mardi 8 février 2011
La Lumière du Thabor n°47-48. Le brigandage de Chambézy.
DOSSIER
LE BRIGANDAGE DE CHAMBEZY
dénoncé par les moines du Mont Athos
I. Le dialogue entre orthodoxes et monophysites
e dialogue entre les orthodoxes et les antichalcédoniens -c’est-à-dire les membres des Eglises monophysites d’Orient, Coptes, Arméniens et Ethiopiens, hostiles au IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine qui a défini le dogme des deux natures en Christ - conduit depuis plusieurs années par le Patriarcat de Constantinople et d’autres Eglises engagées dans l’oecuménisme, a suscité récemment l’inquiétude des moines athonites1. Leur Mémoire sur le dialogue résumait de façon pertinente les arguments des théologiens orthodoxes dont les voix, étouffées par les médias, avaient osé s’élever à la fois contre les méthodes anti-ecclésiales de ce dialogue et contre ses présupposés dogmatiques, qui sont aux antipodes de la tradition des Apôtres, des Pères de l’Eglises et des Conciles Oecuméniques. La Lumière du Thabor a rendu compte dans son précédent éditorial des principales objections des moines athonites.
A ce défi lancé par la Sainte Montagne, Monseigneur Damaskinos, Métropolite de Suisse, du Patriarcat de Constantinople, et président de la Commission chargée, pour le côté orthodoxe, du dialogue en question, a répliqué longuement dans les pages du journal Episkepsis (n521 du 31 août 1995).
II. La critique de Damaskinos
Le SOP (Service Orthodoxe de Presse), dans son numéro de décembre 1995, a largement cité le texte de la réponse de Monseigneur Damaskinos, qui est une critique en règle des positions des moines athonites. Résumons les principaux points abordés par le Métropolite de Suisse.
1) Une christologie ambiguë ?
Les Athonites critiquent les deux Déclarations communes (1989-1990) en disant qu’elles contiennent des expressions ambiguës, laissant le champ libre à une interprétation sévériennne -c’est-à-dire conforme au «monophysisme modéré» de Sévère. Or cette doctrine a été aussi fortement condamnée par les Pères que le «monophysisme extrême» d’Eutychès.
Réponse : Le Métropolite Damaskinos répond que les passages considérés comme ambigus sont orthodoxes :
- premier texte : «Lorsque nous parlons de l’hypostase une et composite (synthetos) de notre Seigneur Jésus Christ, nous ne voulons pas dire qu’en Lui s’unissent une hypostase divine et une hypostase humaine. Nous voulons dire que l’une et éternelle hypostase de la Deuxième Personne de la Trinité assuma notre nature humaine créée, dans un acte l’unissant à sa propre divine nature incréée pour former ensemble un réel ETRE divino-humain uni inséparablement et sans confusion» (Première Déclaration). Selon Damaskinos, si la Commission avait dit : «une NATURE divino-humaine unie», elle mériterait le reproche de monophysisme ; mais puisqu’elle a dit un réel ETRE, ce sont les athonites qui ont tort de faire comme s’il y avait le mot NATURE.
- second texte : «les natures étant distinguées... seulement dans la pensée2» (Deuxième Déclaration). L’expression «seulement dans la pensée» vient du Vème Concile Oecuménique (533) et donc est parfaitement orthodoxe, dit Damaskinos. Donc les athonites se trompent encore une fois dans leur reproche.
2) Dioscore, Jacques et Sévère sont-ils orthodoxes ?
La Communauté athonite blâme la Commission interorthodoxe d’avoir simplement demandé aux antichalcédoniens de rejeter le monophysisme extrême d’Eutychès et non celui de Dioscore et de Sévère. A quoi le Métropolite de Suisse répond que des travaux récents ont prouvé que Dioscore et Sévère étaient restés fidèles à l’enseignement christologique de saint Cyrille.
Dioscore, Jacques et Sévère ont refusé de reconnaître le IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine. De ce fait, ils ont été condamné par l’Eglise. Selon les Pères athonites, cela signifie qu’ils étaient hérétiques ; non, répond Monseigneur Damaskinos : «ils récusaient la terminologie de la définition du Concile ("en deux natures")», mais «ils furent condamnés pour s’être séparés du corps de l’Eglise et non pour cause d’hérésie».
3) Peut-on annuler
les décisions d’un Concile Oecuménique ?
La Commission a proposé de lever les anathèmes portés contre Dioscore et Sévère par le IVème Concile et confirmés par les Conciles suivants (VIème et VIIème).
Les athonites affirment qu’il n’est pas permis de réviser les décisions d’un Concile oecuménique.
Mgr Damaskinos répond que cela s’est déjà vu et il en cite quatre exemples :
a. révision des décisions du IIIème Concile Oecuménique par le Décret des Réconciliations de 433 rétablissant la communion entre Antioche et Alexandrie.
b. «l’enseignement christologique du IIIème Concile Oecuménique fut développé par le Horos (Décret, Définition dogmatique) du IVème Concile Oecuménique».
c. le Décret de ce dernier concile fut interprété par le Vème Concile Oecuménique à la lumière des Douze chapitres contre Nestorius de saint Cyrille et de sa terminologie christologique.
d. la décision du IVème Concile Oecuménique sur l’orthodoxie de Théodoret de Cyr et d’Ibas d’Edesse fut «différemment interprétée» par le Vème Concile Oecuménique.
Pour Mgr Damaskinos, les conditions requises existent pour que le «concile panorthodoxe» lève les anathèmes pesant sur Dioscore, Jacques et Sévère. «L’autorité des Conciles Oecuméniques n’est pas mise en danger lorsque l’élément essentiel de leurs décisions dogmatiques (Horoi) n’est pas mis en doute» et, d’autre part, le «concile panorthodoxe» «toujours en harmonie étroite avec la conscience du corps de l’Eglise orthodoxe, prolonge l’autorité des conciles oecuméniques historiques dans la vie de l’Eglise orthodoxe et a le pouvoir d’interpréter de manière authentique l’esprit des décisions desdits conciles dans la marche historique de l’Eglise».
4) Faut-il imposer aux Eglises antichalcédoniennes
la réceptions des quatre Conciles Oecuméniques IV à VII
qu’elles refusent jusqu’à présent ?
Selon les athonites, qui ne font ici qu’exprimer la conscience de l’Eglise orthodoxe tout entière, le fait que les antichalcédoniens continuent de ne recevoir explicitement que les trois premiers Conciles oecuméniques prouve que rien n’a été fait : être orthodoxe c’est recevoir tous les Conciles Oecuméniques -et ceux de même valeur. Dans ces conditions, parler de communion entre les antichalcédoniens et les orthodoxes demeure impossible. «Chalcédoine» reste la pierre d’achoppement.
Mgr Damaskinos répond que les «Eglises orientales» (c’est-à-dire antichalcédoniennes) acceptent la foi des Décrets des sept Conciles3 ; mais que «Malgré cela, la question de l’énumération formelle de ces conciles parmi les conciles oecuméniques communs, bien que posée de manière réitérée et insistante par la Commission interorthodoxe au cours de toutes les réunions du plenum de la Commission mixte, fut jugée par les représentants des anciennes Eglises orientales prématurée et intempestive, étant donné qu’elle présuppose d’une part la levée des anathèmes prononcés par nos Eglises contre Dioscore et Sévère et, d’autre part, l’étude systématique des «actes» de ces conciles qui exigera un temps considérable».
III. Réponse des Pères athonites.
A la critique que nous venons de résumer, la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne a répondu par une analyse détaillée de 102 pages, dont le journal Orthodoxos Typos a publié un résumé dans ses numéros 1169 et 1170 (12 et 26 avril 1996). Voici la traduction de ce texte, intitulé : «Observations de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne. Le dialogue théologique entre orthodoxes et antichalcédoniens. Réponse à la critique du Métropolite Damaskinos de Suisse».
Introduction.
Le bulletin ecclésiastique Episkepsis (521, 31/8/95), a publié la réponse que le Révérendissime Métropolite de Suisse, Damaskinos, Président de la Commission Interorthodoxe pour le Dialogue de l’Eglise Orthodoxe avec les Eglises antichalcédoniennes, a faite au Mémoire de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne sur le Dialogue des Orthodoxes et des Antichalcédoniens, du 14/27 mai 1995.
Les moines hagiorites constatent que les résultats du Dialogue théologique entre orthodoxes et antichalcédoniens, tels qu’ils ont été transcrits dans les Accords des Conférences non officielles (1964-1971), puis dans les Déclarations Communes des Rencontres officielles de la Commission mixte (1985-1993), n’offrent pas d’espérances solides de voir les antichalcédoniens revenir à l’Eglise, dont ils ont été séparés depuis 1500 ans comme hérétiques, parce que la théologie de ces Déclarations Communes n’est pas en accord avec le dogme orthodoxe.
Après l’achèvement des discussions théologiques, en 1992, l’on attendait un large examen critique conciliaire, et un jugement exprimé par les diverses Très Saintes Eglises Orthodoxes locales, sur les conclusions du Dialogue théologique ; et l’on espérait qu’il s’écoulerait un temps suffisant pour que mûrisse la conscience de l’Eglise et qu’elle accepte la décision unanime des hiérarques de l’Eglise sur la question de savoir si les antichalcédoniens contemporains sont ou ne sont pas orthodoxes.
Malheureusement, avant toute délibération synodale, l’on a rendu publique la proposition de la Commission mixte concernant la levée, par les orthodoxes, des anathèmes pesant sur Dioscore et Sévère (Communiqué de la 4ème Rencontre, 1993). A la suite de certaines propositions émanant de théologiens particuliers, Dioscore et Sévère ont été qualifiés d’orthodoxes quant à leur sentiment et quant à leur doctrine et, en conséquence, on a jugé qu’il était possible que l’autorité conciliaire actuelle de l’Eglise lève les anathèmes qui pèsent sur eux. La levée des anathèmes accomplie par les deux parties en dialogue devait signifier le rétablissement de la pleine communion sacramentelle.
Les diverses objections et réactions de l’ensemble du peuple fidèle de l’Eglise à ce genre d’union précipitée -dans la mesure où les antichalcédoniens n’ont point accepté la foi orthodoxe- n’ont pas été prises en considération par les principaux agents de cette union.
La Sacrée Communauté de la Sainte Montagne, inquiète et angoissée devant le cours pris par ce dialogue théologique a composé tout d’abord un Rapport de la Commission de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne sur le Dialogue entre Orthodoxes et Antichalcédoniens, dans lequel elle exprimait ses réserves sur la marche du dialogue. Or, comme le Révérendissime Métropolite de Suisse Damaskinos, dans son article «Le dialogue théologique de l’Eglise orthodoxe et des Eglises orthodoxes orientales. Réflexions et perspectives», présentait les conclusions de la Commission Mixte non point comme de simples propositions présentées aux Eglises, mais comme des textes tenant strictement à la foi et à la tradition orthodoxe, la Sacrée Communauté a publié son Mémoire, dénonçant devant l’Eglise les dérives dogmatiques -christologiques et ecclésiologiques- de la Commission interorthodoxe. Le but du Mémoire était d’informer l’ensemble des membres de l’Eglise sur le caractère non-orthodoxe des Déclarations communes et d’essayer, par un effort constant, de remettre en place le Dialogue sur des bases orthodoxes, afin que la foi de l’Eglise demeure inaltérée et que les antichalcédoniens se rendent compte qu’ils se trouvent dans une hérésie, dont ils doivent revenir pour retourner à l’orthodoxie.
Dans sa réponse au Mémoire de la Sacrée Communauté, le Révérendissime de Suisse reformule les théories non-orthodoxes de la Commission mixte en matière de christologie et d’ecclésiologie.
Egalement, il accuse la Sacrée Communauté de parler de sa propre autorité, de blâmer arbitrairement les théologiens de la Commission interorthodoxe, de mettre en doute l’idée que les Eglises vont accepter avec enthousiasme les conclusions du Dialogue, et enfin d’ignorer que ces mêmes conclusions s’accordent avec la résolution de la Troisième Conférence Panorthodoxe Préconciliaire au sujet de la progression du Dialogue.
La Sacrée Communauté a bien pesé cette mise au point du Révérendissime et, considérant que ses affirmations s’éloignent, sur des points essentiels, de la Foi Orthodoxe et de la Tradition de l’Eglise, procède aux remarques suivantes.
1) Le poisson est noyé4.
Le Révérendissime rappelle la position hostile de la Sacrée Communauté vis-à-vis du Dialogue, puis critique les déclarations de celle-ci comme «faites de sa propre autorité», ainsi que ses blâmes «arbitrairement» adressés à la Commission interorthodoxe et, enfin, son opposition à la volonté de la Troisième Conférence Préconciliaire : ces remarques ne visent qu’à faire perdre de vue au lecteur l’essence du problème, mais ne persuadent nullement que les inquiétudes de la Sacrée Communauté relativement à l’évolution du Dialogue soient injustifiées ou erronées.
2) La conscience ecclésiale.
La position réservée de Sa Béatitude le Patriarche Diodore de Jérusalem, de Hiérarques de l’Eglise, de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne, de nombreux Professeurs des Ecoles Théologiques et d’une grande part du plérôme des pieux fidèles de l’Eglise prouve que la conscience de l’Eglise n’a pas été apaisée par les résultats du Dialogue et qu’elle réclame une nouvelle fixation des directions qu’il doit prendre.
3) Des textes ambigus à dessein.
L’affirmation de l’évêque de Suisse, que les solutions apportées aux questions théologiques répondent absolument à l’enseignement des saints Conciles Oecuméniques est sans fondement.
Ce qu’il a signé comme un accord commun dans le cadre du Dialogue n’est pas la foi des saints Pères des Conciles Oecuméniques, mais des textes artistement concoctés pour recouvrir à la fois la doctrine théologique orthodoxe et celle de Sévère ; ces documents n’utilisent la terminologie des Décrets des Conciles Oecuméniques qu’afin de dissimuler le compromis dogmatique ainsi obtenu.
A son insu ou à dessein, la délégation orthodoxe s’est laissé aller à faire des concessions dogmatiques aux antichalcédoniens. Voici lesquelles :
a) L’insertion de formules monophysites dans les Déclarations communes, comme la suivante : «L’hypostase, en tant que distinguée, DE (ek) LA NATURE du Verbe incarné», le terme de physis, nature, ne pouvant absolument pas être pris, en cet endroit, comme signifiant l’«hypostase», est employé de façon cacodoxe à la place de la formulation orthodoxe qui serait : «DES NATURES du Verbe incarné».
b) L’accord sur le fait que les natures en Christ sont distinguées par la seule pensée, expression qui, dans le contexte des Déclarations communes est susceptible d’une interprétation sévérienne et cache en soi-même le monophysisme et le monoénergisme. La prétention du Révérendissime de Suisse qui soutient que les termes «par la seule pensée» viennent du Décret du Vème Concile Oecuménique est sans effet, dans la mesure où le contenu de l’expression, dans le contexte et sous la forme où le document la donne, «les natures sont distinguées seulement par la pensée», est radicalement différent du contenu dogmatique de la formule (du Vème Concile) : «Si quelqu’un confesse le nombre des natures dans un unique Seigneur Jésus Christ, le Verbe de Dieu incarné, mais sans comprendre la différence seulement par la pensée... et se sert du nombre afin de montrer qu’Il possède des natures séparées et idiohypostatiques (douées chacune de son hypostase propre), qu’il soit anathème».
Par la seconde formulation est confessée la différence des natures qui existent de façon essentielle en Christ et rejetée leur division (diairesis), tandis que la première rejette bien la division des natures mais insinue l’idée d’une nature composée.
c) L’usage de l’expression : «pour former (sujet : le Verbe) un seul... réel ETRE (hyparxis, être ou subsistance) divino-humain», laquelle est propre à la tradition théologique sévérienne, pour laquelle le Christ n’est pas semblable selon l’hypostase à l’Hypostase de Dieu le Verbe. Les conséquences de cette thèse, tant sur le plan de la théologie trinitaire que pour la doctrine du salut, sont gravissimes.
d) La concession faite à l’opinion selon laquelle les saints Pères auraient utilisé l’un pour l’autre et avec la même signification les termes nature et hypostase. Par là, on donne licence aux antichalcédoniens pour lire les Déclarations communes signées de concert, avec leurs présupposés propres, ceux des monophysites sévériens, sans qu’ils puissent se rendre compte de l’erreur de leur conception théologique.
e) La formulation insuffisante du dogme orthodoxe sur les deux volontés et les deux énergies en Christ, d’une manière telle qu’il n’est pas possible, sur la base des choses accordées de part et d’autre dans les Déclarations communes, d’exclure l’hérésie du monoénergisme.
L’opinion du Métropolite de Suisse que, sur ce point, les Déclarations communes suivent fidèlement la Définition du VIème Concile Oecuménique se révèle sans aucun fondement.
f) L’acceptation non-orthodoxe de l’idée que les antichalcédoniens peuvent confesser une seule nature divino-humaine, du moment qu’ils ne nient pas la présence dynamique constante (sunechê) du divin et de l’humain en Christ. Par une confession de ce type, les antichalcédoniens ne reconnaissent pas ce qui est hypostatiquement dans le Christ comme une hypostase, mais comme une nature divino-humaine composée. De même, au lieu d’une existence (hyparxis, subsistance) essentielle des natures en Christ, on confesse seulement la présence en Lui des propriétés (idiotetes) divines et humaines.
Ainsi, avec ces présupposés, c’est la nature composée de la tradition sévérienne qui est prêchée, celle que les saints Pères ont condamnée.
g) La concession aux antichalcédoniens des appellations «préchalcédoniens», «non-chalcédoniens» et «orthodoxes orientaux», non comme de simples termes techniques usités dans la conduite du dialogue, mais bien dans leur contenu théologique, comme l’on s’en aperçoit aisément en considérant les aboutissements du Dialogue.
h) La reconnaissance que le monophysisme dit modéré de Dioscore et de Sévère ne constitue pas une hérésie et que l’anathème lancé contre eux par les VIème et VIIème conciles oecuméniques n’était pas dû à leur doctrine hérétique, mais seulement au fait qu’ils avaient divisé l’Eglise.
Tous ces faits, que soutient aussi le Métropolite de Suisse, se révèlent erronés sur la base des Actes des Vème, VIème et VIIème Conciles Oecuméniques, des Synodes locaux de Constantinople (536) et du Latran (649), ainsi que d’après les lettres et ouvrages dogmatiques des grands Docteurs et Pères de l’Eglise, Maxime le Confesseur, Sophrone de Jérusalem, Jean Damascène, Photios le Grand, etc. Selon la tradition des saints Pères, Dioscore et Sévère sont hérétiques au plein sens du terme.
Connaissant ces données, la Commission interorthodoxe a commis une faute très grave en n’exigeant pas des antichalcédoniens qu’ils acceptent purement et simplement l’anathème sur les prétendus «docteurs» Dioscore, Sévère, Philoxène, Jacob et autres, comme une condition indispensable à l’union.
i) La formule «les natures sont unies hypostatiquement et naturellement5», dans laquelle l’adjonction de l’adverbe «naturellement» -qui, pour les orthodoxes, ne signifie rien de plus que l’union selon l’hypostase- signifie, pour les antichalcédoniens, l’union des natures comme telles (prises en elles-mêmes) dans une unique nature composée. Cette thèse de Sévère porte, selon les saints Pères, la confusion complète dans le mystère de l’Economie divine.
j) L’accord pour un rejet général et inconditionnel de l’interprétation des Conciles qui ne s’accordent pas avec la Définition du IIIème Concile Oecuménique et avec les Réconciliations de 4336.
Cette indétermination laisse dans l’incertitude : l’on ne sait si les antichalcédoniens d’une part reçoivent le IVème Concile Oecuménique et les Conciles Oecuméniques subséquents des Orthodoxes, et, d’autre part, s’ils rejettent le Brigandage d’Ephèse et les autres Conciles sans nombre que l’impiété réunit jadis contre le Saint IVème Concile Oecuménique.
4) Levée des anathèmes ?
Le Révérendissime, en soutenant l’opinion de la Commission mixte sur la possibilité de lever les anathèmes jetés par les Conciles Oecuméniques contre Dioscore et Sévère, fait appel à des arguments totalement irrecevables, historiquement et théologiquement. Les voici :
a) «Les décisions du IIIème Concile Oecuménique ont été révisées par le Décret des Réconciliations, donc il serait possible aujourd’hui que les condamnations de Dioscore et de Sévère soient révisées par un acte de même valeur de l’Eglise».
Cet argument, toutefois, est précisément réfuté sur la base des lettres de saint Cyrille. L’Eglise admet le complétement, le développement et l’explication des décisions dogmatiques des Conciles Oecuméniques, mais jamais en aucun cas leur révision.
b) «Saint Cyrille n’a pas exigé l’adoption de ses Douze Chapitres dans le Décret des Réconciliations, mais s’est contenté d’une condamnation générale du nestorianisme. De même, nous les orthodoxes devons nous contenter de la condamnation générale de l’eutychianisme faite par les antichalcédoniens, pour les définir comme de sentiment orthodoxe».
Cet argument se révèle tout aussi fallacieux parce que saint Cyrille a exigé la reconnaissance de son quatrième anathème, dirigé contre ceux qui disent que par les Réconciliations il s’est contredit lui-même. De plus, toute la tradition ultérieure des Pères réclame une confession précise et détaillée de la foi et non des déclarations générales.
c) «La réhabilitation de Théodoret et d’Ibas par le IVème Concile Oecuménique et la condamnation de leurs oeuvres impies par le Vème ont servi l’unité de l’Eglise. De la même façon, la réhabilitation de Dioscore et de Sévère servira aussi aujourd’hui la cause de cette unité».
La déduction est erronée. La réhabilitation de Théodoret et d’Ibas n’a pas eu lieu par révision d’un Concile Oecuménique ayant force de loi dans l’Eglise, mais bien par révision du faux concile (Brigandage) hérétique ; elle n’a pas heurté de décisions dogmatiques prises par des Conciles antérieurs, et elle n’est intervenue qu’à la suite d’une claire anathématisation de Nestorius, accomplie devant le synode. De même la condamnation des ouvrages hérétiques passée par le Vème Concile n’a pas battu en brèche une sanction positive antérieure dont ces écrits auraient bénéficié de la part d’un Concile Oecuménique. En dernière analyse, ces deux actes de l’Eglise ont, l’un comme l’autre, servi la cause de son unité, parce que, ici et là, c’est l’intégrité de la foi orthodoxe que l’on a cherchée. Tout au contraire, la réhabilitation que l’on prétend faire aujourd’hui de Dioscore et de Sévère reviendrait à sanctionner comme orthodoxe l’enseignement hérétique de Sévère ; l’enseignement constant de l’Eglise relativement aux Conciles serait renversé, et son unité encore une fois déchirée.
d) «Par économie, le IIIème Concile Oecuménique n’a pas anathématisé Théodore de Mopsueste, pour sauvegarder l’unité de l’Eglise. En conséquence, et pour la même raison, il serait bon d’exercer aujourd’hui encore l’économie, et de réhabiliter Dioscore et Sévère».
Quoique le fait historique ici rapporté soit exact, la conclusion qui en est tirée ne l’est pas. En effet, l’économie exercée par saint Cyrille n’impliquait nulle acceptation de la doctrine de Théodoret. La réhabilitation aujourd’hui proposée de Dioscore et de Sévère se base explicitement sur la reconnaissance et l’amnistie de leur hérésie.
e) «Basile le Grand suggérait le rétablissement de la communion ecclésiale avec les Homéousiens, lesquels par une longue communauté de vie avec les orthodoxes auraient mûri dans la foi orthodoxe. De manière approchante, le rétablissement de la communion avec les antichalcédoniens pourrait avoir lieu».
Cependant, l’exemple de Basile le Grand ne convient pas pour conclure à une solution analogue aujourd’hui, parce que celui-ci demandait aux Homéousiens d’admettre, jusque dans sa lettre, la foi de Nicée, d’accepter qu’il ne faut pas qualifier l’Esprit Saint de créature et de refuser la communion de ceux qui Le disent tel. Au contraire, aujourd’hui, l’on ne demande pas aux Antichalcédoniens de recevoir la foi de Chalcédoine, jusques et y compris l’expression «en deux natures», ni de rejeter leurs maîtres à penser Dioscore, Sévère, et autres, négateurs des deux natures.
5) La non-reconnaissance des Conciles.
En soutenant que la reconnaissance formelle des Conciles Oecuméniques (IV à VII) par leur ajout à la liste reçue, peut se faire après le rétablissement de la communion ecclésiastique, le Métropolite de Suisse renverse l’acte fondamental, pour l’unité de l’Eglise, que constitue la confession commune de la foi par tous les évêques de l’Eglise Orthodoxe, au moment même de leur sacre.
6) Peut-on modifier les textes liturgiques ?
La proposition de purger les textes liturgiques de l’Eglise des expressions qui font problème -aux yeux, évidemment, des antichalcédoniens- représente une offense, une atteinte à la substance même de l’Orthodoxie. Il serait en revanche nécessaire de soumettre à un examen approfondi les formes liturgiques qui sont celles des antichalcédoniens et dont le contenu dogmatique est erroné, et d’exiger qu’ils renoncent à ces erreurs dans la perspective de leur retour au sein de l’Eglise.
7) Faut-il récrire des histoires de l’Eglise ?
L’édition de livres de théologie et de vulgarisation, destinés à informer les théologiens et le peuple de l’identité dogmatique qui s’est découverte entre les Orthodoxes et les Antichalcédoniens, ainsi que l’organisation de réunions cultuelles sur la base d’échanges réciproques7 sont des actes absolument irrecevables pour les pasteurs de l’Eglise qui gardent encore conscience de leur responsabilité pastorale dans l’Eglise.
Pour les raisons qui viennent d’être exprimées, la Sacrée Communauté, persistant dans l’esprit de son Mémoire, attend la réponse succincte de l’ensemble du corps plénier de l’Eglise pour la remise en place la plus rapide possible du Dialogue Théologique sur des bases orthodoxes, afin que l’union des antichalcédoniens ait lieu dans la vérité et la foi droite.
IV. L’histoire se répète.
Tel est le texte des Athonites.
A l’époque de saint Athanase d’Alexandrie, un pseudo-concile pensa résoudre le différend entre les orthodoxes qui déclaraient le Fils consubstantiel (homoousios) au Père et les ariens qui le disaient créature du Père : ce concile utilisa l’expression de nature semblable (homoiousios), qui semblait apte à recouvrir aussi bien le dogme orthodoxe que l’hérésie. Saint Grégoire de Nazianze qualifie cette trouvaille de chaussure allant aux deux pieds et d’appât recouvrant l’hameçon de l’impiété (Homélie sur saint Athanase). De la même manière, au lieu de dire à la manière orthodoxe «deux natures en une hypostase» ou de confesser comme Sévère «une seule nature divino-humaine», les Déclarations jouent sur les mots en parlant d’«un seul réel être divino-humain», ménageant ainsi par le terme trop vague d’hyparxis (être réel) les deux opinions opposées. Cette trouvaille, toutefois, n’unit pas dans la même foi ceux qui gardent chacun leur conviction.
Toute fausse union n’est qu’un replâtrage. Il est bon de signaler que, du côté des non-chalcédoniens, se dessine ainsi une opposition à l’union de Chambézy. Le journal Le Monde Copte résumait déjà les objections du professeur Rachad Mounir Shoucri à la Deuxième Déclaration Commune, parmi lesquelles nous relevons celles-ci : «En ce qui concerne les événements du Concile de Chalcédoine (451), et en particulier la position du moine Eutychès, peut-on établir de façon irrévocable, par des documents historiques, que celui-ci a maintenu une position contraire à la définition de foi selon saint Cyrille, en ce qui concerne la nature du Christ ? Il existe, en effet, des documents en opposition avec cette interprétation. (L’auteur en indique plusieurs dans son dossier.) Ces documents font apparaître Eutychès comme plus orthodoxe que Flavien de Constantinople... Les contradictions entre les conciles d’Ephèse II (449) et de Chalcédoine (451) ne sont pas résolues ; n’est-il pas nécessaire d’éclaircir ce point avant d’aller plus loin ?... La foi commune des Orthodoxes chalcédoniens et non chalcédoniens ne pourrait-elle reposer simplement sur les trois premiers conciles oecuméniques et s’en tenir aux définitions de la foi formulées par Cyrille, chaque Eglise restant libre de définir, après ces conciles, sa propre tradition, en respectant celle des autres Eglises ?» (Le Monde Copte, n19, juillet 1991, p.141). Comme le disait saint Marc d’Ephèse, à propos de l’union forgée à Florence autour d’une autre formule à double entente : «Et c’est une formule de ce genre qui nous unira ? Et que ferons-nous, lorsque nous en viendrons à l’examen mutuel de nos dogmes et opinions ?» N’est-ce pas ce qui est déjà en train de se produire entre les non-chalcédoniens et les orthodoxes ?
Il est possible que l’ignorance, jointe à la désinformation qui dispose de moyens matériels toujours plus puissants, fassent tomber un grand nombre de personnes ; mais quel que soit le nombre des poissons qui mordront à cet hameçon, les orthodoxes s’en écarteront. Déjà les évêques russes ont refusé cet accord préparé à Chambézy, que l’Histoire enregistrera comme «le Brigandage de Chambézy».
LE BRIGANDAGE DE CHAMBEZY
dénoncé par les moines du Mont Athos
I. Le dialogue entre orthodoxes et monophysites
e dialogue entre les orthodoxes et les antichalcédoniens -c’est-à-dire les membres des Eglises monophysites d’Orient, Coptes, Arméniens et Ethiopiens, hostiles au IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine qui a défini le dogme des deux natures en Christ - conduit depuis plusieurs années par le Patriarcat de Constantinople et d’autres Eglises engagées dans l’oecuménisme, a suscité récemment l’inquiétude des moines athonites1. Leur Mémoire sur le dialogue résumait de façon pertinente les arguments des théologiens orthodoxes dont les voix, étouffées par les médias, avaient osé s’élever à la fois contre les méthodes anti-ecclésiales de ce dialogue et contre ses présupposés dogmatiques, qui sont aux antipodes de la tradition des Apôtres, des Pères de l’Eglises et des Conciles Oecuméniques. La Lumière du Thabor a rendu compte dans son précédent éditorial des principales objections des moines athonites.
A ce défi lancé par la Sainte Montagne, Monseigneur Damaskinos, Métropolite de Suisse, du Patriarcat de Constantinople, et président de la Commission chargée, pour le côté orthodoxe, du dialogue en question, a répliqué longuement dans les pages du journal Episkepsis (n521 du 31 août 1995).
II. La critique de Damaskinos
Le SOP (Service Orthodoxe de Presse), dans son numéro de décembre 1995, a largement cité le texte de la réponse de Monseigneur Damaskinos, qui est une critique en règle des positions des moines athonites. Résumons les principaux points abordés par le Métropolite de Suisse.
1) Une christologie ambiguë ?
Les Athonites critiquent les deux Déclarations communes (1989-1990) en disant qu’elles contiennent des expressions ambiguës, laissant le champ libre à une interprétation sévériennne -c’est-à-dire conforme au «monophysisme modéré» de Sévère. Or cette doctrine a été aussi fortement condamnée par les Pères que le «monophysisme extrême» d’Eutychès.
Réponse : Le Métropolite Damaskinos répond que les passages considérés comme ambigus sont orthodoxes :
- premier texte : «Lorsque nous parlons de l’hypostase une et composite (synthetos) de notre Seigneur Jésus Christ, nous ne voulons pas dire qu’en Lui s’unissent une hypostase divine et une hypostase humaine. Nous voulons dire que l’une et éternelle hypostase de la Deuxième Personne de la Trinité assuma notre nature humaine créée, dans un acte l’unissant à sa propre divine nature incréée pour former ensemble un réel ETRE divino-humain uni inséparablement et sans confusion» (Première Déclaration). Selon Damaskinos, si la Commission avait dit : «une NATURE divino-humaine unie», elle mériterait le reproche de monophysisme ; mais puisqu’elle a dit un réel ETRE, ce sont les athonites qui ont tort de faire comme s’il y avait le mot NATURE.
- second texte : «les natures étant distinguées... seulement dans la pensée2» (Deuxième Déclaration). L’expression «seulement dans la pensée» vient du Vème Concile Oecuménique (533) et donc est parfaitement orthodoxe, dit Damaskinos. Donc les athonites se trompent encore une fois dans leur reproche.
2) Dioscore, Jacques et Sévère sont-ils orthodoxes ?
La Communauté athonite blâme la Commission interorthodoxe d’avoir simplement demandé aux antichalcédoniens de rejeter le monophysisme extrême d’Eutychès et non celui de Dioscore et de Sévère. A quoi le Métropolite de Suisse répond que des travaux récents ont prouvé que Dioscore et Sévère étaient restés fidèles à l’enseignement christologique de saint Cyrille.
Dioscore, Jacques et Sévère ont refusé de reconnaître le IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine. De ce fait, ils ont été condamné par l’Eglise. Selon les Pères athonites, cela signifie qu’ils étaient hérétiques ; non, répond Monseigneur Damaskinos : «ils récusaient la terminologie de la définition du Concile ("en deux natures")», mais «ils furent condamnés pour s’être séparés du corps de l’Eglise et non pour cause d’hérésie».
3) Peut-on annuler
les décisions d’un Concile Oecuménique ?
La Commission a proposé de lever les anathèmes portés contre Dioscore et Sévère par le IVème Concile et confirmés par les Conciles suivants (VIème et VIIème).
Les athonites affirment qu’il n’est pas permis de réviser les décisions d’un Concile oecuménique.
Mgr Damaskinos répond que cela s’est déjà vu et il en cite quatre exemples :
a. révision des décisions du IIIème Concile Oecuménique par le Décret des Réconciliations de 433 rétablissant la communion entre Antioche et Alexandrie.
b. «l’enseignement christologique du IIIème Concile Oecuménique fut développé par le Horos (Décret, Définition dogmatique) du IVème Concile Oecuménique».
c. le Décret de ce dernier concile fut interprété par le Vème Concile Oecuménique à la lumière des Douze chapitres contre Nestorius de saint Cyrille et de sa terminologie christologique.
d. la décision du IVème Concile Oecuménique sur l’orthodoxie de Théodoret de Cyr et d’Ibas d’Edesse fut «différemment interprétée» par le Vème Concile Oecuménique.
Pour Mgr Damaskinos, les conditions requises existent pour que le «concile panorthodoxe» lève les anathèmes pesant sur Dioscore, Jacques et Sévère. «L’autorité des Conciles Oecuméniques n’est pas mise en danger lorsque l’élément essentiel de leurs décisions dogmatiques (Horoi) n’est pas mis en doute» et, d’autre part, le «concile panorthodoxe» «toujours en harmonie étroite avec la conscience du corps de l’Eglise orthodoxe, prolonge l’autorité des conciles oecuméniques historiques dans la vie de l’Eglise orthodoxe et a le pouvoir d’interpréter de manière authentique l’esprit des décisions desdits conciles dans la marche historique de l’Eglise».
4) Faut-il imposer aux Eglises antichalcédoniennes
la réceptions des quatre Conciles Oecuméniques IV à VII
qu’elles refusent jusqu’à présent ?
Selon les athonites, qui ne font ici qu’exprimer la conscience de l’Eglise orthodoxe tout entière, le fait que les antichalcédoniens continuent de ne recevoir explicitement que les trois premiers Conciles oecuméniques prouve que rien n’a été fait : être orthodoxe c’est recevoir tous les Conciles Oecuméniques -et ceux de même valeur. Dans ces conditions, parler de communion entre les antichalcédoniens et les orthodoxes demeure impossible. «Chalcédoine» reste la pierre d’achoppement.
Mgr Damaskinos répond que les «Eglises orientales» (c’est-à-dire antichalcédoniennes) acceptent la foi des Décrets des sept Conciles3 ; mais que «Malgré cela, la question de l’énumération formelle de ces conciles parmi les conciles oecuméniques communs, bien que posée de manière réitérée et insistante par la Commission interorthodoxe au cours de toutes les réunions du plenum de la Commission mixte, fut jugée par les représentants des anciennes Eglises orientales prématurée et intempestive, étant donné qu’elle présuppose d’une part la levée des anathèmes prononcés par nos Eglises contre Dioscore et Sévère et, d’autre part, l’étude systématique des «actes» de ces conciles qui exigera un temps considérable».
III. Réponse des Pères athonites.
A la critique que nous venons de résumer, la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne a répondu par une analyse détaillée de 102 pages, dont le journal Orthodoxos Typos a publié un résumé dans ses numéros 1169 et 1170 (12 et 26 avril 1996). Voici la traduction de ce texte, intitulé : «Observations de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne. Le dialogue théologique entre orthodoxes et antichalcédoniens. Réponse à la critique du Métropolite Damaskinos de Suisse».
Introduction.
Le bulletin ecclésiastique Episkepsis (521, 31/8/95), a publié la réponse que le Révérendissime Métropolite de Suisse, Damaskinos, Président de la Commission Interorthodoxe pour le Dialogue de l’Eglise Orthodoxe avec les Eglises antichalcédoniennes, a faite au Mémoire de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne sur le Dialogue des Orthodoxes et des Antichalcédoniens, du 14/27 mai 1995.
Les moines hagiorites constatent que les résultats du Dialogue théologique entre orthodoxes et antichalcédoniens, tels qu’ils ont été transcrits dans les Accords des Conférences non officielles (1964-1971), puis dans les Déclarations Communes des Rencontres officielles de la Commission mixte (1985-1993), n’offrent pas d’espérances solides de voir les antichalcédoniens revenir à l’Eglise, dont ils ont été séparés depuis 1500 ans comme hérétiques, parce que la théologie de ces Déclarations Communes n’est pas en accord avec le dogme orthodoxe.
Après l’achèvement des discussions théologiques, en 1992, l’on attendait un large examen critique conciliaire, et un jugement exprimé par les diverses Très Saintes Eglises Orthodoxes locales, sur les conclusions du Dialogue théologique ; et l’on espérait qu’il s’écoulerait un temps suffisant pour que mûrisse la conscience de l’Eglise et qu’elle accepte la décision unanime des hiérarques de l’Eglise sur la question de savoir si les antichalcédoniens contemporains sont ou ne sont pas orthodoxes.
Malheureusement, avant toute délibération synodale, l’on a rendu publique la proposition de la Commission mixte concernant la levée, par les orthodoxes, des anathèmes pesant sur Dioscore et Sévère (Communiqué de la 4ème Rencontre, 1993). A la suite de certaines propositions émanant de théologiens particuliers, Dioscore et Sévère ont été qualifiés d’orthodoxes quant à leur sentiment et quant à leur doctrine et, en conséquence, on a jugé qu’il était possible que l’autorité conciliaire actuelle de l’Eglise lève les anathèmes qui pèsent sur eux. La levée des anathèmes accomplie par les deux parties en dialogue devait signifier le rétablissement de la pleine communion sacramentelle.
Les diverses objections et réactions de l’ensemble du peuple fidèle de l’Eglise à ce genre d’union précipitée -dans la mesure où les antichalcédoniens n’ont point accepté la foi orthodoxe- n’ont pas été prises en considération par les principaux agents de cette union.
La Sacrée Communauté de la Sainte Montagne, inquiète et angoissée devant le cours pris par ce dialogue théologique a composé tout d’abord un Rapport de la Commission de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne sur le Dialogue entre Orthodoxes et Antichalcédoniens, dans lequel elle exprimait ses réserves sur la marche du dialogue. Or, comme le Révérendissime Métropolite de Suisse Damaskinos, dans son article «Le dialogue théologique de l’Eglise orthodoxe et des Eglises orthodoxes orientales. Réflexions et perspectives», présentait les conclusions de la Commission Mixte non point comme de simples propositions présentées aux Eglises, mais comme des textes tenant strictement à la foi et à la tradition orthodoxe, la Sacrée Communauté a publié son Mémoire, dénonçant devant l’Eglise les dérives dogmatiques -christologiques et ecclésiologiques- de la Commission interorthodoxe. Le but du Mémoire était d’informer l’ensemble des membres de l’Eglise sur le caractère non-orthodoxe des Déclarations communes et d’essayer, par un effort constant, de remettre en place le Dialogue sur des bases orthodoxes, afin que la foi de l’Eglise demeure inaltérée et que les antichalcédoniens se rendent compte qu’ils se trouvent dans une hérésie, dont ils doivent revenir pour retourner à l’orthodoxie.
Dans sa réponse au Mémoire de la Sacrée Communauté, le Révérendissime de Suisse reformule les théories non-orthodoxes de la Commission mixte en matière de christologie et d’ecclésiologie.
Egalement, il accuse la Sacrée Communauté de parler de sa propre autorité, de blâmer arbitrairement les théologiens de la Commission interorthodoxe, de mettre en doute l’idée que les Eglises vont accepter avec enthousiasme les conclusions du Dialogue, et enfin d’ignorer que ces mêmes conclusions s’accordent avec la résolution de la Troisième Conférence Panorthodoxe Préconciliaire au sujet de la progression du Dialogue.
La Sacrée Communauté a bien pesé cette mise au point du Révérendissime et, considérant que ses affirmations s’éloignent, sur des points essentiels, de la Foi Orthodoxe et de la Tradition de l’Eglise, procède aux remarques suivantes.
1) Le poisson est noyé4.
Le Révérendissime rappelle la position hostile de la Sacrée Communauté vis-à-vis du Dialogue, puis critique les déclarations de celle-ci comme «faites de sa propre autorité», ainsi que ses blâmes «arbitrairement» adressés à la Commission interorthodoxe et, enfin, son opposition à la volonté de la Troisième Conférence Préconciliaire : ces remarques ne visent qu’à faire perdre de vue au lecteur l’essence du problème, mais ne persuadent nullement que les inquiétudes de la Sacrée Communauté relativement à l’évolution du Dialogue soient injustifiées ou erronées.
2) La conscience ecclésiale.
La position réservée de Sa Béatitude le Patriarche Diodore de Jérusalem, de Hiérarques de l’Eglise, de la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne, de nombreux Professeurs des Ecoles Théologiques et d’une grande part du plérôme des pieux fidèles de l’Eglise prouve que la conscience de l’Eglise n’a pas été apaisée par les résultats du Dialogue et qu’elle réclame une nouvelle fixation des directions qu’il doit prendre.
3) Des textes ambigus à dessein.
L’affirmation de l’évêque de Suisse, que les solutions apportées aux questions théologiques répondent absolument à l’enseignement des saints Conciles Oecuméniques est sans fondement.
Ce qu’il a signé comme un accord commun dans le cadre du Dialogue n’est pas la foi des saints Pères des Conciles Oecuméniques, mais des textes artistement concoctés pour recouvrir à la fois la doctrine théologique orthodoxe et celle de Sévère ; ces documents n’utilisent la terminologie des Décrets des Conciles Oecuméniques qu’afin de dissimuler le compromis dogmatique ainsi obtenu.
A son insu ou à dessein, la délégation orthodoxe s’est laissé aller à faire des concessions dogmatiques aux antichalcédoniens. Voici lesquelles :
a) L’insertion de formules monophysites dans les Déclarations communes, comme la suivante : «L’hypostase, en tant que distinguée, DE (ek) LA NATURE du Verbe incarné», le terme de physis, nature, ne pouvant absolument pas être pris, en cet endroit, comme signifiant l’«hypostase», est employé de façon cacodoxe à la place de la formulation orthodoxe qui serait : «DES NATURES du Verbe incarné».
b) L’accord sur le fait que les natures en Christ sont distinguées par la seule pensée, expression qui, dans le contexte des Déclarations communes est susceptible d’une interprétation sévérienne et cache en soi-même le monophysisme et le monoénergisme. La prétention du Révérendissime de Suisse qui soutient que les termes «par la seule pensée» viennent du Décret du Vème Concile Oecuménique est sans effet, dans la mesure où le contenu de l’expression, dans le contexte et sous la forme où le document la donne, «les natures sont distinguées seulement par la pensée», est radicalement différent du contenu dogmatique de la formule (du Vème Concile) : «Si quelqu’un confesse le nombre des natures dans un unique Seigneur Jésus Christ, le Verbe de Dieu incarné, mais sans comprendre la différence seulement par la pensée... et se sert du nombre afin de montrer qu’Il possède des natures séparées et idiohypostatiques (douées chacune de son hypostase propre), qu’il soit anathème».
Par la seconde formulation est confessée la différence des natures qui existent de façon essentielle en Christ et rejetée leur division (diairesis), tandis que la première rejette bien la division des natures mais insinue l’idée d’une nature composée.
c) L’usage de l’expression : «pour former (sujet : le Verbe) un seul... réel ETRE (hyparxis, être ou subsistance) divino-humain», laquelle est propre à la tradition théologique sévérienne, pour laquelle le Christ n’est pas semblable selon l’hypostase à l’Hypostase de Dieu le Verbe. Les conséquences de cette thèse, tant sur le plan de la théologie trinitaire que pour la doctrine du salut, sont gravissimes.
d) La concession faite à l’opinion selon laquelle les saints Pères auraient utilisé l’un pour l’autre et avec la même signification les termes nature et hypostase. Par là, on donne licence aux antichalcédoniens pour lire les Déclarations communes signées de concert, avec leurs présupposés propres, ceux des monophysites sévériens, sans qu’ils puissent se rendre compte de l’erreur de leur conception théologique.
e) La formulation insuffisante du dogme orthodoxe sur les deux volontés et les deux énergies en Christ, d’une manière telle qu’il n’est pas possible, sur la base des choses accordées de part et d’autre dans les Déclarations communes, d’exclure l’hérésie du monoénergisme.
L’opinion du Métropolite de Suisse que, sur ce point, les Déclarations communes suivent fidèlement la Définition du VIème Concile Oecuménique se révèle sans aucun fondement.
f) L’acceptation non-orthodoxe de l’idée que les antichalcédoniens peuvent confesser une seule nature divino-humaine, du moment qu’ils ne nient pas la présence dynamique constante (sunechê) du divin et de l’humain en Christ. Par une confession de ce type, les antichalcédoniens ne reconnaissent pas ce qui est hypostatiquement dans le Christ comme une hypostase, mais comme une nature divino-humaine composée. De même, au lieu d’une existence (hyparxis, subsistance) essentielle des natures en Christ, on confesse seulement la présence en Lui des propriétés (idiotetes) divines et humaines.
Ainsi, avec ces présupposés, c’est la nature composée de la tradition sévérienne qui est prêchée, celle que les saints Pères ont condamnée.
g) La concession aux antichalcédoniens des appellations «préchalcédoniens», «non-chalcédoniens» et «orthodoxes orientaux», non comme de simples termes techniques usités dans la conduite du dialogue, mais bien dans leur contenu théologique, comme l’on s’en aperçoit aisément en considérant les aboutissements du Dialogue.
h) La reconnaissance que le monophysisme dit modéré de Dioscore et de Sévère ne constitue pas une hérésie et que l’anathème lancé contre eux par les VIème et VIIème conciles oecuméniques n’était pas dû à leur doctrine hérétique, mais seulement au fait qu’ils avaient divisé l’Eglise.
Tous ces faits, que soutient aussi le Métropolite de Suisse, se révèlent erronés sur la base des Actes des Vème, VIème et VIIème Conciles Oecuméniques, des Synodes locaux de Constantinople (536) et du Latran (649), ainsi que d’après les lettres et ouvrages dogmatiques des grands Docteurs et Pères de l’Eglise, Maxime le Confesseur, Sophrone de Jérusalem, Jean Damascène, Photios le Grand, etc. Selon la tradition des saints Pères, Dioscore et Sévère sont hérétiques au plein sens du terme.
Connaissant ces données, la Commission interorthodoxe a commis une faute très grave en n’exigeant pas des antichalcédoniens qu’ils acceptent purement et simplement l’anathème sur les prétendus «docteurs» Dioscore, Sévère, Philoxène, Jacob et autres, comme une condition indispensable à l’union.
i) La formule «les natures sont unies hypostatiquement et naturellement5», dans laquelle l’adjonction de l’adverbe «naturellement» -qui, pour les orthodoxes, ne signifie rien de plus que l’union selon l’hypostase- signifie, pour les antichalcédoniens, l’union des natures comme telles (prises en elles-mêmes) dans une unique nature composée. Cette thèse de Sévère porte, selon les saints Pères, la confusion complète dans le mystère de l’Economie divine.
j) L’accord pour un rejet général et inconditionnel de l’interprétation des Conciles qui ne s’accordent pas avec la Définition du IIIème Concile Oecuménique et avec les Réconciliations de 4336.
Cette indétermination laisse dans l’incertitude : l’on ne sait si les antichalcédoniens d’une part reçoivent le IVème Concile Oecuménique et les Conciles Oecuméniques subséquents des Orthodoxes, et, d’autre part, s’ils rejettent le Brigandage d’Ephèse et les autres Conciles sans nombre que l’impiété réunit jadis contre le Saint IVème Concile Oecuménique.
4) Levée des anathèmes ?
Le Révérendissime, en soutenant l’opinion de la Commission mixte sur la possibilité de lever les anathèmes jetés par les Conciles Oecuméniques contre Dioscore et Sévère, fait appel à des arguments totalement irrecevables, historiquement et théologiquement. Les voici :
a) «Les décisions du IIIème Concile Oecuménique ont été révisées par le Décret des Réconciliations, donc il serait possible aujourd’hui que les condamnations de Dioscore et de Sévère soient révisées par un acte de même valeur de l’Eglise».
Cet argument, toutefois, est précisément réfuté sur la base des lettres de saint Cyrille. L’Eglise admet le complétement, le développement et l’explication des décisions dogmatiques des Conciles Oecuméniques, mais jamais en aucun cas leur révision.
b) «Saint Cyrille n’a pas exigé l’adoption de ses Douze Chapitres dans le Décret des Réconciliations, mais s’est contenté d’une condamnation générale du nestorianisme. De même, nous les orthodoxes devons nous contenter de la condamnation générale de l’eutychianisme faite par les antichalcédoniens, pour les définir comme de sentiment orthodoxe».
Cet argument se révèle tout aussi fallacieux parce que saint Cyrille a exigé la reconnaissance de son quatrième anathème, dirigé contre ceux qui disent que par les Réconciliations il s’est contredit lui-même. De plus, toute la tradition ultérieure des Pères réclame une confession précise et détaillée de la foi et non des déclarations générales.
c) «La réhabilitation de Théodoret et d’Ibas par le IVème Concile Oecuménique et la condamnation de leurs oeuvres impies par le Vème ont servi l’unité de l’Eglise. De la même façon, la réhabilitation de Dioscore et de Sévère servira aussi aujourd’hui la cause de cette unité».
La déduction est erronée. La réhabilitation de Théodoret et d’Ibas n’a pas eu lieu par révision d’un Concile Oecuménique ayant force de loi dans l’Eglise, mais bien par révision du faux concile (Brigandage) hérétique ; elle n’a pas heurté de décisions dogmatiques prises par des Conciles antérieurs, et elle n’est intervenue qu’à la suite d’une claire anathématisation de Nestorius, accomplie devant le synode. De même la condamnation des ouvrages hérétiques passée par le Vème Concile n’a pas battu en brèche une sanction positive antérieure dont ces écrits auraient bénéficié de la part d’un Concile Oecuménique. En dernière analyse, ces deux actes de l’Eglise ont, l’un comme l’autre, servi la cause de son unité, parce que, ici et là, c’est l’intégrité de la foi orthodoxe que l’on a cherchée. Tout au contraire, la réhabilitation que l’on prétend faire aujourd’hui de Dioscore et de Sévère reviendrait à sanctionner comme orthodoxe l’enseignement hérétique de Sévère ; l’enseignement constant de l’Eglise relativement aux Conciles serait renversé, et son unité encore une fois déchirée.
d) «Par économie, le IIIème Concile Oecuménique n’a pas anathématisé Théodore de Mopsueste, pour sauvegarder l’unité de l’Eglise. En conséquence, et pour la même raison, il serait bon d’exercer aujourd’hui encore l’économie, et de réhabiliter Dioscore et Sévère».
Quoique le fait historique ici rapporté soit exact, la conclusion qui en est tirée ne l’est pas. En effet, l’économie exercée par saint Cyrille n’impliquait nulle acceptation de la doctrine de Théodoret. La réhabilitation aujourd’hui proposée de Dioscore et de Sévère se base explicitement sur la reconnaissance et l’amnistie de leur hérésie.
e) «Basile le Grand suggérait le rétablissement de la communion ecclésiale avec les Homéousiens, lesquels par une longue communauté de vie avec les orthodoxes auraient mûri dans la foi orthodoxe. De manière approchante, le rétablissement de la communion avec les antichalcédoniens pourrait avoir lieu».
Cependant, l’exemple de Basile le Grand ne convient pas pour conclure à une solution analogue aujourd’hui, parce que celui-ci demandait aux Homéousiens d’admettre, jusque dans sa lettre, la foi de Nicée, d’accepter qu’il ne faut pas qualifier l’Esprit Saint de créature et de refuser la communion de ceux qui Le disent tel. Au contraire, aujourd’hui, l’on ne demande pas aux Antichalcédoniens de recevoir la foi de Chalcédoine, jusques et y compris l’expression «en deux natures», ni de rejeter leurs maîtres à penser Dioscore, Sévère, et autres, négateurs des deux natures.
5) La non-reconnaissance des Conciles.
En soutenant que la reconnaissance formelle des Conciles Oecuméniques (IV à VII) par leur ajout à la liste reçue, peut se faire après le rétablissement de la communion ecclésiastique, le Métropolite de Suisse renverse l’acte fondamental, pour l’unité de l’Eglise, que constitue la confession commune de la foi par tous les évêques de l’Eglise Orthodoxe, au moment même de leur sacre.
6) Peut-on modifier les textes liturgiques ?
La proposition de purger les textes liturgiques de l’Eglise des expressions qui font problème -aux yeux, évidemment, des antichalcédoniens- représente une offense, une atteinte à la substance même de l’Orthodoxie. Il serait en revanche nécessaire de soumettre à un examen approfondi les formes liturgiques qui sont celles des antichalcédoniens et dont le contenu dogmatique est erroné, et d’exiger qu’ils renoncent à ces erreurs dans la perspective de leur retour au sein de l’Eglise.
7) Faut-il récrire des histoires de l’Eglise ?
L’édition de livres de théologie et de vulgarisation, destinés à informer les théologiens et le peuple de l’identité dogmatique qui s’est découverte entre les Orthodoxes et les Antichalcédoniens, ainsi que l’organisation de réunions cultuelles sur la base d’échanges réciproques7 sont des actes absolument irrecevables pour les pasteurs de l’Eglise qui gardent encore conscience de leur responsabilité pastorale dans l’Eglise.
Pour les raisons qui viennent d’être exprimées, la Sacrée Communauté, persistant dans l’esprit de son Mémoire, attend la réponse succincte de l’ensemble du corps plénier de l’Eglise pour la remise en place la plus rapide possible du Dialogue Théologique sur des bases orthodoxes, afin que l’union des antichalcédoniens ait lieu dans la vérité et la foi droite.
IV. L’histoire se répète.
Tel est le texte des Athonites.
A l’époque de saint Athanase d’Alexandrie, un pseudo-concile pensa résoudre le différend entre les orthodoxes qui déclaraient le Fils consubstantiel (homoousios) au Père et les ariens qui le disaient créature du Père : ce concile utilisa l’expression de nature semblable (homoiousios), qui semblait apte à recouvrir aussi bien le dogme orthodoxe que l’hérésie. Saint Grégoire de Nazianze qualifie cette trouvaille de chaussure allant aux deux pieds et d’appât recouvrant l’hameçon de l’impiété (Homélie sur saint Athanase). De la même manière, au lieu de dire à la manière orthodoxe «deux natures en une hypostase» ou de confesser comme Sévère «une seule nature divino-humaine», les Déclarations jouent sur les mots en parlant d’«un seul réel être divino-humain», ménageant ainsi par le terme trop vague d’hyparxis (être réel) les deux opinions opposées. Cette trouvaille, toutefois, n’unit pas dans la même foi ceux qui gardent chacun leur conviction.
Toute fausse union n’est qu’un replâtrage. Il est bon de signaler que, du côté des non-chalcédoniens, se dessine ainsi une opposition à l’union de Chambézy. Le journal Le Monde Copte résumait déjà les objections du professeur Rachad Mounir Shoucri à la Deuxième Déclaration Commune, parmi lesquelles nous relevons celles-ci : «En ce qui concerne les événements du Concile de Chalcédoine (451), et en particulier la position du moine Eutychès, peut-on établir de façon irrévocable, par des documents historiques, que celui-ci a maintenu une position contraire à la définition de foi selon saint Cyrille, en ce qui concerne la nature du Christ ? Il existe, en effet, des documents en opposition avec cette interprétation. (L’auteur en indique plusieurs dans son dossier.) Ces documents font apparaître Eutychès comme plus orthodoxe que Flavien de Constantinople... Les contradictions entre les conciles d’Ephèse II (449) et de Chalcédoine (451) ne sont pas résolues ; n’est-il pas nécessaire d’éclaircir ce point avant d’aller plus loin ?... La foi commune des Orthodoxes chalcédoniens et non chalcédoniens ne pourrait-elle reposer simplement sur les trois premiers conciles oecuméniques et s’en tenir aux définitions de la foi formulées par Cyrille, chaque Eglise restant libre de définir, après ces conciles, sa propre tradition, en respectant celle des autres Eglises ?» (Le Monde Copte, n19, juillet 1991, p.141). Comme le disait saint Marc d’Ephèse, à propos de l’union forgée à Florence autour d’une autre formule à double entente : «Et c’est une formule de ce genre qui nous unira ? Et que ferons-nous, lorsque nous en viendrons à l’examen mutuel de nos dogmes et opinions ?» N’est-ce pas ce qui est déjà en train de se produire entre les non-chalcédoniens et les orthodoxes ?
Il est possible que l’ignorance, jointe à la désinformation qui dispose de moyens matériels toujours plus puissants, fassent tomber un grand nombre de personnes ; mais quel que soit le nombre des poissons qui mordront à cet hameçon, les orthodoxes s’en écarteront. Déjà les évêques russes ont refusé cet accord préparé à Chambézy, que l’Histoire enregistrera comme «le Brigandage de Chambézy».
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