dimanche 19 avril 2009
Saint Grégoire Palamas.
HOMELIE SUR LA FOI
Nous croyons Dieu et nous croyons en Dieu, et ces deux expressions ont chacune leur sens particulier. Croire Dieu, c'est tenir pour certaines et véridiques les promesses qu'Il nous a faites ; croire en Dieu, c'est nourrir à son sujet des sentiments orthodoxes. Nous devons avoir l'une et l'autre, la foi et la confiance, être sincères ici et là, et nous y tenir de telle sorte que notre foi soit plus solide même que la certitude qui naît de la vue des réalités, et que nous soyons nous-mêmes fidèles devant le Dieu à qui la foi est due, afin d'être justifiés par Lui. Car il est écrit : «Abraham crut en Dieu et cela lui fut imputé à justice1». Comment Abraham le croyant fut-il justifié ? Il avait reçu de Dieu la promesse que dans sa postérité, laquelle n'était autre qu'Isaac, seraient bénies toutes les tribus d'Israël. Ensuite, par ordre de Dieu, il lui est commandé de sacrifier Isaac tout enfant, seul espoir qu'il eût pourtant de voir la promesse s'accomplir. Sans opposer le moindre contredit, ce père accepta l'obligation de devenir meurtrier de son propre fils et n'en jugea pas moins certaine et infaillible la promesse qui devait se réaliser par son moyen. Voyez-vous quelle est la foi qui justifie ? Or le Christ, à nous aussi, a promis l'héritage de la vie éternelle, des délices, de la gloire et du règne, puis Il nous a commandé la pauvreté, le jeûne, la vie de misère et d'affliction, la disposition constante à la mort, la crucifixion de nous-mêmes avec nos passions et convoitises. Si donc, confiants dans la promesse que Dieu nous a faite, nous nous empressons de pratiquer cette vie, alors nous montrerons envers Dieu la foi d'Abraham, et cela nous sera compté à justice.
Et admirez l'enchaînement des prémisses à la conséquence. Le consentement d'Abraham acceptant d'offrir Isaac en sacrifice n'eut pas simplement pour effet de fournir le témoignage éclatant et la preuve assurée de sa foi, mais fit aussi naître le Christ de sa postérité. Or par le Christ toutes les générations de la terre ont été bénies, et la promesse s'est accomplie. Dieu devenu en effet, si j'ose ainsi parler, débiteur de celui qui, pour Lui, avait accepté de donner son propre fils unique, Dieu, dis-je, s'obligeait Lui-même de donner en retour, à cause d'Abraham, l'objet de la promesse qu'Il lui avait faite : son propre Fils unique. Il en va de même pour notre pratique des commandements de Dieu : la tempérance, la justice et l'humilité, ainsi que la patience à l'égard de ceux qui nous nuisent, la propension à distribuer nos biens, l'habitude de traiter durement notre corps dans les jeûnes et les agrypnies et, pour le dire d'un mot, la crucifixion de soi-même avec ses passions et ses désirs, n'établit pas simplement la preuve de notre foi plus que certaine dans les promesses du Christ, mais fait de Dieu, pour ainsi dire, notre débiteur, l'obligeant en quelque façon de nous donner en échange la vie éternelle avec la joie, la gloire et la royauté qui n'auront point de fin.
Voilà pourquoi Lui-même, jetant les yeux sur ses disciples, disait : «Bienheureux vous les pauvres, parce que le Royaume des Cieux est à vous. Bienheureux vous qui pleurez, bienheureux les miséricordieux, bienheureux vous les persécutés pour la justice2» ; et «Malheur à vous les riches, malheur à vous qui riez, malheur à vous qui êtes rassasiés, malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous3». Or, à considérer, non pas les béatitudes, mais ceux que le Seigneur déclare malheureux, comment, dites-moi, être sûr et certain qu'on fait vraiment confiance à Dieu ? «Montre-moi, dit l'Ecriture, ta foi dans tes oeuvres. Et s'il est un sage, qu'il montre ses oeuvres par sa bonne conduite4». Voilà donc le critère de l'authenticité de notre foi en Dieu, voilà qui montre que nous tenons pour certaines et véridiques les promesses et les menaces qu'Il nous a faites : nos oeuvres bonnes et la garde des divins commandements.
Qu'est-ce qui, à présent, peut nous faire savoir évidemment que nous avons en Dieu une foi orthodoxe, c'est-à-dire, que les idées que nous formons de Lui sont bonnes, certaines et selon la piété ? Le critère, ici, sera notre accord avec les Pères théophores.
Or, de même que la croyance sincère en Dieu suppose non seulement qu'on renonce aux passions charnelles et aux filets du diable, mais aussi qu'on fuie les hommes passionnés, qui nous attirent douceureusement dans les plaisirs honteux ; de même, croire orthodoxement dans le seul vrai Dieu implique aussi bien le rejet de l'ignorance et des suggestions de l'Ennemi, que la résistance aux impies qui nous déroberaient notre foi et nous entraîneraient dans leur propre ruine.
En revanche, un secours puissant, pour garder la croyance et la confiance en Dieu, nous vient non seulement de Lui-même et de la force de connaissance qu'Il nous donne, mais encore des bons anges et des hommes qui vivent selon Dieu, dans la foi divine.
Telle est la raison pour laquelle notre commune mère et nourrice spirituelle, l'Eglise du Christ, rassemble aujourd'hui, dans une acclamation plus grandiose et plus solennelle, tous ceux qui ont brillé dans la piété et la vertu, ainsi que ses tout-saints conciles et les dogmes divins qu'ils ont définis, et confond aussi dans une réprobation globale les partisans des hérésies, avec leurs dogmes et inventions perverses, pour que, fuyant les dogmes hérétiques, nous embrassions ceux qui sont selon Dieu et croyions en un seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, de Qui, par Qui et en Qui tout a été fait, Qui est avant tout, sur tout, en tout et par-dessus tout, Monade en Trinité, Trinité en Monade, unie sans confusion, distinguée sans séparation ; à la fois Monade et Trinité toute-puissante : le Père est hors du temps, sans commencement et éternel, seule cause et racine de la divinité contemplée dans le Fils et le Saint Esprit ; non seul créateur, mais seul Père d'un Fils unique et seul Projeteur du Saint Esprit ; Il est de toute éternité, et de toute éternité Père, et de toute éternité Père et Projeteur.
Son Fils Lui est co-éternel, sans commencement selon le temps ; non toutefois sans principe, en tant qu'Il a pour géniteur, racine, source et principe le Père, duquel seul, avant tous les siècles, Il a jailli incorporellement, sans passion, sans écoulement, par génération, mais sans se séparer de Son géniteur. Dieu issu de Dieu, Il n'est pas Dieu d'un côté et Fils de l'autre ; Il est de toute éternité, et de toute éternité Fils, et de toute éternité vers5 Dieu sans confusion ; Verbe vivant, vraie lumière, sagesse personnifiée, cause et principe de toute créature, car par Lui tout a été fait. Quand la plénitude des temps fut venue, Il s'est anéanti Lui-même, comme les prophètes l'avaient annoncé, Il a pris pour nous notre forme et, par la bienveillance du Père et la coopération du Saint Esprit, Il a été porté dans le sein de la Toujours Vierge Marie et naquit d'Elle. Devenu vraiment homme, Il s'est fait semblable à nous en tout, sauf le péché, tout en restant ce qu'Il était, vrai Dieu dans une seule hypostase, même après Son Incarnation. Il a opéré toutes les oeuvres divines en tant que Dieu et toutes les humaines en tant qu'Homme et s'est soumis aux passions humaines irréprochables6.
Etant et demeurant, comme Dieu, immortel et impassible, Il a volontairement, à cause de nous, souffert comme homme dans Sa chair, a été crucifié, est mort et a été enseveli ; et Il est ressuscité le troisième jour, et a détruit par Sa mort et Sa Résurrection celui qui avait le pouvoir de la mort7. Il s'est manifesté après Sa Résurrection, puis Il est monté au ciel et s'est assis à la droite du Père, faisant partager à notre pâte humaine, comme devenue une avec Dieu, le Trône et l'Honneur divins. Avec elle Il reviendra en gloire juger les vivants et les morts, lesquels reviendront à la vie par la puissance de Son avènement, et Il rendra à chacun selon ses oeuvres.
Connaissant que la pâte de notre nature, qu'Il a assumée, est sensible et circonscrite, nous en représentons l'icône et nous nous prosternons pieusement devant elle ; de même pour Celle qui l'enfanta virginalement et pour tous ceux qui lui ont plu jusqu'à la fin. Nous honorons et vénérons les symboles de Ses souffrances, et par-dessus tout la Croix, comme de divins trophées de la victoire remportée sur l'Ennemi du genre humain. Chaque jour nous faisons mémoire de Lui selon Son commandement, célébrant la liturgie et communiant aux très divins mystères. Selon son ordre et avant toute autre chose, nous recevons et administrons le baptême au nom sacré, unique et adorable du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Car du Père éternel et sans commencement procède aussi le Saint Esprit qui, comme le Père et le Fils, est sans commencement en tant qu'intemporel, mais non sans principe, puisqu'Il a Lui aussi pour principe, racine et cause le Père, dont Il est sorti avant tous les siècles, sans écoulement, sans passion, par procession, indivisible du Père et du Fils, puisqu'Il sort du Père et repose dans le Fils, uni à eux sans confusion et distinct sans séparation. Il est Lui aussi Dieu issu de Dieu, non pas Dieu à certain égard et Paraclet à un autre égard, car Il est Esprit Saint auto-hypostatique, tirant du Père son existence et envoyé par le Fils comme prémices de la vie éternelle et arrhes des biens à venir et impérissables. Cause, lui aussi, de toute créature, car en Lui tout a été fait, Il est exactement identique au Père et au Fils, hormis l'innascibilité et la génération.
Il a été envoyé par le Fils à Ses disciples, c'est-à-dire manifesté ; car de quel autre envoi aurait pu faire l'objet Celui qui est partout présent et à jamais inséparable de Celui qui L'envoie ? Pour cette raison, le Père l'envoie tout comme le Fils, et Il vient aussi de Lui-même. Car la mission, ou manifestation, est oeuvre commune du Père, du Fils et de l'Esprit. Il se manifeste non selon l'essence car nul n'a jamais ni vu ni raconté la nature de Dieu, mais selon la grâce, la force et l'énergie, laquelle est commune au Père, au Fils et à l'Esprit.
Chacun d'entre eux possède en propre Son hypostase et les attributs qui Le concernent personnellement ; Ils ont en commun non seulement l'essence non manifestée, qui est au-dessus de tout nom et de toute participation, mais encore la grâce, la force, l'énergie, l'éclat, l'incorruptibilité, le règne et tout ce par quoi Dieu se communique et s'unit selon la grâce aux anges et aux saints. Ni la différence et la distinction des hypostases, ni la différence et la variété des forces et des énergies divines ne le font déchoir de l'unité et de la simplicité. Aussi croyons-nous en un seul Dieu dans une seule Divinité Tri-hypostatique et Toute-puissante8, et nous acclamons ceux qui ont plu à Dieu en persistant dans cette foi.
Quant à ceux qui ne croient pas ainsi, mais ont forgé des hérésies ou les ont embrassées jusqu'à leur mort, nous les rejetons. Sachez bien, frères, et n'oubliez pas que les passions mauvaises et les dogmes impies marchent les uns derrière les autres et se frayent mutuellement le chemin, parce qu'ils trouvent place où pénétrer chez le pécheur, du fait du juste abandon de Dieu.
Le grand Paul nous apprend que l'essaim des péchés sans nombre s'introduit par la porte des dogmes impies, quand il écrit au sujet des païens : «Comme ils n'ont pas eu le souci de la connaissance de Dieu, mais que, ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, pour commettre des choses indignes, étant remplis de toute espèce d'injustice, d'impudicité, d'avarice9...»
Quant au fait que l'impiété est à son tour le fruit du péché, la preuve en est malheureusement évidente : ce mal, en effet, combien l'ont souffert !
Le grand Salomon s'abandonna aux plaisirs de la chair, et tomba dans l'idolâtrie. Jéroboam, vaincu par son amour insensé du pouvoir, sacrifia aux veaux d'or. Judas le traître, malade d'avarice, devint déicide.
Pour ces raisons donc, puisque la foi sans les oeuvres est morte et sans substance, et que les oeuvres sans la foi sont vaines et insensées, la grâce de l'Esprit a lié en ce jour, dans ce temps sacré du jeûne et de l'ascèse selon la vertu, l'acclamation de ceux qui dispensent droitement la parole de piété, et la condamnation de ceux qui ont préféré la trahir, afin que, nous efforçant d'atteindre conjointement les deux buts, nous puissions tout ensemble prouver notre foi par nos oeuvres et obtenir par la foi la récompense de nos efforts.
Il n'est pas vrai seulement que les passions perverses et l'impiété s'ouvrent mutuellement le chemin ; davantage, elles ont de l'affinité entre elles. Pour ne toucher qu'un mot là-dessus, je dirai, à l'adresse de votre charité, que les hétérodoxes qui sont apparus de notre temps10 ressemblent à l'ancien Adam qui, ayant reçu de Dieu la liberté de manger de tout bois11 qui se trouvait dans le Paradis, ne s'est pas contenté de ce verger splendide, mais, séduit par le conseil du serpent, Prince de la Malice, a mangé du seul bois qu'il avait reçu l'ordre de ne pas toucher. Il en va de même pour les biens qui sont en Dieu et les dons véritablement dignes de Sa bonté qu'Il partage généreusement à tous ceux qui les désirent, selon le mot de celui qui a dit : «Tout ce que Dieu est, le déifié le sera par la grâce, sans devenir d'essence identique». Or il en est qui enseignent que nous participons à l'essence suressentielle même, et qui prétendent pouvoir lui donner son nom propre et, à l'imitation du serpent et prince de la malice, qui invoquait l'autorité des paroles de Dieu, ils citent à l'appui de leurs dires celles des saints, dont ils torturent le texte et faussent l'interprétation.
Mais nous qui avons reçu du Seigneur la force de marcher sur les serpents, les scorpions et sur toute puissance de l'Ennemi, nous déjouerons aisément ses stratagèmes et ses artifices tramés contre la foi droite et la conduite intègre et, nous montrant toujours en tout victorieux de lui, nous atteindrons les couronnes célestes et inflétrissables de la justice, dans le Christ Lui-même notre juge incorruptible et donateur des récompenses. A lui convient toute gloire, honneur et adoration, avec Son Père sans commencement et Son Tout Saint, Bon et Vivifiant Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.
3
1 . Gen. 15, 6 ; Rom. 4, 3. Le texte grec de cette Homélie se trouve dans Migne, PG 151, col. 93-104 ; c'est l'homélie 8.
2 . Matt. 5, 3 sqq.
3 . Luc 6, 24-26.
4 . Jac. 2, 18 et 3, 13.
5 . Jn 1, 1. On peut traduire aussi : «Avec Dieu». La préposition pros, en grec, évoque l'idée d'un tête à tête, d'une relation face à face. Selon Zigabène, qui résume dans son Commentaire sur l'évangile selon Jean, les interprétations des Pères, l'évangéliste a employé la préposition pros, vers, au lieu de dire «en Dieu», pour éviter toute confusion des personnes de la Trinité. «Vers Dieu», auprès du Père, établit la singularité des hypostases et l'inséparabilité du Père et du Fils -également inséparables de l'Esprit.
6 . C'est-à-dire : la faim, la soif, la fatigue, etc, qui sont chez nous involontaires et que le Christ a volontairement assumées. De telles passions ne sont nullement coupables, et c'est pourquoi les Pères les appellent adiableta pathe, passions irréprochables.
7 . Héb. 2, 14. L'Apôtre ajoute, «c'est-à-dire le diable».
8 . Toute-puissante traduit ici pantodunamos, qui veut dire : qui a toutes les forces, toutes les énergies. Le sens est clair en grec, obscur en français, du fait que «toute-puissante» a le sens de pantocratôr, qui signifie : tout souverain, tout dominant.
9 . Rom. 1, 21-26.
10 . Il s'agit, bien sûr, de Baarlam, Acindyne et leurs partisans qui, selon la doctrine latine, affirmaient que la béatitude obtenue par les saints après la mort, consistait dans la vision de Dieu per essentiam, dans son essence. Or, pour la tradition biblique et patristique, nulle créature, fût-elle angélique, ne peut voir Dieu tel qu'il est dans son essence, et c'est un blasphème que de le prétendre.
11 . Conformément à l'Ecriture, saint Grégoire emploie, non le mot arbre, mais le mot bois, pour désigner les arbres et le bois défendu du Paradis, qui prophétisait le bois sauveur de la Croix.
Nous croyons Dieu et nous croyons en Dieu, et ces deux expressions ont chacune leur sens particulier. Croire Dieu, c'est tenir pour certaines et véridiques les promesses qu'Il nous a faites ; croire en Dieu, c'est nourrir à son sujet des sentiments orthodoxes. Nous devons avoir l'une et l'autre, la foi et la confiance, être sincères ici et là, et nous y tenir de telle sorte que notre foi soit plus solide même que la certitude qui naît de la vue des réalités, et que nous soyons nous-mêmes fidèles devant le Dieu à qui la foi est due, afin d'être justifiés par Lui. Car il est écrit : «Abraham crut en Dieu et cela lui fut imputé à justice1». Comment Abraham le croyant fut-il justifié ? Il avait reçu de Dieu la promesse que dans sa postérité, laquelle n'était autre qu'Isaac, seraient bénies toutes les tribus d'Israël. Ensuite, par ordre de Dieu, il lui est commandé de sacrifier Isaac tout enfant, seul espoir qu'il eût pourtant de voir la promesse s'accomplir. Sans opposer le moindre contredit, ce père accepta l'obligation de devenir meurtrier de son propre fils et n'en jugea pas moins certaine et infaillible la promesse qui devait se réaliser par son moyen. Voyez-vous quelle est la foi qui justifie ? Or le Christ, à nous aussi, a promis l'héritage de la vie éternelle, des délices, de la gloire et du règne, puis Il nous a commandé la pauvreté, le jeûne, la vie de misère et d'affliction, la disposition constante à la mort, la crucifixion de nous-mêmes avec nos passions et convoitises. Si donc, confiants dans la promesse que Dieu nous a faite, nous nous empressons de pratiquer cette vie, alors nous montrerons envers Dieu la foi d'Abraham, et cela nous sera compté à justice.
Et admirez l'enchaînement des prémisses à la conséquence. Le consentement d'Abraham acceptant d'offrir Isaac en sacrifice n'eut pas simplement pour effet de fournir le témoignage éclatant et la preuve assurée de sa foi, mais fit aussi naître le Christ de sa postérité. Or par le Christ toutes les générations de la terre ont été bénies, et la promesse s'est accomplie. Dieu devenu en effet, si j'ose ainsi parler, débiteur de celui qui, pour Lui, avait accepté de donner son propre fils unique, Dieu, dis-je, s'obligeait Lui-même de donner en retour, à cause d'Abraham, l'objet de la promesse qu'Il lui avait faite : son propre Fils unique. Il en va de même pour notre pratique des commandements de Dieu : la tempérance, la justice et l'humilité, ainsi que la patience à l'égard de ceux qui nous nuisent, la propension à distribuer nos biens, l'habitude de traiter durement notre corps dans les jeûnes et les agrypnies et, pour le dire d'un mot, la crucifixion de soi-même avec ses passions et ses désirs, n'établit pas simplement la preuve de notre foi plus que certaine dans les promesses du Christ, mais fait de Dieu, pour ainsi dire, notre débiteur, l'obligeant en quelque façon de nous donner en échange la vie éternelle avec la joie, la gloire et la royauté qui n'auront point de fin.
Voilà pourquoi Lui-même, jetant les yeux sur ses disciples, disait : «Bienheureux vous les pauvres, parce que le Royaume des Cieux est à vous. Bienheureux vous qui pleurez, bienheureux les miséricordieux, bienheureux vous les persécutés pour la justice2» ; et «Malheur à vous les riches, malheur à vous qui riez, malheur à vous qui êtes rassasiés, malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous3». Or, à considérer, non pas les béatitudes, mais ceux que le Seigneur déclare malheureux, comment, dites-moi, être sûr et certain qu'on fait vraiment confiance à Dieu ? «Montre-moi, dit l'Ecriture, ta foi dans tes oeuvres. Et s'il est un sage, qu'il montre ses oeuvres par sa bonne conduite4». Voilà donc le critère de l'authenticité de notre foi en Dieu, voilà qui montre que nous tenons pour certaines et véridiques les promesses et les menaces qu'Il nous a faites : nos oeuvres bonnes et la garde des divins commandements.
Qu'est-ce qui, à présent, peut nous faire savoir évidemment que nous avons en Dieu une foi orthodoxe, c'est-à-dire, que les idées que nous formons de Lui sont bonnes, certaines et selon la piété ? Le critère, ici, sera notre accord avec les Pères théophores.
Or, de même que la croyance sincère en Dieu suppose non seulement qu'on renonce aux passions charnelles et aux filets du diable, mais aussi qu'on fuie les hommes passionnés, qui nous attirent douceureusement dans les plaisirs honteux ; de même, croire orthodoxement dans le seul vrai Dieu implique aussi bien le rejet de l'ignorance et des suggestions de l'Ennemi, que la résistance aux impies qui nous déroberaient notre foi et nous entraîneraient dans leur propre ruine.
En revanche, un secours puissant, pour garder la croyance et la confiance en Dieu, nous vient non seulement de Lui-même et de la force de connaissance qu'Il nous donne, mais encore des bons anges et des hommes qui vivent selon Dieu, dans la foi divine.
Telle est la raison pour laquelle notre commune mère et nourrice spirituelle, l'Eglise du Christ, rassemble aujourd'hui, dans une acclamation plus grandiose et plus solennelle, tous ceux qui ont brillé dans la piété et la vertu, ainsi que ses tout-saints conciles et les dogmes divins qu'ils ont définis, et confond aussi dans une réprobation globale les partisans des hérésies, avec leurs dogmes et inventions perverses, pour que, fuyant les dogmes hérétiques, nous embrassions ceux qui sont selon Dieu et croyions en un seul Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, de Qui, par Qui et en Qui tout a été fait, Qui est avant tout, sur tout, en tout et par-dessus tout, Monade en Trinité, Trinité en Monade, unie sans confusion, distinguée sans séparation ; à la fois Monade et Trinité toute-puissante : le Père est hors du temps, sans commencement et éternel, seule cause et racine de la divinité contemplée dans le Fils et le Saint Esprit ; non seul créateur, mais seul Père d'un Fils unique et seul Projeteur du Saint Esprit ; Il est de toute éternité, et de toute éternité Père, et de toute éternité Père et Projeteur.
Son Fils Lui est co-éternel, sans commencement selon le temps ; non toutefois sans principe, en tant qu'Il a pour géniteur, racine, source et principe le Père, duquel seul, avant tous les siècles, Il a jailli incorporellement, sans passion, sans écoulement, par génération, mais sans se séparer de Son géniteur. Dieu issu de Dieu, Il n'est pas Dieu d'un côté et Fils de l'autre ; Il est de toute éternité, et de toute éternité Fils, et de toute éternité vers5 Dieu sans confusion ; Verbe vivant, vraie lumière, sagesse personnifiée, cause et principe de toute créature, car par Lui tout a été fait. Quand la plénitude des temps fut venue, Il s'est anéanti Lui-même, comme les prophètes l'avaient annoncé, Il a pris pour nous notre forme et, par la bienveillance du Père et la coopération du Saint Esprit, Il a été porté dans le sein de la Toujours Vierge Marie et naquit d'Elle. Devenu vraiment homme, Il s'est fait semblable à nous en tout, sauf le péché, tout en restant ce qu'Il était, vrai Dieu dans une seule hypostase, même après Son Incarnation. Il a opéré toutes les oeuvres divines en tant que Dieu et toutes les humaines en tant qu'Homme et s'est soumis aux passions humaines irréprochables6.
Etant et demeurant, comme Dieu, immortel et impassible, Il a volontairement, à cause de nous, souffert comme homme dans Sa chair, a été crucifié, est mort et a été enseveli ; et Il est ressuscité le troisième jour, et a détruit par Sa mort et Sa Résurrection celui qui avait le pouvoir de la mort7. Il s'est manifesté après Sa Résurrection, puis Il est monté au ciel et s'est assis à la droite du Père, faisant partager à notre pâte humaine, comme devenue une avec Dieu, le Trône et l'Honneur divins. Avec elle Il reviendra en gloire juger les vivants et les morts, lesquels reviendront à la vie par la puissance de Son avènement, et Il rendra à chacun selon ses oeuvres.
Connaissant que la pâte de notre nature, qu'Il a assumée, est sensible et circonscrite, nous en représentons l'icône et nous nous prosternons pieusement devant elle ; de même pour Celle qui l'enfanta virginalement et pour tous ceux qui lui ont plu jusqu'à la fin. Nous honorons et vénérons les symboles de Ses souffrances, et par-dessus tout la Croix, comme de divins trophées de la victoire remportée sur l'Ennemi du genre humain. Chaque jour nous faisons mémoire de Lui selon Son commandement, célébrant la liturgie et communiant aux très divins mystères. Selon son ordre et avant toute autre chose, nous recevons et administrons le baptême au nom sacré, unique et adorable du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Car du Père éternel et sans commencement procède aussi le Saint Esprit qui, comme le Père et le Fils, est sans commencement en tant qu'intemporel, mais non sans principe, puisqu'Il a Lui aussi pour principe, racine et cause le Père, dont Il est sorti avant tous les siècles, sans écoulement, sans passion, par procession, indivisible du Père et du Fils, puisqu'Il sort du Père et repose dans le Fils, uni à eux sans confusion et distinct sans séparation. Il est Lui aussi Dieu issu de Dieu, non pas Dieu à certain égard et Paraclet à un autre égard, car Il est Esprit Saint auto-hypostatique, tirant du Père son existence et envoyé par le Fils comme prémices de la vie éternelle et arrhes des biens à venir et impérissables. Cause, lui aussi, de toute créature, car en Lui tout a été fait, Il est exactement identique au Père et au Fils, hormis l'innascibilité et la génération.
Il a été envoyé par le Fils à Ses disciples, c'est-à-dire manifesté ; car de quel autre envoi aurait pu faire l'objet Celui qui est partout présent et à jamais inséparable de Celui qui L'envoie ? Pour cette raison, le Père l'envoie tout comme le Fils, et Il vient aussi de Lui-même. Car la mission, ou manifestation, est oeuvre commune du Père, du Fils et de l'Esprit. Il se manifeste non selon l'essence car nul n'a jamais ni vu ni raconté la nature de Dieu, mais selon la grâce, la force et l'énergie, laquelle est commune au Père, au Fils et à l'Esprit.
Chacun d'entre eux possède en propre Son hypostase et les attributs qui Le concernent personnellement ; Ils ont en commun non seulement l'essence non manifestée, qui est au-dessus de tout nom et de toute participation, mais encore la grâce, la force, l'énergie, l'éclat, l'incorruptibilité, le règne et tout ce par quoi Dieu se communique et s'unit selon la grâce aux anges et aux saints. Ni la différence et la distinction des hypostases, ni la différence et la variété des forces et des énergies divines ne le font déchoir de l'unité et de la simplicité. Aussi croyons-nous en un seul Dieu dans une seule Divinité Tri-hypostatique et Toute-puissante8, et nous acclamons ceux qui ont plu à Dieu en persistant dans cette foi.
Quant à ceux qui ne croient pas ainsi, mais ont forgé des hérésies ou les ont embrassées jusqu'à leur mort, nous les rejetons. Sachez bien, frères, et n'oubliez pas que les passions mauvaises et les dogmes impies marchent les uns derrière les autres et se frayent mutuellement le chemin, parce qu'ils trouvent place où pénétrer chez le pécheur, du fait du juste abandon de Dieu.
Le grand Paul nous apprend que l'essaim des péchés sans nombre s'introduit par la porte des dogmes impies, quand il écrit au sujet des païens : «Comme ils n'ont pas eu le souci de la connaissance de Dieu, mais que, ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, pour commettre des choses indignes, étant remplis de toute espèce d'injustice, d'impudicité, d'avarice9...»
Quant au fait que l'impiété est à son tour le fruit du péché, la preuve en est malheureusement évidente : ce mal, en effet, combien l'ont souffert !
Le grand Salomon s'abandonna aux plaisirs de la chair, et tomba dans l'idolâtrie. Jéroboam, vaincu par son amour insensé du pouvoir, sacrifia aux veaux d'or. Judas le traître, malade d'avarice, devint déicide.
Pour ces raisons donc, puisque la foi sans les oeuvres est morte et sans substance, et que les oeuvres sans la foi sont vaines et insensées, la grâce de l'Esprit a lié en ce jour, dans ce temps sacré du jeûne et de l'ascèse selon la vertu, l'acclamation de ceux qui dispensent droitement la parole de piété, et la condamnation de ceux qui ont préféré la trahir, afin que, nous efforçant d'atteindre conjointement les deux buts, nous puissions tout ensemble prouver notre foi par nos oeuvres et obtenir par la foi la récompense de nos efforts.
Il n'est pas vrai seulement que les passions perverses et l'impiété s'ouvrent mutuellement le chemin ; davantage, elles ont de l'affinité entre elles. Pour ne toucher qu'un mot là-dessus, je dirai, à l'adresse de votre charité, que les hétérodoxes qui sont apparus de notre temps10 ressemblent à l'ancien Adam qui, ayant reçu de Dieu la liberté de manger de tout bois11 qui se trouvait dans le Paradis, ne s'est pas contenté de ce verger splendide, mais, séduit par le conseil du serpent, Prince de la Malice, a mangé du seul bois qu'il avait reçu l'ordre de ne pas toucher. Il en va de même pour les biens qui sont en Dieu et les dons véritablement dignes de Sa bonté qu'Il partage généreusement à tous ceux qui les désirent, selon le mot de celui qui a dit : «Tout ce que Dieu est, le déifié le sera par la grâce, sans devenir d'essence identique». Or il en est qui enseignent que nous participons à l'essence suressentielle même, et qui prétendent pouvoir lui donner son nom propre et, à l'imitation du serpent et prince de la malice, qui invoquait l'autorité des paroles de Dieu, ils citent à l'appui de leurs dires celles des saints, dont ils torturent le texte et faussent l'interprétation.
Mais nous qui avons reçu du Seigneur la force de marcher sur les serpents, les scorpions et sur toute puissance de l'Ennemi, nous déjouerons aisément ses stratagèmes et ses artifices tramés contre la foi droite et la conduite intègre et, nous montrant toujours en tout victorieux de lui, nous atteindrons les couronnes célestes et inflétrissables de la justice, dans le Christ Lui-même notre juge incorruptible et donateur des récompenses. A lui convient toute gloire, honneur et adoration, avec Son Père sans commencement et Son Tout Saint, Bon et Vivifiant Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.
3
1 . Gen. 15, 6 ; Rom. 4, 3. Le texte grec de cette Homélie se trouve dans Migne, PG 151, col. 93-104 ; c'est l'homélie 8.
2 . Matt. 5, 3 sqq.
3 . Luc 6, 24-26.
4 . Jac. 2, 18 et 3, 13.
5 . Jn 1, 1. On peut traduire aussi : «Avec Dieu». La préposition pros, en grec, évoque l'idée d'un tête à tête, d'une relation face à face. Selon Zigabène, qui résume dans son Commentaire sur l'évangile selon Jean, les interprétations des Pères, l'évangéliste a employé la préposition pros, vers, au lieu de dire «en Dieu», pour éviter toute confusion des personnes de la Trinité. «Vers Dieu», auprès du Père, établit la singularité des hypostases et l'inséparabilité du Père et du Fils -également inséparables de l'Esprit.
6 . C'est-à-dire : la faim, la soif, la fatigue, etc, qui sont chez nous involontaires et que le Christ a volontairement assumées. De telles passions ne sont nullement coupables, et c'est pourquoi les Pères les appellent adiableta pathe, passions irréprochables.
7 . Héb. 2, 14. L'Apôtre ajoute, «c'est-à-dire le diable».
8 . Toute-puissante traduit ici pantodunamos, qui veut dire : qui a toutes les forces, toutes les énergies. Le sens est clair en grec, obscur en français, du fait que «toute-puissante» a le sens de pantocratôr, qui signifie : tout souverain, tout dominant.
9 . Rom. 1, 21-26.
10 . Il s'agit, bien sûr, de Baarlam, Acindyne et leurs partisans qui, selon la doctrine latine, affirmaient que la béatitude obtenue par les saints après la mort, consistait dans la vision de Dieu per essentiam, dans son essence. Or, pour la tradition biblique et patristique, nulle créature, fût-elle angélique, ne peut voir Dieu tel qu'il est dans son essence, et c'est un blasphème que de le prétendre.
11 . Conformément à l'Ecriture, saint Grégoire emploie, non le mot arbre, mais le mot bois, pour désigner les arbres et le bois défendu du Paradis, qui prophétisait le bois sauveur de la Croix.
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