jeudi 3 février 2011

La Lumière du Thabor n°36. Mgr Athanase Jevtitch.

MONSEIGNEUR ATHANASE JEVTITCH



HISTOIRE ET THEOLOGIE

DES SAINTES ICONES





onnu également sous le nom de Nicée II, le VIIème Concile oecuménique est resté célèbre dans l'histoire du christianisme pour avoir affirmé et confirmé la vénération orthodoxe des saintes icônes qui se trouvent dans les Eglises, et qui selon la Tradition vivante étaient vénérées depuis des siècles chez les chrétiens, tant en Orient qu'en Occident. Cette confirmation et cette glorification conciliaires et pan-chrétiennes des icônes ne signifiaient et ne signifient pas seulement la glorification de Dieu, mais aussi la vénération et la glorification de la beauté donnée par Dieu et de la dignité de la figure humaine. Cette vénération se fondait sur cette vérité théologique et anthropologique que Dieu, dans son amour de l'homme, a formé l'homme, lors de sa création, à l'image de Dieu, et qu'après, lors de son hominisation, Dieu a pris Lui-même en Christ figure humaine ; c'est ainsi que dans l'Eglise, l'image et son original, la figure et son «Prototype» ont pu s'unir en une union éternelle et immortelle.
Le VIIème Concile oecuménique fut convoqué et tenu à Byzance, au patriarcat de Constantinople, plus exactement dans la métropole de Nicée en Bithynie où il se déroula du 24 septembre au 23 octobre 787. Le Concile avait été convoqué en raison du mouvement iconomaquei qui représentait un refus, une négation et un rejet antichrétien des saintes icônes, et simultanément une persécution tyrannique des iconodules orthodoxes dans les régions soumises à Byzance.
Des icônes existaient certes dans l'Eglise, tant en Orient qu'en Occident, depuis les débuts de la Chrétienté, comme l'attestent de nombreux témoignages historiques et archéologiquesii, et en particulier ces fresques des catacombes conservées jusqu'à nos jours en Palestine, en Asie Mineure, à Chypre, à Rome ou dans les îles de l'Egée. Le phénomène de l'hérésie iconomaque à Byzance au VIIIème siècle avait bien connu des précédents, mais c'est à cette époque qu'elle se forgea de nouveaux thèmes et de nouvelles raisons. Au commencement du VIIIème siècle en effet, une nouvelle dynastie arriva au pouvoir à Byzance, la dynastie des Isauriens. Ces souverains venaient des frontières où les chrétiens se trouvaient en contact étroit avec les juifs, et surtout avec l'Islam ; or les dispositions des uns et des autres étaient hostiles aux images. L'empereur Léon III l'Isaurien (717-740) estimaient que les icônes formaient le principal obstacle à la conversion des juifs et des musulmans au christianisme, car ils les considéraient comme des «idoles» chez les chrétiens, accusant ceux-ci d'«idolâtrie» -comme le font encore de nos jours certaines sectes issues des milieux protestants. A l'Est, dans l'empire voisin des Omeyyades, le caliphe Yazid décida en 723 de faire disparaître les icônes chrétiennes, contraignant ses sujets chrétiens à l'iconomachie. Sous cette influence judéo-islamique ils invoquaient, comme argument contre la fabrication et la vénération des icônes, le deuxième commandement de Dieu dans l'Ancienne Allianceiii. En réalité, les ennemis byzantins des icônes n'avancèrent ce type d'arguments en faveur de l'iconomachie qu'au début ; plus tard, il devait tomber dans l'oubli, car il était clairement apparu que les saintes icônes n'étaient pas visées par cette interdiction.
En plus de cette influence judéo-islamique, un courant manichéo-paulicien joua en faveur de la naissance de l'hérésie iconomaque ; il venait des profondeurs de l'Asie Mineure, de l'Arménie, et il était résolument hostile tant aux icônes qu'à la culture. Certains historiens et théologiens récents qui l'ont étudié ont mis en évidence l'apport négatif qu'il avait reçu de la part de l'hellénisme -et en particulier ce mépris que réservaient ses philosophes à la matière comme à tout ce qui concerne le corps, que cet hellénisme pré-chrétien eût été spiritualiste ou néo-platonicieniv.
Mais la cause immédiate du phénomène iconomaque fut l'influence du monophysisme. Le monophysisme était cette hérésie christologique qui pendant près de trois siècles avait ébranlé l'Eglise en Orient. Le conflit avec eux venait à peine de s'apaiser, au Concile de Constantinople de 715, sous le patriarche saint Germain Ier. On le sait, les monophysites minimisaient l'élément humain dans le mystère du Christ incarné. C'est alors que les iconomaques, partant des mêmes positions, affirmèrent l'impossibilité que le Christ ait pu prendre figure humaine, et que sa Divinité ne pouvait en tout cas pas être représentée, ni figurée. Cette argumentation contre la peinture et la vénération des icônes n'a été soulignée que plus tard par les iconomaques, mais elle devait devenir, comme nous allons le voir, leur principal motif d'opposition.
Tous ces éléments que nous venons d'énumérer n'auraient probablement pas suffi à susciter un mouvement iconomaque puissant à Byzance, si ce mouvement n'avait été fomenté et dirigé par des souverains aussi capables et aussi puissants que le furent les souverains de la dynastie isaurienne dont nous venons de parler. Naturellement, ce ne sont pas seulement les souverains qui ont conduit cette lutte contre les icônes des églises : trois évêques aussi jouèrent un rôle dirigeant, mais ce sont les empereurs «réformateurs» Léon III l'Isaurien et son fils Constantin V qui manifestèrent le plus de violence brutale à l'encontre des icônes et de ceux qui les vénéraient. Tous deux se révélèrent par ailleurs d'énergiques chefs de guerre et des réorganisateurs de l'Etat, mais ils furent aussi des tyrans tout aussi énergiques et brutaux à l'égard de la foi et de l'Eglise, violant les consciences sans craindre de détruire la beauté de l'être humain créé à l'image de Dieu, dont précisément tout l'art des icônes et des fresques veut exprimer l'aspect extérieur et visible.
C'est l'empereur Léon III qui donna le signal de la persécution contre les saintes icônes et contre les orthodoxes iconodules en 726 et surtout en 730 par des édits ordonnant de retirer ou de détruire les icônes des églises, ce qui fut exécuté non seulement à Constantinople, mais aussi dans toute l'étendue de l'empire byzantin. Le patriarche de Constantinople Germain s'opposa à la persécution dirigée contre les icônes et contre ceux qui les vénéraient, refusant d'approuver la décision du conseil impérial, que soutenaient quelques évêques, dociles au pouvoir politique. Ces évêques étaient Constantin de Nacolia en Phrygie, Théodose d'Ephèse et Thomas de Claudiopolis. Germain tenta d'abord de s'entretenir fraternellement avec ces trois évêques pour les détacher de l'erreur iconomaque ; nous en avons conservé le témoignage dans trois lettres qu'il leur avait adressées. Cette tentative n'eut pas de résultats.
Le patriarche Germain était un homme de haute culture, et ce fut même un poète-hymnographe. Sa défense des saintes icônes a fourni suffisamment d'arguments théologiques et esthétiques à l'iconographie et à l'iconologie orthodoxes, que pourront reprendre en leur temps, avec plus de profondeur, saint Jean Damascène et après lui saint Georges de Chypre. Le VIIème concile oecuménique estimera de valeur égale leurs contributions, en recevant et en soutenant leur théologie des icônes et en leur décernant en Concile une louange commune. Mais le patriarche Germain fut aussitôt destitué de ses fonctions et banni par l'empereur Léon III, cependant que Georges de Chypre et surtout le hiéromoine Damascène, du monastère de saint Sava près de Jérusalem, poursuivaient la lutte pour le rôle et la signification théologico-ecclésiale et artistico-culturelle des saintes icônesv. C'est à cette même époque que le pape de Rome Grégoire II écrivit au basileus Léon III deux lettres pour la défense des saintes icônes ; son successeur Grégoire III devait tenir en 731 un concile où l'iconomachie fut condamnéevi.
L'empereur Constantin Copronyme (741-775) déchaîna une persécution encore plus forcenée contre les icônes et leurs partisans. Homme plus intelligent que ses prédécesseurs, il n'en était que beaucoup plus dangereux . Georges Ostrogorsky a pu écrire à son sujet les lignes caractéristiques que voici : «[Constantin] était une nature compliquée et désaccordée. Il faut attribuer moins à une sauvagerie instinctive qu'à une surexcitation maladive l'extrême cruauté qu'il mit à persécuter et à torturer ses adversaires religieuxvii» et nous ajouterons qu'il faut l'imputer aussi à son caractère prétentieux. Constantin V était en effet un partisan déclaré du totalitarisme, si avide de pouvoir qu'il s'efforça d'imposer le sien à l'Eglise du Christ, car il se faisait appeler et se considérait lui-même comme empereur et prêtre : «Je suis empereur et je suis prêtre !»
Il convient ici de se souvenir que c'est justement à l'époque des rois iconomaques que l'on en est venu à imposer à Byzance ce prétendu «césaro-papisme» qu'évoquent tant d'historiens de notre temps, pour attribuer cet état de choses à la Byzance orthodoxe tout au long de son histoire. Mais le martyre de la résistance des iconodules orthodoxes et en particulier du monachisme, couronné par une victoire pacifique, théologique et ecclésiale au VIIème Concile oecuménique de Nicée, a prouvé qu'il n'en était rien. En effet, le «césaro-papisme» prétendu des empereurs iconomaques de la dynastie isaurienne, et en particulier de Constantin Copronyme, ne devait être qu'une tyrannie courte mais brutale et inhumaine contre la liberté chrétienne et humaine de foi et de conscience dans l'Eglise de Dieu. Elle ne saurait nullement caractériser les autres périodes de la vie de l'Eglise de Byzance, qui était un état organisé selon les principes du droit romain et dans une grande mesure selon les principes chrétiens. Les empereurs iconomaques ont manifesté un brutal amour du pouvoir, caractéristique commune d'ailleurs à de nombreux despotes anciens et modernes -et aucune époque, et pas même la nôtre, n'est exempte de telles tendances à l'amour du pouvoir sur les âmes et sur les consciences humaines, non seulement dans le domaine politique, mais même dans le domaine de la foi.
C'est en vain que certains historiens ont tenté, et que certains tentent encore, de justifier le comportement des empereurs iconomaques envers l'Eglise du Christ par les progrès du «réformisme», par les «besoins du pouvoir», par les «intérêts politiques», par «l'intérêt commun», etc, car dans la suite de l'histoire, il s'est avéré que la beauté humble et suprême des icônes de Dieu et des hommes, non seulement celles qui se trouvent dans les églises, mais encore et par-dessus tout celles qui se trouvent sur les hommes créés à l'image de Dieu, sur les personnes vivantes des chrétiens et sur le peuple de Dieu, était et reste en réalité plus «progressiste», et qu'elle devait se montrer victorieuse et plus durable que leurs persécuteurs iconoclastes.
Le problème de l'iconomachie à Byzance fut en réalité celui d'un affrontement profond autour de la signification durable et globale de la foi, de l'art, de la beauté, de la liturgieviii. Dans l'Eglise du Dieu-Homme, le Christ incarné, les saintes icônes sont certes des oeuvres d'art, des «monuments de la culture», qui font partie intégrante de l'«héritage culturel» communautaire ; mais plus encore, elles sont aussi les pièces à conviction de la foi chrétienne, de la foi dans la signification durable et immuable du visage humain créé à l'image de Dieu, de la personne humaine créée à l'image du Christ, la personne des Saints en tant qu'hommes véritables. Le tout premier visage humain véritable est celui du Christ Lui-même, et c'est bien pourquoi la question clé de toute la querelle qui devait se dérouler autour de l'icône fut la question de l'icône du Christ.
Conduite par Constantin Copronyme, la persécution iconomaque eut comme terrible conséquence les sacrifices subis par les iconodules orthodoxes, et en particulier par les moines et les fidèles pieux. Citons seulement pour l'exemple la mort subie par le saint martyr André le Calibyte (en 761), ainsi que la mort du saint martyr Etienne le jeune, cruellement mis à mort dans les rues de Constantinople en 765, lorsque des chevaux le traînaient par les jambes sur le pavé et que les «masses populaires» ameutées par le pouvoir le raillaient et le huaient. Les pieux iconodules orthodoxes suivaient de loin le martyre de saint Etienne, recueillant dans les rues les morceaux de son corps écartelé. Ces horribles temps où la terreur iconomaque s'abattit sur les moines rappellent les persécutions exercées contre les premiers chrétiens par les empereurs païens de Rome. D'une certaine manière ils annoncent aussi les temps récents de l'oppression des chrétiens par les régimes communistes athées.
Afin d'observer tout au moins les formes extérieures, l'empereur Constantin V convoqua pour l'année 754 un concile iconomaque, à Hiéra, près de Chalcédoine, sur la rive asiatique du Bosphore. Le but assigné à ce concile était évidemment de «réévaluer» toute l'histoire écoulée et toute la tradition de l'Eglise comme de «réinterpréter» de manière nouvelle et personnelle la vérité évangélique et la foi de l'Eglise Orthodoxe sur l'Incarnation.
Ce concile des méchants, selon les mots du psalmiste, ne fut en réalité qu'un instrument entre les mains de l'empereur Coprononyme ; il a exprimé à l'évidence dans ses décrets un humanisme étranger au christianisme et à l'orthodoxie, un unitarisme monophysite unilatéral de la «nature unique» dans le Christ incarné, où aucun divino-humanisme authentique, évangélique, néo-testamentaire et orthodoxe ne saurait plus trouver place ; il ne laisse en effet aucune place au Dieu-Homme de l'Evangile -ainsi qu'en Lui et avec Lui à l'homme véritable et éternellement vivant, créé à l'image de Dieu et à la beauté de Dieu. On pourrait dire de ce monophysisme iconoclaste du VIIIème siècle, avec tout son verticalisme inhumain, qu'il est comparable d'une certaine manière à notre monophysisme horizontal contemporain. Dans les deux cas en effet, ce que l'on veut nier et que l'on veut rejeter, c'est bien la beauté, la valeur et la dignité de l'homme, ce privilège qui n'appartient qu'à lui, d'avoir été créé à l'image du Dieu-Homme, c'est la beauté iconique de la Croix et de la Résurrection, de l'union dans l'amour de Dieu et de l'homme, tant verticalement qu'horizontalement. C'est justement ce que l'art exprime, et c'est justement ainsi qu'il le figure, sur les saintes fresques et icônes, dans les églises et dans les monastères de la Byzance et de la Serbie orthodoxes.
C'est donc le saint VIIème Concile oecuménique qui interrompit et qui enraya la catastrophe iconomaque. Il se tint à Nicée en 787, dans l'église, alors admirable, de la Sainte Sophie, c'est-à-dire de la Sagesse de Dieu, c'est-à-dire du Dieu-Homme, le Christ, qui est l'éternelle Sagesse à la fois de Dieu et de l'homme. C'est dans cette même église de la Sainte Sophie de Nicée que quatre siècles plus tard saint Sava devait être ordonné premier archevêque de la Serbie. Aujourd'hui cette église est tombée en ruines et elle a été transformée en musée ; auparavant elle avait servi de mosquée pendant un certain temps.
C'est sur les demandes personnelles et obstinées du patriarche nouvellement élu de Constantinople, saint Taraise -qui avait été jusqu'à son ordination secrétaire à la cour de l'impératrice Irène et du jeune empereur Constantin VI,‑ qu'on avait pu en arriver à la convocation du VIIème concile oecuménique.
C'est en fait lors de la mort de son mari, Léon IV le Khazar (775-780), que la pieuse impératrice Irène d'Athènes, qui en secret vénérait encore, et depuis longtemps, les saintes icônes, avait décidé d'en cesser avec les persécutions d'Etat contre les icônes et les iconodules. Le patriarche de Constantinople d'alors, Paul IV, offrit lui-même sa démission, et Taraise fut choisi comme nouveau patriarche. Comme préalable à son élection au patriarcat, Taraise avait demandé la convocation d'un Concile oecuménique, dans le but de retourner à la foi primitive et véritable, à la Tradition vivante de l'Eglise d'Orient de vénération des saintes icônes. Il avait également demandé que fût restaurée par ce Concile l'unité brisée de l'Eglise ; en effet, les autres patriarcats d'Orient et celui de Rome avaient interrompu leurs rapports avec l'Eglise de Constantinople, et l'avaient exclue de leur communion et de leur union. Taraise ressentait cela très fort, et c'est pour cela qu'il considérait que seul un Concile oecuménique d'union pourrait panser les blessures faites au corps de l'Eglise du Christ et apaiser les consciences et les coeurs du peuple des croyantsix. Ses conditions furent acceptées, et un Concile d'union fut convoqué ; il devait se réunir tout d'abord à Constantinople en 786, mais à cause d'une révolte militaire, à laquelle avaient pris part un certain nombre de partisans des précédents empereurs iconomaques, le Concile dut se transférer dans une ville éloignée de la capitale, Nicée, où il put se tenir l'année suivante du 24 Septembre au 23 Octobre 787.
Trois cent soixante sept évêques participèrent au Concile sous la présidence de saint Taraise. Au premier rang figurait le pape Adrien Ier et deux hiéromoines représentant les patriarches d'Orient. Il convient de mentionner particulièrement le comportement chrétien du patriarche Taraise et des Pères du Concile à l'égard des évêques iconomaques. Que cela nous serve encore aujourd'hui d'exemple d'un véritable comportement chrétien, ecclésial, dans le dialogue oecuménique avec les non-orthodoxes. Même les trois chefs déclarés des iconomaques, Constantin de Nacolia, Théodose d'Ephèse et Thomas de Claudiopolis, ne furent pas anathématisés ; ils furent pardonnés parce qu'ils avaient montré des signes de repentir pour les méfaits qu'ils avaient commis en persécutant les icônes et les iconodulesx. Présents en grand nombre à ce Concile, vraisemblablement en signe de la fierté générale que l'Eglise éprouvait à leur sujet pour les souffrances qu'ils avaient endurées pour les saintes icônes et pour l'orthodoxie en général, les moines n'étaient pas satisfaits de cette «économie», de cette condescendance conciliaire. Comme on le sait en effet, le courroux impérial et les persécutions étaient avant tout dirigés contre les moines et les monastères de l'Empire, car depuis toujours les monastères étaient les centres vitaux de la piété populaire et de l'art ecclésial, les sources de l'iconographie et du culte des icônes. C'est ainsi qu'au VIIème Concile oecuménique de Nicée, les moines ont été la voix de l'Eglise vivante du Christ, la voix du peuple de Dieu tout entier rassemblé. Plus tard, il devait rapidement s'avérer que l'exigence qu'avaient formulée les moines, d'un châtiment plus sévère des iconomaques, et en particulier de leurs chefs, avait bien de solides motifs, et qu'elle eût permis de prévenir le mal futur, qui ne devait d'ailleurs pas tarder à survenir, car la rage iconomaque devait s'embraser à nouveau pour persister pendant plusieurs décennies. Cependant les autres Pères du Concile de Nicée voulurent s'en tenir à une économie ecclésiale pacifique, c'est-à-dire au pardon et à la commisération évangéliques, ce qui naturellement ne signifie point qu'ils aient consenti à un compromis sur la foi et la vérité.
C'est dans ce IIème Concile de Nicée, qui rassemblait toute l'Eglise, que fut exprimée et adoptée unanimement la reconnaissance générale, justifiée par la tradition et la théologie, de la vénération dans l'honneur et dans l'amour des saintes icônes du Christ, de la Mère de Dieu et des Saints de Dieuxi.
Inspiré par la grâce de l'Esprit Saint, le VIIème Concile oecuménique de Nicée a attesté et confirmé unanimement et solennellement l'esprit ininterrompu d'exacte vérité, la mémoire et la conscience conciliaires gardées par l'Eglise tout au long des siècles, la vivante tradition des Apôtres et des saints Pères au sujet des saintes icônes. Cette Tradition est en réalité tout simplement l'Evangile, la Bonne Nouvelle du Nouveau Testament ; elle affirme que la beauté divine du visage représenté par l'oeuvre de l'art sur les saintes icônes, est digne de notre amour et de notre vénération, et qu'à travers lui, c'est la beauté sans déclin et l'honneur qui se rendent extérieurement visibles en la personne du Seigneur ami de l'homme, le Dieu-Homme, le Christ, avec l'inviolable valeur et l'impérissable beauté de l'image du Christ dans la personne de l'homme. Ce que nous révèlent en effet de manière visible les saintes icônes, c'est cette ressemblance à Dieu et au Christ, c'est-à-dire justement ce qui fait que l'homme est homme, ce qui révèle en lui une personnalité divine, faite à l'image de Dieu, digne et capable d'éternelle beauté comme de vie éternelle véritable et de l'amour avec Dieu et avec les autres hommes, en union avec l'Eglise divino-humaine et en communion avec le Christ et avec les hommes, nos frères en Christ, créés à l'image de Dieu.
Par cette décision conciliaire divino-humaine, confirmant clairement et publiquement la vérité au sujet des saintes icônes, au sujet de leur beauté et de leur signification divino-humaines, c'est la foi du christianisme orthodoxe qui est encore une fois confessée en son principe : la foi que c'est bien le Dieu-Homme qui est le Logos, la signification et le contenu de l'homme, que l'être humain est de par sa création et son principe même, à l'image de Dieu et capable de Dieu et que c'est justement pour cette raison que le Fils de Dieu est devenu homme, qu'il s'est incarné et qu'il s'est hominisé afin de montrer personnellement et de manifester en Lui-même la beauté divine de l'homme. Car l'homme est la préférée des créatures de Dieu, prédisposée à être l'ami éternel et le fils de Dieu. Dans les églises comme dans les maisons, les saintes icônes nous guident d'une manière constamment visible vers cette vérité de l'amour de Dieu pour l'homme et de la ressemblance de l'homme avec Dieu. Nous regardons avec amour et vénération et nous prions ces saints visages devant lesquels nous nous tenons en tant qu'oeuvres de l'art : les saintes images nous conduisent liturgiquement vers leur saint Original et leur saint Prototype - le Christ et les Saints, ces hommes glorifiés au ciel, comme le disait déjà saint Basile le Grand.
Afin de ne pas citer ici dans son intégralité le célèbre horos théologique, c'est-à-dire le symbole (=l'exposition) de la foi des saints Pères du VIIème Concile oecuménique de Nicée (que nous faisons figurer en annexe), qui développe largement la beauté indicible et la valeur de vénération et d'honneur du saint visage de Dieu et de l'homme dans le Christ et dans ses saints, citons seulement un discours résumé ou mieux, un discours de louange, pris chez saint Sava de Serbie, dans cette célèbre Conférence sur la vraie foi qu'il prononça à son retour de Nicée, après son ordination comme premier archevêque de Serbie, au concile national et ecclésial de Jitcha en 1221 :
«Nous nous inclinons et nous vénérons et nous baisons avec amour la très honorable icône de l'Incarnation humaine de Dieu le Verbe (le Christ), oint par la divinité et resté inchangé, afin que celui qui est oint par la foi et qui le regarde puisse voir -sur l'icône- Dieu Lui-même, Celui qui est apparu dans la chair et qui a vécu parmi les hommes. Nous nous inclinons aussi et nous rendons honneur à l'Icône de la très sainte Mère de Dieu et aux icônes des très-bienheureux Saints de Dieu, tout en élevant les yeux de notre âme vers le Visage prototype et en tournant notre esprit vers l'inconcevable et l'inexprimablexii».
Il n'est pas inutile de faire ici, au sujet de cette Conférence de saint Sava, aussi bien que de son Synodikon (c'est-à-dire le recueil des décrets dogmatiques des Conciles oecuméniques traduits en serbe)xiii les remarques que voici : saint Sava de Serbie a parfaitement compris, tant du point de vue de la linguistique que de la théologie, la signification des décrets dogmatiques du VIIème Concile oecuménique de Nicée, et il les a transmis d'une merveilleuse manière au peuple serbe par une traduction créative dans sa langue maternelle. En particulier, le VIIème Concile oecuménique prescrit de rendre aux saintes icônes une timetikè proskunesis, c'est-à-dire une «vénération d'honneur». Cependant saint Sava traduit cela librement : «Nous honorons et nous baisons avec amour», parce qu'il connaît parfaitement tant la langue grecque que la signification théologique de la confession conciliaire citée sur la vénération orthodoxe des icônes. Comme le saint patriarche Taraise et les autres Pères du concile l'écrivaient dans la Lettre Synodique qu'ils envoyèrent à l'impératrice Irène et au jeune empereur Constantin pour commenter et pour expliquer la signification de cette «vénération d'honneur» que l'on doit porter aux saintes icônes : «Nous les orthodoxes, nous avons reçu des apôtres et des Pères, cette Tradition que nous «vénérons» les saintes icônes, c'est-à-dire que nous les baisons, car le mot «vénérer» (proskuno) dans l'antique langue grecque signifie bien «aimer» et «baiser» (philo, aspazomai)... Car lorsqu'on aime quelque chose, on le vénère, c'est-à-dire qu'on l'aime et qu'on le baise, comme le montre nos coutumes populaires, lorsque nous nous comportons avec des amis avec respect et amourxiv». Saint Sava avait donc parfaitement compris tout cela et c'est pourquoi il a ainsi fort bien traduit le texte de l'horos du concile de Nicée. La vénération des saintes icônes, faite par amour envers le Christ, ou envers ceux qui sont représentés sur les saintes icônes nous conduit à les baiser, et c'est pour cela qu'il traduit la «vénération d'honneur» par «vénérer et baiser avec amour», car c'est bien là notre position et notre rapport orthodoxes envers les saintes personnes représentées. En d'autres termes, au centre de la vénération orthodoxe des icônes se trouve bien l'amour. C'est d'ailleurs ce qu'avait déjà exprimé saint Jean Damascène, dont le VIIème Concile avait fait un éloge particulier. Il voulait en particulier que nous les hommes, lorsque nous nous rencontrons les uns les autres, nous nous vénérions, montrant ainsi que nous vénérons l'homme comme vivante icône ambulante de Dieu, comme frère lui aussi créé à l'image éternelle du Christ, comme le prochain, tant de nous-mêmes que du Christ, car tout homme est en Christ un enfant de Dieuxv.
Complétons : c'est justement ce mystère anthropologique, divino-humain, de la valeur, de la dignité et de la beauté impérissables de la personne humaine psycho-physique, que Dieu Lui-même a voulu honorer par son Incarnation et par son hominisation. Dès le commencement, c'est lui, en effet, qui avait créé l'homme à l'image de Dieu -ce qui représente toute la signification de la vénération orthodoxe des icônes telle qu'elle a été confirmée il y a 1200 ans par le VIIème Concile oecuménique réuni à Nicée.
C'est bien pour ce motif que les saints Pères de Nicée ont pu soutenir que déjà la sainte icône elle-même représente en tant que telle une confession et une confirmation de la foi en l'Incarnation, puisqu'ils ont montré que dans l'orthodoxie la vérité de la foi et l'art ne sont ni dissociés, ni opposés mais qu'ils se portent réciproquement témoignage et se confirment mutuellement. L'icône peut donc être reconnue comme une oeuvre d'art, fruit des dons que Dieu a accordés à un artiste, tout en étant simultanément reconnue comme un fait dogmatique de la foi et de la théologie de l'Eglise, comme une preuve de la beauté et de la vérité et comme une source de véritable connaissance de Dieu et de l'homme.
L'icône atteste visiblement que Dieu est bien devenu homme, mais aussi que l'homme, être psycho-physique, est capable et digne de faire place en Lui-même à Dieu et de Le manifester, de s'unir en un amour réciproque dans la vie immortelle, sans rien perdre de sa personnalité ni de son humanité.
C'est ainsi que les saintes icônes peuvent exprimer à la fois la vraie foi et la vraie théologie chrétiennes, la vraie philosophie et le véritable art chrétiens, qui ne s'expriment pas seulement dans les livres, dans des pensées ou dans des paroles, mais aussi par des images et par des couleurs. C'est bien cela la «vision spirituelle par les couleurs», c'est «la beauté et l'ornement de l'Eglise» dont s'est à nouveau parée avec fierté l'Eglise orthodoxe lors du VIIème Concile oecuménique de Nicée, il y a douze siècles.
Ainsi se manifestent encore une fois les merveilles de Dieu parmi ses Saints -parmi les visages, parmi les icônes, parmi les visages vivants comme parmi les figures créées par l'art.



L'ICONE ET L'INCARNATION


Dès l'instant même où fut posée la question des saintes icônes, le dogme de l'Incarnation se trouva au centre des controverses théologiques qu'elles suscitèrent. Déjà avant saint Jean Damascène, mais plus particulièrement depuis son époque, la théologie avait souligné la signification du dogme de l'Incarnation pour l'iconographie et l'iconologie orthodoxes. Car le problème de l'icône - et il s'agit avant tout de l'icône du Christ,- est posé comme problème de la possibilité de toute circonscription en général du Dieu qui est par nature incirconscriptible (aperigraptos). Mais pour la théologie orthodoxe, ce problème était déjà posé dans le mystère de l'Incarnation de Dieu, car celle-ci implique déjà de concilier à la fois l'incirconscriptibilité (to aperigrapton, au sens premier : le fait de ne pas avoir de frontières, de limites, de ne pouvoir être embrassé), et la circonscriptibilité (to perigrapton, qui de même signifie avant tout : la limitation, le fait de pouvoir être embrassé) du Dieu qui par la nature de son Etre est infini et illimité.
En ce sens, il est tout à fait caractéristique de remarquer comment saint Jean Damascène peut à bon droit citer dès le début de sa grande oeuvre théologique, de sa Dogmatiquexvi ces paroles du saint Evangéliste Jean : «Dieu, personne ne l'a jamais vu, le Fils unique, Celui qui est dans le sein du Père, Lui l'a manifestéxvii» (exegésato : l'a révélé, l'a manifesté). Contenue dans le passage cité sur le mystère de Dieu et le mystère de l'Incarnation, cette vérité évangélique nous indique à la fois un double problème théologique et sa solution -à travers la possibilité et la réalité de l'Incarnation du Dieu infini et illimité et donc aussi la possibilité de l'iconographie, de l'iconologie et de la vénération des icônes dans le christianisme.
D'un côté donc, il sera impossible de réaliser aucune image ou aucun contour de Dieu, car il est incirconscriptible et invisible : personne n'a jamais vu Dieu en tant que telxviii. Mais d'autre part, le Fils unique de Dieu, Celui qui est l'image du Dieu invisiblexix, nous a révélé le Dieu invisible par son Incarnation en une personne humaine, comme le dit aussi saint Jean Damascène, paraphrasant cette parole de l'ancêtre Jacob : «J'ai vu le visage humain de Dieu, et mon âme a été sauvéexx». Lorsqu'il est question de l'Incarnation et de la vénération des icônes, il faut par conséquent toujours avoir présente à l'esprit cette double vérité de la théologie orthodoxe : que d'une part la Divinité est par essence invisible et incirconscriptible, et d'autre part le fait de l'Incarnation du Verbe et Fils de Dieu, grâce auquel Dieu est réellement devenu visible en Christ pour les hommes.
C'est justement pour cela que la Personne du Dieu-Homme, le Christ, «Une en deux natures» nous fournit la base et la clé qui sont nécessaires pour résoudre la question de l'icône comme «lieu théologique». C'est cette Personne qui lie de la manière la plus étroite le thème de l'iconographie, de l'iconologie et de la vénération des icônes au thème de l'Incarnation. Or c'est bien ce lien qui fut clairement exprimé par le VIIème Concile oecuménique réuni à Nicée en 787 dans son Horos dogmatique par ces mots :«Celui qui se prosterne devant l'icône se prosterne devant l'hypostase de celui qui est inscrit en ellexxi». Mais cette façon de poser le problème, établissant un lien étroit entre les icônes et l'Incarnation, avait déjà été inaugurée par saint Jean Damascène - et pas seulement par lui.
Peu avant saint Jean Damascène, le patriarche de Constantinople Germain Ier (715-730) avait déjà fondé théologiquement la vénération des icônes sur sa base christologique. Il se peut que saint Germain ait eu pour cela des raisons personnelles. On sait par exemple qu'en tant qu'évêque de Cyzique en 712, il avait pris part à une condamnation tardive du VIème Concile oecuménique, mais que peu après, en 715, déjà patriarche de Constantinople, il convoqua aussitôt un concile de près de cent évêques qui rétablit et confirma le VIème Concile oecuménique (de 680-681), le dernier Concile qui se fût occupé du dogme christologique.
Une décennie plus tard, lorsque éclata la crise iconomaque, qui avait à sa tête trois évêques de son patriarcat, saint Germain tenta d'établir avec eux des pourparlers de paix en vue de discuter la question de la signification des icônes et de la légitimité de leur vénération ; c'est à cette occasion que, dans une Lettre adressée à Jean de Synada, il écrivit les lignes que voici, qui montrent bien quel est le fondement christologique de la peinture des icônes et de leur vénération dans l'orthodoxie : «Nous ne représentons pas un quelconque visage ou bien une figure, pas plus qu'un contour ou encore une forme de la Divinité invisible... Mais puisque le Fils unique (de Dieu), qui est dans le sein du Père, a bien voulu, pour proposer à sa créature le retrait de sa condamnation à mort (pour nous sauver) devenir homme par la condescendance du Père et du Saint Esprit, nous figurons le portrait de son visage humain et de son aspect dans la chair, et non point celui de son incirconscriptible et invisible Divinité. Par lui nous tentons de représenter notre foi (clairement, visiblement) en montrant que c'est dans la réalité même et en vérité (autôi tôi pragmati kai aletheiai) qu'il est devenu un homme parfait en toutxxii».
Dans une perspective semblable, voici ce que saint Germain de Constantinople écrivait dans la Lettre qu'il adressa à un autre iconomaque, Thomas, évêque de Claudiopolis : «Il faut représenter sur les images les traits de l'aspect (idéas) du Seigneur dans la chair, pour faire perdre la face aux hérétiques qui le calomnient en disant qu'il n'est devenu homme qu'en apparence et non pas en réalité, et pour conduire par la main (cheiragogian dé tina) ceux qui ne sont pas capables de s'élever facilement sur les sommets de la contemplation spirituelle... jusqu'à ce que ces mystères s'impriment en eux (dans leur esprit et dans leur coeur) par le regard : que Dieu est apparu dans la chair et qu'il a été cru dans le mondexxiii ; et cela se révélera comme tout à fait sanctifiant, tout à fait salutaire pour nous tous, aussi bien que tout ce qui est écrit dans l'Evangile comme prédication de Sa vie dans la chair sur terre parmi nous les hommes ; cela se gravera ineffaçablement dans la mémoire des hommes et la vénération de Sa gloire et de Sa sainteté sera encore plus clairement confessée et vénérée par nousxxiv». De ce passage de saint Germain Ier que nous venons de citer, comme du précédent, il ressort à l'évidence que c'est bien sur la base de l'Incarnation de Dieu le Christ que l'on est conduit à le figurer sur les icônes. Il en résulte que la peinture et la vénération des icônes enseignent et proclament clairement et visuellement le mystère chrétien de notre salut par l'Incarnation de Dieu.
Citons encore un texte de saint Germain, pris dans son oeuvre célèbre Des hérésies et des Conciles : «Nous avons reçu (de la sainte Tradition) que lorsque nous dessinons sur une planche les traits humains de notre Seigneur Jésus Christ, c'est-à-dire selon Sa manifestation divine visible (kata tèn oraten Autoû theophaneian), nous le faisons en mémoire durable de Sa vie dans la chair, de Sa souffrance et de Sa mort salutaire et du rachat qui en a résulté pour le monde, et en tout cela nous saisissons l'excès de l'humilité de Dieu le Verbexxv».
De tous les textes de saint Germain de Constantinople que nous venons de citer (et c'est sur le dernier, à sa fin, que s'appuie le canon 82 du Concile in Trullo de 692), il ressort bien que la peinture des icônes et que leur vénération sont fondées sur le dogme central de la foi chrétienne -l'Incarnation de Dieu le Verbe. L'Incarnation du Christ est bien en effet une révélation et une manifestation du Dieu caché, invisible et indescriptible. Selon les mots de saint Germain, l'Incarnation est la théophanie véritable en plénitude : «Sa théophanie visible».
Ce mot «théophanie» nous introduit au coeur même de la Révélation divine, telle que l'atteste et telle que la consigne par écrit la Sainte Ecriture de l'Ancien et du Nouveau Testament -et l'on sait que les saints Pères de l'Eglise d'Orient voyaient dans la sainte Ecriture elle-même en tant que telle la manifestation et la révélation du mystère de l'Incarnation, du mystère de la description par les mots du Dieu par nature indescriptible. De cette apparition par la parole, le passage est normal à la description du Dieu apparu dans le Christ hominisé par le moyen de la figuration, c'est-à-dire par le trait et par la couleur -sur des images. C'est ainsi que chez les saints Pères, comme nous venons de le voir chez saint Germain, l'iconographie est liée à la logographie, l'écriture par l'image à l'écriture par le discours, et que toutes deux sont unies réciproquement dans la Théophanie divine, de même qu'elles sont vécues dans le contexte général de la révélation et de la manifestation divines dans l'Ancien et dans le Nouveau Testaments. Un peu plus tard le célèbre Synodikon de l'Orthodoxie entendra de même ce célèbre thème si expressément biblique de la théophanie lorsqu'il dira que les «visions prophétiques» de l'Ancien Testament étaient de Dieu, car «dès avant l'Incarnation du verbe,» déjà «l'image est apparue en figures (aux prophètes)xxvi».
Il existe cependant une claire différence dans le degré de plénitude entre les théophanies de l'Ancien Testament et l'unique Théophanie du Nouveau Testament, celle qui fut accomplie par l'Incarnation personnelle et l'hominisation du Christ, et c'est pour cette raison que le célèbre canon 82 du Concile Quinisexte in Trullo, en 692, (sur lequel saint Germain s'appuie textuellement), qui avait institué la peinture des icônes dans les églises et leur vénération orthodoxe sur un fondement clairement christologique, dès avant saint Germain et saint Jean Damascène, avait déjà souligné la supériorité de la réalité néo-testamentaire sur l'ombre vétéro-testamentaire. Il avait donc ordonné qu'à la place des représentations symboliques on pratiquât dans l'Eglise une véritable peinture des images et que le Christ ne fût plus à l'avenir représenté symboliquement «comme l'Agneau», mais de manière réaliste comme un «homme véritable», comme Dieu incarné. Voici le texte complet de ce saint canon, survenu dans le temps bien avant l'apparition de l'hérésie iconomaque :
«Sur certaines peintures des saintes images, on représente l'agneau désigné par le Précurseur (Jean Baptiste), comme l'image de la grâce, qui nous montre par avance dans la Loi le véritable Agneau, le Christ notre Dieu. Mais tout en vénérant les antiques figures et les ombres (de l'Ancien Testament) comme des signes et des préfigurations de la Vérité même transmise à l'Eglise, nous donnons la préférence à la grâce et à la Véritéxxvii, car nous l'avons reçue (la Vérité) comme accomplissement de la Loi. Afin donc que tout ce qui est parfait soit retracé par les couleurs de l'art (taîs chromatourgiais) devant les yeux de tous, nous décrétons que dorénavant, à la place de l'agneau (de l') Ancien (Testament) soit peint sur les icônes le visage (ton charactera) humain de l'Agneau (de Dieu) qui ôte les péchés du monde, le Christ notre Dieu, afin que nous puissions percevoir à travers lui les sommets de l'humilité de Dieu le Verbe et que nous soyons ainsi amenés à (garder) le souvenir de Sa vie dans la chair et de Sa passion et de Sa mort salutaires et du rachat qui en a résulté pour le mondexxviii».
D'après ce texte du Canon 82 du Concile in Trullo que nous avons cité, il est bien évident que la peinture et la vénération des icônes dans l'Eglise orthodoxe se fondaient, bien avant la crise iconomaque, sur la christologie, c'est-à-dire sur la réalité néo-testamentaire de l'Incarnation divine comme théophanie pleine et véritablexxix.
Ce contexte christologique dans lequel s'est aussitôt placée la question des saintes icônes n'était certes pas étranger à la tradition théologique de l'Orient orthodoxe. Toutes les controverses théologiques antérieures à l'iconoclasme en Orient, et même les questions triadologiques, ont en effet débuté et ont finalement été résolues en relation avec la Personne du Christ. La christologie représentait le point de départ de la pensée théologique des Pères de l'Eglise d'Orient. Mais il faut, bien sûr, rappeler que chez les plus grands des Pères en Orient, la christologie représente beaucoup plus qu'une question particulière ou qu'une tête de chapitre de la théologie dogmatique. Chez les Pères de l'Eglise d'Orient, la christologie est toujours étroitement liée avec toutes les autres «branches» de la théologie chrétienne tout entière : avec la triadologie, la pneumatologie et la sotériologie, comme avec l'ecclésiologie, la cosmologie, l'anthropologie et l'eschatologie. En réalité, pour reprendre les mots des saints Pères : la christologie est étroitement liée tant à la théologie par excellence (c'est-à-dire la triadologie), qu'à l'économie divine, divino-humaine, du monde et de l'homme. Elle les relie et elle les maintient en une étroite unité, sans mélange ni confusion.
C'est ainsi que sur la question de la nécessité et de la possibilité de vénérer les saintes icônes dans l'Eglise, la christologie inclut comme fondement théologique dans le concept même, ou plus exactement dans la réalité des icônes, beaucoup d'autres éléments venus de la théologie chrétienne, de la foi chrétienne et de l'expérience de la grâce, si bien que dans la querelle qui se développa autour des saintes icônes il s'avéra rapidement qu'il ne s'agissait plus seulement d'une question secondaire sur les «images», comme «aide» accessoire, ou bien comme moyen d'«enseignement» pour les illettrés - ce qui aurait réduit toute l'iconographie orthodoxe à une didactique unilatérale religieuse, et l'icône à une simple illustrationxxx.
La grande richesse et la multidimensionnalité des icônes de l'Eglise avaient déjà été démontrées par saint Jean Damascène dans ses célèbres Trois Discours pour la Défense des saintes icônesxxxi. Sans nous attarder longuement aujourd'hui sur tous les textes, si riches, de saint Jean Damascène sur les icônes, d'ailleurs déjà connus de tous, nous n'en citerons que quelques passages significatifs pour notre thème.
Ce grand théologien systématique parle avant tout de l'image divine, c'est-à-dire de cette image vivante et naturelle de Dieu le Père qu'est son Fils unique : «Le Fils est l'icône vivante, naturelle et identique (aparallaktos) du Dieu invisible, il porte en Lui-même le Père tout entier, car il possède en tout l'identité (tautoteta) avec Lui, et n'en diffère que par la causalité (tôi aitiatoi : c'est-à-dire selon l'hypostase)xxxii». A ce niveau divin de l'icône, saint Jean Damascène ajoute un niveau anthropologique : que l'homme est lui aussi une icône, car dès le principe il a été créé à l'image (kat'eikona) et à la ressemblance de Dieuxxxiii. Or cette icône de Dieu qui est en l'homme a été obscurcie et altérée depuis la chute humaine, car le rapport et l'unité (primitive) entre l'homme et Dieu ont été interrompus par cette chute dans le péché, et l'homme a ainsi perdu sa capacité de voir son Prototype - le Fils de Dieu à l'image duquel il avait été créé. L'Incarnation du Fils de Dieu, icône naturelle de Dieu et Prototype de l'homme, a donc eu lieu dans le dessein de lui assurer son salut et de le rendre possible, par le rétablissement et la divinisation finale de l'icône créée à l'image de Dieu en l'homme et en la race humainexxxiv.
Il est bien évident que nous nous trouvons ici, chez saint Jean Damascène, dans le contexte d'une théologie de l'icône qui recherche sa signification globale en profondeur. Nous pourrions à bon droit qualifier cette théologie d'iconologie christologique car elle contient en elle-même des éléments à la fois théologiques, anthropologiques et sotériologiques, c'est-à-dire les éléments fondamentaux qui forment la théologie chrétienne tout entière.
Or c'est justement de cette iconologie christologique -nous pourrions dire de cette ontologie théologique exprimée dans une langue iconique- que procède dans l'Eglise la tradition sainte et ininterrompue de la peinture des icônes et de leur vénération, tradition qu'invoque saint Jean Damascène dans ses Discours inspirés pour la défense des Saintes Icônesxxxv. C'est encore cette même tradition ecclésiale qu'invoquera plus tard le VIIème concile oecuménique en disant que dans la tradition de la sainte Eglise on trouve bien «la représentation du type par l'icône (he tês eikonikês anazographéseos ektuposis), et qu'elle concorde avec la prédication évangélique pour confirmer que Dieu le Verbe s'est incarné véritablement et non en apparencexxxvi». Le VIIème Concile oecuménique de Nicée n'a pas seulement cautionné un point de la théologie de l'icône de saint Jean Damascène, il l'a confirmée dans son ensemble. Voilà pourquoi l'unanimité du Concile a proclamé sa louange, avec celles de saint Germain de Constantinople et de saint Georges de Chypre.
Comme nous le disions, saint Jean Damascène a posé sa théologie des icônes sur les fondations de la christologie, comme on peut facilement le vérifier à la lecture de ses trois discours sur les icônes. De l'abondante richesse de ces traités nous ne tirerons ici que quelques passages :
«Puisque tu vois que l'Incorporel est devenu chair pour toi, tu peux faire une image de (son) aspect humain ; puisque l'Invisible est devenu visible dans la chair, dessine comme icône la ressemblance de Celui que tu as vu ; puisque l'Incorporel et l'Incirconscriptible... qui existe (éternellement) dans la forme de Dieu (en morphêi Theoû) a assumé la forme d'esclave (morphèn doulou) et qu'il s'est humilié et vidé de Lui-même (dans les limites de la nature humaine, par la kénôse), lorsqu'il a revêtu le contour d'un corps, dessine donc sur l'icône le visage de Celui qui a daigné se rendre visible, et accroche cette icône sous les yeux de tous. Représente son ineffable condescendance, sa naissance de la Vierge, son baptême dans le Jourdain, sa mort salutaire sur la Croix, sa sépulture, sa résurrection, son ascension au ciel. Tout cela, raconte-le par des mots (c'est-à-dire par écrit) et par des couleurs (c'est-à-dire sur les icônes)xxxvii.
«Représentons sur les icônes le Dieu invisible, non point en tant qu'invisible, mais comme Celui qui pour nous est devenu visible en s'unissant au sang et à la chair (c'est-à-dire par l'Incarnation)xxxviii. Ne représentons pas sur les icônes la Divinité invisible, mais peignons la chair visible de Dieuxxxix.
«En tant qu'invisible et non représentable (aschematistos), Dieu n'est en réalité décrit par rien. Mais maintenant que Dieu est apparu dans la chair, maintenant qu'il a vécu parmi les hommesxl, c'est ce qui est visible en Dieu que nous représentons sur l'icône. Ne vénérons pas la matière, vénérons le Créateur de la matière, Celui qui est devenu matière pour moi et qui a accepté de se trouver dans la matière pour pouvoir accomplir mon salut par la matière. Je ne cesserai pas de vénérer la matière par laquelle mon salut a été accompli, mais ce n'est pas en tant que Dieu que je la vénère -qu'à Dieu ne plaise!- c'est parce que la chair de Dieu est Dieu par son union hypostatique (avec la Divinité), car elle est immuablement devenue ce qu'est le Verbe qui l'a ointe (hoper to chrisan) tout en restant ce qu'elle était par nature : un corps avec une âme raisonnable et un intellect, créé et non-créé. Je vénère le reste de la matière (du corps du Seigneur) et je l'estime dans la mesure où c'est par elle que m'est parvenu le salut car elle s'est emplie de grâce et d'énergie divinexli.
«Si nous réalisions une image du Dieu invisible, nous commettrions un péché... Mais nous ne faisons rien de tel : puisque Dieu s'est incarné et qu'il est apparu sur la terre dans la chair et qu'Il a vécu parmi les hommes dans son indicible bontéxlii, puisqu'il a assumé la nature et l'épaisseur, l'aspect et la couleur de la chair, lorsque nous réalisons son icône, nous ne commettons point de péché, nous désirons ardemment voir son aspect (ton charactera : les traits de son visagexliii)».
Dans tous ces textes que nous venons de citer, comme dans beaucoup d'autres que nous ne citerons pas à cause de leur longueur, saint Jean Damascène, comme tous les autres iconodules orthodoxes, met l'accent sur le changement essentiel qui s'est produit dans le rapport entre Dieu et le monde visible lorsque eut lieu l'Incarnation du Christ. Par l'Incarnation de Dieu le Verbe, c'est un nouvel ordre des choses qui est apparu, c'est un nouveau rapport qui s'est établi entre Dieu et les hommes. «En assumant une existence matérielle (c'est-à-dire l'homme comme être psycho-somatique), Dieu est devenu visible de par sa libre volonté, et il a ainsi assigné à la matière une nouvelle fonction et une nouvelle valeurxliv».
Ce nouveau rapport entre Dieu et sa création a débuté avec l'Incarnation. Suivant saint Grégoire le Théologien et saint Maxime le Confesseur, saint Jean Damascène le nomme deuxième communion (deutera koinonia), c'est-à-dire nouvelle et dernière communion entre Dieu et l'homme en Christxlv. De cette nouvelle communion, christocentrique, divino-humaine (divino-anthropocentrique, aurait dit le P. Justin Popovitch), qui constitue en réalité l'Eglise elle-même en tant que Maison de Dieu, corps du Christ et communion du Saint Espritxlvi, découlent de nombreuses conséquences salutaires pour le monde comme pour l'homme, pour la création tout entière, tant spirituelle que matérielle. Ces dons de la grâce divine, ces dons de l'Esprit Saint qui nous sont donnés dans l'Eglise, constituent la plénitude de la vie nouvelle en Christ pour les fils des hommes adoptés par Dieu dans le Fils de Dieu incarné. Visiblement c'est bien là la gloire et la beauté de l'Eglise, dont les icônes sont l'expression lumineuse, spirituelle et artistique.
Dans l'Eglise orthodoxe, les icônes, et avant tout l'icône du Christ comme Icône par excellence, confirment le nouveau rapport qui s'est instauré entre Dieu et le monde créé, la nouvelle alliance = le nouveau testament de Dieu avec le genre humain, avec la nouvelle communion divino-humaine de la vie éternelle, manifestée et vécue en communion avec les fidèles appelés et élus, frères du Christ, réunis dans la sainte Eucharistie de l'Eglise. C'est pour cela que dans l'orthodoxie les saintes icônes ont un caractère liturgique. C'est ainsi que les saintes icônes, selon les paroles de Georges Florovsky, ne sont pas seulement des oeuvres de l'art chrétien, mais représentent également des documents théologiques, des faits et des témoignages dogmatiques et liturgiquesxlvii. C'est exactement ce qu'est, dans l'Eglise du Christ, l'Evangile lui-même. Selon les mots de saint Théodore le Studite, les saintes icônes sont le saint Evangile visible : «Il est possible de concevoir d'après son aspect corporellement visible (= d'après le visage du Christ, d'après l'icône) représenté sur la planche, la même chose que dans les Evangiles divinement écritsxlviii». C'est ainsi que devait également parler un peu plus tard l'Eglise tout entière dans le Synodikon de l'Orthodoxie : «Les fidèles peuvent connaître la grande oeuvre de l'économie du Christ aussi bien par la parole prêchée que par la représentation iconiquexlix». Ou bien citons encore ces paroles du P.J. Meyendorff sur le même point : «La Bonne Nouvelle de Dieu devenant homme, de la présence parmi les hommes d'une humanité glorifiée et déifiée tout d'abord dans le Christ et, à travers lui et l'Esprit Saint, dans la Vierge Marie et dans les saints, tout cet 'ornement de l'Eglise' était maintenant exprimé par l'art chrétien de Byzancel».
Nous n'avons pas l'intention de nous pencher ici plus longtemps sur l'iconographie byzantine en tant qu'expression authentique de l'art chrétien, ni sur tous les développements qu'a connus la théologie byzantine de l'icône. Nous ne nous attarderons donc pas aux textes qu'ont écrits d'autres théologiens dans le cadre de cette tradition, sur les saintes icônes, tels ceux des patriarches Taraise et Nicéphore de Constantinople ou de saint Théodore le Studite. De même nous ne nous arrêterons pas au texte des décisions dogmatiques mêmes du saint VIIème Concile oecuménique sur les icônes et sur leur vénération.
Nous ne désirons donc nous arrêter un peu que sur le grand sujet de l'Incarnation, non seulement en tant que fondement de la peinture des icônes et de leur vénération dans l'orthodoxie, mais aussi comme fondement de la théologie de l'icône en général, tel que ce thème est vu dans la tradition biblique et patristique.
Dès avant l'apparition de l'iconomachie et du VIIème concile oecuménique, de grands théologiens de l'Eglise d'Orient s'étaient arrêtés sur le thème de l'icône dans la Bible en général, et plus spécialement chez saint Paul. Les grands Pères cappadociens en particulier y avaient prêté attention, comme avant eux saint Athanase le Grand l'avait fait et auparavant déjà saint Irénée de Lyon, dont la théologie suivait directement la théologie de l'icône des saints Apôtres Paul et Jean.
Rappelons simplement ce célèbre passage de l'oeuvre de saint Irénée Contre les Hérésiesli, où ce grand théologien du christianisme primitif récapitule l'enseignement bien connu, christologique et anthropologique, selon lequel l'homme est image de Dieu, non seulement à sa genèse mais même dans l'eschatologie, c'est-à-dire depuis la création même de l'homme au commencement «à l'image de Dieu», jusqu'à l'accomplissement final en l'homme et dans l'humanité de «la ressemblance de Dieu» au terme de la divine économie du salut et de la récapitulation (anakephalaiosis) de tous et de tout dans le Christ incarné.
C'est ainsi que, voulant commenter le récit biblique selon lequel l'homme a été créé «à l'image de Dieu», saint Irénée écrit que ce récit «a pu être vérifié lorsque le Verbe de Dieu est devenu homme (par l'Incarnation), se rendant Lui-même semblable à l'homme et l'homme à Lui-même, afin que, par sa ressemblance avec le Fils, l'homme devînt précieux aux yeux du Père. Dans les temps antiques en effet, on disait bien que l'homme avait été fait à l'image de Dieu, mais cela ne se voyait pas puisque le Verbe était encore invisible, Lui à l'image de qui l'homme avait été fait ; c'est d'ailleurs bien pourquoi (l'homme) a pu perdre aussi facilement sa ressemblance (tèn omoiosin). Mais sitôt que le Verbe de Dieu fut devenu homme et qu'il eut confirmé et l'une et l'autre, il put faire apparaître l'image (tèn eikona) dans toute sa vérité. Etant Lui-même devenu ce qu'était son image (c'est-à-dire homme) et ayant restauré la ressemblance de façon stable, il put rendre l'homme pleinement semblable au Père par l'intermédiaire du Verbe visiblelii».
C'est bien parce qu'il lie ainsi la signification anthropologique de l'icône avec l'Incarnation, c'est-à-dire parce qu'il fonde la vérité de l'image et de la ressemblance divines en l'homme sur une base christologique, mais en prenant soin d'y inclure la connaissance de notre finalité aussi bien que celle de nos origines (notre eschatologie aussi bien que notre protologie), que l'anthropologie peut prendre chez saint Irénée toute sa dimension pneumatologique. On sait en effet que la christologie comme l'anthropologie de saint Irénée sont comme tout imprégnées par le lien étroit qu'elles entretiennent avec sa pneumatologie, car c'est seulement ainsi qu'elles peuvent prétendre exprimer la véritable foi et la théologie authentique de l'Eglise catholique (c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe). C'est ainsi que chez saint Irénée l'anthropologie peut n'être qu'un simple chapitre de sa christologie et de sa pneumatologie.
Voici comment le saint évêque de Lyon expose cette vérité -et c'est justement dans le contexte de ses idées sur l'icône : «Dieu sera glorifié dans l'ouvrage par Lui modelé lorsqu'il l'aura rendu conforme et semblable à son Filsliii, car c'est l'homme tout entier, et non point une partie de l'homme, qui naît des mains du Père, c'est-à-dire le Fils et l'Esprit, à l'image et à la ressemblance de Dieuliv. Or l'âme et l'esprit peuvent bien être une partie de l'homme, mais nullement l'homme : l'homme parfait, c'est le mélange et l'union d'une âme qui a reçu l'esprit du Père, à une chair modelée à l'image de Dieu. Voilà pourquoi l'apôtre peut dire : Nous parlons de la sagesse parmi les parfaitslv. Sous ce nom de 'parfaits', il désigne ceux qui ont reçu l'Esprit de Dieu et qui parlent toutes les langues grâce à cet Esprit, comme lui-même les parlait et comme nous entendons nombre de nos frères dans l'Eglise qui, possédant des charismes prophétiques, parlent toutes sortes de langues grâce à l'Esprit, manifestent les secrets des hommes pour leur profit, et exposent les mystères de Dieu. Ces hommes-là, l'Apôtre les nomme également 'spirituels'lvi». Or c'est par une participation à l'esprit qu'ils sont spirituels, non point par une évacuation et une suppression de la chair. Qu'on écarte en effet la substance de la chair, c'est-à-dire de l'ouvrage modelé, pour ne considérer que ce qui est proprement esprit, une telle chose n'est plus l'homme spirituel, c'est l''esprit de l'homme', ou bien l''Esprit de Dieulvii'. Mais qu'en revanche l'Esprit, se mélangeant à l'âme, vienne s'unir à l'ouvrage modelé, c'est bien un homme spirituel et parfait qui va se trouver réalisé grâce à cette effusion de l'Esprit. Or c'est celui-là même qui a été fait à l'image et à la ressemblance de Dieulviii».
Dans ce passage de saint Irénée que nous venons de citer comme dans tant d'autres passages que nous pourrions trouver chez lui, mais aussi dans toute la théologie en général des saints Pères de l'Eglise d'Orient, l'anthropologie, et naturellement aussi la christologie, se trouvent toujours complétées, et même conditionnées, par la pneumatologie. Et puisqu'il en est ainsi, puisque l'anthropologie orthodoxe -anthropologie ouverte et christocentrique- ne peut être comprise et conçue que dans le cadre d'une christologie totale, c'est-à-dire véritable, à laquelle est fermement liée et par laquelle est étroitement conditionnée la pneumatologie, il est clair que la pneumatologie fait bien partie du thème anthropologique de l'icône, c'est-à-dire de la question de l'image et de la ressemblance de Dieu en l'homme. C'est pour cela que saint Irénée souligne expressément que sans le Christ, c'est-à-dire sans le Fils de Dieu incarné et oint par l'Esprit Saint, il n'est pas possible de parler d'une véritable image et ressemblance de Dieu en l'homme. Il souligne que cela implique de même la vérité que voici : que la réalisation, l'accomplissement et la perfection pleines et complètes, c'est-à-dire immuables et inaltérables, de l'image et de la ressemblance de Dieu en l'homme -dans l'humanité, c'est-à-dire dans l'Eglise- ne peuvent être obtenues que par la présence et par l'action (= par l'énergie) de l'Esprit Saint : Ubi autem Spiritus Patris, ibi homo vivens... Perfectus homo constat carne, anima et Spiritulix.
C'est pour cette raison que saint Irénée poursuit par la vérité suivante de l'anthropologie orthodoxe christologique et pneumatologique : «Le fruit de l'oeuvre de l'Esprit, c'est le salut de la chair : car quel pourrait bien être le fruit visible de l'Esprit invisible, sinon de rendre la chair mûre et capable de recevoir l'incorruptibilitélx ?»
C'est cette même pensée, c'est-à-dire ce témoignage théologique de saint Irénée, que renouvelle saint Athanase le Grand, dans son oeuvre bien connue : De l'Incarnationlxi : «Dieu le Verbe nous a donné (par l'Incarnation) les prémices de l'Esprit Saint, afin que nous puisssions devenir des dieux à l'image du Fils de Dieulxii.»
Saint Cyrille d'Alexandrie s'est lui aussi occupé de la question de l'icône, c'est-à-dire de la question divino-humaine de l'image et de la ressemblance de Dieu en l'homme. Lui aussi, bien sûr, fait tout reposer sur le fondement christologique de l'Incarnation. C'est ainsi qu'il déclare «le visage humain ne peut nous permettre de voir Dieu, sauf dans le cas unique où Dieu est devenu un homme semblable à nous, tout en restant le véritable Fils (de Dieu) par nature : puisqu'il est Dieu, il peut être vu en Lui d'une merveilleuse manièrelxiii». Tout en suivant les Pères qui l'avaient précédé, saint Cyrille a exposé sa pensée de manière plus développée. Ils avaient en effet véritablement conçu l'image et la ressemblance de Dieu en l'homme de façon triadologique, en ce sens que l'homme a été créé à l'image de la Sainte Trinité. Mais ce même saint Cyrille ajoute aussitôt que poser la question de l'icône sur sa base triadologique ne change pas essentiellement la réalité, car dans la tradition des saints Pères de l'Eglise orthodoxe christologie et triadologie sont inséparables l'une de l'autre, et la question anthropologique de l'image, étroitement liée avec l'une comme avec l'autre, l'est donc aussi avec la pneumatologie, comme nous l'avons vu chez saint Irénée et chez saint Athanase.
Voici un passage caractéristique de saint Cyrille d'Alexandrie qui nous enseigne que «si l'on nous dit que l'homme est devenu le visage du Fils (de Dieu), il est bien dans ce cas à l'image de Dieu. On peut clairement voir en lui (en l'homme) les traits de la Trinité consubstantielle, puisque la Divinité est unique dans le Père, dans le Fils et dans l'Esprit... C'est pourquoi il nous suffit de croire avec simplicité que nous sommes créés selon le visage de Dieu (= à l'image), acquérant par nature la ressemblance à Dieu. Il faut cependant ajouter une chose pour ainsi dire tout à fait inouïe : il était indispensable que nous, qui sommes conviés à être appelés fils de Dieu,nous fussions créés complètement à l'image du Fils (de Dieu) afin que les traits de la filiation nous conviennent mieuxlxiv».
Dans ce passage de Cyrille d'Alexandrie, nous percevons clairement combien cette question de l'image est importante, tant sur le plan théologique que sur le plan anthropologique, et comment elle peut être liée, au-delà du mystère de l'Incarnation et de l'hominisation du Christ, au mystère unique de notre salut, de notre divinisation et de notre adoption par Dieu en Christ par la grâce du Saint Esprit.
Il en est de même de la question théologique de la figuration et de la vénération des saintes icônes comme oeuvres de l'art. En particulier tout le fondement et toute la justification de la figuration et de la vénération des saintes icônes dans l'Eglise chrétienne doivent être recherchés dans l'image divino-humaine du Christ incarné. C'est elle qui fournit alors signification et justification, selon cette même foi dans le salut et selon cette grâce, aux icônes de très-sainte Mère de Dieu et des saints hommes de Dieu dans l'Eglise.
Terminons ici notre exposé en citant sans autre commentaire trois textes bien caractéristiques, à la fois bibliques et patristiques, qui nous permettrons de résumer assez clairement l'ensemble de notre thème.
Et tout d'abord ce texte de saint Théodore le Studite : «Que Dieu ait fait l'homme à son image et à sa ressemblance montre bien que le travail de l'iconographie (c'est-à-dire le travail de fabrication d'une image) est une oeuvre divinelxv.»
Notre deuxième citation sera tirée de saint Diadoque de Photicé. Pour expliquer ce que sont la beauté et la gloire de Dieu et pour commenter les paroles du Psaume 16, 15, où il est parlé de la vision de la gloire de Dieu, saint Diadoque répond que le «Prophète a dit cela, non point comme si la nature divine se trouvait dans un visage ou dans une figure, mais parce que le Père, qui n'a pas de forme, se montre à nous dans la forme et dans la gloire du Fils ; or c'est bien pour cette raison qu'il a plu à Dieu que son Verbe vînt par l'Incarnation dans la forme humaine tout en restant, bien sûr, dans la gloire de Sa toute-puissance, afin qu'en regardant l'épaisseur de la figure de cette chair glorieuse -car une forme peut voir une forme- l'homme pût, après avoir été purifié, voir la beauté de la résurrection comme sur Dieu Lui-même. C'est donc par une manifestation en mystère (kryphophaneî) que Dieu apparaît aux justes, comme il apparaît dès maintenant aux anges, tandis que le Fils, à cause de son corps, se révélera manifestement ; il convient vraiment en effet que ceux sur lesquels Dieu doit régner dans l'éternité comme roi puissant le considérent sciemment (gnostôs) comme leur souverain, ce qui n'eût pas été le cas si le Verbe de Dieu n'avait assumé une forme visible par son Incarnation et par son hominisationlxvi».
Et pour finir, reprenons les paroles de l'ancêtre Jacoblxvii, telles qu'elles ont été reprises par saint Jean Damascène -mais c'était alors après l'Incarnation du Christ- : J'ai vu le visage humain de Dieu, et mon âme a été sauvéelxviii.


CONSEQUENCES DES DECRETS
du VIIème Concile Oecuménique
sur les icônes dans la vie ecclésiale


On connaît bien cette vérité de l'histoire de l'Eglise Orthodoxe et catholique en Orient que la foi véritable et la pratique véritable de l'Eglise, c'est-à-dire la tradition vivante de l'Eglise, ne sont ni régies ni déterminées par les Conciles oecuméniques ou locaux. Ce sont au contraire la foi et la vie de l'Eglise qui ont été vécues et défendues dans les Conciles en tant que réalités préexistantes, comme connaissance bénie de soi-même et comme conscience bénie que l'Eglise a de soi-même en Christ, comme sa vie vivante, comme sa foi vivante et comme sa liturgie vivante.
Les saints conciles de l'Eglise, et en particulier les saints Conciles oecuméniques, qui étaient des événements spirituels, des pentecôtes sur la route historique de l'Eglise du Christ, ont été réunis pour porter des décrets essentiellement en fonction des nécessités du temps, c'est-à-dire le plus souvent lorsqu'un événement, un schisme, mettait en danger l'ordre ecclésiastique normal et son service salutaire, ce qui constitue la mission et la fonction de l'Eglise, altérant ainsi la foi véritable et déformant l'expérience sotériologique de l'Eglise. En d'autres termes, lorsque venait à se poser la question de «l'unité de la foi dans la communion de l'Esprit Saint», dont l'Eglise se soucie et pour laquelle elle prie dans tous les offices de sa divine Liturgie.
C'est ainsi que le saint VIIème Concile oecuménique fut convoqué et tenu parce que les hérétiques iconomaques tentaient de contester et d'anéantir la tradition vivante de l'Eglise conciliaire-catholique sur la nécessité liturgique d'une vénération d'honneur décernée aux saintes icônes. Ce Concile se tint à Nicée en 787, sous la présidence du saint patriarche Taraise de Constantinople, et nous connaissons bien ses décrets dogmatiques sur la vénération des saintes icônes.
A la base des décrets dogmatiques du VIIème Concile, et suivant l'enseignement de saint Jean Damascène, se trouve le dogme christologique de l'Incarnation de Dieu le Verbe, du Dieu-Homme, le Christ, et comme précédent pour la vénération des saintes icônes, c'est la vénération de la Croix -déjà établie sans conteste- qui fut mise en avant, cependant que la norme dogmatique proposée pour la vénération des icônes n'est pas l'adoration (latreia), qui n'appartient qu'à Dieu, mais la vénération d'honneur, la prosternation devant les icônes en signe d'honneur et d'amour. Nous n'entreprendrons pas ici d'analyser les décisions dogmatiques du VIIème Concile oecuménique de Nicée, en 787. Le lecteur pourra trouver ci-dessous en annexe la traduction du texte de ces décisions.
Nous voudrions simplement rappeler ici combien cette vénération des saintes icônes était devenue nécessaire et honorable dans l'Eglise, déjà bien avant le VIIème Concile oecuménique. De même il était devenu nécessaire d'établir une justification théologique de cette vénération des saintes icônes, qu'atteste clairement le canon 82 du Concile in Trullo («quinisexte») de 692. Car ce saint canon établit clairement un lien entre l'icône du Christ et la fabrication des icônes d'une part et d'autre part la vérité chrétienne bien établie de la divine Incarnation, c'est-à-dire avec la personne du Dieu-Homme, le Christ, incarné, et avec son économie du salut dans la chair. C'est ainsi que le VIIème Concile oecuménique put établir solidement la fabrication des icônes et leur vénération sur la base théologique de la christologie, et donc sur le fondement qu'offraient la foi chrétienne et la tradition vivante de l'Eglise sur le Dieu‑homme, le Christ.
Il est cependant très caractéristique que dans le décret lui-même, l'horos, du VIIème Concile oecuménique, il soit dit expressément de cette tradition ecclésiale qu'elle est l'oeuvre et le don «de l'Esprit Saint qui habite en elle (en l'Egliselxix)». A notre avis, le VIIème Concile oecuménique de Nicée de 787 fut lui-même aussi l'oeuvre et le don du Saint Esprit, avec ses décrets dogmatiques sur les saintes icônes. Mais avant de revenir sur ce point, regardons concrètement quelles devaient être les conséquences de ces décrets dogmatiques du VIIème Concile oecuménique sur les saintes icônes, c'est-à-dire quelle signification pratique ils devaient avoir pour la vie ecclésiale dans la suite immédiate de l'histoire de l'Eglise orthodoxe.
C'est un fait que les hérésies n'ont pas provoqué l'intrusion de dogmes nouveaux dans l'Eglise, et il ne fait guère de doute que la réaction de l'Eglise, en ses Conciles, à l'apparition et à l'intrusion de nouvelles hérésies, s'est le plus souvent contentée de renouveler l'expression théologique, pour formuler à nouveau la foi des Apôtres et la tradition vivante de l'Eglise. Après avoir affronté et surmonté une hérésie, le dogme mis en question, c'est-à-dire cette vérité de foi que les hérétiques avaient mise en danger et contestée, peut en général briller dans l'Eglise d'un nouvel éclat et d'une nouvelle gloire, à la suite d'une élaboration théologique et conciliaire et d'une nouvelle expression en une langue théologique convenable, c'est-à-dire qu'il peut alors avoir une influence immédiate et dynamique sur la vie de l'Eglise.
C'est ainsi, par exemple, qu'après la victoire sur l'hérésie arienne on proclama plus haut et qu'on put vivre dans tous les domaines de la vie ecclésiale la vérité de la divinité du Christ. Après la victoire sur les pneumatomaques, on insista toujours plus sur la personnalité et sur l'oeuvre du Saint Esprit dans l'Eglise. Après le nestorianisme on exalta encore plus qu'auparavant la Très-Sainte Mère de Dieu et la place qui lui revient, ainsi que la vénération qui lui est décernée dans l'Eglise. Et ainsi de suite, tout au long de la lutte contre les hérésies christologiques, on souligna de plus en plus la vérité du Christ vrai Dieu et vrai homme -l'unique Dieu-Homme,- en particulier avec le dogme du Concile de Chalcédoine et la christologie de saint Maxime le Confesseur.
Il devait encore en être ainsi de la vérité des saintes icônes dans l'Eglise. Après le triomphe conciliaire et ecclésial de l'orthodoxie sur l'hérésie des iconomaques, c'est-à-dire après les décrets dogmatiques du VIIème Concile oecuménique, la signification religieuse et théologique ainsi que cultuelle et culturelle des icônes du Christ, de la Mère de Dieu et des saints fut soulignée toujours davantage. C'est alors qu'on élabore théologiquement et qu'on développe le sens et la signification des saintes icônes pour la vie, le service divin et la connaissance de Dieu, parmi les fidèles et dans l'Eglise. C'est pourquoi nous avons alors une floraison rapide et diversifiée dans la vie ecclésiale, dans la théologie, dans la liturgie, dans la spiritualité et dans l'art de l'Eglise orthodoxe en Orient, à la suite du VIIème concile oecuménique.
La signification théologique, liturgique et spirituelle des saintes icônes au cours de l'époque qui suit le Concile iconodule de Nicée en 787, fut particulièrement soulignée et mise en relief par deux Pères de l'Eglise, le patriarche saint Nicéphore et saint Théodore le Studite. Mais comme on en arriva rapidement à un renouveau de l'hérésie iconomaque -et c'est la deuxième période bien connue de l'iconomachie qui dura de 813 à 843- les résultats positifs des décrets dogmatiques édictés sur les icônes par le VIIème Concile oecuménique ne purent rapidement se manifester en totalité. C'est seulement après le Triomphe définitif de l'orthodoxie sur l'iconomachie le 11 Mars 843, à l'époque du patriarche Méthode le Confesseur (843-847) et de la pieuse impératrice Théodora, que l'on put assister à la pleine manifestation de la signification théologique et ecclésiale et du sens dogmatique des décrets du VIIème Concile oecuménique de Nicée sur les saintes icônes.
Le Concile qui fut tenu en 843 (le Dimanche de l'Orthodoxie, le 11 Mars 843), dans la basilique de la Sainte Sagesse (Sainte Sophie) de Constantinople, confirma les décrets du VIIème Concile oecuménique de Nicée, en affirmant définitivement le caractère théologique et ecclésial de la peinture orthodoxe et de la vénération d'honneur des saintes icônes pratiquée dans l'Eglise.
Ce qu'a pu être la signification réelle de cette victoire finale de l'Eglise sur l'hérésie des iconomaques, ce qu'a pu être le fruit qui en a résulté, et quelles ont pu être les conséquences qui en ont découlé pour la vie de l'Eglise dans de nombreux domaines, nous pouvons l'inférer dans une certaine mesure du texte inspiré qui fut rédigé à ce concile de 843, connu sous le nom de Synodikon (= Acte du Concile) de l'orthodoxie. Afin de ne pas citer ici le texte du Synodikon dans son intégralitélxx, nous ne rappellerons que les moments importants qui s'y trouvent, où l'on pourra clairement constater la signification théologique et culturelle qu'eut la restauration de la vénération des saintes icônes pour la vie de l'Eglise.
Le Synodikon donne au triomphe de la peinture et de la vénération orthodoxes des icônes le nom significatif de «jour du renouveau» de l'Eglise -et il s'agit de la renaissance du corps de l'Eglise comme corps de tous les fidèles aussi bien que de la restauration des temples de l'Eglise, car d'un point de vue comme de l'autre, l'Eglise «recommence une nouvelle vie», une «nouvelle création en Christ». La défense des saintes icônes et de leur restauration dans l'Eglise représente, selon le Synodikon, un véritable «printemps» pour l'Eglise orthodoxe, c'est-à-dire une véritable éclosion des dons bénis du Saint Esprit dans le corps du Christ et la promesse d'une riche «moisson spirituelle».
Selon le Synodikon, le dogme de la vénération des icônes est maintenant vécu dans l'Eglise comme une confirmation et une réaffirmation de la foi chrétienne tout entière, et tout particulièrement de cette vérité fondamentale du christianisme, de l'Incarnation de Dieu et de la divinisation de l'homme. C'est pour cela que le Synodikon peut s'écrier :
«Comme les prophètes l'ont vu, comme les Apôtres l'ont proclamé, comme l'Eglise l'a reçu, comme les Docteurs l'ont enseigné, comme l'univers en a convenu, comme la grâce a resplendi, comme la Vérité s'est démontrée, comme le mensonge a été dénoncé, comme la Sagesse a daigné l'exposer, comme le Christ l'a confirmé en retour, tous nous pensons (= croyons) ainsi, tous nous parlons ainsi et tous nous confessons, vénérant le Christ notre vrai Dieu et ses Saints par nos paroles, par nos écrits, par nos pensées, par nos sacrifices, par nos temples, par nos icônes, vénérant Celui-là comme notre Dieu et Seigneur et nous prosternant devant Lui, et nous honorons ceux-ci à cause de notre commun Maître, dont ils sont les véritables serviteurs, en leur décernant la vénération qui leur convient (tèn kata schésin proskunesin). C'est là la foi des Apôtres, c'est là la foi des Pères, c'est là la foi des orthodoxes, c'est la foi qui affermit l'universlxxi !»
Dans ce texte même du Synodikon de l'orthodoxie, bien qu'il soit relativement court et de caractère avant tout doxologique, nous pouvons retrouver toute la richesse que les décrets dogmatiques du VIIème Concile oecuménique sur les saintes icônes ont apportée à la vie de l'Eglise dans de multiples domaines. Comme nous le disions, on peut y déceler, avant tout, que c'est un véritable printemps qui survient pour l'Eglise, c'est-à-dire qu'en tous les membres de l'Eglise du Christ, foi et vie purent se renouveler et refleurir, spirituellement régénérées par l'Esprit Saint, le Maître de l'Eglise. Puis c'est la restauration des églises de Dieu qui est soulignée, c'est-à-dire des temples eux-mêmes, dans lesquels on vient pour servir et glorifier Dieu dans la Sainte Trinité, avec une insistance particulière sur leur «brillante parure» (phaidrotetos) c'est-à-dire les icônes et les fresques qui se trouvent dans les églises et dans les monastères.
Il est intéressant de remarquer que le Synodikon de l'orthodoxie embrasse tout cela comme une réalité unique : l'Eglise comme icône fidèle et vivante de Dieu, et l'Eglise comme temple orné par les saintes icônes, par les effigies du Dieu incarné et des hommes sanctifiés qui Lui ont été agréables. C'est bien là l'authentique conception liturgique de l'Eglise, car elle est alors vécue d'une manière pleinement orthodoxe comme assemblée des fidèles, des enfants vivants de Dieu, du Christ, et des Personnes des Saints, ceux qui sont représentés sur les fresques et sur les saintes icônes, réunis par la sainte Liturgie, où l'on glorifie Dieu, par la foi et par la prière, par les paroles et par les doxologies, par les oeuvres et par les portraits, et en général par toutes les réalités liturgiques, par toute la vie et toute la pratique liturgiques de l'Eglise. Le lien indissociable entre les saintes icônes et le service divin est donc clairement affirmé, avec l'Eucharistie de l'Eglise, célébrée par «la plénitude des fidèles» (to pléroma tôn eusebounton), selon les mots du Synodikon, c'est-à-dire par tout le clergé et tout le peuple de l'Eglise, ayant à sa tête l'Evêque et le presbyterium. Soulignons que le mot «Liturgie» signifie au sens premier «fonction publique du peuple».
Par la suite, le Synodikon évoque le renouvellement non seulement de la vie des fidèles, mais aussi de tout l'être de l'Eglise, de l'hypostase tout entière de l'Eglise comme «nouvelle création en Christ». Cela vient de la grâce toujours nouvelle et toujours renouvelée de l'Esprit consolateur, selon la conception, bien connue depuis le temps des Apôtres et des saints Pères, d'une présence et d'une activité constantes de la Pentecôte dans l'être et dans la vie de l'Eglise orthodoxe.
C'est ainsi que le texte même du Synodikon de l'orthodoxie, qui confirme et qui réaffirme les décrets dogmatiques du VIIème Concile oecuménique de Nicée sur les saintes icônes, permet d'éclairer les conséquences bénies qu'eurent ces décrets pour la vie de l'Eglise du Christ. Les grâces qui découlent de cette proclamation orthodoxe de la vénération d'honneur -c'est-à-dire par amour- des saintes icônes purent apparaître dans la vie ecclésiale de l'Orient orthodoxe aussitôt après l'arrêt donné à l'iconomachie. Elles se manifestèrent dans le développement de la théologie, de la liturgie, de la vie spirituelle comme de la mission tant intérieure qu'extérieure de l'Eglise, ainsi naturellement que dans son art. Dans le cadre de ce court exposé, bornons-nous à évoquer brièvement chacun de ces domaines de la vie ecclésiale.
Il faut avant tout remarquer ce fait que dès la victoire de l'orthodoxie sur l'iconomachie, victoire à laquelle le VIIème Concile oecuménique avait apporté une contribution décisive, tous les trésors de la théologie des icônes se sont déployés. Certes saint Jean Damascène avait commencé à la développer, mais d'illustres théologiens de l'Eglise orthodoxe vinrent poursuivre son oeuvre et la porter à son point de perfection : saint Nicéphore de Constantinople et saint Théodore Studite, puis, et ce ne fut pas le moindre, saint Photios le Grand, Patriarche de Constantinople. Nous devons encore porter au compte de Photios que lors des conciles de 861 et de 867, ainsi qu'à celui de 880, il lui revint de confirmer encore une fois les décrets du VIIème Concile oecuménique de Nicée, et en particulier ses décrets dogmatiques sur la vénération des icônes. Ce même grand patriarche devait en outre développer une riche théologie des saintes icônes, avec un contenu christologique, pneumatologique et aussi anthropologique très marqué sur lequel nous allons revenir.
Saint Photios a particulièrement contribué au développement de l'iconographie orthodoxe et d'une manière générale de l'art ecclésial (cela ressort à l'évidence de ses Homélies sur les Ecritures). Mais il ne s'agit pas seulement du patriarche Photios : c'est une évidence généralement reconnue qu'après l'iconomachie et à la suite du triomphe de l'orthodoxie, on a pu assister à un impétueux développement de l'iconographie orthodoxe partout à Byzance et au-delà, dans tout l'espace de l'Orient orthodoxe, dans les Balkans, au Sinaï, à Chypre, en Géorgie et en Russie. On a suffisamment parlé et écrit au sujet du développement de l'iconographie orthodoxe, et nous ne nous y arrêterons pas ; c'est un fait généralement reconnu. La seule bibliographie de cette question demanderait plusieurs volumes.
Il est indubitable qu'après le VIIème Concile oecuménique s'est aussi manifesté un développement du culte, des offices divins, et en particulier de l'hymnographie liturgique. On sait que ce furent justement les nombreux moines qui avaient été les confesseurs pour les saintes icônes, qui se sont manifestés à cette époque comme hymnographes inspirés, comme «créateurs du canon» et d'autres hymnes liturgiques. C'est ce que furent les frères Théodore et Théophane «les marqués», puis les moines du Stoudion, Joseph l'Hymnographe et Théodore le Studite, et d'autres. Peu auparavant vivait l'hymnographe inspiré Jean Damascène, connu pour son combat pour la défense de la vénération des saintes icônes ; dans cette même école de Palestine apparurent aussi quelques autres hymnographes de l'Eglise. C'est justement à l'époque qui suivit la lutte contre les iconomaques, que l'Octoèque parvint à sa forme définitive et que furent complétés les offices des fêtes, grandes et petites, dans les Ménées et dans le cycle pascal des offices de l'Eglise.
Comme exemple de l'hymnographie ecclésiale de cette époque, citons ce Kondak chanté pour le dimanche de l'orthodoxie, qui fournit un exemple à la fois théologique et hymnographique de la floraison liturgique qui suivit le Triomphe de l'orthodoxie sur l'iconomachie :
L'incirconscriptible Verbe du Père,
s'est laissé circonscrire en s'incarnant
de toi, ô Mère de Dieu.
A partir d'une effigie souillée,
il a reformé l'image antique,
en la mêlant à sa beauté divine.
Pour confesser notre salut
reformons-la par la parole et par les oeuvreslxxii.

Contentons-nous de souligner toute la richesse du contenu théologique, anthropologique et sotériologique de cet hymne ecclésial inspiré -et il ne manque pas de tels hymnes dans l'office du Triomphe de l'orthodoxie (1er dimanche du Grand Carême) comme en d'autres compositions poétiques de cette époque.
C'est dans le patriarcat de Jérusalem, et en particulier au monastère de saint Sava le Sanctifié, ainsi que dans le patriarcat de Constantinople, et en particulier au monastère du Stoudion à Constantinople, que s'est formé et développé le grand Typikon des offices de l'Eglise, avec toute la splendeur byzantine qu'on lui connaît, centrée sur le mystère théologique du Christ, le Dieu-Homme : la divine Eucharistie. C'est à cette époque aussi qu'on été établis les nombreux typika des monastères, tels ceux de la Sainte Montagne, de Patmos, et même de Constantinople, puis jusqu'en Serbie. Ces typika embrassent toute la vie et l'organisation interne des monastères, en commençant toujours par les offices divins, pour continuer par tout le reste de la vie des monastères et le service monastique au prochain, au peuple, à la patrie (écriture et copie des livres, éducation, diverses oeuvres charitables et humanitaires et enfin les missions). Soulignons, si besoin était, qu'il existe un lien étroit entre la peinture et la vénération orthodoxes des icônes et le monachisme et les monastères orthodoxes.
C'est à la suite du VIIème Concile oecuménique et, en particulier, après le triomphe définitif de l'orthodoxie sur l'iconomachie, sous le grand patriarche Photios, qu'une grande activité missionnaire de l'Eglise s'est développée depuis la Byzance orthodoxe. Sous le patriarche Photios, ce sont justement ses disciples, les saints frères Cyrille et Méthode, avec leurs disciples slaves, qui accomplissent la plus grande part de l'extension de l'Evangile et de l'orthodoxie, tant parmi les Khazars et les Scythes en Orient que parmi les Slaves des Balkans et vers l'Occident. En vérité, les Eglises slaves doivent beaucoup au saint patriarche Photios et à ses disciples, car c'est par eux que les Slaves ont reçu le Baptême, le christianisme, leurs églises, et qu'ils ont pu s'enrichir de tout le trésor de la pensée orthodoxe en recevant la liturgie et les lettres dans leur propre langue, devenant ainsi capables d'atteindre leur autocéphalie ecclésiale et étatique et d'accéder à la culture chrétienne.
Ce n'est donc pas sans motif qu'on insiste à notre époque sur toute cette richesse qui est née du développement et de la floraison du «premier humanisme» dans la Byzance orthodoxe à l'époque de saint Photios le Grandlxxiii. Cette époque fut bien celle d'une véritable renaissance de toute la vie ecclésiale, spirituelle et culturelle dans tous les domaines et dans toutes ses dimensions, et cela non seulement dans l'empire byzantin, mais aussi chez tous les peuples voisins sur lesquels la Byzance orthodoxe rayonnait et fournissait un exemple et une influence.
En plus de tous ces développements que nous venons de citer, il faut faire une place particulière à ce que nous pourrions appeler une renaissance de la vie spirituelle dans l'Eglise en Orient, renaissance que l'on peut déceler dès la victoire de l'orthodoxie sur l'iconomachie. Cela vaut tout particulièrement pour les monastères de Byzance, mais aussi pour tous ces territoires qui alors ne lui appartenaient plus, tout en restant sous son influence, ou bien qui étaient devenus orthodoxes sous son influence, comme c'était le cas de la Palestine, de l'Italie du sud ou encore parmi les Slaves.
Cette école d'une vie supérieure spirituelle et culturelle était celle de Photios. C'est d'elle que proviennent le plus grand nombre de disciples connus, tels saint Cyrille le Slave, le patriarche Nicolas le Mystique, Arétas de Césarée, l'empereur Léon le Sage, Syméon Métaphraste, etc. Au monastère du Stoudion de Constantinople resplendit alors une authentique vie spirituelle, et c'est dans ce milieu qu'un siècle à peu près plus tard devait apparaître ce grand maître de la vie spirituelle de l'orthodoxie tout entière que fut saint Syméon le Nouveau Théologien. Son époque, qui devait être prolongée par son disciple Nicéthas et d'autres précurseurs de l'hésychasme, marqua le début d'une renaissance spirituelle et culturelle qui devait s'étendre, à l'époque des Comnènes et des Paléologues, à l'empire byzantin tout entier et à tous les Balkans. Ce sera aussi l'époque de l'éclosion de la cité monastique de la Sainte Montagne de l'Athos, dont l'influence spirituelle s'étendra sur les jeunes nations slaves orthodoxes, la Bulgarie, la Serbie et la Russie. Ce sera aussi l'époque où apparaîtront les premiers saints et les premiers ascètes parmi les Slaves du sud et en Russie, l'époque de la fondation et du développement des monastères de Rila, de Studenitsa, de Chilandar et de la Laure des Grottes de Kiev, comme d'autres centres parmi les Slaves orthodoxes.
Mais revenons à notre question initiale, qui n'a naturellement pas du tout été épuisée par tout ce que nous avons pu dire et citer jusqu'ici. Il est nécessaire de souligner aussi une autre contribution du saint VIIème Concile oecuménique et de ses actes théologiques et ecclésiaux pour lutter contre l'hérésie des iconomaques et pour affermir l'Eglise du Christ dans la peinture et dans la vénération des icônes.
Par la victoire finale que l'Eglise remporta sur cette hérésie, tant à l'époque du patriarche saint Taraise que plus tard à celle des patriarches saint Méthode et saint Photios, c'est la paix et l'unité qui purent être restaurées dans l'Eglise conciliaire-catholique du Christ, cette paix dans la foi et dans l'amour qu'avait si ardemment désirée celui qui présidait le VIIème Concile oecuménique, le patriarche Taraiselxxiv. L'Eglise fut réconciliée à l'intérieur de ses éparchies, l'Orient et l'Occident se réconcilièrent, tous les patriarcats et tous les diocèses orthodoxes tombèrent d'accord ou renouvelèrent leur accord dans la foi, dans la tradition des saints Apôtres et des Pères de l'Eglise.
Dans les textes de cette époque, comme dans ceux mêmes du VIIème Concile, telle par exemple cette brillante parole de louange adressée au VIIème Concile oecuménique de Nicée par le diacre Epiphane de Catane en Sicile, on ressent cette joie et cette gratitude qu'il adresse à Dieu pour le renouvellement de l'action du Saint Esprit dans l'Eglise qui a permis que l'Evangile agît de nouveau pour le salut de tous. Toujours à nouveau se réalise ainsi l'économie divino-humaine du salut du genre humain, visiblement représentée et dépeinte sur les saintes icônes, et c'est ainsi que le grand mystère de l'Emmanuel, du Dieu qui est devenu homme et qui demeure à jamais parmi nous par l'Eglise, peut être représenté salutairement par la matière.
C'est cette doxologie qu'exprimait déjà le décret dogmatique lui-même du VIIème Concile oecuménique de Nicée, et nous avons cité aussi le Kondak du dimanche de l'orthodoxie, de même que nous avons rappelé le Synodikon de l'orthodoxie. C'est en vérité un seul et même caractère doxologique de la foi, de la théologie, de la vie spirituelle et de l'art orthodoxes qu'attestent d'une façon si convaincante et si lumineuse les icônes et les fresques orthodoxes. Cette doxologie, ces paroles et ces chants de louange, ne s'adressent cependant pas à Dieu seulement, ils s'adressent au Dieu-Homme, le Christ -au Dieu qui est devenu homme, et donc par le fait même à l'homme en tant qu'être créé à l'image de Dieu. Il s'agit donc bien d'une doxologie chrétienne, d'un discours à la louange de l'homme et du visage humain en Christ.
On comprend donc qu'en vertu des décrets dogmatiques du VIIème Concile oecuménique, l'honneur et la vénération ainsi que cette prosternation d'amour que l'on décerne aux saintes icônes, ne concernent pas seulement l'icône du Christ, mais qu'ils concernent aussi les icônes de la Très Sainte Mère de Dieu et de tous les saints dans l'Eglise de Dieu.
Tous ceux qui connaissent les textes des décrets et des actes du VIIème Concile oecuménique de Nicée savent bien qu'il existe un lien organique entre la vénération des saintes icônes et la vénération qui doit être décernée aux saints dans la sainte Eglise du Dieu-Homme, le Christ. Ce n'est pas par hasard que les iconomaques, qui rejetaient la vénération des saintes icônes, ont bien souvent entrepris de rejeter aussi la vénération des saints dans l'Eglise. A quoi les saints Pères du VIIème Concile oecuménique ont su répondre de manière très directe et indiscutable que celui qui ne vénère pas les icônes ne vénère pas non plus les saints de Dieu eux-mêmes, et par là c'est le Christ Lui-même qu'il ne vénère pas non plus, car ce qu'il ne vénère pas mais rejette, c'est le mystère et la réalité de Son Incarnation et de Son hominisation.
Il est donc bien évident que les saints Pères de Nicée ont fondé la vénération des saintes icônes sur le dogme christologique, et que c'est justement pour cette raison que la vénération des saintes icônes a des conséquences anthropologiques et ecclésiologiques. En dernière analyse en effet, le rejet des saintes icônes et de leur vénération conduit au rejet du mystère de l'Incarnation et du mystère de l'Eglise en tant que corps du Christ. Quiconque rejette l'icône du Christ rejette le mystère de l'Incarnation et le mystère de notre création à l'image de Dieu et à l'image du Christ ; il rejette aussi les saints qui sont à l'image du Christ, comme il rejette la vénération de leurs saintes figures en tant que saintes icônes vivantes et véritables à l'image de Dieu, en tant que figures vivantes de leur Prototype, le Christ et membres du Corps du Christ. Il s'agit bien là d'un véritable rejet de l'Eglise comme communion des saints dans l'Esprit Saint, et d'un rejet de l'Economie tout entière de la sainte et vivifiante Trinité en faveur du genre humain et de toute la création, dont l'homme récapitulé dans le Dieu-Homme, le Christ, est la tête et le couronnement.
Finalement, ces saintes icônes dont le VIIème Concile oecuménique a chanté la louange, nous révèlent la pneumatologie orthodoxe ainsi que la véritable anthropologie chrétienne ; elles viennent s'inscrire en leur faveur, en même temps qu'elles nous montrent et nous révèlent l'eschatologie biblique et patristique. Ce qui est ici en cause, c'est la signification et le contenu du concept même, ou plus exactement de la réalité des icônes dans l'authenticité de la Bible et de la Révélation, et non plus au sens de l'antiquité grecque classique. C'est bien ce dont parlent non seulement les premiers chapitres de la Sainte Ecriture, mais aussi tant de textes du Nouveau Testament, ceux en particulier des apôtres Paul et Jean.
Résumons donc cet enseignement de la Bible et de la Révélation sur l'image : ce que la sainte icône orthodoxe porte sur soi-même, ce qu'elle nous exprime artistiquement, c'est son caractère liturgique, sa «deuxième réalité», eschatologique, sa présence céleste et éternelle par laquelle et sur laquelle viendra la grâce lumineuse de l'Esprit Saint, pour la sanctifier, l'illuminer et la diviniser. C'est ce que vient attester, entre autres, d'une manière si caractéristique, le saint patriarche Photios, dans sa Lettre 76 : «Les saintes icônes ne sont plus de simples planches de bois... ni seulement des couleurs, sans les forces et la grâce (du Saint Esprit) qui y sont présentes et qui leur donnent leur forme, mais elles sont (par le fait de cette présence) saintes et honorables, et dignes de vénération et de glorification». Et le saint patriarche d'ajouter : «Nous sommes en effet élevés par elles en une seule et même réalité, en communiant et en nous réfléchissant mutuellement et conciliairement pour nous rendre ainsi dignes d'une communion divine et au-dessus de la nature avec Celui qui surpasse tous nos désirslxxv».
Cette grâce divine et divinisante de l'Esprit Saint sur les saintes icônes, est visiblement suggérée par l'art sous la forme d'une lumière dans les saints, et c'est bien cette lumière qui structure toute la peinture d'icônes orthodoxe. Il ne s'agit pas seulement du nimbe qui figure sur les icônes, il s'agit aussi de la lumière qui brille sur les visages, sur les vêtements, sur la nature et sur le fond de l'icône. C'est à bon droit que de nos jours ceux qui peignent les icônes et ceux qui les étudient peuvent parler d'une photostructure de l'icône orthodoxe, qui constitue sa différence distinctive, spécifique, par rapport à toute autre sorte de peinture ou de représentation artistiquelxxvi.
Sur l'icône orthodoxe, on peut trouver le témoignage et l'expression visibles de l'événement eschatologique de la communion des Saints, dans la Lumière et dans la Grâce divines et incréées, dans la Vie et dans l'Amour divins, dans le Royaume eschatologique de Dieu, le Royaume eschatologique de la Sainte Trinité, c'est-à-dire dans cette Gloire eschatologique du Christ comme Fils de Dieu devenu fils de l'homme par son Incarnation, Lui qui, bien qu'image du Dieu invisible, est devenu homme en assumant la forme d'esclave afin que les fils des hommes devinssent fils de Dieu, semblables à Lui, c'est-à-dire ses frères à son image selon la grâce d'une adoption éternelle par Dieu, car l'homme et le genre humain ont été créés à l'image de Dieu, qui est le Christlxxvii.
Voilà pourquoi l'iconographie et l'iconologie orthodoxes peuvent être l'expression véritable et la confirmation de l'anthropologie chrétienne orthodoxe, qui est le véritable humanisme, car c'est le divino-humanisme.



ANNEXE



Horos de la foi
du VIIème Concile oecuménique de Nicée (787)


Le saint et grand Concile oecuménique, par la grâce de Dieu et sur la décision de nos pieux empereurs amis du Christ Constantin et Irène sa mère, s'est réuni pour la seconde fois à Nicée dans la province de Bithynie, dans la sainte église de Dieu portant le nom de la Sainte Sagesse (Sainte Sophie), suivant la tradition de l'Eglise catholique (conciliaire), et il a décidé ceci :
Le Christ notre Dieu, qui nous a donné la lumière de sa connaissance, et qui nous a délivré des ténèbres de la folie idolâtrique, a épousé sa sainte Eglise catholique qui n'a ni tache ni ridelxxviii lui promettant de la conserver, ce qu'il a confirmé à ses saints disciples par ces paroles : «Voici, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du sièclelxxix». Ce n'est pas seulement à eux qu'il a donné cette promesse, c'est aussi à nous qui avons cru par eux en Son Nom.
Par hostilité à la tradition de l'Eglise catholique (conciliaire), et animés par d'orgueilleuses pensées, certains cependant ont rejeté ce don, perdant le sens de la vérité ; comme le dit le proverbe : il a dévié les sillons de son champ, mais il a ramassé la stérilité ; ils ont osé profaner la divine beauté des parures consacrées (anathematon : les offrandes et les parures des églises) ; ils se proclamaient prêtres mais ils ne l'étaient pas. C'est d'eux que Dieu parle par son prophète : «De nombreux pasteurs ravagent ma vigne, ils piétinent mon champlxxx», car en suivant des hommes impies qui ne connaissaient que leur propre intelligence, ils ont calomnié la Sainte Eglise fiancée au Christ notre Dieu, sans plus faire de différence entre le pur et le souillélxxxi et en qualifiant l'icône du Seigneur et de ses saints de statues d'idoles sataniques.
C'est pourquoi, ne supportant plus de voir ses serviteurs corrompus par une telle infection, le Seigneur Dieu, par sa volonté divine et avec l'accord de nos empereurs très fidèles Constantin et Irène, a daigné nous convoquer de toute part, nous les grands prêtres, afin que la tradition divine de l'Eglise conciliaire en reçût un nouvel affermissement par une décision commune. Recherchant donc, examinant et poursuivant en toute exactitude le but de la Vérité, sans rien en retrancher ni rien y ajouter, nous gardons sans diminution tout ce qui appartient à l'Eglise catholique (conciliaire).
Suivant les six saints Conciles oecuméniques... (suit leur énumération et le texte intégral du Symbole de la foi).
Et pour parler bref, nous gardons immuablement toutes les traditions de l'Eglise, écrites ou non écrites, dont l'une est la représentation du prototype par l'icône, car elle concorde avec le récit de la prédication de l'Evangile pour confirmer que l'hominisation de Dieu le Verbe est réelle et non apparente, et elle contribue à notre profit, car toutes deux révèlent mutuellement sans doute possible leurs significations réciproques.
Puisqu'il en est ainsi, nous cheminons par la voie royale en suivant l'enseignement inspiré de nos saints Pères et la tradition de l'Eglise conciliaire, car nous savons que l'Esprit Saint demeure en elle, et nous décidons en toute exactitude et diligence :
que les vénérables et saintes icônes soient placées au même rang que le signe de la Croix vénérable et vivifiante, qu'elles soient faites de couleurs, de mosaïques ou de toute autre matière, dans les saintes églises de Dieu, sur les vases et les vêtements sacrés, sur les murs ou sur des planches, sur les maisons ou dans les rues, tant l'icône de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, que celle de Notre Dame la pure et sainte Mère de Dieu, des vénérables anges et de tous les Saints et des hommes bienheureux. Aussi longtemps qu'ils peuvent être vus représentés sur les icônes, ceux qui les regardent sont conduits à commémorer et à désirer les prototypes ;
et qu'on doit leur décerner un baiser et une prosternation d'honneur (aspasmon kai timetikèn proskunesin) -non point l'adoration (latreian), qui d'après notre foi (chrétienne) ne convient qu'à la nature divine, mais selon la manière qui convient à la Croix vénérable et vivifiante et aux saints évangiles, ainsi qu'aux autres objets consacrés (anathémasi), en présentant en leur honneur l'encensoir et les lumières, selon la pieuse coutume des anciens. L'honneur qui est rendu à l'icône passe en effet au prototype, et celui qui vénère l'icône vénère aussi l'hypostase de celui qui est inscrit en elle.
C'est ainsi en effet qu'est affermi l'enseignement de nos saints Pères, c'est-à-dire la tradition de l'Eglise conciliaire, qui a reçu l'Evangile d'un bout de la terre à l'autre. C'est ainsi que nous suivons Paul qui parlait en Christ, et tout le divin collège des Apôtres et la sainteté des Pères, en gardant les traditions que nous avions reçues. C'est ainsi que nous reprenons les hymnes prophétiques pour la victoire de l'Eglise : «Pousse des cris de triomphe, fille de Sion ! Proclame, fille de Jérusalem ! Danse et réjouis-toi, et exulte de tout ton coeur ! Le Seigneur a écarté de toi les calomnies de tes adversaires, tu es libérée de la main de tes ennemis ; le Seigneur règne au milieu de toi ! Tu ne verras plus le mal, la paix sera sur toi dans les siècleslxxxii».
Ceux donc qui osent penser ou enseigner autrement, ou qui tentent de violer les traditions ecclésiastiques selon les hérétiques maudits, d'imaginer une innovation, ou de rejeter ce qui est consacré par l'Eglise : l'Evangile, ou le signe de la Croix, ou la représentation par l'icône, ou une relique de martyr, ou bien d'apporter, de manière tortueuse et scélérate, une modification dans les traditions établies de l'Eglise conciliaire (catholique) ou encore d'utiliser pour un usage commun les vases sacrés ou les pieux monastères, s'ils sont clercs ou évêques, nous ordonnons qu'ils soient déposés, s'ils sont moines ou laïques, qu'ils soient excommuniés.
[...] Alors tous s'écrièrent : C'est ainsi que nous croyons, c'est ainsi que nous pensons, c'est ce que nous avons signé d'un commun accord ! C'est la foi des Apôtres, c'est la foi des Pères, c'est la foi des orthodoxes, c'est la foi qui affermit l'universlxxxiii !



Ce texte, traduit du serbe par Jean-Louis Palierne, se compose de trois conférences de Monseigneur Athanase Jevtitch, évêque d'Herzégovine. Il fera partie d'un ouvrage qui paraîtra prochainement aux éditions l'Age d'Homme, dans la collection La Lumière du Thabor. Paraîtra aussi, dans le prochain numéro de la Lumière du Thabor, le témoignage de Monseigneur Athanase sur la situation des Serbes en Herzégovine. Nous ne reproduisons pas ici le second appendice de l'article du Père Athanase, qui est un extrait du Synodicon ; mais le lecteur trouvera dans le numéro 38 de La Lumière du Thabor cette partie du Synodicon des images.



NOTES

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