vendredi 12 février 2010

Vie de saint Marc l'Anachorète.

SAINT MARC L’ANACHORETE


VIE DE SAINT MARC L’ANACHORETE


D’après le GRAND SYNAXAIRE
DES VIES DE SAINTS
DE L’EGLISE ORTHODOXE.


Traduction de Presbytéra Anna.


Editions de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas CULTURE ORTHODOXE
Eglise Orthodoxe Saint Nectaire d’Egine - Saint Ambroise de Paris.
30 Bd de Sébastopol. 75001 Paris.

Tous droits réservés.


CULTURE ORTHODOXE

30 Bd de Sébastopol. 75001 Paris.




CHAPITRE PREMIER

LE DESERT QUI SANCTIFIE



Combien, parmi les hommes orgueilleux, pédants, & prétentieux, qui peuplent cette terre de péché, ont-ils su retrouver leur enfantine naïveté originelle, pour croire, & pouvoir, dans le véritable Esprit de simplicité, ajouter Foy aux Saintes Paroles du Seigneur?

Et, parmi ceux-là mêmes, combien s’en est-il encore trouvé pour fuir loin, bien loin du monde habité, parmi les montagnes & les déserts, en manière d’y mener l’Ascèse dans la Solitude de l’Hésychia, à fin de marcher, leur Vie durant, sur la voie étroite, mais bénie, que, dans Son Saint Evangile invite le Christ à parcourir?

Il en est pourtant qui, dès les Temps Anciens, s’en furent au Désert, s’efforçant par une afflictive Vie, de s’ouvrir la Porte, dérobée, du Paradis.
Eux la cherchaient véritablement, la Perle Cachée Christique, que le Seigneur Dieu Dit être pareille à l’Eternité.
Or, qu’est cette Perle Précieuse, d’une Préciosité sans Prix, si non Christ, & le Christ Soi-Même?
Ah! ces Ames Bénies, qui jamais ne s’écartaient de leur But, Visée Première, & Fins Dernières !
Elles Savaient Bien où se pouvait seule trouver, & retrouver en fin, leur patrie d’antan, Terre Originelle de Ciel de Paradis.
Lors, de toutes leurs Forces tendues, de Coeur, d’Ame, & d’Esprit, elles s’exerçaient, s’attachaient, & s’évertuaient à la reJoindre.



CHAPITRE SECOND.

L’ABBA SERAPION, & SON SAINT GERONDA, L’ANCIEN JEAN.


Il y avait autrefois, dans l’ancienne Egypte, deux Saints Pères qui menaient la Sainte Ascèse. Là, dans les profondeurs du Désert, ils Glorifiaient Dieu. L’un avait nom Jean; l’autre Sérapion.
& ils étaient si loin de la Vanité du monde, oubliés des hommes en ce lieu d’hésychia BienHeureuse, où, paisiblement, s’écoulait leur Sainte Vie, qu’ils se demandaient parfois s’il se pût qu’un autre Ascète se fût retiré plus loin qu’eux, qui se fût enfoncé plus avant au profonds de cette vaste Solitude.

Or, voici qu’une nuit, comme ils venaient de s’endormir à peine, Sérapion vit en rêve deux vénérables Anciens, se tenir au-dessus de lui, disant : “ Il y a tant d’années que tu demeures en ce Désert, & que tu ne sais pas même ce que plus profond il recèle! Là-bas, aux marches quasi de l’Ethiopie, comme sur son seuil, se trouve le Mont Thrace. A son sommet lutte Saint Marc l’Ancien, par la maladie épuisé, tout exténué, & vieux de cent trente ans déjà. Voilà bien quatre-vingt-dix années, déjà, qu’il n’a, de tout ce long Temps, point seulement vu face d’homme. Non, il n’est point d’autre Ascète en ce Désert qui fût parvenu à sa stature Spirituelle, non plus qu’à son état d’Elévation Sublime. Allons, pars à sa rencontre. Va t’en le visiter, pour le voir avant qu’il ne fût plus. Mais, hâte-toi. Car, dans quarante jours d’ici, il se libérera & goûtera le repos, enfin, se reposant de ce lourd fardeau que lui fut, chétif, le corps physique, en sa Vie d’afflictions & de privations corporelles”.


CHAPITRE TROIS

L’ABBA SERAPION CONTE SON REVE.



Lorsque Dieu fit lever son jour brillant, l’Abba Sérapion se dressa sur son séant, & se mit en devoir de conter à l’Abba Jean son rêve mystérieux. L’Ancien, sans hésitation, discerna là le signe divin d’un rêve envoyé par Dieu.
Mais où donc pouvait bien se situer le Mont Thrace?
-"Mon Géronda,” lui dit alors l’Abba Sérapion, “ accorde-moi tes Prières, & bénis-moi. Alors, Dieu, devant moi, ouvrira sa route, & me fraiera le chemin.”

Fort des Prières de l’Abba Jean, son Ancien, l’Abba Sérapion se mit donc en route vers Alexandrie d’Egypte, la plus grande ville lors de l’Orient. Cinq jours plus tard, il y parvenait, ayant à pied parcouru deux fois plus de chemin que ne met d’ordinaire, pour l’accomplir, un bon chameau des plus endurants. Car, en vérité, si grande était sa Joie, qu’il avait marché nuit & jour, comme s’il eût été pourvu des ailes de l’Oiseau, désireux d’arriver en avance, ne fût-ce que d’une heure, sur le temps escompté pour parvenir au but désiré vers lequel se tendait son Ame.


CHAPITRE QUATRE


L’ABBA SERAPION FAIT LA RENCONTRE D’UN COLPORTEUR.


Comme il atteignait aux abords d’Alexandrie, l’Abba Sérapion, y encontrant l’un de ces marchands qui s’en vont colporter leurs marchandises & denrées rares dans les contrées lointaines, voulut tâcher d’apprendre de lui où se pouvait bien trouver le Mont Thrace.

-“Ah! mon Père Abba !” s’exclama le caravanier. “ la route est fort longue encore! Mais, ce que je sais,” poursuivit-il, “ c’est que par la grande mer des Chattes, l’on y va en vingt jours, tandis que, par la terre ferme, il faut bien de trente à quarante jours.”

L’Abba Sérapion prit lors avec lui les dattes de quelques régimes d’icelles, & l’eau dont il emplit l’écorce séchée de ce petit potiron de courge que l’on nomme coloquinthe, puis, ayant dit l’ office de ses Prières, il poursuivit son chemin.

Sur cette terre de feu, grillée par l’ardeur du flamboyant soleil qui la consumait toute, il marcha plus de vingt jours entiers. &, bien que ce lui fût comme s’il marchait sur des charbons ardents, le Seigneur qui, selon qu’il est Ecrit au Biblique Livre de Daniel, envoya sur les Trois Adolescents dans la Fournaise la Bienfaisante Rosée de Sa Grâce Afraîchissante, couvrit aussi l’Abba Sérapion de l’Ombre de Sa Nuée, à crainte que ne le transperçassent les acérés traits du globe incandescent dardés du disque solaire, boule de feu consumante de l’astre échevelé du jour, qui, dans ces lieux impitoyables, brûle de sa morsure sauvage & l’homme & la terre même, par tout craquelée, de son dessèchement crevassée. C’est ainsi que, péniblement, suant sang & eau, progressait l’Abba, n’encontrant sur sa route, comme le dit le Psalmiste, ni bétail, ni animal sauvage, ni rapace, ni reptile, ni végétal même aucun, d’aucune espèce ni sorte, ni vivant que ce fût, en aucune manière. Car, sur ce sol, jamais, non, jamais, ne tombait la bienfaisante ondée de la pluie bénéfique à la vie.


CHAPITRE CINQ

L’ABBA SERAPION RECOIT LA VISION

DE DEUX ANCIENS.


Vingt longs jours avaient, de la sorte, passé, lorsqu’en la coloquinthe vint à s’épuiser la réserve d’eau du Saint Abba Sérapion. Alors, si grande fut sa soif, inextinguible, que, se voyant près de Mourir, & sur le bord même, gouffre noir, de l’Abyme de la Mort, de tout son long, soudain, sur le sable infini de ce Désert des déserts, il s’écroula.
& comme il gisait, pitoyablement piteux, & lamentablement desséché, désespéré, de la sorte, en toute son âme, & jusqu’au tréfonds d’icelle, voici qu’à nouveau, tout soudain, devant lui, parurent, s’offrant à sa vue d’être huamin à la dernière extrémité d’inhumanité, les deux Anciens qui, dans son rêve, naguère, s’étaient au-dessus de lui tenus déjà. L’un d’eux alors, lui tendant une racine - de gommier, peut-être? ou si c’était de ginseng, pour qu’il en refît ses forces?- Toujours est-il qu’il lui dit ces mots destinés à lui rendre tout son courage : “ Allons, tiens!”, lui dit-il, rassurant. “ Prends cette racine, sustente-t-en. & revêtu aussi de la Force d’Esprit de Grâce d’En Haut, sans te retourner en arrière, ni regretter rien de ta difficultueuse & périlleuse entreprise, poursuis ton chemin. Oui, va ton chemin, & ne désespère pas!”
Sur ce, comme ils lui montraient la route, sur l’instant, ils s’évanouirent, disparus. Au moment même, alors, s’éveilla l’Ancien, qui résolut de se mettre à marcher en la direction indiquée, vers le Lieu Béni qu’ils lui avaient désigné.

CHAPITRE SIX.

OU IL SE VOIT

QU’ AU TERME PARVENU DE SON VOYAGE,

L’ABBA SERAPION ENCONTRE LA MERVEILLE DES MERVEILLES.


Assez long Temps encore, l’Abba Sérapion continua, harassante, sa longue marche égarante au plein milieu d’un Désert toujours plus inhospitalier & toujours davantage empreint d’inhumanité, cependant qu’à tout bout de champ il se sustentait, la suçotant -tant était intense la soif qui le brûlait-à la racine qu’il serrait en sa main fébrile. Et voici qu’après sept nouveaux jours de cette marche exténuante, il arriva jusqu’au pied d’une très haute montagne. Il vit que la bas en était baignée par une vaste mer. Lors, il en entreprit l’escalade jusqu’au sommet. Sept autres jours entiers, il grimpa. Sept longs jours, jour pour jour. &, au soir du septième jour, la nuit le surprit comme il arrivait devant une grotte.

Tout doucement s’avançant, comme sur la pointe des pieds, subrepticement, avec d’infinies précautions se glissant, il se coula, plus qu’il ne marcha, devers l’entrée de la Grotte. & là...ô Merveille! Il se trouva soudain devant une vision telle qu’il n’en eût jamais imaginée!...Dans un coin de la Grotte, se tenait un Etre au corps hâve & décharné...Il Priait...Avec quelle contrition d’Esprit! L’on eût dit d’un Coeur brisé...

L’Abba Sérapion n’osait bouger; esquisser le moindre mouvement, même. Il restait là, debout, immobile, sans un bruit, un son, un cri, juste à contempler cette scène unique & singulière, dont ses yeux éblouis ne se lassaient pas, dont son Ame ne se rassasiait pas. Puis, levant les pieds, furtif, il s’approcha du plus qu’il le put. S’entendait mieux maintenant, dans l’Hésychia montant de la profonde nuit l’écho monter, très pur s’élever, d’une voix pleine, si douce...- Ah! qu’elle était douce! cette voix, quelque peu chevrotante, de ce vieux Géronda qui Priait, seul à Seul, son Dieu de Gloire.

Quel était donc ce spectacle qui s’offrait en cette Heure aux yeux étonnés, stupéfaits, émerveillés, de l’Abba Sérapion? Qu’était-ce donc que tout qu’il voyait? Et de tel spectacle, quel était le Sens caché? Etait-ce là le fait d’un Homme ou d’un Ange dans la Chair? A n’en point douter - car nul doute n’était plus possible-, à l’évidence, s’agissait-il bien là de ce Saint sans pareil qu’il avait si longtemps tenté de rejoindre sur ces Spirituelles Cîmes. Oui, voici qu’il était enfin parvenu auprès celui qu’avait son Coeur brûlé de connaître dès en cette Vie même. Le Seigneur, sur sa simple demande, à sa seule requête en sa Prière à son Père adressée, lui avait accordée, tant immense, la Grâce de cette rencontre, rare entre toutes, avec la Sublimité d’un Etre à tel degré d’Elévation Déifié.

L’Abba fut quelque temps encore à se tenir là, restant à regarder, contemplativement, cette factualité tangible de la grand’ Sainteté d’un Astre Vivant de l’Eglise. Devant lui, à quelques pas devant sa face, se tenait la Vivante Icônique Image du Sacrifice d’Amour & d’Adoration à son Dieu Très Haut rendu par la Vie Sainte d’un qui l’immola sur l’ Autel de la Déïté, Vivant Holocauste à sa Foy sans faille, par sa Foy Déifié.

Oui, s’entendait à présent la douce voix du Géronda, pure, paisible, vibrante de contrition! Tout cela était empreint d’une plénière grandeur, grandeur d’une Ame ayant au pouvoir atteint de faire jusqu’aux coeurs de pierre pleurer. Le Saint Psalmodiait des Psaumes, byzantinement : “ Seigneur”, implorait-il, Toi qui connais la demeure & maison de mon Coeur, & mon sentier”, “ Seigneur Dieu, mille ans devant Tes Yeux sont comme le jour d’hier, quand il est passé tout, & qu’il n’est plus!”
L’on eût dit qu’eussent été ces Paroles Ecrites pour lui. Et l’holocauste de David-roi devenu Pénitent, en ses Psaumes évoqué, il en avérait, en son Etre tangiblement montrée, la Vivante Incarnation qu’il était, lui, par la Praxis de l’Oeuvre Bonne de l’Ascèse transformé, jusqu’en la Métamorphose de l’Humain en Divin par l’Esprit de Grâce transmué. En lui, & tout entour, même, s’était comme aboli l’Espace, évanoui le Temps. Sa Transcendante Personne s’était, par la Vertu de la Sainteté, acquis une telle Présence, que son Esprit, - & l’Abba eut tôt fait de l’expérientiellement constater- surplombait, s’y tenant, les lointains espaces, annulait les distances, & par Dieu Savait ce qui s’y déroulait, & les choses cachées mêmes. Quant au Temps, qu’eût, à sa vue, servi au Fidèle de continuer d’accorder au Temps tant de prix? De fait, à contempler ce Saint Ancien, vieillard chenu, du poids de tant d’années chargé, qu’eût-on fait la part belle encore au sentiment de l’irréversibilité du Temps qui passe, s’écoule, fuit, & ne retourne en arrière, ni sur ses pas ne rétrocède, ni point ne revient? Que n’eût-on vu en lui la figure de l’Eternité? Et, de Vrai, au Regard de l’Eternité, de l’entière Eternité, les choses, qui, toutes, sont vaines, & tant éphémères, feraient-elles figure encore d’Absolu?
Car en vérité, oui, Seigneur, mille ans sont à Tes Yeux, & devant Ta Face, comme le jour d’hier, quand il est passé, & qu’il n’est plus...

Le Saint continuait, comme grains de chapelet, d’égrener les Psaumes de David, sa Psalmodie monodique chantant, toute de contrition empreinte. & il Psalmodiait, donc :
“ Quand Viendras-Tu à moi, Seigneur?
Moi, Seigneur, je Te chanterai, & je marcherai dans l’intégrité de mon Coeur.
Seigneur, Conduis-moi dans les Voies de Ta Justice...
Tu m’éprouves, & Tu me sondes, Seigneur;
Dès le réveil, Tu Connais mon Coeur.
Dès long Temps, Tu Sais mes Pensées...
Tu as examiné mes chemins & mon sentier;
Tu Sais à l’avance toutes mes voies;
Pour ce qu’il n’est point de ruse dans ma bouche, ni de malice dans mon Coeur.
Je crierai vers Dieu mon Bienfaiteur...
Que Dieu soit Exalté dans les Cieux, & que Sa Gloire s’étende sur toute la terre...
Je Te confesserai, Seigneur, à la face de tous les Peuples de la Terre.”



CHAPITRE SEPT

LES BEATITUDES.


Saint Sérapion écoutait immobile, sans se lasser. Le Géronda achevait du Psautier la récitation. Son pèlerin visiteur, transporté tout d’admiration, laissait sur ses lèvres, à l’insu de l’Ancien, s’élever des béatitudes sur l’instant improvisées à la Gloire de Saint Marc l’Anachorète, qu’il contemplait Priant. & lui-même, à son tour, Priait en ces termes :
“ Bien Heureuse, ô ton Ame, Abba Marc, car elle n’a point de ce monde de Boue contracté la souillure.
Bien Heureux ton Saint Corps, Abba Marc, car les désirs honteux de cette insatiable chair ne l’ont point infecté.
Bien Heureux tes Yeux, car le Diable n’a pu, par la vue de visages étrangers, égarer tes Regards, que tu as su protéger du Malin.
Bien Heureuse ton Ouïe qui n’a point écouté les sirènes des chimériques désirs de tous objets vains de ce monde menteur.
Bien Heureuses tes Mains, car elles n’ont point saisi ni touché les vanités auxquelles se complaisent les hommes.
Bien Heureux ton Odorat, car il n’a point été empesté des pestilentielles puanteurs des Péchés de Satan.
Bien Heureux tes Pieds, Saint Abba Marc, car ils n’ont point marché dans les voies du Péché, qui sont Maudites.
Bien Heureux ton Coeur, ô Saint, car tu n’y as jugé quiconque, ni thuriférairement orné qui que ce fût de faux mérites qu’il n’eût point eu.


CHAPITRE HUIT


LA PRIERE DE SAINT MARC L’ANACHORETE.


Et tandis qu’en ses louangeuses Paroles l’Abba Sérapion proclamait Bien Heureux l’Ascète du Désert, Saint Marc, imperturbable, poursuivait sa Prière, en douces effusions épanchant devers Dieu, son Seigneur, objet de tout son Amour, son brûlant Coeur contrit :

“ Mon Ame, Bénis le Seigneur, & n’oublie aucun de Ses Bienfaits.
“ Tu es Béni, Seigneur.
Mon Ame, Bénis le Seigneur!
& que tout ce qui est en moi Bénisse Ton Saint Nom.
Tu es Béni, Seigneur!...”

Dans l’excès, toutefois, de sa contrition pleurante, il ne pouvait achever sa Prière. &, dans ses sanglots s’étouffant :

“ Pour quoi es-tu si triste, ô mon Ame, triste au Mourir?”
“C’est pour l’Amour du Dieu de mon Salut!”

“Pour quoi t’affliges-tu, ô mon âme?”

“Sois sans crainte, ô mon Ame! ... Les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre toi”.

Il poursuivait, interminable eût-on dit, sa Prière à plaisir.
A peine achevait-il un Psaume qu’aussitôt, sur une nouvelle Prière, il enchaînait :
“ Tu Sais, Seigneur, toutes les choses à Venir, comme celles aussi du Passé.”

“C’est Toi, mon Divin Plasmateur, qui me façonnas, me modela, & sur moi fis passer, Créatrice, Ta Main Divine”.

“Mes Os ne te sont point cachés, que tu fabriquas pour demeurer enfouis sous ma Chair”.
“Et Tes Yeux se sont sur moi, l’Humble, le Pauvre, d’En Haut ci-bas aBaissés”.

“ Tous les humains, ces êtres Tiens, seront sur le Livre inscrits de Vie, le Livre du Dieu Vivant! Nul ne sera de Toi méconnu...”

Puis, il reprenait à nouveau les Psaumes de David :

“Tu Seras, Seigneur, de ma Lampe la Lumière.
Toi, l’Incréée Lumière!
C’est Toi qui mes Ténèbres Eclaires!”

“ Tu as sur moi jeté Tes Regards,
& de l’Hadès Tu Délivres mon Ame.”

“ Pour moi, j’ai dit : Je Garderai la Béatifique Loi du Seigneur, &, dans les Siècles des siècles, je ne chancellerai point...”

Et encore :

“ Fais-moi, Seigneur, Connaître le nombre de mes Jours, à fin que je Sache jusques à quand Tu me laisseras loin de Toi traîner ici ma Vie”.

“ Toutes choses sont vaines, & indifférentes à l’Homme qui ne fait que traverser ce Monde”.

“ Toi donc, ô mon Ame, sois & demeure sans crainte. Espère En Dieu, car je Le Confesserai à la face de tous les Peuples & de toutes les nations. Car c’est Lui le Dieu de mon Salut.

“Tu Es mon Dieu, ma Force. Que détournes-Tu de moi Ta Face? Et que serais-je triste à marcher dans la Voie qui mon Ennemi afflige? - étant le Diable par les Bons affligé, tant que de Rage, il les outrage & Persécute.”

Si grande était sa contrition que le Saint ne finissait point :

“ Seigneur, mon Dieu, je Crie vers Toi. Viens! & guéris-moi!”

“Tu as, Seigneur, de l’Hadès retiré mon Ame. Tu m’as Sauvé de ceux qui descendent dans la Fosse de Mort Inferne.”

“ Chantez au Seigneur, tous les Saints, & Confessez en Public le Saint Nom du Très Haut.”

“ C’est devant Toi, Seigneur, que je Crie! C’est à Toi que j’adresse ma Prière!”

“ Que me servirait de nourrir plus long Temps cette carcasse vile, qui descendra dans la Tombe, pour Terre redevenir, Os, Poussière, & Cendres?”

“Est-ce la Terre alors qui, publiquement, à la face de tous & du Ciel, Te Confessera?
Oui. Qui dès le matin, de l’aube claire à la nuit pleine, Annoncera Ta Vérité? ”



CHAPITRE NEUF


SAINT MARC PARAIT SUR LE SEUIL DE SA GROTTE.


Long Temps encore, il Pria, chantant des Psaumes, & lisant des péricopes empruntées à l’Ancien Testament & à l’Evangile. Puis il parut dans l’ouverture de la grotte. Là, dans l’Hésychia parfaite de la paisible nuit, l’Abba Sérapion entendit la voix du Saint, qui, au travers de ses larmes, l’appelait :

“ Abba Sérapion!”

Saisi de crainte, l’Abba Sérapion, avec empressement, répondit :
“ Bénis, Géronda!”

- Bénis es-tu, Abba Sérapion !” lui dit Saint Marc l’Anachorète.
“ La Paix de notre Christ soit sur toi! Viens Abba. Approche, Sérapion, mon Frère!”

L’Abba Sérapion, sur ces mots, s’approcha, & lui fit une métanie, s’inclinant devant lui, sa main touchant terre, en signe de respect & d’humilité.

“ Qu’au Jour du Jugement,” ajouta Saint Marc l’Anachorète, “
“ le Seigneur Dieu, mon Frère, te donne ta rétribution, pour la grande peine que tu as prise de venir jusqu’à moi, l’indigne, sur cette montagne sauvagine.”

Et, cependant qu’ il parlait en ces termes, il le fit entrer en sa Grotte. Là, dans la semi-pénombre qui régnait, ils s’assirent. Et, de nouveau, Saint Marc se reprit à parler :
“ Quatre vingt-quinze longues années, je demeurai sans voir face humaine. Et voici maintenant, mon frère, que je vois ton saint visage.”



CHAPITRE DIX

SAINT MARC L’ANACHORèTE ENTREPREND LE RéCIT


DE SA VIE.



La curiosité pressait l’Abba Sérapion, le faisant frémir quasi d’impatience, dans l’attente du récit autobiographique de la Vie du Saint qui devant lui se tenait.

“ Ô Abba Marc,” supplia-t-il, fais moi la Charité de me dire comment tu es parvenu à cette grotte lointaine. Pour l’Amour du Christ, entretiens-moi de cette Vie Bénie qui fut la tienne.”

Saint Marc l’Anachorète lui fit alors cette réponse, empreinte d’une Humilité si extrême, qu’il n’en avait point, ni jamais, nulle part ailleurs, entendu de pareille manifestation :
“ C’est à Athènes,” Frère Sérapion, que je naquis. Oui, c’est en Grèce que je vis le jour. Je fus d’abord, par la naissance, de famille incrédule.
Mes parents, par la suite, me poussèrent à faire des études. Ils voulaient me voir philosophe, comme le sont dans ma patrie bien des gens qui en tirent vanité.
Par bonheur, toutefois, le Seigneur eut Pitié de moi. Il me fit, par extraordinaire, découvrir la vraie Foy Orthodoxe. Je devins donc Chrétien, reçus, par triple immersion, l’Illumination Baptismale, dépouillant ainsi le vieil homme, par métamorphose de Grâce transmué en un Homme nouveau. Loué soit Dieu! & Béni soit le Nom du Seigneur!

Par après mes parents Moururent.
Lors, en état de choc, je me mis à me recueillir en moi-même, songeant : “ Moi aussi, comme mes ancêtres, ne suis-je pas homme Mortel? Quel profit, dès lors, quelle jouissance retirerai-je de cette vie, à vivre selon les pures apparences, abusivement mensongères, de ce monde trompeur?

Aussitôt donc, abandonnant le théâtre de ce monde à ceux qui en aiment les masques menteurs, je me mis en route pour Alexandrie. D’où je poursuivis ensuite ma route, jusqu’à parvenir en un aride Désert. Des jours, des nuits durant, je marchai au milieu des sables, jusqu’à ce que j’arrive enfin à la porte d’une mégalopole. mais lorsque je vis à quel point le péché régnait en cette nouvelle Babylone, je ne songeai plus qu’à la fuir. Je repris ma route à travers le Désert. Y marchant longtemps encore, je parvins à un temple immense, encombré de statues d’idoles qu’adoraient de véritables idolâtres. Ce se situait au lieu dit “Ananda”. Je ne pouvais rester en un lieu si païen, fourmillant d’Impies aux fausses croyances erronées & superstitieuses. Je repris une nouvelle fois ma longue marche. Des jours & des jours durant, je cheminai sur une terre desséchée, crevassée, & brûlée toute des feux dardants d’un soleil de plomb, une terre sur laquelle il n’était jamais tombée d’eau du Ciel. Pourtant, marchant encore, je parvins en un endroit de fraîcheur, nommé des grecs l’Oasis. Il y avait là des arbres en nombre, &, bien d’une valeur sans prix, de l’eau.

Mais, lorsque je vis qu’en cet emplacement de Désert même vivaient encore des hommes, qui avaient subsisté quelque difficile que fût leur vie, & quoiqu’ils fussent assez primitifs encore, & à demi-sauvages, je compris que je me trouvais toujours parmi le monde habité, & que j’avais autant à faire à des humains que lorsque je me trouvais encore dans le monde des hommes, en plein coeur d’Athènes. Toujours mû par mon grand désir d’atteindre un lieu où il n’y aurait point face d’homme, je me remis lors à marcher. Et je marchais toujours, des jours & des nuits durant, jusqu’à ce qu’enfin j’arrive à ce lieu-ci, en cet emplacement où tu me vins trouver.

J’avais d’abord traversé une vaste fosse marine. J’y vis des arbres fossilisés. D’homme, je n’en vis point. Tout au long du chemin qui me mena aux montagnes de Zachparah, qui surplombent la mer, il n’en était nul. Alors, toujours Mené, Conduit & Guidé par Dieu, je marchai encore quarante autres jours. Enfin, je parvins en cet endroit-ci. Et, sans que je commandasse en rien à mes pieds, ils me portèrent droit à cette Grotte que tu vois çà devant toi.



CHAPITRE ONZE

“ QUATRE VINGT-QUINZE ANNéES


JE DEMEURAI SANS VOIR FACE HUMAINE ”




A présent que l’Abba Marc se mettait en devoir, pour l’édification du Monde, de conter au long sa tant peineuse Vie, il s’assit devant celui que Dieu avait fait venir jusqu’à lui pour en cueillir de ses lèvres l’inestimable Témoignage :

“Abba Sérapion”, mon Frère, commença-t-il, - & cependant qu’il parlait, sa voix était toute vibrante d’Amour-, puisque Dieu t’a envoyé, au travers de ce si profond Désert, pour me venir ici trouver, je te ferai la Confession de ma Vie :

Quatre vingt-quinze années, je demeurai sans voir face humaine, ni bétail, ni animal sauvage, ni oiseau du Ciel. Car rien ne peut en cette âpreté du lieu subsister. Quatre vingt-quinze années où je ne portai point même à mes lèvres un morceau de pain blanc; où je ne me revêtis point même fût-ce d’un vêtement...

Et, sur ce décompte d’années, il y en eut trente entières où je vécus dans la nécessité la plus extrême...Trente années d’absolue Misère & de total Dénuement, où je vécus dans la Dépossession de Tout...Trente années passées dans la Faim & la Soif, environné des pièges sans nombre des obscurs démons, qui sont légions, si tant innumérables, & leurs machineries, que je ne te les porrais point dire tous...

Lors, dans ma Faim dévorante, terrible, il m’advint de manger de la Terre, &, dans ma Soif inextinguible, atroce, je bus l’eau de la Mer...

Vingt années, plus qu’un ver, je fus & restai nu comme le Premier Homme, notre père à tous, Adam. Et les démons hurlaient, fous encontre moi de noire jalousie. Car le Mal envie le Bien, & le Hait. Et ils se jetaient sur moi, & s’agrippaient à mes basques pour me jeter à la mer. & ils vociféraient : “ Hors de notre vue ! Va-t-en d’ici, le Moine! Hors de chez nous! Quand, depuis que le Monde est Monde, pas un seul homme ne s’était hasardé jusqu’ici, comment toi as-tu seulement eu l’audace d’y venir? Pis, d’y demeurer? ”
Et moi, vingt années entières, je tins bon envers & contre tout & tous ces diables malfaisants, ci-haut, sur ma montagne, affamé, & nu. Le Seigneur, alors, me prit en Pitié, & me fit Miséricorde. Il modifia, transforma, & changea la nature de mon être. Il me poussa sur tout le corps un sous-poil, qui me tint lieu de pelisse contre la rigueur des éléments, m’isolant du froid sibérien des nuits de Désert, & de l’éthiopienne ardeur des journées au soleil brûlant. De ce moment, un Ange vint me porter ma subsistance, cependant que d’autres, descendus du Ciel, se tenaient à mes côtés, se joignant à mes Prières d’Actions de Grâce, avec moi venus rendre Gloire à notre Créateur Démiurgique, auteur du Monde & de nos Vies, & Divin Plasmateur, qui, du Souffle de Son Esprit de Grâce, façonna, Immortelles, Divines, nos Ames.
Je Contemplais aussi, s’Ouvrant à mes Yeux, le Royaume des Cieux, & les diverses Demeures où résident, en Sa Béatitude d’Esprit de Grâce & de Gloire, les Ames des Saints...

Longtemps encore, Saint Marc l’Anachorète parla de la sorte. Sans qu’ils s’en rendissent compte, la nuit entière se passa, & le jour commença de dispenser sa lumière joyeuse.

C’est alors que l’Abba Sérapion aperçut le corps de Saint Marc l’Anachorète. Et il vit qu’il était, en effet, tout entier recouvert comme d’un pelage de poils épais. Loin qu’il eût eu apparence humaine, l’on eût dit du crin quasi d’animal sauvage. En vérité, non, sans les Paroles que, tel un miel, épanchaient sa bouche, l’on n’eût pu distinguer s’il s’agissait bien là d’un humain, ou d’une bête à l’aspect sauvage & velu. A cette répulsive vue, soudain saisi d’effroi, l’Abba Sérapion se prit à trembler.

Saint Marc l’Anachorète comprit sa frayeur :
“ - Abba Sérapion, mon Frère”, l’apaisa-t-il, “ que semblable vue ne t’inspire nulle crainte, car ce corps n’est rien qu’une éphémère enveloppe périssable, destinée à passer, se putréfier, & pourrir. Or tu le vois aujourd’hui, ce corps mien, pour la première & la dernière fois. Et, là-Haut, c’est une tout autre apparence qu’il revêtira.
Mais toi, dis-moi ce qu’il en est du Monde, à ce jour...Subsiste–il en quelque coin du globe tant soit peu d’apparence & de formes de Piété? Y conserve-t-on quelques traces de la Piété d’antan?”

“-Mais oui, Géronda,” repartit l’Abba Sérapion, avec la Grâce de l’Esprit de Christ, la Foy demeure encore Vivante parmi les Hommes; & la Piété, & la Dévotion continuent de Fleurir au Coeur des Ames des Fidèles Chrétiens, Pieux & Orthodoxes...


CHAPITRE TREIZE


SAINT MARC L’ANACHORèTE S’ENQUIERT


DE LA GRECE SA PATRIE .




Entendant l’Abbé Sérapion attester du Respect qu’il jugeait devoir être accordé, dans l’Espace Public du Monde, aux Grandeurs de la Foy Vraie, le Saint, en Signe & Témoignage de Gratitude envers Dieu & Ses Saints, & de Reconnaissance d’iceux, qui osent, &, Jour après jour, trouvent l’audace, à la face de tous, comme à Sa Face même, de Le Confesser Hautement & Publiquement, se Signait du Signe de la Croix, & Glorifiait son Dieu, Maître & Seigneur de l’Univers Créé, & des Ames qu’Il y Suscite pour leur Salut & leur Spirituelle Elévation jusque devers Lui.

“- Dis-moi”, s’enquit encore le Saint Abba Marc l’Anachorète,
“ que fait-on, à ce jour, en ma patrie de Grèce? Est-il encore des païens idolâtres qui ne croient point au Christ? &, quant aux Chrétiens Orthodoxes, les Persécutions sévissent-elles encore contre les Frères En Christ, qui sont Fils de Christ?”

“ Grâce à Dieu”, répartit l’Abba Sérapion, “ par les Prières de Ses Saints, la Persécution contre les Chrétiens Orthodoxes a cessé, & bien des païens idolâtres se sont convertis au Christ.”

& l’Abba Sérapion de donner d’autres nouvelles encore du Monde.
Saint Marc se réjouissait grandement à l’entendre.


“Et les Saints? ”interrogea-t-il de nouveau. “Trouve-t-on toujours des Saints dans le monde d’aujourd’hui? Et des Prodiges? Des Miracles? S’en opère-t-il encore? Se trouve-t-il des Hommes pour traduire en actes, & dans leurs actes, cette Foy de Christ en Son Evangile ainsi décrite, dont il est dit par Lui que “ si vous aviez la Foy comme un grain de moutarde de sénevé, vous diriez à cette Montagne : “ Transporte-toi d’ici jusque là-bas, & va te jeter dans la Mer, en manière qu’elle le ferait.”
Or, à peine le Saint avait-il proféré ces mots, qu’-ô Miracle!-aussitôt se vit au-dessus d’eux la Montagne s’ébranler sur ses bases, comme pour se mouvoir de son lieu en un autre site. Lors, le Saint, levant la tête, de sa main toucha la roche branlante : “ Ô Montagne inanimée, Roc sans Vie, telle une Colline bénie, toi qui semble avoir plus d’obéissance que n’en ont les hommes envers Dieu & leurs Pères Saints, demeure à ta place, & ne bronche plus de ton lieu ni de ton site. Ai-je Prié seulement pour que tu te meuves de la sorte? T’ai-je Dit de par ainsi tressaillir? Demeures donc où tu fus onques.” Et la Montagne Bénie, sur-le-champ, revint à son exact emplacement premier.

C’est avec Justesse, en vérité, que Parlait le Prophète Daniel, lorsqu’il prédisait : “ Dieu Fera la Volonté de ceux qui le craignent; Il Entendra leur Supplication, & Il Sauvera ceux qui L’Aiment...”

Et que Dit aussi le Psalmiste?
“ Louez le Seigneur, Montagnes, & toutes les Collines,
Arbres à Fruits, & tous les Cèdres” de Vie...

Ce que Voyant & Entendant, l’Abba Sérapion, Etre Béni de Dieu, tomba face contre terre. Mais Saint Marc, aussitôt, le releva : “ Abba Sérapion”, sembla-t-il s’étonner, “ que fais-tu là ? N’avais-tu jamais Vu, depuis le jour de ta naissance jusqu’à celui-ci, semblable Miracle?”
“-Non, Géronda”, avoua l’Abba.
Alors Saint Marc se prit, du plus profonds de son Coeur, à soupirer & gémir, afflictivement. Il se mit à pleurer. Et dans ses larmes, il s’écriait : “ Ah! Malheur au monde! Pourquoi faut-il que les Chrétiens n’y soient Chrétiens que de nom, sans qu’ils eussent, par le fait, des Chrétiens les Oeuvres Bonnes? Ah! Béni soit Dieu ! qui me menas jusqu’en cette contrée lointaine, à cette fin que je ne demeurasse plus dans ma patrie d’antan, qui n’approche point d’assez près mon Dieu de Force de Vie. Mieux en effet valait pour moi l’ensevelissement sur ce sol en terre étrangère, plutôt que de m’endormir en ma terre maternelle que trop de péchés d’hommes ont souillée sans la Pénitence qui Pardonne tout.



CHAPITRE QUATORZE

LA TABLE CELESTE & DIVINE,


D’EN HAUT CI-BAS INVISIBLEMENT APPRÊTéE.




Toute la Nuit entière, les deux Ermites poursuivirent leur Saint Entretien Spirituel.

Ils n’avaient cependant toujours rien mangé, depuis la survenue, à la Grotte, de l’Abba Sérapion.
Au matin, Saint Marc ne voulut pas laisser son hôte plus longtemps à jeun. Ils rompraient donc enfin le jeûne.
“Frère Sérapion”, lui dit-il, “ voici venir le Temps de nos Agapes.” Et, ce disant, il éleva les bras en Prière à son Dieu du Ciel.
Lors, voici que, soudain, à l’endroit même où il se tenait en la Grotte, Sérapion Vit, tout-à-coup apparue, Mystérieusement, une table à Agapes, Invisiblement apprêtée. Y étaient déposés un Pain tout chaud encore, une cruche d’Eau fraîche, & deux Poissons cuits, qu’accompagnaient de tendres légumes de Jardin.

“-Bénis, Père!”, prononça, rituellement, Saint Marc, comme pour préluder à la Prière de Bénédiction du Repas. Lors, sur l’Instant, apParut une Main, qui, Mystérieusement, Bénit la Table des Ascètes. Saint Marc poursuivit alors la Prière rituelle de Bénédiction de la Table : “Bénis, Seigneur, la Nourriture & la Boisson de Tes Serviteurs, car Tu Es Vraiment Saint, maintenant & Tous Jours, & aux Siècles des siècles. Amin.”

Lorsqu’ils eurent achevé leur frugal repas d’Ascètes, Saint Marc, de nouveau, Rendit Grâces au Seigneur Miséricordieux, Dispensateur de Tous Biens, & Donateur de Vie : “ Nous Te Rendons Grâce, Maître”, conclut-il, “ pour Tous les Biens que Tu nous Prodigues, à nous, qui sommes Tes Indignes Serviteurs. Les riches, Dit le Psalmiste, “les riches se sont apPauvris, & ont eu Faim. mais celui qui Cherche le Seigneur ne manque d’aucun Bien,” ci-bas & Là-Haut, aux Siècles des siècles.”
Enfin, à ce Miracle s’en adjoignit un Autre. Car, de même qu’était apParue la Table, qui, d’En Haut avait Invisiblement été dressée, la Table à présent, Invisiblement, sur l’Instant s’évanouit, disparue.
“Vois, mon Frère Sérapion ”, s’exclama lors Saint Marc, à l’adresse de l’Abba Sérapion, - & le Vois-tu vraiment ?- combien le Dieu de Bonté Aime & Assiste Ses Serviteurs Fidèles?”

Sur ces Paroles, le Saint, long Temps, garda le Silence.



CHAPITRE QUINZE

SAINT MARC L’ANACHORETE


PROPHETISE SA MORT.


DEPART SANS RETOUR D’UN HEROS DU CHRIST.



En fin, le Saint rouvrit la bouche, &, reprenant la Parole :
“ Mon Frère”, reprit-il, “c’est aujourd’hui que s’avère comble & comblée la Mesure de ma Vie. Aussi est-ce aujourd’hui qu’aussi t’envoie vers moi le Seigneur de Bonté, afin que, de tes Mains Bénies, tu ensevelisses à jamais, de ce vil corps, la misérable enveloppe charnelle.”

Sur quoi, le jour entier se passa sans que le Saint ajoutât à ses Dits quelconque Parole. Et, tout le Jour, il demeura Priant, intensément, son Seigneur, au Coeur du plus profond Silence qui pût être.
Puis, sur le soir, comme approchait sa tombée, & celle de la Nuit, il Dit à l’Abba : “ Si tu m’en donnes & accordes ta Bénédiction, Frère Sérapion, Veillons en Agrypnie toute cette Nuit encore.”




CHAPITRE SEIZE


L’ULTIME & DERNIERE NUIT DE PRIERE D’UN SAINT.



Bien loin qu’il s’y opposât, l’Abba Sérapion se Réjouit, car c’était là, depuis de longs jours, son Souhait le plus vif, & il n’avait point eu de Voeu plus cher que de passer une Nuit d’Agrypnie à Prier avec le Saint, dont, à se tenir à ses côtés, émanait plus de Force que si l’on se fût trouvé uni à la sienne, qui s’Unissait à Dieu, En la Divine Union, Brûlante d’Amour de Lui, unitivement jouxtant une Colonne de Prière de Feu, Faite Vivance, & Vivante Présence.

Alors, En Esprit, ils ouvrirent le grand Livre des Hymnes & Prières de l’Eglise. Et bien qu’ils n’eussent point d’exemplaire aucun de ce Livre Sacré des Saints Offices de l’Eglise, dit l’Arkhiératikon, l’Esprit Saint leur avait donné de le savoir en son entier par Coeur. Ensemble, donc, ils Psalmodièrent tout le Psautier, comme font les grands Moines, qui le disent tout entier chaque jour. Et, bien qu’ils n’eussent, en la totale dépossession de Saint Marc l’Anachorète, nul livre matériel, ni du tout rien d’écrit sous les yeux, l’on eût dit que Saint Marc tenait En Esprit tous les Saints Livres de l’Eglise Ouverts
devant lui. Lui qui n’avait point voulu, jamais, s’instruire dans les vaines lettres, inutiles, de la sotte Impiété, ce nonobstant, il chantait tous les Psaumes sans une seule faute...
Ah! Qui Dira la Beauté de telle Complainte Divine, toute empreinte d’Humaine Contrition?

Ô Saints de Dieu! pareils à de plaintives oiselles, blanches tourterelles qui plus ne seraient de ce monde, quels Anges furent assez Heureux pour ouïr l’Hymne inouïe, jamais ouïe, de fait, Humble & Recueillie, que dans l’Absolu du Silence de Désert si profond, vous Elevâtes ensemble vers Dieu?
L’entière Création eût dû se tenir en extase, d’ouïr ainsi, tels des incorporels, ces Créatures Bénies de Dieu Psalmodier au Créateur de toutes choses une incomparable Doxologie d’Actions de Grâces Lui Rendant Gloire, inconnue en terre des hommes !

Marc, le premier, donnait le ton, & entonnait les Psaumes ; - Marc, pierre vivante affûtée du sacrifice de soi toujours apprêté pour Dieu: Marc, le Lion Béni du Christ. - Car sont les Saints de Dieu Forts, Terribles, & Redoutables comme le Lion, & Doux comme l’Agneau, la Tourterelle, & la Colombe de l’Esprit de Sainteté ensemble -. Son Chant avait de la contrition les douloureux accents, & il y ajoutait ses pleurs encore, pour toute l’Humanité versée qui, de par son Apostasie généralisée ne cessait pas, & jamais ne cesse, hélas! d’affliger notre Dieu.

“ Seigneur!”, disait le Saint, “ par leurs impiétés ils T’ont attristé ; il n’est dans leur bouche de vérité, & leur coeur est vain. Sous le poids de leurs blasphèmes, trop lourd, ô combien! ils ont succombé. Chasse-les Seigneur, repousse-les de devant Ta Face, car ils T’ont empli d’amertume. Mais, au rebours, qu’ils se réjouissent tous ceux qui Espèrent En Toi. Aux Siècles des siècles, ils s’éJouiront, & ils seront En Toi Glorifiés, tous ceux qui Aiment Ton Saint Nom., & Le Prient. Car Tu Bénis le Juste, Seigneur, Dit le Psalmiste, & Tu l’entoures de Ta Grâce, comme d’un bouclier Provident ”.

Son Chant continuait de monter, telle une plainte s’Elevant vers Dieu. “ Dieu”, psalmodiait-il,“ Se Tient en Son Lieu Saint Elevé. Dieu fait En Son Lieu Saint résider ceux qui Vivent hors du monde, sans parents ni amis, leur ayant Dieu préféré.”

Il poursuivait sa Psalmodie : “ Dieu”, chantait-il, “ S’Est Penché vers les fils de l’homme, pour Voir s’il est quelqu’un qui fût Intelligent de Coeur, & qui le Seigneur y cherche.”

Montait en son Coeur une contrition toujours plus douce, venue dissoudre les plaintifs accents de la mélodie qui se noyait en ce suave :
“ J’ai en mon Esprit tout ce déposé, & de toutes ces choses a pour mon âme jailli l’Eau d’une Rosée fraichissante. Je songeai lors : “ J’irai me poser, & dans la tente me reposer, admirable, de la maison & du Lieu de mon Dieu. Pourquoi donc t’affliges-tu, ô mon Ame, & que me troubles-tu?”

A l’entendre ainsi Psalmodier, l’Abba Sérapion, jusqu’au tréfonds de son Coeur, se sentait brisé : “ Dieu a mis dans ma bouche une Hymne Nouvelle; c’est un Chant Nouveau pour notre Dieu. Oui, je chanterai pour toi, Seigneur, un Chant Nouveau. Je Chanterai, & je Célébrerai l’irréprochable Voie.”

De la tristesse du ton de voix, l’on sentait sourdre, montante, une Liesse neuve. Car aux Saints est la Douleur du Sacrifice Source de Joie Sainte. “ Je Bénirai le Seigneur en tout temps.” Et l’on eût dit à les ouïr par lui chantées, qu’il faisait siennes ces Paroles du Psaume. Non qu’il les ingérait, mais qu’il se les assimilait; se les incorporait; les Vivifiait; leur redonnait une nouvelle Vie - la sienne, forte de sa Spirituelle Expérience propre. “ Sa Louange sera sans cesse dans ma bouche. Mon Ame Loue le Seigneur! Que les Doux Entendent, & qu’ils s’éJouissent...!”
Et sa Joie, de fait, se muait en Allégresse Vive. “ Voix d’Allégresse & de Salut parmi les tentes de tous les Justes! Ouvrez les Portes de la Justice de Dieu, & par elles j’entrerai, sous leurs linteaux élevés, pour Confesser le Seigneur. Ah! Voici, s’ouvrant, la Porte du Seigneur! C’est par elle qu’entreront au Royaume les Justes!”


CHAPITRE DIX-SEPT.


SAINT MARC PRIE L’ABBA SERAPION DE L’ENSEVELIR.



C’est ainsi que l’entière Nuit, dans le Silence Parfait du Désert profonds, ils louèrent & magnifièrent leur Saint Créateur. Et leurs Hymnes étaient Spirituellement si Belles & Elevées, que le Seigneur, plus nombreux que jamais, dépêchait Ses Anges, pour les recueillir sur leurs lèvres, & les porter à Lui, devant son Thrône Chérubique où voletaient les Séraphins aux six Ailes.
En fin, lorsqu’ils eurent achevé la Psalmodie, Saint Marc se tourna vers l’Abba Sérapion : “ Frère Sérapion”, lui Dit-il, “ je t’en prie : lorsque je serai endormi dans le Seigneur, sois assez bon pour ensevelir mon corps dans cette Grotte. Dépose-le à l’intérieur, & comme au lieu naturel de cette chapelle ardente, & prends soin d’en sceller l’entrée à l’aide de lourdes pierres. Après quoi, retourne-t-en au pays dont tu viens, afin de ne pas demeurer seul en ces lieux hostiles”.

Alors l’Abba Sérapion se mit à pleurer. Si lourde était sa peine, que son Coeur, à présent, crevait sous les coups sourds de sa douleur cruelle. Mais le Saint Anachorète voulait qu’il essuyât ses larmes, &, de l’excès de sa peine, ne laissât rien paraître. “Sérapion ! mon Frère!” s’exclama Saint Marc, tout moribond qu’il fût, “ ne pleure pas! Sèche tes larmes. Car ce jour d’hui, vois-tu, est mon Jour de Joie. Jour & Joie si long Temps espérés! Tant en Patience attendu! Dieu qui, lorsque tu étais en route pour venir jusqu’ici Eclaira ton sentier, te montrera tout aussi bien le chemin, lorsqu’il te faudra t’en retourner à ta cellule. Mais, la route qu’alors Il t’indiquera ne sera point celle même que tu pris pour parvenir jusqu’ici.
“ Oui, Sérapion! ce Jour, de tous les jours de ma Vie, Vois, & Sache-le, est bien le plus Grand. Car voici qu’aujourd’hui mon Ame, en Fin, quitte ce corps de douleur, pour s’en aller, au Lieu de fraîcheur insoucieuse, sans peines & sans soucis, le Repos goûter loin des durs labeurs & du péché amer.”



CHAPITRE DIX-HUIT



SAINT MARC FAIT SES ADIEUX AU MONDE.




A peine Saint Marc, achevant ses prières, eût-il prononcé ces mots, que la Grotte, soudain, s’emplit d’une lumière plus que le soleil éblouissante, cependant que tous les entours, jusqu’au pied de la Montagne même, s’imprégnait d’une Sainte Odeur de Suavité. Saint Marc, lors, prenant par la main l’Abba Sérapion, se mit en devoir de faire ses adieux à sa chère grotte où, tant de longues années, il avait contre le prince des Ténèbres, le Diable, & ses légions de Démons, si Fort Lutté.

“ Réjouis-toi,” murmurait-il, “ Grotte Bénie, Lieu de ma Prière, où j’ai dompté ce corps devenant poussière auquel, ce Jour encore, tu ménageras le sûr abri que tu m’offres, & jusqu’au Jour Terrible du Dernier Jugement, m’offriras, lors que tous les hommes ensemble, pour leur Perte ou leur Salut, Ressusciteront.

“ Et toi aussi, mon corps putride, Réjouis-toi, qui fus tant d’années la demeure de mon Ame, & qui pour elle essuyas tous les Labeurs de la Vie, & toutes les Peines enduras du Monde. C’est à Toi, mon Seigneur, qu’en ce Temps, je le remets en Fin, car c’est pour Toi, mon Dieu, qu’il endura la Faim, la Soif, le Froid, le Chaud, & la Nudité Sainte de la totale Dépossession de soi. Maintenant donc, Seigneur, prends-le par devers Toi, & le reVêts d’un Vêtement d’Incorruptibilité, à Fin qu’il soit par Toi Glorifié au Jour Terrible de Ta Parousie, lequel est Jour de Ta Présence nouvelle & sous nos Yeux renouvelée, lors de Ton Second Avènement, quand Tu descendras du Ciel sur la Nuée de l’Esprit de Sainteté.

“Oui, Réjouissez-vous, mes Yeux, que j’ai, tout au long de tant de Nuits entières, à la Prière usés, en ces tant pénibles Veilles Sans Sommeil, qui donnèrent leur nom aux Agrypnies, où il sied d’à qui se veut Elever contre l’épuisement de l’exténuation Lutter.

“ Réjouissez-vous, Arbres & Fleurs innocentes, & tout le bon Bétail, & vous, tous les Oiseaux ailés, & vous, Vents de l’Esprit, qui de l’Aquilon Soufflez, du Midi, du Septentrion, de la Mer, & de l’Orient!

“ Réjouissez-vous aussi, vous, tous les Ascètes, Ermites, Anachorètes, Confesseurs, & Saints Martyrs, qui, dans les creux des rochers & les antres de la Terre, avez lutté & ce Jour encore, avec Vaillance de Coeur & Force d’Ame, en Héros de Christ-Dieu, Luttez!

“ Réjouissez-vous, vous tous, sur la terre habitée, aux quatre points cardinaux du globe, bons & bénis, entour l’axe du monde!

“ Réjouis-toi, Montagne Bénie qui m’accueillis, lorsque je n’étais en cette terre qu’un Etranger, toi qui, dans ce Désert brûlant, m’a de ton ombre affraîchissante couvert!

“ Réjouissez-vous, Solitude, & Animal Sauvage, race muette des sans parole, qui, quoique durs extrêmement, de coeur, d’âme, d’esprit, cependant endurâtes de m’avoir gardé des duretés pires d’un monde plus sauvage encore que vous ne l’êtes!

“Et toi, Eglise de Dieu, Céleste Epouse Mystique, Orthodoxie, Fiancée du Christ, Réjouis-toi, & toute la Terre habitée avec toi!”

Ce disant, il s’agenouilla en terre, puis, Elevant les mains vers le Ciel : “ Seigneur! Seigneur!” implora-t-il, “ protège Ton Monde, Couvre-le, & détourne loin de Ta Face ses oeuvres mauvaises pécheresses."

Enfin, se relevant, il vint à l’Abba Sérapion pour l’embrasser : “ Toi aussi, Frère Sérapion,” s’exclama-t-il, tout allègre, “ Réjouis-toi! Et qu’au Jour de Son Second Avènement, Christ te donne ta rétribution pour toutes les peines que tu as prises pour moi!

“ Et, je t’en conjure, Abba Sérapion, de mon humble dépouille, ne prends jamais ne fût-ce qu’un cheveu. Garde-toi d’en approcher onques fût-ce un vêtement ou un linge pour l’en couvrir, mais, laisse-le, tel que l’a fait naître mon Seigneur, s’en retourner à la terre tout aussi nu, ne lui donnant pour linceul que les seuls cheveux dont il m’a, jusqu’aux pieds, revêtu.”

Il achevait ces Paroles, lorsque, du Ciel, se fit entendre une Voix, murmurante : “ Menez devers Moi le Lutteur du Désert, la Colonne du Stylite de Patience. Viens, Marc, Serviteur Bon & Fidèle, viens Goûter, au Goût Suave, le Repos de Mes Saints, au Pays de l’Absolu de l’Equité sans faille.”

Saint Marc dit alors à l’Abba Sérapion :
“ Sérapion, mon Frère, mettons-nous à genoux.” Et ils s’agenouillèrent, prosternés, face contre Terre .

Et cependant qu’ils se tenaient agenouillés ainsi, l’Abba Sérapion, de nouveau, entendit une Voix murmurante : “ Ouvre tes bras”, Souffla-t-elle. En sa surprise se redressant, l’Abba Sérapion se retourna. Et voici qu’il Vit l’Ame de Saint Marc enlevée au Ciel, tout de blanc vêtue, portée par des Anges, qui, sur leurs Ailes l’Elevaient.

La voûte en toit d’azur, lors, s’ouvrit, & l’Abba Vit le passage des âmes aux péages du Ciel. S’y pressaient, sombres & terribles, les Démons de Ténèbre s’acharnaient sur ces âmes, tâchant à les ravir pour les entraîner du côté leur de la Géhenne Inferne. Et comme ils s’imaginaient pouvoir s’emparer de l’Ame aussi du Saint, sur l’instant même se fit ouïr, retentissante, une Voix Terrible, enjoignant : “ Prenez-la leur, ôtez leur l’ Ame de mon Serviteur, & l’enlevez jusqu’à Moi.”
Tous les Démons défaits, détruits, & comme néantis, sur-le-champ, s’écartèrent. Du Ciel, l’Abba Sérapion Vit lors se tendre une Main, l’Invisible Main de Dieu, à Fin de prendre avec Lui l’Ame de Saint Marc. Puis, l’Abba ne vit plus rien.
C’était la troisième Heure de la Nuit.




CHAPITRE DIX-NEUF


L’ABBA SERAPION ENSEVELIT LE SAINT, LION DU DESERT.



Toute la Nuit, l’Abba Sérapion demeura En Prière. Et lorsque se leva, blanchissante, l’aube, à l’horizon montant, il se mit en devoir de psalmodier l’entière litanie de tous les tropaires chantés de l’Office des Défunts, veillant le Saint Corps qu’il prenait garde de ne point remuer ni même effleurer, tant il respectait la recommandation du Saint de ne l’approcher point fût-ce en l’enveloppant d’un linge qui eût fait usage de Saint Suaire.

En suite de quoi, il sortit, prit des pierres pour en sceller l’entrée de la Grotte, puis descendit de la Montagne. Lors, il se prit à Supplier Dieu qu’Il lui donnât la Force de traverser à nouveau le redoutable Désert sans vie. Or, comme le soleil se couchait sur l’horizon, voici qu’il aperçoit face à lui les deux Gérondas, ces Anciens qu’il avait vus en rêve avant que d’entreprendre sa périlleuse route. “ Abba Sérapion”, lui Dirent-ils, “ le Corps que tu as enseveli, -le Sais-tu?-, le monde entier assemblé n’en eût été Digne... Et maintenant, viens avec nous; nous marcherons toute la Nuit, en sorte que tu ne gaspilles point tes forces à marcher tout le jour, sous l’ardeur brûlante du soleil, par l’accablante chaleur de la désertique fournaise.”



CHAPITRE DIX-NEUF


RETOUR A SA CELLULE DE L’ABBA SERAPION.


Ils firent donc route tous trois ensemble. Ils marchèrent jusqu’au premier matin. L’aube se levait sur le Ciel, lorsque soudain : “ Va, mon Frère”, lui lancèrent-ils, en manière d’encouragement par ainsi, simplement, prodigué, “va!” Et, sur-le-champ, ils disparurent à sa vue. Alors, regardant tout entour lui, l’Abba vit qu’il se tenait aux portes mêmes de la chapelle qui lui faisait office d’église, contre sa cellule de Pénitent. Et il fut dans une admiration sans bornes ni limites. C’est alors que lui revinrent à l’esprit, tout-à-coup, les Paroles Inspirées de Saint Marc l’Anachorète : “La route que t’indiquera Dieu ne sera point celle même que tu pris pour parvenir jusqu’ ici.” Les Saints Anciens de sa Vision l’avaient fait voler jusqu’à sa porte...

Surpris d’entendre en fin sa voix, l’Abba Jean sortit précipitamment de la cellule : “ Abba Sérapion! ” s’exclama-t-il tout heureux, “sois donc ici le bien venu!”
Et ils s’en furent, de ce pas, se rendre à l’église, pour y rendre Gloire à Dieu de cette grande nouvelle que l’Abba Sérapion eût survécu & fût vif revenu de tel périlleux périple de Désert.

Après quoi, l’Abba Sérapion entreprit de faire à l’Abba Jean le récit de tant d’admirables Merveilles qu’il avait au si loin bout du monde habité d’un immense Saint de Dieu vues & entendues.

“ Ah! Sérapion, mon Frère!”, soupira l’Abba Jean,“ quel Grand Chrétien fut en Vérité cet Etre Béni du Ciel & de la Terre! Tandis que nous ne sommes, nous, hélas! Chrétiens que de nom! Car, pour les Oeuvres, nous n’avons rien, quant à nous, rien, absolument, des Oeuvres Ascétiques des Chrétiens Véritables. Aussi, Glorifions Dieu de ce qu’Il nous Juge Dignes, néanmoins, de Voir & Contempler Ses Saints! Amin.”


Ici & par ainsi s’achève la Vie Surnaturelle quasi de Saint Marc l’Anachorète, l’Ascète incomparable, de Christ le Grand Lutteur, comme un Lion, de Désert.

Puisse l’Héroïque Sacrifice à Dieu de sa Vie entière, Prodige inouï, quelque incroyable qu’il pût paraître aux yeux des pauvres Matérialistes d’une époque où triomphe la matière fissile & périssable, émouvoir les Belles Ames Nobles que, pour quelque Temps encore, le Seigneur Garde de la Corruption de la souillure totale du péché sans bornes, ni limites, abyssal, où l’âme naïve, entraînée, glisse, dans l’abîme sans fonds, de péché en péchés pis entraînée jusqu’à sa déchéance ultime, vertigineusement.

Puisse le Saint Exemple de ce Héros de Christ-Dieu
Fortifier les Fidèles dans leur Foy Orthodoxe, sans pour autant qu’ils cédassent à l’esprit de Découragement, que tant combattent les Saints, lesquels à jamais demeurent Exemplaires, si même leur Imitation peut sembler plus inaccessible à tous jours que de vouloir en Enfant courir à l’horizon de la sphère des fixes jusqu’embrasser, tant Brillante, la Lune, non tant des yeux seulement, que des Mains de Beauté des Etres Déifiés, qui tangiblement touchent à Dieu, l’atteignant, jusqu’au Vivre incessamment avec Lui, En Sa Perpétuelle Présence, toujours recommencée, jusque dans l’Eterne renouvelée, quoique vers Lui tous Jours d’avantage Progressant.
Que le néophyte, commençant, ne soit lors point d’emblée la proie de l’Acédie, sans rien faire, essayer, ni tenter, lamentant :
“ Cela est Bien Beau, tout cet amas, pour éblouissant qu’il soit, de Vies de Saints Sublimes des Synaxaires EnFlammés de l’Eglise Orthodoxe. Mais moi, je ne peux pas faire cela.” Non. Qu’il ne se désole point l’âme, ni ne raisonne ainsi faussement, d’un esprit desséché étouffant son coeur. Car le Fidèle Sincère fait-il seulement un pas vers la Déité, dans l’espoir de l’Union Divine, que Dieu, vers le Coeur Orthodoxe, en accomplit cent & mille. Qu’il esquissât donc seulement un pas, fût-ce le premier, tâchant à se mouvoir & propulser en telle direction de Sens, que se prenant, quasi, par les cheveux, il se poussât lui-même à l’Imitation, si imparfaite, gauche, maladroite, balbutiante, & pécheresse fût-elle, de ceux qui, pour gagner le Royaume des Cieux, surent se faire violence, en toute chose, selon cette Parole du Seigneur, qu’entendant en Saint Matthieu 11, 12, ils mirent en Contemplative Pratique de Vie : “ Depuis le Temps de Saint Jean le Baptiste, le Précurseur, jusqu’en ce Temps présent, le Royaume des Cieux requiert que l’on en force l’entrée, & ce sont les violents seuls, - savoir, sur eux-mêmes violemment s’efForçant,- qui, -de vive Lutte violente encontre les Démons, à eux Victorieusement s’opposant-, s’en emparent.” Car, c’est en Enfants que se Lancent les Saints à l’assaut du Ciel, mais c’est en Violents -encontre eux-mêmes- qu’ils s’en Emparent.
Lors, le Seigneur Dieu, Jésus-Christ, Voyant leur Volonté Bonne, sur eux Dépêchant, kénotiquement Descendu, Son Esprit de Sainteté, ceci leur octroiera, de se dépasser, &, se surpassant eux-mêmes, vers la Déité Trine, de grâce En Grâce, puis, de gloire En Gloire, Spirituellement s’Elever tous Jours.


***


Par les Flamboyantes Prières de Saint Marc l’Anachorète, Ton Saint Ascète, & Lion de Désert, Seigneur Sauve-nous! Amin.

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