Bernard Le Caro
SAINT JEAN
DE CHANGAÏ
ET SON TEMPS
Coll. GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES
DU XX° SIECLE
Ed. L'AGE D'HOMME
SAINT JEAN DE CHANGAÏ
(1896-1966)
ET SON TEMPS
DANS LA MEME SERIE
Aux éditions du Cerf :
Jean-Claude Larchet, Saint Silouane de l'Athos, 2001.
Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, 2002.
Jean-Claude Larchet, Le Starets Serge, 2004.
Aux éditions L'Age d'Homme :
Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, 2003.
Mgr Nicolas Vélimirovitch, Prières sur le lac, 2004.
Père Ioannichié Balan, Le Père Cléopas, 2004.
Ancien Joseph l'Hésychaste, Lettres spirituelles, 2005.
Bernard Le Caro, Saint Jean de Changaï, 2006.
Mgr Nicolas Vélimirovitch, La foi et la vie selon l'Evangile, 2007.
Père Porphyre, Anthologie de conseils, 2007.
Père Isaac, L'Ancien Païssios de la Sainte Montagne, 2009.
Père Porphyre, Vie et Paroles, 2009.
Saint Nicolas Vélimirovitch, Le Prologue d'Ochrid, tome 1, 2009.
Saint Thaddée, Paix et joie dans le Saint-Esprit, 2010.
Bernard Le Caro
SAINT JEAN
DE CHANGAÏ
(1896-1966)
ET SON TEMPS
DEUXIEME EDITION, REVUE ET AUGMENTEE
INTRODUCTION DE JEAN-CLAUDE LARCHET
COLL. GRADS SPIRITUELS ORTHODOXES DU XX° SIECLE
Ed. L'AGE D'HOMME
INTRODUCTION
Monseigneur Jean Maximovitch (1896-1966), canonisé par l'Eglise Russe Hors-Frontières en 1993 sous le nom de Saint Jean de Changaï et de San Francisco, est aujourd'hui reconnu comme l'un de ses Saints par l'Eglise orthodoxe universelle.
Evêque à Changaï, où vivait une importante communauté russe, puis en Belgique, en France et à San Francisco, il a laissé le souvenir à la fois d'un grand ascète et d'un grand pasteur, sachant, au sein de ses obligations épiscopales, rester toujours un vrai moine, ne dormant quasiment pas, s'adonnant longuement à la prière, affectionnant particulièrement les services liturgiques, et témoignant d'une profonde charité à l'égard de chaque âme dont il avait la charge.
C'est avec beaucoup de sobriété que ce livre retrace la vie et dessine le portrait de ce grand spirituel. C'est aussi dans un esprit irénique qu'il aborde la question des divisions - consécutives à la politique athée du pouvoir communiste - de l'Eglise russe en exil.
Pour réaliser cette étude - la plus ample et la plus complète qui ait été jusqu'à présent consacrée à ce grand Saint de notre époque -, l'auteur, qui connaît parfaitement le monde orthodoxe et pratique plusieurs langues slaves, a collecté dans le monde entier de nombreux témoignages ( dont beaucoup émanent de personnes ayant côtoyé le Saint Evêque) et dépouillé une abondante documentation qu'il a exploités avec la sobriété et la rigueur d'un historien, dans un souci constant d'authenticité et de vérité.
On trouvera dans la deuxième partie de cet ouvrage un choix d'homélies et de divers autres écrits du Saint Evêque qui donnent une idée de ses orientations pastorales et de son "style" particulier, à la fois exigenant quant au respect des canons de l'Eglise et du typikon liturgique, et pastoralement ouvert. La façon dont Monseigneur Jean, dépassant toute limitation nationaliste et animé d'un esprit apostolique authentiquement pentecostal encourage, dans les pays occidentaux où il exerce son ministère, l'usage des langues locales et la vénération des Saints Orthodoxes locaux, retient particulièrement l'attention.
Mais la partie la plus voluminuese de ce livre est constituée par une remarquable biographie qui fait bien apparaître les traits les plus marquants du mode d'existence et de la parsonnalité de Saint Jean : l'intensité d'une vie ascétique fidèle à l'idéal monastique et marquée, malgré les difficultés d'une vie au milieu du monde, par les jeûnes rigoureux, les longues veilles, l'activité épuisante, une stricte discipline de vie intérieure et extérieure, une prière intense et permanente; un dévouement pastoral sans limite, caractérisé par le don total de soi à tous ceux qui sont dans le besoin, un amour sans réserve à l'égard de chaque personne quels que soient sa condition et son état, l'exercice d'un ministère épiscopal à la façon d'une vraie paternité spirituelle; et aussi toutes les vertus liées à ces deux manières d'être : pauvreté et détachement, contrition, humilité profonde, pureté intérieure, amours sans limites pour Dieu et pour tous les hommes. Par ces vertus qui l'ont uni étroitement au Christ, saint Jean de Changaï a reçu du Saint-Esprit de nombreux charismes, en particulier ceux de clairvoyance, de prophétie et de guérison. Comme le montre ce livre, de nombreux miracles ont été accomplis par le Saint de son vivant et plus encore après qu'il eut quitté ce monde, et de nouveaux témoignages à ce sujet ne cessent de s'ajouter aux précédents.
Ce livre a rencontré un vif succès non seulement dans sa première édition française, aujourd'hui épuisée, mais également dans sa traduction russe. Cette seconde édition a donné à l'auteur l'occasion d'apporter un certain nombre de précisions supplémentaires, à la lumière de témoignages nouveaux émanant notamment de fidèles de Changaï vivant actuellement en Russie, et de documents récemment découverts concernant la mission du Saint en France. Elle comprend en outre la traduction de nouvelles homélies ainsi que de l'Acathiste rédigé par le hiéromoine Séraphim Rose, qui résume la vie du Saint et permet de lui demander son assistance.
Désormais célébré comme un trésor commun par toute l'Eglise russe et par toutes les Eglises orthodoxes en communion avec elle, Saint Jean de Changaï et de San Francisco apparaît plus que jamais comme un Saint universel de l'Eglise orthodoxe une sainte catholique et apostolique.
Jean-Claude Larchet
AVANT-PROPOS
"Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre", est-il écrit dans l'Evangile. Obéissant à ce commandement divin, plusieurs centaines de milliers de Russes quittèrent en 1917 leyrs foyers ancestraux et se dispersèrent dans le monde entier, depuis l'Extrême-Orient, en passant par l'Europe, et jusqu'en Amérique du Sud. Quelques années plus tard, les Grecs d'Asie Mineure connurent le même sort. Après la Seconde Guerre mondiale, une deuxième vague d'émigrants, de Russie, de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie vint rejoindre la précédente. C'est ainsi que se constitua la diaspora orthodoxe en Occident. La Providence divine n'abandonna pas ces malheureux, mais leur suscita des guides spirituels, tels de nouveaux Moïse. Parmi ceux-ci, l'archevêque Jean Maximovitch, canonisé en 1994. Après avoir quitté la Russie, il séjourna à Constantinople, puis s'installa en Yougoslavie, où il reçut la prêtrise. Nommé évêque de Changaï, où vivait une colonie russe importante, il accompagna par la suite ses ouailles réfugiées aux Philippines. De là, il partit pour un court séjour aux Etats-Unis, puis se rendit en France où il passa plus de dix ans, pour finalement rejoindre ses "Changaïens" à San Francisco. C'est là qu'il vécut les dernières années de son épiscopat. Selon la tradition orthodoxe, certes mise à mal de nos jours, l'évêque est "marié" à sa cathèdre, qu'il doit occuper jusqu'à son trépas. Dans le cas du hiérarque Jean, s'il quitta "géographiquement " Changaï, il suivit ses "Changaîens" en Europe et en Amérique. C'est pour cette raison que nous lui avons laissé ce nom de Jean de Changaï, alors qu'ilo finit ses jours à San Francisco. Vivant l'Orthodoxie dans sa dimension universelle, l'archevêque Jean, bien que profondément attaché à la terre russe, fut le pasteur de tous les peuples parmi lesquels il séjourna : Serbes en Yougoslavie et dans la diaspora, Grecs à Bitolj et à Changaï, Chinois à Changaï et à San Francisco, Roumains, Français, Hollandais, Américains... Homme de prière qui "donna sa vie pour son troupeau", il eut le don des miracles. Nombreuses sont les guérisons qui se produisirent par son intercession; Néanmoins, il fut avant tout médecin des âmes; C'est pourquoi nous n'insisterons pas tant sur les prodiges qu'il accomplit, que sur son être spirituel et les enseignements qu'il nous a laissés; Mère Flavienne (Vorobieff) moniale orthodoxe et iconographe, disait qu'il est difficile de peindre l'icône d'un Saint contemporain d'après une photographie, car l'icône s'apparente alors à un portrait. Je puis dire la même chose de l'archevêque Jean. Fondée sur de nombreux documents et sur les témoignages de ses enfants spirituels, la présente biographie sera éloignée d'une hagiographie. Laissons au temps et à d'autres le soin de parfaire cette icône!
Que les lignes qui suivent, malgré toute leur imperfection, constituent néanmoins un appel à "imiter la foi, la ferveur et l'humilité" du saint hiérarque, selon les paroles de l'office dédié à Saint Basile le Grand!"
Bernard Le Caro
PREMIERE PARTIE
VIE
CHAPITRE I
A KHARKOV,
A L'ECOLE DE LA PIETE
"Instruit selon le Seigneur"
(cf. Ep. 6, 4)
L'archevêque Jean naquit le 4 juin 1896 dans le village d'Adamovka, dans la province de Kharkov, au sud de la Russie. Ses parents, Boris et Glaphire Maximovitch, appartenaient à la noblesse de Petite Russie. L'un des membres les plus célèbres de cette famille fut Saint Jean de Tobolsk (+ 1715), auteur du remarquable traité spirituel intitulé Le tournesol, ou comment la volonté humaine doit se conformer à la volonté divine. L'idée centrale de l'ouvrage est que l'âme doit se tourner constamment vers Dieu, de la même façon que le tournesol s'oriente vers le soleil. Fondateur de premier séminaire théologique en Russie, Saint Jean de Tobolsk fu nommé, en 1712, métropolite de Sibérie, où il accomplit une oeuvre missionnaire parmi les diverses populations locales; Il participa, en outre, à l'institution d'une mission en Chine. Thaumaturge* durant sa vie terrestre et après son trépas, le Saint laissa des reliques intactes, qui reposent à Tobolsk jusqu'à nos jours. Sans aucun doute, l'archevêque Jean, auquel on donna le nom de ce Saint lors de sa profession monastique, hérita de l'esprit missionnaire de son parent éloigné.
Ayant reçu le nom de Michel au saint baptême en l'honneur de l'archange de Dieu, le futur archevêque Jean était un garçon exceptionnel, en même temps que chétif et maladif. Selon les souvenirs de sa soeur Lioubov, il était particulièrement obéissant, et ses parents n'éprouvèrent aucune difficulté à l'éduquer. Au demeurant, il gardera par la suite un respect exemplaire pour eux et prendra en considération leur opinion jusqu'à la fin de sa vie. La piété du jeune Michel se manifestait par son amour des icônes, qu'il achetait et collectionnait. Cette habitude ayant atteint de telles proportions qu'il n'y avait plus de place où les fixer dans la maison des Maximovitch, le père de l'adolescent dutt y mettre fin. Se soumettant sans objection à la volonté paternelle, Michel demanda toutefois l'autorisation d'en acheter une dernière, qui était celle de tous les Saints glorifiés en Russie, avec laquelle il orna sa chambre.
La propriété familiale, à Golaya Dolina, ne se trouvait qu'à quelques kilomètres du monastère renommé de Sviatogorsk, où le jeune Michel se rendait souvent, et dont il convient de dire ici quelques mots.
Ce grand monastère, avec ses magnifiques églises, ses grottes, sa communauté de six cents moines, et ses offices célébrés selon les usages athonites, déposa une empreinte profonde sur le jeune homme, dont on peut dire qu'il fut moine dès son enfance. ce saint lieu fut fondé au XIII° siècle par des moines qui fuyaient la vielle de Kiev envahie par les Tartares. D'autres sources affirment que les premiers moines de Sviatogorsk (dont le nom signifie "Sainte Montagne" furent des moines du Mont Athos. Depuis le XVI° siècle, Sviatogorsk était connu dans toute la Russie, et même au-delà de ses frontières. L'une des plus grandes figures du monastère fut le hiéromoine Jean du grand habit, qui vécut reclus dans une grotte durant dix-sept ans et s'endormit dans le Seigneur en 1867. Sa règle de prière quotidienne était constituée de sept cent métanies*, cinq mille prières de Jésus, mille invocations à la Très Sainte Mère de Dieu, auxquelles il ajoutait trois Acathisthe *, et la commémoration des noms d'une multitude de fidèles qui lui demandaient ss prières. De nombreux miracles, des guérisons de maladies physiques et spirituelles - surtout de possessions démoniaques - se produisirent devant ses reliques (1).
(1) : ( Notons que le monastère de Sviatogorsk, après avoir été fermé par les bolchéviques dans les années vingt, a été réouvert en 1992 et constitue actuellement l'un des plus grands lieux de pèlerinage en Ukraine. Quant au hiéromoine Jean de Sviatogorsk, il a été canonisé par l'Eglise Orthodoxe d'Ukraine en 1995).
Outre Sviatogorsk, la vie ecclésiale à Kharkov fut pour le jeune Michel une école de piété. A la cathédrale, l'archevêque Antoine (Khrapovitzky), dont il sera question par la suite, avait introduit des offices complets, chantés de façon quasi monastique. Dans une autre église, dédiée à la Dormition, se trouvaient deux icônes miraculeuses, l'une de la Très Sainte Mère de Dieu d'Elets, devant laquelle était célébré un Acathiste chaque samedi, et l'autre de saint Nicolas, qui était fort vénérée par les habitants de Kharkov. Quant au monastère de la Protection de la Mère de Dieu, il renfermait l'icône de Notre Dame d'Ozeryan, qui attirait de nombreux pèlerins. Au même endroit, dans une crypte séparée, reposait le saint archevêque Mélèce Léontovitch, devant les reliques duquel l'archevêuqe Antoine célébra maintes fois des Panykhides *. Le futur archevêque Jean avait une grande vénération pour ce saint canonisé depuis lors et dont il écrira plus tard la vie, que nous exposerons brièvement ici.
Alors qu'il était recteur de séminaire, l'archevêque Mélèce (1784-1840) se fit remarquer par son aptitude à rendre vivant son enseignement. Exposant brillamment ses sujets, il savait susciter l'intérêt des séminaristes. En outre, comme le mentionne l'archevêque Jean, " Mgr Mélèce était un exemple de vie monastique. Tout en étant strict envers lui-même, il manifestait un grand amour envers les étudiants. Il n'était pas tant leur directeur que leur père et leur pasteur." En 1826, il fut consacré évêque de Tchiguirinsk, vicaire de la métropole de Kiev. Vivant dans l'ascèse, il passait toute la Semaine Sainte sans pratiquement prendre de nourriture, ce qui impressionnait tout son entourage. Homme de prière, il assisatit à chaque office, et la prière de Jésus ne quittait pas ses lèvres. Lors de l'office divin, surtout pendant la Divine Liturgie, les larmes coulaient de ses yeux. Il était peiné à l'extrême par chaque négligence, chaque "accroc" dans le déroulement des services. Il arrivait fréquemment aux choristes de commencer à chanter avant que le hiérarque ne terminât l' ecphonèse *, ce dont il leur faisait reproche après la célébration. En 1828, le saint hiérarque fut nommé à Perm, à l'ouest de l'Oural. Là, il visita presque toutes les paroisses du diocèse, même celles qui étaient si éloignées que son prédécesseur ne s'y était jamais rendu. Il célébrait partout la Divine Liturgie et examinait en profondeur tous les problèmes, instruisant ou sanctionnant les clercs indignes. Trèe exigeant envers les clercs, il vérifiait leurs connaissances du typikon*. Il ne s'agissait pas là, comme nous le considérons trop souvent de nos jours, d'un attachement à des détails sans importance, mais de la fidélité à l'expérience de prière des Pères. Le saint hiérarque Mélèce exigeait en outre le plus grand silence dans les églises. En raison du rude climat qu'il supportait avec peine, l'archevêque Mélèce fut transféré de Sibérie à Kharkov, où il poursuivit sa vie d'ascèse. Priant sans interruption de neuf heures du soir jusqu'à quatre heures du matin, il prenait un peu de repos à l'aube, mais ce à même le sol, dormant à la dure. Lorsqu'il lui arrivait de célébrer trois jours de suite et qu'on lui demandait s'il était fatigué, il répondait : " Non, je trouve mon repos dans l'office... Je serais heureux de célébrer chaque jour l'office divin!" Un jour, alors qu'il effectuait une visite pastorale dans son diocèse, il prédit la renaissance du monastère de Sviatogorsk. Dans la nuit du 28 au 29 février 1840, peu après que l'on eut sonné l'office de minuit, il demanda au prêtre de venir chez lui avec les Saints Dons, puis il communia après avoir récité le cantique de Syméon, et remit sa sainte âme au Seigneur. Le corps de l'archevêque Mélèce resta incorrompu et fut placé dans la crypte de l'église de la Protection de la Mère de Dieu à Kharkov. Intercesseur auprès de Dieu, il apparut bien des fois à ceux qui demandaient son assistance, et on célébrait dans ce but des Liturgies funèbres, ainsi que des Panykhides (2).
(2) : ( L'archevêque Mélèce a été canonisé par le Saint-Synode de l'Eglise Orthodoxe Russe en 1978).
Que le lecteur nous pardonne pour cette longue digression sur le saint hiérarque Mélèce, mais, comme nous le verrons plus tard, cette vie présente de nombreuses similitudes avec celle de l'archevêque Jean, qui l'imita indubitablement. Il est frappant de constater que ces ressemblances dépassent la vie terrestre des deux hiérarques : à l'instar de Mélèce, l'archevêque Jean reposera également dans une crypte, où des Panykhides seront célébrées pour faire appel à son intercession.
C'est aussi à Kharkov que vécut, mais déjà du temps du jeune Michel Maximovitch, un prêtre de haute stature spirituelle, le Père Nicolas Zagorovsky, qui devint plus tard confesseur de la foi au camp tristement célèbre de Solovki. Marié, père de deux enfants, le Père Nicolas fut nommé prêtre de l'église de l'hôpital à Kharkov, où il célébrait des acathistes devant l'icône de la Mère de Dieu, suivis de prédications. Au début, seules quelques femmes assistaient à ses offices, mais, rapidement, l'église fut bondée de fidèles assoiffés de la Parole de Dieu. Sa réputation, semblable à celle d'un nouveau Chrysostome, se répandit dans toute la ville. Le Père Nicolas organisa un choeur avec lequel il visitait les maisons et célébrait des Offices d'intercession*. Autour de lui commença à se former un couvent féminin, qui fonctionna dans la clandestinité après la révolution. Témoignant d'un courage peu commun, l'une des moniales de ce couvent, Mère Madeleine (Nozdrina, + 1995), accompagna fidèlement le Père Nicolas dans ses épreuves, parcourant des centaines de kilomètres à pied dans la steppe. Après la Seconde Guerre mondiale, elle émigra en France et vécut au couvent de Notre Dame de Lesna jusqu'à son trépas en 1998. Le Père Nicolas organisait des pèlerinages aux divers lieux saints de Petite Russie, notamment auprès des reliques de saint Joasaph de Belgorod (+1754). Ces pèlerinages attiraient des milliers de fidèles. En 1930, le Père Nicoals fut arrêté par les bolchéviques et emprisonné à Saint-Pétersbourg, puis relégué à Solovki. Exilé ensuite à Oboyan, il célébrait chaque jour, secrètement, la Divine Liturgie, et guidait spirituellement les moniales du couvent qu'il avait fondé. Ne pensant plus revenir dans le monde, il devint moine sous le nom de Séraphim. Après l'arrivée de l'armée allemande, il put revenir à Kharkov et célébrer la Liturgie en présence d'un grand nombre de ses enfants spirituels. Mais à la fin de la guerre, épuisé par les épreuves et n'ayant plus la force d'affronter de nouveau le joug athée, il partit pour l'Occident avec Mère Madeleine. Il décéda toutefois au cours du voyage, à Peremyszl, en Pologne, le 13 octobre 1943 (3).
(3) : ( Le père Séraphim ( Nicolas) Zagorovsky a été canonisé par l'Eglise Russe à l'éEtranger en 1981 et par l'Eglise Orthodoxe d'Ukraine (Patriarcat de Moscou) en 1993).
Grand homme de prière, il avait reçu le don de clairvoyance.
Le jeune Michel Maximovitch connaissait bien ce saint prêtre et, assistant régulièrement aux Vêpres que celui-co célébrait, il s'approchait de lui à la fin de chaque office pour recevoir sa bénédiction; Mère Madeleine raconta qu'un jour, alors que le jeune Michel venait prendre sa bénédiction, le Père Nicolas lui dit : " ... Mais tu seras un saint!" Le jeune homme, regardant le sol, répondit : " Non, mon Père, c'est vous qui deviendrez un saint!" (1).
Toutefois, ce fut Mgr Antoine Khrapovitzky, alors archevêque de Kharkov, déjà mentionné, qui joua un rôle déterminant dans la vie du futur hiérarque. Eminent théologien et remarquable pasteur, Mgr Antoine devint par la suite métropolite de Kiev. Les membres du Concile pan-russe de 1917 lui accordèrent la majorité de leurs suffrages lors de l'élection patriarcale. Mais la Providence en décida autrement. Tandis que le métropolite Tykhon était élu patriarche de Moscou et confessait héroïquement la foi en Russie, le métropolite Antoine devait porter la croix de l'émigration. En 1920, il s'établit en Yougoslavie, où il devint le primat de l'Eglise Russe à l'Etranger (4).
(4) : ( Encore appelée Eglise Russe Hors-Frontières).
Le patriarche Barnabé de Serbie (+ 1936) dira à son sujet : " Il peut être mis au nombre des grands hiérarques, des Pères des premiers siècles de l'Eglise."
A Kharkov, un notable de la vielle, V. Akichev, raconta à l'archevêque Antoine que le fils cadet de l'un des maréchaux de la noblesse provinciale s'intéressait beaucoup aux questions spirituelles. L'archevêque ne tarda point à demander au père du jeune Michel de faire la connaissance de celui-ci. Une telle invitation était cependant quelque chose d'inouï à cette époque à Kharkov. En effet, même parmi ceux qui occupaient une position sociale, on hésitait à se rendre chez l'archevêque en personne. Pour cette raison, le père du jeune homme considéra la proposition du hiérarque comme une simple amabilité. Quelques mois passèrent et l'invitation sombra dans l'oubli. Toutefois, l'archevêque Antoine l'avait toujours à l'esprit. A l'occasion d'un Office d'intercession, il s'adressa en ces termes au père du futur hiérarque : " Pourquoi dissimulez-vous Michel à mes yeux? Craignez-vous que je ne le fasse moine?" Sur ces entrefaites, Michel tomba malade, puis son père s'absenta de Kharkov, si bien que l'entrevue fut ajournée. Il s'avéra cependant que, à l'occasion d'une conférence donnée par Mgr Antoine, le jeune Michel étant présent, il fut alors présenté à l'rchevêque. Cette rencontre produisit une forte impression sur le jeune homme, qui décrira ensuite le métropolite ainsi : "Pour chaque homme qui faisait appel à lui, il était un père bon et un maître sage. Envers chaque personne qui sollicitait de lui un conseil spirituel, il se comportait comme un parent selon l'esprit... Il se considérait tenu d'aider comme son prochain chaque personne qui s'adressait à lui pour recevoir soutien et assistance, donnant souvent tout ce qu'il avait, alors qu'il en ressentait parfois le besoin." Après cet entretien, l'archevêque se rendit dans la famille Maximovitch et demanda à parler aux enfants; Depuis, toute la famille resta en relations étroites avec Mgr Antoine, aimant ardemment son archpasteur qui, dans les années qui suivirent, la guida spirituellement. Selon les propres paroles du saint archevêque Jean, le métropolite Antoine devint pour toujours "le dirigeant de sa vie spirituelle".
Cependant, le jeune Michel s'était préparé à une carrière séculaire, même si son coeur était loin de ce monde. En 1907, il entra à l'école militaire du corps des pages - les "cadets" - de Poltava, qu'il acheva en 1914. A cette époque déjà, le fuur hiérarque était ferme dans la foi, ce dont témoigne l'incident suivant. Alors que, en 1909, à l'occasion des solennités marquant le bicetenaire de la bataille de Poltava, il défilait avec les "cadets", il ôta sa casquette et se signa à l'approche d'une église. Voyant cela, ses compagnons de troupe se mirent à rire. On rapporta le fait au grand-duc Constantin Constantinovitch, chef du corps des "cadets". Le lendemain, tandis que ceux-ci étaient rassemblés au garde-à-vous, le grand-duc déclara que l'acte de Michel Maximovitch, bien que non conforme au règlement ( selon lequel rien ne devait être accompli sans en recevoir l'ordre préalable), démontrait un profond sentiment religieux, qui méritait la louange et non la moquerie. C'est ainsi que de cible des rires et des railleries, le jeune Michel devint un héros.
Après l'école des "cadets", qu'il termina avec le grade de sergent-major, le jeune homme souhaitait s'inscrire à l'Académie théologique de Kiev. Cependant, ses parents insistèrent pour qu'il entrât à la Faculté de Droit de Kharkov, ce qu'il fit par obéissance envers eux. Il y acheva ses études en 1918. Bien qu'il fût excellent étudiant, il passait, disait-on, plus de temps à lire les vies de saints qu'à assister aux cours. Etudiant les hagiographies à un niveau universitaire, il pénétrait dans la compréhension du monde des saints, entrait dans leur psychologie, leurs labeurs ascétiques et leur vie de prière. Cette expérience lui fera définir la sainteté, plus tard, de la façon suivante : " La sainteté n'est pas simplement la rectitude qui rend les justes dignes de jouir de la béatitude dans le Royaume de Dieu, mais plutôt un tel degré de justice qui fait que ces hommes sont comblés de la Grâce de Dieu, à tel point que celle-ci s'épanche sur ceux qui entrent en contact avec eux. Grande est leur béatitude, qui provient de leur contemplation de la Gloire de Dieu. Etant remplis de l'amour envers les hommes, qui résulte de l'amour envers Dieu, ils sont réceptifs à leurs besoins et à leurs demandes, et deviennent leurs intercesseurs et leurs représentants devant Dieu." Le jour de sa consécration épiscopale, il décrira ainsi cette période de sa vie : " Tout en étudiant les sciences humaines, je m'immergeais de plus en plus dans la science des sciences, l'apprentissage de la vie spirituelle." Y investissant toutes ses forces, ses yeux spirituels s'ouvrirent et son âme, devenue affamée, aspira au véritable but : cheminer sur la voie de la vie en Christ. C'est à cette époque qu'il commença à vivre dans l'ascèse, avec toute l'ardeur de sa jeunesse.
A l'école militaire déjà, Michel resse tait qu'il lui fallait choisir une autre voie. Outre le métropolite Antoine, que nous avons mentionné plus haut, deux prêtres l'influencèrent en cel : l'archiprêtre Serge Tchetverikov ( + 1947), auteur de deux remarquables ouvrages, l'un sur saint Païssy Velitchkovsky et l'autre sur les Pères d'Optino, qui émigra plus tard en France, et le Père Barlaam (Riachentsev), recteur du séminaire de Poltava, qui restera en Russie où il deviendra archevêque et périré dans les camps staliniens en 1942. Cet archevêque et son frère, l'évêque Germain (+1937), laissèrent des lettres contenant des conseils spirituels de grande qualité.
Mais avant tout, c'est l'effondrement de l'Empire russe qui, comme il le dira lui-même, le convainquit définitivement " de la précarité de tout ce qui est terrestre et de l'impuissance des forces et des capacités humaines", à la suite de quoi il décida " de renoncer à la vanité du monde terrestre pour se consacrer à l'unique service de Dieu". Ayant exercé peu de temps dans la magistrature, à l'époque du hetman P. Skoropadsky, ses activités de juriste furent interrompues par la révolution. Peu de choses nous sont connues sur la vie du jeune Maximovitch à cette époque, si ce n'est qu'il fut alors membre du conseil paroissial à Kharkov, constitué pour assister le prêtre en ces temps difficiles.
Alors que les bolchéviques s'étaient emparés du sud de la Russie, les restes de l'Armée blanche évacuèrent la Crimée avec de nombreux émigrants le 19 novembre 1920. Environ cent-vingt navires quittèrent la Russie pour Constantinople avec, à leur bord, près de cent cinquante mille personnes. Parmi elles se trouvait le futur archevêque Jean qui joua un rôle crucial pour l'évacuation des siens. En effet, il était très difficile de pénétrer sur le bateau, et la famille du jeune homme se rendit là où l'on pouvait se procurer des places à bord, laissant Michel sur le quai pour surveiller les bagages. Il faisait sombre et les hordes révolutionnaires s'approchaient de la ville, dont les faubourgs étaient déjà en flammes. De retour après une démarche sans succès pour s'embarquer, les Maximovitch eurent sous les yeux le tableau suivant : il n'y avait plus de bagages, si ce n'étaient les deux ou trois valises sur lesquelles s'atait assis Michel, plongé dans la lecture de l'Evangile, qu'il tenait de telle façon que le livre était éclairé par les flammes dégagées par l'incendie, qui montaient au ciel. Il n'avait pas remarqué que l'on avait volé les bagages. A ce moment commençait à appareiller le dernier bateau. La famille loua un canot et s'engagea à la poursuite du navire. A sa demande d'être recueillie à bord, on répondit qu'en raison de la surcharge, plus personne ne serait accepté. Néanmons, on demanda de qui il s'agissait. A la réponse "les Maximovitch", le capitaine du bâtiment changea d'avis et les fit monter. Il s'appelait lui-même Maximovitch, bien que non apparenté à la famille du jeune Michel. C'est grâce à cela, ou plutôt c'est de cette façon que la Providence les sauva. probablement, la perte des bagages eut-elle pour effet de faciliter la fuite sur un simple canot.
La guerre civile précipita environ deux millions de Russes sur les routes de l'émigration. Dispersés dans vingt-cinq pays du monde, on trouvait des émigrés partout, depuis les plantations de l'Uruguay et de l'Argentine, en passant par les mines d'Allemagne, jusqu'aux usines du Japon. C'est d'une partie de ce troupeau disséminé que le jeune Maximovitch deviendra le pasteur.
Le roi Alexandre de Yougoslavie ayant fraternellement ouvert les portes de son pays aux réfugiés russes, nombre d'entre eux partirent pour Belgrade; C'était le cas du fuur archevêque, de ses parents, de ses frères et de sa soeur, qui arrivèrent en Yougoslavie en 1921, après avoir passé presque une année à Constantinople. Comme nombre de ses compatriotes, il connaîtra les difficultés de l'émigration, qu'il décrira en ces termes : " Dans une situation difficile à yous les égrads, les Russes à l'étranger ont manifesté de hautes qualités de patience, d'endurance et d'abnégation. Comme s'ils avaient oublié les magnifiques conditions de vie qui pour un grand nombre étaient auparavant les leurs (...) et tout ce qui pouvait les inciter à aspirer au confort, les Russes en exil ont accepté toutes sortes de travaux et d'occupations pour assurer leur subsistance à l'étranger. Les anciens dignitaires et les généraux devinrent de simples ouvriers, artisans et petits commerçants, ne méprisant aucune besogne, se rappelant qu'aucun travail n'est avilissant s'il n'est lié à des actes immoraux. L'intelligentsia russe, à cet égard, manifesta non seulement son aptitude à conserver son énergie vitale, et à vaincre tout ce qui faisait obstacle à son existence et à son développement, mais montra aussi ses hautes qualités d'âme : l'aptitude à s'humilier et à endurer. L'école de la vie de réfugié a régénéré et élevé moralement de nombreux Russes. Il convient de rendre honneur et hommage à ceux qui portent la croix de leur exil. Accomplissant des travaux pénibles, inhabituels pour eux, vivant dans des conditions qu'ils ignoraient auparavant et qu'ils n'auraient jamais imaginées, ils restent vaillants et gardent la noblesse de leur âme, ainsi qu'un amour ardent envers leur patrie, et ce sans murmurer, dans le repentir des péchés passés, supportant l'épreuve avec constance." C'est cette croix de l'exil que le hiérarque aidera son troupeau à porter dignement...
CHAPITRE 2
EN YOUGOSLAVIE
"Lorsqu'on vous persécutera dans une ville,
fuyez dans une autre"
(Mt 10, 23)
L'émigration russe joua un grand rôle dans la régénération spirituelle de la Serbie, qui avait subi durant cinq siècles le joug ottoman et était sortie exsangue de la Première Guerre mondiale. Dans les années vingt, la ville de Belgrade comptait à elle seule trente mille émigrés russes sur une population de cent mille habitants. " Dans les rues et les parcs, les jardins publics et les cafés, on entendait parler russe presque autant que le serbe", écrivit dans ses mémoires un ancien habitant de la capitale.
Arrivé à Belgrade, le futur archevêque s'inscrivit à la faculté d ethéologie, où il achèvera ses études en 1925. Selon Nicolas Zernov, qui étudiait avec lui, Michel Maximovitch "vivait dans la misère, vendant des journeaux pour subsister et subvenir aux besoins de ses parents. Belgrade, à cette époque, était couverte de boue les jours de pluie, et Maximovitch portait une lourde pelisse de fourrure et de vieilles bottes russes. Il arrivait toujours à l'amphithéâtre avec retard, couvert d'une épaisse couche de boue..." Le célèbre évêque Nicolas Vélimirovitch (+ 1956), canonisé récemment par l'Eglise orthodoxe serbe et dont nous reparlerons, décrit ainsi le jeuen étudiant : "Faible de corps, avec des yeux clairs et le sourire sur le visage, il vendait des journaux à Belgrade. Après la Première Guerre mondiale, il venait chaque matin devant le bâtiment du patriarcat et criait : " Les journaux, les journaux!" Nous achetions tous les journaux chez lui, mais personne ne soupçonnait que cet homme avait terminé des études supérieures en Russie..." A cette époque, le métropolite Antoine avait également émigré en Yougoslavie, et Michel resta en contact avec lui. En 1925, en raison de sa connaissance étendue de l'histoire russe, le jeune Maximovitch fut chargé par le métropolite Antoine de rédiger un rapport sur l'origine de la loi successorale au trône de Russie. D'une simple conférence, cela devint un livre de quatre-vingt pages, abordant tous les aspects de cette question.
En 1924, le jeune homme fut tonsuré lecteur par le métropolite Antoine lui-même. Bégayant depuis son enfance, on raconte qu'à l'église russe de Belgrade, il revêtait le stikharion*, s'approchait humblement du kliros* et attendait qu'on lui donne quelque chose à lire... Bien que le bégaiement cessât lorsqu'il prononça ses voeux monastiques, il éprouva toujours par la suite des difficultés d'élocution. Deux ans après, le 28 juin 1926, Michel Maximovitch reçut l'habit monastique, puis le lendemain, l'ordination diaconale, toujours des mains du métropolite, au monastère de Milkovo, sous le nom de saint Jean de Tobolsk, son lointain ancêtre, dont nous avons déjà parlé. Ce monastère, qui était tombé en décadence, avait connu un renouveau en 1926, lorsque s'y étaient installés six moines russes, qui disposaient de grandes capacités spirituelles et intellectuelles. A leur tête avait été nommé l'archimandrite Ambroise (Kourganov) ( + 1933), diplômé de la faculté de théologie de Varsovie, qui était un grand spirituel. Le nouvel higoumène, selon une chronique du monastère, "attirait à Milkovo, tel un aimant, les meilleurs moines russes de l'émigration". Ce monastère devint un cénobium serbo-russe, avec une vingtaine de moines, et il forma, outre le futur archevêque Jean - qui fut le premier moine russe tonsuré en ce lieu - d'autres figures spirituelles de la diaspora russe, tel l'archevêque Antoine de San Francisco (+2000) et le hiéromoine Nicandre, aumônier du couvent de Notre-Dame-de-Lesna en France (+1986).
Dès qu'il eut revêtu l'habit monastique, le Père Jean adopta un mode de vie ascétique dont il ne devait jamais se départir. A l'instar du hiérarque Mélèce Léontovitch, il ne dormait jamais sur un lit, mais somnolait sur un fauteuil, voire sur une chaise, ou encore s'endormait à genoux en prière.
L'higoumène Ambroise aimait beaucoup le Père Jean et parla ensuite avec admiration de son humilité et de son empressement à accomplir n'importe quelle obédience monastique. Le monastère de Milkovo déposa son empreinte sur le Père Jean : la sincérité et la simplicité, comme l'exprima un témoin de l'époque. Milkovo était synonyme de "monachisme pur et immaculé" pour le futur archevêque. En 1951, l'évêque Léonce de Genève, dont nous reparlerons, écrira : " Jusqu'à présent, Mgr Jean vit de cet esprit et de ces dispositions selon lesquels on vivait à Milkovo."
Le 21 novemebre 1926, l'archevêque Gabriel de Tchéliabinsk l'ordonna prêtre à Velinka Kikinda, dans le Banat serbe, à l'occasion de la fête de l'Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu. Son ordination fut décidée si rapidement qu'il ne put en prévenir ses parents. A son objection, l'archevêque répondit : " Cela n'a aucune importance, nous les inviterons à votre consécration épiscopale!" C'est à cette époque que le hiéromoine Jean rédigea deux traités théologiques, l'un sur "La vénération orthodoxe de la Très Sainte Mère de Dieu", l'autre concernant les erreurs de la "sophiologie" du Père Serge Boulgakoff. Le trait commun aux deux ouvrages est que la théologie ne repose pas sur des enseignements humains, mais sur la Révélation divine. C'est ainsi que le futur hiérarque écrit au sujet de la Mère de Dieu : "Sachant que seuls sont agréables (à la Mère de Dieu) ces louanges qui conviennent à sa véritable gloire, les saints Pères et les hymnographes lui demandèrent ainsi qu'à son Fils de leur donner la raison pour savoir comment la chanter : " Entoure mon esprit d'un rempart, ô mon Christ, car j'ose célébrer Ta pure Mère" ( Ikos de la fête de la Dormition). " Pour cette raison, il qualifiera le dogme romain de l'Immaculée Conception de "zèle mal éclairé" (Rm 10, 2). Pour ce qui est de l'archiprêtre Boulgakoff, il appartenait à cette partie de l'intelligentsia russe qui, après avoir erré loin de la foi, était revenue à l'Eglise après le bouleversement qu'avait produit en elle la révolution bolchévique. Comme l'écrira plus tard l'archevêque Jean, "ce phénomène réjouissant eut également son côté négatif. Nombre de ceux qui revinrent à la foi n'acceptèrent pas celle-ci dans la plénitude de la doctrine orthodoxe. L'esprit humain orgueilleux ne pouvait admettre avoir cheminé sur la voie de l'erreur jusqu'à maintenant. On fit des tentatives pour concilier la doctrine chrétienne avec les ancinnes opinions et idées des convertis. C'est pourquoi s emanifestèrent toutes sortes de nouveaux courants philosophiques, souvent également étrangers à l'enseignement de l'Eglise." Parmi ces enseignements figure celui de la "sophiologie " du Père Serge Boulgakoff, au sujet de laquelle le hiéromoine Jean démontra qu'elle présentait des similitudes avec l'ancienne hérésie des gnostiques : " Dans ce cas comme dans l'autre, il y a volonté d'atteindre tous les mystères du monde d'en haut... C'est l'esprit humain qui dirige et qui prime. La Sainte Ecriture, les vérités révélées, sont adaptées aux enseignements inventés par l'esprit humain..."
Toutefois, le jeune hiéromoine ne goûta pas longtemps l'hésychia* au monastère. Il fut chargé, en 1925, de l'enseignement religieux au lycée d'Etat de Vélika Kikinda, où il resta jusqu'en 1927, lorsqu'il fut nommé à Bitolj. Avant de rejoindre son nouveau poste, il envoya cette lettre, pleine de sollicitude pastorale, à ses anciens élèves :
" Mes chers et chères élèves,
A mon grand regret, je ne serai plus votre ctéchète (...). Durant deux années scolaires avec vous, je vous ai enseigné les vérités de la sainte foi orthodoxe et j'ai prêché la parole de Dieu. Le temps que j'ai passé avec vous ne disparaîtra jamais de mes souvenirs. Comme toujours, je me souviens de vous tous, et de chacun individuellement (...) Je vous considérerai toujours comme mes chers élèves et il me sera agréable que vous aussi ne m'oubliiez pas, et que vous m'écriviez de temps à autre. Mais, ce qui me réjouira le plus, sera d'apprendre que mon labeur à votre égard n'a pas été vain, que vous faites ce que vous avez toujours entendu de moi. Aimez Dieu, soyez dévoués à la foi orthodoxe (...). Ne pensez pas que maintenant, on peut ne pas aller à l'église, parce que je ne serai pas là pour vous surveiller. Il ne faut pas aller à l'église pour les hommes, mais pour Dieu qui voit avec quelles dispositions du coeur on y vient. Ecoutez votre nouveau catéchète, apprenez le catéchsime, non pour obtenir des notes, mais pour connaître la volonté de notre Père céleste. Soyez soumis à vos parents, comme le Christ était soumis à la Très Sainte Vierge Marie. Soyez obéissants envers vos professeurs et tous ceux qui sont plus âgés, et qui vous apprennent le bien. Travaillez et fuyez l'oisiveté, qui est la mère de tous les vices.Mais avant tout, gardez-vous des disputes, pardonnez-vous mutuellement lorsqu'on vous offense. Rappelez-vous : qui se dispute donne de la joie au diable; qui réconcilie les autres, aide le Christ et sera reçu dans le Royaume céleste comme un fils de Dieu (Mt 5, 9).
N'ayant pas la possibilité d'envoyer cette lettre à tous, je l'envoie à ceux dont je connais l'adresse et je souhaiterais, si cela est possible, que chacun de mes élèves la lise et que mes paroles atteignent leur coeur et laisse une trace dans vos âmes."
A Belgrade, un cercle d'étudiants avait été fondé, dans la capitale serbe, sous la protection de Saint Séraphim de Sarov. Des conférences à sujet spirituel y étaient données par le métropolite Antoine et d'autres hiérarques remarquables de l'émigration. Le futur archevêque Jean était membre de ce cercle. Une chronique de l'époque mentionne que, "à l'occasion du centième anniversaire du trépas de Saint Séraphim, le hiéromoine Jean prononça une homélie d'une vigueur exceptionnelle, appelant au repentir le peuple russe, qui avait connu une telle chute, tandis que de son sein avaient surgi des justes d'une telle élévation. La prédication vigoureuse et courageuse du Père Jean produisit une forte impression."
De 1927 à 1934, le hiéromoine Jean enseigna dans le sud de la Yougoslavie, au séminaire Saint Jean-le-Théologien à Bitolj, où il fut le plus jeune assistant du professeur principal, père Justin Popovic (+ 1979), maintenant canonisé. L'établissement comptait alors entre quatre et cinq cents élèves à majorité serbe, mais aussi des Albanais, des Russes et des Tcèques. Ce fut une étape importante de sa vie, sur laquelle nous disposons d'intéressants témoignages. Comme l'écrit V. N. Kossik, qui vivait alors en Yougoslavie, "par ses labeurs ascétiques, ses prières et la chaleur de son amour chrétien, le père Jean créa des hommes nouveaux".
En ce temps, le diocèse de Bitolj était dirigé par l'évêque d'Ohrid, Nicolas Vélimirovitch, que nous avons déjà mentionné. Surnommé à juste titre le "Chrysostome serbe", c'était un remarquable prédicateur, poète, théologien, et l'un des pères du renouveau spirituel en Serbie, comme le sera aussi son disciple l'archimandrite Justin Popovitch déjà mentionné. Il aimait profondément le jeune hiéromoine Jean et dit plus d'une fois : " Si vous voulez voir un saint vivant, allez à Bitolj, chez le Père Jean!" Dans une brochure intitulée " Le vendeur de journaux belgradois - l'évêque de Chine", Mgr Nicolas répondit à une fillette qui lui demandait pourquoi il n'y avait plus de saints à notre époque : " Il y en a, ma fille!" Et de citer l'exemple d'ascèse du futur évêque Jean, ajoutant : " Aujourd'hui, le nom du Père Jean est prononcé à Bitolj comme celui d'un ange de Dieu." Le biographe du Père Justin Popovitch, Mgr Athanase (Jevtitch), actuellement évêque émérite de Herzégovine, écrira : " Le Père Justin était lié par l'amour spirituel et l'amitié avec une personnalité remarquable de notre temps : alors qu'il était professeur à Bitolj, il était collègue et confrère d'un saint de Dieu, le Père Jean Maximovitch, par la suite évêque de Changaï, qui acheva sa vie agréable à Dieu, remplie de prière et de zèle, à San Francisco, glorifié dès cette vie par l'abondance des dons divins." Témoignant de cette amitié, une photographie de l'archevêque Jean figurait en bonne place dans le petit salon où le Père Justin recevait ses hôtes. Mais laissons parler l'un des anciens séminaristes de Bitolj, le Père Ouroch Maximovitch : " Avec la venue d'un nouveau professeur, on se posait toujours la même question : sera-t-il sévère, gentil? Par son exemple personnel, il répondit qu'il était avant tout sévère envers lui-même. Combien il faisait de prières et de métanies quotidiennement, cela Dieu seul le sait, mais nous pouvions néanmons en voir et en ressentir une partie. L'évêque Nicolas d'Ochrid rendait souvent visite au séminaire et s'entretenait avec les professeurs et les étudiants. Pour nous, ses rencontres avec le Père Jean étaient d'un type inhabituel. Après s'être prosternés mutuellement l'un devant l'autre, ils avaient une conversation extraordinairement cordiale et pleine d'amour. Une fois, avant de partir, Mgr Nicolas se tourna vers les étudiants ( dont je faisais partie) et prononça ces paroles : " Mes enfants, écoutez le Père Jean : c'est un ange de Dieu sous l'aspect d'un être humain!" Nous devînmes convaincus que c'était là sa véritable caractéristique : sa vie était vraiment angélique. On peut dire à juste titre qu'il appartenait plus aux Cieux qu'à la terre. Sa douceur et son humilité étaient semblables à celles qui sont mentionnées dans les vies des plus grands ascètes et Pères du désert. Il ne mangeait que la quantité de nourriture qui était nécessaire au soutien de son corps". Effectivement, le Père Jean vivait dans une stricte ascèse, ce dont témoigne son ancien élève, l'archiprêtre Radosav Mititch, précisant que celui-ci ne mangeait qu'une fois par jour, après les Vêpres : " Il ne prenait qu'un morceau de pain, cent grammes tout au plus, un peu de légumes et de fruits. Tout ce qui restait, il le mettait dans un sac, qu'il donnait à un élève, lui demandant de partager son contenu avec les autres séminaristes. Il était pour nous plus qu'un père ou une mère." Le père Ouroch dit encore : " Il s'habillait simplement et, dans sa chambre, il n'y avait qu'une table et un lit sur lequel il ne dormait jamais. Le saint Evangile était posé en permanence sur sa table et les livres liturgiques étaient rangés sur une étagère. C'était tout. A tout moment de la nuit, on pouvait le voir lire la Bible à sa table. Il est impossible d'exprimer par des mots comment il vivait les offices et les prières de l'Eglise. Sa préparation pour la Divine Liturgie était extraordinaire. Dès le jeudi, il mangeait moins. Le vendredi et le samedi, il mangeait à peine jusqu'à ce qu'il célèbre, le dimanche, la Divine Liturgie. La première semaine du Grand Carême, il s'abstenait de toute nourriture, mais il célébrait néanmoins chaque jour, ce qu'il faisait aussi pendant la Semaine Sainte. Le Samedi Saint, son corps était épuisé, mais le jour de la Résurrection du Christ, il était revivifié. Après la Divine Liturgie, les forces lui revenaient. La joie évangélique resplendissait sur son visage. Le Père Jean était un homme de prière exceptionnel. Il était si absorbé par le sens du texte des prières, que l'on avait l'impression qu'il parlait à Dieu, à la Très Pure Mère de Dieu, aux Anges et aux saints. Ils étaient présents à ses yeux spirituels. Peut-être était-ce pour notre profit qu'il parlait à voix haute, afin de nous apprendre à prier; Chacune de ses prières vibrait. Il les récitait de mémoire avec une intonation particulière". Le père Radosav, déjà mentionné, précise que "lorsqu'il célébrait, lorsqu'il prêchait ou encore lorsqu'il faisait passer les examens, il manifestait une humilité immense. Pendant les cours, lorsqu'il nous interrogeait, il lui arrivait de s'assoupir. Aussi, pensant que le père Jean s'était endormi, l'élève interrogé, qui ne savait pas répondre à la question, abordait un autre sujet. Le père Jean relevait aussitôt la tête et disait : " Oh, mais quelles sottises tu dis! Allez, frère, mon fils, retourne à la question que je t'ai posée!" Lorsqu'il célébrait, on aurait pu entendre une mouche voler... Non seulement dans le sanctuaire, mais dans toute l'église, il devait régner une paix céleste, la sérénité, l'ordre, un ordre impeccable. Il enseignait vraiment par son exemple". Le père Ouroch continue : " On ignore le nombre d eprières qu'il connaissait par coeur. Ce n'était d'ailleurs guère étonnant, car il avait un grand don de Dieu, à savoir une mémoire inhabituelle. Il connaissait les événements du Saint Evangile comme s'ils avaient défilé devant ses propres yeux. Il savait en outre à quel chapitre les trouver, voire à quel verset, si cel s'avérait être nécessaire. Le Père Jean nous aimait tous et cela était réciproque. A nos yeux, il était l'incarnation de toutes les vertus chrétiennes; Nous ne voyions pas de défaut en lui, pas même ses difficultés d'élocution auxquelles nous nous étions rapidement accoutumés. Il nous devint si proche, que nous le considérions comme un frère aîné, aimé et estimé. Il n'y avait pas de question sans réponse. Celles-ci étaient toujours succintes, profondes et expertes. Il priait jour et nuit pour nous. Chaque nuit, tel un ange gardien, il veillait sur nous. Il remettait en place l'oreiller de l'un, la couverture de l'autre. Toujours, en entrant ou en sortant du dortoir, il traçait sur nous le signe de la Croix..." Le père Radosav se souvient, au même sujet : " Chaque nuit, il visitait les dortoirs des six classes du séminaire. Nous ne l'entendions jamais entrer dans notre dortoir, mais nous sentions sa présence parmi nous. Il marchait lentement entre les lits, et s'il sentait que l'un de nous respirait un peu difficilement, toussait ou avait de la température, il venait, prenait notre pouls et faisait alors lever l'élève, cherchait lui-même ses vêtements, l'aidait à s'habiller et le conduisait à l'infirmerie."
Nous possédons un autre témoignage de cette époque, émanant d'un écrivain de Skopje, Vlada Maleski. Originaire d'une famille pauvre, séminariste à Bitolj, il devint plus tard communiste, mais ne put néanmoins dissimuler son admiration pour le Père Jean dans ses Mémoires. Rapportant un épisode où les autres séminaristes se moquaient de lui à cause de son uniforme mal ajusté - car il n'avait pas d'argent pour payer un tailleur - et où, saisi par la colère, il leur jeta alors une pierre qui traversa la fenêtre de la chambre du Père Jean, il note au sujet de ce dernier : " Je le vis pour la première fois, de petite taille, avec une barbe brune et touffue, les cheveux tombant depuis sa kamilavka* sur ses épaules que couvrait une soutane tachée... Entre moi, qui me trouvais embarrassé, et lui, le Père Pantéléimon fit irruption. " Privé de déjeuner et de dîner!" s'écria-t-il après avoir noté mon nom. Lorsqu'il partit, le Père Jean dit avec bonté : " Cela ne fait rien, cela ne fait rien, je payerai la vitre." Et il ajouta : " Le Seigneur pardonne les péchés non réitérés!"" Après être resté agenouillé dans le réfectoire durant tout le dîner, le jeune séminariste se rendit au dortoir où, ne pouvant s'endormir, "il vit une ombre humaine qui boitait entre les rangées de lits, s'arrêtant pour remettre en place les couvertures de ceux qui s'étaient découverts. Puis la silhouette s'approcha de mon lit. C'était le Père Jean, qui me dit : " Tu ne dors pas..." Il ne m'interrogeait pas, mais confirmait à haute voix ce dont il était certain. Je m'accoudai et dis : " Je ne dors pas, Père Jean!" Il me remit dans la main un morceau de pain et des olives enveloppées dans du papier ( c'était un jour de jeûne). Je voulais le remercier, mais il me retint : " Le Seigneur pardonne les péchés non réitérés !", puis il partit. Le lendemain, il m'appela chez lui. Dans sa chambre étaient assis deux autres séminaristes qui avaient le même âge que moi. Il nous lut les Vies des saints... Durant quatre années, tous les soirs, nous nous réunissions tous les trois chez le Père Jean. Nous apprenions les prières, nous écoutions des récits sur les saints ermites, nous nous vouions à un monde inconnu... Nous nous rendions aussi avec lui dans une petite église grecque, quelque part dans les labyrinthes de Bitolj, et nous chantions l'office qu'il célébrait. Les jours de fête, nous nous promenions avec lui parmi les monastères de la région et nous nous préparions ainsi à la vie qui devait être la nôtre. Un soir, nous entendîmes chez le Père Jean une histoire bouleversante : un saint était torturé par les païens. On lui brisa les bras, trancha le nez, arracha les yeux, afin qu'il reniât le Christ. Le saint priait et serrait l'Evangile dans ses bras brisés. Les païens lui arrachèrent l'Evangile et le jetèrent dans le feu qui commençait à prendre. Le feu laissa des cendres, et s'éteignit soudain, tandis que l'Evangile resta intact. Le Père Jean posa alors la question : " Pourquoi l'Evangile n'a-t-il pas brûlé?" Nul parmi nous ne sut répondre. Le Père Jean dit alors : " Parce que la foi du saint ne connaissait pas de limites.""
Ce don pédagogique du Père Jean est confirmé par le Père Ouroch : " Le Père Jean associait la théorie et la pratique avec maîtrise. Par exemple, pour ce qui est de la science liturgique, il dressait une liste des étudiants qui devaient lire au kliros. Deux groupes de quatre étudiants devaient se présenter à l'heure prévue dans la cellule du Père Jean, où l'on pouvait consulter les livres liturgiques. Les quatre premiers étudiants étaient chargés de trouver tous les textes à chanter ou à lire pour le jour ou la fête. Les quatre autres étudiants écoutaient. Le Père Jean expliquait alors la signification des textes et des gestes symboliques. Il agissait de la sorte toute l'année. Il exigeait une vigilance constante en toute chose, et surtout durant les offices. Il voulait attirer l'attention des étudiants en premier lieu sur la Sainte Ecriture comme source de toutes les connaissances théologiques. Pour cette raison, il demandait au début des leçons ce qui avait été lu ce jour dans l'épître et le saint Evangile. Chacun devait le savoir, parce que personne ne savait qui il interrogerait. Ensuite suivait son explication succinte. Quelles magnifiques explications il donnait lorsqu'il abordait le sujet de la théologie pastorale et l'histoire de l'Eglise! Il avait retranscrit certaines leçons de pastorale sur des cahiers qui nous étaient destinés. En elles était exprimée de la meilleure façon que ce soit sa personnalité. Selon sa conviction, le prêtre est représenté par l'apôtre Paul comme un pasteur idéal qui doit être "un modèle pour les fidèles, par la parole, la conduite, la charité, la foi, la pureté" ( 1 Tm 4, 12). Le prêtre est le père spirituel de la paroisse. Il doit se conduire comme tel. Sa paroisse est une famille élargie, qui nécessite l'amour pastoral et la prière quotidienne. Partout où cela est possible, il doit venir en aide, il doit partager les joies et les peines de ses paroissiens. Ce sont là les principales pensées du Père Jean, qui se dégageaient de ses cours. De même, ses leçons d'histoire de l'Eglise étaient remarquables, car il savait sélectionner les points les plus saillants, les répétant souvent jusqu'à ce que chacun les eût assimilés. En 1931, lorsque nous passâmes les examens pour obtenir le diplôme, le professeur Démètre Stéfanovitch, représentant du ministère, fut étonné par les excellentes réponses des séminaristes. Je pense que plus de la moitié d'entre eux répondirent brillamment, et que les autres étaient très bons. Il n'y avait pas de mauvaises notes. Les enseignants expliquèrent au professeur Stéfanovitch que le Père Jean était inséparable de ses étudiants et qu'il leur expliquait toute chose jusque dans ses plus menus détails au cours de l'année. Ainsi, la personnalité exceptionnelle du Père Jean s'est en quelque sorte "imprimée" sur l'âme de chacun de ses élèves. Il s'est conduit chez nous comme l'envoyé de Dieu, à qui il échut de cultiver Son vaste champ." Le père Radosav mentionne encore ces détails : " Je me rappelle que le Père Jean insistait pour que tous les jeunes gens lors de leur scolarité au séminaire fussent ordonnés au lectorat. Ainsi, dès la deuxième ou troisième année, nous étions tous déjà lecteurs."
Un autre séminariste de cette époque ajoute : " Nous l'aimions de tout notre coeur, comme lui-même nous aimait. Son amour envers nous se manifestait à chaque instant. Lorsque nous étions hospitalisés, il nous amenait des provisions, nous réconfortait et priait Dieu pour notre santé." Un élève du Père Jean dit encore : " Plus tard, lorsque je devins moi-même enseignant, je compris pourquoi Mgr Jean avait un tel succès comme professeur de séminaire, malgré son défaut d eprononciation. Il n'était pas seulement un excellent pédagogue, mais il aimait ses élèves, qui agissaient de même envers lui." Cet amour était accompagné d'une profonde humilité : l'un de ses anciens élèves se souvient que, lorsqu'on photographiait les séminaristes avec lui, le Père Jean se plaçait toujours à l'arrière-plan. Lorsque plus tard, l'un des anciens "Belgradois" demandera au saint quelle "méthode" il utilisait pour attirer ainsi les coeurs, il répondit : " Je n'utilise aucune méthode pédagogique. Je m'efforce seulement, lorsque je communique avec les gens, de me trouver dans la grâce de Dieu et de ne pas empêcher celle-ci de les soigner et de les régénérer."
Outre les étudiants en théologie, les élèves orthodoxes albanais d'une école de commerce voisine trouvaient également un père en la personne du hiéromoine Jean. Disposant de connaissances étendues, même dans des domaines comme les mathématiques ou la physique, il fournissait un appui scolaire à ceux qui éprouvaient des difficultés.
Les passages du jeune hiéromoine à Belgrade étaient remarqués. Comme le raconte Mgr Métrophane (Znosko-Borvsky) (+ 20002), lors de ses visites dans la capitale, "le Père Jean était littéralement assiégé par les étudiants serbes, qui étaient attirés par sa vie d'ascète et de juste, ainsi que par la rigueur qu'il montrait envers lui-même, inhabituelle dans le monde, et par l'amour dont était rempli son coeur." Tout cela, sous un aspect négligé. Alors qu'un évêque serbe, en compagnie de l'évêque Nicolas d'Ochrid le rencontra à Belgrade, près de l'église russe, il fit remarquer que la propreté de la soutane du Père Jean laissait à désirer. Ce à quoi l'évêque Nicolas répliqua : " Dieu ne regarde pas la soutane sale, mais le coeur pur!" Au demeurant, si son aspect extérieur était peu soigné dans sa vie quotidienne, il se conduisait, lors de l'office divin comme "un prince de l'Eglise", selon l'expression de l'un de ses disciples.
Au-delà de la Serbie, le rayonnement de l'activité pastorale et pédagogique du hiéromoine Jean s'étendit à la Russie sub-carpathique, qui revenait alors à l'Orthodoxie après avoir été soumise durant plusieurs siècles à l'uniatisme. On peut lire dnas un numéro de 1934 du journal La Russie sub-carpathique orthodoxe : "Le Père Jean s'est acquis un immense respect chez ses collègues et ses élèves par sa douceur et son amour sans pareil, mais également par sa remarquable érudition théologique. Son influence a été grande sur la Russie sub-carpathique, car il réunissait autour de lui (à Bitolj) les élèves carpatho-russes, et leur transmettait les meilleures traditions de la pastorale russe et une conception du monde profonde, juste et orthodoxe. Sur tous ses élèves, on ressent l'empreinte de son ascétisme. Cette préoccupation pour la Russie sub-carpathique ne le quittera jamais. C'est ainsi que, devenu évêque de Changaï, il suivra les événements ecclésiastiques de cette contrée et fera plusieurs fois appel à la générosité des fidèles pour y construire des églises.
Toutefois, l'activité spirituelle du hiéromoine Jean ne se limitait pas aux étudiants dont il avait la charge mais il s epréoccupait aussi des malades et des affligés, ce qu'il fera toute sa vie. " Chaque jour, l'après-midi, se souvient le père Radosav Mititch, que ce soit un jour ordinaire ou un jour de fête, il se rendait à l'hôpital municipal, qui se trouvait près de notre école, et il portait différents cadeaux aux malades. Il donnait la sainte Communion à tous les malades qui en exprimaient le souhait. " Nous disposons à ce sujet d'un intéressant témoignage de l'évêque Nicolas Vélimirovitch, alors qu'il était encore évêque d'Ochrid : " Une femme du nom de Vélika P?, du village de Brusnik raconte qu'il y a deux ans, elle se faisait soigner à l'hôpital de Bitolj. Son bras avait terriblement enflé. Les médecins percèrent l'abcès, et une grande quantité de pus en sortit. C'est alors que le Père Jean Maximovitch vint la visiter. Elle ne le connaissait pas. Le Père Jean lui proposa de recevoir l sainte Communion, ce qu'elle accepta. Suite à cela, elle se sentit un peu mieux. Deux ou trois jours après, le Père Jean revint et lui suggéra à nouveau de communier. Elle acquiesça, mais dit qu'elle jeûnerait au préalable au moins trois jours et qu'elle recevrait ensuite le Saint Mystère car, ajouta-t-elle, sa conscience lui reprocahit de ne point avoir jeûné la fois pércédente. Le Père Jean lui laissa prendre sa décision, puis partit. La femme commença à jeûner et ne se nourrit que de pain. Trois jours après, le Père Jean lui apporta le sacrement. C'était le Mercredi-Saint, tôt le matin. Vers le soir, le bras de la patiente était complètement guéri. Le médecin, qui avait dit préalablement qu'elle devrait rester au moins trois mois à l'hôpital, fut stupéfait. Il vit que le pus avait complètement séché et que le bras de la patiente ne causait plus aucune douleur lorsqu'on le pressait. Il se signa et dit à la femme qu'elle était guérie et qu'elle pouvait partir. Lorsque celle-ci raconta ce qui lui était arrivé, on lui demanda qui était ce prêtre. Elle ne connaissait pas son nom, mais le décrivit de telle façon que le nom du Père Jean nous vint à l'esprit. Car à cette époque, il visitait presque quotidiennement les malades. Lorsque nous dîmes à cette femme que ce prêtre était maintenant évêque de Changaï, elle fut fort étonnée."
Comme plus tard en Chine, le Père Jean se préoccupait des orphelins et les visitait souvent à l'institution "Bog daï" ("Dieu donne"), à Ochrid, fondée par l'évêque Nicolas Vélimirovitch.
Sur les rives du lac d'Ochrid, dans le monastère qui porte son nom, reposent les reliques de saint Nahum, disciple et compagnon d'ascèse des saints Cyrille et Méthode, illuminateur des Slaves. Le Père Jean vénérait profondément saint Nahum, connu comme guérisseur des maladies mentales. Avec l'icône du saint, le Père Jean visitait les hôpitaux et lisait les prières sur les malades. Il éprouva cette vénération pour saint Nahum toute sa vie. Lorsqu'il fut nommé évêque de Changaï, il bénit, avant son départ, une icône de saint Nahum sur la tombe de celui-ci. Il l'emporta avec lui et l'exposa àla vénération des fidèles de Changaï Outre les Russes et les Serbes, le Père Jean, à l'instar de son maître le métropolite Antoine, se préoccupait de tous les autres orthodoxes, quelle que fût leur nationalité. jour de la fête du saint, qui, jusqu'alors était inconnu dans cette ville et qui, grâce à l'évêque y fut désormais très vénéré. Notons que, quelques jours avant son trépas, l'archevêque Jean plaça cette icône, de façon inattendue, sur le lutrin. Il s'avéra ensuite que le jour de la fête de saint Nahum d'Ochrid fut précisément celle de son trépas.
Outre les Russes et les Serbes, le Père Jean, à l'instar de son maître le métropolite Antoine, se préoccupait de tous les autres orthodoxes, quelle que fût leur nationalité. Aussi devint-il recteur par intérim de la paroisse grecque de Bitolj, dans laquelle il célébrait en langue grecque pour les fidèles de la région qui le lui avaient demandé.
En raison de ses oeuvres et de sa vie ascétique, le père Jean "était aimé par tous, écrit le père Radosav Mititch, non seulement par ses élèves, mais dans toute la ville de Bitolj et par tous ses habitants, indépendamment de leur religion : orthodoxes, catholiques-romains et musulmans".
Se donnant ainsi à toutes ses ouailles et à tous les hommes, le jeune hiéromoine était bien loin de songer à l'épiscopat. Mais en 1934, le métropolite Antoine et le Synode de l'Eglise Russe à l'Etranger procédèrent à son élection comme évêque de Changaï, où vivait une importante colonie russe. L'un des étudiants de Bitolj, Miloutine Devrnia se souvient : " Le recteur du séminaire ouvrit soudain la porte de la classe et s'écria, tout rayonnant : " Père Jean, j'ai reçu un télégramme m'informant que vous êtes élu évêque de Changaï!" Cette nouvelle fut pour nous comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, car la modestie du Père Jean était si grande et si sincère qu'il n'avait jamais eu l'intention d'accéder à un poste plus élevé. Certains lui reprochaient d'ailleurs de ne pas prêter attention à son aspect extérieur et de ne pas observer cette sorte de discipline scolaire qui était alors habituelle. Bien qu'il nous fût difficile de nous séparer de lui, nous entonnâmes tous spontanément d'une seule voix le chant destiné aux évêques : " Eis polla eti, Despota! (1) ""
(1) : ( Ad multos annos! Beaucoup d'années, Monseigneur!).
Toutefois, le Père Jean n'était aucunement convaincu de son élection épiscopale. L'une de ses connaissances de Yougoslavie, la novice Marie Chatilov, témoigne que, rencontrant le Père Jean dans le tramway à Belgrade, elle lui demanda pour quelle raison il se trouvait là. Il lui répondit qu'il était venu parce que, par erreur, il avait reçu, à la place d'un autre hiéromoine Jean, une convocation l'informant de son élévation au rang épiscopal. Lorsqu'elle le revit ensuite, il lui dit que l'erreur était bien plus grave qu'il ne le pensait, puisque c'était précisément lui que l'on devait sacrer évêque! Lorsqu'il opposa à son élection ses difficultés d'élocution, on lui répliqua que le prophète Moïse connaissait le même embarras...
La consécration épiscopale du Père Jean eut lieu à Belgrade le 9 juin 1934, alors qu'il était âgé de trente-huit ans. L'office de nomination de l'évêque fut célébré par le métropolite Antoine avec les archevêques Hermogène (Maximov) ( +1944) et Théophane (Gavrilov) ( +1943), ainsi que les évêques Nicolas d'Ochrid et Métrophane (Abramov) (+1945). Selon une chronique de l'époque, "tout le Belgrade russe connaissit et vénérait le hiéromine Jean et c'est ainsi que s'expliquait le grand nombre de fidèles rassemblés à cette occasion. Mais les Serbes étaient également nombreux." A la fin de l'office, l'évêque Nicolas, qui ne pouvait être présent le lendemain, remit une crosse épiscopale au futur évêque, de la part de ses fidèles d'Ochrid. Le lendemain, la consécration épiscopale ne fut pas moins solennelle. Ce fut la dernière consécration célébrée par le métropolite Antoine qui, lorsqu'il remit à son tour la crosse au nouvel évêque, lui dit : " Je me rappelle que le vieux métropolite de Saint-Pétersbourg et de Novgorod, Isidore, alors qu'il remettait la crosse aux jeunes évêques, disait : " Il n'y a rien là de compliqué. Efforce-toi seulement d'accomplir deux prescriptions : célèbre bien et ne te donne pas d'importance!" Quant à toi, tu aimes l'office divin plus que toute autre chose au monde, et tu ne te donnes pas d'importance, mais ta simplicité ne connaît pas de limites. Ainsi, tu accomplis ces deux prescriptions dans leur plénitude... Mon coeur se serrait toujours lorsque l'on disait d'un évêque qu'il n'aimait pas célébrer et qu'il était un piètre homme de prière, mais par contre un bon administrateur. S'il voit son premier devoir dans la prière, l'administration suivra d'elle-même et tout ce qui l'entoure ira de mieux en mieux."
Le discours d'intronisation de l'évêque Jean ne fut pas, comme cela est souvent le cas, un dicours formel et officiel, mais il brossa le portrait d el'archipasteur tel qu'il le concevait - ou plutôt tel que le concevaient les Pères - et tel qu'il le sera réellement, si bien que l'on pourra dire à son sujet : " Celui qui fera et enseignera, celui-là sera tenu grand dans les Cieux" (Mt 5, 19).
"Par la bouche des archipasteurs de l'Eglise, dit-il en cette occasion, je suis appelé à recevoir le ministère épiscopal. Je n'oserais me prétendre digne de ce rang, ayant conscience de mes péchés, mais je crains aussi de le refuser, entendant les paroles du Seigneur adressées à Pierre, pécheur et repentant : " Si tu m'aimes, pais mes agneaux, pais mes brebis." Saint Jean Chrysostome, expliquant ce passage de l'Evangile, attire l'attention sur ceci, qu'en témoignage de son amour, le Seigneur n'exigeait nul autre exploit spirituel que celui du pasteur. Pour quelles raisons le ministère pastoral est-il aussi grand aux yeux du Seigneur? Parce que les pasteurs, selon l'expression de l'apôtre Paul, sont les "coopérateurs de Dieu". Le Christ est venu sur terre pour rétablir l'image divine souillée dans l'homme. Il est venu appeler tous les hommes à s'unir pour glorifier d'une seule bouche et d'un seul coeur leur Créateur.
La tâche de chaque pasteur est d'attirer les hommes à cette unité, de les regénérer et d eles sanctifier. Qu'est-ce qui peut être plus grand que d erecréer la création Divine? Qu'est-ce qui peut être plus utile pour son prochain que de le préparer à la vie éternelle? Il n'est guère facile d'accomplir cette t^chae - il arrive que nous ayons à lutter avec la nature humaine abîmée par le péché. Nous rencontrons souvent l'incompréhension, parfois l'opposition consciente, la haine de ceux que nous aimons et dont nous nous occupons. Grand doit être pour le pasteur le sacrifice d elui-même et l'amour pour son troupeau. Il doit être prêt à tout supporter pour le bien de ses ouailles et chaque brebis doit trouver sa place dans son coeur. Il doit en outre appliquer à chacun le remède qui lui convient, conformément à son caractère et à sa situation.
Si les obligations d'un simple pasteur sont à ce point difficiles et complexes, et si la responsabilité est si grande pour le salut de ses ouailles, que peut-on dire de l'archipasteur? En vérité, c'est à lui que s'adressent les paroles du Seigneur adressées jadis au prophète Ezéchiel : " Fils d'homme, je t'ai fait guetteur pour la maison d'Israël" (Ez 3, 17).
L'archipasteur est responsable non seulement de toutes les brebis que Dieu lui a confiées, mais aussi des pasteurs. Il devra rendre compte pour chaque pécheur qu'il n'aura pas mis en temps opportun sur le droit chemin, pour chaque homme qui cheminait sur la voie droite et s'en est détourné. Son devoir est de partager les souffrances de ses ouailles et ainsi de les guérir, à l'exemple du Pasteur Suprême, le Christ, "par les blessures de qui nous fûmes guéris" (Is 58, 5). Il n'a pas de vie privée, il doit se vouer entièrement à l'oeuvre du salut des âmes humaines et les diriger vers le Royaume des Cieux. Il doit être prêt à supporter toutes les méchancetés, les persécutions et jusque la mort pour la vérité, à boire le calice du Christ et à être baptisé de Son baptême (Mt 20, 33: Mc 10, 39). Il doit s'occuper non seulement de ceux qui viennent à lui, mais aussi chercher lui-même et faire revenir au troupeau les brebis égarées, les portant sur ses épaules. Son devoir est d'annoncer l'enseignement du Christ à ceux qui l'ignorent, se souvenant du commandement du Seigneur : "Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création" (Mc 16, 15). Etant pénétré de l'universalité de l'Eglise, il ne doit pas limiter ses préoccupations à ceux qui lui sont confiés directement, mais il doit d'un oeil spirituel promener son regard sur toute l'Eglise universelle du Christ, souhaitant l'illumination de tous les peuples et leur progression dans la foi véritable, car dans l'Eglise, "il n'y a ni hellène, ni juif, ni barbare, ni scythe", mais tous sont de manière égale les enfants aimés du Père céleste.
En se préoccupant du salut des hommes, il faut s'adapter à leurs conceptions, afin d'attirer chacun, imitant l'apôtre Paul, et être capable de dire comme lui : " Je me suis fait juif avec les Juifs, afin de gagner les Juifs. Je me suis fait un sans-loi - moi qui ne suis pas sans une loi de Dieu, étant sous la loi du Christ - afin de gagner les sans loi. Je me suis fait faible avec les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver quelques-uns" (1 Co 9, 21-22).
Tout en s'occupant du salut des âmes humaines, il convient de se rappeler que les hommes ont aussi des besoins matériels, qui se manifestent avec vigueur. On ne peut prêcher l'Evangile sans manifester la charité en actes. Mais ce faisant, il faut encore veiller à ce que le souci des biens matériels du prochain n'absorbe pas toute l'attention du pasteur et n'aille pas à l'encontre des besoins spirituels, se souvenant des paroles des apôtres : " Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables" (Ac 6, 2). Tout doit être dirigé vers la recherche du Royaume de Dieu et l'accomplissement de l'Evangile du Christ. Le véritable christianisme ne consiste pas en réflexions et en enseignements spéculatifs, mais s'incarne dans la vie. Le Christ est descendu sur terre non pour enseigner aux hommes de nouvelles connaissances, mais pour les appeler à la vie nouvelle.
Le pasteur ne doit pas se détourner de la participation à la vie publique, mais il doit s'y associer en tant que détenteur de la loi du Christ et comme représentant de l'Eglise. L'ecclésiastique ne saurait se transformer en un personnage politique ou public, oubliant l'essence principale de son ministère et son but. Le Royaume du Christ "n'est pas de ce monde" (Jn 18, 36) et le Christ n'a pas construit un royaume terrestre. Ne devenant pas un chef politique et n'entrant pas dans les querelles politiques, le pasteur peut donner un éclairage spirituel sur les événements de la vie, afin que ses ouailles connaissent la voie à suivre et soient des chrétiens non seulement dans leur vie privée, mais aussi dans leur vie publique. L'archipasteur doit pouvoir donner des conseils spirituels à tous : au moine-ermite qui purifie son âme des mauvaises pensées, à l'empereur qui organise l'Etat, au chef militaire qui se rend sur le champ de bataille, et au citoyen ordinaire...
Avant tout, nous devons garder entre nous l'unanimité et l'unité, représentant l'Eglise russe Une, et en même temps continuer son oeuvre parmi les autres peuples. Dès les premiers instants du christianisme en Russie, des prédicateurs en partirent pour les autres contrées. Au début brillèrent les saints Kouchka, Léonce de Rostov, ensuite Etienne de Perm, Innocent d'Irkoutsk et, à notre époque, Macaire, apôtre de l'Altaï, ainsi que Nicolas du Japon. Maintenant, le peuple russe dispersé est devenu prédicateur de la foi dans toutes les régions du monde. La tâche de l'Eglise Russe à l'Etranger est d'illuminer dans la foi le plus grand nombre d'hommes de tous les peuples. Dans ce but, le Synode de l'Eglise Russe à l'Etranger m'envoie au pays du soleil levant, qui doit être illuminé par les rayons du Soleil de Justice..."
Après la Liturgie, un modeste repas rassembla quarante-cinq personnes. Des allocutions furent prononcées, dressant le portrait du nouvel évêque, comme le fidèle et talentueux disciple du métropolite Antoine, comme un grand ascète, un pédagogue hors pair qui est parvenu à acquérir une affection exceptionnelle de la part de ses élèves, comme un homme qui perçoit toujours où se trouvent la vérité et le mensonge, et tout cela avec une humilité extraordinaire... Comme pour répondre à l'universalité des paroles de l'évêque Jean, ce furent des représentants de la communauté grecque de Bitolj qui, les premiers, le félicitèrent et lui offrirent un bâton pastoral argenté. Quelques jours après, le patriarche Barnabé le reçut et lui fit don d'un encolpion* en nacre.
Alors que l'archevêque Démètre de Hailar, en Mandchourie, l'invitait en Extrême-Orient, le métropolite Antoine lui répondit : " Mon ami, je suis à ce point âgé et faible que je ne puis considérer d'autre voyage que celui qui mène au cimetière... Mais à ma place, je vous envoie comme mon âme, comme mon coeur, Mgr l'évêque Jean. Cet homme de petite taille, de faible constitution, qui a presque l'aspect d'un enfant, est un miracle de fermeté et de rigueur ascétiques en notre temps de paralysie spirituelle générale." Questionné par un journaliste au sujet de Mgr Jean, le métropolite Antoine répondit : "Le nouvel évêque de Changaï Jean se distingue par une extrême simplicité, par l'obéissance, et une profonde humilité. Disposant d'une vaste érudition, lisant beaucoup et continuellement, il n'en tire aucune prétention. Ayant une âme pure et étant empli de douceur, il aime beaucoup ses élèves et les enfants. Il est toujours entouré par eux (...). Il prodigue ses enseignements avec ardeur et hardiesse, et se montre fort avenant envers tous." Il convient de mentionner ici un fait qui témoigne de la proximité spirituelle qui existait entre les deux hiérarques. Le 28 juillet 1936, alors qu'à Changaï il était assis devant son bureau, l'évêque Jean ressentit un tressaillement dans son coeur, mais n'y attribua aucune importance, tout en regardant l'heure. Le lendemain, il reçut un télégramme qui l'informait du décès du métropolite, précisément au moment où il avait éprouvé ce mouvement cardiaque.
Un événement retarda quelque peu le départ de l'évêque Jean pour Changaï. Il s'agissait de l'assassinat à Marseille du roi Alexandre de Yougoslavie. La première Panykhide en l'église russe de Belgrade fut célébrée par Mgr Jean, qui fut l'un des deux évêques russes participant aux funérailles du roi, pour lequel il célébrera plus tard un office à Marseille, sur l'emplacement de l'acte criminel, ce dont nous reparlerons.
" La vie religieuse des Serbes, peu manifeste aux yeux de l'observateur superficiel, bat en réalité son plein", écrira plus tard le hiérarque. Aussi n'est-ce pas sans regrets qu'il fit ses adieux au peuple serbe " qui l'aimait tant et qu'il avait tant aimé", selon les termes employés par l'évêque Nicolas Vélimirovitch. Toutefois, bien des années après, le souvenir du saint hiérarque resta vivant dans la conscience du peuple serbe. Comme l'a écrit bien plus tard l'évêque Nicolas Vélimirovitch, "le souvenir du père Jean est resté indélébile dans le coeur de tous les habitants de Bitolj. Par son exemple, il brillait comme une étoile. Malgré son éloignement, son éclat ne diminua pas. Dans l'église de l'Annonciation, où le père Jean célébra chaque jour durant deux ans, son nom est toujours commémoré lors des offices et mentionné dans les conversations. Sa prière aidait, son amour forçait l'admiration, son ascétisme provoquait l'étonnement." Plus tard encore, deux prêtres orthodoxes français qui séjournèrent en Serbie en 1962, témoignèrent : " Les laïcs et les clercs que nous rencontrons au Patriarcat, sont simples, directs : ils s'animent au nom de Mgr Jean, dont la notoriété nous ouvre toutes les portes..."
CHAPITRE 3
A CHANGAÏ
" Par toute la terre a retenti
leur message, et leur parole
jusqu'aux limites du monde"
(Ps 18, 5)
Depuis 1685, l'Eglise orthodoxe était présente en Chine, grâce aux missions que l'Eglise Russe y avait envoyées, notamment par le parent éloigné de l'évêque Jean, saint Jean de Tobolsk. L'Orthodoxie chinoise avait même ses saints martyrs, qui refusèrent de renier le Christ sous le régime des "boxers" en 1900.
Des deux cent cinquante mille Russes arrivés en Extrême-Orient entre 1918 et 1922, près de la moitié s'étaient installés en Chine, surtout en Mandchourie et dans les ports "ouverts" tels que Changaï, Tianjin et Qingdao. La communauté russe de Chine comptait deux cents prêtres et cinq évêques. Dans les années vingt, Changaï était le port le plus important d'Extrême-Orient. Environ trente mille Européens, dont dix-neuf mille émigrés russes occupaient deux enclaves exxtra-territoriales, ayant chacune son administration et sa police; Les Russes qui en avaient les moyens s'installaient dans la concession française. Ils étaient nombreux à habiter dans l'artère principale, l'avenue Joffre, où ils avaient leurs magasins, leurs bibliothèques, leurs restaurants. Toutefois, l'écrasante majorité de la colonie russe habitait dans cette partie du territoire international qui s'appelait Hongkou, nommée aussi "le petit Tokyo" en raison de l'importance de la population japonaise. Après 1920, les émigrés russes furent privés des droits attachés à l'extraterritorialité, ce qui provoqua une inégalité criante entre eux et les autres Européens. Certains encore sollicitèrent la citoyenneté soviétique sans avoir la moindre intention de regagner l'URSS. Les émigrés russes bénéficiaient toutefois de la sympathie des Chinois qui, eux aussi, subissaient l'humiliation. Quant aux Européens, ils ne dissimulaient guère leur mépris à l'endroit de ceux qui acceptaient de vivre et de travailler dans de telles conditions. En dépit des difficultés liées à leur statut, les Russes préféraient cependant cette ville à toutes les autres cités asiatiques. Malgré toutes les épreuves qu'ils rencontraient sur leur chemin, les Russes émigrés sans droits en Chine avaient réussi par leur labeur, leur persévérance et surtout leur honnêteté à gagner en peu de temps de l'influence et de l'autorité dans la vie de la ville internationale. Ils y disposaient de neuf églises, de plusieurs écoles, dont la plus importante était l'école de commerce avec cent cinquante élèves, d'un hôpital et d'un théâtre.
C'est donc à Changaï que se développera l'oeuvre pastorale du nouvel évêque. En Yougoslavie, le prélat avait rédigé un cours destiné aux séminaristes, dans lequel il dressait ainsi le portrait du pasteur : "Dès ce moment (de l'ordination), les hommes qui encore hier étaient inconnus et lointains pour le nouveau pasteur, deviennent ses chers enfants spirituels. Ils lui deviennent siens. L'attitude du pasteur envers les ouailles doit être semblable à l'amour du Christ envers l'Eglise, ce qui est représenté prophétiquement dans le cantique des cantiques par les relations entre le fiancé et la fiancée. L'amour qui remplit le coeur du pasteur lorsqu'il reçoit ce don (du pastorat) doit être jusqu'à sa mort le principal initiateur de toutes ses oeuvres. Le pasteur doit se donner de tout son être à l'oeuvre du salut de son troupeau, souffrant spirituellement pour lui et pour ses défauts. Si les circonstances l'exigent, il doit donner sa vie pour lui, mais, dans les autres cas aussi, il est un martyr spirituel tout le temps de sa vie terrestre. C'est pour cette raison que l'on chante lors de l'ordination : " Saints martyrs qui avez combattu vaillamment et avez été couronnés, priez le Seigneur de sauver nos âmes." Les martyrs sont invoqués pour aider le nouveau martyr." Comme nous le verrons, ces quelques lignes résument admirablement ce que sera le cheminement du hiérarque parmi les épreuves qui l'attendront dans son diocèse.
Par un matin brumeux, à la fin du mois de novembre 1934, l'évêque arriva à Changaï. C'était la fête de l'Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu, et de nombreux fidèles étaient réunis sur le port pour accueillir leur nouveau pasteur, qui devait occuper la cathèdre du défunt archevêque Simon (Vinogradov) ( +1933), qui consacra de nombreuses années aux missions en Chine, et dont on trouva le corps intact en 1940 ( ce qui est souvent considéré comme un signe de sainteté dans l'Orthodoxie). Malheureusement, des conflits entre orthodoxes de différentes nationalités et entre Russes de diverses convictions n'avaient pas été résolus et troublaient la vie ecclésiale. Aussi le nouveau hiérarque s'efforça-t-il d'emblée de faire revenir la paix parmi ses ouailles, manifestant sa propre absence de passions, tant dans le domaine national que politique. Comme le relate un périodique de l'époque, " peu après son arrivée à Changaï, l'évêque Jean parvint à y rétablir l'unité ecclésiale tant attendue, à la joie indicible de tous les orthodoxes", instituant des liens avec les Grecs, les Serbes et les Ukrainiens. Entre autres problèmes, la paroisse ukrainienne ne voulait pas, de par un provincialisme exacerbé, entrer en communion avec l'Eglise russe. Aussi, l'évêque Jean se rendit-il chez le recteur de cette paroisse et, soulignant qu'il était lui-même d'ascendance petite-russienne, réussit de cette façon à faire rentrer la communauté ukrainienne dans le giron de l'Eglise russe. En outre, une autre paroisse avec son prêtre s'était séparée de son évêque et placée illégalement sous l'obédience du métropolite Euloge de Paris, ce qui est décrit ainsi dans une chronique ecclésiale de 1935 : " L'archiprêtre Piniaieff, qui s'exposa en son temps aux sanctions du Synode des évêques, demanda à Son Excellence (l'évêque Jean) de le confesser. Mgr Jean lui lut la prière d'absolution et, le jour de la fête patronale dédiée à saint Nicolas, le reçut en concélébration. Les orthodoxes de Changaï étaient profondément émus et heureux d'une telle fin de la division ecclésiale. On ressentait dans l'église une ambiance de joie spirituelle, semblable à celle du jour de Pâques." Une autre anomalie canonique était constituée par la situation juridictionnelle du couvent de Changaï, qui relevait du siège épiscopal de Kharbine, alors que, selon les canons, il devait être soumis à l'évêque local, c'est-à-dire Mgr Jean. Celui-ci, en manifestant sa bonne disposition envers les moniales, obtint qu'elles revinssent sous son omophore. Naturellement, ce n'était pas, de la part du hiérarque, une quelconque expression d'amour du pouvoir, mais l'attachement à l'ordre ecclésial voulu par les Pères.
Dans un mandement au métropolite Mélèce de Harbin en date du 23 juin 1943, les représentants des différentes associations russes, grecques et géorgiennes écriront : " Depuis l'arrivée de (l'évêque Jean), le triste phénomène de la division des Eglises orthodoxes a cessé." En 1946, dans un mandement à ses ouailles au sujet des divisions ecclésiales, l'évêque Jean précisera : " Nous nous sommes efforcés, dans la mesure du possible, de satisfaire aux besoins spirituels et matériels de nos ouailles, sans faire aucune différence entre elles (...). Nous souvenant que parmi les hommes qui aspirent avec la même sincérité au bien, peuvent se manifester différentes opinions quant à la manière d'y parvenir, nous n'avons exclu personne de notre sollicitude spirituelle, accordant à tous les orthodoxes la même participation à la vie ecclésiale, et nous opposant à toutes les tentatives de limiter les droits ecclésiastiques de personnes de l'une ou de l'autre tendance, ce qui se produisit malheureusement dans d'autres lieux." Et de conclure : " Les portes des églises de Changaï furent toujours largement ouvertes à tous les chrétiens orthodoxes... Chacun des peuples orthodoxes (non russes) pouvait considérer que notre église était sienne et avait la possibilité de rester fidèle aux préceptes et usages ecclésiaux qui le reliaient à sa propre patrie. Chacun, individuellement, sans différence nationale, pouvait et peut recevoir de la même façon dans l'Eglise la satisfaction de ses besoins spirituels et prendre part à la vie ecclésiale en observant les règles prescrites. Dans l'Eglise du Christ, il n'y a ni "hellène, ni juif, ni barbare, ni scythe", tous sont pareillement enfants de l'Eglise."
L'autre tâche à laquelle l'évêque Jean se consacra immédiatement fut l'achèvement de la construction de la cathédrale, située route Paul Henry, dans la concession française, et dédiée à l'icône de la Très Sainte Mère de Dieu dite "Secours des pécheurs". L'attention du saint hiérarque se porta sur l'intérieur de l'édifice, qui devait convenir avant tout à son usage liturgique et non pas produire une belle impression "pour les yeux seulement", comme il l'exprima lui-même. C'est pourquoi il établit la liste des icônes et l'ordre dans lequel elles devaient être acquises, afin qu'elles ne fussent pas "placées n'importe comment", comme cela est malheureusement souvent le cas. Parmi les saints représentés sur les colonnes se trouvait saint Nahum d'Ochrid, que nous avons déjà évoqué. En ce qui concerne la peinture des fresques, il renonça à faire appel à l'artiste Zadorojny, en raison de son style "occidentalisant" et nomma à sa place un hiéromoine qui exécuta l'iconographie selon les critères de l'ancien art russe. On peut comprendre ce choix dans l'une des homélies du hiérarque (1) :
(1) : ( Le texte complet est publié dans la deuxième partie de ce livre).
"L'icône est le symbole de l'invisible... Elle n'est pas un portrait, car celui-ci ne représente que l'apparence terrestre de l'homme, tandis que l'icône figure aussi son état intérieur. Et même si l'on ne représente que l'apparence, celle-ci sera différente selon le moment. S.B. le métropolite Anastase (2) racontait que, étant étudiant à la faculté de théologie, il se rendit en compagnie d'autres étudiants à Cronstadt pour assister aux offices du saint Père Jean (3). Lorsque celui-ci acheva la Liturgie, son visage était illuminé par la lumière, littéralement comme Moïse lorsqu'il descendit du Mont Sinaï. Un certain temps après, le Père Jean reçut les étudiants dans sa cellule, comme un homme habituel (...). L'icône doit représenter non seulement l'extérieur, mais aussi la vie intérieure, la sainteté et la proximité du ciel. Toute l'attention de nos iconographes était dirigée sur l'état de l'esprit, caché sous la chair... Après le règne de Pierre le Grand, au lieu de s'inspirer des anciens iconographes russes, on prit l'habitude d'imiter les artistes occidentaux, étrangers à l'Orthodoxie. Les nouvelles représentations, même si elles étaient belles, ne correspondaient pas à l'esprit de l'iconographie."
L'immense cathédrale pouvait contenir jusqu'à deux mille cinq-cents personnes, dont trois cents places pour le choeur. Haute de trente-cinq mètres, ornée de cinq coupoles, elle était pourvue d'une maison paroissiale de trois étages; elle allait devenir le centre de l'activité spirituelle du saint qui, à l'instar des anciens fondateurs de monastères, ne se limita point à la construction d'un édifice, mais y introduisit une vie de prière. Comme il l'écrivait, "la disposition envers la prière est le thermomètre de l'état de l'âme. Le manque de volonté et de disposition pour la prière ne signifie pas le sommeil, mais la mort spirituelle." C'est pourquoi, selon les paroles du hiérarque, c'était avant tout autour de la prière que se "trouvaient les bases de la réussite de l'activité archipastorale".
Cette vie de prière de l'évêque Jean a été décrite par l'archiprêtre chinois Elie Wen, qui vivait alors auprès du hiérarque à Changaï : " Durant toute l'année, Mgr Jean célébrait quotidiennement la Divine Liturgie. Chaque prêtre, à tour de rôle, concélébrait avec lui. Depuis l'arrivée de l'évêque Jean, les Vêpres et les Complies étaient célébrées chaque soir. Durant les Complies, on lisait obligatoirement de un à trois canons des saints du jour. A six heures du matin, on célébrait l'Office de minuit, les Matines et la Liturgie. Bien qu'il n'eût pas l'oreille musicale, l'évêque faisait chanter tout ce qui devait l'être. Aux Vêpres et aux Matines, il restait debout avec le clergé au kliros. Monseigneur était très sévère envers le clergé. Le Polyéléos* était chanté en entier ( c'est-à-dire tous les psaumes le composant). A l'issue des offices, il prêchait toujours lui-même, mais il était diffidicile de le comprendre ( en raison de sa mauvaise élocution). Mgr Jean aimait beaucoup les offices et le typikon. Je me rappelle que Mgr Jean insistait particulièrement sur les jours consacrés à la mémoire des martyrs, et qu'il vénérait notamment le martyr Tryphon..." Mentionnons encore que le hiérarque avait introduit à Changaï la Liturgie de saint Jacques, à laquelle il assista lors de sa première célébration en slavon en l'église russe de Belgrade le 18 janvier 1938. Cette vénérable liturgie avait été traduite pour la première fois en slavon à l'étranger et avait été publiée par les soins de l'Eglise R usse Hors-Frontières. D'autres témoignages complètent cette description de la vie liturgique du saint évêque. Outre les innombrables noms qu'il commémorait à la prothèse, fait sur lequel nous reviendrons, la puissance de la prière d u hiérarque durant la Divine Liturgie était exceptionnelle. Sa prière se déversait alors littéralement sur le peuple présent, comme en témoigne un fidèle qui assistera à l'une de ses célébrations en Europe : " La force et la concentration de l'évêque Jean dans l'office saisissent tous ceux qui prient. Lorsqu'il célèbre, on ressent plus clairement que, lors des saintes heures liturgiques, la limite entre le ciel et la terre s'efface. Le monde créé vit alors de la vie divine, se détachant de la vie terrestre, en "déposant tous les soucis de ce monde". " Aussi, même une affaire extrêmement importante ne pouvait interrompre sa prière. C'est ainsi que, lors des événements dramatiques qui s eproduiront après la guerre, il reçut un télégramme du Synode pendant la Liturgie. Il fourra le message dans sa poche et ne l'ouvrit qu'après la fin de l'office. Il convient aussi de souligner que, dans le sanctuaire, le hiérarque ne prononçait jamais une parole superflue, répondant néanmoins à toute question concernant le bon déroulement de l'office. Bien plus tard, le hiérodiacre Laur (Skurla, + 20008), futur métropolite, écrira : " Après la liturgie de la fête, j'entrai dans le sanctuaire et vis que l'archevêque Jean cherchait quelque chose. Je lui demandai alors si je pouvais l'aider. Il ne répondit pas et continua ses recherches en silence. Pensant qu'il ne m'avait pas entendu, je répétai ma question. Il me prit alors par la main, sortit du sanctuaire et me dit : " Dans le sanctuaire, je ne parle jamais!"" Un autre témoignage nous a été laissé par la moniale Augusta, qui connut l'évêque Jean en 1939, et qui eut la vision suivante au cours de la Divine Liturgie célébrée par ses soins. Recevant des lettres désespérées de sa fille, dont le mariage était un échec, elle raconte : " Tous les jours, je me rendais à la cathédrale de Changaï, mais ma foi commençait à vaciller. Je décidai alors de ne plus aller à l'église, mais de rendre visite à des amies et, pour cette raison, ne devant pas me hâter, je me levai plus tard. Mon chemin me conduisait devant la cathédrale, et voici que j'entendis les chants qui y résonnaient. J'entrai dans l'église. Mgr Jean célébrait, les portes royales étant ouvertes. Il prononça les paroles : " Prenez, mangez, Ceci est mon Corps...", "Ceci est mon Sang... en rémission des péchés", et, à la fin de l'épiclèse*, le hiérarque se mit à genoux et se prosterna. A ce moment, je vis le diskos* et le calice non couverts puis, après les paroles prononcées par l'évêque, le feu descendit sur les Saints Dons. Je n'avais jamais pensé dans ma vie voir une véritable consécration des Dons par le feu. La foi brûla de nouveau en moi." Ce témoignage est corroboré par le moine athonite Agathon ( + 2002), qui connut Mgr Jean à Londres dans les années cinquante. Laïc encore, il assista le hiérarque dans le sanctuaire. Au moment de l'épiclèse, lorsque le prélat traça le signe de la Croix sur les Saints Dons, il ressentit comme une force qui traversa tout son être (4). De même, Georges Ostachkov (5), écrira plus tard à ce sujet : " Alors que je servais dans le sanctuaire de l'église-mémorial à Bruxelles, il me fut donné de voir de près comment le hiérarque consacrait les Dons et de ressentir la puissance de sa prière." Un autre témoignage nous est donné par N. Bouteneff : " Le hiérarque priait avec une telle ardeur, avec un tel tremblement; chaque seconde était importante pour lui... lorsqu'il prononçait la prière"... en changeant (les Dons) par Ton Esprit Saint", sa voix s'élevait à chaque mot, devenait plus forte, plus certaine. En bénissant, sa main touchait l'autel fortement, solidement. Après avoir achevé la bénédiction, il croisait ses bras sur la poitrine et s'inclinait avec humilité à la hauteur de la ceinture, restant quelque temps dans une prière profonde, livrant toute son âme au Seigneur. On ne pouvait ne pas remarquer avec quelle force et quelle foi sincère, de tout son être, il priait. Nous suivions avec attention chacun de ses mouvements, nous préparant à le revêtir de l'omophoron*; il m'était difficile de le faire, tellement j'étais impressionné par le hiérarque. Lorsqu'il effectuait sa métanie, je ressentais profondément une certaine présence vivante au-dessus du sanctuaire." Plus tard, l'évêque roumain Théophile, consacré par le saint hiérarque, dira : " Lorsque Mgr Jean m'imposa les mains, je sentis vraiment la force extraordinaire du Saint-Esprit." Lidia Liu témoigne qu'à l'occasion d'un Office d'intercession célébré par le saint à Hong Kong, "elle vit une lumière entourant celui-ci pendant un moment assez long. Plusieurs fidèles la virent également." Selon un autre témoignage, de Changaï celui-ci, "le visage" du hiérarque " se transfigurait littéralement pendant la Liturgie des grandes fêtes, brillant de la joie ineffable et inaccessible pour nous de la présence du Saint-Esprit. La nuit de Pâques, il "volait" pour ainsi dire, comme porté par les anges, d'une extrémité à l'autre de la vaste cathédrale de Changaï, criant d'une joie débordante : " Le Christ est ressuscité, le Christ est ressuscité!"" Les jours de semaine, après la Liturgie, il consommait lui-même les Saints Dons, puis restait dans le sanctuaire trois ou quatre heures. Il fit une fois cette remarque : " Comme il est difficile de s'arracher à la prière et de passer aux choses terrestres!" Au demeurant, il restait à ce point plongé dans la Liturgie que, sortant du sanctuaire, il lui arrivait de répondre évasivement aux questions qu'on lui posait. "Je n'oublierai jamais, ajoute l'archiprêtre Georges Larine, comment, avant de sortir de l'église, l'évêque Jean se prosternait à terre devant chaque icône dans l'immense cathédrale, se séparant pour ainsi dire, momentanément, de ses proches amis - les saints, et je le suivais en tenant en mes mains son bâton pastoral." Comme le dira plus tard le métropolite Philarète (+ 1985) : " Quels que furent les changements qui purent se produire dans les conditions de la vie et d el'oeuvre de Mgr Jean, la prière et l'office divin y occupaient toujours la première place et rien ne pouvait l'en détacher." Olga Semeniuk, qui, selon ses propres paroles "eut la joie de se voir confier par les médecins le soin du hiérarque lorsqu'il était malade", témoigne : " En ces jours, je vis pour la première fois de ma vie un homme qui était entièrement dévoué au Seigneur. Il n'interrompait pas ses prières une seule minute. Il ignorait absolument les prescriptions des médecins et rien ne pouvait l'éloigner des offices liturgiques. Si les médecins parvenaient à l'aliter, on le voyait quelques minutes plus tard dans le sanctuaire..." La preuve en est qu'une fois, à Changaï, alors que de sa jambe s'épanchait du pus, en raison de ses longues stations debout, le conseil des médecins, redoutant la gangrène, lui prescrivit de se rendre immédiatement à l'hôpital, ce que l'évêque refusa catégoriquement. Les médecins russes en avisèrent alors le conseil paroissial et déclinèrent toute responsabilité envers leur patient. Les membres du conseil, après maintes supplications, le menacèrent de l'y amener de force et obtinrent ainsi l'accord du hiérarque, qui fut envoyé à l'hôpital russe, le matin précédant la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix du Seigneur. Mais, vers dix-huit heures, l'évêque Jean s'enfuit secrètement de l'hôpital et entra en boîtant dans la cathédrale, où il célébra toutes les vigiles. Le jour suivant, l'abcès cessa de suppurer.
Nous verrons par la suite que, même en voyage, la vie liturgique ne le quittait jamais. Il prenait alors avec lui tous les livres nécessaires à la célébration des offices quotidiens, notamment ses Ménées* en langue grecque, quitte à lire les Vêpres dans la salle d'attente d'une gare ou encore à célébrer la Liturgie sur un bateau. " Au sujet des prières nocturnes du défunt hiérarque et de ses autres hauts faits de prières, seuls pourraient nous renseigner sa cellule et les églises où il priait. Cela est resté caché à nos yeux", écrira plus tard l'archimandrite Ambroise Pogodine.
Conscient de l'universalité de l'Eglise, le hiérarque célébrait la Liturgie en grec le jour de la mémoire de saint Jean Chrysostome. Le 25 mars, jour de la libération de la Grèce du joug ottoman, il célébrait également en grec un office d'actions de grâces. Le jour de sainte Tamara, reine de Géorgie, les enfants de l'orphelinat chantaient certains hymnes liturgiques en géorgien; Le jour de saint Sabbas, premier archevêque de Serbie, dont il célébrait la fête avec les Serbes le 27 janvier et non pas avec les Russes qui commémorent ce saint deux jours avant, le hiérarque célébrait l'office de la Slava* selon l'usage serbe. Dans son esprit universel, le saint évêque n'oubliait pas cette terre d'Extrême-Orient où il vivait. C'est ainsi qu'il ordonnait que le 24 juin fussent commémorés solennellement, dans l'ecténie* pour les défunts, " le Père Métrophane et les autres orthodoxes chinois qui souffrirent pour la foi orthodoxe", que nous avons évoqués au début d ece chapitre, et ce dans toutes les églises de Changaï. Il célébrait aussi des Panykhides le jour du trépas de "l'apôtre du Japon", saint Nicolas (+ 1912), et de saint Jonas de Tianjin (+ 1925), alors non encore canonisés. En outre, il n'hésitait pas à officier en chinois chaque année, à l'occasion du nouvel an chinois. Il fonda la "fraternité orthodoxe chinoise du Grand Changaï", qui regroupait en son sein un certain nombre de notables chinois qui étaient devenus orthodoxes. L'évêque Nicolas Vélimirovitch écrivit à ce sujet : " Sous la sage direction de son évêque, Mgr Jean, cette fraternité se développa favorablement."
En 1935, à l'occasion du deux cent cinquantenaire de l'Orthodoxie en Chine, l'archevêque Jean prononça le discours suivant, témoignant de son esprit universel et de ses préoccupations missionnaires :
" Le Christ, envoyant prêcher les Apôtres, leur commanda avant Son ascension : " Allez, faites de toutes les nations des disciples." Selon la tradition, les Apôtres répandirent partout la bonne nouvelle du Christ et les semences de la prédication évangélique; Toutefois, par la suite, dans de nombreux pays, les épines montèrent et étouffèrent la semence. Dans ces pays, ce n'est que bien des années après qu'apparurent des prédicateurs, continuant l'oeuvre des Apôtres; Au nombre de ces pays, il y a la grande Chine et les terres des peuples mongols.
Selon la tradition, l'Apôtre qui prêcha le Christ ici fut l'apôtre Thomas. Cependant, au cours du temps, le christianisme disparut en Chine. La lumière de l'Orthodoxie devait être allumée plus tard par de nouveaux prédicateurs, lorsque, selon la volonté de Dieu, "le temps des païens" y serait achevé; Et de même qu'il en fut avec de nombreux peuples, la nouvelle prédication du Christ devait être accomplie ici par des prisonnniers, pour qu'il fût plus clair pour tous que "la puissance de Dieu s'accomplit dans la faiblesse", "afin que personne ne se glorifie devant Dieu." La chute de la petite ville d'Albazin (2), qui eut lieu il y a deux cent cinquante ans, a servi de stimulateur à la création d'une mission destinée à illuminer, par la Lumière de la Foi chrétienne, le grand pays de Chine.
(2) : ( Après le siège d'Albazin en 1685, quarante-cinq Cosaques décidèrent de se rendre aux Mandchous et furent acheminés à Pékin, où ils rejoignirent soixante-dix autres Russes, qui avaient été capturés précédemment. On leur donna un ancien temple bouddhiste qui fut transformé en église, dédiée à S. Nicolas; C'est ainsi que naquit la première mission orthodoxe en Chine (NdT).).
Une petite poignée de Russes, qui furent transférés d'Albazin à Pékin, fut à l'origine de l'envoi de prêtres orthodoxes dans cette ville.
Semblable à quelques grains de moutarde au début, la Mission ecclésiastique en Chine est devenue un grand arbre, à l'ombre duquel ont pu s'abriter à notre époque de nombreux exilés qui, comme des oiseaux, furent obligés de migrer au Sud, lorsqu'un hiver spirituel rigoureux immobilisa leur patrie et détruisit les fleurs de Sa gloire.
Ainsi, le peuple chinois se nourrit déjà depuis longtemps des fruits de cet Arbre, ayant maintenant la possibilité d'entendre l'office et la prédication orthodoxes dans sa langue maternelle.
La Mission ecclésiastique a imprimé des ouvrages dans le domaine de la langue et de l'histoire chinoises, ainsi que des traductions en chinois des livres liturgiques.
Il faut souligner que durant les jours difficiles pour la Mission, lors de la révolte des Boxers, de nombreux Chinois qui avaient été convertis par la Mission, témoignèrent par leur sang de leur fidélité au Christ.
Ayant reçu la couronne du martyre, ils sont maintenant des intercesseurs pour leur peuple, priant dans les cieux pour son illumination avec les défunts hiérarques-ascètes, qui durant leur vie y oeuvrèrent, dont le premier fut S. Jean, métropolite de Tobolsk, qui envoya en Chine la première délégation ecclésiastique. Sa mémoire, comme celle des martyrs chinois coïncident avec la célébration solennelle des deux cent cinquante ans de la Mission.
Ainsi, les présentes commémorations de ces saints événements constituent une festivité qui est chère tant aux Russes qu'aux Chinois. Tandis que les premiers glorifient "le fruit magnifique (3)", les seconds commémorent "les prémices" de l'oeuvre salvifique de la prédication du Christ sur leurs terres.
(3) : ( Allusion au tropaire de tous les saints glorifiés en Terre Russe (NdT).).
En ce jour, les disciples du Christ chez les deux peuples se fondent en une seule prière, ayant pour ainsi dire un seul coeur et une seule âme, tandis que dans les cieux, leurs protecteurs célestes élèvent des prières pour que les âmes de leurs compariotes soient sauvées des tourments éternels, et que leurs patries terrestres soient délivrées des malheurs qui se sont levés sur elles de nos jours."
Le hiérarque regrettera plus tard que "les hostilités aient interrompu la propagation de l'Orthodoxie dans le peuple chinois, ce qui constituait la tâche fondamentale de la mission". Il ressort néanmoins de l'un de ses rapports au Synode que le saint hiérarque suivait de près les activités du clergé autochtone. En 1946, il demandera au primat de l'Eglise Russe à l'Etranger "d'envoyer un jeune évêque, qui pourrait se consacrer un certain temps à l'étude de la langue chinoise et se donner à l'oeuvre missionnaire auprès des Chinois, qui est tombée en pleine décadence." " Le clergé chinois, ajoutera-t-il, dans sa majeure partie a un âge très avancé, les dernières décennies ayant été extrêmement inappropriées pour les tâches missionnaires, et on ne peut regarder l'avenir de l'Orthodoxie en Chine qu'avec inquiétude." Malheureusement, les événements ne permirent point au projet de se réaliser. Le hiérarque s'intéréssa aussi à la mission orthodoxe au Japon.
Outre la célébration des offices, le saint se préoccupait de la formation du clergé. Dans le cours de théologie pastorale que nous avons déjà mentionné, le hiérarque avait souligné que, " dans les temps exceptionnels ( les invasions, les persécutions), lorsque les hommes n'ont pas la possibilité d'acquérir le savoir par les moyens habituels, Dieu accorde des dons extraordinaires. Mais, en temps de paix, en l'absence d'obstacles, Dieu demande des hommes qu'ils acquièrent toutes les connaissances qui leur sont nécessaires avec Son aide. Pour ceux qui s epréparent à devenir prêtres et pasteurs de l'Eglise du Christ, il convient de bien connaître les sciences théologiques et autres matières qui sont nécessaires afin que leur oeuvre fût utile. Dans le cas contraire, ils peuvent s'attendre à ce que la prophétie d'Osée s'accomplisse à leur endroit : " Puisque tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai, et tu seras dépouillé de Mon sacerdoce."" Ainsi, " à Changaï, écrit le Père Elie Wen, nous avions chaque jeudi une réunion pastorale. Si quelqu'un était absent, Mgr Jean exigeait de lui des explications. Lors de ces réunions, la plus grande partie du temps était consacrée aux questions liturgiques. L'évêque interrogeait les clercs sur les particularités de certains offices que l'on allait prochainement célébrer, et vérifiait leurs connaissances." Cette rigueur du hiérarque envers le clergé était parfois mal perçue, à tel point qu'un prêtre, lors d'une prédication, l'insulta copieusement. Mgr Jean resta à sa place, sans aucunement réagir aux propos du clerc. De nombreux fidèles s'étant indignés de la conduite de ce prêtre envers son évêque, ils en firent part à celui-ci, qui leur répondit qu'il n'entreprendrait rien et que c'était là son affaire...
Pour ce qui est des autres aspects de l'ascèse du saint hiérarque, comme l'écrit l'un de ses proches, "la vie du juste constitue un mystère, connu du Seigneur seulement. Mgr Jean vivait une vie cachée en Dieu. Ce n'était que fortuitement que nous prenions connaissance de certains aspects de ses labeurs ascétiques et encore s'agissait-il de ce qu'il ne pouvait dissimuler." Tout comme en Yougoslavie - et comme ce sera le cas jusqu'à la fin de sa vie terrestre -, il ne dormait jamais sur un lit. Tous les jours, à quatre heures du matin, il se lavait à l'eau froide, et ce, même en hiver. Il ne prenait de la nourriture - frugale - qu'une fois par jour, et ce, tard le soir. Pendant le Grand Carême, on pouvait observer qu'il ne s epermettait même pas de s'asseoir. En ce qui concerne sa tenue vestimentaire, l'évêque Jean portait des vêtements de fabrication chinoise et peu coûteux, ainsi que des pantoufles souples ou des sandales, sans chaussettes, quel que fût le temps. Quelle ne fut pas la surprise des enfants de l'orphelinat, lorsqu'ils virent les chaussettes qu'ils avaient tricotées pour le hiérarque, portées par des mendiants dans la rue!
Cette vie ascétique n'était pas sans danger pour le saint. En effet, dans la Tradition orthodoxe, on redoute "l'illusion" causée par des labeurs ascétiques excessifs, surtout chez les jeunes moines inexpérimentés. Aussi, certains hiérarques écrivirent-ils à leur jeune confrère pour le mettre en garde. Mais, signe distinctif d'une ascèse authentique, l'évêque Jean ne s'offusqua point. C'est ainsi qu'il répondit à l'archevêque Vital (Maximenko) ( + 1960) : " On exagère beaucoup au sujet de mes soi-disant labeurs excessifs. Quelques hiérarques m'ont déjà écrit à ce propos. Je reçois avec reconnaissance les directives de mes confrères plus âgés et je m'efforce d'agir raisonnablement, selon ce qui est le plus utile à l'Eglise." Strict envers lui-même, il recommandait à tous le discernement, écrivant à un prêtre : "Adaptez vos labeurs à vos forces, afin d'éviter qu'en les épuisant exagérément, vous ne soyez plus en mesure de travailler." A l'égard des jeunes, il recommandait de fuir les excès comme en témoigne ce récit du Père Georges Larine : " Mgr Jean devint pour moi un idéal, et je décidai de l'imiter en tout. Encore jeune, je cessai, à l'occasion du Grand Carême, de dormir sur un lit, m'étendant sur le plancher. De même, je ne mangeais plus normalement avec ma famille, ne me nourrissant que de pain et d'eau, etc. Mes parents s'inquiétèrent et me conduisirent chez l'évêque. Après les avoir écoutés, il demanda au gardien d'aller acheter un salami à l'épicerie. A mes supplications accompagnées de larmes, et tandis que je m'écriais : " Mais c'est maintenant le Grand Carême!", le sage archipasteur m'ordonna de manger le salami et d eme rappeler toujours que l'obéissance aux parents est plus importante que le carême selon sa propre volonté... Je me rappelle encore ma déception lorsque le hiérarque ne m'avait pas prescrit quelque "ascèse" particulière.""
Mais cette fresque serait incomplète si l'on ne citait les oeuvres qui émanèrent de la foi du hiérarque. Expliquant les paroles de l'apôtre : "Priez sans cesse" ( 1 Th 5, 17), il disait : " Cela ne signifie pas que l'homme doive uniquement prier et ne rien faire d'autre. Cela signifie que le chrétien doit toujours avoir une disposition de prière, se souvenir que, à chaque instant, il se trouve devant la Face de Dieu, et parler avec Lui dans son âme." C'est donc dans ces dispositions que le saint accomplit ses oeuvres de charité, enseignant que le pasteur ne devait pas "négliger les besoins matériels de ses ouailles, de la même façon que le Christ en prêchant l'Evangile du Royaume apaisait les souffrances des hommes, guérissait les malades et soignait les infirmités." C'est ainsi qu'on pouvait voir le hiérarque partout où se manifestait le besoin, indépendamment du temps et de l'heure. Le temps ne manquait au hiérarque que pour visiter les maisons des riches et assister aux fastueux banquets... Sensible aux besoins de tous, alors que la misère et le chômage augmentaient à Changaï, il savait rassembler autour de lui des collaborateurs aux oeuvres qu'il fondait sur la prière. Vsevolod Reyer, membre du conseil paroissial de la cathédrale de Changaï en 1941, raconte ce qui suit : " A toutes les réunions, Mgr Jean présidait. Parmi les membres du conseil siégeaient des gens qui n'auraient pas collaboré les uns avec les autres si ce n'avait été sur la demande de l'évêque Jean. Nous savions tous qu'il nous convoquait non pour passer le temps agréablement, mais pour l'assister dans ses entreprises. Monseigneur savait suspendre l'hostilité personnelle qui se manifesatit parfois entre nous, par son appel à travailler pour le but fixé... Ecoutant ses communications sur les besoins de telle ou telle institution dont il s'occupait, le temps passait imperceptiblement. Ce n'était pas une demande de faire quelque chose de précis. Monseigneur faisait part de ses soucis, et il en résultait que nous éprouvions absolument le souhait d'aider, de satisfaire à ces besoins. Je n'ai jamais entendu de lui, ni des reproches envers quiconque, ni la réprobation des actes de qui que ce soit. Sa paix intérieure se communiquait aux participants lorsqu'il parlait avec eux, se reflétant même dans ses yeux clairs et son sourire radieux et plein d'amour. Son bureau était couvert de lettres de sollicitations de nécessiteux et de ses ouailles, et lorsque la conversation concernait l'une d'entre elles, il sortait la lettre d'un amas de papiers. Monseigneur Jean ne demandait jamais rien pour lui : toutes ses pensées étaient dirigées vers les besoins des autres... Chaque travail accompli à sa demande était pour ainsi dire protégé et couvert par la grâce." Alors qu'il s'adressait aux différentes associations caritatives de Changaï, il les mit en garde contre les disputes qui pouvaient surgir entre elles et souligna que ces oeuvres nécessitaient avant tout l'aide divine : " Que le Seigneur récompense ceux et celles qui oeuvrent (dans les organisations caritatives) et que leur zèle ne soit point affaibli par les épreuves, car sans elles et sans désagrément, on ne fait pas même une seule oeuvre bonne! Et il serait étonnant qu'il en fût autrement. Peut-on attendre de l'antique ennemi de Dieu et du genre humain qu'il acceptât facilement une victoire à son encontre? Si, dans un combat, les hommes s'efforcent de vaincre de toute manière et cèdent difficilement à leurs ennemis, combien plus le maître de tout mal et celui qui hait tout bien s'efforce-t-il de vaincre! De même que les pays ennemis tentent de disperser les rangs de leurs adversaires en provoquant des discordes internes, celui qui est homicide depuis le commencement s'efforce de déclencher des malentendus et des mécontentements mutuels parmi ceux qui font le bien, afin de le détruire. Mais en sachant d'où viennent ces discordes, nous ne succomberons point aux tentations du semeur de l'inimitié et de la méchanceté, mais nous fuirons la division et garderons la paix, condescendant avec amour aux faiblesses du prochain. Il nous est impossible de le faire seulement par nos forces, raison pour laquelle nous devons demander avec ferveur l'aide du Ciel. Nos intercesseurs sont les saints de Dieu, qui traversèrent une mer d'épreuves et se tiennent devant le Trône de Dieu."
L'une des oeuvres les plus importantes de l'évêque Jean fut la fondation d'un orphelinat, qu'il plaça sous la protection de saint Tykhon de Zadonsk (+ 1783), qui, tout comme le hiérarque, aimait particulièrement les enfants. Dès son arrivée à Changaï, Mgr Jean fut choqué par le spectacle des enfants abandonnés. Aussi constitua-t-il, trois mois après, un groupe de dames chargé de l'aider. La consécration du local eut lieu le 24 février 1935. Ce ne fut au début qu'une cantine aménagée dans deux petites chambres. Les enfants y passaient la journée et y étaient nourris. Cette oeuvre crût rapidement, et les enfants purent dormir dans un bâtiment de trois étages. Mais ce fut bientôt trop étroit et on installa un certain nombre d'appartements dans deux maisons vides, situées à environ trente minutes de marche l'une d el'autre, l'une étant destinée aux garçons et l'autre aux filles. Cent cinquante orphelins purent y être accueillis. Une école fut alors organisée et une église aménagée. Au début, les commerçants russes de Changaï se répandirent en insultes à l'adresse du prélat et de son oeuvre dans les journaux locaux. Mais, par ses prières, ils changèrent soudain d'attitude et s emirent à aider celui qu'ils avaient injurié, faisant des dons en marchandises et en espèces pour l'orphelinat. Des étrangers vinrent également en aide à l'institution et une banque accorda un prêt pour l'achat d'une maison située route Victor-Emmanuel, dans laquelle l'orphelinat resta jusqu'à l'évacuation de Changaï. Accueillant non seulemnt des orphelins mais aussi des enfants dont les parents étaient indigents, russes comme chinois, l'établissement recueillit au total 3 500 enfants, qui y furent élevés dans beaucoup de difficultés. Le hiérarque recueillait lui-même des enfants malades et affamés, abandonnés dans les rues de Changaï. Ayant appris par les journaux que, dans certains bas quartiers de la ville, il était arrivé que des chiens dévorassent des bébés qui avaient été jetés dans les poubelles, l'évêque Jean s'y rendit zn compagnie de Mme Chakhmatov. Il lui demanda au préalable de lui procurer deux bouteilles de vodka chinoise et, lorsqu'il lui révéla le lieu de leur visite, elle fut horrifiée, sachant que l'on pouvait y être assassiné. Néanmoins, elle s'inclina devant l'insistance du jeune évêque et parcourut avec lui les rues sombres peuplées d'ivrognes et de personnages louches. Toute tremblante, elle tenait les bouteilles, lorsque soudain ils entendirent un ivrogne grommeler dans l'embrasure d'une porte, et un bébé gémir faiblement dans une poubelle. Lorsque l'évêque se dirigea vers le bébé, l'ivrogne se fit menaçant. Alors, le hiérarque se tourna vers Mme Chakhmatov et lui demanda la bouteille. Elevant la bouteille dans une main et montrant la poubelle de l'autre, le hiérarque fit comprendre le "marché" sans dire mot. La bouteille finit entre les mains de l'ivrogne et mme Chakhmatov sauva l'enfant. A la tombée de la nuit, Mgr Jean rentra avec elle à l'orphelinat, y amenant deux bébés... Ce n'est pas sans un intense combat spirituel que le saint évêque avait acquis un courage si inhabituel.
Une fois accueillis à l'orphelinat, les enfants trouvaient un père en la personne du hiérarque. La première pensionnaire de l'établissement, Valentine Diatroptov, témoigne : " Mgr Jean était pour nous les orphelins comme un père aimant, un grand ami très compréhensif... Nous pouvions toujours aller le voir lorsque nous avions le coeur lourd. Il comprenait toujours et nous consolait affectueusement. Afin que nous ne perdions pas courage, il plaisantait souvent avec nous." Une autre ancienne pensionnaire, Véra Féofiloff écrit : " Pour chaque vétille, mais surtout lorsque nous avions commis une faute, on nous envoyait chez le hiérarque. Il nous fallait alors discuter avec lui. Il signait lui-même nos carnets scolaires. Il comprenait chacun, il savait comment nous aborder. Et si nous avions besoin de quelque chose, il fallait s'adresser à lui aussi, non au directeur de l'orphelinat. Il y avait là une chapelle, où nous apprenions à chanter et à lire en slavon d'Eglise; Avec Mgr Jean, tout était simple. Nous n'avions pas peur de lui. Tout simplement, nous l'adorions tous". Et d'ajouter : " Il savait plaisanter; Il nous comprenait tout à fait. Il allait même jusqu'à utiliser avec les enfants certaines expressions de leur jargon." Marguerite Zintchenko, elle aussi ancienne élève de l'orphelinat, écrit : " Il n'y avait pas de jour où Monseigneur ne nous visitait pas. Même la nuit, par tous les temps, il venait nous voir, s'enquérant de notre santé et de nos besoins. Il faisait d'abord le tour de la maison des garçons, en compagnie du professeur le plus ancien, puis ensuite de celle des filles, avec Mme Vrjosek. Monseigneur se rendait dans chaque dortoir, y faisait une courte prière, bénissait tout le monde, puis allait plus loin. Maladive depuis mon plus jeune âge, j'étais souvent couchée dans une chambre isolée. Monseigneur ne passait jamais devant mon "refuge" sans me rendre visite. Il m'encourageait toujours et me persuadait que je serais absolument rétablie." L'archimandrite Benjamin Garchine ajoute : "Les élèves de l'orphelinat Saint-Tykhon aimaient Mgr Jean à tel point qu'en sa compagnie ils oubliaient qu'ils étaient orphelins. Ils savaient qu'ils avaient un fort et puissant protecteur, leur père spirituel, qui ne se permettrait jamais de leur faire quelque mal que ce fût en cette vie terrestre." L'archimandrite écrit encore : " Mgr Jean disait tout le temps que, pour les orphelins, les difficultés psychiques les plus fortes commencent avant les grandes fêtes, comme la veille de la Nativité du Christ et de pâques, lorsqu'ils voient les familles chrétiennes se préparer pour les fêtes, les pères et les mères prendre soin de leurs enfants - et ils réalisent qu'ils sont privés de tout cela. Il s'efforçait donc toujours d'être leur père et leur mère. Le bon hiérarque, tout en élevant les enfants d'une façon strictement religieuse, organisait des "arbres de Noël" avec des jeux. Il fit même l'acquisition de cors et d'instruments à vent, avec lesquels les enfants formèrent un bel orchestre." Marguerite Zintchenko se rappelle encore que le jour de Noël, de grands cadeaux pour chaque enfant étaient posés sous le sapin. " Les enfants, écrivit-elle, organisaient des concerts, dansaient, faisaient des rondes, et Monseigneur était heureux; des larmes s'écoulaient même de ses yeux..."
Pendant la guerre, l'orphelinat se trouvait dans une situation matérielle précaire en raison du manque de nourriture. On allait chercher la soupe dans uen cantine publique. Le hiérarque la goûtait lui-même au préalable, plongeant la louche dans la casserole. Mme chahmatov, alors directrice de l'institution, raconte : " Il n'y avait littéralement plus rien pour nourrir les enfants, qui étaient au nombre de quatre-vingt-dix à ce moment-là. Notre personnel était indigné parce que Mgr Jean continuait à amener de nouveaux enfants à l'orphelinat, dont certains avaient encore leurs parents, et nous devions également les nourrir. telles étaient ses voies. Un soir, lorsqu'il arriva chez nous, épuisé, sans force, froid et silencieux, je ne pus résister à lui dire ce que je pensais. Je lui dis que nous, les femmes, ne pouvions tolérer plus longtemps de voir de petites bouches affamées sans pouvoir y mettre quelque chose. je ne pouvais plus me contrôler et j'élevai une voix indignée. Je ne ma plaignais pas seulement, je débordais de courroux envers l'évêque pour nous avoir mis dans cette situation. Il me regarda avec tristesse et me dit : " De quoi avez-vous besoin?" Je lui répondis : " De tout, mais surtout d efarine d'avoine; je dois nourrir les enfants avec cela le matin!" Mgr Jean jeta sur moi un regard attristé et monta à l'étage. On entendit alors qu'il faisait des métanies*, si vigoureusement et fortement qu'il indisposait ses voisins. Rongée par le remords, j'étais préoccupée et ne pus dormir la nuit. M'étant assoupie au petit matin, je fus réveillée par la sonnette. Lorsque j'ouvris la porte, je vis un Anglais qui me dit qu'il était le représentant d'une société céréalière, qui disposait d'excédents d'avoine. Il voulait savoir si l'on pouvait en faire usage, car il avait entendu parler de l'orphelinat. on commença alors à décharger les sacs de farine un à un. A ce moment, le hiérarque descendit l'escalier. Je pouvais difficilement prononcer une parole devant lui. Il ne souffla mot, mais je vis dans ses yeux un regard réprobateur pour mon manque de foi. J'aurais pu tomber à genoux et embrasser ses pieds, mais il était déjà parti pour continuer ses prières et rendre grâces à Dieu."
Outre tous ces labeurs pour les jeunes, le saint évêque améliora le fonctionnement de la maison de saint Philarète le miséricordieux qui, en 1943, abritait soixante-quinze à quatre-vingts personnes sans domicile, dont la moitié étaient atteintes de maladies chroniques. Il avait aussi fondé, en 1939, le foyer Saint Samson l'Hospitalier, pour les sans-abri. Dans le bulletin paroissial, il ne manquait jamais de répéter à ses ouailles, à l'occasion des fêtes, qu'il leur fallait accueillir les pauvres à leur table : "" Lorsque tu donnes un festin, invite les pauvres..." (Lc 14, 13-14)? Ces paroles du Seigneur ont été mises en pratique par ceux qui ont célébré la fête de leur saint patron en dressant des tables pour les pauvres et qui ont souhaité que participent à leur repas ceux qui ne peuvent leur rendre la pareille. Ils se sont réellement rendus dignes d'accueillir, à l'occasion de leur fête le plus grand Hôte, car en la personne des pauvres, ils ont eu pour participant à leur repas le Roi des rois, qui a dit Lui-même : " Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à Moi que vous les avez faites" ( Mt 25, 40). Qu'Il rende à tous ceux qui L'ont servi et reçu et qu'Il bénisse tous ceux qui marqueront les jours heureux et tristes par des bonnes oeuvres pour le prochain, dans lequel ils recevront le Christ Lui-même."
Le hiérarque se préoccupa aussi du sort des prisonniers. Comme il est dit dans le document que nous avons cité, "depuis le jour de son arrivée, les détenus des prisons du "territoire international" et d ela concession française eurent la possibilité de prier et de communier à la Liturgie qui y était célébrée une fois par mois, ainsi que les jours de Noël et de Pâques. On leur préparait de plus des repas de fête à sa demande." Hormis les jours de fête où il officiait en sa cathédrale, il célébrait lui-même la Liturgie mensuelle dans chacune des deux prisons. Vsevolod Reyer, qui accompagnait le hiérarque, écrivit : " J'ai pu me convaincre sur place... quelle joie et quelle consolation il apportait à ces malheureux.". C'est ce que confirme Boris Masenkov, qui avait accompagné le hiérarque lors de l'une de ses visites à la prison de Changaï : " Je me rappelle clairement que, le jour de Pâques, Mgr Jean me dit : " Allons, Boris, partons!" Il était habillé d'une soutane blanche. Il prit un koulitch (4),
(4) : ( Gâteau de Pâques)
deux oeufs coloriés en rouge, un saucisson, et nous partîmes. Il y avait une prison à Changaï, dans laquelle s etrouvait un criminel russe, et nous allâmes lui rendre visite. Vous savez, il est difficile de décrire quelle joie l'évêque apportait aux détenus. Mgr Jean entra avec un visage tellement lumineux, tellement joyeux. Il dit à voix forte et clairement : "Le Christ est ressuscité!" Et le détenu tomba à genoux et pleura, en disant : " Monseigneur!, Monseigneur!"".
On peut donc constater que le saint réunissait en sa personne l'ascèse et les oeuvres de charité. A des fidèles qui lui demandaient pourquoi le clergé occidental voyait sa mission dans les oeuvres caritatives, alors que la majorité des saints orthodoxes ont vécu dans la solitude et l'ascèse, ce que l'on pourrait considérer comme de l'égoïsme, le saint hiérarque répondit que nous ne pouvons connaître les raisons qui ont amené la majorité des moines occidentaux à fonder des institutions de bienfaisance agréables à Dieu, tandis que le monachisme orthodoxe a aspiré à la solitude et à l'ascèse. Néanmoins, la plupart des saints orthodoxes, après avoir vécu reclus, allaient vers les hommes et par leur sainteté ainsi que leurs miracles les attiraient vers Dieu et guérissaient une multitude d'âmes souffrantes et désespérées. Dieu seul sait dans quel cas il fut manifesté plus d'amour. Si les saints orthodoxes, après avoir atteint la connaissance de Dieu n'avaient pas communiqué avec les hommes, on pourrait alors parler des buts égoïstes de leur cheminement vers la perfection. Or, nos saints de Dieu se privèrent de toutes les joies de la vie terrestre, y compris d ela nourriture et du sommeil, pratiquant l'ascèse du silence, épuisant leur corps par des chaînes, et supportant toutes les épreuves corporelles, ce qu'il faut considérer comme une preuve suffisante de l'absence d'un élément égoïste dans les buts qu'ils s'étaient fixés. Ils aspiraient à atteindre les hauteurs, la communion avec Dieu, la participation à la Vie divine, moyennant quoi des milliers, ou plutôt des dizaines de milliers reçurent le salut et la guérison des âmes à leur proximité et par le seul contact avec eux. Seul l'amour infini de Dieu et des hommes put les inciter à de tels labeurs. Ces affirmations du hiérarque lui sont pleinement applicables : par son ascèse, il acquit l'amour de Dieu et des hommes.
L'autre souci prédominant du saint était l'éducation de son troupeau, qu'il s'agisse des enfants, des adolescents ou des adultes. Solon un témoignage de l'époque, "Mgr Jean, comme un pédagogue expérimenté, un guide spirituel et un ami des élèves, connaît bien l'âme des enfants et des adolescents. Il comprend profondément comment il faut inculquer aux enfants l'amour et l'intérêt envers la vie ecclésiale." C'est ainsi que, lors des Liturgies quotidiennes de l'évêque Jean, les enfants de l'orphelinat l'assistaient dans le sanctuaire. Les jours de fêtes, il y avait jusqu'à seize servants! Toutefois, son amour des enfants n'excluait pas une grande sévérité à leur égard lorsque cela était nécessaire, ce que mentionne Marguerite Zintchenko : " Monseigneur punissait rigoureusement ceux qui se conduisaient mal pendant l'office. Une fois, alors que nous arrivâmes en retard à l'église et que nous y entrâmes bruyamment, bavardant et ne tenant pas en place, le prélat prêcha sur la façon dont il convient de se tenir à l'église, la raison pour laquelle l'homme doit y aller, pourquoi il faut prier dnas la maison de Dieu. En punition, nouss dûmes accomplir quarante métanies jusqu'à terre. Depuis, je n'ai jamais plus parlé à l'église..." Au demeurant, comme s'en souvient Vera Feofiloff, le hiérarque savait mélanger sévérité et douceur avec les enfants : " On ne pouvait mentir à l'évêque Jean. il nous regardait et disait : " Ne ruse pas!" Il ne voulait pas dire : " Tu as dit un mensonge!" Il disait toujours : " Ne ruse pas!""
Tous les ans, le hiérarque faisait passer personnellemnt les examens de catéchisme dans toutes les écoles russes de Changaï. Au début de l'examen, l'enfant devait faire le signe de Croix, réciter le Credo, puis le tropaire* du saint correspondant à son prénom. Ensuite, le hiérarque lui posait des questions sur l'Ancien et le Nouveau Testament. Tous les enfants devaient connaître en outre la vie de leur saint patron et communier aux Saints Mystères le jour de leur fête. La fête annuelle des écoles était fixée le jour des saints Cyrille et Méthode, illuminateurs des Slaves. Ce jour-là, les enfants devaient assister à la Divine Liturgie à la cathédrale. En voici la description : " En cette fête se rassemblaient jusqu'à cinq cents enfants qui chantaient l'office en slavon, en grec et en chinois. Ensuite, sur le parvis de l'église, à l'invitation d el'évêque Jean, un repas était servi pour eux. Cette fête était émouvante pour tous ceux qui y assistaient et ils ne l'oublieront pas." Aux yeux du prélat, les saints Cyrille et Méthode avaient permis aux Russes de devenir orthodoxes et d'évangéliser ainsi d'autres peuples,en Sibérie ainsi qu'en Extrême-Orient, et, ce faisant, ils sont devenus "en vérité les apôtres de tous les peuples d'Europe orientale et des grands confins de l'Asie". Pour ce qui est des adolescents, le saint ressentait une joie toute particulière lorsqu'ils se rassemblaient autour de lui dans le cadre de la fraternité Saint Joasaph de Belgorod, où des conférences étaient données sur des sujets religieux ou philosophiques, ainsi que sur l'étude de la Bible. Pour les adultes, des cours fonctionnaient, placés sous la protection de saint Démètre de Rostov.
Homme extrêmement cultivé, sans toutefois le montrer, le hiérarque portait un vif intérêt à l'instruction, même séculière, de ses ouailles, à condition qu'elle contribuât au salut. Séjournant en 1935 à Harbin à l'occasion d'une consécration épiscopale, " il rendit visite à l'Institut Saint-Vladimir, ainsi qu'à toutes les écoles russes, primaires et secondaires, d ela ville... Jeune, s'intéressant vivement à la science et aux aspirations de la jeunesse pour l'instruction, l'évêque Jean se rendit à la faculté des études orientales et d'économie. Dans une courte allocution, il rappela que la Mission ecclésiastique de Pékin menait son travail au profit de l'Eglise du Christ, et appela la faculté à collaborer à l'aspiration de toujours des peuples orientaux et du peuple russe avec eux, envers la recherche de Dieu et des lois de la vie véritable et parfaite. A la faculté polytechnique, l'évêque attira l'attention des étudiants sur une pancarte portant l'inscription suivante : " La lumière du Christ illumine tous les hommes", disant que "ce n'est qu'à la lumière de l'enseignement du Christ que la technique et la science pourront réellement servir le but élevé, assigné à l'humanité", et appela la faculté à construire dans l'esprit de ce principe."
Comme un pasteur vigilant, le hiérarque veillait à ce que les enfants ne tombassent point sous l'influence hétérodoxe. Il raconta lui-même par la suite : " Lorsque j'appris que les catholiques-romains ouvraient une école pour les enfants russes, je dis au directeur que les Russes étaient orthodoxes et je lui demandai de nommer un catéchète orthodoxe, mais j'essuyai un refus. Dans une autre école, où étudiaient de nombreux Russes, alors que je m'apprêtais à venir souhaiter une bonne fête de Pâques aux élèves, le directeur de l'établissement s'y opposa, me disant ouvertement que le but de leur enseignement était d'élever les enfants dans un esprit catholique-romain. J'en tirai la conclusion qui s'imposait et j'appelai les parents orthodoxes à ne pas inscrire leurs enfants dans cette école." Selon le témoignage de Tatiana Ouroussov, "Mgr Jean s'opposait à ce que les enfants russes étudiassent à l'école catholique-romaine Sainte-Sophie, dont les enseignants étaient des religieuses qui s'efforçaient de convertir les enfants au catholicisme. L'évêque se tenait devant les portes de cette école à la fin des cours, venait à notre rencontre et nous bénissait. Il nous disait sévèrement qu'il ne fallait pas aller dans cette école et que nous disposions de nos écoles russes." Au demeurant, si l'évêque était respectueux envers les hétérodoxes, il n'acceptait en aucun cas le prosélytisme, et l'exprimait sans ambages, comme en témoigne l'avis suivant, adressé "à la population orthodoxe de Changaï" le 16 novembre 1942, et qui parut dans le bulletin paroissial :
"1. La soi-disant Eglise catholique russe, malgré son imitation extérieure de l'Eglise orthodoxe, n'a aucun rapport avec celle-ci, et son activité est dirigée contre l'Orrthodoxie et les fondements traditionnels de la Terre russe.
2. Le collège Saint-Archange-Michel et l'école Sainte-Sophie éduquent les enfants dans un esprit hostile à l'Orthodoxie et son but est d'inculquer subrepticement des principes non orthodoxes aux enfants pour les unir enseuite à l'église "russo-catholique" susmentionnée."
Invité à l'occasion de la fête du lycée Saint-Michel cité ci-dessus, l'évêque en fit la visite, guidé par le père recteur, avec lequel il parlait en français. Pointant du doigt l'icône du saint archange Michel, le jésuite dit à Mgr Jean : " C'est notre patron l'archange saint Michel!" "Vous pensez qu'il est votre patron!", répondit le hiérarque. Il fut question ensuite d'un prêtre jésuite qui était venu d'une autre ville, car le nombre d'enseignants était insuffisant. " Il est venu pour aider les élèves russes", dit le recteur. Ce à quoi le hiérarque répliqua : " Il est venu pour les tromper!" Ajoutons qu'au sujet des conversions obtenues de façon abusive, il écrivit : "Dès les temps apostoliques, les canons ont interdit la prière commune avec les hétérodoxes, considérant celle-ci comme une apostasie de la foi orthodoxe. (...) En certains lieux, les catholiques eurent largement recours à la pratique suivante : ils exhortaient les malades orthodoxes à communier dans le catholicisme, et ils célébraient leurs funérailles ensuite en tant que catholiques. A Changaï, à deux reprises, je n'ai pas reconnu de telles conversions, du fait qu'elles avaient été accomplies chez des gens dont la conscience était déjà affaiblie et qui, toute leur vie, avaient été orthodoxes, sans jamais songer à devenir catholiques." Afin de contrer le prosélytisme catholique-romain, le saint hiérarque fit rééditer le célèbre discours de l'évêque Strossmayer, prononcé au Concile de Vatican I, dans lequel celui-ci démontrait l'absence de fondement de l'infaillibilité papale. C'est donc à juste titre que les reprséntants des associations russes de Changaï écrivirent : " Depuis l'arrivée de l'évêque Jean, toutes les confessions hétérodoxes et les sectes ont compris que la lutte avec une telle colonne de la Foi orthodoxe était fort difficile." Toutefois, comme nous l'avons déjà mentionné, le hiérarque reconnaissait la valeur des oeuvres caritatives des catholiques-romains, et il soulignait aussi la nécessité "de garder la paix" envers eux, mais "tout en étant vigilant et prudent".
Si le hiérarque, comme on le voit, ne pouvait admettre de compromis en matière de foi, il répandait avec amour ses dons spirituels sur tous les hommes, indépendamment de leur religion. Selon les paroles du saint grec contemporain Nectaire d'Egine (+ 1920), que l'évêque vénérait beaucoup, "les différences dogmatiques, qui consacrent uniquement le domaine de la foi, laissent libre et intact celui d el'amour. Le dogme ne combat pas la charité, qui s'offre comme un don au dogme, car elle est patiente en tout et supporte tout." C'est ce dont témoigne le récit suivant : " Un Espagnol était alité à l'hôpital français de Changaï, où travaillaient les moniales catholiques. Son état était si désespéré, que l'on avait placé un paravent devant son lit, afin que personne ne le dérangeât durant les dernières minutes de son existence terrestre. Il n'y avait plus d'espoir quant à un éventuel rétablissement. Soudain, on entendit la sonnette de sa chambre, et la soeur accourut. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit le "mourant " assis sur sa chaise! Il lui demanda : " Qui était ici? Quel prêtre? Je mourais, il a prié près de moi et j'ai senti que j'étais guéri!" La moniale répondit qu'elle n'avait vu personne. Lorsqu'il sortit de l'hôpital, le miraculé fit le tour de toutes les églises catholiques, espérant renconter celui qui l'avait guéri. L'un des prêtres catholiques lui conseilla de se rendre à notre cathédrale et de chercher là-bas car, expliquait-il, il y a un évêque orthodoxe, un homme inhabituel, une sorte de fol en Christ. Et voici qu'un soir, aux Vêpres, entra dans l'église un homme de grande taille, vêtu d'un beau costume bleu. Craignant à cette époque les agents soviétiques, nous étions dans l'émoi. Alors que nous allions tous prendre la bénédiction du hiérarque après l'office, nous observâmes ce qui se passait. Tandis que cet homme se dirigeait vers Mgr Jean, nous nous approchâmes de celui-ci, afin d ele protéger le cas échéant... C'est alors que le jeune homme se présenta à genoux devant l'évêque et lui demanda sa bénédiction, lui expliquant ce qui l'amenait ici. Le visage du hiérarque s'éclaira. Il sourit avec douceur, puis il le bénit." Un autre témoin de cette époque raconte : " Un Luthérien, qui évoquait la vie à Changaï, me dit à plusieurs reprises : " notre évêque Jean". Devant mon étonnement, il me dit : " Cela, probablement, vous étonne que, n'étant pas orthodoxe, je parle de 'notre' évêque Jean." Et d'expliquer qu'il n'y a là rien d'étonnant, car chaque personne qui avait eu le bonheur d'être en contact avec le prélat, le considérait comme "sien" à coup sûr. Il raconta ensuite son séjour à l'hôpital où il resta après son opération. " Dans cet hôpital, dit-il, il y avait une loi non écrite : lorsque l'état d'un patient s'aggravait notoirement, on appelait immédiatement le hiérarque. On pouvait à peine dire : 'allez chercher l'évêque!' que la porte de la chambre s'ouvrait et que le hiérarque arrivait à pas rapides et se dirigeait... evrs le lit du malade qui précisément à ce moment se sentait mal.""
L'amour du saint s'étendait non seulement aux hétérodoxes, mais aussi aux non-chrétiens, ce dont témoigne Vsevolod Reyer : " Sur le navire "General Gordon" sur lequel nous quitttâmes Changaï, se trouvait dans la même cabine que ma femme, l'une de ses connaissances, une dame juive, qui lui raconta que son amie, juive également, avait un fils malade qui, malgré tous les soins, ne parvenait pas à s erétablir. Elle était au bord du désespoir. On lui fit savoir que les Russes avaient un Père Jean, qui célébrait à la cathédrale, et par les prières duquel de nombreuses personnes recevaient la guérison. Elle se rendit à la cathédrale et attendit que Mgr Jean sorte après la fin de l'office. Elle vint à lui et lui demanda de prier pour son fils, auquel elle attribua le nom de "Micha" devant le hiérarque, afin qu'il ne sût pas que le jeune garçon était juif. Le saint évêque la regarda et lui dit : " Je prierai pour Moïcha!" Peu de temps après, l'enfant recouvra la santé. " Vsevolod Reyer rapporte encore le récit d'une infirmière de l'hôpital juif de Changaï : " La semaine de Pâques, l'évêque vint à l'hôpital afin de visiter les malades orthodoxes. Traversant l'une des chambres, il s'arrêta face au paravent qui s edressait devant le lit où mourait une vieille femme juive. La famille de celle-ci, dans le salon d'accueil de l'hôpital, attendait déjà sa mort. Mgr Jean éleva la Croix au-dessus du paravent, s'écriant : " Le Christ est ressuscité!", et la malade revint à elle, demandant de l'eau. Le hiérarque vint chercher l'infirmière et lui dit : " La malade demande de l'eau!" Le personnel médical était stupéfait du changement qui s'était produit en quelques instants chez cette personne mourante. Peu de temps après, elle se rétablit et quitta l'hôpital."
Innombrables furent les visites du saint aux malades, qui étaient guéris, par ses prières. Dans le document que nous avons déjà cité, nous lisons : " Depuis le jour de l'arrivée de l'évêque Jean, aucun malade ne s'est vu refuser ses prières et sa visite. Par les prières du hiérarque, nombreux sont ceux dont la santé s'est améliorée, voire même qui ont été guéris. Nous possédons des témoignages selon lesquels des malades vivant dans d'autres villes qui, lui ayant écrit, ont reçu la guérison par ses prières." Valentin Poutiline nous livre une précision intéressante à ce sujet : " A Changaï, lorsque j'étais élève à l'orphelinat, je servais dans le sanctuaire et j'accompagnais le hiérarque lors de ses visites chez les malades. Il arrivait que, marchant dans la rue, il s'arrête soudain et comme s'il avait entendu quelque chose, faisait demi-tour et se dirigeait rapidement là où un malheur s'était produit : quelqu'un mourait ou était gravement malade". voici encore quelques-uns des nombreux témoignages qui nous sont connus.
" A Changaï, écrit Anne Louchnikov, je fus blessée pendant la guerre, et je gisais mourante à l'hôpital français. Je savais que j'agonisais et je demandai qu'on en fît part à Mgr Jean, afin qu'il vînt m'apporter la Sainte Communion. Il était environ dix ou onze heures du soir, et la tempête soufflait dans la cour, accompagnée d'une pluie abondante. Je souffrais terriblement. Alors que je criais et que je les suppliais de faire venir l'évêque, les médecins et les infirmières me répondaient que cela était hors de question, car nous étions en temps de guerre et l'hôpital était bouclé toute la nuit, de telle façon qu'il ne restait qu'à attendre le matin. Je ne voulais rien savoir et je continuais à crier : " Monseigneur, viens! Monseigneur, viens!" Mais personne ne pouvait lui transmettre mon souhait. Soudain, au milieu de cette tempête, je vis Mgr Jean à la porte de la salle, venant vers moi, trempé. Sa venue avait quelque chose d'un miracle; aussi lui demandai-je : "Est-ce vous ou votre esprit?" Il sourit calmement et répondit : " C'est moi!" Puis il me donna la Sainte Communion. Je m'endormis ensuite et ne me réveillai que dix-huit heures après. Alors, me sentant bien, je dis que mon rétablissement était dû à la visite de Mgr Jean avec la Sainte Communion. Toutefois, personne ne me croyait. On me disait que jamais l'évêque n'aurait pu entrer dans l'hôpital, fermé par une telle nuit. Je demandai alors à ma voisine de chambre ce qu'il en était réellement, et elle me confirma que l'évêque était bien venu, mais on ne la crut pas non plus. Néanmoins, les faits étaient là : j'étais vivante et je me sentais bien; A ce moment, la soeur qui faisait mon lit et qui, elle non plus, ne me croyait pas, découvrit sous mon oreiller un billet de vingt dollars, que Mgr Jean avait déposé. Il savait en effet que je devais une somme importante à l'hôpital et que je me trouvais dans le besoin. Aussi avait-il laissé ce billet, ce qu'il me confirma plus tard."
Le docteur A. F. Baranov nous a laissé cet autre témoignage : " Une fois, dans la ville de Changaï, on fit appel à l'évêque Jean, afin qu'il visitât un enfant dont le cas était considéré comme désespéré par les médecins. Arrivé à l'appartement où habitait l'enfant mourant, l'évêque se dirigea directement vers sa chambre, sans que personne ne la lui ait encore indiquée. Sans regarder l'enfant, Mgr Jean tomba littéralement devant l'icône, ce qui était caractéristique chez lui, pria longuement, puis il calma ensuite les parents en leur annonçant que l'enfant recouvrerait la santé, et partit rapidement. Et effectivement, l'enfant se sentit mieux le matin et fut vite rétabli, à tel point qu'on ne demanda pas au médecin de revenir. Le témoin oculaire de tout ceci, le colonel N. Nikolaev a confirmé ce récit jusque dans ses moindres détails."
De tels cas furent nombreux, comme le confirme le récit suivant de N. Makavoï : " Voici un miracle - consigné dans les archives du County Hospital de Changaï - dont m'a parlé plus d'une fois mon amie Ludmila Sadkovskoï, qui était une fervente amatrice d'équitation. Elle fut une fois désarçonnée de son cheval, qui avait pris peur et l'avait précipitée à terre sur le champ de course. C'est alors que sa tête heurta brutalement une pierre, puis elle perdit connaissance. On l'amena donc à l'hôpital, et le conseil des médecins déclara son état désespéré. On pensait qu'elle ne passerait pas la nuit, son pouls ne battant presque plus. Qui plus est, son crâne était facturé et des petits morceaux de celui-ci faisaient pression sur le cerveau. Dans une telle situation, elle devait mourir sur une table d'opération. Si même son coeur permettait qu'on effectuât l'intervention, elle devrait rester de toute façon sourde, muette et aveugle. Sa soeur, ayant entendu tout cela, se précipita, désespérée et en larmes, chez l'évêque Jean, le suppliant de sauver la mourante. Mgr Jean accepta. Il vint à l'hôpital et demanda à tous ceux qui étaient présents de sortir de la chambre, où il pria environ durant deux heures. Ensuite, il appela le médecin principal, lui demandant d'examiner à nouveau la patiente. Quel ne fut pas l'étonnement du médecin lorsqu'il s'aperçut que le pouls du malade était celui d'un être en bonne santé! Il accepta de procéder sans délai à l'opération, mais à la condition que l'évêque y assiste. Tout se passa bien et, à la grande stupéfaction des médecins, la malade, après l'opération, revint à elle-même et demanda à boire. Elle vit jusqu'à maintenant. Elle parle, voit et entend. Je la connais depuis trente ans."
Mme Hélène Briner rapporte encore un fait qui témoigne du dévouement et du don d eclairvoyance du saint évêque : " C'était à Changaï en 1948. Je vivais près de l'hôpital de la Fraternité orthodoxe russe. Tous les jours, une infirmière de cet établissement venait me faire une injection et elle me confia ce qui suit. A trois heures du matin, un malade gravement atteint lui demanda de téléphoner immédiatement à Mgr Jean, car il se sentait très mal. Il était mourant et demanda que le hiérarque lui apportât la Sainte Communion. Le typhon soufflait, accompagné de pluies torrentielles. Le vent avait rompu les lignes téléphoniques. L'infirmière répondit au malade que le téléphone ne fonctionnait pas et qu'elle ne pouvait aller chercher le prélat, étant seule de permanence à l'hôpital. Le malade s'agita fortement, répétant qu'il lui fallait le voir immédiatement. L'infirmière lui promit que, lorsque sa remplaçante arriverait, à six heures du matin, elle se rendrait chez le hiérarque pour lui transmettre sa demande. Soudain, trente ou quarante minutes après, quelqu'un frappa à la porte. A la question du gardien endormi : " Qui est là? Que voulez-vous?", on entendit : " Ouvrez-moi, je suis Mgr Jean, on m'appelle ici, on m'attend!" Le gardien ouvrit. Le prélat entra, et, voyant l'infirmière, il lui demanda : " Où est ce malade qui m'attend? Conduisez-moi chez lui!""
Il convient de mentionner ici que le saint évêque effectuait toujours ses visites à pied, car il refusait d'utiliser les pousse-pousse, considérant qu'il n'était pas juste d'utiliser comme des animaux, des hommes crées à l'image de Dieu, pour tirer d'autres êtres humains.
Une autre guérison nous est attestée par Olga Semeniuk, déjà citée : " Mon fils aîné, âgé de dix-sept ans, était enfant de choeur à l'église. Soudain - c'était le samedi 16 novembre 1943 - il me dit qu'il ne pourrait pas se rendre à l'office des Vigiles. Je lui demandai pourquoi. " Maman, me répondit-il, je ressens un terrible mal d'estomac." Je fus alarmée et je lui dis de s'allonger, dans l'espoir que le mal passerait rapidement durant la nuit; Soudain, à onze heures du soir, Mgr Jean vint nous visiter et nous demanda de quitter la chambre de notre fils. Il resta seul avec lui et pria durant un très long moment. Lorsqu'il sortit, il dit : " Ne craignez rien, tout se passera bien!" Je n'avais même pas compris qu'il y avait un grand danger. Le hiérarque partit. Le matin, mon fils délirait avec une sorte de fièvre, se plaignant de terribles douleurs dans tout son corps. Effrayés, nous fîmes appel à plusieurs médecins qui se consultèrent. Ils dirent que nous devions conduire immédiatement l'enfant à l'hôpital. A ce moemnt, notre hiérarque vint à nouveau, confessa l'enfant et lui donna la Sainte Communion, puis nous consola encore une fois. lorsque nous amenâmes notre fils à l'hôpital, plusieurs médecins lui firent passer un examen complet et posèrent le diagnostic. Notre fils souffrait de la dysenterie, d'une pneumonie au poumon gauche et du typhus. Ils nous dirent tout de suite de l'envoyer à l'autre hôpital. Notre médecin, le docteur Alexyenko, examina notre enfant et me dit : " Il n'y a pas d'espoir. Votre fils ne survivra pas à cela!" Totalement désespérée, j'accourus chez Mgr Jean puis, tombant à genoux devant lui et pleurant, je le suppliai : " Sauvez mon fils! Priez pour lui! Je crois seulement en votre intercession devant Dieu!" Le prélat était concentré avec gravité. Il me consola de nouveau et vint avec moi à l'hôpital. Depuis lors, il visitait mon fils jour et nuit, et priait tout le temps pour lui. trois jours plus tard, alors que je rendis visite à mon fils, il me dit : " Maman, quel songe étonnant j'ai fait aujourd'hui! J'ai vu Mgr Jean et de nombreux médecins et infirmières, et je me suis vu aussi, comme si c'était Pâques; nous étions vêtus de blanc, et je me suis révéillé!" (...) Tandis que les médecins ne faisaient plus aucun effort pour le sauver parce qu'ils le considéraient comme mourant, mon fils, le jour suivant ce songe, commença à se sentir mieux. Par les prières du saint, il se rétablit complètement, et maintenant, comme dans le rêve, il est médecin. Le défunt Dr Alexeyenko et d'autres témoins confirmèrent que seules les prières de l'archevêque Jean avaient délivré mon fils d'une maladie incurable."
Parmi les malades, le saint hiérarque visitait aussi les malades mentaux et les possédés. Il opérait une nette distinction entre les premiers et les seconds. A trente-deux kilomètres de Changaï se trouvait un hôpital psychiatrique. L'évêque allait y visiter les malades avec l'icône de saint Nahum d'Ochrid, bénie sur la tombe de ce saint, et qui, selon ses propres paroles, "avait guéri à Changaï un malade mental qui était peut-être possédé". Mgr Jean avait reçu une force spirituelle pour communiquer avec ces hommes terriblement malades. Il leur accordait de communier aux Saints Mystères et eux, au grand étonnement de tous, communiaient calmement et obéissaient au hiérarque. Ils attendaient sa visite avec impatience et se réjouissaient de sa venue. Rappelons qu'en règle générale, on ne donne pas la Sainte Communion aux malades mentaux du fait qu'ils pourraient rejeter les Saints Dons. Le saint parvenait donc à leur transmettre une paix telle que ce danger cessait d'exister.
Néanmoins, il advint une fois qu'une malade rejetât les Saints Dons. A cette occasion se révéla de nouveau la foi sans faille de l'homme de Dieu : " Mme Menchikov avait été mordue par un chien enragé. Alors qu'elle était mourante, Mgr Jean lui donna la Sainte Communion, mais elle eut soudain une crise et vomit les Saints Dons. Mgr Jean les recueillit et les mit dans sa bouche. Son entourage s'écria : " Monseigneur, que faites-vous! La rage est terriblement contagieuse!" A cela, le prélat répliqua calmement : "Rien n'arrivera, ce sont les Saints Dons!" Et effectivement, rien ne se produisit." Un autre miracle remontant à cette époque mérite d'être mentionné : " Mgr Jean avait été appelé pour donner la Sainte Communion à une mourante à l'hôpital russe de Changaï. Il se fit accompagner par un prêtre. Arrivés à l'hôpital, ils virent un homme jeune et joyeux, âgé d'une vingtaine d'années, qui jouait de l'accordéon. Il faisait la queue pour accomplir les formalités de sortie de l'hôpital. Mgr Jean l'appela et lui dit : " Je veux que tu communies maintenant!" Le jeune homme se confessa et communia. Etonné, le prêtre demanda au hiérarque pourquoi il n'était pas allé directement chez la mourante, mais s'attardait chez ce jeune homme qui, de toute évidence, était en bonne santé. Le prélat répondit brièvement : " Il mourra cette nuit et celle qui est gravement malade vivra encore de nombreuses années!" Et il en fut ainsi." Le même témoin ajoute : "Un ami de Démètre Azovtzeff, commerçant à Changaï, s'arrêta une nuit, alors qu'il conduisait sa voiture, devant la cathédrale, afin de recevoir la bénédiction de Mgr Jean. Celui-ci le pria alors de le conduire et lui indiqua une adresse. Arrivés au lieu souhaité, une dame leur ouvrit la porte. Le hiérarque lui demanda où était son époux, mais elle répondit qu'il était fatigué et qu'il dormait. Le saint lui dit alors de le réveiller immédiatement, ce qu'elle fit, puis il le confessa et lui donna la Sainte Communion. Au retour, le conducteur demanda au prélat pourquoi il s'était empressé de conférer les sacrements à cet homme en pleine santé. "Il mourra cette nuit", répondit-il. Et il en fut ainsi." Ce don de clairvoyance du hiérarque est confirmé par le témoignage suivant, rapporté, qui plus est, par un ennemi du saint : " Mme Sadovskoï était mariée à un homme fort aisé, qui l'avait abandonnée pour vivre, semble-t-il, avec la soeur de son épouse, puis était parti avec elle à Hong Kong. Sous le choc, elle décida de se suicider et fit tous ses préparatifs dans ce but, y compris le poison. Soudain, le téléphone sonna. C'était l'évêque Jean. Il savait tout et l'empêcha de réaliser son dessein." Ceux qui se demandent comment le saint avait acquis un tel don, peuvent trouver la réponse chez un spirituel roumain contemporain, le Père Cléopas : " La prière vous élève sur les marches de la connaissance. Plus vous priez, plus vous savez." Ce don de clairvoyance du saint, ou plutôt, comme l'exprima le Père Georges Larine, "son don de voir le coeur humain et de l'attirer au Christ", faisait que le hiérarque, dans certains cas, se départait de sa sévérité coutumière, pour sauver les âmes. C'est ainsi que Nestor Lévitine raconte : " Un samedi soir, alors que les cloches sonnaient à six heures pour les vigiles, je me rendis à la cathédrale avec l'intention de communier le dimanche, ce dont je n'avais parlé à personne. Alors que je m'approchais des portes de l'édifice, je vis à l'autre extrémité Mgr Jean. Je pris sa bénédiction. Il me demanda : " Vous recevrez la Communion demain?" "Non, Monseigneur", répondis-je. " Mais pourquoi?" répondit-il à son tour. " En fait, je le souhaitais, mais j'ai rendu visite à Basile Ivanovitch, qui m'a offert un petit morceau de viande". ( Bien que ce ne fût pas le carême à ce moment, je m'abstenais toujours de manger de la viande la veille de la Sainte Communion). L'évêque me demanda encore : " Mais qu'y a-t-il sur votre âme?" "Je me repens, Monseigneur," répondis-je. " Alors, me dit le hiérarque, qu'est-ce que la viande vient faire dans tout cela? Je vous bénis pour recevoir la Communion!"" Cela montre aussi que le hiérarque ne s'arrêtait pas à l'observance formelle du jeûne eucharistique, mais regardait avant tout les dispositions du coeur. En témoignent également ces propos qu'il tiendra plus tard : " La seule union de notre corps avec Celui du Christ est insuffisante pour s'unir avec Lui. recevoir le Corps du Christ tout en nous détournant de Lui en esprit, cela ressemble au contact avec le Christ de ceux qui Le frappèrent, qui se moquèrent de Lui et Le crucifièrent. Ce contact avec Lui ne leur servit ni au salut ni à la guérison, mais à la condamnation."
Nous n'avons mentionné que quelques exemples des nombreux miracles accomplis par le saint hiérarque en Extrême-Orient. D'autres suivront en Europe et en Amérique, et aussi après son bienheureux trépas. Aussi n'était-il point étonnant que les ouailles du saint pasteur lui rendissent tout son amour : " Le jour de la fête onomastique de Mgr Jean, raconte l'archimandrite Constantin Zaïtsev, il est difficile de décrire quelle solennité populaire c'était à Changaï! La cathédrale était bondée pendant la Liturgie. Devant le grand parvis de l'église étaient dressées des tables, où un repas était organisé avec une participation massive. L'amour envers l'évêque était manifesté de toutes parts et d etoutes les façons possibles. Vraiment, c'était la table de l'Amour. Cela ne voulait aucunement dire que tout le monde était d'accord en tout avec le hiérarque. Non! Il y avait de nombreuses divergences. Il pouvait y avoir de vives altercations... Mais indépendamment de cela, il restait avec lui un lien personnel inestimable. Ce lien supportait toutes les brouilles, les laissant dans l'ombre. C'était l'amour en Christ... Son aide par la prière, sa clairvoyance spirituelle, sa compassion dans le malheur, tout cela continuait à être l'expression naturelle de l'attention que nous manifestait le prélat, de même que nous continuions à nous adresser à lui. Ainsi, la famille spirituelle qui rassemblait tout le Changaï russe dans sa diversité, restait-elle intacte."
Résumant l'activité du saint, les fidèles de Changaï écrivirent au métropolite Mélèce de Harbin : " Aujourd'hui, la situation de l'Eglise est semblable ici à celle des temps apostoliques."
CHAPITRE 4
LA SECONDE GUERRE MONDIALE
COMMENCE
"Que mille tombent à ton côté,
et dix mille à ta droite,
tu ne seras pas atteint"
(Ps 90, 7)
Comme le saint l'a lui-même écrit, les années de son "ministère épiscopal, dans une cité multiethnique, comparée non sans raison à Babylone, se sont déroulées à un moment d'épreuves pour le monde entier. Notre ville fut l'un des premiers théâtres des hostilités et dut supporter nombre de privations, bien qu'à un degré moindre que dans les pays d'Europe."
Le 15 juillet 1937, le gouvernement japonais adressait un ultimatum au gouvernement chinois deTchang Kaï-Chek afin d'exiger "l'indépendance" de la Mongolie Intérieure ( province de Pékin). La guerre avait commencé. Les premières bombes tombèrent sur Changaï le 14 août 1937, au moment où Mgr Jean célébrait la petite bénédiction des eaux, à l'occasion de la fête de la procession de la Croix du Seigneur. L'aviation chinoise attaquait alors un croiseur japonais ancré dans le Huangpu. Deux avions chinois furent pris en chasse par les Japonais, lâchant leurs torpilles sur la concession française. Ce furent toutefois la partie chinoise de la ville et une partie de la concession internationale qui souffrirent le plus des hostilités. Se lon le témoignage d'un journaliste occidental, "dans les environs de la ville, tout avait été détruit, brûlé et rasé par les bombardements japonais." La population russe endura de grandes souffrances matérielles, mais il n'y eut parmi elle que quelques morts et blessés. Le hiérarque écrivit : "Le Seigneur, manifestement, a montré Sa miséricorde", mais, ajoutait-il, "en ce qui concerne l'aspect matériel, nombreux sont ceux qui, vivant dans les zones de combats, ont perdu leurs biens". Les réfugiés avaient été logés dans des appartements russes et, dans la mesure du possible, on leur donnait de la nourriture. Aussi demanda-t-il à l'archevêque Vital, qui vivait aux Etats-Unis, outre ses prières "toujours indispensables pour tous, l'aide matérielle". Il ajoutait que " les Russes, semble-t-il, ne peuvent fuir nulle part, et ils n'ont plus qu'à s'appuyer sur la volonté divine, qui peut les garder ou les punir en tout lieu".
En ces temps troublés, des miracles se produisaient, témoignant de la bienveillance de Dieu envers le peuple orthodoxe très éprouvé de Changaï. C'est ainsi que la petite chapelle dédiée à la Résurrection du Christ se trouva épargnnée par les bombardements qui eurent lieu durant les vigiles des Saints Archanges, tandis que tout ce qui se trouvait autour avait été détruit. D'autres faits miraculeux sont aussi rapportés par le saint : " Ces derniers jours, le Seigneur a manifesté Ses signes à Changaï, où une vague de renouvellements de saintes icînes s'est produite (...). Nous ne nous sommes point empressés d'en informer nos ouailles, afin qu'une reconnaissance précipitée du caractère miraculeux de l'événement ne semble pas suspecte et ne suscite des doutes quant à la réalité de ce qui était arrivé. Maintenant, alors que les témoignages ont été scellés par un serment et qu'une enquête précise a été effectuée (...), nous appelons notre bien-aimé troupeau à glorifier avec nous le Seigneur magnifié dans Ses oeuvres et à louer la Très Pure Mère de Dieu, qui ne nous a pas ôté sa protection (...). Mettant toujours en garde nos ouailles afin qu'elles ne prêtent pas foi à n'importe quelle rumeur sur des événements miraculeux et les appelant à ne point les croire jusqu'à ce que ceux-ci fussent vérifiés et confirmés par les autorités ecclésiales orthodoxes, nous lui annonçons avec d'autant plus de joie ces manifestations évidentes du doigt de Dieu. Que le renouvellement des saintes icônes nous renforce dans la foi ainsi que dans la patience et qu'elle incite chacun à rechercher son renouvellement intérieur!"
Comme on peut le voir, le hiérarque abordait avec sérieux et sobriété les manifestations divines. C'est pourquoi, afin d'éviter toute manipulation, il avait exigé des fidèles possédant des icônes s'étant renouvelées, qu'ils en avisassent leur prêtre, qui devait à son tour en référer à l'évêque. Après une enquête minutieuse, c'est à l'autorité épiscopale qu'il revenait d'informer les fidèles.
Devant l'accumulation des malheurs, la guerre, mais aussi des inondations catastrophiques, le saint évêque, tel un nouveau prophète Jérémie, se lamenta devant le Seigneur, et donna courage à son troupeau par l'épître suivante, en la fête de saint Alexandre de la Néva, en septembre 1937 :
AUX OUAILLES DE CHANGAï
"Où irais-je, pour me dérober à Ton esprit,
et où m'enfuirais-je loin de Ta Face? Si je monte au ciel, Tu y es, si je descends aux enfers, Tu es là.
Si je prends des ailes dès l'aurore,
et que j'aille habiter aux extrémités de la mer,
c'est Ta main qui m'y conduira, et Ta Droite me tiendra."
(Ps. 188, 7-10)
Nous devons particulièrement nous remémorer ces paroles inspirées du psalmiste David de nos jours, alors que le monde entier est littéralement ébranlé et que nous recevons des nouvelles de tous lieux, nous annonçant des troubles, des tribulations et des malheurs.
A peine arrive-t-on à fixer son attention sur ce qui se passe dans un pays, que d'autres événements plus terribles, contre toute attente, éclatent ailleurs. Les a-t-on tout juste tirés au clair, que de nouveaux événements détournent le regard sur un troisième lieu, ce qui conduit à oublier les précédents bien qu'ils n'aient point cessé.
C'est en vain que se réunissent les conférences des représentants des différents pays, qui s'efforecnt de trouver la guérison à la maladie commune; ils donnent de l'espoir à eux-mêmes et aux autres, "disant avec légèreté : paix! paix! et il n'y a point de paix" (Jr 6, 14; 8, 2).
Non seulement les calamités ne cessent pas dans ces pays où elles se produisent, mais elles commencent soudain là où l'on se considérait en sécurité et à l'aise.
Ceux qui fuient une adversité, en rencontrent d'autres, encore pires.
"C'est comme un homme qui fuit devant un lion et que l'ours surprend : il rentre chez lui, appuie la main au mur, et le serpent le mord" ( Am 5, 19) : ou encore, comme l'exprime un autre prophète : " Celui qui fuira le cri de frayeur tombera dans la fosse, celui qui remontera de la fosse, sera pris dans le filet. Les écluses d'en haut sont ouvertes, les fondements de la terre sont ébranlés" ( Is 24, 17-18).
Nous voyons la même chose actuellement. Ceux qui partent vaquer à une paisible occupation sont soudain victimes d'opérations guerrières qui éclatent là où on les attendait le moins. Ceux qu sortent indemnes des dangers de la guerre subissent les horreurs des éléments - tremblements de terre ou typhons.
Nombreux sont ceux qui trouvent la mort là où ils avaient échappé à la mort. D'autres sont prêts à exposer leur vie au danger plutôt que de languir dans des lieux considérés sans danger dans l'attente d'autres calamités pouvant se prosuire dans ces contrées. Il semble qu'il n'y ait point de lieu sur le globe terretsre qui, ces derniers temps, soit calme et constituerait un havre de tranquillité au milieu des adversités mondiales.
Les complications sont politiques, économiques et sociales. " Dangers des fleuves, dangers des brigands, dangers des païens, dangers dans la ville, dangers dans le désert, dangers sur mer, dangers des faux frères", comme le dit l'Apôtre ( 2 Co 11, 26).
A ces dangers, il faut encore ajouter "les dangers en l'air et les dangers de l'air" ( les bombardements) particulièrement terribles.
Mais lorsque le coryphée et glorieux apôtre Paul fit face à tous ces dangers qu'il avait énumérés, il éprouva une grande consolation. Il savait qu'il souffrait pour le Christ et que le Christ le récompenserait pour ces souffrances. "Je sais en qui j'ai mis ma foi et j'ai la certitude qu'Il a le pouvoir de garder le dépôt qui m'est confié jusqu'à ce jour" ( 2 Tm 1, 12). Il savait que le Seigneur, s'il le fallait, lui donnerait la force de supporter des malheurs encore plus grands et, pour cette raison, dit avec hardiesse : " Je puis tout en Celui qui me rend fort" ( Ph 4, 13).
Pour nous, les adversités présentes sont terribles parce que ce n'est pas pour notre fermeté dans la foi que nous les subissons. Pour cette raison, nous n'espérons pas recevoir de couronnes à ce titre.
Et ce qui est bien pire et qui nous rend impuissants dans la lutte avec ces calamités, c'est que nous ne nous rendons pas forts par la puissance du Christ et que nous ne mettons pas notre espoir en Dieu, mais dans les forces et les moyens humains.
Nous oublions les paroles de la Sainte Ecriture : " N'espérez pas dans les princes et les fils des hommes, dans lesquels il n'y a pas de salut. Bienheureux celui qui a pour aide le Dieu de Jacob et qui espère dans le Seigneur son Dieu" ( Ps 95, 3-5). Et encore : " Si le Seigneur ne garde pas la ville, en vain toute la nuit veille le gardien" ( Ps 126, 1).
Nous nous efforçons de trouver un ferme appui en dehors de Dieu et il nous arrive alors ce qui est prévu par le Prophète : " Aussi ce péché sera-t-il pour vous comme une lézarde qui s ecreuse dans une haute muraille : il se produit un renflement et, tout à coup, elle s'écroule" ( Is 30, 13). Malheur à ceux qui s'appuient sur une telle muraille! Comme une muraille branlante écrase ceux qui se sont appuyés sur elle, d emême périssent ceux qui ont placé leur espor dans des idéaux mensongers. Ces espoirs deviennent pour eux "un appui de roseau." " Lorsqu'ils t'ont pris la main, tu t'es rompu : ils t'ont déchiré toute l'épaule et lorsqu'ils se sont appuyés sur toi, tu t'es brisé et tu as rompu tous les reins par eux" (Ez 29, 7).
Il en va tout autrement avec ceux qui cherchent l'aide de Dieu.
" Notre Dieu est refuge et force, notre secours dans les tribulations qui nous ont violemment assaillis. Aussi ne craindrons-nous pas si la terre est ébranlée, si les montagnes sont transportées au coeur des mers" (Ps 45, 2-3).
Rien n'est terrible à celui qui espère en Dieu. Il n'a pas peur du scélérat : " Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte? Le Seigneur est le protecteur de ma vie, devant qui tremblerais-je?" (Ps 26, 1).
Les horreurs de la guerre ne l'épouvantent pas : " Si une armée campe contre moi, mon coeur ne craindra pas : si un combat s'engage contre moi, alors même je garderai l'espérance" (Ps 26, 3).
Il est tranquille dans sa maison : " Celui qui demeure sous le secours du Très-Haut repose sous le toit du Dieu du Ciel" ( Ps 90, 1).
Il est prêt à nager dans la mer : " Dans la mer, tu as frayé les chemins, les sentiers dans les grandes eaux" (Ps 76, 20).
Hardiment, littéralement sur les ailes, il volera en l'air dans les différents pays, disant : " Si je prends des ailes dès l'aurore, et que j'aille habiter aux extrémités de la mer, c'est Ta main qui m'y conduira, et Ta droite me tiendra" ( Ps 138, 10).
Il ne craindra pas "les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour, ni ce qui chemine dans les ténèbres, ni la chute, ni le démon de midi" (Ps 90, 5-6).
Il sait que s'il est agréable au Seigneur que sa vie fût conservée, "mille tomberont à ton côté, et dix mille à ta droite, mais lui, l'ennemi ne pourra l'approcher" ( Ps 90, 7).
Mais la mort même ne lui est pas terrible, car pour lui "vivre, c'est le Christ" et "la mort" lui est "un gain" (Ph 1, 21). "Qui nous séparera de l'amour du Christ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive? ... Ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les dominations, ni le présent, ni l'avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs, ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu" ( Rm 8, 35-39).
" Puisque nous détenons de telles promesses, mes bien-aimés, purifions-nous nous-mêmes de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant de nous sanctifier dans la crainte de Dieu" ( 2 Co 7, 1).
Voici ce que dit le Seigneur : " Dénoue les liens de la méchanceté, détache les courroies du joug, renvoie libres ceux qui ployaient, bref, mettez en pièces tout écrit injuste. Partage ton pain avec l'affamé, héberge les pauvres sans abri. Si tu vois quelqu'un qui est nu, couvre-le, devant celui qui est ta propre chair, ne te dérobe pas. Alors ta lumière poindra comme l'aurore, et la gloire du Seigneur t'enveloppera. Alors tu appelleras et Dieu t'entendra et Il dira : Me voici" ( Is 58, 6-9).
Seigneur, enseigne-nous à faire Ta volonté et exauce-nous au jour où nous T'invoquons! Que Ta miséricorde Seigneur soit sur nous comme nous avons espéré en Toi."
Dand une lettre du 22 septembre 1937 à l'archevêque Vital (Maximenko), le saint hiérarque écrit "qu'il n'a pas pu - et pas voulu - se rendre à l'Assemblée des évêques" en Yougoslavie, "n'ayant pas le droit moral d'abandonner son troupeau en des temps si difficiles." Toutefois, l'année suivante, il s'y rendra, l'évêque Juvénal ayant accepté de le remplacer et l'informant régulièrement des nouvelles du diocèse de Shangaï; Le prélat étant arrivé à Belgrade, le Synode siégea et souhaita qu'il fût nommé ordinaire du diocèse de Changaï. Etranger à toute ambition, celui-ci refusa. Il écrira plus tard : " S. E. l'archevêque Nestor présenta au Synode pour examen par l'Assemblée des évêques (...) un projet détaillé de répartition des diocèses en Extrême-Orient, dans lequel était envisagée la création d'un diocèse de Changaï et ses limites étaient précisées. Nous trouvant alors au Synode en tant que représentant du chef de la Mission, nous ne considérâmes pas possible de donner notre accord à ce projet et, en raison de nos objections, il fut ôté de l'ordre du jour et renvoyé à l'évêque Victor et à l'archevêque Mélèce pour examen." Cette assemblée des évêques fut suivie de l'Assemblée clérico-laïque de l'Eglise Russe à l'Etranger, rassemblant douze évêques et une centaine de prêtres et de laïcs, aux préparatifs de laquelle il participa. Aussi fut-il absent dix mois de sa cathèdre. son retour à Changaï, il écrivit dans un mandement à ses ouailles : " Nous trouvant dans des pays lointains, chez notre peuple frère serbe, ou voyageant au milieu des océans, nous n'avons cessé d'élever des prières pour vous devant le Trône du Tout-Puissant. En même temps, nous avons suivi avec vigilance tous les événements de la vie de nos ouailles." Après avoir remercié l'évêque Juvénal, le clergé et " tous ceux qui, par leur travail, ont collaboré à l'oeuvre de l'Eglise, à la construction et à l'entretien des églises, à la satisfaction des besoins des indigents, et à l'assistance des malades et de ceux qui n'ont pas de domicile, à l'éducation de nos enfants", " à tous ceux qui ont aidé à la réussite de toutes ces oeuvres qui ont toujours été proches de notre coeur", l'évêque décrit l'Assemblée clérico-laïque, au cours de laquelle il fit une conférence sur l'état des différentes Eglises orthodoxes, inistant sur tout ce qui y était positif. Dans son mandement susmentionné, le hiérarque explique de la façon suivante la réussite de l'Assemblée : "En notre triste époque, alors que les Russes, divisés en une multitude de groupes, qui adoptent souvent une attitude hostile les uns envers les autres et continuent à se diviser et à s'opposer pour toutes les raisons possibles, parfois importantes, parfois futiles, il semblait impossible d'atteindre l'unité dans une grande assemblée, à laquelle participeraient des personnes vivant dans des conditions fort différentes, et ayant également des façons de penser et des caractères distincts. Des craintes furent exprimées que l'Assemblée n'apporterait pas le bien mais le mal, qu'en fait d'unité de nouvelles divisions se produiraient, que le fossé s'approfondirait. On allait jusqu'à penser qu'il serait impossible d'achever ses travaux dans la paix, que l'on serait obligé de les interrompre avant terme, et que les participants se sépareraient en n'ayant pris aucune décision. De telles appréhensions se sont manifestées pratiquement avant le commencement même de l'Assemblée, et ce non sans fondement.
Que s'est-il donc passé ensuite, qu'est-ce qui a agi sur les travaux de l'Assemblée et a instauré l'unanimité parmi ses participants? N'est-ce pas le souffle invisible de l'Esprit Saint, qui est venu par la protection du rempart invincible du genre humain, l'icône miraculeuse ( de Notre Dame de Koursk) de Celle qui tout le temps était présente devant l'Assemblée, et qui a surtout agi sur les participants lors de leur communion au Corps et au Sang précieux du Christ, à laquelle ils furent tous appelés le jour de la Transfiguration du Seigneur?
Suite à cela, la déclaration qui fut adoptée au sujet de l'union spirituelle atteinte à l'assemblée ne fut pas une parole creuse, car il est vrai que tous furent pris d'une aspiration à apporter, selon ses forces, quelque chose d'utile à l'Eglise..."
Après avoir mentionné que l'Assemblée avait lieu lors du 950° anniversaire du baptême de la Russie, le hiérarque poursuit : " Elle est terminée. Ce fut comme un petit grain qui peut croître et devenir un arbre, mais peut aussi périr sans donner de bourgeon s'il tombe dans une terre qui ne l'accueille pas..." et il exhorte : " C'est à garder l'unité de l'esprit dans le lien de la paix, une foi et un baptême (Ep 4, 4-5) que nous appelle saint Vladimir. En outre, il nous charge du devoir de prêcher la foi du Christ à ceux qui demeurent dans les ténèbres de l'incroyance, poursuivant ainsi son oeuvre et menant les peuples païens devant les fonts baptismaux (...). Que brille cette Lumière dans toute la Chine, à la prédication de laquelle tu es particulièrement appelé, troupeau chinois encore petit!"
Toutefois, l'ennemi du genre humain ne pouvait rester indifférent à la vertu du jeune hiérarque. Il devra faire face, comme maintes fois durant sa vie, aux calomnies et aux diffamations. Mais il allait les vaincre par son humilité et son absence de passions. C'est ainsi qu'en tant que secrétaire de l'Assemblée, il "lut tranquillement les plaintes le concernant", selon un témoignage de l'époque. Comme l'ont écrit ses enfants spirituels de Changaï, l'évêque Jean "est celui qui, selon le commandement du Sauveur, supporte en silence tous les outrages, les accusations et les calomnies de ceux dont il est dit dans l'Evangile qu'ils croient ainsi rendre un culte à Dieu."
CHAPITRE 5
RETOUR EN CHINE
"Enraciné et fondé dans l'amour"
(cf. Eph. 3, 18)
Le soutien du pasteur ne s erestreignait pas à son troupeau de Changaï. C'est ainsi qu'il récolta des fonds pour les vistimes russes lorsque la guerre éclata en Occident, comme on peut le lire dans son appel aux ouailles, daté du 19 février 1940 : "Bien que les conditions économiques présentes à Changaï soient fort difficiles, les Russes vivant dans certains pays d'Europe se trouvent dans des conditions bien plus pénibles encore. En raison des hostilités, de nombreux russes ont été mobilisés, tandis que d'autres ont été consignés comme réservistes et privés de la possibilité de continuer leur travail habituel. Les Russes de France, tout comme la population locale, supportent tout le poids de la guerre, et les familles non touchées directement par les hostilités vivent dans une pauvreté extrême. La communauté russe de Changaï est appelée à répondre aux besoins de ses compatriotes et à apporter son obole au fond spécial créé à cet effet, qui est géré par le chef de la Maison Impériale, le grand-duc Vladimir Kirillovitch. Au jour de l'accession au trône du Tsar Libérateur (1)
(1) : ( Alexandre II)
qui coïncide cette année avec le dimanche du Jugement Dernier, que les Russes apportent leurs dons au fond régi par son arrière-petit-fils, et accomplissent en même temps le commandement du Christ, Auquel nous rendrons compte, lors du Jugement redoutable, de notre réponse aux besoins du prochain." Comme toujours, l'attention du saint ne se limita pas aux vivants, mais s'étendit également aux défunts. Le 18 juin 1940, il concélébra, avec tout le clergé de Changaï, une Panykhide pour tous les Russes qui avaient péri en Occident du fait des hostilités.
De même, la Russie ne cessa de le préoccuper. Tandis que certains mettaient leur espoir en l'Allemagne, qui libérerait la Russie du joug athée, l'évêque Jean ne faisait confiance qu'aux moyens spirituels pour atteindre cet objectif. C'est ainsi que, dans un mandement du 8 novemebre 1940, il écrit : " En ces jours de tribulations pour la Russie, je m'adresse de nouveau aux ouailles en les implorant d'observer saintement les règles de l'Eglise et de ne pas céder à l'esprit du temps, se souvenant que ce n'est que par la pénitence et la fidélité à l'Orthodoxie que nous pouvons faire renaître la patrie. Il faut particulièrement honorer les jours dédiés à Dieu et ne pas les transformer en jours de jouissance de ses penchants. J'appelle de nouveau les orthodoxes à s'abstenir d'organiser et de participer à des distractions au moment des vigiles des dimanches et des jours de fêtes. Institutions et organisations russes, en premier lieu celles qui sont chargées de l'éducation de la jeunesse, rappelez-vous que ce n'est qu'en gardant les fondements de notre patrie orthodoxe que vous payerez votre dette envers elle!" Voyant dans l'année 1940 le septième centenaire de la victoire de saint Alexandre de la néva sur les ennemis de la Russie, le hiérarque pose la question : " Cela signifie-t-il la fin des malheurs de notre patrie et sa renaissance?" Et de répondre : " Cela dépend de nous, si nous en sommes dignes. Si nous sommes fidèles aux testaments ( de saint Vladimir et de saint Alexandre de la Néva). Si nous les appelons à l'aide avec ferveur, ils nous enverront celle-ci dans toute s aplénitude, et nous verrons notre patrie renaissante. Si nous détournons notre visage et notre coeur de ces saints, ils se détourneront définitivement de la terre qui fut défendue par eux durant sept siècles; N'allons pas à l'encontre de la nouvelle année dans une joie déréglée et de creux messages de voeux qui ne sont d'aucune utilité à personne, mais avec la prière ardente à nos intercesseurs célestes!"
Dans l'homélie qu'i prononça à l'occasion du Te Deum du nouvel an 1941, l'évêque montre son discernement et compare Hiteler à Nabuchodonosor, prédisant sa fin peu glorieuse :
"L'année qui se termine a été riche en événements; Nous avons vu comme en une nuit des Etats furent anéantis, comme par un signe de la main qui a écrit : " Mené, Teqel et Parsin" ( Dn 5, 25), ceux qui étaient certains de leur invincibilité et qui, dans cette certitude, avaient oublié la justice divine.
Que le choeur de l'orthodoxe ne soit point troublé si le Jugement divin s'accomplit parfois par des hommes iniques, même pires que ceux qui, par leur intermédiaire, sont châtiés par Dieu.
Ainsi en était-il sous l'Ancien Testament, lorsque Nabuchodonosor fut la serpe du Seigneur, pensant accomplir sa volonté, alors qu'il était l'instrument d'une décision de Dieu.
Cependant, malheur à celui qui prétend, alors qu'il est une serpe dans les mains de Dieu, accomplir ses propres desseins par sa force et sa puissance!
" Malheur à Assour, le bâton de mon courroux", annonce le Seigneur par le prophète Isaïe. Assour dit : " Par la force de mon bras et par ma sagesse, j'ai fait cela, parce que je suis intelligent." Mais lorsque le Seigneur aura accompli Sa volonté, Il détruira le bâton qui est devenu impropre et le jettera au feu.
Que s'approche désormais le jour où la serpe sera anéantie, celle qui a inondé la terre de sang et qui s'est élevée contre le Seigneur Sabbaoth même!"
Mais revenons à l'occupation japonaise, qui fut particulièrement rude pour les émigrés russes en Chine. Dans l'Etat du "Mandchoukouo", l'église-mémorial de Tianjin fut détruite par les Japonais, qui persécutaient les orthodoxes, exigeant d'eux qu'ils vénérassent Amaterasu, la déesse protectrice de la maison impériale nippone. Trois prêtres furent tués, d'autres furent déportés à Pékin. Le métropolite Mélèce de Harbin, l'archevêque Démètre de Hailar, et l'archimandrite Philarète, dont nous reparlerons, résistèrent héroïquement au culte païen. A Changaï, les occupants japonais exerçaient des pressions sur la colonie russe, voulant la soumettre à leur volonté; Souhaitant garder leur indépendance, les deux dirigeants du Comité des Emigrés russes furent assassinés. C'est alors que l'évêque Jean manifesta un courage peu commun : il prit en personne le commandement de la colonie décapitée, se déclarant provisoirement son chef et se montrant un ferme gardien de la foi orthodoxe.
A Changaï même, le saint hiérarque s'efforçait de soulager la misère. En 1943, à l'occasion d ela fête de la Nativité du Christ, il s'adressa en ces termes aux fidèles : "Que chacun offre son don à Celui qui repose dans la crèche!" Force est de constater que son appel fut entendu : plus de deux mille repas furent servis aux nécessiteux sur le parvis de l'église durant les trois jours de la fête.
En ces temps difficiles, il était dangereux de sortir la nuit dans les rues, et la plupart des gens s'effprçaient de rester chez eux jusqu'au lever du soleil. Mgr Jean, néanmoins, ne prêtait guère attention au danger et continuait à visiter malades et indigents à n'importe quelle heure de la nuit, et personne ne le touchait. Un témoin raconte que " les policiers de toutes les concessions étrangères de Changaï connaissaient l'évêque Jean. Ils ne tentèrent pas de l'arrêter durant la dernière période de la guerre, alors qu'il était strictement interdit de sortir dans la rue après vingt-deux heures." C'est ainsi que le moine Nestor (Lévitine) décrit la force d'âme du saint hiérarque, à l'occasion du bombardement du bâtiment qui abritait la chapelle de la Résurrection, que nous avons mentionnée plus haut : " Les Chinois resserraient leurs troupes, ils avaient ouvert le feu, à travers la concession anglaise, sur les navires de guerre amarrés sur le Huangpu. Ces navires étaient cachés par un grand bâtiment comportant trente-six appartements. En son milieu était aménagée notre église orthodoxe. Les Chinois tiraient sur le bâtiment et détruisirent les appartements jusque dans leurs fondations. Dès les premiers tirs, leurs habitants s'enfuirent. La nouvelle parvint à l'évêque Jean que les logements situés à droite et à gauche de l'église étaient totalement détruits, tandis que le local dans lequel était installée la chapelle était préservé; Les murs étaient intacts. Personne ne croyait en cette rumeur. Le hiérarque décida alors de se rendre sur les lieux la nuit, alors que personne ne circulait, même dans les rues des concessions. Lorsqu'il arriva devant un pont franchissant un canal, il fut arrêté par les gardes japonais. Comme ceux-ci ne le comprenaient pas, ils appelèrent un interprète qui lui dit que personne ne pouvait traverser les rues menant à l'église car l'infanterie chinoise était engagée dans une bataille avec les Japonais tout au long de la rue. On pouvait clairement entendre les tirs. L'interprète ajouta : " Vous allez à une mort certaine!" Néanmoins, l'évêque demanda un permis pour se rendre à la chapelle, quoi qu'il en fût. Mgr Jean descendit dans la rue sombre et lorsqu'il arriva dans la zone des combats, les tirs cessèrent tandis qu'il la traversait, puis recommencèrent lorsqu'il en sortit. Il visita l'église et revint par le même chemin. Il raconta ensuite que le local entier - même ses votres!- était intact et qu'aucune icône ne s'était détachée de sa place. Lorsqu'il traversa le pont à son retour, le garde japonais stupéfait lui adressa le salut militaire, disant que Dieu avait marché avec lui à l'aller et au retour."
L'occupation japonaise fut aussi l'occasion pour le saint de prouver que son amour s'étendait à tous les hommes, imitant le Père céleste "qui fait lever Son soleil sur les méchants et sur les bons" (Mt 5, 45). C'est ainsi que deux jeunes aviateurs russes furent arrêtés par les Japonais tandis qu'ils voulaient rejoindre l'armée soviétique. Ils furent alors battus à mort par les gendarmes japonais. L'apprenant, le saint hiérarque se rendit courageusement à la gendarmerie japonaise et intercéda en leur faveur. Nadège Bakhtina écrit à ce sujet : " Lorsque les Japonais demandèrent méchamment pourquoi un évêque orthodoxe, ennemi du bolchévisme, intervenait en faveur de jeunes communistes, le hiérarque répondit que chaque personne qui défend sa patrie est digne de pitié. De toute évidence, son don de persuasion vainquit la malice asiatique... Il réussit à sauver l'un des deux jeunes gens."
L'archiprêtre Pierre Triodine ajoute que, une fois, Mgr Jean voulut monter à bord d'un torpilleur japonais qui était amarré au port. Le matelot qui montait la garde le chassa, le menaçant de son stick. Mais le hiérarque insista. Un officier japonais qui s etrouvait sur le pont entendit la dispute. Il autorisa Mgr Jean à monter sur le bateau. C'est alors que le saint se dirigea avec assurance vers le mess des officiers, où se trouvait, dans un coin, l'icône de saint Nicolas. Il s'avéra que ce bâtiment était un navire russe qui avait été coulé lors de la guerre russo-japonaise, puis remis à flot ensuite par les Japonais. Le hiérarque montra l'icône à l'officier japonais et lui dit que saint Nicolas était maître à bord et que, grâce à lui, le navire flotterait et arriverait à bon port. Mgr Jean dit en outre aux Japonais de ne pas oublier cela, de toujours allumer une veilleuse devant l'icône, et de toujours montrer du respect envers le saint de Dieu.
Pour finir, voici un témoignage qui montre la force de la prière du saint, qui fut telle qu'elle empêcha un bombardement de Changaï. Selon le témoignage de Mme S. Fédorov, "à Changaï, à la fin de 1945, lorsque les premiers américains arrivèrent, mon fils invita chez nous trois de leurs aviateurs. Nous dînâmes et nous discutâmes ensemble. Le sujet de conversation était, naturellement, la guerre qui venait de s'achever. Le plus âgé des aviateurs s'adressa à moi et à mon défunt époux, puis dit : " A Changaï, vous avez un grand homme de prières, grâce auquel vous n'avez pas souffert." Lorsque je lui demandai, perplexe, de qui il parlait, il répondit qu'il lui avait été ordonné de bombarder Changaî et, alors qu'il ne restait que quelques minutes avant le décollage, l'ordre fut annulé. " Nous savions que quelqu'un priait fortement pour vous, pour votre salut", dit le pilote. Un nom traversa ma pensée, comme celle de mon mari : Mgr Jean! Lui seul, par ses prières, pouvait demander au Seigneur que ce calice fût éloigné de nous. A quelle personne que je pusse en parler, tous, sans exception, citaient le nom de notre cher et vénéré pasteur!"
Le fin de la guerre approchait avec les terribles bombardements de Hiroshima et de nagasaki. Tandis que certains s'en réjouissaient, jugeant que ces "maudits Japonais l'avaient bien mérité", l'archevêque Jean pria pour ces vistimes innocentes.
Lorsque les hostilités furent terminées, le hiérarque écrivit dans son livre de décrets épiscopaux, en date du 11 octrobre 1945 : " Aux ouailles de Changaï. Par la miséricorde de Dieu, l'effusion de sang, qui a duré nombre d'années, ravagé presque le monde entier et qui laissait préfigurer des calamités encore plus grandes, a cessé. En ces jours, où notre ville célébrera la victoire, ne ressemblons pas aux lépreux qui avaient été guéris et étaient ingrats envers leur bienfaiteur, en oubliant les événements récents qui pourraient recommencer dans l'avenir, et adressons-nous, dans une prière ardente, à la Providence divine. rendons grâces à Dieu pour avoir préservé nos propres vies, et sauvé cette ville de la destruction totale qui l'attendait, ainsi que pour la libération de notre patrie et de ce pays de l'invasion des étrangers, pour la victoire sur leurs ennemis, et pour la venue de la paix. Elevons de ferventes prières pour que le Seigneur Dieu dispense maintenant des temps bienveillants, affermissant une paix durable sur la terre et accordant Son Royaume éternel dans les cieux à ceux qui ont donné leur vie pour la patrie et ont péri au combat."
CHAPITRE 6
LA LUTTE
POUR LA LIBERTE DE L'EGLISE
" (...) afin que, sous le prétexte d'actes sacrés, ne s'insinue l'orgueil de la puissance mondaine et que, sans s'en rendre compte, nous ne perdions peu à peu la liberté que nous a donnée par Son propre Sang Jésus Christ (...), le libérateur de tous les hommes"
(8° canon du III° Concile oecuménique)
En août 1939, le saint hiérarque pressentait "qu'il n'était pas exclu que la situation devienne fort difficile pour lui, et que les archipasteurs devraient faire usage de toute la sagesse pastorale pour diriger le navire de l'Eglise dans la voie qui convenait". Effectivement, après l'attaque de Pearl Harbour par les Japonais le 8 décembre 1941, les communications furent interrompues entre Changaï et l'Europe, pour ne reprendre qu'en 1945. En raison de cette situation, une administration ecclésiale fut instituée pour l'Extrême-Orient, sous l'autorité du métropolite Mélèce de Harbin. Selon le hiérarque, "le pouvoir civil de Harbin insistait beaucoup pour que l'on cessât de commémorer le métropolite Anastase, que les autorités considéraient comme malveillant à leur égard. Cependant, sur la bas de nombreuses références aux canons, les hiérarques d'Extrême-Orient s'opposèrent à cela et continuèrent de considérer le métropolite Anastase comme le chef de l'Eglise russe à l'Etranger." A la fin de la guerre, les seules informations qui parvenaient à Changaï, hormis celles des puissances de l'Axe, étaient celles de la radio soviétique, captée par la colonie russe de la ville. La propagande battait donc son plein, pour atteindre son apogée au moment de la victoire de 1945. Utilisant les sentiments religieux du peuple russe, alors qu'il avait quasiment anéanti l'Eglise à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Staline permit l'élection du patriarche Alexis Ier en 1945. On pouvait donc croire que l'heure de la liberté avait sonné pour l'Eglise en U.R.S.S. La réalité était tout autre. Dans cette ambiance, le gouvernement soviétique fit tout ce qu'il pouvait pour rapatrier les émigrés, dont le clergé, en U.R.S.S. En été 1947, un député du Soviet Suprême arriva à Changaï et, devant des milliers d'émigrés russes rassemblés à cette occasion, il affirma solennellement qu'aucun d'entre eux ne serait poursuivi en U.R.S.S. pour son activité politique dans le passé, et que le passeport soviétique serait distribué à tous. C'est ainsi que près de dix mille Russes de Changaï adoptèrent la nationalité soviétique. Par naïveté, tous les évêques russes de Chine, à l'exception de Mgr Jean, cédèrent à la propagande. Parmi eux, même un remarquable missionnaire comme l'archevêque Nestor de Kamtchatka "accueillit l'armée rouge voctorieuse en lui présentant les hommages des croyants de Harbin", comme le relate une chronique soviétique de 1945. Cette même année, il fut nommé administrateur du diocèse de Harbin par le patriarche Alexis Ier de Moscou. Nous savons aujourd'hui que, alors qu'il s'apprêtait à se rendre au concile des Eglises autocéphales à Moscou, il fut arrêté le 5 juillet 1948 par les communistes chinois qui le livrèrent aux autorités soviétiques. Il fut alors interné dans les terribles camps de Mordovie et de Tchita, d'où il ne fut libéré qu'en 1956. Ce fut le sort d'innombrables malheureux qui se laissèrent abuser par la propagande, tant en Extrême-Orient que partout ailleurs où vivaient les émigrés.
Quant au hiérarque, il fit preuve d'un grand discernement, dénonçant le mensonge et sauvant ainsi son troupeau qu'il mena, tel un nouveau Moïse, vers la liberté. Rappelons qu'en 1927, le Patriarcat de Moscou, sous la pression du joug athée, avait exigé des clercs vivant à l'étranger qu'ils signent une déclaration de loyauté à l'égard du régime soviétique. A ce sujet, le prélat écrivait : "Une telle exigence est-elle légitime? Peut-on s'y soumettre? Les Russes qui vivent hors de Russie ne sont pas les sujets du régime soviétique. Restant fidèles à notre patrie, nous ne reconnaissons pas comme légal un gouvernement qui va à l'encontre des conceptions milléniares de notre peuple... Pourquoi donc les hiérarques et les autres clercs lui feraient-ils allégeance? L'archevêque de Constantinople, le Patriarche Oecuménique, demande-t-il à son troupeau d'origine grecque ou autre en Amérique et ailleurs, la loyauté envers le gouvernement turc? A l'époque de la guerre russo-japonaise, l'illuminateur du Japon, l'archevêque Nicolas Kasssatkine (1),
(1) : ( Canonisé depuis)
resté au Japon, bénit les soldats orthodoxes japonais qui partaient en guerre contre son propre pays. Bien qu'il ne célébrât pas lui-même les offices, car il ne pouvait prier pour la victoire sur sa patrie russe, il autorisa le clergé japonais qui dépendait de lui, à le faire. A la fin de la guerre, il fut décoré par le Saint-Synode et l'empereur russe lui-même pour l'accomplissement de sa tâche pastorale. Si le pieux empereur et le Saint-Synode agissaient ainsi, quelqu'un a-t-il le droit d'exiger de ceux qui luttent contre un régime athée qu'ils se soumettent à lui par l'intermédiaire de leurs pasteurs spirituels?"
Vingt ans après, et selon les informations diffusées par l'Union Soviétique, on pouvait espérer que l'élection patriarcale serait régulière et qu'entrer en communion avec le Patriarcat ne signifierait plus se soumettre au pouvoir civil qui anéantissait l'Eglise. Aussi les évêques de Harbin s'étaient-ils placés sous l'omophore* du Patriarche de Moscou. Qui plus est, on était sans nouvelles du Synode des Evêques Russes à l'Etranger (2),
(2) : ( C'est-à-dire des évêques de l'Eglise Russe Hors Frontières),
les communications étant interrompues. C'est pourquoi le hiérarque décida, après avoir consulté son clergé, d'entrer lui aussi en communion avec le patriarche Alexis Ier, ce qu'il expliqua dans une lettre datée du 31 juillet 1945, adressée à son ordinaire, l'archevêque Victor de Pékin : "(...) Après la décision du diocèse de Harbin et en l'absence de nouvelles du Synode de l'Etranger durant nombre d'années, une autre décision de notre diocèse ferait de celui-ci une entité entièrement indépendante, autocéphale. Les conditions canoniques ne sont pas réunies pour une telle autocéphalie, car il ne peut y avoir de doute quant à la légitimité du patriarche... La commémoration du nom du président du Synode russe de l'Etranger doit être maintenue, car selon le 14) canon du Concile Premier Second, on ne peut de son propre chef interrompre la commémoration de son métropolite. En ce qui concerne la commémoration du patriarche... il est indispensable de l'introduire par un décret émanant de vous, sans différer, dans tout le diocèse." Il ajoutait encore : "Actuellement, des conditions d'ordre idéologique ne nous sont pas imposées, lesquelles constituèrent la cause de notre changement d'administration ecclésiale à l'Etranger. Si, de nouveau, des conditions inacceptables nous sont imposées, le maintien de l'ordre actuel de l'administration ecclésiale sera l problème de ce pouvoir ecclésial qu'il conviendra de créer dans l'indépendance des conditions extérieures." Pour finir, Mgr Jean concluait que les dispositions susmentionnées seraient prises et publiées après réception de la confirmation de l'archevêque Victor, montrant ainsi son respect de l'ordre hiérarchique dans l'Eglise, auquel il fut toujours attaché.
Ainsi, la reconnaissance du patriarche par Mgr Jean reposait-elle sur l'élection patriarcale qu'il pensait être régulière, sur la liberté supposée de l'Eglise en Russie, ainsi que sur des doutes quant aux destinées du Synode. Le tout était naturellement renforcé par l'attitude de tous les autres hiérarques d'Extrême-Orient; En outre, selon l'ecclésiologie orthodoxe, le prélat ne pouvait rester seul, sans pouvoir ecclésial supérieur. Expliquant a posteriori les événements de cette période, le hiérarque écrivit, le 2 août 1946 : " Après la défaite de l'Allemagne, il n'y avait plus aucune nouvelle quant au sort du Synode Russe de l'Etranger, et n'ayant pas le droit de rester hors de la soumission à un pouvoir ecclésial supérieur, nous devions entrer en contact avec S.S. le Patriarche de Moscou et, en l'absence d'entraves, nous soumettre à celui-ci. La longue interruption des communications avec Pékin, qui commençait à ce moment, nous empêcha de recevoir la réponse de l'archevêque Victor. Nous-mêmes commençâmes à commémorer le patriarche Alexis, sans résoudre la question de la soumission au pouvoir ecclésial supérieur (...). Après la fête de l'Exaltation de la Croix, nous reçûmes du métropolite Anastase un télégramme en provenance de Genève, nous informant que le Synode fonctionnait. (...). Nous avisâmes alors Son Eminence le Chef de la mission que, en raison du rétablissement de nos relations avec les autorités ecclésiales de l'Eglise Russe à l'Etranger, nous ne pouvions passer sous l'obédience d'une autre autorité ecclésiale que dans le cas où nous en recevrions l'ordre du Synode dont nous dépendons actuellement, sans quoi nous transgresserions les canons de l'Eglise. N'émettant aucune objection de principe quant à la justesse de notre déclaration, le Chef de la mission exprima l'espoir qu'il serait possible de résoudre le problème en question sans transgresser les canons. Le clergé de Changaï décida également de rester avec nous dans l'obédience du Synode de l'Etranger et d'attendre ses directives. Il ne pouvait être pris d'autre décision puisque l'autorité ecclésiale, qui avait institué la cathèdre épiscopale de Changaï et en avait assumé la charge depuis sa fonction, existait. L'Administration Ecclésiale à l'Etranger jugea utile pour l'Eglise de continuer à nous prendre en charge spirituellement, ce dont elle nous informa (...). En raison de cela, nous ne considérons pas possible de prendre une autre décision à ce sujet, sans les indications et l'approbation de l'autorité ecclésiale russe hors-frontières." Dès lors, partant du principe qu'il devait être fidèle à l'autorité canonique qui avait institué sa cathèdre et qui lui avait conféré le sacre épiscopal, il déclara : "Nous nous soumettrons à ces archipasteurs au sujet desquels notre pouvoir ecclésial suprême reconnaîtra qu'il est bon que nous soyons soumis ou nous nous écarterons de toutes les affaires ecclésiales si les successeurs des évêques qui nous ont ordonné nous ôtent nos responsabilités envers le troupeau de ce lieu." Il cessa donc de commémorer le patriarche, tout en souhaitant ardemment que les circonstances permettent prochainement la réunion des deux Eglises : " Aspirant à un seul but commun, et agissant séparément en fonction des circonstances dans lesquelles chacun se trouve, les Eglises de l'intérieur et de l'extérieur de la Russie peuvent mener à bien avec plus de succès, tant leut tâche commune, que leurs objectifs individuels qui subsistent tant que ne commence pas leur pleine réunion. Actuellement, l'Eglise en Russie doit panser ses pluies occasionnées par l'athéisme militant et se libérer des chaînes entravant son activité interne et externe dans sa plénitude (...). Nous prions le Seigneur pour qu'Il fasse vite venir cette heure tant souhaitée et attendue, lorsque le Primat de toute la Russie, montant sur son trône patriarcal en la cathédrale de la Dormition, rassemblera autour de lui tous les archipasteurs russes venus de toutes les terres russes et étrangères (...). Mais prions avec encore plus de ferveur Celui qui dirige, le Pasteur suprême de l'Eglise, qu'Il conduise Lui-même paisiblement le Navire de l'Eglise, et répétons avec ardeur la prière que nous chantons chaque année devant l'épitaphiosµ, lors des Matines du Grand Samedi : " Toi qui enfantas la vie, Vierge immaculée et pure, fais cesser les scandales de l'Eglise et donne-nous la paix, Toi qui es bonté" ( fin du 2° thrène)." Ainsi, tout en souhaitant vivement l'union de l'Eglise russe, le hiérarque s'en remettait entièrement, par la prière, à l'unique volonté de Dieu.
La sagesse du saint hiérarque lui fut bonne conseillère, car il apparut rapidement que le pouvoir soviétique n'avait pas renoncé à persécuter l'Eglise et utilisait le Patriarcat pour ses propres fins. Dans cette perspective, le hiérarque fut invité au consulat d'U.R.S.S. avec tout le clergé de Changaï pour la projection du film intitulé L'élection du patriarche Alexis, destinée à prouver aux émigrés que la liberté religieuse régnait désormais en U.R.S.S. Il accepta l'invitation, mais à la condition que la projection se déroulât non pas au consulat, mais dans un local neutre. Avant le début du film, on entonna l'hymne soviétique. Un témoin raconte : " Toutes les personnes présentes se levèrent et écoutèrent l'hymne poliment, tandis que l'évêque Jean bondit de son siège en plein émoi et quitta la salle en disant : " On ne m'avait pas prévenu!"" Les organisateurs se précipitèrent à sa suite, s'excusèrent et l'exhortèrent à rester. Le saint revint dans la salle après la fin de l'hymne et, ayant regardé le film, en conclut que l'élection patriarcale n'était pas régulière. En effet, un seul candidat s'était présenté, élu à main levée. Selon ses propres paroles, "l'impression qui resta du film est qu'aucune élection n'avait eu lieu. Le pouvoir soviétique, tant habitué à commander dans l'Eglise, n'a pas tenu compte du fait que le film le démasquerait." En outre, alors que le hiérarque avait nommé un nouveau recteur pour la paroisse Saint-Nicolas-de-Changaï, le consul soviétique se présenta à lui le lendemain, protestant contre cette nomination effectuée sans son accord préalable. A une autre occasion, le consul proposa aussi à Mgr Jean de rester soumis au Synode de l'Etranger et d'adopter la nationalité soviétique ou, alternativement, de rester apatride et de se soumettre au patriarche de Moscou. Discernant ainsi le piège qu'on lui tendait, ainsi qu'à son troupeau, le hiérarque comprit qu'il ne pouvait être question de se réunir au Patriarcat dans ces conditions/ Comme le dit maintenant un historien d ecette période : " Pour Mgr Jean, la citoyenneté soviétique était justement cette condition idéologique inacceptable, dont il avait prévenu Mgr Victor." C'est précisément là que se trouve la différence de démarche entre le saint hiérarque et les autres évêques d'Extrême-Orient. Pour le premier, se situant à un niveau strictement ecclésial, il souhaitait servir l'Eglise seule et non créer un "attelage disparate avec les infidèles" ( 2 Co 6, 14). Pour les seconds, leur reconnaissance du pouvoir ecclésial de Moscou entraînait celle des autorités civiles soviétiques qui anéantissaient l'Eglise. Seul le saint l'avait compris. Aussi, les chemins des deux hiérarques devaient-ils inéluctablement se séparer, l'archevêque Victor étant définitivement entré en communion avec le Patriarcat de Moscou, tandis que l'évêque Jean restait fidèle au Synode de l'Etranger. Cela eut pour conséquence que le Synode nomma, le 15 mai 1946, Mgr Jean archevêque ordinaire de Changaï, en remplacement de l'archevêque Victor et ce, à la demande du Conseil paroissial de la cathédrale. Néanmoins, le hiérarque, comme nous l'avons déjà vu plus haut, ne recherchait pas les honneurs, et demanda même à un hiéromoine, manifestement son ennemi, s'il devait accepter cette élévation au rang d'archevêque. En outre, il attendit de recevoir le décret officiel - qui lui parvint le 1er juin 1946 - pour le publier. Fidèle à son devoir d'obéissance, il acceptait donc sa nomination : " C'est cette même Assemblée (3)
(3) : ( Des évêques de l'Eglise Russe Hors-Frontières, à Munich, en 1946)
qui décida de nous accorder les droits d'évêque ordinaire, faisant du vicariat de Changaï un diocèse de plein droit, et nous élevant au rang d'archevêque. Le télégramme nous informant de cela constitua pour nous quelque chose de tout à fait inattendu et nous troubla fort, bien que la question de la création d'un diocèse de Changaï ne fût point nouvelle. (...) Maintenant, ayant reçu la nouvelle de la décision déjà entérinée par la même Assemblée, à laquelle nous ne prîmes point part, nous l'acceptâmes comme une nouvelle obédience, tout en étant insatisfait, mais n'osnt rejeter la tâche qui nous est confiée par le pouvoir ecclésial et reconnue par lui comme utile." Et d'ajouter : " Nous recherchons avant toutes choses le Royaume de Dieu et sa justice pour eux (nos enfants spirituels) et pour nous-mêmes, et nous sommes toujours prêts à renoncer à tout titre, si cela est nécessaire pour le bien de l'Eglise." En outre, dans une lettre de janvier 1947 au métropolite Anastase, il écrivit au sujet de sa nomination comme chef de la Mission ecclésiastique russe de Chine : "Je considérais comme impossible de briguer le pouvoir ou de m'efforcer à m'emparer de la place de mon ancien supérieur (l'archevêque Victor), bien qu'il partît de chez nous, et pour cette raison j'ai écarté les demandes qui m'étaient adressées d'écrire en ce sens au Synode, essayant, dans la mesure du possible d'éviter cela. Cependant, en raison de problèmes juridiques, une telle issue n'était pas la meilleure, ce que souligna l'avocat (...). Pour cette raison, il fut décidé de vous envoyer le télégramme qui vous est connu, indépendamment de mes considérations personnelles, pour la seule résolution du problème."
Cette période constitua une rude épreuve pour l'archevêque, qui aspirait profondément à la paix ecclésiale. Selon ses propres paroles, "la tension était très vive. La presse, qui était à sens unique, commençait à déverser des flots d'immondices sur notre orientation ecclésiale, ne reculant devant rien pour nuire à la confiance que l'on plaçait en celle-ci et accusant ceux qui la suivaient de tous les maux (...). Il est encore plus triste que, sous l'influence de tout ce qui se passe, une terrible division se soit produite parmi les ouailles." Aussi, le saint, espérant que ceux qui avaient quitté son diocèse, reviendraient, préconisait dans sa lettre de septembre 1946 au métroplite Anastase, " de ne rien faire qui pourrait constituer un obstacle au retour de ceux qui nous avaient quittés." En outre, dans la même lettre, il soulignait qu'il fallait surveiller de près que "la soumission au Synode de l'Etranger" de clercs ayant auparavant rejoint le Patriarcat de Moscou "ne soit pas motivée par la soustraction à quelque pouvoir ecclésial que ce soit". En effet, ces situations de désordre ecclésial constituaient une aubaine pour les clercs en délicatesse avec leur évêque. Le saint hiérarque, dans une lettre au métropolite Anastase datée de janvier 1947, écrivait encore : " Actuellement, nous nous préoccupons de nos ouailles, les laissant elles-mêmes choisir leur camp." Dans toute cette affaire, le saint appliquait les paroles de l'apôtre Paul : " Nous aurions pu nous imposer avec autorité comme apôtres du Christ, mais nous avons été pleins de douceur au milieu de vous" ( 1 Th 2, 7). Aussi, le saint hiérarque, au lieu de se laisser guider par les passions, avait en vue l'unique intérêt de l'Eglise. Il convient aussi de mentionner que jamais le saint ne se laissait aller à des excès de langage à l'égard de ceux qui avaient rejoint "l'autre côté", comme il les désignait dans une lettre qu'il avait adressée à l'évêque Nicolas Vélimirovitch. Comme s'en souvient V. Naoumoff, en ces moments troublés, "le hiérarque priait des heures dans le sanctuaire".
Quant à l'archevêque Victor, il faisait toujours plus allégeance au pouvoir soviétique, allant jusqu'à envoyer des télégrammes de félicitations à Staline, et il ne pouvait tolérer plus longtemps l'attitude de Mgr Jean. Aussi l'interdit-il de célébration. L'archevêque Jean déclara à l'issue de la Liturgie : " Je ne me soumettrai à ce décret que dans le cas où l'on me démontrerait à l'aide de la Sainte Ecriture et des lois de quelque pays que ce soit, que la violation d'un serment est une vertu, et la fidélité, un grave péché." Son ancien vicaire, l'évêque Juvénal (Kiline) (1958) fut alors nommé évêque de Changaï par un décret du patriarche Alexis Ier daté du 13 juin 1946 "en remplacement de l'évêque Jean qui ne reconnaît pas le Patriarcat de Moscou." A ce moment, les agents du régime soviétique s'efforcèrent par tous les moyens de s'emparer des églises de Changaï. Par ailleurs, ceux-ci commencèrent à menacer le hiérarque, et les fidèles craignirent que celui-ci ne fût embarqué de force sur un navire soviétique. La situation était si tendue que l'archevêque demanda au métropolite Anastase, en date du 21 septembre 1946 : "Il me faut en outre avoir un remplaçant d'autant plus que, dans les circonstances que nous connaissons ici, il faut être prêt à tout." Aussi les représentants de la jeunesse russe de Changaï organisèrent-ils une garde, à l'insu de l'évêque, qui le suivait discètement et veillait sur lui. Quant à l'archevêque Victor, accusé d'avoir collaboré avec les Japonais pendant l'occupation, il fut emprisonné quelques jours par les autorités chinoises. Aussitôt, l'archevêque Jean intervint auprès du maire de Changaï pour le faire libérer, mais celui-ci refusa d'agir. Dans une lettre, Mgr Jean écrit : "Malheureusement, dans l'affaire de l'archevêque Victor, il est très difficile de l'aider d'une façon ou d'une autre (...). Un personnage haut placé auquel je me suis adressé m'a dit ouvertement qu'il ne pouvait pas intervenir." Peu après, l'archevêque Victor tomba malade et fut hospitalisé. La mansuétude du hiérarque Jean ne connaissant pas de limites, il rendit deux fois visite à celui qui l'avait interdit de célébrer. Le saint n'éprouvait aucune rancune à l'égard de tous les protagonistes de cette époque. Par la suite, lorsque l'un des agents soviétiques, responsable de la situation à Changaï, tentera d'émigrer aux Etats-Unis et sera détenu par les services d'émigration américains, l'archevêque Jean viendra lui rendre visite.
Souhaitant empêcher par tous les moyens que les biens ecclésiastiques ne tombassent dans les mains du pouvoir soviétique, qui les détruirait, l'archevêque adopta, après avoir hésité, la nationalité chinoise, ce qui confortait la position du diocèse à l'égard des autorités de la République de Chine. Cette décision du saint, pour lequel l'intérêt de l'Eglise primait sur toute autre considération, fut mal comprise par un groupe d'anciens officiers russes émigrés qui l'accusèrent de trahison et adressèrent une plainte au métropolite Anastase, demandant à celui-ci de nommer un nouvel évêque... Grâce à la fermeté du saint, les biens de l'église Sainte-Sophie de Qingdao, où il resta huit semaines, furent à nouveau enregistrés sous les lois chinoises, ce qui les sauva par la suite de la destruction. Une grande partie des biens et des archives de cette église fut emportée par les émigrés en Amérique et en Australie. De même, la plupart des biens ecclésiastiques de Changaï furent évacués de Chine par Mgr Jean. Parmi ceux-ci, citons un Evangéliaire du XVII° siècle, se trouvant maintenant à San Francisco. On peut lire à ce sujet un article paru dans le journal pro-soviétique Les nouvelles du jour paru à Changaï le 25 août 1949 : " Le groupuscule schismatique d'émigrés dirigé par l'archevêque d'orientation karlovtsienne (4)
(4) : ( Sobriquet désignant l'Eglise Russe à l'Etranger, lié au fait que celle-ci avait tenu son premier Synode en novembre 1921 à Sremsky-Karlovtsy, en Yougoslavie)
a fait sortir illégalement (...) les biens appartenant à la Mission ecclésiastique de Pékin en Chine, et, par conséquent à l'Eglise et au gouvernement soviétiques." Comme le reconnaît aujourd'hui un prêtre du patriarcat de Moscou : " Mgr Victor ne savait pas toute la vérité ( sur le pouvoir soviétique). Comme l'ignoraient aussi, probablement, nombre de ceux qui persuadaient les émigrés de recevoir la citoyenneté soviétique et de rentrer dans la patrie. Beaucoup d'ouailles suivirent leurs évêques et, sans le savoir, allèrent ainsi à la mort. Mgr Jean fut clairvoyant à maints égards (...). Bien qu'ayant célébré des offices d'actions de grâces pour la victoire des armes russes durant la Seconde Guerre mondiale et ayant aussi recueilli des fonds pour la Russie, il n'avait aucunement l'intention d'adopter la citoyenneté soviétique, déclarant qu'un tel pas ne constituait pas une preuve de patriotisme. Le clergé de Changaï était du côté de son évêque, tandis que les laïcs se séparèrent selon leurs opinions. Cinq mille Russes de Changaï émigrèrent ensuite aux Etats-Unis et restèrent en vie, tandis qu'on ne peut que deviner le sort des dis mille qui partirent en U.R.S.S., si ce n'est que certains furent rescapés des camps staliniens."
En août 1947 fut organisé le rapatriement massif des citoyens soviétiques en U.R.S.S. au moyen de six navires qui transportaient mille personnes chacun. Ce n'étaient pas seulement des "patriotes soviétiques", mais aussi des gens simples qui s'étaient laissés abuser. L'un d'eux, Boris Pozine, écrit aujourd'hui : " La propagande battait son plein en Chine : outre le journal Ogoniok qui y était en vente, on projetait les films soviétiques, on expliquait (...) qu'une retraite serait versée à chacun en U.R.S.S. ( ce qui n'existait pas en Chine) (...). Les soviets commencèrent par rapatrier les enfants, les traitant bien et leur faisant rédiger des lettres à leurs parents, dans lesquelles ils louaient la vie en Union Soviétique." Tout en désapprouvant la décision de ceux qui partaient en Russie soviétique, le saint les bénissait avant leur départ, leur offrait des icônes et des Bibles et leur prodiguait des conseils pour leur vie future. L'un d'entre eux, Nicolas Tsepilov, se rappelle avoir vu l'archevêque pour la dernière fois, revêtu de sa mandya violette, monté sur une estrade et bénissant tous ceux qui partaient en Russie à bord de l'un des navires affrétés par le gouvernement soviétique. Le prélat lui avait dit avant le départ : " En Russie soviétique, tu oublieras l'Eglise. Mais souviens-toi de Dieu. Souviens-toi de ton protecteur céleste, saint Nicolas le Thaumaturge. Ta vie sera difficile, pénible; adresse-toi alors à lui dans tes prières. " Dans une lettre au métropolite Anastase, l'archevêque écrivait au même sujet : "Beaucoup communient chez nous avant leur départ, font célébrer des Offices d'intercession, prient et laissent des icônes qu'ils n'emportent pas avec eux, ou encore achètent des icônes et des croix pour le voyage."
La bénédiction du saint protégea tous ces malheureux qui connurent les pires vicissitudes. Selon les témoignages dont nous disposons aujourd'hui, les douaniers soviétiques leur confisquèrent tous objets et livres religieux à la frontière. Nombreux furent ensuite ceux qui connurent les prisons et les camps de concentration, dont celui tristement célèbre de Kolyma. L'un des détenus de ce camp, Boris Ouvarov, qui avait vécu auparavant à Changaï, a fait le récit suivant à l'un de ses amis, qui a écrit : " ... Après sa libération, Boris partit à Yalta, où vivait la mère de l'un de ses codétenus. " Va chez ma mère à Yalta, et elle t'obtiendra l'autorisation de séjour", lui avait dit ce dernier. Il fut donc domicilié provisoirement chez cette femme, qu'il épousa par la suite. Mais les autorités lui interdirent d'y rester, et la police exigea qu'il quittât la ville car, ayant fait l'objet d'une condamnation, il ne pouvait résider que dans des lieux peu peuplés, dont ne faisait pas partie Yalta. Et où pouvait-il aller dans ce pays immense où il n'avait plus ni parenté, ni connaissances? A Changaï, Ouvarov travaillait sous la direction de Mgr Jean, qu'il vénérait beaucoup et qu'il invoquait dans la prière lors des moments difficiles. Et cette fois, confiant dans l'intercession du hiérarque, Ouvarov envoya un télégramme au chef de l'Etat Nikita Krouchtchev (...). Contre toute attente, Ouvarov reçut une réponse, lui signifiant l'autorisation de séjour et le versement d'une pension." Un autre détenu, Oleg Abatourov, ancien fidèle du hiérarque, qui avait fait fi du conseil du saint de ne pas partir en U.R.S.S., avait vu sa peine commuée après s'être adressé à lui dans la prière. A son sujet, un de ses amis écrit : " Oleg priait constamment le hiérarque et supporta tout, alors qu'il se produisait des meurtres dans les camps et que les détenus mouraient de maladies. Mais il échappa à tout cela." Une détenue raconte encore : " J'ai entendu parler de Mgr Jean pour la première fois en prison, en 1950. Dans ma cellule se trouvait une ancienne ballerine de Changaï (...). Son âme était détruite (...). Selon ses paroles, il ne lui restait qu'un seul point d'appui - le Père Jean."
Comme l'écrit Marguerite Zintchenko, ancienne pensionnaire de l'orphelinat Saint-Tykhon, retournée en U.R.S.S. en 1946 et vivant actuellement à Ekaterinbourg : " Je suis certaine que Monseigneur a toujours prié pour toutes ses ouailles parties en U.R.S.S. et particulièrement pour les élèves de l'orphelinat. Comment expliquer autrement que nous ayons tous pu supporter les terribles épreuves qui nous échurent?"
Mais revenons à Changaï où, après le départ des citoyens soviétiques, la situation se détendit et où la cathédrale fut abondamment fréquentée comme auparavant. La paix ecclésiale était revenue.
CHAPITRE 7
L'EVACUATION DE CHANGAÏ
"Vous aurez des tribulations dans le monde;
mais prenez courage, j'ai vaincu le monde"
(Jn 16, 33)
En automne 1948, la chute de Moukden marque le début de la débâcle de la Chine de Tchang Kaï-Chek. La Chine du Nord et du centre est évacuée. Quatre mille réfugiés sont déjà installés à Samar, aux Philippines. A Changaï, il reste encore deux mille cinq cents orthodoxes russes, grecs et d'autres nationalités. L'archevêque Jean écrit que "malgré le départ en masse de paroissiens, dont les plus actifs, il en reste ici encore une grande partie et, lors des fêtes, la cathédrale attire bien plus de fidèles qu'avant. Les partants s'efforcent de se confesser et de communier avant leur départ."
En 1949, tandis que la "grande marche" de "l'armée populaire" chinoise s'approchait de Changaï, le troupeau de l'archevêque Jean s'enfuit vers les Philippines. Le 17 mars 1949, le saint décrivait ainsi la situation dans un mandement aux fidèles de la ville d'Ouroumtsi et des localités avoisinantes du Sin-Kiang, qui dénotait une rare et profonde sollicitude pastorale, pleine de consolation.
" Par la permission divine, écrivait-il, de nombreux malheurs ont commencé à cause de nos péchés, et ces malheurs se sont répercutés sur notre vie ecclésiale. En raison de la situation actuelle dans le pays, l'évacuation de la population russe a été décidée, et elle a commencé avant Noël.
La majeure partie de notre troupeau se trouve déjà sur l'île de Samar, aux Philippines, où les a suivis une grand epartie du clergé. Les autres demeurent dans l'expectative.
Pour le moment, nous restons, avec quelques prêtres, dans la cité gardée de Dieu de Changaï, et je suis peiné dans mon âme que vous restiez sans pasteur, sans possibilité de communier et de participer aux offices liturgiques, d'autant plus que nul ne sait quand et comment ils pourront être rétablis. Les événements et la situation ne sont pas du ressort de notre volonté et il faut seulement prier le Seigneur Dieu pour la paix qui vient d'en haut et le salut de nos âmes, pour la paix du monde entier, la prospérité des saintes Eglises de Dieu, et l'union de tous en un seul troupeau.
Ne désespérez pas dans ces afflictions et ne vacillez pas dans les épreuves. Soyez de fidèles enfants de l'Eglise orthodoxe et continuez, en l'absence de prêtres, de vous rassembler dans la maison de Dieu le dimanche, les jours de fêtes et les jours de la Semaine Sainte qui va commencer. Chantez à Dieu et lisez ce qui est institué ces jours dans l'office, imitant les premiers ermites, qui étaient aussi, parfois, privés longtemps de prêtres. Ne cherchez pas la Grâce dans une autre foi, car la vérité se trouve seulement dans l'Eglise orthodoxe, dont le Christ a dit : " Je bâtirai mon Eglise et les portes de l'Hadès ne prévaudront point contre elle" ( Mt 16, 18).
Ne laissez pas mourir les nouveau-nés sans baptême : en cas d'urgence , les laïcs peuvent baptiser, comme je l'indique dans un décret séparé.
Communiquez-nous les noms de ceux qui décèdent, afin que nous célébrions leurs obsèques. Vous pouvez aussi nous envoyer des noms pour que nous les commémorions.
Menez une vie chrétienne, vous détournant de tout ce qui salit et souille l'homme, vivez en paix et dans la concorde, ne vous occupez pas à critiquer les péchés et les défauts d'autrui, pardonnez-vous mutuellement les offenses afin que le Père céleste vous pardonne aussi. Elevez les enfants dans la piété.
Et, c'est le plus important, priez pour que le Seigneur dirige tout vers le mieux et qu'Il nous donne ce qui est utile en cette vie et, surtout, dans la vie future.
Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous tous et sur chacun d'entre vous!"
Après la victoire communiste dans la province du Sin-Kiang, les réfugiés russes affluèrent à Changaï, où ils furent pris en charge par le comité paroissial d ela cathédrale. Les réfugiés étaient installés dans une caserne française, où Mgr Jean venait les visiter très souvent et célébrait la Divine Liturgie. Il était clair pour tous qu'il fallait alors se préparer à évacuer.
Le dernier Dimanche de l'Orthodoxie célébré par l'archevêque en s acathédrale de Changaï fut particulièrement émouvant. C'est en ces termes qu'il fut décrit par le Père Cyrille Zaïtsev : " Celui qui n'a pas vécu ce qu'éprouva Changaï durant ces derniers mois, ne pourrait, en dépit de toute son imagination, s ele représenter réellement. Des centaines, des milliers de personnes, qui vivaient un genre de vie particulier, construit durant des décennies, jouissant souvent d'un bien-être enviable (...) virent soudain tout disparaître, comme emporté par une rafale. Toutes les cloisons séparant les familles, les personnes, les organisations, disparurent. Toute l'échelle des relations sociales fut détruite. Restaient les hommes - et les boîtes à lettres avec l'inscription " c/o I.R.O. (1)" suivi du nom de famille de chacun...
(1) : ( I.R.O : International Refugee Organization, agence de l'O.N.U. pour les réfugiés, dissoute en 1952).
Sur les lèvres de tous se trouvait le mot mythique de Samar - l'objet de toutes les aspirations. Le passé se recouvrait de fumée. Le présent était réduit à l'idée fixe : pour quand la queue, sur quelle liste, pour quand l'embarquement? (...) La pensée que l'on pouvait ne pas vous accepter pour Samar, semblait une catastrophe (...). La nouvelle selon laquelle on avait rayé quelqu'un du contingent des effectifs pris sous la tutelle de l'I.R.O. plongeait dans l'horreur tant la victime que ses amis. Et lorsque l'information circula selon laquelle l'évacuation était suspendue, il semblait que le ciel s'écroulait (...).
Le Changaï orthodoxe russe se précipitait à l'église... Non pas simplement à la maison de Dieu, mais précisément à l'Eglise. Les hommes ressentaient ce qui constitue l'essence de l'Eglise, ils se sentaient unis par le Christ et dans le Christ.
Un souvenir qui restera indélébile, je le suppose, pour tous ceux qui y participèrent, fut le jour du "Triomphe de l'Orthodoxie" à la cathédrale. Changaï se vidait, les rangs du clergé étaient clairsemés. Malgré cela, l'église était pleine, et l'office de l'Orthodoxie fut célébré avec ferveur, piété, diligence, extérieurement de façon impeccable, intérieurement avec un recueillement particulier et une grande profondeur. L'office fut précédé d'une prédication de Mgr Jean, dans laquelle il en donnait un commentaire circonstancié et fort. La participation du clergé chinois était émouvante. A côté du protodiacre russe Constantin Zanevsky, résonnait la voix du plus vieux protodiacre Elisée et du jeune diacre Photios, tous deux chinois, qui, avec ferveur et un authentique élan, avec la force inébranlable de la conviction, proclamaient depuis la cathèdre le terrible mot "anathème" et les supplications consolantes : " Mémoire éternelle!" Le choeur répétait ces paroles et, par un certain miracle de la miséricorde de Dieu, il n'était pas privé de sa force, de sa plénitude alors qu'il avait perdu la quasi-totalité de ses effectifs. (...) Mais peut-être pouvait-on considérer que le plus grand miracle était l'unité inégalée dans la prière de la masse de tous les fidèles, qui se manifestait dans l'église. Un petit nombre de Russes restait encore à Changaï, celle qui demain prendrait palce dans quelque navire étranger pour naviguer vers quelque lieu d'établissement provisoire. Et là, on ne sait où l'on ira, partant d eplus en plus loin des foyers ancestraux et fuyant ces lieux qui étaient devenus familiers... Et voici que cette poignée de fidèles, par les lèvres du clergé peu nombreux, appartenant à différents peuples, proclamait sa fidélité à l'Orthodoxie, affirmant d'une seule bouche, d'un seul coeur sa Vérité, ressentant qu'elle est l'Eglise et avec une évidence incontestable qu'elle incarnait l'Eglise Universelle, contre laquelle les portes de l'Hadès ne prévaudront pas!"
Dans cette situation, l'archevêque s'efforçait de sauver ceux qui étaient exclus de l'évacuation. C'est ainsi qu'il demanda au métropolite Anastase, dans une lettre datée du 18 février 1949, d'intercéder auprès de l'I.R.O. à Genève, afin de sauver les "collaborateurs" de l'occupant japonais : " Il y a parmi eux des gens qui, par nécessité, étaient obligés d'occuper des fonctions qui leur permettaient d'aider leurs compatriotes", ajoutant "qu'il ne faut pas laisser des gens dans les mains de leurs ennemis, même s'ils sont coupables". Les Chinois, dont les enfants de l'orphelinat Saint-Tykhon, ainsi que les personnes âgées de plus de soixante ans, étaient eux aussi écartés de l'évacuation. Dans la même lettre, le hiérarque écrit qu'il interviendra pour les évacuer à Samar.
Après que le hiérarque eut pris la décision de se rendre aux Etats-Unis pour alléger le sort des émigrés russes évacués aux Philippines, il se rendit au consulat américain de Changaï, afin d'effectuer les formalités nécessaires. Le vice-consul le reçut de façon fort désagréable, lui demandant finalement de revenir le lendemain. Vsevolod Reyer se souvient : " Rendez-vous nous fut donné au consulat à onze heures... Or, lorsque j'arrivai à l'orphelinat Saint-Tykhon-de-Zadonsk à onze heures, le hiérarque n'avait pas encore achevé la Divine Liturgie et nous ne partîmes qu'une heure après. J'étais convaincu - en raison des mauvaises dispositions des employés consulaires à notre égard - que notre retard ne laisserait guère présager une heureuse issue à nos démarches, ce dont j'avisai le hiérarque, qui répliqua calmement : " Cela ne fait rien, allons-y!" Nous arrivâmes au consulat à quatorze heures. Quel ne fut point mon étonnement lorsque je vis l'employé se diriger aimablement vers nous et nous annoncer que toutes les formalités étaient accomplies et que le visa était prêt..." La prière du hiérarque s'avéra, une fois de plus, plus forte que tous les obstacles.
Parmi les derniers, l'archevêque Jean partit de Changaï, seulement trois semaines avant l'arrivée des communistes chinois. A bord du dernier navire, le "Capitaine Gordon", il quitta Changaï le 4 mai 1949 pour les Philippines avec son troupeau, dans des conditions pénibles.
Avec son départ, une page était tournée dans l'histoire de l'Eglise orthodoxe en Chine. Le 29 mai 1949, les communistes chinois s'emparèrent de Changaï. Un certain nombre de Russes restés encore dans cette ville partirent en Occident avec l'assistance du hiérarque. Les autres, avec le clergé disposant de passeports soviétiques furent rapatriés en U.R.S.S. en 1956. Toutefois, les clercs chinois continuèrent à célébrer les offices jusqu'en 1965. La dernière liturgie fut célébrée à la cathédrale, qui fut transformée ensuite en entrepôt, puis échappa de peu à la destruction pour abriter finalement la bourse de Changaï... Actuellement, le bâtiment, ainsi que les fresques ont été restaurés, mais l'édifice est devenu un musée de l'émigration russe à Changaï. Quant à l'archevêque Victor, il rentra en U.R.S.S., où il devait décéder la même année que le saint hiérarque Jean.
CHAPITRE 8
L'EXODE AUX PHILIPPINES
ET L'AMERIQUE
"Le bon pasteur donne sa vie pour son troupeau"
(Jn 10, 11)
Vsevolod Reyer mentionne que l'archevêque " partit pour les Philippines sur la demande instante de ses ouailles, dont la majorité, qui avait échappé aux communistes, étaient arrivées là-bas et connaissaient une situation désespérée". " Pendant ce voyage, note-t-il, étant en contact direct avec Mgr Jean, nous fûmes convaincus de tout ce qui avait été raconté sur sa vie ascétique, qui nous semblait - que l'archevêque nous le pardonne - exagéré. Non seulement le hiérarque insista pour que la Liturgie fût quotidiennement célébrée sur le navire dans une salle mise à disposition par l'administration, mais il visitait sans cesse tous ceux qui attendaient ses prières et ses consolations." Si la vie à bord était fort difficile - même les cabines de première classe hébergeaient jusqu'à quinze personnes! - ce voyage, pour le plus grand nombre, était a fortiori une fuite vers l'inconnu, dans l'ignorance de la destination finale et des conditions de vie futures. Les émigrants savaient qu'ils passeraient des mois dans des camps de réfugiés, dans l'attente de visas hypothétiques pour divers pays du monde libre. Dans cette situation de malheur, le saint avait, comme toujours, dirigé ses fidèles sur "l'unique nécessaire", la célébration de la Divine Liturgie.
L'arrivée du hiérarque à Manille est ainsi décrite par Vsevolod Reyer : " La ville était encore à moitié détruite, et se loger était fort difficile. Après quelques efforts, nous parvînmes à trouver une chambre au "Manilla Hotel". Il fut proposé aux passagers qui descendaient du navire de décharger leurs bagages avant dix-sept heures, faute de quoi ils ne pourraient le faire après, les douanes étant fermées. J'en avais informé le hiérarque et nous avions convenu que je viendrais à s arencontre à quinze heures pour me charger de ses importants bagages avec les objets liturgiques. Or, de nombreuses familles continuaient leur voyage en direction des Etats-Unis sur le même navire et elles demandaient toutes au hiérarque de prier une dernière fois avec elles. A dix-sept heures, il était encore occupé à faire ses adieux et à bénir ses ouailles... Je prévins l'archevêque que l'on ne nous laisserait pas quitter le navire, mais il me répondit : " Je viens, maintenant, je dois seulement voir quelqu'un." Il fallut encore attendre un certain temps avant de quitter le navire. J'étais sûr que des difficultés nous attendraient, que l'on ne nous laisserait pas partir et que nous devrions revenir sur le navire. A mon grand étonnement, l'employé des douanes nous permit de passer et ce sans inspecter les bagages."
L'arrivée de l'archevêque Jean aux Philippines, sur l'île de Tubabao, constitua "une grande fête, car le hiérarque entretenait un lien avec presque chaque personne", selon le témoignage du Père Cyrille Zaïtsev.
La vie sur cette île était fort rude. A leur arrivée, le sréfugiés furent débarqués sur le rivage et durent installer le camp eux-mêmes, après avoir défriché une végétation luxuriante. Le site était surveillé par des gardes armés. Voici ce qu'écrit un témoin : " Les réfugiés de Changaï, au nombre de cinq mille, ont été placés dans les camps des Îles Philippines. (...). Au début, la vie dans le camp était très difficile dans tous les domaines. (...) Au lieu d'une nature sauvage, une ville de tentes a surgi avec son hôpital, sa police, son tribunal. (...). On nous demande de nous diriger vers d'autres pays, mais les commissions qui viennent ici ne sélectionnent que ceux qui sont en bonne santé et aptes au travail. La séparation d'avec le reste du monde - on ne peut sortir du camp, les lettres doivent êtres écrites en anglais uniquement et non cachetées -, les menaces absurdes et permanentes, tout cela crée chez les gens un sentiment d'impuissance, proche du désespoir." Un autre réfugié décrit la détresse qui régnait à Samar : " L'épuisement se faisait ressentir chez ceux qui installaient le camp avec abnégation. Parmi eux, certains ont ruiné leur santé en peinant au-dessus de leurs forces. Pénible fut le long séjour dans les tentes... Pendant des mois parmi les valises, et avec pour tout meuble un hamac, tout cela provoquait lassitude et tension nerveuse. (...). Des problèmes dus à l'âge et à la santé, en particulier à la tuberculose, se manifestaient à Samar. (...). Au début, il semblait que le transfert dans cette île faciliterait l'obtention des visas. Mais l'isolement du camp et l'absence de communications avec les consulats firent que les réfugiés se voyaient cloués sur place. (...). Les portes des pays étrangers étaient fermées. C'était un tunnel sans issue." S'ajoutait à cela l'hostilité du chef de camp, envoyé par l'I.R.O., organisation parfaitement étrangère à tout ce qui était russe.
Dans une telle situation, il convenait d'apporter en premier lieu le réconfort spirituel à ces hommes désespérés. C'est ainsi que, par les efforts de l'archevêque, la vie ecclésiale, en peu de temps, battit son plein. Trois églises et un couvent de moniales furent installés. Auprès du couvent se trouvait la "cathédrale", c'est-à-dire une baraque militaire où, tout comme à Changaï, les offices étaient célébrés quotidiennement, et ce en observant " le typikon plus scrupuleusement que dans les monastères, même celui de la Sainte-Trinité à Jordanville ( aux Etats-Unis)", selon un rapport de l'archevêque Jean. Tout, dans la cathédrale, était fort rudimentaire, jusqu'aux cloches, remplacées par des fûts métalliques!
A Samar, Mgr Jean était au centre de tout, se préoccupant des enfants de l'orphelinat, des vieillards et des malades. G. Larine écrit : " Etant à la tête du quartier où se trouvait l'église et où vivaient l'archevêque, les prêtres et les moniales, il m'arrivait parfois d'accompagner Mgr Jean à la ville de Guivan, où celui-ci visitait les Russes gravement malades. Il leur distribuait un Evangile au format de poche avec des petites icônes. A l'occasion de l'un de ces voyages, entrant dans une chambre occupée par des malades russes, nous entendîmes de lointains cris de souffrance. A la question de Mgr Jean quant à leur provenance, l'infirmière russe dit qu'il s'agissait d'une malade incurable. En raison des cris qu'elle poussait et du dérangement qu'elle occasionnait ainsi aux autres patients, elle avait été reléguée dans un bâtiment adjacent. L'archevêque décida de se rendre sans tarder au chevet de la malade. " Cela ne veut rien dire", répliqua Mgr Jean. Puis il se dirigea d'un pas rapide dans l'autre bâtiment. Je le suivis et constatai que, réellement, une odeur fétide se dégageait de la patiente. Se tenant auprès d'elle, le saint hiérarque lui posa la Croix sur la tête et commença à prier, puis je sortis. Mgr Jean pria longtemps, confessa la malade et lui donna la Sainte Communion. Lorsque nous sortîmes, elle ne criait plus, mais gémissait doucement. Un certain temps passa. Lors de l'une de nos visites à l'hôpital, à peine étions-nous descendus de la jeep, qu'une femme accourut vers nous et s ejeta aux pieds de l'archevêque. C'était la "malade incurable" pour laquelle Mgr Jean avait prié." Nombreuses furent les guérisons opérées par les prières du saint hiérarque, qui aidait de multiples façons son troupeau.
Afin d'alléger le sort de ses ouailles, l'archevêque demanda une audience au ministre de l'intérieur des Iles Philippines. Voici ce qu'écrit à ce sujet Vsevolod Reyer : " L'audience fut fixée le jour suivant à neuf heures du matin. Sur la demande de mon épouse, Mgr Jean accepta qu'elle lui repasse sa soutane en vue de la réception. Au jour fixé, à huit heures, je me présentai devant la porte de la chambre de l'archevêque, en récitant la prière appropriée ( " Par les prières de nos saints Pères, Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie pitié de nous"). Je n'entendis pas de réponse et je répétai les paroles de la prière plusieurs fois, toujours sans réponse. Attendant encore un certain temps, je me décidai à ouvrir la porte. En entrant, je vis l'archevêque endormi à genoux. Il se redressa rapidement et promit de sortir immédiatement. Au bout de quelques minutes, il se présenta sur le seuil, les cheveux embroussaillés. Je ne sais pourquoi, je considérai qu'il ne pouvait se présenter ainsi devant le ministre et je lui proposai de se coiffer, mais il me dit : " Ce n'est pas nécessaire, partons!" J'étais persuadé que l'on ne nous recevrait pas. Premièrement, nous avions presque une heure de retard et, deuxièmement, en raison de l'aspect négligé du hiérarque, on ne nous laisserait certainement pas entrer chez le ministre. A mon grand étonnement, nous fûmes reçus immédiatement. Le ministre lui-même fut très aimable et attentionné, promettant de faire tout ce qui était en son pouvoir et, priant l'archevêque de ne point s'inquiéter, il nous dit qu'il s'efforcerait d'acquiescer à toutes ses demandes. De retour à l'hôtel, je me suis mis à réfléchir sur tout ce qui s'était passé et il devint évident pour moi qu'il était impossible de définir et d'estimer Mgr Jean avec des mesures humaines. Ce qui nous semblait insurmontable à tous ne constituait pas un obstacle sur sa voie. Le Seigneur accompagnait l'archevêque dans ses oeuvres et les barrières qui se dressaient devant nous cessaient d'exister devant lui... Je fus convaincu de tout cela tant au consulat des Etats-Unis d'Amérique à Changaï que sur le port de Manille, ou encore au ministère de l'intérieur du gouvernement philippin."
Aprsè avoir mis en place la vie ecclésiale dans les camps de réfugiés, le bon pasteur s'embarqua le 12 juillet 1949 pour San Francisco, afin de commencer les démarches nécessaires à l'installation de ses ouailles en Amérique. Comme l'écrivit alors le Père Cyrille Zaïtsev : " Des milliers et des milliers de gens attendent encore à Samar que leur sort soit réglé. Mgr Jean est parti, par la force des choses, en tant qu'ambassadeur de ses ouailles, devenues orphelines par son départ. Elles ne trouvent de consolation qu'à la pensée que cette séparation est nécessaire avant tout pour elles-mêmes, pour leur venir en aide là où se portent leurs regards, là où elles attendent l'appel salvateur."
A la veille de son départ, le prélat ressentit une forte affliction. En effet, tels les Hébreux qui préféraient l'asservissement au pharaon à la vie selon Dieu dans la terre promise, les réfugiés étaient plus enclins aux plaisirs mondains qu'à cheminer avec le nouveau Moïse sur la terre bénie de la vie en Christ. Ainsi, la veille du Dimanche de tous les saints glorifiés en terre russe, ils organisèrent un concert et un spectacle. L'archevêque demanda à l'ancien président de l'association de l'émigration russe d'enjoindre aux réfugiés de ne pas participer à des divertissements mondains en l'octave d'une fête aussi importante et de se rendre à l'église pour les vigiles. Malheureusement, il essuya un refus; Le hiérarque se rendit alors en personne sur la place où devait se dérouler le concert et s'adressa au chef d'orchestre avec la même requête, mais également sans succès. Le lendemain, le hiérarque prononça une homélie dans laquelle il fustigea ceux qui n'étaient russes que sur le papier, oubliant leurs saints et cela, même dans une situation difficile. Ensuite, l'archevêque déclara que ceux qui avaient pris part à ces distractions ne seraient pas admis à la Sainte Communion jusqu'à ce qu'ils se repentissent. " Nombreux sont ceux qui, saisis par les touchants reproches de leur archevêque, firent pénitence. Mgr Jean leur lut lui-même la prière d'absolution", raconte un témoin de l'époque.
En route vers l'Amérique, le hiérarque s'arrêta au Japon, d'abord à Yokohama, où le reçut l'archevêque Benjamin ( Vasalyga, + 1963), puis à Tokyo, où il pria en la cathédrale orthodoxe. Ainsi, avec "son oeil spirituel", le prélat "promenait son regard sur toute l'Eglise universelle du Christ", selon les termes du discours qu'il prononça lors de son sacre, sur la tâche de l'évêque orthodoxe.
L'arcchevêque arriva le 12 août 1949 à San Francisco, où il fut accueilli solennellement sur le port par l'archevêque Tykhon et le clergé local, ainsi que par un grand nombre de ses anciens enfants spirituels de Changaï, qui avaient réussi à émigrer. Le hiérarque partit ensuite à New York pour la fête de la Dormition. Il s erendit ensuite au monastère de la Sainte-Trinité à Jordanville, dans l'état de New York, où il passa quelques jours, s epréparant à la tâche qu'il devait accomplir à Washington : convaincre les sénateurs américains d'accueillir aux Etats-Unis les réfugiés de Tubabao. Comme toujours, la préparation du hiérarque se faisait dans la prière. Le Père Cyrille Zaïtsev, devenu moine sous le nom de Constantin, et le professeur Alexandrov aidèrent le hiérarque à traduire en anglais les documents nécessaires.
L'archevêque partit à Washington le 5 septembre, accompagné du professeur Alexandrov, pour prêter secours à son troupeau de Samar qui, selon la chronique du journal La Russie orthodoxe, " plaçait tout son espoir dans ses prières et ses démarches". A partir du 6 septembre, il commença ses visites aux sénateurs et aux institutions gouvernementales, ainsi que ses rencontres avec la presse. Il rendit également visite au directeur de l'I.R.O., dont il reçut des assurances, notamment quant à la construction d'un sanatorium dans les montagnes des Îles Philippines pour cinq cents malades de la tuberculose qui, comme nous l'avons vu, frappait particulièrement les réfugiés. L'archevêque et le professeur Alexandrov furent invités devant la commission sénatoriale pour y faire un exposé, qui eut lieu le 16 septembre, et qui produisit une bonne impression sur les parlementaires. Le prélat se rendit à New York également, dans le même but. A l'occasion de l'assemblée du diocèse d'Amérique Orientale, Mgr Jean fit adresser un message aux présidents des Etats-Unis, de l'Argentine, du Brésil, du Vénézuéla, et aux premiers ministres du Canada et d'Australie, au Général Mac Arthur, à l'I.R.O., ainsi qu'aux sénateurs américains :
" L'Assemblée diocésaine des archevêchés d'Amérique et du Canada de l'Eglise Orthodoxe Russe à l'Etranger (...) vous adresse la présente requête, afin que soit amélioré le sort des Russes évacués de Chine (...). Les habitants du camp de Samar se trouvent dans une totale incertitude quant à leur avenir, éprouvant une angoisse perpétuelle, souffrant des conditions climatiques locales et des calamités dues aux éléments. Quatre-vingts pour cent d'entre eux sont récemment tombés malades, et leurs forces sont épuisées par les maladies tropicales. Un typhon soudain peut détruire toutes les constructions du camp et causer d'innombrables dégâts pour ses habitants.
S'ils périssent, devenant les victimes de la négligence de l'I.R.O. et de l'indifférence du monde, la responsabilité devra retomber sur ceux qui sont à l'origine de cette situation, qui mérite d'être qualifiée de crime contre Dieu et contre les hommes.
Est-il possible, réellement, que dans le monde chrétien, il ne se trouve aucune porte pour s'ouvrir à une poignée d'individus - trois mille hommes honnêtes, loyaux, laborieux, irréprochables sous tous les rapports, avec leurs familles - dont la seule faute a été de croire aux paroles et aux premiers actes de ceux qui les avaient sauvés? (...)
Nous, représentants de l'Eglise Russe à l'Etranger, attentifs à la voix de notre conscience, élevons nos voix et proclamons publiquement que le dernier moment est venu pour aider nos compatriotes sur l'île de Samar.
Chaque jour qui passe peut être fatal. Nous vous supplions au nom de Dieu, qui jadis a dit par la bouche de son prophète Moïse : " Aimez l'étranger", de prêter sérieuse attention au sort des malheureux réfugiés de Samar, et de prendre au plus vite les mesures destinées à leur transfert là où ils pourront non seulement trouver asile, mais aussi, dans une mesure significative, redevenir des hommes utiles à la société et à leurs familles, et servir le pays qui les accueillera."
L'archevêque Jean et le professeur Alexandrov s'installèrent provisoirement à Washington afin d'agir personnellement pour convaincre les sénateurs de la situation des réfugiés. C'est ainsi que le prélat nouera des rapports d'amitié avec le sénateur Knowland qui s erendra aux philippines et aidera les émigrés russes. A Washington, selon les souvenirs de l'évêque Constantin (Essensky, + 1996), le saint hiérarque tint à célébrer la Liturgie avant de se rendre à la commission sénatoriale qui devait l'auditionner, si bien qu'il arriva en retard. Comme à Changaï, cela ne nuisit nullement au bon déroulement de sa mission et les sénateurs l'accueillirent avec respect. Le hiérarque obtint un premier projet de loi permettant l'installation des réfugiés aux Etats-Unis, mais celui-ci ne mentionnait que ceux de Samar, au nombre de trois mille deux cents, tandis que les mille réfugiés de Changaï, Tianjin, Hong Kong et Formose étaient passés sous silence. Aussi le hiérarque réclama-t-il un amendement. Selon une chronique de l'époque, " Mgr Jean et le professeur Alexandrov durent déployer une énorme énergie et beaucoup de temps pour prendre les mesures nécessaires à la défense des ressortissants de Chine. De même, un travail important est accompli pour informer personnellement les sénateurs sur les grandes qualités des réfugiés de Chine." Finalement, après quinze heures de débats ininterrompus, le projet modifié fut voté par le sénat des Etats-Unis. Le vote eut lieu le Mercredi Saint 1950. Le lendemain, la loi était promulguée. Ainsi, grâce aux démarches insistantes du saint, la loi était entérinée et les portes de l'Amérique s'ouvraient à la plupart des Russes d'Extrême-Orient. Parmi ceux-ci, deux mille environ ne connaissaient personne qui pût se porter garnat pour eux. Aussi l'archevêque lança-t-il l'appel suivant dans la presse russe d'Amérique : " La loi relative à l'entrée aux Etats-Unis des nouveaux réfugiés est entrée en vigueur. Outre ceux qui languissent dans les camps en Allemagne, quelques centaines de personnes, dignes à tous égards, vivent dans la misère sur l'île de Tubabbao et à Changaï, attendant d'avoir la possibilité de partir en Amérique du Nord. N'ayant pas ici de parents ni de connaissances, ils s'adressent par mon intermédiaire à tous les hommes bien disposés pour leur adresser des invitations. Ceux qui sont citoyens américains peuvent le faire directement, ceux qui ne le sont pas doivent passer par l'intermédiaire de l'organisation. Les formulaires d'invitation ainsi que des informations sur les personnes concernées et la façon de les inviter peuvent être obtenues auprès de moi. Que le Seigneur bénisse ceux qui aident leur prochain souffrant!" En raison de toutes ces formalités, l'évacuation se fit progressivement, pour ne se terminer qu'en 1952.
Avant son départ de Samar en 1949, le saint avait effectué ses préparatifs : faisant le tour de toutes les tentes, il les avait bénies. En effet, les réfugiés vivaient sous la menace des terribles typhons qui ravageaient l'île, car elle se trouvait sur la trajectoire de ceux-ci. Durant les vingt-sept mois que passèrent les Russes à Samar, le typhon souffla plusieurs fois, mais épargna leur camp. Toutefois, il le frappa le 11 novembre 1950, mais encore se partagea-t-il en deux directions lorsqu'il approcha du campement. Un témoin écrit : " De terribles signes avant-coureurs du typhon apparurent dès quatre heures de l'après-midi. Dans tous les coins du camp, les sirènes avertirent les habitants du danger : les femmes, les enfants et les vieillards devaient quitter les tentes et s'abriter dans les baraquements. Tous ceux qui étaient aptes au travail et le souhaitaient, restaient dans les tentes pour "résister" au typhon et aider ceux qui en avaient besoin... Bientôt, la tente abritant l'église Saint-Séraphim-de-Sarov se fendit en deux, et il fallut sauver les icônes et les objets liturgiques... Les camions étaient chargés des bagages et des effets personnels des réfugiés... Au fracas des éléments s'ajoutaient les cris et les pleurs des femmes et des enfants..." Le typhon ne fit pas de victimes à Tubabao, tandis que la seconde île des Philippines, Cebu, fut rayée de la carte, six cents de ses habitants y trouvant la mort. Les Philippins étaient persuadés que les réfugiés de Tubabao étaient protégés par la bénédiction et les prières de l'archevêque Jean. Le 3 mai 1951, l'île fut de nouveau frappée par un typhon qui détruisit presque entièrement le camp, dont l'un des résidents a écrit : " Après que le typhon se fut calmé, lorsque le soleil se leva, le camp présentait une image épouvantable de destruction et de dévastation (...). Les habitants du camp avaient tout perdu. C'est uniquement grâce à un miracle que personne n'avait péri." Alors que la majeure partie des réfugiés était évacuée, un nouveau typhon se produisit le 9 décembre 1951. Les villages de l'île furent alors rasés, ainsi que la ville de Guivan. Les victimes parmi la population locale furent innombrables. Le camp fut entièrement détruit, mais seuls deux Russes y trouvèrent la mort. Dans son message aux ouailles se trouvant encore aux Philippines après ce désastre, l'archevêque exprima ainsi sa compassion :
" Maintenant, alors que les Anges chantent à l'Enfant qui vient de naître : " Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur terre et bienveillance parmi les hommes", lorsque l'étoile de Béthléem brille de son éclat, indiquant aux mages le chemin menant au Fils de Dieu qui descend du ciel, je dirige mon regard en pensée sur toutes mes ouailles, et particulièrement sur vous, qui demeurez encore aux Philippines, bien-aimés enfants spirituels.
Le malheur qui vous a frappés et les terribles heures que vous avez vécues durant la menaçante domination des éléments, ont rempli notre âme d'horreur et d'affliction, ainsi que celle de nombreuses personnes qui ont séjourné avec vous sur cette île mémorable.
Nous ressentons intérieurement les souffrances que vous avez subies au moment des calamités dues aux éléments, lesquelles ont été vécues auparavant, mais dans une mesure nettement moindre, par des anciens réfugiés qui se trouvent maintenant dans d'autres pays. Pourquoi la nature, qui a épargné pendant presque trois ans les réfugiés de Tubabao, a-t-elle impitoyablement frappé maintenant le petit nombre de ceux qui s'y trouvent encore, alors que s'approche leur départ définitif? Les paroles du Sauveur nous viennent à l'esprit : " Ces dix-huit personnes sur qui est tombée la tour de Siloé et qu'elle a tuées, croyez-vous qu'elles aient été plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem? Non, je vous le dis. Mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez également" ( Lc 13, 4-5).
Ce qui s'est passé maintenant rappelle à tous ceux qui ont vécu là-bas ce qui aurait pu les atteindre et ce à quoi ils ont échappé. C'est une mise en garde à tous ceux qui ont été épargnés, où qu'ils se trouvent actuellement, et ceux qui viennent de souffrir sont des victimes pour tous. Consciemment ou non, nombreux sont ceux qui l'ont ressenti et ont reçu cette nouvelle avec douleur.
Nous sommes de tout notre coeur et de toute notre âme avec vous, qui avez éprouvé la fureur des éléments. En ces jours saints, nous nous affligeons particulièrement de ce que vous êtes privés de la consolation de glorifier le Christ dans l'église qui a été emportée par les rafales de vent, vous enlevant, ainsi qu'à nous tous, ce refuge sacré, ce lieu d eprière, établi par les premiers arrivés sur l'île. Nous croyons néanmoins que ce sera la dernière de vos épreuves et que la lumière de l'étoile de Béthléem éclairera vos voies futures. Aspirez à diriger toujours votre vie vers les sentiers droits, et les rayons du Soleil de Justice qui vient maintenant de se lever, assécheront les ruisseaux de pluie qui vont assaillis avec toutes vos afflictions, et disperseront les nuages de vos tribulations. Alors brillera pour vous la lumière de la bienveillance, de la paix et de la prospérité. Que le Christ né à Béthléem et baptisé dans le Jourdain vous renforce, vous dirige et vous bénisse!
+ L'archevêque Jean, qui demeure en esprit avec vous.
Nativité du Christ 1951."
Cependant, tout comme à Changaï, les épreuves ne se limitaient point aux catastrophes naturelles. Il fallait encore vaincre l'hostilité de l'I.R.O. Grâce à l'opiniâtreté et à la fermeté du hiérarque fut ouverte à Tubabao une école russe qui continua le programme du lycée russe de Changaï. L'établissement fut ouvert malgré le refus des autorités, risque que le hiérarque prit sur lui. Cela déclencha, selon la presse de l'époque "une attaque en règle" de l'I.R.O. contre l'orphelinat Saint-Tykhon. Mgr Jean affirma, dans une déclaration, que l'établissement et son école appartenaient à l'Eglise et que, par conséquent, les tentatives visant à les supprimer seraient considérées comme un combat contre l'Eglise et comme une persécution religieuse. Le 15 juin 1950, le vicaire de l'archevêque, le hiéromoine Modeste (Chout') (1984), reçut une circulaire de l'I.R.O. exigeant la fermeture de l'école et de l'orphelinat dès le 25 juillet, les enfants devant être scolarisés par ladite organisation, et l'enseignement religieux ne pouvant être dispensé que "selon l'ordre habituel", c'est-à-dire avant ou après les matières scolaires. Tous les enfants de moins de dix-sept ans devaient quitter l'école et rejoindre celle de l'I.R.O; de ne pas fermer l'école, les enfants partant prochainement pour les Etats-Unis. Il expédia en outre un télégramme à Samar, soulignant le caractère illégal de la décision de l'I.R.O. qui, prévenait-il, ne serait point appliquée...
Dans l'adversité, tout comme à Changaï, la miséricorde divine s emanifesta envers le troupeau du saint hiérarque. Une icône de la Mère de Dieu appelée "Apaisement de l'affliction" - ou " Joie de toute souffrance" - se renouvela (1) à Tubabao.
(1) : ( Il s'agit d'une icône qui a noik,l;,k;l,k,llrci avec le temps et qui, miraculeusement, se "renouvelle", c'est-à-dire qu'elle retrouve subitement ses couleurs d'origine).
De son côté, l'infatigable prélat, afin de consoler ses enfants spirituels, en attendant qu'ils fussent admis aux Etats-Unis, leur faisait envoyer de la littérature religieuse imprimée par le monastère russe de Jordanville, qui accomplissait un immense travail d'édition.
Le 15 octobre 1952, un dernier typhon frappa les quelques dizaines de réfugiés - la plupart des malades - qui étaient restés sur l'île. De nouveau, le camp fut détruit. Sur l'intervention du hiérarque, ils reçurent des visas pour la France. C'est dans ce pays qu'il les accueillit, comme le mentionne un bulletin paroissial : " Le 23 décembre 1952, un navire norvégien avec, à bord, soixante-dix réfugiés russes accompagnés par trois médecins et neuf infirmiers, arriva à Marseille. L'archevêque se rendit dans cette ville à la rencontre de ses ouailles. Une partie fut envoyée au sanatorium d'Argentière, et l'autre, à celui de Montpellier." Le saint avait sauvé tout son troupeau des Îles Philippines.
Comme nous le verrons plus tard, arrivé en Europe Occidentale, il n'aura de cesse d'intervenir pour ceux qui étaient restés à Changaï et à Harbin. Il écrira de nombreuses lettres dans ce sens à Foster Dulles (2), Eisenhower et aux autres hommes d'Etat occidentaux.
(2) : (Secrétaire d'Etat du gouvernement américain sous la présidence du général Eisenhower).
Sans aucun doute, le salut des réfugiés était dû à l'intercession du hiérarque auprès des puissants de ce monde, mais plus encore à ses ferventes supplications devant l'autel du Père céleste. En priant pour ses fidèles d'Extrême-Orient, il s'était trouvé à l'origine de la paroisse russe de Washington. En effet, durant le mois qu'il passa dans la capitale américaine, il célébrait quotidiennement la Divine Liturgie et les autres offices dans un appartement privé, puis, par la suite, dans une chapelle de la cathédrale épiscopalienne. Chaque fois, le nombre de fidèles augmentait et il fut décidé de créer une paroisse dédiée à la décollation de saint Jean Baptiste, jour de la première Liturgie de Mgr Jean en la capitale des Etats-Unis. Afin que le troupeau ainsi rassemblé ne se dispersât pas après son départ, le bon pasteur ne quitta Washington que lorsqu'un prêtre fut nommé à demeure.
Au cours de son séjour aux Etats-Unis, le saint hiérraque vécut, comme il y était accoutumé, dans le dénuement, ce dont témoigna l'évêque Nicolas Vélimirovitch qui avait émigré dans ce pays après la Seconde Guerre mondiale : " Durant les deux années de son séjour à New York, écrivait-il, l'archevêque Jean recevait moins de quarante dollars par mois. C'étaient là ses seuls revenus. Certes, les fidèles faisaient des dons, tels que de la nourriture ou des vêtements, mais il les distribuait immédiatement aux autres. En hiver, il m'arriva de célébrer avec lui dans l'église russe de Bronx. Il m'accopagna ensuite dans la rue. Il portait une soutane légère de soie chinoise. "Tu as une belle soutane, frère Jean, et elle te va bien!", lui dis-je, entre autres. A peine avais-je prononcé ces paroles qu'il commença à ôter ssa soutane pour me la donner. Je fus stupéfait et m'enfuis. Cette soutane était un don qu'il avait reçu à Changaï. Ainsi était-il."
A San Francisco, le hiérarque commença ses préparatifs pour l'accueil des réfugiés qui, pour la plupart, s'établirent dans cette ville. L'archevêque procéda à l'achat d'une maison destinée à l'orphelinat Saint-Tykhon-de-Zadonsk. Après de nombreuses recherches, un bâtiment fut trouvé, dans lequel on installa une chapelle. Comme le mentionne un témoin de l'époque, l'archevêque recueillit immédiatement le premier apport de cinq mille dollars, car "comme toujours, les gens répondaient aux appels de Mgr Jean". Ce dernier obtint le maintien du statut de l'orphelinat comme institution scolaire. Véra Féofiloff se souvient que des élèves en âge de travailler avaient proposé au hiérarque de trouver un emploi, ce à quoi il s'opposa : " Non, mes enfants doivent encore étudier. Ils étudieront, et ne travailleront pas", dit-il. Véra Féofiloff ajoute : " Ils devinrent tous professeurs, ingénieurs, sur sa seule insistance..." En règle générale, le hiérarque insistait pour que les jeunes accédassent à un bon niveau d'instruction, et fournissait une aide pécuniaire à chaque fois que l'occasion se présentait.
Le 24 septembre 1950, l'archevêque célébra la Liturgie à San Francisco, où l'église, selon les souvenirs d'un fidèle, était "pleine comme à Pâques". L'archevêque Tykhon, convalescent, demanda au hiérarque de rester à San Francisco jusqu'à la fête patronale de l'église, au mois de novembre, ce qu'il accepta.
Après qu'il eut achevé toute cette oeuvre de rapatriement de ses ouailles, le Synode de l'Eglise Russe à l'Etranger le nomma archevêque d'Europe Occidentale, tout en maintenant à sa charge l'administration de ce qui restait du diocèse de Changaï, dispersé à Hong Kong, Saïgon, Singapour, Formose, ainsi que des ouailles restées en Chine.
L'un des fidèles de San Francisco se rappelle : " Je pense qu'il n'était pas facile pour Monseigneur de quitter son troupeau, mais telle était la décision du Syndode, et Mgr Jean, comme un moine, non seulement ne transgressait jamais de telles décisions, mais encore ne les contestait même pas. Naturellement, nous protestâmes et je recueillis des signatures pour demander au métropolite Anastase de nous laisser le hiérarque." Mais Mgr Anastase répondit de la façon suivante : " Des circonstances fort importantes exigent de désigner sans tarder S.E. l'archevêque Jean en Europe, où, après notre départ aux Etats-Unis, une vigilance épiscopale particulière est nécessaire."
Ainsi, l'heure du départ avait-elle sonné pour l'archevêque. Les fidèles organisèrent, le 12 juin 1951, une réception en son honneur, au centre russe de San Francisco. Les discours des enfants spirituels du saint mentionnèrent tout ce qu'avait réussi à faire l'archevêque en peu de temps. Un témoin se souvient : " Les paroles des anciens de Changaï et de Tubabao étaient souvent interrompues par des larmes retenues avec peine. Dans son discours d'adieu, Monseigneur appela chacun à accomplir le devoir ecclésial et national de chaque Russe, tant à l'égard de lui-même que de ses enfants... Le hiérarque parla aussi des tâches concrètes de l'immédiat : aider l'orphelinat, soulignant qu'il accomplirait lui-même tous les efforts nécessaires en Europe pour permettre l'évacuation rapide des Russes de Changaï et de Chine." Ayant reçu la bénédiction de Mgr Jean, ses ouailles se séparèrent, se sentant orphelines, étant tellement habituées à sa sollicitude, à ses prières et à sa direction spirituelle. L'Office d'intercession pour le voyage fut célébré en la cathédrale de San Francisco par l'archevêque Tykhon, devant une assistance nombreuse. Mais le jour fixé pour le départ du hiérarque pour le Vénézuéla, où il devait se rendre pour visiter sa famille avant de partir en Europe, une grève différa le voyage d'une semaine pour la plus grande joie de son troupeau... Le jour du départ définitif, l'archevêque célébra seul les Vêpres, puis l'Office d'intercession, en présence de ses nombreux amis, en l'église de l'orphelinat. Tous pleuraient. La tension fit à son comble lorsque Monseigneur Jean, demandant pardon à tous, se mit à genoux... Deux autobus, ainsi que de nombreuses automobiles, l'accompagnèrent à l'aérodrome, d'où il devait s'envoler. C'était le 26 juin, jour des adieux de l'archevêque avec l'orphelinat et les fidèles. " Les scènes d'adieux furent à ce point touchantes qu'il est impossible de les décrire", lit-on dans un périodique russe de San Francisco. Après la dernière bénédiction, le hiérarque passa la porte d'embarquement, pénétra dans l'avion, tandis que les fidèles entonnaient : " Eis polla eti Despota!" - ( "Beaucoup d'années à l'Evêque!"-.
Au Vénézuéla, Mgr Jean effectua, en juin 1951, une visite de quelques jours sur la demande du métropolite Anastase. Il célébra à Caracas et à Maracay et présida une réunion du clergé. Il quitta le Vénézuéla, en laissant aux paroisses qu'il avait visitées un sentiment de joie et de force d'âme dans leur travail paroissial et ecclésial. Il retourna dans ce pays pour une visite pastorale en 1953.
Sur le chemin de l'Europe, le hiérarque s'arrêta à New York, afin de faire un rapport aux Evêques sur sa visite au Vénézuéla. A cette occasion, le Synode lui remit une distinction, à savoir une croix argentée sur son klobouk*. Mgr Jean avait l'intention de partir pour Paris le 16 juillet, afin de commémorer le jour de l'assassinat de la Famille Impériale à Paris. Mais les circonstances le retinrent quelques jours aux Etats-Unis et il décida de se rendre au monastère de la Sainte Trinité à Jordanville. Là, les moines lui firent don d'une copie exacte de l'icône de Notre Dame de Koursk, contenant un fragment de l'original, et qui avait été peinte par le Père Cyprien, iconographe du monastère, alors qu'il séjournait à Genève en 1945 et y restaurait l'icône originale. C'est cette icône qui accompagnera le saint hiérarque dans tous ses voyages pastoraux en Europe Occidentale et qui sera une source de joie spirituelle pour tous les fidèles de son nouveau diocèse.
CHAPITRE 9
EN EUROPE OCCIDENTALE
"Selon l'autorité que le Seigneur m'a donnée pour l'édification et non pour la destruction"
( 2 Co 13, 10)
En Europe, le saint hiérarque devait faire face à une situation ecclésiale difficile. Un certain nombre d'émigrés, dupés par la propagande soviétique étaient "retournés" en U.R.S.S., où les pires épreuves les attendaient. Une autre partie de l'émigration, qui craignait que l'U.R.S.S. victorieuse en vienne à occuper même l'Europe Occidentale, prit le chemin des Etats-Unis. En Europe, le clergé émigré vivait dans des conditions précaires. Afin de subvenir aux besoins de leurs familles, les prêtres n'hésitaient pas à occuper les emplois les plus divers et souvent les plus pénibles; c'est ainsi que le prêtre de Tarascon travaillait dans une fonderie et que celui de Vichy était jardinier dans un hôpital, tandis qu'un autre encore était veilleur de nuit dans un dépôt. On pourrait citer encore de nombreux exemples du dévouement du clergé de cette époque, tel celui du Père Georges Samkoff : " Miné par la maladie et le travail physique, nous l'avons vu marcher avec sa valise sur les routes et les sentiers, se rendant dans une ferme ou un village éloigné", écrivait-on à son sujet dans un bulletin paroissial. Enfin, tout comme en Chine, le pouvoir soviétique laissait croire que l'heure de la liberté de l'Eglise avait sonné. Qui plus est, les orthodoxes russes de la diaspora étaient séparés en trois juridictions, dépendant de hiérrachies distinctes.
C'est dans de telles circonstances que le saint hiérarque arriva à Paris le 21 juillet 1951. Depuis l'aérodrome, il se rendit directement à l'église de la Résurrection du Christ à Meudon, où il fut accueilli par le recteur de la paroisse, le Père Serge Pfefferman, entouré d'une foule de fidèles. Le soir même, il s erendit au temple réformé de la rue Erlanger, où la paroisse de Paris organisa les Vigiles. Assez curieusement, ce temple avait été bâti sur le plan d'une église byzantine avec, dans l'abside, une fresque représentant le Golgotha. Aussi n'était-il guère difficile de la transformer momentanément en église orthodoxe, ce que firent les paroissiens en y installant une iconostase et des icônes. L'église était pleine; on y trouvait des fidèles de toutes juridictions, parmi lesquels les "Changaïens", attendant leur nouveau pasteur. A l'entrée de l'édifice, l'archevêque Jean fut accueilli par l'évêque Léonce (Bartochevitch) de Genève (+ 1956), une sainte figure de l'Orthodoxie en Europe Occidentale, jadis enfant spirituel du hiérarque en Serbie, lequel aurait voulu en faire son vicaire à Changaï. Mais la Providence en décida autrement : les deux hommes devaient paître ensemble le troupeau du Seigneur en Europe. L'évêque Léonce accueillit le saint hiérarque par une courte allocution : " Excellence! En cette année particulière, lorsque l'Eglise orthodoxe grecque (...) fête le 1900 ° anniversaire de la vebue en Europe du saint Apôtre Paul, la Providence divine t'a envoyé comme un nouveau Paul, afin de paître le troupeau du diocèse d'Europe occidentale de l'Eglise russe à l'Etranger qui t'est désormais confié (...). Nous savons avec quel amour et quel respect t'a accompagné ton troupeau de Changaï. C'est avec les mêmes sentiments que viennent à ta rencontre ici tes nouveaux enfants spirituels..." Parmi les autres personnalités qui étaient présentes se trouvaient l'higoumène Théodora, ainsi que les moniales Madeleine et Flavienne du couvent de Notre-Dame-de-Lesna, dont nous reparlerons, et qui se prosternèrent à terre devant le hiérarque. Entrant dans l'église et vénérant les icônes, l'archevêque s'adressa pour la première fois à ses ouailles parisiennes par une prédication sur la confession de l'Orthodoxie en paroles et en actes. " De l'Orient jusqu'à l'Occident, dit-il, que le Nom du Seigneur soit loué. Par la volonté de Dieu, accomplissant l'obédience qui m'a été conférée, arrivé maintenant à l'ouest de l'Europe, pour la première fois, j'élève les prières avec vous, comme étant mon troupeau (...). Par la volonté de Dieu, les Russes orthodoxes sont maintenant dispersés dans le monde entier, et, grâce à cela, l'Orthodoxie est maintenant prêchée, la vie ecclésiale existe là où l'Orthodoxie était inconnue. Lentement, mais fermement, la véritable foi chrétienne se propage (...). La Parole de Dieu nous dit que, avant le Jugement redoutable, le véritable enseignement orthodoxe sera prêché dans le monde entier. Je puis dire que le Christianisme est prêché depuis longtemps sur toute la terre, mais principalement sous une forme présentant telle ou telle déviation de la véritable doctrine. L'enseignement chrétien pur et véritable ne s'est conservé que dans l'Orthodoxie et voici qu'il est maintenant prêché là où il était inconnu. Nous sommes dispersés dans le monde entier non seulement pour notre propre enseignement et notre propre purification, mais encore pour accomplir la volonté de Dieu relative à la prédication de l'Orthodoxie dans le monde entier (...). Bienheureux celui qui accomplit l'obédience qui lui est confiée de prêcher l'Orthodoxie par la confession de sa foi et par sa vie selon la foi. Bienheureux qui, la conscience pure, s'exclame : " Oui, viens Seigneur!" Etre les réceptacles de la volonté de Dieu est un grand honneur, mais aussi une grande responsabilité, car à qui il est beaucoup donné, il est beaucoup demandé (...). La volonté de Dieu nous est connue par la Sainte Ecriture et la Tradition, et ce sont les règles et les typikons* de l'Eglise qui nous enseignent comment l'accomplir. Ceux-ci ont été composés par les Saints Pères inspirés de Dieu, eux qui ont expérimenté la voie du combat avec le péché et du perfectionnement moral, et qui sont maintenant couronnés et se dressent devant le Trône Divin. Suivons-les et, en oeuvrant pour notre salut personnel, répandons autour de nous, par nos paroles et par notre vie, la lumière de la foi; Plus son éclat sera vif, plus la grâce de Dieu se déversera abondamment sur le genre humain." Tous les fidèles écoutèrent le hiérarque avec grande attention. Comme s'en souvient un témoin, "le peuple, on peut le dire, écoutait avec avidité les paroles de l'archipasteur, nouvelles, par leur caractère, pour beaucoup".
Selon un témoin, "la présence spirituelle de l'archevêque fut ressentie par tout le monde". Vladimir Reine, qui assistait à la cérémonie, écrit plus tard : " Nous avons tous ressenti un rayonnement qui émanait de cet homme." S'attendant à voir un prélat synodal "représentatif", et ayant devant elle un petit homme courbé, une paroissienne s'écria : " Mais c'est Séraphim de Sarov!" Après les vigiles, un Office d'intercession fut célébré devant la copie de l'icône de Notre Dame de Koursk apportée par le prélat, et pendant longtemps le peuple défila et fit la queue pour recevoir la bénédiction de l'archevêque Jean. Selon un témoignage, "beaucoup partirent les larmes aux yeux après cet office inoubliable." Le lendemain, le prélat célébra la Liturgie en l'église de Meudon, où l'assistance fut fort nombreuse. Durant les jours suivants, l'archevêque se rendit à la cathédrale Saint-Alexandre-de-la-Néva, rue Daru, puis visita les ambassadeurs des puissances occidentales en poste à Paris, de toute évidence pour plaider la cause des "Changaïens" qui n'avaient pu encore sortir de Chine.
Pendant ses premiers mois en France, le saint avait établi sa cathédrale à Meudon, où il célébrait en permanence. Il officiait également, le dimanche, au couvent de Lesna, à Fourqueux, près de Paris. Dans la capitale française, l'archevêque ne disposait d'aucun lieu de culte. En effet, la paroisse de Paris relevant de l'Eglise Hors-Frontières avait rejoint le patriarcat de Moscou, pour passer ensuite sous l'obédience du patriarcat de Constantinople. Alors qu'un paroissien disait au hiérarque qu'il fallait "lutter" pour récupérer l'ancienne chapelle, celui-ci répliqua : " Non, il ne faut pas lutter, il faut édifier!" Dans la ligne de ce qu'il avait fait à Changaï, le hiérarque voulait instaurer la paix ecclésiale en France, où la majeure partie des Russes se trouvait sous la juridiction du patriarcat de Constantinople et avait pour chef le métropolite Vladimir (7), homme d'ascèse et de prière. Dès son arrivée, l'archevêque Jean félicita le métropolite à l'occasion de sa fête onomastique. Malheureusement, ses voeux furent mal accueillis par celui-ci, qui, cédant probablement à son entourage, répondit en protestant contre la présence de l'archevêque en Europe, laquelle, affirmait-il, ne pouvait que semer la discorde. Néanmoins, sachant que le mal ne pouvait être vaincu que par le bien, le hiérarque ne se découragea point et fit tout ce qui était en son pouvoir afin que la division des orthodoxes russes ne s'aggravât pas. "Nous sommes affligés par les divisions existantes, écrivit-il, mais nous n'éprouvons aucune animosité envers ceux qui nous ont quittés, ceux qui ne sont pas d'accord avec nous, ceux qui ne croient pas à la justesse de notre voie." Aussi fit-il adopter, en 1952, alors que les passions, de part et d'autre, se donnaient libre cours, un message par les évêques d'Europe occidentale de l'Eglise Hors-Frontières, qui constituait un appel à la paix des Eglises de Dieu. Rappelant les paroles de l'Apôtre Paul : " J" vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, soyez d'accord et qu'il n'y ait pas de divisions parmi vous, soyez bien unis dans un même esprit et une même pensée" (1 Co 1, 10), le message continue ainsi : "Les Russes à l'étranger (...) sont maintenant séparés, soumis à différentes hiérarchies qui ne sont pas en communion les unes avec les autres. Un mal en engendre un autre, et les différends ont mené à des discordes, à la désobéissance aux autorités ecclésiales et au mépris des commandements, règles et règlements de l'Eglise. Même en défendant la vérité et en ayant fondamentalement raison, mais en manifestant un zèle irraisonné, nous accroissons souvent le mal par nos tentatives de faire le bien. Tout cela a conduit et mène au déclin de la foi et de la piété parmi nous, à la perte du sens de la vérité et à l'indifférence envers elle. Appelés à être les prédicateurs de la foi véritable parmi les autres peuples, nous les en détournons par nos actes, et, comme il est écrit, à cause de nous "le nom de Dieu est blasphémé par les païens" ( Rm 11, 24). Abandonnons les accusations réciproques et la recherche des fautes chez l'autre, et concentrons tous nos efforts sur le rétablissement de la paix ecclésiale et de la partie libre à l'étranger de l'Eglise orthodoxe russe." Ce message reçut un écho favorable dans la presse de l'exarchat russe de Constantinople : " L'adresse aux orthodoxes russes (...) produit une impression positive par son ton calme et pacifique (...). Effectivement, le dénigrement et la calomnie, répandue oralement et par la presse, doivent cesser, et c'est ainsi que peut commencer le débat sur nos relations mutuelles. La compréhension différente de l'organisation de l'Eglise russe à l'étranger ne doit pas être à l'origine de quelque animosité. Si, actuellement, pour toute une série de raisons, il n'y a pas une seule administration de l'Eglise russe hors de ses frontières, on peut s'efforcer à ce que ses branches, avec l'aide de Dieu, vivent comme des soeurs en Christ." Dans cet esprit, le hiérarque concélébrait avec les clercs de l'exarchat et ne manquait pas de manifester son amour fraternel envers le métropolite Vladimir. C'est ainsi qu'à l'occasion du cinquantième anniversaire de la consécration épiscopale du métropolite, qui reçut alors un deuxième encolpion du patriarcat de Constantinople, une cérémonie eut lieu à la cathédrale de la rue Daru à Paris. L'auteur de la biographie du métropolite Vladimir écrit : " Le premier à féliciter le métropolite fut l'archevêque Jean Maximovitch". " Bien des fois, écrivit l'archevêque Séraphim ( Doulgoff +2003), notre hiérarque Jean rendait visite au métropolite Vladimir, et après la Nativité, il envoyait les élèves du corps des cadets de Versailles lui chanter les chants populaires de Noël." Cette fidélité durera jusqu'au trépas du métropolite. Absent de Paris lors des funérailles de celui-ci, il donnera sa bénédiction à son évêque-vicaire, Mgr Antoine, pour concélébrer la cérémonie et donnera ordre au prêtre du couvent de Notre-Dame-de-Lesna de commémorer le défunt durant quarante jours, comme le veut l'usage. Après le décès du métropolite Vladimir, le hiérarque continuera de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour rétablir l'unité de l'Eglise russe de l'émigration. C'est ainsi qu'en décembre 1965, peu avant son trépas, il écrira : " Il est souhaitable de procéder à des tentatives de rétablir l'unité de l'Eglise russe dans la diaspora."
Mais revenons à la paroisse de Paris. La communauté réformée de la rue Erlanger cessa de prêtre son local. Peu après, un prêtre catholique-romain, qui était bien disposé envers l'Orthodoxie, mit la chapelle d'un patronage, située au 28 rue de Saxe, à la disposition du hiérarque, qui se rendit chez le cardinal-archevêque de Paris, Mgr Feltin, afin d'obtenir l'autorisation d'utiliser l'oratoire. C'est là que le saint célébra sa première Semaine Sainte en Europe Occidentale. Comme l'écrit une paroissienne, "les neuf mois de présence de l'archevêque à Paris ont déjà produit leur effet, et sa personnalité attire de plus en plus de gens qui, au début, ont été quelque peu repoussés par sa sévérité, mais comprennent maintenant de plus en plus la beaité spirituelle et la force des offices qu'il célèbre." Toutefois, la chapelle n'était prêtée que provisoirement à la communauté russe; il fallut chercher une autre solution, sachant qu'il était extrêmement difficile, à cette époque, de trouver un local adéquat. Aussi, tout comme une tente, à Tubabao, servait de "cathédrale" au hiérarque, ce furent deux garages adjacents, "sans fenêtres, sans aération, humides et froids", selon le récit d'une paroissienne, qui, à Paris, remplirent alors cet office. Cette église rudimentaire, située rue de Ribera, dans le seizième arrondissement, fut dédiée à Tous les Saints glorifiés en Russie. Pour le saint, ce n'était pas tant le bâtiment qui importait, que la vie de prière qui y régnait. Une fidèle se rappelle : " J'aimais beaucoup cette église installée dans un garage. Bien qu'elle fût pauvre et étroite, il y avait une ambiance de prière. Notre cher archevêque Jean venait souvent célébrer chez nous. Il était si facile de prier avec lui! Il communiquait aux gens son amour de la prière!" Ce n'est qu'en 1961 que le saint hiérarque parviendra à trouver un lieu de culte plus convenable, situé rue Claude Lorrain, également dans le seizième arrondissement. La nouvelle église sera également dédiée aux Saints glorifiés en terre russe. C'est l'archevêque lui-même qui célébrera sa dédicace, avec l'évêque Antoine de Genève, le 25 décembre 1961, jour de la Saint-Spyridon selon l'ancien calendrier.
Avant de s'installer à Versailles en mai 1952, l'archevêque Jean vivait chez l'archiprêtre Alexandre Troubnikoff (+1988), qui fut le recteur dévoué de la paroisse de la Résurrection du Christ à Meudon durant d elongues années. Parmi toutes les activités du Père Alexandre, citons l'édition d'un bulletin en français intitulé Dans l'Esprit et la Vérité, où furent publiées de nombreuses traductions de Vies de saints et d etextes liturgiques, et dans lequel on pouvait dénoter l'influence du saint hiérarque Jean.
Selon les propres paroles du hiérarque, l'Eglise Russe Hors-Frontières disposait en France " d'un grand centre spirituel, qui attirait tous les fidèles indépendamment de leur juridiction", le couvent Notre-Dame-de-Lesna, que nous avons déjà mentionné. Fondé en Russie en 1885, il renferme l'icône miraculeuse de Notre-Dame-de-Lesna, apparue en 1683. Ce couvent renommé en Russie avait reçu la bénédiction de saint Jean de Cronstadt et les encouragements du tsar-martyr Nicolas II. Evacuées en Roumanie après la révolution de 1917, les soixante-deux moniales du couvent furent invitées à Hopovo, en Serbie, par le roi Alexandre de Yougoslavie. Elles furent à l'origine du renouveau du monachisme dans ce pays, où elles demeurèrent jusqu'en 1950. Persécutées par les oustachis croates pendant la seconde Guerre mondiale, puis par les partisans communistes qui incendièrent le couvent après les avoir expulsées, les moniales s'installèrent provisoirement à Belgrade, dans les bâtiments d'un pensionnat abandonné par ses élèves. Après l'instauration du régime communiste en Yougoslavie, le connut maintes vicissitudes. Tandis que certaines moniales voulaient retourner en Russie, le Métropolite Nicolas de Kroutitsa (Yarouchevitch +1961), venu de Moscou, les en dissuada, par une prédication à mots couverts, à l'issue de la Liturgie qu'il célébra au couvent de Lesna (8). Aussi l'higoumène Théodora (+1976) jugea-t-elle préférable pour la communauté de quitter la Yougoslavie et de trouver refuge en France, ce qui se réalisa grâce aux efforts de l'évêque Nathanaël (9) et à l'intervention d'un évêque catholique-romain, Mgr Bossard, qui leur fit obtenir des visas. Les moniales furent accueillies par une communauté catholique-romaine à Saint-Cloud, puis se fixèrent à Fourqueux en décembre 1950.
L'higoumène du couvent, Mère Théodora était une personne en tout point remarquable, alliant un haut niveau de vie spirituelle à une solide formation intellectuelle. Elle avait pour assistantes Mère Madeleine (+1989), dont le père, le comte Paul Grabbe, avait participé au Concile pan-russe de 1917 et dont l'aïeul était le célèbre théologien Alexis Khomiakov, et Mère Flavienne (+1987), iconographe de talent. Toutes trois comprenaient et aimaient le hiérarque Jean, qui séjournait et célébrait fréquemment au couvent, insistant sur l'observation du typikon lors des offices monastiques. En effet, durant les années de guerre en Yougoslavie, les moniales avaient dû écourter et simplifier les offices. Aussi, le hiérarque commença peu à peu à faire revenir le couvent à une observation plus stricte des règles régissant l'office. En outre, il leur fournit un certain nombre de tropaires* et kondakia* qui n'existaient pas en slavon et qu'il avait traduits du grec, ainsi que les offices de saints serbes qui ne se trouvent pas dans les Ménées russes et qu'il avait recopiés. Pendant un moment, l'archevêque avait pensé fixer l'administration diocésaine au couvent de Lesna, mais dut y renoncer afin de ne pas troubler la vie monastique. Il témoignait beaucoup de délicatesse envers les soeurs; alexis Solodovnikov racontait que l'on avait une fois servi un plat particulier au hiérarque. Il resta silencieux, sans y toucher. L'higoumène comprit alors qu'il n'en mangerait que si l'on offrait ce plat à toutes les moniales (10).
En mai 1952, l'archevêque quitta Meudon pour Versailles. C'est dans cette ville qu'il établit l'administration diocésaine, dans le bâtiment de l'école russe des Cadets "Empereur Nicolas II", située au 8 d el'avenue Douglas Haig. Une petite église, dédiée à saint Nicolas, était installée au rez-de-chaussée de l'un des deux bâtiments. Mme Tchertkoff décrit ainsi la cellule du hiérarque, qui occupait une petite cellule de neuf mètres carrés au dernier étage du bâtiment principal : " Dans la cellule, il y avait une table, son fauteuil et quelques chaises. Dans le coin, face aux icônes se dressait le lutrin avec les livres liturgiques. Il n'y avait pas de lit. Mgr Jean ne s'étendait jamais pour dormir. Parfois, lorsqu'on lui parlait, il semblait s'assoupir, assis sur son fauteuil. Mais lorsque je m'arrêtais, il reprenait la conversation en disant : " Continuez, continuez, j'écoute!"" Au même sujet, le père Maxime Jourdant écrit : " Il arrivait qu'il donne l'impression de s'assoupir les yeux fermés, sur sa chaise ou sur son fauteuil, mais j'ai pu m'apercevoir que rien ne lui échappait; parfois, il soulevait ses paupières pour monter un oeil brillant, attentif et plein de compassion. Les seules fois où je pense qu'il émigrait, c'est lorsque quelqu'un disait du mal du prochain." Valentine Dikov nous communique d'autres détails : " Dans se cellule, tout était simple, saint et paisible. Son bureau était recouvert de lettres; sur un grand nombre d'entre elles était posé de l'argent destiné à leurs auteurs. Monseigneur aidait tout le monde comme il le pouvait, surtout par la prière."
Dans sa nouvelle résidence, le programme du hiéraque était le suivant : il célébrait les Matines à sept heures du matin, suivies des Heures et de la Liturgie, qui se terminait vers onze heures; Ensuite, l'archevêque restait encore une heure à l'église, puis vaquait à ses occupations quotidiennes : écouter le rapport de son secrétaire, recevoir ses visiteurs. Il interrompait ses tâches à quinze heures pour la lecture de None. A quinze heures trente, il descendait dans le réfectoire, où un café lui était servi. Il reprenait ensuite ses activités jusqu'aux Vêpres, à dix-huit heures. Après l'office, il rédigeait, souvent de sa propre main, sa vaste correspondance, qu'il convient d'évoquer brièvement. Peut-être est-ce l'exemple unique d'un hiérarque qui se faisait "tout à tous" (1 Co 9, 22), écrivant des centaines de lettres, suivant, comme nous l'avons déjà vu, ses anciens élèves, consolant les malades et les affligés dont on lui avait rapporté les malheurs.
Le hiérarque commençait toujours ses lettres par une Croix à huit extrémités, indiquant ensuite la date selon l'ancien calendrier avec le nom du saint que l'on commémorait. Il envoyait ses félicitations pour les fêtes onomastiques le jour même.
Loin d'un style officiel, les lettres du saint allaient droit au coeur de leurs destinataires, par quelques lignes, dont voici des exemples :
A l'un de ses anciens élèves de Changaï :
"Cher...
Je te souhaite une bonne fête, celle de ton Protecteur céleste S. Georges le Victorieux. Qu'il t'aide à devenir toujours meilleur, en vainquant toutes tes faiblesses et en t'affermissant dans le bien (...). Je me souviens souvent de vous et des autres enfants qui étaient avec moi à Changaï. Je suis attristé par le fait que vous ne serviez plus à l'église (...). Lis-tu chaque jour l'Evangile? Il faut sans faute le faire - lire l'Evangile prévu dans le calendrier ou, en l'absence de celui-ci, lire vingt à trente versets successivement, afin de connaître ainsi tout l'Evangile."
A un autre élève, il écrit :
"Chers...
(...) En partant, je vous ai laissés comme servants à l'église, dans l'espoir que vous n'abandonnerez pas ce service. Comment l'accomplissez-vous maintenant? venez-vous toujours régulièrement, ne manquant aucun office festif ? Rappelez-vous que les fêtes sont des jours qui appartiennent à Dieu. Dans les commandements sur les fêtes, il n'est pas dit : " le septième jour sera à toi, pour accomplir tes souhaits", mais : " le septième jour, c'est pour le Seigneur ton Dieu". Pour cette raison, comme le dit S. Jean Chrysostome, celui qui ne donne pas ces heures d'office divin à Dieu, vole en quelque sorte ce qui Lui appartient. Tout ce dont nous usonsest créé par Dieu, et en reconnaissance, nous devons honorer ce que Dieu a séparé pour Lui, pour notre profit. Et tout ce qui nous est commandé par Dieu par l'intermédiaire de l'Eglise doit être saintement observé par nous. En quittant les voies du Seigneur, nous ne pouvons que temporairement nous délecter de la chair; mais nous ressentons ensuite l'amertume de ce mal qui semble agréable. J'espère que vous cheminerez toujours sur la voie du bien."
A une fillette malade, il envoya cette lettre :
"En la fête de l'invention du chef de saint Jean Baptiste, le 24 février / 9 mars 1954.
Olga, toi qui es souffrante,
Que le Seigneur t'aide et te guérisse! Le Seigneur permet que nous souffrions, afin que nous ressentions notre faiblesse et que nous aspirions avec plus de ferveur à la Source de tout bien, notre Créateur, qui donne à chacun ce qui lui est utile. Que le Seigneur te raffermisse! J'ai prié pour toi et je prierai encore durant la Liturgie. Que le Seigneur te pardonne toutes tes transgressions. Va te confesser et communie aux Saints Mystères. Que la bénédiction du Seigneur soit sur toi et sur ta soeur Sophie. Que Dieu aide aussi la malade Gaïda.
Ton archevêque Jean"
A une jeune femme qui, peu après son mariage, avait perdu son époux, l'archevêque écrivit :
Chère...,
Que le Seigneur te renforce dans la terrible épreuve qui t'a frappée. Le Seigneur vous a donné de goûter peu de temps à la vie familiale. Mais ce n'est pas à nous de chercher à atteindre ce qui est pour nous insondable. La seule chose que l'on peut dire avec certitude, c'est que lorsque nous nous remettons sincèrement à Dieu, avec pleine soumission à Sa sainte volonté, Il arrange tout, comme cela nous est le plus utile. " Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu" (Rm 8, 28). Tant la prospérité, les bouleversements, la joie que la peine, tout est dirigé envers ce qui nous est plus utile et meilleur. Que le Seigneur donne au défunt Ses biens éternels, inaliénables, dans son Royaume céleste, et à toi la patience avec l'humble soumission à la volonté Divine, qu'Il te console par Ses grandes miséricordes; Que la bénédiction du Seigneur soit sur toi! Je partage sincèrement ton affliction.
Archevêque Jean"
Le hiérarque interrompait son courrier pour assister à la prière du soir des "cadets", après laquelle il racontait à ceux-ci la vie du saint du jour. Mais il lui arrivait souvent, avant la prière, de descendre à la cantine des internes, pendant leur repas, et de converser avec eux. Comme en Yougoslavie et en Chine, il manifestait beaucoup d'intérêt et d'attention envers les enfants. Vladimir Reine, ancien élève de l'école des "cadets" écrivit : " Mgr Jean était très proche de la jeunesse, malgré ses occupations épiscopales. On pouvait aller le voir pour lui poser n'importe quelle question à n'importe quelle heure : il résolvait les problèmes, répondait immédiatement. Il disait aussi : " Il faut occuper les enfants", et c'est une question qui attirait particulièrement son attention". Un autre "ancien" se rappelle que lorsque l'archevêque procédait à la bénédiction de leur bâtiment avec de l'eau bénite après la Liturgie de la Théophanie - et aucun recoin n'était épargné par l'eau bénite! -, il aspergeait également des "forteresses" que les enfants avaient construites avec de la neige. Alors que l'on s'étonnait de son geste, il expliqua qu'il redoutait que la construction ne s'écroulât et ne blessât les enfants. En conclusion, un témoin de l'époque écrivit : " L'influence de l'archevêque agit, indubitablement, sur toutes les dimensions de la vie de l'internat, où il y a moins de disputes et de bagarres. Lors de l'office du dimanche, ceux qui veulent assister le hiérarque sont si nombreux qu'il n'y a pas assez de sticharions*. Tous, surtout les petits, manquent absolument d'expérience pour servir, mais l'archevêque, si strict et exigeant pendant les offices, montre de la condescendance..." Le saint suivait les principes qui avaient animé son activité à Changaï. Comme s'en souvient l'ancien "cadet" Nicolas Bouteneff, " Mgr Jean n'abusait pas de son autorité. Il ne punissait jamais, mais par son silence, son humilité et sa bonté de coeur, il pointait du doigt notre désobéissance." Terminons maintenant la journée du hiérarque : peu après les prières du soir, le signal de l'heure du sommeil retentit. La vie du pensionnat s'éteint. Cette heure est celle du travail particulièrement intense de l'archevêque. Il convient pour finir de mentionner encore un incident qui se produisit à l'école des Cadets, relaté par Paul de Bennigsen, et qui montre la mansuétude du saint hiérarque : " Une fois, à la fin d el'office, Mgr Jean se sentit mal, et il accepta de monter immédiatement dans sa cellule. Il y fut accompagné par Monsieur Serejnikoff. Lorsqu'ils ouvrirent la cellule, ils virent un cambrioleur qui, à leur vue, sauta par la fenêtre. Serejnikoff se lança à sa poursuite, mais l'archevêque l'arrêta en disant : " Mais qu'il s'enfuie! Je le connais; il est venu hier chez moi; je lui ai donné de l'argent; s'il est revenu, c'est qu'il lui en fallait encore; qu'il s'enfuie, je prierai pour lui!""
Outre les "Cadets", Mgr Jean prit sous sa protection le pensionnat de Thionville, près de Houdan, dans la région parisienne, dont il convient de dire quelques mots. En 1905, Mme Barbara Kouzmine avait fondé une école à Saint-Pétersbourg, renommée pour sa pédagogie et l'enseignement des langues. Après la révolution, elle émigra en Bulgarie et fonda un lycée à Sofia, dont l'enseignement reposait sur les mêmes bases qu'en Russie, avec cette fois quatre mille élèves. En 1944, le lycée fut détruit par des bombes incendiaires, à l'exception du coin des icônes, qui resta intact. Vers 1950, Mme Kouzmine émigra en France, emmenant avec elle deux icônes miraculeusement préservées, dont l'une est conservée actuellement en l'église de tous les Saints glorifiés en Russie, rue Claude Lorrain à Paris. Une surprise attendait mme Kouzmine, peu après son arrivée en France : le gouvernement français lui faisait don d'une somme importante en reconnaissance pour sa contribution à la culture française à l'étranger. Agée de soixante-dix-ans, mme Kouzmine n'hésita pas, avec ces fonds inattendus, à fonder une nouvelle institution pédagogique, dédiée, avec la bénédiction du hiérarque, aux saintes Sophie (Sagesse), Pistis (Foi), Agapie (Amour) et Elpide (Espérance). Elle acheta donc un château situé dans le hameau de Thionville. Au cours de la première année, il y eut sept élèves, et l'archevêque Jean commença à venir. Un miracle eut lieu qui impressionna fortement les enfants, et dont se souvient Vladimir Reine qui se tenait alors près du hiérarque : " En 1952, Mme Nathalie Makarenko, paniquée, accompagnée de ses quatre petits accourut à Thionville chez le hiérarque, lui relatant son malheur. L'un de ses fils, âgé de quatre ans, était très malade, sa fièvre étant montée à 40°. A l'hôpital, le médecin principal lui avait dit de reprendre son enfant chez elle, son état étant sans espoir. Le hiérarque pria alors intensément auprès de l'enfant. Ensuite, il fit entrer toute la famille et donna la Sainte Communion au petit malade, pria longuement et dit à la mère : " Votre enfant vivra." Nous sommes partis déjeuner; une heure et demie se passa, et voici que nous voyons soudain l'enfant en train de courir. Il était parfaitement guéri, la fièvre soudain l'avait définitivement quitté et il était sauvé." Plus tard, l'école fut transférée à Chalifert, dans la région parisienne, et elle accueillit également quelques retraités russes; Le hiérarque s'y rendait une ou deux fois par mois. Il arrivait vers dix heures du soir et se rendait immédiatement à la chapelle. Il dînait ensuite, en compagnie de l'économe de l'institution, mme Ivanov; Selon les souvenirs de celle-ci, le hiérarque lui demandait quels étaient les problèmes. Elle répondait invariablement qu'il s'agissait des nécessités matérielles de l'école qu étaient grandes. Pensant que son interlocuteur s'assoupissait, mme Ivanov s'arrêtait. Le hiérarque reprenait lui-même la conversation là où elle s'était interrompue, puis tirait de sa poche de l'argent, sachant de toute évidence le montant qu'il donnait. Le matin, l'archevêque célébrait la Liturgie en présence de tous les enfants. Avant la Liturgie, la sonnerie du téléphone ne cessait de retentir. Nombreux étaient ceux qui demandaient que le saint hiérarque prie pour eux pendant la Liturgie (11). Durant le repas des écoliers, Mgr Jean faisait les cent pas dans le réfectoire, leur racontant la vie des saints. Il encourageait les jeunes à lire à l'église et leur donnait la priorité sur les adultes, même pour lire le difficile hexapsalme*, corrigeant leurs fautes avec douceur (12). A ce sujet, Paul de Bennigsen raconte que son frère Serge, traumatisé par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, bégayait. Pour cette raison, il ne pouvait devenir lecteur, malgré son souhait ardent de le devenir. Aussi, il fit part au saint hiérarque de son désir, et celui-ci lui dit : " Tiens, prends ce Livre d'Heures, va dans la forêt, lis à haute voix, et je prierai pour toi!" Après cela, Serge cessa complètement de bégayer et fut ordonné lecteur.
Malheureusement, l'école ferma ses portes en 1964.
En général, comme jadis en Chine, le hiérarque était présent partout où se réunissaient les jeunes Russes, notamment chez les "Vitiaz" (les "preux"), veillant à ce qu'ils fussent éduqués dans l'Orthodoxie; Il n'hésitait pas non plus à se rendre au collège Saint-Georges de Meudon, tenu par les jésuites, pour y rencontrer les enfants orthodoxes russes. Une chronique de l'époque mentionne qu'il avait passé une fois toute la soirée à l'internat, discutant avec les élèves. Lors d'une autre occasion, alors qu'il s'adressait à eux avec une "parole vivante", les écoliers formèrent un cercle autour de lui, rompant avec la discipline quasi-militaire de l'établissement. L'archevêque appela alors les enfants à venir assister aux vêpres à Meudon et à se confesser et à communier le lendemain. Le hiérarque confessa lui-même ceux qui parlaient suffisamment le russe.
Outre son souci des jeunes, le prélat avait pris sous sa protection l'association "L'Action orthodoxe", qui avait pour but "la propagation de l'enseignement et des principes de vie orthodoxes, ainsi que l'aide aux institutions orthodoxes". Lors de l'ouverture du premier congrés de l'association à Versailles, le 5 novembre 1959, le saint insista de sa façon caractéristique sur les écueils à éviter : "Le principal, dans notre dévouement aux grandes idées est d ene pas se considérer grands nous-mêmes. Il faut accomplir notre vie et notre oeuvre avec humilité, nous souvenant que nous avons plutôt tendance à donner ce qui vient du péché. Le meilleur que nous puissions offrir naît de l'humilité et de la pénitence."
En exergue à tous ses labeurs quotidiens, la préoccupation majeure du hiérarque fut d'implanter en Europe Occidentale une authentique vie liturgique, en l'absence de laquelle il ne saurait y avoir de vie chrétienne. Comme le disait le saint, "à l'église, nous pouvons plus facilement nous libérer des soucis terrestres et diriger toute notre attention sur la prière. En priant ensemble, nous exprimons ainsi notre amour les uns aux autres, et, pour cette raison, il ne convient pas, durant l'office divin, de lire des prières individuelles, mais il faut suivre celui-ci, exprimant ensemble les signes de dévotion ( métanies etc.). Une telle prières commune augmente la pieuse disposition et la ferveur de ceux qui prient, car elle se transmet de l'un à l'autre. Si Dieu écoute chacun en tout lieu, il est particulièrement présent par Sa grâce dans les églises, ce qui a été révélé aux hommes dans de nombreuses visions ( saint André le Fol en Christ vit le voile de la Mère de Dieu, saint Séraphim de Sarov vit le Christ au moment de la petite entrée, on vit des anges célébrer avec saint Spyridon de Trimythonthe, etc...). La prière que l'on fait chez soi est agréable à Dieu, mais bien plus agréable Lui est la prière à l'église. C'est ce qui fut révélé à Sainte Julienne, qui vécut au XVIII° siècle en Russie. Selon les canons ecclésiaux, le chrétien qui, pendant trois semaines, ne prend pas part à la Liturgie, doit être excommunié de l'Eglise, et s'il s'agit d'un clerc, il doit être déposé (...). La participation à l'office est le signe de notre appartenance à l'Eglise, de même que s'en abstenir signifie quitter celle-ci..."
Ainsi, comme il l'avait fait à Changaï, le prélat incitait son clergé et ses ouailles en Europe à célébrer les offices en observant le mieux possible les règles ecclésiales. Les connaissant lui-même à la perfection, il corrigeait immédiatement les erreurs ou les omissions qui pouvaient se produire dans les offices célébrés en sa présence. Paul de Bennigsen se souvient que le hiérodiacre Christophore lisait et chantait lors de l'office du soir. " Lorsque celui-ci s'embrouillait et lisait autre chose que ce qui était prévu, on entendait immédiatement le hiérarque qui, de l'autre côté de l'iconostase, chuchotait : " tut-tut". Le pauvre lecteur cherchait vainement dans les livres ce qu'il fallait lire; Il se trompait encore, et immédiatement, il entendait : " tut-tut". Au troisième rappel, Mgr Jean sortit irrité, mais ses yeux brillaient de bonté, et montra ce qu'il convenait de lire." Ainsi, le hiérarque mettait en pratique le verset des Psaumes : " Irritez-vous, mais ne péchez pas" (4,4). Comme le mentionne également Vladimir Reine, si le hiérarque était exigeant au niveeau de l'observation du typikon, "il n'était pas pour autant un despote".
Dès son arrivée en 1951, il écrivit : "l'office divin, de par sa compostion, contient toute la plénitude de l'enseignement dogmatique de l'Eglise et expose la voie du salut. Il constitue une richesse spirituelle inestimable. Plus il est accompli dans son intégralité et dans son exactitude, plus ceux qui y prennent part en tirent un grand profit. Les prêtres qui le célèbrent négligemment volent leurs ouailles, les privant du pain le plus substantiel et leur dérobant le trésor le plus précieux." Afin que la prière ne fût point seulement "extérieure", le hiérarque disait que l'on devait "s'efforecr de prêter attention à chaque mot que l'on prononce ou que l'on lit". C'est pourquoi il jugeait préférable que l'on procédât à des funérailles communes pour plusieurs défunts plutôt que, célébrant des offices distincts, on en vînt à les abréger, alors que "chaque mot, pour le défunt, est semblable à une goutte d'eau pour un homme assoiffé".
Entre autres recommandations, le hiérarque souhaitait que l'on ne remplaçât les chants par la lecture que lorsqu'il était absolument impossible de chanter. En effet, disait-il, "l'effet du chant sur les âmes est bien plus fort, et il est extrêmement rare que la lecture puisse le remplacer". Soucieux du caractère liturgique du chant, il ne permettait pas que celui-ci devînt théâtral : " Il convient de toujours se souvenir que le chant ecclésial est la prière, et que le chant des prières doit être exécuté avec piété, pour inciter à la prière ceux qui sont présents à l'église. Sont inacceptables les mélodies et les chants qui ne font que ravir l'oreille, sans disposer à la prière, et aussi ceux qui ne correspondent pas à l'office ou à l'événement donné fêté par l'Eglise, selon l'ordo ecclésial. De plus, la conduite des chantres doit être pieuse et correspondre à la haute vocation des chantres de l'Eglise, qui unissent leurs voix à celles des anges. Les chefs de choeurs doivent veiller à tout cela, ainsi que les prêtres célébrants, dont les indications doivent être suivies sans faille." a l'occasion d'une Assemblée épiscopale, il demandera que toutes les mesures soient prises pour éradiquer les mélodies contraires à l'esprit ecclésial et qui ne soutiennent point la prière; Par un décret épiscopal, il fixa la fête des chantres le jour d ela mémoire des saints Romain le Mélode et Jean Coucouzèle, soit le 1er octobre selon l'ancien calendrier (14 octobre du calendrier civil). A l'issue de la Liturgie, on devait chanter un "Ad multos annos " ("nombreuses années!") aux chantres et l'archevêque proposait " qu'on leur offrît un repas en signe de reconnaissance pour leur labeur et leur ferveur".
Parmi d'autres dispositions, le saint insistait pour que les Matines fussent célébrées le matin, et non pas la veille au soir, sauf les jours où l'on célèbre les Vigiles. Il ajoutait que " l'office du matin est indispensable pour le fidèle; même un court passage à l'église le matin agit favorablement sur l'âme et donne une orientation à toute la journée en la sanctifiant". Enfin, comme il se doit, l'office qui retenait toute l'attention de l'archevêque était la Divine Liturgie. Il souhaitait que celle-ci "fût célébrée quotidiennement, sinon, à la rigueur, tous les dimanches et jours de fête ecclésiales et ce sans faute, indépendamment du nombre des fidèles. Elle est l'offrande du sacrifice non sanglant pour le monde, et elle constitue le devoir du prêtre." Une grande importance était attribuée par le saint à la préparation des Dons, la prothèse. Un fidèle se rappelle que le hiérarque avait "un grand carnet, qui ne le quittait jamais, sur lequel il notait les noms de tous ceux que Dieu avait placés sur son chemin" et qu'il mentionnait chaque jour lors de la prothèse. Selon les souvenirs du Père Adrien (Korporaal), "le diskos était débordant de parcelles... De chacune de ses poches, il tirait des morceaux de papier avec des noms. Il en ajoutait tous les jours, à partir des lettres qui lui parvenaient de toutes les extrémités du monde, surtout des malades... Avant la grande entrée, il commémorait encore les noms qu'il avait reçus entre-temps, si bien que le choeur devait parfois répéter jusqu'à trois reprises l'Hymne des chérubins." Selon le témoignage du Père Tchédomir Ostoïtch (13), il commémorait en outre les noms de tous les défunts annoncés dans la rubrique nécrologique du journal La pensée russe, paraissant à Paris. Comme le mentionne le métropolite Kallistos (Ware), "lorsqu'il priait, (ceux qui étaient commémorés) n'étaient pas simplement de nombreux noms sur de longues listes, mais toujours des personnes." Et il rapporte le récit suivant : " C'était son habitude ( de Mgr Jean) de rendre visite chaque année au monastère de la Sainte Trinité à Jordanville, dans l'Etat de New York. Alors qu'il partait, un moine lui donna un morceau de papier avec les noms de quatre personnes gravement malades. L'archevêque Jean recevait des milliers et des milliers de demandes similaires durant l'année. Lorsqu'il revint au monastère environ une année après, il fit signe au moine en question, et à la grande surprise de celui-ci, il tira du fond de sa poche un papier désagrégé et déchiré. "J'ai prié pour vos amis, lui dit-il, mais deux d'entre eux - et il montra leurs noms - sont maintenant décédés et les deux autres sont guéris."" Plusieurs fidèles, qui eurent l'occasion d'entrer dans le sanctuaire alors que le hiérarque accomplissait la prothèse* témoignent de son impressionnante concentration à ce moment, à tel point que l'un d'eux ressentit, en le voyant, une totale conversion intérieure. Par un décret épiscopal, l'archevêque rappelait aux fidèles que l'on ne pouvait commémorer les hétérodoxes à la Divine Liturgie, étant donné que la personne commémorée participe à l'office, ce que ne peuvent faire pleinement que les chrétiens orthodoxes. Il ne s'agissait point là d'un quelconque fanatisme - nous avons vu que le prélat faisait du bien à tous, indépendamment de leur confession - mais du scrupuleux respect des canons de l'Eglise. Au demeurant, il autorisait la célébration des Panykhides* pour les hétérodoxes, selon un formulaire abrégé et sans kondakion*, dans la mesure où ceux-ci auraient aidé les orthodoxes ou montré de bonnes dispositions envers l'Orthodoxie. Il convient là de mentionner qu'il ne s'agissait pas là d'une décision arbitraire : le hiérarque expliquait qu'il suivait l'usage en vigueur dans l'Eglise d'Hellade, ajoutant que celui-ci avait pour avantage à la fois de ne pas rebuter ceux qui demandaient l'office et en même temps de ne pas être en contradiction avec son sens, puisque selon ce formulaire, les passages concernant l'orthodoxie ou la foi droite du défunt étaient omis. En même temps, le hiérarque insistait sur le fait qu'il convenait de respecter la volonté des défunts qui ne souhaitaient pas un office orthodoxe. Au sujet des suicidés, s'il rappelait que l'on ne pouvait commémorer ceux qui, disposant de leur conscience, s'étaient donné la mort, car ils avaient volontairement quitté l'Eglise, il permettait les offices dans le cas où le suicidé aurait été interné dans un établissement psychiatrique, sous réserve toutefois de sa bénédiction ou de celle de l'évêque vicaire du lieu. De tout ceci on peut tirer cette conclusion : le saint hiérarque était ferme sur les principes, mais condescendant et souple dans leur application, pratiquant l'économie, au contraire de la rigueur.
Comme partout ailleurs, les Liturgies célébrées en Europe par l'archevêque impressionnèrent les fidèles. " Lorsqu'il bénissait l'assistance en disant : " Seigneur, regarde du haut du ciel et vois, bénis cette vigne que Ta Droite a plantée", se rappelle Hélène Gorodetzkoff (14), on avait vraiment le sentiment d'être de la vigne du Seigneur ainsi bénie par lui." Comme pour souligner l'universalité de l'Eglise, l'archevêque prononçait ces paroles une fois en slavon, une fois en grec, puis la troisième fois dans des langues diverses, y compris l'arabe, le latin et même le chinois! Le saint hiérarque souhaitait aussi que, dans la mesure du possible, le peuple participe plus intensément à la célébration en chantant ou en lisant, et les enfants en servant dans le sanctuaire. Par un décret, il demandait que toute l'assistance chante le Symbole de la foi et le Notre Père à la Liturgie, ainsi que l'hymne Ayant contemplé la Résurrection du Christ chanté aux Matines dominicales.
Lorsque les usages grecs et russes différaient, le hiérarque suivait inconditionnellement les premiers. C'est ainsi qu'à l'exphonèse* "Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez", que le célébrant prononce lorsqu'il sort du sanctuaire avec le calice, le hiérarque ajoutait "et amour", suivant le texte grec. De même, selon l'un de ses décrets épiscopaux, il convenait de lire la prière de renvoi de la Liturgie selon sa forme originale " gardée de tout temps par l'Eglise grecque" et mentionner ainsi "les pieux empereurs" et non pas simplement "les chrétiens orthodoxes" comme l'indiquaient les éditions récentes de livres liturgiques. En outre, même s'il n'avait pas supprimé le tropaire de Tierce au moment de l'épiclèse, qui ne figure pas dans le texte grec original, il le lisait à voix basse, considérant "qu'il brise la suite logique d ela prière, surtout dans la Liturgie de saint Basile". Toutefois, il reconnaissait que ce tropaire était utile au prêtre qui ressent son impuissance spirituelle pour accomplir le Mystère. Le Mercredi Saint, l'archevêque célébrait l'office de l'huile sainte "selon l'usage de la cathédrale de la Dormition ( de Moscou) et des Eglises d'Orient." Le jeudi Saint, il célébrait le rite du lavement des pieds. Il suivait également l'usage grec lors de l'office pascal. C'est ainsi que, lors des Matines pascales, avant l'ecphonèse "Gloire à la Sainte, Consubstantielle et Indivisible Trinité", il lisait l'Evangile de la Résurrection du Christ (Mc 16, 1-8) devant les portes de l'église. Lors des Vêpres de Pâques ( et non pendant la Liturgie, comme le veut l'ordo russe) avait lieu la lecture de l'Evangile en différentes langues. Le hiérarque lisait l'Evangile en hébreu, et le clergé présent continuait la lecture en grec, en latin, et dans différentes langues des peuples orthodoxes, telles que le géorgien, le serbe, le roumain, voire même l'ukrainien! Pour ce qui concrne les colyves*, elles devaient être préparées avec du blé et non avec du riz (15), comme le veut un usage russe récent et qui fait perdre le sens de ce symbole, à savoir le grain de blé tombé en terre (cf. Jn 12, 24). Dans l'office quotidien, le hiérarque traduisait simultanément du grec les tropaires manquant dans les versions slaves. Les Ménées en langue grecque dont il se servait sont conservées de nos jours au monastère de Jordanville.
A l'égard du clergé, l'archevêque était très strict, exigeant de lui la propreté du sanctuaire, de la prothèse*, des vases sacrés et de l'antimension*. De même, les livres liturgiques devaient être rangés dans l'ordre, et les signets se trouver à leur place, tout ceci afin d'assurer le bon déroulement des offices. Pliant toujours lui-même ses vêtements liturgiques avec soin, il l'exigeait des autres célébrants également, refusant sa bénédiction aux servants qui venaient à lui avec un stikharion mal plié. Il rappelait encore aux clercs, dans un décret épiscopal, qu'ils "devaient étudier les règles concernant l'accomplissement de l'office et développer continuellement leurs connaissances. La quasi-ignorance des offices ordinaires est le signe de la négligence des obligations primordiales du clergé." En outre, les clercs devaient tenir à jour deux livres dans chaque paroisse, le premier étant le synodique, dans lequel étaient inscrits les noms des vivants et des morts commémorés de façon permanente à tous les offices, ainsi que ceux des personnes récemment décédées que l'on devait commémorer durant quarante Liturgies et aux Panykhides communes. le secon livre était le "Journal des offices de l'église", dans lequel il convenait de consigner les offices qui étaient célébrés, le nom du célébrant et du prédicateur, ainsi que le thème de la prédication. Ces deux livres devaient être tenus à disposition de l'archevêque lors de ses visites canoniques. Des laïcs, le saint hiérarque demandait qu'ils reçoivent l' antidoron* à jeun. Il ne permettait pas aux femmes de vénérer la Croix ou les icônes avec des lèvres fardées. Cette sévérité du hiérarque n'était pas la manifestation d'une quelconque étroitesse d'esprit, mais de la crainte de Dieu qui l'accompagna durant toute sa vie et qui l'empêchait de transgresser les lois de l'Eglise aux dépens du salut de son troupeau.
L'archevêque était attentif à un grand nombre de détails de la vie liturgique, leur donnant tout leur sens; C'est ainsi, par exemple, que le samedi de la semaine pascale, il ne fermait pas les portes royales immédiatement après la Liturgie, mais pendant les Vigiles du dimanche de Thomas, lorsque l'on chante le stichère* : " Toutes portes étant fermées et les disciples réunis, Tu entras soudain, Jésu notre Dieu." De même, pendant la Liturgie de l'Ascension, le hiérarque prononçait lui-même, après la Communion, l'ecphonèse "Et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles", tandis que les prêtres ôtaient l'épitaphios* de l'autel et le posaient sur le trône pontifical, dans le sanctuaire. Selon les paroles mêmes du saint hiérarque, "notre typikon n'est ni un recueil de règles mortes, ni le fruit d'un abstrait travail de cabinet. Il scelle l'expérience spirituelle des saints ascètes qui connurent à la perfection les profondeurs de l'esprit humain et les lois de la vie spirituelle... Le typikon est un manuel d'accoutumance et d'apprentissage de la prière. Plus on l'observe, plus on en tire profit". Les événements commémorés par l'Eglise étaient vécus avec une telle intensité par l'archevêque que, le jour de la mémoire du saint prophète Moïse, il célébrait la Liturgie pieds nus, comme s'il se trouvait devant le Buisson ardent. Comme l'écrivit le Père Ambroise Pogodine, "Mgr Jean se donnait tout entier aux offices : il vivait chaque mot des hymnes ou des psaumes. Cela est étrange, mais sa seule présence à l'église faisait des jours ordinaires des jours de fête." Si le saint hiérarque était sévère quant à l'observance des usages et des rubriques liturgiques, la célébration ne devait pas pour autant revêtir un caractère théâtral, tant dans le chant, comme nous l'avons vu, que dans les gestes. C'est ainsi qu'il insistait pour que les célébrants encensent sans élever le bras. Bitolj, il tendait aux séminaristes un encensoir non allumé avec un livre, en leur disant de ne mouvoir que l'avant-bras, et de placer le livre sous les aisselles. Si le livre tombait, cela signifiait que l'encensement n'était pas accompli correctement. L'avant-bras ne devait pas se détacher du corps; Comme l'écrit le père Radosav Mititch, Mgr Jean " ne nous avait pas seulement inculqué pour toute la vie l'amour de l'office Divin, mais aussi l'attitude juste dans l'office". La célébration du hiérarque, selon les témoins, se caractérisait en outre par son humilité.
Afin de ne pas alourdir le texte ici, nous renvoyons le lecteur à la fin de cet ouvrage, où nous publions séparément les décrets épiscopaux du hiérarque concernant la célébration des offices.
Ferme sur la discipline ecclésiastique, le saint faisait preuve d'une grande rigueur à l'égard des clercs, dont certains "craignaient son franc-parler et son absence de complaisance envers les faiblesses humaines, face aux devoirs qu'il estimait être en droit d'attendre de la part des prêtres", comme le mentionne l'archimandrite Benoît (Dupuis- Pugliese). Aussi, cette sévérité était souvent mal supportée. C'est ainsi qu'à Cannes, "le Père N., le verbe haut, laissa pleuvoir une avalanche de reproches sur l'archevêque, comme s'il était lui-même le supérieur qui s'adressait à un subalterne. Mgr Jean écouta tout ceci sans broncher, comme un dû, avec la très profonde humilité qui le caractérisait", se rappelle une personne ayant assisté à la scène (16). Cela n'empêche pas que, lorsque ce prêtre mourut, l'archevêque rédigea un décret fort élogieux à son égard, demandant aux clercs et aux fidèles de le commémorer dans leurs prières. S'il acceptait que sa personne fût maltraitée, il voulait que l'Eglise en la personne de son épiscopat fût respectée. C'est ainsi que lors de réceptions officielles ou s'il se rendait quelque part, il portait toujours son encolpion et son klobouk*. Dans la rue, il marchait toujours avec son bâton épiscopal. Toutefois, la rigueur du hiérarque n'excluait pas la condescendance envers les faibles. C'est ainsi qu'il répondit à un clerc hollandais, qui reprocahit aux Russes de bavarder pendant l'office : " Ce sont de pauvres émigrés. Il faut comprendre que le seul lieu où ils peuvent se rencontrer est l'église" (17).
L'attitude du hiérarque envers son troupeau est résumée dans les recommandations qu'il adressa à son successeur sur la cathèdre d'Europe occidentale, l'archevêque Antoine de Genève (+1993), à l'occasion de son sacre : " Souvent se présentera devant toi la tentation d'être permissif et complaisant, attitude très répandue de nos jours et qui en constitue en quelque sorte la règle de vie. Pourtant s'il est parfois bon de relâcher la bride, dans d'autres circonstances, cela peut faire du mal à celui qui en profite, comme à son entourage. Il convient de peser et d'examiner attentivement chaque cas et chaque situation, en choisissant avec sagesse le plus bénéfique. Il ne faut pas obliger ceux qui tardent à cause de leur faiblesse à accélérer le pas, mais il est par contre indispensable de réveiller ceux qui le font par insouciance, même si parfois il faut user pour cela du bâton pastoral. Gardons-nous d'agir comme le médecin qui, par peur de faire mal à son patient en lui appliquant les soins nécessaires, les prive par là même de la possibilité de guérir."
Pour les décisions les plus importantes, le prélat observait scrupuleusement le principe de la catholicité de l'Eglise. C'est ainsi qu'il convoqua plusieurs fois l'Assemblée des évêques d'Europe occidentale de l'Eglise Russe Hors-Frontières, qui siégea sous sa présidence à Munich, Genève, Wiesbaden, Bruxelles et Fourqueux. En octobre 1951, peu après son arrivée en France, il convoqua l'assemblée clérico-laïque du diocèse. Comme le fit remarquer l'un des participants, "à la différence des assemblées habituelles, ce fut par excellence une réunion de prière. La journée commençait par les Matines et la Divine Liturgie, concélébrée par l'archevêque Jean, l'évêque Léonce de Genève et les nombreux clercs présents. L'office débutait à huit heures du matin et se terminait à une heure de l'après-midi. Les discussions commençaient après le repas et un court repos, pour s'achever au moment des Vêpres, à sept heures du soir. Le peu d etemps restant pour les discussions fit qu'il n'y avait point de place pour les longs discours. L'archevêque Jean dirigea la séance avec énergie et autorité, écartant tout verbiage et toutes interventions inutiles. Les participants à l'assemblée apprécièrent son caractère concret. La parole émanant de la profonde foi chrétienne de l'archipasteur produisit une forte impression. On ne pouvait répondre aux questions posées avec plus de clarté, de pénétration et de persuasion que ne le fit l'archevêque Jean." A l'occasion de l'une de ces assemblées, le hiérarque prononça une homélie, dans laquelle il souligna avant tout leur sens liturgique :
"En commençant ses travaux, l'Assemblée diocésaine doit donner une réponse claire à ces questions : dans quel but nous sommes-nous rassemblés? Quel est le sens de telles réunions, qu'en principe il est souhaitable de convoquer une fois, voire deux fois, par an?
Leur sesn est avant tout la communion fraternelle des clercs et de tous leurs collaborateurs dans le travail ecclésial. Nous sommes membres de l'Eglise et nous nous trouvons tous dans l'unité ecclésiale, mais, lors de ces Assemblées, nous confessons de façon manifeste et affirmons notre unité, communiant à un seul Calice, et témoignons ainsi que nous ne peinons point en vain pour créer cette unité. Cette conscience est fondamentale pour notre élévation spirituelle et notre zèle dans l'accomplissement de notre ministère.
En second lieu, les assemblées du clergé donnent la possibilité aux clercs de se parler, et parfois d efaire connaissance.
En troisième et dernier leiu, l'Assemblée permet d'aborder les questions matérielles concernant le diocèse.
Les membres de l'Assemblée doivent se rappeler avant toute chose ce qu'est l'Assemblée ecclésiale, que son fondement est l'unité liturgique et ecclésiale et que notre réunion est la conséquence et la continuation de cette unité. C'est pour cette raison que jadis de telles assemblées se déroulaient dans l'église même et aussitôt après la Divine Liturgie. Les Assemblées doivent se passer dans une atmosphère conforme à cela, et tous les participants sont appelés à affermir l'unité ecclésiale et à ne penser qu'au bien de l'Eglise."
Comme en Yougoslavie et à Changaï, le saint menait une vie ascétique, ne mangeant qu'une fois par jour et ne dormant jamais sur un lit. L'higoumène Théodora raconta qu'une fois, au cours d'un séjour au couvent Notre-Dame-de-Lesna, l'archevêque tomba malade, sa jambe s'infectant fortement. En conséquence, l'higoumène fit venir le médecin, qui recommanda au hiérarque de se reposer sur un lit. "Je ne sais moi-même comment, se rappelait-elle, je lui dis ouvertement : " Par le pouvoir qui m'est donné par Dieu en tant qu'higoumène de ce couvent, je vous ordonne de vous étendre!"" Le saint hiérarque regarda Mère Théodora avec étonnement, puis partit se coucher. Mais le lendemain matin, on le trouva déjà à l'église, et cette "cure de sommeil" se termina ainsi. A une autre occasion, en novembre 1952, Mgr Jean, après avoir visité les paroisses de Rives et de Lyon, puis consacré l'église de Béziers, tandis qu'il souffrait terribelement de la jambe, dut interrompre ses activités et regagner Paris, afin d'y être hospitalisé. " Tout ce qui est possible, est-il relaté dans un journal d el'émigration, avait été fait pour conserver les habitudes de Monseigneur Jean. Dans sa chambre étaient célébrées quotidiennement les Matines et la Liturgie... La maladie de Mgr Jean occasionnant des dépenses, ses amis s'empressèrent de l'aider. L'archevêque Tykhon de San Francisco s'adressa à ses ouailles dans ce but. Est-il utile d'ajouter avac quelle ferveur des prières pour son rétablissement étaient élevées, au fur et à mesure que la nouvelle de la maladie du bien-aimé et vénéré pasteur se répandait. Il a en effet un lien pastoral avec des centaines de personnes dans le monde entier. Que le Seigneur le garde de nombreuses années!"
Tout comme à Changaï, le saint ne se contentait pas d'aider spirituellement son troupeau; il l'aidait matériellement. C'est ainsi que Georges Ostachkov raconte : " Notre situation familiale était très difficile et il était question de rechercher un travail pour ma soeur dès qu'elle aurait terminé le lycée, et ce, malgré son souhait de devenir enseignante. A cette fin, elle devait passer un examen d'Etat en grec et en latin, mais il lui fallait un répétiteur, ce que nous ne pouvions nous permettre. Mgr Jean insista non seulement pour qu'elle suive l'enseignement supérieur, mais il nous aida matériellement. C'est ainsi que ma soeur Hélène put achever deux facultés avec un brillant succès, mais elle devint aussi spécialiste du slavon d'Eglise. Grâce à cela, elle put enseigner à lire au kliros*."
Aidant ainsi spirituellement et matériellement son troupeau, le saint opéra encore de nombreux miracles, dont nous ne relaterons que quelques-uns.
Mgr Basile Rodzianko (+1999), évêque de l'Eglise orthodoxe en Amérique, fit le récit suivant : " Ma défunte épouse était tombée malade. Quelque chose d'incompréhensible s'était produit. Elle ressentait une terrible douleur dans la hanche, ne pouvant marcher ni se mouvoir, et c'est avec grande difficulté que nous parvînmes à l'amener à l'école où nous vivions à Versailles. Nous appelâmes immédiatement le médecin français, qui l'examina longuement, puis hocha de la tête et me dit en aparté : " Vous devez vous faire à l'idée qu'elle ne pourra plus marcher. Il vous faudra lui acheter une chaise roulante pour invalide. ET ce sera ainsi jusqu'à la fin de sa vie. Malgré tout, nous l'enverrons à l'hôpital pour un examen complet et général." Vous pouvez vous rendre compte de la situation : après toutes mes épreuves... Mgr Jean était alors en voyage. A son retour, alors qu'on l'en avait informé, l'archevêque m'appela immédiatement et me dit : " Ne t'inquiète pas. Je viendrai demain et je lui apporterai la Communion. Après, vous pourrez l'amener à l'hôpital." Il officia seul, tandis que je restais aux côtés de mon épouse. Après la Liturgie, qu'il célébra dans la chapelle de l'école, il vint, revêtu de tous ses ornements, avec le Calice. Il s'arrêta devant notre porte et dit : " Marie, lève-toi! Viens communier!" Et elle se leva d'un seul coup. Il lui demanda : " Tu as mal?" "Non!", répondit-elle. L'archevêque lui dit alors : " Bon, vien communier!" Après la Communion, il lui dit encore d'aller se coucher. Elle s'étendit. C'était comme dans un rêve. L'archevêque partit à l'église pour consommer les Saints Dons, tandis que je demeurais auprès de mon épouse. Elle me dit : " La douleur est passée. Je ne sens plus rien!" Néanmoins, on vint la chercher en ambulance l'après-midi pour l'amener à l'hôpital. Elle y resta quelques jours, puis on la laissa sortir avec un billet du médecin : " Pourquoi l'avez-vous envoyée ici? Elle est en parfaite santé, elle n'a rien!""
Mme H. Tchertkoff raconte qu'un jeune homme, qui vivait au couvent Notre-Dame-de-Lesna, fut soudain atteint de méningite. On informa ensuite l'archevêque que son cas était désespéré et qu'il était peu probable qu'il vive jusqu'au jour suivant. Le hiérarque partit immédiatement le voir, pria longuement auprès de lui et, le jour suivant, le jeune homme quitta l'hôpital, guéri.
Un autre cas de guérison nous est connu par une orthodoxe française, Sophie Delsaux : " Alors que nous avions décidé d'aller assister à la Liturgie au couvent des moniales de Notre-Dame-de-Lesna, à Fourqueux, nous partîmes avec deux voitures. L'une de ces voitures, près de Louveciennes, quitta brusquement la route pour aller s'écraser contre un arbre. Après avoir accompagné les blessés dans l'ambulance et attendu qu'ils fussent pris en main par les médecins de l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye, notre voiture continua la route vers Fourqueux, où nous apprîmes que l'archevêque Jean était reparti à Versailles. C'est là qu'il nous reçut, tout en haut d'un grand escalier. Il était extrêmement frêle, vêtu d'une soutane écrue, pieds nus dans des sandales de cuir. Il nous fit asseoir dans son bureau et nous lui racontâmes notre voyage interrompu par l'accident. Il écoutait avec une attention très soutenue, le regard à la fois grave et vif. Je ne me souviens pas de la durée de cette entrevue car, dès la première fois, j'éprouvais auprès de lui la sensation très particulière d'une absence de temps ou plutôt d'un temps différent du nôtre. Il me demanda de le tenir informé de l'état des blessés, et je lui proposai de le conduire à l'hôpital quand il serait possible de lui rendre visite. Dès la semaine suivante, je l'accompagnai." Le blessé écrivit à ce sujet : " Au cours de cet accident, qui se produisit le 6 janvier 1958, je fus projeté par la porte de la voiture et mes deux genoux furent brisés, mes côtes, broyées, avec de nombreuses contusions... Une moniale de Fourqueux, que l'archevêque avait chargée de me rendre visite, m'apporta un petit morceau d'antidoron. Par respect, je le mangeai... avec appétit. Une demi-heure plus tard, mes intestins furent libérés. La femme accidentée, Mme Pauline Richet, avait subi plusieurs fractures à son bras et à sa jambe droite... Elle se trouvait après l'opération dans un état comateux. Le deuxième jour, vers une heure de l'après-midi, l'archevêque lui rendit visite. Dès qu'elle le vit, elle se sentit illuminée, avec l'impression que Dieu s'approchait d'elle... Le hiérarque lui prit ses mains et les tint un long moment sans rien dire. Le lendemain, elle reprit l'usage de ses fonctions et elle comprit qu'elle était sauvée."
A Bruxelles, les fidèles ont été témoins de nombreux miracles. Citons une lettre du lecteur Vladimir Kotliarevsky : " Par les prières ardentes de Mgr Jean, mon père Nicolas s'est rapidement remis après un troisième infarctus, qui s'était produit à Spa en 1962 (...). Ma soeur, la comtesse Marie Apraxine et moi-mêmes nous rendîmes chez le médecin, qui nous déclara que l'état de mon père était absolument désespéré. Soudain, Mgr Jean fit irruption dans la chambre de mon père et commença à prier. Peu après, mon père se rétablit complètement et revint à son domicile de Bruxelles. Il vécut encore quatre ans. Je connais aussi le cas de Vsevolod Stadnitsky-Kolendo (...) qui tomba du deuxième étage dans la rue, alors qu'il nettoyait la fenêtre de l'appartement de sa soeur, en 1959. Les multiples fractures ne laissaient aucun espoir aux médecins quant à son rétablissement. Mgr Jean vint à l'hôpital et commença à prier devant le lit du mourant. Le Père Tchédomir Ostoïtch, qui accompagnait l'archevêque, raconta qu'il entendit pour la première fois comment celui-ci conversait dans la prière avec le Seigneur Dieu. En partant, il dit aux aides-soignantes : " Donnez à manger au malade!" Il était difficile pour celles-ci de croire qu'il avait retrouvé sa conscience et qu'il commençait même à se rétablir rapidement. Il quitta l'hôpital un mois après, en parfaite santé, et vécut encore longtemps après. Un troisième cas qui m'est connu est celui de Philippe de Heering, né à Bruxelles en 1943. Alors que l'on commençait à l'opérer, pensant qu'il s'agissait d'une simple appendicite, il s'avéra qu'il souffrait d'un cancer et que son cas était désespéré. Par les ferventes prières de l'archevêque, Philippe recouvra rapidement la santé, ce que les médecins n'avaient sans doute pas prévu..." Odile Bertrand-Hardy résume ainsi le don de guérison du saint : " Je l'ai accompagné deux fois à l'hôpital et j'ai vu avec mes propres yeux ce qui est arrivé : après son passage, les gens revenaient à la vie."
Le Seigneur avait accordé au hiérarque non seulement le don de guérison, mais aussi celui de clairvoyance, ce dont témoigne Mme Dikov : " Alors que mon frère vivait en France, il fut attaqué par des voyous, qui le laissèrent gisant sans connaissance, après lui avoir dérobé l'argent qu'il portait sur lui... Il fut transporté à l'hôpital et la radiographie fit ressortir une fracture du crâne... Mon frère me dit que, la nuit, Mgr Jean vint le voir, lui donna la Sainte Communion, pria, puis toucha sa tête, et lui demanda s'il avait besoin d'argent... Mon frère demanda à ma mère comment l'archevêque pouvait savoir qu'il se trouvait à l'hôpital et qu'il était resté sans argent. En effet, même ma mère ignorait à ce moment-là ce qui s'était passé! Lorsque mon frère sortit de l'hôpital, on lui fit une seconde radiographie de la tête et, au grand étonnement du médecin, on ne trouva plus trace de la fracture. Mon frère se rétablit ensuite rapidement. Nombreux étaient ceux qui, connaissant le hiérarque, n'avaient guère besoin de lui demander quoi que ce fût, puisque le Seigneur lui révélait où il devait aller et chez qui. Dans les hôpitaux parisiens, tous connaissaient l'archevêque et le laissaient visiter les malades à n'importe quel moment."
De la même façon, Paul de Bennigsen témoign que sa mère fut victime d'un grave accident de circulation à Aix-en-Provence. N'ayant été averti par personne, il se rendit sur place pour lui apporter la Sainte Communion et elle fut guérie (18).
Tamara Granitov témoigne encore de la clairvoyance du saint : " En 1957, le fils d'Anna Voeïkov, Nicolas, qui habitait Bruxelles, décida de s'installer au Canada, à Montréal. Il informa sa mère du numéro de vol et de la compagnie aérienne. L'avion faisait une escale à New York. C'est alors que les journaux annoncèrent que l'avion qu'avaient emprunté Nicolas et sa famille s'était écrasé entre New York et Montréal. Tout l'équipage et les passagers avaient été tués. Anna Voïekov, après avoir pris connaissance de cette information, téléphona à la compagnie aérienne, qui lui confirma que Nicolas et sa famille s'étaient embarqués sur ce vol et qu'ils avaient péri dans l'accident. Anna se dirigea immédiatement chez l'archevêque Jean, lui raconta ce qui s'était passé et lui demanda de célébrer une panykhide*. Le hiérarque l'écouta et lui dit calmement : " Ce n'est pas une panykhide qu'il faut célébrer, mais un office d'action de grâces." Anna le regarda, perplexe, et le pria en larmes de célébrer une panykhide, lui disant que c'est la compagnie aérienne elle-même qui lui avait confirmé que son fils et sa famille étaient décédés dans l'accident. Le hiérarque la regarda à nouveau dans les yeux et répéta : " Pas une panykhide, mais un office d'action de grâces!", puis il partit. Anna partit chez elle, puis après avoir prié ardemment, s'endormit. Tôt le matin, la sonnerie du téléphone retentit. Elle entendit la voix de son fils Nicolas... Il lui dit qu'il était arrivé avec sa famille, en train, à Montréal. Il est impossible de décrire ce qu'Anna ressentit à ce moment précis. Après le choc, des larmes de joie coulaient de ses yeux. En fait, lorsque Nicolas et sa famille étaient arrivés à New York, ils avaient décidé de prendre le train pour se rendre à Montréal, afin de montrer aux enfants la nature du nord de l'Amérique, sans en informer la compagnie aérienne. Ensuite, Nicolas raconta à sa mère que durant tout le temps du voyage de Bruxelles à New York, une voix intérieure lui disait qu'il devait sortir de l'avion à New York et continuer le voyage en train. Après avoir appris tout cela, Anna se rendit chez le saint hiérarque pour lui annoncer la bonne nouvelle et lui demander pardon de son manque de confiance envers lui. Il lui dit alors de faire célébrer l'office d'intercession." Anna confia ensuite à l'auteur de ces lignes qu'elle était absolument persuadée que le hiérarque avait prié pour son fils durant le voyage.
Un témoignage similaire fut confié par l'évêque Jacques (Akkerdijk) ( +1991), dont nous reparlerons, à l'un de ses amis. Il raconta comment, lors du retour du saint aux Etats-Unis après une tournée pastorale en Europe, celui-ci refusa obstinément de prendre la route de Schiphol, où l'avion était prêt pour le départ, pour aller, à la stupéfaction générale, au chevet d'un mourant inconnu dont il avait entendu intérieurement l'appel à l'aide. Le père Adrien lui dit : " Monseigneur, vous allez rater l'avion!" D'un mouvement brusque, il se retourna et répondit sèchement : " Est-ce vous qui assumerez les conséquences s'il devait mourir?" L'archevêque se rendit donc à l'hôpital et entendit la confession du mourant. L'avion, toujours prêt pour le départ, ne décolla que lorsque Mgr Jean s'était enregistré et était monté à bord.
La défunte Mère Anne, du couvent Notre-Dame-de-Lesna, racontait que " Alexandra Y... était alitée dans un hôpital parisien, ce dont on informa l'archevêque. Il fit alors savoir qu'il viendrait lui apporter la Sainte Communion. Se trouvant dans une salle commune avec une quarantaine, voire une cinquantaine de malades, elle se trouvait embarrassée à l'égard des femmes françaises, qui verraient cet évêque orthodoxe dans un vêtement fort usé et, qui plus est, les pieds nus, le port de chaussures lui occasionnant des douleurs. Après qu'il lui eut donné la Communion et qu'il fut parti, la dame française qui se trouvait dans le lit le plus proche, lui dit : " Quelle chance d'avoir un tel père spirituel! Ma soeur vit à Versailles, et quand ses enfants sont malades, elle les envoie dans la rue où passe habituellement cet évêque, afin qu'il les bénisse. Immédiatement après, ils sont guéris. Nous l'appelons un saint."" La même moniale relate qu'un prêtre catholique-romain, qui s'occupait des malades à Versailles, venait souvent voir l'archevêque pour lui demander de prier pour ses enfants spirituels ou encore leur rendre visite, croyant qu'il les guérirait, ce qui se produisait souvent. C'est ainsi que la réputation de sainteté du hiérarque se répandait même chez les non-orthodoxes, à tel point qu'un prêtre catholique-romain répondit aux jeunes qui doutaient de l'existence des miracles et des saints : " Vous demandez des preuves, vous dites qu'il n'y a plus maintenant ni saints ni miracles. Pourquoi vous donnerais-je des preuves théoriques, alors que de nos jours, dans les rues de Paris, il y a un saint : saint Jean aux pieds nus!"
Mentionnons encore quelques témoignages sur le don de clairvoyance du hiérarque, que nous avons déjà évoqué plus haut, dont le suivant, particulièrement frappant, a pour auteur le métropolite Kallistos (Ware) de Diokléia, qui raconte sa conversion de l'anglicanisme à l'Orthodoxie; Etant alors convaincu de la véracité de la foi orthodoxe, mais hésitant à se convertir, il avait cessé de communier dans l'anglicanisme. Il écrit : " Après être resté sans sacrements, je parlai en septembre 1957 à Madeleine, l'épouse de Vladimir Lossky. Elle souligna le caractère périlleux de ma situation, dans un no man's land. "Vous ne pouvez continuer comme vous le faites, inista-t-elle. L'Eucharistie est notre nourriture mystique; sans elle, nous mourons." Ses paroles furent confirmées quelques jours plus tard par un étrange incident que je n'ai jamais été capable de m'expliquer. J'étais allé à la chapelle où l'archevêque Jean Maximovitch était en train de célébrer la Sainte Liturgie. C'était son usage de célébrer quotidiennement et, du fait que c'était un jour de semaine, il y avait peu de personnes présentes : un ou deux moines, pour autant que je me rappelle, et une vieille femme. J'arrivai vers la fin de l'office, peu avant qu'il ne sorte du sanctuaire pour donner la Communion. Personne ne s'approcha du sacrement, mais il resta néanmoins avec le calice dans les mains; et la tête penchée de côté comme il en avait l'habitude, il regarda fixement et même furieusement dans ma direction (il ne m'avait jamais vu auparavant!). Ce n'est que lorssque je secouai la tête qu'il revint dans le sanctuaire avec le calice. A l'issue de la Liturgie, un office d'intercession en l'honneur du saint commémoré ce jour fut célébré, puis, à la fin, l'archevêque oignit les personne sprésentesavec l'huile d ela veilleuse qui s etrouvait devant l'icône du saint fêté. Je restai à ma place, ne sachant s'il était approprié pour moi de recevoir l'onction. Mais cette fois, il n'aurait accepté aucun refus. Il fit un signe fermement, et j'avançai, puis fus oint. Ensuite, je quittai la chapelle, renonçant par timidité à lui parler. Mais nous nous rencontrâmes par la suite et nous eûmes des occasions de converser. Le geste de S. Jean, au moment de la Communion, me laissa perplexe. Je savais que, selon la pratique de l'Eglise Russe à l'Etranger, chaque personne ayant l'intention de recevoir la Communion devait au préalable se confesser. (En outre, le saint n'eût jamais permis à un non-orthodoxe de communier, NdT). Qui plus est, dans ce cas, l'archevêque aurait été averti qu'il y avait un communiant. Dans tous les cas, au moins dans l'Eglise Russe, une personne désirant communier ne serait jamais arrivée si tard à l'office. En fait, l'archevêque avait reçu le don de lire les secrets du coeur humain. Avait-il quelque prémonition que je me trouvais sur le seuil de l'Orthodoxie, et était-ce sa façon de me dire de ne plus tarder? Quoi qu'il en fût, mon expérience de Versailles renforça mon sentiment que le moment était venu de passer à l'action. Si l'Orthodoxie était la seule véritable Eglise, et si l'Eglise est la communion dans les sacrements, j'avais besoin avant tout d'entrer dans la communion orthodoxe."
Un autre témoin, Youri Popowski, raconte que dans une paroisse de Belgique, alors qu'à la fin d ela Liturgie le hiérarque présentait la Croix aux fidèles, il leva celle-ci au moment où une femme s'en approchait pour la vénérer, lui disant : " Ne jugez pas, pour ne pas être jugée!" Il s'avéra que cette femme était fort médisante, mais le plus étonnant était que l'archevêque ne la connaissait pas, ne l'ayant jamais vue auparavant (19).
Une dame raconte également qu'elle se trouvait à l'église alors que l'office était célébré par l'archevêque Jean. Le service lui semblait interminable et fatigant, puis, se sentant épuisée, elle pensa en elle-même : "L'office est long! Si seulement Monseigneur pouvait un peu le raccourcir!", mais, toutefois, elle resta debout. Après l'office, lorsqu'elle s'approcha de la Croix que tenait l'archevêque, celui-ci lui dit soudain : " Si vous ne pouvez rester debout longtemps et que vous sentez des douleurs aux jambes, vous pouvez vous asseoir ou rentrer à la maison, puisque vous habitez près de l'église!"
Toujours au même sujet, une paroissienne de Meudon, Marie Skatchkovskoï, raconte : " L'archevêque nous étonnait par le fait qu'il lisait les pensées. Une dame était venue à l'église, alors qu'elle avait récemment perdu son mari. Elle avait l'intention de s'installer dans un foyer pour vieillards et voulait s'entretenir avec l'archevêque. Toutefois, elle s'approcha de la Croix à la fin de l'office , sans avoir osé parler. L'archevêque demanda alors à une paroissienne de ses amies : " Que se passe-t-il avec cette dame qui devait parler avec moi?""
L'archimandrite Osios ( de Reval) se souvient de l'entretien qu'il eut avec l'archevêque, lorsqu'il souhaita être ordonné. Mgr Jean lui demanda de lui raconter sa vie, puis donna l'impression de s'endormir; Le Père Osios se tut, mais le hiérarque reprit l'entretien là où il s'était arrêté. Ne voyant pass venir de réponse quant à son ordination, le Père Osios pensa qu'après tout, il ne lui fallait peut-être pas être ordonné. Mais à ce moment, le hiérarque lui dit : " Vous serez prêtre!" (20).
Le sous-diacre Georges Riabinine racontait au même sujet que, dans les années cinquante, l'archevêque Jean concélébrait un enterrement avec l'évêque Cassien, recteur de l'Institut Saint-Serge, et il commença à rêvasser tandis qu'il cheminait avec les deux hiérarques en direction du cimetière. Il s'imaginait devenu évêque, en train d'encenser l'archevêque Jean canonisé. Monseigneur, lisant ses pensées, se tourna vers lui et lui dit : " Arrête!" (21).
L'archiprêtre Serge Poukh relate comment le saint hiérarque, grâce à sa clairvoyance, l'a aidé à s'engager sur la voie du service de l'Eglise : " En 1956, je décidai de devenir lecteur. A cette époque, le recteur de l'église-mémorial de Bruxelles était l'archevêque Jean de Changaï. Avant les vigiles, je lui fis part de mon souhait. Le hiérarque, rayonnant, me dit : " C'est une bonne intention. Viens demain à la liturgie, et je te tonsurerai lecteur." Après les Vigiles, alors que je voulais dormir, le sommeil ne venait pas. Je me retournais dans tous les sens, mais je ne pouvais trouver le calme. Quelqu'un m'empêchait de m'endormir. Je ne compris pas alors d'où cela venait; mais je le compris le lendemain. Une voix intérieure me susurrait continuellement : " a quoi bon devenir lecteur? Pourquoi te lier à l'église? Tu ne pourras plus traîner dans ton lit le dimanche matin! Tu devras venir tôt à l'église! Tu devras chercher l'épître du jour et la lire! Tu devras lire au kliros* alors que tu as mieux à faire le samedi soir : le cinéma, le théâtre..." Toutes ces pensées ne me quittèrent point durant toute la nuit. Tôt le matin, je partis à l'église avec l'idée de renoncer au lectorat. Dès que j'entrai dans l'église, j'entendis un bruit de pas à gauche de l'autel. Je m'approchai discrètement des portes du sanctuaire et je vis le hiérarque qui se tenait devant moi, le dos tourné. Du pied droit, il piétinait le plancher çà et là, et, se retournant légèrement vers moi, il me dit : " Tu le vois? Le voilà! Voici sa queue." Et il continua de piétiner." " Que se passe-t-il? Tu as changé d'intention? Tu ne veux pas être lecteur?", me dit-il. Je tressaillis de tout mon être. Comment le hiérarque pouvait-il connaître ma décision? Et soudain, je compris "qui" m'empêchait de m'endormir, "qui" m'assaillait de ces pensées lugubres. Je m'écriai alors : " Je serai lecteur, je le serai!" Les yeux du hiérarque brillèrent à nouveau, et se retournant vers moi, d'une voix douce, approbative, il articula : " Regarde ! Il est parti et ne reviendra plus! Rappelle-toi une fois pour toutes : ne renonce jamais aux bonnes intentions!""
Mentionnons pour terminer ce témoignage de Mgr Lucien, évêque de Budapest de l'Eglise orthodoxe serbe : " L'évêque Sava (Voutchkovitch) ( + 2000) connaissait personnellement Mgr Jean. Etant alors vicaire du patriarche de Serbie, il s erendit à Paris afin de discuter des problèmes entre l'Eglise Serbe et l'Eglise Russe à l'Etranger. Dans le train, il pensait : " Je commencerai ainsi la discussion. J'évoquerai ceci, puis cela." Lorsqu'il arriva à la demeure du hiérarque, celui-ci descendit les escaliers et dit à son hôte : " Viens, Excellence, entre!" Lorsqu'ils s'assirent à table et commencèrent à parler, la discussion se déroula exactement comme l'avait imaginée l'évêque Sava. Mgr Jean abordait tous les sujets dans cet ordre précis. Il était clair que c'était un homme de Dieu qui parlait, un saint évêque."
Sans aucun doute, ce don de clairvoyance assistait Mgr Jean dans les confessions. Mme G. raconte qu'étant tombée dans un péché de jeunesse et redoutant de se confesser, le hiérarque la regarda avec un visage rayonnant, qui la libéré de la crainte (23). mme Tchertkoff ajoute au même sujet : " Je me confessais souvent chez l'archevêque Jean. Il savait confesser de telle façon que, sans le remarquer, on se souvenait de ses péchés, et l'on partait calme et joyeux pour avoir pu se repentir du fond du coeur." Un autre témoin se rappelle que sa "mère était revenue toute rayonnante d'une confession chez le saint hiérarque, qui voyait en elle et la devançait pour révéler se spéchés, la rassurant." Paul de Bennigsen se rappelle sa première confession chez l'archevêque, alors qu'il était âgé de sept ans : "Pendant qu'il nous confessait, Mgr Jean voyait au fond de nous-mêmes, j'en suis certain. Il ne posait jamais de question qui soit sans rapport avec notre vie et notre âge. Il disait que, lorsque l'on se confesse, il faut naturellement se repentir des péchés importants, mais sans omettre les petits, parce que, disait-il, " les petits péchés sont comme la poussière : elle n'est pas visible, mais lorsqu'il y en a beaucoup, c'est sale"". C'est pour cette raison que l'archevêque appelait parfois la confession un "dépoussiérage". Paul de bennigsen ajoute : " Les confessions chez l'archevêque duraient longtemps. Le hiérarque purifiait jusqu'au bout nos âmes d'enfants. Je me rappelle que lorsque l'on sortait de la confession avec lui, on se sentait pur, léger; comme si l'on volait, l'on ne sentait pas le sol sous les pieds.". Le saint insistait au demeurant pour que les fidèles se préparent à la confession. " Il faut extraire", disait-il, "toute l'infection, car si l'on laisse une particule, la suppuration commence." Quant à Georges Ostachkov, il se rappelle "l'évènement le plus important de sa vie" que fut sa confession chez l'archevêque : " C'était après l'office du soir. Je me tenais au fond de l'église, étant éprouvé par un incident qui s'était produit récemment. Mgr Jean sortit et m'appela devant le lutrin, couvrit ma tête avec l'épitrachilion* en disant : "Qu'as-tu sur ton âme?" Sans attendre ma réponse - je n'étais pas parvenu à trouver les mots -, il me dit tout et me demanda si je n'avais pas eu des doutes quant à la foi, me donnant pour instruction de lire la Parole de Dieu, ajoutant : " Tu as été déçu par les gens, et cela se produira encore, mais ne doute jamais de la miséricorde Divine."" (23). L'évêque Michel (Donskoff) se souvient également de sa première confession : " Mgr Jean me prit sous son omophore et m'expliqua longuement ce que c'était que le péché et comment l'homme s'éloigne de l'amour du Christ lorsqu'il pèche. Sous l'omophore, c'était lumineux; l'enfant se trouvait bien." C'est donc par l'amour que le prélat soignait les pénitents. Dans son cours de pastorale déjà mentionné, le saint avait écrit : " Le pasteur ne saurait se courroucer contre le pécheur, mais il doit le plaindre. L'amour pastoral est un amour de compassion. Par cet amour, le pasteur doit sauver son troupeau, prenant exemple sur le Chef des Pasteurs, le Christ. Avant Sa passion sur la Croix, le Seigneur, au jardin de Gethsémani, apris sur Lui tous les péchés humains, a ressenti chacun d'entre eux comme Son péché, bien qu'il fût Lui-même sans péché. Et le pasteur de Son troupeau doit aimer ses ouailles à ce point qu'il vive toute leur vie et ressente leurs péchés comme ses propres péchés. Il doit plus encore ressentir leur poids, plus encore éprouver de la peine à leur sujet, que le pécheur lui-même, qui, souvent, n'a pas suffisamment conscience de leur gravité." Il est intéressant de mentionner ici qu'un fidèle lui dit une fois lors de la confession : " Oui, je sais que ce que j'ai fait est un péché. Je demande le pardon de Dieu, mais mon coeur est comme une pierre. Je ne ressens pas de tristesse pour mon péché; cela reste au niveau cérébral." Le saint lui dit alors : " Va au centre de l'église, devant les fidèles, et fais une métanie devant eux, puis reviens vers moi." Alors que le pénitent se prosternait ainsi, il ressentit une réelle contrition pour ce qu'il avait fait. Il dit alors au hiérarque : " Maintenant, c'est différent"; puis celui-ci lui lut la prière d'absolution.
Quant à la pénitence même, le hiérarque la décrivit plus tard en ces termes : " Préoccupés que nous sommes par les soucis du monde, nous ne remarquons pas l'état de notre âme. Que de ssaleté ne voyons-nous pas en nous! (...). Si nous constatons alors notre misère spirituelle, notre éta de pécheur, et que du fond de l'âme nous souhaitons nous corriger, nous sommes près du salut. Des profondeurs de l'âme, nous crions à Dieu : " Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi selon Ta grande miséricorde!""
CHAPITRE 10
L'APÔTRE DE LA DIASPORA
"Sur toute la terre a retenti leur message
et leurs paroles jusqu'aux confins de la terre"
(Ps 18, 5)
Tel un nouvel apôtre, le saint hiérarque accomplit d'innombrables visites dans son vaste diocèse et ce à une époque où les moyens de transport n'étaient pas ceux que nous connaissons aujourd'hui. Il voyageait beaucoup en France, où une multitude de chapelles orthodoxes russes avaient été ouvertes : Chartres, Bézier, Besançon, Dôle, Belfort, Clermond-Ferrand, Le Creusot, Pont-de-Chéruy, Rives, Montpellier, mais aussi en Belgique, en Hollande, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Italie et jusqu'en Tunisie. De plus, et comme toujours, à l'exemple de l'Apôtre Paul, se faisant "tout à tous", il rendait visite aux malades, aux affligés, aux prisonniers, aux réfugiés. Sa sollicitude pastorale, comme à Changaï, ne se limitait pas à son troupeau russe, mais s'étendait aux autres peuples orthodoxes, ainsi qu'aux occidentaux qui frappaient à la porte de l'Eglise du Christ.
Pour donner une idée de l'intensité de l'activité de l'archevêque, citons un bulletin de l'époque : " Du 22 au 27 février 1952, se tint à Munich la conférence des évêques d'Europe de l'Eglise russe à l'Etranger, sous la présidence de Mgr Jean. Après s' être rendu à la cathédrale orthodoxe russe de la Salvatorplatz, Mgr Jean rendit visite à l'administration orthodoxe serbe. Le même jour, Mgr Jean assista aux Vêpres et aux Matines du samedi des défunts dans l'église du lycée. Le jour suivant, Mgr Jean concélébra la Liturgie avec l'évêque Alexandre dans l'église du principal camp de réfugiés de la zone d'occupation américaine à Schleissheim. Mgr Jean et Mgr Alexandre se rendirent ensuite sur les tombes du métropolite Pantéléimon et l'archevêque Bénédict. Le samedi soir, Mgr Jean concélébra avec quatre évêques les Vigiles nocturnes et prononça une homélie sur l'Evangile des Matines. Le jour suivant, les mêmes hiérarques concélébrèrent la Liturgie, à l'issue de laquelle Mgr Jean prêcha de nouveau... Durant la journée, Mgr Jean, en compagnie de Mgr Alexandre, se rendit à la prison d ela zone américaine, à Straubing, pour visiter, avec une copie de l'icône miraculeuse de Koursk, les Russes qui y étaient détenus. Le soir même, Mgr Jean avait décidé de loger au monastère Saint-Job-de-Potchaïev, situé à treize kilomètres de Munich. Mais, en raison de la visite de la prison et de la route de cent soixante kilomètres couverte de neige, Mgr Jean arriva à 22 heures 30 au lieu de 19 heures. Les moines ont attendu patiemment celui dont ils savaient qu'il représentait à notre époque l'incarnation des anciens préceptes du monachisme. Peu après l'arrivée de Mgr Jean commencèrent les Vigiles nocturnes de l'octave de la fête de l'icpone de Notre Dame d'Iviron et des saints Mélèce d'Antioche et Alexis de Moscou. Les Vigiles durèrent jusqu'à trois heures et demi du matin environ. Le même jour, la Liturgie commença à huit heures et fut célébrée par tous les archipasteurs... L' après-midi, à 14 heures, commença la réunion des évêques, durant laquelle furent soulevés différents problèmes, dont la vénération des saints occidentaux qui vécurent avant le schisme... A la fin de la réunion, Mgr Jean et Mgr Alexandre célébrèrent des Panykhides* sur les tombes du métropolite Séraphim à Solen et de l'évêque Basile à Munich. Le soir, l'archevêque Jean partit Amsterdam."
D'autres extraits de presse évoquent la sollicitude du saint envers ses ouailles, vivantes et défuntes. " En France, à Pont de Chéruy, y lit-on, l'archevêque a célébré la Divine Liturgie à l'occasion de la fête de l'église. Près de la ville d'Argentière, Mgr Jean visita encore d'autres établissements sanitaires, dont celui de Montpellier. Sur la route, l'archevêque célébra des Panykhides dans les cimetières locaux." A ce sujet, citons un témoignage émouvant d'un diacre orthodoxe français, Jean Vigna (24), sur le zèle avec lequel le hiérarque honorait la mémoire des défunts : " C'était en plein été, à Montpellier, en 1964. Lors de ses tournées en France, l'archevêque Jean ne manquait jamais de visiter son frère Alexandre, malade à l'hôpital Saint-Eloi, ainsi que quelques fidèles russes qui avaient fait partie de l'importante diaspora russe en Chine et aux Iles Philippines, et qu'il suivait spirituellement. Cette année-là, il s'était déplacé spécialement pour venir enterrer une vieille dame russe, qui s'était éteinte après une douloureuse maladie. Il faisait une chaleur accablante. Après l'office des défunts et l'enterrement qui s'était terminé vers deux heures de l'après-midi, et à l'instant où je pensais prendre un peu de repos, l'archevêque, soudain, se tourne vers moi : " Voulez-vous, me dit-il, me conduire au grand cimetière Saint-Lazare, nous commençâmes une longue et méticuleuse inspection des tombes, sous un soleil de plomb. J'avais soif et j'étais fatigué. Apparemment insensible à ce genre de choses, l'archevêque, tête baissée, circulait entre les bordures de cyprès, le bâton pastoral dans la main gauche, et l'encensoir dans la main droite, s'arrêtant parfois, hésitant, et changeant de direction. Au bout de ce long moment de vaines recherches, il s'arrêta net : " Non, dit-il, ce n'est pas ici. Allons au vieux cimetière!" " Mais il n'y en a pas d'autre ici", lui dis-je, un peu étonné... " Si, si!", répliqua-t-il avec force, et, sans attendre davantage, il franchit le grand portail. C'est ainsi qu'il m'apprit, ce que certainement beaucoup de Montpelliérains ignoraient, la présence, non loin de là, d'un vieux cimetière abandonné. Sans souci des regards curieux et surpris des passants, il reprit sa route. Dix minutes plus tard, nous trouvâmes en effet le vieux cimetière : des herbes hautes, des rocailles, des tombes d'enfants, des morceaux de croix en fer, rouillées et tordues, beaucoup d echardons, quelques coquelicots... Et voici l'archevêque, s'enfonçant dans les herbes, suant, soufflant, volontaire, sous le dur soleil du mois d'août. Je le suivais, résigné, mais persuadé qu'il ne trouverait rien. Alors, l'impatience me gagna : " Monseigneur, ne croyez-vous pas que nous faisons fausse route? Pourquoi insister...? " Il n'entendait rien et poursuivait son chemin, courbé, butant sur les pierrailles. Alors, contre toute attente, pointant à peine d'une touffe de chardons, deux croix de bois noires, penchées, presque entièrement pourries et portant des incriptions en russe. Alors, tranquillement, souriant, l'archevêque posa sur moi un regard à la fois plein de douceur et de fermeté, plein d'enseignement et de pardon. " Voyez-vous, me dit-il, il ne faut jamais se décourager. Il faut toujours aller jusqu'au bout de la route...""
Cette façon de s'exprimer "en peu de mots, mais avec beaucoup de sens", comme il est dit dans l'Office des saints Pères des conciles oecuméniques, était caractéristique du prélat. Le Père Tchédomir Ostoïtch racontait que, se trouvant dans la cellule de l'archevêque, une revue attira son attention et il demanda à la feuilleter. Le saint hiérarque ne voulait pas la lui donner, mais céda devant l'insistance du Père Tchédomir qui, parcourant un article de la revue, s'écria : "Mais ils ont perdu la tête!" Le hiérarque répliqua : " Non, pas la tête, mais la conscience!" (25). De même, Alexis Solodovnikov se rappelait que lorsqu'il utilisait l'expression "par hasard", le saint rectifiait : " Non, pas par hasard, mais de façon inattendue" (26). En général, le hiérarque était précis dans l'expression de la théologie. C'est ainsi que l'higoumène Madeleine de Lesna, qui dactylographiait les prédications du hiérarque, racontait qu'il vérifiait même chaque virgule! (27). Souvent, le saint exprimait des enseignements sous forme concise. A un jeune prêtre qui, séparé de sa famille restée de l'autre côté du rideau de fer après la Seconde Guerre mondiale, lui demandait comment il pourrait ne pas tomber en tentation, le hiérarque répondit : " N'oublie jamais que tu es prêtre!" Le père Maxime Jourdant écrit aussi : " C'est l'archevêque Jean qui m'ordonna prêtre et je me souviens des quatre mots qu'il m'a dits après l'ordination : " Maxime, vous êtes responsable."" Au-delà de l'expression, le prélat savait enseigner par le silence. C'est ainsi que lorsqu'un prêtre maria un imposteur qui prétendait être le tsarévitch Alexis, assassiné avec le reste de la famille impériale par les bolchéviques, l'archevêque Jean célébra une courte Panykhide* pour ce dernier à l'issue de la Liturgie. Au demeurant, comme le mentionna un prêtre hollandais, "autant le hiérarque s'exprimait difficilement par les mots, autant ses yeux étaient pleins de signification. S'il vous regardait, vous saviez qu'à ce moment vous étiez la personne la plus aimée au monde." Odile Bertrand-Hardy ajoute : " Il émergeait de lui une telle douceur, une telle paix! C'était extraordinaire. Il avait cette présence, cette douceur! On n'avait même pas envie de lui poser des questions d'ordre spirituel. Sa présence suffisait." Le diacre Jean Vigna complète ce témoignage : " Paraissant somnoler, il relevait la tête et vous regardait. Dieu, quel regard! Il ne vous regardait pas, il vous enveloppait d'amour, en souriant, et ce que l'on jugeait nous-mêmes comme étant grave et inquiétant, tombait d'un coup comme un château de cartes, et chacun se sentait immédiatement aimé, purifié, pardonné. Cela ne l'empêchait pas cependant de manifester parfois une certaine fermeté, voire une certaine sévérité envers les "tièdes". Il mettait, par contre, délicatement le doigt sur certaines déficiences dont nous n'avions pas conscience, ou que nous tenions cachées." Mais parfois aussi, il savait se faire comprendre par une pointe d'humour. A une veuve qui l'assaillait de questions futiles au téléphone, il répondit : " Lisez Luc 18, 3!" L'intéressée découvrit alors qu'il s'agissait... de la parabole de la veuve importune! Toutefois, comme le mentionne Odile Bertrand-Hardy, " il était très patient; il ne renvoyait personne. Le suivant qui voulait lui parler attendait un peu plus."
Mais revenons à deux témoignages de la presse ecclésiale : " Mgr Jean (...) a passé quelques heures à Cannes, où il a célébré un grand nombre d'offices. Dans cette ville, il a rendu visite au roi Pierre II de Yougoslavie. A Nice, Mgr Jean a célébré la Liturgie le jour de la Décollation de saint Jean Baptiste. Là, il a visité les sanatoriums et les maisons de retraite russes. Ensuite, l'archevêque s'est rendu à Marseille, où il a célébré les offices dans nos églises, ainsi qu'à Pau. revenu dans la région parisienne, Mgr Jean a séjourné quelque temps au couvent de Fourqueux, où il a officié le jour d ela fête de l'higoumène Théodora." Un autre extrait de la presse nous décrit le voyage de l'archevêque en Hollande, en 1955 : " Mgr Jean a visité la paroisse d'Amsterdam, puis celle des Hollandais orthodoxes à La Haye. Il s'est rendu ensuite sur l'île de Terschelling, où se trouve une maison de vieillards hébergeant des émigrés russes. En outre, à l'occasion de ce voyage, Mgr Jean a visité de nombreux hôpitaux en Hollande. A Arnhem, dans l'église mise à sa disposition par les vieux-catholiques, le hiérarque a célébré la Liturgie, rassemblant les orthodoxes des alentours." Citons encore parmi ses voyages, son séjour en Suisse romande, où il visita les paroisses de Lausanne et de Vevey, ainsi que le chalet de Leysin, où il célébra la Liturgie en 1951, " passant tout le reste de la journée avec les enfants."
Comme nous l'avons déjà mentionné, chaque voyage était pour le hiérarque l'occasion de non seulement servir les vivants, mais aussi de prier pour les défunts qui reposaient ou qui étaient liés de quelque façon avec la localité visitée. C'est ainsi que, de passage à Marseille, le hiérarque décida de célébrer une Panykhide sur le lieu de l'assassinat du roi Alexandre de Yougoslavie. Aucun des clercs présents n'osa concélébrer... Comment en effet officier au milieu d'une rue? Les Marseillais étaient dans l'étonnement en voyant un clerc revêtu d'ornements inhabituels, avec de longs cheveux et une barbe, marchant avec une valise et un aspersoir au milieu de la rue. Des journalistes prenaient des photos. Enfin, l'archevêque s'arrêta, aspergea d'eau bénite un petit carré de pavés, ouvrit sa valise et en sortit le contenu. Sur l'endroit aspergé, il posa le petit tapis pontifical, alluma l'encensoir et célébra la Panykhide... Il décida ensuite que la paroisse Saint-Georges de Marseille serait l'église mémorial du roi assassiné.
Tous ces voyages ne nuisaient en rien à la vie liturgique du saint. De même qu'il fit célébrer les offices quotidiens sur le navire qui le menait avec ses ouailles sur les Iles Philippines, il officiait en tout lieu lors de ses nombreux déplacements, quitte à célébrer les Vêpres sur le quai d'une gare! C'est ainsi qu'en Belgique, ayant raté le train - fait dont il était coutumier, en raison des Offices d'intercession qu'on lui demandait en chemin et qu'il ne refusait jamais - il commença à célébrer dans la salle d'attente d'une gare, et ce malgré les protestations du clergé qui l'accompagnait... De même, à Genève, où, ne disposant pas de visa, il fut retenu à la gare par les autorités, il appela à son secours le Père Igor Troyanoff, recteur de la paroisse de Lausanne. Quelle ne fut pas la surprise de celui-ci, lorsqu'il le vit en train de lire l'office dans un bureau de la gare (28). Au demeurant, Mgr Séraphim se rappelle que l'archevêque lisait la Neuvième Heure chaque jour à trois heures de l'après-midi. C'est ainsi qu'à l'occasion d'une réunion paroissiale, on l'avait vu lire None alors que les discussions continuaient (29). S'il arrivait que le hiérarque voyageât en automobile à cette heure, il lisait l'office dans le véhicule.
Dans l'Europe d'après guerre, tout comme aux Etats-Unis, l'une des préoccupations majeures du hiérarque fut de prêter assistance aux réfugiés. Voici ce qu'écrivit à ce sujet la présidente de l'association de parents et amis des Russes restés à Harbin : " Je m'adressais souvent à Mgr Jean, pour qu'il intervienne auprès du commissaire chargé des réfugiés de Chine. Mgr Jean trouvait toujours le moyen de nous aider par ses conseils et ses interventions auprès du C.O.E. et des représentants de l'O.N.U." La comtesse Apraxine, qui traduisait le courrier de l'archevêque en anglais ou en français, se souvient des innombrables lettres qu'il adressait aux sénateurs américains en faveur des réfugiés ou encore des interventions auprès des maisons de vieillards afin qu'elles accueillent les émigrés russes. En 1956, le hiérarque lança un dernier appel au président Eisenhower, au H.C.R., afin que fût épargné un rapatriement forcé en U.R.S.S. aux émigrés restés en Chine. Il adressa également la lettre suivante au Roi des Belges (30) :
"Sire,
J'ai appris que les membres de ma paroisse résidant encore en Chine, se trouvent dans une situation très dangereuse et implorent du secours.
Ils sont privés de tout moyen d'existence du fait que tout travail est donné exclusivement aux personnes de nationalité chinoise. Leur unique salut réside dans la possibilité de quitter la Chine, ce qu'ils n'ont pu faire auparavant, et ils demandent assistance à cet effet.
Tout récemment, les autorités chinoises non seulement n'ont pas empêché leur départ, mais l'ont même favorisé.
Le seul obstacle, comme j'en suis informé, semble émaner des autorités consulaires soviétiques. Ces dernières exercent une pression sur ces émigrants russes en vue de les forcer à rentrer en Union Soviétique et à prendre part aux travaux organisés par l'Etat.
Ces pauvres émigrés sont placés dès lors devant l'alternative de mourir de faim en Chine ou d'être déportés aux travaux "volontaires" en U.R.S.S., où, en qualité d'anciens émigrants, ils ne peuvent s'attendre à rien d'autre qu'à la misère; Leur seule chance de salut est de pouvoir vivre dans un pays libre, où ils pourront gagner leur pain en faisant appel à leurs facultés mentales ou physiques.
Je prie Votre Majesté de vouloir bien venir en aide à ces personnes par l'intermédiaire des Gouvernements et pays membres des Nations Unies et de sauver ainsi un grand nombre de personnes d'une mort certaine et atroce.
Que Dieu bénisse Votre Majesté et son peuple!
+ Jean, Archevêque de Bruxelles et d'Europe Occidentale."
Toutefois, le hiérarque ne se contentait pas d'intervenir pour les réfugiés au moyen d'entretiens avec les autorités ou de lettres envoyées à celles-ci. Il rendait visite aux habitants des camps, notamment à Trieste, où étaient reléguées près de quatre mille personnes, dont six cents Russes et deux mille Bulgares, Serbes, Roumains et Albanais orthodoxes. Les conditions dans lesquelles on vivait dans ce camp étaient déplorables, comme s'en souvient un témoin : " Il s'agissait d'un immense bâtiment de quatre étages, sombre, sale, n'ayant pas même les caractéristiques d'une prison bien aménagée. Situé dans un endroit de Trieste particulièrement malsain, ce camp produisait une impression particulièrement lourde. On en était venu à craindre qu'en l'absence des commodités les plus élémentaires et de la promiscuité, ce camp fût fatal à certains de ses habitants." L'archevêque s'y rendit pour la première fois en 1952 et fut accueilli avec enthousiasme par les réfugiés qui "voyaient en lui leur véritable pasteur et dirigeant spirituel, croyant profondément qu'avec l'aide de Dieu, tous les échecs, tout leur désarroi, se termineraient par une heureuse issue", comme le relate un ancien du camp. Le prélat les toucha particulièrement en partageant leur misérable condition, passant la nuit "dans une chambrette du camp sans aucun confort." L'un des réfugiés, Georges Ostachkov, se souvient : " Parmi les fidèles, on chuchotait au sujet de Mgr Jean : " Il ne dort jamais", "il marche pieds nus", "il ne laisse pas les dames embrasser la Croix lorsqu'elles ont du rouge à lèvres"... Alors âgé de cinq ou six ans, il me semblait qu'il allait se produire quelque chose d'inhabituel, de terrible... Mais je compris que tous ces gens faisaient erreur lorsque je vis ce "petit père" poser sur moi son regard bon et pénétrant, qui me dit : " Comment t'appelles-tu?" Et il me dit : " Je connaissais ton père." Les yeux du hiérarque étincelaient dans son sourire, et je partis rempli de lumière joyeuse." Durant ce séjour, il rendit visite aux réfugiés malades, qui étaient soignés à l'hôpital de la ville. De Trieste, Mgr Jean se rendit à Rome pour intervenir en faveur des réfugiés des camps situés dans la région de Naples. Le séjour du hiérarque à Rome fut l'occasion pour lui de vénérer les lieux saints paléochrétiens. En novembre 1954, le hiérarque se rendit de nouveau à Trieste où, est-il dit dans une chronique, "il a apporté le réconfort dans les camps de réfugiés en provenance de Yougoslavie. Sur le chemin du retour, en France, il rendit visite au sanatorium de la Croix Rouge russe à Oussoulx, en Haute Loire."
Mais, lorsque les interventions humaines s'avéraient vaines, le hiérarque savait consoler ses ouailles par les moyens divins. Une émigrée de Chine raconte que son époux, n'ayant pu obtenir un visa de sortie de ce pays, y mourut des suites d'une maladie grave. Alors que les vigiles nocturnes allaient commencer, l'archevêque s'approcha de la veuve et lui dit : " Je suis au courant de votre chagrin." Celle-ci éclata en larmes. Mgr Jean prit un cierge et l'alluma sur le chandelier des défunts. La veuve raconte : " Ensuite, il vint vers moi, traça avec force le signe de la Croix sur moi. A ce moment, je me sentis libérée, pour ainsi dire depuis la tête jusqu'à mon corps tout entier, d'une lourdeur immense; tout devint léger, je cessai tout-à-fait de pleurer et j'en oubliai même mon affliction." Cette force de la bénédiction du hiérarque est mentionnée par Odile Bertrand-Hardy : " Dans sa présence, on sentait la présence divine, c'est comme si Dieu nous prenait dans Ses bras. La première fois qu'il m'a bénie, j'ai senti la force de sa bénédiction."
Dans le cadre de ces voyages, évoquons encore les labeurs du saint pour établir le couvent de l'Annonciation à Londres. Des moniales russes et palestiniennes ayant été expulsées de leur couvent en Terre Sainte, elles avaient trouvé refuge au couvent Notre-Dame-de-Lesna à Fourqueux. Leur higoumène, Mère Elisabeth, raconte : " Rentrant d'Angleterre, Mgr Jean nous dit qu'il fallait nous installer dans ce pays. Nous reçûmes le visa et le droit de travailler immadiatement; Par ses saintes prières et ses soins paternels fut fondé à Londres le premier couvent russe orthodoxe en l'honneur de la Très Sainte Mère de Dieu. Alors que nous prenions congé de lui au couvent de Lesna et que nous nous préparions à une vie nouvelle, Mgr Jean nous dit : " Vous demeurerez dans une grande ville, mais vivez comme dans un désert!"" C'est le hiérarque qui célébra l'Office d'intercession pour ces moniales avant leur départ pour l'Angleterre. Il prononça alors une courte allocution, évoquant le lien spirituel qui s'était créé entre elles et le couvent de Lesna sous la protection de la Reine du Ciel, leur enjoignant "l'exploit spirituel et à porter partout la lumière à laquelle elles avaient communié à Jérusalem". Mère Elisabeth rapporte : " Après de nombreuses difficultés, nous trouvâmes un bâtiment convenant à un couvent. Mgr Jean me dit : " Les soeurs viennent de Terre Sainte, il faut qu'ils fassent chaud. Installez immédiatement le chauffage central!" Le chauffage fut mis en place, mais les ouvriers cassèrent le robinet de la chaudière, si bien que l'eau chaude se déversa dans la cuisine et dans le débarras. Alors qu'il séjournait à nouveau au couvent, l'archevêque fut informé de cet incident. Il demanda alors un euchologe*, ainsi que de l'eau bénite. Il pria longtemps devant l'installation de chauffage et d'électricité, devant laquelle il fit accrocher l'icône du " Buisson ardent". Depuis, Dieu soit loué, par les prières de l'archevêque Jean, tout fonctionne normalement." Sept ans plus tard, en 1961, les soeurs trouvèrent une nouvelle résidence pour le couvent, et le hiérarque vint pour bénir la chapelle et le bâtiment. Une moniale décrit ainsi l'événement : " Nous attendions Mgr Jean d'un jour à l'autre. Le jour du saint prophète Elie, après avoir célébré l'Office de minuit et l'Office des typiques, chacune des moniales alla vaquer à son obédience. Soudain, la sonnerie du téléphone retentit : Monseigneur allait venir au monastère et célébrer la Liturgie. Mère higoumène Elisabeth s'écria : " Nous étions affligées de ce qu'aujourd'hui aucun prêtre n'avait pu venir célébrer la Liturgie et voici que le prophète Elie a manifesté son zèle depuis le ciel et nous a envoyé l'archevêque Jean!" Les cloches sonnèrent, le hiérarque entra, radieux de bonté et d'amour. Nous lui chantâmes : " Eis polla eti Despota!" - "beaucoup d'années, Maître Evêque!" Tout devint immédiatement calme et joyeux, comme chez les enfants qui rencontrent leur père aimant. Sur le lutrin fut placée la copie de l'icône de Notre Dame de Koursk. Tous vénérèrent avec piété la sainte icône. La liturgie commença. Monseigneur fit une prédication sur le zèle du prophète Elie, mentionnant la raréfaction des saints à notre époque. Le soir, l'infatigable homme de prière célébra les Vêpres et les Matines et, le mercredi, la Liturgie, la bénédiction de l'eau et des revêtements de l'autel, ainsi que des habits monastiques. Le jour d ela mémoire de sainte Marie Madeleine, l'archevêque Jean et l'évêque Nicodème (Nagaïev) ( 1976) consacrèrent l'église. Le temps fut favorable à la procession. Le soleil brillait, ce qui ne se produit pas souvent à Londres. Nous ressentions toutes l'ambiance pascale. Nombreux étaient les communiants. On percevait un enthousiasme général, festif. L'archevêque prêcha. " Une nouvelle forteresse spirituelle s'est ouverte, dit-il, le lieu de la prière, du Sacrifice non sanglant. Les anges triomphent, les démons sont furieux." Bénissant la maison, Mgr Jean passa par le jardin et le potager, aspergeant d'eau bénite chaque buisson, chaque arbuste, chaque fleur... Cet événement plein de la grâce divine restera gravé dans nos mémoires... Les agapes se terminèrent à trois heures de l'après-midi, et notre fougueux archevêque célébra de nouveau les Vêpres et les Matines le soir puis, le lendemain, la Liturgie. Après avoir effectué un voyage en divers lieux d'Angleterre, le hiérarque fit une causerie spirituelle sur la signification de l'Eglise et "l'ecclésialisation" de notre vie. Avec tristesse, et certains avec larmes, accompagnèrent notre cher père spirituel et homme de prière, l'archevêque Jean. Gloire à Dieu pour tout!" Une autre moniale ajoute : " Sachant que les soeurs étaient toutes institutrices à l'école de Béthanie, en Terre Sainte, Monseigneur nous donna sa bénédiction pour nous occuper des enfants. Parmi eux se trouvaient des Anglais. Nous lui présentions les élèves qui venaient recevoir sa bénédiction, qui l'entouraient et ne voulaient plus partir. L'apparence extérieure du hiérarque était peu attirante pour les laïcs, mais les hétérodoxes mêmes sentaient sa grâce et, en partant, les enfants anglais nous dirent : " Quel bonheur pour vous d'avoir un tel évêque!""
Les séjours du prélat en Grande-Bretagne ne se limitaient pas au couvent de l'Annonciation, mai sil visitait aussi les paroisses de Londres, Bradford et Manchester. A Londres, en 1959, il procéda à la consécration de la cathédrale dédiée à la Dormition de la Mère de Dieu, en présence des représentants de toutes les Eglises orthodoxes de Grande-Bretagne. A Manchester, est-il écrit dans une chronique de l'époque, "l'archevêque fut accueilli avec un grand enthousiasme par les paroissiens. Celui-ci se transmit à la paroisse de ces Russes qui étaient anciennement citoyens polonais et qui ne dépendent pas de l'Eglise Russe à l'Etranger. Eux aussi vinrent en grand nombre à la Liturgie et leur recteur concélébra avec le hiérarque. L'église ne pouvait contenir tous les fidèles..." N'oubliant pas les autres orthodoxes dans sa sollicitude pastorale, le hiérarque célébra avec le clergé serbe le jour de la saint Guy (1), "adressant aux fidèles rassemblés une prédication chaleureuse en langue serbe sur le sens spirituel de ce jour qui constitue pour eux une fête nationale." Ce séjour en Grande-Bretagne du saint s'acheva par une Liturgie solennelle à Londres le jour de la Nativité de saint Jean Baptiste. Le clergé russe et serbe de Londres, ainsi que le prêtre roumain, principal artisan de l'union du clergé orthodoxe en Angleterre, concélébrèrent avec l'archevêque.
Le saint ne santifia pas seulement l'Europe par ses voyages pastoraux, mais aussi la vieille terre chrétienne que fut l'Afrique du Nord. C'est ainsi que le 10 juin 1956, il consacra, avec l'évêque Léonce de Genève, la magnifique église orthodoxe russe de Tunis, construite par l'architecte Michel Kozmine (+1999). L'archevêque visita à cette occasion les lieux saints locaux, où furent martyrisés les saints de Carthage : Perpétue, Félicité et d'autres.
Hormis l'école des Cadets à Versailles et le couvent de Fourqueux, l'un des lieux de séjour les plus fréquents du hiérarque était Bruxelles, où il demeurait pendant les vacances scolaires et à l'occasion des fêtes de Pâques et de la Saint-Job. cette ville disposait de deux églises russes, l'une dédiée à la Résurrection du Christ, située rue de Livourne, et l'autre à saint Job, sise avenue De Fré, que nous évoquerons dans le prochain chapitre. C'est principalement dans cette dernière église que l'activité du hiérarque se déroula. Il y fut assisté par le hiéromoine Modeste, son fidèle prêtre de Changaï, qui devint ensuite son vicaire à Tubabao avant de le suivre à Bruxelles. Homme de sainte vie, il devait finir sa vie comme aumônier du couvent des oliviers à Jérusalem.
L'autre assistant du hiérarque sera l'archiprêtre Tchédomir Ostoïtch, déjà mentionné, qui fut un réel disciple du saint. Né au Banat serbe, où il devint prêtre, il s'enfuit de Yougoslavie peu après l'instauration du régime communiste, s'installa à Bruxelles où, dans un premier temps, il desservit la paroisse serbe, à la disposition de laquelle le saint hiéraque mettait l'église-mémorial. Alors que l'évêque serbe Denis voulait nommer le père Tchédomir dans une autre paroisse, le saint hiérarque l'en dissuada par une lettre datée du mois d'avril 1952 : "Depuis son arrivée à Bruxelles, le Père Tchédomir Ostoïtch a, par sa vie exemplaire et sa piété, acquis le grand respect et l'affection non seulement de ses paroissiens (serbes), mais aussi des Russes, qui seraient attristés de son départ." Aussi demeura-t-il à Bruxelles. A l'instar du prélat, il aimait les célébrations liturgiques, disant que c'est avec l'archevêque Jean qu'il avait compris ce qu'était la Divine Liturgie. Il fut aussi grand connaisseur du typikon et du slavon d'Eglise. Sa charité ne connaissait pas de limites. Il parcourait toute la Belgique avec sa voiture pour visiter hôpitaux, maisons de vieillards et prisons. Innombrables furent ceux qu'il aida spirituellement et matériellement. Après avoir fidèlement servi l'Eglise, il tomba gravement malade et s'éteignit dans le Seigneur en 1990.
CHAPITRE 11
A BRUXELLES,
EN L'EGLISE-MEMORIAL SAINT-JOB
"Que leur mémoire demeure de
génération en génération"
(cf. Ps 64, 5)
En 1936, une église dédiée à saint Job, jour en lequel naquit le tsar-martyr Nicolas II, avait été érigée à Bruxelles avec la bénédiction du patriarche Barnabé de Serbie et du métropolite Antoine de Kiev. L'édifice devait perpétuer le souvenir de la famille impériale et des autres victimes chrétiennes du bolchévisme, d'où le nom d'église-mémorial qui lui avait été donné. Cette église était particulièrement chère au saint hiérarque, qui la considérait comme "un cierge de toute la Russie de l'étranger pour le tsar-martyr de toute la Russie et pour tous ceux qui ont souffert pendant les années de malheur", ou encore "comme le monument funéraire symbolique de la famille impériale, remplissant cet office jusqu'à ce que tout le peuple russe élève une église majestueuse sur l'emplacement de la lugubre mine d'Ekaterinbourg." La profonde vénération du prélat pour la famille impériale nécessite quelques explications.
Pour l'archevêque Jean, le péché capital des révolutionnaires de février 1917 fut le parjure du serment de fidélité au tsar, et celui des révolutionnaires de novembre 1917, l'assassinat de l'Oint de Dieu. Il ne s'agissait pas d'actes simplement "politiques", mais d'iniquités, qu'il convenait d'expier. Au demeurant, dès son arrivée en Europe, le hiérarque avait exigé des prêtres qu'ils s'abstinssent d'entrer dans quelque parti politique que ce fût. Aussi demandait-il aux Russes de toutes tendances de participer aux offices de Requiem pour la famille impériale. L'on comptait parmi les émigrés nombre d'anciens militaires de l'Armée blanche qui, faut-il le rappeler, n'était pas un mouvement monarchiste, mais le front de tous ceux qui combattaient les bolchéviques. Citons une lettre de Mgr Jean au sujet des chefs de l'Armée blanche, qui donne encore une fois l'occasion de constater la délicatesse du hiérarque envers ceux dont il ne partageait pas les opinions. C'est aussi le pasteur qui se manifeste, luttant contre le péché, mais voulant faire rentrer les pécheurs dans la bergerie du Père.
"Vous posez la question, écrit le prélat, de la commémoration liturgique des chefs de l'Armée blanche et aussi des articles de presse qui les "noircissent". Naturellement, non seulement on peut, mais on doit prier pour eux, tant dans la prière privée que dans la prière ecclésiale. Ils étaient orthodoxes et le restèrent jusqu'à la fin de leur vie. Chacun est pécheur et, pour celui qui pèche plus, on doit prier encore plus. De même, il ne faut pas approuver les articles de presse qui sont dirigés contre eux. Ils sont chers à nombre de leurs compagnons d'arme et sont précieux pour leurs qualités. De tels articles blessent les sentiments de beaucoup, ce qui provoque des discordes nuisibles parmi les Russes. Mais il faut cependant prendre conscience tant des côtés louables de leurs activités, que des côtés négatifs, pour comprendre les causes de nos malheurs, et ne pas les imiter nous-mêmes. Si nous sommes aussi coupables, il faut sincèrement s'efforcer de réparer ce qui est possible. Il ne faut en aucun cas justifier le mal et encore moins l'embellir. " Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal... Ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer" (Is 5, 20). Vous écrivez que nombreux sont ceux qui considèrent l'Empereur comme coupable de nos échecs et, pour cette raison, estimaient avoir le droit de transgresser leur serment ( de fidélité à l'empereur). Le serment est la promesse devant la Croix et l'Evangile, et sa transgression est le parjure. Même lorsque la fidélité au serment était effectivement menacée par de grandes adversités, ou était ouvertement immorale, celui qui parjurait ne pouvait se considérer comme innocent et devait demander à l'Eglise la levée de son serment.Donc, si celui qui transgresse le serment pour des raisons honorables est malgré tout partiellement coupable et doit se purifier du péché, combien plus coupable est celui qui s'est livré à la calomnie et à la mystification; Car la commission d'enquête, diligentée par le gouvernement provisoire, n'a pas trouvé confirmation des accusations portées contre la famille impériale et a dû le reconnaître. " A qui il est donné plus, il sera plus demandé", et, pour cette raison, plus on occupe un poste à responsabilité, plus on est coupable du non-accomplissement de son devoir. Si les commandants suprêmes de l'armée et les hommes politiques, plutôt que de supplier "à genoux" l'empereur d'abdiquer, avaient accompli ce qu'ils devaient faire conformément à leur serment, la révolte pétersbourgeoise, montée artificiellement, eût été étouffée et la Russie sauvée (...). Un péché terrible a été accompli devant Dieu, ainsi qu'un acte de forfaiture. Dieu seul sait qui a expié son péché et dans quelle mesure. Mais presque personne n'a manifesté ouvertement sa pénitence. L'appel au combat pour la Russie après la chute du gouvernement provisoire et la perte du pouvoir par ceux qui s'en étaient emparés, bien qu'il appelle des seniments de reconnaissance chez de nombreuses personnes ainsi qu'un mouvement en conséquence, n'a pas constitué l'expression de la pénitence chez les principaux coupables qui ont continué à se prendre pour des héros et pour les sauveurs de la Russie; Cependant, Trotski reconnaît dans ses mémoires qu'ils (les soviets) craignaient plus que tout qu'un empereur fût proclamé, ce qui eût précipité la chute du régime soviétique. Au demeurant, cela ne se produisit point, les "dirigeants" ( de l'Armée blanche)le craignant également. Nombreux sont ceux qu'ils enthousiasmèrent pour le combat, mais leur appel tardif et leur courage à toute épreuve ne sauvèrent pas la Russie. Certains d'entre eux offrirent leur vie et versèrent leur sang durant ce combat, mais bien plus abondant est le sang innocent qui continue à couler sur toute la Russie et qui crie vesr le Ciel. C'est pour cette raison que notre attitude envers eux, comme envers tous les hommes d'Etat russes, doit être celle qui fut exprimée par Pouchkine dans la bouche du chroniqueur : " Louez pour la gloire, pour le bien, mais pour les péchés, pour les oeuvres ténébreuses, suppliez humblement le Sauveur", sans les justifier, mais sans les décrier, car ce qui s'est produit est notre honte, la honte de la Russie et son malheur."
Au-delà du parjure, le péché était naturellement l'assassinat de l'Oint de Dieu, dont le saint hiérarque parle de la façon suivante : "Après la mort de Saül, qui tomba sur son glaive au moment de la bataille avec les Philistins, un Amalécite s'enfuit en avertir David qui, à ce moment, était persécuté par Saül. Supposant que David se sentirait fort aise de la nouvelle qu'il lui apportait, il décida de se faire passer pour le meurtrier de Saül, afin d'accroître encore la récompense attendue. Cependant, après avoir entendu le récit de l'Amalécite selon lequel il avait tué Saül blessé, David saisit ses vêtements et les déchira, ce que firent également tous ceux qui étaient auprès de lui; Ils pleurèrent et jeûnèrent jusqu'au soir. " Et David dit au jeune homme qui lui avait apporté cette nouvelle : d'où êtres-vous? Il lui répondit : Je suis fils d'un étranger, d'un Amalécite. Et David lui dit : Comment n'avez-vous point craint de mettre la main sur l'Oint du Seigneur? Et David, appelant un de ses gens, lui dit : Ton sang jaillit sur ta tête, parce que ta propre bouche a porté témoignage contre toi, en disant : c'est moi qui ai tué l'Oint du Seigneur" (2 R 1, 1-16). C'est ainsi que fut châtié l'étranger qui s'était fait passer pour l'assassin de Saül. Il s'exposa à une peine violente, bien que Saül eût fait beaucoup de mal, raison pour laquelle le Seigneur le délaissa, et il fut le persécuteur de l'innocent David. Il ressort clairement des paroles de David qu'il doutait de la véracité du récit de l'Amalécite et qu'il n'était pas certain que celui-ci fût précisément le meurtrier de Saül, mais il le livra néanmoins à la mort, considérant que le seul fait de s'appeler régicide et de s'en vanter méritait la mort. D'autant plus grave est le péché du meurtre de l'Oint orthodoxe de Dieu, d'autant plus grave doit être le châtiment qui frappe les assassins de l'empereur Nicolas II et de sa famille. Contrairement à Saül, qui apostasia et fut abandonné de Dieu, le tsar Nicolas II constitue un exemple de piété et d'abandon intégral à la volonté divine.
Ayant reçu non l'épanchement de l'huile vétéro-testamentaire sur la tête, mais la grâce du sceau de l'Esprit Saint dans le mystère de l'onction, l'empreur Nicolas II fut fidèle jusqu'à la fin à sa haute vocation (...). Le crime contre l'empereur Nicolas II est encore plus horrible et inique par le fait que toute sa famille fut tuée avec lui, dont des enfants en rien coupables! (...).
Le tsar-Martyr Nicolas II avec sa famille très éprouvée est entré maintenant dans le choeur de ceux qui ont souffert la passion ( comme les saints Boris et Gleb, André de Bogolioubov, Michel de Tver, Démètre le Tsarévitch).
Le crime énore qui a été accompli contre lui doit être expié par sa vénération ardente et la glorification de ses hauts faits."
Il convient d'ajouter que le hiérarque, dans sa jeunesse, avait vu une fois le tsar Nicolas et en était resté profondément impressionné. " Il avait de tels yeux!" (31), disait-il. Cette remarque est coroborée par de nombreux témoignages de ceux à qui, en Russie, le tsar est récemment apparu en songe : tous sont frappés par les yeux du tsar-martyr. La première Panykhide* célébrée pour le tsar à Kharkov, le 28 juillet 1918, alors que cette ville était encore sous occupation allemande, avait déposé un souvenir indélébile dans la mémoire du hiérraque : 'Pendant la Liturgie, le peuple ne cessait d'affluer... Au moment du chant de communion, l'archiprêtre J. Dimitrievsky sortit du sanctuaire et prit la parole : " Le tsar a été assassiné", dit-il. A peine eut-il dit cela que les pleurs se firent entendre... Le prédicateur lut l'homélie du métropolite Antoine, prononcée le jour du dixième anniversaire de l'accession du tsar au trône, et les pleurs se firent de plus en plus forts, si bien que l'on n'entendait plus la voix de l'archiprêtre... A la fin de la Liturgie, l'église était pleine à ce point qu'il fallut célébrer la Panhykhide sur la place attenante à l'édifice." Et le saint hiérarque de conclure : "Les sanglots entendus alors sous les voûtes de la cathédrale de Kharkov résonnent jusqu'à maintenant dans les ouïes et ne s'effaceront jamais des coeurs de ceux qui les ont entendus. Ces sanglots ébranlent jusqu'à maintenant toute la terre russe; Ce n'est que lorsque toute la Russie se repentira devant la famille impériale et glorifiera ses hauts faits qu'ils pourront cesser."
La nuit de l'assassinat de la famille impériale était vécue à Bruxelles dans toute son intensité par le hiérarque, qui décrivait cette nuit avec les paroles du prophète Job : " Cette nuit-là, que l'obscurité s'en empare, qu'elle ne se joigne pas à la ronde des jours de l'année..."
Comme à Changaï, où il appelait les Russes de toute tendance à commémorer ce jour dans la pénitence, à Bruxelles, ce seront les Russes de toutes juridictions ecclésiales qui prieront avec le saint. La comtesse Apraxine se rappelle que l'archevêque priait toute la nuit en l'église-mémorial, qui restait ouverte. Le hiérarque lisait le psautier et célébrait des Panykhides. C'était, dit-elle, des "moments inoubliables" (32).
Par ses nombreux écrits, le saint hiérarque a montré que la famille impériale avait trouvé grâce auprès de Dieu. Ces écrits ont indubitablement concouru à la canonisation de celle-ci, tant dans la diaspora qu'en Russie.
CHAPITRE 12
"AVEC TOUS LES SAINTS"
"Faisant mémoire de tous les saints, remettons-nous nous-mêmes, les uns aux autres
et toute notre vie au Christ notre Dieu"
(Liturgie de saint Jean Chrysostome)
Peu après son arrivée en France, le hiérarque s'empressa, en compagnie de l'archiprêtre Alexandre Troubnikoff, de célébrer un Office d'intercession en la basilique de Saint-Denis devant les reliques du saint évêque de Paris. Selon le témoignage d'un fidèle, cette célébration avait été autorisée sous réserve que les chants fussent exécutés à mi-voix. " Grâce à l'acoustique de l'édifice, ajoute-t-il, les sons retentissaient au loin dans l'immense basilique. L'impression qui s'en dégageait était saisissante."
Ayant désormais sa cathèdre en Occident, le hiérarque avait à coeur de faire vénérer par son troupeau la mémoire des saints qui avaient sanctifié la terre de France et des autres pays occidentaux, dont il rassemblait les vies et les portraits. C'est la raison pour laquelle il adressa en 1952 un mémoire au Synode des évêques, qui constitue une véritable ode aux saints d'Occident, que nous publions intégralement ci-dessous, dans la partie réservée aux écrits. Dans ce document, le hiérarque réfutait aussi les objections que certains opposaient à leur vénération telles que, par exemple, l'absence de saints occidentaux des ménologes orthodoxes, ou encore des accusations d'hérésie.
Parmi les saints occidentaux, la vénération de saint Anschaire ou Oscar, illuminateur du Danemark et de la Suède, posait quelques problèmes, eu égard à ses liens avec Louis le Pieux, fils de Charlemagne, ce qui pouvait laisser craindre qu'il partageât la théologie hérétique de ce dernier, notamment en ce qui concerne le Filioque.
C'est pourquoi, en 1950, l'Assemblée des évêques de l'Eglise Russe à l'Etranger avait, au sujet de la permission de vénérer saint Anschaire, décrété que l'évêque du lieu devrait examiner la question de la vénération de chaque saint occidental séparément. En ce qui concerne ce saint, le hiéraque exposa succintement sa biographie. Il était clair, selon lui, qu'il n'y avait pas à douter de la sainteté de la vie de saint Anschaire, de ses labeurs apostoliques, et des miracles accomplis par ses reliques. "Si le Seigneur Lui-même l'a glorifié, il serait impertinent pour nous de ne point le vénérer comme un saint", disait le hiérarque, qui ajoutait que saint Anschaire avait été glorifié par l'Eglise d'Occident alors qu'elle était encore orthodoxe, avant qu'elle ne se séparât de l'Eglise universelle. Pour cette raison, il devait être vénéré avec les autres saints. La mémoire de saint Anschaire ( + 865) est commémorée le 3 février et son nom devait être inroduit dans le calendrier comme hiérarque de l'Eglise.
L'Assemblée des évêques ayant entériné ses suggestions, l'archevêque Jean rédigea le décret épiscopal suivant au sujet des saints occidentaux, en date du 23 avril 1953 :
"Dispersés dans des pays où vécurent jadis et furent glorifiés des saints de Dieu, soit en raison de leurs souffrances ou d'autres labeurs spirituels, il nous appartient de vénérer dignement ces saints reconnus par l'Eglise orthodoxe du Christ depuis les temps anciens, et de recourir à eux, tout en ne refroidissant point notre amour envers les saints de Dieu que nous avons priés jusqu'à présent. En différents lieux de la Gaule antique, la France actuelle, et dans les autres pays d'Europe occidentale, sont conservés jusqu'à maintenant les saints restes des martyrs des premiers siècles et des siècles suivants, qui furent des confesseurs de la foi orthodoxe. Nous appelons les célébrants à commémorer durant les offices - à la litie* et autres prières- les saints de Dieu, qui sont les protecteurs du lieu ou du pays et qui sont particulièrement vénérés là où se déroule l'office. Il convient également de les citer dans le congé de l'office. En particulier, dans la région de Paris, il convient de commémorer le hiéro-martyr Denis, sainte Geneviève, saint Cloud. A Lyon, le hiéromartyr Irénée, à Marseille, le martyr Victor et saint Jean Cassien, dans la région de Toulouse, saint Saturnin, et à Tours, saint Martin le Miséricordieux. En cas de doute, nous consulter pour les explications et les indications. Nous appelons les ouailles à venérer ces saints."
A cette liste furent ajoutés par la suite saint Pothin de Lyon, les saints martyrs de Lyon Blandine, Alexandre et Epipode, saint Félicien, évêque de Foligno en Italie, saint Germain d'Auxerre, saint Germain de Paris, saint Loup de Troyes, saint Colomban, saint Fridolin, saint Gall, sainte Clotilde, saint Hilaire de Poitiers, saint Honorat et saint Vincent de Lérins, saint Patrick d'Irlande, saint Quirin, martyrisé en Pannonie, saint Caprais, maître de saint Honorat, saint OPtat de Milève, saint Gobain d'Irlande et saint Propser d'Aquitaine, disciple de saint Jean Cassien. Avec la bénédiction du saint hiérarque fut publiée, en russe, la vie de saint Bernard de Menthon (+ 1008). C'est sans doute sous son influence également que fut publiée la vie de sainte Odile de Hohenbourg (+ 720), cette fois en français.
Dans son mémoire, l'archevêque précisait : " Les décisions de l'Assemblée des évêques russes relatives à la vénération des saints d'Occident ne constitue pas pour autant leur canonisation, mais la confirmation que l'ascète concerné était reconnu comme saint avant la séparation de l'Occident et qu'il est saint, vénéré par l'Eglise orthodoxe. L'absence d'hymnes liturgiques et de témoignages sur un saint en Orient ne signifie nullement la non-reconnaissance de sa sainteté. Même les saints qui ont vécu et été glorifiés en Orient n'ont pas tous, loin s'en faut, des offices liturgiques qui leur sont dédiés. Presque chaque jour, dans les synaxaires * et le prologue*, sont mentionnées non seulement les mémoires des saints qui ont des offices, mais aussi des autres. Qui plus est, beaucoup de saints ne sont point commémorés à une date définie, bien qu'ils soient mentionnés à certains offices, par exemple celui de tous les saints qui ont brillé dans l'ascèse (1),
(1) : (Le samedi précédant la première semaine du Grand Carême)
ou encore sont connus et vénérés hors de tout office. Les vies des martyrs, des ascètes et des autres saints sont connues de Dieu seul. Ils sont célébrés tous ensemble le Diamanche de tous les saints, ce qu'évoque le synaxaire de cette fête."
Les nombreux voyages du hiéraque, que nous avons évoqués plus haut, se transformaient pour le saint en autant de pèlerinages. Selon le témoignage de Sophie Delsaux, qui avait l'occasion de conduire fréquemment l'archevêque dans ses voyages, celui-ci "connaissait bien les saints français et voulait toujours en connaître plus. Traversant les villes et les villages, il s'arrêtait à l'église pour connaître les saints locaux, leur histoire, et les prier" (33), vénérant dans chaque église les reliques qui y reposaient éventuellement. C'est ainsi qu'il avait "découvert" à Luzarches les reliques des saints Côme et Damien, devant lesquelles, accompagné de quelques moniales du couvent de Lesna, il célébra un Office d'intercession (34). Il fit ouvrir en outre une chapelle dédiée à ces saints dans un hôpital de Chartres où étaient soignées des Russes.
En voyage à Trieste, le hiérarque s'était fortement affligé du fait que les saints de cette ville n'y étaient plus vénérés : le saint martyr Just ( d'après le nom duquel cette ville s'appela jadis Justinopolis), le saint martyr Serge et saint Frugifère (+ 524), le premier évêque de la cité. Aussi, lors de sa première visite en cette ville, l'archevêque descendit-il dans la crypte où devaient reposer, selon ses recherches minutieuses, les corps des saints de Triste. Là, avec la Croix et l'encensoir, il leur chanta les tropaires et les kondakia* des saints, les priant d'intercéder pour leur cité. Il entra ensuite en contact avec le clergé catholique-romain, sollicitant son autorisation afin que les orthodoxes pussent vénérer les reliques de ces saints de Dieu. Il ordonna enfin au recteur de la paroisse orthodoxe russe de Trieste, de commémorer les saints locaux à la prothèse lors de la célébration de chaque Liturgie, ainsi que de célébrer un Office d'intercession le jour de leur fête, devant leurs reliques, en présence des paroissiens.
Vénérant ainsi les saints orthodoxes d'Occident, Mgr Jean insistait pour que les convertis à l'Orthodoxie conservent leurs prénoms d'origine, si leurs saints protecteurs avaient vécu et avaient été glorifiés antérieurement au schisme.
Parmi les saints anciens, le hiérarque souhaitait que l'on célébrât chaque année la Divine Liturgie le jour de la Saint-Spyridon, qui, rappelait-il, est "vénéré en Orient à l'égal de saint Nicolas". Cela permettait aussi de donner, pour les orthodoxes qui suivaient l'ancien calendrier la possibilité de célébrer liturgiquement le jour de la Noël occidentale.
Dans son amour pour les saints, l'archevêque Jean voulait qu'ils fussent glorifiés par des offices lorsque ceux-ci étaient absents des livres liturgiques. C'est ainsi qu'il présenta au Synode, pour approbation, un office au bienheureux Augustin d'Hippone, qui avait été composé par l'archimandrite Ambroise Pogodine et Valérie Heeke, dédiés aux saints suivants : saint Philarète le Miséricordieux, saiint Syméon le Nouveau Théologien, saint Irénée de Syrmium, saint Anastase le Sinaïte, saint Sébastien le martyr, saint Nil de la Sora, sainte Théophano, impératrice de Constantinople, les saints Jean, Héraklémon, André et Théophile, mentionnés dans la vie de saint Onuphre du Mont-Athossaint Paul le Simple, et sainte Valérie la martyre. Il présenta également un office à saint Joasaph de Belgorod, composé par l'archevêque Joasaph ( Skorodoumoff) ( + 1955). Il convient de citer ici les critères retenus par le hiérarque pour donner son approbation aux offices ainsi rédigés : " Tous les offices mentionnés se distinguent par la profondeur de la pensée, la beauté de l'exposition et le haut niveau d'incitation à la prière que l'on ressent lors de leur lecture. Ecrits dans l'esprit des anciens offices de l'Eglise, ils sont aussi irréprochables du point de vue de la langue slavonne d'Eglise." A ce sujet, le saint considérait que les textes des nouveaux offices chantés à l'église devaient recevoir l'approbation de la hiérarchie. Le saint hiérarque avait aussi traduit du grec un certain nombre de tropaires absents des livres russes.
Parmi les saints contemporains, Mgr Jean avait une grande vénération pour saint Nectaire d'Egine (+1924), que les Grecs appellent à juste titre "le saint de notre siècle". Grand thaumaturge, il a guéri notamment de nombreux malades du cancer, et a été glorifié en 1961 par le patriarcat de Constantinople. Quelques mois avant son bienheureux trépas, le saint demanda que l'on publie la vie de saint Nectaire en anglais dans le périodique Orthodox Word édité à San Francisco. Une icône de saint Nectaire se trouvait dans le coin de prière du hiérarque qui, selon les souvenirs d'un prêtre grec, la plaçait sur l'autel lors de la célébration de la Divine Liturgie. Toutefois, dans le domaine de la vénération des saints, l'acte le plus important du prélat fut indubitablement la canonisation du grand saint russe contemporain Jean de Cronstadt (1829- 1908), " le nouveau saint Nicolas", comme l'appelait le Père Justin Popovitch, en raison des innombrables miracles qu'il accomplit, tant de son vivant qu'après son trépas.
Nous avons déjà mentionné que l'évêque serbe Nicolas Vélimirovitch estimait profondément l'archevêque Jean et le considérait comme un juste. Il est intéressant d'évoquer maintenant comment ces deux grands hiérarques collaborèrent dans cette sainte oeuvre que fut la glorification de saint Jean de Cronstadt.
Dès la fin de la première guerre mondiale, Mgr Nicolas s'intéressa à la personnalité du Père Jean de Cronstadt. Il connaissait bien s avie et ses miracles, écrivant que toutes les conditions étaient réunies pour la glorification du saint, qu'il convenait d'accomplir. En 1952, l'évêque Nicolas s'adressa au métropolite Anastase pour lui demander de procéder à ladite glorification, écrivant ce qui suit : " S'il n'y avait pas de miracles du Père Jean, autres que ceux qui se sont produits dans la seule ville de Belgrade, cela suffirait pour le canoniser... Si certains demandent pourquoi je propose cette canonisation alors que je suis serbe, je réponds : les saints de tous les peuples orthodoxes appartiennent de la même façon à toutes les Eglises orthodoxes... Bien que je vive, grâce à la Providence divine, en exil, comme l'un des évêques les plus âgés - trente-trois ans d'épiscopat - je n'en éprouve pas moins de zèle pour la gloire de l'Eglise du Christ. Pour cette raison, fraternellement et humblement, je demande à Votre Eminence, d'accorder une attention chaleureuse à cette question et à la présenter à votre Saint-Synode, afin que toutes les branches de l'Eglise russe, dans la concorde et en même temps, prennent la décision concernant la sainteté du Père Jean." Après cet appel officiel de l'évêque Nicolas, le Synode chargea le hiérarque de rassembler la documenatation nécessaire à la canonisation. En fait, depuis longtemps, l'archevêque Jean éprouvait une grande vénération pour le Père Jean de Cronstadt. En 1953 déjà, il avait consulté son clergé pour connaître son opinion quant à l'éventuelle glorification du saint; Dans une lettre adressée à l'évêque Nicolas en date du 6 décembre 1952, il le remercia pour s alettre susmentionnée au métropolite Anastase, mentionnant que "certains évêques, particulièrement les hiérarques âgés, considèrent qu'il est impossible d'accomplir maintenant cette glorification. Le métropolite Vladimir, bien que vénérant le Père Jean de Cronstadt, pense également comme ces derniers." Plus tard, le hiérarque adressa un décret épiscopal aux recteurs de paroisses, leur suggérant de se procurer le livre du Père Jean, intitulé Ma vie en Christ, pour les bibliothèques paroissiales, et de "conseiller aux clercs et aux paroissiens de l'avoir pour livre de chevet, en raison du grand profit spirituel que l'on pouvait tirer de sa lecture". En 1956, bien que considérant comme suffisants les preuves et les documents relatifs à la sainteté du Père Jean, le Synode déclara que le temps n'était pas encore venu de procéder à sa canonisation. Toutefois, le hiérarque était toujours déterminé lorsqu'il s'agissait d'accomplir la volonté Divine. Aussi souleva-t-il à nouveau, en 1964, la question de la canonisation à l'Assemblée des évêques. La décision fut prise de constituer une commission, dont le prélat fut nommé président. La question principale était de savoir si l'Eglise Russe à l'Etranger était habilitée à procéder à une canonisation. L'archevêque Jean répondit par l'affirmative en s eréférant à la seule autorité en la matière, à savoir la Tradition de l'Eglise. Voici comment il justifia cet acte, dans la ligne de ce qu'il avait déjà affirmé relativement aux saints d'Occident :
" Les justes ne sont pas devenus saints par une décision du pouvoir ecclésiastique terrestre, mais par la miséricorde et la grâce divines; Les autorités ecclésiales ne faisaient qu'approuver les louanges adressées au nouveau saint à l'église et son invocation dans la prière. Quel pouvoir devait et pouvait l'accomplir, cela ne fut pas décidé avec précision, mais, dans tous les cas, il s'agissait du pouvoir épiscopal. Il y eut des glorifications qui furent accomplies par le pouvoir ecclésial suprême de toute une Eglise locale, et le nom des saints glorifiés fut alors introduit dans les ménologes de toute cette Eglise, tandis que d'autres saints étaient glorifiés dans telle ou telle localité et leur glorification s'étendait peu à peu à d'autres endroits. Habituellement, la glorification avait lieu dans la localité où avait vécu le saint, ou encore là où il avait souffert. Mais il y a eu d'autres cas. Ainsi, un jeune homme du nom de Georges, originaire de la ville de Kratovo en Serbie, martyrisé par les Turcs en 1515 à Sofia en Bulgarie, fut glorifié seulement quatorze années plus tard à Novgorod. Malgré le fait que ses compatriotes le vénéraient comme néomartyr et que son père spirituel eût composé un office en son honneur, ils ne pouvaient le faire ouvertement, par crainte des Turcs, et, pour cette raison, ce fut à Novgorod - entretenant alors des relations commerciales avec les villes susmentionnées - que fut composé un office sur l'ordre de l'archevêque et que fut vénérée la mémoire de saint Georges le Nouveau. De là, son culte se répandit dans toute la Russie. Lorsque la Serbie et la Bulgarie furent délivrées de l'oppression ottomane, on utilisa dans ces pays l'office composé en Russie, et celui qui avait été rédigé à Sofia reste jusqu'à maintenant dans les bibliothèques. Durant les deux derniers siècles, lorsque la Russie vivait dans la gloire et la prospérité, la glorification des nouveaux saints était accomplie, en général, fort solennellement, sur la décision du pouvoir suprême, parfois (mais pas toujours), dans toute la Russie et en particulier dnas la localité où se trouvaient les reliques miraculeuses. Cependant, cela ne modifie pas l'ordre général dans l'Eglise, et si les fidèles russes qui se trouvent sous le joug du pouvoir athée ne peuvent ouvertement louer et invoquer le saint glorifié par Dieu, le devoir de la partie de l'Eglise Russe qui est hors d'atteinte du joug des ennemis de Dieu est de vénérer publiquement et d'invoquer le Thaumaturge semblable à saint Nicolas qui est maintenant vénéré dans le monde entier, ainsi que de prier le saint et juste Jean de Cronstadt pour corriger notre vie et faire cesser les malheurs qui ont frappé notre patrie selon ses prophètes. Que Dieu donne que commence ce jour béni, lorsque depuis les Carpates jusqu'à l'océan Pacifique raisonnera le chant : " Nous te magnifions, saint Père Jean, et nous vénérons ta sainte mémoire, prie pour nous le Christ notre Dieu!""
Le saint hiérarque, comme dans toutes ses démarches, examinait soigneusement toutes les conséquences de ses actes, et appuya sa demande devant le Concile des Evêques de l'Eglise Russe à l'Etranger par le fait que, en Russie, des représentants de la hiérarchie du Patriarcat de Moscou - il citait nommément le Métropolite Nicolas (Yarouchevitch + 1961) - vénéraient la mémoire du Père Jean. En outre, il affirmait que le Patriarcat ne protesterait pas dans la mesure où l'Eglise Russe à l'Etranger ne donnerait pas à cet acte une signification politique.
C'est ainsi que sur les instances du hiérarque, l'Assemblée des évêques de l'Eglise Russe à l'Etranger procéda à la glorification du Père Jean de Cronstadt à New York en 1964, ce qui eut une grande signification pour toute l'Eglise russe au XX° siècle. Non seulement le peuple de la diaspora pria le saint nouvellement glorifié et en retira une aide spirituelle, mais cela prépara la glorification du saint en Russie. Clandestine du temps de l'U.R.S.S., cette vénération fut officialisée après la chute du rideau de fer, si bien que le souhait du saint hiérarque Jean fut réalisé. Comme nous l'avons vu plus haut, il avait consulté les autres branches de l'Eglise russe en Occident. Aux Etats-Unis, il rendit visite à l'un des évêques de la Métropole Russe d'Amérique, proposant à cette juridiction d'accomplir la glorification de saint Germain d'Alaska, dont nous reparlerons, tandis que le Synode procéderait à celle de saint Jean de Cronstadt. Malheureusement, cette proposition irénique échoua. En France, cette glorification fut particulièrement solennelle au couvent Notre-Dame-de-Lesna, qui avait reçu en Russie la protection de saint Jean de Cronstadt. Des clercs de l'exarchat russe du patriaracat de Constantinople participèrent aux festivités. Malheureusement, l'évêque Nicolas Vélimirovitch n'eut pas la joie de célébrer en ce monde la canonisation, étant décédé en 1956. Aussi, le saint hiérarque informa-t-il de l'événement le patriarche Germain de Serbie (+1991), par une lettre en date du 26 octobre 1964 :
" Votre Sainteté!
J'ai l'honneur de vous informer que le Synode de l'Eglise Orthodoxe Russe à l'Etranger a décidé de glorifier solennellement le Père Jean de Cronstadt, comme ayant été agréable à Dieu.
Cette glorification fut proposée la première fois par l'évêque Nicolas de Jitcha, il y a plus de dix ans, et depuis, nous commençâmes à agir dans cette direction, recueillant beaucoup de documents sur sa vie et sa sainteté.
La glorification du nouveau saint et thaumaturge Jean sera effectuée le 19 octobre / 1 er novembre 1964.
Nous nous réjouirions si l'Eglise Serbe, suivant notre propre exemple, glorifiait le Père Jean. Le 20 décembre/ 2 janvier est son deuxième jour de fête."
Mentionnons pour finir que le saint hiérarque composa lui-même le kondakion de l'office à saint Jean.
Outre la glorification de saint Jean de Cronstadt, le prélat oeuvra beaucoup pour la vénération locale de saint Germain d'Alaska (1736-1837), que nous avons mentionné plus haut et de saint Pierre l'Aléoute (+1815). Le premier fut missionnaire chez les Aléoutes, tandis que le second, refusant de renier sa foi orthodoxe, fut martyrisé par les jésuites à San Francisco. En 1963, le saint hiérarque donna sa bénédiction à la fondation, à San Francisco, de la "Fraternité du bienheureux Germain d'Alaska", dont le but était de diffuser de la littérature orthodoxe en anglais et en russe, ainsi que d efaire connaître saint Germain aux orthodoxes et aux non-orthodoxes. " Que cette prédication, écrit le saint hiérarque, serve à l'affermissement de la véritable foi orthodoxe et de la vie chrétienne en Amérique du Nord, à l'aide et par les prières de saint Germain d'Alaska et du martyr Pierre l'Aléoute, qui a souffert à San Francisco." Avec la bénédiction du prélat, des documents hagiographiques furent rassemblés en vue de la publication de la vie et des miracles de saint Germain. Toutefois, les efforts du hiérarque n'aboutirent qu'après son trépas. C'est en effet en 1970 que le saint fut officiellement canonisé.
L'archevêque Jean avait également une grande vénération pour l'évêque Jonas de Mandchourie, qu'il mentionna dans l'une de ses homélies consacrées aux "saints de la terre russe" : " Ici, à l'étranger, il y a des justes, qui ont vécu de nos jours, bien que non encore glorifiés. Par exemple, l'évêque Jonas de Mandchourie. Sentant approcher la fin de sa vie terrestre, il appela le prêtre et commença lui-même à lire le canon de séparation de l'âme et du corps et, à ce moment, lorsque son âme partit au ciel, un enfant qui était paralysé depuis longtemps se mit à courir et s'écria : " Maman, l'évêque Jonas m'est apparu et m'a dit : Voici, je te donne mes jambes, qui me sont maintenant inutiles!"" Dans le même texte, le saint hiérarque mentionna également le Père Alexis Medvedkoff (2),
(2) : ( Canonisé en 2004 par le patriarcat de Constantinople),
archiprêtre à Ugine, dans l'obédience de l'exarchat russe de Constantinople : " En France, il y a quelques années, alors que l'on déplaçait un cimetière, les ouvriers ouvrirent une tombe et soudain reculèrent de frayeur : ils trouvèrent intact le corps d'un prêtre orthodoxe avec tous ses ornements. Or, il s'avérait que ce prêtre était décédé depuis plus de seize ans. Il était mort du cancer, et tandis qu'habituellement le corps humain se décompose déjà de son vivant, il était étendu intact et incorrompu. Et son corps se trouve maintenant près de Paris (35)."
Mais naturellement, ce sont les néomartyrs de Russie, qui alors n'avaient pas encore été canonisés, qui furent l'objet d'un grand nombre d'homélies du saint hiérarque. Il écrira à leur sujet : " Dans le grand choeur des saints de Dieu glorifiés en Russie figuraient beaucoup de hiérarques, de moines, de justes et de fols en Christ. Mais il n'y avait que quelques martyrs durant tout le temps passé. " L'armée lumineuse des martyrs", dont le sang a constitué la semence du christianisme dans tout l'univers, glorifiée presque tous les jours par l'Eglise terrestre, était pratiquement absente de l'Eglise russe céleste. Le temps était venu de compléter ses rangs. Au faible nombre des martyrs et de ceux qui imitèrent la passion du Christ lors des siècles passés, se sont unis maintenant d'innombrables nouveaux martyrs...Ô merveilleuse et glorieuse armée des nouveaux martyrs! Qui peut vous glorifier dignement? En vérité, " bénie est la terre qui est abreuvée de votre sang et saintes sont les demeures qui ont reçu vos corps". Bénie es-tu Terre de Russie, purifiée par le feu des souffrances! (...) Jadis, les chrétiens recueillaient avec piété le sable du Colisée, imbibé du sang des martyrs. Le lieu des souffrances et du trépas des martyrs devint sacré et particulièrement vénéré. Et maintenant, toute la Russie est le stade des martyrs."
En plus des saints de l'Eglise orthodoxe du Christ, Mgr Jean s'était beaucoup intéressé au curé d'Ars (36). Par contre, l'abbaye de Westminster, vide de la présence de Dieu "merveilleux dans Ses saints", n'avait provoqué que bien peu d'intérêt chez lui : s'étant signé en entrant et voyant qu'elle ne contenait que les mémoriaux de grands personnages, il se signa de nouveau et sortit aussitôt...
CHAPITRE 13
LE MISSIONNAIRE EN OCCIDENT
" Tout à tous, afin d'en sauver quelques-uns"
( 1 Co 9, 22)
Dès le jour de son sacre, le saint hiérarque avait manifesté son désir de "s'occuper aussi", selon ses propres paroles, " de ceux qui ne connaissent pas la vraie foi". " Le pasteur, disait-il, se doit de les illuminer de la lumière de la foi véritable et de les disposer à la piété, se souvenant que le Christ a dit qu'il devait mener les brebis qui ne sont pas de Sa bergerie." Dans cette perspective, il considérait que la mission de la diaspora russe était la prédication de la vraie foi, là où elle avait été altérée. " Nous devons coprendre notre dispersion russe dans le monde entier non seulement comme une punition pour les péchés du peuple russe, mais aussi comme un appel à la prédication de l'Orthodoxie au monde entier avant le Jugement dernier", ajoutait-il. Lors de sa première célébration à Paris, comme nous l'avons vu, il s'était donné pour but de prêcher l'Orthodoxie, là où elle était inconnue. C'est pourquoi le hiérarque ne pouvait rester indifférent aux occidentaux qui recherchaient l'Eglise primitive. Aussi fut-il un père pour tous ceux qui frappaient à la porte de l'Eglise du Christ. Le saint hiérarque de Dieu, tout comme l'apôtre Paul, voulait être "tout à tous, afin d'en sauver quelques-uns" ( 1 Co 9, 22).
C'est donc mû par l'aspiration de rendre à ce peuple l'Orthodoxie que l'archevêque reçut sous son omophore* le groupe réuni autour de l'archiprêtre Evgraphe Kovalevsky. Jusqu'à nos jours, cet acte, qui a connu une fin malheureuse, a été mal compris et a même constitué pour certains un obstacle majeur à la glorification du saint. A y regarder cependant d eplus près, il convient de nuancer cette appréciation. Il est tout d'abord nécessaire de dire quelques mots sur l'Orthodoxie en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Voici ce qu'écrit à ce sujet le diacre Jean Vigna : " Au contact des liturgies orthodoxes et d eremarquables théologiens comme Vladimir Lossky (+ 1958), l'archevêque Basile Krivochéine (+ 1985), l'archimandrite Cyprien Kern (+ 1960), pour ne nommer que ceux-ci, un certain nombre de Français comprirent qu'il existait une autre manière de vivre le christianisme, plus authentique que celle proposée par le monde traditionnel occidental catholique-romain. Le cheminement de cette prise de conscience, de cette prise en compte de l'Eglise Orthodoxe dans son ensemble, non comme une "Eglise séparée" mais comme force ecclésiologique et spirituelle, dans la ligne de l'Eglis edes Apôtres et des Pères, ne s'est pas accomplie sans interrogations, sans remous, sans reculs... Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, jusque vers les années 1950-1953, la communauté de l'Eglise Catholique Orthodoxe de France (E.C.O.F.) attira de plus en plus de Français ou francophones sous la houlette de l'archiprêtre Evgraphe Kovalesky (...).. En permanente toile de fond, des démarches incessantes et fort souvent maladroites se succédaient auprès des différents patriarcats orthodoxes afin de reconnaître une Orthodoxie française..."
Malgré certaines qualités indéniables - qu'il avait notamment manifestées en captivité lors de la Seconde Guerre mondiale, aidant alors tous ceux qu'il pouvait - qui avaient été relevées par l'archevêque Jean - l'archiprêtre Evgraphe Kovalesvsky résistait obstinément à l'autorité ecclésiale, ce qui l'avait amené à quitter le Patriarcat de Moscou, puis l'Exarchat russe du patriarcat de Constantinople, restant ensuite sans aucune autorité ecclésiale supérieure, ce qui est contraire à l'ecclésiologie orthodoxe. C'est alors que les responsables ecclésiastiques et laïcs de ce groupe prirent contact avec l'archevêque Jean.
Tout avait commencé en 1957 par la rencontre de M. Emile Moine, fidèle du groupe de l'archiprêtre E. Kovalevsky, avec un anachorète athonite, le Père Nicone (Strandmann, + 1963). Filleul du tsar Alexandre II, ancien officier de l'armée impériale, l'anachorète était un homme brillant de la capitale. Parlant plusieurs langues, il encouragea plus tard la première édition en langue anglaise de la Philocalie. Ressentant la révolution soviétique comme un appel à la pénitence, il devint moine en Serbie, puis se retira au Mont-Athos, où il reçut le Grand Habit monastique, vivant dans le désert de Karoulia. Emile Moine se plaignant auprès de l'anachorète du déclin de la spiritualité en Occident et d el'absence de saints à notre époque, le Père Nicone lui répondit dans un français parfait : " Il existe un saint en Occident, c'est l'archevêque Jean; il est à Versailles." Ayant appris dans quelle situation se trouvait le groupe mentionné, le Père Nicone recommanda à son interlocuteur de prendre contact avec le hiérarque. Le président laïc du groupe orthodoxe français, Jean-Bernard Schlumberger, invita donc l'archevêque Jean à assister à une Liturgie dans leur église. Celui-ci refusa catégoriquement, mais fixa un rendez-vous à l'archiprêtre Kovalevsky pour plusieurs semaines plus tard, à Versailles. Au jour dit, le 24 novembre, le Père Evgraphe se présenta en compagnie d'Emile Moine qui, avec enthousiasme, raconta au hiérarque son entretien avec l'anachorète Nicone. Selon une moniale de Lesna, la mère Flavienne (37), ce n'était pas tant le Père Evgraphe Kovalevsky qui présentait un intérêt pour l'archevêque Jean, que les Français qui le suivaient et qui étaient comme "des brebis qui n'ont pas de pasteur" (Mt 9, 36). Admiratif de l'enthousiasme qui animait ces convertis à l'Orthodoxie, le hiérarque déclara devant l'Assemblée des évêques de l'Eglise Russe à l'Etranger : " L'Eglise française est un phénomène vivant et nous n'avons pas le droit de l'éteindre. Ce mouvement s'étend et nous devons le soutenir." Il ajouta à une autre occasion : "Nous ne pouvons les abandonner à leur sort." C'est pour cette raison qu'il résolut de prendre ce groupe sous sa protection, en prenant un énorme risque. Comme le résume une orthodoxe française, "il répondit à notre demande avec cette attention à la fois grave et aiguë qui caractérisait son attitude devant les problèmes qui lui étaient présentés. Progressivement, il nous prit en charge, exactement comme le Bon Pasteur de la parabole qui prit sur ses épaules la brebis perdue" (38).
L'un des obstacles de l'entrée de cette communauté dans la juridiction du saint hiérarque était la Liturgie "selon le rite des Gaules". Afin que l'assemblée des Evêques de l'Eglise Russe à l'Etranger permît l'usage de la Liturgie gallicane, l'archevêque Jean avait développé dans son exposé à la hiérarchie, en 1962 puis en 1964, l'argumentation suivante : Il soulignait tout d'abord que le dogme orthodoxe primait sur le rite et que le Saint-Synode de l'Eglise Russe avait permis le rite occidental avant la révolution. Pour ce qui est de la Liturgie gallicane, elle avait été naguère éditée dans un recueil d'anciennes liturgies par l'Académie théologique de Kazan. En 1864, l'archiprêtre Wladimir Guettée, ancien clerc catholique-romain converti à l'Orthodoxie, avait publié une Liturgie selon "le rite des Gaules", qu'il avait célébrée avec la bénédiction du Saint-Synode, en l'église de l'Académie théologique de Saint-Pétersbourg. En 1936, le métropolite Serge (Stagorodsky) de Moscou, par son décret du 16 juin, avait autorisé la célébration de la Liturgie selon le "rite des Gaules (1)".
(1) : ( Sous réserve toutefois que les textes liturgiques "fussent peu à peu épurés des expressions et pensées inacceptables pour l'Orthodoxie").
En conséquence, sur la question du rite, il existait des précédents; En outre, le saint hiérarque avait scrupuleusement examiné le texte de la Liturgie occidentale en usage à l'E.C.O.F., veillant particulièrement à ce qu'aucune erreur de nature dogmatique ne s'y glissât. C'est ainsi qu'il demanda à la commission liturgique, qui siégeait sous s aprésidence, de "supprimer les termes Pain de Vie et Calice du Salut" dans le texte de l'oblation, "bien qu'ils fussent présents dans le texte ambrosien. Cette suppression a (avait) pour but d'éviter toute équivoque sur le rôle d el'épiclèse dans la consécration des Dons". Il fit en outre supprimer deux expressions qui "ne figuraient dans aucun manuscrit". Il convient de mentionner ici que le saint hiérarque avait une connaissance profonde des différentes liturgies. Comme le mentionne l'archimandrite Benoît (Dupuis-Pugliese) : " Il connaissait aussi bien la liturgie arménienne que les liturgies orientales ou occidentales. Lors de l'une de nos premières rencontres, alors que j'étais encore diacre, nous avons passé plusieurs heures, à Fourqueux où il logeait, à discuter du rite ambrosien." Cela dit, comme le note le diacre Jean Vigna, " si chacun des éléments qui constituent la liturgie gallicane reconstituée par E. Kovalevsky est, par nature, remarquable, l'ensemble adapté, modelé, réajusté, présente un caractère factice manquant d'une indispensable unité et surtout de l'indispensable usage liturgique." Aussi, on peut dire que ce n'est pas le rite lui-même qui fut la cause de l'échec de cette tentative de restaurer l'Orthodoxie en France, même s'il y contribua.
Sans imposer à la communauté un changement de rite, le Saint-Synode des évêques de l'Eglise Russe à l'Etranger décida, par un décret daté du 11 novembre 1959 de la recevoir en son sein, sous certaines conditions. Le décret épiscopal précisait : " Permettre à Votre Eminence ( l'archevêque Jean), comme évêque diocésain de l'Europe occidentale, se conformant à votre rapport et à votre demande, d erecevoir dans votre obédience canonique la Communauté orthodoxe française (2),
(2) : (Il s'agit de l'E.C.O.F.)
et de vous charger de l'organisation de la vie ecclésiale de ladite communauté en accord avec les saints canons et la Tradition de l'Eglise orthodoxe, avec le maintien par elle du rite occidental". Toutefois, le décret précisait que ladite Communauté avait "l'obligation de respecter strictement" l'observation de la pascalie orthodoxe et du jeûne eucharistique toute la journée précédant une Liturgie vespérale. La question de la consécration épiscopale de l'archiprêtre Kovalevsky - sur laquelle nous reviendrons - restait "ouverte". Le décret se terminait ainsi : " En fonction de l'étude approfondie de la vie et du quotidien du Groupe Orthodoxe Français, permettre au Synode des Evêques et à Votre Eminence ( l'archevêque Jean), de donner à ses dirigeants d'autres instructions et conseils."
C'est ainsi que le saint reçut cette communauté et célébra pour la première fois la Liturgie en français en l'église Saint-Irénée à Paris, le 8 mai 1960, à l'issue de laquelle, s'approchant des fidèles, il prononça l'homélie suivante, qui montre bien sa préoccupation :
"Le Christ ressuscité a envoyé les apôtres prêcher dans tous les pays. L'Eglise du Christ ne fut pas fondée pour un seul peuple, pour un seul pays, mais pour le monde entier. Tous les hommes, tous les peuples, tous les pays sont appelés à la foi du Dieu véritable. Les apôtres ont pleinement accompli l'ordre du Christ en parcourant toutes les nations. Simon le Zélote est allé en Angleterre ; Jacques, fils de Zébédée, en Espagne; Thomas, aux Indes et, selon la Tradition, il a poursuivi jusqu'en Chine. L'apôtre André a prêché en Russie et en Grèce. Suivant la tradition établie, Lazare, le ressuscité après quatre jours, fuyant devant les Juifs qui voulaient le massacrer, est arrivé en France. Avec ses soeurs, Marthe et Marie, il s'est installé à Marseille et a prêché en Provence. Trophime d'Arles et d'autres disciples d'entre les soixante-dix ont silloné la France.
Ainsi, dès les temps apostoliques,, saint Germain de Paris la foi orthodoxe du Christ fut prêchée en Gaule, la France actuelle. C'est à l'Eglise orthodoxe qu'appartiennent saint Martin de Tours, le grand Cassien, fondateur de l'abbaye de Marseille où, durant de longues années, il donna l'exemple de la vie ascétique, saint Germain de Paris et sainte Geneviève, parmi une multitude d'autres. Voilà pourquoi la foi orthodoxe n'est pas, pour les Français, celle d'un peuple étranger. C'est là leur, confessée ici, en France, par leurs ancêtres depuis les temps anciens : elle est la foi de leurs pères.
Sincèrement et chaleureusement, nous souhaitons que la foi orthodoxe, dans sa forme propre au génie français, rétablie sur le sol de France, redevienne pour tout son peuple la foi maternelle, comme elle l'est demeurée pour les Russes, les Serbes, les Grecs, selon l'esprit particulier de chacun de ces peuples.
Le propre du calendrier oriental - le pentecostaire - glorifie aujourd'hui (3),
(3) : ( Il s'agit ici des tropaires au saint archange figurant dans l'office du paralytique)
tout comme le sanctoral occidental, le saint archange Michel, qui s'est manifesté également, en Orient et en Occident, afin de vivifier lesforces spirituelles des hommes pour les actes héroïques, de même qu'il inspira jadis à Jeanne d'Arc la lutte pour la liberté de la France.
Aujourd'hui, selon l'ancien calendrier, l'Eglise orthodoxe glorifie le saint apôtre Marc, l'un des quatre évangélistes qui, avant de partir pour Alexandrie, vint en Europe occidentale où il écrivit son saint Evangile - à Rome - en latin même selon certains.
A présent, nous en avons la conviction, l'élévation politique et patriotique de la France s'accomplit : qu'elle soit unie à son élévation spirituelle! Que renaisse la France orthodoxe et que la bénédiction divine soit sur elle!"
Le même jour, il rédigea ce décret :
" A l'archiprêtre Evgraphe Kovalevsky :
Par l'accomplissement par nous de la Divine Liturgie selon le rite gallican, appelé également de "saint Germain de Paris", en exécution de la décision de l'Assemblée des Evêques du 11 novembre 1959, est reçue sous notre sollicitude l'Eglise Orthodoxe Française, composée de plusieurs paroisses en France et d'une seule en Belgique, et représentée par l'archiprêtre Evgraphe Kovalevsky.
Que la bénédiction du Seigneur repose sur notre troupeau français, que celui-ci croisse spirituellement et numériquement, affermi et fortifié par la Droite du Seigneur!"
Le hiérarque ne s'était pas contenté de recevoir "formellement" ce groupe sous son omophore. Il soulignait dans son décret que c'était la concélébration avec le clergé qui constituait la réception de cette communauté, qu'il voulait réellement acheminer sur la voie du salut. Comme l'écrira lui-même le saint dans une lettre datée du 14 février 1963 : " Je ressens toute la responsabilité que j'ai envers elle (l'E.C.O.F.), et je ferai tout mon possible pour son développement et son progrès, sans tenir compte du lieu où je me trouverai. Je comprends l'état d'âme de mon troupeau français. Je pense à lui, je souffre pour lui aussi profondément, si ce n'est plus, que pour mon troupeau russe, et j'espère que le Seigneur aidera à le faire cheminer sur la voie droite." Selon les souvenirs d'un ancien membre de l'E.C.O.F., le hiérarque suivait de près l'activité du clergé et des fidèles français, "assistant aux cours de l'Institut Saint-Denys, participant aux réunions du clergé et des fidèles, célébrant la Liturgie en l'église Saint-Irénée et dans d'autres lieux de culte, ordonnant le clergé." Il avait notamment béni deux chapelles, l'une dédiée à sainte Geneviève, à Paris, et l'autre, dédiée à saint Martin, près d'Amboise. De 1960 à 1964, il procéda pour l'Eglise Française à l'ordination de neuf prêtres et de cinq diacres. Il surveillait la préparation du clergé français, suivant de près les ordinations, même à des degrés inférieurs. C'est ainsi qu'il insistait afin que l'on n'ordonnât au sous-ddiaconat que des candidats ayant atteint un âge mûr s'ils n'étaient pas mariés et, dans ce cas, leur faire promettre qu'ils ne se marieraient point. En ce qui concerne les jeunes, il y avait lieu de les ordonner au lectorat seulement " après un minutieux examen de leur vie et de leur état d'esprit". Pour ce qui est des candidats à la prêtrise, le hiérarque s'était préoccupé de la préparation de chacun d'entre eux et avait étudié leur candidature. le Père Grégoire Hardy ( + 2006) témoigne : " L'archevêque Jean manifesta toujours à mon égard bonté et indulgence tout en s'assurant soigneusement de l'état de préparation du candidat à la redoutable fonction du sacerdoce ministériel." Le hiérarque insistait sur le fait que l'on ne devait pas, comme cela se produit parfois, ordonner par complaisance : " On n'ordonne pas pour le bien de la personne, mais pour celui de l'Eglise", disait-il. Ainsi, alors que le saint était présent en France et veillait spirituellement sur ce troupeau, l'E.C.O.F. connaissait un certain développement. Dans son périodique Les cahiers Saint Irénée, on pouvait lire les lignes suivantes : " Ces dernières années passées dans la juridiction de S. E. l'archevêque Jean, ont été très fructueuses : augmentation du clergé, ouverture de paroisses, constructions d'églises..." Au demeurant, on ne peut qu'être frappé à quel point le saint s'attachait à chaque peuple au milieu duquel il vivait. Comme l'écrivit une orthodoxe française, " il était l'un des nôtres" (39). Il convient de mentionner que l'archevêque Jean parlait français et était bien compris malgré ses défauts d'élocution. Il lui arrivait même de prêcher dans cette langue.
Le saint avait soigneusement étudié les statuts de l'E.C.O.F. et y avait apporté des modifications. Le 25 octobre 1960, il confirma l'archiprêtre Kovalevsky dans ses fonctions d'administrateur de ladite Eglise. Toutefois, depuis l'entrée en matière avec cette communauté, celle-ci exerça une forte pression sur le saint hiérarque afin que le Synode procédât au sacre épiscopal de l'archiprêtre Evgraphe Kovalevsky. Le saint hiérarque avait reconnu devant l'Assemblée des Evêques, en 1962, que " de prime abord, le Père Evgraphe produisait une impression défavorable." Toutefois, ajoutait-il, il convenait de comprendre que les orthodoxes français étaient " fortement attachés au Père Evgraphe, malgré ses défauts. Il les a amenés à l'Orthodoxie et ils lui sont dévoués. Nous ne devons pas être trop sévères envers eux", ajoutant que "pour l'affermissement de l'Orthodoxie en France, il est indispensable d'adopter le principe de l'économie ecclésiastique". Certes, disait-il encore, il y a "des fautes chez eux, car leur Eglise est un fruit qui n'a pas encore mûri. Beaucoup de choses n'y sont pas affermies; ils se trouvent dans un processus, mais ils entrent de plus en plus dans notre orientation. Cela est particulièrement manifeste depuis qu'ils ont commencé à visiter les pays orthodoxes. Cela influe fortement sur eux. Peu à peu, ils assimilent beaucoup."
Le 8 mars 1963, le hiérarque écrivait aux fidèles de l'E.C.O.F. : " Mes chers enfants spirituels, me trouvant à San Francisco, occupé encore beaucoup plus qu'à Paris, je ne me sépare pas spirituellement de mon troupeau ou, pour mieux dire, du troupeau du Seigneur confié à moi par Lui, de l'Eglise française. Je comprends bien que mon absence crée des difficultés et rend encore plus nécessaire d'avoir un évêque pour cette Eglise. Mais vous savez bien que, dans l'Eglise, il ne suffit pas de décider quelque chose. Il faut encore que nos plans soient bénis par Dieu et soient aussi conformes aux plans divins. Si nous restons fidèles à Dieu et ne doutons pas qu'Il dirige Lui-même l'Eglise, Il donnera tout ce qui est nécessaire et utile. Il le fera au meilleur moment selon Ses plans."
La grande majorité des évêques de l'glise Russe à l'Etranger, non hostile à l'E.C.O.F. en tant que telle, était opposée à la candidature de l'archiprêtre Kovalevsky à l'épiscopat, ce qui ressort d'une lettre du saint, en date du 29 mars 1963 à celui-ci : "Il n'y a pas, à proprement parler, d'objections (dans l'épiscopat russe) contre un évêque français, et le litige concerne seulement votre personne." Aussi suggérait-il au Père Evgraphe, dans la même lettre, de renoncer à l'épiscopat et d efaire sacrer à sa place un Français, ce que celui-ci accepta, et ce dont il informa ses fidèles. Toutefois, ceux-ci refusèrent cette solution et adressèrent à l'archevêque une lettre collective, soutenant la candidature du Père Evgraphe à l'épiscopat. Aussi, le hiérarque renonça-t-il à son projet de sacrer un évêque français, et répondit à cette lettre le 4 juin 1963 : "Mes chers enfants, je ne vous oublie pas et c'est un grand chagrin pour moi que de ne pouvoir faire mon devoir pour l'Eglise française, mais j'espère que ce jour arrivera. Je cherche de plus à trouver le plus court et le plus juste chemin pour accomplir les décisions et désirs du clergé et des fidèles de l'Eglise française." Preuve de son amour envers ses ouailles, le hiérarquee leur écrivit en français le 28 juin 1963 : "Mes chers enfants spirituels, clergé et fidèles de l'Eglise Orthodoxe Catholique Française! Je vous félicite en la fête de saint Irénée. Que ce grand saint vous aide dans votre travail missionnaire. Que par ses prières augmente et se fortifie l'Eglise Orthodoxe de France. Je suis avec vous ce jour et mon âme ests en votre Eglise. Je vous salue tous, prêtres, diacres, acolytes, chantres, tout le peuple avec les enfants dont je me souviens bien. Que Dieu soit avec vous et vous bénisse tous. Votre archevêque Jean." En 1964, dans deux lettres à l'archiprêtre Evgraphe Kovalevsky, il rappela les injonctions du Synode ainsi que les siennes propres, au sujet de l'interdiction d'accorder la Sainte Communion aux non-orthodoxes, à la discipline relative au jeûne eucharistique, ainsi qu'au maintien de la pascalie orientale*, sans quoi le Synode ne pourrait procéder à son sacre épiscopal. L'archevêque terminait ainsi l'une de ses lettres, écrite en français : " Je vous prie, mes chers, de prendre ces décisions parce que pour être orthodoxe, ce n'est pas assez d'avoir la foi orthodoxe, mais il faut aussi observer les règles de l'Eglise orthodoxe et, si cela est nécessaire, souffrir pour elle. Que la bénédiction de la Sainte Trinité soit toujours sur vous!"
En ce qui concerne la communion accordée aux non-orthodoxes, l'archevêque Jean pensait que le problème était réssolu. En effet, le Père Evgraphe avait envoyé des instructions à ses paroisses, en date du 15 janvier 1962, afin qu'il y fût mis un terme. Pour ce qui est de la pascalie orthodoxe, l'archevêque insistait sur son observation, tout en ayant permis l'usage du nouveau calendrier pour le reste de l'année liturgique. En effet, ce n'était pas là un point de détail : la célébration de Pâques le même jour par toute l'Eglise avait été établi par le premier Concile oecuménique, et l'on ne pouvait y déroger. C'est pourquoi il écrivit à ce sujet au Père Evgraphe, le 22 janvier 1964 :
" Je comprends la situation difficile des orthodoxes français relativement à la célébration de Pâques, mais vous n'ignorez pas que l'Eglise orthodoxe, à l'exception semble-t-il de la Finlande, fête Pâques en même temps. Pour l'Eglise française, cela constitue en quelque sorte un examen d'aptitude à entrer pleinement dans le corps de l'Eglise orthodoxe universelle. Lorsque l'on chemine sur la voie droite, il faut toujours supporter l'une ou l'autre privation, et pour appartenir à l'Eglise qui garde la Vérité, il convient d'endurer des inconvénients dans la vie courante, voire même des afflictions. En effet, Pâques n'est pas seulement une fête, mais le jour et la nuit durant lesquels tout est rempli de lumière, " le ciel, la terre et les enfers", alors que la nature pousse des cris de joie avec les hommes, et que nous recevons une grâce particulière qui emplit nos âmes (...). Personnellement, je serais prêt à "nourrir l'enfant de lait", mais je suis loin d'être sûr que cela serait utile car, en s'habituant à cette nourriture, il leur serait difficile d epasser à celle des adultes. En outre, les autres évêques ne seraient probablement pas d'accord (...). A propos, ( dans l'ancienne Eglise de France) il n'y avait pas de nouveau calendrier! Je m'adresse avec un appel et une demande instante à mes enfants spirituels, les ouailles françaises, de supporter avec courage les complications résultant de la célébration de Pâques avec l'Eglise orthodoxe et non avec l'Eglise catholique, et ce d'autant plus que, d'après ce que je sais, il y a même chez les catholiques un mouvement pour le retour à la pascalie orthodoxe, la question ayant été soulevée à l'actuel concile du Vatican."
Le Père Evgraphe obtempéra et décida, en 1964, de célébrer Pâques conformément au calendreire julien, ce dont il informa le hiérarquequi, sitôt prévenu, télégraphia le 29 janvier de ladite année : "Très satisfait. Merci. Bénédiction du Seigneur à tous." De toute évidence, l'archevêque espérait, peu à peu, faire revenir la communauté française à la Tradition de l'Eglise orthododoxe. Il déclarera plus tard à l'Assemblée des Evêques russes hors-frontières : " Les anomalies sont corrigées au fur et à mesure chez les Français, et les avertissements qui leur sont adressés sont pris en considération." Estimant que la communauté entrait sur la bonne voie, le hiérarque adressait le message suivant au Synode, le 30 juillet 1964 : "Nous présentons la décision de l'Assemblée générale de l'Eglise Française concernant l'acceptation de toutes les conditions posées par l'Assemblée des évêques, signée par tous les clercs représentants laïcs, lesquels sollicitent la satisfaction de leur demande concernant le sacre épiscopal de l'archiprêtre Evgraphe Kovalevsky, élu par eux. Etant donné que toutes les raisons pour lesquelles ce sacre a été ajourné sont désormais caduques et que les clercs et laïcs français ont accompli tout ce que l'on exigeait d'eux, l'épiscopat de l'Eglise Russe à l'Etranger doit à son tour accomplir ce qu'elle avait promis sous réserve que les conditions posées par elle soient remplies..."
Finalement, ayant reçu du Synode les pleins pouvoirs, le hiérarcque procéda, avec l'évêque roumian Théophile, au sacre épiscopal du Père Evgraphe, qui, au préalable, accomplit sa profession monastique, comme le veut l'usage, recevant alors le nom de Jean, d'après S. Jean de Cronstadt. La cérémonie eut lieu à San Francisco le 11 novembre 1964. A cette occasion, le saint hiérarque prononça le discours suivant :
" Notre cher frère évêque Jean,
Depuis ton enfance, tu fus attiré par l'Eglise, recevant la semence de la foi, durant ta jeunesse dans ta patrie. Après que les malheurs eurent atteint celle-ci, lorsque tu arrivas dans ce pays, où dès les premiers temps fut prêché le christianisme par les successeurs les plus proches des saints apôtres, mais dans lequel, cependant, au cours des siècles, la pure foi du Christ transmise par les apôtres fut assombris par des raisonnements humains, ton esprit s'embrasa et tu voulus que la foi orthodoxe illuminât de nouveau cette contrée. Tu rencontras alors un écho dans de nombreuses âmes qui ressentaient que la foi confessée par elles n'était pas en accord total avec la vérité évangélique. Brûlant de l'aspiration d'atteindre le plus complètement et le plus rapidement possible le but que tu avais conçu, tu te consacras à cette oeuvre, de toutes tes forces, tu te précipitas sans te retourner, comme cela se produit dans de tels cas, et tu commis bien des erreurs.
Mais le Seigneur a béni ta bonne entreprise, et nombreux sont ceux qui par toi connurent la vérité et entrèrent dans la voie de sa confession. L'importance d'un troupeau sans cesse croissant - des enfants de l'ancienne Gaule, la France actuelle, qui reviennent à l'Orthodoxie -, a rendu nécessaire de nommer un évêque à sa tête. L'amour de tes enfants spirituels t'appelle maintenant au ministère épiscopal.
Avec tremblement, mais aussi avec espoir dans le Seigneur, "qui guérit les faiblesses et supplée aux déficiences", reçois maintenant ce ministère. Dans l'exercice de celui-ci ne compte pas exagérément sur tes forces et sur tes connaissances, mais suis les conseils des hiérarques plus anciens et plus expérimentés. Prêche la vérité et efforce-toi de la répandre chez ceux qui ne l'ont point encore connue. Mais ce faisant, agis avec circonspection, afin qu'en en amenant certains à la vérité, tu n'en repousses pas les autres.
Malheureusement, nombre de nos compatriotes, étant de bons enfants de l'Eglise orthodoxe, ne peuvent pas toujours différencier l'essence de la doctrine orthodoxe de ses manifestations sous telle ou telle forme, dépendant des conditions locales et du caractère du peuple concerné. Tu devras rencontrer de l'incompréhension et d el'adversité chez des hommes pieux et agissant non par mauvais desseins, mais par incompréhension. Sois courageux. Supporte toutes les afflictions et n'en aie point peur. Sois bienveillant envers ceux qui te feront obstacle, efforce-toi, là où cela est possible, de ne pas être causede scandale et d ene pas induire en tentation, afin que ceux qui s'opposent à toi parviennent à la connaissance de la vérité. Car le Seigneur veut le salut de tous.
En prêchant aux autres, n'oublie pas de t'édifier toi-même et d'accomplir tout ce que tu prêches aux autres, enseignant et agissant comme nous l'ont montré les saints Pères et les ascètes. Souviens-toi des promesses que tu as données et observe l'obéissance envers le pouvoir ecclésial dont tu dépends. Souviens-toi que chaque parole dite en secret est entendue de Dieu. Ne délaisse jamais la prière pour une oeuvre te semblant plus importante. L'action sans la prière est comme un arbre sans humidité. Garde fermement les traditions et les enseignements des saints Pères. Invoque à ton aide les saints du pays dans lequel tu prêches : saint Martin, sainte Geneviève, les saints Germain de Paris et d'Auxerre, et les successeurs immédiats des saints apôtres, les saints hiéromartyrs Denys l'Aréopagite - qui souffrit et repose dans le lieu où se déroulera ton ministère - et Irénée de Lyon, qui reçut l'enseignement de la foi orthodoxe de Polycarpe, disciple du saint apôtre Jean le Théologien, et place-toi sous leur protection.
De même, n'oublie pas les saints et ascètes de la terre russe, dont tu as entendu les noms dès ton enfance; prie-les afin qu'ils t'aident; Aie toujours en esprit devant toi ton protecteur saint Jean de Cronstadt, ainsi que le métropolite Antoine (de Kiev) qui fut semblable aux hiérarques des temps anciens, et dans les cas difficiles, demande-toi ce qu'ils auraient fait dan sune telle situation.
Maintenant, reçois ce bâton pastoral et mène tes ouailles non à travers la Mer Rouge, mais la mer noire du péché, jusqu'à la terre promise, la Jérusalem et la Sion d'en haut, vous, Pères, pasteurs et enfants de l'Eglise française, recevez votre nouvel évêque et obéissez-lui."
En d'autres termes, le hiérarque appelait le nouvel évêque à ne pas retomber dans ses errements du passé, à obéir au pouvoir ecclésial, à accueillir avec discernement ceux qui souhaitaient devenir orthodoxes, et à ne point scandaliser. Enfin, l'allusion aux saints de la terre russe n'était pas vaine : si l'on devait vénérer les saints occidentaux, on ne devait pas pour autant renier l'héritage des saints d'Orient. Si l'évêque Jean Kovalevsky avait suivi ces recommandations, le désastre eût été évité. Peu après son sacre, le saint hiérarque lui demanda à nouveau, dans une lettre datée du 25 novembre 1964, "d'agir avec circonspection et de ne rien faire qui pourrait appeler quelque reproche quant au non-respect de ses promesses ou encore scandaliser, comme la célébration d ela Liturgie ou la communion le soir ( c'est-à-dire sans le jeûne eucharistique préalable depuis minuit)". Malheureusement, après son élévation à l'épiscopat, Jean Kovalevsky, selon les témoignages de certains de ses fidèles, changea son attitude, au point que l'un des prêtres de l'E.C.O.F. écrivit au saint hiérarque : " L'épiscopat de Mr Jean (Kovalevsky) a complètement transformé le climat de l'église." A la Mère Madeleine (Grabbe), future higoumène de Lesna , qui lui demandait si ce que faisait l'évêque Jean Kovalevsky était bien, le saint répondit sans ambages : " Non!" (40). C'est pourquoi il voulait être informé de ce qui se passait à l'E.C.O.F. et, en date du 24 février 1965, le saint hiérarque envoya une lettre à Mgr Jean Kovlevsky, lui demandant de lui faire parvenir "systématiquement" des rapports sur les paroisses et lui rappelant que son activité devait se limiter à la France, car il ne lui "avait pas donné de pouvoir pour d'autres pays". Le saint lui adressa encore la lettre suivante le 27 octobre 1965 :
"Votre Excellence,
Le Synode des évêques a reçu le livre édité à Paris et intitulé " De l'initiation maçonnique à l'Orthodoxie chrétienne", dont l'auteur est Yves Marsaudon, et à la lecture duquel il est évident que, parmi les ouailles de notre Eglise française, se trouvent des gens appartenant à la franc-maçonnerie. Par une résolution de notre Assemblée des évêques de 1936, il a été déclaré que la franc-maçonnerie et le christinisme sont incompatibles, et le devoir fut imposé à tous les prêtres d'exhorter tous les francs-maçons qui se confesseraient à renier la maçonnerie et de ne pas leur donner la communion jusqu'à ce qu'ils prennent ladite mesure. Quelque temps après, le Synode des évêques de l'Eglise d'Hellade a pris la même décision, ainsi que certaines autres Eglises orthodoxes. Je vous demande d'en prendre note et, dans le cas où de telles personnes se présenteraient à l'église, d eles persuader de renoncer publiquement à l'appartenance à la maçonnerie ou de quitter l'Eglise."
Un an après le sacre, le 31 octobre 1965, le saint adressa une autre lettre à l'évêque Jean Kovalevsky, mettant l'accent sur les fautes qu'il avait commises depuis son accession à l'épiscopat. Dans sa réponse, ce dernier remerciait le hiérarque pour ses "indications". Il précisait : " Nous aurons une réunion pastorale concernant la franc-maçonnerie, suite à laquelle je vous écrirai à ce sujet" et promettait qu'il "serait plus prudent à l'avenir". Mais ces déclarations d'intention n'ont malheureusement pas été suivies d'effet. Aussi, le hiérarque manifestait-il de l'inquiétude quant à l'avenir de l'E.C.O.F. Dans une lettre du 17 mars 1966 à un prêtre cette Eglise, il écrivait : "Ces derniers jours, j'ai reçu des lettres concernant les affaires de l'Eglise de France qui sont tristes. J'ai peur pour l'avenir de notre Eglise (de France)". Le jour du Grand Lundi 1966, le hiérarque envoya une nouvelle lettre à l'évêque Jean Kovalevsky, se plaignant que des rapports ne lui étaient pas envoyés, que les clercs étaient ordonnés à la légère, que certains usages liturgiques n'étaient pas acceptables, et lui demandant des explications quant aux troubles qui se manifestaient parmi le clergé. La situation était résumée en ces termes par le président laïc de l'E.C.O.F. dans une lettre datée du 1er juillet 1966, adressée au saint hiérarque : " (...) C'est avec une grande tristesse que j'ai constaté que les sages conseils de Votre Eminence ne sont pas suivis, et que la paternelle sollicitude qu'Elle n'a cessé de témoigner à notre Eglise ne reçoit pas la reconnaissance et la gratitude qu'elle mérite (...). Un grand trouble continue à régner dans notre Eglise, et la venue de Votre Eminence serait un grand bienfait." Cette lettre ne parvint pas au saint hiérarque, qui était déjà décédé. Il ne put donc prendre les mesures qui auraient permis d'éviter un désastre spirituel. En effet, peu après le trépas du saint, l'évêque Jean Kovalevsky quitta l'Eglise Orthodoxe Russe à l'Etranger et se trouva à nouveau sans autorité ecclésiale supérieure, contrairement aux exigences de la discipline ecclésiale. Il fut alors déposé par l'Assemblée des Evêques de l'Eglise Orthodoxe Russe à l'Etranger et réduit à l'état monacal.
Si l'on peut être choqué par cet épisode de la vie du hiérarque, il convient de se rappeler que même les plus grands saints ont parfois connu des déconvenues avec des hommes dont la conduite fut préjudiciable pour l'Eglise. Comme le dit l'évêque Nicolas Vélimirovitch, "même les grands saints se sont trompés sur les hommes. Ainsi, par exemple, saint Basile regarda longtemps comme un saint homme un hérétique hypocrite et le défendit contre de nombreuses attaques jusqu'à ce qu'il fût enfin convaincu de l'imposture et regrettât tout cela avec amertume. Saint Grégoire le Théologien avait baptisé un philosophe du nom de Maxime, et l'aima tant qu'i l'accueillait chez lui à sa table. Or, ce Maxime était rusé comme un serpent et, après un certain temps, il réussit grâce à des intrigues et à des actes de corruption à se faire reconnaître patriarche de Constantinople, à la place de Grégoire... Après cette épreuve, certains reprochèrent à saint Grégoire d'avoir entretenu chez lui son pire ennemi. " Nous ne somme pas coupables, répondit le saint, si nous ne prévoyons pas la méchanceté de quelqu'un. Dieu seul connaît les secrets des hommes. Quant à nous, la loi nous enseigne à ouvrir notre coeur avec un amour paternel à chaque personne qui vient à nous.""
Pour conclure, si le groupe en question connurent de nombreuses vicissitudes, force est néanmoins de constater que, le saint sauva de nombreuses personnes, prêtres et laïcs, dont un certain nombre - principalement ceux qui furent ordonnés par le saint - quittèrent ensuite l'E.C.O.F. pour rejoindre les différentes Eglises autocéphales orthodoxes. Trois de ces personnes nous ont laissé sur leur rencontre avec Mgr Jean des témoignages émouvants.
Un prêtre orthodoxe français raconte ainsi l'une de ses entrevues avec le hiérarque : " Monseigneur, quand peut-on vous voir? - Eh bien, vres trois heures, cette nuit..." Telle fut notre première rencontre tangible avec la vie ascétique de l'archevêque. J'attendis la pleine nuit, inquiet quant à la vérité de ce rendez-vous inhabituel. Aurais-je mal compris? Réveiller l'archevêque en pleine nuit et subitement se trouver coi, marmonnant je ne sais quelle excuse timide. Aussi, quel soulagement en voyant la lumière filtrer à travers le volet. L'archevêque nous ouvre et nous prie d'attendre. Il est encore occupé avec un visiteur. Enfin seul avec lui, nous entrons dans la pièce... L'archevêque est retourné devant ses icônes. Il ne prête plus attention à ce qui se passe. On semble tout d'un coup avoir été oublié. Il est en conversation avec quelqu'un d'autre, avec les icônes. Il est debout devant elles et il leur parle. Il converse, il hoche la tête, il discute... oui, oui... non, non... peut-être... Il acquiesce, il regarde émerveillé, puis sans transition, il se retourne, fait asseoir le visiteur à côté de lui et commence l'entretien. Mais il faut quelques minutes pour savoir que dire et revenir à des problèmes qui, tout à coup, semblent si inutiles ou déjà résolus. L'archevêque pensait beaucoup de choses, mais ne disiat que l'essentiel."
Un autre témoignage évoque ainsi la personnalité spirituelle du hiérarque : " L'archevêque Jean était, dès ici-bas, libre de nos contraintes et vivait selon des critères différents. Ceci était perceptible à son simple contact, en le conduisant, en le servant, il suffisait d'être près de lui pour que cette rélaité fût évidente. Tout s'organisait, non pas selon l'ordre humain habituel, mais selon un autre ordre : au sein d'une volonté divine constamment et attentivement perçue par lui. Temps, fatigue, fluctuations de joie et de tristesse, contrariétés, tous ces aléas qui hachent notre vie, n'avaient pas de part dans sa lumière. Il était au-dessus de ces turbulences et nous ressentions auprès de lui un peu de la paix très grave et de l'attention sans faille à la volonté de Dieu qui le caractérisaient... La moindre attention à son égard le touchait profondément à condition qu'elle reste discète et dans les limites d'une très grande sobriété. Un sourire illuminait alors son visage d'une si joyeuse bonté que nous aurions fait l'impossible pour ce silencieux remerciement." Le Père Maxime Jourdant ajoute : " On avait l'impression en le voyant qu'il portait le monde sur ses épaules. De ce corps frêle émanait une force divine. Il portait dans sa prière toutes les personnes qu'il avait rencontrées."
Une autre préoccupation du saint fut d'aider les Hollandais qui devenaient orthodoxes.
En 1940, deux moines bénédictins, Jacques Akkerdijk ( + 1991) et Adrien Korporaal ( + 2002), après avoir étudié les Pères de l'Eglise, devinrent orthodoxes dans l'obédience du Patriarcat de Moscou. Au cours d'un voyage pastoral en Hollande, le hiérarque leur rendit visite. Le Père Adrien écrit au sujet de cette première visite : " Très calme, sans tenir compte des gens qui l'attendaient, il inspecta toute l'église. Il entra vénérer l'autel et examina en détail tout ce qu'il y avait dessus. Après cela, il regarda les icônes l'une après l'autre, puis les livres liturgiques, imprimés et manuscrits. Il partit une heure après. Il voulait faire connaissance avec les prêtres hollandais, et il nous dit que si nous éprouvions des difficultés, nous n'aurions qu'à le consulter." Il s'agisssait d'une jeune mission qui, autour d'un petit monastère dédié à saint Jean Baptiste, avait accompli un travail énorme de traduction des offices orthodoxes en néérlandais et d'adaptation des mélodies russes dans cette langue. Après avoir connu des difficultés, les prêtres hollandais s'adressèrent à l'archevêque Jean, qui les reçut sous son omophore en janvier 1954. Le Père Adrien poursuit : " Il venait souvent nous visiter, et, lors de ses voyages pastoraux en Hollande, il demeurait toujours dans notre monastère où il se sentait parfaitement chez lui. De plus, nous l'avions rencontré à plusieurs reprises en France, soit à Fourqueux, soit à l'école des Cadets à Versailles (...). Ce qui frappait de prime abord était son ascèse incroyablement stricte. C'était comme si un saint ermite des premiers siècles était revenu à la vie." L'higoumène Madeleine de Lesna disait que lors de l'un des premiers contacts des deux moines hollandais avec le hiérarque, l'un d'eux eut soudain des doutes et pensa qu'il s'agissait d'un "vieux croyant". Or celui-ci lut la pensée de son interlocuteur et lui dit : "Non, je ne suis pas un vieux-croyant!" (41).
La sollicitude du hiérarque accompagnait de différentes façons les orthodoxes hollandais. C'est ainsi qu'une fois, tandis que le Père Jacques priait tard dans la nuit afin que le Seigneur exauçât l'une de ses demandes, le téléphone retentit soudain. C'était le hiérarque, qui lui dit : " Va dormir maintenant; ce que tu demandes à Dieu sera probablement obtenu!" Mentionnons encore un exemple de l'attitude pastorale du hiérarque à l'égard de cette jeune communauté. Au début, devant leur insistance, il avait provisoirement permis aux orthodoxes hollandais l'usage de la pascalie occidentale, espérant qu'ils prendraient conscience de la nécessité de suivre l'usage en vigueur dans le reste du monde orthodoxe. Toutefois, lorsque le Père Jacques décida d'adopter le cycle pascal julien et demanda au hiérarque de produire un décret épiscopal enjoignant aux orthodoxes hollandais de célébrer la Pâque selon le calendrier oriental, celui-ci refusa. Il répondit que " les Hollandais doivent comprendre pourquoi cela est indispensable et prendre volontairement cette décision". C'est ainsi que le bon pasteur ne frappait pas avec la lettre de la loi, mais insistait sur le sens de la loi. Le Père Jacques devint plus tard évêque, à la demande de Mgr Jean.
En Belgique, le saint hiérarque fut à l'origine de quelques paroisses qui, par la suite, entrèrent en communion avec le Patriarcat de Moscou; C'est ainsi qu'il reçut un groupe de Belges dans l'Orthodoxie et, le 14 septembre 1962, en l'église-mémorial Saint-Job à Bruxelles, il ordonna prêtre le belgo-hollandais Joseph Lamine ( + 1986). Le Père Joseph créa alors une "Mission orthodoxe belge" et ouvrit à Bruxelles une chapelle orthodoxe francophone et néerlandophone en l'honneur de la Protection de la Mère de Dieu. Cette chapelle fut consacrée le 7 octobre 1962 par l'archevêque Jean, mais la nomination d ece dernier au siège de San Francisco et son départ en novembre de la même année pour les Etats-Unis entravèrent le développement de la mission.
D'une tout autre façon, il donna naissance à une communauté monastique flamande. Alors qu'il attendait le train sur le quai de la gare, un attroupement de jeunes gens se constitua autour de l'archevêque, se moquant de lui. Un jeune homme se tenait en retrait, respectueux. L'archevêque posa son regard sur lui. Toutefois, ils ne se parlèrent point et partirent chacun dans une direction opposée. C'était la première rencontre, décisive, du jeune homme avec l'Orthodoxie. Plus tard, il s erendit chez les Hollandais orthodoxes, où il vit en arrivant le portrait du hiérarque, qui se manifestera à lui par "un signe" (42). Il devint alors orthodoxe, et fonda une communauté monastique dans les Flandres, puis un orphelinat en Amérique Latine, dédiés au saint.
Ainsi, le prélat avait accompli le but fixé le jour de son sacre : "illuminer dans la foi le plus grand nombre d'hommes de tous les peuples".
CHAPITRE 14
LE HIERARQUE
DE L'EGLISE UNIVERSELLE
"Force de ceux qui ont confiance en Toi, affermis, Seigneur, l'Eglise que Tu T'es acquise par Ton précieux Sang".
(Hirmos de la 3ème ode du Canon
de la fête de la Rencontre du Seigneur);
Dans l'une de ses homélies, le saint hiérarque écrivait : " Chaque peuple possède un esprit particulier, et c'est ce qui constitue la base de la formation d'Eglises locales nationales. Toutes ensemble, elles constituent l'Eglise une et universelle, et apportent à celle-ci des particularités et des dons, de même que les bons serviteurs offrent ce qu'ils ont acquis en faisant fructifier les talents qu'ils ont reçus de Dieu. C'est ainsi que se crée l'assemblage agréable à Dieu de fleurs et de sons spirituels qui ornent l'Eglise, laquelle unit tous les peuples pour la gloire de Dieu. La terre offre cette beauté au ciel, tel un encens de bonne odeur." Aussi était-il conscient de l'universalité de l'Eglise et de son unité, à laquelle il convenait de veiller particulièrement. C'est pourquoi, dans une autre homélie sur " l'Eglise comme Corps du Christ", le saint hiérarque disait encore : " Les conséquences du péché non encore expulsé définitievement du genre humain, agissent non seulement dans les hommes à titre individuel, mais se manifestent aussi par eux dans l'activité terrestre de parties entières de l'Eglise. Des hérésies, des schismes, des discordes apparaissent sans cesse, arrachant à l'Eglise une partie de ses fidèles. L'incompréhension entre les Eglises locales, ou des parties de ces Eglises, ont troublé l'Eglise depuis les temps anciens et, constamment, on entend des prières s'élever pour la cessation de ces discordes au cours des offices : " Demandons l'unanimité pour les Eglises", "l'union des Eglises" ( canon triadique de l'octoèque, ton 8). " Fais cesser les disputes de l'Eglise" ( office des saints Archanges des 8 novembre, 26 mars, 13 juillet)." C'est donc la paix ecclésiale, sans compromis sur les principes, que recherchait l'archevêque dans des situations troublées. On peut appliquer au saint hiérarque les paroles qu'il prononça lui-même au sujet du métropolite Anastase, primat de l'Eglise Russe à l'Etranger : " Zélateur du maintien de l'unité des Eglises orthodoxes locales et de leur harmonie, il manifesta le plus haut degré d'esprit de paix, d'humilité et de concilaiation dans les limites du possible. Cependant, dans les questions de pureté de la foi et de piété, il fut inflexible." C'est dans ce sens qu'il donnera le conseil suivant à l'archevêque Antony (Bartochévitch), lors du sacre épiscopal de celui-ci : " A la suite de saint Basile le Grand et de saint Jean Chrysostome, en élevant sa prière pour toute l'Eglise, pour tout l'univers, l'évêque doit non seulement se préoccuper de son diocèse, mais il doit aussi prendre très à coeur tout ce qui se passe dans l'Eglise universelle; Sans te mêler des affaires concernant d'autres évêques et san sporter atteinte à leur autorité, essaie d'apporter ton aide partout où tu le pourras, par tes conseils fraternels là où ils sont nécessaires, mais surtout en donnant l'exemple de ta fermeté dans la vérité et sa défense."
Aussi recommanda-t-il aux autres évêques, lors de l'Assemblée des évêques de 1938, de "fermement se tenir sur le fondement des canons ecclésiastiques" et "de ne pas se taire sur les violations de la vérité ecclésiale" tout en maintenant la communion avec les autres Eglises orthodoxes. Lors de la même Assemblée épiscopale, il approuva l'intervention de l'archevêque Séraphim ( Sobolev) ( + 1950) dénonçant les erreurs du mouvement oecuménique.
Dans la ligne des Pères, le hiérarque ajoutait que ce devoir de préserver la pureté de la foi incombait à tous les membres de l'Eglise : "Dans la conception orthodoxe, l'Eglise n'est pas constituée seulement de la hiérarchie et du clergé, mais aussi de tout le peuple orthodoxe croyant. Leur rassemblement et leur unité, communiant aux Daints Myastères du Christ, sont à l'Eglise, le Corps du Christ. Les hiérarques et le clergé sont les dirigeants de la vie ecclésiale, mais les laïcs aussi doivent y prendre une participation active et ont une responsabilité pour la vie de l'Eglise. L'histoire de l'Eglise nous enseigne comment les laïcs ont servi l'Eglise à l'époque de l'arianisme et de l'iconoclasme, ainsi que comment les fraternités orthodoxes ont défendu l'Orthodoxie dans le sud-ouest de la Russie contre l'oppression et l'influence hétérodoxes." Toutefois, lorsque les laïcs ne se limiteront pas à leur devoir de défendre la foi, mais revendiqueront le pouvoir sur le Corps de l'Eglise, le hiérarque qualifiera cette démarche de "protestantisme", comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Dans le même souci de l'unité de l'Eglise, rompue parfois par des laïcs qui refusent un "mauvais prêtre", le saint prélat faisait la distinction entre les faux et les mauvais pasteurs. Les premiers sont par exemple ceux "qui ayant perdu le don du pastorat (c'est-à-dire qui sont déchus du sacerdoce par le tribunal ecclésiastique compétent) continuent le travail pastoral." Ceux-ci, disait le prélat "ne peuvent être utiles à ceux qui les suivent, car ils n'ont pas la grâce de Dieu". Encore insistait-il sur le fait que, jusqu'à ce que les sanctions fussent prises à leur égard par l'autorité ecclésiale, les clercs restaient les dispensateurs de la grâce divine même en cas de faute grave (43). Au contraire, les seconds exercent un sacerdoce légitime, mais sont d emauvais pasteurs. Dans ce cas, le hiérarque précisait : " Il convient de les écouter tant qu'ils prêchent l'enseignement de Dieu, mais il ne faut point prendre exemple sur eux. " Faites donc et observez tout ce qu'ils vous disent; mais n'agissez pas selon leurs oeuvres. Car ils disent et ne font pas" (Mt 23, 3) dit le Christ au sujet des prêtres et des scribes juifs (...). Les mauvais pasteurs seront punis sévèrement, car ils ont négligé le don du pastorat que Dieu leur a donné. " On demandera beaucoup à qui l'on a beaucoup donné" ( Lc 12, 48). Dieu leur demandera compte pour chaque âme qui a été scandalisée par eux ou qui, par leur négligence, s'est détournée du droit chemin." De façon caractéristique, le saint, dans son homélie sur l'apôtre Mathias (1),
(1) : ( Le texte complet en est publié dans la deuxième partie de ce livre),
rappelait que, malgré les clercs indignes, " l'Eglise est invincible aux portes de l'Hadès, sa grâce est inépuissable, et elle n'est jamais privée des pasteurs qui lui sont nécessaires."
Le XX° siècle a été riche en tribulations pour la sainte Eglise du Christ. Un régime athée s'empara dans un premier temps de la Russie, puis de la quasi-totalité de l'Europe de l'Est. Plus de la moitié des Eglises autocéphales se trouvèrent ainsi derrière le rideau de fer, avec tous les problèmes que cela comportait pour leur diaspora. Comme nous l'avons vu,l'Eglise Orthodoxe Russe était divisée en trois juridictions en Europe et en Amérique. En outre, des fractures se produisirent dans d'autres parties du monde orthodoxe, en raison notamment de l'introduction du nouveau calendrier dans certaines Eglises autocéphales. Néanmoins, observant scrupuleusement les canons qui interdisent d'ntervenir dans les affaires des autres eglises locales, le saint hiérarque refusa d'entrer en matière avec des vieux-calendaristes grecs qui lui demandaient d'intercéder en leur faveur auprès du Synode de l'Eglise Russe à l'Etranger, afin qu'ils fussent reçus par celle-ci (44). Il observera cette règle de non-ingérence à ce point que lorsqu'il voudra élever le Père Tchédomir Ostoïtch au rang d'archiprêtre, il demnadera l'autorisation au patriarche de Serbie, le clerc en question ne disposant que d'un congé canonique provisoire.
Parmi les Eglises orthodoxes, la première d'entre elles selon l'ordre défini par les canons, à savoir le patriarcat de Constantinople, retenait particulièrement sa bienveillance, mais aussi sa désapprobation lorsque cela était nécessaire. A l'occasion d'une homélie prononcée au couvent Notre-Dame-de-Lesna, il rappela quelle avait été l'attitude du métropolite Antoine alors que, durant la Grande guerre, les armées russes pensaient occuper Constantinople : "Le métropolite Antoine mentionna avec fermeté ( au Saint-Synode de Russie), qu'il convenait de se rappeler que le patriarche de Constantinople est le premier des hiérarques de l'Eglise orthodoxe et qu'on ne peut en aucun cas permettre qu'il fût déprécié. Il faut encore se rappeler que l'annexion de Constantinople à la Russie priverait les Grecs de l'espoir de la reprendre pour capitale, ce qu'ils ressentiraient avec douleur." Evoquant l'oppression turque sur le patriarcat de Constantinople, l'archevêque affirme : " Une telle humiliation extérieure du hiérarque de la ville de saint Constantin, jadis capitale de l'Univers, n'ébranle pas le respect envers lui des orthodoxes qui révèrent la cathèdre de saint Jean Chrysostome et de saint Grégoire le Théologien. Du haut de celle-ci, les successeurs de saint Jean et de saint Grégoire pourraient diriger spirituellement le monde orthodoxe entier, s'ils disposaient de leur fermeté dans la défense de la vérité (...)."
Le saint hiérarque ne manquera pas d'exprimer sa sympathie au patriarcat oecuménique, persécuté à Constantinople. Le 6 septembre 1955, le patriarcat endura de terribles persécutions, décrites ainsi dans l'organe officiel du diocèse d'Europe Occidentale de l'Eglise Russe à l'Etranger : " Des cinquante-quatre églises de Constantinople, seules deux sont restées en l'état... Le séminaire de Khalkis a été pillé... Plusieurs centaines de Grecs ont été martyrisés. Un prêtre âge de quatre-vingts ans, le Père Chrysanthe, qui voulait défendre son église, y a été brûlé vif." Le hiérarque s'adressa alors au représentant du patriarcat oecuménique, Mgr Mélèce (Karabinis) ( + 1993) en ces termes :
" Votre Excellence,
Je vous demande vivement de transmettre ma profonde compassion à Sa Sainteté le patriarche oecuménique et au peuple grec, à l'occasion de cette sauvage persécution dont ils ont été maintenant l'objet. La destruction de ce qui est saint - les églises et les objets sacrés - appelle la plus profonde affliction dans tout le monde orthodoxe, et la violence accomplie à l'égard des Grecs emplit de compassiontoutes les âmes russes, d'autant plus que le peuple russe a toujours considéré de son devoir d'aider le peuple grec à réaliser sa liberté et son unité; Je prie le Dieu plein de bonté, afin qu'il envoie Sa consolation dans la grâce au peuple grec dans son grand malheur.
Me recommandant à vos saintes prières, je demeure votre frère dans le Christ.
+ Archevêque Jean "
Dans son message de Noël 1955, le saint pasteur s'adressa ainsi à ses ouailles sur le même sujet :
" La méchanceté des ennemis du Christ est déchaînée également à notre époque... Les pleurs, les lamentations et les larmes résonnent dans les pays orthodoxes asservis... Les Grecs ont été massacrés il y a peu de temps et les saints lieux qui subsistaient encore dans la ville de l'empereur Constantin ont été détruits comme dans notre patrie... Mais ceux qui souffrent pour le nom de Christ chantent maintenant avec les saints Innocents et ceux qui Lui sont fidèles Le glorifient avec les rois!"
A plus d'une reprise, l'archevêque avait exprimé sa compassion pour le morcellement de l'Orthodoxie sur les terres grecques. Avant la Seconde Guerre mondiale, il s'était exprimé ainsi sur le rattachement du Dodécannèse à l'Italie : " Les îles du Dodécannèse, qui constituent une partie du patriarcat oecuménique, ont été réunies durant la Grande guerre, contrairement au principe d'autodétermination des peuples, à l'Italie, qui s'efforce d'interrompre le lien de ces îles avec les autres terres grecques, les regroupant en une entité ecclésiale autonome, et favorisant simultanément l'expansion du catholicisme par tous les moyens dans cette population qui fut orthodoxe dès les temps anciens." Et pour conclure, d'émettre ce souhait : " Il est indubitable que si le Seigneur donne que Constantinople redevienne la capitale politique de la Grèce, les Eglises grecques (c'est-à-dire le patriarcat oecuménique et l'Eglise d'Hellade) se réuniront."
Malgré toute sa bienveillance envers l'Eglise de Constantinople, le prélat désapprouvait les agissements des patriarches Mélèce IV (45) et Grégoire VII (46). Le premier, avec son "congrès pan-orthodoxe" nuisit à l'unité de l'Eglise en introduisant la réforme du calendrier, et le second sympathisa avec "l'Eglise Vivante" en U.R.S.S., une organisation schismatique alliant réformes liturgiques inacceptables et allégeance au régime soviétique. Selon les paroles du hiérarque, les patriarches mentionnés portèrent atteinte à " l'autorité morale du patriarcat de Constantinople". Lorsque plus tard, le patriarche Athénagoras Ier (47) s'engagera sur la voie de l'oecuménisme, le saint encouragera la publication de textes dénonçant l'ecclésiologie erronée de celui-ci, constituant une altération du dogme orthodoxe sur l'Eglise. C'est dans ce sens que, en 1965, il proposera la tenue d'une assemblée clérico-laïque de l'Eglise Orthodoxe Russe à l'Etranger avec pour tâche de confirmer son attitude envers "le mouvement oecuménique et son ferme attachement à l'Orthodoxie et aux Traditions des Saints Pères".
Dans toutes ses actions, le hiérarque était guidé par la Tradition de l'Eglise et non par les passions. Selon l'expression du défunt Père Tchédomir Ostoïtch, "l'archevêque Jean n'était point un homme de parti" (48). Aussi son attitude à l'égard du patriarcat de Moscou était-elle fondée sur le discernement. Complétons ici ce que nous avons déjà dit à ce sujet. L'archevêque considérait que, en Occident, " on ne pouvait être en communion avec les autorités ecclésiales soumises et asservies à un pouvoir ennemi de l'Eglise" et ce d'autant plus que cela serait nuisible pour l'épiscopat en Russie même. En effet, écrivait-il, "lorsque les émigrés russes prendraient position contre le régime soviétique, celui-ci ne se gênerait pas pour pendre le patriarche (de Moscou) aux portes du Kremlin, comme les Turcs avaient pendu le patriarche S. Grégoire V aux portes du patriarcat ( de Constantinople)." " Il est contre nature pour le pouvoir ecclésial, ajoutait-il, de se trouver en état de dépendance du pouvoir civil qui s'est donné pour but l'anéantissement de l'Eglise et d ela foi même en Dieu." Il affirmait cependant que l'Eglise patriarcale faisiat partie de l'Eglise Universelle et, par conséquent, disposait de la grâce divine (49). A ceux qui considéraient que, non compromise avec le pouvoir athée, l'Eglise Russe à l'Etranger restait la seule Eglise orthodoxe russe, il répondit : " Nous sommes une partie de l'Eglise Russe et nous respirons l'esprit de l'Eglise Russe de tous les siècles. Toutefois, en parvenir à la conclusion extrême que nous sommes la seule Eglise est dangereux. Nous cheminons sur la voie droite, d'autres s'en détournent, mais on ne peut avec un sentiment orgueilleux mépriser les autres, car il y a partout des évêques et des prêtres orthodoxes... Au prophète Elie, lorsqu'il pensa qu'il gardait lui seul la foi, le Seigneur révéla qu'il y en avait encore sept mille autres..." Il refusait également de considérer que les églises relevant du patriarcat de Moscou fussent "souillées" de quelconque façon. C'est ainsi qu'il célébra dans une chapelle de ladite obédience, installée dans une maison de vieillards de la région parisienne, où vivait l'un de ses amis (50). Le saint hiérarque était compatissant envers l'Eglise captive en U.R.S.S., ce dont témoigne l'évêque Basile Rodzianko, que nous avons déjà mentionné; Alors qu'il disait au hiérarque "Monseigneur, je ne peux pas jeter des pierres sur l'Eglise Russe!", celui-ci répondit : " Que le Seigneur t'en garde! Moi-même, je commémore le patriarche Alexis Ier à chaque Liturgie, au moment de la prothèse* !" lorsque la liberté serait revenue, le hiérarque souhaitait, comme nous l'avons vu, que toutes les parties de l'Eglise Russe se réunissent, mais il espérait aussi que ceux qui auraient failli durant ces terribles persécutions se repentissent : " Parmi les évêques apparemment soumis au pouvoir soviétique, écrivit-il, beaucoup sont torturés par leur conscience et, le moment venu, suivront l'exemple de ceux qui, au concile de Chalcédoine, déclarèrent avec larmes qu'ils avaient été contraints d'approuver le "brigandage d'Ephèse", tout comme le saint patriarche Paul qui, rongé par les remords, revêtit le grand habit monastique en reconnaissant sa faiblesse devant les iconoclastes."
Nous avons déjà évoqué le schisme qui s'était produit en Europe et en Amérique dans l'Eglise russe. Ajoutons quelques extraits de lettres du hiérarque à ce sujet. Il écrivit en 1934 à l'archevêque Vital (Maximenko) : " Je partage vivement votre souhait de pacification des discordes ecclésiales." En 1937, alors que des espoirs se manifestaient quant à l'unité de l'Eglise russe dans la diaspora, le hiérarque écrivit : " Que la grâce divine vienne en nous, et qu'il n'y ait qu'un troupeau du Christ!" En 1951, lorsque ces ruptures seront malheureusement consommées, il affirmera : " Nous ne souhaitons pas polémiquer avec eux ( ceux qui se sont séparés) et prouver notre justesse, nous souvenant des paroles de l'apologiste ancien, selon lesquelles "la foi ne se prouve pas, mais se montre"."
De toutes les Eglises autocéphales, c'est envers l'Eglise de Serbie qu'il manifesta le plus de sympathie. En 1950, lors du trépas du patriarche Gabriel de Serbie, il présidera à New York la Panykhide * pour le défunt, en concélébration avec l'évêque Jean (Chakhovskoï) de la Métropole russe d'Amérique, et de nombreux prêtres serbes, grecs, syriens et roumains. A l'issue de l'office, il prononça une homélie, traçant un parallèle entre le défunt et le saint hiéromartyr Gabriel de Serbie, martyrisé par les Turcs au XVII ° siècle : " Frères serbes! Toute l'Eglise orthodoxe universelle pleure le trépas du patriarche Gabriel. L'Eglise grecque voit en lui son élève. L'Eglise russe avait en lui un ami fidèle et un défenseur dans les années difficiles de ses épreuves; Mais le coup le plus dur est pour l'Eglise serbe... C'est à ce saint Gabriel (martyrisé durant la période ottomane) que ressembla le défunt. Il se chargea aussi de ses ouailles spirituelles, défendant la liberté de son peuple. C'est la raison pour laquelle les annemis l'incarcérèrent, et il passa quelques années en exil ( durant l'occupation nazie). Lorsqu'il revint dans sa patrie, il la trouva sous un nouvel esclavage, et il ne courba pas l'échine, continuant à défendre la liberté de conscience. Il aurait pu, en s'engageant sur la voie du compromis, recevoir honneur et facilités, mais il préféra monter la garde de la foi et de la justice. Ce combat difficile, ainsi que la période d'incarcération, brisèrent ses forces. C'est une grande colonne qui est tombée, une grande colonne du peuple serbe. Il est vrai qu'il ne fut point assassiné, comme son homonyme, mais sa mort fut la conséquence des épreuves qu'il subit. A l'instar de son prédécesseur, le patriarche Barnabé, il sera vénéré par le peuple comme un hiéromartyr." En 1966, le Père Tchédomir écrira : " A l'époque de son ministère en Europe Occidentale, le bienheureux archevêque Jean se trouvait souvent parmi les Serbes. Maintes fois, il célébra à l'église serbe de Paris. Il fut plusieurs fois invité chez les Serbes en Angleterre et, en 1961, il assista dans ce pays aux funérailles de la Reine Marie de Yougoslavie... Il fut un grand défenseur de l'unité de l'Eglise serbe. Quelques années avant le malheureux schisme ( qui déchira alors l'Eglise serbe, mais qui, par la grâce de Dieu, est maintenant résorbé), le bienheureux archevêque dit à plusieurs reprises : " Vous êtes heureux, vous les Serbes! La miséricorde divine repose sur vous, l'héritage spirituel de saint Sava (premier archevêque de Serbie) est conservé dans son intégralité. Vous avez une seule et unique Eglise!"" Et quand le scisme se produisit, l'archevêque descendit sans hésitation l'unité de l'Eglise serbe, considérant que le patriarche et le Synode des évêques avaient gardé et maintenu la liberté interne de l'Eglise et n'avaient rien fait qui pourrait être considéré "comme une trahison du Christ et des intérêts fondamentaux et essentiels de l'Eglise".
La sollicitude de l'archevêque Jean devait se manifester également envers les émigrés roumains d'Europe occidentale. Il ne s'agissait pas pour lui d'intervenir dans les affaires de l'Eglise Roumaine, mais de secourir des Orthodoxes non russes qui, par les vicissitudes de l'histoire, étaient privés de toute structure canonique. Voici comment Jean-Paul Besse, dans son ouvrage L'église orthodoxe roumaine de Paris, décrit la situation de cette église au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : " Dès l'arrivée au pouvoir à Bucarest de Gheorghiu-Dej, les menées de son ambassade en France interrompirent la vie paisible de l'église roumaine de Paris. Le gouvernement communiste voulait obtenir la propriété de l'église et nommer les prêtres. Il envisagea même de transformer l'édifice en simple musée de la culture roumaine. Malgré la résistance des fidèles, l'église resta fermée pendant trois ans et demi. L'intervention des autorités françaises et les élections au conseil de paroisse permirent de célébrer à nouveau les offices. Toutefois, la communauté, ne dépendant plus du patriarcat, restait sans évêque, au mépris de l'ordre canonique (...). Le principal célébrant se contentait de commémorer de vagues "évêques qui souffrent pour leur foi". Or, le métropolite roumain Bessarion exilé en France - condamné à mort en 1946 par le tribunal populaire de Bucarest- vivait relégué dans un asile de vieillards à Draguignan, par suite des menées de Bucarest. Il était le seul évêque roumain resté libre en Europe Occidentale." Le clergé roumain s'étant adressé à l'archevêque Jean pour lui demander son aide, le saint hiérarque répondit ainsi, en date du 26 mars 1954 :
"Très révérend Père,
En réponse à la requête que vous m'avez adressée, je dois vous répéter avant tout ce que je vous ai dit préalablement : à savoir que la plénitude de la vie de l'Eglise n'est possible que lorsqu'elle est couronnée par son évêque, selon la parole du Père Cyprien de l'Eglise de Carthage : " Là où il n'y a pas d'évêque, il n'y a pas d'Eglise."
C'est pourquoi les paroisses restées sans pastorat épiscopal doivent établir le lien perdu avec leur évêque et, si cela n'est pas possible, se soumettre au pastorat spirituel d'un autre.
Dans la situation présente, où des parties importantes de différentes Eglises autocéphales se trouvent hors des frontières de leur patrie et du territoire de leur Eglise, il est on ne peut plus désirable que chacune de ses parties, coupées de son Eglise-Mère, soit guidée pastoralement par ses évêques qui se trouvent dans les mêmes conditions.
Considérant tout cela, le mieux pour le troupeau roumain qui se trouve hors de Roumanie et dans les conditions de réfugié, serait de se placer sous son épiscopat roumain, dont la canonicité ne fait pas le moindre doute et qui n'est pas en liaison ou sous l'influence du régime persécuteur de l'Eglise.
A ma connaissance, parmi les évêques roumains, il n'y en a qu'un seul, à savoir le métropolite Bessarion, suivi, en ce moment, en Europe Occidentale, par une partie seulement du clergé et des fidèles roumains.
Sans entrer dans les discussions sur les causes qui ont amné cet état de choses et sans prétendre imposer une domination sur l'Eglise roumaine et s'immiscer dans sa vie intérieure, je puis déclarer que l'Eglise Russe à l'Etranger, dans la personne de sa hiérarchie, est prête à aider efficacement la réalisation des décisions positives concernant les affaires ecclésiastiques roumaines et soutenir l'Eglise roumaine, si toutefois les chefs du clergé et des fidèles roumains qui se trouvent ici désirent cela. En particulier, cela concernerait la formation d'une autorité supérieure ecclésiastique roumaine hors-frontières.
Implorant la bénédiction de Dieu sur vous et sur les enfants de l'Eglise Roumaine.
+ L'humble archevêque Jean"
Sur ces instances du saint hiérarque, la situation canonique de la paroisse roumaine de Paris fut régularisée. C'est ainsi que la paroisse fit appel au métropolite Bessarion, lequel, à son tour, demanda l'aide de l'archevêque Jean pour consacrer un évêque vicaire en la personne de l'évêque Théophile Ionescu (+ 1975). Le dimanche 26 décembre 1954, en l'église russe Saint Nicolas à Versailles, le métropolite Bessarion, avec les archevêques Jean de Bruxelles et d'Europe Occidentale et Nathanaël de Carthage et de Tunisie, procéda au sacre de l'évêque Théophile. Selon les souvenirs de l'archevêque Nathanaël (51), le choeur roumain chantait les hymnes de la Nativité, tandis que le choeur russe entonnait les tropaires du Dimanche des ancêtres du Seigneur. Le saint hiérarque, malgré son attachement à l'ancien calendrier savait être conciliant là où cela était à la fois possible et nécessaire; Les deux communautés célébraient ainsi autour du même autel, chacune maintenant son propre calendrier. Le prélat n'avait-il pas trouvé ainsi une solution agréable à Dieu?
Nous voyons donc que, comme il s'y était engagé le jour de son sacre épiscopal, le saint hiérarque Jean ne lmita point ses préoccupations à ceux qui lui avaient té confiés directement, mais qu'il promena son regard spirituel sur toute l'Eglise du Christ. Se rappelant que "si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui" ( 1 Co 12, 26), le hiérarque vivait profondément l'unité de l'Eglise orthodoxe; Chaque malheur s eproduisant dans le monde orthodoxe appelait sa compassion. C'est ainsi qu'à l'occasion du tremblement de terre qui se produisit en Grèce en 1953, sur l'île de Zakynthos, laissant soixante mille personnes sans abri et détruisant une centaine d'églises, le hiérarque adressa ses condolénaces au roi de Grèce et au saint-synode de l'Eglise d'hellade. En 1964, lors du tremblement de terre de Skoplje en Yougoslavie, il fera parvenir au patriarche de Serbie des fonds recueillis à San Francisco pour les sinistrés.
De même, le saint vivait aussi les joies du monde orthodoxe. C'est ainsi que, comme s'en souvient le Père Pierre Loukianoff, " le 5 juillet 1963, lorsque nous lisions la Neuvième Heure, l'archevêque m'interrompit après le tropaire de saint Athanase l'Athonite, puis me dit : " Aujourd'hui, il y a de grandes solennités au Mont-Athos." Lui demandant de quoi il s'agissait, Monseigneur me répondit que c'était la commémoration du milléniare de la Sainte Montagne. Ce n'était pas une remarque vaine. Il était clair que Monseigneur Jean, de toute son âme et de tout son esprit, se trouvait sur l'Athos."
Le hiérarque manifestait tout spécialement sa communion dans la prière avec le monde orthodoxe le Vendredi Saint. Comme s'en souvient encore le Père Pierre, "après l'office des Vêpres, Mgr Jean visitait toutes les églises orthodoxes de San Francisco, qu'elles fussent grecques, syriennes, ou autres et vénérait le saint épitaphios."
Le saint souhaitait que les fidèles fussent eux aussi conscients de leur appartenance à l'Eglise orthodoxe universelle et il laissa pour ainsi dire un testament spirituel lors de la réunion paroissiale de San Francisco en 1966. " Etant réunis pour résoudre les affaires de notre paroisse, nous devons avoir clairement conscience que la paroisse est une parcelle de la grande Eglise universelle, une petite branche de l'Eglise locale de Russie." Ce n'est pas non plus sans raison que, dans l'un de ses décrets épiscopaux, l'archevêque avait ordonné que l'on chantât chaque fois, à l'issue des Vigiles, l'hirmos de la troisième ode du canon de la fête de la Rencontre du Seigneur : " Force de ceux qui ont confiance en Toi, affermis, Seigneur, l'Eglise que Tu T'es acquise par Ton Sang précieux!" Cet hymne avait été introduit dans les églises restées fidèles au saint patriarche Tykhon au moment du schisme de "l'Eglise vivante" en Russie, et constituait une prière pour l'unité de l'Eglise, laquelle fut la préoccupation majeure du hiérarque, que ce soit en Chine, en Europe ou en Amérique.
CHAPITRE 15
EN AMERIQUE,
SUR LE BANC DES ACCUSES
" Nombreuses sont les tribulations des justes
mais de toutes le Seigneur les délivrera"
(Ps 33, 20)
A San Francisco, un ami de longue date du saint, l'archevêque Tykhon, devait se retirer pour cause de maladie et, en son absence, la construction de la cathédrale avait été interrompue, en raison de disputes qui avaient éclaté dans la communauté russe. En réponse à la demande pressante de milliers de fidèles de San Francisco qui l'avaient connu à Changaï, l'archevêque y fut envoyé par le Synode en 1962, considérant qu'il était le seul hiérarque apte à rétablir la paix dans la paroisse.
Il fit donc ses adieux à ses ouailles d'Europe occidentale. Comme pour les consoler, il leur dit à l'issue de la dernière Liturgie qu'il célébra à Paris. " Les hommes qui ont le même but et qui aspirent à l'unique nécessaire ont leurs âmes unies et ne se sentent jamais séparés par l'éloignement. Peu importe l'étendue de cette distance : elle ne peut constituer un obstacle à cette proximité spirituelle qui unit les hommes dans cette unanimité des âmes."
Le hiérarque arriva à San Francisco le 4 décembre 1962. Tout comme à Changaï, c'était en la fête de l'Entrée de la Mère de Dieu au temple et, autre similitude, il devait également y achever la construction d'une cathédrale. L'archevêque fut d'abord nommé administrateur du diocèse et, jusqu'au décès de l'archevêque diocésain Tykhon, il se considérait comme "marié à sa cathèdre" d'Europe Occidentale, selon l'expression des canons de l'Eglise. Il en avait conscience à tel point que sa montre indiquait l'heure de Paris, ce qui provoquait la moquerie de ceux qui ne le connaissaient pas. Mais, comme l'a écrit le Père Pierre Loukianoff, "chez l'archevêque, tout était fondé. Vivant à San Francisco, il se préoccupait de la vie de ses ouailles d'Europe occidentale. Je me rappelle le Grand Samedi 1963. Après la Divine Liturgie, nous ôtâmes les ornements liturgiques du hiérarque. Il était trois heures, selon l'heure de San Francisco. L'archevêque regarda sa montre, se signa, puis dit : " A Paris, les Matines pascales ont commencé."" Une fidèle parisienne se souvient : " Ce fut la première nuit pascale sans le hiérarque. Après la Liturgie, lorsque nous étions tous à table, j'entendis soudain la sonnerie du téléphone. Je partis répondre, et, ô mon Dieu, c'était lui, notre cher archevêque Jean! Il nous souhaita une bonne fête de la résurrection du Christ."
Le 30 mars 1963, l'archevêque Tykhon décéda, tandis que l'on chantait le kondakion : "Avec les saints fais reposer, ô Christ, l'âme de ton serviteur.." à l'occasion de la Panykhide annuelle pour le métropolite Antoine, et le Synode nomma alors l'archevêque Jean ordinaire de l'Amérique Occidentale. Comme le saint le mentionna lui-même, "le Grand Carême se passa à San Francisco avec un grand nombre de fidèles participant aux offices, observant le jeûne, et la fête de Pâques eut lieu dans une ambiance d'enthousiasme spirituel. Les difficultés dans la paroisse étaient notablement aplanies et on en parlait déjà comme de difficultés passées. Ayant décidé qu'il était temps, désormais, de poursuivre la construction de la nouvelle cathédrale, je lançai un appel à ce sujet durant la semaine de Thomas, rappelant en même temps l'imminence de l'assemblée générale des paroissiens. La nécessité de continuer les travaux était accrue par le fait que le permis de construire expirait le 1er juin et ce parce que j'étais intervenu personnellement auprès des autorités, sans quoi la date eût déjà été fixée au 1er avril." S'adressant aux fidèles, le saint pasteur s'exclama : " Ainsi parle le Seigneur des Armées : ce peuple dit : " Le temps n'est pas venu, le temps de rebâtir la maison du Seigneur." C'est pourquoi la parole du Seigneur leur fut adressée par Aggée, le prophète, en ces mots : " Est-ce le temps pour vous d'habiter vos demeures lambrissées, quand cette maison est détruite?" A qui sont adressées ces paroles du Seigneur? Lontemps avant la Nativité du Christ, c'est ainsi que, par le prophète Agée, parlait le Seigneur aux Juifs revenant à Jérusalem après la captivité de Babylone. Mais de telles paroles s'adressent littéralement aux ouailles de San Francisco aussi. N'entend-t-on pas de telles paroles maintenant? : " Ce n'est pas le moment de construire l'église", dit-on. or, nombreux sont ceux qui achètent des maisons, accroissant leurs biens. Il est concevable que nous entendions de telles paroles chez les incroyants. Il est compréhensible que les athées, qui haïssent tout ce qui rappelle Dieu, détruisent les églises construites par nos pieux ancêtres. Mais comment des croyants, qui fréquentent l'église, peuvent-ils répéter de telles paroles? L'église est un lieu sanctifié, saint, dans lequel demeure éternellement la grâce divine. lors de la bénédiction du temple de Salomon, la gloire de Dieu, sous la forme d'une nuée, emplit la maison de Dieu. Ainsi en était-il dans le temple vétéro-testamentaire. Mais combien plus agit la grâce de Dieu dans les églises du Nouveau Testament, dans lesquelles est donnée une véritable purification des péchés, dans lesquelles on communie au Corps et au Sang du Christ, dans lesquelles l'Esprit Saint descend de façon permanente sur les Saints Dons ainsi que sur l'assistance durant la Liturgie (...). Les églises ne sont pas nécessaires à Dieu, dont le trône est le ciel et le marchepied la terre, mais elles le sont à nous-mêmes... En construisant des églises ici sur terre, nous nous bâtissons des toits éternels dans le ciel. Que quelques décennies passent et nos corps seront corrompus. Peut-être ne restera-t-il rien de nos os, mais nos âmes vivront éternellement. Bienheureux sera celui qui aura préparé pour son âme une demeure dans les chambres nuptiales célestes! Et même si les églises qui ont été construites sont détruites, les noms des fondateurs seront inscrits dans les livres éternels de Dieu et les prières qui seront élevées en elles seront scellées. " Ainsi dit le Seigneur Tout-Puissant : considérez attentivement vos voies, montez à la montagne, apportez du bois, et bâtissez la maison : je me plairai en elle et je serai glorifié. je suis avec vous, dit le Seigneur.""
Malgré les admonestations du hiérarque, les opposants à la construction de la cathédrale ne désarmaient pas. Les accusations les plus invraisemblables furent lancées à l'adresse du saint : avoir manifesté des tendances "de gauche" lorsqu'il se trouvait à Changaï, encouragé le gardien de l'église de San Francisco à retourner en Russie soviétique, etc. Dès le début de cette pénible affaire, l'archevêque était allé à la rencontre des opposants, se rendant même à leurs réunions. Cee fut malheureusement en vain. Ceux-ci réussirent à convaincre certains évêques que l'activité de l'archevêque Jean était nuisible et qu'il fallait donc lui faire quitter sa nouvelle cathèdre. C'est ainsi que, le 25 avril 1963, le Synode ordonna à l'archevêque de partir et de rejoindre l'Europe Occidentale. Cependant, les fidèles, dont les anciens orphelins de Changaï, adressèrent une pétition aux membres du Synode, leur demandant de revenir sur leur décision. Quant au saint hiérarque, il n'encouragea pas l'agitation des fidèles contre le Synode, mais leur enjoignit au contraire de rester soumis à celui-ci et de s'abstenir de toute action intempestive. " Je suis moine, leur dit-il, aussi je dois obéir à tout ce que décide le Synode." Au demeurant, le hiérarque était strict en matière de discipline ecclésiale. Il racontait qu'en Russie, un évêque diocésain était décédé. Un prêtre de village participa aux funérailles. Revenu dans sa paroisse, il continua à commémorer l'évêque comme s'il était encore vivant. A la demande des paroissiens surpris, il répondit qu'il n'avait pas encore reçu le décret du Consistoire. Le hiérarque faisait remarqyer qu'il sa'gissait là, naturellement, d'une attitude extrême, mais qu'il approuvait une telle rigueur dans la discipline. Le hiérarque agissait donc comme il le préconisait, supportant toutes ses afflictions par la foi. N'avait-il pas écrit, dans son cours de pastorale : " Où le pasteur trouvera-t-il la capacité et la force pour effectuer son oeuvre si ce n'est dans la foi? Lorsque le pasteur verra s'élever contre lui toute une tempête de haine et de méchanceté et lorsqu'il pourra arriver que toutes les forces de l'enfer se déchaînent contre lui, la foi sera le solide support et l'instrument éprouvé pour lutter contre elles. A travers les nuages de l'affliction terrestre qu'il aura supportée, il verra, à l'aide de la foi, par ses yeux spirituels, les beautés du paradis, préparées pour ceux qui auront fait oeuvre de patience jusqu'à la fin." Ainsi, la foi et la patience du hiérarque ne furent point vaines : le métroplite Anastase réussit à convaincre l'épiscopat de renoncer à sa décision et de prolonger de six mois le statut d'administrateur d el'archevêque. Toutefois, les opposants continuèrent leur oeuvre destructrice. Dans un rapport au métropolite Anastase, le saint hiérarque décrivit ainsi les événements : " Le jeudi 6 juin 1963, alors que l'office du soir venait juste de s'achever, un huissier de justice américain arriva, assisté par un Russe. Dès que je quittai l'église, ils me remirent un exemplaire de la plainte de seize membres du conseil de paroisse et de leurs collaborateurs contre seize membres de l'ancien conseil, moi-même et l'archiprêtre Nicolas Dombrovsky (...). L'ancien conseil était accusé d'avoir occasionné des pertes financières à l'église et j'étais moi-même poursuivi pour avoir couvert leurs actions..." C'est ainsi que le pasteur, à l'instar de nombreux saints avant lui, se trouvait injustement accusé.
Le 9 juin eut lieu l'élection du nouveau Conseil de paroisse, qui fut favorable au hiérarque et à la construction de la nouvelle cathédrale. Mais cela fournit un nouveau grief aux opposants : l'archevêque aurait gardé chez lui le registre des paroissiens, empêchant de cette façon le contrôle de l'élection. C'est ainsi que le 9 juillet 1963 eut lieu l'audience publique devant le tribunal de San Francisco. Tandis que le juge Day, qui éprouvait de la sympathie pour l'archevêque, lui proposait de s'installer dans une pièce attenante durant le procès, le saint refusa cette proposition bienveillante et s'assit humblement dans la salle d'audience, aux côtés de l'archevêque Léonce du Chili (+ 1971) et des évêques Sava d'Edmonton (+ 1973) et Nectaire de Seattle ( + 1983), qui étaient venus soutenir leur frère dans l'épiscopat. Le 27 juillet, le tribunal rendit son jugement, aux termes duquel il se déclarait incompétent en matière ecclésiastique, demandant néanmoins une inspection des registres financiers de la paroisse. La société d'audit conclut par la suite à l'absence de malversation de la part de l'archevêque et du conseil de paroisse. Le 14 août, le Synode, après avoir consulté l'ensemble de l'épiscopat, nommait définitivement l'archevêque au siège de San Francisco. A son retour du Synode, le saint hiérarque fut accueilli triomphalement par les fidèles de la métropole californienne. Voici comment le journal local San Francisco Chronicle décrivit l'événement : " Un groupe de pieux membres de la colonie russe de San Francisco a accompli un véritable pèlerinage à l'aéroport international de San Francisco hier soir. Ils étaient venus acclamer le retour triomphal de l'archevêque Jean, cet homme frêle, dont beaucoup (...) pensent qu'il est saint. Le vénéré prélat tenait son bâton pastoral, qui est le symbole du pouvoir de l'évêque diocésain (...). Des centaines de Russes accoururent à la sortie de l'aéroport et entonnèrent, les larmes aux yeux, un hymne joyeux lorsque l'avion de l'archevêque Jean, en provenance de New York, atterrit. "Il ne dort pas la nuit, il visite les malades et les aliénés et les guérit", dit une femme âgée, ajoutant : " C'est un saint!" Grégoire Bologoff, chef du centre russe de San Francisco, tendit à l'archevêque une boule de pain russe avec un peu de sel."
Ce qui est frappant dans toute cette affliction que le hiérarque supporta, est sa fermeté dans les principes, en même temps que son absence de passions envers ceux qui l'outrageaient. C'est ainsi que le métropolite Anastase, à l'issue de l'entretien qu'il eut avec lui le 16 mai 1963, s'exclama : " Je ne reconnais plus Mgr Jean. Lui qui était calme, silencieux, doux, manifeste maintenant une insistance, une vivacité, une ténacité!" En fait, permettre à un groupe de fidèles de diriger l'Eglise constituait une négation de la structure ecclésiale et il devait s'y opposer. Il dira plus tard, lors d'une assemblée paroissiale (1) :
(1) : ( Texte complet p. 279).
" Nous devons nous diriger selon les règles ecclésiales, créée sur le fondement et dans l'esprit des canons de l'Eglise. Si nous ne faisons pas confiance aux canons de l'Eglise, si nous nous en détournons, nous nous engageons ipso facto sur la voie du protestantisme et nous perdons le droit à nous appeler chrétiens orthodoxes." Quand au côté purement passionnel de l'affaire, il savait bien d'où il venait. C'est ainsi que lorsque l'archiprêtre Séraphim Slobodskoï lui demanda quel était le responsable de l'agitation menée contre la construction de la cathédrale, le saint répondit : " Le diable!" Suivant le précepte du prophète Habacuc, le hiérarque ne "voulait pas faire boire à son prochain un breuvage souillé" ( Ha 2, 15), et préférait passer sous silence cette lamentable histoire; Selon le témoignage de l'archiprêtre Elie Wen, "Monseigneur Jean ne fit part à personne de ses souffrances." Un fidèle affirme que, lorsqu'il questionna "inopinément l'archevêque sur les désagréments liés à la construction de la cathédrale de San Francisco, il feignit de s'endormir durant quelques minutes." Et ce fidèle d'ajouter : " Je ne revins jamais sur de telles questions." En fait, comme l'a remarqué l'évêque Mitrophane, "l'attitude du hiérarque envers telle ou telle question de la vie ecclésiale résultait toujours des principes qui y étaient liés. Son appréciation des événements et des faits n'était jamais dépendante de l'auteur, du responsable du problème, du phénomène ou de l'événement donné. L'archevêque Jean ne savait pas sacrifier l'objectivité l'amitié, à l'affection personnelles ou encore des services qui lui auraient été rendus titre individuel." Au même sujet, le Père Pierre Loukianoff ajoute que, travaillant au Synode, il prit connaissance de documents concernant l'affaire de San Francisco", dans lesquels "des gens eux-mêmes hostiles au hiérarque, témoignaient qu'il parlait calmement et objectivement de ses adversaires." Loin de toute vengeance envers ceux qui l'vaient injustement calomnié, sa seule préoccupation sera de rétablir la paix de son troupeau pour la seule gloire de Dieu, ce dont témoigne ce mandement aux ouailles de San Francisco en date du 13 octobre 1964, dans lequel il dira :
"En rendant grâces au Seigneur pour la fin du procès (...), nous appelons les ouailles à mettre fin à toutes les accusations mutuelles et s'efforcer de passer sur tout ce qui a été provoqué par le trouble ecclésial. En défendant la justice, comme elle était comprise par chacun, des offenses ont été proférées de part et d'autre, des soupçons ont été exprimés ou sous-entendus, qui divisèrent la communauté russe en d emultiples camps adverses. Par la sentence du tribunal, il est désormais clair que ces soupçons et ces accusations étaient sans fondement. Par une telle décision judiciaire, la réputation russe est sauve, et cela est réjouissant non seulement pour les accusés, mais aussi pour tous les Russes, surtout pour ceux qui ont fait des dons pour la construction de la nouvelle cathédrale. Les paroissiens sont désormais assurés que les fonds offerts ont été utilisés conformément à leur destination.
Que la glorification de saint Jean de Cronstadt et que ses propres prières nous aident à chasser de nos coeurs toute malveillance, et, en rétablisssant la paix, à nous réunir autour de l'Eglise de Dieu.
Que la bénédiction divine repose sur tous!"
Ces "tribulations américaines" se sont transformées en joie, non seulement pour la colonie russe de Californie, mais, par la miséricorde de la Très Sainte Mère de Dieu, pour toute l'Amérique orthodoxe. En 1964, la plus grande cathédrale de l'Eglise russe sur le continent américain fut terminée et ornée de cinq coupoles dorées. Les immenses croix furent majestueusement hissées après une procession solennelle. Un détail intéressant nous est connu par une orthodoxe française, qui avait assisté la cérémonie : " L'archevêque s'arrangeait aussi très bien des conditions atmosphériques : à San Francisco, pour la mise en place des Croix de la nouvelle cathédrale, il avait fallu choisir le mois de novembre, période des pluies en Californie. Les fidèles affolés lui représentèrent le désastre que serait une procession, métropolite et évêques en tête, sous un orage californien. Il leur répondit : " Nous nous arrangerons!" Le matin, il fallut placer des saux pour éviter l'inondation de l'ancienne église. L'après-midi, une procession de deux mille fidèles se groupa sous des cataractes. L'archevêque Jean parut sur le perron : aussitôt, ce fut un arc-en-ciel et un soleil radieux... Les nuages noirs se groupèrent sagement autour de la ville et les trombes reprirent de plus belle sitôt la dernière bénédiction donnée" (52). Dans sa prédication, le saint hiérarque souligna : " La Croix est élevée comme un signe de la victoire du Christ sur le diable, un signe de la victoire du Christ sur tous ceux qui se dressent contre Lui. Ainsi, lorsque la Croix est désormais élevée au-dessus de nous et bénit la cité de San Francisco, c'est notre signe, c'est notre arme contre toutes les tentations, tous les malheurs, tous les désastres."
Ce ne fut pas toutefois la seule affliction que subit le hiérarque. Tandis que, comme nous l'avons évoqué plus haut, le saint attendait avec impatience la glorification de saint Jean de Cronstadt, le jour venu lui apporta une grande déception. C'était la veille du 1er novembre 1964, jour qui coïncidait avec la fête païenne américaine appelée Halloween. Préférant participer au bal traditionnellement donné en cette occasion, nombre de fidèles ne vinrent pas aux vigiles en l'honneur du saint nouvellement glorifié. Le hiérarque imita alors saint Tykhon de Zadonsk, auquel l'orphelinat de San Francisco était dédié. En effet, ce saint était monté sur son attelage et fit irruption au milieu d'une fête païenne durant le jeûne des saints Apôtres, manifestant un saint mécontentement et réchauffant chez beaucoup le zèle pour la piété. Deux siècles plus tard, le hiérarque Jean allait adopter une attitude similaire. A l'issue des vigiles, il demnda au chauffeur de le conduire, non pas à un hôpital pour rendre visite aux malades, comme il en avait l'habitude, mais au centre russe, où se déroulait le bal. Arrivé à destination, le hiérarque monta l'escalier et entra dans la salle, à la stupéfaction du public. La musique cessa subitement. L'archevêque, en silence, jeta sur l'assistance un regard sévère, mais, come le mentionna le Père Pierre Loukianoff, "sans manifester d'animosité personnelle envers qui que ce soit." Le saint mettait ainsi en pratique les paroles du psaume : " Irritez-vous, mais ne péchez point" ( Ps 4, 5). Il fit ainsi tout le tour de la salle, le bâton pastoral à la main, puis partit, toujours en silence. Le Père Pierre rapporte qu'à une autre occasion, l'archevêque se rendit à un bal qui avait lieu dans des conditions semblables, mais réclama cette fois un microphone et adressa un discours à l'assistance. " Je savais à quel point, dit le Père Pierre, Monseigneur Jean était contrarié par tout cela, mais il parlait calmement." Le lendemain, le clergé reçut la directive selon laquelle ceux qui s'étaient rendus au bal ne pourraient prendre part à l'office, pas même en tant que servants ou chanteurs. En dehors de toute distraction, si un bal était organisé à des fins caritatives, celui-ci ne pouvait nuire à la vie de prière du fidèle, raison pour laquelle le hiérarque s'opposait à ce qu'il eût lieu le samedi soir, "la fin ne pouvant justifier les moyens". Et d'ajouter : "L'organisation de bals la veille des fêtes est un mal terrible qui porte atteinte à la vie ecclésiale... Ceux qui ont participé au bal n'assistent pas aux Vigiles du samedi... Et s'ils viennent le dimanche, ils ne viennent pas dans les dispositions avec lesquelles il convient de se présenter à l'église... Si tout cela est nuisible pour les adultes, combien plus cela l'est-il encore pour les jeunes qui ne sont pas encore imprégnés des usages orthodoxes et qui les connaîtront difficilement dans les conditions actuelles d'un milieu ambiant non orthodoxe."
Avant
de passer à la vie quotidienne du saint hiérarque dans son dernier
diocèse, évoquons brièvement un chapitre de sa vie qui lui apporta
encore des afflictions, mais qui, comme tous les autres, fut
bénéfique à la vie de l'Eglise, ce qui était son seul souci.
Alors que le métropolite Anastase se retirait en mai 1964 en raison
de son grand âge, l'Assemblée des évêques se réunit pour élire
son successeur. L'archevêque Jean, de par l'ancienneté de son sacre
épiscopal, était le remplaçant du primat et semblait le mieux
placé pour lui succéder. Lors du second tour de crutin, deux
candidats furent retenus, dont le saint. Or, un seul suffrage les
séparait. La situation semblait irrémédiable. Comme nous l'avons
mentionné, l'archevêque avait des ennemis tenaces, même au sein de
l'épiscopat et ceux-ci eussent préféré en arriver au schisme
plutôt que de se soumettre à lui. Là encore, le prélat fit preuve
d'humilité. Il fit venir chez lui le plus jeune évêque, Mgr
Philarète ( Voznessensky) ( + 1985) et le persuade d'accepter la
lourde tâche de primat. Le lendemain, le hiérarque retira sa propre
candidature et recommanda l'évêque Philarète, qui fut élu à
l'unanimité. Comme tout ce que faisait le saint, ce choix n'était
point fortuit. Ascète éprouvé, le futur métropolite Philarète
avait vécu à Harbin, en Chine, où il avait confessé
courageusement la foi sous l'occupation japonaise et ensuite sous le
régime communiste. En 1962, alors que la quasi-totalité de son
troupeau s'était réfugiée en Australie, il obtint un visa de
sortie et rejoignit ses ouailles. En 1953 déjà, alors qu'il était
question que l'archimandrite Philarète quittât la Chine,
l'archevêque Jean avait recommandé sa candidature à l'épiscopat,
comme une "personne de grande valeur". Devenu, en 1963,
évêque-vicaire de Brisbane, il fut envoyé à New York par
l'ordinaire du diocèse d'Australie, afin d'élire le nouveau primat.
Lui remettant la crosse, le saint hiérarque lui dit : "...
Et maintenant, seigneur et frère, reçois la crosse du pasteur,
monte sur le trône de notre Seigneur Jésus-Christ, et prie Sa Très
Pure Mère pour toute la chrétienté orthodoxe, pour les Russes qui
te sont confiés, qui se trouvent dispersés, et pais-les comme un
bon pasteur, et que le Seigneur t'accorde la santé et de nombreuses
années!
CHAPITRE 16
LA VIE QUOTIDIENNE
A SAN FRANCISCO
"Prêche la parole, insiste en toute occasion, favorable ou non, réfute, censure, exhorte, avec toute douceur et en instruisant"
(2 Tm 4, 2)
A San Francisco, comme durant toute sa vie passée, le saint hiérarque travaillera à l'ecclésialisation de son troupeau, influencé cette fois par le mode de vie américain. C'est ce qu'il exprima dans l'une de ses homélies :
"Ici, en Amérique, la prédication de l'Orthodoxie commença il y a cent cinquante ans, en partie par l'illumination des païens grâce à saint Germain (d'Alaska). Maintenant, la prédication est nécessaire non seulement aux païens, mais encore plus à ceux qui sont déjà baptisés et s'appellent orthodoxes. Si nous comparons notre vie à ce qui est dit dans l'Evangile, ou même à la vie imparfaite que l'on menait dans notre Patrie dans les derniers temps, comme nous sommes loin de ce qui est nécessaire au chrétien! Alors que nous avons tout dans cette vie, nous avons abandonné entièrement toute piété (...). Nous changeons nos habitudes pénétrées de l'esprit de l'Orthodoxie au profit d'usages qui ne sont pas seulement étrangers à celle-ci, mais sont même hostiles au christianisme. Bien que nous construisions de magifiques églises, les fréquentons-nous dans une mesure suffisante? Souvent, elles sont vides, même les jours de grande fête, et ce, non pour des causes majeures mais librement consenties. Qui plus est, les jours destinés par l'Eglise l'office divin, et la veille au soir, des distractions sont organisées par des gens qui s'appellent orthodoxes, attribuant à celles-ci mensongèrement des buts caritatifs. C'est ainsi que l'on est détaché de ce qui est primordial, indispensable pour le chrétien, c'est-à-dire la prière, par laquelle on entre en communion avec Dieu. Grâce à elle, lors des fêtes, les chrétiens se remplissent de forces spirituelles qui les aident à fuir les tentations et à les vaincre. En passant les fêtes comme les jours habituels ou, pis encore, en les utilisant pour les distractions, nous mourons spirituellement et nous nous livrons facilement à toutes sortes de vices. Et cela est particulièrement désastreux pour les jeunes, car, n'ayant devant eux que de mauvais exemples, ils délaissent complètement la piété orthodoxe, et les paroles menaçantes de la Sainte Ecriture peuvent se réaliser sur nous : " Plusieurs viendront de l'Orient et de l'Occident, et seront à table dans le Royaume de Dieu, mais les fils du Royaume seront jetés dehors" (cf. Mt 8, 11). Qu'il n'en soit pas ainsi! Nous nous réjouissons de la venue d'autres peuples dans l'Eglise du Christ, mais nous sommes affligés du départ du peuple qui est appelé théophore et qui fut considéré gardien de la foi du Christ. Que la foi orthodoxe renaisse en lui et la vie pieuse en conformité avec celle-ci!"
C'est dans ces conditions que le saint s'efforcera de faire cheminer son troupeau dans la voie de l'authentique tradition orthodoxe!
Tout comme naguère à Changaï et à Paris, le hiérarque n'occupa pas une résidence épiscopale. Il s'installa dans une petite cellule de l'orphelinat Saint-Tykhon-de-Zadonsk : " Un meuble avec des livres, un grand kiote recouvert d'icônes, une veilleuse toujours allumée, une table de travail et un fauteuil - voilà tout ce que l'on y trouvait" mentionne un fidèle.
Le Père Pierre Loukianoff décrit ainsi la journée de l'archevêque : " Le matin, il célébrait les Matines, les Heures, puis la Divine Liturgie, soit à l'orphelinat Saint-Tykhon, soit à la cathédrale. Après les offices, s'il célébrait à la cathédrale, il se rendait en route dans quelque hôpital pour rendre visite aux malades orthodoxes. Arrivé chez lui, il s'occupait des affaires ecclésiastiques. Toutefois, les dimanches et les jours de fête, le hiérarque laissait de côté toutes ces affaires et s'abstenait même de rédiger des décrets épiscopaux, sauf dans le cas où c'était pour accorder une bénédiction divine. Un jour, les membres d'une commission de révision des comptes vinrent chez l'archevêque afin qu'il apposât sa signature au protocole correspondant. L'un des membres ayant fait remarquer qu'ils avaient travaillé toute la soirée, le hiérarque demanda : " Vous dites que vous avez travaillé toute la soirée?" Suivit une réponse affirmative. Alors, il fit cette observation : " Ainsi, vous vous êtes réunis pour cela, au lieu d'assister aux Vigiles dominicales?" Et il refusa de signer le document. Outre les affaires courantes, il recevait de grandes quantités de lettres, auxquelles il répondait lui-même. En trois ans et demi, il en reçut San Francisco plus de dix mille!" Enfin, comme partout ailleurs, il vécut dans l'ascèse, ne prenant qu'une légère collation avant minuit. " Pour manger, il utilisait seulement une assiette et une cuillère à soupe, en tenant toujours son chapelet et en priant", se souvient encore le Père Pierre. Encore n'achevait-il même pas son repas s'il était appelé au téléphone et que la conversation se terminait après minuit. En effet, s'il prenait de la nourriture après cette heure, il ne pourrait communier le lendemain.
Tout comme en Chine et en Europe, le saint prélat continua en Amérique, tel le bon Pasteur, à donner sa vie pour son troupeau. Mentionnant que San Francisco comptait dix-sept hôpitaux, le Père Pierre poursuit : " Monseigneur Jean promulgua un décret selon lequel tous les hôpitaux étaient répartis entre les prêtres de la ville. Ceux-ci avaient le devoir de visiter leur hôpital une fois par semaine et, une fois par mois, de remettre à la chancellerie du diocèse la liste des malades visités. Quant à Monseigneur, dans le courant du mois, il visitait tous les hôpitaux, se rendant plusieurs fois là où les malades russes étaient plus nombreux. Une fois, je parcourais avec Monseigneur les couloirs vides d'un hôpital et il me fit remarquer qu'en France, à la différence de l'Amérique, les hôpitaux étaient pleins de visiteurs les dimanches et les jours de fête. Le hiérarque, à bien des reprises, à Noël comme à Pâques, du haut de l'ambon, exhortait les fidèles à ne pas oublier les malades en ces grands jours de fête. Peu avant ces fêtes, l'association des paroissiennes préparait des paquets de friandises et le prélat laissait à chacun de ceux qu'il visitait une boite-cadeau." L'un d eceux qui l'accompagnaient raconte les visites de l'archevêque aux hôpitaux de San Francisco, l'après-midi de Noël, après le repas à l'orphelinat Saint-Tykhon-de-Zadonsk : " Nous chargeâmes quelques dizaines de petits cadeaux dans la voiture et partîmes; Pendant la route, le hiérarque sortit d'un étui en velours un petit livre d'heures édité avant la révolution, et nous demanda de lire les psaumes, ce que nous fîmes. Du fait qu'il visitait souvent les malades, le personnel hospitalier le connaissait fort bien. Dans chaque hôpital, il savait exactement dans quel bureau entrer pour obtenir la liste des patients orthodoxes. Dans l'un des hôpitaux, le hiérarque entra dans une pièce, tira le tiroir du bureau et prit lui-même la liste que l'on avait préparée pour lui. Il n'y a pas de mots pour décrire l'expression des visages des malades lorsqu'ils voyaient Monseigneur Jean. Dans chaque chambre où nous entrions, nous chantions le tropaire et le kondakion de la Nativité du Christ. Le hiérarque consolait chacun des malades et lui offrait un cadeau. Souvent, des personnes qui n'étaient pas orthodoxes l'appelaient chez elles. Il venait et les bénissait. Même une Juive russe en larmes baisa la main du hiérarque après avoir reçu de lui un cadeau... et Monseigneur Jean étincelait de joie."
Par ses mains passaient des sommes importantes venant de dons, qu'il distribuait entièrement aux nécessiteux, ainsi qu'aux monastères du Mont-Athos et de Terre-Sainte.
Comme sur ses cathèdres précédentes, le saint hiérarque se montra soucieux de l'enseignement de ses ouailles, qu'il s'agisse des enfants ou des adultes. Le Père Pierre se souvient que "Monseigneur Jean s'efforçait de visiter quotidiennement le lycée paroissial. Il considérait en outre de son devoir d'assister à tous les examens de catéchisme, non seulement au lycée, mais aussi dans les autres écoles." Comme jadis à Changaï, il aimait questionner les enfants sur la vie de leurs saints patrons. Le Père Pierre ajoute que "sachant que les enfants le regardaient, il traçait son signe de Croix avec attention et comme il convenait de le faire, prenant soin que sa main touche chaque épaule." Lorsqu'il célébrait à l'orphelinat, il aimait revêtir un phélonion* rouge avec un omophore* en laine. Il enseignait ainsi aux enfants le sens de l'ornement épiscopal par excellence : à savoir que l'omophore représente la brebis égarée que le Bon Pasteur rapporte sur ses épaules au bercail. Se référant à la brebis, cet ornement doit donc être confectionné en laine. En règle générale, le hiérarque était aussi strict pour l'enseignement spirituel qu'il l'était pour les offices divins : il laissait partir à leurs cours les prêtres catéchistes qui chantaient au choeur, même si l'office n'était point encore terminé. Le Père Pierre ajoute que le saint "comprenait les jeunes, aimait plaisanter, s'intéressait toujours à leurs occupations. Plusieurs fois, il avait même organisé à ses frais des soirées à l'orphelinat pour que la jeunesse russe ait la possibilité de se réunir. Je me rappelle qu'une fois, après l'office, Monseigneur Jean nous demanda, à nous les servants, ce que nous nous apprêtions à faire. Nous répondîmes que nous souhaitions aller au cinéma voir un film. Le hiérarque s'intéressa à savoir lequel. Apprenant que le film était sérieux, historique semble-t-il, il nous donna à chacun l'argent pour payer le ticket d'entrée."
Comme par le passé, le prélat se préoccupait de la catéchèse des adultes. A son arrivée à San Francisco, il mit en place des cours théologiques, qui étaient dispensés par le clergé local. Lui-même se chargeait de l'enseignement de l'office orthodoxe. A ses yeux, l'instruction théologique était indispensable non seulement pour ceux qui se préparent au sacerdoce, mais aussi pour chaque laïc. " Comment les parents pourraient-ils éduquer leurs enfants, s'ils ne connaissent eux-mêmes l'Orthodoxie?", disait-il. L'archevêque contrôlait lui-même le déroulement des études et n'autorisait le report des cours que dans le cas où, ce soir-là, les vigiles seraient célébrées. Ces cours étaient suivis par une vingtaine de personnes, mais, disait le saint, ils auraient lieu même si une seule personne y assistait! Peu avant son trépas, le hiérarque s'adressa aux fidèles, leur demandant leur aide pour acquérir un bâtiment destiné à l'école russe dans le quartier de la cathédrale. Pour le saint, l'absence d'une telle école aurait signifié pour la nouvelle génération la "perte de sa nationalité et de la foi de ses pères". Sans elle, ajoutait-il, "notre cathédrale se viderait au bout d'un certain temps, et les petites églises devraient être fermées en raison de l'absence de paroissiens". Qui plus est, leprélat voyait dans le maintien de l'Orthodoxie et de la culture russe, la possibilité pour la génération à venir, "d'aider ses frères actuellement asservis, lors du retour de la Russie sur sa voie historique". Enfin, il insistait sur le fait que la question de l'école concernait "toute la communauté russe sans division en groupes", enjoignant aux jeunes "de ne point s'adonner aux discordes de l'ancienne génération". Néanmoins, comme en Chine et en Europe, sa sollicitude pastorale ne se limita pas aux Russes, mais s'étendit aux peuples autochtones. C'est ainsi qu'au début de 1966, il décida qu'une liturgie serait célébrée en anglais en la cathédrale de San Francisco le premier dimanche de chaque mois. Il célébra lui-même la première liturgie dans cette langue. Il ordonna aussi que le bulletin paroissial Pravoslavny Blagovestnik contînt un article en anglais dans chaque livraison. Il donna également sa bénédiction à la Confrérie S. Germain d'Alaska, qui édita la revue Orthodox Word, dans laquelle étaient publiés des articles concernant la vie spirituelle, et dont le rédacteur fut Eugène Rose, l'un de ses fils spirituels, devenu hiéromoine Séraphim (+ 1982).
Nombreux furent, à San Francisco aussi, les miracles accomplis par le saint. Nous n'en mentionnerons que quelques-uns. Nikita Biouïk fut le témoin d'un miracle qui montre la disponibilité totale du saint pour son troupeau : " Après un office festif, Mgr Jean vint déjeuner chez nous en compagnie du clergé. Ma mère prépara le repas, tandis que les enfants servaient à table. Soudain, on sonna, et j'ouvris la porte. Un inconnu s etenait sur le seuil. Il me dit que dans un hôpital situé non loin de là était alité son enfant âgé d'un an et demi. Les médecins disaient qu'il ne lui retsait que quelques heures à vivre. Le malheureux père vit par la fenêtre que Mgr Jean entrait chez nous. Il demanda en larmes à l'archevêque de prier pour le rétablissement de son enfant. Je me dirigeai vers la table où était assis le hiérarque. A peine avais-je pu dire quelques mots, qu'il se leva. Nous partîmes immédiatement à l'hôpital. Il posa sa main sur la tête de l'enfant mourant, leva les yeux au ciel et commença à prier. Il ne pria que quelques secondes. Ensuite, il dit : " Tout se passera bien, l'enfant vivra". Nous sortîmes, et, quelques mois après, cet homme vint chez nous. Un petit enfant, en parfaite santé, tournait autour de ses jambes. Cet homme nous pria de transmettre au hiérarque sa plus sincère gratitude."
Une autre personne, Mme Liu, écrit : " A San Francisco, mon mari eut un accident d'automobile, suite auquel il fut grièvement blessé. Il perdait son équilibre et souffrait horriblement. A cette époque, l'archevêque éprouvait de nombreuses difficultés; Connaissant la puissance de ses prières, je pensais : " Si j'invitais Monseigneur Jean à se rendre auprès de mon mari, il se rétablirait." Toutefois, je craignais de faire appel à lui en raison de ses nombreuses occupations. Deux jours passèrent, et soudain Monseigneur Jean vint chez nous en compagnie de M. Troyan, qui l'avait amené. Il ne resta que cinq minutes, mais je croyais que mon mari se rétablirait. C'était le moment le plus critique de son état, mais, après la visite de Monseigneur Jean, un changement radical commença à s'opérer et il se rétablit peu à peu. Il vécut encore quatre ans après cela. Il était assez âgé. Plus tard, je rencontrai M. Troyan, qui me raconta que, conduisant l'arcgevêque à l'aéroport, celui-ci lui dit soudain : " Allons chez Liu!" Le chauffeur objecta au hiérarque qu'il raterait l'avion et qu'il ne pouvait pas tourner à ce moment. Celui-ci répondit à son tour : " Pouvez-vous prendre sur vous la vie d'un homme?" Il n'y avait rien à faire, et M. Troyan conduisit le saint chez nous. Toutefois, il ne manqua pas son avion, car on l'avait retardé pour lui."
Tamara Bogatskoï raconte comment il aida sa famille : " Nous arrivâmes en 1963 en Amérique (...). Nous fîmes entrer notre fils à l'hôpital en raison de troubles pulmonaires, et il fut opéré. Quant à mon mari, il était déjà malade lorsqu'il arriva, et il ne pouvait trouver un travail. J'obtins moi-même un emploi, mais il m'était difficile de nourrir une famille avec un seul salaire. Nous ne connaissions pas Mgr Jean avant de venir ici, mais nous entendîmes, en Amérique, parler de ses miracles. Nous nous demandions tout le temps comment l'inviter chez nous pour tout lui raconter. Or, nous n'avions pas d'argent et nous ajournâmes notre projet. Et voici ce qui se produisit : Mgr Jean vint chez nous, de façon inattendue, à onze heures du soir. Nous lui racontâmes ce qui s'était produit avec notre fils à l'hôpital. Le prélat se dirigea auprès de mon mari, le regarda longtemps dans les yeux, puis fit le tour des chambres, demandant qui y dormait. E,suite, il partit sans dire mot. Bientôt, mon mari trouva un emploi. Il travailla dix ans, ce qui permit à nos enfants de suivre l'enseignement supérieur. L'archevêque Jean rendait visite à mon fils à l'hôpital et y vint même avec l'icône miraculeuse de Koursk. La plupart du temps, il venait le voir tard dans la soirée. Bientôt, mon fils fut rétabli. Le second miracle eut lieu avec mon autre fils. On me téléphona soudain depuis l'école à mon travail pour m'annoncer que mon fils était atteint d'une paralysie faciale du côté droit. Le médecin spécialiste nous dit que la seule possibilité de guérir le malade était l'intervention chirurgicale. Nous entreprîmes de fixer une date pour l'opération. Immédiatement après, nous nous rendîmes à la cathédrale, où nous rencontrâmes le hiérarque et lui fîmes part de notre malheur. Lors des vigiles de la fête de saint Nicolas, lorsque mon fils s'approcha de l'archevêque pour recevoir l'onction, Monseigneur Jean l'oignit, traçant une grande Croix en plusieurs endroits sur la face malade. L'état de mon fils s'améliora et, lorsque nous vîmes le médecin, il nous dit qu'une intervention s'avérait désormais inutile. Prenant congé de moi, il me dit qu'il s'agissait là d'un miracle. Deux jours avant son trépas, le saint nous appela au téléphone et me demanda comment se portait mon mari; Aussi, bien que pressentant son décès, Monseigneur se préoccupait de ses enfants spirituels".
Un fidèle du saint, V. Naoumoff, raconte que, malgré les épreuves liées au procès que nous avons évoqué plus haut, " notre archevêque n'oubliait pas les malades. C'est ainsi qu'il vint me visiter à l'hôpital avec l'icône de Notre Dame de Koursk. J'avais perdu du poids, il ne me restait littéralement que la peau sur les os, ne pouvant manger. Les douleurs étaient insupportables. Monseigneur me dit alors : " Ce n'est rien, demain, cela ira mieux." En effet, le lendemain, les douleurs disparurent... Je me rappelle l'étonnement des médecins, qui me firent rester encore trois jours à l'hôpital et me laissèrent partir chez moi."
C'est ainsi que malgré ses labeurs et toutes les tribulations qu'il avait connues, le saint continuait inlassablement son oeuvre dans la vigne du Christ. En quarante ans, il ne s'était jamais étendu sur un lit. Ne devait-il point se reposer maintenant, entrer dans la joie de son Seigneur?
CHAPITRE 17
LE TREPAS DU JUSTE
" Avez-vous vu le corps d'un juste, que l'âme a quitté? On ne craint pas de l'approcher lors de son enterrement, la tristesse est transformée en une sorte de joie ineffable".
(S. Ignace Brantchaninoff)
Comme beaucoup de saints avant lui, l'archevêque Jean Maximovitch avait eu préalablement connaissance du moment de sa mort, ce dont témoigna le métropolite Philarète, qui écrivit : " Je puis dire que la dernière fois que Mgr Jean siégea à la réunion du Synode, après que j'eusse célébré un office d'intercession pour son voyage à San Francisco avec la sainte icône de Koursk, il prit congé de moi de façon tout à fait inhabituelle. Au lieu de prendre l'aspersoir et de s'asperger d'eau bénite lui-même comme le font ordinairement les évêques, il s'inclina profondément et humblement devant moi et me demanda de l'asperger, après quoi au lieu de nous baiser mutuellement la main selon l'usage, il prit ma main, l'embrassa et enleva brutalement la sienne. Je le menaçai du doigt, et nous sourîmes tous les deux. Cela était très émouvant de sa part, mais je n'y attribuai pas d'importance sur le moment. Maintenant, je pense qu'il me fit réellement ses adieux. Nous ne nous sommes plus revus..." Dans la même lettre, le métropolite ajoute : " Une femme pieuse, digne de confiance, m'a raconté ce qui suit. Mgr Jean, qui la connaissait depuis douze ans, lui rendait souvent visite pour des conversations spirituelles. Et voici qu'en mai de cette année, lorsque l'archevêque vint la voir, elle fut stupéfiée par ses paroles : " je vais mourir bientôt, lui dit-il, à la fin du mois de juin" ( le décès eut lieu effectivement le 20 juin suivant l'ancien calendrier) ajoutant, ce qui est encore plus étonnant : " Je mourrai non pas à San Francisco, mais à Seattle." Une autre fidèle rapporte que "le saint téléphona, cinquante minutes seulement avant son trépas, demandant si tout allait bien. Lorsqu'on lui parla alors d'un document qu'il n'avait pas réussi à trouver avant son départ ( ses documents américains), il répondit tranquillement : " Cela n'a plus d'importance." De même, quelque temps avant ce jour si douloureux pour nous, lorsque nous lui fîmes part de notre souhait d'effectuer un pèlerinage en Terre Sainte, l'archevêque, après avoir remercié tout le monde, dit : " Je ne pourrai aller en Terre Sainte."" A son ami Y. Khrouchtchev qui lui demandait s'il reviendrait lui rendre visite, il répondit doucement : " Dieu sait ce qui se passera avec moi aujourd'hui ou demain." Le saint fit donc ses adieux à ceux qui lui étaient les plus proches. A ce sujet, l'higoumène Madeleine, du couvent Notre-Dame-de-Lesna, relate : " L'archevêque Jean nous donna un merveilleux témoignage de son amour et de sa préoccupation pour nous le jour même de son trépas. Ce jour-là, il nous envoya une lettre qui, de toute évidence, fut expédiée juste avant la Liturgie, et dans laquelle il n'écrivit que ces quelques mots : " Je vous envoie ma bénédiction à toutes ensemble et à chacune en particulier." Nous n'avons pas de doute qu'il savait qu'il allait mourir ce jour et qu'il nous envoyait sa dernière bénédiction."
Quelques jours avant son trépas, on le vit, sans raison apparente, décrocher l'icône de saint Nahum d'Ohrid, que nous avons évoquée au début de cette biographie, ainsi que celle de S. Jean Baptiste. Il les posa toutes deux sur le lutrin au milieu de l'église. On n'en comprit la raison qu'après le bienheureux trépas du hiérarque : en effet, il décéda le jour de la fête de saint Nahum et les funérailles eurent lieu en la fête de la Nativité de saint Jean Baptiste. Le Père Pierre Loukianoff témoigne que, trois jours avant son trépas, le saint hiérarque téléphona devant lui à la rédaction du magazine Rouskaïa Jizn' de San Francisco, afin de passer une annonce concernant l'office de saint Jean Baptiste qui, insista-t-il, serait pontifical et solennel.
Le saint hiérarque s'endormit dans le Seigneur le samedi 2 juillet (19 juin selon l'ancien calendrier), à 15h50. Il avait célébré la Liturgie le matin en l'église de saint Nicolas et des saints néomartyrs de Russie à Seattle, puis était resté encore trois heures en prière dans le sanctuaire. Il monta ensuite dans sa chambre et demanda à deux de ses servants de l'attendre en bas, parce qu'il voulait se rendre au cimetière; Quelques minutes après, ceux-ci entendirent un bruit et montèrent à la chambre du hiérarque. Ils le trouvèrent étendu près de la porte. L'ayant relevé, ils l'assirent dans un fauteuil et téléphonèrent aux services médicaux, mais le saint était parti à la rencontre de son Seigneur. Comme l'exprima ensuite l'évêque Nectaire de Seattle, "son départ a été paisible et sans douleur". Pour l'évêque Sava d'Edmonton, ce doux trépas constituait la réponse à cette prière de l'ecténie "demandons au Seigneur une fin chrétienne, sans douleur, sans honte et paisible", que le hiérarque prononçait "avec profondeur et pénétration." Mentionnons encore que le Saint mourut avec les Saints Dons sur la poitrine, car il devait donner la Communion à une malade. Ajoutons qu'à l'instar de son saint protecteur Jean de Tobolsk, qui était mort paisiblement devant l'icône de la Mère de Dieu de Tchernigov, le saint hiérarque Jean décéda devant l'icône de Notre Dame de Koursk qu'il avait tant vénérée.
Dans toutes les églises de San Francisco, des Panykhides furent célébrées le soir même pour le saint. Le dimanche 3 juillet, la Liturgie fut célébrée à Seatle, et malgré l'heure fort matinale, l'église était bondée. Après la Liturgie et la Panykhide, le cercueil fut amené à l'aéroport, puis, à 15 heures, fut transporté par avion à San Francisco. L'évêque Necctaire, qui emportait avec lui l'icône miraculeuse, accompagnait le corps. " Que de fois, se rappelle une fidèle à cette occasion, nous avions conduit et accueilli notre pasteur à l'aéroport! L'administration le connaissait bien. Le personnel de bord disait souvent : " Eh bien! Ce voyage se passera bien, l'évêque russe vole avec nous!""
Des centaines de personnes s'étaient rassemblées à l'aéroport de San Francisco. L'administration permit aux personnes venues à la rencontre du cercueil, de s'approcher de l'avion et, pour la première fois dans l'histoire de l'aérodrome, une procession funèbre traversa le tarmac : Mgr Nectaire avec l'icône de Notre Dame de Koursk en tête, les moniales du couvent de Notre-Dame-de-Vladimir, les confréries, le choeur de la cathédrale, le clergé et une foule énorme. Après une courte litie, le cortège se dirigea vers l'ancienne cathédrale, puis passa devant la résidence de l'archevêque - l'orphelinat Saint-Tikhon - pour arriver à la nouvelle cathédrale. Partout, la circulation était arrêtée par la police. Une grande foule attendait devant la nouvelle cathédrale. Comme l'a noté un témoin, "le corps fut accueilli par le clergé de la cathédrale comme s'il était vivant." Une Panykhide fuit célébrée aussitôt, à laquelle assista l'archevêque Jean (Chakhovskoï), de la juridiction de la métropole d'Amérique.
Pendant quatre jours, ce fut une Vigile continue. Chaque jour, après les offices du matin et du soir, une Panykhide solennelle était célébrée et, le reste du jour, jusqu'à minuit, l'Evangile était lu d emanière ininterrompue par le clegé diocésain. Après minuit, on pouvait assister à une scène touchante : les servants et les lecteurs de la cathédrale lisaient le psautier toute la nuit, et ainsi, l'archevêque était entouré des jeunes qu'il avait tant aimés, célébrant une dernière vigile avec eux. Pendant tout ce temps, le peuple en procession défilait pour faire ses adieux au pasteur. A l'issue de chaque office, l'un des hiérarques présents prononçait une homélie. Le dimanche 3 juillet, l'évêque Nectaire de Seattle avait invité le peuple présent à vénérer "les reliques" de l'archevêque Jean. Le jour suivant, l'évêque Sava d'Edmonton évoqua la mémoire de l'archevêque, appelant celui-ci "bienheureux" et "thaumaturge", révélant qu'il lui avait déjà adressé des prières comme à un saint. Le 6 juillet, l'archevêqueAberce de Jordanville rappela "le combat de l'archevêque avec le sommeil", mentionnant que le hiérarque ne s'était jamais étendu sur un lit durant quarante ans de vie monastique. Le 7 juillet, le métropolite Philarète, qui venait d'arriver de New York, évoqua "l'ascèse chrétienne authentique" du prélat. Un témoin écrit : " Dès le premier jour de cette "Vigile", il était clair que ce n'était pas une habituelle cérémonie d'adieu à un défunt, même pas à un hiérarque. On se trouvait devant le mystère d ela sainteté. Ceux qui étaient présents étaient convaincus qu'ils étaient venus aux obsèques d'un saint. Durant tous ces jours, il y eut un extraordinaire débordement d'amour. Chacun ressentit soudain qu'il était orphelin... Les ennemis endurcis du hiérarque vinrent lui demander pardon."
Les funérailles commencèrent dans la soirée du jeudi 7 juillet. Elles furent concélébrées par le métropolite Philarète de New York, les archevêques Léonce du Chili et Aberce de Jordanville, les évêques Sava d'Edmonton et Nectaire de Seatle, vingt-quatre prêtres et deux diacres, en présence de mille cinq cents personnes. Le Père Séraphim Rose, qui composa un Acathiste (1) au saint
(1) : ( Publié p. 343 du présent volume)
et qui était présent à l'office, écrivit ensuite : " La ferveur d eceux qui assistèrent à ce long office ( qui dura six heures) a, probablement, été rarement égalée en ce siècle; la meilleure comparaison serait la ferveur manifestée aux offices de la Semaine Sainte et de Pâques. Les sentiments qui s'en dégageaient étaient vraiment similaires. A la tristesse pour le départ de l'homme de Dieu qui avait été un père pour un troupeau innombrable en Chine, en Europe et dans le monde entier, était mêlée une anticipation de la joie de gagner quelque chose de plus grand : un intercesseur céleste." Un fidèle se rappelle que "les petits-enfants retiraient leurs croix et les posaient eux-mêmes dans les mains du hiérarque, dans le cercueil. Les jeunes mères apportaient leurs nouveaux-nés et les en approchaient, comme pour demander une bénédiction." Ce qui fut le plus étonnant, c'est qu'après avoir été exposé six jours, le corps ne montra aucun signe de décomposition. Voici ce qu'écrivit le métropolite Philarète à ce sujet : " Peut-on douter que Monseigneur Jean, de façon évidente, plut à Dieu par sa vie authentiquement ascétique et ses hauts faits dans la prière... Il convient de relever le fait que nous avons célébré ses funérailles le sixième jour. Le cercueil était ouvert, et il n'y eut non seulement aucun signe de décomposition du corps, mais Monseigneur Jean était étendu comme s'il dormait, ses mains avaient leur apparence et leur couleur habituelles, douces et chaudes... Le corps était manifestement incorrompu!" Mentionnons à ce sujet que le directeur du bureau des pompes funèbres avait adressé la lettre suivante au conseil de paroisse :
"Messieurs,
Les restes de S.E. l'archevêque Jean Maximovitch sont arrivés à San Francisco, en provenance de Seattle, et ce non embaumés. Dès son arrivée, le corps fut déposé en notre chapelle au 1, Church Street, afin d'y être inspecté, et nous l'avons trouvé dans un état excellent.
Ensuite, le corps de l'Archevêque a été transporté à la cathédrale, où il est resté dans un cercueil ouvert durant cinq jours. L'état du corps était vérifié quotidiennement par nous.
Permettez-moi d'ajouter mon opinion personnelle : j'ai senti que la main du Seigneur protégeait notre archevêque : son état était excellent, même après cinq jours d'offices auprès du cercueil.
Signé Nicholas W. Paulos"
L'office funèbre se termina par la triple procession autour de la cathédrale, le cercueil étant porté par les orphelins que le hiérarque avait sauvés et élevés à Shangaï. Ce fut " le point culminant de ces jours solennels et une véritable procession triomphale. Ce n'était plus l'enterrement d'un hiérarque décédé, mais l'invention (2)
(2) : ( C'est-à-dire l'exhumation)
des reliques d'un saint nouvellement proclamé", comme le mentionne un fidèle. Le Père Séraphim dit encore : " Il était vraiment approprié que la cathédrale, dans laquelle il termina le service de toute sa vie en Christ, fût appelée "joie de tous les affligés""!
Le dernier chant de l'office, "Mémoire éternelle", eut lieu à une heure du matin; Le ceercueil fut alors installé dans la crypte que l'on venait d'aménager. Quatre jours après, le conseil municipal de San Francisco accepta, à la demande des fidèles, que le hiérarque reposât définitivement dans la cathédrale, ce qui constituait un acte sans précédent. Ainsi, la crypte de la cathédrale devint ce qu'était jadis la cellule du saint : elle recueillait les peines et les souffrances de tous les hommes qui y venaient et, élevées au Trône Céleste par les prières du saint, elles trouvaient leur consolation.
Pour clore ce chapitre, évoquons les réactions au trépas du saint en Europe Occidentale.
A Paris, des Panykhides furent célébrées dans les paroisses de la juridiction de l'Eglise Russe à l'Etranger et en la cathédrale Saint-Alexandre-de-la-Néva, relevant du patriarcat de Constantinople. Plusieurs articles nécrologiques parurent, dont nous publions ci-dessous quelques extraits :
LES JUSTES VIVENT DANS L'ETERNITE (Sg 5, 15)
"Samedi 2 juillet, à 15 h30, à Seattle, dans l'Etat de Washington, est décédé subitement, dans sa 71° année, l'éminentissime archevêque Jean, qui fut durant treize ans (1951-1964), ordinaire de notre diocèse. Ce très grand ascète et homme de prière a eu une mort vraiment chrétienne, après la célébration de la Divine Liturgie, la communion, et une longue prière dans le sanctuaire. Il est mort sans douleur, et son âme de juste est allée vers les demeures célestes, vers le trône du Chef des pasteurs, le Christ, qu'il a servi toute sa vie avec un zèle ardent. Si l'Eglise du Christ pouvait ressentir des pertes, la mort de l'archevêque en serait une irremplaçable et irréparable. Mais il continue à être présent dans l'Eglise. Son âme de juste est allée rejoindre un monde meilleur, l'Eglise triomphante. Combien de prières ont été dites pour le repos de sa sainte âme, jusque dans les coins les plus reculés de notre dispersion - diaspora -, combien de larmes ont été versées par ses nombreuses ouailles qui ont senti leur amère condition d'orphelins!
L'archevêque Jean fut un homme exceptionnel et extraordinaire, un moine né. Il offrait l'exemple lumineux d'un évêque ascète, priant sans cesse et plein d'abnégation jusqu'à l'extrême limite, d'un prêtre et pasteur d'âmes humaines. Il était à l'opposé du monde contemporain enveloppé de ténèbres et d'apostasie.
L'archevêque vivait suivant l'exemple des saints de Dieu et toute sa vie était un élan vers la sainteté. Il connaissait comme personne les vies des saints et honorait leur mémoire. De notre temps, le concept même de la sainteté est quelque chose d'abstrait et d'inapplicable à la vie. Mgr Jean, par sa vie, confirmait la possibilité de ce concept, étant constamment rempli d'un désir divin, agissant et vivant dans ce monde tout en étant spirituellement en dehors de ce monde plein de mal.
Toute la vie de Monseigneur était une prière constante et un travail continuel. Il ne pensait jamais à lui-même, ne demandait rien pour lui. Il s'adonnait entièrement à la prière et au jeûne, étant rempli de zèle pour l'Eglise et les âmes humaines. La Liturgie constituait le centre de sa vie. Il la célébrait tous les jours; Elle était la source vivifiante à laquelle il puisait l'eau vive. Il y puisait ses forces. La vie terrestre était pour lui le souffle de laforce divine. Selon la parole de l'apôtre Paul, "sa parole et sa prédication n'avaient rien du langage persuasif de la sagesse, mais l'esprit s'y manifestait en puissance" ( 1 Co 2, 4); Comment pourrait-on expliquer autrement qu'un homme faible de corps comme l'était Monseigneur Jean, ait pu devenir un miracle d'ascèse, de fermeté et de rigueur, sinon sous l'action de la grâce de Dieu qui guérit les faiblesses et supplée aux déficiences?
L'archevêque Jean était porteur de multiples dons célestes que Dieu lui avait donnés de Son trésor inépuisable : l'humilité épiscopale, la patience sainte, la force illimitée dans l'ascèse, le divin parfum de l'âme. Une perle céleste brillait sous l'enveloppe modeste de son corps; Dans un récipient en terre se gardait le feu sacré. Monseigneur était plein d emiséricorde et sans rancune, plein de bonté et de miséricorde pour les malades et les nécessiteux. L'amour miséricordieux était la méthode qu'il employait dans ses relations avec les hommes et surtout avec les enfants et la jeunesse. Il possédait aussi une grande érudition et une mémoire prodigieuse. Ses sermons, ses instructions étaient des expressions de la joie de son âme sainte.
L'archevêque Jean était un ornement de l'Eglise du Christ. Il était un don de Dieu pour notre temps et un réconfort dans nos années difficiles.
En nous inclinant devant sa sainte mémoire, nous voyons sa figure éclairée, nous sentons le regard de ses yeux pleins de douceur qui reflétait la lumière éternelle et céleste. Nous voyons sa main qui nous bénit et nous entendons sa voix qui nous appelle à être fidèles au Christ et à l'Eglise : " Venez, mes enfants, écoutez-moi. Je vous enseignerai la crainte du Seigneur" ( Ps 33, 12).
Archiprêtre Tchédomir Ostoïtch"
LA FIN D'UN GRAND ASCETE DE NOTRE TEMPS
" Manifestant toujours son amour et sa compassion envers son prochain et secourant les souffrants et les malades, l'archevêque se souvenait constamment de chaque âme que Dieu lui avait confiée ou qui s'était trouvée, ne fût-ce que temporairement, sur son chemin, et lui avait demandé de prier pour elle. Lorsque Monseigneur préparait la Divine Liturgie, le "diskos" débordait des innombrables parcelles qu'il découpait, une pour chaque âme, pour tout le monde qu'il portait constamment avec amour en son coeur qui priait. En portant la lourde Croix de son sacerdoce, l'archevêque Jean puisait des forces dans la stricte observance du "typikon", le jeûne et la prière de tous les instants, en manifestant indubitablement la présence d'une miraculeuse plénitude de la foi chrétienne, d'une compassion pastorale sans bornes envers son prochain, à l'exemple du Pasteur suprême de tous les hommes, notre Seigneur Jésus-Christ qu'il aimait de tout son coeur.
Archiprêtre Igor Troyanoff"
LA PUISSANCE DE DIEU SE MONTRE DANS LA FAIBLESSE
" Dieu a voulu, dans un temps d'oubli de la voie ascétique des Pères, mettre devant nos yeux cet homme apostolique, icône vivante d'un véritable évêque orthodoxe. Il avait à la fois un coeur de moine, d'apôtre et de père. Nous avons vu dans notre bienheureux père l'archevêque Jean, le reflet de la sainteté resplendissante des premiers siècles du Christianisme; Il a eu d egrands amis, mais aussi des ennemis : signe de sainteté authentique.
Nous gardons le souvenir précieux de son visage, de son petit corps mortifié, source de paix et de puissance. En le regardant, nous éprouvions le désir de l'imiter dans le chemin de la sainteté. Telle est notre meilleure louange. Etre semblable à lui, c'était un but. Voilà la beauté et l'éclat de la sainte personne de notre père bienheureux.
Archimandrite Ossios (de Reval)"
Citons pour finir ces quelques lignes d'un orthodoxe français, parues dans un bulletin paroissial :
" Si dans certaines légendes qu'on se plaît à raconter concernant un coup de baïonnette qui lui aurait coupé les cordes vocales ou son occupation pacifique des marches de la Maison Blanche pour fléchir le président des Etats-Unis en faveur de ses fidèles de Chine ne trouvent pas de confirmation dans l'histoire, sans doute pouvons-nous dire que ce sont là quelques signes de la vénération, de l'attachement et de l'affection que lui témoigne le peuple orthodoxe en reconnaissance des grâces dont il a été le dépositaire et de la vivante prière qu'il n'a cessé d'entretenir comme une petite flamme qui s'allume pour ne plus s'éteindre. " J'ai trop d etravail pour ne pas sprier", disait-il. Tel est peut-être le plus essentiel du message qu'il nous lègue, et nous savons que cela est plus difficile qu'il n'y paraît. Nous l'en remercions avec gratitude et nous le prions de continuer, du haut du ciel, à aider les orthodoxes français."
Peu après son trépas, le saint apparut la nuit au Père Ambroise Pogodine ( était-ce un songe ou une vision, il ne peut le dire). Revêtu de ses ornements pascaux, le hiérarque, lumineux et rayonnant, encensait la cathédrale et ne lui dit joyeusement que ces courtes paroles en le bénissant : " Je suis heureux!"
Plus tard, avant la fin des quarante jours suivant le décès du hiérarque, le Père Constantin Zaïtsev, qui était irrité contre l'archevêque et commençait à douter qu'il fût un juste, le vit en songe tout entouré de lumière avec des rayons si radieux émanant de son visge qu'il ne pouvait les regarder. ainsi les doutes du Père Constantin quant à la sainteté du hiérarque furent dissipés.
Deux mois après son trépas, le saint apparut à l'ancienne directrice de l'orphelinat Saint-Tykhon, Mme M. Chakhmatov : " Le 4 septembre 1966, à six heures du matin, j'eus un songe. Je vis une grande procession qui se rendait depuis la cathédrale jusqu'à l'orphelinat, emplissant toute la rue. On portait des bannières, l'icône et le cercueil de notre archevêque Jean, en chantant des hymnes... On porta ensuite le cercueil dans la maison. Je vis alors Monseigneur Jean sortir de ssa chambre en soutane, revêtu d'un omophore* violet et de l'épitrachilion*, avec un flacon d'huile dans ses mains. Se dirigeant vers les portes royales, il dit au peuple : " Je vais vous oindre tous, venez avec piété."" La foule s'approcha... Après avoir reçu l'onction, elle se dispersa. Je vis qu'il me fallait également m'approcher, et je pensai qu'il me fallait recevoir l'onction avec piété... Monseigneur commença à m'oindre et me dit deux fois : " Dites au peuple que, bien que je sois mort, je suis vivant!""
CHAPITRE 18
LES MIRACLES
"Et voici les signes
qui accompagneront ceux qui auront cru..."
( Mc 16, 17)
De son vivant déjà, comme nous l'avons vu, le hiérarque était vénéré comme un saint. Nombreux étaient ceux qui, de toutes les parties du monde, lui demandaient ses prières, et aussi ceux qui témoignèrent de l'aide miraculeuse qu'ils reçurent ensuite. Après son trépas, des milliers de personnes sont venues chaque année à son sépulcre pour demander son aide spirituelle. Nombreux sont ceux qui ont été guéris par l'huile de la veilleuse qui brûlait en permanence devant ses reliques. Nous n'exposerons ici que quelques-uns des miracles accomplis par le saint archevêque après son trépas.
Mme Kitrinos raconte : " En 1983, mon fils Christophe, qui était âgé de trois ans, fut examiné par un spécialiste qui découvrit que son ouïe était diminuée de trente pour cent en raison de l'accumulation d'un liquide derrière le tympan, résultant des infections répétées de l'oreille. Son ouïe défectueuse contribuait à la lenteur de son apprentissage de la parole. Une opération fut prévue pour évacuer le liquide et procéder à des implants... J'oignis Christophe avec d el'huile d ela veilleuse du sépulcre de l'archevêque Jean avant d erendre visite au spécialiste de logopédie puis, encore une fois, deux jours avnat l'opération. Les médecins découvrirent que les oreilles de l'enfant étaient guéries. L'opération fut annulée. Ce fut un immense soulagement pour nous, mais nous fûmes encore plus étonnés par ce que Christophe nous dit : " Cet homme m'a soigné les oreilles!" Il répéta cela plusieurs fois. Il finit une fois les prières par ces mots : " Merci pour m'avoir soigné les oreilles." Je lui demandai alors : " Qui a guéri tes oreilles?" Il montra du doigt une carte postale de Mgr Jean, qui s etrouvait dans le coin des icônes."
Une paroissienne d'Australie écrit : " Mon frère, avec lequel jusqu'à maintenant je ne peux parler ni de Christianisme, ni d'Orthodoxie, a commencé malgré tout à reconnaître l'existence de Dieu. Il y a deux ans, on lui a découvert un cancer. Au début, on lui a dit qu'il lui restait deux semaines à vivre, puis cinq mois, puis cinq ans, s'il avait de la chance. Personnellement, je suis devenue orthodoxe. A la maison, avec mon mari, nous avons fait célébrer un office d'intercession à saint Jean. Ensuite, j'ai envoyé de l'huile sainte à la seconde épouse de mon frère, qui est catholique. Dans la lettre, je lui ai expliqué qu'elle oignît la colonne vertébrale de mon frère en forme de croix, à l'endroit où se trouvait la tumeur et je demandai au saint de prier le Seigneur pour lui. Maintenant, mon frère est reconnu définitivement guéri de cette sorte de cancer. Nous rendons grâces au hiérarque d'avoir exaucé nos prières."
Nicolas Loukianov, fils du Père Romain et de son épouse Irène, partit en vacances avec sa famille dans l'état du New Hampshire. Sa fille Sara, âgée de dix ans, se sentait mal, mais tous pensaient qu'il s'agissait là d'un simple refroidissement. Cependant, elle commença bientôt à parler avec difficulté, et ses yeux se fermaient. Lorsqu'ils arrivèrent chez le médecin, la fillette perdit connaissance dans les bras de ses parents. A l'hôpital, on procéda à une prise de sang et il s'avéra qu'elle avait une énorme quantité de sucre. C'était un choc diabétique. Sara n'avait jamais souffert auparavant du diabète. Immédiatement, un hélicoptère vint la chercher pour la transférer aux urgences de la clinique pédiatrique de Boston, bien que l'on pensât que l'enfant allait mourir; Nicolas téléphona à son père, qui célébra un office d'intercession à saint Jean de Changaï devant l'icône du saint que l'on venait d'apporter à l'église. La fille du Père Romain téléphona au recteur de la cathédrale de San Francisco, afin que l'on célébrât également un office d'intercession devant les reliques du saint. La fillette commença rapidement à s erétablir. Le lendemain déjà, son grand-père lui apporta la sainte Communion. Elle fut ensuite guérie et sortit de la clinique.
En Belgique, le hiéromoine Th., raconte que "sa nièce, âgée de deux ans, était atteinte d'une méningite grave. Après maintes visites chez le médecin, l'enfant fut hospitalisé. Le spécialiste déclara que les chances de guérison étaient minismes et que, si la fillette restait en vie, elle serait gravement handicapée. Le samedi soir, nous assistâmes aux Vigiles et priâmes l'archevêque Jean, lui promettant que, s'il y avait guérison, nous ferions brûler devant son icône une veilleuse perpétuelle. Ce fut une grande surprise pour le médecin que de constater que l'enfant n'avait plus de fièvre et était guéri sans séquelle aucune. Le même témoin ajoute que l'un de ses amis, prêtre catholique-romain, avait entendu parler de l'archevêque Jean et demanda sa photo. Un jour, une infirmière, qui se droguait la morphine, vint chez lui. Elle avait tout essayé pour se délivrer de cette passion, mais en vain. Elle avait en outre effectué nombre de pèlerinages, mais toujours sans succès. Le prêtre lui donna la photographie de l'archevêque Jean et lui dit qu'elle devait avoir la foi. Le jour suivant, elle prit toute la morphine et l'argent qu'elle avait dissimulés et les donna à son époux. Elle arrêta de se droguer et n'en éprouva plus le besoin. La nuit, le hiérarque lui était apparu et lui avait dit quelques mots : " Ces yeux, ces yeux!", disait-elle" (53).
En Terre Sainte, un orthodoxe arabe fut opéré de la vésicule biliaire, mais l'opération échoua. Après celle-ci, il commença à jaunir. Les médecins procédèrent à des radiographies avec les appareils les plus perfectionnés. Ils trouvèrent la cause et décidèrent d'opérer à nouveau. Mais l'opération échoua à nouveau. Le malade fut atteint de diabète, ne pouvant rien manger, et maigrit affreusement. En fin de compte, on l'envoya en Jordanie chez un spécialiste connu, qui était toutefois effrayé de l'opérer en raison du stade de la maladie, estimant que le malade ne supporterait pas l'opération. C'est alors que l'on décida de recourir à l'aide de saint Jean de Changaï et que l'on célébra un office d'intercession à la Mère de Dieu et au saint, au couvent du Mont des Oliviers. Finalement, le médecin procéda à l'opération. Lorsqu'il ouvrit le ventre du patient, tous les organes s'avérèrent être dans un état désespéré. Après l'opération, le médecin, qui était musulman, dit que ses deux mains opéraient, mais qu'une troisième main était présente, dont il sentait l'activité, qui fut décisive. Il affirma que ce fut un miracle de Dieu. Le patient fut vite rétabli.
Comme de son vivant, le saint accomplitgx des guérisons pour tous les hommes. C'est ainsi que Victor Boyton raconte : " Un miracle s'est produit après que j'eusse reçu un numéro du périodique Orthodox Life contenant une photographie de l'archevêque Jean. J'avais un ami musulman de Russie, qui était atteint du cancer du sang et perdait la vue. Les médecins lui dirent qu'il deviendrait totalement aveugle au bout de trois mois. Je plaçai la photographie de Mgr Jean devant la veilleuse de mon coin d'icônes, et je priais quotidiennement pour mon ami. Très peu de temps après, il fut guéri de son cancer et sa vue redevint normale. Les ophtalmologistes étaient stupéfaits. Trois années sont passées; mon ami lit des livres et vit normalement."
Le saint manifesta son aide non seulement dans les maladies, mais aussi dans les situations les plus diverses, dont nous donnerons quelques exemples.
Avant son départ pour le Viêt-Nam, où la guerre faisait rage, le jeune conscrit John Holtz se rendit au sépulcre du saint. Il plaça une photo du saint sous sa mitre, qui était posée sur son tombeau. John avait l'intention de reprendre la photographie juste avant le départ. Lorsqu'il revint, il pria devant le sépulcre, puis reprit la photographie juste avant son départ. Lorsqu'il revint, il pria devant le sépulcre, puis reprit la photographie, qu'il plaça dans la poche de sa chemise, sur son coeur, comme protection contre les projectiles de l'ennemi. C'est ainsi qu'il partit sur le front. Ayant le rang de caporal, le jeune soldat fit l'expérience de toute une série de miracles manifestes. Tandis que tous périssaient autour de lui, il restait seul indemne. Une fois, alors que son unité était tombbée dans une embuscade, lui seul ne fut ni tué ni blessé, tandis que ses compagnons d'armes avaient péri ou été faits prisonniers. Une autre fois, une bombe atteignit son baraquement, et ceux qui étaient debout près de lui furent grièvement blessés. Il ne lui arriva rien non plus lorsqu'il tomba dans un piège que lui avait tendu le Viêt-Cong, n'éprouvant qu'une blessure mineure. A la fin de son passage sur le front, on lui confia une autre mission et ce n'est qu'alors qu'il réalisa entièrement à quel point il avait été préservé par les prières et le portrait du saint hiérarque."
Le Père Stéphane Pavlenko, de San Francisco, raconte un autre fait remontant à la même époque : " Mon frère Paul, bien que n'étant pas militaire, vécut plusieurs années au Viêt-Nam pendant la guerre, recherchant les enfants blessés ou orphelins afin de les placer dans des institutions caritatives ou dans des hôpitaux. C'est là qu'il fit la connaissance de sa future femme, une vietnamienne du nom de Kim En. Elle travaillait avec lui, aidant ces malheureux enfants. Mon frère lui parla de la foi orthodoxe, de S. Séraphim de Sarov et d'autres saints. Alors que Kim connaissait des moments difficiles, un vieil homme, semblable à un starets, lui apparut en songe, lui montrant ce qu'elle devait faire et la réconfortant. J'envoyai une fois une cassette de chants monastiques, des livres et des périodiques religieux à mon frère. A la réception du colis, mon frère montra à Kim toute cette littérature, et il fut étonné lorsque Kim montra de son doigt la couverture de l'une de ces revues : " C'est le vieil homme qui apparaît dans mes rêves et qui me console!", dit-elle. Il s'agissait de la célèbre photographie de Mgr Jean, marchant dans le cimetière de Spring Valley. Plus tard, Kim fut baptisée dans l'Eglise orthodoxe et prit le nom de Kira."
Comme jadis aux Philippines, le saint hiérarque arrêta l'action des éléments en août 1979, au large des côtes de Floride. L'ouragan "David" se formait dans l'océan atlantique et souffalit à plus de 160 kilomètres à l'heure, causant de grandes destructions et provoquant de nombreuses morts sur sa trajectoire. D'après la direction que prenait cet ouragan, il était indubitable qu'il se dirigeait sur Miami, en Floride. Le samedi 1er septembre, plus aucun doute n'était possible. Le dimanche 2 septembre, les autorités locales donnèrent l'ordre d'évacuer à la population résidant sur la côte, où étaient situés de nombreux hôtels à plusieurs étages. Le lundi 3 septembre, la radio et les jouranaux annoncèrent que l'ouragan avait "épargné" Miami. L'auteur du présent témoignage séjouranit alors dans cette ville et raconte ce qui s'y est produit : " Le dimanche 2 septembre, après la Liturgie en l'église orthodoxe Saint-Vladimir à Miami, le prêtre célébra une Panykhide pour l'archevêque Jean. Lorsque les Russes séjournèrent sur l'île de Tubabao, les typhons habituels en ce lieu ne se produisirent pas (...). Le même miracle eut leiu en Floride. Après la Panykhide pour Monseigneur, l'ouragan "David", qui s'approchait de Miami, se détourna soudain de sa trajectoire. Ainsi, par les prières de l'archevêque Jean et même après sa mort, le Seigneur a épargné les habitants de cette ville."
Timothée Gorokhov, de San Francisco, écrit : " Souvent, durant les offices à la cathédrale, je descendais à la crypte et y lisais le Psautier, comme beaucoup le faisaient alors (1).
(1) : ( A cette époque, alors que le saint n'était pas encore canonisé, ses reliques se trouvaient dans la crypte de la cathédrale).
Cette fois, je lus longuement. Je regardai autour de moi; il n'y avait personne; j'étais seul avec le hiérarque! Quelque chose se serrait en moi, et je pleurai amèrement, tombant sur la mandya* posée sur son tombeau. Je pensais que, s'il était déjà avec le Seigneur et nous entendait, alors il pouvait m'aider dans mes diverses demandes. Et je commençai à prier pour ma soeur, qui tenait beaucoup à se marier, mais qui, en raison d'une maladie qui avait duré de nombreuses années, n'avait pu trouver un époux. Peu après, l'office finit, on vint fermer la crypte, et je partis. C'était le dimanche soir. Le lendemain, dans la soirée, ma soeur m'annonça qu'elle avait fait connaissance d'un jeune homme et ressentit qu'ils se plaisaient mutuellement. Le mariage eut lieu rapidement, ils eurent un enfant et sont heureux déjà depuis plusieurs années. Il est remarquable qu'ils se rencontrèrent précisément au moment où je priais le hiérarque."
L.T., de Californie, écrit : " Il y a quelques années, j'étais enceinte d'un enfant que ni mon époux ni sa famille ne souhaitaient. Nous avions déjà plusieurs enfants. Etant malade, c'était une situation fort difficile pour moi, tant physiquement que moralement. Je me rendais souvent chez le Père Métrophane, qui me consolait par sa charité chrétienne et ses prières. Nous priâmes ensemble l'archevêque Jean et, grâce aux saintes prières du hiérarque, toutes les difficultées furent aplanies. Mon beau-père vint même en aide à mon mari pour s'occuper des autres enfants alors que je me reposais à l'hôpital après la naissance de notre bébé. Ce fut un garçon, auquel nous donnâmes le nom de Jean en l'honneur de saint Jean de Tobolsk, parent éloigné du saint hiérarque." Faisant également face à un problème familial, Galina Tchekhonine, de Moscou, écrit : " en 1996, mon ex-mari décida de quitter la famille, mais il n'avait aucun autre appartement où s'installer. Pour cette raison, il décida d'échanger notre appartement de trois pièces. Une agence était chargée de l'échange. Ses employés venaient chaque jour visiter l'appartement avec des acheteurs. Cela dura six mois... et personne n'achetait. Le logement ne convenait à personne. Une ambiance tendue régnait à la maison. Mon mari faisait paraître des annonces dans le journal et en collait sur les panneaux d'affichage, mais aucun acheteur ne se manifestait. Alors, il commença à m'accuser de souligner les défauts de l'appartement devant les visiteurs afin de faire échouer l'échange... Une fois, alors que je rentrais dans une église que l'on venait d'ouvrir, j'aperçus une petite bibliothèque. Je pris le premier livre qui me tomba entre les mains. Il s'agissait du livre Le Bienheureux Jean le Thaumaturge. Le soir, avant de dormir, je plongeai dans le monde dans lequel Jean le Thaumaturge aidait toute personne. Par le chagrin et l'impuissance que provoquait en moi une telle situation, je me couvris le visage avec le livre et je pleurai, suppliant le thaumaturge Jean de m'aider. Je priai ce merveilleux saint de Dieu de me donner d ela patience, de l'humilité, et lui demandai d'éliminer de mon âme toute trace de haine envers mon mari. Et voici que le miracle eut lieu. Trois jours après, le téléphone sonna et mon interlocuteur me dit : " J'achète votre appartement sans regarder!" En trois jours, tous les papiers furent établis et nous nous séparâmes. Qui a procédé à une vente de biens immobiliers à Moscou, sait que personne n'y achète un appartement sans regarder, eu égard à l'abondance des biens en vente sur le marché."
Une autre fidèle, de New York, fit le récit suivant : " Tout l'été, depuis le début du mois de juin jusqu'au milieu de septembre 2004, je cherchais du travail. Il y avait des emplois, mais de courte durée. Sur le conseil des paroissiens, j'écrivis une lettre, accompagnée d'un don, afin que l'on célébrât un office d'intercession devant les reliques de saint Jean. J'expédiai la lettre le 13 septembre. Le même jour, je téléphonai au prêtre de la cathédrale de San Francisco en lui demandant de prier le saint afin que je trouve du travail. Le jour suivant, je reçus deux propositions, avec des rendez-vous. Cependant, je souhaitais travailler à New York, car j'étais lasse de voyager dans des endroits éloignés et, de plus, ma paroisse se trouvait dans le centre de la ville. Le 16 septembre, on me proposa un poste, dont je n'aurais pass même rêvé, non loin de New York, dans une ville que je connaissais et où je souhaitais travailler."
Non seulement par les guérisons et autres interventions divines, mais aussi par des apparitions, le saint continua, après son trépas, de réconforter les affligés. C'est ainsi que, lorsque sa mère mourut, le Père Tchédomir Ostoïtch raconta que le saint hiérarque lui apparut en songe. Le prêtre dit alors à l'archevêque, décédé depuis quelques années : " Bénissez, Monseigneur!" Ce dernier le bénit et lui dit alors ces quelques mots : " Ce n'est pas ma volonté!" Le lendemain, le Père Tchédomir reçut un télégramme lui annonçant le décès (54).
Finisson par cette apparition du saint hiérarque dans son sépulcre : " M. Ma se leva tôt le matin, le 2 juillet 1984, pour s erendre à l'office le jour du trépas de Mgr Jean. On le prévint qu'il y aurait beaucoup de monde et, pour cette raison, il arriva à cinq heures du matin. Alors que le clergé se préparait déjà pour la Liturgie, M. Ma vit l'archevêque Jean dans un vêtement blanc. Monseigneur marchait au milieu des prêtres et vint jusqu'à M. Ma, qui s'inclina jusqu'à terre pour recevoir la bénédiction du hiérarque, mais, lorsqu'il releva la tête, celui-ci avait déjà disparu. Il convient d'ajouter que M. Ma venait d'arriver de Chine en décembre 1983, où il avait passé dix-sept ans dans les prisons communistes pour avoir aidé les Russes à la demande de l'archevêque Jean."
CHAPITRE 19
L'EXAMEN DES RELIQUES DU SAINT
ET LA GLORIFICATION
Le mardi 12 octobre 1993, après la célébration d'une Panykhide à l'intention de l'archevêque Jean (Maximovitch) et l'enlèvement de la dalle de pierre qui couvrait son tombeau, on procéda à l'ouverture de son cercueil et à l'examen de ses reliques. Les participants à cette cérémonie, qui s'y étaient préparés par le jeûne et la prière, étaient les archevêques Antoine de San Francisco et Lavra de Syracuse, l'évêque Cyrille de Seattle, sept prêtres, trois diacres, un lecteur et un laïc.
Parmi les prêtres qui participaient se trouvait en particulier le Père pierre Loukianoff déjà cité. Après qu'ils eurent prié dans la crypte, le hiéromoine Pierre tenta d'ouvrir le cercueil avec la clef qu'il avait conservée, mais la rouille bloquait la serrure. Pendant que l'on cherchait des outils, l'archevêque Antoine se mit à chanter : " Ouvre-nous les pores de la pénitence", et les gonds du tombeau cédèrent alors qu'on l'ouvrait. Avant que l'archevêque Lavra eût enlevé le voile recouvrant la face du saint, l'archevêque Antoine lut le psaume 50.
Les restes de l'archevêque Jean apparurent, incorrompus, sa figure et ses mains montrant une parfaite blancheur, tandis que ses pieds présentaient une couleur sombre, ce qui tient sans doute au fait que, de son vivant, il portait seulement des sandales toute l'année et ce, la plupart du temps, pieds-nus, sans chaussettes. La figure du hiérarque avait quelque peu changé par-rapport à celle qu'avaient connue ses proches ou par-rapport aux photographies. Son nez s'était aminci. Si le cercueil métallique était rouillé, la mandya* qui le recouvrait restait intacte. Les vêtements liturgiques du hiérarque et l'Evangile étaient couverts de moisissure, l'icône métallique sur sa poitrine était rongée par la rouille, tandis que son bâton pastoral et le papier sur lesquels figurait la prière d'absolution étaient intacts.
Quelques célébrants soulevèrent les restes du hiérarque pour pouvoir les transférer dans un nouveau cercueil monastique spécialement préparé. A ce moment, il devint clair que les reliques du hiérarque étaient incorrompues. Celles-ci furent ensuite placées dans ce cercueil neuf scellé du sceau du diocèse, et portées à nouveau dans le tombeau d'origine pour reposer jusqu'à la glorification solennelle du nouveau saint de Dieu, qui eut lieu le 2 juillet 1994, jour anniversaire de son repos. Ceux qui ont pris part à l'examen des reliques ont témoigné avoir ressenti une joie quasi pascale.
En mai 1993, l'Assemblée des évêques de l'Eglise Russe à l'Etranger décida de procéder à la canonisation du saint hiérarque Jean Maxximovitch. Celle-ci eut lieu le 2 juillet 1994 à San Francisco.
Le jeudi 30 juin, le Père Pierre Loukianoff célébra une Panykhide, tandis que chantaient deux choeurs selon la tradition du monastère de la Sainte-Trinité de Jordanville. Lors de la litie, le métropolite Vital (Oustinov) (+2001 ), primat de l'Eglise Russe à l'Etranger, sortit dans la nef avec plusieurs évêques, et commémora le hiérarque ainsi que tous les parents et disciples de l'archevêque Jean. Ensuite, les fidèles purent vénérer les deux icônes miraculeuses de la Mère de Dieu qui accompagnaient les solennités, à savoir celle de Notre Dame de Koursk et la copie de l'icône de Notre Dame d'Iviron, cette dernière épanchant abondamment du myron*. Pendant les Matines, l'église entière chanta le kondakion : "Avec les saints, Seigneur, fais reposer l'âme de Tes serviteurs..." Le vendredi 1er juillet, après la Divine Liturgie, les archevêques Antoine, Lavra, Marc, l'évêque Hilarion, ainsi qu'une vingtaine de prêtres descendirent à la crypte où reposaient les reliques du saint. Ils les portèrent en procession tout autour de la cathédrale et les y ramenèrent. Le cercueil en bois, fermé, reposait maintenant au milieu de la cathédrale, l'icône de saint Jean, voilée, posée dessus. Tout le clergé - quatorze évêques, plus d'une centaine de prêtres, une quinzaine de diacres - trois choeurs et des milliers de pèlerins venus du monde entier célébraient une dernière Panykhide pour Mgr Jean.
Le métropolite Vital présida ensuite les Vigiles de la glorification. Durant les Matines, au cours du polyéléos*, le métropolite enleva le couvercle du cercueil où reposaient les reliques et dévoila l'icône de saint Jean qui fut brandis au milieu de l'église, offerte à la vénération de tous les fidèles. A ce moment, tout le clergé, tous les fidèles, entonnèrent d'un seul coeur le mégalinaire* au saint nouvellement glorifié : " Nous te magnifions, nous te magnifions, saint hiérarque Jean et nous glorifions ta sainte mémoire, prie le Chrisr Dieu pour nous!" Chacun eut la possibilité de se prosterner devant le corps intact, de se faire oindre avec de l'huile de la veilleuse allumée devant les reliques de saint Jean. En bénédiction, chaque pèlerin reçut une icône, bénie sur les reliques du saint.
Mgr Ambroise (+2009), évêque de Vevey, présida ma première des trois Liturgies célébrées le jour d ela glorification. Celle-ci commença à deux heures du matin. L'église était pleine malgré l'heure fort matinale. Deux choeurs chantaient avec ferveur, alternant le slavon et l'anglais. Une vingtaine de prêtres concélébraient, assistés par quelques diacres. Parmi ceux-ci se trouvait le père Michel de Casterbajac, prêtre français qui avait été ordonné par le saint hiérarque.
La célébration de ces trois offices successifs, chacun sur l'un des autels de la cathédrale, permit à tous, dans cette foule de clergé et de fidèles, d'assister à l'une des Liturgies à l'intérieur même de la cathédrale et de communier. Après la dernière Liturgie, commençant à 7h30, présidée par le métropolite Vital, tout le clergé et les fidèles se réunirent pour célébrer le premier office d'intercession à saint Jean, au cours duquel les reliques furent portées en procession tout autour du quartier, fermé depuis l'aube à toute circulation. De retour dans l'église, les reliques furent placées dans un édifice de bois sculpté ("kiote"), spécialement construit pour les accueillir. Chaque fidèle eut alors de nouveau la possibilité de se prosterner devant elles.
Un banquet termina la célébration, rassemblant deux mille personnes, au cours duquel fut lue une ode de louanges à saint Jean de Changaï, le nouvellement glorifié : " Réjouis-toi, Eglise Russe! Car nous devons célébrer cette solennité de toute notre âme, ayant sous nos yeux le saint sarcophage qui a reçu le réceptacle de l'Esprit Saint, les reliques incorrompues du juste archevêque Jean, qui de tout son coeur aima Dieu et Son image, qui est reflétée dans notre prochain, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. En vérité, grands sont les labeurs et les exploits ascétiques accomplis par ce digne successeur des grands personnages de l'histoire de l'Eglise qui s'appelèrent Jean! A l'exemple de Jean Baptiste, il dénonça avec douceur les péchés des hommes, appelant beaucoup à la pénitence et au redressement de leur vie, se considérant lui-même comme le premier de tous les pécheurs. Tout comme l'apôtre Jean le Théologien, il éprouvait un amour particulier pour la Toute Bénie Vierge Marie, élevant en son honneur de majestueuses cathédrales et s'endormant pieusement devant son icône miraculeuse de Koursk. A l'instar de saint Jean Chrysostome, il amena beaucoup de gens "étrangers à la vie de Dieu" ( Ep 4, 18), par ses enseignements édifiants et ses écrits utiles à l'âme, à la merveilleuse Lumière du Christ "qui éclaire tous les hommes" (...). De même que saint Jean Climaque, il lutta contre les pensées, vainquit les passions, créa une maison spirituelle et, montant sur l'échelle des vertus, atteignit une double grâce de Dieu, qui l'assista dans les durs labeurs de la vie monastique.
(...) Authentique missionnaire, il réunit beaucoup d'âmes au troupeau élu des fidèles, allumant dans leurs coeurs la lumière de la vraie connaissance. Imitant saint Jean Damascène, le hiérarque défendit la foi et la sainte Eglise du Christ contre les attaques de la part des hérétiques et des apostats, protégeant les ouailles qui lui étaient confiées, de tous les adversaires de l'Orthodoxie, car le "zèle pour la maison de Dieu le dévora" ( Ps 68, 10). " Il est juste que les Cieux soient dans l'allégresse et que la terre se réjouisse", car ce pieux hiérarque de Dieu intercède ouvertement pour nous, pécheurs, devant celui qui a pour autel le ciel et la terre pour marchepied. Ce n'est pas depuis ce jour que le Seigneur l'a rendu digne de la couronne inaltérable de la sainteté, mais depuis le jour de sa venue dans les tabernacles célestes. Rassasions-nous tous de ce banquet de la foi et avec toute l'Eglise rendons grâces à la Providence divine pleine de bonté, qui au moment nécessaire a élevé une telle colonne de la foi!"
DEUXIEME PARTIE
ECRITS
ECRITS DU SAINT HIERARQUE JEAN
Nous présentons ci-dessous quelques écrits caractéristiques de l'enseignement du saint hiérarque. Il s'agit tout d'abord de différentes homélies prononcées par le Saint sur des grandes fêtes, puis sur des sujets divers tels que le repentir en la personne du larron et de Zachée, ou encore sur l'apôtre Mattthias, où ets reflétée toute sa foi dans l'Eglise. Nous avons ajouté ensuite deux de ses textes, l'un sur les saints orthodoxes d'Occident et l'autre sur la sainteté en Russie. En ce qui concerne les saints d'Occident, ils sont, pour la plupart, ignorés aujourd'hui. Souhaitons que leur biographie succinte, présentée par le saint hiérarque Jean, constitue un apel à approfondir la connaissance de leur vie et surtout leur vénération! Enfin, nous terminons cette anthologie par des recommandations du saint aux iconographes, ses exhortations à honorer comme il se doit les défunts, des directives sur la vie paroissiale, ainsi que par un certain nombre de décrets épiscopaux à caractère liturgique. Comme on pourra le constater, les écrits du saint hiérarque Jean puisent leur inspiration dans la Sainte Tradition et ne revêtent aucun caractère spéculatif. Ils n'ont pas pour but uns quelconque satisfaction intellectuelle, mais le salut des âmes, seule préoccupation du saint pasteur.
LE CHRIST DESCEND DU CIEL,
VENEZ A SA RENCONTRE!
(Comment se préparer à la fête de la Nativité
du Christ).
Depuis plus d'un mois, l'Eglise appelle ses enfants à se préparer dignement à la rencontre du Roi de gloire qui vient du ciel. Lorsque l'on se prépare à la rencontre des rois terrestres, on nettoie tous les lieux où le roi doit passer, et on leur donne un aspect festif. Ainsi, nous aussi, en nous préparant à la rencontre avec le Roi du Ciel, nous devons purifier nos âmes et les orner de bons sentiments et de bonnes pensées (...).
Comment nous préparer à la digne rencontre de la Nativité du Christ? Avant tout, nous devons nous rappeler quotidiennement du jour qui verra l'apparition mystique sur terre du Fils de Dieu même en la personne de l'Enfant. En tournant nos regards vers Béthléem, nous devons comprendre à quel point toutes nos affaires journalières sont insignifiantes en comparaison de la grandeur de l'événement qui sera fêté. Devant lui, nous devons expulser de notre coeur toute méchanceté, toute malveillance, nous efforcer d'être dans de bonnes dispositions même à l'égard de ceux avec lesquels nous avons des différends et dont nous n'approuvons pas les actes. Rappelons-nous que les bons parents aiment aussi les enfants qui n'obéissent pas, bien qu'ils les punissent parfois, et nous sommes tous les enfants du Père céleste!
Nous devons observer le carême établi par l'Eglise, à l'aide duquel nous contenons nos passions, nous abstenant tant de la nourriture non permise en temps de carême que des divertissements. Nous ne devons en aucun cas transgresser le carême, même lorsque la population locale célèbre la fête de la Nativité du Christ. Jésus-Christ n'est pas né deux fois, mais une seule fois de la Vierge Marie. On ne peut simultanément se préparer à sa véritable célébration et se réjouir de façon mondaine, foulant aux pieds les traditions et les règles de l'Eglise!
Il s'agirait là non de la célébration de la venue du Christ sur la terre, mais de la satisfaction de son souhait de passer le temps joyeusement, ce qui ne nous est d'aucune utilité.
Efforçons-nous de nous préparer à ce jour, lorsque résonnera le chant : " Ta nativité ô Christ notre Dieu a fait luire au monde la lumière de la connaissance", et alors nous ressentirons la joie de la Nativité, notre âme effleurera Béthléem et notre coeur recevra spirituellement en lui le Christ.
LE CHRIST EST NE !
"Alors qu'une nuit paisible enveloppait toutes choses et que la nuit parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux. Ton Verbe tout-puissant descendit du trône royal".
(Sagesse 18, 15)
Nuit sacrée et salvatrice! Le Verbe prééternel Lui-même, qui a créé le monde, est apparu sur la terre. L'Invisible est devenu visible. L'Intangible est devenu tangible. Celui qui vit dans un monde inaccessible est devenu accessible. Dieu s'est revêtu de chair, est apparu aux anges, est prêché aux peuples et est reçu par la foi. Pourquoi le Créateur est-Il descendu vers Sa créature?
" Pour nous, hommes et notre salut." Dieu est descendu sur la terre pour faire monter l'homme au ciel. Dieu a fait sa demeure dans la grotte, afin que l'homme s'installe dans les tabernacles célestes. Il est venu souffrir pour délivrer les hommes des tourments éternels. Que toute la création glorifie son Créateur pour Sa miséricorde infinie! Chantez au Seigneur toute la terre, et dans votre joie, peuples, célébrez-Le! Louez le Seigneur toutes les nations, célébrez-Le tous les peuples! Car puissante a été Sa miséricorde envers nous et la vérité du Seigneur demeure dans les siècles!
Louez le Seigneur et unissez vos chants à ceux des anges qui chantent en ce jour : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre, bienveillance parmi les hommes!"
Mais ce n'est pas seulement dans nos chants que nous Le louerons afin de ne pas être ceux dont il est dit : " Ce peuple m'honore des lèvres, mais son coeur est éloigné de Moi." " Si vous m'aimez, observez Mes commandements", a dit le Christ Lui-même. C'est pour cela qu'Il est devenu semblable à nous, afin que nous nous efforcions d'être semblables à Lui.
" Ayez en vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus", a dit le saint apôtre Paul. " Lui, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui L'égalait à Dieu." Il est l'image de Dieu non par usurpation, ni par élévation de Lui-même, mais parce qu'Il voulait être égal à Dieu selon Son humanité. Il s'est humilié, est devenu homme, un homme abaissé qui accepta une mort infamante. C'est pourquoi Son Père céleste L'a élevé, car Il Lui a donné, en tant qu'homme, la gloire qu'Il a toujours eue, comme Dieu;
Nous aussi, ayons les mêmes sentiments, les mêmes aspirations qu'avait le Christ! Humilions-nous, afin que Dieu nous élève! Ayons de la bienveillance, de la bonne volonté, ce que chantaient les anges dans la nuit de la Nativité! Supportons avec douceur les offenses et les dénigrements, en nous pardonnant les uns aux autres. Ne désespérons pas à cause des privations, d ela pauvreté, des maladies et autres tribulations, mais tourons nos regards en pensée vesr Celui qui est venu souffrir pour nous, et qui maintenant repose dans une étable! Alors, nous ressentirons dans nos coeurs une vraie paix, la paix que chantaient les anges dans le ciel, non une paix illusoire fondée sur l'injustice ou une demi-justice. Notre âme sera inondée de la joie qui a été annoncée aux pasteurs et avec eux, glorifions le Christ en chantant avec les anges : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre, aux hommes bienveillance."
(Message de la Nativité, 1965)
AUJOURD'HUI, LA NATURE DES EAUX EST SANCTIFIEE
(Homélie sur la Théophanie)
Le jour de la Téophanie, c'est-à-dire du Baptême du Seigneur, un grand miracle se produit chaque année. L'Esprit Saint, descendant sur l'eau, change les propriétés naturelles de celle-ci. Elle devient incorrompue, c'est-à-dire qu'elle ne s edétériore pas; elle reste transparente et fraîche durant de nombreuses années, elle reçoit la grâce de guérir les maladies, de chasser les démons et toute force mauvaise, de préserver les hommes et leurs demeures de tout danger, de sanctifier différents objets, destinés tant à l'église qu'à la maison. Pour cette raison, les chrétiens orthodoxes boivent la sainte eau avec piété.
Il fau toujours avoir à la maison suffisamment d'eau bénite lors de la Théophanie, afin d'en disposer pour toute l'année, de l'utiliser pour tout besoin - maladie, départ en voyage, moments troublés, pour les étudiants avant les examens. Il est bien de boire quotidiennement, à jeun, un peu d'eau sainte. Elle affermit les forces de nos âmes, bien entendu si nous le faisons avec la prière et piété, et non simplement en attendant d'elle une action mécanique.
Chaque prêtre doit se préoccuper de bénir une quantité d'eau suffisante pour son église, afin d'en avoir à disposition toute l'année pour tous les besoins et pour en donner à ceux qui en demandent. Les paroissiens doivent aussi, lors de la Théophanie, en faire provision pour toute l'année et même pour les années suivantes.
LE CHRISTIANISME ORTHODOXE
Peu après le début de la propagation de l'enseignement du Christ parmi les païens, ceux qui crurent en Lui et devinrent ses disciples commencèrent à s'appeler "chrétiens " à Antioche.
Le mot "chrétien" indiquait que celui qui portait ce nom se donnait au Christ, Lui appartenait dans son coeur et suivait Son enseignement.
L'appellation "chrétien", qui définit bien l'essence des disciples du Christ, leur convenait et, depuis Antioche, elle se répandit partout. Les chrétiens étaient attachés à ce nom, étant heureux de tirer leur nomde celui de leur Maître et Seigneurbien-aimé. Souvent, lorsqu'on leur demandait leur nom, les chrétiens répondaient "chrétien".
Les Juifs et les païens commencèrent ausi à les appeler ainsi, les associant à toute la méchanceté et à la haine qu'ils entretenaient à l'égard du Christ.
" Où êtes-vous nés, comment vous appelez-vous, quelle est votre patrie?", demande le bourreau Latronien au vieux presbytre Epictète et à son jeune disciple Astion ( mémoire le 7 juillet). " Nous sommes chrétiens et nés de parents chrétiens", répondirent-ils. " Ce n'est pas ce que je vous demande, dites vos noms, votre doctrine m'est connue!", dit le bourreau. " Nous sommes chrétiens : nous adorons notre seul Seigneur Jésus-Christ, et nous abhorrons les idoles", continuèrent les saints martyrs.
Le bourreau ordonna de les battre, de les écorcher avec des ongles de fer, de les brûler avec des torches enflammées, mais on ne les entendait dire autre chose que : " nous sommes chrétiens, que la volonté de notre Seigneur Dieu soit faite en nous!" Cela produisit une telle impression sur l'un des païens, Vigilantius que, durant trois jours, il répéta en lui les paroles entendues des martyrs et, le quatrième jour, il déclara devant tous : " Je suis chrétien", et il reçut le saint baptême. Les saints Epictète et Astion subirent ensuite de nombreux supplices, mais ils ne cessèrent pas de confesser " Nous sommes chrétiens" et, recevant la couronne du martyre par la décapitation, ils partirent vers le Christ qu'ils aimaient ardemment et pour lequel ils périrent.
Cependant, si leur propre nom était tenu en grande estime par les chrétiens, ils n'en commencèrent pas moins, peu après des débuts du christianisme, à souvent le vider de son contenu. Des hommes qui s'appelaient chrétiens n'étaient pas du Christ par leur esprit. Aussi a-t-Il dit à leur propos : " Ce n'est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu'on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c'est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les Cieux" ( Mt 7, 21). Le Christ a même prédit que nombreux ceux qui se feront passer pour Lui, en portant Son nom : " Il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront : " c'est moi le Christ"" (Mt 24, 5).
Les Apôtres, dans leurs épîtres inspirées de Dieu, ont mentionné que certains, portant abusivement le nom du Christ, sont apparus de leur temps déjà, et ils mettaient en garde contre tout rapport avec eux. " Vous avez ouï dire que l'Antichrist doit venir, et déjà maintenant beaucoup d'antichrists sont survenus... Ils sont sortis de chez nous, mais n'étaient pas des nôtres", écrit le saint évangéliste Jean le Théologien ( 1 Jn 2, 18-19).
Prescrivant à leurs disciples d'éviter absolument les disputes et les discordes pour des questions qui n'ont pas d'importance pour le salut (1 Co 1, 10-14), les Apôtres commandèrent de fuir ceux qui ne viennent pas avec la véritable doctrine. Ils montrèrent que le véritable serviteur de Dieu n'est pas reconnu par le nom, mais par la foi et les oeuvres (cf. Rm 2, 17-29), de telle façon que si le nom ne leur correspond pas, il s'agit d'un faux serviteur.
Le Seigneur Lui-même, dans l'Apocalypse - la révalation accordée à S. Jean le Théologien -, a dit sévèrement au sujet de ceux qui se donnaient faussement le nom d'adeptes de l'Ancien Testament : " ... ceux qui se disent Juifs et ne le sont pas, mais qui sont une synagogue de Satan" (Ap 2, 9).
De même façon, n'est chrétien dans le sens strict que celui qui confesse le véritable enseignement du Christ et vit conformément à celui-ci. " Vous êtes séparés du Christ... vous êtes déchus de la grâce" (Ga 5, 4), écrit le saint apôtre Paul à ceux qui altéraient la véritable doctrine. Nombre de tels falsificateurs de la véritable foi, qui continuaient à porter abusivement le nom de "chrétiens" existaient du temps des Apôtres, mais encore plus nombreux furent ceux qui apparurent dans les siècles suivants. A la différence de telsfaux chrétiens, ceux qui confessaient la véritable foi commencèrent à s'appeler orthodoxes, car le véritable christianisme cnsiste à glorifier Dieu par sa vie.
" Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux" ( Mt 5, 16). Il n'est possible de glorifier Dieu par sa vie que lorsque nous avons la véritable foi et que nous exprimons cette foi en c equi est réellement la vérité, par les paroles et par les actes. Pour cette raison, est orthodoxe dans le sens véritable du terme celui qui confesse la vraie, la véritable foi et vit conformément à elle.
En appelant notre religion orthodoxe, nous nous distinguons du faux christianisme, et en nous appelant nous-mêmes orthodoxes, nous indiquons par cela que notre foi est le christianisme véritable, non falsifié, non altéré, et que notre devoir est d'accomplir son enseignement avec exactitude.
Et que l'Orthodoxie ne porte pas en vain ce nom, mais constitue la vérité à l'état pur, excluant la possibilité d'existence de toute autre vérité, et que l'Eglise orthodoxe est précisément celle dont le Christ a dit : " Je bâtirai Mon Eglise et les portes du séjour des morts ne prévudront point contre elle" ( Mt 16, 18), cela est témoigné et confirmé par de nombreux signes qui se sont accomplis depuis la création de celle-ci. Et ces signes ne cessent pas de se manifester clairement dans l'Eglise orthodoxe, de même que les miracles non seulement des anciens, mais aussi des nouveaux saints de Dieu qui ont brillé en nos temps.
Pour cette raison, nous devons déclamer avec joie, le jour du Triomphe de l'Orthodoxie :
" Cette foi est celle des Apôtres, cette foi est celle des Pères, cette foi est orthodoxe, cette foi a affermi l'univesr" ( office de l'Orthodoxie).
LE CHRIST EST RESSUSCITE!
Cette joie est universelle; Cette joie est annoncée à l'univers entier, à toute la création.
Le ciel est dans la joie et la terre tressaille de joie.
Chaque créature de l'univers est dans la joie, car le Christ est ressuscité.
Mais pourquoi cette joie, pourquoi nous réjouissons-nous de la Résurrection du Christ? Parce que c'est pour nous qu'Il asouffert, c'est pour nous qu'Il est descendu des cieux, c'est pour nous qu'Il est ressuscité.
La Vérité prééternelle, le Juge de l'univers a été condamné comme un malfaiteur. Il semblait que le mal était vainqueur, que la dernière étincelle de Vérité était éteinte, que la mort était plus forte que la vie.
Mais le Christ est ressuscité et tout l'univers s'est éclairé de la lumière de Sa Résurrection.
La Vérité a vaincu, le mal est anéanti, la porte de la vie éternelle s'est ouverte, car le Christ, Source de vie, est ressuscité.
Et à tous ceux qui le suivent, Il donne la Résurrection.
Les anges chantent dans les cieux la Résurrection glorieuse du Christ.
Les saints et les âmes des défunts tressaillent de joie.
Réjouissons-nous avec eux. Ouvrons nos yeux intérieurs pour contempler le Christ resplendissant. Chassons de nos coeurs l'orgueil, le jugement, les soucis, la tristesse, tout ce qui voile nos yeux. Que la joie universelle remplisse notre coeur.
Aujourd'hui, c'est le jour du pardon, le jour de l'allégresse. Aujourd'hui, le ciel, et la terre, et l'enfer, tous sont dans la joie. Le nord et le midi, l'Orient et l'occident, l'air, la terre et la mer et tout ce qu'ils contiennent, glorifient le Christ ressuscité.
Tendons vers Lui toutes nos pensées, tous nos coeurs et débordants de joie, crions tous ensemble : " Le Christ est ressuscité! En vérité, Il est ressuscité!"
(Message de Pâques 1964)
POURQUOI LE BON LARRON A-T-IL ETE PARDONNE?
"L'un des malfaiteurs L'injuriait, disant : n'es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous! Mais l'autre le reprenait, et disait : Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes; mais Celui-ci n'a rien fait de mal. Et il dit à Jésus : Souviens-toi de moi quand Tu viendras dans Ton royaume. Jésus lui répondit : Je te le dis en vérité, aujoursd'hui tu sera avec Moi dans le paradis" ( Lc 23, 39-43)
C'est ainsi que le saint évangéliste Luc relate l'événement profondément édifiant et émouvant de la conversion et de l'absolution par le Christ du bandit qui était suspendu à Ses côtés sur une croix au Golgotha.
En quoi le brigand a-t-il mérité une telle miséricorde? Qu'est-ce qui a provoqué une réponse si rapide et décisive du Seigneur? Tous les justes de l'Ancien Testament - dont saint Jean le Précurseur - se trouvaient encore dans l'hadès. Le Seigneur Lui-même s'apprêtait à descendre aux enfers, certes non pour y souffrir, mais pour en faire sortir les captifs.
Le Seigneur n'avait pas encore promis à quiconque de le mener au Royaume céleste. Même aux apôtres, Il ne promettait de les recevoir dans Ses demeures que lorsqu'Il les aurait préparées.
Pourquoi fut-il fait miséricorde au brigand avant tous les autres hommes, pour quelle raison les portes du paradis lui furent-elles ouvertes aussi vite? pénétrons dans les dispositions de l'âme du malfaiteur et dans son milieu ambiant.
Toute sa vie, il la passa dans le brigandage et le crime. Mais de toute évidence, la conscience n'était pas morte en lui et il restait quelque chose de bon dans la profondeur de son âme. La Tradition dit mêm qu'il était ce bandit qui, au moment de la fuite du Christ en Egypte, eut pitié du merveilleux Enfant et ordonna à ses complices de ne point Le tuer, alors qu'ils attaquaient la Sainte Famille en fuite. Ne se souvient-il pas à cet instant du visage de cet Enfant lorsqu'il regarda la face de Celui qui était suspendu sur la croix à côté de lui?
Qu'il en fût ainsi ou non, le regard du larron sur le Christ, dans tous les cas, réveilla en lui la conscience. Il était maintenant suspendu sur la croix aux côtés du Juste, aux côtés de Celui qui est "le plus beau des enfants des hommes" ( Ps 40, 3), mais dont l'aspect, à ce moment, était "déshonoré et méprisé plus que celui de tous les hommes", "n'ayant ni aspect, ni gloire" (Is 53, 2-3).
Le regardant, le brigand se réveilla littéralement d'un profond sommeil. Il vit clairement la différence entre le Seigneur et lui-même. Le premier était indubitablement le Juste, pardonnant même à Ses bourreaux et priant pour eux ce Dieu qu'Il appelait Son Père. Quant à lui, le brigand, il était l'assassin de nombreuses personnes, ayant fait couler le sang de ceux qui ne lui avaient fait aucun mal.
Tournant son regard vers Celui qui était suspendu à la Croix, il voyait littéralement comme dans un miroir sa chute morale. Tout ce qu'il avait de meilleur, enfoui en lui, se réveillait et cherchait une sortie. Il prit conscience de ses péchés, comprit que sa faute seule l'amenait à une triste fin, et qu'il ne pouvait en blâmer personne. pour cette raison, la disposition haineuse envers les exécuteurs de la peine, dont était saisi le brigand crucifié de l'autre côté du Christ, et qu'il partagea au début, se transforma en un sentiment d'humilité et de contrition. Il ressentit la crainte du futur jugement de Dieu.
Le péché devint pour lui repoussant et horrible. Dans son être, il n'était plus un brigand. En lui se réveilla l'amour du prochain et la miséricorde. A la crainte quant au sort de son âme s'unit la répulsion pour les outrages à l'égard de Celui qui souffrait tout en étant innocent.
Sans aucun doute, il avait entendu parler auparavant du grand Docteur et Thaumaturge de Nazareth. Ce qui se passait en Judée et en Galilée était l'objet de nombreuses conversations et débats dans tout le pays. Auparavant, ce qu'il avait entendu à son sujet, avait échappé à son attention. Maintenant, se trouvant avec Lui et dans la même situation que Lui, il commençait à comprendre Sa grandeur morale.
L'absence de méchanceté, le pardon universel et la prière du Christ étonnèrent le brigand. Il comprit en son coeur qu'auprès de lui ne se tenait pas un homme ordinaire. Ne pouvait s'adresser ainsi à Dieu, comme à son Père, à l'heure de la mort, que Celui qui se savait Fils de Dieu; Ne pouvait chanceler dans son enseignement sur l'amour et le pardon universel, supportant toute la bassesse de la calomnie et de la méchanceté humaines de la part de ceux à qui Il avait fait du bien, que Celui qui était en communion étroite avec la source de l'Amour ou qui l'était Lui-même.
Le larron se remémora toutes les choses inhabituelles qu'il avait entendues sur Celui qui était crucifié maintenant avec lui, et un ardent sentiment de foi naquit dans son coeur. Oui, indubitablement, Il était le Fils de Dieu, incarné sur terre, mais demeurant dans une communion ininterrompue avec Son Père, le Fils de Dieu qui ne fut point reçu par la terre et qui revint au Ciel, le Fils de Dieu pouvant pardonner aux hommes! Le brigand ressentit l'espoir d'échapper à la condamnation lors du jugement après la mort. Si Jésus prie Son Père pour ceux qui L'ont crucifié, Il ne rejettera pas celui qui est crucifié avec Lui. Il doit s'adresser à Lui afin que Celui qui partage maintenant les mêmes souffrances amères, le reçoive dans Sa béatitude.
Il est vrai que s'adresser à Jésus avec des paroles d'amour et de commisération sera accueilli par les railleries de la foule possédée qui L'injuriait. Le reconnaître Juste et Fils de Dieu signifierait attirer l'attention et la colère des Anciens des Juifs. Bien qu'ils ne puissent lui occasionner des tourments corporels plus grands que ceux qu'il subit déjà, comme il sera difficile de supporter autour de lui la seule méchanceté! Comme les souffrances lui seront plus pesantes lorsque la populace déchaînée commencera à se moquer de lui!
Mais au demeurant, qu'étaient pour lui maintenant la colère des autorités terrestres, les railleries des humains? Bien qu'il soit difficile de se retrouver rejeté par les hommes sur le seuil de la mort, combien plus difficile est-il de se trouver rejeté par Dieu. Il vit au jugement de Dieu, et ne doit craindre que Dieu! Il faut dans le dernier moment de sa vie faire ce qui est en ses moyens pour attirer la bienveillance de Dieu!
Ne serait-ce que par ses paroles, il pourra quelque peu soulager les souffrances du Christ. Peu importe qu'il n'y eût qu'un seul parmi les blasphémateurs pour retrouver sa conscience et cesser de L'injurier. Le Christ, promettant de récompenser pour un verre d'eau donné en Son nom, ne le laissera pas pour cela sans récompense. Que ceux qui outragent le Christ, l'outragent aussi avec Lui! Cela le liera encore plus étroitement avec Lui! Il partagera le sort du Christ ici, le Christ ne l'oubliera pas non plus dans sa gloire!
Et voici que dans la clameur des injures, des blasphèmes et des railleries, il commença à exhorter son compagnon qui était suspendu à la gauche du Christ, à cesser de Le blasphémer. " Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes; mais celui-ci n'a rien fait de mal." Et l'on entendit de ses lèvres son humble voix : "Souviens-toi de moi quand tu viendras dans Ton royaume."
C'était le cri de l'ancien bandit, maintenant nouveau disciple du Christ, qui crut en Lui, tandis que les anciens disciples L'avaient abandonné.
"Le larron confessait Ta Divinité, et moi je T'ai rejeté" (cathisme, ton 5), s'écria ensuite avec affliction l'apôtre Pierre. A ce moment, tous les autres apôtres doutèren du Seigneur. Même saint Jean le Théologien, qui suivait inséparablement son Maître et qui se tenait près de la Croix sur le Golgotha, bien que continuant à être fidèle à Jésus qui l'avait aimé, n'avait pas alors une foi parfaite dans la divinité de son Maître; ce n'est qu'après la résurrection, lorsqu'il entrera dans le tombeau vide, où gisaient les bandes et le linge enveloppant le corps mort du Christ, qu'il "vit et crut" que Celui-ci était vraiment ressuscité et qu'Il était le Fils de Dieu.
Les apôtres étaient ébranlés dans leur foi en Jésus comme Messie, parce qu'ils attendaient, et voulaient voir en Lui, un roi terrestre, dans le royaume duquel ils pourraient être assis "à la droite et à la gauche" du Seigneur.
Le brigand comprit que le royaume de Jésus de Nazareth, avili et livré à une mort honteuse, "n'est pas de ce monde". Or, c'est précisément ce royaume que recherchait maintenant le brigand : les portes de la vie terrestre se refermaient derrière lui, l'éternité s'ouvrait à lui. Les comptes de la vie sur terre étaient clos pour lui, il pensait désormais à la vie éternelle. Sur le seuil de l'éternité, la vanité de la vie et du royaume terrestres lui devenaient compréhensibles. Il prit conscience de ce que la grandeur était renfermée dans la rectitude, et c'est précisément dans le juste Jésus qui subit les tourments tout en étant innocent qu'il vit le Roi de justice. Il ne lui demanda point la gloire dans le royaume terrestre, mais le salut de son âme.
La foi du larron,née de son admiration devant la sublimité du Christ s'avéra plus forte que la foi des apôtres qui, bien que captivés par l'élévation de l'enseignement du Christ, fondaient leur foi en plus grande partie sur les miracles. Le Christ, n'étant point délivré de Ses ennemis par un miracle, la foi des apôtres vacilla.
Mais la patience manifestée par le Christ, Son pardon universel, et Sa certitude que le Père Céleste L'entendait, tout cela exprimait si fortement la rectitude de Jésus, Sa grandeur morale, que celui qui cherchait une régénération spirituelle et morale ne pouvait pas ne pas être ébranlé. Et c'est exactement ce à quoi aspirait le larron, qui avait conscience de sa chute profonde.
Il ne demanda pas à être placé "àdroite ou à gauche" dans le Royaume, mais, conscient de son indignité, il Le suppliait humblement de " se souvenir de lui dans le Royaume", de lui donner ne serait-ce que la dernière place.
Il confessa ouvertement devant tous le Christ crucifié comme Seigneur et implora Sa miséricorde.
La foi humble dans le Christ le fit confesseur. Par son libre choix, il fut même martyr, car il ne craignit point de reconnaître comme son Seigneur "le Roi des Juifs", qui était rejeté de tous, contre Lequel était concentrée toute la haine de la foule, rassemblée en ces jours à Jérusalem depuis toutes les extrémités du monde pour la fête de la Pâque, et qui, avec tous ses Anciens et ses prêtres, blasphémait le Christ. Il n'eût pas craint de souffrir pour Lui.
Ainsi, un tel repentir profond du larron fit naître l'humilité et tout cela constitua le fondement sûr d'une foi si solide que les plus proches disciples du Christ ne la possédaient pas à ce moment. Le brigand converti accomplit un exploit spirituel dont aucun d'entre eux n'était capable.
"Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi Je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est dans les cieux" ( Mt 10, 32).
Le brigand confessa le Christ devant une foule nombreuse qui Le raillait. Il Le confessa alors que personne n'osait le faire et que même les quelques disciples et femmes qui Lui étaient restés fidèles ne témoignaient leur amour envers Lui que par quelques larmes amères.
Le larron fit ce que firent autrefois les trois enfants de Babylone, refusant de se prosterner devant l'idole en or que Nabuchodonosor érigea sur la plaine de Doura et que "tous les gens de tous peuples, nations et langues" ( Dn 3, 7) adorèrent.
Le brigand crut dans le Seigneur souffrant, " confessant le Dieu caché." Avant tout autre, il comprit en quoi consistait le "royaume non de ce monde" et ce qu'était "la vérité" ( Jn 18, 36-38).
Il comprit le premier ce qu'est le Royaume du Christ; pour cette raison il y entra le premier.
Il vit le premier " Jésus-Christ et Jésus Christ crucifié", le premier, il prêcha "un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1 Co 1, 23-24).
Pour cette raison, il fit le premier l'expérience de la puissance et de la sagesse de Dieu, la puissance de l'amour compatissant et régénérateur du Christ; le premier, " il entendit le son de la puissance de la Croix, car le Paradis s'ouvrit pour lui" ( hirmos de la 4° ode du canon de l'Ascension).
Le repentir total de ses péchés et de ses crimes, la profonde humilité, la ferme foi dans le Seigneur Jésus Christ crucifié qui Se livra à la passion, la confession de Celui-ci lorsque le monde entier se dressait contre Lui, voici ce qui tissa la couronne qui orne le front de l'ancien bandit, comme vainqueur et combattant spirituel, voici ce qui forgea la clef qui lui ouvrait les portes du Paradis!
Beaucoup pèchent et espèrent se livrer au repentir avant la mort, en se référant au bon larron. Mais qui est capable d'un tel haut fait? " Le Seigneur eut pitié du larron à la dernière heure, afin que nul ne désespérât. Mais d'un seul uniquement, afin que personne n'espérât démesurément dans la miséricorde (1)."
(1) : (Bienheureux Augustin).
" Telle est sa fin! Comment sera la nôtre, nous ne le savons pas - nous ignorons même de quelle mort nous mourrons; viendra-t-elle soudain ou avec quelque avertissment (2)?
(2) : ( S. Théodore le Studite, Instruction à l'occasion du trépas soudain d'un frère).
Pourrons-nous alors nous régénérer moralement en un instant et nous élever spirituellement à l'instar du "compagnon du Christ" qui "laissa poindre une faible voix, mais trouva une forte foi"? Une mort soudaine ne s'emparera-t-elle pas de nous, nous laissant trompés par l'espoir de la pénitence avant la mort (3)?
(3) : ( S. Cyrille d'Alexandrie, Sur le jugement dernier, cité dans le Grand horologe).
Pour cette raison : " Pécheur, n'ajourne pas la pénitence des péchés, afin qu'ils ne t'accompagnent pas dans l'autre vie et qu'ils ne t'alourdissent pas d'une charge intolérable. (4)."
(4) : ( Bienheureux Augustin, cité dans S. Jean de Tobolsk, Le Tournesol, livre IV, ch.5).
Que l'exemple du bon larron ne nous incite pas à remettre à plus tard le repentir, mais nous mène à "être crucifié avec le Christ" (Ga 2, 19) et à nous "repentir avec ferveur" afin d'expérimenter en nous " la miséricorde de la compassion (5)", "crucifiant la chair avec ses passions et ses convoitises" (Ga 5, 24).
(5) : (Prière de saint Syméon le Nouveau Théologien);
Soyons zélés à corriger notre être intérieur dans son intégralité, le plus vite possible, nous remettant entièrement à la volonté divine, et demandant au Christ miséricorde et grâce.
"Donne à nous aussi, qui Te servons avec foi, Seul Ami de l'homme, le repentir du larron, Christ notre Dieu, qui nous écrions vers Toi : souviens-Toi de nous dans Ton Royaume (6) !"
" Tu as rendu digne du Paradis le bon larron en ce jour même, Seigneur, illumine-moi et sauve-moi par le bois de la Croix. (7)."
ZACHEE
"Jésus, étant entré dans Jéricho, traversait la ville. Et voici, un homme riche, appelé Zachée, chef des publicains, cherchait à voir qui était Jésus; mais il ne pouvait y parvenir, à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut en avant, et monta sur un sycomore pour Le voir, parce qu'il devait passer par là. Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, Il leva les yeux et lui dit : Zachée, hâte-toi de descendre; car il faut que Je demeure aujourd'hui dans ta maison. Zachée se hâta de descendre, et Le reçut avec joie. Voyant cela, tous murmuraient et disaient : Il est allé loger chez un homme pécheur. Mais Zachée, se tenant devant le Seigneur, Lui dit : Voici, Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et, si j'ai ait tort de quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple. Jésus lui dit : le salut est entré aujourd'hui dans cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d'Abraham. Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver celui qui était perdu." (Lc 19, 1-10).
Qui était Zachée?
C'était le chef des publicains. L'opposition habituelle entre l'humble publicain et l'orgueilleux pharisien obscurcit souvent dans notre esprit les véritables caractéristiques de ces deux images. Néanmoins, pour comprendre l'Evangile correctement, il faut se les représenter clairement.
Les pharisiens étaient réellement des justes. Si dans nos bouches le mot "pharisien" est associé à une condamnation, il n'en était pas ainsi du temps du Christ et des premières décennies du christianisme. Au contraire, l'apôtre Paul reconnaît solennellement qu'il est " pharisien et fils de pharisien" ( Ac 23, 6). Il écrit ensuite aux chrétien, à ses fils spirituels : je suis " de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d'Hébreux; quant à la loi, pharisien" ( Ph 3, 5). Outre l'apôtre Paul, de nombreux pharisiens devinrent chrétiens : Joseph, Nicodème, Gamaliel.
Les pharisiens ( en hébreu ancien péroushim, en araméen phérisim, signifie "autre", ceux qui sont séparés, différents) étaient des zélateurs de la Loi divine. Ils "se reposaient sur la Loi", c'est-à-dire qu'ils y pensaient sans cesse, l'aimaient, s'efforçaient de l'accomplir avec exactitude, la prêchaient, et la commentaient. Le sens des dénonciations du Seigneur à l'endroit des pharisiens est de les prévenir que tout leur exploit spirituel, tous leurs efforts réellement bons sont dépréciés aux yeux de Dieu, sont réduits à rien, appellent la condamnation divine et non la bénédiction. Cela est dû à l'exaltation de leur propre personne, qu'ils tirent des oeuvres de justice accomplies par eux, à leur jactance et, principalement, à leur condamnation du prochain, dont un exemple frappant nous en est donné par le pharisien de la parabole : " Ô Dieu je Te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes" ( Lc 18, 11).
Au contraire, les publicains étaient réellement des pécheurs, des transgresseurs des lois fondamentales du Seigneur. Les publicains étaient les percepteurs des impôts des Juifs pour le compte des Romains. Il convient de se souvenir que les Juifs, ayant conscience de leur condition exceptionnelle d'élus de Dieu, se glorifiaient " de la postérité d'Abraham", sans être "jamais esclaves de personne" ( Jn 8, 33). Mais maintenant, en raison des circonstances historiques, ils se trouvèrent soumis, asservi à un peuple orgueilleux et brut, un peuple " de fer", païen, les Romains. Et le joug de cet asservissement se faisait de plus en plus pesant, et devenait toujours plus pénible.
Le signe le plus tangible et manifeste de cet asservissement et de cette soumission des Juifs était constitué par le payement de toutes sortes d'impôts, de tributs, à leurs asservisseurs. Le versement d'un tribut pour les Juifs, comme pour tous les autres peuples de l'Antiquité était par excellence le symbole de la soumission. Et les Romains, ne manifestant aucune retenue à l'égard du peuple soumis, percevaient de lui des impôts ordinaires et exceptionnels. Naturellement, les Juifs s'en acquittaient avec haine et dégoût. Ce n'est donc pas en vain que, voulant compromettre le Seigneur aux yeux de Son peuple, les scribes lui demandèrent : " Est-il permis ou non, de payer le tribut à César?" (Mt 22, 17). Ils savaient que si le Christ disait de ne pas verser le tribut à César, il serait facile de Le mettre en accusation devant les Romains. Si, au contraire, Il disait qu'il fallait le verser, Il serait irréversiblement compromis aux yeux du peuple.
Tant que les Romains gouvernaient la Judée au moyen de roitelets locaux, tels qu'Hérode, Archélaos, Agrippa et autres, cette soumission à Rome, et en particulier la nécessité de payer les impôts, étaient tempérée pour les Juifs par le fait qu'ils étaient soumis et acquittaient l'impôt à leurs rois, lesquels, à leur tour, étaient assujettis et payaient le tribut à Rome.
Mais voici que peu avant le commencement de la prédication du Christ Sauveur, le système de gouvernement de la Judée changea. Lié à l'événement de la Nativité du Christ, le recensement général de la population constituait le premier pas vers l'établissement de la capitation sur tous les sujets des Romains. En l'an 6 ou 7 après Jésus-Christ, après le départ d'Archélaos, lorsqu'un impôt personnel fut introduit pour tous les habitants de la Palestine, les Juifs répondirent à cela par une révolte menée par le pharisien Saddoc et Judas le Galiléen (cf. Ac 5, 37) et ce n'est qu'avec difficultés que le grand-prêtre Joasar réussit à clamer le peuple.
Au lieu des rois locaux, des procurateurs romains furent nommés gouverneurs de la Judée et des provinces voisines. Afin de collecter les impôts avec plus de succès, les Romains introduisirent l'institution des publicains. Celle-ci avait existé à Rome depuis les temps anciens, mais tandis que là et dans toute l'Italie, les publicains étaient recrutés dans la classe respectée des cavaliers, en Judée, les Romains devaient engager des publicains parmi des individus moralement proscrits, parmi les Juifs acceptant de passer à leur service et de contraindre leurs frères à payer le tribut.
L'acceptation d'une telle fonction était lié à une profonde chute morale. Ce n'était pas là seulement une trahison nationale, mais aussi et avant tout une trahison religieuse. Afin de devenir l'instrument de l'asservissement du peuple élu de Dieu par de grossiers païens, il fallait renoncer à l'espérance d'Israël, à tout ce qui était saint en lui et à ses attentes, ce d'autant plus que les Romains ne prenaient nullement en compte les états d'âme de leurs agents. En effet, lorsqu'ils entraient en service, les publicains devaient prêter un serment païen de fidélité à l'empereur et devaient offrir un sacrifice à son esprit ( au "génie" de l'empereur).
Naturellement, ce n'était pas seulement les intérêts de Rome que recherchaient les publicains en percevant l'impôt de leurs compatriotes. Ils poursuivaient aussi leurs propres intérêts, s'enrichissant aux dépens de leurs frères asservis, rendant ainsi plus lourd le poids de l'oppression romaine. Ainsi étaient les publicains. C'est la raison pour laquelle ils étaient entourés d'une haine fondée et de mépris, comme traître à leur peuple, ne trahissant pas un peuple ordinaire, mais élu de Dieu, l'instrument de Dieu dans le monde, ce peuple par lequel uniquement pouvait venir à l'humanité la régénération et le salut.
Tout ce qui a été dit ici s'applique doublement à Zachée, car il n'était pas un simple publicain, mais leur chef ( architelonis). Indubitablement, il avait fait tout cela : prêté le serment et offert le sacrifice païen, arraché impitoyablement l'impôt à ses compatriotes, l'augmentant pour son propre profit. Et il devint, comme en témoigne l'Evangile, un homme riche.
Naturellement, Zachée comprenait que pour lui les espérances d'Israël étaient perdues. Tout ce qui avait été annoncé par les prophètes, ce qu'il avait aimé depuis son enfance, ce qui faisait trembler de joie toute âme croyante "connaissant la jubilation" sous l'Ancien Testament, tout cela n'était pas pour lui. Il était un traître, un félon, un proscrit. Il n'avait pas part en Israël.
Et voici que lui parviennent des bruits, selon lesquels le Saint d'Israël, le Messie annoncé par les prophètes, est déjà apparu au monde et, avec un petit groupe de disciples, marche dans les champs de Galilée et de Judée, prêchant l'Evangile du Royaume et accomplissant de grands miracles. Dans les coeurs des croyants, des espoirs joyeux s'embrasent.
Comment réagira-t-il à cela?
Pour lui, la venue du Messie constitue une catastrophe personnelle. Le pouvoir des Romains doit arriver à sa fin, et Israël triomphant tirera vengeance pour le dommage qu'il a subi de lui, pour ses offenses et son oppression. Mais même s'il n'en est pas ainsi - car le Messie, selon le témoignage du prophète, "vient, juste et victorieux, humble" ( cf. Za 9, 9) -, Sa venue victorieuse ne doit néanmoins apporter, à lui - Zachée - que la plus grande humiliation et la privation de toute cette richesse et de cette situation qu'il a acquises au prix terrible de sa trahison de Dieu, de son propre peuple et de toutes les espérances d'Israël.
Il se peut encore qu'il n'en soit pas non plus ainsi. Peut-être le nouveau prédicateur n'est-Il pas le Messie. Tous ne croient point en Lui. Les principaux ennemis des publicains, et en partie de lui-même - Zachée - les pharisiens et les scribes ne croient pas en Lui. Il s'agit peut-être de la simple rumeur populaire. On pourra alors vivre tranquillement comme jusqu'à maintenant.
Mais Zachée ne veut pas persister dans de telles pensées. Il veut voir Jésus pour savoir et ce avec certitude : qui est-Il? Et Zachée veut que le Prédicateur qui passe là soit véritablement le messie, le Christ. Il veut dire avec les prophètes : "Ah, si Tu déchirais les Cieux et si Tu descendais!" (Is, 64, 1). Qu'il en soit ainsi, même si cela s'avère être catastrophique pour lui, Zachée. Il y a dans son âme, semble-t-il, des profondeurs telles qu'il ne les avait pas ressenties jusqu'à maintenant; il y a en lui un amour brûlant, enflammé, ardent, totalement désintéressé pour "l'attente des nations", pour l'image du doux Messie décrite par les prophètes, pour Celui " qui a pris sur Lui nos faiblesses et qui a porté nos souffrances" (Is 53, 4). Et lorsque l'occasion se présente de Le voir, Zachée ne pense pas à lui-même.
Le triomphe du Messie est pour lui la catastrophe et la ruine, mais il n'y pense pas. Il veut seulement, ne serait-ce que du coin de l'oeile, apercevoir Celui qui a été annoncé par Moïse et les prophètes. Et voici que passe le Christ. Il est entouré par la foule. Zachée ne peut Le voir, car il est de petite taille. Mais l'aspiration totalement désintéressée de Zachée à voir, ne serait-ce que de loin, le Christ, est à ce point illimitée, irrésistible, que lui - un homme riche, avec une position sociale, fonctionnaire de l'Empire romain, au milieu d'une foule qui lui est hostile, qui le déteste et le méprise - ne prête en rien attention à tout cela, étant dévoré par le désir de voir le Seigneur. Pour ce faire, il passe outre toutes les conventions, toutes les convenances extérieures, et monte sur un arbre, un sycomore, qui se trouve sur le bord du chemin.
Et les yeux du grand pécheur, chef des traîtres et des félons, rencontrent les yeux du Saint d'Israël, le Christ Messie, le Fils de Dieu.
L'amour voit ce qui est inaccessible au regard indifférent ou hostile. Aimant avec abnégation l'image du Messie, Zachée pouvait immédiatement reconnaître dans le Maître galiléen le Christ. Et le Seigneur, plein d'amour divin et humain, voit en Zachée, qui Le regarde depuis les branches du sycomore, ces profondeurs de l'âme qui étaient inconnues à celui-ci même jusqu'à présent. Le Seigneur vit que l'amour ardent pour le Saint d'Israël dans le coeur du traître, un amour qui n'éatit pas assombri par la moindre trace d'intérêt propre, pouvait le régénérer et le renouveler.
Et la voix divine résonna : " Zachée, descends vite, car il me faut aujourd'hui demeurer chez toi."
Et la régénération morale, le salut, le renouveau vint chez Zachée et toute sa maison.
Le Fils de Dieu vint réellement chercher et sauver ce qui était perdu.
Seigneur, Seigneur, comme jadis Zachée, nous aussi T'avons trahi, Toi et Ton oeuvre, nous avons été privés d'une part en Israël, nous avons trahi notre espérance! Mais que Ton règne, Ta victoire et Ton triomphe viennent, bien que ce soit à notre honte, à nous et à ceux qui nous sont semblables! Que Tes ennemis ne portent pas en dérision Ton héritage! Même si Ta venue nous apporte la perte et la condamnation, méritées pour nos péchés, viens Seigneur, viens vite! Mais donne-nous de voir, bien que de loin, le triomphe de Ta vérité, même si nous ne pouvons en être les participants. Et aie pitié de nous, contre tout espoir, comme Tu eus pitié de Zachée!
(Saint Clément de Rome témoigne que Zachée devint par la suite un compagnon du saint apôtre Pierre, et prêcha, avec le premier des apôtres à Rome, où il reçut le martyre pour le Christ sous le règne de Néron. D'une manière chrétienne, il rétribua avec le plus grand bien aux Romains le plus grand mal qu'ils avaient accompli par lui. Dans la fière capitale des Romains qui, jadis l'avaient induit en tentation et asservi, forcé à renoncer à tout ce qui était saint pour son âme, il vint, régénéré et libéré par la grâce de notre Seigneur Ami des hommes, et apporta à Rome non la malédiction, mais la Bonne Nouvelle, pour laquelle il offrit sa vie même).
HOMELIE SUR L'APÔTRE MATTHIAS
Le saint apôtre Matthias, du temps de la vie terrestre du Christ, faisait partie non pas des douze, mais des soixante-dix apôtres.
Après l'ascension du Seigneur au ciel, pendant la réunion de prières, à laquelle participaient environ cent vingt personnes, le saint apôtre Pierre attira l'attention de ceux qui étaient réunis sur le fait que Judas Iscariote était déchu du choeur des apôtres, étant devenu un traître, et il rappela les paroles du psaume 108, où l'Esprit Saint, par les lèvres du psalmiste David, dit de l'impie "qu'un autre prenne sa charge." Pour accomplir les paroles du psaume, l'apôtre Pierre propossa de choisir deux hommes qui seraient présentés devant le Seigneur, et celui qui serait indiqué par Lui, serait compté au nombre des douze. Furent choisis Matthias et Joseph, appelé également Barsabbas. Lorsque le Seigneur désigna par le sort Matthias, il fut compté au nombre des douze.
C'est ainsi que fut complété le choeur des apôtres du Christ, et Matthias, après l'ascension du Seigneur, reçut la grâce et le pouvoir à égalité avec les autres aopotres, et comme eux, prêcha, guérit les malades, accomplit des miracles et souffrit pour le Christ.
Cet événement est profondément édifiant pour nous. Il nous enseigne que l'Eglise du Christ ne connaît jamais la pénurie et ne reste pas sans les serviteurs qui lui sont nécessaires.
" Je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'hadès ne prévaudront point contre elle" (Mt 16, 18), dit le Christ.
L'Eglise est l'union spirituelle de tous ceux qui détiennent la vraie foi, dirigée par le Christ Lui-même et ayant pour but la perfection spirituelle de ses membres.
La partie terrestre de l'Eglise, préparant ses enfants au passage à sa partie céleste, a besoin de pasteurs et d'autres serviteurs pour accomplir son but. Elle est invincible aux portes de l'Hadès, sa grâce est inépuisable, et elle n'est jamais privée de ce qui lui est nécessaire.
C'est une grande miséricorde de Dieu que d'être appelé au nombre de ces pasteurs, mais ce ne sont pas tous ceux qui ont été honorés par elle qui sont dignes d'elle, et nombreux sont les appelés qui ne sont pas les élus. Ce n'est pas seulemnt Judas qui fut déchu du choeur des apôtres. Du nombre des sept premiers diacres, ordonnés par les apôtres, l'un - Nicolas d'Antioche - fut déchu de l'Eglise et devint prêtre de la secte qu'il avait fondée. Des soixante-dix apôtres, quatre abandonnèrent le christianisme, mais l'Eglise ne subit aucun amoindrissement à cause de cela et resta entière. La place de ceux qui la quittèrentfut occupée par d'autres, qui en étaient plus dignes.
Malgré la chute de Nicolas, le choeur des diacres fut confirmé dans l'Eglise, s'est multiplié et existe jusqu'à maintenant.
Malgré la chute de hiérarques, de prêtres et d'autres serviteurs de l'Eglise dans les temps qui s'en sont suivis, l'Eglise n'a pas subi d'atteinte, et leurs places ont été occupées par d'autres.
Le patriarche de Constantinople Nestorius est tombé dans l'hérésie et fut remplacé par saint Anatole, qui était plus digne que lui. Dioscore d'Alexandrie tomba dans le monophysisme, d'autres hiérarques dans d'autres hérésies, mais l'Eglise n'en fut point ébranlée, et la place de ceux qui avaient chuté fut occupér par des personnes plus dignes et souvent saintes.
Nombreux furent les clercs qui abjurèrent le Christ au moment des persécutions et nombreux furent aussi ceux qui abandonnèrent le sacerdoce en temps de paix, pour des considérations terrestres ou par faiblesse personnelle, passant du clergé au laïcat.
Mais, quels qu'en fussent les motifs ou les causes, que les serviteurs de l'Eglise aient trahi la foi chrétienne ou seulement quitté le sacredoce, l'Eglise n'en a jamais été amoindrie. Les rangs de ceux qui avaient chu ont toujours été complétés par d'autres, auxquels on n'avait jamais pensé précédemment, et qui, plus d'une fois, avaient été considérés naguère avec mépris par ceux-là mêmes qui étaient maintenant tombés.
L'Eglise de Dieu n'est jamais privée du nombre d'évêques, de prêtres, de diacres, de sous-diacres, de lecteurs, de chantres et de servants qui lui sont nécessaires. Pour cette raison, ceux qui sont appelés à servir dans le sanctuaire ou au kliros* doivent veiller sur eux-mêmes afin de ne point s'avérer indignes et d'être rejetés.
L'histoire ecclésiastique montre qu'il n'y a pas de personnes irremplaçables dans l'Eglise, et que l'Esprit Saint trouve toujours par qui remplacer celui qui est devenu indigne.
C'est une grande miséricorde de Dieu que d'être rendu digne d'officier ou de servir à l'église, d'entrer dans le Ciel terrestre - le sanctuaire -, d'approcher des Saints Mystères, de célébrer les funérailles ou de prononcer les prières ecclésiales.
Pour cette raison, ceux qui ont été rendus dignes de cette miséricorde doivent accomplir leur oeuvre avec piété, se souvenant des paroles du psalmistes : " Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en Lui avec tremblement" ( Ps 2, 1), ainsi que des autres paroles prophétiques, menaçantes : " Maudit soit celui qui fait avec négligence l'oeuvre du Seigneur" ( Jr 48, 10). " Gardez-vous de refuser d'entendre celui qui parle" ( He 12, 25). " Retiens ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne" ( Ap 3, 11).
Il est terrible de devenir indigne d'un rang sacré ou, après avoir vacillé, de l'abandonner. Après l'avoir perdu, nombreux sont ceux qui prennent conscience de ce dont ils ont été privés et souhaitent revenir à leur dignité passée, mais les portes sont déjà fermées, comme aux cinq vierges folles.
Que la mémoire de l'apôtre Matthias et se sprières nous renforcent dans un minstère irréprochable, afin que nous ne soyons pas privés nous-mêmes du sacerdoce sur terre, et que dans les cieux nous soyons rendus dignes du Royaume de Dieu, où se dresse maintenant le douzième apôtre Matthias devant le trône divin, après avoir complété le choeur apostolique.
DE LA VENERATION DES SAINTS D'OCCIDENT
" Fixant les limites des peuples selon le nombre de Tes anges et rassemblant Ton Eglise avec les fils d'Adam dispersés, multiplie en elle Tes saints, comme des étoiles dans les cieux, brillant en Orient et en Occident, au Septentrion et au Midi."
Ce n'est qu'à une petite partie des saints que sont, dans l'Eglise, adressés des hymnes liturgiques et une vénération universelle. L'innombrable multitude des autres saints n'est connue et particulièrement vénérée qu'en certains lieux. Ailleurs, ils sont mentionnés en partie dans les récits de leur vie et dansles ménologes, dans lesquels sont indiqués les jours de la célébration de leur mémoire. Les ménologes que l'on commença à constituer durant la deuxième partie du millénaire passé, ont été composés en grande partie par des personnes qui le faisaient de leur propre initiative, et la valeur de ces recueils dépendait de la confiance que l'Eglise plaçait en leurs auteurs ainsi que d ela réception de ces ouvrages par elle. Bien plus tard, l'on commença à constituer les recueils de Vies de saints. Le peuple russe vénérait les saints de Dieu, tant ceux qui brillèrent dans leur terre natale, que ceux qu'ils connaissaient par leurs vies. Les ménologes et les Vies de saints furent corrigés et complétés à plusieurs reprises en Russie sur la base de données recueillies à nouveau. La base des recueils russes actuels de vies de saints est constitué par la Vie des saints de saint Démètre de Rostov, qui est l'une de ses oeuvres principales. Par la suite, elle fut éditée et traduite du slavon en russe par le Saint-Synode. Dans les Vies des saints anciens, il est fait mention également de saints dont la mémoire n'est plus célébrée maintenant et qui sont pratiquement inconnus. Le ménologe le plus complet en Russie fut composé par l'archevêque Serge de Vladimir, comprenant de nombreux saints de l'Orient et de l'occident. Quelle que fût la quantité de témoignages en Russie sur les saints ayant brillé en dehors de ses frontières, il apparut, lorsque se produisit le grand exode des Russes de leur patrie, qu'il y avait encore une multitude de saints en dehors de Russie, qui étaient inconnus des chercheurs le splus scrupuleux des Vies de saints, d'après les Vies et les ménologes dont ils disposaient.
Même dans les pays qui leur étaient les plus proches tant géographiquement que par l'esprit et le sang, avaient vécu des saints inconnus en Russie, alors qu'ils avaient un lien direct avec elle par leurs labeurs et par leurs vies. Il en est ainsi des disciples des premiers docteurs des Slaves Cyrille et Méthode, les thaumaturges Nahum, Clément et d'autres encore, qui aidèrent leurs maîtres à traduire les livres liturgiques en langue slavonne.
Saint Jean " le Russe" et saint Pachôme, natifs de Petite Russie, qui tombèrent en captivité chez les Turcs au XVIII° siècle et sont vénérés par l'Eglise de Grèce, restent inconnus en Russie, bien que faisant partie des saints russes. En dehors de ces saints, il ya également de nombreux saints anciens et nouveaux dans les pays d'Orient, qui jusqu'à présent sont ignorés dans les autres régions. Etant donné que ces pays sont orthodoxes et que ces saints sont glorifiés par les Eglises Orthodoxes, il ne pouvait y avoir d'hésitations et de doutes quant à leur vénération au même titre que les autres saints déjà connus en Russie. Avec les habitants de ces pays, la Grèce, la Serbie-Monténégro, la Bulgarie et la Roumanie, tous les Orthodoxes doivent les vénérer et les prier.
Les choses sont plus complexes en Occident. Le christianisme y fut prêché durant les premiers siècles, et ce par les apôtres eux-mêmes. Au cours de nombreux siècles, et ce par les apôtres eux-mêmes. Au cours de nombreux siècles, l'Orthodoxie y restait ferme, et les confesseurs orientaux s'y rendaient, venant chercher d el'appui au moment des hérésies ( saint Athanase le Grand et saint Maxime le Confesseur). Là brillèrent de nombreux martyrs et religieux, renforçant l'Eglise. Mais comme colonnes et hiérarques en même temps, la séparation et la déchéance de l'Occident de l'Eglise universelle une ont obscurci ici la vérité et l'ont mélangée avec l'erreur. Il devenait nécessaire d'établir qui, parmi ceux qui étaient ici vénérés comme colonnes et hiérarques de la foi l'était réellement. Il ne pouvait être question de laisser des particuliers s'en charger, mais la responsabilité en incombait aux diocèses, qui devaient s'en occuper. Les résolutions des conférences des évêques russes concernant la vénération des saints d'Occident ne constitue pas pour autant la canonisation de ces derniers, mais l'indication que le saint donné était vénéré jusqu'à la chute de l'Occident et que, par conséquent, il est n saint vénéré par l'Eglise orthodoxe.
L'absence, en Orient, d'hymnes et de témoignages sur un saint ne signifie en aucun cas le refus de reconnaître sa sainteté. En effet, même les saints vénérés en Orient, qui y ont brillé, n'ont pas tous, loin s'en faut, d'offices qui leur sont dédiés. Presque chaque jour, le synaxaire et le prologue mentionnent des saints à qui sont dédiés des offices mais également d'autres saints. Nombreux sont ceux pour lesquels aucun jour de fête n'a été prévu, bien qu'ils soient mentionnés dans certains offices, par exemple dans celui de "tous les saints qui ont vécu dans l'ascèse (8)", ou encore qu'ils soient connus et vénérés en dehors de tout office.
(8) : ( Office du Triode de Carême).
La vie de nombreux martyrs, ascètes et autres saints est connue de Dieu seul. Tous ensemble sont glorifiés le Dimanche de tous les saints, comme il est dit dans le synaxaire de cette fête. Les saints, inconnus jusqu'à ce jour (ou actuellement) en Orient, mais vénérés en Occident, appartiennent par leur vie terrestre à des siècles différents et ont été glorifiés de différentes façons.
Il s'agit des martyrs des premiers siècles, des ascètes et des hiérarques. Les deux dernières catégories se fondent entre elles, car nombreux sont les ascètes qui devinrent ensuite évêques. En ce qui concerne les premiers, les martyrs, il ne peut y avoir de doutes. Par leurs souffrances pour le Christ ils sont des martyrs tout comme les autres qui sont vénérs par l'Eglise, et certains d'entre eux sont même mentionnés dans des ménologes russes de qualité. Nous ne les citons maintenant que parce qu'ils sont inconnus d ela plupart des laïcs, qui n'utilisent que des ménologes et des calendriers abrégés. Il s'agit, par exemple, de saint Pothin, évêque de Lyon ainsi que des autres martyrs lyonnais. Il est indispensable d'attirer l'attention des fidèles qui vivent maintenant à proximité des lieux de leurs exploits et de leurs saintes reliques, afin qu'ils prennent conscience de ces trésors spirituels inestimables, ainsi que d'appeler les ouailles orthodoxes à les vénérer. L'Occident regorge de ces martyrs. Dès les premières décennies de notre exil des pèlerinages ont été organisés sur des iniatiatives privées aux lieux saints locaux, mais ils sont encore ignorés chez beaucoup qui connaissent pourtant d'autres lieux célèbres.
A Marseille, depuis des temps immémoriaux, le martyr Victor est fort vénéré. Il a souffert avec ses gardiens Alexandre, Félicien et Longin, amenés par lui à la foi Ses reliques reposent jusqu'à présent dans cette ville, et la description détaillée de son martyre a été conservée. Sur leur tombeau, saint Jean Cassien le Romain a érigé son monastère, dans lequel il vécut dans l'ascèse et trépassa. Dans le ménologe orthodoxe se trouvent plusieurs saints martyrs avec le nom de Victor, mais il apparaît à la lecture de leurs souffrances qu'il s'agit de martyrs différents.
Un autre martyr, vénéré depuis les premiers temps du christianisme, est saint Alban, dont les reliques reposent jusqu'à maintenant près de Londres. La description détaillée de ses exploits a été conservée. Dans certaines anciennes chroniques ecclésiastiques est mentionnée la légion de saint Maurice, qui a souffert pour le Christ dans les montagnes de Suisse de la même façon que la compagnie de saint André le Stratilate en Orient. Ce saint Maurice ne peut être confondu avec son homonyme, qui fut martyrisé avec son fils Photin, car il est évident qu'il en diffère tant par le lieu que par ses origines.
Saint Saturnin, évêque, a sanctifié Toulouse par son sang, après avoir été traîné, attaché à un taureau, dans les rues de cette cité, pour le Christ au milieu du III° siècle.
Ce sont là tous ces martyrs, dont le sang fut la semence du Christ, ces martyrs, que l'Eglise chante quasiment chaque jour dans ses tropaires (martyrikon) et ses stichères et dont on fait mémoire là où ils souffrirent et offrirent pour semence leur sang. Ils souffrirent à l'instar des autres "martyrs du monde entier", qui ont revêtu l'Eglise de "pourpre et de lin fin" ( tropaire de la fête de tous les saints). Les continuateurs des martyrs dans l'affermissement de la foi et de la piété en Occident, comme en Orient, furent les hiérarques et les ascètes. Le monachisme occidental naissant fut étroitement lié à l'Orient. Des témoignages à son sujet et à celui de ses fondateurs ont été conservés dans les oeuvres de leurs disciples ou d'auteurs qui leur étaient contemporains.
L'un des principaux foyers spirituels de l'Occident fut le monastère de Lérins. La vie de son fondateur, saint Honorat, nous est connue par le panégyrique rédigé par son disciple saint Hilaire, évêque d'Arles. Nous y apprenons que saint Honorat voyagea en Egypte et en Palestine avec son frère, puis, à son retour, fonda son monastère à Lérins. Il accomplit de son vivant nombre de miracles. A ce monastère furent liés saint Paulin de Nole, sur la recommandation duquel vint s'y établir saint Eucher, qui nous laissa toute une série d'oeuvres, dont la Vie de saint Maurice et des saints martyrs de la légion thébaine, que nous avons mentionnés plus haut. A Lérins vécut aussi un certain temps saint Jean Cassien, qui fonda ensuite son monastère à Marseille. Il convient de remarquer que saint Jean Cassien, vénéré par toute l'Eglise orthodoxe, bien que sa mémoire ne soit commémorée qu'une fois tous les quatre ans, n'est reconnu que localement dans l'Eglise catholique-romaine. Sa mémoire y est vénérée, certes chaque année, mais seulement à Marseille. Ce qui reste de ses reliques après leur destruction au moment de la révolution française, se trouve en l'église du saint hiéromartyr Victor. Dans le même monastère vécut saint Vincent de Lérins, vénéré bien plus en Orient qu'en Occident. Docteur de l'Eglise, il trépassa en 450 et nous laissa son oeuvre sur la Sainte Tradition (9).
(9) : ( Le Commonitorium, ou comment distinguer la vraie foi de l'hérésie).
Par l'intérmédiaire du monastère de Lérins, l'Angleterre et l'Irlande sont liés également avec l'Orient, car le monastère était le soutien spirituel de saint Augustin de Cantorbéry, illuminateur de l'Angleterre, ainsi que de ses compagnons d'ascèse. Saint Patrick, l'illuminateur de l'Irlande, y vécut également un certain temps. Le monastère fondé par saint Colomban en Irlande se trouvait en relation et en communion avec les monastères orientaux encore au XI° siècle et, selon certaines sources, un certain temps après la rupture de l'Occident avec l'Orient.
Les ruines de ce monastère avec les reliques de son saint fondateur existent jusqu'à nos jours, et un pèlerinage (orthodoxe russe) y eut lieu récemment, qui laissa une profonde impression sur ses participants, de même que la vie détaillée de saint Colomban. D'autres saints, Colomban, Fridolin et Gall, partirent d'Irlande, arrivèrent dans la Suisse actuelle au VII° siècle et oeuvrèrent en Gaule ainsi qu'en Italie du Nord à l'affermissement du christianisme et à la défense de l'Orthodoxie contre les hérétiques. Durant leur vie, ils accomplirent des miracles et prédirent l'avenir. Leurs vies détaillées ont été conservées dans les monastères de ces contrées et leur mémoire est vénérée dans les lieux qui sont liés à eux jusqu'à nos jours.
Parmi les saints ascètes de la Gaule franque se distinguent particulièrement sainte Geneviève et saint Cloud. Sainte Geneviève naquit en 423 et trépassa en 512. Depuis son enfance, elle manifesta sa piété, passant toute sa vie dans la prière et dans une tempérance extrême. Saint Germain d'Auxerre perçut sa vocation alors qu'elle était encore enfant et la bénit pour se consacrer à Dieu. Elle fut liée spirituellement à saint Syméon le Stylite qui avait entendu parler d'elle. Elle accomplit beaucoup d emiracles de son vivant, dont le plus célèbre est le salut de Paris, obtenu par ses prières, de l'invasion des Huns et d'Attila. Le souvenir de ce miracle n'est pas seulement conservé par la tradition, mais est marqué par une colonne élevée sur le lieu où s'arrêta Attila. Elle est considérée comme la protectrice de Paris et de la France. Ni la destruction de la majeure partie de ses reliques par la révolution, ni la lutte contre la foi, ne purent interrompre cette vénération.
Saint Cloud était originaire d'une famille royale, qui périt lors de luttes internes. Lors de son adolescence, il comprit toute la vanité de la gloire terrestre et ne voulut point faire valoir ses droits, mais fit sa profession monastique et vécut dans l'ascèse la plus stricte. Il vécut un certain temps dans l'isolement complet, et un monastère se constitua autour de lui. L'église de ce monastère détient ses reliques jusqu'à nos jours. Il s'endormit dans le Seigneur au milieu du VI° siècle.
La grand-mère de saint Cloud étaitnsainte Clotilde, reine des Francs, qui éduqua son petit-fils. Pour la France, elle revêt la même importance que sainte Olga pour la Russie ou sainte Ludmilla pour la Bohême, ou encore sainte Hélène pour l'Empire romain. Grâce à elle, son mari Clovis fut baptisé, puis s'affirma définitivement dans l'Orthodoxie. Par sa vie, ses enseignements et ses prières, elle prêcha et affermit le christianisme en France. Après la mort de son époux, elle passa sa vie dans la tempérance et dans le souci de ceux qui étaient frappés par le malheur. Prévenue par la Providence de son trépas, elle s'endormit dans le Seigneur le 3 juin 333. Ses reliques étaient conservées et portées durant les processions jusqu'à la révolution française, durant laquelle elles furent brûlées. Il n'en reste plus que des parcelles.
Les hiérarques oeuvrèrent beaucoup à l'affermissement du christianisme en Gaule, où il avait été prêché déjà du temps des Apôtres, et à la lutte contre les hérésies qui s'y étaient manifestées. Saint Martin, évêque de Tours, fut particulièrement glorifié. Sa biographie se trouve dans les Vies de Saints de saint Démètre de Rostov, sous le 12 novembre, et non le 11 novembre, jour de son trépas et de sa commémoration. Son maître fut saint Hilaire de Poitiers, vénéré universellement aussi.
Saint Martin, dont la mémoire est largement vénérée, collabora non seulement à l'illumination d ela Gaule, mais aussi de l'Irlande, puisque saint Patrick fut son proche parent et se trouvait sous son influence spirituelle.
Saint Patrick se distingua par une vie fort stricte, et, à l'instar de saint Martin, son oeuvre de hiérarque était associée à des labeurs monastiques. Durant sa vie, il fut glorifié par de nombreux miracles, qui aidèrent à la conversion des Irlandais. Il fut considéré comme saint dès son trépas, qui se produisit en 491 ou 492 et fut entouré de miracles témoignant de sa sainteté. Avec les Irlandais vinrent dans ce pays deux colonnes de l'Eglise des Gaules, saint Germain d'Auxerre et saint Loup de Troyes pour lutter contre le pélagianisme. Tous deux furent glorifiés par leurs prédications hardies et la préservation de leur troupeau contre les barbares, ainsi que par de nombreux miracles lors de leur vie et après leur trépas.
Saint Germain d'Auxerre mourut en 439. Ses reliques restèrent intactes durant des siècles, avant que les calvinistes ne les détruisent. Saint Loup, qui est mentionné par saint Jean, métropolite de Tobolsk, dans son Héliotropion, fit sa profession monastique à Lérins, et se trouva alors sous la direction spirituelle de saint Honorat. Celui-ci fut nommé par la suite évêque d'Arles, dont le premier évêque et fondateur de l'Eglise locale fut saint Trophime, disciple de l'Apôtre Paul. Quant à saint Loup, il fut élu évêque de la ville de Troyes, tout en continuant à vivre dans une stricte ascèse. protégeant sa cité d'Attila et ayant accompli nombre de miracles, il trépassa en 479. Ses reliques ont été conservées jusqu'à la Révolution française, où elles furent brûlées, seule une petite partie en ayant été préservée.
Un siècle plus tard vécut saint Germain, évêque de Paris. Depuis les temps anciens, sa vie nous est parvenue, d'après laquelle il est clair qu'il se distingua par sa piété depuis son enfance, qui fut très difficile. Ayant effectué sa profession monastique au monastère de saint Symphorien, il vécut dans une ascèse particulièrement sévère, passant une grande partie de son temps dans la prières. Glorifié par les miracles, il devint par la suite évêque de Paris, où il continua à vivre de la même façon, y ajoutant les labeurs pastoraux et les oeuvres charitables. Alors qu'il était âgé, il reçut la révélation de son trépas prochain, qui eut lieu le 28 mai 576. Ses reliques furent longtemps conservées, mais on n'a pu établir le lieu où elles se trouvent actuellement. Son nom est porté par une église qui existe jusqu'à maintenant, dont la construction avait commencé par ses soins, sur l'emplacement d'un temple paën dédié à Isis, en l'honneur du saint martyr Vincent. De son temps fut également construite une église en l'honneur de saint Germain d'Auxerre, qu'il vénérait beaucoup et imitait. Ses oeuvres et sa vie affermirent définitivement le christianisme en France.
Dans ce pays brillèrent toute une foule de hiérarques et d'ascètes, de colonnes de l'Orthodoxie et de docteurs de la piété. Plus tard commença l'illumination par le christianisme de l'Europe du Nord-Est. Avec lui sont liées les oeuvres pastorales de saint Anschaire, évêque de Hambourg et ensuite de Brême.
La vie de saint Anschaire (ou Oscar) fut rédigée par son disciple l'archevêque Rimbert, et elle nous est parvenue. Il naquit en 801. A l'âge de dix-sept ans, il eut une vision l'appelant à servir Dieu. Elevé au monastère, il accomplit sa profession monastique à l'âge de douze ans. Les visions qu'il avait reçues l'incitèrent à vivre de façon ascétique, puis à partir prêcher aux païens qui peuplaient l'Europe du Nord. Aynat commencé à vivre à Hambourg alors qu'il avait vingt et un ans, il partit ensuite au Danemark, où il baptisa le roi et son peuple. De là, il partit en Suède. En 831, il fut sacré évêque de Hambourg et de tous les peuples du Nord. Sa prédication s'étendit à la Suède, au Danemark et aux Slaves peuplant l'Allemagne du Nord actuelle. Il était plein de zèle et était prêt à souffrir pour le Christ. Affligé de ne point avoir reçu la couronne du martyre, il fut consolé par une voix du Ciel et s'endormit paisiblement dans le Seigneur le 3 février 865. Il associa ses labeurs apostoliques à la perfection intérieure et, de temps à autre, il vivait dans la solitude. Il était plein de miséricorde, distribuant la charité là où elle était nécessaire, dès qu'il en avait connaissance, ne tenant pas compte des distances. Il s epréoccupait particulièrement des étrangers, des veuves et des orphelins.
Saint Anschaire accomplit de nombreuses guérisons durant sa vie, mais, faisant preuve d'humilité, se considérait pécheur. Il s'efforçait d'accomplir en secret ses bonnes oeuvres et ses miracles. Mais la grâce divine qui reposait sur lui était si évidente, et la vénération qu'on lui témoignait était si grande, que deux ans après son trépas, il fut déjà compté au nombre des saints, et son nom fut déjà mentionné dans les ménologes en 870. Ses reliques incorrompues furent conservées à Hambourg jusqu'à la Réforme. Elles furent alors enterrées, seule une partie en étant préservée. Sa vie et la force de la grâce divine se manifestant par lui, comme sa glorification au nombre des saints, lorsque l'Occident constituait une partie de l'Eglise orthodoxe universelle, ne peuvent laisser de doute qu'il fut un saint de Dieu. L'archevêque Alexandre (10)
(10) : ( De Berlin et d'Allemagne (+1973))
a réuni tous les témoignages le concernant en langue allemande, émanant tant de sources catholiques que protestantes, qui confirment tout ce que nous avons exposé ici sur saint Anschaire, évoquant les oeuvres, la douceur et les vertus de cette grande figure, de même que ses miracles. Nous avons reçu aussi sa vie détaillée en langue danoise. Il convient seulement, relativement aux objections de l'un de nos confrères, de montrer qu'elles sont sans fondements. D'abord aucune donnée ne nous permet de supposer que saint Anschaire ait été l'instrument du trône romain pour affermir sa souveraineté et qu'il ait été le promoteur de ces idées qui menèrent à la séparation de Rome. Tous les efforts pour trouver quelque indication dans les sources disponibles ont été vains, menant au contraire à des conclusions inverses, puisque les catholiques contemporains les auraient utilisées, mouant saint Anschaire pour cela, si tel était le cas.
La sainteté de saint Anschaire ne peut être mise en doute du seul fait que son nom est absent des ménologes et des livres liturgiques grecs. Cela ne signifie en rien sa négation par l'Eglise d'Orient. Des ménologes et livres liturgiques sont de même absents les contemporains de saint Anschaire, les saints Cyrille et Méthode, quoique connus à Constantinople. Des livres grecs sont absents l'illuminateur de la Bulgarie saint Boris-Michel - qui reçut le baptême des Grecs eux-mêmes -, sainte Ludmilla de Bohême - baptisée par saint Méthode - et aussi saint Wenceslas. Il n'y a pas non plus saint Vladimir, ni les saints Boris et Gleb ni Pierre de Moscou, glorifiés avec la bénédiction du patriarche de Constantinople. De tous les saints russes ne sont mentionnés dans les ménées grecques, sous le synaxaire et sans office, que saint Jean de Novgorod et Barlaam de Choutinsk. Dans l'Eglise d'Hellade est vénérée la mémoire de la sainte princesse Olga, qui a un tropaire e un kondakion différents de ceux en vigueur dans l'Eglise russe. Tout cela, par conséquent, ne signifie pas que nous ne devons pas vénérer les saints glorifiés en Russie, de même que cela ne veut pas dire que les Grecs nient leur sainteté! Il y a aussi beaucoup de saints grecs, dont les noms sont ignorés des ménées et des ménologes, mais dont la mémoire est célébrée localement, d emême que leur office. Saint Anschaire ne poursuivait pas des buts politiques mais servait le Christ et le sceau de son apostolat est constitué par les pays qu'il amena au Seigneur. Le fait que ces pays abandonnèrent plus tard l'Orthodoxie ne diminue pas son ministère, à l'instar de la Moravie et de la Pannonie évangélisés par saint Méthode. En différents lieux du monde, les justes du Christ ont servi Dieu seul, menés par un seul esprit, et ont été glorifiés ensemble par Lui. La vague de la Réforme et de la Révolution a détruit leurs reliques en Occident, de même que lorsqu'elle parvint chez nous, elle toucha par son sacrilège les saints russes aussi. Elle s'efforça d'anéantir leur mémoire, comme Julien l'Apostat brûla les reliques des saints moines. Mais ils triomphent dans l'Eglise céleste, et nous devons encore plus célébrer leurs labeurs, glorifiant ainsi Dieu qui accomplit par eux des miracles.
LE 950° ANNIVERSAIRE DU BAPTEME DE LA RUSSIE
"Par des concerts de louanges, le pays des Romains exalte Pierre et Paul, par lesquels il crut en Jésus Christ le Fils de Dieu. L'Asie, Ephèse, et Patmos louent de même Jean le Théologien, l'Inde - Thomas, l'Egypte - Marc; tous pays, cités et peuples vénèrent et glorifient leurs propres maîtres, qui leur enseignèrent la foi orthodoxe. Louons aussi nous-mêmes, à la mesure de nos forces, par nos faibles louanges, notre docteur et maître qui fit de grands et merveilleux prodiges, le grand kagan (prince) de notre terre, Volodimer, le petit-fils du vieil Igor."
C'est ainsi que s'exprimait saint Hilaire, métropolite de Kiev au milieu du XI° siècle, alors que s'était écoulé un peu plus d'un demi-siècle depuis le baptême de la Russie. A cette époque déjà, le saint homme, de son regard pénétrant, voyait la grandeur de l'oeuvre de saint Vladimir et appelait la Russie à le glorifier dignement. Par quelles paroles et avec quelles couleurs pouvons-nous dépeindre ce qu'accomplit saint Vladimir en baptisant la Russie, nous qui avons vécu le 950° anniversaire de ce lumineux événement? Rappelons-nous ce qu'était la Russie avant saint Vladimir et ce qu'elle devint après avoir éé baptisée par lui.
C'était la Russie des temps du "vieil Igor", le père de Vladimir, Sviatoslav. Chaque tribu vivait sa propre vie, isolée. Les différents clans étaient souvent en guerre entre eux, se vengeaient les uns des autres et s'occupaient fréquemment à s'anéantir mutuellement, suivant les lois de la vengeance par le sang.
Avant Vladimir, les princes russes étaient plutôt des chefs militaires et des conquérants que des pères et des bienfaiteurs de leur peuple. De nombreuses tribus connaissaient encore un très bas niveau de développement moral et culturel; chez certaines d'entre elles se pratiquait couramment "l'enlèvement " de jeunes filles pour les épouser.
Ce serait néanmoins une erreur de considérer que les Slaves ne possédaient exclusivement que des traits négatifs et ne constituaient qu'une masse à moitié sauvage. Au contraire, il y avait beaucoup de bon dans leur nature. Ils étaient hospitaliers, courageux et honnêtes. Les femmes étaient les compagnes fidèles de leurs époux, cette fidélité se poursuivant fréquemment après leur mort. Les peuples slaves honoraient leurs anciens et leur obéissaient dans les affaires privées et publiques. Mais en même temps ils manifestaient de la perfidie, de la violence, de la ruse. A certaines époques, particulièrement au moment des guerres, ils devenaient la terreur de tous ceux qui les entouraient. Le paisible Slave devenait alors une bête sauvage. Malheur à celui à l'encontre duquel se déchaînait sa fureur, n'épargnant personne! Byzance tremblait devant son voisin du nord, et ils se craignaient souvent mutuellement.
Ainsi, au carrefour entre le bien et le mal, se trouvait le monde slave, montrant à la fois les magnifiques qualités de l'homme créé à l'image de Dieu, et les traits redoutables du fauve sous une forme humaine.
Quels pouvaient être les idéaux suprêmes parmi les Slaves? Vers quoi pouvaient-ils diriger leurs sentiments et leurs pensées? Où pouvaient-ils chercher leur inspiration et vers qui tourner leurs regards?
Les dieux en lesquels ils croyaient possédaient toutes les caractéristiques de ceux qui les vénéraient, étant l'incarnation de leurs qualités et de leurs défauts. Les Slaves servaient les dieux qu'ils avaient imaginés, affermissant ainsi en eux leurs défauts, justifiés qu'ils étaient par le caractère de leurs divinités. Setvant le terrible Peroune, les Slaves menaient des guerres violentes, exterminant leurs voisins. Il est difficile de dire en quoi se serait transformée l'Europe orientale si les saints Cyrille et Méthode n'avaient pas répandu la lumière du Christ sur les Slaves et posé les fondements de l'illumination des peuples slaves.
Les saints Cyrille et Méthode, avec leurs disciples, illuminèrent une partie des Slaves par leurs enseignements. L'influence du christianisme fut bientôt ressentie parmi eux et elle les introduisit dans la famille des peuples chrétiens. En peu de temps, les pays ayant adopté le christianisme furent transformés. Mais la grande masse des Slaves orientaux continua à vivre comme par le passé. A certains moments, on pouvait redouter que leurs princes militants, tel Sviatoslav, anéantissent les jeunes pousses irriguées par le christianisme sur le champ de leurs frères. Les ténèbres qui régnaient sur les tribus slaves orientales étaient si profondes et impénétrables qu'elles ne pouvaient être dissipées par la première princesse chrétienne Olga qui, telle l'étoile du matin à l'horizon, émergeait sur le trône princier. Il fallait que se levât le "beau soleil" lui-même, que fut pour la Russie le petit-fils d'Olga, le Grand Prince Vladimir.
Vladimir ayant reçu les premiers rudiments de la foi chrétienne de sa grand-mère, mais les avait étouffés par le déchaînement des passions de sa jeunesse. Ebranlé jusque dans les profondeurs de son être par la mort en martyrs des boyards varègues Théodore et Jean, il décida de changer sa façon de vivre. Après une enquête minutieuse sur les questions de foi - la vie de Vladimir était étroitement liée avec ses convictions - Vladimir fit le choix. Etant, de nature, entier et droit, il ne s'arrêta pas au milieu du chemin, mais retint ce qui était le mieux. Il fut illuminé de la lumière de l'Orthodoxie et, baptisé, il devint un observateur zélé des commandements du Christ. Par son exemple et ses appels, il attira ses sujets à sa suite. Un changement frappant s'opéra en Vladimir qui, d'un jeune amoureux du plaisir aux passions débridées, devint un saint.
Non moins frappant fut le changement qui se produisit dans la Russie maintenant baptisée. Le baptême de Kiev, et après elle, du reste de la Russie, ouvre une nouvelle vie aux Slaves orientaux et constitue le point de départ de leur glorieuse histoire.
Les tribus slaves divisées, qui composaient l'état de Vladimir, commencèrent, par leur adoption du christianisme, à se sentir unies. La conscience de l'unité était particulièrement renforcée par le fait que, dans son organisation ecclésiale, toute la Russie ne constitua, au cours de plusieurs siècles qu'une seule province métropolitaine, tandis que la Russie était divisée en principautés indépendantes.
L'Eglise exerça une influence capitale dans l'unification de la Russie en un seul Etat. Non seulement les Slaves, mais aussi les autres tribus vivant en Europe orientale, avec l'expansion parmi elles de l'Orthodoxie, s'amalgamèrent avec le peuple russe, ne formant qu'une nation avec lui. Agissant comme pacificatrice au moment des guerres civiles, l'Eglise, à cette époque, inculqua la conscience de l'unicité du peuple russe, qui devait donc constituer en tout une intégralité. C'est sous les auspices de la sainte Eglise orthodoxe que s'est formée la Russie, qu'elle s'est affermie, et qu'elle a crû comme un grand Etat, occupant un sixième du globe. Ce n'est pas par la force que le peuple russe a adopté le christianisme, mais volontairement, s'efforçant dès les premières années suivant le baptême, d'incarner l'enseignement évangélique dans sa vie. Le baptême a fait renaître et a changé intérieurement les coeurs humains qui étaient grossiers auparavant. Conservant leurs anciennes qualités, ils furent cependant libérés de leurs défauts. La lutte entre le bien et le mal ne se produisit pas seulement dansle coeur de Vladimir, mais dans le peuple entier, et un revirement se produisit dans la direction du bien. Le peuple russe, après le baptême, n'était déjà plus celui qu'il avait été avant. Il était réellement un peuple nouveau.
Cela ne veut pas dire que tout devint immédiatement parfait, que le mal disparut des âmes de chacun et qu'il n'existait plus en Russie. Non, il existait, le combat entre le bien et le mal continuait en chaque homme. Mais la force motrice du peuple russe était l'Orthodoxie, qui englobait tous les côtés de la vie personnelle, publique et civile. La vie familiale et publique était pénétrée d'Esprit évangélique, tandis que les opinions se formaient sous l'influence des règles ecclésiales, et les lois de l'Etat étaient mises en conformité avec les canons. L'orientation générale de la vie du peuple russe était la recherche de la justice divine.
L'aspiration à réaliser la justice divine marquait aussi la législation, l'administration de la justice et les décisions étatiques. C'est la même aspiration à servir Dieu qui distinguait la vie intellectuelle et spirituelle du peuple russe. Pratiquement toutes les sphères de la vie culturelle trouvèrent leur origine dans la vie ecclésiale et se développèrent souvent sous son influence.
La littérature et l'art russe commencèrent dans les monastères et furent pénétrés à ce point par l'esprit chrétien que les écrivains des époques ultérieures ne purent totalement s'en affranchir, alors qu'ils se donnaient pour but de combattre l'enseignement de l'Eglise. Les gouvernants de la Russie, les grands ducs et les empereurs de Russie avaient conscience de leur responsabilité devant le Roi des rois et se considéraient eux-mêmes comme des serviteurs de Dieu, ce qu'ils étaient aux yeux de leurs sujets. Pour cette raison les empereurs russes n'étaient pas empereurs "selon la volonté du peuple" mais "par la miséricorde de Dieu."
Naturellement, tout en Russie n'était pas en phase avec cette orientation générale. Beaucoup de mal y a été accompli lors des siècles passés. " S'il n'y a pas d'homme qui vive et ne pèche pas", il ne peut d'autant plus ne pas y avoir de péchés et de mal dans la vie du peuple. Néanmoins, de même qu'il est important pour caractériser l'homme, de déterminer quels sont les traits qui ressortent le plus en lui et effacent les autres, il est nécessaire de définir pour les peuples ce qui constitue le principal contenu de leur vie spirituelle. Pour la Russie et son peuple, malgré toutes ses déviations passées et même ses chutes, le principal était de servir la justice et de demeurer dans la vérité. Lorsque nous nous rappelons la Grèce antique, les mots de l'apôtre Paul au sujet des anciens Grecs nous viennent à l'esprit : " Les Hellènes recherchent la sagesse", bien que, parmi eux aussi, nombreux fussent ceux qui ne la recherchaient pas. L'idée de Sparte est liée au développement physique. La Phénicie a lié son nom au commerce. Rome se vantait de ses vertus civiques. Quant au peuple russe, il a acquis le nom de peuple théophore, et la terre russe, le nom de "Sainte Russie".
La Russie est sainte par la multitude des saints qui y ont brillé. En commençant avec les fils de saint Vladimir - les pieux princes Boris et Gleb, les premiers glorifiés par des miracles en Russie - et depuis le baptiste de la Russie, saint Vladimir lui-même, avec sa grand-mère Olga, l'assemblée des innombrables saints a vécu et fut glorifiée par la sainteté et les miracles en terre de Russie. Ces saints étaient " le fruit magnifique (11) " de la Russie orthodoxe, la chair de la chair et les os des os du peuple russe. Ils ne lui étaient point étrangers par leurs croyances ou leur manière d evivre, non, ils étaient l'expression la plus vive des aspirations du peuple entier.
Depuis le baptême de la Russie jusqu'à nos jours, il n'y eut, semble-t-il, pas une seule heure pendant laquelle ne vivait quelque part un saint, qui, après son trépas, devenait un intercesseur pour la Terre russe. Toutes les contrées de Russie, depuis la Russie sub-carpathique ( saint Moïse le Hongrois et Ephrem de Novotorjsk), jusqu'à l'Alaska qui appartint peu d etemps à la Russie ( saint Germain), eurent leurs saints ascètes. Chaque région de Russie, pratiquement chaque ville importante avait des saintes reliques et des saints lieux. Ses centres spirituels étaient les monastères, qui influaient sur les villes et les villages. Chaque lieu, chaque dialecte, était sanctifié par le service de Dieu. L'histoire de la Russie, pleine de témoignages magnifiques de la providence divine la concernant, est l'histoire de l'économie divine, la nouvelle histoire sainte. Les événements en Russie portent à tel point le sceau de ses saints personnages, que l'on ne peut séparer l'histoire de l'Etat russe de l'histoire de l'Eglise. La vie d'Eglise déposa son empreinte sur le mode de vie et la manière d'être du peuple russe. La politique étrangère même de la Russie était en grande partie l'expression de son être spirituel.
Il en était ainsi autrefois... Mais où es-tu maintenant, sainte Russie? Aurais-tu cessé d'exister? Le trône de saint Vladimir est renversé, les saints lieux sont souillés, les églises détruites. Le peuple théophore est-il devenu un fauve ou bien le dragon rouge a-t-il dévoré la sainte Russie? Comment le lieu des exploits spirituels est-il devenu le lieu des crimes infâmes? Comment, là où les saints accomplirent leur salut, les bandits dominent-ils maintenant? N'y a-t-il donc plus, n'y aura-t-il plus de sainte Russie ou, peut-être, n'y en a-t-il jamais eu, et n'avait-elle porté alors qu'un voile de sainteté, qui est tombé désormais à jamais?
Non! La sainte Russie n'est ni une illusion, ni un phantasme, mais la réalité! Au Ciel ne cesse de s'élever l'encens des prières des saints qui ont brillé en terre russe, qui prient pour elle devant le trône de Dieu. Mais pas seulement au Ciel, mais aussi ici sur la terre pécheresse, la Sainte Russie continue d'exister. Le pouvoir des ennemis de Dieu n'a fait que l'asservir, mais ne l'a pas anéantie. Le conseil des impies qui gouverne le peuple russe, lui est étranger, car il n'a rien de commun avec l'essence de la Russie. Le pouvoir international étranger à son être, "l'Internationale" lui a imposé son joug, mais reste son ennemi. Même ceux parmi eux qui s'appelaient Russes auparavant, l'étant par le sang, ont perdu ce nom, car ils dont devenus étrangers à la Russie par l'esprit. " Ils sont sortis de chez nous, mais ils n'étaient pas des nôtres" ( 1 Jn 2, 19). Ils se sont détachés du peuple russe, ils sont devenus les oppresseurs de la Russie. Reniant Dieu, ils ont renoncé à la ressemblance de Dieu et ont dépassé les animaux sauvages par la cruauté.
Mais la Russie reste sainte. Le choeur des apôtres ne s'est point amoindri par la chute de Judas, la lumière du rang angélique ne s'est point assombrie lorsque Satan en fut déchu avec les anges qui lui obéissaient.
Comme du sein des anges devait apparaître le diable, mais, avec la chute de Lucifer et de ceux qui lui étaient dévoués, les autres Anges s'enflammèrent encore plus fortement d'amour envers Dieu et brillèrent plus encore dans le ciel, ainsi les athées apparurent du milieu du peuple russe, mais leur apostasie mit plus encore en relief la sainteté de la Russie et la glorifia tant dans les Cieux que sous la voûte céleste.
L'assemblée des innombrables nouveaux martyrs a témoigné sa fidélité au Christ. Le peuple russe en bloc, qui a supporté avec une patience indicible les souffrances qu'aucun autre peuple dans le monde n'a endurées, a donné une multitude infinie de témoignages de fermeté dans la foi. Malgré les persécutions les plus violentes, l'Eglise reste invincible. Bien que de nombreuses églises soient détruites, de telle façon que dans toute une série de villes qui se distinguaient par des églises majestueuses, il n'en reste plus une seule, les fidèles se rassemblent néanmoins secrètement et prient le Seigneur Dieu. L'époque des catacombes a ressuscité en Russie, époque qui lui fut pourtant inconnue dans le passé, car elle n'y eut point de persécutions pour la foi.
Dans le grand choeur des saints de Dieu glorifiés en Russie, il y avait beaucoup de hiérarques, de moines, de hustes, de fols en Christ. Mais il n'y eut en Russie, dans les temps passés, que quelques martyrs. "L'armée très lumineuse des martyrs", dont le sang constitua la semence du christianisme dans le monde entier, glorifiée presque quotidiennement par l'Eglise terrestre, n'existait pratiquement pas dans l'Eglise céleste de Russie. Le temps était venu de compléter ses rangs.
Au petit nombre des martyrs et de ceux qui imitèrent la passion du Christ, qui ont souffert au cours des siècles passés, s'est joint maintenant le nombre infini des néomartyrs. Parmi eux se trouve l'empereur couronné (12),
(12) : (Nicolas II)
succeseur du baptiste de la Russie, avec toute sa famille, et l'homonyme de ce dernier, avec les hiérarques, les princes, les nobles, les militaires, les prêtres, les moines, les savants et les illettrés, les citadins et les villageois, les notables et les simples. Tout âge, toute couche sociale, toute région de la Russie, ont donné de nouveaux martyrs. Toute la Russie a été irriguée par le sang des martyrs, elle a été sanctifiée tout entière par celui-ci.
Ô merveilleuse et glorieuse armée des nouveaux martyrs! Qui peut dignement vous glorifier? En vérité, "bienheureuse est la terre qui a été abreuvée de votre sang, et saintes sont les demeures qui ont accueilli vos corps."
Bienheureuse es-tu, terre de Russie, purifiée par le feu d ela souffrance! Tu es passée par l'eau du baptême, tu traverseras maintenant le feu de la souffrance, et tu entreras dans le repos. Jadis, les chrétiens recueillaient avec piété le sable du Colisée, immergé du sang des martyrs. Les lieux de leurs souffrances et de leur trépas, devinrent sacrés et particulièrement vénérés. Mais maintenant, c'est toute la Russie qui est le stade des athlètes de la foi. Sa terre a été sanctifiée par leur sang et son air, par l'ascension de leur âme vers le ciel. Oui, tu es sainte, Russie! L'auteur ancien avait raison, lui qui disait que tu es la troisième Rome et qu'il n'y en aurait point de quatrième. Tu as dépassé l'ancienne Rome par la multitude des exploits des martyrs, tu l'as emporté sur la nouvelle Rome qui t'a baptisée par ta fermeté dans l'Orthodoxie, et tu resteras insurpassable jusqu'à la fin du monde. Seule la terre qui a été sanctifiée par la passion et la vie terrestre du Dieu-homme est plus sainte que toi aux yeux des orthodoxes.
Secouez le sommeil du désespoir et de l'oisiveté, fils de la Russie! Contemplez la gloire de ses souffrances et purifiez-vous, lavez-vous de vos péchés! Renforcez-vous dans la foi orthodoxe, afin d'être dignes de séjourner dans l'habitacle du Seigneur et de demeurer sur Sa sainte montagne! Réveille-toi, réveille-toi, lève-toi Russie, toi, qui de la main du Seigneur a bu le calice de Sa colère! Lorsque tes souffrances s'achèveront, ta justice t'accompagnera, ainsi que la gloire du Seigneur. les peuples viendront à ta lumière et les empereurs se dirigeront vers l'éclat qui se lèvera au-dessus de toi. Alors tu lèveras tes yeux autour de toi et tu verras : viendront à toi de l'occident, du nord, du midi et de l'orient tes enfants, et ils béniront le Christ dans les siècles.
AU SUJET DES TALENTS ET DE L'ICONOGRAPHIE
Le Seigneur dit une parabole selon laquelle le maître distribuait les talents à Ses serviteurs selon les capacités de chacun. A l'issue d'un certain temps, il réclama des comptes à chacun d'entre eux et récompensa ceux qui avaient gagné autant qu'ils avaient reçu. Mais il infligea une sévère punition à celui qui n'avait rien fait et apporté seulement le talent qu'il avait reçu. ce maître est le Seigneur Dieu, et les talents sont Ses dons, les serviteurs étant les hommes. le Seigneur accorde des dons spirituels, tant aux hommes individuellement, qu'aux peuples entiers.
Jusqu'à l'avènement du Christ, les paroles de Dieu étaient confiées à Israël. Lorsque Israël vacilla dans la foi, lorsque la Judée commença à chuter, le prophète Baruch, disciple du prophète Jérémie s'écria : " Elle est le livre des préceptes de Dieu, la loi qui subsiste éternellement : quiconque la garde vivra, quiconque l'abandonne mourra. Reviens, Jacob, saisis-la, marche vers la splendeur, à s alumière; ne cède pas à autrui ta gloire, à un peuple étranger tes privilèges. Heureux sommes-nous, Israël : ce qui plaît à Dieu nous a été révélé! " (Ba, 4, 1-4).
Cependant, Israël ne demeura pas fidèle au testament de Dieu et, rejetant le Fils de Dieu, se détacha de Dieu. Le Seigneur a fondé Son Eglise néo-testamentaire, dans laquelle sont entrés de nombreux peuples qui étaient païens. C'est Byzance qui fut la gardienne particulière de l'Orthodoxie après la victoire du christianisme sur le paganisme. C'est là que les Conciles oecuméniques et les saints Pères de l'Eglise établirent l'exposition exacte des dogmes de la foi et l'enseignement orthodoxe.
Après la chute de Constantinople, la foi orthodoxe fut particulièrement préservée par le peuple russe qui, en ce temps, en était pleinement imprégné. La manière de vivre et les lois civiles, les habitudes, tout avait pour fondement la foi orthodoxe ou se trouvait en conformité avec elle. L'une des manifestations de celle-ci sont nos églises, dont est recouverte toute la terre russe.
L'édifice cultuel même est la représentation de l'Eglise universelle invisible, que nous chantons dans le Symbole de foi : " En l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique." Pour cette raison nos édifices sont appelés églises. La coupole qui s'élève au-dessus de l'église nous montre l'aspiration au ciel, et nous remémore les voûtes célestes, sous lesquelles est élevée notre prière à Dieu. Elle nous rappelle le ciel invisible, le Royaume de Dieu dans les hauteurs.
Les églises sont ornées d'icônes. Celles-ci ne sont pas simplement des représentations d'un quelconque personnage ou événement. L'icône est le symbole de l'invisible. Si l'aspect extérieur du Christ, de Ses saints est visible à nos yeux, l'icône, quant à elle, doit également montrer l'aspect intérieur, c'est-à-dire leur sainteté. Même les peintures séculières personnifient l'une ou l'autre idée. Prenons, par exemple, le célèbre monument à Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg, où il est représenté sur un cheval se cabrant, voulant ainsi montrer à quelle hauteur il éleva la Russie à de nombreux égards. Beaucoup d'autres monuments représentent telle idée ou telle autre. S'il en est ainsi de l'art séculier, il doit bien plus en être de même dans l'art religieux, où est représenté ce qui est élevé, céleste et spirituel.
L'icône n'est pas un portrait, car celui-ci ne représente que l'aspect terrestre de l'homme, tandis que l'icône figure aussi son état intérieur. Même si l'on ne représente que l'aspect extérieur, il sera différent selon les moments où on le peint. S.B le métropolite Anastase racontait que, étant étudiant à la Faculté de Théologie, il assista à Cronstadt avec d'autres jeunes gens aux offices célébrés par le père Jean. Lorsque celui-ci acheva la Liturgie, son aspect était radieux, tel Moïse descendant du mont Sinaï. Après un certain temps, le père Jean les reçut dans sa cellule et avait l'aspect d'un homme habituel. Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même nous montra une fois Sa gloire divine sur le mont Thabor, tandis que le reste du temps, il semblait être une personne habituelle et les hommes se demandaient d'où Il pouvait avoir une telle force et accomplir des miracles.
L'icône doit faire ressortir non seulement l'extérieur, mais aussi la vie intérieure, la sainteté et la proximité du ciel. Cela est représenté principalement par le visage ou l'expression, en fonction desquels devaient être peintes les autres parties de l'icône. C'est sur la représentation de l'état de l'âme, caché sous la chair, qu'était dirigée l'attention de nos iconographes orthodoxes. Plus on y parvenait, plus l'icône était réussie. Souvent, l'exécution d'autres parties du corps était inadéquate, non parce que les iconographes l'auraient voulu, mais simplement que la réussite du but principal ne leur permettait pas toujours de faire suffisamment attention aux aspects secondaires. Au demeurant, lorsqu'on fait des photographies ordinaires, surtout si elles sont inattendues, il arrive immanquablement que la position des corps humains ne soit pas naturelle, ce que nous ne remarquons pas ordinairement.
Il ne convient pas de peindre une icône en ne représentant que l'aspect extérieur du corps, mais il faut encore qu'elle reflète les combats spirituels invisibles et irradier la gloire céleste. Peut le faire à la perfection celui qui vit lui-même spirituellement, et auxquels sont compréhensibles et proches les vies de saints. Pour cette raison, nos anciens iconographes se préparaient toujours par le jeûne et la prière. C'est ainsi qu'à de nombreuses icônes peintes, le Seigneur a donné le pouvoir d'effectuer des miracles.
Naturellement, chaque icône après avoir été bénite, doit être vénérée, et on ne doit pas la traiter avec mépris ou irrespect, raison pour laquelle nous nous abstenons de condamner les icônes qui se trouvent déjà dans une église, mais nous devons toujours aspirer à ce qu'il y a de mieux et, ce qui est le principal, prêter attention non pas tant au caractère esthétique de l'icône qu'à sa spiritualité. Il ne convient pas de placer les icônes qui ne satisfont manifestement pas aux exigences de l'iconographie orthodoxe, dans les églises ni même dans les maisons.
Ce ne sont pas tous ceux qui disposent de capacités artistiques qui peuvent peindre des icônes. Souvent, l'état intérieur de la personne qui peint une icône et sa volonté de servir Dieu a plus d'importance que l'art pictural même. Après Pierre le Grand, est entrée en Russie, en même temps que ce qu'il y avait de bon en Occident, une influence nouvelle, étrangère à l'esprit orthodoxe. Une partie significative de la classe instruite russe y succomba et introduisit dans ses productions artistiques des innovations inutiles et mauvaises. Cela se refléta en partie dans l'iconographie également. Au lieu de l'imitation des anciens iconographes russes, ce fut celle des artistes occidentaux, étrangers à l'Orthodoxie, qui prédomina. Les nouvelles images, bien que très belles, ne correspondaient pas à l'esprit de l'iconographie. Cet esprit étranger à l'Orthodoxie commença à s'installer en Russie et l'ébranla peu à peu.
Les paroles du prophète nous sont adressées maintenant : " Ne donne pas de ta gloire à un autre et ce qui est utile pour toi à un peuple étranger." Tant dans la vie que dans les usages ecclésiaux, nous devons revenir aux fondements solides et purs sur lesquels s'est construite et affermie la Russie. Ceux-ci se reflètent dans notre iconographie. Les icônes destinées à nos églises ne doivent pas être peintes dans un esprit étranger à l'esprit orthodoxe. Certains pensent, de manière erronée, que cela signifie peindre obligatoirement des icônes avec des couleurs sombre et une pose du corps non naturelle. Les anciennes icônes étaient peintes avec des couleurs vives et claires. Ce n'est qu'avec le temps et l'accumulation de la poussière qu'elles s'assombrirent. Mais, en même temps, il faut se souvenir que de nombreux saints avaient le teint hâlé, passant leur vie dans des déserts arides, et que leur corps était effectivement épuisé par des années d'ascèse. Leur beauté n'était pas terrestre, mais céleste. Qu'ils nous assistent par leurs prières, afin que nos églises soient le reflet de la gloire céleste, que nos ouailles s'unissent dans la quête du Royaume divin et qu'elles prêchent, tant par leur église que par leur vie, la vérité de l'Orthodoxie!
COMMENT HONORER LE MIEUX
NOS PROCHES DEFUNTS?
Nous voyons souvent que la famille d'un défunt s'efforce de lui offrir, avec un maximum de faste, des funérailles et une tombe. Des fonds importants sont parfois dépensés pour des monuments luxueux.
Les parents et les amis dépensent aussi beaucoup d'argent pour les couronnes et les fleurs, bien qu'il faille les enlever du cercueil avant sa fermeture, ceci afin de ne point précipiter la décomposition du corps.
D'autres veulent exprimer leur estime envers le défunt et leur sympathie aux parents de celui-ci par des annonces publiées dans la presse, bien qu'une telle manière de manifester ses sentiments dénote un manque de profondeur, voire parfois un côté mensonger, étant donné que celui qui est réellement affligé n'étale pas sa tristesse. On peut manifester sa sympathie bien plus chaleureusement, en le faisant personnellement.
Mais quoi que nous fassions ainsi, le défunt n'en reçoit aucune utilité. Il est indifférent pour le corps mort de gésir dans un cercueil pauvre ou riche, dans une tombe luxueuse ou modeste. Il ne sent pas les fleurs, les expressions factices d'affliction ne lui sont d'aucune utilité. Le corps est livré à la corruption, son âme vit, mais n'éprouve plus les sentiments perçus par les sens. Une autre vie a commencé pour celle-ci et il convient de lui donner autre chose.
Voici ce qui lui est utile et ce que nous devons faire si nous aimons réellement le défunt et souhaitons lui apporter nos dons.
Comment apporter précisément la consolation à l'âme du défunt? Avant tout par les prières sincères pour lui, tant les prières personnelles et à la maison, que les prières ecclésiales, en particulier celles qui sont unies au Sacrifice non sanglant, c'est-à-dire à la commémoration à la Liturgie.
De nombreuses apparitions de défunts et d'autres visions confirment l'utilité énorme que reçoivent les défunts de la prière que l'on adresse pour eux, et par l'offrande du Sacrifice non sanglant à leur intention.
L'autre façon d'apporter une grande consolation à l'âme des défunts est de faire des oeuvres de charité pour eux. Nourrir l'affamé au nom du défunt, aider le nécessiteux, c'est la même chose que de le faire à lui-même.
Sainte Athanasie ( mémoire le 12 avril) avait donné pour testament avant sa mort de nourrir en s amémoire les pauvres durant quarante jours, mais les soeurs du monastère, par négligence, ne le firent que neuf jours.
Alors la sainte leur apparut avec deux anges et dit : " Pourquoi avez-vous oublié mon testament? Sachez que les oeuvres de charité et les prières du prêtre, offertes pour l'âme durant quarante jours, attendrissent Dieu : si les âmes des défunts étaient pécheresses, le Seigneur leur accorde la rémission des péchés; si elles étaient justes, à cause de celui qui prie pour elles, elles seront récompensées de bienfaits."
Particulièrement en nos jours difficiles pour tous, il est insensé de dépenser de l'argent pour des choses et des oeuvres inutiles, tandis qu'en l'utilisant pour les nécessiteux, on peut en même temps accomplir deux bonnes oeuvres : pour le défunt même et pour celui à qui l'on a prêté assistance.
Récemment, lors de l'anniversaire du trépas de la moniale Marina, fut organisé, conformément à sa volonté, à l'aide des dons récoltés librement, un déjeuner pour les nécessiteux dans l'enceinte de la résidence épiscopale. Lorsque cela fut annoncé, près de cent cinquante personnes se présentèrent, auxquelles un repas fut offert. Ainsi fut accomplie une grande oeuvre!
Même si l'on ne peut distribuer de l'aide à une telle échelle, et que l'on ne puisse nourrir que quelques affamés, voire un seul, est-ce insignifiant? Et on peut le faire facilement, en donnant quelque argent pour les repas funéraires au Comité d'aide aux pauvres constitué auprès de la Cathédrale, au Foyer de la charité ou à la Cantine publique.
Avec la prière pour le défunt sera accordé aux pauvres la nourriture. Ils se rassasieront corporellement, tandis que le défunt se nourrira spirituellement.
(7° dimanche de Pâques, Changaï 1941).
ADRESSE A L'ASSEMBLEE GENERALE ANNUELLE
DE LA PAROISSE DE SAN FRANCISCO
L'assemblée générale de cette année se déroule alors que nous commémorons le Jugement Redoutable, et nous devons tous nous souvenir que nous nous présenterons un jour devant le Juge du monde entier, qui voit même nos pensées cachées, et nous devons examiner attentivement nos désirs, nos paroles et nos pensées, afin de ne pas être condamnés lors du Jugement. Notre assemblée est ecclésiale, destinée à résoudre les affaires relatives à notre église et à la vie d'église. Pour cette raison, bien que nous ne soyons pas réunis à l'église, nous devons nous conduire comme si nous y étions, ne permettant rien de ce qui y est interdit, et aussi en nous abstenant des expressions bruyantes d'approbation ou de mécontentement.
Nous sommes enfants de l'Eglise orthodoxe et devons avant tout nous soumettre à ses lois, établies par le Seigneur Lui-même, qui a dit : " Je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'Hadès ne prévaudront point contre elle" et aussi : " Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles." Le Seigneur a insufflé l'Esprit Saint aux apôtres, et leur a donné le pouvoir de lier et de délier les péchés, ainsi que le devoir d'annoncer l'Evangile dans tout l'univers. En prêchant l'Evangile, ils ont établi l'Eglise sur la terre, comme disciples et amis du Christ. Ils ont transmis ensuite leur pouvoir à leurs successeurs, c'est-à-dire aux évêques qu'ils avaient institués. Nous voyons cela dans la Sainte Ecriture, les Actes des Apôtres et les Epîtres de l'apôtre Paul. Pour les chrétiens, toutes les lois de l'Eglise sont importantes.
Les relations entre l'Eglise et l'Etat peuvent différer. Au commencement, l'Eglise était violemment persécutée. Il y eut des moments où l'Etat ne persécutait pas pour la foi si les lois civiles - à savoir que l'on devait vénérer César comme Dieu ou encore que l'on pouvait continuer de prier à sa façon sous réserve de sacrifier à César ou à une idole quelconque - étaient observées et cela suffisait. Mais les chrétiens ne se soumettaient pas à ces lois. Ils allaient au martyre. Nous les glorifions comme martyrs : saint Ignace le Théophore, Dimitri de Thessalonique, Pantéléimon et d'autres encore. Et que firent-ils? Ils suivirent la foi du Christ et ne respectèrent en rien ces lois qui étaient contraires à la foi. Les chrétiens seront persécutés jusqu'à la fin des siècles et il y aura aussi des martyrs jusqu'à la fin des siècles... Quant à ceux qui ne furent pas envoyés à la mort, ils furent glorifiés comme confesseurs. Il n'y a pas longtemps, lorsque nous étions en Extrême-Orient, les Japonais, occupant la Mandchourie, édictèrent une loi selon laquelle tous les habitants de Harbin devaient se rendre au temple de la déesse Amaterasu pour lui rendre adoration. C'était une loi étatique du fait que la soi-disant déesse était vénérée comme chef d ela maison impériale. Les chrétiens s'y rendirent-ils? Certains y allèrent, mais le métropolite de Harbin, Mélèce, avec l'archevêque Dimitri ( père de notre primat le métropolite Philarète), s'élevèrent courageusement contre cela. Et lorsque l'un des prêtres, occupant un poste éminent dans le diocèse de Harbin, s'engagea sur la voie du compromis, il fut imméditament démis de toutes ses fonctions, interdit de célébration, et ne fut rétabli que lorsque les Japonais acceptèrent de ne plus appliquer leur loi. Les ouailles restèrent aussi fidèles à leurs archipasteurs, parce que cette loi était dirigée contre la foi du Christ. Nous devons toujours défendre courageusement les règles ecclésiales. Si l'on nous demande quelque chose d'inexécutable, nous ne devons pas l'accomplir.
Nous voyons comme nos frères souffrent dans notre patrie. Nombreux sont, parmi eux, ceux qui endurent avec fermeté les persécutions pour la confession d ela foi du Christ. Ils sont privés de leurs postes, de leurs gains, de nourriture, et pourtant ils confessent la foi du Christ. S'il en est ainsi, nous devons confesser d'autant plus notre foi ici, en liberté, alors que la loi ne proscrit rien en matière de religion. Dans ce pays, les lois ne persécutent pas la foi. Les règles concernant la vie ecclésiale ne sont établies que pour la vie intérieure, ne faisant pas obstacle aux autres. Etant donné que cela ne menace personne en aucune façon, chaque individu et chaque communauté est libre de confesser sa foi. Dans notre vie intérieure, nous pouvons nous diriger sans crainte en suivant les règles de l'Eglise orthodoxe, pour lesquelles nous devons être prêts à mourir s'il devait en être autrement.
L'Eglise du Christ est une institution divine, et les fondements de sa structure sont donnés par le Christ et l'Esprit Saint, au moyen des apôtres et des saints. Le développement des règles ecclésiales et la direction de l'Eglise ont été confiés aux évêques, comme nous le voyons dans les épîtres des apôtres et de leurs successeurs immédiats.
L'Eglise orthodoxe, tout comme l'Eglise catholique, respecte la Tradition ecclésiale de même que la Sainte Ecriture. Elles diffèrent toutes deux en cela des protestants et des sectes protestantes, qui ne reconnaissent pas la Sainte Tradition. Celle-ci s'exprime dans les canons en ce qui concerne l'administration, la direction de l'Eglise. Les canons sont les règles ecclésiales qui constituent le fondement de la vie de l'Eglise, à l'instar des lois fondamentales pour l'Etat. La différence est cependant que les lois civiles sont créées par les hommes, tandis que l'Eglise est inspirée par le Saint-Esprit. le chef de l'Eglise est le Christ, qui a donné aux apôtres le pouvoir d'organiser l'Eglise terrestre. Voici ce que dispose le 41° canon apostolique : " Nous ordonnons à l'évêque de disposer du pouvoir sur les biens ecclésiastiques. Si les précieuses âmes humaines doivent lui être confiées, combien plus il convient d'ordonner qu'il dispose de toute l'administration des biens ecclésiastiques." Conformément à des règles édictées ensuite, il doit y avoir un économe chargé des biens ecclésiastiques ( 26° canon du IV° concile oecuménique). Au début, ce furent des clercs qui assumèrent cette tâche puis on commença à la confier à des laïcs, mais sous la direction de l'évêque, à l'instar du pouvoir spirituel, car "les hommes du Seigneur lui sont confiés et il devra répondre de leurs âmes". Pourquoi en est-il ainsi? Parce que dans l'Eglise, tout doit être dirigé et mis en accord avec le but principal : le salut des âmes humaines par la foi et la vie selon les commandements du Christ et leur direction vers le Royaume céleste.
Le principe du pouvoir aux mains du peuple est étranger à l'Eglise orthodoxe. Dans l'Eglise du Christ, tout part du principe divin, et c'est à Dieu que l'on rend le compte final de ses actes. Pour cette raison, à la tête de l'administration ecclésiale se trouvent les évêques, comme successeurs des apôtres. Afin que ceux-ci et les autres clercs ne soient pas absorbés par des affaires mondaines et séculières, ce sont les laïcs qui peuvent les y aider, et parfois même s'en acquitter en quasi-totalité, mais en agissant dans l'esprit des indications de leurs pasteurs, étant donné que ceux-ci portent la responsabilité de la vie ecclésiale, et, en particulier, leur chef, l'évêque. La direction continue à rester dans les mains de l'évêque, qu'il faut respecter, tant qu'il ne dévie pas de la véritable doctrine, c'est-à-dire tant qu'il ne devient pas hérétique et ne quitte pas sa hiérarchie. L'évêque répond tant pour les âmes que pour la vie ecclésiale.
L'expression connue " la voix du peuple est la voix de Dieu" est vraie en partie. Lorsque le peuple ressent la nécessité de l'aide de Dieu, prie ardemment, et veut avant tout accomplir la volonté de Dieu, prie ardemment, et veut avant tout accomplir la volonté de Dieu, le Seigneur fait entendre raison, fait naître des bonnes pensées, et les décisions ont un effet utile. C'est ainsi qu'agissaient les chrétiens dans le temps. C'est ainsi qu'agirent également nos ancêtres. Lors d el'assemblée ( zemski sobor) de 1613, le Grand Carême commençait, et tous les participants et le peuple priaient et jeûnaient, et ce n'est qu'après la communion aux Saints Mystères qu'ils désignèrent d'une seule voix le tsar Michel Romanov. La voix du peuple était alors réellement la voix de Dieu. Mais nous lisons aussi dans l'Evangile comment s'est passé le jugement de notre Seigneur Jésus Christ, comment il fut conduit à Pilate, qui le présenta au peuple : "Ils s'écrièrent tous ensemble : "Fais mourir celui-ci, et relâche-nous Barabbas!" Pilate leur parla de nouveau dans l'intention de relâcher Jésus. Mais ils crièrent : " Crucifie, crucifie-Le!"" Etait-ce là la voix de Dieu? Lorsque les "représentants du peuple", soutenus par les commandants en chef du front qui se considéraient comme la voix de l'armée, exigèrent de l'empereur Nicolas II l'abdication au trône, et lorsque les foules bruyantes traversaient Pétrograd et saluaient le début de la soi-disant "démocratie populaire", la voix du peuple était-elle la voix de Dieu?
Nous entendons la voix de Dieu dans la Sainte Ecriture, elle résonne dans la Sainte Tradition, il faut s'y soumettre, observer les règles de l'Eglise, c'est alors que nous touche la voix divine et non lorsque nous voulons agir selon notre volonté propre. Nous savons maintenant que dans le monde entier est livrée une lutte contre la Sainte Tradition.
Rassemblés pour résoudre les affaires de notre paroisse, nous devons prendre clairement conscience que la paroisse est une petite parcelle de la grande Eglise universelle, une petite branche de l'Eglise locale russe. Nous devons nous diriger selon les règles ecclésiales, créées sur le fondement et dans l'esprit des canons et des principes de l'Eglise. Si nous ne faisons pas confiance aux canons ecclésiaux, si nous nous en écartons, nous nous engageons, ce faisant, sur la voie du protestantisme et nous perdons alors le droit de nosu appeler chrétiens orthodoxes. Lorsque nous nous réunissons à l'occasion d'assemblées ecclésiales, nous devons penser comment prendre des décisions à la gloire de Dieu. A la gloire de Dieu, c'est-à-dire pour notre salut. Lorsque nous faisons quelque chose à la gloire de Dieu, nous nous apparentons aux anges, qui glorifient éternellement le Seigneur Dieu. Ne pensons pas à ce qui nous est agréable et à ce que nous souhaitons, mais à ce qui est en accord avec la justice divine, à ce qui nous achemine ensemble et chacun séparément au salut éternel et à la bonne réponse émanant du redoutable Tribunal devant lequel nous nous présenterons tous, que nous le voulions ou non, que nous nous en souvenions ou non. Et en nous rappelant les paroles du Christ : " C'est d'après tes paroles que tu sera justifié, et d'après tes paroles que tu sera condamné", menons cette assemblée ecclésiale de la même façon que dans l'antichambre du Jugement Redoutable, ce à quoi nous sommes appelés par l'Evangile de ce jour et les prières ecclésiales. Commençons notre assemblée ecclésiale eu nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, de la Trinité Vivifiante et Indivisible!
( San Francisco 1966)
DECRETS EPISCOPAUX
DE L'ARCHEVEQUE JEAN
Au sujet de la paramonie de la Nativité du Christ
Il est précisé et rappelé au clergé qu'aux ouailles que le fait de placer le cierge au milieu de l'église lors des paramonies des fêtes de la Nativité du Christ et de la Théophanie et ce après les Vêpres habituellement réunies à la Liturgie de saint Basile le Grand, signifie la venue sur terre et le séjour parmi les hommes de la Lumière véritable, le Soleil de justice annoncé par l'étoile, dont la lumière a illuminé les hommes ( cf. tropaires de la Nativité et kondakion de la Croix). Le cierge même, représentant mystiquement cette Lumière invisible cachée sous la chair du Dieu-homme, constitue en quelque sorte l'icône, et il n'y a pas nécessité de placer une icône devant le cierge qu'il convient de poser au milieu de l'église, en glorifiant le Christ devant lui.
Au sujet du Grand Vendredi
Il est précisé auclergé et aux ouailles que l'enterrement du Christ est commémoré aux Vêpres, raison pour laquelle les Vêpres du Grand Vendredi sont célébrées au milieu de la journée lorsque, après la mort du Christ sur la Croix, Son corps fut enlevé de la Croix et mis au tombeau par Joseph et Nicodème, ce qui est représenté par la sortie de l'épitaphios à la fin des Vêpres.
Le canon lu ensuite aux Complies, représente l'affliction et les pleurs de la Mère de Dieu devant le tombeau.
Aux Matines du Grand Samedi est chanté le séjour corporel du Christ dans la tombe et sa descente par l'âme dans l'Hadès, ce qui ébranla ses fondements et libéra les âmes qui y languissaient et attendaient le Christ. L'affliction relative à la mort du Sauveur est déjà unie au triomphe de la destruction par Lui de l'Hadès et à l'avant-goût de la victoire sur la mort. La procession, à la fin des Matines, après la grande doxologie représente précisément cette descente victorieuse dans l'Hadès et l'élévation des âmes délivrées au Royaume céleste, où sur Son trône, le Christ n'a cessé de demeurer avec le Père et l'Esprit; en signe de quoi, après la procession de l'épitaphios, de même que tout l'office des Matines du Grand Samedi, n'en a pas la signification.
Les Vêpres du Grand Samedi, unies avec la Liturgie, sont la pieuse pénétration du mystère accompli par le Christ pour délivrer le genre humain de la mort, en préparation de la glorification de la résurrection du Christ d'entre les morts, qui eut lieu lors du début du jour suivant. A l'exemple des femmes myrrhophores qui attendaient l'aurore du premier jour suivant le sabbat, pour embaumer le corps du Christ, les chrétiens sont appelés à déposer les soucis terrestres et à préparer spirituellement, au lieu des aromates, un chant au Maître qui se lèvera du tombeau.
Par l'Office de minuit se termine l'affliction, cesse le chant sur le tombeau du Christ, car après minuit, à l'aube du premier jour était déjà annoncée par l'ange la nouvelle de la résurrection du Christ.
L'heure exacte de la résurrection du Christ est inconnue, les évangélistes ne décrivant que la venue, à plusieurs reprises, des myrrhophores au tombeau du Seigneur. On sait seulement avec précision que la Résurrection s'est produite dans la nuit profonde, avant le lever du premier jour, comme cela ressort d ela comparaison des récits évangéliques, et comme l'a reçu dès le début et le maintient la Sainte Eglise, ce dont témoignent les saints Pères des premiers siècles.
Pour cette raison, la joie universelle de la résurrection du Christ commence avec les Matines lumineuses, débutant à des heures différentes dans les Eglises locales, mais jamais avant minuit. Le milieu d ela nuit, constituant le début du jour suivant, sépare lors de la nuit radieuse la joie de l'affliction. Commence alors ce salvifique jour lumineux, lorsque la lumière de la Résurrection illumine les coeurs et les âmes de tous les fidèles. Pour cette raison, les Matines célébrées à minuit ou à l'aube constituent le reflet de la résurrection du Christ, et le Divine Liturgie de ce jour ineffable unit d ela façon la plus étroite avec le Christ, ressuscité des morts.
Sur la communion le jour de Pâques
Nous communions à l'Agneau de Dieu la nuit sacrée et lumineuse de la Résurrection. Alors que nous n'avons que commencé à nous préparer au Carême, nous prions pour cela, et ensuite, nombre de fois, durant celui-ci : que le Seigneur daigne nous faire communier la nuit de la Pâque sainte. La grâce divine agit particulièrement à ce moment-là sur le coeur des hommes. Nous communions alors au Christ ressuscité, nous devenons les participants de Sa Résurrection. Naturellement, nous devons nous préparer auparavant et, ayant déjà communié pendant le Grand Carême, nous communions de nouveau aux Saints Mystères. Avant la Liturgie pascale, on ne peut se confesser en détail; il convient d ele faire auparavant. Mais, lors de la nuit lumineuse, ayant reçu l'absolution générale, il convient de s'approcher de l'Agneau Divin, le gage de notre Résurrection. Que personne ne quitte l'église prématurément pour manger de la viande animale, au lieu de goûter au Corps et au Sang très purs du Christ!
Au sujet des réjouissances
les veilles de dimanches ou de fêtes
Afin de mettre en vigueur le décret épiscopal n°878 du Synode des évêques daté du 4.11. 1951 et traitant de la nécessité de lutter contre l'organisation de soirées divertissantes et dansantes les veilles de dimanches ou de fêtes, les recteurs de paroisses et tous les prêtres se voient confier la tâche de convaincre les fidèles d'éviter de telles distractions intempestives, d'expliquer leur caractère néfaste et de veiller à ce que, en tout cas, elles ne soient pas organisées de tels jours par les paroisses elles-mêmes et les institutions ecclésiales dont les pasteurs ont la responsabilité. Il faut aussi préciser qu'employer l'argent récolté au cours de telles soirées à des fins de bienfaisance ne justifie en aucun cas ni leur organisation ni leurs organisateurs ni leurs participants, car pour un véritable chrétien la règle selon laquelle "la fin justifie les moyens" ne peut exister.
Il faut bien prendre conscience que les fêtes ecclésiales commencent la veille, que les Vêpres et les Matines préparent le chrétien à la participation dans la prière à la Divine Liturgie qui en est la continuation et l'achèvement. La présence à l'église lors de l'accomplissement du Sacrifice non sanglant exige de tout chrétien une telle préparation. Les distractions ainsi que les danses organisées la nuit le précédant empêchent de faire naître cette pieuse disposition qui se crée quand nos sens et notre conscience s'ouvrent au contenu des chants et des lectures des Vêpres et des Matines, qui nous expliquent le sens et l'importance de l'événement fêté. Les divertissements organisés les veilles de dimanche et de fêtes, étant profondément contraires à tout l'ordre liturgique, s'avèrent extrêmement néfastes pour l'âme de ceux qui y participent, parmi lesquels certains, à cause de la fatigue occasionnée, ont pour habitude d'arriver en retard ou d emanquer la Liturgie, tandis que d'autres, qui sont venus, se trouvent encore sous l'impression de la nuit passée.
Au sujet du transfert des fêtes
Il est rappelé au clergé et aux ouailles que, encore sous l'Ancien Testament, selon l'ordre divin, furent établis les jours de fêtes " que Dieu a choisis et sanctifiés", de même que les jours de jeûne et de pleurs.
Notre Seigneur Jésus-Christ , enseignant la véritable signification du sens de la fête, n'a pas abrogé, mais confirmé l'observance des fêtes, et l'Eglise néo-testamentaire du Christ, dès ses premiers jours, observa les jours sacrés.
Fixant le cycle annuel de l'office divin, l'Eglise a déterminé les jours de fête, mettant particulièrement à part ceux au cours desquels s'accomplirent les grandes manifestations de la Providence divine et durant lesquels maintenant se déverse la grâce de Dieu. Hormis ceux-ci, il nous est commandé de respecter les autres jours aussi, où sont commémorés des événements importants de la vie du Sauveur et de la Mère de Dieu, des signes de la miséricorde divine et la mémoire des saints de Dieu; L'Eglise a établi avec précision la signification et l'ordre de leur célébration, de même que les jours, où ils sont célébrés, et aussi leur transfert à un autre jour dans certains cas définis. Pour autant que cela soit possible, on pratique la commémoration au moment même des événements sacrés et de la fête des saints, afin que d'une seule pensée et d'une seule bouche tous les chrétiens orthodoxes soient unis, élevant unanimement des prières et des doxologies, ce qui n'exclut pas cependant des célébrations locales d'événements ou de saints, qui ne sont connus ou particulièrement vénérés que dans certaines localités.
Au nombre des grands jours figure pour chaque église la fête patronale, c'est-à-dire la célébration de saints événements ou du saint auxquels elle est dédiée. De par leur importance, les fêtes patronales sont assimilées par le typikon aux grandes fêtes du Seigneur et de la Mère de Dieu, et sont marquées par un office correspondant, destiné précisément à ce jour, qui est un jour solennel et plein de grâce pour ceux qui prient à l'église et pour la communauté paroissiale.
Pour cette raison, il est inadmissible de reporter à sa guise la fête paroissiale pour des considérations séculières. Les clercs et les laïcs doivent prendre clairement conscience que le report de la solennité à un autre jour, ne fait pas de ce jour la fête patronale, de même que la fête paroissiale non observée ne voit pas sa signification spirituelle diminuer, et reste telle indépendamment de l'attitude envers elle du clergé et des paroissiens. Le clergé et les paroissiens doivent s'efforcer de toute façon de célébrer dignement leur fête paroissiale, en participant avec le maximum de ferveur à l'office du jour, en s'y rassemblant. Ceux qui n'ont pas la possibilité de passer à l'église, ne serait-ce qu'un court instant, doivent se transporter en esprit et dans leur coeur à l'église, recevant ne fût-ce qu'ainsi les rayons de la grâce qui se déverse en lui.
Au sujet de la commémoration des non-orthodoxes
Il est rappelé aux clercs que, au cours de la Divine Liturgie, il n'est fait mémoire que des personnes appartenant à l'Eglise orthodoxe, étant donné que, ce faisant, la personne commémorée devient participante à l'office divin auquel ne peuvent prendre part que les chrétiens orthodoxes. De la même façon, on ne peut commémorer les personnes qui ont consciemment attenté à leur vie et ont ainsi volontairement quitté l'Eglise.
La même chose doit être dite au sujet des funérailles, Panykhides, et autres offices qui sont destinés à être célébrés pour les croyants orthodoxes, ce qui ressort bien des expressions utilisées dans ces offices.
A titre d'exception, pour les personnes qui, de leur vivant, ont montré une bonne disposition envers la foi et l'Eglise orthodoxes et ont participé à sa vie dans la mesure de leurs forces, des prières pour le repos de leurs âmes peuvent être accomplies, consistant dans le chant ou la lecture du 17° cathisme (Ps 118) avec une courte ecténie et le chant "Mémoire éternelle!"
Dans leurs prières individuelles, les chrétiens orthodoxes peuvent prier Dieu pour tous, dans l'espoir de Sa miséricorde.
De l'impossibilité pour des hétérodoxes
d'être parrains de baptême
Etant donné que les parrains de baptême sont les garants de ce que le baptisé demeurera dans la foi orthodoxe et s'engagent à confirmer leurs filleuls dans ladite foi, il serait insensé de permettre à un hétérodoxe d'être parrain, ce que ne peut être qu'une personne orthodoxe. L'inscription en qualité de parrains de personnes hétérodoxes est nulle, et celui qui le permet en assume la responsabilité.
De la participation du clergé à la vie publique
Ayant pour but principal de son ministère la régénération des âmes humaines et leur conduite au Royaume de Dieu, ceux qui ont reçu le don de la prêtrise ne doivent point se distraire de l'activité apostolique et perdre leur temps dans des oeuvres mondaines. Ce que donne le prêtre aux hommes, nulle autre personne ne peut le leur donner, et rien ne peut se comparer avec ce bien éternel auquel il mène les hommes. En conséquence, le clerc ne saurait se soustraire à ses devoirs directs, ni se consacrer à des affaires séculières même si elles sont utiles, se souvenant qu'il devra répondre, lors du redoutable Jugement de Dieu, de chaque brebis qui se sera perdue en raison de sa propre négligence. L'exemple nous a été montré par les apôtres lors de la dispute qui avait surgi parmi les disciples au sujet de la distribution de l'aumône, disant à cette occasion : " Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des tables." Les canons de l'Eglise interdisent strictement aux clercs de s'occuper d'affaires séculières et de prendre en charge des fonctions publiques. Cela ne signifie cependant pas que les clercs peuvent rester complètement à l'écart des affaires séculières; Les hommes sont constitués d'une âme et d'un corps, et il est impossible que, s'occupant de l'âme, on puisse ignorer complètement les nécessités du corps. Le Seigneur a commandé de manifester de l'amour envers le prochain par des oeuvres de charité, au sujet desquelles il nous interrogera le jour du Jugement. Beaucoup de hiérarques ou de saints moines furent les participants actifs aux événements qui survinrent de leur temps, et il leur arriva même de diriger des Etats. Mais cela s'est produit lorsqu'il y avait une nécessité extrême. Quand il faut sauver les hommes dans leurs malheurs, lorsque la participation du pasteur est indispensable pour les guider sur le droit chemin, le pasteur ne saurait rester inactif. Non seulement il peut, mais il doit aussi leur venir en aide. Cela concerne les oeuvres privées comme publiques. Inciter les hommes aux oeuvres de charité, et, si cela est nécessaire, présider des instititutions de bienfaisance, donner une orientation conforme à l'esprit de l'enseignement du Christ aux affaires publiques, c'est le devoir du pasteur. Néanmoins, ce faisant, il doit toujours rester serviteur de l'autel et pasteur. L'adhésion à un parti quelconque avec la soumission à sa discipline sont inacceptables. Il est aussi inconvenant pour le pasteur de s'immerger dans l'aspect purement séculier des affaires publiques. Tout ce que peuvent faire les laïcs doit leur être confié, les clercs s'efforçant de se concentrer sur les oeuvres spirituelles, qui sont l'affaire des pasteurs. Le sacerdoce est la lumière du monde, et sa participation dans la vie publique doit se limiter à sanctifier la voie de la vie personnelle, publique et étatique. Le devoir du clerc est d'indiquer les fondements moraux sur lesquels la vie de la société doit être bâtie et inspirer son activité, l'irriguant de l'enseignement du Christ. Sans sombrer dans l'opacité de ce monde vain, le pasteur doit planer au-dessus du troupeau et, le surveillant avec vigilance, il doit descendre lorsqu'il faut soutenir ceux qui sont faibles d'esprit ou de corps, mettre fin au mal et le dénoncer, inciter aux bonnes oeuvres et aux combats spirituels, fortifier dans l'accomplissement du bien. Le don le plus élevé et le plus important du clerc à la société est l'invocation et l'action de faire descendre sur elle la bénédiction et la grâce divines, ce envers quoi le pasteur doit être spécialement zélé dans la prière et, se rappelant qu'avant tout il est le serviteur de Dieu, être "pour les fidèles un modèle en parole, en conduite, en amour, en foi, en pureté" ( 1 Tm 4, 12), les menant par la prière, l'exemple, et la direction spirituelle au Royaume de Dieu.
Sur la possibilité des clercs
de donner un témoignage en qualité de témoins
Dans le cas où les autorités civiles s'adressent à lui pour faire une déposition en qualité de témoin, le clerce peut se diriger d'après les instructions suivantes :
- S'il est proposé de témoigner d'un quelconque événement ou fait que le prêtre a vu en qualité d'observateur fortuit ou dont il a connaissance de même que d'autres personnes, il peut et doit déposer son témoignage.
- Si les autorités lui proposent de témoigner de quelque chose qui lui est connu en raison de son rang ou de son activité pastorale, le prêtre ne peut être témoin relativement à ces questions, car chacun peut venir au prêtre comme à un père spirituel et ne doit point craindre que quelque chose soit porté à la connaissance des tiers.
- Dans le cas où les autorités ont besoin d'éclaircir quelque événement de la vie sociale ou ecclésiale et proposent au prêtre de témoigner à ce sujet, celui-ci doit déclarer qu'il n'est point habilité à le faire et suggérer aux intéressés de s'adresser aux autorités ecclésiales, qui donneront toujours les explications nécessaires.
ACATHISTE
A SAINT JEAN DE CHANGAÏ
Kondakion 1
Thaumaturge élu et serviteur exemplaire du Christ, tu déverses sur nous des flots d'inspiration et une multitude de miracles, c'est pourquoi nous te louons avec amour en te proclamant : Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Ikos 1
Par la grâce du Dieu Qui toujours Se soucie des hommes, tu fus manifesté ces derniers temps comme un ange dans la chair. Voyant la beauté de tes vertus, nous tes enfants, nous te crions :
Réjouis-toi, qui vécus toujours dans la crainte de Dieu et qui accomplis Sa sainte volonté!
Réjouis-toi, qui manifestas la grâce de Dieu dans d'innombrables vertus!
Réjouis-toi, qui entendais mystiquement la prière lointaine de ceux qui étaient en détresse!
Réjouis-toi, qui fus rempli d'amour pour ton prochain et fis tout pour son salut!
Réjouis-toi, qui apportes la joie à tous ceux qui te prient avec foi et amour!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 2
L'abondance et l'éventail de tes vertus, ô Saint hiérarque, nous révèle en toi une source vivifiante des miracles de Dieu pour notre temps. Tu désaltères en effet par ton amour et tes miracles tous ceux qui crient avec foi vers Dieu : Alleluia!
Ikos 2
Ô Père saint, étant rempli d'amour, tu le fus aussi d ethéologie. En toi la connaissance de Dieu surgit à nouveau avec amour pour l'humanité souffrante. Apprends-nous aussi à connaître par l'amour le Dieu véritable tandis que nous nous écrions vers toi avec admiration :
Réjouis-toi, ferme rempart de la vérité orthodoxe!
Réjouis-toi, précieux vase des dons du Saint- Esprit!
Réjouis-toi, juste accusateur de l'impiété et de la fausse doctrine!
Réjouis-toi, ardent observateur des commandements de Dieu!
Réjouis-toi, ascète sévère qui ne t'accordas nul repos!
Réjouis-toi, pasteur aimant du troupeau du Christ!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 3
Par la miséricorde de Dieu, tu fus en vérité un père pour les orphelins et un instructeur pour les jeunes gens, les éduquant dans la crainte de Dieu et les préparant pour Son service. C'est pourquoi avec amour tous les enfants lèvent maintenant les yeux vers toi et avec gratitude s'écrient vers Dieu : Alléluia!
Ikos 3
Les habitants des Cieux devraient te louer, plutôt que nous sur cette terre, car nos paroles sont faibles comparées à tes actes. Pourtant offrant à Dieu ce que nous avons, nous nous écrions vers toi :
Réjouis-toi, qui protégeas tes enfants par ta prière perpétuelle!
Réjouis-toi, qui toujours gardas sauf ton troupeau par le signe de la Croix!
Réjouis-toi, dont l'amour ne connut aucune limite de pays ou de race!
Réjouis-toi, astre brillant aimé de tous!
Réjouis-toi, modèle d'humilité spirituelle!
Réjouis-toi, qui apportas la consolation spirituelle à ceux qui en avaient besoin!
Réjouis-toi, saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 4
Ô hiérarque Jean, confondus par tes actes de piété et d'amour, nous ne savons comment te louer dignement. Tu voyageas en effet jusques aux confins de la terre pour sauver ton peuple et prêcher l'Evangile à ceux qui étaient dans les ténèbres. Remerciant Dieu pour ton labeur apostolique, nous crions vers Lui: Alleluia!
Ikos 4
Les peuples de nombreux pays virent ta vie et s'émerveillèrent des miséricordes divines même en ces temps qui furent les derniers. Et nous aussi, émerveillés, nous écrions vers toi avec crainte et admiration :
Réjouis-toi, illuminateur de ceux qui étaient plongés
dans les ténèbres de l'icroyance!
Réjouis-toi, qui suivis ton peuple à l'Orient et à l'Occident!
Réjouis-toi, fontaine de miracles répandus par Dieu!
Réjouis-toi, correcteur aimant de ceux qui se sont égarés!
Réjouis-toi, consolation prompte de ceux qui se repentent de leurs péchés!
Réjouis-toi, soutien de ceux qui cheminent sur la voie droite!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 5
Sur l'île, préservant ton peuple de l'ouragan mortel par ta prière et par le signe de la croix, tu fus manifestement l'instrument de la puissance divine pour arrêter les forces destructrices de la nature. Préserve-nous aussi qui nous écrions avec émerveillement vers Dieu : Alléluia!
Ikos 5
Dans des circonstances désespérées ou dans l'adversité, tous ceux qui ont cru en ton intercession, ont été délivrés, ô intercesseur hardi devant le trône de Dieu. Ainsi, nous mettons aussi notre espérance en toi pour que tu nous protèges des dangers par tes prières devant Dieu, tandis que nous te disons :
Réjouis-toi, qui empêchas les puissances naturelles de nuire à ton troupeau!
Réjouis-toi, qui par ta prière réponds à ceux qui sont dans la nécessité!
Réjouis-toi, pain inépuisable des affamés!
Réjouis-toi, richesse abondante de ceux qui vivent dans la pauvreté!
Réjouis-toi, consolation de ceux qui sont dans l'affliction!
Réjouis-toi, relèvement prompt de ceux qui ont chu!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 6
Conduisant ton peuple hors de l'esclavage, tu fus en vérité un nouveau Moïse, ô saint hiérarque Jean. Délivre-nous aussi de l'esclavage du péché et des ennemis de Dieu tandis que nous nous écrions vers Lui : Alléluia!
Ikos 6
Ô bon pasteur, tu fis l'impossible pour persuader les autorités de ce monde d'avoir pitié de ton troupeau. Prie pour nous maintenant afin que nous puissions sauver nos âmes, en vivant dans la paix et le calme tandis que nous nous écrions avec reconnaissance vers toi :
Réjouis-toi, Secours de ceux qui font appel à toi avec foi!
Réjouis-toi, qui délivres de la mort et du désastre!
Réjouis-toi, qui préserves des mensonges et des calomnies!
Réjouis-toi, toi qui protèges les innocents des envoûtements!
Réjouis-toi, qui déjoues les attaques des iniques!
Réjouis-toi, qui détruis les mensonges et exaltes la vérité!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 7
Ô admirateur des saints de l'Orient et de l'Occident, tu réintroduisis dans l'Eglise Orthodoxe les saints de l'Occident originaires de pays qui avaient apostasié la vérité. Avec eux maintenant, tu pries pour nous qui sur terre nous écrions vers Dieu : Alléluia!
Ikos 7
Ô fervent vénérateur des saints hiérarques de Gaule, tu fus, en vérité, l'un d'eux dans ces temps qui furent les derniers, exhortant ton troupeau à conserver la même foi orthodoxe qu'ils confessaient, et étonnant les peuples de l'Occident par ta sainte vie. Préserve-nous maintenant dans cette même foi, tandis que vers toi nous nous écrions :
Réjouis-toi, nouveau Germain par ta confession de la foi orthodoxe!
Réjouis-toi, nouvel Hilaire par ta divine théologie!
Réjouis-toi, nouveau Grégoire par ton amour des saints!
Réjouis-toi, nouveau Faust par ton amour noble et ta ferveur monastique!
Réjouis-toi, nouveau Césaire par ta direction ferme, mais aimante, de l'Eglise de Dieu!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 8
Ô saint hiérarque, à la fin de ta vie tu fu appelé au Nouveau Monde pour y offrir ton témoignage de l'ancienne chrétienté et y souffrir ton témoignage de l'ancienne chrétienté et y souffrir la persécution pour ta droiture, parachevant ainsi ton âme pour le ciel. Nous émerveillant à présent de ta patience et de ta longanimité, nous nous écrions tous vers Dieu : Alléluia!
Ikos 8
Ouvrier dans la vigne du Christ, toi qui ne connus nul repos même à la fin de ta vie de labeur, aide-nous dans nos épreuves alors que nous efforçant d'être fidèles au Christ, nous nous écrions vers toi en guise de louange :
Réjouis-toi, qui enduras tout jusques à la fin et atteignis ainsi le salut!
Réjouis-toi, qui fus jugé digne de mourir devant l'icône de la Mère de Dieu!
Réjouis-toi, qui conservas ta foi et ton courage au milieu d'injustes persécutions!
Réjouis-toi, qui oeuvras jusques à la fin pour ton troupeau et rencontras la mort assis comme un hiérarque!
Réjouis-toi, qui retournas par le ciel pour être enseveli
au sein de ton troupeau!
Réjouis-toi, qui accomplis des miracles pour ceux venant avec foi et amour à ton sépulcre!
Réjouis-toi, Saint hiérarque Jean thaumaturge de ces derniers temps!
Kondakion 9
L'assemblée des anges se réjouit lorsque ton âme s'éleva vers leur demeure céleste, s'émerveillant
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