vendredi 4 février 2011

La Lumière du Thabor n°38. Lectures de la presse.

LECTURE DE LA PRESSE ET LIVRES RECUS



LE PATRIARCHE DE CONSTANTINOPLE
fait progresser l'oecuménisme

Lors de son intronisation, le Patriarche Bartholomée avait déclaré qu'il suivrait la ligne d'Athénagoras et de Dimitri, ses deux prédécesseurs. Du point de vue de l'apostasie de la foi, il remplit ce programme ponctuellement, si l'on en juge par son activité des mois écoulés. Le Patriarche a chaussé les bottes de sept lieues pour faire progresser l’oecuménisme avec toutes sortes d’hérétiques.
Avec les monophysites. Visitant, dans la dernière semaine d’avril et jusqu’au 6 mai, les Patriarcats d’Alexandrie et d’Antioche et le Sinaï, Bartholomée a rencontré au Caire le pape copte Shénouda et les deux primats ont affirmé leur volonté d’aller de l’avant pour résoudre les problèmes subsistant entre les deux Eglises et donner un témoignage commun de leur foi.
Avec les musulmans. Au cours du même voyage, le Patriarche a rencontré le Grand Muphti d’Egypte et le Grand Muphti de Syrie et il a eu, au Liban, des discussions approfondies avec les chefs musulmans, déclarant notamment que les deux religions, quoique différant pour la cosmologie, l’anthropologie, le mysticisme et la spiritualité, accordent de l’importance aux mêmes valeurs (charité, justice, etc) et dirigent leurs fidèles vers des idéaux supérieurs communs à tous les hommes.
Avec les protestants : Mgr Bartholomée a déclaré, le 9 mai 1993, au quotidien norvégien Aftenposten : «Pour l’Orthodoxie, la participation au Conseil Oecuménique des Eglises a été dès le début et reste un devoir sacré. C’est pour cette raison que le Patriarcat oecuménique est inclus, comme on le sait, parmi les membres fondateurs du mouvement oecuménique en général et du C.O.E. en particulier». Et le Patriarche d’ajouter que la présence de l’orthodoxie au C.O.E. porte un témoignage l’empêchant de devenir une assemblée uniquement protestante, et signifie «une collaboration sincère et honnête entre tous ceux qui croient en Christ sur la base trinitaire de la Charte constitutionnelle du C.O.E.» L’Eglise est ici dépassée par une confession trinitaire abstraite qui l’englobe au milieu d’une foule d’hérésies.
Avec les catholiques. Mgr Bartholomée a déclaré, au cours de la même interview : «Les rapports des deux grandes et traditionnelles Eglises chrétiennes ayant, par la grâce de Dieu, évolué vers des rapports d’amour fraternel et de collaboration sincère inspiraient aux deux parties jusqu’à très récemment un très grand optimisme. Aussi bien le dialogue de charité, inauguré dans les années 60 par de grands hommes d’Eglises -le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras Ier- que le dialogue théologique officiel mené dans l’amour et la vérité, inauguré dans les années 80 sous le Pape Jean-Paul II et le Patriarche Dimitri Ier, ont donné des fruits abondants qu’on ne pouvait pas imaginer antérieurement. Cependant, ces excellentes relations et cette évolution bénie sont sérieusement menacées ces dernières quatre ou cinq années par les bouleversements survenus dans les pays de l’ancien ’Rideau de Fer’ et par les provocations inattendues de l’uniatisme. Malgré cela, nous espérons que le dialogue théologique se poursuivra d’abord sur le thème plus restreint de l’uniatisme et du prosélytisme y afférant, ensuite -si Dieu le veut- sur l’ensemble des thèmes prévus à son agenda». Le point important est que le dialogue sur l’uniatisme et le prosélytisme est, en réalité, une façon de continuer l’oecuménisme. C’est ce que prouve la réunion de Balamand, dont nous parlons ci-après.
Selon la «coutume» oecuméniste établie depuis quelques années, il y a eu échange de délégations et de lettres entre le Pape de Rome et le Patriarche à l’occasion des fêtes patronales des deux Eglises : la fête de saint André pour Constantinople, la fête de saints Pierre et Paul pour Rome.
Lors de la fête de l'Apôtre André, fondateur de l’Eglise de la Nouvelle Rome, le Patriarche a reçu une importante délégation du Vatican, composée entre autres du cardinal Edward Idris Cassidy, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, de l'archevêque Sergio Sebastiani, du prêtre E. Fortino et d'autres membres du même Conseil. Bartholomée s'est adressé à eux comme à des clercs orthodoxes : «Eminence, Très Révérends Pères, c'est avec une joie grande et sincère que nous vous recevons de nouveau ici, en ce jour mémorable de la fête de notre église, comme représentants de Sa Sainteté le Pape Jean-Paul, évêque de l'Eglise de Rome et notre cher frère dans le Seigneur. Ces visites entre les Eglises soeurs de Rome et de Constantinople, consacrées par nos guides inspirés, le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagore Ier d'heureuse mémoire, sont désormais devenues une institution et un lien dans la vie de nos Eglises» (Ekklesia, n1/1, du 15 janvier 1993). Le mardi 29 juin 1993, le Pape a reçu la délégation patriarcale, présidée par Mgr Jérémie, Métropolite de France, accompagné de Mgr Stéphane de Nazianze-Nice et de l’Archimandrite Polycarpe (Stavropoulos). On retrouvait les membres du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens : son président, le Cardinal Edward Idris Cassidy, son secrétaire, Mgr Pierre Duprey, et son sous-secrétaire, Mgr Eleuterio Francesco Fortino. Mgr Jérémie s’adressant au Pape, lui a parlé de «la conscience de nos deux Eglises soeurs» et assuré que le Dialogue Théologique «trouve un écho favorable dans la conscience de tout le peuple de Dieu». Dans la lettre remise au Pape, Bartholomée écrivait : «A Sa Sainteté Jean-Paul II, le très vénérable Pape de l’Ancienne Rome, salutations dans le Seigneur. En cette année à nouveau "nous avons ardemment désiré" (Lc 22,15) prendre part avec votre très aimée et très appréciée Sainteté à la fête patronale de Son Eglise de Rome, en mémoire sacrée de ses fondateurs les Protocoryphées Apôtres Pierre et Paul, par l’envoi auprès de Vous de notre Délégation patriarcale officielle ; ainsi nous perpétuons cette coutume déjà consacrée tout comme notre effort commun et agréable à Dieu pour que Orient et Occident jouissent à nouveau, une fois levés les obstacles ajoutés les uns aux autres et accumulés tout au long des siècles de la maudite séparation, "de l’unité de la foi et de la communion du Saint Esprit" ainsi que du Corps et du Sang de notre commun Maître le Christ. En cette marche sacrée vers ce but final saint et élevé, le malin continue à dresser des obstacles ; mais nous avons la certitude que Dieu "avec la tentation donnera le moyen et la force de la surmonter" (1 Cor. 10, 13)» (Osservatore Romano du 6 juillet 1993). Avec le même désir que Notre Seigneur allant à Sa Passion volontaire, le Patriarche désire sa place au conciliabule des marchands du Christ ! Le Pape a saisi le message, affirmant qu’à Balamand, «une nouvelle étape a été franchie» sur la voie de l’unité. Au cours de la messe, dans la basilique Saint-Pierre, le Pape a remercié les membres de la délégation patriarcale : «...Ils ont voulu s’unir à nous dans notre prière pour le don de la pleine communion entre les Eglises dans la fraternité apostolique».
Pour le Patriarche, le catholicisme romain et l'orthodoxie constituent les «deux poumons du Corps du Christ» (Orthodox Church, février 1993). C’est ainsi qu’il affirme que «la sainte Eglise orthodoxe se trouve en dialogue d'amour et de vérité» avec les hétérodoxes. Hagios Agathangelos (n 136, mars-avril 1993) ajoute à cette information que Bartholomée cueille des éloges chez les hérétiques, et, chez les moines orthodoxes du Mont Athos, des reproches et des accusations ! Il est de miel avec les hérétiques, de fiel avec les orthodoxes.

BALAMAND
anti-uniatisme ou reniement de l’orthodoxie ?

Non loin du monastère de Balamand (XIIème siècle) s’est tenue la septième session plénière de la commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe, qui devait statuer sur l’uniatisme, considéré comme une méthode d’union du passé et donc dépassée, et promouvoir «la recherche actuelle de la pleine communion».
Voici comment le journal officiel du Patriarcat de Constantinople, Episkepsis, publié à Chambésy, présente le communiqué final, du 23 juin 1993 : «Dans l’esprit de l’ecclésiologie de communion et en vertu du fait que les Eglises catholique et orthodoxe se reconnaissent pleinement comme Eglises soeurs, on constate que, dans l’effort pour rétablir l’unité, il s’agit de réaliser ensemble la volonté du Christ pour les siens et le dessein de Dieu sur son Eglise par une commune recherche d’un plein accord sur la foi, et non pas de rechercher la conversion des personnes d’une Eglise à l’autre. Ce dernier genre d’apostolat missionnaire qui a été appelé ’uniatisme’, ne peut plus être accepté ni en tant que méthode à suivre, ni en tant que modèle de l’unité recherchée par nos Eglises».
Le point de départ de la réunion de Balamand est l’inquiétude (légitime) des populations orthodoxes devant le déchaînement de l’uniatisme, devant la tentative papale de convertir au catholicisme les peuples qui viennent de sortir du joug communiste. D’où ce texte qui condamne l’uniatisme et qui va, de ce fait, rassurer les orthodoxes qui en entendront seulement parler.
Mais attention à la façon dont il condamne l’uniatisme. Il le fait en condamnant toute mission, c’est à dire en reniant l’orthodoxie, et en prêchant un accord avec les hétérodoxes qui n’est qu’un super-uniatisme. Ce texte proprement effarant affirme, en effet, trois choses inadmissibles : a) l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique hérétique sont des Eglises soeurs b) il est interdit à un orthodoxe de chercher à ramener un ou des catholiques à la vraie foi c) on doit marcher vers le plein accord de la foi sans rechercher la conversion des personnes.
Le sophisme du texte consiste à établir la confusion entre l’apostolat missionnaire et l’uniatisme. L’uniatisme est la méthode du pape et se caractérise par deux principes : tous les moyens sont bons pour convertir (aide économique etc) ; les convertis peuvent garder leurs rites et leurs formules à condition d’accepter la doctrine papale intégralement. Bref, les uniates n’ont que des formes vides1. Tout autre la mission orthodoxe, qui ne se dissimule pas.
Le catholique qui conçoit le retour à l’unité comme le retour à l’obéissance du Pape, ne voit dans l’oecuménisme, dans la mission et dans l’uniatisme que divers moyens pour un même but (voir Unitatis Redintegratio, décret sur l’oecuménisme de Vatican II, chap. 1, 4). La condamnation de l’uniatisme ne l’engage à rien, d’autant plus que cette condamnation verbale ne l’empêche pas de travailler sur le terrain.
L’orthodoxe ne saurait renoncer à la mission sans cesser d’être orthodoxe. Il ne conçoit le retour à l’unité que comme le retour de chaque personne, la conversion de chaque hétérodoxe à la vraie foi. En substituant à la conversion une recherche abstraite de l’unité, l’oecuménisme a accompli sa tâche : faire renoncer les orthodoxes à l’orthodoxie.
Une question subsiste : vers quelle unité peuvent encore marcher ceux qui sont dans des Eglises soeurs ?

LES SUITES DE L'EXPULSION
des moines de la Skite du Prophète-Elie

Nous commençons par un compte-rendu de l’ouvrage de Père Patric, paru dans une revue argentine, La Hosteria Volante, sous la plume de George Karabas qui a ainsi rendu hommage à Père Patric et bien dégagé les enjeux vitaux de son livre.

Un livre sur l’oecuménisme
l’augustinisme politique

Père Patric (Ranson), La persécution des moines du Mont Athos par le Patriarcat de Constantinople, Paris 1992, 128 pages. Ce travail se compose de trois chapitres, précédés d’une introduction et suivis de trois documents annexes. Dans l’introduction, l’auteur explique brièvement l’illégitimité de l’expulsion des moines de la Sainte Montagne, qui n’est pas autorisée par la législation ecclésiastique ni civile. Il dénonce une «double face» du Patriarcat de Constantinople qui prêche à l’extérieur l’amour et la compréhension et réprime ses propres dissidents. Il montre qu’il n’y a pas de justification de la persécution selon les Pères, même si l’Eglise n’a pas été exempte de telles conduites, et il fait remarquer que les Pères en ont été les victimes. En revanche, cette justification est une sorte de tradition de l’Eglise d’Occident. En effet, elle a été fondée théologiquement sur les écrits de l’Evêque d’Hippone, Augustin, plus précisément sur certaines lettres composées au cours des polémiques contre les donatistes. La Lettre à Vincent et la Lettre à Boniface furent utilisées par Calvin et par les anticalvinistes pour justifier la persécution. L’orthodoxie a ignoré l’augustinisme politique, doctrine fondée sur deux principes : «1) L’Eglise a le droit de recourir à la force pour faire entrer en son sein ceux qui se sont séparés d’elle ; 2) Les élus sont les seuls propriétaires légitimes de la terre».
L’auteur insiste sur la liberté spirituelle dont doit jouir le chrétien pour être responsable devant Dieu et conclut que «la police n’est pas un argument».
Le chapitre 1 du livre traite des événements qui se déroulèrent autour de l’expulsion des moines de la Skite du Prophète-Elie, dépendance canonique du Monastère du Pantocrator, sujet dont La Hosteria Volante avait traité dans son précédent numéro. Dans son chapitre 2, il présente un résumé du livre Human Rights on Mount Athos, an Appeal to the Civilized World, publié par le moine Maxime de la Grande Lavra -le monastère le plus ancien de l’Athos-, édité en Angleterre, où l’auteur a dû se rendre à cause du harcèlement dont il était victime, suite à la dénonciation qu’il avait faite de la persécution à laquelle sont soumis les moines qui ne «s’adaptent» pas aux lignes oecuménistes. Le moine Maxime fait partie de l’Eglise «officielle» de Constantinople, de sorte que l’on ne peut pas dire que son travail soit le fruit de quelque forme d’opposition ou de rivalité ecclésiastique. Il ne s’agit que de la réclamation d’un vieil homme qui voit la paix de son «lieu de pénitence» troublée par des actions anti-traditionnelles. Une prophétie de saint Nil le Myrovlite ferme le chapitre 2 qui annonce que dans les temps de la grande apostasie, le Mont Athos tombera.
Le chapitre 3, essentiel, expose deux points : celui de la relation entre l’autorité ecclésiastique et la foi ; et «l’impossible justification de la persécution». Après avoir nié la primauté du Patriarcat de Constantinople que l’on voudrait assimiler à un «Vatican grec», et avoir rappelé les multiples persécutions auxquelles furent soumis les fidèles à cause de l’Empereur et du Patriarche lorsque l’un d’eux ou les deux étaient hérétiques ou protecteurs des hérétiques, il montre que bien que les Pères aient enseigné qu’on doit préserver la foi au risque de sa vie, jamais ils n’ont conseillé la violence contre ceux qu’ils ne pouvaient convaincre. L’unique écrivain ecclésiastique qui justifie la persécution, c’est saint Augustin dans sa lutte contre les donatistes, qui explique un passage de l’Evangile autrement que ne l’avaient fait ses prédécesseurs. Il s’agit du fameux «contrains-les d’entrer» de la parabole du grand souper (Luc 14, 23). Dans sa Lettre à Vincent, Saint Augustin utilise cette péricope, tout comme l’histoire de la chute à terre et de l’aveuglement de saint Paul, pour justifier l’idée de faire violence à un homme pour le libérer d’une erreur pernicieuse. Père Patric compare différents textes des Pères qui interprètent le verbe anagkason et ses équivalents comme signifiant «obliger» par l’autorité de l’amitié, par l’insistance, par la gentillesse...
L’auteur pousuit en expliquant que hors de la Vérité, il n’y a pas d’Eglise ni de succession apostolique, puisque la foi est le fondement de l’autorité. Il trouve chez Augustin une divergence d’avec la tradition patristique, parce que ce dernier soutenait l’existence de mystères (sacrements) chez les donatistes, lesquels mystères, cependant, ne contribuaient qu’à leur condamnation. Position systématisée à l’extrême par la scolastique, d’où dériverait une ecclésiologie justifiant la persécution religieuse et qui se demande : «Celui-ci, qui est validement baptisé, ordonné ou consacré, quelle raison aura-t-il de retourner à l’Eglise si on ne l’y contraint ?»
L’auteur affirme que cette doctrine non patristique permet toute relativisation des dogmes puisqu’en soutenant que «la doctrine fausse et hérétique ne prive pas des mystères, de la succession apostolique ni de l’Eglise... le critère n’est plus la foi... L’ecclésiologie du mouvement oecuménique n’est pas d’origine orthodoxe ni patristique. Il vient de l’augustinisme politique et de la scolastique».
Après plusieurs exemples de saints Pères confrontés à l’autorité au nom de la foi, il fait remarquer l’influence des jésuites en traitant des différences théologiques qui opposèrent pendant des siècles les Eglises d’Orient et d’Occident, et l’impossibilité totale de «concilier et d’harmoniser des traditions issues de l’ancienne Eglise et de la théologie patristique, avec les principes d’une méthode spéculative appuyée sur les oeuvres d’Augustin».
L’auteur conclut que «le principe même de l’oecuménisme, c’est l’abolition des frontières entre l’Eglise et le monde, contrairement à l’enseignement de l’Eglise contenu dans la prière du Christ : Je ne te prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’as donnés (Jn 17, 9)».
Trois documents annexes illustrent le sujet des pressions oecuménistes exercées par Constantinople et par le Vatican sur les courageux confesseurs de la foi trinitaire et théandrique.
Pris dans son ensemble, le travail de Patric Ranson, indépendamment des questions de circonstance qui lui ont donné naissance, des controverses juridictionnelles intra-orthodoxes, des jugements polémiques que l’on pourrait ne pas partager, fait preuve d’une profondeur spirituelle peu commune, et d’une acuité intellectuelle de premier ordre.
Je dégagerai, tout particulièrement, la recherche des motifs de la rupture entre l’Orient et l’Occident, et de la malheureuse évolution de ce dernier, dont l’auteur pense saisir les racines dans la pensée augustinienne, comme il l’a montré à plusieurs reprises dans cet ouvrage et dans d’autres travaux antérieurs.
Il est intéressant d’observer qu’une personnalité aussi peu suspecte d’anti-augustinisme que Berthold Altaner fait remarquer, dans sa Patrologie, qu’«Augustin... en voyant l’efficacité et les résultats de l’intervention de l’Etat avec les lois coercitives contre les donatistes (Ep. 185, 7, 29) défendit plus avant leur application contre les hérétiques (Ep. 93 et 185). De cette façon, il contribua fondamentalement à la théorie que saint Thomas d’Aquin conçut pour essayer de justifier idéologiquement la création médiévale de l’Inquisition».
Le terme d’«augustinisme politique» semble être une trouvaille du commentateur H.X. Arquillière, même si la doctrine politique augustinienne avait été étudiée comme telle, où se trouvent les notions de «guerre juste» et ses corollaires, les croisades ; l’absence de distinction entre philosophie et théologie et la tendance à la séparation de la nature d’avec la grâce, qui conduit à l’absorption de l’ordre temporel dans l’ordre ecclésiastique et au «guelfisme» de Grégoire VII par la suite (cf. Juan Beneyto, Les origines de la science politique en Espagne, (en espagnol) éd. Doncel, Madrid, 1976, surtout chap. IV et V).

La Hosteria Volante, n 38, avril 1993.

George Karabas

Les événements survenus sur la Sainte Montagne en mai 1992 (voir texte ci-dessus et La Lumière du Thabor, n34, 35, 36) ont déclenché un grand procès. L'avocat des moines expulsés par le Patriarcat de Constantinople, Théodoros C. Théodoropoulos a fait parvenir aux autorités civiles de Grèce, à l'administration du Mont Athos, ainsi qu'au Patriarcat de Constantinople une requête les sommant de donner des explications officielles sur l'expulsion illégale du Père Séraphim et des autres moines. Le compte-rendu rédigé par le hiéromoine Nicolas, représentant du Monastère russe de Saint Pantéléimon à la Sacrée Communauté, a été publié, en russe, dans le journal Russie Orthodoxe (Pravoslavnoi Russ) n12 (15/28 juin 1993).
Le Monastère d'Esphigménou, qui refuse, tout comme les moines de la Skite du Prophète-Elie, de mentionner à la liturgie le nom du Patriarche, a également refusé de recevoir celui-ci lorsqu'il est venu au Mont Athos (cf. les numéros cités de La Lumière du Thabor). Les moines d'Esphigménou ont également adressé une lettre ouverte au Patriarche Bartholomée, publiée dans Agathange. Nous en donnons ci-dessous la traduction, ce texte ayant une portée théologique véritable.
«Sainteté,
Ensemble et unanimement, après délibération commune, toute notre Fraternité du Saint Monastère d'Esphigménou dont je suis l'higoumène, vous adresse la déclaration suivante.
Lors de votre récente visite-pèlerinage officielle à la Sainte Montagne, vous avez prononcé divers discours finement élaborés et principalement remplis de monitions spirituelles, toujours ornés, par ailleurs, de cette élocution caractéristique et de cette élégance d’expression qui distingue ceux qui viennent du Patriarcat Oecuménique.
L’entrelacement des hymnes et des louanges à l’adresse de la Protectrice de notre lieu saint, Notre Souveraine la Mère de Dieu, non moins que l’explication et l’exaltation de l’idéal monastique ont véritablement constitué, comme il convenait, une présentation et un témoignage éclatants de la bienséance et de la magnificence du Patriarche dans le Jardin de la Toute-Sainte.
A côté de cela, selon nos informations, la plupart des orthodoxes de notre Patrie et au-delà, du plus insensible au plus clairvoyant des Grecs d’aujourd’hui, informés par les mass media, ont retiré une beaucoup moins bonne impression de certaines phrases et déclarations qui ont assombri l’ensemble des homélies du Patriarche durant toute la visite. Ces déclarations sont, évidemment, comprises comme une suite et une conséquence des tristes événements dont la Skite du Prophète Elie a été le théâtre.
Nous sommes donc conduits à présenter les explications suivantes, rédigeant nos commentaires dans la crainte de Dieu, et à nous défendre en même temps, du fait de ces graves déclarations qui, à temps et à contretemps, atteignent et blessent notre conscience orthodoxe.
Plus particulièrement, votre discours devant l’icône miraculeuse «Il est digne» à Caryès, fut consacré, au moins pour la moitié, hélas !, à une dénonciation acharnée des Pères Zélotes de la Sainte Montagne, les caractérisant par des expressions téméraires et visant principalement notre Saint Monastère. Nous en extrayons les passages suivants :
«... ce qui n’eût pas dû être, les phénomènes d’un zélotisme irréfléchi, dont nous appelons paternellement les représentants à faire pénitence et à revenir à eux-mêmes, pour approuver notre foi exacte et immaculée, et non pour la critiquer...»
«... qui vient d’un zèle mal éclairé...»
«... nous les appelons à abandonner leur cellule, leur skite ou leur monastère et à se retirer hors de l’Athos, là où se trouveront des gens pensant comme eux, et où ils auront du repos, parce que la Sainte Montagne est le territoire canonique du Patriarche Oecuménique et que ceux qui ne pensent pas comme lui n’y ont pas leur place, eux qui refusent de le reconnaître comme la Souveraineté de l’Athos...»
C’est pourquoi répondant à cela, en ce qui concerne, d’abord, l’opinion exprimée sur notre zèle et la façon de le caractériser, nous voulons répondre ci-après, quoique la justice et la droiture demandent qu’on laisse au jugement commun de la conscience des chrétiens pieux et orthodoxes la question de savoir dans quelle mesure notre zèle est irréfléchi et aveugle, parce que cette affirmation est subjective et téméraire, et qu’on sait que le Patriarche Oecuménique doit se garder de «l’infaillibilisme» papal !
Deuxièmement, à l’invitation et à l’appel qui nous est lancé, de quitter l’Athos pour nous transporter ailleurs, nous répondons ainsi : nous sommes désolés de ne pouvoir vous satisfaire ni vous donner de repos sur ce point. Ceci pour deux raisons : de par l’Habit Angélique que nous avons revêtu, nous avons promis devant Dieu et les hommes de demeurer jusqu’à la mort dans ce monastère ; d’autre part, comme enfants de notre Souveraine la Mère de Dieu, nous sommes liés par des liens infrangibles à la Sainte Montagne, qui est le lieu de notre Pénitence. Ces promesses, obligations et engagements sont encore renforcés par l’événement, parce que nous cheminons dans un temps où la foi est en danger.
Ensuite, qu’il nous soit permis de rappeler que, ainsi qu’on sait, le Patriarche Oecuménique, aux termes du 5ème article de la Charte Constitutionnelle de la Sainte Montagne, n’exerce sur la Sainte Montagne qu’une juridiction spirituelle, indépendante de l’autonomie administrative, et que donc les formules «territoire canonique du Patriarche Oecuménique» et votre prétention à être «la souveraineté de l’Athos» non seulement renferment une usurpation, mais ne s’accordent même pas ni n’expriment le sens de l’article ci-dessus. Toutefois, même s’il en allait comme vous le prétendez, il est certain que le Patriarche Oecuménique ne peut exercer ces juridictions que tant qu’il dispense fidèlement la parole de Vérité, étant donné que ce n’est pas le trône qui «institue et rend digne le Patriarche», mais la foi et la confession de l’orthodoxie !
D’un autre côté, nous reportant à votre discours de la double sacrée synaxe extraordinaire de la Sainte Montagne, nous en reproduisons fidèlement un extrait, où vous vous acharnez de la même façon, avec beaucoup de virulence et d’aigreur, contre nous : «... Nous prêtons une oreille bienveillante à vos inquiétudes quant à la marche de la précieuse et immaculée orthodoxie, lorsqu’elles nous sont transmises selon l’ordre ecclésial convenable, dans la lettre et l’esprit des sacrés canons. Nous ne sommes pas infaillibles ; Dieu seul est impeccable, ferme et infaillible, ainsi que l’Eglise qui s’exprime dans l’Esprit Saint et par les Conciles et les saints. Nous sommes toujours profondément affligés lorsque, dans l’anarchie, dans la désobéissance et au mépris total des voeux monastiques, des individus «insolents et prétentieux», pour nous souvenir des termes employés par saint Clément de Rome, reprochant aux Corinthiens les schismes et les divisions de leur Eglise, se soulèvent contre leur chef canonique et se sacrent eux-mêmes juges, interprètes et champions de l’Orthodoxie, alors qu’en réalité ils ne font que dresser, dans leur orgueil, une assemblée séparée, pour leur profit personnel, et que, dans leur égarement et dans leur égoïsme, ils se font récupérer par les ennemis de l’Eglise qui les poussent à des actes schismatiques...»
Dans le même esprit nous pensons que le premier paragraphe de ce texte n’essaie ni peu ni prou de justifier les manquements et les mensonges commis contre les bases de la foi orthodoxe. Qui peut douter que, du fait que vous n’êtes pas "infaillible", comme vous le reconnaissez, des concessions et des compromis innombrables ont été faits aux dépens de l’Orthodoxie précieuse et immaculée, d’autant que les négligences et les erreurs commises d’une part dans le domaine de la foi, et d’autre part, dans celui des canons de l’Eglise, non seulement vous rendent coupables, mais encore provoquent une confusion lamentable et ont des conséquences mortelles pour les âmes de votre troupeau ? Combien plus encore, lorsque ces déviations apostates loin de l’orthodoxie s’éternisent et représentent maintenant un total de plusieurs décades dans l’Eglise. En outre, puisque vous n’êtes pas infaillible, justement pour cette raison, notre combat contre vous vous est annoncé, dans le respect des formes ecclésiales, selon la lettre et l’esprit des saints canons : nous voulons parler de la rupture de la communion avec vous et de l’interruption de la commémoration de votre nom, conformément au canon 51 des Apôtres, et au canon 15 du Concile Premier-Second.
Ensuite l’exemple que vous invoquez de saint Clément de Rome ne s’applique nullement au cas présent puisque, comme tous le savent, les désaccords et les schismes des Corinthiens n’avaient aucune cause dogmatique.
En ce qui concerne l’obéissance monastique, à laquelle vous ne cessez de nous renvoyer, dans vos blâmes et votre amertume à notre égard, saint Jean Chrysostome vous réfute ainsi que suit : «En quel sens Paul dit-il : "Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis ?" Il vient de dire : "Considérez quelle a été la fin de leur vie et imitez leur foi", et il ajoute : "obéissez à vos chefs et soyez-leur soumis". Qu’est-ce à dire, que dis-tu ? S’il est mauvais, lui obéirons-nous ? Mauvais, comment l’entends-tu ? Si c’est pour une raison de foi, fuis-le et ne lui obéis pas, non seulement s’il est homme, mais quand bien même il serait un ange descendu du ciel ; si c’est dans sa vie qu’il est déréglé, n’en sois pas curieux» (PG 63, 231 a). Athanase le Grand le confirme : «Marchant sur la voie sans erreur et porteuse de vie, arrachons l’oeil qui nous scandalise, non pas celui du corps mais celui de l’esprit. S’il arrive ainsi que le prêtre ou l’évêque, ces vrais yeux de l’Eglise, se conduisent mal et scandalisent le peuple, il faut les rejeter. Il est plus avantageux de se réunir sans eux dans une maison pour dire la prière simplement, que d’être jetés avec eux comme avec Anne et Caïphe dans la géhenne de feu» (PG 35, 33).
Enfin, Sainteté, dans le reste de votre texte, vous concluez en nous refusant toute possibilité de juger dans le domaine de la foi, et de résister, rabaissant ainsi l’intelligence et le sentiment du monachisme et confisquant pour vous-même la charge d’interprète et de champion de l’Orthodoxie. Mais que disent les saints Pères de l’Eglise ? «S’il est, en ces temps où nous sommes, des moines, qu’ils le montrent par leurs oeuvres ! Or l’oeuvre du moine, c’est de ne pas souffrir qu’on apporte même la moindre innovation à l’Evangile, afin de ne pas causer la perte des laïcs en leur donnant l’exemple de l’hérésie et de la communion avec les hérétiques» (Théodore le Studite, PG 99, 1049 d) et ailleurs : «De sorte que lorsque c’est la foi qui est en question, il n’y a pas lieu de dire : mais qui suis-je moi ? Prêtre ? Nullement. Chef ? Point du tout. Soldat, et en quoi ? Laboureur ? Non, pas même cela. Un malheureux vivant au jour le jour. Je n’ai rien à dire du sujet en dispute, et pas à m’en soucier ? Hélà ! les pierres crient et toi tu restes silencieux et sans souci ?» (Idem, PG 99, 1321 b).
Dans le même sens, saint Nicodème l’Hagiorite écrit : «... si le prêtre ou l’évêque sortent de l’ordre dû et ont des sentiments faux, un diacre ou un moine qui ont des sentiments orthodoxes et vivent de façon rangée, peuvent les réprimander et les ramener au bon ordre, comme le prouvent des exemples sans nombre...»
Ici, étrangement, vous ne nous avez pas même épargné la calomnie, surtout dans la phrase : «...pour leur profit personnel...». Nous Vous faisons savoir que, loin de retirer le moindre profit personnel de notre défense de la foi orthodoxe, elle nous a tout au contraire valu de longues années de misère et de privations, telles que : consignation illégale et séquestre des subventions allouées à notre monastère, exclusion permanente de notre représentant aux Synaxes de la Sacrée Communauté, refus d’entériner les actes de notre Monastère et de reconnaître notre higoumène, et, en conséquence, suppression de la représentation de notre Monastère  le tout assaisonné d’efforts constants pour diffamer le nom de zélotes (...)

Hagios Agathangelos, n 135 de Janvier-Février 1993.

CHRISTIANISME ET MAHOMET

Nous avons lu récemment dans la presse que le Patriarche d'Alexandrie et de toute l'Afrique, Parthenios, a adressé au Patriarche Bartholomée de Constantinople une proposition publique et officielle, pour que les orthodoxes reconnaissent Mahomet, fondateur de l'islam, comme un vrai prophète ! Le premier argument que Parthenios a invoqué, c'est que les Musulmans tiennent le Christ pour un «prophète». Le second argument vient à la fin de la lettre de proposition : c'est que les uns et les autres, chrétiens comme musulmans, croient au «même Dieu» (Orthodoxos Typos, 1024).
Peut-être Monseigneur Parthenios ignore-t-il que le «Christ prophète» des musulmans n'a rien à voir avec le Dieu-Homme et Seigneur ? Pour l'islam, le Christ est un prophète, c'est-à-dire une créature, et non le Créateur, le Verbe du Père devenu chair. Le Dieu des mahométans n'est pas le Dieu Trinité. Les musulmans ne croient pas au vrai Dieu, car «celui qui n'a pas le Fils, n'a pas le Père» (1 Jn 2,23 et 5,12). En faisant cette confession, Parthenios biffe d'un trait tous les Nouveaux-Martyrs, comme ayant mal combattu, à mauvais escient. En même temps, il se met lui-même hors de l'Eglise des Nouveaux-Martyrs.
Le plus désolant, quand on lit ces déclarations, n'est pas simplement le blasphème qu'elles contiennent, mais la faiblesse coupable que le troupeau a montrée en l'apprenant. Il semble que le syncrétisme a nivelé jusqu'aux fondements mêmes de la foi, tout en détruisant les facultés sensorielles des fidèles. Ce n'est que si le confesseur, l'ancien ou la proche fraternité est en jeu que nous protestons et que nous faisons preuve de sensibilité. En ce qui touche aux thèmes de la foi eux-mêmes, l'indifférence est reine.
Il vaut la peine de souligner que le même Monseigneur Parthenios est pape de toute l'Afrique et que les missionnaires de l'Epire Noire le commémorent à la liturgie.

Epignosis n46, 6ème année, juin-août 1993.

LE METROPOLITE DE LEROS
avoue l'apostasie

Dans un important article publié dans le périodique grec Bêma ou La Tribune, un hiérarque du Patriarcat de Constantinople, Mgr Nectaire, Métropolite de Léros, Kalymnos et Astypalaia, a fait une «Réponse au Vatican» qui est, du point de vue orthodoxe, un aveu d'apostasie.
Voici les circonstances de cette étrange «réponse». Les orthodoxes du Patriarcat se plaignent de la politique du Vatican vis-à-vis des Eglises de l'Est et l'accusent de vouloir s'étendre à leurs dépens. Le Vatican répond que ses intérêts pour les Eglises de l'Europe Orientale sont les mêmes que ceux des orthodoxes pour les Métropoles orthodoxes qui existent en Occident. A quoi le Métropolite de Léros répond : «Cela n'est pas vrai et le Nonce le sait très bien. En fait, les Métropoles orthodoxes à l'étranger servent en priorité les grecs et les slaves de la diaspora. De plus, quand, pendant les trois dernières décennies, des centaines de prêtres de l'Eglise occidentale ont abandonné la prêtrise et leur Eglise, à cause de la règle du célibat, l'Est orthodoxe a systématiquement évité de les accepter dans son sein afin de ne pas empoisonner ses relations avec l'Ancienne Rome. De même quand des paroisses entières en Europe, en Italie par exemple, ont désiré embrasser l'orthodoxie, une fois encore nous leur avons sagement fermé la porte au nez. L'orthodoxie est convaincue qu'il n'est pas nécessaire de faire du prosélytisme et d'avoir des Missions comme la Propaganda Fidei et elle a préféré laisser ces milliers de catholiques romains seuls et sans conseils».
En quelques lignes, le Métropolite avoue donc a) que le Patriarcat a renoncé à prêcher la foi orthodoxe et à être missionnaire, b) qu'il existe des accords secrets entre le Vatican et Constantinople pour que cette dernière refuse de recevoir les prêtres catholiques. Certes, le fait de rejeter le célibat n'est pas un gage suffisant d'orthodoxie ; mais pourquoi faire un principe («a systématiquement évité») de la non-réception des prêtres qui quittent Rome ? Le motif invoqué est politique : «pour ne pas empoisonner les relations avec l'Ancienne Rome». Eh ! bien, le Sanhédrin qui décida la mort de l'Innocent l'avait fait aussi pour ne pas empoisonner ses relations avec la Rome d'alors.
Le Métropolite ajoute : «Malheureusement ces personnes (les catholiques romains refusés par le Patriarcat) sont tombées dans une autre illusion ecclésiologique, se joignant au vieux-calendarisme avec toutes ses formes et masques variés !... Ceux qui vivent à l'étranger savent que le vieux calendarisme est financé en Grèce principalement par les nobles donations de l'étranger qui sont faites pour contrecarrer nos relations fraternelles avec l'Eglise de Rome». Ici, le Métropolite 1) enseigne que les «vieux-calendaristes» comme il les appelle, c'est-à-dire les orthodoxes restés fidèles à la tradition, ont accueilli ceux qui cherchaient la vérité, comme ils étaient en devoir de le faire et 2) ajoute une atroce calomnie à l'endroit des vrais orthodoxes, puisqu'il les accuse d'être financés par l'étranger et les fait ainsi passer ainsi pour de mauvais Grecs.
Prions que les hiérarques orthodoxes ne deviennent pas comme Hérode l'insensé, et qu'ils ne s'entendent pas dire au Jour du Jugement : «Malheur à vous, docteurs de la loi ! parce que vous avez enlevé la clef de la science ; vous n'êtes pas entrés vous-mêmes, et vous avez empêché d'entrer ceux qui le voulaient» (Luc 11,52).

Bêma du 1er mars 1992.

UNE IMPORTANTE ENCYCLIQUE
de Monseigneur Ephrem de Boston

Le journal américain Orthodox Christian Witness a publié dans son numéro du 3/16 août 1992, une lettre encyclique de l'évêque de Boston, Monseigneur Ephrem, qui répond aux menées actuelles du syncrétisme oecuméniste. Etant donné l'importance du sujet à l'heure actuelle, nous donnons ce texte en entier :
Au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.
Enfants et frères bien-aimés dans le Seigneur, c'est avec une grande douleur que nous avons lu le Message des «Primats des Eglises Orthodoxes» qui se sont rassemblés au Phanar à Constantinople, le 2/15 mars 1992, jour du dimanche du triomphe de l'orthodoxie. Ce Message a été signé et diffusé lors d'une réunion sans précédent, où la plupart des hauts dignitaires des Eglises autocéphales furent rassemblés. Puisqu'il s'agit d'un document officiel, il est utile d'examiner les principaux aspects de ce Message, et d'en mesurer les implications.
La question du prosélytisme. Dans un des passages essentiels de ce document, les hiérarques déclarent : «Nous rappelons que les orthodoxes condamnent catégoriquement toute forme de prosélytisme, ce qu'il faut distinguer nettement de la mission et de l'évangélisation. Le prosélytisme qui s'exerce auprès de nations déjà chrétiennes, ou même dans bien des cas orthodoxes, en promettant des récompenses matérielles ou, au contraire, en menaçant de violences diverses, empoisonne les relations entre les chrétiens et les empêche de progresser vers l'unité. Au contraire, la mission qui s'exerce dans des pays et auprès de peuples qui ne sont pas chrétiens, constitue un des devoirs sacrés de l'Eglise, et nous devons l'encourager de toutes nos forces. Le travail missionnaire orthodoxe s'exerce aujourd'hui en Asie et en Afrique et mérite le soutien des chrétiens et des orthodoxes du monde entier.»
Le Message établit une distinction entre le prosélytisme et la mission. La mission, dit-il, «s'exerce auprès des peuples non chrétiens... d'Asie et d'Afrique». Ce type de travail «mérite le soutien de tous les chrétiens et de tous les orthodoxes du monde entier». Au contraire, on y condamne catégoriquement le prosélytisme qui s'exerce «auprès des nations déjà chrétiennes, ou même, dans bien des cas, orthodoxes».
Dans le prosélytisme, tout comme dans le travail missionnaire, il s'agit bien de convertir des personnes d'une foi à une autre. Pourquoi l'un mérite-t-il «tout notre soutien» et l'autre fait-il l'objet d'une «condamnation catégorique» ? Le Message répond aussi à cette question : dans le travail missionnaire -ainsi en Afrique ou en Asie- il s'agit de convertir des «peuples non-chrétiens» au christianisme. Dans le prosélytisme, au contraire, il s'agit de convertir des nations déjà chrétiennes ou même orthodoxes. Pourquoi cela est-il condamnable ? Parce que cela «empoisonne les relations entre chrétiens et cela empêche les chrétiens de progresser vers l'unité».
Quelle ne fut pas notre affliction en lisant cette déclaration qui aurait dû témoigner de la pure et sainte foi orthodoxe !
De nos jours, quoique notre société considère la vérité et la moralité comme relatives, bien des gens sont à la recherche d'un critère absolu pour distinguer le vrai du faux, et le bien du mal ; mais aujourd'hui, le message qu'on entend le plus souvent est que la vérité, si tant est qu'elle existe, est affaire d'opinion personnelle. «Le contenu de la foi n'a pas d'importance, ce qui compte, c'est d'être bon envers le prochain». Pourtant, c'est une grave erreur de penser que la croyance de chacun détermine le bien et le mal, le vrai et le faux. Si la vérité est relative, alors la moralité, elle aussi, le devient. Comme l'écrit Dostoïevski dans Les Frères Karamazov, «si Dieu n'existe pas, alors tout est permis». Peu importe alors ce que l'on croit, croyance ou incroyance ne changent rien. Pas plus que la moralité.
Cependant, contre toute attente, le Message se fait l'écho de cette mentalité, de cette croyance en des vérités multiples. Si on l'examine bien, on s'aperçoit qu'il proclame une nouvelle théologie, étrangère à la tradition patristique.
Une Nouvelle Théologie. Quoiqu'elle n'ait jamais reçue, de la part des évêques, d'aval plus officiel que dans ce Message, cette nouvelle théologie a déjà trouvé des défenseurs ces dernières années, tel Jean Karmiris, théologien et universitaire bien connu de la faculté de théologie d'Athènes, qui écrit dans son livre Ecclésiologie : «De même qu'il y a un seul Dieu, le Père, un seul Christ, et un seul Saint Esprit, de même, en vertu de cette unité, l'Eglise aussi est une et unique, unie dans la présence de la Trinité Une, au nom de laquelle tous les membres de l'Eglise sont baptisés, et se trouvent par là justifiés, quelle que soit la confession à laquelle ils appartiennent, unis au Christ, et unis les uns aux autres en un seul corps, qui ne peut être divisé en de multiples corps» (Ecclésiologie, Athènes, 1973, p.24).
Deux ans plus tard, en 1975, lors de l'Assemblée Générale du Conseil Oecuménique des Eglises à Nairobi, les délégués orthodoxes, se faisant l'écho de cette nouvelle mentalité, manifestaient déjà leur condamnation du prosélytisme : «Les orthodoxes ne désirent pas que les autres chrétiens se convertissent à l'orthodoxie dans sa réalité historique et culturelle du passé et du présent et deviennent membres de l'Eglise orthodoxe2».
Récemment, le fait de convertir des chrétiens d'autres confessions a été attaqué encore plus clairement. Dans le journal athénien Bêma (La Tribune) du 1er mars 1992, le Métropolite Nectaire, évêque néo-calendariste de Kalymnos, a ainsi déclaré : «Même lorsque des centaines de prêtres catholiques ont quitté la prêtrise et leur Eglise ces trente dernières années, l'Eglise Orthodoxe Orientale a systématiquement évité de les recevoir en son sein afin de ne pas empoisonner ses relations avec l'Ancienne Eglise de Rome. Et lorsque des paroisses entières en Europe, par exemple en Italie, ont désiré embrasser l'orthodoxie, là encore nous leur avons sagement fermé la porte. Etant donné que l'Eglise orthodoxe est persuadée qu'elle n'a pas besoin de prosélytisme, elle a préféré laisser ces milliers d'anciens catholiques romains se débrouiller et se guider tout seuls...»
On ne saurait illustrer plus clairement cette nouvelle théologie, formulée officiellement dans le Message. Des milliers de catholiques romains, qui demandaient à être reçus dans l'Eglise, se sont vus «sagement fermer la porte» ! On leur a dit sans détour : «On ne veut pas de vous. On préfère vous laisser à vous-mêmes, sans pasteur ni père spirituel, puisque peu importe 'la confession de foi à laquelle on appartient'. Si vous nous rejoignez, cela ne fera qu'empoisonner nos relations avec Rome et troubler le dialogue oecuménique».
Ces faits montrent bien que pour ces ecclésiastiques, les relations entre les Eglises et le dialogue oecuménique comptent plus que la vérité en matière de dogme. Peu importe que le Pape ne cesse d'affirmer que la papauté est un don de Dieu et que la doctrine de l'infaillibilité du pape est irrévocable. Avant tout, il faut préserver les relations entre les Eglises et le dialogue oecuménique. Ce mépris pour le dogme se manifeste aussi dans d'autres domaines.

Nouveaux rebondissements. En janvier 1986, des dignitaires orthodoxes grecs, protestants et catholiques romains se sont rencontrés à Boston et ont signé une déclaration commune, L'Alliance des dignitaires des Eglises de Boston, comprenant treize Eglises locales et visant à «manifester plus clairement l'unité du Corps du Christ». Parmi les ecclésiastiques qui ont signé cette «alliance» figurait l'évêque Méthode de l'archidiocèse grec néo-calendariste d'Amérique du Nord et du Sud, le cardinal catholique romain du lieu, des évêques méthodistes, luthériens et épiscopaliens, des ministres de l'Eglise Unie du Christ, de l'Eglise baptiste, de l'Eglise presbytérienne, de l'Armée du Salut, un cadre du «Conseil des Eglises» du Massachussetts, et un ministre unitarien.
Nous savons que les confessions dont nous venons de faire mention professent des doctrines extrêmement diverses. Certains rejettent même les dogmes chrétiens, tels que la nature divine du Seigneur, Sa naissance virginale, Sa Résurrection et Son Ascension, pour ne rien citer d'autre. Pourtant, qu'importe qu'ils croient ou ne croient pas à ceci ou à cela, ils sont d'honorables «chrétiens», membres du Corps du Christ et, de ce fait, nous ne devons pas faire de prosélytisme, nous ne devons pas tenter de les convertir à la foi orthodoxe, si l'on en croit les principes énoncés par le Message3. Ce qu'il faut noter, c'est que les Unitariens furent inclus dans cette «Alliance de Boston», quoiqu'une étude récente préparée par l'Association Unitarienne Universelle en Amérique ait montré que seulement 15 % des membres de l'Eglise unitarienne se considèrent comme chrétiens. Selon un article de presse, un autre ministre unitarien a déclaré que son travail d'ecclésiastique n'est pas gêné par le fait qu'il soit athée ! Vraiment voilà du jamais vu : des gens qui ne sont pas chrétiens ou même des ministres qui ne croient pas en Dieu, peuvent à présent être considérés comme membres de l'Eglise du Christ !
Le fait d'inclure les Unitariens dans le «Corps du Christ» révèle la véritable nature de la théologie de ces orthodoxes engagés avec tant de zèle dans l'hérésie de l 'oecuménisme. Cette nouvelle théologie explique également la «condamnation catégorique» du prosélytisme qui est affirmée dans ce Message.
Cette faiblesse érigée en politique ne se contente pas de condamner le prosélytisme. Encore plus affligeant, cette nouvelle théologie commence à évoluer et à se transformer en théologie des Temps Nouveaux (New Age).
Le Message affirme que «la missions dans les pays non chrétiens... constitue un devoir sacré de l'Eglise... ce travail missionnaire s'exerce aujourd'hui en Asie et en Afrique».
Or, il y a peu de temps, un des éminents Patriarches de «l'orthodoxie mondiale», Parthène d'Alexandrie, a affirmé publiquement que : «Le prophète Mahomet est un apôtre. C'est un homme de Dieu qui a oeuvré pour le Royaume de Dieu et créé l'Islam, religion à laquelle appartiennent un milliard d'individus... Notre Dieu est le Père de tous les hommes, même des musulmans et des bouddhistes. Je pense que Dieu aime les musulmans et les bouddhistes. Si l'on parle contre le bouddhisme, on ne peut être en accord avec Dieu». Si tel est le cas, tout le christianisme est en désaccord avec Dieu !
Les déclarations orthodoxes antérieures étaient pleines de rigueur, elles suivaient l'enseignement traditionnel de l'Eglise. Toutes ces récentes aberrations doctrinales et progrès dans l'oecuménisme sont manifestement contraires à l'enseignement traditionnel de l'Eglise en ce qui concerne la conversion des hétérodoxes. Chrétiens orthodoxes, quel enseignement avons-nous reçu ? Que l'Eglise est déjà une, et que la Sainte Eglise Orthodoxe est vraiment l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Elle est le Corps du Christ. Par «unité», on a toujours entendu que des personnes d'autres religions et d'autres confessions s'uniraient à l'Eglise orthodoxe du Christ en devenant orthodoxes. C'est bien ce que les délégués orthodoxes ont souligné lors de la Conférence pour la foi et l'ordre du Conseil Oecuménique des Eglises, à Oberlin, dans l'Ohio, en septembre 1957 : «Ce n'est pas à cause de notre mérite personnel, mais parce que Dieu condescend, que nous représentons l'Eglise orthodoxe et pouvons exprimer son point de vue. Notre conscience nous dicte d'affirmer clairement ce que l'on peut d'ailleurs déduire par la logique : tous les autres membres se sont séparés directement ou indirectement de l'Eglise orthodoxe. Du point de vue orthodoxe, l'unité signifie le retour des membres séparés dans l'Eglise orthodoxe, catholique et apostolique». Plus loin les délégués affirment : «L'Eglise orthodoxe enseigne que l'unité de l'Eglise n'a pas été perdue, parce qu'elle est le Corps du Christ et, de ce fait, elle ne peut être divisée»... «Unité» signifie retour (donc conversion) des membres séparés dans le sein de l'Eglise Une et indivisible. Au contraire, le Message enseigne que le prosélytisme, c'est-à-dire, la conversion de «chrétiens», membres séparés, fait l'objet d'une «condamnation catégorique». Que s'est-il donc passé entre temps ?
Il est évident que ce document, signé par les Patriarches de Serbie et de Jérusalem, aussi bien que par tous les hiérarques des Eglises autocéphales, proclame officiellement un changement de doctrine.
Les délégués officiels à Oberlin, et surtout tous les saints et confesseurs de l'Eglise du Christ dans les temps passés sont unanimes pour identifier la Sainte Eglise Orthodoxe au Corps du Christ. En revanche, les hiérarques rassemblés à Constantinople croient que les membres d'autres confessions ne doivent pas être convertis, parce qu'ils sont déjà chrétiens et donc, membres de l'Eglise du Christ.
La théorie des branches. Si nous essayons de convertir une personne à notre foi, c'est parce que nous pensons que celle-ci est véridique et celle-là fausse. Puisque le Message «condamne catégoriquement» le prosélytisme, cela veut dire que les croyances des hétérodoxes -si contradictoires, si erronées, si divergentes soient-elles- sont agréables à Dieu ou, du moins, que leurs erreurs ne sont pas graves au point de susciter notre inquiétude ; dès lors, il nous est interdit de convertir ces personnes à l'orthodoxie. En fait, c'est même pécher que de le faire. Mais par là nous renonçons à ce que saint Paul a proclamé aux Ephésiens : «Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême».
En outre, c'est adhérer à la «théorie des branches». Cette théorie, qui enseigne que toutes les Eglises et les confessions sont des «branches» de la grande Eglise Une du Christ, a été inventée au XIXème siècle par des anglicans qui désiraient affermir leur place dans l'Eglise historiquement une, sainte, catholique et apostolique, tout en restant dans l'anglicanisme. Puisque toutes les branches diffèrent les unes des autres par le contenu de leur foi, la vérité en matière de dogme joue un rôle insignifiant dans cette théorie.
De même pour le «Corps du Christ» multi-confessionnel. Puisque les doctrines et les croyances ne sont pas prises en considération, toutes les Eglises peuvent être membres de ce Corps et ainsi unitariens et orthodoxes peuvent ensemble en faire partie. Mais cela contredit ce que les saints de l'Eglise nous enseignent à propos de l'Eglise et de la foi droite. Voici, par exemple, ce que dit à ce sujet saint Maxime le Confesseur : «Le Seigneur Jésus Christ a appelé Eglise l'Eglise catholique (universelle) qui garde le dépôt de la vraie foi qui seule sauve4».
Pour saint Grégoire Palamas, sont membres de l'Eglise du Christ ceux qui confessent la vérité ; et ceux qui ne confessent pas la vérité, ne sont pas membres de l'Eglise du Christ... car nous devons nous souvenir qu'on reconnaît le christianisme non aux personnes (revêtues d'une dignité ecclésiastique), mais à la justesse et à la vérité de la foi5.
Saint Jean Chrysostome, en accord parfait avec ces paroles, nous apprend que : «L'Eglise universelle est un paradis... et s'il se trouvait dans l'Eglise quelqu'un qui, séduit par le serpent, fût convaincu d'hérésie, qu'il soit alors chassé de ce paradis, tout comme Adam le fut autrefois du jardin des délices».
En opposition totale avec cet enseignement patristique, la théorie des branches et l'Eglise oecuméniste qui se prétend «Corps du Christ» enseigne que la vérité et la tradition chrétiennes sont plurielles, et que toutes ses formes en sont valables, quelles que fussent leurs divergences. Une conclusion s'impose : il n'y a pas de vérité chrétienne absolue ; la vérité est relative. Tout est affaire de convenance personnelle. Pourtant, mes bien-aimés, si la vérité (donc en ce cas, les vérités et les traditions chrétiennes) est une affaire d'opinion et de convenance personnelle, si bien que nous ne devons pas essayer de convertir les non-orthodoxes, alors la morale, les critères du vrai et du faux, du bien et du mal, eux aussi deviennent relatifs, et dépendent de l'opinion et de la convenance personnelle. Il n'y a plus de critère unique de la vérité, ni du bien et du mal.

Quête de l'unité ou errance ? En outre, les auteurs du Message déclarent qu'ils travaillent pour l'unité des chrétiens, et que c'est pourquoi ils sont opposés au prosélytisme. Mais quelle sorte d'unité recherchent-ils ?
L'Archevêque Iakovos, primat de l'archidiocèse grec d'Amérique du Nord et du Sud, nous apporte la réponse : «L'unité que nous recherchons, dit l'archevêque, ne peut être orthodoxe, catholique romaine ou protestante. Elle a une dimension plus large, celle de la catholicité6».
Mais si cette unité n'est ni orthodoxe, ni catholique romaine, ni protestante, quels seront alors les dogmes de cette religion sans contenu ? Cette nouvelle Eglise, dit l'Archevêque Iakovos, aura une dimension plus large «celle de la catholicité». Pourtant, dans la divine liturgie de saint Jean Chrysostome, célébrée dans toutes les Eglises orthodoxes du monde entier, le texte sacré dit bien, dans la prière pour les catéchumènes : «Fidèles, prions pour les catéchumènes... pour que le Seigneur leur fasse miséricorde, qu'Il les unisse à sa sainte Eglise une, catholique et apostolique». Est-il possible que pendant des siècles, les fidèles aient prié pour que le Seigneur unisse les catéchumènes à une Eglise qui n'existe pas encore ? De quelle unité s'agit-il donc ?

La seule source de l'unité. Enfants bien-aimés, nous chrétiens orthodoxes, croyons que la vérité vient de Dieu seul, et que l'amour, la justice et la bonté émanent de Lui seul. Dieu seul est la Voie pour acquérir ces vertus célestes. Seul le Seigneur ennoblit l’homme. La vérité et les vertus qui ennoblissent l’homme ne peuvent exister sans Dieu.
Rien d’humain ou de terrestre ne peut remplacer ces dons célestes, il n’est pas d’alternative, ni de nouvelle théologie possible. Nous, chrétiens, savons que l’amour de l’homme déchu ne ressemble en rien à l’amour authentique, car l’amour de Dieu est totalement désintéressé, tandis que l’«amour» de l’homme est égoïste. Si Dieu nous aime, c’est pour nous unir à Lui d’un lien éternel, qui transcende la condition mortelle de cette humanité aux aspirations toutes terrestres. Puisque nous sommes mortels, si nous nous aimons c’est pour nous unir à d’autres êtres humains à des «fins immédiates» : le bonheur, la satisfaction, les joies et les plaisirs terrestres. Si nous voulons aimer Dieu, nous ne pouvons le faire qu’en transfigurant notre coeur, en faisant taire notre orgueil, en humiliant l’homme déchu qui est en nous, et en laissant s’exprimer en nous l’amour désintéressé de Celui qui nous a aimés dans une humilité parfaite, qui a accepté de prendre notre nature et notre condition mortelle pour nous permettre à notre tour de l’aimer humblement et éternellement. Amour et vérité humaines ne peuvent être comparés à l’Amour et à la Vérité de Notre Sauveur, parce que Lui seul en est la source. Si nous désirons cette Vérité, cet Amour de Dieu et du prochain, si nous voulons la lumière qui nous guide vers la vraie justice et la bonté en ce monde, il nous faut, pour la recevoir, nous tourner vers Lui. Voilà pourquoi le Seigneur dit : «Je suis la Voie, la Vérité, la Vie».
Cette Voie, cette Vérité de Dieu, cette Vie qui est guide et source de notre propre vie, est le roc sur lequel nous devons construire toute notre vie durant. On ne peut bâtir sur les sables mouvants des doctrines et opinions personnelles, sinon nous ne pourrons supporter les vagues déferlantes des tentations et des afflictions qui, inévitablement, nous assaillent. Si nous perdons cette Voie, cette Vérité, ce guide qui nous mène à Celui qui est la Vie, alors tout critère devient arbitraire, «tout est possible», car la vérité et l’amour divins disparaissent de nos coeurs, un amour égoïste et charnel, et des vérités aléatoires les supplantent. Alors, au lieu d’unité, nous voyons autour de nous toujours plus de divisions, car personne ne peut plus s’accorder sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, vrai ou faux, si le concept d’amour lui-même est dénaturé.
Dans l’âme du chrétien orthodoxe, il est impossible de séparer vérité et amour. En disant la vérité avec amour, comme le conseille le saint Apôtre Paul, nous sommes appelés à mettre en pratique deux commandements : aimer Dieu et le prochain, connaître et préserver la vérité qu’Il nous a donnée. Dans son Hymne 20 sur la Foi, saint Ephrem le Syrien écrit :

Vérité et Amour sont des ailes inséparables
car Vérité sans Amour ne peut voler,
ni Amour prendre son essor sans Vérité,
ils sont liés d’étroite amitié.

Les deux pupilles des yeux voient et se meuvent ensemble ;
quoique le nez les sépare,
elles ne sont point divisées ;
car le moindre clin d’oeil de l’un ne saurait échapper à l’autre.

Les pieds non plus ne sont pas divisés
pour marcher dans deux sens opposés...
Les pieds et les yeux reprochent à l’homme sa division.

Mes bien aimés, demeurons dans la concorde de l’amour et de la vérité, dons précieux du Dieu Trinité : Père, Fils et Saint Esprit. Si nous demeurons fermes dans l’amour de Dieu, dans le repentir, l’humilité et la prière incessante, et que nous communions aux Saints Mystères avec crainte de Dieu, foi et amour, alors, quand même nous serions environnés par la tempête des opinions et des critères multiples et variés, rien ne saurait nous atteindre ou nous séparer du Royaume des Cieux, juste héritage qui nous est promis, par la grâce et l’amour indéfectible de Notre Dieu, révélé à son Eglise, qui a été, est et demeure à jamais l’Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique.
Telle est l’unique source de la Vérité ; telle est l’unique source de l’union de tout homme à Dieu, dans sa Vérité, son Amour et sa Foi Une. Tel est le message que le monde a besoin aujourd’hui d’entendre.
Si nous chérissons et mettons en pratique les commandements sacrés de l’amour et de la vérité, qui sont les nôtres dans la Sainte Eglise Orthodoxe et Catholique, si nous demeurons fermes dans l’amour et dans la confession de la vérité, et nous efforçons d’amener d’autres personnes à cette connaissance, alors avec des saints de tous les temps, bien que pécheurs, nous serons jugés dignes d’entendre la sainte voix du Sauveur nous dire : «Venez les bénis de mon Père, héritez du Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde» (Matt. 25, 34).
Mes enfants bien aimés, que cela soit notre lot dans le monde à venir. Amen.

Ephrem, Evêque de Boston.

Orthodox Christian Witness du 3/16 août 1992.




SECRETS REVELES

L’oecuménisme progresse en même temps que l’uniatisme, ce qui montre la résolution des adversaires de la foi orthodoxe et le double jeu de la hiérarchie orthodoxe oecuméniste, qui multiplie ses déclarations indignées devant le phénomène de l’uniatisme, mais continue de prêcher l’hérésie de la théorie des branches. Nous reviendrons sur ce point. Il importe de savoir ce que révèle l’histoire de l’Eglise : il a souvent existé des hiérarques orthodoxes trahissant en secret la foi. Tel était le cas du Métropolite Nikodim de Léningrad, mort lors d’une visite à Rome, dans les bras du Pape Jean-Paul Ier, le 5 septembre 1978. L’information qui suit, publiée dans le journal catholique The Tablet, donne les faits d’après le livre du P. Keleher, Passion et Résurrection : l’Eglise Grecque-Catholique en Ukraine Soviétique, 1939-1989.
Le Métropolite Nicodème se serait fait connaître comme uniate à Michel Havryliv, Russe de Léningrad, dans les circonstances suivantes. Havryliv ayant découvert, en 1971, à l’âge de vingt-deux ans, alors qu’il était au séminaire, l’Eglise catholique et l’oeuvre de Soloviev, il commença à se confesser à un prêtre catholique, le Père Joseph Pavilnis et entra dans le réseau clandestin des catholiques du séminaire de Léningrad. En 1973, il se rendit en Lituanie, où un capucin le reçut dans l’Eglise catholique. Ce prêtre lui aurait dit que Monseigneur Nicodème était un évêque catholique secret, ayant reçu de Paul VI juridiction sur toute la Russie. Le 6 septembre 1975, le Métropolite Nicodème fit Havryliv moine, lui fit prononcer une profession de foi au Siège de Rome, et lui donna les Constitutions jésuites comme règle de vie. Il ordonna ensuite Havryliv au diaconat, puis à la prêtrise (9 octobre et 4 novembre 1975). En 1977, le Père Havryliv fut nommé dans un diocèse anciennement uniate, puis, en 1979, il fut reçu, mais de manière cachée, dans l’Eglise uniate. Il affirme que le Métropolite Nicodème, lors du dernier entretien qu’il eut avec lui, le bénit, l’engageant à garder ses convictions catholiques et à travailler, mais en prudence, à l’extension du catholicisme en Russie. Havryliv a raconté toute cette histoire au Père Keheler en 1990, à Rome.

The Tablet, 20 mars 1993.

LIVRE REÇU

D. Batakovitch. Kosovo : la spirale de la haine, Lausanne, L’Age d’Homme, 1993.

Cet ouvrage, écrit par l’un des plus éminents historiens serbes contemporains, est une étude historique sur le Kosovo, berceau national et culturel serbe ; cette province comprenant deux régions au sud de la Serbie, le Kosovo proprement dit et la Métochie, grande comme deux départements français, est aujourd’hui peuplée majoritairement d’Albanais, qui veulent faire sécession et se rattacher à l’Albanie.
Depuis trois siècles, cette région fait l’objet d’une rivalité sanglante entre Serbes et Albanais. Au Moyen Age, le Kosovo est le centre de la brillante civilisation serbe des Némanjides. A cette époque, Pec, au coeur de la Métochie, accueille le siège du Patriarcat de l’Eglise serbe orthodoxe. Au XIVème siècle, après la célèbre bataille du Kosovo (1389), qui opposa les Serbes aux envahisseurs turcs, la province est intégrée à l’empire ottoman. Au XVIIIème siècle, un grand nombre de serbes émigrent vers le Nord, à cause des guerres austro-turques, et des colons albanais s’installent au Kosovo et occupent les terres abandonnées par les Serbes. Le profil ethnique du Kosovo commence alors à changer. Au XIXème siècle, la province est déchirée entre les clans albanais. A l’issue de la révolution serbe de 1830, une principauté serbe autonome est créée au sein de l’empire ottoman. Le Kosovo, lui, demeure gouverné par des pachas albanais rebelles au sultan et disposant d’armées privées. Ce n’est qu’en 1912 que la province réintègre le cadre de la Serbie après la première guerre balkanique : les Albanais y sont une minorité. Pendant la Seconde guerre mondiale, le Kosovo fait partie de la «Grande Albanie», Etat fantoche créé sous protectorat italien. C’est une nouvelle occasion de colonisation pour les Albanais. Une vague de violence se déchaîne contre les Serbes du Kosovo, provoquant une émigration massive : soixante-dix mille Serbes quittent la province entre 1940 et 1944. En quatre ans, dix mille serbes sont assassinés. On démolit, on pille, on incendie les églises, on massacre les prêtres.
A partir de 1945, sous la Yougoslavie communiste, le Kosovo reçoit le statut de région autonome, l’ethnie albanaise devient une force politique dominante. Or, pour les Serbes, chassés du Kosovo par la violence ou l’intimidation7, cette région demeure leur terre sainte, le pilier de leur identité nationale.
Cette étude historique, solidement documentée, permet de comprendre les causes de la désintégration actuelle de la Yougoslavie. Etudiant la période d’après-guerre, Batakovitch montre comment Tito a adopté une politique systématiquement anti-serbe.
La prise du pouvoir par les communistes a commencé par la liquidation de dix mille «ennemis de classe» en 1946, s’est poursuivie par la persécution des dignitaires de l’Eglise orthodoxe serbe, la confiscation des biens ecclésiastiques et l’athéisation de la vie publique et culturelle.
On fixa arbitrairement les nouvelles frontières intérieures de la Yougoslavie et, pour briser «l’hégémonie grand-serbe», on décréta que la Serbie revenait à ses frontières de 1878, ce qui rendait vaines toutes les luttes de libération ultérieures, depuis les guerres balkaniques jusqu’à la création de la Yougoslavie. On confisqua à la Serbie la Macédoine et le Kosovo. On annula l’union du Monténégro avec la Serbie, proclamée en novembre 1918. On accorda l’autonomie au Kosovo-Métochie, tandis qu’on la refusait aux minorités albanaise (17,12 % de la population) et turque (8,3 %) en Macédoine, ainsi qu’aux Serbes de Croatie (14,5 % de la population).
La Bosnie-Herzégovine se vit attribuer le statut d’unité fédérale à part entière, à la grande surprise et déception des Serbes, principale composante ethnique de cette région à l’époque : 44 % de Serbes contre 30,1 % de musulmans et 23,9 % de Croates.
Malgré l’autonomie que leur accorda le régime titiste, qui faisait qu’en pratique le Kosovo contrôlait entièrement son économie, son administration, son instruction publique et sa culture, les Albanais se soulevèrent au début d’avril 1987, pour obtenir le statut de république, ce qui lui aurait formellement reconnu le droit à l’autodétermination intégrale et à la sécession. A la suite des émeutes sécessionnistes, l’autonomie est supprimée et la province revient sous la juridiction de sa république mère, la Serbie. Subissant toujours violences et menaces, les Serbes poursuivent leur exode : entre avril et octobre 1987, dix mille d’entre eux quittèrent définitivement le Kosovo.
Si les Albanais constituent 80 à 85 % de la population du Kosovo, en revanche, ils ne forment que 18 % de la population de la Serbie. Les nouvelles autorités fédérales yougoslaves prennent leurs distances par rapport au Président Milosevic, et cherchent activement depuis septembre 1992 à trouver un compromis avec la communauté albanaise.
Accorder l’autodétermination à une minorité serait un dangereux précédent dans la politique étrangère européenne. La législation du droit de sécession de minorités qui ne peuvent s’appuyer sur aucune tradition nationale est susceptible de créer une réaction en chaîne dans d’autres régions de l’Europe. Tous les spécialistes s’accordent à dire que modifier les frontières méridionales de la Serbie au profit des Albanais provoquerait une guerre balkanique généralisée, car d’autres minorités ethniques aspirent à l’autodétermination : il y a en Macédoine une forte minorité albanaise, en Roumanie et au Nord de la Serbie, une importante minorité hongroise, etc. Les Albanais, en revanche, considèrent ce territoire qu’ils s’approprient peu à peu par l’expansion démographique comme le point de départ d’un Etat albanais unifié, «la Grande Albanie».

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