jeudi 17 février 2011

Vie de Saint Joachim l'Athonite, par l'Archimandrite Chérubim.

Archimandrite Chérubim.



Vie de Saint Joachim l'Athonite
(1895-1950)

Editions de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas.


Préface
du
Père Chérubim.


Le Mont Athos est une terre d'exception. A mi-chemin entre le Ciel & la terre. Durant mille trois cents ans, il a été séparé de toutes les autres contrées de l'univers, & son mode de vie ne suit pas les normes du monde. Il est habité par des hommes qui ne se satisfont pas de ce monde & de tout ce qu'il peut offrir; le but, la fin qu'ils recherchent pour visée se situe au-delà de l'univers matériel, et dépasse la terrestre beauté.

Pour l'atteindre, ils ont fait le voyage du Mont Athos, jusqu'au lieu où finit la terre & où commence le Ciel. A force de patience & d'endurance, de par & dans des luttes surnaturelles, ils y ont trouvé l'objet de leur désir, & l'ont étreint à l'instar d'un grand trésor. Un trésor qu'ils aspirent à garder jusqu'à la fin de leur vie, & à transmettre à leurs fils spirituels, car ce qu'ils ont saisi là est véritablement une parcelle du Ciel.

Sur la Sainte Montagne, les hommes connaissent un nouveau mode de vie, avant-goût de la Félicité à venir. Leur Ame respire à la pensée de l'Eternité qui, telle une outre éternellement jaillissante, les console & les réconforte quand la vie se fait pénible & difficile. Emerveillé de voir les athlètes qui ont combattu dans l'arène du Mont Athos, l'auteur a le vif désir de faire partager son admiration à ceux qui n'ont pas eu le privilège de les connaître personnellement.

La présente série, intitulée « Ascètes Contemporains du Mont Athos », se propose de mettre en lumière plusieurs figures d'entre ces athlètes spirituels qui ont brillé sur le Mont Athos dans la première moitié du XXème Siècle. Certains d'entre eux ont choisi de rester sur la Sainte Montagne jusqu'au dernier jour de leur vie, tandis que d'autres, après de nombreuses années de labeur ascétique, ont décidé d'exercer leur ministère au service du monde extérieur. Tous, ils contribuent è faire savoir aux Chrétiens de tous Temps que, même aujourd'hui encore, il existe des héros qui mènent le grand combat spirituel.



Chapitre un.
La jeunesse sainte du Père Joachim.


C'est en 1895 que naquit, à Kalamata, le Père Joachim, dans une pieuse famille Grecque. Dans le monde, il était connu sous le nom de Jean Nicholaïdès. CE fut dans son village qu'il obtint les diplômes de l'école élémentaire et du lycée. Or, quoiqu'il fût alors un garçonnet remuant, dès son jeune âge il commença néanmoins de chercher Dieu. Il voulait Le connaître, en jouir, & Vivre pleinement En Lui.

C'est alors que cette âme assoiffée de Dieu fit la connaissance d'Elias Panaghoulakis.

Panaghoulakis était un ascète pratiquant un jeûne rigoureux, qui vivait dans une grotte, non loin de Kalamata. Sa stupéfiante conversion des ténèbres du péché à la Lumière du Christ, ses vivantes homélies et ses propos spirituels, tous rehaussés par l'éclat de sa vie ascétique, avaient créé à Kalamata un mouvement spirituel unique pour l'époque.

La simplicité de ses paroles portait la semence de vie, qui tombe pour y germer au plus profonds du coeur humain. Cela n'était pas dû à son savoir - il était à peu près dénué d'instruction-, mais ce venait de ce que ses sermons enflammés se fondait sur une expérience réelle des choses spirituelles. Il donna à Jean de solides fondements sur lesquels il pourrait plus tard s'appuyer, & bâtir une Vie de Sainteté. Son Enseignement Spirituel fut, par le fait, très précieux à Jean dans sa vie ultérieure.

Une fois qu'il eut terminé ses études au lycée, Jean partit pour l'Amérique.
Les diverses idoles matérialistes parvenaient alors à tout leur éclat, mais le jeune étudiant en Sainteté en avait déjà beaucoup appris, & il avait en particulier été enseigné à ne pas adorer d' idole étrangère. Aussi longtemps qu'il séjourna dans les universités américaines, les progrès continuels qu'il y fit, & qui jouèrent un grand rôle dans sa formation générale & dans celle de son caractère, ne nuisirent jamais à la fermeté de sa foi, qu'il avait placée dans le Dieu de ses Pères. Le plus clair de son Temps, il le passait à ses études, qu'il suivait avec assiduité, & à tâcher à grandir en croissance spirituelle. Son intelligence et son inlassable dévotion le firent exceller en toute chose. De surcroît, en bon ouvrier fidèle du champ spirituel,qu'il était, il offrit ses services au Métochion du très Saint Sépulcre, dont l'Evêque Pantéléimon était alors exarque. Il trouva là un centre de renouveau spirituel.






Chapitre deux.
L'appel au service de Dieu.


Toute la conduite & les manières de Jean Nikolaïdis avaient, chez l'Evêque Pantéléïmon, fait naître l'estime & l'admiration. Nombre de paroisses eurent l'occasion d'entendre, pleine de feu, la prédication de ce jeune homme si spirituel qui, en dépit de son âge, savait parler à l'âme & au coeur. Aussi, c'était pour la plus grande joie des Grecs d'alentour que Jean gagnait l'ambon, l'estrade sise
au pied de l'autel, pour y prêcher.

Un jour que Jean s'était rendu au Métochion, dépendance du Monastère, - visite qui se révéla d'heureux augure pour sa vie à venir-, l'Evêque s'approcha de lui : «  Mon enfant », lui dit-il, « voici déjà longtemps qu'une voix en moi me presse de t'interroger pour te demander ce que tu voudrais faire plus tard. Aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de te le demander: Quels sont tes projets? As-tu l'intention de te consacrer à Dieu, ou bien songes-tu à tout autre chose? Penses-tu que le Seigneur t'appelle à sa vigne? T'aurait-Il destiné à être le serviteur de Sa Gloire? »

Jean baissa la tête. Ces questions le faisaient trembler. Lors, dans un gémissement: «  Monseigneur, » soupira-t-il, c'est mon plus cher désir, mais je n'ose pas même y penser. Mon Père Spirituel de Kalamata m'a enseigné qu'on ne peut de soi-même sans pécher aspirer à une telle chose, au regard de la faiblesse & de l'indignité de l'homme. Il faut, m'a-t-il appris, que Dieu appelle l'âme par des signes indépendants de notre volonté. Alors seulement nous pouvons lui obéir sans crainte. »

Devant une telle réponse, le pieux Evêque conçut à nouveau devant Jean étonnement & respect grandissant. Il vit là, devant pareille révélation, toute la richesse cachée de sa grande âme. Ne pouvant plus se défendre de parler, se dressant sur son siège, plein d'une intense émotion: «  Mon fils! » s'exclama-t-il, Dieu t'appelle par mon entreprise pour t'exhorter à devenir promptement son ministre. »

Mais Jean gardait le silence. Il paraissait troublé, hésitant, saisi d'embarras. Il fut tout juste capable de remercier l'Evêque & de lui demander ses Prières, lui promettant de revenir le voir pour envisager le débat de cette question.

A compter de ce jour commença lors pour Jean une période de hautes luttes ascétiques & d'intense Prière. Ceux qui l'ont connu à cette époque là se souviennent des épreuves auxquelles il se soumettait & des supplications qu'il leur adressait pour qu'ils priassent pour lui.

De là, beaucoup de Temps se passa avant que Jean n'osât visiter à nouveau l'Evêque Pantéléimon. Mais, un jour, pour finir, l'Evêque le pria de venir aussitôt que possible. Il y alla, rempli de respectueuse crainte. « Tu tardes à me répondre », lui dit l'Evêque, & je suis inquiet.

« Béatitude », répondit résolument Jean, «  ce n'est que si le Saint Esprit persévère à nous faire signe comme Il l'a fait, que je céderai à vos instances;je n'ose décider moi-même. Un Prêtre est appelé par Dieu ou par les hommes. Jamais il ne se doit appeler de lui-même. Mon Père Spirituel, en Grèce, attache beaucoup d'importance à ce point. »

L'Evêque prit en considération la sage appréhension de Jean. Debout, devant son bureau, il prononça d'une voix ferme : «  Dimanche prochain, je t'ordonnerai Diacre. »

Il n'y avait rien à répliquer. Selon le plan de l'Economie Divine, l'Evêque Pantéléïmon avait été l'homme désigné par Dieu pour conduire le pieux jeune homme sur le chemin du sacerdoce. Dès là, l'Evêque donna à Jean la paternelle accolade & la bénédiction.

La nouvelle, annoncée par l'Evêque fut accueillie par les fidèles avec une joie exaltée. Le dimanche suivant, l'église du Métochion était remplie de Grecs venus de toutes les paroisses où Jean avait coutume de prêcher.

Lorsque la foule des fidèles fit le traditionnel répons à l'Evêque de la formule consacrée : «  Axios! » - « Il en est digne! »-, ce fut un tonnerre d'acclamations, dénotant un enthousiasme rare chez des Grecs d'Amérique à cette époque.

Père Joachim – tel fut le nom que prit Jean par la suite, en recevant la tonsure monastique- fut par ce même Evêque ensuite élevé à la dignité de Prêtre. C'est ainsi que le pieux jeune homme fut enfin revêtu de la Grâce de la Prêtrise.



Chapitre trois.
Oeuvres missionnaires.

Ce fut la communauté Grecque toute entière qui ressentit les bienfaits de la forte & sainte présence du Père Joachim, portée par sa foi vivante, que traduisaient ses homélies enflammées. Combien d'âmes, guidées par sa main puissante, trouvèrent lors le chemin de leur Salut!

Son amour indéfectible & son profond respect de l'Orthodoxie & de sa Tradition avaient en lui de profondes racines. Ils étaient sa richesse & sa force. Tel un filet d'or dans les mains d'un pêcheur expérimenté. Il s'était donc fait grand pêcheur d'hommes. Des Américains de toute religion souhaitaient apprendre la pensée Orthodoxe auprès de celui qui en était un si pur modèle & parangon. Les fidèles de sa contrée en voyait en lui un fidèle ambassadeur. Si bien que le Patriarche de Jérusalem honora le Père Joachim de la médaille du Très Saint Sépulcre, pour sa dévotion à toute épreuve, son abnégation sans faille, & son exceptionnelle activité apostolique & missionnaire.

L'anecdote suivante témoigne bien de l'impression qu'il produisait sur tous. Il avait ce jour-là pris l'autobus. Les passagers furent immédiatement saisis par sa classe, son allure qui en imposait, sa vêture de Prêtre,& sa longue barbe généreuse, si étrangers au mode de vie Américain. Dès l'entrée de l'autobus, la foule l'entoura, & une discussion s'engagea. Père Joachim ne laissa pas passer cette nouvelle occasion de prêcher la Bonne Parole. S'exprimant en Anglais, il leur dit que Dieu & l'Orthodoxie étaient la Vie, & commença de leur expliquer comment un être peut Vivre En Dieu. Durant ce Temps, la foule grandissait, allant jusqu'à bloquer la circulation des voitures & des piétons. Finalement, la police débarqua sur les lieux, demandant à Père Joachim de mettre un terme à son sermon. Mais la foule le suppliait de poursuivre. Un certain Temps s'écoula encore, avant qu'il pût mettre un terme à cet original entretien, & s'en retourner au Métochion. Il avait su révéler la grandeur de son Orthodoxie bien-aimée, comme étancher la soif d'une foule altérée de Spiritualité Vraie.

Il travaillait sans relâche à la vigne du Seigneur, & la Grâce Divine, dans ses travaux divers & pénibles, lui en obtenait une récolte riche & abondante. Certaines personnes – aujourd'hui âgées ou disparues- se souvenaient naguère encore avec ferveur des Enseignements Spirituels de Père Joachim. Un immigrant venu de Sparte le vit, qui pour la première fois l'entendait, & fut si impressionné par lui qu'il ne croyait pas qu'il fût possiblement né & qu'il vécût tout comme le restant des hommes. Tant il lui semblait avoir devant lui un Ange. Chose qui paraissait grandement compréhensible. Car le visage lumineux de Père Joachim semblait appartenir au monde angélique. Mais l'intensité de son activité commença d'altérer sa santé. Il se sentait perpétuellement épuisé. Il fallait à présent qu'avant chaque liturgie & chaque homélie l'on lui fît des piqûres.

Son état s'aggravant continûment, les médecins lui suggérèrent de quitter l'Amérique, & d'aller se reposer en Grèce. Mais Père Joachim, fidèle jusqu'au bout, était résolu de rester pour s'occuper de ses ouailles, quand bien même ce dût lui coûter la vie.

Mais Dieu avait pour lui d'autres plans, selon son Economie Divine. C'est en d'autres lieux qu'Il voulait le Glorifier. Après la création, en 1930, de l'Archidiocèse d'Amérique par le Patriarche oecuménique, l'Archevêque Damascène fut choisi pour exercer les fonctions de président. Il était à cette époque Métropolite de Corinthe. Il fut par la suite Archevêque d'Athènes.

L'Evêque Pantéléimon, Exarque du Métochion du Saint Sépulcre, fut appelé au Patriarcat de Jérusalem.

Avec la bénédiction de l'Evêque, & pour ce que sa santé le nécessitait davantage, Père Joachim s'en retourna en Grèce. Après quelque Temps passé au Pirée ainsi qu'à Athènes, il partit pour la citadelle du Monachisme, la Sainte Montagne. La découverte de la Vie Monastique dans ce hâvre de Sainteté fut pour son coeur une illumination.


DEUXIEME PARTIE
LE MONT ATHOS,
JARDIN DE LA TOUTE SAINTE.


Ainsi s'achève la première page de sa vie, celle de son oeuvre missionnaire dans le monde, bénie par d'abondantes moissons.& ce fut une autre page qui s'ouvrit lorsque Père Joachim commença son apprentissage de la dure ascèse des Moines du Mont Athos.

Après sa première période d'activité fructueuse, son âme infatigable aspirait à trouver le silence & la paix, en sorte de constamment demeurer avec son Seigneur. Il le souhaitait ardemment, & nul obstacle ne l'arrêtait pour y parvenir.

Les difficultés qu'il allait rencontrer étaient pourtant de taille. Son corps souffreteux, sa culture de Grac Américain, & son genre de vie raffiné autant qu'aristocratique, constituaient pour son nouveau projet de vie autant de pierres d'achoppement. Mais, il ne perdit pas courage. Il avait pour soutien et pour réconfort l'héroïque armée des Saints qui l'avaient précédé, eux qui furent, comme parle l'Apôtre, « indigents,persécutés, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes, & les antres de la terre. » (Héb. 11, 37-38).

Il choisit donc pour demeure la Skyte austère & désolée de Kavsokalyvia, à l'extrême Nord de la péninsule de la Sainte Montagne. Il est à croire que Saint Maxime le Kavsokalyviote, Saint Nil le Myrrhophore, Saint Niphon, & saint Acace, ces fruits bénis de Kavsokalyvia, dans son choix le guidèrent du haut du Ciel. & cet être qui avait grandi dans l'habitude du confort Américain entreprit de suivre les traces de ces Pauvres de Dieu qui, rayonnants, « ont brillé dans l'ascèse », leur chante-t-on aux offices de leurs célébrations.

Les Pères de ce Temps menaient là une vie toute de simplicité & d'humilité. Tel un petit enfant, lui désirait de se mettre sous leur autorité d'En Haut éclairée. Mais il refusait toujours la place d'honneur qu'ils voulaient lui conférer dans la célébration de la Divine Liturgie. & durant les Vigiles nocturnes, il se tenait immobile comme une colonne de l'Eglise qu'il était.

Ce fut alors qu'il rencontra Père Grégoire, Moine du Monastère de Konstamonitou, qui menait la vie d'Hésychaste à Kavsokalyvia. C'était un homme doté d'une volonté forte, qui avait de la vie Monastique une expérience accomplie.Il n'était pas sans éducation, ayant servi dans l'armée. Dans le monde, il avait été officier, ce qui lui avait permis, dès les premiers Temps de son Monachisme d'acquérir rigueur et fermeté de caractère & stricte discipline.

Père Joachim s'attacha à ce Moine austère & perfectionniste. Il devint son disciple, en même Temps que deux autres novices, de pieux étudiants, qui l'avaient suivi depuis l'Amérique, n'ayant pu se séparer de leur Père & frère Spirituel.

Néanmoins, la kalyve – la hutte- de Père Grégoire étant trop petite pour eux tous, les quatre Moines s'en furent chercher un autre endroit où s'installer.

Chapitre deux.
A la Skyte de Sainte Anne.

Un habitat plus spacieux les accueillit bientôt tous quatre, le Père Grégoire,Père Joachim, & les deux autres frères : La kalyve de la Nativité de la Mère de Dieu à la Skyte Sainte Anne, sur le flanc occidental du Mont Athos.

C'est un lieu très pittoresque, & fort beau, empreint de sérénité, comme presque tous les sites de l'Athos. Ils s'y installèrent donc, formant une communauté bénie, que l'auteur, l'Archimandrite Chérubim, devait rejoindre par la suite.

Là, ils se renfermèrent sur eux-mêmes, dans une soumission totale à la volonté de Dieu & l'anéantissement de leurs volontés propres. Père Joachim entra alors plus intensément dans les profondeurs de la Vie Monastique. Il n'y avait en ce lieu ni confort ni commodités d'aucune sorte. Il dut traiter son corps avec rudesse ; tremper son âme comme de l'acier. L'appel auquel il répondait réclamait un disciple obéissant.

La kalyve om s'étaient installés les quatre Moines était perchée au plus haut de la Skyte Sainte Anne. Y grimper était une épreuve pénible pour les jambes, très essoufflante, & particulièrement épuisante pour le coeur. & de seulement regarder, depuis le bord de mer, en hauteur vers la kalyve de la Nativité de la Mère de Dieu donne le vertige. Combien de pèlerins non endurcis oseraient-ils faire l'ascension jusqu'à la Skyte, en portant matériel & provisions sur le dos? A cela, non pas pour un jour ou deux, mais à vie?

Un vrai combat attendait Père Joachim. Tel un athlète avant la lutte, il se fit aussi léger que possible. Il résolut de se défaire de tout fardeau, quelque précieux qu'il pût lui paraître. Il ne voulut conserver qu'une chose : L'espérance de conserver la couronne de la victoire. C'est pourquoi Père Joachim demanda à Père Grégoire qu'on le déchargeât des tâches de la Prêtrise & de toutes les responsabilités ecclésiastiques qu'il avait dû assumer en Amérique. «  Il y a ici de Saints Prêtres, » s'excusa-t-il humblement, « auprès desquels je ne suis pas digne de me tenir. Je suis venu ici pour y être un simple Moine ».

Père Grégoire fut, à la vue de ses larmes, profondément ému. Enfin libéré du pesant fardeau de ses charges ecclésiastiques, Père Joachim se rendit chez l'Higoumène de la Skyte. Devant la sainte icône miraculeuse de Sainte Anne, il déposa sa croix d'Archimandrite, ainsi que deux citations,l'une du Patriarche de Jérusalem, l'autre du gouvernement Américain. Il se débarrassa en suite de tous ses vêtements neufs & coûteux, qui le distinguaient des autres Pères, pour adopter le simple rasso – la soutane- & la skoufia – la coiffe- Athonites, & se jeter dans la lutte de la Vie ascétique qui rend semblable au Christ.

Rien ne pouvait abattre son courage : Ni le sentier escarpé de la Skyte, ni les nuits de veille,ni la privation de sommeil, ni la frugalité de l'ordinaire des Moines. Malgré son corps malade, il n'était pas abattu par la sévérité des jeûnes.Or, les lundi, les mercredi, & vendredi, il ne prenait qu'un repas le jour, & encore sans huile. Durant les grands carêmes, il se privait davantage même, & faisait le triméron d'entrée & celui de sortie du carême, demeurant, chacune de ces deux fois, trois jours entiers sans du tout manger rien.

Son âme héroïque embrassait joyeusement sa nouvelle Vie. L'on eût dit qu'il était né pour être Moine.


Chapitre trois.
La croix de la soumission.

Dans la hiérarchie des valeurs de cette Vie nouvelle, Père Joachim mit à la première place l'obéissance à son Ancien. Il comprenait que, sur la voie de la Vie Monastique, il avait en premier lieu besoin d'un guide expérimenté, en qui il pût se confier entièrement. Il se devait de faire connaître à son Ancien tous ses actes, pensées, & désirs cachés. Dès l'instant qu'il devint son disciple, il prit l'habitude de venir voir son Ancien chaque soir pour les lui confesser & lui parler ensuite à bâtons rompus de sa vie intérieure, des obstacles qu'il y rencontrait & de tout ce qui s'était passé dans la journée. Difficultés, tentations, & révoltes y sont le lot quotidien du Moine. Telle est la voie obligée de toute âme qui lutte pour atteindre à la Contemplation comme à l'impassibilité. Cette voie étroite passe entre Charybde & Scylla, parmi une infinité d'écueils dissimulés & de pernicieux
obstacles.

Souvent, lorsque nous parlions de nos luttes monastiques, Père Joachim disait : « Sans la confession quotidienne de ses pensées, un moine n'apprendra jamais à se battre contre elles , & à en être victorieux. » Souvent, je le vis, sortant de la cellule de son Ancien, qui bondissait littéralement de joie. Au surplus, malgré son visage hâve & méditatif, il était toujours cordial & enjoué.

Pour Père Joachim, son Géronda, le Père Grégoire, venait juste après Dieu. De l'Ancien, il s'efforçait de devancer le moindre de ses désirs & de l'accomplir au mieux. Ce qui pour les autres reste une attitude d'esp rit théorique, pour lui était une pratique réelle. Frêle & maladif, il était, après le travail, si épuisé qu'il lui fallait se tenir aux murs pour regagner sa cellule. Mais, lorsque l'Ancien lui assignait quelque tâche, il l'accomplissait avec tant de soumission que nous restions stupéfaits. Souvent, les sacrifices qu'il consentait nous arrachaient des larmes. De telles scènes sont inoubliables.

Je raconterai ici quelques anecdotes, que je conserve dans ma mémoire comme un trésor. Ainsi, en octobre 1939, Père Joachim était chargé de ramasser les olives pour notre kalyve, travail auquel nous prîmes tous également part. Nous travaillâmes du matin au soir, &, comme toujours, en silence & en Prière. Au coucher du soleil, nous nous arrêtâmes pour lire les Vêpres. Après quoi nous avions l'intention d'aller nous reposer avant que de nous rendre au mâtines à une heure du matin, puis de retourner à la récolte des olives. Au retour, Père Joachim étant si épuisé qu'il ne pouvait plus tenir sur ses jambes, nous dûmes le soutenir. Quand nous arrivâmes au bosquet qui jouxte notre kalyve,on nous dit que c'était à présent notre tour de presser les olives. Ce qui signifiait que nous allions devoir passer la nuit à écraser les olives que nous venions de ramasser. L'on entendit lors l'Ancien dire à Père Joachim : «  Vas-y. Commence. Les autres te rejoindront bientôt ».

Pour mettre en route le moulin à olives, il fallait pousser la roue pour faire tourner la meule qui concasse & broie les olives en purée. Nous n'utilisions pas d'animaux alors, pour ce faire. C'était un labeur ascétique.

« - Que cela soit béni, Père », répondit-il, usant de la formule consacrée, avec un étonnant empressement. Il fit une métanie, reçut la bénédiction usuelle, & s'en fut tourner la meule. Nous le suivîmes des yeux le long du sentier, jusqu'à ce qu'il eût disparu entre les arbres de la skyte. Nous étions sans voix : C'était là l'homme qu'il nous avait fallu soutenir à bout de bras pour le faire marcher! Nous suppliâmes l'Ancien d'envoyer avec lui l'un de nous, pour le cas où il serait pris d'un malaise en chemin.

Mais l'Ancien repartit avec sa rudesse de soldat : «  Pourquoi vous laissez-vous troubler? Ne croyez-vous donc pas que même notre époque peut fournir des Saints? Ou si vous avez oublié que l'obéissance relève jusqu'aux Morts de leur tombe? Vous verrez que Dieu lui donnera la force en récompense de son obéissance à son Ancien & de son renoncement à sa volonté propre. Lui-même en sera le premier étonné. »

Sur l'ordre de l'Ancien, j'allai bientôt au moulin. J'y fus abasourdi de voir cet homme, faible & malingre, tourner avec détermination la lourde manivelle du moulin. Je lui demandai : «  Comment cela va-t-il, Père Joachim? »

« - Que puis-je dire? » fut sa réponse. « Avec la bénédiction de l'Ancien, je ne ressens pas de grande difficulté à l'ouvrage. J'aimerais juste un peu d'eau à boire, car j'ai très soif. » Il accepta mon aide. Je le secourus aussi d'un peu d'eau. Au point du jour, le travail s'acheva. Deux autres frères nous remplacèrent. Après minuit, sur l'injonction de l'Ancien, se retira enfin dans sa cellule pour y prendre le repos qui lui était si nécessaire.

Nombre de faits semblables se produisirent durant les dix-huit années de dure ascèse passées à la Skyte Sainte Anne. Je n'en inclurai ici que deux autres, mais ils suffiront à donner une image plus exacte de l'abnégation du Père Joachim.

Chaque soir, il avait coutume d'aller s'entretenir avec le Père Grégoire de sujets spirituels. Un soir, comme il frappait à la porte, père Grégoire le pria d'attendre. Père Joachim, étant fatigué, appuya sa tête contre le chambranle de la porte, & attendit. Soit que l'Ancien eût oublié sa présence, soit qu'il voulût le mettre à l'épreuve, le Père Grégoire se coucha & s'endormit. En se levant pour les mâtines, à minuit, il trouva Père Joachim qui attendait toujours dehors, devant sa porte. «  Qu'es-tu encore ici à cette heure? » s'étonna l'Ancien.
« -Quand j'ai frappé à ta porte, hier, tu m'as dit d'attendre. »

Ce fut l'Ancien lui-même qui nous conta cette histoire avec émerveillement, tant était parfaite l'obéissance de son fils spirituel. Pour nous, nous louâmes Dieu qu'Il eût donné un tel frère à notre communauté.

Une autre fois, alors que nous avions achevé le dîner, & que nous retournions à nos cellules,l'Ancien, devant tout le monde, appela Père Joachim : » Prépare la la,terne, le sac, & la canne.Je veux que tu ailles à la Lavra. Tu dois y être au matin, quand ils ouvriront le Monastère. Je veux que tu y traites d'une certaine affaire, & que tu sois de retour ici demain à midi. « Avec ta bénédiction, Père », répondit-il. & il se prépara pour son voyage nocturne.

Le Monastère de la Grande Lavra n'est qu'à environ quatre heures de marche de la Skyte Sainte Anne. Mais, comme il allait très lentement, Père Joachim dut partir sur le soir. Il n'en pouvait plus de fatigue, harassé qu'il était ; mais, par la vertu de son obéissance, il se sentait néanmoins le courage d'obtempérer. Il fit une prosternation & s'en fut. Il parcourut quelque distance sur le chemin du Monastère, marchant à pas comptés. Lorsqu'une fois encore son courage & sa patience vertueuse eurent été de la sorte éprouvés, l'Ancien, envoyant un autre frère le remplacer, le fit revenir.

« -Avec tes Prières, Père , j'aurais continué, » remercia-t-il. «  Mais, puisque tu l'as ainsi voulu, je suis revenu ».

De fait, l'obéissance était le trait principal de la personnalité de Père Joachim. Il crucifiait chaque jour sa volonté propre, tant dans les grandes choses que s'agissant des moindres.


Chapitre quatre.
Sa relation à Dieu.


Père Joachim, tous les jours, priait sans cesse. Assis, ou travaillant, il prenait soin de s 'entretenir continûment avec Dieu.& il nous disait toujours, humblement: « Si vous enlevez la Prière à un Moine, vous lui ôtez le droit de se sentir véritablement fils de Dieu. »

Souvent, il venait à nous,&, paternellement, nous demandait si nous faisions la Prière du Coeur, & si nous disions l'Hymne Acathiste à la Mère de Dieu.

Je le voyais rarement parler,& seulement lorsque cela était nécessaire. Mais je l'ai toujours vu en Prière. Pour trouver un lieu paisible, il se rendait dans le petit bois qui se trouvait derrière notre kalyve. Là, il élevait les mains vers le Ciel, &, plusieurs heures durant poursuivait seul, mystérieusement, son entretien avec le Seigneur. & lorsque nous lui demandions où il était allé : «  Au jardin de Gethsémani », répondait-il.

La Prière lui donnait tant de Joie, & le nourrissait tant spirituellement, qu'il tenait la nourriture & le sommeil pour superflus. Durant une année, il reçut même la bénédiction de l'Ancien pour ne pas rentrer le soir dans sa cellule. Mais, il restait debout, au milieu de l'église de la kalyve. Les frères disaient que durant ces moments, les bénédictions divines & les réalités célestes se manifestaient mystiquement dans son coeur. Souvent, ils entendaient ses lamentations. A d'autres moments, il entonnait des hymnes d'allégresse.&, lorsqu'ils le voyait aux mâtines, il était toujours frais & dispos, comme s'il eût dormi tout ce Temps d'un trait.

Son âme brûlait de désir divin, mais son corps ne pouvait pas la suivre. Il devenait de plus en plus faible. Durant l'année où il veilla chaque nuit debout, ses jambes commencèrent de se couvrir de plaies, dues à la mauvaise circulation. Dès là que l'Ancien lui interdit de poursuivre ses nuits de veilles debout dans la chapelle. Alors le brave héros de Dieu engagea une nouvelle bataille. S'enveloppant d'un châle de laine, & se couvrant d'une épaisse couverture, il entreprit, dans un coin de sa cellule, de rester assis toutes les nuits. Il n'eut jamais d'oreiller. Seules ses jambes étaient allongées, pour soulager ses ulcères. Durant cette nouvelle bataille ascétique qu'il livrait, toute la nuit il priait. De temps à autre, quand il fermait les yeux, vaincu par la fatigue, son coeur continuait de dire intérieurement, battant,la Prière de Jésus : «  Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi, »

Nous entendions toujours cette Prière, venant de sa cellule. Que de fois, m'éveillant par hasard au milieu de la nuit, n'ai-je pas entendu la Prière de Jésus & l'Acathiste à la Mère de Dieu résonner d'une voix pleine d'émotion depuis sa cellule proche, où il gardait, assis, la veille perpétuelle, tel un ange sur la terre.

Il me souvient aussi que lorsqu'il chantait : « Très Sainte Trinité, Toi notre Déité Trine, aie pitié de nous, & sauve-nous, ô notre Dieu », tout son corps tremblait d'émotion. Je pense qu'il n'y avait pas pour lui de prière plus puissante. & quand, durant les Offices, nous chantions le tropaire de la Sainte Trinité, il se tenait rigoureusement immobile, debout, tendu dans une attention totale au sens mystique de ces paroles. Pour lui, le nom du Seigneur Jésus était le plus doux de tous les mots. Quant à sa vénération pour la Mère de Dieu, elle ne se peut décrire.

Pour la Mère de Dieu, il avait beaucoup d'amour & de vénération. Il récitait plusieurs fois par jour le long Hymne Acathiste, &, souvent nous exhortait de la sorte, disant ces belles paroles: «  Votre vie durant, tenez fermement la robe de la Mère de Dieu, & elle vous conduira à son Fils. »

Il nous confia un jour : » Les prières & les hymnes des Offices divins sont comme une belle prairie. & quiconque y pénètre n'aura jamais le coeur de les abandonner. Le parfum qui émane de cette Prière le ravira tout le jour ». & c'était là avouer que ses Prières recevaient d'En Haut la Grâce embaumante du parfum de Sainteté, lorsqu'il priait ainsi embaumant entour lui de cette odeur suave qui enivre de Joie.

Tous les frères de notre sainte synodie – de notre communauté – se réunirent un jour pour examiner la question de la Communion fréquente. Nous adoptâmes sur ce point la position des Kollyvades, favorables à la fréquente communion dispensée chaque jour. Les « Kollyvadès » était ce mouvement spirituel qui engloba toute la vie monastique & devint le fanal de notre génération durant la guerre. Le Père Spirituel de notre Fraternité était alors le Père Christophore, qui menait une vie d'Hésychaste dans les Karoulia.C'était un descendant spirituel des Kollyvades. Il avait d'abord appartenu au Monastère de Phlamourion à Volos. C'est ainsi qu'il fut décidé que la Sainte Communion serait dispensée chaque jour aux membres de notre communauté, dont était le Père Joachim.

Mais, souvent, la Sainte Liturgie n'étant pas célébrée chaque jour, nos coeurs soupiraient après la Manne Céleste. Père Joachim alors, sur l'injonction de l'Ancien, revêtait son étole, &, plein de Joie & de respectueuse crainte de Dieu, donnait aux frères le Pain de Vie. De fait, les Saints Dons Présanctifiés demeuraient en permanence dans notre église. Ainsi, la Présence de l'Agneau de Dieu dans notre petite communauté imprégnait les heures & les jours d'une Grâce toute particulière.


Chapitre cinq.
Son goût de l'ordre.



La Vie du Saint Père Joachim se déroulait dans une atmosphère de miracle perpétuel, se manifestant non seulement dans sa lumineuse vie intérieure, mais aussi dans toutes ses façons de faire & d'agir, fût-ce au milieu des pires difficultés.

Grâce à sa vigilance, l'ordre régnait dans notre kalyve. Un ordre impeccable.

Un jour, m'étant servi d'un couteau pour couper un citron, j'omis de le remettre en place.

« T'es-tu servi de ce couteau?

-Oui, répondis-je.
- Pourquoi l'avoir laissé ici. Ramasse-le aussitôt, lave-le, sèche-le, & dis-lui merci pour son aide. Ensuite, range-le à sa place. Il doit y avoir une place pour chaque chose. »

Il nous enseigna un jour une manière ingénieuse d'apporter le bois de chauffage du jardin à l'intérieur de la kalyve. Chaque fois que nous traversions le jardin, nous devions apporter un morceau de bois. Le tas que nous faisions grandit ainsi insensiblement, jusqu'à ce qu'il y eût assez de bois pour se chauffer tout l'hiver.


Chapitre six.
La douceur de son âme.


La douceur & la tendresse de son âme transparaissait partout. Son affection pour les frères & les Pères de la skyte était toujours aussi chaleureuse & joviale. & quitte à rompre ses habitudes du moment, il était toujours prêt à aider un frère dans le besoin.

Suivent ici des réflexions faites par lui, montrant la gentillesse & l'affection qu'il témoignait aux visiteurs mêmes :

«  Si un frère de passage vient assister à notre office, donnons-lui toujours la meilleure place, en particulier dans le choeur pour chanter. & s'il lui arrive de détonner dans le ton du jour, de chanter, par exemple, le troisième ton au lieu du quatrième, ne le corrigeons pas, de peur de le mettre dans l'embarras. Laissons-le se corriger lui-même. L'amour & le respect d'Autrui sont plus que le ton. »

& il se montrait en ses dires un Guide Spirituel avisé & plein de discernement, qui nous montrait, à nous jeunes moines inexpérimentés, le chemin qu'il fallait suivre pour s'éviter bien de la peine & de la confusion.


Chapitre sept.
Sa barbe.


Nous ne pouvons omettre de dire quelques mots de l'exceptionnelle barbe de Père Joachim, au point qu'il était rarissime d'en voir une semblable ailleurs

Vivant en Amérique, Père Joachim avait constaté avec douleur les progrès de l'esprit moderniste qui avait commencé d'érôder la vie ecclésiastique même. Il avait sous les yeux des prêtres qui croyaient rempli mieux leur rôle dans la société en abandonnant la Tradition Orthodoxe. Encontre cette attitude, Père Joachim répliquait en se conduisant courageusement. Il ne pouvait supporter de voir ces prêtres orthodoxes quitter leur précieuse soutane et couper leurs cheveux & leur barbe. & il est à noter qu'avant sa tonsure, il avait fait cette prière à la Mère de Dieu : «  Très Sainte Mère de Dieu, quand je deviendrai Prêtre, accorde-moi, je te prie, une longue barbe & de longs cheveux, pour que je ressemble aux Prêtres de mon pays. ».

& Elle, loin de rejeter sa supplique, combla son attente.

Comme nous le disions plus haut, les Américains admiraient pourtant sa majestueuse prestance, sa classe supérieure, & sa barbe déjà magnifique. Lorsque, pour finir, il partit pour le Mont Athos, une chose étonnante se produisit. Sa barbe crût tant, qu'elle s'allongea jusqu'aux pieds. Ce qui constituait un phénomène rarissime, même dans sa Grèce natale! Pour nous, nous l'attribuâmes à la Prière qu'il avait si fervemment adressée à la Mère de Dieu. Si bien que pour garder la liberté de ses mouvements & éviter les commentaires,il dut enfouir sa barbe dans un sac attaché à son cou.

Dans ses dernières années de vie, les frères lui demandèrent de se laisser photographier avec ses ornements de Prêtre Hiéromoine & sa barbe.& quoqu-il eût commencé par refuser, à la deuxième sollicitation , il accepta. La photographie s'en est conservée, impressionnante autant qu'émouvante à la vue de la Sainteté que dégage tout son être.


Chapitre dix.
Le diagnostic du médecin.


Jour après jour, Père Joachim croissait en Sainteté. Mais, dans le même Temps, son être extérieur s'affaiblissait. Sa Santé étant de plus en plus mauvaise, Père Grégoire, malgré ses protestations, fit pour lui venir un médecin. Le diagnostic tomba. Sans appel:Tuberculose. &, s'il ne changeait pas son régime, il n'avait plus que quelques mois à vivre. Il fallait qu'il mange de la viande, du poisson, & des oeufs, &, s'il n'était pas possible d'en trouver sur place, il lui fallait absolument quitter le Mont Athos. Le médecin ordonna un repos total.

Père Joachim avait entendu tout cela sans sourciller. Le médecin parti, il s'adressa à l'Ancien : «  Père, done-moi ta bénédiction pour passer la nuit dans l'église. Je voudrais y prier la Mère de Dieu. & demain matin, nous pourrons reparler de ce qu'il y a lieu de faire pour ma santé. » L'Ancien accorda sa permission.

Cette Âme indomptable observa la veille toute la nuit durant. & le lendemain, après les mâtines, il dit au Père Grégoire : «  Je te prie de ne pas faire ce qu'a dit le médecin. Remettons bien plutôt le soin de ma santé entre les mains de la Mère de Dieu. C'est elle qui décidera. & afin de nous assurer son intercession, au lieu de viandes & d'autres nourritures protéinées, donne-moi ta bénédiction pour continuer le jeûne. En outre, je ne mettrai plus rien de sucré dans ma bouche. De la sorte, notre Mère, la Théotokos, sera Glorifiée. »

L'Ancien s'étonna encore une fois de cette foi adamantine, plus dure que le fer & de cette force de volonté farouche Il lui donna sa bénédiction, se ressouvenant de ce qu'il avait lui-même enseigné à Père Joachim. Il se rappela l'époque où ils étaient allés, pour apprendre l'art de l'iconographie, à la cellule de Saint Constantin, lequel était un métochion, ce qui est dire une dépendance du Monastère de la Grande Laure. Son infatigable fils spirituel avait alors imposé à son corps une discipline telle que, durant une année entière, il avait observé pour règle de ne manger qu'une fois le jour, & qui plus est, en demeurant debout!

Six mois passèrent, & le médecin, très inquiet pour son patient, revint demander à l'Ancien si Père Joachim était toujours de monde. «  Bien sûr qu'il est vivant! » répondit-il. Le médecin étonné demanda lors à l'examiner.

& après l'avoir bien ausculté : «  Je ne lui trouve plus rien, » s'exclama le médecin stupéfait. « Il semble que le régime & le repos que j'ai prescrits eussent été efficaces! Il est complètement remis! »

Père Grégoire & Père Joachim se regardèrent alors, & eurent peine à garder leur sérieux. &, lorsqu'il fut seul avec le médecin, le Géronda lui raconta l'histoire de cette guérison miraculeuse. L'homme de science resta coi, muet.Il s'émerveilla du pouvoir de la foi, &, sans doute pour la première fois sut qu'il avait été témoin d'un véritable miracle.



Chapitre onze.
Sa confession de Foi.

Père Joachim tint toujours très haut élevé l'étendard immaculé de la Foi Orthodoxe. Si haut même que certaines de ses attitudes pourraient paraître excessives à l'esprit moderniste.

L'état de l'Eglise, ainsi que la question du calendrier le préoccupaient fort. Toute tentative des autorités pour changer ce que les Saints Pères avaient institué dans l'Eglise l'inquiétait profondément. Il les combattait avec autant de force que le lui permettait l'austérité de sa Vie Monastique.

La majorité des Grecs, du plus modeste citoyen jusqu'à la personnalité la plus éminente, désirait ardemment être de fidèles membres de l'Eglise. Son séjour en Amérique lui avait également beaucoup appris à cet égard. Aussi, lorsqu'il lut dans des journaux Grecs & étrangers, que certains hauts dignitaires Grecs appartenaient à des organisations étrangères à l'Orthodoxie, & même contraires à son esprit, il en conçut colère & vif chagrin. Il écrivit intrépidement à chacun d'eux en particulier, en leur dénonçant la nocivité de ces associations. Il leur conseillait même d'élever au contraire la voix contre les ennemis de la Religion, & surtout contre les détracteurs & les destructeurs de l'Orthodoxie.

Cette attitude lui valut de passer en jugement à Thessalonique. Il s'y défendit avec courage & candeur. Tous furent impressionnés par la lumineuse intelligence & le discernement avisé de ce jeune Moine frêle du Mont Athos. Les journaux même lui rendirent hommage. Il accepta sa condamnation sans un murmure, &, comme un autre Saint Nicodème, il dut prendre, mais le coeur léger, le chemin de l'exil dans l'île de Skopélos.

Les habitants de l'île furent à leur tour impressionnés )ar ses Prières, ses jeûnes, & son immense bonté d'âme. Nombre d'entre eux se souviennent du moine exilé dont la lumineuse Vie laissa son empreinte sur leur île.

L'avance dévastatrice de l'armée allemande le trouva encore en exil. Quelque Temps se passa. Après quoi, ce fut en homme libre qu'il s'en retourna à son cher Mont Athos pour y poursuivre sa Vie de Désert.


Troisième partie.
Chapitre un.
La Dormition d'un Saint.

Le Père Joachim retourna dans sa pauvre kalyve du Mont Athos, tel un soldat s'en revenant du champ de bataille. Mais, loin d'y trouver paix & consolation, son coeur meurtri devait y recevoir une nouvelle blessure.

Ayant quitté l'Athos pour accomplir une mission, l'un des moines de la synodie s'était laissé prendre au pièges des choses de la vanité, & était resté dans le monde. Le coeur sensible de Père Joachim en fut très affligé. Quoiqu'il eût fait le serment solennel de ne plus jamais quitter le Mont Athos,il résolut d'aller malgré tout à la recherche de la brebis égarée. L'amour pour son frère lui fit rompre son serment. Il se mit donc en route pour retrouver & ramener le prodigue.

Mais, hélas, le frère s'était enfoncé dans le péché, au point que nul conseil spirituel, nulle supplication, nulles larmes ne purent l'en arracher. Son âme captive était devenue inaccessible au repentir.

Après cette douloureuse expédition, Père Joachim revint en paix au Mont Athos. Il avait fait son devoir & tout ce qui était en lui pour sauver son frère de la vanité du monde. Toutefois, le chagrin & l'effort avaient été trop grands, & son corps épuisé, cette fois ne put les surmonter. Déprimé, il s'alita, pour ne plus se relever.


Chapitre deux.
Sur son lit de douleur.

Son Géronda, le Père Grégoire s'était dans l'entre-temps endormi dans le Seigneur. Pour des raisons de santé, l'auteur de ces lignes fut contraint de quitter le Mont Athos durant l'occupation allemande. Aussi ne restait-il plus qu'un seul Moine, Père Stéphane, pour veiller le Père Joachim. Il était venu avec lui d'Amérique. Il servait l'Ancien avec beaucoup d'amour & de dévotion. Sachant parfaitement que le Saint pouvait succomber d'un instant à l'autre, il devint comme une lumière d'Amour brillant à ses côtés. Saint Joachim, lui, était un soleil atteignant son coucher.

En septembre 1950, je reçus un télégramme urgent de Père Joachim, me demandant de venir au Mont Athos le plus vite possible. J'accourus aussitôt. J'allai le voir pour la dernière fois.

Son ancienne tuberculose ne lui avait laissé que la peau & les os. Mais sa vie & ses efforts ascétiques l'avaient empli d'une paix visible. Je ne peux décrire ce que je voyais devant moi. Etait-ce un missionnaire? Un disciple exemplaire? Un ascète infatigable? Un confesseur & un apologète de la Foi? Un homme « aimant Dieu de toute son âme, de toutes ses forces & de tout son esprit »? C'était tout cela ensemble. Je vis en outre « un olivier chargé de fruits » que le Seigneur allait transplanter du jardin athonite de la Mère de Dieu au Jardin de Son Eternité. En l'espace de vingt années, il avait conquis le Salut & la Sainteté, couvrant une course qui à d'autres eût demandé soixante à soixante-dix ans d'efforts ascétiques.

J'embrassai sa main vénérée, & lui, d'une voix faible,
mais néanmoins claire, m'expliqua pourquoi il m'avait fait venir.

«  Père Chérubim, je t'ai appelé pour te voir une dernière fois sur la terre. & aussi, pour te demander pardon, si jamais je t'ai offensé quand tu étais ici. »

&, de son lit, il s'inclina jusqu'à moi pour me demander pardon.

J'essayai de l'en empêcher & de l'arrêter en lui rendant sa prosternation. Très émus, nous échangeâmes le baiser de paix.

Ses paroles, de ce moment, n'étaient plus qu'une action de Grâces à Dieu qui, après toutes ces années, nous rassemblait de nouveau. Notre rencontre, quoiqu'elle fût la dernière, lui causait une joie sans bornes.

«  Je suis heureux », me dit-il, parce que je s dans la pénitence. J'espère qu'il en sera ainsi pour toi aussi. J'ai eu ce bonheur que Dieu me donne du Temps pour le repentir ».

Ce «  Temps du repentir » représentait certainement pour lui la meilleure ancre d'espérance, l'assurance de la rétribution d'En Haut, un gage céleste.

Accablé par son extrême épuisement,il cessa de parler.

Chapitre trois.
Vers l'éternité.

Je demeurai quelques jours auprès de lui. Il ne pouvait guère parler. Le médecin ayant pronostiqué que cet état pouvait perdurer encore assez longtemps, je retournai à Athènes pour m'occuper d'affaires relatives à mes études. Hélas! Comme j'étais sur le point de revenir, il s'endormit dans le Seigneur. C'était une vie emplie des Dons de l'Esprit Saint qui prenait fin.

Quelques jours auparavant, il avait appelé son fidèle frère, lui disant : «  Frère Stéphane, viens donc un peu ici pendant que je suis encore capable de parler, & bavardons un peu. Peut-être demain ne le pourrai-je plus. »

& il évoqua le passé : sa vie en Amérique, sa venue au Mont Athos, son obéissance à son Ancien, son exil à Skopélos, sa maladie.

«  Mon frère! » acheva-t-il en larmes, «  je te remercie de m'avoir si long Temps servi avec une telle patience. & je te prie d'oublier les occasions où j'ai pu t'attrister. » Il l'étreignit avec beaucoup d'émotion, & tous deux, en larmes, s'embrassèrent. Alors, & long Temps, par la suite, le frère se souvint du secours spirituel que Père Joachim lui avait toujours prodiguée, depuis leur jeunesse en Amérique jusqu'en ces moments.

Ce fut là leur dernier entretien.


Quatrième partie.
Epilogue.


Tous ceux qui l'avaient connu, de près ou de loin, vinrent à l'office de son ensevelissement. Enveloppé dans un grand rasso, le corps tourmenté du grand lutteur avait enfin trouvé le repos. On l'ensevelit derrière l'autel de la kalyve, qu'il avait des années durant avec ascétisme desservi.

Les Pères du Mont Athos vont encontrer la Mort exactement comme y vont les Martyrs. C'est pour eux l'achèvement héroïque de l'épreuve, & le commencement de l'Eternité triomphante. Les athlètes du Christ ne meurent pas. Père Joachim ne mourut pas non plus: Il fut transporté de la Mort à la Vie. Tous les Pères & frères présents en eurent la certitude: Père Joachim avait atteint le monde après lequel il avait si ardemment soupiré.

Saint Père Joachim, Prie Dieu pour nous!



Cinquième partie.
Postface.

L'Histoire réelle de l'Humanité est celle de l'Eglise Divino-Humaine, dont la vie commence sur terre, mais s'accomplit dans le Royaume de Dieu. Comme l'a dit l'admirable Père Justin Popovic,les jours & les nuits, comme de longs fleuves blancs & de grands fleuves sombres, s'écoulent inexorablement vers le Jugement Dernier.

Cependant, cette authentique histoire demeure secrète, inconnue, comme l'est aux yeux du monde la Vie des Saints qui ont fui les honneurs & les gloires de cette terre pour atteindre la perfection de la Vie En Christ.

Ainsi coexistent deux histoires de l'humanité, dont l'une sera pour l'autre, au Jour où les livres seront ouvertes, le révélateur & le négatif.

Là où l'histoire selon le monde & la philosophie allemande de Hegel voient Napoléon sur son cheval à Austerlitz comme l'âme du monde, l'Histoire selon le Christ manifeste Saint Séraphim de Sarov atteignant la mesure des anciens Stylites, & après eux, mille jours & mille nuits revenant prier sur son rocher.

Là où, avec le 14 juillet 1789, nous voyons le début de l'ère contemporaine, qui ouvre le culte de la Raison, nous ignorons que, sur la Sainte Montagne, ce même 14 juillet, s'endort dans la paix du Seigneur, Saint Nicodème l'Athonite, le rédacteur de la Philocalie, & le principal artisan du retour à la Tradition patristique & du renouveau de la Prière du Coeur, fondée sur la purification du coeur.

De même, issue de cette lignée spirituelle, la Vie du Saint Père Joachim appartient à la véritable Histoire de l'Humanité, à la véritable Eglise, à la véritable Orthodoxie.

Le Père Joachim a doublement accompli la vocation du Chrétien figurée par les deux bras horizontal & vertical de la Croix du Christ. A une époque où dominait le rationalisme religieux, le Père Joachim fut missionnaire, étendant la prédication de la Foi & faisant grandir le troupeau de l'Eglise du Christ en Amérique. Puis, imitant l'ascèse des Anciens Pères, il s'est élevé droit à la Déification.

Pour comprendre la généalogie spirituelle du Père Joachim, il faut remonter au mouvement hésychaste & traditionnel de la fin du XVIIIème siècle que l'on nomme les Kollyvades.

Ce nom de « Kollyvades » vient des grains de blé, ou kollyves que l'on offre dans l'Glise Orthodoxe, lors des pannhikides pour la commémoration des défunts. Certains Monastères Athonites ayant pris l'habitude de célébrer cet office des défunts le dimanche, les Moines hésychastes y virent à juste titre une négation spirituelle de la Résurrection du Seigneur, & demandèrent le retour de ces offices au samedi.

Ce fut sur ce thème, & sur celui de la fréquente communion qu'éclata une véritable querelle entre les Moines Athonites : Les Kollyvades s'opposaient ainsi à la pratique décadente qui consiste à ne communier qu'une ou deux fois par an .

En réalité, le débat portait surtout sur la Tradition patristique, qui étaient combattue par certains moines influencés, jusque sur la Sainte Montagne, par des courants modernistes occidentaux. Les Kollyvades demandaient une observation rigoureuse des canons & du typikon de l'Eglise, l'étude des textes des Pères, soit des écrits patristiques, & la participation régulière des fidèles aux canons de l'Eglise. Leurs adversaires, disciples de la théologie russe décadente du XVIIIème siècle, souhaitaient voir étudier par les moines les systèmes philosophiques, les humanités, les penseurs & les savants, toutes connaissances inutiles aux moines aux yeux des premiers.

A cette fin, avait été fondée par le Patriarche Cyrille l'Académie Athonite, dont le premier recteur fut le très érudit & très libéral Eugène Boulgaris. Originaire de Corfou, formé à Venise, plus tard très élégant traducteur de Voltaire en Grec, Boulgaris devait finir sa vie en Russie, bibliothécaire de Catherine II, la grande persécutrice des Moines Orthodoxes de Russie.

Les Kollyvades combattirent l'hérésie Athonite, &, selon les Synaxaires consignant les Vies des Saints, il est rapporté que Saint Nicodème Aghiorite chanta pour le renvoi de Boulgaris.

Saint Nicodème est l'une des plus belles figures spirituelles de l'Orthodoxie, & le grand défenseur des Kollyvades. Son apologie du mouvement des Kollyvades porte principalement sur la commémoration des défunts.il crivit égalemnt un ouvrage sur la fréquente communion. Mais il est surtout connu pour ses éditions de la Philocalie, des oeuvres patristiques de Saint Syméon le Nouveau Théologien, & de Saint Grégoire Palamas.

Il sied de mentionner parmi les Kollyvades encore deux autres figurés éminentes, dignes des Anciens Pères : Saint Macaire de Corinthe, & Saint Athanase de Paros.

Saint Macaire, qui rédigea la Philocalie avec Saint Nicodème eut une multitude de disciples. - Tous ceux en particulier qui se préparaient à être martyrisés par les Turcs venaient prendre sa bénédiction.-

Athanase de Paros a souvent été considéré comme lnscience du Peuple Orthodoxe, tel un nouveau Marc d'Ephèse, car sa vie entière a été consacrée à la Défense de la Tradition Orthodoxe face aux systèmes rationalistes venus d'Europe: «  Les Pères de l'Eglise », avait-il accoutumé dire, « donnent les réponses qu'aucune pensée philosophique ne peut apporter. »

Ce fut lui qui encouragea Saint Nicodème à publier les oeuvres de Saint Grégoire Palamas, l'un des sommets de la Théologie des Pères, que peu connaissaient alors. Mais, du fait de son attachement aux Kollyvades, & sur la fausse déposition de moines athonites égarés, il fut déposé & exilé.

Du mal Dieu fit sortir un bien, car l'injuste persécution que subissaient les Kollyvades fut cause d'un grand bienfait pour la Grèce entière : Car les Moines Athonites luttant pour les Kollyvades & leurs disciples furent dispersés dans la Grèce entière, en Thessalie, en Epire, dans le Péloponnèse, & surtout dans les îles, à Naxos, à Paros, à Chio, à Skiathos. Partout ils engendrèrent une véritable lignée d'ascètes & de Saints. L'une des plus célèbres de ces lignées est celle de Paros, avec Saint Arsène le Nouveau, continuée jusque récemment par le Père Philotheos Zrvakos. Une autre est celle de Naxos, dont est issu le Saint Père Nicolas Planas, ainsi que ses disciples les poètes A. Papadiamandi & A. Moraïtidis. Vraiment Dieu avait mis à part & gardé les Kollyvades pour affermir l'Orthodoxie dans des Temps difficiles.

En effet, au XIXème siècle, avec la réforme de Maurer, sorte de résurrection de l'iconoclasme, ( cf La Lumière du Thabor n°11), l'Eglise Grecque subit une décadence théologique très grande, influencée par le rationalisme occidental. & peu après le début du Xxème siècle, le Patriarcat de Constantinople évolua vers un modernisme proche de « l' église vivante » soviétique, & animé par un farouche esprit anti-monastique.

L'Encyclique de 1920 du Patriarcat fondait un plan de réforme de l'Orhodoxie, favorable aux académies occidentales, comme à la suppression des jeûnes & de l'ascèse. Concrètement, la première mesure appliquée fut l'adoption du calendrier papal, afin de faciliter le rapprochement liturgique avec l'Occident. L'Eglise Grecque nouvelle-calendariste, l'Eglise d'Antioche, & d'autres, acceptèrent ce nouveau calendrier, mais d'autres Eglises, telles que l'Eglise de Jérusalem, l'Eglise Serbe, l'Eglise Russe, l'Eglise Grecque des Anciens Calendaristes, refusèrent ce schisme liturgique.

En Grèce, il avit fallu attendre 1935 pour que des Evêques remarquables, Monseigneur Chrysostome de Florina & Mgr Germain des Cyclades se séparent de l'Eglise officielle Grecque sectatrice de l'Encyclique de 1920, donnant une nouvelle hiérarchie au mouvement « paléo-calendariste », ou ancien calendariste. Mais ce mouvement avait commencé très tôt, grâce aux héritiers spirituels des Kollyvades. A Naxos, dès 19244-1925, s'était formée la «  Société des Orthodoxes », dont l'aumônier était le Saint Pappa Planas.

De même, au Mont Athos, des Moines rejetèrent l'innovation, parcourant parfois toute la Grèce entière pour soutenir les défenseurs du calendrier traditionnel.

Des Moines Athonites fidèles à la Tradition furent exilés & persécutés, comme l'avaient été les Kollyvades. Parmi eux, il faut compter le Sainnt Père Joachim, «  Kollyvas » & «  vieux calendariste », dont la vie est si proche de celle des Anciens Pères du Désert. L'Histoire montrera que ces deux mouvements, zélés défenseurs de la Tradition théologique & ascétique des Pères, dont l'un procède de l'autre, ont porté le même témoignage de la véritable Orthodoxie.

Ainsi s'accomplit la volonté du Seigneur qui permet que les Saints soient éprouvés pour qu'ils ajoutent à leur ascèse la confession de Foi – « eux », dit l'Apôtre, «  dont le monde n'est pas digne ».

Que le Seigneur Jésus Christ, par les prières du bienheureux Père Joachim, aie Pitié de nous.

Fraternité Saint Grégoire Palamas.

mardi 8 février 2011

La Lumière du Thabor n°47-48. Liste des Eglises Orthodoxes Françaises. Et liste des publications.

EGLISE DES VRAIS CHRETIENS ORTHODOXES
DIOCESE DE FRANCE ET D'EUROPE


Les paroisses de France ont été fondées par l'Archimandrite Ambroise, de bienheureuse mémoire. L’évêque de France et d'Europe est Monseigneur Photios, du Synode des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce dont le siège est à Athènes.

1. Eglise Cathédrale de Saint-Jean-le-Théologien.
16, rue du Boeuf 69005 LYON. Tél. 78 27 01 26

2. Paroisse Sainte Trinité - Saint Nectaire.
30, boulevard de Sébastopol 75004 PARIS. Tél. (1) 42 78 24 03

3. Paroisse de la Protection de la Mère de Dieu.
Le Pennet 22100 TREVRON. Tél. 96 39 07 59

4. Paroisse de l'Annonciation de la Mère de Dieu.
10, rue Jean Jacques Rousseau 34100 MONTPELLIER. Tél. 67 65 34 06

5. Paroisse de la Nativité de la Mère de Dieu.
TOULOUSE. Tél. 61 92 21 19

6. Paroisse Saint-Nectaire.
84, cours Gambetta 33210 LANGON. Tél. 56 63 36 60

7. Paroisse de la Sainte Transfiguration.
24, rue d'Etigny 64000 PAU.

8. Paroisse de la Transfiguration.
87, Kalchbühlstrasse 8038 ZURICH (SUISSE). Tél. (411) 482 37 23

9. Paroisse Saint Georges.
Piazza dell'Agnello 6-B 16126 GENOVA. Tél. (19) 39 10 29 05 47






LA LUMIERE DU THABOR
30, boulevard de Sébastopol 75004 PARIS


LISTE DES PUBLICATIONS


La Lumière du Thabor, organe de la Fraternité Orthodoxe Saint-Grégoire-Palamas, et la collection de même nom à L’Age d’Homme, se proposent de faire mieux connaître la pensée, l’art et l’histoire de l’Eglise Orthodoxe et se consacrent à la publication d’ouvrages de théologie et de spiritualité chrétiennes orthodoxes.


Collection La vie des saints

1. Saint Marc l'Anachorète. 30 F.
2. Avvakoum le Zélote aux pieds nus. épuisé
3. Joachim l'Athonite. épuisé
4. Le Staretz Zacharie. 25 F.
5. Le Saint Prêtre Nicolas Planas. 60 F.
6. Les Nouveaux-Martyrs I. en réimpr.
7. Saint Onuphre l'Ascète. 30 F.
8. Saint Philarète. épuisé
9. Saint Syméon le Fol-en-Christ. 50 F.
10. Callinique l'Hésychaste. épuisé
11. Isaac de Saint-Denys. 40 F.

Collection Histoire et Dogme de l'Eglise

1. Lettre à Soloviev.(La Russie et son Eglise).
R.P.Wladimir Guettée. Ed.1990,revue & augmentée 60 F.
2. Lettre sur l'Unité de l'Eglise.
Nouveau-Martyr Hilarion Troïtsky. épuisé
3. Encycliques des Patriarches Orthodoxes
de 1848 et 1895. 40 F.
4. Protestations Orthodoxes
à la suite de la visite du Patriarche
de Constantinople au Pape en Déc. 1987. 30 F.
5. Témoignage du Diacre Vladimir Roussac
sur l'Eglise Soviétique.
André Miller. épuisé
6. Oeuvres Trinitaires I.
Saint Photios. épuisé
7. La Doctrine
des Néo-orthodoxes sur l'Amour.
Père Patric. 50 F.
8. La Mystagogie du Saint Esprit
Oeuvres Trinitaires II.
Saint Photios. 60 F.
9. La persécution des moines du Mont Athos
par le Patriarcat de Constantinople.
Père Patric. 50 F.

Collection Enseignements Spirituels

1. Nostalgie de la Vie Spirituelle.
Mère Xénie. 60 F.

Hors Collection :

-Livre de Prière 1. Heures. 30 F.
-Livre de Prière 2. Hymne acathiste à la Mère de Dieu, etc. 30 F.

-Calendrier Liturgique annuel. 60 F.


Collection «La Lumière du Thabor»
aux Editions l'Age d'Homme

1. Saint Nectaire d'Egine. 2ème éd.augmentée
Père Ambroise Fontrier. 90 F.
2. La Mystification fatale.
Cyriaque Lampryllos. 95 F.
3. Cassienne.
Nicolas Vélimirovitch. 90 F.
4. L'Homme et le Dieu-Homme.
Père Justin Popovitch. 100 F.
5. Richard Simon ou du Caractère illégitime
de l'Augustinisme en Théologie.
Patric Ranson. 120 F.
6. De la Papauté.
R.P.Wladimir Guettée. 180 F.
7. Dossier Kosovo.
Père Athanase Jevtitch. 120 F.
8. Saint Païssius Vélichkovsky.
Michel Aubry. 100 F.
9. La Mère de Dieu.
Nicolas Cabasilas. 75 F.
10. Philosophie orthodoxe de la Vérité, tome 1.
Père Justin Popovitch. 190 F.
11. Philosophie orthodoxe de la Vérité, tome 2.
Père Justin Popovitch. 190 F.
12. Sainte Photinie l'ermite.
Joachim Spetsieris. 85 F.
13. Le Nouveau Catéchisme contre la Foi des Pères.
Monseigneur Photios, Archimandrite Philarète. 85 F.
14. Philosophie orthodoxe de la Vérité, tome 3.
Père Justin Popovitch. 190 F.
15. Etudes Hésychastes.
Monseigneur Athanase Jevtitch. 120 F.

Hors Collection : Dossier H Augustin 270 F.




Revues Orthodoxes


1. La Lumière du Thabor, revue internationale
de théologie orthodoxe. Trimestrielle. 170 p., ill.
Le numéro 90 F.
Abonnement 1 an (2 numéros) 180 F.

2. La Bretagne Orthodoxe. Revue trimestrielle illustrée.
Le numéro 10 F.
Abonnement 1 an (4 numéros) 40 F.

3. Cahiers Guettée
Le numéro 50 F.

La Lumière du Thabor n°47-48. Lectures de livres reçus.

LIVRES RECUS



La Lumière du Thabor a reçu récemment plusieurs livres et revues de théologie qui abordent des sujets dont l’importance ne saurait échapper aux fidèles orthodoxes, puisqu’ils touchent aux problèmes qui, à travers les «dialogues» oecuméniques, mettent en péril la foi. Il apparaît plus que jamais essentiel pour les orthodoxes de s’affermir dogmatiquement afin qu’ils sachent où ils se tiennent, et puissent discerner dans les thèses historiques ou théologiques que la mode leur propose celles qui ont subi le gauchissement de l’esprit du temps et qui ne sont pas justifiables scientifiquement.


Saint Maxime le Confesseur. - Ambigua. Introduction par Jean-Claude Larchet. Avant-propos, traduction et notes par Emmanuel Ponsoye. Commentaires par le Père Dumitru Staniloae. Collection l’Arbre de Jessé. Les Editions de l’Ancre, Paris-Suresnes, 1994.
Saint Maxime le Confesseur, le grand théologien du VIIème siècle, qui réfuta l’hérésie monothélite, reste mal connu. Les éditions de l’Ancre ont entrepris la tâche importante et louable de publier l’essentiel des oeuvres du Confesseur, traduites par E. Ponsoye. Après les Questions à Thalassios, voici les Ambigua, c’est-à-dire le livre «Au sujet de diverses difficultés rencontrées chez les saints Denys et Grégoire», le titre de Ambigua étant la traduction latine proposée par Scot Erigène pour le grec Aporiai. Ce texte est formé, comme l’explique J.C. Larchet dans sa préface, de deux séries de «difficultés», le rassemblement ayant peut-être été opéré par saint Maxime lui-même. Chaque chapitre est un commentaire d’une phrase jugée difficile et rencontrée chez saint Grégoire de Nazianze ou chez saint Denys l’Aréopagite. Saint Maxime est également amené à présenter une interprétation spirituelle dite «théoria» de plusieurs passages de l’Ecriture, notamment de la Transfiguration.
Saint Maxime éclaire les passages de saint Grégoire de Nazianze et de saint Denys l’Aréopagite en les référant à l’ensemble du dessein de Dieu. L’introduction de J.C. Larchet, bon résumé de la pensée du Confesseur, permet de se rendre compte de cette vue synoptique qui organise les réponses ponctuelles. Les notes du Père Dumitru Staniloae jettent un éclairage très précieux. Quant à la traduction, que son auteur présente comme un «modeste essai provisoire», elle est la première tentative de traduction complète des Ambigua en français et mérite d’être saluée à ce titre.
Particulièrement importante est la critique de l’origénisme développée dans les chapitres 7 et 42 des Ambigua. Saint Maxime réfute les idées platoniciennes et origénistes à partir de leurs propres présuppositions. Par là non seulement la foi chrétienne se trouve renforcée, mais encore il est prouvé que la seule source réelle de saint Grégoire de Nazianze (et des autres Pères...) est la Bible. Ce texte est donc une contribution importante à la question récurrente et si controversée du prétendu «platonisme des Pères de l’Eglise».

Saint Grégoire Palamas. - Traités apodictiques sur la procession du Saint Esprit. Traduits par Emmanuel Ponsoye. Editions de l’Ancre, Paris-Suresnes 1995.
Ces traités de saint Grégoire Palamas constituent un exposé approfondi de la théologie trinitaire des Pères en même temps que l’une des plus rigoureuses réfutations du Filioque et de la théologie trinitaire occidentale. Publiés pour la première fois en français, ils viennent combler un vide important, car si nombre d’auteurs se réfèrent à cet ouvrage fondamental, il est bon d’y avoir accès directement et de pouvoir juger sur pièces quelle était l’opinion exacte du grand docteur de l’Orthodoxie sur cette question controversée qui demeure la principale pierre d’achoppement du dialogue oecuménique.
Le livre est pourvu d’une introduction substantielle de Jean- Claude Larchet qui situe le contexte historique de sa rédaction avant d’en analyser le contenu et de mettre en lumière l’apport spécifique de saint Grégoire Palamas sur ce sujet.
Il est intéressant de remarquer que Jean-Claude Larchet semble en faire une lecture assez différente des autres théologiens orthodoxes modernes -en particulier de ceux qui tentent obstinément de trouver chez saint Grégoire Palamas une théologie plus conciliable que celle de saint Photios avec la théologie latine de la procession de l’Esprit-Saint. Il note en particulier que saint Photios est soupçonné d’avoir le premier tenté d’élaborer une doctrine de la procession du Père seul et qu’à cet égard, selon ces néo-orthodoxes (Clément, Bobrinskoy), la position de saint Grégoire serait nettement plus ouverte. Ce que Jean-Claude Larchet réfute catégoriquement : «A lire les traités de saint Grégoire Palamas, on remarquera cependant que ce dernier y poursuit constamment lui aussi le but de montrer que le Saint-Esprit procède du Père seul, en soulignant que c’est bien là la Foi enseignée par le Christ, les Apôtres, les Conciles et les Pères. (...) En réalité l’expression «du Père seul» revient bien plus souvent dans les traités de Palamas que dans les oeuvres de Photios. On a pu constater que, loin de la considérer comme un theologoumenon1, saint Grégoire Palamas la tient pour une vérité de foi».

Jean-Claude Larchet.- La divinisation de l’homme selon saint Maxime le Confesseur. Paris, Cerf, coll. Cogitatio Fidei, 1996, 764 p., index.
Le livre de Jean-Claude Larchet sur la divinisation chez saint Maxime touche au coeur du christianisme et représente une somme de l’enseignement du Confesseur. Ce dernier développe, en effet, plus précisément qu’aucun des Pères qui l’ont précédé, le sens fondamental de l’Incarnation résumé par saint Athanase dans la formule : «Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu» -sens fondamental pour l’Eglise orthodoxe, mais à tel point occulté en occident que B. Drewery, spécialiste d’Origène cité par Larchet p. 21, est allé jusqu’à écrire que la notion de divinisation constituait «la plus sérieuse déviation qu’ait connu la théologie chrétienne» !
J.C. Larchet s’attache à définir la pensée de saint Maxime en montrant d’une part, l’originalité du Confesseur, qui use d’une langue nouvelle pour établir, dans toutes ses conséquences, la proportionnalité entre l’Incarnation du Verbe et la divinisation de l’homme : l’homme est autant fait Dieu que Dieu S’est fait homme ; d’autre part, sa fidélité stricte à la pensée des Pères et à la ligne des Conciles : «on ne peut pas dire, note l’auteur à propos des concepts de tropos et de logos, que Maxime innove quant au fond» (p. 148) «Dans la doctrine de Maxime se perçoit particulièrement la continuité et l’unité profondes qui existent entre Chalcédoine, Constantinople II et Constantinople III (à venir, mais qui doit tant à la christologie maximienne...)» (p. 683).
Après avoir montré que la divinisation de l’homme est le but de sa création par Dieu, et que la chute constitue un échec provisoire, l’auteur consacre une partie importante de son travail aux fondements christologiques de la divinisation, avant d’étudier ses autres fondements -pneumatologiques, ecclésiologiques, ascétiques- son processus et son accomplissement.
L’auteur exprime avec beaucoup de clarté les notions et les distinctions que Maxime met en oeuvre, et qu’il emprunte tantôt au trésor commun de la patristique (il distingue ainsi le salut ou restauration de la nature humaine de la divinisation), tantôt à la philosophie, mais en les purifiant pour y verser le vin nouveau de l’Evangile. Ainsi les logoi des êtres sont pour Maxime les «programmes» des créatures, posés par la volonté divine et préexistant en Dieu, à la fois comme «principes constitutifs» et comme «projets». La divinisation est ainsi inscrite d’avance à titre de but, pour toute créature raisonnable, mais ne peut être accomplie qu’avec l’aide de la grâce divine.
J.C. Larchet expose aussi l’usage que saint Maxime inaugure de la distinction entre logos et tropos que les Pères antérieurs réservaient à peu près à la théologie trinitaire et que Maxime utilise aussi pour parler de l’homme, du Christ, de la vie spirituelle. Ainsi, la nature humaine en Christ est totalement changée et innovée selon son tropos (mode), mais elle reste immuablement nature humaine selon son logos (principe constitutif) propre. C’est en voulant résoudre rationnellement ce paradoxe que les monophysites, monothélites et monoénergistes tombent dans l’hérésie.
Les hommes sont déifiés par la communion aux énergies incréées de Dieu, distinctes à la fois de l’essence imparticipable de la Divinité et de la créature. Ces énergies qui jaillissent de Dieu font réellement de l’homme un «participant de la nature divine», un dieu par grâce -mais non par nature. C’est ainsi que l’homme peut être dit, comme Melchisédec, «sans commencement ni fin».
L’actualité de la thèse de Larchet est évidente pour deux raisons :
1. Certains professeurs de théologie ex-orthodoxes essayent d’élaborer une union avec les monophysites, en soutenant que le monophysisme de Sévère est conforme à la doctrine orthodoxe. L’auteur note que Maxime, strictement fidèle à la théologie définie dans le Concile de Chalcédoine, affirme que les natures divine et humaine sont unies en Christ par une union hypostatique (personnelle) et qu’il réfute aussi bien l’«union relationnelle» des nestoriens que l’«union naturelle» des monophysites : «critiquant avec vigueur la notion sévérienne de nature composée, Maxime affirme que l’union des natures est accomplie selon une hypostase composée». Saint Maxime illustre trés souvent cette réalité ineffable par l’image de l’épée incandescente : le fer devient feu sans cesser d’être fer ; alors l’épée coupe et brûle en même temps, mais «ni le caractère double de l’opération naturelle n’entraîne qu’il y ait deux épées, ni l’unité de l’épée incandescente ne produit le mélange ou la confusion de la distinction des natures» (p. 339). Ainsi «le fait d’être divinisée par l’union avec Dieu ne fait pas sortir de son entité selon l’essence cette nature de la chair animée rationnellement et intellectuellement» (p.340 et 358).
2. Un groupe de penseurs catholiques (Le Guillou, Garrigues, Riou, von Schönborn, Léthel, Dalmais) ont cru découvrir chez saint Maxime une théorie de la divinisation de la nature humaine en Christ fondée non pas sur la périchorèse (compénétration) des natures (divine et humaine), mais sur un certain «mode d’exister hypostatique» que ces auteurs comprennent dans un sens «intentionnel». Autrement dit, la divinisation de la nature humaine du Christ est une «empreinte de grâce qui opère sous forme d’habitus créé», une grâce créée. J.C. Larchet note avec justesse que cette interprétation de saint Maxime verse dans le nestorianisme (p.351) et critique «une telle notion scolastique de l’habitus et l’idée d’une grâce créée, visiblement empruntées à une grille de lecture néo-thomiste» comme «radicalement étrangères aux textes et à la pensée du Confesseur». L’auteur note que ces thèses thomistes ont entraîné des erreurs de traduction (p. 145 sq), une notion erronée de l’évolution de la pensée de saint Maxime (p. 148 sq), des contresens sur les notions-clés (p. 267 sq, 272, 344) et des aberrations (p. 351 sq). La conséquence de cette christologie est qu’il n’y pas de divinisation intrinsèque, ontologique de l’homme, mais simplement une divinisation par «participation intentionnelle» à Dieu. J.‑M. Garrigues s’est d’ailleurs servi de cette thèse pour tenter de montrer que la théologie de saint Grégoire Palamas était en désaccord avec celle des Pères anciens. D’autre part, comme certains textes de saint Maxime ne s’accordent pas du tout avec l’idée d’une «union intentionnelle» à Dieu, les tenants de cette thèse postule une évolution de sa pensée, laquelle, partant d’une déification «monoénergique» ou même «théurgique» empruntée au néo-platonisme via saint Denys l’Aréopagite, aurait été corrigée pour aboutir à la déification par habitus créé à la manière scolastique. J.C. Larchet réfute ces thèses, et montre la parfaite cohérence de saint Maxime avec lui-même et avec les Pères antérieurs (saint Athanase, saint Grégoire de Nazianze) et ultérieurs (saint Grégoire Palamas). Quant à Denys l’Aréopagite, il n’a rien à voir avec le néo-platonicien que forgent les néo-thomistes (p.554, 578, 596, 608).
Le livre de J.-C. Larchet, qui contient d’abondantes citations de saint Maxime et discute de nombreux termes difficiles, ouvre des perspectives importantes sur ce «géant de la théologie» encore mal connu en Occident. Maxime le Confesseur n’y apparaît nullement comme un pré-scolastique, mais comme un authentique théologien qui a non seulement appris mais expérimenté les choses divines, tant il est vrai, comme le dit l’auteur, que «la divinisation peut seulement être éprouvée par ceux qui en font l’expérience».

Ludmila Perepiolkina : L’oecuménisme - chemin menant à la perdition (en russe). Jordanville, 1992.
Le livre de mère Ludmila est une bonne illustration des paroles prophétiques d’Alexandre Kalomiros sur «l’effilochage2 : «Quand on prend pour un détail un élément de la Tradition, on prendra également, et dès la première occasion, pour un détail, un autre élément, et pour finir, tout ce qui nous déplaira, dans la Tradition de l’Eglise, sera pris pour un détail... C’est ainsi que le tricot de la Tradition a commencé à s’effilocher et personne ne sait où l’effilochage s’arrêtera, si jamais il s’arrête».
L’exemple de l’Eglise de Finlande est à cet égard tout à fait révélateur. Cette Eglise, loin de se contenter d’accepter le nouveau calendrier, a adopté également la pascalie grégorienne, et cette grossière violation des canons se perpétue avec la bénédiction du Patriarche de Constantinople, sous la juridiction duquel cette Eglise se trouve depuis 1922. Après avoir rompu avec de nombreux siècles de pascalie orthodoxe sanctifiante, l’Eglise Orthodoxe de Finlande s’est laissée entraîner sur la voie glissante de la transgression des règles de l’Eglise et des innovations pratiques. Ainsi en a-t-il été des règles de l’admission des hétérodoxes à la communion, de la suppression dans les faits de la confession, du changement des textes liturgiques par complaisance envers les luthériens, etc. La «libre pensée» spirituelle qui règne dans l’Eglise de Finlande suscite quantité d’autres inventions plus ou moins arbitraires, lesquelles provoquent l’indignation des fidèles pieux. La réduction excessive du service divin dans cette Eglise a conduit un observateur étranger à parler à son sujet de fast-church par analogie avec le fast-food à l’américaine. Bien entendu, l’Eglise de Finlande est un membre très actif du mouvement oecuméniste où elle fait figure de «porte-voix» de l’Orthodoxie.
L’influence délétère de l’oecuménisme ne se limite malheureusement pas à la seule Eglise de Finlande, mais c’est au contraire la même descente aux enfers que l’on observe dans toutes les juridictions qui prennent part aux «dialogues» avec les hérétiques au sein du funeste Conseil Oecuménique des Eglises.
Outre les violations des canons (prières avec les hérétiques) auxquelles les assemblées du COE donnent lieu, l’auteur note très judicieusement que les participants à ces rencontres oecuméniques s’écartent de leurs anciennes convictions et assimilent une langue particulière, une terminologie et des images mentales nouvelles qui s’imposent au cours de ces «dialogues». Et l’auteur de rappeler le conseil utile que saint Paul adressait aux Corinthiens : «Ne vous y trompez pas, les mauvaises compagnies corrompent les bonnes moeurs» (1 Cor. 15, 33). L’amitié oecuméniste contribue en effet à l’érosion des frontières de la confession de foi, c’est-à-dire à la destruction des barrières protectrices de l’Arche du salut qu’est l’Eglise. Lors de l’Assemblée Générale du COE à Canberra (1991), le président du Département des Relations Extérieures du Patriarcat de Moscou, le métropolite Cyrille de Smolensk, a ouvertement appelé le COE le «berceau de la future Eglise unifiée... notre maison commune, et nous porterons une responsabilité particulière dans sa destinée».
Etudiant les déclarations officielles du Patriarcat de Moscou, l’auteur observe qu’après trente ans de participation au mouvement oecuménique, l’état de santé spirituelle de celui-ci a sérieusement empiré. En témoignent les faibles critiques émises par ses représentants lors de cette même assemblées de Canberra. A Canberra, la nature anti-chrétienne du COE a été clairement découverte et seuls ceux qui ont des yeux pour ne pas voir, seuls ceux qui ont des oreilles pour ne point entendre, ont pu se laisser abuser par les scandaleuses parodies liturgiques qui s’y sont déroulées : «messe» des homosexuels célébrée par une prêtresse lesbienne, liturgie «chaude» de l’Eglise Evangélique sur musique jazz et rythmes africains, purification dans le feu païen et invocation des esprits par la coréenne Chung de l’Eglise Presbytérienne, etc. Certes, les délégués orthodoxes se sont émus, mais leur participation aux activités futures du COE n’a pas été remise en question.
Les oecuménistes orthodoxes se pénètrent des égarements des hétérodoxes et s’habituent à leurs péchés. L’auteur le montre encore en citant l’évolution du Patriarcat de Moscou sur la question de la prêtrise des femmes. Ainsi, en 1976, le message du saint synode du Patriarcat de Moscou rejetait toute proposition dans ce sens, soulignant que «l’histoire de l’Eglise ne connaît pas d’exemple de service sacerdotal des femmes» et il s’efforçait de démontrer l’impossibilité de «se joindre à la position de la majorité protestante qui admet un sacerdoce féminin mais qui exprime son point de vue sur ce problème dans des catégories séculières, étrangères à la révélation divine». Toutefois, en devenant plus fréquentes, les rencontres oecuméniques ont été la cause d’une «récession spirituelle» de la Sainte Tradition, au point que lors de la 6ème assemblée du COE à Vancouver, un hiérarque orthodoxe a concélébré avec des «prêtresses». A la même époque, un autre évêque du Patriarcat de Moscou, le métropolite Antoine (Bloom) de Sourog, a soutenu publiquement ne pas voir d’obstacle théologique à l’ordination des femmes. C’est ainsi que les oecuménistes orthodoxes, s’alignant sur les positions du COE, montrent leur mépris pour la succession apostolique et le ministère sacerdotal. «Tous les membres de l’Eglise, hommes et femmes se tenant dans l’unité sacramentelle du Corps du Christ, sont appelés à la sainteté, à l’apostolat universel et au Royaume des cieux. Cela ne veut pas dire pour autant que tous soient appelés à devenir prêtres. De fait, quoiqu’il y ait eu des femmes parmi les proches de Notre Seigneur Jésus Christ, aucune d’entre elles ne fut comptée au nombre de ses apôtres. Il n’y a pas lieu de penser que ce fut là un hasard ou que le Seigneur ait fait une concession à l’esprit du temps».
«Toutefois, les femmes n’étaient manifestement pas considérées comme inférieures à ses autres disciples. Certaines d’entre elles furent au contraire honorées de façon particulière. C’est à la femme pécheresse méprisée par les juifs de Samarie que le Christ révèle sa divinité et prêche le salut (Jn 4, 5-42) et après la Résurrection le «bel accord» des évangélistes (Mt 28, 1-8 ; Mc 16, 1-10 ; Lc 24, 1-10 ; Jn 20, 11-18) témoigne de ce que les femmes sont honorées les premières par l’Ange de la Bonne Nouvelle. Selon la volonté du Christ, elles sont initiées avant les apôtres au mystère de la Résurrection. Les femmes myrophores sont les premières à voir le Maître ressuscité, et à s’assurer de l'invraisemblable authenticité de son avènement dans sa chair glorieuse, pour ensuite en témoigner auprès des apôtres (Mc 16, 12)».
«Ce furent les apôtres, et non des femmes, qui constituèrent la première hiérarchie de l’Eglise du Christ. C’est le Christ, pasteur en chef, qui les a lui-même choisis pour paître le troupeau de Dieu, diriger l’Eglise et célébrer le saint mystère de la communion (Lc 22, 18), enseigner et baptiser (Mat 28, 19), lier et délier (Mt 18, 18), faire des onctions et guérir (Mc 6, 13) etc. Ordonnant des diacres (Ac 6, 6), des prêtres (Ac 14, 23 ; Tite 1, 5) et des évêques (2 Tim 1, 6), ils n’ont jamais élu de femmes. Ils ont au contraire recommandé aux femmes de s’exercer dans le silence et la piété (1 Tim 2, 10-12), conformément à l’ordre du saint Apôtre Paul : «que les femmes se taisent dans les assemblées» (1 Cor 14, 34). Ces préceptes apostoliques ne sont pas les produits de l’«arriération», de la «haine» ou du «mépris» des femmes que les féministes et les libéraux se plaisent à reprocher aux saints Apôtres. Combien la paix qui ressort du grand respect que portent les saints Apôtres à leurs soeurs en Christ s’oppose à toute cette agitation destructrice !»
«Les malins «défenseurs» des droits et libertés des femmes, en poussant ces dernières vers des activités impropres à leur nature, les détournent des formes du service de la communauté chrétienne affectées par Dieu à la femme. Et le mensonge de l’«émancipation» de la femme menace de créer, dans la sphère spirituelle, des désordres et des aberrations plus graves encore que dans la sphère séculière. En tentant la femme par une liberté imaginaire, en lui faisant miroiter les nouveaux fruits défendus, les disciples modernes de l’antique serpent poursuivent le même but que leur père, le diable : perdre définitivement la femme».
«Les arguments trop humains des oecuménistes s’opposent au caractère atemporel des saintes Ecritures. En ne permettant pas aux femmes d’enseigner dans l’Eglise, les saints Apôtres ne se sont pas laissé guider par des vues humaines, mais par des raisons divines. Aux philosophies terrestres des libéraux oecuménistes, qui parlent d’«arriération» des saints apôtres et d’«oppression» de la femme par l’homme, s’opposent toute l’histoire et la tradition ecclésiastiques. L’Eglise vénère les saintes femmes qui ont confessé leur foi ainsi que les martyres et les bienheureuses qui, par leur sainteté, ont magnifié Dieu. Il est possible de citer des centaines d’exemples de vénération des saintes femmes et de réfuter ainsi les arguments sociaux, psychologiques et pleins de fausse sagesse des oecuménistes».
«Mais le meilleur argument pour les confondre nous est offert par la Très Sainte Mère de Dieu qui, tout au long de sa vie sur la terre, donna l’exemple de l’humilité et de la modestie. Elle vécut en effet dans le calme et la discrétion, sans jamais enseigner dans l’Eglise, comme l’Apôtre le prescrit».
«Les ecclésiastiques modernistes, qui accueillent des femmes en qualité de «prêtresses» et même d’évêques prétendent ainsi rétablir les supposés droits des femmes et les émanciper. Cependant, cette exaltation démesurée de la femme dans l’esprit du féminisme à la mode rejoint celle des zélateurs du protestantisme, contempteurs de la Très Sainte Mère de Notre Seigneur Jésus Christ, élue par Dieu. Et cela, en dépit de la prédiction du Saint Esprit selon laquelle elle serait magnifiée par toutes les générations (Lc 1, 49)...»



Buisson Ardent, Cahiers Saint-Silouane l’Athonite, n 1, Editions Le Sel de la Terre, s.d.
Les Cahiers de l’Association saint Silouane sont publiés par les Editions Le Sel de la Terre, qui ont récemment donné aussi des lettres de Jean de Valaam. Ces Cahiers «se veulent fidèles à l’universalité du message [de saint Silouane], ouverts au dialogue avec les autres traditions chrétiennes, soucieux des problèmes spirituels du monde moderne» et se proposent de publier «des études, des documents et des témoignages qui espèrent rayonner de la personne et des écrits du saint et de son disciple3».
On peut lire entre autres dans ce cahier des notes inédites de saint Silouane «écrites en marge d’un catalogue de plantes potagères et de fleurs». Par exemple ceci :
«L’âme doit s’humilier profondément, à chaque instant, jusqu’à ce qu’elle s’humilie même pendant le sommeil. Les saints aimaient s’humilier et prier, c’est pourquoi le Seigneur les aimait et leur donnait de le connaître (...) Si nous étions humbles, le Seigneur nous ferait voir le paradis chaque jour» (note 21-22).
Le staretz Silouane (+ 1938) jouit d’une grande popularité en occident et il est déjà vénéré comme saint dans de larges secteurs de l’Eglise catholique. On peut d’ailleurs lire dans cet ouvrage le témoignage d’un moine bénédictin qui revendique sa paternité et porte son nom. De nombreuses initiatives oecuméniques se réclament ainsi de son patronage et le phénomène a pris une ampleur telle que l’on est amené à se demander ce qui justifie pareil engouement : saint Silouane serait-il donc le premier saint oecuménique ?
Pour lui qui est resté jusqu’à son dernier souffle le moine humble et effacé du monastère russe saint Pantéléimon au Mont Athos, la question tant débattue aujourd’hui de «l’unité des chrétiens» ne s’est jamais posée. Aussi ne trouve-t-on dans ses écrits pleins de grâce, aucune polémique envers les autres «confessions» chrétiennes et c’est sans doute ce qui explique la récupération dont il a pu être l’objet. Toutefois une lecture attentive de ces écrits montre que saint Silouane était nourri de la culture ascétique séculaire de l’Orthodoxie et que «son âme remplie de douceur», abreuvée aux sources les plus pures de la foi, se tenait aux antipodes de l’esprit philosophique occidental que stigmatisait l’évêque Nicolas Velimirovitch, lui-même disciple du staretz.
«Le père C. a dit que tous les hérétiques seraient damnés. Je ne le sais pas dit Silouane, mais je n’ai confiance qu’en l’Eglise Orthodoxe : en elle se trouve la joie du salut qui s’obtient par l’humilité du Christ4».
Certes, on ne peut que se réjouir du rayonnement de la vie et de l’oeuvre de ce nouvel astre de l’Orthodoxie, dont la prière ardente attire de nombreuses âmes vers le Christ. Mais pour cueillir les fruits de son intercession, n’ayons pas peur de confesser avec lui que «l’amour de Dieu se reconnaît à l’Esprit Saint qui vit dans notre Eglise Orthodoxe».

Mère Marie. - Le sacrement du frère. Editions Le Sel de la Terre, 1994.
Les éditions Le Sel de la Terre se proposent de présenter les pères spirituels orthodoxes contemporains car, nous dit-on, le christianisme a aussi ses guides. Que veut dire le «aussi» ? Est-ce à dire que ces guides chrétiens sont susceptibles de figurer, comme nous l’avons vu dans des publications récentes, aux côtés d’autres «guides», gourous de l’Inde et autres lamas tibétains ? Si tel est le cas, ne nous étonnons pas de voir figurer dans cette nouvelle collection le nom de l’évêque Kallistos de Grande Bretagne connu pour son nestorianisme (cf La Lumière du Thabor n14). Car, disons-le tout de suite, si l’on nous propose pour guide quelqu’un qui remet en cause ce que les guides inspirés par l’Esprit, les Pères, ont dit, il est aussitôt extrêmement suspect, et c’est malheureusement aussi le cas de mère Marie qui nous est ici présentée.
Mère Marie Skobzova (1891-1945), moniale russe morte en déportation à Ravensbrück, est l’objet d’une grande vénération dans les milieux orthodoxes oecuménistes qui souhaitent voir reconnaître officiellement sa sainteté. Si l’Eglise n’avait d’autre critère de sainteté que le courage et l’esprit d’abnégation et de sacrifice, nul doute que cette moniale pourrait figurer en bonne place dans nos synaxaires. Sa vie, tout entière consacrée au commandement de l’amour du prochain, impose le respect et touche à l’héroïsme -un héroïsme partagé par d’autres hommes, de toutes confessions, croyants ou incroyants, qui se sont sacrifiés pour sauver ceux que pourchassaient les bourreaux nazis. Il y a quelques années, le pape Jean Paul II a ainsi béatifié le franciscain polonais Maximilien Kolbe qui avait donné sa vie pour celle d’un autre à Auschwitz. Pour autant, nous ne dirions pas que ce dernier fut un saint ou un martyr.
Mère Marie, elle, était orthodoxe, mais il s’en faut de beaucoup que les écrits qu’elle nous laisse, rassemblés en partie dans ce livre, le soient aussi. A son sujet, Olivier Clément parle fort à propos d’un nouveau monachisme, celui qu’elle a réellement vécu et revendiqué, «où le second commandement occuperait la place centrale». Oui, c’est bien une nouveauté que ce monachisme fondé sur «tu aimeras ton prochain comme toi-même». En effet, le monachisme traditionnel est fondé sur «tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit». Pour le moine, l’amour de Dieu et la prière sont un travail fondamental (ergon), tandis que les oeuvres de bienfaisance ne sont qu’un travail second (parergon). La différence est illustrée dans la parabole du Bon Samaritain : après avoir secouru le blessé, le Samaritain remet deux deniers à l’aubergiste et continue sa route. Il ne s’arrête pas à la bienfaisance.
Sur quelles bases Mère Marie fonde-t-elle son nouveau et «prophétique» monachisme ? Ses écrits éclairent sur ce point : nous la voyons chercher dans la Philocalie des éléments favorables à son interprétation personnelle. A la manière de Boulgakov, son maître, elle se place au-dessus des pères, jugeant les uns et les autres selon ses propres critères (cf.p.81). Désolée de ne pas lire dans ces textes ce qu’elle souhaite, elle remarque que certains «ne sont pas sans susciter perplexité et embarras». «Pas un mot sur l’amour que nous devons à notre prochain» s’indigne-t-elle à propos d’une lettre de saint Barsanuphe de Gaza. Or, dans cette lettre qui dit ceci : «Chacun aime son prochain à sa mesure. La mesure de l’amour parfait, c’est, en raison de l’amour pour Dieu, d’aimer son prochain comme soi-même...» le saint expose les passions qu’il faut retrancher pour parvenir à aimer davantage. Rappelons-nous l’image de saint Maxime, expliquant à Pyrrhus que les vertus sont naturelles à l’âme comme l’éclat au fer. L’ascèse ne consiste pas à introduire de l’extérieur les vertus, mais à enlever le mal de l’âme pour la faire de nouveau briller. L’amour du prochain est, pour les Pères, l’éclat naturel de l’âme. Otez la rouille des penchants mauvais et la charité resplendit.
Khomiakhoff disait qu’en occident, on parlait beaucoup du devoir d’amour, mais jamais de la puissance de l’amour. Chez mère Marie, ce devoir d’amour est porté à son paroxysme sentimental mais il n’est pas mis dans toute sa lumière évangélique. Selon les Pères, le but du christianisme est-il de s’aimer les uns les autres ? Non, répondent-ils, l’amour du prochain est un moyen que le Seigneur nous donne en vue d’une fin : l’union à Lui. Aimer son prochain, oui, mais pourquoi ? pour se tenir chaud sur la terre ou pour gagner le Royaume des cieux ? C’est l’enseignement de saint Séraphim de Sarov lors de son entretien avec Motovilov : «le vrai but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition du saint Esprit (...), toutes les bonnes actions faites au nom du Christ ne sont que des moyens pour cette acquisition» et par ailleurs : «Nous devons aimer notre prochain non moins que nous-même mais de telle façon que restant dans les limites de la modération, cet amour ne nous éloigne pas du premier et plus important commandement, car qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi (Mt 10, 37)».
La dernière icône brodée par mère Marie, dont l’esquisse nous est rapportée dans ce livre (p. 67) est un bon résumé de la confusion qui se dégage de ses écrits. On y voit la Mère de Dieu tenir dans ses bras le Christ déjà crucifié. Combien ce mélange des temps contraste avec le bel ordre de l’Evangile : «Mon temps n’est pas encore venu»...
Dans un autre texte, mère Marie écrit que le monachisme se définit fondamentalement par les voeux prononcés au moment de la tonsure. C’est là une conception d’essence plus catholique qu’orthodoxe, et à tout le moins une manière un peu réductrice de définir le monachisme. Le plus surprenant est ce qu’elle dit au sujet du voeu d’obéissance : le disciple serait tenu de se soumettre à son staretz même si ce dernier était tombé dans l’hérésie (p. 128). Ceci est absurde et contraire à l’enseignement de toute la tradition orthodoxe. Comme l’indiquait le père Justin Popovitch, sans guide il est difficile d’arriver mais avec un guide mauvais, la perte est assurée. Mieux vaut donc être privé de guide que d’avoir un guide pervers : l’obéissance aveugle n’est pas une vertu !
Que l’on nous pardonne d’avoir tenu à relever ce qui dans ce livre nous paraissait dangereux pour la foi. La personnalité si attachante de mère Marie, son destin si tragique ne doivent pas servir à cautionner des idées nouvelles, étrangères à l’orthodoxie. Même si par ailleurs, l’idée d’un diaconat féminin peut être considérée comme traditionnelle et susceptible de répondre à des vocations spécifiques comme la sienne.
Un mot pour finir sur le père Dimitri Klépinine dont la mémoire est évoquée dans cet ouvrage. Prêtre de la paroisse russe créée à l’initiative de la mère Marie, celui-ci délivrait sous l’occupation des certificats de baptême aux juifs, les sauvant ainsi de la mort. Jusqu’au jour où dénoncé, on l’arrêta. Sommé de s’expliquer par la Gestapo, on lui proposa la liberté contre l’arrêt de toute aide aux juifs. Il refusa tout net en montrant sa croix pectorale : «Et ce juif là, vous le connaissez ?» Le père Klépinine est mort à Dora en 1944.

Jacques Lison. - L’Esprit répandu. La pneumatologie de Grégoire Palamas. Préface du Père J.M.R.Tillard, o.p. Paris, 1994.
Saint Grégoire Palamas demeure comme un signe de contradiction entre l’Orient orthodoxe resté fidèle à la théologie des Pères théophores et l’Occident catholique qui s’est éloigné de ses sources. Son oeuvre trace une ligne de démarcation contre laquelle se heurtent depuis longtemps les hérauts de l’oecuménisme. Ecrit par un dominicain, ce livre peut être considéré comme une tentative d’intégration de saint Grégoire dans un ensemble plus vaste, à l’intérieur duquel l’oeuvre de celui-ci cesserait de constituer un obstacle à la fausse union qui se prépare.
Après avoir déclaré vouloir en faire une lecture «honnête et sympathique», l’auteur reconnaît son parti pris de relativiser la question polémique du Filioque car «ce n’est qu’au IXème siècle (...) que la question spécifique du filioque commencera à monopoliser le débat pneumatologique entre l’Orient et l’Occident» (p.15). N’est-ce pas l’aveu que jusque-là la foi confessée était rigoureusement la même ? J. Lison déclare plus loin : «fonder notre recherche sur la question du filioque nous égarerait» (p. 17). La question de la procession de l’Esprit Saint serait donc périphérique par rapport à la doctrine de celui qu’il nomme «l’hésychaste». Il admet pourtant par ailleurs que la procession de l’Esprit ex patre solo charpente sa pneumatologie (p. 95) -où l’on voit déjà que l’auteur se plaît à embrasser les contradictions.
J. Lison énonce un point important lorsqu’il écrit : «La conception de l’Esprit nous semble cependant séparer les Eglises à un niveau plus profond : celui de l’expérience de l’Esprit, de la grâce. Car ce sont ici deux sensibilités qui s’affrontent» (p. 16). Autrement dit, la grâce serait commune, mais agirait selon des modalités diverses ; le don de l’Esprit serait égal mais recevrait une interprétation différente en fonction des sensibilités de chacun. Pourtant, contrairement au Père Tillard, auteur de la préface, J. Lison admet sans trop de difficulté que «la doctrine palamite» est fidèle à l’enseignement des pères mais, selon lui, elle «n’aboutirait cependant pas à des conclusions qui auraient valeur universelle» (p. 130). Elle ressortirait seulement à une logique propre à sa tradition spirituelle, différente mais nullement supérieure à l’approche scolastique.
Le conflit porte principalement sur la question de la grâce, sur la distinction en Dieu de l’essence divine et des énergies incréées -les Latins subodorant dans la conception orientale (= orthodoxe) de la grâce incréée, un relent de panthéisme. Face à cet abîme théologique, J. Lison reconnaît tout d’abord qu’«une solution oecuménique ne se trouvera pas dans un moyen terme». Il lui «semble en effet impossible de ne pas opter pour l’une ou l’autre théologie de la grâce». Il conviendra donc de «se laisser interroger par l’autre (...), de chercher des points de rencontre qui aident les deux visions à mieux se reconnaître» (p. 131, 132). La vérité est ainsi invitée à quérir le charitable concours de l’erreur. L’oecuménisme triomphant veut mettre saint Grégoire Palamas en dialogue avec Barlaam et, à travers lui, avec Thomas d’Aquin ; peut-être instaurera-t-il bientôt une relecture du «dialogue» entre saint Cyrille et Nestorius, entre saint Athanase et Arius...
A Barlaam qui rejette comme illusoire toute connaissance qui ne serait pas basée sur des perceptions sensorielles, saint Grégoire oppose l’expérience mystique des déifiés et accuse son adversaire de parler de ce qu’il ne connaît pas faute d’avoir fait l’expérience de l’Esprit. On se demande, dès lors, quel dialogue peut s’instaurer entre ceux qui ont fait cette expérience, qui sont montés sur le Thabor spirituel, et ceux qui sont restés en bas de la montagne, qui n’ont pas été instruits par l’Esprit et qui n’ont pas vu la lumière incréée. Pour saint Grégoire, «dire quelque chose au sujet de Dieu n’est pas une rencontre avec Dieu (...), celui qui est sans expérience des trésors de l’Esprit ne peut même pas les imaginer» (p. 231).
La véritable théologie est basée sur l’expérience mystique, elle-même protégée par les dogmes divins. Accepter de mettre sur un même plan la théologie des saints hésychastes et celle des rationalistes conduirait inévitablement à relativiser les dogmes -mais n’est-ce pas là malheureusement la conséquence des dialogues interconfessionnels ?- et à nier la réalité de l’expérience mystique qui les fonde. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en son temps saint Grégoire quitta son ermitage athonite, justement pour défendre la réalité de cette expérience vécue par les saints.
J. Lison, à la fin de son exposé, s’interroge sur ce qu’il appelle la diffusion horizontale de la grâce. Parlant de sa dimension essentiellement verticale dans l’oeuvre de Palamas, il s’inquiète de ce que sa diffusion horizontale occupe peu de place dans les écrits du saint : la dimension ecclésiale de la grâce lui paraît réduite. Le Père Tillard expose le problème dans les termes suivants : «Palamas s’intéresse assez peu à la dimension corporative de l’Eglise de Dieu (...) L’intéresse avant tout le rapport de chaque croyant avec la Trinité (...) On en vient parfois à se poser la question : (...) pour Palamas l’Eglise est-elle communion mutuelle de personnes en communion avec Dieu ou est-elle le rassemblement des personnes en communion avec Dieu ? (...) Le jeu de l’humain et du divin dans la vie du corps ecclésial semble à ce point relativisé face à la grande expérience personnelle de Dieu à laquelle les baptisés sont invités qu’on demeure inquiet sur la place de tout l’humain» (p. IX, X).
Une telle approche nous paraît caractéristique d’une mentalité étrangère à l’expérience des Pères, comme si la dimension verticale était exclusive de la dimension horizontale, comme si la communion à Dieu nous privait de l’amitié des hommes, comme si l’amour de Dieu nous coupait de l’amour du prochain. En réalité, comme l’exprime saint Dorothée de Gaza : «Supposons que le monde soit un cercle, et Dieu le centre de ce cercle. Les rayons, c’est-à-dire les lignes droites qui partent du centre de ce cercle, sont les chemins de la vie humaine. Ainsi, comme les saints avancent vers l’intérieur du cercle dans leur désir d’être près de Dieu, ils se rapprochent davantage les uns des autres, et plus ils sont proches les uns des autres, plus ils sont proches de Dieu, et inversement» (6ème Homélie). D’ailleurs, le Père Tillard cite saint Cyrille : «Parce que nous participons à l’Esprit, nous sommes unis au Sauveur de tous et les uns aux autres» et saint Grégoire lui-même : «rendre un la plupart des êtres est la marque la plus propre de l’amour» (p. 264).
Sans doute pour ne pas froisser ses frères orthodoxes, le Père Tillard ajoute toutefois plus loin : «cette accentuation de la dimension verticale de la communion est pour nous l’un des apports les plus grands de la tradition orientale au dialogue oecuménique». Le sentiment oecuméniste est donc sauf. Les sentiments sont des dispositions humaines, disait Florovsky, mais la vérité est divine...