samedi 3 décembre 2022

SAINT SYMEON DE DAJBABé, ENSEIGNEMENTS SPIRITUELS

SAINT SYMEON DE DAJBABé ENSEIGNEMENTS SPIRITUELS TRADUIT DU SERBE PAR LIOUBOMIR MIHAILOVITCH INTRODUCTION DE JEAN-CLAUDE LARCHET GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES DU XX° SIECLE L'AGE D'HOMME 2011 by Editions L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse

DANS LA MEME SERIE Aux éditions du Cerf Jean-Claude Larchet, Saint Silouane de l'Athos, 2001. Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, 2002. Jean-Claude Larchet, Le Starets Serge, 2004. Aux éditions L'Age d'Homme Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, 2003. Mgr Nicolas Vélimirovitch, Prières sur le lac, 2004. Père Ioannichié Balan, Le Père Cléopas, 2004. Ancien Joseph l'Hésychaste, Lettres spirituelles, 2005. Bernard Le Caro, Saint Jean de Changaï, 2006. Mgr Nicolas Vélimirovitch, La foi et la vie selon l'Evangile, 2007. Père Porphyre, Anthologie de conseils, 2007. Père Isaac, L'Ancien Païssios de la Sainte Montagne, 2009. Père Porphyre, Vie et paroles, 2009. Saint Nicolas Vélimirovitch, Le Prologue d' Ochrid, tome 1, 2009. Starets Thaddée, Paix et joie dans le Saint-Esprit, 2010. 

INTRODUCTION :: LA VIE ET L'OEUVRE DE SAINT SYMEON DE DAJBABé par Jean-Claude Larchet 

INTRODUCTION I. LA VIE DE SAINT SYMEON DE DAJBABé 


Savo ( le futur saint Syméon) naquit à Cétinjé, au Monténégro, le 19 décembre 1854 - jour de la saint Nicola selon le calendrier julien - de Vaso et Stana Popovic, dont il resta l'unique enfant. Orphelin privé très tôt de ses parents, il fut éduqué par son grand-père Milan et par le frère de ce dernier, Laza Popovic, prêtre orthodoxe à Cétinjé, qui le baptisa. Après ses études primaires, il entra au séminaire de Cétinjé, fondé par le grand poète Petar Petrovic Njegos. Il y acquit une bonne connaissance du slavon et y révéla des talents particuliers pour le chant et la calligraphie. Pendant cette période passée au seminaire, se manifestèrent aussi son amour pour le dessin et la peinture, qu'il allait pleinement exprimer plus tard en peignant des fresques et des icônes. Lorsqu'il fut parvenu au terme de son adolescence, son grand-père souhaita qu'il se mariât et prît soin du grand domaine familial. Son propre goût le portait cependant à étudier la philosophie séculière et la théologie, et à s'initier aux mystères de la Bible qu'il aimait lire depuis le temps où, jeune garçon, il veillait sur le bétail. Son oncle paternel, Mihaïlo, homme érudit, réussit à persuader son grand-père de laisser Savo partir pour Kiev, en Russie, afin d'y poursuivre ses études. Ayant obtenu la bénédiction du métropolite Hilarion et muni de sa recommandation, Savo put recevoir, en 1878, une bourse de l'Eglise orthodoxe russe. Il suivit ainsi les cours du Séminaire et de l'Académie spirituelle de Kiev. Il s'y initia aux vies ascétiques de saints moines qui avaient peuplé la Laure des Grottes de Kiev, Antoine, Théodose et leurs innombrables disciples. A l'Académie, ses meilleurs amis étaient l'écrivain serbe Svetolik Rankovic et le futur évêque de Timok, Mélentijé (Vujic), avec lequel il eut une correspondance suivie. Son père spirituel était le hiéromoine de grand-habit Nicolas, qui allait l'orienter vers la voie monastique et, à la veille de son retour au Monténégro, lui offrir de nombreux livres de sa bibliothèque personnelle, qui se trouvent encore aujourd'hui au monastère de la Dormition à Dajbabé. Après avoir achevé ses études à l'Académie de Kiev, le jeune Savo voulut consacrer encore un peu de temps à l'étude de la philosophie. Il se rendit alors à Paris où il apprit le français et suivit des cours de philosophie à la Sorbonne, puis à Genève où il suivit les cours de la Faculté de théologie protestante. De retour à Kiev, il fut ordonné moine par son père spirituel, le hiéromoine Nicolas. Il nous a laissé cette description de cet épisode marquant : " C'était la nuit. Je ne pouvais pas dormir. Je réfléchissais aux saints commandements que j'allais m'engager à suivre... La nuit était claire, c'était la pleine lune. Soudain on entendit la simandre, les moines étaient en train de se lever. Je descendis à l'église des Grottes. Les moines se rassemblèrent. Le hiéromoine Nicolas arriva. On apporta les habits monastiques, une croix, un chapelet et un cierge. Le paraman se trouvait là. Devant le tombeau du fondateur des Grottes, saint Antoine, le service divin commença. J'entendis que, dans l'ecténie, on mentionnait le nom du serviteur de Dieu Savo. Après m'avoir fait enlever mes habits laïcs, le père spirituel me prit par la main, me recouvrit de la mandya et me conduisit devant les portes royales. L'higoumène de la Laure, l'archimandrite Juvénal, m'interrogea à trois reprises tout en tenant des ciseaux. Puis il me tonsura les cheveux et me donna le nom monastique de Syméon... Certains amis se mirent à pleurer. On me remit la croix et le cierge entre les mains et on me laissa devant les portes royales... On communia. A la fin de la cérémonie, je me sentis incroyablement heureux. Cela se passait le jour de la fête des Trois Saints Hiérarques. Deux jours après ( en la fête du saint martyr Tryphon), je fus élevé à la dignité de diacre et, le jour de la Sainte Rencontre (2/15 février), je fus ordonné hiéromoine." Après son ordination, le Père Syméon passa encore quelque temps en Russie, se rendant notamment à Moscou et à Saint-Pétersbourg, puis il revint au Monténégro où, le jours de la fête de l'Annonciation ( 25 mars/7 avril) 1888, il arriva à Cérinje et se mit à la disposition du métropolite. Il fut d'abord affecté au monastère Saint-Nicolas à Vranjina, où l'on construisait une nouvelle église et une hôtellerie. Mais il tomba malade à l'automne 1889 : en raison des conditions climatiques difficiles et d ela présence de nombreux moustiques, il contracta la malaria. Il fut alors transféré au monastère d'Ostrog, ce qui correspondait à un voeu qu'il avait exprimé dans sa prime jeunesse. Le métropolite Mitrofan Ban venait alors de créer à Ostrog la première école monastique du Monténégro. Le Père Syméon y fut nommée à des fonctions d'enseignement. Parallèlement, il célébrait les services divins au sanctuaire d'Ostrog et participait à l'accueil des pèlerins, lisant à leur intention les prières pour la guérison des malades. Pendant son séjour à Ostrog, le Père Syméon fit deux pèlerinages, l'un au Mont-Athos et l'autre en Terre Sainte; à l'occasion de ce dernier, il fut reçu chaleureusement par le patriarche de Jérusalem. Les impressions laissées par ces voyages, son séjour passé près des grottes de Kiev et s avénération pour les saints Pères qui y avaient vécu, mais surtout le récit que lui fit un petit berger de la Zeta nommé Petko Ivezic, originaire du village de Dajbabé, réorientèrent complètement son mode de vie monastique et sa voie ascétique. Le Père Syméon décrit ainsi s arencontre avec le jeune berger : " Je reçux la visite d'un petit berger, nommé Petko, originaire du village de Dajbabé près de Podgorica, qui me raconta la vision qu'il avit eue en 1890, non dans un songe mais dans la réalité. Alors qu'il gardait les moutons sur une colline près du cimetière où se trouvent aujourd'hui les arbres du monastère, assis en train d emanger du pain et des prunes, il sentit un parfum d'encens et vit, assis sur une plaque funéraire, un homme vêtu d'or; il portait sur la tête une coiffe large au sommet et étroite à la base, surmontée d'une croix. Il avait en main un ba^ton surmonté d'une pomme en or et d'un linge jaune, et deux enfants étaient à ses côtés. Le petit berger se demanda s'il ne s'agissait pas d'un esprit malin et regarda si ses doigts de pieds étaient orientés vers l'arrière et ses talons vers l'avant. L'inconnu souleva alors sa robe et montra ses pieds : " Je ne suis pas un esprit malin comme tu le penses, dit-il. Je suis un saint, on m'a enseveli ici à cause des Turcs; j'ai été l'évêque de ce lieu, après avoir été le disciple d'un saint qui a vécu avant le Kosovo (1). (1) : ( C'est-à-dire avant la bataille de Kosovo, le 28 juin 1389). Je veux que tu construises un monastère. - Mais je suis pauvre, mon Père, répondit le berger. - Nous ne voulons pas des riches, répondit l'inconnu. - Il faudra commencer par une petite église. Tout devra être fait avec mesure. Je ne peux pas me montrer maintenant, tant qu'on n'aura pas enlevé ces vestiges turcs." Le petit berger, qui est orphelin et garde les moutons pour le compte d'autrui, décrivait ainsi un évêque revêtu de ses vêtements épiscopaux, alors que les deux enfants à côté de lui ressemblaeint à des anges. Le berger me dit alors que les anges n'étaient pas tous égaux et que le plus grand dans la ronde céleste était celui qui avait participé au baptême du Seigneur. Puis il dit que les tombes devaient être déplacées ailleurs. Il dit aussi qu'il fallait construire un haut mur jusqu'au sommet de la colline et faire un chemin jusqu'au monastère. Il dit de dépenser pour les travaux autant que Dieu le permettrait, mais que les travaux devraient être payés sur-lechamp. Il dit aussi de descendre à l'aide d'une échelle dans des salles souterraines entièrement décorées. Le saint (dont avait parlé l'évêque) y reposait dans une châsse de marbre blanc fixée dans le mur, avec une couverture dorée ornée d'une croix; il y avait là aussi plusieurs encensoirs ainsi que six cloches, dont une grande. Le berger évoqua aussi une autre châsse, plus petite. il me décrivit l'église telle qu'elle devrait être, précisant même comment se présenterait son plafond. Plus tard, des paysans m'ont affirmé qu'il lui arrivait d'apporter de l'encens, ainsi que des livres religieux; des paysans en portent témoignage encore aujourd'hui. Ce petit berger, qui n'était jamais allé jusqu'à Podgorica (2), qui était orphelin et n'était pas instruit, n'avait sûrement pas eu entre les mains l'ouvrage de Nicéphore Ducic, d'ailleurs édité en 1891 ( donc après les événements décrits ci-dessus), qui évoque l'existence d'un disciple de saint Sava qui avait été caché par des moines lors de l'invasion turque et dont on ignore où reposent les saintes reliques. (2) : ( Ville distante de quelques kilomètres). Devant l'évocation ( faite par le berger) de salles souterraines couvertes de peintures, il est difficile d'imaginer que quelqu'un ait pu avoir l'idée d'amener ce garçon voir des catacombes romaines... Ensuite, on peut se demander comment ce berger aurait pu être informé sur la hiérarchie céleste, sur les sarcophages, sur les formes architecturales de style byzantin, sur les fresques de l'église; tout cela suppose des connaissances que ce garçon ne pouvait acquérir seul. Par ailleurs, lorsqu'il mentionnait la présence de nombreux moines au monastère, il se référait à la façon de vivre des communautés de la Sainte Montagne où les moines ne doivent rien posséder pour eux-mêmes, tout devant être mis en commun. De même, ce petit berger était incapable d'être au courant des débats entre historiens au sujet de la métropolie de la Zéta, c'est-à-dire de sa localisation exacte. Pour ma part, je suis convaincu que, comme le saint le lui avait dit, vivait jadis dans cette région une sainte communauté monastique, et cela d'autant plus que la Zéta a été un foyer de monarques et d'évêques depuis les temps anciens. C'est en ayant tout cela à l'esprit que je pris la décision de consacrer tous mes biens et mes efforts à ce lieu, en considérant que le Seigneur Lui-même m'y avait appelé et que tout homme est conduit par Dieu à suivre le chemin de son salut. Dans cette perspective, je sollicitai alors l'autorisation des autorités compétentes, c'est-à-dire du roi Nicolas (3) et du métropolite Mitrofan (Ban), qui me fut accordée (4)." (3) : Du Monténégro. (4) : ( Le petit berger, Petko Ivezic, devint plus tard novice auprès du starets Syméon et fut tonsuré sous le nom du moine Platon. Il servit comme hiéromoine dans divers monastères et termina sa vie terrestre à l'âge de quatre-vingt-dix ans au monastère de Dajbabé). Faisant foi de ce songe prophétique et suivant les instructions données par Dieu à travers lui, le Père Syméon acquit, en 1896, avec l'argent qu'il avait reçu en héritage de son grand-père Milan, un grand terrain sur la partie méridionale de la colline de Dajbabé. Il y entreprit, à ses propres frais, la construction d'une cellule. C'est en construisant celle-ci qu'il découvrit une grande grotte, de sept mètres de long et de trois mètres de large, qu'il aménagea en église. La consécration de celle-ci fut célébrée par le métropolite Mitrofan, en présence des prêtres de la Zeta, Andrija Dragovic et Krsto Popovic, le jour de sainte Anastasie Pharmacolytria, le 22 décembre 1897. L'église fut dédiée à la fête de la Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu. Le métropolite Mitrofan Ban devint son premier bienfaiteur en lui offrant des icônes, des ouvrages et des ornements destinés à la célébration des services divins. C'est là désormais que le Père Syméon poursuivit sa vie de prêtre et de moine, consacrant ses jours et ses nuits à la célébration des services liturgiques, à l'écriture de textes spirituels, à la peinture des fresques ornat la grotte où il vivait en solitaire, et à la prière personnelle, acquérant progressivement par son ascèse la réputation d'un saint homme de Dieu. L'un de ses biographes, le hiéromoine Issac Simic, écrit à ce sujet : " La profonde spiritualité et la sagesse du starets furent particulièrement appréciées par tous ceux qui venaient solliciter ses conseils ou implorer ses prières et auxquels il apparaissait toujours comme un connaisseur authentique des mystères de l'âme humaine. Dans son doux regard étincelait une bonté infinie, un amour véritable et une attention permanente pour les âmes des hommes, en particulier pour celles dont l'existence avait été pleine de souffrances. Le secours ainsi apporté à ceux qui luttaient contre le péché correspondait à la tâche que s'était fixée saint Syméon dans l'accomplissement de sa misssion où son propre exemple brillait comme une "lumière devant la justice", "une cité dressée sur la montagne". Ayant reçu de Dieu, à l'issue d'une longue période de noviciat et d'ascèse, le don de clairvoyance ainsi que celui de discerner avec précision les secrets les mieux cachés dans les pensées des hommes, il utilisa abondamment ces dons pour apaiser et réconforter les consciences troublées qui venaient vers lui et les ramener à la vie dans la lumière de l'Evangile du Christ. On entendit alors parler de lui comme d'un prêtre dont les prières dites d'un coeur pur avaient eu beaucoup d'effets, aidant un grand nombre de gens à guérir de maladies, et éloignant de beaucoup d'autres de lourdes tentations. Le vénérable Syméon devint ainsi l'objet d'une attention croissante de la part de visiteurs serbes ou étrangers, dont plusieurs ont laissé dans des livres ou des revues des récits le louant." Parmi les récits rédigés par de nombreux pèlerins et visiteurs que connut alors le monastère de Dajbabé, on relève ces impressions d'un gentilhomme russe : " De la personne du Père Syméon irradie une pureté spirituelle sans limites et une humilité évangélique, à l'instar de celles de notre saint père Jean de Cronstadt. (...) Son regard est éclairé d'une douceur lumineuse et tranquille, toute joyeuse et réconfortante." On remarque aussi cette observation de deux voyageurs français : " Le starets est une véritable apparition angélique, éclairée par un esprit de béatitude céleste." Le spirituel remarquable que fut saint Syméon fut respecté, écouté et aimé par le peuple, mais aussi par les plus éminents hiérarques et théologiens serbes, qui ne manquèrent pas de lui rendre visite. Parmi eux, le saint évêque Nicolas ( Vélimirovic) qui l'appelait "le saint moine", et saint Justin Popovic qui, quand il vint le voir au cours de l'été 1937, nota imméditaement qu'il avait "eu l'honneur de rencontrer le grand starets serbe, Abba Syméon". Lorsque, dans sa vieillesse, son état physique se détériora, le Père Syméon fut accompagné par un disciple, le Père Théophile Popovic, qui allait, après son décès, lui succéder comme higoumène du monastère de Dajbabé, mais allait malheureusement quitter ce monde quelques années plus tard, en 1944. A cette époque, le hiéromoine Syméon ne voulait pas que sa faiblesse physique l'empêchât de poursuivre son ascèse. Il continua notamment à se conformer au sévère règlement de prière en vigueur dans les ermitages isolés. Jusqu'à sa dormition, pendant les temps libres que lui laissaient les longues périodes de prières diurnes et nocturnes et de longs moments d'extase bénis par la grâce, il continua à écrire des homélies, à rédiger des enseignements et à peindre des icônes. Quand il sentit qu'approchait la fin de son existence terrestre, le starets Syméon, que Dieu avait depuis longtemps doté du charisme de clairvoyance, se mit à révéler à ses proches que les temps à venir seraient porteurs de grandes épreuves liées aux horreurs apocalyptiques de la guerre. Prophétisant la guerre fratricide qu'allait connaître la Yougoslavie pendant et après la Seconde guerre mondiale, il ne cessa, le visage en larmes, de prier Dieu pour qu'Il mît fin à sa vie terrestre avant cette échéance, ajoutant néanmoins que, à l'issue de toutes ces épreuves, persécutions, souffrances et martyres, brilleraient dans le monde la lumière et la vérité de l'Orthodoxie. Les souvenirs de Marie Jasinska relatent sa visite au monastère de Dajbabé quelques mois avant la dormition de saint Syméon. Ils méritent d'être longuement cités car ils évoquent avec justesse, poésie et émotion les lieux où vivait le starets en compagnie de son disciple, et l'impression que dégageait sa personnalité : " Les montagnes du Monténégro sont très belles et multiformes. Quiconque s'en approche a l'impression qu'elles le prennent dans les bras, qu'elles l'élèvent. On a le sentiment que le ciel est plus proche... Les sentiers montagneux conduisent vers l'éternité divine, car la plupart d'entre eux aboutissent à la porte d'un monastère ouvrant sur l'initiation à l'éternité. Le matin, quand le soleil brise ses rayons sur la pierre blanche, regarder devant soi est difficile. Les arbres brillent après la pluie matinale et les feuilles étincellent comme si elle étaient laquées. On découvre alors un petit clocher et une allée de pins, dont les aiguilles brillent sous le soleil comme des bougies allumées. Tout est lumineux. A l'entrée de cette allée, se dresse une grande croix en bois. De loin, on aperçoit des fresques sur les murs. Les figures des saints accueillent joyeusement tout nouvel arrivant. Une petite porte mène à l'église d'un étonnant monastère qui évoque une vision d elégende et où l'air est embaumé par les senteurs des fleurs et des plantes. A notre rencontre vient alors un grand vieillard, moine à la longue barbe blanche et aux yeux souriants (5). (5) : ( Le moine Théophile). Il se trouve dans ce monastère depuis sa fondation. Il est content que l'on soit venu lui rendre visite; L'église est située dans une grotte, la pénombre y règne ainsi que l'humidité, deux à trois cierges seulement brûlent. On ne voit pas les murs, tant les saints qui y sont peints sont placés les uns à côté des autres. Toute la grotte est couverte de fresques. Il fait sombre, mais on voit tout, et surtout on voit l'âme. Pendant un instant, l'homme a peur de lui-même; les regards croisés des saints transpercent son âme. L'homme ne peut échapper à lui-même. Dans le monde extérieur, on remarque les choses apparentes; ici, dans cette sainte grotte, toute pensée devient visible. Les Vêpres viennent de commencer. Tout ce qui est lu ici revêt une portée symbolique. La pensée devient plus élevée et finit par libérer l'âme de la poussière du monde : ne subsistent que le repentir et la prière. Les yeux se sont vite accoutumés à la pénombre et, à la lumière des cierges, on distingue encore mieux les visages des fresques; Il semble qu'il n'existe pas de lumière plus grande que la pénombre de cette grotte. L'humidité sur les fresques les anime encore plus et, sur certaines d'entre elles, elle prend la forme de larmes (...). Le vieux moine célèbre les Vêpres avec solennité et piété. Il s'incline profondément devant les fresques mais son regard est serein, son visage est heureux. Le service du soir s'achève, le soleil vient de disparaître derrière les collines; l'odeur de l'herbe devient encore plus forte. On demande au moine depuis quand existe ce monastère et qui a peint toutes ces fresques. Alors, tout en souriant, il accompagne les visiteurs vers la cellule du starets (6), dont la flamme de la vie se consume doucement. (6) : ( Le Père Syméon). Dans la cellule où règne la pénombre ne se trouve que la fresque vivante du saint homme. Si son corps est fatigué par sa longue vie, peut-être que sa pensée et son esprit ne s'approchent que maintenant de l'immortalité; Le starets raconte aux visiteurs ce qui s'est passé il y a longtemps. Un petit berger avait vu en songe qu'il y avait une grotte, cette grotte précisément où devait se trouver une église; il avait vu que dans cette grotte il n'y avait pas de ténèbres, car ce lieu était béni de Dieu et les reliques d'un saint y reposaient. Le petit berger avait raconté sa vision à celui qui était alors le jeune moine Syméon; celui-ci crut en cette vision et se mit à construire le monastère et à en peindre les fresques. Quatrevingts printemps violets, été brûlantes, automnes pourpes et hivers blancs transformèrent le moine Syméon en un Ancien plein de sagesse, un starets connaisseur de l'âme humaine... La pénombre avait envahi la cellule. Les yeux bleus du starets scintillaient. Il finit par nous dire : " Partez maintenant, tout ira bien pour le monde orthodoxe. Peut-être vais-je mourir bientôt. Pour tout, merci à Dieu!" Silencieux, les visiteurs sortirent. La nuit était tombée ainsi que le silence. Au loin on entendait chanter des bergers. On ne distinguait plus les montagnes, comme si la nuit avait tout avalé. A certains endroits, on voyait des lumières, indiquant quelque habitation. Ces lumières étaient comme les phares d'une vie humaine, comme pour confirmer que les sentiers, les sentiers étroits des montagnes du Monténégro n'étaient pas sans issue et que, en y cheminant l'homme ne pouvait se perdre. Ces sentiers mènent non vers la pénombre, mais vers la lumière. La pénombre ne correspond pas aux ténèbres, mais au repos. La mort n'est pas la fin de la vie mais le début de la vie éternelle." A l'aube du 1er avril 1941, qui était le mardi de la cinquième semaine du Grand Carême et la fête des saints martyrs Chrysanthe et Daria, après avoir communié aux Très Purs Mystères du Christ, le starets Syméon remit paisiblement son âme au Seigneur. Il fut inhumé dans sa petite église, dans une tombe creusée dans la pierre, conformément à son désir. Cet endroit devint rapidement un lieu de pélerinage pour les fidèles, apportant des guérisons miraculeuses aux malades, du réconfort aux âme souffrantes, et des forces nouvelles aux âmes en quête de progrès spirituel. Le flux des pèlerins s'accrut encore après que les saintes reliques du starets eurent été - lors du 55° anniversaire de sa dormition et de sa présentation devant le Seigneur, en 1996, à l'initiative de S.E. Amphiloque, métropolite du Monténégro - extraites de son tombeau, revêtues de nouveaux ornements, et placés dans une châsse offerte à la vénération des fidèles. Lors de sa session ordinaire du printemps 2010, l'Assemblée des évêques de l'Eglise orthodoxe serbe a décidé d'ajouter à la liste des saints du Christ, en même temps que l'archimandrite Justin de Tchélié, le vénérable Syméon de Dajbabé. A cette occasion, S.E. Amphiloque, métropolite du Monténégro, a ainsi évoqué la personnalité de saint Syméon et son apport au monde contemporain : " La figure de l'Ancien Syméon de Dajbabé et son action, comme celle d'hommes semblables à lui, ne seront jamais recouvertes par l'oubli, car cela est impossible. Dans des époques de grande confusion et de dérives, le Père Syméon Popovic a cheminé paisiblement et sereinement, sur une voie nouvelle de pureté, de chasteté et de sainteté : en lui s'est ainsi accomplie la vérité contenue dans le Livre de la Sagesse de Salomon : " La vieillesse honorable n'est pas celle que donnent de longs jours, elle ne s emesure pas au nombre des années; ce sont des cheveux blancs pour les hommes que l'intelligence, c'est un âge avancé qu'une vie sans tâche" ( Sg 4, 8-9). Fidèle à l'esprit de ses pères spirituels, et inspiré, lors de ses études, par la grande piété du peuple russe, l'Ancien Syméon a construit le monastère de Dajbabé à proximité de ce qui fut la Sainte Montagne de la Zéta, c'est-à-dire des nombreux monastères du lac de Scutari, qui avaient fleuri à l'époque des Balsic - seigneurs de la Zéta aux XIV°-XV° siècles -, dont le souvenir reste gravé dans la mémoire et les chants populaires. En vérité, il a restauré la vie spirituelle, alors moribonde, dans les régions du Monténégro et au-delà, ramenant ainsi la pureté au sein de l'âme populaire et la préparant à affronter les grandes épreuves de la guerre et les aberrations de l'après-guerre. Vivant dans un siècle de grandes mutations et de dérives, souvent résolues dans le sang, mais aussi dans une époque d'expériences précieuses et de riches perspectives, le Père Syméon n'a pas succombé aux errements et aux confusions. Il est parvenu à discerner l'essence des choses et à vivre conformément à l'engagement fondamental de son existence. Devant ses contemporains, il a rayonné par son exemple vivant et son oeuvre; aujourd'hui, il rayonne parmi nous et continuera à rayonner devant ses descendants." II. Les oeuvres de Saint Syméon de Dajbabé. Tout au long de sa vie monastique, saint Syméon écrivit des textes de spiritualité. Bien qu'il ait eu un haut degré de formation intellectuel, philosophique et théologique, il a écrit toute son oeuvre dans un style simple, parce qu'il la destinait surtout au peuple, à sa formation morale et à son édification spirituelle. Il est d'ailleurs symptomatique que tous ses écrits aient connu un grand succès populaire et que certains d'entre eux aient été plusieurs fois réédités. Ces textes peuvent se répartir en trois grandes catégories. 1. Il y a tout d'abord des textes poétiques, écrits en octosyllabes ou en décasyllabes. Le choix de cette forme littéraire s'explique par le fait qu'elle correspondait aux attentes et aux habitudes des fidèles de cette époque, mais aussi parce que ces textes étaient destinés à un usage populaire conforme aux traditions locales, en particulier à être mémorisés et déclamés lors de fêtes ou de célébrations comme les Slava. En raison de cette finalité spécifique et de la difficulté à les faire passer dans la langue française, nous n'avons pas retenu ces textes dans le présent volume. Le plus important de ces textes est un long pème rédigé sous la forme d'un dialogue et intitulé Le père et le fils, ou entretien à propos de la foi. Il fut publié une première fois à Cétinjé en 1906, et une seconde fois à Vélika Kikinda en 1911 ( dans une version plus longue). Il rencontra un accueil très chaleureux auprès des lecteurs serbes de l'époque, et fut remarqué par des observateurs étrangers. Le rententissement de l'ouvrage fut tel que certains de ses lecteurs apprirent par coeur certains passages, qu'ils récitaient lors de cérémonies officielles ou de fêtes scolaires. Un bon exemple du style de ce texte est fourni par le chapitre 22 intitulé " De la mésentente avec autrui", qui met particulièrement l'accent sur la nécessité de la réconiliation et du repentir entre frères et soeurs : Le fils : Je ne fréquente plus certaines personnes, Depuis un an, je pense, voire davantage! Le père : Tes prières ne servent à rien, Tant qu'y demeure un tel signe démoniaque. Celui qui hait son frère est en fait un tueur, Tous les malheurs tombent sur lui. Accepte donc de te réconcilier Et tends la main à ton prochain. Dis-lui : " Pardonne-moi, frère!" Sinon, à quoi servent la prière et le carême? Le fils : Je voudrais bien me réconcilier, Mais l'autre refuse tout contact! Il m'est difficile, je dois l'avouer, De m'humilier, de m'abaisser. Le père : Plus tu tardes, plus ce sera difficile. C'est ainsi que le mal s'enracine. Aujourd'hui même, avant la fin du jour, Tu dois te débarrasser d'un tel fardeau! L'Ecriture sainte t'enseigne cela. Hâte-toi, tant que le soleil n'eat pas couché, Fais ton devoir, va chez ton frère, Et ne vis plus dans cette guerre fratricide; Pardonne ses péchés et Dieu te pardonnera les tiens Et les anges exalteront votre réunion! Saint Syméon publia plusieurs autres textes poétiques : le recueil intitulé Au paradis et en enfer, le poème intitulé Le royaume du démon et nous pécheurs, le recueil intitulé Stèles funéraires, les poèmes rassemblés sous les titres L'âme malade et le jugement sain et Le mauvais riche de l'Evangile ou réflexion sur la vie d'outre-tombe de pécheurs d'aujourd'hui. Dans ces textes où la pénitence est un thème récurrent, saint Syméon de Dajbabé apparaît comme un nouveau saint Jean le Précurseur criant parmi les hommes : " Repentez-vous, le Royaume céleste est proche." Le poème écrit sous la forme d'un dialogue et intitulé L'âme malade et le jugement sain met en scène l'âme en proie à des maux divers et qui est devenue malade spirituellement. L'âme a un frère, le jugement, qui lui explique que les maladies spirituelles et corporelles sont la conséquence des péchés et d'une vie déréglée qui abîme l'âme et le corps et mène à la mort. Le jugement propose à l'âme d'aller avec lui chez le médecin, lequel établit le diagnostic et prescrit plusieurs flacons avec des remèdes portant les noms de : repentir, humilité, jeûne, prière et charité; correctement utilisés, ces remèdes permettent de guérir. En écoutant la voix de la raison et les conseils du médecin, l'âme peut alors guérir complètement. Le poème intitulé Le mauvais riche de l'Evangile ou réflexion sur la vie d'outre-tombe de pécheurs d'aujourd'hui, apparaît comme une paraphrase de l'enseignement du Christ sur "le mauvais riche et le pauvre Lazare" ( Lc 16, 19-31); elle garde son actualité dans un monde dominé par l'argent, le culte des richesses matérielles et la soif de profit. 2. A côté de ces textes poétiques destinés à un public populaire, saint Syméon rédigea de petits ouvrages destinés aux moines et aux prêtres. L'opuscule intitulé La vie monastique, dont on trouvera la traduction dans ce volume, fut rédigé à l'époque où le hiéromoine Syméon était professeur à l'école monastique d'Ostrog, et fut publié dans la revue Prosvjeta de Cétinje en 1895-1896. Il s'agit d'une oeuvre inachevée, dont la rédaction fut interrompue par le départ de l'auteur pour Dajbabé et par le fait que les années qui suivirent furent entièrement consacrées par l'auteur à l'édification de son monastère. Même en cette forme inachevée, cet opuscule constitue une précieuse synthèse sur les conditions et l'essence de la vie monastique, sur les formes d'ascèse qu'elle implique, sur le combat que le moine est tenu de mener contre les passions, sur les vertus qu'il est appelé à acquérir. Les pieux laïcs pourront trouver dans ces développements, courts mais profonds, de précieux enseignements pour leur propre vie spirituelle. Saint Syméon s'inscrit ici dans la grande Tradition de la spiritualité orthodoxe, s'inspirant constamment de la Sainte Ecriture et des Pères, qu'il cite abondamment. L'opuscule intitulé Au pasteur de l'Eglise du Christ, dont on trouvear également la traduction dans ce volume, fut primitivement publié en 1889 dans la revue Prosvjéta de Cetinje. Saint Syméon s'y adresse surtout aux jeunes prêtres, en mettant l'accent sur le haut degré de responsabilité qu'implique leur fonction, et sur la nécessité pour le célébrant de l'Office divin, le messager de l'Evangile du Christ et le pasteur de Son troupeau, d'avoir un comportement exemplaire. Comme le précédent, ce texte s'inspire largement de l'Ecriture et des Pères. Il présente un grand intérêt non seulement pour les prêtres ( auxquels, dans la littérature patristique, relativement peu d'ouvrages ont été adressés spécifiquement), mais encore pour les fidèles : il fait voir leur prêtre sous un angle qui manifeste particulièrement la dignité de sa fonction et le poids de la responsabilité qui pèse sur ses épaules; il comporte aussi un commentaire profond de certains aspects de la Liturgie et une explication de symboles qu'elle met en oeuvre. 3. Outre les ouvrages précédents, saint Syméon a laissé un recueil manuscrit d'aphorismes qui ont été édités primitivement par l'archiprêtre Vasilije Ivosevic dans son livre sur le vénérable starets. Ces petits textes, que l'on trouvera ici, sont pour la plupart conçus sous la forme de comparaisons entre des réalités matérielles et des réalités spirituelles. L'usage constant de symboles et de métaphores et la concision de l'expression, leur donnent un caractère frappant, les rendent aisément mémorisables et confèrent au riche enseignement spirituel qu'ils contiennent une remarquable efficacité. Ces aphorismes, dont certains sont de petits bijoux, constituents sans doute la partie la plus remarquable des écrits de saint Syméon et révèlent la dimension universelle de son enseignement axé sur les valeurs fondamentales de l'Evangile. Jean-Claude Larchet. PS : nous remercions le traducteur de l'ouvarge, M. Lioubomir Mihaïlovitch, d'avoir mis à notre disposition, en les traduisant du serbe, une grande partie des matériaux qui nous ont permis de rédiger cette introduction et qui figurent dans l'ouvrage du jiéromoine Isaac (Simic) ( Monastère de Dajbabé, Monténégro, 2007), d'où ont aussi été tirés les textes de saint Syméon publiés dans ce volume. DEUXIEME PARTIE ENSEIGNEMENTS DE SAINT SYMEON DE DAJBABé I LA VIE MONASTIQUE 1. La voie monastique. Notre Seigneur Jésus-Christ, conformément à Son indicible amour des hommes, est descendu des Cieux sur terre et a fondé un royaume spirituel dont Il a établi les lois que doivent respecter Ses disciples, les Chrétiens. Le commandement impératif du Christ est d'aimer Dieu de toute son âme et d'aimer son prochain comme soi-même. Tout aussi importants sont les autres commandements du Christ tels que : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre d'adultère, etc. Outre ces commandements, le Seigneur a laissé d'autres conseils comme : " Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres" ( Mt 19, 21). Ainsi par exemple, celui qui veut acquérir une plus grande perfection spirituelle, sans se contenter d'appliquer les commandements qui s'imposent à tous, celui-là accepte de suivre les conseils de l'Evangile comme la pauvreté volontaire ou la chasteté et choisit à cette fin la voie monastique. Il renonce au monde en tant qu'obstacle dressé sur la route menant vers cette objectif; de plus, il renonce à lui-même, s'offrant lui-même en sacrifice, le plus grand don qu'il puisse offrir à Dieu étant sa propre vie. Abba Dorothée, évoquant ce type d'hommes, écrit : " Ils ont compris qu'en restant dans le monde, ils ne peuvent accéder convenablement à toutes les vertus; ils se sont donc forgés un mode de vie particulier, une façon spécifique de passer le temps, une façon particulière de travailler, en un mot la vie monastique. Ils se sont alors mis à fuir le monde et à vivre dans des déserts dans le jeûne et les veilles, dormant à même le sol et endurant d'autres types de souffrances en renonçant à la paternité, à la famille, aux richesses. Ainsi, ils ont non seulement suivi les commandements, mais ont apporté des offrandes à Dieu. Les commandements du Christ s'adressent à tous les Chréteins et tout Chrétien est tenu de les respecter; il s'agit pour ainsi dire d'un tribut dû au souverain. Mais il existe dans le monde de grands hommes éminents qui non seulement apportent leur tribut au monarque, mais lui offren d'autres dons; ceux-là se rendent dignes de grands honneurs et de grandes récompenses. Ces offrandes peuvent être la chasteté ou la pauvreté volontaire; ce ne sont pas des commandements, mais des dons, car nulle part il n'est dit dans l'Evangile de ne pas se marier, de ne pas avoir d'enfants." Ainsi donc, certains chrétiens se sont élognés du monde dans le but d emieux réaliser les préceptes de l'Evangile et d'apporter au Christ-Roi un don qu'ils ne pouvaient Lui offrir en restant dans le monde "qui gît au pouvoir du malin", selon la parole de l'apôtre ( 1 Jn 5, 19). 2. Le renoncement au monde et le motif de cette action. Les raisons qui poussent nombre d'hommes à renoncer à leur famille, à leur maison, à leurs parents, à leur épouse et à leurs enfants, en recevant la tonsure monastique, ne sont pas identiques. Un chagrin inattendu, la mort d'êtres chers, divers bouleversements dans la vie quotidienne amènent l'homme à abandonner tout ce qui est séculier et éphémère et à consacrer sa vie à servir Dieu en tant que moine et à ne plus s'occuper que de ce qui mène à la vie éternelle et inaltérable. Il arrive aussi que la Providence conduise, de façon surnaturelle, l'homme vers la vie spirituelle où il prie Dieu, loin de toute préoccupation terrestre, comme l'attestent nombre de vies de saints. Mais il existe aussi des cas où des hommes, incapables d'assumer l'humilité de la vie monastique, décident dans certaines circonstances, par intérêt matériel, de s'engager dans l'activité monastique dans le seul espoir d'en retirer des honneurs, des richesses, des pouvoirs attachés à l'exercice de responsabilités hiérarchiques élevées. De tels hommes, moines dans l'apparence mais laïcs dans l'âme, se heurtent à chaque pas à des obstacles, à des désagréments et à des récriminations dans leur activité, laquelle est en contradiction avec leur esprit et leur caractère séculiers. Le sage Salomon évoque de tels hommes en disant : " Le paresseux dit : il y a un lion dehors, dans la rue, je vais être tué" (Pr 22, 13). De tels hommes sont perdants sur les deux plans, ils ne sont ni des moines ni des laïcs. Aussi est-il opportun de rappeler les paroles de l'Apôtre : " Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi. Eprouvez-vous vous-mêmes" ( 2 Co 13, 5), ainsi que la remarque faite par saint Basile le Grand à un sénateur qui s'était montré médiocre comme moine et qui avait perdu, selon saint Basile, à la fois comme sénateur et comme moine : il avait cessé d'être sénateur mais ne s'était pas intégré à la vie monastique. La première et indispensable caractéristique du moineascète est la résolution ferme de servir Dieu avec ferveur jusqu'à sa dernière heure, sans tenir compte des obstacles susceptibles de se dresser sur sa route et en gardant toujours à l'esprit qu'il dispose du soutien du Christ dont l'apôtre Paul dit : " Je puis tout en Celui qui me rend fort" ( Ph 4, 13). Il arrive cependant que des hommes, désireux d'accéder à une spiritualité plus élevée mais incapables de rompre soudain tout lien avec le monde, passent une partie de leur vie ascétique au milieu des leurs, dans leur demeure familiale. A leur propos, l'un des saints Pères a dit qu'ils sont semblables à des cadavres restés chez eux sans sépulture, dont la puanteur a envahi toute la maison. C'est à eux que s'adresse le Seigneur : " Je connais ta conduite : tu n'es ni froid ni chaud - que n'es-tu l'un ou l'autre! Ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche" ( Ap 3, 15-16). Un jour quelqu'un se flattait devant saint Antoine le Grand qu'il vivait dans sa famille et qu'il y disposait de tout, mais qu'il avait le loisir d'étudier l'Ecriture Sainte, de lire et de prier sans que son esprit soit dispersé. Saint Antoine lui demanda s'il prenait part aux chagrins et aux réjouissances de la famille. Son interlocuteur lui avoua qu'il participait aux uns et aux autres. Alors le vieil homme lui dit : " Cela signifie que dans la vie future, tu resteras troublé par la destinée de ceux dont les joies ou les chagrins terrestres te réjouissent ou te chagrinent." De son côté, saint Jean Climaque donne les conseils suivants aux futurs moines : " Ton père doit être celui qui est en mesure d elaver les impuretés; ton frère, celui qui est à tes côtés dans ton effort fervent de t'élever...; ton corps doit être ton esclave; tu dois gagner l'amitié des puisssances célestes qui pourront t'être utiles au moment du départ de ton âme; et que tes amis soient de ceux qui vont vers le Seigneur" ( cf. L'Echelle, Degré 3). De même que selon les saints Pères, la chasteté ne consiste pas seulement à s'abstenir du péché de la chair, mais aussi à suivre un autre mode de vie, à avoir un regard différent sur les autres, à s'exprimer différemment et à se vêtir autrement, de même le renoncement au monde ne consiste pas seulement à renoncer aux choses matérielles - maison, terres, or, argent - mais aussi à renoncer à ses tendances au péché et à ses inclinations vers le mal plutôt que vers le bien, car une telle faiblesse continue à se manifester depuis la chute d'Adam au paradis. " Il existe trois types de renoncements, dit saint Cassien : le premier est l'abandon physique de toutes richesses et de tous biens dans ce monde; le second consiste à abandonner nos habitudes, nos vices, nos passions, spirituelles autant que terrestres; le troisième correspond au renoncement, dans notre esprit, à tout ce qui est actuel et visible pour ne regarder que dans l'avenir. Dieu a ordonné à Abraham de procéder à ces trois renoncements, en lui disant : " Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t'indiquerai" ( Gn 12, 1). Le renoncement absolu aux biens terrestres, dit saint Basile le Grand, éloigne les obstacles de la route de celui pour qui les jugements de Dieu "sont plus désirables que l'or, qu'une masse d'or fin" ( Ps 18, 11). Les trésors célestes seront accordés, selon Christ le Sauveur Luimême, à ceux qui se seront conformés à Ses paroles : " Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux" ( Mt 19, 21). Le moine qui ne renonce pas aux biens matériels ne peut devenir obéissant et rester en un lieu, qualités sans lesquelles tout son labeur s'effondre. Saint Jean Cassien, quand il évoque la gêne que la richesse représente pour un moine ainsi que la nécessité de demeurer en un même lieu, dit : " Cet homme ennuie les autres, se met en colère, fait preuve d'esprit de contradiction; il ne montre du respect à l'égard de quiconque, mais fait des ruades tel un cheval enragé; il est méccontent de la nourriture quotidienne; il dit à haute voix qu'il ne peut pas vivre en ce lieu, qu'on peut trouver son salut même ailleurs et que, s'il ne quitte pas ce monastère, il va se perdre." Quand de telles pensées s'insinuent dans l'esprit du moine, il se met à dépenser sans pitié l'argent du monastère et réfléchit à la manière dont il va quitter ce monastère; il répond grossièrement aux ordres de ses supérieurs, il se sent de trop dans la communauté; il fait des remarques, il condamne et méprise tout le monde au monastère, sans essayer de s'améliorer. Puis il trouve des justifications à ses pressentiments, pour qu'on ne puisse pass dire qu'il est futile et qu'il part du monastère sans raison. S'il le peut, il cherche à pousser d'autres moines à le suivre dans son mécontentement et ses vaines querelles, et à quitter le monastère. 3. L'obéissance. Le christianisme est, selon les saints Pères, la science des sciences. Il a pour but d'amener l'homme à être à l'image de Dieu, son Créateur : " Vous serez saints, parce que moi, je suis saint" a dit le Seigneur dans ce qui est la source de la sagesse chrétienne, l'Ecriture sainte ( 1 P 1, 16). L'immensité et la difficulté d'une telle tâche se voient dans le fait que les philosophes païens tel que Platon, qui bénéficiaient d'un niveau élevé de développement intellectuel, le reconnaissaient euxmêmes : " J'ai toujours eu l'impression, dit ce philosophe, que tous les autres enseignements ne sont pas très fertiles et que le plus difficile est d'enseigner à l'homme de mener une vie tournée vers le bien." Cela montre bien la nécessité de disposer de maîtres et de guides capables d'amener les hommes vers un idéal aussi élevé. En vérité, s'il est nécessaire de rechercher des enseignants et des instructeurs pour des disciplines profanes ordinaires telles la peinture ou la médecine, a fortiori est-il nécessaire de trouver des maîtres capables d'initier à la vie monastique. Le moine novice, s'il ne se choisit pas un père spirituel et instructeur et s'il ne se montre pas obéissant, à l'inverse de l'exemple donné par son père spirituel qui est "obéissant jusqu'à la mort" ( Ph 2, 8), sera non seulement incapable d'atteindre les objectifs recherchés : la perfection spirituelle et le salut éternel, mais finira, en suivant sa volonté, par périr... De mêm qu'il a été nécessaire aux moutons du patriarche Jacob de regarder le bois déposé dans les auges pour s'accoupler, comme dit l'Ecriture Sainte ( Gn 30, 41), de même est-il nécessaire au moine -ascète de prendre exemple sur la vie et l'activité de son père spirituel. Celui qui veut atteindre rapidement la perfection, dit saint Antoine le Grand, n'a pas besoin d'être son propre maître ni de se plier à sa propre volonté, aussi justifiée soit-elle; il doit avant tout, conformément au commandement du Seigneur, renoncer à lui-même et à sa volonté. Le Sauveur Lui-même parle ainsi : "Je suis descendu du Ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé" ( Jn 6, 38). Le moine, affirme saint Antoine le Grand, est autant que possible tenu d'interroger son père spirituel au sujet de chaque pas qu'il fait dans sa cellule, de chaque goutte d'eau qu'il boit. Je connais, dit-il, des moines qui ont connu la chute après de nombreux efforts et ont succombé à la folie à la suite de cela, pour avoir fait trop confiance à leurs propres actions et méprisé le commandement de Celui qui a dit : " Demande à ton père, il te le dira." Il faut garder en mémoire le cas d'un moine qui était apprécié par le Malin et dont Abba Dorothée disait qu'il avait "un frère qui, en le voyant, se mettait à s'agiter et à tourner sur lui-même". Le Malin aime de tels hommes, il se réjouit de les voir vivre sans direction, refusant de s'en remettre à un père spirituel capable de les aider et de les conduire vers Dieu. Nos Pères, dit saint Antoine le Grand, se sont montrés obéissants à l'égard de leurs Pères et ont appliqué leurs enseignements, et c'est pourquoi ils ont réussi, se sont épanouis et sont devenus eux-mêmes des maîtres, comme le souligne le Siracide : " Ne fais pas fi du discours des vieillards, car eux-mêmes ont été à l'école de leurs pères; c'est d'eux que tu apprendras la prudence et l'art de répondre à point nommé" ( Si 8, 9). Nous sommes donc tenus de soutenir ceux qui ont fait preuve d'obéissance à l'égard de leurs pères et ont, avec l'aide de Dieu, tout appris d'eux, puis ont transmis leur savoir à leurs enfants. Ainsi Isaac a écouté l'enseignement d'Abraham, Jacob a écouté Isaac, Joseph a écouté Jacob, Elisée a écouté Elie, Paul a écouté Ananie, Timothée à écouté Paul. Eux tous, et bien d'autres comme eux, ont écouté leurs pères, exaucé leurs volontés et suivi leurs conseils, accédant ainsi à la vérité, s'imprégnant de justice et se rendant finalement dignes de l'Esprit Saint. Saint Syméon le Nouveau Théologien, qui fut lui-même le fils spirituel et obéissant d'un Ancien nommé Syméon, nous décrit le modèle d'obéissance véritable et intelligente que l'on doit observer à l'égard de son père spirituel. C'est de tout son zèle, nous dit-il, qu'on doit prier Dieu pour être guidé par Lui, soit en secret par le don de la Grâce, soit ouvertement par l'intermédiaire de l'un de Ses serviteurs qu'il convient d'aborder avec crainte et respect et auquel on doit s'adresser comme si l'on se tenait devant le Christ, car de même que l'on est tenu de dervir Dieu, de même on doit l'écouter, lui, pour apprendre tout ce qui est utile. Il faut veiller à appliquer, sans hésitation, tout ce que dit le père spirituel, même si cela peut paraître maladroit ou inutile. Il vaut mieux être qualifié de disciple que de passer son existence à vivre selon ses envies. De toute façon, il ne convient pas de demander conseil à tout le monde, mais de se fier uniquement à celui qui a été chargé de diriger les autres, dont la vie est un exemple et dont la pauvreté personnelle enrichit un grand nombre. La première et la plus importante caractéristique qui soutient l'esprit d'obéissance, qui ligote les mains et les pieds de l'ennemi du salut des hommes, est une humilité véritable : il faut se considérer comme le plus maladroit même si on est glorifié à tous égards par les hommes. Ceux qui se sont élevés à une véritable perfection spirituelle étaient des moines authentiques et des amis de Dieu. On en trouve l'illustration dans la vie du très érudit Arsène le Grand qui se considérait inférieur à un moine ordinaire : quand ce grand homme se présentait devant Abba Jean Colobos à l'heure des repas, le vieil homme ne l'invitait pas à s'asseoir et Arsène restait donc debout. Après le début du repas, l'Ancien prenanit un morceau de pain et le jetait vers Arsène. Ce dernier comprit que le vieil homme reconnaissait ainsi qu'Arsène était semblable à un chien, voire pire qu'un chien, et c'est pourquoi il lui donnait du pain qu'Arsène s'en allait manger dans un coin. Voyant une telle humilité chez Arsène, le vieillard dit aux autres prêtres : " De lui sortira un moine de valeur." L'un de nos Anciens, note Abba Dorothée, a dit qu'il fallait avant tout faire preuve d'humilité, pour être prêts à dire "pardon" après chaque parole entendue, car l'humilité anéantit toutes les forces maléfiques. Quand saint Antoine vit des filets démoniaques largement déployés, il soupira et demanda à Dieu comment les éviter. Dieu lui répondit : " L'humilité permet de les contourner et, même, cela ne concerne en rien celui qui est humble." Si un tel homme est confronté à un événement triste, il se tourne aussitôt vers lui-même, il se condamne lui-même en notant qu'il l'a bien mérité; il ne fera pas de reproches à autrui, ne ne mettra en cause sa responsabilité. En vérité, si on s'interroge soi-même avec la crainte de Dieu, on finit par découvrir qu'on a pu fournir un prétexte à autrui, par un acte, par une parole ou par un regard. Même si on s'aperçoit qu'il n'y a eu aucun motif direct à l'action d'autrui, il a pu néanmoins arriver qu'on ait calomnié quelqu'un d'autre auparavant, ce qui fait qu'on est amené à souffrir pour avoir commis tel péché, voire un péché antérieur. De même que l'humilité est un moyen de conserver l'esprit d'obéissance chez le moine, de même la purification intérieure du coeur et d ela volonté de l'homme se fait en accomplissant le commandement de Dieu par l'intercession du père spirituel, ce qui aboutit à la mise à l'épreuve de notre zèle à faire le bien, comme l'avait prédit le très sage fils de Sira : " Mon fils, si tu t'offres à servir le Seigneur, prépare-toi à l'épreuve" (Si 2, 1). De telles épreuves se présentent devant le jeune moineascète proportionnellement à ses inclinations naturelles, au niveau de développement qu'il avait atteint avant de renoncer au monde et de s'engager dans la vie monastique. Ainsi par exemple, s'il est issu d'une famille aisée et s'il a occupé une certaine position sociale ( tel Pierre l'athonite, qui fut un chef militaire éminent), le démon lui glissera des regrets concernant la richesse qu'il a délaissée; il lui insinuera l'idée que, s'il était resté dans le monde, il aurait pu se montrer plus utile, non seulement pour lui-même mais aussi pour bien d'autres personnes ainsi que pour toute sa région, voire son pays, tout en restant aussi bon Chrétien; le démon lui suggérera le cas de certains hommes qui se sont montrés très utiles pour le monde tout en vivant strictement selon la loi divine, alors que lui-même reste enfermé entre les quatre murs de sa cellule sans aucune utilité, ni pour lui-même ni pour autrui, lui-même n'ayant pas conscience que le monde, comme l'a dit un homme très sage "promet l'or, mais procure la boue" ( saint Dimitri de Rostov). Le démon ne se lassera pas d'éprouver celui qui est venu au monastère en vue de son salut, en lui faisant valoir qu'il aurait pu se constituer un patrimoine en vue de sa vieillesse, faire un mariage heureux, avoir des enfants, puis seulement à ce moment-là entrer dans un monastère, à l'instar de nombreux hommes éminents; le Malin ne manquera pas d'exemples à cet égard et lui citera des hommes qui se sont consacrés à Dieu après avoir mené une vie familiale. En vérité, Dieu accueille à tout instant quiconque vient se repentir; mais la loi de Moïse exige que l'agneau sacrifié soit sans défauts. De tels défauts, le moine doit les expulser immédiatement de son cerveau, sachant qu'il a été appelé à venir au monastère par Dieu Luimême, par cette volonté divine sans laquelle nous ne sommes pas capables de préméditer quelque chose de bon. Celui qui se hâte de raconter ses pensées intimes à son père spirituel, comme il doit le faire chaque jour, celui-là non seulement n'endurera pas d'agression de la part du Malin, mais recevra de Dieu au contraire la couronne de la victoire et il sera rendu heureux. La valeur de la confession de ses pensées à son père spirituel, en vue d'atteindre la perfection spirituelle, peut être illustrée par ce que dit Abba Sérapion en parlant de sa propre expérience comme novice : " A cette époque, raconte-t-il, je prenais du pain et de la nourriture en cachette de mon père spirituel. Je l'ai fait pendant longtemps, et ma conscience me condamnait. J'avais honte d'en parler à mon père spirituel, mais la Providence divine fit que des moines vinrent le voir à ce moment-là afin de lui révéler leurs pensées et de demander pardon. Le vieil homme se mit alors à leur parler de la modération dans l'alimentation, ajoutant ceci : rien ne nuit plus aux moines et rien ne réjouit plus les démons que de soustraire ses pensées à son père spirituel. Ces paroles me foudroyèrent. J'eus le sentiment que Dieu avait révélé mes péchés à l'Ancien; puis, devenu humble, je me mis à pleurer et montrai le pain que j'avais l'habitude de voler. Tombant alors à genoux, je demandai à mon père spirituel de pardonner ce que j'avais fait et de prier Dieu de me préserver de cela à l'avenir." Révéler ses pensées pécheresses à son père spirituel est aussi important que de signaler dans la vie quotidienne un complot ourdi par un être pervers qu'on fréquentait jusque-là. C'est pourquoi ceux qui veulent vivre selon la volonté de Dieu, dans un état d'obéissance véritable auprès de leur père spirituel, sont confrontés à diverses épreuves de la part du démon, destinées à ce qu'il puisse se saisir d'eux quand ils sont seuls, comme le loup s'empare des motons en l'absence du berger afin de les égorger. La prière adressée avec humilité à Celui qui est descendu sur terre pour accomplir non Sa volonté mais celle du Père céleste en restant obéissant jusqu'à la mort, peut vaincre le démon, "car du fait qu'Il a Lui-même souffert par l'épreuve, Il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés" ( He 2, 18). 4. La prière. Conscient, comme Créateur, de notre nature impuissante, le Seigneur Jésus-Christ a dit " qu'il fallait prier sans cesse" (Lc 18, 1), précisant qu'il en était ainsi parce que "l'esprit est ardent, mais la chair est faible" (Mc 14, 38). De même qu'il est nécessaire de maintenir le feu sous le plat tant que la cuisson n'est pas terminée, de même devons-nous garder en nous l'esprit de prière afin que notre amour pour Dieu ne se refroidisse pas et nous permette de mener avec zèle le combat contre le Malin. Saint Grégoire le Sinaïte, évoquant la nécessité de prier en permanence, nous dit comment nous devons le faire : " Nous pouvons toujours le faire si nous le voulons. Que nous soyons en train de travailler, de manger de la nourriture ou de boire, nous avons toujours la possibilité de prier mentalement, de dire intérieurement une prière véritable et agréable à Dieu, de travailler avec le corps et d eprier avec l'esprit. L'homme extérieur doit se vouer entièrement au service de Dieu, sans jamais renoncer à cet acte intime qu'est la prière intérieure, comme nous l'a ordonné le Dieu-homme Jésus : " Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret" (Mt 6, 6). Pour une telle ascèse, les saints Pères ont instauré ce qu'on appelle la Prière de Jésus, qui se présente comme suit : " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur." L'un des plus grands maîtres dans le domaine de la spiritualité, saint Grégoire le Sinaïte, a dit à propos de la Prière de Jésus qu'elle était à la foi " prière, confession du Saint-Esprit, donatrice des dons du Saint-Esprit, purification du coeur, expulsion du démon, installation de Jésus-Christ en nous, source de discernement spirituel et de pensées divines, répudiation des péchés, guérison de l'âme et du corps, dispensatrice de lumière divine, source de miséricorde divine, révélatrice de mystères divins, seule porteuse du salut apporté par le Sauveur notre Dieu, car elle inclut le Nom de JésusChrist Fils de Dieu et qu'il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés" ( Ac 4, 12). Au début, cette prière, quoique brève, ne s'intègre pas aisément : on doit se l'approprier de l'extérieur, c'est-à-dire la lire à haute voix, tant qu'elle ne pénètre pas dans l'homme, qu'elle ne s'unit pas à lui, quelle que soit la tâche qu'il accomplit, comme le souligne le vénérable Calliste : " La prière " Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur", prononcée avec l'esprit et avec le coeur, avec attention et sans se laisser distraire par quoi que ce soit, ne s'acquiert pas rapidement, elle nécessite une pratique." Au début, on le fait de force, quitte à rompre avec des pensées venues d'ailleurs. Cependant, l'effort, la patience et la ferveur finissent par aboutir à ce que cette prière ne paraisse plus imposée, mais toute naturelle. Cette prière est si nécessaire que, sans elle, il est impossible de se débarrasser des impuretés spirituelles, comme il n'est pas possible au soleil de chauffer en l'absence d elumière, selon les paroles du vénérable Isaïe : " S'il en est vraiment ainsi, comme on le voit par expérience, nous dit cet ascète russe, alors il nous faut mentionner le Nom de Jésus aussi souvent que nous respirons." Outre la Prière de Jésus, brève mais ininterrompue, les saints Pères ont composé des prières adaptées aux divers offices de la journée comme les Matines et les Vêpres, que le moine est tenu de lire régulièrement avec tous les autres textes nécessaires, comme s'il se tenait devant Dieu Lui-même et en veillant, autant que possible, à éviter toute dispersion de ses pensées et d'avoir la prière sur les lèvres mais le coeur éloigné de Dieu. En ces circonstances, il importe de faire des prosternations fréquentes, à l'instar du Seigneur Lui-même : " Il tomba face contre terre en faisant cette prière" ( Mt 26, 39). Tomber à genoux correspond à notre chute dans le péché, alors que le fait de se relever correspond au repentir et à notre volonté de vivre dans la pureté, comme le dit saint Théolepte de Philadelphie : " Prier à genoux ne doit pas être négligé, car en tombant à genoux nous exprimons le fait que nous sommes tombés dans le péché, alors qu'en nous relevant du sol, nous manifestons notre repentir et notre engagement à nous redresser et à vivre en faisant le bien." Accomplir les règles d eprière ( données habituellement par le père spirituel au novice en tenant compte de ses capacités mentales et physiques) de façon négligente, ne signifie pas que l'on a respecté ces règles; il ne s'agit alors que de paroles vides qui ne sont pas source de grâce, mais de malédiction, comme l'ont dit les saints Pères : maudit est tout homme qui accomplit une action divine avec négligence. Abba Isaïe recommande de se tenir debout et avec la crainte de Dieu pendant la prière, de ne pas s'appuyer contre le mur, de ne pas changer de position de pied, c'est-à-dire s'appuyer sur l'un pour alléger l'autre, comme le font les ignorants. Il importe aussi de garder le coeur sobre et de l'empêcher de s'aventurer vers les centres d'intérêt personnels, et c'est ainsi que Dieu accueillera notre sacrifice, conseille Abba Isaïe. Pour chaque Chrétien, et a fortiori pour un ascète, l'acte le plus important est la prière; aussi le rusé démon ne se prive d'aucun moyen pour faire obstruction à cette sainte tâche, pour y mettre fin ou du moins pour l'affaiblir et de la souiller par diverses évocations indignes ou des prétextes séduisants et répugnants : besoin de donner du repos à son corps ou de cesser d'ennuyer Dieu avec toutes ces prières. Pourtant l'Evangile cite le cas d'une veuve qui ne cessait de prier qu'on lui rende justice, ce qui finit par amener un juge, qui affirmait ne pas craindre Dieu, à "lui rendre justice pour qu'elle ne vienne pas sans fin (lui) rompre la tête" ( Lc 18, 2-5). Succomber au démon conduit à l'inertie, à la somnolence, à l'apathie. Celui qui s'abandonne à de telles suggestions du Malin, se livre ouvertement au démon et se condamne à fuir sans savoir que le Royaume céleste lui est offert et que l'on peut y accéder en se refusant au Malin. Abba Théodore évoquait le cas d'un novice : " Aussitôt qu'il commençait à suivre ses règles d eprière, il était pris de forte fièvre et couvert de sueur, à quoi s'ajoutait une migraine violente. Il se disait alors : me voilà déjà malade, sur le point de mourir, mais je me lèverai quand même avant que la mort me prenne, je ferai ma prière dans les règles!" A l'aide de ces mots, il se forçait lui-même à respecter la règle; et quand il avait fini de la respecter, la maladie l'abandonnait. " Je me hâte, je ne diffère point d'observer Tes commandements", dit David ( Ps 118, 60). A un homme qui aborde la prière sans y avoir été préparé, Salomon, le fils très sage de David, conseille : " Ne sois pas comme un homme qui tente le Seigneur" ( Si 18, 23). Pour que nos pensées et nos souhaits soient, lors de la prière, tels que l'exigent la grandeur et la sainteté divines, il importe de nous y préparer. Pendant la prière, nous serons tels que nous avons été avant de la commencer. Après la mort d'êtres chers, nous prions avec plus d'intensité et de ferveur; après des moments de détente ou de rires, nous abordons la prière avec plus de légèreté; pendant la prière, notre esprit reste imprégné par ce qu'il vient de vivre. C'est pourquoi la lecture de l'Ecriture sainte constitue un moyen essentiel pour donner de la force à la prière : elle s'élèvera haut vers le Ciel et rebondira portée par les mots de la Parole de Dieu, comme un boulet de canon qui rebondit très haut après avoir frappé une planche stable. 5. Vivre en cellule. A quelqu'un qui se plaignait à son père spirituel de tomber dans la mélancolie en restant seul dans sa cellule, un Ancien répondit : " Cela vient de ta tristesse de ne pas avoir encore vu la Résurrection à laquelle nous espérons accéder, ni les tortures subies dans le feu inextinguible. Si tu avais vu cela, alors tu endurerais tout, sans te laisser affaiblir; alors, même si ta cellule était pleine de vers jusqu'au cou, tu y resterais!" Voilà l'importance que les saints pères attachent à la vie en cellule, qui n'est pas accessible aux hommes en dispute avec Dieu. " Qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu" dit l'apôtre Jacques ( Jc 4, 4). " Celui qui veut parler avec le Christ, dit le très sage Isaac le Syrien, celui-là aime être seul, alors que celui qui veut rester avec la multitude, celui-là est ami de ce monde" auquel le moine a renoncé et en a pris l'engagement devant Dieu. Alors le démon impur se travestit en ange de lumière" et présente au moine diverses suggestions tentatrices afin de l'extraire de sa cellule, même brièvement, comme la nécessité d'aller voir son frère pour telle ou telle affaire, ou de se rendre dans un village voisin auprès d'un malade afin de le réconforter avec le message divin, ou de réconforter tel ou tel malheureux, sinon avec de l'argent, du moins en paroles. Le moine peut s'opposer à ces attaques du démon en se souvenant que sa cellule se situe dans un monde de vanités, telle l'arche de Noé dans le monde d'avant le déluge; sa cellule est pour le moine ce que l'arche a été pour Noé. Celui qui sort de sa cellule sans besoin impératif se condamne à fuir devant l'esprit impur. C'est pourquoi le vénérable Abba Nazaire, ascète de Sarov, recommande au moine : " Ne sors pas de ta cellule, sauf en cas de grand besoin... Prends soin de ne pas succomber à des pensées perverses. Si tu dois sortir de ta cellule pour un motif agréable à Dieu, veille autant que possible à ne pas regarder à côté, ne sois pas curieux. Si tu rencontres quelqu'un à l'improviste, ou si tu vois quelque chose de malsain, ou si tu entends quelqu'un s'exprimer de façon inconvenante, ne t'attarde pas mais salue ces gens en silence et poursuis tranquillement ton chemin, afin de revenir au plus vite dans ta cellule l'âme en paix." Quant à l'activité du moine dans sa cellule, saint Théodore d'Edesse en parle de façon pertinente : " Assis dans ta cellule, n'accomplis pas tes tâches sans y réfléchir et ne perds pas ton temps à ne rien faire... Mais attelle-toi à un bon labeur, concentre ton esprit, sans cesser d'avoir en tête l'heure de ta mort. Souviens-toi de la vanité du monde et de son caractère trompeur; réfléchis aux circonstances du terrible interrogatoire au cours duquel nos zélés calomniateurs mettront à nu nos actions, nos paroles, nos pensées; songe aussi aux souffrances subies en enfer où les âmes seront enfermées. Représente-toi aussi ce grand jour terrible, le jour d ela résurrection générale, de la présentation devant Dieu et de la décision ultime du Juge. Imagine les souffrances que subiront les pécheurs; rejetés par Dieu, ils seront précipités dans le feu éternel dans des ténèbres opaques au milieu des lamentations et des grincements de dents. En considérant tous les autres lieux de martyre, tu ne dois pas cesser de pleurer et de couvrir de larmes ton visage, tes vêtements et le lieu où tu te trouves..." 6. Le jeûne et l'abstinence. "Tout athlète se prive de tout", dit l'apôtre Paul ( 1 Co 9, 25), ce qui signifie non seulement s'abstenir de manger gras mais aussi renoncer à tout excès, comme le recommande saint Basile le Grand : " S'abstenir ne veut pas seulement dire s'abstenir de consommer ( car nombre de philosophes grecs y sont parvenus) mais tout particulièrement éviter de laisser le regard vagabonder. Il n'est pas utile de s'abstenir de consommer sans renoncer aux postures hautaines, aux flatteries, aux vaines gloires et à toutes sortes de passions. De même est-il inutile de s'abstenir de consommer sans renoncer aux pensées pleines de ruse et de vanité." Le jeûne a été instauré déjà au paradis par Dieu Lui-même quand Il a dit au premier homme Adam : " Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas" (Gn 2, 17-18). L'importance du jeûne est illustrée par le fait que, tant que l'homme s'y est tenu, il lui assurait une forte protection et le protégeait de l'esprit malin qui était jaloux du bien-être du premier homme au Paradis. Le jeûne rapprochait Adam de Dieu Lui-même et de Ses anges, qui demeuraient proches de lui. Le jeûne permettait à Adam de conserver un esprit éclairé et une connaissance précise des choses, le mettant à même de donner " des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages" (Gn 2, 20). Mais dès qu'il eut transgressé le jeûne, il fut privé de l'état de Grâce dont il jouissait au Paradis, son esprit s'obscurcit : pire, il reçut en héritage une mort terrible, quand il lui fut dit "tu mourras" (Gn 2, 20). Le Seigneur JésusChrist, qui avait établi le premier Adam, a jeûné afin de donner l'exemple et de montrer que ce n'est qu'en jeûnant qu'on peut retrouver l'état de Grâce initial, maintenant perdu. " Le Sauveur, dit Isaac le Syrien, a commencé par le jeûne la mise en oeuvre de notre salut. C'est sur cette base que tous ceux qui Le suivent, confortent leur ascèse, car le jeûne est un instrument préparé par Dieu. Comment ne pas être blâmé si on ne prend pas exemple sur Lui? Si Celui qui a fait la loi a fait pénitence, comment ceux qui se sont engagés à respecter cette Loi ne jeûneraient-ils pas? Celui qui pratique le jeûne y acquiert un esprit inflexible et prêt à affronter et à repousser toutes les passions extrêmes." Les chrétiens des premiers temps, en jeûnant, avaient l'habitude de ne pas absorber de nourriture avant le coucher du soleil. De nombrreux ascètes ne mangeaient rien pendant deux ou trois jours, puis ils finirent par manger tous les jours, mais jamais à satiété. Le Seigneur Lui-même, en parlant du pain quotidien, nous fit savoir la nécessité de se nourrir chaque jour, bien que les mots " notre pain quotidien" ( Mt 6, 11) prononcés dans le Notre Père désignent à la fois le pain spirituel, la parole de Dieu, et le pain céleste, le Corps et le Sang du Christ. L'ange du Seigneur, en remettant à saint Pachôme le Grand le premier statut monastique, lui a laissé notamment l'ordre de prévoir de la nourriture une fois par jour dans chaque monastère. Ne pas manger à satiété, c'est-à-dire "moins qu'on voudrait", c'est suivre la voie royale, donc manger chaque jour. On cite le cas d'un novice qui était capable de ne rien manger pendant quatre jours, puis d'absorber en une fois autant que les autres moines en quatre jours; il a fini par sortir du monastère pour partir dans le monde où il s'est abandonné au vice. Saint Marc l'Ascète a dit qu'il "est plus utile d'observer avec zèle un jeûne quotidien, de manger du pain avec modération et boire de l'eau avec modération, afin que, à la fin du repas, on ait encore faim et soif et que la délectation attachée à la nourriture et à la boisson ne soit pas une gêne au moment de célébrer le service divin". En effet, si nous voulons absorber une nourriture à satiété, en nous livrant quasiment à elle, nous finirons par désirer une autre nourriture; dès que nous en serons rassasiés, nous chercherons un plat encore plus agréable et, après l'avoir reçu et consommé, nous le repousserons comme les précédents... " Il n'est pas facile, dit saint Marc l'Ascète, de maîtriser un ventre impudent, car il devient une divinité pour ceux qu'il a vaincus, et celui qui se soumet à lui ne peut pas ne pas être coupable." La quantité de nourriture dépend de la structure du corps, du niveau de développement, de l'état de fatigue, etc... Il existe des gens capables d'absorber beaucoup sans être rassasié et il en existe d'autres qui après avoir peu consommé, sont rassasiés. Celui qui voyage et travaille ne peut se satisfaire de la même quantité de nourriture que celui qui est assis tranquillement chez lui, lisant l'Ecriture Sainte et réfléchissant à Dieu. L'un des saints Pères a observé qu'il avait absorbé plus de nourriture le jour où il avait eu des entretiens sans intérêt. La sobriété des anciens Pères est illustrée par l'exemple suivant : un jour de grande chaleur où Abba Evagre était venu voir le saint Père Macaire, il se mit à s'asperger avec de l'eau afin de se rafraîchir un peu; alors saint Macaire lui dit de se contenter de l'ombre : " Nombre de voyageurs souffrent de la soif autant que toi", puis il ajouta : " Crois-moi, mon fils, tout au long de ces vingt années, je n'ai pas utilisé autant de pain, d'eau et de sommeil qu'il m'aurait fallu : j'ai mangé du pain et bu de l'eau avec modération, et me suis permis de dormir un peu en prenant appui contre le mur." Quant à l'abstinence et au jeûne en dehors de la cellule, les saints Pères en parlent en se référant aux paroles de l'apôtre Paul : "Mangez tout ce qu'on vous sert" ( 1 Co 10, 27) afin d'accomplir ainsi votre devoir d'amour et, aussi, de ne pas donner prise au funeste plaisir des honneurs... De nombreux moines, après avoir assisté à des repas en compagnie de personnages éminents, se sont ensuite infligés de sévères châtiments dans leurs cellules. En fait, les engagements pris par le moine, comme par exemple de ne pas manger du poisson ou un autre aliment, doivent être observés jusqu'à la mort, quelles que soient les circonstances ou l'environnement social, par exemple au milieu de gens ne jeûnant pas le mercredi et le vendredi et ne pratiquant pas les quatre carêmes annuels : dans un tel cas, les paroles de l'apôtre " mangez tout ce qu'on vous sert" ne sauraient s'appliquer. Le célèbre canoniste serbe, Nicodim Milas, évêque de Zadar, a découvert que ni les moines ni les évêques ne consommaient de viande, même en dehors des périodes de carême, jusqu'au moment où le métropolite Jovan Djordjevic ( 1769 - 1773) accorda l'autorisation qu'on en consommât en sa demeure. Concernant l'accueil des invités chez soi, les saints Pères considéraient cela comme une prière et le traitaient comme toute autre activité ascétique, en s'appuyant sur les paroles du Seigneur : " Les compagnons de l'Epoux peuvent-ils mener le deuil tant que l'Epoux est avec eux? Mais viendront des jours où l'Epoux leur sera enlevé; et alors ils jeûneront" ( Mt 9, 15). A la question d'un jeune moine sur la façon de recevoir des étrangers chez soi, un Ancien répondit : " Fais preuve de grande sagesse, reçois tout le monde et, prenant exemple sur l'Apôtre, " ne donne scandale ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l'Eglise de Dieu" (1 Co 10, 32)." Notre époque incline aux plaisirs charnels et à la satisfaction du ventre, ce qui éveille toutes les passions. Il convient de se garder de ceux qui affichent de tels penchants, qu'ils soient laïcs ou moines; il ne faut pas leur faire un accueil particulier, ni les repousser tout à fait. Si ton visiteur est venu avec de telles idées, il faut s'en éloigner : il est plus utile qu'on t'accuse d'être un avare, ce que tu n'es pas, plutôt que d'être appelé amateur de plaisirs. Il convient donc de recevoir tout le monde avec suffisamment d'amabilité en apparence et en mangeant moins que nécessaire. Et si cela devait s'imposer, il faudrait citer les paroles de l'Apôtre : " Ne vous enivrez pas de vin : on n'y trouve que libertinage" ( Ep 5, 18). Il faut se garder de consommer trop de vin, qui véeille toutes les passions; il faut aussi se garder de ceux qui disent : si tu ne veux pas manger, je ne mangerai pas non plus! En toute humilité et sagesse, il convient de leur rappeler que l'Apôtre a dit : " Que celui qui mange ne méprise pas l'abstinent et que l'abstinent ne juge pas celui qui mange" ( Rm 14, 3); en effet, l'un et l'autre sont proches de Dieu; que chacun agisse donc par amour de Dieu, qu'il boive et qu'il mange, selon sa volonté... L'Apôtre a dit aussi que " le Royaume de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson, mais il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint" ( Rm 14, 17). Il faut donc faire preuve de bienveillance à l'égard des visiteurs. 7. L'amour de l'argent. Les saints Pères comparent à juste titre le moine qui n'est pas intéressé par l'argent à un aigle qui observe les tentations et se moque de tout ce qui l'entoure et qui, quand il s'est élevé dans les hauteurs, y côtoie les anges, tant ses ailes sont légères et son esprit libre de tout souci. Le moine qui se soucie beaucoup des richesses est semblable à un navire surchargé de marchandises et prêt à couler. Les saints Pères ne sont pas opposés à ce que l'homme se procure ce dont il a besoin pour vivre, car l'homme n'est pas seulement esprit mais aussi chair; mais ils s'insurgent contre l'idée que l'homme conforme son coeur aux richesses terrestres car les biens terrestres ne sauraient être le but et l'espoir d'une vie. Saint Jean Cassien dit que les saints Pères considéraient comme préoccupations matérielles tout ce qui était superflu par rapport aux besoins quotidiens. Il en est ainsi par exemple quand on essaie de se procurer deux ou trois pièces d'or alors qu'une seule suffirait pour nos besoins; de même quand on s'efforce d'acquérir trois ou quatre soutanes alors que deux seraient suffisantes pour couvrir les besoins quotidiens... La passion de l'amour d el'argent, comme toute autre passion, commence à se faire jour dans l'esprit, puis se manifeste dans la réalité, sous les prétextes les plus séduisants, car le diable, le démon insatiable, prend souvent l'aspect d'un ange lumineux. Cette passion, dit encore saint Jean Cassien, si elle survient chez un moine pusillanime, le conduit à avoir des visions trompeuses, à trouver des raisons soi-disant justes et sensées justifiant qu'il garde pour lui de l'argent au moment de renoncer au monde, ou d'acquérir de l'argent par la suite... " Que feras-tu, suggère le démon, si tu tombes malade alors que tu es ssans ressources, comment pourras-tu t'aider dans ton malheur? Les monastères se trouvent dans un état misérable, ajoute la voix du démon, ils manquent de moyens en cas de maladie; que feras-tu si tu n'as pas de ressources propres?" Par conséquent, comme dans toutes les formes de passion, il faut avant tout voir la tête du serpent, il convient de veiller très soigneusement à ce que sa tête ne se faufile pas en nous car elle serait alors en mesre de causer un incendie gigantesque. C'est pourquoi il importe non seulement de craindre la passion de l'argent, mais il faut aussi en extirper le désir de son âme. L'amour de l'argent témoigne de l'incroyance des amoureux de l'argent, qui vénèrent les choses au lieu de vénérer le Créateur, conformément aux paroles de l'Apôtre qui a dit que l'amour de l'argent est à l'origine non seulement du péché, mais qu'il correspond en fait à de l'idolâtrie. " Renonçons aux choses matérielles et tournons-nous vers les richesses spirituelles", a dit saint Nil l'Ascète du Sinaï. Si nous restons longtemps occupés par nos jeux d'enfant, nous tarderons à adopter des types de réflexion adultes. Dans notre enfance, nous nous amusons à jouer avec des osselets, des ballons, etc. Les enfants se montrent passionnés par ces jeux tant qu'ils n'atteignent pas la maturité. L'homme mûr s'intéresse aux choses sérieuses, alors que d'autres restent dans l'enfance en s'émerveillant devant leurs biens propres, sans se préoccuper de ce qui est plus beau et qui convient mieux aux hommes. De même qu'il n'est pas agréable de voir un homme mûr assis sur un tas de sel et y tracer des dessins d'enfant, de même est-il tout aussi désagréable, sinon plus, de voir quelqu'un ayant la possibilité de jouir du bien-âtre éternel se vautrer dans la poussière terrestre et ternir ainsi la dignité de sa vocation. 8. La colère. " L'homme qui se met en colère n'obtiendra pas la grâce divine", dit saint Grégoire, car du haut des bonnes actions, il tombe dans la fosse de la colère pernicieuse. Y a-t-il un animal aussi furieux et indomptable que l'homme en colère qui refuse de contrôler sa fureur? Qu'est-ce qui peut être pire qu'un homme qui est en colère? La bile le pousse aux extravagances et le rend excessif et méchant, et l'Esprit divin S'éloigne alors de lui. Tel un chien, il aboie sur tout le monde, mord comme un scorpion et engloutit comme un dragon. " Qui se met en colère, dit saint Dimitri de Rostov, et s'emporte contre autrui, ne sait pas ce qu'il dit. Après avoir tout dit avec fureur et colère, il finit par regarder les autres avec honte; en fait, la colère obscurcit la raison, attriste l'âme et fait perdre tout discernement. Celui qui s'emporte et se comporte de façon extrême, fait preuve d'aveuglement total, alors que celui qui s'abstient de toute colère et fureur, s'abstient en fait de tout mal." Ce n'est pas en vain, rappelle saint Dimitri, que la sainte Eglise nous dit : " Ne tire pas gloire de tes oeuvres car la colère se situe chez les insensés", ce qui revient à dire que là où il y a de la colère se trouve l'impudence. La colère insensée du roi Xerxès est risible : alors que plusieurs de ses navires pleins de soldats étaient restés dans l'Hellespont, il se mit en colère contre la mer et donna l'ordre de la frapper avec trois cents fouets et même d ele faire à mains nues. Les saints Pères estiment que pour les moines, le moyen le plus approprié de combattre la colère est de vivre en communauté et de supporter patiemment toutes les infortunes. " Supporte patiemment la raillerie, dit saint Ephrem le Syrien, et avec ta bouche ferme la porte à la colère, c'est là que réside ton progrès." Cependant, si le moine vit seul, il n'aura pas l'occasion de supporter les insultes ni de se guérir de la passion de la colère. Un moine possédé par la passion de la colère, avait pensé qu'il ne se mettrait pas en colère en vivant seul. C'est dans ce but qu'il décida de quitter le monastère et de s'établir dans le désert. Un jour il remplit d'eau un seau, qu'il laissa ensuite sur le sol. Mais soudain le seau se renversa; cela se répéta une fois, puis encore une fois. Le moine se mit alors en colère et jeta violemment le seau par terre. Au bout de quelque temps, quand il eut repris ses esprits, il finit par comprendre que le diable s'était moqué de lui. Alors il se dit que tout en étant seul, il avait quand même été vaincu par la passion de la colère. Il décida de rentrer au monastère, convaincu que la lutte avec soi-même était nécessaire partout et qu'il fallait l'endurer avec l'aide de Dieu. Il réintégra alors sa cellule. La colère peut se comparer à l'attitude d'un vieillard malade et nerveux qui, si on lui parle trop gentiment, pense qu'on cherche à lui jouer un tour. Seul quelqu'un d'habile, bien au fait de ses faiblesses et de ses caprices, peut arriver à s'entendre avec lui; c'est pourquoi saint Jean Climaque estime qu'une grande prudence est nécessaire dans ce domaine et que le silence est la seule arme contre la colère. Cependant, sous le couvert du silence peut se dissimuler le souvenir d'une malveillance, ce qui est encore pire. Certaines personnes, quand elles sont en colère, refusent de se nourrir, ce qui renforce le sentiment de colère. D'autres, en revanche, mangent trop, ce qui les conduit à la démence... " On m'a souvent demandé, raconte Abba Zosime, comment on pouvait réfréner le sentiment de colère. Je répondais que le début d'un tel processus consiste à ne pas parler tant que dure l'excitation de la colère." Abba Zosime précise en outre qu'on ne doit pas répondre à la colère en faisant de la surenchère dans la méchanceté, mais en nous en prenant à nous-mêmes, ce qui est le signe d'une grande ascèse et de la perfection spirituelle. Il cite aussi l'exemple de saint Moïse l'Ethiopien qui, soumis à diverses tentations - des moines se demandaient à haute voix pourquoi cet Ethiopien devait entrer dans leur communauté - se contenta d'endurer, puis dit simplement : " Je suis troublé, je ne puis parler" ( Ps 76, 5); après avoir fini son initiation, il fut ordonné diacre, et alors non seulement il garda le silence mais il ne se mit jamais en colère... 9. La tristesse. Il existe deux sortes de tristesse de caractère tout à fait contradictoires qui se manifestent chez le moine en fonction de son mode de vie : d'une part la tristesse à l'égard de ce monde qui provient de l'amour pour les biens matériels qu'on a perdus, des honneurs vains auxquels on a renoncé, etc...; d'autre part " la tristesse selon Dieu" qui est salvatrice, comme le dit l'Apôtre : " La tristesse selon Dieu produit en effet un repentir salutaire qu'on ne regrette pas; la tristesse du monde, elle, produit la mort". (2 Co 7, 10). Quand l'homme, se tournant vers Dieu, voit l'état de péché où il se trouve et se met en colère pour être tombé dans une telle boue, d'avoir ainsi courroucé le Créateur Très doux et d'avoir mérité une condamnation éternelle, cela constitue déjà le début du chemin vers le salut et correspond à la tristesse d'avoir à retrouver Dieu. En revanche, la tristesse du monde n'est rien d'autre que la conséquence de notre éta de pécheur. Le moine qui parle beaucoup au milieu de ses frères et mange inconsidérément, se montre de mauvaise humeur et se laisse griser par des pensées impures. L'Esprit de Dieu ne trouve plus de place en lui. Il laisse ainsi libre accès à l'esprit impur qui cherche à l'étouffer, comme il a cherché jadis à le faire avec Saül. Il existe aussi une forme de tristesse qui dépend moins de nous que des esprits impurs qui souhaitent nous troubler et, si possible, nous pousser au désespoir. Mais une telle tristesse peut ne pas durer trop longtemps si nous avons rapidement recours à l'aide de Dieu et si nous faisons preuve de patience. Le vénérable Abba Dorothée raconte qu'il fut, à un moment de sa vie, en proie à une tristesse immense et insupportable : " J'étais si abattu et dans une telle détresse que j'en aurais presque rendu l'âme. Ce tourment était un piège des démons, et semblable épreuve vient de leur jalousie; elle est très pénible, mais de courte durée; pesante, ténébreuse, sans consolation ni repos, avec de toutes parts l'angoisse et l'oppression. Mais la Grâce de Dieu vient promptement dans l'âme, sinon personne ne pourrait tenir. En proie donc à cette épreuve et à cette détresse, je me tenais un jour dans la cour du monastère, découragé et suppliant Dieu de venir à mon secours. Tout à coup, jetant un regard à l'intérieur de l'église, je vis pénétrer dans le sanctuaire quelqu'un ayant l'aspect d'un évêque et portant un vêtement d'hermine. Jamais je ne m'approchais d'un étranger sans une nécessité ou un ordre. Mais alors quelque chose m'attira, et je m'avançai sur ses pas. Longtemps il demeura là debout, les mains tendues vers le ciel. Je me tenais derrière lui et priais avec beaucoup de crainte, car sa vue m'avait rempli d'effroi. Quand il eut cessé de prier, il se retourna et vint vers moi. A mesure qu'il s'approcahit, je sentais s'éloigner ma tristesse et ma peur. Arrêté devant moi, il étendit sa main jusqu'à toucher ma poitrine et la frappa de ses doigts en disant : " Je n'ai cessé d'attendre le Seigneur. Il s'est incliné vers moi, Il a écouté ma prière, Il m'a tiré de la fosse de perdition et de la fange du bourbier; Il a établi mes pieds sur le roc et une louange à notre Dieu" ( Ps 39, 2-4). Trois fois il répéta tous ces versets en me frappant la poitrine. Puis il s'en alla. Et aussitôt mon coeur fut rempli de lumière, de joie, de consolation, de douceur : je n'étais plus le même homme." Comme on le voit, la seule voie de salut se trouve dans la tristesse, la prière, la vie chrétienne, l'espoir dans l'aide de Dieu qui ne permettra pas que nous soyons livrés aux tentations mais fera en sorte que nous soyons capables de les supporter. Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même a dit : "Je vous ai dit ces choses, pour que vous ayez la paix en moi" ( Jn 16, 33). 10. L'acédie. L'acédie agit avec plus de force et d'insistance que la tristesse; quand elle s'empare du moine, elle ne lui permet pas de rester assis à sa place, dit saint Jean Cassien, mais ne cesse de le faire songer à des visions à l'apparence séduisante. Quand l'acédie s'attaque à la pauvre âme du moine, elle s'avère aussitôt dévastatrice, le poussant à s'éloigner de sa cellule et à mépriser les frères avec lesquels il vit, comme s'ils étaient paresseux ou dénués de spiritualité. Un tel état le conduit à refuser toute tâche dont il s'occupe habituellement. Dans sa cellule, l'acédie lui enlève toute volonté de lire; elle le conduit à soupirer sans cesse et à se plaindre d'avoir passé tant de temps dans ce monastère sans avoir réussi à obtenir de bienfait spirituel. C'est en vain qu'on lui demande de rester dans ce lieu, où il serait susceptible d'instruire les autres et de leur être utile. Il a le sentiment qu'il n'a réussi à éduquer personne et que son exemple n'a permis à personne de s'élever spirituellement. Son acédie l'amène à s'émerveiller devant d'autres monastères qui lui semblent plus propices à la maturation spirituelle; les relations avec les moines de ces communautés éloignées lui paraissent pouvoir être très agréables et pleines d'enseignements spirituels. A l'inverse, tout ce qui concerne son monastère actuel semble insupportable : les moines vivant à ses côtés ne lui apportent aucun enseignement et tout ce qui est nécessaire pour le corps ne s'obtient qu'avec beaucoup d'efforts. L'acédie finit par convaincre cet homme solitaire qu'il ne peut y trouver son salut; s'il reste dans sa cellule et ne quitte pas rapidement le monastère, il a le sentiment qu'il peut mourir... Cela provoque chez lui un tel état d'épuisement qu'il a l'impression d'avoir fait un long voyage, que sa fatigue extrême résulte de travaux très durs et qu'il n'a pas mangé depuis deux ou trois jours. Le voilà en train de marcher en long et en large, de soupirer sans cesse, de se plaindre qu'aucun de ses frères ne vient le voir dans sa cellule. Devant un tel dérèglement des sens, il a le sentiment qu'il est incapable d'accomplir une tâche spirituelle et se met à penser que, face à cette agression, il ne peut trouver de secours qu'en rendant visite à un de ses frères ou en essayant de se consoler dans le sommeil. C'est alors que l'esprit destructeur suggère à celui qui souffre ainsi qu'il est indispensable de rendre visite à un autre moine ou d'aller voir des malades vivant à proximité ou non du monastère. Il lui insinue aussi qu'il devrait visiter tel ou tel membre de sa famille ou de se rendre auprès de telle femme pieuse qui s'est consacrée à Dieu mais a été abandonnée par ses proches, et lui procurer tout ce dont elle a besoin et que ses parents ne songent pas à lui apporter; on lui suggère ainsi qu'il faudrait se consacrer à de telles tâches plutôt que de rester assis inutilement et sans beaucoup de succès dans sa cellule... Le moyen qui détourne et peut effectivement détourner le moine de succomber au sentiment d'acédie, c'est le travail prolongé dans sa cellule, comme le dit saint Jean Cassien : " Ne recule pas et accroche-toi à ton travail!" A cet égard, on peut considérer comme remède à un tel état d'acédie ce que saint Paul a écrit aux Thessaloniciens à propos du travail : "Nous vous engageons, frères, à faire encore des progrès en mettant votre honneur à vivre calmes, à vous occuper chacun de vos affaires, à travailler de vos mains" ( 1 Th 4, 10-11). "S'occuper chacun de ses affaires", c'est ne pas se laisser entraîner par curiosité à s'occuper des affaires du monde ou du comportement de divers frères de la communauté, au lieu de s'occuper de soi-même afin d'acquérir des vertus; c'est aussi ne pas perdre son temps à condamner ou à rabaisser les autres. Quant à "travailler de ses mains", cela consiste à rester dans sa cellule et à se livrer à une activité manuelle. Particulièrement nécessaire est l'alternance des tâches exécutées, c'est-à-dire le fait de s'occuper d'une chose, puis d'une autre et ainsi de suite. Saint Tikhon a dit : " A ton réveil, rends grâce à Dieu et fais tes prières; au retour de l'église, lis un extrait d'un livre pour le salut de ton âme, puis entreprends un travail manuel et fais-le. Après avoir travaillé, lève-toi et fais des prières, puis lis à nouveau un passage d'un livre, et continue d'agir ainsi en alternance... Pendant ton travail manuel ou tes lectures, élève ton esprit vers le Christ et prie-Le d'avoir pitié de toi et de te venir en aide. Quand tu feras tout ainsi, ton coeur sera plein de bonne volonté!" Un jour dans le désert, quand saint Antoine le Grand était en proie à la tristesse sans savoir que faire sinon prier Dieu, il vit tout à coup un homme inconnu très occupé à accomplir une tâche manuelle. De temps en temps, cet homme s'arrêtait de travailler, se levait pour prier, puis reprenait son travail, qui consistait à tresser des feuilles de palmier. Il ne cessait d'agir ainsi, tel un ange de Dieu. Antoine entendit alors une voix lui disant de se comporter exactement comme lui, ce qui lui assurerait le salut. II LE PASTEUR DE L'EGLISE DU CHRIST COMME CELEBRANT DE L'OFFICE DIVIN, PREDICATEUR ET MODELE POUR SON TROUPEAU Quelles que soient les circonstances de sa vie, un pasteur de l'Eglise ne doit pas oublier sa haute vocation d'être toujours un intercesseur vivant entre Dieu et Son peuple, car il a été ordonné pour cela par Dieu Lui-même, comme le montre un passage de l'Ecriture Sainte consacré à Aaron : " Nul ne s'arroge à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu, absolument comme Aaron" (He 5, 4). Le prophète dit pour le pasteur de l'Eglise qu'il "est messager de Dieu Sabaot" (MI 2, 7), alors que l'apôtre Paul dit de lui qu'il est "un intendant des mystères de Dieu" (1 Co 4, 1)... Enfin notre Seigneur JésusChrist Lui-même a dit à Ses apôtres et à travers eux à tous ceux qui célèbrent les offices divins : " vous n'êtes pas de ce monde, puisque mon choix vous a tirés du monde" (Jn 15, 19). Par conséquent, la vocation du prêtre est élevée, sainte, céleste et spirituelle. Saint Jean Chrysostome, s'adressant à ceux qui ne respectent pas la dignité sacerdotale, a dit : " Ne savez-vous pas ce qu'est un prêtre? C'est un messager de Dieu! Est-ce que ce qu'il dit vient de lui-même? Si tu le méprises, ce n'est pas lui que tu méprises mais Dieu, qui l'a ordonné." Mais le prêtre, conscient de sa haute vocation et de la grâce qui lui a été accordée par Dieu en tant que prêtre, ne doit jamais perdre de vue qu'un châtiment terrible lui sera infligé par Dieu s'il se montre indigne de sa haute vocation : " Parce que mes pasteurs se paissent eux-mêmes sans paître mon troupeau... je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau" ( Ez 34, 8-10). Dans le Nouveau Testament, le Seigneur Jésus-Christ s'adresse ainsi à tous ceux qui négligent leurs devoirs de prêtre : " Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le Royaume des Cieux! Vous n'entrez certes pas vous-mêmes, et vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient!" (Mt 23, 13). On est alors amené à se demander ce que doit faire un prêtre afin de répondre à sa haute vocation et d'éviter le châtiment destiné aux serviteurs indignes du sanctuaire divin. Avant tout, le prêtre doit organiser son existence de façon telle que toute sa vie apparaisse comme l'expression évidente d'un véritable serviteur de Dieu et qu'elle constitue toujours, partout et en tout un bon exemple pour ses paroissiens, afin qu'il puisse se "présenter à Dieu comme un homme éprouvé, un fidèle dispensateur de la parole de vérité" ( 2 Tm 2, 15); ce n'est qu'ainsi que ses homélies exerceront une influence bienfaisante sur ses paroissiens, comme la pluie d'été a une influence bienfaisante sur le sol desséché et que " le pain, produit du sol, est riche et nourrissant " (Is 30, 23). Dans son épître à son disciple Timothée, le saint apôtre Paul établit ce que doit être le prêtre idéal et énumère les vertus que le prêtre doit posséder, précisant que le prêtre doit avant tout être irréprochable, c'est-à-dire ne pas avoir de défaut qui pourrait lui être reproché par ses ouailles. Personne ne se laisse observer aussi facilement qu'un prêtre, car tous les regards sont pointés vers lui. L'apôtre Paul a dit : " Je n'écris pas cela pour qu'il en soit ainsi à mon égard; plutôt mourir que de... Mon titre de gloire, personne ne le réduira à néant" ( 1 Co 9, 15). Si on découvre un défaut chez un prêtre, alors il perd à la fois sa réputation et l'influence morale qu'il est susceptible d'avoir sur ses ouailles, car " aurait-on observé la Loi tout entière, si l'on commet un écart sur un seul point, c'est du tout qu'on devient justiciable" ( Jc 2, 10); aussi faut-il que " vous soyez parfaits, irréprochables, ne laissant rien à désirer" (Jc 1, 4) et celui qui ne se comporterait pas ainsi recevrait la remontrance suivante : " Médecin, guéris-toi toi-même" ( Lc 4, 23) et ses propres paroles serviraient à le condamner lui-même. Par ailleurs, l'apôtre Paul ajoute que le prêtre doit être " l'époux d'une femme unique", comme cela est la pratique dans l'Eglise orthodoxe. Un second mariage est interdit au prêtre, afin qu'il ne puisse pas faire preuve de faiblesse et d'absence de mesure et qu'il ne soit pas source de honte et de mépris. Enfin, on demande aux prêtres d'être sobres, et d'être toujours conscients de leur rang et de leur grande responsabilité. Dans l'Ancien Testament, le Seigneur dit au prophète : "J'ai fait de toi le gardien de la maison d'Israël" (Ez 3, 17). A qui ces paroles s'adressent-elles d'abord? Sans nul doute, au prêtre. Il doit être toujours en alerte, être toujours prudent, car son imprudence peut être fatale pour lui et pour les autres; c'est pourquoi cette prudence est conseillée à plusieurs reprises dans l'Ecriture Sainte : " Tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos coeurs ne s'appesantissent dans la débauche et l'ivrognerie" (Lc 21, 34). La sobriété et la prudence sont exigées du prêtre partout et toujours, car il doit toujours être "un modèle pour les croyants, par la parole et la conduite" ( 1 Tm 4, 12); cela est tout particulièrement exigé de lui au moment d'accomplir les services divins. En outre, le pasteur doit être chaste; à ceux qui sont chastes et ont le coeur pur, le Seigneur promet une grande récompense dans les cieux : " Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu" (Mt 5, 8). Saint Jean le Théologien a écrit dans l'Apocalypse qu'il a vu une multitude de gens dans les nuées, qui ne cessent de louer Dieu jour et nuit : " ceux-là, ils ne se sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges; ceux-là suivent l'Agneau partout où il va " ( Ap 14, 4). Or, au moment de célébrer l'eucharistie, le prêtre rompt l'Agneau avec ses mains pures puis communie; on conçoit aisément quelle pureté spirituelle et physique est exigée de lui. Saint Jean Chrysostome affirme que de telles mains doivent être plus pures que les rayons du soleil. Autant le coeur pur est agréable à Dieu, autant Lui sont désagréables l'impureté et l'état de péché : " Mon esprit ne demeurera pas dans l'homme, puisqu'il est chair" (Gn 6, 3). Le Nouveau Testament précise que "les hommes de mensonge, leur lot se trouve dans l'étang brûlant de feu et de soufre" (Ap 21, 8), alors que dans l'Ancien Testament on interdit aux Lévites, dans la crainte du châtiment mortel, de boire des boissons dont l'absorption pourrait avoir des conséquences néfastes (Lv 10, 9). Saint Tikhon conseille aux jeunes prêtres de ne pas confesser de femmes " afin que Satan ne puisse pas déposer sa graine". Des pensées impures viennent atténuer la sincérité et la chaleur de la prière, comme le nuage, aussi petit soit-il, atténue la chaleur des rayons du soleil. Outre les vertus évoquées ci-dessus, le prêtre doit, selon les recommandations des apôtres, avoir une foi vivante en Dieu; son âme doit être sans cesse en quête du Seigneur. Il doit vénérer Sa loi, s'y référer dans tous les domaines et s'efforcer dans sa vie et ses actes d'être toujours plus agréable à Dieu. En vivant ainsi, le prêtre exercera sur ses paroissiens une plus grande influence que les meilleures homélies : " ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres" (Mt 5, 16). La piété et la vénération sont exigées du prêtre, en particulier au moment d'accomplir les Saints Mystères pendant la Sainte Liturgie, car le plus infime de ses gestes est alors visible; les hommes sont tous de même nature et ce que l'un d'eux fait ne peut pas ne pas avoir d'effets sur les autres. La piété ne peut être dissimulée, pas plus qu'on ne peut cacher de parfum dans les vêtements sans que quelqu'un le sente. L'aspect extérieur d'un prêtre, ses paroles, sa démarche, le mouvement de ses mains, etc..., tout cela a une influence sur ceux qui sont présents. Pour un prêtre, l'habitude de la piété suppose de réfléchir sans cesse à Dieu, conformément à ce que dit l'Ecriture Sainte : "J'ai mis le Seigneur devant moi sans relâche; puisqu'Il est à ma droite, je ne puis chanceler" (Ps 15, 8); il importe également de réfléchir sur le monde visible et à son organisation judicieuse, car c'est ainsi que jaillit dans l'âme du prêtre la vénération pleine de crainte à l'égard du Créateur de l'univers; or la crainte est " le commencement de la sagesse" ( Si 24). Quand le prêtre aura acquis de telles vertus, alors il pourra, la conscience en paix, se présenter devant Dieu et dire : " Nous voici, moi et les enfants que Dieu m'a donnés" ( He 2, 13). En outre, l'Apôtre Paul recommande au prêtre d'être chaste et de se comporter à tous égards en serviteur de la justice et de la vérité et d'être un exemple de la bonne parole. Sous le terme de chaste, il convient de noter que le prêtre est tenu, outre son humilité, de veiller à sa dignité pastorale car cette haute dignité lui a été donnée par Dieu en vue du salut des fidèles : " Et dussé-je me glorifier un peu trop de notre pouvoir, que le Seigneur nous a donné pour votre édification et non pour votre ruine" ( 2 Co 10, 8). C'est pourquoi le prêtre ne doit pas négliger sa tenue et son comportement : il ne doit pas se rendre dans des espaces commerciaux sans avoir un motif urgent, ni fréquenter n'importe qui, ni pénétrer dans des lieux de boisson, etc... Sa pauvreté ne saurait être une excuse car l'homme ne va pas là où il n'a pas envie d'aller. A titre d'exemple, on peut se référer à un récit de l'Evangile où un monarque avait convié des invités à un repas de noces, mais ces derniers, qui ne souhaitaient pas venir, trouvèrent divers prétextes pour justifier leur attitude; en revanche, un certain Zachée, poussé par le désir irrésistible de voir Jésus-Christ, se faufila dans la foule puis, comme il était petit de taille, monta sur un arbre pour atteindre son but. alors, le Seigneur, voyant quel était son souhait, le récompensa en allant demeurer chez lui ( cf. Lc 19, 1-10). De même, le prêtre soucieux de rester à la hauteur de son sacerdoce, prendra soin de surmonter tous les obstacles dressés sur son chemin. Son temps libre, le prêtre peut l'utiliser à travailler la terre autour de sa maison, à planter des arbres fruitiers, à faire de l'apiculture, à s'occuper d'affaires domestiques, etc... Toutes ces tâches sont utiles et ne nuisent en rien à la dignité sacerdotale. Par ailleurs, le prêtre doit mettre à profit toute opportunité existante pour gagner l'affection populaire. A cet égard, sa maison doit être un lieu très accueillant et ouvert à ses paroissiens, en particulier les jours de fêtes. Il doit veiller à bien connaître les besoins du peuple, les rapports des gens entre eux et leur existence en général, car cela lui est fort utile en tant que médecin des âmes. La maison du prêtre doit, en particulier, être ouverte aux pauvres et aux malheureux afin qu'ils puissent y trouver un soutien matériel et moral. Cela ne fera qu'élever sa réputation au sein du peuple, de même qu'elle pourrait être affectée s'il prenait part à leurs disputes ou à leurs conflits d'intérêt. L'Apôtre Paul recommande aussi au prêtre d'être "instruit" : " proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire" ( 2 Tm 4, 2). Le prêtre qui ne prêche pas la parole de Dieu est semblable à un homme envoyé par le souverain pour annoncer sa grâce au peuple, qui choisirait de cacher la lettre du monarque, sans la lire ni en faire part à la population. On peut imaginer le châtiment qu'un tel homme mériterait de la part du souverain. Dans un camp militaire, tant que la trompette ne s'est pas fait entendre, tout est tranquille et personne ne craint une attaque ennemie; ce n'est qu'une fois la trompette entendue que chacun se tient sur ses gardes. La prédication du prêtre est semblable au son de la trompette ou du cor : " Crie à pleine gorge, ne te retiens pas, comme le cor, élève la voix", dit le prophète Isaïe ( Is 58, 1). Il existe probablement des gens qui craignent de prêcher la vérité de la parole divine, mais l'Ecriture Sainte leur adresse une sévère réprimande : "Qui es-tu pour craindre l'homme mortel, le fils d'homme voué au sort de l'herbe? Tu oublies Dieu ton Créateur" (Is 51, 12-13). De tout cela il ressort que le prêtre doit toujours et partout instruire le peuple et qu'aucune circonstance ne doit l'empêcher de le faire. Il est sévèrement interdit au prêtre de s'adonner à la boisson, car un ivrogne ne peut hériter du Royaume céleste ( 1 Co 6, 10). Jésus-Christ nous recommande expressément de nous garder de tout excès en matière de nourriture ou de boisson... C'est pour cette raison que le prêtre doit faire très attention dans les circonstances susceptibles de le pousser dans cette voie, comme les noces ou les fêtes de la Slava (1). (1) : ( Fête baptismale célébrée par les familles orthodoxes serbes ( NdT).). Certains invoquent à ce propos la nécessité de retser toujours au milieu du peuple. cela est certes louable, notamment chez les Serbes où la foi et le sentiment national sont étroitement liés, mais il vaut mieux défendre le sentiment national sur d'autres plans, plus dignes d'un prêtre : aider par exemple à réconcilier des amis jusque-là brouillés, soutenir des malheureux ou des veuves, donner de bons conseils, participer à des actions de charité. Le prêtre doit aussi se garder de toute querelle, de tout égoïsme, de toute cupidité; il doit être tranquille et modeste, sans éprouver la moindre jalousie. Enfin, il doit diriger sagement son propre foyer et éduquer ses enfants dans un esprit de générosité et de politesse. Le désordre familial nuit à son travail pastoral et l'empêche de pouvoir conseiller utilement autrui. Les enfants de prêtre doivent se distinguer par leur piété et par toutes les valeurs chrétiennes en général, afin de servir de bon exemple aux autres enfants de la localité. La famille est la première école pour les enfants, d'où ils sortent pour rejoindre une amille plus importante : la société, l'Etat, de sorte que c'est dans sa famille que l'on doit apprendre aux enfants à respecter les personnes âgées et à s'adresser aux gens de même âge comme à des frères. C'est à cela que doit aspirer une famille chrétienne, car celui qui est dévoué à la foi et à l'Eglise, est aussi dévoué à sa patrie. Le vieux Job avait l'habitude de faire venir ses enfants pour les purifier, puis il faisait chaque jour des offrandes à Dieu pour chacun d'eux ( Jb 1, 5). De son côté, le Nouveau Testament commande aux parents d'enseigner à leurs enfants ce qui leur sera utile à la fois dans cette vie et dans l'autre : " Et vous, parents, n'exaspérez pas vos enfants, mais usez en les éduquant de corrections et de semonces qui s'inspirent du Seigneur" (Ep 6, 4). Après avoir évoqué ci-dessus la façon dont le prêtre doit se comporter avec lui-même et avec ses paroissiens, il faut maintenant s'interroger sur la manière dont le prêtre doit se comporter lors de l'eucharistie, conformément à l'enseignement des saints Pères ( saint Syméon, archevêque de Thessalonique, saint Germain, patriarche de Constantinople et d'autres). Le service divin a existé déjà au paradis parmi les premiers hommes; jusqu'à la chute, il consistait pour eux à vivre pieusement et en exprimant toute leur reconnaissance au Créateur pour les trésors qui leur avaient été donnés. Mais même après sa transgression, l'homme n'a cessé d'aspirer de toute son âme à Dieu et au Paradis perdu. Conscient de sa dépendance à l'égard de Dieu, l'homme s'est efforcé de Le satisfaire; il le faisait sous la forme d'offrandes apportées d'un coeur pur et en croyant fermement dans l'arrivée d'un messie. Ces sacrifices avaient une signification symbolique qui a disparu à la suite de l'arrivée sur terre du Fils de Dieu qui S'est offert Lui-même en sacrifice; c'est à ce titre que, lors du Dernier Repas, Il a instauré le mystère de la Sainte Eucharistie et ordonné de célébrer toujours ce mystère en Sa mémoire. Les Saints Apôtres ont scrupuleusement exécuté cet ordre et, après l'Ascension du Sauveur, ils se sont mis à se rassembler et, lors de ces rassemblements, à passer plusieurs jours en priant et en célébrant le service divin, inspirés par une foi forte et un coeur brûlant et ayant toujours devant les yeux les paroles suivantes : " Faites cela en mémoire de moi". "Celui qui mange mon corps et boit mon sang réside en moi et moi en lui". Les saints Apôtres ont, de leur vivant, installé leurs successeurs, instauré l'ordre des services divins et fixé des règles; le saint apôtre Jacques a rédigé la première Liturgie, que l'on célèbre encore de nos jours, une fois par an, à Jérusalem. On a également précisé le moment où la Sainte Liturgie doit être célébrée. Saint Clément de Rome, disciple des Apôtres, a dit : " Tout ce que le Seigneur a ordonné, notre devoir est de l'accomplir correctement." La haute signification de la Sainte Liturgie montre clairement la pureté et la précision exigées du prêtre qui est chargé de la célébrer. Etant donné que la Sainte Eucharistie est une offrande de paix offerte à Dieu le Père pour nos péchés, le prêtre représente un intercesseur entre Dieu et les hommes; il ne peut donc apparaître comme coupable devant Celui qu'il prie pour les autres. Saint Grégoire le Décapolite dit à ce sujet : " Quand nous recevons la visite d'un homme venu nous demander d'intervenir pour lui auprès d'un de ses supérieurs en colère contre lui, et que nous ne connaissons pas ce supérieur, nous répondons à notre visiteur que nous ne pouvons pas agir auprès de cet homme car nous ne sommes pas l'objet d'une considération particulière de la part de cette personne; dès lors, comment un homme pourrait-il se risquer à prier Dieu pour les péchés commis par le peuple, alors qu'il ne sait pas s'il a mérité, par son comportement, d'obtenir la Grâce de Dieu pour lui-même? Comment pourrait-il implorer le pardon s'il ignore luimême si ses péchés ont été pardonnés? Dans un tel cas, il doit craindre qu'au lieu d'obtenir la Grâce, il ne provoque une colère divine encore plus forte à cause de ses péchés, car on sait bien qu'un homme privé de Grâce, quand il prie pour d'autres hommes, ne fait que susciter une colère accrue. C'est pourquoi quelqu'un qui ne s'est pas encore libéré des passions terrestres néfastes ne doit pas se mêler aux croyants en prière dans l'église : sa prière ne fera qu'exacerber la colère du Juge Suprême, attirant ainsi de nouveaux malheurs sur son troupeau." Ayant cela à l'esprit, le prêtre doit avant tout faire son examen de conscience : a-t-il, comme homme, commis des péchés particuliers? Qu'est-ce qui pourrait le troubler lors du service divin? La conscience est un juge inexorable pour chacun, à condition de ne pas avoir été émoussée, voire écrasée par les péchés. Le prêtre doit avoir sans cesse à l'esprit ces paroles : " Quand donc tu présentes ton offrande à l'autel, si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande" ( Mt 5, 23-24). Aussi le prêtre doit-il avoir " la paix avec tous et la sanctification" (He 12, 14), faute de quoi il attirera sur lui colère et malédiction. Il doit organiser sa vie familiale de façon telle qu'elle ne trouble pas la paix et la sérénité exigées de lui. L'homme est semblable à un instrument que l'on peut utiliser d'une façon ou d'une autre, ce qui aboutit à des résultats différents. Ainsi l'homme est dans une disposition d'esprit différente par rapport à la prière, après des funérailles ou après une cérémonie nuptiale. Aussi notre mère l'Eglise a-telle prévu des prières et des acathistes particuliers que le prêtre est tenu de lire avant le service divin afin de préparer son esprit à l'accomplissement des saints mystères. S'il commence par négliger cela, il le fera encore plus par la suite car " qui méprise les riens, peu à peu s'appauvrit" ( Si 19, 1). Ce n'est que dans des cas extrêmes, comme par exemple un surcroît de tâches dans la paroisse, que cela pourrait être pardonné au prêtre. Avant de célébrer la Liturgie, le prêtre doit se préparer un jour, sinon plus, au service divin : il s'agit de s'abstenir de tout excès, quelle qu'en soit la nature, et de se consacrer à la lecture de l'Ecriture Sainte et d elivres au contenu théologique. Le matin, avant le début du Service Divin, il doit conserver le même sentiment de prière et n'entreprendre aucune activité privée, même infime, qui serait en mesure de perturber cet état d'esprit et de détourner son esprit vers d'autres pensées. L'esprit humain est comparable à une rivière qu'on peut détourner afin qu'elle serve à faire tourner des moulins ou perturber de façon telle qu'elle fera des dégâts, car l'eau cherche à s'écouler de toute façon. Il en est de même de l'esprit : il cherche à penser à quelque chose et c'est à nous de lui donner telle ou telle orientation. Le point central autour duquel doivent tourner toutes les pensées d'un prêtre est le grand mystère de notre rédemption, l'enseignement, la passion et la mort de notre Rdéempteur, le Fils de Dieu; il doit réfléchir au saint mystère de l'Eucharistie, qui nous permet de devenir "participants de la divine nature" ( 2 P 1, 4). C'est pourquoi, outre la pureté spirituelle, le prêtre doit aussi avoir la pureté corporelle : des vêtements propres, les mains, les ongles, les cheveux propres, etc... De plus, quand le prêtre pénètre dans l'église, il doit y entrer avec la plus grande piété et être conscient qu'il y entre par la Grâce de Dieu et non par ses mérites propres : " Et moi, par la grandeur de Ton amour, j'accède à Ta maison" (Ps 5, 8). Puis il se signe et s'incline devant les saintes icônes, pénètre dans le sanctuaire et embrasse le saint autel comme le trône du Dieu invisible de nous. En certains endroits l'habitude existe de séposer sur la sainte table des vêtements sacerdotaux et des livres religieux, mais une telle coutume est mauvaise et ne convient pas au caractère sacré du lieu, car comment le prêtre pourrait-il s'incliner avec la plus grande vénération devant la sainte table en y voyant entassés des livres et des vêtements? Ainsi disposée, la sainte table ressemblera davantage à une table ordinaire qu'au trône de Dieu. Ne penserait-on pas que les serviteurs d'un monarque ont agi avec la plus grande insolence si on découvrait qu'ils ont laissé des vêtements, même de cour, sur le trône de leur souverain? Sans aucun doute, une telle attitude serait considérée comme une profanation et un geste de dédain à l'égard du trône royal; il est donc évident que c'est avec beaucoup de crainte et de respect que nous devrons approcher du trône du Roi céleste. Pendant que les prêtres revêtent leurs vêtements sacerdotaux dans le sanctuaire, il arrive souvent que l'on entende des conversations, pas toujours de caractère spirituel; cela ne doit pas être, car non seulement cela déprécie la sainteté du lieu, mais cela scandalise les croyants et fait perdre au prêtre l'esprit de prière qu'il est tenu de garder tout au long du service divin. Pendant qu'il met ses vêtements sacerdotaux, les pensées du prêtre ne peuvent concerner que les vêtements en question, leur sens mystérieux et leur signification. Ainsi par exemple, au moment de revêtir le sticharion, le prêtre prie Dieu pour que son âme connaisse la joie dans le Seigneur, conformément à l'Ecriture Sainte : " Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t'épousera et c'est la joie de l'époux au sujet de l'épouse que ton Dieu éprouvera à ton sujet" ( Is 62, 5). Selon saint Syméon de Thessalonique, le sticharion correspond aussi, s'il est rouge ou bigarré, au martyre du Christ et au sang qu'Il a versé pour nous. Les manchettes représentent les liens qui attachaient les mains du Christ pendant qu'on Le conduisait au-devant de Pilate. Les mots qu'on prononce au moment de mettre les manchettes - " Ta droite, Seigneur, s'est glorifiée dans la force" - symbolisent la toute-puissance de Dieu. L'épitrachilion sans lequel un prêtre ne peut célébrer aucun service divin, représente le pouvoir que Dieu a transmis au prêtre ainsi que le poids du devoir qui lui incombe; un tel poids ne saurait être un joug pour lui, et il doit au contraire en éprouver du bonheur car, dit Syméon de Thessalonique, " de même que le Christ a porté la croix sur Ses épaules pendant Sa Passion, de même agit le prêtre jugé digne d'accomplir les mystères de Son martyre." La ceinture, outre sa signification pratique, traduit aussi cette force spirituelle dont le prêtre doit être ceint au moment d'accomplir les Saints Mystères : elle doit aussi rappeler au prêtre que le Seigneur Lui-même S'est ainsi ceint et qu'Il a servi les Apôtres lors du Dernier Repas. " Ainsi, de même qu'Il a achevé sur terre la tâche entreprise pour nous, dit saint Syméon de Thessalonique, de même Il nous a promis de l'achever à l'avenir : "Il Se ceindra, les fera mettre à table et passant de l'un à l'autre, il les servira" ( Lc 12, 37)". Le phelonion correspond à la robe dont on a revêtu le Christ, sur ordre du roi Hérode, pour se moquer de Lui, par dérision. Saint Syméon de Thessalonique précise que " le prêtre revêt un phélonion blanc ssans manches et qui recouvre tout le corps. La couleur blanche de ce vêtement symbolise la pureté, l'éclat et la sainteté de la gloire de Dieu, car Dieu est "Lumière et Se revêt de lumière comme d'une robe". Le fait que le phélonion recouvre tout le corps correspond au souhait de Dieu de protéger le prêtre, avant comme après le saint office. Le phélonion se relève des deux mains, et ces mains, dressées comme des ailes, traduisent la dignité angélique." Enfin le prêtre se lave les mains, en prononçant le psaume correspondant: " Je laverai mes mains avec les innocents..." Saint Cyrille de Jérusalem dit à ce propos : " Vous avez vu comment le diacre apporte aux prêtres de quoi se laver, faisant le tour du trône du Seigneur, mais il ne leur apporte pas l'eau pour laver leur impureté physique, car on ne pénètre pas ainsi à l'église; le lavement des mains signifie qu'on est tenu de se purifier de tout péché et de toute iniquité." Les vêtements sacerdotaux revêtus, commence la première partie de la Sainte Liturgie, la Proscomidie, pendant laquelle on lit les heures consacrées à la mémoire de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ; en outre, les Heures servent à la pieuse préparation de l'écoute du service divin. La Proscomidie, comme on l'a dit, représente une partie de la Liturgie; il importe donc que le prêtre accomplisse avec un soin particulier tous les actes prévus et que ses pensées soient centrées sur la signification même de ces gestes, car chacun d'eux revêt un sens spécifique et symbolise un événement de la vie du Seigneur Jésus-Christ, de Sa naissance à Sa mort. Ainsi, selon les explications de saint Syméon de Thessalonique, les voiles couvrant les Saints Dons correspondent aux langes dans lesquels le Sauveur a été emmailloté à Sa naissance aussi bien qu'aux linges dont Son corps a été enveloppé dans le tombeau. Le calice représente la coupe que le Sauveur donna à boire à Ses disciples lors du Dernier Repas. Les mots prophétiques prononcés au-dessus du pain correspondent au sacrifice de Jésus-Christ et à Son sacrifice volontaire pour nous. En outre, le prêtre doit être conscient que l'agneau (2) qu'il a apporté en offrande lors de la Proscomidie est cet agneau que le plus grand des prophètes, saint Jean le Précurseur, a montré en disant : " Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde" (Jn 1, 29), cet agneau qui est joie et lumière pour les anges et les hommes (Ap 21, 23). Les autres parcelles disposées autour de l'agneau symbolisent la Mère de Dieu, les Saints dans les Cieux et les Chrétiens fidèles et pieux sur terre, qui ensemble louent Dieu et Son saint Nom. Aussi le prêtre doit-il faire preuve d'une piété particulière lors de la Proscomidie, car les puissances célestes elles-mêmes sont présentes invisiblement et sont dans la crainte, lors de l'accomplissement de la Proscomidie. Saint Nil de la Sora écrit à ce propos à l'évêque Athanase : " Dès que le prêtre s'apprête à terminer la Proscomidie, s'assemblent autour de lui, selon saint Jean Chrysostome, des puissances célestes en grand nombre; vêtues de vêtements clairs et pieds nus, la tête paisiblement inclinée, elles veillent attentivement sur la prothèse et restent sur place jusqu'à la fin du Mystère redoutable; puis elles se dispersent dans tout le temple, aidant et confortant les évêques, les prêtres et les diacres lors du partage du corps et du sang du Christ." " J'écris cela, dit saint Nil dans sa lettre à l'évêque, afin de montrer la redoutable importance de la Divine Liturgie et pour que les prêtres gardent toujours cela à l'esprit, qu'ils veillent à ne pas devenir indifférents et passifs et ne permettent à personne pendant la Proscomidie de chuchoter, de faire des signes à d'autres, de se tenir de façon inappropriée ou de changer de place sans raison véritable. Le Seigneur a dit à Moïse et, à travers lui, à tous les prêtres : "Vous avertirez les Israélites de leurs impuretés, afin que, à cause d'elles, ils ne meurent pas en souillant ma Demeure qui se trouve au milieu d'eux" ( Lv 15, 31). Après la Proscomidie commence la Sainte Liturgie par une ecphonèse qui se distingue des autres ecphonèses chantées lors d'autres services divins; Dans cette ecphonèse, on mentionne les trois Personnes de la Sainte Trinité; il en est ainsi, estime saint Germain, patriarche de Constantinople, parce que nous avons reconnu pour la première fois Dieu en trois Personnes lors de l'Incarnation de Jésus-Christ; c'est pourquoi, au début du saint office qui nous représente toute la vie du Sauveur, il faut d'abord invoquer la Sainte Trinité. Après les Béatitudes ou Antiennes, a lieu la petite entrée avec l'Evangile, qui symbolise l'apparition de Jésus-Christ devant le peuple en vue d'une prédication publique. Il faut prendre soin que tout cela se déroule exactement selon les règles établies et sans hâte. Puis intervient le chant angélique " Saint Dieu", qui illustre l'unité de l'Eglise céleste et de l'Eglise terrestre, car les anges aussi chantent éternellement ce chant dans les cieux : " Ils ne cessent de répéter jour et nuit : Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maître-de-tout" ( Ap 4, 8). Avant la lecture de l'épître, le prêtre invite les fidèles à être attentifs et leur donne "la paix" comme le Sauveur le faisait avec Ses disciples. La lecture de l'épître nous rappelle que le Sauveur a donné à Ses disciples la mission de prêcher. Pendant la lecture de l'épître, certains prêtres se tiennent devant le trône, regardant les fidèles et tournant le dos au trône. CCela est inconvenant et incongru; il vaut mieux en effet se renir du côté gauche du trône et permettre que le trône reste parfaitement visible pour les fidèles. Le prêtre ne doit pas observer l'assemblée des fidèles car en agissant ainsi, non seulement il commet une faute, mais il incite les autres à faire de même et à se détourner de la prière. Les pensées du prêtre doivent être concentrées sur ce qui se passe devant lui. Puis a lieu la lecture du saint Evangile qui représente, selon l'analyse de saint Germain, l'arrivée du Fils de Dieu qui est apparu non à travers des signes précurseurs comme dans l'Ancien Testament, mais de façon visible dans un corps humain : " et nous avons vu Sa gloire, gloire qu'Il tient du Père comme Unique engendré plein de Grâce et de vérité"; afin de se préparer dignement à cet acte important, le prêtre lit une prière prévue à cet effet. Intervient alors "l'ecténie de supplication" où le prêtre prie pour tous les chrétiens en général, et en particulier les autorités du pays concerné, comme l'Apôtre recommande de prier "pour les rois" ( 1 Tim 2, 2), car ils sont les gardiens de l'Evangile et de la piété qu'on y enseigne. C'est après "l'ecténie de supplication" qu'a lieu la partie la plus importante de la Liturgie, appelée "la Liturgie des fidèles", à laquelle, dans les premiers temps du christianisme, seuls les fidèles étaient autorisés à assister; tous les autres devaient sortir de l'église aussitôt qu'ils entendaient les mots : " Catéchumènes, retirezvous!" Puis on déploie l' antimension, où est reproduite la scène de la mise au tombeau de notre Seigneur Jésus-Christ "la Vie de tous", " à cause du grand amour dont Il nous a aimés" (Ep 2, 4). C'est pourquoi le prêtre est tenu d'abandonner en cet instant "tous les soucis de ce monde" pour se consacrer totalement à la tâche qu'il accomplit. Les autres actes qui ont lieu ensuite sont tout aussi importants, comme "la Grande entrée" et le transport des saints dons de la Proscomidie sur la sainte table, car tout revêt alors une signification précise : les voiles qui recouvrent les saints dons symbolisent les linges dans lesquels le Seigneur a été enveloppé lors de sa mise au tombeau, l'encensement évoque les aromates qui Lui étaient destinés, tandis que l'étoile rappelle le secau avec lequel Son tombeau fut scellé. Pendant la lecture du Symbole de la foi, les prêtres se donnent l'accolade dans le sanctuaire, comme les y invitent les paroles "aimons-nous les uns les autres", qui signifient que, grâce à l'amour du Seigneur Jésus-Christ, nous sommes devenus des frères et que nous sommes tenus de nous aimer mutuellement comme Lui nous a aimés. Dans les premiers temps du christianisme, tous les chrétiens avaient l'habitude de se donner l'accolade en cet instant; aujourd'hui, cette coutume n'a été conservée que parmi les prêtres. Le fait de lever les voiles au-dessus des saints dons évoque selon certains le séisme qui se produisit lors de la résurrection de Jésus-Christ. Saint Syméon de Thessalonique insiste sur la nécessité pour nous d'avoir le coeur pur au moment de confesser tout ce qui concerne notre Seigneur Jésus-Christ. Aux mots "Elevons nos coeurs", tous les Chrétiens, et le prêtre en particulier, doivent avoir l'esprit et le coeur tournés vers Dieu, conformément aux paroles de l'apôtre Paul : "Songez aux choses d'en haut, non à celles de la terre" (Col 3, 2). Lorsque sont prononcés les mots : "Rendons grâces au Seigneur", il convient de nous rappeler combien nous devons être reconnaissants au Seigneur pour la Grâce infinie qu'Il a manifestée à notre égard en nous envoyant Son Fils unique Qui a réconcilié l'homme avec Dieu, qui a détruit "l'obstacle" et qui a réuni les hommes et les anges et accompli l'union". Aussi devons-nous chanter qu' " Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par Son sang" et qu'"Il a fait de nous une royauté de prêtres pour Son Dieu et Père" (Ap 1, 5-6). Puis arrive le moment solennel où le pain et le vin deviennent le Corps véritable et le Sang de notre Seigneur et Sauveur : à cet instant selon les mots de saint Germain, le prêtre prie Dieu le Père pour qu'Il accomplisse le grand mystère de Son Fils et pour que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Christ notre Dieu. Le Saint-Esprit intervient alors de façon invisible, achevant la conversion des saints dons en Corps et en Sang du Seigneur Jésus-Christ qui a dit : " celui qui mange mon corps et boit mon sang vit en moi et moi en lui". A la suite de cet acte sacré, dit saint Syméon de Thessalonique", "on fait mémoire de tous ceux qui ont accédé au salut grâce à ce mystère : on mentionne les saints car ils ont été martyrisés pour le Christ et sont maintenant glorifiés avec Lui; on mentionne en particulier la sainte Mère de Dieu car elle a été et reste le salut des hommes." Ensuite, après les petites ecténies, le prêtre prie Dieu pour qu'Il nous rende dignes de L'appeler Père; puis on chante le Notre Père. Après que le diacre se soit exclamé : "Soyons attentifs!", le prêtre élève avec ses mains le saint Agneau, ce qui symbolise l'élévation du Christ sur la croix, et prononce les mots : " Les choses saintes aux saints!", qui signifient, selon saint Syméon de Thessalonique, que " Dieu accorde la sainteté aux saints, c'est-à-dire à ceux qui ont le coeur et la conscience purs, sans méchanceté ni ruse et qui possèdent une foi ferme dans les saints dons". A propos de la fraction du saint Agneau, le même auteur écrit : " Le prêtre rompt le pain en quatre parts et les dispose en forme de croix, ce qui symbolise la crucifixion du Christ... Le versement d'eau chaude (3) dans le calice signifie que le Corps du Christ est resté vivifiant après la mort et que Sa divinité ne L'a jamais quitté, mais que la plénitude du Saint-Esprit est restée en Lui : c'est avec cette foi que nous devons nous approcher de la Sainte Communion." Puis le prêtre communie, ce que saint Jean Damascène évoque en ces termes : " Nous (les prêtres), nous approchons de la Sainte Communion le coeur brûlant; les mains disposées en forme de croix, nous recevons le corps du Sauveur crucifié; nous inclinons les yeux, la bouche et le front, et nous communions au brasier divin afin que le feu de l'amour qui est en nous incendie mos péchés et sanctifie nos coeurs." Ensuite le prêtre fait communier les fidèles, ce qui doit s'accomplir avec autant de piété, de calme, d'attention et d'ordre que possible. Les premiers mots de la prière qui suit la communion "Témoins de la Résurrection du Christ", évoquent non seulement la Résurrection du Sauveur mais aussi Son apparition aux apôtres et à d'autres. Le transfert des Saints Dons sur la Proscomidie symbolise l'Ascension du Christ. Le prêtre doit passer la journée au cours de laquelle il célèbre le saint office, dans un état spécifique de piété. Enfin, nous mentionnerons ici ce que saint Basile le Grand recommande aux prêtres du point de vue de leur comportement lors du service divin : " Prêtre, fais attention à toi et au service qui t'a été confié. Fais attention car ce que tu accomplis n'est pas du domaine terrestre, mais céleste. Veille à être un ouvrier ne méritant pas de réprimande; garde-toi de toute querelle, afin que le Saint-Esprit ne te quitte pas. Les jours de service, ne convoque personne devant un tribunal, n'aie de dispute avec personne, mais prie dans la solitude, lis des livres saints et approche-toi du sanctuaire, l'âme en paix. Ne te tourne pas à droite ou à gauche, et ne raccourcies pas les prières en hâte. Ne commets pas d'acte hypocrite et ne donne pas le saint pain à des indignes, mais obéis aux saintes règles et agis en conséquence. Préserve les commandements de Dieu et la sainte Tradition. Ne jette pas de perle aux cochons. Fais attention à ne pas succomber à la peur des hommes; n'aie pas peur des puissants de ce monde, même porteurs de couronnes impériales, au moment d'accomplir ton saint devoir. Si tu réussis à préserver tout cela, tu pourras assurer ton salut et celui de ceux que tu es chargé d'instruire." Il nous faut examiner maintenant comment le pasteur de l'Eglise doit se comporter en tant que prédicateur de la parole de Dieu. Dès le tout début du christianisme, l'habitude était prise que le service divin donne lieu aussi à la prédication. L'importance de la prédication pour le salut des hommes est attestée par le fait que le Sauveur, au moment de faire partir les Apôtres, leur a indiqué ce premier commandement : "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit" (Mt 28, 19) tout en précisant : " Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné" (Mc 16, 16). Mais comment croire sans d'abord entendre, et comment entendre sans quelqu'un qui proclame? (Rm 10, 14). C'est pourquoi l'apôtre Paul dit pour lui-même comme pour tous les pasteurs : "malheur à moi si je n'annonçais pas l'Evangile! C'est une nécessité qui m'incombe" (1 Co 9, 16). Il enseigne à son disciple Timothée de prêcher "à temps et à contretemps" afin de contribuer ainsi à son salut comme à celui de ceux à qui il s'adresse (2 Tm 4, 2). Ni le cachot, ni la faim, ni diverses souffrances n'ont pu empêcher les Apôtres de proclamer le saint enseignement du Fils de Dieu. Cela montre l'importance de l'engagement du prêtre du point de vue de la prédication. Pour que le prêtre réussisse dans sa mission de prédication, il faut avant tout qu'il soit convaincu de l'authenticité de ce qu'il prêche : "Je crois, lors même que je dis : je suis trop malheureux" (Ps 115); "car c'est du trop-plein du coeur que parle sa bouche" (Lc 6, 45). S'il en est ainsi, alors le prêtre prêchera les saintes vérités comme faisant intimement partie de lui-même; son enthousiasme sera tel qu'il subjuguera son auditoire et les amènera à ressentir la même chose que lui et à avoir une foi aussi ferme que lui. Une telle force spirituelle a infiniment plus de valeur que de beaux discours; c'est pourquoi l'apôtre Paul a dit : " Ma parole et mon message n'avaient rien des discours persuasifs de la sagesse; c'était une démonstration d'Esprit et de puissance" (1 Co 2, 4). Par ailleurs, le prêtre doit déborder d'amour envers son troupeau et son propre travail, car nul n'est aussi capable de lire dans l'âme et le coeur du prédicateur que ceux qui l'écoutent; s'ils voient qu'il les aime, alors la prédication la plus sévère dénonçant leurs défauts sera bien accueillie et ne restera pas sans effet. La vie quotidienne nous montre que des réprimandes ne nous paraissent pas désagréables, si elles émanent d'un homme dont nous sommes convaincus qu'il nous aime. Il en est de même pour le pasteur : "les brebis le suivent parce qu'elles connaissent sa voix" (Jn 10, 4). C'est pour cela que l'Apôtre Paul a dit : " Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je ne suis plus qu'airain qui sonne ou cymbale qui retentit" (1 Co 13, 1). Il importe en particulier que le prédicateur s'adresse à Dieu le miséricordieux, conjointement avec ses paroissiens, afin que le Seigneur leur donne " un coeur nouveau et un esprit nouveau" (Ez 10, 9) pour contribuer à une prédication réussie et à la bonne écoute de la parole de Dieu, car le Seigneur a dit : "Hors de moi vous ne pouvez rien faire" (Jn 15, 5). L'objet principal de la prédication du prêtre doit être d'enseigner au peuple les vérités de la foi et les règles de comportement, car cela est indissociable. "La piété, écrit saint Cyrille de Jérusalem, consiste à bien connaître les dogmes et à faire le bien. Les dogmes isolés des oeuvres ne sont pas agréables à Dieu, qui ne considèrera pas davantage des oeuvres isolées des dogmes." L'enseignement concernant Dieu et notre salut est exposé avec la plus grande exactitude dans le saint Evangile, le Symbole de foi, les leçons des saints Pères et dans l'Ecriture Sainte en général : c'est là que le prédicateur doit puiser le matériau pour ses homélies. Mais il faut toujours veiller à ne pas s'aventurer dans des finesses ou dans des détails théologiques qui pourraient ne pas être compris par l'esprit simple d'un paysan. Les thèmes de prédication peuvent consister à recommander de se rendre dans les temples de Dieu, qui sont des lieux spécialement consacrés à la prière, conformément à la parole du Seigneur : " Là où deux ou trois d'entre vous sont réunis en mon nom, je suis au milieu de vous." Les prédications peuvent aussi porter sur la manière d'organiser sa vie ou la signification du jeûne qui n'est pas seulement agréable à Dieu mais aussi utile à la santé; elles peuvent aussi concerner la résurrection des morts et la vie à venir, thèmes pour lesquels le prêtre peut prendre des exemples dans l'Ecriture Sainte ou dans la nature visible qui nous entoure; ainsi la résurrection des morts peut être comparée à une semence qui ne germe pas avant de disparaître... Pour éviter que le prêtre soit dans l'embarras concernant le thème de son homélie, le mieux est de traiter le sujet figurant dans l'Evangile ou l'épître du jour, ce qui permettra d'aborder au cours de l'année toutes les vérités de la foi, dont la connaissance est indispensable pour le salut des fidèles; par ailleurs, comme il n'y a pas de jour où ne soit mentionné le nom d'un saint, des exemples tirés de la vie de ce saint pourront contribuer à l'instruction morale des fidèles. Face à une assemblée de gens simples, le prêtre doit, à l'instar du Sauveur, puiser les exemples destinés à illustrer son homélie dans la vie courante et dans la nature environnante, sans pour autant s'éloigner de l'Ecriture Sainte, faute de quoi son sermon, même brillant, serait dépourvu de la ferveur religieuse qu'on attend de l'enseignement de l'Eglise. Hélas, force est de reconnaître qu'il existe aujourd'hui des esprits prétendant que l'Ecriture Sainte a vieilli ou que ces textes manquent de force; ces gens ignorent que "Jésus-Christ est le même hier et aujourd'hui et pour les siècles des siècles" (He 13, 8). Ces gens-là, soi-disant pour mieux répondre à l'esprit du temps, choissent de traiter un thème extrait de vers d'un poète ou d'un dicton populaire; amis comment des vers d'un poète, même "génial", pourraient-ils avoir la force des paroles divines du Sauveur? En l'occurrence, il ne s'agit pas d'homélies mais d'aricles de journaux. Quant à la nécessité liée à "l'esprit du temps", elle ne se justifie en rien. Le médecin ne prescrit pas des remèdes selon le goût du malade, mais selon son analyse de la maladie. Or, comme le prêtre est le médecin des âmes, il doit s'en tenir à sa propre analyse spirituelle et ne pas éprouver de crainte devant un homme mortel, conformément à l'enseignement du Seigneur : " Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi rougira de lui, quand il viendra dans la gloire de son ère avec les saints anges" (Mc 8, 38). L'apôtre Paul dit : "Si je me mettais à être complaisant avec les hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ" ( Ga 5, 1-16). De son côté saint Jean Chrysostome dit ( aux prêtres) : " Ceci n'est pas un théâtre, vous n'êtes pas des acteurs qui cherchent à être applaudis; ceci est un lieu d'enseignement spirituel, c'est pourquoi on ne doit s'occuper que d'une seule chose : accomplir ce qui a été ordonné et démontrer son obéissance par ses actes." Les gens changent d'opinion comme le ciel change d'aspect : aujourd'hui il fait beau, demain il y aura des nuages, mais le prédicateur doit rester constant et inflexible, comme le rocher à partir duquel il parle, et ne pas perdre espoir dans la réussite de son sermon, tôt ou tard, car le Seigneur a dit à Ses disciples : "Je vous ai dit ces choses pour que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage! Moi, j'ai bel et bien vaincu le monde" (Jn 16, 33). Le prêtre doit veiller à bien préparer son homélie, qui doit être simple et accessible à tous : "Car le Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Evangile, et cela sans la sagesse du langage, pour que ne soit pas réduite à néant la croix du Christ" ( 1 Co 1, 17). Une homélie simple et claire est à même de satisfaire tous ceux qui l'écoutent : les érudits n'ont pas de peine à comprendre les vérités simples mais les gens simples ne sont pas à même de saisir les expressions sophistiquées du prédicateur. Le sermon doit être un "écho authentique" de l'époque où il est prononcé, mais il doit en même temps signaler avec douceur les défauts des hommes, c'est-à-dire ne pas attaquer les hommes mais dénoncer seulement leurs manquements. Il doit être à l'image d'une mère aimante qui se montrera d'autant plus tendre avec son enfant que celui-ci est plus malade. Tels ont été le Sauveur Lui-même et les apôtres, qui ont été pourchassés et persécutés mais qui n'ont jamais cessé de nourrir le monde avec la nourriture divine de la parole de Dieu. En cas de besoin toutefois et en vue du salut, il leur est arrivé d'agir avec plus de vigueur contre certains manquements ( 1 Co 2, 5). Le saint apôtre Paul a dit un jour à son disciple Timothée : "Proclame la parole, insiste à temps et à contretemps, réfute, menace, exhorte, avec une patience inlassable et le souci d'instruire " (2 Tm 4, 2). Saint Tikhon affirme qu'il existe deux sortes d'hommes : " Ceux qui sont sans crainte et inactifs et ceux qui sont submergés de crainte. Les premiers ont besoin de craindre Dieu afin de se réveiller de leur sommeil de pécheur et de se repentir, alors que les seconds ont besoin du réconfort de l'Evangile afin de se fortifier dans la foi et y trouver la consolation. C'est pourquoi les pasteurs sont tenus d'instruire de façon telle que chacun puisse trouver son remède, comme l'ont fait les Prophètes, les Apôtres et les saints Pères qui doivent nous servir de modèles." Quant à la sévérité du prédicateur, on peut se référer à ce sujet aux paroles de l'Apôtre : "Selon la Loi, presque tout est purifié par le sang, et sans effusion de sang il n'y a point de rémission" (He 9, 22). Il faut comprendre par là que le prédicateur est tenu de faire verser le sang, entendu au sens spirituel : il s'agit du sang impur qui sert à nourrir les vices. On attend aussi du prédicateur qu'il soit pertinent dans son discours, dans l'attitude de son corps, dans l'expression de son visage et qu'avant de commencer à prêcher il adresse une prière à Dieu. Quand il paraît devant le peuple, son visage doit refléter le calme et la sérénité, car l'émotion ne convient pas à un pasteur spirituel. Sa voix doit être mesurée et correspondre aux proportions de l'église : il convient de ne pas parler trop doucement dans une grande église, ni trop fort dans une petite église. A l'intérieur de l'église, pendant l'homélie comme à tout autre moment, un silence absolu doit régner dans l'assistance. S'agissant des mouvements corporels, il serait nettement préférable que le prêtre ne fasse aucun mouvement plutôt que de les faire mal à propos, comme par exemple de lever les mains plus haut que la bouche ou de les faire descendre trop bas. Le mieux serait qu'il se comporte très naturellement, tel que ses fidèles le connaissent. Le prédicateur qui cherche des louanges plutôt que d'être utile à son troupeau ne répond pas à sa vocation; son homélie est davantage comparable à la lumière pâle de la lune qu'à la lumière chaude et ensoleillée par les noms du Sauveur, de la Mère de Dieu et de tous ceux qui sont agréables à Dieu qu'il faut prononcer avec le respect qui leur est dû. Le prêtre doit s'adresser à son auditoire en tenant compte de son âge propre : un jeune prêtre ne peut s'adresser à ses fidèles en leur disant : " Chers enfants..." Le regard du prêtre ne doit pas être dirigé d'un seul côté, ni vers une personne, en particulier quand il évoque tel vice ou défaut : quelqu'un pourrait s'en sentir offusqué, et l'homélie aurait alors un effet dommageable au lieu d'apporter le bienfait espéré. Afin d'éviter tout embarras, le prédicateur doit apprendre son homélie autant que possible par coeur : "Je me hâte et je ne diffère d'observer Tes commandements" (Ps 118, 60). Lorsque le prêtre a achevé son homélie, il ne doit pas s'engager aussitôt dans d'autres discussions, notamment à caractère humoristique, qui ne lui conviennent pas de toute façon, car il ne fera ainsi que déprécier son sermon qui ressemblera alors à une pièce chauffée dont la porte et les fenêtres restent ouvertes, permettant au vent de s'engouffrer librement de tous côtés. En dehors de sa prédication à l'église, le prêtre dispose d'autres possibilités pour instruire ses paroissiens. Ainsi, par exemple, quand les fidèles s'assemblent le dimanche et jours de fêtes près de l'église afin de se rencontrer et de discuter de problèmes personnels, le prêtre est en mesure d'aborder avec eux un thème tiré de l'Ancien Testament, du Nouveau Testament voire de l'histoire de leur patrie, en s'efforçant toujours d'en dégager une leçon morale pour la vie quotidienne. Quand le prêtre a développé son enseignement moral, il est sage pour lui de s'éloigner afin de donner du temps aux assistants pour réfléchir sur le sujet traité, ce qui donnera plus de portée à la leçon donnée par le prêtre. Si ce dernier reste quand même sur place, la discussion risque de glisser sur d'autres thèmes liés à la vie quotidienne, l'homélie sera oubliée et l'effort du prêtre aura été vain. Par ailleurs le prêtre a la possibilité d'instruire ses fidèles à l'occasion de diverses activités paroissiales, en leur expliquant à ce propos le sens caché de ces activités et des services qui s'y rattachent. Si le prêtre agit et instruit ainsi, alors il recevra du Pasteur suprême une couronne de gloire inaltérable et méritera le titre de "grand" au sein du Royaume céleste, conformément à ce que dit le Sauveur Lui-même : " Celui qui enseigne cela sera appelé grand dans le Royaume des cieux." III APHORISMES SPIRITUELS 1. Dieu Se révèle au coeur pur. La nature, tel un livre vivant, ne cesse de nous parler de Dieu. 2. L'horloge montre les minutes et les heures, la nature montre Dieu. 3. Dieu se reflète dans la nature comme l'homme dans l'eau pure. Un coeur impur, telle une eau trouble, ne permet pas de voir la miséricorde divine. 4. Regarder les rochers, les forêts, les fourmis et les abeilles en train de se donner de la peine, ou les saisons de l'année en train de se succéder, voir la vie qui bouillonne et s'écoule, c'est apprendre à connaître la miséricorde et la puissance de Dieu. 5. La pharmacie ferme rarement, la miséricorde divine jamais. 6. Dieu réprimande les hommes pour mieux leur apprendre. 7. Dieu attend le repentir du pécheur jusqu'à sa mort. 8. Le forgeron peut, avec du fer, fabriquer une faucille ou une épée, le Créateur de l'univers peut fabriquer ce qu'Il veut. 9. Le médecin examine d'abord la langue du patient, Dieu apprécie surtout l'intention de l'homme. 10. En tout lieu de la mer, l'eau est salée, en tout lieu du monde les yeux de Dieu regardent. 11. En l'absence de neige les traîneaux n'auraient aucune valeur, en l'absence de vie éternelle l'homme n'aurait aucun sens. 12. On dirait que le soir le soleil s'enfonce dans la mer et que la gloire de ce monde est la gloire véritable. Or le soleil est dans le ciel et la gloire véritable en Dieu. 13. L'homme est l'interprète de la gloire divine et l'intercesseur entre Dieu et la nature, s'il est pur et juste. 14. A la cour du roi on voit la puissance terrestre, dans l'homme juste on voit la gloire de Dieu. 15. Tout homme reçoit de Dieu un don destiné à le conduire sur la voie du salut. 16. Chacun de nous est extrêmement pauvre en l'absence de don de Dieu. Mais Dieu accorde des dons à chacun. 17. Notre vie s'écoule vite, comme la goutte de rosée tombée sur la fleur. 18. L'existence humaine est brève à l'instar d'une journée, puis arrive la mort telle une nuit profonde. C'est pourquoi il faut vivre dans la vertu et se garder de tout péché tant que dure la journée de notre vie, car quand arrive la nuit de la mort, tout est trop tard. 19. Ce monde est pareil à une fleur; il contient du miel et de l'amertume et s'évanouit rapidement. Les justes s'en servent avec sagesse, se sauvant à temps par leur ascèse. 20. Il existe des hommes vivant de façon discrète dans ce monde et dissimulant leurs vertus. Mais l'heure viendra de voir leurs oeuvres et ils seront glorifiés dans l'éternité. 21. Comme le vent du Nord chasse le brouillard, la crainte de Dieu chasse les mauvaises pensées. 22. L'homme est comme un fruit. Un propriétaire voulait couper un arbre fruitier resté stérile. Son employé le supplia de laisser l'arbre, en disant que lui-même en prendrait soin. Et en effet, l'année suivante, cet arbre donna des fruits. De même, la miséricorde divine prolonge nos existences afin de nous voir produire les fruits du repentir. 23. La vérité est spécifique à l'homme, même à celui qui agit souvent contre la vérité, car il n'aime pas être trompé. 24. Fais toujours du bien à tout le monde, et ne fais pas de différence entre les hommes, mais seulement entre leurs péchés. 25. Il faut apprendre sa force à temps et ne pas oublier qu'on est mortel et qu'on peut mourir cette nuit même. Aussi convientil de prendre soin à temps de ton âme et de celle d'autrui. 26. Quand on jette un fer dans le feu, il devient aussi incandescent que le feu. De même quand tu écoutes l'enseignement de Dieu et y conformes ta vie, tu deviens semblable à Dieu. 27. Il est impossible à un poussin de sortir de l'oeuf s'il n'est pas couvé par la poule. De même l'homme ne peut accomplir le bien s'il n'est pas réchauffé par la Grâce divine. 28. Pour faire une bonne peinture, il faut un artiste expert, une bonne toile et des couleurs stables. Dans ton enfance, la toile de ton coeur peut prendre une variété de couleurs. Garde la pureté de ton coeur afin que le Seigneur puisse y peindre Son image divine. 29. L'Esprit Saint bénit l'univers. Toi aussi, Il te bénit et demeure en toi dans la mesure où tu Lui obéis avec un coeur pur dans lequel le feu de l'amour consume tout péché. 30. Sur un bateau, on demande aux passagers leur ticket, mais au Ciel on demande aux chrétiens d'avoir le coeur pur. 31. Le conducteur doit changer de roue quand elle tombe en panne, le Chrétien doit purifier son coeur. 32. Rassemble des ressources, puis bâtis une maison; de même purifie ton coeur avant de prier Dieu. 33. Que ton bétail ne reste pas sous ton toit et que la nourriture ne déborde pas de ton ventre; l'air de ta maison sera plus pur, et ton coeur plus pur en ton sein. 34. Qu'il y ait une cour autour de ta maison, et la crainte de Dieu en ton coeur, pour la sécurité de ton corps et de ton âme. 35. Quand tu veux monter à cheval, ajuste les brides dans tes mains, et quand tu commences à prier Dieu, redresse ton coeur. 36. Tous les chevaux ne portent pas les mêmes fers, de même les hommes ne manifestent par leur colère à l'égard d'autrui de façon identique. Chez le cheval, cela dépend de ses sabots, chez l'homme de son coeur. 37. Dans un moulin, l'ordre veut que le premier arrivé soit le premier à moudre. Au Paradis, la règle est que celui qui mène une vie plus sainte se voit accorder la prééminence. 38. Qui veut attraper de jeunes abeilles doit avoir avec lui des violettes; celui qui veut recevoir le Saint Esprit doit avoir le coeur pur. 39. Les abeilles ne laissent pas d'autres abeilles entrer dans leur ruche, de même que les vrais chrétiens ne laissent pas entrer des pensées pécheresses dans leur coeur. 40. Il est possible que des cercles de bois posés sur des tonneaux conservent un vin précieux, et que des hommes pauvres aient un coeur juste. 41. Garde la poudre à canon à l'abri de la pluie et de l'humidité, et ton coeur à l'abri des plaisirs et des passions susceptibles de te faire périr. 42. Protège tes yeux de la poussière et de la fumée, et ton coeur de la jalousie et des femmes, afin de ne pas devenir aveugle de corps et d'âme. 43. A Pâques, il convient d'avoir un oeuf de couleur dans la poche; de même il convient d'avoir le coeur pur en tout temps. 44. La forêt épaisse enjolive tout monastère, de même que le coeur pur réjouit Dieu. 45. Au sommet d'un château royal on voit la bannière; chez un homme juste on voit la gloire de Dieu. 46. De même qu'un anneau peut être porté par ceux qui n'ont pas encore été fiancés, une vie sainte peut être menée par ceux qui ne sont pas moines. 47. Avec les crins d'une queue de cheval, on fait les cordes d'une guzla (1) ; une vie de souffrances conduit à la gloire éternelle dans le Royaume de Dieu. (1) : (Instrument de musique traditionnel serbe de la famille des violes (NdT). 48. De même que tu ne verras jamais de pieds chez un serpent, tu ne dois pas espérer accéder au Paradis sans efforts ni souffrances. Garde-toi des serpents, surtout à tête pensante, et endure les épreuves afin de mériter le salut. 49. Le bateau le plus résistant est celui fait en chêne; l'homme le plus intelligent est celui qui est patient. 50. Dans le nord, la neige semble plus supportable, de même l'espérance rend toute souffrance plus facile à supporter. 51. Un renard qui voit qu'il ne peut s'échapper d'un piège de fer coupe avec les dents sa propre patte afin de sauver sa vie. Toi aussi, tu devrais supporter les épreuves et faire des sacrifices en vue du bien éternel. 52. A quoi sert une lampe quand le soleil luit? Et la gloire terrestre face à la gloire céleste? Dédaigne celle qui est inférieure pour celle qui est supérieure, ce qui est à la fois sage et utile. 53. Pour faire de la chaux, il faut avoir un four à chaux; pour acquérir le salut il faut se sacrifier. 54. S'écarter du chemin dégagé et marcher dans la neige pour laisser passer quelqu'un ou supporter des paroles de colère prononcées par autrui, c'est se montrer plus raisonnable. 55. Une tente de l'armée protège les soldats de la pluie et de la chaleur, tout comme le silence protège le Chrétien, dans sa vie, du jugement et des mensonges. 56. Les fenêtres propres honorent la maison, les paroles sages honorent l'homme. 57. De même que le vin quand il prend de l'âge est meilleur, de même des paroles bien réfléchies ont plus de valeur. 58. Après une course, il faut promener le cheval; après une dispute, il faut se réconcilier avec son frère; le plus tôt est le mieux. 59. Quand ta chambre est chaude, évite d'ouvrir la porte trop souvent. Ainsi, si le Saint-Esprit est en toi, évite de trop parler. 60. Ne permets pas à une brique de tomber du toit ni ne te permets de pécher un seul jour dans ta vie, afin de ne pas te retrouver sans toit ni sans salut. 61. Protège le miroir de la poussière et ta conscience du péché, afin que tous deux puissent te renseigner fidèlement : le miroir sur ton visage, et ta conscience sur tes actions. 62. Prends de l'argent avant de sortir afin de ne pas t'énerver ensuite, et réfléchis bien avant de parler afin de ne pas commettre de péché. 63. L'hydromel est facile à faire quand il y a suffisamment de miel, de même que sauver son âme est facile quand existe la crainte de Dieu. 64. Le tailleur ne peut coudre en bougeant, tandis que l'âme ne progresse pas quand on reste inactif. Le tailleur doit être assis et le Chrétien doit se sacrifier. 65. Il est plus facile à un veau de trois mois de gambader qu'à un taureau âgé de plusieurs années. De même le salut de son âme est plus facile pour un homme qui a trois acres de terre que pour un homme riche possédant un grand domaine. 66. Les olives s'épanouissent sous le climat littoral, de même l'âme s'épanouit en compagnie de gens pieux. 67. Un parapluie est nécessaire en cas de pluie; de même l'humilité est nécessaire à l'âme. Le parapluie s'achète avec de l'argent, alors que l'humilité s'acquiert par l'introspection. 68. Si ta maison est recouverte de chaume, prends garde à l'incendie, et si tu tiens à ton âme, ne fréquente pas les femmes en raison du double risque d'incendie. 69. Veille à avoir de l'eau à proximité de ta maison et la parole de Dieu sous les yeux; ainsi ton corps et ton âme seront plus propres. 70. De même que deux pierres aiguisées ne peuvent moudre comme il faut le blé dans un moulin, celui qui aime le monde autant que Dieu ne peut sauver son âme. 71. De même qu'un tailleur ivre gâche les vêtements, une conversation vide abîme l'âme. 72. Le moulin peut moudre même sans beaucoup d'eau; on peut sauver son âme même sans faire don de richesses. 73. Une perdrix prise au piège regrette la forêt et la liberté; l'âme pécheresse se languit de Dieu et de la vie éternelle. 74. Une seule botte de blé est légère mais une accumulation peut aboutir à un chargement lourd, tout comme l'addition de petits péchés peut conduire l'âme aux portes de l'enfer. 75. Ne cache pas la vérité aux enfants, ni le souvenir de la mort à ton âme : les enfants seront plus paisibles et l'âme sera plus pieuse. 76. Certains font le signe de Croix quand le tonnerre éclate et d'autres ne se souviennent de la mort qu'en présence d'une personne défunte. Fais le signe de Croix en l'absence de tonnerre et souviens-toi de la mort sans avoir besoin de voir des défunts, et alors tu pécheras moins. 77. Pense toujours à ton âme, que tu sois heureux ou dans la détresse et la souffrance. Pense toujours à ton âme, que tu vives dans un palais ou dans une grotte. 78. Prends soin de ton âme avant qu'il ne soit trop tard. Que feras-tu si tu la perds? 79. Notre âme affronte les tentations de ce monde comme le fils prodigue; il convient qu'elle se comporte comme le fils prodigue revenant dans les bras du père. 80. Tes biens terrestres ne sont que du néant, comme ceux du riche injuste. La richesse véritable réside dans la pureté de ton âme et sa capacité d'endurance. 81. Si le corps se couvre de vêtements et se nourrit pour vivre, de même l'âme reste nue et affamée en l'absence de bonnes actions et d'une foi pure; impuissante, elle constitue alors une cible facile pour les attaques des mauvais esprits. 82. L'âme est une soeur pour le corps, elle en prend soin comme une vraie soeur de son frère. Elle se lamente quand son frère vit dans la débauche. Mais elle est aussi responsable de n'avoir pas pris soin de lui à temps. 83. On ne part pas à la guerre sans poudre ni plomb, de même on ne vit pas en Chrétien sans avoir la foi et sans accomplir de bonnes actions. 84. Il faut un grand froid pour que gèle une rivière, et beaucoup de résolution pour préserver sa foi. 85. Là où les abeilles sont vigoureuses, l'araignée prend la fuite, et là où la foi est forte, les mauvais esprits ont du mal à attaquer. 86. Certains installent une tête de cheval au-dessus d'une ruche; d'autres, qui ont la foi, conservent leur superstition. 87. De même que deux pierres sont utilisées dans un moulin pour moudre du blé, la foi et les oeuvres contribuent au salut de l'âme. 88. Pas plus que les mouches ne volent au-dessus d'une soupe chaude, le désespoir ne s'abat sur une foi forte. 89. L'enfant pleure quand sa mère le lave, et l'homme de peu de foi fulmine contre Dieu quand il est dans la détresse, qui purifie l'âme comme l'eau nettoie le visage. 90. La sauterelle est petite et chétive, mais en groupe elle ravage les champs. 91. Le tailleur a besoin d'aiguilles et de fil pour coudre; l'homme a besoin de foi et d'amour pour se sauver. 92. Le savon et l'eau nettoient les vêtements; la foi et les actions sauvent l'âme. 93. Une rame droite paraît tordue sous l'eau, c'est pourquoi on devrait se fier davantage à sa raison qu'à sa vue. 94. Il convient d'avoir de la bière au frais pour les hôtes, et une foi ardente dans l'âme, afin que l'une et l'autre soient à leur place. 95. On dit que là où il y a des moustiques le lieu est malsain, et que là où il y a du luxe la foi est faible. 96. L'hirondelle bâtit son nid contre un mur et l'homme se sauve grâce à une foi véritable. 97. Au pied d'un grand sapin il est agréable de trouver de la chaleur; avec une foi forte il est aisé d'accomplir des miracles. 98. Une forte pluie peut éteindre un brasier; les satisfactions corporelles peuvent conduire à la perte de la foi. 99. Repeins ta maison comme tu l'entends, et fais le bien en toute occasion, tu seras en paix. 100. Si même un pigeon peut apprendre à porter un message, comment se fait-il que tu ne t'habitues pas à faire le bien? 101. Les moutons cherchent des prairies et des champs, tandis que les hommes sages recherchent la paix et le salut. 102. Pour les problèmes de ce monde, s'en remettre à Constantinople (2), et pour les actes accomplis ici-bas, s'en remettre au Ciel. (2) : ( Siège du Patriarcat oecuménique (NdT).). 103. Les feuilles du noyer dégagent un arôme bien que ce ne soit pas un rosier; l'homme pieux devient sage même s'il n'apas reçu une grande éducation. 104. L'araignée est très égoïste; elle ne fait pas de miel comme l'abeille, elle ne fait pas de soie comme le verre, mais elle possède la vertu du silence. De même, parmi les hommes pourvus de nombreux défauts, on peut trouver quelque vertu. 105. La mer est paisible en l'absence de vent, comme est paisible la conscience de l'homme qui fait de son mieux. 106. Le tournesol se tourne vers le soleil; l'homme juste se tourne vers Dieu et tout ce qui est saint. 107. Certains ont l'habitude d'enfiler les noix en colliers, d'autres de rendre publiques leurs bonnes actions. 108. Pour tailler un vêtement on a besoin de ciseaux, alors que pour faire de bonnes actions on a besoin de volonté. Les ciseaux sont fabriqués en fer, alors que la bonne volonté est donnée par Dieu. 109. Le tailleur n'interrompt pas son travail quand le fil se casse, de même le sage ne désespère pas face à une déception. 110. Ne prends pas de grenouille dans l'eau claire; ne recherche pas la gloire pour un bienfait. 111. Dans le feu, le fer devient incandescent; l'homme qui est avec Dieu est à Son image. 112. La couleur de sa robe importe peu au cheval; le rang qu'occupe un chrétien importe peu s'il n'est pas honnête. 113. Que celui qui ne voit pas bien mette des lunettes et que celui qui désire connaître l'Ecriture Sainte se montre humble dans sa foi. 114. De même que les portes s'ouvrent avec des clefs, la vie éternelle s'obtient par la miséricorde. 115. On peut entrer dans une cité de diverses façons, et entrer dans le Royaume des Cieux par des vertus diverses; si on ne peut y entrer par la richesse comme Abraham, on peut le faire par la pauvreté comme Lazare. 116. Quand tu vois l'étoile du matin, l'aurore est proche; quand tu te juges, tu es proche du salut. 117. Après le marché, le commerçant compte sa recette, tandis qu'à la fin de la journée le sage fait son examen de conscience. 118. Notre vie est comme le marché de tous les jours : qui passe son temps à causer se trouvera vide à la veille de sa mort. 119. Que celui qui, au bord d'une rivière, ne connaît pas le passage du gué, le demande et que celui qui veut mener une vie droite lise la parole de Dieu, afin que l'un ne soit pas entraîné par le courant et que l'autre ne soit pas grisé par la vanité du monde en l'absence de toute lecture. 120. On ne peut apprendre à nager en un jour, ni s'habituer rapidement à vivre pieusement. 121. De même que d'un petit oeuf émerge un poussin avec des ailes, d'un coeur humble naissent de bonnes actions. 122. Pour les poissons, il y a la mer et les rivières; pour les âmes, il y a la justice et la sainteté. 123. Il n'y a pas de citron sans arôme, ni de charité sans récompense. Un citron doit d'abord mûrir et la récompense doit attendre le moment venu. 124. On ne trouve pas de poissons en travaillant la terre, on ne trouve pas la paix en faisant le mal. Les poissons se trouvent dans l'eau, et la paix dans les bienfaits. Tous deux nécessitent beaucoup de labeur. 125. Celui qui la nuit porte une torche, s'éclaire lui-même ainsi que les autres; celui qui fait le bien se sauve lui-même et sauve les autres. 126. Un boeuf tranquille est protégé par son maître de l'abattoir; l'homme juste est protégé par Dieu de toute agression. 127. Un arbre chargé de fruits a les branches qui penchent vers le sol; une personne humble garde la tête dans une position modeste. 128. En prison, sa famille rend visite au détenu; face à l'agression, la miséricorde de Dieu vient au secours de l'homme. 129. Lorsque le papillon se pose sur une fleur, on ne l'entend pas; de même les gens pieux qui font le bien ne s'en vantent pas. 130. Un arbre plein d'épines produit des fleurs comme le cerisier, et un hypocrite se signe comme une personne pieuse; mais l'un et l'autre seront reconnus à leurs fruits. 131. Un fourneau ne peut rester sans feu ne serait-ce qu'une heure, de même un Chrétien ne peut vivre dans l'insouciance, ne serait-ce qu'un jour, jusqu'à sa mort. 132. Le cercle métallique doit entourer la roue de la charrette comme la miséricorde le coeur humain. 133. Ne laisse pas les graines hors de terre afin que les oiseaux ne les détruisent pas, et ne fais pas étalage des bonnes actions afin que les louanges ne les dispersent à tout vent. Couvre tes graines avec de la terre et tes oeuvres avec humilité. 134. Quand les chasseurs veulent prendre au piège un renard, ils mettent un appât sur un piège de fer, de même le diable promet à l'homme le bonheur dans cette vie, afin de le pousser au péché. 135. De même qu'il faut garder les moutons tondus à l'abri de la grêle, il faut se garder de juger sévèrement un faible pécheur. 136. Un couteau a besoin d'être aiguisé, tandis que l'âme a besoin de l'enseignement de Dieu; la pierre à aiguiser a besoin d'être graissée, et le salut implique la charité. 137. De même qu'un renard est heureux lorsqu'il s'approche du poulailler, l'esprit malin se réjouit à l'approche d'un homme pieux. 138. Comme les loups sont féroces dans la neige, les esprits malins sont féroces envers l'homme pieux. 139. Devant une ruche, l'araignée étend souvent sa toile; face aux bonnes actions, Satan déploie toujours des tentations. 140. De même qu'un bon nageur peut se noyer, le sage peut aussi souffrir : prudence et humilité sont donc nécessaires. 141. Pour éteindre les incendies, il y a des équipes de pompiers, de même pour calmer les passions il y a les jeûnes stricts. 142. La torche doit être battue et bouillie pour qu'elle brûle, de même le corps doit souffrir et endurer pour accéder à la sainteté. 143. La morue doit être bouillie et cuite pour être mangée, d emême le corps doit faire beaucoup d'efforts et être purifié pour être sauvé. 144. Certains mettent des moustiquaires aux fenêtres, tandis que les sages Chrétiens gardent bouche cousue à cause des péchés. 145. De même qu'un aigle puissant peut s'abattre sur une charogne, un homme noble peut sombrer dans de mauvaises oeuvres en étant à la recherche du plaisir. 146. Les pluies fréquentes font pousser les champignons, tandis qu'un coeur impur fait naître la haine et les querelles. 147. Celui qui colorie les oeufs se tache les mains; celui qui s'associe avec des pécheurs ruine son coeur. 148. Prends garde à séparer le sel de l'eau et ton coeur de la compagnie des femmes, bien que tu sois issu de la femme comme le sel l'est de l'eau, comme l'a dit un sage. 149. L'étoffe doit passer par un métier à tisser, comme le Chrétien doit passer par des épreuves.; sinon l'étoffe ne sera pas conforme et le Chrétien ne sera pas sage mais ignorant. 150. Un froid hivernal est bénéfique pour que l'olivier soit fertile, comme de grandes épreuves sont utiles à l'homme pieux. C'est pourquoi les olives produisent de l'huile et les Chrétiens sont dotés de vertus. 151. Dans un moulin il faut peiner; dans la vie courante, il faut endurer les épreuves. 152. La fourrure de renard ne se vend pas toujours au même prix et l'être humain ne se trouve pas toujours dans le même état d'esprit. Aussi convient-il d'attendre pour vendre ainsi que d'endurer les épreuves; un jour on sera plus fortuné et de même l'âme sera plus riche. 153. Sur la mer déchaînée, les bateaux naviguent; de même l'homme doit faire face à des fléaux divers. Comme le navire surmonte les vagues, l'homme surmonte ses malheurs dans la vie quotidienne. 154. Tous les vins ne peuvent se conserver longtemps, de même tous les caractères ne peuvent endurer de lourdes épreuves. Aussi faut-il prier Dieu pour ne pas tomber dans de telles épreuves. 155. De même que la foudre peut frapper le clocher d'une église, un homme juste peut subir des malheurs. 156. A la veille de la récolte la grêle peut détruire la vigne, de même un homme juste peut commettre un péché juste avant de mourir. Aussi ne faut-il pas se hâter d'adresser des louanges à quiconque. 157. Ne chevauche pas un cheval sur un sentier escarpé et ne te vante pas en société, afin d'éviter de tomber du cheval et de perdre en crédibilité. 158. Quand tu es à cheval, tiens bien les rênes dans ta main gauche; parle en bons termes de quelqu'un qui est absent; on verra ainsi que tu es un cavalier et un honnête homme. 159. En août, un corbeau affamé mangera même une figue; de même un homme pauvre, quand il est dans le malheur, dira même un mensonge. Il est normal pour les corbeaux de manger de la viande, et pour les hommes de dire la vérité. 160. En été, on peut mettre le feu à toute une montagne avec un briquet, de même dans la vie courante un seul mot peut semer la zizanie au sein d'une grande famille. 161. De même que les noix à la coquille fine sont meilleures, les gens sages qui parlent peu sont aussi meilleurs. 162. Le vent du nord ne permet pas à la rosée de se former sur les prés; une conversation vide n'apporte aucun bienfait à l'âme. 163. Une seule usine peut employer plus de cent personnes et une seule parole peut offenser trois cents personnes. C'est pour cela que les usines sont coûteuses et les paroles significatives. 164. Un chien de garde attaque volontiers le mendiant malheureux, de même les démons attaquent les orgueilleux, qui sont pauvres quant à l'entendement, comme les mendiants sont dépourvus de pain. 165. Ne verse pas des noix dans un sac avec une fourche et n'enseigne pas la sagesse à un orgueilleux, afin de ne pas perdre ton temps et d'éviter que les autres te regardent avec étonnement. 166. Les cordonniers réparent les chaussures sur leurs genoux; les esprits malins abusent les hommes au sujet de leur richesse. 167. Les abeilles paisibles peuvent être tuées, de même un homme juste peut commettre un péché; la vigilance est donc nécessaire. 168. Un vignoble isolé est souvent dévasté, de même l'homme juste souffre impitoyablement au milieu des pécheurs. 169. Là où il n'y a pas de maître, les enfants jouent; là où il n'y a pas de crainte de Dieu, les vices règnent. 170. C'est au moulin et à la forge que l'on rencontre beaucoup de nouveautés, aussi ne faut-il pas se vanter d'être curieux. 171. De même que la mousse d'une bière forte déborde du verre, un homme en colère sort de ses gonds. Pour la bière c'est un gage de valeur, mais, pour l'homme, c'est une preuve de faiblesse. 172. La nuit, les moustiques se rassemblent autour d'une chandelle; à tout moment, les écervelés se rassemblent autour d ela beauté féminine. 173. Il n'y a pas d'oeuf sans jaune ni d'homme sans défaut; aussi le repentir constant est nécessaire. 174. Sur le chemin, les chaussures étroites provoquent des douleurs et les pensées impures dans l'esprit de l'homme conduisent au péché. 175. Le renard fuit le chasseur, de même qu'une pensée pécheresse disparaît par crainte de Dieu. 176. Des soeurs portent le deuil de leur frère, alors que les anges de Dieu portent le deuil du pécheur. 177. De même qu'une pomme belle à l'extérieur peut être pourrie à l'intérieur, un homme qui parle bien peut être trompeur; aussi faut-il avoir un couteau pour les pommes et du discernement envers les hommes. 178. Dieu réprimande afin d'accorder Sa Grâce et l'homme bon réprimande pour instruire. 179. De même que les ordonnances d'un médecin ivre. sont sans valeur, les instructions venant d'une conscience impure sont sans valeur. 180. Les animaux se réjouissent d'une nuit sombre et les esprits impurs d'une âme troublée. 181. Les tisserands aiment travailler l'or et la soie; les démons aiment oeuvrer auprès des justes et des saints. 182. Les serpents sont plus dangereux en montagne que dans l'eau, de même l'ennemi intérieur est plus dangereux que l'extérieur. 183. De même qu'un bohémien vante les qualités d'un cheval pour le vendre, le diable flatte l'homme pour le tromper. 184. De même que nul ne peut ferrer un cheval mieux qu'un maréchal-ferrant, rien ne peut pousser l'homme vers le péché mieux que son entourage. 185. La chenille peut exterminer un essaim d'abeilles ailées; un homme avide peut perdre sa réputation et son âme. 186. Quand un enfant écrase un papillon avec sa casquette, il n'est plus ce qu'il était, et le bonheur terrestre est plein de déceptions. 187. Quand le vin vieillit, il est meilleur et la parole réfléchie est plus utile. 188. L'éclosion des fleurs est signe de printemps, la réflexion en silence est signe de sagesse et d'humilité. 189. Comme la neige commence à fondre par le sud, le coeur est corrompu par une mauvaise conversation. 190. Il est sage et utile d'attacher les sangles du cheval pendant la course et de retenir les paroles de vanité quand on est en colère. 191. On dit qu'il n'est pas bon d emanger trop de miel ni de parler beaucoup, même si les paroles sont aussi éloquentes que le miel est bon. 192. Une mouche dans le lait et un mensonge dans un discours sont tous deux répugnants pour l'homme pieux. 193. Certains malheureux versent de l'eau dans le lait, d'autres font du mensonge la vérité. Il faut avoir de la compassion envers les malheureux et ne pas recevoir les menteurs. 194. On retire l'eau d'un puits profond avec une corde; on soutire des secrets à des hommes faibles par des paroles flatteuses. 195. Une serrure qui s'adapte à toutes les clés ne vaut pas plus que la parole qui loue tout le monde. 196. Si ta maison est élevée, installe un paratonnerre et si tu es un patron, reste humble afin que le tonnerre ne mette pas le feu à ta maison et que ton orgueil ne t'anéantisse pas. 197. Ne te saisis pas de deux boeufs dans une seule main et ne t'empare pas d'une place qui ne te revient pas, afin de ne pas avoir d'ornières dans ta vie. 198. Une même paire de lunettes ne convient pas à tout le monde, pas plus qu'une même reconnaissance ne vaut pour chacun. 199. Les abeilles obéissent à la reine et donnent l'exemple de la discipline. 200. Ne crains pas la foudre près d'un paratonnerre, ni le juge lorsque tu te comportes bien. 201. Tout comme il y a des poissons en dehors de la mer, la joie existe en dehors de la richesse. 202. Il est difficile de trouver un trèfle à quatre feuilles et un riche très pieux jusqu'à la fin. 203. Ne propage pas les saletés d'autrui et ne t'occupe pas des affaires des autres afin d ene pas perdre ton âme et ton temps. 204. Le lapin a un défaut terrible : quand il est en fuite, il s'arrête et écoute, ce qui arrange le chasseur. Une telle attitude a nui à beaucoup de gens, qui en sont morts spirituellement et physiquement. 205. Il faut savoir reconnaître la joie qu'apporte la souffrance, quand on porte volontairement la croix. En souffrant comme Lazare dans l'Evangile et en supportant la douleur et le malheur sans se plaindre, on acquiert de grandes richesses spirituelles. 206. L'homme s'émerveille devant la force et le vol de l'aigle dominant les cimes, mais il possède en lui-même des forces encore plus puissantes pour triompher des pièges du démon. De même que l'aigle s'abat sur une charogne, l'homme perd sa dignité quand il s'enfonce dans la fange du vice. Et de même que l'aigle remonte pour s'envoler haut, l'homme peut maîtriser ses passions, et cela est au-dessus de toute puissance ou gloire terrestres. 207. Ne crois pas que les louanges et les flatteries qu'on t'adresse sont des paroles de vérité. Il s'agit d'éprouver ton âme. Considère que toute parole flatteuse est mensongère. En prenant plaisir aux louanges des hommes, on reste misérable devant Dieu. 208. Ne tombe pas dans le désespoir quand les malheurs t'assaillent. Garde confiance dans la miséricorde de Dieu et Il t'aidera toujours. Ne sais-tu pas combien les justes ont souffert? 209. De même que le papillon tournoie autour de la flamme de la bougie au risque de se brûler les ailes à tout instant, de même l'homme en quête de passions peut facilement perdre son âme. 210. Sur la rivière gelée les chiens tirent le loup en traîneau, et chez l'homme débauché les démons propagent les passions. 211. Lorsqu'un canot coule, il est bon de s'accrocher même à de la mousse; quand on commet un péché les larmes peuvent sauver. 212. Les hommes qui s'envolent dans les avions sont suivis du regard avec curiosité; ceux qui se tournent vers Dieu sont jugés avec envie par certains. 213. Pour nettoyer une arme, l'artisan demande de l'argent; pour purifier une âme, Dieu demande le repentir. 214. En entrant dans une maison, on doit dire bonjour; en entrant dans l'église, on doit se souvenir de ses péchés. 215. De même qu'un grand navire peut couler, un homme juste peut pécher. C'est pourquoi Dieu a donné au pécheur la possibilité de se repentir, et au commandant du navire la sagesse et le savoir-faire. 216. La bière semble amère à qui n'est pas habitué, tout comme la pitié semble ennuyeuse au débauché. Mais la bière peut devenir agréable et le débauché peut se repentir s'il le veut sincèrement. 217. Le serpent protège en priorité sa tête et l'homme sage son âme. Le serpent se cache dans les recoins et l'homme sage trouve son salut dans l'Eglise. 218. Si la coquille d'un oeuf se brise, le poussin ne sortira pas; s'il ne maîtrise pas ses tentations du péché, le chrétien ne ressuscitera pas dans la vie éternelle. 219. Les gardiens de prison ferment la cellule à clé; les bons chrétiens freinent leurs tentations de péché en se souvenant de la mort. 220. Comme les soeurs se réjouissent du mariage de leur frère, les anges font de même lorsqu'un pécheur se repent. 221. Ne cache pas tes douleurs au médecin ni tes péchés au prêtre, ainsi tu seras sain de corps et d'esprit. 222. Si le toit de ta maison n'est pas résistant, enlève la neige et si ton âme t'est chère, ne cache pas ton péché. 223. L'automobiliste doit disposer de divers outils pour réparer la voiture en cas de panne; le chrétien doit avoir le sens du péché pour sauver son âme. 224. Comme la rosée est utile aux cheveux, le repentir sincère est utile à l'âme. 225. Les larmes de repentir purifient l'âme du péché mieux que toute autre chose. 226. Prions le Seigneur avec David pour qu'Il sorte notre âme de la prison du péché. 227. Comme l'eau éteint le feu, les larmes sincères éteignent tout péché. 228. PLeure sur tes péchés et aspire au salut, ainsi le repentir effacera toutes tes dettes envers Dieu et les hommes. 229. Comme l'or est purifié par le feu, l'âme est purifiée par le repentir. 230. Ne juge jamais un ami, même s'il s'agit d'un grand pécheur. Avant tout condamne-toi toi-même. Peut-être es-tu partiellement coupable de la chute de ton frère. 231. Le commerçant calcule chaque jour ses recettes et ses dépenses. S'il se soucie autant de biens périssables, comment se fait-il que tu ne te soucies point du salut éternel? 232. Pour la gloire de Dieu, les abeilles se donnent de la peine, les papillons déploient leurs ailes bariolées et les colombes douces et innocentes se rassemblent. Pendant qu'elles amassent des graines, l'une d'elles veille sur les autres avec soin. Quel exemple pour les hommes pour qu'ils soient frères et prennent soin de leur âme! 233. Tant que tu es en vie, tiens ta conscience en éveil et prie humblement Dieu pour qu'Il fasse preuve de miséricorde et te pardonne tes péchés. 234. De même que l'armée a besoin du clairon, les gens ont besoin de sermons. 235. Que ton chien ne te suive pas dans l'église et que la haine de ton prochain n'occupe pas ton coeur, afin que ni Dieu ni les hommes ne te le reprochent. 236. De même que l'automobile laisse dans son sillage de la fumée et de la poussière, un coeur débauché laisse derrière lui des plaintes et le désespoir. 237. Une mauvaise route endommage les pneus d'une voiture, comme la compagnie de gens débauchés abîme l'âme humaine. 238. Malheur au lieu où passe une armée, malheur à l'âme et au corps habités par des passions. 239. Le tailleur ivre porte un chapeau déchiré, comme la mauvaise conscience a les traits d'un visage vaniteux. 240. De même que la chèvre aime les falaises et les hauteurs, l'égoïsme aime les louanges et les honneurs. 241. Une eau peu profonde se laisse troubler facilement, de même qu'un homme vaniteux se met en colère rapidement. 242. De même que les vents violents gênent les avions, les temps paisibles gênent la piété véritable. 243. Comme le sucre attire les mouches et les guêpes, la gloire terrestre attire les gens pusillanimes. 244. La glace épaisse peut être dangereuse tout comme la louange justifiée peut nuire. 245. Le renard peut endommager le vignoble en période de mûrissement tout comme les louanges adressées à un homme peuvent l'abîmer dans sa vieillesse. 246. On entend le bruit des noix dès qu'on met la main au milieu d'elles, comme on entend les gens avides de gloire dès qu'on les mentionne. 247. L'orge donne au cheval force et vitesse, et l'homme avide de gloire suscite discours et condamnation. 248. Les enfants aiment bien courir dans la prairie à la poursuite des papillons, les gens qui ont peu de jugement courent à la poursuite de la gloire dans le monde. 249. Le lapin préfère s'enfuir en grimpant et les gens avides de gloire préfèrent parler d'eux-mêmes. 250. Le lapin a les pattes antérieures plus courtes que celles de derrière, c'est pourquoi il préfère grimper. L'homme avide de gloire préfère ce monde-ci à la vie éternelle; c'est pourquoi il s'adore lui-même. 251. La rosée matinale trahit le lapin, les passions terrestres trahissent les chrétiens. 252. Comme il est difficile de se protéger d'un ours même au faîte d'un arbre très haut, il est difficile de se protéger de l'amour des honneurs même dans son grand âge. 253. Les fourmis sont industrieuses et sociables, mais aussi voleuses. Certains hommes sont aimables et courageux, mais l'amour des honneurs leur fait dérober les mérites d'autrui. 254. Quand la fourmi vole du blé stocké pour l'hiver, elle se comporte comme si elle l'avait récolté. L'homme avide de gloire parle de lui-même comme s'il donnait des leçons aux jeunes. 255. Comme on est assoiffé face à l'eau de mer, l'âme est vide face à la gloire sociale. 256. Comme certains hommes par vanité et gloriole portent des bottes au-dessus du genou, les orgueilleux et avides de gloire parlent d'eux-mêmes plus qu'il ne convient. 257. La poule annonce qu'elle a pondu un oeuf, c'est pourquoi elle le perd; l'homme avide de gloire, en se vantant, perd toute vertu, s'il en a. 258. Le vert bocage abrite les rossignols, le riche banquet rassemble les flatteurs. 259. L'araignée tue en silence la mouche; le monde avec ses attraits égare l'âme. 260. Une tempête de neige peut arrêter même la voiture d'un souverain, de même une parole malheureuse peut nuire à une sainte prière. 261. Une vieille voiture tombe souvent en panne sur la route; ceux qui parlent vite tombent souvent en panne pendant leur discours. 262. Certains hommes peuvent chevaucher même sans selle, d'autres peuvent tuer quelqu'un même sans arme, par de mauvaises paroles. 263. De mêm qu'un aigle peut emporter très haut une tortue, l'orgueil peut emporter un homme insensé. Dans les deux cas, la fin est inévitable. 264. Pour la chèvre, la ville est insupportable; pour l'orgueilleux le conseil est inacceptable. 265. Certains hommes portent leur chapeau de travers avec orgueil, d'autres interprètent l'Evangile avec ignorance. Les premiers méritent la condamnation, les seconds la pitié. 266. De même que le lait écume et monte quand il bout, l'orgueilleux quand il se vante, exulte. Le lait peut déborder et l'orgueilleux peut devenir pauvre. 267. Comme un épi de blé vide se tient haut, l'orgueilleux regarde de haut. Le premier ne porte pas de fruit, le second n'a pas de cervelle. 268. De même que l'ignorant pense que la mer touche le ciel, l'orgueilleux a l'impression que son intellect touche le ciel. Mais de même que la mer est loin du ciel, l'orgueilleux est loin de Dieu et de l'humilité. 269. La baleine est énorme dans la mer, comme l'amour de l'argent est une passion énorme. 270. De même qu'une grande escorte accompagne le monarque, les passions pécheresses accompagnent la richesse. 271. De même qu'un homme tient son cheval par les rênes afin qu'il ne s'enfuie pas, le diable tient l'homme par l'amour de l'argent afin qu'il ne soit pas sauvé. 272. L'avare cache son argent, l'homme sage ses secrets. Le premier le fait pour ne pas faire du bien à autrui, le second pour que quelqu'un ne lui fasse pas de tort. 273. De même qu'une taupe qui vit sous terre ne s'intéresse pas aux étoiles, un homme riche et cupide ne s'intéresse pas aux miracles de Dieu. 274. Comme un coup de fusil est peu audible dans la neige, le cri du pauvre est à peine audible aux oreilles de celui qui aime l'argent. 275. Comme le fils débauché fait honte à son père, le pécheur fait honte au Créateur céleste. 276. La chouette en chasse recherche les ruines; l'homme envieux cherche le malheur des autres. 277. Les yeux de l'aigle voient loin, la méchanceté de l'homme envieux voit encore plus loin. 278. Les moustiques aiment côtoyer la boue nauséabonde, comme les pensées impures chez un homme à l'estomac repu. 279. Quand il grêle en été, tu peux te réfugier sous un arbre, tandis que tu ne peux fuir la colère, même dans un monastère. 280. Du fait de la forte neige les bergers portent des jambières; un lourd péché fait souffrir l'homme toute sa vie. 281. De même que la neige devient plus lourde quand il pleut, le péché devient plus grand lorsqu'il est commis en toute connaissance de cause. 282. Un chien furieux aboie même au passage de ceux qu'il connaît, tout comme un homme envieux juge même son ami le plus cher. 283. De même que ce qui est écrit à l'encre s'efface difficilement, il est difficile de renoncer aux mauvaises habitudes acquises dans le péché. 284. De même qu'avec l'argent l'homme peut obtenir beaucoup des autres, on peut par la prière obtenir l'aide de Dieu. L'argent doit être propre et la prière sainte. 285. Fais le signe de croix avant de commencer à travailler et réfléchis bien avant de dire quelque chose. Cela est pieux et sage. 286. Quand tu conduis une embarcation, ne prends pas beaucoup de monde à bord; quand tu adresses une prière à Dieu, ne pense pas à toutes sortes de choses. 287 . Amarre ton bateau plus fermement quand le temps est nuageux ou pluvieux, et prie avec plus de ferveur quand tu es dans la détresse ou que tu es agressé, afin que l'eau n'emporte pas ton bateau et que le désespoir ne te submerge pas. 288. Remonte ta montre à un moment précis, mais prie Dieu à tout instant. Ta montre donnera l'heure exacte et toi tu feras preuve de piété. 289. Une montre ne peut fonctionner si on ne la remonte pas, de même une âme ne peut rester droite et pure si on ne prie pas Dieu. Tel est le mécanisme de la montre et telle est la nature humaine. 290. La fourrure de renard n'a pas de valeur en été; prier Dieu n'a pas de valeur si l'on hait son frère. 291. De même qu'en temps de guerre il faut monter la garde avec plus de vigilance, en période de carême, il faut prier plus souvent et plus ardemment. 292. Le bétail a peur de l'automobile, comme les démons craignent le carême et les prières. 293. La foudre peut tomber sur un dépôt d'armes, comme la misère peut frapper le juste. Aussi le dépôt d'armes a-t-il besoin d'un paratonnerre comme le Chrétien a besoin de la prière sincère afin de ne pas tomber dans le malheur. 294. Le cavalier habile est capable de saisir une pomme tout en galopant; le Chrétien véritable glorifie Dieu même dans la plus grande misère. 295. De même qu'il faut connaître précisément l'adresse de celui à qui on écrit, il faut connaître l'objet de la prière adressée à Dieu, afin que la lettre ne soit pas retournée et que la prière soit exaucée. 296. Il faut écrire lisiblement et proprement, et prier avec foi et sincérité, et la réponse sera positive. 297. Toute enveloppe doit porter un timbre, toute prière implique qu'on soit en paix avec tout le monde. Faute de quoi l'enveloppe ne sera pas postée et la prière ne sera pas agréable à Dieu. 298. De même que les tonneaux sont maintenus par de solides cerclages, l'âme est renforcée par des prières sincères. 299. La rosée matinale facilite le travail du faucheur; la miséricorde apporte la joie à l'âme en train de prier. 300. Quand une meule moud, il faut parler plus fort, et quand il y a plus grand péché, il est nécessaire de prier plus souvent. 301. Si un tailleur peut coudre et chanter en même temps, tu peux, toi aussi, travailler tout en priant Dieu avec ferveur. 302. Ne coupe pas la parole à celui qui parle et ne songe pas à autre chose pendant que tu pries, car cela est un acte impoli et ceci un acte de péché. 303. Qund tu vois une église sur ton chemin, signe-toi; lorsque dans la vie, tu rencontres un homme sage, profite de son savoir. 304. Il est beau d'entendre un berger qui joue de la flûte en gardant son troupeau sur une colline verdoyante, de même qu'il est beau d'entendre un Chrétien louer Dieu à une époque comme la nôtre. 305. Prie Dieu lorsque tu es rassasié afin de ne pas avoir honte quand tu cesses de prier sous l'emprise de la faim. 306. De même qu'il est plus facile de moissonner quand il fait beau, il est plus facile à l'homme de prier devant les saintes icônes. 307. Il n'est de meilleur remède contre la soif que l'eau claire, et de plus grand salut pour l'homme qu'une prière sincère. 308. L'eau trouble perd son goût, comme la prière distraite perd toute valeur. 309. L'hirondelle se procure sa nourriture et fait son nid en se reposant, tandis que l'homme bon adresse ses prières à Dieu tout en marchant et en travaillant. 310. L'hirondelle peut s'élancer jusqu'au palais du monarque; la prière sincère permet de se mettre sous la protection de Dieu. 311. Une poule ne lève la tête que lorsqu'elle boit de l'eau; un bon Chrétien élève sans cesse sa pensée vers Dieu. 312. Il n'est pas nécessaire de battre une torche pour faire un flambeau, comme il n'est pas nécessaire de forcer un bon Chrétien à prier. La torche brûle par elle-même et l'homme bon aspire à Dieu du fait de sa foi. 313. On ne mange pas la viande de n'importe quel oiseau, comme on n'accepte pas la prière de n'importe qui. 314. Un berger a besoin d'une gourde pour son eau et l'homme a besoin de silence pour la prière. Une gourde peut facilement être brisée et la prière d'un homme peut être contrariée. 315. La gourde du berger peut se briser contre un rocher par mégarde, de même que la prière d'un homme peut être contrariée par la méchanceté d'autrui. 316. La colombe et la tourterelle recherchent la clairière : le jeûne et la prière recherchent la miséricorde. 317. La mer est agitée par les vents et l'homme par les péchés. Le Christ a apaisé la mer, Il peut aussi t'apaiser. Il faut dire la prière de l'Apôtre : " Au secours, Seigneur, nous périssons" ( Mt 8, 25; Lc 8, 24). 318. Si un mort peut s'envoler vers les Cieux, pourquoi ne ressusciterais-tu pas après la mort? 319. Ne demande pas à Dieu des miracles, car Il sait quand il faudra te les accorder. 320. Ne demande pas la main de la fille du monarque pour ton fils, ni les miracles de Dieu pour ton âme. On devient le gendre du souverain grâce à sa position sociale, tandis que les miracles sont accordés selon les besoins et la piété. 321. Les miracles véritables sont de grande utilité pour consolider la foi, tandis que, à l'inverse, les faux miracles altèrent la foi et l'accès au salut. 322. Quel est le nom de l'école où l'araignée a appris à tisser sa toile. Si tu l'ignores, comment pourrais-tu connaître les mystères du Créateur de l'univers? 323. Celui qui aspire à la perfection spirituelle est prêt à assumer les commandements de l'Evangile, tels que la pauvreté volontaire et la chasteté pour celui qui choisit la voie monastique. 324. Le moine renonce au monde qui représente un obstacle sur le chemin menant vers le grand but; de plus il renonce à luimême, offrant à Dieu le plus grand sacrifice qu'il puisse Lui offrir : sa vie. 325. La première chose indispensable qu'un moine ascète doit posséder, c'est une ferme résolution de servir Dieu avec ferveur jusqu'à sa dernière heure, sans tenir compte des obstacles rencontrés sur son chemin et en gardant toujours à l'esprit qu'il a le Christ comme secours, Lui que Paul glorifie en disant qu'il est capable de tout accomplir : "Je puis tout en Celui qui me rend fort" (Ph 4, 13). 326. Un moine qui ne renonce pas aux richesses matérielles n'est pas capable de devenir obéissant et stable en un lieu, vertus sans lesquelles tous ses efforts s'effondrent. 327. De même que nous cherchons un maître et un mentor pour les disciplines habituellement enseignées et pour les arts, la médecine, la peinture, etc..., il nous faut encore plus rechercher un maître pour la vie monastique. 328. S'il ne choisit pas un père spirituel et un maître et s'il ne fait pas preuve d'obéissance, l'ascète débutant non seulement ne sera pas capable d'atteindre le but poursuivi : l'accomplissement spirituel et le salut éternel, mais en suivant sa propre voie il finir par périr, selon le proverbe : "Faute de direction, un peuple succombe" (Pr 11, 14). 329. Un nouveau moine ascète doit à tous égards prendre exemple sur la vie et l'oeuvre de son père spirituel. 330. Le premier et le plus important des moyens pour conforter l'esprit d'obéissance, qui ligote l'ennemi de notre salut, réside dans l'humilité véritable : il faut se considérer comme le plus incapable des hommes, même si on est loué par les gens dans tous les domaines de la science. 331. Le démon ne renoncera pas tant qu'il n'aura pas mis à l'épreuve quiconque vient au monastère pour son salut. 332. Le moine qui se hâte de dire tout de suite tout ce qu'il pense à son père spirituel, et lui demande tout ce qu'il doit faire chaque jour, celui-là non seulement ne subira pas les attaques de l'esprit malin, mais au contraire recevra de Dieu la couronne de la victoire. 333. Confesser ses pensées pécheresses à son père spirituel est aussi important que de dénoncer en société un complot ourdi par une association de malfaiteurs. 334. De même qu'il faut entretenir le feu sous la casserole pendant la cuisson afin que le plat ne refroidisse pas, il faut garder en soi l'esprit de prière afin que l'âme ne refroidisse pas dans son amour pour Dieu, mais qu'elle reste emplie de piété pour conduire le combat contre l'esprit malin. 335. Le moine doit éviter de disperser ses pensées et d'avoir les prières sur les lèvres tout en ayant le coeur loin de Dieu. 336. Les saints Pères ont instauré comme règle de prière quotidienne ce qu'on appelle la prière de Jésus. Au début, cette prière, quoique brève, ne s'intègre pas facilement; on doit se l'approprier, c'est-à-dire l'apprendre par coeur jusqu'à ce qu'elle soit inhérente à l'homme, quelle que soit son occupation. 337. L'application de la règle de prière donnée habituellement au novice par son père spirituel, en tenant compte de ses capacités intellectuelles et physiques, accomplie avec négligence par le novice, ne constitue pas une règle mais des paroles vides, come l'ont dit les saints Pères. Cela procure non pas la grâce, mais la malédiction. 338. L'esprit malin ne néglige aucun moyen pour affaiblir le moine dans sa prière et le souiller par diverses pensées inconvenantes. Cela aboutit à l'engourdissement, à la somnolence et à l'affaiblissement. Celui qui se livre à de telles insinuations du malin, celui-là s'offre ouvertement à lui et se condamne à fuir, sans savoir que le Royaume céleste est offert et que c'est en s'opposant au malin que l'ascète y accède. C'est en voyant le zèle de l'ascète que le Seigneur lui envoie Son aide. 339. Notre époque abonde en plaisirs physiques et en estomacs rassasiés qui donnent naissance à toutes les passions. Garde-toi de ceux qui viennent à toi dans cet esprit, qu'ils soient laïcs ou moines. Ne les reçois pas avec empressement, mais ne les chasse pas complètement. 340. Les saints Pères disent qu'un moine qui se laisse emporter par la colère, doit vivre en communauté et endurer patiemment toutes les agressions. S'il vivait seul, il n'aurait pas la possibilité de supporter les insultes ni de se guérir de ses penchants à la colère. 341. Le silence est une grande arme contre la colère. Mais il est possible, sous le couvert du silence, de dissimuler le souvenir de la malveillenace, ce qui est encore pire. Certains, quand ils sont en colère, refusent de s'alimenter, ce qui ne fait que conforter ce mauvais penchant. Une consolation mesurée apporte souvent une aide contre la colère; c'est pourquoi le combat contre cette passion demande un grand discernement. 342. Un prêtre, connaissant l'importance de sa vocation et de la grâce qui lui a été accordée par Dieu, ne doit jamais perdre de vue qu'un châtiment terrible l'attend au cas où il se montrerait indigne de sa vocation. ( Ez 34, 3-10; Mt 23, 13). 343. Un prêtre doit se comporter de façon telle que toute sa vie serve d'exemple à ses paroissiens : " Efforce-toi de te présenter à Dieu comme... un fidèle dispensateur de la parole de vérité" ( 2 Tm 2, 15). 344. Un prêtre doit par son labeur conquérir l'amour des gens, mais cela s'acquiert en se souciant des gens. Il est le médecin de leurs âmes, comme il est leur maître, puisque les sermons contiennent la science du salut. TABLE DES MATIERES PREMIERE PARTIE : LA VIE ET L'OEUVRE DE SAINT SYMEON DE DAJBABé par Jean-Claude Larchet I. La vie de saint Syméon de Dajbabé. II. Les oeuvres de saint Syméon de Dajbabé. DEUXIEME PARTIE : ENSEIGNEMENTS de saint Syméon de Dajbabé I. La vie monastique. 1. La voie monastique. 2. Le renoncement au monde. 3. L'obéissance. 4. La prière. 5. Vivre en cellule. 6. Le jeûne et l'abstinence. 7. L'amour de l'argent. 8. La colère. 9. La tristesse. 10. L'acédie. II. Le pasteur de l'Eglise du Christ, comme célébrant, prédicateur et modèle pour son troupeau. III. Aphorismes spirituels. FIN.

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