mardi 4 janvier 2022

Higoumène Nikon Vorobiev, Lettres Spirituelles.

 

HIGOUMENE NIKON VOROBIEV



LETTRES

SPIRITUELLES




Coll. GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES

DU XX° SIECLE



Ed. L'AGE D'HOMME



LETTRES SPIRITUELLES



DANS LA MEME SERIE



Aux éditions du Cerf

Jean-Claude Larchet, Saint Silouane de l'Athos, 2001.

Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, 2002.

Jean-Claude Larchet, Le Starets Serge, 2004.



Aux éditions L'Age d'Homme

Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, 2003.

Mgr Nicolas Vélimirovitch, Prières sur le lac, 2004.

Père Ioannichié Balan, Le Père Cléopas, 2004.

Ancien Joseph L'hésychaste, Lettres spirituelles, 2005.

Bernard Le Caro, Saint Jean de Changaï, 2006; 2° Ed., 2011.

Mgr Nicolas Vélimirovitch, La foi et la vie selon l'Evangile, 2007.

Père Isaac, L'Ancien Païssius de la Sainte Montagne, 2009.

Saint Nicoals Vélimirovitch, Le Prologue d'Ochrid, tome 1, 2009.

Starets Thaddée, Paix et joie dans le Saint-Esprit, 2010.

Saint Syméon de Dajbabé, Enseignements spirituels, 2011.

Moniale Juliana, Le Père Alexis Métchev, starets de Moscou, 2011.

Père Ioannichié Balan, Le Père Païssié Olaru, 2012.

Hiéromoine Joseph de Dionysiou, L'Ancien Charalampos, 2012.

Saint Justin Popovitch, Vies des saints serbes, 2013.

Archimandrite Chérubim Karampelas, Figures athonites du début du XX° siècle, 2013.

Jean-Claude Larchet, Le Patriarche Paul de Serbie, 2014.

Archimandrite Chérubim Karampelas, Autres figures athonites du début du XX° siècle, 2014.



HIGOUMENE

NIKON VOROBIEV



LETTRES

SPIRITUELLES



TRADUIT DU RUSSE PAR ANNE KICHILOV

INTRODUCTION DE JEAN-CLAUDE LARCHET

AVANT PROPOS DU PROFESSEUR ALEXEI OSSIPOV



Coll. GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES

Ed. L'AGE D'HOMME



c 2015 by Editions L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse.



AVANT-PROPOS



L'higoumène Nikon Vorobiev (1894-1963), qui en France reste peu connu (1), est l'un des pères spirituels les plus célèbres de la période communiste en Russie.

(1) : ( La seule étude qui lui ait été consacrée en langue française est celle qui figure dans l'ouvrage d'Irène Semenoff-Tan-Chansky, Témoins de la Lumière. Six prêtres à l'époque soviétique, Pully et Paris, 1999, p. 123-170. Un choix de lettres de l'higoumène Nikon a été publié à Paris par les éditions YMCA Press, mais en russe (Paris, 1988).).

Devenu moine en 1932 et prêtre en 1933, il passa ensuite quatre ans dans un camp puis servit pendant septe ans comme homme à tout faire dans la famille d'un médecin. En 1944, il fut nommé recteur de l'église de l'Annonciation à Kozelsk, puis déplacé dans différentes paroisses au cours de l'année 1948, avant d'être envoyé à Gjatsk, une très petite paroisse de campagne, où il resta jusqu'à la fin de sa vie. C'est dans ce dernier lieu, où il mena l'existence modeste d'un prêtre de campagne, qu'il put surtout exercer la fonction de père spirituel auprès de nombreux visiteurs et correspondants.

Ce ministère, qu'il exerçait discrètement - en raison des persécutions que le régime soviétique faisait subir aux clercs et aux fidèles actifs, et d ela surveillance dont il était personnellement l'objet - aurait pu rester inconnu si le Père Nikon n'avait compté parmi ses enfants spirituels le jeune Alexis Ossipov - devenu par la suite un éminent professeur de l'Académie théologique de Moscou, puis un écrivain et un conférencier très célèbre en Russie - qui, après le décès du Père Nikon, a patiemment rassemblé sa correspondance, l'a introduite, l'a publiée et l'a largement fait connaître auprès du public russe.

C'est une grande bénédiction que les lettres du Père Nikon - qui, selon ceux qui l'ont connu, coïncidaient avec les conseils qu'il dispensait par ailleurs oralement - aient pu être préservées et publiées. De cette volumineuse correspondance (près de 340 lettres) se dégage en effet un enseignement spirituel fort, cohérent, profondément ancré dans la Tradition ascétique de l'Eglise orthodoxe, et qui, par le biais de la diversité des correspondants auxquels il s'adresse ( prêtres, moines ou moniales, laïcs, hommes ou femmes, jeunes et vieux, en bonne santé ou malades, personnes menant une vie pieuse ou en difficulté spirituelle...), aborde une grande variété de sujets concrets relatifs à la vie spirituelle et peut contribuer à aider pratiquement tous les lecteurs dans leur propre cheminement.

La force de l'enseignement spirituel du Père Nikon tient premièrement à sa foi très ferme, à sa vie ascétique rigoureuse, et aux épreuves douloureuses par lesquelles il est lui-même passé et qu'il a surmontées par la grâce de Dieu. Il s'agit autrement dit d'un enseignement qui n'est pas théorique, abstrait, livresque (bien que le Père Nikon ait été un grand lecteur et s'inspire constamment des Pères, en particulier de saint Ignace Briantchaninov), mais se fonde sur une expérience intime et a toutes les qualités et la puissance de conviction de celle-ci.

Le but des lignes qui suivent est de mettre en évidence et d'éclairer quelques thèmes majeurs de l'enseignement spirituel du Père Nikon.



La pénitence comme état permanent, son sens et ses avantages.

L'enseignement spirituel du Père Nkon est centré de manière frappante sur un thème majeur : celui de la pénitence. Il n'est pas possible d'avoir lu ces lettres et de n'avoir pas progressé dans la conscience que la pénitence constitue une pièce maîtresse de la vie spirituelle.

Il est vrai que la pénitence ( qui se caractérise avant tout par la conscience de ses propres fautes et plus généralement de son état de péché) est un élément dominant de la spiritualité russe, et même, peut-on dire, de la mentalité et d ela psychologie du peuple russe. On en trouve une expression maximaliste dans cette affirmation que, dans Les frères Karamazov, Dostoïevski met dans la bouche du starets Zosime : " Chacun de nous est coupable devant tous pour tous et pour tout (1)";

(1) : ( Les frères Karamazov, 2° partie, Livre 6, ch.2, c, trad.fr., Paris, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 1972, p. 320.).

mais on en trouve beaucoup d'autres exemples dans la spiritualité russe ancienne et contemporaine.

L'insistance du Père Nikon sur la pénitence paraît souvent très lourde; le centrage de la vie spirituelle sur la prise de conscience de ses péchés et de son état déchu peut à certains égards apparaître comme une déviation, dans la mesure où il semble fermer l'homme sur son ego et prendre la place de ce qui doit être pour le chrétien "l'unique nécessaire" et donc l'unique objet d'attention : Dieu. Et il semble se dégager globalement de la correspondance de l'higoumène Nikon une vision de l'humanité non seulement désabusée ( c'est-à-dire sans illusion), mais profondément pessimiste, voire même très noire, qui semble ignorer la grandeur et les beautés de la création ( et notamment celle de l'image de Dieu en l'homme, qui a été obscurcie par la chute, mais non détruite), et le rayonnement de la grâce que Dieu dispense dans Son Eglise et parmi les fidèles, à la mesure de chacun, et qui se traduit notamment dans les vertus que l'on peut reconnaître dans les autres.

Il faut pour le comprendre, bien situer cet enseignement dans son contexte global et dans sa véritable signification pour le Père Nikon.

Rappelons que la prédication de l'Evangile, l'annonce de la Bonne Nouvelle du salut, a débuté par la prédication du repentir. Celle-ci inaugure et caractérise l'enseignement de saint Jean Baptiste (Mt 3, 8; Mc 1, 4-5; Lc 3, 3-8). C'est de même par elle que, selon les évangélistes saint Matthieu et saint Marc, commence l'enseignement public du Christ : " Jésus commença à prêcher et dit : " Repentez-vous car le Royaume des cieux est proche"" (Mt 4, 17; cf. Mc 1, 15). C'est aussi, selon l'Evangile de saint Luc (24, 47), en évoquant le repentir que le Christ résume et clôt sa mission en ce monde avant son Ascension. Nous voyons, dans les saintes Ecritures, le Pécurseur, le Christ et les Apôtres prêcher constamment la pénitence et la présenter comme une pratique essentielle au salut (Mt 3, 2.11; 4, 17; Mc 1, 4. 15; 6, 12; Lc 3, 3.8; 5, 32; 13, 3.5; 15, 7. 10; 24, 47; Ac 2, 38; 3, 19; 5, 31; 11, 18; 13, 24; 17, 30; 19, 4; 20, 21; 26, 20; RM 2, 4-5; 2 Co 7, 10; 2 Tm 2, 25; He 6, 1; 2 P 3, 9). Faire pénittence est, selon beaucoup de Pères, l'activité spirituelle qui doit primer toutes les autres, celle à laquelle l'homme doit avant tout se consacrer (1), le premier commandement (2) par ordre chronologique et logique.

(1) : ( Voir par exemple : Apophtegmes, série alphabétique, Poemen, 161. Isaac le Syrien, Discours ascétiques, 34. Jean Climaque, L'Echelle, VII, 79).

(2) : ( Cf. S. Syméon le Nouveau Théologien, Catéchèses, XIV, 44-45).

L'enseignement spirituel du starets Nikon s'inscrit donc bien dans la tradition patristique ( que j'ai exposée en détail par ailleurs (3)).

(3) : ( Thérapeutique des maladies spirituelles, 6° éd., Paris, 2013, p. 352-367).

La pénitence consiste en premier lieu à considérer ses péchés, qui sont d'abord les transgressions des commandements de Dieu, les fautes et les manquements par rapport à Sa volonté.

L'absence de pénitence ou son faible degré rendent aveugle même aux grands péchés, tandis qu'une pénitence régulière et approfondie rend visibles même les plus petites fautes. Celles-ci sont loin d'être négligeables. " Il faut se déoler amèrement, se repentir au moindre écart, car toute mauvaise action, si minime soit-elle, qui n'a pas fait l'objet d'une repentance, conduit fatalement à une action plus grave", fait remarquer le Père Nikon.

La pénitence à laquelle celui-ci invite en permanence doit commencer par une confession générale, mais ne consiste pas ensuite à ressasser dans le détail tous ses péchés passés. " En confession, on vous demande d'énumérer les péchés qui sont restés dans votre mémoire et qui troublent votre conscience; quant aux autres, il faut les rassembler dans la même phrase : j'ai péché en paroles, en actes et en pensées."

Selon le Père Nikon, la pénitence ne porte pas seulement sur des péchés particuliers, mais sur l'état de déchéance profonde que subit toute personne en conséquence du péhé ancestral, perpéué, confirmé et développé par les péchés de ses ancêtres et ses propres péchés.

Cet état est marqué en particulier par des passions dont la réalité et l'extension restent souvent inconscientes pour l'homme. " J'ai toujours dit à tous qu'en nous se cachent toutes les passions et tous les péchés". Ceux-ci "ne se manifestent qu'à la faveur de telle ou telle circonstance", et l'un des buts de la pénitence est d'en prendre conscience plus largement que ce que les circonstances permettent d'en connaître.

L'état très négatif que le Père Nikon invite à percevoir en soi-même, et dont il peint souvent un noir tableau, n'est rien d'autre au fond que l'état d'éloignement de Dieu qui affecte tout membre de l'humanité déchue.

" Notre état de corruption est infiniment plus grand que ne l'imaginent non seulement les laïcs, mais également les personnes soi-disant spirituelles." C'est par la pénitence que nous pouvons nous "connaître jusqu'au tréfonds. Connaître non seulement notre corruption, mais aussi notre impuissance à la corriger. C'est alors seulement que l'homme s'attachera de toute son âme au Sauveur, qu'il Le suppliera comme l'apôtre Pierre en train de se noyer."

Paradoxalement, ce sont les saints, qui sont les plus proches de Dieu, qui se considèrent comme les plus grands pécheurs et font le plus pénitence. La raison en est que plus on est proche de Dieu, mieux on Le connaît, et plus on mesure alors l'abîme qui sépare l'imperfection de la créature déchue que l'on est de la perfection du Créateur.

Nous avons à nous repentir de nos transgressions, mais aussi " de notre insuffisance dans l'effort extérieur et intérieur". D'une manière générale, "tous nous ne vivons pas comme il faudrait", nous ne faisons pas ce que nous devrions faire. " Nous savons tous ce qu'il faudrait faire, et nous faisons autre chose, ou d'une mauvaise façon." Alors "il faut au moins, sincèrement, du fond du coeur, reconnaître cela", avoir conscience de notre "indignité", de notre "nullité" devant Dieu et Sa volonté. " Il faut sans cesse, jusqu'à la mort, se reconnaître les débiteurs insolvables de Dieu et demander Sa grâce."

Ce n'est qu'en prenant la mesure de son état de déchéance ( que le Père Nikon appelle parfois sa "misère") que l'homme peut s'en désolidariser et se rapprocher de Dieu; ce n'est qu'en le constatant qu'il peut acquérir une pleine humilité, et dès lors recevoir la grâce qui le relève, l'élève et lui permet d'être sauvé.

"En se repentant de chaque péché" et corrélativement "en se forçant à mettre en pratique les préceptes de l'Evangile (...), l'âme se purifie et grandit spirituellement. Il n'y a pas d'autre voie."

L'importance énorme que le Père Nikon accorde à la pénitence peut la faire apparaître comme difficile à mettre en oeuvre. Devant le découragement que peuvent ressentir ses correspondants, il note que la pénitence est avant tout une attitude et pour cela n'exige pas forcément beaucoup de temps ni d'effort : " Pour se repentir, point n'est besoin de beaucoup de temps, comme nous le montre l'exemple du bon larron, du publicain, de la prostituée... Il faut seulement reconnaître son état de péché et de perdition, reconnaître que ne nous sauve que Dieu seul, et qu'Il nous sauve non pas pour nos oeuvres - "aucune chair ne sera justifiée par les oeuvres de la loi" -, mais pour la conscience que nous avons de notre misère, de notre indignité, parce que nous avons demandé le salut, et à cause de notre foi."



Le vrai but : l'humilité.

La pénitence a en vue l'humilité, par laquelle nous constatons notre faiblesse radicale et notre totale impuissance, l'absence de tout bien qui viendrait de nous, et reconnaissons que tout ce qui est bon ne peut nous venir que de Dieu. Selon le Père Nikon, toute l'ascèse doit être subordonnée à l'acquisition de cette vertu ( qui à son tour conditionne les autres). " Tous les efforts de celui qui désire vivre spirituellement doievnt viser à l'acquisition de l'humilité. Sans cette qualité, tous les exploits ascétiques, même les plus grands, sont non seulement stériles, mais ils sont une cause de perdition." La mesure du progrès spirituel de l'homme, c'est son humilité. Plus la personne est élevée spirituellement, plus elle est humble, et inversement, plus elle est humble, plus elle est élevée spirituellement. Ce ne sont pas les règles de prière, les jeûnes, la lecture de la Parole de Dieu qui rapprochent l'homme de Dieu, mais c'est l'humilité."

Si l'humilité a tant de prix, c'est parce qu'elle s'oppose à l'orgueil; or c'est l'orgueil qui a séparé le premier homme de Dieu et qui reste la principale cause de séparation d'avec Lui, une cause d'autant plus difficile à extirper de l'âme que "l'orgueil est la passion la plus enracinée, la plus dissimulée, la plus difficile à déceler et encore plus à déraciner. Car l'orgueil s'enracine au fond de la personne et la définit, tandis que les autres péchés se trouvent à la périphérie de la personne : ils se voient mieux et se déracinent plus aisément."

L'orgueil est non seulement une source de séparation d'avec Dieu, mais une source de conflit entre les hommes, tandis que l'humilité triomphe de tout. " Où l'homme trouvera-t-il la sérénité et la paix? Dans l'humilité. Toi-même, si tu es orgueilleux, tu heurteras l'orgueil des autres. Efforce-toi d'être en toutes choses, et surtout en paroles, plus humble. L'humilité triomphe et des démons et des hommes et des bêtes, tandis que l'orgueil les dresse tous contre lui."

La pénitence engendre l'humilité qui à son tour engendre la guérison spirituelle : " Il y a deux phases dans la vie du chrétien : 1) la prise de conscience de sa déchéance, de sa nature pécheresse, 2) la guérison progressive de ses plaies spirituelles. Sans la première, la seconde ne peut advenir. La première conduit souvent à une humilité authentique, qui seule permet de recevoir sans dommage la guérison et divers dons de Dieu."



L'importance de la prière.

Insistant sur la pénitence et l'humilité, le Père Nikon ne sous-estime pas l'importance de la prière, par laquelle nous sommes en relation avec Dieu et nous ouvrons à Sa grâce que nous demandons. De même que sans l'humilité, "sans la prière, les bonnes actions elles-mêmes ne seront d'aucun profit".

Le Père Nikon, qui est très attaché à la Prière de Jésus, exprime dans ses conseils les principes de la tradition hésychaste. Le contexte spirituel de la prière est essentiel. Il faut notamment prier dans un bon état d'esprit, paisible, avec une attitude de pénitence et d'humilité, en étant vigilant et attentif. " Si tu te mets à prier avec la paix dans l'âme et un coeur contrit ( autrement que par la langue), le Seigneur recevra ta prière, comme l'a dit le psalmiste : " un coeur brisé et contrit, Dieu ne le rejettera pas" (Ps 50), et toi, tu prieras sans distraction, avec attention et chaleur. Mais si tu t'apprêtes à prier dans un état d'esprit mauvais, " sans l'habit de noces", alors le Seigneur te repoussera et te livrera aux ennemis, qui t jetteront dans les ténèbres des pensées vaines et de l'endurcissement du coeur." La pénitence est indissociablement liée à la Prière de Jésus dont le fondement et le modèle est la prière du publicain.



Ne pas juger le prochain, ne jamais l'offenser, mais toujours être compatissant.

Un autre thème qui apparaît fréquemment dans les lettres est la nécessité d'éviter tout jugement du prochain. Ce thème est en rapport étroit avec ceux de la pénitence et de l'humilité.

Le jugement du prochain témoigne d'un manque de pénitence, car celui qui voit ses propres péchés ne prête pas attention aux fautes de son frère. "Si au contraire l'homme juge son prochain, cela veut dire qu'il ne sent pas ses propres péchés, et donc qu'il n'a pas de repentir. Et inversement, le signe que l'on est conscient de ses péchés et qu'on s'en repent, c'est le non-jugement des autres."

Le jugement du prochain est d'autre part une marque d'orgueil, car en jugeant autrui nous nous posons nous-même comme une norme et un point de référence. Or, souligne le Père Nikon, "nous ne pouvons exiger des gens ce que nous voudrions qu'ils soient". La pénitence, par laquelle on prend conscience de sa propre nullité spirituelle, aide à ne pas juger le prochain. " Lorsque vous vous connaîtrez quelque peu, écrit le Père Nikon à l'une de ses filles spirituelles, vous comprendrez votre propre impuissance à devenir telle que vous devez être, et vous cesserez de condamner quiconque et a fortiori de le mépriser."

Le jugement d'autrui témoigne aussi d'un manque d'amour. Ce manque d'amour est aux yeux du Père Nikon l'un des péchés les plus graves, en particulier lorsqu'il s'extériorise et affecte le prochain. "Aucun péché n'est plus grave que celui qui consiste à blesser quelqu'un, même si c'est presque inconsciemment; il faut alors le racheter par de grands efforts." " Il faut craindre d'offenser le prochain, car il est plus facile de faire la paix avec Dieu qu'avec son prochain. Humilie-toi devant tous, tâche de servir tout le monde, selon tes forces, ne fais de reproches à personne, ne juge pas, ne condamne pas. Sois en paix avec tous, pardonne à tous, sinon tu ne recevras pas le pardon de Dieu (cf. Mt 6, 14-15)." " L'aumône lave beaucoup de péchés. Il ne s'agit pas tant de l'aumône matérielle que de l'aumône spirituelle, beaucoup plus précieuse. Elle consiste en ce que la personne, au lieu de juger son prochain, le plaint, lui pardonne ses fautes et demande à Dieu de les lui pardonner." Prier pour le prochain est aussi un excellent moyen de ne pas le juger : " Il ne faut ni juger ni condamner les autres, et si une pensée vous vient à leur sujet, priez pour leur salut; ainsi la tentation de juger disparaîtra."

Celui qui voit les défauts des autres doit "les supporter avec amour". Mais il est mieux encore de ne pas les voir et de s'attacher à ne percevoir dans le prochain que ce qu'il a de positif. " Saint Antoine le Grand prenait chez chacun ce qu'il avait de meilleur. Toi aussi, efforce-toi de prendre chez tes proches le meilleur qu'ils offrent, apprends comment ils ont gagné et gardé ce meilleur."

Dans les difficultés relationnelles que l'on peut éprouver, il ne faut donc jamais mettre la faute sur les autres, mais "il faut sincèrement, consciemment, s'accuser soi-même de son inaptitude à vivre avec les autres du fait de son orgueil, de son impatience, de son habitude de juger les autres".

Le Père Nikon invite souvent ses correspondants à être compatissants et à venir en aide aux autres. "Portez les fardeaux des gens, ne jugez personne, faites à tous du bien selon vos forces pour l'amour du Seigneur."

En relation avec l'abstention de tout jugement, il donne ces conseils : " Fais ce que tu as à faire, ce qui t'est confié, et ne te mêle pas des affaires des autres, garde le silence, autant que possible, ne raconte jamais rien à personne : que toutes les paroles que tu entends s'abîment comme une pierre jetée dans la mer. Aie compassion de tous, pardonne à tous dans ton âme et dans tes actes, si l'occasion s'en présente."



Etre patient dans les épreuves.

Un autre thème récurrent des lettres de l'higoumène Nikon est la patience dans les épreuves. Selon lui les hommes de notre époque sont plus faibles que ceux des époques précédentes, et nous devons compenser les efforts ascétiques que nous ne sommes plus en mesure de fournir :

- premièrement par un surcroît de pénitence : " notre temps, dit-il, nous offre le repentir à la place des oeuvres qui ont disparu";

- deuxièememnt par la patience dans les diverses difficultés et peines qui nous surviennent, notamment dans les maladies : " il est prédit que dans les temps derniers, du fait d ela montée de l'orgueil, les hommes ne feront leur salut que par l'endurance dans les épreuves et les maladies, et non par des exploits ascétiques"; " de nos jours, il est impossible d'être sauvé sans les épreuves", mais il est indispensable pour cela que l'homme les accepte et les supporte "sans se plaindre".

Cela est vrai aussi pour le monachisme dont la rigueur traditionnelle est de nos jours compromise. " Les saints nous expliquent que, dans les temps derniers, il n'y aura plus de monachisme - plus du tout, ou seulement une apparence, sans les oeuvres. Il n'y aura plus d'exploits ascétiques (1) personnels chez ceux qui recherchent le Royaume de Dieu.

(1) : ( Le mot russe podvig, que l'on traduit habituellement par "exploit" n'a pas le sens d'action extraordinaire que ce mot a en français, mais plutôt celui d'effort ascétique. Le souhait " bon podvig" signifie "bonne ascèse".).

On ne fera son salut que par l'endurance devant les maladies et les épreuves. Pourquoi ne fera-t-on plus d'exploits ascétiques? Parce que les gens n'auront plus d'humilité, et sans l'humilité, les exploits ascétiques apportent plus de mal que de bien; ils peuvent même causer la perdition de celui qui se prend d'une haute opinion de lui-même et tombe dans la séduction diabolique. Ce n'était que sous la direction de personnes spirituelles expérimentées que l'on pouvait s'adonner à des exploits ascétiques, mais ces personnes n'existent plus, on n'en trouve plus. La direction maintenant appartient eu Seigneur Lui-même, et dans une certaine mesure aux livres, pour ceux qui les possèdent et qui les comprennent. Comment le Seigneur dirige-t-Il? Il permet les persécutions, les outrages, les maladies, une longue vieillesse avec toutes ses misères."

Cet autre pssage de la correspondance du Père Nikon unit l'exigence de la pénitence et celle de la patience dans les épreuves comme mode de salut adapté à la faiblesse générale de notre époque : " Tu sais bien ce qui a été prédit par les Saints Pères à propos de notre temps. Ils ont dit ceci : les gens vont être sauvés par leur foi, l'endurance dans les épreuves et les maladies, et par le repentir. Nous n'avons pas de bonnes oeuvres. Nous transgressosn en tout et à chaque heure les commandements du Christ, c'est pourquoi il ne nous reste qu'à nous repentir, à endurer et à croire que le Seigneur Jésus-Christ, "qui est venu pour chercher et sauver celui qui était perdu", nous sauvera, nous aussi, qui implorons Son pardon et le salut. Il faut croire en cela fermement. Celui qui compte sur ses oeuvres construit sa maison sur le sable. Le salut des hommes est l'affaire de la miséricorde de Dieu, le don de Dieu à l'humanité déchue qui a cru en Christ, qui a conscience de son état de perdition et qui supplie avec la voix du publicain : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!""

Le Père Nikon considère dès lors que les diverses épreuves sont envoyées par Dieu aux hommes pour leur salut. Il le fait parfois de manière abrupte, voire choquante, en donnant à penser que les maladies et les souffrances des hommes seraient systématiquement voulues par Dieu. Par exemple lorsqu'il affirme : " Il est clair que c'est par un arrêt spécial de Dieu que la plupart des gens meurent du cancer." Aussi nous paraît-il nécessaire de recadrer laconception du Père Nikon à ce sujet.

Le Père NIkon n'a pas tort de dire que "cette maladie (du cancer), qui est sans espoir, laisse le temps pour le repentir", mais c'est sans doute trop d'ajouter que "c'est la raison pour laquelle le cancer est si répandu". Il est clair que les maladies ne touchent pas les personnes en fonction de leur état spirituel personnel ( les saints sont touchés autant que les grands pécheurs et même souvent davantage (1)),

(1) : ( Voir l'argumentation développée dans ma Théologie de la maladie, 3° éd., Paris, 2001)

mais sont une conséquence du péché ancestral - reproduit, confirmé et amplifié par les descendants d'Adam - qui a contaminé toute la nature et touche les hommes indistinctement. Par ailleurs les cancers qui atteignent des petits enfants innocents ne peuvent trouver un sens dans cette perspective pénitentielle, car de quoi auraient-ils à se repentir et quel moyen auraient-ils pour le faire? La logique de cette conception pourrait amener à affirmer que les épidémies, les famines, les guerres et les camps de concentration sont voulus par Dieu pour favoriser le repentir des hommes, ce qui certes est dans l'esprit de l'Ancien Testament et a été soutenu dans le passé par quelques théologiens, mais a donné de Dieu limage d'un être cruel et inhumain et a mené beaucoup d'hommes à l'athéisme. Or, comme je l'ai montré dans mon livre Dieu ne veut pas la souffrance des hommes, Dieu n'eat l'auteur d'aucun des maux qui surviennent dans le monde : il n'a créé ni la maladie ni la souffrance et Il les abolira dans le Royaume des Cieux. Ces maus sont plutôt les fruits du péché de l'homme, de sa liberté dévoyée et de l'action des puissances mauvaises qui ont acquis un certain pouvoir sur le monde à la suite du péché ancestral (2).

(2) : ( Celui qui a étudié les mécanismes du cancer peut constater leur caractère proprement diabolique).

La souffrance par elle-même ne produit aucun bien, mais, conséquence du péché ancestral, elle constitue pour l'homme une épreuve, parce que face à elle il peut aussi bien s'éloigner de Dieu que s'en rapprocher. C'est seulement après que l'homme a fait le choix d'assumer sa souffrance en Dieu ( avec l'aide de la grâce du Christ qui lors de Sa passion et sur la Croix a acquis aux hommes le pouvoir de ne pas céder aux tentations liées à la souffrance) qu'il peut attribuer à Dieu le bénéfice spirituel qu'il en a tiré (1).

(1) : ( Voir Dieu ne veut pas la souffrance des hommes, 2° éd., Paris, 2008).

Autrement dit, les considérations qui valorisent la souffrance et la maladie ne nous paraissent pas recevables a priori, mais seulement rétrospectivement, dans la mesure où l'homme a surmonté l'épreuve qu'elles constituent et les a assumées en Dieu, ou préventivement, comme infirmation donnée au fidèle des bénéfices spirituels qu'il peut tirer de tous les maux qu'il aura à subir s'il se montre attentif à les assumer en Dieu.



L'absence actuelle de pères spirituels et comment y remédier.

Un point intéressant dans l'enseignement spirituel du Père Nikon concerne la paternité spirituelle. Il considérait qu'à l'époque moderne il est très difficile - voire impossible - de trouver un vrai père spirituel (2).

(2) : ( Cette idée n'est pas nouvelle ; elle était exprimée à la fin du XIX° siècle par le principal inspirateur du Père Nikon, saint Ignace Briantchaninov, et avant lui, au XVI° siècle, par saint Nil Sorsky. Mais la même plainte se rencontrait déjà chez saint Barsanuphe qui considérait qu'à son époque ( première moitié du VI° siècle) il n'y avait dans le monde chrétien que trois hommes vraiment dignes d'être des pères spirituels. ( Lettres, 569).).

Il considérait que les prêtres de notre époque ne sont plus capables de montrer la volonté de Dieu dans des circonstances particulières mais peuvent seulement expliciter les commandements divins. Lui-même n'avait pu trouver un près spirituel digne de ce nom. Il n'avait cependant pas la prétention d'en être un lui-même : " Tout au long de ma vie je n'ai vu personne apte à cela et je ne me vois pas moi-même apte à la ddirection spirituelle". Il conseille alors pour pallier cette déficience générale, de se plonger dans la lecture des écrits spirituels des Pères de l'Eglise ( anciens et récents) et de s'imprégner de leur exemple et de leurs conseils. " Cette direction spirituelle dont vous et moi avons besoin, je ne pense pas qu'on puisse la trouver où que ce soit. Je ne l'ai pas trouvée durant toute ma vie et je ne me dirige que grâce à des livres, et vous savez quels sont ceux ceux que j'estime le plus."

La lecture des Pères ne peut certes jamais se substituer à la confession ou à la manifestation des pensées et n'autorise pas à être inattentif aux conseils donnés par le confesseur, mais elle permet de les vérifier, de les compléter et de les approfondir.

Tout faire selon l'Evangile et les Pères était pour le Père Nikon une règle absolue. " Il faut faire toute chose avec discernement, prudence, conseil, en la confrontant avec la Parole de Dieu et les écrits des Pères." Selon une de ses filles spirituelles - Soeur Magdalena (Nekrassova) du monastère de Bussy-en-Othe - il recommandait même de vérifier les conseils donnés par le confesseur à l'aune des enseignements des Pères (1) ( en ce qui concerne la confession, il conseillait de s'adresser plutôt à un hiéromoine, généralement mieux inséré dans la tradition patristique, qu'à un prêtre de paroisse).

(1) : ( Les considérations précédentes se résument bien dans ce passage : " Concernant des personnes expérimentées dans l'exercice spirituel, on peut se référer à l'opinion d'Ignace (Briantchaninov) et de beaucoup d'autres, selon laquelle, de nos jours, il est très improbable qu'on en puisse trouver. C'est déjà bien si l'on trouve des personnes qui pensent dans la même perspective que vous. Il faut chercher appui dans les livres (des Pères) principalement. Si cependant vous trouvez des gens qui pensent dans la même perspective que vous et qui sont plus expérimentés que vous, ne serait-ce que du fait de leur âge, il faut profiter de leurs conseils, mais avec discernement et après vérification (dans les oeuvres des Pères)."

Lui-même se référait aux Pères lorsqu'il devait conseiller quelqu'un et il recommandait de faire de même si la nécessité s'en présentait : " Ne faites pas la leçon; donnez des conseils si onvous le demande, mais vennat non de vous, mais des saints Pères."

La lecture des Pères est d'une manière générale fortement recommandée par le Père Nikon, qui y voit un compélment nécessaire de l'expérience et même une condition du salut : " Lis le plus possible l'Evangile et surtout les Pères; sans lecture, il est difficile de faire son salut".

Lui-même montre l'exemple : chaque jour, nous dit son biographe, il partageait son temps libre entre la prière et la lecture. Parmi ses lectures favorites figurent L'Echelle de saint Jean Climaque, les Homélies spirituelles de saint Macaire d'Egypte, les Discours ascétiques de saint Isaac le Syrien (1),

(1) : ( Dans une de ses lettres, le Père Nikon dit que cet ouvrage fait partie de lui et qu'il l'a lu au moins quinze fois),

et les Catéchèses et Traités de saint Syméon le Nouveau Théologien. Comme on le verra, il appréciait et recommandait plus que tout les oeuvres de saint Ignace Briantchaninov (2).

(2) : Ces oeuvres ont été rassemblées et publiées en cinq tomes à Saint-Pétersboug en 1886. C'est à ces tomes que l'higoumène Nikon fait allusion dans sa correspondance. Une petite partie seulement a été traduite en français : approches de la Prière de Jésus, Bégrolles-en-Mauge, 1997; Les Miettes du festin. Introduction à la tradition ascétique de l'Eglise d'Orient, Sisteron, 1979. On peut aussi trouver divers extraits sur Internet).

On peut comprendre ce choix, car cette oeuvre a plusieurs qualités : elle a été écrite par un auteur récent, bien au fait des problèmes de l'époque moderne et qui, disait le Père Nikon, avait su adapter l'enseignement des Pères à notre temps; elle est une bonne synthèse de la tradition patristique, notamment philocalique, car l'évêque Ignace était très attaché à la Prière de Jésus à laquelle il a consacré un remarquable petit ouvrage et plusieurs articles; elle s'adresse aux laïcs aussi bien qu'aux moines; elle est très abordable par son style; enfin saint Ignace a une vision très équilibrée de l'ascèse, dénonçant souvent les dangers de ses excès et visant avant tout à son efficacité spirituelle.

Le Père Nikon note cependant que la lecture spirituelle qu'il conseille comme exercice quotidien doit, pour être profitable, être menée convenablement : non pas avec la raison, mais avec l'esprit et le coeur, en étant accompagnée de prière.



La paternité spirituelle du Père Nikon.

Bien que le Père Nikon prétendît qu'il n'existe plus de nos jours de vrais pères spirituels et n'ait jamais lui-même prétendu en être un, il exerçait néanmoins cette fonction de facto, et son activité s'apparentait à celle d'un starets plus qu'à celle d'un confesseur et même d'un duhovnik (1).

(1) : Le confesseur dispense avant tout le sacrement de confession : il écoute l'aveu des péchés et donne l'absolution au nom de l'Eglise. Le duhovnik est un guide spirituel; parfois il est aussi confesseur, mais parfois c'est un moine non ordonné prêtre qui écoute la "manifestation des pensées" et donne des conseils spirituels en conséquence. Le starets ajoute à ces deux fonctions une dimension charismatique personnelle, constituée en particulier par le discernement, la clairvoyance et la pré-voyance, ainsi que par une capacité spéciale pour consoler, apaiser, soutenir et dynamiser.).

Le Père Nikon non seulement répond de manière précise aux questions de ses correspondants, mais parfois même répond à des questions qu'ils n'ont pas posées, comme s'il connaissait intimement leurs besoins, leurs attentes et leur état spirituel du moement.

Et il ne se borne pas à conseiller, mais il apaise, console, soutient, fortifie ses enfants spirituels, compatit à leurs souffrances, prie et se sacrifie pour eux.

A certains égards, le Père Nikon est strict dans sa direction spirituelle, ce qui s'exprime aussi par une certaine dureté dans les expressions dont il use vis-à-vis de certains correspondants. Ses enfants spirituels qui ivent encore aujourd'hui ont cependant gardé l'impression de quelqu'un de tendre, de compatissant et d'indulgent (2).

(2) : ( Témoignage que nous a donné Mère Magdalena (Nekrassova) de Bussy. Un témoignage semblable apparaît dans l'introduction d'Alexis Ossipov : " Son attitude envers ceux qui s'adressaient à lui se distinguait par sa modestie et sa simplicité, ce qui donnait aux entretiens un caractère paternel et amical.").

On peut voir que, comme tout bon père spirituel, il sait adapter ses conseils à la personnalité, au degré d'avancement et aux circonstances de vie de ses enfants spirituels. A l'un il peut donner une règle stricte ( par exemple un nombre déterminé de prières, de métanies (3) et de lectures à différents moments de la journée (4).).

(3) : (Il y a deux sortes de métanies : les petites, où l'on courbe le buste jusqu'à toucher la terre de la main droite, et les grandes, où l'on se prosterne les genoux, les deux mains et la tête touchant le sol).

(4) : ( Voir la lettre du 8 février 1958 : " Quotidiennement, au lever, accomplissez la règle suivante : vingt grandes métanies, accompagnées de la prière " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur"; vingt petites métanies accompagnées de la même prière : " Sainte Souveraine et Mère de Dieu, sauve-moi, pécheur", dix petites métanies et la même prière; cinq petites métanies accompagnées de la prière : " Ange de Dieu, saint Ange gardien, prie pour moi, pécheur"; cinq petites métanies accompagnées de la prière : " Tous les saints, priez Dieu pour moi, pécheur". Au total : 70 métanies dont 30 grandes et 40 petites. Si vous estimez que pour vous, c'est trop peu, on peut ajouter, selon vos forces, quelques métanies avec la Prière de Jésus. Après cela, lisez les prières du matin, un extrait des Epîtres et de l'Evangile. Si, dans le courant de la journée, une petite heure se libère, on peut répéter la règle avec les métanies ou bien ne faire que vingt grandes métanies et vingt petites, avec la Prière de Jésus. Le soir, il faut commencer par les métanies dans l'ordre et la quantité cités. Après, réciter les prières du soir et lire l'Evangile. Une fois couché, il faut penser à la mort, dont le sommeil est une image et, chassant toute imagination et pensées mauvaises, s'endormir en disant la Prière de Jésus.").

A un autre il peut conseiller de varier les activités spirituelles selon ce qui lui est profitable : " Suivez le conseil de Barsanuphe le Grand : faites sans excès ce qui vous attire : prier un peu, réciter le Psautier ou un acathiste, lire quelques pages, travailler ( vous promener - c'est moi qui l'ajoute); passez ainsi la journée." Il peut aussi insister sur les attitudes qu'il faut tâcher d'avoir en toutes circonstances par rapport à Dieu, aux autres et à soi-même : " Si vous le voulez bien, essayez de suivre le conseil suivant : vivez pour l'instnat là-bas, en remplissant vos obligations de travail le mieux possible. Estimez-vous pire que tous et tâchez de rendre service à tous, dans la mesure du possible. En tous cas, ne blessez personne ni en paroles ni en pensée ni en apparence. Ne jugez personne, ni seule ni en compagnie; et quand l'occasion se présentera, faites du bien à toute personne. Efforcez-vous d'être attentive à vous-même, et à chaque instant, en actions, en paroles, en pensées, observez les commandements de l'Evangile, chassant toute pensée mauvaise et toute chimère par l'invocation du Nom du Seigneur Jésus-Christ."

La compassion du Père Nikon comme confesseur s'exprime dans ces propos qui reflètent manifestement sa propre expérience : " Ne pensez pas que le confesseur ressent du dégoût du fait de la confession des péchés. Si la contrition est sincère, le confesseur ressent une mansuétude et un amour particuliers envers les pénitents. C'est vrai! Cette attitude du confesseur témoigne du fait que le Seigneur pardonne au pénitent et le reçoit avec amour dans Son coeur, comme a été reçu le fils prodigue."

Le Père Nikon perçoit les péchés comme des maladies qui appellent la compassion plutôt que comme des transgressions qui appellent jugement et condamnation : " Vous avez pu sentir dans mes lettres que je ne vous condamnais pas, que je vous plaignais sincèrement et compatissais à votre malheur. En effet, dans les hôpitaux, on ne s'accuse pas mutuellement de telle ou telle maladie; Or, nous sommes tous malades de maladies de l'âme : les péchés."

Selon le témoignage d'Alexis Ossipov le Père Nikon n'exigeait pas une obéissance inconditionnelle, il évitait de donner des ordres, et il mettait en garde contre les pères spirituels qui agissent autrement. " Avant tout, écrit-il à un correspondant, je vous rappelle que je n'exige de personne d'exécuter sans condition mes conseils. Un conseil est un conseil, et la décision définitive appartient à celui qui l'a demandé (1)."

(1) : ( Ces avertissements restent très actuels en Russie où, à la faveur de l'effervescence religieuse qui a suivi la chute du communisme, se sont multipliés les mladostatsi ("néo-startsi") et les pseudo-startsi, reconnaissables notamment aux attitudes que dénonce le Père Nikon. Le phénomène était si inquiétant que le Saint-Synode de l'Eglise russe, présidé par le patriarche Alexis II, a publié le 29 décembre 1998 une lettre circulaire pour mettre en garde les prêtres et les fidèles. Le problème existe aussi, de façon plus sporadique, dans des paroisses ( ou de soi-disant centres spirituels) d'Europe de l'Ouest. Voir à ce sujet l'interview du métropolite Antoine de Souroje : " Prenez garde, mes frères, les prêtres", publiée en russe dans la revue Saint-Pétersbourg orthodoxe, et en traduction française dans Le Messager orthodoxe, 135, 2000, p. 40-47).

Il notait que les pères spirituels accomplissent vraiment leur devoir "lorsqu'ils aspirent à ce que dans les âmes qu'ils amènent au Christ, soit glorifié et croisse uniquement le Christ", lorsqu'ils "souhaitent eux-mêmes diminuer dans l'esprit de ceux qu'ils guident, pourvu que le Christ soit magnifié pour ceux-ci"; " ils ressentent alors une joie totale pour avoir atteint le but de leurs désirs".



Un sens équilibré de l'ascèse.

Dans les conseils du Père Nikon, qui sont souvent très exigeants, on retrouve un sens équilibré de l'ascèse qui doit rester au service des vrais intérêts spirituels du fidèle. Il écrit ainsi à l'une de ses filles spirituelles malade : " Les exercices ascétiques du corps, vous ne devez pas y penser. Une personne malade se doit d'entretenir son corps en sorte qu'il ne soit pas une gêne pour l'effort intérieur. Il n'en reste pas moins vrai qu'un corps en trop bonne santé gêne aussi, et qu'il faut le mater." Concernant le jeûne, il note : " Frères qui jeûnez corporellement, jeûnons aussi spirituellement... Pour les malades, les invalides, les vieillards, il n'y a pas de jeûne corporel, qui leur est souvent nuisible. Il faut mettre l'accent sur le jeûne spirituel : l'abstinence de la vue, de l'ouïe, de la langue, des pensées, etc... Ce sera un jeûne authentique, utile à tous et toujours. Les forces nous manquent même sans cela; or, le jeûne physique et l'affaiblissement du corps ne donneront certainement pas de forces pour le travail spirituel." On retrouve la même modération en ce qui concerne la veille, relativement à un sens aigu de ce qui est le plus profitable spirituellement : " Pourquoi vous troublez-vous de beaucoup dormir et de vous reposer, Reposez-vous autant qu'il le faut pour avoir la force de prier. (...) Si l'on exige trop de ses forces, on enténèbre l'esprit et on affaiblit le corps. N'exigez pas de vous plus que vous ne le pouvez."

L'ascèse, souligne le Père Nikon, n'a pas de valeur par elle-même, et le risque existe toujours, quand nous la pratiquons, de croire que nous pouvons être sauvés par nos propres efforts. " Croyez-vous que les hommes soient sauvés grâce à leurs ascèses? Tous, les saints eux-mêmes, sont sauvés par le Sauveur pour leur foi en Lui et leur repentir." Chaque occasion, même la chute dans de grands péchés, peut contribuer au bien, et inversement : les jeûnes, la prière, les veilles et autres oeuvres peuvent non seulement nuire à une personne, mais causer sa perte, si elles ne sont pas correctement menées. Les oeuvres menées incorrectement sont celles qui engendrent la haute opinion de soi et l'orgueil; En revanche, si par ses chutes la personne parvient à l'humilité, celles-ci apparaissent comme plus profitables que les exploits ascétiques."

Le Père Nikon a une bonne connaissance d ela psychologie russe, qui est capable d egrands efforts mais aussi, aussitôt après, de grands relâchements, et est généralement marquée par la difficulté à avoir un ordre de vie organisé et satble. C'est pourquoi ses conseils vont dans le sens d'un effort régulier, que chacun doit proportionner à ce que sont habituellement ses propres forces. Il conseille par exemple : " Il faut évaluer sa règle de prière en sorte qu'elle soit la même jour après jour. Les saints ont dit : " Une courte règle constante vaut mieux qu'une longue qui s'arrête trop tôt.""

Par rapport à l'ascèse corporelle il souligne, reprenant la parole de saint Isaac le Syrien, que "nous devons tuer les passions et non le corps".



Espérer en Dieu et faire confiance à la Providence divine.

On retrouvera dans ces pages l'un des traits de la mentalité russe, que l'on assimile souvent au fatalisme ( voire au laisser-aller (1)) mais qui est, vécu spirituellement, l'expression d'une pleine confiance dans la Providence divine.

(1) : (Qu'un écrivain français, bon connaisseur du peuple russe qualifie par un néologisme tiré d'une expression russe : "pofigisme" (Sylvain Tesson, S'abandonner à vivre, Paris, Gallimard, 2013).).

"N'établissez aucun plan, et si vous en établissez, n'essayez pas de les réaliser coûte que coûte, avec vos propres forces. De toutes façons, rien ne sera comme vous le pensez et le voulez, tout sera comme Dieu l'estimera bon et utile pour vous (2)."

(2) : ( Un proverbe russe dit : "Quand l'homme fait des plans, Dieu rit.")

"Ne vous inquiétez de rien, comptez sur l'aide de Dieu. Le Seigneur a compassion de nous et Il nous aime plus que nous nous aimons nous-mêmes."



Un enseignement traditionnel, "selon l'esprit" et non "selon la lettre".

L'enseignement de l'higoumène Nikon se situe dans la droite ligne de la Tradition ascétique de l'Eglise orthodoxe, laquelle s'était, à son époque surtout, conservée dans les milieux monastiques, tandis que les milieux cléricaux et les théologiens laïcs avaient été fortement déformés par la philosophie religieuse qui s'était imposée dans les académies théologiques et les séminaires (1) pendant la période que le Père Georges Florovsky considérait comme étant celle de "la capivité de Babylone de la théologie russe".

(1) : ( Le Père Nikon en fait une critique sévère dans la lettre du 7 décembre 1961).

Parallèlement, il y avait souvent dans la piété populaire un certain formalisme et un certain légalisme (2).

(2) : ( Qui ont réapparu au cours de ces dernières décennies parmi les nombreux nouveaux convertis hâtivement catéchisés, et qui sont parfois favorisés par un clergé insuffisamment formé).

Le Père Nikon dénonçait cette façon extérieure d'approcher la vie spirituelle. Il écrit par exemple à propos de quelqu'un : " N. a été élevée dans l'esprit d'un ascétisme tout extérieur, et l'aspect intérieur est chez elle au second plan. Elle ne sait donc pas appliquer en temps voulu les paroles : " le sabbat est pour l'homme et non l'homme pour le sabbat" ( Mt 12, 8). L'ascèse spirituelle est infiniment supérieure à l'ascèse physique. Pour l'ascèse spirituelle, les forces physiques sont nécessaires, sinon il n'aurait pas de vigueur, y compris dans la prière. Il vaut mieux prier de toute sa force ou lutter contre les pensées mauvaises et manger d ela viande, que traîner mollement son existence et s'imaginer qu'on est un ascète. Toutes les formes d'ascèse physique doivent contribuer à l'ascèse intérieure, et si elles la gênent, c'est qu'elles viennent du Malin. C'est tellement évident!"

La même absence de formalisme se voit dans ces conseils concernant la façon de pratiquer le carême : " En ce qui concerne le régime alimentaire, il est difficile de ne pas suivre le régime collectif. C'est un fardeau que, me semble-t-il, il ne faut pas faire peser. Mais il faut exiger sévèrement qu'à la maison, le régime soit observé et surtout, hors de la maison et chez soi, il faut : 1) ne pas se suralimenter; 2) ne pas donner libre cours à ses yeux, ses oreilles, sa langue; 3) ne juger personne; 4) ne lire que des livres de spiritualité; 5) être en paix avec tout le monde. Ce sera le meilleur régime pour tout."

Comme beaucoup de grands pères spirituels, le Père Nikon se montre favorable à la communion fréquente, à la seule condition qu'elle s'accompagne d'une préparation intérieure suffisante : " A propos de la préparation à la communion, je dirai que si tu peux, avec crainte et piété, t'approcher des Saints Mystères, le plus souvent sera le mieux; Seulement, ne le fais qu'avec un degré suffisant de crainte et une bonne préparation intérieure."

De cette préparation fait indispensablement partie, selon lui, la confession. Il souligne que celle-ci ne doit pas donner lieu à "raconter sa vie" mais doit être cebtrée sur le repentir de ses péchés. Il précise qu'elle ne doit pas consister en une simple énumération des fautes commises, mais dans un véritable repentir de ce dont souffre l'âme spirituellement et qui est généralement indiqué par la conscience.

Il déplore que le clergé, souvent, mette l'accent sur les actes extérieurs et la discipline ecclésiastique, plutôt que sur les attitudes intérieures allant à l'encontre de l'amour de Dieu et du prochain.

Son rejet du formalisme se manifeste également dans la façon dont il exige que soient faites les lectures dans l'église : lentement, avec conscience et attention.

Les lettres de l'higoumène Nikon ont connu un grand succès en Russie, où elles ont été plusieurs fois rééditées, mais ont aussi fait l'objet d'une diffusion sous forme d'enregistrement audio.

Nous exprimons notre reconnaissance au Professeur Alexis Ossipov de nous avoir confié la publication de la version française de ces textes, qu'il a fait réaliser il y a déjà plusieurs années. Nous sommes également reconnaissant à Soeur Magdalena, du monastère de Bussy, de nous avoir confié quelques-uns des souvenirs de ses rencontres avec l'higoumène Nikon, qui nous ont permis de mieux comprendre sa personnalité sainte et le sesn de certains de ses conseils.

Et nous exprimons le voeu que de nombreux lecteurs francophones tirent profit de ces enseignements et témoignages spirituels qui figurent parmi les plus marquants de notre époque.



Jean-Claude Larchet



P.S. : Nous avons publié les lettres dans l'ordre du manuscrit que nous a fourni le Professeur Ossipov. Nous avons conscience que cet ordre, qui n'est ni chronologique ni thématique et ne semble obéir à aucune logique, est surprenant, voire gênant. Nous avons pensé remédier à cette situation en établissant un ordre chronologique ( l'ordre thématique étant exclu par la multiplicité des thèmes abordés dans chaque lettre), mais cette intention s'est heurtée à la difficulté insurmontable qu'un certain nombre de lettres ne sont pas datées.

Le fait que la spiritualité et la direction spirituelle du Père Nikon possèdent une forte cohérence interne et n'aient pratiquement pas évolué au cours de la période concernée, réduit en fait les inconvénients de ce désordre apparent.









INTRODUCTION



" J'ai toujours sincèrement aspiré à Dieu"

Higoumène Nikon



L'higoumène Nikon ( dans le monde Nicolas Vorobiev) est né en 1894 dans une famille de paysans du village de Michkino, dans le district de Bejetsk de la province de Tver. Il était le deuxième enfant. La famille comptait en tout six enfants, tous des garçons (1).

(1) : ( Le frère aîné, Jean, mourut dans son enfance. Ses frères cadets étaient : Alexandre (1895-1988), Michel (1899-1982), Basile (1903-1961), Vladimir (1906-1985). Cette note et celles qui suivent, sauf mention contraire, émanent de l'auteur).

Dans son enfance, semble-t-il, Nicolas ne se distinguait en rien de ses frères, si ce n'est par une particulière probité, par une obéissance aux plus âgés et une chaleur étonnante, une compassion envers tous. Il conserva ces traits distinctifs toute sa vie.



Après l'école primaire, qu'il acheva brillamment, son père réussit à le faire entrer au lycée (2) de Vychni Volotchek.

(2) : "Realschule" : école secondaire, où l'accent était mis sur les sciences exactes (NdT).

La aussi, il se fit immédiatement remarquer par ses capacités exceptionnelles et multiples. Il manifesta de grandes capacités en mathématiques et était un grand styliste. Il disait souvent qu'il lui était toujours facile de rédiger des dissertations. Cela ressort clairement des lettres qu'il écrivait, en règle générale, directement, sans brouillon. Il chantait ténor dans le choeur, jouait de l'alto, intervenait dans différents programmes de manifestations scolaires, dessinait et peignait magnifiquement. Ses frères cadets racontaient que ses dessins étaient encore exposés comme exemples dans les classes auxquelles ils accédaient. Alors qu'il passait d'une classe à l'autre, il recevait immanquablement le prix d'honneur (un certificat avec un livre).

Mais dans quelles conditions le jeune Nicolas vivait-il et étudiait-il au lycée? Il n'a reçu de l'aide à la maison que dans les premières classes. Lorsqu'il décida de pousuivre sses études, il ne pouvait s'attendre à aucun soutien scolaire : ses parents vivaient vraiment chichement et, à part lui, il y avait encore quatre autres garçons qui avaient besoin d'instruction. Aussi, le jeune Nicolas continua-t-il à étudier dans des conditions qui, pour l'homme contemporain, sembleront incroyables. Immédiatement après les cours obligatoires, il était contraint pour gagner son pain, alors qu'il n'était encore qu'un garçonnet, d'aller aider ses camarades en difficulté scolaire qui avaient néanmoins des moyens. Il recevait pour cela un peu d'argent. Y passant quelques heures, il courait à son logement (pour lequel il lui fallait payer) et se mettait à préparer ses leçons. Les difficultés s'accrurent alors que son frère Michel entra au même lycée, et qu'il était le seul à pouvoir aider.

Durant toutes ses études, le besoin, la faim et le froid étaient ses compagnons permanents. En hiver, il circulait avec toujours le même manteau léger et avec des "souliers" sans semelles...



*

La famille dont était issu le futur Père Nikon était orthodoxe. Mais cette foi, comme chez beaucoup de gens simples, revêtait un caractère "rituel", extérieur, routinier, et ne reposait ni sur les connaissances de la foi chrétienne, ni sur des bases spirituelles solides. Une foi semblable, dans le meilleur des cas, élevait des gens honnêtes, mais se situant à un niveau d'habitude, de routine, elle n'était pas solide et se perdait facilement.

Le Père Nikon disait que le peuple, dans sa masse fondamentale, délaissa facilement la foi après la révolution parce que nombre de pasteurs se préoccupaient plus d'eux-mêmes que de leurs ouailles. Plutôt que de leur inculquer les vérités de la foi et de la vie, ils n'étaient souvent simplement que des célébrants de sacrements agissant mécaniquement. Tout leur enseignement était constitué par un appel à accomplir ce qui est "prescrit" : baptême, mariage, enterrement, fréquentation de l'église les jours de fête, observance des carêmes, communion une fois par an. Le peuple ne savait presque rien de la vie spirituelle, du combat contre les passions, et il était rare que quelqu'un le lui enseignât. C'est pourquoi, dès qu'on leur raconta que l'Eglise était une "supercherie des curés", beaucoup cessèrent de croire en Dieu aussi. Car si l'Eglise est une tromperie, alors Dieu Lui-même est également une invention. C'est ce qui se produisit aussi avec Nicolas, qui perdit la foi en Dieu au lycée.

C'était une nature profonde. A la différence de beaucoup d'autres, il n'était pas attiré par la vie banale. Il recherchait le sens de la vie. Et cette recherche revêtait non pas un caractère philosophique abstrait, mais jaillissait de son coeur même, saisissait toute son âme et exigeait une réponse à sa question directe : "Comment vivre?" A cet égard, il était fort semblable à Dostoïevski qui disait que son "hosanna" au Christ était passé par le grand creuset du doute.

Entré au lycée, il crut à la propagande athée ( qui était largement déployée en Russie après les manifestes impériaux de 1905 sur les libertés dont, en partie, celles concernant l'activité de toutes les confessions - sauf de l'Eglise orthodoxe), et il se plongea avec avidité dans l'étude des sciences, supposant naïvement que la vérité était cachée en elles. Cette foi aveugle dans la science supplanta facilement chez lui la foi en Dieu qui avait été tout aussi aveugle en ce temps.

Dès les classes de l'enseignement secondaire, il comprit que les sciences empiriques ne se préoccupent pas du tout des problèmes de l'existence de Dieu, du monde spirituel, de l'âme, et que la question du sens de la vie humaine non seulement ne se pose pas pour elle, mais ne relève pas de la nature même de ces sciences. Voyant tout cela, il s eprécipita avec toute l'ardeur de sa nature dans l'étude de la philosophie, dans laquelle il parvint à un niveau de connaissance tel que ses professeurs s'adressaient parfois à lui.

Nicolas recherchait le Sens à ce point que souvent, resté sans un morceau de pain, il achetait un livre avec ses derniers sous. Il ne pouvait le lire que la nuit. C'est à ce moment qu'il étudiait l'histoire de la philosophie, qu'il lisait la littérature classique, et tout cela dans un seul but, avec une seule pensée : trouver la vérité. Mais plus Nicolas acquérait des connaissances et mûrissait, plus il ressentait avec acuité le non-sens de cette vie, enfermée entre la naissance et la mort inévitable. La mort est le lot de tous, sans exception. Et s'il en est ainsi, quel est alors le sens d'une vie qui peut s'interrompre à n'importe quel moment? Il ne vaut pas de vivre pour soi, mais cela vaut-il de vivre pour les autres? Ceux-ci sont aussi mortels; par conséquent, la vie n'a pas de sens pour eux non plus. Et alors pourquoi vit l'homme, si rien ne le sauve, ni qui que ce soit, de la mort? Ni la science, ni la philosophie ne lui donnaient une réponse à cette question. " L'étude de la philosophie, dira-t-il à la fin de sa vie, a montré que chaque philosophe considérait qu'il avait trouvé la vérité. Mais combien y a-t-il eu de philosophes? Or, la vérité est unique. Et l'âme aspirait à quelque chose d'autre. La philosophie est un succédané; c'est la même chose que mastiquer de la gomme au lieu de manger du pain. Essaie cette gomme, et vois si tu seras rassasié... J'ai compris que, de la même façon que la science n'apporte rien en ce qui concerne Dieu et la vie future, la philosophie n'apporte rien non plus."



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En 1914, âgé de vingt ans, Nicolas acheva brillamment le lycée, mais le quitta sans joie. Désanchanté tant par la science que par la philosophie, il entreprit encore une tentative de trouver une réponse scientifique à la question principale de la vie : pourquoi est-ce que je vis? Il entre alors à l'Institut psycho-neurologique de Pétrograd. Mais une profonde déception l'attendait là aussi. " Je m'en suis aperçu : la psychologie n'étudie pas du tout l'homme, mais sa "peau" - la vitesse des processus, l'aperception, la mémoire... Une telle absurdité, que cela aussi m'a rebuté. Et la conclusion est devenue tout à fait claire, qu'il fallait se tourner vers la religion (1)."

(1) : ( Cette citation, comme celles qui suivent, est tirée d'un enregistrement au magnétophone).

Après avoir achevé la première année, il quitta l'institut. La crise spirituelle finale commença pour lui. Le combat était si lourd que l'idée du suicide commença à pointer chez lui. Or, à l'été 1915, à Vychni Volotchek, tandis que Nicolas ressentait soudain une situation d'impasse totale, la pensée sur ses années d'enfance le traversa, tel un éclair : et si vraiment Dieu existait? Doit-Il Se révéler? Et voici que le jeune homme, incroyant, s'écria de toute la profondeur de son être, quasiment dans le désespoir : " Seigneur, si Tu existes, révèle-Toi à moi! Je Te cherche, non dans quelque but terrestre, intéressé. Je n'ai besoin que d'une seule chose : savoir si Tu existes ou non." Et... le Seigneur Se révéla.



" Il est impossible d'exprimer, disait le Père Nikon, cette action de la Grâce qui convainc de l'existence de Dieu avec force et évidence, ne laissant pas même le moindre doute chez l'homme. Le Seigneur Se révèle de la même façon que disons, le soleil brille soudain après de sombres nuages : alors, tu ne doutes plus, ce soleil ou cette lanterne, quelqu'un l'a allumé. Le Seigneur S'est révélé à moi à ce point que je suis tombé à terre en m'écriant : " Seigneur, gloire à Toi, je Te rends grâce! Accorde-moi de Te servir toute la vie! Que toutes les afflictions, toutes les souffrances qu'il y a sur terre, descendent sur moi; accorde-moi de tout endurer; je demande seulement de ne pas me détacher de Toi, de ne pas être privé de Toi!"



Cet état a-t-il duré longtemps? Une heure, deux heures, il ne s'en souvenait plus précisément. Mais lorsqu'il se redressa, il entendit les coups puissants, au rythme lent, des cloches d'une église. Au début, il n'y prêta pas attention, supposant qu'il s'agissait des cloches du monastère situé non loin de là. Mais les cloches ne s'arrêtaient pas, et il était trop tard pour que sonnent ces cloches, il était minuit passé.

Nicolas resta longtemps perplexe au sujet de cette cloche, craignant de faire face à une hallucination. L'explication survint plus tard, lorsqu'il trouva quelque chose de semblable dans les notes autobiographiques de Serge N. Boulgakov contenues dans La Lumière sans déclin, et il se rappela aussi le récit de Tourgueniev, Les reliques vivantes dans Le Récit d'un chasseur, où Loukéria disait aussi qu'elle entendait une cloche sonner depuis "en haut", n'osant dire "depuis le ciel". Il comprit que le Seigneur manifeste parfois à l'homme, à côté d'une révélation intérieure, des signes extérieurs pour mieux le convaincre.

C'est ainsi qu'un renversement complet dans sa vision du monde s'accomplit en lui. Dieu S'est manifesté à celui qui Le recherchait de toutes les forces de son âme. Le Seigneur a répondu à ses recherches et lui a donné de goûter et de voir qu'Il existe et qu'Il est bon.



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Mais le jeune homme ne savait encore que faire désormais et quelle devait être la voie de sa nouvelle vie, s'il ne voulait pas perdre la vérité qu'il avait trouvée; Le Père Nikon racontait comment le prêtre leur enseignait le catéchisme à l'école : il les forçait à apprendre par coeur les textes sans pénétrer leur sens, à répéter la sainte Ecriture et à étudier de façon purement cérébrale les dogmes, les commandements, les faits de l'histoire de l'Eglise, sans aucune application à la vie spirituelle, à la pensée du salut. L'enseignement était mort, scolastique, à ce point que les leçons de catéchisme, se souvenait-il, se transformaient en "un moment de mots d'esprit et de blasphèmes". On étudiait le christianisme comme l'une des matières profanes habituelles, et non comme la voie menant au Christ, et cela tuait totalement l'esprit des élèves. On ne sentait guère la vie dans tout cet enseignement. Ce n'est pas un hasard si saint Barsanuphe d'Optino dit que " la révolution est sortie des séminaires".

A ce sujet, le père Nikon disait souvent que c'est précisément à cause d'un tel enseignement que les athées les plus virulents étaient sortis des écoles ecclésiastiques, tandis que notre peuple, ne faisant qu'assister à des cérémonies religieuses, est resté sans connaissance de l'Orthodoxie et, pour cette raison, a facilement succombé à la propagande athéiste.

Voici ce que dit le Père Nikon sur les étapes de sa vie qui suivirent sa conversion :



"Et ensuite, le Seigneur mène l'homme par une vie complexe, très complexe. J'étais étonné quand, après une telle révélation divine, je suis entré dans une église. Pourtant, cela m'était arrivé avant : à la maison, on me forçait à y aller, et, à l'école secondaire, on nous y amenait. Mais que s'y passait-il? Je me tenais comme un pilier, cela ne m'intéressait pas, je vaquais à mes pensées, et c'était tout.

Mais, lorsqu'après ma conversion mon coeur s'était un peu ouvert, la première chose qui me venait à l'esprit à l'église, était le récit sur les envoyés du prince Vladimir qui, lorsqu'ils entrèrent dans l'église grecque, ne savaient plus où ils se trouvaient : au ciel ou sur terre. Et voci que ma première sensation à l'église après l'état par lequel j'étais passé était que l'homme n'est pas sur terre. L'Eglise n'est pas la terre, c'est un morceau de ciel. Quelle joie était-ce d'entendre : "Seigneur, aie pitié!" Cela agissait sur mon coeur d'une façon purement incroyable; tout l'office, la mémoire continuelle du nom de Dieu sous des formes diverses, dans les chants, les lectures. Cela provoquait chez moi un ravissement, de la joie, un assouvissement de ma faim.

Notre temps est très difficile. il n'y a pas de guides spirituels, il n'y a pas de livres, il n'y a pas les conditions de vie. Et sur cette voie - j'attire votre attention, je le souligne - sur cette voie complexe, comme on le voit chez tous les saints Pères, le plus important, le plus difficile, est d'amener l'homme à l'humilité, car l'orgueil a conduit tant Lucifer qu'Adam à la chute. Et c'est donc là la voie du Seigneur pour l'homme qui, de toute son âme, a décidé de vivre pour Lui, pour se sauver. Or, sans l'humilité, l'homme ne se sauve pas. Certes, nous n'atteignons pas la véritable humilité, mais on peut atteindre, pour ainsi dire, le niveau "débutants".

Et lorsque l'homme vient dans ces dispositions, il accourt vers le Seigneur : " Seigneur, moi-même, je ne sais rien ( en réalité, que savons-nous?), fais avec moi ce que Tu veux, mais seulement sauve-moi!", alors le Seigneur Lui-même commence à guider l'homme.

Effectivement, comme il le disait, le jeune homme qu'il était ne savait rien de la voie spirituelle à ce moment, et il ne pouvait, hélas, le demander à personne. Il ne lui restait qu'une seule chose : accourir en larmes vers Dieu et Lui demander de montrer le chemin. Et le Seigneur l'a conduit. " Il m'a conduit de telle façon qu'après ces deux années à Volotchek, je passais mon temps avec les livres, je priais à la maison." C'était la période "d'embrasement" de son coeur. Il ne voyait ni n'entendait ce qui s epassait autour de lui. A cette époque, il louait la moitié d'une maison individuelle à Sosnovitsy, dans la province de Tver. Il n'était âgé que de 21-22 ans. Derrière une mince cloison, les danses, les chants, les rires, les jeux de la jeunesse : là, on s'amusait. Il y était aussi invité. Mais il avait perdu le goût du monde, de ses joies naïves, à courte vue, éphémères. " Mange, bois, amuse-toi", cette devise ne convenait pas à son esprit, et encore moins à son coeur.

Ces deux années de sa vie furent pour lui un temps de labeur spirituel ininterrompu, de véritable ascèse. C'est là que pour la première fois il fit connaissance des saints Pères, et aussi, en fait, de l'Evangile. Voici ce que racontait le Père Nikon sur cette période :



"C'est seulement chez les saints Pères et dans l'Evangile que j'ai vraiment trouvé ce qui était précieux. Lorsque l'homme commence à lutter avec lui-même, s'efforce de cheminer sur la voie évangélique, les saints Pères lui deviennent indispensables et proches. Le saint Père de l'Eglise devient déjà un maître proche qui parle à ton âme et elle le reçoit avec joie, elle se console. Alors que ces philosophes et toutes ces saletés émanant des sectes ne m'ont apporté que cafard, abattement, vomissement, je suis allé au contraire chez les Pères comme chez une mère aimante. Ils m'ont consolé, raisonné, nourri.

Ensuite (en 1917), le Seigneur m'a donné l'idée d'entrer à l'Académie ecclésiastique de Moscou. Cela signifiait beaucoup pour moi."



Comme il le disait, grâce aux cours, avant tout celui du Père Paul Florensky, il reçut les preuves, la justification théorique de l'existence de Dieu, du monde spirituel, de la compréhension du sens de la vie. Mais un an après, l'Académie fut fermée.

Il séjourna alors à Sosnovitzy où il enseigna les mathématiques à l'école secondaire; il put y jouir d'une certaine "solitude", car ses cours étaient limités à quelques heures. Cependant, il fut congédié de l'école après avoir refusé d'enseigner le jour de Pâques.

En 1925, il déménagea à Moscou et fut employé comme lecteur et chantre à l'église des saints Boris et Gleb. Là, il était proche du recteur de l'église, le Père Théophane (Semeniako), qui allait être bientôt élevé à l'épiscopat et nommé à Minsk.

Dix jours avant son trépas, le jour de la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, le Père Nikon rassembla ses dernières forces pour raconter à ses proches réunis autour de son lit, ce fragment de son existence en tant qu'''illustration psychologique de la vie spirituelle, provenant de la bouche d'un homme déjà mourant, ce qui, peut-être s'avérera utile".



"(A Sosnovitsy), je vivais de façon ascétique : je mangeais un morceau de pain, une assiette de soupe aux choux. A cette époque, il n'y avait pratiquement pas de pommes de terre. Et dans cette vie, pour ainsi dire, véritablementa scétique (on peut maintenant tout dire), je me trouvais tout le jour en prière - je me trouvais dans la prière et dans le jeûne. Ainsi, j'ai compris la vie spirituelle, l'état intérieur : le Seigneur a révélé l'action de la prière dans le coeur. Je pensais que le Seigneur m'installerait à l'avenir aussi quelque part dans un village, dans quelque maisonnette en ruines où je pourrais continuer à vivre de cette façon. Il me suffisait d'une demi-poignée de pain, de cinq pommes de terre (j'étais déjà habitué) et c'était tout. Mais le Seigneur n'a pas arrangé les choses de cette façon. Pour quelle raison? C'est pour moi compréhensible. Parce que dans le tréfonds de mon âme a germé une grande idée de moi-même : " Oh! Comme je vis ascétiquement! Je comprends déjà la prière du coeur!" Quelle compréhension? C'est le milliardième de ce qu'ont expérimenté les saints Pères. Je vous dis cela pour que vous compreniez un tout petit peu. Et au lieu d ecette solitude, le Seigneur a fait les choses de telle façon que je me jette dans la saleté même, afin qu'en me roulant dedans, je comprenne que moi-même, je ne suis rien et que je me jette aux pieds du Seigneur et dise :" Seigneur, Seigneur, que suis-je? Toi seul es notre Sauveur." J'ai appris que le Seigneur dispose les choses ainsi parce qu'il est nécessaire à l'homme de s'humilier. C'est clair, non? Mais c'est comme cela, cela ne s'avère pas clair du tout pour l'homme. Après cela, j'ai reçu l'habit monastique, je suis parti en camp de concentration, et malgré tout j'ai ramené une haute idée de moi-même.



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La profession monastique de Nicolas eut lieu à Minsk le 23 mars (5avril selon le nouveau calendrier) 1930, jour d ela fête des Rameaux. Il reçut le nom de Nikon, en l'honneur de saint Nikon, higoumène de Radonège, disciple de saint Serge. l'office d ela profession monastique fut célébré par l'évêque de Minsk Théophane, avec lequel Nicolas était venu de Moscou. Le 25 mars de la même année, jour de l'Annonciation de la Très Sainte Mère de Dieu, le Père Nikon fut ordonné au diaconat et, le 26 décembre 1932, deuxième jour de l fête de la Nativité du Christ, à la prêtrise par le même évêque.

A ce sujet, il est intéressant de mentionner un épisode de sa vie enfantine. Dans son village vint et vécut longtemps un fol-en-Christ, surnommé le "petit Jeannot", que les parents de Nicolas accueillaient volontiers chez eux. Et voici qu'une fois, alors que les enfants jouaient, ce fol-en-Christ vint soudain près de Nicolas, et le désignant du doigt, il répéta plusieurs fois : " C'est un moine, un moine." Ces mots ne provoquèrent aucune réaction, si ce ne sont des rires. Mais trente ans après, cette prophétie étonnante se réalisa. Nicolas devint effectivement moine.

Le "petit Jeannot" était réellement clairvoyant. Il prédit également , plusieurs dizaines d'années auparavant, la mort de la mère de Nicolas, à Taganrog. Une fois, allant vers elle, il plaça ses mains en forme de trompette et commença à esquisser une chanson : " Dourou-Dara, dourou-dara, à Taganrog, la vie s'est achevée." Dans la famille, personne n'avait entendu parler de l'existence d'une telle ville. A la fin des années trente, elle déménagea effectivement à Taganrog chez son fils Basile et y mourut.

On ne peut qu'être admiratif de la force de la foi et du zèle de Nicolas qui l'ont poussé à recevoir l'habit monastique et la prêtrise en ce temps de féroces persécutions contre l'Eglise. Peu nombreux étaient alors ceux qui se décidaient à un tel exploit. C'était réellement la renonciation au monde et le chemin direct vers le Golgotha! Et la persécution ne tarda pas à s'abattre sur le hiéromoine Nikon : le 5 avril (23 mars selon l'ancien calendrier) 1933, le même jour qu'il était devenu moine, il fut arrêté et envoyé pour cinq ans dans les camps sibériens pour construire la future ville de Komsomolsk-sur-Amour. On ne peut écouter, lire ou se rappeler sans frémir ce que les détenus y ont enduré. Ce n'est que maintenant que les horreurs de ces années ont commencé à être révélées. Le Père Nikon ne racontait presque rien à ce sujet, il était épié continuellement. Mais dans l'une de ses lettres, il partagea un tout petit peu ses souvenirs sur cette période de sa vie :



" Aujourd'hui, le 5 avril 1930, c'était le dimanche des Rameaux, j'ai reçu un nouveau nom (lors de la profession monastique). Et trois ans après, également le 5 avril, en 1933, j'étais arrêté. Ce fut réellement un renoncement à tout. Notre génération (peu sont encore en vie), a été littéralement un engrais pour les générations à venir. Nos descendants ne pourront jamais comprendre ce que nous avons vécu. Nous avons reçu ce que méritaient nos actes. Que recevrez-vous? Valez-vous vraiment un peu plus que nous? Que le Seigneur vous épargne le sort qui a été le nôtre!".



Lorsque le livre d'Alexandre Soljénitsyne Une journée d'Ivan Denissovitch parut, le Père Nikon le lut et dit : " De toute évidence, Soljénitsyne se trouvait dans un sanatorium, et non dans un camp." Or, beaucoup étaient frappés par les rudes conditions de vie des détenus décrits par Soljénitsyne dans ce récit.

Au camp, peu avant sa libération, le Père Nikon rencontra peu d etemps, de façon inattendue, l'évêque Théodose (Zatinsky) qu'il connaissait et qui lui donna le document suivant, à toutes fins utiles :

A Komsomolsk-sur-Amour, le 19 janvier 1937.

Certificat

Le porteur du présent certificat, le hiéromoine Nikon, dans le monde Nicoals Vorobiev est fidèle et ferme dans la foi et dans les préceptes de la sainte Eglise orthodoxe, fort instruit dans la parole de Dieu et la littérature patristique, strict chrétien orthodoxe dans la vie et la façon de penser. Il a porté la croix du camp avec patience, sans désespoir ni affliction, donnant par sa vie un bon exemple à tous ceux qui l'entouraient. Pour l'utilité de l'Eglise orthodoxe il peut servir de pasteur paroissial et même comme le plus proche collaborateur de l'évêque diocésain, ce que je certifie.

Théodose (Zatsinsky), évêque du Kouban et de Krasnodar, anciennement de Moguilevsk.



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Suite au calcul du nombre de ses jours de travail, ou plutôt par un véritable miracle de Dieu, le Père Nikon fut libéré avant terme en 1937. En rentrant du camp, il s'installa àVychni Volotchek en tant qu'homme à tout faire chez Serge Mikhaïlovitch Lvovitch (1872-1955), un chirurgien faisant autorité dans la ville, qui lui était connu, et dont le fils avait étudié avec lui au lycée. Grâce à son intervention, il avait échappé plus d'une fois à une nouvelle arrestation. Mais là, il lui échut de passer par un âpre cours de labeur spirituel et d epatience. La femme du médecin, Alexandra Ephimovna, ainsi que sa soeur, également médecin, Elena Ephimovna, étaient des athées convaincues et exprimaient ouvertement, souvent de façon sarcastique, leur attitude envers le christianisme à leur domestique-moine. ce qui advint ensuite dans la vie de cette famille est le mieux à même de nous faire savoir comment il réagissait à cela : les deux soeurs, finalement abandonnèrent l'athéisme pour devenir de véritables chrétiennes; et ce ne furent pas simplement les capacités intellectuelles du Père Nikon, ses connaissances encyclopédiques et ses réponses claires à ce qui aurait pu sembler des questions subversives sur le christianisme, mais, à un degré bien plus grand, sa vie véritablement chrétienne, son ascèse et sa patience stupéfiante qui les menèrent vers le Christ.

Il vivait au deuxième étage dans une petite pièce de la dépendance d'une propriété. cette annexe, la maison principale et l'ensemble du domaine ont été préservés jusqu'à nos jours. Le domaine est immense, d'une superficie d'un hectare et demi. Le Père Nikon y installa lui-même un verger avec les variétés les plus différentes de pommes, poires, prunes, cerises, groseilles à maquereau, sans oublier les diverses cultures de légumes, qu'il fallait produire en grandes quantités, car chez Michel Lvovitch, allaient et venaient sans cesse les uns et les autres, les amis, les connaissances et les patients. On est ébahi devant tout le travail que le hiéromoine Nikon accomplissait seul! Mais maintenant tout le terrain est abandonné, personne ne s'en occupe plus.

L'histoire de la conversion de la première des soeurs, Alexandra, est très intéressante et sort de l'ordinaire. Eléna Ephimovna l'a consignée dans son Journal.



30 mai 1940.

Dès la mort de ma soeur, Alexandra Ephimovna, j'ai ressenti le désir de décrire sa maladie et sa mort et ce qu'elle nous avait en partie révélé à son propre sujet. Que ce que je raconte serve à la gloire de Dieu.

Ma soeur avait été incroyante toute sa vie. Les idées de ma soeur sur la foi, Dieu et la religion étaient typiques de l'intelligentsia de son temps. Elle se montrait intolérante envers tout ce qui concernait la religion, et ses objections revêtaient souvent un caractère cynique. En ces années, vivait dans notre maison Nicolas Nicolaïevitch (le Père Nokon). Je souffrais toujours du ton sur lequel elle parlait et je n'aimais pas que Nicolas Nicolaïevitch soulève ces questions. L'objection préférée de ma soeur aux arguments de Nicolas Nicolaïevitch était résumée en ces mots : " On peut bien écrire tout cela, mais tous les livres sur la spiritualité ne contiennent que des mensonges que seul le papier peut supporter."

Elle tomba malade sans espoir de rémission (un cancer de l'estomac) et ne cessa pas de se moquer de la foi; elle devint très irritable, perdit le sommeil, l'appétit et restait alitée. Au début, son mari s'occupait d'elle, mais en raison des nuits sans sommeil, il commença à tomber de fatigue. Le jour, il avait beaucoup de travail à l'hôpital. Alors, nous avons commencé à veiller la nuit à tour de rôle avec Nicolas Nicolaïevitch. Elle passait par des périodes de forte irritation, d'exigence, elle demandait quelque chose chaque minute. Quand sa voix devint faible, Nicolas Nicolaïévitch installa une sonnerie électrique à son chevet. Il restait des nuits entières dans la chambre de la malade. L'épouse du fils aîné de la malade, E.V., vint de Léningrad, mais elle ne resta pas longtemps. La malade lui raconta sa vision. Elle vit que dans sa chambre entraient sept startsi, revêtus du Grand habit monastique. Ils l'entouraient avec amour et bienveillance et lui dirent : " Que par ses prières, elle voie la lumière!" Nicolas Nicolaïévitch interdit de dire "ses prières", mais E.V. affirmait que la malade avait dit cela précisément. Cette vision se répéta un certain nombre de fois. Alors, la soeur malade s'adressa à Nicolas Nicolaïévitch en lui demandant de se confesser et de communier, ce qu'elle n'avait pas fait durant quarante ans. Nicolas Nicolaïévitch accéda lui-même à la demande de la malade, et les visions cessèrent. Dans l'âme de la malade se produisit un brusque changement : elle devint bonne et douce envers tous. Elle devint affable ( ce changement surprit énormément les gens de la maison et tous ceux qui la connaissaient). Nicolas Nicolaïévitch racontait que, après la Communion, elle lui avait fait part de cette réflexion : si tout cela avait été des hallucinations, pourquoi alors se seraient-elles arrêtées après la communion aux Saints Mystères tandis qu'elles s'étaient répétées un certain nombre de fois jusque-là? Elle eut toute sa raison jusqu'à son dernier souffle. Elle disait que si elle recouvrait la santé, sa première sortie serait pour aller à l'église, où elle n'était pas allée pendant quarante ans. Son esprit était clair, elle pensait beaucoup et dit : " Chaque homme doit mourir dans la foi des Pères."



Le Père Nikon racontait lui-même cette histoire, mais ne rapportait que les paroles suivantes des startsi susmentionnés : " Vous avez un prêtre dans votre maison, adressez-vous à lui."

Quant à la deuxième soeur, Eléna Ephimovna, le Père Nikon racontait qu'elle s'était repentie à un point tel qu'il n'en avait pas connu de semblable dans sa propre pratique sacerdotale. C'étaient des soupirs du fond de l'âme. Elle prononça, peu après, ses voeux monastiques, et reçut le nom de Séraphima. Lorsqu'elle décéda, en 1950, et qu'elle fut, en tant que médecin, inhumée en présence de tous ses collaborateurs, solennellement, avec la musique, personne ne savait que sous son oreiller, dans le cercueil, se trouvaient son habit monastique, le paraman, le chapelet. Dans se slettres, le Père Nikon demandait avec insistance à tous ceux qui l'avaient connue de la commémorer, car elle avait fait beaucoup de bien. Il écrivit ainsi : " Hier, je suis rentré de Volotchek. C'est là-bas qu'est décédée Eléna Ephimovna, que connaît Mère Valentine; on m'a appelé par télégramme. Je lui ai promis de célébrer ses funérailles et j'ai exécuté ma promesse. Elle a fait beaucoup de bien pour moi. je demande à tous de la commémorer."



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Lorsque les églises furent à nouveau ouvertes, le Père Nikon reprit son travail sacerdotal. En 1944, l'évêque Basile de Kalouga le nomma recteur de l'église de l'Annonciation de la ville de Kozelsk, où il servit jusqu'en 1948.

Là, il vivait dans un appartement chez des moniales et, comme auparavant, menait une vie parfaitement ascétique. Selon les souvenirs de ceux qui étaient alors en contact avec lui, il était épuisé à la limite du vraisemblable. Dans une chambre minuscule (5-6 mètres carrés), avec des parois en planches, il passait tout son temps dans la prière ( c'est ce que disaient les moniales qui, subrepticement, jetaient un coup d'oeil et le voyaient souvent à genoux), la lecture de la sainte Ecriture, des saints Pères. Il célébrait la Liturgie, outre les dimanches et jours de fête, chaque mercredi, vendredi et samedi, voire même les jours des fêtes peu importantes. En règle générale, il prêchait à chaque Liturgie, souvent aussi les jours de semaine, bien qu'il y eût peu de monde, et parfois lors de l'office du soir. Ses prédications produisaient une forte impression sur les fidèles, non seulement parce qu'il avait le don de la parole, mais aussi par sa sincérité, la profondeur de sa compréhension de la vie spirituelle, et sa référence continuelle aux saints Pères.



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A Kozelsk, le Père Nikon était en contact spirituel avec le dernier moine tonsuré par saint Ambroise d'Optino, le Père Mélèce (Barmine, + 12 novembre 1959). Le Père Mélèce fut le dernier père spirituel du couvent de Chamordino ( non loin de Kozelsk). Lui non plus n'a pas échappé aux camps. On dit que, lors d'un interrogatoire, alors qu'on l'avait amené à un état qui frisait la perte de conscience, il aurait signé un papier accusant quelqu'un. C'était une méthode qu'utilisaient souvent les "organes" ( le KGB). Mais on pouvait se convaincre aisément de la pureté de coeur du Père Mélèce en étant, ne serait-ce que quelques minutes, en contact avec lui. Il s edistinguait par une douceur inhabituelle, il était très peu loquace. On lui demanda : "Père, comment vivre?" Il répondit : " Priez tout le temps", et c'était tout. Autour de lui régnait toujours la paix et le calme.

Après la fermeture du couvent, les soeurs de Chamordino, assez nombreuses à Kozelsk, continuaient à recevoir son assistance spirituelle. D'autres gens allaient chez lui, venant d'autres endroits. Le Père Mélèce est décédé dans une profonde vieillesse, à l'âge de 96 ans et fut enterré à Kozelsk. Maintenant, ses restes ont été transférés à l'ermitage d'Optino. Quelques lettres du Père Nikon à ce saint homme ont été préservées.

En 1948, on commença à déplacer le Père Nikon d'une paroisse à l'autre : il fut transféré d'abord à Bélev, ensuite à Ephrémov, puis à Smolensk. Nulle part ses prédications ne laissaient indifférents les délégués du Conseil des affaires de l'Eglise et, assez souvent aussi, ses collègues. De Smolensk, le Père Nikon fut envoyé par l'évêque Serge "en exil" selon ses propres paroles, en 1948 également, à la ville de Gjatsk ( actuellement Gagarine). Le Père ne s'y plaisait pas. Il fut accueilli fraîchement. Plus tard il écrivit :



"Afin de rester à Okopy ( un district de Smolensk où il y avait une église ouverte), il fallait agir comme tout le monde, et je ne le voulais pas; en outre, on me craint partout, on pense que tout sera centré sur moi... Que la volonté de Dieu soit faite. Il vaut mieux vivre dans des régions arriérées, mais avec une conscience pure, que dans la capitale en utilisant des voies qui ne sont pas droites. Les hommes, en définitive, ne sont que des instruments dans les mains de Dieu. Et le Seigneur dirige les actions mauvaises vers le bien. J'ai déjà retrouvé mon calme. L'église (à Gjatsk) est petite, le sanctuaire est très petit dans la partie que l'on utilise en hiver, incommode, mais le marguiller est un homme bon, un être rare. Je n'ai pas à m'occuper beaucoup de l'intendance. Il fait tout, et on peut lui faire entièrement confiance. Mais ce qui était encore difficile pour moi était de ne pouvoir rester seul toute la semaine. L'ancien recteur de la paroisse était encore en vie. Il y avait tout de même encore des avantages ici : on est près de Moscou, c'est agréable en été, la forêt est proche, il y a beaucoup d eframboises, il y a aussi une petite rivière, à environ un demi-kilomètre. Il est vrai, aller chez vous est plus loin, mais que faire? si cela est agréable au Seigneur, je me rapprocherai à nouveau. certains étaient prêts à écrire leur gratitude à l'évêque pour m'avoir envoyé ici, mais je leur ai demandé de ne pas le faire et, en général, d eparler moins de moi; c'est inutile pour l'âme... et pour le corps. Pour le moment, je me nourris en compagnie du diacre et du gardien, mais il faudra encore acheter un réchaud ou s'arranger autrement, et préparer les repas moi-même; j'y suis habitué depuis longtemps déjà, car j'ai vécu longtemps seul.



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Il faut craindre comme la peste, l'attachement aux choses, aux commodités, au confort et, naturellement, à leur source - l'argent : c'est ce contre quoi mettait en garde le Père Nikon, c'est sur quoi il attirait l'attention de ses interlocuteurs. Il était arrivé à Gjatsk avec le vieux manteau d'hiver d'un hiéromoine d'Optino, une misérable soutane chaude, qu'il brûla après un certain temps en raison de son usure complète, un manteau d'été et encore deux ou trois soutanes légères. C'étaient là tous ses biens, si l'on ne compte encore quelques cuillers et fourchettes en aluminium. Il ne pouvait fondamentalement supporter quoi que ce soit de non nécessaire, appelant tout cela de la camelote qui surcharge l'âme. " Beaucoup de biens, répétait-il, cela multiplie les soucis." Il était l'adversaire juré de toute joliesse, douceur, des éléments de quelque luxe, disant que tout cela développe en l'homme la vaine gloire, le vide, la sottise eet la présomption. Son vêtement était toujours confectionné avec les matériaux les moins chers et cousu par des couturières d'occasion, et il paraissait parfois gauche. Il en était content.

Dans l'une de ses lettres, le Père Nikon se caractérise ainsi : " Ajoutez à cela certains traits personnels - il parlait ainsi de lui-même : timidité devant les personnes étrangères, absence d'intérêt pour leurs conversations, réticence à se détacher de son travail ( parce que non encore habitué à s etrouver à l'aise avec les gens), etc."

Il n'ôtait jamais sa soutane, ni à la maison, ni à la ville, et même à Moscou, ni dans le jardin ou dans les autres travaux, travaillant jusqu'à transpirer. En même temps, il ne revêtait jamais la mandya monastique ni le klobouk. Lorsqu'on lui demandait pourquoi il faisait cela, il répondait qu'au monastère cet habit est naturel, tandis que dans les paroisses il fait du moine l'objet d'une curiosité malsaine accrue, inutile tant pour lui que pour le peuple.

Le peuple aime beaucoup le spectacle, disait le Père Nikon. Aussi, chez de nombreux fidèles, la religion elle-même est réduite à quelque chose d'extérieur, à son côté rituel. Et c'est souvent la forme qui ressort de tels spectacles. Il accordait lui-même peu d'importance aux formes extérieures.

Une fois, répondant à un destinataire à ce sujet, il écrivit :



"Le fait que N. (c'est-à-dire le Père Nikon) n'apprécie pas "toute forme" me trouve entièrement d'accord avec vous. Je dis seulement que cette absence d'appréciation ne sort pas de la tête, c'est-à-dire de quelques considérations mentales, et ni de l'orgueil ( comme il me semble, mais peut-être fais-je erreur?), mais d'une certaine façon, de l'intérieur. N. a trop précisément conscience de la valeur, qui surpasse toute intelligence, de ce qui est "intérieur", dont les miettes sont accessibles à celui qui cherche sans forme particulière, si seulement vous et moi ne comprenons pas le mot "forme" de façon différente. (1).

(1) : ( On peut inclure ici aussi des formes de politesse telles que les félicitations, les visites, les réponses aux lettres, etc., qui ne sont pas provoquées par la nécessité).

Je considère nécessaire de dire que N. reconnaît absolument le caractère indispensable de l'Eglise avec tous les Mystères et, pour beaucoup, de tout le rituel, lequel n'est pas néanmoins obligatoire pour tous. Il me semble que nous vivons à une époque telle que la capacité d'éviter le plus possible ce qu'il y a d'extérieur avec, simulatnément, une vie intérieure correcte, n'est pas un moins, mais un plus, et le sera plus encore dans le futur; Mais c'est difficile, ce n'est pas accessible à tous, et il faut être capable de le faire."



Et voici ce qu'il a demandé de lui apporter de sa cellule de Kozelsk :



" Si Mère Valentine vient, il faut qu'elle prenne tout le linge de lit et tout ce qu'il lui faut à elle. Quant à moi, me semble-t-il, je n'ai besoin de rien. Parmi les livres, il faut prendre absolument , sur l'étagère : les offices du Grand Carême et de la Semaine Sainte. Je ne me rappelle plus le titre exact - un petit livre sur l'étagère, sur le rayon du milieu, avec une couverture sombre. Et aussi, sur l'étagère, des sermons du dimanche et des jours de fêtes, semble-t-il, édité par l'Académie de Kiev. Ils sont peut-être dans l'armoire, dans la cuisine. Et encore, Abba Dorothée, et, chez Skvorets (1), Isaac le Syrien. Il ne me faut rien de plus maintenant."

(1) : ( C'est ainsi que l'on appelait la moniale Pauline (Sidortzova), qui vivait dans l'autre moitié de la maison, dont la deuxième partie était occupée par Liza ( la moniale Eupraxie).).



Le Père Nikon aimait raconter l'épisode suivant de la vie de Saint Pachôme le Grand. Lorsque, dans l'un des monastères dont le Saint était le supérieur, la communauté posa de belles portes et commença à les montrer avec enthousiasme au Saint, il ordonna d'attacher une corde autour des piliers sur lesquels étaient fixées les portes, et d ela tirer jusqu'à ce que les portes s'ébranlent. La communauté était bouleversée et déconcertée, mais le Saint répondit qu'il est honteux pour un moine de s'attacher aux choses. Le Père Nikon, toujours et en tout, observait strictement cette règle.



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Dans le domaine spirituel, selon les paroles du Père Nikon, la période de Gjatsk lui donna beaucoup pour la connaissance de soi. Et le principal, disait-il : une certaine compréhension de ce qu'est l'humilité initiale lui fut révélée.



" Voici, Ignace Briantchaninov - que le Seigneur le récompense!- parle tout le temps de cela. Vous ne le comprenez pas maintenant. Tout dans son intérieur fait résonner l'idée d'humilité. Qu'est-ce que l'humilité? Chez moi, dans la compréhension de l'humilité, il y eut une telle transition. Une fois, une pensée, absolument précise et claire, me vint : que valent vraiment nos oeuvres, toutes nos prières, tout ce qui est nôtre? Il faut seulement s'écrier comme le publicain : " Seigneur, sois miséricordieux envers moi, pécheur!" Mon coeur, d'une certaine façon, a compris que le plus essentiel, c'est la miséricorde de Dieu. Que cela est compréhensible ,on par l'intellect, mais par le coeur. Et depuis, j'ai commencé à diriger en moi cette pensée, à vivre de cette pensée, à prier par cette pensée, afin que le Seigneur ne me l'ôte pas, mais la développe en moi. C'est là l'humilité commençante - je souligne commençante - (prendre conscience) que nous ne sommes rien, mais une création de Dieu, que nous ne sommes qu'une création de Dieu. Aussi, de quoi pouvons-nous nous vanter, que pouvons-nous opposer à Dieu? Le Seigneur nous a honorés de la plus grande dignité - être les fils de Dieu - mais cela est un don de Dieu. Ensuite, nous appelant, Il nous a rachetés afin de nous rétablir, de nous adopter, mais c'est encore un don de Dieu. Nous péchons, nous péchons, le Seigneur pardonne, c'est un don de Dieu. Et qu'avons-nous? De nous-mêmes, il n'y a rien. C'est ce qu'il faut faire entrer dans le coeur de l'homme. Ce n'est pas par l'intellect qu'il faut le comprendre, mais par le coeur. L'homme dans chaque prière - quelle que soit son inspiration, quel que soit le ravissement dans la prière que le Seigneur lui donne - doit, fondamentalement prier comme le publicain : " Ô Dieu, sois miséricordieux envers moi pécheur!" Tout, voire même cette inspiration, tout cela est un don de Dieu. Il n'y a rien de bon en nous, tout vient du Seigneur. En un mot, comme le disait David, je suis une puce en Israël, je suis un ver et non un homme. Que pensez-vous? A-t-il dit ces mots pour " la beauté du geste "? Non. Ces mots sont sortis de cette prise de conscience dont je parle. C'est à cela qu'il faut parvenir sincèrement et c'est de cette disposition que doit sortir chacune de nos prières. C'est aussi le début de l'humilité, précisément le début. De là vient encore quelque chose d'autre, dont je dois parler, et qui est le plus important. Il est indispensable pour l'homme de ressentir l'amour de Dieu, inconcevable tant pour les hommes que pour les Anges, et ce non par l'intellect, et pas seulement par le coeur, mais de tout son être, de la tête aux pieds. Il doit rendre grâces à Dieu, Le glorifier, s'incliner devant Lui, devant le Seigneur, pour Sa grande miséricorde et Son amour. Il ne devrait pas seulement souhaiter être crucifié à côté de Lui et tout supporter, mais être mis en pièces, et pas seulement déchiré, mais tourmenté toute la vie. Voilà comment il doit se trouver. Tandis que nous, misérables, nous ne pouvons supporter même la plus peite affliction, même la plus insignifiante.

C'est pourquoi les premiers mots fixés par l'Eglise pour la prière sont les suivants : " Gloire à Toi, notre Dieu, gloire à Toi!", c'est-à-dire : " Gloire, actions de grâces soient à Toi, Seigneur, pour Ta miséricorde, pour Ton amour, pour Ta condescendance, pour T'être abaissé, Seigneur, Créateur de l'univers, devant Lequel tremblent tous les Anges, au point de nous permettre de T'appeler notre Seigneur et de s'adresser à Toi, de Te prier."

Le Seigneur fait tout pour l'homme, pour sa joie, pour son salut, même pour son plaisir. Le Seigneur fait tout, mais dans la mesure où cela est utile pour l'homme et non pour lui nuire. C'est pourquoi il ne faut avoir peur de rien, ne pas s'effrayer des tribulations. Le Seigneur fait tout, peut délivrer de tout. Tout n'est pas pour notre bien. Aussi, nous devons nous incliner devant le Seigneur (...), rendre grâces, glorifier, prier le Seigneur de toute notre âme...

Est-ce comprééhensible? C'est compréhensible pour l'intellect, mais vous êtes encore loin de comprendre avec le coeur. Et pour comprendre avec le coeur, il faut absolument, en premier lieu, prier de façon isolée. Absolument! Et ensuite, vivre selon l'Evangile, se repentir des péchés. Car l'homme ne doit pas seulement comprendre, mais ressentir que nous sommes des publicains, que nous devons nous adresser à Dieu comme le publicain. Ce n'est pas simple d'en arriver là. L'homme n'y parvient que par de multiples chutes, par la transgression des commandements divins. Tu es tombé, tu t'es relevé, tu t'es repenti. Tu es tombé à nouveau. Tu t'es redressé à nouveau. Et en fin de compte, l'homme comprend qu'il se perd sans le Seigneur.

Un frère s'adressa à Sisoès le Grand et lui dit : " Père, je suis tombé. - Relève-toi. - Je me suis relevé, et je suis retombé. - Relève-toi encore. - Jusqu'à quand? - Jusqu'à la mort." Lorsque l'homme comprend, profondément, de tout son coeur, sa propre chute, il comprend que l'homme lui-même n'est rien, qu'il est plongé dans la chute, et il commence à implorer le Seigneur : " Seigneur, sois miséricordieux envers moi, pécheur, vois dans quel état je me trouve", alors il peut parvenir à l'état du début de l'humilité et se sauver. C'est pourquoi, dans la recherche de Dieu, il ne faut pas tomber dans le désespoir..."



Le Père Nikon a subi divers désagréments et des menaces ouvertes contre sa vie et des agressions physiques à Gjatsk; il y eut beaucoup de vaine agitation dans la paroisse. " Mais ces choses vaines - a-t-il dit avant sa mort - m'ont donné la possibilité de constater ceci : nous ne pouvons nous-mêmes rien faire de bien."

Concernant la question de la vie spirituelle, le Père Nikon soulignait assez souvent dans ses entretiens que la spiritualité n'est pas du tout constituée par des miracles et des apparitions, des guérisons et la clairvoyance, et encore moins par des allures spirituelles et des paroles sur la spiritualité, que certains aiment étaler comme des vêtements à la mode. Et beaucoup de livres sur la spiritualité, mettait-il en garde, sont pénétrés d'un esprit païen, non chrétien. La spiritualité, ce ne sont pas même les bonnes oeuvres et l'accomplissement formel des règles et des institutions ecclésiales, mais la vie selon les commandements de l'Evangile, la lutte contre les passions et le repentir. Une telle vie, en premier lieu, révèle à l'homme ses péchés qui lui étaient pratiquement inconnus jusqu'alors. En deuxième lieu, elle lui montre son impuissance à les déraciner. Cela fait naître une prière pénitentielle, amène l'homme à l'humilité, qui seule permet à Dieu d'entrer dans l'âme et de la purifier de tout péché. Le Père Nikon mentionnait souvent les remarquables paroles de Saint Isaac le Syrien : " La récompense n'est pas donnée à la vertu, ni à la peine que l'on se donne pour elle, mais à l'humilité qui naît de l'une et de l'autre. Si l'on n'a pas l'humilité, ce qui la précède ests vain!"

Les seuls écrits spirituels, disait-il, ce sont les oeuvres des Saint Pères et des ascètes de l'Eglise, par exemple les Pères de la Philocalie ou le Saint hiérarque Ignace Briantchaninov (1).

(1) : ( Ignace Briantchaninov (1807-1867), évêque de Stavropol, est l'auteur de nombreux ouvrages de spiritualité qui ont été mentionnés dans une note de l'Avant-Propos. Il a été canonisé par l'Eglise russe en 1988 (NdE).).

En elles demeure réellement l'Esprit Saint et on peut, et on doit se diriger uniquement par elles. A ce sujet, il est intéresssant d erelever à quel point son opinion sur l'Occident et la littérature religieuse occidentale est essentielle pour notre temps :



" Il est bien que nos frontières soient fermées. C'est une grande miséricorde de Dieu envers notre peuple. On nous inonderait ( surtout l'Amérique) d'une littérature diabolique, satanique et sectaire, et les Russes, qui sont très friands de tout ce qui vient de l'étranger, se perdraient définitivement (...) Très nombreux sont ceux, particulièrement dans l'émigration, qui ont écrit sur les questions spirituelles des choses absolument incorrectes, fausses. Un tel parle de Dieu alors qu'il est lui-même un diable. Il y a tant de livres merveilleux chez les Saints Pères, et comment peut-on à leur place lire toute sorte de maculature qui s eprésente sous l'apparence de littérature spirituelle?"



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En ce qui concerne la question de la paternité spirituelle, l'attitude du Père Nikon était pleinement conforme aux enseignements du saint hiérarque Ignace ( Briantchaninov). Il le citait, il considérait son enseignement comme le plus exact et le plus nécessaire à notre époque. La pensée suivante du saint hiérarque lui plaisait particulièrement : " C'est précisément là qu'accomplissent leur devoir les guides spirituels, lorsqu'ils aspirent à ce que dans les âmes qu'ils amènent au Christ, soit glorifié et croisse uniquement le Christ. Ils souhaitent eux-mêmes diminuer dans l'esprit de ceux qu'ils guident, pourvu que le Christ soit magnifié pour ceux-ci, et c'est alors que ces maîtres ressentent une joie totale, pour avoir atteint le but de leurs désirs. Au contraire, ceux qui amènent à eux-mêmes, et non au Christ, les âmes confiées à leur direction, je le dis catégoriquement, commettent un adultère."

C'est cette pensée qui toujours le guidait. Aussi son attitude envers ceux qui s'adressaient à lui pour recevoir un conseil, se distinguait par la modestie et la simplicité, ce qui donnait aux entretiens avec lui un caractère paternel et amical. Il n'y avait pas chez lui de bénédictions-ordres, exigeant une obéissance inconditionnelle. Il mettait en garde contre les pères spirituels qui donnaient des ordres. Car une telle conduite du prêtre constitue le signe certain de l'orgueil, et Dieu résiste aux orgueilleux. Aussi est-il vain d'attendre une utilité quelconque de contacts avec un tel père spirituel.

Quant à la question de savoir auprès de quel père spirituel on pouvait chercher conseil, il se référait aux écrits de saint Ignace, dans lesquels il est dit : 3 Efforce-toi de trouver un père spirituel bon, consciencieux. Si tu le trouves, tu dois t'en satisfaire, car maintenant les pères spirituels consciencieux sont une grande rareté." "A celui auquel ton coeur ne fait pas confiance, ne t'ouvre pas", dit le le grand maître des moines Saint Pimène, l'ermite égyptien."

En même temps, saint Ignace prévient : "Gardez-vous d'une attitude passionnelle envers les maître (spirituels). Nombreux sont ceux qui n'y ont pas pris garde et sont tombés avec leurs maîtres dans le filet du diable... La dépendance fait de n'importe quel homme une idole : des sacrifices offerts à cette idole, Dieu Se détourne avec colère... Et la vie est perdue en vain, les bonnes oeuvres périssent."

Le Père Nikon répète, comme un commandement pour les fidèles du temps actuel, les paroles de Saint Ignace sur le seul caractère possible des relations entre le père spirituel et celui qui cherche une instruction spirituelle : " Selon l'enseignement des Pères, la façon de vivre (...) qui convient à notre temps est celle qui se trouve sous la direction des écrits des Pères avec le conseil des frères de notre époque qui ont réussi : mais il faut encore vérifier ce conseil à la lumière des écrits des Pères."

A notre époque, il n'y a plus de disciples, disait-il, et encore moins de startsy-maîtres spirituels. Aussi, il ne reste qu'une seule voie : vivre, en prenant conseil auprès d'un ami spirituel sincère et raisonnable, connaissant les Saints Pères. Et c'est un grand bonheur si l'on trouve quelqu'un de semblable. Comme l'a écrit Saint Ignace : " Non seulement dans le milieu des laïcs, mais même dans le milieu des moines, il est extrêmement difficile de trouver un conseiller qui, pour ainsi dire, serait capable de mesurer et de peser l'âme de celui qui s'adresserait à lui, et qui pourrait lui donner un conseil en fonction de ce qu'elle est, en fonction de sa valeur." Malheureusement, cette vérité patristique est rarement reçue, tant par les pasteurs que par les ouailles. Car chez les premiers, nombreux sont ceux qui sont épris de l'amour du pouvoir. Parmi les seconds ( en particulier les femmes), nombreux sont ceux qui cherchent celui qui, à leur place, réglera tous les problèmes de leur vie.

Avant son trépas, le Père Nikon a dit ouvertement à ses proches : " Ne cherchez personne." Mais ils n'attribuèrent pas une importance particulière à ces paroles et se mirent en recherche. Mais malgré cela, ils ne trouvèrent personne, tout en ayant rencontré des gens sincèrement pieux, vraiment bons, qui avaient beaucoup lu, mais qui ne possédaient pas cette sagesse et cette force de l'esprit qu'ils avaient directement ressenties chez le Père Nikon.

A la question de savoir comment s'adresser à ceux qui posent une question, le Père Nikon a répondu encore une fois par les paroles de son bien-aimé maïtre Ignace : " Je parle seulement à ceux qui posent une question et ce lorsque je suis certain qu'ils demandent sincèrement, suivant le désir instant de leur âme, et non en passant ou par curiosité."



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Le Père Nikon aimait célébrer et avait une attitude, dans l'accomplissement de l'office divin, avant tout dans la Liturgie, qui était pénétrée d'un sentiment particulier de crainte révéreencielle, ce qui était ressenti par tous : tant les concéélébrants dans le sanctuaire, que les chantres et les lecteurs au kliros, et les fidèles qui priaient. Il accomplissait l'office avec simplicité, retenue et concentration. Il n'y avait pas le moindre caractère artificiel dans sa célébration. En général, il ne supportait aucune exaltation dans la lecture, le chant, la conduite. Il faisait de sévères remarques aux "artistes" chanteurs, ce qui, naturellement, provoquait la colère des amateurs de "morceaux prestigieux", des solistes et des lecteurs qui aspiraient à se produire. Une fois, alors qu'un tel "maestro" avait commencé à lire l'hexapsalme, il lui refusa de continuer. Il interdisait de chanter certaines mélodies, disant qu'il s'agissait là d'une folie devant Dieu et non d'une prière. Il interdisait, par exemple, la mélodie du chant des Chérubins dit "De la dévastation de Moscou". Les points les plus névralgiques de l'église, qui y gênent la prière, disait-il, ce sont le kliros, où l'office ne devient qu'un prétexte pour les concerts, et le kiosque, où le commerce l'emporte sur tout le reste.



Le Père Nikon répétait souvent : seul peut être considéré comme chant d'église celui qui aide à prier ou, à tout le moins, celui qui ne gêne pas la prière. Si le chant ne crée pas une telle atmosphère dans l'âme, et même s'il émane du compositeur le plus célèbre, il n'est guère que le jeu des sentiments "du vieil homme", de la chair et du sang.

Il interdisait à qui que ce soit d'entrer dans le sanctuaire, et plus encore d'y demeurer et d'y parler.



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Le Père Nikon portait une attention toute particulière à la confession, surtout pour ceux qui y venaient rarement ou encore, d'autant plus, pour la première fois. Il aidait, par des questions suggestives, ceux qui avaient honte ou ne savaient se confesser. Mais ce faisant, il était doux et délicat. Il prévenait les jeunes qui se préparaient au sacerdoce qu'il fallait être très prudent avec la confession, et se montrer prévenant et attentif. Car par la confession, le prêtre peut sauver un homme, mais aussi le détourner et le perdre, s'il commence à creuser, surtout en ce qui concerne les péchés charnels. celui qui se confesse doit nommer le péché, et ne pas raconter son histoire, d'autant plus doit-il éviter de parler d'autres personnes. Il s eplaignait également du fait que de nombreux fidèles, lors de la confession, au lieu de se repentir de leurs péchés, commencent à raconter leur vie, les problèmes de leur vie et d'autres questions qui n'ont aucun rapport avec le mystère de la pénitence. Souvent, ils se contentent de faire un compte-rendu des péchés accomplis, voire même notent celui-ci sur un papier et le lisent. Le Père Nikon n'approuvait pas une telle pratique, en disant, que la confession ne consiste pas à énumérer tout ce qui est possible et imaginable ( ce que personne ne peut faire), mais dans le repentir sur ce dont souffre l'âme, ce que pointe la conscience, et cela on ne peut l'oublier. Il faut dire ce qui est le plus essentiel et, avant tout, se repentir des péchés graves, surtout ceux qui ont été accomplis envers les autres personnes.

En même temps, il déplorait que, parmi le clergé, nombreux étaient ceux qui mettaient l'accent dans la confession non sur la transgression des commandements de l'Evangile ( la jalousie, l'hypocrisie, la vaine gloire, le pharisaïsme, l'avarice, etc.), mais sur les actes extérieurs, sur la discipline ecclésiastique : as-tu lu toutes les prières, avec quelle fréquence as-tu fréquenté les offices, combien de temps as-tu jeûné avant la Communion, as-tu bu du lait pendant le carême, etc... Bien que tout cela soit indispensable, il ne faut pas substituer à ce qui est prioritaire ce qui est secondaire. Les transgressions extérieures ne salissent pas autant l'âme que les péchés contre les commandements du Christ. Il disait : " On filtre le moustique et on laisse passer le chameau : on peut lire les prières avant la Communion et en même temps communier pour son jugement et sa condamnation."

Il était particulièrement affligé lorsqu'il entendait que certains prêtres, lors de la confession, "absolvaient" de façon purement mécanique les fidèles de leurs péchés, sans se préoccuper aucunement de la pureté de leur conscience. Il en résulte que les gens commencent à considérer laconfession come un rite quelconque et non comme le mystère de la pénitence.

Pendant la Liturgie, le Père Nikon ne confessait pas. Il le faisait ou bien avant celle-ci, ou encore la veille au soir, si le nombre de ceux qui voulaient se confesser était élevé comme, par exemple, pendant le Grand Carême. " Le fidèle doit prier pendant la Liturgie et non pas faire la queue (pour se confesser)", disait-il.

Si le fidèle avait quelque chose de grave sur la conscience, ou s'il n'avait pas communié depuis des années, le Père Nikon n'admettait pas immédiatement cet homme à la Communion, lui donnant au début sa bénédiction pour fréquenter pendant un certain temps les offices, et parfois il retardait la Communion jusqu'au carême suivant. Et, ce faisant, il donnait à un tel homme une règle à accomplir à la maison : un nombre défini de métanies jusqu'à terre ( s'ils étaient malades, jusqu'à la ceinture) et des prières de Jésus ou du publicain.



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Le Père Nikon répétait souvent que les plus terribles ennemis du prêtre sont, d'une part, le désir de plaire aux gens, l'aspiration à plaire au peuple, d'autre part, l'amour du pouvoir, le désir de commander les hommes, d'avoir des enfants spirituels qui soient des esclaves obéissants. Une telle aspiration transforme le prêtre en pharisien rejeté par Dieu et attire la condamnation et les moqueries de la part des hommes. Le prêtre qui cherche la gloire chez les hommes se trouve dans l'illusion. Il parlait toujours de cela avec une ardeur particulière.

Il considérait comme destructeurs pour la foi et l'Eglise les actes sacrés accomplis en précipitant les mots, en les prononçant indistinctement, un peu n'importe comment. Il vaut mieux, disait-il, lire moins, mais avec piété, distinctement, de façon compréhensible, que de blasphémer ainsi sur les mots de la prière et la parole de Dieu. Mais ses exigences quant à une lecture et des chants accomplis ainsi lors de la célébration des sacrements du baptême, du mariage et de l'Huile sainte, ou d'un moleben, d'une pannychide, etc., provoquaient comme il se doit le mécontentement de ceux qui considéraient que le principal était de tout lire comme cela est prévu. Or, pour de telles personnes, que les fidèles prient ou non, cela n'avait aucune espèce d'importance. Je me rappelle qu'une moniale, qui faisait office de chantre et de lecteur et qui était toujours pressée et lisait les prières à la va-vite, fusionnant en quelque sorte les phrases et les mots, était indignée par de telles exigences du Père.



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Le Père Nikon était très strict vis-à-vis de lui-même ( et non des autres). Il ne se levait jamais plus tard qu'à six heures, il se couchait vers minuit. Les jours où il ne célébrait pas la Liturgie, jusqu'au petit déjeuner, vers onze heures, il priait. Il priait aussi pendant la journée, faisant "cinq centuries" ( trois cents prières de Jéus, cent de la Mère de Dieu, et deux fois cinquante à tous les saints et à l'Ange gardien), invitant parfois les habitants de la maison à se joindre à lui. Il mangeait peu. Il buvait très rarement du vin, un peu seulement, en de grandes occasions.

Il avait le don de la prière incessante, qu'il manifesta accidentellement. Une fois, il s'asphyxia tant dans le bain qu'il perdit conscience. Et lorsqu'on l'amenan à l'hôpital, ceux qui l'entouraient l'entendirent avec étonnement prononcer sans interruption la Prière de Jésus alors qu'il n'était pas revenu à lui. Les ambulanciers en étaient les premiers étonnés.

Il ne permettait pas qu'on lui rendît quelque service, qu'on lui apportât quelque chose, que l'on rangeât sa chambre, etc. Il considérait comme un péché d'utiliser le travail d'un autre homme sans nécessité absolue. Il considérait de son devoir de faire lui-même certains travaux domestiques et d'intendance, comme par exemple, pendant les périodes froides de l'année, de charger et de nettoyer la chaudière qui fonctionnait au charbon et qui était d'un emploi très incommode, il y faisait des châssis, y plantait des concombres, des tomates, il bêchait le jardin potager, traitait les arbres fruitiers et les arbustes, il sciait et coupait le bois, etc.

Avec difficulté, étant très malade, il gémissait, mais il faisait seul toute chose; Quatre années passées au camp avaient endommagé sa santé à l'extrême. Plus que tout, il souffrait de douleurs au coeur, aux articulations des bras, aux jambes et aux reins. Mais tant qu'il en avait la force, il travaillait beaucoup physiquement. Il travaillait jusqu'à l'épuisement complet, jusqu'à être trempé par la sueur, changeant souvent de linge;

En général, il ne pouvait supporter de ne rien faire. Il faisait toujours quelque chose. Il avait planté un grand jardin à Vychni Volotchek, deux jardins à Kozelsk; A Gjatsk, il planta non seulement un grand jardin, mais de sa pépinière, il fournissait à tous ceux qui le souhaitaient dans la ville, des pommes, des cerises, des poires, des groseilles. Et nombreux étaient ceux qui les demandaient, parce que le Père Nikon les distribuait gratuitement. Il passa aussi beaucoup de temps dans les travaux de construction et d'entretien.



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Le Père Nikon se conduisait avec une extrême simplicité. Il était facile de converser avec lui, malgré les différences d'âge. Il était content lorsqu'on lui posait des questions de fond, particulièrement sur la vie spirituelle. Il ne refusait pas de faire parfois un peu de philosophie et de théologie. Mais il ne pouvait souffrir les conversations vides, les souvenirs, les commérages, etc.

Souvent, lorsque ses jeunes frères, ses neveux et ses proches ( de trente à quarante ans lus jeunes que lui) jouaient au "gorodki" ( jeu traditionnel russe avec des battes), le Père Nikon se joignait à eux et sauvait rapidement l'équipe perdante. On ne pouvait que s'étonner que ses mains malades aient gardé une telle précision.

Il y eut un cas où, au cours des mois d'été, il avait joué pratiquement chaque jour aux échecs avec un adolescent. Ensuite, non seulement il cessa de jouer, mais il appelait cela un jeu diabolique, dérobant à l'homme un temps précieux. Le jeune homme comprit ensuite que le Père Nikon l'avait sauvé de la rue en cette période.

Le Père Nikon aimait beaucoup la forêt qui se trouvait à cinq minutes à pied de la maison. Il s'y rendait à n'importe quel moment de l'année. L'été, toute une équipe se retrouvait habituellement avec lui, des petits comme des grands, pour la récolte des champignons, car à cette époque venaient chez le Père et chez ses proches leurs frères, souers, enfants, petits-enfants, neveuxn connaissances. Ces moments n'étaient pas seulement joyeux, mais utiles. D'autant plus que pendant les pauses commençaient des conversations sérieuses, où des réponses étaient données aux questions.



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Les oeuvres patristiques, les Pères de la Philocalie, les Vies des Saints, les prédications, les commentaires des Pères constituaient les lectures constantes de l'higoumène Nikon. Il lisait rarement les écrits scientifico-théologiques et philosophiques. Il lisait et relisait avec soin, constamment, les oeuvres de saint Ignace Briantchaninov. Comme un véritable père spirituel, il légua avec insistance, à tous ceux qui lui étaient spirituellement proches, de les étudier. Le Père Nikon les considérait comme la meilleure direction dans la vie spirituelle pour notre époque, plus nécessaire même que les anciens Pères de l'Eglise. En effet, disait-il, les anciens adressaient en priorité leurs paroles aux ascètes se trouvant à un haut niveau de développement spirituel, dont nous sommes infiniment éloignés, et, ne comprenant pas cela et lisant leurs conseils, nous pouvons aller dans une direction tout autre. Le saint hiérarque Ignace, en fait, a transposé pour nous les Pères anciens en tenant compte de ce profond appauvrissement spirituel qui caractérise notre temps.

En général, le Père Nikon lisait beaucoup. Si un livre intéressant lui tombait dans les mains, il ne s'en séparait pas de toute la journée, et pouvait ne pas dormir la nuit avant de l'avoir terminé. C'est ainsi qu'en vingt-quatre heures il lut dans son intégralité le livre intitulé Le Starets Silouane du hiéromoine Sophrony (Sakharov (1) ).

(1) : ( Traduction française : Saint Silouane l'Athonite. Vie, doctrine et écrits, 2° éd, Editions du Cerf, Paris, 2010. L'higoumène Nikon se montrait critique vis-à-vis de certains commentaires de l'Archimandrite Sophrony ( NdE).).

Sachant le français et l'allemand, il lui arrivait de lire également de la littérature étrangère.

Il ne laissait jamais pour plus tard la résolution des problèmes liés à la lecture de la Sainte Ecriture. Il prenait immédiatement les commentaires dont il disposait : de saint Jean Chrysostome, du bienheureux Théophylacte (2), du saint hiérarque Théophane le Reclus (3), de l'archevêque Nicéphore (Théotokis (4)), de l'archimandrite ( par la suite évêque) Michel (Louzine (5)), de l'archiprêtre Basile Gretchoulevitch, d'Alexandre Ivanov. Il trouvait le commentaire de passages particuliers dans les oeuvres des Pères, de préférence ascétiques, qu'il étudiait constamment et avec soin.

(2) : ( Théophylacte Héphaïstos ( ca 1050- après 1126), évêque d'Ochrid ( après 1088), appelé Théophylacte d'Ochrid ou Théophylacte de Bulgarie, est connu surtout comme un important exégète de l'Ancien et du Nouveau Testament (NdE).).

(3) : ( Théophane le Reclus (1815-1894) fut professeur à l'Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg, puis évêque de Tambov et de Vladimir, avant de se retirer pour mener pendant vingt-huit ans une vie de réclusion où il se consacra entièrement à rédiger une volumineuse oeuvre spirituelle et à publier des textes patristiques. (NdE).).

(4) : ( Nicéphore Théotokis (1830-1887), évêque de Koursk et de Belgorod, est surtout connu comme exégète du Nouveau Testament. (NdE). ).

(5) : ( Michel Louzine (Corfou 1731-Moscou 1800), théologien et philosophe majeur de la renaissance culturelle grecque, archevêque d'Astrakhan et de Stavropol (NdE). ).

Le Père Nikon connaissait bien la littérature classique et les philosophies grecque antique, européenne et russe. Il estimait particulièrement les oeuvres de Dostoïevski, admirant la profondeur de son analyse de l'âme humaine.



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A l'égard des gens, le Père Nikon se comportait de façons différentes. Avec certains, il parlait calmement, à d'autres il tenanit des propos pleins de consolation, tandis qu'il en réprimandait d'autres encore. Cela ressort de ses lettres. En général, c'était le type de personne qui ignorait ce qu'était de plaire aux hommes, et il n'aimait pas du tout les gens flatteurs, rusés. Il morigénait ces derniers. Il disait que le flatteur est celui qui a lui-même soif de recevoir des louanges, et que l'homme le plus repoussant est celui qui est rusé. Il craignait beaucoup la rumeur populaire bon marché. Il disait que cela ne coûte rien que de devenir un prétendu "saint" et d'attirer le peuple : il suffisait de commencer à commenter l'Apocalypse, de parler de la fin du monde et de l'Antéchrist, de se traîner à quatre pattes autour de l'église. On peut très facilement y arriver en commençant à distribuer des prosphores, de l'huile provenant du sacrement, de l'eau bénite et d'autres choses saintes avec "une recette" pour les appliquer aux différentes maladies et tribulations de la vie. Le peuple cherche toujours des thaumaturges, des clairvoyants, des consolateurs dans les afflictions, des guérisseurs de maladies et de l'alccolisme, mais il est très rare que quelqu'un l'aide à se délivrer des passions de l'âme.

" Le peuple, dans son écrasante majorité, se plaignait le Père Nikon, ne connaît absolument pas le christianisme et cherche non la voie du salut, la vie éternelle, mais ceux qu'il pense pouvoir l'aider à "faire" quelque chose, afin d'être délivré immédiatement d'une affliction ou d'une autre." A ceux qui venaient à lui dans une telle disposition d'esprit, il disait : " Si tu ne veux pas d'afflictions, ne pèche pas, repens-toi sincèrement de tes péchés et de tes injustices, ne fais pas de mal à ton prochain, ni en actes, ni en paroles, pas même en pensée, va plus souvent à l'église, ne remets pas à un espace de temps prolongé la Communion, prie, sois miséricordieux envers ton prochain, tes voisins, pardonne à tous, alors le Seigneur aura aussi pitié de toi et, si cela est utile, Il te délivrera des afflictions."

Certains, après de telles paroles, partaient mécontents, parce qu'il n'avait pas dit quelle prière il fallait lire ou devant quelle icône il fallait faire célébrer un office d'intercession avec un acathiste, ou que "faire" encore pour que la vache donne du lait ou que l'époux cesse de boire, mais il parlait sévèrement de la nécessité de se réconcilier avec tous, de cesser de verser de l'eau dans le lait (1), d'arrêter de voler, mentir et tricher.

(1) : ( Allusion à la pratique frauduleuse de certains paysans, mais qui désigne ici symboliquement toute forme de fraude ou de tromperie. (NdE).).



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Lee Père Nikon commença à ressentir une particulière indisposition à l'hiver 1962-1963. Le 1er novembre 1962, il écrivit : " Je me sens faible, la pensée de la mort ne me quitte pas. Je vois que si je vis jusqu'en 1963, je ne traverserai pas toute l'année. Personnellement, pour moi, la mort est souhaitable. je sais qu'il y a la vie à venir, la miséricorde Divine envers nous; il y a pour ceux qui croient en le Seigneur Jésus-Christ une espérance indubitable d'entrer dans la vie bénie éternelle, qui n'est pas douloureuse."

Peu à peu il s'affaiblissait de plus en plus, se fatiguait plus vite, mangeait moins. Avant son trépas, il ne prit aucune nourriture pendant deux mois, et un mois avant cela, ne buvait qu'une fois par jour un peu de lait et ne mangeait que des fruits. Mais personne ne remarquait en lui le désespoir ou l'affliction. Il était calme, concentré, et, la plupart du temps, il avait un doux sourire sur le visage. Il put se lever presque jusqu'à la fin et ne fut alité que durant dix jours avant sa mort, ayant définitivement perdu ses forces. Il ne permit pas que l'on appelât un médecin.

La veille de la Dormition de la Mère de Dieu, il confessa pour la dernière fois ceux qui lui étaient proches. Lui-même, lorsqu'il ne pouvait plus aller jusqu'à l'église, communiait à la maison. Il disposa jusqu'à la mort de toute sa conscience, qui était claire, et continua à guider ceux qui l'entouraient. Il donna pour testament de garder la foi par l'accomplissement des commandements dans tous les domaines et par le repentir, d'obserever les enseignements du saint hiérarque Ignace ( Briantchaninov), de fuir particulièrement les choses vaines qui vident complètement l'âme et éloignent de Dieu.

A ceux qui étaient affligés auprès de son lit, il dit : " Ne me plaignez en rien. Il faut rendre grâces à Dieu que j'aie déjà achevé mon chemin terrestre. Je n'ai jamais voulu vivre, je n'ai rien vu d'intéressant dans cette vie et j'ai toujours été étonné que d'autres y trouvent quelque chose et s'y accrochent avec leurs dernières forces. Bien que je n'aie rien fait de bien durant ma vie, j'ai aspiré sincèrement à Dieu. Aussi, j'espère de toute mon âme dans la miséricorde divine. Dieu ne peut pass rejeter l'homme qui a toujours et de toutes ses forces aspiré à Lui. J'ai de la peine pour vous. Qu'est-ce qui vous attend encore? Les vivants envieront les morts."

Le calme et le courage avec lesquels le Père Nikon chemina vers l'heure de sa mort étaient remarquables. Cela provoquait chez ceux qui l'entouraient des larmes qu'ils retenaient à peine. Tous voyaient qu'il mourait, mais personne ne voulait y croire.

On n'entendait aucune plainte venant de lui. " Père, avez-vous mal? - Non, de temps en temps des sensations désagréables." On lui acheta des pantoufles en vue de la mort. Il les essaya en souriant : " Elles vont bien." On fit un voile pour recouvrir le cercueil. Il regarda et trouva une faute dans l'inscription. Il vit comme on apporta son cercueil, et était content que tout soit prêt. C'est ainsi que meurent les véritables chrétiens.

Lorsqu'on demanda au Père Nikon comment et où l'inhumer, il répondit : " C'est inutile d'en parler, parce que jamais on ne l'accomplit." Mais lorsque les proches, qui avaient déjà déterminé ( secrètement, sans lui en parler) le lieu de l'inhumation, s'approchèrent de son lit, il leur demanda immédiatement : " Bon, alors, vous m'avez trouvé un endroit?" En général, dans la période de sa dernière maladie, le Père Nikon étonnait souvent par sa clairvoyance. Quelques jours avant son trépas, il demanda soudain que l'on trouve et qu'on lui lise ce passage de la biographie du starets Ambroise d'Optino, où il est question de l'odeur de la corruption qui se dégagera de son corps après la mort. Le sens de cette demande étrange se révéla rapidement.

Les derniers temps, nous nous inquiétions que le Père Nikon ne vînt à mourir en notre absence. Mais il nous assura fermement : " Ne craignez rien, je ne mourrai pas sans vous. Lorsqu'il faudra, je vous appellerai tous."

Et effectivement, lorsqu'à midi le 7 septembre, il décéda paisiblement, tous se rassemblèrent autour de lui à ce moment même avec des cierges dans les mains et récitèrent les prières du départ de l'âme. Effectivement, il les avait tous appelés.

A l'église, on lisait à tour de rôle l'Evangile (chacun une heure). et voici qu'en la deuxième partie de la nuit, le 9 septembre ( jour de l'enterrement), deux de ceux qui lisaient ressentirent une odeur de corruption qui sortait du cercueil. Il est difficile de décrire leur chagrin : que se passera-t-il à la Liturgie, aux funérailles, lorsque l'église sera pleine?

Or, il se passa quelque chose d'étonnant. L'odeur ne se manifesta que pendant deux heures. Ensuite, lors de la lecture de l'Evangile, de la célébration de la Liturgie, des funérailles, au moment de l'inhuamtion, elle avait disparu! Ainsi était révélé le mystère de la demande du Père Nikon de lire ce passage de la vie de saint Ambroise d'Optino. L'odeur de corruption avait confirmé son décès ( il y a des cas de sommeil léthargique). Et la cessation inattendue et complète des signes de la corruption était une action manifeste de la grâce de Dieu, un miracle manifeste.

Le jour de l'enterrement, l'église était pleine comme à Pâques, les gens se tenaient avec des cierges. Ce n'était pas étonnant, car ils étaient sincèrement émus et étaient venus honorer et accompagner par la prière le départ dans l'éternité de leur guide bien-aimé. Autre chose surprit un grand nombre de personnes. Une paix particulière de l'âme et une joie incompréhensible régnaient le jour de l'enterrement. Les parents et les proches du Père Nikon disaient avec étonnement que tout ce jour de séparation avec l'homme qui leur était le plus cher, s'est avéré pour eux, de façon inattendue, non pas un jour d'affliction, mais d'une fête inhabituelle, une solennité.

On se souvient sans le vouloir des paroles de saint Ignace Briantchaninov : " Avez-vous vu le corps d'un juste que l'âme a quitté? Il ne dégage pas de mauvaise odeur, on ne craint pas de s'approcher de lui; lors de son enterrement, sa tristesse est transformée en une sorte de joie ineffable. Les traits du visage, fixés tels qu'ils se sont dessinés dnas les minutes du départ de l'âme, reposent parfois dans un calme profond, et parfois rayonnent de la joie de la rencontre délicieuse et du baiser - naturellement avec les anges et les choeurs des saints, qui sont envoyés depuis le ciel pour recueillir l'âme des justes."



Mémoire éternelle à toi, notre cher Père!

Alexis Ossipov

Professeur à l'Académie théologique de Moscou

Traduit du russe par Bernard Le Caro





HIGOUMENE NIKON VOROBIEV

LETTRES SPIRITUELLES

Cher Serioja! (1).

(1) : ( Ici commence une série de lettres adressées à la moniale Serguia (Tatiana Ivanovna Klimenko, 1901- 1993), qui ont été retrouvées récemment et ne figuraient pas dans les premières éditions de ce recueil. La plupart de ces lettres ont été écrites au temps où s'exerçait une filature constante à l'encontre du Père Nikon et de tous ceux avec lesquels il entretenait une correspondance. C'est pourquoi il était contraint, pour ne pas créer d'ennuis à ses correspondants, de s'exprimer dans la langue d'Esope. Aussi écrivait-il, au lieu du mot Dieu, la lettre grecque Th ( en grec Théos : Dieu); il appelait les Saaints Pères "les sages de l'Egypte" ou "les grands pères"; il ne désignait les personnes que par les initiales de leur nom; souvent il parlait de lui-même à la troisième personne (N.). Il désignait Tatiana Ivanovna par un autre nom, etc. Le texte présenté ici est en grande partie "traduit", dans le sens que les mots abrégés sont donnés intégralement, certains noms propres sont "déchiffrés" et les passages obscurs sont explicités entre crochets. Dans les présentes lettres, comme dans celles adressées à d'autres personnes, ont été omis les passages n'ayant pas d'intérêt général : les détails sur le quotidien, l'évocation des amis et membres de la famille, les salutations, voeux, etc. (Ndt).).

Je suis bien arrivé et mes bagages, tous en bon état, m'ont rejoint quatre jours plus tard. La maison, grande par ses dimensions, où loge ma "famille" a subi de grands dommages. Il faut la réparer, la nettoyer, la préserver du froid. A cela, il convient d'ajouter degrands dysfonctionnements, tant matériels que d'un autre ordre. Il faudra se donner beaucoup de peine pour accéder à la paix et autres bienfaits. Il fallait venir d'ailleurs et ne connaître personne pour avoir les mains libres et agir sans partialité.

L'esprit du lieu se fait néanmoins voir sur certains visages. Nous rencontrons les chers portraits des grands pères ( les startsi d'Optino) et les souvenirs qu'ils ont laissés derrière eux.

La petite ville elle-même est un peu minable, bien que pittoresque, car juchée sur plusieurs collines, entrecoupées de ravins.

Il y a une petite rivière ( la Drougouzna) et une plus grande ( la Jizdra). Une atmosphère patriarcale règne sur tout. Tout est doux, on y respire plus aisément. Beaucoup d'édifices ont été abîmés (par la guerre). Les logements disponibles sont occupés par less militaires, si bien qu'il est difficile de trouver un logis quelque peu confortable.

Je regrette de n'avoir pas emporté de lampe. Ici, on n'en trouve pas. La maison dans laquelle j'ai élu domicile n'a pas l'électricité; de lampe - point, pas plus que de pétrole. S'il en est ainsi, il faudra s'éclairer à la chandelle et rester le plus souvent enfermé dans sa Thébaïde ( son propre coeur).

J'ai lu des souvenirs sur le grand-père Joseph ( le starets d'Optino), des souvenirs attendrissants.

Il est encore très difficile de parvenir jusqu'ici; l'on ne peut que passer par Moscou. Ou bien, si l'on passe par Viazma, il faut se rendre à Kalouga, Toula, Plekhanovo, Kozelsk. Car il est impossible de monter dans le train qui va de Kalouga à Soukhounitchi. J'ai fait le voyage dans le sas entre deux wagons, j'ai cassé ma valise, et suis tout de même arrivé à bon port... Trois fois déjà j'ai été à l'office. Peut-il y avoir une obligation ( célébrer les offices) plus désirable que la mienne?

Les prix des denrées alimentaires ici ne diffèrent guère des vôtres.

Comment allez-vous, comment va votre Maman? Je me languis un peu de vous, d'Eul. et des autres vieilles femmes : c'est surtout pendant les offices que l'on ressent le désir que nos amis soient là.

Je puis me vanter que déjà beaucoup se sont pris d'affection pour moi. Qui, à votre avis? Les puces et les punaises se serrent contre moi. Je regrette de n'avoir pas emporté de produit contre elles. Tous mes draps sont tachés. Je vais essayer de cueillir de l'absinthe : on dit que c'est efficace. J'écris par à-coups, d'où ma mauvaise écriture. Pardonnez-moi.

Je vous souhaite la paix qui dépasse toute intelligence.

A quelle adresse vous envoyer les lettres?

Donnez ma lettre à lire à Eul., pour m'éviter d'éceire séparément. Pour l'instant, je n'ai rien d'autre à dire.

Ne pourriez-vous, à l'occasion, m'envoyer un dictionnaire de grec?

N(ikon), le 16 août 1944 (1).

(1) : ( Cette lettre a été écrite après l'arrivée du Père Nikon à Kozelsk, où il reprit son ministère sacerdotal après onze ans d'interruption).



*

Tant que votre maman est avec vous, vivez comme avant, ne vous attachez à rien d'extérieur, libérez-vous peu à peu de toutes choses... Le chemin de la Thébaïde se prend de force. Frappez... ce sont des verbes itératifs. Constance, conscience de son indignité, pureté de la conscience morale vous aideront bien vite à surmonter tous les obstacles et à parvenir au but. Ainsi parlent nos grands pères expérimentés ( les Saints Pères). Tout cela, vous le savez et je ne fais que vous le rappeler, ou plutôt je parle à vide, comme si je lançais des petits cailloux du haut d'un clocher.

N(ikon)



*

Il ne faut pas penser à la mort avec la mentalité qui était la vôtre, mais avec un tout autre esprit, comme le faisaient les "sages de l'Egypte". Vous savez combien ils désiraient vivre encore, afin de mieux se préparer. Ce que vous montrez, c'est de la pusillanimité. Ce n'est pas un reproche : je le fais aussi, mais c'est ainsi. Les forts avaient peur, et nous, nous crânons, parce que nous n'avons pas l'humilité. Cherchez donc dans les paroles des "sages de l'Egypte" ce que disait Abba Pimène - et nous, nous pensons, nous espérons l'inverse.

Mon quotidien se met en place. Je me nourris suffisamment, il en reste même pour les mouches et les puces. Je m'habitue à elles. J'ai fait l'acquisition d'une lampe à pétrole. En un mot, tout, pour l'instant, à tout point de vue, est satisfaisant.

18 septembre 1944



*

Je crains que ma lettre trop "dure" ne vous ait vexée. Je n'ai pas encore reçu votre réponse. Cependant, je compte sur votre sagesse spirituelle et sur votre désir ardent de cheminer avec moi sur les traces des pères et non d'emprunter des voies nouvelles, inventées de toutes pièces - et d'accéder à la "santé" tant désirée. Le médecin ne peut pas caresser la tête du malade quand celui-ci ne respecte pas son régime et ne voit pas qu'il se nuit à lui-même. Dès l'instant où j'ai fait votre connaissance, j'ai pensé qu'il vous fallait avant tout prêter attention à vos rapports avec les personnes de votre entourage. Aller vers le centre en passant par les proches, ou bien : deux pas vers le prochain et un pas vers le centre. C'est le bon chemin, et il est sans danger. Quant à marcher droit vers le centre en croyant que par là nous nous approcherons, tout naturellement, de notre prochain, n'est ni à notre mesure ni de notre âge.

Seulement, n'expédiez pas de lettres écrites impulsivement, commencez par "réfléchir", n'écrivez qu'après, et que votre lettre attende un jour ou deux avant d'être expédiée. Je suis sûr qu'alors, vous écrirez différemment. Vos lettres contiendront moins de "sang" et de "nerfs", et plus d'esprit.

2 janvier 1945



*

Il est indispensable que nous soyons un peu (et certains - très) malades. Il est indispensable également que l'on nous blesse, sans fondement, dans le seul but de révéler, fût-ce exagérément, l'un de nos défauts. Je dis cela non pas en théorie, mais concrètement, parce que j'ai expérimenté moi-même, plus d'une fois, le bienfait de cela. C'est avec une absolue conviction que je le dis : ceux qui nous vexent sont nos maîtres.

Je connais bien vos vertus, tout au moins celles que vous évoquez dans vos lettres. Mais, hélas, leur valeur devant Dieu n'est peut-être pas si grande. Nous ne le saurons que lorsque nous L'aurons rejoint. Il vaut mieux - vous le savez bien- ne rien savoir de nos bonnes actions, mais se rappeler que nous sommes tenus de les accomplir, et, les ayant accomplies, s'estimer inutiles...Pardonnez-moi de vous écrire des choses aussi élémentaires. Malheureusement, elles sont élémentaires dans le principe, mais bien rarement dans la pratique.

Notre dette envers Dieu est telle qu'aucune bonne action ne saurait la rembourser. Il ne nous reste qu'à nous soumettre, à "prier et pleurer". Or, combien souvent de bonnes actions, aussi authentiques soient-elles, deviennent pour nous une pierre d'achoppement et de chute...

Je vous dirai en secret, comme à une amie, aue N., que vous connaissez, qui est sur terre depuis déjà 51 ans, n'a pris conscience que maintenant ( con-science, c'est-à-dire connaissance non par l'intelligence, mais par le coeur, par tout son être) - c'est ce qu'il m'a révélé - qu'il n'y avait en lui ni crainte de Dieu, ni piété, aucune vertu, ni gratitude, ni foi, ni patience... Qu'est-ce que vous en pensez? Cela n'est rien... Mais ce vide devrait se remplir de ce quelque chose qui est plus précieux que toutes nos vertus ambiguës, d'une chose que nous ne possédons pas encore... Je me tiens nu et dénudé devant Toi qui connais les coeurs, aie pitié de moi (1)...

(1) : ( Les phrases en italique sont des citations ou des réminiscences de la Sainte Ecriture (NdE).).

Tels sont les pleurs du coeur, profonds, permanents, qui ébranlent l'être tout entier, qui purifient et adoucissent toutes nos vaines vertus et tous nos défauts. Que Dieu nous donne, à vous et à moi, d'acquérir ces pleurs. Tant que nous ne les avons pas, tout est vaine agitation, apparence, vétusté, vanité et autres tentations. La voilà, la réponse à nombre de vos questions; vous apprécierez vous-mêmes lesquelles.

C'est aujourd'hui le jour anniversaire de celui que nous aimons, Ignace ( Briantchaninov). Comme je lui suis reconnaissant pour ses écrits! Ne pas le comprendre, ne pas l'apprécier, c'est ne rien comprendre à la vie spirituelle. J'ose dire que les oeuvres de l'évêque Théophane (Govorov (1)) - que le saint évêque me pardonne - sont des écrits d'écolier au regard de ceux de l'évêque Ignace.

Voilà ce que je voulais vous dire de plus précieux : je voulais vous souhaiter, si vous me le demandez, d'approfondir sans cesse l'oeuvre d'Ignace (Briantchaninov), de suivre le chemin qu'il indique. C'est le chemin de tous les anciens Pères, le chemin qu'il a suivi lui-même, qu'il a trouvé bon, lui, l'homme de notre temps et de notre niveau de développement, l'homme de nos défauts et de nos faiblesses, un homme quasiment de notre entourage. C'est ce qui rend ses écrits particulièrement précieux. Ajoutez à cela la force de la grâce de Dieu, bien perceptible chez lui, car il écrivait non par caprice, mais sur une particulière injonction. Tels sont mes souhaits pour l'année 1945. Pardonnez-moi.

L'on me dit que vous partez souvent en missions commandées. Est-ce bien nécessaire? La distraction, l'agitation du voyage ne risquent-elles pas d'étouffer ce que vous tentez d'acquérir pour la santé de votre âme? Jugez-en vous-même. Ne vous chargez pas excessivement de tâches physiques. La meilleure voie est médiane. Un corps en trop bonne santé ou un corps trop faible sont également des freins.

Ne cherchez pas à l'extérieur les joies et les consolations : elles sont à l'intérieur de vous. Au-dehors, les choses sont ou illusoires, ou éphémères et fragiles. Bienheureux 1) les pauvres en esprit, 2) ceux qui pleurent. On peut pleurer partout, mais le mieux, c'est chez soi.

18 février 1945



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Nous n'avons pas de nous-mêmes une opinion correcte, nous n'avons pas conscience de nos "artifices", que nous pratiquons tous abondamment. Si nous ne nous dénudons pas totalement devant Dieu, nous ne parviendrons jamais à nous débarrasser d'eux. C'est un axiome de la vie spirituelle. Ce dénuement et ces pleurs devant Dieu, voilà pour chacun de nous l'effort à faire jusqu'à la mort. Pardonnez-moi de vous dire cela, alors que vous le savez mieux que moi.

22 mai 1945



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Vilain petit "garnement", que te faut-il, décidément! Te complimenter, te caresser... mais c'est mille fois plus néfaste! Aucun de nous ne peut supporter cela, nous sommes trop gâtés. C'est au Ciel que nous serons ce que nous devons être; nous serons ouverts les uns aux autres. Mais ici-bas, du fait de notre indignité, nous ne savons que tout dénaturer et salir. La nature elle-même, l'homme a su la souiller au point que sur toute chose se voit le sceau de la déchéance de l'homme.

Ne vous ouvrez qu'à ceux avec qui vous avez fait un long chemin. Tout ce qui brille n'est pas or. Pardonnez-moi.

29 juin 1945



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Pourquoi ce découragement? Quelle joie, quelle gloire nous attendent dans un futur proche; ne pouvons-nous pas nous supporter, nous-mêmes et les autres, si dur que cela soit? Il n'y a pas d'autre voie que la patience. Tous ceux qui ont atteint le but ont emprunté ce chemin. Les autres chemins mènent là où vous savez.

Je suis absolument convaincu de ceci : lorsque, par une disposition intérieure, vous aurez besoin d'une plus grande liberté, vous la recevrez. De toute évidence, soit de votre fait, soit, peut-être, du fait de votre mère, vous devez encore mijoter dans le chaudron.

Que signifie : " tout est brisé, tout est en pièces"? Je ne comprends pas bien, ou plutôt, je n'y comprends rien. En effet, nous sommes tous abîmés : ce que nous faisons, ce que nous disons, ce que nous pensons n'est pas ce qu'il faut. Mais il y a un remède à cela : le repentir. Ce qui est en notre pouvoir, il faut le faire; mais les manquements, les erreurs et tout le reste, de cela il faut sincèrement se repentir, faire la paix avec le prochain, prier Dieu. Mais exiger de soi plus qu'on ne le peut, c'est un signe soit d'orgueil soit d'ignorance.

Deux piécettes valent parfois plus que de grands trésors. Une chose est le jugement des hommes, autre chose est le jugement de Dieu.

17 juillet 1945



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J'ai reçu un petit mot de vous, tout triste. Pourquoi es-tu affligée, ma chère âme? Ce qui est - est, aussi bien à l'intérieur de nous-mêmes qu'à l'extérieur. Tantôt ça va un peu mieux, tantôt un peu plus mal; vous avez dormi "à l'hôtel" - allez, avancez, retour à la maison. Dieu soit loué pour tout. Rappelez-vous le conseil d'Ignace (Briantchaninov) : répétez cette phrase ( "Dieu soit loué pour tout"), d'abord en vous forçant, puis vous sentirez votre coeur se réchauffer et ce sera plus facile. Si dures que soient les circonstances, elles pourraient l'être beaucoup plusb( et pour certains, elles le sont) qu'elles ne le sont pour vous dans le moment présent. On n'est pas toujours en automne, le printemps arrive, et surtout nous mourrons tous et nous oublierons alors toutes nos misères. Ne perdez pas courage, mon bon ami! Comment Te rendrai-je, Seigneur, tout ce que Tu m'as donné? - Patiemment, j'endurerai et je porterai ma croix sans me plaindre, sans perdre l'espérance en un futur meilleur. Notre dette, de toutes façons, n'est pas remboursable, et l'amour (de Dieu) est infini : il peut tout couvrir, et il nous couvre, si nous le désirons. Voici, je suis avec vous jusqu'à la fin du monde, comme l'air, comme la lumière : ouvre tes poumons, l'air y pénétrera; ouvre tes yeux, tu verras la lumière. Car mon joug est doux et mon fardeau léger, même s'il faut souffrir un peu. L'amour guérit toujours celui qu'il aime.

Dans les circonstances actuelles, il est presque impossible de changer le cours des choses, de transformer les gens. Je viens d'apprendre aujourd'hui que, quand le prêtre arrive pour célébrer dans l'église qui se trouve à quelque 30 versets (1) d'ici, il est déjà ivre.

(1) : (Environ 32 kilomètres). (NdE).).

On n'entend dire que du mal sur ce qui se passe dans les bourgades voisines, petites et grandes. Comment rectifier cela, même à supposer qu'on ait un certain pouvoir? Je ne crois pas en une renaissance, je crois seulement que chacun peut faire son devoir là où il est. Et je désire sincèrement rester à ma place et accomplir ma petite, mais nécessaire, mission. Sinon, j'endurerai des peines qui me seront nuisibles à moi et peut-être même aux autres.

3 décembre 1945



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Je suis heureux pour votre Maman, content qu'elle s'adonne à une occupation utile. N'y a-t-il pas à ses visions et cauchemars noctirnes une cause physiologique, que l'on peut supprimer, ou bien la cause est-elle exclusivement psychique? Aidez-la à comprendre cela, expliquez-lui ces malaises, en montrant l'incapacité des ennemis (les démons) à faire quoi que ce soit. S'ils pouvaient faire quelque chose, ils ne l'effraieraient pas par des visions. Ils ont les mains liées, c'est pourquoi ils déversent leur hargne dans des injures, des visions, etc.

A votre portrait moral, il convient, me semble-t-il, d'ajouter : orgueilleuse, vaniteuse, juge les autres, etc. La petite phrase ( la Prière de Jésus), vous la dites mieux après le voyage simplement parce que le père Stéphane ( hiéromoine à Kislovodsk) vous a aidée et vous aide; il n'y a là aucun mérite de votre part.

Ce que vous avez écrit sur (la moniale) Séraphima (Eléna Efimovna) est vrai. Mais à son propos, je puis dire qu'il est difficile de faire entrer quelque chose de nouveau dans sa tête, et plus encore dans son coeur, et qu'à l'inverse, en faire sortir les sottises, c'est encore plus difficile. On ne peut agir sur elle qu'en y mettant beaucoup de patience et d'amour. La moindre suggestion "imposée" se heurte à de l'opposition. On ne ploie pas un arc d'un seul coup; il y faut d ela patience. Et que dire de l'action des microbes (les démons)? Ils profitent des dispositions naturelles et des mauvaises habitudes pour faire obstacle et vous freiner sur le chemin. Ne prenez pas trop à coeur le fait qu'elle ne vous écoute pas. Dites avec légèreté ce que vous estimez nécessaire, et c'est assez. L'efficacité des paroles ne dépend pas de l'insistance ou de la force avec lesquelles on les prononce... Plus encore : les reproches affaiblissent cette efficacité. Laissez ce soin à Dieu. Tout semeur sait que beaucoup de semences se perdent, mais il continue tout de même à semer.

Rappelez-lui que nous devons tous, nous qui n'avons aucun exploit extérieur, les compenser par des exploits intérieurs, ceux qui, sans aucun doute, lui seront demandés : l'amour et encore l'amour, la patience, l'humilité, etc., etc. et que pour son attitude légère (pour ne pas dire frivole) à l'égard des engagements pris ( les voeux monastiques), on ne va pas lui caresser la tête. Si nous devons rendre compte de chacune des paroles prononcées à la légère, que dire de toute notre disposition d'esprit, de notre tendance à aller non vers l'avant, mais vers l'arrière? Pour s'être retournée en arrière, une personne a été transformée en une colonne de sel. Il est dit également : "Il n'est pas fiable celui qui a saisi la charrue et regarde en arrière, et encore : elle a été lavée ( ) et le chien retourne à son vomissement. Hélas, je suis moi-même coupable de cela. C'est pourquoi, parfois, je regarde les autres avec amertume : je ne puis les condamner, car tout cela, je l'ai fait moi aussi plus d'une fois. Ne me jugez pas.

4 avril 1946



l'essentiel dans votre lettre concerne l'éta de santé de T (1).

(1) : (Cette Tatiana était atteinte de tuberculose (NdT).).

si j'en avais le droit et les forces, j'exigerais d'elle, catégoriquement, qu'elle fasse tout ce qui est humainement possible pour restaurer sa santé, et qu'elle laisse le résultat final à la volonté de Dieu. Il faut que le corps ne soit pas une gêne pour l'âme. Nous sommes déjà tellement inaptes, et si, en plus, la santé physique nous fait défaut, alors notre âme s'en trouvera totalement affaiblie. En effet, la prière, quand on est malade, ne peut être intense; or, sans la prière, il est difficile d'acquérir l'humilité, laquelle pourrait, à elle seule, tout remplacer.

Je vous souhaite, à vous et à votre Maman, de bons anniversaires, je souhaite que vous atteigniez le même âge spirituel, chose qui est fort possible, à en juger par les biographies d'un grand nombre de gens. Que toutes sortes de bénédictions vous viennent... Je suis content que votre Maman s'occupe à "broder" (dire la Prière de Jésus); c'est excellent, si l'intelligence et le coeur y participent. Cela lui sera d'un grand secours au jour redoutable (du Jugement).

Je vous prie de couvrir de votre amour mes manquements. Pardonnez-moi. Ecrivez-moi.

Votre ami.



*

Avant tout, je voudrais vous dire du fond du coeur : chère âme, pauvre âme, chérie, tous nous sommes dans la sphère des esprits déchus, tous nous avons l'intelligence, le coeur et la volonté abîmés par le péché; nous sommes tous, par l'intermédiaire de notre nature déchue, sous l'emprise de ces esprits mauvais; ils obscurcissent notre intelligence, nous inspirent diverses pensées qui nous éloignent de Dieu et affaiblissent notre foi. Ils souillent notre coeur, étouffent nos élans vers le bien, vers l'accomplissement des commandements évangéliques et ils renforcent, ils attisent notre penchant pour le péché. Un seul pouvait dire : Le Prince dece monde vient et je n'y ai aucune part. Mais en nous tous, il trouve sa part, et à travers cette part, il nous tend inlassablement ses embûches. Nous pouvons aisément nous en convaincre, en nous examinant attentivement. Faut-il pourtant, à cause de cela, se troubler, perdre courage, baisser les bras, alors que nous avons reçu de Dieu en personne le commandement : dans le monde vous serez dans la peine, mais prenez courage, j'ai vaincu le monde. Le monde et le diable sont vaincus, Dieu est avec nous!

Par nos propres forces, nous ne pouvons, bien sûr, rien faire, nous ne pouvons chasser les ennemis, nous libérer de leurs actions sur nous. Mais nous disposons d'une grande force - le Nom du Seigneur, de Jésus-Christ. L'invocation - permanente, si possible - de ce Nom qui fait peur aux esprits déchus, les chasse, les rend sans force, tandis qu'en nous, elle renforce la foi, purifie le coeur, insuffle l'espérance et une libération du péché, fortifie la volonté de faire le bien, rétablit l'image de Dieu, enfouie, étouffée par la vie de péché et d'agitation, en un mot, elle fait croître l'homme nouveau. Peu importe que notre vie tout entière se soit passée dans l'agitation et le service de l'ennemi, si, ne serait-ce qu'à la onzième heure, nous avons pris conscience de cela, nous le déplorons et avons résolu de revenir dans la maison du Père - alors nous serons accueillis par l'Amour de Dieu, infini, qui nous étreindra, nous lavera, nous vêtira d'un vêtement de gloire et nous emplira de joie à jamais. Je ne rejetterai pas celui qui vient à moi. Comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, il courut se jeter à son cou et l'embrassa.

Si nous, à notre tour, nous sommes encore loin, loin du Seigneur de par nos particularités, notre nature pécheresse, mais dès lors que nous avons résolu d'aller vers Lui, Il vient Lui-même à la rencontre de l'homme pécheur, Il lui pardonne tout et le fait entrer dans son Royaume d'amour et de joie...

Ma chère soeur, ma soeur chérie! Nous n'allons pas nous décourager, nous qui avons un tel Seigneur. Contemplez la Croix : Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point mais ait la vie éternelle. Dieu est Amour. L'Amour peut-il être indifférent à la perdition, aux souffrances de l'aimé? Il n'est pas dit que Dieu a de l'amour pour les hommes - fût-ce un amour divin -, mais il est dit : Dieu EST Amour. Par conséquent, si les ennemis vous insufflent le doute, la crainte, le désespoir, ne discutez pas avec eux, tournez-leur le dos, contemplez la crucifixion, remémorez-vous les paroles de l'Evangile, celles surtout qui expriment le plus clairement l'amour de Dieu, invoquez le nom du Seigneur Jésus-Christ, et les ennemis disparaîtront.

Il n'y a pas de péché impardonnable, si ce n'est le péché dont on ne s'est pas repenti. tous nos péchés, grands et petits, sont un caillou lancé dans l'océan de l'amour miséricordieux de Dieu. Ne périra que celui qui veut lui-même périr.

19 novembre 1946



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Je suis désolé que vous ayez tant d'ennuis, externes et internes Mais que faire! Tel est le chemin qui mène aux étoiles. Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. Dans le monde, vous serez dans la peine, mais gardez courage...

En ce qui concerne l'amitié, je vous dirai que les peuples anciens, ainsi que l'Ecriture, s'en faisaient une haute idée. Ella a ses degrés (me semble-t-il), comme la foi et l'amour : elle va de la petite étincelle vacillante à une force capable de soulever les montagnes, celles que notre amour-propre a amassées sur nous, et de les noyer dans la mer de la miséricorde et de la patience à l'égard des défauts de l'autre. La passion ne voit pas les défauts de l'autre; c'est pourquoi ( et pour beaucoup d'autres raisons) on la dit "aveugle"; l'amitié et l'amour, à l'inverse, les voient tous, mais ils les couvrent et aident la personne à se débarrasser d'eux, à les surmonter, à s'élever au degré supérieur. Un élément d'amour est inhérent à l'amitié, comme la chaleur à la lumière. Car le mot grec philô signifie aimer et aussi éprouver de l'amitié. Et à la limite, dans le Royaume des Cieux, et l'amour et l'amitié disparaissent, ou plutôt ils se fondent dans l'amour sans limites de Dieu, comme des lampes sous un ardent soleil.

10 octobre 1946



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Chère grand'maman,

Je suis désolé que vous soyez malade. J'espère que vous êtes déjà allée voir le médecin, (le Père) Stéphane, que vous lui avez narré toutes vos misères et qu'il vous a soulagée. Si grandes soient les maladies de certaines personnes et de toute l'humanité, elles ont une fin, alors que la miséricorde de Dieu et Son amour n'ont pas de fin. Le plus timide appel vers le Seigneur, la résolution d'aller vers Lui, cela suffit à susciter la joie au Ciel, toutes sortes de secours et... le pardon de tous les crimes. Le larron sur la croix n'avait pas d'autre possibilité d'exprimer le cri de son coeur que par la parole : nous recevons ce qu'ont mérité nos actes, souviens-Toi de moi Seigneur quand Tu viendras dans Ton Royaume. Et qu'a-t-il entendu? Quelque reproche, ou le rappel des crimes qu'il avait commis? Ses mains et ses pieds sont cloués; on ne peut plus rien faire pour l'aider - et l'Amour accueille cet unique soupir du coeur et lui ouvre les portes de l'Eden. Il n'est pas dit : Dieu a de l'amour, il est dit : Dieu EST Amour. Aussi inconcevable est la grandeur de Dieu, aussi inconcevable est Son abaissement, Son Amour, qui L'a conduit jusqu'à la Croix. Tout autre moyen de salut de l'humanité eût été moins convaincant pour le coeur de l'homme déchu que l'Incarnation et la Crucifixion. Gloire à Toi, Seigneur! Gloire à Toi, Seigneur! Gloire à Toi!

Ne cédez pas aux suggestions et pensées de l'Adversaire, qui vous souffle qu'il n'y a pas de pardon, que nous sommes trop mauvais... Mauvais, oui, nous le sommes, seulement nous ne prétendons pas être bons et nous ne comptons pas sur nous, mais sur la miséricorde de Dieu. Le Seigneur est venu sauver ce qui était perdu; appeler les pécheurs au repentir. Ce ne sont pas les bien-portants qui ont provoqué la venue du Médecin descendu du Ciel.

16 janvier 1947



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Vos relations avec Eléna Efimovna ( la moniale Séraphima) ne vous éloigneront pas de moi. Je connais trop bien la faiblesse humaine et les ruses du démon. Les gens s'imaginent qu'ils sont très bien, et ils s'fforcent decacher à ceux qu'ils estiment tout trait de caractère ou tout acte négatifs. Mais moi, je pense que nous sommes tous mauvais. Les uns sont un peu mieux, les autres un peu moins bien, mais ces différences sont infimes en comparaison de ce que nous devons être. Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. Et nous, qui n'avons rien fait, qui sommes-nous? Et comment nous jugeons-nous les uns les autres? Séraphima, bien sûr, a tort, et elle a d'autant plus tort qu'en voyant votre état maladif, elle ne vous a pas plainte, ne s'est pas retenue, n'a pas cherché à préserver cette tranquillité que nécessitait votre santé. Mais vous avez tort, vous aussi, d'exiger de Séraphima ce qu'elle ne peut pas donner. A mon sens, il faut se comporter avec les gens comme le médecin avec les malades. Nous sommes tous atteints de maladies, seulement chez les uns, c'est une forme de maladie qui apparaît, chez les autres, c'est une autre. Ma très chère, n'accordez pas d'importance aux défauts de Séraphima qui suscitent ses mauvaises réactions à votre égard. Lorsque nous envahissent un sentiment d'animosité, l'envie de condamner, il faut se dire : et moi, avec ces sentiments, comment suis-je devant Dieu? Et puis, suis-je une perfection? Il faut, par une prière ingénue, lutter contre l'animosité. Car il est bien évident que s'exerce ici l'action des mauvais "microbes". Tout ce qui vient de Dieu procure la paix, l'amour, la patience, etc. Et du camp adverse ne proviennent que l'hostilité, l'animosité et toutes sortes de méchancetés.

Je vous plains sincèrement, vous qui êtes relativemente expérimentée, de ne pas reconnaître les embûches de l'ennemi et de vous y laisser prendre. La personnalité d'Eléna se réduit-elle à cela? Je me souviens d'une histoire de yogis : un gourou marchait, accompagné de ses disciples; ils rencontrèrent sur leur route un chien crevé; les disciples s'en écartèrent avec dégoût, mais le gourou leur dit : regardez quelles belles dents il a. Un commandement nous est donné, celui de voir ce qu'il y a de bien chez notre prochain - et nous nous en trouverons tous mieux. Efforcez-vous de voir en Eléna ce qu'elle a de bien, de le retenir, de l'estimer, et détournez votre attention de ce qu'il y a de mal.

Personnellement, cette attitude m'a toujours aidé, notamment la pensée que devant la face de Dieu je suis peut-être mille fois pire que mon prochain. Essayez, vous aussi, de vous comporter ainsi.

30 janvier 1947



P.S. La personnalité, l'essence d'une personne résident dans l'orientation de sa volonté. Si la personne tend vers Dieu et veut se libérer de ses défauts, par cette volonté même, elle rompt avec tout ce qui est mauvais. Je n'ai pas le temps de développer cette pensée. Bon, mais vous la comprenez vous-même.



Vivez en meilleure entente. Supportez-vous mutuellement.

2 février 1947



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Il est certain que je déchiffre mal les gens, ou plutôt, je cède à une impression intérieure (une intuition), laquelle, lorsqu'elle vient de personnes qui ne se sont pas purifiées des passions, ne peut être pleinement juste. C'est pourquoi il convient que T. n'accorde pas trop d'importance à mes paroles. Ce qu'elle estimera juste et utile, qu'elle l'accepte, mais ce qui n'est pas exact, qu'elle le rejette, je ne m'en offusquerai nullement. En proférons-nous, des paroles inutiles! Moi-même, je ne crois pas trop à ce que je dis.

1947



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A propos de la misère, de la vieillesse déshéritée, de toutes ces pensées désespérées, je dirai ceci : tout cela vient du vieil homme et de l'ennemi. Chassez-les. Recherchez avant tout le Royaume des Cieux...Notre maître est riche et il nous aime infiniment. Que pourrions-nous craindre?

J'ai ressenti profondément, ces derniers temps, l'amour de Dieu pour nous, un amour qui ne peut tolérer que le moindre mal atteigne aucun homme qui tend vers Lui. Tout est entrepris pour son bien. C'est pourquoi nous devons remercier pour tout, et surtout lorsque nous subissons des maladies ou des pertes cruelles, parce que Dieu Lui-même éprouve de la peine à nous punir, mais Il est contraint, pour nous, par amour pour nous, de supporter nos propres souffrances.

C'est l'un des aspects. L'autre, concernant la même question : que donnerons-nous à Dieu pour Son amour pour nous? (En quoi cet amour s'est révélé, voyez vous même, de A à Z). Que Te donnerai-je, Seigneur, pour tout ce que Tu m'as donné? L'amour, qui se manifeste par l'accomplissement de Sa volonté et surtout par l'endurance, accompagnée de gratitude, devant les épreuves et plus vous en montrerez, mieux ce sera - chacun selon sa mesure.

Comme je voudrais faire sentir cela, et à moi-même, et à vous. Faire de ces pensées une "oeuvre "intérieure quotidienne, un "enseignement", les faire siennes jusqu'au plus profond non seulement de l'âme mais de l'être tout entier, en imprégner toutes les pensées, les sentiments, les actes, et surtout la prière. Ne vous méprenez pas sur mes pensées : non point attiser en soi un sentiment d'amour, mais contempler l'amour de Dieu pour nous; et en soi, cultiver le sentiment de sa propre indignité, d'une dette non acquittée, le désir d'accomplir ne serait-ce qu'un petit peu Sa volonté telle qu'elle s'exprime dans les commandements, supporter de Sa main des souffrances, remercier pour tout, se désoler de ne jamais pouvoir accomplir quoi que ce soit dignement. Quant au sentiment d'amour, il viendra ( si seulement il vient à nous) comme la conséquence de l'accomplissement de tous les commandements (voir le Discours 55 de saint Isaac le Syrien).

C'est bien pour cela que l'Apôtre nous a dit : Soyez toujours joyeux, priez sans cesse, remerciez pour tout...

25 février 1948



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Depuis que j'ai quitté Kozelsk, j'ai vu beaucoup de choses et notamment la force de la calomnie, le mal qu'elle peut faire, même quand elle est totalement mensongère. Il est très justement dit quelque part : Délivre-moi de la calomnie des hommes et je garderai Tes préceptes. Par la calomnie, on peut même empêcher l'accomplissement des commandements. Elle est grande, la déchéance de l'homme! Les gens sont devenus plus à craindre que les démons. Et ce qui semblait n'être qu'un mal minime -un léger mensonge, une cachoterie, un bavardage, une confiance excessive - devient, par l'action de l'ennemi et la permission de Dieu, une arme puissante dans les mains d'un homme contre un autre homme. Et quelle gêne pour la prière! Combien de pensées mauvaises, superflues! Et cela se produit au moment où on a l'impression que tout est devenu aisé sous ce rapport. C'est une expérience importante, mais assez pénible et disons-le : pour moi, indispensable.

Serioja (Tatiana Ivanovna) m'écrit que chez lui l'imagination joue un trop grand rôle, qu'il se représente son passé, qu'il se délecte en pensant à ce qu'il aurait pu être dans sa jeunesse si..., etc; il écrit, entre autres, "il n'y a pas là de gros péché, mais cette "fiction" m'entrave grandement". Et comment! Elle ne fait pas que l'entraver, elle empoisonne tout son être spirituel et, du fait du lien avec le corps, son être corporel. On peut sérieusement se poser la question : qu'est-ce qui, en premier, rend S. malade - la tuberculose ou cette déviation intérieure? Cette délectation psychique, accompagnée de vanité, est une maladie très grave. A quoi cela rime-t-il? Dieu ne savait-il pas ce qui était bon pour S. s'Il a orienté sa vie dans le sens qu'elle a suivi et non dans celui dont S. rêvait? Comment a-t-il l'audace de rectifier le jugement de Dieu? Est-il donc assez borné et inexpérimenté pour ignorer ce dont il se prive par ses rêveries? Il est dit : Celui qui veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même! Entends-tu? Renonce à toi-même! Pourquoi donc te donnes-tu de la peine et qui plus est, pour rien? Pourquoi te livres-tu volontairement à l'ennemi le plus féroce?

Renonce à toi-même, à ta volonté, à ton "moi", à tes rêveries sur toi-même, réel ou imaginaire, renonce à toutes les idoles que tu t'es créés sur terre! Allie-toi, au moins, pour commencer, en le désirant, à l'unique Vérité, qui est la Vie et le Chemin! Celui qui est double n'est pas bon pour le Royaume des Cieux. Pourquoi vend-t-il son droit d'aînesse pour un plat de lentilles? Ecrivez-lui de laisser tomber tout cela, car alors, peut-être, il recouvrera la santé. Qu'il chasse avec colère et en invoquant son Sauveur chaque pensée tentatrice. En cela consiste toute la vie intérieure! Il faut réduire toute la vie intérieure à huit mots ( la prière de Jésus), à travers eux purifier la forme, l'image ou, autrement dit, les pensées et le coeur ou, autrement dit encore, le temple du Dieu vivant, afin que la ressemblance puisse pénétrer dans un vase pur... Sapienti sat (c'est assez pour celui qui sait).

Conseillez à S. d'accorder une attention soutenue à sa disposition intérieure, sinon il risque de se corrompre, de pourrir. Qu'il ne se plaigne pas de ces paroles dures, car l'affaire est trop sérieuse, et surtout, elle est réformable, à condition de le vouloir. Je lui souhaite vivement d'inaugurer un bon début, avec l'aide de Dieu. Qu'il considère ces rêveries comme le diable en personne, à qui il a été interdit de se présenter sous son aspect véritable, afin de ne pas trop lui nuire, mais simplement d'agir sur lui par le truchement des pensées tentatrices et de l'imagination. Croyez bien que c'est lui, avec ses cornes et ses sabots, qui utilise les caractéristiques naturelles de S. C'est ainsi que le "diable" d'Ivan Karamazov se dissimulait dans les pensées mêmes d'Ivan. Telle est la force du diable : il se cache dans nos pensées, il intensifie et enflamme les sentiments suscités par ces pensées. Le tableau est on ne peut plus clair. Que Serioja voit les choses ainsi, qu'il estime qu'il lui faut à chaque instant faire un choix : converser et se complaire avec le diable ou au contraire, avec son Adversaire et son Vainqueur. Le choix est entre nos mains, et le secours est prompt pour celui qui a fait le bon. Qu'est-ce qui est plus fort que Dieu? Dieu est avec nous, abaissez-vous, peuples (c'est-à-dire démons) et soumettez-vous!

Que S. ne se vexe pas. S'il livre combat, aussitôt son hémoglobine va monter. Ne riez pas. Je vous assure qu'il en sera ainsi.

Je conseillerai fortement à S. de profiter du loisir qui lui reste de la façon suivante : rester le plus possible couché (il peut le faire en plein air) et pendant la journée, sans se hâter, réciter mille prières de Jésus ou plus, réduire au maximum les conversations, les va-et-vient, la lecture. Garder la main gauche "sur la poitrine". Prononcer les mots comme lorsque nous "soupirons de tout coeur", mais avec crainte et un sentiment de piété et de repentir. C'est la méthode des "sages orientaux" pour la pacification des nerfs, le repos de la personne et la naissance de nouvelles dispositions de l'âme. Chasser toutes les pensées. La paix et un sentiment agréable apparu dans le coeur agiront très favorablement sur la personne tout entière et la guériront d'un grand nombre de maladies.

La méthode est simple, elle agit puissamment, mais rares sont ceux qui désirent l'appliquer. Les gens sont occupés à des fadaises, à tout ce que l'on veut, sauf à ce qu'il faudrait. Nous sommes des êtres pitoyables. Nous ne prenons pas ce qui est sous la main, nous tendons vers des mirages en dépit du fait que nous avons mille fois la preuve qu'un mirage est un mirage, et non la réalité.

Ce sera bien dommage si cette lettre, elle non plus, ne vous parvient pas. Je ne pourrai plus d'ici peu écrire aussi longuement. Je vous donnerai des nouvelles de moi. J'espère qu'on me donnera la possibilité de célébrer. Il y a ici un fol en Christ qui répète sans cesse que je vais me retrouver à nouveau à Bélévo. Je ne sais pas si cela est vrai (1).

(1) : ( Cela s'est avéré faux. Le Père Nikon n'a plus célébré à Bélévo (NdT).).

Si c'est vrai, cela veut dire qu'il existe encore des personnes douées du don de divination, car deviner cela serait impossible, sur le plan naturel comme sur le plan démoniaque.

24 avril 1948



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J'ai relu plusieurs fois votre lettre et, à chaque lecture, la même pensée me venait : vous ne vous humiliez pas devant Dieu, vous voudriez être une personne "bien" par vous-même, tant dans le passé que dans le présent, et vous présenter devant Dieu la tête haute. Vous avez déjà constaté en vous la chute commune à toute l'humanité et qui vous affecte aussi personnellement; mais accepter cela, vous ne le voulez pas. Une pensée se tapit toujours en vous : pourquoi suis-je si mauvaise, pourquoi ne m'a-t-on pas aidée à devenir bonne... vous allez jusqu'à incriminer Dieu, comme vous le dites vous-même.

De là vient votre peine. Vous ne concevez pas encore la gravité de la chute de l'homme, de la chute du moi intérieur qui veut faire sa propre volonté, fût-ce dans le bien, alors que par là même, le bien perd presque toute sa force. Or, le Seigneur veut que l'homme renonce à lui-même. L'affirmation de son "moi" en quoi que ce soit, même dans le bien, est un éloignement par rapport à Dieu et, par conséquent, un péché. Le passage est facile, ou plutôt, c'est là, peut-être, le fondement caché de l'orgueil de l'homme et du démon. Là est la profondeur de la chute.

Dites au Seigneur, du plus profond de votre coeur : je suis boue et ordure, il n'y a, et il n'y a eu en moi rien de bien qui vienne de moi. Et ce que j'ai reçu de bien, je l'ai abîmé, souillé, et je ne puis par moi-même le rétablir (de plus, je ne le veux pas), mais je tombe à Tes pieds comme le lépreux, comme le possédé et le paralytique, et je Te supplie : aie pitié de moi, purifie-moi comme le lépreux car, tout comme lui, je ne peux absolument pas me guérir moi-même; relève-moi comme le paralytique, qui ne pouvait pas se guérir, pas plus que moi; reçois-moi comme le fils prodigue, qui a reçu sa part et l'a dissipée, perdant ainsi le droit à l'héritage, mais Toi, de par Ton Amour indicible, pardonne-moi comme Tu lui as pardonné et l'as accueilli.

Abandonnez la pensée des améliorations apportées à votre conduite, mettez-vous totalement à nu devant Dieu et dites-Lui : Me voici, Seigneur, telle que je suis; il n'y a pas pire, pas plus hideuse que moi; mais je sais qu'il n'existe pas de péché qui triomphe de Ta miséricorde; ne Te détourne pas de moi, guéris-moi, purifie-moi et ne me rejette pas, tout comme Tu n'as pas rejeté le fils prodigue, ni les publicains, ni les larrons...

Les souffrances sur la Croix non pas pour les justes mais pour nous autres, pécheurs, sont les garantes que le Seigneur ne rejette pas celui qui se repent. L'histoire tout entièredu salut de l'humanité est la garantie.

Humiliez-vous, pourchassez le moindre signe de vanité et chassez-le avec colère, quelle que soit l'apparence qu'il prenne, si subtil soit-il - et surtout l'orgueil, la haute opinion de soi. David, Abraham, Job, tous les saints ont pensé d'eux-mêmes qu'ils étaient des vers de terre, de la poussière, pire que les démons. Pourquoi? Parce qu'ils s'étaient rapprochés de la Lumière Divine, dans laquelle ils ont vu leur boue, leur nullité. Si nous-mêmes ne voyons pas cela, c'est parce que nous sommes éloignés de Dieu, intérieurement nous nous cachons de devant la face de Dieu, comme s'étaient cachés Adam et Eve après la chute. Et nous refaisons cela constamment, au lieu de mettre à nu nos plaies devant Dieu et de demander pardon et guérison.

Quant aux exploits physiques, s'ils ne s'accompagnent pas d'exploits spirituels, il n'est point besoin d'en parler. Ils ne peuvent susciter qu'un surplus d'orgueil. L'exploit corporel doit être au service de l'exploit intérieur, et non l'inverse. L'humilité sauve même sans les oeuvres, et les oeuvres sans l'humilité mènent tout d'abord à la vanité ("je suis vierge"!), puis à l'orgueil et à la perdition. Nous sommes déjà à ce point corrompus que nous ne pouvons offrir aucun exploit, aucun talent, car inexorablement, nous nous en enorgueillirons et jugerons les autres. Une autre voie nous est donnée : se repentir, supporter les épreuves imposées, se livrer dans les mains de Dieu en disant : " Seigneur, accomplis Ta sainte volonté sur moi, misérable."

Pardonnez-moi d'oser écrire ainsi, me réclamant du droit de confesseur. Si je vous ai mal expliqué, pardonnez- moi. Ce que vous jugerez utile, profitez-en. Il faut assimiler les idées saines au-dedans de soi, et ne pas se contenter de les comprendre et de les ranger dans un coin de la mémoire.

Pardonnez-moi. Que le Seigneur vous éclaire et vous bénisse.

1948. Kalouga.



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L'an passé, je vous ai donné une citation d'Ignace Briantchaninov (t.2, p. 373, 20° ligne à partir du bas et suivantes). Relisez ce passage. Ne vous désolez pas trop en reconnaissant en vous l'orgueil, la vanité, la cupidité, l'envie, l'irritabilité et la colère, etc. etc., sans parler de leurs fruits... Tous les hommes sont des êtres déchus; cependant, le reconnaître par l'intelligence ne suffit pas. Il faut le reconnaître avec le coeur et, ayant pleuré une fois cet état de choses, continuer à pleurer constamment, dans la prière, devant Dieu, en dévoilant toute sa corruption, tout son mal dans toutes leurs manifestations. Il en résulte obligatoirement une attitude bienveillante envers les autres hommes, même s'il subsiste encore quelques accès de colère ou d'une autre passion. Toutefois, il n'y a pas d'autre voie; Isaac le Syrien dit : marche sur la voie qui a été tracée par les saints qui ont souffert; ne t'invente pas une voie à toi. Cela, c'est une science exacte.

Je compatis beaucoup au fait que vous ayez tant de mal, non seulement intérieurement, mais plus encore extérieurement. Gardez courage. Ne regardez pas trop loin vers l'avant. La journée est passée, sans encombres - grâces soient rendues à Dieu. Le soir, se ménager un petit "bain". Se désoler trop des difficultés extérieures est le signe d'un manque de foi; se désoler trop des difficultés intérieures est signe d'orgueil.

Ne voyez pas dans cette lettre une quelconque leçon; elle est l'expression de ma compassion pour vous.

Vous savez sans doute que le 10 janvier ont eu lieu les obsèques de mon père. Il est mort chrétiennement; il était devenu tout sec, comme il le souhaitait lui-même. Après sa mort, j'ai éprouvé tout le temps un sentiment de joie. D'après Ignace Briantchaninov, c'est un bon signe. Souvenez-vous de lui quand vous le pouvez.

Pardonnez-moi d'avoir été en partie la cause de vos tourments.

29 janvier 1949



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La paix soit avec toi et avec tout votre petit monde. La question que tu poses à propos du directeur spirituel est une question grave, mais y répondre maintenant positivement - c'est-à-dire trouver un père spirituel expérimenté - semble quasiment impossible. Actuellement, on ne peut trouver, au mieux, que quelqu'un qui a les mêmes idées, qui marche dans la même voie et auprès de qui l'on peut prendre conseil, et encore : il faudra savoir vérifier ses conseils à la lumière de la Parole de Dieu et des écrits des Saints Pères.

On ne peut de nos jours se livrer totalement, pleinement, à la direction de quiconque. Et les conseils les plus importants, il convient de les éprouver par la parole de Dieu et, dans la mesure du possible, de les vérifier auprès de quelqu'un qui ait surmonté la période des passions et qui soit plus ou moins spirituel. Mais jamais tu ne trouveras un ami expérimenté à qui tu peux faire confiance et qui te permet "d'agir en tout selon ses conseils". Remercie Dieu si tu trouves quelqu'un de plus ou moins fiable comme compagnon de route.

Saint Antoine le Grand prenait chez chacun ce qu'il avait de meilleur. Toi aussi, efforce-toi de prendre chez tes proches le meilleur qu'ils offrent, apprends comment ils ont gagné et gardé ce meilleur.

Je pense que de nos jours, vu l'absence de pères spirituels, c'est le Seigneur en personne qui guide ceux qui désirent sincèrement suivre Son chemin. Il faut prier le plus possible et agir en toutes choses selon sa conscience, ou conformément aux commandements, et se désoler amèrement, se repentir au moindre écart - car toute mauvaise action, si minime soit-elle, qui n'a pas fait l'objet d'une repentance, conduit fatalement à une action plus grave. Toute liberté prise dans les rapports humains, si elle n'est ni stoppée ni rachetée par le repentir, peut conduire à une déchéance définitive. Il en est ainsi pour tout. Envisage les petits péchés comme le début des grands; si on ne les combat pas, les grands leur succéderont, et dès lors, il faudra se donner beaucoup de peine pour se débarrasser d'eux et pour se purifier.

Il est permis de quitter la personne qui vous a aidé dans la vie spirituelle uniquement au cas où son aide se serait avérée nocive et non salvatrice. Pour toute autre raison - vexation, sévérité et même coups, il est interdit de quitter son père ou sa mère spirituels. Et si tu n'es pas en état de supporter, accuse-toi d'amour propre, d'orgueil, de manque de patience et demande au Seigneur de te montrer comment te comporter. Car si quelqu'un t'est indispensable pour ton salut, le Seigneur te l'enverra.

Concernant ton opération, je te dirai : si tu le peux, temporise un peu, tant que tu as des forces, et remercie le Seigneur qui, par Ses voies insondables, nous conduit par des épreuves et des maladies jusqu'à la vie éternelle. Si à l'inverse tu ne peux plus supporter, demande la bénédiction au Seigneur et puis, le mieux sera d'aller te faire opérer à Moscou. Une communion fréquente et une prière fervente chez soi ont guéri bien des gens, alors que les médecins déclaraient forfait.

Ne te décourage pas, ne te lamente pas, accroche-toi à la frange de la tunique du Seigneur et supplie-Le sans relâche de ne pas te rejeter, et puis efforce-toi, selon tes forces, d'accomplir tous les commandements requis par la vie. Ne songe pas à l'avenir lointain. Demande de passer une seule journée comme il se doit, et le jour suivant se chargera de lui-même.

Personne ne nous aime comme nous aime le Seigneur. Tout Lui est soumis et rien n'advient à l'homme sans Sa volonté. Reçois tout, la joie et la douleur, comme venant du Seigneur Lui-même; pour tout remercie-Le; demande-Lui de te donner la patience et la gratitude. Ne crains pas, crois seulement; cramponne-toi au Seigneur et supporte-Le.

23 octobre 1949



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Je pense que la meilleure réponse à vos missives et à votre disposition intérieure sont les lettres d'Ignace (Briantchaninov) dans la première livraison, de la page 106 à la page 161. Je vous prie instamment de les lire très attentivement. On y trouve tant de pensées utiles, profondes et nécessaires pour tous et en particulier pour vous, dans les dispositions où vous êtes.

Supportez la peine que vous éprouvez en ce moment. Acceptez-la, pardonnez à tous, ne jugez sévèrement personne, sachant que l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez...

Reconnaissez d'abord, ne serait-ce que par obéissance aux commandements, que vous êtes pires que tous les autres. L'intelligence et les connaissances appartenant à ce monde sont souvent un "moins", car le Seigneur regarde le coeur.

Vous avez été peiné par moi. Pardonnez-moi, mais ce ne sera pas la dernière fois! Hélas! En ce bas monde, il n'y a pas de lignes droites. Serioja (Tatiana Ivanovna) est mécontente de N. (l'higoumène Nikon). J'estime que si, dans les relations habituelles, nous sommes tenus de porter les peines les uns des autres, cela est particulièrement nécessaire entre amis. C'est ce que je propose et à moi-même et à vous. Etes-vous d'acord? Mais existe-t-elle, cette amitié? Mais oui! Ainsi Quelqu'un a-t-il appelé d'autres personnes ses amis (fili), mais à une condition essentielle ( cf. Jean 15, 14 : vous êtes Mes amis si vous faites ce que Je vous commande). L'accomplissement de cette condition unissait mystérieusement les personnes en un seul esprit avec Celui qui avait parlé et faisait d'eux des amis, amis pour Lui et amis les uns pour les autres. C'est une chose avérée. Mais ce qui gêne la réalisation de cette amitié, ce sont nos misérables petites passions qui refroidissent nos ardeurs, nous incitent à nous disputer et même à rompre toute amitié. Puisse cela ne pas nous arriver à nous!

1950



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Je compatis à vos misères et à vos peines. Que faire? Nous devons tous passer par le Golgotha et par les portes de la mort pour naître à une vie nouvelle. Et quand l'homme naît à cette vie nouvelle, il oublie les malheurs terrestres sous l'effet d'une joie qui dépasse toute intelligence.

Ne vous inquiétez pas trop de quoi que ce soit, de qui que ce soit. Confions-nous nous-mêmes, les uns les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu. Combien de fois la Sainte Eglise nous le rappelle, à nous, homme de peu de foi et qui nous inquiétons de tout.

Espérez en la miséricorde de Dieu. Le Seigneur nous a démontré Son Amour en livrant Son Fils à la Croix pour le salut des hommes qui ont cru en Lui. Nul ne se sauve par ses oeuvres, mais bien par la foi en Christ et la conscience de son péché, de son indignité. Vous avez pris conscience de votre état de pécheur, vous vous êtes repenti et vous vous repentez, alors le Seigneur vous pardonnera. Demandez-Lui Sa miséricorde, comme l'ont demandée tous les saints, en comptant non point sur vos oeuvres, mais sur l'Amour de Dieu qui couvre tout... Soyez serein, endurez, demandez au Seigneur la force de tout supporter afin d'arriver au bout sans plainte et avec gratitude. Celui qui supportera jusqu'à la fin sera sauvé.

Répétez le plus souvent possible la Prière de Jésus et toutes celles que vous dictera votre coeur. Que la paix et la bénédiction de Dieu soient avec vous!



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Je vous félicite pour la manifestation inconcevable de l'Amour de Dieu pour nous, hommes déchus.

Que la paix de Dieu, qui dépasse toute intelligence, visite votre âme; cette paix qui est "le lieu de Dieu", le commencement de l'amour envers Dieu et les hommes...

Pardonnez-moi les peines que je vous ai causées depuis que nous avons fait connaissance et notamment ces derniers temps. Homo sum (je suis un homme).

Je me vois, non point en rêverie mais en vérité coupable de toutes les infractions aux commandements de Dieu, je vois que je n'ai rien fait de bien devant Dieu. Il n'est pas étonnant que cette tendance se manifeste dans toutes les relations avec le prochain, en dépit du désir de leur faire du bien.

Que le Seigneur vous bénisse et vous préserve de tout mal, spirituel et corporel.

11 janvier 1960



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Christ est ressuscité!

Je pense à vous avec une profonde tristesse. Si vous pouviez vous regarder comme une personne extérieure et voir votre état ne serait ce que dans la mesure où il se révèle dans vos lettres et dans l'envoi de lettres d'autres personnes ( au fait, avez-vous eu la permission de le faire?), vous auriez pitié de vous-même, comme j'ai pitié de vous. Je vous en supplie, regardez-vous plus attentivement pendant la prière devant la face de Dieu, demandez au Seigneur de vous révéler l'état de votre âme.

Je vous dis avec une absolue certitude : votre disposition spirituelle est dangereuse pour votre salut. Vous ne faites que rêvasser, vous ne voyez pas la réalité. Devant Dieu, vos rêveries s'évanouiront, et que vous restera-t-il? Mon devoir de frère m'oblige à vous écrire cela, afin que vous ne me reprochiez pas outre-tombe d'avoir vu et de ne vous avoir rien dit.

Pardonnez-moi. Je vous souhaite sincèrement du bien et le salut de votre âme.

H (igoumène) N(ikon), 24 mai 1962 (1).

(1) : Ici s'achève la série de lettres à la moniale Serguia. Suivent des lettres à diverses personnes (NdT).



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Que la paix et le salut soient avec vous, chères Mère Valentina (2), Marina, et K.!

(2) : (La moniale Valentina est décédée le 3 mars (nouveau calendrier) 1957).

Je vous remercie de votre sollicitude. Et je regrette vivement de vous avoir écrit dans l'emportement, en cédant à une tentation, et de vous avoir inquiétées. C'est vrai, je me suis fâché contre le chef, ayant appris certaines choses sur lui ou plutôt sur son frère qui a une mauvaise influence sur lui. Pour rester "dans les Tranchées", il fallait se comporter comme tout le monde, mais moi, je ne le veux pas; la deuxième raison est qu'on a partout peur de moi, on pense que tout le monde va venir vers moi... Que la volonté de Dieu soit faite. Mieux vaut vivre dans un coin perdu mais avec une conscience pure que dans une capitale mais par des voies tordues. Les hommes, en fin de compte, ne sont que des instruments dans les mains de Dieu. Et le Seigneur transforme en bien les mauvaises actions.

Je me suis apaisé. L'église est très exiguë, le sanctuaire aussi; dans l'église l'hiver, c'est incommode; en revanche, le marguillier est excellent, exceptionnel. Je n'aurai presque pas à m'occuper des affaires matérielles de l'église. C'est lui qui fera tout, et l'on peut se fier à lui totalement. Une autre raison pour laquelle j'ai souffert, c'est que pendant toute une semaine, je n'ai pas pu rester seul. Le recteur précédent habitait encore ici. Mais il y a des avantages : Moscou n'est pas loin, pendant l'été, on est bien, la forêt est tout près; on dit qu'il y a profusion de framboises; il y a aussi une petite rivière à un demi-kilomètre de chez nous. Il est vrai que je suis plus loin de vous, mais qu'y faire? S'il plaît au Seigneur, je me retrouverai un jour de nouveau près de vous.

Les gens s'apprêtaient déjà à écrire à l'évêque pour le remercier de m'avoir fait venir ici, mais je leur ai demandé de ne pas le faire et, d'une façon générale, de ne pas parler de moi : c'est mauvais pour l'âme... et pour le corps.

Jusqu'à présent, j'ai pris mes repas avec le diacre et la gardienne, mais il me faudra acheter un réchaud ou me débrouiller autrement pour préparer moi-même ma nourriture, ce à quoi je suis accoutumé depuis longtemps, ayant longtemps vécu seul.

A Smolensk, j'ai rendu visite au Père F., qui vient de Kiev. Il dit avec certitude que je ne resterai pas longtemps à Gjatsk. Il a fait de grands éloges de Kiev, et des gens venus le voir de Kiev ont fait de même; ils veulent beaucoup que j'aille là-bas. Mais le Père F. dit que pour l'instant, je n'ai pas la possibilité d'aller là-bas. Où serai-je? nul ne le sait. Je ne désire qu'une chose : qu'on me laisse en paix. Je me contente même de la campagne, pourvu qu'on me laisse faire mon travail.

Vivez en paix, travaillez, supportez-vous mutuellement, combattez le péché, efforcez-vous de faire ce qui est bien, et vous serez comptés au nombre des martyrs non sanglants.

Vous ai-je écrit que de Smolensk, le Père V. a été transféré à Roslavl? Il en est affreusement malheureux. Il a appelé Moscou au téléphone; on lui a promis d'examiner l'affaire, mais dans ce marécage, tout le monde peut s'enliser : il n'obtiendra rien, et il lui faudra sans doute chercher un autre lieu. Il a peur également de tomber sur un chef sans spiritualité.

Si Mère V. vient me voir, il faut qu'elle apporte des draps et tout ce dont elle a besoin. Pour moi, je crois n'avoir besoin de rien. En fait de livres, prenez impérativement sur l'étagère les offices du Grand Carême et de la Semaine Sainte; je ne me rappelle pas le titre; c'est un petit livre, sur la planche du milieu de l'étagère, dans une reliure foncée. Et puis, sur l'étagère également, les homélies pour les dimanches et jours de fête, éditées, je crois, par l'académie de Kiev. Mais peut-être sont-elles dans l'armoire dans la cuisine. Et aussi : Abba Dorothée (1), et chez l'Etourneau Isaac le Syrien. Ce sera tout pour l'instant.

(1) : ( Les Instructions spirituelles et les Lettres de saint Dorothée de Gaza (NdE).).

Je crois avoir tout dit. Je remercie Dieu de m'avoir envoyé ici. J'y vois déjà un grand bienfait pour moi, notamment contre ma tentation passée. Il est dit fort justement : Pour ceux qui aiment Dieu tout contribue à leur bien.

Vivez en paix, considéréez-vous mutuellement comme plus grandes et meilleures que vous-même, apprenez à vous humilier devant les hommes, l'une devant l'autre et devant Dieu. Il faut s'humilier non pas extérieurement, mais intérieurement. Extérieurement, soyez simples. Que le Seigneur vous protge toutes. A vous toutes mes amitiés et ma bénédiction. Je me souviens de vous et je vous aime. K., apprends à lutter contre toi-même et contre l'ennemi, ne faiblis pas.

J'attends vos lettres.

N(ikon). 7 décembre 1948



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La paix soit avec vous, chère Mère V. et toutes les soeurs!

Comment faites-vous votre salut? Ne perdez pas courage et ne flanchez pas. L.V. vous donnera de mes nouvelles. V. espère que je resterai ici, mais moi, pour moi-même, je préfèrerais Smolensk, "les Tranchées". Mais au fond, que la volonté de Dieu soit faite en toutes choses. Je ne réclame rien; je voudrais me livrer entièrement à la volonté de Dieu en tout, dans les petites et dans les grandes choses. Je vous conseille à vous aussi d'implanter dans votre coeur la résolution de vous livrer à la volonté de Dieu, de ne pas souhaiter à tout prix l'accomplissement de votre volonté; vous serez alors tranquilles et assurées. Si au contraire on veut réaliser sa propre volonté, on est sûr d'être perturbé.

Je m'ennuie de vous toutes. Faites votre salut, vivez en paix, ayez conscience de votre indignité pour le Royaume des Cieux. Humiliez-vous l'une devant l'autre. Ayez pitié l'une de l'autre. Que le Seigneur vous bénisse et vous fasse miséricorde.

Votre N (ikon). Décembre 1948



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Chères N.N! Que la paix et le salut soient avec vous!

J'ai attendu, attendu une lettre de Mère V., mais en vain. Comment allez-vous, quelle est votre humeur? Ne me jugez-vous pas trop mal? Epargnez-moi, pardonnez-moi. Je commence à voir de mieux en mieux mon état de pécheur et mon incapacité en tout. Je dis cela sincèrement, du fond du coeur. C'est sans doute la raison pour laquelle je vous ai offensées, j'ai mal agi en bien des points. Pardonnez-moi pour l'amour de Dieu et priez pour moi.

Votre N(ikon), 31 mai 1949



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La paix et le salut soient avec vous, mes chères!

Mes salutations à S.P. et à son épouse et à T.

Vous avez sans doute été étonnées que j'oblige D.M. à venir avec 0. Sans 0., D.M. ne serait pas venue; elle n'a accepté de venir pour deux ou trois jours qu'avec O. et sur les instances de toute sa famille.

Elle n'aurait pas pu venir à un autre moment, puisqu'elle veut prendre un travail. Nous avons eu pas mal à supporter de la part de D.M., moi-même et O. Je pense que ce voyage ne lui a aps été inutile. Surmonter d'un coup les calomnies de notre temps est impossible, mais j'ai tenté de lui inspirer une attitude juste à leur égard et le moyen de s'en débarrasser. Tout va dépendre d'elle. Elle comprend bien tout, elle a conscience de son erreur et elle a promis de lutter. Si elle tient sa promesse, elle ressortira du combat enrichie spirituellement, mais si elle ne lutte paset se'nferre dans son état, elle peut se nuire considérablement.

Je vous demande de prier assidûment pour elle et, à l'occasion, de lui rappeler discrètement comment les saints ont lutté contre les pensées tentatrices et autres manigances de l'ennemi, combien l'ennemi est rusé, comment il se transforme ou en Ange ou en homme ou en animal... et cherche par tous les moyens notre perte.

Les moyens de lutte sont: 1) rejeter avec force (avec colère) les mauvaises pensées et les insinuations de l'ennemi; 2) appeler à l'aide le Sauveur avec la pleine conscience de son état de pensée et de sa faiblesse. Une attention permanente à soi-même, le refus de bavarder, de regarder des tableaux, d'admettre des pensées entachées de péché ou même simplement vides, et l'invocation du fond du coeur du nom de Jésus-Christ - cela peut élever l'homme à un haut niveau de l'échelle spirituelle. Beaucoup se sont ainsi initiés à la prière de Jésus.

Coment va votre santé? Le Seigneur se taisait quand on L'accusait. Il ne discutait pas. Il expliquait parfois quelque chose pour le bien de ceux qui L'écoutaient, et s'ils ne recevaient pas Ses paroles, Il s'éloignait. Il faut apprendre à se taire, et par la langue, et par l'intelligence. La paix soit avec vous. Pardonnez-moi. Je demande vos saintes prières. Que le Seigneur vous bénisse et vous sauve.

Amitiés de la part de tous ici à Mère V. et demandez quand elle viendra.

N(ikon) qui vous aime. 28 juin 1949



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Que la paix et le salut soient avec vous, mes chères!

Bonne fête à M., et à vous aussi, pour elle. Que le Seigneur vous bénisse et vous donne toutes sortes de bienfaits, temporels et éternels.

Comment vont M. et K.? Qu'elles ne se tuent pas au travail. C'est un péché. Il faut faire les choses selon ses forces. On dépense toutes ses forces pour le corporel, et ensuite, pour le spirituel, il ne reste que quelques minutes ensommeillées. Peut-on premettre cela? Il faut se souvenir des paroles du Sauveur : Recherchez en premier le Royaume de Dieu... C'est un commandement, tout comme "tu ne tueras point", "tu ne commettras pas d'adultère", etc. Bien souvent la violation du commandement nuit plus à l'âme qu'une faute occasionnelle. Elle refroidit imperceptiblement l'âme, la rend insensible et la conduit à la mort spirituelle : que les morts enterrent les morts, ceux dont l'âme est morte, privés de sens spirituel, de ferveur dans l'accomplissement des commandements, qui ne sont ni chauds ni froids, que le Seigneur menace de vomir de Sa bouche. Il faut, ne serait-ce qu'une fois par jour, se placer pendant quelques minutes devant le jugement de Dieu, comme si nous étions morts et nous présentions le quatantième jour devant le Seigneur et attendions la sentence fixant le lieu où Dieu nous assignera. En nous présentant, en pensée, devant le Seigneur, dans l'attente du Jugement, nous pleurerons et supplierons la miséricorde du Seigneur de nous faire grâce, de nous remettre notre énorme et insolvable dette envers Lui. Je conseille à tous de faire de cela leur oeuvre permanente jusqu'à leur mort. Le soir de préférence, mais aussi à toute heure, se concentrer de toute son âme et supplier le Seigneur de nous pardonner et de nous faire miséricorde; c'est encore mieux de le faire plusieurs fois par jour. C'est un commandement de Dieu et des Saints Pères, préoccupez-vous au moins un peu de votre âme. Tout passe, la mort est à la porte, et nous, nous ne nous demandons nullement avec quoi nous nous présenterons au Jugement et que dira de nous le juste Juge, qui connaît et se rappelle chaque mouvement, le plus subtil, de notre âme et de notre corps, depuis notre jeunesse jusqu'à notre mort. Que répondrons-nous?

Les Saints Pères pleuraient ici bas et suppliaient Dieu de leur pardonner pour ne pas avoir à pleurer le jour du Jugement et dans l'éternité. S'ils se forçaient à pleurer, pourquoi nous, maudits, pensons-nous être "bien" et vivons-nous dans l'insouciance, préoccupés que de choses matérielles? Pardonnez-moi de vous faire la leçon, moi qui ne fais rien. M. m'a reproché cet hiver de ne pas lui donner d'instructions sur ce qu'il faut faire et lire, et elle, elle ne s'applique pas même cinq minutes. Oui, M., fais ce que je viens de dire, fais-le bien, et dès lors tu n'auras plus besoin de lire, tu acquerras infiniment plus que si tu lisais du matin au soi. Tout le mal est là : nous lisons, nous savons ce qu'il faut faire, et nous ne faisons rien. Nous attendons qu'un quidam le fasse pour nous. Or, nous pouvons fort bien subir le sort du figuier sétrile. Maudit est celui qui accomplit l'oeuvre de Dieu négligemment. Et nous, comment accomplissons-nous l'oeuvre de notre salut? Comment prions-nous, observons-nous les commandements, comment nous repentons-nous? Déjà la cognée est mise à la racine des arbres...

Pardonnez-moi et priez pour vous et pour moi. Salutations et bénédiction à tous. Ecrivez-moi.

N(ikon). 25 décembre 1949



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Chère Mère V.!

Je vous souhaite de bonnes Fêtes et une bonne année. Que le Seigneur vous accorde la paix de l'âme, la santé du corps et l'annonce du salut. Qu'Il vous accorde de supporter vos misères, de porter le poids de ceux qui vous entourent non seulement sans vous plaindre, mais aussi avec gratitude envers notre Sauveur, qui a supporté pour nous de grandes offenses et souffrances. Que le Seigneur vous accorde un véritable, un authentique amour envers le prochain et envers tous les hommes. Pardonnez-moi aussi, pécheur, faible et stupide. J'ai bien conscience de tout et je désire me corriger, mais je ne vois pas que cela soit. Il ne reste que l'affliction du coeur, les larmes du repentir, mais hélas, cela non plus, je ne le vois pas en moi. Mon seul espoir est dans la miséricorde divine et dans vos prières et celles des proches.

Encore une fois je vous souhaite, ainsi qu'à toutes, abondance de bienfaits de la part du Seigneur. Pardonnez-moi, priez pour moi, pécheur.

A toutes, mes salutations et la bénédiction de Dieu.

N (ikon). 10 janvier 1950



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Chères N.N.!

Je vous souhaite la paix, la paix de Dieu qui dépasse toute intelligence et qui unit l'homme à Dieu. Et pour que cette paix visite l'homme, il faut que celui-ci travaille à l'acquisition d'une disposition intérieure pacifiée, à la patience devant les défauts des uns et des autres, au pardon des offenses.

Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ, et celui qui a accompli la loi du Christ sera habité par la paix du Christ, qui dépasse l'intelligence humaine habituelle. Cette paix rend l'homme insensible aux peines et aux souffrances de cette terre, elle éteint tout intérêt pour ce monde-ci, elle entraîne l'homme vers les hauteurs, elle fait naître dans le coeur l'amour envers les autres, un amour qui couvre tous les défauts du prochain, qui ne les remarque pas et l'amène à plaindre l'autre plus que lui-même. A cette paix sont conviés tous ceux qui croient en Christ et plus particulièrement ceux qui mènent la vie monastique.

Et si nous n'avons rien de tout cela, pleurons au moins devant Dieu, nous désolant d'être pauvres, misérables, nus, exempts de toute bonté, et cessons de nous juger les uns les autres, de nous faire des reproches, car nous sommes nous-mêmes indignes et en grand danger d'être rejetés par le Seigneur. (...).

Humilions-nous les uns devant les autres et devant le Seigneur, pleurons nos plaies incurables et évertuons-nous, dans la mesure de nos forces, à nous aimer les uns les autres. Alors, pour notre humilité et notre patience à l'égard des autres, le Seigneur sera patient à notre égard, selon Sa loi : avec la mesure dont vous mesurez, l'on vous mesurera. Mais si nous nous livrons aux passions sans combattre, qu'est-ce qui nous attend, sinon d'être rejetés? Le Royaume de Dieu est un royaume de paix, d'amour, de joie, de douceur... et si nous avons les caractéristiques inverses, nous ne serons pas admis dans le Royaume. Il faut briser son esprit, pleurer la pourriture de notre âme et supplier le Seigneur, comme le lépreux, de nous guérir et de nosu purifier. Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira les portes du repentir, des larmes, de l'attendrissement, qui procurent la paix et le salut. Que cela soit, oui, que cela soit!

M.V. et mes soeurs! Vous pensez que j'ai changé de disposition à votre égard, que je vous cache quelques secrets... ce sont des balivernes, des inspirations du Malin. N'écoutez personne, pensez par vous-mêmes, et si vous avez des doutes ou des tentations, posez simplement la question, mais ne laissez pas l'ennemi occuper la place. En fait, je n'écris plus beaucoup; à certaines personnes je n'écris pas du tout et ne réponds pas aux lettres. Je voudrais mettre fin également aux visites.

Pourquoi M. n'est-elle pas venue? Si elle vient et n'apporte pas les livres pris sur l'étagère (c'est possible en bagage accompagné) je ne la laisserai pas entrer et de même pour les autres, qui viendraient de là-bas. Si je m'étais installé à Kozelsk, j'aurais, bien sûr, habité à nouveau chez vous, mais peut-être le Seigneur m'a-t-il assigné un autre lieu à cause d el'attitude non pacifiée des soeurs. On peut provisoirement supporter, écouter les conflits, mais les voir et les entendre en permanence sans espoir que cela s'arrange, à quoi bon? Ne vous vexez pas. Je me reproche d'avoir éé trop indulgent en la matière. Peut-être fallait-il être plus sévère et infliger des métanies ou une autre correction, car en l'occurrence, elles ne se retiennent absolument pas. N'imaginez pas qu'Etourneau a médit. Je suis assez au courant moi-même. D'ailleurs, si des gens ont dit quelque chose, ils sont obligés de le faire, et vous, vous ne devez rien cacher; vous devez sur-le-champ m'écrire au cas où vous ne vous débrouillez pas vous-mêmes.

Pardonnez-moi de vous avoir sermonné, moi qui ne vaux rien. Je vous souhaite toutes sortes de biens, temporels et éternels; que le Seigneur vous éclaire et vous fortifie dans le combat contre l'adversaire et qu'Il vous aide à triompher de lui par l'humilité et la contrition du coeur.

Prenez soin de vous. Que le Seigneur vous bénisse toutes. Amitiés à toutes; meilleurs voeux à M.K.

Pardonnez-moi et que le Seigneur vous pardonne, vous fasse grâce et vous bénisse!

N(ikon). 1er février 1950



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Chère Mère Valentina!

Comment va votre santé? Est-il vrai qu'elle est mauvaise au point que vous ne pouvez pas venir jusqu'ici, ou bien est-ce qu'on ne vous laissa pas partir? Il me semble que la seconde hypothèse est la bonne. Marisha ne veut pas vous laisser partir sous prétexte que Katia et elle ne pourront pas s'entendre. Or, l'hiver dernier, elles ont vécu ensemble plus amicalement encore qu'avec vous.Il faut que vous vous reposiez un tant soit peu. L'idée de Marisha que O.M. habite avec Katia et que vous-même, avec elle, Marisha, veniez ici, ne peut se réaliser, puisque O.M., sans vous, ne peut vivre avec Katia, quand son fils malade et sa soeur (Polia), elle aussi malade, vivront seuls à Optina; c'est impossible. Et puis, en réalité, au nom de quoi devrait-elle vivre avec Katia, se sentir gênée, ruiner définitivement sa santé sans recevoir en échange aucun apport spirituel, puisque vous serez partie? A mon avis, c'est clair, et je ne peux pas, contre sa volonté, l'obliger à venir, car ce serait un péché de ma part.

Marisha et Katia doivent comprendre qu'il leur faut combattre leur mauvais caractère et penser plus souvent à leur vie future. A cause du travail et des soucis matériels, elles oublient Dieu, la vie éternelle, et sont prêtes, aveuglées par leur énervement, à tous les excès. elles ne veulent ni se taire, ni patienter, ni demander pardon l'une à l'autre. Il est dit : portez les fardeaux les uns des autres. Marisha comprend mieux, sait plus de choses. Elle doit tenir compte de Katia et de ses défauts, et pour son salut et le sien propre, tolérer, céder, demander pardon, même si elle n'est coupable de rien. Il ne faut pas non plus attacher trop d'importance à ce qui est terrestre. Tant pis si elles gagnent moins, si elles subissent des pertes : il faut supporter cela afin d'acquérir un progrès spirituel, et même pour le salut de son âme. Quand j'étais avec vous et que vous étiez là aussi - quel a été le résultat? Sans un désir de la personne, quelqu'un d'extérieur ne peut aider en rien.

Voyez ce que vous estimerez être le mieux, faites-le, et moi, je serais heureux que vous veniez. Marisha et Katia pourraient habiter chez moi, à tour de rôle.

Repartir pour Kozelsk, je ne l'ai pas accepté, vu que je ne vois aucun fondement à cela. Le revenu ici est mince, mais sous d'autres rapports je suis mieux ici, et puis cela n'est pas mauvais pour mes enfants spirituels. Alors que là-bas, je vois bien que j'aurais de grandes difficultés dans mon service, car l'envie, la méchanceté et autres attaques ne cesseront pas et seront plus fortes encore qu'avant.

Je me suis rendu à Smolensk, voir le chef. Il a été très aimable avec moi. Lui aussi m'a déconseillé d'aller à Kozelsk. Il m'a autorisé à aller vous voir, pour une courte période. J'ai failli me rendre directement de Smolensk chez vous, mais quelque chose m'a retenu. Et mon coeur me dit que j'ai bien fait de ne pas partir directement. Le chef m'a donné la permission de partir quand je voudrai et sans lui demander une fois de plus. Si vous ressentez le besoin urgent de me voir, écrivez-moi et je viendrai. Mère, lisez cette lettre attentivement et répétez aux autres ce que vous jugerez bon, mais ne la leur lisez pas intégralement.

La santé d'O. est meilleure; or, elle était à ce point mauvaise que je craignais qu'il n'y ait pas d'issue; et puis, les médecins m'ont fait peur en disant que sil elle ne s'alimentait pas convenablement, elle ne survivrait pas une année. Maintenant, on a l'espoir qu'elle se remette.

Je pense qu'O.M., dans son for intérieur, ne souhaite pas que je déménage là-bas. Il ne peut en être autrement. Simplement, il n'ose pas le dire. Moi, je ne veux pas le perturber; qu'il prenne plutôt O. et Lisa pour le service.

Mère, si quelqu'un vient jusqu'ici, qu'il apporte mon fauteuil et les livres de l'étagère.

Pardonnez-moi, chère Mère, et priez pour moi. Si je fais ou dis quelque chose de travers, écrivez-le moi.

Amitiés à Marisha, Katia et les autres.

N(ikon)



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Le Christ est ressuscité!

Chère Mère V.! Comment est votre santé, celle des soeurs? Vous êtes sans doute harassée par votre labeur au potager? Que se passe-t-il avec le marguillier? Qu'avez-vous décidé? Je vous prie de ne pas tenir compte de mon avis. Je n'y connais rien; faites au mieux et selon ce que Dieu vous inspirera. Comme dit saint Barsanuphe le Grand : " D'après le cours des choses, discernez la volonté de Dieu". Dites cela à L.

Ici, pour l'instant, rien de nouveau. Nous clopinons cahin-caha. Il fait froid, des flocons de neige voltigent, il fait humide, les os me font mal ainsi que les reins.

J'attends votre réponse. Que le Seigneur vous bénisse toutes et vous inspire de faire le bien. Je demande à toutes prières et pardon.

N (ikon). 1950.

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Chère Mère V.!

Que la paix, la bénédiction de Dieu et la joie dans le Seigneur soient avec vous! Que Dieu vous sauve pour vos prières en ma faveur. Je les sens. Je serais très heureux si vous veniez ici vous reposer. Vous devez vous languir depuis que M. est partie. Que faire? Nous allons nous préparer à la vie future, la vie éternelle, où il n'y aura ni peines ni séparations.

M.V., cherchez la Vie de Païssy Velitchkovsky et dans cet ouvrage - les écrits de Vassili, de la page 72 à la page 134, sur la Prière de Jésus. Si vous sentez cette prière dans votre coeur, vous vous sentirez toujours bien.

Je n'ai pas le temps d'écrire. V. vous donnera de nos nouvelles.

Mère, vous ne m'avez jamais offensé en quoi que ce soit. Pour vos indications, je vous remercie; je suis toujours content quand on m'indique mes fautes.

Mes amitiés à toutes et que la bénédiction de Dieu vous accompagne. Que le Seigneur vous garde. J'espère vous revoir cet été.

Amitiés et remerciements à M.K. Elle a tort de penser que je l'ai oubliée. A chaque office je prie pour elle et pour tous les résidents de Kozelsk. Amitiés au Père S., au Père M., à Mère A. et à tous.

N(ikon). 1950



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Chère, très chère Mère V.!

Cherchez avant tout le Royaume de Dieu et sa justice. L'homme se prémunit-il avec ses seules forces? Si vous travaillez physiquement, vous devez travailler spirituellement. Il faut cultiver son coeur tout autant, sinon plus que le potager. Si l'homme embauche des travailleurs salariés, comment Dieu laisserait-il sans salaire celui qui travaille pour Lui? Comment travailler pour Lui? Vous le savez bien. Il faut prier, être attentif à soi, lutter contre les mauvaises pensées, ne pas se disputer pour des riens, céder à l'autre, fût-ce au détriment de l'affaire ( par la suite, vous y gagnerez grandement), faire la paix au plus vite, confesser les pensées tentatrices, communier fréquemment, etc.

Peut-on allier cela au travail? On ne peut pas tout faire, vu notre faiblesse, mais on peut beaucoup. Et si on ne fait pas tout, il faut au moins s'en désoler et acquérir ainsi l'humilité, mais surtout, ne pas se justifier, car l'autojustification nous prive de la possibilité de grandir spirituellement. Si nous ne faisons pas ce que nous devons faire et, qui plus est, si nous ne supportons ni les offenses ni les épreuves, si bien que nous n'avons ni contrition ni humilité, alors là, je ne sais pas quoi dire. En quoi serons-nous, dans ce cas, meilleurs que les incroyants? C'est pourquoi je vous prie toutes : supportez les offenses, les reproches, les injustices venues des hommes, portez les fardeaux les unes des autres, et que par là, vous combliez le déficit de labeur spirituel. L'essentiel est de se reconnaître digne des pires injures, des pires peines ( nous en sommes dignes par nos actes).

Vous savez bien qu'en ces temps derniers, c'est par les peines endurées que nous serons sauvés. Sommes-nous exclus de cette règle? Ce n'est pas pour rien que les saints Pères conseillaient d'évoquer souvent, chaque jour et plusieurs fois par jour la mort, le Jugement, la nécessité de répondre devant le Seigneur de chacune de nos actions, de nos paroles, de nos pensées, de nos ruses, de notre attachement au monde, de notre vanité, de tout ce qui est caché et connu de Dieu et de notre conscience. Vous aussi, évoquez cela le plus souvent possible.

Chère Mère V., peut-être me déciderai-je à venir vous voir après la Pentecôte. Que le Seigneur vous bénisse toutes. Etourneau vous salue toutes et si elle a offensé quelqu'un, elle demande pardon.

N(ikon).



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Chère Mère V.!

Comme c'est dommage que vous n'ayez pu venir! Chère Mère, pour moi aussi, la mort s'est faite proche, perceptible. Je m'en remets à la miséricorde divine; je n'ai pas d'oeuvres pour mon salut. Soyez en bonne santé et prospères. Que le Seigneur vous protège, ainsi que K., de tout mal, qu'Il vous bénisse et vous fasse miséricorde, qu'Il vous sauve et vous reçoive dans son béatifique Royaume.

N(ikon) qui vous aime. 2 janvier 1951



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Chère K.!

Notre demeure est au Ciel; tu y viendras, toi aussi, bientôt. Pourquoi te livres-tu à l'agitation et aux soucis de cette terre? Tout cela passera. Quand tu seras très malheureuse, souviens-toi que la Mère de Dieu a elle-même supporté ici-bas des souffrances telles que nous ne pourrions jamais les supporter. On a crucifié sous Ses yeux le Seigneur Jésus-Christ. Quelle a dû être sa souffrance! C'est par le martyre que les amis du Sauveur ont terminé leur vie. Et les martyrs?

Pendant trois cents ans, le sang des martyrs chrétiens a coulé. Et les Saints Pères, les Saintes Mères, combien ont-ils supporté de labeur et de peines?

De toi, le Seigneur n'attend que peu : crois en Lui et supporte les petits désagréments qui sont parfaitement proportionnés à tes forces ( le Seigneur connaît tes forces mieux que toi). Supporte et ne te plains pas. Et si tu te plains, repens-toi, demande à Dieu le pardon, et le Seigneur te l'accordera.

Sois patiente, chère, fais ton Salut, amasse un capital pour la vie future, accorde moins d'importance aux soucis et aux peines de ce monde. Pardonne-moi et prie que le Seigneur me sauve, moi aussi. M. va bien, elle se souvient de vous et vous plaint.

N(ikon).



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Bonjour, mes chères N.N.!

Je vous félicite pour les jours sublimes de la Semaine Sainte et de Pâques qui approchent.

Que le Seigneur vous accorde la santé du corps, la paix de l'âme, l'amour mutuel et l'humilité. Que Dieu ressuscite dans vos âmes, qu'Il terrasse l'enfer qui se cache au fond de nos coeurs, qu'Il ouvre l'entrée dans nos âmes des bonnes pensées et des justes désirs, qu'Il élève nos coeurs vers le haut et fasse de nous des temples de l'Esprit Saint.

Comment est votre santé, votre situation? Y a-t-il entre vous la paix? Cédez-vous les unes aux autres? Portez-vous les fardeaux des unes et des autres? M. a-t-elle engrangé des "plus" ou des "moins"? Que Dieu vous donne des forces et la santé que nécessiteront les travaux printaniers qui s'annoncent.

Que le Seigneur vous bénisse et vous inspire pour faire ce qui est bien et qu'Il vous préserve de tout mal.

Votre N(ikon). 7 avril 1951.



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Chère Mère V.!

Quel dommage que vous soyez malade et ne puissiez pas venir, tant à cause de votre maladie que pour d'autres raisons... On peut s'attendre à de grandes difficultés, quand les vivants, peut-être, envieront les morts. Nous savons cela, et pourtant, nous ne sommes pas prêts à l'endurance et au départ de cette vie.

Priez pour moi, pécheur, que Dieu me donne la vraie repentance et que je me livre à Sa sainte volonté. Je vous souhaite, à vous aussi, de recevoir ce don, car sans lui l'homme est en souffrance, et ici-bas, et outre-tombe.

M. vous racontera comment nous vivons; seulement, elle est très partiale et obstinée. Bien qu'elle désire sincèrement faire le bien, elle gâche ses bonnes intentions par son insistance, et finalement elle ne fait pas les choses selon Dieu. Je lui ai donné des instructions pour tous les cas : proposer, dire une fois ou deux, puis laisser les choses à la volonté de Dieu en pensant qu'ils fassent comme ils l'entendent. Mais ici, elle n'a pas obéi à cette instruction, son caractère s'y est opposé. Une autre instruction : se taire quand K. perd son calme et estimer que, à cause de ses péchés, le Seigneur autorise K. à perdre son calme. M. doit prendre la faute à son compte et demander pardon à K. Si elle exécutait cela, elle ferait un grand bien et à elle-même et à K. et pour vous aussi les choses seraient plus faciles avec elles. L'ennemi, manifestement, agit de toute sa force et il faut être très prudent, demander de l'aide et du discernement au Seigneur, avec un coeur contrit. Viens en aide à tous, Seigneur!

J'espère encore vous revoir. Si pendant l'hiver ce ne sera pas possible, j'essaierai de venir impérativement vous voir pendant le printemps ou l'été.

Que le Seigneur vous console, vous fortifie et vous éclaire. A K. et à toutes, transmettez la bénédiction de Dieu. Je demande vos saintes prières pour moi.

N(ikon) qui vous aime. 1951.



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Chère Mère V.!

J'ai reçu votre lettre et celle de M. Quelle tristesse que votre santé soit mauvaise, ainsi que celle de M. Que Dieu vous aide. Nous allons tous vers notre fin. Il faut de toutes nos forces remercier le Seigneur de nous avoir permis de naître, de vivre dans la foi orthodoxe et d'avoir l'espérance de la vie éternelle. Combien de gens sont privés de ce don sublime! Que gloire soit rendue à Dieu pour ses dons et ses grâces innombrables répandues sur nous. Gloire à Sa longanimité et à Sa miséricorde, gloire à Dieu pour tout!

Chère Mère V., pendant que V. était ici, nous avons construit avec lui une tonnelle, mais aujourd'hui, j'ai très mal à la tête et je ne peux plus écrire à quiconque. Pardonnez-moi, priez. Amitiés et bénédictions de Dieu à toutes.

N(ikon) 1952.



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Chère Mère V.! La paix soit avec vous et avec les soeurs!

Comment allez-vous toutes? L. m'a écrit que vous vous étiez fait mal au bras. Est-il guéri? Où en êtes-vous avec le poêle? Que le Seigneur vous aide. Cherchez avant tout le Royaume des Cieux, et alors tout vous sera donné par surcroît. D'où vient que nous ne cessons de nous tourmenter ( nous nous irritons, nous nous disputons, nous sommes abattus, nous jugeons les autres, etc., etc.)? Cela vient de ce que nous ne croyons pas aux paroles du Seigneur. Si nous croyions, nous ferions tout calmement, posément, en priant. Nous ferions ce que nous sommes en pouvoir de faire et pour le reste, nous nous reposerions sur la bonté du Seigneur... Alors, nos affaires, même extérieures, s'arrangeraient mieux et on verrait s'aménager une authentique maison spirituelle.

Mais nous, nous voulons à tout prix faire ceci et cela, et si nous n'y parvenons pas, nous commençons à nous agacer, à nous accuser mutuellement, et nous ruinons notre équilibre. Ne serait-il pas mieux d'exécuter la volonté de Dieu, autrement dit de tendre ses forces vers le maintien de la paix entre nous, l'accomplissement en toutes choses de la volonté de Dieu, en agissant aussi, selon nos forces, pour notre corps? S'il manque quelque chose d'essentiel, il faut le supporter pour Dieu. En son temps, le Seigneur pourvoira à ces manques, car la parole de Dieu ne se démentit pas : tout sera donné à celui qui cherche en premier le Royaume de Dieu.

Je vous demande de prier pour E.E. jusqu'au quarantième jour de sa mort (jusqu'au 29 octobre selon le calendrier de l'Eglise). Elle a fait beaucoup pour moi, et pas pour moi seulement. Un grand nombre de personnes l'ont sincèrement pleurée.

L. vous accuse d'avoir lu la lettre qui lui était destinée. S'il en est ainsi, ce n'est pas bien. Croyez bien qu'il n'y a aucun secret dans mes lettres. Mais lire les lettres des autres est un péché et qui conduit à un plus grand péché. Pardonnez-moi. demandez pardon à L. si vous vous êtes rendue coupable de cela.

Amitiés à tous et que la bénédiction de Dieu soit avec vous.

N(ikon). Octobre 1951.



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Chère Mère V. et toutes les soeurs!

Que la paix et la bénédiction soient avec vous! Je sais que vous êtes dans la peine et que vous perdez courage. Il faut prendre conscience, au vu des faits, que trop faibles sont encore en nous la foi et l'espérance dans le Seigneur, en dépit de Son affirmation qu'Il ne laisse pas une seule minute les croyants sans aide et sans protection, qu'Il est le Chemin, la Vérité et la Vie, et qu' Il ne rejettera pas celui qui vient à Lui avec foi, en accomplissant les commandements, mais que, au contraire, Il accueille et console, comme Il a accueilli le larron, le publicain, le fils prodigue et d'autres encore. Pourquoi ne Le croyons-nous pas, Lui qui est la Vérité elle-même? Nous devons sans cesse être éveillés et invoquer le nom du Seigneur, afin qu'Il combatte nos ennemis, fortifie notre foi, notre espoir en Dieu, qu'Il nous amène petit à petit à l'amour de Dieu et du prochain. Le Royaume de Dieu se conquiert par la force, c'est-à-dire en se forçant soi-même constamment; autrement dit : prends ta croix de chaque jour et suis-moi; en d'autres termes : renonce à toi-même; ou encore : perds ton âme; ou encore : c'est par de grandes peines qu'il convient d'entrer dans le Royaume de Dieu, etc.

Ainsi donc, il est temps que ceux qui dorment se réveillent et se mettent au travail pour Dieu. Maintenez la paix entre vous et les choses sacrées; sans elles vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu ni ici-bas ni dans la vie future.

Que S. reste sagement dans sa cage à étourneaux, sans s'envoler comme la colombe de l'arche.

Votre père. 1951.



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Chère Mère V.!

Que la paix et le salut soient avec vous! Je n'ai pas reçu de nouvelles de vous depuis longtemps et je ne sais pas où en est votre santé. Je sais que les maladies et les affections vous assaillent, que la fin s'approche de vous comme de moi. Moi aussi, j'ai commencé à sentir l'approche de la fin. J'ai toutes sortes d'affections dues aux refroidissements : rhumatismes, mal aux reins, douleurs dans les os, bruit dans les oreilles (acouphème), etc... Tout cela demeurait caché auparavant, et maintenant, cela se manifeste ouvertement et fortement. Une faiblesse, une atonie du corps et de l'âme se font particulièrement sentir. L'âme perd sa vitalité. Je suis très affecté par les maladies et les épreuves des autres. Je n'ai jamais eu envie de vivre, et je n'en ai toujours pas envie. C'est uniquement le désir d'aider ceux qui en ont besoin qui maintient en moi de l'intérêt pour la vie. Personnellement, il me semble que je serais content de quitter ce monde à tout instant. Bien sûr, j'ai peur parce que je ne suis pas prêt, mais cette peur est atténuée par l'espoir en la miséricorde de Dieu. Je voudrais venir vous voir. Peut-être y parviendrai-je après Pâques. J'ai passé deux jours à Moscou. Le frère de V. était à l'article de la mort, mais, grâces soient rendues à Dieu, il s'en est sorti. Je suis très satisfait de mes colocataires. Ils n'ont pas de prétentions, ils ne font pas de caprices comme font beaucoup de gens.

Comment est votre état spirituel? Comment vont M., K.? Comment va L., comment se comporte-t-elle? M. et K. vivent-elles en bonne harmonie? Quand comprendront-elles que pour un plat de lentilles on vend sa dignité de filles de Dieu? Si elles ne peuvent s'empêcher de se disputer, qu'au moins, après, elles se repentent sincèrement et se gardent contre d'autres accès de colère. Je me suis préparé et je ne me suis pas troublé. Combien de fois il a été dit qu'il vaut mieux gâcher une affaire que "nuire à son âme". Le monde tout entier ne vaut pas une âme, et là, nous causons notre perte pour des bêtises.

Pardonnez-moi mon long silence. Que le Seigneur vous aide toutes, vous éclaire, vous mette sur le droit chemin et vous bénisse de Sa bénédiction céleste. Priez pour nous tous.

N(ikon) qui vous aime. 24 mars 1952.





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Chère Mère V.!

Je vous souhaite, de la part du Seigneur, la santé de l'âme et du corps, et l'héritage du Royaume des Cieux.

Mère V., vous n'avez manifestement pas compris les paroles de V. Il s'agissait de causes extérieures et non intérieures, et non point chez vous, mais chez nous, ici. D'une façon générale, je vois bien que les rapports entre les enfants et leurs parents comportent beaucoup de vaines paroles, de conflits inadmissibles, et fort peu de profit. Le monde spirituel s'obtient par des efforts spirituels et non par des entretiens ou des lectures. Dans l'Evangile sont dévoilés tous les secrets de l'âme humaine, le chemin vers le Royaume de Dieu, les récompenses et les châtiments; sont révélés bien des mystères de la vie outre-tombe, mais tout cela ne s'acquiert pas par la lecture, et même pas par la prière, mais par l'accomplissement des commandements.

Quant au déficit d'efforts spirituels, les violations des commandements, ils sont compensés par le repentir, la confession, la communion aux Saints Mystères. Or, nous bavardons et nous ne faisons rien. C'est ce que je vois en moi-même et en mes enfants spirituels; je suis convaincu qu'il n'y aurait aucun préjudice, que même ce serait très bénéfique de cesser les entretiens et les correspondances. L'homme instruit doit, aux heures libres, lire la Parole de Dieu, et l'homme ignorant doit l'écouter. Ce qui a été lu doit être "gardé" comme dit le Saint Evangile. C'est de cela qu'il s'agit. Celui qui fait du sur place n'a rien à dire sur les parties éloignées du chemin. De là, en revanche, on peut juger de l'inverse.

J'ai beaucoup fâché M. et L. Elles sont mécontentes de moi. Pardonnez-moi, chère Mère V. Demandez à Dieu de me donner l'amour des proches et de me faire comprendre comment leur parler pour être utile à leurs âmes et à la mienne. Je suis devenu parfaitement déraisonnable.

Pardonnez-moi. Je demande vos saintes prières.

N(ikon). 1952.



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Chère Mère V., merci de votre bon souvenir et de vos bons voeux.

Ma santé est meilleure. Pour les rhumatismes, une infusion, la bodyaga (1),

(1) : (Eponge végétale)

m'a fait du bien, mais je ressens en permanence une grande faiblesse. Depuis le mois d'août jusqu'à aujourd'hui, nous vivons dans une grande agitation. Nous faisons contruire une grande maison, nous avons construit des bains; il a fallu aller plusieurs fois à Moscou pour chercher une iconostase et des matériaux. Les ouvriers donnent du fil à retordre. Le jour de la Saint Nicolas, l'évêque a célébré chez nous. A nouveau c'est l'agitation, et nous tournons, tourniquons, et notre âme devient tiède. C'est à s'enfuir au désert, mais il n'y a plus de désert nulle part, et rentrer en soi-même, nous ne le pouvons pas. C'est pourquoi, et pour d'autres raisons aussi, je souhaite que Dieu nous préserve des invités, y compris de M. et K. Elles ne se feront que du mal en venant ici, et nous tous aussi. C'est la vérité. Et elles doivent elles-mêmes le comprendre.

Je découvre de plus en plus la profonde déchéance de l'homme et, par là même, la signification du Sauveur Jésus-Christ. Aucune âme ne se sauve par ses oeuvres; l'unique Salut, c'est le Christ : Il sauve ceux qui croient en Lui, qui ont conscience qu'ils ont besoin d'un Sauveur parce qu'ils se savent pécheurs, indignes du Royaume de Dieu. Ce sont ces pécheurs que Jésus-Christ est venu appeler à la repentance et au Salut.

Tout le deuxième tome (1) est consacré à la prière et particulièrement à la Prière de Jésus. Puisque vous avez ce deuxième tome, vous n'avez pas besoin du premier, et puis, d'une manière générale, il est temps pour vous d'avoir un maître intérieur... Lisez de temps en temps les paroles des Pères dans le livre Otetchnik d'Ignace ( Briantchaninov). Si vous ne l'avez pas, L. l'a : je le lui ai offert il y a trois ans. ce livre est très rafraîchissant.

Transmettez à L. qu'il est inutile de poser des questions sur ce qui peut ne pas être du tout. Quand le moment viendra, qu'elle pose des questions, car alors, le Seigneur pourra inspirer une bonne réponse, sinon elle tente le Seigneur, et moi-même, pour me faire du tort.

Que le Seigneur vous bénisse, vous éclaire et vous console.

Pardonnez-moi, qui suis paresseux. J'espère venir vous voir au printemps, car j'ai quelque chose à faire. Je voulais achever ici ma lettre, mais j'ai décidé d'ajouter encore quelques mots.

Toute l'humanité et chaque homme en particulier se trouve dans un état profond de déchéance et de corruption, et l'homme ne peut se corriger lui-même, se sauver ni se rendre digne du Royaume des Cieux. Celui qui redresse l'homme, c'est le Seigneur Jésus-Christ, venu sur terre pour cela, mais Il redresse ceux qui croient en Lui, qui reconnaissent leur état de corruption, ou plutôt, comme nous disons couramment, leur état de pécheur. Le Seigneur le dit Lui-même : Je ne suis pas venu appeler les justes (c'està-dire ceux qui se croient justes) mais les pécheurs au repentir - ceux-là même qui ont vu leur déchéance, leur péché, leur incapacité à se redresser par eux-mêmes et qui se tournent vers le Seigneur Jésus-Christ pour demander Son secours, ou plutôt, qui Le supplient de leur faire grâce, de les purifier des plaies du péché, de les guérir de la lèpre morale et de leur accorder le Royaume des Cieux exclusivement par miséricorde et non pour telles ou telles bonnes actions.

Celui qui marche sur la voie spirituelle commence à voir en lui de plus en plus de péchés, jusqu'à ce qu'il se voie, par une vision intérieure, tout entier plongé dans le péché, qu'il sente, de tout son coeur, qu'il n'est que boue et souillure, qu'il est indigne d'invoquer le nom de Dieu et, comme le publicain, il n'ose lever les yeux et appelle avec un coeur contrit : " Dieu, aie pitié de moi, pécheur". S'il reste longtemps dans cette disposition d'esprit, l'homme finit par en sortir justifié, comme ce fut le cas pour le publicain.

Inversement, si l'homme estime qu'il est bon et que ses péchés, pris isolément, même graves, sont occasionnels, que ce sont les circonstances, ou les gens, ou les démons, qui en sont la cause, que lui-même n'est que très peu coupable, que cet état d'esprit est erroné, il est le résultat d'une séduction cachée, dont le Seigneur veuille nous préserver.

Pour marcher sur la voie droite, il faut se surveiller soi-même, confronter ses actions, ses paroles, ses pensées, ses tendances avec les commandements du Christ, sans se justifier en rien, s'efforcer de se corriger dans la mesure du possible, ne pas accuser ni juger les autres, se repentir devant Dieu, peu à peu s'humilier devant Dieu et les hommes. Alors le Seigneur dévoilera peu à peu à cet homme sa déchéance, sa corruption, sa dette insolvable. L'un devait cinq mille deniers, l'autre cinquante, mais nonobstant, aucun des deux n'avait de quoi payer.

Il faut que le Seigneur, par Sa miséricorde, pardonne à tous les deux. Il n'y a donc pas sur terre un seul juste qui n'ait besoin de recourir à la miséricorde du Sauveur.

Telle est la Sagesse de Dieu! Un pécheur invétéré est plus susceptible de s'humilier et de se tourner vers Dieu que le prétendu juste qui n'est juste qu'en apparence. C'est la raison pour laquelle le Seigneur Jésus-Christ a dit que les publicains et les pécheurs précèdent dans le Royaume des Cieux un grand nombre de justes d'apparence.

De par la grande Sagesse de Dieu, les péchés et les démons contribuent à l'humiliation de l'homme er par là même à son Salut. Voilà pourquoi le Seigneur n'a pas voulu qu'on arrache l'ivraie dans le champ de blé : sans l'ivraie, l'orgueil eût bientôt surgi; or, Dieu a l'orgueil en horreur. L'orgueil et l'arrogance vouent l'homme à sa perte.

Que conclure de ce qui vient d'être dit? Reconnaissez votre faiblesse, votre état de pécheur, ne jugez personne, ne vous justifiez pas vous-mêmes, humiliez-vous, et alors le Seigneur vous élèvera en temps voulu.

Ô Dieu, sois miséricordieux envers nous, pécheurs!

Pardonnez-moi et priez pour moi.

Cette lettre est pour toutes.

Tous les nôtres vous saluent et vous remercient de votre souvenir.

N(ikon). 1952.



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Chère Mère V.!

Je vous souhaite paix, salut, santé du corps et joie spirituelle!

Je vous remercie de votre lettre. Ce dont vous a informée M.S. à mon propos et concernant la façon dont l'évêque me considère, je le sais bien moi-même. Tous ceux qui veulent vivre en Christ seront persécutés. Vous entendez? Non seulement ceux qui vivent, mais aussi ceux qui veulent vivre dans la piété seront persécutés. Et à cause de qui? Des hommes qui se laissent aller aux injonctions du diable.

Avce la gardienne, j'aurai encore pas mal de fil à retordre. Il est temps de la congédier, elle aussi. L'ennemi veut à tout prix l'utiliser, elle et s afamille, ainsi que l'ancien marguillier. Ils se sont donnés pour tâche de me chasser d'ici par la calomnie, et l'évêque a déjà cédé et a voulu me muter. Or, j'ai fait mes débuts ici avec sa bénédiction et ses instructions et même, prévoyant ce qui se passe maintenant, je l'en avais prévenu.

S'il persiste à vouloir me muter à cause de cela, peut-être sortirai-je de son diocèse. C'est alors seulement que l'on pourra penser que la volonté de Dieu est que je parte d'ici, que je déménage ailleurs, peut-être à Kozelsk. Sans la certitude que là est la volonté de Dieu, jamais je ne franchirai ce pas. Je n'écrirai rien à ce sujet. A la première occasion, j'essaierai de venir vous voir et de vous informer. Je suis sûr que, quandce sera la volonté de Dieu et que j'aurai Sa bénédiction, tout s'arrangera d'une façon qui nous étonnera.

Je compatis, chère Mère V., à vos misères physiques, car moi-même je commence à ressentir les mêmes. Quant à l'âme, qu'en dire? Notre temps nous propose un seul et unique exploit spirituel : reconnaître ses péchés, sa faiblesse, s'en repentir et supporter sans se plaindre tout ce que le Seigneur autorise. Mais même cela, nous ne pouvons l'accomplir qu'en demandant sans cesse Son aide au Seigneur; en d'autres termes, nous devons, dans la mesure de nos forces, nous tourner le plus souvent possible vers Dieu, par la prière, et surtout ne jamais juger quiconque, pardonner à tous, afin de n'être pas jugés nous-mêmes, conformément à la loi spirituelle.

Voilà, c'est tout. A Kozelsk il y a beaucoup de moniales qui n'ont pas une bonne santé spirituelle : elles sont orgueilleuses, vaniteuses, pleines de malice; elles jugent les autres, ne demandent aucun conseil spirituel et refusent d'en recevoir, imaginant qu'elles savent tout.

Même à Moscou, j'ai eu l'occasion de rencontrer une moniale, déjà d'un certain âge, qui discutait avec un prêtre, l'invectivait, lui reprochant un écart par rapport à l'ordo. Enfin, que Dieu les rende sages!

L'apôtre Paul n'aimait pas édifier sur des bases étrangères. Beaucoup de guides spirituels ont écrit comme lui, par exemple Ignace (Briantchaninov). Tout comme une veuve qui se remarie compare la vie d'avant avec celle d'aujourd'hui, ainsi dans les choses spirituelles. Surtout chez les anciens pères spirituels, gâtés par trop d'attention.

Pardonnez-moi, Mère V. et priez pour moi. Si vous vous sentez très mal, envoyez-moi un télégramme. Je demanderai à l'évêque de me laisser vous rendre visite. On m'a enlevé O.A., je ne sais pas ce qu'il en sera par la suite. Il fait des démarches pour revenir ici.

Que la bénédiction de Dieu soit avec vous toutes. Amitiés et bénédiction à tous.

Hier. Nikon. 1952.



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Chère Mère V.!

Je vous souhaite, à vous et aux soeurs, la paix et le salut de vos âmes.

Comment vivez-vous? Comment va votre santé? Je voudrais vous rendre visite, mais tant que je suis seul, je ne peux pas m'absenter. J'espère venir cet automne. Je tâcherai de m'échapper...

Chère Mère V., n'écoutez pas les autres, ne laissez pas vos propres pensées se permettre de juger qui que ce soit. Chacun devant son Seigneur se tient debout ou tombe, et il faut se souvenir que "pour celui qui aime le Seigneur, tout contribue à son salut" et par le Seigneur les pas de l'homme sont redressés. Nul ne se sauve par lui-même, et nous avons tous le même Sauveur. L'homme ne peut que désirer le salut, mais par lui-même, il ne peut se sauver. Il faut désirer le salut tout en se reconnaissant perdu, indigne du Royaume de Dieu (Si vous accomplissez tout ce qui est demandé...), et ce désir de salut, il faut le manifester à Dieu par une supplication adressée à Lui, par des efforts pour exécuter Sa volonté et par un constant repentir. Et puisqu'en dépit de notre désir, nous transgressons sans cesse les commandements, il nous faut sans cesse nous repentir.

Les saints eux-mêmes se repentaient jusqu'à la mort, car ils se voyaient indignes de s'approcher de Dieu, et donc indignes du Royaume. Plus un homme est pécheur et moins il voit en lui ses péchés, et avec plus de hargne il accuse les autres. La marque authentique, et qui ne trompe pas, d'une bonne orientation spirituelle, est cette reconnaissance profonde de son état de corruption et de péché, cette conscience que les grâces de Dieu sont imméritées, ainsi que le non-jugement des autres. Si un homme ne se reconnaît pas ( du fond du coeur et pas seulement en paroles) comme un pécheur invétéré, c'est qu'il n'est pas sur le droit chemin, qu'il se trouve, sans aucun doute, dans un état de terrible aveuglement, d'illusion spirituelle, fût-il admiré par les gens comme un grand saint, fût-il doué d'un don prophétique et apte à faire des miracles.

Toute notre vie, nous ne faisons que notre propre volonté et même nos bonnes actions sont entachées de volonté propre, de vanité, de calcul... Que chacun s'examine scrupuleusement, et il dira, du fond du coeur, les mots de la prière du matin : " Seigneur, purifie-moi, pécheur, car je n'ai rien fait de bien devant Toi". Ce sont les paroles de saint Macaire d'Egypte, l'un des plus grands saints. Comment pouvons-nous, nous qui sommes déchus, juger et condamner les autres, et par là même nous placer plus haut qu'eux, en nous érigeant en juges? Comment pouvons-nous considérer qu'il marche sur le droit chemin celui qui ne se reconnaît pas ( et pas seulement en paroles) comme le premier des pécheurs?

Chère Mère V., je voulais vous écrire, et voilà ce qu'il m'a été inspiré d'écrire. Pardonnez-moi et priez pour moi. Je vous souhaite, à vous et aux soeurs, la paix, le repentir, et de ne pas vous attacher à tout ce qui est terrestre. Pardonnez-moi.

A toutes, amitiés et bénédiction de Dieu.

N(ikon). 1952.



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Chères NN.!

La paix et le salut vous soient donnés par le Seigneur! Je vous souhaite à toutes la santé du corps et l'intelligence spirituelle, et avant tout l'humilité, sans laquelle toutes les vertus réunies n'ont aucn prix. A son tour, l'humilité ne peut être là où il n'y a pas la reconnaissance de ses péchés, où il n' y pas de repentir, où règne l'autojustification. De sorte que tout le travail pour le salut se résume à la prise de conscience de ses péchés, de son indignité pour le Royaume de Dieu et, en conséquence de cela, de la nécessité de supplier sans cesse : " Ô Dieu, aie piytié de moi, pécheur!" Le Seigneur nous a appris à prier ainsi dans la parabole du publicain et du pharisien. Nous sommes tous des publicains par nos péchés, mais nous n'avons pas l'humilité et la repentance du publicain.

Pardonnez-moi et priez pour moi.

Je compatis à vos maladies corporelles. Que le Seigneur vous bénisse et fasse miséricorde à vous toutes. Amitiés et bénédiction à tous ceux que je connais. M.V., je vous envoie 20 roubles pour du thé, et 50 roubles à Mère A.

N(ikon).



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Chère Mère V.!

J'ai reçu votre lettre, je vous remercie toutes.

Chère Mère V., plus l'homme est près de Dieu ( dans la réalité et non dans l'imagination), plus il se sent indigne, pécheur, plus pécheur que tous les autres hommes. Ainsi le ressentaient les Saints Pères, les exemples sont nombreux, et vous vous les rappellerez vous-même.

Le publicain se sentait pécheur pour une autre raison. Mais, ayant reconnu son état de pécheur, il ne se justifiait pas, il ne faisait que demander à Dieu la grâce et le pardon, qu'il a obtenus. Tout le monde a une dette insolvable à l'égard du Seigneur. Aucun exploit ne peut l'acquitter. Le Seigneur dit Lui-même que, si vous faites tout ce qui vous est demandé (c'est-à-dire tous les commandements), vous devez vous considérer comme des serviteurs inutiles, qui sont tenus de faire ce que leur ordonne le maître. Cela signifie que nous tous, qui transgressons constamment les commandements, nous devons avoir la disposition d'esprit qui est celle du publicain. Ne pas se chercher je ne sais quels mérites, quels que soient les efforts faits. Nous sommes toujours des serviteurs inutiles. Seule la miséricorde de Dieu pardonne à ceux qui se repentent et Il les fait entrer dans le Royaume des Cieux.

C'est la raison pour laquelle il est interdit par les saints Pères et par le Seigneur Lui-même de rechercher les états d'âme sublimes. Tout notre effort intérieur doit être concentré sur le repentir et sur tout ce qui le favorise, et alors ce qui vient de Dieu viendra forcément quand la place sera nettoyée et si le Seigneur le veut. Si l'ascète n'a pas en lui le sentiment sincère de son état de péché, s'il n'a pas le coeur contrit, cela veut dire qu'il se trouve dans un état de séduction diabolique. Surtout celui qui poursuit l'exploit de la prière doit posséder la prière du publicain et sa contrition, sinon il sera trompé par les démons, il connaîtra la vanité, l'arrogance et l'illusion. Que le Seigneur nous épargne cela.

C'est ma réponse à votre question concernant la disposition d'esprit du publicain. Le Seigneur, par la parabole du pharisien et du publicain, a montré comment il fallait prier, dans quel état de l'âme, et comment il ne fallait pas prier ( état d'esprit du pharisien). Après la venue du Sauveur et Ses souffrances, la prière du publicain a été remplacée par les saints Pères par la prière de Jésus. Le sens est le même.

Pardonnez-moi. A toutes, amitiés et bénédiction de Dieu. Ecrivez-moi.

N(ikon). 18 novembre 1954.



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Le Christ est ressuscité!

Bonne fête à toutes pour ce jour de lumière, de paix, de joie, le gage de la vie et d ela béatitude éternelles! Que le Seigneur Jéus-Christ vous accorde la paix intérieure, l'intelligence spirituelle pour connaître la voie du salut et la force de marcher sur cette voie. Qu'Il vous accorde, plus que tout, l'humilité et le repentir.

J'espère vous revoir : j'en parlerai dans une lettre en temps voulu.

H(iéromoine) Nikon. 1954.



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Chère Mère V.!

Je vous souhaite ainsi qu'aux soeurs de belles Fêtes et une Bonne Année. Je vous souhaite toutes sortes de grâces de la part du Seigneur.

Chère Mère V., ces derniers temps j'ai vu clairement la voie du salut comme étant l'état d'esprit du publicain, et pas seulement à l'heure de la prière, mais à toute heure. En apparence, il semble qu'il n'y ait là rien de nouveau. Qui ne connaît pas la parabole du pharisien et du publicain?

Pourtant, appliquée à notre travail intérieur ( spécialement à la prière de Jésus), cette parabole - ou plus exactement l'état d'esprit du publicain - revêt, me semble-t-il maintenant, une signification définitive. Si le Seigneur donne Sa bénédiction pour nous revoir, nous en parlerons.

Hier est décédé notre prêtre de Viazma, le Père M. J'ai un peu peur qu'on m'impose ses fonctions : il y a déjà eu des tentatives. Je vais aller célébrer ses obsèques.

Comment va votre santé, M.K.? Comment est l'humeur de notre K.? Je vous envoie à toutes la bénédiction de Dieu. Je demande vos prières pour moi.

Amitiés et bénédiction du Seigneur pour toutes et tous ceux que je connais. Pardonnez-moi. Ecrivez, donnez de vos nouvelles.

N(ikon). 1955.



Chère Mère V.!

Réjouissez-vous dans le Seigneur! Que la paix soit avec vous!

Je suis désolé que vous vous affaiblissiez, bien que nous nous dirigions tous vers le même terme. Remercions le Seigneur de nous avoir choisis et sortis de ce monde, de nous avoir pris dans Son domaine. Gloire à Toi, ô Dieu, gloire à Toi! Seigneur, fais abonder Ta miséricorde jusqu'à la fin! Eloigne-nous, même après la mort, de Tes ennemis, bien que nous n'en soyons pas dignes, mais par Ta miséricorde, ne nous rejette pas de Ta face! Rends-nous capables, nous aussi, avec tous les saints de tous les siècles, de Te rendre grâce et de Te glorifier pour Tes bontés inconcevables envers le genre humain et envers nous, Tes indignes serviteurs! Gloire à Toi, Père, Fils et Esprit Saint, dans les siècles des siècles. Amen.

Que le Seigneur vous bénisse, qu'Il vous fortifie et vous réjouisse de la joie spirituelle; Je demande instamment vos saintes prières.

Votre indigne N(ikon). Hiver 1956.





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Chères M. et K.! Que la paix et le salut du Seigneur soient avec vous!

J'ai reçu une lettre de vous. Le Seigneur vous a visitées par la maladie : elle était assurément nécessaire pour votre salut. C'est par de grandes peines qu'on entre dans le Royaume de Dieu. Telle est la loi spirituelle. Les apôtres, les martyrs, tous les saints sont entrés dans la gloire à travers de grandes épreuves. Le Seigneur châtie celui qu'Il aime, Il frappe Son enfant, puis Il l'accueille. Il est évident qu'il n'y a pas d'autre voie pour entrer dans le Royaume que la voie étroite, la voie de la Croix - c'est pourquoi vous aussi, vous devez résister au découragement quand vous êtes malades et faibles, et au contraire vous réjouir, en vous consolant par la pensée que le Seigneur est maintenant plus proche de vous et que plus tard, il fera de vous, pour toujours, Ses enfants, à condition que vous Lui restiez jusqu'au bout fidèles et que vous supportiez sans plainte toutes les peines qu'il jugera utile de vous envoyer. Celui qui aura supporté jusqu'au bout sera sauvé.

Il faut le plus souvent possible invoquer le nom du Seigneur, se mettre devant Sa face et Lui demander l'endurance, quand les choses sont trop dures. Il faut se méfier des plaintes comme de serpents venimeux. Le mauvais larron, par ses plaintes et ses insultes, n'a pas seulement augmenté ses souffrances, il a causé sa perte définitive, tandis que le bon larron, reconnaissant que son supplice était mérité, a allégé ses souffrances et a hérité du Royaume de Dieu.

Dans la prière du matin de saint Macaire d'Egypte, il est dit : "Ô Dieu, purifie-moi, pécheur, car je n'ai rien fait de bon devant Toi." Si les grands saints de Dieu l'ont ressenti ainsi, nous autres, que devons-nous ressentir, en quoi pouvons-nous espérer? Uniquement en la miséricorde de Dieu. Oubliant toutes nos bonnes actions, nous devons, comme le publicain, appeler de tout notre coeur : " Dieu, sois miséricordieux envers nous, pécheurs!" Et si le publicain, par cette simple prière, a été justifié et pardonné de tous ses péchés, il est clair que nous aussi nous devons croire que le Seigneur nous fera grâce à nous également, si nous prions du fond du coeur et espérons en Sa clémence. Aucune maladie ne nous empêchera, au moins quelques fois dans la journée, de nous tourner de toute notre âme vers le Seigneur en nous repentant.

Il n'y a pas un seul cas où le Seigneur ait refusé Son pardon à celui qui se repentait. C'est seulement dans le cas où nous-mêmes ne pardonnons pas aux autres que le Seigneur ne nous pardonne pas. C'est pourquoi il nous faut faire la paix avec tous, afin que le Seigneur fasse la paix avec nous. Pardonnons à tous afin que le Seigneur nous pardonne.

Il fait en ce moment un si mauvais temps que vous devez en souffrir particulièrement. Nous tous ici nous nous traînons aussi; le soir, nous attendons le matin, et le matin, nous pensons au moment où nous pourrons tranquillement nous coucher. Que le Seigneur vous garde, qu'Il vous accorde l'endurance et la prière et, par elles, la joie spirituelle qui triomphe de toutes les maladies du corps et des peines de ce monde qui passe.

La fin est proche, ne vous souciez de rien; gardez courage et que votre coeur soit ferme.

contre Hier. N(ikon).



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Chères M. et K.!

Nous vous souhaitons une bonne Fête de la Nativité du Christ et une bonne année! Que le Seigneur vous accorde toutes les bénédictions du Ciel, qu'Il vous donne la paix, l'amour mutuel, la santé, le zèle pour Dieu, l'intelligence de la vie spirituelle, la prière et les larmes. Qu'Il vous garde contre les ennemis visibles et invisibles, qu'Il vous donne aussi tout le nécessaire pour cette vie provisoire. Que le Seigneur vous accorde la joie spirituelle, qui s'écoule d'un coeur humble et contrit, empli de la crainte de Dieu.

Dites à S. de ne pas venir ici. Qu'elle oeuvre sur place, là-bas; qu'elle sorte moins souvent de chez elle et bavarde moins, qu'elle apprenne un peu à vivre une vraie vie spirituelle et à se tempérer. Ce qui est le plus utile à son âme, pour l'instant, c'est de rester enfermée et de faire son travail en solitaire. Chaque fois qu'elle sort de sa chambre sans nécessité absolue, qu'elle fasse dix métanies et trente prières de Jésus.

Il est temps qu'elle se prenne en mains. Les étourneaux eux-mêmes, après avoir chanté, construisent leur nid et apportent des fruits. Il faut qu'elle aussi édifie sa maison spirituelle et qu'elle y apporte les fruits du repentir, de la prière et de la tempérance. Et qu'elle n'invite personne, sinon elle trouvera là un prétexte.

Encore une fois, que la paix soit avec vous, mes chères. Nous évoquons toujours vos noms avec amour. Ecrivez-nous.

N(ikon). 3 janvier 1949.



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Chères M., K.! La paix et le salut soient avec vous!

M., ne te languis pas. Et Mère, et moi-même, nous t'aimons et avons compassion de toi. Il vous faut vivre un peu seules. Efforcez-vous de faire et de dire comme si vous étiez en présence du Seigneur. En fait, c'est ce qui se passe. Le Seigneur voit tout ce qui nous concerne - le coeur et les pensées, pas seulement les paroles et les actes - à toute heure et partout. Et Tes yeux ont vu (même) ce que je n'ai pas fait. Il faut donc vivre avec le sentiment de la présence du Seigneur. Comme le disait et le sentait le prophète David : mon péché contre mon Dieu est constamment devant moi. Si le Seigneur accordait ce sentiment, on aurait toujours le coeur léger, joyeux, le coeur constamment en prières, ou, si nous n'avons pas encore atteint cela, nous aurions le désir de prier et chaque fois que notre coeur s'adresserait au Seigneur par la prière, il se remplirait aussitôt de douceur, de compassion, d'une contrition profonde et de crainte de Dieu, c'est-à-dire de la crainte d'offenser Dieu en quoi que ce soit. Et de cette crainte de Dieu naît bientôt l'amour de Dieu et, comme le disent les Saints Pères, les larmes abondent, le coeur s'enflamme et la porte s'ouvre sur le mystère du siècle à venir.

Mes chères petites Mères, il vaut la peine d'oeuvrer pour le Seigneur, il vaut la peine d'endurer toutes les peines, si dures fussent-elles, pourvu qu'on ne soit pas privés des biens éternels, ce que l'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu et qui n'est pas venu au coeur de l'homme. Aimez-vous les uns les autres, ayez compassion de tous, préservez la paix à tout prix, tant pis si les affaires en pâtissent, il faut que soit préservée la paix.

K., tu es ma fille, donc garde la paix, car une moniale de quatre-vingt-douze ans m'a appelé fils de la paix (1), donc toi aussi, sois fille de la paix, car c'est dans la paix que réside Dieu.

(1) : ( Car mon père spirituel avait la paix).

N'accuse personne. Tu vois toi-même que, quand il n'y a personne, tu t'agaces contre le chat ou même contre des objets. C'est donc qu'il y a de la colère en toi; ce ne sont pas les gens qui la provoquent. Que la paix de Dieu vous habite toutes.

P(ère) qui vous aime. 11 février 1949.



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Chères M., K.! La paix soit avec vous!

J'ai reçu ta lettre et celle de O. Nos lettres se sont croisées. Je vous ai écrit de ne pas vous inquiéter, de ne pas vous faire du souci. Tout est entre les mains de Dieu. Vous, de toutes les façons, vous n'avez pas à craindre la contagion : vous n'allez nulle part, ne bavardez avec personne, et donc vos craintes sont du vent. Que S. pourtant, et sa voisine s'appliquent plus à produire les fruits du repentir.

De même, S. écrit des lettres trop prolixes. Je la connais assez bien sans cela et il est inutile de répéter toujours les mêmes choses. Elle connaît fort bien les paroles des Anciens : reste dans ta petite cage et elle t'apprendra tout. Je lui ai dit vingt fois ce qu'elle devait faire. Qu'elle le fasse.

Mère est en bonne santé, elle vous salue toutes, se souvient de toutes, parfois se languit de vous.

N(ikon). 28 novembre 1949.



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Chère M.!

Je t'ai écrit quelques lettres. Comment est ta santé actuellement? Comment vas-tu spirituellement parlant? Je pense que toi et K., vous êtes soulagées depuis que Mère s'apprête à venir. Elle aussi vous a écrit et a envoyé la lettre par la poste. L'avez-vous reçue? Patiente, chère, tout va s'arranger. Les choses ne se passent pas toujours comme on veut, et pourtant le Seigneur conduit vers Lui ceux qui désirent le salut, mais peut-être pas par les voies que nous aurions choisies. Soumettons-nous à la volonté de Dieu et recevons de Sa main sans nous plaindre tout ce qu'Il voudra bien nous envoyer. Comme l'Orient s'est éloigné de l'Occident, ainsi mes pensées sont éloignées de vos pensées, disait le prophète au nom de Dieu.

Pardonnez-moi. Vous, je vous pardonne, et le Seigneur pardonnera. Priez pour moi.

N(ikon) qui vous aime. 15 avril 1949.



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Chère M.! La paix soit avec toi!

C'est triste que tu aies eu si mal aux dents. Je compatis grandement. Je regrette que tu n'aies pas pu venir. Ne sois pas offensée par les paroles, quand je dis que le Seigneur ne l'a pas voulu. Il est certain que si telle avait été la volonté de Dieu, tu serais forcément venue. Cela veut dire que pour l'instant, telle n'est pas la volonté de Dieu. Je t'ai toujours dit qu'il te fallait petit à petit te détacher de ton attachement excessifaux choses et en général au monde, t'humilier devant K. et ta mère, mais toi, tu veux n'en faire qu'à ta tête. Tant pis si les choses sont moins bien faites, en revanche ton âme restera en paix. Quel avantage y a-t-il à acquérir le monde entier, pour nuire à son âme? Et puis, ne s'agit-il simplement de pommes de terre, de tomates, d'oignons, et non du monde entier? Au demeurant, on ne sait pas quand le gain est plus grand, ou plutôt on sait que le gain est plus grand quand on se met à s'humilier et à s'effacer pour l'amour de Dieu, à donner en tout la préférence à ce qui est bon pour l'âme, à plaire à Dieu et non à sa raison, à sa vanité, à son obstination.

Retiens ta colère, demande au Seigneur les forces et les capacités de ne pas Le fâcher, ressouviens-toi le plus souvent possible de l'opprobre et des tourments que le Seigneur a subis pour notre salut - et nous, comment Lui répondrons-nous?

Si nous portons Son nom, où sont nos oeuvres faites en Son nom? Ne sont-elles pas en contradiction avec ce qui devrait être? Et s'il en est ainsi, supportons sans nous plaindre les peines, au moins celles qui viennent d'elles-mêmes, si nous ne nous infligeons pas des exploits personnels, si nous n'observons pas les commandements. Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous observerez la loi du Christ et ne serez pas complaisants à vous-mêmes...

Pardonne-moi la peine que je t'ai faite. Amitiés aussi à K. et à vous toutes.

N(ikon). 1949.



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La paix soit avec toi, honorable Mère M.!

J'ai reçu ta petite lettre. Tu reconnais tes torts sur beaucoup de points. J'en suis heureux. L'homme qui se justifie obstinément et accuse les autres est sur la mauvaise voie : ou bien il ne fera aucun progrès dans la vie spirituelle, ou bien il se retrouvera dans les filets de la séduction diabolique. Notre salut n'est pas dans des exploits, mais dans la prise de conscience - profonde, sincère, issue du fond du coeur - de notre état de péché, de corruption, d'incapacité à nous corriger. Cette prise de conscience engendre la contrition, les larmes et une certaine humilité.

Si l'homme n'a pas pris conscience de cela et si, de plus ( ce qu'à Dieu ne plaise!) il se justifie - alors tous ses efforts seront vains, et même, ils feront naître l'orgueil et l'arrogance. Ainsi donc, dans les petites comme dans les grandes choses, dans les affaires du monde comme dans le travail spirituel, avec toi-même comme dans tes relations avec les autres, efforce-toi de te mettre à la dernière place (l'Evangile dit de ne pas t'asseoir à la première place) - tu recevras alors la paix de l'âme et tout ce dont j'a parlé plus haut, et, avec cela ou grâce à cela, le salut.

Amitiés et bénédiction de Dieu à toi, à K., et à tous ceux que je connais. Pardonne-moi les offenses que j'ai commises contre toi et les autres. Les nôtres te saluent. Dieu te pardonnera pour tout, et moi aussi, je te pardonne.

H(iéromoine) N(ikon). 1949.



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Chères...

Très bonne "Fête des Fêtes" et "Solennité des solennités (1)"!

(1) : ( Noms donnés par saint Jean Chrysostome à la fête de Pâques dans son homélie lue à cette occasion. (NdE).).

Que le Seigneur vous donne joie et allégresse, santé du corps et d el'esprit, qu'Il vous protège de tout mal et qu'Il vous fasse entrer, après la mort, dans la Pâque éternelle, où règne la béatitude sans fin dans la communion avec le Seigneur Lui-même, avec les saints Anges et tous les saints.

Mais le triomphe de la Résurrection du Christ est survenu après le Golgotha, et la béatitude éternelle ne peut advenir pour nous que si nous supportons notre croix terrestre sans gémir.

Amitiés et félicitations à vous et à tous.

N(ikon), 1949.



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Chère M.!

Dieu veut que tout homme soit sauvé. Mais tout homme ne veut pas vraiment être sauvé. En paroles, tous veulent le salut, mais dans les faits, ils le rejettent. Comment le rejettent-ils? Non par leur péchés, car il y a eu de grands pécheurs, comme le larron, comme Marie l'Egyptienne, et d'autres, qui se sont repentis de leurs péchés et auxquels le Seigneur a pardonné, de sorte qu'ils ont reçu le salut. Celui-là est perdu qui pèche et ne se repent pas, et qui justifie ses péchés. C'est ce qu'il y a de pire, de plus funeste.

Le Seigneur dit : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs au repentir. Qu'est-ce que cela signifie? La Parole de Dieu dit : Il n'y a pas de juste, pas un seul, tous sont impurs. Tous sont pécheurs, et plus un homme est saint, plus il voit en lui de péchés. Le Seigneur est venu justement pour appeler au repentir et, par le repentir, sauve les pécheurs, c'est-à-dire ceux qui reconnaissent leurs péchés, qui se repentent devant Dieu, qui demandent pardon. Mais ceux qui ne voient pas leurs péchés ou qui, perfidement, se justifient eux-mêmes, ceux-là Dieu les éloigne de Lui. Ainsi le Seigneur, quand Il était encore sur terre, a écarté les pharisiens, lesquels se considéraient comme justes et comme des modèles pour les autres. Un tel état d'esprit est effrayant. Que le Seigneur en préserve tout homme!

Saint Sisoès le Grand demanda aux Anges venus recueillir son âme de prier le Seigneur de le laisser vivre encore un peu afin qu'il puisse se repentir.

Saint Poemen le Grand disait : " Croyez-le bien, mes frères, là où sera Satan, là on me jettera." Or, il ressuscitait les morts. Ainsi, tous les grands saints, jusqu'à leur mort, ont pleuré leurs péchés et leur dette insolvable envers Dieu.

Nous, par amour propre, nous dissimulons nos péchés, nous nous justifions, nous rusons - alors que nous avons déjà un pied dans la tombe. M., je te le redis : réexamine toute ta vie, repens-toi de tout ce dont tu as conscience. Supplie avec des larmes, comme le fait la Sainte Eglise, avec des prosternations jusqu'à terre : "Donne-moi de voir mes péchés (1)."

(1) : ( Demande figurant dans la prière de saint Ephrem, que l'on dit de nombreuses fois au cours du Grand Carême, à l'église et en privé, en l'accompagnant de prosternations (NdE).). Si un homme ne voit pas ses fautes, cela ne veut pas dire qu'il n'en a pas. Cela veut dire que cet homme, non seulement est dans le péché, mais qu'il est dans la cécité spirituelle. Et si notre confesseur ou quelque tierce personne nous accuse de péchés, nous ne devons pas nous justifier, mais supplier Dieu de nous faire voir nos péchés, de nous accorder de nous en repentir avant notre mort et de recevoir dès ici-bas le pardon.

Tant qu'il n'est pas trop tard, occupe-toi de ton âme. Cesse de t'agiter à l'excès, demande au Seigneur de te dévoiler tes péchés, cela ne signifie pas que tu n'en as pas.

Je n'ai rien contre toi, mais j'ai pitié de tois. Toujours, tu t'es justifiée, et tu le fais encore. L'autojustification et le pharisaïsme mènent au fin fond de l'enfer. Fais ton salut! La bénédiction de Dieu soit avec toi et K. Faites votre salut!

Ne vous désolez pas, faites la paix au plus vite, si l'ennemi vous abuse.

N(ikon). 1949.



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NN.

Nous sommes très inquiets : comment allez-vous, comment est votre santé? Il apparaît que K., elle aussi, est tombée malade. Et puis voilà votre état d'esprit qui est changeant. Etes-vous en paix entre vous? Le Malin ne vous abuse-t-il pas?

Comment vont L. et P.? Qu'ils ne se vexent pas du fait que nous ne leur écrivons pas. En fait , il n'y a pas là d'utilité. Il faut agir, et de l'action naîtront les questions judicieuses et utiles, et nous avons assez parlé. Cela concerne tout le monde. Vous êtes tous des enfants gâtés à cet égard. Beaucoup de gens voudraient connaître ne fût-ce qu'une bribe de ce que vous savez et comprenez, mais ils ne le peuvent pas - et vous, vous savez et vous ne faites pas : un tel serviteur sera abondamment battu. Allons-nous longtemps boîter des deux genoux? Si au moins nous étions humbles, à défaut d'agir, mais nous ne le sommes pas.

Pleurons devant Dieu, suppliant Sa miséricorde, de nous pardonner et de nous faire grâce, à nous, Ses serviteurs inutiles. Rappelez-vous que le larron sur la croix est resté encore suspendu quelques heures et souffrait horriblement à cause de ses péchés, bien qu'il fût déjà gracié. Nous aussi, de la même façon, nous devons endurer beaucoup.

Pardonnez-moi, écrivez. Nous vous saluons tous.

N(ikon). 29 décembre 1949.



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Chère M.!

Je compatis beaucoup à ta maladie et à tes épreuves. Que le Seigneur te guérisse, qu'Il guérisse ton corps et ton âme.

Tu n'arrives pas à prier sans distraction pour deux raisons. 1) tu es trop attachée au monde et 2) tu n'as pas la conscience profonde de ton péché, tu te justifies toujours. Par une profonde contrition et des larmes, le coeur est purifié, le sentiment de la présence de Dieu apparaît, la crainte de Dieu naît dnas le coeur, et la prière se fait plus ardente, plus concentrée... Il n'existe pas d'enfants sans parents, il n'existe pas ce qui suit sans ce qui précède.

Je ne vais pas écrire longuement. J'espère qu'on se verra bientôt. Amitiés et bénédictions de Dieu pour toi, pour Mère V., K. et tous les amis.

N(ikon). 4 décembre 1950.



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Chère M.!

Tu écris que le Seigneur t'a à nouveau visitée par la maladie : tu es tombée et tu t'es fait mal au côté. Tu reconnais toi-même que cela a été autorisé à cause de tes péchés. Avant cet incident, tu t'es violemment disputée avec... En vérité, pour ton irascibilité, ton manque de retenue, et autres manquements, le Seigneur s'efforce de te dompter. Tu dois, toi aussi, lutter contre toi-même. Je me suis préparé et je ne me suis pas troublé. Il faut ainsi être toujours prêt à ce qu'une passion puisse surgir, et savoir ce qu'il faut faire pour ne pas se laisser dominer par elle. Et si par malheur vous avez cédé, il faut s'humilier, ne pas se justifier, s'accuser de tout, se faire des reproches, demander pardon pardon à Dieu et aux hommes. " Se préparer", tu sais comment, mais tu ne le fais guère dans la réalité. Amitiés et bénédiction de Dieu pour tous.

N(ikon). 1951.



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La paix soit avec vous, chères NN.§

Que le Seigneur vous bénisse, qu'Il vous préserve de tout mal, qu'Il vous conduise sur la voie du salut. Observez le temps, car les jours sont mauvais. Forcez-vous à vivre selon les commandements, ne vous justifiez pas, au contraire, dévoilez à Dieu votre péché et votre faiblesse, votre misère, afin de recevoir la grâce et même la béatitude. Il est dit : Si nous ajoutons parfois à la conscience de sa misère par rapport à de bonnes actions une larme de contrition, nous serons consolés par le Seigneur.

T. est-elle chez vous? Ch. est-elle arrivée? Si elle est là, transmettez-lui de ma part mes amitiés et la bénédiction de Dieu. Dites à T. que je serais heureux si elle venait un jour me voir. Peut-être en venant de Moscou, pendant les vacances. Je paierai son voyage. Je lui demande, en me prosternant jusqu'à terre, d ene pas se détourner de Dieu, de ne pas écouter les propos des mécréants, d ene pas lire de livres athées, et de protéger son âme. Qu'il fasse au moins une métanie par jour accompagnée de la prière : " Seigneur, sois clément envers moi, pécheur, et sauve-moi." S'il observe cette règle, il en tirera un grand profit...

Que le Seigneur vous bénisse et vous fasse grâce, ici-bas et dans la vie future.

N(ikon). 1952.



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Ma toute chère M.!

Tu te décourages déjà et te sens perdue, à cause d'une petite tentation. C'est le Seigneur qui te l'envoie, afin que tu découvres ta faiblesse et comprennes combien de choses se cachent dans l'âme de l'homme, quel labeur il faut fournir pour se purifier des passions, devenir le temple du Dieu Vivant, et atteindre le salut. Quand tu auras découvert toute la faiblesse de l'homme, alors tu tomberas aux pieds du Seigneur, et du fond de ton coeur tu L'imploreras, comme l'a fait l'apôtre Pierre qui se sentait sombrer. Alors tu recevras l'aide du Seigneur et tu comprendras que le Seigneur est proche de ceux qui invoquent Son nom de tout leur coeur. Alors, tu tomberas à Ses pieds avec gratitude et tu pleureras tous les péchés par lesquels tu as offensé Dieu. Alors tu deviendras humble de coeur, tu cesseras de juger les autres et ta préoccupation sera que le Seigneur te pardonne tes péchés passés et ne permette pas que tu L'offenses à nouveau en transgressant les commandements. Tu comprendras également combien tout le terrestre est vain, que ton attachement à la terre, les disputes, le fait de se vexer pour des objets, des actes, des paroles, que tout cela est insignifiant et ne mérite pas qu'on s'afflige, qu'on se querelle, que l'on perde pour cela sa paix intérieure et, peut-être même, son salut.

Voilà que tu as compris ce que signifie le mot "mère", ce que sont la jalousie, la nostalgie et autres souffrances. Et si le Seigneur t'avait dévoilé ton âme jusqu'à son tréfonds, peut-être serais-tu tombée dans le désespoir. Mais tout ce qui est mauvais - toutes les passions, toutes les ruses du démon, toutes les peines et toutes les souffrances - peut être vaincu par l'humilité. Or, l'humilité se manifeste par le fait que de tout notre coeur, comme le bon larron, nous disons au Seigneur : " Nous recevons ce que nous avons mérité, souviens-Toi de moi, Seigneur, quand Tu viendras dans Ton Royaume".

Ainsi donc, si nous réussissons à dire cela dans toutes les circonstances de notre vie, si nous ne nous plaignons ni du Seigneur ni des hommes, tout nous deviendra léger et nous nous trouverons sur le bon chemin spirituel. Mais si nous nous sommes plaints ne serait-ce que d'une seule personne, il faut alors s'humilier encore plus et dire : " Seigneur, en vérité je ne vaux rien, Toi seul peux me sauver." Si tu le veux, Tu peux me purifier, a dit le lépreux qui avait perdu tout espoir de guérison, et il a entendu le Seigneur lui dire : Je le veux, sois pur, et le Seigneur, l'ayant touché, le guérit.

Ainsi nous-mêmes, ayant compris du fond de notre âme notre impuissance et notre misère spirituelle, tournons-nous vers le Seigneur, notre Unique Sauveur, et disons-Lui d'un coeur humble et contrit : " Seigneur, si Tu le veux, Tu peux me guérir et me sauver", et nous recevons la réponse de Celui qui a été crucifié pour nous : " Je le veux, sois guéri." Cette réponse, notre âme l'entendra clairement et elle recevra la force de supporter avec gratitude toutes les souffrances de cette vie ici-bas, comme le larron qui, sans se plaindre, resta pendu à la croix jusqu'au soir, dans d'épouvantables souffrances. Que le Seigneur t'aide, chère M., à comprendre cela, à l'accepter et à te livrer entre les maisn de Dieu. Répète sans cesse : " Seigneur, que Ta sainte volonté soit faite ; Seigneur, fais de moi ce que Tu voudras, mais ne permets pas que je m'insurge contre Toi, et sauve-moi."

Jusqu'à présent, tu n'avais fait que lire à propos du combat spirituel, des larmes, des souffrances morales, où tu n'en avais qu'entendu parler. Le Seigneur permet qu'aujourd'hui tu te connaisses par expérience : vas-tu supporter sans te plaindre et remercier Dieu, ou vas-tu t'adonner aux gémissements et même peut-être au désespoir?

Décide toi-même. " Donne ton sang et reçois l'esprit." Le temps de la petite enfance est terminé, le moment est venu d'agir en adulte. Un coeur contrit et humilié, Dieu ne le méprise pas; "les rets du diable ne touchent pas celui qui est humble et sage" ( vision de saint Antoine le Grand).

Si, au contraire, tu te livres au gémissement, tu te mets à accuser les gens et les circonstances, et de là tu passeras aux récriminations contre Dieu, et tu risqueras de tomber dans le désespoir, ce dont Dieu te préserve!

Que le Seigneur t'accorde la paix de l'âme, l'humilité et le discernement spirituel. Qu'il te donne la patience, la force de porter le fardeau de tes passions et des passions de ceux que tu côtoieras.

Pardonne-moi, si je t'ai offensé en quoi que ce soit, vis en paix avec K., tends toutes tes forces pour y parvenir. Je te rappelle ce que je t'ai dit maintes fois : ton salut est lié à K. Cède-lui en toutes choses, tant pis si l'affaire en pâtit. Quel profit y a-t-il pour l'homme de gagner le monde entier s'il perd son âme? Il en est de même pour toi : ne nuis pas à ton âme pour des choses sans importance. Préserve la paix et sache que, tout comme il y a des passions en toi, il y en a en elle, et elle a plus de mal que toi pour les combattre. Et si tu la plains et ne la juge pas, le Seigneur, Lui aussi te plaindra et ne te jugera pas.

J'ai reçu ta lettre après le départ des nôtres de Kozelsk, et j'ai compris. Je te plains, je compatis et je demande au Seigneur de t'aider à affronter plus facilement la tentation. L'homme non tenté est non avisé. Apprends à te connaître et ne te vante pas de n'avoir en toi ni ceci ni cela. Il y a tout en toi, seulement ce n'est pas encore dévoilé, et pour tes paroles orgueilleuses ou inconsidérées, tu souffriras justement de ce dont tu t'es vantée ou de ce que tu as dit sottement.

Envoyez-moi le tableau par la poste.

N(ikon). 1958.



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La paix soit avec vous, mes chers, avec vous tous!

Tu écris que tu te languis beaucoup, que tu ne peux pas rester seule chez toi, tu pleures et ne sais pas avec qui partager ta peine. Pour celui qui aime le Seigneur, tout contribue au bien. Si les épreuves n'étaient pas profitables aux hommes, le Seigneur ne nous les enverrait pas. Le médicament conre l'angoisse, la peine, c'est la prière ou la psalmodie des Psaumes et la reconnaissance envers Dieu. Si tu te forces à lire le Psautier avec attention, en intercalant la prière de Jésus, et des prières à la Mère de Dieu et aux saints, ta peine s'apaisera et tu recevras un grand profit spirituel. Au contraire, si tu dépéris dans ta peine et pleures comme on pleure dans le monde, tu commettras un grand péché, et tu nuiras aussi bien à ton corps qu'à ton âme sans trouver de consolation.

Ouvre ton coeur au Seigneur avec toutes ses faiblesses, ne te justifie pas, estime-toi digne non seulement des peines passagères, mais aussi des tourments éternels, sans perdre toutefois l'espoir en la miséricorde de Dieu, fondé sur les souffrances du Sauveur qui a pris sur Lui les péchés du monde; alors tu acquerras la joie, la paix, le salut. Tu peux lire le Psautier ou quelques autres prières assis ou couché, seulement ne donne pas libre cours aux rêveries ni aux paroles distraites. Les épreuves et les maladies aident l'homme à s'arracher à la vaine agitation du monde et à s'approcher plus près de Dieu. Ne te désespère pas pour rien. Mets-toi entre les mains de Dieu. Ne juge personne, sois en paix avec tous, et le Seigneur te consolera.

Amitiés à tous, et que la bénédiction de Dieu soit avec vous. Faites votre salut. Tous les nôtres vous plaignent et vous saluent bien bas.

N(ikon). 1953.



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Chère N.!

Paix et salut à ton âme, santé et forces! Apprends à supporter et à pardonner à tous, particulièrement aux proches. Gagnez vos âmes par la patience. Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. Fais ton salut et n'écoute pas le diable.

Hiéromoine N(ikon).



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Chère N.!

J'ai appris, non de quelqu'un, mais dans des lettres, que tu n'étais pas en paix avec ta propre soeur, au point que parfois tu es près de te mettre la corde au cou. Tu dois - et particulièrement N. - plus que jamais savoir que le diable et les démons existent qui, dans leur extrême méchanceté, veulent la perte de chaque personne. Comment s'y prennent-ils? Voici comment : ils s'efforcent d'agir sur les passions de l'homme et de les exciter au point qu'elles causent sa perte.

Par exemple, si un homme est enclin à la boisson, les démons l'entraînent à boire de plus en plus, jusqu'à l'état d'ivresse qui le conduit à des bagarres, à des meurtres et au suicide. Cet homme est perdu à jamais. Un autre sera entraîné par les démons à voler, un autre, très subtilement, sera amené à l'orgueil, à la vanité, à la haute opinion de soi, et finalement à l'illusion spirituelle et à la perdition. Et par de nombreux autres moyens, les démons cherchent la perdition éternelle de l'homme.

Exactement de la même façon, les démons cherchent à te perdre, toi et N., ou tout au moins l'une de vous deux. Comment le font-ils? Tu le sais fort bien toi-même. Ils allument une dispute entre vous, ils vous excitent au point que vous êtes prêtes à vous battre, ils vous perturbent et vous enténèbrent au point que vous en venez à penser qu'il vaut mieux se pendre que vivre ainsi. Il suffit que tu adoptes un instant cette pensée pour que les démons redoublent de violence et, avec l'aide de démons plus forts qu'eux ( sept autres, encore plus méchants qu'eux, comme il est dit dans l'Evangile), ils s'efforceront de t'inculquer la pensée du suicide. Si l'homme ne s'oppose pas de toutes ses forces à cette pensée diabolique, mais au contraire lui donne son accord, les démons, avec la permission de Dieu - à cause de ses passions, de sa méchanceté et d el'absence en lui de tout repentir - peuvent étrangler cet homme en lui fournissan une corde ou une serviette et l'aider à en finir avec sa vie.

(...) Quand le calme reviendra en toi, pense à quel obscurcissement de l'âme il faut parvenir pour, à cause d'une petite épreuve, sombrer dans l'effroyable tourment éternel. Si dure soit notre existence ici-bas, même si nous devions vivre sur cette terre des milliers d'années dans de terribles tourments, ceux-ci auront une fin. Tandis qu'en enfer, les tourments ne cesseront jamais.

Imagine une scène de ce genre : une horde de bandits, les plus effrayants qui soient, t'ont saisie dans la forêt et toute la journée te font subir les pires tourments. Comment ressentirais-tu cela? Or l'homme tenté par le suicide tombe entre les mains de démons qui sont mille fois plus effrayants que tous les bandits du monde; il est livré à leur bon vouloir, à leurs injures, et cela sans parler du feu inextinguible et ténébreux, du ver qui ne dort pas... Ces tourments-là n'auront pas de fin! Quelle horreur!...Et en arriver là pour des vétilles... parce qu'elle est mauvaise, qu'elle est méchante, qu'elle ne veut ni ceci ni cela, qu'elle ne veut pas faire comme çi ou comme ça, qu'elle t'a, d'une certaine façon, offensée. Mais si tu ne peux pas supporter ces petites misères, comment n'es-tu pas épouvantée par les tourments de l'enfer?

Tu me diras qu'à ces moments-là, tu ne penses à rien et que tu voudrais te mettre la corde au cou. Tu dis vrai : tu ne penses à rien, tu oublies Dieu et les tourments éternels. Là réside encore la ruse des démons et leur action sur l'âme de l'homme.

Où est le Seigneur, là sont la paix, la lumière, la raison, la joie. Où est le diable, là sont les ténèbres de l'âme, l'obscurcissement de la raison, le désespoir et l'inclination au mal.

Je t'ai souvent parlé de cela. Pour la dernière fois, peut-être, je te préviens : ne te livre pas aux mains du diable. Prie Dieu et demande-Lui, avec tout le calme dont tu es capable, de ne pas te laisser sombrer dans le noir, de ne pas laisser les démons s'emparer de toi. Le Seigneur te défendra si toi-même tu ne tends pas vers l'enfer. Souviens-toi de Judas. Il a laissé le diable entrer en lui et il est mort d'une mort affreuse; il est tombé au fond de l'enfer, il endure un tourment éternel.

Ne plaisante pas avec cela. Eloigne-toi au maximum de ces pensées. Que le Seigneur t'aide à comprendre ce que je viens d'écrire, à t'arracher aux mains des démons ici-bas et dans l'au-delà, à endurer un peu pour ensuite entrer dans le Royaume de Dieu, dans la joie et la félicité éternelles. Amen.

Sois en bonne santé du corps et de l'esprit.

N(ikon).



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Chère N.!

Songe le plus souvent possible à la mort, à ceux qui t'attendent là-bas : soit des Anges de lumière vont t'accueillir, soit de ténébreux démons t'encercleront. Un simple coup d'oeil sur eux peut rendre fou.

C'est en cela que consiste notre salut : que nous fassions tout pour être sauvés, c'est-à-dire ne pas tomber entre les mains des démons, mais se débarrasser d'eux et entrer dans le Royaume de Dieu, dans une joie et une félicité sans fin qui sont ici-bas inconcevables. Cela vaut la peine de se donner du mal ici-bas. Les démons sont orgueilleux et ils s'emparent des orgueilleux, donc nous devons nous humilier. Les démons sont irascibles, nous devons acquérir la douceur afin qu'ils ne s'emparent pas de nous, comme ceux qui leur sont semblables. Les démons sont rancuniers et durs, nous devons au plus vite pardonner et nous réconcilier avec ceux qui nous ont offensés, et être miséricordieux envers tous. Et ainsi en tout.

Il faut étouffer en nous les tendances démoniaques et cultiver les dispositions angéliques telles qu'elles sont indiquées dans le Saint Evangile.

Si, après la mort, il y a dans notre âme plus d'éléments diaboliques, les démons s'empareront de nous. Mais si, dès ici-bas, nous prenons conscience de ces éléments et demandons pardon pour eux, et si nous-mêmes pardonnons à tous, le Seigneur nous pardonnera, anéantira en nous ce qui est mauvais et nous arrachera aux mains des démons. Si, ici-bas, nous ne jugeons personne, le Seigneur ne nous jugera pas dans l'autre monde. Et ainsi en tout.

Vivons donc dans la paix, nous pardonnant les uns les autres, nous réconciliaint; repentons-nous de tout devant Dieu et demnadons-Lui Sa miséricorde et de nous sauver des démons, des tourments éternels, tant que nous en avons encore le temps.

Ne jouons pas avec notre destinée éternelle. Que le Seigneur t'éclaire. Amen.

N(ikon).



*

N., que la paix soit avec toi!

Comment combats-tu les démons? Ne te décourage pas, il faut savoir supporter jusqu'à son propre mauvais caractère. Demande à Dieu de t'aider constamment, afin de ne pas rester sans Son aide à l'heure de la tentation et de ne pas devenir le jouet des démons. Et toi-même, efforce-toi à chaque instant à être aimable avec tout le monde, et si tu as fait de la peine à quelqu'un, demande aussitôt pardon.

Que le Seigneur te bénisse et qu'Il t'aide!

N(ikon).



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Chère N.!

Supporte les peines, les maladies, les difficultés et les offenses dans cette vie, supporte-les sans murmurer et tu hériteras du Royaume des Cieux.

Les saints disaient que si l'homme connaissait la joie de ceux qui hériteront du Royaume, il accepterait d'être crucifié sur la croix toute sa vie, mais sans perdre la félicité éternelle. Or, le Seigneur n'exige pas de nous de telles souffrances. Il veut seulement que nous croyions en Lui et que nous supportions humblement tout ce qu'Il nous envoie pour notre purification.

Supporte, ma très chère. Peut-être notre fin à tous est-elle proche. C'est une chose terrible de mourir dans le péché et avec une âme qui murmure, privée de paix, de repentir. Manquons-nous donc à ce point de raison que nous ne puissions supporter une courte et légère peine, ce qui nous permettrait d'éviter les horribles, inconcevables et éternels tourments de l'enfer en compagnie des démons et des réprouvés?

Qu'il est dur de se trouver en prison avec des vauriens! Mais en enfer, avec les démons, ce sera des millions de fois plus dur. Supporte donc, ne désespère pas, ne te décourage pas, pardonne à tous et pardonne toujours, sois humble - et ton âme angoissée trouvera dès maintenant la paix et la consolation.

Porte-toi bien. Que le Seigneur t'aide et t'éclaire, qu'Il te bénisse.

N(ikon).



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Chère N.!

Bonne fête!Je souhaite la santé à ton corps, l'humilité à ton âme, la patience, et la tempérance à ta langue. Je te souhaite de garder sans cesse la mémoire de Dieu. Et si tu n'as rien de tout cela, repens-toi dans ton coeur devant Dieu, dis sans cesse, comme le publicain : "Ô Dieu, sois moi propice, pécheur" ou "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur".

Considère-toi comme pire que tous et tu seras honorée par Dieu; aie compassion de N. et de tous - alors, le Seigneur aura compassion de toi car il est dit : De la mesure dont tu mesures, on mesurera pour toi. Ne juge personne et tu ne seras pas jugée par Dieu.

Chosis le bien qui t'est le plus proche et fais-le fructifier dans ton coeur jusqu'à en recevoir les fruits.

Le fruit de l'esprit - que donne toute action juste - c'est l'amour, la joie, la paix, la patience, la foi, la douceur, etc.

Que le Seigneur te comble de ces biens par les prières de ta sainte protectrice et qu'Il te bénisse.

Ton père. 5 décembre 1949.



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Chère N.!

Comment vas-tu? Comment va ton être intérieur? Tu nous manques à tous. Nous t'aimons beaucoup et te souhaitons santé, paix et salut de l'âme.

Que le Seigneur t'aide à combattre les ennemis de notre salut, à apprendre la patience, la prière, l'humilité. Apprends à te vaincre toi-même, à dominer ton caractère, à dire au plus vite "pardonne" lorsqu'on t'offense et plus encore lorsque tu as offensé quelqu'un.

Pour ton humilité, tu recevras la grâce de Dieu ici même, sur terre, et dans la vie future, la béatitude éternelle.

Apprends à lire. Cela te donnera une grande joie. Car il est bon de lire soi-même, par exemple, l'Evangile.

Porte-toi bien. Que le Seigneur te bénisse et te garde de tout mal.

Invoque le plus souvent possible le Nom du Seigneur.

Ton p(ère) s(pirituel). 1949.



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Chère N.!

Que le Seigneur t'accorde paix, salut, patience en toute chose, et même d'apprendre à lire.

Sois plus tendre avec ta mère, car plus tard tu regretteras la moindre parole dure adressée à elle, et aussi à tous les autres. Je sais que ta vie n'est pas facile : tu as beaucoup d etravail; tu es ardente, tu te fatigues beaucoup, tu t'agaces facilement et ton âme finit par tiédir. Il faut en tout premier lieu établir la paix de l'âme, le salut, et à partir de là, tout sera plus facile.

Ne cherche pas à abattre le plus possible de travail. Travaille selon tes forces, selon tes possibilités, et avec la prière. " Mieux vaut gâcher une affaire que gâcher la paix avec son prochain", n'oublie pas cela.

Je n'ai pas le temps d'écrire plus longuement. Fais ton salut. Transmets mes amitiés à K., remercie-la pour les groseilles à maquereaux - malheureusement, elles ne sont pas assez acides, mais trop sucrées.

Mes amitiés à tous les amis et connaissances et que Dieu les bénisse. Pardonnez-moi, si j'ai offensé quelqu'un.

N(ikon). 24 juin 1950.



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Chère N.!

La paix soit avec toi! Comment est ta santé, quelle est ton humeur? Apprends-tu à lire? Lis l'abécédaire, ou bien les prières que tu connais par coeur : cela t'aidera à former des mots avec des lettres. Etudie, mon enfant, cela t'aidera à vivre. Les livres deviendront tes amis, tandis que pour l'instant ils te sont étrangers. Moi, je ne dormirais pas de la nuit, pour apprendre à lire. Que le Seigneur t'aide!

Grand-père.



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Chère N.!

Ne te fâche pas contre moi et ne crois pas que je t'aie oubliée - je ne t'ai pas oubliée, mais je voulais t'écrire quand tu serais capable de lire toi-même malettre. J'ai écrit exprès en caractères d'imprimerie, pour que tu apprennes à me lire. Je m'étonne que tu puisses supporter ton ignorance. Moi, je ne dormirais pas des nuits entières, mais j'apprendrais à lire. Alors que toi, pour qui cela est tellement nécessaire, tu ne t'es pas soumise à cette obédience. C'est pourquoi, ne prends pas mal le fait que je ne t'écrive pas. Apprends à lire, et tu recevras mes lettres.

J'estime inutile de te parler de la vie spirituelle. Ce qui t'est demandé en premier lieu, c'est, de toutes tes forces, de faire en sorte de préserver la paix avec les gens de ta maison; si tu t'emportes, demande aussitôt pardon, et toi-même pardonne. L'ennemi va s'efforcer de rompre la paix, de t'empêcher de demander pardon. Mais toi, ne l'écoute pas. Combats-le, eappelant à l'aide le Seigneur Jésus-Christ; en d'autres termes, dis la Prière de Jésus tant que tu n'as pas surmonté l'énervement, ou la colère, ou la rancune. Ne lâche pas le Seigneur tant qu'Il ne t'a pas pardonné et n'a pas donné la paix à ton âme. Le signe que le Seigneu a pardonné, c'est la paix de l'âme.

Ainsi donc : efforce-toi de ne pas t'énerver, de ne pas te mettre en colère, et si tu as péché en cela, demande pardon à tes proches et au Seigneur. Puis tâche d'écouter jusqu'au bout les prières du matin et du soir; si tu pries seule, ne prie pas moins de quinze minutes; dis les prières que tu connais, puis la Prière de Jésus, mais que ce soit avec componction, avec la crainte du Seigneur et la contrition du coeur. Car la prière distraite n'est pas une prière, bien que le Seigneur la reçoive quand elle vient d'une personne qui apprend tout juste à prier. Mais il faudra tout de même un jour apprendre à prier sans distraction!

Si tu retiens ta colère et préserves la paix, ta prière sera bonne, mais si tu n'es ni calmée ni pacifiée, tu ne pourras pas prier. Le Seigneur ne reçoit pas les prières dites dans la colère et Il livre celui qui est dans un tel état aux méchants serviteurs, c'est-à-dire aux démons, qui le chassèrent du banquet spirituel et d ela prière et le portèrent dans les ténèbres extérieures, les pensées vaines ou même, souvent, mauvaises. Tant que nous ne nous humilierons pas, n'aurons pas pleuré devant Dieu de tout notre coeur et n'aurons pas acquis la paix de l'âme, cet état durera, ainsi qu'il est dit : dans la paix ( de l'âme) réside Dieu. Là où la paix est absente, là sont l'adversaire et les ténèbres, la pesanteur et toutes les prémices de l'enfer.

L'humilité possède une force, celle de rassembler les pensées en une seule - la mémoire de Dieu- alors que la colère, la vanité, l'orgueil dispersent les pensées. Si les pensées se dispersent fortement, c'est que quelque chose ne va pas dans l'âme; l'ennemi a eu accès à elle et il nous faut nous repentir, demander aide et pardon. Il faut rechercher les causes de cela. Cela peut provenir ( s'il n'y a pas de colère) d'un excès d'agitation, d'attachement au monde, de longues conversations mondaines, de jugement contre les proches. Une prière attentive, venant du coeur, est le chemin vers le Royaume de Dieu, qui est au-dedans de nous. Si nous n'avons ps cette prière, cela veut dire que nous avons irrité Dieu en quelque chose.

Sois attentive à toi-même. Préserve la paix, cède la première; invoque le plus souvent possible ( sans cesse, d'après le commandement) le Nom du Seigneur Jésus-Christ, déverse devant Lui tes péchés et tes peines, agis selon ta conscience, et alors tu te sentiras bien et ty seras sauvée. Sans effort, tu ne sortiras pas un poisson de la mare... Travaille pour le Seigneur et tu seras sauvée. Tout ira bien et ici et, après la mort, tu entreras dans la félicité éternelle. Prie pour moi.

Ton père qui t'aime.



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Chère N.!

J'ai reçu le télégramme m'annonçant la mort de M. Qu'elle entre dans le Royaume des Cieux et soit consolée de toutes les peines et maladies terrestres par une joie ineffable! Qu'elle soit accueillie là-haut par la Mère V., par M., le Père N. et tous ceux qui sont chers à son coeur!

Je voudrais beaucoup assister à ses obsèques, mais je suis très affaibli, la toux me fait souffrir. J'ai toujours eu du mal à me rendre quelque part, et maintenant, je n'en ai plus la force du tout. Comment vas-tu vivre maintenant? Avec qui? Ch. doit rester ici-bas jusqu'à sa retraite. Il est peu probable qu'elle accepte d erester ici. Je sais que tu es toi-même malade; peut-être que toi aussi, il ne te reste pas longtemps à vivre. Pense le plus souvent possible à la mort, à la vie future. Repens-toi sincèrement ( au Père N.) de toutes tes fautes, depuis ta jeunesse. Donne aux pauvres, ce que te suggérera ta conscience. En un mot, prépare-toi un chemin vers le ciel. N'écoute pas les mécréants : ils ne savent rien, tout leur est caché comme à des aveugles. Ce n'est pas par des conversations qu'on atteint Dieu et le mystère de la vie future, mais par des efforts spirituels, l'observance des commandements et un repentir profond, sincère.

Que le Seigneur t'aide à organiser ta vie terrestre et à te préparer un départ chrétien afin d'hériter la vie éternelle. Que le Seigneur te garde!

Avec sincère compassion.

N(ikon). 11 avril 1961.

(...) Peut-être auras-tu envie de te distraire un peu, après l'enterrement; alors viens nous voir; tu resteras autant que tu le voudras. Nous serons heureux. A bientôt!



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Chère N.! La paix soit avec toi!

Pardonne-moi de ne pas t'avoir écrit depuis longtemps. Nous avons eu divers ennuis.

Je te plains beaucoup et compatis à ta situation. J'ai cherché, ici aussi, quelqu'un de fiable pour vivre avec toi, mais il est plus aisé de trouver une grosse somme d'argent qu'un bon colocataire. IL y en avait et il y en a, mais je ne peux pas te les envoyer. Tu as écrit que quelqu'un vit chez toi, ou désire vivre chez toi. Si cette personne est à peu près convenable, accepte - vous arriverez bien à vous entendre. Actuellement, on ne peut pas demander grand-chose aux gens. Et puis toi aussi, sois humble devant Dieu et devant les hommes. Pense souvent à la mort, à ta destinée future, à ce qui t'attend là-bas. Oblige-toi à faire du bien aux gens, car le Seigneur a dit : Les miséricordieux obtiendront miséricorde et il y aura un jugement sans miséricorde pour ceux qui eux-mêmes n'ont pas exercé la miséricorde.

Je te prie encore instamment : ne juge personne, et pour cela, efforce-toi de ne rien dire sur quiconque - ni du bien, ni du mal. C'est le meilleur moyen de ne pas être jugé dans l'au-delà. Car le Sauveur a promis : Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés. Un homme, un moine, vivait d'une vie très relâchée, et quand il vint à mourir, il ressentait une grande joie spirituelle et il n'avait nulle peur de la mort. Lorsque les anciens lui demandèrent quelles vertus cachées il avait pour mourir ainsi comme un juste, il répondit : " Le Seigneur m'a fait savoir qu'Il me pardonnait tout et ne me condamnait pas pour mes péchés, parce que moi-même, je n'ai jamais condamné personne."

Ainsi donc, toi aussi, avance sur ce chemin facile. Souviens-toi de tes péchés, repens-toi de tout ton coeur, demande pardon à Dieu, et toi-même, demande pardon à tous et ne juge pas ( le jugement équivaut à l'absence de pardon) - alors le Seigneur te pardonnera tout et ne te condamnera pas. Pour cela, le Seigneur Lui-même arrangera ta vie terrestre. Tu vois bien que nous ne pouvons pas l'arranger nous-mêmes comme il le faut. Jette ton souci sur le Seigneur et Il prendra soin de ton âme et de ton corps. Sois en paix. Que le Seigneur te garde et te préserve de tout mal.

Pardonne-moi et ne sois pas fâchée si je ne t'écris pas. Je n'écris à personne, sauf dans des cas d'extrême nécessité. J'ai très envie de venir vous voir à Kozelsk. Mais il est clair que ce ne sera pas possible avant le printemps. Et là, selon la volonté de Dieu. Transmets mes amitiés à K.B. Qu'elle ne me garde pas rancune et qu'elle soit sage, non selon les hommes, mais selon Dieu. Quand tu seras dans la peine, dis du fond de ton coeur : " Seigneur, je reçois ce que je mérite pour mes actes, mais pardonne-moi et donne-moi la patience pour ne pas murmurer. Seigneur, sois miséricordieux envers moi, pécheur." Répète ces paroles un grand nombre de fois jusqu'à ce que ton chagrin s'apaise. Il s'apaisera forcément si tu prononces ces mots du fon du coeur.

Encore une fois, je te souhaite mille grâces de la part du Seigneur, la patience et le repentir. Fais le plus possible de bien par la parole, par la pensée et, à la mseure de tes moyens, par les actes.

N(ikon) qui t'aime. 18 janvier 1962.



Quel dommage que tu n'aies pas appris à lire. La vie serait pour toi tellement moins dure!



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Chère N.! La paix soit avec toi!

On se fait moine, ou plutôt on ne doit le faire que lorsqu'on se fait une idée claire de la signification de la vie monastique et qu'on désire de toute son âme emprunter une voie autre, une voie qui n'est pas celle du monde. D'où la dénomination inok (moine), inokia (1) (moniale).

(1) : ( Noms fondés sur l'adjectif inoï, qui signifie "autre" ( NdT).

Ils doivent être autres, différents de ce qu'ils étaient dans le monde. Toi, tu te noies tout entière dans l'agitation du quotidien. Comment pourrdevenir autre (inoï) ? Au moins, n'oublie pas complètement Dieu et la prière pour ton salut. Car la vaine agitation peut à ce point alourdir le coeur que tu peux en oublier complètement Dieu. Le Seigneur Lui-même, dans l'Evangile, nous prévient : Ne chargez pas vos coeurs d'excès de nourriture et de boisson, ni des soucis de la vie. Tâche de voir moins les gens et, si possible, ne bavarde pas avec eux. Réduis le travail dans le potager. Vous avez de quoi acheter le pain et le thé - voilà qui est suffisant. Tes vêtements te suffiront jusqu'à ta mort. Pourquoi ruiner ton âme par l'agitation?

Si mes livres te tombent sous la main, donne-les à L. Elle a déjà un grand nombre de mes livres.

Je te souhaite "d'achever le reste de ta vie dans la paix et la pénitence (1)".

(1) : ( Demande figurant dans les grandes ecténies des services liturgiques (NdE).).

Que le Seigneur te bénisse. Fais ton salut.

N(ikon) 1er juillet 1963.



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Que la paix soit avec vous, chère Eléna Vitalievna!

Je vous suis très reconnaissant pour le livre, pour votre travail. Votre écriture est excellente, je la lis facilement. J'ai lu tout le livre à la hâte, superficiellement. Je le relirai plus attentivement. Ma première impression est mauvaise. En tout état de cause, ce livre ne peut d'aucune façon servir de guide pour l'apprentissage de la prière de Jésus, ce que l'auteur sait fort bien lui-même. Pour celui qui connaît l'enseignement des Pères sur la Prière de Jésus, ce livre est inutile, mais pour ceux qui ne le connaissent pas, il peut être utile, mais seulement parce qu'il peut intéresser le lecteur à cette prière tout en risquant d'être nuisible, car l'exposé, qui ne suit aucun système, crée de la confusion dans la tête et de l'illusion dans le coeur.

Il faut apprendre la prière et, d'une façon générale, le christianisme, chez Ignace ( Briantchaninov). Il n'y a pas de meilleur maître pour notre temps. Malheureusement, lui aussi est devenu presque inaccessible pour les chrétiens d'aujourd'hui.

A propos du Nom de Jésus, peut-être, lors d'une rencontre, nous en parlerons ensemble. Si vous trouvez des livres sur les onomatodoxes (1), vous y trouverez des informations sur le sujet.

(1). " Glorification du nom". Nom donné à un groupe de moines du Mont-Athos qui affirmaient que "le Nom de Dieu est Dieu lui-même". Voir à ce sujet : Métropolite Hilarion Alféyev, Le Mystère sacré de l'Eglise. Introduction à l'histoire et à la problématique des débats athonites sur la vénération du nom de Dieu, Fribourg, 2007 (NdE).).

Je dirai brièvement ceci : il me semble qu'il faut avoir à l'égard du Nom de Dieu ou de celui de Jésus la même attitude qu'à l'égard de l'icône du Sauveur, de la Sainte Trinité et autres représentations.

Le Septième Concile oecuménique a entériné la vénération des saintes icônes, mais il a précisé que la vénération allait non au Visage représenté, mais à la manifestation de la Personne représentée, les icônes étant cependant des objets sacrés. Si le Seigneur "est partout et emplit tout", Il l'est d'autant plus dans Son Nom ou dans Son icône. Celui qui vénère Dieu vénère Son Nom. Mais ce n'est pas le Nom de Jésus-Christ qui nous sauve, c'est le Christ Lui-même, et qui sauve non pas tous, mais ceux qui croient en Lui et vivent selon Ses commandements ou qui se repentent de les avoir transgressés.

Plus les saints de Dieu aimaient le Seigneur, plus Son Nom leur devenait cher. De là provient la confusion. Le Seigneur est présent dans le Nom de Dieu, mais le Nom de Dieu n'est pas Dieu Lui-même, comme le disaient les onomatodoxes, et ce n'est pas le Nom qui sauve, mais le Seigneur qui est présent dans Son Nom. En invoquant le nom de Dieu, nous invoquons Dieu, et c'est par Lui, par Dieu, que nous sommes sauvés et non par la combinaison des sons qui forment Son Nom.

Pardonnez-moi. Je vous remercie encore; j'ai écrit à la hâte, mais j'espère que vous saisirez l'idée. Amitiés à toutes les soeurs.

N(ikon). 1956.



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Le Christ est ressuscité!

Chère E.V., je vous remercie ainsi que tous ceux qui m'ont souhaité une belle Fête. Je vous souhaite à tous la santé, le salut de vos âmes et toutes sortes de bienfaits de la part du Seigneur.

Dites à M. que je compatis de tout coeur à sa souffrance dans la maladie. J'espère beaucoup que le Seigneur lui donnera la patience de supporter sans se plaindre la croix qui lui incombe. C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu. Celui qui veut être sauvé doit porter sa croix jusqu'à la mort!

Que Dieu lui vienne en aide! Amitiés.



N(ikon). 8 avril 1961.



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Chère soeur en Christ, E.V.!

Nous avons reçu votre lettre. Le Père M. vous remercie, ainsi que nous tous. Vous vouliez recevoir la bénédiction de la part d'un malade. Que le Seigneur vous donne toutes sortes de bénédictions sur cette terre et au ciel, qu'Il vous donne une fin chrétienne et la joie du salut, la joie éternelle. Pour le Seigneur et pour la grâce divine, ni l'espace ni le temps ne sont des obstacles. Je ne conseille à personne de venir ici, ni à vous ni à quiconque de Kozelsk. Je n'ai plus la force pour des entretiens, et venir pour se lamenter, cela n'a pas de sens et, pour ceux qui m'entourent, c'est une charge. J'ai déjà assez de soucis avec ma famille et les proches qui viennent de Moscou et me rendent vite sans ma permission.

Transmettez à ceux que je connais mes meilleurs voeux et la bénédiction de Dieu inébranlable et éternelle. Amitiés à vous et à tous de ma part et de la part de nous tous. Pardonnez-moi. Faites votre salut.

N(ikon). 24 juillet 1963.



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Chère Véra Nikolaïevna!

Pardonnez-moi d'avoir tardé à vous répondre. Vos tentations à l'aube d'une nouvelle vie ne font que confirmer la règle selon laquelle "toute bonne oeuvre est précédée ou suivie d'une tentation ". Je ne me souviens plus si je voulais vous reprocher de dire des paroles vaines ou nuisibles, mais au contraire, je vous félicite pour votre silence, lequel est au-dessus de toute louange, surtout si au silence, lequel est au-dessus de toute louange, surtout si au silence de la langue se joint peu à peu le silence de l'intelligence. C'est un état extrême auquel nous devons tendre de toutes nos forces. Vous comprenez de quoi je parle! Cette forme d'exploit ( le silence de l'intelligence concernant toutes choses, hormis la Prière de Jésus) peut effectivement "incorporer" l'homme à la vie future.

A N., ou à d'autres qui sont plus pauvres que vous, envoyez vous-mêmes un petit cadeau en compensation. Il " y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir - savez-vous où cela est écrit? Cherchez dans les Actes des Apôtres.

Ne soyez pas troublée du fait que vous vous nourrissiez de diverses nourritures spirituelles. " Tantôt ceci, tantôt cela". Ce n'est pas mal. C'est ce que conseille un ascète des plus expérimentés, saint Barsanuphe le Grand. Pourvu qu'on ne passe pas son temps à ne rien faire. Faire la lecture à une vieille femme aveugle, si elle le désire, est une oeuvre d'amour qui surpasse la prière.

Ne pas rendre visite à des connaissances sans véritable nécessité, ce n'est pas de la dureté de coeur, c'est l'obéissance aux commandements des saints Pères.

Moi aussi, j'ai compassion de Ioulia, et le Seigneur a plus grande compassion encore; cependant, Il exige de nous le renoncement à nous-mêmes, c'est-à-dire à notre homme déchu et Il permet que les hommes aient des peines et des maladies pour leur profit. Celui que Dieu aime, Il le châtie.

Il n'y a pas de changements notables dans notre vie et notre santé. O. est parfois au plus mal, puis elle reprend des forces. P. est serein, moi, je vis en sybarite, quoique je m'en désole.

Ne cessez pas de fréquenter l'église, tant que vous en avez la force. A la rigueur, restez assise, mais allez-y. Le temps passera plus vite et avec un plus grand profit. Efforcez-vous, à l'église, de réciter sans distraction la Prière de Jésus.

Aux visiteurs bavards, il n'est pas mauvais de donner un livre ou de proposer de dire ensemble un canon ou un autre texte. Chercher des réponses en tirant au sort, il ne faut le faire que rarement, dans des cas extrêmes. Il faut se laisser guider par les commandements de l'Evangile, des saints Pères et par le raisonnement associé à la prière. Votre obéissance ( et celle de tous les "ascètes " actuels) consiste dans l'obéissance au Seigneur à travers l'obéissance à Ses saints commandements à chaque moment de la vie. L'obéissance aux Pères consiste en cela aussi : à travers les Pères nous écoutons le Seigneur. Les Pères doivent seulement expliquer plus clairement les commandements, appliqués aux cas particuliers, mais les guides actuels ( je m'implique) ne savent pas le faire, ils ne font que remplacer le livre.

Voilà, il me semble que j'ai répondu point par point à toutes les questions abordées dans votre lettre.

A propos de la question "faut-il dire ou ne pas dire à ses interlocuteurs qu'ils comprennent quelque chose de travers?" (S., L., et les autres), on peut, par charité, tenter de les corriger si leurs idées sont contraires à la Sainte Ecriture ou à la Sainte Tradition, en leur posant des questions et en se posant comme quelqu'un qui cherche à comprendre avec eux. S'ils s'obstinent, il ne faut pas insister.

Pardonnez-moi. Je demande vos saintes prières.

Soyez vigilants, chassez les suggestions ( des démons) par le Nom de Jésus. Toutes les nations m'ont entouré, mais par le Nom du Seigneur je les ai repoussées (...) Ayez compassion et réchauffez par votre amour ceux qui sont dans la peine, notamment Ioulia et Ch., ainsi que les autres. Sans l'amour, toute oeuvre est vaine, comme le dit l'apôtre Paul. Le succès de la vie spirituelle se mesure à la profondeur de l'humilité et d ela contrition du coeur, sans lesquelles tout est agitation et illusion maléfique.

Tout mon respect. Que le Seigneur vous bénisse, vous fortifie et vous donne la sagesse pour toute bonne oeuvre.

Amitiés et bénédiction de Dieu à tous. V. a acheté cinq volumes d'Ignace ( Briantchaninov) et les a confiés à E.P. pour les envoyer.

N(ikon). 8 décembre 1950.



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Chère V.N.!

Je réponds à vos questions pleines de perplexité. Tout d'abord je vous rappellerai que je n'exige de personne l'obéissance inconditionnelle à mes conseils. Un conseil est un conseil et la décision finale appartient à celui qui demande. Les conseils des saints Pères et mon expérience personnelle montrent que moins on sort de sa maison et moins on parle, chez soi ou à l'extérieur, mieux on se porte. Vous aussi, de vos sorties et de vos bavardages vous n'avez retiré que du trouble, du dérèglement et un affaiblissemnt tant externe qu'interne. La conclusion est claire. Si quelqu'un t'oblige à parcourir avec lui un mille, d'après le commandement de l'Evangile, il faut le faire, mais si c'est simplement pour complaire aux gens du monde que l'ennemi peut vous envoyer, si c'est pour être perturbé, cela n'a pas de sens.

Que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme et vous, vous nuisez et à votre âme et à votre corps en allant à droite et à gauche. Et encore : si ton oeil... est une occasion de chute... Réfléchissez à tout cela et agissez selon l'Evangile et non pour complaire aux hommes. Je pense que grand-père dira la même chose. Il a sans doute compris d'après vos propos ou ceux de tierces personnes, que vous vous retirez du monde - je suis contre, moi aussi. Vous n'êtes absolument pas prête pour la réclusion. Ce dont il s'agit, c'est de sorties et de conversations qui n'ont aucun objectif.

Ce genre de phrases dans vos lettres : " ma nouvelle vie ne donnera rien", "je commence moi-même à m'embrouiller et à douter de mes capacités" et autres, montrent que le fondement de votre vie spirituelle est pourri. De là vient que "l'âme n'est pas en paix". Ces phrases montrent que vous vous faisiez des illusions sur vous-même, que vous attendiez quelque chose, que vous voyiez quelque chose de particulier dans votre nouvelle vie... C'est bien ce qui fait peur au grand-père, ce qui l'inquiète. Et moi aussi je commence à m'inquiéter. Que pensez-vous de vous-même?

Voici comment vous devriez vous sentir et penser de vous-même : " Seigneur, j'ai passé toute ma vie dans la distraction, dans la constante violation de Tes saints commandements et, je n'ai pas encore, à ce jour, le véritable repentir, l'humilité, l'amour. Comment, avec quoi, me présenterai-je devant Toi, Seigneur? Accorde-moi de poser aujourd'hui le commencement du repentir, donne-moi de voir mes transgressions et de ne pas juger mon frère, reçois-moi, comme Tu as reçu le publicain, le bon larron, le fils prodigue. "Sauve-moi par les voies que Tu connais." Si le Seigneur vous donne un coeur contrit ( qui fait naître l'humilité), alors vous verrez clairement que vous êtes pire que tous les autres, que vous ne pouvez ni juger ni enseigner personne, vous sentirez à quel moment il vous faut rendre visite à quelqu'un, à quel moment rester chez vous, car vous ferez tout pour Dieu et non pour complaire à vous-même ou aux hommes.

Demandez au Seigneur le repentir, un coeur brisé, tâchez de comprendre pourquoi les plus grands saints pleuraient sans cesse leurs péchés. Evoquez le plus souvent possible ce que le Seigneur a fait pour vous en venant sur terre, en étant crucifié pour vous, et comment vous Le payez en retour. Reconnaissez, et reconnaissez devant Lui que vous avez envers Lui une dette insolvable, qu'aucun exploit ( a fortiori aucune "bonne action"), aucun "sacrifice" ne pourrait acquitter. La seule chose qui nous reste, c'est de supplier que nous soit remise notre dette, nous désoler et nous humilier devant Lui et devant Son image - les hommes. Un coeur contrit, Dieu ne le méprisera point. Telle est votre tâche. Tout le reste est illusion, tromperie et, en conséquence, on perd la paix de l'âme, la foi vacille, on juge son prochain... L'arbre se reconnaît à ses fruits.

La peur, l'horreur de la mort est la conséquence d'une mauvaise disposition intérieure. Tant que vous compterez sur vos propres actions et exploits ascétiques, vous ne serez pas en paix. Nul homme, depuis la fondation du monde, n'a été sauvé par ses seuls actes. C'est le Seigneur qui nous sauve. C'est à Lui que nous devons nous confier nous-mêmes et notre destinée, ici-bas et après la mort. Et si nous nous confions à Lui, nous devons, dans la mesure de nos forces, nous comporter comme Il l'ordonne, c'est-à-dire nous forcer à mettre en pratique Ses commandements et nous repentir sincèrement de nos transgressions, volontaires ou involontaires; Si cette disposition est en vous, non pas dans la tête, mais au plus profond du coeur, vous serez toujours et partout en paix. Votre âme est entre les mains du Seigneur. Qui peut lui nuire? Mais cet état, on ne l'atteint pas d'un coup. Cherchez et vous trouverez.

Vous demandez ce que sont "les bonnes actions". Pour le chrétien, sont bonnes uniquement les actions qui sont faites en accomplissement des commandements évangéliques, donc en accomplissement de la volonté de Dieu. (...). Ouvrez l'Ancien Testament et vous y trouverez maints exemples. Et dans l'Evangile, rappelez-vous ce qu' a dit le Seigneur à l'apôtre Pierre qui était pris de compassion pour Lui.

Les exercices ascétiques du corps, vous ne devez pas y penser. Une personne malade se doit d'entretenir son corps en sorte qu'il ne soit pas une gêne pour l'effort intérieur. Un corps en trop bonne santé gêne aussi, il faut alors le mater. C'est clair.

Dans la situation de M., il faut dire : " Je reçois ce qu'ont mérité mes actes". "Seigneur, que Ta sainte volonté soit faite", " Seigneur, fais avec moi ce que Tu veux, mais sauve-moi", et non se rebiffer et donner des ordres au Seigneur, ce qui vient toujours de l'orgueil.

Soyez plus simple, ne vous perdez pas dans les détails, reconnaissez devant vous-même et devant le Seigneur votre inutilité, votre dette immense, livrez-vous ainsi que vos proches dans les mains de Dieu; faites toutes choses - entrées et sorties - pour l'amour de Dieu et non pour d'autres motifs, désolez-vous toujours de n'agir en rien comme il faudrait, en un mot, humiliez-vous devant Dieu et devant les hommes - et vous trouverez la paix et ici-bas et dans le Royaume de Dieu après la mort.

N(ikon). 29 janvier 1951.



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Chère V.N.!

J'ai reçu votre lettre, j'ai compati à votre peine, dont la cause n'était pas ma lettre, mais votre disposition intérieure. Il me semble que vous n'avez pas compris ma lettre, sinon vous n'auriez pas eu tant de peine, vous n'auriez pas tant pleuré, mais vous auriez pris en compte ce que je dis et, si vous le jugiez juste, vous l'auriez mis en pratique. Je recopie votre phrase : " A-t-on le droit de fustiger ainsi - "le fondement de toute votre vie est pourri (1)" - au risque de pousser au désespoir?" Si vous traversez la forêt et que quelqu'un vous dit : " Ne prenez pas à gauche, il y a un danger - un marécage et beaucoup de serpents -, prenez plutôt à droite", direz-vous que cette personne est cruelle et que sa phrase est un fouet? Et puis, il me semble que la phrase citée est déformée. Il s'agissait de la vie qui a commencé pour vous quand vous avez quitté votre travail. C'est votre pensée à propos de je ne sais quel succès et aspirations qui est pourrie, quand, en outre, vous posez la question : "puis-je ceci ou cela?", "arriverai-je à quelque chose?", dans laquelle se cache l'idée d'une vie particulière, ascétique ou quelque chose d'approchant. Tandis qu'il faut penser à une chose : avec quel bagage nous tiendrons-nous devant le Seigneur? Notre dette est insolvable, nous n'avons ni forces ni rien pour l'acquitter. Il ne nous reste qu'à pleurer ( non à cause des offenses) devant la miséricorde de Dieu et implorer le pardon.

C'est cela et seulement cela qui doit constituer tout l'objectif de la vie qui reste à vivre. Le Seigneur vous offre pour cela du temps libre, Il vous libère des soucis de ce qui passe. Dans la mesure de vos forces, tâchez de transformer toute votre vie en repentance. Que vous priiez, que vous fassiez quelque action bonne, que vous vous rendiez en quelque lieu, efforcez-vous de tout faire comme une pécheresse, une servante inutile, la pire de toutes. Si des peines vous accablent, corporelles ou spirituelles, dites-vous : " Je reçois ce dont je suis digne pour mes péchés, et je mérite même un châtiment beaucoup plus grand; je Te remercie, Seigneur, de me châtier avec clémence pour que je sois lavé de mes péchés."

Ce fondement-là, ce chemin-là sont les bons. Si le repentir ne couvre pas tout, tout est pourri, tout est souillé, on ne sera pas conduit vers le but, mais écarté de lui. Et le but est de recevoir le pardon de tous les péchés et, par la Croix du Christ, d'hériter du Royaume après la mort. Cela, je le souhaite - à vous et à moi-même - de tout mon coeur.

Pour toute iniquité ( pensée, sentiment, parole, regards, etc.), soupirez vers le Seigneur de tout coeur et demandez-Lui le pardon, et c'est tout. Ne creusez pas plus, ne vous tracassez pas : je suis comme çi ou comme ça. De toutes façons, nous ne nous connaissons pas et ne pouvons pas nous juger nous-mêmes avec équité. Notre Juge est le Seigneur. Notre affaire est de demander pardon pour tout; quant à juger quiconque, y compris soi-même trop sévèrement, cela est interdit.

Vous n'avez pas du tout "la nuque raide", vous êtes comme tout le monde : le bien est mélangé au mal, le vieil homme est encore vivant et l'homme nouveau est encore en bas âge. Confions-nous et nos proches au Christ Dieu, et agissons dans la mesure de nos forces, repentons-nous de notre insuffisance, de nos transgressions. Le jeûne, pour vous, doit être intérieur. Le jeûne intérieur est plus difficile que le jeûne extérieur, lequel a la préférence des gens. Entretenez au mieux vos forces physiques, afin d'être apte au labeur spirituel.

Que le Seigneur vous aide, vous éclaire et vous bénisse.

N(ikon). 28 septembre 1951.



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Que la paix et le salut soient avec vous, V.N.!

O.V. est dans la gêne, tout comme beaucoup d'autres; ce qui lui arrive, arrive à beaucoup d'autres.

Il n'y a aucune raison pour le chrétien de désespérer, y compris pour vous. Au sujet de tous vos états d'âme, je ne dirai qu'une chose : tous, même les saints, avaient besoin de se repentir, et nous, a fortiori. Découvrez-vous avec tous vos défauts, vos péchés, vos doutes, etc. Découvrez-vous devant Dieu dans le repentir, en suppliant : " Seigneur, pardonne! Seigneur, fais-moi grâce! Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur!" Cet état d'esprit ( si vous le comprenez) peut remplacer toutes vos règles de prières, etc. En fait, ces règles doivent y conduire.

Il ne faut ni juger ni condamner les autres, et si une pensée vous vient à leur sujet, priez pour leur salut; ainsi la tentation de juger disparaîtra. Lisez et écoutez l'Evangile. On doit faciliter l'obéissance à l'Evangile et ne pas exiger l'obéissance à soi. L'obéissance " en tout", personne de nos jours n'en est capable. Le repentir remplace tout.

Transmettez mes amitiés, ma reconnaissance et ma bénédiction à Ioulia V. Ne vous dévoilez pas aux autres. Amitiés et la bénédiction de Dieu à tous ceux que je connais. Que le Seigneur vous garde et vous sauve.

N(ikon). 18 décembre 1951.

Ne vous laissez pas aller à toutes sortes de rêveries, combattez-les.



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Chère V.N.!

Nous avons reçu votre lettre, notre santé à tous est la même. Nous allons cahin-caha. Il fait très mauvais temps. La pluie nous a inondés. D'après les indices populaires, l'automne sera pluvieux et long. Ne perdez pas courage, rappelez-vous que notre vraie vie est au ciel. De temps en temps, lisez les Vies des saints. Cette lecture vous rafraîchira.

N'accordez pas trop d'importance à vos relations avec les gens. Efforcez-vous d'être en bonne relation avec tout le monde et remettez tout à la volonté de Dieu. Tournez votre pensée et votre coeur, le plus souvent possible, vers Dieu. Aux heures de découragement, lisez le Psautier assise, ou même couchée, comme je vous l'ai déjà dit.

Que le Seigneur vous bénisse et vous garde. Amitiés et la bénédiction de Dieu à vos amis de Crimée.

N(ikon). 21 octobre 1952.



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Chère V.N.!

La paix soit avec vous! Je suis content de mon voyage. Je suis bien arrivé. Chez nous, rien de changé. Les vaines paroles, la calomnie sont toujours là, ce qui est tout à fait dans l'ordre des choses de ce monde. Et en plus, nous sommes dans une boue effroyable.

Ne pourrait-on faire une photo du portrait de Mère Arsénia, comme nous l'avions fait pour Ignace (Briantchaninov)? Qui est cette L.? En quoi sa faute se manifeste-t-elle? Peut-être l'opinion du Père V. est-elle fondée sur quelque chose. Les Pères expérimentés disent : " S'il n'y a pas de repentir - un repentir sincère, permanent - c'est qu'il y a de l'illusion." Il peut fort bien y avoir des larmes factices, car peu accèdent aux vraies larmes; or, tous pleurent. Il faut toujours, quand on parle du père V., mettre un bémol, compte tenu de sa maladie et de ses nombreuses occupations, si vous ne pouvez accepter sa sévérité et parfois sa raideur comme une chose normale.

N'exigez pas trop de vous-même. Progressez plutôt par le repentir. Nous sommes toujours des "serviteurs inutiles". Il est plus facile de reconnaître cela quand nous voyons en tout notre insuffisance. Et quand nous nous estimons "juste", c'est alors que, sans aucun doute, nous sommes dans l'illusion.

Ne vous découragez pas. Un commandement nous est donné : si nous ne pouvons pas nous réjouir sans cesse, au moins ne nous décourageons pas, et surtout, remercions Dieu pour tout. C'est particulièrement important pour vous : vous êtes à l'abri du besoin matériel, vous avez une chambre à vous, des amis. Comment ne pas remercier pour tout cela? Or, le découragement est une plainte déguisée. Dieu nous en préserve.

Que le Seigneur vous bénisse et vous protège de tout mal.

N(ikon). 29 octobre 1953.



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La paix soit avec vous!

Comportez-vous dans la prière et à tout moment comme le publicain. Ne vous poussez pas en avant. Si l'esprit du publicain vous a quittée, dans la prière ou dans toute autre chose, c'est que vous vous êtes engagée dans la voie du mensonge et d el'illusion.

Venir voir A.I. est physiquement difficile pour le corps et nuisible pour l'âme, car c'est du rêve.

Merci pour votre souvenir. Amitiés et la bénédiction de Dieu à tous. Ici, pour l'instant, tout va bien.

N(ikon). 18 décembre 1953.



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Chère V.N.!

J'ai reçu votre lettre concernant le Père V. Le seul fait que vous ne soyez pas en paix témoigne de votre tort. Hypocrite, enlève d'abord la poutre qui est dans ton oeil et alors tu verras comment enlever la paille de l'oeil de ton frère. Il y a ici le signe d'un phénomène psychologique profond. Si un homme, avec l'aide de Dieu, se purifie du péché et par conséquent a un regard purifié sur toute chose, alors 1) tout lui apparaîtra sous un autre jour et, alors seulement, il fera une bonne estimation des choses, 2) il n'y aura plus dans son coeur que l'amour pour toutes les créatures et une indicible compassion, et le désir que personne ne souffre, que personne ne subisse aucun préjudice (cf. Isaac le Syrien).

C'est alors seulement que l'on peut faire la leçon à son prochain ( et encore, sur l'injonction de la grâce de Dieu) et la parole alors sera efficace, utile, guérissante et non blessante. Et tant que nous n'avons pas atteint cet état, il ne faut pas se poser en donneur de leçons. Si vous gardiez un peu plus le silence avec le Père V., et ne faisiez que de courtes réponses quand on vous pose des questions ( et là, parler non pas en son nom, mais en répétant le jugement de tel ou tel Saint Père), le Père V. aurait une autre opinion de vous, et les paroles dites par vous pourraient l'amener à réfléchir ou à s'intéresser à celles que vous avez citées.

Saint Nil de la Sora ne répondait jamais en donnant son opinion, il exposait toujours celle des Saints Pères. Si ceux-ci n'avaient pas de réponse, il n'en donnait aucune, jusqu'à ce qu'il la trouve chez d'autres Saints Pères. Mais nous, qui ne savons rien, ou parce que "à mon avis, c'est comme ça", nous débitons un tas d'opinions. Une personne intelligente saisira aussitôt la légèreté de nos paroles et elle nous jugera. Vous devez soit prouver le bien-fondé de votre opinion, soit vous référer à une autorité suffisante. Pourriez-vous faire cela? Bien sûr que non. Donc, ne vous étonnez pas de sa froideur.

Vous avez la tête encore emplie de sottises, ou, plus exactement, le coeur, et c'est pourquoi vous devez particulièrement vous taire. On peut répondre à une question directe très brièvement, en faisant référence à son ignorance ( ce qui est la pure vérité!) afin de ne pas blesser la personne par son silence. Nous sommes tous plongés dans "la pire des illusions", selon l'expression de saint Syméon le Nouveau Théologien, c'est-à-dire dans les ténèbres, dans l'égarement, dans la servitude du diable. Seuls quelques-uns sont affranchis de cet état par le Seigneur. Comment un aveugle pourrait-il guider un aveugle? Tous, vous faites la leçon à tous. Arrêtez!

Le publicain n'enseignait personne; il disait avec contrition : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur"; il ne le disait pas qu'à l'église, mais sans cesse. Pouvait-il dans cet état d'esprit ( comme tous ceux qui sont dans cet état d'esprit) faire la leçon aux autres? Bien sûr que non. Or, pour ceux qui sont dans la servitude du péché et du diable, la seule bonne disposition est celle du publicain. Quand elle envahira l'homme tout entier, alors en elle s'accomplira la puissance de Dieu. Ma force s'accomplit dans la faiblesse, c'est-à-dire quand la personne aura atteint l'état du publicain, alors seulement la puisssance de Dieu s'accomplira et le fera sortir du pays d'Egypte pour entrer dans la terre promise. Il n'y a pas d'autre voie. Si je vous écris cela, c'est en tant que votre père spirituel. Pardonnez-moi.

Que le Seigneur vous garde et vous inspire pour faire le bien. Amitiés et bénédiction de Dieu à vous et aux personnes de connaissance. Le 2 janvier sera la fête de saint Séraphim. Mes amitiés à grand-père. Pensez à moi dans vos prières.

N(ikon). 17 janvier 1954.



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Chère V.N.!

Comment allez-vous? Ne vous laissez pas sombrer dans le découragement. Evoquez plus souvent la mort et ce qui vient après, et les choses de la terre prdront de leur importance.

Rien de nouveau chez nous. Il a plus tout le temps. Aujourd'hui, semble-t-il, pour la première fois après votre départ, le soleil s'est montré, et le ciel est sans nuage. Pour un homme vieux et malade, l'automne est long à traverser.

Que le Seigneur vous aide en tout et qu'Il vous guide vers le salut et vous bénisse.

Amitiés à toutes les personnes de ma connaissance. Tous les nôtres vous saluent.

N(ikon). 20 octobre 1954.



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La paix soit avec vous, V. N.!

Pourquoi vous troublez-vous de beaucoup dormir et de vous reposer? Reposez-vous autant qu'il le faut pour avoir la force de prier ou de vous occuper un peu de la maison. Si l'on exige trop de ses forces, on enténèbre l'esprit et on affaiblit le corps. N'exigez pas de vous plus que vous ne le pouvez. Espérez en la miséricorde de Dieu et non dans vos vertus. Notre temps nous offre le repentir à la place des oeuvres qui ont disparu. Le repentir engendre l'humilité et l'espérance en Dieu, non en soi - ce qui est de l'orgueil et de l'illusion.

Tout trouble vient de l'ennemi. Il ne faut pas s'arrêter sur ce sentiment et se désoler, il faut le chasser par la prière. En confession, on vous demande d'énumérer les péchés qui sont restés dans votre mémoire et qui troublent votre conscience; quant aux autres, il faut les rassembler dans la phrase : j'ai péché en paroles, en actes et en pensées. Pour vous, cela est suffisant. Rester troublée après la confession est une action de l'ennemi ou le signe que des péchés ont été volontairement tus. Si c'est le cas - la fois d'après confessez tout ce qui a été tu, et si ce n'est pas le cas, alors il ne faut pas accorder d'attention, il faut chasser toutes les pensées et les sentiments inspirés par l'ennemi. Mes ennemis m'ont entouré, mais au Nom du Seigneur je les ai repoussés.

Etre sincère, cela veut dire ne pas mentir devant Dieu, ne pas se justifier, ne pas ruser, mais se présenter tel que l'on est, avec toutes nos souillures, et demander grâce et pardon.

Dans le cinquième volume d'Ignace (Briantchaninov), il est dit : la foi dans la vérité sauve, la foi dans le mensonge tue. Les exceptions ne sont pas à prendre en compte. Il est rare que les ânesses montrent la vérité, comme ce fut le cas avec Valaam.

Si vous vous êtes mal comportée (froidement) avec quelqu'un, au moins excusez-vous en le quittant, en invoquant votre maladie. Le péché contre le prochain pèse lourd sur la conscience. Et le Seigneur ne pardonne ce péché que lorsque nous faisons nous-mêmes la paix avec ce prochain.

Transmettez à M.S. mes amitiés et la bénédiction de Dieu. Elle avait raison en tout et elle n'a aucune raison de s'inquiéter. Elle a exprimé mes propres pensées. Que le Seigneur lui fasse grâce et lui donne la patience dans l'épreuve. Je lui demande de prier pour moi. Pardonnez-moi. Que le Seigneur vous bénisse et vous sauve.

Dites à N. de ne pas s'offenser "pour les pommes". Il le fallait.

N(ikon). 10 septembre 1954.



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Chère V.N.!

Je ne peux me contraindre à relire votre lettre pour pouvoir répondre à toutes vos questions, et d'ailleurs je ne pense pas que cela soit utile, sérieux et nécessaire. La réponse a toujours été la même : n'exigez pas de vous plus que vous ne pouvez donner. Pour vous, étant donné votre état de faiblesse, physique et morale, il suffit de dire, avec pleine conscience et le plus souvent possible : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur." Cela était parfaitement suffisant pour que les bandits reçoivent le pardon de leurs péchés, et donc encore plus pour ceux qui n'ont pas commis de péchés mortels. Et vous, vous recherchez je ne sais quoi ( vous ne le savez pas non plus vous-même), ou bien ce pour quoi il est évident que vous n'avez pas les forces nécessaires.

Transmettez à Ioulia A. la lettre ci-jointe. Vous pouvez la lire, car elle peut vous concernez aussi. Ne vous découragez pas, pensez souvent à la mort et au moment où vous vous tiendrez devant Dieu. N'observez pas le jeûne du corps, mais celui d el'esprit dans la mesure de vos forces : la sobriété de la langue, des yeux, des oreilles, la tempérance à l'égard des gourmandises, du jugement porté sur les autres... Ce jeûne-là est accessible aux malades et il est plus profitable que le jeûne alimentaire, surtout vu votre faiblesse.

Que le Seigneur vous bénisse, ainsi que Ioulia. Amitiés à tous.

N(ikon). 12 décembre 1954.



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Chère V.N.!

J'ai reçu votre lettre du 28 novembre (ancien style). Merci pour vos voeux. Je vous ai envoyé une petite lettre avec un ajout pour Ioulia. J'espère que vous l'avez reçue? Si vous avez assimilé le contenu de cette lettre, vous devez y avoir trouvé la réponse à certaines des questions que vous posez.

Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors. Dans toute votre vie, vous tendez vers le Seigneur, vous croyez en Christ, vous vous efforcez de vivre selon Ses commandements, vous vous êtes repentie et vous vous repentez des transgressions commises, vous reconnaissez des péchés plus graves lors du sacrement de la confession, vous communiez. Pourquoi vous désoler, désespérer du salut? Vous direz que vous êtes pécheresse. Mais nous sommes tous pécheurs, et le Seigneur a dit qu'Il était venu sauver non les justes mais les pécheurs, c'est-à-dire ceux qui se reconnaissent pécheurs. Cela signifie que cette conscience d'être pécheresse ( en profondeur, pas superficiellement), est si profonde en vous que l'ennemi en profite pour vous pousser au désespoir. Or, il y a là une nouvelle raison d'espérer que le Seigneur vous sauvera comme Il a sauvé ceux qui se sont reconnus pécheurs : le publicain, la prostituée, le fils prodigue, le bon larron, etc... Ce qui est vraiment mal, très mal, c'est d'estimer "juste", d'avoir un coeur froid et d'aller à la rencontre de la mort la tête haute. Ainsi les pharisiens s'estimaient-ils fils d'Abraham, héritiers incontestés du Royaume, mais le Seigneur les a traités de fils du diable et les a condamnés à la géhenne s'ils ne se repentaient pas.

Nous péchons tous de bien des manières, a dit l'apôtre Jacques. Que pouvons-nous dire d'autre, vous et moi? Nous péchons, mais nous le reconnaissons, nous nous repentons, nous le déplorons, nous nous prosternons devant le Seigneur et Lui demandons pardon - et le Seigneur pardonne, Il pardonne et notre coeur le sent, Il ôte de notre coeur le poids du péché comme on enlève un fardeau des épaules, et l'on ressent un incontestable soulagement. Il nous faut remercier plus souvent le Seigneur pour tout ce qu'Il a fait sans cesse pour tous et plus particulièrement pour ceux qui croient en Lui et qui sont membres de la sainte Eglise orthodoxe. Que tout souffle loue le Seigneur!

Il me semble que le Père V. a vécu une vie si pure, si sainte que son âme ( son coeur) n'avait pas de raison de beaucoup se désoler, et c'est pourquoi il ne comprend pas la douleur, la détresse, le quasi-désespoir de ceux qui se repentent. A propos de personnes comme lui, Ignace (Briantchaninov) cite cette expression des grands ascètes : " saint, mais inexpérimenté". Des personnes comme le Père V. sont des cas uniques. Le cheminement habituel consiste à reconnaître en temps voulu sa profonde déchéance, la corruption de tout le genre humain et de soi-même, de reconnaître son impuissance à sortir de cet état de corruption et de péché, d'en souffrir intensément, de frôler le désespoir, de s'humilier devant soi-même, devant le prochain et devant Dieu, et de tomber, comme la pécheresse, aux pieds du Sauveur, sans un mot pour se justifier, avec uniquement l'imploration du coeur : " Seigneur, aie pitié de moi, pécheur". Là seulement l'homme saura combien le Seigneur est compatissant... Il saura que l'homme ne se sauve pas par ses oeuvres, mais par la miséricorde infinie de Dieu.

Il nous faudra bientôt mourir. De quels exploits pouvons-nous parler, nous qui sommes faibles, malades, estropiés? Il nous reste la patience et à soupirer : " Seigneur, aie pitié de nous, pécheurs!" Espérez fermement que si vous mourez dans cet état d'esprit, vous entrerez dans le Royaume de Dieu, vous éviterez les ennemis de votre salut.

Le jeûne n'a pas été institué pour les malades.

Si le Seigneur le veut, je me rendrai à Moscou. Ecrivez-moi au moment où vous vous sentirez très mal. Peut-être pourrons-nous faire coïncider les choses que j'ai à faire à Moscou avec vos besoins. De toute façon, soyez tranquille et assurée, sachez que, fort de mes droits de père spirituel, "je te pardonne et te délie de tous tes péchés au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen (1)."

(1) : (Formule de l'absolution dans le sacrement de la confession (NdE).).

Merci à M.B. pour ses voeux et surtout pour ses prières. Transmettez-lui ma reconnaissance. Qu'elle continue à ne pas m'oublier à l'avenir. Que le Seigneur la bénisse ainsi que celle qui habite avec elle.

Que le Seigneur vous bénisse et vous console par Sa miséricorde.

Dites à Ioulia que le Seigneur la conduit par des voies qui ne sont pas celles qu'elle voudrait à cause de la nature de son âme. Le Seigneur a indiqué pour notre génération une voie prédite depuis longtemps : foi et patience sans plainte devant nos peines et nos maladies. Quant à l'exploit personnel, nous ne pouvons l'affronter, car nous tomberions dans l'orgueil, et l'illusion nous conduirait à notre perte. Il faut accepter humblement les décisions de Dieu nous concernant, recevoir ce qu'Il nous envoie comme le plus nécessaire, sans quoi nous ne pourrions être sauvés, et Le remercier pour cela.

Amitiés et bénédiction de Dieu pour elle et pour tous. Ne m'oubliez pas dans vos prières.

N(ikon). 14 décembre 1954.



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Chère V.N.!

Que la paix et le salut soient avec vous. Qi'avez-vous donc à vous décourager? Vous avez toute votre vie tendu vers le Seigneur et voilà qu'aujourd'hui vous perdez l'espoir en la miséricorde et l'amour de Dieu! Croyez-vous que les hommes soient sauvés grâce à leurs ascèses? Tous, les saints eux-mêmes, sont sauvés par le Sauveur pour leur foi en Lui et leur repentir..

Soyez en paix et espérez en Christ. Si une chose trouble votre conscience, confessez-la, et tout le reste qui a été commis "en acte, en parole et en pensée". Le Seigneur sait tout et quand la foi et le repentir sont présents, Il pardonne tout et nous accueille dans Son Royaume; Il ne vous en privera pas, vous non plus.

Le découragement et le désespoir viennent de l'ennemi. Les saints Pères nous préviennent : aux portes de la mort, quand la personne est affaiblie, l'ennemi attaque même ceux qui croient fermement, il leur envoie l'incroyance et le désespoir. Combattez l'ennemi par le Nom du Seigneur.

Je n'ai pas le temps d'écrire plus longuement.

Que le Seigneur vous garde et vous console, qu'Il vous fortifie. Amitiés à tous.

N(ikon). 16 décembre 1954.



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Chère V.N.!

Bonne année et de bonnes fêtes à venir. Je vous souhaite de vous renouveler par l'humilité, car seule la main de l'humilité peut recevoir sans préjudices tous les dons de Dieu.

Vous êtes fâchée que je ne vous écrive pas. Mais pourquoi écrirais-je, quand vous ( et les autres également) n'appliquez aucun des conseils que je vous donne et ne faites pas le moindre effort dans ce sens? Combien de fois vous ai-je dit de ne faire la leçon personne. Et vous, vous vous immiscez dans les affaires des autres, vous haussez le ton, non seulement pour sermonner, mais aussi pour condamner. Il en résulte quoi? Vous êtes vous-même confuse, vous souffrez et vous mettez les autres dans le même état. Tels sont les fruits de vos agissements.

Je vous ai également dit maintes fois que vous deviez, une fois pour toutes, vous reconnaître comme un être déchu et auteur de nombreux péchés, tomber aux pieds du Seigneur comme le publicain, vous découvrant dans toute la difformité du vieil homme et l'impuissance de guérir votre âme lépreuse, et implorer : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!"

Le prophète David, en pleurs, implorait, et faisait plus qu'implorer : j'ai clamé le soupir de mon coeur : aie pitié de moi, ô Dieu, dans Ta grande miséricorde, fais sortir mon âme de prison ( de quelle prison?), des profondeurs je crie vers Toi, Seigneur ( de quelles profondeurs?). David se qualifiait de puce en Israël, de chien, de ver, alors qu'il avait sur lui l'Esprit Saint, et nous, qui n'avons rien que notre vétusté, nous pensons que nous sommes grands, capables de sermonner et de condamner les autres. Quelle raillerie du diable à notre encontre!

Si vous vous sentez ( d'après vos lettres) absolument impuissant et de corps et d'esprit, pourquoi ne vous humiliez-vous pas devant le Seigneur? Qu'avez-vous à faire des autres gens, pourquoi vous souciez-vous qu'ils pensent du bien de vous, quel intérêt avez-vous à ce que le monde entier fasse vos louanges, quand le Seigneur vous dra : je ne vous connais pas... Pourquoi vous-même vous voulez vous voir "bonne" selon les critères du monde? Spirituellement, n'est bon que celui qui, du fond du coeur, s'estime pire que les autres. C'est l'enseignement de l'Evangile, l'enseignement de tous les saints Pères.

Considérez que vous méritez l'enfer et suppliez Dieu qu'il ne vous rende pas selon vos mérites, mais qu'Il vous fasse grâce, non pas pour vos oeuvres, vos prétendues vertus, mais exclusivement par Sa miséricorde. Ce que dit le Seigneur Jésus-Christ Lui-même : quand vous aurez accompli tout ce qui vous est demandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, car nous n'avons fait que ce que nous devions faire. Cela signifie que si nous avons accompli tous les commandements, même à ce moment-là, nou devons nous considérer comme des serviteurs obligés de faire la volonté de notre Maître, mais recevoir du Seigneur des grâces particulières, hériter du Royaume, cela est le fait de l'indulgence de Dieu à notre égard; ce n'est pas un salaire pour notre labeur. Or, nous n'avons obéi à aucun commandement, et si nous avons accompli quelque chose, nous l'avons entaché de vanité, de complaisance ou de calculs. Pourquoi donc nous estimons-nous si haut? Pourquoi ne dévoilons-nous pas devant le Seigneur nos plaies et ne Le supplions-nous pas de nous grâcier, e voulons-nous obstinément apparaître devant Lui et devant les hommes comme des gens "bien"?

Humiliez-vous, estimez-vous digne de l'enfer et, le coeur contrit, suppliez Dieu de vous faire grâce, comme le publicain, la prostituée, le larron, le fils prodigue : le Seigneur vous fera grâce et, dès ici-bas, votre coeur le sentira et vous serez apaisée. Que cela soit, que cela soit! Amen. Pardonnez-moi.

N(ikon). 2 novembre 1955.



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Chère V.N.!

La paix soit avec vous. Merci pour vos cadeaux. Pourquoi vous chargez-vous, vous-même et les autres, d'envoyer des paquets? Nous n'avons pas besoin de ceux-ci pour nous souvenir de vous. Nous vivons comme avant; rien de nouveau. A propos des questions que vous posez sur la vie intérieure, je dirai une chose : vivez tranquillement, comme vous le faites, et comme le Seigneur vous conduira. Ne blessez personne, ne jugez pas, si l'occasion se présente, montrez votre charité à votre prochain, dans la mesure de vos forces. Désolez-vous devant Dieu de vos défauts, en vous livrant à Sa sainte volonté. Ne vous posez pas en maître, et si l'on vous interroge avec sincérité, répondez comme vous le pourrez, en priant intérieurement. Soyez simple. Dévoilez-vous entièrement à Dieu. Ne creusez pas les petites misères qui sont en vous. Nous sommes tous pécheurs et nous comptons sur la bonté du Sauveur. Pourquoi s'agiter?

N'instituez pas pour vous de règles obligatoires; suivez le conseil de Barsanuphe le Grand : faites sans excès ce qui vous attire - prier un peu, réciter le Psautier ou un acathiste, lire quelques pages, travailler, ( vous promener - c'est moi qui l'ajoute), passez ainsi la journée. Si vous péchez en quelque chose, demandez pardon. Que le Seigneur vous aide!

Prenez soin de vous. Les nôtres vous saluent et vous remercient. Amitiés à toutes les personnes de connaissance et la bénédiction de Dieu pour vous et pour tous.

N(ikon). 8 novembre 1955.

E.P. possède le Strannik (1).

(1) : Le Pèlerin (NdT).

Mes amitiés à elle, si vous la voyez.



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ChèreV.N.!

" Frères qui jeûnez corporellement, jeûnons aussi spirituellement..." Pour les malades, les invalides, les vieillards, il n'y a pas de jeûne corporel, qui leur est souvent nuisible. Il faut mettre l'accent sur le jeûne spirituel : l'abstinence de la vue, de l'ouïe, de la langue, des pensées, etc... Ce sera un jeûne authentique, utile à tous et toujours.

Les forces nous manquent même sans cela; or, le jeûne physique et l'affaiblissement du corps ne donneront certainement pas de forces pour le travail spirituel.

Je vous souhaite une bonne santé et l'intelligence de l'esprit. Que le Seigneur vous bénisse et vous fortifie!

Et je sens que N; est fâchée contre moi. C'est vrai, je l'offense peut-être un peu trop. Je lui demande pardon. Amitiés à tous. Les nôtres vous saluent tous.

N(ikon).



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Chère V.N.!

Vous accordez trop d'importance à ce que l'on pense de vous, à ce que l'on dira... Quelle importance a le jugement des hommes? Que sera-ce, quand le monde entier vous portera aux nues et que le Seigneur vous dira : " Je ne te connais pas!" Que s'est-il passé avec les pharisiens? Il est également vain de fouiller dans son âme, de se juger soi-même à l'aune du jugement des hommes! N'est-ce pas préférable de dire avec le publicain : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!"?

Nous récitons chaque jour la prière : "Ô Dieu, purifie-moi, pécheur, car je n'ai rien fait de bien devant Toi (1)."

(1) : ( L'une des prières du matin).

Qui a composé cette prière, le savez-vous? C'est saint Macaire d'Egypte, l'un des plus grands Pères, qui avait atteint la perfection spirituelle et qui, vivant encore sur cette terre, vivait déjà dans la demeure céleste. C'est ainsi que les saints, les amis de Dieu considéraient et eux-mêmes et leurs oeuvres.

Et nous, nous nous lamentons sans cesse : " Oh la la! J'ai dit quelque chose de travers. Oh! que va-t-on penser de moi!" Comme si c'était la seule fois que nous ayons parlé ou agi de travers. Le Saint Père dit : " Je n'ai rien fait de bien devant Toi, purifie-moi, pécheur".

Prenez soin de vous. Faites votre salut. Le Seigneur aménagera tout, ainsi que les bonnes gens. On ne m'a fait aucun mal. Amitiés. Que le Seigneur vous bénisse.

N(ikon).



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Chère V.N.!

Que la paix soit avec vous. Vous voue étonnez encore que beaucoup de "mauvais" se manifeste dans votre coeur à telle ou telle occasion. Mais moi j'ai toujours dit qu'en nous se cachent toutes les passions et tous les péchés, qui ne se manifestent qu'à la faveur de telle ou telle circonstance. Ajoutez à cela que nous sommes en permanence sous le feu du diable qui nous inspire toutes sortes de pensées, d'aspirations, de dispositions mauvaises. Veillez bien, car le danger est proche; celui qui croit être debout, qu'il veille à ne pas tomber. Nous ne pouvons pas attendre de nous-mêmes d'être exempts de tout péché. Nous ne péchons pas tant que le Seigneur nous retient, mais à peine nous abandonne-t-Il à nous-mêmes que nous sombrons dans une fosse ou dans une autre. D'où la demande : " Ne nous laisse pas succomber à la tentation, mais délivre-nous du Malin".

Vous non plus, ne vous étonnez pas de vos chutes, acceptez-les humblement et répétez inlassablement, comme le publicain : " Ô Dieu, sois miséricordieux envers moi, pécheur!" Chacun pense : " Cette prière n'est pas pour moi", alors que les Saints Pères ont dit qu'aucune prière n'était entendue par Dieu si elle n'était pas dite dans la disposition d'esprit du publicain. On cherche des émotions sublimes dans la prière, mais c'est une illusion. Nous sommes à ce point corrompus, pécheurs, nous avons une telle dette envers Dieu que même si nous implorons toute notre vie : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!", nous ne pourrions pas considérer que nous aurions payé notre dette. Outre la dette à cause des péchés, il y a la dette de reconnaissance envers le Seigneur. Pour nous acquitter de cette dernière, un million de vies ne suffirait pas! C'est pourquoi il ne nous reste qu'à nous humilier, à reconnaître que ce ne sont pas nos oeuvres qui nous sauvent, mais l'inconcevable miséricorde de Dieu, et dans l'espoir de cette miséricorde, supplier : " Seigneur, aie pitié de moi! Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!" Abaisse-toi donc et tu seras relevé, élevé jusqu'au Royaume. Patientez et comptez, non plus sur vous-même, mais sur le Seigneur. Amitiés à M.B.

Je pense constamment à venir à Moscou, mais je ne puis préciser quand. Pardonnez-moi. Que le Seigneur vous bénisse, vous et M.

N(ikon).

Conserve cette lettre et lis-la aux heures de découragement.



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Mon cher N.!

J'ai reçu ta lettre et j'ai pour toi une profonde compassion. Je pourrais te dire bien des choses concernant tes doutes et tes peines, mais je ne suis pas un maître de l'écriture. Tu as choisi un chemin de vie qui est exceptionnellement difficile de nos jours, et si tu tiens bon jusqu'au bout, tu seras dédommagé de tes peines des millions de fois; je ne dis pas qu'elles seront oubliées, mais tu regretteras même qu'elles aient été si minimes. Peut-être cela te semblera-t-il étrange, mais c'est ainsi. Je suis profondément convaincu que même les premiers martyrs eux-mêmes regrettaient d'avoir peu souffert et de ne pouvoir donc répondre à Dieu par l'amour dont ils devaient aimer Dieu.

Même l'amour envers un être humain cherche à s'exprimer en faisant plaisir à l'aimé, quel qu'en soit le prix. Plus fort est l'amour et plus fort est le désir de l'exprimer. Or, l'amour désintéressé ne peut s'exprimer que par le sacrifice, et comme l'amour vrai n'a pas de limite, la soif de sacrifice n'a pas de limite non plus. Qui aime Dieu veut souffrir pour Dieu, et à mesure que son amour grandit, son désir de tout supporter - afin que le Seigneur ne s'éloigne pas, afin d'être le plus près possible de Lui - grandit à son tour. Or, ne pas aimer Dieu est impossible quand on s'approche de Lui, ou plutôt quand Il s'approche de nous.

On peut supposer que "le ver qui ne dort pas" et "le feu qui ne s'éteint pas", dans la vie future, sont la peine inconsolable du coeur de l'homme qui pense au temps où il aurait pu témoigner de son amour au Seigneur, supporter des souffrances pour Lui, démontrer son amour non seulement par des souffrances, mais aussi par la foi en Lui au milieu des doutes, des peurs, de la solitude morale, de la prise de conscience de ses infirmités, de son impuissance, etc... - et qui ne l'a pas fait.

C'est pourquoi ici-bas, sur cette terre, on peut et on doit montrer son amour pour Lui par une résolution intérieure : " Je croirai en Toi de toutes mes forces, j'accomplirai Tes commandements, je souffrirai pour la foi en Toi, je renoncerai à tout et à tous - à la vie personnelle, aux proches... Mais seulement Toi, Seigneur, ne renonce pas à moi, ne permets pas que je perde la foi et le courage, ne permets pas que je murmure contre Toi au cas où de trop lourdes peines et souffrances m'atteindraient moi-même ou mes proches, et donne-moi de T'aimer de tout mon coeur. Si tu gardes cette disposition d'esprit, il te sera aisé d'aller au bout de ton cheminement sur terre.

Mais si tu hésites, si tu laisses le doute pénétrer dans ton coeur, si par une transgression volontaire des commandements de Dieu, tu assombris ton âme et affaiblis tes forces - alors tu feras une terrible chute si tu n'appelles pas le Seigneur au secours, et surtout si tu te glorifies et comptes sur tes propres forces, alors tu tomberas au plus bas et feras de ta vie un poids insupportable. Mais même là, ne te décourage pas, espère en Dieu, en Sa miséricorde, en Son secours.

Cette disposition-là est la bonne, mais on n'y parvient pas sans expérience, sans tomber mentalement (1) et sans se relever.

(1) (Note de l'auteur) : (Tomber matériellement, cela nuit grandement à la disposition d'esprit, exige un dur labeur de purification et freine pour longtemps le progrès spirituel. En revanche, tomber mentalement, cela est nécessaire pour la connaissance de soi, de sa faiblesse, de son indignité face au Royaume de Dieu, et par conséquent cela conduit à l'humilité, cela montre que l'homme par ses propres moyens ne peut pas grandir spirituellement, qu'il doit sans cesse appeler Dieu à son aide, qu'il doit, pour son salut, recourir aux sacrements et à tout ce qu'offre la Sainte Eglise. Une lecture constante de la Sainte Ecriture - du Nouveau testament et des Pères - favorise la croissance spirituelle. Mieux encore : la présence d'un père spirituel, mais il n'y en a pas de nos jours et on est contraint de marcher seul, guidé par les lectures et la prière, en implorant le secours du seigneur et des saints. Pardonne-moi. Ton père.).

Elle se caractérise par une conscience aigüe de sa faiblesse, de son impuissance à vivre comme le prescrivent les commandements, à aimer le Seigneur comme Il nous a aimés. De cette conscience naissent la contrition, les pleurs du coeur, le sentiment de sa dette insolvable ( dix mille talents) - en un mot, un coeur broyé et humilié, Dieu ne le méprisera pas, car de lui naîtra cet amour pour Dieu dont j'ai parlé plus haut. Par ta seule volonté, par ton seul désir, tu n'acquerras pas l'amour, mais tu y parviendras par une vie conforme aux commandements, par ton repentir, tes larmes à propos de tes chutes et le regret profond de substituer à l'amour pour Dieu et au désir de Lui plaire, la constante transgression de Sa sainte volonté.

De ces larmes, de cette contrition naît la crainte de Dieu, c'est-à-dire la crainte d'offenser Dieu en quoi que ce soit, puis vient le sentiment de la proximité de Dieu, ce que le prophète David a exprimé par ces mots : je vois devant moi mon Seigneur en tout temps, puis viennent, peu à peu, la conviction que mieux vaut mourir qu'offenser le Seigneur, la ferme résolution de porter les peines et les souffrances sans se plaindre, de remercier pour elles, du fait que le coeur sentira la joie d'être purifié par les souffrances, la satisfaction de souffrir pour Dieu et par là de L'aimer. Que te donnerai-je, Seigneur, pour tout ce que Tu m'as donné?

Pardonne-moi ce trop plein de paroles et peut-être de les écrire à un moment inopportun. Mais ta douleur m'a incité à t'écrire tout cela. Peut-être en tireras-tu profit et une certaine consolation.

Cher ami, je ne te demande qu'une chose : ne t'éloigne jamais de Dieu, si grande soit ta chute, si grands soient tes péchés, tes offenses contre le Seigneur (qu'Il t'en préserve!), mais, comme le fils prodigue, demande-Lui pardon, et encore et encore oblige-toi à vivre selon les commandements. Je ne rejetterai pas celui qui vient à moi. Celui qui chemine vers le Seigneur en accomplissant Ses commandements, même s'il tombe en chemin, s'il se relève et poursuit sa marche, il sera au nombre des soldats du Christ et il sera couronné par Lui, tout en gardant les blessures qu'il a subies dans son combat spirituel contre ses passions, sa nature déchue et les démons. Que le Seigneur te donne l'intelligence, qu'Il fortifie ta foi et ta volonté, qu'Il te garde de tout mal. Que le Seigneur te bénisse.

N'écris pas de façon aussi détaillée que dans ta dernière lettre. Je connais bien l'état de ton âme, et il suffit d'écrire brièvement. Prends soin de toi.

Ton père.



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Cher N.!

Que ton coeur s'emplisse de paix et de joie! Je suis très content que tu aies reçu ma lettre.

Tout va bien chez nous, pour l'instant. Mère V. va bien, moi aussi. Je me débrouille seul, c'est même plus facile qu'à deux. Quand tu pourras servir à l'église, nous tâcherons de nous installer ensemble. Que Dieu te donne la santé et de bien terminer l'école. Les temps sont gros d'événements inattendus. Que nous réserve le jour qui vient? Que la volonté de Dieu soit faite en toutes choses.

Prends soin de toi, cher N. Sois sobre par l'esprit et tâche d'implorer le Seigneur le plus souvent possible et de tout ton coeur, en récitant la Prière de Jésus. Ne te décourage pas. Dieu est avec nous.

Ton N(ikon). 24 mars 1949.



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Cher N.!

J'ai reçu le 1er décembre ta lettre, et un peu avant celle de K. Concernant ton installation près d'une église, je te l'interdis catégoriquement. Reste à Zagorsk (1) et continue tes études.

(1) : ( Nom donné à Serguiev Posssad pendant la période communiste. (NdE).).

Il y a tant de matériau, de connaissances à avoir. Tu n'as aucune expérience, et perdre du temps, et surtout, s'exposer à divers dangers, aux distractions, perdre la possibilité de prier dans l'église - à quoi bon? Pour l'instant, ne viens pas ici, ne va nulle part. Et extérieurement et intérieurement, vis comme quelqu'un qui doit rendre compte à Die et à son père de chaque pensée, de chaque sentiment, et pas seulement de ses actes et de ses paroles. Souviens-toi de cela. Qu'il est important, pour la vie spirituelle, d'ouvrir chaque jour ses pensées! Si la chose est impossible, au moins ouvre-les mentalement devant Dieu et confesse tout dans la prière. Sois sincère devant Dieu : ne laisse pas ton coeur incliner aux paroles malignes pour chercher des prétextes à tes péchés pour tes pensées mauvaises et les inclinations de ton coeur. L'ennemi est rusé, et il faut beaucoup de sagesse, de larmes, de prières, et surtout d'humilité et de conscience de sa faiblesse, pour ne pas tomber dans ses filets. Souviens-toi d'Antoine le Grand. Et c'est encore plus difficile quand un petit doigt est pris dans l'engrenage.

Après avoir reçu cette lettre, ne pars pas une seule fois pour Moscou, sauf si vous y allez avec toute l'école. Tu me rendras compte de cela et de tes pensées quand tu viendras. Ecris-moi pour me dire comment tu as accueilli ma lettre. Ouvre-toi à moi, comme tu le peux, et sois obéissant, si tu veux éviter les erreurs superflues et de grandes peines. La franchise et l'obéissance t'aideront à éviter aisément beaucoup d'ennuis, et ce qui est difficile, voire impossible, deviendra facile, tandis que sa volonté propre peut conduire à la servitude, à la soumission à l'ennemi de notre salut.

Que le Seigneur t'inspire pour agir bien en tout. Pardonne-moi, mon très cher, le moment vient où il me faudra m'occuper de toi. Montre-moi ta confiance et ton amour pour moi en m'obéissant et en t'ouvrant à moi.

Quelqu'un écrit-il de Kozelsk? Prends soin de toi. Que le Seigneur vous bénisse et vous vienne en aide. Pardonne-moi.

Ton père N(ikon). 2 décembre 1949.





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Cher N.!

Comment occupes-tu ton temps? Efforce-toi de toujours, en promenade, au travail, seul ou en compagnie, mentalement et de tout ton coeur, soupirer vers le Seigneur. Au moins une fois par heure. Même si tu as mal agi, si tu as péché, il faut d'autant plus demander secours et pardon au Seigneur. Lis impérativement des livres religieux. Pas moins de trois chapitres des Epîtres et de l'Evangile. C'est bon à la fois pour ton âme et pour tes études à l'école.

N(ikon) qui t'aime.



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Cher N.!

Merci à toi pour ta compassion. C'est vrai que la douleur de l'entourage agit sur notre coeur. N'était la foi en Dieu, il serait impossible de vivre. Il faut ne pas avoir de coeur du tout pour vivre de nos jours pour ses propres intérêts égoïstes et rester paisible. Mais le Seigneur donne la force de tout supporter. On comprend pourquoi la Sainte Eglise, à chaque ecténie, nous interpelle ainsi : " Confions-nous nous-mêmes, les uns les autres, et toute notre vie, au Christ notre Dieu." Cette espérance que le Seigneur voit tout, qu'Il veut le bien et le salut de tous ( même s'Il nous fait traverser les épreuves) donne la force de tout supporter. Tu l'expérimenteras toi-même.

Ton p(ère) s(pirituel) qui t'aime.



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Cher N.!

J'ai reçu aujourd'hui une lettre de toi. Vous avez cette année de nouvelles matières très intéressantes, peut-être même les plus importantes, à mon avis. Les autres matières, hormis l'oustav (1), ne sont en fait que des auxiliaires pour ces nouvelles matières.

(1) : ( En grec typikon. Ordre des services liturgiques (NdE).).

L'étude de l'histoire de l'Eglise, il faut l'accompagner de l'histoire (fût-elle brève) de la société, et particulièrement de la vie des saints ayant vécu à l'époque étudiée, et de quelques-unes de leurs oeuvres. Alors seulement l'étude sera vivante et féconde. N'étudier que des schémas sans âme, c'est ennuyeux et stérile.

Je demande instamment à N. (dis-le lui) de travailler et de ne pas se décourager s'il a du mal. On peut rattraper du retard pendant les vacances et en été. Qu'il demande à Saint Serge de l'aider : ce dernier, à ses débuts, a eu beaucoup de mal à apprendre les rudiments, mais à cause de ses prières, le Seigneur lui a donné l'intelligence. C'est pourquoi il aidera ceux qui lui demanderont son aide.

Concernant ton inquiétude au cas où G.A. serait muté à K., je ne puis rien dire. Il faut agir à chaque occasion de façon à être agréable au Seigneur, pour le salut de l'âme. Si l'on observe cette règle, tout ira bien; quant aux conflits, aux jalousies, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Pour ceux qui aiment le Seigneur, tout contribue à leur bien. Chaque occasion, même la chute dans de grands péchés, peut contribuer au bien, et inversement : les jeûnes, la prière, les veilles et autres oeuvres peuvent non seulement nuire à une personne, mais causer sa perte, si elles ne sont pas correctement menées. Les oeuvres menées incorrectement sont celles qui engendrent la haute opinion de soi et l'orgueil. En revanche, si par ses chutes la personne parvient à l'humilité, celles-ci apparaissent comme plus profitables que les exploits ascétiques. Il faut faire toute chose avec discernement, prudence, conseil, en les confrontant avec la Parole de Dieu et les écrits des Pères. Amitiés et bénédiction à toi et N. Priez pour moi auprès de la châsse de saint Serge.

Votre N(ikon).



Cher petit N.!

Comment vas-tu? Je ne sais pourquoi, tous ces jours-ci, j'ai pensé à toi et je t'ai plaint. Ne t'est-il pas arrivé quelque chose? Comment combats-tu ton caractère? Que Dieu te vienne en aide! Lutte, désole-toi, mais si tu trébuches, ne désespère pas. Les démons agissent toujours ainsi : avant la faute, ils suggèrent qu'il n'y a pas ici ou là de péché, et si tu te laisses prendre, ils se mettent à susurrer que, de toutes façons, tu as péché, tu ne mérites pas le pardon, qu'alors, tant qu'à faire, tu peux persévérer dans tes fautes. Ou bien, ils suggèrent un peu différemment : vis maintenant selon ton bon plaisir, et après, tu te repentiras, tu as la vie devant toi; fais tes expériences, elles te seront utiles, etc...

Ne justifie ni toi-même ni tes fautes, mais devant toi-même et devant Dieu appelle les choses par leurs noms, reconnais tes péchés, ton impuissance à les dominer, à combattre les démons qui te poussent au péché, pleure ton asservissement au péché et au diable, et demande au Seigneur de te libérer d'eux. L'apôtre Paul dit que Jésus-Christ est venu sur terre pour détruire l'oeuvre du diable, affranchir l'homme du péché et de sa servitude. Si nous ne pouvons pas ne pas pécher, au moins pleurons devant Dieu notre indignité, humilions-nous, cessons de nous juger les uns les autres. Il faut prier plus et supplier le Seigneur de nous pardonner et de nous aider. Si l'homme, avec ses faibles forces, s'obstine à combattre l'ennemi, le Seigneur en temps voulu lui viendra en aide, l'affranchira de la domination du diable. Nous devons montrer notre fidélité au Seigneur par notre combat contre le péché et par la profonde contrition de notre coeur, si nous avons péché en quelque chose.

Ne va pas à Moscou pour les Fêtes, reste chez toi. Va plus souvent auprès de saint Serge (1), demande-lui son aide en tout.

(1) : (Auprès de ses reliques, qui sont à la laure de la Trinité Saint-Serge, à Sergiev Possad (NdE).).

Comment vont tes études? Comment va la santé, comment vont les progrès de N.? Aide-le, tant que vous êtes ensemble. Après, il sera plus grand et il pourra se débrouiller tout seul. Pour l'instant, aide-le pour les cours et en tout. Fort de ton expérience, préviens ses chutes, ses fautes. L'ennemi ne sommeille pas et il trouve en chacun ses points faibles pour les attaquer de toutes ses forces. Souvent, il camoufle et embellit le mal en sorte que la personne croit qu'elle fait le bien, alors qu'elle se fait un mal terrible à elle-même.

Demandez au Seigneur la sagesse, la force et le zèle pour l'observance de Ses saints commandements. Sans moi vous ne pouvez rien faire de bon. C'est pourquoi nous devons supplier le Seigneur de nous éclairer et de nous aider. Etudie sagement, accomplis loyalement tes obligations à l'école.

Chez nous, tout va bien pour le moment. Envoie de tes nouvelles et des nouvelles de N., ne serait-ce que brièvement. Il nous est agréable de recevoir un mot qui parle de vous. Il y a eu des lettres de Kozelsk. Tout y va bien, et il n'y a rien de nouveau.

Cher, cher petit N., ne te laisse pas aller sans résister à quelque transgression des commandements de Dieu. Si tu es fidèle au Seigneur dans les petites choses, tu recevras la force pour de plus grandes. Transmets mes amitiés à N. Prenez soin de vous, que le Seigneur vous garde et vous bénisse pour faire le bien, et vous éclaire en tout.

Ton père qui t'aime.



Si jamais tu te trouves à Moscou, renseigne-toi : s'est-on procuré Ignace (Briantchaninov) pour N.I.? Si ce n'est pas le cas, demande à N.V.B. s'il ne le vendrait pas. Prends soin de toi.



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Mon cher, cher petit N.!

Il y aurait tellement à répondre à ta lettre; je vais exposer l'essentiel. La sagesse de Dieu est si grande que le Seigneur transforme le mal en bien pour l'homme. Cette pensée a été développée par nombre de saints Pères. Voici ce dont il s'agit. L'homme peut être sauvé par sa foi et l'accomplissement de tous les commandements. Cet accomplissement transforme le psychisme (l'âme) de la personne, la rénove, la rend nouvelle à l'image de Dieu, ou plus exactement à l'image du Sauveur Jésus-Christ.

La qualité fondamentale de l'homme "nouveau", c'est l'humilité ("Apprenez de moi, car je suis doux et humble de coeur...") sans laquelle l'accomplissement de tous les commandements non seulement ne rapproche pas l'homme de Dieu mais fait de lui l'adversaire de Dieu, car s'il n'y a pas l'humilité, il y aura forcément l'orgueil. C'est à cette particularité de l'homme que s'applique, à mon sens, l'idée, dans l'Evangile, que Satan, ayant été chassé, erre à l'extérieur, puis voyant que la maison est nettoyée, rangée, mais inoccupée, il amène sept autres démons, plus méchants encore que lui, et il s'installe avec eux dans l'âme - et cette dernière situation, pour l'homme, est pire que la première.

Chez saint Macaire l'Egyptien, la relation de l'humilité aux autres passions s'explique par la parabole du banquet organisé pour le roi et les dignitaires du royaume. Comme les mets avaient été préparés sans sel ( l'humilité), l'organisateur du banquet reçut, non pas de la gratitude, mais la colère du roi. Ainsi toutes les vertus de l'homme sont vaines sans l'humilité (1).

(1) : ( Sans elle, sans l'humilité, l'orgueil pénètre dans l'âme et avec lui sept démons, c'est-à-dire toutes les passions).

En faisant attention à soi-même, par la lutte constante contre le péché, l'homme finit par voir à quel point il est corrompu et combien tout son être est imprégné d'orgueil. Vaincre la haute opinion de soi, sa vanité, son arrogance est équivalent à vaincre le péché dans son entier.

Et voilà comment il s'avère que les chutes dans le péché peuvent aider l'homme à acquérir l'humilité - pourvu qu'il n'accuse ni rien ni personne de ses chutes, qu'il n'incrimine que lui-même, en toute logique. L'homme est en tout coupable; les circonstances et le diable ne font que séduire, favoriser le péché, mais la décision finale appartient à la personne, laquelle est entièrement responsable. Cela est prouvé par les remords de la conscience après le péché.

Dans son combat contre le péché qui se terre en lui, dans ses chutes successives, l'homme apprend par l'expérience, et non en théorie, sa corruption, son impuissance, et petit à petit, il acquiert l'humilité. Partout et toujours vaincu par les péchés, il finit par tomber aux pieds du Seigneur, en larmes et le coeur contrit, par avouer son impuissance et implorer le Seigneur : " Ô Dieu, si Tu le veux, Tu peux me purifier ( ainsi parlait le lépreux), car moi-même je ne peux rien faire. Seigneur, sauve-moi, Seigneur, enseigne-moi à faire Ta volonté, Seigneur, fais sortir mon âme de prison (1).

(1) : ( Alors seulement l'homme comprendra la nécessité pour lui d'un Sauveur, de Sa venue sur terre, la signification de Son sacrifice sur la Croix).

Alors, l'homme connaîtra l'infinie miséricorde de Dieu envers l'homme déchu, car à la vue d'un repentir sincère, le Seigneur protège l'homme, lui ôte son péché, guérit la blessure de son âme faite par le péché, et l'homme, par expérience, connaît l'existence de Dieu, Sa Providence, son dessein pour l'homme, il reconnaît que le Seigneur est proche de ceux qui ont le coeur brisé, qu'Il est véritablement le Médecin de nos âmes, etc...

Et c'est ainsi que commettre des péchés, ce qui est un mal, peut être la cause d'un très grand bien. En cela réside la merveilleuse Sagesse de Dieu, comme en toutes choses, oui, en toutes choses.

C'est pourquoi, mon cher petit N., ne te décourage pas lorsque tu tomberas dans le péché, mais accuse-toi devant Dieu, confesse-Lui ta faute sans accuser personne, humilie-toi, reconnais ta faiblesse en tout, et demande au Seigneur qu'Il réalise en toi Ses saints préceptes. Mais cela ne signifie pas qu'il ne faut pas toi-même lutter de toutes tes forces. Il faut lutter de toutes ses forces, il faut étudier les procédés de cette lutte chez les Pères, il faut prévoir les circonstances favorisant soit la victoire soit la défaite, éviter les unes et rechercher les autres, et surtout, à la moindre apparition de pensées pécheresses, demander à Dieu Son aide, en étant bien conscient d'être incapable de vaincre par soi-même le péché. Puis, si tu tombes dans le péché et après l'avoir commis, il faut implorer Dieu, sans honte, et dire : " Seigneur, tu vois ce que je commets, aie pitié de moi, aide-moi, libère-moi du pouvoir du diable"... Et pleure devant le Seigneur au-dedans de toi, supplie-Le de t'aider en tout, tout au long de te vie, car il est difficile au sein de ce monde d'accomplir les commandements. Les anciens Pères pleuraient sur les hommes de notre temps, sachant qu'il y aurait beaucoup d'âmes en perdition à cause des péchés.

Il existe un autre moyen puissant de lutte contre le péché : dès que tu es tombé dans un péché grave, va le confesser à ton père spirituel. Si ce n'est pas possible tout de suite, fais-le à la première occasion possible, et surtout, ne remets pas à plus tard! Celui qui confesse souvent et sur-le-champ son péché prouve qu'il déteste le péché, qu'il déteste la servitude du diable et qu'il est prêt à subir la honte dans la confession, afin d'être débarrassé et purifié du péché, et de recevoir du Seigneur non seulement le pardon des péchés commis, mais aussi la force de lutter à l'avenir, et enfin, la pleine victoire, sans pour autant concevoir une haute opinion de soi, et tomber dans l'orgueil. Note bien cela ( les rêts du diable sont partout).

Pose donc les bonnes prémices : combats selon tes forces, ne te décourage pas si tu tombes, désole-toi, implore le Seigneur, détermine à l'avance les circonstances pour fuir celles qui sont nuisibles et dangereuses, confesse-toi tout de suite à ton père, acquiers l'humilité en te remémorant tes anciens péchés et les actuels, et le Seigneur te viendra en aide, et tu seras un soldat expérimenté du Christ, capable même d'aider les autres, dans le futur.

Ne te laisse pas aller à la paresse. Si celle-ci t'accable dans telle action, passe à autre chose. Ne néglige pas ta courte règle de prière. Donne-toi pour règle de te tourner au moins une fois par heure vers le Seigneur et la Mère de Dieu, en Les priant de te pardonner et de t'aider, et si tu peux le faire plus souvent, fais-le. Que le Seigneur t'aide, par les prières de saint Serge et des autres thaumaturges de Radonèje. Sois courageux, ne baisse pas les bras. Amitiés de notre part.

Que le Seigneur vous bénisse, vous éclaire pour faire le bien, vous garde de tout mal. Acquiers l'humilité et les larmes du coeur, à cause des péchés. Fais que tout te soit utile. A celui qui aime Dieu - c'est-à-dire qui cherche le Seigneur de toute son âme en accomplissant Ses saints commandements - tout contribue à son bien.

Ton père qui t'aime. 15 novembre 1950.

Ecris-nous, donne de tes nouvelles. Je ne t'oublie jamais. Tâche de résoudre le problème des livres. Combats!...



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Que la paix et la bénédiction de Dieu soient avec toi, chère Lisa!

Je te souhaite une belle Fête et une bonne nouvelle année! Transmets à tous les nôtres nos souhaits de bonheur en tout. Je réponds à ta lettre. Tu écris que tu as dérogé à ton engagement de ne pas manger jusqu'à 3 heures de l'après-midi. Je t'avais conseillé cela parce que toi-même tu m'as souvent dit que tu n'as pas d'appétit, que tu ne veux rien manger, que tu préférerais ne rien manger du tout. Or, il s'avère qu'en fait, il en est autrement. Bien sûr, il est difficile de faire tout par obéissance. Je ne te demanderais qu'une chose, concernant le jeûne : observe le jeûne prescrit par l'Eglise et ne mange pas tard le soir. Le dernier repas doit être pris pas plus tard que trois heures avant le coucher.

Tout le reste dont j'ai parlé, tu dois l'observer si tu veux être en bonne santé. Prête une grande attention à toi-même, reconnais toute ta faiblesse jusqu'au tréfonds, tu cesseras alors de te vanter et de juger quiconque, au contraire, tu pleureras sur toi-même, comme une personne qui pourrit sur pied, qui pue, indigne du Royaume de Dieu, et de ces pleurs, de cette prière s'installeront peu à peu - à condition que tu t'obliges à toujours accomplir les commandements - le silence dans ton âme, l'humilité, une humeur pacifiée, lesquels sont les qualités qui seules rendent les efforts de l'âme agréable à Dieu. Or, sans l'humilité, en présence d'un orgueil caché ( ou, pire, manifesté) tous nos efforts déplaisent à Dieu et sont nuisibles à l'homme lui-même, car ils développent en lui la vanité et l'orgueil.

Sois en paix avec tous, évite de juger les autres, t'estimant toi-même digne d'un jugement sévère, observe-toi, oblige-toi à réciter chaque jour ta règle de prière, pleure ici-bas tes péchés afin de n'avoir pas à les pleurer éternellement dans le siècle à venir. Le Royaume de Dieu se conquiert par la force. Rien ne s'obtient sans effort.

Que le Seigneur te vienne en aide. Ne te décourage pas, si tu as péché en quelque chose, mais relève-toi par le repentir, et avance, fût-ce en rampant, vers la Jérusalem Céleste. Nous sommes en bonne santé. Le lieu commence à nous plaire, notamment à Mère. Amitiés à tous. Ecrivez-nous.

N(ikon). 3 janvier 1949.



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La paix soit avec toi, N.!

Qu'as-tu à te vanter de te disputer avec les nôtres? Est-ce que l'Evangile et les saints Pères encouragent cela? Quel profit pour l'homme s'il gagne le monde entier mais nuit à son âme? Toute dispute, toute absence de paix est grandement nuisible à l'âme. Qui t'a instituée en juge des autres? Connais tes défauts, pleure ton mort (1), cela doit te suffire pour toute ta vie, même si elle devait durer mille ans.

(1) : ( Le vieil homme, l'homme mort spirituellement à cause du péché (NdE).).

Mais toi, tu te mets en tête de juger et de te disputer, prenant sur toi les péchés des autres. Va et fais la paix, demande pardon. Tu sais ce qui est dit : si tu vas au temple et te souviens que tu es en conflit, etc... Le Seigneur ne reçoit pas notre prière si nous sommes en conflit avec quelqu'un. Dieu réside dans la paix; et donc, dans l'absence de paix, Dieu est absent, et c'est le diable qui est là et qui nous roule dans la boue.

Je salue le Père M. Je demande ses saintes prières. Je salue et je remercie le Père S. pour son souvenir et ses prières en ma faveur. Je commémore toujours son nom dans ma prière. A tous mes amitiés et la bénédiction de Dieu.

N(ikon). 1949.



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Chère N.! La paix soit avec toi!

J'ai reçu tes lettres. Pardonne-moi de n'avoir pas répondu aussitôt. Les nôtres te raconteront notre vie ici. Il n'y a rien de nouveau. Ne te dispute pas avec l'Etourneau. Je ne lui ai dévoilé aucun secret, et les mots "ne rapporte pas", on peut les dire impunément, mais je n'ai pas cette habitude. Pardonne-moi si j'en ai trop dit. (...) Qu'elle fasse comme elle veut. Laisse-la tranquille. Quel profit tires-tu de nuire à ton âme, de perdre ta tranquillité pour des bêtises?

Prends soin de toi, ne parle pas trop, supporte, ne te vante pas, souviens-toi de la mort et de ce qui nous attend après.

A N, je ne sais pas quoi dire. Si elle pouvait rester comme c'était jusqu'à maintenant, ce serait le mieux. Qu'elle explique humblement aux siens qu'elle ne peut pas prendre un travail, que cela peut lui nuire grandement. Mais si la situation devient intolérable chez elle, alors je ne sais pas quoi dire. Qu'elle demande au Seigneur d'aménager sa vie selon Sa sainte volonté. Là où est la volonté de Dieu, c'est là que c'est le mieux, et aussi là où l'homme va s'efforcer d'accomplir Ses saints commandements.

N(ikon). 18 mai 1949.



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Chère N.!

J'ai reçu ta lettre. Je t'en remercie.

Quand on trouve en soi un océan de péchés, il faut verser dans cet océan des rivières de lamentations, de soupirs et de larmes provenant de son coeur.

Si on lit attentivement, peu à peu, le Psautier ( si on a du temps libre), on sera tout le temps en conversation avec Dieu, on sentira dans son coeur la présence de Dieu, et la prière, la récitation des psaumes seront par là même plus ardentes, plus attentives; elle toucheront plus profondément le coeur, et la piété et la crainte de Dieu grandiront... Car s'obliger, au milieu d el'agitation du monde, à réciter sans cesse la courte prière nous est presque impossible.

Tâche qu'il n'y ait plus de "petits malheurs". Sois plus humble et ne tiens pas de grands discours, ne juge pas, ne te délecte de rien, notamment des louanges démoniaques - et les "malheurs" disparaîtront. Sans cela, tu ne t'en sortiras pas. Cette engeance n'est chassée que par le jeûne, la prière et l'humilité. Sans cette trinité de vertus, on ne peut rien faire.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te bénisse. Combats, ne sommeille pas, afin de ne pas te réveiller privée de l'habit de noces - alors tu sauras quel sera ton sort. Amitiés aux nôtres. Je suis très mécontent contre O.M. qui ne m'a pas dit quel a été, tout l'hiver, l'état de santé de G. Elle est à peine en vie. Ma conscience me reproche de ne pas m'être occupé d'elle. Elle m'avait écrit, mais il m'avait semblé qu'elle exagérait et qu'elle voulait se faire plaindre. Cet épisode me confirme dans l'idée qu'il faut écouter sa voix intérieure et non l'entourage.

Pardonne-moi. Ecris bien vite. J'attends ta réponse.

N(ikon). 3 juin 1949.



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Salut à toi et à tous les nôtres, et que la bénédiction du Seigneur soit avec vous!

J'ai reçu ta lettre et je n'ai rien compris. Où K.A. est-elle allée, etc...? Que signifie l'ajout de la main de V. que R, ne viendra pas? A dire vrai, tout cela m'intéresse peu. Ce qui est bien pire, c'est que tu ne sois pas en paix avec les soeurs et mère V., et qu'elles nourrissent elles aussi (d'après tes dires) des soupçons et des arrière-pensées. Chacun est coupable pour soi, s'il cache ses pensées, camoufle son état, ec..., et dans l'obscurité se multiplient toutes sortes de vermine. Toutes, vous savez fort bien ce qui est bien et ce qui est mal, mais puisque vous agissez mal exprès, vous vous punissez vous-mêmes.

Si la présence de B. ne te pèse pas, qu'il reste chez toi le temps de sa visite, et si les nôtres l'invitent, qu'il y aille, mais il ne doit se rendre en visite quelque part que s'il y est invité. Je ne peux pas, pour l'heure, le prendre chez moi, car j'ai trois visiteurs en ce moment, il y a assez d'agitation comme ça, et de plus, j'en attends deux autres. La proximité de la famille et des amis, la facilité d'accès à partir de Moscou incite tout le monde à venir à la campagne, en villégiature. Tous veulent venir chez moi, car ici, c'est la vraie campagne.

Je n'interdis pas à O.M. de venir voir les nôtres : qu'elle fasse comme elle l'entend, comme cela lui convient le mieux, pourvu que ce soit avec le Seigneur, dans la paix, avec foi et simplicité. Les livres, il faut les donner à O.M. et je m'étonne que Mère puisse interdire de les donner à lire. Ou alors, c'est qu'elle estime que cette lecture est prématurée pour O., mais moi aussi, personnellement, j'ai demandé qu'on les lui donne à lire; je pense qu'on peut lui faire confiance, elle ne cachera rien.

Et toi, occupe-toi moins des affaires des autres et je te le redis : ne va pas pleurer les morts des autres, quand il y en a un dans la maison, alors qu'il ne sente pas.

Amitiés à tous et que la bénédiction de Dieu soit avec vous.

Ecris-moi, ne coupe pas les cheveux en quatre, écris de façon claire si les choses ont de l'importance, mais si c'est du vide, ce n'est pas la peine de gâcher ton temps et celui des autres.

N(ikon). 16 juillet 1949.



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Chère N.!

Il y a longtemps que je t'ai envoyé une lettre dans laquelle il y avait un mot pour Mère et pour Ch. L'as-tu reçue? Pourquoi n'écris-tu pas? Si tu l'as reçue, pourquoi n'écris-tu pas ce que Mère et toi vous pensez de mon refus et en général de mon opinion sur l'installation là-bas et ce qu'en pense S.? Je suis convaincu que le Seigneur peut toujours, par Sa Providence, aménager les choses d'une façon à laquelle nous ne nous attendons pas, si cela Lui plaît, mais pour le moment, il n'y a aucun fondement à un changement de lieu pour moi.

Que pensent les nôtres? Sans doute sont-ils fâchés contre moi? Qu'y faire? Eux aussi doivent penser un peu plus, et un peu plus à leurâme. Pourquoi ne me dites-vous rien de mon ancienne voisine? Comment va-t-elle? Comment se porte-t-elle ici? N'est-elle pas encore sortie de l'hôpital?

Je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui s'oppose à ma venue chez vous, même en visite, bien que j'aie eu la possibilité de le faire. Maintenant, je ne pourrai venir qu'après Noël, si cela est nécessaire et possible.

Pour l'instant, tout va bien pour moi. Il y a eu de nouveaux des tsiganes; elles ont tenté de réitérer leur attaque de ce printemps, mais O. et S. se sont opposées, et moi je leur ai fermé la porte au nez, mais deux d'entre elles sont restées à l'intérieur avec un enfant; je les ai fait sortir par la suite.

N(ikon). 1er décembre 1949.



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Chère N.!

J'ai reçu ta lettre. Comment est ta santé à présent? N'oublie pas que selon les dires de Marc l'Ascète, nous tous, du fait d'une loi spirituelle immuable, nous sommes soumis, dès ici-bas, au châtiment pour nos péchés... pour que nous ne soyons pas jugés avec le monde... Et c'est là encore, le fait de recevoir ici notre rétribution, une bonté de Dieu. C'est pourquoi, quand nous sommes malades ou en peine, il faut scruter sa vie et se repentir de tout, et de plus ne plus pécher, afin que ce qui adviendra ne soit pas pire.

Ch. m'a envoyé de la part des paroissiens une lettre demandant de donner mon accord pour son transfert chez nous. Je lui écris mon refus avec une lettre jointe à son nom. Transmets-la lui, s'il te plaît.

A propos de la suggestion d'ajouter à la lecture du Psautier la prière de Jésus, ton raisonnement est stupide et provient de l'Ennemi, ou de la paresse(...). Bien sûr, tu te demandes quelle est la raison de mon refus. J'ai écrit l'essentiel, et j'ajouterai les détails quand nous nous verrons, si Dieu veut que nous nous voyions.

Amitiés à tous et que la bénédiction de Dieu soit avec vous. Priez pour moi.

N(ikon). 1949.



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Chère N.!

Comment vont ta santé, ta vie, ton état d'esprit?

J'ai eu quelques ennuis. Interroge V. à ce sujet. J'ai même pensé à un transfert à Kozelsk. Mais, premièrement, on ne peut fuir ce genre de choses, et deuxièmement, le bruit court qu'on interdit maintenant de passer d'une province à une autre. On te promet de t'accueillir, tu t'en vas et, arrivé à ta nouvelle destination, on refuse de t'enregistrer et tu restes suspendu en l'air : tu n'as ni ton ancienne place ni la nouvelle. Konzelsk m'attire toujours. Cependant, il est clair que pour l'instant, il faut rester ici.

Les gens, ici, se sont intéressés à toi. Interroge V. Sois très prudente dans tes paroles et dans tes actes Evite d'acheter des choses suspectes : planches, bois de chauffage, etc... On m'a prévenu de ça, moi aussi. D'une façon générale, sois plus douce avec les gens, ne t'attire pas d'ennemis. Supporte les défauts des gens : portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. Si nous sommes cléments envers les hommes, le Seigneur "dans la même mesure" sera clément envers nous. C'est ce que signifient ces mots : " avec la mesure dont vous mesurez, vous serez mesurés à votre tour."

Ne renonce pas à ton travail; si tu commets une erreur ou un péché, repens-toi sincèrement devant Dieu et les hommes, ou si tu offenses quelqu'un. Arrache de ton coeur la rancune. Et puis encore ceci : efforce-toi, même dans le travail, de tout faire pour l'amour du Seigneur, pour obéir à Son commandement, et non par inclination du coeur. Car même les bonnes actions n'ont de prix devant Dieu que quand elles sont faites pour Lui, parce que c'est Sa volonté, autrement dit, c'est Son commandement. Et si les bonnes actions se font pour d'autres raisons, elles ne sont pas agréables à Dieu. L'on a dit de ces actions : " toute votre justice est comme un bâton jeté par terre". Il faut en toutes choses avoir une intelligence spirituelle, et si nous hésitons, ne sachant pas si c'est agréable à Dieu, il faut prier au moins intérieurement et dire : " Seigneur, je fais cela pour Toi, en supposant que cela T'est agréable. Eclaire-moi pour que je fasse tout pour Ta gloire", et alors sois paisible.

Ne juge personne, car nous sommes tous passibles du jugement de Dieu; Il couvre nos péchés et nous pardonne dans la mesure où nous couvrons les défauts de notre prochain et lui pardonnons. Sois toujours bien douce, estime-toi ignorante de tout, cherche à rester en arrière des autres, ne te mets pas en avant, ni en paroles, ni en actes. Bref, efforce-toi de passer inaperçue, inaudible, calme, paisible. Le Seigneur alors te fera savoir ce que signifie la paix de Dieu, qui dépasse toute intelligence, la paix que le Seigneur a laissée quand Il a dit à Ses disciples : " Je vous laisse la paix; c'est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne."

Mais toi, tu n'as pas la paix en toi; souvent tu t'énerves, tu t'agaces, tu nuis à ta santé parce que tu parles et agis non pas pour Dieu mais pour suivre tes inclinations et tes passions. Repens-toi toujours et tout de suite quand tu sens que tu commets une erreur ou un péché, n'attends pas de te mettre en prières. Couvre tout de ton repentir, condamne-toi toi-même. Humilie-toi devant Dieu et les hommes, tu seras alors plus tranquille et tu atteindras petit à petit la paix du Christ.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te bénisse et t'éclaire. Merci pour tout.

N(ikon). 1950.



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Que la paix soit avec toi...!

Je te souhaite une bonne santé et le salut de ton âme. Je t'ai envoyé le 22 janvier un télégramme, disant que N. refuse définitivement de déménager à K. et par conséquent il n'est pas besoin de faire des démarches pour cela.

Je ne peux pas venir, puisque pendant deux dimanches - les 16 (29) janvier et 23 janvier (5 février) je suis seul. Apparemment, mon voyage est remis à la semaine de Thomas ou à la suivante. Je pense que, à l'exception d'un cercle restreint de proches, tous seront contents que je ne sois pas à Kozelsk. Ce doit être ainsi. Les moniales sont trop malignes et en savent beaucoup; quant aux autres, cela leur est égal, pourvu qu'ils aient quelqu'un de jeune et doté d'une forte voix. Et puis ils n'ont nul besoin de quelqu'un d'autre. O.S. avec le Père M. feront très bien l'affaire. Aide-les.

Il vaut mieux que le Père S. ne prenne personne, il sera plus tranquille. Mon conseil est de ne prendre personne. Transmets-lui de ma part ma grande gratitude, mes cordiales salutations et mon souhait qu'il se débrouille seul. En tout cas, qu'il ne se hâte pas de prendre quelqu'un, qu'il commence par voir s'il peut rester seul une année. Et puisqu'il est resté une année seul, pourquoi ne resterait-il pas une année de plus? Si le chef à Kalouga a des personnes en trop, qu'il en envoie à Smolensk, il y a chez nous dix-huit places libres; moi aussi, j'ai peur de rester seul, on en parle déjà depuis longtemps.

S. s'est bien plu ici et elle ne serait pas contre une installation définitive.

Pourquoi O. n'écrit-elle rien? Gronde-la pour cela. Comment va-t-elle? Et P.M.? V. a dit qu'elle (P.M.) était gravement malade.

Ecris-moi comment est votre vie là-bas, comment va ta santé.

N(ikon). 1er février 1950.



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N.!

Amitiés à tous et bénédiction de Dieu.

Prends soin de toi, que le Seigneur te bénisse et t'éclaire. Ne rudoie pas la personne qui t'a permis de parler et de reprocher au Père S. de ne pas vouloir, à ce qu'on dit, prendre N.? Sois bien poli avec le Père S, ne te comporte pas familièrement, obéis, ne discute pas; tu peux exprimer ton opinion, mais n'insiste pas trop. Demande au Seigneur la sagesse et la retenue. Ne recours pas trop à ton intelligence, pour ne pas, par elle, te couvrir de honte. Les apôtres et les saints ont toujours renoncé à ce qu'ils avaient en propre pour acquérir Dieu. " Nous avons l'intelligence du Christ", disait l'apôtre Paul et il invitait à l'imiter. Toi, tu aimes faire montre de ton esprit. Humilie-toi devant tous. Dieu s'oppose aux orgueilleux, et les gens d'autant plus.

Un exemple : " Dosithée me plaît", pourquoi? Parce que, fût-ce un petit peu, on sent en lui l'humilité, et cela agit sur les gens. Tandis que la dureté, la brutalité, les cris, l'insistance sont des signes non d'humilité, mais d'un orgueil manifeste. Je dis bien : manifeste, car il existe un orgueil caché, que l'on ne détecte pas tout de suite en soi. Efforce-toi de passer inaperçue partout, désole-toi de tes défauts, manifestes et cachés. La contrition du coeur compense les transgressions des commandements, dont la mise en pratique elle-même ne suffit pas pour plaire à Dieu si elle ne s'accompagne pas de contrition. On peut, par orgueil, accomplir presque tous les commandements et être un ennemi de Dieu.

Pardonne-moi. Travaille à ton salut. Les jours sont mauvais et nous ne savons pas ce que demain nous réserve.

Amitiés à O. et aux nôtres.

Sois prudent en achetant des planches et du bois de chauffage. Si c'est possible, fais des réserves de bois par la voie légale. Commande-les pour l'établissement et, si c'est insuffisant, pour les habitants, mais n'achète pas de bois suspect. On va tenter d ete perdre, aussi sois prudente. Commande-le au service d ela ville, et le reste, achète-le aux kolkhoziens. On profitera de chacun de tes faux pas...

N(ikon)



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Que la paix et le salut de notre Seigneur Jésus-Christ soient avec toi, chère N.!

Il est temps que tu saches que l'ennemi ne laisse pas tranquilles ceux qui désirent le salut et, en conséquence, le combat contre lui dure jusqu'à la mort. Or, le combattre est impossible avec ses seules forces. C'est pour détruire l'oeuvre du diable que le Seigneur est descendu sur terre. C'est Lui qui lutte contre le diable et le péché avec ceux qui implorent Son secours. L'homme doit lui aussi résister au péché et au diable de toutes ses forces, en utilisant comme armes les moyens prescrits par le Seigneur, les apôtres et les saints Pères. Pour un orthodoxe, ces armes sont : le jeûne, la prière, la sobriété spirituelle, l'humilité. Sans l'humilité, aucun moyen n'est efficace, et le Seigneur ne vient pas en aide à l'orgueilleux qui ne compte que sur lui-même, et celui-ci, inexorablement, tombe dans les rêts du diable.

Celui qui veut combattre l'ennemi, se libérer des passions, et ne lutte pas contre lui avec l'arme donnée, celui-là, évidemment, ne remportera pas la victoire. Plus l'homme est humble et pacifique, plus vite il se débarrassera de l'adversaire. A cela il convient d'ajouter que la rancune anéantit le pouvoir de la prière, car le Seigneur ne reçoit pas la prière de celui qui est en conflit avec son prochain, qui a de la rancune envers lui - celui-là, le Seigneur l'envoie faire la paix avec le prochain. Or, si sa prière est refusée par Dieu, l'homme reste seul et, par conséquent, l'ennemi prend le dessus. En outre, même celui qui mène le bon combat ne triomphe pas tout de suite de l'ennemi.

Mène le bon combat, efforce-toi d'être en paix avec tous, accoutume-toi à la sobriété spirituelle et à la prière incessante. Humilie-toi devant Dieu et les hommes - alors tu abattras des géants l'un après l'autre et tu t'affranchiras de la servitude du péché.

Pas un seul confesseur n'aura une opinion plus mauvaise du pénitent qui se repent sincèrement et profondément de ses péchés, si graves soient-ils. Une ruse de l'ennemi consiste à pousser le pénitent à cacher ses péchés, pour lesquels il ne reçoit donc pas l'absolution. Au contraire, si le confesseur est véritablement croyant, il aura une meilleure opinion de ce pénitent. C'est une des particularités mystérieuses de la confession.

Concernant ta tante et les autres, rappelle-toi la règle : portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ.

J'ai écrit à M.N. et je l'ai remerciée.

Supporte tous les reproches, les injures, la calomnie - justes et injustes - car tout cela est profitable, cela lave l'âme des péchés, favorise la croissance de l'humilité, à condition de ne pas protester. Dis à la suite du larron en croix : " Nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes, souviens-toi de moi, Seigneur dans Ton Royaume."

On ne va pas arrêter les moniales, hormis celles qui ont la langue trop bien pendue. Qu'elles tiennent leur langue derrière leurs dents si elles ne veulent pas se retrouver derrière les barreaux.

Transmets à M. et N. mes salutations et la bénédiction de Dieu. Je pense à elles et je leur souhaite la miséricorde et le salut de la part du Seigneur.

Que Dieu te pardonne pour tout. Surveille-toi. Les jours sont mauvais, et la mort n'est pas loin. Efforce-toi de te rappeler chaque jour que tu te présenteras bientôt devant le Seigneur. Que Lui répondras-tu?

Arrache-toi au monde et à son agitation, pardonne à tous, sois en paix avec tous, reste le plus longtemps possible chez toi et ne sois pas inactive, occupe-toi à la prière, à la récitation des psaumes; lis un peu, fais ce qu'il y a à faire en disant la Prière de Jésus et en gardant la mémoire de Dieu. Repens-toi, désole-toi devant Dieu de tes innombrables péchés, et le Seigneur te pardonnera tout et te recevra dans la vie et la félicité éternelles. Pardonne-moi.

N(ikon). 1950.



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La paix soit avec toi, ma soeur!

Je me suis inquiété à cause de ta lettre. Qu'est-ce que cet état maladif, pourquoi n'oses-tu pas en parler, même aux médecins? Un cancer? Une tuberculose? Tu ne peux pas le déterminer toi-même, et si tu restes seule pour vivre cela, tu vas t'affliger encore plus. Va plutôt voir un bon médecin ici, à Belevo, quand tu viendras, et ne te tracasse pas.

Pense plus souvent à la vie future, à la nécessité de se présenter au Jugement de Dieu. Avec quoi nous présenterons-nous?

J'ai l'idée de t'installer dans la loge avec pour tâche de préparer les prosphores. Chasse la maladie. Prends soin de toi. Que le Seigneur te bénisse. Bénédiction à N., K., M. N., A.I., et à tous, tous.

A chaque office divin, je commémore M.N. et ses proches défunts. J'attends sa visite ici. Remercie-la pour son amour à mon égard, que je ne mérite pas.

N(ikon). 1950.



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Chère N.!

J'ai reçu ta lettre. Tu ne m'annonces rien de nouveau, hormis le fait que tu ne te sens pas bien. Je l'avais clairement prévu et je t'avais dit qu'ils allaient surveiller chacun de tes pas et tout interpréter à leur façon. Il fallait s'y attendre. Voilà, c'est fait. Je compatis grandement. Mais tu savais toi-même qu'il en serait ainsi. Patiente. Si ta santé te le permet, n'abandonne pas ton travail, et demande au Seigneur des forces, et fais des efforts (...). Cette mauvaise période va passer, et après, les choses iront mieux. Il faudrait que le maître comprenne, et éloigne ceux dont tu parles. Avec calme et humilité, démontre de temps en temps au maître combien la situation actuelle est inconfortable. Ne t'étonne de rien. La vie est plus complexe que nous le croyons; toi, vis simplement, sans ruse, en gardant les préceptes du Seigneur - alors toute la complexité, la difficulté, le côté "rétif" de la vie se changeront en un chemin clair et lisse. Au contraire, si tu ruses, si tu te plains, la complexité risque de t'engloutir.

Amitiés à Z. et à tous les résidents d'Optina.

N(ikon). 20 mars 1950.



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Chère N.!

J'ai reçu ta lettre et je m'étonne que vous, là-bas, vous n'ajoutiez aucune foi à mes paroles.

Je vous prie, toi et les nôtres, de m'accorder une plus grande confiance et de penser plus souvent à la mort, à la vie future - et de considérer les questions de la vie quotidienne à la lumière de ces considérations, c'est-à-dire du point de vue de l'éternité, de la vie éternelle. Bien des choses alors apparaîtront sous un autre jour. Beaucoup de ce que nous estimons important perdra son poids, et inversement ce que nous négligeons et laissons de côté apparaîtra comme essentiel. Il faut que chacun reconnaisse ses péchés, les pleure, s'efforce de s'affranchir d'eux, et ne se noie pas dans les chamailleries, les calculs et les mirages.

De toute mon âme je souhaite que le Seigneur vous donne à tous l'intelligence à ce sujet.

Amitiés à tous, et la bénédiction de Dieu. Comment se portent mère V. et tous nos "monstres" ( c'est dit gentiment, et non comme une injure)? Quand seront-ils raisonnables? J'ai compassion de Mère V. Ce serait bien qu'elle vienne se reposer un peu chez moi. Mais peut-être le Seigneur ne la laisse-t-il pas venir ici pour qu'elle soit en paix. Pardonnez-moi pour tout.

Pourquoi les nôtres n'écrivent-ils pas? Montre-leur cette lettre.

N(ikon). 18 avril 1950



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La paix soit avec toi, N.!

J'ai bien reçu ta lettre, mais je ne l'ai lue qu'hier, 12 octobre, puisque je ne suis revenu qu'hier de Volotchok. On m'avait demandé de venir par un télégramme : E.E., que Mère connaît, venait de mourir. Je lui avais promis, quand elle était encore en vie, de célébrer ses obsèques, et j'ai tenu ma promesse. Elle a fait beaucoup de bonnes choses pour moi. Je vous demande à tous de prier pour elle. Le 23 octobre sera le vingtième jour après sa mort, et le 12 novembre, le quarantième. Les dates sont données d'après le nouveau calendrier.

Fais ton travail selon tes forces, pour l'amour de Dieu et non par intérêt : moralement et physiquement tu t'en trouveras mieux. Ceux qui ont des maladies du coeur peuvent aussi bien mourir très vite que vivre encore quarante ans; à la mort tous doivent être prêts à toute heure. Un homme en parfaite santé ne peut pas dire avec certitude qu'il vivra jusqu'au soir. Rappelle-toi tous tes péchés et repens-toi. Sois humble, souviens-toi des paroles : Dieu s'oppose aux orgueilleux, tandis qu'Il donne aux humbles la grâce du pardon des péchés et du salut d el'âme. Accueille les maladies et les peines comme le bon larron : je reçois ce que je mérite pour mes actes.

Etant de passage à Moscou, je suis allé où sont les livres. Ils ont été très méfiants à mon égard et ils ne m'ont pas montré les livres, disant qu'ils ne les avaient pas. Ils m'ont donné cinq petits livres de vies de saints, et c'est tout. A cause d'eux, j'ai perdu près de deux jours.

Prends soin de toi. Nous demandons à tous : ne nous oubliez pas dans vos prières.

N(ikon). 13 octobre 1950.



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Bonne femme N.!

Qu'as-tu inventé? Il est écrit 5+5 et non 515. Tête de mule, qui paye pour un travail qui n'est pas fait?

Si tu te sens bien, tu peux attendre pour continuer, bien que ce qui est fait oblige peu. Vois toi-même.

Chez nous, tout est comme avant. D'où as-tu pris que nous aurons, ou avons déjà un nouveau chef? Grâce à Dieu, tout est comme avant, nous ne voulons pas que ça change. Sois en paix avec tous, ne t'emporte avec personne. Quel profit a l'homme de gagner le monde entier s'il nuit à son âme?

Amitiés à tous. Amitiés à M.N. Que le Seigneur vous bénisse tous.

N(ikon). 30 octobre 1950.



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La paix soit avec toi, N.!

J'ai écrit ces mots et me suis arrêté. Comment écrire la suite? Comment t'appeler "mère"? Il faudrait t'appeler ainsi, mais la disposition de ton âme, ta conduite, toute ta vie te donnent-elles le droit de porter le nom de mère?

Tu as tout à fait raison quand tu écris que S. n'avait rien à apprendre de toi. Tous, nous ne vivons pas comme il faudrait. Il faut au moins, sincèrement, du fond du coeur, reconnaître cela, ne pas s'estimer bon et le prouver non par des mots, mais par des actes. Car en fait, nous faisons comme si nous reconnaissions notre nullité, notre indignité, notre péché... mais à peine quelque chose nous vexe, quelque chose ne se fait pas comme nous le voulons, aussitôt nous nous comportons non comme des "serviteurs inutiles" qui supportent tout, qui savent qu'ils méritent toutes sortes de châtiment, mais comme des maîtres à qui tous doivent se soumettre, et à la volonté desquels tous doivent se plier. Si les choses ne se font pas comme nous le voulons, nous nous fâchons, nous vitupérons, nous condamnons, en un mot nous montrons concrètement qu'en fait, il n'y a pas en nous la conscience de notre misère, il n'y a pas de contrition à propos de notre mauvaise disposition intérieure. En paroles, nous sommes pécheurs, de mauvais serviteurs, mais dans les faits nous sommes des seigneurs qui exigeons que tout soit fait selon notre bon vouloir, sinon nous nous plaignons de tout, et même du destin, camouflant sous ce mot un grief à l'égard du Seigneur.

Il n'y a rien en nous de monastique. Nous négligeons jusqu'à ces petits efforts que même les laïcs sont obligés de faire, prenant pour excuse tantôt la mauvaise santé, tantôt les choses à faire, tantôt les circonstances extérieures. Il faut toujours se rappeler les paroles du Seigneur. " Quel profit a l'homme s'il gagne le monde entier et s'il nuit à son âme?" Et nous, non seulement nous nuisons à notre âme, mais nous pouvons causer sa perte en refusant de renoncer au vieil homme en nous.

Efforce-toi, quand les circonstances se présentent, d'étouffer un peu en toi tes inclinations au péché; n'abandonne sous aucun prétexte la prière; plais d'abord à Dieu, et ensuite à toi-même et aux hommes. Où est notre foi? Où est notre amour du prochain? Voici, tu m'as envoyé beaucoup de cadeaux, mais la personne qui est dans le malheur, pour qui il faudrait prier en pleurant, qu'il faudrait supporter, fût-ce au prix d'une peine à endurer - cette personne, nous ne pouvons la porter. Je veux parler de D.M.

J'ai espoir en la miséricorde de Dieu, que le Seigneur ne l'abandonnera pas et ne la laissera pas faire quelque chose de néfaste pour elle et pour les autres. Nous marchons tous sous le regard de Dieu. Supporte-la, toi aussi, pour l'amour de Dieu et pour l'amour du prochain. Si elle te tuait, cela te compterait comme un martyre, mais tu n'as pas encore grandi jusque là, c'est pourquoi elle ne te fera rien de mal. Elle s'apprête à partir à la campagne; j'ai dit à P. qu'on ne la retienne pas. Si elle ne part pas et ne se comporte pas mieux, il faudra, même de force, l'interner dans un hôpital psychiatrique. Interroge à ce sujet P.; je lui ai dit comment nous pensions faire.

Cependant, si tu ne parviens pas à surmonter ta peur, va dormir chez les nôtres pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'elle soit installée quelque part. Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. Fais cela non pas pour moi, mais pour le commandement de Dieu.

Je te remercie pour tes cadeaux, derrière lesquels se cache ton amour pour moi. S'il y a l'amour dans le coeur, il se répand sur tout notre entourage et s'exprime dans la compassion pour tous, l'aptitude à supporter leurs défauts et leurs péchés, à ne pas les juger, dans la prière en leur faveur et, s'il le faut, dans un soutien matériel. S'il n'y a rien de tout cela, cet amour pour moi ne provient ni du coeur ni de la foi. Pardonne-moi.

Sois plus douce avec les gens. Ne crie jamais après personne.

Ne peut-on vraiment pas se procurer de la farine plus près? Va voir V.V. et parle avec elle. Comment et où s'en procurent-ils? Peut-être te donnera-t-elle un conseil, t'aidera-t-elle. Et puis vous, ne dépensez pas trop de bonne farine. Ce qui est destiné aux offices (les prosphores), faites-le avec la meilleure, pour le reste, on peut se contenter d'une farine faite "maison" : il faut acheter du grain et le moudre. Vous n'en manquerez plus. Réfléchissez à comment faire sans vous obliger à de longs et pénibles voyages.

Si tu vois V.V. et L., remercie-les pour leurs voeux et pour leur gentillesse à mon égard. Que le Seigneur les sauve. Remercie tous ceux qui m'ont félicité et envoyé des prosphores. Merci au Père S., au Père Mélèce et à tous. Amitiés à M., je compatis à sa situation. Je voudrais beaucoup que vous l'installiez définitivement comme comptable auprès de l'église et lui donniez un morceau de pain.

Que la bénédiction de Dieu soit sur toi et sur tous les amis. Merci à toi de bien te comporter avec P.O.; la famille P. est très contente de toi et te remercie. Efforce-toi de vivre en sorte que les gens, en te quittant, soient consolés et remercient Dieu de t'avoir rencontrée. Que le Seigneur t'aide en toutes choses. La paix soit avec toi.

N(ikon) 4 décembre 1950

PS. Je t'envoie en cadeau une hachette à la place d'un glaive, pour te défendre contre les peurs et les attaques des démons.



*

La paix soit à ton âme, N.!

J'ai reçu ta lettre aujourd'hui. Ne t'inquiète pas trop de ton sommeil. Le Seigneur ne prévient pas comme ça de la mort. Pour tous, il existe un avertissement commun : " Soyez prêts à toute heure". On ne peut, même au cours d'une seule journée, jurer qu'on vivra jusqu'à la fin de celle-ci. Des avertissements spéciaux ne sont donnés qu'aux grands saints ( parfois aux grands criminels).

Repens-toi de tout, demande pardon au Seigneur pour tout. Si tu en as la possibilité, viens passer quelques jours ici.

Prends soin de toi, ne te décourage pas, ne t'agite pas à l'excès, pense plus souvent au passage dans l'éternité qui nous attend tous.

Amitiés et bénédiction de Dieu à toi, aux nôtres et à tous.

N(ikon) 1951



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La paix soit avec toi, N.!

Qu'as-tu à t'agiter pour rien, surtout en ces jours-ci? Fais calmement ce que tu peux et ce que tu dois faire humainement parlant, et tout le reste, confie-le à la volonté de Dieu. Il est dit que si l'on veut te faire un procès pour te prendre ta chemise, donne aussi ta veste.Mais je pense qu'ils ne pourront pas la prendre; c'est l'ennemi qui voulait nous perturber, et toi, et nous tous, en ces jours saints. Il te fallait supporter, et ne pas nous inquiéter, et ne pas nous envoyer S. Tu connais toutes les conditions de notre vie, ou plutôt tu ne les connais pas toutes, et tu l'as envoyée sans prendre conseil. Elle-même est tombée malade et elle a affolé O. qui est plus morte que vive. Ajoute à cela le très mauvais temps. C'est que la chambre a été préparée pour O., pour calmer ses nerfs, et toutes les bonnes femmes l'envient, et elles la perturbent, ainsi que moi-même, constamment, sinon en paroles, du moins en pensée. Crois-tu que je ne le vois pas?

Concernant la maison, je t'ai dit depuis le début et je répète: je n'en ai pas besoin. Pour le bien de ton âme j'estimais que la partie qui t'appartient, tu devais la mettre à la disposition des nécessiteux, et non des proches. Si tu aspires au salut, le Seigneur, par mon intermédiaire ou celui de quelqu'un d'autre, assurera tes conditions de vie sans même aucun transfert d ela maison, car il est dit : " Cherchez avant tout le Royaume de Dieu et le reste vous sera donné par surcroît", mais si tu ne penses qu'aux choses matérielles, aucun trésor ni personne ne pourra t'aider.

Pense plus souvent à la mort et vis comme si tu devais mourir dans une semaine, alors tu t'engageras dans la bonne voie et pour la nourriture et pour la prière et pour les relations avec les autres. Fais la paix avec les nôtres et avec tous. C'est par orgueil que tu n'es pas en paix, sache-le. Personne ne t'a chargée de juger les autres; juge-toi toi-même, comme le prescrit l'Evangile, tu verras alors comment juger les autres. Pardonne-moi.

Mes amitiés et ma bénédiction à M.N.Sois plus docile, désole-toi de tout ton coeur de tes péchés et prouve que tu le fais par tes actes. Nous avons besoin de la miséricorde de Dieu, nous devons nous aussi montrer aux autres de la miséricorde et pardonner tout à tous. Avec la mesure dont tu mesures, tu sera mesurée. Lis attentivement l'Evangile.

Ne t'inquiète pas de ton rêve. Que Dieu te pardonne.

N(ikon) 1951



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Chère N.!

J'ai reçu ta lettre. Merci à toi pourtout ce que tu as fait pour moi. J'ai été très heureux de lire que tu t'es bien reposée ici. Que le Seigneur t'aide à accomplir tes obligations selon Dieu, sans t'emporter et sans blesser personne. Aucun péché n'est plus grave que celui qui consiste à blesser quelqu'un, même si c'est presque inconsciemment - il faut le racheter par de grands efforts.

Nous n'avons appris que par ta lettre que D.M. a quitté Moscou. Je regrette qu'elle n'ait pas été à l'hôpital. Mais peut-être est-ce mieux ainsi, Dieu seul le sait. L'Etourneau écrit que D.M. s'apprête à s'installer à Belev. Qu'elle fasse comme elle veut. Il ne faut pas la dissuader. Le Seigneur est assez puissant pour assurer sa sécurité partout.

L, je comprends que ta situation vis-à-vis de toi-même et de D.M. est difficile. Elle va peut-être s'en aller à Belev ou à Optina. Pour l'instant, héberge-la, ne serait-ce que dans la cuisine de P. Tu auras comme ça auprès de toi une personne vivante et après, pour les vacances de Pâques, quelqu'un viendra peut-être, puis, l'été, il y aura les enfants. On ne sait pas encore ce qui va se passer. Patiente, ma chère, qu'y faire? Je n'ai pas d'idée. Si toi, tu as des propositions, écris, ou bien fais comme tu crois le mieux. Venir ici, pour O., c'est à mon avis la condamner à une fin rapide. Je suis sûr qu'elle fondrait à vue d'oeil.

J'ai reçu une lettre et de l'argent de M., et aussi de P. Comment va-t-elle là-bas? Elle gazouille partout? Sans doute regrette-t-elle de s'être imposée. Je regrette de ne pas l'avoir aidée à fendre du bois, mais elle ne me l'a pas demandé. Si l'on n'est pas obsédé par la propreté, comme O., il n'est pas difficile, me semble-t-il, de s'occuper chez nous du ménage, si l'on ne fait pas la lessive.

Mes amitiés et la bénédiction de Dieu à tous, particulièrement aux nôtres.

Que le Seigneur t'aide, te bénisse et te préserve du mal. Ne te surmène pas. Cela agit très fort sur le coeur. Je le dis en connaissance de cause. Moi aussi, j'ai le coeur très affaibli. Parfois, pour un simple mouvement brusque, je suis tout en sueur, je me sens mal : il faut que je m'étende et me rafraîchisse le dos ( je ressens une forte fièvre dans les omoplates et la partie supérieure du dos) - et alors, ça passe.

Pardonne-moi, priez pour moi.

N(ikon). 2 février 1951.

Salutations au Père S.



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Chère N.!

J'ai reçu tes lettres. Pardonne-moi de t'avoir fait de la peine avec ma lettre. Je t'envoie un certificat. Ils ne pourront pas te fabriquer des bottes : ils n'ont pas de cuir de qualité. Ils ne peuvent pas, pour le moment, rendre l'argent, mais si tu en as besoin, je t'en enverrai, il y a ici 400 roubles qui sont à toi.

S. vient d'avoir son permis de séjour (1) ici.

(1) : (Il faut un permis de séjour (être enregistré) pour pouvoir vivre dans telle ou telle ville de Russie. (NdT).).

Qu'elle reste. Son voyage à Kozelsk lui a fait le plus grand bien. Elle va beaucoup mieux, elle a grandi en intelligence. Ne t'inquiète plus d'elle. C'est probablement ce qu'il fallait.

Sois plus humble au travail. Fais tout pour l'amour de Dieu, et tu seras tranquille. Apprenez de moi, car je suis doux et humble de coeur et vous trouverez le repos pour vos âmes. Tel est le moyen indiqué par le Sauveur, le Seigneur Dieu Lui-même, pour trouver la paix. Et toi, où cherches-tu la tranquillité? Ce ne sont pas les gens qui sont responsables du manque de tranquillité, c'est notre disposition, notre faiblesse. C'est nous-mêmes qu'il faut incriminer. Mais si nous nous rebellons, si nous agissons mal, alors faisons-nous des reproches, repentons-nous, et le Seigneur pacifiera notre âme.

Tu sais déjà que les garçons ont été relâchés. J'en suis très heureux.

Sois prudente dans les achats. N'achète rien de suspect, pour ne pas être accusée d'acheter des produits volés. N'oublie pas : les ennemis ne dorment pas.

Je t'envoie 15 mètres de cordes, pour attacher les pieds et les mains afin d'empêcher de faire le mal.

Que le Seigneur t'éclaire et te garde de tout mal; qu'Il te bénisse et t'inspire à faire le bien.

N(ikon). 1951.



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Tu écris : " Il me semble que vous ne croyez rien." C'est toi qui ne crois pas; en revanche, tu crois trop en toi-même. Tout pécheur est un aveugle. Toi aussi, tu es aveugle. Plus encore : quand on te parle de ta maladie, tu n'accordes aucune attention aux mots. Tu es aveugle, et quand on te montre la route, tu ne crois pas et tu préfères aller comme il te plaît.

Quelle sera la fin? Il est clair qu'il n'y a pas de réponse. Mais la fin arrivera, et non seulement elle arrivera, mais c'est déjà le début de la fin. Tu es déjà tombée dans la fosse et tu y es. Et cela ne t'empêche pas de ne rien faire pour en sortir et ne plus y tomber. Tu es vaniteuse et orgueilleuse. De là tout ce qui s'ensuit. De là cette manie de juger tout le monde, d'accuser tout le monde tout en se justifiant, de là toutes les maladies et tous les péchés. Le Seigneur te prévient par des maladies et des ennuis, afin que tu te retournes sur toi et que tu t'humilies. Mais toi, tu continues à rudoyer les gens. Réveille-toi!

Que faut-il faire? Voici :

Fais sincèrement la paix avec tous, et pas seulement en paroles.

Incrimine-toi toujours dans tous les conflits, même si tu n'y es pour rien; dis-toi : " Je reçois aujourd'hui ce que je mérite pour mes anciens manquements."

Cesse de t'occuper excessivement du corps et observe les jeûnes, pas seulement en qualité mais aussi en quantité de nourriture. Il te faut maigrir et non grossir.

Obligatoirement : matin et soir, fais tes prières et cent Prières de Jésus.

Chaque jour, pendant au moins une demi-heure, imagine qu'aujourd'hui ou, à la limite, demain, tu mourras, et ce qui t'attend. Lis ce que tu trouveras sur la mort.

Le principal, c'est l'humilité. Ne hausse la voix contre personne. Souviens-toi de la parole imprescriptible du Seigneur : Dieu s'oppose aux orgueilleux. Cela signifie que tu ne réussiras en rien, ni dans la vie intérieure, ni dans la vie extérieure. Dans la vie intérieure, tu expérimentes déjà la paresse, le froid, la stérilité. Il en sera de même dans la vie extérieure. Tu vas subir la honte, la calomnie, la misère, les maladies. Aucun de tes désirs, aucune de tes attentes ne seront satisfaits, on te traînera dans la boue jusqu'à ce que tu t'humilies. Remercie Dieu de te supporter si longtemps, car Il désire ta conversion afin de te faire miséricorde après la mort.

J'ai oublié quelques autres conditions :

Cesse de juger les autres. Si tu vois que quelqu'un agit mal, ne le juge pas, plains-le et mentalement prie pour lui, prie que le Seigneur lui pardonne.

Cesse de parler pour ne rien dire, laisse tomber les rires, les blagues, etc...

Le soir, de tout ton coeur, demande pardon pour les manquements aux commandements perpétrés dans la journée, en actes, en paroles et en pensées.

Efforce-toi d'acquérir la contrition du coeur, et ne laisse pas ton coeur se refroidir.

Tu juges encore le Père S. " Il va de nouveau m'imposer un interdit, et que me veut-il donc?" Il veut la même chose que moi, que tous ceux qui te veulent du bien : humilie-toi, cesse d'avoir une haute opinion de toi, ne commande pas mais demande, obéis, couvre ses défauts selon le commandement de porter les fardeaux les uns des autres.

Si tu ne m'écoutes pas, si tu restes la même ou si tu ne t'humilies que superficiellement, hypocritement, tu verras toi-même ce qui adviendra. Il y a des lois spirituelles immuables selon lesquelles tu seras exposée à tout ce que j'ai écrit plus haut, si tu ne te repens pas de ton précédent orgueil et ne t'humilies pas sincèrement, en prouvant cela par des actes.

Je serai pur devant Dieu. Quand je vivais encore là-bas, je te montrais toujours ta vanité, et maintenant elle s'est muée en orgueil et elle donne des fruits - tu vois toi-même lesquels.

Si tu vas te confesser, n'accuse personne et ne te plains pas, parce que ce serait à nouveau de l'autojustification, et ta confession serait vaine. On ne trompe pas Dieu. Ne trompe ni le confesseur ni toi-même.

Ne commence pas à dire que je te pousse au désespoir. C'est votre habitude à presque toutes. Au lieu d'accepter l'accusation, vous commencez par accuser encore une fois l'autre et par là même vous vous privez de tout le bénéfice.

Sache bien que tout le monde te juge pour ton arrogance et ton orgueil, tous, hormis les flatteurs. Mais ça, tu ne veux pas le voir.

Je vais attendre de savoir comment tu vas réagir à cette lettre. Il ne faut pas venir. Cela ne résoudra rien.

De toute mon âme je souhaite que le Seigneur t'aide à te voir toi-même et à présenter un repentir accompagné de bons fruits.

Prends garde aux livres, mets-les sous clé, de peur qu'on ne les prenne.

On est arrivé ici sans encombres; les bagages ne sont pas encore arrivés. Ne te vexe pas si j'ai écrit durement. J'estime que c'est mon devoir de le faire. Que le Seigneur t'éclaire et te vienne en aide.

27 janvier. Il y a longtemps que j'ai écrit cette lettre, mais je ne l'envoie qu'aujourd'hui. Amitiés et bénédiction à tous.

N(ikon). 21 janvier 1952.



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Chère N.!

V. m'a écrit que tu as pleuré pendant trois jours après ma lettre. Je suis content que tu aies pleuré si tes pleurs étaient selon Dieu et non à cause d'une blessure d'amour-propre. De toute mon âme je te souhaite de "voir tes fautes" et de pleurer à cause d'elles, non pas trois jours, mais toute ta vie jusqu'à la mort, pour n'avoir pas à pleurer éternellement après le trépas.

Notre âge et l'état de notre santé nous invitent à attendre une fin prochaine, l'heure où nous serons présentés devant le juste Juge qui connaît le secret des coeurs. Quelle sentence sera prononcée sur nous? Par quoi nous justifierons-nous devant Lui? Il n'y a qu'un seul moyen : tant que nous sommes en vie, reconnaître notre indignité devant Dieu et les hommes, prendre sincèrement conscience que nous ne valons rien et que nous avons une dette insolvable envers Dieu, et donc que nous n'avons pas le droit de demander quoi que ce soit aux hommes, le reconnaître et pleurer, et implorer dès ici-bas la miséricorde, la remise de notre dette. Pleurer d'avoir gâché nos forces spirituelles et corporelles, d'offenser sans cesse l'amour de Dieu, et supplier qu'après notre mort le Seigneur ne se souvienne pas de nos péchés, de nos injustices, et qu'Il nous reçoive dans Ses demeures, comme Il a reçu le fils prodigue. Voilà en quoi doit consister toute notre préoccupation.

Chaque jour avant de se coucher, il faut revoir la journée et s edésoler de tous les manquements aux commandements qui ont été commis pendant la journée. Evoquer toute sa vie passée, se repentir de tout, et persister dans le repentir tant qu'on n'a pas senti véritablement que le Seigneur nous a pardonné les anciens péchés. Il faut, ce faisant, demander de tout son coeur au Seigneur qu'Il nous aide à ne plus pécher et à ne plus l'offenser par de nouvelles transgressions. Il faut craindre d'offenser le prochain, car il est plus facile de faire la paix avec Dieu qu'avec son prochain. Humilie-toi devant tous, tâche de servir tout le monde, selon tes forces, ne fais de reproches à personne, ne juge pas, ne condamne pas. Sois en paix avec tous, pardonne à tous, sinon tu ne recevras pas le pardon de Dieu - c'est une condition donnée par le Seigneur Lui-même : Si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs péchés, votre Père qui est dans les cieux ne vous pardonnera pas vos péchés (Mt 6, 14-15).

En ces jours du saint Carême, mets de l'ordre en toi, fais la paix avec les gens et avec Dieu. Désole-toi et pleure ton indignité et ta perdition - alors tu recevras le pardon et acquerras l'espérance du salut. Un coeur broyé et humilié, Dieu ne le méprise pas, et sans cela, aucun sacrifice, aucune aumône ne t'aideront. Si Tu avais voulu un sacrifice, je Te l'aurais offert, mais tu ne prends aucun plaisir aux holocaustes. Le sacrifice qui convient à Dieu, c'est un esprit brisé. " Celui qui pleure ses péchés est supérieur à celui qui ressuscite les morts", dit saint Isaac le Syrien.

Avec zèle demande au Seigneur de t'accorder le plus grand, le plus nécessaire de tous les dons : voir ses péchés et les pleurer. Celui qui possède ce don possède tout.

J'ai reçu ton paquet. Le capuchon est parfait, juste à la taille. Merci pour toutà S.; pour le poivre et les champignons, merci à celui qui les a envoyés. Qu'il ne s'inquiète pas des pommiers. Qu'il ne plante pas le prunier pris chez les nôtres, derrière le potager : il est stérile.

Que le Seigneur t'éclaire et te bénisse! Amitiés et bénédiction de Dieu pour tous. J'aimerais me trouverlà-bas au printemps, mais je ne sais pas...

N(ikon). 28 novembre 1952.



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Chère N.! Que la paix et le salut soient avec toi!

Chez saint Jean Climaque, au chapitre 44, il est écrit : " Si quelqu'un rejette loin de lui une accusation juste ou injuste, il rejette son salut, et celui qui l'accepte avec douleur ou sans douleur, celui-là recevra bientôt le pardon de ses péchés." Je vois que ma lettre t'a fâchée. Six mois ont passé avant que tu ne réagisses. T'es-tu estimée offensée de façon injuste? ou accusée justement, mais sans pouvoir te retenir?

Ecris pour me dire comment tu te sens et moralement et physiquement. As-tu fais la paix avec le Père S; et les autres? Je te préviens encore une fois : l'orgueil est la propriété majeure du diable. A cause de son orgueil, il est passé de l'éta d'Ange supérieur à celui de Satan. A travers l'orgueil, les gens acquièrent la ressemblance avec le diable. C'est pourquoi il est dit que Dieu s'oppose aux orgueilleux. Le Seigneur Lui-même ordonne d'apprendre de nul autre que de Lui l'humilité et la douceur. Et la Mère de Dieu a témoigné qu'elle avait reçu la grâce immense d'être choisie entre toutes les générations pour son humilité.

Je me propose de venir cet automne à Kozelsk. Nous aurons l'occasion de parler. Si nous sommes incapables de ne pas transgresser les commandements de Dieu, il faut se repentir sincèrement de ces transgressions, et par là même acquérir un coeur brisé - pour commencer - puis, à force de contrition, un coeur humble.

Que le Seigneur te donne l'intelligence du bien. Le Royaume de Dieu se gagne par la force. Il faut se contraindre à faire le bien, car alors le Seigneur enverra Son aide pour notre salut.

Que le Seigneur te bénisse. Salutations, et bénédiction de Dieu pour tous.

N(ikon), 26 juillet 1952.



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Chère N.! La paix soit avec toi!

J'ai reçu aujourd'hui une lettre de P. et de Mère V. Ils écrivent que tu es malade et as de la fièvre. ILs n'écrivent pas quelle est ta température. Elle vient certainement de ta tumeur. J'ignore quel est ton état général, mais si tu as des forces, je te conseillerais d'aller à Kalouga. Il existe maintenant des moyens de lutte contre les tumeurs, mais ceux-ci sont, bien sûr, absents à Kozelsk. Et avant tout, je te conseille fortement de te confesser au Père Mélèce, une confession complète, remontant à l'enfance, et de t'y préparer soigneusement. Essaye de t'y préparer de la façon suivante :

Prie souvent, selon tes forces, ne serait-ce qu'un peu, soit debout, soit assise, soit même couchée.

Prie avec les mots du publicain, ou avec la Prière de Jésus, en te remémorant tous tes péchés depuis ta jeunesse, non seulement en actes, mais aussi en paroles, en pensées et en intentions; si un péché interpelle ta conscience, arrête-toi sur lui et demande pardon jusqu'à ce que tu sentes que le Seigneur t'a pardonnée. Le coeur te le dira. Note ces péchés afin de ne pas les oublier en confession.

Imagine le plus souvent possible que tu es morte et que tu dois traverser les épreuves imposées et rendre compte de chacun des péchés non confessés. D'autres péchés resurgiront : repens-toi de nouveau devant Dieu, implore le pardon afn qu'ils n'apparaissent pas lors des épreuves. Note aussi ceux qui sont plus graves. Fais ce travail pendant une ou deux semaines, puis va te confesser de tout.

Après la confession, reconsidère encore une fois toute ta vie et note ce que tu as oublié la première fois. C'est le meilleur médicament non seulement pour l'âme, mais aussi pour le corps. Ne te justifie en rien, n'accuse que toi-même, sinon tu ne recevras pas le pardon. Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire.

Nous sommes obligés de faire tout ce qu'ordonnent les commandements, en tant que créatures et serviteurs de notre Dieu Créateur, sans attendre de récompense. Le serviteur est obligé de faire ce qu'on lui commande. Quant au pardon des péchés et au don du Royaume de Dieu, c'est l'affaire de la miséricorde divine. La miséricorde est accordée à ceux qui, jusqu'au tréfonds de l'âme, ont ressenti leur culpabilité et qui, comme le publicain, implorent sans cesse le Seigneur : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur." Plus l'homme se purifie par le repentir, mieux il commence à voir son péché et sa corruption. C'est l'indice le plus sûr que son repentir est accepté, que l'homme avance sur la bonne voie. S'il n'y a pas une conscience profonde, issue du coeur, de son indignité, il n'y aura pas de repentir efficace. ce qui voudra dire que l'homme ou bien se justifie, ou bien a une haute opinion de lui-même, ou bien juge les autres, ou bien est en conflit, en inimitié avec quelqu'un - bref, il est trompé par l'ennemi, autrement dit, il se trouve dans une illusion diabolique. Il faut se méfier comme d'un serpent venimeux de l'autojustification et de l'inimitié envers son prochain.

Si vous ne pardonnez pas à votre prochain, votre Père qui est dans les Cieux ne vous pardonnera pas non plus.

Avec quelle mesure vous mesurez, vous serez mesurés aussi.

Pardonne-nous nos offenses comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Et les Saints Pères disent que la prière d'un homme rancunier est comme une graine semée sur la pierre ( saint Isaac le Syrien).

Je crois fermement que si tu pardonnes sincèrement à tous et te repens comme il a été indiqué ci-dessus, non seulement tu recevras le pardon des péchés, mais ta disposition d'esprit sera paisible, claire, bienveillante à l'égard de tous, et dans le même temps, ta maladie s'atténuera et même, pet-être, guérira. redoute particulièrement la rancune. Si ton coeur n'obéit pas, pardonne à tous mentalement, si tu le peux, force-toi à demander à tous leur pardon. Et ouvre ton coeur devant le Seigneur, dis : " Seigneur, tu as ordonné de pardonner à tous et Toi-même Tu as prié pour ceux qui Te crucifiaient; moi aussi je pardonne à tous, mais mon coeur ne m'obéit pas. Seigneur, chasse de mon coeur toute hostilité, toute inimitié, tout jugement. Sois clément envers moi, guéris mon âme malade de ses péchés, ne m'abandonne pas à la perdition, ne me prive pas de Ton Royaume céleste."

Je me suis attardé sur l'inimitié parce qu'elle rend tous les efforts inutiles. Le Seigneur ne reçoit ni les prières ni le repentir ni l'aumône de celui qui a de l'inimitié envers son prochain. Si tu avais voulu des sacrifices, je T'en aurais offert, mais Tu ne prends pas plaisir aux holocaustes. Ce qui est agréable à Dieu, c'est un coeur brisé. Ô Dieu, Tu ne dédaignes pas un coeur brisé et contrit. S'il y a de l'hostilité, de la rancune, de l'autojustification, du jugement d'autrui - il ne peut y avoir ni contrition du coeur ni humilité. La glace et le feu ne peuvent coexister.

Tu sais tout cela fort bien, mais une chose est de savoir, une autre est de mettre en pratique. La connaissance sans l'action conduit, d'après le Sauveur, à une terrible chute, à la perdition, car tout l'édifice était fondé sur le sable.

Donne-toi un peu d emal encore : les jours sont mauvais, nous ne savons pas quand viendra l'heure de notre passage dans l'éternité. Les maladies ont toujours servi de prémonition pour les habitants de la terre; elles disent que nous ne sommes pas éternels ici-bas, qu'il faut renaitre dans un autre monde et rendre des comptes sur ce que nous avons fait en ce monde.

Encore un conseil : remercie le Seigneur pour tout dans cette vie, car le Seigneur envoie le bon et le mauvais, la joie et la douleur pour notre bénéfice, pour notre salut.

Pardonne-moi pour tout, et que le Seigneur te pardonne toutes tes fautes, et moi, je te pardonne et te bénis.

Je commémore ton nom et je prélève une parcelle pour toi à chaque Liturgie. Ecris-moi.

N(ikon). 1954.



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Christ est ressuscité! La paix soit à ton âme, Mère N.!

N. tu portes le nom de M; n'est-il pas temps de penser que la onzième heure approche, ta lampe s'est éteinte, elle n'a plus d'huile, les ténèbres t'entourent. N'est-il pas temps de t'écarter intérieurement de la terre, de te rapprocher de Dieu, de travailler sur le terrain de ton coeur avec les ouvriers de la onzième heure, pour acheter de l'huile et allumer la lampe de la foi vivante?

A l'absence de bonnes oeuvres supplée la contrition du coeur. Il ne suffit pas de dire : je suis pécheur. Judas, lui aussi, le disait et sa fin fut le gouffre de l'enfer. Il faut, avec l'apôtre Pierre, pleurer amèrement sa stérilité, son impuissance à arracher l'ivraie de son terrain, pour ne pas être criblé et jeté au feu.

Humilie-toi au moins devant Dieu, si tu n'arrives pas à le faire devant les hommes. Pleure avec ton coeur plus qu'avec tes yeux, ce qui peut être trompeur. Supplie le Seigneur de te faire grâce et souviens-toi de la loi spirituelle : avec quelle mesure tu mesures, tu sera mesuré; pardonne à tous et tu sera pardonné, sois clémente envers tous, et le Seigneur sera clément envers toi.

Ne te justifie pas si tu veux que le Seigneur te justifie. Que le Seigneur t'éclaire et te bénisse en vue du bien et de ton salut.

Hiér(omoine) N(ikon). 1954.



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Très honorable Mère N.!

Que la paix et le salut de notre Seigneur jésus-Christ soient avec toi!

On m'a dit que tu avais eu de nouveau de sérieuses attaques cardiaques. Tu dois comprendre par là que le Seigneur nous rappelle au moyen des maladies que nous devrons quitter cette terre et que la mort est inévitable. Tout notre malheur vient de ce que nous n'avons pas une pleine conscience de nos péchés, et c'est pourquoi nous n'avons pas un profond repentir, pire encore : nous ajoutons des péchés aux péchés, puis nous accusons les autres de nos propres péchés en nous justifiant. C'est bien pour cela que nous ne grandissons pas spirituellement; nous rampons sur le sol et le vieux serpent nous mord non seulement au talon, mais au coeur et à la tête, et jusqu'à notre mort nous ne savons pas écraser la tête du serpent.

Chaque jour, pendant quelques minutes, figure-toi que tu es morte, que tu te tiens devant le Seigneur dans l'attente du verdict qui déterminent ton sort futur. Dans la prière du matin de Macaire le Grand, il y a ces mots : " Ô Dieu, purifie-moi pécheur car je n'ai rien fait de bien devant Toi." C'est ainsi que les grands saints se sentaient - et nous, comment nous sentirons-nous devant le divin Juge? La seule prière convenable pour nous est : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!" Ainsi dirons-nous après la mort, ainsi devons-nous dire ici-bas le plus souvent possible et, de tout notre coeur, les répéter inlassablement. Demande au Seigneur de te faire comprendre la force et la profondeur de cette prière. Je t'écris couché, atteint de la grippe. Mes invités partent aujourd'hui. Salutations à P. et ses hôtes et aux nôtres.

Prends soin de toi, travaille à ton salut! Que le seigneur te bénisse et t'éclaire.

N(ikon). 20 juin 1955.



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La paix soit avec toi, M...!

J'ai reçu ta lettre. J'ai compassion de Mère V., mais le Seigneur sait mieux que nous ce qu'il faut à chacun.

Concernant le fait que vous soyez fâchées que je ne vienne pas, je dirai que vous ne pensez qu'à vous-mêmes et ne prenez pas en compte les autres; je ne juge personne, je vous plains toutes, et je veux que vous soyez sauvées par la grâce de Dieu, fût-ce au prix de grandes peines.

Je fais bâtir une maisonnette, dont les dimensions, avec le corridor sont de 6, 5 mètres sur 16 mètres; le toit a 18 mètres de long. Les matériaux ne peuvent être commandés qu'à Moscou : tasseaux, planches, voliges, fer, etc... Tantôt j'y vais moi-même, tantôt j'attends qu'on les apporte; avec les charpentiers ( nous travaillons à deux tout l'hiver) on discute, on se dispute, on fait la paix, mais les choses ont failli aller jusqu'au procès. Partir deux jours à Kozelsk est pour le moment impossible.

Aujourd'hui, je vais à Moscou : des choses à faire, et aussi V. qui va être ordonné prêtre à Moscou. Je suis obligé d'y aller. Je rappelle à tous : c'est par de nombreuses peines et maladies, par le combat contre le péché, le repentir et l'humilité que l'on entre dans le Royaume des Cieux. Nous semons dans la chair - de la chair nous héritons la corruption, les peines, l'inconfort et autres fruits du mal. Si, avec l'aide de Dieu, nous étouffons par l'esprit nos inclinations au péché, nos pensées et nos actions mauvaises, nous gagnerons la paix, l'assurance, la lumière de l'âme et autres fruits de l'esprit.

A toi aussi, je dirai : peux-tu regretter de n'avoir pas fait le mal? Tu développes ce genre de pensées et tu commets un péché non moins grave que le mal lui-même, car tu corrompts ton âme en conversant avec les démons. Crois-tu que le Seigneur, qui nourrit même les serpents, a abandonné l'homme? Laisse tomber ces pensées mauvaises. Quand elles surviennent, chasse-les comme des démons qui t'apparaîtraient. Il t'appartient de les chasser par la prière et la contrition du coeur, ou de les laisser entrer pour qu'ils salissent ton âme et s'en aillent, prêts à revenir en plus grand nombre et à ruiner ton âme. Vous n'êtes plus des petits enfants. Vous lisez, vous écoutez, mais vous fuyez le labeur spirituel. vous ne faites que juger les autres, alors que vous ne savez rien.

Quand ce sera possible et quand le Seigneur me l'inspirera, je viendrai. Prends soin de toi.

Mes amitiés et la bénédiction de Dieu à Mère V. Je pense qu'elle n'a pas besoin de consolation spéciale, devant elle-même consoler les autres et le Père M. J'ai comme la conviction qu'elle tiendra encore et que je la reverrai. je demande son pardon, et je lui pardonne tout, s elle s'accuse en quoi que ce soit. Que le Seigneur l'aide à porter sa croix jusqu'au bout. Personne n'entre dans la glore de Dieu sans passer par la croix. J'espère qu'elle ne sera pas privée de la miséricorde de Dieu.

Les nôtres plaignent grandement Mère Valentina, ils ont une profonde compassion pour elle, ils la saluent très bas et promettent de prier pour elle. Ils lui demandent de leur pardonner et de prier pour eux. Moi aussi, je lui demande ses prières pour moi, pécheur.

La paix et la bénédiction de Dieu soient avec vous. Amitiés et bénédiction de Dieu à toutes. Pardonnez-moi et priez pour moi.

N(ikon). 1956.



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Très respectée M.!

J'ai eu beau faire tous les efforts pour venir, mais apparemment, je ne pourrai pas le faire d'ici le printemps. Des douleurs dans les articulations, une faiblesse générale, le coeur ne m'autorisent pas à prendre la route pendant l'hiver. J'ai écrit au Père Mélèce que je ne peux pas venir avant le printemps.

Comment va ta santé? Comment est la vie là-bas, chez vous? O.R. a-t-il changé? La paix règne-t-elle parmi eux? Les nôtres ne m'écrivent rien. Comment vont-elles? Au moins, P. écrivait auparavant, et maintenant, elle aussi se tait. Mes amitiés à elle et à sa comparse. Si ce n'est pas trop difficile, écris-moi, peut-être que P. écrira aussi.

Comment est la disposition de ton âme? Commences-tu à voir tes péchés ou bien t'estimes-tu toujours "en gros", "bien"? Souviens-toi de la parole de saint Jean Damascène, selon laquelle le signe que l'âme commence à être en bonne santé est "la vue de ses péchés innombrables comme le sable de la mer".

Si cela n'est pas atteint, que personne ne pense de lui-même qu'il se trouve dans un état satisfaisant, car il se trouve, soit dans l'aveuglement spirituel, soit, pire, dans l'illusion.

Je te souhaite de comprendre cela par l'expérience et non par la pure raison. Que le Seigneurr te garde et te fasse miséricorde maintenant et à jamais.

Amitiés aux nôtres et à tous ceux qui se souviennent de moi. Je demande à tous leurs prières pour moi, pécheur. Tous les nôtres te saluent, toi et les autres. (...).

N(ikon). 28 février 1956.



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Que la paix et le salut soient avec toi, M.!

Je te souhaite de bonnes fêtes à venir et une bonne année. Que le Seigneur te pardonne tous tes péchés passés et te place dans le futur sur la bonne voie du repentir, de l'humilité, de la simplicité - en un mot, du salut.

Concernant la supposée propoition du Père S. : premièrement, ou bien ce sera, ou bien ce ne sera pas; deuxièmement, il n'y a pas d'obligation que l'obédience quequelqu'un t'a donnée soit forcément suivie; la chose dépend des forces, des capacités, d el'intention de servir Dieu dans cette fonction. C'est pourquoi vois toi-même et prends ta décision, pourvu que ce soit pour la gloire de Dieu et non pas par calculs comme l'avantage matériel, la vanité ou autre, ce qui serait servir le diable et non Dieu.

Ta V. ets déjà grande et tu n'obtiendras rien par la force. Persuade-la par une bonne parole, si tu le peux, et surtout, confie-toi toi-même, et confie-la, et toute ta vie, au Christ notre Dieu, comme tu l'entends tous les jours à l'église.

Veille à l'apparition de la vanité comme à un serpent, et écrase-la par le souvenir d etes péchés et la prière.

A qui s'adresser après le décès du Père Mélèce, je l'ignore. Sans doute à n'importe quel confesseur. Se confesser, comme le dit le livre, sans entrer dans les détails, et c'est tout. Un père spirituel, il est inutile d'en chercher de nos jours parmi les hommes. Ils font plus de mal que de bien. "Fuis, Arsène, les hommes, et tu seras sauvé." Il faut lire des livres de spiritualité, ne pas justifier ses péchés, les combattre selon ses forces, se repentir, ne juger personne, être miséricordieux envers tous, sauvegarder la paix avec tous et implorer : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheresse!" A cela se résume toute la science. Que le Seigneur te garde.

Que la bénédiction de Dieu soit à jamais sur vous tous.

N(ikon). 24 décembre 1956.

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Chère M.!

Que la paix et le salut soient avec toi! Comment vas-tu ?

J'ai une demande à t'adresser. N'iras-tu pas voir l'artisan qui a fait l'iconostase dans votre église? Je lui ai parlé quand il était à Kozelsk. Il a promis de venir ici et de disposer, ou de fabriquer une nouvelle iconostase.

Nous avons fait venir ici deux iconostases. Il faut en faire une seule, à trois ou quatre rangées. Peut-être viendrait-il travailler ici.

M., qui habite avec le Père M., m'a envoyé de l'argent, mais j'ai refusé de le prendre à la poste : elle doit le recevoir en retour. Dis-lui de ne pas se vexer. Ce n'est pas à elle de m'envoyer de l'argent, mais à moi de lui en envoyer. Je prie parfois pour elle et pour ceux qu'elle a inscrits : son billet n'est pas perdu.

Sincères amitiés au Père M., à Mère A., à E.V. Amitiés au Père S. et au Père R. Comment vont-ils? Prends soin de toi, que tout aille bien pour toi. Que le Seigneur te bénisse ainsi que tous ceux de Kozelsk.

N(ikon). 1957.



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Chère N.!

La paix soit avec toi! Merci pour le cadeau, le chou frais, et pardonne-moi de n'avoir pas répondu tout de suite à ta lettre qui m'annonçait la mutation du Père S. Tu as toi-même très bien dit : " Le mieux est l'ennemi du bien." Avant, j'aurais déménagé avec joie à Kozelsk. J'aime et la ville et les gens et la nature. Mais à présent les forces me manquent. L'idée du déménagement, de l'agitation, des conversations, etc... me fait peur. Je suis déjà sur la fin de ma vie. Tout m'est difficile; et de rester assis, et d'être couché, et de célébrer, et même de me déplacer dans ma chambre me cause souvent un effort. Et si je m'oblige, je suis couvert de sueur et je suis épuisé. Comment pourrais-je déménager? Il faut rester sur place et attendre la mort.

Ce que tu as écrit dans ta première lettre sur les pensées mauvaises, Dieu te le pardonnera. Je te conseille vivement de scruter ta vie, de te repentir non pas des seuls actes commis - c'est le plus facile -, mais de tout ton état d'esprit, des pensées, des mouvements intérieurs de l'âme. Surtout de la vanité, dont tu es atteinte, bien que tu l'aies toujours nié quand je t'en parlais. La vanité tue tout ce qu'il y a de bon dans l'homme, pourrit l'âme, la rend indigne pour Dieu et donc indigne du Royaume des Cieux.

Nous, les hommes de ce siècle, ne supportons pas les moindres accusations. Or, il est dit : " Celui qui rejette une accusation, juste ou injuste, rejette son salut." Nous, par amour propre et vanité, nous sommes prêts à tout rejeter. Ce n'est pas sans raison que de nombreux prêtres ont abjuré Dieu : on les a accusés de quelque chose et aussitôt, il y a eu un article dans un journal. Et quelles que soient les calomnies sur la foi et le clergé, on publie tout dans la presse, et on ne nous donne pas la possibilité de répondre. On frappe un homme à terre, et on n'a pas honte. telle est la perversion ouverte d ela conscience. C'est un signe des temps. Sauve-toi; que chacun sauve son âme. Il n'est plus temps de se préoccuper des autres.

Fais ton salut, toi aussi. Ecrase ta vanité et toutes les manifestations du vieil homme en toi. Amitiés et bénédictions de Dieu à tous ceux qui se souviennent de moi. Je demande à tous vos prières pour moi.

N(ikon). 1959.



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A Mère N., paix et salut à ton âme!

On a reçu tes deux lettres. Mère, ton nom N. signifie "faire le bien". Si tu veux que ta vie soit conforme à ton nom, tu dois toujours et partout confronter tes actions avec l'Evangile, qui nous enseigne à faire le bien et extérieurement et intérieurement. Dans le cas présent, prendre ou ne pas prendre M..., tu raisonnes comme une personne du monde pleine d'amour-propre. Les gens veulent faire du bien à ta soeur, ils n'y ont aucun intérêt, et toi, pour des raisons purement terrestres, tu es contre.

Attention : pour celui qui ne fait pas miséricorde le jugement sera sans miséricorde; avec quelle mesure tu mesures tu seras mesurée. Tu vas mourir : que pleureras-tu? Avec quoi couvriras-tu tes péchés? " Rachète tes péchés par l'aumône." Les gens veulent faire une bonne action; si tu acceptes pacifiquement, tu seras partie prenante de cette bonne action, et si tu es contre, tu seras en butte aux accusations, on dira que tu as le coeur dur. Vois, le Seigneur est équitable : l'attitude que nous avons envers le prochain sera celle du Seigneur envers nous au jour redoutable...

Les choses prennent une telle tournure que l'on peut s'attendre à tout. Mais pour l'instant, il faut faire du bien aux gens afin que le Seigneur ne nous abandonne pas lorsque nous serons dans le besoin.

Que le Seigneur t'éclaire et te bénisse. Prends soin de toi!

21 octobre 1960.



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Chère N.!

La paix soit avec toi! Je te souhaite de bonnes fêtes. Je te souhaite de les célébrer et de les passer chrétiennement.

Pardonne-moi de t'avoir fait beaucoup de peine, mais qu'y faire? Pour percer une feuille de papier, il ne faut pas faire de grands efforts, mais pour percer une cuirasse en acier, il faut tirer des boules de canon. je demande au Seigneur qu'Il te donne la sagesse et la capacité de te connaître, de connaître tes péchés et les particularités du vieil homme, de t'humilier devant Lui, de tomber à Ses pieds, le coeur contrit et d edemander pardon. Le Seigneur a montré Son amour pour nous en descendant du ciel et par Ses souffrances sur la Croix. Il Se réjouit du repentir de tout homme et Il est prêt à l'accueillir avec joie, comme Il a accueilli le Fils prodigue qui a reconnu ses péchés et s'est tourné vers le Père. N'allons-nous donc pas profiter de cette bonté de Dieu envers nous, et allons-nous croupir dans nos péchés, dans notre amour-propre, dans l'obscurité de notre âme qui nous empêche de voir nos plaies, d'en souffrir et de nous repentir?

Ne crois pas qu'il soit facile de voir ses péchés. C'est bien pour cela que la Sainte Eglise nous apprend à prier, avec des prosternations : " Donne-moi de voir mes péchés. (1)."

(1) : ( L'une des demandes de la prière de saint Ephrem le Syrien, que l'on récite de nombreuses fois au cours des offices et en privé lors du Grand carême (NdE).). Elle nous apprend cela, parce que le péché et le diable aveuglent l'homme, l'endorment pour qu'il n'ait pas recours au repentir et qu'il meure. Faites attention, car votre route est dangereuse! Pardonne-moi, moi qui désire ton salut. Je voulais depuis longtemps t'ouvrir les yeux, mais je craignais ton amour propre, et puis j'espérais que tu verrais par toi-même. Tu as déjà commencé à voir des petites choses...

Que le Seigneur te donne l'intelligence et te conduise au salut. Pardonne-moi et prie pour moi. Que la bénédiction de Dieu soit sur toi et tes voisins.

N(ikon). 29 décembre 1960.



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Chère N.!

La paix soit avec toi! J'ai reçu ta lettre. Elle m'a peu satisfait. Tu n'as pas la profonde conscience de tes péchés, particulièrement de ta vanité. Ton coeur n'en souffre pas. La vanité, comme un cancer dans le corps, peut empoisonner toute l'âme et causer sa perte. Elle envenime même les bonnes actions et les rend exécrables devant Dieu, comme ce fut le cas avec les pharisiens. Tu te pardonnes bien facilement toi-même. Mais le Seigneur te pardonnera-t-Il?

Viens avec N. si vous estimez toutes les deux que c'est nécessaire et utile à votre âme. Mais il ne faut pas venir en visite : c'est l'affaire des laïcs. Venez pendant le Grand carême.

Ne commande jamais à personne. Ne fais la leçon à personne, toi qui toi-même n'a rien appris. Ne touche pas aux voisins de la maison. Ils n'habitent pas avec toi, et tu n'as rien à faire avec eux. S'ils font quelque chose de travers, supporte-le, car tes cris, tes ordres, ta grossièreté, ils auront aussi à les supporter de ta part. il est dit: portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. Toi, tu ne supportes et ne justifies que toi-même. Ôte la poutre qui est dans ton oeil, et après, tu sauras comment ôter la paille qui est dans l'oeil de ton frère, hypocrite!

Aie pitié de toi-même; demande que s'ouvrent tes yeux afin que tu voies tes innombrables péchés, sans voir les péchés des autres. Que le Seigneur t'éclaire et te fasse miséricorde. Portez-vous bien.

N(ikon). 1961.



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Chère M.!

Voilà que tu t'es mise à être sérieusement malade. Ignace (Briantchaninov) dit que les maladies sont le rappel de la part de Dieu que notre mort est proche, qu'il nous faut purifier tout notre passé par une contrition, un repentir sincère, la communion aux Saints Mystères. Il faut aussi faire des oeuvres de charité. L'aumône lave beaucoup de péchés. Il ne s'agit pas tant de l'aumône matérielle que de l'aumône spirituelle, beaucoup plus précieuse. Elle consiste en ce que la personne, au lieu de juger son prochain, le plaint, lui pardonne ses fautes et demande à Dieu de les lui pardonner. Il faut également ne pas murmurer quand on subit une maladie ou bien l'indifférence, la froideur de l'entourage, et dire de tout notre coeur : "J'accepte ce que j'ai mérité par mes actes, souviens-toi de moi, Seigneur, dans Ton Royaume."

Efforce-toi, de toutes tes forces, de te souvenir du Seigneur. Sans l'invocation du Nom de Jésus-Christ, les démons vont se glisser en nous, commettre mille vilenies, nous tourmenter, nous attirer et nous entraîner dans l'abîme. La maladie et l'agonie sont l'antichambre de l'éternité et le reflet de notre disposition d'esprit, de notre vie; tout ce que nous avons amassé dans notre vie se révèle au moment d ela mort, le bon et le mauvais. C'est pourquoi il faut demander au Seigneur de nous accorder "d'achever le reste de notre vie dans la pénitence". Evoque tous tes anciens péchés, désole-toi, pleure, demande pardon au Seigneur. Fais la paix avec tous les hommes, fais la paix en sorte que les gens sentent ton chagrin, et que de tout leur coeur - non en paroles - ils te pardonnent, et toi aussi, pardonne-leur à tous.

Que le Seigneur t'éclaire et t'aide à te repentir et te préparer à la mort.

Nous avons eu beaucoup d'ennuis dus à l'introduction de nouvelles règles dans l'Eglise. Il se peut que je doive même partir d'ici.

Amitiés et bénédictions de Dieu à tous ceux qui se souviennent de moi.

N(ikon). 16 octobre 1961.



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M., je te souhaite la paix et le salut de ton âme!

L'âme ne peut pas ne pas souffrir tant qu'elle n'a pas reçu le pardon des nombreuses iniquités commises. Or, nous savons mal nous repentir. Si quelqu'un se repent de ses péchés et, dans le même temps, condamne les autres ou se vante, quelle repentance est-ce là? Cela veut dire que l'on fait une chose d'une main et on la défait de l'autre. Et alors, l'âme est en peine.

Prends soin de toi. Que le Seigneur vous bénisse, toi et tous les autres!

N(ikon). 14 février 1962.



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La paix soit avec toi, M.!

Le moment est arrivé pour toi aussi où la vie devient "tracas et maladie", lesquels sont suivis de la mort. Personne ne vit éternellement sur cette terre et néanmoins tout le monde a peur de la mort. Ce n'est pas sans raison que la Sainte Eglise prie sans cesse pour que nous soit donnée une fin sans douleur, etc... Plus la foi est forte, plus le coeur est contrit, et plus mourir est facile.

Si ta tumeur te gêne, il faut aller voir le médecin et procéder à une opération. On peut refuser de se faire examiner, mais si à cause de ce refus, l'opération ne peut avoir lieu, alors il faut y renoncer. Actuellement, on a peur des tumeurs; on croit que c'est un cancer. Le mieux est de se préparer à la mort. Un peu plus tôt, un peu plus tard, quelle différence cela fait-il? On mourra de toutes façons. Il faut pardonner à tous, faire la paix avec tous, scruter sa vie et pleurer de tout son coeur ses péchés et demander pardon à notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ.

Chez nous, rien de nouveau. Que la miséricorde de Dieu soit avec vous tous. Que le Seigneur te garde et t'inspire pour tout bien.

N(ikon). 24 décembre 1962.



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Paix à toi,M.!

J'ai reçu ta lettre. Pour les péchés, il y a le repentir et la miséricorde de Dieu, qui veut le salut de chaque pécheur.

Ma santé s'est un peu rétablie.

Je te souhaite une bonne santé et le salut de ton âme. Que la bénédiction de Dieu soit avec toi et tous ceux qui se souviennent de moi.

N(ikon), 4 juin 1963.



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Que la paix et le salut soient avec toi, M.!

Nous sommes sauvés non par nos oeuvres, mais par la miséricorde de Dieu. Le Seigneur le dit dans l'Evangile : si vous accomplissez tout ce qui vous est demandé - c'est-à-dire si vous observez les commandements - dites que vous êtes des serviteurs inutiles et que ce que vous deviez faire, vous l'avez fait. Nous sommes tenus de faire la volonté de notre Créateur. Mais notre salut dépend de la grâce de Dieu. ceux qui pleurent leurs péchés, qui les ont en horreur, qui cessent de les commettre, qui demandent à Dieu pardon et miséricorde, ceux-là, le Seigneur leur fait grâce et les reçoit dans Son Royaume. Mais celui qui a une haute opinion de lui-même, compte sur ses oeuvres, comme le pharisien, celui-là sera jugé. Il faut s'humilier jusqu'au bout et implorer :" Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!"

Tout ce que tu m'as avoué dans tes lettres, je l'ai reçu comme une confession et je t'ai pardonnée, absoute. Cependant, si ta conscience ne te laisse pas tranquille, confesse tes principales fautes au Père N. ou au Père S.

Ma santé est mauvaise. Je suis très affaibli, et je ne vois pas ma fin, bien que je la désire. Priez pour moi.

Amitiés, et la bénédiction de Dieu à toi et à tous ceux qui se souviennent de moi.

N(ikon). 1er juillet 1963.



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Très respectée N.!

L'état de votre santé m'a beaucoup inquiété. Je sais combien il est difficile, quand on va mal, de mener les travaux et extérieurs et intérieurs - or, il vous faut encore travailler. Que le Seigneur et Sa Mère Toute Pure vous aident. Comment vous sentez-vous, maintenant? En tout cas, ne désespérez pas. Le monde paraît grand aux yeux des hommes, mais pas aux yeux de Dieu. Il voit tout et toutes nos conditions, tant physiques que morales sont en permanence sous Ses yeux. Son amour et Sa toute puissance permettent que s'accomplisse en nous uniquement ce qui contribue, au final, à notre plus grand bien.

C'est pourquoi le mieux est de nous mettre sous Sa main puissante et aimante et de tout accepter avec reconnaissance. C'est un grand exploit spirituel, mais il faut s'y contraindre, c'est indispensable. Il caractérise toute la disposition intérieure de la personne. Sans lui, tout ce que nous avons fait de bien n'a que peu de valeur. Notre chemin vers le salut, c'est l'endurance alliée à la gratitude ( en tout cas sans plainte) pour tout ce qui nous advient.

Si les épreuves nous atteignent si durement, c'est que nous ne croyons pas aux paroles de l'Evangile. Nous sommes prêts à écouter n'importe qui, pourvu qu'il soit plus ou moins convenable, mais notre Seigneur, nous ne Le croyons pas, nous ne Lui faisons pas confiance. Peut-être cela n'est pas compréhensible pour la raison, mais si l'on s'observe attentivement, on comprend qu'il en est exactement ainsi. Il faut exécuter un grand travail intérieur pour recevoir une foi vivante dans le Seigneur et Sa parole. Ce n'est que grâce à cette foi que la vie devient légère et que lon supporte toutes les épreuves qu'elle suppose. D'autant plus qu'elle est une courte préparation à la vie éternelle.

Pardonnez-moi cet excès de mots. Je vous souhaite pourtant d'acquérir une foi vivante et le dévouement au Seigneur.

Ecrivez-moi, dites-moi sincèrement : peut-être ne devrais-je pas vous écrire ce genre de choses.

Maintenant je commémore vos noms, quotidiennement, à la table de préparation (1).

(1) : ( C'est-à-dire à la Proscomidie, la phase préparatoire de la Liturgie, lorsque le prêtre, en prélevant des parcelles de prosphores, fait mention des vivants et des défunts à l'intention desquels les fidèles lui ont demandé de prier ou il souhaite lui-même prier (NdE).).

Ne m'oubliez pas, vous non plus.

N(ikon). 3 novembre 1948.



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Ville de Gjatsk, région de Smolensk, rue de Smolensk, 114.

Telle est ma nouvelle adresse, très respectée N.

Le 13 novembre, je suis parti de Kalouga, me suis arrêté à Kozelsk puis suis reparti pour Smolensk. On m'a nommé à Gjatsk. C'est à cinq heures de route de Moscou par la route de Smolensk, de sorte que je pourrai plus souvent me rendre à Moscou, d'autant plus que mes proches y résident. Vous savez, le sort de E.M. me cause souvent du souci. Comment va-t-elle? Que Dieu lui donne la sagesse, et à vous aussi. Si, dans notre monde, il y a tellement d'envie, de malhonnêteté, je crains que parmi les nôtres il n'y en ait pas moins. Que le Seigneur vienne en aide à tous.

L'église et mon logis se trouvent à deux pas de la gare, au cimetière derrière lequel commence un petit bois d'aulnes. Il y a une petite rivière. L'été, on doit être bien ici, mais pour l'heure, c'est morose. L'église est petite avec d'affreuses fresques murales. La partie chauffée pour l'hiver ne contient pas plus de 150 personnes. Célébrer là n'est pas commode. Quelle sera l'atmosphère des célébrations, je l'ignore, car je n'ai pas encore fait la connaissance des collègues.

(...) Venez vous-même et faites venir des connaissances. La destinée me jette ici et là, m'apprenant à ne m'attacher à rien ni personne. Je suis peiné par le manque d'intérêt pour le salut de l'âme qui règne dans ce monde, et surtout - chez les évêques. Au premier rang, on trouve les intérêts matériels et familiaux ( s'ils n'ont pas d'épouses, ils ont des frères, des soeurs, etc...). L'évêque de Kalougaa au moins une qualité : il ne jette pas les gens par caprice, sans leur souhait - et qui de nos jours souhaite, sans nécessité absolue, déménager d'un endroit à l'autre?

Pardonnez-moi ma mauvaise écriture et les pâtés. Tout ici m'est étranger, mal aménagé. Que le Seigneur vous garde. Je me souviens toujours de tous. Je vous prie de ne pas m'oublier non plus.

N(ikon). 1 décembre 1948.



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Très respectée N.!

J'ai reçu votre lettre, je vous remercie de votre gentillesse envers moi. Le 20 décembre, je serai à Moscou.

Je ne vais rien écrire maintenant, espérant vous parler de vive voix. Si vous avez des questions qui touchent à ma spécialité, préparez-les, réfléchissez, et nous en parlerons quand nous nous verrons. De même pour V.N. Je voudrais paler de ces questions, non pas pour vous donner quoi que ce soit, mais pour me tester moi-même, puisque vous pouvez certainement recevoir à Moscou, de la part de médecins plus expérimentés, la solution de telle ou telle question, et je pourrais en profiter.

Ainsi donc, à très bientôt. Amitiés à vous, à V. et E. Que le Seigneur vous bénisse et vous inspire pour tout ce qui est bien.

N(ikon). 15 décembre 1948.



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Très respectée N.!

Merci pour vos souhaits de bonne année et de bonnes fêtes. Je n'ai pas moi-même l'habitude de féliciter qui que ce soit, c'est pourquoi je ne vous ai rien souhaité, pardonnez-moi.

J'ai oublié, lors de notre rencontre, de vous rappeler les oeuvres d'Ignace ( Briantchaninov), surtout le tome 5. Vous y trouveriez la réponse à beaucoup de questions qui vous intéressent. Je discuterais volontiers avec vous, pour vérifier mes idées. Moi-même j'ai longtemps été tourmenté par ces questions, mais j'ai eu la sagesse d'attendre leur solution et, en effet, beaucoup de ce qui paraissait insoluble ou en contradiction avec toute ma "vision des choses" s'est éclairé et a confirmé le bien-fondé de cette vision.

Je vous souhaite une bonne santé physique et psychique. Les maladies ont elle aussi un sens et une utilité pour nous. Mon propre exemple et celui des autres m'en ont convaincu, sans parler du fait que dans la vision chrétienne du monde, les maladies comme toutes les épreuves sont considérées comme une grâce, et non comme une malédiction de Dieu.

Portez-vous bien tous. Si je viens à Moscou, je tâcherai sans faute de vous rencontrer. Ecrivez-moi.

Avec mes respects.

N(ikon). 17 janvier 1949.



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Très respectée N.!

J'ai reçu de vous deux lettres, et j'ai répondu, bien qu'avec du retard. Vous écrivez que vous ne vous sentez pas bien et que vous soupçonnez même un ... en activité. Comment allez-vous maintenant?

J'étais à Moscou du 9 au 12 janvier. Le 7 janvier, le jour même de la fête, mon père est décédé et je suis venu célébrer ses obsèques. Je devais rentrer pour célébrer ici, mon confrère étant parti et j'étais seul. C'est pourquoi je n'ai pas pu rester plus longtemps, bien que j'eusse très envie de vous voir. Actuellement je célèbre sans le second prêtre, et j'aurai plus de mal pour venir. Quand vous le pourrez, venez en visite chez moi. Je cohabite avec une vieille moniale de la stricte observance, très gentille.

J'ai peur de vous écrire quoi que ce soit touchant à la psychologie spirituelle. Si vous estimez qu'entretenir une correspondance avec moi vous est malcommode, n'hésitez pas à le dire. Je le comprends très bien et ne me vexerai nullement. Nous parlerons lors de nos rencontres.

Amitiés à V.N. et E.N. Bonne santé et que tout aille bien pour vous.

N(ikon). 7 février 1949.



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Très respectée N.!

J'ai reçu votre lettre hier, le 26, jour de l'anniversaire de V. Je commémore votre nom à chaque Liturgie, immuablement. je suis très peiné d'apprendre que votre santé est déplorable. Que faut-il faire pour stopper le processus? Quel est le protocole pour ces malades? Est-il possible qu'on ne vienne pas en aide au malade dans ces cas-là, et qu'on le laisse compter sur ses propres forces? Bien sûr, le Seigneur est au courant de tout, et Il n'envoie pas les maladies sans raison. Car sans elles, il est difficile de faire son salut, surtout dans le monde. Il a aussi la puissance derestaurer la santé, si la personne est capable, étant en bonne santé, de vivre comme il faut.

C'est pourquoi l'un des moyens de rétablir sa santé est d'améliorer encore la mise en pratique des commandements, de s'engager fermement sur la voie qui mène au Royaume de Dieu, car la santé sur cette voie est nécessaire, elle aussi; car son manque tout comme son excès gêne et arrête le progrès. Il faut tout accepter sous la puissante main de Dieu, et Lui, à Son heure, nous élèvera au Ciel. Seulement, notre faiblesse morale est si grande que le manque de foi en la Providence l'emporte, tandis que la foi se fortifie par la mise en pratique des commandements, les tentations, la prise de conscience de son impuissance et l'accueil du secours de Dieu, quand disparaît tout espoir dans le secours des hommes...

Pour l'instant, il n'y a pqs sde changement dans ma vie. C'est vrai que je n'ai plus de second prêtre, je suis seul et j'ai donc du mal à me rendre où que ce soit.

Que votre âme se porte bien, et alors, avec l'aide de Dieu, votre corps guérira. Que le Seigneur vous bénisse.

N(ikon) qui vous respecte. 27 mars 1949.



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Très respectée N.!

Voici dix jours déjà que j'ai reçu votre lettre, et je n'ai pas encore répondu.

A propos de vos inquiétudes concernant les Matines de Pâques, je dirai : celui qui aime le Seigneur, tout contribue à son bien. Les saints Pères disent que le Royaume de Dieu n'advient pas par la pratique des commandements. Quand nous attendons les joies spirituelles, c'est alors que nous ne les recevrons pas - c'est même le plus souvent ainsi que cela se passe. La meilleur disposition de l'âme est celle-ci : s'estimer indigne de toute consolation spirituelle. Plus encore, saint Jean Climaque dit : " Par la main de l'humilité écarte la joie qui te vient, comme étant indigne d'elle, afin de ne pas être trompé par elle et de ne pas accueillir le loup à la place du berger." Cette pensée, tous les saints Pères l'expriment à leur façon. Tous les humains ont une propension au péché, à tout péché, et notamment à ceux qui ne sont pas moins graves que les péchés grossiers. Les déceler et les combattre tous, personne ne le peut avec ses propres forces; seule la prise de conscience de son impuissance, de sa misère, de son penchant au péché, de sa dette insolvable envers Dieu, et ce qui en découle - les pleurs incessants de son coeur ( un coeur brisé, qui devient un coeur humilié), que tous les saints de Dieu éprouvaient - telle est la bonne disposition spirituelle qui protège l'homme contre les chutes, qui le conduit vers les dons spirituels et protège ces dons, si l'homme s'est montré digne d'eux. L'ascète qui n'a pas le don des larmes spirituelles est dans l'illusion, c'est-à-dire dans une disposition mensongère, et s'il ne se corrige pas, il peut tomber dans une véritable illusion démoniaque et se perdre. De nos jours, cela se produit sous une forme atténuée, mais cela se produit, et une grande partie des ascètes se trouvent, temporairement ou en permanence, dans l'illusion. C'est un problème assez subtil.

Pardonnez-moi de parler de cela, peut-être à un moemnt inopportun. cela concerne peu les laïcs - bien que, bien sûr, ils soient aussi touchés, mais d'une façon plus sommaire.

Ainsi vous-mêmes, vous avez surmonté votre peine et votre offense à l'égard du chef, et peut-être avez-vous compris que c'est à juste titre que vous avez été privée de consolation par le Jugement de Dieu, afin que vous vous scrutiez mieux et vous humiliez plus sincèrement. Le progrès dans la vie spirituelle ne se mesure pas aux consolations reçues ( qui peuvent provenir du Malin), mais à la profondeur de l'humilité.

Comment est votre santé? Pardonnez-moi si j'ai écrit maladroitement, mais je garantis que c'est vrai. Je ne vais pas multiplier les mots, espérant discuter de vive voix avec vous.

Avec mes respects.

N(ikon). 18 mai 1949.



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Très respectée N.!

Pardonnez-moi d'être resté longtemps sans écrire. Il ne se passe rien de nouveau ici. On m'a demandé de venir à Kozelsk, mais j'ai envoyé un refus, pour diverses raisons, la principale étant que je n'y vois pas la volonté de Dieu.

La conscience de son moi est ce qu'il y a de plus profond dans l'âme de l'homme; peut-être est-ce même la conscience de soi par l'âme. C'est pourquoi tout ce qui est lié directement au moi (principalement, l'orgueil, la vanité et le reste), c'est ce qui est le plus difficile à connaître et à découvrir, ainsi que tout ce qui amoindrit le moi devant les hommes, et même devant soi-même et devant Dieu. Voilà pourquoi il est dangereux, même dans la prière, de n'être pas franc devant Dieu, de cacher des choses "dans les buissons" comme l'a fait Adam après la chute, c'est-à-dire refouler dans les coins sombres de la conscience, recouvrir de vieilleries toute autojustification. C'est extrêmement dangereux. Et surtout, cela n'atteint absolument pas son but, puisque le Seigneur de toutes façons sait tout, même avant que nous ayons fait quoi que ce soit de mal.

Il faut dans la prière se découvrir tout entier devant Dieu, se repentir, demander pardon et la guérison de notre âme malade.

Que le Seigneur vous aide et vous bénisse. Pardonnez-moi. Ecrivez.

N(ikon). 23 septembre 1949.



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Chère N.!

Pardonnez-moi d'avoir tant tardé à vous répondre. Comment va votre santé, votre vie? Le travail domestique avance-t-il?

Attention, ne vous créez pas d'idoles, sinon vous serez punie par Dieu, dans votre psychisme pour commencer, puis dans les circonstances extérieures.

Ne soyez pas fâchée que dans ma lettre à V. je lui aie demandé de ne montrer cette lettre à personne. Cette condition, je la pose à tous. D'ailleurs, j'ai parlé de cela en présence de tous, ici, à table. Avant, je ne comprenais pas pourquoi cela était exigé par Barsanuphe le Grand et les startsi d'Optina, mais maintenant, je sais par expérience combien il est néfaste de montrer les lettres aux autres; Les hommes sont fragiles et ce que l'on peut dire à l'un ne peut en aucun cas être dit à l'autre.

Pardonnez-moi. Je me souviens toujours de vous, j'ai compassion de vous et je prie.

Il faut s'efforcer, et intérieurement, et dans toutes les circonstances qui surviennent, de s'abandonner à la volonté de Dieu. C'est une oeuvre de toute la vie.

Même si vous n'arrivez pas à venir à bout de votre travail, ce dont je doute fort, il ne faudrait pas s'en désoler. Le Seigneur est plus sage que l'homme et Il conduit par les meilleures voies. Comme le ciel est éloigné de la terre, mes voies sont éloignées de vos voies. Il faut se soumettre à la main sage et aimante de Dieu et non se rebeller; alors, l'âme sera en paix, ici et dans le futur.

Portez-vous bien. Que le Seigneur vous garde et vous bénisse.

N(ikon). 24 octobre 1949.



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Chère N.!

La paix soit avec vous. Je me hâte de vous écrire quelques mots tant qu'il fait jour, car nous n'avons pas de lumière, et de toute façon, le verre d elampe est cassé. J'ai lu votre confession concernant la vanité et je n'y ai rien trouvé qui me pousse à "m'éloigner" de vous. Vous n'avez rien écrit de particulier. Vous n'avez rien, pas plus que les autres, dont vous puissiez réellement vous vanter. nous sommes tous loin de Dieu par notre vie. Qu'avons-nous de si valable, qui nous permette de nous présenter la tête haute au Jugement de Dieu? En fait, vous le savez bien : développez vous-même ces idées.

La vanité est tellement inhérente à chacun qu'elle imprègne littéralement l'homme tout entier, depuis son être xtérieur jusqu'à son être profond. Et en même temps, c'est une propriété vénéneuse, avec laquelle il est impossible de la réduire, puis de l'anéantir, en tout cas, il faut constamment se surveiller et, chaque fois que la vanité montre son nez, l'étouffer par la contrition du coeur, soupirer et prier de tout son coeur " Seigneur, le serpent a de nouveau relevé la tête", la chasser avec colère et implorer le Seigneur : " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. Je ne veux pas, je n'accepte pas, libère-moi, donne-moi de voir mes fautes." Lisez dans (L'Echelle de ) saint Jean Climaque, sur la vanité, les chapitres 5,6, 7, 10, 11, 14? 17, 23-6, 31, 34, 38, 39, 41, 43, 45. Lisez également, sur l'orgueil, les chapitres 1, 2, 5, 11, 16, 17, 20, 34, 38.

Reprochez-vous toute violation du moindre commandement de Dieu, sans vous autoriser la moindre justification. Souvenez-vous du précepte du Christ : de même que vous, quand vous faites ce qu'il vous a été demandé de faire, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. Et nous, non seulement nous n'observons pas tous les commandements, mais nous n'observons aucun d'eux correctement, en revanche, nous sommes prêts à nous enorgueillir et à nous vanter à chaque pas. Que le Seigneur vous aide à vous débarrasser de ce serpent! Mais sans effort et sans attention à soi-même, sans appeler le Seigneur à l'aide, nous ne pouvons pas vaincre cet ennemi, le plus malfaisant, le plus rusé qui soit. Les manifestations de vanité que vous évoquez dans votre lettre sont évidentes, rudimentaires. Il y a des formes beaucoup plus subtiles, et, s'il n'y avait, et, s'il n'y avait pas le secours de Dieu, on pourrait sombrer dans le désespoir. Appuyez-vous sur l'Evangile et sur l'exemple du Seigneur Jésus-Christ Lui-même dans votre combat contre la vanité et l'acquisition de l'humilité.

Je n'ai pas le temps d'écrire plus longuement. Quand j'aurai lu attentivement vos lettres, peut-être vous écrirai-je. Comptez non sur vous mais sur le Seigneur, dans les grandes choses comme dans les petites. Nous ne pouvons rien faire de bon et d'utile à nous-mêmes sans le Seigneur, et ce qui est bon en apparence - c'est-à-dire tout ce qui est fait sans la prière et sans l'appel à l'aide du Seigneur -, selon l'expression de Marc l'Ascète, s'avère souvent nuisible.

Portez-vous bien. Que le Seigneur vous garde.

Vous écrivez : " Je quémande vos saintes prières". Les saintes prières sont celles qui viennent d'un coeur pieux, humble et contrit. Quant aux prières pharisiennes ( orgueilleuses et vaniteuses), non seulement elles ne sont pas saintes, mais elles sont en abomination devant Dieu.

Pardonnez-moi. Faites votre salut, achevez le travail, sinon la vanité va progresser et vous conduira à la honte.

N(ikon). 5 décembre 1949.



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Très respectée N.!

Je vous souhaite une bonne année, je souhaite que grandisse en vous l'homme nouveau et qu'il atteigne l'âge de l'Idéal, je vous souhaite du succès dans la vie extérieure, et avant tout de terminer dans les délais votre travail, pour libérer votre esprit de ce fardeau; je vous souhaite de célébrer les fêtes dans la joie spirituelle. La paix soit à votre âme et à tous vos proches, à tous, à toute l'humanité! Il faut fêter le Chef de l'univers avec la paix dans le coeur. Mais qu'il est difficile d'acquérir cette paix! Combien l'homme est versatile! Combien il dépend du monde extérieur!

Comment avez-vous fâché E.V. et Z.? Il existe des médecins inexpérimentés qui vous poussent au découragement, voire au désespoir. Il ne faut pas prêter grande attention à cela, il vaut mieux évoquer les exemples de ceux qui sont tombés jusqu'en enfer et sont montés au ciel. En cas de chute, il y a le repentir, lequel ouvre la porte de l'Eden.

Pour l'instant, je vais bien. Aucune lettre de T. Il est clair qu'elle s'est vexée. Mais j'ai cessé d'accorder de l'importance à ce genre d'humeurs. G. est tout aussi fâchée, et même plus, mais qu'y faire? Il faut chercher ce qui est de l'Esprit et non ce qui est de l'homme, et c'est alors que tout ira bien. J'ai compassion de vous tous, mais je suis impuissant à complaire à tout le monde.

Pardonnez-moi. Portez-vous bien, que votre vie soit bonne en tout, et paisible. Ne m'oubliez pas.

N(ikon). 31 décembre 1949.



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Chère N.!

La paix soit avec vous! Que pensez-vous du 1er mars? Mon conseil comme cela vous arrange, mais il faut tout de même se débarrasser du travail, le rendre dans les délais. S'il le faut, ne refusez pas l'aide de vos collègues. Peut-être, plus tard, vous les aiderez à votre tour.

Je suis heureux que votre maman soit un peu remise. Saluez-la de ma part, qu'elle reçoive la bénédiction de Dieu. A mon grand regret, je ne puis me souvenir en quoi consistait la conversation avec E.N. et par conséquent, je ne peux rien dire. Mais d'une façon générale, les ascètes eux-mêmes tombent sous l'influence des démons - que dire alors des personnes complètement sans défense qui exécutent la volonté des démons? Il vaut mieux ne pas leur donner des armes contre soi, car ils peuvent s'avérer être les instruments de ceux qui grincent des dents contre E.N. Mais espérons que le Seigneur ne permettra pas qu'ils lui fassent du mal, vu que son intention était bonne - or, le Seigneur regarde notre coeur et couvre nos fautes. Amitiés et bénédiction de Dieu à elle et à sa mère.

Remerciez vivement M.A. Malheureusement, je ne sais rien d'elle. Que le Seigneur la bénisse.

Remerciez L.A., dites-lui que bienheureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde, s'ils font miséricorde pour Dieu, parce qu'ils désirent faire Sa sainte volonté exprimée dans les commandements. je les commémorerai à l'église, en prélevant une parcelle pour leur salut. Je ne vous conseille pas de vous rendre souvent chez elle, car vous n'en avez pas le temps, et puis, mêlés au désir de plaire à l'autre, il y a de la vanité, de la gourmandise et autres petits et grands démons. Vous pouvez toujours invoquer votre manque de loisir.

A N., amitiés, la bénédiction de Dieu et le souhait qu'elle ne se contente pas d'entendre la parole de Dieu, mais qu'elle la mette en pratique, car seuls ceux qui ont goûté par expérience combien le Seigneur est bon deviennent des fidèles serviteurs et disciples du Christ, acquièrent la Perle rare de la foi, de l'espérance et de l'amour, laquelle est Dieu.

Je suis toujours heureux de vous voir, mais il me semble que votre voyage à G. doit dépendre de votre travail. Quand vous l'aurez rendu, vous pourrez venir, le coeur léger, et consciente d'avoir accompli votre devoir. Vous devez le rendre, sinon le 1er mars, du moins avant le 26; c'est ce que j'espère. Que le Seigneur vous aide pour cela, ainsi que de bonnes âmes. Prenez en compte vos propres forces.

Nous nous sommes procurés du bois de chauffage, mais non sans quelques ennuis. Pour l'instant, nous allons bien. Je n'écris quasiment à personne et personne ne m'écrit : on ne fait que me demander pourquoi je me tais, et comme je ne le sais pas moi-même, je continue à me taire.

Je me demande bien pourquoi E.V. ne m'a rien écrit depuis l'été et n'est jamais venue. Du reste, à quoi bon s'interroger, suis-je un guide? Naturellement, on peut, après avoir bien examiné la question et avec tristesse, s'écarter, car il faut, pour diriger spirituellement, être soi-même porteur de l'Esprit; or, nous portons en nous un esprit étranger, et tant mieux si nous luttons nous-mêmes, en sorte de pouvoir prévenir les attaques dans le combat.

Pardonnez-moi et priez. Que le Seigneur vous bénisse et vous aide dans le combat pour le salut. Dormez-vous bien? Apparemment mal, puisque vous écrivez que vous n'avez pas toujours la tête fraîche. Et pourtant, il faut se contraindre, fût-ce un peu, tous les jours. Le Royaume de Dieu s econquiert par la force et tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. L'un et l'autre exigent travail, effort, contrainte.

Seigneur, aide ta servante découragée!

N(ikon). 31 janvier 1950.



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Chère N.!

J'ai déjà reçu deux lettres de vous et ne vous ai pas encore répondu. Qu'écrire? Nous savons tous ce qu'il faudrait faire, et nous faisons autre chose, ou d'une mauvaise façon, soit par manque de forces, soit pour d'autres raisons.

Je suis allé à Kozelsk où l'on m'a appelé pour visiter des vieillards malades. Ils étaient à l'article de la mort, mais ils se sont ranimés et ils vont mieux. J'y suis resté près de dix jours. Je suis revenu le 19 février, et suis tombé malade. Pendant trois jours, j'ai eu 39,5 de fièvre, puis celle-ci est tombée à 38, 5 grâce à l'aspirine. Je n'ai pas pu célébrer, même le 25-26 février. Je suis guéri, mais j'ai mal à la gorge (plus exactement, au rhinopharynx ( ce terme existe-t-il?). Je compatis à vos misères, je vous souhaite de toute mon âme forces et entrain, et de terminer le travail. Que le Seigneur vous vienne en aide.

A Kozelsk on a été très content de me voir, et moi aussi, j'étais content, j'ai revu beaucoup de gens. J'ai vu G. Je ne lui ai pas écrit une seule fois depuis son départ. Je n'en avais pas envie. Elle l'a compris et s'en est beaucoup affligée. je lui ai expliqué la raison. Elle s'est longtemps entêtée, mais elle a été bien obligée de reconnaître que sa disposition d'esprit et ses dires étaient inacceptables pour une personne un tant soit peu spirituelle.

Je ne sais pas si je vais bientôt me décider à écrire à V.N. Transmettez-lui mes amitiés, ma bénédiction et mon souhait qu'elle n'affaiblisse pas son corps par une abstinence déraisonnable de nourriture, et qu'elle le maintienne apte au labeur spirituel. Il exitse une abstinence déraisonnable, qui vient de l'ignorance, de l'entêtement, et même de l'orgueil. Que cela ne lui arrive pas.

Comment va son frère? Il faudrait qu'elle lui donne quelques bonnes leçons de conduite dans les nouvelles conditions. Pour les gens qui sont accoutumés, bien des choses paraissent aller de soi, mais à un jeune inexpérimenté, il faut expliquer des vérités élémentaires.

Portez-vous bien, que tout aille bien pour vous. Amitiés, et bénédiction de Dieu pour elle et sa mère.

Que Dieu vous pardonne pour tout. Pardonnez-moi, pour l'amour de Dieu.

Ecrivez, donnez des nouvelles de vous et de votre travail.

A propos, savez-vous que Mère G. I. a eu une tumeur à la lèvre? On a procédé à l'ablation cet automne, mais la tumeur s'est remise à grandir. Une des soeurs lui a conseillé d'apposer d ela carotte râpée, ce qu'elle a fait. Résultat : " la tumeur a disparu et il y a une cicatrice à la place". Qu'en pensez-vous, en tant que médecin?

Ne vous laissez pas aller à l'agitation forcenée, faites les choses selon vos forces et remettez-vous-en à la volonté de Dieu. Le Seigneur nous aime plus que nous ne nous aimons, et Il sait mieux que nous ce qu'il nous faut.

Vous avez plus d'une fois parlé dans vos lettres de E.V.; G.I. m'a elle aussi écrit à son propos, mais, je l'avoue franchement, je n'ai pas bien compris de quoi il s'agissait, ni pourquoi G.I. était si affligée, après des entretiens avec elle, et lesquels en particulier? J'ai cessé de m'étonner des choses les plus saugrenues. La déchéance de l'homme et les microbes du mal peuvent tout faire. Les filets sont impossibles à traverser pour quiconque, à l'exception des humbles; or, pour acquérir l'humilité, le Seigneur permet que ceux qui ne peuvent l'acquérir autrement tombent dans les filets les plus grossiers et les plus repoussants. Or, sans l'humilité, il ne peut y avoir de vie spirituelle, ni peut-être de salut.

Pardonnez-moi. Que el Seigneur vous aide. Ecrivez, et n'attendez pas de lettres.

N(ikon). 8 mars 1950.



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Chère N.!

" Je sens un poids sur mon âme." En nous tous, ce poids vient des "passions", pour reprendre la terminologie des saints Pères. Si vous voulez vous en libérer, vous devez vous efforcer d'affaiblir ou de détruire ses causes. C'est l'éternelle histoire, la même chez tous. Il ne faut surtout pas se décourager, il faut accepter, reconnaître sa faute, sa faiblesse dans la lutte et recevoir les épreuves comme le larron sur la croix : je reçois ce que j'ai mérité par mes actions, souviens-toi de moi, etc... Si vous vous comportez ainsi à l'égard de vous-même, vous serez soulagée et bientôt, délivrée. Dieu s'oppose aux orgueilleux et Il donne la grâce aux humbles, dont les manifestations dans l'âme sont la paix, la joie, la patience, la douceur, etc...

Je vous remercie beaucoup de vous être renseignée à propos de l'iconostase; pas moi seulement, des milliers seront reconnaissants au Père A. s'il nous la transmet. Nos moyens ne nous permettent pas d'en faire fabriquer une nous-mêmes. Le Seigneur le récompensera pour cette bonne action. Le fera-t-il ou ne sera-t-il pas en mesure de le faire? en tout cas personnellement, de tout coeur, je le remercie de sa bonne intention et serai heureux de faire sa connaisssance, pour le remercier.

Que le Seigneur vous aide et vous console. Amitiés, et bénédiction de Dieu pour vous et tous ceux que je connais.

N(ikon). 23 novembre 1950.



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N., paix, santé physique et morale, et salut pour votre âme!

Ce que vous avez écrit sur O.V. pensez-le également de moi. Des gens sont venus de Smolensk de la part de la hiérarchie, et l'on m'a dit de ne plus recevoir les gens. Je demande à tous de s'abstenir de venir ici. Il n'y a pas de nécessité spirituelle. Nous savons ce qu'il faut faire, nous allons, selon nos forces, nous contraindre à observer les commandements de l'Evangile, et à nous repentir de nos transgressions, de notre insuffisance dans l'effort extérieur et intérieur. Nous avons tous besoin, jusqu'à la mort, de nous repentir. Le repentir nous enseignera toute chose. Les entretiens et la lecture sans la pratique ne sont d'aucun profit. Confesser ses péchés, on peut le faire auprès de qui on veut.

Merci pour le paquet. J'ai compassion de O.V., je ferai mémoire de lui.

Je compatis à vos maladies corporelles et spirituelles. Consolez-vous, fortifiez-vous par la prière et, de temps en temps, par la lecture des saints Pères et de l'Evangile.

J'ai de la peine d'apprendre ce qui concerne Ch; Elle a tort dans son interprétation de mes paroles. Au reste, je ne sais pas si vous avez bien su les transmettre. On pouvait les transmettre de diverses façons et leur donner plus ou moins de force. La réponse, forcément, en dépendra. Transmettez-lui de ma part mes amitiés sincères et toutes sortes de meilleurs voeux. Qu'elle se souvienne parfois de la vie future et qu'elle n'oublie pas définitivement la croix du Christ. Deux piécettes valent mieux parfois que de grands trésors. Que le Seigneur la bénisse, l'instruise et la sauve.

Je vous commémore tous, c'est-à-dire maman et S. Que le Seigneur vous fortifie et vous inspire à faire le bien. Celui qui supporte jusqu'au bout sera sauvé. Ne dictons pas Sa conduite à Dieu, mais inculquons à nos coeurs la soumission au Seigneur, le dévouement à Sa sainte volonté. Le Seigneur nous mène par la voie la plus facile vers le salut, en conformité avec nos particularités, nos forces, les circonstances, etc... L'aveugle ne montre pas le chemin à celui qui voit.

Pardonnez-moi et priez pour moi. Amitiés à votre maman. remerciez L.A. Son attention me touche. Peut-être aurai-je un jour l'occasion de la voir. Que le Seigneur vous bénisse. Amitiés à ceux que je connais.

N(ikon). 17 décembre 1951.



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Paix et salut de l'âme, chère N.!

Je souhaite à chacun de se réjouir, de bien se porter dans son corps et son âme, de progresser en tout. V.N. m'a montré la lettre que vous lui avez écrite. Votre maman est sérieusement malade. Quel dommage! Que le Seigneur l'aide, lui donne la patience et la guérison. Je sais que votre santé n'est pas bonne non plus. Mais qu'y faire? Ou bien nous avons la foi, et alors, remettons-nous dans les mains de Dieu, portons sans nous plaindre notre croix intérieure et extérieure; ou bien il nous faut vivre sans la foi, et dans ce cas-là, bien sûr, il est naturel de vouloir jeter bas la croix, ce que, cependant, personne ne réussira à faire, le résultat étant que vivre deviendra encore plus dur.

N'établissez aucun plan, et si vous en établissez, n'essayez pas de les réaliser coûte que coûte, avec vos propres forces. De toutes façons, rien ne sera comme vous le pensez et le voulez, tout sera comme Dieu l'estimera bon et utile pour vous. Il ne suffit pas de croire en Dieu ( les démons croient, eux aussi), mais il faut faire Sa volonté; il faut se livrer à Sa Providence, il faut constamment renoncer à sa propre volonté au nom d ela volonté de Dieu; il faut donc agir selon les commandements - ce qui est le sens de l'expression "faire la volonté de Dieu". Et se repentir de nos transgressions, il le faut sans cesse, jusqu'à la mort, se reconnaître les débiteurs insolvables de Dieu et demander Sa grâce, comme le publicain, et remercier Dieu pour tout, pour le salut du monde et pour son salut personnel, car en vérité le Seigneur a tout fait et fait tout pour sauver le monde et chacun de nous.

Le Seigneur voudrait nous combler tous de Ses dons, mais nous ne sommes pas capables de les recevoir sans qu'ils nous nuisent; c'est pourquoi Il ne peut pas nous les donner. Ce n'est qu'avec la main de l'humilité que l'homme peut recevoir les dons du Seigneur, dit saint Isaac le Syrien; or, nous n'avons pas d'humilité, en tout règne notre moi, notre ego, l'affirmation de soi et non le renoncement conforme à la parole du Seigneur : celui qui renonce à soi sur terre, celui-là, dès ici-bas, recevra au centuple, et dans le futur, la vie éternelle. Donc, pour recevoir ce que l'on désire, il n'y a qu'une seule voie : acquérir l'humilité, renoncer à soi-même, recevoir sans gémir de la main de Dieu ce qui nous sera envoyé.

Amitiés aux vôtres et la bénédiction de Dieu à tous; la paix soit avec vous tous.

N(ikon). 18 septembre 1953.



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Très respectée N.!

Vous demandez mon opinion sur le baptême. La voici : n'en faites jamais, n'en parlez pas, ne le conseillez à personne si on vous le demande. Même si on vous le demande, ne le conseillez et ne le faites qu'après avoir bien élucidé l'affaire, s'être bien renseigné sur le demandeur.

Portez-vous bien. Merci pour le mal que vous vous donnez. Je suis votre débiteur. Amitiés aux vôtres. Que Dieu vous bénisse tous.

N(ikon). 1er janvier 1958.



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La paix soit avec vous, N.!

J'ai reçu votre lettre. Je n'oublie pas E.F., je la remercie et la prie de ne pas m'oublier. C'est avec joie et une grande reconnaissance que j'accepterai pour moi ou pour l'église l'icône de saint Séraphim. Prenez-la, si vous le pouvez, et achetez-lui un cadeau. Elle n'acceptera pas d'argent pour l'icône. Tâchez de bien l'emballer et de l'envoyer.

Maintenant, une petite leçon : ne dites jamais de mal de quiconque nulle part, en croyant par là ( c'est une embûche) corriger quelqu'un. Vous voyez tout le mal que vos langues ( la vôtre, celles de L., de R., de V.) ont fait et feront encore si vous ne les retenez pas. Nous ne savons pas nous sauver nous-mêmes, comment saurions-nous corriger et sauver les autres?

Merci pour le aml que vous vous donnez.

Amitiés à tous les vôtres. Je souhaite que la paix s'instaure au milieu de vous tous. Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ. Nous sommes tous coupables, et c'est pourquoi il nous faut nous pardonner mutuellement. Encore une fois, je vous remercie. Profond salut et bénédiction à tous.

N(ikon).



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N.! Paix et salut de l'âme!

Amitiés à votre maman et à tous les vôtres. Que le Seigneur vous bénisse tous et vous éclaire. Il nous faut tous rester bouche cousue, il nous sera alors plus aisé de vivre. Ne prenez pas sur vous le rôle d'institutrice, soyez une soeur, ne faites pas la leçon, donnez des conseils si on vous les demande, mais venant non de vous, mais des saints Pères. Sinon, vous vous causerez beaucoup de mal, sans pour autant faire du bien aux autres. Pardonnez-moi.

N(ikon). 28 janvier 1958.



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Chère N.!

J'ai reçu votre lettre. Y répondre ne vaudarit pas la peine, mais vous penseriez que je suis fâché contre vous, c'est pourquoi j'ai décidé de dire deux ou trois choses en réponse.

Vous devriez imprimer dans votre tête mon avis que je ne peux absolument pas diriger la vie spirituelle, que je ne me conçois pas comme père spirituel de qui que ce soit et que je ne compte personne comme mes enfants spirituels. Pourquoi? Parce que je ne me vois pas

moi-même apte à la direction spirituelle, et que tout au long de ma vie je n'ai vu personne apte à cela, et que je n'ai pas vu non plus quiconque être un "enfant" capable d'obéir à un "père" spirituel et de vivre sous sa direction. Peut-être n'y a-t-il pas de pères parce qu'il n'y a pas d'enfants.

" Si vous voulez avoir une opinion hostile de moi, vous pouvez écouter L.", c'est ce que vous écrivez. Par cette phrase, vous illustrez admirablement ma pensée. Si le père spirituel se fait une idée de son enfant sur le fondement des dires et du jugement d'autrui ( c'est ce qui ressort de ce que vous écrivez), et l'enfant estime que son père spirituel est capable de juger ses enfants sur la base du jugement des autres, comment le père spirituel pourrait-il diriger son enfant spirituel?

Pour votre information : L. n'a rien écrit de mal sur vous, ni à moi ni aux nôtres.

Par la phrase suivante, vous confirmez une fois de plus ma pensée exprimée dans le point 1, à savoir : vous citez les paroles de L. "Tout le monde vous dit que le père est un mauvais pasteur et un mauvais homme." Je dirai la même chose de moi, mais différemment : " je suis un très mauvais pasteur, et un homme pire encore." C'est en vérité ainsi, et plus encore. Il est clair que je ne puis diriger personne.

Vous écrivez que vous aviez et que vous avez le droit de juger L. et les autres. Apparemment sur le fondement du fait que vous estimez être la mère spirituelle de L., et des autres sans aucun fondement? A cela je vous dirai : vous n'avez aucun droit ni de juger ni, pire encore, de révéler votre jugement aux autres, car c'est interdit par le Seigneur Lui-même. Les conséquences de votre jugement le prouvent. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. le fruit de vos paroles, c'est le désordre général.

Pour autant que je sache, le Père V. s'est fâché contre vous non point à cause de R. mais pour tout autre chose, que vous devez connaître. Moi, je l'ignore.

Je vous demande pardon de vous avoir traitée quelque part ( par excès de vaines paroles) d'"anormale". Vous savez très bien pourquoi : pour vos manières, parce que vous murmurez à l'oreille des autres, etc... Je vous en ai parlé en privé et en présence des autres et vous ai demandé de ne plus le faire. Et vous, soit vous n'écoutez pas, soit vous ne pouvez vous corriger. Laissez ces manières, et personne ne vous traitera plus d'"anormale".

Vous écrivez : " Je suis venue à vous n'étant déjà plus immature spirituellement parlant, avec déjà des succès importants (souligné par vous), avec la connaissance de Dieu, de l'ennemi, du ciel et de l'enfer...".

Cela me terrifie, me fait trembler d'effroi. Pardonnez-moi de ne pas vous avoir accueilli avec admiration. La seule chose qui puisse m'excuser, c'est que moi-même, non seulement je me suis toujours vu immature, à l'époque comme maintenant, et dépourvu de tout succès et de toute connaissance de Dieu, de l'enfer et du ciel ( en dehors des dogmes), mais encore, je me reconnais comme en péril du fait de mes transgressions, indigne de quelque succès et connaissance que ce soit, mais même de l'appellation de chrétien, et a fortiori du titre de prêtre. Je vous dis cela sincèrement, car je me sens véritablement tel.

Etant donné que ne peut connaître ce qui est spirituel seul celui qui est spirituel lui-même et qui s'est déjà élevé très haut, n'étant moi-même ni rien ni personne, je ne pouvais pas concevoir qui vous étiez et à quelle hauteur vous vous trouviez, et c'est pourquoi je me suis adressé à vous comme à une personne ordinaire. Pardonnez-moi, pour l'amour du Christ. Si j'étais capable d'obéissance, je vous demanderais à chaudes larmes d'être ma mère spirituelle et mon directeur, mais à cause de mon grand âge et de mon incapacité, je ne peux plus être novice. Je pense que ce point 7 est démontré par le point 1.

Conclusion : nous serons amis, si vous daignez vous abaisser jusqu'à moi. Mais je ne puis admettre que vous vous appeliez mon enfant spirituel, et moi-même votre père spirituel. Vous devriez, soit vous trouver un père spirituel en conformité avec votre âge, soit marcher sur le chemin qui vous a amenée à cette hauteur spirituelle dont vous parlez.

Que Dieu vous aide! Faites votre salut! Ne m'oubliez pas dans vos saintes prières. Amitiés à tous et que la bénédiction de Dieu soit sur vous.

N(ikon). 3 mars 1958.



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Chère N.!

J'ai reçu votre lettre dans laquelle vous parlez de la maladie de L. Elle ne quitte pas ma pensée. Bien que tous, grands et petits, soyons inéluctablement amenés à quitter ce monde, pourtant, quand cela advient à quelqu'un de proche, de cher, involontairement nous nous insurgeons contre cela. Au fond de chaque homme, il y a la conscience de son immortalité. Et, effectivement, l'homme est immortel et ce que nous appelons la mort est une nouvelle naissance dans un autre monde, le passage d'un état à un autre et, pour la plupart des chrétiens, le apssage à un état incontestablement meilleur, infiniment meilleur. Et c'est pourquoi il ne faudrait pas se désoler quand la mort approche, il faudrait plutôt se réjouir, mais nous ne croyons pas assez en la vie future, ou bien nous en avons peur, et puis la vie ici-bas nous retient solidement.

Du point de vue spirituel, il faudrait se réjouir pour L. Le Seigneur lui permet de se préparer à la vie éternelle, mais on a peur d'une chose : ne va-t-elle pas se plaindre, se conduire avec pusillanimité? Oh, si elle pouvait accepter l'épreuve, se tourner de tout son coeur vers Dieu, se repentir sincèrement de toutes ses fautes, communier aux Saints Mystères avec foi et piété! La mort serait alors pour elle une joie, une nouvelle naissance, le passage vers ceux qui l'aiment de toute leur âme, qui l'attendent pour la combler d'une joie parfaite et sans fin, telle que ni l'oeil ne l'a vue, ni l'oreille ne l'a entendue, et qui n'est pas montée au coeur de l'homme...

Transmettez à L. ma profonde compassion et mon souhait ardent qu'elle surmonte la détresse de la mort et qu'avec joie elle passe dans l'autre monde qui est notre vraie patrie, préparée pour nous dès la fondation du monde, où l'homme deviendra semblable aux anges, où son visage s'illuminera comme le soleil.

Transmettez-lui également ceci : pour le fait que, sans me connaître, elle a montré des années durant de l'amour pour moi, je ne l'oublierai jamais, qu'elle vive encore longtemps ou qu'elle meure à l'instant. Elle me sera chère après sa mort. Oh! si j'avais l'audace de dire que mon âme sera toujours aux côtés de la sienne, et ici-bas, et dans la vie future!

N., regardez-la dans les yeux avec tout l'amour que vous avez pour elle, caressez-lui les cheveux, le visage, baisez-lui mille fois les mains - ce sera de ma part. Dieu est avec nous!

Si un être humain peut aimer et plaindre un autre être humain, quel doit être l'amour de Dieu pour nous, si cet amour pour notre salut L'a conduit jusqu'à la Croix! C'est pourquoi L. ne doit pas avoir peur, elle doit compter sur l'infini amour de Dieu!

Que L. justifie son nom et ressente de l'amour pour Dieu, qui a supporté pour elle aussi d'atroces souffrances, des injures et la mort sur la Croix. L'Amour divin fera alors de la Lioubov (1) terrestre sa fille chérie, participante de la gloire et de la félicité de la vie divine.

(1) : ( Le prénom féminin Lioubov (exprimé ailleurs par la lettre L.) signifie Amour (NdT).

Il faut démontrer son amour pour Dieu par l'acceptation de l'arrachement à ce monde, l'acceptation sans plainte d'une maladie torturante, afin de se rendre participants des souffrances du Christ. Si nous souffrons avec Lui, nous entrerons dans la gloire avec Lui.

Je le répète : L., mon âme est avec vous, de toutes ses forces elle vous souhaite ce que j'ai exprimé ci-dessus. Endurez, ne vous plaignez pas. Si votre foi flanche, dites : " Seigneur, je veux croire, je veux âtre une vraie chrétienne. Seigneur, viens en aide à mon peu de foi!" Et le Seigneur ne vous abandonnera pas!

N(ikon).



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N.!

Je vous prie vivement de m'excuser de vous avoir dérangé en vous demandant de faire admettre cette personne de ma connaissance... C'est un homme bon, mais il est tombé dans les rets de l'ennemi. Il s'est mis à boire. C'est pourquoi le Seigneur lui a envoyé une maladie, qui peut-être l'aidera à s'affranchir de la vodka. Il a une très bonne épouse, une chrétienne. Il promet de cesser de boire et de changer de vie s'il se débarrasse de sa maladie. J'ai des raisons d'ajouter foi à cela. En tout état de cause, il faut, pour l'amour de Dieu et pour son salut, lui venir en aide. Si E.N. refuse de le soigner et déclare qu'il faut l'opérer, je vous demande de le faire admettre quelque part. Faites les trajets en taxi. Il vous le proposera lui-même. Ne refusez pas. Je vous en serai très reconnaissant.

Amitiés et bénédiction de Dieu à tous.

N(ikon).



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Chère N.! Paix à vous et salut de l'âme!

Comment allez-vous? Comment va votre maman? Saluez-la et transmettez lui la bénédiction du Seigneur.

Je vous écris pour affaire. J'ai pris hier le livre d'Isaac le Syrien (1) et j'ai été très étonné. Le livre n'est pas à moi et je ne l'ai pas regardé une seule fois, même quand vous l'avez apporté. Mon livre comporte un portrait - l'édition est de 1911, je crois - avec un index détaillé. Il n'y a rien de cela dans ce livre-ci, et l'édition est de 1893. Mon livre fait partie de moi. Je l'ai depuis 1913 et j'ai dû le lire entièrement pas moins de quinze fois. J'y tiens. Au milieu du livre, il y a deux pages maculées d'encre, en bas. Je l'avais donné à lire et il a été taché. A propos, j'avais aussi saint Macaire d'Egypte; quelqu'un l'a pris en mon absence et ne l'a pas rendu. Ce sont nos manières de faire, chez nous, en Russie.

Je vous en prie, écrivez-moi quand vous aurez parlé avec "elle" ( je ne connais pas son nom). Je vais attendre votre réponse.

Portez-vous bien. Amitiés à tous. Que la bénédiction de Dieu soit sur vous tous. Je pense venir à Moscou en octobre.

N(ikon). 18 février 1960.



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Chère N.!

Paix à vous et meilleurs voeux pour la nouvelle année. Que nous réserve-t-elle? Je vous remercie de vos lettres. Bien que je n'écrive pas moi-même, votre vie m'intéresse. Je souhaite à tous tout le bien possible, c'est-à-dire le salut.

Voici pour vous une pensée nouvelle : tout comme nous regrettons la moindre parole dure, la moindre inattention à l'égard d'une personne décédée - ainsi nous les regrettons aujourd'hui à l'égard de S. -, nous devrions avoir le coeur meurtri à l'égard de tout homme, quand notre coeur s'ouvrira, ici ou après la mort. Plus que de tout autre péché, le coeur se désole des péchés, si minimes soient-ils, commis contre notre prochain, et pas seulement contre nos proches.

L'atmosphère dans notre église est mauvaise. Même cela, il faut le supporter. Nous nous portonns bien, tous nous allons cahin-caha, nous nous plaignons du mauvais temps.

Amitiés et bénédiction à vous et aux vôtres, particulièrement à votre maman. Les nôtres vous saluent.

N(ikon). 23 janvier 1962.



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Chère N.! Paix à vous!

Je compatis beaucoup à votre fatigue et au mal que vous avez à assurer tous les travaux domestiques et autres charges.

Je vous remercie de votre lettre. Je plains beaucoup L. Transmettez-lui de ma part ma reconnaissance, la bénédiction de Dieu et ma profonde compassion. Comme je voudrais pouvoir améliorer son état! Mais que faire? Nous devons nous soumettre aux arrêts de Dieu. je souhaite catégoriquement que ses souffrances n'éveillent pas en elle la rébellion et l'incroyance. Que la miséricorde et l'amour de Dieu couvrent ses péchés. Il est clair que c'est par un arrêt spécial de Dieu que la plupart des gens meurent du cancer. cette maladie est sans espoir et elle laisse du temps pour le repentir. C'est la raison pour laquelle le cancer est si répandu.

Comment est la santé de Ch.? Si elle est atteinte du cancer, c'est beaucoup plus grave que pour L.A., puisqu'elle laisse derrière elle deux enfants. Et comment pourra-t-elle leur dire adieu? Dieu veuille qu'elle puisse élever ses enfants jusqu'à ce qu'ils se suffisent à eux-mêmes. Et comment seront-ils? Peut-être aura-t-elle encore plus de chagrin s'ils grandissent en devenant autres que ce qu'ils devraient être.

Ma santé est comme lorsque vous étiez ici.

Que le Seigneur vous garde!

N(ikon). 18 novembre 1962.



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Paix à vous, pèlerin, et salut de l'âme!

J'ai reçu votre lettre. Je suis heureux que vous ayez été bien accueillie et bien installée, et plus heureux encore que les gens, là-bas, soient de braves gens, même s'ils ne vous satisfont pas entièrement. Mais vous ne les connaissez pas encore bien, et puis on ne peut exiger des gens ce que nous voudrions qu'ils soient. Pour certaines phrases concernant vos nouvelles connaissances, il faudrait vous gronder, mais pour cette fois, on peut vous pardonner, si vous vous repentez.

Certaines phrases ne me plaisent pas, par exemple : "De temps en temps, je suis assaillie d'une terrible tristesse, d'une absence d'espoir", "seule, je sombrerais définitivement et sans espoir". Votre état est-il bien comme vous le décrivez? Si c'est le cas, si vous n'exagérez pas, et si vous ne mélangez pas plusieurs états différents, une question se pose : par quoi est provoqué cet état? Vous le savez vous-même, il peut provenir de nombreuses causes. L'insatisfaction spirituelle ne doit pas s'exprimer par un état pareil. Je vous donnerai, en m'excusant, un conseil que vous ne me demandez pas : soyez très stricte avec vous-même dans vos états intérieurs. On peut être trompé et s etromper, tromper aussi son confesseur et véritablement sombrer dans l'illusion diabolique, qui n'est autre que le mensonge envers soi. Pour l'instant, je n'en dirai pas plus.

" Seule, je sombrerais définitivement et sans espoir..." Vous n'êtes pas encore seule, vous êtes avec Dieu. Ne mettez pas votre foi dans les princes... Recherchez le Royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît. Tout - et la subsistance matérielle et les livres et même les gens -, tout ce qui peut contribuer au salut. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas, dit le Seigneur. Pourvu que l'homme ne se détache pas de Dieu, ne mélange pas à la cause du salut toutes sortes d'aspirations terrestres, et surtout le mensonge.

Concernant des personnes expérimentées dans l'exercice spirituel, l'on peut se référer à l'opinion d'Ignace (Briantchaninov) et de beaucoup d'autres, selon laquelle, de nos jours, il est très improbable qu'on en puisse trouver. C'est déjà bien si l'on trouve des personnes qui pensent comme vous. Il faut chercher appui dans les livres principalement. Si cependant vous trouvez des gens qui pensent comme vous et qui sont plus expérimentés que vous, ne serait-ce que du fait de leur âge, il faut profiter de leurs conseils, mais avec discernement et après vérification. Le chemin du salut est simple : crois en Christ, observe les commandements ( là est incluse la prière continuelle) et repens-toi de la moindre violation du plus petit des commandements. Le plus important : ne pas juger, ne pas offenser son prochain.

Confessez-vous et communiez le plus souvent possible. Il vaut mieux se confesser à un hiéromoine qu'à un prêtre de paroisse. Nous compliquons nous-mêmes le chemin du salut par nos passions, notre mensonge, l'autojustifiaction et le mensonge à nous-mêmes. dénudez complètement votre âme devant Dieu, ouvrez-Lui vos faiblesses, et le Seigneur vous pardonnera, vous éclairera, vous consolera comme vous ne pouvez même pas l'imaginer.

Que le Seigneur vous bénisse et vous inspire pour le bien.

N(ikon) qui souhaite votre salut. 20 janvier 1958.



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Vous m'avez informé de l'extérieur de votre vie, et je ne sais rien de son intérieur, je ne juge que d'après quelques-unes de vos phrases. Si je me trompe en quelque chose, pardonnez-moi. Ainsi, j'ai très envie de vous dire : ne dites jamais rien de mal, rien d'ironique, de qui que ce soit, et en tous cas de ceux qui vivent là-bas. Vos paroles pourraient être transmises, sinon par mauvaise intention ou inimitié, du moins par inattention ou en guise de plaisanterie - et voilà que vous vous serez fait un ennemi. Pour l'amour de Dieu et pour votre sécurité, observez cette requête et là-bas et où que ce soit.

N(ikon).



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Paix à vous, N. Et salut à votre âme!

Que vous voir mauvaise ne vous décourage pas. Ce n'est pas si mal. Tous portent la vétusté du premier Adam, qu'ils le voient ou non. Il n'y a pas encore en vous la vision de vos péchés; c'est l'affaire du futur. C'est déjà bien que vous ayez conscience et sentiez certains péchés, dont il faut se purifier par le repentir. Nous sommes tombés si bas, le péché s'est incrusté en nous si profondément, il est si diversifié, si subtil et si perfide, que les saints ascètes se sont repentis et ont pleuré jusqu'à leur mort. Du reste, le Seigneur n'a pas mis de limite au repentir.

Par le repentir, l'âme se purifie, et par la mise en pratique des commandements, la grâce de Dieu est attirée et s'installe en elle.

Vous demandez ce qu'il vous faut faire dans les circonstances données. Si vous le désirez, essayez de suivre le conseil suivant : vivez pour l'instant là-bas, en remplissant vos obligations de travail le mieux possible.

Estimez-vous pire que tous et tâchez de rendre service à tous, dans la mesure du possible. En tous cas, ne blessez personne ni en paroles ni en pensée ni en apparence. Ne jugez personne, ni seule ni en compagnie; et quand l'occasion se présentera, faites du bien à toute personne.

Efforcez-vous d'êtr e attentive à vous-même, et à chaque instant, en actions, en paroles, en pensées, observez les commandements de l'Evangile, chassant toute pensée mauvaise et toute chimère par l'invocation du Nom du Seigneur Jésus-Christ.

Quotidiennement, au lever, accomplissez la règle suivante, prescrite par l'évêque Ignace ( Briantchaninov) à une jeune fille désireuse d'étudier le christianisme par la pratique : vingt grandes métanies, accompagnées de la prière "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur"; vingt petites métanies accompagnées de la prière "Sainte Souveraine et Mère de Dieu, sauve-moi pécheur", dix petites métanies et la même prière; cinq petites métanies accompagnées de la prière "Ange de Dieu, saint Ange gardien, prie pour moi, pécheur"; cinq petites métanies accompagnées de la prière " Tous les saints, priez Dieu pour moi, pécheur". Au total : 70 métanies dont 30 grandes et 40 petites. Si vous estimez que pour vous, c'est trop peu, on peut ajouter, selon vos forces, quelques métanies avec la prière de Jésus.

Mais il faut évaluer la règle d eprière en sorte qu'elle soit la même jour après jour. Les saints ont dit : " Une courte règle constante vaut mieux qu'une longue qui s'arrête trop tôt."

Après cela, lisez les prières du matin, un extrait des Epîtres et de l'Evangile. Si, dans le courant de la journée, une petite heure se libère, on peut répéter la règle avec les métanies ou bien ne faire que vingt grandes métanies et vingt petites, avec la Prière de Jésus.

Le soir, il faut commencer par les métanies dans l'ordre et la quantité cités. Après, réciter les prières du soir et lire l'Evangile. Une fois couché, il faut penser à la mort, dont le sommeil ets une image et, chassant toute imagination et pensées mauvaises, s'endormir en disant la Prière de Jésus (1).

(1) : (Citation d'Ignace Briantchaninov).

Rappelez-vous les paroles du Sauveur : Apprenez de moi car je suis doux et humble de coeur et vous acquerrez la paix pour vos âmes. Apprenez, faites des commandements du Christ la propriété de toute votre âme ( pas seulement de la mémoire), afin qu'ils se manifestent dans toutes vos pensées, vos paroles, vos actes, dans toute votre vie; alors vous serez véritablement une disciple du Christ, "vous verrez les miracles de Sa loi", vous acquerrez la paix pour votre âme.

Maintenant, je réponds à quelques-unes des questions contenues dans votre lettre.

Le Seigneur Jésus-Christ est venu sur terre et a apporté la Bonne Nouvelle afin de mettre un levain nouveau, divin, dans l'âme de l'homme et faire de nous Ses enfants, des dieux par grâce. Vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut, bien que vous vous soyez assimilés aux bêtes sans intelligence par vos passions charnelles et même aux démons par vos passions spirituelles. Il faut les combattre avec l'aide de Dieu et en tout cas reconnaître leur présence dans notre âme, pleurer notre déchéance, et implorer Dieu, comme le publicain, pour qu'Il nous fasse grâce.

Lorsque vous vous connaîtrez quelque peu, vous comprendrez votre impuissance à devenir telle que vous devez être, et vous cesserez de condamner quiconque et a fortiori de le mépriser.

On n'échappe ni à soi ni au diable. Il ne faut pas fuir, mais, avec l'aide de Dieu, lutter. Il faut cacher à tous sa lutte, ses vertus et sa disposition intérieure, ne les ouvrir qu'à son confesseur ou à un homme spirituellement expérimenté, sinon vous risquez de vous nuire à vous-même et d'être une occasion de chute pour les autres.

Je suis content que vous promettiez de ne pas vous moquer des autres; pourtant, vous utilisez aussitôt cette expression : "une personne étonnamment bien et de bonne qualité". Est-ce de l'ironie ou une méconnaissance de la langue russe?

Vous êtes à l'âge où l'on ressent une grande insatisfaction et une angoisse inexpliquée; or, pareille chose peut se produire d'une façon naturelle, mais aussi sous l'influence des démons. Ils vont vous forcer à vous déplacer d'un lieu à un autre, à vivre "comme tout le monde", à aménager votre petit bonheur terrestre, etc... Voici donc qu'il vous appartient maintenant d efaire un choix. Il vaut mieux faire un choix qui corresponde à vos forces pour ensuite être accablée et découragée. Il est dit dans l'Evangile qu'avant de construire la maison, il faut calculer et voir si on en a les moyens.

Tout sera donné par surcroît si vous recherchez activement le Royaume de Dieu au lieu de rester les bras croisés et d'attendre, car il est dit : cherchez, frappez, demandez et non : reposez-vous et attendez, et vous recevrez ce que vous désirez.

Si vous ne rusez pas, ne mentez pas devant Dieu, devant vous-même et devant moi, jamais je ne vous repousserai et, bien que moi-même je ne fasse rien de bien, je partagerai volontiers avec vous ce que je sais.

Encore une fois je vous conseille : cachez à tous vos états spirituels, ayez compassion de tous, priez pour vos ennemis ( par l'intelligence, au moins, si le coeur ne suit pas), et le Seigneur ne vous abandonnera pas.

Portez-vous bien. Que le Seigneur vous garde, vous bénisse et vous inspire pour le bien.

N(ikon). 8 février 1958.



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Paix à vous, N.!

J'ai reçu vos lettres pleines d'inquiétude. Ne soyez pas troublée d'avoir accepté de nouvelles fonctions. Saint Barsanuphe le Grand dit que dans le cours des choses, il faut discerner la volonté de Dieu nous concernant. Vous-même n'avez rien cherché pour vous-même. or, il faut aider votre famille par tous les moyens. Que le Seigneur vous aide. Ne soyez pas perturbée par le fait qu'il ne vous restera pas beaucoup de temps pour vous. Vous avez conscience de votre froideur, bien que vous ayez pas mal de temps libre. Il pourra se faire qu'ayant moins de temps libre, votre froideur disparaîtra. Nous ne pouvons rien faire par nous-mêmes ni gagner quoi que ce soit par la force. Il faut gagner par l'humilité et la soumission à la volonté de Dieu. Dieu s'oppose aux orgueilleux et donne la grâce aux humbles.

Et comment acquérir l'humilité? Par ses propres moyens, l'homme ne le peut pas. Il faut en tout - dans les petites choses comme dans les grandes - reconnaître sa faiblesse, ses limites, son impuissance, sa "vétusté", son côté charnel et utiliser toutes leurs manifestations à son profit - se faire des reproches, se voir comme une servante indigne du Seigneur, qui a un besoin constant de Sa miséricorde et de Son aide. C'est bien que vous voyiez vos défauts; ils sont bien pires et plus nombreux que vous ne les voyez, mais il ne faut pas à cause de cela sombrer dans le découragement ou même le désespoir. Cela doit vous amener à l'humilité, ainsi que tous ceux qui tendent vers le Seigneur. C'est à cet état de choses que s'adressent ces mots : à celui qui aime le Seigneur tout contribue à son bien, c'est-à-dire à son progrès spirituel. Sans défauts et sans faiblesses, nous risquerions de nous enorgueillir.

Concernant la compréhension de tel ou tel livre : aucun lieu, aucune personne ne pourront aider tant que l'on n'aura pas atteint le niveau pour le comprendre. En se forçant à mettre en pratique les préceptes de l'Evangile et en se repentant de chaque péché, l'âme se purifie et grandit spirituellement. Il n'y a pas d'autre voie.

Ne croyez pas que je puisse vous être particulièrement utile. Ce n'est qu'en conséquence de mon âge et d'une expérience de la vie que je peux partager avec vous cette expérience, si vous le jugez utile. Mais cette direction spirituelle dont vous et moi avons besoin, je ne pense pas qu'on puisse la trouver où que ce soit. Je ne l'ai pas trouvée durant toute ma vie et je ne me dirige que grâce à des livres, et vous savez quels sont ceux que j'estime le plus.

Pour qu'une graine donne un arbre, que celui-ci donne des fruits, il faut du temps; pour que du vieil homme se lève, grâce à un levain frais, l'homme nouveau, il faut plus de temps encore, et d'efforts. Forcer le rythme de la croissance, on ne le peut pas, car on risque de lui nuire par des procédés artificiels. Le Seigneur, Lui, sait ce qui est utile et nécessaire à l'homme, et à celui qui cherche, Il le donne, même contre son gré, car l'homme, bien souvent, ne souhaite pas ce qui lui est utile dans le moment présent.

Que le Seigneur vous inspire pour le bien. Portez les fardeaux des gens, ne jugez personne, faites à tous du bien selon vos forces pour l'amour du Seigneur et, avec la mesure par laquelle vous mesurez, le Seigneur vous mesurera - une mesure serrée, secouée et qui déborde. ne vous inquiétez de rien, comptez sur l'aide de Dieu. Le Seigneur a compassion de nous et Il nous aime plus que nous nous aimons nous-mêmes.

N(ikon) qui vous veut du bien. 25 mars 1958.



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Le Christ est ressuscité!

J'ai reçu votre lettre chagrine. Vous connaissez la loi spirituelle : c'est avec de grandes peines qu'il convient d'entrer dans le Royaume de Dieu; dans le monde, vous serez dans la peine; dans l'endurance (devant les peines) vous gagnerez vos âmes. Il faut que chaque chrétien assimile cela définitivement. Le Dieu Homme a enduré les crachats, les coups, les insultes multiples, l'atroce Croix et la mort; une épée a percé l'âme de la Mère de Dieu et a torturé son coeur tout au long des souffrances du Sauveur. Les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les saints et tous les authentiques disciples du Christ - qu'ont-ils supporté?

Si quelqu'un veut me suivre, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Si vous voulez sincèrement suivre Jésus-Christ, il n'y a pas d'autre voie que celle qu'Il a indiquée : des peines et des maladies, un combat permanent contre les passions, qui apparaissent sous les formes les plus diverses. Il y a des passions évidentes : la gourmandise, la fornication, la cupidité, la tristesse, le découragement, la colère, la vanité, l'orgueil, l'incroyance, l'envie, le mensonge, le jugement du prochain, etc... Contre elles, le vrai disciple du Christ doit se battre, il doit les vaincre, et cela requiert la tension de toutes ses forces et de l'endurance. De deux choses l'une : ou bien l'homme se soumet à elles sans livrer combat, trahit le Christ, choisit le monde et son mode de vie, ou bien il lutte, il souffre, et grâce à cela il grandit spirituellement.

L'état dont vous parlez par allusion relève aussi de la passion; c'est une propriété du vieil homme, mais masquée et mêlée de toutes sortes d'additifs, du fait de l'ennemi et de ses ruses. Les démons, bien qu'assombris par leur chute, ont dans une certaine mesure conservé leur intelligence angélique et quelques autres qualités. Ils ont parfaitement étudié les propriétés de l'homme, physiques et psychiques; ils ont accès au corps et aux nerfs, au cerveau de l'homme; ils agissent sur les qualités et les manifestations morales de l'homme, toujours dans le sens du mal et dans le but de causer la perdition. Etant donné que l'homme voit lespassions évidentes, ainsi que le mal qu'elles causent, les démons s'acharnent à tout mélanger, à donner une grande importance aux émotions de la personne, ils accentuent les unes, affaiblissent les autres, afin d'induire la personne en erreur, de donner à la passion des significations particulières, une belle apparence, etc... Leurs embûches, leurs ruses, leurs mensonges, tous leurs procédés sont innombrables qui visent à tromper et à perdre l'homme.

Nous, les novices, les inexpérimentés, n'ayant pas de pères spirituels, nous devons savoir une chose : nous ne pouvons par nous-mêmes combattre et vaincre les passions et les démons, mais nous devons cependant lutter contre eux selon nos forces et sans cesse, au moment des attaques, appeler le Seigneur à l'aide. Ils m'ont entouré (les passions et les ennemis) et par le Nom du Seigneur je les ai repoussés. Ni vous-même avec vos forces, vous ne les vaincrez ni aucun autre homme, a fortiori, ne peut vous venir en aide, mais seulement le Seigneur. En conséquence, il faut prier intensément, avec piété, componction, en confessant au Seigneur ses péchés, ses passions, son impuissance, et en demandant pardon et secours. Si vous agissez ainsi, vous sentirez bientôt une tranquillité et une paix intérieures, une certaine humilité et la résolution de tout supporter pour l'amour du Seigneur et en vue de votre salut.

J'ajouterai quelques mots à propos de l'état dont vous semblez penser qu'il n'appartient qu'à vous : le sentiment de solitude, d'abandon, etc... Je n'ai jamais rencontré une seule jeune fille, une seule femme solitaire qui ne souffre de cela. C'est apparemment une particularité de la nature féminine. Le Seigneur a dit à Eve après la chute : tes désirs te porteront vers ton mari. cette attirance - qui n'est pas purement physique, mais surtout et même parfois exclusivement psychique - agit évidemment chez les femmes seules, en se manifestant et en s'embellissant inconsciemment de diverses façons. Prélevée dans la côte d'Adam, elle cherche à reprendre sa place, afin de constituer une seule chair. Ne soyez pas blessée par ce que je vous écris, essayez de comprendre vos états d'âme. De toutes façons, ils sont la propriété du vieil homme et il ne faut pas se décourager à cause d'eux, mais au contraire les combattre par le jeûne, la prière, la lecture mesurée des saints Pères et du Nouveau Testament, par le travail physique et même la fatigue. Je termine là-dessus. Que le Seigneur vous inspire pour le bien, qu'Il vous bénisse et vous aide à trouver la bonne voie, celle qui est la vôtre, et à parvenir jusqu'au Royaume des Cieux!

N(ikon). 17 avril 1958.



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Que la servante de Dieu N. se réjouisse!

Pardonnez-moi de n'avoir pas aussitôt répondu. Avant tout, je vous remercie beaucoup pour l'huile. Vous avez fait là une bonne action. Que le Seigneur vous le rende.

Vous vous plaignez de vous-même à juste titre. La miséricorde de Dieu envers vous se voit au fait que vous avez conscience de vos défauts. Que serait-ce si, ayant ces défauts, vous vous estimiez "bien"? La prise de conscience de ses péchés ets le premier degré de la victoire sur eux. C'est pourquoi votre consclusion : " ... ne pas jeter de perles... et à portée de fusil...", etc..., est fausse. N'exigez pas de vous avant l'heure ce qui viendra nécessairement à son heure, si vous avancez sur le bon chemin. Vous n'allez pas demander à un enfant de faire sien ce que l'on apprend au cours des études secondaires et supérieures; si vous avez semé une graine de pommier, vous n'aurez pas des pommes l'année même. Vous êtes un petit enfant du point de vue du développement intérieur, et vous exigez de vous les qualités d'un adulte. Rechercher avant l'heure les états d'âme sublimes est défendu par de sévères interdictions, par des menaces de châtiments ou de stérilité définitive.

La voie juste qui mène au salut, c'est d'agir en toutes choses, grandes et petites, intérieures et extérieures, conformément aux commandements du Christ, et de se repentir de tout son coeur si ces commandements ont été transgressés. Et comme il a été dit par la Vérité elle-même : sans moi vous ne pouvez rien faire de bien, il faut le plus souvent possible rechercher aide et guérison auprès de notre Sauveur, c'est-à-dire prier en demandant tantôt de l'aide, tantôt le pardon, en dévoilant toutes ses infirmités, toute son impuissance. Si vous agissez ainsi, vous intégrerez la prière du publicain : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur" et aussi la Prière de Jésus.

Ne jugez personne, au contraire, ayez compassion de tout pécheur, car lui aussi, Dieu l'aime et désire son salut, tout comme le vôtre. On ne saurait juger et mépriser celui que Dieu justifie et aime. Avec quelle mesure vous mesurez vous serez mesurés aussi.

Conservez dans votre coeur les paroles du Saint Esprit tirées de l'Evangile et des Saints Pères.

Que le Seigneur vous inspire pour faire le bien. Ne vous découragez pas si vous tombez dans la tentation ou dans le péché. A celui qui aime le Seigneur et qui Le cherche, tout contribue à son bien... Paix à vous et salut de votre âme!

Votre compagnon de route vers les hauteurs N(ikon). Juin 1958.



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N., portez vous bien!

" Il m'est pénible de penser que vous êtes fâché contre moi, bien qu'il y ait des raisons à cela." Qu'est-ce qui a pu susciter cette phrase? Non seulement je ne suis pas fâché, mais je compatis grandement, je vous plains et je souhaite de tout mon coeur que vous vous engagiez sur le bon chemin, que vous y marchiez sans défaillance et que vous atteigniez le but, le Royaume de Dieu.

Mais vous devez savoir que ce chemin, il est dans notre coeur; autrement dit, il est cette échelle que décrit si minutieusement saint Jean Climaque. En bref : le chemin spirituel authentique conduit à Dieu par l'humilité. Apprenez de moi, car je suis doux et humble de coeur, et vous acquerrez la paix d evos âmes. Notre paix n'est pas dans le changement de lieu ou toute autre circonstance extérieure, il est dans la transformation intérieure, l'acquisition de la douceur et de l'humilité.

Ces qualités, on ne peut les acquérir que dans la solitude ou là où l'on vous aime et vous respecte. Le Seigneur sait quoi nous envoyer en aide pour notre salut. Acceptons des mains de Dieu tout ce qui nous advient, et supportons ce qui est, tant que le Seigneur n'a pas voulu changer les choses. Une mère ne prend pas soin de son enfant autant que le Seigneur le fait pour nous;

Que le Seigneur vous aide à "tourner votre attention sur le vrai mal", comme vous l'écrivez et, à mon avis, vous raisonnez bien, afin de l'arracher du coeur et de planter le bien à sa place!

La bénédiction de Dieu soit toujours avec vous.

N(ikon). 26 août 1958.



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N., qui êtes de la plus excellente qualité!

Je vous remercie de vous être, de ma part, prosternée devant Ignace (Briantchaninov). Ces jours-ci, ma pensée s'est souvent tournée vers vous, je ne pouvais pas me l'expliquer. Maintenant je comprends. Je pense que Monseigneur Ignace vous a commémorée et ne vous oubliera plus, ce que je souhaite vivement pour vous et pour moi.

Vous dites que vous obéiriez à chaque mot du Père S., mais moi je vous dis que c'est votre imagination, et non la réalité. La personne qui n'écoute pas Dieu dans Ses commandements ( ou plutôt qui ne peut pas obéir en tout, tant qu'elle n'a pas acquis l'humilité) ne peut aucunement écouter et accomplir la volonté d'un homme. Le Seigneur est partout. Essayez d'obéir au Seigneur dans les plus petites choses, de faire devant Sa face ce que vous faites quotidiennement. Essayez. Que vous soyez assise, debout, couchée, que vous regardiez, répondiez, parliez, que vous vous adressiez à votre prochain, que vous pensiez..., tâchez de faire tout cela conformément aux commandements de Dieu, comme devant Dieu Lui-même, car véritablement, le Seigneur est partout. C'est par Lui que nous vivons, que nous bougeons, que nous existons. Essayez de le faire ne serait-ce que pendant une heure. Si vous pouviez écouter une personne, pourquoi ne pourriez-vous pas, pendant au moins une heure, quotidiennement, écouter le Seigneur?

Ne rêvez-vous pas trop de grandes choses, en négligeant les petites, les réelles, celles qui vous sont accessibles? L'ennemi de notre salut procède souvent ainsi : il inspire le désir de ce qui est grand afin d'empêcher de faire ce qui est petit.

Pardonnez à celui qui enseigne et qui ne fait pas.

Portez-vous bien. Que le Seigneur vous bénisse et vous enseigne les voies du salut. Une étudiante de ma connaissance, d egrande qualité aux yeux du monde, est devenue folle et se trouve actuellement dans un hôpital psychiatrique - et des personnes comme elle, il y en a beaucoup. Que le Seigneur les aide toutes! Que le Seigneur vous garde, ainsi que la Mère de Dieu.

N(ikon). Septembre 1953.



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Je vous souhaite l'humilité et le salut!

J'ai reçu votre lettre le 6 novembre. Je refuse catégoriquement de vous donner une réponse concernant votre changement de lieu. Je ne connais pas les membres de votre famille, je ne sais pas si dans vos relations avec eux c'est vous qui avez raison. Votre confesseur, le Père S., en sait quelque chose : c'est à lui que vous devez demander conseil.

J'ai le sentiment que vous n'avez pas raison dans vos relations avec votre famille. Vous nêtes pas en paix avec eux parce que vous n'avez pas l'humilité, laquelle crée la paix et soumet tout le monde. Au lieu de vous accuser vous-même, vous accusez les autres, alors que vous êtes pleine de "vétusté". L'isolement n'est pas bon pour vous. Combiende mauvaises personnes sont devenues, dans l'isolement, de bons démons. Que cela ne vous arrive pas!

Vous rêvez de vie spirituelle, mais vous n'agissez pas quand l'occasion se présente de montrer sa foi par des oeuvres, et non par des rêveries.

Pardonnez-moi d'avoir osé vous écrire cela, alors que je ne sais rien. Je vous souhaite de tout coeur de trouver le bon chemin et de vous y engager.

N(ikon). Novembre 1958.



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Vous rêvez de vie spirituelle, mais vous n'agissez pas quand l'occasion se présente de montrer sa foi par des oeuvres, et non par des rêveries.

Pardonnez-moi d'avoir osé vous écrire cela, alors que je ne sais rien. Je vous souhaite de tout coeur de trouver le bon chemin et de vous y engager.

N(ikon). Novembre 1958.



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N., je vous remercie de vos voeux.

Ayant de la compassion pour vous et désirant pour vous le bien et le salut, je dirai à nouveau ceci :

1. Ne mentez jamais et soyez franche devant vos confesseurs, devant Dieu et dans la mesure du possible avec tout le monde. Le Seigneur déteste la fourberie (le fourbe, c'est le diable) et le mensonge (qui vient du diable). Il est clair que le fourbe, tant qu'il est ainsi, sera loin de Dieu et de tout ce qui est spirituel, ou plutôt, il sera l'adversaire de tout cela.

2. Tous les efforts, tout ce que l'on fait de bien doivent conduire à l'humilité. Et si ce n'est pas le cas, ils sont comme empoisonnés. En l'absence d'un coeur humble et désolé, les efforts ascétiques les plus sublimes, les plus durs, ne plaisent pas à Dieu.

Intégrez cela dans votre coeur, votre pensée, votre volonté. ne cherchez pas à vous entretenir avec des personnes spirituelles. Nul ne vous dira rien de plus important, de plus utile que ce qui est dit ici.

Portez-vous bien. Que le Seigneur vous éclaire et assure votre salut.

N(ikon). 2 décembre 1958.



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N.!

" Mouette insensée et sans abri, venue d'un pays lointain, où est le lieu de ton repos?" Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. Notre patrie est au-dedans de nous, dans le coeur, et si nous ne trouvons pas refuge là, nous ne le trouverons nulle part, dans aucun recoin de la terre. Là où vous voulez aller, vous ne trouverez pas le repos, pas plus que dans aucun autre lieu; vous gagnerez vos âmes par la patience! Des occasions de montrer de la patience pour l'amour de Dieu, il y en a toujours et partout : à la maison, au travail, en visite. Nous voulons nous dérober à l'obéisssance à Dieu et nous soumettre à des hommes que nous ne connaissons pas et que, quand nous les connaîtrons, nous jugerons, causant ainsi notre perte et infligeant un poids aux autres. " Ma volonté est plus importante que celle du Tsar", pensons-nous.

N(ikon). Janvier 1959.



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Très respectée N.!

Je ne sais pas comment il se fait que vous preniez en compte mon opinion sur la question de votre changement de domicile. Si j'exprome mon opinion, vous avez le plein pouvoir d'être d'accord avec elle ou non. Je ne prétends nullement que vous devez suivre mon conseil. En soi, un conseil est un conseil et non un ordre venant d'une personne investie d'un pouvoir.

Je vais essayer d'expliquer pourquoi j'estime qu'il est utile pour vous de rester un certain temps à la maison. Tous les efforts de celui qui désire vivre spirituellemnt doivent viser à l'acquisition de l'humilité. Sans cette qualité, tous les exploits ascétiques, même les plus grands, sont non seulement stériles, mais ils sont une cause de perdition. Les débutants ne voient pas cela et ne peuvent pas le voir. Si, sur un grand arbre, un rayon de soleil éclaire une petite branche, l'homme croit qu'il fait déjà jour, alors que l'arbre est encore au pouvoir des ténèbres et du prince des ténèbres ( cet exemple appartient à saint Macaire le Grand).

Il faut donner la préférence aux conditions de vie qui nous révèlent constamment notre état de totale corruption, infiniment plus grande que ne l'imaginent non seulement les laïcs, mais également les personnes soi-disant spirituelles. Il faut se connaître jusqu'au tréfonds. Connaître non seulement notre corruption, mais aussi notre impuissance à la corriger. C'est alors seulement que l'homme s'attachera de toute son âme au Sauveur, qu'il Le suppliera comme l'apôtre Pierre en train de se noyer. Alors il cessera de juger les autres, il supportera avec amour leurs défauts; alors il cessera de se plaindre si on lui fait outrage, si on le calomnie, si on le crucifie; il dira en toute sincérité : j'accepte cela à cause de mes actes. De par le jugement de Dieu, tous les pécheurs doivent endurer des souffrances, qui sont la conséquence du péché. Si le Seigneur Jésus-Christ souffre atrocement pour nos péchés, comment ne devrions-nous pas souffrir un peu pour nos péchés? Si son fiancé est dans la peine, la fiancée peut-elle décemment, dans le même temps, danser et s'amuser? ( Cet exemple est lui aussi de Macaire le Grand).

Toutes les personnes d'une même maisonnée ( et c'est le cas chez vous) ne se gênent pas, dans leurs relations les uns avec les autres, pour se dire mutuellement leurs défauts et leurs péchés; ils font plus que les dire, ils se querellent. Or, si l'on prend pour directive ce qui a été dit plus haut, il faut hautement apprécier cette école de vie, remercier ces enseignants non rémunérés, ne pas se plaindre, se connaître mieux grâce à cela et apprendre l'humilité.

En revanche, si vous habitez seule dans un autre lieu, personne ne vous offensera, ne vous indiquera vos défauts, ne vous dévoilera à vous-même; le plus souvent, on vous flattera, on vous complimentera, et ce sera à votre détriment.

Autrement dit, il se produit ce qui était la règle dans les bons monastères d'autrefois, où l'on n'autorisait pas un moine à se retirer dans la solitude avant qu'il n'ait appris, parmi les autres, à connaître sa faiblesse, avant qu'il n'ait acquis l'humilité, qu'il n'ait appris à pardonner les offenses et à se tourner toujours vers le Seigneur.

De plus : il ne faut en aucun cas partir en éprouvant de l'hostilité ou en accusant sa maisonnée; il faut sincèrement, consciemment, s'accuser soi-même de son inaptitude à vivre avec les autres du fait de son orgueil, de son impatience, de son habitude de juger les autres... Or, vous êtes très éloignée de cela. Vous accusez toujours les autres, et vous-même seulement un petit peu, après coup. J'ai bien aimé dans votre lettre les passages où vous parlez de vos défauts. Ainsi, en apprenant à les voir en vous, vous apprenez l'humilité. Sans cette qualité de l'âme, vous ne trouverez nulle part la paix ni la croissance spirituelle ni la prière pure - en un mot, rien de bien. Le Seigneur a bien dit d'apprendre de Lui l'humilité, car c'est la qualité majeure de l'âme, la plus essentielle. Dieu s'oppose aux orgueilleux, et il donne la grâce aux humbles seulement, et ce n'est qu'avec "la main de l'humilité" que "l'homme peut recevoir les dons de Dieu" (Saint Isaac le Syrien) sans préjudice pour lui-même.

Que la vie soit dure pour vous, je le crois fermement et je compatis, mais ce qui a été dit ci-dessus doit vous montrer ce dont il s'agit.

Portez-vous bien. Que le Seigneur vous aide et vous instruise. Prenez conseil auprès du Père S. Il vous connaît mieux, ainsi que votre famille, et faites comme il vous le dira.

N(ikon) qui vous plaint et vous veut tout le bien possible.

27 janvier 1959.



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Paix à votre âme tourmentée!

Une personne m'a écrit récemment : " Si vous pouviez voir ne serait-ce qu'un jour ma conduite telle que la voit Dieu, vous ne voudriez plus jamais entendre parler d emoi; et je sais que c'est ainsi." Mais ce n'est justement pas ainsi. Quand un homme voit ses bonnes actions, comme le pharisien, il est sur la mauvaise voie. La vraie voie, c'est de voir ses péchés aussi innombrables que le sable de la mer, dit saint Pierre Damascène. cette vision est "le signe que l'âme commence à recouvrer la santé", dit-il encore. C'est pourquoi il ne faut que se réjouir quand un homme a une claire conscience de la lèpre de son âme.

Mais il ne faut pas s'arrêter là. Il faut encore se convaincre par expérience que l'homme par lui-même n'a pas les forces de guérir sa lèpre. Quand l' homme se sera convaincu en mille occasions qu'il ne peut étouffer un seul péché, une seule passion, alors bon gré mal gré il s'humiliera et se tournera vers l'unique sauveur, Jésus-Christ, descendu sur terre pour chercher et sauver l'homme en perdition, celui qui s'est vu plongé dans le péché, dans la lèpre morale, qui a compris qu'il était impuissant et que personne ne pouvait le descendre dans l'eau de la piscine. mais vers celui qui s ecroit sain, le Médecin des âmes et des corps ne vient pas. Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin d'un médecin. " Le Fils de l'Homme est venu appeler au repentir non les justes ( ceux qui se croient tels, car il n'y a pas un juste, pas un seul), mais les pécheurs".

Si vous vous mettez à vous opposer au péché, selon vos forces, à vous repentir, à implorer le pardon, alors peu à peu vous acquerrez l'humilité et, avec elle, la force de vaincre le péché. Plus vous aurez d'humilité et plus vous aurez de forces pour triompher des passions les plus enracinées. Or, sans l'humilité, il est impossible de donner à l'homme la possibilité de vaincre les passions. Vous devez le savoir.

Je ne vais pas m'étendre là-dessus. Prêtez toute votre attention à ce qui vient d'être dit. Assimilez les pensées exprimées ici. Si vous le faites, vous comprendrez ce que signifient les paroles de l'apôtre Paul : à celui qui aime le Seigneur, tout contribue à son bien - vous comprendrez également la parabole de l'ivraie, et beaucoup d'autres.

N'oubliez pas non plus qu'il faut du temps pour que de la graine grandisse un arbre et qu'il donne des fruits.

Que le Seigneur vous éclaire! Le Seigneur " n'éteindra pas le lumignon qui brûle et ne brisera pas le roseau brisé". De la petite étincelle dans l'âme de Zachée, le Seigneur a fait une flamme ardente.

Vous souhaitant sincèrement de connaître la Vérité et d'être affranchie de ...

N(ikon). Mars 1959.



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N., soyez dans la joie!

Pardonnez-moi d'avoir tardé à accuser réception de votre envoi. Merci. Avez-vous pu vous procurer quelques autres livres d'Ignace (Briantchaninov)? Sans lui, il est quasiment impossible de comprendre les anciens Pères et surtout d'appliquer à soi leur enseignement. Cela, tous le comprendront à partir de leur dure expérience, si toutefois ils marchent sur la voie authentiquement chrétienne, et non imaginaire.

Toutes les formes d'exploit ascétique doivent conduire l'homme à une profonde humilité. Si ce n'est pas le cas, c'est que la voie choisie n'est pas la bonne.

En s'engageant sur la voie, l'homme doit choisir ( si cela dépend de lui) d evivre au milieu des gens et d'être livré à toutes sortes de tentations provoquées par eux, et ainsi de connaître ses faiblesses, et d es'humilier. Puis ( ou en même temps) l'homme connaît ses infirmités, sa déchéance, et par l'attention à lui-même et en se forçant constamment, il apprend à agir, à parler, à penser, à sentir conformément à l'Evangile. Ce faisant, dans toutes les occasions, il faut se contraindre à une prière constante ou la plus fréquente possible, par laquelle on demande et le pardon des péchés et le secours dans la lutte contre le péché tapi en nous. L'isolement endort les passions et les péchés, il trompe l'homme; le diable s'éloigne de lui en lui faisant croire qu'il a vaincu en lui presque toutes les passions, pour ensuite, au moment opportun ( préparé par lui) le plonger dans l'abîme de la perdition, d'où bon nombre sont incapables de se dégager.

Comment allez-vous? Je voudrais bien vous voir, mais pour l'heure, il faut s'abstenir : il y a de sraisons à cela. ne manquez pas l'occasion de vous procurer de bons livres...

Souvenez-vous que dans toutes les circonstances, sous toutes les conditions, le but n'est atteint qu'au moyen de nombreuses épreuves, de patience, d'efforts, du passage par la porte étroite, le chemin escarpé. Il n'y a pas de chemin aisé! L'idée qu'un changement de circonstances extérieures le rendrait plus facile est une idée fausse venant du diable. C'est par votre patience que vous atteindrez, etc.

N(ikon), 25 mai 1959.



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La paix soit avec vous, N.!

Pardonnez-moi d'avoir tant tardé à répondre. Ne croyez pas que je me sois offensé contre vous et ne m'attribuez rien de ce genre. Je vous plains beaucoup, de toute mon âme; je vous souhaite du succès sur le chemin invisible qui mène à la joie ici-bas et dans l'avenir, une joie que personne ne peut vous ôter. Tout ce qui est ici-bas est vanité des vanités, mirage, illusion. Et s'affranchir de toute cette illusion est l'affaire de toute la vie. Dieu nous accorde de goûter, ne fût-ce qu'à la fin de notre vie, aux fruits de la vraie liberté, celle que le Christ donnera à Ses disciples. Quant à vous, vous vous emballez et vous voulez, de l'état d epetit enfant, devenir adulte. Tout vient en son temps.

Je ne puis en aucune façon obtenir de vous une réaction à la pensée que je tente de vous inculquer : où que la personne se trouve, il y a une multitude d'occasions d'agir selon les commandements de l'Evangile, ou au contraire selon le vieil homme en nous. Si nous sommes attentifs à nous-mêmes et que nous nous efforçons de vivre conformément aux commandements, et si, au cas où nous les aurions enfreints, nous nous repentons sincèrement et demandons pardon à Dieu, alors nous allons grandir spirituellement. le Seigneur nous donnera une foi vivante, l'humilité et les qualités de l'homme nouveau. Ou bien nous observons les commandements et ainsi nous les acquérons, ou bien, les ayant transgressés et nous étant repentis, nous les acquérons également. les paroles de l'apôtre se confirment : à celui qui aime le Seigneur, tout contribue à son bien.

Lorsque les conditions de vie deviendront nuisibles, néfastes pour le salut, alors le Seigneur nous placera dans des conditions plus favorables - il faut simplement se livrer à la volonté de Dieu. " Confions-nous nous-mêmes, les uns les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu" : c'est à cela que nous invite la Sainte Eglise à chaque office.

Endurez, soyez ferme, n'offensez pas le Seigneur qui a sacrifié pour vous ce qu'Il avait de plus cher. Il n'y a pas de plus grand sacrifice d'amour, même enLui. Comment pouvez-vous ne pas apprécier l'amour de Dieu, ne pas espérer en Lui. Comment pouvez-vous ne pas apprécier l'amour de Dieu, ne pas espérer en lui, pour chercher quelque part ailleurs, en vous ou dans les autres, ce qui n'est que néant?

Croyez qu'à chaque instant le Seigneur veut vous donner les plus grands biens, mais que vous ne pourriez les recevoir sans vous nuire à vous-même. Mais ce que vous êtes en état de recevoir, il vous le donnera. Jugez de votre état par ce signe.

Faites-vous une règle de remercier le Seigneur trois fois par jour pour tout Son amour et Sa providence en faveur de tout le genre humain et de vous en particulier.

Que le Seigneur vous éclaire et vous sauve.

N(ikon) qui vous souhaite mille bienfaits de la part du Seigneur.

28 juin 1959.



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N., agitée par la tempête des passions!

Que la paix et le salut soient avec vous!

J'ai reçu votre lettre le 15 mars; elle a mis quatre jours à me parvenir. J'écris cette lettre sans être sûr de connaître la bonne adresse. Ecrivez-moi pour me dire où vous en êtes de votre installation et de votre vie.

J'ai attendu une lettre de vous.

A votre confession concernant votre disposition d'esprit, je réponds : " le Seigneur notre Dieu Jésus-Christ... Amen."

Quelles que soient vos chutes, ne désespérez pas, ne perdez pas la foi. Conservez au moins "une parcelle" qui voit et sait, qui se désole parfois de votre état - et vous ne sombrerez pas dans l'océan des passions. Le Seigneur ne le permettra pas : au moment critique, Il vous tendra la main, comme à l'apôtre Pierre qui se noyait. Le monde vous haïra, a dit le Seigneur à Ses disciples il y a deux mille ans. Cette prophétie s'accomplit sans discontinuer sur les disciples du Christ, mais une autre prophétie s'accomplit également : ne perdez pas courage, J'ai vaincu le monde. Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde, dit l'apôtre Jean.

Le mot "monde" a deux sens. Il désigne ( c'est le premier sens) le monde extérieur, l'humanité déchue; il désigne aussi ( c'est le deuxième sens) notre vieil homme personnel, avec ses passions, ses inclinations pécheresses. Ce monde-là est sous la domination du diable. Il trouve ici les armes avec lesquelles il pourchasse et persécute le disciple du Christ, désirant sa perte. Mais le Seigneur a vaincu le monde, a vaincu le diable. De force et contre la volonté de l'homme, le diable ne peut pas lui nuire. Ne tombe sous la domination du diable que celui qui volontairement lui tend la main. Quant à celui qui lui résiste, qui appelle le Seigneur à son secours, celui-là est à l'abri, et les tentations démoniaques peuvent même lui être à profit, lui sont à profit.

Il faut utiliser ses chutes et sa "vétusté" come un moyen d'acquérir l'humilité. L'homme qui a acquis l'humilité possède une disposition intérieure qui fait apparaître toutes les attaques du diable. L'homme ne compte plus sur lui-même, il compte sur le Seigneur. Or, le Seigneur est tout-puissant, Il a vaincu le diable, Il triomphe de lui dans notre âme lorsque nous luttons non avec nos forces mais en invoquant le Seigneur et en nous livrant à Sa volonté.

Ne baissez pas les bras définitivement. Ne pensez pas que le confesseur ressent du dégoût du fait de la confession des péchés. Si la contrition est sincère, le confesseur ressent une mansuétude et un amour particuliers envers les pénitents. C'est vrai! Cette attitude du confesseur témoigne du fait que le Seigneur pardonne au pénitent et le reçoit avec amour dans son coeur, comme a été reçu le fils prodigue. Ainsi donc, prenez courage. Que votre coeur s'affermisse. celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde.

Que le Seigneur vous aide dans tout ce qui est bien, qu'Il vous instruise, vous affermisse "sur le rocher de Ses commandements" et vous conduise au salut et à la joie au siècle des siècles. Amen.

N(ikon). 20 mars 1960.





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... être dans la joie!

Qui nous roulera la pierre du tombeau? car elle était très lourde. Qui l'a roulée? Un Ange, sur l'ordre de Dieu. C'est lui aussi qui fera rouler de votre coeur la lourde pierre de votre insensibilité, quand viendra le moment de le faire. Il faut montrer de la fidélité au Seigneur dans les moments d'insensibilité, d'incroyance, de doute, de froideur, dans les heures de peine, de maladie, de diverses difficultés. Il faut, par un effort de la volonté, affermir en soi la foi lorsqu'elle est prête à s'éteindre, avec la permission du Seigneur, afin de monter encore et encore vers quoi l'on aspire et ce que l'on a choisi.

Il existe une formule qu'utilisaient les pères spirituels : toute oeuvre bonne est précédée ou suivie d'une tentation. De bonnes oeuvres, comme la prière issue du coeur et surtout la communion, ne peuvent pas ne pas provoquer la vengeance du diable. Il fait tout pour empêcher de prier et de communier. Et s'il n'y parvient pas, il s'efforce de tout gâcher en sorte qu'il ne reste rien du bénéfice acquis. Cela est bien connu de tous ceux qui ont une part dans la vie spirituelle. Voilà pourquoi il faut, avec humilité et contrition du coeur, autant que possible, demander au Seigneur de nous garder contre les embûches de l'ennemi, lequel agit soit directement sur notre âme, soit par l'intermédiaire de personnes qui lui sont soumises.

Ne vous en étonnez point. Ce combat est féroce, et si le Seigneur ne bâtit pas la maison, c'est en vain que le bâtisseur se donne du mal, et si le Seigneur ne garde pas la ville, c'est en vain que le vigile veille. Il faut se mettre entre les mains miséricordieuses de Dieu, en reconnaissant devant Lui sa faiblesse et son impuisssance à se protéger seul des ennemis visibles et invisibles. N'ayez pas peur. Le diable ne fait pas ce qu'il veut, il ne fait que ce que le Seigneur lui permet de faire. Relisez le livre de Job.

Vous pouvez passer nous voir. Je serai content de votre visite. Que le Seigneur vous aide en tout.

Que la bénédiction du Seigneur soit toujours avec vous. ne désespérez jamais. Que la croix du Christ vous rappelle sans cesse l'amour infini de Dieu pour l'homme déchu. Cette pensée n'est-elle pas suffisante pour se livrer entièrement entre les mains de Dieu? Il faut au moins un peu rechercher le Royaume des Cieux, et le Seigneur n'abandonnera jamais cet homme sans aide et sans réconfort. Le Seigneur vous aime! Supportez le Seigneur!

N(ikon). 21 avril 1960.



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N., paix et salut de l'âme!

Je vous remercie beaucoup pour le livre. C'est dommage qu'il n'y ait pas l'autre. Peut-être le trouvera-t-on? Je vous prie, quand ce sera possible, de demander ailleurs ce qu'ils ont et ce que l'on peut acquérir. Pour ce que vous avez ajouté au livre, merci, mais vous n'auriez pas dû. Vous vous êtes donné de la peine. Nous avons ici tout ce qu'il faut maintenant. Mais même si nous ne l'avions pas, il ne faudrait rien envoyer.

Une moniale est décédée chez nous dans de grandes souffrances. Il faut à l'avance demander au Seigneur une fin chrétienne "sans douleur, sans honte, paisible, et notre justification..." Il faut se représenter sa fin, la maladie, le besoin, les démons qui surgissent, la multitude de nos défauts et les traits du démon de notre âme, et le pouvoir des démons sur cette partie de nous-mêmes, l'absence de bonnes oeuvres sur lesquelles on pourrait s'appuyer. Notre unique espérance est la miséricorde divine envers tous ceux qui croient en Lui et qui reconnaissent leurs défauts.

Quand vous priez, découvrez votre âme devant Dieu dans toute sa misère, sans vous justifier, et comme une lépreuse, dites : " Seigneur, si Tu le veux, Tu peux me purifier"; ou comme le publicain : " Seigneur, aie pitié de moi, pécheur". Par ces exemples et d'autres semblables, le Seigneur nous a montré quelle était la bonne disposition de l'âme pécheresse, et de quelle disposition d'esprit pouvait naître une prière vraie, exempte d'illusion. Sur une telle prière descend toujours la gâce de Dieu, qui justifie le pécheur atteint de la lèpre morale : le publicain est sorti justifié et le lépreux guéri.

Il y a deux phases dans la vie du chrétien : 1) la prise de conscience de sa déchéance, de sa nature pécheresse, 2) la guérison progressive de ses plaies morales. Sans la première, la seconde ne peut advenir. La première conduit souvent à une humilité authentique, qui seule permet de recevoir sans dommage la guérison et divers dons de Dieu. Sans l'humilité, ces dons risquent de nuire et même de mener à la perdition.

Que les livres et l'expérience vous apportent la connaissance spirituelle du chemin du salut.

Que le Seigneur vous instruise pour le bien, qu'Il vous bénisse et vous protège de tout mal.

Chez nous, pour l'instant, tout va bien, mais rien ne dit que cela va durer. Amitiés de la part des nôtres. Mes sincères amitiés à Mère S. et que la bénédiction de Dieu l'accompagne.

N(ikon). 11 septembre 1960.



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Très respectée N.!

Je vous congratule, ainsi que Mère S., pour les saints jours de la passion du Christ et d ela lumineuse Résurrection. Que le Seigneur vous accorde de sentir la signification de ces événements. Si nous souffrons avec Lui, nous serons glorifiés avec Lui.

Comment sont votre santé, votre vie? Comment va votre famille? Que le Seigneur vous garde!

N(ikon). 4 avril 1961.



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N. paix à vous!

Vous semblez vous désoler de voir les années passer. Vous n'êtes pas installée dans la vie. (...) Ce sont des considérations de ce monde, du prince de ce monde. C'est lui qui vous fait peur. Il emmêle vos pensées, il vous inspire des craintes, il ment et il ment sans arrêt, et c'est par là qu'il se révèle dans tous les domaines.

En quoi réside l'essence du christianisme? Dans le fait que le Créateur tout-puissant et omniscient de l'univers a un tel amour, une telle compassion pour l'homme, qu'Il Se soucie tellement de son salut qu'Il a livré Son Fils Unique aux outrages, à la Croix et à la mort. Le Seigneur se préoccupe non seulement de l'humanité en général, mais de chaque homme en particulier, Il le tient dans Sa main, le protège contre les ennemis visibles et invisibles, Il l'instruit par les livres, par les gens, par les circonstances de la vie. S'il est nécessaire de châtier quelqu'un pour l'instruire et le garder d'un plus grand malheur, Il le châtie avec miséricorde pour ensuite, comme regrettant d'avoir puni, le combler - à condition que ces bienfaits puissent être reçus sans dommage. Celui chez qui la vision intérieure s'est quelque peu développée voit cette merveilleuse providence en faveur de l'homme, dans les grandes choses et dans les petites. Et en effet, si, pour l'amour de l'homme, Dieu a livré en sacrifice ce qui Lui était le plus cher - Son Fils -, comment pourrait-il épargner quoi que ce soit, puisque l'univers n'épargne rien, surtout pour ceux qui tendent vers Lui, qui s'efforcent de mettre en pratique Sa parole, qui se désolent du péché commis, comme étant une violation de Sa volonté, comme une inattention à Lui, une ingratitude, un manque d'amour à Son égard.

Je ne rejetterai pas celui qui vient à moi. Le Seigneur Se réjouit quand quelqu'un tend vers Lui infiniment plus qu'une mère ne se réjouit de l'amour de son enfant pour elle.

Voilà pourquoi je vous dis : n'ayez pas peur de l'avenir. Dieu est avec nous aujourd'hui, demain et à jamais. N'ayez peur que de L'offenser par un péché. Si, par faiblesse, nous tombons dans un mauvais pas, repentons-nous, et le Seigneur nous pardonnera; il faut seulement ne pas choisir volontairement le mal ( le péché), se justifier, se rebeller contre Dieu. N'ayez peur de rien. Soyez audacieux, déposez toutes vos peines, vos doutes, vos craintes, les offenses causées par les démons et les gens, sur le Seigneur, et Lui veut et sait comment vous libérer de tout cela quand cela vous sera profitable.

N'ayez foi ni en vous ni dans les hommes. Croyez en la Parole de Dieu, en l'Evangile. Etudiez l'Evangile par la vie, par l'expérience. La Vie en Christ vous donnera une plénitude, une compréhension de tout, une joie spirituelle, une fermeté telles que la vie des hommes de ce monde vous semblera ( ce qu'elle est en réalité) insignifiante, pauvre, pitoyable, agitée, encombrée de petites querelles, d'ennuis mesquins et aussi, souvent, de grandes épreuves. Vous êtes heureuse. Prenez soin de ce bonheur. Remerciez-en le Seigneur, et pour votre gratitude Il multipliera Ses bienfaits, autant que vous pouvez les supporter. Que cela soit, oui, que cela soit! Lisez cela à S. ou racontez-lui. Que le Seigneur vous garde et vous bénisse!

Envoyez un mot au reçu de cette lettre.

Amitiés à S. et à Mère S. et que la bénédiction de Dieu les accompagne. Priez pour moi.

N(ikon). 13 février 1962.



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Chère N.!

Nous compatissons beaucoup au changement survenu dans votre famille. Nous sommes des voyageurs et des pèlerins sur cette terre. Ici-bas, rien ne dure.

Il faut absolument qu'en ce moment vous soyez avec votre famille, les aidiez à organiser leur vie; il faut accomplir toutes les obligations sans vous plaindre, leur témoigner de l'amour en cette période difficile. L'amour est supérieur à tout, à tous les exploits ascétiques. Plus tard, quand tout s'arrangera, vous pourrez penser à vous-même. Peut-être pourrez-vous faire un saut chez nous. Seulement, téléphonez avant, pour ne pas venir pour rien. Je pense me rendre à Moscou pendant le Carême, mais quand cela se fera, je l'ignore.

J'ai une grande compassion pour vous et je désire ardemment que tout s'organise au mieux chez vous. Le Seigneur est partout. Il ne laisse jamais ceux qui Le cherchent sans une providence spéciale.

Nous allons attendre de vos nouvelles. Que le Seigneur vous garde, qu'Il vous mène, vous et toute votre famille, au salut.

Amitiés à Mère S. et à S. Ne les oubliez pas complètement.

Portez-vous bien, soyez forte; Soyez patiente si des ennuis, des offenses, des échecs vous incombent. Mais tout s'organisera, c'est certain; Le Seigneur est avec vous.

N(ikon). 20 mars 1962.



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Chère N.!

Je comprends votre silence; ne croyez pas que je vous reproche quoi que ce soit. J'ai une grande pitié, une grande compassion pour vous... et je voudrais vous aider en quelque chose. Que Celui qui vous aime infiniment et qui vous souhaite d'entrer dans l'intelligence de la Vérité vous vienne en aide!

Etes-vous bien arrivée en avion, où est votre famille, comment sont-ils installés, comment va la malade?

Moi aussi, je suis souvent mal en point et je songe souvent à la mort.

Que vos tentations vous soient profitables, qu'elles vous aident à vous arracher à la terre et à l'esprit de ce monde pour vous attacher au monde d'en haut. Que le Seigneur vous épargne la mort spirituelle et excite en vous le zèle pour le salut.

N(ikon). 18 novembre 1962.



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Chère N.!

Merci pour vos voeux. J'ai perdu votre lettre, mais je me souviens que vous m'avez remercié pour mon petit mot. (...) Je me souviens également de votre demande à propos de N. J'éprouve une grande pitié pour lui. Parfois, je me le remémore avec affection et je lui souhaite de s'arracher à l'étreinte du diable. Ce n'est ni dans la philosophie ni dans la science qu'il lui faut rechercher ce qu'il a perdu, mais dans un effort de volonté, en "croyant sans avoir vu" et en construisant sa vie selon la foi. Alors viendra l'aide d'en haut, il chassera les ténèbres de l'ennemi et se convaincra de la vérité du christianisme avec une telle force qu'il s'écriera de tout son coeur : " Seigneur, je suis prêt à subir tous les tourments, pourvu que Tu ne me rejettes pas loin de Toi!" Tous ceux qui ont cherché Dieu ont éprouvé cela. Cherchez et vous trouverez, demandez et l'on vous donnera, frappez et l'on vous ouvrira. Quel homme parmi vous donnera une pierre à son fils s'il lui demande du pain? Ou, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus fortes raisons votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui les lui demandent.

Pourquoi se nourrit-il de la nourriture pour les porcs et a-t-il laissé tomber ses Pères (1)?

(1) : ( Allusion à la parabole du Fils prodigue). (NdE).

Pense-t-il donc que tous se trouvaient dans l'erreur? Mais si un seul disait la vérité, tout le christianisme est alors vrai. Et les martyrs, avec quelles souffrances ils ont témoigné de la vérité qu'ils ont connue! Bien sûr, il faut qu'il ait une expérience personnelle. Qu'il demande et il sera nécessairement exaucé.

Ne vous désespérez pas, à cause de vos peines, ne baissez pas les bras. Lisez l'Evangile plus longuement et plus souvent. Jésus-Christ a pardonné à tous ceux qui se repentaient, tout en prévenant : va, et ne pèche plus. Tournez-vous plus souvent vers Lui, reconnaissez vos torts, demandez du secours, forcez-vous à toujours réciter la Prière de Jésus, à haute voix ou en vous-même.

Que le Seigneur vous éclaire et vous garde de tout mal. Si vous écrivez à N., transmettez-lui mon salut, et dites-lui aussi que les saints Pères tiennent l'incroyance pour une passion équivalente à la vanité, l'orgueil et les autres. Ici l'ennemi est plus agissant que l'homme. Il faut combattre l'incroyance comme on combat les autres passions, non par des raisonnements et des entretiens, mais en les chassant par un effort de la volonté ( "je ne te permets pas") et par la prière, notamment la Prière de Jésus, si possible continuelle, en implorant grâce de tout son coeur. Au saint Nom de Jésus, devant lequel tout genou s'incline, toutes les forces célestes, terrestres et infernales, l'action de l'ennemi faiblit, la paix entre dans le coeur ainsi que l'espérance, la foi et la douceur... et toute tentation s'évanouit. Mais tant qu'il lira des livres philosophiques, toutes sortes d'ouvrages apologétiques, il s'enfoncera plus profondément encore. Il faut laisser tout cela et se tourner vers Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie.

Que le Seigneur lui vienne en aide! J'écris comme un frère et non comme un instructeur. Ecrivez-moi. Dites-moi si vous avez reçu cette lettre.

N(ikon). 15 décembre 1962.



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Chère N.! Que la paix et le salut soient avec vous!

J'ai reçu le colis. Merci à vous. Pourquoi vous donnez-vous ce mal? Vous avez déjà si peu de temps...

Je vous ai envoyé une lettre avant de recevoir le colis. J'y évoquais N. Informez-moi, je vous prie, de la réception de cette lettre. J'ai trouvé votre lettre, elle était dans ma poche. Vous pouvez vous préparer à la communion. Dites tout en confession et agissez comme vous le dira le confesseur. Rappelez-vous que seul un coeur contrit et humilié, Dieu ne le méprisera pas. C'est seulement avec un coeur comme cela que l'on peut s'approcher des Saints Mystères. Ne cherchez aucune justification pour vous, n'accusez que vous pour tout et demandez pardon. Le coeur vous soufflera ce qu'il faut faire : communier maintenant ou remettre au Grand carême.

N'encombrez pas votre âme de soucis domestiques, ne parlez qu'un minimum aux gens et éloignez-vous d'eux si cela est possible. " Fuis, Arsène, les hommes et tu sera sauvé (1)."

(1) : ( Apophtegmes, série alphabétique, Arsène, 1 (NdE).).

Si vous ne faites pas tout pour suivre ce conseil, vous vous endurcirez de nouveau, vous perdrez toute componction et vous risquez d'affronter de lourdes épreuves. Que cela ne soit pas!

Que le Seigneur vous garde et vous bénisse, qu'Il vous préserve de tout mal et qu'Il vous sauve par les voies qu'Il connaît.

N(ikon). 24 décembre 1962.



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Chère N.! Paix à vous!

Je vous ai dit personnellement qu'il convient que vous partiez de là-bas. Si vous ne partez pas, toutes vos promesses sont des leurres. Le diable ne vous laissera pas en paix. Il faut que vous rompiez définitivement avec vos proches et avec le passé. Quel profit y a-t-il pour l'homme de conquérir le monde entier, s'il nuit à son âme? Votre famille sera-t-elle la seule dont le Seigneur ne se préoccupera pas? Si, pour l'amour de Dieu, vous partez, le Seigneur pourvoira d'autant mieux à leur vie. Eux aussi doivent penser un peu plus à leur âme. Ils sont enlisés dans l'agitation du monde, ils vivent comme le riche de l'Evangile, qui ne faisait pas de mal mais qui gaspillait sa vie dans les plaisirs mondains et qui s'est retrouvé vous savez où. Croyez-vous que N. soit malade sans la volonté de Dieu? C'est Dieu qui les visite, pour qu'ils comprennent l'insignifiance et la fragilité de la vie du monde.

Si vous aimez réellement vos proches, vous devez faire vous-mêmes votre salut et les sauver, eux, par la prière et les exercices ascétiques. Car cet attachement bien naturel, les animaux l'ont aussi. L'être humain doit s'élever au-dessus de cela, acquérir l'amour spirituel et se sacrifier pour eux, en les quittant et en s'appliquant à son propre salut et au leur. Vous serez alors plus proche d'eux et vous leur apporterez ce qu'ils ne peuvent obtenir, plongés comme ils sont dans l'océan de ce monde et persuadés qu'ils agissent correctement. Vous devez vous guider sur l'Evangile et les saints Pères, et non sur les opinions changeantes et fallacieuses des gens qui vivent dans le monde.

Le péché n'est pas si redoutable par lui-même : il l'est parce qu'il assombrit l'âme, éloigne l'homme de Dieu, le plonge dans les ténèbres extérieures dès ici-bas, le livre en esclavage au diable, lequel dénature son intelligence, son coeur et sa volonté. Il va tout présenter sous un jour mensonger, le noir devenant le blanc, le marécage - un jardin idyllique. L'on ne peut s'extirper de cet état que par un profond repentir et une rupture radicale avec le péché. Le repentir, vous l'avez dans une certaine mesure. Il faut faire encore un pas : quitter votre pays d'Egypte et vous installer seule dans une autre ville. ne vous préoccupez pas de votre famille. Le Seigneur est plus sage que vous et il fera pour eux ce qu'ils méritent, et surtout, Il les placera dans des conditions qui seront favorables à leur salut. Il est clair que sans épreuves, sans nécessité, ils ne renonceront pas à leur mode de vie anormal.

Je vous plains beaucoup et je demande à Dieu de vous pardonner et d'aménager votre vie pour votre salut et celui de vos proches. Soyez certaine que j'aurai toujours à votre égard une attitude chrétienne, que je supporterai tout, pourvu que, par vos actions, vous ne rejetiez pas le Seigneur. beaucoup, de nos jours, rejettent le Seigneur, en paroles et plus encore par leurs actes.

Que le Seigneur vous sauve, qu'Il vous éclaire et vous donne les forces nécessaires pour combattre la chair, le monde et le diable. Par une résistance résolue au péché et l'invocation du Nom du Sauveur ( par la Prière de Jésus), on peut chasser le diable et les passions, et plus encore par l'humilité.

Ecrivez-moi. Luttez et appelez le Ciel à l'aide, et vous vaincrez la terre.

N(ikon) qui vous souhaite sincèrement le salut. 16 janvier 1963.



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Chère N.! Paix à vous!

Je pensais que vous étiez décidée à ne plus m'écrire, et j'ai été heureux de recevoir votre lettre. Vous avez pu sentir dans mes lettres que je ne vous condamnais pas, que je vous plaignais sincèrement et compatissais à votre malheur. En effet, dans les hôpitaux, on ne s'accuse pas mutuellement de telle ou telle maladie. Or, nous sommes tous malades de maladies de l'âme : les péchés. Il nous faut savoir une chose fermement et ne jamais l'oublier : il ne faut jamais, en aucune circonstance, désespérer. Le désespoir, qui conduit souvent au suicide, est la mort de l'âme. On peut se repentir des péchés les plus lourds et recevoir le pardon. Un grand nombre de brigands et de meurtriers, parmi les plus féroces, ont non seulement reçu le pardon quand ils se sont repentis et corrigés, mais ils ont atteint la sainteté : Moïse l'Ethiopien, Barbare le Brigand ( sa fête est le 6 mai), Daniel, et tant d'autres. C'est le Seigneur qui nous donne ces exemples afin que nous ne désespérions pas comme Judas, et que nous portions les fruits du repentir et soyons par là même sauvés.

La tendresse est un don de Dieu. En sommes-nous dignes? Il ne faut à aucun prix rechercher des états d'âme sublimes pendant la prière. L'évêque Ignace (Briantchaninov) est catégorique sur ce point : la prière ne soit être qu'une prière de repentir. Le Seigneur Jésus-Christ Lui-même nous a enseigné cela par la parabole du pharisien et du publicain. Pour nous, pécheurs, la prière du publicain est suffisante. Apprenez auprès de lui à prier. Ô, si vous appreniez cela! Ne croyez pas que cela soit si simple. Il y a là une grande profondeur. Dans cette prière se révèle un abîme du coeur empli de toutes sortes de serpents : cette mer est grande et étendue, elle renferme des serpents, qui sont innombrables.

Je ne vous conseille pas de communier avant la semaine de la Croix. Vous verrez vous-même ce qui vaut mieux. Il faut peiner, se donner du mal, faire du bien aux autres, souffrir un peu par le jeûne, le sprosternations, autant que les forces le permettent. Ne bavardez pas avec les gens, fuyez-les.

On ne prie pas bien, debout sur la soléa (1).

(1) : ( plate-forme surélevée de quelques degrés devant l'iconostase. Sur les côtés se trouvent les choeurs (NdT).

Il vaut mieux trouver un coin dans l'église, s'y cacher et imiter le publicain.

Ne mettez pas votre foi dans les princes, dans les fils des hommes. Mettez votre foi en Dieu et faites des efforts. Si vous ne peinez pas vous-même, le Seigneur ne pourra pas vous aider. Exemple : Judas. La prière du juste peut contribuer beaucoup, c'est-à-dire que quand celui qui demande les prières, lui-même, par sa vie, contribue à la prière des autres.

Tout ce que vous m'avez dévoilé, je le pardonne et je vous absous au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Chez nous, tout est calme pour le moment. Cela va-t-il durer? Nous allons tous cahin-caha et nous attendons la mort.

Que le Seigneur vous aide dans l'oeuvre du salut. Forcez-vous à évoquer le plus souvent possible le Seigneur. En effet, celui qui est aimé n'est-il pas toujours dans le souvenir de celui qui aime? Soyez maintenant et toujours comme le publicain, et priez comme lui, chez vous, à l'église et partout, aussi souvent que vous le pouvez.

Que le Seigneur vous garde! Qu'Il vous instruise, vous bénisse et vous protège de tout mal.

Faites souvent une prosternation chez vous en suppliant : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!"

N(ikon) qui vous veut du bien. 18 novembre 1963.



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Chère N.! Que la paix et la grâce du Seigneur soient avec vous!

Vous avez écrit un jour qu'il y a là-bas un vieux prêtre, du monastère de Glinski, à qui vous vous êtes confessée. Dans l'une de mes précédentes lettres, je vous disais de vous confesser à lui et d'agir comme il vous le dira. Faites-le donc. Recevez ses paroles comme venant du Seigneur, et suivez-les.

A propos de la Prière (1).

(1). ( La Prière de Jésus).

Et vous sentirez que votre coeur peu à peu se fera plus tendre et répondra par la contrition, peut-être même par de slarmes. Ce sinstants, donnez-les entièrement à la Prière et n'écoutez pas l'ennemi qui vous donnera mille raisons de laisser là votre prière et de vous occuper d'autre chose.

Lisez, sur la Prière, Ignace (Briantchaninov). Surtout le second volume, mais aussi le premier (1).

(1) : ( Voir en traduction française : Approchez de la Prière de Jésus, Bellefontaine, 1983 (NdE).).

L'idée qu'on peut dire d'une prière distraite au sujet d'une prière distraite : " que sa prière lui soit tenue pour péché", vient du diable. C'est lui qui tente par tous les moyens de vous détourner de la Prière, sachant quel bien elle fait à celui qui prie. Détectez les embûches de l'ennemi et ne lui obéissez pas.

Il ne faut pas faire confiance à soi-même, mais il est indispensable de faire des efforts pour se repentir. Le Seigneur est venu sauver les pécheurs, mais les pécheurs repentis. Judas a péché et ne s'est pas repenti; il est tombé dans le désepoir et il a connu la perdition. L'apôtre Pierre s'est repenti et a été rétabli dnas sa dignité d'apôtre. Jérusalem a péché et a été anéantie, tout comme Sodome et Gomorrhe, Chorazine, Bethsaïde, Capernaüm; Ninive, elle, s'est repentie et elle a été sauvée. Nous sommes tous pécheurs et nous devons tous nous repentir; ce n'est que les repentis que vient sauver le sacrifice du Sauveur sur la Croix.

Et le Seigneur a dit aussi à ceux à qui il avait pardonné les péchés : va et ne pèche plus. Il faut de notre côté prendre toutes les mesures pour ne pas tomber dans un péché grave. Lorsqu'un homme se tient au bord du précipice, il est aisé de le pousser pour qu'il y tombe. Mais quand il est loin et qu'on l'entraîne vers l'abîme, il a le temps d'appeler à l'aide. C'est pourquoi il est recommandé de s'éloigner le plus possible des lieux où l'on risque de tomber dans le péché.

Ici aussi, beaucoup meurent.

Chère N, "écartez-vous de la terre, attachez-vous à Dieu", comme le conseillait saint Sisoès le Grand. Tout ce qui est terrestre passera comme un brouillard, et avec quoi resterons-nous si notre âme est pleine seulement des choses de la terre? Ayez pitié de vous-même, faites votre salut. Quel sera votre profit si vous acquérez le monde entier et nuisez à votre âme? Il en est de même pour votre famille. D'abord le salut de l'âme, et ensuite, l'aide à la famille. (...) Le Seigneur a visité par la maladie votre soeur. Elle sera plus vite sauvée que si elle était bien portante. Mais c'est un exemple pour les autres aussi. Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant.

Ne participez pas aux discussions des gens qui ne croient pas en Dieu, aux lectures, aux façons de voir des athées. Que le Seigneur vous éclaire!

N(ikon). 13 mars 1963.



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Chère N.!

Je vais tâcher de répondre à vos questions.

Vos "pensées et sensations" viennent évidemment de l'ennemi. Le moyen le plus sûr de vous en débarrasser, c'est de les confier à un confesseur.

Dès qu'elles apparaissent, dites sans discontinuer : " Seigneur, aie pitié", ou bien la Prière de Jésus. Plutôt la première formule, jusqu'à ce que ces suggestions démoniaques disparaissent. Rappelez-vous : m'entourant, ils m'ont encerclé (les démons) et par le Nom du Seigneur je les ai repoussés. Ils m'ont entouré comme des essaims d'abeilles, et par le Nom du Seigneur je les ai repoussés. Ainsi doit agir chacun de nous. Par nos propres forces, nous ne pouvons rien faire. Il faut s'humilier en tout.

Quand on est dans un état de froideur totale et d'obscurcissement de l'âme, il faut absolument réciter sa règle de prière, en dépit de la froideur, de la distraction : " Donne ton sang et reçois l'esprit".

Toute confession d'un péché rend le pécheur plus proche, plus cher au confesseur. C'est un phénomène général. L'ennemi ne fait qu'effrayer en suggérant l'inverse.

Juger de la nocivité d'une action extérieure est difficile; elle peut être l'effet du diable. Si vous n'êtes pas affaiblie physiquement, c'est que vous pouvez accomplir votre tâche; si vos forces s'étiolent, vous pouvez diminuer les exigences et augmenter la quantité de nourriture.

En aucun cas, il ne faut sombrer dans le désespoir et l'absence d'espérance, car c'est pire que n'importe quel péché. Ils conduisent à la mort spirituelle et parfois au suicide. " Il n'y a pas de péché impardonnable, hormis le péché non repenti." C'est pourquoi il faut demander pardon au Seigneur, car Il ne souhaite pas la mort du pécheur. Il est venu sauver les hommes en perdition. Ajoutez à cela la parole du Seigneur selon laquelle toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. Ainsi donc, pourquoi se désespérer, baisser les bras? " Tu es tombé - lève-toi; tu es tombé de nouveau - lève-toi à nouveau, et ainsi jusqu'à la mort." Ce sont les paroles de saint Sisoès le Grand. Les chutes rendent l'homme humble; or, sans l'humilité il est impossible de recevoir ici-bas le moindre don. A l'humble le Seigneur accorde Sa grâce. Car Il a regardé l'humilité de Sa servante.

De l'orgueil, nous en avons tous en veux-tu en voilà. On ne rend pas les gens humbles avec des paroles. C'est pourquoi le Seigneur permet que l'on chute dans la honte, afin que nous prenions conscience de notre néant et de nos difformités. Toute notre beauté, tout notre bien sont dans le Seigneur et par le Seigneur. Eloignez-vous de la terre, rapprochez-vous du Seigneur, et Il vous consolera, ici-bas et dans la vie future.

Je vous souhaite de bonnes fêtes prochaines. Que le Seigneur vous accorde de les passer dans la paix de l'âme, dans la gratitude envers le Seigneur qui nous a tant aimés, de persister dans la résolution de ne jamais Le trahir, de ne pas L'offenser par des péchés, de Lui témoigner, en mettant Ses paroles en pratique, un amour répondant au Sien. Amen.

Que le Seigneur vous garde de tout mal et des attaques de l'ennemi. Faites de votre côté ce qui est en votre pouvoir, et le Seigneur fera tout ce qu'il faut pour votre salut.

Celui qui vous veut du bien. 1er avril 1963.



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Chère N.!

En cellule, il est permis de faire des métanies même avant la Pentecôte.

Ne vous désespérez jamais et ne perdez pas espoir dans le Seigneur. N'écoutez pas l'Adversaire. Pour celui qui cherche le Seigneur, tout concorde à son salut. Nous sommes tous dans la déchéance. Mais nous avons un Sauveur qui pardonne à ceux qui se repentent et ne repousse pas loin de Lui. Celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas. L'amour de Dieu est plus fort que nos péchés et nos infirmités si nous nous humilions, si nous reconnaissons ces infirmités et demandons sincèrement pardon. Soyez bien portante également par l'esprit. Que le Seigneur vous garde et vous sauve. J'ai grande de tout coeur de trouver un aménagement bon pour votre âme ici-bas et d'hériter du Royaume de Dieu dans le futur.

Faites votre salut.

N(ikon). Fin mai 1963.



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Chère N.!

Il ne faut pas trop exiger de soi. Il vaut mieux s'humilier devant Dieu. découvrez-vous à Lui avec toutes vos failles et dites, comme le lépreux : " Seigneur, si Tu le veux, Tu peux me purifier." Ne fixez pas de délai à Dieu pour cette guérison. Faites selon vos forces ce qu'il convient de faire, et Dieu fera tout le nécessaire pour votre salut.

La seule chose : ne vous éloignez pas de Dieu. ne cédez pas aux suggestions de l'ennemi, comme quoi il est inutile de faire des efforts, que tout est perdu, etc. C'est là une action du Malin, de celui qui de toute éternité calomnie Dieu et les hommes. tenez bon, raccrochez-vous à l'Eglise et à l'enseignement des saints Pères. Quels que soient vos doutes, répétez à vous-même, parfois même à haute voix ( afin que les démons vous entendent) : "Seigneur Jésus-Christ, je crois que Tu es le Fils de Dieu et le Seigneur, je crois que Tu as souffert d'atroces souffrances pour nous sauver, je crois que Tu ne m'abandonneras pas, si moi-même je ne Te renie pas volontairement. Seigneur, sois miséricordieux envers moi. Je remets mon salut et moi-même entre Tes mains. Je crois que Tu ne permettras pas que je sois perdue. Gloire à Toi, ô Dieu, gloire à Toi:"

Que le Seigneur vous garde. Faites votre salut!

N(ikon). Fin mai 1963.



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Paix et bénédiction de la part du Seigneur!

J'ai attendu ardemment le Seigneur, et Il m'a prêté attention. Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. Par votre persévérance vous sauverez vos âmes.

Repentez-vous, car le Royaume de Dieu est proche.

N(ikon).



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Paix à toi, chère N.!

J'ai bien reçu ta lettre. Je ne te conseille pas de venir me voir, car je vais avoir la possibilité d'aller voir K. L. te racontera comment je vis. Je compatis à tes peines, console-toi en pensant qu'elles sont inévitables, que sans elles nous ne pouvons être sauvés, que nous devons suivre les traces du Sauveur Jésus-Christ. Il a souffert, Il a été obéissant à Son Père jusqu'à la mort, la mort sur la Croix. Nous aussi, qui voulons être des chrétiens, il nous faut être obéissants à notre Sauveur, qui enseigne à renoncer à soi-même, à prendre sa croix, la croix des peines et des épreuves, et à Le suivre. Le suivre en accomplisssant Ses saints commandements. Il n'y a pas d'autre voie menant au Royaume de Dieu que la croix.

Supporte, tais-toi, ne perd pas courage, prie le plus possible, ne serait-ce que brièvement, demande au Seigneur l'endurance dans les épreuves et la sagesse.

Pardonne-moi et prie pour moi. Que le Seigneur te bénisse et t'instruise de tout bien.

Ton père N(ikon).



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Chère N.!

Comment te sens-tu? Comment portes-tu ta croix? Ne te plains-tu pas? Que le Seigneur t'aide à tout supporter sans te plaindre et avec gratitude; supporte tout ce qu'Il t'envoie pour ton salut, car rien ni personne ne peut sans Sa sainte volonté nous faire de mal. Le Seigneur nous a montré Son amour pour l'homme en acceptant d'être crucifié sur la Croix; Dieu est Amour, et l'Amour ne peut laisser faire du mal à celui qu'Il aime. C'est pourquoi tout ce qui arrive à l'homme - heureux événements ou douloureux - n'est permis que pour notre bien, même si nous ne le comprenons pas toujours, ou plutôt nous ne le voyons ni ne le comprenons jamais. Seul Dieu voit tout, sait ce qu'il nous faut pour accéder à la vie éternelle et bienheureuse.

Ainsi donc, soumettons-nous à la main aimante de Dieu et faisons tout notre possible, à notre tour, pour accomplir Ses commandements, pour nous repentir sans cesse de les transgresser involontairement, et par là même, montrons notre amour au Seigneur. Selon les paroles mêmes du Christ, celui qui L'aime est celui qui accomplit Ses commandements; et celui qui ne les accomplit pas ne L'aime pas.

Que le Seigneur te donne la patience, la sagesse, le zèle pour ton salut et la prière d'un coeur humble et contrit. Sois bienveillante, douce avec les gens que tu as l'occasion de fréquenter, avec les autorités - non pour complaire aux hommes mais par amour pour eux, l'amour que nous a enseigné le Christ.

Paix à toi et reçois la bénédiction de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.

N(ikon). 13 mars 1949.



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Paix à toi, N.!

Comment te sens-tu? Ne perds-tu pas courage? Nous ne devons pas nous laisser aller à l'abattement, aux gémissements à cause de nos maladies et de nos épreuves, car une loi a été instituée par Dieu, qui dit : c'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu. Or, actuellement, nous sommes parvenus à une phase de l'histoire humaine où l'on ne fait son salut qu'en endurant les épreuves sans se plaindre, en gardant confiance en Dieu et en Sa miséricorde. Personne, de nos jours, ne peut faire son salut autrement. Il ne reste pour notre temps qu'une seule voie : la patience devant les épreuves. Saint Isaac le Syrien écrit : " Plus que la prière, plus que le sacrifice, ce sont les épreuves qui ont le plus de prix." Il faut entendre par là toute épreuve que nous acceptons sans nous plaindre, avec la disposition d'esprit du bon larron sur la Croix, à savoir : c'est à cause de nos péchés, pour le salut et la purification que nous sont envoyées les épreuves, et par conséquent "nous acceptons ce que nous avons mérité par nos actes". Quand on accepte ainsi l'épreuve, elle peut être considérée comme une épreuve pour Dieu, notre croix personnelle se transforme en Croix du Christ et nous sommes sauvés par elle. Comme nous souffrons avec le Christ, nous entrons avec Lui dans Sa gloire, dit l'apôtre Paul.

Aux heures d'épreuve et de découragement, il convient de se souvenir du conseil de saint Isaac le Syrien : " Aie toujours présentes à l'esprit les grandes souffrances de ceux qui subissent de graves et cruels tourments ( par exemple dans les prisons, dans les camps...); tu pourras ainsi rendre grâces pour les petites épreuves qui t'atteignent, et tu sauras les supporter avec joie."

Dans les épreuves supportées avec joie et avec gratitude envers le Seigneur qui nous sauve par ces souffrances, se cache la joie spirituelle, la joie de l'ascension spirituelle qui va toujours plus haut.

Plus l'homme applique son effort à se laver de tout péché - par la purification des pensées, des désirs, même anodins, plus il se contraint à une prière incessante, pure attentive, issue du coeur, empreinte de piété, et plus il lui sera aisé de supporter ces épreuves, car le but pour lequel ces épreuves sont envoyées s'atteint par une autre voie, celle de son propre effort, son zèle à observer les commandements, le chagrin de mal les observer... Cette contrition du coeur et cet effort vers le bien peuvent tenir lieu des autres moyens de salut et des épreuves.

Il faut avant tout se surveiller soi-même, veiller à être doux et bon dans ses relations avec autrui. " Notre salut est dans notre prochain", dit saint Pimène le Grand. Cela signifie que si un homme se conduit bien avec son prochain, s'il observe le commandement : tu aimeras ton prochain comme toi-même, il sera en mesure d'observer tous les autres commandements, et le premier de tous : celui d'aimer Dieu. On ne saurait aimer Dieu si l'on se comporte mal envers ne serait-ce qu'une seule personne. Cela se comprend. L'amour ne peut cohabiter dans la même âme avec l'inimitié - c'est l'un ou l'autre. Si vous avez de l'amour pour le prochain, vous avez de l'amour pour Dieu : l'un engendre l'autre. L'un et l'autre sont un mystère et ne ressemblent en rien à ce que nous savons du "vieil homme". Seule l'expérience nous montre la profondeur des commandements, à mesure que l'âme se rénove grâce à leur mise en pratique.

Voilà ce qui m'est venu sous la plume quand j'ai pensé à t'écrire. Fais ton salut, ne te décourage pas, ne te plains pas, n'offense personne par une parole dure. Prie, efforce-toi de voir toujours Dieu devant toi.

Ton père N(ikon).



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Paix à ton âme, N.!

Qu'as-tu à te décourager? Où est ta foi? Le Seigneur n'a-t-il pas promis de donner tout le nécessaire à celui qui cherche le Royaume de Dieu et sa justice? Scrute-toi, demande-toi si tu fais cette recherche, si tu as foi en la vie dans l'au-delà, si tu crois en l'enseignement de la sainte Eglise orthodoxe, ou plutôt en l'enseignement du Sauveur Lui-même, qui dit qu'après la mort chacun recevra selon ses oeuvres et selon sa foi, si tu crois les paroles du Seigneur que pas un cheveu ne tombera de ta tête sans la volonté du Père Céleste.

Si tu crois en tout cela, si en plus tu crois que le Seigneur a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils Unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse, qu'Il L'a livré aux outrages et à la Crucifixion - alors tu dois sans murmure te remettre corps et âme entre les mains de Dieu et pleurer, non parce que tu as perdu ton emploi ou ta pension, mais parce que nous répondons à l'amour de Dieu par des plaintes, par notre peu de foi, par l'impatience et en transgressant Ses saints commandements. Le Seigneur n'a-t-Il pas dit que celui qu'Il aime, Il le châtie et par des épreuves Il l'arrache à la terre pour l'aider à élever son coeur vers le haut, non seulement pendant la Liturgie, mais à tout moment? Sommes-nous en droit de dicter au Seigneur ce qu'Il doit faire de nous? Si en revanche nous devons nous soumettre à Lui, alors cessons de nous plaindre, de pleurer ce qui est du monde, et au contraire, pleurons nos péchés, les violations que nous faisons sans cesse des commandements, les offenses faites au Seigneur par notre incroyance, notre manque de foi en Sa parole, notre indifférence envers Son amour pour nous. Et si nous ne voyons pas nos péchés, nous pleurerons deux fois, trois fois plus, car cela voudra dire que notre âme s'est endurcie et enténébrée, qu'elle a perdu la santé de ses yeux intérieurs. Imploronsle Seigneur, disons : " Donne-moi de voir mes fautes!"

Et quand nous serons purifiés par le repentir, nous verrons alors que les épreuves qui nous ont été envoyées sont une manifestation de la miséricorde divine et de l'amour de Dieu pour nous, nous comprendrons qu'elles sont plus précieuses que tout autre bien terrestre. Celle qui est l'Unique dans tout le genre humain, plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins, la Mère du Seigneur, a subi des souffrances en comparaison desquelles les nôtres, si dures soient-elles, ne sont rien.

Qui plus est, le Seigneur ne permet aucune tentation, aucune peine au-delà de nos forces. Tu n'as pas encore lutté jusqu'au sang, et d'ailleurs, t'es-tu battue contre l'ennemi, contre tes passions? N'as-tu pas vécu tant bien que mal, n'as-tu pas offensé tes proches, n'as-tu pas été dure avec eux, n'as-tu pas bavardé pour ne rien dire? Scrute toute ta vie en priant, repens-toi de tout le passé, sincèrement, avec des larmes, fais au Seigneur la promesse de mettre tout ton effort dans la lutte contre le péché, dans la mise en pratique de Ses saints commandements, donne-toi du mal - et bientôt, tu verras la miséricorde de Dieu envers toi et peut-être, dans ton coeur, tu remercieras le Seigneur pour les peines endurées. Humilie-toi devant Dieu et devant les hommes.

Si tu ne fais rien de tout cela, si tu continues à pécher, à déprimer, au moins supporte sans gémir les épreuves qui te sont envoyées et dis avec le bon larron : " J'accepte ce que j'ai mérité pour mes actes." Ne désespère pas, supporte le Seigneur, pleure tes péchés, ton peu de foi, ton incroyance en la Providence divine, et le Seigneur te consolera. Pardonne-moi, prie pour moi. Que le Seigneur te bénisse, t'instruise et te réconforte.

Ton père N(ikon).



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Pauvre âme en peine N., moi aussi, je te plains et je pense à toi : ne penses-tu pas que le Seigneur te plaint et t'aime mille fois plus? Supporte-Le et ne l'offense pas par tes gémissements, et Il te donnera un réconfort plus grand que tu ne l'imagines.

N(ikon).



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Paix à toi, N.!

Tu évoques toujours dans tes lettres tes épreuves, est dans l'Evangile. Le Dieu Homme a terminé Sa vie de douleurs sur la Croix, après avoir supporté mille outrages et la flagellation. Le bon larron, qui est l'image du pécheur repenti, a terminé sa vie, après la prison, sur une croix. Le mauvais larron, le réprouvé, est allé dans les tourments éternels après avoir, lui aussi, souffert sur une croix. C'est l'image de toute l'humanité.

Le monde invisible a ses lois, comme le monde visible. La première est : c'est par beaucoup d'épreuves qu'il convient d'entrer dans le Royaume de Dieu. Celui qui veut me suivre, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Tu entends? Celui qui veut suivre le Christ et accéder au Royaume de Dieu doit, par des souffrances profondes et prolongées étouffer en lui les mauvaises inclinations du "vieil homme", supporter les épreuves et les maladies. L'infinie sagesse de Dieu envoie à chacun, pour sa guérison, sa purification et son salut, une croix qui correspond à sa nature, à ses qualités et à ses forces. Si nous portons notre croix sans nous plaindre, si nous nous repentons de nos péchés et refusons de nous justifier, alors, à l'instar du bon larron, nous entrerons dans le Royaume des Cieux. Si nous gémissons, si nous incriminons Dieu et les hommes, nous périrons dans des tourments encore plus grands, sans cet espoir de salut qui allège les souffrances. Le choix est entre nos mains. Nous aussi nous devons être "raisonnables (1)".

(1) : ( En russe le "bon larron" se dit "le brigand raisonnable" (NdT).).

La croix est pour tous inévitable. Allégeons-la par la foi dans le Seigneur, le combat contre le péché, le repentir, le pardon accordé à tous nos proches, l'acceptation des épreuves et la prière vers Dieu. L'amour de Dieu désire notre salut et ne permet pas que nous soyons éprouvés au-delà de nos forces et sans une nécessité absolue. Les épreuves sont nécessaires, mais l'homme ne voit leur nécessité qu'après s'être purifié par le repentir, la lecture de la Parole de Dieu et l'abstinence par rapport au péché.

Pardonne-moi. Que le Seigneur te fortifie, te bénisse et te garde de tout mal.

Ton père N(ikon). 28 juin 1950.



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Paix à toi, N.!

Bonne fête! Que par les prières de ton saint protecteur ta vie s'arrange et que tu trouves la paix, ici-bas et dans l'autre monde. La paix s'acquiert par l'humilité et la douceur, comme l'a enseigné le Seigneur Jésus-Christ Lui-même : Apprenez de Moi, car Je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez la paix pour vos âmes. Et toi, si tu veux acquérir la paix et le repos de ton âme, comporte-toi en actes, en paroles, dans ton coeur, avec douceur et humilité, ou bien désole-toi sincèrement, présente ton repentir au Seigneur si tu agis en sens inverse.

Que le Seigneur te bénisse, te console et te sauve. Amen.

N(ikon). 2 février 1951.



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Chère N.!

Tu demandes l'absolution pour les péchés confessés par toi dans ta dernière lettre et dans la présente. Je t'ai écrit ( mais je ne me souviens pas si j'ai confié ma lettre à quelqu'un ou si je l'ai envoyée par la poste) qu'en confession "je t'ai pardonnée et absoute" des péchés confessés. Tu peux ne plus les mentionner quand tu te confesseras à d'autres prêtres.

Il est superflu de trop se désoler et d'en venir au désespoir; c'est un signe non d'humilité mais d'orgueil. Il faut s'attrister et regretter d'avoir offensé le Seigneur par nos péchés, Lui demander pardon et s'efforcer de ne pas recommencer, et si nous retombons dans le péché, il faut aussitôt redemander pardon, et le Seigneur pardonnera, car Il est venu sauver non les justes mais les pécheurs, ceux qui reconnaissent leurs péchés.

La sincérité et la profondeur du repentir se voient à la façon dont la personne s'efforce de ne pas réitérer son péché. Pourtant, si nombreuses soient les rechutes, il ne faut pas désespérer; au contraire, s'étant repenti, il faut reprendre le combat : alors, les chutes elles-mêmes nous seront à profit. Toi-même, tu comprends déjà beaucoup de choses.

Combats tous les péchés, les plus minimes soient-ils. A celui qui n'est pas fidèle dans les petites choses, on ne confiera pas de grandes. Car le diable suggère : " ce n'est rien, c'est une bagatelle" et, à propos d'un péché plus grave : " Comment pourrions-nous lutter contre cela? C'est l'affaire des grands ascètes." Lis le plus possible l'Evangile et surtout les Pères; sans lecture, il est difficile de faire son salut. Plutôt que perdre son temps, ne vaut-il pas mieux, n'est-il pas plus intéressant de prendre des leçons auprès des saints Pères?

Je ne t'oublie jamais. Que le Seigneur t'aide dans l'oeuvre du salut, t'éclaire et te bénisse. Ne gâche pas ton temps pour rien, les jours sont mauvais, on ne sait pas quand la mort surviendra.

Amitiés à N. et la bénédiction de Dieu. Discute plus souvent avec Mère V. Ne parle pas des anciens péchés, mais ce qui te tourmente en ce moment, tu peux le dévoiler discrètement si tu n'arrives pas à résoudre ton problème seule.

Prends soin de toi. Merci pour les friandises.



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Chère N.!

J'ai lu ta lettre. J'ai compassion de toi, plus que jamais. (...) Toi, tu es sur la voie droite, et lui, sur la voie de la perdition. Il n'y a qu'une seule voie droite : reconnaître que nous sommes pécheurs, altérés d'âme et de corps, atteints de la lèpre, impurs, indignes du Royaume de Dieu, indignes même de nous adresser à Dieu par la prière. Je suis content que tu te reconnaisses telle et que tu acceptes tes épreuves comme venant de la main de Dieu, comme méritées par toi pour la purification de tes péchés. garde précieusement cette disposition d'esprit. Elle est la seule qui soit juste. Celui qui ne se reconnaît pas pécheur, celui-là s'est détourné de la voie droite; il s'est enfoncé dans le marécage de la vanité, de l'illusion, il s'est éloigné de Dieu, il est parti dans un pays lointain, pour y faire paître des porcs ( imaginaires) et se livrer en esclavage aux démons arrogants.

A celui qui aime le Seigneur, des épreuves sont envoyées pour tester sa foi et son dévouement à Dieu. Il existe une loi spirituelle : c'est par de nombreuses tribulations qu'il convient d'entrer dans le Royaume de Dieu. Dans le monde, vous serez dans la peine, a dit Jésus-Christ à Ses disciples avant Sa mort. Vous gagnerez vos âmes par votre patience. Celui qui supportera jusqu'au bout sera sauvé. Et les saintes Ecritures enseignent la patience par d'autres paroles encore, semblables à celles-là. Sans épreuves et sans tentations, l'homme ne peut accéder à l'humilité. La vanité, l'amour-propre et l'orgueil sont si profondément ancrés dans le coeur humain que sont nécessaires des moyens puissants et une longue période d'apprentissage pour les déraciner et amener la personne à un certain degré d'humilité. C'est parce qu'ils n'avaient pas l'humilité que les Anges supérieurs sont devenus des démons et qu'Adam et Eve ont été chassés du paradis. Comment pourrions-nous, sans l'humilité et avec nos péchés, revenir dans le Paradis perdu? C'est impossible, tant que l'homme n'a pas compris sa déchéance, son arrogance, tant qu'il ne s'est pas profondément humilié, qu'il n'implore pas le Seigneur de tout son coeur comme le publicain. " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur". "Seigneur, mes actes m'interdisent le salut, aie pitié de moi dans Ta grande miséricorde."

Tâche de te protéger de S. quand les ennemis l'excitent, à la fois concrètement, en cachant tous les objets dangereux, et par la prière. Le Seigneur ne nous abandonne jamais une seule seconde. Et s'il ne veut pas que N. t'offense, ni lui ni l'enfer ne pourront rien contre toi. Le Seigneur a permis que saint Séraphim soit roué de coups, Il lui a donné de devenir martyr et participant à la croix du Christ. Si tu es capable de cela, le Seigneur peut permettre que des souffrances t'adviennent; mais si tu n'as ni patience ni humilité, si au contraire tu as de l'affection pour l'offenseur, Il ne le permettra pas. " Confions nous nous-mêmes, les uns les autres, et toute notre vie au Christ notre Dieu."

J'ai grande compassion de toi et je te souhaite mille grâces de la part de Dieu. Que le Seigneur te bénisse et te garde de tout mal aujourd'hui et pour les siècles des siècles. Amen.

Ne m'oublie pas dans tes prières.

N(ikon). 29 janvier 1958.

Prie toujours pour N., afin que le Seigneur ne le laisse pas aller jusqu'à la perdition.



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Chère N.! Paix à toi et reçois la bénédiction de notre Seigneur Jésus-Christ!

J'ai été très heureux de recevoir ta lettre. Je n'ai pas le temps d'écrire en détail, mais je dirai brièvement : les états d'âme que tu décris sont parfaitement vrais. Le chemin spirituel, le seul qui soit juste, nous mène vers la claire vision de nos péchés. Ce n'est pas seulement la prise de conscience de péchés particuliers commis à un moment précis, c'est la conscience de notre état d'absolue corruption, qui fait que tous nos actes, toutes nos pensées sont entachés par le poison du péché.

Voyant son état de pécheur, l'homme se désole amèrement, pleure devant le Seigneur et acquiert une humilité, une crainte de Dieu, une espérance dans le Seigneur et un amour pour Lui tels que l'invocation du Nom du Seigneur fait naître en lui la joie, la douceur, la gratitude... C'est ainsi que le prophète David s'écrie dans un psaume : " J'ai invoqué le Nom du Seigneur et j'ai été rempli de joie." C'est bien que tu ne dises rien, même à P., de tes dispositions spirituelles. Continue à n'en pas parler. Pour tester, non pas toi, mais les autres, tu peux dire que tu as rencontré dans tes lectures des dispositions du même genre et demander ce qu'ils en pensent. Tu verras alors ce qu'ils te diront.

Je suis content qu'avec N. vous viviez en bonne entente. Comment se comporte-t-il, sur le plan spirituel? Je serais heureux de te voir. Peut-être quand je me rendrai à Kozelsk. Et toi, viens nous rendre visite cet automne ou cet hiver. L'été, tu n'es pas libre, et puis il y a beaucoup de monde qui vient nous voir de Moscou. Prends soin de toi. Fais ton salut. Remercie sans cesse le Seigneur pour toutes Ses grâces envers le genre humain et envers chacun d'entre nous.

Mes amitiés à N. A-t-il cessé d'être fâché

contre moi? Quand il aura un peu grandi spirituellement, qu'il vienne nous voir, si toutefois je ne vais pas moi-même là-bas.

Que le Seigneur t'instruise et te garde de tout mal. Nous vivons une époque terrible sur le plan spirituel. prie pour moi.

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Chère N.! Paix et salut de l'âme!

J'ai reçu ta douloureuse lettre. Je te plains grandement. J'ai pitié aussi de S. Cet homme périt bêtement. Le pire, c'est que, lorsque la maladie s'est déclarée et le menaçait, il a voulu prendre la voie juste, et maintenant qu'il est guéri, il a tout oublié. Rappelle-lui les paroles du Sauveur au paralytique guéri : " Te voilà guéri, ne pèche plus, afin que rien de pire ne t'arrive". Que peut-il y avoir de pire que rester trente-huit années durant cloué sur son grabat? Rien d'autre que le tourment éternel après la mort. Pour tes prières et ton amour, le Seigneur lui a donné l'intelliegnce : il a très bien compris cela. Si, en revanche, il rejette le Seigneur et L'offense par ses actions ( reconnaître le Seigneur en paroles - la belle affaire : les démons eux-mêmes reconnaissent Jésus-Christ comme Dieu, il recevra ce qu'il a mérité par ses oeuvres. Dieu ne se laisse pas insulter.

Toi, demande au Seigneur la patience, prie-Le de te défendre. Les démons ont attaqué ouvertement les ascètes de Dieu, ils les ont roués de coups, ils leur ont inspiré une angoisse mortelle, parce que Dieu l'avait toléré. Par leur patience, ils ont montré leur amour pour le Seigneur, et Il les a récompensés. Toi aussi, le Seigneur permet que tu supportes les crises de S., ou plutôt les démons dont il est la proie.

Patiente, mon enfant, pour le Seigneur. Celui qui supportera jusqu'au bout sera sauvé. Il existe une mystérieuse loi spirituelle : c'est par de nombreuses tribulations que l'on entre dans le Royaume de Dieu.

Que la bénédiction de Dieu, que Son aide te protègent de tout mal. N'aie pas peur. Pas un cheveu de ta tête ne tombe sans la volonté du Seigneur. Le démon se démène par-derrière et par-devant, mais les choses vont de l'avant.

Que le Seigneur vienne en aide à S, lui aussi, qu'Il l'aide à se débarrasser du Malin et à se repentir.

N(ikon). 14 juin 1960.



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Il est dit : Si tu viens travailler pour le Seigneur, prépare ton âme à la tentation, et encore : Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Christ seront persécutés, et encore : Le monde vous haïra; dans le monde vous serez dans la peine. Et il y a beaucoup de sentences de ce genre dans la Parole de Dieu.

Si un homme se trouve entièrement sous la domination du diable, peut-il ne pas faire des vilenies à ceux qui s'efforcent de vivre selon l'Evangile, qui le plaignent, qui veulent l'arracher aux griffes de l'ennemi? Les ennemis du Christ le haïssaient d'une haine féroce et ils ont obtenu qu'Il soit crucifié. Le disciple n'est pas plus grand que son maître. Toi, dans ton être intérieur, tu dois te réjouir que le Seigneur te conduise par Son chemin de Croix et Le remercier de tout ton coeur. L'enfer tout entier, et pas seulement N. avec ses démons, ne peuvent rien faire de plus que ce que permet le Seigneur. Prends les mesures qu'il faut sur le plan humain pour préserver ta sécurité, fais ce que tu peux, et le reste, laisse-le à la volonté de Dieu. Réjouis-toi dans le Seigneur! Tu as été reconnue digne de l'honneur fait aux saints; porte jusqu'au bout ta croix, sans te plaindre, avec gratitude.

Maintenant à propos de ta vie extérieure : ne prends aucun travail pendant l'été. Plante des pommes de terre, cultive le potager et vaque aux soins domestiques. Le Seigneur ne laisse jamais tomber Ses serviteurs. Supporte : ou bien il va changer pour le mieux, ou bien il va affronter le jugement.

Que le Seigneur te vienne en aide! Partout il est conseillé d'endurer jusqu'à la fin. Que le Seigneur résolve cette situation. N'aie pas peur. Au pire, je te viendrai toujours en aide. Que le Seigneur te bénisse et te protège!

N(ikon). 4 mai 1961.



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Chère N.!

La paix et la grâce soient avec toi et avec S. d ela part du Seigneur. J'ai reçu ta lettre. Cela faisait longtemps que tu n'avais pas parlé de tes dispositions. Je suis content de ce que tu écris, si réellement tu ressens ce que tu décris. Sinon, bien souvent on écrit ce que l'on imagine, ou ce qu'on a lu ou entendu. Ce que tu décris, cela arrive à chacun de ceux qui avancent sur le chemin de la vie spirituelle. Fais ton salut, donne-toi du mal, prie, sois en paix avec tous, ne juge personne, aie compassion de tous, ne juge pas ceux qui pèchent ouvertement, mais parle d'eux au Seigneur en soupirant, pour qu'Il leur pardonne et leur inspire le désir du salut.

La mesure du progrès spirituel de l'homme, c'est son humilité. Plus la personne est élevée spirituellement, plus elle est humble, et inversement, plus elle est humble, plus elle est élevée spirituellement. Ce ne sont pas les règles de prière, les jeûnes, la lecture de la Parole de Dieu qui rapprochent l'homme de Dieu, mais c'est l'humilité. Sans l'humilité, les plus grands exploits spirituels, non seulement ne sont d'aucun profit, mais ils peuvent être cause de perdition. A notre époque, on voit des gens qui se sont mis à prier un petit peu plus, à lire le Psautier, à observer le jeûne, et qui déjà se sentent supérieurs aux autres, jugent leurs frères, donnent des leçons sans qu'on leur demande, montrant par là leur vide spirituel et leur éloignement du Seigneur "dans un pays lointain". Crains la haute opinion que l'on a de soi.

Le Seigneur dit : Quand vous aurez accompli tout ce qui vous a été demandé ( quand vous aurez observé tous les commandements), considérez-vous comme des serviteurs inutiles, dites que vous n'avez fait que ce que vous étiez tenus de faire. Le salut est donné à ceux qui sont humbles de coeur. Il faut donc demander l'humilité au Seigneur. Celle-ci est incompatible avec le jugement d'autrui et la susceptibilité. Si nous jugeons les autres ou si nous nous vexons parce qu'on nous a offensés, c'est qu'il n'y a en nous aucune trace d'humilité. Les saints ascètes remerciaient sincèrement ceux qui les offensaient et les insultaient, car en supportant les offenses, ils acquéraient l'humilité. La Mère de Dieu affirme que le Seigneur L'a choisie pour Son humilité. Le Seigneur Lui-même nous engage à apprendre de Lui l'humilité - non le jeûne, non la prière, et même pas l'amour du prochain, mais l'humilité. Ce n'est que par l'humilité que l'homme rejoint l'Esprit de Dieu, de Celui qui s'est humilié au point de supporter les crachats, le fouet, la mort sur la Croix. Il va de soi que nous devons faire tous nos efforts pour observer tous les commandements - mais je le répète : sans l'humilité, ces efforts sont vains et même nuisibles. Ne me comprends pas mal.

Que le Seigneur t'éclaire! Qu'Il te délivre des embûches des ennemis visibles et invisibles. C'est qu'ils sont passés maîtres en perfidie! Mon salut à S. Que le Seigneur vous bénisse.

N(ikon). 7 mars 1956.



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K., paix à toi!

J'écris cette lettre en présence de S. Il m'a parlé avec peine de vos relations. Pour autant que je comprenne, vous êtes tous les deux fautifs, vous agissez mal.

S'il boit, il faut le plaindre, car il est déjà esclave de sa passion. Seul, par ses seules forces, il ne pourra s'en défaire. Toi, au lieu de l'aider, tu le juges, tu exiges de lui ce que pour l'instant il ne peut pas faire. Tu te crois dans ton bon droit, mais tu fais erreur. Si tu es plus spirituelle que lui, ton devoir est de porter ses infirmités. Vous, les forts, portez les faiblesses des faibles - voilà ce que le Seigneur veut de toi. Il dit aussi : Vous, les spirituels, corrigez le faible ( comme S. par exemple) par l'esprit de douceur. Tu entends? Corrigez par un esprit de douceur et non par des invectives, des reproches, des disputes... Par cette conduite, tu perds ton âme et tu peux faire que S. en souffre, lui aussi, et alors tu auras à répondre de son âme à lui. Avec toute ma force de conviction, de toute mon âme, je te supplie avec amour de t'humilier devant S., de t'estimer coupable devant lui ( même si tu as raison en certains points), de demander pardon pour tout le passé. Ensuite, fais serment à Dieu de tout faire pour établir la paix entre vous, et pour le salut de vous deux. Tu ne peux pas être sauvée sans S. ni lui sans toi. La perdition de l'un sera la perdition de l'autre. Vous êtes mariés, vous n'êtes plus qu'une seule chair. Si l'une de tes mains est malade, tu ne vas pas la couper, tu vas la soigner. Tu ne peux pas arracher S. de toi, et lui ne peut t'arracher de lui. Il vous faut être sauvés ensemble, ou perdus. Il est dit : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, etc. Ne devez-vous pas d'autant plus vous aimer l'un l'autre, donner votre vie l'un pour l'autre? Tu connais l'exigence du Sauveur : Si tu présentes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens présenter ton offrande. Alors seulement le Seigneur recevra ton offrande, et sinon, Il rejettera tes offrandes et tes prières, comme Il a rejeté celles de Caïn.

Repens-toi. Je crains pour ton état spirituel. Tu as écrit, tu as dit que tu voyais tes péchés et que tu t'en désolais. C'est un état d'esprit très élevé, mais depuis quelque temps j'ai commencé à en douter. N'est-ce pas le démon qui te trompe? Lorsqu'on voit clairement ses péchés, on ne peut sérieusement accuser les autres, et a fortiori les offenser comme tu le fais... Tu ne dois pas exiger de lui qu'il soit en bonne santé alors qu'il est malade; tu dois te montrer indulgente à l'égard de ses faiblesses. Tu ne dois pas lui crier dessus quand il est saoul, tu dois te taire, afin de ne pas provoquer quelque chose de pire. Et quand il est sobre, tu ne dois pas le sermonner, mais tu dois discuter avec lui sur la façon de faire pour surmonter ensemble son infirmité. Tu dois te souvenir que toi-même tu n'es pas sans péché. On peut extérieurement paraître parfaitement juste, mais les motifs profonds, intimes, peuvent devant Dieu ne pas être sincères. Pourquoi ne m'as-tu pas écouté et as-tu pris un travail? Quitte-le au plus vite. Saint Pimène le Grand disait que notre salut est dans notre prochain, c'est-à-dire dans notre amour pour lui. C'est par là que tous doivent commencer, toi comprise. Aucune de tes prières, de tes aumônes, de tes peines ne plairont à Dieu tant que tu ne fais que juger N. au lieu de tendre tous tes efforts, soit à le sauver, soit à te résoudre à périr pour son salut. C'est la condition pour que le Seigneur reçoive tes prières et tes bonnes oeuvres. A N. ne parle pas de cette lettre, ni à N. de son contenu; ce serait nuisible; je te l'interdis. Ne crois pas que je t'aie écrit tout cela parce que... m'a parlé et m'a influencé. Non. Dès ce printemps et même avant, j'ai senti combien ta disposition d'esprit était erronée.

Que le Seigneur t'aide à comprendre ce que j'ai écrit, à trouver la paix et l'amour dans tes relations avec N. Que le Seigneur te bénisse et guérisse ton âme. En te souhaitant sincèrement beaucoup de bien et le salut, je reste N(ikon) qui t'aime.

K. écrivez-moi vos lettres avec S. Corrigez-les ensemble, pour être tous les deux d'accord avec le contenu.

N(ikon).



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Cher S.! Salut à toi!

Comment vas-tu? Te portes-tu bien? Je voudrais beaucoup te voir et discuter avec toi. J'entends dire que tu continues à boire au point de te faire beaucoup de mal. Qu'est-ce qui t'attend sur cette voie? Je vais te l'expliquer.

Si tu ne combats pas cette maladie, tu tomberas sous la domination totale des démons. Ils vont t'inciter à boire de plus en plus et ainsi, ils détraqueront définitivement ton système nerveux. Les disputes, anodines au début, se feront plus prolongées. L'argent viendra à manquer, tu perdras ton travail, il faudra vendre des objets, se résoudre à emprunter en avalant sa honte, peut-être même à voler. La colère va s'enfler jusqu'à la haine, jusqu'au désir de tuer.

Les démons qui agissaient dans le secret apparaîtront sous l'aspect de brigands, de bêtes fauves, de serpents, etc... Ils peuvent apparaître aussi sous leur aspect véritable, infâme et repoussant. Si, même alors, tu ne te reprends pas, ils t'obligeront à commettre un acte criminel - incendie volontaire, meurtre, puis ils t'inspireront un désespoir qui t'acculera au suicide. Si l'homme disparaissait définitivement après la mort, on pourrait se réjouir qu'il en ait fini avec ses souffrances, mais non, l'homme ne disparaît pas. L'ivrogne, le suicidé, échangeront leurs souffrances passagères contre des tourments horribles qui n'auront pas de fin.

Tout comme les personnes spirituelles qui luttent contre le péché et en triomphent finissent par devenir peu à peu capables de sentir le monde spirituel et les Anges, de même ceux qui s'adonnent aux passions mauvaises, notamment à la boisson, à la luxure, ceux-là, s'ils ne se repentent pas, verront les démons et se feront leurs esclaves.

L'apparence de l'homme spirituel et celle de l'esclave des démons suffisent à dire vers quoi conduisent l'une et l'autre voies. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits, dit le Seigneur.

Cher S., bon, intelligent, que nous aimons, reprends-toi : où vas-tu? Si déjà ici-bas tu te sens mal, qu'en sera-t-il parès la mort? Les passions seront mille fois plus fortes que sur la terre, elles te brûleront comme du feu et tu ne pourras les assouvir. A cause de ta vie gâchée, des crimes commis, ta conscience, comme le ver qui ne dort pas, rongera ton coeur. Et la pensée que toi-même, par ta faute, tu t'es privé de la béatitude éternelle au milieu des saints et des Anges, cette pensée te torturera à jamais.

S., si tu ne peux cesser de boire, reconnais au moins que tu agis mal, que tu te perds, que tu offenses tes proches et insultes le Seigneur. Reconnais cela et tombe aux pieds du Seigneur au moins une fois par jour en disant : " Seigneur, je suis en train de me perdre, sauve-moi, ne permets pas que je sois perdu à jamais. Seigneur, aie pitié de moi pécheur." Si tu dis cela quotidiennement, de tout ton coeur, le Seigneur te pardonnera tous tes péchés et te sauvera de la perdition.

Le premier à entrer au Paradis fut le bon larron. C'est le Seigneur qui l'a voulu, pour nous encourager et nous réconforter, nous autres pécheurs. Le Seigneur miséricordieux pardonne tout à celui qui se repent sincèrement. Aucun pécheur ne doit céder au désespoir. Ne dis pas que tu es déjà perdu, c'est une pensée du démon. Il y a de la joie au Ciel pour un seul pécheur qui se repent, dit le Seigneur. Lui, le Sauveur, Il est venu sur terre pour chercher et sauver celui qui était perdu. N'aie pas peur des démons. S'ils t'apparaissent sous une forme ou une autre, invoque le Nom du Seigneur Jésus-Christ et fais le signe de la croix; fais le signe de la croix sur ces apparitions, et elles s'évanouiront comme de la fumée. N'utilise ni couteaux ni toute autre arme pour te défendre : les démons n'en ont pas peur, arme-toi du Nom du Seigneur. Ils m'ont entouré et par le nom du Seigneur je les ai repoussés, c'est ainsi que se défendaient contre les démons les authentiques chrétiens, et ils nous apprennent à faire de même.

S., j'ai toujours fait mémoire de toi dans ma prière. Je te promets de prélever à chaque Liturgie une parcelle pour toi et de demander à Dieu qu'Il te rende raisonnable et t'aide à te délivrer de ton malheur. Seulement, il faut que tu luttes un peu toi-même; ne tends pas la main aux démons. Toi-même demande au moins une fois par jour ( je le répète) en te prosternant qu'Il ne te laisse pas te perdre, qu'Il te sauve du tourment éternel. Aie pitié de toi, aie pitié de N. Tu l'as aimée autrefois, peut-être l'aimes-tu encore. Est-il possible que tu veuilles la torturer? Demande-lui pardon quand tu l'offenses, afin que le Seigneur te pardonne. Si toi-même tu n'es pas en paix avec tes proches, comment feras-tu la paix avec le Seigneur? Ne désespère pas, quoi que tu aies fait. Aux heures plus claires, prie Dieu et Il te viendra en aide, Il te pardonnera... Reprends tes esprits, aie compassion de toi. Viens nous voir. Tu pourras ici te confesser, communier. Tu pourras aller à l'église, lire des livres pieux. Prends un congé et viens, sois seul, soit avec N., comme il te conviendra.

S., je suis un homme pécheur, mais je te plains de tout mon coeur. Or, le Seigneur plaint mille fois plus chaque pécheur et Il attend sa conversion afin de lui pardonner tous ses péchés, toutes ses ignominies, et de le sauver. Tourne-toi vers le Seigneur en priant, repens-toi de tes péchés, écarte-toi des mauvaises gens et quitte ton maudit travail, et alors le Seigneur te sauvera. Il vaut mieux pour toi ne travailler nulle part, mais ne bois pas, ne cause pas ta perte. En attendant, N. te nourrira, et quand tu seras plus fort, quand tu seras maître de toi, le Seigneur te fournira un travail qui sera bon pour toi. Tu acquerras la paix de l'âme, la tranquillité, la joie. Actuellement, tu ne fais que souffrir, tu te perds et tu fais souffrir tes proches.

Si tu ne te tournes pas vers le Seigneur avec humilité et repentance, de grandes souffrances t'attendent encore ici-bas et après la mort - des pleurs et des grincements de dents, les ténèbres, le ver qui ne dort pas et le feu qui ne s'éteint pas, un tourment éternel, atroce, inconcevable et qui ne finit jamais.

Si dure que soit la vie ici-bas, toute chose terrestre a une fin. Alors qu'après la mort, c'est l'éternité à jamais - une éternité de béatitude ou une éternité de tourment. Le choix est entre nos mains. Le Seigneur désire la joie éternelle pour tous, mais Il n'attire personne de force à Lui. Tu ne veux pas demeurer avec le Seigneur dans la lumière et la félicité, tu rejoindras le diable, les ténèbres et les tourments éternels.

Tout ce qui est écrit ci-dessus est la pure vérité. Aie pitié de toi, S., sois miséricordieux envers toi-même. Amen.

Ton ami et ton père qui t'aime sincèrement et te veut du bien.

P. N(ikon).



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Cher S.! Je te souhaite la paix du coeur, une bonne santé et une saine attitude envers toi-même et les autres.

Je t'ai écrit et envoyé une longue lettre, je pensais te soutenir et te réconforter un peu, mais apparemment, on ne te l'a pas transmise.

Je pense que tu vas être bientôt guéri et que tu vas venir nous voir. Ne déprime pas, tâche de te connaître toi-même, ta vie, le sens de ta vie et la vanité de tout ce qui appartient à cette terre. Soutiens-toi par la prière et par le discernement. Mieux vaut endurer un moment que souffrir éternellement.

Sois ferme, soigne-toi, viens nous voir. Le Seigneur ne t'abandonnera pas; Il t'accordera du temps pour la repentance et les bonnes actions. Tout se résoudra au mieux. Chasse le découragement et la tristesse. A un revoir prochain. Demande pourquoi on ne t'a pas transmis ma lettre.

N(ikon) qui t'aime.

Les nôtres ont beaucoup de compassion pour toi; ils te saluent et te souhaitent un prompt rétablissement. Porte-toi bien, sois vaillant.



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Cher S.!

J'ai reçu ta lettre. On a dû déjà procéder à l'opération et j'espère qu'elle s'est bien passée. Je pense sans cesse à toi et te souhaite une bonne santé, non seulement physique, mais surtout - c'est infiniment plus important - morale. Crois-moi, ta maladie n'est pas fortuite, elle t'est envoyée par la miséricorde divine en vue du salut de ton âme. Il fallait t'arracher à cette vie abominable qui causait ta perte et qui désolait tous ceux qui t'aiment.

Je suis sûr que tu as pleinement pris conscience de ton passé dans son abomination, et que tu te repens. Purifie ton âme des vilénies passées, seul le Seigneur le peut. Si tu supportes sans te plaindre la maladie de ton corps, en remerciant le Seigneur, tu montreras par là ta foi, ton repentir et ton humilité, et tu recevras non seulement le pardon des péchés commis antérieuerement, mais du secours dans le combat à venir contre les mauvaises inclinations, et après la mort, la vie éternelle dans la communion avec tous les saints, et une joie ineffable. Ne te décourage pas, mon enfant, chasse la déprime et l'incroyance, invoque le plus souvent possible le nom du Seigneur et Il te consolera, même s'Il t'impose d'endurer la maladie. La loi de l'Esprit dit que c'est par beaucoup de tribulations que l'on entre dans le Royaume de Dieu. Sais-tu par quelles souffrances les apôtres, les martyrs, les ascètes sont passés dans la vie future? C'est impossible à décrire. C'est pourquoi il est dit : celui que Dieu aime, Il l'afflige de maux et d'épreuves, pour le recevoir dans Sa gloire après la mort, lavé par le repentir et l'épreuve de la maladie.

Quand le découragement, l'angoisse te prendront, efforce-toi de dire en toi-même : " Gloire à Toi, ô Dieu, Gloire à Toi! Je reçois ce que j'ai mérité par mes actes. Je te remercie, Seigneur, de m'avoir envoyé cette maladie pour le salut de mon âme. Gloire à toi, Seigneur, gloire à Toi."

Prononce ces paroles des dizaines, des centaines de fois; dis-les avec conviction, de tout ton coeur et tu sentiras au bout d'un certain temps un soulagement dans ton coeur, la paix, la tranquillité, la fermeté et la patience. Ce sont les signes que la Grâce de Dieu te visite. Fais serment au Seigneur de vivre le reste de ta vie chrétiennement, et le Seigneur prolongera tes jours sur terre, pour le temps du repentir et l'acquisition de nouvelles qualités morales indispensables dans le Royaume de Dieu : humilité, douceur, tempérance en toutes choses, charité, piété et gratitude envers Dieu.

Efforce-toi de ne pas trop parler avec les gens; exerce-toi à la prière intérieure.

Que le Seigneur te bénisse et t'inspire pour le bien. Et toi-même, "fuis-le mal et fais le bien", combats le péché tapi en tout homme, car le Royaume de Dieu se conquiert par la force.

Prends soin de toi, de corps et d'âme.

N(ikon).

Les nôtres te saluent tous, te souhaitent un prompt rétablissement. Viens nous voir.

16 juin 1958.

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La paix soit avec vous, chers N. et N.!

Pardonnez-moi d'avoir tant tardé à répondre. Je ne vais pas me disculper, bien que je sois en droit de le faire. Pardonnez-moi. Avant tout un grand merci pour les fraises. Je suis très reconnaissant; tout est bien arrivé. Pardonnez-moi de vous avoir donné cette peine.

S., comment vas-tu? La tumeur diminue-t-elle? As-tu moins mal aux épaules et à la poitrine?

En ce qui concerne l'oeuvre intérieure, je vais te dire ceci: ne t'impose pas de lourdes tâches, ne te fixe aucun délai - mais toujours et en tout retiens-toi de tout mal, de toute violation des commandements; efforce-toi de faire le bien, je veux dire, fût-ce au prix d'un grand effort et d'une lutte. Efforce-toi d'agir non comme tu en as envie mais comme l'ordonne le Seigneur dans Ses commandements. Il est dit, et ce n'est pas fortuit : Le Royaume de Dieu se conquiert par la force. A cela il convient d'ajouter : l'endurance dans les épreuves et les maladies.

Une grande grâce du Seigneur t'a visité, car le Seigneur ne désire pas la mort du pécheur. Tu étais sur le chemin de la perdition - après la mort, tu aurais affronté le gouffre de l'Enfer. Tu n'écoutais pas les paroles, tu ne le pouvais pas. Un moyen puissant était nécessaire pour t'arracher à ce chemin de perdition. Ce moyen puissant, le Seigneur a été contraint de te l'envoyer sous la forme de la maladie. C'est pourquoi - ne te rebelle pas contre Dieu, ne te décourage pas, mais remercie-Le pour Sa grâce envers toi et son Souci pour ton salut. Il est dit dans l'Ecriture : Car le Seigneur châtie celui qu'Il aime et Il frappe de la verge tous ceux qu'Il reconnaît pour ses fils. Ainsi donc, tu es proche de Dieu, ne L'offense pas par de l'ingratitude, par la transgression de Ses saints commandements, par des plaintes.

Pour acquérir la prière que rien ne distrait, il faut s'humilier devant Dieu et les hommes, et faire beaucoup d'efforts. Sans l'humilité, l'homme sera toujours distrait. Mais ne te décourage pas, ne désespère pas, patiente, attends, estime-toi indigne de tout don. En vérité nous sommes tous indignes non seulement de quelques grâces particulières, mais nous ne sommes pas dignes de prononcer le Nom du Seigneur.

Si cela est bon pour toi, le Seigneur prolongera ta vie pour ton bien. La vie qui nuit à l'âme est infiniment pire que la mort si celle-ci conduit au Royaume de Dieu. Je suis heureux que tu aies surmonté ton sentiment d'offense contre moi. Cela fait espérer qu'avec l'aide de Dieu, tu surmonteras en toi les opinions du monde, les attirances mauvaises et tout ce qui nous éloigne de Dieu. Surmonte ainsi toutes les autres passions. Ce n'est pas facile, mais c'est la seule voie du salut. Accuse-toi toujours toi-même; dis-toi : "le Seigneur sait tout, donc ce qui m'arrive est ce qu'il me faut", et tu seras apaisé.

Sur les questions spirituelles, écoute K.; soyez en paix l'un avec l'autre. Que le Seigneur vous bénisse, qu'Il vous inspire pour le bien. Pardonne-moi, S., si je t'ai offensé. Peut-être ne fallait-il pas agir ainsi. Priez pour moi, et moi je fais mémoire de vous. Amitiés à tous. Donne-toi du mal. Ne te décourage pas, supporte tout. Remercie Dieu pour tout.

N(ikon) qui vous aime. 25 août 1958.



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Chers N. et N.! Paix à vous!

Merci pour la lettre que vous m'avez envoyée. Je commençais à m'inquiéter pour vous. Peu avant de recevoir votre lettre, j'ai fait un rêve : je vous voyais occupés tous les deux à scier un tronc d'arbre pour en faire des bêches. J'en ai conclu que vous faisiez le même travail, qui présentait la même difficulté pour l'un comme pour l'autre.

Concernant le passé, ne t'inquiète pas outre mesure, et quand le souvenir te revient, demande pardon au Seigneur, et Il ne tiendra pas compte de tes péchés lors de Son Jugement. Seulement, ne les réitère pas, ne cède pas aux suggestions de l'ennemi.

A propos de la maladie de N., je pense qu'elle provient d'une mauvaise alimentation, d'un manque de vitamines. De petits ulcères de ce genre, notre Père N(ikon) en a souvent. Il faut manger plus de légumes, surtout crus : carottes, navets, ail, oignon..., et l'été, le plus possible de baies et de fruits. Ce n'est pas un péché de s'adresser à un médecin si ces ulcères ne passent pas. Tu écris que tu "ne sais pas encore combattre l'Ennemi". C'est comme un écolierqui écrirait : " Je ne peux pas encore être professeur". Toi et moi, nous ferions mieux de combattre l'Ennemi par l'humilité et la Prière de Jésus, afin que Lui-même, dans Sa Sagesse, nous sauve et fasse fuir nos ennemis. Remercie sans cesse le Seigneur pour tout, accueille les peines et les ennuis comme les méritant pleinement, sans murmurer, sans te décourager. Lis des livres spirituels et l'Evangile. La vie terrestre passera vite; la vie éternelle s'annoncera : il faut s'y préparer, afin qu'elle soit une joie et non un tourment. C'est pour elle que la vie terrestre nous est donnée. Faites votre salut.

Ne lis pas de livres profanes, ne discute pas avec les athées - tu te ferais du mal et t'attirerais des épreuves superflues. Le Saint-Esprit interdit formellement à ceux qui n'ont pas atteint la force spirituelle nécessaire de mener ces entretiens et de faire ces lectures. L'Ennemi inspire aux athées d'engager ces débats, et il te suggérera l'idée que tu peux les convertir à la foi en Dieu, que tu dois les plaindre, les sauver, etc. C'est une ruse du diable. Toi-même tu as failli périr. Une foi très puissante, et non des paroles, a été nécessaire pour te faire reprendre conscience. Il en est de même pour les autres. Si le Seigneur a eu pitié de toi, Il aura pitié des autres aussi, car Il veut que tous soient sauvés, à condition que l'on cherche un peu par soi-même où est la vérité et où est le mensonge.

Que Dieu te bénisse, ainsi que N. Que Dieu vous inspire le bien et vous garde du mal. Les nôtres vous remercient de votre souvenir et vous envoient leurs amitiés.

N(ikon). 16 février 1959.



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Cher S., paix à toi et à K.!

Merci pour ta lettre. Je commençais à m'inquiéter sérieusement pour toi. Malheureusement, le passé pèse lourdement sur toi. Je suis content qu'au moins tu le reconnaisses. Je ne te condamne pas pour cela. L'homme est si faible, le péché agit si fort dans son âme et dans son corps, les démons enragent tellement contre celui qui veut échapper à leur emprise, que sont inévitables les rechutes, les retours à la vie de péché antérieure. Ne sois pas troublé par cela, ne te décourage pas. On ne devient pas champion sans suer... On entre dans le Royaume des Cieux par des épreuves, des luttes, des efforts constants.

Tu as lu dans l'Evangile que le Royaume des Cieux est semblable à du levain qu'on a mis dans la pâte jusqu'à ce qu'elle lève. Ainsi l'âme de l'homme ne lève pas tout de suite sous l'action du levain évangélique. Parfois ce processus de fermentation se produit rapidement, parfois au ralenti. Une seule chose est nécessaire : efforce-toi de vivre selon les préceptes évangéliques, combats, résiste volontairement à chaque péché par tes actes, tes paroles, tes pensées, ne cède pas de ton plein gré aux mauvaises inclinations. Si tu te laisses aller, repens-toi devant le Seigneur, demande pardon; puis combats à nouveau, et ainsi jusqu'à la mort.

Souviens-toi que par tes seules forces tu ne peux rien; appelle toujours le Seigneur à l'aide à la moindre tentation. Alors à ta bonne intention viendra se joindre la force de Dieu qui triomphe de tout péché et de toute action diabolique. Si tu sors vainqueur d'une tentation, n'attribue pas cette victoire à ton mérite, à tes forces, mais attribue-la au Seigneur et remercie-Le de t'avoir aidé à vaincre le péché. Si, en revanche, tu attribues le mérite à toi-même, tu tomberas à nouveau dans les mêmes péchés.

Invoque sans cesse le Nom du Seigneur. Tu as un peu compris ce que sont le bien et le mal. Le Seigneur attend de toi maintenant que tu t'attaches à Lui, à Ses saints préceptes, que tu les prennes pour guides dans ta vie, eux et non les suggestions des démons, et non ta nature déchue, entachée de péchés. Le choix est entre tes mains. Le Seigneur te regarde et voit dans quelle direction tend ta volonté. La vie sur terre est donnée à l'homme pour qu'il choisisse ici-bas, soit Dieu, soit le diable. La vie future dépend de la vie sur terre, car ceux qui toute leur vie ont servi le péché et le diable resteront avec eux après leur mort, pour toujours. Tandis que ceux qui ont toute leur vie tendu vers le Seigneur, même s'ils ont parfois chuté, seront après la mort avec le Seigneur, dans la félicité éternelle.

Le Seigneur t'a envoyé ta maladie intentionnellement, mais moins en châtiment de tes péchés passés (bien que la loi spirituelle veuille que tout péché soit suivi d'une épreuve) que par amour pour toi - afin de t'arracher à ta vie pécheresse et te mettre sur la voie du salut. Remercie Dieu qui se préoccupe de toi, ne L'offense pas en péchant volontairement, mais combats le péché, quel qu'il soit. Sinon tu risques de souffrir plus encore qu'auparavant.

Passe nous voir quand tu iras à Moscou. Si tu le peux, laisse venir K. pour quelques jours. Amitiés et bénédiction de Dieu à K. Prenez soin de vous. Que le Seigneur te bénisse et t'aide à sauver ton âme au lieu de la perdre pour des intérêts terrestres trompeurs et dénués de toute valeur.

H(igoumène) Nikon. 3 décembre 1959.



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Cher S.!

Le songe que tu as fait montre clairement : premièrement que les ennemis de notre salut tentent de pénétrer dans notre âme, de la piller, de la souiller, de la rendre imperméable au Seigneur; deuxièmement qu'il faut triompher d'eux par la prière, chez soi ou à l'église et par la mise en pratique des commandements; troisièmement que le Seigneur a pitié de tout homme et désire son salut. Quel amour fallait-il avoir envers le pécheur pour que le Créateur de l'univers s'incarne sur la terre, endure les crachats, la flagellation, les insultes et la mort sur la Croix en vue du salut des pécheurs!

Si nous répondons à cet amour de Dieu pour nous par de l'indifférence, de l'incroyance, de la négligence dans le combat contre le péché, la transgression volontaire des commandements du Seigneur, et par notre autojustification, l'absence de repentir et de larmes, qu'est-ce qui nous attend? Ce qui nous attend, c'est d'être rejetés loin de la face de Dieu. Par quelle mesure vous mesurez, vous serez mesurés vous-mêmes, dit le Seigneur. Si nous rejetons par nos actions l'amour de Dieu pour nous, le Seigneur nous rejettera aussi. Je ne vous connais pas, éloignez-vous de moi, et allez dans le feu éternel. Tel est le Jugement de Dieu, prononcé dès ici-bas contre les pécheurs endurcis, qui méprisent la Parole de Dieu, qui défigurent l'Evangile pour justifier leur état de pécheurs. Malheur à eux! Tourment éternel, pleurs et grincements de dents pour ceux qui ont fait fi de l'amour de Dieu, qui pour les plaisirs vils de ce monde ont vendu leur dignité de Chrétiens, qui ont choisi d'exécuter la volonté du diable. L'homme demeurera, après sa mort, avec celui dont il a éxécuté la volonté sur terre. Celui qui a été le serviteur du diable ici-bas restera son serviteur après la mort et partagera le sort des démons.

S., tu disposes de toutes les conditions nécessaires pour la repentance et le salut, conditions extérieures et intérieures, dont peu de gens disposent de nos jours. Si tu n'en uses pas, si tu remets à plus tard l'oeuvre du salut, tu peux être gravement trompé. le lendemain ne nous appartient pas, nous ne sommes jamais sûrs de ce qu'il sera. Le Seigneur nous prévient tous : sois prêt à chaque instant, tu ne connais ni le jour ni l'heure, tu ignores le moment où ton âme te sera redemandée.

Quitte ton travail. Tu risques de perdre ta pension. Tu risques aussi de refroidir ton élan pour la vie spirituelle.

Je te conseille vivement ceci : ne te justifie jamais en rien, pour aucun péché, si léger soit-il. Tout péché est une violation de la volonté divine, un signe de manque d'amour envers Dieu. "M'aime celui qui met Mes commandements en pratique", dit le Seigneur. C'est pourquoi il faut laver par le repentir tout péché commis.

S., tu as chez toi quelqu'un pour t'enseigner la vie spirituelle - K. Auprès d'elle, tu es un nourrisson. Donc, écoute-la, pose lui des questions sur tout ce qui t'interpelle dans la vie spirituelle. Aucun père spirituel ne peut t'aimer comme elle t'aime. C'est pourquoi tu peux tirer d'elle une grand profit.

Si toutefois tu doutes de ce qu'elle te dit, écris-moi. Je tâcherai de t'exposer, non mon opinion, mais celle des saints Pères.

Prends soin de toi. Efforce-toi de t'affranchir de ce monde, ce monde qui a toujours été et qui sera toujours hostile à tout ce qui est spirituel et à Dieu Lui-même. Le monde vous haïra, a dit le Seigneur. Qui est ce "vous"? Tous ceux qui croiront en Jésus-Christ et s'efforceront de vivre selon Ses préceptes.

Prie pour moi. N'offense pas K. et je te le répète : écoute-la dans les questions spirituelles.

Ton N(ikon) qui désire sincèrement ton salut. 2 avril 1960.

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Christ est Ressuscité!

Cher S., j'entends direque tu es tombé corps et biens dans les rets du Malin. Ne le vois-tu donc pas?Ne vois-tu donc pas que les ennemis veulent ta perte? Il ne te reste pas longtemps à vivre. Si tu ne te repens pas, tu tomberas, après la mort, droit dans les mains des démons. Tu sais combien ils sont cruels. Ils n'ont qu'un plaisir - ruiner la vie des gens et les faire souffrir. Nul ne peut imaginer quelle horreur, quels tourments souffrent ceux qui sont tombés entre les mains des démons. On entend parfois des insensés dire : on aura ce que d'autres ont eu... Est-ce une consolation? Des démons, il y en a assez pour tout le monde. Qu'on ne se rassure pas comme ça.

S., le Seigneur t'a montré beaucoup. Tu as fait toi-même le serment de t'amender, tu as demandé que te soit accordé du temps pour le repentir. Le Seigneur te l'a donné, Il a prolongé ta vie, Il t'a libéré de ton travail, Il t'a procuré tout le nécesssaire. Pour la repentance, Il t'a procuré une aide en la personne du Père Paul et de ta propre femme. Et toi, que fais-tu? Tu te confesses à la va-vite et tu communies, , alors que tu es encore dans les vapeurs de l'alcool. A qoi cela ressemble-t-il ? A qoi penses-tu? Sache bien que Dieu ne se laisse pas outrager. Le Seigneur attend la repentance des pécheurs et c'est pourquoi Il patiente si longtemps. Mais les insensés pensent : les pécheurs vivent une bonne petite vie, donc Dieu n'existe pas. Mais c'est que Dieu a compassion d'eux, Il leur enseigne la raison en leur envoyant et de bonnes choses et des épreuves, des maladies, dans l'attente de leur guérison. S'ils ne se repentent pas, Il les laisse suivre leur bon vouloir dans cette vie pour leur donner ce qu'ils méritent après leur mort. Les justes eux-mêmes peuvent éprouver les affres de la mort, mais il est dit que la mort des pécheurs est atroce, et qu'encore plus atroce pour eux est la vie après la mort.

S. tu n'es pas sot et tu as bon coeur. Pense à la voie que tu suis. Repens-toi sincèrement, du fond du coeur, et non en apparence et par habitude et sans componction, comme le font la plupart des gens qui, après cela, communient, se condamnant eux-mêmes. Tu es chez toi; pleure solitairement devant le Seigneur, demande pardon de tout ton coeur pour ta vie passée, demande de l'aide pour t'amender. Et avant tout, demande sincèrement pardon à K., fais la paix avec elle, afin qu'à son tour elle te pardonne de tout son coeur. Quand un homme a de l'inimitié contre un autre, ses prières ne sont pas reçues par Dieu. Cela, tu le sais. C'est pourquoi fais la paix avec K. et avec tous ceux que tu as offensés d'une façon ou d'une autre, et ensuite tombe aux pieds du Seigneur et, sans crainte, demande-Lui de ne pas te laisser tomber dans la perdition.

Tu te tiens au bord de l'abîme. Les démons peuvent aisément te pousser au fond. Si tu ne peux cesser de boire, ne bois que chez toi, n'offense pas K. Avant d ete mettre à boire, prie ne serait-ce qu'une ou deux minutes, en disant : "Seigneur, je ne peux pas par moi-même m'affranchir de la vodka, je vais me mettre à boire, je vais être saoul et peut-être vais-je être grossier, m'en prendre à ma femme. Seigneur, si tu le peux, retiens-moi, ou bien pardonne-moi de m'enivrer à nouveau." Quand tu auras prié ainsi, étanche ta soif, en t'efforçant de ne pas trop boire. Et quand tu seras dessaoulé, demande aussitôt si tu n'as pas offensé N., si tu n'as pas été grossier, fais la paix avec elle, prie et demande le pardon de Dieu.

Cher S., sache qu'il y a de la joie au Ciel pour un seul pécheur qui se repent. Si tu ne peux te retenir, pleure devant le Seigneur, supplie qu'Il te pardonne et te donne la force de te retenir. Seulement, il faut sincèrement désirer ne pas offenser le Seigneur ni son prochain. Ne te disculpe pas, n'accuse pas les circonstances, n'accuse personne, sinon toi-même. L'autojustification mène à la perdition; c'est la voix des démons. Humilie-toi devant Dieu et devant les hommes. Ne te vante pas, n'accuse personne afin de n'être pas accusé en retour. Retire la poutre qui est dans ton oeil, et alors tu verras comment ôter la paille qui est dans l'oeil de ton prochain. Aie pitié de toi-même, ne cause pas ta perte définitive. Que le Seigneur te donne l'intelligence, qu'Il t'aide, qu'Il ne te laisse pas te perdre à jamais.

N(ikon) qui a compassion de toi. 4 mai 1961.



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Cher S.!

De toute évidence, tout n'est pas bon concernant ta maladie principale. Le Seigneur t'a donné et te donnera encore du temps pour le repentir. Il n'y a aucun autre moyen de recevoir le pardon des péchés qu'un profond et sincère repentir.

La sincérité de notre repentir, nous devons la prouver en renonçant au péché, en priant et en faisant du bien à nos proches et à tous ceux qui s'adressent à nous. Les pécheurs les plus invétérés ( des brigands comme Moïse l'Ethiopien, David, le Barbare...) ont, par un repentir sincère dont témoignaient leur rupture avec leur péché d'antan et leurs bonnes actions, reçu non seulement le pardon pour tout, mais ils ont accédé à la sainteté.

Tes péchés, je les connais, mais il faut y ajouter un autre : tu te tournes vers le Seigneur quand la maladie te menace, mais à peine as-tu cessé de la craindre que tu cesses de craindre Dieu.

Tu demandes de venir pendant la Semaine lumineuse. (1).

(1) : ( La semaine qui suit Pâque).

Pardonne-moi, mais je suis si faible que je ne peux recevoir personne; j'ai du mal à me supporter moi-même. Ma température est tous les jours, en moyenne, de 37°3, et depuis plusieurs mois déjà, j'ai des douleurs dans la poitrine, dans le coeur.

Merci à N., transmets-lui ma gratitude. Elle m'a conseillé un médicament et me l'a même envoyé. Il supprime les douleurs cardiaques, là où les autres médicaments sont inefficaces. Je ne peux m'endormir qu'en prenant des cachets. J'ai beaucoup maigri, les forces me lâchent. Je ne pense pas que ta venue ici soit indispensable pour ton bien spirituel. tu sais toi-même ce qu'il te faut faire. N. peut-être, elle aussi peut te le montrer et t'aider. G. s'apprête à venir à Moscou dans deux mois; tu peux venir à ce moment-là, si je suis encore en vie et suffisamment en forme. On verra. Tu ne dois pas te vexer pour mon refus, d'autant plus que j'ai interdit à mes proches de venir pour l'instant me voir, bien qu'hélas, ils ne m'écoutent guère. Ils ont pitié de moi et viennent vérifier mon état de santé, notamment mon frère, qui est médecin.

Merci pour vos souhaits de bonne fête. Moi aussi, je te souhaite une belle fête et mille grâces de la part du Seigneur, et surtout le repentir. Transmets mes amitiés à N. et à sa famille. Je sais que de toi j'aurais appris des tas de choses intéressantes sur la vie de l'Eglise à N., mais je n'ai même pas la force de rester assis longtemps. Pardonne-moi. Souviens-toi de moi, parfois, dans ta prière.

Que le Seigneur te bénisse et te sauve par les voies qu'Il connaît. J'ai écrit cette lettre à grand'peine.

N(ikon). 13 avril 1963.



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Cher S.!

J'ai reçu ton abondante lettre. Elle montre bien que tu n'as rien retenu. C'est toujours la même chanson : l'autojustification, le jugement des autres, le refus de se donner du mal pour son salut. Au lieu de t'efforcer, avec l'aide de Dieu et des hommes de bonne volonté, de t'élever spirituellement, ne serait-ce qu'au niveau de K., tu veux que ce soit elle qui s'abaisse à ton niveau.

Ton affaire est claire. Si tu veux être sauvé, cesse de t'enivrer et de te livrer aux mains des démons. Ils ne te feront pas grâce, si le Seigneur, à cause de tes infamies, Se détourne de toi. N'oublie pas, non seulement les beuveries et les vilenies qui en découlent, mais également les nombreux autres péchés. Ne te disculpe pas toi-même, demande pardon à Dieu. Mais Dieu ne pardonne pas à ceux qui ne pardonnent pas aux autres, et toi, tu nourris ta rancune. Je ne veux pas prophétiser, mais je peux te dire à coup sûr que tu vas beaucoup souffrir si tu ne te corriges pas.

A tous tes péchés tu ajoutes encore du pharisaïsme. Ta malheureuse langue justifie toutes tes infamies et condamne les autres. Et les gens le croient, si bien qu'aux yeux de Dieu tu es un pharisien, comme ceux que le Seigneur a jugés de leur vivant s'ils ne se repentent pas.

Si tu veux être sauvé, repens-toi des péchés passés, demande au Seigneur de te pardonner le péché et d ete donner les forces de ne plus pécher dans l'avenir.

Aux autres questions, point n'est besoin de répondre. Tu sais toi-même comment tu te comportais auparavant avec les gens indignes : tu dois le savoir encore maintenant. Fais ton salut. Que le Seigneur t'éclaire et te vienne en aide. Ne cherche pas à tromper le Seigneur. Dis-toi bien ceci : celui qui, même intentionnellement, pour faire peur aux autres, se met la corde au cou, celui-là, les démons l'étrangleront même contre sa volonté. Ainsi donc, ne fais pas l'idiot, aie pitié de toi-même, ne tends pas la main aux démons. Ils seraient trop heureux de t'attirer chez eux, et alors, n'attends d'eux aucune miséricorde.

Quand tu auras une irrépressible envie de boire, fais trois grandes prosternations et dis : "Seigneur, voilà encore que ma dépravation me pousse à boire, je n'arrive pas, je n'ai pas la force de me retenir. Mais si telle est Ta bonté, donne-moi les forces de résister. Cependant, si je ne suis pas digne de Ton secours, protège-moi contre les démons et contre un grand péché que je risque de commettre lorsque je serai saoul."

Si, avec humilité, tu supplies ainsi le Seigneur avant chaque crise, le Seigneur te donnera la force de te retenir. Mais si tu continues à incriminer les autres, tu sera à nouveau livré aux mains des démons.

Je suis malade. Je ne peux pas écrire plus. Prie pour moi. Amitiés et bénédiction à K.

Moi. 26 juin 1963.



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Chère N.,

J'ai reçu votre lettre aujourd'hui. Je désirais beaucoup entendre, en réponse à mes accusations, un seul mot, et j'ai reçu huit pages enflammées. "J'étais une sotte et je suis restée une sotte."

Vous écrivez : " Je voudrais beaucoup, avant ma mort, me connaître et pleurer sur moi." Je vais vous dire la vérité : jamais l'homme ne se connaîtra et, par conséquent, ne pleurera sur soi : 1) s'il ne se préoccupe que de se justifier; 2) s'il s'attribue diverses qualités positives. Le premier point est évident, le second est contenu dans la prière du matin de saint Macaire d'Egypte : " Ô Dieu, purifie-moi, pécheur, car je n'ai rien fait de bien devant Toi."

Chère N., je reprends toutes mes paroles. Je prie de me pardonner les offenses dont je me suis rendu coupable.

Que le Seigneur vous bénisse et vous inspire pour tout bien.

N(ikon). 7 février 1959.



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K.,

" Celui qui rejette une accusation, juste ou injuste, rejette son salut." Celui chez qui la vue de ses péchés s'est ouverte, celui-là voit non des péchés isolés, mais la pleine perversité de son âme, laquelle produit sans cesse divers péchés, et plus encore : jusqu'aux bonnes actions, elles aussi sont imprégnées du poison du péché. Lorsque l'homme verra cela clairement, lorsqu'il se persuadera, à la lumière de mille exemples, qu'il ne peut lui-même guérir la lèpre de son âme, alors, d'une façon naturelle ( et non artificiellement, par autosuggestion), il s'humiliera et cessera de juger les autres ou de se vexer pour de prétendues offenses.

Il ne voit plus dans les autres que la même déchéance qu'en lui-même, et il les plaint, comme des frères dans le malheur. Il cessera alors de louer les uns et d'abaisser les autres, il cessera de juger quiconque, puisque tous sont également déchus et que d'autre part les façons humaines de mesurer sont trompeuses, quelle que soit l'objectivité désirée. Comment l'homme peut-il alors justifier ses péchés? Comment peut-il se vexer quand on l'accuse de quelque chose dont il ne se croit pas coupable, alors que nous avons sur la conscience un nombre incalculable de péchés hideux, dont personne ne sait rien, par la râce du Seigneur qui couvre nos péchés.

Ce ne sont pas nos prétendues vertus qui peuvent nous rassurer, mais bien l'inconcevable amour de Dieu envers nous, qui sommes déchus, la Croix du Christ et le fait que "je suis l'image de Ta gloire ineffable, bien que je porte les stigmates de mes péchés. " Jéus-Christ est venu sur la terre "pour restaurer l'image déchue". Qu'une gratitude éternelle soit à Lui, avec le Père et l'Esprit Saint de la part de toutes les choses créées

Faisons disparaître devant Lui toutes nos vertus, et invoquons avec le publicain, du fond de l'image de Dieu en nous : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur. Ô Dieu, aie pitié de nous tous, pécheurs." Alors nous sortirons de cette vie justifiés comme le publicain est sorti du temple, et nous entrerons dans la demeure des brebis, où nous trouverons une pâture éternelle.

N(ikon). 10 mars 1959.



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Chère N.!

J'ai beaucoup aimé votre dernière lettre, et notamment la partie dans laquelle vous parlez de vous. Le tableau que vous faites de votre disposition d'esprit est admirabme de vérité. Mais puisque vous avez sans doute oublié le contenu de votre lettre, après l'avoir envoyée, je recopierai quelques-unes de vos phrases : " Hélas, j'ai depuis longtemps piétiné ma pureté et vous avez affaire à des débris tout souillés. Vous sentez la puanteur, vous ne voulez pas avoir affaire avec mon fumier", et plus loin : "Pardonnez-moi, qui suis une ordure" - Dieu vous pardonne!

Vous parlez de la "méchante ironie" de ma lettre. Croyez-moi, il n'y avait là aucune ironie; ce n'était que la pure vérité. D'ailleurs, vous l'avez bien compris vous-même, vu votre réaction.

" Je reprends mes paroles", cela ne signifie nullement que je renie mon opinion. Il eût été plus juste d'écrire : " Je reprends pour le moment mes paroles". Car cela signifie que j'ai dénoncé trop tôt certains de vos défauts. Vous ne pouvez pas, pour l'instant, supporter la moindre critique. Pour l'instant, j'y renonce, mais quand ce sera possible, j'en dénoncerai encore plus. Au reste, en dire plus que vous n'en dites vous-même est impossible. Incapable de supporter la moindre dénonciation de ma part, vous supportez fort bien, de votre part, des accusations que le papier a du mal à supporter. Ce n'est pas la seule contradiction dans votre lettre, si riche de contenu. Mais je ne souhaite pas en parler, car cela n'a pas grande importance. Toutefois, je vous remercie vivement pour les leçons que vous me donnez, dans cette lettre et dans les précédentes.

Prenez soin de vous.

N(ikon). 23 mars 1959.



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Christ est Ressuscité!

Je pense à vous avec une profonde tristesse. Si vous pouviez vous regarder de l'extérieur et voir votre état, au moins tel qu'il apparaît dans vos lettres et l'envoi des lettres d'autres personnes ( au fait, avez-vous eu la permission de le faire?), vous auriez pitié de vous-même, tout comme j'ai pitié de vous. Je vous en supplie, observez-vous mieux au moment de la prière devant la face de Dieu, et demandez au Seigneur qu'Il vous dévoile votre âme.

Avec une pleine certitude je vous dis : votre état moral est mauvais pour votre salut. Vous ne faites que rêver, vous ne voyez pas la réalité. Devant Dieu, vos rêves s'évanouiront, et qu'est-ce qui vous restera? Mon devoir de frère est de vous écrire cela, afin que vous ne me reprochiez pas d'avoir vu et de n'avoir rien dit.

Pardonnez-moi. Je vous souhaite sincèrement du bien et le salut.

N(ikon). 24 mai 1962.



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Cher N.!

Où en sont tes efforts ascétiques, Ne te vante de rien devant tes camarades. Sans nécessité, ne te dévoile pas, ne dis rien. Qu'il en soit pour toi comme dans les paroles du prophète : Toute la gloire de la fille du Roi est à l'intérieur. Ne perds pas de temps inutilement, notamment à l'église. Dis sans distraction et avec piété la Prière de Jésus. Si le Seigneur t'accorde l'attendrissement, ne le gâche pas, prie tout ce temps-là, prie tant que tu le ressens. Aie de la sagesse. Aie compassion de tes camarades. Tous sont malades, mais ne te rapproche pas trop vite d'eux, ne te laisse pas aller à la première impression, vérifie scrupuleusement. Ne fais pas la leçon aux maîtres. Sois simple.

Que le Seigneur te bénisse et t'inspire pour le bien.

N(ikon) qui t'aime. 11 septembre 1958.



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Cher N.! Prends soin de toi!

On a reçu ta lettre. Elle a produit sur nous une triste impression. Ta nomination au choeur de la Laure nous a inquiétés. Le mieux serait sans doute de ne chanter nulle part, et à l'église, de prier. Efforce-toi, quand tu es dans le choeur ou en dehors, d'utiliser ce temps à l'église pour la prière intérieure. Tu sais que le Royaume de Dieu se prend par la force. Concentre tes pensées dans l'attention aux paroles de la prière. Et si la distraction te prend, désole-toi devant Dieu de ton impuissance, comme en tout ce que tu fais mal. Celui qui travaille mérite sa nourriture, et celui qui ne travaille pas dans le champ spirituel, celui-là ne goûtera pas aux fruits de l'esprit. Celui qui ne fait rien n'a rien. Tu donnes la prière à celui qui prie. Tu la recevras aussi si tu te donnes du mal. Or, avec la prière, il est aisé, joyeux, d'être dans l'église, et le temps passe vite. Mais sans la prière, la fatigue est plus grande encore que lorsqu'on fait d'énormes efforts pour recevoir la prière, et le temps passe pour rien, ou plutôt pour un préjudice, car celui qui ne rassemble pas avec moi dissipe.

Dis-moi comment tu retiens les cours, si tu as le temps de lire plus en détails sur les matières étudiées, si l'enseignement est intéressant, si l'on peut poser des questions, et à quel moment.

Hier, j'ai réparé une dalle dans la "banya (1),

(1) : (Sauna russe)

et j'ai dû prendre froid aux lombaires. J'étais tout recroquevillé, mais aujourd'hui, je vais mieux; j'espère que demain ce sera fini. J'ai massé avec du "feu", en réchauffant au maximum la partie malade.

Parle-moi de ta santé, de ton humeur, de ta vie. Nous faisons sans cesse mémoire de toi. Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde et t'aide en toutes bonnes choses, qu'Il te protège de tout mal. Que la bénédiction du Seigneur soit toujours sur toi.

N(ikon) qui t'aime. 17 septembre 1958.



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Cher N.!

Après ta lettre et notre conversation au téléphone, j'ai eu envie de te citer de mémoire les paroles de l'évêque Ignace :

"Fais ton salut! Heureux es-tu si tu trouves un associé fidèle dans l'oeuvre du salut : c'est de nos jours un grand don, un rare don de Dieu.

Méfie-toi, lorsque tu veux sauver ton prochain, qu'il ne t'entraîne vers l'abîme de la perdition. Cela se produit à toute heure. Cette reculade est permise par Dieu. Ne tente pas de la freiner par ta faible main. Ecarte-toi, protège-toi contre cela, car tu as assez à faire comme ça.

Fais connaissance avec l'esprit du temps, étudie-le, afin de fuir son influence autant que possible. "De nos jours il n'y a plus de véritable piété" a dit le saint Père Tikhon, il y a cent ans (aujourd'hui deux cents) de cela; "de nos jours règne l'hypocrisie". Crains l'hypocrisie, tout d'abord en toi-même, et puis chez les autres."Il faut accorder toute leur signification à ces mots, les prendre pour guide, sachant par qui ils ont été prononcés.

Si tu remarques que le professeur a fait une erreur qui n'est pas grave ou que tout le monde a vue, n'en parle pas devant les autres, couvre-la avec amour et indulgence. En revanche, si c'est une erreur grave et que tu veux connaître la vérité, interroge le professeur en tête à tête, comme un élève et pas comme un débatteur. S'il se vexe, n'insiste pas et ne demande plus rien, ni en tête à tête, ni a fortiori devant les autres, et cherche la réponse dans les livres, ou bien écris-moi. Si tu agis autrement, tu vas te faire des ennemis, et tu aggraveras ta situation, sans profit ni pour toi ni pour les autres. Je te le demande instamment, fais comme je te dis.

Les gens sont pleins de faiblesse et d'amour-propre. Il faut les épargner et se souvenir des paroles d'Ignace (Briantchaninov) - et les appliquer aux professeurs, aux élèves, et à tout le monde.

Sois empli de sagesse.Ne fais pas non plus la leçon aux camarades, et si l'un d'eux t'interroge sur un point, réponds honnêtement et dis ce que tu penses être vrai, mais refuse absolument de juger, et plus encore de condamner qui que ce soit, surtout la hiérarchie et les professeurs. C'est un précepte de l'Evangile.

Sur les canons des apôtres et des conciles, je ne t'écrirai rien. Lis par toi-même. De leur application littérale de nos jours, il ne peut être question.

En son temps, le métroplite de Moscou Philarète a énoncé cette opinion sur les candidats à la prêtrise : si l'on ne se réfère qu'aux canons, il n'y aura pratiquement pas un seul prêtre. Je ne sais pas la formule exacte, mais le sens est parfaitement clair.

Je termine, pour ne pas retenir ma lettre. Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde!

Dévoile au Seigneur tes faiblesses, tes peines, tes doutes pendant la prière et à toute heure. En tout incrimine-toi, ne te justifie pas.

Pardonne-moi de toujours te donner des conseils. Je me souviens très bien des paroles de saint Séraphim sur les cailloux emportés en haut du clocher et jetés en bas. Mais je te veux du bien. Peut-être une ou deux choses te seront utiles.

Que le Seigneur te bénisse et te garde de tout mal!

N(ikon) qui t'aime. 10 septembre 1958.



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N. !

Nous avons reçu ta lettre le 2 octobre. Merci d'avoir écrit si vite. Nous sommes heureux que tu sois bien arrivé à destination.

A propos de l'homélie, il existe un texte excellent, doté d'un riche matériau, dans le troisième tome de Dimitri de Chersonèse. Il me semble que cela peut te suffire amplement.

Ecris succintement, et en pensée parle, aux heures libres, parle comme tu parlerais à un camarade ou à un maître. Efforce-toi d'exposer les pensées que tu juges dignes d'être dites; dans ton cas, expose oralement ce que tu as écrit. Le sujet est tel que le sentiment y aura peu de part.

N'aie pas peur. Tous les humains sont des êtres déchus, tous ont l'âme malade, comme toi, bien que peu de gens le voient. D'après saint Pierre Damascène, c'est une vision spirituelle qui est un don de Dieu et non une particularité de l'homme. L'homme charnel ne pourra jamais se voir tel qu'il est. C'est pourquoi, ne crains pas les hommes, leur jugement, leur influence. Rassure-toi. Bientôt tu pourras être libre par rapport aux opinions des gens, et recevoir la tranquillité d'esprit. Que le Seigneur te vienne en aide!

Prends soin de toi. Que le Seigneur te protège. Nous t'aimons beaucoup et te souhaitons tous les bienfaits célestes et, autant que possible, terrestres.

N.! Pour l'amour de Dieu, ne fais rien par dispute ou par rivalité. C'est ce que m'ont dit mille fois ma mère et ma grand-mère, et elles citaient beaucoup d'exemples frappants de mutilations ou d'accidents mortels, comme la noyade. C'est ainsi que s'était noyé le fiancé de ma mère. Il avait parié qu'il traverserait la Tvertsa, et il s'est noyé, alors qu'il était un excellent nageur.

Rappelle-toi les règles de conduite extérieure chez Ignace (Briantchaninov), dans le tome 5. Il cite l'opinion de saint Basile le Grand et d'autres anciens Pères, qui attribuaient une grande importance à la conduite extérieure dans la vie spirituelle.

Tous les nôtres te saluent. Nous t'attendons.

N(ikon) qui t'aime. 3 oct. 1958.



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Cher N.!

La paix et la bénédiction de Dieu soient avec toi. Que le Seigneur te protège.

Nous avons reçu ta lettre le jour de la Saint Nicolas. Nous sommes très heureux que tu n'aies pas eu le trac pour ton homélie. Il est dit : l'Esprit Saint parlera quand il le faudra. Et voilà que cela s'est réalisé pour toi...

Le couer d'une mère! Malheur à ceux qui le blesseront! Il faudra que ces gens répandent beaucoup de larmes pour soulager leur coeur de la douleur, des remords ("le ver qui ne dort pas"). tout commence là pour l'homme : le paradis et l'enfer. Seuls ceux dont l'âme est morte ne sentent rien, tant qu'ils ne ressuscitent pas pour les tourments éternels, dont la réalité est manifestée par les tourments de ceux qui déjà ici-bas sont ressuscités et ressentent les souffrances qui sont l'image, l'ombre des souffrances futures de ceux qui ici-bas ne se sont pas repentis.

Au revoir, cher N., nous t'attendons. Prends soin de toi. Ne te surmène pas, ne te laisse pas aller à la vanité et ne te désole pas si tu ne reçois pas ce que tu escomptais. Apprends l'humilité. Quoi qu'il arrive, l'agréable comme le désagréable, accueille-le comme ce que tu mérites. D'après Marc l'Ascète, rien ne peut arriver que la personne n'ait pas mérité. L'un des aspects du repentir est d'accueillir toutes les peines comme la conséquence des péchés commis. Cela enseigne à l'homme l'humilité.

Que le Seigneur te garde et t'inspire pour le bien.

N(ikon) qui t'aime.



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Cher N.!

Je te souhaite patience, paix et le salut de l'âme!

J'ai fait une homélie sur le jeûne. J'ai développé l'idée de la nécessité de l'abstinence des sens. L'âme est encombrée par eux, surtout par la vue et l'ouïe. Ce fatras, lors de la prière, se réveille et ne permet pas de se concentrer. Si tu improvises, c'est très utile et profitable de souligner cet aspect du jeûne. Il faut également souligner la nécessité du pardon des offenses et de la miséricorde envers tous ( Soyez miséricordieux comme votre Père céleste).

Profite de la tristesse du coeur pour développer la prière intérieure ( la Prière de Jésus). En ces moments-là, elle vient bien et elle s'enracine dans le coeur, pour faire naître bientôt la paix et le réconfort - bien que, en même temps, la prière de nouveau disparaisse. Si bien qu'on ne sait pas toujours que préférer. Je l'ai expérimenté moi-même. Par exemple, en prison, la Prière de Jésus venait d'elle-même, presque sans aucun effort, puis elle est devenue plus difficile.

Pardonne-moi de ne pas écrire, peut-être, ce qu'il faudrait. Bon, prends soin de toi, cher enfant. Pardonne-moi d'être bavard à la façon des vieillards. Ne me condamne pas. Que le Seigneur te garde, qu'il t'aide à terminer l'année sans douleur.

N(ikon) qui t'aime.

Transmets mes amitiés à V., mon souhait qu'il termine bien l'année et qu'il passe. Au revoir, chère âme.

N(ikon). 18 mars 1959.



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Cher N.! Paix à toi, cher enfant!

Nous avons reçu tes lettres; Ne sois pas confus à cause de tes échecs. Vanité des vanités, tout est vanité. Pour acquérir l'humilité et avec elle la paix de Dieu (dans l'âme) qui dépasse toute intelligence, il faut endurer beaucoup d'échecs, de chutes, de vexations, etc. Des réussites répétées peuvent nuire à l'homme spirituel, et c'est pourquoi la Providence divine est forcée de nous envoyer toutes sortes d'épreuves, d'échecs, de peines, de maladies, etc., afin que l'homme, sur la foi de mille exemples, connaisse sa faiblesse, se livre entièrement entre les mains de Dieu, et qu'il ne compte pas sur lui-même.

Que le Seigneur te garde, toi qui es cher à nous tous, et qu'Il te bénisse en tout temps. Nous attendons une petite lettre de toi.

Grand-père Fedot. 24 mars 1959.



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Cher N.! Bonjour!

Nous te souhaitons une bonne fête. Que par les saintes prières de ton saint, le Seigneur te protège de tout mal, extérieur et intérieur, qu'Il te donne la sagesse spirit(uelle et le zèle pour le salut. Que saint N. t'aide à parcourir ton chemin sur terre dans la mise en pratique des commandements du Christ et qu'Il te reçoive dans Sa demeure éternelle.

Nous avons reçu ta lettre le 24 mars. Et tu l'as écrite le 23. Je suis très heureux que ton songe ne se soit pas réalisé et que tu aies pu faire au mieux ton homélie. Avec le temps, il te sera de plus en plus facile de parler. Il faut surtout avoir assez de matériau pour pouvoir, au moment d eparler, utiliser ce qui vient dans le courant même du discours. Gloire à Dieu!

Oui, j'ai déjà un cadeau prêt pour toi. Tu te rappelles? Nous espérons qu'à l'Annonciation, tu viendras passer les journées dont je te parlais dans la précédente lettre.

Pour Pâques, je vais demander en mon nom qu'on te libère pour chanter ici, vu que le choriste qui a la voix de basse est souffrant et il n'y a pas d'espoir qu'il se remette.

Les nôtres te souhaitent tous une bonne Fête et toutes sortes de bienfaits. Nous t'attendons.

Le chauve à la barbe blanche. 26 mars 1959.



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Cher N.!

Paix à toi et salut de l'âme par le Seigneur!

A K., au cinéma, on a tourné en dérision l'image de V., qui apprenait à ses enfants à prier, avec une pancarte disant : " C'est l'épouse du travailleur S." Les suites de cette histoire ne sont pas connues; cependant, l'humeur générale est sombre.

En revanche, nous nous sommes réjouis pour O.N. Nous espérons que tout se passera bien. (...)

Mon cher, ne sois pas découragé d'entendre des insultes. Cela ne peut pas ne pas être, cela, on en parle depuis longtemps et cela ne peut pas ne pas arriver.

A Smolensk le petit vieux est un homme parfaitement "laïc", bien que tout à fait convaincu et certainement orthodoxe. Le grand âge se fait sentir en bien des choses, et l'éventualité d'une surprise n'est pas exclue.

Ces derniers temps, mon état morale n'était pas bon. Tout est rentré dans l'ordre maintenant, mais "... je n'attends plus rien de la vie et je ne regrette rien du passé" (Lermontov).

Pardonne-moi, cher N. de te contaminer peut-être par ma mélancolie. Chez nous, tout va bien pour l'instant, nous sommes en bonne santé, nous sommes plus gais, si bien que tu n'as aucune raison de sombrer dans le pessimisme. Viens à la première occasion.

Amitiés à V. et D. Que le Seigneur vous garde et vous inspire de marcher dans la voie droite, qu'Il vous protège de tout mal, extérieur et intérieur.

Ton N(ikon). 15 septembre 1959.



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Cher N.!

Nous avons reçu ta lettre aujourd'hui. Quel dommage que tu ne sois pas ici. Les cerisiers sont en fleurs. Une partie seulement des fleurs est ouverte, mais tout l'arbre est blanc. Les rossignols chantent. Il y a eu des petites pluies fines. On a planté les tomates aujourd'hui. Il fait 26° à notre thermomètre. Nous n'allons pas en forêt, par manque de temps.

Si étrange que cela soit, je ne commence que maintenant à comprendre ce qu'est l'espérance. A soixante-cinq ans! Comme la prière du publicain, que je n'ai comprise que récemment. Sans doute, comme tout le monde, je ne comprenais que la forme; l'essence même, que l'on ne connaît que par l'expérience, m'était inaccessible.

J'aimerais beaucoup savoir ce qu'il en est pour les autres. Et puis il faut distinguer la compréhension, au moins générale, de la pleine maîtrise. Pour comprendre, il faut avoir l'expérience, et pour la pleine maîtrise, il faut maîtriser constamment cette expérience. C'est comme pour tout, dans la vie spirituelle.

Quand on possède l'expérience spirituelle, combien pitoyables nous apparaissent les tentatives antireligieuses de lancer des ruades au lion. Seigneur, donne à tous l'intelligence et ne permets à personne de se perdre dans l'éloignement loin de Toi.

Que le Seigneur te garde! Nous t'attendons très fort. Ecris-nous sur tes examens à venir.

N(ikon). 16 mai 1959.



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Cher N.! Paix à toi!

Aujourd'hui, 13 octobre, nous avons reçunta lettre et les photos. Toutes les deux sont bien. Iou. a un air humble. C'est un beau couple.

A propos de la critique négative. A mon avis, il ne faut jamais la lire et ne jamais objecter. Tu ne convaincras personne et tu te feras du tort en lisant et en introduisant dans ton âme l'esprit du Malin. J'en ai beaucoup souffert en mon temps. Il n'y a là de profit pour personne. Quand tu auras la force spirituelle, celle-ci agira sur tes auditeurs, si toutefois ils ont "des oreilles pour entendre".

Vois comment agissaient les paroles du Christ ( la parabole du semeur par exemple). Si tu es obnubilé par des idées fixes dans le domaine de la critique négative, il vaut mieux alors les combattre par la prière et en attirant l'attention sur autre chose, et surtout, par la lecture des saints Pères. Il faut fortifier sa foi par la volonté, fût-ce en s'appuyant sur ce qui, à la raison déchue et diabolique, apparaît comme absurde. Ensuite cela ( ce qui paraissait douteux) deviendra une vérité évidente, si tu grandis.

N(ikon). 13 octobre 1959.



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Cher N.!

Merci pour la lettre et les photos. Quel air sérieux tu as! Tu dois finir de recopier ta dissertation? Et qu'en est-il de V? A-t-il donné lecture de son travail?

(...) Dans le deuxième volume des oeuvres d'Antoine (Khrapovitsky), on trouve un article intéressant sur l'homélie, comment elle doit être, ou plutôt comment doit être le prédicateur. On y trouve également des pages sur la théologie pastorale, et aussi un article sur Dostoïevski. Si tu as le temps, jette un oeil. Ces articles sont très utiles pour vous et pour vos professeurs. Il faudrait que le vieux monsieur les lise aussi. Je n'ai pas le premier volume. Ne pourrait-on pas l'apporter, le temps de le lire, ou peut-être l'acheter?

Aujourd'hui 26 octobre, il fait 4°, il y a du soleil, le temps est calme.

Conserve la paix au-dedans de toi, et aussi avec les proches. Aie compassion de tous, car tous sont malades de la même maladie : ils se sont éloignés du Seigneur et sont tombés sous le pouvoir de l'ennemi. Quant à savoir comment il agit sur qui, c'est sans véritable importance. L'important, c'est de savoir où tu te trouves et de marcher dans la bonne voie.

Prends soin de toi, mon cher. Que le Seigneur te garde et te bénisse en tout temps.

N(ikon). 26 octobre 1959, le soir.



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Cher N.! La paix soit avec toi!

Nous avons reçu ta lettre du 4 mars avec retard - le 8 mars. Nous nous sommes réjouis que tu aies bien parlé, et que tu aies, de plus, supporté pour cela "les recommandations paternelles". Dieu est le Juge de tous.

Quand y aura-t-il un changement, concernant Iou.? S'il n'est pas trop tard, conseille-lui au nom de ceux qui ont parcouru ce chemin, de retarder jusqu'à l'automne. Que durant l'été, il lise le tome 5 d'Ignace (Briantchaninov), qu'il discute avec ceux qui ont parcouru ce chemin, prenne en compte notre temps, comprenne comment peut se manifester le vrai monachisme dans les circonstances actuelles, lesquelles vont progresser dans la même direction. Extérieurement, cela peut se faire n'importe quand et n'importe où en une demi-heure, mais intérieurement, il faut oeuvrer toute une vie pour parvenir, au temps de la vieillesse, à ressembler un tant soit peu à ce que l'on voudrait être. Si l'intérieur existe sans l'extérieur, même un tout petit peu, c'est infiniment plus précieux qu'un monachisme extérieur sans l'intérieur. Et comme celui-là s'acquiert difficilement, et que l'extérieur obligera à correspondre, aux yeux des gens, à l'apparence, insensiblement s'introduiront l'hypocrisie, le pharisaïsme et peut-être jusqu'à la perdition.

En disant cela, je ne m'élève nullement contre son intention; je me réjouis de son désir; cependant, il faut tenir compte de plus d'une circonstance. Le diable suggère souvent de bonnes intentions, mais à contretemps et sans tenir compte des forces de la personne, pour l'embrouiller et la perdre, pour qu'elle ne puisse pas, au bon moment, réaliser sa bonne intention.

Il est certain que Iou. ne connaît pas encore ce nouveau chemin, qu'il a beaucoup d'idées fausses, d'espoirs trompeurs et peut-être de calculs cachés dont il n'est pas lui-même pleinement conscient. Je le répète : qu'il étudie le tome 5 et qu'il le mette en pratique comme il le peut, et alors, il comprendra beaucoup de choses. Qu'il lise aussi, sans faute, les lettres de l'évêque Ignace, dans le tome 2 de sa biographie, écrite par Sokolov. Qu'il les lise absolument. Je ne me mêle pas de la vie d'autrui, mais ma conscience m'oblige à écrire ce que j'écris ici. On pourrait écrire encore sur ce sujet. Mais pour l'instant, c'est assez. Qu'il ne prenne pas exemple sur les autres. De nos jours, conformément à une prédiction de saint Antoine le Grand et d'autres saints hommes du passé, tous font leur salut (y compris les moines) par des épreuves et, je l'ajoute de mon crû, par un monachisme intérieur - et non extérieur - chez ceux qui ont une attirance pour la vie monacale. Lis cela à Iou. J'estime que c'est un crime de la part des "anciens" d'accueillir par calcul personnel un postulant sans le tester, sans lui donner des instructions sur le chemin à suivre. Je suis convaincu qu'ils ne le feraient pas s'il s'agissait de leur enfant, mais les enfants des autres, ils n'en ont cure.

(...) Je finis là ma lettre. Je voulais ajouter deux ou trois choses, mais ce sera pour la prochaine fois.

Ecris-moi. Dis-moi comment a réagi Iou. à cette lettre. S'il n'en fait qu'à sa tête, il se rappellera cent fois ce que j'ai dit.

Que le Seigneur vous garde, toi et vous tous. Prends soin de toi!

N(ikon). 10 mars 1960.



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Cher N.!

Paix à toi. Comment vis-tu? Comment est ta santé? Nous attendons d'autres lettres, mais elles ne viennent pas. Chez nous, rien de nouveau. Si, par l'action de l'ennemi, surgit de l'incroyance dans ta tête ou, ce qui est pire, dans ton coeur, n'accorde pas d'importance à cela, mais dis avec toute ta volonté : "Je crois, je veux croire! Arrière, Satan!" Et n'arrête pas ton attention ni sur les pensées mauvaises ni sur le sentiment d'incroyance, tout comme nous ne prêtons pas attention aux pensées pernicieuses. L'incroyance, les saints Pères la comptent parmi les passions nées des suggestions des démons sur la base de la nature déchue de l'homme. Le combat contre elle est donc le même que contre les autres passions et il consiste à 1) détourner l'attention, 2) dire avec intensité la Prière de Jésus, 3) se repentir de ses péchés, 4) pratiquer parfois l'abstinence de nourriture avec la prière ( cette engeance est chassée par le jeûne et la prière).

Si l'homme ne prend pas des mesures contre l'incroyance, s'il ne lutte pas comme il le faut, par là même il se rend coupable de ces mauvaises pensées et il est puni au moyen de cette même incroyance, comme on est châtié par les passions si on ne les combat pas.

Tu dois déjà en avoir assez. Prends soin de toi. Ecris-moi. Dis-moi comment ça va. Termine au plus vite. Viens aussitôt que tu auras passé le dernier examen. Demande qu'on ne te retienne pas.

N(ikon). 3 mai 1960.



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Cher N.!

J'ai déchiré la lettre que j'avais écrite. Je serai bref. Tout va bien pour l'instant, bien que le boa nous étreigne de plus en plus, tout en nous laissant respirer pour le moment. C'est lui qui décide s'il resserre son étreinte ou non. Chez toi, là-bas, c'est encore plus fort. Agis donc conformément à la situation et avec patience. Ne juge pas les tiens, aie compassion d'eux. Il n'y a d'héroïsme en aucun de nous. Nous sommes tous petits, nous avons peur des grandes épreuves. Il faut avoir pitié de tous, souhaiter sincèrement du bien à tous. Avec la mesure dont nous mesurons, nous serons mesurés, et ici-bas et dans la vie future.

La nature est morose, notre âme est morose. L'unique refuge est dans la paix avec les proches et, surtout, dans la Prière. Sans la Prière, ce serait affreux! Heureux celui qui a su la trouver. Cherche-la, toi aussi. Sans recherche et sans peine, on n'acquiert rien.

La grande nouvelle maison en bois, on nous la prend : ou bien on va l'emporter, ou bien on y logera des gens. En cela se résume notre "châtiment".

On a reçu une instruction intéressante pour N. Mais tu en apprendras plus quand tu viendras.

A K., la moniale de la stricte observance A. est morte. Elle avait près de cent ans.

Ne te surmène pas trop. Apprends le latin, cela pourra t'être utile. Il est bon d'être optimiste. Comment s'explique leur optimisme? Peut-être n'ont-ils encore rien vu et n'ont-ils pas éprouvé de grandes peines? Ou bien leurs nerfs ne sont pas aussi sensibles? La vieillesse est toujours pessimiste. Moi, je l'ai été dès ma jeunesse. Tout m'ébranlait fortement.

Je te souhaite une bonne santé et une certaine dose d'optimisme, car la tristesse et l'abattement usent la santé. L'oncle M. est encore ici. Tous te saluent. Je t'embrasse et te souhaite toute sorte de bien. Que le Seigneur te garde et te bénisse. Nous attendons tes lettres.

N(ikon). 13 septembre 1960.



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Cher N.! Paix à toi!

On a reçu ta lettre et les ordonnances. Si tu n'y vois pas de mal, apprends au moins à diriger le coeur. Pour chaque chant, donne le ton à l'avance, en pensée, et quand le chef de choeur donnera le ton, tu vérifieras ton intuition. C'est comme cela que l'on apprend. Chante sans te forcer, afin que le coeur ne se fatigue pas. En revanche, concentre, de toutes tes forces, tes pensées mauvaises loin du coeur et efforce-toi de dire la Prière de Jésus.

Tu en tireras un grand profit. Souviens-toi que sans la prière, l'homme est un instrument du diable; Sans la prière, les bonnes actions elles-mêmes ne seront d'aucun profit : elles seront imprégnées de toutes sortes de poisons.

Je te rappelle les paroles de l'évangéliste Matthieu, chapitre 10, verset 17. Il y en a beaucoup des gens comme ça, parmi vous. Rentre en toi-même.

Chez nous, tout est calme, pour le moment. L'oncle M. est ici. Il fait beau, relativement chaud. Les armillaires poussent.

Ecris-nous le plus souvent possible. Dis-nous quels sont les sujets des dissertations. Dès que tu en auras la possibilité, viens.

N(ikon ). 26 septembre 1960.



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Cher N.!

On a reçu ta lettre avec les sujets et l'ordonnance n°9. A toi de jouer! Apprends l'humilité!

Les deux sujets sont d'importance. Il vaut la peine de les explorer et d'écrire une dissertation, ne serait-ce que par amour pour la connaissance , et pas seulement par obligation. Si tu décides de choisir le premier sujet, il y a dans le deuxième tome d'Ignace ( Briantchaninov) un article consacré à l'image de Dieu et la ressemblance.

Si tu l'exposes avec tes propres mots, ce sera une excellente dissertation. Ce serait bien de trouver ailleurs, notamment des exemples illustrant quelques traits spécifiques de l'image et de la ressemblance. Par exemple : l'amour chez les martyrs; l'aptitude de l'esprit chez les ascètes à voir sur une grande distance; le pouvoir sur la nature, etc. Quand tu te seras arrêté sur ce sujet, mets-toi à travailler chaque jour. Rassemble des matériaux en bibliothèque ou dans la salle de lecture (ils doivent les ouvrir) et commence à rédiger.

Peu à peu, tu feras des ajouts, des corrections, mais n'attends pas, sous prétexte de rassembler encore du matériau, ou de réfléchir encore; ne remets pas à plus tard. Au cours de la rédaction, d'autres idées viendront. Un nouveau matériau peut susciter de nouvelles idées, que tu introduiras dans ta composition. Tâche de répondre à cette lettre et dis-moi quel sujet tu as choisi.

J'ai envoyé ta lettre à V.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde et t'éclaire. Ne te fais pas trop de souci pour quoi que ce soit. C'est la vie. Tu y entres petit à petit. On ne peut pas rester toujours à la maison, sous une aile protectrice. C'est avec de grandes peines que l'on entre dans le Royaume de Dieu. L'homme croyant et intelligent utilise les épreuves pour sa progression dans la vie spirituelle, tandis que l'homme insensé et rebelle manque l'occasion d'acquérir de grands biens, il se nuit à lui-même en affectant tant son corps que son âme. La tristesse de ce monde crée la mort - voilà comment l'on peut être en désarroi. Demande la sagesse au Seigneur, pour ton salut et l'accomplissement de la volonté de Dieu ( et non pour des objectifs mondains) et le Seigneur te l'accordera. Ecris-nous, téléphone, viens. Nous t'attendons.

N(ikon). 1er octobre 1960.



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Cher N.!

Aujourd'hui, 20 octobre, nous avons reçu ta lettre. O. est chez nous. J'ai lu ce que tu écris de la carte de l'Antarctique. Je ne m'étonne de rien - tout l'extérieur n'est rien face au monde intérieur. Il me semble que l'on va trouver de plus en plus de preuves (extérieures) prouvant la véridicité de la Bible, mais hélas, on ne peut pas porter atteinte à l'esprit de ce monde, même avec un canon. Peu nombreux sont ceux qui se servent des preuves factuelles. Si l'on ne croit pas Moïse et les prophètes - un mort peut ressusciter, on n'y croira pas.

De la neige est tombée aujourd'hui, près de 15 centimètres. C'est véritablement l'hiver.

Ecris plus souvent. Que le Seigneur te garde! Fais ton salut, mon enfant, reste dans la sobriété et de l'âme et du corps. Que le Seigneur nous aide tous!

N(ikon). 20 octobre 1960.



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Cher N.!

Paix à toi! On a reçu tes deux lettres. Merci. Je voudrais te dire un mot du travail de troisième cycle. Tout récemment, j'ai ouvert le Nouveau Testament en allemand, dans la traduction de Luther. J'ai ouvert le chapitre 13 de Luc, où il est question des Galiléens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrificas, et aussi des dix-huit sur qui était tombée la tour de Siloé. Il me semble que la traduction de Luther est très significative : elle n'inclut pas la notion de repentir telle que la comprenaient les saints Pères et telle que la comprend toute l'Eglise Orthodoxe. C'est pourquoi l'expression employée est toute extérieure : " ils se corrigeront". En fait, cela caractérise bien le protestantisme. Je me souviens d'avoir lu autrefois le Nouveau Testament en allemand, dans la traduction de Luther et j'avais été frappé par l'inexactitude de la traduction, la déviance par-rapport à la conception orthodoxe. Je ne me souviens plus de quels passages il s'agissait.

En t'écrivant cela, mon propos est le suivant : ne peut-on prendre comme sujet la comparaison du texte grec avec le texte de Luther et indiquer les différences tout au long du Nouveau Testament? Ce serait curieux et significatif. Parle de ce sujet. Peut-on le prendre, et sous quelle forme? ce serait un travail à la fois de grec ancien et de théologie comparée. cette idée m'est venue par hasard, en ouvrant fortuitement l'Evangile en allemand. Elle ne t'oblige à rien, mais si elle t'intéresse, tu peux t'adresser à N.K.

A propos, il existe des ouvrages dans lesquels sont analysés finement le sens et les nuances de chaque mot grec dans le Nouveau Testament. Il doit exister le même genre d'ouvrages sur le texte allemand de Luther. Pour faire ce travail, il faudrait, soit posséder ces livres, soit bien connaître les deux langues, pour ne pas se couvrir de ridicule. Mais certaines différences criantes sont perceptibles même pour moi, et elles blessent l'oreille d'un orthodoxe.

S. ne s'est-il pas fâché à cause de ta discussion avec lui? Il ne faut pas discuter avec lui, ça ne vaut pas la peine. Il est difficile pour un aîné de céder, surtout en présence de tierces personnes et notamment d'élèves. Tu dois prendre cela en compte et être plus prudent à l'avenir!!! Des ascètes, il n'y en a presque plus de nos jours; quant à des personnes qui aspirent à être humiliés pour acquérir l'humilité, on aura du mal à en trouver. Il est dit : Soyez prudents comme des serpents.

Tout le monde ici est en bonne santé. Ce que nous te souhaitons aussi. N'oublie pas, chaque fois que c'est possible et surtout à l'église, de dire avec attention et repentir la Prière de Jésus.

Ne te justifie en rien, et alors tu verras tes péchés aussi nombreux que le sable de la mer, et ce sera "le signe d'une santé commençante de l'âme". Nous attendons tes lettres.

N(ikon). 20 novembre 1960.



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Cher N.!

On a reçu tes lettres. Ta grand-mère M., à propos des songes, disait : " Si les songes sont suivis, on y perd la vie". C'est très bien dit. Toutefois, il existe certainement des songes particuliers et même prémonitoires, mais ils sont rares et dépendent de circonsances spécifiques. Il ont un caractère à part. Le plus souvent, ils sont accompagnés d'un signe qui témoigne de leur authenticité. Mais vu que ce genre de songes est très rare et que le diable peut faire du mal à ceux qui croient aux songes ( les exemples sont nombreux), les saints Pères interdisent formellement de croire aux songes, même si certains sont prémonitoires.

Le Seigneur trouve le moyen d'inspirer à l'homme telle ou telle idée qui lui est bénéfique. C'est pourquoi il est plus sûr, il vaut mieux ne croire à aucun songe.

Chez nous, pour le moment, tout va bien. Non seulement nous sommes satisfaits de notre situation, nous en remercions Dieu, mais nous estimons sincèrement que nous ne méritons pas une telle vie.

Apprends les choses extérieures et intérieures, selon tes forces. Quand tu auras terminé, on verra comment t'orienter. Et aussi, à propos des amis : ne te dévoile à personne. C'est l'avis de l'évêque Ignace. Rappelle-toi que cela a été dit il y a cent ans : à l'époque déjà, on ne pouvait se confier à personne. Que dire de notre époque! Il existe, à côté de la délation pure et simple, des milliers de moyens de nuire à quelqu'un. Ecoute à ce propos l'évêque Ignace.

Vérifie dans la revue Le Chrétien les numéros 10, 11 et 12 pour l'année 1908 ainsi que les numéros 1 et 5 pour l'année 1909, l'article de Paul Florensky Le Sel de la terre ou l'histoire d'Abba Isidore (1).

(1) : (Traduction française, L'Age d'Homme, Lausanne 2007).

Regarde également dans Le Messager de théologie de l'année 1912 les lettres du métropolite de MOscou Philarète à l'évêque Ignace - en tout cas la troisième lettre dans le numéro de décembre. Si elles sont intéressantes, apporte la revue où il y a plusieurs de ces lettres. Il y a longtemps que j'ai envie de lire ce que pouvait écrire le métropolite Philarète. L'évêque Ignace estimait que le métropolite se trompait à propos de l'Eglise.

Prends soin de toi. Merci pour le muguet.

Nous t'attendons le 3 décembre à 9 heures du soir.

N(ikon). 23 novembre 1960.



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Cher N.!

Pour l'instant, chez nous, tout va bien. Tout le monde est en bonne forme. Nous prenons conscience de nos faiblesses et nous acquérons l'humilité.

Cher N., veille sur toi (sois sobre d'esprit), surveille la tête du serpent, ne te laisse pas mordre au-dessus du talon. Tu sais que "le péché est là, sur le seuil" et que l'ordre nous est donné de le maîtriser par l'invocation du Nom du Seigneur.

Si tu trébuches, ne te justifie pas, repens-toi devant le Seigneur, fais-toi des reproches et humilie-toi. De l'avis de l'évêque Ignace et comme l'ont prédit les saints Pères, un chemin de salut particulier a été donné à notre époque, en conformité avec l'état dans lequel se trouve l'humanité. Seront sauvés ceux qui 1) auront conservé la foi, 2) auront supporté sans murmurer les épreuves et les tentations et 3) conscients de leur infirmité, se seront humiliés. Notre époque n'est pas propice aux exploits ascétiques à cause de l'orgueil qui s'insinue en tout homme. Mais celui qui le désire, voyant en permanence ses défauts, peut acquérir l'humilité. Les épreuves, il les recevra comme le bon larron : " Nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes". Elles seront alors plus faciles à supporter.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde. Viens!

N(ikon). 28 novembre 1960.



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Cher N.!

Tu as certainement lu l'article de A. Ossipov (1) dans la Pravda du 5 décembre.

(1) : ( Il est question ici d'Alexandre Ossipov, professeur d'Ancien Testament à l'Académie de téhologie de Léningrd, sans rapport avec Alexis illitch Ossipov, professeur à l'Académie théologique de Moscou, fils spirituel de l'higoumène Nikon, et auteur de l'édition originale de ce livre (NdE).).

Ce que tu en penses - comme toute personne qui n'est pas sotte - est clair. J'aimerais en savoir plus long, plus en détails, ce qu'en pensent les étudiants. Comprennent-ils que ce malheureux s'est révélé dans son article comme une nullité morale ( sans s'en rendre compte), que son article produit sur le lecteur l'effet inverse de l'effet escompté par l'auteur. Celui-ci n'en sort nullement justifié, et il n'a pas non plus nui à la religion. Il n'a fait qe monter que le Seigneur, en temps voulu, dénonce les Judas et les chasse de l'Eglise.

As-tu remarqué que dans les passages sur la prière, devant le mot "célébration", il y a des points de suspension? Il y avait certainement là un mot grossier, que la rédaction elle-même n'a pas cru bon d'imprimer. L'esprit qui dirigeait sa plume a déversé sa hargne principalement, sur les offices liturgiques et sur la Prière de Jésus. Prête bien attention à cela! L'homme déchu, au cours d'une prière sincère et juste, entre en contact avec le Crétauer de l'univers et reçoit de lui de grandes grâces, ainsi que la force de chasser le redoutable esprit qui se prétend être l'égal de Dieu. Comment peut-on tolérer une telle humiliation... et le voilà qui déverse sa harge et sa haine sur la prière et l'office divin. Que l'on comprenne toute la signification et la force de la prière et la miséricorde de Dieu envers nous, qui sommes déchus! Le malheureux Alexandre, par ce qu'il dit sur la prière, montre qu'il n'a jamais prié, et donc n'a jamais cru en Dieu. Il ne renie pas Dieu et le christianisme, ce qu'il renie, c'est la représentation qu'il avait, lui, de Dieu et de la religion.

Son reniement, en soi, n'est pas le fruit de doutes profonds, d'une quête sincère. Non. Les raisons qu'il avance lui-même de son reniement sont par trop insignifiantes. On voit bien que c'est un esprit partique, un esprit de ce monde. Tant que sa sitiation était plus ou moins stable, tant qu'il recevait un traiement substantiel, il prenait le masque d'un coyant, il baisait les mains des hiérarques ( qu'il méprisait) et "il préparait les jeunes gens au service pastoral". Mais dès que sa situation commença à se dégrader, il décida de s'assurer une situation stable sur un autre front, tant que son reniement pouvait lui être profitable et lui permettre d'être reçu; il a donc agi au plus vite, tant qu'il n'était pas encore trop tard.

Quand Jésus-Christ, après avoir nourri cinq mille personnes, parla du pain de vie, beaucoup le quittèrent parce qu'ils ne pouvaient admettre Ses paroles. Elles ont agi honnêtement. Leur intelligence toute charnelle ne pouvait s'élever au niveau de l'Esprit de Vérité. Judas, lui, n'a pas quitté le Christ, car il portait la cassette avec l'argent, dans laquelle il puisait pour ses besoins. Il espérait plus. Comme les autres, il attendait l'avènement du Messie, avec des avantages pour lui. Quand il comprit que Jésus-Christ ne s'apprêtait pas à édifier Son royaume sur terre, quand il comprit qu'Il allait à Sa mort, il en tira profit pour lui : il passa dans le camp ennemi, il trahit et reçut les trente deniers... De toutes façons, pensait-il, Jésus allait mourir!

On comprend que, de nos jours, sont comparés à Judas ceux qui renient le Christ. Ce n'est pas pour insulter ces renégats (ils sont dignes de pitié), mais parce que dans les deux cas il y a une dispositio d'esprit similaire : c'est par intérêt ( et non par la foi en Lui) qu'ils ont suivi le Christ, c'est par intérêt qu'ils L'ont vendu. Cependant, les traîtres n'ont jamais nulle part bénéficié de la confiance des autres, et encore moins de leur respect. " Le Maure a fait son oeuvre, le Maure peut disparaître."

Alexandre n'avait aucune sincérité avant son reniement; il n'en a aucune dans son reniement même. C'est un déficient psychologique, qui a construit s amaison sur le sable. La maison est tombée sous le coup d'une petite tentation et cette chute fut fracassante (1).

(1) : ( Cette lettre a été écrite au temps des "persécutions de Khrouchtchev" contre l'Eglise, lorsque des clerces ont renié la foi et ont fait des déclarations dans la presse. Au moment de son reniement, Alexandre Ossipov faiasit l'objet d'une mesure d'interdiction due à son second mariage. Avant sa mort, il était tombé gravement malade et avait écrit une lettre de repentance à Sa Sainteté le patriarche Alexis Ier, demandant à être rétabli dans la communion de l'Eglise orthodoxe. Le patriarche avait répondu qu'Ossipov pouvait être admis à la communion aux Saints Mystères à condition qu'il réfute son reniement dans la presse. Aucune réfutation n'avait suivi (NdT).).

N.! Nous attendons une lettre de toi. Ne va pas à la poste par ce froid. Peut-être viendras-tu à la Saint Nicolas? Ici, tout le monde est en bonne santé. Il fait bon dans la maison. Nous t'attendons. Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde. Amitiés à V. Tous les nôtres te saluent.

N(ikon). 7 décembre 1960.



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Cher N.!

Le mal n'a pas été créé par Dieu. Le mal n'a pas d'existence en soi. Il est un dévoiement de l'ordre cosmique ( et, en ce qui concerne l'homme et les Anges, de l'ordre moral), de la libre volonté des hommes et des anges. S'il n'y avait pas de liberté, il n'y aurait pas de possibilité de dévoyer l'ordre moral, l'ordre parfait et parfaitement sage. Les Anges et les humains, comme des robots, seraient soumis aux lois du monde physique et psychique, et le mal n'existerait pas. Mais, sans la libre volonté l'image de Dieu et la ressemblance disparaissent chez l'homme. Un être parfait est inconcevable sans la libre volonté. A ce propos : toutes les doctrines athées sont forcées de nier la liberté de la volonté, et en effet, elles la réfutent; elles la réfutent en théorie, bien que, en pratique, en douce, elles l'admettent, car sinon il faudrait reconnaître avec horreur que l'homme n'est qu'une partie d'un énorme mécanisme qui ne sait rien et ne veut rien savoir de lui, qui le mutile ou l'anéantit quand les lois de ce même mécanisme l'exigent.

(...) Eduquer l'homme dans la piété et l'amour de Dieu, dans l'amour pour les hommes, sans léser sa libre volonté, l'élever au rang de fils de Dieu, c'est une tâche des plus difficiles. Elle est absolument insoluble pour les hommes et elle requiert de Dieu Lui-même un immense sacrifice - l'Incarnation, la mort sur la Croix et la Résurrection de Dieu Lui-même.

A cause de son orgueil, l'homme ne peut se sauver. L'orgueil peut amener, même au paradis, à s'éloigner de Dieu et à tomber définitivement, comme les démons.

C'est pourquoi, tout au long de sa vie sur terre, le Seigneur permet à l'hommed'apprendre que sans Lui, il n'est rien, qu'il est l'esclave de ses passionsmesquines et le serviteur du diable. C'est pourquoi, jusqu'à l'heure de la mort, le Seigneur interdit que soit arrachée l'ivraie - pour que le bon grain puisse pousser. Cela veut dire que l'homme qui n'aurait aucun défaut, qui n'aurait que des qualités, se gonflerait d'orgueil. Si nous-mêmes, qui n'avons que quelques menues vertus, nous trouvons le moyen de nous enorgueillir, que serait-ce, si pour nous ici-bas se révélait toute la gloire de la créature déifiée? L'apôtre Paul lui-même a eu recours à l'aide négative d'un ange de Satan pour le souffleter et l'empêcher de s'enorgueillir. Que dire alors de nous!

Tout comme le Seigneur s'efforce de sauver l'homme, le diable s'efforce de le faire périr. Le diable procure à l'homme l'apparence de la victoire sur lui-même et lui inspire ainsi l'autosatisfaction et l'orgueil. Il lui permet d'obtenir des succès dans la domination de la nature et lui suggère l'idée que "à travers la connaissance (la science) vous serez immortels, comme des dieux. Vous pouvez dès maintenant vous glorifier de vos acquis".

La contradiction entre ces deux orientations est évidente. Le dessein de Dieu visant au salut de l'homme et la tentative du diable pour faire périr jusqu'à ceux qui tendent toutes leurs forces pour acquérir "l'unique nécessaire", à savoir le Royaume de Dieu, sont parfaitement clairs. Du domaine de la théorie on passe à celui de la vie. L'homme est aux prises avec un combat ininterrompu contre le mal, contre le diable et ses insinuations; tantôt il tombe, tantôt il se relève.

Dans ce combat il reconnaît son impuissance, la perfidie de l'ennemi, le secours et l'amour de Dieu pour lui. Il reconnaît la valeur du bien et du mal; il choisit de son plein gré le bien; il devient inébranlable dans sa préférence pour le bien et sa source - Dieu, et il rejette le mal et le diable. Bien que parfois il tombe, il fasse le mal - il a conscience que c'est le mal, le péché, et il s'accuse, il se repent, il demande pardon à Dieu et par là même, par ce détour, il confirme son choix pour le bien et pour Dieu.

Ce sujet est trop vaste. Tu as dit fort justement que l'homme doit parvenir à l'humilité, qui est à l'opposé de l'orgueil. Cette pensée, je l'exprime moi aussi ici, bien que sous une autre forme.Peut-être cela t'intéressera-t-il de me lire, et si ce n'est pas le cas, cela pourra te servir plus tard. On peut exposer cette idée de façon plus convaincante et plus belle, avec des références aux saints Pères. Ici, je ne suggère que quelques-unes des idées qui sont devenues miennes ces dernières années. Pardonne-moi.

Tout va bien chez nous. Il pleut, on s'enfonce dans la boue jusqu'au cou. Nous ne sortons plus en promenade. Nous sommes grincheux à cause du temps. Tout cela, tu le connais bien, cher A., et si seulement homme de Dieu (1)!

(1) : ( Allusion à saint Alexis-homme-de-Dieu (NdE).).

Père Noël. 12 décembre 1960.



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Très cher N.!

On a reçu ta lettre et sommes bien contents. Tous ces derniers jours, j'ai ressenti très fort ta présence. N'aurais-tu pas des désagréments?

A M., le vieux Eremm'a fait cadeau d'un livre Les manuscrits de la Mer Morte, de Iossif Davidovitch Amoussine. J'ai exprès recopié en entier les nom, prénom et patronyme. Tant que l'auteur parle du matériau factuel, c'est très intéressant, mais dès qu'il entreprend d'analyser le sens de ces découvertes, le livre sent tellement son Smerdiakov (1) que l'on ne peut que s'étonner à quel point l'athéisme aveugle la personne (...). Tous les athées, et a fortiori les athées militants, sont absolument inaptes à comprendre l'Evangile; c'est véritablement pour eux un livre hermétique, fermé par sept sceaux.

(1) : ( Personnage particulièrement maléfique et mécréant du roman de Dostoïevski, Les frères Karamazov (NdT).

Quand un esprit malin s'insinue, avec sept autres esprits malins, dans l'âme d'un homme, il fait plus que l'aveugler, il pervertit tout, comme chez les fous, qui souffrent d'une perversion des sensations ( hallucinations, etc.).

Seul le christianisme rend la personne normale, comme c'est le cas chez les saints. La norme de l'homme, c'est le Christ. Ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qi vit en moi. Si la plupart des gens n'atteignent pas ce niveau, au moins ils ont conscience de leur état de déchéance et ils corrigent leurs sensations perverties en se référant à ceux qui ont atteint la mesure de l'âge du Christ.

Les discussions sur la vérité avec les athées militants sont absoluments vaines. Toutefois, une apologie du christianisme auprès d epersonnes neutres pourrait en orienter certaines vers plus de sérieux à l'égard du christianisme. Pour clore ces raisonnements, je citerai l'évêque Ignace : " On n'arrête pas le cours d'une rivière en claquant des doigts." Que celui qui veut faire son salut sauve son âme.

As-tu parlé à V. de ton devoir sur "L'apôtre Paul, qui a exprimé et commenté l'Evangile"? On pourrait proposer le sujet suivant : " La nécessité de l'Incarnation du Seigneur Jésus-Christ pour le salut du genre humain : son explication psychologique d'après Ignace (Briantchaninov)." Mais ce sujet n'est accessible qu'à ceux qui ont un certain temps voulu vivre une vie ascétique et combattre la nature déchue de l'homme. L'étude seule ne mène à rien, même s'il s'agit d'un chrétien véritablement croyant.

On est le 31 janvier 1961. Je termine ma lettre, qui suit mon coup de téléphone. Malheur à celui qui insultera l'amour d'une mère! Malheur éternel à ceux qui blessent l'amour de Dieu : il vaudrait mieux pour eux ne pas être nés. Un feu éternel brûlera sans cesse leur poitrine sans la consumer.

Bon, j'ai trop bavardé. Prends soin de toi, mon cher. Que le Seigneur te vienne en aide. Les nôtres te saluent. Ecris-nous!

N(ikon). 31 janvier 1961.



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Cher N.! Paix à toi!

Nous nous ennuyons déjà de toi. Comment vas-tu? Ne prête pas attention si l'on a envers toi une attitude "partiale". Tu pénètres toujours plus avant dans la vie, et les hommes autour de toi sont tous des créatures déchues. Cette déchéance ne peut pas ne pas se refléter dans les relations avec l'entourage. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Seigneur a dit à Ses disciples : Voici, je vous envoie comme des brebis parmi les loups. Soyez prudents..., mais aussi : Je suis avec vous tous les jours.

D'une part, il faut avoir sa propre sagesse, sa prudence, mais le principal, c'est de chercher constamment du secours auprès du Seigneur que l'homme charnel ne voit pas et qui est visible par l'esprit, le Seigneur qui a permis à tous ceux qui comptent sur Lui que pas un cheveu ne tombera de leur tête sans Sa volonté.

Mettant leur espoir en Lui, les apôtres ont tout supporté, et ils ont vaincu le monde : un nombre réduit de brebis a triomphé d'un nombre incalculable de loups. N'est-ce pas là la preuve de la force et de la Providence divines? Or, le Seigneur est le même hier et aujourd'hui et en tout temps. Adresse-toi au Seigneur dans toutes tes peines et tes difficultés, et Lui te nourrira.

On peut toujours, même quand on est très pressé, se tourner mentalement vers le Seigneur et dire : " Jésus-Christ, aie pitié de moi; Seigneur, sois miséricordieux envers moi, pécheur" ou bien, comme dit Barsanuphe le Grand, n'oublie pas qu'il y a un Seigneur qui voit tout, qui te voit : c'est suffisant pour sortir d'une situation difficile. Et si la tristesse t'envahit et que la prière ne te soulage pas, ne murmure pas et ne t'adonne pas à l'incroyance, mais souviens-toi que sans épreuves on ne peut être sauvé, on ne peut même pas acquérir une expérience de vie.

Mais la foi et la prière font en sorte que l'épreuve apporte un bénéfice immense, et sans la prière on peut se laisser aller à se plaindre, à douter, à nuire à son âme et à son corps. Voilà pourquoi il faut apprendre à être constamment avec Dieu, et Lui, Il est toujours avec nous. Dieu est avec nous! Peuples (passions, démons, créatures déchues, instruments du diable), sachez-le et abaissez-vous, car Dieu est avec nous.

J'ai découvert mon interprétation de la "Trinité" de Roublev. Je te la dirai quand tu viendras. Je suis sûr d'avoir raison. Je me demande s'il existe quelque part une interprétation pareille. Elle n'est pas dans Alpatov (1), bien qu'il s'en approche.

(1) : (Michel Alpatov était un historien de l'art, spécialiste des icônes, qui a publié de nombreux albums" (NdE).).

Ecris, dis comment tu vas, comment va V. Ne te désole pas si tu as des ennuis : élève ta tristesse vers Dieu...

Marque sur la lettre quel jour tu l'as reçue et si l'enveloppe est intacte. Les gens ne sont plus du tout fiables. Nous attendons tes lettres.

N(ikon). 6 février 1961.



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Cher N.!

Nous avons enfin reçu ta lettre du 17 février. On nous a pris la maison. Ils voulaient nous prendre tout le corridor, ils disaient que les vielles femmes n'avaient qu'à entrer par la fenêtre. J'étais indigné, j'ai téléphoné à Smolensk au fondé de pouvoir; il a promis de faire dire à ces impudents que le corridor doit rester propriété commune.

Relis la seconde épître à Timothée 3, 1-15, et prête attention aux deux derniers mots du verset 5.

Quel bonheur d'avoir la foi! Ceux qui espèrent dans le Seigneur, c'est comme la montagne de Sion!

Prends en compte ton état Tout est pour l'homme et non l'homme pour toutes sortes de sabbats.

N(ikon). 22 février 1961.



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Cher enfant!

On a reçu ta petite lettre aujourd'hui. On est heureux pour toi que le Seigneur t'ait permis de ressentir un certain "trésor". " Goûtez et voyez..." J'ai toujours été étonné de voir combien les gens sont avides de nouveauté, surtout si quelqu'un vante de vant eux cette nouveauté. Tout ce qui a été écrit en dehors des quatre Evangélistes est infiniment inféroeur, et par la pensée et surtout par l'esprit. La pensée, on peut à la rigueur la parodier, mais l'esprit, c'est impossible. Voilà pourquoi l'Eglise, qui possède l'esprit du Christ, ne s'est jamais trompée quand elle rejetait tout ce qui n'est pas l'esprit du Christ. Celui qui n'a pas l'esprit du Christ, celui-là n'est pas Son disciple.

Il fait un temps exécrable, mais nous nous comportons vaillamment. Gloire à Dieu! Ecris sans faute toutes les semaines. Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde. Nous nous souvenons constamment de toi, nous t'aimons.

N(ikon). 2 mars 1961.



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Cher N.!

Efforce-toi, pendant ces longs offices, de dire la Prière de Jésus. Contrains-toi. Oblige-toi aussi à surmonter ton antipathie, sinon le Seigneur ne te donnera pas la prière. Il peut même t'envoyer une épreuve. Il t'est donné de connaître par l'expérience le combat contre le vieil homme. Si nous voulons que quelqu'un triomphe de lui-même et change son attitude envers nous, nous devons nous-mêmes, avant lui, chasser résolument de notre coeur notre antipathie pour lui. Alors, le Seigneur visitera son coeur. Ce sont nos chers maîtres; ils sont gratuits. Reçois ces pensées avec sérieux. Lutte contre toi-même.

Que le Seigneur te garde.

Quand on récite la Prière de Jésus, il est bon parfois de se signer le coeur : il faut que le centre d ela croix soit à un centimètre au-dessus du mamelon. Il ne faut jamais que l'attention se porte plus bas que le mamelon. Tu dois le savoir. Il faut dessiner une croix toute petite. La prière, il faut la dire comme le publicain, c'est-à-dire en se sentant perdu, en demandant exclusivement la clémence de Dieu. " Aie pitié de moi, Seigneur, mes actions ne me laissent pas espérer le salutni celui d emes proches. Sois clément envers moi, pécheur." Quand tu comprendras, non avec ton intelligence, mais avec ton coeur, la vérité de ce que je dis là, ce sera le signe d'un véritable progrès. Seulement, cela n'arrivear pas de si tôt. L'homme imagine qu'il a compris, mais en réalité il n'a compris qu'avec son intelligence, et non avec son coeur ou par expérience. Quand ton coeur pleurera en se voyant loin du Seigneur, alors on pourra dire que tu as, par expérience, commencé à comprendre.

Prends soin de toi. Je te souhaite, ainsi qu'à V., D. et à tous de passer les jours de la Passion dans la gratitude et l'amour envers le Seigneur. ces jours nous sont plus proches que le jour de Pâques.

Je ne t'ai pas écrit pendant longtemps, espérant que tu viendrais bientôt. Prie pour nous tous.

N(ikon). 6 avril 1961.



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Je suis de plus en plus persuadé que le christianisme, non seulement "est en train de disparaître", mais, comme le disait Tikhon de Zadonsk, a déjà disparu. La prédiction d'Ignace sur la déchéance du monachisme, puis de l'Orthodoxie, se réalise pleinement. L'on ne peut compter sur personne. C'est affreux. Prends soin de toi. On s elanguit déjà de toi. Tous te saluent. Que le Seigneur te protège!

N(ikon). 3 octobre 1961.



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Cher N.!

Nous sommes très bien arrivés. A la maison, tout va bien. Tout le monde est en bonne santé. L'idée de partir d'ici n'est plus d'actualité - et d'ailleurs, où aller? C'est partout pareil.

Il fait un temps splendide. Il y a eu aujourd'hui de fortes gelées.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde! Retiens tes élans protestants. On peut parler et se désoler dela façon dont l'école de théologie est organisée, mais on doit accepter certaines décisions administratives. Cela rabaisse notre arrogance. Pour celui qui aime le Seigneur, tout concourt à son bien. Efforce-toi de tout faire concourir au bien. Et cela ne sera que quand tu te seras humilié. Le Seigneur Jésus-Christ nous a donné l'exemple de l'humilité. Apprenez de moi, car je suis doux et humble de coeur. Or combien n'a-t-il pas reçu d'outrages, de persécutions! L'esprit même des pharisiens devait être insupportable au Seigneur. Jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je? : rappelle-toi ces paroles du Sauveur. Prends soin de toi.

N(ikon). 15 octobre 1961.



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Cher N.!

Je regrette de plus en plus que nous autres humains, nous ne profitions pas des bienfaits dont Dieu veut nous combler et ne nous employions pas à nous rendre aptes à recevoir ces dons. Or, cette aptitude consiste à s'humilier devant Dieu et à désirer que la volonté de dieu s'accomplisse en nous. C'est alors que le Seigneur déverse sur nous Ses bontés ineffables, dont l'homme charnel n'a aucune notion.

Notre cher enfant, apprends à prier et à supporter, comme le Seigneur. Si Lui-même a reçu les outrages, a subi la crucifixion, quelle justice pouvons-nous attendre pour nous? Il n'y a pas de justice sur la terre et il n'y en aura pas. La Justice et la Vérité ont été crucifiées sur la Croix. Alentour, ce n'est que mensonge, tromperie, égoïsme, trahison...

Pardonne-moi, mon enfant : j'écris peut-être des choses superflues. Mais toi, tu n'es pas responsable de cela. Comment est ta santé? Comment va ton cou? Nous attendons ta lettre et toi-même. Que le Seigneur te garde et te bénisse!

N(ikon) qui t'aime. 1er décembre 1961.



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Cher N.!

On a reçu ta lettre. Merci de ne pas nous oublier. Ne te désole pass à cause de ta dissertation. Il arrive souvent qu'on attende beaucoup et qu'on reçoive peu. Les causes sont diverses.

Je plains beaucoup le Père Paul. Il ne faut en aucun cas l'accuser, et chaque fois que tu penses à lui, soupire du fond du coeur : " Seigneur, viens en aide à Ton serviteur, sauve-le!" Il abesoin de notre compassion et de nos prières. Si un membre souffre, le corps tout entier souffre aussi. Il faudrait que vous tous, vous demandiez de célébrer une Liturgie pour lui, et demandiez au directeur de la Laure de faire prier dans toutes les églises pour le salut de celui qui subit la tentation.

C'est le fruit d'une façon erronée d'envisager l'école de théologie. On a pris mécaniquement la structure extérieure de la vielle école, mais sans ses mérites, sans ses professeurs, expérimentés et cultivés, et on s'est arrêté là. On y traite les étudiants comme les prisonniers dans les camps et non comme des personnes vivantes, libres, qu'il faut avant tout aider à fortifier leur foi en Dieu, une foi vivante - et non exiger qu'on recrache par coeur tout un tas de connaissances non digérées. Y a-t-il une seule discipline qui touche, je ne dis pas le coeur, mais même l'intelligence? L'étudiant la fait-il "sienne"? J'en doute. e tas de faits, de matériau mal dgéré... Pire encore : si la foi est branlante, l'étude par la raison purement charnelle des vérités spirituelles entraîne la "baisse" de la signification de ces vérités. Le voile de mystère, la profondeur de la sagesse divine, est arraché. Ces vérités deviennent l'objet de "disputes verbales" qui ne disent rien à l'âme de l'étudiant. La foi faiblit et même, elle disparaît. C'est la raison pour laquelle les mécréants les plus forcenés sortent des écoles de théologie.

On a accablé les étudiants de matières. Ils n'ont pas le temps de réfléchir. Le programme est mal ait. L'école de théologie doit : 1) fortifier la foi; 2) apprendre à prier; 3) apprendre à se connaître, à voir sa déchéance; ') apprendre à combattre le péché et les tentations, comme ont combattu les saints Pères; 5) apprendre à comprendre et à sentir les oeuvres des saints Pères, et à travers elles l'Evangile, les faire siennes, chères, proches du coeur, vivantes, répondant à toutes les exigences de l'âme dans toutes les situations, et non un objet d'étude; 6) apprendre à voir dans les commandements évangéliques non pas des obstacles à une vie libre ou une simple morale utile à la vie en société, mais comme un chemin pour trouver ici-bas, sur la terre, la perle de grand prix, celle qu'un homme a trouvée et pour laquelle il vend avec joie tous les intérêts du monde, tous les plaisirs, tout ce que le monde apprécie, abandonnant tout, non par contrainte, mais parce que son âme aspire à posséder cette perle. Or, on peut la trouver soi-même si l'on a foi dans le Christ et si, de toutes nos forces, nous nous efforçons de vivre conformément aux préceptes de l'Evangile.

Cette énumération brève et incomplète des objectifs de l'école de théologie montre combien les écoles actuelles sont loin de les remplir. Il faudrait tout réaménager, à commencer par les programmes et en finissant par l'administration, en incluant même les bâtiments. On nous dira que ce n'est pas le moment. Sans doute ne peut-on tout faire, mais on peut en faire une partie. Mais l'essentiel est que tous aient cet objectif en vue - faire ce qui est en notre pouvoir et se désoler du reste. On verra alors l'attitude à l'égard des étudiants se transformer d'elle-même : on s'adressera à eux comme à des êtres vivants devant lesquels tous, à commencer par le recteur et en passant par le personnel de service, devraient se sentir des débiteurs incapables de rembourser leur dette.

Voilà, j'ai encore trop bavardé. Considère ce que j'ai exposé comme une esquisse approximative, écrite à la va-vite. Mais l'orientation doit être celle-là. L'obstacle principal est le manque de personnes qualifiées. Les saints sont devenus rares... Nous n'avons plus qu'à rester assis sur les bords des fleuves de Babylone et pleurer. Peut-être le Seigneur aura-t-il pitié de nous et, par les voies que Lui seul connaît, Il nous sauvera, nous qui reconnaissons le danger de notre situation et qui implorons, sinon tout le temps, du moins le plus souvent possible : Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur! Que le Seigneur te garde. Chez nous, tout le monde va bien.

N(ikon). 10h30 du soir, 7 décembre 1961.



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Cher N.!

Dieu, dans Sa bonté, a voulu avoir auprès de Lui des créatures raisonnables et libres qui puissent participer à Sa félicité, être participants à Sa vie, communiant à Sa nature. Pour cela, Il a créé le monde angélique, puis les humains. Une partie des Anges a mal usé de sa liberté, n'a pas voulu être unie à Dieu, s'est enorgueillie et a perdu la capacité de participer à la vie de Dieu; elle a été chassée du Ciel, condamnée à ramper sur la terre loin de Dieu, se consumer dans ses passions et se nourrir d'elles - tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie (Gn 3, 14).

L'homme, lui aussi, est tombé, bien que d'une façon qui n'est pas celle des anges. Dès avant la création du monde, le Seigneur avait prévu que l'homme ne serait pas en état de Lui rester fidèle, qu'il ne pourrait pas apprécier pleinement les dons de Dieu, à savoir : la vie, ses capacités, la félicité paradisiaque. Pour que l'homme apprécie ces dons, pour qu'il aime le Seigneur detout son coeur, de toute son âme, de toute sa pensée, de toute sa force, il lui faut parcourir tout un chemin, sur lequel il aura la possibilité d'éprouver sur lui-même le mal, les souffrances, la mort, et de comprendre enfin que, éloigné de Dieu, il est voué à souffrir, que son bonheur est dans la communion avec Dieu, dans un amour pour Dieu venu du plus profond de son coeur.

Puis, il doit apprendre par l'expérience que rétablir cette communion, il ne le peut pas par lui-même La communion n'est possible qu'après une purifiaction de toutes les scories de la chair et de l'esprit. Or, l'expérience de plusieurs millénaires a montré que personne ne peut se purifier par soi-même. L'homme laissé à ses seules forces doit vivre sa vie terrestre en dehors de Dieu et, après la mort, s'en aller en enfer, être privé de Dieu.

Et donc, quand l'humanité aura définitivement compris cela, le Seigneur aura accompli une action qui a fait trembler et le ciel ( le monde angélique) et la terre (tout l'univers visible). Pour nous, les hommes et pour notre salut, le Seigneur Lui-même est descendu du Ciel, s'est incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie et S'est fait homme; Il S'est volontairement soumis aux persécutions, aux souffrances, à la mort sur la Croix pour sauver l'homme, en l'unissant à Lui et en supportant pour lui tout ce que tout homme devait supporter pour rétablir sa communion avec Dieu.

En cela s'est manifesté un Amour divin tel qu'il ne pouvait pas ne pas triompher du cvcc cv cv cv c c c cv c vc v c cvfc cvfcvvcvgvcgcvgvc cvc coeur le plus endurci et l'attirer à Lui. Pour être sauvé, l'homme, tout au long de s avie sur terre, doit croire en Dieu, se rendre compte de sa déchéance, se tourner vers le Seigneur, réponre à Son amour par son amour en prouvant celui-ci par une vie conforme à Ses préceptes, devenir incapable d'user de sa libre volonté contre Dieu, incapable, non parce que sa libre volonté serait entravée ou à cause de circonstances extérieures, mais par fidélité, par amour et par gratitude envers Dieu. S'il existe d'autres voies de salut pour l'homme, comme le laissent penser certains Pères, arguant du fait que Dieu est tout-puissant et peut sauver par des voies diverses, cependant il me semble que les caractéristiques de Dieu amènent à la conclusion que la voie choisie par Dieu est la plus sûre et la plus courte.

Le "moi" de l'homme - la "personne" - a conscience de son existence, se conçoit comme centre de tout, s'oppose comme sujet à tout ce qui est en dehors de lui, à tout objet. Qui plus est, non seulement l'univers entier lui paraît être un objet, mais Dieu Lui-même lui semble être un objet. D'où la tentation constante de se magnifier, de se soumettre tout ce qui est objectif (ô horreur - Dieu Lui-même), de faire que tout lui soit assujetti, comme si c'était un prolongement de son "moi". Et plus l'homme voit en lui de dons, plus il lui est facile de glisser sur cette voie. Le diable y contribue, lui qui se place définitivement dans une attitude hostile à l'égard de Dieu et du monde.

Voilà pourquoi le Seigneur a dû choisir cette voie pour l'homme, afin que celui-ci, dans la vie nouvelle, ne s'enorgueillisse pas comme l'avait fait le diable, mais en pleine conscience se prenne d'amour pour Dieu, se soumette à Lui pour les siècles, sans possibilité de séparation. Et comme la qualité de l'âme qui s'oppose à l'orgueil est l'humilité, la Parole de Dieu, la Mère de Dieu et les saints Pères placent très haut l'humilité. Sans l'humilité, aucun exploit ascétique ne peut secourir l'homme, car il peut toujours tomber dans l'orgueil et se séparer de Dieu. C'est l'amour qui unit l'homme à Dieu, mais sans humilité, il n'y a pas d'amour.

1) Quand l'homme tente par sa seule raison de comprendre pourquoi le Seigneur a choisi cette voie pour le salut des hommes, à savoir l'incarnation de Jésus-Christ, il reste dans l'incertitude, il se demande s'il n'y aurait pas eu pour Dieu d'autres moyens de sauver les hommes, comme par exemple de leur pardonner leurs péchés et de les faire entrer au Paradis. A cela, il faut avant tout répondre par ces mots de l'apôtre Paul : la folie de Dieu est plus sage que les hommes (1 Co 1, 25). Par conséquent, l'homme doit accepter avec foi et humilité le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu et reconnaître que ce moyen de salut est nécessaire et le meilleur.

2) Si le Seigneur Lui-même ne S'était pas incarné et n'avait pas souffert pour nous, nous n'aurions pas pu connaître l'amour de Dieu pour l'homme. L'homme, quand il souffre ou voit souffrir ses proches, quand il voit toutes les manifestations du mal, de la cruauté, de l'injustice, peut à la rigueur le supporter, l'accepter, ne pas "rendre son billet pour le paradis" comme le disait Ivan Karamazov, car il se souvient que Dieu Lui-même, le Créateur de tout l'univers, a souffert pour anéantir le mal, pour attirer les hommes, sans les contraindre, dans le Royaume de Dieu, du bien et de l'amour.

3) Lorsque l'homme atteindra la vision, dans toute sa profondeur, de la déchéance du genre humain et la sienne propre, quand il prendra conscience de son insignifiance, de sa difformité morale, de sa totale indignité à devenir un habitant du Royaume, quand il comprendra l'impossibilité pour lui de sortir de cette situation par ses propres moyens, fût-ce en recommençant sa vie, alors, à cause de tout cela, un désespoir absolu s'emparera de lui, un désespoir qui jadis conduisait les païens et qui conduit de nos jours les athées au suicide et au blasphème. La seule façon de sortir de cette situation, c'est la foi en ce Dieu qui est venu sur terre et qui S'est offert en sacrifice pour nos péchés, qui S'est fait l'Agneau qui prend les péchés - les atrocités, les perversités - du monde; la certitude qu'Il ne rejettera pas à cause de leurs ignominies ceux qui se tournent vers Lui avec un coeur contrit, qu'Il les purifiera, les rétablira, les rendra proches de Lui, qu'Il couvrira toutes leurs fautes de son amour, qu'Il n'en gardera pas le souvenir, qu'Il élèvera les pécheurs les plus endurcis au rang de Ses fils. Sans l'Incarnation et les souffrances du Sauveur, comment croirions-nous en la possibilité d'un tel amour de Dieu pour les hommes? Nous ne le pourrions pas et nous serions la proie du désespoir, peut-être même concevrions-nous de la haine et deviendrions-nous les ennemis du bien, les adversaires de Dieu, tel Satan. Il n'y a que l'incarnation et la croix du Fils de Dieu qui puissent sauver les hommes, et rien d'autre. Il faut ressentir par l'expérience la force du mal en soi et dans le monde pour apprécier à sa juste valeur le sacrifice divin et reconnaître sa nécessité pour le salut du genre humain.

N(ikon). 1962, janvier.



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Cher N.!

Nous attendons une lettre de toi. N'entre pas en discussion, ne débats avec personne. Ne recherche ni les louanges ni la haute opinion des hommes, fuis-les par tous les moyens. Ce qui est élevé aux yeux des hommes n'est que bassesse devant Dieu. Sois "fou" aux yeux des hommes pour être "sage" devant Dieu.

Je ne te l'ai pas rappelé ici, mais je me souviens de l'obédience que je t'ai donnée - de toutes tes forces chasse deux pensées mauvaises. Apprends à le faire par tous les moyens, le plus sûr étant l'invocation du Nom de Jésus-Christ. Ils m'ont entouré et au nom du Seigneur je les ai repoussés. Il en est ainsi des pensées mauvaises, des épreuves, des attaques des démons et d eleurs instruments, et même des maladies. Exerce-toi peu à peu au "combat invisible". Acquiers l'expérience, sans laquelle tout l'édifice - le séminaire, l'école de théologie, tes efforts personnels - s'effondrera, et cette chute sera fracassante. Le ciel et la terre passeront, etc. Applique à toi-même et aux autres et à tout les paroles de l'Evangile que vous étudiez. Examine à leur lumière ton présent, ton avenir et toute ta vie. Beaucoup de choses deviendront claires. Cherchez avant tout le Royaume de Dieu, et non des intérêts personnels : tu acquerras ainsi et l'un et l'autre, alors que si tu fais l'inverse, tu perdras jusqu'à ton bonheur personnel et tu ne trouveras pas le Royaume de Dieu, qui est au-dedans de nous, ce qui veut dire que le bonheur est en nous et non à l'extérieur de nous. Cela est prouvé par un nombre incalculable d'exemples.

Ces jours-ci, j'ai lu les Vies d'Antoine le Grand, de Mcaire d'Egypte, du métropolite Alexis, de Maxime le Confesseur et d'autres encore. C'est une grande chose que de lire des biographies de ce genre, c'est comme un bol d'air frais.

Prends soin de toi, mon enfant. Fais ton salut! Tous t'adressent leurs amitiés. Nous attendons de petites nouvelles de toi.

N(ikon). 3 février 1962.



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Cher N.!

On t'a envoyé une lettre le 3 février, et le 4, on en a reçu une de toi. Nous te plaignons beaucoup, mais nous sommes heureux pour toi. Sur toi se vérifie la parole de la Vérité : Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Christ seront persécutés (2 Tim 3, 12). C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu (Ac 14, 22). Ce même Esprit témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu (Ga 4, 4-6). Et si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et co-héritiers avec le Christ, si toutefois nous souffrons avec Lui, afin d'être glorifiés avec Lui (Rm 8, 16-17).

Si le monde a de la haine pour vous, sachez qu'il m'a haï avant vous; si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, le monde a de la haine pour vous. Souvenez-vous de la parole que Je vous ai dite : le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (Jn 15, 18-20). Vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom (Mt 24, 9). Prenez garde à vous-mêmes : on vous livrera aux tribunaux et vous serez battus de verges dans les synagogues (Mc 13, 9). Voici : je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes. Gardez-vous des hommes, car ils vous livreront aux tribunaux et vous flagelleront dan sles synagogues. Le frère livrera son frère à la mort et le père son enfant, les enfants se soulèveront contre leurs parents et le feront mourir. Vous serez haïs de tous à cause de Mon nom, mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Mt 10, 16-22).

Sache que dans les derniers jours surgiront des temps difficiles, car les gens seront égoïstes, amis de l'argent, fanfarons, orgueilleux, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, sacrilèges, insensibles, implacables, calomniateurs, sans frein, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, impulsifs, gonflés d'orgueil, aimant leur plaisir plus que Dieu; ils garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. Eloigne-toi de ces hommes-là ( 2 Tim 3, 1-5).

Telle est la loi révélée par Dieu, testée sur eux-mêmes par des millions de chrétiens. On peut la formuler brièvement ainsi : celui qui possède l'Esprit du Christ sera haï et persécuté par ceux qui ne l'ont pas. Je sais que cela t'est bien connu, que tu le comprends, mais il n'est pas mauvais de se le remettre en mémoire, d'autant plus que nous avons pris l'habitude d'être très négligents à l'égard des paroles de la Sainte Ecriture. Beaucoup trop de paroles creuses, qu'on le veuille ou non, pénètrent en nous. C'est le malheur de notre temps. Ces discours nous rendent stupides.

La phrase qui t'a frappé, elle a été inattendue pour lui aussi : peut-être était-ce le désir secret de se débarrasser de toi à tout prix, fût-ce au prix de ta perte, d'assurer son bien-être, sa carrière, de trotéger son amour-propre. Dieu est son Juge. Je te prie instamment : écarte-toi de lui, ne cite son nom devant personne, évite de lui donner le prétexte de te faire des crasses. Il est très certainement d'un autre esprit et il ne s'arrêtera devant rien s'il a les moindres preuves contre toi. Méfiez-vous des hommes, comme dit le Seigneur, qui a pitié de nous. Ecoute et obéis!

Parle tranquillement de ta bourse, ne discute pas, laisse les choses à la volonté de Dieu.

Cher enfant, patiente. Le Seigneur te conduit par Sa voie, c'est pourquoi tu ne dois pas être dans la peine, tu dois te réjouir - seulement, ne t'écarte jamais de cette voie. Tous te saluent. Nous attendons beaucoup tes lettres. Ecris pour dire si tu as bien reçu cette lettre.



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Cher N.!

Nous avons reçu aujourd'hui ta quatrième lettre et nous t'envoyons la cinquième. Nous répondons à tes deux dernières lettres;

Depuis des temps immémoriaux, des qutare plus grandes vertus, celle qui est considérée comme la plus grande, c'est la modération. La parole de Dieu dit : Tu as trouvé du miel - mange-le avec modération. Les saints Pères disent : tout ce qui est démesuré vient du diable. C'est trop tôt pour toi de changer de chemin à cause de la sueur. Il y a ici, assurément, une démseure nocive.

Lis dans le n°11 de la revue du Patriarcat le compte-rendu de la conférence de Rhodes.

Examine " la liste des sujets du futur pré-concile". Je te conseille vivement de proposer à l'école de théologie ( à Ostapov ou à qui tu le jugeras bon) de discuter ces sujets d'un point de vue orthodoxe. Les diplômés de l'école doivent connaître la réponse xacte et détaillée à ces questions.

Lis également l'article intitulé "Le Congrès international des savants à Oxford". C'est une lecture éprouvante; tu devines, bien sûr, pourquoi.

Des changements temporaires, comme le temps qu'il fait, se produisent en chacun de nous, mais se changer en neuf à partir du vieux, c'est une autre paire de manches; cela requiert beaucoup de temps et de forcés. Notre "tante" Olga a compris le mot "patron" dans son sens russe (1) et elle s'est écriée : " Bon, ça va exploser..."

(1) : ( "Patron" en russe (prononcé "patrone") = cartouche (NdT).).

C'est sans doute ce qui va arriver. Toi, reste muet, comme le Christ lors de Son jugement, car Il savait que ce n'était pas un jugement, mais un assassinat prémédité. Réfléchis bien à ce que tu dis, même au milieu de tes camarades. Tu sais déjà par expérience qui sont ceux qui t'entourent.

Mon grand âge se traduit également par le fait que je ne sais plus, au bout de quelques minutes, ce que j'écrivais ou voulais écrire.

Le temps ici est détestable, surtout pour les vieux et les malades. J'ai eu le désagrément de comprendre, à la faveur de ce mauvais temps, combien il faut s'occuper de soi pour pouvoir se supporter soi-même. C'est une triste histoire.

Si on te rend tes devoirs et si tu en as l'occasion, envoie-les. Je suis curieux de les lire. Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde!

N(ikon). 17 février 1962.



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Cher N.!

Merci pour ta lettre. Je regrette que tu aies perdu tant de temps à l'écrire. Quand tu as un devoir à faire, tu peux ne pas nous écrire - si tout va bien pour toi.

J'ai écrit à O. que celui qui recherche sérieusement le Royaume de Dieu doit rester seul, et qu'à celui qui marche dans cette voie, le Seigneur donne un réconfort devant lequel toutes les joies terrestres ne sont rien. Il faut seulement "ne pas regarder en arrière', comme l'a fait Ignace (Brintchaninov).

N.G. t'a-t-il dit que dans le n°11 il était question des frnacs-maçons? Quand tu auras fini ta dissertation, lis ces pages attentivement, mais pour l'instant, consacre-toi à ton devoir.

La sagesse spirituelle, nous devons tous la demander, car il existe une sagesse démoniaque (Jc 3, 15). Les hommes dans leur être profond sont meilleurs qu'ils n'apparaissent dans la vie. Une chose est l'image de Dieu et la grâce reçue dans le sacrement du baptême : là est la personne, le "Je". C'est un don sublime du Seigneur. Du néant est apparu un nouveau centre de conscience, un "Je" qui a conscience de lui-même et du monde. Le "Je " est égal à l'univers entier, car le "Je", en tant que personne consciente d'elle-même a pour objet non seulement le monde entier, mais aussi Dieu. Le "Je" aspire à connaître, à comprendre (com-prendre), donc prendre, inclure en soi et l'univers et Dieu Lui-même. Vous êtes des dieux et les fils du Très-Haut. Cela - je veux dire : cette compréhension - est autorisée par le Créateur de l'homme, elle est ce vers quoi l'homme doit tendre, mais seulement par des voies autorisées. Voilà, telle est la grandeur de l'homme! Voilà pourquoi l'homme peut parfois sembler tellement beau, alors que sa vraie grandeur est enfouie comme dans la tombe, recouverte des scories du monde empirique - les connaissances, les sensations, les intérêts, les préoccupations et les objectifs sans envergure... L'homme est couronné d'honneur - et il n'a pas compris!

Certaines personnes, quand elles sont jeunes et même parfois toute leur vie, ont la capacité de sentir la profondeur de l'âme humaine à travers le monde empirique. A mesure que l'homme avance en âge et qu'il se heurte au vieil homme, à l'homme empirique, il est contraint d'être plus prudent à son égard - ce à quoi le Sauveur nous appelle. Je ne vais pas m'étendre là-dessus, bien qu'il y ait beaucoup encore à dire. J'espère que c'est assez clair comme cela...

J'ai relu récemment, un peu vite, c'est vrai, Les Frères Kaaramazov. C'est là que l'âme humaine, avec ses détours, est révélée! La psychologie scientifique, comparée à celle de Dostoievski, est une triste parodie... J'ai été jadis assez naïf pour vouloir étudier la psychologie dans le but de mieux comprendre l'âme humaine. Que de sottises ne fait-on pas dans sa jeunesse, quand on n'a personne pour vous guider!Je me suis retrouvé comme dans une forêt sans issue. Le prince de ce monde vous aveugle au point que l'on avance à tâtons et que l'on se heurte à un mur, puis à un autre...

La science est mensongère, si l'on prend ses données comme un absolu, car la science de eemain annulera celle d'aujourd'hui. L'art, lui, est le plus souvent une falsification délibérée. La politique a toujours été pleine de mensonge, de tromperie, de crime. Tout est ici à prendre en sens inverse et ce que l'on appelle "la vie" n'est que vanité des vanités et tout est vanité, et surtout petitesse, vacuité, le mensonge et encore le mensonge, sans fin. En un mot "l'époque du mensonge", le règne du prince de ce monde.

J'écris cette lettre au petit matin, avec de nouvelles forces, et c'est pourquoi j'ai tant bavardé et me suis lancé à philosopher...

Cehr N., efforce-toi de t'arracher à la vanité pour rejoindre l'essentiel, comme tu l'as dit toi-même quelquefois, de sortir du monde empirique pour rejoindre le monde nominal où règnent la vérité, la paix et la joie. Attache-toi au Sauveur. C'est Lui le Chemin, la vérité et la Vie. Il est la Porte, par Lui seul on peut pénéter dans la vérité et la vie éternelle. C'est seulement avec Son aide que l'on peut s'arracher à la vanité et au règne du diable pour entrer dans le Royaume de Dieu.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde!

Chez nous, tout est comme avant. On a eu une tempête de neige. Nous nous sommes promenés dans la forêt hier.

Quand P.O. a dit à Mère M. que dans chaque lettre, tu lui envoyais tes amitiés, elle a pleuré et elle a dit que tu lui étais cher comme son fils. Donc, ne l'oublie pas dans tes prières. Nous sommes tous ensevelis sous des scories, et pourtant, sous elles clignote parfois la petite lumière de notre vrai "Moi".

Tout le monde te salue. Notre maisonnée est toujours avec toi. Que la bénédiction du Seigneur soit toujours sur toi!

N(ikon). 27 février 1962.



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Cher N.!

Nous te souhaitons une bonne santé et toutes sortes de bienfaits. Remets-toi au plus vite. On est préoccupé par ta santé, et par ta dissertation. Ecris ce devoir là où tu te trouves.

Le Seigneur a compassion de P. Il lui envoie des épreuves afin qu'il s'humilie et soit plus sensible aux autres. Si cela n'atteint pas son but, alors "avec un mors de fer", le Seigneur va tirer sur les mâchoires des récalcitrants, de ceux qui laissent encore un peu d'espoir de salut.

Je me souviens à peine de ce que je t'ai écrit. La mémoire du présent est très affaiblie. Pour me souvenir, il faut que je relie le passé et le présent en diverses associations d'idées. S'il y a là quelque chose qui t'intéresse, garde-le. Je suis heureux quand ce que j'écris te plaît ou t'est utile. On a reçu une lettre effarante de T. Si l'on s'en tient aux paroles du Seigneur - vous reconnaîtrez l'arbre à ses fruits - on peut juger d'après les lettres de T. dans quel état moral elle se trouve. Elle s'est installée dans une haute (très haute) opinion d'elle-même et ne supporte pas qu'on lui indique, dans son comportement, la moindre petite faille. Pour des vétilles, elle se répand en un flot de paroles afin de se justifier et de montrer les défauts de celui qui a osé parler de ses déficiences. C'est une disposition d'esprit catastrophique, mais elle ne le voit pas et rejette toute tentative de lui ouvrir les yeux. Elle a l'habitude qu'on la complimente et elle s'est enfermée dans cette arrogance. Que le Seigneur lui rende la raison! Chez nous, tout est calme. Nous sommes tous relativement en bonne santé.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te bénisse.

N(ikon), 5 mars 1962.



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Cher N.!

Nous avons reçu ta lettre aujourd'hui. Nous sommes très heureux que nos aventures se soient bien terminées. Grâces soient rendues à Dieu pour tout!

Ton stylo était exécrable - soit il n'écrivait pas, soit il faisait des taches. O.N. a adapté sa plume à l'ancien stylo, une plume plus large qui a bouché la fente, et le stylo marche parfaitement : il écrit aussitôt et sans faire de taches.

Saint Issac le Syrien écrit, dans son deuxième discours : " Efforce-toi d'entrer dans ta cellule intérieure et tu verras la cellule céleste, car l'une et l'autre sont la même chose et il suffit d'entrer dans l'une pour voir l'autre. L'escalier qui mène au Royaume est à l'intérieur de toi, caché dans ton âme. Enfonce-toi en toi-même, loin du péché, et tu trouveras les degrés par lesquels tu sera en état de t'élever."

Le Seigneur a dit : le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. Voilà pourquoi les Saints Pères prescrivent à tous, avec insistance, de dire toujours la Prière de Jésus. Par elle, l'homme pénètre en lui-même. J'écris cela maintenant, du fait que les longs offices du temps du Grand carême permettent de dire cette prière commodément et aisément, et pendant longtemps. Je te conseille vivement de ne pas négliger ce conseil des Saints Pères. Le diable fait tout pour écarter l'homme de cette action. Il faut le savoir et lui résister; il faut se contraindre à réciter cette merveilleuse prière.

Le Seigneur nous a ouvert dès ici-bas l'entrée dans le Royaume, et nous, nous cherchons des parcelles de vérité dans les sciences, la philosophie et partout ailleurs, sauf dans l'Evangile, sauf chez les pitoyables. Nous nous vouons nous-mêmes à une existence à demi-bestiale, et nous accusons les autres de créer les difficultés de la vie. "Nous recevons ce que nous avons mérité par nos actes."

Il fait un temps exécrable. Toute l'ancienne génération se plaint et incrimine l'époque. Nous sommes extrêmement contents que tu achèves ton dernier devoir. Que le Seigneur t'aide à bien passer tes examens.

Comment se porte le Père Pitirime? On voit bien que le Seigneur l'aime, puisqu'Il lui envoie des épreuves sans lesquelles il est impossible de nos jours d'être sauvés. A condition de ne pas s'en plaindre.

Le 14 mars, je me suis souvenu d'une chose et j'ai pensé te la rappeler : quand, pendant les cours, tu n'as pas envie d'écouter et tu ne peux rien faire d'autre, pourquoi ne pas "s'exercer à la Prière de jésus"? Les gens utilisent souvent ce mot "s'exercer", et cela prouve qu'is ne savent pas ce que c'est que la prière. On ne doit pas "s'exercer" (pourquoi ne pas dire s'entraîner"?) à la prière, mais on doit se tenir devant Dieu avec une profonde piété, en se livrant à la miséricorde et à l'indulgence de Dieu, et prononcer avec crainte et concentration les paroles de la prière.

Une prière correcte fait très vite comprendre au coeur comment l'on doit se tenir pendant la prière. Un commandement nous est donné : Priez sans cesse. Au moyen de la prière, l'homme s'arrache à la terre, se rend inaccessible aux reptiles qui rampent sur le sol; il jouit de la liberté, comme l'oiseau qui s'est détaché de ses liens. C'est le sens de l'expression, chez les Pères : " Ecarte-toi de la terre."

Et nous, au contraire, nous nous sommes éloignés de Dieu et nous nous sommes attachés à la terre, sur laquelle nous rampons, nous nous nourrissons de cendres ( de passions), nous souffrons et faisons souffrir les autres. Nous marchons, éclairés par une lumière à nous, ayant rejeté la lumière de Dieu. Lors de la tentation ( dans le désert), Satan avait promis à Jésus-Christ tous les empires de la terre, à condition qu'Il se prosterne devant lui, et nous, pour un plat de lentilles, non seulement nous nous prosternons devant lui, mais nous le servons, nous sommes ses esclaves, et nous ne le voyons pas. Car notre âme est rendue aveugle par la vaine agitation du monde. Il faut encore rappeler ces paroles : N'alourdissez pas vos coeurs d'orgies, de beuveries et de vaine agitation.

Hélas, tois fois hélas! L'homme est couronné d'honneur - et il ne l'a pas compris; il s'est lié aux bêtes dépourvues de raison et il s'est rendu semblable à elles.

Pardonne-moi de te donner des conseils que tu ne m'as pas demandés. Peut-être quelque chose t'interpellera et moi, j'aurais au moins "épanché mon coeur", car je dis et je ne fais pas ce que je devrais faire. Malheur à moi!

Amitiés de la part de nous tous.

J'aime le Grand carême!

N(ikon). 13 mars 1962.



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N.!

Nous avons reçu aujourd'hui deux lettres de tois. Je réponds à la seconde. Il est certain que l'on peut faire l'historique des termes qui désignent les différentes parties de l'église, comme celui de l'édifice lui-même. Il est important pour toi d'expliquer la terminologie moderne et la structure des temples grecs. Cette structure, l'évêque Porphyre (Ouspensky) la connaissait bien. Il a beaucoup écrit. L'un de ses livres s'intitule, je crois, Le livre de mon existence; il est très intéressant. Mieux vaut lire cet ouvrage que toutes sortes d'oeuvres littéraires. Il y raconte son séjour en Grèce. On y trouve, me semble-t-il, une description des temples grecs. Je n'en ai lu que des extraits, n'ayant pu me procurer le livre tout entier (il est très gros). S'il figure dans votre bibliothèque, je te conseille d'en prendre connaissance.

Je suis très heureux que tu aies un peu apprécié la valeur du jeûne. A propos de la prière, je dirai ceci : la prière est donnée à celui qui prie, ce qui veut dire qu'il faut prier correctement et le plus possible, le plus souvent possible, pour recevoir, en son temps, la prière de la grâce. C'est un sujet extrêmement intéressant. Si seulement on pouvait le développer en profondeur! On pourrait alors porter un coup fatal à l'athéisme, auquel il ne resterait qu'à se taire ou à nier les faits, sottement et sans aucun fondement.

Cela m'intéresserait de lire l'article dont tu parles dans ta lettre. Nous essaierons demain de trouver la revue dans un kiosque ou une librairie.

Toute l'humanité recherche le bonheur, elle le recherche n'importe où, mais pas là où elle pourrait le trouver. N'est-ce pas un signe des temps?

Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous : il s'agit de la chose la plus sublime que l'on puisse imaginer ( ou plutôt, qu'il est impossible d'imaginer), car elle dépasse tout... Le chemin qui mène à ce Royaume est indiqué : des milliers de gens l'ont emprunté et ils témoignent non seulement par leurs dires, mais aussi en versant leur sang ( les martyrs) ou en menant toute une vie d'ascètes ( les saints), par des miracles, des oeuvres extraordinaires; mais presque personne parmi les croyants n'emprunte ce chemin. Tel est l'état de déchéance de l'homme. Mais ceux qui l'empruntent , jamais ils ne se repentent de l'avoir choisi, bien que le diable les perturbe et les freine à chaque pas. Mais gardez courage, j'ai vaincu le monde. Et cette victoire, Il l'octroie à ceux qui Le suivent sincèrement.

Au début, je te conseille d'évoquer le plus souvent le Nom du Seigneur Jésus-Christ. On peut toujours soupirer vers Lui, pleurer sur soi et sur le monde. La prière et la charité envers tous sont les deux ailes qui nous font accéder au Royaume des Cieux.

J'écris sans aucun ordre. Moi-même et ma plume ne sommes pas "en ordre". Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde. Nous te saluons tous.

N(ikon). Mercredi 21 mars 1962.



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Cher N.!

J'ai lu l'article de Spinakine (1).

(1) : ( Dans la revue Nauka i religuiiia, 3, 1962).

Je n'ya ia rien trouvé de nouveau pour moi, sinon le mode d'exposition. Nous aussi, depuis longtemps "nous l'avons évalué (l'athéisme) et l'avons reconnu comme ne méritant ni foi ni confiance". Il est dommage qu'ils aient tronqué l'article plus encore qu'ils ne l'avouent. Mais rien d'essentiel ne peut être ajouté à ce qui y est dit et que nous savons bien.

C'est la réponse d'Ossipov à cette lettre qui a le plus retenu mon attention. As-tu remarqué ce qu'il écrit et comment il l'écrit? Il ne répond à aucune des questions posées par Spinakine. Pourquoi? Parce qu'il ne sait pas quoi répondre et c'est pourquoi il parle sans vergogne, perfidement, de tout autre chose. Et il en parle dans une langue barbare. Deux propositions, à la page 32, colonne de gauche, n'ont pas de sujet. Beaucoup de phrases sont conctituées de vocables vides de sens, rassemblés sans raison. Sans parler d'expressions comme :" vous accomplissez une exagération", "vous tentez de rouler l'adversaire", etc. On en conclut qu'Ossipov n'est pas dans un état normal, ni mentalement ni moralmenet. Il conviendrait de soumettre cet article à l'analyse d'un bon psychiatre; je pense que sa conclusion serait proche de la mienne.

Pour parler le langage d'(Alexandre) Ossipov, l'athéisme est un assainisseur qui draine ce que la religion rejette...( les Ossipov, les Douloumane et autres). Mais trêve de cela. Je voudrais fuir loin de cette atmosphère. Donne cette revue à qui tu veux, ou bien garde l'article et la réponse, et jette le reste au feu. L'article, nous l'avons. On a envie de se laver les mains après avoir tenu ce journal. A propos, note les noms des membres de la rédaction.

Cher N., je te souhaite une bonne fête de ton Protecteur au ciel. Que saint Alexis t'apprenne à être un homme de Dieu, et non une créature de ce monde. Il faut être très vigilant pour ne pas laisser pénétrer dans son âme les suggestions du prince de ce monde. De grands hommes sont tombés dans ses rets. Souviens-toi de la vision de saint Antoine le Grand et des filets tendus partout. Seule l'humilité les évite, c'est-à-dire le refus total de compter sur soi-même et la totale remise de soi à Dieu.

Tu as été touché, ainsi que les autres choristes, par la gratitude des paroissiens. Prends garde à cela. Il y a, là aussi, un filet du Malin. Sois toujours indifférent aux louanges. Si tu y es sensible, tu t'efforceras, sans t'en apercevoir, de plaire aux gens, et, sans t'en rendre compte, tu risques de devenir un pharisien. Les artistes vivent de louanges. C'est vrai aussi parfois du clergé. Et cela se termine par de l'inimitié et de la haine. C'est ce qu'enseigne l'Evangile.

Je suis heureux que tu aies un peu senti l'action de la grâce divine. C'est par un contact fort avec le Très-Haut que se fortifie la foi. Grâce à des milliards de ces contacts, depuis les plus imperceptibles jusqu'à l'affirmation : ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui vis en moi, font d'une foi reçue par ouï-dire une foi vivante, que ne peuvent ébranler ni les pitoyables athées ni les cohortes de l'enfer. L'on ne peut faire qu'un fait réel soit inexistant par de simples raisonnements ou dénégations. Je ne sais pas pourquoi j'écris cela, car tout est parfaitement clair.

Je m'arrête ici. Prends soin de toi. Que le Seigneur te protège et te conduise au salut. Tous les nôtres te souhaitent une bonne fête.

Que le Seigneur te garde.

Ta famille qui t'aime. 24 mars 1962.



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Cher N.!

Bonjour! Je t'ai envoyé une lettre dans laquelle je te parlais de Spiniakine et d'Ossipov. L'as-tu reçue? Dis-le moi.

Comment se passent tes examens?

Es-tu d'accord avec mon appréciation de la "réponse" d'Ossipov? Je me demande comment il écrit dans d'autres circonstances? Il est évident qu'on lui a fait confiance et qu'on n'a pas corrigé son article dans la revue. Je suis convaincu que les autres fois, on ne pourra pas reconnaître un article de lui, mais celui-là est vraiment très caractéristique. Les "assainisseurs" vont-ils le garder longtemps auprès d'eux?

Le même jour qu'aujourd'hui, le 5 avril, en 1930, c'était le Dimanche des Rameaux, on m'a donné un nouveau nom, et trois ans après, le 5 avril 1933, j'étais... C'était réellement le renoncement à tout. Notre génération (il n'en reste guère en vie) a été littéralement un fumier pour les générations suivantes. Nos descendants ne comprendront jamais ce que nous avons traversé. Nous avons reçu ce que nous méritions pour nos actes. Qu'allez-vous recevoir, vous autres? Or, vous n'êtes guère mieux que nous. Que le Seigneur vous épargne le sort qui été le nôtre!

Depuis hier, nous avons du soleil, il fait doux. On ne peut plus passer le ruisseau à gué. Il n'y a presque plus de neige dans les champs, mais encore beaucoup dans les buissons.

Ami, écris-nous toutes les semaines. Prends soin de toi. Que Dieu te bénisse!

N(ikon). 5 avril 1962.



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Cher N!

Bonjour! Ta lettre a subi je ne sais quel accident, à en juger par l'inscription "avariée". Je regrette beaucoup de n'avoir pas pu parler avec toi.

Je suppose que le Père N. t'a interrogé sur un sujet que vous aviez estimé inutile de préparer; c'est exprès qu'il t'a interrogé et tu as échoué. Ne te désole pas, accepte avec humilité. Tout le monde est atteint d'une immense prétention, d'une immense confiance en soi. Il faut avoir maintes fois "avalé son chapeau" pour comprendre nos limites et le besoin permanent que nous avons de l'aide de Dieu. Si toutes nos forces sont dénaturées par la chute, c'est notre conscience de soi, de notre "moi", qui est la plus fortement atteinte.

En tant qu'image de Dieu, avec sa vocation à être enfant de Dieu, participant à la nature de Dieu, l'homme est réellement d'une valeur immense, il est plus précieux que l'univers entier. Il faudrait prendre conscience de cela, en remercier Dieu, se comporter en conformité avec cela. Or, dans les faits, l'homme, soit ignore sa véritable grandeur, soit, du fait de sa déchéance, installe son "moi" dans des riens, se bat pour sa petite vanité, se vante, s'enorgueillit... et se rend insupportable et à Dieu et aux hommes. Cette perversion est pire que les autres péchés et elle est difficile à guérir, puisqu'elle touche le fond même de l'âme, son fondement, le "moi". L'humilité est ce qui corrige cette perversion, et c'est pourquoi elle a tant de prix.

Je dis cela approximativement, sans préciser ma pensée. Le sujet est trop vaste et difficile, on ne saurait le traiter en quelques phrases. L'homme doit jusqu'à ses derniers jours se battre contre son faux "moi", son "moi" déchu. Le succès de la vie spirituelle s'évalue au degré d'humilité acquis.

C'est la raison pour laquelle il faut accepter toutes les humiliations, les outrages et même les chutes comme venant d ela main de Dieu ( et il en est ainsi). Accepter tout ce qui contribue à rabaisser notre "moi", sans se plaindre et avec gratitude. Mais même en agissant ainsi, l'homme ne peut jamais se libérer totalement de la vanité et de l'arrogance. Sans l'humilité, l'homme ne peut sans préjudice pour lui-même recevoir les dons de Dieu. Voilà pourquoi il est prédit que dans les temps derniers, du fait d ela montée de l'orgueil, les hommes ne feront leur salut que par l'endurance dans les épreuves et les maladies, non par des exploits ascétiques.

Remrcie donc le Seigneur pour tes mauvaises notes ou autres désagréments, remercie aussi les instruments de la Providence - ceux par qui le Seigneur t'enseigne l'humilité. Celui qu'Il aime, le Seigneur le châtie... Apprends par l'expérience les vérités du christianisme.

L'école de théologie délivre des connaissances théoriques sur le christianisme. Armé de ces connaissances, muni du titre mérité de docteur en théologie, on peut fort bien non seulement ne pas croire dans le Christ, mais même nier l'existence de Dieu. Seule l'expérience, le contact réel avec le Christ engendre une foi vivante, lucide. Cette foi, on l'acquiert par de nombreuses épreuves, par des tentations, en tombant et en se relevant, ce qui conduit dans un premier temps à l'humilité (il y a des degrés divers d'humilité), puis aux dons spirituels. Demande à Dieu la sagesse de transformer tes péchés et tes tentations en profit pour ton âme, en croissance spirituelle. Et surtout, il faut toujours rechercher le Royaume de Dieu, pour le trouver...

Le printemps est déjà là. La neige a presque entièrement disparu. Nous avons compassion de toi et de tous ceux qui sont cloués dans les maisons. Que le Seigneur vous aide! Nous sommes tous, pour le moment, en bonne santé. La Fête s'est bien passée. Que le Seigneur te garde et te conduise par Ses voies jusque dans la vie éternelle. Ne vends le Seigneur ni pour une petite ni pour une grosse somme. Meilleure est la pauvreté d'Alexis-homme-de-Dieu que toutes les richesses et toute la gloire du monde! Fais une fois pour toutes ton choix et ne quitte pas la voie choisie, à aucun prix!!!

Cette lettre était écrite quand on a apporté la tienne. J'en écrirai une autre à propos de la question soulevée.

N(ikon), 7 avril 1961.



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Paix à toi, N.!

On a encore reçu une lettre de toi. Tu écris : " Il faut expliquer pourquoi, ou plutôt par quoi a té provoquée la divergence entre les célébrations dans l'Eglise grecque et dans la nôtre". La réponse, en deux mots, est que cette divergence provient du fait que, pendant longtemps, les deux Eglises n'ont plus communiqué. Il s'est produit la même chose que pour la langue : avec le temps, la langue se transforme et prend des directions différentes, au point qu'on ne se comprend plus. Mais est-ce là une explication suffisante, en ce qui concerne les différences dans les célébrations? Pour donner une explication satisfaisante, il faudrait connaître à fond l'histoire du peuple grec et l'histoire de son Eglise, le caractère du peuple, sa psychologie, etc... Il en est de même pour le peuple russe. Mais ce serait un tout autre travail. Renseigne-toi bien. Peut-être (sûrement) existe-t-il des ouvrages sur le sujet.

Il faut probablement énumérer brièvement les causes qui ont favorisé ces divergences. Pendant ton temps libre, parle sérieusement de cela avec N.N. Si ce sujet ne convient pas, choisis-en un autre. Je te conseillerais le suivant : " Le chemin de la perfection chrétienne d'après les oeuvres de l'évêqque Ignace Briantchaninov." Tu recevras beaucoup de cette étude. Et rien de N.N.

Ma plume n'écrit plus. Je m'arrête.

10 avril. Nous envoyons aujourd'hui par la poste du sel de Karlovar pour D., deux boîtes. Dis à D. que nous avons grande compassion de lui. L'avenir dira le sens de son mariage insensé et d ece qui en suivra. Le Seigneur tourne à notre profit nos erreurs et même nos délits, de par Sa toute-puissance et Son amour. Nous sommes des petits enfants qui nous penons pour des adultes et imitons leurs actions. Un adulte qui nous regarde nous trouve ridicules, parfois déplaisants. Nous le sommes également aux yeux des anges et des saints, et peut-être de Dieu.

Le printemps, ici, bat son plein. La neige, poussée par le vent, s'est réfugiée sous les buissons. La forêt renaît. Hier, le d(iacre) K. et moi-même sommes allés jusqu'au second ruisseau, qui s'était élargi comme une rivière. Et nous avons traversé le premier à l'aide de bâtons. La santé de T.P. dépend en grande partie d'elle-même. Quand elle est à la diète et qu'elle ne prend pas froid, elle ne se sent pas trop mal. Elle s'est fatiguée ces jours-ci à faire le ménage et à fréquenter l'église. J'ai tente de freiner leur empressement ( peut-on dire - leur ardeur?). Je me sens bien, nous t'attendons. Puissiez-vous terminer au plus vite. Que le Seigneur te garde!

Prends soin de toi! Ecris-nous. Ne te fais pas de souci pour tes notes : il y a là plus de vanité que de bonnes choses.

N(ikon). 8 avril 1962.



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Cher N., la paix soit avec toi et avec tous!

Nous avons reçu ta lettre. L'extrait est remarquable. Il faudrait sélectionner de tels passages et les envoyer, pour son édification, au pape. C'est tout simplement stupéfiant! Procure-toi le résumé, sans faute. Il peut être très utile dans l'avenir, et pas seulement celui-là, mais tous les autres. Il faudrait trouver sa thèse de maîtrise : si on la cache, ce n'est pas pour rien.

Tu parles de tes démêlés avec N. à propos des saints catholiques. Ici nulle logomachie ne saurait nous aider. Il ne s'agit pas de paroles, mais bien de chemin spirituel. Que recherchaient, d'une part, les saints ascètes orientaux et, d'autre part, les occidentaux? Ce que les Pères de l'Orient interdisent formellement, sévèrement, avec des menaces et une absolue conviction, c'est justement ce que les ascètes occidentaux recherchent de toutes leurs forces et par tous les moyens.

Mis à part ceux qui étaient dans la séduction, tous les Saints Pères orientaux se sont toujours estimés absolument indignes de toute vision, de tout don, et si contre leur gré ils les recevaient, ils suppliaient Dieu d eleur ôter ces dons, ou bien d eleur donner une garde spéciale pour que ces dons ne soient pas pour eux nocifs ou même la cause de leur perdition. Ils estimaient que tous jusqu'à la fin de leur vie doivent éprouver un profond repentir, car l'homme est un débiteur insolvable devant Dieu. Jamsi il ne "gagnera" assez pour payer sa dette. Il n'a, évidemment, aucun mérite particulier. Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. Tous les débiteurs, dans l'Evangile, supplient que la dette leur soit remise; aucun ne peut la payer, ni celui qui a emprunté 50 deniers, ni celui qui a emprunté 500 et encore moins celui qui a emprunté 10 mille talents. Où sont les mérites compensant ces dettes? A propos des dons reçus par les Apôtres, le Seigneur dit : Vous vaez reçu gratuitement, donnez gratuitement.

Les Saints Pères orientaux disent que si l'homme se met à rechercher les dons de Dieu, le diable remarque sa disposition d'esprit et, avec ruse et malice, il lui montre de grandes choses, l'amène à avoir une haute opinion de lui-même et ainsi il se rend maître de lui si cet homme ne reprend pas ses esprits à temps.

Comme il est facile de tromper ceux qui, comme les ascètes occidentaux, recherchent les états sublimes sans s'être purifiés auparavant, et en ayant gardé les caractères du vieil homme. Tous de viennent des instruments et des jouets dans les mains du diable!

La Parole de Dieu et les Saints Pères disent, forts de leur expérience, que la grâce n'est donnée qu'aux humbles, car ils sont les seuls à pouvoir recevoir les dons de Dieu sans préjudice pour eux-mêmes, puisqu'ils se savent indignes d'eux, et s'ils les reçoivent de Dieu, ils estiment qu'ils leur sont donnés provisoirement, en garde, et qu'ils devront rendre des comptes à Dieu, et parce qu'ils ont supplié Dieu d eleur ôter ces dons.

Le principal est de connaître par l'expérience la nécessité et la valeur d el'humilité. Cela fera comprendre que les Pères orientaux ont raison, et non les occidentaux. Il faut, par exemple, comprendre par l'expérience, l'afformation de saint Isaac le Syrien selon laquelle "celui qui pleure ses péchés est plus haut que celui qui par sa parole ressuscite les morts". Celui qui ne comprend pas cela ne peut pas discuter avec les Occidentaux. Ce ne seront que des joute soratoires, quand les deux parties ne savent rien, se servent de mots qui ne leur appartiennent pas et frappent l'adversaire au mauvais endroit et avec la mauvaise arme.

Que le Seigneur te garde! Nous t'attendons. Amitiés à N.G., et à ous ceux à qui il faut les transmettre. Vois-tu, même la dernière phrase, on peut la comprendre différemment; que dire alors des sujets difficiles...

Apprends l'humilité.

N(ikon). 2 avril 1962. 21h.



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Dieu est vivant - vivante est mon âme!

Cher N.! Ce mercredi 9 mai, je me suis réveillé sans plus aucune douleur; je me suis levé, j'ai pris mon thé, je suis sorti dans le jardin. Je me sens presque tout à fait en bonne santé. J'irai de nouveau aujourd'hui chez le dentiste. C'est cette dent qu'il m'a soignée qui me faisait mal.

Nous nous souvenons que tu as un examen aujourd'hui. Nous te souhaitons de passer aisément tous tes examens - le mensonge et le mal qui prouvent qu'il n'y a pas un enseignement correct, qu'il n'y a pas de moyen correct de vérifier les connaissances des étudiants. Je parle d'abondance, et cela montre que je suis en bonne santé, ce que je souhaite à toi et à tous. Nous avons du soleil, il fait doux, tout le monde reprend vie et s'affaire dans le jardin. Ecris-nous souvent, parle de toi, de V., de son devoir et de tout ce qui peut nous intéresser. Que le Seigneur te garde! Ne tombe pas malade. Si tu as mal aux dents, ne serait-ce qu'un peu, cours chez le dentiste. J'ai eu tort moi-même de n'être pas allé à temps, par paresse, me faire soigner. Nous attendons tes lettres.

Grand'père qui t'aime et autres. 9 mai 1962.



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Cher N.!

J'ai reçu ta seconde lettre. Nous sommes heureux de tes succès, mais ne te surmène pas. Nous clopinons comme nous pouvons. Je veux me faire soigner les dents. Mon coeur bat la chamade, je suis faible. Le désir de vivre me quitte de plus en plus. D'ailleurs, je ne l'ai jamais vraiment eu.

Nous avons eu tous les jours de la pluie, du froid. Aujourd'hui, il ne pleut pas, le soleil brille. On vient d erentrer de la forêt. Le jardin s'apprête à fleurir. Il y aura beaucoup de fleurs sur les pruniers. Le cerisier a poussé près du sol. C'est l'année d ela pomme Apple Kitaïka. La Melba n°... est la meilleure. On en a une récolte chaque année, et les pommes sont tout aussi bonnes ( et même meilleures) que celles du pommier cannelle. Prends soin de toi. Que le Seigneur te protège! Ecris et parle-nous, sans faute, de ce qui te concerne.

N(ikon). 20 mai 1962.



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Cher N., bonjour!

Nous sommes très heureux que tu ailles bien et que tu passes bien tes examens. Le jardin n'est plus en fleurs. Nous regrettons que tu ne l'aies pas vu. Depuis avant-hier, il fait froid, humide et il y a des averses. Diadka est incorrigible. Où donc vont-ils en excursion? Pars-tu aussi? Si tu en as envie, vas-y. M., bien qu'elle eût préféré te retenir, n'est tout d emême pas trop contre. Sache-le.

Quand sera le mariage de I.?

Nous n'avons rien de nouveau. Tout le monde va relativement bien. J'ai quelques petits ennuis cardiaques. Je peux aller doucement, à mon rythme, jusqu'à Senkovo et retour, mais si je fais dix pas rapides, je suis essouflé et je sens une forte douleur dans la poitrine. Mais cela ne me perturbe pas. Toutes les amplitudes se restreignent. La vie ne m'intéresse plus du tout, et puis je compte sur la miséricorde de Dieu.

N'oublie pas d'acheter du papier pour ta thèse.

Prends soin de toi. Nous t'attendons avec impatience.

N(ikon). 2 juin 1962.



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Bonjour N.!

On a reçu ta lettre. Comment le Père I.K. a-t-il "rejeté" tous les "Allemands"?

Que veut-on dire, quand on dit que le sujet sur la signification des commandements "est d'une tonalité trop morale"? On peut artificiellement démembrer à sa guise tout le Nouveau Testament. Ce qui compte, c'est la foi dans les commandements. Je dirais que ce sujet est à l'ordre du jour. Il peut être orienté très ouvertement contre les "Allemands", et en général contre tous les protestants. Mais il frapperait aussi les catholiques, puisque la vision patristique de l'Orient vise la transformation du vieil homme en l'homme nouveau, et non la satisfaction mécanique pour les péchés. Développe ces pensées à V., et qu'il explique ce sujet à ceux qui sont susceptibles de le confirmer.

S'il est rejeté, qu'il leur propose un autre sujet : " L'enseignement du Nouveau Testament sur le vieil homme et l'homme nouveau". Ce sera le même sujet que le premier. Il faudra parler de la mise en pratique des commandements en tant que spécificité de l'homme nouveau. Surmonter le vieil homme se fait par la foi et l'accomplissement des commandements. Une victoire partielle mène au salut, une victoire totale à la perfection chrétienne.

Que signifie "une foi salvatrice" par opposition à une foi "théorique"? Sans la foi on n'est pas sauvé. Il est clair qu'il (K.) devait montrer de façon convaincante la nécessité des oeuvres de la foi, c'est-à-dire de la mise en pratique des commandements.

Si tu veux être sauvé, accomplis les commandements. Si tu veux être parfait, etc... C'est encore le sujet de V. Il est d'une grande actualité pour nous, car la plupart des chrétiens actuels ne comprennent pas la signification de la mise en pratique des préceptes évangéliques. Pour eux, c'est une morale qu'ils rejettent, parce que trop difficile, ou bien ils l'adaptent à leurs passions, leurs désirs, leur vaine agitation - mais dans les préceptes évangéliques, il ne reste rien du Christ. C'est une ruse du diable; il fait périr par là ces soi-disant chrétiens. Il y a deux cents ans, l'évêque Tikhon de Zadonsk écrivait : " Le christianisme s'éloigne peu à peu des gens; il ne reste que l'hypocrisie."

Et à l'heure actuelle, que reste-t-il et en Occident et chez nous? Ces paroles ont été rapportées, il y a cent ans, par l'évêque Ignace (Briantchaninov) dans les lettres à son frère, et il prédit que le monachisme sera bientôt anéanti, et que le même sort attend l'Orthodoxie. Il faudrait que nos chefs réfléchissent sérieusement à cel et en tirent les conclusions qui s'imposent! Au séminaire et à l'Académie on devrait s'occuper non de scolastique, mais d'agir sur le coeur et la volonté, et non sur l'intelligence et la mémoire seulement.

Aujourd'hui nous sommes allés à Senkovo ramasser des champignons. Il n'y en a presque pas, mais il fait un temps magnifique. On est rentrés à trois heures et demie. J'ai pris un bain et me suis mis à t'écrire. J'ai écrit dans la cuisine, j'ai mangé des radis et du radis noir; j'ai bu du thé. Sans stylo, je ne peux écrire qu'au crayon.

N(ikon). 18 septembre 1962.



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Cher N., bonjour!

On a reçu ta lettre, pas très compréhensible. Il est temps que tu saches dans quelles conditions tu te trouves et que tu te comportes en conséquence. De même qu'on ne peut percer le mur de la Laure d'un coup de poing ou retenir de la main le cours de l'eau dans une rivière, de même personne ne peut changer le cours des choses. tout est imprégné de l'esprit de ce monde. Cet esprit agit par l'intermédiaire des gens et même dans l'Eglise, pas seulement dans les écoles de théologie. De la vie dans le monde, inutile même de parler...

Don Quichotte est devenu risible quand sont passés les temps de la chevalerie. Si Don Quichotte était apparu dans le domaine de la religion au temps de l'Inquisition, il aurait été brûlé vif...

Tu te conduis imprudemment.

Tu peux exprimer ce que tu penses de telle ou telle question, mais fais-le calmement, et surtout sans t'en prendre à la personne de ton opposant ou de quiconque. La moindre piqûre d'amour-propre, et tes paroles, si véridiques soient-elles, seront rejetées, et la discussion prendra un tour néfaste, insultant pour la Vérité. Tu ne sais pas mener un débat. Comme presque tout le monde (moi y compris) tu transformes la discussion d'une question en dispute stérile, et souvent en inimitié à l'égard l'un de l'autre. Et la Vérité fuit cette atmosphère.

L'orgueil est la passion la plus enracinée, la plus dissimulée, la plus difficile à déceler et encore plus à déraciner. Dieu Lui-même S'oppose aux orgueilleux, car l'orgueil s'enracine au fond de la personne et la définit, tandis que les autres péchés se trouvent à la périphérie de la personne : ils se voient mieux et s edéracinent plus aisément.

C'est la raison pour laquelle et Dieu et les hommes accordent tant de prix à l'humilité, car l'humilité est un état opposé à l'orgueil, elle supprime l'orgueil. Pour quelle raison la Mère de Dieu a-t-elle été élue et élevée? De qui le Seigneur Jésus-Christ nous demande-t-Il d'apprendre l'humilité? Ou l'homme trouvera-t-il la sérénité et la paix? Dans l'humilité.

Toi-même, si tu es orgueilleux, tu heurteras l'orgueil des autres. Efforce-toi d'être en toutes choses, et surtout en paroles, plus humble. L'humilité triomphe et des démons et des hommes et des bêtes, tandis que l'orgueil les dresse tous contre lui.

Ne sois pas vexé par mes propos acerbes. je ne suis pas bien portant. E.I. est morte. Elle a eu une terrible agonie; c'était afrreux à voir. Les philosophes de la Grèce antique disaient déjà qu'il fallait toute la vie apprendre à mourir. "Souviens-toi de tes derniers instants..." Il nous faut tous être prêts à la mort. Le prince de ce monde prépare un festin qui fera trembler et pleurer tout le monde.

On a donné à V. un sujet sans intérêt, "mécanique" et donc plus facile. Qui ne demande aucune créativité. Il s'agit de transférer d'un contenant vide dans un plus vide. Bien sûr, on peut en tirer quelques connaissances extérieures. L'Evangile, on ne l'aime pas chez vous, on en a peur, c'est pourquoi ils évitent à tout prix d'aborder l'essence du christianisme.

Le thème de la signification des commandemnts évangéliques est d'une telle actualité pour le monde entier, il est si nettement orienté contre les protestants et les catholiques qu'il fallait se féliciter de tout le conseil académique et non seulement le confirmer, mais promettre de participer avec zèle à ce travail. Il s'agit d ela conception authentiquement orientale qu'avaient les saints Pères de la mise en pratique des commmandements, et non de celle dont on vous parle et qu'on vous enseigne en théologie morale. Celle-là est une parodie du christianisme, l'adaptation des préceptes évangéliques à la vie du monde, la vie profane; elle endort l'âme et la pervertit : c'est une ruse du Malin. On ne peut s'empêcher d'évoquer les paroles de Tikhon de Zadonsk, selon lesquelles "le christianisme s'éloigne imperceptiblement des gens, et il ne reste que l'hypocrisie". elles datent d'il y a deux cents ans. Et actuellement, qu'en est-il? L'école de théologie est morte et ne produite que des morts. Bientôt "les morts enterreront leurs morts", ce qui a déjà eu lieu. Seigneur, sauve nous tous!

N(ikon). 23 septembre 1962.



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Cher N.!

On a reçu ta lettre. Le téléphone est réparé.

La santé des uns et des autres est la même. Je me sens sensiblement mieux. Que la volonté de Dieu soit faite! Je n'ai jamais ressenti d'intérêt pour la vie, et moins encore maintenant. Je regrette seulement la séparation d'avec ceux qui vont pleurer ma mort. Mais cela arrive à tout le monde, et tous meurent, comme les feuilles en automne. Le quarantième jour après la mort de N.G., on a trouvé sur sa table un livre ouvert, que personne n'avait touché, avec des remarques de N.G. Un livre très intéressant, d'après Iou. A., qui était présente au repas de funérailles. Si tu rencontres le Père V., demande-lui : peut-être te le donnera-t-il à lire. En général, demande des livres intéressants à lire : je les rendrai.

Que le Seigneur te protège! Sois attentif à toi-même, sois vigilant et souviens-toi de l'adversaire. Protège-toi de tout ce qui est mauvais par le Nom de Jésus, qui fait trembler les forces visibles et invisibles.

N(ikon). 16 octobre 1962.



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N.!

L'homme spirituel est celui qui a acquis en lui l'Esprit Saint, qui est devenu le temple de l'Esprit Saint. Vous êtes le temple de Dieu et l'Esprit de Dieu habite en vous (1 Co 3, 16).

Comment acquérir le Saint Esprit, l'Evangile en parle et également, en détails, les Saints Pères. Vous devez le savoir.

Je vais parler des caractères de l'homme spirituel tel que le décrivent les saints Pères. L'homme spirituel se distingue totalement de l'homme charnel et de l'homme psychique, ce qui est ici presque équivalent. C'est l'homme nouveau, alors que l'homme psychique est le vieil homme. Qu'a-t-il de nouveau? Tout : l'esprit, le coeur, la volonté, son état tout entier, jusqu'à son corps.

L'esprit de l'homme nouveau ( de l'homme spirituel) est capable de concevoir des événements éloignés, le passé et en grande partie l'avenir, de comprendre l'essence des choses, et pas seulement les phénomènes, de voir l'âme des gens, des anges et des démons, de concevoir beaucoup de choses dans le monde spirituel ( de l'au-delà). Nous avons l'esprit du Christ (1 Co 2, 16), dit l'apôtre Paul.

Le coeur de l'homme nouveau est capable de sentir ces états dont il est dit : l'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu et il n'est pas venu au coeur de l'homme (de l'homme charnel, psychique, du vieil homme)...

J'ai écrit "sentir", mais ce n'est pas exact. On pourrait dire : " ressentir", "appréhender"... ces émotions... Mais je m'arrête ici, car ce mot a une nuance subjective. Il vaut mieux dire : ce ressenti par le coeur est si débordant de béatitude, de joie ineffable, qu'il touche toute l'âme de l'homme et celui-ci est empli d'une immense gratitude envers Dieu, Souce de cette félicité, d'amour pour Lui et du désir de supporter pour Lui toutes sortes d'épreuves et de souffrances, pour Lui montrer son amour en réponse et ne pas être privé de ces bienfaits.

Que te rendrai-je, Seigneur, pour tout ce que tu m'as donné? Ainsi la volonté de l'homme nouveau, elle aussi, tend vers l'amour pour Dieu et la gratitude envers Lui, vers le désir de faire la volonté de Dieu et non la sienne.

En un mot, l'homme qui a acquis le Saint-Esprit se renouvelle entièrement, devient "autre" - d'où le beau vocable russe "moine" (1) -,

(1) : ( En russe "autre" se dit "inoï" et "moine" se dit "inok" (NdT).)

et par son esprit, et par son coeur, et par sa volonté.

Le corps de l'homme spirituel se transforme lui aussi, il devient partiellement semblable au corps d'Adam avant la chute, apte à des sensations et à des actes de nature spirituelle ( la marche sur les eaux, la capacité de rester à jeun, de se déplacer sur de grandes distances, par exemple).

L'état spirituel procure à l'homme une béatitude que l'apôtre Paul exprime ainsi : il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée en nous (Rm 8, 18). Et saint Séraphim, en accord avec les anciens Pères, dit : si l'homme connaissait ces états de béatitude qui existent dès ici-bas et plus encore dans la vie future, il accepterait de vivre mille ans dans une fosse remplie de serpents qui lui rongeraient le corps, dans le seul but d'accéder à ces états.

Voilà donc, dit brièvement, ce qu'est l'homme spirituel et, en conséquence, la spiritualité. Dans le sacrement du baptême et de la chrismation, la personne se revêt du Christ et de l'Esprit Saint, et il dépend de sa volonté, par une vie conforme aux préceptes évangéliques, de faire "lever" son être tout entier par le levain du Royaume de Dieu, le levain de l'Esprit Saint, et de devenir définitivement un homme nouveau à l'image de Jésus-Christ, ou bien au contraire d'étouffer tout par une vie conforme au vieil homme.

L'homme psychique ne reçoit pas les choses de l'Esprit de Dieu parce qu'il estime qu'elles sont une folie (1 Co 2, 14). Cela, nous le voyons à chaque pas car nous-mêmes et ceux qui nous entourent ne sommes pas spirituels; nous sommes psychiques, nous sommes dans l'état du vieil homme. Dans le meilleur des cas, nous nous reconnaissons comme tels, nous combattons, désirant devenir spirituels, mais ne faisant pas le nécessaire pour le devenir. Nous pouvons, au demeurant, apprécier les hommes spirituels, mais nous ne pouvons pas les connaître vraiment, les comprendre, et si nous jugeons qu'ils sont spirituels, c'est par ouï-dire, et bien souvent par erreur. L'homme charnel, il convient de le placer au-dessous de l'homme psychique. L'expression "vieil homme" peut s'appliquer à l'un comme à l'autre : tous les deux sont "vieux", ils ne sont pas rénovés. Cependant, l'homme charnel est plus grossier que l'homme psychique, plus matériel, il croit moins fort en Jésus-Christ et souvent il ne croit pas du tout, et il n'a aucune notion de ce qu'est le domaine spirituel (Ga 5, 19-21).

Je ne sais pas si cette exlication vous satisfera. Ecris-moi, dis-moi ce que tu en as pensé, ce qu'en ont pensé les autres.

Les gens de ce monde (les hommes psychiques et charnels) appellent "spirituel" celui qui a la dignité de prêtre ou bien le moine, ou même n'importe quelle personne qui s'est mise à lire les Psaumes, à fréquenter l'église et à lire des livres pieux. L'exposé ci-dessus, montre combien cela est erroné. De même, bien des livres passent pour être "spirituels" du fait que certains thèmes de spiritualité y sont traités.

En réalité, des livres spirituels, il n'y en a quasiment pas. Il n'y a que la Sainte Ecriture et les écrits des Saints Pères. C'est grâce à eux que l'on peut comprendre un peu, sur la base de l'expérience, ce que signifie le mot "spirituel". Compare les écrits d'Ignace (Briantchaninov) avec ceux des professeurs de théologie actuels : quelle criante différence! Tu l'as bien senti toi-même.

Le festin dont j'ai parlé se prépare en force. Dès que cela commencera, sans hésiter une seconde, rejoins-nous ici, pour vivre ou mourir ensemble.

Je vais réellement mieux, mais mon coeur n'est pas toujours sage et j'ai parfois des douleurs dans la poitrine...

Voici encore des textes qui confirment ce que je dis : Les voilà, les êtres psychiques dépourvus de l'esprit ( pourquoi le mot "esprit" paraît-il ici sans majuscule?) (Jude, 1, 19).

Cette sagesse n'est pas celle qui vient d'en haut, mais elle est terrestre, psychique, démoniaque ( Jc 3, 15). Ce mot "psychique" vient du grec.

Par le mot "psyché", les Grecs désignaient la partie inférieure de l'âme de l'homme, commune avec les animaux. La partie supérieure est désignée par le mot nous, qui signifie l'intellect.

Dans les écrits des saints Pères, il est beaucoup question de la spiritualité, de la déification de l'homme, du fait que l'homme devient dieu par grâce; il y est également question de l'état charnel et de l'état psychique.

Hélas! Les personnes charnelles et psychiques n'ont pas de goût pour les livres de spiritualité. Et si elles ne lisent que par leur intelligence, elles restent froides et affamées; elles ne saisissent pas la force de ce qui esr écrit, elles abandonnent la lecture pour se tourner vers les docteurs en théologie, notamment les protestants.

De ce que j'écris là ne tire pas la conclusion que j'ai connu la spiritualité de l'homme par expérience. Non. Mais à celui qui cherche, le Seigneur, fidèle à Sa parole, donne à goûter ( surtout au début du chemin) un peu des biens futurs, afin d'encourager cette personne à chercher davantage; Tous le disent.

Mais nous, qui avons connu certaines choses, "comme des chiens, nous revenons à notre vomi", et nous perdons ces biens célestes. Reste (et seulement chez certains) la nostalgie du paradis perdu, mais pour le retrouver, on ne fait ni efforts ni actions. C'est une nouvelle raison de pleurer son état de péché, sa trahison envers le Seigneur par ses actes...

Prends soin de toi. Que le Seigneur te protège contre les choses charnelles et contre le diable. Viens. Nous t'attendons, et nous sommes toujours heureux de te voir.

Quelqu'un que tu connais. 25 octobre 1952.



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N.!

On a reçu tes lettres. Je vais répondre brièvement à certains passages.

1) Il faut quitter la L.

2) D'où vient cette pensée saugrenue : " L'homme ne peut pas faire le bien par ses propres forces, non pas à cause de la chute, mais de par la nature même, qui lui a été donnée à la création"?

Un chrétien qui émet une telle pensée n'est pas dans un état normal. Quel sens alors donner aux commandements? Car le bien, c'est l'accomplissemet des commandements de Dieu. Comment poser comme condition du salut l'accomplissement des commandements, si, de par sa nature, l'homme est incapable de les accomplir?

Avant la chute, l'homme était libre dans le choix et l'accomplissement du bien. Après la chute, l'homme est devenu l'esclave du péché. Saint Syméon le Nouveau Théologien dit que l'homme après la chute a perdu la liberté de faire le bien; il ne lui est resté que la liberté de choisir le bien, de préférer le bien, de désirer faire le bien. Pour cela, l'homme doit se tourner par la prière vers Dieu, demander que Dieu lui donne les forces de faire le bien qu'il souhaite faire. Isaac le Syrien dit de même.

On supplée aux manquements dans l'accomplissement des commandements par la contrition du coeur.

J'oserai dire que la contrition du coeur, que pleurer ses manquements aux préceptes divins, a plus de prix que l'accomplissement des commandements par sa propre volonté, qui risque de conduire à l'arrogance et à l'orgueil, lesquels anéantissent le bien. La contrition du coeur remplace ( de par la miséricorde de Dieu) la mise en pratique des commandements et retient la personne dans l'humilité, sans laquelle tout acte est vaine agitation et même source de perdition.

Tu demandes si la pensée de l'évêque Théophane (le Reclus) selon laquelle "la grâce n'agit que sur l'intelligence et le sentiment, tandis que la volonté de l'homme, elle, reste intouchable" est juste.

Il est communément admis que le Seigneur (la grâce) ne force pas la volonté de l'homme. Le bien produit par la contrainte n'est pas le bien. Sous cet aspect, la pensée de l'évêque Théophane est juste. Cependant, tout en acceptant l'idée que la grâce agit sur l'intelligence et le sentiment - et cela a réellement lieu pour le salut de l'homme, pour l'aider à trouver la vérité et le salut -, il convient de limiter la pensée de Théophane. L'âme de l'homme n'est pas constituée de parties indépendantes l'une de l'autre : l'intelligence, le sentiment, la volonté... Il n'y a qu'une seule essence. La purification, par la grâce, de l'intelligence et du coeur va agir sur l'âme tout entière, et par conséquent sur la volonté aussi. L'intelligence des ascètes, qui voit clairement la vérité et les conséquences des péchés, leur coeur qui tend vers Dieu, n'aideront-ils pas la volonté à choisir la voie du salut, le chemin vers Dieu, et à rejeter la voie qui mène aux ténèbres, au mal, à la perdition? Cela veut dire qu'il y a une action indirecte sur la volonté.

On peut répéter encore ce qui a été dit plus haut : si l'homme voit le bien, le préfère au mal, s'il veut s'engager sur la voie du bien, il doit demander à Dieu de l'aider à accomplir ce qu'il désire, et pour ce qu'il n'a pas fait, couvrir ce manquement par une contrition du coeur. A propos : nous employons ces termes "contrition du coeur", "pleurs de componction", mais ce qu'ils sont et comment ils agissent, nous le savons à peine ou trop peu. Il en est ainsi dans les autres cas : nous employons des mots sans bien concevoir leur force.

Nous te conseillons vivement de consacrer un peu de temps à ta thèse. Le temps passe. C'est bête d eperdre du temps pour rien. Le théâtre est du paganisme : il agit sur l'épiderme tandis que l'âme se languit... Félicite I. Que Dieu lui donne la sagesse spirituelle. Qu'il ne dise rien au milieu des aînés, rien d ece qu'il ne connaît pas intégralement. Il vaut mieux tenir sa langue!

Chez nous, tout est comme avant. Nous t'attendons. Prends soin de toi. Que le Seigneur t'éclaire pour tout bien!

N(ikon). 29 ctobre 1962.



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Cher N.!

Aujourd'hui, on a reçu ta lettre (...) dans laquelle tu parles de la sainteté de l'Eglise. Mais avant d'analyser pourquoi elle est sainte, il faut donner une définition ou une notion de ce qu'est l'Eglise.

Qu'est-ce que l'Eglise? On sait que l'Eglise est le Corps du Christ (Eph 5, 23; Col 1, 24). Le chef de l'Eglise est le Christ (Eph 5, 23; Col 1, 18). Pour Dieu il n'y a ni passé ni futur, il n'y a que le présent. Il (Dieu le Père) nous a élus en Lui (dans le Christ) avant la création du monde, nous ayant prédestinés à devenir Ses enfants par Jésus-Christ en qui nous avons la rédemption par Son sang, le pardon des péchés, par la richesse de Sa grâce (Eph 1, 4-7).

Ceux qui croient en Jésus-Christ, par le sacrement du Baptême, entrent dans l'Eglise comme membres, et dans le sacrement de l'Eucharistie ils se fondent avec le Seigneur en un même Corps et un même Esprit. Si l'homme ne renie pas le Seigneur par ses paroles et ses actes, s'il s'efforce de vivre selon les préceptes évangéliques, se repent de ses transgressions, il est réellement (non potentiellement) saint, il est un membre de l'Eglise, un membre du Corps du Christ.

Si, par des péchés grossiers et conscients, il se sépare momentanément de l'Eglise, par le repentir ( "le second baptême"), il peut revenir dans l'Eglise. Ainsi, le confesseur dit cette prière sur la tête du pénitent : " Pacifie-le et réunis-le à Ta sainte Eglise." Si le pécheur ne se repent pas, il reste à l'écart de l'Eglise.

L'homme est saint par l'image et la ressemblance de Dieu qui sont en lui, et parce que dans le sacrement du baptême il a revêtu le Christ, et il est superbement saint quand il communie aux Saints Dons, le Corps et le Sang du Christ.

S'il lutte contre le péché, s'il est blessé et persévère dans sa lutte, s'il se repent et demande pardon et secours à Dieu, il est alors un saint soldat du Christ; dans son combat contre le péché, il acquiert des trésors spirituels qu'il n'aurait pas pu acquérir par un autre moyen. Tout comme le corps de l'homme rejette, par le moyen d'un abcès, tout corps étranger, le Seigneur rejette de Son Eglise ceux qui lui sont étrangers, ou plutôt ce sont eux qui la quittent. C'est pourquoi l'Eglise est toujours sainte. Elle est le Corps mystique du Christ. Elle est la colonne et le fondement de la Vérité. La raison, faussement appelée ainsi, ne peut concevoir cela. La foi est nécesssaire. "Je crois en l'Eglise une, sainte, catholique (1) et apostolique."

(1) : ( Catholique : Au sens de "universelle", et non au sens de "catholique romaine" (NdT).).

Celui qui veut connaître par l'expérience les mystères du christianisme doit tendre toutes ses forces dans l'ascèse spirituelle et non se contenter de comprendre par l'intelligence. Voilà quelques réflexions sur le sujet proposé.

Je ne suis pas étonné d'apprendre que les professeurs bulgares ( comme beaucoup des nôtres, sinon tous) se nourrissent d'écrits protestants et même adoptent leurs points de vue. Le protestantisme, c'est la rationalité, les connaissances extérieures, tandis que l'Orthodoxie, c'est la vie mystique en Christ. Mais les gens sont devenus des morts.Il est plus aisé de raisonner que de travailler, que de lutter contre le vieil homme, de prier, etc. "Le christianisme, peu à peu, s'éloigne des gens et il ne reste que l'hypocrisie." Ce sont les paroles de l'évêque Tikhon de Zadonsk, cités par l'évêque Ignace (Briantchaninov). Ecris, je te prie, ce que veut dire : "il travaille sur Ignace".

Que le Seigneur te garde! Tout, chez nous, est comme avant. Je me sens beaucoup plus fort. Ma déglutition est la même. Prends soin de toi!

N(ikon). 4 mars 1963.



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Cher N.!

Quoique avec retard, mais je te souhaite une bonne Fête et un bon anniversaire. Je ne me suis pas senti très bien ces derniers temps, et je n'arrivais pas à me forcer à prendre la plume.

Tu viens d'avoir 25 ans. Tu es déjà pleinement adulte. Dans sa jeunesse, on fait une grande erreur en remettant à plus tard ce qu'il faut faire tout de suite en y tendant de toutes ses forces.

Il en résulte que l'on vieillit, les circonstances évoluent peut-être dans le mauvais sens, la santé vous fait défaut, et là, on ne fait pas ce qu'on devait faire, ce à quoi vous appelait le Seigneur, qui paraissait clair et à l'intelligence et au coeur. Il ne reste qu'une chose : regretter d'avoir gâché sa vie et se repentir.

Des pensées vous viennent : si l'on pouvait recommencer sa vie, on ne ferait plus certaines erreurs. C'est tout à fait faux. Comme dans la graine de la pomme est inclus potentiellement tout le pommier, de même chaque individualité est quelque chose d'immuable dans son essence.

On peut et on doit changer l'aspect extérieur, empirique, ancien, et lui substituer l'aspect neuf, conforme aux commandements évangéliques.

On peut donc en tirer une loi générale : à tout âge, dans toute circonstance, dans tout genre de travail, il faut agir selon l'Evangile. Il n'y aura pas, alors, d'erreurs, de regrets posthumes, de repentir. Grâce à la mise en pratique des commandements évangéliques, la personnalité de l'homme, l'image de Dieu en lui, son essence nouménale va grandir, se reconnaître comme image de Dieu, s'opposer au monde extérieur et s'élever au-dessus de lui. Il établira un lien réel, parfaitement conscient et ressenti avec Dieu, un lien si solide qu'aucune tempête, aucun ouragan qui se déchaînent sur le monde ne lui feront perdre son équilibre.

La conclusion de cette péroraison : dès aujourd'hui, mets-toi à te surveiller de près, ne transgresse, autant que possible, aucun des préceptes de l'Evangile - ni par ta langue, ni par ta vue, ni par ton ouïe, ni par ton toucher, etc...

A celui qui sera fidèle dans les petites choses sera donnée la maîtrise de beaucoup de choses. Et ne juge personne. Méfie-toi de la vanité comme du serpent le plus venimeux, qui peut tuer, anéantir tout le trésor spirituel que tu auras amassé.

Tel est mon conseil pour ce jour de tes 25 ans, un conseil pour toute ta vie. Comment sera-t-elle extérieurement parlant? Que la volonté de Dieu soit faite, mais il faut toujours, par son activité, ses pensées, par son coeur, être avec Dieu. Dans ce cas, tout sera bien. Tu vois combien les choses de ce monde changent à vue d'oeil. Ce qui semblait le plus solide, la science, nie aujourd'hui ce qu'elle affirmait hier. L'art ets devenu vénal, il sert les passions. On ne peut compter sur les gens. Le seul fondement solide, c'est Dieu; en Lui seul sont la raison, la paix, la joie. Il est le rocher indéfectible contre l'océan de la vie.

Comme je voudrais que tu reçoives ces mots non pas seulement par tes oreilles, mais par toute ton existence. Cela te procurerait le salut, la liberté par rapport aux gens et aux circonstances, et une vie paisible au milieu de l'océan de la vie. Je parle du fond du coeur et de toute ma force. Je te conseille de réfléchir et aussi d'agir. C'est en effet cela même que nous a commandé le Seigneur Jésus-Christ! Je ne fais que te le rappeler. Si nous croyons en l'existence de Dieu et de Son Fils, nous devons croire en Ses paroles comme en une loi imprescriptible, une loi qui donne, si on la respecte, et le bien-être et le salut. Amen.

N(ikon). 29 mars 1963.



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Cher Père Raphaël!

J'ai reçu votre lettre contenant le pardon chrétien de mes péchés et de mes injustices à votre égard!

Il faut avoir vécu soixante ans pour non seulement comprendre mentalement, amis pour sentir que j'ai été chassé de Jérusalem, attaqué et blessé par des brigands, que je suis incapable et impuissant à faire quoi que ce soit de bien sans y mêler du mal, que seul le Bon Samaritain peut me sauver, si je Le supplie de me sauver.

A la lumière de cet état de mon âme, toute ma vie passée m'apparaît comme une série de chutes, de transgressions des commandements évangéliques, que j'ai dénaturés, même quand je croyais agir en chrétien.

En particulier, mes relations avec vous ont été entachées d epéché, comme toute ma conduite. Voilà pourquoi je vous ai sincèrement demandé pardon et je vous remercie de tout mon coeur pour votre pardon "pour tout".

Il y a longtemps que d emon côté je vous ai pardonné et je confirme par cette lettre : que le Seigneur vous pardonne toutes vos fautes volontaires et involontaires perpétrées contre moi, et de tout mon coeur je vous pardonne.

Je vous souhaite paix, salut, et un retour proche au service de la Sainte Eglise.

L'indigne hiéromoine Nikon. 16 septembre 1953.



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Cher et vénéré Père Mélèce !

A vos indispositions personnelles est venue s'ajouter une grande douleur. J'ai entendu dire que Matouchka (1) A. est malade; elle souffrait pour vous, et maintenant vous souffrez l'un pour l'autre. Que le Seigneur vous aide et vous donne la patience. Chers père M. et Matouchka A., bien que les jugements de Dieu nous soient cachés, le Seigneur a révélé ce qui est bénéfique à ceux qui recherchent le salut, à Ses saints, lesquels ont noté ces révélations, pour notre réconfort et notre édification.

Ainsi les saints nous expliquent que dans les temps derniers, il n'y aura plus de monachisme - plus du tout, ou seulement une apparnce - sans les oeuvres.

Il n'y aura plus d'exploits ascétiques personnels chez ceux qui recherchent le Royaume de Dieu. On ne fera son salut que par l'endurance devant les maladies et les épreuves. Pourquoi ne fera-t-on plus d'exploits? Parce que les gens n'auront plus d'humilité, et sans l'humilité, les exploits apportent plus de mal que de bien; ils peuvent même causer la perdition de celui qui se prend d'une haute opinion de lui-même et tombe dans la séduction diabolique. Ce n'était que sous la direction de personnes spirituelles expérimentées que l'on pouvait s'adonner à des exploits, mais ces personnes n'existent plus, on n'en trouve plus. La direction maintenant appartient au Seigneur Lui-même, et dans une certaine mesure aux livres, pour ceux qui les possèdent et qui les comprennent. Comment le Seigneur dirige-t-Il? Il permet les persécutions, les outrages, les maladies, une longue vieillesse avec toutes ses misères.

Dans la parabole sur le maître qui embauche des ouvriers, il est dit que ceux qui ont commencé à la onzième heure ont reçu le même salaire que ceux qui ont commencé à la onzième heure ont reçu le même salaire que ceux qui ont travaillé toute la journée. Cette parabole s'applique à nous, moines d'aujourd'hui et chercheurs du Royaume, qui avons passé dans la négligence toute la "journée" de notre vie. Toutefois, dans Son extrême miséricorde, le Seigneur nous appelle, au terme de notre vie, à travailler dans Sa vigne par la patience, l'endurance devant la vieillesse, les maladies, la perte des êtres chers ou les souffrances. Si nous supportons sans nous plaindre ces peines, à nous aussi cette courte période de souffrance sera comptée comme aux ouvriers de la onzième heure, comme si nous avions fait des exploits toute notre vie. Plus encore : Antoine le Grand, Abba Iskhirion et d'autres encore affirment que ceux qui ont fait leur salut dans les temps derniers par leur endurance aux épreuves seront glorifiés et élevés plus haut que les anciens Pères.

Chers Pères M. et M(atouchka) A., il est clair que le Seigneur vous aime et veu vous glorifier en vous envoyant des épreuves et des maladies. Donc, gardez courage, supportez le Seigneur et Il vous descendra de votre croix pour vous placer dans la gloire de Ses enfants, dans la Pâque éternelle et la joie indicible, où toutes les épreuves de la vie terrestre seront oubliées.

Saint Séraphim de Sarov le thaumaturge, en accord avec les anciens Pères, disait que si l'homme savait quelle félicité attend ceux qui cherchent leur salut, il serait prêt à vivre mille ans dans une cellule remplie de vermines grignotant son corps, pourvu qu'il ne soit pas privé de cette félicité.

Vous gagnerez vos âmes par votre endurance. Que le Seigneur vous aide à porter jusqu'au bout les croix qui vous sont envoyées. Amen.

Avec une profonde compassion, le souhait et l'assurance de votre salut.

L'indigne hiéromoine Nikon. 1er février 1958, ville de Gjatsk.



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Cher Père Mélèce!

J'ai reçu une lettre de vous. Pardonnez-moi d'avoir tardé à vous répondre. Tantôt les travaux, tantôt les absences m'ont fait perdre beaucoup de temps, et surtout, si j'ai du mal à vous écrire, c'est parce que vous êtes beaucoup plus expérimenté que moi, vous avez eu plus d'épreuves, vous en savez plus long que moi. Que peut dire d'utile et d eréconfortant un homme qui a vécu toute sa vie dans la vaine agitation et la soumission à s apropre volonté? Mais à votre requête, je vais tenter de partager avec vous ce qui me frappe et me console : l'immensité de l'univers a été créée par Dieu - quelle est donc Sa Toute-puissance! Tout dans l'univers en général et dans ses parties (par exemple, l'organisme huamin) jouit d'une divine harmonie - quelle doit donc être la Sagesse de Dieu! Si tout est harmonieux dans le monde créé par Dieu, il doit y avoir une harmonie (une correspondance) dans les propriétés de Dieu. Et combien grande est la puissance de Dieu, combien grande Sa Sagesse, combien grandest aussi "le coeur de Dieu", c'est-à-dire l'amour de Dieu.

Cet inconcevable amour, nous le voyons dans l'incarnation du Fils de Dieu, le Seigneur Jésus-Christ, dans l'acceptation des soufflets, des crachats, des coups, de tous les outrages, et enfin de la crucifixion. Inconcevable, infiniment grand est l'amour de Dieu. Le monde angélique tout entier s'est troublé en voyant l'incarnation et la crucifixion du Créateur de l'univers par amour pour le genre humain déchu.

L'apôtre Jean affirme, par le Saint Esprit, que Dieu est amour, et non qu'il a d el'amour, si infiniment grand soit-il. L'Amour couvre tout, dit l'apôtre Paul. Il couvre également nos péchés, nos insuffisances, nos faiblesses, nos impatiences, nottre rétivité, etc...

Il suffit que le croyant en Christ prenne conscience de ses faiblesses et de ses péchés et qu'il demande pardon pour que l'amour de Dieu lave et guérisse ses plaies dues au péché. Les péchés du monde entier se noient dans l'amour de Dieu, comme une pierre que l'on jette dans l'eau.

Il ne doit pas y avoir de place pour le découragement, l'absence d'espérance, le désespoir! Le Seigneur a lié la nature humaine à Son essence divine, Il a lavé de Son sang tous les péchés de l'humanité croyante. Il a adopté comme Ses enfants les hommes déchus, Il les a élevés jusqu'au Ciel en les faisant participants à Sa vie divine, à la joie, la joie pour les siècles des siècles.

Les épreuves d'ici-bas, de cette terre, les maladies, les misères de la vieillesse seront une source de joie dans la vie future. Si le Seigneur a souffert pour nous, comment ne serions-nous pas, ne serait-ce que dans une infime mesure, participants aux souffrances du Christ? Notre âme, l'image de Dieu qui est en nous, désire être participante aux souffrances du Christ, mais notre faiblesse, notre pusillanimité les redoutent, bien que peut-être nous aurions assez de forces pour les supporter.

Et voilà pourquoi le Seigneur, par amour pour nous, nous envoie - selon les forces de chacun - des épreuves et des maladies; mais il donne aussi la patience de les supporter, afin de faire de nous les participants à Ses souffrances. Celui qui n'aura pas souffert pour l'amour du Christ, celui-là aura des remords dans le siècle futur, comprenant qu'il aurait pu montrer son amour au Christ en endurant les épreuves, alors qu'il ne l'a pas fait, préférant éviter et fuir toutes les souffrances.

Nous aurons des remords de n'avoir pas répondu par notre amour à l'amour de Dieu.

Au contraire, remercions le Seigneur de tout notre coeur pour tout ce qu'Il veut bien nous envoyer. Ce n'est pas par colère, ni pour nous châtier, que le Seigneur nous envoie des souffrances, c'est par amour pour nous, bien que ni tous ni toujours nous ne comprenions cela. Pourtant il est dit : remerciez pour tout. Il faut se livrer de toute son âme à la volonté de Dieu, car elle nous sauve, elle nous aime et désire, à travers les petites épreuves de la vie terrestre, nous amener à la félicité éternelle, à la gloire des enfants de Dieu.

Que cela soit, que cela soit pour nous tous. Amen.

Pardonnez-moi, cher Père, d'avoir osé écrire ainsi. Que le Seigneur éveille dans votre coeur d ela gratitude envers Lui, une grande piété et de vous livrer entièrement à Sa sainte volonté, prêt à tout supporter par amour pour Lui.

Amitiés à Matouchka A., à E.E. et à tous ceux qui vous entourent.

N(ikon). 20 mai 1958.



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Chère L.!

J'ai reçu une lettre de vous et j'ai été très touché par ces mots : " je vais vous écrire mais je ne vais pas attendre de réponse, et si j'en reçois une, je me sentirai le coeur en fête". Je ne peux certes pas intégrer l'idée que mes lettres puissent inspirer à qui que ce soit une humeur de fête, mais ces paroles obligent involontairement à vous répondre quelques mots. Je suis très touché et très reconnaissant de votre confiance. Mais vous vous trompez quand vous croyez que je suis toujours aussi occupé que quand vous m'avez observé. C'étaient les journées qui m'y obligeaient. A d'autres moments, je suis beaucoup moins occupé et hélas! je passe mes journées dans la paresse. Je vous dirai qu'un jugement sévère m'attend dans l'avenir, du fait que je parais meilleur que je ne suis en réalité. Apparemment, il y a chez moi de la ruse ou de l'hypocrisie - peut-être inconscientes (je pense qu'elles ne sont pas conscientes) -, qui font que les gens me croient meilleur que je ne suis. Cela, l'Apôtre Paul lui-même le redoutait. Pardonnez-moi!

Sur le chemin spirituel, il y a un moment qui a été décrit - brièvement, certes, mais précisément - dans le tome 2 des oeuvres d'Ignace (Briantchaninov) à la page 373, par Grégoire le Sinaïte. Lisez ce passage et tout ce qui l'explique, plus haut et plus bas. Je pense que l'homme qui n'a pas lui-même vécu ce moment ne comprendra jamais l'essentiel de la vie spirituelle, jamais il n'acquerra la contrition du coeur, les pleurs, la vraie prière. C'est pourquoi, de quelque costume qu'il se vête, tout sera toujours extérieur; il n'y aura pas de transformation intérieure, tout restera dans l'homme extérieur.

Ce moment est patent. Il faut que non seulement vos propres passions, mais les gens eux-mêmes vous insultent pour que l'on voie que ces insultes ont un fondement, que l'on n'est bon à rien, que l'on ne peut pas se corriger soi-même; alors on se tournera sincèrement vers son Sauveur, on pleurera devant Lui comme la prostituée ou l'enfant prodigue; on restera prostré à Ses pieds jusqu'à ce que l'on entende dans son coeur une voix disant : "Tes nombreux péchés te sont pardonnés", va, combats, endure, apprends la voie spirituelle, apprends à prier sans cesse, pleure dans ton coeur, demande de ne pas tomber aux mains des brigands, etc... A partir de ce moment-là, l'homme ne portera que peu d'opinion aux opinions des gens, même des plus proches, opinions qu'auparavant, il prisait beaucoup. Il ne visera qu'une chose : que le Seigneur ne le condamne pas, ne le prive pas de Sa miséricorde, de Son secours; il ne s'efforcera que de Lui plaire.

Pardonnez-moi. Si vous le jugez utile, je vous prierais de lire ce passage dans le livre, de le méditer et d ele prendre en compte. Je dirai encore ceci : il faut être absolument sincère devant le Seigneur, ne jamais minimiser ou justifier ses péchés, ne jamais leur chercher d'excuses et au contraire, s'accuser et dire : " Aie pitié, Seigneur, de celui que je suis, mauvais et bon à rien, et sauve-moi."

Prenez soin de vous. Amitiés à tous.

N(ikon). 19 décembre 1946.



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Chère L.!

J'ai reçu de vous plusieurs lettres, et ne vous ai pas encore répondu. Pardonnez-moi. Je suis pour l'instant enfermé dans ma chambrette, je ne célèbre pas; je n'ai envie d'aller nulle part et je ne connais pas la volonté de Dieu me concernant. Les gens d'ici et de Bélev ne me laissent pas partir loin, et près d'ici il n'y a pas de poste; c'est pourquoi je reste ici, et on verra plus tard.

Chère L.V., je veux réagir à votre phrase : " L. a laissé tomber une partie de ses cours, et elle s'en trouve mieux; les leçons de calcul n'avancent pas." Je me souviens vous avoir déjà écrit à ce sujet. Je vais vous dire un avis qui n'est pas le mien. Si les commandements se résument à deux : l'amour pour Dieu et pour le prochain, et si l'amour s'acquiert par la pratique des commandements donnés dans l'Evangile, il faut alors acquérir les connaissances qui vous conduisent par la voie la plus courte et la plus facile à la pratique de ces commandements. A l'homme de ce monde, il suffit d'une pratique physique; pour ceux qui sont en recherche, il faut ajouter à cela une pratique intérieure. Le Seigneur Lui-même a résumé en deux mots en quoi elle consiste et ce qu'il faut faire dans les temps difficiles : veillez et priez (Mc 13, 33). Il n'est pas dit à quels moments, mais : toujours. Veillez, c'est-à-dire : se surveiller, surveiller ses pensées, ses paroles, ses sentiments, chasser par la Prière de Jésus ( ce qui est dit par le second verbe) tout ce qui contredit l'Evangile. Si ces actions sont menées, elles suppléent à tout, bien que d'autres actions puissent également être envisagées. L'effort constant pour dire la Prière de Jésus est la meilleure preuve que l'on veut être avec le Seigneur, que l'on veut accomplir Son commandement.

Même au cours du service divin, le publicain ne prononçait que cinq mots - et il est reparti justifié. Les Saints Pères disent que l'on peut remplacer toutes les prières par la Prière de Jésus.

On ne dira correctement cette prière que lorsqu'elle se conjuguera étroitement avec le repentir, lorsqu'elle sera l'expression de la contrition d'un coeur pleurant son indignité, son péché, la conscience de transgresser constamment les préceptes évangéliques. La prière du publicain était justement l'expression de cette contrition du coeur. Prenez cela en considération. Ce n'est pas en répétant oralement la prière de Jésus que l'on obtient un résultat, c'est en déversant la désolation de son coeur; c'est alors qu'elle suscite et l'attendrissement et le réchauffement du coeur, et qu'elle devient légère... La pratique selon nos forces des commandements évangéliques, à l'extérieur et à l'intérieur, la veille et la Prière de Jésus pleine de contrition, telle est l'arme invincible et la seule qui soit accessible pour notre temps. Cette action retient l'homme dans une tension spirituelle permanente; elle n'est liée ni à des livres, ni à des conditions de logement, ni même à l'état de santé. Elle est possible partout et toujours - hormis, peut-être, quand on est plongé dans un travail qui exige une grande attention.

Je vous souhaite de comprendre cela et de vous y exercer. Fixez-vous une règle, compatible avec vos forces et vos conditions de vie, et pour le reste, à toute heure, jour et nuit, pratiquez la règle du Seigneur Jésus-Christ : veillez et priez, car par cette action vous vous rendrez capable d'éviter les malheurs à venir, matériels et spirituels.

Mes amitiés à T.N. et S.D. Je suis fautif vis-à-vis d'eux, n'ayant pas écrit depuis longtemps. J'avais l'intention de venir, mais mon voyage a tout le temps été remis. Je leur demande pardon. Je leur souhaite une bonne santé et toutes sortes de bien-être. Mon coeur tend très fort vers T.N. Je voudrais beaucoup la revoir, mais je ne sais pas quand je pourrai venir. Il semblerait qu'il n'y ait pas d'obstacles majeurs, mais je n'arrive pas à bouger. J'ai reçu des lettres de T. Iv. Je m'apprête à lui écrire aujourd'hui. D'après ses lettres, elle semble aller bien. Amitiés à tous. Pardonnez-moi, chère L.V.

N(ikon) qui vous respecte. 1er février 1948.



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Chère L.V.!

Merci pour vos lettres, merci de ne pas nous oublier et ne nous en voulez pas pour notre silence.

Je suis désolé que N. soit tombée malade; espérons que tout se résoudra au mieux. On a pitié de N.M. : on sait que toute sa vie est dans sa fille. Je ne suis pas sûr qu'elle croie en la vie future. Que le Seigneur la console et lui inspire ce qui est bien. Pour celui qui ne croit pas ou qui doute, il semble que le principal est de croire ou de se persuader que Dieu existe. Ils ne savent pas encore que l'on peut croire, être convaincu de l'existence de Dieu - tout comme les démons, qui croient en Dieu et tremblent devant Lui, mais qui ne se soumettent pas, ne s'humilient pas, et s'opposent avec une haine farouche à la volonté de Dieu. Pauvres gens, pauvres aveugles. Ils ne voient pas, ne connaissent pas, ne sentent pas le monde spirituel, vendent pour le plat de lentilles de la vie du monde tout leur droit d'aînesse, l'honneur insigne et la dignité d'être les enfants de Dieu.

J'ai toujours été convaincu - et je le suis encore à ce jour - qu'à celui qui désire vivre selon la volonté de Dieu ( ce qui veut dire : selon les commandements), il sera forcément donné de croire, et même plus, de se convaincre, par l'expérience, de l'existence de Dieu et du monde spirituel. Ainsi parle Jésus-Christ : cherchez le Royaume de Dieu et tout (ce dont vous avez besoin dans la vie matérielle) vous sera donné par surcroît. Il y a beaucoup d'exemples - et ma vie personnelle en est un - qui le prouvent. Malheureusement, on ne peut convaincre personne sans qu'il le veuille et qu'il y mette tous ses efforts. On a compassion de S., dont presque toute la famille est indifférente à la religion et même à la philosophie.

Transmettez ma sincère compassion à.N. M. dans son épreuve. Je voudrais bien venir, mais cette année comme dans les deux précédentes, des travaux sont effectués chez nous et il est impossible de s'absenter. Peut-être cet automne, je réussirai à venir, mais je voudrais beaucoup voir ma filleule; or, elle ne sera pas chez elle cet automne, si elle se remet.

Comment allez-vous? Comment vous portez-vous? Mes amitiés à tous. Que le Seigneur vous bénisse tous. Je vous remercie encore pour vos lettres.

N(ikon), 23 juin 1958.



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Chère L.!

Merci pour votre lettre et vos souhaits. A propos de m.O., je vous ai écrit ( je m'en souviens parfaitement) qu'elle est morte le Dimanche du pardon 1957. Sont restées dans la maison M. et K. Toutes deux sont malades et traînent leur boulet de travail, de maladies et de passions.

N.Z. a été élevée dans l'esprit d'un ascétisme tout extérieur, et l'aspect intérieur est chez elle au second plan. Elle ne sait donc pas appliquer en temps voulu les paroles : le sabbat est pour l'homme et non l'homme pour le sabbat. L'exploit moral est infiniment supérieur à l'exploit physique. Pour l'exploit moral, les forces physiques sont nécessaires, sinon il n'aurait pas de vigueur, y compris dans la prière. Il vaut mieux prier de toute sa force ou lutter contre les pensées mauvaises et manger de la viande, que traîner mollement son existence et s'imaginer qu'on est un ascète. Tous les exploits physiques doivent contribuer à l'exploit intérieur et s'ils le gênent, c'est qu'ils viennent du Malin. C'est tellement évident!

Chez nous, rien n'a changé. Amitiés à la maison de S. et à tous, tous. Merci à vous pour la lettre. Les nôtres vous saluent.

N(ikon). 25 mai 1959.



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Chère L.!

J'ai reçu votre lettre du 18 février. Quel dommage que dans la maison de vos propriétaires les choses n'aillent pas bien. Le portrait que vous faites de N. me rappelle son père, hormis l'intérêt pour les divertissements. Que Dieu les aide!

Concernant le régime alimentaire : il est difficile de ne pas suivre le régime collectif. C'est un fardeau que, me semble-t-il, il ne faut pas faire peser sur elle. Mais il faut exiger sévèrement qu'à la maison, le régime soit observé et surtout, hors de la maison et chez soi, il faut : 1) ne pas se suralimenter; 2) ne pas donner libre cours à ses yeux, ses oreilles, sa langue; 3) ne juger personne; 4) ne lire que des livres de spiritualité; 5) être en paix avec tout le monde. Ce sera le meilleur régime et pour les nerfs et pour tout le reste. N.Z. n'est pas du nombre de ceux qui comprennent, apprécient et effectuent les oeuvres de l'esprit. Elle végète, semble-t-il, dans un effort purement corporel, d'où ses bizarreries. Si elle insiste beaucoup, essayez d'aller la voir, pour l'amour de Dieu. Vous verrez alors s'il vaut la peine d'y retourner. Refusez la collation qu'elle vous offrira, si cela est possible.

Prenez soin de vous. Merci pour les lettres. Ne renoncez pas à nous informer à l'avenir de ce qui est intéressant. Chez nous, tout est comme c'était quand vous étiez ici. Le jardinier n'est pas encore arrivé. Tout le monde se tait.

Avec respect à votre égard. N(ikon). 21 février 1960.



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Chère L.!

Je vous remercie de vos lettres dans lesquelles vous racontez la maladie et la mort de N.T. Une grave maladie précédant la mort n'est -elle pas un signe de la miséricorde divine envers le défunt? Au cours des jours de souffrance et peut-être de visions, il a pu se repentir devant Dieu de ses fautes en pensées et de ses autres péchés. Pour se repentir, point n'est besoin de beaucoup de temps, comme nous le montre l'exemple du bon larron, du publicain, de la prostituée... Il faut seulement reconnaître son état de péché et de perdition, reconnaître que ne nous sauve que Dieu seul, et qu'Il nous sauve non pas pour nos oeuvres - aucune chair ne sera justifiée par les oeuvres de la loi -, mais pour la conscience que nous avons de notre misère, notre indignité, parce que nous avons demandé le salut, et pour notre foi.

Il va de soi que la foi est nécessaire. Sans la foi, il ne peut y avoir de repentir. Les oeuvres nous sont demandées en tant qu'obéissance à la volonté de Dieu et moyen de lutte contre les passions et les péchés qui défigurent l'homme et font obstacle à la grâce de Dieu, et aussi en tant que moyen d'acquérir l'humilité, la pauvreté en esprit. Par les oeuvres, la foi est fortifiée ( c'est-à-dire la pratique des commandements), l'homme nouveau est revigoré, la miséricorde de Dieu est attirée. Cependant l'humilité, la conscience de son indignité, de sa déchéance et de son péché, la conscience qu'il n'y a en nous rien de bon, la remise de tout espoir de salut non en ses propres oeuvres mais dans le Sauveur - tout cela supplée au déficit de pratique des commandements.

Pour l'humilité et la demande suppliante du salut, le Seigneur accorde le salut, il remet à l'homme sa dette insolvable. Et celui à qui il est plus pardonné sera celui qui remerciera et aimera le plus le Seigneur. Or, c'est là le plus grand commandement. L'homme humble, qui se reconnaît en tout pécheur, ne va pas juger les autres, ne sera pas méchant envers son prochain, car lui-même redoute le jugement, a besoin de l'indulgence des autres et de la miséricorde de Dieu. Et par là est accompli le second des plus grands commandements : l'amour du prochain. Les pharisiens ne peuvent pas aimer le Seigneur comme L'aiment les publicains et les pécheurs. De ces derniers, le Seigneur a dit qu'ils précéderont les pharisiens dans le Royaume des cieux.

Plaignons chaque homme. Souhaitons à tous le salut, et "nous nous confions nous-mêmes, les uns les autres, au Christ notre Dieu".

J'ai reçu l'argent. Je regrette que vous l'ayez envoyé. Prenez soin de vous. Que le Seigneur vous garde et vous bénisse. Pardonnez-moi ce que j'ai écrit. Si l'un d'entre vous estime que j'ai tort, qu'il ne se hâte pas d'en juger, qu'il se demande : est-ce bien ainsi? Amitiés à ceux que je connais.

Au fait, j'ai oublié de dire : on exerce une grande pression sur nous. On nous met des bâtons dans les roues. J'ai failli me retrouver dans la situation du Père B. Pour l'instant, on nous laisse en paix. Il est possible qu'il faille déménager dans d'autres régions.

Amitiés à S. et particulièrement à N. Je n'arrive absolument pas à m'arracher. Et puis c'est devenu difficile maintenant. Il faut obtenir l'autorisation des instances supérieures pour aller où que ce soit pour quelque raison que ce soit.

N(ikon). 20 septembre 1960.



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Chère L.!

J'ai reçu votre lettre. Je suis si heureux que la petite Nadia soit guérie et soit rentrée à la maison. Je lui envoie une lettre. Je voudrais beaucoup la voir, ainsi que N.M. et vous tous. J'espère venir bientôt. Pour l'instant, je suis occupé par les ouvriers.

L'expérience de la vie nous enseigne que rien n'a lieu sans la volonté de Dieu ( nous n'accordons pas assez d'importance à la parole de Dieu). Tout est fait pour notre salut, bien que nous ne le voyions pas toujours. Toute ma vie me confirme cela. Je pense que cela est vrai également pour les autres, mais tous n'ont pas le yeux ouverts sur ce qui se passe.

Prenez soin de vous, chère L.V. Amitiés à tous. J'espère vous voir bientôt. Que le Seigneur vous bénisse.



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Chère L.! Que la paix soit avec vous!

Vous m'avez complètement oublié et vous ne me dites pas ce qui se passe chez vous. Entre-temps, des bruits me sont parvenus comme quoi autour de l'église se sont constitués deux partis, qui, sous le beau prétexte de défendre la vérité se vouent une haine féroce. Il est clair que cela vient d'une sagesse toute terrestre, "démoniaque" comme dit l'apôtre Jacques.

Ne médisez pas les uns des autres, frères; celui qui médit d'un frère ou qui juge son frère médit de la loi et juge la loi : or, si tu juges la loi, tu n'es pas l'observant de la loi, mais le juge. Un seul est Législateur et Juge, qui peut sauver et perdre, et toi, qui es-tu, qui juges ton prochain? (Jc 4, 11-12).

Je ne suis juge ni de vous ni de vos adversaires, mais mon expérience de vie ( et avant tout la parole de Dieu) dit qu'il est terrible de vivre, et plus encore de mourir dans l'inimitié. Aucune vérité terrestre ne peut justifier l'inimitié. Je dis "terrestre", parce que la vérité céleste donne la paix, intérieure et extérieure. Si celui que vous estimez être votre ennemi vient à mourir, vous souffrirez, car tôt ou tard vous ressentirez votre faute. Cela se produit le plus souvent pendant la prière. Si vous mourez en état d'inimitié ( à Dieu ne plaise!), sachez que toutes vos bonnes actions et toute votre espérance dans votre salut sont perdues. Vous tomberez entre les mains de ceux qui sèment la discorde. Le Royaume de Dieu est un royaume d'amour et de paix. L'inimitié ne peut y pénétrer.

Si celui avec qui vous vous disputiez vient à mourir, comment pourrez-vous vous réconcilier après la mort? Il vous faudra pleurer beaucoup, abondamment, vous forcer à prier, à faire de bonnes oeuvres, à vous repentir en pleurant. Pourquoi se mettre dans une telle situation? Au nom de quoi, de qui?

Chère L., je vous le dis avec amour et compassion : prenez sur vous toute la faute dans cette discorde avec vos adversaires. Pendant la prière, devant la face de Dieu, examinez-vous tout entière, repentez-vous devant Dieu, demande qu'Il vous révèle toute votre faute, qu'Il vous pardonne, qu'Il attendrisse votre coeur et vous donne la force et la sincérité nécessaires pour demander pardon à vos supposés adversaires. C'est le diable qui fait voir grands les péchés des autres et insignifiants les vôtres. Voyez tout en sens inverse et faites la paix. Que le Seigneur vous aide! Consolez-moi. Ecrivez-moi, dites-moi que vous avez agi selon mon conseil.

Vous devinez, bien sûr, avec qui vous devez faire la paix en premier lieu. Elle est proche d ela mort. Demandez-lui sincèrement pardon, pardonnez-lui vous-même et, si vous le pouvez, prouvez la sincérité de cette réconciliation en vous occupant d'elle. Soignez-la. Que la miséricorde de Dieu soit avec vous, que le Seigneur vous arrache des mains d el'ennemi flagorneur, qu'Il vous donne la paix qui dépasse toute intelligence, la paix dont l'homme charnel n'a aucune idée. On comprend pourquoi, à l'église, pendant les offices, il est répété inlassablement "paix à tous". Sans la paix entre les hommes ( au moins!) il ne peut y avoir de christianisme, il n'y a que du mensonge à soi-même. Que le Seigneur vous aide et vous inspire pour de bonnes actions. Quant à moi, pardonnez-moi d'avoir osé vous écrire tout cela, par amour pour vous.

N(ikon). 26 février 1962.



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Chère L.!

Je vous remercie de votre lettre. Pardonnez-moi d'avoir tardé à vous répondre. Je ne me sens pas très bien. Une grande faiblesse et quelques autres misères.

A propos de N.Z., je dirai que vous devez tous la plaindre et prier pour elle. Qu'exigez-vous d'elle? C'est une personne qui n'évoluera plus. De la vie spirituelle, elle ne sait rien, car elle n'en a pas l'expérience. Elle ne comprendra même pas de quoi il s'agit, en lisant ces lignes. Elle était au bord du désespoir, il fallait la soutenir, et elle a encore grand besoin de soutien. Celui qui veut et qui peut être d'une grande utilité, qu'il l'aide, autant que cela est possible, à parvenir à la fin de sa vie en chrétienne. N'attendez rien d'elle et ne lui imposez rien.

J'en suis venu à la conviction que, de nos jours, personne ne connaît le christianisme intérieur par l'expérience. On ne se connaît pas soi-même, de sorte qu'on ne peut apprécier les oeuvres du Christ. Tout le monde veut être bien à ses propres yeux et aux yeux des autres; or, dans cet état d'esprit, la personne reste aveugle, tout en se croyant voyante.

Comment est votre santé? Comment vont vos voisins? Prenez soin de vous. Que le Seigneur vous garde. Pardonnez-moi.

N(ikon). Octobre 1962.



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Bien chère N.M.!

Pardonne-moi d'avoir depuis longtemps reçu ta bonne lettre et de n'avoir pas répondu. Je me sens faible; la pensée de la mort ne me quitte pas. Je vois bien que si je vis jusqu'à l'année 1963, je ne la passerai pas. Personnellement, pour moi, la mort est désirée. Je sais qu'il y a une vie future, il y a la clémence de Dieu envers nous, il y a pour ceux qui croient en Jésus-Christ l'espérance indéfectible d'entrer dans la vie éternelle de béatitude et non de tourments.

Les perceptions religieuses ne sont pas de la psychologie, elles sont aussi réelles que les perceptions du monde physique. La vie sur terre ne nous apas été donnée pour la jouissance, mais pour la connaissance de soi-même et de Dieu. L'homme, au cours de sa vie terrestre, doit définitivement et sans retour en arrière se déterminer pour le bien ou pour le mal, pour Dieu ou pour le diable. Celui qui cherche Dieu et Sa vérité trouvera Dieu et une vie nouvelle, ici-bas en germe, et, après la mort, dans toute sa plénitude. L'égoïste qui sur terre ne cherche que la jouissance, trouvera le diable, et après la mort, il entrera dans le royaume du diable, en enfer, dans la société des égoïstes invétérés et des méchants. Notre destinée future est entre nos mains... Pardonne-moi d'écrire ce que peut-être je ne devrais pas. Je regrette de n'être pas venu vous voir cet été, de ne pas vous avoir revue.

Je voudrais être plus loin de cette vie, de l'esprit de ce monde. Cet esprit s'est emparé de toute l'humanité. Ce n'est qu'avec un oeil extérieur que l'on peut voir toute l'horreur et la bassesse de cet esprit. Il y a de nos jours peu de gens capables de s'affranchir de l'influence de cet esprit; C'est affreux! On dit que quand une grenouille rencontre les yeux d'un serpent, elle ne peut s edétacher d'eux, elle crie et ne peut se sauver; elle avance vers le serpent et tombe dans sa gueule ouverte.

Dans les prières du soir, il y a ces mots : " Arrache-moi, Seigneur, de la gueule du serpent qui s'ouvre pour me dévorer et m'emporter vivant en enfer." C'est écrit d'expérience. Ceux qui s etrouvent dans la sphère d'influence de cet esprit ne le sentent pas et ne croient pas ceux qui se sont affranchis de lui.

Que le Seigneur vous bénisse, qu'Il vous protège de tout mal et vous conduise après la mort à la félicité éternelle. Peut-être nous reverrons-nous dans l'autre monde.

Choisissez Dieu, fuyez le diable et par l'âme et par les oeuvres, afin que le Seigneur dise également de vous : celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas.

Amitiés à tous.

N(ikon) qui vous aime. Novembre 1962.



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A la servante de Dieu qui parle beaucoup et oeuvre peu, qui connaît la volonté du Seigneur et ne l'accomplit pas, je souhaite de se réjouir!

Que la paix et la bénédiction de notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ soeint avec toi. J'ai lu avec intérêt ta lettre : on voit que tu as conscience, dans une certaine mesure, de ta faute devant Dieu.

Notre faute commune est que nous ne nous forçons pas assez au travail du repentir, de la prière et de la tempérance. La miséricorde de Dieu est telle que notre insuffisance dans ce travail peut être comblée par une sincère contrition du coeur ( conduisant plus sûrement à l'humilité), par des pleurs et des larmes.

Pourquoi donc ne nous désolons-nous pas, pourquoi ne reconnaissons-nous pas notre faute devant Dieu? Qu'en est-il? Je pense qu'au fond de nous se cache une haute opinion de nous-mêmes; Cela se reconnaît au fait que l'on ne supporte aucune accusation, ou on la supporte avec peine. N'en est-il pas ainsi avec toi? Prends conscience de cela et d ebien d'autres choses, et dans le silence, devant Dieu, déverse ta faute en pleurant, ton infinie impureté, ta dette insolvable envers Lui. Demande d'être pardonnée et sauvée au prix de n'importe quelles épreuves.

Pour ton salut, endure ce que je t'ai ordonné : reste dans ta chambre, et sans nécessité ne va nulle part et ne laisse entrer personne. Supporte que l'on te critique pour cela. Chasse la mélancolie et l'abattement par la résolution de tout supporter et par la prière; consacre une partie importante de la journée à lire les Psaumes et le reste du temps à la Prière de Jésus. Un peu d electure de l'Evangile, des Epîtres, et aussi des Saints Pères. N'invente pas de bons prétextes pour communiquer avec les gens. demande à L. de suspendre un cadenas sur ta porte si tu attends des visiteurs. Sors d el'église un peu avant les autres, pour ne pas risquer de rencontrer des gens et de bavarder.

Efface toute transgression d'un commandement, fût-ce la plus minime, par la demande immédiate de pardon au Seigneur, sans attendre les prières su soir. Ne perds pas ton temps inutilement. Bientôt commenceront les travaux du printemps, et alors, tu seras totalement déconcentrée. Fais mémoire de moi et d emon défunt père. Fais ton salut. Parle le moins possible avec les gens, même de sujets spirituels. Si on ne te pose pas de questions ne parle pas du tout. Et jusqu'au printemps, jusqu'aux travaux printaniers, reste dans ton coin. Tu comprendras alors en pratique, peut-être, ce qu'est le travail spirituel.

Les premiers temps, ou si c'est nécessaire, tu peux le dimanche aller voir les nôtres, mais personne d'autre. Repens-toi de toute transgression devant Dieu et écris-moi brièvement. Si tu n'exécutes pas ce que je te dis, c'est à toi de voir et de t'en prendre à toi-même.

Quelqu'un qui te veut du bien. 8 janvier 1949.



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Petit Etourneau sot et vaniteux!

De quoi t'enorgueillir? Physiquement, tu es vieille et laide, moralement t ne vaux rien, tu n'as qu'un peu de mémoire et la capacité à bavarder sur des sujets spirituels - mais cela, ce n'est pas toi qui l'as acquis ou obtenu, cela t'a été donné à la naissance, et tu l'as utilisé en mal. Mais même si tu étais en toutes choses parfaite, même laors, tu devrais penser de toi, conformément aux paroles évangéliques : dites que vous êtes des serviteurs inutiles, car ce qu'il nous était dit de faire, nous l'avons fait. Et toi, qu'as-tu fait, quel commandement as-tu accompli en toute pureté, sans le gâcher par rien? J'ose le dire - aucun! De quoi donc s'enorgueillir? Examine ceci scrupuleusement, reçois dans ton coeur et dans ta pensée la conviction que ni toi ni l'apôtre Paul ( comme il l'a dit lui-même) ne pouvez vous vanter de rien.

Quand tu verras les choses ainsi, il te sera facile de chasser les pensées et les sensations d'orgueil et de vanité : 1) par ton désaccord avec elles; 2) par l'invocation du Nom de Jésus-Christ. Ces pensées et sensations, il faut les mettre dans le même tas immonde que les passions, car elles sont pire encore, car plus nocives. Et chacune de leurs manifestations, dans la pensée, dans les sentiments et même dans les mouvements du corps, il faut la poursuivre et la chasser tout en demandant du secours au Seigneur. Tant qu'une personne se sent meilleure que les autres, plus digne, elle n'acquerra ni l'attendrissement du coeur ni les pleurs, et elle ne progressera pas sur l'échelle spirituelle. Il faut rester prostré, mentalement, aux pieds du Seigneur, et ouvrir devant Lui tout mouvement inapproprié de l'âme et du corps, ssans avoir honte, sans se cacher derrière la feuille de vigne de l'autojustification.

Lis avec attention et pendant plusieurs heures le Psautier, comme je te l'ai conseillé. Ne donne de leçon à personne. Efforce-toi de rester seule pendant tout le Grand carême. Ne t'étends pas en paroles, ni dans tes lettres ni dans des conversations. On peut dire beaucoup de choses en un seul mot, en une seule lettre, mais toi, dans tes lettres, tu es bavarde. Il ne faut pas avoir peur d'être seule la nuit. Te voilà arrivée à la vieillesse, et il te faut toujours des nounous, et tu te vantes, encore! Personne n'a besoin de toi et tes affaires ne valent pas un sou. Nous sommes tous entre les mains de Dieu, et si tu comptes sur des nounous et non sur Dieu, on te dépouillera en plein jour... Pense un peu moins à ta tristesse, à tes passions. Si tu ne peux pas supporter d'avoir un peu faim pour être délivrée des passions, ou bien un léger reproche qui ferait disparaître ta tristesse, cela signifie que ces peines et souffrances sont moindres que celles infligées par un peu de tempérance et une parole critique.

Et toi, tu ne parles que de cela! Si elles étaient plus fortes, tu supporterais le désagrément qui les ferait fuir. Tu es une vieille bavarde, une discoureuse, et qui plus est, tu te vantes de prier pour moi. Désole-toi à chaque instant d'être incapable de rien - alors le Seigneur te fera grâce, comme Il l'a fait au publicain, à la pécheresse et au fils prodigue. Et fais aussi un effort pour tempérer et ton ventre et tes sentiments et ta langue, et que l'infraction au moindre commandement soit pour toi un motif toujours renouvelé de contrition du coeur et de demande de secours. Dis, plus souvent que la Prière de Jésus, la prière du publicain. Car même là tu te vantes, servante indigne.

Sans faute, pardonne à tous tes offenseurs, réels ou surtout imaginaires. Tous ceux qui t'ont offensée ont fait envers toi une bonne action, ils sont tes bienfaiteurs, et ceux qui t'ont fait des éloges sont des flatteurs.

Sans le pardon, tous tes efforts et tes prières sont du vent. Commence par là, car la fin est sans fin. Le Seigneur te bénira et t'aidera. Ne discute pas, et plus encore, ne te dispute avec personne, ne bavarde pas sans raison. Reste chez toi, car il n'est nul besoin d'aller où que ce soit.

Amitiés et bénédiction à L., ainsi qu'à toutes les connaissances. Pardonne-moi.

Si tu peux le supporter, donne cette lettre à lire aux nôtres. Le moyen d etrouver la paix pour ton âme, tu le connais, il est donné par le Seigneur Lui-même : Apprenez de moi car je suis doux et humble de coeur.

Ainsi donc, désole-toi d'être irascible et acariâtre, vaniteuse et orgueilleuse; apprécie les reproches; demande pardon aux gens pour la moindre offense; et aussi : ne te prends pas la tête, ne cherche pas à briller par ton intelligence, alors qu'en pratique tu n'as rien fait; supporte tout, tous tes défauts, et alors, en temps voulu, par la puissance de Dieu les ennemis faibliront et tu les vaincras, tout comme le Seigneur a chassé les peuples étrangers devant Moïse, quand les Hébreux avançaient vers la Terre promise.

Fais des efforts. " On récolte ce que l'on a semé." Je te rappelle encore : si tu pries plus, avec crainte et tremblement, tu comprendras alors que tu ne peux par toi-même rine faire d evraiment bien. Ta prière alors deviendra de plus en plus humble, et cette atmosphère d'humilité qui t'a envahie pendant la prière se répandra aux autres heures et elle sera entretenue par l'invocation constante du Nom du Sauveur; prends en compte ces paroles.

La conclusion est qu'il faut prier le plus possible et se tourner le plus souvent possible vers le Seigneur, à toute heure. C'est le seul remède contre toutes les maladies.

N(ikon. 9 février 1950.



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Je te souhaite, Etourneau stupide et cupide, paix, salut et santé de l'âme et du corps!

Tu t'es tuée au travail, tu a séchangé le travail pour Dieu contre le travail pour Mammon, car toute personne qui abandonne la règle de prière pour s'agiter, s'amuser, commence à servir Mammon, une idole, et trahit son Seigneur, son Créateur et Maître, Celui qui dit : Cherchez avant tout le Royaume de Dieu et sa justice, et tout vous sera donné par surcroît; ne vous souciez pas outre mesure de ce que vous mangerez ou boirez, de quoi vous vous vêtirez. Je suis votre Seigneur qui se soucie de vous. Et nous, nous ne croyons pas le Seigneur, nous écoutons l'antique Serpent qui nous tire vers la terre, pour que nous rampions avec lui sur le ventre, dans la poussière des pensées et des actions futiles.

Stupide Etourneau! Tu fais la leçon aux autres, et toi-même, où en es-tu? Qu'est-ce qui est le plus facile : ramper sur le ventre ou voler dans les airs, en lisant la parole de Dieu et les écrits des Saints Pères, en priant et espérant dans le Seigneur? Il faut travailler, certes, mais il faut observer la mesure, prendre en compte sa santé, sinon on peut s'apparenter à des personnes suicidaires. Nous devons tuer les passions et non le corps; épuiser le corps, cela s'apparente au suicide, si nous le faisons par passion et au-delà de nos forces. Pleure sur ton péché et tes péchés, pense plus souvent à la mort. Quand tu n'avais rien, tu rêvais d'un coin à toi et d'un morceau de pain, et maintenant que tu as une chambre à toi et tout le nécessaire, tu t'adonnes au travail jusqu'à en mourir : c'est le conte du pêcheur et du petit poisson d'or (1).

(1) : (Il s'agit d'un conte de Pouchkine, qui met en scène une femme cupide qui exige toujours plus et qui finit par se retrouver sans rien (NdT).).

Demande pardon au Seigneur de t'être tuée au travail, et n'agis plus ainsi à l'avenir. Le matin, sans hâte, prie de tout ton coeur, récite les prières du matin, dis cent prières de Jésus, mange, et tout en priant, sans trop de zèle, fais ce que tu as à faire; et si un zèle excessif te saisit, rentre chez toi, fais trois grandes métanies en priant de te pardonner ce zèle et de te protéger de ce danger. Pendant les pauses au travail, si tu es chez toi, fais trois petites métanies accompagnées de la Prière de Jésus ou d'une prière à la Mère de Dieu, et si tu n'es pas chez toi, dis en toi-même dix prières de Jésus. Attention, si tu ne prends pas des mesures, tu te fais grand mal. Prdonne-moi ma dureté. Amitiés à K, L. et à tous les nôtres.

Pour l'instant, il ne faut pas venir me voir, et il faut se confesser et communier auprès du Père S. Cet automne, après les travaux, tu viendras, si je ne suis pas venu moi-même. Il me faut revoir K.B. et les autres. Pour l'instant, attendons, et après, on verra. N'oublie pas de prier pour moi.

N(ikon).



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A l'Etourneau!

Bonjour, Etourneau, bavard et foufou! Vois-tu ça, " je suis déjà condamnée jusqu'ua quarantième jour", "une espèce d'ordure". Qui t'a condamnée? Le Seigneur te supporte et n'a pas prononçé de jugement, et Il n'en prononcera pas jusqu'à ta mort; Il attend que tu échanges les paroles contre les actes évangéliques. Tu entendras le jugement du Christ après la mort; en atendant, tu entends ou plutôt tu peux attendre l'arrêt de Dieu, quand tu te mets en prières. Si tu te mets à prier avec la paix dans l'âme et un coeur ocntrit ( autrement que par la langue), le Seigneur recevra ta prière, comme l'a dit le psalmiste : Un coeur humble et contrit, Dieu ne le rejettera pas, et toi, tu prieras sans distraction, avec attention et chaleur. Mais si tu t'apprêtes à prier dans un état d'esprit mauvais, "sans l'habit de noces", alors le Seigneur te repoussera et te livrera aux ennemis, qui te jetteront dans les ténèbres des pensées vaines et de l'endurcissement du coeur. Le voilà, le jugement de Dieu ici-bas. Mais là, on peut encore se repentir et se convertir. Le quarantième jour, que vas-tu dire? Ainsi donc, ne fais pas la maligne, pleure devant Dieu et implore le pardon tant que tu es en vie, afin de ne pas être livrée aux mains des ennemis pour toujours, comme nous nous livrons temporairement ici-bas. Pardonne-moi. Fais ton salut.

J'ai maintenant quelqu'un qui m'aide, et si Dieu le veut, je viendrai cet automne à Kozelsk passer une semaine. Prie pour moi. Nous nous verrons bientôt.

N(ikon).



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M.P., que la paix et le salut soient avec toi et avec tes soeurs!

J'ai reçu ta lettre et une autre de L. Je pense que si toi et O. A. vous pouvez supporter la maladie de Mère A., il serait bien, pour l'amour de Dieu, de la prendre et de vous occuper d'elle. En effet, il n'y a rien de bon en nous, pas même de prières en esprit et en vérité.

C'est pourquoi il ne serait pas mal d'agir un peu pour l'amour du Christ. Heureux les miséricordieux; il y aura un jugement sans miséricorde pour ceux qui n'ont pas fait miséricorde. L. est contre parce qu'elle a peur pour vous, que vous n'ayez pas la force de vous occuper de Mère A., et la renvoyer serait difficile et gênant. Elle estime que vous avez tort de l'arracher au lieu où elle n'est pas mal installée. Est-ce comme cela? Je ne sais pas. Je vais écrire à L. pour qu'elle ne vous empêche pas de prendre chez vous Mère A., si vous estimez que vous pouvez vivre ensemble. A mon avis, le Seigneur bénira votre bonne action. Soyez en paix, car c'est dans la paix seulement qu'est la demeure de Dieu, alors que dans la discorde, quelle qu'elle soit, il n'y apas de place pour Dieu. A toutes soient la bénédiction de Dieu et Son aide en toute bonne chose. Que le Seigneur vous aide à vaincre le Malin et votre amour-propre, votre orgueil.

N(ikon).



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Que la paix et le salut soient avec toi, Mère P.!

J'écris à la hâte. J'ai reçu le colis avec les champignons. Que Dieu vous sauve. C'est bien que tu aies pensé à envoyer des champignons. Transmets ma reconnaissance à Mère A. Ne vous inquiétez pas de notre subsistance. Le Seigneur ne nous laissera pas.

Amitiés à tous et la bénédiction de Dieu.

Transmettez au Père M. et à Matouchka A. que je compatis sincèrement et souffre pour eux. Que le Seigneur les aide à porter sans gémir leur croix jusqu'au bout.

Toi non plus, ne te décourage pas. Prenez soin de vous. Que le Seigneur vous garde tous. Comment est la santé de L., de M., de K.?

N(ikon).



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Je te remercie, Père P., pour les champignons. Nous n'en avons pas eu cette année, ni cèpes, ni bolets.

Que personne ne se vexe si je n'écris pas. J'estime qu'il est inutile de répéter toujours la même chose. Qu'on lise les anciennes lettres et qu'on mette certaines choses en pratique. Sinon, ce n'est que bavardage. L'Evangile ne change pas, cela fait deux mille ans que des milliards de gens le lisent et font leur salut, mais nous, avec notre curiosité et notre vanité, nous cherchons toujours quelque chose de nouveau. Ma santé ne m'autorise plus à écrire, et encore moins à venir.

J'ai écrit à M. ce que j'estimais être utile et salutaire, mais elle n'a pas accepté mes paroles; elle a voulu se justifier farouchement, au lieu de dire franchement : " Pardon pour tout!" Jamais nulle part l'auto-justification n'a été acceptée, même si la personne était dans le vri. L'auto-condamnation sauvait les gens, tandis que l'auto-justification causait leur perte, s'ils ne se repentaient pas par la suite.

Prenez soin de vous. Que le Seigneur vous garde et vous bénisse! Je ne sais pas qui est le Père D.



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Chère Mère P., que la paix evszzzssxkxkkxxxxxddddddx;t le salut soient avec toi!

Tu demandes que l'on t'écrive. Celui qui se noie se raccroche à un fétu de paille, et c'est ce que tu fais : dans le trouble de ton âme, tu cherches du soutien auprès de tes proches. Mon expérience de la vie m'a inspiré l'opinion que personne ne peut nous aider : ni nous-mêmes, ni les autres; seul le Seigneur le peut. L'état de ton âme non seulement ne s'améliore pas, mais il devient par moments intolérable : c'est parce que tu as peu d'espoir en Dieu. Tu regardes tes péchés et tu estimes à juste titre qu'à cause d'eux tu devras souffrir dans la vie future et même ici-bas avant la mort, et après la mort, dans les tourments, et après encore. Si l'on voit les choses ainsi, on peut tomber dnas un complet désespoir. Crois-tu qu'un chrétien puisse voir les choses ainsi?

Si l'homme était sauvé grâce à sa vertu, pourquoi alors le Seigneur Jésus-Christ devait-Il venir sur terre et souffrir? Personne n'est entré dans le Royaume de Dieu grâce à ses seuls mérites. L'homme doit comprendre : 1) son état de vétusté, de corruption, de déchéance, toute la perversion de son âme, toute son injustice, etc.; 2) se convaincre par l'expérience que par ses seules forces il peut se corriger, bien qu'il lui faille sans cesse combattre cette corruption et pleurer son état; 3) il doit se tourner vers Dieu comme le publicain. " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur. Je suis perdu, je me noie dans l'océan de mes iniquités, sauve-moi, Seigneur Jésus-Christ comme Tu as sauvé ceux qui se tournaient vers Toi : larrons, publicains, prostituées, etc." Dieu est amour. Par amour pour l'humanité déchue, le Seigneur n'a pas reculé devant le sacrifice suprême : Dieu le Père a envoyé So Fils souffrir le supplice de la Croix; Dieu le Fils accepte par obéissance la mort sur la Croix; Dieu l'Esprit Saint ne dédaigne pas de pénétrer dans l'âme humaine pour la purifier et la sauver. Que peut faire de plus le Seigneur pour notre salut? Je le jure, dit le Seigneur, je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. Dieu a tellement aimé le monde qu'Il a donné Son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle.

Cela signifie que le salut est assuré pour chaque homme qui croit en Christ et demande d'être sauvé du péché et des tourments éternels. Pour celui qui s'est repenti de ses péchés, le Seigneur promet le pardon et la miséricorde, et si nous les demandons, nous obtiendrons obligatoirement ce que nous demandons, car ce sont les paroles de Dieu lui-même. Tout l'univers a été créé par le Verbe de Dieu, par Sa Parole; le monde reste ordonné et ne se transforme pas en chaos. Par cette Parole sont promis et le pardon des péchés et la vie éternelle, pour notre foi et notre repentir. Cela est confirmé par l'incarnation du Fils de Dieu et par Ses souffrances sur la Croix.

Tu crois en tout cela. Comment peux-tu désespérer de ton salut? Comment peux-tu admettre que le Seigneur t'envoie des souffrances, soit ici-bs, soit après la mort, au-dessus de tes forces? Non, trois fois non! Ton humeur morose, ta maladie, ton découragement, ta tristesse viennent du diable. Ne lui tends pas la main, chasse toutes ces mauvaises pensées en implorant le Nom du Seigneur Jésus-Christ et par la prière du publicain; remercie Dieu pour tout, pour Son amour envers le genre humain, pour Sa longue patience face à tes péchés, pour Sa clémence envers toi et tous, pour ta maladie; remercie pour tout, livre-toi à Sa volonté et à Sa miséricorde, et tu seras soulagée.

Tu souffres à cause de ton manque de foi, tu tournes toute ton attention sur toi-même, sur tes péchés, et tu oublies l'amour de Dieu. Il faut faire l'inverse. Pense avant toute chose à la miséricorde de Dieu, aux souffrances sur la Croix en vue de notre salut, et après seulement, à tes péchés. Que tes péchés t'incitent à dire la prière du publicain, à te plonger dans la prière, et ne soient pas prétexte à du désespoir.

Aie de la sagesse. Ne t'abandonne pas à la ruse des ennemis. Méprise-les, ne discute pas avec eux et souviens-toi du Seigneur qui nous sauve. Que le Seigneur t'éclaire ici-bas et dans la vie future.

J'ai écrit brièvement. Complète toi-même, dans l'esprit de ma lettre. A tous - mes amitiés et la bénédiction de Dieu.

N(ikon).

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Paix à ton âme, Mère P.!

Nous nous trouvons tous dans la situation d'un homme qui voit sur une image un splendide festin - la table croule sous les mets - et nous retons affamés. Le pain d'autrui ne peut nous rassasier. C'est ainsi que nous lisons la Parole de Dieu et les mots des Saints Père, c'est ainsi que dans notre grande majorité nous prions : nous prononçons les mots des prières écrite par d'autres et notre âme reste affamée, malingre, prête à mourir d'inanition.

Lorsque viendra le moment où notre oeuvre sera testée, il apparaîtra que nous n'avons rien fait, que notre "talent" n'a rapporté aucun profit, et même pire que cela : nous ne pouvons même pas rendre notre talent, même sans bénéfice, mais, comme le fils prodigue, nous l'avons dilapidé dans les péchés et la vanité du monde, et de plus, nous faisons la leçon aux autres! Pauvres hommes que nous sommes! Que nous reste-t-il à faire? Ecouter, obéir à notre Sauveur et Seigneur Jéus-Christ!

Tu demandes comment tu dois prier? Le Seigneur Jésus-Christ nous dit à tous : prie comme le publicain, adresse-toi au Seigneur comme la veuve au juge inique. De nouveau le Seigneur nous enseigne : prends conscience de ta pauvreté, de ta dette insolvable et ressens ta faute devant Dieu, oublie toutes tes bonnes oeuvres ( nous n'avons pas de boennes oeuvres et ce que nous avons est souillé par des ajouts impurs - vanité, arrogance, cupidité, etc...), et, comme le débiteur insolvable, comme le fils prodigue, demande au Seigneur Sa miséricorde, le pardon de toutes tes iniquités. Ne demande rien d'autre que de te faire grâce.

Lorsque l'homme sentira que son âme est atteinte de la lèpre du péché, qu'elle est toute purulente, que lui-même est incapable de guérir son âme, tout comme le lépreux est incapable de guérir par lui-même, lorsque devant ses yeux se dresseront la mort et les tourments, alors il n'aura plus qu'un seul espoir, un seul refuge, le Sauveur et Seigneur Jésus-Christ! Jusqu'alors Il était loin de nous, ou plutôt nous étions loin de Lui, mais maintenant il est l'unique Sauveur, venu du Ciel pour nous sauver, en prenant sur Lui nos péchés, en supportant les conséquences de nos péchés, en couvrant de Son amour nos iniquités, qui a promis, à cause de notre foi et de notre repentir, de tout nous pardonner, de purifier notre âme et notre corps, d'unir à Lui dans le sacrement de la Communion dès ici-bas, en gage de l'union éternelle dans la vie future, ceux qui se repentent; qui a promis de nous faire enfants de Son Père et par là de nous rendre participants à la gloire et à la félicité divines. Voilà en quoi consiste le christianisme! Voilà ce qu'est l'amour de Dieu, la miséricorde de Dieu envers le genre humain déchu.

Douleur, lourdeur, remords éternels, ver qui ne dort pas et feu qui ne s'éteint pas, menacent ceux qui dédaignent cet amour de Dieu, n'accordent pas toute sa valeur au sacrifice de Dieu pour nous. " Que toute chair fasse silence, qu'elle se tienne dans la crainte et le tremblement (1) " devant la Croix du Christ, devant l'amour de Dieu, qui appelle chaque pécheur au salut par la foi et le repentir. Le Seigneur Jésus-Christ est venu non pas juger le monde qui succombe sous les péchés, mais sauver le monde.

Repentez-vous, le Royaume de Dieu est proche! (1).

(1) : ( Chant de la Liturgie des Présanctifiés (NdE).).

Pécheurs, reconnaissez votre perdition, votre faute devant Dieu, ne cherchez pas de justification dans vos bonnes actions. Reconnaissez votre faiblesse, votre impuissance à vous libérer de vos péchés, passés, présents ou futurs. Suppliez le seul Tout Puissant, le seul Compatissant, le seul Sauveur, et Il vous pardonnera, vous purifiera, chassera le désespoir, vous délivrera des tourments et vous conduira, comme les brigands, les prostituées et les autres pécheurs dans Son Royaume éternel. Voilà en quoi consiste le repentir.

Que cela advienne et pour toi et pour vous tous. Amen.

N(ikon).



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Mère P.!

J'ai reçu ta lettre. Discourir est préjudiciable même pour les bien portants, et donc d'autant plus pour une malade comme toi. Efforce-toi de te taire et de demander à Dieu de dire, brièvement mais fortement, ce qui sera bon pour l'âme de ton interlocuteur. Que ce soit la puissance de Dieu qui agisse, et non les mots.

La mort est antinaturelle pour l'homme, et c'est pourquoi tous la redoutent. Mais la foi et l'espérance dans la miséricorde du Seigneur, l'espoir de passer de la dure vie terrestre à une félicité indicible, infinie, peuvent non seulement affaiblir cette peur, mais réjouir l'homme, qui est ainsi libéré d'une vie dangereuse et véritablement effrayante, notamment de nos jours. Il nous faut tous nous préparer à la mort, et chaque jour au moins un peu méditer sur elle; L'Eglise ne prie-t-elle pas quotidiennement : " Une fin chrétienne, sans douleur, sans honte, paisible... demandons au Seigneur"?

Il faut, pendant la prière, se remémorer sa vie et demander pardon pour tous les péchés commis non seulement en actes, mais en paroles et en pensées; A celui qui se repent, Dieu pardonne tout, et alors il n'y a plus de raison de craindre la mort. Ne demande, n'attends aucun don, ne demande que le pardon de tes péchés et le salut. Le Seigneur connaît ce dont nous avons besoin. Ne laisse pas libre cours à tes pensées. Attache-les à la prière et à la mémoire de Dieu, autant que tu le peux.

Prends soin de toi. Que le Seigneur te garde. Que la bénédiction du Seigneur soit sur toi et sur O.M. Priez pour moi. Souhaite une bonne Fête à toutes les soeurs que je connais.

N(ikon).



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Mère P.! Paix à toi!

Ce n'est pas la première fois que tu me parles de la peur de la mort. Si tu regardes attentivement un objet quelconque, tu le verras distinctement, et les autres objets seront peu visibles. Il en est de même avec la peur de la mort. Quand tu regardes la mort avec les yeux du vieil homme et ne portes ton attention que sur les souffrances de l'agonie, celles-ci grandissent et t'effraient. Il s'y ajoute l'action des démons. Si l'on stagne dans cet état, on peut fort bien perdre tout équilibre. Il faut regarder la mort conformément à la parole de Dieu : je veux me libérer et être avec le Christ; c'était la position de l'apôtre Paul et de tous les saints. La vie sur terre est un exil en vue de notre amendement. On est aussi heureux - et même infiniment plus - de quitter la sombre vie sur terre que de sortir de prison ou d'un camp.

Tu diras : " Oui, c'est bien de se retrouver dans le Royaume de Dieu, mais si c'est en enfer?" Mais qui nous empêche d'entrer dan sle Royaume de Dieu? Il est dit : observe les commandements, et alors tu seras sauvé. Mais comme nous sommes impuissants, corrompus, soumis aux démons, le Seigneur nous a donné le repentir et les sacrements. Si nous nous repentons sincèrement, le Seigneur nous pardonne, c'est-à-dire qu'Il guérit nos âmes des plaies du péché et Il promet le Royaume des Cieux. Si tu te repens soixante-dix fois sept fois par jour, tu recevras le pardon le même nombre de fois. Si tu ne crois pas en la parole de Dieu, alors, bien sûr, tu vas t'épouvanter, tu tomberas au pouvoir des démons et ils te martyriseront. Toi, évidemment, comme le pharisien, tu veux t'appuyer sur tes bonnes oeuvres, peut-être inconsciemment. Mais sois comme le publicain, mets ton espoir de salut dans la miséricorde divine et non dans tes efforts pour t'amender - et alors tu sortiras de cette vie comme le publicain est sorti du temle justifié, ce qui veut dire que tu entreras dans le Royaume de Dieu.

Porte donc ton attention sur cet aspect, rappelle-toi que le Seigneur a créé les hommes non pour la souffrance, mais pour la joie céleste. Le Ciel tout entier se réjouit de chaque pécheur repenti et sauvé. La mort est une naissance au Ciel; or, la naissance se passe rarement sans douleur, mais cette douleur se transforme en joie, car un homme est né pour le Royaume des Cieux. Reproche-toi chaque péché, chaque mauvais pensée, ton incroyance, tes doutes, ta crainte insensée de la mort; fais-toi des reproches et repens-toi aussitôt, et tu acquerras la tranquillité et la paix de l'âme, le don de soi à la volonté de Dieu. Et toute l'Eglise prie pour nous : " Une fin chrétienne, sans douleur, sans reproches, paisible et une bonne défense et notre justification devant son trône redoutable, demandosn au Seigneur." Allie ta voix à celle de l'Eglise. Que le Seigneur t'éclaire et te réconforte.

4 mai 1961.

Mère, ne juge personne, sinon tu ne seras pas délivrée de la peur, et le Seigneur ne te pardonnera pas tes péchés, si toi-même tu ne pardonnes pas à ton prochain, si tu le condamnes. Retire la poutre qui est dans ton oeil avant de retirer la paille qui est dans l'oeil de ton prochain.



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Paix à toi, Mère P., et que le salut soit avec toi!

Je te souhaite ainsi qu'à Mère A. une belle Fête de la Nativité du Christ et une bonne année.

Tu remercies pour un coin où vivre et une parcelle de terrain. Remercie le Seigneur, qui aménage la vie de chacun. C'est bien que tu aies remis en état ton logis. Ne te surmène pas. Si tu as besoin d'argent pour les réparations ( pour les rondins, les briques, le ciment, les ouvriers par exemple), je t'en enverrai aussitôt, dès que tu me le demanderas. Ne laisse pas la maison s'effondrer; il faut la réparer à temps, sinon, cet hiver, ce sera pire, et il y fera plus froid. Ne te surmène pas, emprunte.

Tu sais bien ce qui a été prédit par les Saints Pères à propos de notre temps. Il sont dit ceci : les gens vont être sauvés par leur foi, l'endurance dans les épreuves et les maladies, et par le repentir. Nous n'avons pas de bonnes oeuvres. Nous transgressons en tout et à chaque heure les commandements du Christ, c'est pourquoi il ne nous reste qu'à nous repentir, à endurer et à croire que le Seigneur Jésus-Christ, "qui est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu", nous sauvera, nous aussi, qui implorons Son pardon et le salut. Il faut croire en cela fermement. Celui qui compte sur ses oeuvres construit sa maison sur le sable. Le salut des hommes est l'affaire de la miséricorde de Dieu, le don de Dieu à l'humanité déchue qui a cru en Christ, qui a conscience de son état de perdition et qui supplie avec la voix du publicain : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!"

A propos des oeuvres des hommes, le Seigneur a dit : Quand vous aurez fait ce qu'il vous a été demandé de faire, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, car nous avons fait ce que nous devions faire. Cela veut dire qu'étant les serviteurs et les créatures de Dieu, nous sommes tenus de faire la volonté de Dieu, à savoir d'obéir aux commandements. Quant à la question de savoir si même celui qui a accompli tous les commandements entrera dans le Royaume des Cieux, la réponse appartient à la miséricorde divine. Ce ne sont pas les oeuvres, c'est l'humilité qui incline Dieu à la miséricorde. Il faut craindre la mort comme il faut s'y préparer, mais s'angoisser, se décourager, c'est l'action du démon.

Le Seigneur a ordonné à tous d'être à tout moment prêts à la mort. C'est pourquoi les songes qui suscitent l'angoisse et l'accablement viennent de l'ennemi. Les songes qui viennent de Dieu attendrissent le coeur, pacifient, fortifient l'espérance dans le Sauveur venu sur le terre et qui a supporté la Croix pour le salut de ceux qui se perdent, et non des justes convaincus (à tort) d'êtres dignes du Royaume des Cieux. Ceux-là sont des orgueilleux, de faux justes. Tous les saints se considéraient comme de grands pécheurs.

Tout cela, tu le sais fort bien toi-même. Je ne fais que te le rappeler. L'idée de tout distribuer ou de cesser de travailler pour ta subsistance est une idée du Malin. Travaille selon tes forces, mais mets ton espoir dans le Seigneur qui nourrit tout l'univers. Celui qui va vers le Christ avec foi, en suivant au mieux les commandements et en se repentant, celui-là sera avec le Christ jusqu'après la mort. Je ne rejetterai pas celui qui vient à moi. C'est une annonce qui s'adresse à tous. Le chrétien n'a aucune raison de désespérer. Par une disposition spéciale de Dieu, une annonce particulière, personnelle, peut être donnée, mais il ne faut pas compter dessus. Sois paisible et tranquille.

Amitiés à Mère A., à L. et à toutes les personnes de connaissance. Amitiés à K.B. Comment va-t-elle, comment va S.? Sont-elles en bonne santé? Mes amitiés et la bénédiction de Dieu à elles et à tous.

N(ikon).



Mère P.! L paix et le salut soient avec toi!

Amitiés et bénédiction à Mère A. Merci à elle et à toi pour les présents. Je n'ai pas envie de te parler de sujets spirituels. Toi et moi, nous lisons les mêmes livres. Moi, je lis, et je n'oeuvre pas; toi, oeuvres-tu, je ne le sais pas. A propos de ta soeur, je te l'ai dit et je le lui ai dit : elle s'est unie par les liens du mariage, elle doit donc être maîtresse de maison et épouse. Qu'elle progresse dans le travail spirituel. Il est dit : Le travail physique n'est guère profitable, tandis que le travail spirituel est profitable en tout. Ni toi ni elle vous ne faites ce que je vous dis, alors pourquoi demander toujours les mêmes choses? Prends soin de toi. Que le Seigneur vous bénisse tous.

N(ikon). 29 janvier 1958.



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Fais le signe de croix pour moi à Mère A. Que le Seigneur la bénisse et la reçoive dans la béatitude ineffable et dans Sa gloire; Amen. Je demande ses saintes prières.

L'indigne higoumène N.



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Ma chère fille en Christ A., que la paix et le salut soient avec toi!

J'ai reçu trois lettres de toi. Je te remercie de ne pas avoir été fâchée par mon silence; je te prie de ne pas te fâcher non plus à l'avenir; supporte et dis comme disaient les Pères jadis : " Si cela avait été la volonté de Dieu, il aurait écrit, il aurait fait telle ou telle chose...", et tu seras alors toujours paisible. J'estime nécessaire d'ajouter à ce que je t'ai dit lors de notre rencontre les éléments suivants :

1) Efforce-toi de ne pas laisser libre cours à tes sens - la vue, l'ouïe, le toucher : grâce à cela, le combat contre les pensées mauvaises sera plus léger et tu seras débarrassée de beaucoup de tentations, voire de chutes. Pour tout laisser-aller dans ce domaine, repens-toi devant Dieu comme d'un grand péché, car ce peut être le début d'un lourd péché.

2) Ne te permets aucune liberté dans tes rapports avec autrui : comporte-toi avec chacun comme si tu le voyais pour la première fois.

Une conduite correcte, modeste, avec les gens et la maîtrise de ses sens facilitent grandement le combat intérieur, qui de nos jours est si ardu; et sans l'humilité, sans l'aide de Dieu et une grande prudence, la victoire est inaccessible. L'oeuvre intérieure, jusqu'à la mort, consiste à agir toujours et en tout selon la volonté de Dieu - c'est-à-dire selon les commandements évangéliques dans lesquels la volonté de Dieu s'exxprime -, et à constamment invoquer le Nom du Seigneur Jésus-Christ et implorer Son aide.

Et puisque nous transgressons sans cesse les commandements, grossièrement ou finement, nous devons toujours nous repentir devant Dieu et garder "un coeur humble et contrit". Sans cela, tout notre ttravail, si sublime soit-il extérieurement, non seulement n'est pas profitable, mais il est même nuisible, car il conduit au contentement de soi et à l'orgueil, et il cause la perdition de l'âme, car Dieu S'oppose aux orgueilleux, et Il donne Sa grâce aux humbles. Voilà en quelques mots l'essence du travail spirituel. Et lorsque tu vas oeuvrer sincèrement, pour l'amour de Dieu, beaucoup de questions et de doutes surgiront. Parle-m'en alors dans une lettre et, avec l'aide de Dieu, je m'efforcerai de te donner une réponse conforme à l'Ecriture et aux écrits des Saints Pères.

Si tu as des doutes sur ce que je t'écris, ne te tourmente pas toute seule, écris-moi. Sois frandhe dans ta vie spirituelle avec moi, ne dissimule rien. Et si tu n'as pas confiance, dis-le aussi, n'aie pass peur, je ne me vexerai pass. Tu sais bien que je ne m'impose pas comme maître à penser; c'est toi qui t'adresse à moi et tu es parfaitement libre dans tes rapports avec moi : tu peux entretenir des liens spirituels si tu y trouves un bienfait, et tu peux t'éloigner si tu ne reçois rien d'utile. Mais là aussi, il faut être prudente. L'ennemi, voyant le bienfait reçu, s'efforcera de t'arracher.

Si je viens à Smolensk pour quelque affaire, je te reverrai assurément, et nous parlerons. Remercie le Père F. pour sa lettre et demande-lui de prier pour moi, pécheur. Je me prosterne jusqu'à terre devant lui et lui demande de ne pas me priver de ses prières car je suis absolument seul et je n'ai personne à qui demander conseil ou une aide spirituelle. Tout, autour de moi, est perturbé, les commandements sont transgressés. Il faudrait pleurer sans cesse, mais les yeux sont taris. Il faut marcher devant les brebis, mais les forces font défaut... Je demande ses saintes prières et son aide.

Et toi aussi, prie pour moi, chère. Pardonne-moi et porte mes faiblesses, et moi aussi, j'essaierai d eporter les tiennes. Que le Seigneur te bénisse et t'inspire le bien. Amitiés et bénédiction à tes soeurs.

Ton père (Nikon).



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Chère âme!

Pardon de n'avoir pas aussitôt répondu et d'avoir manqué le train. Je te suis très reconnaissant. Sois humble toujours et devant tous. La Mère de Dieu a été élue pour son humilité. Le Seigneur nous ordonne d'apprendre de Lui la douceur et l'humilité, et que Dieu s'oppose aux orgueilleux. Pour son seul orgueil, Lucifer a été précipité du haut du ciel et est devenu Satan. Sans l'humilité, aucune vertu n'est agréable à Dieu, comme tout bon repas préparé sans sel.

Que Dieu, riche en clémence, te fasse miséricorde et te sauve.

N(ikon).



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Chère âme! Je te souhaite paix et salut de ton âme!

Que le Seigneur t'inspire pour tout bien. Je suis un peu inquiet de ta relation avec moi. Tu t'emballes et tu me prêtes des qualités que je n'ai absolument pas. Ce n'est pas bon pour toi et cela pourrait à l'avenir te caser des chagrins inutiles. Ne t'excite pas. Sois calme et équilibrée dans tes relations et demande au Seigneur et à Sa Mère qu'ils m'inspirent, ou à quelqu'un d'autre, des choses utiles à te dire pour le salut de ton âme - car qu'est-ce qu'un homme?

J'ai donné mon accord et je confirme aujourd'hui que je suis prêt à partager avec toi toutes mes connaissances et mon expérience, s'il plaît à Dieu. Ou plutôt d'aider à trouver une réponse à chaque circonstance, une réponse qui ne sera pass la mienne, mais celle des Saints Pères. C'est pourquoi tu ne dois pas me regarder comme un père, mais comme un compagnon plus âgé sur la même route. Je n'ai pas la prétention d'être un père spirituel comme il y en avait auparavant, car moi-même j'ai besoin d'un guide, et c'est par orgueil et volonté dévoyée que je n'ai pas pu me soumettre à quiconque. Pardonne-moi.

De plus, je te préviens de ne pas ajouter foi aux songes. Tu m'as vu une fois en bien, mais il est certain que tu me verras maintes fois en mal, et cela afin que naisse en toi de la méfiance. Comprends-tu d'où cela viendra et quel sera le but? Voilà pourquoi il ne faut pas croire les rêves, ni les bons ni les mauvais, si tu veux éviter bien des ennuis.

A propos de ta venue, je dois te dire qu'en ce moment, j'ai des visiteurs. Je te dirai quand ils seront partis. Mais peut-être devrai-je moi-même me rendre pour quelque affaire à S., et dans ce cas, nous parlerons. Donc, attends pour venir. J'aimerais rendre visite au Père F. Transmets-lui de ma part ma sincère reconnaissance pour ses prièress pour moi, pécheur. S'il plaît à Dieu, je lui apporterai de nouveau un présent. Je lui demande pour l'amour de Dieu de ne pas m'oublier dans ses saintes prières. Toi, je te commémore toujours et je te souhaite toutes sortes de grâces de la part du Seigneur. Sois tranquille. Si un doute quelconque survient dans ton labeur spirituel, écris-moi ou note-le, afin que enous en parlions lors d'une rencontre. Que le Seigneur et Sa Mère te gardent et te bénissent.

N(ikon).



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Je suis en bonne santé, content et reconnaissant à Dieu; je ne désire rien de plus, pourvu que je ne sois pas privé de cela. Que la volonté de Dieu soit faite en toutes choses. Si tu as de l'argent, dépense de ma part pour le Père F. cent roubles en petites sommes. Je te les rendrai.

N(ikon). 15 février 1949.



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Très chère!

Je me suis accoutumé ici et sans la volonté de Dieu je ne désire aller nulle part. Que la volonté de Dieu soit faite, mais moi-même, je ne veux rien choisir ni rien entreprendre. Le Seigneur sait mieux que moi où chacun doit être. Relis mes deux premières lettres et tâche d'exécuter ce que je t'y conseille. Ne considère pas comme bénins les péchés dus à la vue, à l'ouïe, au toucher et à tous les sens. Ils sont graves par leurs conséquences, c'est pourquoi il faut se repentir si on a péché. Et si tu remarques que tu cèdes à la tentation de l'un de tes sens, écris-moi et repens-toi, car c'est le début d'un grand péché. Massacre les enfants de Babylone tant qu'ils sont petits, et efface leurs traces avec le Nom de Jésus. Rappelle-toi que le Royaume de Dieu s'acquiert par la force, et que seuls ceux qui ont renoncé à eux-mêmes et à leurs péchés et qui se sont forcés à accomplir les commandements hériteront du Royaume de Dieu.

Prends soin de toi. Prie pour moi. Que Dieu te bénisse ainsi que tes soeurs. Qu'Il vous protège de tout mal. Merci à vous toutes.

Ton père N(ikon). 24 janvier 1949.



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Chère âme!

J'ai reçu une lettre de toi. Que le Seigneur t'aide à vivre dans ce maelström, à traverser l'océan de la vie et à aborder le paisible rivage. Comme les choses sont difficiles de nos jours, surtout pour les jeunes! Demande toujours leur aide au Seigneur et à la Mère de Dieu. Sache fermement que si quelqu'un, du fond du coeur, refuse de commettre le péché, l'enfer tout entier ne peut rien contre lui. Parce qu'avec lui sera toujours l'aide de Dieu. Mais si quelqu'un, de son plein gré, tend vers le péché, et s'entretient d'abord mentalement avec les pensées mauvaises, sans les chasser, comme un serpent venimeux, alors l'ennemi truvera une entrée dans son coeur et le Seigneur permettra que le péché soit commis. De même, pour la haute opinion de soi, l'orgueil, ou la condamnation haineuse du prochain, la chute de l'homme est permise.

Voilà pourquoi il faut veiller et ne pas réchauffer dans ses pensées et son coeur un serpent qui rissque de vous mordre. Ce n'est qu'en veillant, en retenant ses sens ( la vue, l'ouïe, le toucher) et en invoquant sans cesse le Nom du Seigneur que l'on peut combattre toutes les embûches de l'ennemi, et se retenir avant de commettre un grand péché. Il faut étouffer par le nom de Jésus-Christ les pensées et les sentiments de péché qui naissent en nous, de notre nature corrompue et de l'action des démons, avant qu'ils ne croissent et ne s'enracinent.

Il n'y a pas d'autre voie, pas d'autre moyen de se purifier : Veillez et priez sans cesse, afin d'être capables d'éviter tous les malheurs dus à notre nature pécheresse, à nos ennemis et à leurs armes. Patiente, travaille dur jusqu'à septembre et là, on avisera. Que le Seigneur t'aide. Lutte, ne tends pas la main à l'ennemi, sois fidèle au Seigneur et Il ne t'abandonnera pas, ne te laissera pas te faire de mal, même si le monde entier se liguait contre toi. Dieu est avec nous, sachez-le, peuples, et soumettez-vous, car Dieu est avec nous. Que le Seigneur te bénisse et te garde.

Ton père.



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Paix à toi, S.!

Patiente, prie, combats le péché, humilie-toi, reproche-toi tout et n'incrimine pas les autres, ne te justifie pas. Ne donne libre cours ni à tes yeux ni à tes oreilles ni à ta langue. Ne juge personne. Lee salut ne s'obtient pas en une journée. Dans toutes les difficultés, tourne-toi vers le Seigneur en Le priant. Celui qui cherche à plaire à Dieu, celui-là, Dieu ne l'abandonnera pas. Pourvu que nous ne L'abandonnions pas. Lis inlassablement l'Evangile en demandant d'être éclairée, et obéis selon tes forces à ce qui est demandé. Et si tu transgresses un commandement évangélique, désole-toi et demande pardon. Fais toutes choses selon ta conscience, et chez toi et au travail. Ne bavarde pas. Supporte. Je t'ai en mémoire. Prends soin de toi. Que le Seigneur te bénisse et t'inspire pour le bien. Amitiés et bénédiction à ta soeur.

N(ikon).



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Chère âme!

Aujourd'hui j'ai reçu une lettre avec accusé de réception. Elle a mis six jours à arriver. Je ne sais pas si j'ai reçu toutes tes lettres ou non, mais je suis parti dans mon pays et ne suis rentré que le 13 septembre. Avant de partir, je t'ai écrit une courte lettre. Tu as tort de t'inquiéter de moi. Je vais bien et, pour l'instant, tout va bien ici. Qu'as-tu à la main? Je n'en sais rien, car ou bien tu ne m'ass rien écrit ou bien je n'ai pas reçu ta lettre. Tu écris : "Tout ce que vous m'avez dit, je l'ai fait", mais je ne sais plus de quoi il s'agit.

A propos du projet que je sois transféré chez vous pour célébrer, je vous dirai que je n'en ai pas envie et j'estime que, pour d'autres circonstances, je ne dois pas accepter le transfert chez vous, même si les autorités me le proposaient. C'est pourquoi je vous prie instamment de ne pas soulever cette question. En tout ce qui me concerne, j'estime nécessaire de laisser tout à la volonté de Dieu et de ne rien entreprendre moi-même, car tout ce que l'on fait par soi-même n'apporte jamais de profit ni à soi ni aux autres. Je pense qu'après la fête de l'Exaltation de la Croix, il me faudra me rendre à S., bien que je n'en sois pas sûr. Si tu ne ressens pas un besoin particulier, attends jusque-là, et si je ne viens pas, alors viens toi-même. Que devient D.?

Prends soin de toi. Ne t'inquiète pas vainement. Confie-toi entièrement à la volonté de Dieu, et toi-même, sois honnête en tout, ne t'écarte pas des préceptes évangéliques ni en actions ni en pensées. Dis sans cesse la Prière de Jésus. A travers elle, le Seigneur Lui-même Se fait sentir à nous et nous protège de tout mal. Arme-toi contre les passions par l'appel au secours de notre Sauveur. Sans Lui nous ne pouvons rien faire de bon. Prends soin de toi, que tout aille bien pour toi. Amitiés aux soeurs et à Mère S. Ecris dès que tu recevras cette lettre.

Ton N(ikon). 16 septembre 1949.



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Chère S.!

Je te souhaite ainsi qu'à tes soeurs, paix, salut et santé! Je me souviens toujours de vous avec amour. Je vous souhaite mille grâces du Seigneur. Si je suis à S., je viendrai sans faute vous voir. Soyez en bonne santé, en bonne entente. Portez les misères les unes des autres. Contraignez-vous à vous comporter avec tous non par intérêt mais par amour, et le Seigneur vous aimera et vous réconfortera, et Il aménagera tout au mieux. Ne vous abandonnez pas à l'Ennemi, et pour des vétilles ne perdez pas les grands trésors qui vous sont préparés.

Que le Seigneur vous bénisse et vous inspire pour le bien, et qu'Il vous protège de tout mal. Je demande vos saintes prières pour moi.

N(ikon). 1er avril 1952.



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Chère S.! Paix à toi!

Je regrette que vos ennuis là-bas n'en finissent pas. Je te propose d'obéir au précepte évangélique : quitte la terre ( c'est-à-dire l'agitation vaine du monde), attache-toi à Dieu par la prière, le souvenir de Dieu, la lecture d'écrits spirituels, le repentir, la Communion fréquente, le refoulement en toi de l'inimitié envers ceux qui t'entourent, et par toute oeuvre bonne pour Dieu. Tant que tu es dans l'agitation, tant que tu es plongée dans tous les conflits du monde ambiant, tu vas souffrir, tu vas être sous l'influence des hommes et des démons.

N'imagine pas que tu puisses t'affranchir de cela en déménageant dans un autre lieu. Non. Si tu ne sais pas être au-dessus de l'agitation, tu ne le sauras pas mieux ailleurs et tu endureras deux ou trois fois plus qu'ici. Tends ton intelligence, ton coeur, ta volonté, toute ton âme pour plaire à Dieu. Comment Lui plaire, tu le sais. Lis avec ton coeur - pas seulement ta raison - l'Evangile, il t'instruira en tout. Apprends à lire pas seulement avec les yeux ou même la raison, car ce n'est p as suffisant : apprends à lire avec ton coeur et ton âme. Au moins une fois éprouve cela, pour comprendre ce que j'écris. Demande au Seigneur.

Mais voici le principal : sois en paix avec tes proches, dans la mesure où cela dépend de toi. Estime que ce sont, rassemblées là, toutes sortes de malades, et c'est réellement ainsi. C'est pourquoi il faut être avec eux comme dans un hôpital, où l'on ne vous gronde pas parce que vous êtes tombé malade des poumons, du coeur, de l'estomac, où l'on ne dit pas : " Espèce de boenne à rien, te voilà aveugle maintenant, malade des yeux, voyez-vous ça!" Vous non plus, vous ne devez pas vous reprochez vos maladies spirituelles; il faut au contraire vous supporter et vous plaindre mutuellement. Portez les fardeaux les uns des autres et ainsi vous accomplirez la loi du Christ, dit l'apôtre.

Efforce-toi de suivre mon conseil si tu veux pour toi du bien, et spirituel et corporel. Quand l'âme sera en paix, dans un esprit de prière et de repentir, alors le corps, lui aussi, sera sain, et les offenses seront légères à supporter. Si ta disposition intérieure est bonne, à toute offense, à toute injustice, à toute épreuve tu diras du fond du coeur : " Je reçois ce que j'ai mérité par mes actes, Seigneur, gloire à Toi qui m'apprends à être patient et à obéir à Tes préceptes."

Aie de la sagesse, sors de l'océan de l'agitation et aborde le rivage de la prière, du repentir, du pardon des offenses, et le Seigneur te gardera de tout mal et aménagera ta vie comme tu ne le rêvais même pas.

Que le Seigneur te garde, qu'Il t'inspire le bien, qu'Il te préserve du mal et de l'inimitié. Que la bénédiction de Dieu soit avec toi pour les siècles! Amitiés à tous les nôtres.

Grand-père.



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Chère S.!

On a reçu aujourd'hui, jour de la Décollation de saint Jean Baptiste, une lettre de toi, tellement malheureuse, tellement déprimée, comme si tu te trouvais en prison. Au reste, même en prison, il faut avoir l'âme plus forte que cela. Comme dans la nature le temps change, de même des changements inévitables ont lieu en nous-mêmes. Peut-on, en automne, dans la boue, les flaques et autres désagréments verser dans le désespoir à cause du temps, même si c'est parfois extrêmement pénible à supporter? Nous le supportons, car nous croyons fermement que le printemps va venir, puis l'été - et toi aussi, après la dépression, tu connaîtras la joie. Dans ta situation, les néophytes connaissent deux états :

1) Ils se sentent comme au paradis, et après... ils refroidissent, ils s'ennuient, tout leur pèse, ils n'écoutent plus les conseils, ils ne se soumettent plus aux autorités, ils ressentent ce que tu ressens en ce moment, et alors, soit ils partent, soit ils supportent, se pacifient, acquièrent, en se connaissant mieux eux-mêmes, le repentir, l'humilité, le paradis perdu, et alors ils commencent à remercier constamment Dieu, et tous ceux qui les ont aidés à être dans leur situation.

D'autres commencent comme toi : souffrances, découragement, lâcheté, impertinence, désir de fuir où que ce soit, dégoût de tout ce qui est spirituel, dureté envers l'entourage, pensées et projets de fuite, etc... C'est l'ennemi de notre salut qui, avec son armée, s'attaque au nouveau venu, pour l'empêcher d'entrer dans le Royaume des Cieux, lequel est au-dedans de nous.

2) Ce douloureux état dans lequel tu te trouves et qui, à un degré minime, fait penser aux tourments de l'enfer, pour te faire juger de l'état inverse. En effet, s'il existe des tourments infernaux, c'est qu'il y a une foi et une félicité ineffables, qui sont ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu et ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme; elles sont cachées au-dedans de nous, elles sont le Royaume de Dieu. Ce sont elles qu'il nous est ordonné de chercher avant toute chose : cherchez avant tout le Royaume de Dieu et sa justice.

Mais comment chercher? Comme tous ont cherché : par la foi, l'obéissance, la prière, l'endurance dans les épreuves, l'attention à soi, les reproches à soi-même et un constant repentir, qui font naître l'humilité et le non-jugement d'autrui. Avec l'humilité viendra la joie en l'Esprit Saint et le Royaume de Dieu. Tu as commencé par la douleur et le découragement. C'est bien. Plus tu avanceras, plus les choses deviendront légères et plus solide sera le résultat. Je t' assure que dorénavant tu recevras par moments la consolation venant du Seigneur, qui veut que tout homme soit sauvé et parvienne à la connaissance de la vérité. Et le Seigneur ne permettra pas que l'homme soit tenté au-delà de ses forces.

Sachant que c'est l'Ennemi qui t'a attaquée afin de t'empêcher, dès le début, de marcher sur la voie du salut, combats-le par une courte prière ( la prière de Jésus), par la patience, le labeur, l'obéissance. Et surtout, ne laisse pas se développer en toi l'idée que tu vivais tellement bien avant, que tu pouvais fort bien faire ton salut chez toi, aménager ta vie comme les autres, etc... Chasse ces idées, car elles suscitent dans le coeur un état d'affliction. Si tu ne parviens pas à les chasser, dis-toi que tu pourrais te retrouver en prison pour une durée de cinq ou dix ans ( ce qui est fort plausible et n'offre aucune difficulté). Peins-toi avec réalisme le tableau de la vie là-bas et ta vie actuelle t'apparaîtra comme un paradis en comparaison. En effet, il n'est pas difficile dans ton état de faire une erreur, d'être accusée et d'être passible d'une condamnation sévère.

Le Seigneur t'a fait grâce, remercie-Le pour cela et pour tout, notamment de t'avoir choisie et incluse parmi Ses amis. Supporte, très chère; quand tu seras apaisée, tu te verras et tu verras ton entourage sous leur vrai jour. Pour le moment, tu vois tout sous un faux jour, comme te le montre le Malin. Ne juge personne. Ecoute les aînés et obéis sans te plaindre à ce qu'ils te disent. Si tu as du temps libre, lis dan sun esprit de prière les Psaumes ou l'Evangile. Ces livres, en tout cas, tu les as. Efforce-toi de dire partout, avec attention, de tout ton coeur, la prière de Jésus. L'une des ruses de l'ennemi qui profite de ton état dépressif, c'est de t'engager à faire connaissance avec d'autres gens, à bavarder avec eux, à perdre ton temps.

Surmonte ton état par la prière, la patience, l'humilité, la gratitude envers Dieu. Le Seigneur est proche. Il regarde ton coeur. Si tu L'aimais un tant soit peu, tu te réjouirais de la possibilité de Lui consacrer ta vie et tu serais prête à tout supporter. Rappelle-toi la vie de saint Jean le Précurseur, du Sauveur, de la Mère de Dieu, des martyrs, des saints. Que n'ont-ils pas endiré! Peut-on comparer, ne serait-ce qu'un tout petit peu, ton état avec leurs exploits et leurs souffrances? Lis les Vies des saints - tu dois les avoir -, et compare avec ton état. Parle-moi de tout, je tâcherai, atant que possible, de te répondre. Ne te décourage pas, très chère. Le Seigneur est avec toi et Il ne te laissera pas sans aide et sans consolation.

Ton grand-père N(ikon).



Raconte-moi comment est ta vie extérieure. Réjouis-toi, ne te désole pas. Par votre patience vous gagnerez vos âmes. C'est ce que dit le Saint Evangile.



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Paix à toi, soeur!

Pourquoi écris-tu des lettres aussi désespérées? Es-tu donc seule à supporter des difficultés? il ne s'agit pas de difficultés extérieures, je pense que tu le comprends toi-même; il s'agit de ton état intérieur. Où que tu t'en ailles, tu n'échapperas ni à toi-même ni à l'Ennemi. Tout ce qui est en toi, restera en toi et te fera souffrir ailleurs plus fort encore qu'ici. Tu ne dois pas oublier que la loi spirituelle dit : C'est par de grandes épreuves qu'il convient d'entrer dans le Royaume des cieux; celui qui veur me suivre, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive; le Royaume de Dieu s'acquiert par la force; par votre patience gagnez vos âmes; celui qui supporte jusqu'au bout sera sauvé; dans le monde, vous souffrirez; le monde vous haïra; si tu veux servir le Seigneur, prépare ton âme à la tentation, etc...

Les Saints Pères formulent cette idée par une expression brève et forte : " Donne ton sang et reçois l'Esprit." C'est une loi gnérélae pour tous ceux qui font leur salut. Si tu cherches des exemples, tu en trouveras dans chacune des Vies des saints. L'exemple pour tous est le Seigneur Jésus-Christ, les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les saints. Ce sont des exemples remarquables, connus de tous. D'un degré plus faible, il y a tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ; ils ont été persécutés, insultés, ils ont enduré des maladies et des épreuves, extérieures et intérieures.

De plus, tu dois connaître la prophétie des anciens Pères, selon laquelle, dans les temps derniers, ceux qui ont embrassé la voie monastique seront sauvés non par leurs exploits mais par leur patience devant les épreuves. Cela est à ce point vrai que le signe le plus éclatant de l'élection d'un homme par Dieu, d el'amour de Dieu pour cet homme, c'est la quantité d'épreuves ou de maladies dont souffre cet homme.

Et inversement, si un homme pense qu'il est croyant mais n'a pas d'épreuves ou de maladies, c'est un signe - disent les Pères - que le Seigneur n'a pas de complaisance envers lui.

Maintenant, applique ce qui vient d'être dit à toi-même. Le Seigneur, qui désire ton salut, qui t'aime, t'envoie le remède indispensable à tous sans exception - les épreuves. Et toi, comment réagis-tu? Tu ne le comprends pas, tu trouves que ces épreuves sont superflues et même dangereuses. Elles sont dangereuses, mais pas pour ton âme - pour ta nature déchue; elles sont dangereuses pour le vieil homme, mais salutaires pour l'homme nouveau. L'ennemi sait cela et il te perturbe, il te donne de fausses idées, l'impatience, le désespoir, la condamnation des autres, la rébellion contre les règles de la vie, les autorités... Tu dois comprendre cela, le connaître par l'expérience et t'opposer au diable. D'après la Parole de Dieu, les épreuves et les souffrances dans la vie terrestre ne sont pas un mal, mais au contraire un don de Dieu : il vous a été donné pour l'amour du Christ non seulement de croire en Lui mais de souffrir pour Lui (Ph 1, 29).

Les épreuves qui sont nécessaires à l'homme pour son salut peuvent être acceptées plus ou moins facilement ou difficilement par cet homme selon sa disposition d'esprit. Si cet homme croit en la parole de Dieu qui affirme que les épreuves sont nécessaires et inévitables pour le salut, s'il reconnaît ses innombrables péchés en paroles, en actes et en pensées, s'il pense qu'il mérite pleinement non seulement les épreuves envoyées, mais deplus grandes encore, s'il s'humilie devant Dieu et les hommes, alors les épreuves lui seront plus légères, puis elles engendreront en lui ce qui est plus précieux que le monde entier avec toutes ses joies, comme le dit l"apôtre Paul : ce que l'oeil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, que Dieu a préparé pour ceux qui L'aiment.

Si au contraire l'homme se plaint des épreuves et des maladies, s'il cherche un coupable parmi les gens, les démons, les circonstances, et qu'il essaie de toutes ses forces de leur échapper, l'Ennemi l'aidera en cela, lui montrera des coupables imaginaires ( les aurorités, le mode de vie, les voisins, etc, etc...), suscitera en lui de l'inimitié et de la haine, le désir de se venger, d'insulter, etc... Et par là, il conduira l'âme de cet homme dans les ténèbres, le désespoir, l'absence de toute espérance, le désir de fuir ailleurs, de se cacher, fût-ce sous terre, pour ne pas voir, ne pas entendre ces prétendus ennemis, alors qu'en réalité, cet homme écoute et se délecte de cet ennemi mortel, le diable, qui lui inspire tout cela et qui veut le perdre en l'acculant parfois jusqu'au suicide, c'est-à-dire à la perdition assurée.

Si tu veux trouver la paix de l'âme et le salut, humilie-toi sous la puissante main de Dieu et Il t'élèvera. Cela signifie : accepte tout ce qui t'arrive comme venant de la main de Dieu ( et non des hommes, des démons ou des circonstances) car en vérité tout ce qui nous advient ne peut nous advenir sans la volonté de Dieu. Les gens et les circonstances ne sont que des instruments de Dieu, souvent inconscients de leur rôle.

Le Seigneur Jésus-Christ a annoncé à tous que les souffrances sur la Croix qu'Il devait subir n'étaient pas le fait des hommes - des pharisiens, des scribes, de Pilate, de Judas, qui n'étaient que des instruments : la coupe que Mon Père m'a donnée, n'ai-je pas à la boire? La coupe de Ses souffrances, ce ne sont pas les hommes qui l'ont donnée à Jésus-Christ, mais le Père Céleste, pour le rachat de l'humanité déchue. Et à nous tous qui voulons être sauvés, ce ne sont pas les hommes, mais le Seigneur qui donne notre coupe d'épreuves. Si le Seigneur a souffert pour nous, comment, dis-moi, pourrions-nous ne pas souffrir à cause de nos innombrables péchés, que nous ne voyons même pas? Il faut demander au Seigneur : " Donne-moi de voir mes péchés (1)."

(1) : ( Prière de saint Ephrem le Syrien, que l'on récite de nombreuses fois au cours du Grand carême. (NdE).).

Si nous recevons ce don, celui de voir nos fautes, nous sentirons tout leur poids, l'impossibilité pour Dieu de recevoir l'homme avec ses péchés, la nécessité de recevoir du Seigneur le pardon et la purification de notre âme lépreuse par Sa force; alors nous tomberons aux pieds du Seigneur, nous pleurerons comme la femme pécheresse et du fond du coeur nous implorerons, comme le publicain : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur; Seigneur, fais de moi ce que Tu veux, envoie-moi des épreuves, seulement pardonne-moi mes péchés, lave mon âme corrompue, ne me prive pas de Ton Royaume céleste, ne me livre pas aux mains d emes ennemis, les démons."

Humilie-toi devant Dieu, dis, comme le bon larron, de tout ton coeur : je reçois ce que j'ai mérité par mes actes, souviens-toi de moi dans Ton Royaume. Ne ressemble pas à l'autre larron, qui se plaignait de tous, accusait les autres et ne faisait par là qu'aggraver son état et qui s'est perdu. Le bon larron, lui, a compris sa faute, il s'est humilié, il s'est tourné vers le Seigneur et il a reçu la consolation et l'adoucissement de ses peines, la joie d' une délivrance rapide et d ela félicité éternelle : aujourd'hui même tu seras avec moi dans le Paradis.

Le Seigneur a tout fait pour notre salut, Il veut que tout pécheur soit sauvé. Nous devons nous aussi oeuvrer pour notre propre salut, nous forcer à vivre - agir, penser, sentir - comme le faisait le Seigneur et comme l'enseigne l'Evangile. Si tu t'efforces d'être une disciple du Sauveur, de vivre selon les commandements évangéliques, que tu te désoles sincèrement de tes transgressions volontaires ou involontaires, si tu te repens, si tu t'efforces de préserver la paix avec tes proches, de t'humilier devant eux, de demander pardon pour tout, alors, bien vite, tu verras sur toi la bonté de Dieu, tu oublieras toutes tes souffrances ou bien tu les porteras aisément, et tu remercieras Dieu pour le sort qu'Il t'a réservé... Apprenez de moi car je suis doux et humble de coeur, et vous recevrez la paix pour vos âmes.

Toi aussi, tu trouveras la paix et la joie, non en déménageant, mais seulement dans les commandements de Dieu, et surtout dans la paix, l'humilité, le refus de juger quiconque, le repentir et la prière. Apprends à rechercher la consolation du Seigneur dans la prière et "tu n'en sortiras pas nu".

Ecris pour dire comment tu as reçu cette lettre.

N(ikon).



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Paix à toi, S.!

On a reçu le colis. Merci. S., aucun homme, quels que soient ses exploits spirituels, ne fera son salut s'il ne lutte pas contre l'arrogance et la haute opinion de soi. Le diable est orgueilleux, et les gens orgueilleux, après leur mort, le rejoindront. Ce n'est pas pour rien qu'il est dit : Dieu s'oppose aux orgueilleux. Si Dieu est contre lui, qui peut aider l'orgueilleux? Si tu ne peux combattre l'orgueil en toi, reconnais-le, accuse-toi ( et non les autres), pleure et désole-toi dans la prière, pour que le Seigneur te pardonne et rabaisse ton orgueil, qu'Il ne te laisse pas aller jusqu'à la perdition.

A en juger par certains indices, on cherche à fermer votre ermitage. Déménége en ville. Demande qu'on te prenne. Tu auras bien le temps de rentrer chez toi s'il n'y a pas de place en ville. Lis et applique à toi-même ce que tu as lu. Saans lecture et sans prière l'homme se transforme en une colonne de sel. Accuse-toi devant Dieu de tout péché commis, demande pardon, ne remets pas le repentir à plus tard.Si tu as offensé quelqu'un, aussitôt, le jour même, efforce-toi de faire la paix avec lui, ssinon le Seigneur ne recevra pas tes prières. Tout cela, tu le sais fort bien.

Aie pitié de toi-même, ne gâche pas de temps pour ta perte. Un sac de sable fin cause la noyade aussi bien qu'une grosse pierre. Sois raisonnable, souviens-toi de ta raison de vivre; C'est terrible de lire tes lettres, se savoir comment tu te comportes. Les autres, qu'ils fassent comme ils veulent. Tu ne vas pas répondre pour eux. Pense à la réponse que tu donneras au Seigneur le jour du Jugement, quand ton sort éternel se décidera. Que le Seigneur te donne l'intelligence et te sauve.

H(iéromoine) N(ikon).



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Chère petite soeur S.!

J'ai reçu ta longue lettre, ainsi que le colis. Je te demande instamment de ne plus envoyer de colis de ce genre; de toute façon, je n'irai pas les chercher à la poste et ils retourneront chez toi, et tu n'auras que du désagrément. Je n'arrive pas à comprendre ce qui se passe chez vous. A mon avis, il faut soit que Mère T. fasse preuve d'autorité et fasse cesser tout ce qui ne va pas, soit qu'elle parte si on ne l'écoute pas et si on l'empêche d'agir comme il faut, afin de ne pas porter de responsabilité devant Dieu et devant les hommes. Les liens de parenté, il ne faut pas en avoir peur.

Toi aussi, tu ne te comportes pas bien. Tu vois les péchés des autres, tu portes toute ton attention sur eux, et tes propres péchés, soit tu ne les vois pas, soit tu te les pardonnes aisément. Tant que ton coeur ne s'affligera pas de ses péchés et tant que tu ne pardonneras pas ses fautes à ton prochain, tu n'es ni une moniale ni même une chrétienne par l'esprit. Ferme les yeux sur les péchés des autres, et si tu ne peux pas ne pas les voir, prie pour ceux qui pèchent comme si c'était toi, pour que le Seigneur leur pardonne; alors tu recevras la miséricorde de Dieu, ton âme va sans cesse se transformer, tu verras apparaître la contrition du coeur, l'attendrissement, la pauvreté en esprit, la compassion pour tous, la paix intérieure, la prière incessante et tous les autres dons divins.

Lutte contre le péché qui se terre en toi, qui est : mensonge, ruse, vanité, calomnie, envie, impureté, incroyance, colère, susceptibilité, paresse, morosité, oubli du Nom de Dieu, oubli de la mort, désir des honneurs, de l'admiration des gens, etc, etc... Si tu t'observes, tu verras que tu pèches à chaque instant, que tu offenses Dieu. Alors, sincèrement, tu ne voudras plus juger ton prochain, puisque toi-même tu es capable de commettre le même péché que celui que tu vois en cet instant chez ton prochain.

Celui qui nous sauve, c'est le Seigneur. Aucun homme ne peut se sauver ni soi-même ni sauver les autres. Nous sommes tous sauvés par le Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur du monde, si nous avons conscience de notre perdition et nous tournons vers Lui en Le priant de nous sauver. Jamais le Seigneur n'a refusé à quiconque le pardon, le secours et le salut; seulement il nous faut nous-mêmes sentir réellement le danger de notre situation, notre état de perdition, savoir que nous périssons dans les péchés, que nous sommes non seulement indignes du Royaume de Dieu, mais même indignes de prier. Si l'homme a une pleine conscience de cela et s'adresse à Dieu en implorant la miséricorde et le salut, alors il recevra le salut. On trouve le chemin du salut par le repentir, et non en jugeant les autres. Si au contraire l'homme juge son prochain, cela veut dire qu'il ne sent pas ses propres péchés, et donc qu'il n'a pas de repentir.

Et inversement, le signe que l'on est conscient de ses péchés et qu'on s'en repent, c'est le non-jugement des autres. Fais ce que tu as à faire, ce qui t'est confié, et ne te mêle pas des affaires des autres, garde le silence, autant que possible, ne raconte jamais rien à personne : que toutes les paroles que tu entends s'abîment comme une pierre jetée dans la mer. Aie compassion de tous, pardonne à tous dans ton âme et dans tes actes, si l'occasion s'en présente.

Outre le salut, la paix intérieure, la joie, et le paradis tout entier sont enfouis dans le Seigneur Jésus-Christ. Invoque le plus souvent possible Son saint nom et ton coeur se réchauffera, sera consolé. Aie de la sagesse, ne ruse jamais. Tout sera dévoilé en son temps et tu récolteras ce que tu auras semé. Que le Seigneur t'aide, ainsi que Mère T. et tous ceux qui désirent le salut. Ceux qui vivent selon la chair récolteront de la chair la corruption et la mort.

11 avril 1956.



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Chère L.!

J'ai reçu ta lettre. Loth vivait à Sodome et il a su obtenir le salut. Un ange l'a fait sortir avec sa famille de la ville, tandis qu'il anéantissait Sodome et les villes alentour, à cause de leur péché.

Il est difficile de faire son salut quand tout l'entourage est incroyant et ne vit pas selon la foi. C'est une grande grâce faite à ceux qui, dans cet environnement, s'efforcent de vivre selon l'Evangile. Evite à tout prix de pécher en pensées. Dns ta position, l'ennemi va agir surtout sur tes pensées et tes sentiments. Il va faire naître dans ton imagination les images d'un bonheur familial, il va exciter tes nerfs, inspirer de la mélancolie, du découragement, d ela rébellion contre le destin et contre Dieu, t'attirer vers la vie du monde, sinon par le corps, du moins par l'âme et ainsi t'éloigner de Dieu et du salut. Je t'ai dit qu'à côté de cette vie du monde, il y a la vie de l'esprit, infiniment meilleure, joyeuse, pleine de lumière, de raison, de félicité. Il est dit : Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous. On ne peut entrer dans ce Royaume que par la foi et en étouffant en soi toutes les inclinations de péchés, les pensées mauvaises, les rêveries, les paroles et les actes peccamineux. Quand en toi sera mort "le monde", alors dans ton coeur revivra le Royaume de Dieu.

Combats en toi-même ce monde, tout ce qui est péché, récite le plus souvent, en pensée, la Prière de Jésus ( "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur"), et tu commenceras à sentir une autre vie, dont jusqu'alors tu n'avais aucune idée. Alors tu vas remercier Dieu pour ta maladie et tes épreuves, pour t'avoir permis, grâce à elles, de t'arracher plus aisément à ce monde-ci et de te rapprocher de Dieu. Si tu oeuvres peu, si tu pèches par des pensées, même fugitives, purifie-toi par le repentir. Demande pardon au Seigneur, "fais la paix avec le Seigneur".

Encore un conseil : ne fais pas confiance aux gens, ne parle pas de ta foi et d eta vie intérieure. Parle avec eux le moins possible. D'ailleurs, de quoi parler? De même, lis un minimum de romans et de livres profanes; à la rigueur, tu peux lire des ouvrages historiques. Si tu as la possibilité de t'isoler, lis l'Evangile. Cette lecture fortifie la foi, chasse la mélancolie et le découragement.

Tu demandes si tu dois aller te faire soigner. L'expérience te montre que rien n'apporte une aide. Tu te retrouveras de nouveau parmi les gens, sans prière, sans la Parole de Dieu. Va là où tu peux te reposer de l'agitation du monde, fréquenter l'église, lire la Parole de Dieu.

Que le Seigneur te vienne en aide, qu'Il te réconforte, qu'Il t'inspire pour le bien et te garde de tout mal. Ne désespère pas, très chère. Le Seigneur t'aime; patiente un peu et ne trahis pas le Seigneur en transgressant Sa volonté, c'est-à-dire Ses commandements. Que la bénédiction du Seigneur soit toujours sur toi!

Avec amour pour toi, je reste le père N(ikon). 29 avril 1960.



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Chère L.!

Merci pour tes souhaits et tes bons voeux. A notre tour, nous te souhaitons toutes sortes de grâces de la part du Seigneur. Et surtout que tu ne te désespères pas, que tu ne perdes pas courage. Rappelle-toi les paroles : celui que Dieu aime, Il le châtie, le bat, et celui-là même, Il le reçoit. Il le châtie, ce qui veut dire Il lui donne des leçons, Il l'éduque, Il le prépare à la béatitude éternelle. A propos de notre époque, il a été dit depuis longtemps par les Pères que les gens n'allaient faire leur salut que par les épreuves et les maladies. Les hommes heureux et en bonne santé oublient Dieu et la vie future : ils vivent comme s'ils devaient vivre éternellement sur la terre et n'allaient jamais mourir. Mais les épreuves et les maladies obligent l'homme à s'arracher aux intérêts de la terre et à se tourner vers Dieu.

Crois-moi, toutes les joies de la terre ne valent pas une goutte de la félicité qui vient de Dieu. Il est dit : " Supporte le Seigneur, prends courage et supporte le Seigneur, et tu recevras la perle de grand prix, celle que le marchand, "l'ayant trouvée, alla et vendit tout son bien, et l'acheta". Et toi, tu n'as même pas à vendre, tu n'as qu'à supporter ta maladie sans te plaindre et à remercier Dieu, même si ton coeur s'y oppose, et alors tu verras l'action puissante de Dieu dans ton coeur. Alors, ton coeur lui-même remerciera le Seigneur. Mais pour l'instant, patiente. Tu es encore jeune. Ne te décourage pas si la maladie parfois se fait plus forte; pourvu que tu n'aies pas de douleurs insoutenables.

Que le Seigneur te donne la sagesse, qu'Il te console. S'il t'arrive de te plaindre ou de pécher d'une quelconque façon, quand tu reviendras à toi, repens-toi devant Dieu, demande pardon, et le Seigneur te pardonnera.

Efforce-toi d'invoquer souvent le Nom du Seigneur, prie beaucoup, au moins au-dedans de toi, s'il est impossible de prier ouvertement. Tâche d'obtenir que l'invocation du Nom de Dieu te procure la joie spirituelle. Le prophète David dit : J'invoquerai le Seigneur et je serai dans la joie. Obtiens cela, toi aussi, en invoquant souvent Son Nom.

N(ikon).



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Chère petite Nadia inexpérimentée!

Chère âme, est-il vrai que tu es dans la peine? Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Christ, notre Seigneur, seront persécutés. C'est la loi de la vie intérieure, spirituelle. Par qui sont-ils persécutés? Par l'Ennemi de notre salut, le diable et ceux qui succombent aux injonctions des démons.

Comment le diable persécute-t-il? Principalement en attisant les petites passions qui sont en nous : la gourmandise, la sensualité, les sensations lascives, l'irritabilité, la colère, la tristesse, l'acédie, la vanité, l'orgueil, et tant d'autres. Il persécute intérieurement, en renforçant et attisant les passions, en semant des pensées mauvaises ou futiles, notamment pendant la prière. Il persécute par l'intermédiaire des gens en gênant la prière, en montant nos prochains contre nous par toutes sortes de procédés. Et surtout, s'il voit quelqu'un s'efforcer d'obéir aux commandements, il envoie alors des bataillons de démons qui vont freiner l'oeuvre de salut entreprise par cette personne.

Je t'avais prévenue que cela t'arriverait, à toi aussi. C'est bien pourquoi il est dit dans l'Evangile : Le Royaume de Dieu se prend par la force, et : Il faut entrer par la porte étroite, et : vous gagnerez vos âmes par votre patience, et : C'est par de grandes épreuves que l'on entre dans le Royaume des cieux, etc... Et pour avoir enduré les épreuves d'ici-bas, courtes et passagères, de grandes grâces ont été promises, qui, de plus, sont éternelles. Bienheureux serez-vous lorsqu'on vous outragera et qu'on vous persécutera et que l'on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux. L'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, il n'est pas monté au coeur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment, ceux qui s'efforcent de vivre selon Ses commandements.

Ici-bas, sur terre, la peine et la joie sont éphémères. Comme change le temps, ainsi change l'humeur de l'homme. Toi, après la peine, tu connaîtras la consolation et la joie. Sans épreuves et sans tentations, l'homme n'acquiert pas l'expérience spirituelle. C'est pourquoi ne te décourage pas, très chère, mais supporte. Pardonne à tous tes proches, si l'un d'eux t'a offensée; aie compassion de tous, fais du bien à tous dans la mesure de tes forces et invoque le plus souvent possible - intérieurement surtout - le Nom de Dieu et de la sorte, comme en montant les degrés d'une échelle invisible, tu t'éléveras vers la perfection spirituelle et tu recevras, dès ici-bas, sur terre, une grande joie. Patiente, très chère, ne te décourage pas. Si nous autres, qui sommes pécheurs et pleins d'amour-propre, nous sommes capables de plaindre et d'aimer nos prochains, est-il possible que le Seigneur, qui aime infiniment, n'ait pas compassion et ne récompense pas ceux qui L'aiment, qui tendent vers Lui, qui s'efforcent de mettre Ses paroles en pratique, Fais ton salut, très chère. Que le Seigneur te bénisse et te vienne en aide. Ecris-moi quand tu veux.

Ton ami N(ikon). 7 décembre 1945.



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Je te souhaite paix et salut, chère petite fille!

Une moniale du XX° siècle, âgée de vingt-deux ans, m'écrit : " J'ai beaucoup de mal : outre la distraction, de mauvaises pensées m'assaillent, et je ,'ai envie de rien; il y a dans mon âme une insensibilité à tout ce qui est spirituel. Je me suis mise à me remémorer la vie d'avant - les danses, le théâtre, la scène..." Plus loin heureusement, elle écrit : " J'ai très peur, je ne veux pas du tout revenir en arrière."

Qu'aurais-tu répondu à cela? Je lui dirais ceci : le Seigneur savait dès avant la création du monde et de l'homme, que l'homme, créé par Lui, le quitterait, prendrait le chemin de "la connaissance du bien et du mal", et qu'il serait définitivement perdu s'il ne recevait pas une aide spéciale de Dieu; mais Il l'a tout de même créé, en prévoyant de le sauver par un procédé inconcevable même pour les anges, faisant montre d'un amour véritablement divin et d'une sagesse dépassant toute intelligence. Le Seigneur a donné Son Fils unique Jésus-Christ afin que quiconque croit en Lui ait la vie éternelle... Tel est le sacrifice qu'a fait le Seigneur, telle est la force de l'amour de Dieu envers l'homme qui s'est éloigné de Lui et L'a offensé! S'incarner, subir toutes sortes d'outrages, être crucifié entre deux brigands comme le dernier des hommes! Pour quoi? Pour le salut de tous, pour ton salut à toi, entends-tu? Pour toi, Il a été suspendu sur la Croix. Que peut-on désirer de plus grand de la part du Seigneur?

Il a ouvert les portes du Paradis, a rapproché de Lui l'homme au point de mêler Sa chair et Son sang avec ceux de l'homme. Il Se tient à chaque seconde auprès de chacun de ceux qui croient en Lui et désirent Le rejoindre. Il supporte nos péchés, nos trahisons, notre impureté, Il attend notre repentir et que nous nous tournions vers Lui. Du côté du Seigneur, tout a été fait pour notre salut, toutes les mesures d'amour, d'indulgence, de patience ont été dépassées... Et nous?

Nous, il faut que nous ayons la foi, une foi active en notre Seigneur jésus-Christ et en Sa Providence, une foi prouvée par nos oeuvres. Si un homme veut être avec le Seigneur ici-bas et dans le siècle futur, qu'il rouve sa volonté par une pratique selon ses forces des commandements et par le repentir; alors ni personne ni rien ne pourront lui faire obstacle - ni les démons, ni les hommes, ni les passions, ni les défauts de cet homme, car le Seigneur désire plus encore que lui son salut. Et qui peut aller à l'encontre de Dieu, qui est plus fort que Lui? Rien ni personne. C'est pourquoi aucun de ceux qui désirent le salut ne doit désespérer et craindre de n'être pas sauvé. Il faut seulement qu'il désire fermement être avec le Seigneur, qu'il L'invoque en tout temps et Lui avoue ses faiblesses, ses passions, ses inclinations, Lui dévoilant toute son âme et Lui demandant de la laver, de la guérir, et le Seigneur fera ce qu'il faut...

Ne condamne personne, car tous "nous marchons dangereusement", et nous nous soutenons par la force de Dieu. Surveille-toi, surveille la tête du serpent, c'est-à-dire toute mauvaise pensée qui survient, chasse tout désir, toute tentation mauvaise et anéantis-les en appelalnt le Seigneur à l'aide. Tout se soumet au Nom du Seigneur Jésus-Christ. Ne laisse pas entrer le serpent dans ton âme, chasse-le par le Nom du Seigneur Jésus-Christ et par le repentir.

Il y a des lois particulières de la croissance spirituelle, établies par la parfaite Sagesse de Dieu, qui tient compte de la psychologie de l'homme. Celui-ci, du fait de sa particularité, doit être soumis à une longue tentation par ses passions, par les gens, par diverses circonstances, par les démons, pour connaître son état de chute, ses défauts, son impuissance, pour voir d'expé rience le secours et la miséricorde de Dieu, pour apprendre l'humilité, apprendre à supporter les défauts des autres, acquérir la confiance en Dieu, apprendre à se livrer totalement à la volonté de Dieu, à renoncer à soi-même, à sa volonté, afin de devenir un diamant pur qui reflète le Soleil de Justice sans l'altérer. Mais pour cela, il faut travailler dur, avoir de la peine, porter sa croix, se forcer à accomplir les commandements, se forcer notamment à la prière - en un mot, aller par la porte étroite, ce qui est la seule façon de montrer que nous voulons être avec Dieu. Car recevoir la joie spirituelle et tendre vers elle n'est pas une preuve d'amour pour Dieu. Si nous souffrons avec Lui, alors nous serone glorifiés avec Lui. Ainsi donc : ne vous découragez pas, héroïnes du XX° siècle, mais sortez de ce monde furtivement, au milieu de l'agitation, du quotidien, quittez-le par votre esprit et votre coeur, et surtout par votre volonté, en restant extérieurement presque comme tous les autres, mais en étant "autres", connues par votre vie intérieure de Dieu seulement et de votre confesseur.

Que le Seigneur t'aide. Ne regarde pas en arrière comme la femme de Loth, afin de ne pas être transformée en une statue de sel.

Ton ami N(ikon).

Prends soin de tes yeux et de toutes tes sensations. Amitiés à T. I., T.N., et à tous, tous.

13 novembre 1948, Kalouga.

Demain je pars pour Kozelsk, mais je reviendrai pour une semaine, et après, je ne sais pas.



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Paix à toi, petite Nadia!

J'écris de Edorov. J'ai revu T.I. à Moscou, comme tu le sais. Où va-t-elle être affectée, je ne le sais pas encore. Ils voulaient temporairement l'hospitaliser à Moscou.

Tu écris que, après le départ de ton institutrice, tu as eu plus de mal. C'est parfaitement compréhensible : c'est comme quand, soir et matin lors de la prière, des pensées de ce monde vous envahissent, si bien qu'on pense à tout simplement abandonner cette occupation, comme si elle était stérile. ici, la main du démon crève les yeux. Habituellement, il agit ainsi : il vous écrate, sous divers prétextes, de la prière; s'il n'y réussit pas, il envoie des pensées diverses, d'abord bonnes, puis vaines si les premières se sont maintenues, puis, petit à petit, des mauvaises, impures, puis il suggère d'abandonner la prière en susurrant que c'est absolument inutile de prier comme cela, tout seul, que pareille prière est un péché.

N'écoute pas ces suggestions diaboliques. Personne n'apprend en un clin d'oeil à prier correctement. C'est l'affaire de longues années et de la grâce de Dieu. Il faut toujours se forcer à la prière et, s'étant assigné une règle se prière adaptée à ses forces, s'y tenir absolument (sauf pour causes exceptionnelles). Cette discipline de prière peut, comme l'a dit saint Isaac le Syrien, protéger contre de graves chutes.

Tiens compte de cela. C'est justement au moment où les pensées mauvaises vous envahissent qu'il faut se forcer à prier. C'est que l'Ennemi s'approche, et ce n'est pas le moment de baisser les bras, mais il faut au contraire avec ardeur, en reconnaissant sa faiblesse, invoquer le Seigneur, pour qu'Il nous aide à chasser l'Adversaire. Ils m'ont entouré et par le nom du Seigneur je les ai repoussés (les ennemis). Nous-mêmes, avec nos propres forces, nous ne pouvons rien faire, mais si nous luttons pour l'amour de Dieu, si nous nous obligeons à accomplir les commandements en invoquant sans cesse le Nom du Seigneur, Lui-même nous enverra Son aide et, après la tempête, Il donnera la paix et la sérénité à nos âmes.

La parole du prophète : Maudit celui...ne se rapporte nullement à la prière en cas d'attaque des pensées tentatrices. Il faut avec une grande piété, avec attention, conscience de son indignité, se tenir devant Dieu dans la prière - cela est vrai, mais la prire sera-t-elle pure, ou bien sera-t-elle envahie, avec la permission de Dieu à cause de nos péchés et pour notre apprentissage, par de mauvaises pensées, cela n'est pas en notre pouvoir. Nous sommes tenus de lutter, mais le succès n'appartient qu'à Dieu. Pour être resté stoïquement fidèle au poste, pour avoir lutté, combattu, le Seigneur couronne Ses ascètes.

A propos de la préparation à la communion, je dirai que si tu peux, avec crainte et piété, t'approcher des Saints Mystères, le plus souvent sera le mieux. Seulement, ne le fais qu'avec un degré suffisant de crainte et une bonne préparation intérieure.

Je dirai encore ceci : ne cherche pas des joies dans la prière ou dans la Communion. Tu pourrais là être trompée cruellement. Saint Jean Climaque dit : " Repousse par la main de l'humilité les joies qui te viennent, afin de ne pas recevoir le loup à la place du pasteur". Recherche le repentir, la contrition du coeur, et tout le reste, laisse-le au Seigneur. Sans un sentiment de repentir, sans la contrition du coeur - du coeur que "Dieu ne méprisera pas (1)"

(1) : ( Psaume 50)

- tout le reste est une tromperie ou, selon la terminologie des Pères, une "séduction" diabolique, ou bien cela mène à cette séduction.

Le signe que le travail spirituel avance dans le bon sens, c'est une contrition toujours plus grande de l'esprit, la conscience de son péché, de sa corruption, de son impuissance, en un mot la pauvreté du coeur. C'est le premier degré de l'échelle des félicités, qui mène au ciel. Puis viennent les affligés, les doux, etc... A chacun son temps et son lieu. Celui qui, au début du chemin, recherche le plus haut degré, celui-là ne recevra rien; il ne verra que des mirages au lieu d ela réalité, et il s'égarera.

Que le Seigneur t'épargne tout cela.

Cherche, ma chère, le Royaume de Dieu et Sa justice, selon la parole immuable du Seigneur Lui-même - une parole plus solide que le ciel et la terre -, et tout le nécessaire dans la vie matérielle te sera donné. Bien que le Seigneur éprouve Ses serviteurs, il veille aussi sur tout, sur leurs besoins spirituels et corporels, et Il procure tout en temps voulu à ceux qui ont confiance en Lui et non en leur habileté, leur force, leur savoir, etc...

Fais ton salut dans le Seigneur. paix à toi. Ecris-moi quand tu en ressentiras le besoin.

N(ikon) qui te veut du bien.



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Amitiés à toi!

Je réponds à tes questions : on ne demande pas le moins quand on a le plus. Interroge le grand-père Stéphane (1) et agis comme il te le dira.

(1) : ( Hiéromoine du Grand Habit Stéphane (Ignatenko), mort en 1973 à Kislovodsk (NdT).).

Il connaît mieux et la vie de là-bas et ta vie chez toi, et tu peux lui parler de toi ouvertement ainsi que de tes relations avec T.I. Moi, je ne connais pas du tout le Caucase, et puis je ne te connais pas bien non plus.

Je souhaite que le Seigneur organise tout pour toi au mieux.

N(ikon).

Amitiés à O. S. Je demande instamment ses saintes prières et, si possible, son conseil.



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Paix à toi, chère N.!

Par manque de temps, je ne peux pas t'écrire longuement, je n'aborderai que le principal.

Ne crains rien. Intègre l'idée que dans le monde entier, rien ne se produit sans que Dieu le sache et le permette. Plus encore quand il s'agit de l'homme, et plus encore des hommes croyants qui Le vénèrent. Rien ne se produit, bien ou mal, sasn Dieu. Le Seigneur Jésus-Christ Lui-même a dit que les cheveux sur nos têtes sont comptés. L'homme est l'image de Dieu; c'est pour l'homme que le Seigneur est descendu sur terre, pour lui qu'Il a souffert sur la Croix, qu'Il a envoyé l'Esprit Saint, a fondé la Sainte Eglise, faisant d'elle Son Corps. Le Seigneur peut-Il laisser l'homme sans le secours de Sa Providence? Non, trois fois non!

Dieu est amour; il n'est pas dit que Dieu a de l'amour, mais qu'Il est amour, l'Amour Divin qui dépasse toute intelligence humaine. Si l'amour humain sacrifie parfois sa vie pour l'aimé, comment le Seigneur tout-puissant, qui d'une seule parole crée des univers entiers, qui est amour, comment, Lui qui a aimé l'homme déchu, pécheur, comment l'abandonnerait-Il sans Sa Providence, sans aide dans le besoin, dans la peine, dans le danger? Cela ne peut être!

Le psychisme de l'homme est tel qu'il lui faut, pour son salut, supporter des épreuves, et c'est pourquoi le Seigneur les permet, en dépit de Son amour pour nous. Mais Il ne permet pas qu'elles dépassent les forces de l'homme. Et puis : dans les épreuves sont cachés la joie et l'amour envers Dieu, si nous acceptons les peines, les supportons sans nous plaindre, avec gratitude. Sans les épreuves, l'homme n'acquiert pas l'humilité, il ne s erepent pas profondément, ne ressent pas de l'amour pour Dieu.

Et puis je dirai encore ceci : si tu as peur des épreuves, voici le moyen de les éviter : veille sur ton âme et ne laisse pas le péché s'introduire ni dans tes pensées ni dans ton coeur ni dans ton corps et prie constamment. Peux-tu parvenir à cela? Tu n'auras alors aucune peine, ou plutôt, elles seront noyées dans la joie spirituelle. Et tant que tu n'y es pas encore parvenue, patiente et donne-toi du mal. Si nous vivions sur terre mille ans et que chaque jour on nous crucifiait, cela serait un saliare insuffisant en échange d ela félicité ondicible que le Seigneur a préparée pour ceux qui l'aiment. Seul l'amour divin permet que si peu d'épreuves et pour un si court laps de temps échoient à l'homme. Si tu crois en l'Evangile, tu dois croire les propos du Seigneur quand Il dit que Ses disciples auront des épreuves dans la vie sur terre, mais qu'elles cèderont la place, dès ici-bas, à une joie que nul ne pourra leur prendre. Et puis le Seigneur est toujours avec nous : Voici, Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde. Amen. Qui est plus fort que Dieu? Ainsi, ne laisse pas pénétrer en toi la peur la pusillanimité, l'incroyance inspirée par le diable, et résiste-leur en invoquant le Nom de Jésus. Ils m'ont entouré et au nom du Seigneur je les ai repoussés.

Ne fais la leçon à personne, et si tu vois que quelqu'un a besoin d'une aide spirituelle et si tu sens que tu pourrais un peu l'aider, parle-lui de spiritualité comme si tu avais lu ou entendu telle ou telle chose, mais non comme venat de ton expérience ou de ton savoir. Ce sera plus facile pour toi, et puis tu barreras la route au démon qui te tente par la vanité. Cette idée, la comprends-tu?

Que le Seigneur te donne l'intelligence en tout. Demande-Lui de te donner une foi forte et de la patience.

Je dois terminer. Que le Seigneur te bénisse! Parle à T. de Galia et demande-lui d'aider. J'aiderai moi aussi, comme je le pourrai. Prends soin de toi.

N(ikon). 4 février 1949.



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Chère petite Nadia!

J'ai reçu ta lettre. Merci de ta gentillesse pour moi. Concernant le transfert, et les autres circonstances, fais comme te le dira oncle Stéphane; c'est un homme expérimenté.

Ta maman doit examiner toute sa vie depuis sa jeunesse, se confesser de tout et communier le plus souvent possible. Tant qu'elle peut marcher, qu'elle y aille et le fasse plusieurs fois. Le Seigneur est miséricordieux et Il reçoit les pénitents.

A propos des livres, c'est bien que tu aies parlé àE.N. Elle-même a un grand nombre d elivres. Si j'en ai besoin, ce n'est pas pour moi seulement.

Lis à tes moments libres. Fais en sorte qu'Ignace (Briantchaninov) finisse par te plaire. Tous ses écrits sont extraits des Pères et arrangés pour nous. Il parle de ce qui est le plus nécessaire : le repentir, qui est la porte, l'unique porte ouvrant sur tout ce qui est bien. Il faut parvenir à avoir toujours une disposition d'esprit de repentance, laquelle engendre la crainte de Dieu et l'humilité, et celles-ci engendrent l'amour pour Dieu. ce qui vient après ne peut pas venir avant. Sans le repentir et l'humilité, tout est vain et tout est séduction diabolique.

Avant d'apporter l'encyclopédie, il faut se renseigner - y a-t-il un acheteur, combien est-il prêt à payer? Sans cela, l'apporter ne vaut pas la peine. Vendre un tel objet est difficile, sauf pour un prix dérisoire.

Je te le conseille encore une fois : lis le plus possible de bons livres. Rares sont les personnes dont on peut recevoir quelque chose, et puis elles sont soit occupées, soit malades, tandis qu'on peut toujours lire un livre.

Surtout, même brièvement, mets-toi à prier et dis la Prière de Jésus et celle de la Mère de Dieu.

Quelle impression a laissé T.I. quand elle est venue vous voir? Va-t-elle terminer le cursus? Je te souhaite toutes sortes de grâces de la part du Seigneur et le salut. Je fais mémoire de toi, et toi aussi, ne m'oublie pas. Ne te laisse pas aller à la pensée de ta solitude et à d'autres pensées vaines. Ce sont des embûches de l'adversaire. Dieu est avec nous, nous ne sommes pas seuls. S'il le faut, le Seigneur nous enverra des amis, des amis tels que nous ne nous y attendions pas.

Lutte selon tes forces.

N(ikon) qui te veut du bien. 15 novembre 1950.



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A mes ouailles

Lettre à tous mes enfants spirituels de la ville de Kozelsk



A tous!

Par le repentir, la patience et l'humilité, sauvez vos âmes!

Par le repentir, parce que nous péchons constamment; par la patience, parce qu'il est dit : Celui qui aura patienté jusqu'à la fin sera sauvé; et par l' humilité, parce qu'aux humbles le Seigneur donne Sa grâce.

1er août 1961.



Dernières paroles adressées aux paroissiens de la ville de Gjatsk

Chers paroissiens!

Voici près de 15 ans que je seras dans cette église. Il est certain que j'ai dû offenser quelqu'un; beaucoup de gens peut-être sont restés mécontents de moi. Voici que je rejoins l'éternité et, devant la tombe, je demande à tous pardon.

Moi-même, j'ai été très content de tous les paroissiens; beaucoup m'ont manifesté un amour sincère; Je vous remercie tous, et ceux qui m'ont aimé, et ceux qui ont été mécontents, je vous remercie tous et demande à tous, sincèrement pardon. Je me prosterne devant vous jusqu'à terre, pardonnez-moi pour l'emour du Christ, ne vous souvenez pas de moi en mal.

Que celui qui le peut, prie parfois pour le repos de l'âme de votre prêtre.

Tout le temps, je me suis efforcé, de toute mon âme, de vous mettre sur le droit chemin. La plupart des gens ne comprennent pas le christianisme. Certains l'ont compris : ils ont compris que l'essentiel est de se contraindre, d'accomplir les commandements du Christ, de se repentir de ses manquements et d'avoir transgressé les commandements du Christ; se repentir constamment, s'estimer indignes du Royaume de Dieu, implorer la clémence du Seigneur, comme le publicain : " Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur!"

Tel est le testament de celui qui va mourir : repentez-vous, estimez, comme le publicain, que vous êtes pécheurs, implorez la miséricorde de Dieu et ayez compassion les uns des autres.

Et qu'à celui d'entre vous qui m'a offensé, qui m'a haï (il y en a eu) à juste titre ou non, le Seigneur pardonne. De tout mon coeur je demande que le Seigneur vous pardonne tous et vous éclaire et vous conduise au salut.

Que la bénédiction de Dieu soit avec vous tous pour les siècles. Souvenez-vous de moi, pécheur.

23 août 1963.



TABLE DES MATIERES



AVANT-PROPOS, de Jean-Claude Larchet.



INTRODUCTION, d'Alexis Ossipov.



HIGOUMENE NIKON VOROBIEV : LETTRES.







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