vendredi 31 janvier 2020

Père Patric, La Persécution des moines du Mont Athos par le Patriarcat de Constantinople.

LA PERSÉCUTION DES MOINES DU MONT ATHOS
PAR LE PATRIARCAT DE CONSTANTINOPLE
Père PATRIC
LA PERSÉCUTION
DES MOINES DU MONT ATHOS
par le patriarcat de Constantinople
FRATERNITÉ ORTHODOXE SAINT GRÉGOIRE PALAMAS 30, boulevard de Sébastopol 75004 PARIS
Quiconque confessera en moi devant les hommes, je confesserai moi aussi en lui devant mon Père qui est dans les cieux. Matthieu 10, 32.
Le Seigneur Christ a appelé Église Catholique celle qui maintient la vraie et salvifique confession de Foi. C'est à cause de cette confession qu'Il a appelé Pierre bienheureux, et Il a déclaré qu'Il bâtirait Son Église sur cette confession. Saint Maxime le Confesseur.
Là où est l'évêque qui dispense fidèlement la parole de vérité, qui marche sur les traces des saints Pères, au milieu de son troupeau, là est l'Église du Christ. Malheur à nous si, au lieu de voir l'Église dans l'évêque qui prêche et confesse la vérité, nous regardons vers tel ou tel évêque parce qu'il est patriarche d'une grande ville, fût-ce même de la Ville Souveraine, mais en restant indifférents à ce qu'il prêche ! Nous allons avec lui à la perte de notre âme. Père Ambroise Fontrier. br> Cette icône représente les moines du Mont Athos qui, après le Concile d'union de Lyon (1274) refusèrent de commémorer le patriarche latinisant Jean Beccos (à gauche sur l'icône) et furent, en conséquence, persécutés et massacrés. Ceux du monastère de Zographou, à droite sur l'icône, moururent brûlés dans leur monastère. Tous ces moines confesseurs de la foi sont au calendrier des saints de l'Église orthodoxe et couvrent de leurs prières les moines et les laïcs fidèles à l'orthodoxie et à la tradition des Pères. br> + TABLE DES MATIÈRES br> INTRODUCTION
Chapitre I L'EXPULSION DES MOINES DE LA SKITE DU PROPHÈTE-ÉLIE
Chapitre II LES DROITS DE L'HOMME AU MONT ATHOS TÉMOIGNAGE DU PÈRE MAXIME DE LA GRANDE LAVRA
Chapitre III L'IMPOSSIBLE JUSTIFICATION DE LA PERSÉCUTION
Annexe 1 Où va le Patriarcat de Constantinople ?
Annexe 2 Lettre des zélotes du Mont Athos
Annexe 3 Sur le Père Éphrem
INTRODUCTION
e petit livre a pour but de mettre la conscience orthodoxe et l'opinion publique devant un exemple clair d'intolérance et de fanatisme ecclésiastique : l'expulsion, à l'aide de la police et des autorités civiles, des moines du Mont Athos par le patriarcat de Constantinople. Cet acte n'est justifié, nous le montrerons, ni par les canons ou les règles de la tradition orthodoxe, ni par les lois civiles qui n'ont pas à intervenir dans les questions ecclésiastiques. En agissant de la sorte, le patriarcat de Constantinople montre qu'il a deux visages. À l'extérieur il prétend avoir « rétabli » la charité, et être guidé, selon les mots du Patriarche Athénagoras par « les idées humanistes de la justice, de la vérité et du bien, celles sociales de paix, de collaboration, de fraternité et d'unité ». Mais, en même temps, au Mont Athos, haut lieu de la conscience orthodoxe et monastique, il montre son amour en excluant manu militari ceux qui contestent son autorité. Le patriarcat de Constantinople prétend officiellement être entré dans une nouvelle période de l'histoire de l'Église, fondée sur la paix et l'amour, et il agit comme s'il était en plein moyen âge occidental – quand l'autorité civile prêtait son bras aux évêques féodaux, et que le seigneur local et le Monseigneur s'entendaient pour persécuter toute dissidence. En Grèce, le patriarcat pleure régulièrement sur sa difficile situation en Turquie, sans protection d'aucune autorité civile chrétienne, sans peuple et sans troupeau depuis les massacres de l'Asie Mineure perpétrés en 1923-1924 et les différents exodes qui ont suivi. Mais dans le seul coin de la terre où il revendique une autorité, la Sainte Montagne de l'Athos, lieu de prière et de paix spirituelle, le patriarcat chasse et exile ceux qui ne lui sont pas aveuglément soumis. Nous ne sommes pas les premiers à mentionner la situation contraire aux canons orthodoxes comme aux lois civiles qui règne aujourd'hui sur la Sainte Montagne de l'Athos. De nombreux moines ont protesté bien sûr, en Grèce, contre le sort qui leur était fait. Mais ces brochures, écrites en grec ou parues dans de petits journaux peu accessibles, sont restées inconnues des lecteurs occidentaux. Le premier à avoir publié un ouvrage hors de la Grèce sur cette question est le hiéromoine Maxime de la Grande Lavra. Son petit livre est paru en Angleterre avec le titre Human Rights on Mount Athos. An appeal to the Civilized World (Les Droits de l'Homme au Mont Athos. Un appel au monde civilisé). Le fait que le Père Maxime de la Grande Lavra1 n'a pas coupé la communion avec le patriarcat de Constantinople donnait à sa protestation contre les persécutions au Mont Athos une garantie d'objectivité suffisante. Malgré cela, et malgré un écho important dans la presse anglaise, aucun moine, clerc ou monastère complice de la persécution contre leurs frères n'a osé lui répondre publiquement et aucune de ses graves accusations contre les manquements aux droits de l'homme n'a été à ce jour réfutée. Mais ce silence-là n'est pas celui de l'hésychasme ! La persécution, c'est-à-dire l'emploi de la force civile pour imposer son droit ecclésiastique n'est pas un usage orthodoxe. Certes, l'Histoire n'a pas été totalement exempte de ce genre d'attitude, mais l'Église orthodoxe n'a jamais justifié l'emploi de la force contre les « dissidents ». Les Pères de l'Église ont même souvent écrit contre une telle opinion. Ils en ont surtout été les victimes, à l'époque de l'arianisme, de l'iconoclasme et du Concile de Lyon. Certains mêmes sont des saints du calendrier orthodoxe qui, par le passé, dans des périodes de grande crise christologique ou ecclésiologique, ont refusé de commémorer des patriarches de Constantinople : ainsi, pour n'en citer que trois, parmi beaucoup d'autres, saint Maxime le Confesseur, saint Théodore le Studite et saint Grégoire Palamas. La justification de la persécution est, en revanche, une sorte de tradition de l'Église en Occident. En effet, elle a été fondée théologiquement sur les écrits de l'évêque d'Hippone Augustin, plus précisément sur certaines lettres composées au cours des polémiques avec les donatistes. La lettre à Vincent et la lettre à Boniface ont été ainsi utilisées dès qu'il a fallu exiler ou contraindre, voire assassiner, pendant les Guerres de Religion, lors de la Saint Barthélémy et à l'occasion de la Révocation de l'Édit de Nantes. Certains protestants, comme Calvin à Genève, se sont servi des mêmes textes pour persécuter ceux qui étaient en désaccord avec eux2. L'orthodoxie a ignoré l'augustinisme politique3. Lorsque la question de la tolérance s'est posée, notamment au XVIIIe siècle, après tant de siècles d'intolérance religieuse, certaines autorités ecclésiastiques orthodoxes ont fait entendre leur voix pour justifier la tolérance. Ainsi Eugène Boulgaris, qui fut moine au Mont Athos et plus tard évêque de l'Église Russe, publia en 1768, à la suite de sa traduction de l'Essai historique sur les dissensions des Églises de Pologne (Peri tôn dichonoiôn tôn en taîs ekklesiais tês Polonias), de Voltaire, un texte intitulé Ébauche sur la tolérance (Schediasma peri tês Anexithreskeias), qui fut réédité en 1890 à Alexandrie par saint Nectaire d'Égine. Boulgaris soutient une conception de la tolérance différente de celle de Locke, de Bayle ou de Voltaire. Pour Locke, la tolérance doit être fondée sur la séparation des pouvoirs4. Pour Bayle, qui critique explicitement l'augustinisme politique dans son Commentaire philosophique, la tolérance est rendue nécessaire par l'impossibilité de tout dialogue véritable entre les confessions et entre les chrétiens, dans un univers religieux marqué par la prédestination et le péché originel, donc l'absence de liberté5. Pour Voltaire, la tolérance est justifiée par le droit naturel6. Une des thèses de Voltaire est que le christianisme est, par essence, intolérant ; car il ne le distingue pas de l'augustinisme politique. Boulgaris part, au contraire, de la théologie orthodoxe, qui confesse la synergie ou coopération de la liberté et de la grâce. Dieu a créé l'homme libre, lui a donné le pouvoir redoutable de refuser la grâce et l'amour de son créateur. L'Église confesse et prêche le dépôt évangélique, c'est-à-dire met chacun devant un choix spirituel : accepter ou refuser la révélation et la foi juste. Dès lors, persécuter, contraindre, imposer de force, serait une négation de cette liberté du salut à laquelle l'Évangile appelle. User d'une telle contrainte, ce serait priver ceux qui peuvent librement plaire à Dieu, de cette récompense gratuite qu'est la vision de la gloire du Christ, dans ce monde ou dans l'autre. La vraie tolérance que doit pratiquer le chrétien n'est donc pas de l'indifférence, mais un amour authentique qui avertit chacun qu'il est responsable devant Dieu de son choix spirituel et que même la plus grande charité et la plus haute vérité ne peuvent rien si l'homme ne se prend pas en charge lui-même, s'il ne prend pas sur lui de coopérer librement avec Celui qui lui est révélé et annoncé. C'est pour cette raison que le Christ dit dans l'Évangile : « Celui qui confessera en moi devant les hommes, je confesserai aussi en lui devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux7 ». Le Christ confessera celui qui l'aura confessé parce cette confession aura été libre. La Vérité n'est pas contraignante. À la différence des systèmes philosophiques, qui conçoivent la vérité sur le modèle des vérités rationnelles, nécessaires et universelles, et qui pensent donc que leur doctrine doit s'imposer à tous – donc s'il le faut, lorsqu'ils constituent des idéologies, être imposée à tous – l'annonce évangélique se donne humblement comme une «parole» que chacun est libre d'accepter ou de refuser selon les exigences de sa conscience8. Inversement, dirions-nous, dans l'histoire de l'Église, les pouvoirs civils ont pu constater que la plus grande intolérance, les plus violentes persécutions ne pouvaient pas grand-chose contre la liberté spirituelle de celui qui a choisi de s'unir au Christ. Toute l'histoire des martyrs et des confesseurs de l'Église en est la preuve, depuis les premiers martyrs chrétiens, jusqu'aux nouveaux martyrs grecs de la domination turque et aux nouveaux martyrs russes du pouvoir soviétique et athée. L'histoire prouve que la persécution est bien inutile contre les chrétiens véritables qui préfèrent le Royaume de Dieu à un pouvoir ou à un rôle politique éphémère. Les moines du Mont Athos qui refusent aujourd'hui de commémorer à la liturgie le nom du patriarche de Constantinople se sont placés sur le plan de la liberté spirituelle. En agissant ainsi, ils séparent leur responsabilité devant Dieu, ils rejettent les actes du patriarcat qu'ils jugent contraire à la tradition tout entière de l'Église orthodoxe. Ils ne persécutent pas le patriarcat, et ils ne l'empêchent pas d'exister, mais ils refusent d'être associés à sa confession de foi d'aujourd'hui qu'ils estiment, sur certains points, opposée à celle des Pères et à l'orthodoxie. Ils ne sont pas pour cela fanatiques ni intégristes. Le fanatique est celui qui n'hésite pas à faire violence et à tuer pour imposer ses idées. Sont fanatiques ceux qui leur envoient la police. De même, l'intégriste est généralement celui qui veut imposer à tous, et surtout à la société, sa propre conception de la tradition et de la vérité religieuse. L'intégriste fait des croisades9. Les moines « zélotes » du Mont Athos sont victimes d'une croisade qui ne dit pas son nom, parce qu'elle est incapable de trouver dans l'histoire de l'Église le moindre fondement à son intolérance10. En Occident, l'intégrisme a une autre caractéristique, il suppose le paradoxe d'une autorité que l'on reconnaît tout en se séparant d'elle. Il suppose une papauté infaillible, que l'on reconnaît comme telle en matière de dogme, et avec laquelle on rompt néanmoins11. Or, jamais dans l'histoire de l'Église orthodoxe, le patriarcat de Constantinople n'a été considéré comme une papauté ou comme à lui seul le critère de la foi12. Au contraire, il a été bien souvent contesté, et nombreux sont ceux qui ont été appelés confesseurs en se séparant de lui. Certes, à d'autres moments, il a eu un rôle décisif dans l'histoire de l'Église ; mais le fait de se séparer de Constantinople n'a jamais été considéré en soi comme un signe de schisme. C'est en fonction de ce que confessaient et prêchaient publiquement les évêques de tel patriarcat, de telle Église locale, que l'on parlait ou non de schisme. Dans l'Église orthodoxe, on n'est pas schismatique par rapport à des bâtiments, à une Église locale, quelle que soit son histoire, mais par rapport au contenu de la foi, à son orthodoxie, c'est-à-dire à sa conformité au dépôt biblique et patristique transmis et expérimenté à travers les siècles13. Les moines zélotes ont le droit, selon la tradition orthodoxe, de ne pas trouver une grande justesse dans les déclarations des évêques de Constantinople. S'ils pensent ainsi, ils ont le devoir, selon les canons, de ne plus commémorer le nom du patriarche et dès lors de ne plus le reconnaître. Comme on le voit, les canons ecclésiastiques sont faits pour garantir la liberté spirituelle en Christ dont nous parlions au début : ils sont fondés sur la synergie. Le patriarcat a le droit, bien sûr, de raconter ce qu'il veut pour se justifier, mais il a le devoir de ne pas persécuter avec l'aide de la police ceux qui ne seraient pas d'accord avec lui. Il a le droit de loger à Istanbul, mais pas celui d'agir comme les Turcs, traditionnellement intolérants. En agissant ainsi, le patriarcat de Constantinople se met non seulement en contradiction avec les règles et l'histoire de l'Église orthodoxe, rappelant même la triste époque où, après le concile de Lyon (1274), le Patriarche Vekkos, élu pour faire appliquer l'Union avec les Latins, fit brûler dans leurs monastères les moines qui ne le commémoraient pas ; mais, en outre, il viole la liberté de conscience qui est un droit universellement reconnu dans nos sociétés démocratiques. En mars, le Patriarche Bartholomée a dit qu'il se réjouissait de l'unification européenne, mais il est le premier à ne pas en respecter les droits. Nous ne le jugeons pas comme homme. Il a le droit, lui aussi, de faire son choix et de préférer ressembler au Patriarche Vekkos plutôt qu'à saint Jean Chrysostome ou à saint Photios. Mais nous avons aussi notre choix à faire, et le droit de rester fidèles à la foi de saint Jean Chrysostome et de saint Photios plutôt qu'à celle des Patriarches Vekkos et Bartholomée. La police n'est pas un argument. En revanche, les moines zélotes ont de bons arguments, malheureusement souvent étouffés dans l'œuf, parce que non diffusés hors de la Grèce. La parole et les écrits sont nécessaires. Certes, nous sommes sans illusion parce qu'il y a beaucoup d'intérêts en jeu dans toutes ces questions et nous savons, par exemple, que des moines du patriarcat se sont empressés de s'emparer des biens abandonnés et des lieux vidés de leurs occupants par la police. Nous sommes sans illusion, mais nous croyons que le peuple chrétien a le droit d'être informé sur l'activité de sa propre hiérarchie dont il ignore généralement l'attitude anti-chrétienne sur la Sainte Montagne. Peut-être, avant que le Seigneur ne le fasse pour nous tous au jour de Son Jugement, le peuple chrétien ira-t-il demander des comptes aux évêques auxquels il est censé avoir crié Axios (« il est digne ») au moment de leur consécration. L'orthodoxie ignore le cléricalisme. Le prêtre ou l'évêque n'a pas un droit ou un pouvoir qui lui serait propre, et en vertu duquel il pourrait avoir même recours au pouvoir civil pour garantir son autorité. Non, il est prêtre ou évêque s'il est la bouche de l'Évangile, s'il en garde le dépôt précieusement comme quelque chose qui n'est pas son bien propre, mais celui du Saint Esprit, de l'Église, de tous les chrétiens authentiques14. Le Seigneur ne lui a pas demandé d'agir en satrape, mais de servir : « Vous savez que les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les asservissent. Il n'en sera pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu'il soit votre esclave. C'est ainsi que le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon d'une multitude » (Matt. 20, 25 28). « Le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur » (Jn 13, 16). « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres » (Jn 13, 34). I L'EXPULSION DES MOINES DE LA SKITE DU PROPHÈTE-ÉLIE 'expulsion des moines, russes ou membres de l'Église Russe à l'Étranger, qui vivaient depuis longtemps, dans la prière et la pénitence, à la Skite du Prophète-Élie, est due au moins à trois causes générales : 1) La volonté de réduire toute opposition au patriarcat de Constantinople considéré comme une nouvelle papauté, et de faire disparaître par tous les moyens une résistance qui, en Grèce depuis 1920, s'oppose à l'aggiornamento de l'Église orthodoxe. 2) La prise de contrôle de la Sainte Montagne par des moines qui n'ont pas la « tonsure » athonite, c'est-à-dire qui ne sont pas issus de la Sainte Montagne, et qu'il est convenu d'appeler les « néo-athonites15 ». Ces moines, issus de fraternités ou groupes de prière étrangers au monachisme traditionnel ont été imposés à la Sainte Montagne à l'époque de la dictature des Colonels. Peu à peu, ils ont pris le contrôle, avec la complicité du patriarcat œcuménique, d'un certain nombre de monastères – principalement ceux de Stavronikita, Grigoriou, Simonos-Petra – ce qui leur a permis d'obtenir la majorité à la Sacrée Communauté16. 3) Une politique assez ancienne du patriarcat à l'égard des Slaves, visant à faire de la Sainte Montagne un lieu purement hellénique et non pan-orthodoxe comme il l'a été à travers l'Histoire. La Skite du Prophète-Élie était, en effet, un monastère fondé par les moines russes, où venaient, avant la Révolution, des milliers de pèlerins sur la route de Jérusalem et de la Terre Sainte. Ces néo-athonites et le patriarcat redoutent maintenant qu'avec la nouvelle situation politique de l'ex-URSS des milliers de moines russes viennent à la Sainte Montagne et y modifient le rapport de force. Des raisons similaires avaient poussé le patriarcat de Constantinople à interdire après la Révolution l'entrée des moines russes émigrés à l'Athos. Ainsi, le Métropolite Antoine Khrapovitsky n'avait pas été autorisé à s'y retirer dans la pénitence. Quoi qu'il en soit, aucune des trois raisons mentionnées n'est fondée sur les canons et sur la tradition ecclésiastique. Et c'est ce qui rend l'expulsion des moines du Prophète-Élie injuste, illégale et anti-orthodoxe. A. Les faits Le 20 mai 1992, le jour où l'Église célèbre la fête de la Mi-Pentecôte, entre Pâque et la Pentecôte, les moines de la Skite du Prophète-Élie ont vu, vers midi, arriver une jeep, d'où sont descendus le secrétaire du gouverneur civil de l'Athos, M. Omiros Photiadis, et des policiers en civil. Cette Skite russe est rattachée au Monastère du Pantocrator. Son higoumène est le Père Séraphim, un moine venu d'Amérique, qui a réussi, avec sa communauté, à restaurer ce bel édifice. Zélote, le Père Séraphim, qui vit au Mont Athos depuis plus de vingt ans, ne mentionnait pas à la liturgie le nom du patriarche de Constantinople, et se trouvait, pour cette raison, victime de pressions de la part des moines alignés sur la ligne officielle du Phanar17. Le secrétaire du gouverneur expliqua aux Pères de la Skite ce qui était en train de se dérouler au monastère du Pantocrator : une commission du Patriarcat y introduisait de force une douzaine de moines venus du monastère de Xénophon et, remaniant le conseil dirigeant du monastère, donnait la majorité à ces moines ex-xénophontins. Cette intrusion était illégale, les monastères étant, selon la Charte de l'Athos, autonomes. Au milieu de l'après-midi, la même commission patriarcale se rendit à la Skite, présidée par le Métropolite Athanase d'Héliopolis. Des jeeps et des camions sortirent aussi des moines et des policiers en civil. Après la cérémonie à l'Église, le Métropolite et sa suite furent invités à prendre quelques rafraîchissements. Le Métropolite annonça qu'une nouvelle communauté se trouvait désormais à Xénophon ; puis, après quelques renseignements pris sur les Pères vivants à la Skite, il demanda quel évêque ils commémoraient. Le Père Séraphim répondit : « Tout épiscopat orthodoxe ». Le Métropolite déclara que les Pères de la Skite, ne commémorant pas le Patriarche de Constantinople, étaient schismatiques et prononça leur expulsion immédiate. En vain ils demandèrent qu'on leur montrât une résolution les concernant, un arrêté d'expulsion ; en vain ils demandèrent un délai de deux ou trois jours pour rassembler leurs effets personnels. Tout ce qu'on leur permit, fut d'aller ramasser dans des sacs, sous l'œil des cerbères de la police, quelques affaires, puis de vénérer une dernière fois les icônes et les reliques de l'église et de chanter, devant la porte, le tropaire du prophète Élie, avant de grimper dans une jeep qui leur fit gagner le port de Daphni. De là, un de ces bateaux qui servent au ski nautique les emporta jusqu'à Ouranopolis, où ils furent abandonnés sur le quai. Le soleil venait de se coucher. Les moines appartenant à la Skite qui n'étaient pas présent lors de la descente de police, n'ont pas été non plus autorisés à rentrer chez eux. Au contraire, d'autres moines, diligentés par les mêmes serviteurs du patriarcat, ont pris possession des lieux. La presse grecque a rendu compte des faits, mais les journaux se sont partagés sur la façon de les comprendre. Certains se sont emparés de l'événement pour insister sur le côté national : les moines auraient été des Russes ou des Américains, voire des espions américains ! D'autres ont protesté contre les violations des droits de l'homme, de la constitution hellénique et de la Charte de l'Athos qu'implique cette expulsion. Orthodoxox Typos a titré : « Des moines de l'Athos expulsés sans sommation » (n°982, 26 juin 1992) ; Hagios Kyprianos raconte l'affaire et signale que les moines chassés sont encore persécutés par l'État qui refuse de leur rendre leurs passeports américains et conclut : « Les moines de la Skite du Prophète-Élie protestent contre leur expulsion illégale hors du Jardin de la Toute Sainte ; ils dénoncent le comportement antichrétien, antifraternel et barbare des expulseurs, moines, hiéromoines et policiers ; ils annoncent qu'une grande persécution se prépare contre tous les Pères de la Sainte Montagne qui s'opposent à la ligne œcuméniste et anti-orthodoxe du Patriarche Œcuménique, et se déclarent décidés à user de tous les moyens légaux pour réintégrer leur Skite ». Hagios Agathangelos (Agathange) publie une lettre ouverte au Premier Ministre, signée par cent soixante quatre moines, dans laquelle ils dénoncent les faits, qui constituent une atteinte à la liberté de conscience, et soulignent que les moines zélotes se sont vus priver par la Sacrée Communauté du droit de faire moine un de leurs disciples et de lui léguer leurs biens, ce qui est contraire à la loi. Ils pensent que le but de ces persécutions anti-zélotes est d'écarter tout obstacle à une future union du type de celle de Lyon, qui a fait tant de martyrs sous le Patriarche Vekkos (1274). Ils ajoutent que la conscience orthodoxe n'acceptera jamais une telle union avec les hétérodoxes, fût-ce au prix du martyre, et citent une voix qui a dit : « Les persécutions religieuses ont pris fin en Russie, et commencent en Grèce ! » (Agathange n°130 A, du 23 mai 1992). En réalité, pour bien comprendre cette expulsion, il faut la resituer dans le contexte de la persécution que, depuis 1924, subissent ceux qui refusent, en accord avec leur conscience, l'aggiornamento de l'Église orthodoxe. B. La persécution des zélotes depuis 1924 En 1920, le patriarcat de Constantinople a préparé l'aggiornamento de l'Église orthodoxe, affirmant dans une encyclique célèbre que les différences dogmatiques étaient secondaires et ne devaient pas séparer l'orthodoxie des autres confessions. La politique ecclésiastique du patriarcat de Constantinople dans ces années fit scandale pour plusieurs raisons. Tout d'abord le patriarcat fut alors dirigé par un aventurier ecclésiastique tristement célèbre, Mélétios Métaxakis, qui, au mépris des canons de l'Église, changea plusieurs fois de siège épiscopal et patriarcal, se faisant successivement élever à l'archevêché d'Athènes, dont il fut déposé, puis au patriarcat de Constantinople, d'où il fut chassé, et enfin au patriarcat d'Alexandrie. Il avait l'appui de la diplomatie anglaise, si puissante alors au Moyen Orient. Formés en Angleterre, les évêques de Constantinople furent désormais préparés à accepter la théorie des branches, dont on comprend le sens dans le protestantisme, mais qui est étrangère à la tradition de l'Église orthodoxe. Lorsque ces hiérarques voulurent réformer l'orthodoxie pour favoriser les relations avec l'anglicanisme, ils ne consultèrent pas les autres Églises locales – introduisant l'œcuménisme comme un coup d'État, à un moment particulièrement tragique dans la vie des peuples orthodoxes. En effet, ces projets de réforme ecclésiastique furent annoncés et reçurent un commencement d'application au moment où les orthodoxes de Russie étaient en pleine persécution de la part des autorités soviétiques. Le patriarche Tykhon était emprisonné, de nombreux évêques tués ou déportés. Les communistes avaient créé une Église parallèle et révolutionnaire, l'Église vivante, qui appliquait avec l'aide des autorités athées une réforme proche de celle que proposait le patriarcat de Constantinople : suppression de toutes les barrières qui séparent l'Église et le monde, réforme des rythmes liturgiques – adoption du calendrier civil –, restriction du monachisme, activisme, etc. Le patriarcat de Constantinople s'empressa de reconnaître cette Église vivante et de demander au patriarche Tykhon de se retirer. À Constantinople les évêques russes et leurs envoyés furent assez mal reçus. Par la suite, jusqu'au début de la Seconde Guerre Mondiale, les grandes décisions de Constantinople furent prises sans consultation de l'Église russe ou contre elle. Le massacre, fait par les Turcs, des Grecs d'Asie Mineure, l'exil de ceux qui purent fuir (1923), la situation politique très confuse en Grèce et la soumission, depuis le XIXe siècle, de la hiérarchie de l'Église hellénique au pouvoir civil permit au patriarcat de Constantinople de commencer la mise en œuvre de sa réforme. En 1924, par décision gouvernementale, sans consultation du clergé ni du peuple, le calendrier ecclésiastique fut changé – non pour des raisons scientifiques, ni pour des motifs liturgiques, mais uniquement pour que les fêtes soient communes avec les Anglicans, qui avaient fini, eux aussi, par adopter le calendrier grégorien. La façon autoritaire dont le calendrier fut changé, le choix d'un calendrier18 qui a été condamné officiellement au XVIe siècle, sous le patriarche Jérémie II, dans plusieurs conciles pan-orthodoxes – tout cela provoqua une vive réaction populaire et monastique. L'ensemble des moines du Mont Athos – à l'exception d'un monastère qui y vint ensuite – refusèrent la réforme, et d'une façon plus générale l'Encyclique de 1920. De nombreux fidèles les suivirent, qui continuèrent de prier selon les règles liturgiques qui étaient les leurs jusqu'alors. Le drame fut que l'Église de Grèce, dirigée par l'archevêque Chrysostome Papadopoulos, s'appuya sur le pouvoir civil pour persécuter ceux que par dérision l'on nomma alors les « vieux-calendaristes », mais qui constituaient, en réalité, l'immense majorité des monastères et des fidèles vraiment pieux. La police leur prit leurs églises, chassa les moines de leurs monastères, les exila, les emprisonna. On arrêta les fidèles et le clergé, on coupa les barbes des prêtres, on leur enleva leurs soutanes, et certains même furent tués au cours de matraquages policiers. La persécution fut particulièrement violente dans les années trente, puis dans les années cinquante, à l'époque de l'archevêque Spiridon d'Athènes, enfin sous la dictature des colonels. Nous n'avons pas à en retracer l'histoire ici ; mais le fait est qu'elle est un cas d'intolérance religieuse où collaborèrent l'Église et l'État contre une partie des prêtres et du peuple fidèle à ses traditions. Le choix d'Athénagoras, membre de la haute maçonnerie américaine et acquis à la théorie des branches, comme patriarche de Constantinople, aggrava évidemment les choses. Tout d'abord, il fut imposé par la politique américaine désireuse d'assurer les meilleures relations possibles entre la Grèce et la Turquie, pays particulièrement choyé, pour des raisons stratégiques évidentes. Le patriarche Maxime V, bien plus traditionnel qu'Athénagoras, fut démissionné sans raison et enfermé comme fou en Suisse où il n'eut plus le droit de célébrer ni d'agir comme hiérarque. Les quelques personnes qui ont pu le rencontrer à la fin des années cinquante ont pu témoigner qu'il n'était ni fou ni irresponsable. La politique du patriarche Athénagoras est connue : chacun sait qu'il engagea le rapprochement avec Rome, et commença à promouvoir une union adogmatique pan-chrétienne et même pan-religieuse. Cette politique a été suivie par ses successeurs. Ce qui est moins connu, en revanche, c'est qu'il y eut des réactions très profondes dans tout le monde orthodoxe, mais surtout en Grèce et au Mont Athos, contre le bouleversement de la tradition orthodoxe qu'opérait Athénagoras. Tous les monastères du Mont Athos refusèrent purement et simplement de commémorer son nom à la liturgie. En Grèce du Nord, plusieurs évêques, qui étaient rattachés directement à l'Église mère, firent de même ou protestèrent énergiquement. Ce furent les métropolites Ambroise d'Eleuthéropole, Paul de Paramythie, Polycarpe de Sisianos et Siatistis et Augustin de Florina. En même temps, les persécutions contre les « vieux-calendaristes » redoublèrent. Tous ces moines, ces prêtres, ces évêques, étaient en droit de protester – d'une part, nous le verrons, selon les canons de l'Église orthodoxe, et d'autre part, en vertu des lois civiles qui sont supposées autoriser le pluralisme. Évidemment, avec la chute de la dictature des colonels en 1974, il devint plus difficile de réduire par la police toute opposition sur le territoire grec. Mais le statut particulier et indépendant du Mont Athos permettait « une reprise en main », laquelle devait prendre du temps mais arrive maintenant presque à son terme. Tout commença par une première tentative de coup de main policier contre le saint monastère d'Esphigménou qui refusa de céder. En 1974, le patriarche Dimitri Ier osa proclamer déchus de leur état monastique l'higoumène d'Esphigménou, le Père Athanase, et quelques moines. À cause de leur attachement à la « religion éternellement immuable et identique à celle des Pères19 », les moines, qui décidèrent de faire corps autour de leur higoumène et de rester solidaires, furent persécutés dans leur monastère : les forces de l'ordre le cernèrent, la centrale téléphonique de Karyès coupa leur téléphone, la poste centrale retint leur courrier, toute communication par terre et par mer fut interdite, les moines ne purent même plus sortir pour s'occuper de leur potager… Assiégés, ils n'en continuèrent pas moins de glorifier la Sainte Trinité et de louanger la Toute Sainte Mère de Dieu, la patronne de la Sainte Montagne. Au dessus des tours du monastère, flottait deux drapeaux noirs, et de grandes banderoles avec l'inscription : L'Orthodoxie ou la Mort ! La persévérance des moines porta son fruit : les gendarmes eux-mêmes furent scandalisés de l'œuvre antichristique qu'on leur demandait d'accomplir. Finalement, devant l'impossibilité de diviser les moines par les propositions les plus diverses, le gouverneur civil de l'Athos renonça à faire souffrir des innocents de façon aussi voyante. Depuis ce temps, malgré les vexations, le monastère esphigménite est devenu le symbole de la résistance à l'arbitraire du patriarcat. Les moines acceptent de vivre pauvrement plutôt que de céder : en effet, la plupart des monastères ont de grands biens, des terres leur ont été données hors du Mont Athos… Les autorités ont privé, illégalement, les moines d'Esphigménou des revenus de leur monastère, ainsi que de leur représentation à la Sacrée Communauté, ce gouvernement monastique de la Sainte Montagne. Certains des moines furent expulsés ou menacés, comme l'éditeur du journal Agathangelos, le Père Jacob qui, dans sa revue, dénonce régulièrement les persécutions faites contre les moines zélotes. Dans les skites, ces petits ermitages qui sont rattachés, administrativement, aux grands monastères des néo-athonites, mais où vivent, en réalité, des ascètes totalement consacrés à l'hésychasme, le monde avec ses tourments et ses violences fit là aussi irruption. De nombreux moines furent chassés, ou contraints de quitter le lieu de leur pénitence par toute sorte de moyens. Donnons quelques exemples. Tout d'abord, le Père Théodoritos, auteur de nombreux livres de théologie et de piété, et qui publiait L'hagiorite, un petit journal orthodoxe. Du fait de cette publication – que les autorités voulurent lui interdire – il dut quitter la Sainte Montagne pour se rendre à Paros. Il publia à Athènes en 1987 L'Apologie d'un hésychaste, où il raconta toutes les difficultés que son Père spirituel Callinique et lui-même avaient essuyées avec les autorités du Mont Athos. Mentionnons encore le cas d'un autre moine zélote, le Père Damien, qui vivait depuis quinze ans à la Sainte Montagne et qui fut chassé par la force malgré ses protestations. Le Père Damien refusa de reconnaître la légalité de l'acte d'expulsion qui n'était pas fondé sur le droit, écrivant notamment au gouverneur de la Sainte Montagne à Karyès : « Au respectable Gouverneur de la Sainte Montagne. Karyès. Monsieur le Gouverneur, Par les fonctionnaires de la police de Karyès, j'ai appris que vous avez donné ordre de m'expulser de la Sainte Montagne où je suis moine depuis quinze ans. Vous avez décidé de mettre à exécution et de couvrir du manteau de la légalité les décisions des moines orthodoxomaques du Monastère de Dochiariou, ces transgresseurs d'une foule d'articles de la Charte de la Sainte Montagne et de la Constitution Hellénique, décisions anticonstitutionnelles, anti-chrétiennes, contre toute idée de justice et de morale et qui font de vous un coupable. (…) Par la force et la contrainte, vous voulez violenter ma liberté religieuse que la constitution hellénique reconnaît à tout citoyen. Votre conduite rappelle le sombre régime de la Dictature, car vous me punissez sans me donner le droit de me défendre, droit que reconnaissent à leurs citoyens mêmes les tristes tyrans des pays sous-développés20 ». Le moine Damien précisait aussi qu'il avait promis, en faisant ses vœux monastiques, de rester jusqu'à la mort sur la Sainte Montagne. Le Père Théodoritos protesta contre l'attitude du Gouverneur et des autres persécuteurs, en écrivant dans L'Hagiorite : « Nous ne plaignons pas les persécutés, mais les persécuteurs. Les persécutés marchent dans la voie bienheureuse des confesseurs. Malheur à ceux qui les persécutent pour plaire à leurs supérieurs cacodoxes et à leurs adeptes ! Car qui ignore qu'ils veulent, par la persécution, étouffer la voix dissidente de ceux qui résistent, afin que le peuple de Dieu ne découvre pas ce qui se trame au Jardin de la Toute Sainte ? » Le même journal, L'Hagiorite n°34, de septembre 1985, publia une lettre ouverte adressée par un grand nombre de fidèles à la Sainte Communauté du Mont Athos, aux vingt monastères, au Gouvernement civil, au Ministère des Affaires Étrangères et à l'Association des correspondants de la presse étrangère à Athènes. Cette lettre disait notamment : « Révérends Pères, avec stupeur et amertume nous avons appris certains faits arrivés à la Sainte Montagne, le Jardin de la Toute Sainte et qui, à notre avis, compromettent le monachisme orthodoxe et donnent de graves inquiétudes à notre peuple orthodoxe… Le révérend higoumène du monastère de Dochiariou a organisé « l'assaut » du pauvre ermitage de l'ermite Damien Bulgarides, en forçant sa porte, en saccageant ses meubles et ses objets, en pillant ses pauvres économies faites sur son travail manuel. Et maintenant vous préparez son bannissement illégal de la Sainte Montagne ! » Par la suite, bien d'autres moines furent expulsés ; mais la visite à Rome du patriarche Dimitri qui, en décembre 1987, participa à la messe papale, portant son omophore21, et laissant son diacre lire les ecténies22 et l'Évangile, suscita trop de réactions sur la Sainte Montagne pour que le moment propice à un assaut final contre les zélotes soit rendu possible. Certaines skites refusèrent même de commémorer alors le nom du Patriarche Dimitri. Les kelliotes de Karyès et des environs, les moines dépendant des monastères du nord de l'Athos, ainsi que les monastères de Grigoriou et de Koutloumoussiou – qui n'appartenaient pas aux zélotes de l'Athos – suspendirent ainsi la commémoration du patriarche à la liturgie23. Ce dernier se rendit par la suite au Mont Athos, et devant le monastère d'Esphigménou, accompagné de nombreux policiers. Selon les moines athonites, l'assaut du monastère était résolu, mais, pour l'éviter, l'higoumène, le Père Euthymios, refusa d'ouvrir les portes. Plus récemment, l'higoumène d'un monastère athonite, le Père Éphrem de Philothéou, s'étant rendu aux États-Unis et au Canada, découvrit à quel point le syncrétisme religieux régnait dans les églises grecques de ce pays. Il rompit la communion avec le patriarcat de Constantinople et entra dans l'Église Russe à l'Étranger du Métropolite Vitaly qui lui ordonna des prêtres. Le Père Éphrem subit alors une telle persécution de la part des « néo-athonites », qu'il prit peur et retourna au Mont Athos en laissant l'Église Russe. Pour se venger du Métropolite Vitaly, la Sainte Communauté proclama son Église un « schisme » sans la grâce et hors de l'Église. Cette position suscita les réactions de certains fidèles pieux. Nous présentons en Appendice cette correspondance. Maintenant l'expulsion de la skite du Prophète-Élie a eu lieu et nous attendons celle, probable, des moines zélotes du monastère d'Esphigménou – qui sera plus difficile, car ils ont pour eux un très grand soutien populaire en Grèce. Le patriarche Bartholomée a réuni les évêques du patriarcat œcuménique au Phanar du 29 août au 1er septembre 1992, et il leur a déclaré qu'il désirait se rendre au Mont Athos en novembre 1992 et qu'il souhaitait voir réglée la question du monastère d'Esphigménou. Patience… C. Les persécutions menées par les néo-athonites Il serait faux de croire que les zélotes soient les seuls à être victimes de la prise de contrôle du Mont Athos par les néo-athonites. Même des esprits honnêtes, qui n'ont pas rompu avec le patriarcat, mais qui ne sont pas prêts à accepter n'importe quel acte de tyrannie ecclésiastique, ont été victimes de ce souci louable de libre examen selon la foi et de respect des canons. Ainsi, M. Mario Pilavaki, correspondant à Londres d'Orthodoxos Typos fut expulsé de l'Athos pour avoir critiqué un « texte sur l'éducation nationale » rédigé par deux higoumènes particulièrement réformistes, celui de Stavronikita et celui de Grigoriou. Le même texte, qui impliquait le Mont Athos dans toutes les querelles politiques ou sociales de la Grèce, fut aussi critiqué par le moine Maxime de la Grande Lavra, pourtant soutenu par plusieurs théologiens officiels très connus. Le résultat fut que le Père Maxime rencontra de très nombreuses difficultés avec les néo-athonites. Finalement, il dut quitter la Sainte Montagne, pour se rendre en Angleterre, où il est recteur d'une paroisse grecque. Là, il publia son livre sur Les Droits de l'homme au Mont Athos, que nous résumons dans le chapitre suivant. Plus surprenante encore est l'expulsion d'un Métropolite qui a son siège dans la Grèce du Nord, et qui commémore le patriarcat de Constantinople, Monseigneur Augustin de Florina. Dans une lettre célèbre, parue en avril 1985, adressée au patriarche Dimitri, cet évêque avait dénoncé toutes les transgressions des canons qui, selon lui, caractérisent sa propre Église et il s'était scandalisé de la complicité de certains moines du Mont Athos qui, au lieu de se dresser contre ces iniquités, sanctionnaient spirituellement ceux qui les dénonçaient : « Si des fils fidèles de l'Église orthodoxe osent protester contre ceux qui transgressent les canons, ils sont persécutés par les chefs des Églises orthodoxes, excommuniés et punis par des Pères du Mont Athos, qui voyagent à l'étranger et leur infligent des sanctions sévères, ce qui est un grand scandale24 ». Dans les dernières années le Métropolite Augustin de Florina continua de mettre en garde le peuple orthodoxe grec contre l'action de certains hiérarques du patriarcat. Ainsi, en Australie, l'archevêque Stylianos fut accusé par ses propres fidèles, puis par des moines du Mont Athos – comme le Père Théoclète Dionysiate – de néo-nestorianisme. Des Fraternités s'organisèrent en Australie, qui refusèrent l'autorité de l'archevêque Stylianos. Non seulement le métropolite Augustin de Florina, mais le patriarcat de Jérusalem soutint les très nombreux prêtres et les fidèles qui se séparaient de l'évêque nestorianisant d'Australie. Quand le Métropolite Augustin fut invité au Mont Athos, au monastère de Koutloumoussiou, et qu'il eut donné son avis sur la situation ecclésiastique en Australie, il reçut le conseil énergique de partir au plus tôt le lendemain matin au risque d'être chassé par la police. Peu de temps après cet incident, Ecclesiasticos Agon, journal pourtant lié à l'Église d'État, affirmait publiquement qu'il redoutait « la prise du Mont Athos ». Voici ce que déclarait cet important journal ecclésiastique grec, faisant allusion à divers événements arrivés sur la Sainte Montagne, notamment à la prise de contrôle du monastère des Ibères par l'higoumène réformiste de Stavronikita, le néo-athonite Père Basile Gontikakis. « Dans l'Histoire du monachisme athonite, le retour du monastère des Ibères au cénobitisme traditionnel est un fait important. « Malgré cela, certains événements, liés à ce retour, justifient certaines inquiétudes quand au cheminement du monachisme athonite. Et voici pourquoi : le peuple orthodoxe hellénique et les amis sincères de la Sainte Montagne ont été surpris par "l'élection", comme higoumène, d'une personne étrangère à la fraternité monastique ibérique. Selon les règles et l'antique ordre monastique, l'higoumène est choisi par les frères du monastère parmi les frères du monastère. « Il y a chez les Ibérites des Pères de qualité, "engendrés et nourris" par ce saint monastère, et rien n'obligeait d'aller "emprunter" ou "amener" un higoumène d'un autre monastère ! « Et cet higoumène "choisi" augmente l'inquiétude. Le Père Basile Gontikakis – c'est de lui qu'il s'agit – était higoumène du monastère de Stavronikita. Comment a-t-il accepté d'abandonner son monastère pauvre et de se faire "muter" – car il s'agit bien de mutation – dans un monastère riche et en vue ? « De plus, cet higoumène "amené" et "emprunté" est connu pour ses acrobaties œcuménistes, pour ses écrits anti-monastiques – destinés à soutenir l'archevêque hérétique Stylianos d'Australie, et condamnés pour modernisme par des hagiorites officiels – et pour son "incapacité" à s'adapter à la tradition du monachisme athonite ; manifestement, il est influencé par l'esprit occidental et étranger à la tradition hagiorite ! « Outre cette maudite "mutation", le comportement du Patriarcat Œcuménique inquiète également ! Celui-ci paraît avoir été mêlé à cette affaire, au détriment des privilèges des monastères athonites, et avoir agi d'après un plan pré-établi, pour placer à des postes d'higoumènes des "subordonnés" du Phanar et des "porteurs" de l'œcuménisme ainsi que du "néo-vekkisme" qui lui fait suite ! « À titre indicatif, nous avons été informés que l'archimandrite Basile Gontikakis, "l'amené" et "l'emprunté", est à l'origine des calomnies contre le Métropolite Augustin de Florina et que c'est lui qui a précipité l'expulsion du Métropolite hors de la Sainte Montagne, en l'accusant d'avoir critiqué des représentants du Patriarcat Œcuménique en Australie pour leur conduite anti-orthodoxe ! « Tout ce qui se passe autour de cette "cénobitisation" du monastère des Ibères justifie l'inquiétude du peuple orthodoxe grec et des amis sincères de la Sainte Montagne, qui posent la tragique question : « Aurait-on établi un plan pour la prise de la Sainte Montagne ? Est-ce qu'à l'horizon athonite s'agiteraient des "ombres de revenants" de Barlaam, de Michel Paléologue et de l'abject "patriarche" Jean Vekkos25 ? » Un autre journal grec, Orthodoxos Typos, lié lui aussi à l'Église d'État, mais de tendance assez traditionnelle, commentait ainsi l'expulsion du Métropolite Augustin et sa déclaration selon laquelle « à la Sainte Montagne, sur tous les monastères, skites et ermitages devrait toujours flotter le drapeau l'Orthodoxie ou la Mort » : « Nous croyons que les paroles ferventes du Métropolite Augustin de Florina sont la justification et la récompense d'un monastère communautaire athonite qui, depuis de nombreuses années déjà, a hissé le drapeau l'Orthodoxie ou la Mort, malgré les violentes réactions des autres monastères de la cité athonite ; il s'agit du Monastère d'Esphigménou… » Enfin, Agathangelos se disait scandalisé par la façon de faire des néo-athonites qui, au simple discours d'un évêque, répondent par l'expulsion : « Le 6/19 août, fête de la Transfiguration, le Métropolite Augustin Kantiotis fut invité à présider aux fêtes du Monastère du Koutloumoussiou, proche de Karyès. « Le "patriarcat œcuménique" avait donné la permission et le Métropolite rendit visite, auparavant, à la Sacrée Communauté, qui le reçut avec tous les égards dus à sa dignité, comme elle fait pour tous les évêques néo-calendaristes… « Les fêtes se déroulèrent normalement, sous la présidence d'Augustin qui célébra avec l'higoumène du monastère et les hiéromoines présents. Le soir du jour principal, au cours des vêpres et de l'office des défunts en mémoire des fondateurs, le Père Augustin voulut adresser quelques mots et donner quelques conseils aux moines du monastère et aux fidèles présents. Étaient présents à l'office ecclésiastique les représentants de la Sacrée Communauté. Le Métropolite Augustin parla de la visite tant attendue du "patriarche", de la ligne œcuméniste suivie par le "patriarche" Dimitri, et de la tolérance de celui-ci et de son synode, qui maintient en poste "l'archevêque d'Australie" Stylianos, malgré ses scandales et son activité anti-ecclésiastique et anti-nationale dans l'hellénisme émigré !… « Cette critique contre Dimitri ne fut pas appréciée par des représentants œcuménistes fanatiques de la Communauté, qui protestèrent et partirent furieux… décidés de dénoncer, dès le lendemain, à la réunion de la Communauté et d'expulser, par la force du bras séculier (selon leur habitude), le Métropolite Augustin. Mettant à exécution ces menaces, M. Loulis, le gouverneur civil (et homme du patriarcat), le persuada… bien avant le lever du jour ( !!!) de quitter la Sainte Montagne, pour ne pas être chassé avec violence, à la suite de la décision de la Communauté !… Malgré ses protestations, il se laissa convaincre par Loulis et on le fit partir de nuit, parce qu'il avait eu l'audace de manifester son opposition. « Par tous les moyens de terre et de mer dont dispose le gouverneur civil, il fut conduit au port de Daphni, et de là hors de la Sainte Montagne !… Le lendemain, la Sacrée Communauté dénonça au "patriarcat œcuménique" le Métropolite et demanda des sanctions à son endroit. « Voici la triste et audacieuse dictature de la Sainte Montagne ! Quelle misère !!! Telle est l'autorité spirituelle féodale des "parrains œcuménistes" !… S'ils avaient voulu soutenir le "patriarche", ils auraient dû inviter, poliment, le Père Augustin à converser à la Sacrée Communauté et corriger une éventuelle faute de ce dernier. Seulement… auraient-ils eu le courage de contredire les vérités qu'il leur avait lancées ? L'expulsion les arrangeait au mieux ! « Croyez-vous qu'ils ont agi ainsi… par amour de leur patriarche ???… Ils n'ont de sympathie pour personne, si ce n'est pour le siècle !… Et ils font tout pour ne pas le perdre. Le patriarcat ayant aujourd'hui avec lui l'État, et les places qu'ils occupent étant précaires sans les faveurs de Dimitri, ils se hâtent, en conséquence, de montrer une servilité rampante envers leurs maîtres, insinuant lamentablement : "Voyez comme nous vous soutenons, en retour, gardez-nous à nos postes"… « Jusqu'à quelle hauteur, à quel respect, l'autorité spirituelle de la Sainte Montagne s'est élevée de nos jours26 ! » Nous n'avons voulu donner ici que quelques exemples de cette situation anti-chrétienne qui règne sur la Sainte Montagne de l'Athos contre tout droit ecclésiastique et civil. Nous savons que, dans quelques années, des moines feront l'histoire de ces persécutions, donneront tous les documents historiques et scientifiques ; mais la Sainte Montagne de l'Athos existera-t-elle comme dans le passé ? Sa normalisation n'est qu'un premier pas vers sa disparition, vers sa transformation en un musée du monachisme oriental, où les moines, transformés en gardiens, donneront l'opinion de l'Athos sur ce qui se passe dans le monde, comme le font déjà les néo-athonites, et feront des conversations et des conférences scolaires sur la vie spirituelle qui sera ainsi enseignée et non pratiquée. Froideur et ennui mortel. L'Europe aura son musée folklorique sur les « Pères du désert », mais le monachisme orthodoxe authentique sera absent de la Sainte Montagne. II LES DROITS DE L'HOMME AU MONT ATHOS TÉMOIGNAGE DU PÈRE MAXIME DE LA GRANDE LAVRA vec l'expulsion par la police, sur ordre du patriarcat de Constantinople, des moines de la skite du Prophète-Élie, le livre du Père Maxime de la Grande Lavra prend un caractère incontournable. Le Père Maxime est devenu moine dans un grand monastère du Mont Athos, le plus ancien, la Grande Lavra. Attaché au monachisme traditionnel, homme cultivé, connaissant bien les écrits des Pères de l'Église, le Père Maxime ne s'est pas soumis aux néo-athonites et, obligé de vivre désormais en Angleterre, il y a publié l'ouvrage que nous avons déjà mentionné, Les Droits de l'Homme au Mont Athos. Le livre du Père Maxime, publié en anglais27, n'a pas du tout pour but d'être un livre de controverse religieuse : il dénonce un état de fait, la mainmise sur le Mont Athos d'un groupe d'higoumènes qui ne respectent pas même les droits les plus élémentaires des autres moines, « anciens athonites », « zélotes », moines d'origine slave, russe ou serbe. Il ne s'agit pas des règles divino-humaines de l'Évangile, du monachisme et de l'Église, mais des simples droits de l'homme, tels qu'ils sont reconnus par les chartes internationales : il semble qu'ils soient méprisés au Mont Athos. Cet ouvrage s'ouvre sur une préface de Sir John Lawrence, le président de Keston College, spécialiste notamment des études sur le non-respect des Droits de l'homme dans les pays de l'Est. L'important journal britannique, The Independent, a consacré un long article d'une double page au livre du Père Maxime – dont personne n'a encore rien dit en France. Nous présenterons donc ici un résumé de ce livre : Introduction Dans son Introduction, le Père Maxime rappelle les origines du Mont Athos et son caractère international : « Depuis 963, date de la fondation, par saint Athanase, de la Grande Lavra, avec la protection de l'Empereur de Constantinople, le Mont Athos appartient aux monastères orthodoxes qui y sont installés. Il dépend de l'autorité spirituelle du Patriarche de Constantinople. Depuis cette époque (le Xe siècle), les établissements monastiques et leurs dépendances se développèrent rapidement et prirent un caractère international, incluant des fondations non seulement d'origine grecque, mais encore de toutes les familles de l'orthodoxie : Serbie, Géorgie, Russie, Bulgarie, Roumanie et, pour un temps, Italie. Cette ligue cosmopolite de monastères, assez vite, trouva opportun d'avoir une assemblée commune, qui pût fournir un utile conseil représentatif ; on l'appelle la Sainte (ou Sacrée) Communauté ou la Sainte Congrégation ». Le Père Maxime note ensuite que la Sainte Communauté a remarquablement fonctionné et que son système de confédération a parfaitement servi les intérêts de l'Athos pendant dix siècles. La capitale choisie pour cette république fut Karyès, au centre de la péninsule. Les higoumènes s'y réunissaient sous la présidence de leur confrère, le Protos de Karyès. Chaque monastère restait totalement autonome. L'indépendance et l'immunité des monastères furent préservées lorsque l'Athos tomba aux mains des envahisseurs successifs de l'Empire romain : Latins (Franks), Slaves, Ottomans. Il rappelle aussi que l'autorité théologique de l'Athos fut immense dans le passé, notamment au XIVe siècle, avec le mouvement hésychaste qui « marqua de leur caractère spécifique les peuples orthodoxes de Russie, des Balkans et du Moyen Orient et qui eut une influence considérable sur le christianisme oriental dont il fut l'expression la plus essentielle et la plus haute ». Pendant la turcocratie, le Mont Athos eut un statut quasi-autonome accordé par le sultan, et ce n'est qu'en 1917 que la Sainte Montagne passa sous contrôle grec. En 1922, lors de la catastrophe d'Asie Mineure qui vit l'exil forcé de six millions de Grecs d'Anatolie, plusieurs centaines de réfugiés devinrent moines sur le Mont Athos, représentant la dernière génération « née et nourrie dans cet environnement traditionnel ». Les moines de l'Athos n'étaient pas d'ailleurs exclusivement grecs ; en 1913, il y avait jusqu'à cinq mille moines russes sur le Mont Athos. C'est malheureusement à cette époque que le gouvernement grec se détermina à éliminer les moines non-grecs, afin de sauvegarder son idée chauvine d'un peuplement homogène de ce territoire récemment acquis. Or les traités internationaux (Berlin 1878, Sèvres 1913, Lausanne 1923) ont tous fait, du maintien des minorités ethniques sur l'Athos, une obligation. Les desseins du gouvernement grec trouvèrent un appui dans la situation de schisme créée par « l'introduction du calendrier grégorien28 dans certaines parties de l'Église orthodoxe, décidée unilatéralement par le patriarcat de Constantinople en 1924. Elle causa une division grave parmi les moines athonites, dont la plupart considéraient ce changement comme une innovation indésirable, destinée à ruiner l'unité des peuples orthodoxes » – ce qui arriva : l'Athos lui-même ne suit pas le nouveau calendrier, pas plus que les Églises orthodoxes de Russie, de Serbie, de Bulgarie (jusqu'en 1968), du Sinaï et du patriarcat de Jérusalem. Il y eut – et il y a encore – des persécutions contre les athonites qui protestent contre ce changement : ce sont eux qu'on appelle les zélotes et qui ont rompu toute relation liturgique avec les autres moines. Un grand nombre de ces moines persécutés – et même, depuis, déportés hors de l'Athos – venaient des minorités non-grecques ». Le Père Maxime rappelle ensuite qu'en 1926, la nouvelle constitution grecque introduisit quatre stipulations fixant le futur mode d'administration de l'Athos : 1) égalité et autonomie locale des vingt principaux monastères ; 2) égalité des droits et citoyenneté grecque accordées à tous les moines, quelle que soit leur nationalité ; 3) établissement d'une charte constitutionnelle fournissant à la confédération athonite un règlement administratif, législatif et judiciaire ; 4) nomination d'un administrateur civil ayant pour mission de veiller à l'application exacte de la charte. Toutes les constitutions grecques ont repris ces quatre principes. En 1926 encore, la charte constitutionnelle, composée de cent quatre-vingt-dix-huit articles, que les principaux monastères, à l'exception du monastère russe de Saint-Pantéléimon, avaient approuvée, fut adoptée par le Parlement grec et eut force de loi constitutionnelle. La charte distingue nettement entre les monastères cénobitiques et idiorythmes (art. 84 et 142)29. Toute altération du statut des vingt monastères et de leurs douze dépendances appelées skites30 est strictement interdite. En outre, les monastères cénobitiques n'ont pas le droit de devenir idiorythmes, tandis que l'inverse est possible si la grande majorité de leurs membres le demande – et sous réserve que la Sainte Congrégation l'approuve (art. 85). Jusqu'en 1968, la question ne se posa pas et aucun des monastères idiorythmes ne pensa même à changer son mode de vie traditionnel ; aucun n'y aurait jamais songé depuis, si certains n'y avaient été contraints par la force. Puis le Père Maxime explique que les cérémonies commémoratives du millénaire de l'Athos en 1963 furent assombries par le déclin du nombre des moines : de 1903 à 1963, ils étaient passés de sept mille cinq cents à mille cinq cent soixante, en un peu plus d'un demi-siècle. Citons ensuite le Père Maxime : « Quand la junte militaire prit le pouvoir en 1967, elle tira pleinement parti du déclin de l'Athos. En 1968, la gendarmerie grecque, dirigée par le gouverneur civil, prit d'assaut le monastère de Stavronikita. Ils firent irruption dans les cellules, en jetèrent les occupants dehors, puis les chassèrent de leur monastère. La plupart des Pères durent se mettre à l'abri sous les arbres ou dormir dehors avant de trouver où aller. Le jour suivant, le gouverneur civil déclara la fin du ci-devant monastère idiorythme de Stavronikita, qui devenait cénobitique, et l'expulsion de tous les moines pour immoralité. La Sainte Congrégation de Karyès ne réagit pas quand le gouverneur imposa, comme higoumène idéal, un jeune prêtre d'une skite idiorythme, à la moralité garantie par le régime des colonels ! « Cet événement marque, pour l'Athos, le début d'une nouvelle époque. Les uns après les autres, les monastères ont changé de mains. Non seulement les monastères idiorythmes, mais aussi les cénobitiques occupés par des moines âgés et peu nombreux firent l'objet d'offre de reprise en mains émanant de communautés plus jeunes venant de toute la Grèce. Ce fut une occasion unique, pour des clercs grecs célibataires et ambitieux, de devenir abbés sur la Sainte Montagne. Alors qu'auparavant, chacun devait commencer par le noviciat dans un monastère, on pouvait maintenant, sans grand effort, devenir supérieur de monastère. « Entre 1968 et 1986, douze monastères ont reçu de nouvelles fraternités. Cinq d'entre eux durent aussi abandonner de gré ou de force leur mode de vie antérieur et devenir cénobitiques. Le mode de vie idiorythme fut diffamé sur une si large échelle, que les moines se trouvèrent obligés de livrer leurs monastères… « À la fin, les vents de la réhabilitation de l'Athos exercèrent une fascination séduisante sur les cités et les universités. De nombreux jeunes gens de bonne éducation s'empressèrent de rejoindre les communautés cénobitiques nouvellement formées ou réorganisées, sans s'interroger aucunement sur leur authenticité monastique ou leurs origines. Ces nouvelles recrues freinèrent le déclin numérique de la population athonite. Les jeunes supérieurs à la tête de ces communautés étaient souvent estimés comme des héros dignes d'un grand honneur, puisqu'ils étaient le foyer central de ces groupes. La plupart des nouveaux initiés – surtout les plus incultes – cédèrent à la tentation de faire de ces supérieurs l'objet d'un culte de la personnalité ou d'une héroïsation. « Toutes ces conditions ont produit une mentalité excentrique qui n'a plus rien à voir avec la tradition monastique antérieure ». Le mouvement néo-orthodoxe est ainsi né peu avant la restauration de la démocratie en Grèce (1974), et a séduit des politiciens de droite aussi bien que certains socialistes. L'un de ces derniers écrivait ces lignes, en préface à un calendrier publié par le Centre de Sauvegarde de l'Héritage du Mont Athos : « Le Mont Athos représente une continuité de vie dans l'orthodoxie et dans l'hellénisme. Pendant onze siècles, il a gardé cette flamme, exerçant une influence peu visible mais profonde sur le progrès de la Nation… » Bref, le Christ ne vaut plus que par le vêtement grec dont on l'affuble. Cette mentalité, explique le Père Maxime, est fortement orientée vers le travail missionnaire dans le peuple grec, considéré comme une « nation religieuse » dont la fonction unique est de répandre à travers le monde un hellénisme orthodoxe nostalgique du passé et fortement nationaliste. Et c'est au nom de ces idéaux et de ces illusions que la Sainte Montagne, naguère havre de paix et de prière, est devenue, pour les moines qui refusent l'arbitraire des néo-orthodoxes, un lieu d'injustice, de troubles et de tourments ! Les Droits de l'homme au Mont Athos Le Père Maxime dénonce ensuite les manquements aux Droits de l'homme commis sur le Mont Athos : « On ne s'attendrait pas à rencontrer des violations des Droits de l'homme dans une communauté qui a pour tâche de transcender les limitations humaines par l'ascèse chrétienne, et qui cherche, par définition, à atteindre un idéal qui n'est pas humain, mais divino-humain. Malheureusement la réalité est à l'opposé de ces aspirations ; elle laisse même absolument sans illusion. Aujourd'hui, à une époque censée avancer d'un bon pas vers l'unité européenne et la citoyenneté européenne commune, dans un des pays membres de la CEE, à savoir la Grèce, quelques-uns des droits les plus essentiels à la subsistance de toute communauté humaine sont tout à fait ouvertement foulés aux pieds. Sont, en particulier, violés ou ne sont pas respectés du tout, en dépit de la constitution grecque et de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (C.E.D.H.), qui les garantissent, les droits suivants : La liberté d'expression (Article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) Sous prétexte d'obéissance, note le Père Maxime, il existe une censure inadmissible. Il est impossible de rien dire ou publier de contraire à l'opinion des autorités, sans s'exposer aux persécutions et à l'expulsion de l'Athos, sur simple décision de la Sainte Communauté. Les moines doivent demander, avant toute publication sur des sujets théologiques ou autres, l'imprimatur de supérieurs qui souvent ignorent la question traitée. C'est un dévoiement, ou plutôt, une utilisation illégitime de l'obéissance monastique par les supérieurs, qui s'en servent à leur profit. Selon la vraie tradition monastique, l'obéissance est volontaire et le supérieur n'a aucun droit de porter atteinte à la liberté du disciple. Si tout marchait comme il faut selon l'idéal chrétien, le moine s'exprimerait librement et les supérieurs en seraient ravis, puisque ses paroles seraient le fruit de leur enseignement. Aux fruits on connaît l'arbre, dit le Seigneur dans l'Évangile. Ces mesures policières prises pour limiter l'expression personnelle, sous couleur de faire régner l'ordre et l'obéissance, n'ont que deux raisons d'être : a) La peur que le monde extérieur s'aperçoive que certains moines ne sont pas ce qu'on attend de la part d'hommes qui ont dédié leur vie à Dieu. b) La conscience de ce problème et la nécessité de prendre des mesures et de se précautionner, non bien sûr pour le résoudre, mais simplement pour masquer la vérité devant l'opinion publique. Ceux qui ont osé exprimer leur opinion sur les questions vitales pour le Mont Athos, dans des journaux ou dans des livres, ont été persécutés et ont souvent été obligés d'en appeler à la Cour Suprême de Grèce pour obtenir l'annulation de leur expulsion illégale. Ceux qui protestent contre cette absence de liberté d'expression risquent de le payer cher. À la différence de ce qui a lieu pour les pays de l'Est31, la dictature, sur l'Athos, n'est tempérée par l'action d'aucune association d'Europe ou d'Amérique. Au contraire, la société des Amis de la Sainte Montagne œuvre à Athènes, avec les subsides du Ministère des Affaires étrangères, pour le soutien des « néo-athonites » et de leurs injustes décisions. Les plus démunis sont, bien sûr, les moines non-grecs. Le droit à la liberté de conscience religieuse (Violation de l'article 9 de la C.E.D.H.) « Un autre phénomène inattendu sur la Sainte Montagne est aujourd'hui la suppression des droits élémentaires dont sont victimes les "zélotes" ou "vieux-calendaristes". Ils se sont séparés ecclésialement des autres moines et ne communient pas avec eux afin d'exprimer leur opposition sur des sujets tels que le changement de calendrier, l'œcuménisme et l'hérésie des athonites néo-orthodoxes. Ils ont été punis en conséquence ». Le Père Maxime énumère quelques unes des vexations dont les zélotes sont victimes : « La répression punitive infligée aux zélotes a atteint un tel point qu'ils n'ont même plus le droit de toucher l'argent que l'État doit à leur monastère, ni d'entreprendre au compte de l'État des travaux, restaurations d'édifices ou réparations d'intérêt général, ni d'acquérir des cellules et des ermitages comme font les autres moines. « Le pire est qu'ils ont été exclus de la Sainte Communauté, ce qui veut dire qu'ils n'ont pas le droit d'y être représentés ou d'exprimer leur point de vue. C'est une violation de plusieurs articles de la charte constitutionnelle de l'Athos, non moins que de la constitution grecque. « Malgré les protestations et les plaintes écrites, il n'y a pas eu, de 1971 à ce jour, la moindre intervention de l'autorité compétente, à savoir celle du gouverneur civil. Ce cas démontre le caractère fasciste de l'oppression exercée sur toute minorité ou tout individu qui n'est pas dans la ligne. L'actuel régime athonite ne peut pas, en l'occurrence, invoquer la Charte Constitutionnelle, qui interdit l'installation de schismatiques sur la Sainte Montagne, puisque les zélotes ne sont pas venus d'ailleurs s'installer sur la Sainte Montagne, comme l'ont fait les néo-orthodoxes, mais sont d'anciens athonites devenus zélotes par suite de la malheureuse politique ecclésiastique du patriarcat œcuménique. « En outre, la charte constitutionnelle interdit, par dessus tout, l'installation de moines non-orthodoxes sur la Sainte Montagne. Toutefois, des douzaines de groupes de néo-orthodoxes organisés ont pris pied dans beaucoup de monastères de la Sainte Montagne, sans en être empêchés, quoique leur culture nationaliste soit on ne peut plus éloignée de la tradition monastique athonite. Or ce sont les chefs de ces néo-orthodoxes qui président aujourd'hui aux destinées de la Sainte Montagne ». Le droit au courrier et au téléphone privés (Violation de l'art. 8 de la C.E.D.H.) Dans beaucoup de monastères, surtout ceux qui ont été remplis par des jeunes et des anciens universitaires, ces droits n'existent pas. Les higoumènes des monastères néo-orthodoxes ouvrent toutes les lettres destinées aux moines et ne les transmettent que si bon leur semble ; de même pour les lettres que veulent envoyer leurs moines, lesquels n'ont pas même le droit de savoir si leur courrier a été transmis. On ne tolère aucune protestation. Cette censure n'est pas l'obéissance monastique, mais cause, au contraire, une suspicion réciproque et entraîne la mauvaise foi dans les relations entre moines et higoumènes. Que craignent ces derniers ? Si chaque moine s'en était remis de tout son gré à son higoumène, celui-ci n'aurait pas à prendre de telles mesures précautionneuses. Un moine qui écrirait une lettre en ferait probablement connaître la teneur à celui en qui il aurait toute confiance ; et s'il ne le faisait pas, cela ne représenterait en aucun cas une menace pour l'higoumène ! De même, tous les téléphones sont sur table d'écoute et il n'est pas rare qu'un moine soit sommé de s'expliquer sur telle chose qu'il a dite au téléphone, sans qu'il ait le droit de savoir de quel droit on l'a écouté ou qui l'a écouté. La même chose vaut pour les appels reçus de l'extérieur par les moines : le moine n'est informé qu'on l'appelle que lorsque les autorités se sont assurées que leurs intérêts en sortiront saufs. Quand elles passent la communication, c'est en prenant note de son contenu. La plupart du temps, toutefois, les « autorités » répondent que le moine demandé est occupé ; il y a dérogation, lorsque celui qui appelle déclare qu'il songe à devenir moine. Alors la conversation peut durer plus d'une heure. Il y a pire : il est très possible de s'entendre avec les postiers locaux et de subtiliser le courrier d'un moine ou d'un monastère avant qu'il atteigne sa destination. Le droit des minorités (Violation de l'article 14 de la C.E.D.H.) La Sainte Montagne a toujours été un foyer monastique pan-orthodoxe. Cette présence non-grecque est non seulement une bénédiction et un fruit de l'Histoire, mais encore elle est essentielle pour la réalisation des buts spirituels de l'Athos. Les traités internationaux (Berlin 1878, Sèvres 1913, Lausanne 1923) maintiennent et protègent les minorités non-grecques, et l'article 105 de l'actuelle Constitution accorde, en conséquence, la citoyenneté grecque à tout moine de l'Athos d'origine étrangère. Or, depuis la junte (1967-1974), le Ministère grec des Affaires Étrangères fait tout pour chasser, anticonstitutionnellement, les moines étrangers et exerce des pressions sur le patriarcat de Constantinople pour obtenir son consentement. Le but premier du gouvernement grec était l'anti-communisme : il s'agissait de chasser tout moine originaire d'un pays du Pacte de Varsovie32 et de libérer ainsi la Grèce de ses obligations internationales. À long terme, ce que veut l'État grec, c'est la suppression de l'autonomie de l'Athos au profit de la souveraineté grecque ; ce transfert de souveraineté aura des conséquences désastreuses pour tous les moines, y compris les moines grecs, car il permettra à l'État de prendre toutes les décisions qui lui plairont sans que le Patriarcat ni les moines puissent protester. Seront rendues possibles : 1. la nationalisation des biens athonites, alors que le bien-fonds athonite appartient de droit au Patriarcat ; 2. le développement du tourisme à la Sainte Montagne, par l'abolition de la clôture monastique, la création d'hôtels, de plages et autres entreprises commerciales ; 3. la soumission du Mont Athos au Service Archéologique et la transformation des monastères en musées. Ce sont les moines étrangers et les traités internationaux qui constituent l'obstacle majeur à ces projets. C'est pourquoi, eux et leurs compatriotes venus en pèlerins, sont persécutés. Il s'agit principalement des Grecs de Chypre, des Roumains, des Russes, des Serbes, des Bulgares et des moines des autres pays, à l'exception de ceux de la Communauté Européenne, qui ont le droit de résidence dans un État membre. Voyons comment l'État s'y prend pour écarter les « indésirables ». Le gouverneur civil et la police usent de détours pour empêcher l'arrivée de ces moines étrangers. (a) Ils les privent de la citoyenneté grecque, à laquelle ils ont pleinement droit en vertu de l'article 105 de la Constitution. Le Gouverneur Civil, au lieu de se conformer à cet article et de leur donner une carte d'identité, la remplace, sur ordre du Ministère des Affaires Étrangères, par un permis provisoire de séjour, lequel doit être renouvelé tous les deux mois. (b) Ils confisquent le passeport des moines étrangers pour les obliger à quitter la Sainte Montagne. Voici la manœuvre. Un moine étranger arrive et donne la preuve qu'il a bien été inscrit dans un monastère du Mont Athos et, d'accord avec la Constitution, demande une carte d'identité. Les policiers demandent à voir le passeport, le confisquent et déclarent qu'il ne sera rendu à son propriétaire qu'à Ouranopolis, la première ville située juste hors des frontières de l'Athos. Si le moine tombe dans le piège et fait le voyage jusqu'à Ouranopolis, on lui rend son passeport, mais on ne le laisse pas rentrer dans l'Athos, sous prétexte qu'en tant qu'étranger, il a besoin d'un nouveau permis pour entrer. « Si vous aviez une carte d'identité, lui dit-on, vous pourriez rentrer ». Si le moine, alors, retourne à Thessalonique pour obtenir du Ministère un nouveau permis d'entrer, on lui dit qu'il a dépassé la date marquée sur son premier permis, prévu pour quatre jours, et qu'il est déjà resté plus de jours sur l'Athos qu'il n'est permis aux visiteurs étrangers. Il n'a plus qu'à rentrer dans son pays. Alors il est arrêté comme un immigrant illégal, déclaré un danger pour la sécurité de la nation, et le tout est noté sur son passeport de manière qu'il ne puisse plus désormais se rendre en Grèce ; il est, enfin, raccompagné à la frontière où l'on s'assure de son expulsion. Si le moine étranger évite de demander à la police une carte d'identité, il est néanmoins arrêté sur la Montagne et expulsé sous prétexte que ses papiers ne sont pas en règle ! De cette manière ont été chassés beaucoup de moines. Même de simples pèlerins ont été écartés par des manœuvres dilatoires. On les fait attendre si longtemps à Thessalonique qu'ils sont obligés de repartir avant d'avoir le permis. Passons sur toutes les mesures d'intimidation, les vexations, les menaces et l'agressivité des autorités à l'égard de ces pèlerins, incapables le plus souvent de s'exprimer en grec ni de protester, et qui sont fréquemment des membres du clergé, des universitaires, des professeurs, des étudiants… La xénophobie prévaut si bien qu'un magnifique monastère russe du XIXe siècle, détruit par un incendie en 1968, n'a pas été reconstruit, quoique le gouvernement russe ait offert de le restaurer intégralement. Une intense propagande présentait, aux yeux des moines grecs de l'Athos, les étrangers de l'Est comme des espions du Pacte de Varsovie et les moines serbes comme travaillant à la création d'un État macédonien. La désinformation et l'ignorance règnent si bien dans les monastères que les moines grecs ignorent l'antagonisme entre les Macédoniens et les Serbes et croient que les seconds œuvrent pour les premiers ! Quand on sait combien ces moines de l'Est ont été haïs et persécutés dans leurs propres pays, on se rend compte du caractère écœurant des calomnies du gouvernement grec à leur endroit. Le Ministère des Affaires Étrangères donne chaque année une forte somme à l'Administration Civile de l'Athos, destinée à la propagande anti-slave ! Cet argent sert à payer des informateurs, à acheter des icônes précieuses, etc. Aucun gouvernement grec, fût-il socialiste, n'a osé supprimer cette allocation, déclarée indispensable à la sécurité nationale et qui ne sert qu'à remplir les poches des adulateurs du Gouverneur Civil. Ce que cherche, par tous ces moyens, le Ministère des Affaires Étrangères, c'est le départ de tous les moines étrangers, qui libérerait automatiquement la Grèce de ses obligations envers eux. Mais, heureusement, ces plans, que les moines grecs jugent inhumains, contredisent directement la Convention Européenne pour la Protection des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (art. 14), ainsi que la loi sur les minorités adoptée par le Parlement Européen en 1988. Néanmoins la terreur continue et s'étend aux pèlerins. Par xénophobie, on refuse à certains visiteurs le permis d'entrer. Un pèlerin serbe se voit attribuer un permis valable pour dix-huit heures seulement, délai qui ne lui permet pas d'atteindre sa destination : le monastère serbe de Chilandari. Malgré les protestations des moines grecs, le gouvernement ne modifie pas sa politique. Même vigilance à l'égard des Grecs de Chypre. Le gouvernement craint qu'ils n'acquièrent un monastère à eux sur l'Athos. Un groupe de moine chypriotes, arrivé en 1987 et dont la plupart des membres venaient de la partie de l'île qui est maintenant occupée par les Turcs, ne purent résider au monastère de Vatopédi qui les avait invités. Le Gouverneur civil déclara que les Chypriotes ne pouvaient séjourner dans un monastère grec ! Dans une lettre au Times du 23 mars 1989, le prêtre de la paroisse serbe de Londres, le Père Milun Kostitch, s'est plaint de la déception éprouvée par ses compatriotes dans ces occasions et a souligné qu'il avait lui-même dû attendre deux jours à Thessalonique pour avoir un permis rendant possible le pèlerinage à Chilandari. Le 9 mars 1989, le même journal publiait une lettre de Derek Hill, racontant le comportement des autorités grecques à l'égard des novices et moines étrangers, montrant les transgressions de la Constitution grecque. Il concluait : « La région de Grèce où ces choses ont lieu a eu un rôle d'importance mondiale pendant plus de mille ans et n'est pas propriété de la Grèce ». Une autre minorité qui a souffert des injustices flagrantes est celle des moines roumains. Les Roumains n'ont même pas le droit d'avoir un monastère à eux sur l'Athos et, par conséquent, sont privés de toute représentation à la Sacrée Communauté. De pan-orthodoxe qu'il était autrefois, l'Athos est en train de devenir purement grec, changement qui effraye beaucoup d'observateurs orthodoxes. Ils y voient un appauvrissement spirituel indéniable. Les moines grecs eux-mêmes sont révoltés par ces abus et des protestations ont été déposées aux Nations Unies et à la Cour des Droits de l'Homme de Strasbourg ; mais, socialiste ou non, le gouvernement grec n'en a, jusqu'ici, tenu aucun compte. Le droit de sortir de son pays et de circuler librement à l'étranger (Violation de l'article 5 de la C.E.D.H.) Toujours contrairement à la constitution grecque, les moines athonites reçoivent des passeports qui ne sont valables que pour deux mois et le voyage du retour. Malgré tous les appels qui lui ont été lancés, le Ministère des Affaires Étrangères fait la sourde oreille. Dans certains cas, l'Administration Civile refuse carrément le passeport ; dans d'autres, elle pose, pour son obtention, des conditions inacceptables. Ainsi, en 1978, l'Administration Civile interdit la sortie d'un moine qui allait donner une conférence à l'étranger, et voulut examiner le texte de la conférence avant toute autorisation, cependant que le contrôle des passeports, à Thessalonique, recevait ordre de ne pas le laisser passer. De tels cas sont, paraît-il, fréquents, mais ne sont pas tous connus. Le droit à l'information exacte et à l'accès à l'information (Violation de l'article 10 de la C.E.D.H.) La désinformation règne sur l'Athos. Il est interdit aux moines d'écouter la radio ou de lire les journaux. En revanche, les détenteurs de l'autorité font l'un et l'autre en cachette de leurs subordonnés. Comme les conversations avec les visiteurs sont souvent aussi défendues, le moine n'a accès à l'information que par l'higoumène qui déforme à plaisir ce qu'il a appris si cela sert ses projets. Dans les domaines religieux et théologiques, la fausse information est destinée à éviter toute opposition sur les questions controversées33, qui intéressent les moines au premier chef. Nécessité de l'action de la police au Mont Athos à cause du manque de vigilance et d'organisation (Violation de l'article 5 de la C.E.D.H.) La disparition d'un moine ne suscite aucune recherche, surtout s'il vivait en ermite. C'est souvent bien des jours après sa mort que son corps est retrouvé. Quand quelqu'un disparaît et qu'on ne trouve pas son corps, il faut attendre des mois pour qu'une enquête ait lieu. L'étrange est, ici, que ceux qui disparaissent ainsi sont généralement de vieux moines dont on croit savoir, dans le voisinage, qu'ils ont des souverains d'or dans leur cellule. L'étrange est encore que lorsqu'un tel ermite disparaît, tout le contenu de sa cellule – argent, objets précieux, icônes, manuscrits, vases liturgiques dorés – disparaît aussi. On découvre périodiquement des cadavres non identifiés. Relativement fréquents sont aussi les suicides inexpliqués, aussi bien de vieux moines que de novices. Ainsi, le suicide (?) d'un archimandrite, le Père Pantéléimon de Simonos Petra, qui était en conflit avec les autres dirigeants de son monastère, et qui avait demandé à la Sacrée Communauté d'intervenir pour lui rendre justice. Se dérobant à ses obligations légales, la Sacrée Communauté ne bougea pas, de peur d'entrer en conflit violent avec les autres membres dirigeants du monastère. « Le résultat de tout cela, écrit le Père Maxime, fut que ce hiéromoine, qui était victime d'une injustice, tomba dans un ravin profond d'environ cinquante mètres » ; mais aucune enquête n'a été faite sur les circonstances de sa mort. Tout est mis en œuvre pour que ce genre de cas passe inaperçu du public. L'Archimandrite Pantéléimon du Monastère de Simonos Petra, victime d'un mystérieux « suicide » en juillet 1988 par chute depuis la balustrade. Illustration tirée du livre du Père Maxime, Human Rights on Mount Athos. Conclusion En conclusion le Père Maxime se demande pourquoi les moines dont les droits sont bafoués se plaignent si peu, et apporte trois réponses : la première, c'est que la plupart des moines ignorent leurs droits ou ne savent pas à qui s'adresser – conséquence de l'obéissance mal entendue, exploitée frauduleusement par les chefs sans scrupules. La seconde, c'est qu'on leur dit qu'il faut se soumettre pour maintenir l'ordre et la loi, la tradition et l'amour fraternel. En fait, l'amour est remplacé par la répression et les associations sont interdites. Les minorités ethniques n'osent pas protester pour ne pas compromettre leur citoyenneté athonite. La dernière, c'est que le gouvernement grec a depuis longtemps promis, par politique, une amélioration, qui n'est jamais venue. Il ne reste qu'à mettre sur pied une commission internationale pour proposer des solutions. Le Père Maxime ajoute à son texte un certain nombre de documents : lettres émanant des monastères ou de la Sainte Communauté et qui déplorent la politique ultra-nationaliste du gouvernement grec et ses mesures illégales vis-à-vis étrangers, telle l'exclusion – l'higoumène du monastère russe de Saint-Pantéléimon se plaint ainsi qu'on ne laisse même pas entrer six moines russes pour permettre la survie de sa communauté, et les Roumains de la skite de Saint-Jean-Baptiste décrivent le comportement inqualifiable des autorités et de la police à l'égard de leurs frères ; articles de journaux ; photocopies de cartes de séjour prouvant que certains athonites étrangers se sont vu refuser la citoyenneté grecque. Les listes des skites et des monastères, ainsi qu'une carte de l'Athos, ajoutent à la valeur de l'ouvrage, cependant que les documents le rendent irréfutable. Telle est, si nous en croyons le Père Maxime, la situation tragique au Mont Athos. Nous avons toutes les raisons de le croire, car pourquoi prendrait-il le risque de laisser croire qu'il critique le lieu de sa pénitence et de son ascèse, pourquoi chercherait-il à justifier les zélotes alors que lui-même n'est pas « zélote » et commémore le patriarche de Constantinople ? Quel intérêt personnel aurait-il à rendre publiques les divisions de la Sainte Montagne ? Non, son petit livre est une étude historique autant qu'un appel au secours des « anciens athonites » qui voient le « jardin de la Mère de Dieu » tomber entre les mains des « néo-orthodoxes ». Saint Nil le Myrovlite, dans ses prophéties, annonçait qu'un jour le Mont Athos lui-même, dans des temps d'apostasie redoutable, chuterait. Souhaitons que ce temps ne soit pas encore venu, et que la prière de la Mère de Dieu et des saints qui s'y sont sanctifiés gardent et protègent les moines qui osent dire et confesser la vérité. Le Père Niphon des Karoulia, l'un des plus grands sculpteurs sur bois de l'Athos, à côté de son chef d'œuvre, L'Annonciation, qu'il avait mis vingt ans à réaliser. Il est mort en 1984 et son chef d'œuvre disparut durant la cérémonie des funérailles, le lendemain de sa dormition. On ne l'a jamais retrouvé. C'est un exemple frappant des sacrilèges qui se multiplient de par la Sainte Montagne, et que les autorités grecques font semblant de ne pas voir. Illustration tirée du livre du Père Maxime. III L'IMPOSSIBLE JUSTIFICATION DE LA PERSÉCUTION es moines de la Skite du Prophète-Élie et ceux du monastère historique d'Esphigménou ne cessent de donner les raisons dogmatiques et ecclésiastiques qui les empêchent de commémorer le patriarche de Constantinople. Ils citent les canons apostoliques, ceux des conciles œcuméniques, le synaxaire ou vie des saints, les textes des Pères de l'Église. En face, le patriarcat et les néo-athonites fournissent peu d'arguments ecclésiologiques. Ceux qui reviennent sont toujours les mêmes : « Les Pères zélotes n'ont rien à faire sur le territoire canonique du patriarcat, ils ne sont pas "canoniques" ». En Europe, où ce type d'arguments sont supposés porter dans l'opinion publique, étrangère à l'Église orthodoxe et à l'esprit de l'orthodoxie, on ajoute volontiers que ces mêmes Pères zélotes seraient « intégristes ». Tout cela est bien beau d'apparence, et nous répondrons à ces allégations. Toutefois, cela justifie-t-il l'envoi de la police dans les monastères, l'exil par la force des moines ? Non, car le passage à la violence physique est d'un autre ordre. Les Turcs sont, juridiquement, chez eux aujourd'hui à Constantinople. Parce qu'ils ont la force, la loi qu'ils ont eux-mêmes rédigée, et la reconnaissance internationale, ont-ils pour autant le droit de persécuter les chrétiens, de les maltraiter et de les chasser comme ils l'ont fait plusieurs fois en ce siècle ? Non, bien sûr ! Leurs lois devraient au contraire garantir la présence et les biens des chrétiens, s'ils veulent aujourd'hui être considérés comme un État démocratique. Or le patriarcat agit au Mont Athos comme les Turcs, prétendant qu'il est le seul à avoir autorité sur la Sainte Montagne, laquelle, dans toute son histoire, a toujours été un lieu pan-orthodoxe. Peut-être prend-il aussi modèle sur la papauté qui a son État, le Vatican, avec sa propre police et sa propre armée, toutes symboliques du reste. Mais le Mont Athos n'a jamais été l'État du patriarcat, ni son territoire propre. La condition pour y demeurer était d'être orthodoxe – non de reconnaître le patriarcat. Or personne ne conteste, ni à Constantinople, ni ailleurs, que les Pères zélotes sont orthodoxes, qu'ils croient et confessent ce que l'Église orthodoxe a toujours cru et confessé. À défaut de le proclamer à haute voix, même leurs pires ennemis sont obligés de se taire, ne pouvant les accuser d'hérésie. Ces Pères sont donc des moines orthodoxes qui ne reconnaissent pas le patriarcat actuel de Constantinople. Cela les rend-il schismatiques ? La question de fond est donc : peut-on être orthodoxe sans reconnaître le patriarcat de Constantinople ? Peut-on être orthodoxe sans commémorer les évêques du Phanar ? Avant de répondre à cette question, traitons rapidement celle du droit de persécuter les dissidents. Un peu de lumière sur ce point permettra de dissiper l'accusation « d'intégrisme » et d'en montrer le ridicule. A) Le droit de persécution existe-t-il ? 1. La Vérité qui rend libre (Jn 8, 32) peut-elle s'établir par contrainte ? Les premiers chrétiens étaient persécutés34. Et sous l'Empire chrétien ils l'ont été encore bien souvent lorsque l'empereur préférait telle ou telle hérésie, souvent par intérêt politique, à la doctrine apostolique. Ce fut le cas pendant presque toute l'histoire de l'Église, au temps de l'arianisme, des pneumatomaques, du nestorianisme, du monophysitisme, du monothélisme, de l'iconoclasme, périodes pendant lesquelles les orthodoxes souffrirent mille maux de la part d'empereurs hérétiques ou protégeant les hérétiques35. Les Conciles d'union, que ce soit celui de Lyon en 1274 ou celui de Florence en 1439, ainsi que, plus tard, celui de Brest-Litovsk en 1596, furent l'occasion de persécutions dirigées contre ceux qui restaient fidèles à la foi orthodoxe. De même, les hésychastes furent persécutés par le patriarche Calécas. À l'époque de la monarchie bavaroise, les kollyvades persécutés par d'autres moines du Mont Athos et, avec eux, une partie des fidèles réunis autour du moine Christophore (Papoulacos) et de Cosmas Flamiatos, connurent le même sort. Enfin, nous l'avons vu, en notre siècle, ce sont les « vieux-calendaristes » grecs et roumains qui font l'objet de la persécution. À cette liste incomplète, il faudrait ajouter la multitude des nouveaux martyrs : grecs, victimes de la turcocratie ; serbes, massacrés par les oustachis ; russes, massacrés par les bolcheviks – au moins ceux-là ne se servaient pas du nom du Christ pour persécuter. Les Pères de l'Église, par leur enseignement et par leur vie, ont enseigné que l'on devait préserver la foi par tous les moyens évangéliques, c'est-à-dire au détriment de sa propre vie, si cela était nécessaire ; mais ils n'ont jamais enseigné que la violence à l'égard de ceux que l'on ne peut convaincre est un argument et une pratique orthodoxe. Le seul écrivain ecclésiastique à avoir longuement justifié la persécution est l'évêque d'Hippone dans sa lutte contre les donatistes. Augustin d'Hippone l'a fait en donnant une explication d'un passage de l'Écriture qui n'avait jamais été interprété ainsi par ses prédécesseurs. Il s'agit du fameux passage sur le « contrains-les d'entrer » de la parabole du grand souper : « Un homme donna un grand souper, et il invita beaucoup de gens. À l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux conviés : Venez, car tout est déjà prêt. Mais tous unanimement se mirent à s'excuser. Le premier lui dit : J'ai acheté un champ, et je suis obligé d'aller le voir ; excuse-moi, je te prie. Un autre dit : J'ai acheté cinq paires de bœufs, et je vais les essayer ; excuse-moi, je te prie. Un autre dit : Je viens de me marier, et c'est pourquoi je ne puis aller. Le serviteur, de retour, rapporta ces choses à son maître. Alors le maître de la maison irrité dit à son serviteur : Va promptement dans les places et dans les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. Le serviteur dit : Maître, ce que tu as ordonné a été fait, et il y a encore de la place. Et le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et [ceux que tu trouveras,] contrains-les d'entrer, afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon souper » (Luc 14, 23). Augustin évoque ce texte dans sa lettre à Vincent, ancien partisan du schisme de Rogatus, devenu évêque de Carthage et qui s'inquiétait des lois cruelles édictées contre les donatistes en Afrique. Augustin lui répond ceci : « Les ménagements ne sont pas toujours de l'amitié, et les coups ne sont pas toujours de l'inimitié… Tu crois que personne ne doit être contraint à la justice ; tu lis bien pourtant que le père de famille dit à ses serviteurs : Tous ceux que vous trouverez, forcez-les d'entrer (Luc 14, 23) ; que celui même qui, de Saul, devint Paul, fut, par une grande violence que lui fit le Christ, poussé et forcé de connaître et de garder la vérité (Act. 9, 3-7). À moins que tu n'estimes que l'argent, ou quelque possession que ce soit, sont plus précieux pour les hommes que ne l'est la lumière même, dont les yeux se trouvent privés ? Or, Paul, jeté à terre par la voix venue du Ciel, perdit aussitôt cette lumière et ne la recouvra que lorsqu'il se fut incorporé à l'Église36. Et tu penses qu'il ne faut aucunement faire violence à un homme pour le délivrer d'une erreur pernicieuse, quand tu vois, sur des exemples incontestables, Dieu Lui-même agir de la sorte, Lui qui nous aime mieux que personne, et que tu entends le Christ déclarer Nul ne vient à moi, si mon Père ne l'attire (Jn 6, 44) ? Chose qui se produit dans les cœurs de tous ceux qui se convertissent à Lui par la crainte de la colère divine. Enfin, tu sais qu'il arrive au voleur de répandre du grain pour dévoyer le troupeau, et au pasteur de jouer du fouet pour ramener les brebis égarées37 ! » Cette interprétation ne se trouve pas dans les Pères antérieurs à Augustin ni dans toute la tradition qui les a suivis. Pour les Pères, en effet, le fondement de la vie en Christ est la synergie, la collaboration de la volonté humaine libre avec la grâce de Dieu. Le terme employé en grec (anagkason) et qu'on traduit par contraindre se retrouve de nombreuses fois, lui-même et ses équivalents, dans l'Écriture. Ces expressions ne signifient pas toujours la contrainte physique, loin de là : on « contraint » par la parole, par l'autorité, par l'amitié, par l'insistance… « Contrains-les d'entrer » signifie : Presse-les d'entrer, fais tout pour les faire entrer, ne néglige aucune politesse pour les inviter. Ce sens est naturel en grec38. Jésus « força (enagkasen) ses disciples à monter dans la barque et à le précéder de l'autre côté » (Matt. 14, 22 et Marc 6, 45), sans les brusquer, mais en usant de son autorité paternelle ; les pèlerins d'Emmaüs, Cléophas et Luc, forcèrent (parebiasanto) Celui qui leur était apparu de demeurer avec eux, alors qu'il faisait semblant d'aller plus loin (Luc 24, 29). Ce fut par leur instante prière. Voici comment le moine Euthyme Zigabène qui, au XIIe siècle, a commenté l'ensemble des Évangiles et récapitulé l'enseignement des Pères à leur sujet, commente ce passage. Il explique d'abord la parabole en disant que Dieu le Père et Créateur, appelé ici homme à cause de son amour des hommes, a apprêté un festin, celui de l'économie évangélique, nommé « souper » parce qu'il est survenu dans les derniers temps, comme au soir de ce siècle. L'appel de ceux qui n'avaient pas été conviés est celui des païens qui vivaient « dans les chemins », sans la protection de la Loi divine et foulés par les démons, et « le long des haies » épineuses du péché. « Il a donné ordre de contraindre (anagkasai) ceux qui venaient des nations, non pas pour dire qu'il fallait leur faire violence (biazesthai), mais pour faire entendre qu'il faut insister davantage et plus longuement sur la prédication quand on s'adresse à eux, car ils sont fortement tenus prisonniers et possédés par les démons, et qu'ils dorment dans les ténèbres profondes de la tromperie39 ». Saint Théophylacte de Bulgarie40, dans son Commentaire sur l'Évangile de Luc, explique ainsi ce passage : « La mentalité barbare des païens, et sa division en croyances multiples, est symbolisée par les routes, cependant que les haies représentent leur vie vécue dans les péchés. Or il ne commande pas de simplement les inviter, mais bien de les contraindre, quoique le fait de croire soit pour tous un acte de libre choix (kaitoi proairetikon apasi to pisteuein). Mais pour que nous comprenions que c'est un grand signe de la force de Dieu qui se révèle dans le passage des païens à la foi, alors qu'ils vivaient dans une ignorance si épaisse, Il a employé le mot : Contrains-les. Oui, si la force du prédicateur n'avait pas été puissante, et grande la vérité de la parole, comment auraient-ils été amenés, ces hommes fous d'idolâtrie et adonnés aux turpitudes, à embrasser d'un seul coup la connaissance du vrai Dieu et la perfection de la vie spirituelle ? Voulant donc montrer l'extraordinaire de cette transformation, Il appelle « contrainte » cet exploit, comme s'Il disait : alors même qu'ils ne voulaient pas quitter leurs idoles et leur vie dissolue, les Hellènes pourtant ont été contraints, par la vérité du message évangélique, de les abandonner. Sans compter que la force des miracles contraignait puissamment à passer à la foi du Christ41 ». Saint Jean Chrysostome revient sans cesse sur l'idée que Dieu n'impose aux hommes aucune nécessité, et qu'on ne saurait forcer personne ni au bien ni au mal. Un acte de vertu doit être libre. Vouloir forcer quelqu'un à être juste, contient une contradiction dans les termes. Le bien n'est pas bien s'il n'est pas bien fait, dit saint Basile le Grand. Toute persécution est interdite, même si elle pousse au bien, parce qu'alors ce bien apparent n'est qu'un mal déguisé. Le grand argument d'Augustin, que Dieu pousse les hommes à croire par les châtiments et par la crainte, est donc refusé par saint Jean Chrysostome, non seulement parce que les hommes n'ont pas le droit de se prendre pour Dieu (argument développé par Bayle), mais parce que Dieu lui-même, et précisément pour nous laisser libre, n'utilise « les verges » qu'avec parcimonie. Commentant le Psaume 9, saint Jean Chrysostome dit : « On connaît le Seigneur, quand il exerce ses jugements (verset 17)… C'est-à-dire quand il punit, venge, châtie. Voilà un autre bienfait qui vient de la punition. Elle ne rend pas simplement meilleurs ceux qui la subissent ; elle fait aussi briller la lumière de la connaissance de Dieu. C'est par elle surtout que l'on voit qu'Il s'occupe des hommes. En tout cas, lorsqu'Il permit que le troupeau de porcs s'allât jeter dans la mer et s'y engloutît, l'admiration fut plus grande que jamais. De même pour les Juifs de l'Ancien Testament. Lorsqu'Il les faisait périr, c'est alors qu'ils Le recherchaient (Ps. 77, 34) dit le Prophète. Et pourquoi donc Dieu n'a-t-il pas plus souvent recours à ce moyen ? Parce qu'il veut que la vertu soit le fruit du libre choix plutôt que de la contrainte, et des bienfaits plus que des punitions. Mais ne vaut-il pas beaucoup mieux, dira-t-on, être bon de force que méchant par libre choix ? IL N'EST PAS POSSIBLE D'ÊTRE BON DE FORCE (ouk estin agathon einai anagkei). Celui qui est bon parce qu'on l'a enchaîné, ne le sera pas toujours ; délivré de la contrainte qui pesait sur lui, il retournera à sa méchanceté. Celui qu'une pédagogie a conduit à choisir le bien, une fois devenu bon, restera inébranlable42 ». 2. En dehors de la Vérité, il n'y a ni Église ni succession apostolique Avec le droit de persécuter, Augustin d'Hippone introduisait aussi une autre nouveauté dans le christianisme : une ecclésiologie qui séparait le contenu de la foi d'avec la succession apostolique43. Pour la théologie orthodoxe, telle qu'elle a été bien exprimée au IIIe siècle par saint Cyprien de Carthage, les mystères et surtout le mystère de tous les mystères qu'est l'Église, sont inséparables de la foi apostolique. Un évêque est un évêque si son ordination est légitimement faite par des évêques de l'Église, et si sa foi est juste. Si sa foi n'est plus celle qu'il a confessée le jour de sa consécration épiscopale, il cesse d'être évêque parce qu'il devient un imposteur, quelqu'un qui se sert d'une autorité dont il s'est exclu lui-même. Autrement dit, comme le dit saint Ignace, là où est l'évêque, là est l'Église ; mais aussi, comme l'a confessé la tradition constante de l'orthodoxie, là où est l'Église, là est l'évêque. Il n'y a pas d'évêque, pas de prêtre à l'extérieur de l'Église. L'évêque comme le prêtre transmettent ce qu'ils ont reçu, le dépôt de la foi. La grâce n'est pas un pouvoir magique conféré comme une propriété personnelle aux évêques. Cette idée se trouve, bien sûr, dans les écrits de saint Cyprien, mais aussi dans le Concile de Carthage et, d'une façon plus récente, dans le Pidalion de saint Nicodème de l'Athos (XVIIIe siècle), commentaire des canons qui fait autorité dans l'Église orthodoxe. L'exemple même d'une telle ecclésiologie est le canon 15-16 du Concile Premier-Second et son exégèse par saint Nicodème. Ces canons posent la question : peut-on se séparer d'avec son évêque ? Ils répondent en distinguant deux cas : a)Le cas de séparation pour des péchés personnels qui peuvent être extrêmement graves « Les règles établies pour les prêtres, les évêques et les métropolites, valent a fortiori pour les Patriarches. Donc, si un prêtre, un évêque ou un métropolite ose quitter ou se séparer de la communion de son Patriarche et cesse de mentionner son nom au cours de la divine Mystagogie, selon la coutume dûment fixée et arrêtée, et s'il crée un schisme avant qu'un jugement conciliaire soit intervenu pour condamner le Patriarche en question, le saint Concile a décidé qu'il doit être considéré comme étranger à toute fonction sacerdotale, s'il est seulement prouvé qu'il a ainsi manqué à loi. Ces règles ont été fixées et arrêtées à l'égard de ceux qui, sous le prétexte d'accusations portées contre leur président, se tiennent à l'écart et créent un schisme, et rompent l'unité de l'Église » (Canon 15, première partie). Comme le commente saint Nicodème44, ce canon applique aux Patriarches ce que les deux canons précédents (13 et 14) appliquaient déjà aux évêques et aux métropolites, à savoir : il n'est pas permis de se séparer d'eux s'ils sont criminels, c'est-à-dire, s'ils ont commis la fornication, le sacrilège ou une autre faute grave. Le prêtre doit continuer de mentionner son évêque à la liturgie, l'évêque son métropolite et le métropolite son patriarche, même s'ils sont des pécheurs, en attendant qu'ils aient été jugés. Seul le concile des métropolites est habilité à recevoir une accusation contre le patriarche et à le juger. Fidèle à la tradition biblique, le canoniste distingue soigneusement le péché personnel, qui est une transgression de la loi, et que Dieu peut effacer, de l'hérésie, qui est un changement de loi et qui rend toute communion avec Dieu impossible. Un évêque qui pèche personnellement ne fait de mal qu'à lui-même, alors que l'hérétique met en péril de mort les âmes qui lui ont été confiées. b) Le cas de la rupture légitime pour raisons de foi « En revanche, ceux qui, à cause d'une hérésie condamnée par les conciles ou les Pères, se séparent de la communion avec leur président, lequel prêche publiquement l'hérésie, et l'enseigne tête-nue dans l'Église, ceux-là non seulement ne sont soumis à aucune sanction canonique pour avoir rompu toute communion avec leur soi-disant évêque, avant tout jugement conciliaire ou synodal, mais, au contraire, il faut les estimer dignes de la louange qui leur revient parmi les chrétiens orthodoxes. Car ce ne sont pas des évêques qu'ils ont traité de mépris, mais de pseudo-évêques et de faux-docteurs. Et loin d'avoir porté atteinte à l'union de l'Église par un schisme, ils ont, au contraire, fait tous leurs efforts pour préserver l'Église des schismes et des divisions» (suite et fin du même canon). Si les présidents, c'est-à-dire, pour un prêtre, son évêque, pour un évêque, son métropolite, pour un métropolite, son patriarche, sont hérétiques et prêchent publiquement leur hérésie, ceux qui s'en séparent, loin d'être schismatiques, préservent au contraire l'Église du schisme et de l'hérésie de leur pseudo-évêques. Ils ont droit à la louange qui leur revient comme chrétiens orthodoxes45. Il est clair que la succession apostolique, comme le sacerdoce, sont ici inséparables du contenu de la foi. Le pouvoir qu'a un évêque de faire respecter les canons n'a de sens que si sa foi est orthodoxe, car les canons eux-mêmes sont fondés sur les dogmes. Autrement dit, les canons ne sont pas un édifice abstrait, un droit canonique général ; ils règlent la vie concrète de l'Église, et sont protégés, garantis par des évêques qui ont une succession apostolique et une foi identique dans son contenu à celle des Apôtres et des Pères qui leur ont succédé. Augustin d'Hippone, au contraire, a imaginé que les donatistes avaient des mystères authentiques, hors du corps de l'Église chrétienne, mais conduisant en même temps à la mort spirituelle. Ainsi le donatiste est baptisé correctement ou validement au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, mais, parce qu'il est séparé de l'Église universelle, s'il meurt après son baptême, il est damné. Il est donc baptisé, si l'on ose dire, pour sa perte. Les scolastiques, en systématisant les analyses d'Augustin, sont arrivés à la fameuse théorie du sacrement ex opere operato. Le sacrement a une forme et une matière. La forme a sa validité, et cette validité peut même être opérante46. Appliquée à la succession apostolique, une telle conception est devenue peu à peu de la magie pure et simple. Un évêque est consacré validement s'il l'est par deux autres qui l'ont été validement -quel que soit le credo de l'un et de l'autre. Il est possible même d'imaginer que celui qui consacre ne croit pas du tout qu'il accomplit un mystère. Ce fut le cas notamment des ordinations anglicanes qui ont posé tant de problèmes aux théologiens tant anglicans que catholiques. Affermie par la théorie scolastique de la grâce créée, une telle conception finit par faire d'un individu le détenteur d'un pouvoir créé donné une fois pour toutes par Dieu. La grâce du Saint Esprit n'est plus ici l'énergie de la suressentielle Trinité, mais un don créé transmis des uns aux autres, à travers les siècles. La validité est égale pour tous. La question devient alors celle de la licéité, accordée en fin de compte par la papauté. Dans une telle conception, si l'évêque du lieu enseigne une hérésie, il est inutile au fond de se séparer de lui, puisqu'il accomplit les mystères de façon valide. Son hérésie lui est propre, et n'entache ni la foi de ses co-évêques, ni celle de son troupeau. Il est donc absurde de le quitter. Ceux qui agissent ainsi perdent leur licéité, mais non leur validité : ils sont bien évêques, bien qu'ils soient séparés de leur Église. Une telle ecclésiologie, très complexe dans sa formulation, et que nous ne faisons que résumer ici, a conduit à des contradictions et à des impasses terribles ceux qui s'interrogeaient sur la continuité de la doctrine apostolique et patristique en Occident. D'abord, cette ecclésiologie permettait encore de justifier la persécution : celui qui est validement baptisé, ordonné ou consacré, quelle raison aura-t-il de retourner dans l'Église, si on ne l'y contraint pas ? Les protestants, au XVIIe siècle, furent les grandes victimes de cette ecclésiologie qui avait été globalement adoptée par l'Église de France. Ensuite, que faire si l'autorité ecclésiastique – la papauté, par exemple, en Occident – décide d'imposer quelque jugement que l'on croit dogmatiquement faux ? Ce fut le drame de Port Royal et d'Arnauld, lorsqu'ils furent condamnés à travers les cinq propositions et lorsqu'on les obligea de signer le formulaire. Ils durent, bon gré, mal gré, faire toute sorte de distinctions casuistiques, comme celle du fait et droit, sur une matière qui, pour eux, touchait à l'essence des dogmes de la foi chrétienne. Pascal, âme plus sincère, reprocha à Arnauld cette attitude et écrivit dans ses Pensées : « Si mes écrits sont condamnés à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel ». Malheureusement, aucune rupture pour des raisons de foi n'était plus possible dans le cadre de la théologie augustinienne ; et ceux qui s'y risquèrent furent toujours dans une position bancale, ne voulant pas retourner en arrière, ni ne pouvant entrer dans l'Église orthodoxe. Les vieux-catholiques sont l'exemple d'un tel échec, qui ne fondaient pas leur union éventuelle avec l'orthodoxie sur l'unité de la foi, mais sur un respect mutuel des doctrines et des « ecclésialités » propres de chaque Église. Le paradoxe d'une telle ecclésiologie, transplantée depuis Augustin et depuis les scolastiques jusqu'à notre époque, est donc simple : en séparant dogme et mystère, credo et Église, succession apostolique et orthodoxie, justesse du rite et justesse de la foi, il est possible de reconnaître, notamment dans le cadre du mouvement œcuménique, une multitude d'Églises et de sectes comme validement chrétiennes. Il n'est guère gênant, en même temps, de relativiser les dogmes, puisque la doctrine fausse et hérétique ne prive pas des mystères, ni de la succession apostolique, ni de l'Église. En revanche, la reconnaissance mutuelle devient très importante. Le critère n'est plus la foi, mais le nombre d'Églises valides qui se reconnaissent entre elles. Ceux qui ne reconnaissent pas les autres sont d'ailleurs des fanatiques qui se croient les seuls valides – ceux-là, il faut, à long terme, les faire disparaître en les mettant à l'écart, et en disant qu'ils ne sont reconnus par personne. La reconnaissance – non la foi – devient le critère ; la reconnaissance précède la foi, et non l'inverse. Cette reconnaissance, diplomatique et intéressée, constitue une protection contre toute question sur le fond ; destinée à rassurer et à tromper ceux qui ignorent l'histoire ecclésiastique, elle est pompeusement parée du nom d'amour. Ceux qui ne reconnaissent pas les autres manquent d'amour. Et ce serait effectivement vrai, si Dieu n'attachait aucune importance au contenu de la foi. Cette ecclésiologie est celle du mouvement œcuménique quand il en a une. Elle est particulièrement bien expliquée par le Père Congar dans sa préface aux écrits de saint Augustin contre les donatistes, dans la Bibliothèque augustinienne. Elle est très cohérente – même si le Père Congar oublie de dire que les mêmes textes ont servi à persécuter honteusement pendant des siècles. Elle montre aussi, en un sens, l'hypocrisie d'un dialogue théologique qui, dans son fond, ne sert à rien, sinon à faire passer pour théologiens quelques professeurs de séminaires. En effet, si tout le monde se reconnaît, si Rome reconnaît Constantinople et réciproquement, si tous sont, quoique séparés, l'Église, avec les mêmes mystères et la même succession apostolique – pourquoi s'ennuyer dans les subtilités inutiles d'un dialogue théologique qui n'a aucun sens ? Si les dogmes ne constituent pas une cause sérieuse de séparation, il faut se hâter de s'unir effectivement, car, à la fin, pour des gens déjà convaincus et d'accord entre eux, ce serait là qu'il y aurait un manque d'amour. Peut-être aussi, en cherchant bien, trouverait-on que la seule raison expliquant que l'union ne soit pas déjà faite est diplomatique. En pressant trop les choses, les évêques de Constantinople et de Rome risqueraient de brusquer les mentalités de certains peuples. Les orthodoxes surtout, en Grèce, en Russie, en Serbie, qui ont la naïveté de croire encore à ce que leurs évêques d'autrefois, les Pères anciens, leur disaient sur l'importance des différences dogmatiques. Et puis, il y a ces zélotes, qu'il faut d'abord faire passer pour des sectes, c'est-à-dire des gens « non reconnus », de peur qu'ils ne finissent par créer un trop grand désordre. Laissons ces trop certaines suppositions pour souligner un fait : l'ecclésiologie qui sous-tend le mouvement œcuménique n'est pas d'origine orthodoxe et patristique. Elle vient de l'augustinisme politique et de la scolastique ; elle a servi aux croisades armées du passé, elle sert aujourd'hui à des croisades plus soft qui ne disent pas leur nom, mais qui, à en juger par ce qui vient de se passer au Mont Athos, n'ont pas des méthodes plus chrétiennes ni plus charitables. B) Le patriarcat de Constantinople est-il le centre de l'orthodoxie ? Pour répondre à cette question, l'un de nos amis nous a suggéré de commencer par ouvrir les vies des saints. Si le patriarcat de Constantinople est le critère de l'orthodoxie, il doit y avoir de nombreux témoignages de ce fait dans cette encyclopédie vivante de la tradition et de la foi orthodoxes que sont les synaxaires. Nous avons trouvé, au contraire, dans ces synaxaires, un témoignage très clair que c'est la foi orthodoxe, sa justesse, qui est le critère de la vérité révélée, et non l'appartenance à telle ou telle Église particulière, fût-elle russe, grecque, serbe ou française, fût-elle Constantinople, fût-elle Moscou. Prenons des exemples dans le territoire canonique du patriarcat de Constantinople, dans la Nouvelle Rome, ou encore au Mont Athos, puisqu'il est considéré comme appartenant au territoire de ce patriarcat par les chefs actuels du Phanar. Nestorius fut bien patriarche de Constantinople – et lorsqu'il commença de prêcher son hérésie, les fidèles et les prêtres se séparèrent de lui et refusèrent de commémorer son nom à la liturgie. Nous en avons le témoignage par la vie de saint Hypatios de Rufinianus, qui est commémoré le 17 juin : « Quand Nestorius arriva d'Antioche pour recevoir le titre de Patriarche de l'illustre Ville Impériale de Constantinople, se trouvant dans la suite de Denys, qui était devenu Maître de l'armée pour l'Orient47, saint Hypatios eut une vision, au moment où Nestorius approchait de la Cité. Il vit, dans la sainte Église de la Capitale, des laïcs installer Nestorius sur le trône48 ; aussitôt une voix annonça : "Dans trois ans et demi, cette ivraie sera arrachée". Alors saint Hypatios commença à dire à certaines personnes, notamment aux frères de son monastère : "Je suis très soucieux à propos de cet homme qui vient d'arriver, mes enfants, parce que j'ai vu qu'il allait se détourner de la foi ; mais il ne régnera que trois ans et demi". Par accident, Nestorius apprit ce qu'Hypatios disait de lui et c'est pourquoi, lorsqu'il passa près du monastère du saint, il refusa de s'y rendre pour le rencontrer, quoiqu'il fût jusque là allé partout et qu'il eût visité, dans son voyage vers la Capitale, tous les monastères et tous les higoumènes et dignitaires de l'Église. Dès qu'il fut entré dans la Ville et qu'il eut pris possession du trône patriarcal, il envoya immédiatement auprès de saint Hypatios des membres de son clergé qu'il chargea de ce message : "Allez dire à ce songe-creux : Je régnerai durant vingt ans dans la Ville et que deviendront tes songes ?" Saint Hypatios leur répondit : "Dites au Patriarche que si la chose arrive telle que je l'ai vue, c'était une révélation ; dans le cas contraire, c'était un rêve, une imagination que j'ai eue en tant qu'homme". Embarrassé par cette réponse que ses envoyés lui avaient rapportée, Nestorius, quelque temps après, envoya d'autres émissaires pour tenter de le prendre au piège par ses propres paroles. Mais après l'avoir mis à l'épreuve en lui posant des questions ennuyeuses et inutiles, non seulement ils ne purent pas le surprendre dans ses paroles, mais ils le quittèrent remplis d'admiration pour sa personne, parce qu'ils avaient compris quelle grande intelligence était le partage du saint. Ce fut la raison pour laquelle Nestorius le laissa en paix et n'envoya plus vers lui. Les trois années s'étant écoulées, le mauvais trésor du cœur de Nestorius commença peu à peu à se manifester. En effet, il se mit à dire dans ses sermons des choses abominables sur le Seigneur, qui devaient retomber sur sa tête et qu'il ne nous est pas permis de répéter. Cet homme pervers ne connaissait pas les Saintes Écritures, qui déclarent : "Qui racontera Sa génération ?" et "Ne cherche pas ce qui trop profond pour toi". Lorsque saint Hypatios comprit que Nestorius tenait des opinions contraires aux véritables, il effaça immédiatement son nom des diptyques, dans l'église des Saints Apôtres, de façon qu'on ne fît plus mention de lui au cours du saint Sacrifice. « Quand le très pieux évêque Eulalius l'apprit, il s'inquiéta des conséquences de cette affaire. Et voyant que la chose s'était ébruitée, Nestorius aussi lui ordonna de sévir contre Hypatios. Car Nestorius était toujours au pouvoir dans la Ville. L'évêque Eulalius s'adressa à Hypatios en ces termes : "Pourquoi as-tu enlevé son nom sans te rendre compte des conséquences qui s'ensuivraient ?" Le saint répliqua : "Dès que j'ai appris qu'il disait des choses non orthodoxes sur le Seigneur, j'ai cessé toute communion avec lui et je ne commémore pas son nom ; car il n'est pas évêque". Alors l'évêque, en colère, dit : "Il suffit ! Corrige ce que tu as fait, car je saurais prendre des mesures contre toi". Saint Hypatios répondit : « Fais comme tu veux. Pour moi, je suis décidé à tout souffrir, et c'est avec cette résolution que j'ai agi comme je l'ai fait ». Or, quand Nestorius fut parti pour Éphèse et que le Concile se fut assemblé, le jour où il devait être déposé, saint Hypatios vit, dans une vision, un ange du Seigneur prendre saint Jean l'Apôtre et l'amener au très pieux Empereur en lui disant : « Tu diras à l'Empereur : Prononce ta sentence contre Nestorius ». À ces mots, l'Empereur prononça de la sorte sa sentence. Saint Hypatios nota le jour, et s'avéra que Nestorius avait été déposé ce même jour, trois ans et demi s'étant écoulés, comme le Seigneur l'avait prédit au saint. Et quelques jours plus tard, le décret de déposition fut apporté à Constantinople. On en donna lecture devant tout le clergé et le peuple, l'évêque Eulalius et saint Hypatios étant l'un et l'autre présents dans l'Église ». Par cet exemple, il est manifeste que les prêtres orthodoxes refusaient de commémorer le nom du patriarche à la liturgie – et cela, avant tout jugement de celui-ci par un synode. Ils considéraient que Nestorius n'était pas un évêque – et cela, avant que son hérésie n'ait été condamnée au Troisième Concile Œcuménique d'Éphèse (431). En effet, une hérésie est une hérésie, qu'elle ait ou non été condamnée en concile. La vie de saint Maxime le Confesseur est un exemple encore plus net du même type d'attitude. Alors que tous les patriarcats par conviction, ou par crainte de l'empereur, étaient devenus monothélites, saint Maxime, qui était un simple moine, refusa de communier avec eux. La question pour lui n'était pas celle de la canonicité de ces Églises, mais celle, avant tout, de leur orthodoxie. Sans la foi juste, à quoi servirait leur « canonicité » supposée ? Lorsque les envoyés du patriarcat vinrent le voir dans sa prison, ils essayèrent de lui faire croire qu'il était hors de l'Église, puisque toutes les Églises locales étaient officiellement monothélites. Ils lui dirent : « À quelle Église appartiens-tu ? À celle de Constantinople, de Rome, d'Antioche, d'Alexandrie ou de Jérusalem ? Car toutes ces Églises, ainsi que les provinces qui en dépendent, sont unies. Donc, si tu appartiens toi-même à l'Église Catholique, rentre sans tarder en communion avec nous, de peur que tu ne t'inventes je ne sais quel chemin étrange et nouveau, qui te fera tomber là où tu ne t'attends pas ! » À quoi le saint répondit : « Le Seigneur Christ a appelé Église Catholique celle qui maintient la vraie et salvifique confession de Foi. C'est à cause de cette confession qu'Il a appelé Pierre bienheureux, et Il a déclaré qu'Il bâtirait Son Église sur cette confession. Cependant, je désire connaître le contenu de votre confession, sur laquelle se fonde, dites-vous, l'union de toutes les Églises. Si elle ne s'oppose pas à la vérité, je ne m'en écarterai pas non plus ». Ensuite, voyant que cette confession s'écartait de la vérité, saint Maxime refusa d'y souscrire. Plus tard, lorsque le patriarcat de Rome qui, malgré les dires des envoyés du patriarcat, était encore orthodoxe, condamna le monothélitisme des patriarcats orientaux, saint Maxime confessa que, étant sans la foi orthodoxe, les patriarches de ces sièges avaient perdu l'autorité apostolique, et donc « le pouvoir de lier et de délier ». Il dit notamment : « Ils ont été déposés et privés du sacerdoce dans le concile local qui a récemment eu lieu à Rome. Quels mystères peuvent-ils donc encore accomplir ? Ou quel esprit descendra sur ceux qui sont ordonnés par eux ? » Ses ennemis essayèrent de le faire tomber dans des questions oiseuses en lui posant la question suivante : « Alors, tu seras le seul sauvé, tandis que tous les autres seront perdus ? » Mais le saint, avec la grande sagesse du Saint Esprit qui reposait sur lui, répondit : « Quand tout le peuple, à Babylone, adorait la statue d'or, les Trois Saints Adolescents ne condamnèrent personne à la damnation. Ils ne s'occupaient pas de ce que faisaient les autres, mais n'étaient attentifs qu'à eux-mêmes, de peur de devenir étrangers à la vraie pitié. Exactement comme eux, Daniel, jeté dans la fosse au lion, ne condamna aucun de ceux qui, pour satisfaire à la loi de Darius, s'interdisaient de prier Dieu, mais il garda à l'esprit son propre devoir, et préféra mourir que pécher contre sa conscience en transgressant la Loi de Dieu. Dieu me garde de condamner personne ou de prétendre être le seul sauvé ! Cela dit, j'accepterai de mourir plutôt que d'apostasier de quelque manière que ce soit la vraie foi, et de souffrir les tourments de conscience qui s'ensuivraient. – Mais que feras-tu, du moment que ceux de Rome sont unis à ceux de Constantinople ? Hier, en effet, deux délégués sont arrivés de Rome et demain, dimanche, jour du Seigneur, ils vont participer avec le Patriarche aux saints Mystères. – Quand bien même tout l'univers serait en communion avec le Patriarche, je ne communierai pas avec lui. En effet, comme je l'ai appris chez le saint Apôtre Paul, le Saint Esprit déclare que les anges mêmes seraient anathème s'ils se mettaient à prêcher un autre Évangile, introduisant quelque enseignement nouveau ». On le voit, la position de saint Maxime était si claire, qu'elle lui a valu le titre de Confesseur : c'est la foi apostolique, biblique et patristique qui est le critère et non les patriarcats, les Églises locales par elles-mêmes. Si elles cessent de confesser la foi transmise jusque là, il faut s'en séparer parce qu'elles ont cessé d'avoir l'autorité donnée par le Christ aux Apôtres et à leurs successeurs, les évêques49. Nous pouvons, à la suite de l'exemple de saint Maxime, citer celui de saint Théodore le Studite qui refusa, pendant la persécution iconoclaste, d'être en communion avec les patriarches hostiles aux icônes, et même avec le patriarche orthodoxe – lorsque ce dernier, par crainte, transgressa les canons en célébrant un quatrième mariage de l'empereur. Remarquons encore que cette attitude orthodoxe fut confirmée par les canons du Concile Premier-Second, que nous avons cité plus haut. Nous nous arrêterons plutôt sur l'exemple des moines athonites de l'époque du Concile de Lyon. L'histoire en est connue. Michel VIII Paléologue (1258-1282) était entré à Constantinople sous les acclamations de la foule : partant de Nicée, il avait progressivement libéré l'empire tombé aux mains des barbares latins qui avaient pillé Constantinople en 1204. En 1261, l'empire des latins n'existait plus, celui des empereurs chrétiens refleurissait. Malheureusement, devant la menace turque, Michel quêta l'alliance de l'Occident, qui passait par la réunion des Églises. C'est ainsi qu'il fut amené à signer l'union de Lyon, en 1274, fondée sur l'acceptation, par les orthodoxes, des hérésies de la papauté. Cette union ne fut pas pourvoyeuse d'aide pour l'empire, mais elle apporta tant et de si grands maux pour le peuple orthodoxe, que Michel VIII mourut haï et rejeté par ceux qui l'avaient acclamé quelques années plus tôt. En effet, l'union s'accompagna d'une persécution cruelle de ceux qui ne s'y soumirent pas ; au premier rang desquels furent les moines du Mont Athos. Ils ont été noyés, pendus, brûlés vifs dans leur monastère par les soldats envoyés par Jean Vekkos, patriarche latinisant de Michel VIII. Nous possédons aussi, remarquablement édités, et partiellement traduits, les textes de cette querelle entre le patriarche de Constantinople et les moines athonites50. Ces textes permettent de déterminer quelle fut l'attitude des orthodoxes dans une situation à peu près similaire à celle que nous connaissons aujourd'hui. Les textes de ce volume proviennent de différentes sources. On y trouve la Réponse du patriarche Joseph au projet impérial (juin 1273), ainsi que son « serment », sa « confession de foi » et son « testament » ; des œuvres du patriarche latinisant Jean Vekkos ; des actes conciliaires, des canons, un Synodicon contre Jean Vekkos ; des opuscules écrits pour dénoncer les hérésies latines et l'union de Lyon, parmi lesquels le remarquable poème de Mélétios le Confesseur ; des lettres d'orthodoxes adversaires de la fausse union (Athanase II d'Alexandrie, le moine Lazare) ; des récits qui montrent les démêlés des orthodoxes avec les autorités persécutrices, comme le Procès de Nicéphore (fin 1276) ; ainsi que deux lettres des moines hagiorites, adressées l'une à l'empereur, l'autre au synode. Ces documents commencent généralement par montrer l'importance des points de divergence avec les Latins – et notamment du plus essentiel, qui est la procession du Saint Esprit : procession hors du Père seul selon les orthodoxes, double procession des Latins. À partir de là, les moines de l'Athos confessent que non seulement il n'est pas possible de commémorer le pape, mais qu'il n'est pas même permis d'accepter comme orthodoxes ceux qui le commémorent, ni de prier avec eux, fût-ce même dans leur maison, à titre privé : « Il est spécifié dans le canon 15 du saint et grand concile surnommé Premier-Second, que loin d'être coupables, ils méritent des félicitations ceux qui se séparent avant même une condamnation conciliaire des personnes qui enseignent publiquement des opinions hérétiques et qui sont ouvertement hérétiques ; ce n'est pas contre des évêques qu'ils ont fait scission, mais contre de faux évêques et de faux docteurs, et ce qu'ils ont fait mérite louange et profite aux chrétiens orthodoxes, parce que ce n'est pas un schisme tourné contre l'Église, mais surtout un refus des divisions et un attachement à la vérité. Comment donc serait-il permis et agréable à Dieu que nous nous unissions à ceux dont nous nous sommes séparés avec justice et selon les canons, tant qu'ils restent inébranlables dans leurs hérésies ? Si nous admettons cela, c'est toute l'orthodoxie que nous renversons par cette seule infraction, qui nous rend aussi coupables de toutes les transgressions commises par ceux qui sont reçus indignement. Les canons divins et sacrés disent en effet : "Si quelqu'un, même à la maison, prie avec un excommunié, qu'il soit exclu". Et ailleurs : "Celui qui communie avec des excommuniés sera excommunié, du fait qu'il trouble la règle de l'Église". Et encore : "Qui reçoit un hérétique tombe sous les mêmes accusations que lui". Toutes les accusations, par conséquent, dont ils doivent répondre, pèseront aussi sur nous si nous acceptons ces hommes, selon les divins canons qui parlent dans l'Esprit51 ». Le procès du moine Nicéphore, qui fut exilé et torturé parce qu'il ne commémorait ni l'empereur, ni le patriarche est particulièrement remarquable. Nicéphore refuse de s'unir avec les représentants de Vekkos et, en même temps, affirme que la persécution est un principe anti-chrétien : « Nous vous prions d'écouter aussi notre parole. Ainsi en ont décidé les saints Apôtres et nos Pères : dans les discussions synodales chacun a la faculté de dire sans contrainte au sujet de son propre sentiment religieux ce qu'il veut, et on ne doit pas soumettre à des menaces et des châtiments ceux qui ne veulent pas partager notre communion. Quel Évangile ou quel apôtre vous a enseigné à châtier et à opprimer ceux qui ne veulent pas vous suivre52 ? » Un autre texte, anonyme, écrit contre Jean Vekkos, prend l'exemple de saint Théodore le Studite pour justifier le fait de ne pas commémorer le patriarche de Constantinople : «Si donc ce saint et grand confesseur Théodore, alors que ces empereurs étaient orthodoxes et ne méritaient aucun reproche touchant la foi orthodoxe, et uniquement parce qu'ils avaient commis quelque illégalité et accompli chacun de son côté quelque acte anticanonique, à cause de cela non seulement se sépara lui-même de leur communion, mais supprima leur commémoraison dans les divines assemblées, nous-mêmes que faisons-nous maintenant d'injuste ou d'extraordinaire, si par crainte de Dieu nous dédaignons la gloire humaine ? Si nous ne marchons pas sur les pas des divins Pères, qu'on nous inculpe ! Mais si nous suivons les saints, pourquoi nous poursuit-on53 ? » Dans le même recueil, on trouve encore une lettre du patriarche Athanase II d'Alexandrie, contemporain des événements, qui justifie le fait de ne pas commémorer ceux qui prient avec Vekkos. Ces documents du Concile de Lyon montrent que les moines refusaient la commémoration du patriarche de Constantinople Vekkos, simplement parce qu'il reconnaissait et priait avec ceux qui avaient une autre foi, notamment sur la procession du Saint Esprit. En agissant ainsi, les moines appliquaient les canons apostoliques qui condamnent la prière en commun avec ceux qui ont une autre confession de foi. Citons brièvement ces canons apostoliques, et des extraits du commentaire de Balsamon, d'Aristène, de Zonaras et de saint Nicodème, dont la voix a été reconnue par l'Église orthodoxe comme exprimant fidèlement sa pensée, la « pensée du Christ54 ». Canon 10 des Apôtres « Si quelqu'un prie en compagnie d'un excommunié, fût-ce dans une maison, qu'il soit excommunié ». Le terme excommunié, explique saint Nicodème, peut signifier trois choses : 1) quelqu'un qui prie dans l'église avec les autres chrétiens mais ne communie pas aux divins mystères ; 2) quelqu'un qui a été exclu de l'église et de la prière commune ; 3) un membre du clergé exclu du collège auquel il appartenait : un évêque exclu du corps de ses co-évêques, etc. Ici, le mot est pris au deuxième sens. Quiconque, qu'il soit laïc ou membre du clergé, prie avec quelqu'un qui a, pour un péché, été excommunié de l'assemblée des fidèles, même s'il ne prie pas avec lui dans l'église, mais dans une maison, doit être excommunié. En effet, commente Zonaras, l'engagement qu'il noue avec un excommunié, qu'il sait être tel, revient à outrager celui qui a jeté l'excommunication comme ayant agi injustement. Prier avec un exclu (aphorisménou), dit Balsamon, que ce soit dans une église ou en dehors, est également interdit ; en revanche, nous ne défendons pas de parler avec lui55. Canon 11 des Apôtres « Si un membre du clergé prie en compagnie d'un autre membre du clergé qui a été déposé, qu'il soit aussi déposé ». Ici, Balsamon précise que certains ont entendu les mots « prier avec » au sens de « concélébrer ». « Mais ce sens me paraît faux, continue Balsamon. Car le canon concerne tout membre du clergé qui a été déposé56, et pas simplement le prêtre. Le but de ce canon est de punir tout clerc qui prie, de quelque manière que ce soit, avec quelque clerc que ce soit, qui a été déposé et qui après sa déposition a fait un acte ecclésiastique quelconque57 ». Saint Nicodème ajoute : « Si un clerc prie avec un clerc qui a été déposé et a néanmoins osé agir en clerc, ou qui a été déposé pour un péché et est retombé dans le même péché par la suite, le premier doit être aussi déposé ». Canon 45 des Apôtres « Si un évêque, un prêtre ou un diacre prie simplement avec des hérétiques, qu'il soit suspendu ; mais s'il leur a aussi permis d'officier en tant que membres du clergé, qu'il soit déposé ». Si un clerc, par conséquent, a prié avec des hérétiques mais sans concélébrer avec eux dans un service divin, il doit être privé temporairement du droit de célébrer les sacrements ou mystères de l'Église ; mais s'il leur a permis d'accomplir un acte ecclésiastique, il doit être déposé, conformément au canon 11 ci-dessus. Ici, Balsamon demande : pourquoi sont-ils simplement suspendus (c'est-à-dire déposés temporairement), et non pas excommuniés comme celui qui prie avec un excommunié (canon 10) ? Réponse : il ne s'agit pas ici de prière en commun dans l'église. Car cela entraîne la déposition (canon 46), comme le fait d'autoriser les hérétiques à accomplir un acte ecclésiastique. Non, ici syneuxasthai (prier ensemble), veut dire simplement le fait d'entrer en communication (koinonêsai) et de se montrer trop complaisant face à leurs prières-vœux58 (hemeroteron diatethênai epi têi euchêi toû airetikoû). Car nous devons les abominer (bdeluttesthai) comme des impurs (muse) et non vivre en familière entente avec eux. C'est pourquoi la suspension est une punition suffisante59. Il y a donc une différence entre l'excommunié, qui a été exclu de l'Église pour des péchés personnels, et l'hérétique, qui s'en est séparé en prêchant une doctrine fausse, et à qui l'on n'a même pas le droit de parler. C'est ainsi qu'en usaient les Pères : saint Jean refusa d'entrer dans les thermes où s'était rendu le gnostique Cérinthe (Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, 3, 3) ; saint Cyprien conseillait ainsi ses fidèles : « Évitez la contagion de cette sorte d'hommes, fuyez leur conversation comme la peste et comme le cancer60 ». L'hérétique est plus gravement malade que l'excommunié resté orthodoxe, et c'est pourquoi la loi qui fixe les relations avec l'un et l'autre est plus rigoureuse à l'égard de l'hérétique, qui répand une doctrine mortelle pour l'âme. Ajoutons une remarque à ce commentaire. Comme un fait exprès, alors que ce canon interdit précisément de souhaiter du bien (euxasthai) aux hérétiques et se conforme ainsi à ce qu'enseigne l'Apôtre de l'amour61, l'Encyclique de 1920 prévoit : « L'échange de lettres fraternelles [avec les hétérodoxes] lors des grandes fêtes ecclésiastiques annuelles62… » Canon 46 des Apôtres « Nous ordonnons qu'un évêque ou un prêtre qui aurait accepté le baptême ou le sacrifice d'hérétiques, soit déposé. Car « quel accord y a-t-il entre le Christ et Bélial ? Ou quelle part du fidèle avec l'infidèle ? » En effet, le rôle de l'évêque ou du prêtre est d'avertir les hérétiques pour leur faire prendre conscience de leur erreur et les ramener à la vérité. Celui qui tient pour valable un de leurs actes liturgiques partage leurs vues ou manque d'ardeur pour les délivrer de leur fausse croyance. Balsamon raconte63 que le Concile de Constantinople, voyant des évêques qui avaient simplement jeté les yeux sur des écrits hérétiques sans les conspuer ni les mépriser, les déposa très légitimement (ennomotata). Canon 65 des Apôtres « Si un membre du clergé ou un laïc entre dans une synagogue (assemblée) de Juifs ou d'hérétiques, pour prier, qu'il soit déposé et excommunié ». Une église ou une assemblée des hérétiques ne doit pas être honorée, mais doit être méprisée, parce qu'ils croient des choses contraires à la foi des chrétiens orthodoxes. Le canon 45 concernait les rencontres avec les hérétiques ; ici, il s'agit des prières faites dans leurs églises. Certains interprètes répartissent ainsi la peine indiquée : le clerc qui entre dans une église hérétique pour y prier doit être déposé ; le laïc qui agit de même sera excommunié. D'autres, comme Harmenopoulos, approuvé par Balsamon, expliquent ainsi le canon : le laïc sera excommunié, le clerc déposé et excommunié64. Ce qui ressort de la lecture de ces canons confirmés par les conciles œcuméniques, par le Synodicon de l'orthodoxie aussi, c'est que le contenu de la foi est le critère de l'orthodoxie, et que toute action ecclésiastique doit se conformer au credo confessé. Ce qui veut dire que le refus d'entrer en communion avec ceux qui ont un autre credo, la suppression de la commémoration d'un évêque qui abandonne, ne fût-ce que sur un point, la foi apostolique, est un devoir, qu'il y ait une décision synodale ou non. Le Canon 15 du Concile Premier-Second est formel : un évêque pécheur, mais non condamné par un synode, reste évêque et on n'a pas le droit de le quitter ; un évêque hérétique, quoique non condamné par un synode, cesse d'être évêque et on doit le quitter instantanément. Telle est la pratique constante de l'Église, et l'histoire en donne toutes les preuves, à chaque fois que les dogmes ou la tradition ont été altérés. Donnons un dernier exemple, moins connu, celui de saint Grégoire Palamas, qui supprima lui aussi la commémoration du patriarche de Constantinople anti-hésychaste, Jean Calécas. Ce dernier, en 1344, excommunia en effet saint Grégoire Palamas auquel il reprochait de donner une fausse interprétation du Concile de 1341 et d'avoir supprimé le nom du patriarche des diptyques lus au cours de la divine liturgie. Saint Grégoire Palamas réfuta le Tome de Calécas et considéra comme sans valeur les condamnations du patriarche anti-hésychaste : « Ceux qui appartiennent à l'Église du Christ habitent dans la vérité ; si quelqu'un n'habite pas dans la vérité, il n'appartient pas non plus à l'Église du Christ. C'est a fortiori le cas de ceux qui mentent sur eux-mêmes, qui se disent et se font appeler pasteurs et archipasteurs ; car nous savons que le christianisme n'est pas dans l'apparence extérieure, mais dans la vérité et dans l'exactitude de la foi ». Si les évêques restent fidèles à la tradition et agissent en accord avec l'ensemble de l'Église, ils habitent dans la vérité. En revanche, s'ils abandonnent l'orthodoxie, ils perdent non seulement leur magistère, mais leur caractère même de chrétiens, et leurs anathèmes sont sans valeur65. La porte d'entrée de l'Église, c'est la Vérité. Tel est le premier degré dans la compréhension de son mystère. C'est pourquoi le péché contre la vérité est le plus grave de tous. Et c'est pourquoi aussi il n'y a pas de plus grande vertu que de lutter pour la vérité66. Une telle identification de l'autorité épiscopale avec la confession de foi – aussi ancienne que le christianisme – se retrouve encore clairement exprimée par un autre hésychaste célèbre, au XVIIIe siècle, saint Païssius Vélichkovsky : « Vous me demandez aussi si un concile dans l'Église d'Orient a jamais levé un anathème. Et je vous réponds : un tel concile peut-il exister qui ne serait pas opposé à Dieu et à la Sainte Église, qui serait rassemblé pour occulter la vérité et confirmer l'erreur ? Un tel concile ne peut exister. Vous me demandez si des évêques peuvent lever un tel anathème sans que le concile des évêques et des patriarches n'en ait connaissance et n'y consente. Et je vous réponds que cela est impossible. Gardez en esprit que tous les évêques reçoivent la même grâce du Saint Esprit quand ils sont consacrés et qu'ils sont chargés de prendre précieusement soin de la foi orthodoxe pure et immaculée. Ils doivent aussi préserver les traditions apostoliques et les règles des Saints Apôtres, des Conciles Œcuméniques et locaux et des saints Pères qui tous forment la sainte Église Catholique et Apostolique. Ils ont reçu du Saint Esprit l'autorité pour contraindre, suivant l'ordre institué par les Saints Apôtres de la Sainte Église. Les évêques n'ont pas reçu du Saint Esprit l'autorité pour détruire les traditions apostoliques et les règles de l'Église. Ni les évêques ni les patriarches ne peuvent donc lever un anathème qui aurait été mis sur les opposants de l'Église, en accord avec les Saints Conciles. Quiconque s'y emploierait irait contre Dieu et la Sainte Église67… » Ici, saint Païssius exprime une idée essentielle à la tradition orthodoxe : à savoir que même un concile œcuménique, c'est-à-dire un concile de toutes les Églises locales, n'a pas le pouvoir de modifier les règles et la foi de l'Église. Un concile n'est un concile que s'il confirme les précédents et s'il est lui-même accepté par la conscience de l'Église ; sans quoi, ce n'est qu'un pseudo-concile, quel que soit le nombre des évêques présents. C'est un tel synode que prophétisait au XIXe siècle Cosmas Flamiatos, lorsqu'il disait que viendrait un grand concile qui organiserait la démolition de l'orthodoxie. C'est aussi un tel concile que les zélotes redoutent aujourd'hui de voir se préparer à Constantinople et à Chambézy, au centre Suisse du patriarcat œcuménique. Le nouveau patriarche Bartholomée, formé à Rome, à la Grégorienne, a d'ailleurs été présenté comme un réformateur de l'ordre canonique de l'Église orthodoxe. La revue catholique Irénikon écrit en effet ceci : « Parmi les nombreuses qualités du nouveau patriarche… on remarquera l'autorité qu'il s'est acquise en matière de droit canonique. Il est assurément l'une des personnalités les plus convaincues de la nécessité pour l'Orthodoxie de réviser son droit canonique et de le codifier. Mais il est aussi l'un de ceux qui prend en considération le travail canonique effectué par Rome. Dans sa thèse de 1970, mais surtout dans un exposé présenté au Premier Congrès de la Société pour le Droit des Églises orientales en 1971 Bartholomé indiquait en dernier lieu, parmi les éléments à prendre en considération pour une nouvelle législation orthodoxe, "les dispositions du Code pour les Catholiques orientaux et, peut-être même, du Codex Juris Canonici latin". Il ajoutait alors : "Cela a aussi une importance œcuménique, car l'Église catholique romaine et l'Église orthodoxe, ayant en commun nombre d'aspects de leur vie ecclésiale, se rapprochent toujours plus l'une de l'autre et cette réconciliation et cette unité si désirables pour les deux parties peuvent en être facilitées68 ». Lorsqu'on voit la façon dont il emploie la police sur la Sainte Montagne pour faire avancer ses projets réformistes, on est en droit de redouter le pire. C) La question de l'œcuménisme Les esprits qui se veulent « évolués », et dont la science consiste généralement à ignorer l'histoire et la tradition ecclésiastiques, leur complexité, leur subtilité, leur richesse spirituelle, disent volontiers : le patriarcat de Constantinople a raison de chasser ces moines qui refusent l'œcuménisme, cette forme de progrès dans l'Église. À cela nous avons répondu : l'usage illégal de la force n'est pas un progrès, c'est plutôt une régression. Mais surtout, ces « néo-orthodoxes » devraient faire un peu d'étude des religions comparées. Le catholicisme et le protestantisme ne sont pas l'orthodoxie. Si œcuménisme veut dire recherche des traditions de l'Église apostolique et patristique, conformité plus grande à l'enseignement du Christ – et non relativisation générale de tout dogme – un catholique, un protestant ont toutes les raisons d'être légitimement « œcuménistes », au moins dans un premier temps. Un catholique, en effet, qui étudie la tradition de sa propre Église, ne peut pas ne pas éprouver une certaine angoisse devant les ruptures, les contradictions, les ajouts, les évolutions qui ont parsemé cette histoire. Il est difficile d'y trouver une unité, sinon l'unité très tardive imposée par l'infaillibilité papale69. Or ce dogme même, qui paraît aujourd'hui si central, si propre au catholicisme, ne date que d'un peu plus d'un siècle, du Concile de Vatican I en 1870. Dans l'Église ancienne, une telle doctrine était totalement inconnue. Nous le savons par les actes et les canons des Conciles, par les écrits des Pères, les vies des saints et les autres monuments de l'histoire de l'Église70 ; et en particulier par les lettres du pape saint Grégoire le Grand, qui soutint une querelle avec saint Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, à propos du terme de « patriarche œcuménique » que Jean s'était vu attribuer71 et qui, selon saint Grégoire, impliquait une supériorité sur les autres patriarches, supériorité mensongère, orgueilleuse et pleine de dangers pour l'Église. Toute la critique que fait Grégoire de l'expression « patriarche œcuménique » est applicable, à bien plus forte raison, à la doctrine de l'infaillibilité. « L'Église de Constantinople, dit-il en effet, a fourni des évêques qui sont tombés dans l'abîme de l'hérésie, et qui sont même devenus hérésiarques. C'est de là qu'est sorti Nestorius… C'est de là qu'est sorti Macédonius, qui nia que l'Esprit Saint fût Dieu, consubstantiel au Père et au Fils. Si donc quelqu'un usurpe dans l'Église un titre qui résume en lui tous les fidèles, l'Église universelle, ô blasphème, tombera donc avec lui, puisqu'il se fait appeler l'universel ! Que tous les chrétiens rejettent donc ce titre blasphématoire, ce titre qui enlève l'honneur sacerdotal à tous les prêtres dès qu'il est follement usurpé par un seul72 ». Pour saint Grégoire, l'autorité ecclésiastique réside dans l'épiscopat, et non dans tel ou tel évêque, quel que soit son rang dans la hiérarchie. Même aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, mise à part une minorité de théologiens, généralement des jésuites, la prééminence du pape sur le concile en matière de foi et de règles ecclésiastiques, n'était absolument pas reconnue par l'Église de France. Sur bien d'autres points, il en était de même, comme sur la grâce et la prédestination, où les tenants de l'augustinisme le plus strict étaient tantôt victorieux, tantôt condamnés ; ou encore comme sur l'Immaculée Conception, qui ne devint un dogme qu'au XIXe siècle, après avoir été contestée par une bonne partie des théologiens occidentaux. Ainsi, Bernard de Clairvaux et Thomas d'Aquin y furent-ils hostiles. Et ce sont les jésuites, là encore, qui imposèrent le succès de « leur » dogme. En bref, sur de nombreux points essentiels, régna pendant des siècles une véritable « guerre civile » en théologie, due au fait qu'il était impossible de concilier ou d'harmoniser des traditions issues de l'ancienne Église et de la théologie patristique, avec les principes d'une méthode spéculative prenant appui sur les œuvres d'Augustin. La théologie de l'évêque d'Hippone, fondée sur le platonisme, évoluant au gré des controverses, était à la fois aporétique, contradictoire sur de nombreux points et ignorante des écrits des Pères hellénophones, des grands cappadociens notamment. Toutes ces raisons font que la rencontre avec la tradition orthodoxe est pour un catholique extrêmement intéressante : voilà, en effet, peut-il se dire, une Église qui n'a pas connu la scolastique ni ses spéculations oiseuses et inutiles, qui a ignoré toute la tyrannique conception augustino-anselmienne de la culpabilité transmise et de la colère de Dieu satisfaite par la Croix. Or cette conception a été un moyen pour transformer le message de joie de l'Évangile en un système effrayant et angoissant. Le catholique sincère peut très bien se dire, et à juste titre, qu'il ne va pas trouver dans l'Église orthodoxe tout ce qui a éloigné les hommes d'Occident de leur propre Église, à savoir la conception féodale d'un Dieu qui transforme l'humanité en une massa damnata dont quelques-uns seulement sont extraits par l'arbitraire de la prédestination. De même, le protestant sincère a toutes les raisons d'être œcuméniste, puisqu'il est issu de la même tradition théologique que le catholique, même si Luther et Calvin ont voulu réformer certains aspects particulièrement choquants de la pratique catholique, comme les indulgences. En même temps, le protestantisme historique s'est longtemps posé la question de la croyance et des usages de l'Église ancienne et de son unité. La multitude des sectes qui se réclament du protestantisme crée d'ailleurs un esprit de tolérance plus grand que celui qui règne généralement dans le catholicisme. Certains orthodoxes aussi ont participé au commencement du dialogue œcuménique dans l'idée d'apporter le témoignage de la foi orthodoxe. On pourrait citer le Père Georges Florovsky. Cependant, si l'intérêt pour le mouvement œcuménique n'est pas, dans sa nature, contraire à l'esprit du protestantisme, si la participation à ce mouvement peut être une évolution de plus à l'intérieur de l'Église catholique, il est fondamentalement contraire à la nature théandrique, divino-humaine, de l'Église orthodoxe. L'Église est le corps théandrique du Christ, le mystère par excellence. Comme le dit le Père Justin Popovitch : « Dans le christianisme, la Vérité n'est pas une idée philosophique, ni une théorie, ni un enseignement, ni un système d'enseignements, mais elle est la Personne divino-humaine vivante – le Jésus Christ historique (Jn 14, 6)… Le Christ récapitule tout son enseignement et toute son œuvre dans sa Personne divino-humaine et les explique par lui-même. C'est pourquoi l'Église Apostolique Orthodoxe résume la totalité du christianisme dans la Personne vivifiante du Dieu-Homme, le Christ… L'Église n'est rien d'autre que le Dieu-Homme, le Christ, prolongé dans tous les siècles : "Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles" (Matt. 28, 20 ; cf. Éph. 1, 21-23). Le Dieu-Homme est la tête du Corps de l'Église (Col. 1, 18 ; Éph. 1, 22 ; 5, 23), la tête unique… Par Lui, le seul, l'unique, l'indivisible Dieu-Homme, l'Église est toujours une, unique, indivisible73 ». Et encore : « Toute la nature de l'Église, dans toutes ses manifestations, a un caractère divino-humain… Comment l'Église orthodoxe garde-t-elle son plus grand trésor, la toute-sainte Personne du Dieu-Homme, le Christ ? Elle le conserve par sa foi une et unique, sainte, catholique et apostolique. Par l'unité de foi, l'Église orthodoxe sauvegarde au milieu des siècles l'unité et l'unicité de la vie et de la vérité divino-humaines74… » C'est pourquoi, la notion même d'œcuménisme, au sens moderne, d'une recherche historico-spirituelle, n'a pas de place dans l'Église orthodoxe. Elle ne peut faire retour vers l'Église primitive, car elle EST elle-même cette Église ; elle ne peut chercher la Vérité qui réside en ELLE-MEME ; enfin sa confession n'admet ni augmentation ni diminution, ni altérité, parce qu'elle est simple et une. Ou, comme le disait saint Denys l'Aréopagite, en parlant des martyrs : « Nos maîtres et nos initiateurs dans la Sagesse de Dieu meurent chaque jour pour la vérité, témoignant comme il se doit par toutes leurs paroles et par tous leurs actes que l'unique vérité chrétienne à laquelle ils adhèrent est de toutes la plus simple et la plus divine, ou, pour mieux dire, que seule et unique, elle est la vraie connaissance de Dieu75 ». Dans les premiers siècles de l'Église, l'évêque avait un double rôle, celui de présider l'eucharistie, et celui de protéger son troupeau contre les hérésies76. Sans un credo juste, il n'y a pas d'épiscopat présidant véritablement l'eucharistie. Car une chose est le péché, autre chose l'hérésie. Le péché est une transgression des commandements. Mais l'hérésie est une altération de la foi. C'est une falsification des critères de la vérité. Or c'est bien ce à quoi se livre le patriarcat de Constantinople depuis 1920. Il a proclamé, en effet, que la foi, que les différences dogmatiques, n'étaient plus un motif de séparation – alors qu'au contraire, jusque là, les divergences dogmatiques étaient quasiment le seul motif de séparation légitimement admis. Successivement, différents évêques du patriarcat de Constantinople ont peu à peu remis en cause l'autorité des conciles œcuméniques, qui sont loin aujourd'hui d'être considérés par eux comme absolus. Ainsi, à la suite du dialogue avec les monophysites, Dioscoros, qui a été condamné par le Concile de Chalcédoine, puis par tous les autres conciles, qui ont reconnu Chalcédoine, et notamment par le VIIe Concile Œcuménique, a cessé d'être présenté comme un monophysite. Les Pères du IVe concile n'auraient pas bien compris ce qu'il confessait et se seraient donc trompés en disant qu'il était hérétique. Tel a été le résultat des accords de Chambésy, signés en 1991. La même confusion règne dans les relations avec l'Église catholique, qui ignore que le patriarche Athénagoras a levé les anathèmes de 1054 sans avoir autorité pour le faire, puisque la doctrine qui avait provoqué ces condamnations réciproques, à savoir la double procession du Saint Esprit, ou Filioque, n'a jamais été abandonnée ni même mise en question par le Vatican. Les dernières déclarations du Cardinal Ratzinger, au mois de juin 1992, montrent d'ailleurs que Rome n'a rien abandonné de ses prétentions à gouverner tous les chrétiens. Quant aux canons des conciles œcuméniques, locaux ou encore des Apôtres, ils sont sans cesse critiqués comme dépassés, inutiles, désuets, etc. par la hiérarchie du Patriarcat de Constantinople, qui d'ailleurs est bien obligé de supprimer l'autorité des canons pour justifier ses nombreux cas de prière en commun avec les catholiques et les protestants – actes condamnés précisément par les canons. Le patriarcat de Constantinople se dit « canonique » alors qu'il transgresse, en réalité, la plupart des canons, non seulement ceux qui concernent la prière commune avec tous les hétérodoxes, mais encore bien d'autres canons, comme ceux qui obligent les évêques à être effectivement « mariés » avec leur diocèse. Les évêques du patriarcat ont tous des titres qui ne correspondent pas à leur diocèse réel77. En mettant en cause l'importance des dogmes et des canons ecclésiastiques, en ébranlant leur caractère absolu, le patriarcat de Constantinople et ceux qui l'ont suivi dans la même voie du réformisme, ont touché aux bornes posées par les Pères, c'est-à-dire qu'ils ont détruit les critères qui, pour les orthodoxes, sont à la fois nécessaires à la vie de l'Église et à la vie spirituelle. Or, jamais, dans l'histoire de l'Église orthodoxe, personne n'a été considéré comme orthodoxe et membre de l'Église s'il ne confessait pas et n'appliquait pas ces critères. On le voit encore au XIXe siècle, lorsque le patriarcat de Constantinople, en accord avec les autres sièges de l'Orient, publia ses Encycliques de 1848 et 1895. Elles déclarent notamment : « Ainsi, frères et chers enfants en Jésus Christ, ayant purifié nos âmes en obéissant à la vérité, suivant l'Apôtre (1 Pi. 1, 22), il nous faut faire une grande attention aux choses que nous avons entendues, de peur que nous ne les laissions écouler (Héb. 2, 1). La foi et la confession que nous avons est irrépréhensible, puisqu'elle est enseignée dans l'Évangile de la bouche même de notre Sauveur, attestée par les saints Apôtres et par les Sept Conciles Œcuméniques, proclamée sur toute la terre, confirmée par ses propres ennemis qui, avant de se détacher de l'orthodoxie pour se jeter dans les hérésies avaient, eux aussi ou leurs pères, ou leurs ancêtres, cette même foi… La longue succession de nos saints Pères et prédécesseurs, en commençant par les Apôtres, et ceux que les Apôtres ont établis leurs successeurs jusqu'à ce jour, faisant une chaîne indissoluble et se tenant tous par la main, forment une enceinte sacrée dont Jésus Christ est la porte, et au dedans de laquelle tout le troupeau orthodoxe trouve l'aliment de vie dans les fertiles pâturages du mystique Éden78 ». « Conservons la confession que nous avons reçue intacte d'aussi grands hommes, fuyant toute innovation comme une suggestion du démon ; celui qui accepte une innovation accuse d'insuffisance la foi proclamée orthodoxe. Mais cette foi a été marquée du sceau de la perfection, et n'est plus susceptible ni de diminution, ni d'augmentation, ni d'altération d'aucune sorte ; et quiconque ose exécuter, ou conseiller, ou préméditer un pareil acte, a déjà renié la foi de Jésus Christ, s'est déjà soumis volontairement à l'éternel anathème comme blasphémateur du Saint Esprit qu'il suppose avoir dogmatisé d'une manière incomplète dans les Écritures et par le ministère des Conciles Œcuméniques79 ». « Il est manifeste que l'Église universelle qui seule garde en son sein, intégralement et sans changement, la foi une, le divin dépôt prêché et transmis par les Pères théophores guidés par le Saint Esprit, est une et identique pour l'éternité et non multiple et changeante au gré des temps. Car les vérités évangéliques ne sont pas susceptibles de modification ou de progrès selon les époques, comme le sont les divers systèmes philosophiques : Jésus Christ est le même hier, aujourd'hui et pour l'éternité (Héb. 13, 8)80 ». Sans une confession de foi orthodoxe, il n'y a évidemment pas d'orthodoxie, mais il n'y a pas non plus d'Église, ni bien sûr de canonicité. Les mystères (sacrements) se transforment en magie. C'est pour cette raison que les moines zélotes du Mont Athos ont bien le droit de ne pas commémorer et de ne pas reconnaître l'autorité du patriarcat de Constantinople. Cette Église se dit le critère de l'orthodoxie aujourd'hui, mais n'enseigne plus ce que la tradition orthodoxe enseigne. Or le critère est dans la foi, pas dans le siège. De plus, ce sont les moines zélotes qui sont chez eux au Mont Athos, parce qu'ils sont orthodoxes, alors que ceux qui les persécutent ne confessent plus la plénitude de la foi orthodoxe. Rien, dans la tradition de l'Église orthodoxe, n'oblige les moines athonites à commémorer le patriarche de Constantinople s'il n'est pas fidèle et soumis lui-même aux dogmes et aux canons de l'Église. Toute cette tradition les oblige, au contraire, à rompre la communion avec le patriarche Bartholomée qui poursuit l'œuvre qu'ont entamée ceux qui l'ont précédé, depuis Mélétios Métaxakis. Rien non plus dans la tradition de l'Église orthodoxe n'autorise le patriarcat de Constantinople à user de la force pour contraindre les moines soit à le commémorer, soit à quitter la Sainte Montagne. Car ces évêques sont assis sur la chaire de Moïse, mais ils n'ont ni les œuvres, ni la foi de Moïse : « Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse… ils disent et ne font pas » (Matt. 23, 2-3). « Gardez-vous avec soin du levain des pharisiens et des sadducéens », c'est-à-dire, de leur enseignement (Matt. 16, 6 et 12). Ces évêques sont assis sur le trône des Pères, mais ils défont l'œuvre des Pères… Depuis un siècle environ que la théorie des branches, ou œcuménisme, a pénétré dans la périphérie des Églises orthodoxes traditionnelles, puis a été adoptée officiellement à partir de 1920, par le patriarcat de Constantinople, de très nombreux écrivains ecclésiastiques orthodoxes ont dénoncé son caractère étranger à la nature même de l'Église orthodoxe. Au XIXe siècle, ce fut Khomiakov, dans une lettre célèbre à l'Union chrétienne, puis Guettée, dans ses controverses avec Doellinger, ainsi que les moines russes qui critiquèrent le dialogue avec les vieux-catholiques dans les colonnes de la Revue Internationale de Théologie. Au début du siècle, ce fut le Métropolite Antoine Khrapovitsky, dans sa Réponse au synode de l'église Épiscopalienne81 et l'archevêque Hilarion Troïtsky, dans sa Lettre sur l'Unité de l'Église, écrite en réponse au protestant H. Gardiner82. Ce fut, encore dans l'Église Russe, mais dans l'émigration, le synode de 1937 à Karlovits qui s'inquiéta de la confusion dogmatique qui allait entraîner l'œcuménisme. Ce fut, dans l'Église grecque, une multitude d'écrits de théologiens et de prêtres, comme le Père Philothéos Zervacos, l'iconographe Photios Kontoglou, le théologien laïc Alexandre Kalomiros, le Père Théodoritos de l'Athos et tant d'autres. Dans l'Église serbe, le Père Justin Popovitch, qui est considéré par beaucoup comme un Père de l'Église contemporain, consacra, lui aussi, un livre à l'œcuménisme, qu'il définit comme une sorte d'aboutissement du nihilisme occidental, et comme une négation de l'Église83. Mentionnons encore les Lettres de douleur du Métropolite Philarète de New York, sa condamnation solennelle de l'œcuménisme en 1983. En France, rappelons aussi l'œuvre du Père Ambroise Fontrier, un authentique hésychaste, qui refusa tout compromis avec une doctrine qui brisait les frontières entre l'Église et le monde, entre l'Évangile et les philosophies subjectives84. CONCLUSION e principe même de l'œcuménisme est l'abolition des frontières entre l'Église et le monde, contrairement à l'enseignement de l'Église contenu dans la prière du Christ : « Je ne te prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés » (Jn 17, 9). L'Église orthodoxe, fidèle, sur ce point comme sur les autres, à la tradition biblique et patristique, ignore la prédestination. Tous les hommes sont appelés à entrer dans l'Église, et il suffit pour eux de le vouloir, c'est-à-dire de coopérer avec la grâce divine qui les y appelle tous. Mais encore faut-il le vouloir, répétons-le ; et le Dieu des orthodoxes ne fait pas violence aux hommes, il ne leur impose pas le salut et la vérité. Entrer dans l'Église par le baptême, ce baptême où nous sommes immergés dans la mort au vieil homme et au monde et où nous ressuscitons nouvelle créature, avec le Christ, dans le Saint Esprit, ce n'est pas faire partie d'une organisation comme il y en a tant dans nos sociétés. C'est participer d'une réalité nouvelle, divino-humaine, qui n'est réductible à aucune « structure » de ce monde. Entre l'Église et le monde, il y a autant de différence qu'entre la Révélation et les nombreuses philosophies ou doctrines que l'on trouve à différentes époques de l'histoire de l'humanité. Ce qui est révélé par Dieu ne peut pas être connu par notre propre raisonnement, mais seulement si Dieu veut le révéler. Nous pouvons bien imaginer qu'il y a un Dieu, mais que ce Dieu soit la Sainte Trinité, que le Verbe se soit incarné, cela, sans le Saint Esprit, sans la volonté divine elle-même, nous ne pouvons le connaître. Encore moins pourrions-nous imaginer que Dieu s'expérimente, et que la création puisse s'unir à son Créateur lorsque Celui-ci la fait participer à sa grâce incréée et divine. L'Église est le lieu de cette plénitude, où Dieu s'est fait connaître, et se laisse expérimenter par ceux qui le suivent, c'est-à-dire qui aiment et pratiquent ses commandements. Elle est dans l'histoire, mais son but n'est pas historique. L'Église a pour but de préparer ses fidèles à la vision de la gloire divine que tous les hommes verront, pour leur salut ou leur condamnation, au Jour du Jugement, lorsque la figure de ce monde sera passée. C'est ce but eschatologique, qu'elle poursuit sans cesse, qui fait que l'Église n'accorde pas une très grande valeur aux opinions du siècle. Certes, le chrétien vit au milieu de ces opinions, qui ne sont pas toutes égales peut-être, mais pour lesquelles il n'a pas à se passionner parce que, s'il est authentiquement chrétien, il sera toujours une pierre d'achoppement pour les opinions mauvaises. C'est pour cette raison qu'Hitler et Staline ont en commun d'avoir persécuté les orthodoxes. En voulant rapprocher l'Église et le monde, comme l'ont fait depuis longtemps la papauté et la réforme protestante, les patriarches de Constantinople, de Mélétios Métaxakis à Athénagoras, et d'Athénagoras à Bartholomée, ont réduit l'Église à être une société comme les autres. Une société qui donne son avis sur tous les « problèmes » du monde moderne, qui prône une morale universelle à partir de principes généraux et abstraits qui seraient une sorte de condensé du christianisme. C'est ce qui s'est passé au synode du mois de mars 1992. Le texte final mentionne les questions évoquées. « Le progrès rapide de la technologie et des sciences, qui fournissent les instruments pour améliorer la qualité de vie et le soulagement de la souffrance, du malheur et de la maladie, n'est pas toujours accompagné, hélas ! de fondations spirituelles et éthiques analogues… La coexistence de ce progrès avec la justice, l'amour et la paix, est le seul chemin sûr et sans danger pour que durant le millénaire qui vient ce progrès ne se transforme pas de bénédiction en malédiction ». Sont ensuite évoqués, sur le même ton : le progrès de la génétique, les dangers pour la survie de l'environnement naturel, la marche de l'Europe vers l'unité… C'est encore ce que l'on trouve dans la déclaration récente du patriarche Bartholomée, dans La Croix85 Le monde doit aller vers l'unification, etc. Autrement dit, le monde doit aller vers une seule religion, conçue comme un aboutissement de l'humanisme. Tout cela est très beau, et nous n'avons rien contre des principes généreux qui protégeraient les hommes des guerres et des violences. Mais le fait très gênant pour ces évêques qui prennent ainsi position sur ces questions extra-ecclésiales, c'est que, pour arriver à un tel monde, ni le Christ, vrai Dieu et vrai homme, ni l'Église qui est Son Corps, ni la Révélation enfin, n'étaient nécessaires. La preuve en est que les philosophies y sont arrivées toutes seules, et que la plupart de ces doctrines ne sont pas, aujourd'hui, chrétiennes, bien qu'elles soient favorables à un tel monde unifié, sans guerre, et même « philanthropique ». N'importe quel citoyen honnête pourrait dire et écrire, avec les meilleurs sentiments du monde, ce que le patriarcat de Constantinople déclare dans son message du mois de mars, après un synode de plusieurs jours. N'importe quel homme honnête comprend aussi que si cette unification passe par l'usage fréquent ou constant de la force et de la violence, si elle commence par l'expulsion manu militari de quelques moines inoffensifs du Mont Athos, pour nous donner à juger de ses méthodes, elle n'est pas une concorde, mais une tyrannie. Mais la voix de l'Église, l'enseignement de l'Église, de la Révélation, de l'Ancien et du Nouveau Testament, des Pères saints et des conciles œcuméniques, ce message-là est unique. Aucun philosophe, aucun citoyen simplement sincère et honnête ne peut l'inventer, parce qu'il est révélé au cœur purifié ou qui se purifie. C'est pour cette raison que les Pères ont enseigné l'exclusivité de la Révélation et de l'Église, dont le royaume n'est pas de ce monde. Les Pères du Mont Athos que l'on expulse maintenant confessent l'exclusivité, l'unicité de la Révélation et de l'Église. C'est pour cela que le patriarcat, qui croit au syncrétisme entre les religions, les chasse. Ces moines n'ont aucune tristesse à être chassés et expulsés, parce qu'ils confessent que, quelles que soit les fautes personnelles des uns et des autres ou la vertu des uns et des autres, ce qui les distingue du monde et les rend dignes de recevoir la grâce toute-puissante du Christ, c'est la confession et la pureté de la foi, la fidélité sans faille à l'enseignement de l'Écriture, des Conciles et des Pères. Sans cette confession, que veulent dire l'ascèse, la prière perpétuelle, les offices très longs, les jeûnes, les larmes et la pénitence qui nous est commandée par l'Évangile ? C'est le sens de leur vie, c'est leur conscience que le patriarcat de Constantinople veut violenter, en les obligeant à le commémorer. De la même façon, en Russie, ceux qui ne veulent pas commémorer le patriarcat de Moscou, compromis par la déclaration de 1927 du Patriarche Serge, qui faisait des joies et des peines du pouvoir athée ses propres joies et ses propres peines, puis par la participation active de ses principaux évêques dirigeants dans la police politique comme membres et agents du KGB, ceux, donc, qui refusent cela, sont parfaitement en droit, selon les canons, de ne pas commémorer cette hiérarchie qui a bafoué la plupart des canons et des règles de la foi orthodoxe. Ce sont d'ailleurs sur les mêmes canons des Apôtres et des Pères que les saints Nouveaux-Martyrs et que les évêques de l'Église des Catacombes se sont fondés, à partir de 1927, pour refuser toute communion avec le sergianisme86. En conclusion, nous voudrions citer quelques lignes du Nouveau Martyr Hilarion Troïtsky, qui avant même la révolution d'Octobre, répondait à ces questions, et refusait que l'on puisse séparer l'Église et le christianisme87 : « Le Christ n'a jamais écrit de Dogmatique. Ce fut des siècles après la vie terrestre du Sauveur que l'on donna une formulation précise aux dogmes principaux de l'Église. Qu'est-ce qui a bien pu alors déterminer l'appartenance à l'Église des chrétiens vivants dans les premiers temps du christianisme ? Le livre des Actes des Apôtres l'atteste : Et le Seigneur ajoutait chaque jour à l'Église ceux qui étaient sauvés (Ac. 2, 47). C'est le fait d'être en union avec l'Église qui détermine l'appartenance à l'Église. Il ne peut en être autrement, car l'Église n'est pas une idée philosophique. Elle est une nouvelle humanité, un nouvel organisme d'amour et de grâce. Elle est le corps du Christ… Dans l'Église ancienne, on raisonnait de la façon suivante : "Ceux qui ne veulent pas être unanimes dans l'Église de Dieu, ne peuvent pas être avec Dieu" ; et "ceux qui agissent ainsi prétendent faussement qu'ils sont chrétiens, tout comme le Malin prétend faussement qu'il est le Christ", dit saint Cyprien ». Bientôt, de plus en plus clairement, le choix entre appartenir à l'Église orthodoxe du Christ ou être rattaché à la juridiction du patriarcat de Constantinople, lequel a cessé d'enseigner ce que les Prophètes ont vu, ce que les Apôtres ont prêché, ce que les Pères ont dogmatisé, c'est-à-dire le Christ, ce choix crucial apparaîtra comme de plus en plus évident à de nombreux orthodoxes. Puisse Dieu leur donner la force des Pères qui ont confessé la foi, et qui n'ont tenu compte ni des lieux, ni des modalités historiques, pour s'unir au Christ. Par les prières de Nos Pères Saints, Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, ait pitié de nous ! ANNEXE 1 OU VA LE PATRIARCAT DE CONSTANTINOPLE ? Mais j'ai contre toi, que tu as délaissé ta charité première. Rappelle-toi donc d'où tu es tombé, et repens-toi et refais tes premières œuvres ; sinon, je viens vers toi rapidement et j'ôterai ton chandelier de sa place, si tu ne te repens pas. Apoc. 2, 4-5. orsque Jean le Jeûneur88, Patriarche de Constantinople au IVe siècle, se donna lui-même le titre d'Œcuménique, il rencontra l'opposition la plus ferme de la part de saint Grégoire le Dialogue, l'auteur de la Liturgie des Présanctifiés. Voici ce qu'écrivit saint Grégoire à l'Empereur byzantin : « Toute l'Europe est aux mains des barbares. Les cités sont tombées ; les forteresses ont été réduites en ruines ; les provinces se dépeuplent ; il n'y a plus de bras pour cultiver la terre et les idolâtres persécutent et massacrent les croyants. Au milieu de cette désolation, au lieu de se prosterner dans le sac et la cendre sur les parvis de leurs églises, en prière, les prêtres [les évêques] ne font que courir après des titres illusoires » (Les Moines d'Occident, par le Comte de Montalembert, p. 370). Le Pape Grégoire le Dialogue en vint même à utiliser dans ses Documents officiels le titre de « Serviteur des Serviteurs de Dieu ». Dans la vie de l'Église, tout ce qui éloigne de l'esprit de l'orthodoxie, de la perspective orthodoxe, fait apparaître un jour ou l'autre des fruits d'amertume, si l'on n'y remédie pas à temps. Ces derniers temps, nous avons lu de nombreux articles de presse qui présentent le patriarche de Constantinople comme le chef spirituel de tous les orthodoxes. Voici, par exemple, ce qu'on peut lire dans The Catholic World Report, décembre 1991 : « Bartholomé, dans le monde Dimitrios Archontonis, est devenu le Patriarche Œcuménique de cent trente-cinq millions de chrétiens orthodoxes. Bien que les dirigeants [les autorités turques] ne reconnaissent pas nécessairement l'autorité du Patriarche sur le monde entier, le peuple, quant à lui, la reconnaît. La plus grande majorité des croyants se trouvent dans l'ex-URSS et dans l'Europe du sud-est ». Un tel commentaire reflète-t-il simplement la méconnaissance complète de l'ecclésiologie orthodoxe chez les hétérodoxes ? Sans doute peut-on expliquer par l'ignorance les appréciations d'un non-orthodoxe sur l'orthodoxie ; comment, par contre, expliquer ces mots prononcés par le patriarche Dimitri, assurant qu'il détient « un Siège ayant la primauté » en tant que chef spirituel du monde orthodoxe89 ? L'Église enseigne que le patriarcat de Constantinople détient une primauté d'honneur, reçue après que Rome fut sortie de l'Église catholique. Le troisième canon du Deuxième Concile Œcuménique dit : « L'évêque de Constantinople doit avoir la primauté d'honneur après l'évêque de Rome, car Constantinople est la Nouvelle Rome ». Cette « primauté d'honneur » n'a pour autant aucun fondement dogmatique. Elle est tout simplement appuyée sur l'importance politique d'une ville donnée [qui n'a aujourd'hui plus de signification]. Dans l'Église orthodoxe, tous les évêques, y compris le Patriarche Œcuménique, sont égaux. Outre ces ambitions de type néo-papiste, bien d'autres bouleversements ont été associés à la personne du patriarche de Constantinople au cours de ce siècle. Observons la période qui s'ouvre en 1922, quand le Patriarche Mélétios IV (Métaxakis), terrible moderniste et franc-maçon, accéda au trône patriarcal. Dès 1923, il convoqua un prétendu « Congrès pan-orthodoxe » qui introduisit le calendrier grégorien et discuta de la possibilité du remariage des prêtres. À propos de ces changements, le Métropolite Antoine (Khrapovitsky) écrivit ceci : « Dès l'ouverture de ce sombre Congrès pan-orthodoxe du Patriarche Mélétios – qui a osé nommer ainsi une réunion de quatre à six évêques et de quelques prêtres, sans la participation des trois autres Patriarches – dès l'ouverture de ce Congrès non-orthodoxe, un acte de vandalisme était perpétré contre l'orthodoxie. Un grand nombre de réformes furent proposées, que l'Église avait pourtant jusqu'alors bannies de façon ferme et définitive ; ces réformes concernent les évêques mariés, le second mariage des prêtres et l'abolition des jeûnes. Il est vrai que ce Congrès non-orthodoxe n'a pas réussi officiellement à promulguer toutes les violations impies des lois de l'Église ; il s'est contenté de proposer l'institution du calendrier selon le nouveau style, les fêtes étant célébrées treize jours avant la date prescrite, la Pâque avec le cycle des fêtes pascales (Paschalie) restant inchangés. Cette concession absurde et inutile au papisme et à la franc-maçonnerie, qui depuis longtemps tentaient d'instituer ce changement de calendrier afin d'assimiler totalement les uniates avec les latins (le calendrier d'ancien style des uniates étant leur principale différence extérieure d'avec les latins), viole le décret apostolique du Carême des Apôtres ; en effet, avec le calendrier selon le nouveau style, lorsque Pâque tombe le 21 avril (ancien style) ou après, la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul arrive avant le Dimanche de Tous les Saints, et le jeûne qui la précède s'en trouve complètement éliminé ! » Le 9 juin 1922, Mélétios reçut dans sa juridiction, contre les canons, le diocèse de Finlande ; le 28 août, il accepta le diocèse d'Estonie qui appartenait auparavant à l'Église Russe. Il s'immisça aussi dans les affaires du Patriarcat de Serbie en territoire tchécoslovaque. On comprendra les raisons de ces ingérences à la lecture du passage suivant, extrait de l'ouvrage The Orthodox Involvement in Carpatho-Russia, de Z. G. Ashkenazy. « Suivant l'ancienne loi hongroise du 10 août 1868, confirmée dans le second paragraphe de la première loi de la République de Tchécoslovaquie en date du 28 octobre 1918, tous les chrétiens orthodoxes vivant sur le territoire de l'ancien Royaume de Hongrie dépendent du Patriarcat de Serbie. Cela fut confirmé à la délégation de l'Église orthodoxe de Tchécoslovaquie par le Conseil des Ministres de la République de Tchécoslovaquie en date du 11 août 1920, n°23608. Le Conseil des Ministres reconnaît dans sa lettre que le futur évêque de Carpatho-Russie sera choisi parmi le clergé serbe. C'est ce qui inspira le Concile des soixante-trois communautés orthodoxes tenu le 19 août 1921. Ce Concile nomma l'évêque Dosithey (Nishsky) évêque de Tchécoslovaquie. Les orthodoxes de Tchéquie, de Moravie et de Silésie reconnaissaient aussi la juridiction de l'Église de Serbie. De surcroît, l'évêque tchécoslovaque Gorazd (Pavlik) fut consacré en septembre 1921 par Dimitri, Patriarche de Serbie, et dans une lettre datée du 29 mars 1921, la communauté orthodoxe de Prague reconnaissait la juridiction serbe. Lorsque l'évêque Dosithey arriva à Prague, délégué par le Patriarcat de Serbie, il reçut la communauté locale sous ses auspices canoniques. Dans une lettre du 3 septembre 1921, les représentants de la communauté l'informèrent qu'ils l'avaient choisi comme évêque. « À la même époque, la communauté de Prague choisissait comme prêtre l'Archimandrite Sabbatius et demandait à l'Église Serbe de le consacrer évêque de Prague. Devant cette tentative de la paroisse de Prague de doubler l'évêque Gorazd, d'usurper le contrôle des affaires orthodoxes et de soumettre la communauté orthodoxe à son autorité, le Synode Serbe répondit qu'il était impossible de nommer un évêque séparé pour une seule paroisse de taille réduite. Sans en informer la communauté et donc sans son accord, l'Archimandrite Sabbatius et le Docteur Chervinka se rendirent à Constantinople à la fin de l'année 1922 afin de rencontrer le Patriarche Mélétios. Ce sont les Britanniques et les Français qui avaient promu Mélétios au trône patriarcal, son élection étant considérée comme anti-canonique par les Patriarches d'Orient. « On peut se faire une idée des sentiments que la population grecque locale nourrissait à l'égard de son patriarche quand on sait que la foule l'assiégea durant un Concile de l'Église, réclamant sa démission. Il fut contraint de la donner lorsque les troupes françaises et anglaises évacuèrent Constantinople90 ». « Le Patriarche Mélétios est connu pour avoir apporté son soutien au mouvement russe "l'Église Vivante", qui s'opposa au Patriarche Tykhon ; il poussa aussi à l'adoption du calendrier latin par les Églises de Constantinople, de Roumanie et de Pologne ; enfin, il créa une Église polonaise autocéphale qui livra les orthodoxes de Pologne entre les mains des nationalistes polonais » (voir documents sur l'assassinat du Métropolite George de Pologne, rassemblés par l'Archimandrite Smaragde) ». Il ne fait aucun doute que le Patriarche Mélétios, en intelligence avec le gouvernement tchécoslovaque, s'immisça dans les affaires de l'Église de Tchécoslovaquie, violant les quinzième et seizième canons du Premier Concile Œcuménique et le deuxième canon du Deuxième Concile Œcuménique qui interdirent le passage d'une juridiction à l'autre ainsi que l'ingérence dans les affaires d'un diocèse étranger, d'autant plus qu'il n'y avait consentement ni de l'Église Serbe, ni de l'Église Russe. En janvier 1923, Mélétios consacra Sabbatius archevêque de la branche tchécoslovaque du Patriarcat de Constantinople, que celui-ci venait de constituer et qui incluait la Carpatho-Russie. Le Docteur Chevinka fut également ordonné prêtre. L'Église Serbe protesta contre cette intrusion dans son territoire, lors du Concile des évêques tenu à Karlovtsky en 1923, déclarant les actes de Mélétios anti-canoniques. Cette décision eut pour résultat que le Synode de Constantinople lui-même déclara les actions du Patriarche Mélétios anti-canoniques et demanda à l'évêque Sabbatius de s'en remettre au Synode serbe pour toutes les affaires de l'Église. « Il y eut donc trois évêques dans l'Église de Tchécoslovaquie. Les évêques Dosithey de Carpatho-Russie et Gorazd de Moravie reconnaissaient la juridiction serbe. L'évêque de Prague, Sabbatius, déclarant dépendre de Constantinople, briguait le contrôle de toute l'Église de Tchécoslovaquie, et en particulier l'obéissance de l'Église en Carpatho-Russie. « On peut aisément imaginer le scandale causé par une telle confusion. Mettant en avant ses droits en Carpatho-Russie, l'évêque Sabbatius s'activait à recruter des sympathisants parmi le clergé carpatho-russe, ordonnant sans discrimination ni sélection les candidats qui se présentaient. Son entourage se mit à demander aux autorités que des mesures administratives soient prises contre les prêtres qui n'accepteraient pas de se soumettre à lui. Quant l'évêque Dosithey suspendait un moine qui s'était rebellé, l'évêque Sabbatius en faisait un higoumène ; quand l'évêque Dosithey rassemblait le clergé à Husta et organisait un Consistoire Ecclésiastique, l'évêque Sabbatius invitait les prêtres à Bushtine pour y former un Concile Épiscopal. Les affaires de l'Église étaient en plein chaos. L'esprit de malice et la haine se développèrent parmi les membres du clergé, qui se disaient "sabbatiens" ou "dosithéens". « La magnifique floraison spirituelle qui avait fourni tant de martyrs à l'orthodoxie dégénérait ainsi dans une lamentable lutte pour le pouvoir, pour le contrôle des paroisses les plus riches et des revenus qu'elles produisaient. La presse uniate se réjouissait, tandis que les fidèles orthodoxes étaient pleins d'amertume à cause de leurs prêtres qui se révélaient incapables de préserver cette orthodoxie que les plus humbles avaient fait naître ». Quand, en 1925, après la mort du Patriarche Photios, le Patriarche Mélétios monta sur le trône d'Alexandrie – ayant été préalablement évincé d'Athènes – il introduisit immédiatement le calendrier selon le nouveau style. Son successeur à Constantinople, le Patriarche Grégoire VII (1923-24), reconnut les décrets du Concile de « l'Église Vivante » en vue de déposer le Patriarche Tykhon. Il demanda au Métropolite russe Antoine et à l'Archevêque Anastase, qui résidaient alors à Constantinople, de mettre un terme à leurs actions contre le régime soviétique et de cesser la commémoration du Patriarche Tykhon, tout en leur conseillant de reconnaître les bolchéviques. Comme il ne recevait aucun acquiescement, Grégoire organisa une enquête et interdit aux deux évêques de célébrer la liturgie. Il demanda aussi au Patriarche Dimitri de mettre fin au Concile des Évêques Russes de Sremsky-Karlovtsky, mais Dimitri refusa. Enfin, il accorda l'autocéphalie à l'Église de Pologne. Voici ce qu'a écrit sur ces points le Métropolite Antoine (Khrapovitsky) : « Nous savons que la création d'une nouvelle métropole ou l'autonomie d'un diocèse ne peuvent être autorisées qu'avec l'accord du Métropolite en place et de son Synode. Les Patriarches Mélétios et Grégoire ont déclaré l'autonomie des diocèses de Pologne et de Finlande sans l'accord de sa Sainteté, le Patriarche Tykhon. Le Patriarche de Constantinople s'est retiré avec ces diocèses, tentant de justifier son action en déclarant que le Patriarche Tykhon ne jouissait plus de sa liberté dans les anciens territoires de la Russie, et que donc il pouvait agir à sa guise. En fait, l'autonomie fut accordée comme une concession faite aux gouvernements hétérodoxes de Pologne et de Finlande ; le gouvernement finlandais a toujours essayé, depuis le XIVe siècle, d'éloigner les territoires de la Petite Russie et de la Russie Blanche de l'autorité de l'Église orthodoxe de Russie. Il y serait parvenu depuis longtemps, si les patriarches de Constantinople, dans leur seul désir d'aider l'Église, n'avaient toujours défendu l'unité de l'Église de Russie. Cette défense a été, et demeure, la principale pierre d'achoppement face à la catholicisation progressive des communautés russes de Pologne et face à la luthéranisation des orthodoxes de Finlande. Les tentatives subversives de la part de ces deux gouvernements non-orthodoxes ont suscité un grand mécontentement parmi les populations orthodoxes de ces pays, qui se sont trouvées sans recours, réduites à la merci de la tyrannie républicaine, plus contraignante que toute autre forme de tyrannie. « Les relations du Patriarche Grégoire et de son Synode avec le diocèse et l'Archevêque de Finlande furent encore plus iniques et douloureuses. Le Patriarche œcuménique consacra un évêque vicaire pour la Finlande, le prêtre Aava, qui non seulement n'était pas tonsuré, mais n'était même pas rasophore. Cette décision fut prise sans l'accord de l'Archevêque de Finlande, et malgré ses protestations. En agissant ainsi, le patriarche de Constantinople violait un canon fondamental de l'Église, le sixième canon du Premier Concile Œcuménique qui énonce : "Quiconque est consacré évêque sans le consentement de son métropolite, le Grand Concile déclare que celui-là n'est pas évêque". Selon le vingt-huitième canon du Quatrième Concile Œcuménique, même le Patriarche ne peut nommer un évêque pour un diocèse sans l'accord du Métropolite local. « C'est précisément à cause de ce canon que les prédécesseurs de Grégoire ont en vain tenté de réaliser leurs ambitions et de légaliser leur contrôle. Dès qu'il fut consacré, "l'évêque" non-canonique Aava se mit sur la tête un klobouk de moine et, ainsi déguisé, il se présenta au diocèse étranger de Finlande. Il incita le gouvernement luthérien à persécuter Séraphim, l'archevêque canonique de Finlande, que tous les fidèles respectaient. Le gouvernement finlandais avait probablement demandé au Patriarche œcuménique de lui confirmer cette loi la plus illégale de toutes, à savoir que le gouvernement séculier de Finlande avait le droit de déposer un Archevêque. En effet, le gouvernement procéda bien à la déposition, prétendant avec mauvaise foi que l'Archevêque Séraphim n'avait pas appris le finnois pendant la période de temps qui lui avait été fixée. Le ciel et la terre furent horrifiés par cet acte illégal et tyrannique, commis par un gouvernement non-orthodoxe. Le fait qu'un Patriarche orthodoxe ait participé à une telle manœuvre était encore plus horrifiant. Au scandale de tous les orthodoxes, et à la joie démoniaque des hétérodoxes, le douteux évêque Germain, précédemment Aava, parcourait la Finlande en habits civils, sans barbe, les cheveux coupés courts, tandis que Séraphim, le plus zélé des évêques, cruellement trahi par son faux frère, devait passer le reste de sa vie en exil, dans une cabane construite sur une île désolée du Lac Lagoda. « Le Patriarche Grégoire VII agit de manière semblable avec l'Église d'Estonie, la détournant de l'obéissance qu'elle devait à l'Église Russe et l'amenant à se soumettre à elle-même, contre tous les canons mentionnés plus haut. Le Patriarche Tykhon condamna une violation similaire des canons de l'Église dans une lettre au Métropolite Denys, déclarant illégal le fait de faire passer l'Église orthodoxe de Pologne de son obéissance canonique à l'Église Russe à un autre siège. Le Patriarche Tykhon écrivait : "Sous la pression du gouvernement luthérien de Finlande, le Patriarche Grégoire VII a accepté de changer le calendrier, même pour la Sainte Fête de Pâque, au mépris des anathèmes lancés par les saints Conciles contre de tels changements (le Premier Concile Œcuménique, le premier canon de celui d'Antioche, et le septième canon apostolique). La célébration simultanée avec les hérétiques, et même avec les juifs, "est une (simple) exception à la règle" affirment-ils, alors que la Sainte Église a tout fait pour éviter cette coïncidence pour Pâque, "afin de ne pas célébrer avec les juifs". Le gouvernement finlandais persécute désormais, physiquement et moralement, les moines et les fidèles orthodoxes qui veulent obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (Act. 5, 29)91 ». Le Patriarche Athénagoras a lui aussi laissé derrière lui un héritage terrible. En 1966, lui et son Synode ont « levé » l'excommunication des catholiques romains, qui avait été déclarée par le Patriarche Michel Cérulaire en 1054, avant d'être confirmée et acceptée par toute l'Église orthodoxe en orient. Athénagoras ajouta aussi le nom du Pape dans les diptyques de l'Église de Constantinople. Il exprima un grand nombre de pensées anti-orthodoxes. Par exemple, dans une épître sur la Nativité, il encourageait l'idée d'un seul calice chez ceux « qui ne connaissent pas la différence dans les dogmes et ne s'en préoccupent pas ». Le Patriarche œcuménique n'avait bien sûr aucun droit de « lever » ces anathèmes, d'autant plus que les raisons de l'anathème n'avaient fait qu'augmenter avec le temps. Il ne serait possible d'ajouter le nom du Pape dans les diptyques que si le Pape devenait orthodoxe. Après la mort du Patriarche Athénagoras, le Patriarche Dimitri fut élevé sur le trône ; dès son premier discours, il déclarait : « Nous suivrons les pas sanctifiés de notre grand prédécesseur, le Patriarche Athénagoras de mémoire éternelle92 ». Un grand trouble fut créé lorsque Dimitri annonça que, par économie extrême mais de façon inconditionnelle, un mourant pouvait recevoir la communion d'un prêtre catholique romain93. La Sacrée Communauté de la Sainte Montagne de l'Athos exprima son inquiétude à propos de cette annonce, dans une lettre datée du 15 décembre 1987. Le Patriarche répondit par une lettre dans laquelle il condamnait les athonites pour s'être mêlés des affaires du trône œcuménique, et pour s'être laissés séduire par « le pouvoir des ténèbres ». Le 20 avril 1988, la Sacrée Communauté répondait à cette lettre du Patriarche par une nouvelle épître qui lui fut remise en mains propres par un groupe de Pères de l'Athos constitué des higoumènes de trois monastères. Ces Pères faisaient part de la perplexité des moines de l'Athos sur ces questions. Le Patriarche Dimitri assura au groupe de moines que les actions du Patriarche étaient orthodoxes. Un peu plus tard, dans un entretien publié par Orthodoxos Typos en date du 1er juillet 1988, le Patriarche émettait à nouveau des opinions anti-orthodoxes, telle la confirmation de la possibilité pour un mourant de recevoir la communion des mains d'un ministre d'une autre confession. Le 7/20 juillet 1988, le Concile de la Sainte Montagne répondait à ces propos en affirmant : « La Sainte Communauté ne peut plus affirmer aux moines de l'Athos ni aux autres croyants que vous préservez avec justesse la confession de l'orthodoxie, ni que vous êtes ferme dans la foi, puisque vous prêchez ouvertement le contraire. La Sainte Montagne ne peut plus exprimer sa dévotion ni son respect envers le Siège Œcuménique. L'Athos adhère fermement aux lois sacrées de la foi et de la piété ». Il est bien évident que le Patriarcat a choisi sa voie et qu'il est décidé à ne pas en changer. On comprend l'alarme donnée par les moines de l'Athos si l'on se rappelle que, d'après les canons de l'Église, il est interdit même de prier avec les hérétiques, et à plus forte raison, de communier avec eux. Pour l'Église orthodoxe, les catholiques romains sont hérétiques et leurs sacrements sont dénués de la grâce divine. Saint Marc d'Éphèse disait : « Les latins ne sont pas seulement schismatiques, ils sont aussi hérétiques » ; et saint Grégoire Palamas écrivait : « Les Latins ont quitté le vaisseau de l'Église ». Examinons l'idée de convoquer un « Grand Concile de l'Église Orthodoxe » et voyons ce que le vénéré Archimandrite Justin (Popovitch) écrivait à ce sujet. Nous citons sa lettre du 7 mai 1977, adressée au Conseil des Évêques de l'Église orthodoxe de Serbie. Le Père Justin relève le caractère prématuré d'un tel concile, ainsi que la sélection particulière des thèmes qui révèle bien les prétentions papistes du Patriarche Œcuménique. Voici ce qu'il écrit : « La question de la préparation et de la convocation d'un Concile Œcuménique de l'Église orthodoxe n'est pas nouvelle. Cette question fut déjà soulevée par le tristement célèbre Patriarche Mélétios (Météxakis), auteur d'un schisme au sein de l'orthodoxie, résultat du soi-disant "Congrès pan-orthodoxe" tenu à Constantinople en 1923. « Aucun concile de l'histoire de l'Église Orthodoxe, de ces conciles qui sont si pleins de grâce et guidés par le Saint Esprit qu'on les appelle œcuméniques, n'a été convoqué de manière si insidieuse, avec des thèmes de discussion préparés à l'avance. Aucun congrès, aucune conférence, aucun concile monté artificiellement ne l'a été par une convocation aussi pernicieuse. Ce type de rassemblement est absolument étranger à la tradition catholique orthodoxe (sobornost). Il ne fait que copier les modèles des organisations occidentales, qui sont complètement étrangères à l'Église du Christ. Sur ces questions la réalité historique est claire. Les saints Conciles de nos saints Pères étaient convoqués par Dieu et ne l'étaient que pour discuter une, deux ou tout au plus trois questions ; ces questions étaient toutes suscitées par les hérésies et les schismes qui déformaient la foi orthodoxe, divisaient l'Église et présentaient un danger sérieux pour le salut du peuple orthodoxe et de toute la création divine. Les Conciles Œcuméniques orthodoxes ont donc toujours eu un caractère christologique, sotériologique et ecclésiologique. C'est-à-dire que leur thème principal, leur message central était toujours centré sur le Dieu-Homme Jésus-Christ, sur notre salut en Lui, et sur notre déification en Lui ». À propos des délégués de Moscou et de Constantinople présents à la première réunion pré-conciliaire en 1987, faite en vue de discuter du « Concile Œcuménique » à venir, le Père Justin écrit : « Qui représentent-ils, quelle Église et quel peuple de Dieu ? La hiérarchie de Constantinople présente à cette réunion est constituée principalement de métropolites et d'évêques in partibus. Ce sont des pasteurs sans troupeau qui n'ont aucune responsabilité concrète devant Dieu et devant leur troupeau vivant. Qui cette hiérarchie représente-t-elle, et qui représentera-t-elle lors du Concile à venir ? Le Patriarche de Constantinople a créé récemment un grand nombre de sièges épiscopaux et métropolitains ; ces sièges ne servent qu'à forger des titres et, en fait, sont parfaitement fictifs, puisque les communautés qui se trouvaient à ces endroits n'existent plus. Tout cela, n'en doutons pas, ne fait que préparer le "Concile Œcuménique" à venir où, grâce à une majorité constituée de ces délégués purement nominaux, le nombre des voix suffira pour soutenir les ambitions néo-papistes du Patriarche Œcuménique. « Tout cela reflète les désirs cachés des personnalités bien connues du Patriarcat de Constantinople, qui cherchent à manipuler toutes les Églises orthodoxes autocéphales et l'Église Orthodoxe en général, afin d'acquérir la "primauté d'honneur" au sens où ces personnalités l'entendent. Les quatre premiers thèmes de discussion, parmi les dix qu'on proposera au Concile, illustrent clairement cette tentative de Constantinople visant à se soumettre toute la diaspora orthodoxe, c'est-à-dire le monde entier. Par eux, les hiérarques de Constantinople visent aussi à obtenir le droit de rendre autocéphales et indépendantes toutes les Églises du monde, aujourd'hui et à l'avenir, ainsi que le droit d'instaurer un ordre hiérarchique selon leur gré -tel est, en effet, le véritable enjeu de la question des "diptyques" : il ne s'agit pas simplement de savoir "l'ordre de commémoration (des patriarches) durant la liturgie", mais bien de déterminer le rang et la hiérarchie des Églises lors des Conciles, etc. « Je respecte les valeurs séculaires dont a hérité ce Patriarcat, c'est-à-dire, la Grande Église du Christ à Constantinople. Je me prosterne aussi devant sa croix qui n'est pas facile à porter, mais qui, par nature, est la Croix de toute l'Église. Selon les paroles de l'Apôtre Paul, quand un seul membre souffre, c'est tout le corps qui souffre. Je respecte aussi l'ordre canonique et la première place (en honneur) de Constantinople parmi les Églises orthodoxes, égales en honneur et en droit. Il serait, par contre, contraire à l'esprit de l'Évangile d'autoriser Constantinople, à cause des difficultés où elle se trouve engagée, à précipiter tout le monde orthodoxe dans un gouffre, ainsi que cela est déjà arrivé lors du pseudo-concile de Florence. S'il était possible de transformer en lois les définitions dogmatiques et canoniques qui n'ont de sens que d'un point de vue historique, étant destinées à donner à l'Église des ailes qui lui permettent de s'envoler, alors elles seraient transformées en chaînes immobilisant sa présence transfigurante dans le monde. Soyons honnêtes ; l'attitude des représentants de Constantinople au cours des dix dernières années reflète le même malaise et la même maladie spirituelle qui, au XVe siècle, conduisit l'Église à la trahison et à la honte. L'attitude adoptée sous le joug turc constitue-t-elle un exemple à suivre pour tous les temps ? En fait, le joug turc est pour l'orthodoxie aussi dangereux que le joug imposé par le Concile de Florence. La situation est, aujourd'hui, encore plus grave. À l'époque, Constantinople était une communauté fervente de plusieurs millions de fidèles, capables de surmonter rapidement la crise de leur Église, de fuir le contrôle étranger et la tentation de trahir la Foi et le Royaume des Cieux pour un royaume terrestre. Aujourd'hui, Constantinople a des diocèses sans fidèles, des évêques qui n'ont personne à garder – et qui voudraient tenir entre leurs mains le sort de toute l'Église ! Il ne doit pas, il ne peut pas y avoir de nouveau Concile de Florence aujourd'hui. « La lutte séculaire de l'orthodoxie contre l'absolutisme du catholicisme romain fut une lutte pour la liberté des Églises locales, des Églises qui étaient catholiques, conciliaires, pleines et entières. Devrons-nous maintenant suivre la Rome qui est tombée, ou bien une "seconde" ou une "troisième" Rome toute semblable ? Se peut-il que Constantinople, après avoir durant des siècles résisté victorieusement à la suprématie papale et à l'absolutisme romain, grâce au courage de ses saints hiérarques, de son clergé et de ses fidèles, en vienne maintenant à ignorer la tradition conciliaire de l'orthodoxie et à la remplacer par je ne sais quelle "seconde", "troisième" ou toute autre forme de Rome94 ? » Plus récemment, le patriarche a participé activement au dialogue avec les monophysites lesquels, malheureusement, n'ont pas été conduits par ce dialogue au repentir et à l'union avec l'Église orthodoxe ; tout au contraire, ce dialogue détruit l'orthodoxie et mène à l'apostasie. Lisons plutôt : « Les deux familles (orthodoxes et monophysites) acceptent que la levée des anathèmes et des condamnations sera fondée sur le fait que les Conciles et les Pères précédemment anathématisés et condamnés, n'étaient pas hérétiques95 ». Peut-on accepter une telle décision, qui annule les décrets précédents des Conciles Œcuméniques ? À la lumière de tout ce que nous avons rapporté, il est difficile de ne pas arriver à la conclusion que le Patriarcat de Constantinople prend, en fait, une position résolument anti-orthodoxe. Au début de l'année dernière, le Patriarche Dimitri adressa une lettre à Alexis II, Patriarche de Moscou, dans laquelle il parlait de l'Église Russe Hors Frontières comme d'une « soi-disant Église » et déclarait qu'il ne reconnaissait qu'une seule Église orthodoxe canonique sur le territoire de la Russie, à savoir l'Église dirigée par le Patriarche Alexis. Que pourrions-nous attendre d'autre ? Un document déclarant que nous sommes schismatiques, ou quelque autre forme de condamnation officielle ? À l'occasion des festivités de son accession au trône, le nouveau Patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, a annoncé son intention de poursuivre la ligne œcuménique inaugurée par ses prédécesseurs. Écrivant au hiéromoine Polycarpe, sa Béatitude, le Métropolite Antoine (Khrapovitsky) écrivait : « La primauté dans l'Église ne fut-elle pas détenue jusqu'au neuvième et même jusqu'au onzième siècle par les papes de Rome ? Que s'est-il passé ensuite ? Les papes et leur troupeau ont été retranchés de l'Église, et ils ont désormais vécu leurs jours misérables dans l'hérésie. Il se peut que Constantinople connaisse le même sort, si elle persiste dans la voie de Mélétios et de Grégoire VII ». C'est ce qui se passe actuellement selon les plus récents rapports. On a noté les déclarations suivantes du Patriarche Bartholomée Ier : « [L'Église orthodoxe ressent] le besoin d'une certaine rénovation… Par exemple, la prescription de quarante jours de jeûne avant Pâque et Noël est difficilement réalisable de nos jours, en dehors des monastères ». Et plus loin : « Nos objectifs sont les mêmes que ceux de Jean [le pape Jean XXIII] : moderniser l'Église (aggiornamento), et promouvoir l'unité des chrétiens… Par la grâce de Dieu, aujourd'hui, toutes les Églises orthodoxes sont favorables à l'œcuménisme96. Qu'un tel sort soit épargné au Patriarcat de Constantinople, du sein duquel sont sortis les saints Cyrille et Méthode, illuminateurs des Slaves, et un grand nombre d'autres saints ! Constantinople fut la mère de l'Église russe. Rappelons-nous ces paroles du Père de tous les pasteurs, le Grand Prêtre, Notre Seigneur Jésus Christ : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé » (Matt. 23, 11-12). Le monde est en train de s'unifier, cherchant à édifier une nouvelle « tour de Babel », à créer un « nouvel ordre mondial », à établir dès ici-bas le « paradis » terrestre. Pour tous ceux qui aiment de façon exclusive la Foi Orthodoxe salvatrice, il ne sera pas possible de suivre cette « union » et de grandes épreuves les attendent. « L'épreuve des saints de Dieu va devenir terrible… Leur petit nombre paraîtra insignifiant au regard de l'humanité… la dérision généralisée, la haine, la calomnie, la persécution, la mort violente – tout cela sera leur lot » (Évêque Ignace Brianchaninov). Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait (Jn 15, 19). Les enfants fidèles de l'Église du Christ doivent maintenant se préparer aux difficultés de la mise à l'écart et de l'isolement spirituel. ANNEXE 2 LETTRE DES ZÉLOTES DU MONT ATHOS Lettre ouverte à son Excellence le Premier Ministre de Grèce Monsieur Constantin Mitsotakis, à tous les partis de Grèce, au clergé et au peuple grec orthodoxe. Excellence, Le 6/19 mai 1992 a été perpétré sur la Sainte Montagne un acte qui s'apparente aux violences religieuses du Moyen Age hérétique. Deux évêques du Patriarcat Œcuménique, avec l'assistance de la Sacrée Communauté et l'aide des forces de police, ont commis les abus que voici : Pour commencer, par une transgression audacieuse de la Charte Constitutionnelle de la Sainte Montagne, qui garantit l'autonomie du gouvernement des saints monastères, ils ont forcé l'Administration du saint monastère du Pantocrator – sous menace de déposition et d'expulsion- d'accueillir douze moines venus du saint monastère de Xénophon de la Sainte Montagne. Ils ont placé la plupart de ces jeunes moines de Xénophon parmi les Administrateurs du saint monastère du Pantocrator, leur donnant ainsi la majorité dans l'organe de décision. Ils ont ainsi bel et bien balayé l'Administration légale et canonique qui était jusqu'ici celle du Pantocrator. Ils ont exigé des Pères du Pantocrator un texte signé approuvant leur intrusion comme une chose juste et admissible ! Puis, ils ont chassé du monastère deux hiéromoines et quatre moines… sans la moindre raison !… Cela fait, ils se sont rendus à la skite russe du Prophète-Élie et, manu militari, avec le commandement policier de l'Athos… ils ont jetés dans une auto les quatre moines qui se trouvaient présents, sur les huit Pères que compte la skite, et ils les ont déportés hors des frontières de la Sainte Montagne ! Et le plus scandaleux est qu'ils les ont chassés de chez eux par la force, sans le moindre arrêt d'expulsion, sans leur signifier aucune décision prise à leur encontre ! Et sans leur permettre même de prendre… leurs affaires personnelles ! En même temps, à leur place, ils ont logé immédiatement d'autres moines à la skite, comme maîtres des lieux. Quant aux quatre autres Pères vivant à la skite qui se trouvaient absents, quelque part sur la Sainte Montagne, au moment de cette inqualifiable incursion, on ne les a pas autorisés à rentrer dans leur skite !… L'expulsion des moines de la sainte skite du Prophète-Élie était restée ignorée de la plus haute instance dirigeante de la Sainte Montagne, la Sacrée Communauté, bien que cette dernière ait été parti prenante dans la commune et sacrée Commission, laquelle n'avait reçu d'ordre que pour s'immiscer au sein du monastère du Pantocrator, et non pour expulser les moines de la skite du Prophète-Élie. Assurément, par la suite, la Communauté a reconnu le fait, et a entériné l'expulsion des moines et l'installation illégale d'autres moines, venus de la skite de Xénophon ! Et pourquoi cette persécution ? Parce que les moines chassés de la skite ne mentionnaient pas dans leur église le nom du Patriarche Œcuménique. Tel étant le cas, pourquoi n'avoir pas établi un tribunal pour les juger, comme le prévoit la Charte Constitutionnelle de la Sainte Montagne ? Sans aucun doute, parce que les expulseurs n'ont pas envie d'entendre, dans l'Assemblée plénière de la Sacrée Communauté, les vraies accusations que ces moines portent contre le Phanar, qui, depuis 1965, accepte le papisme comme « conforme et égal en honneur » à l'orthodoxie, comme possédant la même succession apostolique et les mêmes mystères ! Comme Episkepsis [organe du Patriarcat] l'écrivait dernièrement, tout cela « ne peut être considéré comme propriété exclusive de l'une des nos Églises97 ». Toutefois, il n'est pas possible que la conscience orthodoxe hagiorite accepte cela, elle qui se souvient des Pères de la Sainte Montagne martyrisés par les papistes sous Jean Beccos. La foi dans les Traditions de l'orthodoxie réveille la mémoire de ces jours anciens où des hommes de sagesse et de vertu illustraient le trône œcuménique, tel le Patriarche de bienheureuse mémoire Joseph le Confesseur, au XIIIe siècle, qui, parlant de l'hérésie papiste, donnait ce conseil aux chefs de l'Église et au peuple fidèle : Voici que je vous dis, avec Paul : si vous cédez aux Latins, le Christ ne vous servira de rien ! Et deux siècles plus tard, Rome ayant persisté à ne pas faire pénitence, le célèbre Gennade Scholarios dit à ses concitoyens de Constantinople : Celui qui le confessera (le pape) comme dispensant fidèlement la parole de vérité, confessera du même coup que ses propres ancêtres étaient des hérétiques ! Et le pasteur aimé du peuple, le pédagogue de la Nation, saint Cosmas d'Étolie : « Maudissez le pape, car c'est lui qui sera la cause ». En 1839, l'Encyclique des Patriarches Orientaux proclamait : « Nous avons fait cet exposé… afin que vous connaissiez quelle immense différence nous sépare, nous orthodoxes, des "catolyques" et afin que vous ne vous laissiez pas tromper désormais par les sophismes et les vaines paroles de ces hérétiques meurtriers des âmes, qui, en suivant leurs arguties sophistiques et leurs enseignements outrés… ont fait naufrage quant à la foi, pour parler avec Paul, et luttent de toutes leurs forces pour en attirer d'autres dans le même gouffre et faire de nous des prosélytes de leur propre hérésie présomptueuse et satanique… » Aujourd'hui encore, le papisme lutte contre la Grèce et contre l'orthodoxie : les prières et les messages prononcés dans la pseudo-langue macédonienne, la reconnaissance, depuis des années, de la soi-disant Église pseudo-macédonienne et le soutien apporté aux positions anti-helléniques des Scopiens prouvent abondamment ce que nous avançons ! Comme si ne suffisaient pas les huit cent mille orthodoxes serbes, victimes pacifiques et innocentes, qui périrent, dans des conditions atroces et épouvantables, sous la main des Croates papistes, par l'ordre du pape sanguinaire, voici qu'aujourd'hui, du fait de l'uniatisme et des guerres de religion, le papisme combat ouvertement les Patriarcats orthodoxes d'Orient. Les gens du Patriarcat et leurs alliés de l'Athos menacent de chasser, également, les cent soixante autres Pères hagiorites zélotes, qui refusent de commémorer le nom du Patriarche Œcuménique à l'Église, à cause de la foi orthodoxe qu'ils ont reçue de leurs Pères, et qui est diamétralement opposée à la panhérésie de l'œcuménisme ! À elle seule, cette menace qu'ils font d'user de violence montre que ces hommes sont coupables, et étrangers à l'idéal monastique. De nos jours, on entend mille éloges de la liberté de conscience : pourquoi en priver la Sainte Montagne ? Vous-même, Excellence, vous l'avez admise à présent jusque dans l'armée, en dispensant les millénaristes anti-patriotes de porter les armes. Serons-nous les seuls à être privés de ce bienfait ? La Protectrice de la Sainte Montagne, Notre Souveraine la Mère de Dieu, ne veut y voir, comme moines, que des orthodoxes. Au contraire, aujourd'hui, nous voyons que les moines orthodoxes en sont chassés par les alliés des « ennemis de Son Fils », de l'aveu même de la Mère de Dieu. L'Exarchat du Patriarcat98, par les actions qu'on vient de rapporter, a montré à l'évidence les buts du Phanar et de ses alliés hagiorites : « Lutte sans merci contre les Pères qui s'opposent à l'uniatisme, en vue de l'union avec toutes les hérésies et avec toutes les religions ». À présent, cependant, grâce aux déclarations, faites à la presse et ailleurs, de ceux qui ont été chassés, la Grèce et l'étranger sont informés de ce qui s'est passé sur la Sainte Montagne. Et comme quelqu'un l'a remarqué judicieusement : « Les persécutions religieuses ont pris fin en Russie et voici qu'elles commencent en Grèce ! » Excellence, Il faut que vous sachiez que depuis les années 70, sur la Montagne de l'Athos, se déroule, dans le secret et dans le silence, une persécution religieuse contre les moines qui sont restés fidèles aux traditions de l'orthodoxie ! Leurs persécuteurs sont les gens du patriarcat et des Sacrées Communautés qui se succèdent à la tête de l'Athos. Ces hommes, agissant de concert : a) ne permettent à aucun des moines anti-uniates, quelque âgé qu'il soit, de prendre un disciple pour l'aider ; b) ils ne permettent pas non plus à aucun de ces moines d'acheter une cellule pour y vivre en moine. Leur intention vise à l'élimination progressive des Hagiorites zélotes, afin de donner aux fidèles l'impression que personne, sur la Sainte Montagne, ne s'oppose à la célébration de l'union qui trahira la foi. Comme il est probable que ceci ne soit pas venu à votre connaissance, nous vous faisons savoir, Monsieur le Premier Ministre, que depuis 1990 circule un livre rédigé en anglais par le savant moine Maxime de la Grande Lavra et consacré à la violation des Droits de l'Homme sur la Sainte Montagne ! Son titre : Human Rights on Mount Athos. An Appeal to the Civilized World. Cet ouvrage a été envoyé aux responsables de Grèce et de l'étranger, et il aborde, à côté d'autres sujets, celui des persécutions subies par les moines zélotes (p. 13-14). Maintenant que la dernière de ces persécutions a été connue, que doivent dire les amis de la Communauté Européenne et quelle exploitation ne vont pas en faire les Turcs, toujours à l'affût d'un prétexte, eux qui accusent, comme on sait, la Grèce d'être un pays anti-démocratique ?… Oui, comment ne prêterions-nous pas nous-mêmes le flanc à cette critique, du moment que le « clergé » des confessions étrangères est reçu comme tel dans les monastères, tandis que les clercs de l'Ancien Calendrier ne le sont pas ! Hélas, les événements qui eurent lieu avant la prise de la Reine des Villes se reproduisent. L'Histoire aurait dû nous apprendre à tous, Monsieur le Premier Ministre, que Dieu nous bénit, nous les Grecs, seulement lorsque nous gardons intacte la Foi Orthodoxe sans jamais en altérer le vin pur, que ce soit sous le prétexte d'un amour mensonger et d'une économie anti-canonique, ou, pire encore, dans l'espoir d'un gain matériel !… Enfin, nous souhaitons, nous tous les Pères victimes des persécutions, que vous désiriez l'alliance de Dieu et non l'amitié des puissants de la terre. Nous, cependant, d'une seule bouche, avec le Patriarche de Constantinople Gennade Scholarios le Confesseur, nous disons : « Je ne te renierai pas, chère Orthodoxie ; je ne te trahirai pas, piété de mes aïeux… Et je refuserai toujours la communion avec le Pape et avec ceux qui communient avec lui, tout comme l'ont refusée nos Pères ». En conséquence nous vous supplions ardemment : 1. De révoquer les expulsions illégales des moines orthodoxes chassés pour la seule raison qu'ils ont gardé la foi orthodoxe. 2. De faire cesser les pressions de toute sorte exercées depuis une vingtaine d'années contre le monastère orthodoxe d'Esphigménou, pressions qui se sont intensifiées tout dernièrement, sous votre gouvernement. Et l'on entend bon nombre de rumeurs annonçant qu'une persécution totale est sur le point d'éclater. 3. De ne pas faire passer de loi considérant comme un délit le fait, pour les Moines chassés de la Sainte Montagne à cause de leur foi orthodoxe, de rentrer dans le lieu de leur pénitence et de retourner à l'Athos. 4. De permettre que les Père zélotes de la Sainte Montagne puissent tonsurer quelqu'un et lui céder leurs biens, ce que leur refusent actuellement les monastères de la Sainte Montagne ! 5. En ce qui nous concerne, nous ceux d'Esphigménou, nous n'accepterons pas la violence, quelle qu'elle soit et d'où qu'elle vienne, et nous n'abandonnerons pas notre Pénitence99, comme le firent les Saints Martyrs de l'époque de Beccos, préférant la mort à la trahison, la plus minime soit-elle, de la Foi Orthodoxe. Avec tout le respect qui vous est dû. Signé : L'higoumène du saint monastère d'Esphigménou, l'Archimandrite Euthyme, et la Fraternité du saint monastère d'Esphigménou. Suivent les signatures de quarante-neuf moines et de cinq novices d'Esphigménou, puis des moines de Kérasia, de la skite de saint Basile, de la skite de Sainte Anne et d'autres monastères : des Ibères, de Saint Nil, des Karoulia, de Saint Constantin, de la Nouvelle Skite, de Katounakia, de Karyès, de Kapsala, des Saints Archanges, de Simonos-Petra, de Kavsokalyvie, de Saint Georges, de Saint Pierre l'Athonite, des Saints Anargyres, de la Vénérable Croix, de Tous les Saints, des Saints Apôtres, de Saint Nicolas, de Saint Georges des Brebis, de Saint Dimitri, du Vénérable Précurseur, de Saint Nicodème, de l'Entrée de la Mère de Dieu, de Saint Charalambos, de Koutloumousiou, etc. En tout, cent soixante-quatre signataires ont approuvé cette lettre publiée dans un numéro spécial du périodique athonite Hagios Agathangelos ou Agathange qu'édite le monastère zélote d'Esphigménou. Agathange, numéro spécial, n°130 A, 23 mai 1992. ANNEXE 3 SUR LE PÈRE ÉPHREM Introduction 'expulsion des moines de la skite du Prophète-Élie fait partie, nous l'avons largement souligné, d'un projet de normalisation de l'Athos et de réduction, par tous les moyens, de toutes les voix discordantes. C'est aussi une vengeance après le scandale provoqué par un higoumène célèbre du Mont Athos, le Père Éphrem de Philothéou qui, lorsqu'il découvrit l'état spirituel de l'archevêque grec d'Amérique, se réfugia sous l'omophore de l'Église Russe Hors Frontières. Pour se venger de cet higoumène et pour l'effrayer, les néo-athonites, se prenant pour un synode patriarcal, déclarèrent l'Église russe de l'émigration « sans la grâce » et « hors de l'Église ». Cette déclaration de quelques higoumènes issus de fraternités étrangères à l'Athos, et se parant de l'autorité millénaire de la Sainte Montagne, suscita des réactions. Dans la Lumière du Thabor, le Père Ambroise Fontrier publia la déclaration des néo-athonites et une lettre de protestation, le tout précédé d'une introduction qui est le dernier texte ecclésiastique qu'il écrivit. Nous republions le tout ci-dessous, confessant avec notre père spirituel ce que le Synodicon de l'orthodoxie confesse : À tous les actes et innovations qui ont été ou seront perpétrés à l'encontre de la tradition de l'Église et de l'enseignement de nos Pères saints et vénérables ou de l'exemple qu'ils ont donné : anathème ! Puisse la mémoire de Père Ambroise être éternelle ! LES NÉO-ATHONITES condamnent l'Église Russe Hors Frontières Les Néo-Athonites condamnent l'ERHF parce qu'elle a reçu dans sa juridiction le Père Éphrem de la Sainte Montagne. Après avoir quitté sa charge d'higoumène du saint monastère de Philothéou et reçu de son monastère la lettre démissoriale canonique, le Père Éphrem est parti pour l'Amérique, où il allait y confesser les fidèles. Mais voilà qu'au lieu de se présenter à l'Archevêque Jacob et à celui du Canada Soterios, il est allé droit chez les Synodaux Hors-Frontières. La démarche du Père Éphrem devait déchaîner la colère des néo-athonites, qui réagirent sur le champ avec violence et, de leur plume pleine de « sérénité hésychaste », écrivirent au Patriarche Dimitri, la lettre que le lecteur va lire ci-après, où ils condamnent sans détour l'Église Russe Hors Frontières, la traitant de « schismatique », de « para-ecclésiastique », d'organisation « qu'aucune Église orthodoxe ne reconnaît » etc. Dès la réception de cette épître, le Phanar dépêcha à la Sainte Montagne une commission qui arriva le samedi 2 juin 1991. Les 4, 5 et 6 juin eurent lieu des réunions d'une commission mixte formée de phanariotes, d'higoumènes et de représentants des monastères. Des feuilles de papier furent noircies d'encre délétère contre le Père Éphrem et une rencontre fut organisée entre ce dernier et les higoumènes œcuménistes : il fut décidé que le Père Éphrem irait s'expliquer au Phanar. Carte blanche fut donnée au Patriarcat pour le déposer. Au Phanar, le Père Éphrem, saisi de crainte et de tremblement, regretta son acte et revint à l'Église œcuméniste en marche vers l'ordre nouveau. L'ecclésiologie néo-athonite est tendancieuse comme pourra le remarquer le lecteur de l'épître en question. De mentalité papiste, elle veut faire passer l'Église de Constantinople pour une vice-papauté : « L'Église de Constantinople, écrit le rédacteur de l'épître, forme, avec les Églises locales, l'Orthodoxie ». Mais ni l'Écriture, ni les Conciles, ni les Pères n'ont tracé les lignes d'une telle ecclésiologie. Là où est l'évêque qui dispense fidèlement la parole de la Vérité, qui marche sur les traces des saints Pères, au milieu de son troupeau, là est l'Église du Christ. Malheur à nous si, au lieu de voir l'Église dans l'évêque qui prêche et confesse la Vérité, nous regardons vers tel ou tel évêque parce qu'il est patriarche d'une grande ville, fût-ce même de la Ville Souveraine, mais en restant indifférents à ce qu'il prêche ! Nous allons avec lui à la perte de notre âme. Combien de fois le Patriarcat de Constantinople, la « cime de l'orthodoxie » comme on dit aujourd'hui, n'est-il pas tombé dans l'hérésie ? Combien souvent il transgresse les règles pourtant dictées du haut de son trône ! L'office du « Synodicon » qui est comme la charte de l'orthodoxie, jette un redoutable anathème : « À tous les actes et innovations qui ont été ou seront perpétrés à l'encontre de la tradition de l'Église et de l'enseignement de nos Pères saints et vénérables ou de l'exemple qu'ils ont donné : anathème ! » Or, le calendrier, l'Église l'a reçu par tradition, comme par tradition elle a reçu le culte des saintes icônes. En changeant, arbitrairement, le calendrier au début de notre siècle, afin de célébrer les fêtes chrétiennes avec toutes les « Églises » et confessions chrétiennes, l'Église de Constantinople a injecté dans le corps de l'Église une maladie incurable. Elle a brisé l'unité liturgique de l'Église orthodoxe et a ouvert ainsi la voie à l'œcuménisme syncrétique qu'elle prêche et pratique aujourd'hui. Le Patriarche Athénagoras l'a clairement dit il y a plusieurs lustres : « Nous nous trompons et nous péchons, si nous croyons que la foi orthodoxe est descendue du ciel, et que les autres religions sont sans valeur. Trois cent millions d'hommes ont choisi l'Islam pour atteindre leur Dieu, et d'autres centaines de millions sont protestants, catholiques, bouddhistes. Le but de toute religion c'est l'amélioration de l'homme ». Or, le Patriarche Dimitri et le Patriarche Bartholomée sont les fidèles disciples d'Athénagoras qui ont le mérite d'avoir clairement proclamé, dans leur discours d'intronisation, qu'ils allaient marcher sur les traces de leur célèbre prédécesseur. Nous donnons ci-après deux documents : 1° la lettre des Néo-Athonites au défunt Patriarche Dimitri. 2° la réponse d'un chrétien de Thessalonique qui est une mise au point, par le rappel de certains faits et gestes du Phanar, lesquels constituent une trahison de l'orthodoxie. Père Ambroise Fontrier I Sacrée Communauté de la Sainte Montagne de l'Athos Karyès, le 8 mai 1991 À sa toute divine sainteté le Patriarche Œcuménique Seigneur Dimitri, notre tout vénéré Père et Maître du Phanar Très saint Père et Maître, Douloureuse et stupéfaite, notre sacrée communauté a pris connaissance, officiellement maintenant, de l'entrée de l'ex-higoumène du saint monastère de Philothéou, l'archimandrite Éphrem, dans le « groupe » schismatique et para-ecclésiastique appelé Russes de la Diaspora, qu'aucune Église orthodoxe locale ne reconnaît. Et on se demande, avec juste raison, comment l'ex-higoumène a permis à sa conscience – lui qui, pendant des années, avec la permission et la tolérance du sacré Archevêché d'Amérique, a œuvré comme Père spirituel, au sein du troupeau de l'Église locale du Révérendissime Archevêque le Seigneur Jacob, dépendante de la juridiction du trône œcuménique, acquérant ainsi une foule d'enfants spirituels dans les paroisses et les Églises canoniquement dépendantes de l'Archevêque le Seigneur Jacob, avec lequel il était en communion spirituelle depuis dix ans et plus – comment ces mêmes enfants auxquels il conseillait alors d'obéir à l'Église et qui recevaient les saints sacrements de cette dernière, comment leur conseille-t-il maintenant de se séparer, tels des rebelles, de l'Archevêché, pour rejoindre cette para-synagogue para-ecclésiastique ? Votre Sainteté sait, certainement, que ces gens de la Diaspora Russe, en sécurité sur la terre étrangère, jouaient jusqu'à hier aux confesseurs, et qu'aujourd'hui encore, ils continuent d'accuser l'Église sœur Russe de s'être compromise avec le régime athée, alors qu'elle s'efforçait de conforter les croyants en Russie et de garder ouvertes les Saintes Églises, au péril de la vie même de ses membres, dont des dizaines de milliers ont affronté le martyre, pendant qu'eux le fuyaient en émigrant à l'étranger. Aujourd'hui où, en Russie, souffle la brise de la liberté, ils pénètrent sur le sol de la juridiction du Patriarcat de Moscou, « ordonnant des clercs » et menaçant d'un nouveau schisme l'Église Russe. Et c'est eux que l'ex-higoumène Éphrem a, malheureusement, rejoints. Notre sacrée communauté, suivant scrupuleusement les décisions de la sacrée synaxe double extraordinaire d'avril dernier, condamne sans détour et à l'unanimité l'adhésion de l'ex-higoumène archimandrite Éphrem à ladite para-synagogue para-ecclésiastique. De même, elle invite tous les enfants du saint Archevêque d'Amérique à rester fidèles à cet archevêché et au patriarcat œcuménique, étant donné que l'Église de Constantinople avec toutes les Églises locales orthodoxes en communion avec elle ou dépendant administrativement et spirituellement d'elle, s'identifient à l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique du Credo de la foi. Hors d'elle, il n'y a que des schismes et des hérésies. Hors d'elle, il n'y a pas de sacrements valides ni grâce de Dieu, selon l'ecclésiologie orthodoxe. « Hors de l'Église catholique, c'est-à-dire l'orthodoxe, il n'y a ni baptême, ni eucharistie, ni évêques, ni 'chaires', ni vrai enseignement… » selon saint Cyprien de Carthage. Il reste donc, ô Maître Tout-Saint, à vous et à votre saint et sacré Synode, de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour la sauvegarde de l'unité du troupeau de l'archevêché d'Amérique et de le mettre à l'abri de la chute mortelle dudit higoumène, qui s'est mis hors de l'Église, tout simplement et uniquement, pour réaliser en toute liberté, ses desseins personnels erronés, sans le joug de l'obéissance à l'Église qui l'a tonsuré moine et ordonné prêtre, à laquelle il a promis d'obéir jusqu'à la mort, lors de ses vœux monastiques faits à la Sainte Montagne qu'il a abandonnée. Qui lui a confié le salut des Nations ? L'Église d'Amérique serait-elle privée de pasteurs canoniques, d'évêques et de prêtres ? De qui a-t-il reçu la bénédiction ? Qu'il donne les noms des notables athonites qu'il a consultés. Nous les avons tous interrogés et tous ont eu un langage dur pour stigmatiser son comportement et ils le considèrent comme 'égaré'. À quoi est due sa chute et l'abandon de ses fils spirituels de la Sainte Montagne qu'il a menés jusqu'au redoutable autel de la Grande Église du Christ, dont le patriarche œcuménique est l'évêque ? Qui pourra nous affirmer que son 'information intérieure' n'était pas un 'égarement' des démons puisque 'Satan se transforme en ange de Lumière' ? Avec tous les saints Pères non égarés qui vivent d'une manière agréable à Dieu sur la Sainte Montagne, nous réitérons la condamnation de ses actes et demandant vos prières paternelles et patriarcales, dans un profond respect et consécration filiale, nous baisons votre droite vénérable, fontaine pleine de grâce. Tous les délégués et supérieurs de la Synaxe commune des vingt sacrés monastères de la Sainte Montagne de l'Athos. Ecclesia, 1/14 juillet 1991, n°11, 391. II Lettre de protestation à la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne pour tout ce qu'elle a écrit contre le Père Éphrem Révérends Pères, Le motif qui me fait vous adresser la présente, c'est la publication, dans le journal Ekklesiastiki Aletheia (La Vérité Ecclésiastique) du 1/7/91, de la lettre de la Sacrée Communauté concernant le passage de l'ex-higoumène du saint monastère de Philothéou, le Père Éphrem, à l'Église Russe Hors Frontières. C'est avec quelque retard que j'ai eu connaissance de sa publication, aussi je prie votre révérence de me pardonner tout ce que je vais écrire ci-après. Sincèrement, j'ai été étonné par le contenu de la lettre de la Sacrée Communauté. Les expressions employées par son rédacteur sont de poids, les qualificatifs à l'égard du Père Éphrem inadmissibles. Vous dites qu'il « s'est mis hors de l'Église, en rejoignant les Russes de la Diaspora, tout simplement et uniquement pour pouvoir, en toute liberté, réaliser ses desseins personnels égarés, hors du joug de l'obéissance à l'Église ; qu'il s'est égaré ; que sa chute, manifestée par cette démarche, est mortelle », etc. Pourquoi, mes Pères, pourquoi tant de haine pour le Père Éphrem ? Quel mal a-t-il fait ? Cet homme a cherché une couverture ecclésiastique et rien d'autre, pour créer en Amérique des monastères sur le modèle athonite, chose que ne lui permettraient ni le Patriarcat Œcuménique ni Jacob d'Amérique. Pour cette démarche, vous l'appelez égaré ! Pouvez-vous me dire en quoi consiste l'égarement et quels en sont les signes ? Comment pouvez-vous juger de la sorte un homme qui a été le réformateur du monachisme athonite contemporain, quand le Mont Athos était en péril par manque d'hommes, et qu'il a repeuplé, par son rayonnement spirituel et sa sainteté, des monastères d'hommes sur la Sainte Montagne, et un bon nombre de monastères de femmes sur le sol grec ? Pourquoi, mes Pères, pourquoi mentez-vous, quand vous dites que la démarche du Père Éphrem « a été condamnée à l'unanimité par tous les saints Pères non égarés qui vivent d'une manière agréable à Dieu ». Mais des informations affirment que l'higoumène du monastère de Constamonitou a quitté la Double Sacrée Synaxe pour protester contre toutes les accusations portées contre le Père Éphrem. Le représentant du monastère de Philothéou, le Père Éphrem (ne pas confondre avec le Père Éphrem ci-dessus) a protesté avec véhémence contre les terribles et redoutables accusations portées contre son Ancien. Les saints monastères de Xéropotamou et Caracalou, avec beaucoup de bon sens, n'ont pas été d'accord. Le saint monastère d'Esphigménou n'a pas participé. Comment pouvez-vous donc affirmer qu'il y a eu unanimité ? Les skites ont-elles été interrogées ? Ont-elles été représentées par quelqu'un ? Les simples moines des monastères cénobites ont-ils été consultés ? Pourquoi tant de fiel, mes Pères ? Comment se fait-il que le jour même, pendant que se déroulait la réunion de la Double Sacrée Synaxe, des journaux politiques publiaient, à l'avance, la décision de condamner le Père Éphrem et que l'Agence d'information athénienne en était avertie par son correspondant de Constantinople ? En supposant même que le Père Éphrem se soit égaré, où donc est l'amour pour votre frère égaré ? Où sont vos larmes ? Où sont vos supplications à Dieu pour son retour ? Il semble, hélas, que tout cela ne soit pour vous que bulles de savon éclatées. Par votre conduite, vous avez montré un visage très différent de celui que vous exposez en vitrine. Malgré vos calomnies, le soleil continuera de briller, de rayonner, de réchauffer les cœurs purs et sincères et de consumer, complètement, tous les autres cœurs pleins de passions. Pourquoi, mes Pères, n'avez-vous pas montré la même diligence contre tous les faits et gestes qui ont eu lieu dans l'espace de l'Église ? J'en citerai quelques exemples pour rafraîchir votre mémoire, au cas où vous auriez oublié. Le 10/12/87, le défunt Patriarche Dimitri, passant à Genève, déclarait que sa visite au Conseil Mondial des Églises était le sommet de son pèlerinage. Le C.M.E. est notre maison ! Êtes-vous d'accord avec tout cela ? Êtes-vous d'accord avec la visite que le défunt Patriarche fit à Rome en décembre 1987 ; avec ses prières en commun avec le Pape Jean-Paul et avec l'office des défunts qu'il célébra sur les tombes des Papes Jean XXIII et Paul VI, et en particulier avec tout ce qu'il a entendu, sans protester, de la bouche même du Pape, à savoir qu'à l'Église Catholique et à l'Église Orthodoxe, avait été donné la grâce de se reconnaître, à nouveau, l'une l'autre, comme Églises sœurs et de marcher vers la totale communion ? Êtes-vous d'accord avec le refus des orthodoxes de confesser, dans le communiqué commun de l'assemblée plénière de la Commission mixte théologique des Dialogues entre Églises orthodoxe et catholico-romaine, à Freising de Munich, en juin 1990, de confesser, dis-je, l'exclusivité de l'Église orthodoxe – sa confession, sa sotériologie, son ecclésiologie ? Ce communiqué déclare que nos Églises se rencontrent sur la base ecclésiologique de la communion entre Églises sœurs. Êtes-vous d'accord avec le communiqué de la Commission de coordination du Dialogue Théologique entre Églises catholique et orthodoxe, où il est question d'une vision ecclésiologique nouvelle, parce qu'il y aurait eu passage de l'état où chaque Église se disait être la seule détentrice du salut, à la conviction que les deux Églises, catholique et orthodoxe, étaient des Églises-sœurs ? Êtes-vous d'accord avec tous les blasphèmes proférés et pratiqués à Canberra d'Australie en février 1991 ? Êtes-vous d'accord avec Stylianos d'Australie, ce nouveau Kazantzaki et avec tous les blasphèmes qu'il a vociférés contre la Personne Théandrique du Seigneur ? Êtes-vous d'accord avec la doxologie célébrée par Jacob d'Amérique avec trois représentants du Patriarcat Œcuménique lors de la visite du Patriarche Dimitri en Amérique, à laquelle participèrent l'Iman, un délégué papiste, un rabbin, des anglicans et bien d'autres hétérodoxes ? Êtes-vous d'accord avec la prière commune pan-religieuse d'Assise en Italie, d'octobre 1986 ? Êtes-vous d'accord avec le pèlerinage à la Fraternité hérétique de Taizé, de trois évêques du trône œcuménique, et avec l'adresse d'un message spécial de félicitations du Patriarche ? Le célèbre théologien M. Nicolas Soteropoulos, dans un article publié par Orthodoxos Typos, écrit que Stylianos d'Australie, pas plus que ses opinions hérétiques n'ont choqué les monastères de la Sainte Montagne qui ont pris position contre le Patriarche de Jérusalem et soutenu Stylianos et le Patriarcat de Constantinople son complice. N.Y. de Thessalonique Orthodoxos Typos du 15/11/91, n°152.