mardi 1 février 2011

La Lumière du Thabor n°35. Chronique. Persécution des Moines.

CHRONIQUE



LA PERSECUTION DES MOINES
de la skite du Prophète Elie


Comme nous l'avons indiqué dans le numéro 34 de La Lumière du Thabor, la persécution des moines russes de la skite du Prophète Elie suscite des réactions. Le Patriarcat de Constantinople a, en effet, scandalisé beaucoup de chrétiens orthodoxes de Grèce, en envoyant un évêque entouré de policiers pour expulser par la force les moines de la skite qui ne purent même pas rassembler leurs affaires.
En Russie, un certain nombre de fidèles sont allés manifester devant l'ambassade de Grèce.
En Grèce, différents journaux ont publié le récit des faits, et pris la défense des moines. Ainsi le Phare de l'Orthodoxie ou Pharos, journal officiel des vrais chrétiens orthodoxes de Grèce, qui sont sous l'omophore de Mgr Auxence, a publié dans son numéro 76 (août 1992) la protestation du Père Séraphim, que nous avons donnée dans La Lumière du Thabor n34 (p.59-60) et une lettre du Mont Athos adressée à Sa Béatitude l'Archevêque Auxence, laquelle proteste en ces termes contre l'apostasie du Patriarcat de Constantinople et des néo-athonites : «Béatitude, les paroles de saint Jean Baptiste : Déjà la cognée est mise à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu (Matt. 3, 10-11) s'appliquent tout-à-fait aux jours de trahison de la foi orthodoxe que nous vivons actuellement... Le désir qu'a Satan d'être adoré par les hommes, trouve sa réalisation par le glaive et par les parfums. Les parfums sont les jouissances des divers plaisirs et le glaive, la persécution des enfants de Dieu. Les moines, par leur vie ascétique et avec l'aide du Verbe Tout-Puissant du Dieu vivant, Jésus Christ, dépassent les plaisirs et les parfums de la vie présente avec fermeté, pour jouir de la vie éternelle dans les cieux ; ils considèrent la menace du glaive et toute persécution comme une voie rapide vers le Royaume céleste... Ils sont dignes du plus grand châtiment, les moines de l'Athos qui persécutent les moines zélotes et acceptent le pape hérétique de Rome comme leur frère et comme le chef de l'Eglise du Christ. Ces moines zélotes ont vu un signe extraordinaire dans la découverte et le transfert des saintes reliques du hiéromoine Cosmas de l'Athos, pendu par les latinisants vers la fin du XIIIème siècle parce qu'il refusait de céder à leur pression et d'accepter la fausse union avec le pape hérétique de Rome1... Avec le saint martyr Cosmas, les moines hagiorites zélotes ne reconnaissent pas le pape hérétique de Rome comme chef de l'Eglise du Christ... L'effort pour faire reconnaître par les moines hagiorites le patriarche Bartholomée de Constantinople, qui prie avec le pape de Rome et qui le considère comme son frère, est une tentative pour faire adorer Satan au sein même du Mont Athos. Nous, moines zélotes de la Sainte Montagne, nous n'adorons que Notre Seigneur Jésus Christ et à Lui seul nous rendons un culte... Nous savons tous que la Vierge du Monastère des Ibères a dit à saint Gabriel le Sanctifié : "Dis à tes frères qu'ils ne me dérangent plus car je ne désire pas être gardée par vous ; mais c'est moi qui vous garde, non seulement dans la vie présente mais aussi dans la future ; et qu'ils espèrent en la miséricorde de mon Fils et Seigneur, tous les moines qui vivent sur cette Montagne dans la vertu, la piété et la crainte de Dieu, car ce don, c'est moi qui l'ai demandé et reçu de Lui. Et voici que je vous donne un signe : tant que vous verrez mon icône dans ce monastère, la grâce et la miséricorde de mon Fils ne vous abandonneront pas" (La Mère de Dieu plus vaste que les cieux, p.137). Nous croyons aux promesses de la Toute-Sainte et nous sommes disposés même à mourir pour ne pas faire la commémoration du pape de Rome à travers celle du Patriarche néo-calendariste Bartholomée de Constantinople. Et si l'on nous chasse de la Sainte Montagne par les armes, nous aurons pour guide la Mère de Dieu du Portail (Portaïtissa), dont l'icône quittera alors la Sainte Montagne. Il est lamentable que des patriarches néo et ancien-calendaristes se soient réunis à Constantinople, et qu'une fois mélangés entre eux et avec des représentants du pape de Rome qui se trouvaient là, ils aient déclaré : "Malheureusement cette unité est souvent menacée par des groupes de schismatiques, qui existent parallèlement à la structure canonique de l'Eglise orthodoxe. Ayant examiné cette question, nous avons reconnu la nécessité que toutes les Sacrées Eglises locales, pleinement solidaires les unes des autres, condamnent tous les groupes en question et s'abstiennent de toute communion avec eux, en quelque lieu qu'ils se trouvent, 'jusqu'à ce qu'ils se convertissent', afin que le Corps de l'Eglise orthodoxe ne paraisse pas divisé à cet égard. En effet, 'le sang même du martyre n'efface pas le péché de schisme' et 'il n'est pas moins grave de se couper de l'Eglise par un schisme que de tomber dans l'hérésie'(saint Jean Chrysostome)" (Ecclesiastikè Alétheia du 16 mars 1992)... Le nouveau calendrier a créé un schisme entre les chrétiens et c'est le patriarche néo-calendariste Bartholomée qu'atteignent ces paroles de saint Jean Chrysostome». Cette lettre est signée des moines Joachim et Simon, de la Kellia de Saint Sabbas.
Agathangelos, la revue du monastère zélote d'Esphigménou, donne, dans son dernier numéro, les informations sur le déroulement légal de l'affaire de l'expulsion.
En Grèce, beaucoup s'attendent à ce que les mêmes moyens soient employés contre le monastère d'Esphigménou -mais l'higoumène et les moines ont déjà averti le patriarcat qu'ils ne quitteront pas, même par la force, le lieu de leur pénitence, et qu'il faudrait les tuer pour les chasser : «Nous, les Pères d'Esphigménou, écrit l'higoumène du monastère, l'archimandrite Euthyme, nous déclarons que nous n'admettrons aucune violence, d'où qu'elle vienne, et que nous ne quitterons pas notre monastère, comme le firent les Bienheureux Martyrs de l'époque de Beccos, car nous préférons mourir plutôt que de trahir, fût-ce d'un cheveu, notre Foi orthodoxe» (Lettre à S.E. le Premier Ministre de Grèce, Constantin Mitsotakis et à tous les partis politiques de Grèce, au Clergé et au peuple orthodoxes).
Réfugié dans un monastère vieux-calendariste près d'Athènes, le Père Séraphim, higoumène de la skite, a écrit plusieurs lettres de protestation. Dans la dernière, il déclare notamment : «Pères et Frères, ce n'est pas la première fois que l'on a vu, sur l'Athos, fouler aux pieds la foi orthodoxe et les droits de l'homme. Diverses hordes barbares et des raids de pirates ont laissé leur marque sur le monachisme et l'histoire athonites. Une fois même, un patriarche apostat de Constantinople, l'uniate Jean Beccos (1275-82) déclencha une persécution sauvage et sanguinaire des moines qui refusaient de le commémorer, ornant ainsi l'Eglise orthodoxe d'une multitude de saints martyrs. Notre cas ne représente pas non plus le seul exemple de persécution religieuse survenu de nos jours, tant s'en faut : les Hindous, Bouddhistes, Musulmans, Juifs et Uniates ont tous fait la une des journaux dans les années récentes pour avoir perpétré des atrocités similaires. Il est tragique pour l'orthodoxie et pour la nation grecque que le patriarcat oecuménique et le gouvernement de la Grèce se soient dégradés eux-mêmes au point d'en venir à imiter cette barbarie. Nous en appelons au peuple grec tout entier et à tous les chrétiens pieux et orthodoxes de par le monde, ainsi qu'à tout être humain qui se respecte et qui chérit la liberté et la dignité de l'homme. De vous tous, nous demandons soutien dans notre lutte, face à l'injuste persécution dirigée contre nous. En particulier, nous en appelons à vous, bien aimés Pères et Frères en Christ, et nous sollicitons votre aide. Priez pour nous, comme nous supplions Notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ, Notre Souveraine la Mère de Dieu, la Protectrice de la Sainte Montagne, avec tous les saints, en particuliers les Saints Pères de l'Athos et le saint Prophète Elie le Thesbite, à qui la skite est dédiée et dont nous célébrons la mémoire en ce jour sacré, pour que notre juste et légitime lutte connaisse une issue favorable. Enfin, malgré notre désir de communiquer avec vous personnellement, les circonstances nous obligent malheureusement de nous adresser à vous par cette lettre ouverte, que nous vous envoyons tout en vous remerciant de l'aide et de l'intérêt que vous voudrez bien manifester à cette occasion. Dans l'amour du Christ. Archimandrite Séraphim et la fraternité en Christ».
Selon les dernières nouvelles de la Sainte Montagne, le saint monastère d'Esphigménou s'est, fin octobre, totalement barricadé, parce que les journaux ont annoncé, pour le mois de novembre, la venue au Mont Athos du Patriarche Bartholomée qui a l'intention, semble-t-il, de s'emparer par la force, avec l'aide de la police, du monastère zélote, qui a hissé le drapeau noir du deuil sur lequel est inscrit «L'orthodoxie ou la mort».
Pour bien montrer le vrai visage de l'oecuménisme, qui emploie la force lorsqu'il ne convainc pas, la Fraternité Orthodoxe Saint-Grégoire-Palamas a publié un livre rédigé par le Père Patric et qu'il est possible de commander à notre revue.

LETTRE OUVERTE DES MOINES PERSECUTES
de la skite du Prophète-Elie
à tous les pères et frères du Mont Athos


Habitants de la terre, apprenez la justice. Isaïe 26,9.

Chers Pères et Frères,
Avec l'aide de la Mère de Dieu Bénie par-dessus tout, Notre Mère et Notre Consolation commune, nous adressons à vos Saintetés cette modeste lettre pleine d'amour et de peine.

1. Notre persécution

Les événements de notre persécution sont connus de tous et il n'est pas nécessaire de les reprendre et décrire plus en détail.
Nous rappelons simplement, le plus brièvement possible, que le 7/20 mai de la présente année 1992, le Mercredi de la Mi-Pentecôte, certaines personnes, des prêtres, des moines et des laïcs, accompagnés de policiers, sont arrivés par surprise dans la sainte skite du Prophète-Elie où nous vivons depuis plusieurs années, et nous ont forcés à abandonner notre pénitence et le Mont Athos.
A la question justifiée «pourquoi cela ?», ils nous ont répondu par des cris et des vociférations, certains criant plus que les autres et nous disant : «Partez !» Quant aux policiers, sans que le moindre délai nous soit donné pour nous préparer et pour emmener nos affaires personnelles (cartes d'identité, passeports, etc...), ils nous ont obligé à monter sur une «jeep», puis, au port de Daphni, sur une vedette. Ainsi, telles des bêtes brutes ou des objets inanimés, nous avons été conduits à Ouranopolis, où nous avons été jetés à la rue, chassés sans pitié en un rien de temps du lieu saint où nous avons vécu en Christ pendant de longues années.
Tout ceci a eu lieu sans qu'on nous ait fait parvenir le moindre arrêt, sans qu'il y ait eu procès, sans que nous ayons été convoqués au moindre interrogatoire, sans qu'on ait prononcé contre nous le moindre jugement.
Suite à cela, nous nous adressons à vous, chers Pères et Frères qui vivez retirés dans la Montagne au Saint Nom, et nous vous prions avec beaucoup d'amour et d'humilité de donner le plus vite possible, d'un coeur pur et d'une bonne conscience, en toute connaissance de la gravité de la situation et des risques qui en découlent, en parfaite intelligence de votre responsabilité historique, et en «rendant une justice vraie» - de donner réponse aux questions suivantes.

2. Quand, où et par qui avons-nous été condamnés ?

«Quel tribunal nous a jugés sur des faits réels ou supposés ? A-t-on donné la preuve de notre injustice ? Quels Canons ont été lus contre nous ? Quelle décision légale d'un évêque a ratifié le jugement passé contre nous2 ?»
Avons-nous été jugés et condamnés en notre absence et sans la faculté de nous défendre ? Mais dans ce cas, quelle valeur peut avoir ce présumé jugement ?
Les lois établies dans l'Esprit Saint par les Pères théophores des Saints Conciles Oecuméniques ne sont-elles plus en vigueur ?
«Nous décidons que celui qui n'est pas présent au procès, n'y ayant pas été convoqué, ne peut en aucun cas être sous le coup de la condamnation passée contre lui... Toute décision prise contre un absent est nulle. Tel est notre avis unanime. Que nul ne condamne un absent3».
Où a-t-on vu une punition sans jugement ? Un jugement sans procès ? Un procès sans défense ? Une défense sans accusation ? Où a-t-on vu l'adversaire être à la fois l'accusateur, le juge et l'exécuteur des hautes oeuvres dans sa propre cause ?
Quels Saints Canons, quelles lois civiles, quel homme honnête et de bonne volonté supporteraient et laisseraient faire tout cela ?

3. Sommes-nous des citoyens de seconde classe ?

Les hagiorites qui, d'après les dispositions de la Constitution grecque (art.105) et la Charte du Mont Athos (art.6) sont tous, de droit, citoyens grecs, seraient-ils des citoyens de seconde classe ?
La Constitution grecque, qui définit que «les Grecs sont égaux devant la loi» (art.4), prévoit-elle par hasard l'existence de citoyens de seconde classe, moins égaux que les autres ?
Le Mont Athos est-il une région de seconde classe de l'Etat grec, en dehors de la légalité en vigueur, même si, d'après la Constitution grecque, il est une «partie de l'Etat grec, dont la souveraineté demeure inviolable» (art.105) ?

4. Un acte arbitraire et inhumain

Où a-t-on vu pareille expulsion, arbitraire et injustifiée, d'un moine hors de son monastère ? Une telle expulsion n'est possible que dans un seul cas, prévu par le dix-neuvième saint canon du VIIème Concile oecuménique, qui ne s'applique pas ici4.
Où a-t-on vu des moines âgés, n'ayant pas où reposer leur tête, chassés avec violence des prairies de l'unique cité à laquelle ils avaient consacré leur vie, et embarqués d'un instant à l'autre comme des bestiaux, pour être jetés comme des sacs de détritus dans les rues du monde, sans vivres, sans abri, sans argent ?
Où a-t-on vu, même «chez les païens», pareil arbitraire, pareille insensibilité, pareille cruauté ?
Où sont passés l'amour du prochain, le respect de la personne humaine, la conception chrétienne de l'homme ?
Et d'autre part, qu'en est-il de la Constitution grecque qui définit que «le respect et la protection de la dignité humaine constituent l'obligation primordiale de la cité» (art.2) ?
«La sainteté a fui notre vie ; la vérité nous a quittés ; quant à la paix, nous n'en avions auparavant que le nom sur les lèvres, mais à présent, non seulement elle n'est plus, mais son nom même nous fait défaut5».
En outre : «Le juste jugement a péri6».

5.Terrible incendie au Mont Athos

Bien aimés Pères et Frères,
Sur la Sainte Montagne vient de s'allumer un grand et redoutable incendie. En parlant d'incendie, nous ne pensons pas à un incendie matériel, comme celui de l'année dernière, qui a dévoré des arbres et menacé des bâtiments, mais qu'on a finalement éteint à temps. En effet, malgré la destruction matérielle, ce dernier feu peut apparaître comme un signe qui nous invite au retour sur la voie de la pénitence, et par conséquent, comme bénéfique et salutaire.
Non, il s'agit ici d'un incendie beaucoup plus destructeur et beaucoup plus dangereux.
Il s'agit de l'incendie de la persécution illégale, qui a embrasé la sainte skite du Prophète-Elie et qui menace déjà ses voisins. Or, ses voisins sont tous les hagiorites.
Que doivent donc faire les hagiorites ? Ecoutons ce que nous conseille avec éloquence le plus philosophe des Pères, saint Grégoire de Nysse :
«Quant à vous, qui êtes encore extérieurs à ce mal, vous négligez d'éteindre les flammes qui ravagent le voisinage. Or donc, imitez ceux qui savent veiller sur leurs affaires : dès qu'ils voient brûler la maison du voisin, ils s'empressent de l'éteindre et ils évitent, en rendant ce service, d'avoir à le solliciter d'autrui7».

Que faut-il faire ?

Chers Pères et Frères,
Qu'allez-vous faire à présent, voyant l'incendie de la persécution inique s'étendre et s'approcher de vos propres maisons ?
Le négliger ? A Dieu ne plaise, car «celui qui peut empêcher quelque chose et ne le fait pas, c'est lui qui fait la chose8».
Vous taire ? Non, car grand est «le crime terrible du silence9», ce silence, qui, en pareil cas, constitue une «troisième sorte d'athéisme10».
Faire l'éloge des persécuteurs incendiaires ? Jamais de la vie ! N'oublions pas que «celui qui fait l'éloge du péché, est bien pire que son auteur11».
Nous pensons humblement qu'il faut secouer la négligence, rompre le silence, et fuir l'éloge du mal ! Et qu'il faudra manifester une obéissance sincère et totale aux exhortations des Saintes Ecritures et des Pères théophores de notre Eglise : Rendez un juste jugement12. Délivre l'opprimé des mains de l'oppresseur13. Libérez l'opprimé14. Habitants de la terre, apprenez la justice15. Rendez un juste jugement, vous qui regardez vers Dieu ; pourquoi vous accorder à l'injustice qui nous est faite16 ?
Tels sont les propos du Seigneur Tout-Puissant. Qui les contredira ? Qui s'y opposera ? Qui les négligera ? Qui agira contre Sa sainte et adorable volonté ?

Ecrit dans le saint monastère des saints Cyprien-et-Justine, à Fili en Attique, le 20 juillet 1992, jour de la mémoire du Prophète Elie, selon le calendrier ecclésiastique de nos Pères.

Dans l'amour du Seigneur, Archimandrite Séraphim, higoumène, et toute la Fraternité en Christ de la sainte skite du Prophète-Elie, dépendant du monastère athonite du Pantocrator.

LE VATICAN ET L'OECUMENISME

Longtemps, pour de nombreux orthodoxes, l'oecuménisme était fait de «bons sentiments». Et lorsque les «bons sentiments» ne veulent pas tenir compte des règles des Pères, des canons de l'Eglise, de la tradition, il n'y a pas grand-chose à faire, sinon attendre que les faits, souvent brutaux, rappellent chacun à la réalité.
A l'idée que «Rome a changé», la lettre du cardinal Ratzinger, le conseiller et l'ami du pape Jean Paul II, adressée aux évêques catholiques, «Sur certains aspects de l'Eglise confessée comme communion», a répondu en remettant les pendules à l'heure. Le texte du cardinal Ratzinger distingue en effet les Eglises particulières de l'Eglise universelle et tente de préciser leurs relations. Mais il affirme clairement que pour être pleinement Eglise, une Eglise doit avoir présente en elle, comme son élément propre, ce qui la rattache à l'Eglise universelle, c'est-à-dire, la reconnaissance de la Papauté. Le texte est mal rédigé, mais son sens est clair : l'Eglise qui ne reconnaît pas le pape n'est pas pleinement une Eglise. Citons le passage en question : «L'évêque est principe et fondement visible de l'unité de l'Eglise particulière confiée à son ministère pastoral, mais afin que chaque Eglise particulière soit pleinement Eglise, c'est-à-dire présence particulière de l'Eglise universelle, l'autorité suprême de l'Eglise, c'est-à-dire le collège épiscopal 'avec le pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef', doit être présente en elle comme élément propre. Le primat de l'évêque de Rome et le collège épiscopal sont des éléments propres à l'Eglise universelle : 'non pas dérivés de la particularité des Eglises' bien qu'intérieurs à toute Eglise particulière. Par conséquent, 'nous devons voir le ministère du successeur de Pierre, non seulement comme un service "global" qui touche toute Eglise particulière de l'"extérieur", mais comme appartenant déjà à l'essence de toute Eglise particulière de l'"intérieur". En effet, le ministère du primat comporte essentiellement un pouvoir véritablement épiscopal, non seulement suprême, plénier et universel, mais aussi immédiat sur tous, tant les pasteurs que les autres fidèles. Le fait que le ministère du successeur de Pierre soit intérieur à toute Eglise particulière découle nécessairement de cette intériorité mutuelle fondamentale entre Eglise universelle et Eglise particulière» (§ 13). De la sorte, continue la lettre, «toute célébration valide de l'Eucharistie exprime cette communion universelle avec Pierre et avec l'Eglise tout entière, ou bien la réclame objectivement, comme dans le cas des Eglises chrétiennes séparées de Rome» (§ 14).
Ainsi, même les Eglises séparées ne sont Eglises que dans la mesure où elles réclament l'union avec la papauté. La notion d'une telle réclamation objective, qui n'aurait rien à voir avec la confession de foi réelle et déclarée de ces Eglises, se rapproche de l'idée d'une «vocation» mystérieuse de ces Eglises, prétendument entraînées vers le pape par un mouvement interne et cachée à elles-mêmes. Depuis Joseph de Maistre jusqu'à aujourd'hui, en passant par les ultramontains du XIXème siècle, cette idée est en faveur dans les milieux catholiques. Elle découle logiquement de l'identification de l'Eglise à la papauté, de la croyance en la nécessité de reconnaître le pape pour être une Eglise.
Pas une ligne des actes des conciles, pas un acte ecclésiastique de la tradition ancienne de l'Eglise ne justifie cette conception de l'Eglise défendue ici par le cardinal Ratzinger au nom du Vatican.
Sont-ce là les résultats de tant d'années de dialogue des orthodoxes avec Rome ? Comment les hiérarchies orthodoxes ne voient-elles pas que Rome les a trompées dans sa volonté de «dialogue» ? Quel dialogue y a-t-il si l'«ecclésialité», la validité de l'eucharistie, dépend aussi absolument de l'union avec Rome ? Comment, après un tel texte, le patriarche Bartholomée peut-il envoyer des évêques prier à Rome avec le pape pour la fête des Apôtres Pierre et Paul, et assister à la messe de Jean Paul II ? Comment l'archevêque Iakovos d'Amérique, syncrétiste parmi les syncrétistes, peut-il aller à Rome et déclarer qu'il s'attriste à l'idée que le dialogue puisse être interrompu : «Voyant la crainte que le dialogue puisse être interrompu et la profonde tristesse qui s'est emparée des coeurs des chefs des soeurs orientales de votre Eglise, permettez-moi de répéter respectueusement les paroles que le Seigneur a dites à Paul par la bouche d'Ananie : 'Va, car il est un instrument de choix pour porter mon nom devant les Nations, les rois et les enfants d'Israël' (Actes 9,15). C'est pour ce grand dessein et pour cette mission très lourde qu'il a plu à Dieu de voir que vous étiez choisi et élu évêque et patriarche de la vénérable Eglise de Rome» (Irénikon, t.45, 1992, p.218-219).
En France, le métropolite Jérémie, moins pompeux que son collègue américain, mais plus violent, a déclaré qu'il serait «criminel» d'interrompre le dialogue oecuménique. Il n'est pas «criminel», bien sûr, pour cet évêque, de «dialoguer» et de prier avec Rome qui demande la soumission à l'autorité du pape comme le prouve la lettre du cardinal Ratzinger. Il n'est pas «criminel» non plus de transgresser les canons des Apôtres et des Pères, qui interdisent les prières en commun avec les hétérodoxes. Il n'est pas «criminel», enfin, d'envoyer la police au Mont Athos pour résoudre les questions ecclésiastiques en expulsant les moines manu militari...

SCHISMES EN SERIE

Les «vieux-calendaristes» ou les zélotes du Mont Athos ne veulent pas communier avec le patriarcat de Constantinople pour des raisons de foi -tandis que, d'une façon générale, s'ils ont des divisions internes, elles ne touchent pas à la foi. En Russie, de même, l'Eglise russe à l'étranger, ou encore l'Eglise des catacombes, ne veulent pas communier avec le patriarcat de Moscou pour des raisons dogmatiques et cela, quelles que soit les difficultés que comporte l'établissement en Russie d'une hiérarchie non compromise avec le communisme ou l'oecuménisme.
En Ukraine, le patriarcat de Moscou doit faire face à un schisme mi-personnel, mi-nationaliste et politique, qui n'a rien à voir avec la foi : celui du métropolite Philarète de Kiev, compromis lourdement, comme d'ailleurs le patriarche Alexis II, avec le KGB, et accusés maintenant d'athéisme et d'immoralité par ses anciens camarades. Le Patriarcat de Moscou a officiellement déposé et réduit à l'état monastique le métropolite Philarète et a nommé à sa place un autre évêque, le métropolite Vladimir de Rostov.
Le métropolite Philarète ne s'est pas soumis, renvoyant l'accusation d'immoralité sur de nombreux autres évêques du patriarcat, et récusant au patriarcat le droit d'intervenir dans les affaires de l'Eglise ukrainienne. Il s'est ensuite entendu avec la hiérarchie de l'Eglise ukrainienne autocéphale, qui n'est officiellement reconnue par personne, mais qui, en réalité, a des relations épisodiques avec le patriarcat de Constantinople. Cette église, aux ordinations douteuses -les évêques furent auto-ordonnés par les prêtres- anticommuniste et ultranationaliste, comporte un grand nombre de fidèles en Ukraine. Le Métropolite de Kiev lui apporte probablement le soutien du gouvernement ukrainien. Une assemblée s'est tenu le 25 mai 1992, réunissant les partisans de Philarète et les représentants de l'Eglise autocéphale ukrainienne, et tous se sont soudés en un «patriarcat de Kiev», dont le métropolite Philarète a été nommé locum tenens, vu que le Patriarche Mstyslav, primat de l'Eglise autocéphale, vit aux Etats-Unis et a quatre-vingt quatorze ans. Ce dernier a refusé de reconnaître Philarète.
L'Eglise ukrainienne dépendant du Patriarcat de Moscou a, quant à elle, élu le métropolite Vladimir, que Constantinople a reconnu. Pour se parer du même genre de légitimité, le métropolite Philarète s'est rendu à Istanbul et a été reçu par le Patriarche Bartholomée, qui a néanmoins souligné qu'il reconnaissait Vladimir et qu'il enverrait une délégation pour examiner la situation.
La délégation aura à faire, car le chaos règne. Entre les partisans de Philarète et ceux de Vladimir, une guerre civile s'est allumée : Philarète occupe le siège métropolitain, et un bon nombre d'églises lui sont fidèles, ainsi que les nationalistes ukrainiens regroupés dans le Comité national d'auto-défense ukrainien, formation paramilitaire. Ces derniers donnent l'assaut aux églises et aux monastères qui sont fidèles à Vladimir. A Kiev, à Potchaïev, à Rovno, et à d'autres endroits encore, des combats ont ainsi opposé les deux partis, ayant pour enjeu la possession des églises et des chancelleries diocésaines.
Ces divisions ecclésiastiques en Ukraine -où l'uniatisme est aussi très puissant- montrent l'incapacité du patriarcat de Moscou à garantir l'unité de sa propre Eglise et à affronter, avec une hiérarchie compromise officiellement, les problèmes de l'après-communisme.
En Bulgarie, la situation ecclésiastique est presque aussi confuse qu'en Ukraine. Mais ici, c'est le gouvernement, parfaitement renseigné sur les liens du patriarche Maxime avec la police communiste, qui a jugé non-canonique le choix de ce patriarche imposé par l'Etat athée de l'Ancien Régime. Certains évêques de ce patriarche ont approuvé cette décision, certes énergique, mais conforme à une évidence : un évêque ne peut pas servir deux maîtres, les bourreaux et les victimes. Les Métropolites Pimène, Pancrace et Callinique ont donc déposé le patriarche Maxime et élu le métropolite Pimène nouveau patriarche, puis ils ont consacré un nouvel évêque. Le patriarche Pimène est maintenant installé dans les bâtiments du saint synode. Cependant, l'ex-patriarche Maxime ne s'est pas soumis. L'intervention de l'autorité civile qui ne le gênait pas jusque-là est devenue pour lui un acte «anticanonique» et il s'est adressé aux autres Eglises officielles qui jusqu'ici refusent de reconnaître le nouveau patriarche Pimène. Par un synode réuni en juillet 1992, il a réduit à l'état laïc les évêques qui l'avaient déposés, demandant aussi à toutes les Eglises officielles de ne pas entrer en relation canonique avec eux. A Sofia, une bataille s'est déroulée dans les locaux du séminaire, occupés par des prêtres qui avaient nommé un nouveau recteur. L'ancien recteur, l'évêque Grégoire, partisan de Maxime, est venu avec des étudiants et leurs parents et a chassés ces prêtres, l'intervention se soldant par quelques blessures.
On voit que la division peut être virulente, quoique les deux partis soient, en Bulgarie, probablement tous deux de même tendance, moderniste et oecuméniste. Il n'en est pas de même de l'Eglise Bulgare des catacombes, ou Eglise Bulgare libre, sur laquelle on manque actuellement de renseignements, mais dont la mentalité se rapproche à la fois des catacombes de Russie et des anciens-calendaristes grecs.
En Grèce, les journaux ecclésiastiques redoutent que l'Eglise catholique ne s'entende avec la nouvelle hiérarchie ; mais il semble bien trop tôt pour conclure, en réalité, quoi que ce soit. La remise en question de la collaboration avec le communisme ne serait rien, s'il n'y avait pas remise en question de ce que le communisme a provoqué dans l'Eglise bulgare : changement de calendrier, participation au mouvement oecuménique, modernisme, etc...

ACTIVITES MISSIONNAIRES
en France et en Suisse

Le 28 juin/12 juillet, jour de la fête des saints Apôtres Pierre et Paul, qui tombait cette année un dimanche, Monseigneur Photios a procédé à l'ordination sacerdotale du diacre Maxime, en l'église cathédrale de Lyon. Le même jour, George a été ordonné au lectorat. Monseigneur Photios a concélébré la liturgie avec plusieurs prêtres de son diocèse : les Pères Patric, Nectaire et Timothée. Se joignant à ceux de Lyon, des fidèles venus de plusieurs paroisses ont aussi crié «Axios» lors de la consécration du nouveau prêtre et l'ont chaleureusement félicité, lui ainsi que sa presbytéra, Marianne. Tous deux ont fondé une chapelle à Zürich. Le Père Maxime, qui parle couramment le français, l'allemand et l'italien, desservira en outre la paroisse de Gênes en Italie et continuera de se rendre à Lyon. Souhaitons au nouveau prêtre beaucoup d'années et bon courage pour son travail dans la vigne du Seigneur.
De nombreux catéchumènes sont également descendus cette année dans les eaux du baptême pour s'y renouveler à l'image de leur Créateur. A Paris, les baptêmes de Pacôme et de Danielle ont eu lieu la veille de la Sainte Pentecôte, le 31 mai/13 juin et celui de la petite Andonia le 17/30 août 1992. Dans la même paroisse, deux
































L'ordination de Père Maxime
Monseigneur Photios
ayant, à sa droite, Père Maxime et Père Patric,
à sa gauche, Père Timothée, Père Nectaire et le Lecteur Georges
lecteurs ont été ordonnés, Michel et Sébastien, le 3/16 août 1992.
A Toulouse, Serge a été baptisé dans la Garonne le 27 juillet/9 août 1992. La cérémonie, très émouvante, présidée par Monseigneur Photios, entouré de Père Patric et de Père Nectaire, rappelait celle de l'année dernière, qui avait eu lieu dans le même endroit, à la même époque de l'année. La pluie tombait ; mais dès que Monseigneur Photios eut prononcé la formule initiale : «Béni soit le Règne du Père, du Fils et du Saint Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles», il se fit un soleil radieux, qui dura tout le temps de l'accomplissement du Mystère de la Sainte Illumination. Ensuite, la pluie recommença. Comme le rappelle l'office du Baptême, toute la créature, le Soleil et la pluie manifestent la bonté du Créateur, «car tout l'univers T'est soumis». Tous se souvenaient de Père Ambroise, qui était présent physiquement l'année dernière, et, cette année-ci, par ses prières, accompagnait les participants. Ils voyaient, dans les fruits spirituels de cette année, la récolte de la vigne autrefois plantée par Père Ambroise et dont Monseigneur Photios a la charge aujourd'hui.
A Lyon, le 27 juin/11 juillet se sont déroulés le baptême de Marie puis ses fiançailles avec Marc : le mariage a eu lieu quelques semaines plus tard, le 31 août/13 septembre 1992. La paroisse de Lyon a vu se dérouler d'autres baptêmes, en particulier celui du petit Gabriel, dont la naissance, prématurée, avait causé de grandes angoisses à tout le monde, et failli coûter le jour à sa mère, Barbara. Mais par la main de Dieu, tous deux ont reçu beaucoup de forces, elle pour guérir et lui pour grandir très vite -et recevoir une nouvelle naissance dans les fonts baptismaux le 14/27 août. Enfin, le 16/29 août, toujours à Lyon, ce fut le baptême de Michel et le 28 septembre/11 octobre, celui de Dimitri. A tous les serviteurs et servantes de Dieu nouvellement illuminés, nous souhaitons bon paradis, en demandant leurs prières.

PUBLICATION DE LA DOGMATIQUE
du Père Justin Popovitch

La Dogmatique de l'Eglise orthodoxe du Père Justin Popovitch, parue en trois tomes à Belgrade, portait comme sous-titre ; Philosophie orthodoxe de la vérité. C'est en effet ainsi que Père Justin aurait voulu intituler l'ouvrage, réhabilitant le mot de philosophie dans son sens patristique : celui de la vie en Christ, de l'amour de la Sagesse de Dieu. Malheureusement les impératifs scolaires et éditoriaux l'avaient contraint de donner pour titre : Dogmatique. Aujourd'hui, ce livre paraît en français aux éditions l'Age d'Homme, dans une traduction de Jean Louis Palierne, qui a rendu à l'ouvrage le titre voulu par l'auteur. Le tome 1 de la Pilosophie orthodoxe de la Vérité est donc sorti le 17/30 août 1992. La préface a été écrite par un des disciples du Père Justin, Monseigneur Athanase Jevtitch, évêque du Banat.
Il serait superflu de parler ici du livre du Père Justin et de sa méthode. Disons simplement qu'il s'agit de la plus grande tentative faite en notre siècle de présentation de tous les dogmes de la foi orthodoxe, et de leur confrontation aux diverses hérésies apparues dans le cours des siècles, ainsi qu'à la pensée moderne. Le Père Justin s'appuie sur l'Ecriture, les Conciles, les Pères et les offices de l'Eglise, citant les diverses sources et autorités à propos de chacune des vérités dogmatiques qu'il envisage.
En ces temps douloureux où une guerre de religion et de nationalités déchire la Yougoslavie, et où les moyens de communications sont, quasiment toujours, hostiles a priori aux Serbes orthodoxes, nous sommes heureux de présenter ce travail, résultat d'une étroite collaboration franco-serbe.

LIVRES REÇUS

Au nom du peuple. Témoignages sur les camps communistes présentés par Tzvetan Todorov. - Paris, 1992.
Avant ce livre, témoignage sur le camp de Lovetch, peu de documents sur les horreurs du communisme bulgare étaient parus en France. Ici, le livre est un ensemble de récits faits par les individus des camps, traduits par Marie Vrinat, et introduits par l'un des plus grands linguistes contemporains. Ce dernier tente donc de décrire la réalité du totalitarisme, c'est-à-dire non seulement les camps, mais la société tout entière, transformée en un camp «au régime allégé». Mais le totalitarisme suppose encore l'arbitraire et, derrière le masque de l'idéologie, le triomphe absolu de l'intérêt personnel et de la volonté de puissance. Dans les camps bulgares, cet arbitraire a pris la forme du gourdin, des coups de bâton jusqu'à la mort : «La particularité des camps bulgares, et spécialement de Lovetch, semble avoir été la torture sous sa forme la plus primitive : les coups de bâton. Votre libération, ou au moins l'amélioration de vos conditions de vie, et donc votre vie tout court, ne dépendent d'aucune règle, aussi absurde fût-elle, mais de l'humeur de l'individu qui vous fait face, muni d'un gourdin, et dont tout vous porte à croire qu'il vous hait, vous méprise et ne trouve de satisfaction qu'à vous voir souffrir. Dépendre ainsi de la volonté capricieuse d'un individu est pire que d'être soumis à la loi la plus rigoureuse».
Au-delà des analyses, il y a donc les témoignages, l'arbitraire de l'arrestation, la sauvagerie des camps, l'impossibilité, si l'on en sort, de retrouver une vie décente, le refus des responsables de reconnaître la moindre culpabilité, et pour ceux qui ont subi, par centaines de milliers, par millions même, les horreurs du communisme, des traumatismes irréparables : «Les traumatismes, écrit T.Todorov, sont parfois indélébiles, insurmontables. Dans un film documentaire bulgare consacré aux camps, une femme raconte : "Après la première arrestation de mon père, le lendemain vers midi est arrivé à la maison un policier et il a remis à ma mère une convocation, la sommant de se présenter à cinq heures de l'après-midi au poste de police n10. Après quoi ma mère s'est habillée, c'était une très belle femme, une personne très douce, elle s'est levée et elle est partie. Nous l'attendions, les trois enfants, nous l'attendions. Elle est revenue à une heure et demie du matin, blanche comme un linge, froissée, dépenaillée. Aussitôt entrée, elle s'est approchée du poêle, en a retiré les plaques, a commencé à se déshabiller, a tout brûlé. Puis elle a pris un bain, et c'est alors qu'elle nous a serrés dans ses bras. Nous nous sommes couchés. Le lendemain elle a fait une première tentative de suicide, après quoi il y en a eu encore trois, ensuite elle s'est empoisonnée deux fois. Elle vit toujours, je m'en occupe... c'est une malade mentale. Ce qu'on lui avait fait, nous n'avons jamais pu l'apprendre". Peu importe quelles ont été les agressions exactes qu'a subies cette femme. Cela s'est passé à l'automne de 1944 ; elle vit toujours, mais il n'y a pas pour elle de réparation possible. Comme cette mère hallucinée, la population d'un demi-continent souffre de troubles physiques et mentaux, dont il n'est pas sûr qu'ils puissent être guéris ; et qui s'occupera d'elle ?» (p.52-53).

Jean-Claude Larchet. Thérapeutique des maladies mentales. Paris, 1992.
Ce livre, faisant suite à la fois à la thèse de J.C. Larchet, dont nous avions rendu compte, sur la Thérapeutique des maladies spirituelles (Paris, 1991) et à son livre sur les maladies corporelles (Théologie de la maladie, Paris, 1991), présente, en les confrontant aux opinions des psychiatres modernes, les doctrines et les théories des Pères de l'Eglise sur les maladies mentales. L'auteur montre que, la conception anthropologique des Pères, moins réductrice que les diverses conceptions des modernes, tient compte de trois causes possibles dans l'étiologie des maladies mentales, qui requièrent des moyens de guérison différents : causes purement organiques, causes démoniaques, causes spirituelles. Jamais les Pères n'ont attribué toute folie à la seule influence des démons, comme certains auteurs l'ont cru. Les passions poussées à l'extrême sont causes spirituelles de folie -et ici, les méthodes thérapeutiques élaborées par les ascètes chrétiens, ne manquent pas. Enfin, dans un dernier chapitre, l'auteur présente une analyse de la folie pour le Christ, folie simulée celle-là, mais par laquelle le saint communie aux souffrances des êtres les plus méprisés de la société.

Michel Fromaget. Le Symbolisme des quatre vivants. Ezéchiel, saint Jean et la tradition. Paris, 1992.
Après avoir constaté le caractère unique, par rapport aux divers «tétramorphes» qu'on trouve dans les autres religions, des quatre Vivants d'Ezéchiel (1, 4-28 ; 10, 1-22 ; 43, 2-5) et de Jean (Ap. 4,1-11), l'auteur en fait une étude approfondie, décrivant tout d'abord la «présence» symboliques des Quatre Animaux dans l'architecture, la liturgie, etc., puis passant en revue les exégèses qui en ont été données, depuis les Pères des premiers siècles (jusqu'au VIIIème) et le haut Moyen Age (IXème-XIIème siècles) jusqu'à l'époque moderne. Avec justesse, l'auteur note que la «troisième période, qui va du XIIème siècle à nos jours... apparaît à maints égards comme un temps crépusculaire. Oubliés -tant dans leurs écrits que dans leurs images- par l'Eglise d'Occident, les Quatre Vivants sont maintenant portés par des courants de pensée qui, pour des motifs troubles, altèrent trop souvent leurs significations originelles» (p.21). Bref, l'ésotérisme, l'imagination, supplée à la foi, désormais éteinte, en la déification.

Archimandrite Sophrony. De vie et d'esprit. Aphorismes spirituels. Editions Le sel de la terre, Maxime Egger, 1, Chemin de la Lisière, CH-1018 Lausanne.
Un orthodoxe de Suisse, Maxime Egger, a fondé une nouvelle collection orthodoxe, intitulée «le sel de la terre», qu'il édite lui-même. Voici comment il présente le programme de sa collection : «Présenter des "pères spirituels" orthodoxes contemporains. Montrer que le christianisme a aussi ses maîtres et ses guides. Offrir dans une forme "liturgique" des textes inédits en français, courts, denses et exigeants, aux chrétiens vivant dans le monde et concernés par leur transformation spirituelle. Proposer des paroles, jaillies de la prière et de l'expérience de Dieu, qui s'adressent au coeur de l'homme, lui donnent une inspiration pour la vie spirituelle au quotidien, ici et maintenant. Symbole de cette collection, une étoile gravée dans le mur d'un ossuaire chrétien des deux premiers siècles. Etoile-guide, étoile de l'Orient, étoile-lumière qui nous ramène aux sources du christianisme. "Moi, Jésus, je suis l'étoile radieuse du matin" (Ap.22,16)». Et dans sa préface, Maxime Egger présente la paternité spirituelle de la façon suivante : «"Nous avons besoin d'aide, nous avons besoin de guides après Dieu", écrivait Dorothée de Gaza au VIème siècle. Désireux d'accomplir leur vocation originelle, de trouver le chemin du coeur et de gravir "l'échelle sainte" qui mène à Dieu, des êtres de toutes conditions ont, dès les débuts du christianisme, cherché des "maîtres" capables de les guider sur la "voie étroite" du salut. Pendant des siècles, en quête d'un conseil, d'une consolation ou d'une inspiration, des hommes et des femmes ont répété cette formule chère aux pères du désert : "Abba, dis-moi une parole". Don de l'Esprit Saint, la paternité spirituelle est le coeur vivant de l'Eglise orthodoxe. Chaîne d'or de la tradition, elle nous rappelle que le christianisme n'est pas une religion du livre, mais une révélation du mystère de la personne».
Le premier volume de la collection est consacré aux Aphorismes spirituels du Père Sophrony, le disciple du staretz Silouane et le rédacteur de sa vie. De nombreux aphorismes du Père Sophrony reflètent l'enseignement des Pères, sur la prière, l'ascèse, la lutte contre les passions.
A la lecture de ces lignes, il apparaît d'autant plus regrettable que le Père Sophrony n'ait jamais pris position sur les hérésies ecclésiologiques qui ont envahi l'Eglise orthodoxe -et particulièrement le Patriarcat de Constantinople- en notre siècle.
Souhaitons à Maxime Egger de poursuivre son oeuvre et de publier aussi les écrits de ceux qui ont été, en plein XXème siècle, des confesseurs de la foi.

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