samedi 25 février 2023

Hiéromoine Joseph de Dionysiou L'Ancien Charalampos.

 







Hiéromoine Joseph de Dionysiou



L'ANCIEN CHARALAMPOS



Collection GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES

DU XX° SIECLE



Editions L'AGE D'HOMME





L'ANCIEN CHARALAMPOS

LE MAITRE DE LA PRIERE MENTALE





DANS LA MEME SERIE



Aux éditions du Cerf

Jean-Claude Larchet, Saint Silouane de l'Athos, 2001.

Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, 2002.

Jean-Claude Larchet, Le Starets Serge, 2004.



Aux éditions L'Age d'Homme

Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, 2003.

Mgr Nicolas Vélimirovitch, Prières sur le lac, 2004.

Père Ioannichié Balan, Le Père Cléopas, 2004.

Ancien Joseph l'Hésychaste, Lettres spirituelles, 2005.

Bernard Le Caro, Saint Jean de Changaï, 2006.

Mgr Nicolas Vélimirovitch, La foi et la vie selon l'Evangile, 2007.

Père Porphyre, Anthologie de conseils, 2007.

Père Isaac, L'Ancien Païssios de la Sainte Montagne, 2009.

Père Porphyre, Vie et Paroles, 2009.

Saint Nicolas Vélimirovitch, Le Prologue d'Ochrid, tome 1, 2009.

Starets Thaddée, Paix et joie dans le Saint-Esprit, 2010.

Moniale Juliana, Le Père Alexis Métchev, starets de Moscou, 2011.

Père Ioannichié Balan, Le Père Païssié Olaru, 2012.





HIEROMOINE JOSEPH DE DIONYSIOU



L'ANCIEN CHARALAMPOS

LE MAITRE DE LA PRIERE MENTALE



TRADUIT DU GREC PAR YVAN KOENIG

INTRODUCTION DE JEAN-CLAUDE LARCHET



GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES DU XX° SIECLE

L'AGE D'HOMME



INTRODUCTION



Le Père Charalampos est - avec le Père Ephrem de Philothéou ( né en 1927) et le Père Joseph de Vatopaidi (1921-2009) - l'un des plus fameux disciples du grand Joseph l'Hésychaste ( 1898-1959), auquel ont été consacrés deux volumes de cette collection (1).

( 1) : ( Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, Paris, 2002; Joseph l'Hésychaste, Lettres spirituelles, Lausanne, 2005. On peut y ajouter le Père Ephrem de Katounakia ( voir Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, Lausanne, 2002) qui, bien que n'étant pas à proprement parler un disciple de l'Ancien Joseph, fut le prêtre de sa communauté et fut fortement influencé par lui).

Ce livre, qui retrace sa vie, dépeint sa personnalité spirituelle et transmet ses principaux enseignements, a été écrit par l'un de ses disciples, le hiéromoine Joseph, qui a vécu auprès d elui de 1965 jusqu'à son décès en 2001.

Le Père Charalampos ( dans le monde Charalampos Galanopoulos) est né autour de 1910 dans une famille de Grecs du Pont émigrée en 1880 dans la Russie voisine. A la suite de la révolution russe, toute la famille revint en Grèce en 1922 et s'installa au nord du pays, dans la région de Drama.

Après les années noires de l'occupation bulgare au cours de la Seconde guerre mondiale où il connut la captivité, et après avoir rompu les liens qu'il avait un temps entretenus avec les anciens-calendaristes, il éprouva le désir d edevenir moine. Deux de ses proches parents s'étaient déjà engagés dans la vie monastique ( et allaient s'y illustrer) : sa tante, la monaile Eupraxia, disciple du grand Saint Jérôme d'Egine, et son oncle et parrain, le Père Arsène (2), qui était déjà depuis de nombreuses années le compagnon d'ascèse du grand Saint Joseph l'Hésychaste.

(2) : (Sur l'Ancien Arsène voir, du même auteur que ce livre : L'Ancien Arsène le Spiléote (1886- 1983), compagnon d'ascèse de Joseph l'Hésychaste, Mont Athos, 2000 (en grec). ).

Il se rendit en 1950 à la Sainte Montagne où il demanda à être reçu dans la petite communauté de l'Ancien Joseph l'Hésychaste.

L'année même qui suivit sa renonciation au monde, il fut tonsuré moine du Grand Habit ( octobre 1951) et quelques jours plus tard fut ordonné diacre puis prêtre pour les besoins de la communauté.

Auprès de l'Ancien Joseph - d'abord dans les grottes de Petite-Sainte-Anne jusqu'en 1953, puis dans les cabanes à Néa-Skiti - il fit l'apprentissage d'un mode de vie conforme à la pure tradition hésychaste et particulièrement exigeant, fondé sur la pratique continue de la Prière de Jésus ( celle-ci remplaçant les offices, à l'exception de la Liturgie), sur une ascèse physique très rigoureuse ( faite de jeûnes stricts, de veilles prolongées et d etravaux épuisants) et sur une obéissance inconditionnelle à l'Ancien.

Après la dormition de Joseph l'Hésychaste en 1959, ses disciples se séparèrent. Le Père Charalampos continua à mener le même genre de vie à Néa-Skiti, prenant avec lui son oncle, le Père Arsène ( qui allait rester avec lui jusqu'à sa dormition en 1983). Plusieurs jeunes moines vinrent progressivement se placer sous sa direction spirituelle, et lorsque la place ne suffit plus, sa petite communauté émigra en 1967 à proximité de Karyès, dans le kellion de Bourazéri, une dépendance du monastère serbe de Chilandar.

Là, la communauté poursuivit son développement jusqu'à atteindre une vingtaine de membres; Le Père Charalampos avait acquis une grande réputation au Mont-Athos et à l'extérieur, à la fois comme maître de la Prière hésychaste et comme confesseur et père spirituel, si bien qu'il était devenu le confesseur de plusieurs monastères ( dont celui de Dionysiou), de nombreux moines habitant dans des kellia, et de l'école ecclésiastique de l'Athos ( l'Athoniade), et que de nombreux pèlerins venaient prendre ses conseils. C'est sur la base d'entretiens avec lui que le célèbre érudit athonite, le Père Théoklitos Dionysiatis, rédigea son ouvrage fameux : Dialogues athonites sur la théologie de la prière du coeur (3).

(3) : ( Traduit en français par M.J. Monsaingeon dans Ecrits du Mont-Athos. Une anthologie hagiorite contemporaine, Editions Axios, Grez-Doiceau, 1989).

En 1979, il fut appelé par l'higoumène de Dionysiou, le célèbre archimandrite Gabriel, à venir repeupler, avec sa communauté, ce grand monastère athonite où le nombre des moines s'était considérablement réduit. Le Père Charalampos hésita longuement à répondre à cette invitation, car la transition s'annonçait difficile : à Bourazéri, la communauté était restreinte et avait un mode de vie où, selon le typikon établi dans la communauté de l'Ancien Joseph, la plupart des services liturgiques étaient remplacés par la Prière de Jésus et où chaque moine disposait de longs moments de solitude; à Dionysiou, il fallait s'adapter à un mode de vie strictement cénobitique, où les services liturgiques devaient être célébrés non seulement en totalité, mais de manière très précise, le typikon liturgique de Dionysiou servant depuis plusieurs siècles de référence à tous les monastères athonites.

Après avoir pris conseil auprès de spirituels avisés et avoir eu lui-même une révélation du Christ, l'Ancien Charalampos émigra en septembre 1979 au monastère de Dionysiou. Il en devint l'higoumène jusqu'en 1989, année au cours de laquelle il fut, en raison du travail excessif et des soucis occasionnés par sa charge (4), affecté par des problèmes de santé qui l'obligèrent à renoncer à cette fonction tout en continuant à être le père sirituel de la communauté. Ces problèmes de santé ne cessèrent de s'aggraver jusqu'à sa dormition, le 1er janvier 2001.

(4) : (Outre la confession pluri-hebdomadaire de la cinquantaine de moines du monastère, il devait gérer maints problèmes relatifs à l'administration du monastère, tout en célébrant quotidiennement la Liturgie et en gardant la nuit de nombreuses heures de prière solitaire).



Le Père Charalampos n'avait pas d'instruction scolaire. Tout son enseignement était oral et reposait sur son expérience. Il n'a pas laissé d'écrits en dehors de quelques lettres. Ce livre est donc surtout biographique, mais repose néanmoins sur des récits de l'Ancien aux membre sde sa communauté, dont il donne de nombreuses citations. Quelques-unes de ses lettres ont été ici publiées séparément ou synthétisées, et donnent un aperçu de son enseignement; mais celui-ci dépassait largement le cadre de ce qui en est exprimé dans ce livre.



Pour définir les qualités caractéristiques du Père Charalampos, on peut distinguer trois grandes périodes de sa vie monastique.

1) La première période est celle de sa formation et de sa vie dans la communauté de Joseph l'Hésychaste.

On est frappé à la lecture de ce livre par la dureté de l'ascèse que le Père Joseph et ses disciples s'imposaient, du nombre impressionnant de prosternations qu'ils faisaient chaque jour en plus du travail intense qu'ils fournissaient, du peu de nourriture et de sommeil qu'ils s'accordaient, des conditions frugales de vie qu'ils choisissaient en permanence, et de leur pratique de la Prière de Jésus qui, selon la tradition hésychaste dont saint Grégoire Palamas fut l'un des plus illustres défenseurs, occupait une grande partie de leurs jours et de leurs nuits. Nous trouvons dans cette communauté les conditions de vie que nous rapportent les Apophtegmes et les Vies des Pères du désert.

Parmi les disciples de l'Ancien Joseph, le Père Charalampos n'était pas le moins zélé, comme le montrent plusieurs passages de ce livre se rapportant à cette période.

L'une des caractéristiques les plus frappantes des relations que le Père Charalampos entretenait avec son père spirituel est l'obéissance absolue, inconditionnelle, dont il faisait preuve à son égard en toutes circonstances. De l'avis même de ses compagnons, le Père Charalampos fut le disciple préféré de l'Ancien Joseph en raison de cette vertu qu'il possédait au plus haut degré et que les Pères considèrent comme une voie rapide de progrès spirituel et un chemin court de salut, parce qu'elle est pour le fidèle le moyen le plus radical de renoncement à sa volonté propre, laquelle est le principal obstacle à l'accomplissement de la volonté divine et à l'action de la Grâce.

L'un des fruits de cette obéissance fut sans aucun doute la grande humilité qui fut aussi une caractéristique majeure du Père Charalampos.

Cette humilité allait d epair avec une grande simplicité et une absence totale de malice; l'Ancien garda jusqu'à la fin de ses jours une âme d'enfant.



2) La deuxième période, s'étendant de la dormition de l'Ancien Joseph jusqu'à la transplantation au monastère de Dionysiou, fut celle d ela pratique de l' hésychia, seul puis entouré de disciples, dans le cadre d'un kellion à Néa-Skiti, puis à Bourazéri).

Le Père Charalampos développa une méthode de prière mentale qui lui était propre et qu'il transmit à ses disciples. Brièvement évoquée dans ce livre, elle consisatit à repousser les pensées (logismoi) - comme le préconise la méthode traditionnelle, qui insiste beaucoup sur l'attention et la vigilance (nepsis (5)) - en disant mentalement la Prière plus vite qu'elles ne surgissaient.

(5) : ( Voir sur ce point les enseignements patristiques rassemblés dans la Philocalie des Pères neptiques ( trad. de J. Touraille. Editions de l'Abbaye de Bellefontaine, 11 vol., Bégrolles-en-Mauges, 1979-1991), résumés, en ce qui concerne spécifiquement la Prière, dans l'anthologie réalisé par J. Gouillard, Petite philocalie de la prière du coeur, Paris, 1953).).

De ce fait, le Père Charalampos faisait journellement une quantité de prières inouïe, même en considérant que, selon la pratique de toute la communauté de l'Ancien Joseph, il utilisait une formule plus brève que la formule habituelle (6).

(6) : ( A savoir: " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", et non pas : " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur).

Il me confia, lors d'un enseignement qu'il me donna, qu'il faisait habituellement 24 chapelets de 300 grains, soit 7 200 prières par heure; sachant qu'il ne dormait que deux heures par jour et qu'il lui arrivait de consacrer toute la journée à la prière, il pouvait en une journée totaliser presque 160 000 prières (7).

(7) : (Un de ses proches me confia qu'il lui était arrivé de prier quarante-cinq heures en continu, sans dormir, sans manger et sans boire. Les exploits du Père Charalampos en matière de prosternations n'étaient pas moins étonnants, puisque pendant une certaine période il en faisait trois mille chaque jour).

L'idée d'exploit lui était évidemment étrangère, et il n'était nullement à la recherche de la quantité, mais appliquait à sa manière le commandement du Christ et de l'Apôtre d'être constamment vigilant et de prier sans cesse, l'esprit et le coeur concentrés sur Dieu seul.

Le Père Charalampos acquit dans ce domaine une expérience considérable, et la réputation non seulement de disposer comme les Anciens d'une méthode ( méthodos (8)) de prière bien définie et rigoureuse, mais d'être au Mont-Athos, dans les dernières décennies du XX° siècle, le plus grand maître ( didaskalos) de la prière hésychaste.

(8) : ( L'un des principaux traités, attribué à saint Syméon le Nouveau Théologien, est intitulé Méthode de la sainte oraison et attention, éd. et trad. d' I. Hausherr, La Méthode d'oraison hésychaste, Rome, 1927).

Dans le même temps le Père Charalampos acquit une grande réputation comme confesseur et père spirituel.



3) C'est cette dernière réputation qui le suivit surtout lorsqu'il devint higoumène de monastère de Dionysiou, où il fut obligé de renoncer au mode de vie hésycahste, lequel était possible dans des kellia mais ne l'était plus dan sun grand monastère dont l'Ancien avait le devoir de reprendre et d'entretenir le mode de vie cénobitique, en grande partie centré sur l'assistance en commun aux services liturgiques classiques célébrés dans toute leur ampleur.

L'expérience du Père Charalampos et le discernement et la sagesse dont il faisait preuve dans ce domaine de la confession et de la direction spirituelle, transparaissent dans de nombreux dits et récits reproduits dans ce livre.



L'une des caractéristiques de son enseignement dans cette dernière période de sa vie est son insistance sur la communion fréquente. Il l'avait préconisée pour sa communauté dans les kellia où il avait auparavant vécu, mais l'implanter dans un grand monastère athonite où, comme dans tous les autres monastères, elle était devenue rare, était une tâche plus ardue. Ce thème avait fait l'objet d'âpres discussions à la fin du XVIII° siècle au Mont-Athos même, puis à l'extérieur, dans le cadre de la controverse dite des "collyvades". Saint Macaire de Corinthe et saint Nicodème l'Hagiorite avaient fortement argumenté en faveur d'une communion fréquente dûment préparée, mais n'avaient finalement pas réussi à l'imposer sur la Sainte Montagne. Le Père Charalampos eut une influence déterminante pour dissiper certaines fausses objections ou certaines traditions ( avec un "t" minuscule) déviantes, et rétablir la pratique que les Pères de l'Eglise et les plus grands spirituels ont toujours préconisée. Les enseignements du Père Charalampos que rapporte ce livre dans son dernier chapitre sont d'un grand intérêt alors que dans bon nombre de pays orthodoxes un certain nombre de freins ( tenant aux habitudes, mais aussi aux directives du clergé) restent mis à la pratique de la communion fréquente, ou qu'au contraire, dans des cas plus rares représentés surtout par des paroisses de la diaspora, la commnion fréquente a été établie mais en négligeant les conditions, parfois les plus élémentaires, d ela préparation intérieure.

Le Père Charalampos communiait lui-même journellement, puisqu'il a tenu jusqu'à la fin de sa vie - fait rare parmi les prêtres orthodoxes, et plus encore parmi les higoumènes - à célébrer la Liturgie chaque jour.

Il faut signaler aussi qu'il mena jusqu'à la fin une vie très ascétique : les trois jours de jeûne hebdomadaires ( lundi, mercredi, vendredi), il s'abstenait de toute nourriture et de toute boisson. Les autres jours, il se contentait d'un unique repas frgal. Il ne dormait que deux heures par jour. En plus de sa charge de célébrant, de confesseur et d'higoumène, il participait au travail physique de la communauté. A la fin de sa vie, on pouvait le voir au monastère de Dionysiou, occupé à d'humbles tâches, comme la vaisselle ou le balayage.



Je suis d'autant plus heureux de publier ce livre que j'ai eu le privilège de bien connaître l'Ancien Charalampos à l'époque où il séjournait à Bourazéri. J'eus d'abord avec lui un long entretien au cours de l'été 1974. Quelques années plus tard, en 1978, mon père spirituel, le starets Serge, me donna la bénédiction pour aller auprès de lui parfaire mon apprentissage de la Prière hésychaste. Je séjournai alors près d'un mois dans sa communauté qui me plaisait beaucoup par son mode de vie et son atmosphère familiale. Je pus avoir chaque jour des entretiens avec l'Ancien, et bénéficier aussi de la présence orante de l'Ancien Arsène le Spiléote, le compagnon d'ascèse de Joseph l'Hésychaste, qui assistait souvent à nos rencontres.

Je fus très impressionné par la capacité de prière de l'Ancien, par la rigueur de son ascèse, et par ses expériences spirituelles élevées, dont lui-même ou ses proches disciples me firent part. Mais je fus très marqué aussi par son humilité et sa simplicité de tous les instants. Dans les Carnets athonites que j'écrivis à cette époque, je notais :

Le Père Charalampos est un homme extraordinaire bien que n'ayant dans son apparence, pour des yeux mondains, rien que de très ordinaire. Rien ne permet extérieurement de le distinguer d'un autre moine, sinon qu'il est plus effacé, plus discret, plus simple. Ce qui est extraordinaire, c'est son extrême simplicité, son extrême discrétion, son extrême humilité, son immense douceur. Il s'adresse à chacun de la façon la plus simple, et il parle à tous exactement de la même façon, qu'ils lui soient ou non familiers. Il parle aux étrangers de la même façon simple et directe qu'aux moines de sa communauté. En fait, il est extrêmement proche de chaque homme, plus proche de chaque personne qu'elle ne l'est d'elle-même. Sa simplicité s emanifeste dans tout son comportement. Il est comme tous, et il fait ce que tous font. On le voit aussi bien aider à la cuisine et au jardin, que faire la vaisselle, nourrir les mules ou préparer du bois pour les icônes. Son regard est extrêmement humble et intériorisé. On voit qu'il ne juge absolument pas, qu'il ne fait irruption dans la vie de personne. Il n'exige rien de ses moines, ne s'occupe pas de ce qu'ils font, mais tous accomplissent ce qu'ils ont à faire sans qu'il leur dise quoi que ce soit. Il est en fait un exemple permanent pour tous. C'est par sa seule présence qu'il enseigne ce qu'il faut faire et comment il faut le faire. Il est tout entier simplicité, humilité, amour. Son visage intériorisé donne constamment une impression de profonde contrition. On le sent pleurant intérieurement. Dans toutes les activités qui le permettent, il tient à la main et fait tourner son chapelet de trois cents grains, alors même qu'il pourrait s'en dispenser car il possède depuis longtemps le charisme de la prière intérieure ininterrompue. Quand il parle, c'est avec une grande paix, d'une voix faible, douce et pleurante. les moines de la communauté ont pour lui une très grande vénération. Ils viennent souvent se prosterner devant lui et lui baiser la main. Tout en restant indifférent aux égards qui lui sont manifestés et en continuant la discussion avec ses interlocuteurs, on le sent soucieux, mais sans tension, de ce que fait chacun, plein d'intérêt, d'attention, de compassion et d'amour pour ce qu'il est, se faisant, selon le mot de l'Apôtre, "tout à tous".



On ne peut que souhaiter que l'exemple de cet humble moine qui fut tout entier prière contribue à dynamiser la vie spirituelle des lecteurs de ce livre.

Jean-Claude Larchet



Je remercie Yvan Koenig, qui a traduit aussi les volumes sur le Père Joseph l'Hésychaste et le Père Ephrem de Katounakia, d'avoir accepté de prendre en charge la traduction de ce livre, qui a été révisée par le hiéromoine Macaire de Simonos-Pétra, à qui j'exprime également ma gratitude.

Comme tous les volumes de la collection, la relecture et la mise en page ont été assurées par mes soins.

J.-C. L.



AVANT-PROPOS



Il y a peu de temps, une obligation s'imposa à moi m'incitant, mlgré mon inaptitude, à écrire la vie admirable de l'Ancien Arsène. Celui-ci fut un ascète d'une rare qualité et le compagnon d'ascèse du grand et fameux Saint Père neptique de notre époque : le Père Joseph l'Hésychaste.

Au cours de cet ouvrage, nous rencontrons aussi quelques autres figures de l'entourage immédiat de ces deux grands ascètes. Notamment une personnalité de grande envergure spirituelle et un authentique rejeton de ceux-ci, qui était le neveu selon la chair du Père Arsène et avait été baptisé par celui-ci : le Père Charalampos, connu de tous non seulement à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur de la Sainte Montagne.

Grâce à l'infinie miséricorde et à une disposition de Dieu, j'ai été jugé digne de vivre avec lui et d'être son disciple sans interruption pendant trente-cinq ans.

Ici aussi, une dette immense s'impose à moi et me pousse à écrire sa vie admirable, non pas tant pour le mettre en avant et faire sa louange parce que sa vie est digne d'être proposée en modèle; mais également pour qu'il soit démontré de façon éclatante qu'une fois de plus : " Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et éternellement (1)."

(1) : ( He 13, 8).

De plus, une raison supplémentaire me pousse : les vies admirables des grandes personnalités spirituelles contemporaines, entérinent et confirment les admirables exploits surnaturels des grands saints de jadis de notre Eglise.

Lorsque nous méditons les hauts-faits et les luttes des saints de jadis, parfois l'esprit rationaliste s'immisce chez certains, lesquels d'habitude disent : " Nous ne les avons ni vus ni entendus."

D'autres en outre, animés par ce même esprit rationaliste, mettent en cause, d'une façon inverse, les ascètes contemporains en disant : " Cela s'est produit autrefois; jadis les choses étaient différentes et c'était possible; mais aujourd'hui, c'est impossible."

De cette façon, nous essayons de nous jouer de notre conscience, en justifiant notre paresse et notre absence de motivation pour les luttes spirituelles.

Malgré tout, tous ceux qui sont assoiffés de recherches spirituelles ont constaté que, de nos jours, il circule un grand nombre d'ouvrages décrivant les vies admirables et les miracles accomplis par plusieurs saints contemporains de notre Eglise.

Par la suite, je laisserai le pieux lecteur juger de lui-même dans quelle mesure le Père Charalampos d'éternelle mémoire fait partie de ces grandes figures athonites contemporaines, en tant qu'ascète, disciple, prêtre, confesseur, Ancien et enfin higoumène du saint monastère de Dionysiou, dont il fut le pasteur aimé de Dieu pendant une décennie. C'est là, qu'après avoir livré son âme aux demeures célestes, son saint corps repose dans le cimetière du monastère avec tous les Pères de Dionysiou précédemment endormis dans le Seigneur dans l'attente de la Résurrection.

Pour ce qui est du contenu du présent livre, il est constitué en grande partie par des conversations qui nous ont été rapportées ou des récits de l'Ancien lui-même, par des témoignages de personnes de son entourage immédiat et de ses enfants spirituels, issus de différentes classes sociales, mais aussi par des témoignages de son entourage familial immédiat.

Quant aux entretiens pris sur le vif, je conserve autant que possible son style, avec parfois de légères variantes, car dans les premières années du moins, nous n'avons pas utilisé de magnétophone. Nous consignions par écrit d emémoire ce que nous avions entendu. Dans le présent ouvrage prendront la parole aussi bien des personnes de l'entourage familial de l'Ancien, que des personnalités contemporaines éminentes de notre lieu saint, comme des personnes qui étaient en relation indirectement ou directement avec notre saint Ancien.

Au préalable, je sollicite l'indulgence, en premier lieu de mon Ancien, comme celle de ses enfants spirituels, mais aussi celle de tous les pieux lecteurs, pour toutes les éventuelles omissions et toutes mes imperfections. Ce qui suit est constitué surtout par mes expériences personnelles, relatives à mon séjour de trente-cinq ans auprès de lui. Je confesse que je considérais dès le début que j'étais trop insignifiant pour écrire la vie d'une personnalité d'une telle envergure, par-rapport à un grand nombre de ses enfants spirituels, dont beaucoup se trouvent être non seulement des lettrés, mais aussi d'habiles écrivains.

Mais là aussi deux puissants motifs m'ont poussé à faire preuve d'audace : en premier lieu la difficulté à écrire rencontrée par ceux que cela concerne, au moins pour le moment. En deuxième lieu, après l'édition de la vie admirable du grand ascète que fut l'Ancien Arsène, plusieurs personnes, tant d el'entourage immédiat que du cercle plus étendu des relations de l'Ancien, m'ont encouragé à me hâter de publier le présent ouvrage.

Je sollicite donc les prières de tous pour la réussite de cette entreprise aussi sacrée que difficile.

Enfin, je ressens l'obligation de remercier tous ceux qui y contribuèrent de quelque façon que ce soit, rendant possible la publication rapide de cet ouvrage.



I

LES ANNEES D'ENFANCE

ET L'APPEL DE DIEU



L'origine du Père Charalampos.

Dans son Epître aux Romains, l'apôtre Paul écrit : " Si le levain est saint, alors la pâte l'est aussi, et si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi (1)."

(1) : ( Rm 11, 16).

Notre Ancien, le Père Charalampos, nommé selon le monde Charalampos Galanopoulos, tire son origine de la région du Pont, et de parents pieux, Léonidas et Despoina.

Comme nous le lisons dans les synaxaires, un grand nombre de saints illustres étaient issus de parents saints. me sentant là aussi sous l'obligation de cette dette, j'ai considéré qu'il me fallait évoquer en quelques mots le tronc de cet arbre, c'est-à-dire les pieux parents de Charalampos.

Mais eux aussi, à leur tour, proviennent d'une autre sainte racine. Léonidas était l'héritier d epieux parents, Dimitrios et Sotiria. De cette famille nombreuse, deux enfants devinrent des moine srenommés. Le premier fut Anastase qui devint le moine Arsène, le fameux ascète qui fut compagnon d'ascèse du grand hésychaste de notre temps, l'Ancein Joseph. La deuxième fut Parthéna, qui devint par la suite la moniale Eupraxia, et se distingua comme disciple du grand Saint hésychaste charismatique, le Père Jérôme d'Egine. Léonidas, depuis son jeune âge, comme il le disait, brûlait de passion pour le monachisme. Mai sil semble que "autres étaient les desseins du Seigneur".



Le déracinement du Pont.

" Les voies du Seigneur sont impénétrables (2)."

(1) : ( Rm 11, 16). Ce glorieux hellénisme du Pont, ainsi que je le rapporte aussi dans la biographie de l'Ancien Arsène, avait subi si souvent des pressions asphyxiantes et des mauvais traitements de la part de son occupant que, non seulement ses biens matériels, mais s avie même étaient menacés. La seule issue pour continuer de demeurer dans leur contrée était de renier la foi orthodoxe de leurs pères.

Placés devant cette alternative, tant les parents de Léonidas qu'une grande partie des Grecs du Pont jugèrent préférable de perdre leurs biens et leur patrie, plutôt que leur foi.

De ce fait, en 1880, eut lieu une immigration collective des Grecs du Pont vers la Russie voisine qui partageait la même foi. En ce lieu, l'hellénisme du Pont continua de vivre conformément aux traditions de ses pères. Les parents et la famille de Léonidas, en compagnie de beaucoup d'autres habitants du Pont, habitaient une région agricole nommée Catherindar, où ils poursuivaient leur existence avec pratiquement les mêmes activités agricoles.



Le mariage de Léonidas.

Alors que, comme on l'a dit, Léonidas dès son jeune âge avait instillé en lui le désir d'être moine, ses parents ignorant tout de ses intentions, se préoccupaient de son mariage. Une pudique jeune fille avait comblé leurs espérances réciproques. Celle-ci, outre le fait qu'elle se distinguait par sa beauté physique, était surtout ornée par de substantielles vertus : obéissance, respect, sagesse, amour du travail, humilité, affection etc...

En accord avec les parents de la jeune fille, il y eut un repas de finaçailles chez la demoiselle. C'est la traditionnelle "négociation" en vue du mariage. C'est durant ce repas que d'habitude les deux futurs mariés font connaissance; Les parents, respectueux de la liberté de leurs enfants, leur laissent le dernier mot.

Peu avant qu'ait lieu ce repas amical, Léonidas fut l'objet d'un événement surprenant : il eut une vision. Voici qu'il se trouvait avec ses parents dans une maison amie, qu'il n'avait jamais vue auparavant. Pour accueillir ses parents, une pudique jeune fille vint à leur rencontre portant le plateau traditionnel avec la boisson forte et la sucrerie. Au moment où elle offrit cela à Léonidas, il entendit une voix forte qui disait : " Celle qui t'offre à boire est ta future femme." Le garçon reprit ses esprits, mais il resta dans le doute. La nuit suivante eut lieu, ainsi que je l'ai indiqué, le repas amical.

Mais dès que Léonidas entra dans la maison, tout ce qu'il vit lui était familier. Il ne restait qu'à ce que se déroule la dernière scène. Peu après arriva la jeune fille avec le plateau. A la première allusion à leur union, le jeune homme était prêt. La jeune fille aussi accepta sans discuter, comme venant de Dieu, la proposition de ses parents. Le mariage eut donc lieu. Léonidas, aussi intelligent que travailleur, ne tarda pas à s'établir, en s'occupant surtout de la production detabac.



Léonidas survit à un terrible naufrage.

Pendant ce temps, une petite soeur qu'il affectionnait, Parthéna, les quitta alors qu'elle venait d'avoir seize ans, pour revenir dans le Pont er devenir moniale dans le célèbre monastère de la Mère de Dieu de la Protection Divine.

Léonidas, mû autant par un fort sentiment d'affection fraternelle, que par l'inquiétude, se demandait ce qu'allait devenir sa petite soeur dans un tel environnement. Au milieu d'un occupant barbare, il décida donc de lui rendre visite.

La traversée jusqu'à la rive opposée devait se faire en bateau. " Nous nous mîmes d'accord entre nous les voyageurs que, si l'un d'entre nous était en retard, nous l'appellerions. Moi, quand j'ai du souci, d'habitude, je me lève une ou deux heures plus tôt. Mais cette nuit-là, je fus envahi par un profond sommeil. Ni je ne m'éveillai à l'heure, ni un voyageur ne vint frapper à ma porte. Quand finalement je me suis réveillé, deux heures s'étaient déjà écoulées depuis le départ, de sorte qu'il était désormais bien trop tard pour le bateau. Au début je fus très triste, mais, par la suite, je compris que quelque chose se passait; ce n'était pas dû au hasard. Je n'avais qu'à prendre le bateau suivant. Alors que j'entreprenais de réserver une place sur le suivant, la terrible nouvelle arriva brusquement : Le bateau avait coulé à pic dans la mer avec tout son équipage, et tout le monde s'était noyé, soit environ 1500 personnes."

Quoique très affligé, Léonidas glorifia Dieu pour son sauvetage miraculeux.



Léonidas fait preuve d'une grande chasteté.

Un jour Léonidas, avant de se marier, là-bas en Russie, accepta l'invitation de quelques compatriotes de se rendre dans une ville voisine pour se distraire.

Malheureusement ces jeunes étaient dévergondés et décidèrent de passer la nuit dans un hôtel mal famé. Il ne dirent rien à leur "ami". A ce qu'il semble, ils avaient conçu le dessein de précipiter le jeune homme dans le gouffre de la luxure.

Le patron donna à chacun un numéro de chambre. Léonidas sans défiance ouvrit la porte de sa chambre. Que vit-il? Une jeune fille de mauvaise vie, qui l'attendait dans une pose provocante. Mais, tel le sage Joseph, comment ce jeune homme se sortit-il d'affaire? Il dit à la jeune fille ; " Je t'en prie, prends cette cruche et remplis-la d'eau; j'ai soif." Celle-ci sortit. Il ferma la porte à clef derrière elle et comme il était fatigué par le voyage, il tomba aussitôt dans un profond et doux sommeil.

Alors, que fit Dieu, pour récompenser sa chasteté? Au lieu de cette volupté licencieuse, il le gratifia de quelques miettes de Paradis. Il fit alors un rêve et il s evit passant la nuit dans un bois paradisiaque. Il y avait là toutes les sortes d'oiseaux. Leur chant était si beau que l'on avait l'impression d'être enivré par leur mélodie. Il se réveilla habité par ce rêve. Puis, après s'être disputé avec ses compagnons, il les quitta et revint seul au village.

C'est ce que me raconta notre Ancien.



De l'aumône et de la foi.

Parmi ses nombreuses vertus, ce jeune homme était orné de la grande vertu de l'aumône.

Je laisse de côté toutes les bonnes actions qu'il accomplissait quotidiennement pour les pauvres, pour l'église, pour de saints monastères, pour des associations charitables, etc... Je voudrais seulement mentionner un exemple de sacrifice : celui qu'il fit en se privant du nécessaire et non du superflu.

C'était le Grand et Saint Mercredi; Pâques approchait. De façon étonnante, la réserve de blé de Léonidas était vide. La maîtresse de maison, habituée aux préparatifs pascals en informa son mari : " Nous n'avons plus de farine..." Et le bon mari de courir pour essayer d'emprunter dix oques de farine, pour les besoins de première nécessité.

A peine revenu, joyeux, avec la farine, voici que, peu après, quelqu'un frappe à la porte. C'était un pauvre qui lui en demanda un peu. Léonidas, sans même lui expliquer que, lui aussi venait d'emprunter ce qui lui était indispensable, dit à son épouse : " Despina, donne la moitié de la farine au pauvre." Despina contrariée lui dit : "Mais mon cher, si nous en avions, ce serait bien volontiers. Mais cela n'est même pas suffisant pour nous. Que fait-on?" Mais Léonidas de reprendre : " Donne la moitié au pauvre, et je place mon espoir en Dieu pour que nous ne souffrions pas de la faim."

C'est ce qui se produisit. Cela montre la grande charité et la très profonde foi de Léonidas. Comme autre témoignage de la profonde foi de Léonidas, je mentionnerai plus tard cet événement : pendant sept jours, parfois à genoux devant les icônes, il pria sans cesse sans dormir, sans manger, sans boire. Mais j'évoquerai cela dans le chapitre correspondant.



"Tes fils seront comme de splants d'olivier

autour de ta table" ( Ps 127, 3).

Despina fut la mère d'enfants aussi beaux que nombreux, car elle en mit dix au monde. Mais, "les desseins du Seigneur sont impénétrables": Seuls cinq survécurent. De plus, l'aîné d'entre eux fut rappelé à Dieu à l'âge de trente ans, après une brève maladie. Le second fut Agathe et le troisième Charalampos. Ils furent suivis par deux jumeaux, Côme et Damien.



Retour sur le sol natal.

La famille d eLéonidas Galanopoulos, comme aussi ce qui restait de l'hellénisme du Pont, avait bénéficié jusque-là de la faveur du Tsar.

En conséquence, leur existence se déroula sans heurt et paisiblement. Mais les choses changèrent radicalement avec la révolution bolchévique, la chute du tsar et la venue au pouvoir des révolutionnaires. Il s'ensuivit à nouveau des épreuves; Le nouveau régime tenta par toutes sortes d epressions et de persécutions d'imposer l'athéisme. Devant ce nouveau danger inattendu, beaucoup de Grecs du Pont, dont la famille Galanopoulos, décidèrent d'émigrer et de revenir sur le sol de leur patrie, la Grèce.

Ils commencèrent par se rendre en 1922 à Lesbos, comme une première étape. Peu après ils en repartirent pour la glorieuse Thessalonique. Mais là aussi ils ne cessèrent de chercher le lieu le plus approprié, où ils pourraient vivre en pratiquant ce qui était leur activité habituelle. Ils apprirent rapidement que près de Thessalonique, à Drama, il y avait des champs et d el'eau à profusion, ce qui convenait aux plants de tabac. Ainsi, en 1922-1923, ils s'installèrent définitivement dans la belle région d'Arcadiko, faubourg de la ville de Drama.



Charalampos entre en scène.

Charalampos naquit en Russie autour de 1910. Un de ses oncles, Anastase, qui devint plus tard moine sous le nom d'Arsène, poussé par un zèle généreux, décida, avant même la naissance de Charalampos, d epartir pour la Terre Sainte, afin de se consacrer totalement à son Créateur. Mais il lui restait encore un obstacle à surmonter. Il désirait baptiser un nouveau-né avant son départ, pour que le Christ, dans l'autre monde, ne lui mît pas une pierre entre les bras ( c'était là l'une des croyances et traditions populaires du Pont, relative à tous ceux qui n'auraient pas baptisé ne serait-ce qu'un enfant).

Avant même que Charalampos ne naquît, Anastase dit à son frère : " Léonidas, celu que va mettre au monde Despina est à moi. C'est moi qui le baptiserai, tu m'entends?" C'est ce qui se passa. De fait, Anastase fut pour son filleul son oncle par excellence et son parrain. Plus tard il suivit en tout ses traces. Il reçut au saint baptême le nom de Charalampos. Le petit Charalampos passa sa petite enfance en Russie. Ce qui fit qu'il connaissait bien le russe. Pratiquant le russe, mais aussi plein de souvenirs de Russie, il arriva avec toute sa famille, dès l'âge de douze ans, à sa destination finale, à Arcadiko, dans les faubourgs de la ville de Drama. Là, il acheva l'école primaire avec d'excellentes notes, et s'inscrivit ensuite au lycée. Il y fut excellent, et il acheva les deux premières classes. Mais il fut obligé, contre sa volonté, poussé par la nécessité et par obéissance à l'égard de ses parents, d'interrompre ses études.

Léonidas était adroit et il cultivait le tabac avec beaucoup de succès; malheureusement les cours s'effondrèrent, au point qu'il était menacé par la banqueroute. Devant ce danger, il mobilisa, comme soutien d efamille, l'aîné de ses fils. Dès lors Charalampos s'adonna aux travaux des champs et aux travaux manuels, mais aussi à toutes sortes d'autres travaux, afin de subvenir aux besoins de sa famille. Plus tard, il fut aussi nommé huissier à la préfecture; Durant la journée, il travaillait aux champs, mais, le soir, il était barbier; c'était là une deuxième activité professionnelle. Durant les fêtes patronales et les rassemblements, partout il accourait et se faisait marchan ambulant, travaillant toujours à la sueur de son front. Un jour il y eut une invasion d epoux dans la région de Drama et, en raison des démangeaisons qu'ils provoquaient dans les cheveux, tout le monde avait un peigne à la main. Alors il eut recours à une astuce : il prenait à l'abattoir toutes les cornes des animaux et, les ayant chauffées, il les travaillait pour en faire de superbes peignes.

Bien que, dans se spremières années, il semblât extérieurement être ouvert et sociable, cela ne l'empêchait pas d'être, du point de vue de l'intégrité morale, un exemple pour tous. Je ne mentionnerai qu'un seul exemple que je trouve comparable à celui de la sagesse du juste et très beau Joseph.



Témoignage de la sagesse du jeune Charalampos.

Un jour, alors qu'il était âgé de vingt-deux ou vingt-trois ans, une très belle jeune femme, poussée par le démon, qui était mariée à un officier, conçut un amour satanique pour le jeune Charalampos. Envahie par le doute quant à la façon d'assouvir son désir et du fait que des provocations renouvelées étaient tombées dans le vide, la fourbe diablesse se demandait quel plan elle pourrait bien échaffauder. Alors que son mari était absent, elle se tint à l'affût à l'extérieur de la maison du jeune homme. Dès que Charalampos sortit sans se méfier, pour vaquer à quelque occupation, tel un renard elle feignit d'avoir peur de se rendre seule chez elle. Elle demanda donc au jeune homme de l'accompagner. Sans malice, comme était le jeune Charalampos, il la raccompagna chez elle, et il s'apprêtait à en partir lorsque celle-ci s'adressa de nouveau à lui:

" Je vous en prie, entrez cinq minutes pour boire un verre d'eau avec mon mari. Cela lui fera très plaisir.

- Non.

- Si..."

Au bout du compte, il entra en hésitant dans la maison. mais cette nouvelle femme de Potiphar (3), après qu'il eut fermé la porte, se déshabilla devant lui et le provoqua... Mais, cet imitateur du sage et très beau Joseph, après avoir commencé à la réprimander par des paroles blessantes, ouvrit la porte et revint chez lui en courant.

(3) : ( Pétéphrês dans la LXX, voir Gn, 39, 1-20).



Des activités divertissantes.

Pendant sa jeunesse, bien qu'il eut été enté sur de solides racines religieuses, malgré tout il ne connaissait pas en profondeur la vie spirituelle. C'est pourquoi il se livra à différentes activités : football, danses populaires, chant, théâtre, etc... Il était hors pair en tout. Ces compagnons nous racontèrent : " Lorsque nous avions Charalampos comme gardien de but de l'équipe de notre village, nous triomphions même d el'équipe surnommée la "Gloire de Drama". Lors de chaque match, Charalampos était au final le héros. Nous le transportions sur nos épaules et nous lui faisions faire un tour pour qu'il reçoive les acclamations de se supporters."

Quant aux noces, devait-il nous raconter : " J'avais l'habitude de me rendre là où on m'invitait. Tout le monde mangeait, buvait, dansait, faisait la fête. Mais moi, comme aussi une de mes tantes, nous étions submergés par l'émotion et, au lieu de rires et de danses, nous sanglotions. Nous ne pouvions pas nous supporter nous-mêmes. Les autres nous demandaient avec étonnement ce qui nous arrivait. Je ne savais pas quoi répondre; je ne pouvais que continuer à pleurer sans m'arrêter. Plus tard je réalisais que cela venait de Dieu. Le mariage est un grand mystère."

Mais tournant cela un peu à la plaisanterie, il nous disait en plaisantant : " Mais ne sont-ils pas pitoyables? Ici le monachisme est un paradis et eux préfèrent se lier par les liens du mariage."

Je rapporte tout cela comme un petit témoignage de la grande variété des aptitudes du jeune Charalampos, y compris dans les relations sociales. Mais, par un effet d ela Providence divine, il ne tarda pas à approfondir la vie spirituelle, au point que, ce qui sembla bizarre aux yeux de beaucoup, il se retira de toutes les activités que j'ai mentionnées précédemment.



Avec les anciens-calendaristes :

le pieux et ingénu Elie, son premier maître.

Pendant la jeunesse de Charalampos, l'Eglise avait été ébranlée par le changement de calendrier (1924), en conséquence de quoi le troupeau élu par Dieu se trouva divisé en deux partis antagonistes. Le premier soutenant qu'il fallait obéir à l'Eglise; mais le deuxième, restant fidèle au calendrier traditionnel, ne consentit à aucun modification. C'est ce deuxième camp que rejoignit la famille de Charalampos, ainsi que lui-même, qui d eplus ne tarda pas à être promu cadre dirigeant dans ce combat. Dans ce camp, comme lui-même le raconta, des chrétiens pleins de mérites et pieux, simples, purs, engagèrent le combat au point de subir les persécutions que l'on sait.

Parmi eux, on distinguait un homme très pieux, un célibataire entre deux âges, du nom d'Elie. Dès que Charalampos eut remarqué sa vertu et son rare esprit combatif, il ne le quitta plus jusqu'au jour de son départ pour la Sainte Montagne. Cette rencontre s'avéra être la première étape du parcours spirituel de Charalampos. Depuis ce jour, il se retira de toutes ses activités mondaines, et dès lors les jeunes sportifs et tous ses admirateurs se mirent à perdre définitivement sa trace.

Il entreprit d'observer un mode de vie ascétique rigoureux, que beaucoup d'ascètes actuels pourraient lui envier. Pendant la journée, il travaillait et, pendant la nuit, il veillait. Indépendamment du fait qu'il labourait avec des aniamaux, souvent du matin au soir, durant les jeûnes il se contentait de nourriture non-cuisinée et une fois par jour seulement à la neuvième heure byzantine. Il supprima complètement la viande. Il veillait chaque nuit un grand nombre d'heures. " Parfois je me rendais comme colporteur dans les fêtes religieuses des nouveaux-calendaristes, au milieu d ela nuit, je cherchais un endroit approprié pour oser ma marchandise et ensuite je faisais jusqu'à mille métanies, je disais l'office et le canon de prières avec le chapelet. Ceci jusqu'à l'aube; lorsque les autres colporteurs se montraient, j'avais terminé tous mes devoirs spirituels et je me mettais à travailler."



Le nouveau problème spirituel de Charalampos.

Comme le coeur de Charalampos s'était réchauffé sous l'action du divin, dès lors lui vinrent les premières pensées de renoncement au monde. Mais, dans ses pensées, son esprit combatif s'agitait et bien sûr en faveur des anciens calendaristes. Ses nouveaux admirateurs l'encouragèrent aussi dans cette voie, en lui disant que, pour poursuivre ce combat, il devait devenir prêtre. Cette perspective ne se heurta certes pas à l'opposition de son maître Elie, mais celui-ci était catégorique et radical : " Ou tu te fais moine, ou si tu sers dans le monde, tu deviens un prêtre marié."

Ceci le laissa indécis pendant plusieurs années, jusqu'à l'occupation, pendant la guerre de 40. Tantôt ses parents, tantôt ses amis faisaient pression sur Charalampos en lui assurant qu'une très pudique jeune fille nommée Marie, ferait une excellente femme de prêtre. A force de le lui dire, on le poussa à acquiescer. Charalampos donc, sans enthousiasme, finit par accepter l'idée de devenir un prêtre marié, mais Dieu, au travers d'événements contraires, en décida autrement.



Une aventure avec les Komitadjis, captivité en Bulgarie (1941).

Nous sommes en 1941. Nous vivons au temps du noir esclavage de la Deuxième Guerre mondiale. Si le restant de la Grèce vit sous la botte des Allemands, la Macédoine cependant vit la plus noire servitude de son histoire.

Là, l'occupant est le peuple bulgare, peuple voisin et qui partage la même foi. beaucoup le rendent seul responsable de la sauvagerie impitoyable qui s emanifesta. Cependant la vérité nous oblige à reconnaître, de par les témoignages oculaires de personnes qui eurent à la subir, que nos frères Macédoniens ont subi la même sauvagerie de la part des nôtres. C'est-à-dire de Grecs renégats, qui s'enrôlèrent dans l'armée adverse, mais aussi des crypto-bulgares qui vivaient dans des villages grecs.

Athanase était l'un d'entre eux, celui-ci était un subordonné de Charalampos en tant que caporal dans l'armée, et de plus ce dernier lui fit du bien à de nombreuses reprises, avant que le front ne cédât sous la pression des Allemands.

C'était un jour du printemps 1941. Soudain, on entendit monter des montagnes, de la ville, des rues, des cris de souffrance. Que se passait-il? Les Komitadjis étaient descendus à l'improviste et mettaient en pièces tout ce qu'ils trouvaient devant eux. La boucherie fut indescriptible. Les morts se comptaient par milliers, massacrés ici et là.

C'était l'époque où la renommée de l'Ancien george Karaslidis, le thaumaturge de Sipsa, était à son apogée (4).

(4) : ( Canonisé en 2009 par le Patriarcat oecuménique, il est fêté le 4 novembre).

Celui-ci eut le temps de cacher un grand nombre de gens dans son hésychastère, tel un autre Abdias devant la colère de Jézabel (5).

(5) : ( Voir 3 R, 16, 3-4. ( LXX).)

En même temps, il leur assura des vivres pendant trois ou quatre jours. Parmi eux se trouvait Charalampos avec l'un des deux petits jumeaux, Damien âgé d'environ seize ans. A un certain moment, le fracas des armes s'apaisa. " Finalement, racontait-il, nous partîmes; il était temps que chacun retourne à son travail."

Charalampos alla chercher sa charrette et sortit pour se rendre dans la forêt afin d'y aller chercher le bois indispensable.

" Beaucoup d'autres, raconte-t-il, firent la même chose. Mais au bout de peu de temps, ils se rendirent compte qu'ils étaient victimes d'un guet-apens. On entendit une voix forte qui disait : " Halte! Les mains en l'air! (6)."

(6) : ( Ce qui suit m'a été rapporté par l'Ancien Charalampos lui-même).

En peu de temps tous ces gagne-petit se retrouvèrent prisonniers des Komitadjis. " Scélérats, nous vous avons attrapés, vous êtes tous des espions." Celui qui osait protester, pour toute réponse recevait un coup de matraque. Le Komitadjis passa à côté de nous. Il s'attaqua à moi : " Scélérat, espion!" Je lui dis : " Mon gars, regarde devant toi : Mon frère est encore mineur. Et nous serions des espions? Pour l'amour de Dieu!" Mais il me répondit par des coups de matraque. Que pouvais-je dire? Il n'était pas possible de faire valoir son droit. Aussi, j'ai fermé mon clapet. Ils nous emmenèrent au camp militaire situé à l'extérieur de Drama. Puis ils nous conduisirent à la prison et nous laissèrent tous enfermés dans une grande salle, sans pain, sans eau, une semaine durant. Chaque jour, matin et soir, quelques soldats passaient. l'un nous frappait avec des bottes ferrées, un autre avec une matraque, un autre avec ses poings, un autre avec un bâton, etc... Durant ce temps, nous étions très affamés, demeurant sans aucune nourriture. l'un d'entre nous s'écria désespéré : " J'ai faim!" Réponse : paf, un coup de bâton. Voilà de quoi manger.

Un autre de s'écrier désespéré : " De l'eau! De l'eau! Je brûle!" Le Komitadjis de lui répondre : " Il n'y a pas d'eau, mais il y a de l'urine." Et l'assoiffé, qui était dévoré par la soif, de gémir : " Apporte m'en, même si c'est de l'urine."

A un moment, alors que j'étais en prison, je vis un soldat que je reconnaissais. Je regarde bien : c'était Athanase. "Merci mon Dieu", me dis-je, "nous sommes sauvés, c'est un ami". Je m'approchai de lui avec audace :"Athanase, Athanase, comment vas-tu?" Athanase, mon "ami", s'approcha de moi avec sa matraque et, pour toute réponse...pif, paf, il me roua de coups. Il faisait partie, lui aussi, des renégats. Nous demeurâmes dans cet état, bourrés de coups chaque jour, six jours durant. Le septième jour arriva la très affligeante nouvelle : condamnés à mort. Ultime passage à tabac , jusqu'à l'extermination. Nous étions tous glacés d'effroi. De mon côté, qu'arriva-t-il?"



Il est sauvé miraculeusement

par le saint grand martyr Georges.

" C'est alors que j'ai engagé une profonde réflexion. Je me suis dit : " Ah, comme cette existence est vaine! Tu voulais, Charalampos, te marier et devenir prêtre pour sauver le monde. Alors maintenant, c'est plutôt toi que tu dois sauver en premier lieu." Ensuite, je me suis agenouillé sur le sol, et dans des larmes de feu, je me suis écrié : " Saint et grand martyr Georges, grand soldat du Christ, sauve-nous et je te promets de consacrer totalement mon existence à Dieu." A peine ma prière s'achevait-elle que j'entendis un bruit au-dessus de nous : " Tagada, tagada"; le galop d'un cheval. J'élève mon regard bien haut : un cheval galopait dans les airs au-dessus de nous. Cependant, je ne vis pas de cavalier. Mais j'avais compris : " Mon gars, me dis-je, c'est bien sûr saint Georges. Sauf que je ne suis pas digne d ele voir en personne. mais puisque je suis quand même digne de voir le cheval, cela veut dire qu'il nous a entendus."

Dans l'autre groupe, personne n'avait rien vu. mais le moral remonté, je consolais mes camarades souffrants : " Courage, les enfants, nous allons être délivrés : saint Georges va nous sauver." Du courage, mais quel courage? La situation empirait. L'ultime décision était prise. Voilà que le septième jour au petit matin, les bourreaux entrèrent pour nous liquider. Mais, cependant, ils n'eurent pas le temps de nous donner les premiers coups. La porte s'ouvrit brusquement à deux battants.

Un jeune homme bien bâti entra en poussant des cris farouches : " Arrêtez-vous tout de suite, scélérats, sinon je vais tous vous liquider sans tarder. Laissez ces innocents rentrer chez eux." En un clin d'oeil, la situation changea. Ils disparurent tous, de même que le jeune inconnu. ce qui se produisit ensuite est indescriptible : cris de joie, embrassades, pleurs, émotions...

Ne vous l'avais-je pas dit, leur dis-je, que saint Georges allait nous sauver? Si vous le voulez bien, je vais vous dire ce que je lui ai promis. J'ai fait le voeu de me consacrer à Dieu.

Le petit Damien d'ajouter : " Moi, je lui ai promis que la lampe de sa veilleuse brûlerait sans cesse chez nous." Et un cousin nommé Basile : " Et moi, j'ai fait le voeu de lui consacrer mon cheval."

Mais autre sujet d'étonnement : qui donc était notre bienfaiteur inconnu? L'un disait que c'était un courageux jeune homme, un autre qu'il était entre deux âges, un autre encore dit : " J'ai entendu une voix, mais je n'ai vu personne." Un autre qu'il avait entendu une voix qui parlait le grec, un autre le bulgare...

Nous demeurâmes tous, nous les prisonniers, sous le coup de ces impressions. Mais les prisons restaient fermées. Déjà, certains recommençaient à se plaindre. " Peut-être que... Peut-être que..." Derechef, je les encourageai : " Courage, frères, tout est terminé; un peu de patience."

De fait, peu de temps s'écoula avant que les portes ne s'ouvrissent ànouveau. Proclamation officielle du roi Boris : " Etant donné qu'aujourd'hui la reine a mis au monde mon héritier, j'accorde grâce à tous les prisonniers. Dès maintenant vous êtes libres (7)."

(7) : ( On peut remarquer que l'héritier du roi Boris est l'actuel président de la Bulgarie, Syméon).

Dès que les portes de la prison se furent ouvertes, débordant de joie, malgré la faim et l'épuisement, nous nous retrouvâmes tous dans nos foyers, avant qu'il ne fût longtemps.

Une seule interrogation demeurait parmi les prisonniers : qui donc était notre bienfaiteur inconnu? Etait-ce un ange, un saint ou un homme? Quoi qu'il en soit, il a de fait été envoyé par Dieu au moment le plus critique. C'est-à-dire de justesse. Sinon, le temps qu'arrive le message royal, il aurait été beaucoup trop tard. Nous aurions déjà été liquidés."



Le retour.

Léonidas agenouillé devant les icônes.

" Dès que j'arrivai avec mon petit frère à la maison, continua le Père Charalampos, je courus tout droit jusqu'à notre petite iconostase pour remercier Dieu et saint Georges. C'est alors que je vis mon père agenouillé et les yeux gonflés.

" Papa, Papa, nous sommes revenus; saint Georges nous a sauvés.

- Remercions Dieu, mon enfant.

- Tu veux que je te dise aussi quelque chose de grave?

- Oui, mon enfant.

- J'ai promis à saint Georges que s'il nous sauvait, je me consacrerais à Dieu.

Et ce révéré père de me dire :

- Tu as pris la meilleure décision, mon enfant; je te donne ma bénédiction, toute ma bénédiction. Mais veux-tu qu'à mon tour, je te dise quelque chose?

- Le jour où l'on vous apris, les chevaux sont revenus seuls avec la charrette à la maison. J'ai compris. "C'est fichu, ils les ont pris", me dis-je. Depuis ce jour, je n'ai ni mangé ni bu, ni ne me suis décollé de cette iconostase jusqu'à l'instant où tu m'as trouvé. Il est désormais temps que nous nous réconfortions. Allons manger.""

Tel était le père béni et saint de Charalampos. " C'est au fruit que l'on reconnaît l'arbre (8). "



Les voeux.

Avant de poursuivre notre récit, il serait bon d'ouvrir une petite parenthèse pour voir ce qu'il advint des voeux des captifs. Pour ce qui est de Charalampos, nous en parlerons en détail. Quant au petit Damien, fidèle à sa promesse, durant toute son existence, il veilla à ce que la veilleuse de sa maison demeure allumée sans interruption. Mais qu'advint-il de Basile? De retour chez lui, après avoir connu tant de malheurs à cause de la guerre, il courut partout avec son cheval pour subvenir aux dépenses familiales. C'était le tracteur de cette époque. Il se disait intérieurement qu'il ne reniait pas son voeu, mais qu'il le remplirait un peu plus tard,alors qu'il n'aurait plus autant besoin du cheval. Cinq ou six mois passèrent. Oui, mais "l'autre" n'oubliait pas le voeu. Il vit en rêve pendant la nuit saint Georges qui lui disait : " Eh, le cheval est à moi; pourquoi le gardes-tu (9)?"

(9) : ( Cela ne veut pas dire que le saint en avait besoin, mais cela montre que nous nous devons d'être conséquent quand nous faisons une promesse, que ce soit à l'égard des saints ou des hommes).

Basile lui répondit effrayé :

" Je vais te l'apporter mon saint Georges, mais un peu plus tard.

- Non, lui répondit le saint, depuis le jour où tu as fait le voeu, il ne t'appartient plus. je le veux, sinon il t'en cuira."

Le lendemain matin au petit matin, Basile arriva avec le cheval et il l'attacha à l'extérieur de l'église de saint Georges en disant : " Puisque tu m'as sauvé, mon saint, je t'en fais cadeau."



Après la captivité.

Nous nous trouvons, comme nous l'avons dit, pendant la sombre période du noir esclavage. Charalampos, conséquent avec sa promesse, ne s'appartient plus. Tout en restant dans les affaires du monde, il considère désormais que son être est soumis à la volonté divine. Sur l'exhortation de son maître Elie, mais aussi celle de ses concitoyens, il reste pour venir en aide à ses frères durant cette période de la grande épreuve de l'esclavage d ela nation. Mais, durant l'année 1944, alors que les armées d'occupation commençaient à se retirer, un autre événement familial affligeant se produisit.



La sainte fin de Léonidas.

Charalampos soutien de famille.

Le père de Charalampos, sentait sa fin approcher, quoique prématurée. Tel un autre Jacob, il manda auprès de lui ses enfants. Et il annonça aux petits jumeaux que désormais ils devraient rendre compte et obéir à Charalampos, et le respecter comme un père. Quant à celui-ci, il le fit venir à part. Entre autres choses, il lui dit : " Mon enfant, pardonne-moi de ne pas t'avoir fait faire des études. Je n'ai pas pu faire autrement. Maintenant je m'en vais. Veille à la promesse que tu as faite à Dieu, ne la renie jamais. désormais, je ne te demande qu'une seule grâce. Prends sur toi la charge de soutien de famille. Je désire que les deux petits fassent des études. Ensuite, avec mon entière bénédiction, va là où Dieu t'illuminera pour que tu ailles." Ayant dit ces mots, le bienheureux Léonidas ferma les yeux.

Ces paroles demeurèrent en Charalampos comme un dépôt à lui confié. Elles furent approuvées par son guide spirituel, Elie. La veuve éprouvée qu'était sa mère lui demanda la même faveur avec des paroles consolatrices.

Devant ce nouvel événement inattendu, il assuma provisoirement la charge de soutien de famille. Mais cela ne signifie pas qu'il revint sur son pieux désir. Tout au contraire, depuis ce jour, il s ereferma entièrement sur lui-même. Pendant la journée, il se livrait à un rude labeur, et pendant la nuit à une veille prolongée. Quant au jeûne, il était plus rigoureux que jamais. Son maître Elie était sa consolation et sa compagnie, ainsi que ses coreligionnaires anciens calendaristes. Les lundi, mercredi, vendredi, il observait le jeûne en se limitant à un seul repas, ne prenant que du pain et d el'eau après le coucher du soleil.



Imitateur de saint Denys d'Egine.

Nous avons indiqué plus haut, que dans les cachots des Bulgares, un ami de Charalampos, au moment critique s'était "occupé" de lui... comme il fallait. Celui-ci, Athanase, dans l'armée était subordonné de Charalampos qui était caporal, et à de nombreuses reprises avait bénéficié de bonnes grâces particulières de sa part. Il était originaire d'un village proche de la frontière bulgare. Les habitants de ce village connaissaient parfaitement le bulgare. C'est pour cette raison que les habitants des villages environnants avaient accolé ironiquement à ce village le surnom de Malta Sofia ( Petite Sofia).

Après l'occupation, Charalampos apprit que son "ami" Athanase, comme si de rien n'était, était revenu dans son village. Il avait à coup sûr tant la possibilité que les preuves nécessaires pour expédier son "ami" devant un peloton d'exécution. Mais il n'en eut pas même l'idée. Mais voici, soit comme une épreuve voulue par Dieu, soit comme une épreuve, ou, selon le peuple, par un coup du destin, que quelque chose arriva.

Marchant dans la rue principale de Drama, Charalampos accompagné de son plus jeune frère Côme, habitant aujourd'hui Drama, se retrouva en face de quelqu'un qui venait vers eux. Côme nous raconta : " Pendant un instant, je regardais mon frère. Il s'arrêta un instant et rougit. L'autre, comme un aveugle, sans se douter de rien, venait vers nous. Par curiosité, je lui ai demandé : " Mais que t'arrive-t-il Charalampos?" L'autre entendit mes paroles, vit Charalampos devant lui, fit demi-tour avec la rapidité de l'éclair et se mit à courir comme un fou. Précisément au même moment, comme si Dieu l'avait mis en scène, un jeune gars bien bâti, Basile, apparut devant nous. Il était en prison avec Charalampos. Celui-ci avait eu tant de coups à subir de la part d'Athanase qu'il était prêt à boire son sang.

Spontanément Charalampos lui dit : " Athanase, Athanase; le voilà, il est là." Basile au simple énoncé de son nom s'enflamma. Il s'apprêtait à bondir : " Où est-il? Où est-il parti? Montre-le moi vite." Charalampos, malgré son trouble, préféra induire Basile en erreur. Au lieu de lui donner une raison de provoquer une vengeance et un meurtre, il lui montra la direction exactement opposée : "Voilà, il est parti par là." Ensuite, après que nous fûmes restés seuls, je l'interrogeai et il m'expliqua en détail ce qui s'était passé."

C'est ce que raconta Côme en tant que témoin oculaire. Cet exploit me fait estimer que Charalampos imita celui de saint Denys d'Egine. Celui-ci avait en effet caché le meurtrier de son frère (10).

(10) : ( Voir sa mémoire au 17 décembre, Le Synaxaire, vol.2, Athènes, 2010, p.488).

Charalampos agit de même pour celui qui était disposé à le tuer et qui avait torturé si sauvagement tant d'autres innocents. Et Côme d'ajouter : " Mon gars, si nous voulions, nous le réduirions en bouillie, nous seuls, même sans l'aide de Basile. Mais qu'il doive sa grâce à mon frère."

C'est par une telle mesure d'indulgence que Charalampos était animé, même avant qu'il ne devînt moine.

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II

PREMIERS COMBATS

MOINE DU GRAND HABIT

HIEROMOINE



La Sainte Montagne.

Les grottes de la Petite Sainte-Anne, 7 juillet 1950.



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Charalampos n'était plus retenu par rien. Il prit congé des siens et se rendit bien vite à la skite d ela Petite Sainte-Anne, pour y rencontrer celui qui était son parrain et son oncle. Ensuite, il avait prévu de se rendre à Egine, pour y prendre congé de sa tante, la moniale Eupraxia, disciple du Géronda Jérôme d'Egine, Saint de l'Ancien Calendrier. De là, il voulait revenir définitivement sur la Sainte Montagne, pour y devenir moine auprès de son oncle.

Aussi Charalampos arriva, tel un cerf assoiffé, à Daphni le petit port de la Sainte Montagne, et il poursuivit son chemin jusqu'à la skite de Sainte Anne. De là, il demanda son chemin. On lui indiqua un sentier abrupt, qui menait jusqu'aux grottes du grand hésychaste Joseph. Là, en compagnie du célèbre Ancien, se trouvait également l'Ancien Arsène, l'oncle selon la chair, mais aussi parrain de Charalampos.



Le père Athanase. Une première impression décourageante.

" Alors que je montais et ne cessais de m'approcher de l'endroit, racontait-il, je ne pouvais discerner rien d'autre que des rochers. C'est pourquoi je fus obligé de crier : " Père Joseph, Père Arsène!..." Rien. Soudain j'entendis une voix très aimable et douce. Je m'approchai, et que vis-je? Un moine entre deux âges et vêtu de haillons, devant une petite grotte.

" Bienvenue, mon frère!", me dit-il. Il fit une métanie jusqu'à terre et entreprit de me baiser la main. "Entre dans ma pauvre demeure et je t'indiquerai la cabane de l'Ancien."

J'entrai, mais que vis-je? Une grotte étroite, à moitié plongée dans l'obscurité, comme à l'abandon, pleine d'araignées, d'ordures, de vêtements, d'objets jetés ici et là. Dès que j'entendis que ce moine était le frère selon la chair de l'Ancien Joseph et membre de sa fraternité, je fus découragé. "Mon gars, me dis-je, je n'ai pas peur de l'ascèse, mais je ne peux pas vivre dans de telles conditions. Ma mère me lavait, m'essuyait, me repassait mes vêtements. Est-ce une vie monastique ici, ou est-ce un dépotoir, ou même pire?" Cependant, très poliment, le moine m'accompagna jusqu'à l'Ancien Joseph. Tout en marchant, il m'interrogea:

"Comment t'appelles-tu, frère?

- Charalampos, Père.

- Moi, frère, on m'appelle Athanase."

Peu après nous arrivâmes chez l'Ancien Joseph. Il m'invita aussitôt à entrer dans sa cabane."



Les impressions qui suivirent immédiatement.

"Influencé, poursuivit-il, par l'image de la première grotte, je n'avais vraiment pas envie d'y entrer. Mais j'y entrai et, contre toute attente, l'image, là, en était totalement différente. Certes, la cellule était petite et étroite, mais soignée, propre, rangée. Ah! alors je respirai. L'Ancien Arsène fut rapidement prévenu, et il m'accueillit avec beaucoup de joie. Après les premières impressions vinrent aussi les quelques questions de l'Ancien.

" Quel but as-tu, mon enfant, dans l'existence?

- Je veux devenir moine."

L'Ancien d'ajouter pour m'éprouver :

" Chez nous, notre vie est très rigoureuse; toi, tu ne pourras pas la supporter.

- Je voudrais essayer, Géronda.

- Ah, tu veux essayer? Alors passons aujourd'hui la première épreuve."

Il appela alors Arsène et lui dit:

" Arsène, ton filleul dit qu'il veut devenir moine. Vous allez faire ensemble plus de trois mille métanies (1) et ensuite tu me le ramèneras pour que nous en reparlions.

(1) : ( Il s'agit de grandes prosternationsoù l'on s'agenouille et où les mains et la tête viennent toucher le sol avant que l'on ne se relève. Ces métanies font en principe partie de la règle de prière journalière de tout moine. Leur nombre est fixé pour chacun par le père spirituel; il est en moyenne de trois cents (NdE).).

- Que cela soit béni", répondit Arsène sans discuter.

Et allons-y, voilà que l'Ancien Arsène termine le premier. Il me restait encore cinquante métanies à faire. Mais en vérité son sol était un peu en pente, alors que le mien était plan. Je termine et nous revenons auprès de l'Ancien.

" Alors, Charalampos, comment vois-tu les choses ? Pourras-tu supporter?

- Pour l'instant, je n'ai pas eu de problème; plus tard, je ne sais pas.

- Par conséquent, donc, tu veux essayer?

- Oui, Géronda, c'est pour cela que je suis venu; sauf que j'ai prévu de me rendre quelque part, pour revenir ensuite définitivement.

- Où veux-tu aller?

- Je veux aller à Egine pour voir ma tante moniale Eupraxia, la soeur du Père Arsène, pour lui faire mes adieux et recevoir sa bénédiction.

- Ecoute-moi bien : si tu veux devenir moine avec nous, oublie ta tante Eupraxia. Si tu veux quand même te rendre chez ta tante, personne ne t'en empêche. Sauf que tu ne dois pas compter revenir chez nous.

- Mais, Géronda, c'est ici que je veux trouver le repos. C'est ici que je veux être moine.

- Si tu veux être moine ici, installe-toi. Tu es accpeté.Mais si tu pars maintenant, la porte te restera fermée.

- Me voilà bien! Mais, Géronda! Je suis venu ici avec des projets.

- Des projets? Un moine avec des projets? Où as-tu déniché une vie monastique avec des volontés propres et des projets?"

La conversation se prolongea, mais à la fin Charalampos n'insista plus. Quand cet Ancien plein de discernement eut constaté une telle flamme et anticipé quels seraient les progrès futurs du jeune homme, comment eut-il pu laisser filer un tel gibier d'entre ses doigts? Finalement, Charalampos dit oui sans insister davantage.



Charalampos novice.

Premières épreuves.

Aussitôt Charalampos, sans perte de temps et sans difficulté, s'adapta au mode de vie de la communauté. Pendant la journée : obéissance, silence, travail manuel; pendant la nuit : une veille de huit heures debout avec un grand nombre de prosternations.

Le coeur du jeune ascète ne tarda pas à être embrasé par la flamme de l'amour divin. L'Ancien Joseph constatant tant de bon vouloir et quels grands progrès il avait faits dès le commencement, ne cessait de rendre grâce à Dieu et disait à l'Ancien Arsène : " Arsène, maintenant je peux avec soulagement dire au Seigneur : " Maintenant laisse aller en paix Ton serviteur..." Nous avons vécu tous les deux si durement, au point que nous sommes allés jusqu'à verser notre sang pour trouver Dieu en nous. Mais ma contrariété durant toutes ces années était la suivante : beaucoup ont séjourné parmi nous; ils en ont tiré profit, puis ils sont partis, car ils n'ont pu suivre notre oeuvre spirituelle. Je croyais que j'allais mourir avec cette plainte. Mais voilà : Dieu nous a révélé, alors que ce sont nos derniers jours, ces petits moines. C'est sur eux, souviens-toi bien de cela, que toute la Sainte Montagne s'appuiera."

De fait, la prédiction de ce saint Ancien s'est réalisée de nos jours, alors que le repeuplement de la plupart des saints monastères de la Sainte Montagne a un lien direct ou indirect avec les enfants spirituels de l'Ancien Joseph.



Les premiers exercices.

L'Ancien constatant la très grande flamme du jeune novice et sa soif de prière, prit des mesures destinées à avoriser son talent et aussi à le protéger de la passion diabolique de l'orgueil.

L'un des moyens qu'il utilisa pour le maintenir dans l'humilité était le suivant :il le traita avec beaucoup de grossièreté : Au lieu de l'appeler par son nom, il avait l'habitude de lui dire : " Viens ici, mon vieux..." Et Charalampos ( comme il me le raconta lui-même) se disait en lui-même : " Mon vieux? Comment ça , mon vieux? N'ai-je pas un nom? Qu'est-ce que c'est que ces manières? J'ai travaillé avec des laïcs à la préfecture et je n'ai jamais entendu une telle impertinence. On se voussoyait toujours.

"Comment allez-vous, M. Galanopoulos?

- Je vous remercie.

- Je vous en prie."

Ici, jusqu'à présent, je n'ai entendu ni un "jevous remercie", ni un "je vous en prie". Drôles de gens par ici."

Et il poursuivait : " Mais ces pensées n'échappèrent pas à mon Ancien charismatique, qui me remit à ma place ensuite en me disant : " Donc, dans le monde tu étais un lutteur, hein? Tu jeûnais, tu veillais, tu menais une vie ascétique; tu étais vif d'esprit, travailleur, honnête... Et tout cela t'a mené à quoi? A ce que tu nous trimballes jusqu'ici un tas de vaine gloire, d'égoïsme, de confiance en soi. Maintenant que les louanges ont cessé, tu ne te sens pas ien, hein?"

Effectivement, avec ces leçons simples et pleines de grâce, de mon Ancien, je ne tardai pas à me rendre compte que, malgré le fait que j'avais effectivement été un lutteur dans le monde, cependant, à recevoir louanges et flatteries, sans que je m'en rendisse compte, je m'étais enflé de vaine gloire."

Mais Charalampos, avec son humilité naturelle et sa simplicité, combinées avec le rare esprit combatif qui le caractérisait, ne tarda pas à se mettre intérieurement dans les bons sentiments. Son Ancien cependant, même plus tard lorsqu'il le fit moine du Grand Habit, ainsi que prêtre pour les besoins liturgiques de la communauté, continua de le traiter avec la même rudesse. Le traitement était proportionné au progrès spirituel de Charalampos.

" Je me souviens, racontait-il encore, que, parfois, alors que nous étions à table pour manger, nous engagions une discussion spirituelle. Les autres pères échangeaient leurs points de vue; mais moi, dès que j'allais prendre la parole, notre Ancien se précipitait pour dire abruptement : " Chut!" ( ce qui était dire : toi, ne parle pas). Un peu de temps se passait; il se trouvait que je pouvais intervenir dans la discussion pour proposer moi aussi une bonne solution, une opinion propre; mais, derechef, l'Ancien disait : " Chut, ai-je dit; toi, ne parle pas.""

Une pensée me disait : " Eh, Géronda, tu as bien peu d'estime pour moi!" Mais je ne tardais pas à l'étouffer par une autre pensée : " L'Ancien sait ce qu'il fait. C'est cela qui est juste."" Mais même ces leçons-là, Charalampos ne tarda pas à les assimiler. Comment son sage Ancien allait-il alors gérer la nouvelle situation? Il trouvait un prétexte futile. Au lieu de l'insulter, lui qui était désormais endurci, il commença à s'en prendre à sa famille, et surtout à son père, qui n'était déjà plus de ce monde.

En entendant cela, l'athlète du Christ semit de nouveau à trébucher, et se dit intérieurement avec douleur : " Ce n'est pas possible. Mon père est mort et il doit entendre de tels propos! Et cela, je ne l'accepte pas." Mais cependant il se tournait à nouveau vers lui-même et se persuadait qu'il n'avait pas le droit de juger son Ancien.

L'Ancien Arsène avait l'habitude très fréquente de nous dire au sujet de son neveu Charalampos : " Beaucoup passèrent par notre communauté. L'Ancien les remettait à leur place, et ensuite il me disait : " Je presse l'un un peu, il s'en va; je presse l'autre, il tombe malade." Mais quand vint Charalampos, il nous dit : " Eh, celui-là on peut le battre comme plâtre, il se relève.""

"Malgré tout, nous raconta l'Ancien Charalampos, un jour j'ai osé opposer ma volonté, mais il m'en a cuit et j'ai reçu une leçon dont je me souviendrai toute ma vie, pour que je comprenne ce que veut dire : " Il vaut mille fois mieux subir la voix retorse de l'Ancien." Nous réparions nos petites cabanes à Néa-Skiti. Les autres Pères de notre communauté se mirent d'accord avec l'Ancien pour faire une commande coûteuse sans me demander mon avis. Moi, comme j'avais dans le monde des notions de construction, j'avais constaté que cela allait faire des dépenses inutiles. Je courus chez l'Ancien pour empêcher l'erreur, dans l'intérêt commun. Que pensez-vous qu'il arriva? Il me remit à ma place sans discussion, et m'abreuva au sens propre d'un tas de semonces, d'injures et il me chassa comme un chien. Je partis la tête basse, mais je ne baissai pas pavillon. Je me dis : "Bon, bon; merci pour les semonces; mais demain, quand ils auront jeté par les fenêtres un tas d'argent, alors on en reparlera." Effectivement nous en reparlâmes, mais encore une fois à mes dépens. Après que furent arrivés tous les matériaux de construction, et qu'effectivement on constata, comme je l'avais prévu, qu'ils n'étaient pas appropriés, on les relégua dans le magasin. Mais il ne se passa guère de jours que nous en eûmes besoin pour un autre travail que nous avions entrepris, et ceci avec une précision telle que c'était comme si nous les avions commandés tout exprès. C'était donc à juste titre que l'Ancien m'avait remis à ma place en me donnant une bonne leçon."



Les premières expériences spirituelles (2) du novice Charalampos.

(2) : ( Sur cette notion, voir aussi Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, Editions du Cerf, Paris 2002, p. 145-153 (NdT).).

Comme nous l'avons déjà dit plus haut, le novice Charalampos ne tarda pas à être baigné de la flamme incandescente de l'amour divin, au point que les huit fatigantes heures de veille prescrites lui semblaient peu de chose. C'est pourquoi il avait l'habitude de les prolonger même après la fin de la veille, lésant ainsi son repos corporel. Mais de cette veille de toute la nuit accompagnée d'un grand nombre de grandes métanies, sans repos corporel autre que la petite sieste de l'après-midi, son organisme eut à supporter les conséquences : certaines grosses fatigues, des bâillements pendant le travail, moins d'entrain pour la prière ininterrompue, etc... L'Ancien ne tarda pas à le subodorer, et il lui imposa de s'allonger sans faute pendant une ou deux heures le matin.

" Effectivement, nous raconta-t-il, je me suis rendu compte avec l'expérience que ma carcasse réclamait son dû. Avec ce petit repos matinal, je n'épargnais en rien ma peine pendant la journée, tout en répétant des lèvres la prière du coeur : "Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi..." Souvent, alors que je travaillais dur, la prière débordait, les larmes incessantes commençaient à couler, ce qui faisait, si je devais travailler avec d'autres, que j'étais obligé d'invoquer un besoin pressant pour pouvoir me cacher ne serait-ce qu'un peu de temps."



L'amour de Dieu éteignit l'amour des parents.

Un jour, je lui ai demandé:

"Géronda, quand tu as quitté le monde, qu'est-ce qui, selon ce que tu as ressenti, t'a le plus coûté?

- Eh, j'aimais tous les miens, mais surtout mes deux petits frères orphelins. Mais pour ma mère, j'avais acquis une affection particulière. C'était vraiment une sainte âme, mais comme nous avons passé notre existence ensemble, elle me lavait mes vêtements, elle les repassait, elle prenait soin de moi, etc... Lorsque parfois le tentateur, pour me faire la guerre me rappelait son souvenir, mon amour pour elle était sur le point de me dévorer les entrailles. Puisque Satan avait trouvé un poison pour me torturer, qu'allais-je donc faire? Je me suis dit que nous qui avions abandonné notre mère, nous avions désormais la Toute Sainte Mère de Dieu comme mère. Je tombai alors à terre en criant et en pleurant, et je dis : " Ma Toute Sainte, accours, je t'en prie. Eteins en moi l'amour pour ma mère. C'est toi qui es désormais ma Maman. Je ne veux pas de mère charnelle. C'est toi seule que je veux. Viens à mon aide !"

Disant cela de tout mon coeur, une flamme incandescente m'étreignit de façon sensible et un amour très vif pour notre Toute Sainte Mère de Dieu m'envahit, au point non seulement que j'en oubliai ma mère, mais que disparurent même tous les autres désirs par manière générale. On ne pense plus alors qu'à la Toute Sainte, comme si l'on vivait en ressentant en nous un très doux Paradis. A ce moment-là, on ne peut plus rien dire d'autre que : "Ma Toute-Sainte, ma douce Maman, ma Bonne Mère! Prends-moi maintenant, dès cet instant, auprès de toi. C'est toi que je désire. C'est toi que je veux." Cela m'advint à plusieurs reprises car, pour nous éprouver, la Grâce nous quitte à nouveau, pour que nous combattions. Mais elle revient.

Ce fut donc ainsi que l'amour de la Toute Sainte consuma celui que j'avais pour ma mère, en sorte que bien qu'elle me suppliât par lettre à plusieurs reprises : " Viens, mon enfant. Même si ce n'est que jusqu'à Ouranopolis (3), sors, que je puisse te voir", je ne l'écoutai pas.

(3) : ( Ville située à la frontière entre la Grèce et le Mont Athos (NdT).).

Après la dormition de notre Ancien, comme elle m'importunait de nouveau, je réfléchis et mis au point un moyen terme. Je lui écrivis : " Nous n'avons qu'à nous rendre tous les deux à Thessalonique, à condition que tu acceptes de devenir moniale." Je savais que ma mère avait vécu durant toute son existence d'une façon plus rigoureuse qu'une moniale. C'est pourquoi aussi l'Habit Angélique lui convenait. C'est ce qui se produisit. Vers 1961, je sortis pour me rendre à Thessalonique, je la fis moniale et je lui donnai le nom de "moniale Marthe." Depuis lors, je ne l'ai pas revue."



L'enfer dans la grotte obscure se transforme en Paradis.

L'Ancien Joseph, constatant le très grand empressement du novice Charalampos, le convoqua un jour en particulier et lui dit:

" Là-haut, dans ces rochers que tu vois, se trouve une petite grotte. Je t'assure que c'est un Paradis. Grimpe donc jusque là-haut, et restes-y jusqu'à ce que je te rappelle. D'accord?

- Que cela soit béni, Géronda."

" Je fis une métanie, racontait Charalampos, et je me mis sans tarder à escalader les rochers. J'approchai de la grotte. Mais que vis-je? Un endroit sauvage, où n'auraient pu vivre que des serpents. De plus, la grotte était si basse que l'on ne pouvait y entrer que courbé. Au début, n'étant qu'un homme, j'hésitais, j'avais peur, mais en même temps je me disais :" Eh, Géronda, pourquoi m'as-tu envoyé là? C'est ça le Paradis? Pour sûr, ici c'est l'enfer. Pas le Paradis. On va bien voir comment je vais m'en sortir jusqu'à ce que se termine la pénitence, et que l'Ancien m'appelle pour que je redescende. Mais puisque c'est l'Ancien qui l'a dit, je ne reviendrai pas en arrière. Je préfère mourir dans l'obéissance plutôt que de déserter."

Je commençai donc ma pénitence. En veux-tu, en voilà : métanies, prières. La peur ne tarda pas à céder ainsi que la poltronnerie et je commençai à me sentir bien. Puis je me dis : " L'Ancien t'a envoyé pour prier. Mets-y tout ton coeur, Charalampos!" A force, mon coeur ne tarda pas à s'échauffer et mes yeux à déverser des fontaines de larmes de louanges et d'actions de grâces. C'est là que je fus jugé digne de ma première contemplation, lorsque, selon les Pères, l'esprit ( noûs) s'arrête. Ce n'est plus lui qui agit, mais il est mû par l'Esprit Saint qui le mène où Il veut, y compris jusqu'aux Cieux. Je revins à mon état normal. Et, à nouveau, un autre ravissement me transporta vers d'autres demeures célestes. Ceci se répéta deux ou trois fois. Alors je ressentis quelque chose qui ressemblait à ce qu'avaient ressenti les disciples du Christ sur le Mont Thabor, et je me dis : " Il est bon pour nous d'être ici (4)."

(4) : ( Mt 17, 4).

C'est vraiment ici, là où notre Ancien m'a envoyé, que se trouve le Paradis. Pourvu qu'il ne me rappelle pas pour que je redescende de cet endroit paradisiaque."

Malgré tout, deux ou trois jours plus tard, j'entendis une voix connue, qui venait des cabanes : " Charalampos, l'Ancien a dit que tu devais redescendre."

Vous ne pourrez pas croire quel mécontentement j'éprouvai en entendant l'ordre de revenir. Mais je ne pouvais pas faire autrement cependant : je me trouvais être à l'obéissance. Dès mon retour, le changement sur mon visage baissé était bien visible. L'Ancien me mit à l'épreuve et me dit : " Charalampos, je veux que tu dises la vérité : est-ce le Paradis là où je t'ai envoyé, oui ou non?" Moi, confus, le visage baissé, je lui répondis avec les yeux gonflés : " Oui, Géronda, c'est effectivement le Paradis". N'y tenant plus, notre Ancien me prit dans ses bras et m'embrassa.

D'habitude l'Ancien se comportait sévèrement. Mais parfois, quand il constatait un progrès spirituel parmi ses moines, il ne pouvait contenir sa joie, et celle-ci éclatait. C'est alors qu'il nous montrait sa vraie personnalité. Il nous embrassait et, ému, il ne pouvait retenir ses larmes."



Promotion à la tonsure monastique et à la prêtrise.

Après les premiers exercices et l'excellence du résultat, la décision des saints Anciens, Joseph et Arsène, fut unanime et irrévocable : le novice Charalampos, l'année même qui suivit sa renonciation au monde ( en octobre 1951) fut tonsuré moine du Grand Habit et quelques jours plus tard, fut ordonné diacre puis prêtre pour les besoins liturgiques de la fraternité.

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L'ordination eut lieu dans l'église principale de Sainte-Anne, par le métropolite Hiérothée de Milet, d'éternelle mémoire.

Pour la tonsure monastique, il conserva le même nom, c'est-à-dire Charalampos, ce qui est inhabituel dans le monachisme. Jusqu'à l'ordination sacerdotale de Charalampos, la petite communauté était desservie pour ses liturgies par le rejeton spirituel de l'Ancien Joseph, son disciple authentique, mais aussi fils spirituel : le Père Ephrem de Katounakia.



L'emploi du temps quotidien.

A partir de l'ordination du Père Charalampos, la communauté se conforma à un emploi du temps régulier. Selon l'heure byzantine, qui commence toujours au coucher du soleil qui équivaut à minuit, commençait alors la veille nocturne de la communauté, jusqu'à la sixième heure byzantine. Après une rude veille de six heures dans la solitude, commençait l'office liturgique communautaire, qui culminait avec la divine Liturgie au cours de laquelle on faisait mémoire d'un grand nombre de vivants et de défunts. Cet office communautaire ne durait que deux heures, à deux heures et demie, et ensuite, sans aucune conversation entre eux, commençait un repos de deux heures à deux heures et demie. Puis, une fois les frères levés, ils allaient voir l'Ancien pour recevoir sa bénédiction en même temps que les directives pour leur diaconie (6).

(6) : ( Le travail que chaque moine accomplit au service de la communauté).

En outre, ils avaient la bénédiction de plonger un peu de pain séché dans de l'eau pour se fortifier, puis ils se consacraient en silence à leurs diaconies.

" Personnellement, racontait le Père Charalampos, comme j'étais habitué depuis mon enfance en Russie, j'avais une petite faiblesse en hiver pour le thé chaud. J'ai dit un jour à l'Ancien:

" Géronda, au lieu d'eau, pourrions-nous avoir la bénédiction de préparer un peu de thé pour nous réchauffer?

- Du thé? Où as-tu vu ici un tel luxe?

- Ou, au bout du compte, même de l'eau, pourvu qu'on la réchauffe un peu.

- Si le froid te plaît, bois-la froide. Ici, nous ne connaissons pas les boissons chaudes.

Qu'avais-je à faire d'autre que de répondre : " Que cela soit béni".

Cela dura jusqu'à la sainte dormition de notre Ancien. Lorsque celui-ci s'endormit, un jour j'ai eu un peu froid. J'ai rempli une casserole avec beaucoup d'eau, j'ai préparé du thé et je me suis dit : " Géronda, je t'ai obéi jusqu'à ta mort. Maintenant, donne-moi la bénédiction de boire un peu de thé, que je me réchauffe!""

L'emploi du temps stipulait que le travail manuel durait jusqu'à midi. Ensuite, les frères se retiraient dans leurs grottes pour célébrer les Vêpres prescrites, avec le chapelet et la prière de Jésus, pendant deux ou trois heures et, s'il restait du temps, ils se livraient à la lecture priante d'ouvrages religieux utiles à l'âme.

Suivait le repas quotidien puis un repos corporel pendant trois heures et demie à quatre heures. Ensuite, à la douzième heure byzantine, c'est-à-dire au coucher du soleil, les frères se relevaient encore pour l'agrypnie prescrite de huit heures, après avoir au préalable reçu la bénédiction de l'Ancien. Avant l'agrypnie, les frères avaient la bénédiction de boire un café pour prendre des forces et en outre les plus faibles pouvaient ajouter un petit quelque chose.

Comme je l'ai mentionné plus haut, au sein de cette communauté du Père Joseph, le zèle inspiré par Dieu était à l'honneur, malgré le fait que, du point de vue des capacités physiques, le plus grand nombre de moines était en déficit par comparaison avec les grands Anciens que furent les Pères Joseph et Arsène.

De ce fait, le sage Ancien Joseph cantonna ses disciples à ce qui constitue la substance indispensable de la vie monastique : l'obéissance rigoureuse, la veille perpétuelle, la confession sincère des pensées, le travail manuel selon ses capacités, le fait d'éviter rigoureusement les vaines paroles, ainsi que la pratique de la prière ininterrompue. Cela non seulement pendant les heures de la veille, amis aussi toute la journée, s'il était possible que la prière ne cesse jamais sur les lèvres.

Quant à la nourriture et au sommeil, les dispositions nécessaires étaient prises, selon les capacités physiques de chacun. C'est pour cette raison que, alors que pendant de nombreuses années les deux grands Anciens qui avaient vécu avec un seul repas par jour et sans huile, sauf les samedis et dimanches, par la force des choses, ils furent contraints de condescendre aux faiblesses physiques des jeunes frères. Ils conservèrent donc le repas unique sans huile seulement les trois jours prescrits (7) durant la semaine alors que, les quatre autres - en dehors bien sûr des jeûnes prescrits par l'Eglise comme pendant le Grand Carême, etc... - ils autorisaient la consommation avec discernement de tout ( sauf, cela va sans dire, de la viande), lors d'un repas communautaire normal.

(7) : ( Les lundis, mercredis et vendredis).

Les plus faibles, comme nous l'avons dit, pouvaient de surcroît consommer une petite chose avant la veille nocturne.



Le combat quotidien du Père Charalampos.

Quand le Père Charalampos décida de devenir moine, l'emploi du temps quotidien de la communauté était composé comme nous l'avons vu. Cependant lui-même était déjà endurci et rompu à l'ascèse depuis sa vie dans le monde. C'est pour cette raison que, lorsqu'il s'engagea comme novice, tout en étant conscient qu'il se trouvait avec des hommes saints, cependant le zèle divin le poussa à pratiquer davantage d'ascèse.

La première épreuve avec les trois mille métanies lui sembla être un jeu et alors qu'il s'apprêtait à rivaliser d'ascèse même avec son parrain, lequel pouvait faire à un certain moment jusqu'à cinq mille grandes métanies en vingt-quatre heures, soudain il se heurta au roc du discernement, c'est-à-dire à son Ancien. Le Père Joseph, plein de discernement et d'expérience, avait pris en considération le dit patristique : "Si tu as vu un jeune courir, coupe-lui un peu les ailes." Tout joyeux, le jeune combattant annonça son nouveau record : "Géronda, aujourd'hui je suis arrivé à faire jusqu'à 5000 métanies." A la suite de cela, il s'attendait à une louange justifiée de la part de l'Ancien pour cet exploit. Paradoxalement, sur un ton assez sévère, l'Ancien lui répondit :

" Et qui t'a donné la bénédiction, toi l'entêté, de faire tant de métanies? Ne sais-tu pas que ta peine sans bénédiction, c'est de la peine perdue?

- Mais, Géronda, ne sommes-nous pas venus ici pour nous battre? De quelle bénédiction avons-nous besoin?

- On en a plus que besoin.

- Bon, soit. A partir d'aujourd'hui que cela se fasse avec votre bénédiction.

- Bénédiction? C'est-à-dire que c'est toi qui vas nous donner des ordres! Alors, écoute-moi bien. A partir d'aujourd'hui, il t'est rigoureusement interdit de faire plus de mille métanies.

- Holà, qu'est-ce que cela veut dire, Géronda? vous me cassez.

- Fais attention à ce que je dis. Et laisse de côté tes volontés."

C'est ce qui se passa. Effectivement, l'Ancien avait entrevu que le jeune combattant risquait d'être victime d'un larçin de la droite ( c'est-à-dire de l'orgueil), alors que dans la même communauté il y avait des frères qui, pour des raisons physiques, ne pouvaient pas faire tant de métanies.

Mais, avec son regard plein de discernement, l'Ancien avait perçu le danger : les forces physiques du Père Charalampos risquaient de s'effondrer car il n'était plus un jeune homme (il avait déjà atteint la quarantaine). C'est pourquoi aussi il l'incita à faire porter son effort sur la concentration de l'esprit ( noûs), de d'abord soumettre - c'est-à-dire dompter - le corps. Mais peut-être que les milliers de grandes métanies quotidiennes étaient peu de chose? Le plus important cependant, c'était que le corps du Père Charalampos fût dompté journellement par les rudes travaux quotidiens à l'extérieur. Les autres frères de la communauté l'avaient surnommé "main d'or". Depuis les travaux de construction jusqu'à la menuiserie, le jardinage, la cuisine, l'artisanat, rien ne lui échappait. Pour la plupart des choses, il était autodidacte ou, à l'occasion, il observait les artisans quand il les aidait, et il se révélait être un excellent maçon, menuisier, fabriquant de sceaux en bois pour les prosphores, etc... Les réparations faites dans la pierre des grottes de Petite-Sainte-Anne et de Néa-Skiti, les stalles des petites chapelles nouvellement construites de Néa-Skiti, divers meubles, etc..., sont jusqu'à aujourd'hui des témoignages de sa dextérité.

Pour ce qui est de son habileté à fabriquer des sceaux pour les prosphores, j'ose dire en tant que témoin oculaire qu'il détenait un record inégalé de nombre de sceaux, aussi bien parmi ceux qui l'ont précédé que parmi ceux qui l'ont suivi.

Lorsque l'Ancien l'envoya à Katounakia pour apprendre la technique de frabrication des sceaux, comme il me le raconta de sa propre bouche dépourvue de mensonge, le matin, il arriva à Katounakia, et l'après-midi, il en repartit emportant avec lui le premier sceau qu'il avait déjà confectionné comme un artiste, avec beaucoup de précision.

Lorsque je fis sa connaissance en 1964 à Néa-Skiti où il vivait seul, dans sa cabane d'ascète, il avait l'emploi du temps suivant : après avoir achevé la veille de nuit, il s'allongeait une ou deux heures le matin et ensuite il gravait en l'espace de deux heures devinez combien de sceaux à propsophores. Je sais que cela seomble incroyable : dix sceaux terminés!

Il considérait cela comme accessoire. Il occupait les autres heures de travail soit avec divers autres travaux manuels, soit il venait en aide aux autres frères, soit il confessait des moines venus des monastères ou des skites voisins, soit encore des laïcs venus de différentes régions.

Quant à la qualité de son travail manuel, là aussi j'ose dire qu'elle était inégalable. Lorsque, dès l'année suivante, je vins vivre à ses côtés avec deux autres frères, m'étonnant devant une telle rapidité alliée à un rendement d'une qualité aussi parfaite dans son travail manuel, il me fit la réponse suivante :

" Mieux tu dis la prière pendant que tu travailles, plus tu obtiens un bon résultat. Et plus la prière est dite rapidement et clairement, plus rapide et net est le résultat. Veux-tu que je te raconte le contraire? J'ai essayé par zèle ( philotimo ) de montrer à plusieurs autres moines, qui avaient souhaité apprendre ce travail manuel pour gagner leur vie. Tant qu'ils travaillaient et disaient avec leur bouche : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi...", le travail se passait bien. Mais parfois ils étaient saisis par des espèces de pensées. Lorsque la prière s'arrêtait et qu'ils étaient travaillés intérieurement par ces mauvaises pensées, alors là, si tu avais vu le résultat, tu te serais mis à trembler. Non seulement les lettres se détachaient des sceaux, mais aussi ils tachaient de sang leurs mains et leurs jambes, à cause des ciseaux tranchants dont ils se servaient. Et j'ai conseillé à plusieurs d'entre eux pour leur propre sécurité d'apprendre un autre travail manuel. Les outils pour les sceaux ne plaisantent pas : pour tous ceux qui ont en eux des pensées au lieu de dire la prière, les ciseaux se transforment en vengeurs implacables!"

Quand je me suis installé définitivement auprès de mon Ancien en 1965, j'avais l'habitude de m'asseoir à côté de lui quand il travaillait. Cette leçon que je viens de rapporter devint aussi une correction, ce fut l'une des premières que je reçus de lui. Cette parole suscita aussi en moi une appréhension pour ce genre de travail manuel. Et pourtant, un beau matin, l'Ancien m'annonça qu'il avait décidé que l'on m'enseignerait à fabriquer des sceaux à prosphores.

J'avoue qu'intérieurement je réagis : je ne voulais en aucune façon avoir affaire à de si dangereux ennuis; une seule chose pourtant m'y encourageait : le fait que l'Ancien l'avait ordonné, et que j'étais contraint de lui obéir. Vraiment, mes frères, j'ai vécu souvent ce mystère, ce miracle de l'obéissance. C'est pourquoi, à présent aussi, bien que je ne puisse pas me vanter de mes réalisations spirituelles, étant négligent et peu apte, cependant dans le travail manuel, j'ose me vanter de ce que la bénédiction de notre Ancien contribua à ce que j'arrive au moins à être... un bon fabriquant de sceaux à prosphores. Cependant, telle celle de Damoclès, une épée était suspendue au-dessus de ma tête, qui me menaçait à chaque instant en me disant : " Si tu veux, ne dis pas la prière lorsque tu travailles"; ou encore : " Si tu peux, laisse des mauvaises pensées te travailler. Et moi, je te le dis, voilà le coseau, prêt à te transpercer ou la main ou la jambe." Je ne passerai pas sous silence cependant que, parfois, et cela n'était pas rare, je me suis ainsi blessé la main ou la jambe. Mais je remercie le Tout Puissant, car grâce à cette première leçon, j'avais pu comprendre ce secret du succès, par l'obéissance et la confiance en la personne de notre Ancien.



Retour aux premières luttes.

Une solution d eremplacement.

Comme, ainsi que nous l'avons dit, l'Ancien avait interdit rigoureusement au débutant de faire les nombreuses prosternations, l'athlète du Christ se mit à réfléchir sérieusement à la façon de éracheter son temps (8)" de façon plus constructive.

(8) : (Ep 5, 16).

Mûri par son expérience de la vie dans le monde et assez expérimenté, mais aussi réfléchi, il avait déjà réalisé pratiquement quelle valeur avaient l'obéissance, l'empressement, mais aussi le sacrifice pour les autres. Il avait aussi compris quel grand fruit on pouvait récolter des semonces, des mépris, du dédain, etc... Il avait aussi rélaisé que, tant que l'on sent ses forces suffisantes, il valait mieux passer toute sa veille en restant continuellement debout, avec cette concentration épuisante, de manière à interdire à l'esprit (noûs ) de se laisser distraire de l'attention sur la simple signification de la prière monologique " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi", ou de toute autre sorte d'invocation brève permettant une communion immédiate avec notre Créateur.

Sur cette façon de lutter, il obtint l'accord complet de son Ancien. C'est pourquoi, à plusieurs reprises au milieu de leurs travaux quotidiens, le brave lutteur fut récompensé par toutes sortes d'invectives gratuites, des insultes, des camouflets, avec, pour finir, un ou deux coups de bâton!

" Au cours de notre veille nocturne, nous disait l'Ancien, tous les frères portaient une badine sous l'aisselle. Que la moindre pensée d'orgueil, de critique, de négligence, etc... vienne interrompre notre application à la prière, et, allons-y, un coup de bâton. Mais un vrai coup de bâton! Ce n'était pas pour plaisanter... A te faire tomber par terre, à te faire tordre de douleur, et à te faire dire intérieurement : " Je t'apprendrai, misérable! Essaie donc de refaire la même chose si tu peux." Mais aussi, combien de fois, après la douleur venait une telle contrition! Que de fois alors commençait une prière d'une telle qualité!



Tout ce que je dis est la vérité. mais quand c'est un autre qui m'appliquait cet exercice, et surtout si cela venait de l'Ancien, il s'en fallait de peu que je ne le supporte plus.

"Toi, viens ici! Tu es prêtre? toi qui ne crains pas Dieu, toi qui tiens le Christ en personne entre tes mains?"

En même temps que la réprimande s'abattait une ou deux gifles. Et alors, là, je n'en pouvais plus. En outre, quand j'entendais, comme pour couronner le tout, l'A,cien qui disait : " Demain, tu auras une pénitence, tu ne célébreras pas la Liturgie, " je partais dans ma cellule au milieu de sanglots ininterrompus, mais pas des larmes d'humilité cependant, plutôt de grief et d'autojustification.

" Mon gars, me suis-je dit, moi je me sacrifie pour tous; je travaille, je veille, je prie, je veille à mes paroles... Quel mal notre Ancien voit-il en moi pour se comporter si durement à mon égard? Notre Ancien est un saint; oui, c'est un saint, mais là, il se trompe comme un homme."

Je ne tardai pas cependant à réaliser que j'avais passé des examens supérieurs, mais que j'en étais resté au même niveau.

Je me suis tourné à nouveau vers le blâme de soi. Je me suis redonné des coups de bâton en me disant : " Ah, malheur à toi, misérable, comme tu es égoïste! A toi seul, par ta seule volonté, tu as brisé tes jambes à coups de bâton. Les deux gifles de ton Ancien, ce n'étaient que des caresses, et, malgré tout, elles t'ont paru insupportables. Où est ton amour pour l'Ancien, où est ta foi, où est ton obéissance jusqu'à la mort?"

Puisque j'avais passé sans succès les examens de cette leçon, mon Ancien, dont l'âme souffrait, me convoqua à nouveau. Il me serra contre sa poitrine et, silencieusement, dans un flot de larmes, il m'exprima tout son amour incoercible. Il me le communiqua avec tant de force que pénétra en moi une jubilation indescriptible, laquelle se prolongea pendant toute cette nuit-là. Celui qui a vécu cette joie dit au Christ : " Qu'est-ce que je vis, Seigneur? Existe-t-il quelque chose de plus grand que cette joie et la jubilation que je ressens maintenant près de Toi?"

Et pourtant, ce n'est qu'une goutte de l'infini océan d'amour de notre Dieu. C'est ce que m'a assuré notre Ancien lui-même lorsque, en extase, je courus pour venir lui raconter cette expérience en laquelle j'avais été jugé digne de me sentir le plus heureux des hommes sur terre: "Mon enfant, le Seigneur ne t'a donné qu'une petite goutte de Son océan d'amour infini. Veille à exploiter toutes les occasions, chaque épreuve, chaque mépris, chaque afflction, pour connaître aussi un autre état spirituel, plus élevé que celui-ci.""



La barrique insoulevable, un miracle de l'obéissance.

"Un jour, nous avions à effectuer un travail commun (pankoïnia (9)) et toute la communauté travaillait dur à des travaux de construction.

(9) : ( Pankoïnia : mot composé de "tout" et de "commun". Dans les monsastères cénobitiques, souvent, celui qui est chargé d'une tâche ne peut en venir à bout tout seul. Par exemple, dans le cas où le cuisinier doit aussi se charger de nettoyer des poissons, de peler des pommes de terre, des oignons,etc... ou si celui qui est chargé de l'église doit aussi nettoyer les bronzes, les chandeliers. Alors a lieu une pankoïnia. On frappe sur la grande simandre et les autres Pères viennent tous participer au travail (Ndt).).

A peine eûmes-nous terminé et l'heure prescrite pour le repos arrivait-elle, que soudain l'on entendit un long coup de corne provenant d'un caïque arrêté au port. En l'entendant, le visage de l'Ancien s'assombrit.

" Que se passe-t-il, Géronda?

- Eh bien, ce n'est vraiment pas le moment; C'est G. et il nous apporte une barrique d'huile."

Les Pères étaient tellement fatigués que l'Ancien n'osait donner d'ordre à personne. La seule solution était de trouver un volontaire. Je ne sais pas comment j'ai été illuminé et je suis entré dans la pensée de notre Ancien. Je lui ai demandé :

" Géronda, ai-je la bénédiction d'y aller pour rapporter la barrique?

- Puisque tu le veux de tout ton coeur, va et que ma bénédiction te vienne en aide, mon enfant."

Je courus en bas sans tarder à l'aide d' une corde. J'arrivai au port. Je m'agenouillai et liai la barrique sur mon dos à l'aide de la corde. Quand j'essayai de me redresser, mes genoux se dérobèrent. J'essayai de marcher, mais c'était pratiquement impossible; mes jambes fléchissaient. Malgré tout, je n'abandonnai pas. Je me suis dit : " Puisque c'est l'Ancien qui m'a envoyé, je ne céderai pas, dussé-je m'effondrer sur le sol, parce qu'alors seulement je ne serai plus responsable." Avec beaucoup de difficultés, je progressai de quelques mètres comme une tortue. Je fis mon signe de croix et je me dis : " Ma Très sainte Mère de Dieu, par les prières de notre Ancien, aide-moi." Après cette petite prière, je sentis que la barrique sur mon dos s'allégeait un peu. J'avançai un peu; je me sentis encore plus léger. Je me mis alors à marcher normalement. J'avançai de nouveau; je me sentis encore plus léger. Peu après je ressentis que tout poids avait disparu. Dès que je me mis à monter les marches abruptes, croyez-moi, je sentis que quelqu'un derrière moi me poussait. Alors j'ai gravi les marches pratiquement en courant, en disant en même temps la prière : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi..." Pour couvrir la distance entre le port et nos cabanes, un mulet chargé prend environ deux heures. Je vous assure que je l'ai monté en moins d'une heure, chargé d'une barrique de plus de soixante kilos d'huile sur le dos.

A peine arrivé, je me suis trouvé en face de l'Ancien. Je lui ai tout raconté en détail : " Géronda, c'est un grand miracle, etc..."

De nouveau, il ne se contint plus. Après m'avoir serré dans ses bras, il me dit : " Cela, mon enfant, c'est le fruit de l'obéissance parfaite. Veux-tu que je te dise aussi quelque chose? Depuis l'instant où tu es descendu jusqu'à maintenant, j'ai dit le chapelet pour toi avec des larmes incessantes.""

Ce miracle, l'Ancien Charalampos le raconta tout d'abord à un débutant, à l'occasion d'un événement comparable qui s eprodusit quand nous étions installés à Néa-Skiti. La nuit tombait quand on entendit uen voix qui criait depuis un caïque au port de la skite : " patates, patates... Père Charalampos, j'ai apporté les patates." Ce frère entendit l'Ancien qui disait : " Ah, le brave homme! A une heure pareille, qui va aller jusqu'au port?" Le frère de lui dire : " Ai-je la bénédiction d'y aller, Géronda? - Va, mon enfant, et que ma bénédiction te vienne en aide." Le frère descendit, prit le sac et remonta. Dès qu'il commença la montée, il se sentit à son tour si léger, qu'en quelques instants il arriva à la cabane. Il remarqua que l'Ancien, tenant son chapelet et les yeux gonflés, ne put s'empêcher de l'embrasser. Je ne sais pas si ce frère fit ensuite des progrès, mais l'Ancien, avec sa simplicité naturelle et son amour débordant lui dit : " Courage, mon enfant : toi, un jour, tu progresseras dans la vie de moine."

Par la suite, il se souvint du miracle de la barrique et il le raconta en détail à ce frère. Mais pour que l'on se rende compte avec quel empressement et quelle acribie - précision- il s'appliquait à l'oeuvre de l'obéissance, je vais vous rapporter une autre épreuve qu'il eut à subir de son Ancien, telle qu'il la raconta à l'actuel higoumène du saint monastère de Karakalou, l'Archimandrite Philothée, pour son édification, alors que celui-ci se trouvait encore dans l'obéissance du Père Ephrem de Philothéou ( frère spirituel de l'Ancien).

" Un jour, racontait-il, à Petite Sainte-Anne, j'ai eu à souffrir d'une rage de dents aussi terrible qu'insupportable. Je l'ai supporté tant que j'ai pu; mais quand cela devint intolérable, je l'ai signalé à l'Ancien avec l'instante prière qu'il me donne sa bénédiction pour que j'aille chez le dentiste de Karyès, le moine Nicétas. Mais l'Ancien, pour m'éprouver, me répondit : " Non. Il n'y a pas de bénédiction."

Je m'en allai. Je m'attendais à éprouver un soulagement, mais la douleur se fit plus forte. C'était un vrai martyr, comme le savent tous ceux qui l'ont vécu. Je suppliai à nouveau l'Ancien. Il feignit d'hésiter et me tança un peu parce que je n'avais aucune patience; et au bout du compte il me dit :

" Allez, demain matin tu partiras avec le bateau d ela ligne régulière pour te la faire arracher; mais le soir tu devras de nouveau être ici avec la navette. Entendu?

- Que cela soit béni, Géronda."

Au matin, je fais une métanie et je pars. J'arrive à Daphni. Je demande comment on va à Karyès; on me répond : à pied. ( Il n'y avait pas encore l'autocar). Je fais à nouveau mentalement une métanie à l'Ancien et je monte. Je suis arrivé très rapidement et facilement à Karyès. On m'indique où est le dentiste. Je le trouve avec pas mal de patients qui l'attendent. Je lui dis :

" Je t'en prie, retire-moi ma dent le plus rapidement possible.

- Mais ce n'est pas si facile", me répondit-il.

Je lui expliquai alors que je devais attraper la navette de Sainte-Anne. Finalement mon tour arriva, et quand j'en eux terminé, sans perdre de temps, je partis aussitôt. J'arrivai en sueur à Daphni : Que vois-je? La navette venait de partir. Je poussai des cris, des hurelements, je fis des signes avec les bras : rien, lebateau disparaissait déjà à l'horizon. Que faire? Je me suis interrogé intérieurement : Est-ce que finalement tu es couvert pour arriver en retard? La réponse était négative. Que faire? Quelle solution? La marche à pied, et le plus rapidement possible, pour arriver à temps à Petite-Sainte-Anne. Mais parcourir une telle distance et arriver à temps suppose ou que l'on se déplace en bateau ou que l'on ait des ailes. Tous ceux qui ont parcouru ces sentiers étroits et abrupts savent de quoi je parle. Malgré tout, je me mis en marche et, sans m'arrêter, j'atteignis nos cabanes. Mais la nuit commençait déjà à tomber. Je frappai à la porte de l'Ancien : " Par les prières de nos saints Pères..." Aucune réponse. J'insistai, je criai. Je lui dis : " Ouvre, Géronda! C'est Charalampos!"

Rien. Finalement j'entendis une voix sévère venant de l'intérieur, qui disait :

" Qui donc ose troubler notre hésychia à une telle heure?

- C'est moi, Géronda, Père Charalampos, ton disciple.

- Je ne te connais pas. Je t'en prie, va-t'en et ne trouble pas mon hésychia. Si tu étais Père Charalampos, à une heure pareille tu serais en train de prier; tu ne frapperais pas aux portes.

- Géronda, je t'en prie, ouvre. C'est moi. Je ne suis pas arrivé à temps pour le caïque. Je ne voulais pas arriver en retard."

Entre temps, j'éclatai en sanglots. Après m'avoir laissé un peu dans cette épreuve, il ouvrit la porte, m'embrassa et à son tour pleura à chaudes lames, révélant du même coup le dessous des cartes. "Mon enfant, ce que tu as fait, c'est de l'obéissance parfaite. Prends courage et Dieu te rétribuera en abondance.""

Sur cette même question, le hiéromoine de Philothéou Macaire, qui est actuellement l'Ancien d'un kellion de Chilandar nommé "Marouda", ajoute :

" Quand j'étais encore novice (âgé de 16-17) à Probata, disciple du Père Ephrem, qui fut ensuite higoumène du monastère de Philothéou, une dent me fit souffrir. Notre Ancien m'envoya chez le dentiste de Karyès, le moine Nicétas, qui était l'Ancien de Saint-Nicolas, kellion dépendant de Dionysiou. Le Père Nikitas me demanda :

" A quelle communauté appartiens-tu, mon enfant?

- Je suis un moine de Papa Ephrem de Saint-Artème à Probata.

- Bravo, mon enfant, tu es tombé dans de bonnes mains. Tes Anciens sont des saints. Tu vois cette dent? Je la conserve comme une sainte relique. Un jour votre Géronda Joseph envoya un moine se faire arracher une dent. Je l'examinai : sa bouche était boursouflée. Je lui ai dit : " Mon enfant, je ne peux pas l'extraire maintenant. Il faut d'abord que je fasse un traitement pour que cela dégonfle, et ensuite, je l'extrairai." Mais lui de répondre : " Cela ne fait rien, Géronda. Tant pis si j'ai mal. J'ai l'ordre de mon Ancien de revenir aujourd'hui même." Je lui ai répondu : " Mon enfant, moi je suis dentiste. J'ai de l'expérience : tu vas avoir très mal." Mais lui de continuer : " Cela ne fait rien, Géronda. Tant pis si j'ai mal. Je vous en prie, extrayez-la."

Mon gars, en voilà de l'observance! Je n'ai encore jamais rencontré un moine de cette trempe. En veux-tu, en voilà; après l'avoir pas mal fait souffrir, je la lui ai enlevée avec beaucoup de mal. Lui, rendu à moitié inconscient du fait de la souffrance, me fit une métanie et prit le chemin de Daphni."

Commentaire de l'auteur : cet épisode poussera peut-être certains à avoir des pensées négatives à l'encontre de l'Ancien Joseph l'Hésychaste. A suivre la logique commune, ils ont raison. mais ce saint Ancien, avec son discernement, savait combien chacun pouvait supporter, de façon qu'il puisse le couronner.

Mais, le plus important, est qu'il prenait toujours sur lui uen partie de la charge qu'il imposait à l'autre. C'est pourquoi, à chaque fois, comme dans le cas en question, après avoir épuisé toutes les réserves des forces de son disciple, il lui dit : " Regarde par terre, mon enfant. Ce que tu vois, ce n'est pas de l'eau. Depuis l'instant où tu es parti jusqu'à maintenant, mes yeux ont versé des larmes pour toi."



Le fruit de l'obéissance :

l'entrée dans les profondeurs de la prière mentale.

Après tant d'obéissance aussi empressée qu'exacte et parfaite, conformément à la prédiction de son Ancien, les fruits glorieux de l'Esprit Saint ne tardèrent pas à se manifester. Notre Christ nous a dit : " Celui qui a mes commandements et qui les observe... mon Père l'aimera, nous viendrons à lui et établirons chez lui notre demeure (10)."

(10) : ( Jn 14, 21-23).

Avec sa persévérance dans la prière ininterrompue, avec ses fatigantes stations debout la nuit entière, avec le bain quotidien de ses larmes brûlantes, l'esprit (noûs) du noble athlète s'était purifié au point d'acquérir, à l'exemple de son Ancien, la prière sans distraction de longue durée. Dans cet état spirituel, la prière s'arrête souvent. L'esprit (noûs), "cocher de l'âme", qui normalement dirige, reste alors inerte et est dirigé là où le conduit, tel un autre cavalier, une force étrangère : c'est l'énergie et la présence de l'Esprit Saint. Parfois, en outre, le lutteur se voit réduit au point de pouvoir passer au travers du chas d'une aiguille. En même temps, il voit son esprit (noûs) s'élargir au point de s'étendre sur toute la largeur du ciel, et il gravit, "soit avec son corps, soit en sortant de son corps (11)", des ascensions célestes, pour goûter et pour faire ses délices dans des demeures célestes " que l'oeil n'a pas vu, et que l'oreille n'a pas entendu (12)".

(11) : (2 Co 12, 2).

Lorsqu'en confession l'athlète de l'obéissance lui rapporta des expériences de cette nature, le grand Ancien Joseph extasié s'écria : " Ô bienheureuse obéissance! C'est à toi que revient sans le moindre doute la palme. Mon enfant, nous avec l'Ancien Arsène pour pouvoir goûter à de tels bienfaits célestes, nous avons répandu dans l'ascèse du sang à profusion. Vous, par la seule application à l'obéissance, vous savourez une grâce égale à la nôtre. Mes enfants, observez l'obéissance de toute votre âme. Il n'y a pas d'autre voie qui soit plus facile et supérieure à celle-ci."



Exemple d'un autre athlète de l'obéissance.

" Lors de la saison de la cueillette des noisettes, notre Ancien avait l'habitude, racontait le Père Charalampos, d'envoyer les frères Athanase et Joseph à Karakalou, pour qu'ils aident et rapportent dans notre communauté quelques provisions indispensables. Un jour, d efaçon inattendue, l'Ancien me dit : " Va, mon enfant, pour retrouver tes frères qui sont aux noisettes."

Le lendemain, je me trouvai sans tarder à Karakalou. C'était la première fois que je travaillais aux noisettes, et cela me sembla être une activité très agréable. On ramasse mécaniquement et l'esprit (noûs), sans distraction, peut se concentrer sur la prière ininterrompue. Mais, comme d'habitude, quand beaucoup de moines sont rassemblés, les discussions commencent, ainsi que les calembours, les plaisanteries, etc..., pour passer la journée agréablement. Pour tous ceux qui ne connaissent rien de la prière et surtout pour les laïcs, il est très agréable de passer la journée au milieu des calembours et des plaisanteries. Mais quand on est habitué à la prière ininterrompue, alors non seulement on est contrarié, mais involontairement l'esprit se livre à la critique des autres ou est saisi d'orgueil en pensant que l'on fait quelque chose d'éminent que les autres ne font pas.

Encore débutant, je risquais moi aussi d'en pâtir, mais mon frère Joseph s'en rendit dompte, et pour me protéger, il me dit : " Viens donc, je vais te montrer un vrai lutteur." Nous nous approchâmes d'un moine, lequel tout en travaillant n'arrêtait pas de dire la Prière, sans parler à personne. Je lui dis :

" Vraiment, celui-ci doit être avancé spirituellement. Qui est-ce?

- C'est le Père Euthyme le Chypriote; il est le disciple d'un Ancien rigoureux de Kérasia.

- Père Joseph, proposais-je, si nous l'abordions pour qu'il nous dise quelque parole utile?

- Il n'a pas l'habitude de parler, mais si tu veux, essaie."

Je l'abordai et je le saluai. Il me répondit par un signe et continua son travail.

" Père, je t'en prie, dis-moi à moi qui suis un débutant, une parole utile."

Il resta silencieux. Je le suppliai une, deux, trois fois. Il se laissa fléchir et me dit :

" Tu désires trouver la prière? Tu désires trouver le Christ? C'est ici, parmi ceux qui travaillent, que tu la trouveras. Tu les entends qui disent de vaines paroles, qui plaisantent, qui rient? Fais attention, autant que tu peux. Sans le simiter, mais sans non plus te dire : " Mon gars, qui sont donc ces gens...", en les méprisant. Sois donc silencieux quand tu travailles de ton côté, et dis sans cesse la Prière. Alors tu verras quelle prière tu trouveras ici sur la montagne en travaillant, alors que tu te tues au travail."

Eh bien, cette leçon, je ne l'oublierai jamais. Mais cependant, quand nous étions à Néa-Skiti, je l'ai un moment oubliée, et j'en ai subi les conséquences désastreuses. Un jour, l'Ancien m'envoya pour une fête patronale au monastère de Saint-Paul, dont la skite dépend, pour que j'y célèbre la Liturgie. J'entrai dans le sanctuaire qui était rempli de prêtres. Je m'assis dans un coin et je commençai à dire la prière àmerveille avec beaucoup d'entrain, au point de ressentir une véritable jubilation spirituelle. Mais en même temps mon oreille saisit quelques murmures. Deux par deux, trois par trois, des prêtres discutaient. Ce qu'ils racontaient, je n'en sais rien. Sans faire attention, j'accueillis en moi une pensée de blâme. " Mon gars, me suis-je dit, la petite prière donne tant de joie à l'âme et eux la méprisent et ils discutent entre eux..."

Et voilà. La douce chaleur disparaît avec la douceur de la prière et elle est aussitôt remplacée par une froideur intérieure, une telle froideur qu'il n'est plus possible de prier, même oralement. Aussitôt je compris mon erreur, mais la pénitence se poursuivait. Pendant toute la durée de cette agrypnie, je retsai intérieurement glacé et totalement sec. Je revins au matin chez l'Ancien, et au milieu des larmes et des soupirs je lui racontai mon infortune, lui demandant aussi la guérison. Et à nouveau le miséricordieux Ancien me prit contre s apoitrine, me consola et me promit qu'étant donné que je reconnaissais mon erreur, la flamme d ela prière brûlerait en moi de nouveau sans tarder. De fait, la nuit même, j'ai retrouvé mon rythme habituel."



La confiance dans son père spirituel est un mystère divin.

" Une autre fois, alors que j'étais débutant, un moine de nos cabanes vint nous dire : " Laissez tout! Un père spirituel inspiré de Dieu est venu du monde jusque dans notre skyte." Dès que j'eus entendu cela, je me suis dit : " Mon gars, c'est une bonne occasion pour que cela nous soit utile." Je courus chez l'Ancien:

" Géronda, a-t-on la bénédiction de rencontrer ce Père spirituel théophore pour notre édification?

- Si tu veux, vas-y", me répondit l'Ancien.

Sans perdre de temps, je courus à sa rencontre. Mais j'entendis de si beaux discours, de si beaux enseignements que, par ma pensée, je justifiai totalement le moine qui l'avait recommandé.

Je revins enthousiaste auprès de l'Ancien, et je lui dis : " Géronda, cela m'a été très utile; il est effectivement théophore."

L'Ancien secoua la tête, et en partant il me dit : " Ce soir, après ta veille, viens me voir."

C'est effectivement ce que je fis, mais cette fois morose et la tête basse. L'Ancien me demanda : " Alors, raconte-moi, comment s'est passée ta veille?" Que lui dire? "Ah, Gréonda, ce soir tout n'était qu'obscurité et j'ai été négligent." Alors il me réprimanda en me disant : " Mais toi, tu as dit hier soir que tu avais rencontré un père spirituel théophore, mais, la nuit venue, la prière ne s'est pas bien passée?"

- Non, Géronda, la prière ne s'est pas bien passée, mais je ne sais pas pourquoi.

- Je vais te dire pourquoi. Tu as vécu près de moi si longtemps; je t'ai fait moine; je t'ai fait prêtre. As-tu réalisé l'utilité de ton Ancien?

- Oui, Géronda, et quelle grande utilité!

- Et donc, le disciple qui a un Ancien et qui se repose sur lui, n'a pas de justification pour aller voir un autre père spirituel. C'est comme si tu cessais d'avoir confiance en celui que Dieu a placé auprès de toi. C'est plus ou moins un adultère spirituel."

J'ai dû, à cause de cela, supporter deux ou trois soirs de pénitence de la part de Dieu, avant d eretrouver mon état spirituel. Cependant il me vint un doute. Je dis à notre Ancien :

" Toi, Géronda, tu as dit qu'il est interdit au disciple de prendre conseil d'un autre père spirituel. Je suis étonné cependant que Papa Ephrem de Katounakia (13) ait un autre Ancien, et lui-même avoue que tout ce qu'il y a de bien il te le doit...

(13) : ( Sur cet Ancien, voir : Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, coll. Grands Spirituels Orthodoxes du XX° siècle, Lausanne, 2003).

- Eh, cela, c'est une autre histoire. Imagine que tu vives dans une famille et que ton père ne te donne pas à manger. Que feras-tu? Tu mourras de faim? C'est ce qui est arrivé au Père Ephrem. Il a été obligé de venir trouver à mangerauprès de moi. A la différence que, il n'a pas le droit de renier ni d'abandonner son Ancien, quelque fruste qu'il soit. C'est pourquoi, avec l'accord du Père Nicéphore ( c'est-à-dire l'Ancien du Père Ephrem), nous nous sommes répartis les choses : pour lui, l'obéissance, et, pour moi, le spirituel.""



Le style de l'Ancien.

L'Ancien d'éternelle mémoire était connu pour être doté naturellement d'une grande humilité et d'une grande simplicité. Quand il parlait de lui-même, il ne le faisait jamais hypocritement pour solliciter des approbations ou des louanges. Son seul but était de chercher à être utile aux autres.

Souvent en évoquant des événements de son existence, il ne manquait pas non plus de mentionner aussi ses éventuelles imperfections humaines. Mais là aussi, sans nous en rendre compte, il nous édifiait quand nous les comparions avec notre triste état.

Par exemple, il nous dit un jour : " Faites attention autant que vous pouvez de ne pas donner de prétexte à la justification de soi. Le moine, dès le jour où il revêt l'habit monastique, s'il ne donne pas prise à la tentation, pendant son sommeil, se verra toujours en rêve comme un moine vêtu du froc, jamais comme un laïc. Mais quand j'étais un novice, une fois je lui ai donné prise dans une certaine mesure, et, pendant la nuit, je me suis vu en rêve habillé comme un laïc. Lorsque je me suis réveillé, cela me coûta tant que je ne cessai de pleurer l'état où j'étais réduit, et je suppliai ardemment notre Toute Sainte de ne pas permettre que se reproduise un tel malheur. Heureusement, depuis je ne me suis plus jamais vu en rêve sans l'habit monastique."

Un jour, un frère lui confessa qu'il avait été incontinent durant son sommeil pendant la nuit. L'Ancien lui dit : " Cela dépend du tempérament de chacun. Mais on peut très facilement en souffrir à cause du blâme. Personnellement, mon tempérament ne me dérange pas. C'est pourquoi je n'ai plus jamais eu de songe (14) depuis que je suis devenu moine, sauf une fois, alors que j'étais un novice. J'ai eu une tentation à l'embarcadère de Petite-Sainte-Anne. Quelqu'un me provoqua tant que je ne me contins plus et que je lui ai dit : " Tu as d ela chance que je porte ceci ( je voulais dire l'habit monastique), sinon je t'aurais montré..." Le soir même, Dieu condescendit à ce que la nuit même, je sois sans tarder incontinent. Je courus éploré chez l'Ancien. Et le sage Ancien me répondit : " C'est à cause de cela." Dès lors, avec sa bénédiction, je fis attention et jamais une telle chose ne se reproduisit durant mon sommeil."

Je pense que, bien qu'une telle conclusion s'impose d'elle-même, il vaut la peine d'admirer et de souligner l'acribie extrême - l'excatitude extrême- mais aussi la pureté de l'Ancien d'éternelle mémoire telle qu'elle se dégage de ses simples anecdotes. Il avait passé quarante ans dans le monde comme laïc et portait intérieurement les représentations de toutes ces années, et malgré cela, sauf une fois, il ne s'est jamais vu en rêve comme un laïc. Mais, même cette fois-là, comment ne pas admirer une telle acribie, une sensibilité telle que, lorsqu'il s'éveilla, il se répandit en larmes inconsolables, interprétant l'événement comme un abandon de Dieu.



Ultimes expériences des grottes de Petite-Sainte-Anne.

Ainsi que nous l'avons mentionné, le Père Charalampos, après avoir été ordonné prêtre, célébrait désormais la Divine Liturgie quotidiennement, toujours aux alentours de minuit. Il n'abandonna jamais cette Liturgie quotidienne jusqu'à ce que, vers la fin de sa vie, sa santé ne lui permît plus de le faire.

Même lorsqu'il était higoumène du monastère de Dionysiou, il se rendait quotidiennement dans une chapelle avec quelques frères, pour célébrer dans la paix, comme il en avait l'habitude, la divine mystagogie, commémorant alors un grand nombre de noms d evivants ou de défunts.

Mais les expériences de la petite église pleine de contrition de Petite-Sainte-Anne demeurèrent indélébiles. Presque quotidiennement, il atteignait une si forte sensation du Mystère et versait des larmes si abondantes qu'il n'était pas capable de célébrer sans de nombreuses interruptions. Mais c'est surtout le jour de la Vivifiante Résurrection (Pâque) que s eproduisaut quelque chose d'unique. Lors des grandes fêtes de l'Eglise, en particulier pour la célébration de la Passion et d ela Résurrection, dans chaque skite de la Sainte Montagne, les moines se réunissaient dans l'église principale d ela skite que l'on appelle kyriakon, où ils célèbrent avec grandeur une veille nocturne au milieu des hymnes et des actions de grâce. C'est pour cette raison que l'Ancien Joseph envoyait les frères au kyriakon de Sainte-Anne. Seuls restaient les Anciens Joseph et Arsène, avec le Père Charalampos qui était le célébrant.

Comme le racontait notre Ancien d'éternelle mémoire : " Depuis la bénédiction initiale jusqu'au renvoi des fidèles compris, la présence du Christ et d enotre Toute Sainte "parmi nous" était si forte, si vivante, si tangible que, au milieu des larmes et des sanglots partagés par tous les trois et avec beaucoup d'interruptions, nous ne fêtions pas mais nous vivions, nous partagions l'existence, nous nous plongion dans les délices de la présence du Christ ressuscité et de sa Très Sainte Mère.

Lorsqu'une fois je confessai à mon Ancien Joseph ce que j'avais ressenti et vu avec les yeux spirituels de mon âme, il me confirma qu'il avait ressenti la même chose, comme aussi l'Ancien Arsène, et il ajouta : " Ce que nous avons vécu, mon enfant, c'est une part d ela joie infinie de notre Toute Sainte, lorsqu'elle L'a vu ressuscité. cette joie infinie, la compasion de notre Toute Sainte Mère la répand même parmi nous, ses enfants indignes.""





III

NéA- SKITI

BIENHEUREUSE FIN DE L'ANCIEN JOSEPH



A Néa-Skiti, 1953-1959 - 1959-1967.

Jusqu'à présent, j'ai esquissé, à partir de tout ce que j'ai noté, la vie merveilleuse de notre Ancien, le Père Charalampos. Avec l'arrivée du pieux moine Théophylacte venu de Néa-Skiti pour se joindre à la communauté de l'Ancien Joseph et à l'incitation d ece dernier, le grand Ancien décida de tenter le transfert d ela communauté dans une région située en bordure de mer, et moins implacable que la région de Petite-Sainte-Anne, c'est-à-dire à Néa-Skiti.

Après que le monastère responsable d ela région, le saint monastère de Saint-Paul, alors placé sous la vigoureuse direction de son higoumène, le Père Séraphim, eut offert avec beaucoup de joie la zone de la Tour avec quatre petites cabanes, toute la communauté se transplanta à Néa-Skiti, en 1953.

A ce groupe composé de sept membres, s'ajoutèrent trois autres moines venus de Néa-Skiti; ainsi la communauté en vint à comprendre dix membres.

C'est durant cette période que le plus jeune d'entre eux par l'âge, mais qui était le plus ancien à avoir reçu la tonsure monastique, le moine Ephrem (1) fut ordonné hiéromoine.

(1) : ( Le futur higoumène de Philothéou, puis fondateur de monastères en Amérique du Nord (NdE).).

Pour les besoins liturgiques de la communauté, furent reconstruites deux chapelles. La première était dédiée à l'Annonciation de la Mère de Dieu, où demeurait le Père Ephrem qui la desservait. la seconde était consacrée à la Nativité du Précurseur, et elle était desservie par le Père Charalampos.

La vie spirituelle reprit son cours normal. veilles, Liturgie quotidienne, obéissance, travail manuel, prière ininterrompue, etc... jusqu'à la sainte dormition de l'Ancien Joseph, la communauté observa la vie hésychaste, mais vécut en commun - caisse commune, table commune, etc... Cependant l'Ancien d'éternelle mémoire, avant de s'endormir dans le Seigneur, donna la bénédiction à chacun de ses enfants d evivre séparément et de pouvoir créer sa propre communauté après sa dormition.

Le travail qui subvenait aux besoins de la communauté était la fabrication des sceaux à prosphores, travail auquel ils se consacraient quand ils en avaient le temps, car encore une fois la nécessité les poussa à s'occuper de la réparation des bâtiments, des remises à neuf, etc...

Les moines Athanase et Joseph firent infatigablement le tour des monastères à plusieurs reprises, proposant leur travail en échange de diverses fournitures pour l'entretien et la reconstruction des bâtiments. Un autre frère entreprit de pêcher, fournissant du poisson uniquement pour subvenir aux besoins d ela communauté.



La bienheureuse fin de l'Ancien Joseph (1959).

C'est de cette façon que s edéroulait la vie spirituelle de cette petite communauté, qui, selon saint Jean Climaque, ressemblait au Ciel sur la terre. La présence du théophore contemporain que fut l'Ancien Joseph y contribua assurément, lui dont le séjour dans le " Jardin de la Mère de Dieu" (2) laissa de façon indélébile les traces d'une personnalité de grande envergure, d'un maître.

(2) : ( L'expression désigne la Sainte Montagne).

C'est grâce à lui que, malgré des temps difficiles, la flamme de la tradition hésychaste a été ranimée, tradition dont l'apogée remonte à l'époque des grands hésychastes du XIV° siècle et qui connut un déclin relatif lors de l'époque de la servitude (3).

(3) : ( C'est-à-dire lors de l'Empire ottoman).

Malgré tout, ce grand hésychaste de notre siècle, après avoir dissous la coquille de son corps en livrant des combats sans merci, était pressé de rejoindre avant l'heure celui qu'il aimait. L'amour de la Mère de Dieu, plus particulièrement, consumait si ardemment les entrailles du vaillant athlète, qu'en embrassant tendrement l'icône de notre Toute Sainte, i la suppliait à chaudes larmes et avec un désir ardent en lui disant : " Je n'en peux plus; ne me laisse pas; ne tarde pas. Prends-moi vite près de toi."

Mais tandis que l'Ancien se hâtait vers Celui qu'il aimait, ses enfants évaluaient d'avance le grand dommage qu'ils subiraient en restant orphelins. Par des prières - des intercessions, ainsi que des moyens humains, des médecins, des médicaments, etc..., ils essayaient de le retenir en cette vie. Cependant la décision avait été prise. La Mère de Dieu fut davantage touchée par les supplications de l'Ancien que par les intercessions de ses enfants. L'Ancien convoqua ses disciples et annonça très sobrement la décision. Il en précisa même le jour.

Si l'Eglise considère que la fête de la Résurrection est la plus grande fête du Seigneur, elle considère sans aucun doute que l'apogée des fêtes de la Mère de Dieu, c'est sa Dormition. La Mère de Dieu avait choisi ce grand jour pour prendre son enfant sur son sein virginal, comme une vraie mère.

Nous arrivons à la veille du 15 août 1959. Le Père Charalampos racontait que tandis que le cuisinier s'apprêtait à servir le sobre repas d ela journée, l'Ancien le devança en lui disant : " Aujourd'hui, c'est moi qui servirai. C'est la dernière fois que vous mangerez un repas servi par moi."



Père Charalampos : " Retranche tout souci!"

Le lendemain, après avoir communié, il attendit calmement mais en menant la lutte appropriée, l'heure de sa sortie de ce monde. L'Ancien savait que désormais "tout est accompli (4)".

(4) : ( Jn 19, 30).

Il ne restait plus qu'à transmettre, comme dernière volonté, ses ultimes conseils. Il fit venir chacun séparément. Le tour du Père Charalampos arriva. Il le fit venir en particulier et lui dit :

" Père Charalampos, tu m'écoutes?

- Je t'écoute, Géronda.

- Retranche tout souci!"

Le Père Charalampos fit une métanie et s'en alla. Avant de sortir, il l'entendit qui ajoutait :

" Père Charalampos, entre!

- Que veux-tu, Géronda?

- Que tu retranches tout souci!"

Il refit une métanie et s'en alla. Mais, derechef, pour la troisième fois :

"Père Charalampos, viens ici.

- Que veux-tu, Géronda?

- Tu as entendu ce que j'ai dit? retranche tout souci!"

Ceci marqua de façon indélébile le Père Charalampos, comme un dépôt laissé en héritage, jusqu'à la fin de sa vie. Après ceci, le saint Ancien remit son âme entre les mains de Dieu. Désormais ses enfants furent plongés dans un deuil profond. Celui-ci fut tempéré par la présence de son compagnon d'ascèse qui était de même niveau spirituel que lui, c'est-à-dire du Père Arsène. L'Ancien Arsène, sans avoir un grand charisme d'enseignement, avait cependant celui d'être un bon exemple, d'avoir un esprit de lutteur spirituel, et la grâce de consoler les plus faibles.



Les membres de la communauté acquièrent leur indépendance et se secourent mutuellement.

Ainsi que nous l'avons dit, l'Ancien d'éternelle mémoire, ayant prévu que pratiquement tous ses enfants allaient diriger de grandes communautés, leur avait donné sa bénédiction pour qu'après sa dormition ils gardent tous le Père Arsène comme référence spirituelle, mais qu'administrativement ils acquièrent leur indépendance. Ainsi, l'occasion fut donnée pour plusieurs années à tous les frères de s'adonner exclusivement à l'ascèse. Mais ils conservèrent toujours des relations d'étroite collaboration et de secours mutuel.

Dans le cadre de cette collaboration fraternelle, les trois frères - le Père Ephrem, le Père Charalampos, et le Père Joseph -, transportaient le bois depuis la montagne et le travaillaient pour confectionner des sceaux. A cette époque, tous les travaux étaient manuels. Plus tard, on se servit de machines.

Après avoir coupé à la scie d'énormes troncs de peuplier, il fallait ensuite les façonner avec la doloire et un tour mû à la main pour confectionner la forme finale du sceau, pour que le graveur puisse se consacrer à la gravure des lettres. Les trois frères spirituels se concertèrent et décidèrent unanimement que, comme le Père Charalampos avait le tempérament le plus robuste, il se chargerait de la préparation du bois, les deux autres frères devant graver les lettres, chacun recevant un tiers du bénéfice. Dès le premier instant, le Père Charalampos fut contrarié, et, en outre, il se sentait lésé. Mais, par obéissance, il se résigna pendant un ou deux ans. Les autres frères, pensant que la répartition était juste, étaient satisfaits. Un jour, le Père Charalampos se dit : " Mon gars, c'est beau l'obéissance, mais est-ce que les frères me lèsent consciemment? Je vais essayer de tirer la chose au clair." Il dit donc à ses frères :

" A partir d'aujourd'hui, chacun préparera ses propres sceaux.

- Mais pourquoi?

- Eh, ce n'est pas pour oublier le travail manuel, mais je voudrais moi aussi en graver quelques-uns."

Ayant constaté qu'il avait raison, ils y consentirent. Le lendemain, tous les trois s emirent au travail. En un clin d'oeil, le Père Charalampos en prépara dix; il les prit et, en veux-tu, en voilà, il s emet à la gravure. Le temps que les autres aient fini de préparer leurs sceaux, lui avait déjà terminé leur gravure. Il lui restait du temps pour se livrer à d'autres occupations.

Le lendemain, les frères gravèrent les sceaux de la veille. Avant qu'ils n'aient terminé, il en avait déjà préparédix autres; il les fit bouillir et il les grava. Il passa devant la cabane du Père Joseph le Jeune et, en plaisantant, il lui dit:

" Que fais-tu, frère?

- Hé bien, je me bats depuis le matin jusqu'à maintenant avec les sceaux.

- Combien en as-tu produit?

- J'ai fait le premier travail, et maintenant je me prépare pour la deuxième phase ( c'est-à-dire environ deux tiers du travail).

- Mon gars, lui dit-il, moi j'ai préparé les bois et je les ai déjà gravés, cela fait une heure, et toi tu n'en es qu'au premier travail?

- Mais tu es sérieux, Père?

- Quoi, tu crois que je dirais un mensonge?

- Père, cela veut dire que nous t'avons lésé. Il faut que nous te donnions plus d'argent.

- Ah! Merci pour la proposition; mais je vous en fais cadeau; nous sommes frères. Mais, seulement, si j'en ai la bénédiction, que désormais chacun fasse ses propres sceaux."

Dès lors, chaque matin, en deux heures, il gravait dix sceaux. Il s'arrêtait et il s'occupait de tous les autres besoins de la maison, jusqu'à midi. Parfois aussi, il confessait, et, en outre, très souvent, il s erendait aussi dans le monastère de Saint-Paul pour y confesser, lorsque le Père Ephrem était absent. Lorsque plus tard nous achetâmes des machines, combien de sceaux pensez-vous qu'il préparait pour la gravure? Ecoutons donc ce que lui-même racontait:

" Lorsque j'ai eu une communauté, je me suis dit que j'allais enseigner au Père A? à nous préparer les bois. Il l'a appris, mais il produisait à peine quotidiennement trente sceaux. Heureusement, quand ensuite le Père Sabbas devint moine, il en produisit jusqu'à quatre-vingt par jour.

- Bon, mais vous, Géronda, combien pouviez-vous en faire?

- Eh, ne te préoccupe pas de moi. Que te dirais-je? Moi, j'en produisais trois cents."

On remarquera qu'alors la production de sceaux à prosphores était notre principal moyen de subsistance. C'est aussi la raison pour laquelle les moines expérimentés, tous ensemble, produisaient jusqu'à trente sceaux par jour (5).

(5) : ( Il faut préciser que, quand l'Ancien parle de trois cents sceaux, il veut dire uniquement la préparation du bois, tandis que les trente sceaux que produisaient les autres se rapportent à la gravure des sceaux, ce qui est un travail plus délicat et plus difficile).



L'Ancien comme confesseur (6).

(6) : ( Le mot grec pneumatikos désigne en Grèce un confesseur et un père spirituel, tout confesseur étant habilité par décision de l'évêque ( dans une paroisse) ou de l'higoumène ( dans un monastère) à être père spirituel. Les deux fonctions sont cependant parfois dissociées : 1) dans les monastères, en général, le confesseur, s'il est distinct de l'higoumène, se borne à confesser, tandis que la direction spirituelle est assurée par l'higoumène, auquel les moines manifestent leurs pensées; 2) il arrive que des moines qui ne sont pas prêtres, et donc ne peuvent confesser, assurent néanmoins le rôle de pères spirituels. En général, le mot pneumatikos a été traduit par "confesseur" lorsque le contexte indique plutôt l'exercice de la seule confession, et par "père spirituel" quand il inclut les deux fonctions (NdE).).

Un jour, à la suite d'un malentendu, les jeunes moines du monastère de Dionysiou, lesquels étaient peu nombreux, se préparèrent à quitter le monastère. Mais ayant entendu parler de la réputation du Père Charalampos, il semble que le Vénréable Précurseur intervint pour qu'ils se rendent auprès du confesseur, afin d edéfendre leur position. Le résultat fut qu'il les réprimanda; ils eurent droit à une sévère semonce et ils revinrent la tête basse. Après qu'ils furent de retour, le fameux higoumène Gabriel demanda ce qui s'était passé pour qu'ils reviennent tous. Il apprit que c'était le confesseur de Néa-Skiti qui les avait fait revenir. Dès que ce sage pasteur eut appris ce fait, sans aucun délai, il s erendit dès le lendemain à Néa-Skiti. Il commença par remercier le confesseur pour son bon travail, puis il lui proposa de devenir officiellement le confesseur du monastère. mais l'Ancien étai inflexible. Puisqu'il ne cédait en rien, alors à quel stratagème eut recours ce très rusé higoumène?

" Apporte-moi une étole, que je te lise une bénédiction."

Il apporte l'étole. L'Ancien se plaça sous celle-ci; alors l'higoumène lui dit : " Avec cette étole au cou, je t'ordonne, en vertu de l'obéissance, d eprendre la charge de confesseur de notre monastère."

Et voilà. Qui ne redoute pas l'étole? Surtout le confesseur qui connaît sa valeur. Sans objection donc, il répondit : " Que cela soit béni, Géronda; que la volonté de Dieu soit faite."

Depuis lors, et par la suite, jusqu'à ce qu'en 1967, lorsque notre communauté s'installa au kellion de Bourazéri, dépendance de Chilandar, il y remplit pendant de nombreuses années la charge de confesseur du saint monastère de Dionysiou.

A peine étais-je arrivé pour me faire moine en 1965, qu'un membre de la Synaxe des Anciens du monastère de Xénophontos vint, porteur d'une requête écrite pour que l'Ancien accepte aussi la charge de confesseur de ce monastère. Bien que derechef l'Ancien s'y fût opposé, il finit par céder devant l'insistance des Pères du monastère en question. Mais la réputation de confesseur de l'Ancien ne tarda pas à s erépandre tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Sainte Montagne. Quotidiennement, des moines de toutes les régions de la Sainte Montagne accouraient, ainsi que des clercs et beaucoup de laïcs venus du monde. L'Ancien n'était pas un simple confesseur. Tous les confesseurs reçoivent la grâce de lier et de délier. Mais l'Ancien y ajoutait par surcroît ses charismes spirituels. A chaque pénitent, j'ose le dire, il donnait aussi une partie de lui-même. Il était sévère quand il le fallait, mais il savait être également clément, compatisssant et plein d eréconfort, et il était condescendant au point que, à plusieurs reprises, il prit sur lui le fardeau de ses pénitents dans le dessein de les soulager. Il était si sévère avec lui-même que quand il entendait un moine lui dire qu'il n'arrivait pas à venir à bout de son épitimie, il lui trouvait une solution de remplacement.

" Tu ne veux pas faire 150 prosternations? Fais-en 100.

- Mais je ne peux pas non plus en faire autant.

- Alors fais un canon en disant quatre chapelets de trois cents grains avec signes de croix au lieu de prosternations.

- Mais je ne peux pas non plus en faire tant. Pour cela aussi j'ai du mal, Géronda.

- Alors, laisse tomber, c'est moi qui les ferai jusqu'à ce que tu prennes des forces. Mais ne sois pas négligent dans l'obéissance et pour les offices."

Avec bien des moines, il utilisa cette méthode, et il parvint souvent à les gagner. Leur amour-propre était piqué au vif et ils avaient honte que ce vieillard qui les confessait fasse les prosternations à leur place. Un jour, il arriva qu'un frère souffrit à cause d'un rude démon. L'Ancien, sachant que les démons de cette sorte " ne peuvent être expulsés que par la prière et par le jeûne (7)", pour encourager le pénitent, jeûna avec lui pendant quarante jours, alors que ce n'était pas une période de jeûne et que la consommation d'huile était autorisée. En même temps par des exorcismes quotidiens ainsi que par des prières faites avec le chapelet, des offices d'intercessions, une quarantaine de Liturgies, il partagea la lutte et la souffrance du frère jusqu'à sa guérison. Une autre fois encore, un frère de Bourazéri, pour une raison que j'ignore, fut possédé par le démon. Il devint si insupportable que les autres disaient que la seule solution était de le mettre à l'asile; Mais malgré tout l'Ancien, à force de Liturgies, d'exorcismes, de chapelets, etc..., réussit à chasser le démon du frère. Elles n'étaient pas rares non plus les fois où il aidait celui qui s econfessait, lorsque celui-ci avait honte de confesser des péchés mortels. Alors que j'étais encore débutant, un clerc nous rendit visite, celui-ci, par négligence, était tombé dans une épreuve difficile, au point qu'il s'en était fallu de peu qu'il ne perde son sacerdoce. Il vint pour se confesser; il commença à rougir; il allait dire quelque chose, il s'arrêtait; puis recommançait, mais rien. L'Ancien le tança en lui disant : " Pourquoi as-tu honte? Ce n'est pas toi qui as suscité cette épreuve. N'est-ce pas le tentateur qui a dressé un piège par l'entremise d ecette femme qui portait des habits rouges et qui voulait à toute force t'inviter à dîner dans sa maison? C'est un beau cadeau qu'elle t'aurait fait. mais heureusement que les choses ne seront pas arrivées jusque là... Accomplis une petite épitimie et, désormais, sois vigilant." En sortant, le prêtre se demanda tout haut : " Mais quel homme est-ce donc? Il voit tout à distance." Par curiosité, je demandai à l'Ancien ce qui s'était passé. L'Ancien me répondit : " La confession ne se révèle pas. mais je peux te dire ce que je lui ai dit : avant qu'il n'arrive, je l'avais vu, lui et la scène que je lui ai décrite."



L'Ancien comme maître.

Après avoir entendu le pénitent, l'Ancien ne se contentait pas simplement de lire la prière d'absolution. " Détourne-toi du mal et fais le bien", dit David (8).

(8) : (Ps 33, 15; 1 P3, 11).

L'absolution était immédiatement accompagnée de l'ordonnance et des médicaments appropriés. Pour les gens mariés, il insistait sur le fait de vivre une vie conjugale harmonieuse, de bien élever les enfants, de se confesser régulièrement, de fréquenter l'église, de jeûnet suivant leurs possibilités, etc... Il était très sévère pour le crime de l'avortement, qu'il considérait comme un meurtre de sang-froid contre des créatures sans défense. Il en était de même pour la contraception qu'il tenait également pour un péché; il considérait que tous ceux qui avaient évité l'enfantement par des moyens artificiels n'étaient pas dignes des sacrements. Il disait que Dieu sait combien Il donnera et qu'il se préoccupe de tous ceux qu'il a donnés. Quant à l'oeuvre de la PEFIP ( association de soutien aux familles nombreuses), non seulement il en faisait la louange, mais il la soutenait aussi par des contributions généreuses. Cela peut être confirmé par les membres de cette association. L'Ancien considérait que le fait de rester éloigné de l'Eglise et des saints sacrements était, pour les familles, une source de malheur et d etensions. " Un chrétien qui ne fréquente pas l'église, qui ne prie pas, qui ne se confesse pas, qui ne communie pas, est une vigne sans clôture, dont la porte est constamment ouverte pour qu'y pénètrent les voleurs, c'est-à-dire les démons, pour la piller." Un jour, un fidèle laïc se confessa en disant que sa femme commençait à être en froid avec lui et à le prendre en aversion. C'en était arrivé au point qu'elle allait se séparer de lui avec ses deux enfants. Ce frère avait entendu dire que quelqu'un qui les jalousait s'était livré à la magie contre eux dans l'intention aussi de lui prendre sa femme. Il demanda donc avec étonnement :

" Mais, Géronda, les sortilèges existent-ils et sont-ils en outre capables de susciter de tels maux?

- S'ils existent! Et comment! Mais sur qui agissent-ils? Ils agissent sur tous ceux que le tentateur trouve nus et désarmés.

- C'est-à-dire, Géronda?

- Nu est celui qui n'a pas de relation avec l'Eglise, et désarmé est le chrétien qui n'a ni contact ni relation avec le Christ et les saints Mystères, par la prière, par la confession, par la sainte communion. Lis donc la Vie de saint Cyprien (9), si tu veux, pour voir comment le chef des magiciens fut humilié devant une petite fille, Justine.

(9) : (Synaxaire, au 2 octobre, t. 1, p. 332).

De plus, quand il se rendit compte que les sortilèges n'agissaient pas sur les Chrétiens, il renia Satan et les sorts. Il devint Chrétien et il était si fervent qu'il fut martyrisé avec Justine pour sa foi au Christ? Le fait que ta femme n'ait pas encore pris la décision de t'abandonner, signifieque vous n'^étes pas encore totalement désarmés. Mais pour être délivrés de cette tentation, il faut davantage de lutte. Donne-moi le nom de ta femme. Je la mentionnerai à part pendant la Liturgie et je prierai aussi quotidiennement pour vous avec le chapelet. Seulement, de toi j'attends davantage. Tu vas prier pour toi-même et pour ta femme et tu vas communier régulièrement. Si ta femme t'imite, ça y est, tu l'auras gagnée à toi. Dans le cas contraire, tu demanderas au Seigneur de la patience, jusqu'à ce qu'Il l'ait ramené à la raison. Tu ne m'as pas dit si tu observais les jeûnes de l'Eglise.

- J'en observe certains.

-Et ces "certains" aussi, tu les accroîtras. Peux-tu te priver d'huile le mercredi et le vendredi?

- Eh, Géronda, je n'en sais rien. Car je travaille assez dur.

- Si je te raconais quel est notre emploi du temps! Nous, ici, nous travaillons encore plus dur. Qu'il en soit ainsi : Si tu n'y arrives pas, au moins, arrête-toi à l'huile. Pas davantage. Mais quand tu communies, ne consomme pas d'huile le vendredi. Et communie au moins une fois tous les quinze ou vingt jours. Si tu le pouvais, je te dirais de communier encore plus souvent. Nous, ici, nous communions trois ou quatre fois par semaine."

L'Ancien, comme dans l'épisode évoqué plus haut, aida de la même façon beaucoup de familles à ne pas se dissoudre, et, avec ses conseils simples mais sages, il ramena la concorde, la sérénité, et l'amour mutuel.

Un autre dit à l'Ancien :

" Géronda, je ne sais pas ce qui m'arrive. J'étais amoureux de ma femme et je l'ai épousé. Au début, notre vie était paradisiaque. Mais maintenant, je ne sais pas ce qui m'a pris : je ne peux plus la voir. Un rejet, une antipathie, une rage. Quand elle me regarde, c'est comme si je voyais devant moi mon ennemi. Ma vie est devenue un enfer. Que faire? Dois-je divorcer?

- Divorcer? Parles-tu sérieusement? Tu tournes rond? T'es-tu rendu compte que le mariage est l'un des sept sacrements de notre Eglise? Sais-tu que tu as juré devant Dieu d eporter le joug du mariage jusqu'à la mort? Tu as pris en grippe le mariage?

- Entendu, Géronda. Mais pourquoi y en a-t-il tant qui divorcent chaque jour?

- Et alors, si la majorité est composée de fous qui renient leur foi, dirons-nous : "Faisons de même", puisque c'est à la mode? Faut-il que, nous aussi, nous suivions la mode? C'est-à-dire que si les gens avaient décidé de se damner en suivant ces modes, faut-il qu'à toute force nous aussi nous les suivions jusqu'en Enfer? Tu dis que désormais ton existence est un Enfer. Si tu vas dans ce terrible Enfer où brûlent les débauchés, les adultères et tous ceux qui ont transgressé le mariage, qu'y gagneras-tu?

- Mais que dois-je faire, Père?

- Mais tu ne comprends donc pas que ce qui t'arrive vient de Satan lui-même? Tu as ouvert une fenêtre et tu l'y as fait rentrer."

Après que l'Ancien lui eut donné les indications et les médicaments appropriés, il le raccompagna. Au moment de partir, il lui dit : " Je veux que tu reviennes me voir rapidement. Jusque-là, je te mentionnerai chaque jour ainsi que ton épouse dans la Liturgie et je prierai pour vous avec le chapelet."

Comme ce jeune homme suivait ces prescriptions, avec le concours des prières de l'Ancien il ne tarda pas à revenir pour annoncer la bonne nouvelle, selon laquelle, tel un nuage qui l'aurait momentanément recouvert, il ressentait que la tentation l'avait quitté. Dorénavant, le premier amour et l'estime pour son épouse lui revinrent.



Conseils spirituels de l'Ancien

concernant la prière mentale et ininterrompue.

Il donnait à tous, mariés ou célibataires, le même enseignement sur la prière mentale. Comme l'Ancien, ainsi que nous nous en sommes rendu compte en vivant auprès de lui, avait savouré les très doux fruits de la prière mentale, il avait intérieurement l'ardent désir que, si possible, tout le monde les goûte. Il était particulièrement ému quand il constatait chez ses visiteurs la présence d'un intérêt comparable. Alors il ouvrait vraiment son coeur. Sans exagération, il prenait une partie de son bouillonnement pour le communiquer à ses auditeurs. Ce saint Ancien ne faisait pas de discours ampoulés et creux. Je peux assurer sans hésitation et conformément à l'expérience de beaucoup d'autres, que le passage de l'Evangile : "Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie (10)", s'appliquait à lui. En entendant parler de sa réputation comme maître de la prière mentale, beaucoup de gens de toutes les classes sociales affluaient vers lui, qu'ils soient mariés ou célibataires. A tous ceux qui lui rendaient visite, il transmettait dès le premier instant un peu de lui-même, suivant la capacité de réception de chacun.

En 1964 à Néa-Skiti, le Père Sabbas de Stavrovouni à Chypre, père spirituel d'éternelle mémoire, lui rendit visite. Il était accompagné d'un jeune novice. Le jeune demanda à s'entretenir avec l'Ancien. Ils restèrent assez longtemps ensemble, puis ils prirent congé, avec le père spirituel mentionné plus haut, pour aller dans les monastères. Le lendemain, le jeune revint à la hâte du monastère de Saint-Paul et il frappa à la porte de l'Ancien avec les premiers rayons du soleil. L'Ancien lui ouvrit :

" Que se passe-t-il, mon enfant?

- Géronda, je dois vous dire quelque chose d'important. Après notre départ, hier, j'ai suivi vos conseils, et j'ai commencé à dire la prière oralement sans m'arrêter. Mais le soir, j'ai senti brûler au centre de mon coeur une flamme ardente qui m'apportait tant de profondeur intérieure et de douceur, que j'ai cru que mon coeur avalait mon esprit (noûs). Je suis resté longtemps avec mon esprit (noûs) dans le coeur. Il ne voulait plus en sortir. Dès cet instant, la prière devint si vigoureuse, qu'elle ne s'arrêta plus, pas même un instant."

En entendant de telles paroles l'Ancien, avec sa simplicité enfantine habituelle, l'embrassa avec de chaudes larmes. Ensuite il lui conseilla, au liue de visiter les monastères, de rester pendant tous ces jours près de lui, pour conserver et augmenter ce que Dieu lui avait accordé. Malheureusement le jeune moine ne pouvait pas quitter son compagnon spirituel.

Profitant d'une autre occasion, il revint en hâte à Néa-Skiti avant de partir; il vit l'Ancien et lui confessa que la prière perpétuelle continuait en lui, mais qu'en raison de son entourage et de la distraction, sa flamme intérieure avait - comme on devait s'y attendre - beaucoup baissé. Cependant, l'Ancien le qualifia de "voleur". Il était venu parmi nous, nous avait volé la prière mentale, et il était parti.

Bien d'autres jeunes reconnurent que dès le premier enseignement sur la prière qu'ils avaient reçu de l'Ancien, ils avaient pu appliquer la règle de veille quotidienne de huit heures qu'observait notre communauté. On pourrait citer beaucoup de cas de personnes dépourvues de tout lien avec l'Eglise mais pleines de bonne volonté - drogués, anarchistes et autres - que la divine Providence conduisit jusqu'à notre kellion et qui, dès leur premier contact et leur première confession avec l'Ancien, abandonnèrent leur vie dissolue antérieure et adoptèrent la règle de la veille quotidienne. Certains d'entre eux devinrent moines.

Je ne passerai pas sous silence le cas du jeune qui, mû par une soif spirituelle quand il était dans le monde, avait lu des livres sur la prière mentale. Cette âme ardente absorba comme une éponge ces paroles remplies de sagesse divine et les mit en pratique. Il ne tarda pas à en goûter les fruits. Il se recueillait pendant la nuit au beau milieu d'Athènes, durant des heures, en menant le combat spirituel et en trouvant ses délices dans la Prière. Parallèlement, il ne cessait pas durant la journée de dire la Prière. mais, comme il était dépourvu de père spirituel, il trébucha. Selon les Pères, la condition préalable de tout progrès, dans cette oeuvre spirituelle, c'est la présence d'un guide spirituel approprié. A cette époque, la ville d'Athènes était dotée de plusieurs pères spirituels charismatiques. Ce jeune homme, soit à cause d'une influence diabolique soit à cause de sa nature humaine, subit un état d'extrême fatigue psychosomatique, au point que, dès qu'il concentrait son esprit ( noûs ) sur la Prière, il ressentait une si terrible migraine, qu'il avait l'impression qu'il allait en perdre la raison. Par nécessité, il se réfugiait auprès de tous les pères spirituels les plus éminents d'Athènes, mais Dieu ne consentit pas à ce qu'il soit guéri par eux. Par une inspiration divine, son père spirituel lui conseilla de se rendre sur la Sainte Montagne pendant un mois, pour que son esprit se calme. C'est ce qu'il fit. Par l'effet de la bienveillance divine, dès qu'il eut entendu parler de lui, il courut voir le Père Charalampos pour entendre de sa part une parole de salut. Mais avant de faire la connaissance du Père Charalampos, il s'était confessé auprès d'un père spirtuel connu, qui lui avait imposé de faire quotidiennement avant de dormir cinquante prosternations et de faire quatre chapelets de cent grains. Le jeune homme avait refusé catégoriquement cette règle de prière, en invoquant son extrême fatigue psychosomatique. Arrivant auprès du Père Charalampos, il lui raconta aussi sa mésaventure précédente auprès de l'autre père spirituel, en lui disant : " Si c'est possible, je t'en prie, libère-moi de cette règle de prière, parce que je ne peux pas dire tant de chapelets."

Alors le Père Charalampos le prit en charge. Il lui donna sa première leçon sur la Prière, et il le renvoya en lui disant : " Pars aujourd'hui, essaie de mettre en pratique ce dont nous avons parlé, et si tu as du mal à le faire, alors reviens me le dire."

" Dès cet instant, raconta ce jeune qui était dépourvu de mensonge, ma migraine se dissipa comme un nuage, et la Prière ininterrompue commença à tourner comme un moteur. Tantôt mentalement, tantôt avec la bouche sans interruption, ce n'est pas quatre chapelets, mais quatre fois quatre qui s'écoulaient sans arrêt."

Ce jeune, après avoir été guéri et édifié par l'Ancien, ne pouvait plus le quitter. Mais pour respecter la bénédiction de son père spirituel, il retourna provisoirement dans le monde. Cependant, il ne tarda pas à revenir s'installer dans un des habitats de la Sainte Montagne, pour profiter de l'Ancien jusqu'à sa mort, et l'avoir comme père spirituel, guide et bienfaiteur.



"Retranche tout souci!"

Les brillants résultats.

Quand au printemps 1964 je rendis visite pour la première fois à mon Ancien, il était encore seul. Cependant il concélébrait la Liturgie chaque nuit avec l'aide du Père Arsène et son compagnon le moine Joseph (11).

(11) : ( Par la suite père spirituel du monastère de Vatopaidi (+2010).

Par cet emploi du temps, il respectait fidèlement l'ordre de son Ancien : " Père Charalampos, retranche tout souci". En suivant cette règle de vie hésychaste, j'ose dire que l'Ancien accomplissait de grandes choses. Il connaissait des états spirituels que l'on ne rencontre que chez les grands saints. La flamme de la prière incessante et de l'amour inspiré par Dieu, telle une autre fournaise de Babylone (12), brûlait dans son coeur, mais sans le consumer. Ces veilles pénibles qui duraient toute la nuit sont restées indélébiles. Ces Liturgies, au cours desquelles, avec les yeux de son âme affinée, il voyait clairement les divins Mystères et Celui qui s'atait fait sacrificateur et victime devant le redoutable autel, c'est-à-dire le Seigneur. Entrant en extase devant ce qu'il contemplait, ses bras en étaient paralysés. Le chant s'interrompait. Il fondait en larmes. La Liturgie en était prolongée d ebeaucoup. Quand il disait : " Avec crainte de Dieu, foi et amour approchez", il vivait personnellement cette crainte, et, littéralement, il tremblait, rempli du sentiment de son indignité, en voyant le Verbe incarné et vivant qui était offert par ses mains, en nourriture mystique et comme boisson aux fidèles présents.

Son compagnon, le Père Joseph, constatant cet état spirituel rare, à plusieurs reprises lui conseilla ce que réalisèrent beaucoup de saints Pères, de renoncer à cette célébration quotidienne pour se consacrer totalement à l'ascèse.

" Je reconnais, racontait l'Ancien, qu'à plusieurs reprises, à moi aussi, cette pensée m'a traversé l'esprit. Mais, sans arrêt, je l'ai repoussée en me disant que, étant donné que notre Ancien ne m'avait rien conseillé de tel avant sa dormition, je devais craindre de progresser plus avant sans sa bénédiction."

Mais peut-être que, à la façon dont il vivait, sa vie était d'un degré inférieur? Comme il me le confessa de sa bouche dépourvue de mensonge, souvent, de par l'ardente flamme de la prière ininterrompue, il ne fermait pas l'oeil pendant deux ou trois jours. Par la suite, deux ou trois heures de sommeil lui étaient suffisantes pour accorder à son corps un indispensable repos. Quant à la nourriture, en été il plantait quelques plants de tomates, il en mangeait un peu chaque jour, tantôt en salade avec un tout petit peu d'huile, tantôt sans huile lors des jeûnes avec un peu de pain, et il trompait ainsi la coquille de son corps.

Quoi qu'il eût déjà dépassé la cinquantaine, il allait jusqu'au bout des mille métanies qu'il avait la bénédiction de faire de la part de son Ancien, et il en rajoutait, puis il passait les nuits à veiller debout comme une colonne. A cette époque, il avait déjà vécu beaucoup d'états spirituels surnaturels. Grâce à l'extrême concentration de son esprit (noûs), il savourait le don de la prière pure sans distraction. Très souvent son esprit (noûs) rentrait dans son coeur avec lequel il ne faisait plus qu'un. Ce phénomène, bien sûr, n'est pas nouveau pour les lutteurs, mais pour nous le faire comprendre à nous aussi les profanes, le bienheureux Ancien nous racontait : " De même qu'un aimant puissant s'attache au fer, l'attire de toutes ses forces, mais sans s'en détacher, de même l'esprit (noûs) qui rencontre le Royaume du Christ dans son coeur, est attiré, et il ressent une telle douceur qu'il s'y colle tant et plus, au point que si par hasard quelqu'un t'appelle ou frappe à ta porte, tu l'entends mais tu ne peux pas t'en détacher facilement. Cela dure autant que Dieu le veut. Mais tantôt l'esprit (noûs) se contracte, tantôt il se dilate. Quand l'esprit se contracte, il revient à son état normal. Mais comme lorsque l'on plonge une éponge dans un vase de parfum et qu'on l'essore ensuite, l'odeur en reste forte et ne s'en va pas facilement, il en est de même pour l'esprit qui s eremplit d ela fragrance divine. On peut se livrer pendant la journée au travail manuel, dans le jardin, sur les murets, mais l'esprit, qui est profondément imprégné de la douceur du parfum divin, même sans le vouloir, prie sans cesse, et des larmes aussi fréquentes qu'abondantes jaillissent de tes yeux au seul souvenir du Christ ou de notre Toute Sainte.

Parfois, avec la prière pure, l'esprit se dilate et s'élargit. Désormais, il n'est plus dirigé par toi-même, mais il est mû par l'Esprit Saint. Quand un homme vit cet état spirituel, il s'en rend alors compte, et se dit qu'il comprend ce que voulait dire l'Apôtre Paul disant : " En mon corps, ou en-dehors de mon corps, je ne sais ( 13 )!"

(13) : ( 2 Co 12, 2).

Disant cela, l'Ancien sous-entendait que son esprit était ravi par des visions et des révélations du Seigneur. Un jour, un frère osa lui demander franchement :

"Géronda, as-tu vu le Christ un jour, pendant que tu priais?

- Mon enfant, celui qui en priant ne voit pas le Christ avec les yeux de l'âme, celui-là ne sait pas prier.

- Bon, cela je le comprends. Mais ce que je veux dire, c'est que je te demande si tu as vu le Christ avec tes yeux corporels.

- Ah! Si tu savais ce que c'est que d evoir le Christ de ses yeux! A peine l'as-tu aperçu que tu es rempli d'une joie indescriptible. Mais tu es envahi aussi par une crainte incoercible, au point que, spontanément, tes jambes se dérobent. Tu tombes devant lui la tête en avant et, au milieu de sanglots incessants, tu restes en extase. Alors que peut-on dire? C'est une présence de Dieu. Tu ne peux que t'émerveiller, tu es contrit, et tu pleures sans t'arrêter."

D'une façon indirecte, mais très claire, il révélait ainsi une grande expérience spirituelle. C'est ce qu'il expliqua très clairement après une autre question "maligne" du même frère.

" Oui, Géronda, mais nous lisons et entendons dire que beaucoup ont été égarés par des imaginations démoniaques, en croyant voir le Christ.

- Mon gars, j'ai rencontré pas mal de ces gens. Le pire, c'est que l'on n'arrivepas à les faire sortir de cette illusion.

- Mais comment pouvons-nous savoir qu'il s'agit effectivement d'une illusion?

- Cela, même un débutant s'en rend compte. D'abord en raison de l'aspect de ces gens. Leur visage est irrité, et intérieurement ils sont pleins d econfusion et d'agitation. Ils s'endurcissent tant que, pendant des années entières, ils ne savent plus ce que sont les larmes. Est-ce cela que d'aimer le Christ? Est-ce cela que d'avoir vu, ne serait-ce qu'un instant, son très doux visage? Mon gars, ce n'est pas un jour ou deux, mais pendant trois mois que je n'ai pas pu empêcher mes larmes de couler. Le très doux amour te consume. Même en le voulant, on ne peut plus se contenir. Au bout de trois mois, les larmes se sont raréfiées, mais le souvenir de cette vision n'en est pas supprimé."

Une autre fois encore, il vit avec les yeux de l'âme, mais pas constamment, des visages qui lui étaient inconnus, et des scènes de leur existence. Quand, par la suite, ils lui rendirent visite, il leur décrivit en détail des événements de leur existence.



Témoignages visibles de renoncement.

Un jour, à Néa-Skiti, je remarquai que mes jambes étaient un peu enflées. Effrayé, je courus alors chez l'Ancien pour l'informer que quelque chose de grave m'arrivait. En m'entendant, l'Ancien esquissa un sourire et me répondit : " Toi, un si grand lutteur, et tu es tout de suite effrayé? Ce n'est rien, mon enfant. C'est à cause de la station debout. Veux-tu voir mes jambes?"

Il souleva son froc jusqu'aux genoux et me les montra rapidement. Je fus littéralement effrayé. C'était terrible. Ses jambes étaient si gonflées que l'on avait l'impression que c'étaient des outres. Mais ce n'était pas tout. Si l'on posait fortement les doigts sur les jambes gonflées, ceux-ci s'enfonçaient aussitôt, et y restaient enfoncés. Effrayé, je me suis écrié spontanément : " Géronda, il vous arrive quelque chose de grave. regardez vos jambes."

Et l'Ancien de me répondre tranquillement :

" De quoi as-tu peur, mon enfant? Ceci, je l'ai depuis que je me suis fait moine. Ce n'est rien. C'est à cause de la station debout. Quant au reste, cela me gêne un peu, mais cela ne fait rien : Dieu y pourvoira.

- Qu'est-ce à dire, Géronda? demandais-je.

- Eh bien voilà, à cause de la durée de la station debout, je souffre d'une hernie, mais j'ai trouvé une solution. Je lie solidement autour de ma taille une ceinture, et la chaleur adoucit un peu la souffrance."

Vraiment j'admirais, pour l'avoir constaté de mes yeux, le grand renoncement de notre Ancien, qui endura ce problème jusqu'à la fin de sa vie. Mais, malgré tout, il n'envisagea jamais d ecéder à la faiblesse de la chair. Il n'abandonna pas la station debout jusqu'à sa vieillesse, tant que son corps en eut la force. Quant à sa hernie, pendant d enombreuses années il la retint avec une ceinture, souffrant sans rien dire, la souffrance étant, comme on le sait, plus grande lorsque l'on reste debout. C'est en vain que nombre de personnes, et de smédecins même, lui conseillèrent de se faire opérer, car il encourait le danger, en se forçant à rester debout, de se faire un étranglement herniaire. Ce qui voulait dire qu'il mettait en jeu son existence même. Mais il déposa ce souci entre les mains de notre Toute Sainte avec une confiance absolue. Au bout de longues années, je lui demandai avec intérêt ce qu'il en était de sa hernie. L'Ancien me répondit, comme s'il s'agissait d'une chose sans importance, qu'elle avait disparu, et qu'il en était délivré. Notre Toute Sainte avait fait son miracle. D'un événement si extraordinaire, qui semblait ne pas lui paraître quelque chose de sensationnel, il n'aurait pas même parlé si on ne lui avait pas posé la question. On se demandera : " Pourquoi?" Parce que, toute son existence durant, l'Ancien avait vécu un miracle quotidien. Pour des hommes de cette trempe, qu'y avait-il là d'extraordinaire? Tout au plus un miracle supplémentaire. " Le Seigneur sait ce qu'Il a à faire. Si cela est pour mon profit spirituel, Il me guérit. Si cela n'est pas profitable, alors, "que le nom du Seigneur soit béni."" C'est ainsi, selon moi, que vivent les parfaits.

Une fois de plus, pour nous laisser un témoignage d'obéissance et d'humilité, alors que, des décennies durant, il n'était pas sorti de la Sainte Montagne, il finit par céder aux exhortations de ses enfants spirituels, et il fit usage de la science médicale et d el'assistance aux malades, comme étant issues de Dieu.



"Je suis le démon de l'acédie."

Un jour, avec ses longues heures de veille, ses multiples prosternations, et sa station debout durant toute la nuit, il agaça tant le tentateur que, n'y tenant plus, celui-ci se mit à hurler et à se plaindre comme une femme qui aurait perdu son enfant. Intrigué, l'Ancien tourna son regard vers lui, mais, que vit-il? Un démon farouche avec une sale gueule et tout noir, qui se tenait debout à l'extérieur de sa cellule. Après une impression première d epeur, l'Ancien s ereprit et lui demanda avec sang-froid : " Qui es-tu? Et que viens-tu faire à une heure pareille?" Et celui-ci de répondre : " Qui je suis? Je suis le démon de l'acédie, qui vient de sa plume provoquer le sommeil des moines. mais toi, sale moine, tu m'as brûlé, et je m'en vais, je m'en vais." Et tout en parlant, il devint invisible."



Le Père Charalampos a une vision de son Ancien

après sa dormition.

Quand le saint Ancien, le Père Joseph, fut informé par Dieu que l'heure de son départ vers celui qu'il aimait était venue, entre autres choses, il fit une promesse à ses enfants spirituels : " Si je bénéficie de la familiarité auprès du Seigneur, et que j'ai de l'assurance devant Lui, mes enfants, je vous promets que je ne vous abandonnerai pas".

Mais après son absence corporelle, le deuil fut inévitablement pesant. Chaque jour, tous les frères, malgré le réconfort de la présence de l'autre grand Ancien qu'était le Père Arsène, vivaient dans le deuil comme de grands orphelins. Le quarantième jour, précisément alors qu'il s epréparait à célébrer l'office de commémoration, le Père Charalampos, tout en priant, eut soudain une vision, sans savoir s'il était éveillé ou s'il sommeillait : Il vit alors son Ancien à l'intérieur de la petite chapelle consacrée au Précurseur dans sa calyve. Mais il n'était pas comme il avait eu l'habitude d ele voir jadis. Il était entièrement baigné d'une lumière éclatante, le rayonnement de son visage était plus fort que la lumière matérielle.

" Contemplant avec une grande fascination notre Ancien, je remarquai, raconta-t-il, qu'il était couvert des pieds à la tête de décorations et d egalons. Après l'avoir embrassé cordialement, je lui demandai avec étonnement : " Géronda, où as-tu trouvé toutes ces décorations éclatantes?" Il me répondit : " Celles que tu vois, c'est le Christ qui me les a données." Puis je repris mes esprits et, impressionné par le caractère vivant d ela vision, je me mis à crier : " Mon Ancien, mon Ancien, où es-tu? Pourquoi pars-tu?" Par la suite, je réfléchis bien et je compris qu'avec cette vision notre Ancien me confirmait qu'il avait effectivement trouvé une grande familiarité avec Dieu. C'était comme s'il me disait : " Je suis là. Je n'ai pas manqué à ma promesse."

Une autre fois encore je suis tombé dans de grandes épreuves. Dans mon infortune, je me suis souvenu de lui : " Ah, où es-tu mon Ancien, pour que je puisse m'appuyer sur toi, dans ma détresse?" C'est alors que j'entendis clairement une voix connue. C'était la douce voix de mon Ancien : " Mon enfant, pourquoi es-tu pusillanime? Ne t'ai-je pas dit que j'étais à tes côtés?" Comme s'il venait de sortir par la porte, il disparut aussitôt. Alors je sortis comme un fou en pleine nuit, et je m'écriai désespéré : " Géronda, Géronda! Mon Ancien Joseph, où vas-tu? Reste, ne t'en vas pas." Sauf qu'il n'avait pas pris du tout en considération que l'Ancien Arsène croirait qu'il m'était arrivé quelque chose... et que j'avais perdu l'esprit, lorsqu'il m'entendit crier. Malgré tout, encore une fois sa présence me donna une grande force, au point qu'avec sa bénédiction, j'ai triomphé de toutes ces tentations redoutables."

J'ose dire que, si le Père Charalampos accomplit de grandes choses dans l'obéissance, cependant la période qui suivit la mort de l'Ancien Joseph, jusqu'au moment où il accepta de nous prendre en charge, nous ses enfants inutiles, constitua l'âge d'or de son ascension spirituelle.

Cependant deux facteurs intervinrent, qui l'amenèrent à interrompre son séjour dans sa cabane et à accepter les premiers membres de sa communauté. La première raison sérieuse était que, alors qu'il célébrait quotidiennement la Liturgie, conformément à la règle (typikon) de son Ancien, son condisciple le Père Joseph qui était surtout son desservant, avait commencé à avoir des activités spirituelles à l'extérieur de la Sainte Montagne. En conséquence, pendant son absence, il ne restait que le Père Arsène, comme chantre. Il fallait donc combler ce vide.

La deuxième raison notable était la suivante : depuis qu'il avait commencé à confesser, beaucoup de jeunes accouraient auprès de l'Ancien. Nombre d'entre eux exprimaient le désir de devenir moines. Au début, il en envoya quelques-uns dans les monastères voisins. La vie cénobitique étant, comme on le sait, la voie royale et toute tracée. Mais ce n'était pas facile pour les novices de demander à chaque instant la bénédiction de sortir de leur monastère pour se rendre auprès de leur père spirituel. C'est pourquoi ils commencèrent à exprimer leurs premières plaintes. L'Ancien, envahi par la soif qu'il avait de transmettre aux autres ce que lui-même vivait, se concerta avec l'Ancien Arsène. Ils se mirent d'accord pour qu'il prenne quelques frères comme disciples, placés directement sous sa surveillance et sa direction.



Mon premier contact.

Les premiers membres de la communauté.

En 1964, comme je l'ai mentionné auparavant, j'ai rencontré l'Ancien pour la première fois dans la cabane où il pratiquait l'ascèse.

Les fruits spirituels que j'en retirais furent immédiats. Mais lié par mes obligations tant envers mon père spirituel qu'envers d'autres, je suis retourné dans le monde. Mais depuis lors mon lien fut étroit et immédiat. Jusqu'à mon installation définitive, je lui ai rendu visite deux autres fois encore, et j'ai entretenu avec lui une correspondance fréquente, en suivant ses directives.

Dans cet intervalle et jusqu'en juin 1965, deux autres frères, Pierre et Georges, me devancèrent et vinrent s'installer.



Pierre, le simplet sans malice.

Lorsque j'ai rencontré les duex frères mentionnés, l'Ancien me raconta ce qui suit :

" Pierre m'a rendu visite et a demandé à se confesser. Mais il fit une confession si pure, si sincère, comme cela ne m'est jamais arrivé. Entre autres, il m'a dit avec toute sa sincérité : " Moi, Géronda, je suis l'homme le plus pécheur, mais je suis également plein d'infirmités et, au bout du compte, je suis un homme sans utilité. Je veux devenir moine, mais avec cet état de choses, je m'en sens indigne."

C'est la première fois que je me suis trouvé confronté à un cas pareil. Ne sachant pas quoi lui conseiller, je lui ai dit : " Mon enfant, puisque la Toute Sainte t'a conduit jusqu'ici, reste un peu avec moi que je t'examine."

C'est ce qu'il fit. Il est resté. Mais comme Georges est venu lui aussi, nous avons eu dès lors un problème de place. Pierre m'a dit : " Moi, je suis plombier de profession, mais je me débrouille aussi comme maçon."

Sans perdre de temps, j'appelai le Père Pantélis, le bûcheron et muletier, et je le priai de me transporter quelques matériaux de construction. Et voilà des cailloux, des briques, du ciment, etc... Pierre, sans tarder, construisit trois cellules au niveau supérieur, avec un tel soin du détail et une telle habileté que je l'ai admiré.

Avant de nous mettre au travail, je me suis dit que, même s'il partait, les cellules ne seraient pas perdues. Mais voici ce qui se produisit. A peine lui eus-je montré comment veiller et dire la Prière qu'il fut rempli de zèle. Il vint pendant quelques nuits et me dit : " Géronda, qu'est-ce qui se passe? Alors que je disais la Prière, mon esprit (noûs) s'est attaché à mon coeur, et un parfum s'exhalait de moi, qui était indescriptible. Depuis lors, la prière se dit toute seule en moi et il me vient sans cesse des sanglots et des larmes."

En entendant cela, je me suis dit que cet homme allait devenir moine. Je lui ai dit que c'était une certitude intérieure en moi qui confirmait que Dieu voulait qu'il devienne moine.

Sans tarder, je l'ai tonsuré, et je l'ai appelé Prodromos (Précurseur). Mais lorsque j'ai décidé de le faire moine, je me suis heurté à une autre difficulté, car il me dit qu'il n'était pas digne de porter l'habit monastique. Je l'ai provisoirement laissé méditer sur sa pensée provisoirement. mais lui, en raison de sa grande simplicité, s'enfermait le soir pour dormir. Je lui ai alors demandé pourquoi il s'enfermait. Et il me répondit qu'il craignait que je ne vienne le faire moine pendant qu'il dormait. C'est avec beaucoup de mal que je lui ai expliqué que de telles choses ne se faisaient pas en cachette."

C'est ainsi que quand, quelques mois plus tard, l'auteur de ces lignes est devenu le nouveau membre de la communauté, les trois premières petites cellules étaient prêtes. Prodromos et mon humble personne vivions l'un à côté de l'autre. Souvent, je l'ai aidé à faire des travaux de construction. Il travaillait silencieusement, et fréquemment je voyais qu'il inspirait profondément. Etonné, je le dis à l'Ancien. Celui-ci me dit ce qu'il savait en tant que supérieur de la communauté : " Si tu savais ce que sont ces profondes inspirations! Pendant que Prodromos travaille, la prière ne cesse de bouillonner en lui. Son coeur embaume en raison de l'abondance de sa prière. C'est pourquoi il ne se lasse pas de sentir ce parfum si réjouissant."

L'Ancien nous disait, pour nous édifier, certaines choses qu'il savait de ce frère qui, grâce à sa simplicité et à sa pensée sans malice, s'élevait souvent en esprit jusqu'à de hautes contemplations, qui pouvaient même le mener à l'extase. Mais il évitait de nous donner plus de détails. Le Père G., qui ne mentait pas, me confessa que ce bienheureux frère lui avait dit en confidence qu'il voyait souvent notre Ancien, le Père Charalampos, être élevé à un mètre du sol lorsqu'il officiait. Ce simple fait suffit à convaincre quiconque de la qualité de ce moine simple, mais aussi de celle de notre Ancien, le Père Charalampos.

Mais apparement, ceci ne plut pas du tout au tentateur. C'est pourquoi il était plein de jalousie pour ce frère. Un frère digne de foi me raconta qu'à l'heure de la prière, comme dans une vision, il entendit à l'extérieur de la calyve comme le bruit d'un attroupement et de grands cris. Il prêta l'oreille et, qu'entendit-il? " Nous voulons Prodromos, nous voulons Prodromos!" Il jeta un oeil par la fenêtre et, que vit-il? Une foule de redoutables géants dont la tête atteignait la hauteur du toit et qui était en train de crier. Dès qu'il eut repris ses esprits, il courut effrayé chez l'Ancien pour le lui dire. Mais ce sage Ancien de répondre que c'était parce que la prière de Prodromos les consumait qu'ils ne pouvaient pas le souffrir. Mais, apparemment, lui aussi leur aurait donné quelque justification. Il fallait donc examiner la question. Il appela bien sûr le frère, sans nous faire part d ece que celui-ci lui avait dit en confession. Ce frère d'éternelle mémoire souffrait effectivement beaucoup de différentes maladies, et, tout en trouvant une grande consolation dans la prière, il ressentait quotidiennement des souffrances insupportables dans son corps. Ce fait le contraignit à solliciter de l'Ancien des accommodements et des aménagements avec la règle. Un jour, n'étant qu'un homme, j'ai reproché à ce frère de demander trop d'arrangements à l'Ancien. De plus, lorsque je me suis décidé à le confesser, je ne vins pas avec l'humilité qui convient, mais, sur un ton de reproche, je lui dis qu'il accordait trop d'indulgence au Père Prodromos. Comme si je donnais plus ou moins une leçon à l'Ancien. Mais le doux et humble Ancien me répondit sans s'émouvoir : " Laisse-moi t'expliquer mon enfant. J'ai reçu la recommandation de la part de mon Ancien d eménager ceux que Dieu ménage. Je serais bien content si, toi aussi, tu avais le degré d'élévation dans la prière qu'a atteint Prodromos."

Mais pour que je me rende compte que non seulement Dieu, mais aussi l'Ancien accordent des dispenses quand c'est nécessaire, cette soirée resta pour moi inoubliable, car pendant la veille nocturne j'ai reçu de Dieu une bonne leçon, pour qu'on ne m'y reprenne pas.

Comme ce frère d'éternelle mémoire était presque tout le temps malade et souffrait grandement, beaucoup de frères se méprenaient en disant que ce qu'il subissait était dû à son imagination et au tentateur. Or ce frère alla voir un jour le saint Ancien Porphyrios à Kérasia. Celui-ci, qui avait, comme on le sait, le don de "radiographie" spirituelle, lui dit : " Toi, mon enfant, tu souffres beaucoup. Mais les autres ne te comprennent pas et disent que cela vient du Malin." De fait, cet Ancien avait raison.

Les deux autres frères reçurent par la suite l'Habit monastique, et prirent le nom d'Arsène et de Joseph. C'est ainsi que fut créé le premier noyau de la communauté, deux autres frères s'y joignirent et prirent le nom de Georges et de Charalampos lors de leur tonsure. C'est avec ce groupe de cinq personnes plus l'Ancien Arsène que nous demeurâmes à Néa-Skiti jusqu'en 1967.



Les choix de l'Ancien.

Notre regretté Ancien avait une manière très personnelle de choisir les membres de la communauté. Gardant auprès de lui celui qui venait se confesser, il lui enseignait conjointement la Prière. Par la suite il l'introduisit progressivement dans le programme quotidien de veilles et d'obéissance. Quand ce frère s'adaptait immédiatement à ce programme et qu'il en voyait déjà les premiers fruits, alors l'Ancien demandait conseil à Dieu pour savoir s'il devait garder ce frère comme novice de la communauté. S'il recevait une réponse intérieure positive, il en informait le débutant. Bien sûr tous ne répondaient pas positivement à cette vocation. Mais l'Ancien - je ne sais si ceux qui ne sont pas d'accord avec cette façon de procéder ont raison - lorsqu'il avait reçu lors de la prière une certitude intérieure de Dieu, était ferme et catégorique. Cet Ancien ne connaissait pas de diplomatie avec laquelle, par des ruses, il aurait pu séduire des âmes. Il ne connaissait que le oui, ou le non (15), le un et un font deux, le tu peux ou tu ne peux pas.

Je connais des cas de frères dont l'âme fut embrasée par un feu divin dès le premier contact. Ce feu se renforçait de jour en jour. Mais malgré tout, l'autre esprit, celui de la chair, leur suggérait de partir immédiatement, car s'ils restaient plus longtemps cela allait leur plaire au point qu'ils ne voudraient plus partir. Si par ailleurs ils entreprenaient de fuir, l'autre pensée, celle de l'Esprit, leur suggérait une parole comparable à celle des Apôtres : "Auprès de qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle (16)."

Dans cet affrontement de pensées contradictoires, l'un restait, l'autre partait, et il perdait tout pour ensuite sombrer dans le désespoir. Parfois l'un revenait peu après, attiré par l'aimant de la prière de l'Ancien. Il y avait aussi beaucoup de cas difficiles à discerner. L'Ancien Arsène, qui le conseillait toujours, avait le dernier mot.

Un frère exprima le désir de devenir moine. Dès la première suggestion de l'Ancien, le premier soir, le frère réussit une très belle veille nocturne. Mais conjointement, ce même soir, un grand poids empêcha l'Ancien d'atteindre son état spirituel habituel, ce qu'il interpréta comme une information intérieure négative. Le deuxième soir, l'Ancien retrouva son état spirituel habituel, alors que c'était le contraire pour le frère. Il confessa à l'Ancien qu'il était tout à fait incapable de veiller. Cette situation dura plusieurs jours. Alors l'Ancien, certain que ce frère ne convenait pas à la communauté, se rendit chez l'Ancien Arsène pour lui signifier qu'il fallait le renvoyer. Mais, de façon inattendue, le grand-père lui répondit qu'il ne devait pas le faire et que ce serait une bévue. L'Ancien nous raconta qu'il fut obligé d'obéir, mais que pendant de nombreuses années il se disait : " A chaque fois que j'ai demandé conseil à l'Ancien Arsène, j'ai été bien inspiré. Il n'y a que pour ce moine qu'il m'a demandé de supporter. Il m'a causé beaucoup de problèmes." Malgré tout, le résultat final montra que dans ce cas aussi l'Ancien Arsène avait raison. Bien sûr, il a fatigué l'Ancien, mais ce frère persista et prit patience avec héroïsme. D'autres frères, et c'est humain, alors qu'ils étaient enclins à la vie monastique et avaient la vocation, " ont regardé en arrière (17)", tandis que ce frère a persisté et a atteint son but.

(17) : (Lc 9, 62).

La même chose se produisit au sujet d'un autre frère, qui s'adaptait bien au programme quotidien, mais au sujet duquel l'Ancien eut, pendant sa prière, une certitude intérieure négative. Finalement il lui notifia d'aller ailleurs. Mais celui-ci refusa en disant que c'était ici qu'il trouvait le repos de son âme. Comme ce frère insistait, l'Ancien nous dit qu'il avait pris en considération la parole du Seigneur : "Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors (18)." "Désormais, me suis-je dit, la parole est à mon Ancien; qu'il me donne donc un signe. J'appelai alors le frère pour lui dire : " Mon enfant X., là-bas, près de la tombe de l'Ancien (19), se trouve un mûrier.

(19) : (Ceci se produisit avant l'exhumation de l'Ancien Joseph).

Va donc nous cueillir quelques mûres." X. de courir vers le mûrier. A peine s'était-il approché du tombeau que l'on entendit un cri et que le frère tomba à terre. Je courus vers lui, et je vis qu'il avait une crise d'épilepsie; la bave lui sortait de la bouche. Je racontai cet événement à l'Ancien Arsène, qui me répondit que ce n'était pas là un bon signe. Mais il nous invita à l'éprouver encore une fois, considérant que si cela se reproduisait, ce serait sans aucun doute un message de l'Ancien. Le lendemain, donc, je le renvoyai à cet endroit et je le suivis. A peine s'était-il approché du tombeau que la même chose se produisit. Il tomba à terre en écumant. L'Ancien Arsène me dit de le congédier dès le lendemain. C'est ce que je fis."



Le sens du mystère de la Divine Eucharistie.

Expériences avec des Anciens de Néa-Skiti.

A Néa-Skiti, juste au-dessus de la tour, se trouve une calyve dédiée à l'Annonciation de la Mère de Dieu. J'ai eu la chance de pouvoir encore y rencontrer deux Anciens d'un âge avancé, l'un d'eux se nommant Prodromos. Celui-ci, étant particulièrement âgé, ne pouvait plus s'occuper de sa calyve. De plus, dans ses dernières années, il avait accumulé chez lui tant de déchets et d'immondices que sa cellule ressemblait plutôt véritablement à un tas de fumier. Un autre moine, le très pieux Chrysostome, l'aidait pour tout ce qui était indispensable. Un jour, il vint voir le Père Charalampos : " Vénérable Ancien, lui dit-il, Prodromos ne va pas bien. Viens vite lui donner la communion." L'Ancien prépara alors les sacrements, et se rendit sans tarder chez le vieillard. Peu après il revint. Mais je vis qu'il était changé et qu'il pleurait en sanglotant. Je lui demandai alors ce qu'il avait, et il me répondit : " Je vais te le dire, mon enfant, sans rien te dissimuler. Je suis rentré chez le Père Prodromos pour lui apporter le Christ. Dès que j'ai vu à l'intérieur de sa calyve tant de saleté, j'ai pensé : ô mon Christ, toi le seul pur et immaculé, où condescends-tu à entrer! Je vis le Père Prodromos devenu tout noir à cause des tâches et des saletés. Mais une autre surprise m'attendait. Comme j'étais envahi par ces pensées, alors qu'il ouvrait la bouche pour communier, je vis clairement, mon enfant, avec les yeux de mon âme, le Corps du Christ qui pénétrait dans cette bouche souillée et la rendait parfaitement pure."

Telles furent les paroles de l'Ancien qui, encore sous le coup de l'émotion, s'enferma dans sa cellule. Qui peut dire combien de temps il pleura à la suite de cette expérience bouleversante?

Lorsque je vivais à Néa-Skiti, j'eus l'occasion de rencontrer beaucoup d'Anciens qui se distinguaient par leurs vertus. Parmi eux se trouvait le Père Chrysostome dont j'ai parlé plus haut. On le surnommait Vlachos. Cet Ancien avait l'habitude de préparer une fournée de pain. Il le passait deux fois au feu pour en faire du pain séché et le conserver. Il ne se nourrissait que de pain séché, puis refaisait une autre fournée. Il disait, pour expliquer son comportement, que Satan le tentait quand il mangeait quelque chose d'autre.

Un autre encore habitait à côté de la conduite d'eau de Néa-Skiti. Lui aussi vivait dans l'abstinence permanente. Pour mieux dissimuler son ascèse, il disait également que, quand il mangeait des aliments gras, Satan le tentait. Il s'appelait Néophyte. Son nom de famille était Kapsalis. Exceptionnellement, nous avons entretenu avec lui des liens très étroits. Lui aussi veillait quotidiennement et, chaque nuit, à minuit, il descendait dans notre calyve pour participer à la Divine Liturgie, et commémorer des milliers de noms de personnes vivantes ou décédées. Régulièrement, quand le père Néophyte s'approchait de nous pour nous parler, il sortait de sa bouche une bonne odeur, tel un parfum suave. Bien qu'il ait été entre deux âges quand je l'ai connu, il n'avait plus aucun cheveu noir; ils étaient tout blancs. Cela lui était arrivé au cours d'une nuit, alors qu'il pratiquait l'ascèse dans une grotte. Le soir, il y rentra avec une barbe noire, pour en sortir le matin avec une barbe toute blanche. Pendant cette nuit-là, avec la permission de Dieu, une foule de démons lui était clairement apparue. Leur aspect était aussi terrible que repoussant, donnant des coups de bâtons, proférant des menaces, etc... Il en conçut une telle crainte et une telle frayeur que, lorsqu'il ressortit au matin de la grotte, il n'avait plus un seul cheveu noir. Il était devenu complètement blanc et méconnaissable.



Vision concernant la nourriture des vivants et des défunts.

Un jour, un frère qui se trouvait alors à Néa-Skiti se laissa aller à douter : " Nous prions, nous veillons... Tout cela est bien joli, mais est-ce qu'en agissant ainsi nous aidons les autres ou seulement nous-mêmes?" Alors qu'il allait confesser cette pensée à l'Ancien, celui-ci le devança et, avec un visage qui semblait profondément bouleversé, il dit au frère : " Hier soir, mon enfant, Dieu m'a envoyé une vision terrible : alors que je priais, il me sembla tout d'un coup que je me trouvais dans un grand réfectoire. Je me trouvais devant une porte qui ressemblait aux portes saintes de l'église. Dans cet espace se trouvait une multitude innombrable, qui attendait en faisant la queue. Moi, je ressemblais à un intendant chargé de distribuer de la nourriture. Dans l'espace où je me trouvais, je vous ai reconnu; vous vous trouviez à côté de moi. Vous coupiez quelque chose de gros qui ressemblait à une prosphore, et vous me l'apportiez. Les autres personnes passaient en deux files: dans l'une se trouvaient les vivants, dans l'autre les morts. Je leur distribuais à tous un morceau de prosphore en guise de bénédiction, et chacun repartait joyeux. Parmi eux je distinguais beaucoup de gens que je connaissais, et dont j'avais écrit les noms sur mes diptyques, vivants ou morts."

Alors le frère intervint : " Cette vision m'était destinée. Tu as résolu mon incertitude. Maintenant j'ai compris ce qu'apportent les prières et les commémorations que l'on fait lors de la proscomidie pour les vivants et les défunts."

" Puisque cela t'intéresse, laisse-moi te dire quelque chose d'encore plus redoutable concernant le chapelet, et qui s'est produit du vivant de mon Ancien Joseph. Celui-ci avait dans le monde une cousine. Bien que sa vie ne soit pas irréprochable, l'Ancien, malgré tout, l'aimait beaucoup. Un jour, on l'informa que sa cousine était morte, et en outre dans des circonstances difficiles. Elle avait fait différentes mimiques, des contorsions grotesques, avait dit des paroles grossières, etc... et c'est dans cet état déplorable qu'elle avait rendu l'âme. Dès que l'Ancien l'apprit, il fondit en larmes. J'étais intrigué par ces manifestations d' une telle sensibilité et par des pleurs si abondants. Lui comprit ce que je ressentais, et il prit les devants en me disant qu'il ne pleurait pas parce qu'elle était morte, mais parce qu'elle était allée en Enfer.

Cependant, depuis ce jour, l'Ancien se mit à jeûner sans discontinuer et à prier pour sa cousine. Plusieurs jours plus tard, je vis qu'il était tout joyeux. Je lui en demandai la raison, et il me dit : " Laisse-moi te dire, mon enfant : Après tous ces jours où je n'ai pas cessé de prier et de veiller en jeûnant et en pleurant pour ma cousine, j'ai eu aujourd'hui une vision réjouissante et merveilleuse. Alors que je priais, je vis devant moi ma cousine vivante, qui m'a crié avec beaucoup de joie qu'aujourd'hui était le jour de son salut, qu'elle avait été délivrée de l'Enfer et qu'elle allait au Paradis.

Soudain, au même moment, je vis le bienheureux Père Georges. C'est un saint contemporain. Je l'ai rencontré alors que j'étais dans le monde. Il s'était mis en tête que, si la chose était possible, il allait faire sortir les pécheurs de l'Enfer. Il célébrait quotidiennement la Liturgie et faisait mémoire de milliers de noms. Ensuite il parcourait les cimetières, et il passait la journée à célébrer des pannychides, et à commémorer les défunts. Alors que, dans ma vision, je le voyais devant moi, je l'entendis me dire avec beaucoup d'étonnement : " Jusqu'à maintenant je croyais que les défunts pouvaient seulement être sauvés par des Liturgies et des commémorations. Mais maintenant j'ai vu et j'ai compris que les damnés peuvent aussi être sauvés par le chapelet", et il répéta avec étonnement : " Les gens sont aussi sauvés par le chapelet!"

Par cette vision je fus informé que ma cousine avait été sauvée, mais Dieu m'a montré aussi la puissance du chapelet, qui est même capable de faire sortir une âme de l'Enfer."

En racontant cela au frère, l'Ancien ému lui donna sa bénédiction et lui souhaita de s'en aller avec cette même bénédiction et de s'attacher autant que possible à obéir et à prier, s'il voulait venir en aide aussi bien à lui-même qu'aux autres.



L'Ancien comme confesseur de prêtres et de moines.

En apprenant la réputation de l'Ancien, beaucoup de prêtres du monde venaient le voir pour se confesser, ainsi que beaucoup de moines de l'intérieur comme de l'extérieur de la Sainte Montagne.

Il donnait à chacun divers conseils. Mais, pour la confession, quand il s'agissait de revêtir l'épitrachélion, il mettait quelques conditions préalables. Quant aux clercs, mariés ou non (20), il les invitait à célébrer quotidiennement les offices ecclésiastiques, c'est-à-dire les vêpres, les complies, les matines, ainsi que le plus grand nombre de Divines Liturgies possibles, y compris les jours ordinaires.

(20) : ( La seconde catégorie est celle des hiéromoines, ou moines-prêtres. Selon les canons de l'Eglise orthodoxe, les célibataires qui ne sont pas moines ne peuvent être ordonnés prêtres ni même diacres).

Comme on lui objectait que les gens ne venaient pas tous les jours à l'église, il répondait que le prêtre est un intercesseur. Sa tâche est d'offrir une prière et un culte quotidiens pour son troupeau.

Un jour vint un prêtre très pieux. Il confessa que par la puissance d'une croix, dans laquelle se trouvait un fragment de la Précieuse Croix, il accourait partout où on l'appelait. Il bénissait les gens et un grand nombre d'entre eux étaient guéris. L'Ancien lui répondit : " Ce que tu fais, mon Père, est bien et digne de louange, mais tes offices aussi sont une dette dont tu dois t'acquitter. Peut-être es-tu encore plus thaumaturge que saint Arsène de Cappadoce (21)?

(21) : (Synaxaire, vol. 2, 10 novembre, p.110).

Car lui, si thaumaturge et si grand saint qu'il ait été, du mercredi au vendredi, il s'enfermait dans sa cellule et ne recevait personne. Pendant ces trois jours-là, non seulement il s'acquittait de sa dette, mais, de plus, il recevait la force d'accomplir avec succès beaucoup de miracles.

Un jour, un hiéromoine passa par Bourazéri. Il rapporta à l'Ancien qu'il étudiait la théologie et qu'il habitait avec sa jeune soeur, qui étudiait le droit. L'Ancien lui dit : " Fais attention autant que possible. Je sais que la jeune fille est ta soeur, et qu'elle est du même sang que toi, mais les gens sont mauvais. Ne sortez jamais ensemble tout seuls, ne reçois jamais non plus la visite d'une de ses amies chez vous, surtout quand tu es seul. J'en connais beaucoup qui ont été diffamés à cause de fausses accusations. D'autres encore sont tombés dans des pièges, sans le vouloir."

Quant aux prêtres non mariés, il était encore plus sévère à leur égard. Il considérait que les offices quotidiens étaient une nourriture insuffisante, surtout pour un clerc célibataire, vivant au milieu de tant de pièges du Malin.

A tous ceux qui se confessaient il enseignait comment veiller chaque nuit pendant plusieurs heures, en s'exerçant systématiquement à l'oeuvre sainte de la prière mentale ininterrompue.

Quant aux moines, il recevait tous ceux qui étaient à l'obéissance d'un Ancien, même s'ils venaient en cachette de celui-ci.

Avant qu'il ne devînt le confesseur du saint monastère de Dionysiou, plusieurs moines de ce monastère vinrent un jour le voir pour se confesser sans avoir la bénédiction de l'higoumène, l'archimandrite Gabriel. Au début, l'Ancien se demanda s'il avait le droit de confesser des moines sans que leur Ancien le sache.

Lors d'une fête patronale il rencontra l'higoumène Gabriel au saint monastère de Saint Paul. Il trouva l'occasion de l'interroger, en tant qu'étant le plus ancien et le plus expérimenté, sur le problème en question. Le sage Ancien et père spirituel expérimenté Gabriel lui fit cette réponse : " Tu es dans l'obligation, Père, de recevoir les moines, même s'ils sont venus en cachette de leur Ancien. Tu dois les recevoir, les réconforter, les consoler, car, s'ils viennent te voir, cela signifie qu'ils en ont besoin." C'est ainsi que fut résolue cette question. Mais dans le cas des moines qui n'étaient pas à l'obéissance, il était pratiquement inflexible (22).

(22) : ( S'il était bien sûr sévère, il ne l'était pas absolument. Il y a aussi des cas difficiles à discerner, qui relèvent du jugement du père spirituel.)

Il existe une tradition à la fois écrite et non-écrite selon laquelle un moine qui n'est pas resté à l'obéissance, et qui n'a pas satisfait son Ancien, quelque stricte que soit son ascèse, construit sur du sable et est menacé à tout instant par les pièges de l'Ennemi, que ce soient des pièges de droite ou des pièges de gauche. C'est pourquoi, quand un moine insoumis venait se confesser, il lui expliquait que cela ne servait à rien sans obéissance, et il lui conseillait d'abord de revenir dans son monastère d'origine, avant que l'Ancien ne puisse le prendre en charge en tant que père spirituel. Quand quelqu'un mettait en avant des justifications plausibles ou même justifiées, et refusait explicitement de retourner dans son monastère, alors il faisait preuve de condescendance et il l'incitait à se mettre à l'obéissance du moins quelque part. Il lui conseillait même ceci : " Si vous ne voulez pas être à l'obéissance pour toute votre existence, trouvez-vous du moins un Ancien âgé. Soyez à son obéissance, et assistez-le dans sa vieillesse. Après sa mort, vous serez libres et vous aurez gagné sa bénédiction."



Les tribulations d'un moine insoumis.

Un moine, après avoir quitté son monastère d'origine, vint voir l'Ancien pour se confesser, car il était le confesseur du monastère en question. Mais, de façon surprenante, l'Ancien refusa explicitement, en lui disant qu'il ne le confesserait que lorsqu'il serait revenu dans son monastère d'origine. Le moine répondit que ce n'était pas possible, et qu'il ne pouvait pas le faire... L'Ancien resta inflexible, mais l'autre le demeura tout autant. Lorsque l'Ancien eut constaté que l'autre s'entêtait dans son refus, il lui dit que puisqu'il ne voulait pas être à l'obéissance de son Ancien, il devait en trouver un autre ailleurs, pour lui obéir jusqu'à la mort, et qu'alors il accepterait de recevoir sa confession. Le moine, ayant compris que les deux solutions étaient également difficiles, il se demanda quel expédient il allait trouver. Il chercha et trouva un Ancien âgé de cent ans, et qui demeurait dans une skite. Ayant atteint un tel âge, la seule chose que voulait cet Ancien, c'était un peu de soins dans ses vieux jours. C'était l'occasion pour lui de recevoir sa bénédiction, car il se disait que l'Ancien allait vivre encore un ou deux ans, après quoi il allait l'enterrer et hériter de sa bénédiction comme de sa calive.

Il retourna tout joyeux chez le Père Charalampos, pour lui annoncer que, désormais, il était à l'obéissance d'un Ancien. Par conséquent, rien ne s'opposait à ce qu'il le confesse. Bien obligé de céder alors, si même cela ne lui faisait pas plaisir, l'Ancien le confessa. Le moine en question, résidant dans la calyve de l'autre Ancien, assumait la charge de ce dernier, dans l'attente escomptée de la mort de celui-ci. Mais, une fois encore, Dieu permit qu'il fût éprouvé : un grave problème se fit jour dans la skite de ce moine. Celui-ci, avec deux ou trois autres moines, voulut proposer des modifications au typikon de la skite afin de l'améliorer. Les autres Pères rejetèrent celles-ci comme étant une innovation contraire à la Tradition. Le conseil des Anciens se réunit, et invita les frères à renoncer à leur innovation et, dans le cas contraire, à quitter le domaine de la skite. Ceux-ci restèrent intraitables, au point de préférer quitter la skite plutôt que de se soumettre. Le moine revint voir le Père Charalampos pour le mettre au courant d ela situation. Celui-ci lui répondit : " Pour ce qui est du problème en question, c'est vous qui avez raison. Mais dans la vie monastique on ne doit pas chercher son droit. C'est l'obéissance et la patience dans l'injustice et dans les épreuves qui justifient le moine. Mon fils, si tu veux partir de la skite, c'est ton droit. Mais, désormais, tu as un Ancien. Combien de temps lui reste-t-il à vivre? Fais au moins une concession pour ton Ancien jusqu'à sa dormition. Quand tu auras reçu sa bénédiction, et, après sa mort, va où bon te semble."

Le résultat fut que le moine repartit affligé et demeurant dans son obstination. La seule alternative qu'il trouva fut de proposer à son Ancien d epartir avec lui. Le petit vieux, exaspéré, lui répondit que, s'il avait passé toute sa vie dans la même calyve, ce n'était pas pour mourir maintenant quelque part ailleurs. Le moine repartit donc, et se retrouva à être insoumis de nouveau. Deux ou trois mois plus tard à peine, le petit vieux mourut. C'est ainsi que le moine, du fait de n'avoir voulu obéir à personne, perdit, à quelques mois près seulement, la bénédiction de son Ancien (23).

(23) : (Ce frère, depuis lors, a rejoint les "demeures éternelles".



IV

BOURAZERI

OUVERTURE VERS LES SAINTS MONASTERES



Vers des espaces plus vastes.

En 1967, notre petite communauté et la communauté voisine du Père Ephrem furent obligées de se transplanter dans des espaces plus vastes et plus tranquilles. La nôtre, au grand kellion de Bourazéri dépendant de Chilandar, et la seconde au grand kellion russe de Saint Artème à Probata.

En raison du communisme, ces kellia avaient été dépeuplées et s eretrouvaient totalement abandonnées, si bien qu'il fallut procéder à d'urgents travaux de restauration. Malgré tout, la vie spirituelle se poursuivit au même rythme et selon le même programme qu'auparavant.

" Père Charalampos, retranche tout souci!", furent les dernières paroles consolatrices et édifiantes que le saint Ancien Joseph adressa au Père Charalampos. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, les circonstances voulurent que l'âge d'or de la parfaite quiétude de l'Ancien cesse définitivement. Il était inévitable qu'en assumant la responsabilité des âmes, il fût envahi par davantage de préoccupations. Cependant, tous les jours résonnait à ses oreilles la parole de son Ancien : " Retranche tout souci!". Cette parole demeurait en lui comme un dépôt, qui constituait aussi un élément modérateur permanent lors des grandes "ouvertures".

Le saint Ancien Joseph, sachant par expérience quels dégâts importants pouvait causer le souci, le nommait très souvent "la phtisie de l'âme". Expliquant en outre les paroles du Seigneur : " Soyez sur vos gardes... de peur que vos coeurs ne s'appesantissent dans la débauche, l'ivrognerie, et les soucis de l'existence (1), il admirait le fait que le Seigneur ait mis le souci sur le même plan que la débauche et l'ivrognerie. Il était malgré tout inévitable que le souci augmente, dans la mesure où l'Ancien avait la responsabilité générale non seulement d'une fraternité qui ne cessait de s'accroître en nombre, mais aussi des besoins d'un grand kellion, qui rivalisait en dimension avec les saints monastères.

Bien sûr, l'arrivée d'un père spirituel si renommé réjouit beaucoup de moines aussi bien de Kapsala que de la région de Karyès. De plus, sa renommée ne tarda pas à se répandre jusqu'à l'Ecole ecclésiastique de l'Athoniade, dont la plupart des élèves et des professeurs descendait très souvent au kellion pour se confesser et recevoir une direction spirituelle.

Mais même l'afflux des visiteurs était désormais devenu beaucoup plus important. On ne tarda pas à aménager plusieurs lieux d'accueil, dans la mesure où, quotidiennement, un assez grand nombre de pèlerins nous rendaient visite et demeuraient parmi nous. Lorsque, après un premier séjour de vingt-quatre heures, quelqu'un exprimait le désir de prolonger son séjour, l'Ancien lui montrait un chapelet de trois cents grains en lui disant que, s'il désirait suivre notre programme, il devait prendre le chapelet de trois cents grains et rester autant qu'il le voulait. Mais tu devras me rendre compte des exploits que tu as accomplis pendant la nuit."

A devoir suivre ce mode de comportement, tous ceux qui n'étaient pas capables de s'adapter s'en allaient sans se plaindre. Mais, malgré tout, il y en eut aussi beaucoup qui s'adaptaient à notre programme nocturne et observaient fidèlement les huit heures de veille, emportant avec eux, lors de leur retour, ce viatique spirituel, pour y recourir, dans la mesure du possible, dans leur lutte quotidienne, au milieu de tant de dangers et de tant d'épreuves suscitées par le Malin.



Le Père Théoclitos.

A propos de son livre Dialogues sur l'Athos.

A l'époque où notre communauté fut transplantée de Néa-Skiti à Bourazéri, il se trouva que le représentant du saint monastère de Dionysiou auprès de la Sainte Communauté était le fameux moine érudit Théoclitos. Cet Ancien avait l'habitude de venir nous voir très souvent, accompagné de son disciple Callinique, qui était chargé du soin de la Divine Liturgie. En outre, le moine Callinique, qui avait grandement bénéficié spirituellement de l'Ancien comme père spirituel du monastère de Dionysiou, demanda à rester définitivement parmi nous. Mais cette demande fut refusée par son Ancien, en raison de la pénurie de moines au monastère.

Lorsque le Père Théoclitos décida d'écrire son ouvrage fameux Dialogues au désert (2), pour le rendre plus vivant et plus convaincant, il fit le tour des différents hagiorites connus à cette époque, avec lesquels il engagea des conversations pleines de vie sur la prière mentale.

(2) : Dialogues athonites sur la prière du coeur, Thesssalonique, 1975; rééd. Athènes, 1984 ( en grec). Traduction française par M.-J. Monsaingeon, dans Ecrits du Mont-Athos. Une anthologie hagiorite contemporaine, Grez-Doiceau, 1989. p. 107-199 (NdE).

C'est dans cette intention qu'il descendit à Bourazéri et qu'il eut un long entretien avec notre Ancien. Alors qu'il sortait de la cellule de l'Ancien, je l'invitai, conformément à ma fonction de père hôtelier, à recevoir la collation d'usage. C'est alors que j'appris pour la première fois son projet de publier l'ouvrage en question. En outre, sous le coup de l'enthousiasme, il m'informa que c'était pour cette raison qu'il était descendu et qu'il avait discuté avec notre Ancien. " Son enseignement sur la prière mentale, est quelque chose de vivant, tiré de son expérience vécue, et qui suit absolument la doctrine des saints Pères neptiques de notre Eglise", me dit-il.



Avec l'administrateur civil de la Sainte Montagne.

A l'époque où nous nous installâmes à Bourazéri (1967), comme on le sait, les militaires renversèrent le régime et proclamèrent la dictature (3).

(3) : ( Il s'agit de la dictature dite "des colonels", qui dura de 1967 à 1974 (NdE).).

Comme chaque gouvernement, les membres de la Junte mirent à tous les postes stratégiques de l'Etat ceux qu'ils appelaient "les nôtres". il en fut d emême pour la Sainte Montagne : pendant cette période, trois administrateurs civils, désignés par le gouvernement, se succédèrent. le troisième et dernier était un général à la retraite, homme excellent et d'une grande piété, qui s'appelait G. Krekoukias.

Cet administrateur civil, apprenant la renommée du père spirituel de Bourazéri, accourut pour le voir comme un simple citoyen, sans se faire connaître, pour se confesser. Dutant la confession, il se présenta confidentiellement au confesseur comme étant le nouvel administrateur civil. Sa conscience trouva un tel repos après cette première confession que, dès lors, il descendit régulièrement pour se confesser et recevoir des conseils.

Parmi d'autres choses, il appréciait particulièrement la sainte pauvreté de l'Ancien. Voyant tant de bâtiments et tant de besoins, il lui proposa de financer, avec les fonds de l'administration civile, les travaux de restauration qui étaient absolument nécessaires. L'Ancien cependant refusa fermement cette proposition. Très étonné, le gouverneur lui demanda pourquoi.

"Pour ma part, répondit-il, je gagne mon argent à la sueur de mon front. Tu vois les moines de ma fraternité? Parmi eux, l'un peint des icônes, l'autre grave des sceaux à prosphore, l'autre travaille au jardin. On m'envoie aussi de l'argent de l'extérieur pour des Liturgies, des séries de quarante Liturgies pour les défunts, des offices de commémoration, d'intercessions. Cet argent est béni, parce qu'il est justifié. Mais le tien, je ne peux pas le justifier.

- Au moins, lui répondit le gouverneur, laisse-moi te donner moi aussi des noms à commémorer et un peu d'argent pour réparer la grande citerne qui fuit.

- C'est entendu."

Le gouverneur laissa une enveloppe close contenant des noms et de l'argent et partit. Lorsque l'Ancien l'ouvrit, il vit avec stupeur cent mille drachmes. Il va de soi que, à cette époque, c'était une somme très importante. Dès qu'il la vit, l'Ancien fut incapable de dormir ou de prier.

Il courut chez l'adminsitrateur civil et le pria de la reprendre. Celui-ci fut inflexible : l'argent avait déjà été inscrit sur les registres. Mais comme le gouverneur avait compris que l'Ancien était très contrarié, la seule alternative était de lui proposer de donner cette somme à quelqu'un d'autre de son choix. Cet épisode fut en outre l'occasion pour l'administrateur d'accroître sa vénération pour l'Ancien.

Un jour, le gouverneur confia à l'Ancien un problème personnel qui le préoccupait et le tourmentait : " J'avais, lui dit-il, un frère bien-aimé, lequel fut tué sur le front pendant la guerre de quarante. Depuis tant d'années, je n'ai pas été jugé digne de le voir pendant mon sommeil, ne serait-ce qu'une fois, pour me consoler."

L'Ancien lui répondit : " Ne sois pas triste, mon enfant. je vais lui consacrer ce soir une liturgie et j'ai bon espoir que le Dieu Très Bon te le fera voir pour te consoler."

De fait, la nuit même Dieu lui montra son frère pendant son sommeil. Il lui donna l'accolade avec beaucoup de joie, lui annonça qu'il était dans un endroit très beau, et bien sûr il le remercia pour la Liturgie. Débordant de joie, dès le lendemain, le gouverneur descendit à Bourazéri pour l'annoncer à son père spirituel.

Après cet événement, le gouverneur ne savait pas comment remercier son bienfaiteur. Finalement, il trouva la meilleure solution. Un proverbe populaire dit que "beaucoup ont méprisé la richesse, mais personne la gloire". Mais malgré tout, dans la circonstance présente, cela n'était pas valable pour le Père Charalampos.

Un jour, le gouverneur arriva en grande hâte et dit sur un ton décidé à l'Ancien qu'il avait l'honneur de lui annoncer quelque chose d'agréable.

" Je t'écoute, mon fils, lui dit-il.

- Je me suis arrangé pour que tu sois ordonné évêque."

L'Ancien sursauta. " Mais vous parlez sérieusement, monsieur le gouverneur?

- Oui, très sérieusement.

- Ne mentionnez jamais une telle chose.

- Mais pourquoi, Géronda?

- Mais est-ce que tu vas bien? Tu me vois évêque?"

La discussion se poursuivit, chacun maintenant sa position. Pour finir, l'Ancien lui dit pour se débarrasser de lui :

"Ecoute, Monsieur le Gouverneur : je suis de la Sainte Montagne et je n'en sors pas, quel évêque puis-je faire?

- Ici, Géronda, sur la Sainte Montagne. Nous nous arrangerons avec le Patriarcat pour que tu deviennes évêque (titulaire) de la Sainte Montagne.

- Monsieur le Gouverneur, je t'en prie, oublie tout cela. Le poids que je porte sur mes épaules me suffit. Tu vois ces moines? Je les ai pris en charge et j'ai promis à Dieu de m'occuper de leur progrès spirituel, pour leur salut. Je les suis de près. Sont-ils à l'obéissance? Disent-ils la prière? Prient-ils? Veillent-ils? Dieu m'a confié ce petit troupeau. J'en suis responsable devant lui. Je ne puis soulever un poids plus lourd. Laisse les affaires épiscopales à d'autres qui en sont dignes."

Après tout cela, et bien qu'il eût reçu tout pouvoir de la Junte, le gouverneur respecta malgré tout le refus formel de l'Ancien. Cependant il éprouva depuis lors encore plus de respect pour lui.

J'ai rapporté ce qui précède selon ce que notre Ancien me confia, et conformément au témoignage de cet ancien administrateur, qui est encore en vie, comme j'en ai été informé. C'est un témoignage de plus sur l'humilité de l'Ancien, qui ne doit pas rester dans l'ombre, mais dont nous avons bien besoin à notre époque.



A l'école ecclésiastique de l'Athos.

De l'automne 1967 à l'automne 1979, comme nous l'avons déjà dit, notre communauté demeura dans le grand kellion de Chilandar Saint-Nicolas, surnommé Bourazéri. De là la renommée de l'Ancien ne cessa de s'étendre, y compris jusqu'à la fameuse Académie ecclésiastique de l'Athos située dans les environs de Karyès. En raison de l'accession du brillant recteur de l'Académie, Nathanaël, évêque de Milet, à la dignité de métropolite de Cos, la direction passa à un autre moine de Lavra remarquable, le hiéromoine Chrysostome, qui fut élevé par la suite à la dignité d'évêque de Rodostolos.

La conjonction de cette brillante direction de l'Ecole durant cette période, avec la libre direction spirituelle du Père Charalampos d'heureuse mémoire, permit à l'Athoniade d'atteindre un haut niveau spirituel.

Quotidiennement, de nombreux élèves, mais aussi des professeurs affluaient vers notre kellion qui était proche, non seulement pour se confesser, mais aussi pour acquérir une connaissance approfondie de la science de la prière mentale. Un autre facteur intervint, selon une disposition de l'économie divine, qui allait dans le même sens : un professeur de l'Académie d'une très grande piété fut captivé par les paroles de l'Ancien. Il se rattacha à notre communauté et y séjourna, peu avant notre départ de Néa-Skiti. Il s'agit de l'excellent moine Arsène. Ce frère regretté, bien qu'il eût été ingénieur agronome de profession, ne tarda pas à être initié aux profondeurs de la prière mentale. Après avoir accordé cinq à dix minutes à l'enseignement de l'agronomie, il consacrait le reste du temps non seulement à l'enseignement de la prière mentale, mais aussi à celui de la communion fréquente.

Ce professeur exceptionnel, tel un autre Aaron, transmettait la voix de Moïse, c'est-à-dire celle de l'Ancien, aux élèves. Souvent, il remettait au cours suivant sa réponse aux doutes et aux questions des élèves, pour avoir le temps de prendre dd'abord conseil de son maître. De cette façon, il entretenait un contact quotidien entre les étudiants et l'Ancien, car, bien enetendu, il n'était pas possible aux élèves de s'absenter quotidiennement de l'Ecole.

Outre sa contribution spirituelle, l'Ancien secourait avec largesse les élèves nécessiteux. Ce qui fait que, jusqu'à aujourd'hui, beaucoup de jeunes qui ont terminé leur scolarité et qui nous rendent visite le reconnaissent avec gratitude.

L'Eglise, à tous les niveaux, est aujourd'hui enrichie par tous les anciens de l'Athoniade, professeurs ou élèves, qui furent aussi les enfants spirituels de l'Ancien. Pas mal de jeunes parmi eux ont embrassé la vie monastique, que ce soit à l'Athos ou à l'extérieur. IL y avait parmi eux un nombre respectable de hiéromoines et d'évêques qui, par leur vie irréprochable et leur enseignement, sont l'ornement de l'Eglise, mais aussi beaucoup de clerces mariés, un nombre respectable d'enseignants de théologie, de prédicateurs et en général d'excellents citoyens qui, de par le monde, constituent la parure de l'église.

Ayant été éduqués "aux pieds (4)" d'un grand maître, ils ont absorbé, comme une bonne terre, son enseignement, et ils transmettent aux autres le "talent qui leur a été confié (5)".

(4) : (Ac 22, 3).

(5) : ( Mt 25, 14-30).

Ces nouveaux maîtres se révèlent et se font connaître à leur tour, afin que d'autres reçoivent d'eux ce talent. C'est ainsi que cette oeuvre se transmet de génération en génération.

Les saints s'en vont, les maîtres s'en vont, mais leur témoignage demeure vivace, leur oeuvre demeure, comme le dit le grand Apôtre : "C'est vous qui, dans le Seigneur, êtes le sceau de mon apostolat."



Encore un événement extraordinaire.

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, avant d'accepter quelqu'un commemembre de la communauté, l'Ancien ne manquait pas de prier, et, ensuite, après avoir consulté l'Ancien Arsène, il donnait sa réponse.

Un jour, un jeune père spirituel nous rendit visite. Il nous signala qu'il avait plusieurs jeunes qui désiraient devenir moines sous sa direction. Ayant été satisfait de notre communauté et de son programme quotidien, il exprima le désir de nous envoyer ses enfants spirituels pour qu'ils deviennent moines. De fait, peu après, le père spirituel et cinq ou six jeunes qui l'accompagnaient arrivèrent. Après qu'il eut été accueilli pour une nuit, le père spirituel fit savoir à l'Ancien qu'il avait l'intention d'embrasser la vie cénobitique chez nous en compagnie de ses enfnats spirituels. L'Ancien lui répondit qu'il allait prier et lui faire connaître sa réponse. Nous, de notre côté, nous étions encore jeunes à l'époque, pleins d'enthousiasme et d'ambition, et nous nous faisions une fête de ce surcroît de cinq ou six membres dans notre communauté, avec, d eplus, un père confesseur. Mais, de façon surprenante, le lendemain, l'Ancien me fit appeler, et sur un ton assez agité me dit :

" Qu'ils s'en aillent! Qu'ils partent tous immédiatement!

- Mais pourquoi, Géronda?

- Pourquoi? Moi, je sais par quoi je suis passé la nuit dernière. je priais à l'intention d'être éclairé, lorsque, soudain, un léger sommeil m'envahit. Que vis-je? Bourazéri était plein de serpents venimeux, qui menaçaient de nous mordre. Sache que nous éviterons ainsi une grande épreuve. Qu'ils partent vite, pour que nous en soyons débarrassés."

Sans, bien sûr, leur donner de détails, l'Ancien les renvoya poliment. Malgré leur insistance à vouloir rester, au bout du compte ils sont partis ailleurs, où ils furent la cause d egraves problèmes, au point que non seulement la Sainte Communauté, mais aussi l'Exarchat patriarcal durent intervenir.

a cause de ce qui vient d'être dit, mais aussi de beaucoup de cas semblables, n'ayez pas l'impression que notre Ancien était infaillible. Seul Dieu est infaillible, alors que les hommes, et même les saints, commettent des erreurs. Je peux même ajouter que, étant donné que l'Ancien était un homme droit, simple et sans malice, certains l'ont souvent habilement entraîné à prendre des positions fausses, en sorte que, dans le cours de sa vie, il commit des erreurs. Cependant il ne le fit jamais par animosité ou par mauvaise disposition à l'égard de quelqu'un.

Mais, en tant que témoin oculaire, je peux certifier que, très souvent, quand on lui demandait d eprier au sujet d'un problème, il ne tardait pas à donner la réponse appropriée.



Avec la prière de feu.

Un frère, qui était stupéfait de la précision d ela réponse qu'il avait donnée à son problème, lui demanda :

" Mais comment, Géronda, pouvez-vous recevoir une certitude intérieure aussi précise?

- Ce n'est pas donné à tout le monde. Il est difficile de discerner si la réponse vient de Dieu. Mais, avec la flamme ardente de la prière, le moine peut se tenir devant Dieu comme Moïse et dialoguer avec son Créateur. C'est pourquoi vous devez vous efforcer de faire tout ce que vous pouvez pour acquérir cette flamme.

Un autre frère dit à l'Ancien que lorsqu'il priait au sujet d'un problème quelconque, il demandait au Seigneur et recevait une certitude intérieure. Bien que le frère en question eût été un véritable combattant, l'Ancien lui fit cependant la réponse suivante :

"As-tu encore des passions?

- Oui, Géronda, j'en ai.

- Par conséquent, tant que dans ton for intérieur règneront les passions, la semence sera pêle-mêle. Là où tu crois avoir planté du bon grain, soudain c'est de l'ivraie qui s'épanouit. Je te conseille de prier le Seigneur, mais tu n'es pas encore prêt à avoir des certitudes intérieures."

L'Ancien avait compris qu'il était trompé par une passion de la droite, c'est-à-dire par l'orgueil. En plus, il quitta l'Ancien, non pas convaincu, mais obstiné dans ses convictions.

A plusieurs reprises, ce même moine avait demandé dans la prière une certitude intérieure touchant diverses questions et il disait avoir reçu une réponse. Un jour, cependant, il promit à quelqu'un de lui donner la réponse dont il avait besoin pour une question très grave. Ayant beaucoup prié, il lui dit qu'il avait reçu une certitude intérieure de la part de Dieu et que telle était Sa volonté... L'autre repartit tout joyeux et plein d'enthousiasme, pour revenir quelques jours plus tard contrarié et exaspéré en annonçant qu'il avait obtenu le résultat exactement contraire à celui escompté avec les conséquences défavorables qui allaient de pair. Le frère fut humilié par cet événement qu'il confessa à l'Ancien, en lui assurant qu'il ne chercherait plus à avoir des certitudes intérieures dans la prière.



La présence sensible de la Grâce

se reflète sur les enfants spirituels de l'Ancien.

Afin d'aiguillonner le zèle divin de ses enfants, il leur faisait connaître certaines expériences spirituelles. Mais pour nous, qui n'étions pas initiés, notre perplexité ne faisait qu'augmenter. L'Ancien s'en aperçut et il essaya en même temps que sa parole de nous transmettre ne serait-ce qu'une partie de sa richesse intérieure.

Un novice qui était accablé par des pensées d'incertitude, peut-être même de doute, était assis une nuit dans une stalle de l'église, et il disait la prière à haute voix. " A un certain moment, raconta-t-il, j'ai ressenti que mon coeur se réchauffait comme sous l'effet d'une chaleur. Mon esprit s'adoucit au point qu'il s'unit à mon coeur. Je n epourrais décrire ce que je ressentis. Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai eu la sensation que le Paradis était dans mon coeur. Cela dura deux ou trois minutes. Dès que je suis revenu à mon état normal, je tournai mon regard sur le côté. Là, que vis-je? L'Ancien dans la stalle d'à-côté tenant son chapelet de trois cents grains à la main. Il n'y avait pas de doute, il voulait me transmettre un peu de ses expériences pour que je puisse, ne serait-ce qu'obscurément, en partager la compréhension, quand il m'expliquait les expériences spirituelles que lui-même vivait. Jusqu'alors, c'était comme s'il me parlait une langue étrangère."

Le Hiéromoine P. raconte ce fait étonnant et amusant : quand il était novice à Bourazéri, l'Ancien le recevait dans sa cellule pour qu'il se confesse et reçoive des conseils spirituels aux alentours de minuit, un peu avant l'office communautaire à l'église. Lorsqu'il entra pour la première fois dans la petite cellule de l'Ancien, il sentit s'exhaler un parfum suave. Il regarda à droite et à gauche pour voir s'il y avait un encensoir, mais rien. Cela se répéta le deuxième soir. Le troisième, il n'y tint plus et demanda à l'Ancien où était l'encensoir.

" Qu'est-ce que tu veux que j'encense à cette heure, mon enfant? lui répondit-il.

- Mais, Géronda, d'où vient cette senteur? Mon odorat en est enivré.

- Applique-toi à progresser un peu, et tu verras comment le parfum du Saint-Esprit s'exhale de toi!"

Le novice comprit à peu près d'où venait le parfum; mais il se posait une autre question. Le parfum était tantôt plus fort, tantôt plus faible. De lui-même, il en vint à la conclusion que l'intensité du parfum dépendait de la ferveur et de l'intensité de la prière. Avec la simplicité et la naïveté habituelles des novices, il disait à l'Ancien à propos de la perception de ce parfum : " Ce soir, Géronda, ta prière a été très fervente". Et l'Ancien répondait sur un ton amusé pour le taquiner : " Comment t'en es-tu aperçu, toi, l'égaré?"

Une autre fois, en revanche, il lui disait : " Ce soir, Géronda, la prière a été plus faible." Et l'Ancien de répondre : " Toi, l'égaré, comment le sais-tu?"

Ce parfum, je ne sais pas si tous ses enfants le perçurent. Mais beaucoup d'entre eux, pour le moins. Il était le reflet de la pureté du coeur, qui embaumait, de par le souvenir ininterrompu du très doux Nom de notre Christ.

Mais, souvent, lorsqu'on lui parlait de parfum, l'Ancien mettait son interlocuteur en garde, car nombreux sont ceux qui ont été égarés par des parfums artificiels suscités par le Diable imposteur.



L'ascète dans l'illusion.

Mais pour mieux comprendre avec quelle ruse le diable, selon l'Ecriture, se transforme en ange de lumière, je rapporterai ce qui suit. Quand nous séjournions à Bourazéri, un ascète du voisinage vint nous rendre visite. Comme il avait trouvé beaucoup de repos pour son âme, selon ce qu'il disait, avec le programme de notre kellion, il se confessa à l'Ancien. Par la suite il introduisit le même programme de veille dans son kellion. A l'heure de la Divine Liturgie, c'est-à-dire vers minuit, il arrivait avec sa petite lanterne et participait quotidiennement à la Divine Liturgie.

A peine quelques jours plus tard, cet ermite était déjà en désaccord avec l'Ancien. Il se fâcha et partit. Alors qu'il sortait de la petite cellule de l'Ancien, il se trouva que j'étais dehors. La seule chose que j'entendis, ce fut le monologue de cet ermite : " C'est inouï! Il appelle Diable le Christ!" Je fus étonné par de telles paroles, mais je ne pouvais intervenir dans des questions relatives à la confession. Après qu'il eut rompu toute relation avec nous, je le rencontrai un jour avec son petit âne sur le chemin de Karyès. Après des salutations chaleureuses, je lui demandai pourquoi il tardait à revenir à Bourazéri. Il trouva là l'occasion de me l'expliquer :

" Moi, Père, j'avais trouvé du repos avec vous. Je suis un ermite de la skite de Saint-Basile (6).

(6) : ( Cette skite de Saint-Basile est l'endroit habité le plus élevé en altitude, au sud de la Sainte-Montagne, sur les pentes de l'Athos).

J'ai même connu votre grand-père spirituel, l'Ancien Joseph. J'ai mené de rudes combats dans les montagnes et dans les grottes du désert. Cela a plu au Christ. C'est pourquoi je l'ai vu à plusieurs reprises clairement, vivant. Tu te rends compte? Je l'ai dit à ton Ancien, et que m'a-t-il répondu? : " Ne crois pas en de telles choses. Cela relève de l'illusion." J'insistais, il insistait. Au bout du compte, je lui ai dit :" Je ne suis pas de cet avis et je m'en vais. Mais quand les prophéties que le Christ m'a dites s'accompliront, alors tu comprendras qui est le Père G. et lequel de nous deux est dans l'illusion!""

Et de reprendre son monologue : " C'est inouï! Dire que le Christ, c'est le Diable!" Je pris courage et je lui demandai de me dire ce que le Christ lui avait dit.

" Ce que le Christ a dit! Maintenant tu vois le Père G. avec son baudet et tu te dis qu'il n'est rien du tout. Mais demain, toi aussi tu te frotteras les yeux et tu te diras : " Mais est-ce bien lui?"

- C'est-à-dire, Géronda?

- La première chose que tu verras rapidement, c'est que, d'ici peu, l'on m'appellera pour être l'higoumène du monastère de Grigoriou. Cela fait des années que j'attends cela. Mais voilà, tu sais que l'higoumène a démissionné. Quand j'excellerai dans l'exercice de cette charge, c'est alors que tu seras dans l'admiration. Mais cela n'arrivera qu'à la mort du Patriarche. Quand tu entendras sonner solennellement les cloches de l'église du Protaton (7), sache qu'alors on viendra me chercher pour devenir le patriarche de Constantinople."

(7) : ( Eglise principale de Karyès (X° s.), capitale de la Sainte Montagne, qui se trouve en face du bâtiment de la Sainte Communauté où siège le Protos de la Sainte Montagne avec les représentants de tous les monastères. C'est dans l'église du Protaton que se trouve l'icône miraculeuse Axion estin).

Je ne rapporte là qu'une petite partie, l'essentiel, de tout ce que le "Christ" avait prétendûment révélé à l'ascète en question, pour montrer à quel point l'esprit du mal a la capacité de transformer les ténèbres en lumière.

Ce petit vieux, qui était non seulement un brave homme par ailleurs, mais aussi un véritable combattant dans l'accomplissement de ses devoirs monastiques, demeura dans cette illusion jusqu'à un âge avancé. Le monastère de Grégoriou s'occupa de lui dans sa vieillesse. Il attendait encore que fût renouvelée, "comme celle de l'aigle, sa jeunesse (8)", dans l'accomplissement des prédictions et des promesses qui le concernaient!

(8) : ( Ps 102, 5).

Malgré tout, alors que le monastère de Grégoriou prenait soin de lui, j'ai été informé pour ma plus grande joie que, peu avant son décès, il était revenu sur tout ce dont il avait été persuadé, et avait annoncé sa mort en disant qu'il fallait oublier tout ce qu'il avait dit et qu'il partirait d'ici peu pour l'autre monde.

A propos de cet Ancien, je dois reconnaître que, depuis que j'avais fait sa connaissance, j'étais dans le désarroi à l'idée que le Malin pourrait se jouer de lui, en le faisant se précipiter du haut de quelque falaise, comme cela s'est souvent produit pour beaucoup d'autres. De fait, je me souviens de quatre cas de ce genre, qui se produisirent de mon vivant.

Après sa sainte mort et la fin de mon désarroi, l'un de ses compagnons d'ascèse m'ôta mon incertitude en me disant que ce petit vieux avait passé la première partie de sa vie dans l'obéissance. Après la dormition de son Ancien, il avait désiré mener des combats spirituels plus élevés. Il s'en était allé au désert et avait accompli rigoureusement ses devoirs monastiques en communiant fréquemment. Tout cela l'avait préservé, parce qu'il avait des fondements solides et que le tentateur n'avait pas eu le pouvoir de le tuer, bien qu'il l'eût égaré et qu'il se fût moqué de lui toute sa vie durant.

Je ne sais pas si en racontant tout cela je m'écarte de mon sujet, mais j'estime que ce sont là des exemples que nous, les jeunes, nous devons connaître, pour ne pas trop compter sur nos propres forces. Cela ne s'applique pas tellement à nous les indolents et les paresseux, parce que précisément cette indolence nous préserve des passions les plus basses. mais cela s'applique surtout aux combattants : à peine sont-ils arrivés à accomplir le moindre progrès spirituel que l'ennemi, qui se tient à leur côté, les incite aussitôt à la suffisance et à la présomption, et donc à l'iillusion spirituelle, en les persuadant qu'ils sont désormais en mesure de recevoir des visions et des révélations du Seigneur.

Notre Ancien avait rencontré durant son existence un certain nombre de cas semblables à celui du moine en question. Il avait constaté que cela se produisait en règle générale avec des moines insoumis, qu'il appelait aussi des rebelles. Pour lui, cela constitua une raison sérieuse pour laquelle il cessa de recevoir à la confession des moines qui n'étaient pas à l'obéissance.

Il y a encore une autre catégorie de personnes qui sont le jouet des chimères et des illusions de ce genre. Ce sont ceux qui ne se confessent pas du tout, ou ne révèlent pas leurs pensées de façon précise. L'Ancien avait l'habitude de souligner qu'un moine qui se fie à ses pensées est dans l'illusion. Il nous rappelait même parfois les tribulations de son frère dans l'ascèse, le moine Jean, auquel Satan apparut comme un ange de lumière. Après l'avoir convaincu de ne pas se confesser à son Ancien, il forma le dessein de le jeter dna sun précipice pour le tuer. Heureusement nous dit-il, mon Ancien ( l'Ancien Joseph), en fut instruit et arriva juste à temps pour le sauver.



Une conférence sur la Sainte Montagne.

Développement des saints monastères.

A l'époque où nous séjournions au grand kellion de Bourazéri, dépendance du monastère de Chilandar, il y avait encore une pénurie relative de moines dans les grands monastères de la Sainte Montagne.

En 1964, peu avant mon départ pour la Sainte Montagne, j'avais suivi une conférence du jeune assistant du professeur de théologie de l'Université d'Athènes, M. Mouratidis, dans la salle de conférence des " Trois Hiérarques" qui se trouve 4 rue Ménandre.

L'assistant en question s'appelait Géorges Kapsanis. Le sujet de la conférence était : " La Sainte Montagne, aujourd'hui et demain." Dans cette conférence, après avoir décrit en détail les monastères athonites, il donna un sombre tableau de l'absence de jeunes, nous exprimant en même temps sa préoccupation sincère et douloureuse quant à l'avenir de la Sainte Montagne dans les prochaines années.

Son amour sincère et son anxiété pour l'avenir de la Sainte Montagne, ont été apparemment pris en considération par la Souveraine de la Sainte Montagne, qui l'a précisément choisi pour être un des piliers du développement postérieur des saints monastères.

Il est aujourd'hui l'archimandrite Georges, higoumène du saint monastère de Grégoriou. Après avoir été appelé à la dignité du sacerdoce, répondant à un appel de Dieu, il abandonna sa chaire universitaire pour revivifier, avec la petite communauté de ses premiers novices, le monastère de Grégoriou.





V

HIGOUMENE

AU SAINT MONASTERE DE DIONYSIOU



Transfert au monastère de Dionysiou.

Alors que pour l'Ancien cette décision était définitive, ce n'était cependant pas le cas pour les autres; C'est en vain que l'Ancien rejetait toutes les propositions les unes après les autres.

Finalement, il fut obligé d'acquiescer aux inviatations de ses enfants spirituels du monastère de Dionysiou, avec l'assurance que les deux troupeaux se modifieraient pour ne devenir "qu'un seul troupeau ayant un seul pasteur (1)". De plus, des sollicitations et des incitations intérieures à notre communauté contribuèrent grandement à la réalisation de ce projet. Beaucoup de ses membres en effet avaient été appâtés comme des poissons dès le premier contact avec le monastère de Dionysiou.

Après de multiples sollicitations venues de partout, l'Ancien fut à nouveau contraint de céder selon l'adage populaire : " Vox populi, vox dei". En s'exclamant pareillement " que la volonté du Seigneur soit faite", il condescendit aux exhortations de ses enfants.

En septembre 1979, notre fraternité se transféra définitivement dans l'illustre monastère de Dionysiou. En outre, l'Ancien révéla à mon humble personne que, peu avant notre transfert, le Seigneur lui était apparu dans une vision pour lui révéler comment les choses allaient se passer après son accession à la charge d'higoumène. Avec notre transfert, je reconnais que tous les pères, depuis le chenu Ancien Gabriel d'éternelle mémoire, les membres du conseil des Anciens du monastère, et tous les moines, en général, témoignèrent un respect approprié à la personne du nouvel higoumène.

Bien sûr, dans une communauté d'environ quarante personnes, les faiblesses humaines ne sont pas absentes. mais l'intervention de l'Ancien, avec son indispensable autorité et le respect de tous, apporta l'équilibre pour la marche générale et pour le fonctionnement paisible du monastère.



Programme.

Avant de nous installer au monastère, parmi d'autres choses, l'Ancien exigea que le programme hésychaste de notre kellion y fût instauré et ratifié. Les diférents négociateurs, membres du Conseil ou non, assurèrent à l'Ancien qu'il était acceptable en tout quelles que soient les clauses proposées.

Mais quand nous avons été confrontés à la réalité, nous avons constaté la réaction légitime des pères les plus anciens. Ces derniers invoquèrent l'argument, qui était justifié, selon lequel le typikon du monastère de Dionysiou, dont celui-ci est fier, constitue une référence importante, dont s'inspirent les saints monastères, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Sainte Montagne. Comment donc ce typikon pourrait-il être transgressé par les moines même de Dionysiou?

Sur ce point, l'Ancien fit preuve de compréhension et il fut contraint de faire des concessions. Comme solution alternative, il permit à certains frères qui chérissaient l'hésychia, de demeurer dans leurs cellules une ou deux heures de plus pendant les nombreuses heures de l'office nocturne. Plus tard, il se rendit compte que même cela n'était pas possible dans une fraternité cénobitique, et il le supprima.

Si cependant l'Ancien ne parvint pas à modifier l'ordre du typikon, il réussit malgré tout à imposer la communion fréquente.

La plupart des anciens pères du monastère s'adaptèrent immédiatement à la nouvelle discipline. Il y eut aussi un petit nombre de réactions, mais qui ne posèrent pas de problème. Nous en parlerons plus en détail dans un chapitre à part.



Les Divines Liturgies quotidiennes.

Comme je l'ai dit auparavant, depuis qu'il avait été ordonné prêtre, l'Ancien célébrait quotidiennement la Divine Liturgie ( plutôt la nuit), en faisant mémoire d'une multitude de noms. Lorsqu'à Bourazéri nous avons eu un deuxième célébrant, le Père Pantéléimon, l'Ancien continua à célébrer ses Liturgies quotidiennes avec deux ou trois frères dans la chapelle de la Sainte Protection de la Mère de Dieu. Les dimanches et les fêtes, il concélébrait toujours. Après qu'il eut assumé la charge d'higoumène, cette habitude se poursuivit. Vers la fin de l'office des Matines, il se rendait dans une chapelle de notre monastère pour y célébrer la Divine Liturgie à la façon d'un hésychaste.

L'Ancien Gabriel, en tant qu'higoumène puis higoumène émérite avait l'habitude d'assister à la Divine Liturgie quotidienne qui était célébrée par le prêtre de semaine, dans la chapelle de l'icône de la Mère de Dieu de l'Acathiste. Voyant cependant que l'higoumène était systématiquement absent de la Liturgie, il se demanda pourquoi le nouvel higoumène n'y participait pas. Quand il apprit qu'il célébrait quotidiennement dans la chapelle, il fut alors dans l'admiration en se disant que c'était là un fait sans précédent : un higoumène qui célébrait la Liturgie quotidiennement! En outre, dès qu'ils se rencontrèrent, l'Ancien chenu se hâta d'embrasser la main de l'higoumène. Celui-ci, par respect, la retira. Mais l'autre de la reprendre en disant ! " Celui qui nous bénit et nous sanctifie... Saint higoumène, mes félicitations, aujourd'hui j'ai appris que tu célèbres quotidiennement la Liturgie. C'est un objet de fierté pour notre monastère!"



L'activité générale de l'Ancien

au saint monastère de Dionysiou.

Quant à l'activité de l'Ancien dans le saint monastère de Dionysiou, je pense qu'elle doit être divisée en trois périodes : 1) depuis son accession à la charge d'higoumène jusqu'à ce que sa santé soit ébranlée (1979 - 1986/ 87); 2) depuis le début de ses problèmes de santé, jusqu'à sa démission de sa charge d'higoumène (1989); 3) depuis sa démission, jusqu'à sa sainte dormition ( le 1er janvier 2001).

L'Ancien, comme je l'ai dit, associait en lui la puissante flamme de la prière avec une nature robuste. Le Père Ephrem de Katounakia avait l'habitude de l'appeler "bulldozer". Bien que, lorsque nous nous sommes établis au monastère de Dionysiou, il eût déjà atteint l'âge de soixante-dix ans, il se donnait entièrement à sa tâche et combattait encore plus rapidement qu'auparavant. Il avait bien compris que, bon gré, mal gré, il était impliqué dans de nombreuses responsabilités. Les dernières paroles de son Ancien - "Retranche tout souci!" - ne cessaient cependant de retentir à ses oreilles. Mais désormais, en raison de la charge d'higoumène qu'il occupait, le souci était inévitable, car il avait conscience de sa responsabilité. La seule chose qui le consolait et lui donnait du courage, c'était qu'au moins il avait condescendu aux exhortations et aux prières de ses enfants spirituels, aussi bien à ceux de Bourazéri qu'à ceux des vieux moines de Dionysiou. Dans la mesure où le Père Arsène, qui était encore en vie, partageait lui aussi cet avis au sujet de notre transfert au saint monastère de Dionysiou, l'Ancien considérait qu'il se trouvait dans la sécurité que donne l'obéissance.

De ce fait, pendant la journée, il s'occupait de divers problèmes administratifs, mais aussi de la confession. La nuit venue, selon le typikon, les frères se retiraient pour se reposer et pour se lever deux heures avant l'office, afin d'effectuer le canon personnel de prières qu leur avait été fixé. Mais l'higoumène, tout de suite après les complies, était obligé d'une part d'achever toutes les tâches administratives qui restaient à accomplir, et d'autre part de confesser tous ceux qui l'attendaient, que ce soit des pèlerins ou des moines venus de différents monastères.

La plupart du temps, il restait éveillé toute la nuit. Il confessait jusqu'à l'office du matin. Pui sil se rendait à l'office, et ensuite célébrait la Liturgie : mais, avant qu'il puisse se retirer dans sa cellule, il y avait toujours quelqu'un qui voulait se confesser, quelqu'un d'autre qui souhaitait demander un conseil, etc..., et à nouveau, il se retrouvait occupé pour un bout de temps. A peine allait-il fermer un peu les yeux que le réfectoire frappait à la porte : " Géronda, c'est l'heure du repas, ouvre un peu que je fasse une métanie."

J'esquisse à grands traits comment vécut l'Ancien d'éternelle mémoire, pendant les six ou sept premières années, tout en ajoutant qu'en même temps il ne manquait jamais d'accomplir ses devoirs spirituels personnels dans le bref intervalle de temps qui lui restait.

Mais ce qui a littéralement blessé l'Ancien, c'était le fait que, par nécessité, son âme avait cessé de se nourrir de la longue prière nocturne solitaire quotidienne. En conséquence, il était inévitable que les lois du dépérissement agissent dans ce corps de fer. le Père Charalampos était peut-être un "bulldozer", mais même un bulldozer a des limites lorsqu'il reste sans entretien et sans repos.

C'est ainsi qu'aprèsun dur combat qui dura six ou sept ans, mêlé de diverses épreuves, comme c'est le cas habituellement lorsque l'on exerce une autorité, voilà qu'on observa les premiers signes d'une extrême fatigue psychosomatique. le comble fut un infarctus du myocarde, avec des conséquences imprévisibles.

Les médecins conseillèrent dans la mesure du possible d'éviter les soucis et de vivre dans la tranquillité. C'était comme s'ils répétaient l'ancienne mise en garde du Père Joseph : " Père Charalampos, retranche tout souci!"

Avec ce conseil médical, l'Ancien décida de réduire ses activités, tant administratives que spirituelles. Conjointement, germa en lui l'idée de démissionner de sa charge d'higoumène. Il y avait cependant un problème : pour la plupart des moines, et en particulier pour tous ceux qu'il avait tonsurés, il semblait impensable d'admettre sa démission. Alors que la plupart des moines partageaient ces idées, il y avait aussi une minorité qui pensait que le monastère avait besoin d'un jeune higoumène, avec une direction ferme. Après avoir procédé à une investigation et recueilli l'accord de l'higoumène lui-même, ils ne tradèrent pas à mettre la communauté devant le fait accompli (3).

(3) : ( Il me faut ici préciser, pour éviter tout malentendu, que le nouvel higoumène était tout-à-fait étrnager à cette affaire).

Dans ce qui précède je ne porte de jugement ni sur les uns, ni sur les autres. Que d'autres s'en chargent. Le fait est qu'effectivement l'Ancien fut remplacé.

Je dois dire qu'il n'a pas semblé recouvrer entièrement son état antérieur. mais il avait pris garde à deux questions importantes. Bien qu'il n'eût plus son pouvoir d'higoumène, il n'avait cependant pas abandonné sa fonction de père spirituel. C'est pour cette raison que jusqu'à son décès même, il fut l'âme et l'étai de la communauté. Non seulement par sa seule présence, mais aussi par ses prières et ses conseils, il réconforta tous ceux qui accouraient auprès de lui avec foi et piété.

Ils ne sont pas peu nombreux les miracles que nous avons vus quand nous lui demandions de prier pour nos diverses difficultés et pour les différents problèmes que nous confiaient beaucoup de gens du monde. L'un rapporte que lorsque l'Ancien rencontra son épouse à l'hôpital, après une petite prière et avoir fait le signe de croix sur son ventre, elle put concevoir pour la première fois après bien des années de stérilité. Un autre était atteint d'un cancer à l'estomac. On devait l'opérer, mais les chances de guérison étaient nulles. Après que l'Ancien eut tracé un signe de croix et dit une prière à son intention sur son chapelet, la guérison s'est produite sans intervention chirurgicale.

Quant à nous, ses enfants spirituels, aussi bien avant qu'après sa mort, sa prière nous fut d'un secours immédiat, à chaque fois que nous l'invoquions avec foi, quel que fût le besoin.

Une autre chose que j'ai constatée, c'est que, alors que l'Ancien était pa nature simple et innocent, à la fin de sa vie il arriva précisément à l'état dont le Seigneur nous parle dans l'Evangile : " Si vous ne redevenez pas des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des Cieux (4)."

(4) : ( Mt 18, 3-4).

Effectivement, il ressemblait alors à un enfant sans malice.



Dernières épreuves.

C'est ainsi que l'Ancien passa les dernires années de son existence. Après avoir démissionné de ses responsabilités administratives, il s'appliqua une fois de plus à mettre en pratique la recommandation de son Ancien de retrancher tout souci.

Cependant, bien que n'étant plus higoumène, il dut passer de nouveaux examens comme disciple. Dans une communauté de cinquante frères, il était inévitable qu'il se trouvât aussi quelques occasions d'épreuves. Ceux-ci, pour éprouver sa vertu et surtout son absence de rancune, le réprimandaient parfois en présence des autres Pères. Mais l'Ancien, doux et sans rancune, répondait en disant uniquement le " Bénissez!" que l'on connaît et en faisant une métanie devant celui qui soi-disant se plaignait ; rien de plus. C'est là, je peux le dire, qu'il a passé avec succès ses derniers examens.

Parfois, quand on en avait besoin, il assumait de son propre chef la charge de portier. Il ne se limitait pas à surveiller la porte, mais il balayait aussi la cour, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du monastère. que dire de la pêche, que beaucoup ont mal interprétée. Aller à la pêche faisait partie des recommandations des médecins aux cardiaques. L'Ancien, qui n'était plus dérangé par les tâches administratives, descendait très souvent sur la jetée pour pêcher. De plus, profitant de la navette entre les monastères, il envoyait du poisson frais à son frère spirituel, le Père Ephrem de Katounakia qui, de son côté, les accueillait avec une joie enfantine. Ignorant que c'était là un spectacle habituel, beaucoup de ceux qui le voyaient s'exclamaient stupéfaits : " C'est donc lui le Père Charalampos! D'higoumène, il est devenu pêcheur!" Malgré tout, quel que soit le commentaire que l'on fît, l'Ancien, paré d'une simplicité enfantine, ne lui accordait aucune importance.

Jusqu'à ce qu'il eût son infarctus, il célébrait quotdiennement la Liturgie. Et même après son attaque, il souhaitait continuer. Cependant il dut préférer "l'obéissance au sacrifice (5)."

(5) : ( 1 R 15, 22).

Il en informa l'Ancien Porphyre, qui avait le même genre de vie, en lui demandant ce qu'il lui conseillait de faire. Et ce sage Ancien lui répondit que puisqu'il avait pendant toute sa vie célébré quotidiennement la Liturgie, désormais il en laissait d'autres célébrer! Suivant ce conseil, il se limita à concélébrer lors des liturgies des dimanches et des fêtes. Cependant, il participait sans faute à la Divine Liturgie quotidienne, où il faisait mémoire selon son habitude d'une multitude de noms. De même, il participait aux repas en commun du monastère et mangeait tout ce qui étéit proposé aux moines, sans réclamer de régime particulier à cause de sa maladie et de son âge.

De temps en temps, il arrivait qu'on lui apportât quelque chose de spécial dans sa cellule. Bien que cela fût naturel pour tous les moines âgés, en particulier pour ceux qui avaient quatre -vingt-dix ans, on entendit malgré tout des commentaires négatifs de la part d'un frère plus jeune : " C'est lui que l'on disait mener une vie si ascétique!" On aurait peut-être pu lui répondre la chose suivante : si lui, qui avait vécu toute une vie d'ascèse particulièrement rigoureuse, bénéficiait maintenant de quelques aménagements en raison de son grand âge, nous qui dans notre jeunesse vivions en demandant des concessions et des assouplissements, que deviendrions-nous quand nous serions âgés?"

Il vaut la peine de mentionner que jusqu'à l'âge de soixante-dix ans à Bourazéri, pendant les trois jours de jeûne d ela semaine, il restait entièrement à jeun, tout en se livrant quotidiennement à un rude labeur, et en restant debout à prier la nuit pendant de longues heures.



A la dépendance de Monoxylitis.

Le sens paternel de l'Ancien ne se limitait pas à ses enfants spirituels résidant à l'intérieur du monastère, il s'étendait en outre à ceux qui se trouvaient à l'extérieur pour des raisons de service. C'est pour cela qu'après avoir démissionné de sa charge d'higoumène il se rendait au grand métochion de notre monastère, c'est-à-dire à Monoxylitis. Il y restait un ou deux mois pour réconforter les frères qui étaient de service là-bas, car, séparés comme ils l'étaient du monastère, en raison de leur obéissance et d eleur devoir, ils se sentaient comme en exil. La présence de l'Ancien transformait cet exil en Paradis.



Sa bienheureuse fin.

En décembre 2000, nous vivions le dernier mois du deuxième millénaire depuis la naissance du Christ. Avec la fin du deuxième millénaire, on prévoyait aussi la fin d'une sommité du monde athonite. Alors que l'Ancien achevait déjà sa quatre-vingt dixième année, il continuait à suivre fidèlement le typikon cénobitique de notre monastère ( église, réfectoire, veille canon de prière, etc...). Mais brusquement son état de santé s'aggrava sérieusement. A l'initiative de l'higoumène, on le transporta en toute hâte à Thessalonique. Dès que l'on eut constaté que la crise était passée, à l'approche de la période des fêtes de Noël et de l'Epiphanie, il revint "chez lui". Peu après, son état de santé se détériora dangereusement une fois de plus. Encore contre son gré, on le transporta une fois encore en hâte à l'hôpital militaire de Thessalonique. Cette fois, il sentait que sa fin approchait, mais il garda le silence, visiblement pour ne pas affliger ses enfants spirituels. Ce n'était pas la première fois qu'il sortait de l'Athos pour suive un traitement. Mais cette fois-là, il partit avec réticence en demandant qu'on le laisse plutôt mourir au monastère. Un autre signe de sa fin fut qu'il sortit quelques komboskinis (chapelets) et les donna en demandant qu'ils fussent distribués à quelques proches parents. Il prit en pleurant congé de tous ses enfants spirituels, depuis l'higoumène jusqu'aux novices. Celui qui prenait soin de lui dans ses dernières années avec beaucoup d'attention était l'un des meilleurs moines du monastère, le moine Gabriel. Malheureusement, en raison du grand nombre de ses tâches monastiques, surtout en tant que membre du Conseil des Anciens, il ne put pas l'accompagner.

Notre saint higoumène désignaa cependant deux autres frères de qualité : le Père Callinique, infirmier du monastère, ainsi que le Père Nicolas. Ces deux frères restèrent, tels des protecteurs vigilants, aux côtés de l'Ancien jusqu'à sa bienheureuse dormition. Ce fut aussi le cas de ses proches parents venus de Drama, en particulier de son frère Cosmas, et des enfants de son frère Damien, récemment décédé, Léonidas et Chralampos, ainsi que de beaucoup de ses fils spirituels qui l'accompagnèrent jusqu'à la fin. En outre, son frère Cosmas rapporte que, de façon laconique, mais très clairement, l'Ancien lui avait prédit son départ :

"Aide-moi, frère, car je suis pressé, je dois partir. Nous avons une liturgie à célébrer.

- Où t'en vas-tu?

- Là-haut", lui répondit-il en lui montrant le ciel.

Mais il cacha son départ aux autres. De plus, le dernier jour - c'était le premier janvier 2001 -, il était en pleine forme. Il mangea normalement. Il reçut tout le monde. Il donna des conseils avec beaucoup de clarté et de lumière.

Il se joua même des médecins. Leur dernier diagnostic fut de dire : " Heureusement, la crise est passée!" Par tout son comportement, il semblait qu'il était le spectateur silencieux de visions célestes. Peut-être le frère de notre monastère, le Père Nicolas, en dira-t-il davantage plus tard, en tant que témoin oculaire de cette bienheureuse fin.

Je vais maintenant rapporter, ainsi qu'il me l'a raconté, ce que m'a rapporté un autre témoin oculaire, le Père George, qui fait partie du premier petit groupe de cinq disciples de la communauté de Néa-Skiti. En partant pour Bourazéri avec les autres frères, l'Ancien avait laissé le frère en question comme successeur de la calyve du Saint-Précurseur (1967).

Par une disposition de l'économie divine, il fut hospitalisé dans la même salle que lui. C'est ainsi qu'il lui fut donné de vivre auprès de l'Ancien ses dernières heures et d'assister à sa bienheureuse fin. Il raconta ceci : " Alors que tard dans la nuit du premier janvier 2001, j'étais assis dans mon lit, l'Ancien était en paix. Mais, à un moment donné, quelque chose attira mon attention : je vis qu'il était absorbé et qu'il se concentrait sur quelque chose. Par la suite, sans savoir cequ'il voyait précisément, je vis qu'il tressaillait de joie. Il se leva de son lit et ouvrit les bras comme s'il voumait embrasser quelqu'un. C'est à cet instant précis que, dans un cri de joie, il rendit son âme à Dieu. En outre, ce qui est remarquable, c'est que sur son visage demeura cette douce expression pleine de vie, et ce, jusqu'à ce qu'on l'enterre. Les médecins, voyant cette expression, ne pouvaient pas croire qu'il était mort. C'est pourquoi ils tentèrent de le réanimer. Mais cce fut en vain... Son âme n'était plus là."

Vu la sérénité et la douceur de son visage, il était manifeste que la Grâce divine l'accompagnait. Bien entendu, pour nous le deuil était immense. Cependant une étrange "joyeuse tristesse" envahit tous ses enfants devenus orphelins. Ce sentiment était mêlé à l'impression que sa présence parmi nous était forte et vivante.



Transport de sa dépouille

à l'église Saint-Nectaire de Thessalonique.

Après que son décès eut été officiellement constaté, il ne resta plus qu'à remettre le trésor de sa dépouille aux ayant droits. Mais dans cette grande ville de Thessalonique, on ne conçoit pas de livrer le trésor sans que la somme correspondante ait été payée au préalable. Alors que l'on préparait le transport de la dépouille vers son dernier séjour sur la Sainte Montagne, une tempête de neige éclata brusquement, accompagnée d'un vent violent. Toutes les routes se trouvèrent coupées, aussi bien sur terre que par mer. Par un effet de la divine Providence, la sainte relique fut transportée à l'église Saint-Nectaire de Thessalonique, où, pendant vingt-quatre heures, elle fut exposée à la vénération des fidèles.

Une foule de gens composée aussi bien de clercs que de laïcs, afflua pour en recevoir l'ultime bénédiction et pour lui donner le dernier baiser. Cela constitua une opportunité particulière pour le sexe faible dont, comme on le sait, l'entére est interdite sur le sol de la Sainte Montagne. Elles ne sont pas peu nombreuses les femmes qui avaient bénéficié de sa direction spirituelle et de ses conseils. En cette occasion unique, elles reçurent l'ultime richesse de sa bénédiction.



Sa dernière demeure.

Le lendemain ( 3 janvier 2001), malgré les prévisions météorologiques défavorables, toutes les routes étaient rouvertes, aussi bien sur mer que par la terre. Malgré la crainte des intempéries et le fait que les chemins de terre de la Sainte Montagne étaient rendus dangereux à cause de la tempête de neige, une foule de moines et de laïcs de l'intérieur comme de l'extérieur de la Sainte Montagne afflua pour accompagner la dépouille jusqu'à sa dernière demeure.

L'office funèbre eut lieu, naturellement, dans l'église principale de notre monastère, en présence de beaucoup d'higoumènes, de hiéromoines et de moines. Par la suite, la sainte dépouille fut transportée au cimetière du monastère. Le Seigneur y avait déjà reçu, selon ses desseins insondables, deux de ses meilleurs enfants spirituels, morts prématurément : les frères Prodromos et Nectaire. Entre ces deux frères, on avait laissé un espace vide pour y déposer le Père entre ses enfants, pour qu'il présentât au Seigneur les prémices de ses douleurs en disant : " Me voici avec les enfants que tu m'as confiés, Seigneur (6)".

(6) : ( Hb. 2, 13).

L'Ancien avait commencé son parcours monastique par les grottes escarpées de la Petite Sainte-Anne. La petite néglise pleine de contrition de Prodromos, sur ses falaises abruptes, avait été desservie par lui quotidiennement. Depuis 1953, les Liturgies quotidiennes s'étaient succédées dans la petite église pleine d'humilité, comme aussi dans celle du Précurseur à Néa-Skiti, chapelle que lui-même avait bâtie et décorée. C'était là qu'il avait célébré sans interruption la Liturgie pendant quatorze années consécutives. Ces Liturgies s'étaient interrompues en 1967, pour reprendre sans interruption dans le kellion de Bourazéri. C'est dans ce kellion que le grand protecteur qu'est Saint Nicolas nous avait offert l'hospitalité pendant une douzaine d'années.

De là, à nouveau, le saint Précurseur nous appela à nous installer définitivement dans l'illustre monastère de Dionysiou qui lui est consacré. Dans le cimetière de son monastère, le grand Saint Jean-Baptiste condescendit à ce qu'y soit déposé un autre de ses enfants d'élite pour y reposer avec tous "les pères qui nous ont précédés", jusqu'à la résurrection universelle de tous.

Ô mon Père Saint, d'éternelle mémoire e vénéré! Depuis la hauteur des Cieux, dans les demeures célestes de ton très doux Jésus que tu as recherché avec ardeur depuis ton jeune âge, souviens-tois toujours de nous, tes enfants désormais orphelins, mais aussi de tous ceux qui, par ton intercession, invoquent Son Nom divin. Amen.

Que ta mémoire soit éternelle!







DEUXIEME PARTIE



ENSEIGNEMENTS SPIRITUELS





I

SUR LA PRIERE MENTALE



Dialogues sur la prière mentale.

Selon le témoignage unanime de tous ceux qui ont connu de près l'Ancien, celui-ci était doué du charisme rare de la prière mentale ininterrompue. Mais je puis aussi le caractériser sans aucun doute comme un pédagogue de cette oeuvre bénie. Son enseignement n'était no orné de figures de rhétorique ni embelli par des notations affectées de lettrés.

Il y a eu et il y aura toujours de ces gens qui susciteront une grande admiration dans leur auditoire. Mais si les auditeurs ne retirent pas la moindre utilité de ces discours élaborés, cela revient à remplir la salle de paroles creuses.

Le bienheureuex Ancien, avec toutes ses paroles simples et sans apprêt, réussissait à toucher l'âme de ses auditeurs, à leur transmettre et à susciter en eux "la transformation venue de la droite du Très Haut, bien entendu selon la capacité de réception de chacun.

Comme nous l'avons rapporté dans un autre chapitre, ils sont nombreux ceux qui, dès leur premier contact avec lui et leur première conversation, sentirent s'allumer en eux la flamme de la prière ininterrompue, bien que chez l'un ce fût davantage, et que chez l'autre ce fût moins.

Il y eut de très nombreux entretiens, aussi bien avec des individus qu'avec des groupes de moines, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la Sainte Montagne. Heureusement, il y a aussi quelques enregistrements, trop peu nombreux, de ses homélies. Il est à souhaiter que dans un proche avenir soient publiés, dans un volume à part, ses entretiens ainsi qu'une partie des nombreuses lettres dans lesquelles, pendant des années, il s'est adressé à ses enfants spirituels.

Nous allons présenter maintenant, en guise d'exemple, quelques extraits de ses entretiens tant privés que collectifs, dans l'espoir que le pieux lecteur pourra en retirer quelque profit.



Premier dialogue.

" Géronda, j'ai étudié les ouvrages des Pères neptiques sur la prière mentale. J'ai essayé de mettre en pratique ce qu'ils écrivent. Je puis dire que cela m'a été utile, mais que je n'ai pas obtenu de résultat analogue à ce que ces Saints Pères décrivent.

- Depuis combien de temps essaies-tu de prier?

- Depuis près de deux ans.

- Deux ans, c'est pas mal de temps. As-tu un guide, qui puisse te conseiller sur la façon de prier?

- C'est précisément cela, Géronda, qui m'a fait changer deux fois de confesseur. Malheureusement, non seulement ils ne savaient pas comment me guider, mais ,de plus, ils me décourageaient. Je leur disais que j'avais soif de connaître la prière mentale ininterrompue, et ils me répondaient que ce n'étaient pas là des choses pour nous, et que seuls les saints pouvaient y arriver, car tous ceux qui avaient essayé de les imiter s'étaient fourvoyés. " Connais-tu le Credo, me disaient-ils, le Notre Père? C'est suffisant. Tout au plus, lis le Livre des Heures abrégé de l'Eglise avant d'aller te coucher." Voilà ce que l'on me disait. J'ai fini par trouver un confesseur qui m'a dit ceci : " Moi aussi, mon enfant, j'ai lu beaucoup de choses sur la prière mentale. J'ai essayé; j'ai obtenu un petit résultat. mais, pour être sincère, je n'ai pas le charisme de guider les autres. Ce n'est pas que je t'interdise de prier; ce serait là la plus grande des erreurs. Mais au moins, sur la Sainte Montagne tu pourras trouver des moines expérimentés. Tu peux y aller pour qu'ils te guident, si tu souhaites progresser." C'est la première fois qu'il m'a été donné de venir sur la Sainte Montagne. Un moine m'a conseillé de venir vous voir. Je vous en prie, aidez-moi.

- Après tout ce que j'ai entendu, mon enfant, je suis moi aussi découragé par l'attitude de certains confesseurs. Que ton dernier père spirituel soit béni/ Même s'il ne sait pas, qu'il ne décourage pas les autres. Ce qu'il a dit est juste : celui qui est dans l'illusion, ce n'est pas celui qui dit la Prière de Jésus, mais celui qui ne la dit pas, et, encore pire, qui décourage les autres de la dire.

C'est vrai, je reconnais que j'ai connu beaucoup de moines qui ont commencé à dire la Prière, pour ensuite tomber dans l'illusion. Mais pourquoi tombaient-ils dans l'illusion? Parce qu'ils n'avaient pas de guide. Celui qui estime qu'il n'a pas besoin de guide, celui-là est dans l'illusion. Il est attaché à son ego. L'égoïsme et la prière mentale ne vont pas ensemble.

Nous avons encore, même sur la Sainte Montagne, de telles personnes qui sont dans l'illusion. Quelques-uns viennent me voir. Au lieu de se confesser et de me demander des conseils, leur dessein est de me montrer qu'ils sont des moines théophores. L'autre jour, un moine m'a dit qu'il avait réussi à acquérir la prière mentale. Je lui ai répondu que c'était vraiment une bonne nouvelle, et je lui ai demandé quel père spirituel il avait. Il a commencé à chicaner et à se mettre en colère : " Comment, me dit-il, un père spirituel pour moi? C'est plutôt moi qui suis en position de donner des leçons aux pères spirituels! Moi, je parle avec le Christ en personne, et avec la Toute Sainte. Je vois des lumières, des saints, etc..." Dès que je lui répondis que tout cela était satanique, il se mit en colère et partit hors de lui.

Voilà, mon enfant, tels sont ceux qui sont dans l'illusion. J'en connais d'autres qui, au début, m'ont demandé de leur apprendre la prière, mais qui ne peuvent pas se défaire de leur volonté propre. Le fait d'être attaché à sa volonté propre et la Prière, c'est comme le jour et la nuit. La volonté, cela veut dire l'égoïsme. Au bout du compte, comment pourraient-ils alors trouver la prière? Ils ont reçu des coups de bâton, et ils ont été déçus. Ils ont arrêté de pratiquer la Prière et, le plus terrible, c'est qu'ils sont devenus les adversaires les plus acharnés de la prière mentale. Dès qu'ils voyaient un moine tenir un chapelet, ils devenaient enragés, ils le lui arrachaient des mains, et ils le traitaient comme un chien, en lui criant qu'il était dans l'illusion. Ces mêmes moines sont venus me voir et m'ont tout raconté. Tu comprends maintenant comment Satan retourne les choses à son profit? Celui qui est dans l'illusion en vient à insulter celui qui dit la Prière comme si c'était lui qui était dans l'illusion.

En sorte qu'effectivement, mon Père, il est difficile selon ce que vous me dites, d'apprendre à pratiquer la prière mentale!

Dans l'office de la profession monastique, il est écrit : " Ce n'est que dans la peine et les labeurs que l'on obtient ce qui est bien." Sais-tu ce que signifie obtenir la prière mentale? Cela veut dire acquérir Dieu Lui-même en soi-même. Tu le vis. Tu ressens en toi la félicité de Son Royaume. Te rends-tu compte de cela?

- Père, je le crois. Mais moi, malgré tout, je n'en suis pas digne. J'ai essayé. J'ai contraint mon esprit (noûs ) par l'inspiration et l'expiration, comme l'écrivent les Pères, mais je n'ai pas réussi à me concentrer. Mon esprit vagabondait ailleurs. J'en suis arrivé au point de me décourager en me disant que cette prière n'était pas à notre portée.

- Mon brave, ne t'ai-je pas dit que les livres seuls ne suffisent pas à faire des progrès et que l'on a aussi besoin d'un guide? Toi, d'un seul coup, tu veux atteindre la perfection. Tu veux tout de suite apprendre la technique de l'inspiration et de l'expiration! Avant d'y arriver tu as du pain sur la planche! ... Je vais te montrer cependant comment commencer. Mais nous commencerons par le b a ba.

La première leçon consiste à dire la Prière à haute voix, et, autant que possible, clairement et rapidement. Mais, prends garde. Dès que nous disons la Prière, Satan arrive, et il nous met martel en tête, avec un tas de pensées et d'images, de vagabonder. Lorsque le débutant dit la prière mentalement, le martelage du tentateur étouffe la Prière. mais si tu la dis oralement très vite, Satan a du mal à trouver le temps nécessaire pour introduire des distractions au moyen de différentes pensées. Mais quoique l'esprit s'échappe du sens des paroles, nous avons l'oreille. Bon gré, mal gré, l'oreille écoute ce que dit la bouche. Notre esprit a la capacité, au même moment, de prêter attention à deux choses différentes. Nous deux nous discutons, et, au même moment, tu as la capacité d'entendre le bruit du bateau à moteur qui passe en bas, ou les autres personnes qui discutent à côté de nous, etc... Dès que tu vas commencer à dire la Prière, des bruits de voiture vont bourdonner à tes oreilles, et surtout toutes les images mentales qui sont passées par tes oreilles ou par tes yeux pour se nicher en toi pendant ta vie quotidienne. Surtout de nos jours où, dans les villes, les gens se trouvent souillés par leurs cinq sens.

Tu désires acquérir la prière mentale. Sais-tu ce que veut dire la prière pure? Sais-tu ce que veut dire coller son esprit (noûs) à son coeur, éliminer d'au-dedans de toi toute la rouille et se concentrer, se coller uniquement au sens de la prière?

Est-ce que la rouille s'en va si facilement? Nous, pourquoi avons-nous quitté le monde? Par la Grâce du Christ, nous aurions pu tenir le coup dans la cité. Mais pour que l'esprit (noûs) se purifie, il a besoin d'hésychia. Il ne s'agit pas d'en enlever avec une cuillère d'un côté pour mieux en remettre de l'autre. Tu as fait des efforts pendant la nuit pour chasser les pensées, mais le lendemain tu reviens sur les mêmes pensées. Si tu as passé ta journée à voir des pièces de théâtre, à danser, et à chanter, alors comment pourrais-tu, le soir venu, les chasser pour dire clairement ne serait-ce qu'une seule prière. Tu n'auras même pas envie de prier.

Commençons donc par la première leçon. Je vais te donner ce chapelet de trois cents grains, et cette nuit tu feras la veille avec nous. Tu diras neuf chapelets, en disant : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", et trois en disant : " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi". Dès que tu auras terminé les douze chapelets, alors, derechef, tu recommences depuis le début. Une heure avant d'aller à la Liturgie, tu viendras me raconter... tes exploits.

- Mais, Géronda, excusez-moi, je ne peux pas venir à bout de douze chapelets de trois cents grains. Comment pourrais-je en faire encore plus?

- Qui t'a dit que tu ne peux pas? Désormais, oublie ce qui te concerne. Tu feras ce que je te dis et ensuite nous en reparlerons. Tu n'es pas prêt maintenant à faire les inspiratins et les expirations. Tu diras la prière à haute voix, très rapidement. Conjointement, tu contraindras ton intelligence à comprendre ce que tu dis. Il est difficile d'y parvenir, mais prier avec crainte de Dieu aide beaucoup à la concentration. Non pas pour la forme et mécaniquement. C'est avec Dieu que nous nous entretenons; ce n'est pas une plaisanterie. Nous croyons qu'Il est effectivement présent et qu'Il nous écoute. Si, grâce à la prière, les yeux de l'âme s'ouvrent, tu Le verras sans tarder.

Avant-hier, un mendiant est passé pour demander l'aumône. Lui, il passe sa vie à errer, et à recueillir ce qu'il trouve. Je ne peux quand même pas le chasser. Il te supplie si humblement, allant même jusqu'à se jeter à tes pieds. D'une part, tu te rends compte qu'il joue la comédie, d'autre part, tu ne peux pas t'empêcher de le prendre en pitié. Certes! Si lui, pour des choses matérielles supplie si humblement, combien plus ne devons-nous pas faire de même pour obtenir des biens spirituels. Si un homme prend en pitié et fait l'aumône à son semblable, combien plus le Dieu très bon prendra en pitié et exaucera ceux qui L'invoquent! Il me semble que c'est ce que veut dire le Christ dans l'Evangile en disant que les fils de ce monde sont plus avisés que les fils du Royaume de Dieu (1).

(1) : (Lc 16, 8).

Autant que tu le peux, mon enfant, jette-toi spirituellement avec crainte de Dieu aux pieds du Christ, comme le mendiant. Sache encore ceci : tu es venu du monde, tu portes encore le monde en toi. Toutes les images du monde que tu as en toi, le tentateur les fera défiler dans ta tête comme un film. Toi, garde la prière. Insiste, sois patient, et fais-toi violence. Dans la mesure du possible, chasse toute image mentale bonne ou mauvaise. Efforce-toi de n'avoir en tête que les cinq mots de la Prière de Jésus. Voilà pour la première leçon. Nous allons voir si tu l'as bien comprise!

- Je vais essayer, Père, ce soir de faire ce que vous m'avez dit. C'est-à-dire de dire oralement la Prière sans interruption et ensuite de passer vous voir.

- Oui, mon enfant, que Dieu te bénisse. Agis ainsi."

Voilà donc ce jeune qui après s'être reposé durant l'après-midi dans une petite cellule, tout frais et plein d'un désir ardent, commence sa veille avec le chapelet de trois cents grains. Bien qu'appréhendant la difficulté qu'il peut y avoir à réciter douze chapelets, malgré tout sa langue, se mouvant comme un petit moteur, répétait sans cesse la Prière de Jésus. Comme il devait le reconnaître lui-même, sa langue se mouvait sans difficulté. Le plus difficile était d'arriver à rester attentif au sens des mots qu'il disait. Ce fut là un combat sanglant. Mais dans ce combat, le Seigneur ne tarda pas à lui manifester clairement Sa première assistance, ainsi que le sentiment de Sa présence.

Dès qu'il eut dit les premiers chapelets, progressivement une douceur sensible jaillit de sa gorge, pour se communiquer à sa langue et à ses lèvres. Cette onctuosité ressemblait à celle d'un bonbon très doux, à la seule différence qu'un bonbon fond dans la bouche en cinq à dix minutes. Cette douceur ne semblait pas faiblir, mais au contraire se renforcer, au point que les divines paroles de la Prière se répétaient sans arrêt avec une profonde délectation. En moins d'une heure, les douze chapelets étaient dits. Il commence une deuxième série de douze chapelets, une troisième et même une quatrième. Vers la fin de la quatrième série, de façon inespérée, son âme éclata en larmes d'actions de grâce et de glorification. Déjà l'heure du compte-rendu approchait. Voyant le succès de la mise en pratique de sa première leçon, la joie de l'Ancien fut indescriptible : " Courage, mon enfant, lui dit-il, nous allons progresser." Ce jeune resta quelques jours; ensuite de quoi il revint dans le monde. Il garda le contact avec l'Ancien par correspondance, jusqu'à ce que la divine Providence l'appelle à intégrer l'ordre angélique des moines.



Deuxième dialogue.

Je présente par la suite une série de questions et de réponses que le Père Charalampos eut avec ses enfants spirituels et de pieux pèlerins.

" Géronda, vous qui enseignez la prière mentale, quelle est votre opinion : Est-elle faite uniquement pour les moines, ou est-ce que cela concerne tous les chrétiens?"

- Selon tout ce qu'écrivent les Saints Pères, mais aussi d'après mon expérience personnelle, je considère que la prière mentale est destinée à tous les Chrétiens. Mais pas pour les hérétiques et cela me semble encore plus difficile pour les personnes d'autres religions.

- Puisque vous dites que la prière mentale est aussi pour nous, qui vivons dans le monde, vous nous encouragez. Mais nous avons besoin d'aide. Nous essayons d'appliquer ce qui est écrit dans les livres, mais cela nous a semblé difficile.

- Bien sûr que c'est difficile. Cette tâche ne requiert pas seulement que l'on combatte, mais elle exige aussi un guide expérimenté. Avez-vous un confesseur?

- Nous en avons un. Il est très bien, mais pour ce qui est de la prière mentale, il dit qu'il ne s'y connaît pas.

-Soit, mais il y a pire. S'il ne sait pas, il le dit. Au moins, il n'empêche pas de le faire.

Par conséquent, si vous avez un confesseur, vous n'avez pas besoin que je vous confesse. Mais je vais vous dire comment dire la Prière. Le chrétien, par le baptême, reçoit la Grâce en lui, il a le Christ en lui. Mais lorsqu'il pèche, il chasse la Grâce. Le péché nous sépare du Christ, comme le ferait un mur. Tu cries : " Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi..." et la porte reste fermée. C'est par le repentir et la confession que le péché peut être effacé et que le mur tombe. L'homme se réconcilie avec Dieu.

C'est comme si tu avais un ami qui occupe une position importante. A un certain moment, tu as commis une faute contre lui et vos relations se sont dégradées. Mais voilà que tu as besoin de lui. Bon gré, mal gré, tu t'humilies et tu lui demandes pardon. Après t'être réconcilié, tu as le courage de lui dire : " Mon ami, je t'en prie, fais-moi une faveur." Ne t'écoutera-t-il pas à cause de votre amitié? A plus forte raison le Christ écoute quand un homme se réconcilie avec Lui.

- Ah, Géronda, la confession est une belle chose, mais le monde ne nous permet pas d'être sauvés. On sort de la confession et on voit les mêmes choses, on entend les mêmes choses, on est scandalisé, on se met en colère, on est envieux, on juge...

- Ce que tu dis n'est pas exact. Le Christ a dit, si ton oeil est pour toi une occasion de pécher, arrache-le; il n'a pas dit d'arracher celui de l'autre. Tu vois une femme habillée de façon indécente? C'est son affaire. "Arrache ton eil", cela veut dire abaisse ton regard, pour que tu ne sois pas indiscret. Si tu es faible au point même de ne pas pouvoir faire cela, au moins n'en rends pas responsable les autres. Dis-toi plutôt que tu es un misérable, un jouisseur, un adultère, et que tu prends plaisir au péché! C'est comme un champ de manoeuvres; tu peux voir en toi à quel point tu es chaste. Celui qui est parfait voit sans être affecté. Le combattant, lui, évite autant qu'il peut ce qui est cause de péché; celui qui est relâché entre de lui-même dans la maison du péché et ensuite pense que c'est la faute des autres. Ce sera une justification... comme celle d'Eve.

- Géronda, avec la Grâce du Christ, nous faisons un effort, nous fuyons autant que possible les passions : mais il est impossible de ne pas être souillé quand on vit dans le monde.

- Certes, puisque vous vivez au milieu des causes des passions, on peut s'y attendre. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons quitté le monde. Je peux vous dire qu'avec la Grâce du Christ, j'ai tenu bon spirituellement, même dans le monde. Mais l'hésychia a une autre grâce. Quand on prie, toutes les images de la journée repassent dans son esprit comme un film. Si tu as entendu des obscénités, des paroles équivoques, si tes yeux ont vu quelque chose de troublant, etc..., alors toutes ces images te reviennent à l'esprit et font obstacle à la prière. Mais c'est précisément une raison de plus qui doit vous pousser à dire sans cesse la prière, même dans le monde.

Je me souviens qu'il m'est souvent arrivé d'avoir dans le monde des tentations, et de grandes, par surcroît. Le tentateur m'a même envoyé des femmes de mauvaise vie pour me faire des propositions. Mais malgtté rout, cette petite prière : " Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi", m'a protégé. Même dans une situation difficile, crie le nom de la Toute Sainte, de tout ton coeur : " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi!" Souvent, tu rressens aussi la nécessité de t'exprimer avec tes propres mots : " Mon Christ ou ma Toute Sainte, viens promptement. Aide-moi, je suis en danger", etc...

De par mon peu d'expérience du monde, j'ai vu que cette petite arme qu'est la prière protège de tout mal. Plus les hommes malveillants nous suscitent des épreuves, plus ils nous poussent vers le Christ.

- Moi, Géronda, j'ai un autre problème. Je suis père de famille. Je vis respectablement avec ma femme. Je ne fais de tort à personne. Mais voilà que quelqu'un d'autre arrive, et sans que tu l'aies affecté en quoi que ce soit, il se met à te créer un tas de problèmes : il te fait du tort, il te vole, il te menace. Comment peut-on vivre en paix avec une telle personne? Comment peut-on l'aimer? Ou plutôt comment ne pas le haïr? Comment ne pas la maudire pour qu'il subisse la colère de Dieu?

- Cette personne est possédée par un démon. Les Saints Pères disent que derrière toute personne méchante, on peut voir le diable. Le démon qu'il a en lui te provoque, toi aussi, pour que tu le maudisses, pour que tu l'insultes, pour que tu le frappes, pour qu'il te gagne, toi aussi, à sa cause.

On ne répare pas un mal par un mal, disait mon Ancien. C'est une grande tentation. A ce moment aussi il faut se battre. Nous devons faire tout ce que dit le Christ : " Bénissez ceux qui vous persécutent; bénissez, ne maudissez pas (2)."

(2) : (Rm 12, 14; Mt 5, 44; Lc 6, 28).

Et cet homme mauvais va te pousser de force vers le Christ. Tu diras : " Christ, pardonne-lui, il ne se rend pas compte de ce qu'il fait, éclaire-le. Chasse le démon pervers pour qu'il comprenne ses erreurs."

Ensuite, revenons à la petite Prière, pour y puiser des forces : disons sans cesse : " Seigneur Jésus-Christ, iae pitié de moi."

- Géronda, puis-je confesser publiquement quelque chose? Je me dis souvent : " Mon vieux, si seulement je pouvais lui donner un bon coup sur la tête, pour le flanquer par terre, même si je dois aller en prison."

- Eh voilà! Tu as vu comme Satan t'excite! Pour que tu ailles au tribunal, en prison, et que tu laisses ta famille à la Grâce de Dieu. Non, mon enfant, ne l'écoute pas. Le tentateur veut ta perte. Ecoute ce que dit le Christ et tu verras que tout se passera bien. Par ta bonne conduite, ou il se corrigera, ou c'est le Christ qui trouvera une solution. Il suffit que, ta femme et toi, vous suppliiez le Seigneur de tout votre coeur. Et bien sûr, communiez aussi régulièrement, pour que votre âme prenne des forces.

- Mais quelle prière faire et quelle communion dans ce piteux état?

- C'est précisément parce que nous nous trouvons dans cette situation pitoyable qu'il est d'autant plus nécessaire de prier et de communier. Mais je t'ai bien dit : avant de prier pour toi-même, tu dois prier pour ton ennemi.

- Mais, Géronda, puisque le prêtre aussi et tout le monde sait que nous ne nous parlons plus, comment allons-nous communier?

- Si ceal dépend de toi, bien sûr, tu ne peux pas communier. Mais si cela dépen de l'autre, alors ce n'est pas de ta faute. Tu vas essayer aussi de lui parler et de te réconcilier avec lui. Si le tentateur l'endurcit au point qu'il ne t'adresse plus la parole jusqu'à la fin de ses jours, que va-t-il se produire alors? Vas-tu mourir sans communion? Où a-t-on vu une chose pareille?

Combats toi aussi, mon fils, tant que tu peux. Si par ta bonne manière, tu parviens à le gagner, sache que tu as arraché une âme des griffes de Satan. Ton salaire sera très grand. Si toi, tu n'y arrives pas, alors prie Dieu pour qu'Il l'éclaire.

- Géronda, c'est un peu difficile que de faire ce que vous dites. Cependant, je vais essayer de le réaliser.

- Que Dieu te bénisse, mon enfant. Essaie de ton côté, et moi aussi j'essayerai avec toi. Ecris-moi les noms de ta famille. Ecris-moi aussi le nom de celui qui s'est brouillé avec toi. Nous devons tous prier, et que Dieu nous vienne en aide."

Le frère mentionné plus haut, dès qu'il fut informé qu'un livre allait être publié sur l'Ancien Charalampos, m'a confié cette conversation, en m'assurant qu'après avoir suivi le conseil de l'Ancien, la situation s'était progressivement améliorée. Il s'était à ce point réconcilié avec son voisin que non seulement ils ont renoué au point que l'un est devenu son parrain ( après que l'autre eut accepté le baptême), mais qu'en plus chez lui règnent désormais la prière, l'amour et la paix.



Sur la prière. Témoignage de ses enfants spirituels.

Notre Ancien considérait qu'un certain nombre de choses étaient des préalables indispensables au progrès spirituel du moine.

La première condition est l'obéissance et la seconde l'accomplissement scrupuleux de ses obligations spirituelles, c'est-à-dire le canon de prières prescrit en cellule, la prière personnelle et la participation régulière aux offices communautaires.

Mais puisque, en raison d'un malentendu, beaucoup pensent que les combats spirituels ne concernent que les moines, le bienheureux Ancien soulignait toujours de façon formelle que ces combats concernent tous les Chrétiens qui veulent mener une vie spirituelle, cela bien sûr selon leurs forces.

Mais, de plus, à l'égard des prêtres qui n'accomplissaient pas les offices liturgiques prescrits quotidiennement, et cela, même s'il n'y avait pas de fidèles dans l'église, il était strict au point de leur refuser de les entendre en confession. Le prêtre, disait-il, par sa prière veille sur son troupeau comme le berger. A ceux qui ne pouvaient se rendre chaque jour à l'église, il recommandait de lire chez eux tous les offices quotidiens, et aussi de célébrer la Divine Liturgie certains jours, en plus des dimanches, selon leurs possibilités. Je puis dire qu'il y a même dans le monde des hiéromoines qui sont ses enfants spirituels et qui, à l'imitation de leur maître, célèbrent chaque jour la Liturgie tout au long de l'année.

Mais à ceux qu'il avait initiés à l'oeuvre de la prière mentale, il recommandait de remplacer une partie ou même la totalité de l'office par le chapelet, en répétant sans cesse le très doux nom de Jésus-Christ. Ils ne sont pas peu ceux qui, parmi ses enfants spirituels, se sont distingués dans l'oeuvre bénie de la prière mentale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Sainte Montagne.

En outre, pour que quelques paresseux ne s'imaginent pas que cela n'est plus de mise chez nous et en particulier dans le monde, je voudrais souligner que je connais des personnes qui, en suivant l'enseignement de l'Ancien, arrivent à prier quotidiennement, de bon matin, pendant trois à quatre heures, en plus des prières du soir et de certaines autres. Je connais même des frères qui, grâce à la prière et à l'enseignement de l'Ancien, ont pris l'habitude de répéter la prière de façon ininterrompue pendant la journée, que ce soit mentalement ou en chuchotant. Il y a des familles entières qui, au moins deux fois par jour, prient ensemble et disent sans exception les Complies et l'Acathiste à la Mère de Dieu.

J'en connais aussi beaucoup qui ont réussi à persuader leurs enfants de refuser la télévision au foyer, comme constituant un obstacle au progrès spirituel. Voici ce que nous a dit un frère à propos de l'action aussi corrosive que corruptrice de la télévision : " Non seulement à cause de la télévision, nos enfants sont pervertis par des spectacles inconvenants, mais en plus la cohésion et la chaleur de la vie de famille se désintègrent. Je reviens de mon travail avec un grand désir de goûter à la joie d'être enfin en famille, mais qu'est-ce que je vois? L'un regarde sur une chaîne des dessins animés, l'autre du football, et de temps à autre on assiste à toutes sortes de spectacles obscènes, qui dépravent et polluent le mental des petits comme des grands. Je me suis dit que la seule solution était d'éteindre la télévision, mais alors, je crains la réaction des enfants. S'ils réagissent mal, cela pourra les pousser au pire. S'ils quittent le foyer, et que je ne les contrôle plus, le pire est à craindre : Qu'ils commencent à prendre de la drogue, qu'ils fassent des bêtises, etc... Ils se détruiront complètement. Que Dieu les garde!"

L'affliction exprimée par ce frère étant générale, le bienheureux Ancien recommandait aux parents d'habituer les enfants dans la mesure du possible et dès leur plus jeune âge à prier, à se confesser, à participer aux offices, à communier fréquemment, à jeûner, ainsi qu'à pratiquer les vertus pratiques : l'obéissance, le respect, le travail, l'étude des Ecritures. De cette façon, les enfants sont d'eux-mêmes enseignés par Dieu, ils sont calmes, obéissent à leurs parents, sont réceptifs au conseils, et sont convaincus sans difficulté que la télévision leur est nuisible.

C'est cet esprit-là que l'Ancien développa dans beaucoup de familles, au point que les enfants attendaient avec impatience que leur père rentre de son travail pour pouvoir dîner tous ensemble après avoir dit une prière, puis, après le repas, lire les Complies et l'Acathiste à la Mère de Dieu. Puis après avoir joué et profité de la présence de leur père, apprendre leurs leçons et aller se coucher, puis se lever au matin à l'heure convenable, faire leurs prières et aller à l'école. Eh oui, de telles familles sont heureuses et bénies.

Cependant, tant que nous sommes revêtus de chair et vivons dans ce monde, tous, que nous soyons petits ou grands, nous subissons des altérations, pour le meilleur ou pour le pire.



Un jour, un enfant spirituel très pieux de l'Ancien se plaignit de l'un de ses trois enfants, qui jusqu'à l'âge de quinze ans avait mené une très bonne vie spirituelle, et, de plus, ne manquait jamais une Liturgie, puis avait commencé à s'en éloigner. Il passait désormais la nuit du samedi à s'enivrer dehors avec ses amis, et le lendemain il dormait jusqu'à midi. L'Ancien réconforta son enfant spirituel en lui disant ceci :

" La semence de l'Evangile, en quelque endroit qu'elle tombe, ne se dessèche pas facilement. Ton enfant traverse actuellement une période d'épreuves. A son âge, il y a un rude combat entre la chair et l'esprit. Pour l'instant, la balance penche du côté de la chair, pour mieux remonter par la suite. Ce qui veut dire que Dieu demande au parent d'en faire encore plus. Par votre prière, vous allez rajouter du poids sur le plateau de droite de la balance de votre enfant, et cela va la faire remonter. C'est la vie. L'un comble le manque de l'autre. Dis-tu chaque soir la prière que je t'ai enseignée?

- Oui, Géronda, surtout maintenant. Mais que vais-je dire, maintenant que mon enfant traverse une telle épreuve?

- Comment pries-tu?

- Tous les soirs avec mon épouse et mes autres enfants - parfois Giannakis vient aussi -, nous lisons les Complies et l'Acathiste. Maintenant, avec ma femme, nous rajoutons systématiquement aussi l'Office d'intercession à la Mère de Dieu (Paraclisis). Le matin, je me lève deux ou trois heures avant de partir travailler et je dis la Prière de Jésus avec le chapelet, comme vous me l'avez appris.

- Que Dieu te bénisse! Ton gars, Yannis, va faire de toi un Père théophore! Si tu le peux essaye de prier encore plus. Est-ce que cela te semble difficile?

- Oh non, Géronda, pour l'amour de Dieu je le ferai. C'est pour moi une vraie consolation. Après avoir dit la prière pendant deux ou trois heures aussi bien intérieurement qu'oralement, à la fin, je n'en peux plus et j'éclate en sanglots. Je tombe à genoux et je dis tout ce que m'inspire le Seigneur. Souvent Il me pousse à répéter sans cesse : " Pour mon Yannaki, mon Christ, pour mon Yannaki, ma lumière, je te supplie mon Christ, pour mon Yannaki. " Après avoir crié et passablement pleuré, je pars apaisé pour mon travail, avec l'espoir que Dieu ne laissera pas mon enfant se perdre.

- Eh, ne t'ai-je pas dit que Yannis va rentrer dans le rang? Sais-tu combien de cas semblables j'ai connus, qui, à l'occasion d'une telle tentation, ont appris eux-mêmes à prier, et qui, à leur tour, avec patience, ont réussi à gagner les autres? Laisse-moi te raconter un cas qui va t'émerveiller. Un jour alors que j'étais à Néa-Skiti, une femme m'écrivit une lettre: " Père Charalampos, je t'en prie, prie pour mon mari. Récemment il s'est mis à rentrer en retard à la maison et ce n'est pas tout, il se met souvent en colère contre moi. Je soupçonne qu'il a une liaison et j'ai peur qu'il divorce et me laisse avec les deux enfants."

Je les ai tous mentionnés lors de la Liturgie et en priant avec le chapelet. Je lui ai aussi écris une lettre en lui disant : " C'est entendu, mais tu dois prier toi aussi. Nous ici, nous veillons huit à neuf heures chaque nuit. Veille à faire ce que tu peux toi aussi." Je lui ai aussi indiqué comment dire la Prière et l'Acathiste quotidiennement et en priant avec le chapelet. Je lui ai aussi écrit une lettre en lui disant : " C'est entendu, mais tu doid prier toi aussi. Nous ici, nous veillons huit à neuf heures chaque nuit. Veille à faire ce que tu peux toi aussi." Je lui ai aussi indiqué comment dire la Prière et l'Acathiste quotidiennement. Elle m'a répondu sans tarder qu'elle avait fait tout ce que je lui avais conseillé et que, dès le premier jour, elle avait éprouvé un grand soulagement intérieur. Désormais elle n'était plus anxieuse et elle se mettait entièrement dans les mains de Dieu.

Deux jours s'étaient à peine écoulés que je reçus une autre lettre. Avant même de répondre, je reçus une troisième lettre, puis une quatrième, etc... Pour finir elle m'écrit : " Ah, Père Charalampos; comme la vie est douce près du Christ! Si je l'avais su, je me serais faite moniale! Mais même maintenant, si seulement je n'avais pas un mari et des enfants! De plus, je me prends à penser que si mon mari décidait de divorcer, comme ce serait bien! Je vivrais comme une moniale, même chez moi!"

Je lui répondu qu'elle avait pressenti, à quel point la vie monastique est belle! Mais que pour l'instant elle devait cesser d'y songer. Que puisqu'elle était mariée, elle se devait de porter la croix du mariage, qu'elle devait continuer à prier et qu'elle devait s'en remettre entièrement à la grâce de Dieu.

Je ne me rappelle pas ce qui a fait que nous interrompions notre correspondance. Lorsqu'elle m'a écrit, elle m'a dit que tout allait pour le mieux tant pour elle que pour ses enfants. Au bout du compte lorsque son mari rentrait un peu plus tôt de sa "nuit blanche", elle était contrariée et se disait intérieurement : " Pourquoi donc es-tu rentré tôt ce soir, en me gâchant ma rencontre avec le Christ?"

Tu as vu comment le Christ peut retourner la situation, quand nous le voulons? Le Christ cherche un prétexte, que ce soit une maladie, un événement, une épreuve, pour nous ramener tous auprès de Lui. Tu as vu comment jadis, lorsque les Bulgares nous firent prisonniers, de quelle prière pure, de quelles larmes, de quelle application nous avons fait preuve! Il ajouta alors avec son humour habituel : " Lorsqu'ils nous ont relâché, nous étions sur le point de devenir des Pères de l'Eglise!""

Un frère, en écoutant sa discussion avec la femme en question, lui demanda ce qu'était devenu le mari de cette femme. Il lui répondit : " Lorsque nous étions en correspondance, il ne manifestait pas de repentir. Mais je crois malgré tout que quelque chose a dû se passer. Cette femme priait tellement. Il n'est pas possibleque sa prière ne l'ait pas touché d'une façon ou d'une autre."



Brève dissertation épistolaire sur la prière mentale.

Lorsque notre communauté séjournait encore au kellion de Bourazéri, notre Ancien, outre la confession et l'enseignement oral, entretenait conjointement une correspondance avec ses très nombreux enfants spirituels.

Ces lettres sont remarquables, et j'espère qu'elles pourront être publiées en temps opportun, soit à l'initiative du monastère de Dionysiou, soit à celle de ses enfants spirituels. Ceci pour édifier nos frères et en particulier ceux qui sont concernés par l'oeuvre bénie de la prière mentale.

Je présente ci-dessous des extraits de trois de ces lettres concernant des laïcs. Grâce à l'intervention d'une tierce personne, les demandes et les réponses ont été reformulées d'une certainr façon, afin que le présent exposé constitue un petit traité. Le choix des extraits permet d'étendre la question à tous ceux qui mènent le combat spirituel.



Lettre.

" Mon fils bien-aimé dans le Christ N.

Réjouis-toi dans le Seigneur.

J'ai reçu ta lettre et je me suis réjoui particulièrement de tes questions et de ton intérêt concernant la prière mentale.

Je vais essayer de te répondre en me fondant sur mon expérience issue de toutes les années où j'ai été jugé digne de vivre dans l'obéissance et sous la direction de mon saint Ancien Joseph, et de toutes les autres années où j'ai pratiqué l'ascèse; d'abord seul, puis avec une communauté monastique.

Tu me demandes si la prière mentale est destinée à tous les Chrétiens ou seulement aux moines.

Selon les écrits des Saints Pères, mais aussi selon mon expérience en tant que père spirituel, je peux dire que la prière mentale est destinée à tous les Chrétiens. Mais cependant pas aux hérétiques, ou pire encore aux adeptes d'autres religions. Laisse-moi t'expliquer pourquoi. L'homme, avant qu'il ne soit baptisé, en raison de la transgression d'Adam, est dépourvu de la Grâce. C'est avec le saint baptême que la Grâce revient en nous. Mais comment peut-on, sans la Grâce du baptême, trouver Dieu en soi-même? La méthode qu'utilisent ceux qui pratiquent une autre religion est une illusion.

Un grec venant d'Allemagne est venu récemment nous voir. Il a souhaité que nous parlions de la prière mentale. Je l'ai reçu. Il m'a dit alors :

" Moi aussi, Père, je suis un mystique, comme vous;

- Eh bien, lui dis-je, toi un mystique? Et où as-tu reçu un enseignement spirituel?

- Je suis déjà depuis des années en Allemagne. J'y ai fait la connaissance d'autres religions. Elles ont beaucoup de points communs avec nous. Ce qui m'a surtout plu, c'est qu'elles sont centrées sur la prière. Et ce qui est important, c'est qu'elles conduisent à des extases et à des contemplations, comme celles qu'a eues Saint Paul.

- Eh, lui dis-je, tiens-toi loin de tout cela. Ce sont des illusions!

- Non, Père, car je m'y suis personnellement consacré et j'en ai retiré une expérience personnelle."

Non pas parce que j'y croyais, mais par curiosité, je lui ai demandé :

" Raconte-moi un peu, quelle concentration sur toi-même pratiques-tu?

- Je m'assieds par terre, en tailleur, et je tourne la tête vers le ciel. A un moment, j'ai compris que tout le monde croit dans le même Dieu; Les hindouistes prient leur Dieu; les bouddhistes font de même; Nous, nous pouvons invoquer le Christ.

- Et comment pries-tu, si tu me permets?

- Ah, me dit-il, ça c'est le secret. Vous, vous ne le connaissez pas. Imagine-toi, mentalement, que tu t'envoles jusqu'aux cieux. Que tu voies des anges voler. Tu vois des palais en or, des lumières, un rayonnement, etc..., et que finalement tu voies le Christ resplendissant de lumière, assis sur un trône de feu. Nous devons concentrer toute notre attention sur ce que nous nous imaginons.

- Eh, toi qui es dans l'illusion, lui dis-je, avec de telles choses tu vas aller au point de perdre la raison. C'est comme cela qu'ils prient?

- Cesse donc de t'étonner pour ensuite condamner. Après avoir forcé notre imagination autant que possible, nous sortons de cette sphère. Ensuite, tout ce que nous avions imaginé, désormais nous le voyons. Sais-tu ce que veut dire voir le Christ, les anges, les saints, et bien d'autres merveilles?"

Je lui dis alors :

" Mon enfant, veux-tu bien m'écouter? Laisse tomber toutes ces choses, pour ne pass perdre l'esprit. Nous, pour voir le Christ en nous, nous fermons toutes les portes de notre imagination. Avec l'imagination, nous ouvrons toutes les portes de Satan. Lis-tu l'Ecriture Sainte? Crois-tu que Satan a le pouvoir de se présenter comme un ange de lumière ou même comme le Christ en personne?

- Mais tu ne me crois pas? Je vous l'ai dit : nous, nous voyons le Christ de nos yeux; Pas en rêve. Même le Bouddha, je l'ai vu une fois. Il est grand, mais pas autant que le Christ!"

J'ai eu pitié de lui et je lui ai dit :

- C'est bien dommage pour toi. Satan se moque de toi. Tu vas même perdre ta foi.

- Non, non, Père. Je ne vous crois pas. Nous ne sommes pas d'accord."

Il partit en continuant à soliloquer : " Non, je ne suis pas d'accord. Dieu n'est pas le monopole des moines", et autres choses semblables. Tu vois, mon enfant, combien d'illusions et combien de dangers il y a?

Disons donc que lorsque le Chrétien est baptisé, il reçoit en lui la Grâce divine. Il reçoit en lui le Christ. mais avec le péché, il le chasse à nouveau hors de lui-même. Le Christ et le péché sont incompatibles. C'est pourquoi il est impossible de trouver Dieu en nous tant que le péché se dresse en face de nous comme un mur. Mais, heureusement, l'Eglise a le remède approprié. C'est le repentir et la confession.

Beaucoup de gens viennent, qui s'intéressent à la prière mentale. Nous commençons par leur dire : " Vous êtes-vous déjà confessés? Communiez-vous? Vivez-vous en Chrétiens?, etc... " S'ils disent oui, alors nous allons plus avant. Si c'est non, nous ne nous perdons pas en paroles vaines.

En premier lieu, mon enfant, posons comme principe le repentir et la confession. Ensuite il nous faut suivre les conseils d'un maître qui connaisse la prière mentale.

Venons-en maintenant à la question : est-ce que les laïcs peuvent dire la prière mentale? A cela nous répondons qu'ils le peuvent et ceci, indépendamment des progrès qu'ils feront. Nous avons d'excellents laïcs, qui ont progressé spirituellement plus que nous, les moines. Mais cela reste des exceptions.

D'ailleurs, si cela était si facile dans le monde, on n'aurait pas besoin de partir dans des monastères et dans les montagnes. Dans l'Evangile, le Christ dit à Marthe : " Tu te soucies et tu t'agites pour beaucoup de choses (3).

(3) : ( Lc 10, 41).

Les laïcs sont comme Marthe. Tous ceux qui vivent en Chrétiens servent le Christ, mais surtout les choses matérielles. Le moine authentique est comme Marie, qui est assise à ses pieds. Il contemple Sa gloire. Il devient un ami du Christ, comme Lazare et, comme un ami, il a aussi l'audace de demander tout ce qu'il veut. Nous avons des cas de laïcs qui ressemblent davantage à Marie, mais nous avons aussi des moines qui ne ressemblent même pas à Marthe. Je confesse un couple de Thessalonique. Ils ont une telle rigueur que je les admire. Leur maison ressemble à un monastère. La femme reste tout le temps à la maison. Elle ne sort que pour aller faire les courses et autres choses indispensables. Ils ont trois enfants. Dès que les enfants sont partis à l'école et le mari au travail, elle s'assied une ou deux heures pour dire la prière. Puis elle se lève et commence à faire les travaux domestiques et, pendant ce temps, elle dit la prière, comme une machine; elle prie sans s'arrêter, tantôt oralement, tantôt mentalement. Son mari, dès qu'il est revenu du travail, se change et commence à prier et à dire la Prière de Jésus. Ils ont habitué leurs enfants aussi à suivre cette règle. Ecoute donc ce que m'a écrit récemment leur mère : " Nos enfants ont appris à dire la prière de Jésus, même à l'école. Quand ils reviennent de l'école, moi j'ai terminé les travaux domestiques et le repas est prêt. Je me rassieds dans notre oratoire. Les enfants me disent avec curiosité :

"Que fais-tu là, Maman?

- Je prie le Christ de nous protéger.

- Maman, est-ce que nous aussi nous pouvons prier avec toi?

- Bien sûr, mes enfants; le Christ vous aime, et veut que vous lui parliez."

C'est ainsi que nous faisons d'habitude, et l'après-midi nous prions tous ensemble pendant quinze à vingt minutes, après quoi nous dînons.

Quand le soir, le papa revient à son tour, nous nous aseyons tous ensemble. Tantôt nous lisons ensemble des livres religieux, tantôt je leur raconte des histoires tirées d'un livre que j'ai lu. Il peut arriver qu'un hôte vienne et perturbe tant soit peu cet ordre. Cependant la plupart nous ont compris, et soit ils viennent pour écouter quelque conversation qui leur soit spirituellement profitable, soit ils vont chez d'autres amis qui leur conviennent mieux.

La nuit tombée, dans la mesure où il nous reste du temps, nous l'utilisons pour prier et pour étudier. Le dimanche, toute la famille se rend à l'église et communie. Grâce à Dieu, nos enfants aussi se sont adaptés à notre rythme et le suivent sans problème. Bien que leurs amis à l'école ne jeûnent pas, heureusement ils ne se sont pas laissés influencer par eux." Pour finir, cette femme pleine de Grâce divine écrit : "C'est ainsi que notre vie s'écoule. Bien que nous subissions beaucoup de tentations en raison de la jalousie de notre adversaire, nous ressentons néanmoins que chez nous règne le Christ et nous en sommes très contents et pleins de bonheur."

Voilà, mon enfant, un exemple qui nous vient du monde, pour nous faire comprendre que Dieu ne fait pas de favoritisme. Il donne Sa Grâce partout. Mais il est plus difficile de parvenir à un degré élevé lorsque l'on vit dans le monde.

Comme première étape, apprenons à dire sans cesse oralement la prière : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi." Disons-la autant que nous pouvons à haute voix, et très vite. Etant donné que le débutant est faible, le tentateur essaie de lui troubler l'esprit avec différentes images mentales. En disant la prière très rapidement et sans discontinuer, on ne permet pas aux imaginations de s'installer dans l'intellect. Maintenant je veux que tu fasses très attention. Quand tu pries, chasse de toutes tes forces quelque image mentale que ce soit. Quelque bonne qu'elle puisse te paraître, chasse-la loin de toi. Satan y a mis sa queue. Essaie uniquement de comprendre ce que tu dis. C'est tout.

Imagine, par exemple, quelqu'un dont la maison est encerclée par des brigands qui viennent pour le dévaliser. Que va-t-il faire? Il est obligé de crier de toutes ses forces : " Au secours, au secours, je suis mis en danger par des brigands, au secours!"

Le novice crie la même chose rapidement ( et parfois aussi avec force) : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi!", " Très sainte Mère de Dieu, sauve-moi!"

Je confesse des moines qui me disent que parfois le tentateur les tourmente avec des imaginations charnelles ou autres. Cela a été pour eux une opportunité qui les poussa à trouver la prière pure, car ils ont été contraints de prier de toute leur force. Il y en a d'autres auxquels Dieu accorde de voir Satan déchaîné, avec un visage terrifiant qui les menace, les frappe et qui va même jusqu'à les prendre à la gorge, pour les empêcher de dire la Prière. Tant il redoute le Nom du Christ. C'est là qu'ils peuvent dire des chapelets de trois cents grains à toute vitesse, et d'une façon si pure que tout leur intellect (noûs) est absorbé dans le Christ!

Un moine m'a confessé qu'alors qu'il disait la Prière, Satan est arrivé par surprise dans son coeur : il avait l'impression d'être écrasé par un roc. Satan l'a littéralement étouffé au point qu'il ne pouvait plus rien dire, ni oralement ni mentalement. C'est alors qu'il a pensé faire le signe de la croix, mais au même instant lui a lié les deux bras, au point qu'il ne pouvait plus les remuer. Alors qu'est-ce que Dieu lui a inspiré de faire? De la tête, il a tracé le signe de croix dans l'air. C'est tout. Aussitôt, Satan a relâché son étreinte aussi bien dans la poitrine que dans ses bras, et a disparu.Conjointement, le moine a commencé à dire mentalement et rapidement la Prière. Quand il s'est confessé à moi, je lui ai dit qu'il était redevable à Satan de lui avoir enseigné la prière. Et que, désormais, il devrait essayer de la garder.

La prière mentale est aussi appelée prière du coeur. On me demande si la prière dite oralement peut aussi être appelée prière du coeur. Si la prière n'est pas pure, ni la prière mentale ni la prière dite oralement ne peuvent être appelées prière du coeur. La prière du coeur, c'est quand l'intellect (noûs) est littéralement englouti par le coeur. Même si des bombes devaient tomber, ou la maison être en feu, l'intellect (noûs ) ne songerait pas à sortir du coeur, même s'il risquait de brûler.

Lis la vie de Sainte Irène Chrysovalente (4) pour comprendre ce que je te dis.

(4) : Sainte Irène de Cappadoce, qui vécut au IX° siècle, pratiqua une ascèse rigoureuse au monastère de Chrysovalandou à Constantinople. Suivant l'exemple de Saint Antoine, elle réussit à rester en prières debout et bras tendus, toute la journée puis toute la nuit. Voir Synaxaire, 28 juillet, t. 5, Thessalonique 1996, p. 267 (NdT).

Satan mit le feu à ses vêtements. Son corps brûla tandis qu'elle était élevée au-dessus du sol, et immobile comme un cierge. Telle est la véritable prière, qui traverse les Cieux comme un éclair et arrive jusqu'au trône de Dieu. Moïse, sans même ouvrir la bouche, entendit Dieu lui dire : " " Qu'as-tu à crier vers moi (5)? "

(5) : ( Ex 14, 15).

Cela veut dire qu'il émit intérieurement un cri et qu'avec son coeur il traversa le ciel comme l'éclair. Quant à la prière dite oralement par le débutant, elle est mélangée à d'autres pensées; elle n'est pas pure. Comment pourrait-elle être appelée prière du coeur? C'est ce que veut dire David quand il dit : " Des profondeurs, j'ai crié vers toi (6)".

(6) : ( Ps 129, 1).

Lorsque la Cananéenne a supplié le Christ de guérir son enfant, c'est oralement qu'elle adit : " Aie pitié de moi", mais du fond de son coeur. C'est cela la prière du coeur. Quand, mon enfant, l'intellect est englouti en Dieu, bien qu'elle soit dite oralement, on appelle cette prière " prière du coeur". Elle sort du fond du coeur. Le coeur et l'intellect sont unis à Dieu.

Il faut aussi tenir compte d'une autre condition indispensable. Pour que tu sois libre intérieurement de pratiquer la prière mentale, il est indispensable que ta cosncience soit pure envers tous. Par exemple : tu vis dans un monastère avec cinquante moines. Tu es obligé d'être en paix avec tous, dans la mesure où cela dépend de toi. Si tu es en paix avec quarante-neuf moines et que tu méprises un moine, c'est ce moine-là qui va compter, en sorte que ta prière ne pourra progresser. Il constitue un obstacle. Parfois, c'est la faute de l'autre, et il ne demande pas pardon. Si tu veux dans la prière trouver Dieu, tu dois prendre la faute sur toi. Tu dois demander pardon. Tu diras des chapelets pour lui. Tu feras tout ton possible pour l'apaiser. Si l'autre a un démon et t'évite, alors nécessairement tu devras faire preuve de patience. Il y a des moines qui sont dominés par le démon de l'envie qui leur obscurcit l'esprit. On ne peut même pas s'entendre avec eux. Mais nous sommes obligés de les aimer et même de dire un chapelet pour eux. Toi, tu vis dans le monde. Chez toi, au travail, sois consciencieux et correct avec tous. Evite ceux qui peuvent te nuire. Veille seulement à ne pas manifester de l'amitié pour certains plus que pour d'autres. Ils s'en apercevront et tu auras des ennuis. Tu m'écris que tu ressens parfois intérieurement une douleur à la poitrine, qui te cause de la gêne et une sensation de suffocation. Tu dois, mon enfant, y faire bien attention. Une chose est la douleur causée par la soif de prière, autre chose est celle causée par quelque autre raison ou quelque trouble. As-tu remarqué que parfois lorsque tu tardes à manger, le ventre proteste et te fait mal? Il en est de même pour l'âme, pour tous ceux qui l'ont habituée à une nourriture spirituelle. Personnellement, je le ressens très souvent. S'il m'arrive d'avoir des soucis et des contrariétés au point que je ne peux me concentrer pendant mon temps de prière, mon coeur en ressent une telle douleur, une telle soif, que j'en souffre, sans que personne m'incommode. Je me sens obligé de courir dans ma cellule. je epnche ma tête en direction de mon coeur. Précisément là où cela fait mal. Je retiens mon souffle autant que je peux, en disant avec voracité et sans interruption la prière. Je peux même la dire ou deux cents fois en une seule inspiration. Mais, me diras-tu, est-il possible de la dire autant de fois? Quoi, allons-nous dire des mensonges? Si rapidement et d'une façon si pure, que ton intellect se colle au fond du coeur. La douleur ne cesse pas. L'intellect et le coeur, sont très affectés par la rétention de la respiration. Mais cependant l'âme l'exige, après cette grande contrainte et la souffrance, vient le débordement. L'âme se fond en larmes très douces. On ressent la présence du Seigneur en elle. Il s'ensuit une telle tendresse, une telle flamme, un tel amour pour le Christ et notre Toute Sainte qu'à ce moment-là, c'est avec la plus grande joie que tu donnerais ta tête à couper pour le Christ. C'est alors que je me suis rendu compte à quel point le martyre fut une joie pour nos saints. Ils se sont consacrés entièrement au Christ et c'est pourquoi régnait sans cesse en eux un profond amour.

Parfois aussi, sans que l'âme soit privée de prière, elle ressent en elle une douleur. Cela veut dire qu'il faut que nous nous contraignions davantage dans la Prière. C'est le signe avant-coureur qu'une tenation va survenir. C'est pourquoi il faut que nous soyons bien armés. Parfois cependant, cela signifie que quelqu'un d'autre a besoin de prière. Bien sûr, quand quelqu'un progresse dans la science de la prière, il s'en rend compte. Mais, quand cela m'arrive, je commence à dire la Prière pour ceux dont je sais qu'ils en ont besoin. Quand j'en arrive à la personne précise qui a particulièrement sollicité de l'aide, alors spontanément l'âme déborde de larmes brûlantes. Alors le coeur devient plus tendre, la souffrance disparaît et l'âme s'emplit d'amour pour Dieu comme pour le frère qui a demandé de l'aide.

Plus tard, comme tu le constates de ce frère même, il reconnaît qu'effectivement à ce moment-là, il avait grandement besoin que l'on prie pour lui. Cela m'est arrivé souvent. Cette souffrance augmente chez les vrais combattants spirituels, quand une nécessité d'ordre général se fait sentir dans l'Eglise, dans le peuple ou même dans le monde entier en général. Mon Ancien (l'Ancien Joseph) m'a dit qu'au moment où commença la Deuxième guerre mondiale, une telle souffrance, une telle flamme s'était allumée dans son coeur, qu'elle ressemblait à la flamme d'une fournaise. Il fut obligé d'interrompre toute autre activité et de prier jour et nuit avec intensité, comme il ne l'avait jamais fait auparavant. Il comprit que quelque chose de grave arrivait. Peu après arriva la nouvelle de la guerre. AH! Cette prière enflammée de mon Ancien, si tu savais combien de jeunes gens elle a sauvés de la mort par balles!

J'ai dit malgré tout que l'on peut aussi ressentir une autre sorte de souffrance. Celle qui est occasionnée par l'instabilité et par l'épreuve. Tu dois y faire attention, s'il t'arrive parfois par inadvertance ou sous le coup d'une influence démoniaque de contrarier un frère. Dès que celui-ci, intérieurement, s'en prend à toi, alors, aussitôt, tu ressens dans ta poitrine une douleur mêlée de confusion et d'agitation. Si tu as tort, cours le voir sans tarder, fais-lui une métanie, demande pardon. Adoucis le coeur de l'autre, si tu veux que Dieu adoucisse le tien. Il peut arriver que, bien que nous soyons dans notre droit, l'autre pense que nous avons tort. Dans ce cas aussi nous participons à l'instabilité démoniaque de l'autre. Pour cela aussi, faisons une métanie. Bon gré, mal gré, nous devons assumer la faute si nous voulons que notre âme s'apaise. Que Dieu nous préserve d'un possédé qui s'en prendrait à nous. Dans ce cas, il faut être très fort pour s'en tirer. Cela m'est arrivé quand j'étais encore débutant, et j'ai reçu une bonne leçon. Bien qu'ayant raison, je lui fis une métanie, et lui, voilà qu'il m'insulta. Je bouillais intérieurement. Je courus chez notre Ancien pour le lui confesser. Celui-ci me dit : " Fais attention. Ne plaisante pas et n'ouvre pas la bouche pour lui répondre. Tu serais cuit. Le diable qu'il a en lui souhaite que tu ouvres la bouche. Il n'attend qu'un mot pour entrer en toi. Qu'est-ce que tu vas prendre alors! N'aie pas peur; je vais prier et tu t'apaiseras rapidement." De fait, je retrouvai immédiatement la sérénité. Mais je ne le dois qu'à l'Ancien. Autrement, j'aurais risqué de tomber dans le désespoir.

Après tout ce que je t'ai écrit à ce propos, examine-toi toi-même et tu trouveras d'où provient chaque souffrance intérieure. Mais fais bien attention : enferme-toi en toi-même autant que possible, pour ne donner autorité à personne d'autre.

Tu me demandes pourquoi je conseille de dire la Prière de Jésus debout, alors qu'il est écrit dans les textes patristiques que la concentration est favorisée si l'on est assis sur un petit tabouret. Le petit tabouret, c'est bien. Mais ce n'est pas pour toi. Ce n'est pas pour moi non plus qui commence à vieillir. J'ai remarqué que lorsque je dis la Prière debout, elle s'écoule rapidement et dans la pureté. Elle suscite la contrition, des larmes, des contemplations et d'autres choses que tu ne peux pas comprendre maintenant. Souvent un parfum très fort s'exhale de la poitrine, au point que toute la cellule en est embaumée. La même chose se produit avec l'Ancien Arsène. Tu as vu ce petit vieux? Si tu savais quelle Grâce l'habite! Souvent, à cet âge si avancé, il lui arrive de sentir une telle douceur et un tel parfum qu'il reste absorbé debout pendant des heures entières. C'est le contraire qui se passe avec le Père Prodromos. Comme il est jeune, lorsqu'il est fatigué d'être resté debout, son esprit se trouble. Mais quand il reste assis sur le tabouret, il est tellement captivé par la prière qu'il peut arriver jusqu'à l'extase.

C'est pourquoi j'insiste encore une fois sur le fait qu'il est absolument nécessaire d'avoir le guide qui convient. C'est vrai en particulier pour les jeunes : pour qu'ils puissent se concentrer, il est indispensable qu'ils domptent tout d'abord leur corps en se dépensant, en faisant des métanies, des jeûnes selon leur capacité, et en se tenant debout autant que possible. Essaie donc et tu verras tout seul la différence. Quant au fait de rester à genoux, cela advient parfois à la suite d'une grande contrition. Ainsi, lorsque le combattant spirituel voit avec les yeux de l'âme le Seigneur devant lui, il ressent la nécessité de tomber à Ses pieds. Ses genoux fléchissent. Il n'y tient plus. Il tombe aux pieds du Seigneur. Mais fais attention, car, souvent, c'est le tentateur qui fait fléchir les genoux pour susciter l'indolence et le sommeil.

Mais quand tu es fatigué d'être resté debout, c'est une bonne chose qu'au lieu de s'asseoir confortablement, tu fasses alterner la position : tantôt debout, tantôt à genoux; parfois même assis. Lorsque les forces nous manquent, Dieu nous épargne et on peut prier debout, à genoux et même assis. Même allongé sur son lit, on peut prier. Mais quand on dispose de forces corporelles, le tentateur ne plaisante pas, il suscite aussitôt de la négligence, un obscurcissement de l'intellect et du sommeil. Beaucoup de combattants spirituels ont l'habitude de dire la Prière même en marchant, afin de combattre la négligence et le sommeil.

Tu m'écris que tu dis la prière assez longtemps à haute voix, mais qu'il arrive qu'il se produise une sorte de "retournement vers l'intérieur" qui te pousse à fermer la bouche, et à dire la Prière mentalement avec l'intellect seul. C'est le signe d'un petit progrès. Lorsque nous avons dit la Prière à haute voix pendant longtemps, en nous efforçant de bien comprendre ce que nous disons, petit à petit la Prière entre dans le coeur. Alors se produit ce retourenement vers l'intérieur; la gorge se serre; la bouche ne peut plus parler. En même temps, nous contraignons l'intellect, nous retenons notre respiration autant que nous pouvons le supporter et nous disons la prière de la façon la plus pure possible. Si tu pouvais parvenir à la prière pure et acquérir ces douces larmes qui jaillisent sans effort de tes yeux, alors je t'expliquerais aussi ce qui suit. Mais fais attention! Le tentateur peut aussi provoquer un retournement vers l'intérieur apparent. Parfois nous commençons à dire la Prière oralement. Arrive Satan, et c'est comme s'il nous fermait la bouche avec une pierre. On croit que c'est un retournement vers l'intérieur. On commence à prier intérieurement, mais rien ne se passe. L'intellect se disperse ici et là. C'est une ruse de Satan pour te fermer la bouche. Si tu vois que tu n'arrives pas à concentrer ton intellect, essaye autant que tu peux de te forcer à desserrer la bouche. Je suis passé par là alors que j'étais un débutant, un jour que je travaillais. Alors que je disais sans arrêt : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", il me cloua le bec. J'ai essayé de me concentrer un peu mentalement. Mais ce jour-là, comme j'avais eu aussi la distraction du travail, la Prière se faisait par intervalles. Je l'ai dit à l'Ancien. Il m'a répondu : " Fais-toi violence pour prier sans cesse oralement." Avec un peu d'effort au début, ma bouche s'est mise à dire la Prière comme un petit moteur, sans s'arrêter. Une agréable douceur m'a empli la bouche, comme si j'avais croqué des chocolats toute la journée. J'ai travaillé toute la journée sans avoir ni faim ni soif. c4est cette douceur qui me rassasiait. Plus l'oreille entend la Prière durant la journée, plus la Prière s'écoule pendant la nuit, et plus aussi on pourra se concentrer sur le sens des mots.

Quant aux saints offices de l'Eglise, ceux qui les remplacent par la prière mentale ne les rejettent pas et ne les méprisent pas. Les saints offices sont écrits avec la Grâce de l'Esprit Saint, et l'on trouve en eux de la sagesse, les dogmes, de la dévotion, de la louange. C'est un jardin d'Eden. Malheureusement ce jardin est fermé à la plupart des gens. C'est bien d'aimer les offices. Mais que cela ne devienne pas pour toi juste une bonne habitude. Que cela ne soit pas non plus pour toi seulement l'occasion de lire ou de chanter avec plaisir et de passer agréablement quelques heures. Quand nous lisons ou que nous chantons, ce qui importe, c'est de comprendre le sens spirituel des paroles et d'en faire ses délices. Sinon nous entendrons nous aussi les paroles adressées à Philippe par l'eunuque : " Comprends-tu ce que tu lis (7)?"

(7) : ( Ac 8, 26-32).

Dieu envoya Philippe à l'Ethiopien pour qu'il lui explique les paroles de l'Ecriture. Quant à nous, Dieu nous envoie le Saint-Esprit quand l'intellect est purifié par la prière ininterrompue.

Un moine très pieux est venu un jour à Bourazéri pour un entretien. Il m'a dit :

"Moi, Géronda, je ne suis pas contre la Prière, mais je ne suis pas du même avis que vous quand vous insistez sur la Prière en mettant de côté la plupart des offices.

Je lui ai répondu :

- Et qui t'a dit que nous rejetions les offices?

- Eh, en tout cas, ils sont tronqués. Nous, dans notre monastère, nous avons quotidiennement six à huit heures d'offices communautaires, sans compter les dimanches, les fêtes, les vigiles, etc...

- Tu as bien parlé de culte communautaire. Je voudrais que tu me répondes sincèrement. Lorsque tu es assis dans ta stalle, comprends-tu ce qui se passe, ou bien ton intellect voyage-t-il de ci de là?

- Eh, pour être sincère, effectivement mon esprit vagabonde souvent.

- Alors, lui répondis-je en badinant, à toi aussi s'applique la parole du prophète : " Ce peuple m'honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi (8).

(8) : ( Mt 15, 8).

Veux-tu que je te dise comment nous, nous lisons? D'abord nous veillons dans notre cellule en disant la Prière, pour que notre intellect soit illuminé. Ensuite, nous ouvrons l'Octoèque ou les Ménées. Il nous vient une telle impression et une telle douceur, une telle émotion, une telle componction, que tu poses le livre, que tu tombes à genoux, que ton coeur s'enflamme d'amour divin et que tu te mets à pleurer sans t'arrêter. Maintenant que je me suis engagé dans les affaires de la communauté et les soucis, cela m'arrive moins souvent. Mais quand j'étais tout seul, cela se produisait quotidiennement. Pour ce qui est de l'instruction, j'ai à peu près fait l'école primaire. Mais malgré tout, quand ton intellect s'ouvre, ces hymnes en grec ancien qui se trouvent dans les livres, tu les comprends mieux que les professeurs. Essaie, toi aussi de t'échauffer tout d'abord avec la petite Prière et alors tu verras quelle différence cela fera quand tu suivras les Liturgies de notre Eglise. Je l'ai constaté à propos de beaucoup de moines que je confesse dans les monastères. Laisse-moi te dire encore quelque chose, entre nous : puisque toi tu as de l'instruction, est-ce que tu lis l'Ecriture Sainte?

- Eh, bien sûr, Géronda, que je la lis.

- Tu lis, oui. Mais tu y comprends quelque chose?

- J'y comprends quelque chose. Je n'ai pas un peu d'instruction, comme vous l'avez dit.

- Puisque tu dis que tu comprends, ressens-tu en toi un changement?

- Je ressens de temps en temps un certain changement, une certaine émotion. Mais pas toujours.

- Alors, veux-tu que je te dise comment nous, les illettrés, nous lisons l'Ecriture Sainte? Après avoir prié cinq à six heures, je lis ensuite l'Ecriture Sainte - de préférence les Evangiles - à la suite. Je t'assure fraternellement que mon intellect s'ouvre au point que je comprends si clairement que je ne peux pas résister à une telle perception. Je laisse le livre et je pleure avec beaucoup d'émotion pendant longtemps. Si je t'avoue cela, c'est parce que tu veux savoir si nous, nous lisons. Qu'est-ce qui donne une telle illumination et une telle émotion? N'est-ce pas la Prière?

- S'il en est ainsi, je m'incline, Géronda. Seulement, nous, dans les monastères, nous avons beaucoup d'heures d'offices et peu de solitude ( dans notre cellule).

- C'est ce que me disent les moines des monastères que je confesse. Mais Dieu n'est pas injuste. Tu feras tout ce que tu peux dans ta cellule. Tu achèveras ton canon de prières et tout ce qui est requis, et pendant la Liturgie, tu continueras à dire sans interruption la prière de Jésus. Les monastères ont davantage de Grâce. Ils ont des Saints, ils ont tant de saintes reliques que, quand on prie, on reçoit beaucoup de Grâce. Tu es alors illuminé, tu es dans la contrition, tu ressen en toi de la joie et de l'allégresse. L'heure est proche où, lorsque tu diras la Prière, ton intellect s'ouvrira, en sorte que conjointement tu comprendras clairement aussi bien la Prière que le sens de l'office, au point que tu en seras émerveillé. Tu deviendras alors un véritable théologien.

Je te dis tout avec ma responsabilité de confesseur. Ces choses sont valables pour ceux qui, parmi ceux que je confesse, se font violence. Elles ne s'appliquent pas aux indolents ni à ceux qui font leur volonté propre."

Voilà ce que j'ai dit à ce moine. Il est reparti, comme il me l'a dit, satisfait et plein d'humilité. Je lui ai dit : " Allez, et bon courage." Mais pour ne pas décourager tous les autres qui aiment les offices, j'ai constaté, en tant que confesseur, que tous les moines qui, dans les monastères, ne négligent ni leurs offices, ni leur canon, ni leur obéissance, bénéficient d'une grande protection. La paix et la joie intérieures qui émane d'eux ne leur font pas défaut. Depuis que je confesse, j'ai été confronté à certains cas de moines possédés. Mais, en règle générale, cela se produit chez ceux qui vivent en faisant leur volonté propre et qui vont jusqu'à négliger leurs devoirs spirituels. Concernant ceux qui vivent dans les monastères, je n'ai que quelques cas en tête. Et en outre le démon les a fait chuter par une tentation de la droite (9), parce qu'ils combattaient sans direction spirituelle en suivant leur volonté propre.

(9 ) : ( C'est-à-dire lorsque l'homme fait le bien, mène le combat ascétique, s'efforce de vivre vertueusement, mais avec une mauvaise intention, dans un mauvais esprit, en suivant sa volonté propre, en en tirant de la vanité, de l'orgueil, etc... (NdE).

Je t'écris tout cela, parce que, d'une part, je constate que tu as une grande soif d'apprendre et d'en tirer profit, et parce que d'autre part, cela pourrait intéresser aussi tes amis qui pourraient lire ce que j'écris pour leur édification.

Tu m'écris également en me demandant de te conseiller pour savoir si tu es apte à devenir moine. Je vois de bons signes, mais le mieux est que je te teste de près. Quand tu en auras l'occasion, viens passer quelques jours avec nous.

Puisque chaque jour tu es fatigué et que tu n'arrives pas à te concentrer pendant longtemps, fais-toi un petit programme. Lève-toi le matin le plus tôt possible. Avant que n'arrive l'heure du travail, dis sans discontinuer la prière avec le chapelet et fais aussi cinquante métanies. Quant aux dimanches et aux fêtes où tu ne travailles pas, tâche d'en tirer parti le plus possible. Lors des dimanches et des grandes fêtes, le Christ accorde deux fois plus de Grâce. Je me souviens que lorsque je vivais avec mon Ancien dans l'obéissance, quotidiennement nous travaillions quelques heures pour gagner notre pain. Mais les dimanches et les fêtes étaient des jours chômés. Crois-moi, je les attendais avec un désir ardent. On aurait dit que tous les dimanches, c'était Pâques. Je passais la nuit à veiller debout huit heures durant, puis, pendant la journée, je priais pendant huit heures d'affilée, presque toujours debout. Comment t'en donner une idée? Quelle prière! Quelle contrition! Quelle contemplation! C'était un vrai Paradis.

Un dimanche, je m'en souviens, nous avions quelques hôtes dans notre calyve. L'Ancien me fit appeler et me demanda de les accompagner jusqu'à Saint-Paul, pour qu'ils y vénèrent les reliques et les icônes. Crois-moi, aussitôt j'en fus contrarié. Pas parce que cela m'ennuyait. Je me suis dit : " Ah, Géronda, qu'est-ce que tu me fais là? Voilà un dimanche perdu!" Notre Ancien était quelqu'un à qui rien n'échappait, et il me dit : " Ne sois pas contrarié, Père. Aujourd'hui, tu vas trouver une prière telle que tu n'en as jamais connue, au point que tu t'en souviendras pendant des années." C'est effectivement ce qui arriva. On m'a donné une cellule à Saint-Paul. Je m'y suis enfermé sans tarder, et pendant quatre heures j'ai prié de façon ininterrompue, avec des larmes incessantes. J'étais tellement captivé, mon âme a trouvé une telle douceur dans l'amour divin que ce ne peut pas être décrit par des mots. De cela, j'ai tiré une autre leçon. C'est que l'obéissance surpasse tout. Par le biais de l'obéissance, tout nous est profitable. Maintenant que mes responsabilités administratives m'empêchent souvent le dimanche de m'enfermer en moi-même, mon âme crie, proteste, a plus soif du Christ que "le cerf qui languit après les eaux vives (10).

(10) : ( Ps 41, 2).

Je ressens le besoin de me cacher quelque part, , ne serait-ce qu'un instant, pour donner satisfaction à la soif de mon âme.

Tu m'écris que dans la brochure que tu as achetée avec l'Acathiste à la Mère de Dieu, on rapporte que la Toute Sainte a promis à ceux qui liraient l'Acathiste chaque jour de prendre leur défense dans cette vie comme dans l'autre. Je le sais bien moi aussi. C'est pourquoi j'ai appris l'Acathiste par coeur avant de devenir moine. Bien que cela soit valable pour tous, pour ceux qui combattent spirituellement, cela ne suffit pas. Notre but n'est pas seulement d'être sauvé. Le Christ nous appelle à devenir des princes dans son Royaume. C'est pourquoi nous devons cultiver aussi les vertus, ainsi que la prière ininterrompue. Autant que nous le pouvons, que la prière: " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", soit présente sur nos lèvres et dans notre coeur. Quand tu as pris l'habitude de dire sans cesse cette prière, tu ressens un tel plaisir que cela te pousse à dire sans discontinuer cette petite prière, au point que tu n'as pas faim, que tu n'éprouves pas le besoin de parler ni de dire quoi que ce soit d'autre. A ce moment cependant, il faut faire attention : si tu es un tant soit peu négligent, en dédaignant la Prière, elle te dédaigne à son tour et s'en va. C'est pourquoi tu ne dois, sans nécessité, ni parler à quelqu'un, ni changer de prière. Même l'Acathiste, ne t'en occupe pas à ce moment-là, notre Toute Sainte ne t'en voudra pas. Plus tard, lorsque tu n'auras plus autant d'empressement à dire la prière, alors, change. Dis l'Acathiste. Dis : " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi!" Dis tout ce que Dieu t'inspirera. C'est la raison pour laquelle la vie monastique est appelée "l'art des arts". Tu m'as demandé oralement si même dans le domaine spirituel on utilisait une technique. Bien sûr que nous utilisons une technique. Tu apprends l'art suprême. Comment pourrait-on ne pas utiliser de technique? Lis saint Nicodème l'Hagiorite, lis La Philocalie, lis Les Récits d'un pèlerin russe, tous les Pères neptiques. Tous parlent d'une méthode, parlent d'un enseignement, c'est-à-dire parlent d'une technique. Toi maintenant, tu en es à la première leçon. Je répète et j'insiste : puisque tu arrives fatigué chez toi, le soir tu mangeras. Tu diras les Complies et l'Acathiste. Tu diras la Prière quelque temps, jusqu'à ce que tu aies sommeil. Tu te coucheras le plus tôt possible. Tu te lèveras après t'être reposé normalement. Aux uns cinq heures de sommeil suffisent, pour d'autres six, et pour d'autres encore sept. Essaie. Ensuite commence sans tarder à dire la Prière et ton canon. S'il te reste du temps, lis le Nouveau Testament, le Psautier, ou quoi que ce soit d'édifiant. Si la prière t'attire, ne l'abandonne pas. Dis la Prière jusqu'à l'heure de partir au travail. Mais dis-la aussi au travail, dans la mesure du possible, en chuchotant sans t'arrêter, sauf si ton travail exige que tu parles pour la bonne entente avec les autres.

Je t'attends, rends-nous visite dès que tu en auras l'occasion. Essaie de mettre en pratique ce que j'ai écrit, et si tu as de nouvelles interrogations, j'espère que nous aurons d'ici peu l'occasion d'en parler ensemble. Voilà, j'en ai fini, et je te souhaite de bien progresser."



Lettre adressée par l'Ancien à un membre de sa famille.

Karyès, le 3/16 octobre 1978



Mon enfant dans le Seigneur.

J'ai reçu ta lettre et j'ai donc appris que tu faisais ton service militaire. Je prie notre Dieu qui est bon, et notre Toute Sainte de te protéger des pièges du Diable et des épreuves suscitées par des hommes pervers. La vie militaire est très difficile pour quelqu'un qui désire être un bon Chrétien, et il faut être extrêmement attentif et sérieux. Aime tout le monde et ne sois l'ami de personne. Exceptionnellement, si tu trouves quelqu'un de pieux et qui craint Dieu, tu peux faire sa connaissance et le fréquenter avec discernement. Au point où il en est, le monde n'est plus que "crainte et tremblement". Ne place ton espoir qu'en Dieu et c'est à Lui seul que tu dois demander de te protéger. Il n'est pas du tout difficile de s'occuper de son intellect (noûs), en disant autant que tu le peux la prière "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi." Cette petite prière, dite sans cesse, aide beaucoup l'homme en toute occasion. Dieu mène le monde, et tu n'auras aucune difficulté, avec l'aide de Dieu, à éviter tous les maux, car, lorsque tu dis la Prière, tu dois croire que Dieu est près de toi, et que, écoutant ta prière, Il te vient en aide. Quant à ce que tu m'as dit... Tout vient du tentateur. Peux-tu devenir un bon Chrétien? C'est-à-dire te confesser régulièrement, fréquenter l'église avec assiduité et communier chaque dimanche et à chaque fête? Ou au moins tous les dix ou quinze jours? Peux-tu observer les jeûnes tous les mercredis et tous les vendredis, sans consommer d'huile, et en t'abstenant des pièges pervers : la danse, les distractions, et la télévision...? C'est alors de tout mon coeur que je prierai pour toi, et j'en serai heureux. Je suis affligé et je pleure à cause de votre état déplorable et de votre manque de jugement. Vous qui cherchez à plaire au monde et à vous conformer à la mode, comment pourriez-vous plaire à DIeu? Je t'écris ces quelques lignes et tu comprendras beaucoup de choses. Efforce-toi de plaire à Dieu et non aux hommes. Je me réjouirai d'apprendre que tu t'efforces de devenir meilleur.

Je t'embrasse paternellement, et je t'envoie ma bénédiction.

P. Charalampos.



Triomphe sur l'acédie...

Dans le combat qu'il mena sur plusieurs fronts contre les passions et les puissances des ténèbres, l'Ancien Charalampos gagna assurément de nombreux prix. Mais il gagna sans nul doute son plus grand prix en menant un combat sanglant contre la passion de l'acédie. Bien que l'on puisse le constater à la simple lecture de sa vie, j'ai jugé malgré tout utile de lui consacrer un chapitre particulier, tiré de conversations de l'Ancien avec ses enfants spirituels. J'y ajoute un entretien avec un moine d'un monastère voisin lors des premières années de notre installation dans le saint monastère de Dionysiou (11).

(11) : ( C'est une version fidèle de cet entretien réalisée avec la collaboration de l'auteur de cet ouvrage).

" Quant à l'acédie que tu as tant redoutée, il fuat que tu saches qu'elle fait partie des plus grandes armes de Satan. Mais le fait que Dieu consente à ce que tu éprouves cette tentation, cela veut dire que toi aussi tu lui as donné quelque prise. Mais quand un débutant commence à veiller, s'il n'a pas un guide expérimenté, il ne peut pas éviter d'y donner prise. C'est pourquoi l'acédie est l'amie fidèle de ceux qui font leur volonté propre et des orgueilleux. Si tu entends quelqu'un qui fait sa volonté propre assurer qu'il a acquis la prière mentale, tu peux être sûr qu'il est dans l'illusion.

Laisse-moi donc t'indiquer quelques conditions préalables qui te permettront de veiller pendant la nuit. Tout d'abord tu dois te rendre compte que la veille, c'est une rencontre, une conversation avec Dieu en personne. La principale demande dans cet entretien,

c'est : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi". Cependant, pour qu'il ait pitié de nous, le Seigneur a conclu un pacte avec nous dans l'Evangile, en disant : " Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (12)."

(12) : ( Mt 5, 7).

- Géronda, je suis dans l'incertitude : Nous, les moines, nous ne possédons rien. Quelle aumône pouvons-nous donc faire.

- Ah! Si tu savais quelle valeur a la vie monastique! Le moine authentique, mon enfant, dépasse les limites de l'aumône. C'est bien de faire l'aumône de son superflu. C'est encore mieux de donner de ton nécessaire, comme la veuve. Mais le moine accomplit le commandement parfait : Il renonce à tout ce qu'il possède, et, finalement, il renonce à lui-même, par amour pour le Christ (13). Tu comprends?

(13) : ( Mt 19, 21).

C'est ce fondement solide qu'établit le moine authentique. Dans la personne de son Ancien, il se soumet à Dieu Lui-même. Celui qui y arrive accomplit le commandement parfait. Si donc, tout au long de la journée tu as fait plaisir à ton Ancien, tu te mets en compte avec le Christ lui-même. Durant ta veille, Il te dira à toi aussi : "Venez à moi, vous tous qui peinez... Et moi je vous soulagerai... (14).

(14) : (Mt 11, 28).

C'est-à-dire, viens, que je te procure du repos.

Si tu es dans l'obéissance et que tu t'es acquitté de tes obligations à l'égard de tes frères avec exactitude, tu entendras derechef : " Bienheureux les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde." Mais si tu es négligent dans l'accomplissement de tes devoirs quotidiens, ne t'attends pas à faire quelque progrès que ce soit pendant la nuit. Il ne s'agit pas seulement de dire : " Aie pitié de moi"; la question est aussi de savoir ce que le Christ va nous répondre. Si ton âme avait des oreilles, sais-tu ce que tu entendrais? : "Je ne vous connais pas (15)."

Lorsque le père hôtelier donne à boire aux visiteurs de l'eau fraîche, en la personne de l'hôte, c'est au Christ qu'il donne à boire (16).

(16) : (Cf. Mt 10, 42).

S'il donne l'hospitalité le soir à des pèlerins, c'est au Christ qu'il donne l'hospitalité. Nous, notre monastère est l'un des plus petits de la Sainte Montagne. Mais malgré tout, nous ne chassons pas les visiteurs. Il se peut qu'en la personne d'un hôte, ce soit le Christ Lui-même que tu chasses. Un moine était très contrarié de voir des hôtes à l'hôtellerie. Il me l'a dit une fois, deux fois; alors, à mon tour, je lui ai dit qu'il n'était pas fait pour s'occuper de l'hôtellerie, et que j'allais le mettre quelque part ailleurs. Il m'a demandé de l'y laisser encore pendant cette année, puis de le changer de diaconie. Je lui ai dit alors : " Si tu veux continuer, alors fais bien attention à ce que je vais te dire : lorsque tu t'occupes des hôtes, dis sans cesse la Prière. Tu ne parleras pas avec eux. Limite-toi à l'indispensable. Mais, mentalement, tu vas te dire que c'est le Christ que tu sers." Résultat : non seulement il acheva l'année dans cette diaconie, mais, de plus, il me demanda de l'y maintenir par la suite, tant il avait trouvé de paix et de prière en exerçant cette tâche difficile.

Le cuisinier qui se fatigue, transpire pour faire plaisir à ses frères au réfectoire, c'est au Christ encore qu'il fait plaisir.

Tout ce que je viens de mentionner constitue le point de départ fondamental pour commencer la veille et la prière mentale dans un monastère cénobitique. Mais si en revanche, en raison de ton manque d'attention, tu as attristé ton Ancien ou un frère quelconque, si tu ne prends pas soin de lui faire une métanie avant la veille, dans la prière tu vas te trouver confronté à un poids qui va t'empêcher de prier. Cela se produit surtout lorsque tu éprouves de l'inimitié pour quelqu'un. " Mon enfant, Dieu est amour (17)."

(17) : ( 1 Jn 4, 8).

Si tu es envieux, tu n'as aucune relation avec Dieu. L'envieux ressemble au Diable. Tant que dure en lui la jalousie, quelle communion veux-tu qu'il ait avec Dieu? N'avons-nous pas dit que la veille était une communion avec Dieu?

- Géronda, je vous remercie pour ce que j'entends. Ces détails que vous mentionnez sont importants. Bien que je ne sois qu'un homme soumis aux passions et faible, cependant, dans mon combat quotidien, sans y avoir bien réfléchi, je me rends compte que ce que vous avez dit a beaucoup d'importance pour la prière. Je m'efforce jour et nuit d'avoir la conscience en paix à l'égard de tous. Malgré tout, quand je commence à veiller, le démon de l'acédie me fait la guerre. Que faire de plus?

- Ah, attends! Nous n'avons pas encore terminé. Nous avons beaucoup à dire sur ce combat. Ecoute encore ceci : celui qui désire veiller chaque nuit, il faut qu'il limite sa nourriture. Ou du moins qu'il ait mangé quelques heures auparavant, de manière à avoir digéré au moment de la veille. Un ventre lourd suscite naturellement épuisement et somnolence. C'est pourquoi mange autant qu'il est nécessaire au réfectoire. Si tu as été tenté une fois par un repas succulent et que tu as mangé un peu trop, allez, c'est pardonnable. Les Saints Pères règlent toute chose avec sagesse. Depuis l'heure du repas jusqu'à l'heure de la prière, il y a un nombre suffisant d'heures pour que la digestion ait lieu. Mais si tu es glouton et que tu manges en cachette, et qu'à nouveau le soir tu fasses ripaille, alors ne t'attends pas à pouvoir prier.

Celui qui veut veiller régulièrement chaque nuit doit d'abord se reposer un peu quelques heures. Le moine, d'habitude, partage son temps de sommeil en deux : la moitié avant la veille et l'autre moitié après. En tout, ce corps pesant a besoin de cinq à sept heures de sommeil. Ceux qui ne peuvent pas dormir en deux fois doivent cependant dormir pendant ce nombre d'heures, ne serait-ce qu'en une seule fois. Lorsque tu dors selon un rythme régulier, petit à petit la veille s'intègre à un bon programme. Note ce que je vais te dire : Quand un jour tu as dormi moins que le nécessaire, aussitôt cela produit en toi une modification : tu somnoles, tu as des sensations d'épuisement, tu éprouves de l'acédie. Mais si en revanche tu as dormi plus qu'il ne convient, là aussi tu éprouves une pesanteur, de la confusion, de l'acédie. C'est dans ce cas que s'applique la sentence des Anciens : "De la mesure en toute chose." Cependant, des modifications se manifestent aussi avec les changements de température. La chaleur excessive provoque aussi une pesanteur et du sommeil, de même que le froid rigoureux. Les plus belles saisons, nous disait notre Ancien, ce sont le printemps et l'automne. Pendant ces saisons, fais le plus d'efforts que tu peux pour avoir des réserves. Celui qui a comme but de veiller évite autant qu'il peut les discussions vaines. Une fois les Vêpres terminées, le repas pris, et les Complies récitées, si tu n'as pas de diaconie obligatoire, prends l'habitude de courir comme un lièvre dans ta cellule. Les Pères disent : " Reste assis dans ta cellule, et ta cellule t'enseignera tout." C'est-à-dire que si tu es reposé, tu dois commencer sans tarder ta veille. Si au contraire, tu es fatigué, accorde à la chair son tribut de rigueur, et, par la suite, la nuit t'appartiendra.

Mais si tu prends l'habitude, après les Complies, de sortir dans la cour, pour discuter assis sur les petits bancs, alors, ne t'attends pas à avoir une veille réussie. Quelque spirituels que soient les entretiens, cela te fera du tort. Et, a fortiori, si tu te perds en bavardages et en critiques. Outre le fait que tu perdras un temps précieux, le plus grave, cependant, est que tu perdras l'envie de prier. Tu sentiras alors davantage le besoin de sommeil. Et quand tu t'éveilleras, tu auras la tête en effervescence, et tu n'auras même pas envie de dire ton canon fixe de prières. Puis alors viendront les plaintes : " Oh là là! Comme la vie monastique est pénible!" Tu vois, mon enfant, sans le savoir, à quel point nous nous rendons tout seuls la vie difficile, ensuite de quoi... C'est la faute des autres!"

- Géronda, tu m'as bien eu, comme on prend un voleur en flagrant délit! De fait, moi aussi je suis comme ça; j'ai pris l'habitude, après les Complies, de faire ma promenade. Et il est inévitable que je rencontre quelqu'un pour bavarder. Maintenant je comprends pourquoi j'éprouve ces perturbations, tant dans mon sommeil que dans ma prière. J'espère désormais y faire attention.

- Donc, tu as été bien attentif à cet enseignement.

- Oui, Géronda, j'ai été bien attentif.

- Si tu n'as pas été attentif lors de cette leçon, il est inutile que nous poursuivions davantage cette discussion. Nombreux sont ceux qui se sacrifient en obéissant ou lors de leurs diaconies. Mais qui ensuite, le soir venu, perdent ce qu'ils ont acquis en bavardant assis sur les bancs. C'est finalement comme s'ils n'avaient rien fait. On ne peut que les plaindre.

Mais continuons avec des considérations plus élevées. Il arrive, très souvent en plus, que l'acédie soit le produit pur et simple de la jalousie du tentateur. Cela m'est arrivé fréquemment dans le monde, comme lors des premières années de ma vie de moine. En tant que novice, je suivais la règle de notre Ancien. Je m'allongeais pendant deux ou trois heures avant la veille, et je complétais plus tard mon temps de sommeil. Mais, de temps en temps, le tentateur m'énervait à l'heure de dormir, et j'avais une insomnie telle que l'heure du réveil arrivait sans que j'aie réussi à fermer l'oeil. Je sautais de mon lit comme un lièvre. Je courais chez l'Ancien, je lui faisais une métanie, et, sans plus tarder, j'engageais le combat de la veille.

Mais le méchant percepteur ne tardait pas à passer pour demander du sommeil au moment de la Prière. Alors, fatigué, épuisé comme je l'étais, je n'osais pas m'asseoir, mais je m'appuyais un peu sur le mur, et, aussitôt, le Diable obscurcissait mon esprit. J'étais obligé de me tenir debout, sans plus m'appuyer nulle part. Mais, peu après, mon esprit s'obscurcissait de nouveau. Voici ce que j'imaginai de faire : je levais mes deux bras bien haut, en me disant que, dorénavant, je ne les bougerais pas tant que cette posture n'aurait pas chassé de moi le démon de la négligence. Parfois mes bras étaient si refroidis et si engourdis que j'avais du mal à les baisser. Mais mon affaire marchait. Peu à peu la négligence s'en allait, et alors venait une telle prière, une telle contrition, que cela est indescriptible.

Un jour, notre Ancien me fit cadeau d'un bâton en me disant que c'était là le plus grand remède aux passions. Après ce cadeau, il arriva encore que de temps en temps j'aie de l'insomnie à l'heure du repos. Le démon de l'acédie ne tradait pas à passer avec sa plume (18), comme pour me dire que je lui devais quelque chose.

(18) : ( Un jour, saint Macaire de Scété vit Satan qui tenait une plume. Il lui demanda ce que c'était et il lui répondit qu'elle lui servait à bercer les moines lorsqu'ils prient. C'est à cela que l'Ancien fait allusion).

Alors, à mon tour, je me disais : " Attends un peu, je vais te donner ce qui me revient!" Je sortais le gros bâton de notre Ancien en me disant rempli de colère : " Laisse-moi te demander quelque chose, sale vieille carcasse : est-ce que je t'ai laissé dormir lorsqu'il le fallait? Oui ou non? Puisque je t'ai laissé dormir lorsqu'il le fallait, qui t'a dit de dormir? Maintenant, prends ces bons coups de bâton, on verra un peu si la prochaine fois tu écouteras encore le tentateur." Et sans tarder, han avec le bâton sur les cuisses. Mais des coups de bâton qui n'étaient pas pour plaisanter! On tombe sur le sol de douleur, on se relève, et encore un coup! Mon gars, si tu avais vu comment le démon de l'acédie devenait alors invisible avec la vitesse de l'éclair! Je t'assure que lorsque cela se produisait, j'avais par la suite une veille telle que c'est indescriptible. Les yeux, par la suite... étaient grands ouverts. La prière était si pure, si fervente, que mon esprit était ensuite ravi en contemplation. Un jour, alors que j'avais riposté de cette façon à l'acédie, je suis resté pendant cinq à six heures en extase, droit comme un cierge. Mais il semble que cela ait mis Satan hors de lui. A un certain moment, j'ai entendu comme des hurlements, qui ressemblaient au bruit que fait une femme qui pleure lorsque son enfant vient de mourir. Je me suis retourné, mais qui ai-je vu? Un noir effrayant qui se tenait à l'extérieur de ma cellule. Après une première impression d'effroi, Dieu m'accorda du sang-froid. Je me suis retourné en lui disant : " Qui es-tu? Et qu'est-ce qui t'amène à une heure pareille?" Lui, excédé, hors de lui, me répondit : " Je m'en vais, moine; je m'en vais; tu m'as calciné. Je ne m'en sors pas avec toi. Je suis le démon de l'acédie." M'ayant dit cela, il devint invisible.

Je te raconte ceci, mon enfant, parce que la conversation en est venue à ce sujet. Je te le dis pour que tu te rendes compte à qui nous avons à faire dans la vie monastique, afin que tu prennes tes précautions.

- J'avoue, Géronda, que je m'émerveille de ce que j'entends. Mais moi, où trouverais-je la force de rester debout comme un cierge, en prière, pendant cinq ou six heures?

- Eh, nous n'avons pas dit que tu dois, toi aussi, rester debout pendant cinq à six heures. Mais ne sois pas admiratif. Cela ne vient pas de nous. Crois-moi, quand la Grâce intervient, j'oublie que je suis debout. Dieu n'accorde pas cela en monopole. Il le donne à tous ceux qui en ont la disposition. Si seulement j'étais aussi dépourvu de distraction que toi. Ah! Si tu savais comme je t'envie! Malheureusement maintenant je suis envahi par les préoccupations administratives qui me prennent le meilleur de mon temps. Ah, si je pouvais rester debout quelques heures pour rassasier mon âme de prière! Personnellement je recommande à mes moines de se tenir au début debout autant qu'ils le peuvent pendant la prière. J'en ai quelques-uns qui passent debout presque toute leur veille en cellule. D'autres qui, lorsqu'ils sont fatigués, au lieu de s'asseoir s'agenouillent un peu et se relèvent.

L'un d'entre eux m'a dit qu'il était fatigué s'il restait debout, et qu'il s'endormait s'il s'asseyait. Qu'il s'agenouillait, mais qu'à nouveau il sommeillait. Il ne savait plus quoi faire. Je lui ai répondu : " Il y a encore d'autres façons d'agir. Marche jusqu'à ce que tu aies chassé le sommeil, en disant oralement la Prière sans discontinuer. Donne-toi aussi quelques bons coups de bâton à l'intérieur des cuisses. Satan a avec le corps un grand allié. Lorsqu'il te voit en venir à bout, il ne le supporte pas. C'est pourquoi il s'en va."

Utilise, toi aussi mon enfant, tous ces moyens, et Dieu te viendra en aide. Va, dans la bénédiction du Christ, et reviens me voir pour me faire part de tes progrès."



II



SUR LA DIVINE EUCHARISTIE



Le sacrement de la sainte eucharistie.

Notre sainte Eglise orthodoxe, depuis les origines, invite tous ses membres, lors de chaque Divine Liturgie et par l'entremise du célébrant, à prendre part au sacrement de la Sainte Eucharistie : " Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez." Le fidèle est certainement envahi par des sentiments contradictoires, par la crainte et par le désir. Le saint apôtre Paul écrit aux Corinthiens : " Que chacun donc s'éprouve soi-même et qu'il mange alors de ce pain et qu'il boive de cette coupe (1)."

(1) : (1 Co 11, 28).

Bien que le principal but de la Divine Liturgie soit la participation des fidèles au sacrement de l'Eucharistie, il y a cependant divers motifs qui peuvent empêcher une telle participation. Une condition préalable indispensable à cette participation, c'est la crainte de Dieu. Avec le temps, ce facteur obligea beaucoup de Chrétiens à espacer leur participation. A la longue, on finit par aboutir à une participation de quatre ou cinq fois par an. Pour finir cela a constitué une habitude qui est devenue pour beaucoup une règle. C'est-à-dire lors des trois grandes fêtes de notre Eglise, ceux qui avaient jeûné comme ceux qui n'avaient pas jeûné, ceux qui s'étaient confessés comme ceux qui ne l'avaient pas fait, trouvaient nécessaire de communier. Cela ne passa pas inaperçu aux yeux du grand maître saint Nicodème l'Hagiorite. Dans un ouvrage particulièrement important : Sur la communion fréquente, il replace tant les pasteurs que les brebis dans une perspective correcte en invitant les fidèles à communier le plus souvent possible. Durant le XXème siècle, de nombreux livres ont été écrits sur la communion fréquente, en premier lieu par Dimitrios Panagopoulos (2), saint prédicateur d'éternelle mémoire, qui fut gratifié par Dieu de nombreux charismes.

(2) : (Né en 1885 et décédé en 1962, il fut un membre actif de la fraternité Zoï, qu'il quittera à la fin de sa vie pour la fraternité Soter).

Dans son ouvrage capital L'Antidote de la mort, il examine soigneusement la nécessité de participer aussi souvent que possible aux Saints Mystères en s'appuyant sur des arguments tant scripturaires que patristiques, et sur les saints canons, sans dédaigner non plus l'argumentation rationnelle. Cette situation s'étant généralisée, elle ne fut pas sans influencer la Sainte Montagne. Les moines qui avaient été instruits sur la communion fréquente par Saint Nicodème avaient été mal compris et tenus pour novateurs. Lorsque notre bienheureux Ancien s'installa à Petite Sainte-Anne, la majorité des Athonites se préparaient à la sainte communion par trois jours de jeûne. A cause de cela beaucoup d'entre eux, qui ne pouvaient pas jeûner en raison d'une faiblesse corporelle, étaient contraints de ne communier qu'une fois par mois. D'autres, plus fervents, communiaient tous les quinze jours. Mais un grand nombre de moines pieux communiaient tous les samedis, après un jeûne de trois jours.

Les bienheureux Anciens Joseph et Arsène, qui avaient étudié le livre de saint Nicodème l'Hagiorite sur la communion fréquente, communiaient trois ou quatre fois par semaine, quel que soit le jour, et cela parce qu'ils n'avaient pas l'empêchement du jeûne, étant donné que, en dehors du samedi et du dimanche, ils jeûnaient toute l'année en se privant d'huile. Lorsque le Père Charalampos fut tonsuré prêtre, eu égard à des disciples plus faibles, le jeûne sans huile n'était observé que les trois jours où c'est la règle : les lundis, mercredis, et vendredis. Le lendemain du jeûne, c'est-à-dire les mardis, jeudis et samedis, toute la fraternité communiait aux saints mystères. C'est cette règle que nous avons reçue, et nous l'avons observée tout le temps où nous sommes restés à Néa-Skiti.

Mais les jeunes frères, qui avaient déjà été formés à la pratique de la communion fréquente par leur participation dans le monde à des mouvements spirituels de laïcs - en particulier les disciples du bienheureux D. Panagopoulos - s'étonnaient de ce que nous ne participions pas aux Saints Mystères le dimanche. Notre Ancien, homme d'expérience, nous assure que du moment que les autres Pères de Néa-Skiti se préparaient pieusement à communier avec un jeûne de trois jours, il leur aurait semblé scandaleux que nous communiions aussi le dimanche, étant donné que le samedi le jeûne est interdit. Les trois jours étaient certes devenus pour nous un seul jour. Mais tout le monde savait que les communautés de l'Ancien Joseph se livraient tous les soirs à une veille de huit heures, qui remplaçait l'allègement du jeûne. C'est ainsi que dans un esprit de respect mutuel nous avons observé notre règle de jeûne jusqu'à notre établissement à Bourazéri (1967). En ce lieu, nous étions totalement indépendants car nous n'avions de rapport qu'avec la seule autorité de Chilandar, qui n'a jamais exercé sur nous la moindre pression et quine s'est jamais immiscée dans nos affaires internes. Les conditions préalables auxquelles j'ai fait allusion étant remplies, notre bienheureux Ancien, sans hésitation, nous annonça l'établissement de la pratique de la sainte communion le dimanche. Quant à la question du jeûne, il la résolut ainsi : des deux repas du samedi où le jeûne était interrompu, celui du matin demeurait comme avant, avec dispense générale de jeûne, tandis que celui du soir se transformait en repas de jeûne. Bien que des réactions externes se soient aussitôt manifestées, l'Ancien demeura ferme et inébranlable. Il savait que le moment était venu. Il fallait qu'un précurseur reçoive les premiers traits. Ces flèches n'étaient pas fortuites, car par une disposition divine, elles s'étaient abattues sur une personnalité qui jouissait d'une considération générale. Même ceux qui étaient attachés aux trois jours de jeûne jusqu'à la mort, quand quelqu'un leur disait qu'il communiait assidûment avec la bénédiction de son Père spirituel qui était le Père Charalampos, ils s'inclinaient sans s'y opposer. Il y avait cependant quelques individus qui faisaient exception et qui nous traitaient d'une façon aussi calomnieuse qu'inconsidérée de partisans de Makrakis (3) et de la fraternité ZoÏ, etc...

(3) : ( Apostolos Makrakis (1831-1905). Figure importante de la Grèce du XIX° siècle. Doué d'une vive sensibilité religieuse, mais d'une imagination excentrique, il fut condamné par le Patriarcat ainsi que par le Saint-Synode de l'Eglise de Grèce. Néanmoins, par son insistance sur la lecture assidue de la Bible et la nécessité de la communion fréquente ainsi que sur la nécessaire cohérence entre foi et vie sociale, il fut l'un des inspirateurs d'Eusébios Mathopoulos ( 1849-1929), fondateur de la fraternité laïque Zoï.).

Les fraternités monastiques récentes de la Sainte Montagne avaient pris de bonnes dispositions sur cette question importante, mais elles se heurtaient à l'opposition des vieux moines pieux, lesquels, ne fût-ce que pour la simple raison qu'ils avaient reçu de leur Père spirituel la coutume des trois jours de jeûne, n'étaient pas partisans de l'établissement de la communion fréquente, et surtout de la communion le dimanche. Dès l'époque où nous séjournions à Bourazéri, un certain nombre de moines, encouragés par la règle de notre communauté comme par notre père spirituel, avaient adopté la pratique de la communion fréquente. Mais lorsque notre communauté se transplanta définitivement au pieux monastère de Dionysiou, alors cette influence se répandit sur toute la Sainte Montagne. Peu avant notre établissement, le vénérable Ancien Gabriel, higoumène émérite, s'était rangé avec les partisans des trois jours de jeûne. Mais il ne tarda pas et il fut l'un des premiers à être convaincu de se ranger aux côtés du nouvel higoumène. Aujourd'hui tous les saints monastères sont revenus à l'ancienne règle qui prescrivait, dans la mesure du possible, et après une préparation, une participation plus fréquente à la sainte communion.

Je ne veux pas par là sembler attribuer tout le mérite de cette évolution à mon seul Ancien. Bien sûr, beaucoup d'autres personnes y contribuèrent. mais j'estime que la palme en revient à notre Ancien qui fut à l'avant- garde avec les autres enfants spirituels de l'Ancien Joseph, qui dès le début communiaient trois fois par semaine.



Les critères de l'Ancien.

Le bienheureux Ancien considérait comme indispensables certains critères, qui constituent le fondement en fonction duquel le croyant peut s'approcher irréprochablement des Saints Mystères.

Bien sûr, il considérait que la préparation par le jeûne à la sainte communion constituait l'un des critères. Vis-à-vis de ceux qui observaient strictement les jeûnes prescrits, il était très indulgent pour le jeûne eucharistique. Notre regretté Ancien professait que le moine ou le laïc qui mène un combat spirituel vit toujours dans la tempérance. Il respecte le jeûne sans huile trois fois par semaine. En outre, il observe les périodes de jeûne prescrits durant l'année, comme celui du Grand Carême, de Noël, de la Dormition de la Mère de Dieu, etc... De plus, il mange et il boit avec modération tous les samedis à partir des Vêpres, selon la règle de l'Eglise. C'est pourquoi il lui paraissait excessif d'empêcher le frère en question de communier fréquemment sous le prétexte qu'il n'a pas observé un jeûne de trois jours consécutifs. Mais aux chrétiens qui n'observaient pas les jeûnes prescrits par l'Eglise, il imposait, en tant que confesseur, un jeûne rigoureux avant de communier.

L'Ancien considérait qu'une confession véritable et sincère était une condition indispensable pour communier. Je dis bien véritable et sincère, car, malheureusement, nombreux sont ceux qui considèrent qu'ils sont en règle avec une confession rudimentaire et sans repentance.

Les péchés charnels constituent bien sûr un empêchement. Cette passion est cependant évidente et facile à reconnaître, et je crois que tous ceux qui l'ont commise le reconaissent en confession. Il en est de même pour d'autres péchés grossiers, comme les meurtres, les brigandages, les duperies, les vols, etc... Mais il en existe d'autres, difficiles à discerner, mais qui sont des péchés mortels. Pourtant beaucoup de fidèles ne soupcçonnent même pas que ce sont des péchés. Ainsi la médisance, le dénigrement, la jalousie, la rancune, l'orgueil, l'oppression, l'injustice... Nous dénigrons et nous jugeons les absents comme les présents. Nous créons chez les autres des occasions de scandale ou de froideur. A cause de notre comportement provocateur, les autres ne veulent pas nous regarder. Rends-toi compte : celui qui te provoque au point que tu ne veux même pas le regarder, voilà qu'il communie tant et plus aux saints mystères, sans même te demander pardon. Un autre jalouse, opprime, lèse son frère qui est faible, son parent ou son voisin. Un autre ne te parle plus depuis des années. Et malgré tout, après s'être soi-disant "confessé", sans problème ni remords, il communie. Mais si on lui parle du jeûnne, malheur à celui qui communie sans avoir jeûné deux ou trois jours au préalable!

Un cas de ce genre attira un jour l'attention de l'Ancien. Quelqu'un "se confessait" et communiait tous les quinze jours, non sans avoir jeûné au préalable pendant trois jours. Or cette même peersonne ne parlait plus à d'autres depuis des années. Dès que l'Ancien l'apprit d'un tiers, il fit venir cette personne et lui enjoignit de se réconcilier avec les autres, sans réussir cependant à la convaincre. Le Père fit pression sur elle au point qu'il l'avertit que si elle ne se réconciliait pas avant de communier, elle serait damnée. Alors le soi-disant pénitent lui répondit - ce qui est terrible à entendre - qu'il préférait "aller en Enfer plutôt que de se réconcilier avec ces ordures".

Le cas est certes terrible. Mais c'est un fait : Quelqu'un préférait la damnation éternelle plutôt que de dire pardon ou même un simple bonjour. Si on pouvait avoir l'idée de l'obscurité dans laquelle nous vivons, en nous contentant d'une simple observance formelle, alors que pour l'essentiel, c'est-à-dire l'amour des ennemis, il n'y a rien à faire! La seule chose qui convienne au cas cité, c'est : " Gloire à Ta longanimité, Seigneur, Toi qui ne nous as pas consumés sur-le-champ, alors que tu es un charbon ardent qui calcine les indignes." C'est pour cela que notre bienheureux Ancien en tant que Père spirituel, faisait de l'amour des ennemis la principale condition à la communion, ainsi que le fait de ne pas être un objet de scandale pour les autres.

Il y a aussi le cas de quelqu'un d'autre qui était professeur dans le secondaire. Bien qu'il ne soit pas théologien, il aimait le monachisme, et il fut tonsuré moine par un Ancien. Par la suite son Ancien l'envoya se confesser auprès du Père Charalampos, pour qu'il lui donne une attestation (4) dans la perspective de l'ordonner prêtre.

(4) : ( Attestation (symmartyria) : lettre de recommandation d'un confesseur, indispensable pour que quelqu'un reçoive le premier degré de la prêtrise).

Par coïncidence, il s'est trouvé que le Père Charalampos confessait aussi plusieurs élèves et professeurs de cette école. Selon ce qu'on lui avait dit, il comprit que le moine en question posait un problème à toute l'école en raison de son comportement et qu'on le considérait comme indésirable. Terminant donc sa confession, l'Ancien lui dit :

" Pour ce qui est de certains empêchements physiques au sacerdoce, tu es irréprochable. Mais si tu veux porter sur tes épaules un fardeau si lourd, tu dois te réconcilier avec tous ceux que tu aurais pu offenser." Le pénitent répondit :

" Moi, Père saint, je n'ai offensé personne. Ce sont les autres qui m'ont offensé.

- Bon, admettons que ce soient les autres qui sont en faute. Mais eu égard à la pureté et à la dignité du sacerdoce, tu vas leur demander pardon, et les inviter tous à ton ordination.

- Moi, que je leur demande pardon? Jamais! C'est plutôt à eux de me demander pardon, et il n'est même pas sûr que je leur pardonne.

- Mon gars, en quel Evangile crois-tu? Le Christ ne dit-il pas : " Aimez vos ennemis"? Sur la Croix n'a-t-il pas pardonné aux Juifs, qui venaient de le crucifier? Dans le Notre Père ne dit-on pas : " Remets-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs (6) ?

(6) : ( Mt 6, 12).

Comment pourrais-tu célébrer? Comment pourrais-tu communier? Comment pourrais-tu dire aux autres : " Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez"?"

Malheureusement le pénitent répondit avec colère, et de plus en plus bégayant : " Jamaais; non. Ja...mais."

Résultat au lieu d'une attestation, le Père écrivit une lettre à son Ancien pour lui dire qu'à son avis, si son disciple devenait prêtre, il aurait des ennuis et qu'il s'en repentirait amèrement. Cependant son Ancien, en raison des besoins et célébrations liturgiques du kellion, réussit à obtenir d'un autre confesseur que son disciple fût ordonné prêtre. Pendant quelque temps, les relations de cet Ancien avec le Père Charalampos se sont refroidies, mais celui-ci ne tarda pas à apparaître comme un véritable prophète (7).

(7) : (Le prêtre fut la cause de divers scandales, et par la suite, il quitta ssa fraternité).

Alors cet Ancien confus et inconsolable dit au Père Charalampos qu'il avait vu juste, mais que lui ne l'avait pas écouté!

Pour terminer sur cette importante question qu'est la communion fréquente, je voudrais mentionner encore une condition préalable indispensable pour s'approcher des Saints Mystères : la nécessaire préparation par l'examen de soi et par la prière. De l'examen de soi naît la conscience, de la conscience, la contrition, de la contrition, la confession, et de la confession individuelle, la componction, le désir et les larmes. Le bienheureux s'inspirait de l'exemple donné par saint Syméon le Nouveau Théologien : dans la mesure du possible ne pas s'approcher des Saints Mystères sans larmes.

Il considérait que la lecture de l'office de préparation à la sainte communion devait être obligatoirement respecté (8), comme aussi celui de l'action de grâce (9).

(8) : ( Prières lues la veille et le matin de la sainte communion).

(9) : ( Prières après la communion).

Mais pour ceux qui pratiquaient la prière mentale et qui prenaient plus de plaisir à la récitation de la Prière, il recommandait de remplacer l'office soit par cinq chapelets de 300 grains - quatre pour le Christ et un pour la Mère de Dieu -, soit, si l'on n'utilisait pas de chapelet, de dire la Prière comme on la ressentait, à loisir et de façon plus intelligible, mais pour une durée équivalente à celle de l'office.

L'Ancien recevait les frères en particulier dans sa cellule, une heure avant la Divine Liturgie. Ils lui confessaient alors aussi bien la façon dont ils s'étaient acquittés de leur travail manuel, que leur comportement durant la journée ou leur veille nocturne. Indépendamment du fait que le jeûne leur était commun, il lui revenait de décider qui pouvait communier ou pas. Il y eut aussi des cas où, bien qu'en conscience ils n'aient rien à se reprocher parce qu'ils s'étaient appliqués à observer aussi bien l'obéissance que la veille nocturne, certains n'avaient cependant pas obtenu le bain de larmes. Ceux-là, l'Ancien d'habitude ne les privait pas des saints mystères. De plus, à plusieurs reprises il leur disait, du fait de son expérience, que ce qui ne leur avait pas été accordé avant la communion, s'ils observaient la garde des sens, ils l'obtiendraient après. Effectivement, tous les frères qui, après la sainte communion, se retiraient silencieusement dans leur cellule pour continuer à prier et à rendre grâce, confessaient à l'Ancien que leur âme avait été tant attendrie par des larmes ardentes qu'ils ressentaient de façon tangible la présence du Seigneur en eux. Les Saints Pères disent que "la garde des sens est supérieure au travail manuel". Beaucoup d'entre nous manifestent beaucoup de zèle pour Dieu en s'adonnant tant à l'obéissance qu'à la veille nocturne. Ils se donnent aussi beaucoup de mal, en particulier pour obtenir la contrition et les larmes avant la sainte communion. Cependant, si nous faisons attention à nous-mêmes, nous constaterons que nous demeurons souvent au même niveau, ou même que souvent nous reculons au lieu de progresser. Nous nous demandons alors en quoi nous avons été fautifs. Nous sommes dans l'obéissance, nous nous confessons, nous jeûnons, nous veillons, nous pardonnons, nous prions pour ceux qui ont cherché à nous nuire ou qui nous ont persécuté. Qu'est-ce qui ne va pas?

La réponse à cette question nous est donnée par un grand hésychaste de la Sainte Montagne, l'Ancien Daniel, qui s'est signalé de nos jours dans les grottes de saint-Pierre l'Athonite dépendant du monastère de la Grande Lavra. Celui-ci observait une hésychia rigoureuse, une fois la Divine Liturgie terminée; sans attendre et sans avoir prononcé une seule parole, il regagnait en courant sa cellule où il s'enfermait. Exceptionnellement, il recevait uniquement les deux grands ascètes Joseph et Arsène, qui menaient la même vie.

Régulièrement, sa première parole était : " Sainte Synclétique dit : " La lampe éclaire, mais elle brûle ses bords."" En disant cela, il voulait signifier à quel point il redoutait de perdre la Grâce qu'il avait reçue intérieurement tant grâce au labeur de la veille que par la sainte communion.

Que chacun réfléchisse, combien de portes nous ouvrons, non seulement par des entretiens spirituels mais aussi par les longues discussions que nous avons. Ensuite, nous nous demandons ce qui nous arrive! Si nos entretiens sont au début spirituels, ils finissent en futilités, en propos oiseux, en discussions politiques et en dénigrements. La parole du Seigneur ne s'applique-t-elle pas ici? L'ennemi revient et assurément avec plus de vigueur, lui qui avait été chassé avec beaucoup de peine (10).

(10 ) : (Cf. Mt 12, 43-45).

C'est pour cette raison que notre bienheureux Ancien Joseph avait reçu et transmis à ses enfants cette règle : aussitôt après la Divine Liturgie et la sainte communion, qui était bien sûre fréquente, tous les frères devaient se retirer en silence dans leurs cellules, sauf en cas de nécessité absolue. Notre Ancien, le Père Charalampos, avait aussi reçu cette règle et il l'observait très rigoureusement, surtout à Néa-Skiti et à Bourazéri.

Il n'y a aucun doute que les fruits spirituels en sont évidents pour tous ceux qui, en même temps que le travail manuel, observent la garde des sens, et en particulier celle de la parole. Voilà, à mon avis, ce que signifie le passage de la Genèse : " Et le Seigneur prit l'homme qu'il avait façonné et il le mit dans le jardin pour qu'il y travaille et qu'il le garde." (11).

(11) : ( Gn 2, 15 ( LXX)).



Encore un bref entretien su la communion fréquente.

Néa-Skiti 1966.

" Père saint, je viens de tel monastère... J'ai appris que vous étiez partisan de la communion fréquente, est-ce vrai?

-Bien sûr que c'est vrai.

- Combien de fois communiez-vous?

- Nous, nous communions trois fois par semaine, et si je pouvais, j'irais jusqu'à quatre fois.

- C'est dommage que je ne l'aie pas su plus tôt, Père. J'ai lu le livre de Panagopoulos, et dans le monde j'étais partisan de la communion fréquente.. mais, là où je suis, nous ne communions malheureusement que tous les quinze jours. C'est pour cela que je ne trouve pas le repos et que je souhaite partir. Puis-je venir ici?

- Ce n'est pas là une raison sérieuse pour que tu rompes tes engagements et que tu ailles ailleurs.

- Mais Père, est-ce la même chose que de recevoir en soi-même le Christ tous les deux jours ou seulement tous les qunze jours? Je crois que c'est une raison sérieuse.

- Avant de devenir moine, à quoi pensais-tu? Mon enfant, sais-tu que désormais tu es un disciple? Sais-tu que tu as promis à Dieu de demeurer à l'obéissance jusqu'à la mort? Est-ce que tu as bien réalisé ce que veut dire la vie de moine, pour que là-bas tu te comportes comme un rebelle? Tu auras beau communier une ou même deux fois par jour, si tu n'es pas à l'obéissance et si tu ne respectes pas tes engagements, c'est comme si tu ne faisais rien. Tu perds ton temps à tort. Moi je confesse beaucoup de moines de ton monastère. Connais-tu le PèreG.? Qu'en penses-tu, est-il vertueux?

- Oui, Père, je l'estime, bien qu'il ne soit pas partisan de la communion fréquente.

- Toi comme moi, nous l'estimons. Voici ce qu'il m'a dit : " Moi, Père, je suis fidèle à mon défunt père spirituel. Je communie tous les quinze jours. Mais quand je communie, je prends soin de garder en moi la Grâce, jusqu'à la fois suivante." C'est effectivement ainsi. Vois-tu quelle est l'obéissance du petit vieux? Combien de jeûnes, veilles, chapelets... Les autres le méprisent, mais lui, au lieu de se fâcher, de s'en prendre à eux, a appris à dire : " Que cela soit béni!" Car il m'a dit qu'à chaque fois qu'il s'était fait avoir en ouvrant la bouche pour chercher à se justifier, il s'est immédiatement rendu compte qu'il avait chassé le Christ. C'est cette raison qu'il avait trouvée.

Personnellement, ajouta le Père Charalampos, je suis partisan de la communion f réquente. Mais si tu es dans l'obéissance et que tu communies tous les quinze jours, si tu fais attention, tu conserveras fermement en toi le Christ, jusqu'à la fois suivante. Mais en revanche, si tu communies souvent sans remplir tves obligations, le Christ partira aussitôt et en plus Il te laissera endetté; La vie monastique, mon enfant, exige de la rigueur. Ce n'est pass une plaisanterie.

Veux-tu que j'ajoute quelque chose? Je confesse aussi un autre moine qui est un exemple pour tous. Celui-ci brûle intérieuremenent de communier quotidiennement. Quand le prêtre dit : " Avec crainte de Dieu..., il s'assied dans un coin pour que personne ne le voie. A ce moment, il se dit : " Moi, mon Christ, bien que je sois un pécheur indigne, si j'avais la bénédiction, je communierais." Alors il verse des larmes brûlantes, et son coeur s'enflamme, comme celui de Cléophas (12).

(12) : " Cf. Lc 24, 32 : " Notre coeur ne brûlait-il pas en nous tandis qu'il nous parlait en chemin de l'Ecriture?"

Tu te rends compte? Il brûle intérieurement pour le Christ. Toi, quand tu communies, éprouves-tu un tel amour pour le Christ? Va, mon enfant, calme-toi. Accomplis tes devoirs de moine, Die n'est pas injuste. Ce que par obéissance tu ne peux pas recevoir quotidiennement, Dieu te le donnera en bloc. Sache aussi que les choses vont changer et que, petit à petit, la communion fréquente va se répandre, y compris dans ton monastère."

De fait, peu après la prédiction de l'Ancien se réalisa.

Je me suis probablement un peu trop étendu en abordant ce sujet si important. Mais je devais présenter les positions de notre Ancien, qui sont représentatives de l'autorité d'un père spirituel d'envergure; Je l'ai fait aussi parce que, malheureusement, il existe encore une petite minorité de fidèles qui, de façon totalement irréfléc hie, condamnent ceux qui communient souvent, comme hérétiques, partisans de Makrakis, ou de Zoï, etc...

Que sont les partisans de Makrakis, nous l'ignorons, Dieu seul le sait. Nous, nous connaissons et croyons au Christ, et au Christ crucifié!





III

SUR L'AUMÔNE



Parmi les nombreuses vertus qui ornaient notre Ancien, la pratique de l'aumône occupait une place particulière. Sans exagérer, je puis dire que, dans ce domaine, il fit époque et fut un exemple pour ses successeurs. Etant donné les nombreux besoins des monastères et de leurs dépendances, il était humain que leurs responsables soient souvent parcimonieux dans ce domaine. L'Ancien avait pour principe de ne jamais laisser partir quelqu'un triste et sans rien. Non seulement beaucoup de pauvres venaient le voir, mais, de plus, très nombreux étaient ceux qui lui demandaient des aumônes par lettre, qu'ils en aient vraiment besoin ou pas. Quelques personnes venues des villages voisins venaient nous voir. L'Ancien les ravitaillait soit avec de l'argent soit avec différents biens comme de la nourriture, des habits, etc... D'autres , quipassaient au monastère munis de la lettre de recommandation de la Sainte Epistasie, avaient coutume de visiter en premier lieu le Père Charalampos avant de se rendre dans les autres monastères. Cela se produisait très souvent alors que notre communauté séjournait dans le kellion de Bourazéri, près de Karyès. Le fait que le Père Charalampos, habitant d'un kellion dont le revenu dépendait du travail manuel, donnait si généreusement, stimulait les monastères qui, suivant son exemple, se mirent aussi à distribuer avec largesse. Les différentes publications missionnaires, comme les organisations humanitaires, bénéficièrent également de la grande libéralité de l'Ancien. Bien que donnant avec largesse, sa façon de traiter certaines situations semblait apparemment étrange. Un jour, un frère lui dit qu'un moine habitant un certain lieu se trouvait complètement démuni, et que si on lui apportait à manger, il mangeait, mais que dans le cas contraire, il ne demandait à personne. Il proposa donc qu'on lui envoie de la nourriture cuisinée pour qu'il puisse manger. L'Ancien lui répondit:

" Peut-il travailler?

- Oui.

- Si tu me dis que c'est un "grand" ascète et que c'est pour cette raison qu'il ne travaille pas, soit. Est-ce qu'il peut se déplacer?

- Oui.

- Dis-lui de venir ici, quand il veut, la porte est toujours ouverte. Qu'il mange, boive et prenne des provisions.

- Mais, Géronda, ne serait-ce pas plus méritoire que ce soit nous qui lui en apportions?

- Ce le serait, s'il en avait besoin. Ici en contrebas demeure le Père païssios. C'est un véritable ascète, mais, malgré tout, il gagne son pain à la sueur de son front. Quand il vient ici, il s'assied à table et mange tout ce que nous mangeons. Les deux autres Roumains, là en bas dans le ravin, as-tu vu leur rigueur? Ceux-là certainement sont dignes que nous les aidions. L'Ancien Philarète, âg" de quatre-vingt-dix ans, s'occupe de son compagnon, le Père Bartholomée, âgé de soixante ans, parce que celui-ci est paralysé. Ils vivent dans une foi parfaite. Je leur envoie régulièrement de la nourriture, mais souvent ils me la renvoient. Que t'a dit avant-hier l'Ancien Philarète, quand tu y es allé?

- Oui, Géronda, j'ai admiré sa rigueur. Il m'a dit que pour aujourd'hui il avait ce qu'il fallait et qu'il n'avait besoin de rien. Je lui ai répondu que cela ne faisait rien et qu'il n'avait qu'à garder la nourriture pour le lendemain. Il m'a répondu : " Je te remercie, mais je ne peux pas payer." Ici, "payer" est à prendre au sens spirituel.

- Tu as vu la foi dont il a fait preuve. Il ne s'est pas dit intérieurement : " Si demain personne n'apporte de nourriture, qu'allons-nous manger?" Voilà la foi parfaite en Dieu. Voilà de vrais ascètes. Ce sont d'authetiques serviteurs de Dieu. Mon Ancien Joseph disait que certains sont dans l'illusion : alors qu'ils peuvent subvenir à leurs propres besoins, ils s'attendent à ce que ce soit les autres qui les aident. Si tu la déposes à leurs pieds, alors ils seront bouffis d'orgueil et se diront : " Voilà comment Dieu prend soin des ascètes." Ainsi nous les confortons dans leur illusion. Si tu examines de près quelle ascèse ils pratiquent, alors tu te rendras compte que notre Ancien avait bien raison."

L'Ancien venait en aide surtout à ceux qui venaient se confesser et qui menaient consciencieusement une vie chrétienne. Lorsqu'il constatait en confession qu'un pénitent avait des besoins matériels, il lui accordait toute l'aide qu'il pouvait. Un certain nombre de jeunes de l'Athoniade venaient se confesser, et il leur donnait ce qui était nécessaire pour couvrir leurs dépenses. A ce sujet, il nous faut dire que malheureusement les abus ne manquaient pas. Comme il aidait davantage quelques-uns d'entre eux qui étaient pauvres, sous le prétexte qu'ils venaient se confesser, ce qu'ils disaient en confession, je l'ignore. Toujours est-il qu'ils en tiraient profit. Cependant, nombreux sont les cas de ceux qui ont montré du zèle pour Dieu, même a posteriori, et qui, même ainsi, se sont efforcés de mener une vraie vie chrétienne. " Dieu le sait", même de l'amer, il peut tirer du doux.

Un jour que nous avions beaucoup de dépenses en raison de travaux de remise en l'état du kellion, un frère eut l'idée de conseiller à l'Ancien de modérer un peu ses aumônes, ne serait-ce que provisoirement. L'Ancien, qui était simple mais sage, lui cita l'exemple de cet higoumène qui, alors qu'il avait commencé par donner avec largesse, lorsqu'il fut confronté à des dépenses exceptionnelles, réduisit ses aumônes pour finir par les interrompre. Mais depuis ce jour, Dieu interrompit aussi tous les dons des bienfaiteurs du monastère, au point que les frères coururent le risque d'être affamés. Finalement, Dieu eut pitié d'eux, et il fit voir en rêve à l'higoumène deux hommes. Ils lui dirent :

" Nous, saint higoumène, nous sommes des amis, et nous nous déplaçons toujours ensemble. Toi, tu as chassé l'un d'entre nous. C'est pour cela que nous sommes partis tous les deux.

- Comment vous appelez-vous? leur demanda-t-il.

- Moi, on m'appelle Donne, et mon ami s'appelle Reçois."

Dès que l'higoumène eut entendu ces aproles, il donna l'ordre qu'à partir de ce jour, on distribuât des aumônes comme auparavant; même en prenant sur le nécessaire. Et alors effectivement, le "Reçois" revint, et il remplit à nouveau le monastère de bienfaits.

Je dois reconnaître que je l'ai constaté aussi chez nous. A un point tel que je ne me souviens pas que nous ayons eu de quelconque problème économique, bien que nous ayons eu à faire à des dépenses exceptionnelles en raison des travaux indispensables de remise en état des bâtiments.

A un autre frère qui s'étonnait devant la grande libéralité de l'Ancien, il répondit ceci :

" C'est de mes parents que j'ai hérité ce don. Tout ce que tu vois faire quand tu es petit, tu t'en souviens; Mon père était très charitable. J'ai aussi été frappé, quand j'étais à Drama avant de devenir moine, par l'exemple d'une femme. Celle-ci donnait aux autres sans compter. Où elle trouvait tout ça, c'était pour moi un autre sujet d'étonnement. Les pauvres lui disaient quotidiennement : " Que Dieu bénisse ta main! Que Dieu bénisse ta main!" Finalement arriva l'heure de sa mort; Je l'estimais au point de venir assister à ses funérailles... Au bout d'un certain temps, on procéda à l'exhumation de son corps. Et voilà que sa main droite qui donnait l'aumône était toute jaune et embaumait comme les saintes reliques. Lorsque j'ai appris cela..., j'y suis allé en personne et je l'ai vu de mes propres yeux. Cela en outre me confirma ce que je pensais : la grâce se rencontre aussi chez les néo-calendaristes. Car elle était nouveau-calendariste.

Pour terminer, je voudrais arrporter ceci : quand notre communauté qui se trouvait à Bourazéri s'installa définitivement à Dionysiou, l'Ancien constata que le monastère subsistait grâce à quelques revenus fixes; Il demanda alors au Conseil des Anciens que toutes les recettes extraordinaires, qui venaient de divers donateurs, fussent concentrées dans une caisse à part; Qu'elles fussent considérées comme un surplus et que celui-ci fût utilisé pour des oeuvres humanitaires. Cet argent, dont il pouvait disposer, il le considérait comme une aumône faite au monastère. Durant le temps où il fut higoumène, notre monastère a pu ainsi subvenir à des besoins aussi nombreux que considérables dans des domaines très variés. Le passage de l'Ancien par le saint monastère de Dionysiou a laissé des traces inédélébiles, y compris dans ce domaine si important, ainsi qu'un magnifique exemple pour ses successeurs.



EPILOGUE

Ce fut un autre marathon que ma conscience m'imposa d'entreprendre (1).

(1) : ( L'auteur veut dire qu'après la rédaction de la biographie de l'Ancien Arsène, il a entrepris de rédiger celle-ci).

Selon la mesure de mes faibles forces, je suis arrivé au terme de ce livre, en ayant pour boussole la bénédiction de notre bienheureux Ancien.

Il convient de considérer le présent ouvrage comme une esquisse tracée par l'un de ses nombreux enfants spirituels. Pour combler les multiples lacunes de mon récit, je crois que beaucoup d'autres choses devraient étre écrites, en premier lieu par le saint monastère de Dionysiou, mais aussi par un grand nombre de personnes qui ont connu l'Ancien et qui ont bénéficié de ses paroles simples et pleines de grâce. Cela pour l'édification aussi bien de nos frères moines que de nos frères qui mènent dans le monde le combat de la foi, de la prière, de la charité, de la miséricorde et de toutes les autres vertus.

Ces vertus qu'il a été le premier à pratiquer pour lui-même, mais par la suite, tant par son exemple qu'avec ses paroles, il nous a encouragés à les mettre en pratique en nous disant, tel un autre Paul : " Montrez-vous mes imitateurs, comme je le suis du Christ (2)."

(2) : ( 1 Co 11, 1).

Nous qui l'avons connu de près, nous demandons que ses bénédictions paternelles, en même temps que les bénédictions des saints Anciens Joseph et Arsène, soient toujours répandues avec profusion, comme une consolation, sur ses enfants spirituels devenus orphelins ainsi que sur tous ceux qui imploreront avec foi sa bénédiction.



PRIERE



Seigneur très bon, plein d emiséricorde et de compassion, nous te supplions : par les prières de notre saint, bienheureux Père, le hiéromoine Charalampos, acquiesce à toutes les requêtes que nous, ses enfants spirituels, T'adressons pour le salut et la vie éternelle.

Accorde aussi à tous ceux qui par ses prières et ses enseignements ont appris à invoquer sans cesse Ta miséricorde, de sorte que, tel un véritable Père, il nous présente tous devant le trône de Ta majesté, Te suppliant pour nos imperfections et criant avec joie ces mots : " Me voici avec les enfants que Dieu m'a confiés" (Is 8, 18). Amen.



GLOSSAIRE



Ancien : Désigne le supérieur d'une communauté ou un père spirituel. Dans les kellia*, à la mort de l'Ancien, c'est le moine le plus ancien dans l'ordre de la profession monastique qui devient son successeur, tandis que dans les monastères cénobitiques, l'higoumène, appelé aussi Ancien, est élu par toute la communauté des moines.



"Bénissez!" : Expression usuelle dans les monastères, qui sert soit à saluer, soit à demander l'autorisation de faire quelque chose, soit à demander pardon. L'expression : " Que cela soit béni!" est utilisée comme expression de cet accord ou de ce pardon.



Calyve : Littéralement : " cabane". Au Mont-Athos, il désigne une petite maison, pourvue généralement d'une chapelle à l'intérieur, mais sans domaine agricole, qui est concédée par un monastère à un moine et à quelques disciples. Ils y mènent une vie familiale, centrée sur le travail et la prière. On compte aujourd'hui plus de cent cinquante calyves en activité.



Cénobitique : Mode de vie monastique, dans les communautés d'une certaine importance, où tous les moines se soumettent à une règle prédéfinie et où toute décision est soumise à l'higoumène*. Ce mode de vie se distingue du mode de vie érémitique, du mode de vie idiorythmique*, et du mode de vie semi-érémitique des kellia* où un ou quelques moines vivent auprès d'un Ancien.



Chapelet : Le chapelet ( appelé en grec komboskini et en russe tchotki) qui est utilisé par les moines et les pieux laïcs pour accompagner la récitation de la Prière de Jésus est en laine ( pour être silencieux) noire ( symbole de la mort des pensées, des imaginations et des pulsions durant la prière); il est composé de 33, 50, 100 ou 300 noeuds - Dans la communauté du Père Charalampos comme dans les autres communautés issues de celle de Joseph l'Hésychaste, on utilisait des chapelets de 300 grains. Chaque grains est fait de neuf noeuds (symbolisant les neuf ordres angéliques) en forme de croix. Le chapelet est terminé par une croix tressée, à laquelle peuvent être attachés les "témoins" ( martyria), petites perles enfilées sur un compteur, qui permettent de compter combien de chapelets ont été faits ( c'était le cas dans la communauté du Père Charalampos). Chez les hésychastes* vivant dans les kellia* -c'était le cas de ceux avec qui le Père Charalampos a vécu avec sa communauté avant d'aller au monastère de Dionysiou -, on remplace souvent les offices liturgiques (Vêpres, Complies, Office de Minuit, et Matines) par un nombre déterminé de Prières de Jésus, dites par chacun dans sa cellule, avec le chapelet.



Diaconie : Service ou tâche monastique, travail accompli par chaque moine dans le monastère, comme cuisinier, hôtelier, jardinier, infirmier, iconographe, secrétaire, copiste, calligraphe, bibliothécaire, etc... Ce service n'est pas choisi mais attribué par l'higoumène, et souvent renouvelable chaque année.



Epitrachélion : Etole du prêtre constituée d'une bande de brocard dont les deux moitiés sont réunies par une série de boutons, à l'exception d'une ouverture pour passer la tête ( étymologiquement, le mot signifie : autour du cou). Sept croix y sont apposées, une au milieu et trois sur chaque côté.



Etat spirituel ( katastasis) : Etat durable d'expérience sentie de la Grâce divine.



Géronda, fém. Gérondissa : Mots grecs habituellement traduits par "Ancien" et "Ancienne) (voir ces termes). Nous les avons cependant gardés pour le vocatif.



Grand Habit ou Habit angélique : Correspond à la profession monastique. Dans l'Orthodoxie, il n'y a en réalité qu'un seul habit monastique, même si la Tradition a souvent distingué le Petit Habit - ou arrhes de l'Habit angélique - du Grand Habit angélique. Il ne s'agit pas de deux degrés par lesquels les moines doivent nécessairement passer, mais d'une initiation progressive, nécessaire pour certaines personnes, à l'unique Habit. Le service du premier degré est souvent désigné par le terme rasoevkhi.



Grand-père : voir Papouli.



Hagiorite : Synonyme d'athonite. Le terme est formé d'après l'autre nom couramment donné au Mont Athos : Agion Oros ( la Sainte-Montagne).



Hésychasme : Peut désigner le mode de vie érémitique, par opposition au mode de vie cénobitique, ou la vie dans l'hésychia*. Le terme "hésychasme" désigne aussi le mouvement spirituel du XIV° s., centré sur l'exercice de la Prière de Jésus, pour parvenir à la déification, par l'expérience, dans l'âme et dans le corps, de la Lumière incréée. Grâce aux efforts de saint Grégoire Palamas, qui a montré qu'elle était la récapitulation de toute la spiritualité orthodoxe, cette doctrine a été reçue officiellement, à son époque, par plusieurs conciles de l'Eglise orthodoxe.



Hésychaste : Moine vivant dans l'hésychia*ou selon la tradition de l'hésychasme*, et s'adonnant en particulier à la Prière de Jésus* et à l'ascèse qu'elle présuppose.



Hésychia : Quiétude à la fois extérieure et intérieure, au moyen de laquelle l'esprit et le coeur restent, dans l'attention et la vigilance, centrés sur Dieu par la prière; Le mot a également le sens de solitude et/ ou de silence, lesquels favorisent cette quiétude.



Higoumène : Littéralement "guide", "chef". Désigne le supérieur d'un monastère cénobitique, qui est à la foi l'administrateur et le père spirituel de la communauté.



Idiorythmie : 1) Tout ce qui se produit différemment de la règle interne du monastère et sans l'avis de l'Ancien. 2) Le mot désigne aussi un mode d'organisation monastique qui s'est répandu au Mont-Athos à la faveur des difficultés de gestion des monastères durant les quatre siècles d'occupation turque. Au lieu d'un higoumène, les monastères idiorythmiques étaient dirigés par un conseil, présidé par un prohégouménos, qui n'exerçait qu'une autorité administrative sur les moines. Les moines jouissaient d'une large autonomie, n'étant tenus qu'à l'assistance aux offices et à une obédience pour laquelle ils recevaient un salaire, au moyen duquel ils devaient subvenir à leurs besoins. Le grand renouveau qu'a connu la Sainte-Montagne ces trente dernières années a vu la suppression de ce mode de vie monastique au prfit du retour au mode cénobitique dans lequel les moines sont soumis à l'higoumène et à une règle de vie communautaire.



Kellion, pl. kellia : Maison plus importante qu'une calyve, concédée par un monastère à un groupe d'au moins trois moines, qui mènent une vie communautaire plus organisée. Il comporte plusieurs corps de bâtiments, avec une chapelle, et un terrain agricole. Nombre de ces kellia sont, en fait, d'anciens monastères historiques.



Kyriakon : Eglise principale d'une skite.



Métanie : Du grec métanoïa, repentir. Consiste à se prosterner, en posant le front à terre, pour se relever aussitôt ( grande métanie) ou à simplement s'incliner en touchant le sol de la main droite ( petite métanie). Un certain nombre de métanies sont prescrites au cours des offices liturgiques, surtout pendant le Grand Carême, et les moines peuvent en faire un grand nombre devant les icônes lors de leur règle de prière privée. On fait aussi une métanie devant un moine ou un Ancien, pour le saluer et lui demander la bénédiction, ou pour lui demander pardon.



Mystères : Selon le vocabulaire en usage dans l'Eglise ancienne, on appelle "Mystères" dans l'Eglise orthodoxe ce que l'Eglise catholique a appelé par la suite "sacrements" en en développant une doctrine plus systématique et plus fermée ( en les limitant au nombre de sept). Les principaux Mystères sont le baptême, la chrsimation et l'eucharistie. L'expression "les Saints Mystères" désigne généralement l'Eucharistie.



Nepsis : Attitude spirituelle faite de sobréiété vis-àvis des mauvaises pensées, imaginations et pulsions, et de vigilance vis-à-vis des tentations ( étroitement liées à celles-ci). C'est un état d'éveil, d'attention à soi et de contrôle de soi dont le but est de ne pas se détourner de Dieu.



Neptiqye : Relative à la nepsis.



Papa : Terme à la fois familier et affectueux, équivalent à "grand-père", qui désigne un prêtre ou un moine âgé.



Papouli : Terme à la foid familier et affectueux, équivalent à "grand-père", qui désigne un prêtre ou un moine âgé;



Plénitude : Le sentiment de plénitude (plérophoria) est indicatif de la présence de la Grâce et produit par elle. cette notion a été particulièrement mise en valeur par saint Diadoque de Photicé.



Prière : Utilisé au singulier et sans qualificatif, ce mot désigne généralement la Prière de Jésus*.



Prière de Jésus : Appelée aussi "prière monologique" pour la raison qu'elle consiste en une phrase : " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi!" ( avec diverses variantes). On la dit généralement à l'aide d'un chapelet* en laine ( komboskini). Cette prière, qui reste au coeur de la spiritualité athonite contemporaine, s'inscrit dans la grande tradition hésychaste* dont témoigne la Philocalie*.



Prière du ceour : voir Prière mentale.



Prière mentale : Noéra proseuchè ou Prière intérieure; C'est l'activité qui consiste à répéter mentalement et sans distraction la formule de la Prière de Jésus* et à s'efforcer de faire descendre l'esprit dans le coeur; Le terme de "Prière du coeur" lui est appliqué lorsqu'elle est pratiquée dans ce dernier état qui permet à l'homme d'être, de tout son être, en communion permanente avec Dieu.



Sainte Epistasie : Gouvernement de l'Athos, composé de représentants des grands monastères, ayant à sa tête un Protos élu pour quatre ans.



Skite : Regroupement de calyves, hhggygfy n, ,j,j n,qui dépend de l'un des vingt grands monastères du Mont-Athos; Apparues au XVIII° siècle, les skites ont la structure d'un village, avec une église au centre ( Kyriakon ), où les moines se réunissent le dimanche et les jours de fêtes. Sur la Sainte Montagne*, on rencontre aussi des "skites cénobitiques" qui fonctionnent comme des monastères sans en avoir le statut. Les deux sortes de skites dépendent d'un monastère.



Typikon : 1) Livre contenant les rubriques des célébrations liturgiques et indiquant pour chaque jour l'ordre interne des services et la nature des parties mobiles (ou propres) venant s'insérer dans les parties fixes. 2) Livre précisant le statut canonique et l'organisation de la vie des moines d'un monastère qui ont été établis par son fondateur.



Vieux-calendaristes, ou Ancien-calendaristes : Toutes les Eglises orthodoxes ( sauf l'Eglise de Finlande) suivent, pour la détermination de la fête de Pâques et des fêtes qui lui sont liées (fêtes mobiles), le calendrier julien ( ou ancien calendrier), qui retarde de treize jours par-rapport au nouveau calendrier. C'est aussi ce calendrier que suivent, pour les fêtes fixes, le patriarcat de Jérusalem, les Eglises de Rusiie, Serbie, Géorgie, Pologne ainsi que le Mont -Athos. Depuis 1924, le Patriarcat de Constantinople, suivi par les patriarcats d'Alexandrie, et d'Antioche, ainsi que les Eglises de Roumanie, de Bulgarie, de Chypre et de Grèce, a adopté pour les fêtes fixes ( celles du Ménée) le calendrier grégorien ( ou "nouveau calendrier"), correspondant au calendrier civil universel actuel. La réforme du calendrier, à cette époque, et son contexte ont provoqué le schisme des Vieux-calendaristes ou Anciens-calendaristes. Il y a au Mont-Athos un certain nombre de moines "anciens-calendaristes", aussi appelés "zélotes*", qui ont rompu la communion avec le patriarcat de Constantinople ( dont dépend le Mont-Athos) et en conséquence avec les autres patriarcats ( la rupture de communion avec une Eglise impliquant la rupture de communion avec toutes les autres qui sont en communion avec elles)... A la sainte-Montagne ils sont surtout concentrés au monastère d'Esphigménou et dans la région sud de l'Athos, en particulier à Katounakia-Karoulia.



Vigiles : Voir Agrypnie.



Zélotes : Anciens-Calendaristes ou Vieux-calendaristes*. Cette dénomination a été adoptée par ceux-ci en référence à saint Théodore Studite et à ses disciples dans leur lutte pour la vénération des icônes et le respect des saints canons, au IX° siècle ( voir Synaxaire, 11 novembre).





TOPONYMES



Bourazéri : Skite appartenant au monastère serbe de Chilandar, située non loin de Karyès, au bord de la route qui mène à Stavronikita et Iviron, fondée et occupée par des moines russes puis par des moines grecs.



Daphni : Le port du Mont-Athos, où arrivent et d'où partent les bateaux faisant la liaison avec Ouranopolis* d'une part et les monastères et skites du sud-ouest du Mont-Athos d'autre part; c'est aussi le point de départ et d'arrivée de l'autobus qui assure la liaison avec Karyès*, la capitale.



Dionysiou : L'un des vingt monastères de l'Athos, situé au sud de la péninsule, en bord de mer. Son typikon* liturgique sert de référence à tous les monastères athonites. Il est aujourd'hui réputé comme le plus ascétique.



Grégoriou : L'un des vingt monastères de l'Athos, situé au sud de la péninsule, au bord de la mer.



Iviron : L'un des plus grands monastères de l'Athos situé au nord de la péninsule, fondé et longtemps occupé par les Géorgiens ou Ibères ( d'où son nom).



Kapsala : Région située, au Mont-Athos, entre les monastères de Pantocrator et de Stavronikita et s'étendant à l'ouest de ceux-ci, qui comporte de nombreuses kellia et calyves.



Karoulia : Endroit désertique qui se trouve en dessous de Katounakia*. Des ermites hésychastes y séjournent dans un environnement particulièrement sévère qui surplombe la mer. Certaines calyves semblent suspendues aux rochers et on ne peut y accéder qu'au moyen d'echelles ou de chaînes. Le mot signifie "poulies", parce que les ermites, en raison de l'inaccessibilité du lieu, montent le nécessaire ( qui leur est souvent apporté par d'autres moines, en barque, depuis la mer) à l'aide de poulies et de cordes.



Karyès : Capitale administrative de l'Athos, où se trouvent aussi de nombreuses skites, calyves et kellia.



Katounakia : Endroit désertique, situé à l'extrême sud de la péninsule, au-dessus de Karoulia*, où se trouvent de nombreuses kellia* et calyves*.



Kapsokalyvia : Skite située à l'extrême sud de l'Athos.



Konstamonitou : L'un des vingt monastères de l'Athos, situé u nord-ouest de la presqu'île.



Lavra (Grande) : Il s'agit du monastère de la Grande Laure ( Mégistis Lavra ), le premier et le plus grand monastère de la Sainte-Montagne, fondé en 963 par saint Athanase l'Athonite. C'est de ce monastère que dépend administrativement l'hésychastère de Saint-Ephrem. Chaquee ermitage ou kellion des skites dépend administrativement d'un des vingt monastères souverains du Mont-Athos; c'est dans son registre monastique ( monachologion) que sont inscrits les noms des moines qui y vivent.



Néa-Skiti : Skite qui dépend du monastère de Saint-Paul et qui se trouve à proximité de celui-ci en bordure de mer.



Ouranopolis : Ville frontière entre le territoire de la Grèce et celui, autonome, du Mont-Athos. Port où l'on embarque pour le Mont-Athos.



Petite-Sainte-Anne : Skite située à côté de celle de Sainte-Anne*.



Philothéou : L'un des vingt monastères de l'Athos, situé au nord de la péninsule.



Probata : Skite située au nord de la péninsule, entre le monastère de Lavra et le monastère de Karakalou, non loin de ce dernier.



Sainte-Anne : La plus ancienne et la plus grande skite de la Sainte-Montagne, fondée au XIV° siècle, située au sud-est de la péninsule. Elle dépend du monastère de la Grande Laure ( Lavra).



Saint-Paul : L'un des vingt monastères de l'Athos, situé au sud-est de la péninsule.



Sainte-Montagne : Autre nom pour le Mont-Athos.



Stavronikita : L'un des vingt monastères de l'Athos.



Xénophontos : L'un des vingt monastères de l'Athos.



Xéropotamou : L'un des vingt monastères de l'Athos.



Yvan Koenig - Hiéromoine Macaire - Jean-Claude Larchet.





TABLE DES MATIERES



INTRODUCTION DE JEAN-CLAUDE LARCHET.
AVANT-PROPOS DE L'AUTEUR.



PREMIERE PARTIE : VIE



CHAPITRE I : LES ANNEES D'ENFANCE ET L'APPEL DE DIEU.

CHAPITRE II : PREMIERS COMBATS.

MOINE DU GRND HABIT-HIERMOINE.

CHAPITRE III : NEA-SKITI.

BIENHEUREUSE FIN DE L'ANCIEN JOSEPH.

CHAPITRE IV : BOURAZERI.

OUVERTURE VERS LES SAINTS MONASTERES.

CHAPITRE V : HIGOUMENE

AU SAINT MONASTERE DE DIONYSIOU.



DEUXIEME PARTIE:

ENSEIGNEMENTS SPIRITUELS.


CHAPITRE I : SUR LA PRIERE MENTALE.

CHAPITRE II : SUR LA DIVINE EUCHARISTIE.

CHAPITRE III : SUR L'AUMÔNE.

EPILOGUE.

GLOSSAIRE.



QUATRIEME DE COUVERTURE

L'ANCIEN CHARALAMPOS



L'Ancien Charalampos (1910-2001), moine du Mont-Athos, fut l'un des plus proches disciples du grand Joseph l'hésychaste ( 1898-1959), et même, selon certains témoins, son disciple préféré.

Ce livre, qui retrace sa vie, dépeint sa personnalité spirituelle et transmet ses principaux enseignements, a été écrit par l'un des moines de sa communauté, qui a vécu auprès de lui pendant trente-six ans.

Le Père Charalampos vécut dans la petite communauté de l'Ancien Joseph de 1950 jusqu'à la dormition de celui-ci en 1959. Il continua ensuite, avec son oncle, l'Ancien Arsène le Spiléote, compagnon d'ascèse de l'Ancien Joseph, àmener le même genre de vie hésychaste à Néa-Skiti puis, à partir de 1967, au kellion de Bourazéri.

En 1979, il fut appelé à venir avec sa communauté repeupler le grand monastère cénobitique de Dionysiou, dont il devint l'higoumène jusqu'en 1989 et le père spirituel jusqu'à sa dormition en 2001.

Grand ascète et grand orant, l'Ancien Charalampos acquit très tôt une grande réputation, au Mont-Athos et bien au-delà, comme confesseur et comme maître spirituel, et surtout comme maître de la prière hésychaste. beaucoup le considéraient même, dans les dernières décennies du XX° siècle, comme le plus grand hésychaste du Mont-Athos.

L'enseignement de l'Ancien était exclusivement oral et prenait appui sur son expérience. Il n'a pas laissé d'écrits en dehors de quelques lettres. ce livre est donc surtout biographique, mais repose néanmoins sur des récits de l'Ancien aux membres de sa communauté, dont il donne de nombreuses citations. Quelques-unes de ses lettres ont été ici publiées séparément ou synthétisées. L'ensemble, sans être exhasutif, donne un bon aperçu de son enseignement, qui porte surtout sur deux points : la pratique de la Prière de Jésus et la communion fréquente.

Ce livre met également en évidence, outre les qualités de confesseur de l'Ancien, quelques-unes de ses vertus caractéristiques, en particulier son obéissance inconditionnelle à son père spirituel, son humilité, sa simplicité, et son oubli de soi au service de Dieu et du prochain.