vigilance ; c'est pourquoi il ordonne : «Conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre pèlerinage, sachant que ce n'est pas par des choses périssables, par de l'argent ou de l'or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vous teniez de vos pères, mais par le sang précieux de Christ, comme d'un agneau sans défaut et sans tache, prédestiné dès avant la fondation du monde et manifesté à la fin des temps à cause de vous» (1 Pi. 1, 17-20 ; cf. 2 Pi. 2, 1).
Claire est la pensée, mieux : la divine pensée, de l'Apôtre. La vie de l'homme qui se trouve hors du Dieu-Homme, le Christ, et de ses valeurs, éternelles et divines, sous la puissance du péché, est pleine de futilités, de nullités désespérantes et caduques et de vanités éphémères. Telle est la vie de tous les hommes, telle fut la vie de tous nos pères et de nos ancêtres, à commencer par celle d'Adam et d'Eve. Futilité et caducité sont les conséquences inévitables qui découlent inéluctablement de la succession des générations. Mais de cette amère caducité pécheresse et mortelle, futile et désespérante, le Seigneur qui n'a pas commis de péché a racheté la race humaine par sa mort sur la Croix comme par un trésor divin, inaugurant le règne de la vie immortelle en ce monde. Le sang du Christ volontairement répandu pour les hommes a devant Dieu une valeur infinie parce qu'il est le sang du Dieu-Homme. C'est seulement comme tel qu'il rachète la race humaine du péché et de la mort, et qu'il la conduit dans l'immortalité et dans la vie éternelle.
Pour commenter ces paroles de l'Apôtre, saint Cyrille d'Alexandrie déclare : ce qui nous rachète est que le Christ donne son propre corps. Mais s'il n'était qu'un homme habituel, comment son sang pourrait-il avoir autant de valeur que la vie de tous les autres hommes ? Si cependant il est le Dieu dans la chair qui vaut plus cher que tout, il est tout à fait naturel que le rachat du monde entier par son sang soit une chose réelle93.
Que le Seigneur tri-solaire, dans sa très-sage Providence pour la race humaine déchue, ait choisi la mort de son Fils sur la Croix comme moyen de rachat, ce mystère est grand, c'est un mystère tout-à-fait divin, enfoui dans le silence divin avec les mystères prééternels du monde. La mort sur la Croix du Dieu-Homme, avec sa puissance infinie de rachat et sa toute-valeur divine, est entourée des mystères éternels et infinis de la Divinité trinitaire, que ne peut aucunement sonder le regard d'un être créé, que ce soit un insecte, un homme ou un Chérubin.
L'Apôtre enflammé est tout brûlant de ce qu'il perçoit et de ce qu'il sait : le Seigneur Christ a souffert pour nous (1 Pi. 2, 21 ; cf. 4, 1), en offrant à notre place et pour nous à Dieu l'infinie valeur de son sacrifice, par lequel il réconcilie l'homme avec Dieu et le sauve de la puissance du péché et de la mort. Il a pu le faire parce qu'il est sans péché (1 Pi. 2, 22-24). Exempt du péché et de la mort par sa nature divine, le Seigneur Christ s'est abaissé par son immense amour de l'homme jusqu'à la mort de la Croix (Cf Phil. 2, 7-8), il a volontairement accepté la mort pour nous et à notre place, il a écrasé la mort et notre péché, nous emmenant vers la vie éternelle.
Absolument saint et absolument sans péché, le Dieu-Homme était libre à l'égard du châtiment du péché. Mais puisque la nature humaine est indissolublement et pour l'éternité incluse, en vertu de l'Incarnation, dans l'Hypostase de Dieu le Verbe, et puisque la Divinité n'a pas abandonné la nature humaine dans le Seigneur Christ -pas même pour le temps de Sa Passion et de Sa mort-, ce n'est pas seulement un homme qui a souffert pour les hommes, c'est le Fils de Dieu incarné, le Dieu-Homme Jésus Christ, le nouvel Adam, le chef de la race de la nouvelle humanité. C'est ce qui fait que la mort du Seigneur Christ est sans prix, totalement salutaire et rédemptrice, qu'elle a pu transformer, et que de fait elle a transformé tous les hommes, qu'elle les a sauvés, et qu'elle les a rachetés de la mort éternelle et de l'empire du mal.
Et le Premier des Apôtres l'annonce : le Seigneur Christ, qui n'a pas de péché, a pris nos péchés sur sa chair en montant sur le bois (c'est-à-dire sur la Croix), pour que nous mettions ces péchés à mort et que nous vivions dans la justice ; «par ses plaies vous avez été guéris (1 Pi. 2, 22-24)». Selon l'enseignement de l'Ancien Testament, porter ses péchés signifie supporter un châtiment pour ses péchés94. De même porter le péché d'autrui signifie supporter le châtiment à cause du péché d'autrui95. Dans ce contexte, les paroles de l'Apôtre Pierre sur le Seigneur Jésus Christ signifient : «Le Christ a pris sur lui le châtiment pour nos péchés96». Le châtiment de l'homme et de l'humanité à cause du péché était la malédiction et la mort : le Christ a pris sur Lui cette malédiction (Gal. 3, 13) et est mort pour tous. C'est par cette mystérieuse action des forces divino-humaines du Christ qu'a été ainsi opérée la rédemption de la race humaine. Ayant pris nos péchés sur sa chair en montant sur la Croix, le Seigneur Christ s'est offert en victime pour les péchés du monde entier. Par son sacrifice divino-humain, le Seigneur a délivré de leur responsabilité pour le péché et de leur châtiment tous ceux qui croient en son sacrifice rédempteur. Ayant supporté «sur sa chair», c'est-à-dire sur sa nature humaine, le châtiment pour le péché des hommes, le Seigneur a ouvert à la nature humaine tout entière la voie à travers la justice divine et la vie éternelle.
Par ses plaies vous avez été guéris signifie que par sa mort vous avez été guéris du péché et de la mort, car sa mort, comme rachat et comme guérison, a une signification et une force totalement humaines. C'est ce que souligne avec force le saint Apôtre lorsqu'il dit : «Le Christ a souffert une fois pour toutes la mort pour nos péchés, le Juste pour les injustes, afin de nous conduire vers Dieu» (1 Pi. 3, 18). Commentant ces paroles de l'Apôtre, saint Cyrille d'Alexandrie ajoute : «Beaucoup de saints Prophètes ont été frappés, mais d'aucun d'entre eux il n'est dit qu'il soit mort pour les pécheurs, ni qu'il nous ait conduits vers Dieu par sa mort, ni qu'il ait prêché aux esprits dans leur prison. Le Christ a fait tout cela, et nous sommes rachetés par Lui et en Lui, et sa Passion a apporté le salut au monde. Il n'est donc pas mort pour nous comme l'un de nos semblables, mais comme le Dieu dans la chair qui donne sa chair en rachat pour la vie de tous97».
Le seul Juste sans péché a souffert pour l'injuste et à la place de l'injuste ; il a supporté la sentence qui avait été portée par le juste Juge divin à cause de nos péchés contre toute la race humaine. Par la mort du Juste sans péché, qui a volontairement souffert à la place de l'injuste, la race humaine est délivrée de sa responsabilité pour le péché, elle est libérée du péché lui-même, cet unique obstacle entre elle et Dieu, et notre unique ennemi devant Dieu, et elle est conduite vers Dieu.
Le disciple que le Christ aimait, celui qui a ressenti la Personne du Dieu-Homme d'une merveilleuse manière, plus tendre et plus proche qu'aucun autre homme, celui qui a pénétré le plus profondément, de âme bénie, le mystère de l'économie divino-humaine du salut, exprime, en vrai fils du tonnerre qu'il est, lumineusement et fortement, quel est le sens et le but de la vie du Sauveur sur terre : «Il s'est manifesté afin d'ôter nos péchés, et il n'est pas en Lui de péché» (1 Jean 3, 5). Or ôter nos péchés signifie nous délivrer du péché en prenant sur lui la responsabilité et le châtiment pour le péché. Seul pouvait le faire et seul l'a fait l'Unique sans péché (cf. Jean 8, 32-36), car en Lui il n'est pas de péché. Et il l'a fait en livrant son âme pour nous et à notre place : il a livré son âme pour nous» (1 Jean 3, 16). Et son âme infiniment précieuse, avec toutes ses infinies vérités divines et ses forces rédemptrices et créatrices, nous purifie, nous sauve de tout péché sans exception (1 Jean 1, 7) et nous rachète de la mort. Le très saint sang du Dieu-Homme, le Christ, possède une mystérieuse puissance rédemptrice, et c'est pourquoi dans l'Apocalypse les vingt-quatre vieillards s'adressent au Seigneur Christ qui se tient au milieu sur le trône comme Agneau immolé, en disant : «Tu as été immolé et tu nous as rachetés pour Dieu par ton sang» (Apocalypse, 5, 6 et 9).
Si sur terre jamais le merveilleux Sauveur a considéré un être humain digne de recevoir dans la mesure du possible la révélation de la signification rédemptrice de sa mort sur la Croix, cet être est bien l'apôtre Paul. Tous les mystères de l'Evangile, et même le mystère de la mort du Sauveur, l'apôtre Paul les a appris directement et par de nombreuses révélations du Seigneur Christ monté au ciel. C'est pourquoi il le déclare résolument : «C'est par révélation que j'ai eu connaissance du mystère» (Eph. 3, 3), du mystère tout entier du Dieu-Homme, du Christ, et de son exploit rédempteur. Aussi l'Evangile qu'il prêche n'est-il pas selon l'homme, car il n'en a pas été instruit par les hommes, mais il provient directement d'une révélation du Seigneur Christ (Gal. 1, 11-12). C'est pourquoi tout ce qu'il fait, tout ce qu'il dit, tout ce qu'il écrit, il le fait, il le dit, il l'écrit selon la Révélation du Seigneur Christ. Et il réduit l'Evangile tout entier du Seigneur Christ à la Croix du Christ, à la crucifixion du Christ (1 Cor. 1, 23). Il ne sait rien que le Christ Jésus, et crucifié (1 Cor. 2, 2). Ramenant l'Evangile du Christ à sa mort rédemptrice et salutaire, il dit : «Je vous ai enseigné avant tout, comme je l'avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon l'Ecriture» (1 Cor. 15, 3). Cette vérité, l'Apôtre la tient d'une révélation du Seigneur Christ Lui-même ; il n'y a là rien d'humain. L'Apôtre montre ainsi que «parmi les dogmes, il n'y a rien d'humain98». C'est comme si l'Apôtre disait : «Je n'ai pas imaginé ma prédication, je n'ai pas procédé par des pensées humaines, mais j'ai reçu moi-même du Seigneur Jésus l'enseignement à ce sujet». -Quel enseignement as-tu donc reçu ? -Que le Christ est mort pour nos péchés, selon l'Ecriture. C'est ce qu'avaient prophétisé les Prophètes, et c'est ce qu'Isaïe avait dit explicitement : «Il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités99» (Is. 53, 5).
Le grand Apôtre l'annonce au peuple : «Le Seigneur Jésus Christ s'est livré Lui-même pour nos péchés, afin de nous délivrer du présent siècle maudit» (Gal. 1, 4). Selon le témoignage de saint Jean Chrysostome, cela signifie : «Nous avons péché, dit l'Apôtre, dans d'innombrables méchancetés, et nous avons subi le châtiment le plus sévère. La Loi, non seulement ne nous a pas délivrés, mais nous a également condamnés, rendant notre péché tout à fait évident ; elle n'était pas capable de nous délivrer ni de calmer la colère de Dieu. Le Fils de Dieu a rendu possible cette impossibilité : il efface nos péchés, il transforme notre ennemi en ami et il nous accorde d'innombrables autres biens100».
En se livrant Lui-même pour nos péchés, le Seigneur a délivré par la force miraculeuse de son amour la liberté humaine de son inclination au mal, de ses actes mauvais, de sa dépravation, car par ce monde mauvais dont parle l'Apôtre, il faut, selon saint Jean Chrysostome, comprendre les actes mauvais, la liberté corrompue101. Le Seigneur Christ nous a délivrés lorsque nous nous trouvions déjà sous la condamnation à mort ; il nous a délivrés alors que nous nous trouvions dans l'attente de l'exécution de cette sentence, alors même que nous avions tous déjà été mis à mort, sinon réellement, du moins en puissance. Et puisque la Loi nous avait déjà accusés et nous avait condamnés à mort, le Christ est venu et, se livrant Lui-même à la mort, il nous a tous arrachés à la mort. Bien que ce ne fût pas encore survenu, rien n'aurait pu arrêter ce danger comme il en fut au temps du déluge. Seule la venue du Christ, arrêtant la colère de Dieu, nous a donné la possibilité de vivre par la foi102.
Alors que la nature humaine était déjà folle, dit saint Isidore de Péluse, et que la tyrannie du péché était devenue insupportable, vint le moment d'exécuter la sentence qui condamnait la race humaine à un péril définitif, car toutes les sortes de remèdes s'étaient révélées sans effet, ni la Loi ni les paroles des Prophètes ne pouvaient plus enrayer l'épidémie qui se répandait toujours plus -c'est alors que Dieu livra son Fils unique en rançon afin qu'ils reçoivent la force et la grâce... et un sacrifice fut offert pour toujours, surpassant tout et tous par sa valeur. Alors cessa la colère, alors intervint la réconciliation, l'inimitié se transforma en amitié et à la place de la sentence prononcée fut offert le don surnaturel de l'adoption, alors les dons innombrables qui ornent l'Eglise furent acquis, afin que fût à la fois démontrée la justice de Dieu avec l'abondance de sa bonté103.
Le Seigneur Christ s'est livré Lui-même à la mort pour tous les hommes en général, et pour chaque homme en particulier 104. Toute la vie divino-humaine du Sauveur dans la chair, ainsi que sa mort, ont eu pour but de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi, afin que nous recevions l'adoption filiale (Gal. 4, 4-5). Saint Jean Chrysostome remarque que l'Apôtre souligne ici les deux motifs et les deux effets principaux de l'Incarnation : la libération de nos maux et le don de ses bienfaits, et nul autre que le Christ ne pouvait le faire. De quels bienfaits s'agissait-il ? D'affranchir de la malédiction de la Loi et d'adopter comme fils105.
Le but de l'Incarnation de Dieu est de sauver la race humaine de la corruption, de la mortalité qui régnait par le péché dans la nature humaine et devenait sa loi ; mais un exploit particulier dans la vie terrestre du Dieu incarné, par lequel la race humaine fut rachetée par excellence de la corruption, fut le sacrifice du Dieu-Homme sur la Croix. Le Verbe de Dieu assume notre chair d'une vierge sans faute ni souillure, qui ne connaît pas l'homme, dit saint Athanase, en fait son temple, se l'approprie comme son outil, dans lequel il réside et se donne à connaître. Et c'est cette chair qui est sienne, qu'il livre à la mort à la place de nous tous, parce que nous sommes tous soumis à la souillure de la mort, pour l'offrir au Père. S'il le fait, c'est par amour de l'homme, afin d'une part de fixer un terme à la corruption, et à la mort à laquelle tous les hommes sont soumis, de lui fixer un terme par ceci qu'en pouvant s'accomplir sur la chair du Seigneur, elle ne pouvait plus avoir de place chez les hommes ; mais c'est d'autre part aussi afin que les hommes, enfoncés dans la corruption, puissent retourner à l'incorruptibilité et passer de la mort à la vie, en anéantissant en eux la mort comme on brûle la paille, par cette chair qu'il aurait faite sienne et par la grâce de sa Résurrection. Le Verbe savait en effet que la corruption des hommes ne pouvait être éliminée autrement qu'en mourant ; mais le Verbe ne pouvait mourir, puisqu'il est immortel et le Fils du Père. C'est pourquoi il assuma une chair qui pût mourir afin que, comme chair du Verbe, elle fût capable de mourir pour tous, tout en restant incorruptible à cause du Verbe qui vivait en elle, et qu'elle fît désormais cesser la corruption chez les hommes à cause de la résurrection. Offrant donc la chair qu'il avait assumée en victime à la mort, exempte de toute tache, il a aussitôt effacé la mort en tous les hommes par une offrande adéquate. Car le Verbe de Dieu, qui est au-dessus de tous les hommes, offrant son temple, son outil corporel pour tous comme rachat de l'âme, a totalement payé notre dette par sa mort. C'est ainsi que le Fils de Dieu incorruptible, demeurant parmi les hommes en un corps semblable au leur, a pu revêtir tous les hommes d'incorruptibilité par la promesse de la résurrection. Même la corruption dans la mort n'a plus de pouvoir sur les hommes à cause du Verbe qui demeure en eux par le moyen d'une chair commune106.
La cause principale de la venue du Christ dans la chair était de payer la dette qui pesait sur nous, car tous devaient mourir. Après que le Sauveur eut prouvé sa Divinité par ses actes, il offre finalement un sacrifice pour tous et à la place de tous, en livrant sa chair à la mort afin de tous nous délivrer, et afin qu'en montrant dans sa chair incorruptible le principe de la résurrection, il pût prouver qu'il est au-delà de la mort... Puis donc que ce corps avait une substance commune avec tous les autres corps (car c'était bien un corps humain) et bien qu'il se fût formé d'une manière vraiment nouvelle d'une vierge seule, il était mortel, et il mourut selon le sort réservé à ses semblables ; mais à cause de la venue du Verbe en lui, il ne souffrit pas la corruption qui est la loi particulière des corps, mais resta étranger à la corruption à cause du Verbe qui résidait en Lui. La mort était nécessaire ; il fallait qu'il y eût une mort pour tous, afin que fût acquittée la dette de tous. Et comme le Verbe ne peut pas mourir (puisqu'il est immortel), il a assumé une chair capable de mourir, afin de l'offrir, comme son bien propre, à la place de tous, et afin d'écraser, lui qui a souffert pour tous, en raison de son inhabitation dans la chair, celui qui a le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable, et de délivrer ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus en servitude (Héb. 2, 14.15)107.
Bien qu'il fût mort pour le rachat de tous, il n'a pourtant pas connu la corruption ; c'est un corps intact qui a ressuscité, car ce n'était pas le corps de quelqu'un d'autre, mais celui de la Vie même... Il faut avoir présent à l'esprit que ce n'est pas à sa propre mort que le Sauveur est venu mettre un terme, mais à la mort de tous les hommes. Aussi, puisqu'étant la Vie il ne connaissait pas la mort, il ne s'est pas séparé de son corps dans sa propre mort, (c'est-à-dire qu'il n'a pas imposé la mort à sa chair), c'est de la part des hommes qu'il a reçu la mort, afin d'effacer complètement la mort même, qui avait effleuré son corps108.
Le Fils de Dieu est venu dans le monde, non point pour juger le monde, mais pour nous racheter tous, et pour que le monde soit sauvé par Lui (Jean 3, 17). Car avant Lui, le monde était jugé coupable par la Loi. Mais maintenant le Verbe prend sur Lui la sentence, et souffrant en sa chair pour tous, donne à tous le salut. C'est en considérant cela que Jean s'écrie : «La Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ» (Jean 1, 17)109.
Ce n'est pas pour se sauver Lui-même qu'est venu le Dieu immortel, c'est pour nous rendre immortels ; et ce n'est pas pour Lui qu'il a souffert, c'est pour nous ; c'est pourquoi il a assumé notre médiocrité et notre indigence afin de nous donner sa richesse. Car sa Passion nous libère de nos passions, sa mort nous confère l'immortalité, ses larmes sont notre joie, son tombeau notre résurrection, ses blessures notre guérison, car c'est par ses plaies que nous avons été guéris (Is. 53, 5) ; sa condamnation est notre paix, car le châtiment qui nous donne la paix était sur Lui (Is. 53, 5), c'est-à-dire que c'est pour notre paix qu'il a subi le châtiment ; sa honte est notre gloire, et c'est pourquoi il demande la gloire à cause de nous en disant : «Père, glorifie-moi auprès de Toi-même de la gloire que j'avais auprès de Toi avant que le monde fût» (Jean 17, 5)... et lorsqu'il dit sur la Croix : «Père, entre tes mains je remets mon esprit» (Luc 23, 46) à travers Lui-même, c'est tous les hommes qu'il remet à son Père, tous ceux qu'il a vivifiés110.
Le Seigneur des esclaves devient le fils mortel de son propre esclave, c'est-à-dire d'Adam, afin que les fils d'Adam, étant mortels, deviennent des fils de Dieu. C'est pourquoi le Fils de Dieu subit la mort à cause de son père selon la chair, afin que les fils des hommes prennent part à la vie divine à cause de leur Père selon l'esprit... Lui, qui est véritablement et par nature le Fils de Dieu, il nous porte tous en Lui, afin que nous portions tous en nous le Dieu unique111.
Le salut de la race humaine, accompli par le Seigneur Jésus, repose sur des paradoxes inouïs. On y trouve des antinomies extraordinaires que seule la foi peut faire siennes et réconcilier dans une logique bénie. On vend le Dieu-Homme à vil prix, trente deniers, remarque saint Grégoire le Théologien -mais il rachète le monde à un grand prix, au prix de son propre sang. Comme une brebis, on le mène à l'abattoir -mais c'est Lui, le Verbe, qu'annonce la voix de celui qui crie dans le désert. Il a été tourmenté et blessé -Lui qui guérit toute maladie et toute faiblesse. On l'a élevé sur le bois, on l'a cloué -mais c'est Lui qui nous relève par l'arbre de vie ; il sauve le brigand crucifié avec Lui -et il répand les ténèbres sur tout ce qui se voit. Il remet son âme -mais il a le pouvoir de la reprendre ; le rideau se déchire -les morts se relèvent. Il meurt, mais il vivifie, et par la mort dissout la mort. Il est enseveli -mais il se relève112.
Le miracle du salut, accompli par le merveilleux Dieu-Homme, n'est ni le premier, ni le dernier miracle dans la vie des hommes. Il est seulement l'un d'une longue série, vraiment naturel par son côté surnaturel, dans ce drame insolite et cependant pertinent, de l'existence humaine en ce monde. Parmi tous ses épisodes et toutes ses horreurs, on sent que la Providence divine dirige mystérieusement ce drame divino-humain de la vie humaine depuis le commencement jusqu'à la fin. Nous avons été créés pour recevoir un bienfait, enseigne le très-sage Théologien, et nous avons reçu un bienfait, puisque nous avons été créés. Le Paradis nous avait été confié pour que nous puissions en jouir ; un commandement nous avait été donné pour que, en l'observant, nous puissions acquérir la gloire. Il nous avait été donné, non que Dieu ne connaisse point l'avenir, mais parce qu'il avait établi une loi pour notre liberté. Nous avons été trompés parce que l'on nous enviait ; nous avons déchu parce que nous avions transgressé la loi ; nous avons jeûné parce que nous n'avions pas gardé le jeûne et que nous avions été vaincus par l'arbre de la connaissance. Ce commandement antique et contemporain était comme l'éducateur de nos âmes, qui refrénait notre jouissance. Il nous a été imposé à bon droit, pour qu'en l'observant nous puissions retrouver ce que nous avions perdu pour ne pas l'avoir observé. Nous avions besoin d'un Dieu incarné et mis à mort pour vivre. Nous sommes morts avec Lui pour être purifiés ; nous avons ressuscité avec Lui parce que nous sommes morts avec Lui ; nous avons été glorifiés avec Lui parce que nous avons ressuscité avec Lui. De nombreux miracles eurent lieu à ce moment : Dieu crucifié, le soleil s'obscurcit, puis flamboya à nouveau, le rideau se déchira, le sang et l'eau coulèrent de son flanc, la terre trembla, les rochers se fendirent à cause de la Pierre, les morts se relevèrent...
Mais aucun de ces miracles ne peut se comparer avec le miracle du salut de l'homme : quelques gouttes de sang ont remodelé le monde113.
Le Seigneur est venu en ce monde afin de guérir la nature humaine de sa terrible maladie du péché et de la mort, car ce n'est pas seulement le péché qui est une maladie, c'est aussi la mort. C'est pourquoi il a agi dans le monde comme Sauveur et comme Rédempteur, et c'est pourquoi son économie divino-humaine du salut représente un remède divin en ce monde qui, sur cette île de la mort, guérit de tout péché et de toute mort. Par son Incarnation, Dieu a pour but en ce monde, selon la pensée du saint Théologien, d'encourager l'âme, de détacher le monde du mal et de le livrer à Dieu, de conserver l'image de Dieu en l'homme si elle est intacte, de la soutenir si elle est en danger, de la renouveler si elle est blessée, de faire demeurer Christ en le coeur de l'homme par l'Esprit ; en bref : de faire Dieu et participant au plus haut bonheur l'homme qui appartient aux rangs les plus élevés... C'est pourquoi Dieu s'est uni avec un corps à travers l'âme et tout s'est uni en un seul et pour un seul ancêtre : l'âme pour l'âme qui a refusé d'entendre le commandement de Dieu, la chair pour la chair qui s'est soumise à l'âme et qui a été également condamnée ; le Christ qui est au-dessus du péché et plus élevé que le péché pour Adam qui est sous le péché. C'est pourquoi l'ancien a été remplacé par le nouveau, le souffrant a été rappelé par la souffrance ; dans chaque cas chacune de nos dettes a été remboursée par Celui qui est au-dessus de nous ; survint un nouveau mystère : l'économie divino-humaine sauvant l'homme de la chute qu'il avait connue à cause de sa désobéissance. C'est pour cela qu'a eu lieu la naissance d'une vierge, pour cela la crèche à Bethléem... C'est pour cela que Jésus reçoit le Baptême, pour cela qu'il jeûne, qu'il a faim et qu'il vainc le vainqueur. C'est pour cela qu'il a chassé les démons et guéri les maladies... Pour cela : l'arbre contre l'arbre ; les mains contre la main : les mains héroïquement étendues contre la main tendue sans retenue, les mains déchirées par les clous contre la main de la volonté propre, les mains qui ramassent en un seul les quatre coins du monde contre la main qui chassa Adam. C'est pourquoi il a été élevé en Croix pour une chute ; le fiel pour le fruit défendu mangé, la couronne d'épines pour le gouvernement du diable, la mort pour la mort, l'ombre pour la lumière, la sépulture pour le retour à la terre, la résurrection pour la résurrection. Tout cela était une sollicitude particulière de Dieu pour nous et un remède de notre impuissance ; tout cela a fait retourner l'antique Adam là d'où il avait déchu, l'a conduit vers l'arbre de vie d'où le fruit de l'arbre de la connaissance nous avait éloignés, parce que nous l'avions goûté prématurément et sans sagesse114.
C'est à cause de la désobéissance humaine que la nature a appris pour la première fois à connaître le mal et qu'elle s'est exprimée en d'innombrables péchés ; c'est à cause de l'obéissance à Dieu qu'elle est retournée vers toutes les vérités éternelles et vers tous les biens innombrables. Le Seigneur s'est incarné afin de faire retourner l'homme vers Dieu par sa vie et par sa passion divino-humaines, afin de restituer à sa perfection primitive l'image de Dieu en lui, de la conduire par la voie de l'obéissance à Dieu, c'est-à-dire par la voie de la vie selon Dieu et en Dieu, et ainsi de la guérir de la désobéissance à l'égard de Dieu, cause fondamentale et source de tous les péchés, des passions et de la mort. Lorsque Dieu le Verbe est devenu chair, dit saint Irénée, il a montré sa véritable image, devenant Lui-même ce qu'était son image (c'est-à-dire l'homme, créé à son image), et il restaura sa ressemblance de façon stable, en transmettant à l'homme la similitude au Père invisible par le Verbe visible. Mais le Seigneur n'a pas révélé le Père et Lui-même seulement ainsi, il l'a fait aussi par sa Passion. Pour effacer cette désobéissance humaine qui s'était produite à l'origine devant l'arbre, il s'est fait obéissant, et jusqu'à la mort de la Croix (Phil. 2, 8). C'est ainsi qu'il a guéri sur l'arbre de la Croix la désobéissance qui s'était manifestée devant l'arbre. Car nous n'étions débiteurs devant nul autre que Celui dont nous avions transgressé le commandement au commencement115.
Par son Incarnation, le Seigneur nous a fait retourner dans l'amitié, en se faisant médiateur entre Dieu et les hommes, en fléchissant son Père en notre faveur, le Père envers qui nous avions péché, en effaçant notre désobéissance par son obéissance et en nous rendant la conversion et la communion avec notre Créateur. C'est pourquoi il nous a enseigné à prier en disant : «Et remets-nous nos dettes» (Matt. 6, 12), puisque c'est de notre Père que nous sommes devenus les débiteurs, pour avoir transgressé son commandement. En goûtant au fruit défendu, nos ancêtres ont en même temps reçu en eux la mort, car ils ont goûté à la désobéissance et la désobéissance à Dieu apporte la mort. C'est pourquoi ils ont été dès cet instant livrés à la mort, devenant débiteurs de mort. En récapitulant en Lui-même l'homme total, le Seigneur Christ a récapitulé aussi sa mort. Par sa Passion, le Seigneur lui a donné le renouvellement, c'est-à-dire la libération de la mort.
La mort sur la Croix du Seigneur Christ, subie par amour de l'homme, et par la volonté de la Divinité tri-solaire (Jn 3, 16), a un sens pour la totalité de l'homme et étend son action rédemptrice à tous les hommes parce que c'est la mort du Dieu-Homme, de tout Dieu et de tout l'homme, qui par sa nature ontologique est apparenté à tous les hommes. C'est pourquoi l'Apôtre divinement inspiré annonce : «Il n'y a qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ homme, qui s'est livré Lui-même en rançon pour nous» (1 Tim. 2, 6).
1 . Ce texte est extrait de la Dogmatique du Père Justin Popovitch, Tome 2B, Sotériologie, chapitre 3 : Le mystère de la Passion du Sauveur et le Mystère du Salut, a) Nécessité de la Passion salutaire du Dieu-Homme, paragraphe reproduit ici en entier, et b) Le Rachat par le Dieu-Homme, paragraphe dont nous ne donnons ci-dessous que les premières pages. Ce livre paraîtra prochainement aux éditions L'Age d'Homme ; nous remercions le traducteur, notre ami Jean-Louis Palierne de nous avoir autorisés à le reproduire.
2 . Matt. 16, 21 ; Marc 8, 31 ; Luc 9, 22 ; 17, 25 ; 13, 33 ; 24, 7 ; Marc 9, 12.
3 . Homélie sur Matthieu 54, 4 ; PG 58, 536-537.
4 . Enarratio in Evang. Marci, 8, 31-33 ; PG 123, 576 AB.
5 . Philothée, Sur l'exaltation de la Croix 5 ; PG 154, 724 B.
6 . Actes 2, 23 ; 4, 26-28 ; cf Nb 21, 8, 9 = Jean, 3, 14 ; 12, 32-33 ; 1 Pi. 1, 20 ; Apo. 13, 8.
7 . Jean 10, 18 ; cf. Is. 53, 12 ; Matt. 20, 28 ; 26, 53 ; Gal. 1, 4 ; 2, 20 ; Eph. 5, 2 ; Phil. 2, 8 ; 1 Tim. 2, 6 ; Héb. 9, 14.
8 . Bienheureux Théophylacte, Commentaire de l'Evangile de Jean 10, 17-21 (PG 124, 76 CD). Cf. Saint Jean Chrysostome, Pour la mémoire des Martyrs 1 (PG 52, 827) : «En disant : Je suis le Bon Pasteur, qui donne son âme pour ses brebis (Jean 10, 11), le Sauveur a proclamé son amour de l'homme et manifesté sa puissance. Souffrir pour ses brebis est la vérité de l'amour de l'homme ; mais le fait qu'il a offert Lui-même son âme, de sa propre volonté, est une preuve de sa puissance. En effet, il ne souffre pas de contrainte, mais il oeuvre pour l'économie. Bien que l'Apôtre dise aussi que le Père a livré son Fils pour nous tous (Rom. 8, 32), il représente la Passion du Fils comme non nécessaire, en montrant par là que la volonté du Fils se trouve en accord avec celle du Père. Le Fils se livre Lui-même, non pas en se soumettant à la nécessité, mais en collaborant aux intentions du Père. Une chose est d'obéir en esclave, et une autre de collaborer divinement».
9 . Saint Jean Chrysostome, Homélie sur saint Jean 60, 2 ; PG 59, 331.
10 . Luc 4, 28-30 ; 13, 31 ; 20, 19-20 ; Jean 7, 1 et 9 ; 11, 33-39 ; 10, 31-33, 39 ; 11, 53-54.
11 . Matt. 26, 37-45 ; Marc 14, 32-41 ; Luc 23, 39-46 ; Héb. 5, 7.
12 . 1 Pi. 2, 21-24 ; Héb. 5-7 ; Is. 53, 6, 8.
13 . Matt. 26, 21, 46-50 ; Marc 14, 18-21, 42-45 ; Luc 22, 21-22, 47-48 ; Jean 13, 21 ; 18, 1-5.
14 . Matt. 26, 47,55 ; Marc 14, 43-49 ; Luc 22, 47-54.
15 . Matt. 26, 69-75, 33-35 ; Marc 14, 29-31 ; 66-72 ; Luc 22, 34, 55-62 ; Jean 13, 33 ; 18, 25-27.
16 . Matt. 26, 59-62 ; Marc 14, 55-60 ; Luc 23, 10.
17 . Homélie sur Matthieu, 6, 6 ; PG 57, 69.
18 . Bienheureux Théophylacte, Commentaire sur l'Evangile de Jean, 12, 27 ; PG 124, 128 D.
19 . Homélie sur le Prophète Isaïe, 28, 16.
20 . Saint Jean Damascène, De la Foi orthodoxe, 4, 11 ; PG 94, 1128 D.
21 . Homélie sur Héb. 6, 2 ; PG 63, 70.
22 . Voir Actes 5, 40-41 ; 1 Cor. 4, 12 ; Héb. 12, 5-13.
23 . Du Saint Esprit, 13, 29 ; PG 32, 117 D.
24 . Contre les Ariens, 3, 56-57 ; PG 26, 440 BC, 441 ABC, 444 A ; cf. ibid., 58.
25 . Saint Athanase le Grand, Exposition sur le Psaume 21, 2 ; PG 27, 132 B.
26 . Id., Exposition sur le Ps. 68, 2 ; PG 27, 305 BC.
27 . Id., Lettre à Maxime le Philosophe, 4 (PG 26, 1080 B). Cf. Id., Exposition sur le Ps. 68, 15-18 (PG 27, 309 ABCD) : Sauve-moi de la boue, que je ne m'y enlise (Ps. 68, 15). C'est bien ainsi que s'est écrié le Seigneur Christ, en priant pour toute l'humanité ; c'est pourquoi il dit : ma gorge s'est enrouée (Ps. 68, 4). Le mot «enrouée» indique la ferveur de la prière. Que l'agitation des flots ne me submerge pas, que l'abîme ne m'engloutisse pas (Ps. 68, 16). Puisque la sentence est prononcée, ainsi que cette terrible malédiction selon laquelle : quand un ange du ciel nous annoncerait un autre Evangile ou nous enseignerait autre chose que ce que Paul nous a enseigné, qu'il soit anathème ! (Gal. 1, 8), quelqu'un peut-il donc surpasser Paul ou, pour mieux dire, le Christ qui lui parle ? Aussi est-ce bien le Christ qui s'attribue Lui-même une telle prière, et qui se rend un tel témoignage à Lui-même, lorsque l'Apôtre, dans l'Epître aux Hébreux, dit que dans les jours de sa chair -c'est-à-dire en montant sur la Croix- il a présenté avec de grands cris et avec larmes des prières et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort -c'est-à-dire à son Père- et il a été exaucé à cause de sa piété, et il a appris, bien qu'il fût Fils de Dieu l'obéissance par les choses qu'il a souffertes (Héb. 5, 5-7). Ici, Paul, ou pour mieux dire, le Christ qui parle par lui, nous révèle ce que les Evangélistes ont tenu secret ou ont omis, en disant que c'est avec de grands cris et avec larmes qu'il a fait cette prière : Père, que ce calice passe loin de moi (Matt. 26, 39). Ce n'était pas une illusion, ce n'était pas dans l'intention de tromper Satan, ce n'était pas non plus en faisant sienne la volonté du monde, c'était en son nom propre, volontairement, à cause de l'économie du salut, bien qu'il fût réellement le Fils de Dieu, que le Christ a prié avec de grands cris et avec larmes, avec une sueur et des gouttes de sang, affermi par un ange et consolé par lui. Et alors qu'il était en agonie, dit l'Evangéliste, il priait plus instamment (Luc 22, 44) ; plus encore, il présenta deux fois, trois fois, sa prière au Père. Et puisque Paul, ou, pour mieux dire, le Christ qui parle par lui, attribue cette prière au Christ, quelqu'un peut-il contester le témoignage que le Christ Lui-même a porté sur Lui-même ? Ne détourne pas ta face de ton enfant (Ps. 68, 18). Puisque Dieu notre Père à cause de la transgression d'Adam s'est détourné de la nature humaine, le Christ prie Dieu qu'il tourne son visage vers elle».
28 . Homélie 30, 5, 6 ; PG 36, 109 ABC.
29 . Aux reines, de la foi droite, 2, 18 ; PG 76, 1357 AB.
30 . Homélie 33, 9 ; PG 36, 226 BC.
31 . Id., Homélie 37, 7 ; PG 36, 289 C.
32 . Id., Poèmes moraux, «Définitions moins exactes» ; PG 37, 959 A.
33 . Du Christ et de l'Antichrist, 4.
34 . Du Baptême 11.
35 . Sur 1 Tim. 4, 2 ; PG 92, 620.
36 . Contre Apollinaire (Antirrheticos), 21 ; PG 45, 1165 AB.
37 . Saint Jean Damascène, De la Foi, 4, 9 ; PG 94, 1120 BC, 1121 A.
38 . Catéch. 13, 18 ; PG 33, 793 C.
39 . De la forme parfaite du chrétien, PG 46, 280 BC.
40 . De la foi droite pour les reines, PG 76, 1297 B.
41 . Philothée, Sur l'Exaltation de la Croix 4 ; PG 154, 724 A.
42 . Jeudi saint aux Matines, aux Apostiches.
43 . Canon des Matines du Jeudi Saint, Ode 4 : «Pour tous ceux qui sont issus d'Adam, tu as été la source de non-passion (apathéia)».
44 . Ibid., stichères des Laudes, Gloire...maintenant... : «L'Agneau annoncé par Isaïe marche vers son immolation librement, il tend le cou aux blessures, ses joues aux soufflets, il ne détourne pas sa face de la honte des crachats, il est condamné à une mort ignominieuse. L'innocent accepte tout volontairement pour accorder à tous la résurrection des morts».
45 . Office des Saintes et salutaires Souffrances de Notre Seigneur Jésus Christ, à Tierce, tropaire.
46 . Ibid., Triode, Ode 9.
47 . Ibid., Que tout souffle..., stichère idiomèle : «Chaque membre de ta sainte chair souffre l'injure pour nous : ta tête, les épines ; ta face, les soufflets... Toi qui as souffert pour nous, et qui nous as libérés de nos passions, toi qui es descendu vers nous par amour de l'homme pour nous relever, Sauveur tout-puissant, aie pitié de nous».
48 . Samedi saint, Première stance, 3.
49 . Ibid., 49 : «Je vénère ta Passion, je célèbre ta sépulture, je magnifie ta puissance, ô Ami de l'homme, car par elles tu as délié les passions qui nous souillent».
50 . Ibid., 2ème stance, 73.
51 . Samedi saint, stichères des Laudes.
52 . Octoèque, ton 1, le mercredi matin, canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 3.
53 . Octoèque, ton 1, le vendredi matin, Cathisme de la Croix : «...Gloire, Seigneur, à ta Passion vivifiante, par laquelle tu nous as sauvés».
54 . Grand et saint Dimanche de Pâques, Canon des Matines, Ode 7, Hirmos.
55 . Octoèque, ton 2, Matines du dimanche, Canon de la Croix et de la Résurrection, Ode 1.
56 . Ibid., Canon de la Résurrection, Ode 4.
57 . Octoèque, ton 2, le vendredi matin, Canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 7.
58 . Octoèque, ton 3, le dimanche, aux Béatitudes.
59 . Octoèque, ton 3, le mercredi matin, Canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 1.
60 . Ibid., Ode 7.
61 . Octoèque, ton 4, le dimanche matin, Canon de la Résurrection, Ode 9 : «Tout entier tu m'assumes tout entier, en une union sans confusion, me donnant à moi tout entier, ô Dieu, le salut par ta Passion, que tu as soufferte corporellement sur la Croix, dans ton abondante miséricorde».
62 . Octoèque, ton 5, le dimanche matin, Canon de la Résurrection, Ode 9.
63 . Octoèque, ton 7, le vendredi matin, Canon de la Croix vénérable et vivifiante, Ode 6.
64 . Octoèque, ton 1, le samedi aux Apostiches des Grandes Vêpres.
65 . Luc 22, 20 ; Matt. 26, 28 ; cf. Marc 14, 21 ; 1 Cor. 11, 25 ; Héb. 9, 22.
66 . Homélie sur Matthieu, 82, 2 ; PG 58, 739.
67 . Mercredi saint, Triode des Complies, Quatrième Ode : «La chambre haute, toute ornée, te reçoit, Dieu créateur, avec tes initiés pour y faire la Pâque, et pour y célébrer tes mystères».
68 . Commentaire de l'Evangile de Luc, 22, 20 ; PG 123, 1069 AB.
69 . Matt. 20, 28 ; Marc 10, 45.
70 . Homélie sur Matthieu, 65, 4 ; PG 58, 622.
71 . Commentaire de l'Evangile de Matthieu, 20, 28 ; PG 123, 365 B.
72 . Jean 1, 9.
73 . Le bienheureux Théodoret écrit : «En disant péché, il a désigné tous les péchés», Commentaire de l'Evangile de Jean, 1, 29 ; PG 123, 1173 A.
74 . Commentaire de l'Evangile de Jean, 1, 29 ; PG 123, 1172 C.
75 . Ibid.
76 . Ibid., 1172 D, 1173 A.
77 . Dans certains stichères des offices de l'Eglise, on magnifie le Seigneur Christ d'avoir pris sur Lui «l'insondable péché du monde» (Octoèque, ton 1, le lundi soir aux Vêpres, stichères du Lucernaire).
78 . Homélie 30, 1 ; PG 36, 104 CD.
79 . Exposit. in Psalm. 87, 5 ; PG 27, 380 BC.
80 . Id., Grande homélie sur la foi, 3, 4, 5 ; PG 26, 1625 BCD.
81 . Saint Jean Chrysostome, Homélie sur le prophète Isaïe, 53, 8.
82 . Homélie sur la Pâque, 4 ; PG 52, 770.
83 . Saint Jean Chrysostome, Homélie sur Romains 11, 2 ; PG 60, 485.
84 . Homélie sur Ps. VII, 2 ; PG 29, 232 BC.
85 . Octoèque, ton 1, le samedi aux Vêpres, aux Apostiches : «O miracle ! Comment la vie de tous a-t-elle goûté de la mort ?»
86 . Is. 53, 4. Saint Jean Chrysostome commente comme suit ces paroles du Prophète : «Ils ont souffleté le Christ, ils l'ont bafoué, ils l'ont tourmenté, mais il a pris sur Lui les péchés d'autrui ; il est mort et il a libéré autrui de la mort» (Homélie sur le Prophète Isaïe, 53, 4) ; cf. saint Basile le Grand, Petites Règles, quest. 177 ; PG 31, 1200 C-1201 A.
87 . Is. 53, 5. Selon saint Jean Chrysostome, ces paroles portent sur la guérison des âmes humaines par les blessures reçues par le Christ sur la Croix. La Croix du Sauveur accomplit la guérison de tous les hommes (Ibid., 53, 6).
88 . Is. 53, 6. Au sujet de ces paroles du Prophète, saint Jean Chrysostome écrit : «Afin que nous n'imaginions point que tout cela est arrivé au Christ à cause de ses péchés, le Prophète dit : Le Seigneur l'a livré à cause de nos péchés... A cause de nous, dit le Prophète, et non point à cause de ses péchés, il a été montré comme un malfaiteur (Ibid., 53, 6)».
89 . Is. 53, 7. Le Seigneur a appelé «agneau» le Seigneur Christ, non seulement parce qu'il se taisait, mais parce qu'il était victime (Saint Jean Chrysostome, Ibid., 53, 7).
90 . Is. 53, 12. Le Sauveur est mort volontairement, dit saint Jean Chrysostome, afin que fussent effacés les péchés des hommes. Avec le Seigneur Christ le péché a été cloué sur la Croix ; les péchés ont été détruits (Ibid., 53, 12).
91 . Lévit. 4, 1-35 ; 7, 1-38 ; 16, 1-34 ; Ezéchiel 45, 23.
92 . Ibid.
93 . De la foi droite pour les reines ; PG 76, 1202 A.
94 . Voir Lévit. 20, 19 et 17 ; 24, 15 ; Ezéch. 23, 35.
95 . Lévit. 19, 17 ; Nb. 14, 33 ; Ezéch. 18, 19 ; Lam. 5, 7.
96 . Le bienheureux Augustin écrit à ce sujet : Confitere (Christum) suscepisse poenam peccati nostri sine peccato nostro (Contra Faustum, 16, 6, 7). Non enim ipse ulla delicta habuit, sed nostra portavit (Tract. adv. Judaeos, 6).
97 . De la foi droite pour les reines ; PG 76, 1296 CD.
98 . Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la Première Epître aux Corinthiens, 38, 2 ; PG 61, 324.
99 . Bienheureux Théodoret, Interprétation de 1 Corinthiens 15, 3 ; PG 82, 349 B.
100 . Sur Galates 1, 4 ; PG 61, 617.
101 . Ibid., 618.
102 . Ibid., 2, 8 (646).
103 . Lettres 4, 100, Au diacre Isidore ; PG 78, 1165 AB.
104 . Cf. Gal. 2, 20.
105 . Sur Gal. 4, 4-5 ; PG 61, 657.
106 . De l'Incarnation du Verbe, 8-9 ; PG 25, 109 ABCD, 112 AB.
107 . Ibid., 20 (129 D ; 132 ABC).
108 . Ibid., 21-22 (133 C, 136 A) ; cf. Contre les Ariens, Hom. 1, 45 ; PG 26, 105 A.
109 . Id., Contre les Ariens, Homélie 1, 60 ; PG 26, 137 C- 140 A.
110 . Id., De l'Incarnation et contre les Ariens, 5 ; PG 26, 992 AB.
111 . Ibid., 8 (996 B, 997 A).
112 . Homélie 29, 20 ; PG 36, 101 AB.
113 . Homélie 45, 28-29 ; PG 36, 661 BCD, 664 A.
114 . Homélie 2, 22 à 25 ; PG 35, 432 B, 433 ABC, 436 A.
115 . Contre les Hérésies, 5, 16,2-3. Cf, pour la suite, 5, 17,1 et 5, 23,1-2.

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