mardi 21 septembre 2010

Alexandre Kalomiros, Figures Célestes.

FIGURES CELESTES

Alexandre Kalomiros

Le premier Dimanche du Grand Carême, notre Eglise célèbre la restauration du culte des Icônes, après la terrible persécution déchaînée par les Iconoclastes hérétiques contre les Orthodoxes, à travers tout l’empire de Byzance. Au cours de cette période, un grand nombre de chrétiens furent marty¬risés : les uns pour avoir caché chez eux des Icônes, les autres pour avoir confessé qu’il n’y avait pas de christianisme sans Icônes, et que les chrétiens qui les reniaient, reniaient en réalité le Christ.

De nos jours, la plupart des gens considèrent comme étroitesse d’esprit, fanatisme, typolâtrie, folie que de sacrifier sa vie pour confesser sa croyance en de tels détails comme on dit. Il est vrai que les chrétiens d’aujourd’hui sont prêts à trahir et sans trop de remords, non seulement les Icônes mais aussi leur foi. On en voit actuellement applaudir en souriant ceux qui marchandent la Tradition de notre Eglise avec les hérésies.

Et pourtant, l’Eglise du Christ, n’a pas considéré comme un « détail » la question des Icônes. Pasteurs et brebis ont compris qu’il n’y a pas dans notre foi des choses primordiales et d’autres secon¬daires : car notre foi ressemble à un tricot ; lorsqu’une maille échappe, le tout se défait. C’est ainsi que des pères, des mères, des enfants, des moines, des maîtres, des évêques se sont sacrifiés, dans la ferme assurance que leur sang arroserait et fortifierait l’arbre de l’Orthodoxie. Et l’Eglise, après sa victoire, a appelé le jour choisi pour célébrer le rétablissement du culte des Icônes : DIMANCHE DE L’ORTHODOXIE.

Cette question des Icônes, que beaucoup de contem¬porains considèrent comme « bagatelle », a-t-elle été si grave pour que l’Eglise lui donne une si grande importance, au point de lier l’Icône avec l’idée de la pensée « juste », de la foi « droite » ?

Pour comprendre ce que signifient les Icônes dans la foi et dans la vie de l’Orthodoxie, nous n’irons pas chercher les anciens iconoclastes de Constantinople. Nous avons les nôtres, ceux de notre époque. Ils se divisent en trois catégories :

1) Les Protestants ou Evangélistes comme ils se nomment eux-mêmes. Ils rejettent les Icônes, les bannissent de leurs temples. Les Protestants, qui forment une foule d’hérésies, opposées les unes aux autres, sont cependant unis dans leur opposition aux Icônes.

2) Les Papistes ou « catholiques », comme ils se désignent eux-mêmes. Si pour la forme ils l’admettent, l’Icône n’est pas pour eux un objet sacré, mais un simple ornement ; elle est une image pieuse, elle ne porte rien de sacré, rien de saint. Elle est une œuvre humaine, qui suit la mode, comme toute chose humaine.

3) Les « Orthodoxes » dont la foi est vacillante, sont prêts à suivre les premiers ou les seconds.
Certains même sont indifférents à l’égard des Icônes. Ils sont influencés par les Protestants, qui disent que les Icônes sont des objets maté¬riels, grossiers, incompatibles avec la religion du Christ, qui est toute spirituelle. D’autres encore, admettent les Icônes chez eux et à l’Eglise, mais ces Icônes là ne diffèrent en rien de celles des Papistes. Comme ces dernières, elles sont privées de tout caractère sacré. Elles sont des œuvres séculières, sans aucun rapport avec le Seigneur et ses saints. Elles peuvent bien en porter le nom, mais elles n’en sont pas moins des peintures théâ-trales drapées du Christ et de ses saints.

Voyons maintenant ce que les premiers de ces iconoclastes pensent des Icônes. Leurs arguments sont les mêmes que ceux des iconoclastes byzantins.

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Les Protestants disent : la coutume de peindre des Icônes n’a pas de fondement dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Ni le Christ, ni ses Apôtres, ne nous ont ordonné de faire des Icônes. Au contraire, dans l’Ancien Testament Dieu interdit catégoriquement cela : « Tu ne feras pas d’image taillée ni aucune figure de ce qui est en haut dans le ciel, ou de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles et tu ne les serviras point » (Ex. 20, 4-5) et « De peur que vous ne vous corrompiez et que vous ne fassiez une image taillée, figure de quelque idole, image d’homme ou de femme, toute image d’animal qui vit sur la terre, toute image d’oiseau qui vole dans le ciel » (Deut. 4, 16) et « Prenez garde à vous, pour ne pas oublier l’alliance que le Seigneur votre Dieu a contractée avec vous et pour ne pas faire d’image taillée, de figure quelconque de ce que le Seigneur ton Dieu t’a défendu. Car le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant, un Dieu jaloux ». (Deut. 4, 23-24).

Les Protestants disent aussi que dans l’Eglise Primitive, aux premiers temps du christianisme, il n’y avait pas d’Icônes ; que les Icônes furent introduites dans l’Eglise par une imitation funeste des païens.

Et que répondent les saints Pères aux arguments des iconoclastes ?
Voici : Il est vrai que Dieu a interdit aux Israélites de faire une image de Dieu. Et quelle image de Dieu auraient-ils faite ? Avaient-ils vu Dieu ?

Dans le même chapitre du Deutéronome IV 12, où il interdit aux Hébreux de faire son image, Dieu en donne la raison : « Alors le Seigneur vous parla du milieu du feu ; vous entendiez le son des paroles, mais sans voir de figure vous n’entendîtes qu’une voix » (Deutéronome IV, 12).

Quand je vous ai parlé, dit Dieu dans le feu du Mont Horeb, vous n’avez entendu que ma voix. Vous n’avez vu de moi ni image, ni figure. Si donc vous voulez faire quelque chose qui me ressemble, ce ne sera certainement pas mon image, puisque vous n’avez pas vu d’image de moi. Ce ne sera qu’une idole, quelque chose de ressemblant à un homme ou à une femme, à quelque animal qui marche sur la terre ou se meut dans le fond des mers, ou à toute autre créature. Il vous arrivera, en somme, ce qui est arrivé aux païens, qui ne connaissaient pas Dieu ; les uns ont divinisé des hommes, les autres des animaux, d’autres encore des astres et des créatures.
Et le Deutéronome répète : « Prenez bien garde à vos âmes, de peur que vous ne vous corrompiez… Car le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant, un Dieu jaloux ».

Les Juifs avaient donc raison de ne pas faire d’image de Dieu. Quelle image en auraient-ils fait ? Ils n’avaient entendu que la voix. Mais la voix n’a pas d’image.

Comme on le voit, Dieu n’était pas hostile aux images. S’il a interdit aux juifs de le représen¬ter, c’est tout simplement parce qu’il était Esprit, le seul être vraiment spirituel. L’Esprit, l’Immatériel ne peut être peint que s’il emprunte une figure et apparaît aux hommes.

Quand Dieu s’est révélé et a parlé aux Hébreux, il n’a pas pris de figure. Il était donc impossible de faire de lui une image. Si les Hébreux avaient tenté d’en faire une, elle n’aurait pas été celle de Dieu, mais une fausse ressemblance : une idole.

Mais les Pères continuent de répondre aux Iconoclaste de tous les siècles, qu’il est faux de dire que l’Ecriture Sainte ne parle nulle part d’images. En effet, alors que Dieu interdisait aux Hébreux de le représenter sur des images, il deman¬dait en même temps à Moïse les choses suivantes et bien étranges :

« Tu feras deux Chérubins d’or… que tu placeras de chaque côté du propitiatoire… Les Chérubins au¬ront leurs ailes déployées vers le haut couvrant des ailes le propitiatoire… en se faisant face l’un à l’autre… Là, je me ferai connaître à toi… Je te parlerai du haut du propitiatoire, entre les deux Chérubins qui seront sur l’Arche du Témoi¬gnage ». (Exode XXV, 17).

Dans un autre livre de l’Ancien Testament, celui des Nombres (VII, 89), on lit la narration suivante : « Lorsque Moïse entrait dans la tente de réunion pour parler avec le Seigneur, il entendait la voix qui lui parlait de dessus le propitiatoire placé sur l’arche du témoignage, entre les deux Chérubins. Et Il lui parlait… »

Ainsi donc, quand Moïse entrait dans la tente du témoignage, il entendait la voix du Seigneur lui parler entre les deux Icônes des Chérubins, placées au-dessus de l’Arche du Témoignage.

Voyez-vous combien les protestants et tous les autres iconoclastes s’égarent, quand ils prétendent que la Sainte Ecriture, c’est-à-dire Dieu, ne veut pas d’images ? Et il n’y avait pas que l’image des Chérubins, la tente entière du témoignage était une image, une Icône du ciel, du Saint des saints du Trône de Dieu, d’où Dieu parlait aux hommes et auprès duquel se tenaient les Chérubins, qui représentent les mondes célestes et jouissent de la familiarité de Dieu.

Et même si Dieu n’avait jamais demandé aux hommes de faire des Icônes, quelle importance y aurait-il à cela ? « On ne voit nulle part le Christ ordonner à ses apôtres d’écrire, ne fût-ce qu’une seule ligne, pas plus que Lui-même n’a écrit quelque chose, pour nous donner l’exemple. Et pourtant, les apôtres ont décrit son Icône avec des mots, dans les livres du Nouveau Testament. Pourquoi, conti¬nue saint Théodore le Studite, considérer comme chose naturelle de décrire le Christ avec des mots dans des livres et anormal de le décrire avec des couleurs sur une Icône ? »
Les Protestants prétendent aussi, comme on l’a déjà vu, qu’aux premiers temps du christianisme il n’y avait pas d’Icônes. Mais les Catacombes les ont confondus. Elles sont pleines de peintures murales représentant le Christ, le Vierge, les Martyrs de l’époque. Il existe aussi des icônes gravées sur du métal, comme celle qui représente les apôtres Pierre et Paul. Il en existe également sur des vases sacrés des premiers siècles et on en découvre toujours d’autres. Il y a les crucifix que les martyrs portaient sur eux et dont l’un a été trouvé à Tomis de Roumanie, dans la région des mines d’or, où les Empereurs Romains déportaient les chrétiens condamnés « ad metalla », et aux travaux forcés.

Même si les Protestants avaient raison, même si ce qu’ils avancent était vrai, à savoir que dans l’Eglise primitive il n’y avait pas d’Icônes, qu’est-ce que cela prouverait ?

Mais l’Eglise Primitive n’avait même pas la Sainte Ecriture. C’est peu à peu que le Nouveau Testament a été écrit. D’autre part, au début, les livres du Nouveau Testament étaient des manuscrits épars. Ce n’est que longtemps après que l’Eglise a fait un choix parmi un grand nombre d’écrits ressemblants, qu’elle a réunis en un volume qu’elle a appelé le Nouveau Testament.

Faut-il détruire le Nouveau Testament parce qu’il n’a pas existé dès le commencement ? Mais qu’y a-t-il eu dès le commencement ? Y a-t-il eu des églises ? Les premières liturgies étaient célébrées dans des chambres hautes et dans des catacombes. Est-ce là qu’il nous faut continuer ?

C’est tout simplement parce que l’Eglise des premiers siècles, pauvre, exposée aux continuelles persécutions, n’avait pas encore ses artistes ni les moyens de créer beaucoup d’icônes ; celles qu’on a trouvées dans les catacombes et ailleurs, suscitent notre admiration, car elles ont été peintes dans des souterrains, sans la lumière du soleil, à la lueur des bougies et sous le glaive des persécuteurs.

Peut-être certains diront : « Nous admettons que dans le christianisme il n’est pas interdit de faire des icônes, nous reconnaissons même que c’est beau, que les images sont des éléments décoratifs pour une église, mais n’allez pas nous raconter que l’icône est quelque chose d’indispensable au christianisme, n’allez pas nous raconter aussi que ces fanatiques qui furent martyrisés lors des per¬sécutions iconoclastes pour défendre les Icônes, savaient ce qu’ils faisaient et si vraiment les icônes valaient la peine que l’on versât son sang pour elles ».

- Pourquoi, en vérité, tant de milliers d’hommes furent martyrisés lors des persécutions iconoclas¬tes ?
- Pour la même raison, la même pour laquelle les martyrs des premiers siècles du christianisme se firent égorger ; ils s’immolèrent pour ne pas renier le Christ.
- Mais, dira encore quelqu’un, est-ce que les ico¬noclastes n’étaient pas des chrétiens ? Quand ont-ils exigé des orthodoxes de renier le Christ ?
- Il est vrai que les iconoclastes se disaient chrétiens, tout comme les iconoclastes contempo¬rains se veulent chrétiens. Mais il ne suffit pas de se dire chrétien pour l’être ; et les iconoclas¬tes de Constantinople comme ceux d’aujourd’hui sont des négateurs du Christ, et voici pourquoi :
Nous avons vu que Dieu, tout en interdisant aux Hébreux de faire son image, avait demandé à Moïse de faire des icônes des deux Chérubins et de les placer dans le Saint des saints, lui indiquant avec beaucoup de détails comment elles devaient être exécutées. Pourquoi donc Dieu, qui demandait de représenter les Chérubins, interdirait-il sa propre représentation ? Comme nous l’avons vu, la réponse est simple : Dieu ne s’était pas manifesté aux hommes dans une forme visible.

Mais quand la « plénitude des temps » est venue et que Dieu a revêtu la chair et s’est fait homme, après avoir vu sa forme, après avoir vu la face de Dieu, nous avions alors, non seulement le droit de faire son image, mais le devoir, l’obligation ; car ne pas faire l’Icône de Dieu dans la forme de la chair qu’il a revêtue revient à ne pas reconnaître que Dieu s’est fait homme.

La négation de l’Icône, c’est la négation du Christ, c’est la négation de l’économie divine, c’est la négation de notre salut.

Voici comment l’Eglise chante cette vérité :

« Indescriptible dans ta nature divine, maintenant incarné tu veux être décrit ».
« En peignant sur l’Icône ta face divine, nous proclamons clairement ta nativité ».
« Celui qui me voit, voit Celui qui m’a envoyé » dit le Seigneur (Jn. XII, 45).

Et quelque part ailleurs il dit à Philippe qui lui demande de lui montrer le Père : « Je suis si longtemps avec vous et tu ne m’as pas encore connu, Philippe ? Celui qui m’a vu a vu le Père, et comment peux-tu dire montre-nous le Père ? » (Jn. XIV, 9).

Et c’est justement ce que fait l’Eglise, en montrant à ses enfants, à travers les siècles, l’Icône du Christ ; elle leur montre leur Père Céleste. Elle enseigne et confesse que le Dieu Céleste et inaccessible a revêtu la chair et s’est fait homme par amour pour nous les hommes. Et maintenant nous savons quel Dieu nous adorons, car nous le voyons face à face.

Combien est vraie la parole de saint Jean Damascène : « Ce que l’Evangile nous expose par des paroles, le peintre nous le montre par son œuvre ».

Ainsi donc, pour notre Eglise, l’Evangile et les Icônes sont d’une importance égale. Toute disposi¬tion iconoclaste est une folie antichrétienne. Puisque Dieu dans la personne du Christ a offert sa face au monde, c’est une insulte de notre part que de vouloir l’en chasser. Tous ceux qui prétendent être gênés par les Icônes dans leur prière, le sont en réalité par le Dieu incarné. C’est comme s’ils disaient, le Christ a mal fait en prenant la forme et la personne humaines. Les Juifs et les Mahométans qui refusent d’avoir des images, sont consé¬quents, car ils ne croient pas en l’Incarnation de Dieu. Tandis que les Protestants et les autres iconoclastes sont des insensés, sans justification aucune.

Nous ne pouvons aller au Père, au Dieu immatériel, informel, incompréhensible, que par le Fils, corme le Seigneur lui-même l’a dit ; car le Fils est venu à nous dans la chair, c’est-à-dire dans une forme. Comment rejetterions-nous cette forme (son Icône) sans courir le risque de ne pas parvenir jusqu’au Père ?
« Nul n’a jamais vu Dieu », dit saint Jean le Théologien, « le Fils Unique qui est dans le sein du Père nous l’a révélé » (Jn 1, 18). Et saint Jean Damascène écrit « Dieu qui n’a ni corps, ni forme, ne pouvait être représenté dans le passé. Mais à présent qu’il est venu dans la chair et qu’il a habité parmi les hommes, je représente sa face visible ».

Comme l’Evangile, l’Icône nous parle de la vérité. « Je suis la voie, la Vérité et la Vie », a dit le Christ. Sans aucun doute, la Vérité possède son Icône. La Vérité n’est pas quelque chose d’abstrait, elle n’est pas un ou plusieurs concepts. C’est quelque chose de concret, de vivant, Elle est une Personne, la Personne du Christ Incarné.

Quand nous représentons la Personne du Christ sur une Icône, nous ne représentons ni la nature di¬vine, ni la nature humaine, car l’une comme l’autre ne peuvent être décrites. Sur l’Icône, nous repré¬sentons la Personne du Christ, c’est-à-dire l’hypostase incarnée de la seconde Personne de la Sainte Trinité, qui unit en Elle, d’une manière incompréhensible, sans confusion et indivisiblement, la nature divine et la nature humaine.

Dans le portrait d’un homme concret on ne représen¬te pas la nature humaine, qui est indescriptible, insaisissable ; de même, dans l’Icône du Christ, on ne représente pas, on ne figure pas la nature divine qui est inaccessible, insaisissable. On ne représente que la personne du Christ, qui volontairement s’est fait homme.

Ce qui vient d’être dit sur l’Icône du Christ, implique la représentation des saints sur des Icônes. L’Incarnation du Christ est le fondement théologique des Icônes de la Vierge et des Saints. Car c’est par l’Incarnation de Dieu que la possibilité de la déification a été donnée à l’homme.

Si les saints étaient représentés sur les Icônes comme de simples hommes, personne n’irait demander aux chrétiens pourquoi ils les représentent. Nul ne s’est jamais scandalisé du portrait d’un homme. Mais les saints ne sont pas représentés sur les Icônes comme de simples hommes, comme dans les portraits, mais comme des hommes dignes de vénération, comme des hommes sanctifiés, déifiés par l’opération divine.

Et cela est un grand scandale pour les âmes des infidèles et des iconoclastes. « Vous êtes des idolâtres, nous disent les Protestants, vous adorez des statues de bois, des images d’hommes ».

Nous n’adorons pas des images d’hommes, ô hommes aveugles ! mais la grâce, la force de Dieu qui habite les hommes, leurs corps, leurs icônes comme leurs âmes. L’idolâtrie c’est le culte d’un faux dieu, qui n’a rien que de matériel, qui est le produit de notre esprit. Ce n’est pas de l’idolâtrie que de vénérer un objet sacré, comme l’Icône, l’Evangile, la Croix, puisque la vénéra¬tion ne s’adresse pas à l’objet en soi, ni à un faux dieu, mais au Dieu véritable, au Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, qui sanctifie l’objet. Ce n’est pas une idolâtrie que de vénérer une créature quand la vénération et le culte reviennent au Créateur qui l’a sanctifiée. Le Christianisme n’est pas une philosophie abstraite. C’est le culte d’une personne concrète, du Christ, du Dieu qui a pris chair et os pour sanctifier la matière de l’univers.
En Christ, toute la création a été sanctifiée, la matière est devenue le canal par lequel la grâce de Dieu vient chez les hommes.

Nous vénérons l’Icône, mais nous ne lui rendons pas un culte. C’est à Dieu que nous rendons le Culte. C’est parce que nous adorons Dieu que nous vénérons son icône et l’icône de ceux en qui Il a habité. Le culte est une chose, une autre la vénération. Il en est de même de l’honneur et de la vénération que nous rendons aux saints. Nous honorons les saints et nous les vénérons, parce qu’ils sont les réceptacles de la grâce de Dieu. En honorant les saints et en vénérant leurs icônes, nous adorons Dieu qui les a sanctifiés.

Le corps d’un saint, tant au cours de sa vie qu’après sa mort, est un habitacle de la Sainte Trinité : « J’habiterai en eux et je marcherai avec eux, dit le Seigneur ».

« Celui qui m’aime, dit le Christ, garde ma parole. Mon Père l’aimera, nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure ».

« Ne savez-vous pas, dit aussi l’apôtre Paul, que vos corps sont le temple du Saint Esprit qui est en vous ? »

Les corps des saints sont des vases de la grâce de Dieu ; durant leur vie comme après leur mort, chacun de nous peut venir y puiser.

C’est pour cela que nous chrétiens orthodoxes, nous vénérons les reliques des saints, leurs « tentes » comme nous disons. C’est pourquoi les icônes des Saints comme leurs « tentes », c’est-à-dire leurs corps, opèrent des miracles, car dans ces créatures matérielles la grâce de Dieu habite.

« Durant leur vie, dit saint Jean Damascène, les saints sont remplis du Saint Esprit. Après leur mort, la grâce du Saint Esprit continue d’habiter leurs âmes, ainsi que leurs formes, leurs corps dans les sépulcres, de même que leurs icônes, et cela non selon l’essence, mais par la grâce et l’énergie »

Voilà pourquoi, nous les orthodoxes, nous vénérons les icônes. Par la grâce de Dieu, l’Icône participe à la sainteté de son prototype. Par l’Icône, nous participons à cette sainteté, dans la mesure de la pureté de notre cœur, nous recevons la grâce qui jaillit du bois de l’Icône. Nous sommes mystiquement sanctifiés par l’opération du Saint Esprit.

L’Icône est donc une des voies qui nous conduit à Dieu, elle est une échelle qui nous fait monter au Ciel. De même le Temple, l’église où nous nous rassemblons pour les divers offices et la divine liturgie, est un « ciel terrestre » selon l’expres¬sion des Pères. Le Christ y est présent par son Corps et son Sang et par son Icône. La toute Sainte, sa Mère, est également présente par son Icône. Tous les saints avec les puissances angéliques y sont également présents par leurs Icônes, placées sur l’Iconostase et tout autour sur les murs.

Pendant la Liturgie, les fidèles réunis dans l’église entrent en contact avec le ciel, parce que les prières liturgiques et les Icônes qui les entourent les y font monter.
Qu’on n’aille pas penser que cette ascension est un phénomène psychologique, une pure élévation intellectuelle, atteinte par les paroles de la prière et les Icônes qui nous rappellent le Ciel. Non !

Quel étrange vouloir que le vouloir de Dieu ! Il a choisi l’humble matière que nous méprisons pour en faire le véhicule de sa grâce. L’huile des malades, l’eau du Baptême, l’huile du Saint Chrême, le pain et le vin de l’Eucharistie, les corps des saints et leurs Icônes, toutes ces choses matérielles, nous font pourtant monter au ciel, beaucoup plus haut que les idées grandes et sublimes que nous, les hommes, pouvons concevoir avec notre pauvre cerveau.

*****

Que tout ce que nous avons dit jusqu’ici soit considéré comme une réponse à tout ce que les iconoclastes contemporains, Protestants, Evangélistes, Réformés, avancent contre nous.

Il y a aussi, comme on l’a dit au début, ceux qui admettent les Icônes, mais en les déformant, en en altérant le sens, faisant d’elles, d’objets litur¬giques et sacrés, des éléments décoratifs, plein de l’esprit du monde et de la chair. Ces iconoclastes se disent « catholiques » (papistes). Ils sont plus dangereux que les premiers. Mieux vaut expulser de l’Eglise et de chez soi les Icônes du Christ et des Saints que d’y introduire des peintures qui déforment et ridiculisent les personnages sacrés, déprécient notre religion aux yeux des hommes de ce monde et affaiblissent l’éclat de la flamme spirituelle que doit faire naître en eux la grâce de Dieu.

L’Eglise « catholique » a confié la peinture des églises à des hommes, qui certes, étaient de grands peintres, mais nullement des croyants chrétiens. Ces peintres choisissaient dans les rues de beaux jeunes gens, aux traits plus féminins que virils, Les faisaient poser comme modèles et, l’imagination aidant, peignaient un « Christ », plein de beauté charnelle, aux expressions théâtrales, aux attitudes et aux gestes affectés, étrangers à l’esprit chrétien.

D’autre part, on sait par l’histoire que les tableaux les plus célèbres des peintres de la Renaissance, représentant la vierge, ont eu pour modèles des prostituées renommées de cette époque. Il en fut de même pour la représentation des différents saints.

Avec la tolérance de l’Eglise d’Occident, souvent même avec ses applaudissements et son admiration, ces peintres ont présenté à l’humanité les personnages sanctifiés de notre foi absolument différents de la réalité. Leur but, c’était surtout de montrer leur talent et rien d’autre. Ils n’avaient nul souci d’élever au ciel les âmes de ceux qui regarderaient leurs œuvres. Au contraire, ils n’ont cherché qu’à remplir les yeux et les âmes de la vaine beauté charnelle, étrangère à l’esprit de l’Evangile. Voilà pourquoi cette espèce d’iconoclastes est pire que la première. Il est encore plus honorable, en effet, de renier les Icônes et le Christ, que d’admettre des Icônes qui, au lieu d’enseigner la religion du Christ, prêchent une religion altérée, déviée, une religion mécon¬naissable ; mieux vaut n’avoir pas d’Icônes que d’en avoir qui amollissent les âmes des fidèles, nuisent à leur esprit et suggèrent un christianisme bien différent de sa réalité.
Les Occidentaux disent qu’il est normal que diffé¬rentes écoles de peinture religieuse existent, que chaque peintre tente de peindre le Christ aussi bien qu’il le peut et aussi beau qu’il le sent. Mais le Christ et ses Saints étant des personnes concrètes, ne nous donnent pas le droit de les peindre comme nous les imaginons, fût-ce même avec une pieuse imagination.

Dans le christianisme, l’Icône comme la Parole, parlent de la Vérité. Il n’est pas permis de pein¬dre le Christ selon l’idée que chacun se fait de lui, car ce n’est plus Lui que nous peignons mais un personnage imaginé, que nous appelons arbitrai¬rement Christ. En intitulant une telle « icône » « Jésus Christ », nous proférons un énorme mensonge et nous trompons les hommes. Il faut représenter le Christ tel qu’il est et non comme nous pensons qu’il est.

L’iconographie orthodoxe est par excellence un art réaliste. L’imagination n’y a aucune place. L’Icône comme la Sainte Ecriture se fonde sur des données historiques. Elle décrit les données historiques de notre foi avec la couleur et la forme, tandis que la Sainte Ecriture les décrit avec la parole écrite. On peut affirmer qu’une Icône Orthodoxe n’exprime autre chose que ce que dit la Sainte Ecriture. Le Christ doit apparaître sur l’Icône tel qu’il apparaît dans les Saintes Ecritures et dans la conscience de l’Eglise. Un saint doit également figurer sur l’Icône tel qu’il apparaît dans l’his¬toire et dans les synaxaires. Il est impie et inadmissible d’utiliser l’imagination pour décrire par la parole écrite ou proférée, des faits de la vie du Seigneur. Il est également impie et inadmis-sible d’utiliser l’imagination pour peindre les mêmes événements avec le pinceau.

La vérité que l’Eglise proclame peut être altérée non seulement par la parole, mais aussi par l’Icône, et ce n’est pas en parlant ou en écrivant qu’on risque de devenir hérétique, mais également en peignant.

Comment un iconographe pourra-t-il donc rester orthodoxe ? Comment évitera-t-il l’écueil facile de l’altération de la Vérité avec son pinceau ? Comment réussira-t-il l’œuvre difficile de transmettre la Vérité dans la figure du Christ et celle des saints qu’il va peindre ?

La voie que doit suivre l’iconographe pour rester orthodoxe dans son œuvre ne diffère en rien de celle que doit suivre le prédicateur ou celui qui écrit des livres religieux. Elle n’est pas différente de la voie de tout chrétien qui veut croire « juste ».

Que doit faire un chrétien pour être orthodoxe ?

Tout d’abord il doit être humble et avoir le sentiment qu’il est petit et pécheur. L’humilité et la contrition purifieront son cœur pour qu’il voie juste. « L’orgueil pousse à l’innovation, ne pou¬vant supporter ce qui est ancien », écrit saint Ephrem le Syrien. Le chrétien doit jeûner et prier dans le recueillement. Il doit suivre humblement l’enseignement des Pères de l’Eglise, tâcher d’imi¬ter leur vie, pour devenir digne de la lumière qui vient d’En-Haut. Tout cela est aussi indispensable à l’iconographe qui veut peindre des Icônes ortho¬doxes. Il doit être humble. Il doit regarder com¬ment les pieux iconographes de l’Eglise ont peint des Icônes au cours des siècles et jusqu’à nos jours et peindre comme eux, sans innover, sans repousser « ce qui est ancien ».
Il doit beaucoup prier, jeûner, afin que Dieu lui ouvre les yeux de l’âme pour voir ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est spirituel et ce qui est charnel. Il doit avoir la force de ne pas se soumettre au goût de la clientèle, des prêtres, des conseillers parois¬siaux, des particuliers, qui, malheureusement, ignorent ce qu’est une Icône orthodoxe et qui ne peuvent discerner ce qui est esthétique et ce qui ne l’est pas.

Peut-être quelqu’un pensera : puisque l’iconogra¬phie orthodoxe est par excellence un art réaliste, qui n’admet pas du tout l’imagination, alors la meilleure Icône c’est la photographie et tout ce qui s’en approche le plus, car elle seule peut représenter une personne avec une parfaite objecti¬vité.

Il n’y a pas d’erreur plus grande que de croire que la photographie peut représenter un homme. Aucune photographie ne l’a jamais représenté, et les millions de photos faites jusqu’à ce jour n’ont pu y réussir.

Une photographie représente les apparences, les réalités extérieures de l’homme. Elle ne peut pas représenter sa réalité intérieure, l’homme dans toute sa plénitude. La photographie représente l’homme comme il apparaît mais pas tel qu’il est dans sa réalité. Grand et admirable serait le pein¬tre, qui tout en faisant le portrait d’un homme, exprimerait en même temps les qualités de l’âme, du cœur, de l’esprit et qui rendrait par les formes, les raisons et le mystère des êtres, des créatures, de la création. Un tel art, un art vrai ne pouvait jaillir que de la Vérité, et seule l’Eglise du Christ pouvait l’enfanter. Et cet art c’est l’Icône orthodoxe, la peinture byzantine. Elle seule peut peindre un être, et en même temps exprimer la vérité de sa face ; elle seule a la force de représenter la sainteté cachée dans le mystère des qualités des Saints, la divine lumière, l’éclat de l’amour divin, la charité, l’humilité, la contri¬tion, l’innocence. Elle seule peut montrer à ceux qui ont des yeux spirituels, la nouvelle création inaugurée par l’incarnation de Dieu, la déification de l’homme.

Les Icônes montrent à nous pauvres hommes le Règne de Dieu qui vient avec puissance, selon la mesure des possibilités de chacun, de sa réceptivité, comme la Transfiguration du Seigneur sur le Thabor a montré aux trois disciples la gloire « autant qu’ils pouvaient la voir ».

Les choses spirituelles que cet art révèle à nos yeux ne peuvent être perçues par tous. Seuls le peuvent ceux qui sont en mesure de comprendre la profondeur spirituelle des Icônes byzantines. Les autres en perçoivent la beauté esthétique, et encore…

L’Icône ne représente pas le corps périssable d’un saint, mais la réalité éternelle de sa personne. C’est pourquoi nous disons que l’art byzantin est par excellence réaliste, car il ne se limite pas à une fidèle représentation d’un des aspects de la réalité matérielle, sentimentale, mais avec les pauvres moyens humains, il rend toute la réalité de l’être humain, la réalité de l’homme déifié. A travers le visible, l’Eglise voit l’invisible, à travers le provisoire elle voit l’éternel. Dans l’Icône byzantine, ont lieu d’étranges et d’incom-préhensibles rencontres : l’éternité se révèle dans le temps, le ciel descend sur la terre et entoure les mortels.


Voilà pourquoi les Pères disent que le temple ou l’église, cet édifice où se rassemblent les fidèles, avec ses Icônes peintes sur les murs et sur le bois, avec tout ce qui s’y dit, tout ce qui s’y célèbre, est une Icône, une image du ciel, une projection du ciel, bien que réalisée par des moyens périssables, sur cette terre périssable.

Pour peindre l’Icône d’un saint, on doit avoir goûté à la sainteté, avoir vécu l’expérience de la grâce de Dieu. On doit avoir reçu, autant que l’âme peut la contenir, la lumière divine. Le peintre qui ne possède pas tout cela, doit alors être très attentif, car chaque coup de pinceau peut le conduire à l’hérésie. Il ne reste alors qu’une voie : marcher fidèlement sur les traces des anciens iconographes et peindre rigoureusement comme eux. C’est ainsi qu’il se gardera de toute erreur et donnera à son œuvre le sceau de l’éter¬nité. Et spirituellement, il sera gagnant, car, attaché aux modèles laissés par nos Pères, il goû¬tera lui aussi à l’éternité, participera à l’expé¬rience des saints iconographes du passé, à l’expérience de l’Eglise.

Beaucoup de chrétiens sont choqués par l’aspect ascétique des Icônes, ils sont même effrayés par le visage austère du Christ et des saints des Icônes byzantines.

La plupart d’entre eux ne veulent voir dans l’Icône du Christ qu’un homme. Ils craignent de se trouver devant Dieu. Mais le Christ est Dieu-Homme ! Malheur à ceux qui veulent le représenter aux yeux du monde comme homme seulement. Tous ceux qui représentent le Christ, sur ces images « sucre-sel », comme homme ordinaire et ceux qui introduisent dans leurs maisons et dans les églises ces reproductions achetées au bazar (il s’agit ici des mauvaises reproductions des images Saint Sulpice vendues sur tous les bazars de Grèce) ne diffèrent en rien de l’hérétique qui enseigne que le Christ n’est pas Dieu, mais un simple homme, même si dans leur impardonnable indifférence, ils ne comprennent pas leur erreur et leur péché.

Comme on l’a dit, on ne devient pas hérétique par la parole seulement ou par la plume, on le devient aussi par les Icônes que l’on accueille chez soi ou à l’église. C’est pourquoi saint Jean Damascène a dit cette parole redoutable : « Montre-moi les Icônes que tu vénères et je te dirais ce que tu crois ». Si saint Jean Damascène entrait dans nos maisons et s’il voyait nos Icônes qui sait s’il trouverait beaucoup d’entre nous orthodoxes ?

D’autre part, si l’on examinait ceux qui altèrent les Icônes, on découvrirait que leur foi a changé, qu’elle est devenue psychique, comme le dit l’Apôtre Paul, c’est-à-dire sentimentale, plate, fausse, pas du tout spirituelle.

Que l’aspect ascétique de l’Icône du Christ et de ses Saints ne nous fasse pas peur ; cet aspect austère et douloureux cache ce mystère de la piété en Christ. Il ne faut pas oublier que la plupart des saints, comme on le chante à l’Eglise, ont « par le flot de leurs larmes fertilisé l’aride désert et par leurs profonds gémissements et leurs douleurs ont porté du fruit au centuple… » Que l’on n’aille pas penser que cette tristesse en Christ, cette vie dans les larmes et les soupirs est une infortune. Tout au contraire l’affliction en Christ est la seule voie vers le bonheur céleste, auquel les saints goûtent dès ce monde, c’est le deuil joyeux, comme disent les Pères, ce mélange de joie et de tristesse, plein de sérénité, d’humilité et d’amour.
« Nul ne connaît la joie qui vient des larmes, écrit saint Isaac le Syrien, si ce n’est celui qui a livré son âme à cette œuvre ». C’est donc de l’affliction en Christ que viennent l’allé¬gresse et la joie. Celui qui peut sentir ces choses, sentira la grandeur, la beauté incomparable des Icônes byzantines, que pour l’instant il juge sans attrait, envahi qu’il est par l’esprit du monde.

Voici comment saint Syméon le Nouveau Théologien décrit le changement qui s’opère sur la face de ceux qui progressent dans la sainteté : « Je connais certains d’entre vous, dit-il à ses disciples, qui prennent place à la table commune, avec un cœur contrit et humilié et qui ne mangent aucun des simples mets qui leur sont présentés, mais demeurent en silence, l’âme recueillie et en larmes, pleine de prières et de supplications, d’efforts spirituels, de prosternations, au point qu’ils ont été « transformés en cette bienheureuse transformation » et ont acquis cette beauté ascétique ». Voyez comment ce grand Père de l’Eglise considère la beauté ascétique qu’il appelle « la Belle Transformation » ?

Vraiment belle est l’apparence ascétique des Icônes ; les hommes charnels dont l’esprit est celui du monde, ne peuvent sentir cette beauté et c’est un grand dommage pour leur âme.

Celui qui n’a pas appris à regarder les Icônes byzantines perd beaucoup ! Car leur seule vue procure aux chrétiens un grand bienfait.

Une petite histoire empruntée au « Ghérontikon » (ou vies des Anciens) expliquera mieux ce que je dis : « Trois frères avaient coutume de visiter une fois l’an le bienheureux Antoine. Deux d’entre eux interrogeaient le saint au sujet des pensées et du salut de l’âme. Le troisième ne demandait rien et gardait le silence. Longtemps après, Abba Antoine lui dit : « Tu viens ici depuis longtemps et tu ne demandes jamais rien ? » Et lui de répondre : « Père, il me suffit de te regarder ».

Vous voyez donc le grand bienfait spirituel que procure la seule vue des Saints et surtout celle des austères ascètes du désert, comme Antoine le Grand ? C’est le même bienfait que procure la vue des Icônes byzantines. Heureux ceux qui possèdent de telles Icônes chez eux et dans l’Eglise de leur paroisse.

Les Icônes ne sont pas des objets décoratifs, mais des objets sacrés. Elles ne sont pas des peintures, des tableaux, mais des porteuses de la grâce divine, des échelles qui montent au ciel, des figures des choses célestes. Elles représentent le royaume des cieux, le Paradis, avec le Christ dans sa gloire, entouré de ses saints, tels des luminaires seconds éclairés par l’énergie de sa divinité. Les Icônes sont les images de la nouvelle création, du monde impérissable et éternel. Elles sont des images de la déification de l’homme, accomplie lors du siège à la droite de Dieu dans les cieux, du Corps adorable et impérissable du Sauveur.

Sous l’humble matière de l’Icône, se cache la force de Dieu, qui a sanctifié les Saints et par eux a fait des miracles. C’est cette force que nous adorons quand nous baisons de nos lèvres une Icône ; quand nous la vénérons, nous rendons notre culte au seul Dieu Trinité.
Ces objets sacrés, nous ne pouvons les créer comme bon nous semble, selon nos goûts charnels, ni les placer comme il nous plaît, comme des tableaux dans un salon ou ailleurs, parmi des objets profanes de ce monde.

Dans chaque maison, il devrait y avoir un coin réservé aux choses saintes : eau bénite, Evangile, Couronnes, phylactères et livres sacrés, avec une lampe toujours allumée. L’encens devrait y monter : avec notre prière, encens spirituel.

« Frères, dit saint Grégoire le Théologien, ne fai¬sons pas d’une façon impure ce qui est saint, d’une façon laide ce qui est digne. Pour être bref, ne faisons pas d’une façon terrestre ce qui est céleste. Dans notre religion, tout est spirituel : les actes, le mouvement, le désir, les conversations, la démarche, les vêtements, les gestes ; car l’esprit se répand partout et avec tout cela fait de l’homme un homme de Dieu ».

Et saint Grégoire Palamas écrit : « Tu feras avec amour l’Icône de celui qui s’est fait homme pour nous. Par elle, tu te souviendras de Lui et par elle tu l’adoreras. Par elle, tu élèveras ton es¬prit jusqu’au Corps Adorable du Sauveur qui est assis à la droite de Dieu dans les cieux. Tu feras aussi les visages des Saints et tu les vénéreras, non comme des dieux (cela est interdit)… mais comme Moïse qui a fait les Icônes des Chérubins dans le Saint des Saints. Ce Saint des Saints figurait les tabernacles célestes, et le sanctuaire, le monde entier. Moïse a appelé ces choses saintes ; il ne leur a jamais rendu gloire, mais par elles, il a glorifié Dieu le Créateur de l’Univers ».

Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Pentecôte.

HOMELIE SUR LA SAINTE PENTECOTE

De Saint Grégoire Palamas

Il y a peu de jours, nous avons vu avec les grands yeux de la foi le Christ monter au ciel ; nous l’avons contemplé autant que les témoins ocu¬laires. Notre bonheur n’a pas été en deçà du leur, car selon le Seigneur « Bienheureux sont ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ». En effet, ceux qui sont d’abord informés par l’ouïe voient ensuite par les yeux de la foi.

Jusqu’ici, nous n’avons vu le Christ que monter avec son corps, mais maintenant, dans l’Esprit Saint qu’il envoie à ses disciples, nous pouvons contempler jusqu’où il est monté dans son Ascension et à quelle dignité il a élevé notre nature qu’il a assumée.

Il est monté là, d’où le Saint Esprit envoyé par lui est descendu. D’où le Saint Esprit est-il descendu ?

Celui qui, par le Prophète Joël a dit : « Je répan¬drai de mon Esprit sur toute chair » l’indique. Et c’est à lui que David s’adresse, quand il dit : « Tu envoies ton Esprit et ils sont créés et tu renou¬velles la face de la terre » (Ps. 104, 30).

Ainsi donc, après son Ascension, le Christ est monté vers son Père, dans les lieux très hauts, dans le sein du Père, où est également l’Esprit. Et bien que portant l’humanité, il apparaît partici¬pant à la dignité du Père, puisqu’il envoie du ciel l’Esprit qui vient du Père, que le Père envoie.

Mais que nul, en entendant dire que le Saint Esprit est envoyé par le Père et le Fils ne pense qu’il n’a pas la même dignité. Car il n’est pas de ceux que l’on envoie simplement, mais de ceux qui en¬voient et qui consentent. Et celui qui parle par la bouche du Prophète le confirme : « C’est moi qui de mes mains ai fondé la terre et étendu le ciel ». Et « Maintenant le Seigneur m’envoie avec son Esprit » (Isaïe 48, 16).

Le Christ aussi, par la bouche du même prophète, le démontre ailleurs : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres » (Luc 4, 18).

Le Saint Esprit n’est pas seulement envoyé, car avec le Père il envoie le Fils. Et ceci fait apparaître qu’il est de la même nature que le Père et le Fils, Leur égal dans la puissance, dans la dignité, et qu’il coopère avec eux.

Par la bienveillance du Père et la coopération du Saint Esprit, le Fils Unique de Dieu, dans son immense et indicible amour pour l’homme, après avoir incliné les cieux, est descendu des hauteurs, s’est montré parmi nous, a vécu, agi et enseigné des choses admirables, grandes, élevées, vraiment divines et salutaires. Puis pour notre salut, il a librement accepté de souffrir, a été enseveli pour ressusciter le troisième jour.
Il est ensuite monté au ciel et s’est assis à la droite du Père où il a pris part à la descente sur ses disciples du Saint Esprit, la Puissance d’En-Haut, promise et envoyée par le Père. Des hauteurs où il est assis, il nous crie : « Que celui qui veut s’approcher de cette gloire, devenir participant du Royaume des Cieux, être appelé fils de Dieu, recevoir la vie immortelle et la gloire indicible, la nourriture impérissable, la richesse inépuisable, observe mes commandements et imite ma vie. Il acquerra ainsi la force pour vivre sur la terre comme j’ai vécu, revêtu de la chair, où j’ai fait des miracles et enseigné, établissant des lois salutaires et me donnant en exemple ».

L’enseignement évangélique, le Sauveur l’a confirmé par ses œuvres et ses miracles, et l’a scellé par ses souffrances. Le grand et salutaire bienfait est venu de sa Résurrection des morts, de son Ascension au ciel et de la venue, du haut des cieux, du Saint Esprit sur ses disciples que nous célébrons, en ce jour.

Après la Résurrection des morts, son apparition aux disciples et lors de son Ascension, il a dit : « Moi je vous enverrai ce que mon Père vous a promis. Demeurez à Jérusalem, jusqu’à ce que vous receviez la puissance venant du ciel par la descente du Saint Esprit sur vous. Et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, la Samarie, jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1, 7-8).

Alors que s’achevait le cinquantième jour depuis la Résurrection, la Pentecôte que nous fêtons aujourd’hui, les disciples étaient rassemblés dans le même lieu, dans la chambre haute. Ils attendaient l’Esprit, recueillis, attentifs à la prière et aux hymnes qu’ils adressaient à Dieu. « Tout à coup, dit Luc l’Evangéliste, un bruit venant du ciel, comme le souffle d’un vent impétueux remplit la maison où ils étaient assis ».

De ce « bruit », la Prophétesse Anne a parlé, quand elle a reçu la promesse qu’elle engendrerait Samuel : « Le Seigneur est monté au ciel et il a tonné. Il leur donnera la puissance et élèvera la corne de ses oints ».

Ce « bruit », la contemplation d’Elie l’a proclamé : « Voici, est-il dit, après le feu, le murmure d’une brise légère ». Et le Seigneur était dans ce murmure. Ce murmure de la brise, c’est le bruit du vent. Ce « bruit », ce murmure, décrit à l’avance, on le retrouve dans l’Evangile du Christ. Le dernier jour, le grand jour de la fête, c’est-à-dire de la Pentecôte, Jésus se tenant debout, selon Jean le Théologien et Evangéliste, « cria » : « Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive ». Et il disait cela à propos de l’Esprit que devaient rece¬voir ceux qui croiraient en lui. Aussi, après sa Résurrection, souffla-t-il sur ses disciples en leur disant : « Recevez le Saint Esprit ».

Ce « cri » annonçait déjà le « bruit » et le « souffle » (de la bouche). C’est ce souffle (l’Esprit), à présent abondamment répandu, qui retentit du haut du ciel avec puissance au point d’être entendu de partout. Il appelle le monde entier et, tous ceux qui tiennent avec foi, il les inonde de la grâce. Impétueux, il est vainqueur de tout. Il passe par dessus les murailles du Malin et détruit les villes et les bastions de l’adversaire. Il abaisse les orgueilleux et élève les humbles de cœur. Il rassemble ce qui était dispersé, brise les liens des péchés, défait ce qui lui résiste. Il a rempli la maison où les disciples étaient assis, faisant d’elle une piscine spirituelle, accomplissant la promesse du Sauveur :
« Jean a baptisé d’eau, mais dans peu de jours, vous, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint ». Et même le nom qu’il leur avait donné se révéla vrai, car par ce « bruit » céleste, les Apôtres devinrent des Fils du Tonnerre.

« Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, ET IL S’EN POSA UNE sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer ».

Les miracles qui se firent par le corps du Seigneur prirent fin, après avoir prouvé que le Fils Unique de Dieu était une personne distincte, qui en ces derniers temps s’était unie à nous.

Alors commença tout ce qui devait révéler que l’Esprit Saint était aussi une hypostase distincte, afin de nous faire saisir et comprendre le grand et adorable mystère de la Sainte Trinité. Certes, l’Esprit Saint a toujours agi dans le passé ; il a parlé par la bouche des Prophètes et nous a annoncé à l’avance les choses à venir. Mais maintenant, c’est lui qui par les disciples chasse les démons, guérit les malades. Par les langues de feu, il manifeste sa propre Hypostase. Il se pose en Maître, sur les disciples du Christ, comme sur un trône et en fait des instruments de sa puissance.

Mais pourquoi, direz-vous, est-il apparu sous forme de langues ? - C’est pour montrer sa parenté avec le Verbe de Dieu. Car il n’est pas de parenté plus étroite que celle de la langue et de la parole (verbe). - C’est aussi pour manifester la grâce de l’enseignement, car celui qui enseigne selon le Christ a besoin d’une langue qui soit pleine de grâce.

Pourquoi les langues de feu ? - Eh bien ! Ce n’est pas seulement pour montrer qu’il est consubstantiel au Père et au Fils, car notre Dieu est un feu, un feu qui dévore la perversité, mais aussi pour sa double action dans la prédication apostolique, car Dieu récompense et châtie. Comme le feu qui de par sa nature éclaire et brûle, de même la parole de l’enseignement du Christ éclaire ceux qui la reçoivent et livre ceux qui la refusent au feu et au châtiment éternel.

D’autre part, il n’est pas question de « langues de feu », mais « comme » des langues de feu, pour qu’on ne pense pas qu’il s’agit du feu sensible et matériel. Ce n’est qu’une comparaison pour nous aider à nous faire une idée de la manifestation du Saint Esprit.

Pour quelle raison les langues apparurent-elles se partageant ?
- Seul le Christ, venu d’En-Haut, a reçu du Père l’Esprit sans mesure. Dans sa chair, il a possédé en totalité la puissance et l’énergie. Nul autre que lui n’a reçu la grâce de l’Esprit Saint sans mesure. Les autres l’ont reçue en partie seulement, afin de ne pas penser que ce qui est un don, un charisme, constituait la nature des Saints.

Les mots « IL S’EST POSE », ne manifestent pas seulement la dignité seigneuriale, mais également l’in¬divisibilité de l’Esprit Saint. « Et il se posa sur chacun d’eux ; et ils furent tous remplis du Saint Esprit ».
Quand l’Esprit se partage dans ses diver¬ses forces et énergies, il demeure cependant tout entier, présent et opérant en chacune d’elles. Il est partagé tout en demeurant entier et la participation à lui est totale, à l’image du rayon du soleil.

« Et ils se mirent à parler en d’autres langues, c’est à dire dans les dialectes de ceux qui s’étaient rassemblés de toutes les nations, et selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer ». Les Apôtres étaient des instruments du Saint Esprit, ils agissaient et se mouvaient conformément à sa volonté et à sa puissance. Un instrument est quelque chose d’étranger à soi et qu’on emprunte, il ne participe pas à la nature mais à l’action de celui qui opère par lui, comme David l’Inspiré le dit : « Ma langue est comme la plume d’un habile écrivain ». La plume est donc l’instrument de l’écrivain. Elle participe à son action mais non à la nature de celui qui écrit. Elle, trace ce que celui-ci veut et peut.

Pourquoi l’Esprit est-il la promesse du Père ? Parce que le Père, dès les temps anciens, l’a promis par la bouche de ses Prophètes. Par celle d’Ezéchiel il a dit : « Je vous donnerai un coeur nouveau et un esprit nouveau… Je mettrai au dedans de vous mon Esprit » (Ezéchiel 36, 26) ; par celle du Prophète Joël : « Dans les derniers jours, je répan-drai mon Esprit sur toute chair » (62, 28). Moïse aussi l’a désiré (l’Esprit) quand il s’est exclamé : « Plût à Dieu que tout le peuple de Dieu fût prophète, et que le Seigneur mît son Esprit en eux » (Nombres 11, 29).

Or, puisque la bienveillance et la promesse du Père et du Fils sont une, le Seigneur, à cause de cela, a dit à ceux qui allaient croire en Lui : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira dans la vie éternelle » (Jean 4, 14) ; et : « Celui qui croit en moi comme l’a dit l’Ecriture, des fleuves d’eau coule¬ront de son sein ». Commentant ces paroles, l’Evangéliste dit : « Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en Lui » (Jean 7, 39).

Et quand il allait à sa Passion salutaire, il disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements. Et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu’il demeure avec vous éternellement, l’Esprit de Vérité ». Et aussi : « Je vous dis ces choses pendant que je suis avec vous. Mais le Consolateur, l’Esprit Saint que mon Père enverra en mon nom, il vous enseignera toutes choses » (Jean 14, 25). Et encore : « Quand le Consolateur sera venu, que je vous enverrai de la part de mon Père, l’Esprit de Vérité qui procède du Père, il rendra témoignage de moi et vous conduira dans toute la Vérité » (Jean 15, 26).

Maintenant, la promesse est accomplie, l’Esprit Saint est descendu, envoyé et donné par le Père et le Fils. Par son éclat, il a illuminé les saints disciples, il les a divinement allumés comme des flambeaux, ou mieux, il en a faits des luminaires supra-cosmiques et universels, porteurs de la parole de la Vie Eternelle et par eux il a éclairé tout l’univers.

Et, comme d’un cierge déjà allumé on en allume un second et de celui-ci un troisième et ainsi de suite, et la lumière est conservée et en tout temps disponible : il en est de même de la consécration des successeurs des apôtres. La grâce de l’Esprit Saint se transmet de génération en génération, éclairant tous ceux qui écoutent les docteurs et les pasteurs spirituels.
Cette grâce donc, ce don de Dieu, cette illumination du Saint Esprit, vient par l’Evangile, appor¬tée à la ville par chaque évêque. Et ceux qui font obstacle à celui-ci interrompent la grâce de Dieu, brisent la divine continuité, s’éloignent de Dieu, se livrent à des apostasies coupables, à toutes sortes de malheurs. Il y a peu de temps, vous avez vécu et éprouvé ces choses. Mais puisque vous voilà revenus au pasteur de vos âmes, que Dieu vous a donné, si vous écoutez les conseils que je vous dispense, pour votre salut, vous célébrerez avec un pur éclat la fête du Saint Esprit qui dans son amour indicible pour les hommes et pour notre sa¬lut, est descendu. Pour notre salut aussi, le Fils Unique de Dieu a incliné les cieux ; il est descendu et a pris notre chair et, avec son corps, il est monté au ciel.

Et s’il n’avait pas envoyé le Saint Esprit sur ses disciples, sur leurs successeurs à travers toutes les générations, sur les docteurs de l’Evangile de la grâce, pour demeurer avec eux et les fortifier, la prédication de la vérité n’aurait pas retenti chez tous les peuples, elle ne serait pas arrivée jusqu’à nous. Voilà pourquoi le Seigneur plein d’amour pour les hommes a fait de ses disciples des participants, des pères, des serviteurs de la lu¬mière et de la vie éternelle, leur a donné le pouvoir de régénérer les hommes pour la vie impé¬rissable, d’en faire de dignes enfants de la lumière et pères, à leur tour, de l’illumination des autres. Ainsi il est et sera avec nous, jusqu’à la fin du monde, avec le Saint Esprit, comme il l’a promis. Car il est UN avec le Père et le Saint Esprit, non selon la personne mais selon la divi¬nité, un seul Dieu en trois personnes, une seule divinité toute puissante aux trois hypostases.

Le Saint Esprit a toujours existé avec le Fils et le Père. Un Père, un Intellect Eternel, sans Fils, sans Verbe co-éternel est impensable, de même qu’un Verbe Eternel sans Esprit Co-éternel.

Le Saint Esprit a toujours été, est et sera, Créateur avec le Père et le Fils de tout ce qui a été fait, renouvelant avec eux ce qui a été déformé et conservant avec eux ce qui demeure stable. Il est partout présent et il remplit tout, il dirige l’univers et veille sur tout. « Où irai-je, loin de ton Esprit, où fuirai-je loin de ta face » dit le psalmiste. (Ps. 139, 7).

Le Saint Esprit n’est pas seulement partout mais aussi au-delà de l’univers, non seulement en tout siècle et en tout temps, mais aussi avant tous les siècles et avant tous les temps. Il ne sera pas avec nous seulement jusqu’à la fin du monde, selon la promesse, mais encore au-delà, car le Saint Esprit demeurera avec tous les saints dans la vie future, rendant leurs corps impérissables, les remplissant de la gloire éternelle. Ceci, le Seigneur l’a révélé à ses disciples quand il leur a dit : « Je prierai mon Père et il vous donnera un autre consolateur, pour qu’il demeure avec vous ETERNELLEMENT ».

Selon l’apôtre, le corps animal ou naturel, c’est-à-dire le corps et l’âme créés, qui possède le mouvement et l’être, est « SEME », c’est-à-dire qu’une fois mort, il est enterré, caché sous la terre et RESSUSCITE, revit ensuite corps spirituel, autrement dit surnaturel, rassemblé et dirigé par le Saint Esprit, revêtu par la puissance de l’Esprit Saint d’immortalité, de gloire, d’incorruptibilité.

Le premier Adam, dit encore l’apôtre, était une âme vivante, le dernier Adam est esprit qui donne la vie.
Le premier homme tiré de la terre est terrestre comme tous ses descendants. Le second homme, le Seigneur, est du ciel. Tel est le terrestre, tels sont aussi les terrestres ; et tel est le céleste, tels sont aussi les célestes « (I Cor. 15, 42).

- Quels sont ces derniers ?
- Tous ceux qui sont fermes et inébranlables dans la foi, qui accomplissent au mieux les œuvres du Seigneur, qui ont retrouvé l’image du céleste par leur obéissance. « Car celui qui n’écoute pas le Fils, dit saint Jean le Précurseur, dans l’Evangile de Jean, ne verra point la vie et la colère de Dieu demeure sur lui » (Jean 3, 36).

Et qui peut échapper à la colère de Dieu ? Il est redoutable mes frères, de tomber entre les mains du Dieu Vivant. Si nous craignons les mains de nos ennemis, bien que le Seigneur dise « ne craignez pas ceux qui tuent le corps », quel est celui qui, ayant de l’in¬telligence, n’aura aucune crainte des mains de Dieu, qui se lèvent en colère sur ceux qui lui résistent ? La colère de Dieu éclatera contre l’immoral, l’injuste, l’impénitent, qui retient injustement la vérité.

Fuyons donc la colère et empressons-nous d’obtenir par la pénitence, la bonté et la compassion du Très-Saint Esprit. Que celui qui a de la haine se réconcilie et revienne à l’amour, afin que l’inimitié et la haine contre le prochain ne l’accusent pas de ne pas aimer Dieu. Car si tu n’aimes pas ton prochain que tu vois, comment aimeras-tu Dieu que tu ne vois pas ? Si nous nous aimons les uns les autres, nous possédons le véritable amour, non simulé et nous le manifestons par les œuvres. Ne rien dire, ne rien faire ni écouter la moindre accusation susceptible de nuire à nos frères, au prochain, comme l’a dit le Théologien bien-aimé du Christ : « Frères, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en action et en vérité » (1 Jn. 3, 18).

Que celui qui est tombé dans l’impudicité, l’adultère ou dans toute autre impureté du corps, s’éloigne de ce bourbier impur, qu’il se purifie par la confession, les larmes, le jeûne. Dieu jugera les impudiques et les adultères qui n’auront pas fait pénitence. Ils seront livrés à la Géhenne, au feu inextinguible, aux châtiments sans fin. « Que l’impie et l’inique soient écartés et qu’ils ne jouissent pas de la gloire du Seigneur ».

Que le voleur, l’usurpateur, le cupide, ne vole plus, n’amasse plus, n’usurpe plus, mais qu’il donne même de son nécessaire à celui qui est dans le besoin. Pour être bref, je dirai que si vous voulez voir des jours heureux, échapper aux ennemis visibles et invisibles, ainsi qu’aux barbares qui nous menacent, au châtiment réservé au Prince du mal et à ses anges, fuyez le mal et faites le bien. « Ne vous y trompez pas : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs n’hériteront le Royaume de Dieu » (1 Cor. 6, 10).

Si quelqu’un n’hérite pas de Dieu, c’est qu’il n’est pas de Dieu et Dieu n’est pas son Père. Nous donc frères, éloignons-nous de tout ce que Dieu hait, en actes, en paroles, afin d’oser appeler Dieu : Père. Revenons à Lui et Lui reviendra à nous. Il nous purifiera de tout péché et nous rendra dignes de sa grâce divine.
Ainsi donc, aujourd’hui et à jamais, fêtons, célé¬brons divinement et spirituellement l’accomplis¬sement de la promesse divine, la venue et le séjour parmi les hommes du Très Saint Esprit, la réalisa¬tion et l’achèvement de notre bienheureuse espéran¬ce en Christ Notre Seigneur.
A lui, gloire, honneur et adoration, à son Père Eternel, à son Saint, Bon et Vivifiant Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen !

Lettre Encyclique de Saint Marc d'Ephèse

LETTRE ENCYCLIQUE
A TOUS LES CHRETIENS ORTHODOXES DE LA TERRE ET DES ILES

De Saint Marc d’Ephèse.

1 - Les hommes qui nous ont menés en déportation, dans une captivité pernicieuse, et ont voulu nous attirer dans les bas-fonds de Babylone – les dogmes et les rites des Latins – n’ont pu conduire leur projet à terme, se rendant compte eux-mêmes de son absurdité foncière et de son impossibilité, et se sont arrêtés à mi-chemin, eux et tous ceux qui les ont suivis, sans demeurer ce qu’ils étaient, ni devenir ce qu’ils ne sont pas ; ils ont abandonné Jérusalem, la vraie vision de paix et la montagne de Sion, la foi solide et inébranlable ; quant à être Babyloniens et en porter le nom, ils ne le veulent ni ne le peuvent ; en sorte qu’on pourrait justement les appeler Grécolatins, ces déserteurs que nous qualifions généralement de Latinisants.

Ces animaux mêlés, cousins des centaures de la fable, confessent avec les Latins que l’Esprit Saint procède du Fils et qu’il a le Fils pour cause de Son existence – selon les propres termes de leur Définition de Foi conciliaire – et avec nous, disent qu’il procède du Père ; avec les Latins, ils affir¬ment que l’addition du Filioque au symbole fut chose légitime et bien fondée, et, avec nous, refu¬sent de la réciter dans le Credo – quoique, s’agis¬sant d’une chose légitime et bien fondée, rien n’empêche de la réciter, n’est-il pas vrai ? Tou¬jours avec les Latins, ils disent que le pain azyme est bien Corps du Christ, mais, avec nous, n’ose¬raient pas y communier. Ne voilà-t-il pas des traits suffisants pour dépeindre l’humeur de ces personnages ? si l’on ajoute que ce n’est pas l’amour de la vérité qui les a poussés à rencontrer les Latins – cette vérité, qu’ils avaient entre les mains, ils l’ont trahie – mais l’appât de l’or et le désir de conclure une union factice, non celui de s’unir véritablement.

2 – Or, il convient d’examiner le mode de leur union : car qui dit union dit moyen terme par lequel on s’unit. Dans le cas présent, c’est par le dogme relatif au Saint Esprit qu’ils ont cru s’unir aux Latins, en confessant avec eux qu’il tire aussi du Fils son existence ; pour tout le reste, ils diffèrent, et il n’y a rien entre eux, pas même une seule chose, qui leur soit commune ni même intermé¬diaire. Tout au contraire, on récite encore deux symboles différents, comme auparavant ; on célèbre deux liturgies dissemblables, avec consécration de pain levé dans l’une, azyme dans l’autre ; deux baptêmes, dont l’un consiste dans une triple immer¬sion, l’autre dans une affusion d’eau sur le sommet de la tête : et tandis que le premier comporte nécessairement la chrismation, le second peut même s’en passer ; deux coutumes enfin, en tout et pour tout différentes, qu’il s’agisse des jeûnes, des ordres ecclésiastiques ou de toute chose de ce genre. Où donc est l’union, quand aucun signe exté¬rieur ne la rend tangible et manifeste ? Et comment se sont unis des gens qui entendent rester attachés à leurs propres usages – ils l’ont même déclaré d’un commun accord – et ne suivent pas les traditions reçues des Pères ?


3 - Mais que disent ces raisonneurs ? « L’Eglise grecque n’a jamais dit que l’Esprit Saint procédait du Père seul, mais simplement qu’il procédait du Père ; or cette affirmation n’exclut pas le Fils de la procession ; de sorte que, sur ce sujet, nous étions autrefois unis et le sommes toujours à pré¬sent ». Hélas ! Quelle bêtise ! Et quelle cécité ! Si l’Eglise grecque a toujours confessé la procession de l’Esprit hors du Père, pour avoir reçu cette doctrine du Christ Lui-même, des saints Apôtres et des Pères des Conciles ; et si elle n’a jamais confessé la procession hors du Fils, doctrine qu’elle n’a, de fait, reçue de personne ; qu’a-t-elle depuis toujours affirmé, sinon la procession hors du Père seul ? Car si l’Esprit ne procède pas du Fils, il est clair qu’il procède du Père seul.

Voyez la même chose dans le Credo à propos de la génération. « Né du Père avant tous les siècles ». Qui ajoute ici « né du Père seul » ? Nous l’entendons pourtant bien ainsi, et nous l’explicitons à qui le demande ; car nous n’avons pas appris que le Fils soit né d’aucun autre !

Enfin, c’est en raison de cette doctrine que saint Jean Damascène, au nom de l’Eglise tout entière et de tous les chrétiens, déclare ceci : « Nous ne disons pas l’Esprit issu du Fils » . Si nous ne disons pas l’Esprit issu du Fils, il est clair que nous le disons issu du Père seul. Aussi dit-il un peu auparavant : « Pour le Fils, nous ne le disons point cause » et dans le chapitre suivant : « Seul le Père est cause » .

4 - Que disent-ils encore ? « Nous n’avons jamais considéré les Latins comme hérétiques, mais seulement comme schismatiques ».

Cet argument, remarquons-le premièrement, c’est aux Latins qu’ils l’ont emprunté ; ceux-ci nous quali¬fient en effet de schismatiques, parce qu’ils n’ont rien à nous reprocher sur le dogme, mais estiment que nous avons été rebelles à l’allégeance qu’ils s’imaginent que nous leur devons. Voyons s’il est juste de leur rendre la politesse et si nous n’avons, nous, aucun reproche à leur faire sur la doctrine.

Ils donnent, on le sait, pour cause du schisme, le fait d’avoir introduit au grand jour l’addition du Filioque qu’ils marmonnaient auparavant entre leurs dents ; pour notre part, nous nous sommes, les premiers, séparés d’eux, ou plutôt, nous les avons séparés et retranchés du corps commun de l’Eglise. Pour quelle raison, dites-moi ? Parce qu’ils avaient une doctrine orthodoxe ou de justes raisons d’introduire leur addition ? Et qui dira cela, à moins d’avoir la cervelle complètement dérangée ?

Ou bien parce que leur dogme était aberrant et impie et l’addition, illégitime ? C’est donc pour cause d’hérésie que nous nous sommes détournés d’eux ; telle fut la raison de notre séparation d’avec eux.

Quelle autre cause pourrait-il y avoir en effet ? Les lois amies de la piété ne déclarent-elles pas : « Est hérétique, et sous le coup des lois concernant les hérétiques, celui qui dévie, si peu que ce soit, de la foi orthodoxe » .
Si donc les Latins n’ont pas dévié d’un pouce de la foi orthodoxe, nous n’avons, évidemment, pas eu raison de les retrancher de l’Eglise ; mais s’ils ont complète¬ment dévié, et cela, dans la théologie du Saint Esprit, qu’il est infiniment périlleux de blasphé-mer, alors ils sont hérétiques, et nous les avons exclus de l’Eglise pour hérésie.

Poursuivons. Pourquoi chrismons-nous ceux d’entre eux qui viennent à l’orthodoxie ? N’est-ce pas, à l’évidence, parce qu’ils sont hérétiques ? Le hui¬tième canon du Deuxième Concile Œcuménique dit en effet : « Ceux qui venant d’une hérésie rentrent dans l’orthodoxie et s’agrègent à la part des élus, nous les recevons selon les rites et les usages suivants : Ariens, Macédoniens, Sabelliens et Novatiens qui se donnent le nom de Cathares (Purs) et de Meilleurs, ainsi que les Quartodécimans ou Tétradites et les Apollinaristes, nous les recevons à condition qu’ils donnent un texte écrit, condamnant à l’anathème toute hérésie non conforme au dogme de la Sainte Eglise de Dieu Catholique et Apostolique, et qu’ils reçoivent, avant d’être admis, le sceau ou chrismation, que nous faisons avec le saint chrême sur le front, les yeux, les narines, la bouche et les oreilles, en disant : « Le Sceau du don du Saint Esprit » . Tu vois dans quel groupe nous classons les Latins qui nous rejoignent ? Si les noms qu’énumère le canon ci-dessus sont tous hérétiques, les Latins le sont certainement.

Enfin, le très sage patriarche d’Antioche, Théodore Balsamon, écrivait, dans ses REPONSES à Marc, très saint patriarche d’Alexandrie : « Des prisonniers Latins, et autres personnes, se présentent dans nos églises catholiques et demandent la communion aux divins sacrements. Pouvons-nous la leur accorder ? Telle est la question.

- « Qui n’est pas avec moi est contre moi et qui n’assemble pas avec moi disperse » . Etant donné que depuis de longues années la très célèbre Eglise d’Occident, celle de Rome, s’est séparée de la communion des quatre autres patriarcats, en s’iso¬lant dans des rites et des dogmes étrangers à ceux de l’Eglise catholique et orthodoxe ; que, pour cette raison, dans la célébration des divins mystères, le pape n’a pas l’honneur d’être mentionné parmi les patriarches au moment de l’anaphore ; les personnes de confession latine ne peuvent recevoir des mains du prêtre la sanctification des purs et divins mystères, à moins qu’elles n’acceptent d’abord de renoncer aux dogmes et aux usages la¬tins, et qu’elles reçoivent, comme l’ordonnent les canons, une instruction catéchétique et deviennent orthodoxes à part entière » .

Tu entends ? Dit-il, oui ou non, qu’ils se sont séparés en s’isolant non seulement dans des rites mais encore dans des dogmes étrangers à l’orthodo¬xie – or tout ce qui est étranger à l’orthodoxie est hérétique – et qu’ils doivent, selon les ca¬nons, recevoir une catéchèse et devenir orthodoxes à part entière ? Or il est clair que s’ils doivent être catéchisés, ils doivent aussi être chrismés. D’où a surgi leur réputation d’orthodoxie, quand tant d’époques et tant de Pères et de docteurs les ont condamnés comme hérétiques ?
Qui les a si facilement rendus orthodoxes ? C’est l’or, si tu veux bien dire la vérité, et les pots de vin que tu as touchés ; ou plutôt, l’or ne les a pas rendus orthodoxes, mais toi, il t’a fait devenir semblable à eux et t’a donné ton lot parmi les hérétiques.

5 - « Mais si nous arrivions à mettre au point un moyen terme dans les dogmes, nous leur serions unis par ce dogme mitoyen, tout en restant fidèles à nous-mêmes, sans être forcés de rien dire de con¬traire à nos habitudes et à nos traditions ». Voilà la belle raison qui a trompé la plupart, depuis le début, et les a engagés à suivre des meneurs qui les ont entraînés au gouffre de l’impiété. Croyant qu’il existe un milieu entre deux opinions, comme c’est le cas pour certains contraires, ces déser¬teurs se sont jetés dans la gueule du loup.

Or, s’il est bien possible de trouver, entre deux opinions, une formulation moyenne qui les signifie également l’une et l’autre, par le jeu de l’équivo¬que, en revanche, entre deux opinions contra¬dictoires relatives au même objet, il ne saurait y avoir d’opinion moyenne ; sans quoi, il y aurait aussi un moyen terme entre le vrai et le faux, entre l’affirmation et la négation. Mais il n’en est rien ; en toute chose, l’alternative est exclu-sive : ou bien l’affirmation ou bien la négation. Si donc le dogme latin, qui dit que l’Esprit Saint procède aussi du Fils, est vrai, le nôtre est faux puisque nous disons qu’Il procède du Père seul – telle est bien la raison pour laquelle nous nous sommes séparés d’eux ; si le nôtre est vrai, le leur sera forcément faux. Quel milieu peut-il y avoir entre ces deux choses ?

Aucun ; sinon une formule ambivalente qui s’adapte aux deux opinions comme une cothurne qui va aussi bien au pied droit qu’au pied gauche. Et c’est une formule de ce genre qui nous unira ? Et que ferons-nous, quand nous en viendrons à l’examen mutuel du contenu de nos cro¬yances et de nos doctrines ? Ou si nous pouvons nous appeler les uns les autres orthodoxes quand nous pensons à l’opposé les uns des autres ? Pour moi, je ne crois pas ; à toi de voir, toi qui as l’art de tout embrouiller et de donner aux choses le nom qu’il te plaît. Veux-tu voir comment Gré¬goire le Théologien parle des formules moyennes ?

« C’était une figurine qui vous regarde de quelque côté que vous arriviez, une cothurne qui s’adapte aux deux pieds, un crible à tous vents , tirant son autorité de leur malice à interpréter l’Ecri¬ture et de l’artifice imaginé contre la vérité ; car cette formule de « semblable selon les Ecri¬tures » était un appât qui recouvrait l’hameçon de l’impiété » . Voilà pour le moyen terme qu’on avait inventé à l’époque. Du concile qui l’avait imaginé, il dit encore : « De quel nom appeler cette assemblée ? Tour de Babel, qui vit la juste confu¬sion des langues – plût au ciel qu’elles se fussent ainsi confondues, ces langues à l’unisson dans le mal ! – Sanhédrin de Caïphe, qui condamna le Christ ? D’un autre nom encore ? Cette assemblée a tout confondu et renversé : elle a aboli l’antique et sainte doctrine de la Trinité et l’égalité d’honneur qui est son partage, en dressant ses batteries contre le CONSUBSTANTIEL et en battant ce rempart en brèche ; bref, elle a ouvert la voie à l’impiété, par ce moyen terme entre ce qu’on dit et ce qui est écrit. Car « ils ont eu de la sagesse pour mal faire, mais ils n’ont point su faire le bien » .
Voilà qui nous suffira sur cette question du moyen terme : nous avons amplement démontré qu’il n’en existe absolument pas et qu’une telle recherche est impie et étrangère à l’Eglise.

6 - Mais quelle attitude adopter, demandera-t-on, à l’égard de ces Grécolatins mi-figue mi-raisin, qui, en bons amateurs des solutions moyennes, divisent en trois catégories les dogmes et les rites des Latins : ceux qu’ils approuvent ouvertement et sans réserve ; ceux qu’ils approuvent, mais sans les embrasser ; ceux qu’ils désapprouvent totalement ?

Fuyez-les ! Fuyez-les comme des serpents, comme des gens qui font commerce du Christ, au gros et au détail, ou pire encore. Car ils sont de ceux qui, selon le divin Apôtre, font de la piété une source de bénéfice et dont il dit encore « Fuis cette engeance » car ce n’est point pour s’instruire, mais pour se remplir les poches qu’ils sont passés à l’ennemi. « Or, qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? Quelle entente du Christ avec Bélial ? Ou quelle part, du fidèle avec l’in¬fidèle ? »

Car voici les faits : nous, avec saint Jean Damascène et tous les Pères sans exception, nous disons que l’Esprit ne procède pas du Fils ; eux, avec les Latins, disent que l’Esprit procède du Fils.

Et nous, avec le divin Denys, nous disons que le Père est la seule source de la Divinité sures¬sentielle ; eux, avec les Latins, disent que le Fils aussi est source du Saint Esprit, expulsant par conséquent ce dernier hors de la Divinité.

Nous, avec Grégoire le Théologien, nous distinguons le Père du Fils par la causalité ; eux, avec les Latins, les conjoignent par la causalité.

Nous, avec le vénérable Maxime, les Romains de son époque et les Pères occidentaux, nous ne faisons pas du Fils la cause de l’Esprit ; eux déclarent que le Fils est, selon les Grecs, « cause », selon les Latins « principe » de l’Esprit, dans leur Définition de Foire (il est juste de la décorer de cette appellation, puisqu’ils l’ont signée en foirant de peur).

Nous, avec Justin, philosophe et martyr, nous disons que l’Esprit sort du Père, comme le Fils sort du Père ; eux, avec les Latins, disent que le Fils sort immédiatement, mais l’Esprit médiatement du Père.

Nous, avec saint Jean Damascène et tous les Pères sans exception, nous confessons ignorer en quoi diffèrent génération et procession ; eux, avec Thomas et les Latins, disent que les deux provenan¬ces diffèrent par le médiat et l’immédiat.
Nous, nous disons, selon les Pères, que la volonté et l’énergie de la nature divine et incréée, sont incréées ; eux, avec les Latins et Thomas (d’Aquin), disent que la volonté est la même chose que l’essence, et que l’énergie divine est créée, même si elle reçoit le nom de divinité, de lumière divine et immaté¬rielle, d’Esprit Saint, et tous autres noms simi¬laires ; ainsi ils élèvent les créatures infirmes au rang de divinité créée, de lumière divine créée, d’Esprit Saint créé !

Nous affirmons que ni les saints ne jouissent déjà du Royaume qui leur a été préparé et des biens indicibles, ni les pécheurs ne sont déjà tombés dans la géhenne, mais que les uns comme les autres attendent leur lot respectif, qui appartient au temps d’après la Résurrection et le Jugement ; eux, avec les Latins, veulent que les uns jouissent déjà, aussitôt après la mort, de ce dont ils sont dignes ; pour ceux qui sont dans l’entre-deux, c’est-à-dire qui sont morts sans avoir achevé de faire pénitence, ils ont inventé un feu purgatoire, différent de celui de la géhenne, auquel ils con¬fient ces défunts afin, disent-ils, que leurs âmes une fois purifiées par ce feu, après la mort, ils trouvent eux aussi place dans le Royaume avec les justes ; doctrine qui a même été consignée dans leur Définition de Foi.

Nous, fidèles aux canons que les Apôtres ont fixés, nous abhorrons le pain azyme des Juifs ; eux déclarent dans la même Définition que le sacrifice que les Latins consacrent dans leur liturgie est le Corps du Christ.

Nous disons que le simple fait d’avoir ajouté quelque chose au symbole de la foi est illégitime, anti-canonique et anti-patristique ; eux le défi¬nissent comme un acte légitime et bien fondé ; tant ils savent s’accorder avec eux-mêmes et avec la vérité !

Nous considérons le pape comme un patriarche parmi les autres, et cela, bien sûr, s’il est orthodoxe ; eux le proclament fort pompeusement vicaire du Christ, et père et docteur de tous les chrétiens. Puissent-ils être plus heureux que leur père, s’ils lui ressemblent quant au reste ! Car lui joue de malchance et n’est pas heureux avec cet antipape qui le taraude sans cesse – et nos hommes n’ont pas envie d’imiter leur père et docteur !

7 - Fuyez-les donc, frères, eux et leur communion ; « ces hommes sont de faux apôtres, des artisans d’imposture, déguisés en apôtres du Christ. Rien d’étonnant du reste, car Satan lui-même se déguise en ange de lumière. Ce n’est donc pas merveille si ses serviteurs eux aussi prennent l’apparence de serviteurs de la justice, eux dont la fin sera selon les œuvres ».

Ailleurs, le même Apôtre dit encore d’eux : « De tels hommes ne servent pas Notre Seigneur Jésus Christ, mais leur propre ventre et par leurs belles paroles et leur langage doucereux, ils abusent les cœurs les plus simples ; mais le solide fondement de la foi tient bon, scellé de ce sceau » . Et ailleurs : « Prenez garde aux chiens, prenez garde aux mauvais ouvriers, prenez garde aux faux circoncis » .
Ailleurs encore : « Si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, quand même ce serait un ange descendu du ciel, qu’il soit anathème ! » .

Voyez la prophétie que renferme, cette parole : « quand même ce serait un ange descendu du ciel » afin que personne ne vienne vous objecter la pri¬mauté papale. Et le disciple bien-aimé : « Si quelqu’un vient à vous sans apporter cette doc¬trine, ne le recevez pas sous votre toit, ne lui dites pas bonjour ; car celui qui lui dit bonjour participe à ses œuvres mauvaises » .

Les saints Apôtres vous ayant fixé ces règles, tenez ferme et gardez les traditions écrites et non écrites que vous avez reçues, de peur que l’égarement des sans-lois ne vous séduise et ne vous fasse choir de votre propre constance.

Puisse le Dieu Tout-Puissant faire que ces hommes reconnaissent leur erreur et qu’il nous délivre de cette ivraie nuisible et nous rassemble dans ses greniers comme un froment pur et bon, dans le Christ Jésus Notre Seigneur ; à Lui convient toute gloire, honneur et adoration, avec son Père sans principe et son tout saint, bon et vivifiant Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen.

Oraison funèbre de Mgr Philarète de New-York.

ORAISON FUNEBRE DU METROPOLITE PHILARETE
Ecrite par Mgr Vitaly

Une importante page de l’Eglise Orthodoxe Russe hors-Frontière (ERHF) vient d’être tournée. Tout un chapi¬tre de son histoire a pris fin. La flamme de la vie de notre premier hiérarque s’est éteinte. Les lèvres sont closes, de celui qui prêchait au monde entier la confession pure, sans tache de la foi orthodoxe.

Quand la nouvelle de sa mort s’est répandue dans tout l’univers, le monde orthodoxe a été profondé¬ment ému, car la voix de la conscience de l’Eglise Orthodoxe venait de se taire. Les voies insondables de la volonté de Dieu ont voulu que notre Métropo¬lite conduise notre Eglise jusqu’au seuil même de l’Apocalypse, quand dans les ténèbres de plus en plus denses de nos vies, à l’horizon sombre et pourpre du temps sont apparus les éclairs funestes du commencement de la fin. Le Métropolite Philarète était comme un phare, et la lumière de sa parole de vérité déchiraient les ténèbres et la nuit qui, de tout côté, nous enveloppent toujours davantage ; mais son âme douce s’épuisait devant l’image des épreuves à venir. Ses souffrances spirituelles ont très vite atteint son corps déjà affaibli et il est arrivé ainsi à un épuisement total ; alors, dans sa grâce, le Seigneur, voyant les souffrances inté¬rieures de son serviteur, a envoyé l’ange qui, durant son sommeil, a rendu sa fin paisible et sans souffrances.

Et aujourd’hui, notre cher Métropolite Philarète, quand tu paraîtras devant le trône du Seigneur et que tu t’inclineras devant l’Unique Dieu adoré dans la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, prie-le aux côtés de tes glorieux prédécesseurs, le Métropolite Antoine et le Métropolite Anastase, pour l’Eglise russe martyre, pour tous ses fidèles sur la terre, qui sont comme un navire pris dans la tempête, malmené par les eaux et par les vents contraires des passions humaines ; prie le Seigneur afin que nous qui sommes restés dans la vallée des épreuves, nous puissions suivre la voie de l’Eglise du Christ et de ses fils fidèles, la voie qu’a tracée l’Apôtre des nations dans son épître aux Corinthiens, de manière si concise et si claire : « Dans l’honneur et le déshonneur, tantôt diffamés, tantôt considérés ; tenus pour imposteurs bien que véridiques ; pour obscurs quoique bien connus ; pour mourants et voilà que nous vivons ; pour gens que Dieu châtie et pourtant nous ne mourons pas ; pour tristes, nous qui sommes toujours dans la joie ; pour pauvres, nous qui enrichissons les autres ; pour dénués de tout, nous qui possédons tout ! » (2 Corinthiens 6, 8-10).

C’est cette voie que suivait notre Métropolite Philarète, c’est dans ces conditions que vit notre bon et fidèle clergé et toutes les brebis fidèles de notre Eglise.

Aide-nous, mon Dieu, à suivre jusqu’au bout cette voie glorieuse du témoignage afin d’entendre, nous aussi, la voix si douce de notre Sauveur : « Bon et fidèle serviteur, tu t’es montré fidèle dans peu de choses… Entre dans la joie de ton Seigneur » (Matthieu 25, 21). Amen.

mercredi 15 septembre 2010

VIE DE SAINT ZACHARIE.

VIE DU SAINT STARETS ZACHARIE




Auteur Anonyme du Ménologe russe.



Libre traduction de Presbytéra Anna.

Nouvelle édition revue et corrigée pour

les Editions Phos diffusées sur Internet.





***




Le 2 septembre 1850, au jour que l’Eglise célèbre l’éternelle mémoire de Mamas, le Saint Martyr, naissait dans la province russe de Kalonga, près de Moscou, celui dont la vie toute admirable et parfaite répandrait bientôt sur les âmes affligées, sublime et merveilleux, le Parfum d’une Fleur de Paradis, exhalant l’ Embaumante et Suave Senteur du Très Saint Esprit. A ce fils, qui était le dernier de leurs onze enfants, Dimitrievitc et Tatiana Miraevna, ses parents, de simples et pieuses gens du village, donnèrent le nom de Zacharie, le plaçant ainsi sous la Divine Protection de Saint Zacharie, Père du Vénérable Précurseur et Prodrome Saint Jean le Baptiste.




























I






PREMIERE PARTIE






ENFANCE




AUPRES




SA SAINTE MERE





























Tatiana Miraevna, mère de Zacharie, était une Ame Sainte, qui, devant Dieu, jouissait d’une grande Assurance. Aussi, abreuvait-elle son fils aux Purs et Saints Courants des Ondes de la Piété. Et lui, en retour, petit arbrisseau toujours assoiffé, ne pouvant assouvir de Dieu son grand Désir, une à une, buvait les paroles bénies tombées des lèvres de cette Mère Bienheureuse, Temple Vivant de Sagesse. Si bien qu’à force, tant à son exemple, par imprégnation appris, à vivre à ses côtés, y racinant, et germinant, que par ses Prières, de Croître en Esprit de Sainteté, il devenait grand Arbre, platane ombragé de la Grâce, dont l’épais feuillage, déjà, invitait sous sa ramée les fidèles, les appelant à goûter au réconfort qui raffermit les âmes. Car, à son fils encore tout enfant, Tatiana, cette paysanne trois fois bénie, avait enseigné la crainte de Dieu, l’amour des pauvres, et la compassion pour les malades. Plus tard, avec le temps, c’était, entre toutes ses vertus, à celle-ci surtout, à cette Compassion, lors devenue parfaite, que l’on reconnaissait le Starets. Mais telle enfance, marquée toute d’événements plus extraordinaires les uns que les autres, laissait à l’avance présager assez à quelle Vie Sainte et Sublime le Seigneur destinait Zacharie.

Il n’avait pas sept ans qu’il lui advenait à la dérobée de quitter déjà les siens. Alors, des jours entiers durant, il s’enfonçait dans les bois, l’esprit à la seule Prière appliqué. C’est ainsi qu’il grimpa quelque jour au faîte d’un sapin, où il demeura jusqu’à la nuit tombée, qu’il y passa par après tout entière en Prière. Lorsqu’au matin il eut faim, il descendit de son arbre, mangea quelques racines agrémentées de touffes d’herbes, puis, réescaladant son mât de forêt, regagna les hauteurs du ciel, où il reprit son poste de vigie. Cet exploit de moine stylite se continua plusieurs jours encore, ce pendant que son Coeur, tout empli d’un divin zèle, se dilatait à mesure d’une immense Joie Spirituelle.

Tatiana, elle, ce même temps, en proie au plus grand désarroi, avait couru demander les Prières, pour le retour de son fils disparu, au prêtre du village. Le Père Alexis, saint homme, au demeurant, et dont les saintes Prières accomplissaient des miracles, rasséréna la mère folle d’angoisse, lui prophétisant en outre que, plus tard, ce fils bien-aimé deviendrait Saint.


***


La Grâce en Tatiana continua de surabonder, jusqu’à ce qu’un jour elle sentît approcher sa fin. Faisant venir à elle tous ses enfants, elle les bénit, puis, se tournant vers l’une de ses filles : “ Matia”, lui dit-elle, “j’ai fait à tous mes adieux, hormis à Zacharie, mon fils bien-aimé, auquel je n’ai pu encore, en son absence, donner ma bénédiction. Mais je ne mourrai pas que je ne l’aie béni. Je m’en vais donc demander à Dieu un peu de temps encore...le temps que tu ailles à la ville, mon enfant aimée, lui porter la nouvelle que je m’en vais mourir, à Dieu retourner.” Peu de temps après, Zacharie, tout en larmes, arrivait. Sa mère alors, comme à l’avance l’ayant vu et su, par don de clairvoyance, se mit à lui prédire tout son avenir : Il lui faudrait passer par bien des épreuves - et, ici, parvenue à ce point de ses dires, elle les lui énuméra toutes; mais, à la fin, il deviendrait moine. Puis, lui remettant une icône de la Toute Sainte Mère de Dieu de Kazan : “ ...Ton Guide,” murmura-t-elle. Après quoi elle pria Zacharie de s’en retourner à la ville où l’attendait son ouvrage. Elle ne voulait pas même qu’il interrompît sa besogne le seul temps de son ensevelissement. Il lui suffisait, lui enjoignit-elle, se recommandant à ses Prières, que son fils, au loin, priât pour son âme. Son fils parti, Tatiana, se redressant à demi sur le lit, fit sur son oreiller le signe de la Croix, puis, se signant à son tour, rendit à Dieu son âme très sainte. Lors, sur l’instant même, quoiqu’à l’autre bout de la ville, Zacharie sentit s’exhaler, et l’envelopper tout, un céleste parfum, plus doux et plus suave qu’un encens de roses. “ Ah!” soupira-t-il, d’affliction profonde, “ ma mère s’est endormie.”

Et, longuement, en silence, il pleura.


Long temps par après, lorsque Zacharie fut devenu Staretz, il conta comment un jour il avait vu un démon.

“ Des Chrétiens”, avait-il lors demandé à cette abjecte apparition, “ en détenez-vous en Enfer ? ” “ Et comment! ”, avait rétorqué l’autre. “ Si nous en détenons? Mais, ton père même y était! Il y serait même encore si toutes ces aumônes et ces fichues prières que tu as faites pour son âme ne nous l’avaient arraché.” “ Et ma

mère? “ interrogea vivement le Staretz. “ Ah! ta mère!” fit l’autre grimaçant. “ Non. Ta mère n’est pas avec nous. Parce que, - tu le sais bien, du reste -, tout au long du chemin qui fut sien, elle a répandu du pain. Et nous, nous avons eu beau scruter, et regarder

au plus près, jamais nous ne sommes parvenus à la voir croiser notre route, ni ne réussîmes à la voir passer seulement aux abords de nos antres.”

Aussi entendait-on souvent le Staretz redire :

“ Celui qui, dans ses prières, fait mention de Tatiana et de Jean, mes parents, le Seigneur Soi-même se souviendra de lui.”





***

























II





SECONDE PARTIE




LA VIE



TOUTE MERVEILLEUSE




DU STARETS




















































Après que se fut endormie sa sainte mère, il fallut à Zacharie, tout ainsi qu’elle le lui avait prédit, traverser une longue suite d’épreuves et de tribulations, desquelles, toutefois, le Seigneur et la Mère de Dieu Toute Sainte et Bénie le venaient par Miracle sauver. Car il était inscrit dans le Plan de l’Economie Divine qu’il se pût bientôt libérer des derniers liens qui l’attachaient encore au monde, pour se consacrer tout entier à la vie monastique.

Zacharie, tout d’abord, sans être allé jamais à l’école, se rendit au Monastère de la Toute Sainte, sis à Tripotamos, sur les bords des Rives Blanches. C’est là qu’il songeait à entrer pour s’y faire novice. Puis, de là, lorsqu’il eut accédé au noviciat, il s’en fut visiter le tant célèbre Monastère d’Optina, peuplé de tant de saints moines et de très saints ermites, en leurs cabanes de bois s’adonnant à la Prière tant plus pure qu’élevée du sein de la solitude entière de l’Anachorèse. Lui y fut donné, par l’Intercession de la Mère de Dieu, ce dont il la suppliait, le hasard providentiel d’une rencontre opportune avec le très Saint Staretz Ambroise d’Optina, célèbre, bien au-delà ses murs, jusqu’au fin fonds de la sainte Russie, pour les Miracles qu’opéraient ses Prières de Feu. Le Saint, après qu’il lui eût à son tour, après sa mère dotée de la même prophétique Proorasis, prédit son avenir, bénit sa résolution de devenir Moine, sans se retourner seulement en arrière d’un regard statufiant vers le monde qui pétrifie. “Sais-tu”, murmura lors mystérieusement le saint Staretz Ambroise, “ qu’il est pour toi planté dans le Royaume des Cieux, un Haut Chêne Vert...”


Zacharie, le Coeur gonflé de chaud réconfort, s’en revint lors en son Monastère d’origine, sis aux Rives Blanches. Il n’avait guère alors qu’une vingtaine d’années.

Il lui fallut là passer par de grandes épreuves, plus lourdes, et plus douloureuses, à les vivre en sa chair, qu’il ne l’avait imaginé à se les entendre prédire. Par deux fois il fut gravement malade, un si long temps, que l’on crut chaque fois qu’était proche sa fin. Le Seigneur néanmoins le guérit, pour ce qu’il atteignît à sainteté plus haute. C’est ainsi que Zacharie, remis sur pied, put se rendre auprès d’un Saint Ascète du nom de Daniel, lequel vivait aux entours de Kalouga.


Il demeura chez lui plusieurs mois. Il était encore à vivre auprès du saint anachorète pour en précieusement recueillir les vénérables propos, décelant une Expérience Supérieure de Vie, clef d’Intelligibilité pour l’Ecole de Sainteté à laquelle s’était mis le jeune moine, lorsque, pour la troisième fois, il tomba gravement malade. Au bord de l’agonie, lors, il fit à Saint Serge de Radonège, Saint Patron Illuminateur de la Sainte Russie, cette douloureuse prière : “ Serge, Saint Serge, mon Père! Quoique j’eusse entendu qu’il se trouvait, à ton grand Monastère de la Trinité Saint Serge, de mauvais moines, je voudrais, quant à moi, qui suis le pire de tous, vivre auprès de toi, qui, de ta Sainte Présence habite encore ces murs qu’à Dieu tu as de tes mains érigés. Aussi, Père Saint, je t’en supplie, reçois-moi au nombre des Frères de ton Monastère.” Saint Serge, sur l’instant, entendit la Prière de Zacharie, et bientôt le guérit. C’est ainsi que Zacharie, après qu’il eût reçu de Daniel l’Hésychaste sa bénédiction, s’en partit pour le Monastère de la Trinité Saint Serge.


L’entrée de Zacharie au célèbre Monastère de la Trinité Saint Serge, où il allait vouer à Dieu sa Vie entière, ne s’accomplit pas, non plus que son enfance, sans qu’il s’y vît force miracles. Car, en effet, là comme ailleurs, aux temps probatoires, de Miraculeuses Manifestations de l’Intervention de Dieu, lesquelles étaient autant de Théophanies, venaient ponctuer l’Existence de Zacharie.


Avant toutefois que d’aller, au premier instant de son entrée, faire à l’Higoumène, humblement, sa métanie, il se rendit, non loin de là, à la Skyte du Saint Staretz Barnabé, auquel le Seigneur avait également octroyé le Don de Clairvoyance. Zacharie, qui avait grand soif de lui demander ses saints conseils, lesquels, lorsqu’il les aurait recueillis seraient à même d’éclairer sa vie entière, se trouva, le temps venu d’entrer, en présence d’une foule si dense, de pieuses gens qui, tous avec la même impatiente ardeur, attendaient de voir le Staretz, qu’il désespéra que pût jamais venir son tour.


Et il se tenait là, ne sachant que résoudre, ni que faire, lorsque se produisit quelque chose de tout-à-fait inattendu. Car voici que, comme à l’inopinée, le Père Barnabé, soudain sortant de sa cellule, s’adressa à la foule à sa porte amassée, clamant à la cantonade : “ S’il y a quelque Moine, ici, du Monastère,” cria-t-il d’une voix forte, “ qu’il entre sans attendre!” Tous alors de jeter les yeux partout autour d’eux; mais nulle part ne se décelait trace de moine. Alors, pour la seconde fois, d’une voix de stentor, plus fortement encore que précédemment, le Géronda tonna : “ Laissez passer le Moine du Monastère!” Et, au même instant il dirigea son regard sur Zacharie, qu’il y posa avec insistance. Puis, il s’en vint à lui, le prit par la main, et, sur un ton de chaleureuse tendresse, jaillie d’un Coeur qui en débordait : “ Allons”, lui dit-il, “ viens donc dans ma cellule!”. “ - Mais, ” répartit, interdit, Zacharie, “ je ne suis pas du Monastère! Je suis des Rives Blanches.” “ - Oui, oui, je sais bien,” rétorqua le Staretz. Jusqu’ici, tu étais de là-bas. Mais à compter de cet instant, c’est ici, parmi nous, que tu es destiné à vivre.”

Et, sur ces mots, il l’emmena à sa cellule. Là, lui ayant donné sa bénédiction : Demeure dans notre Monastère”, lui dit-il, “ et reviens par après ici me voir.” Zacharie, étonné, dans sa confusion bredouilla : “ Père!...Mais si les moines ne m’acceptent pas?” “Ils te recevront, ” l’assura le bon Staretz. Ces mots apaisèrent Zacharie. “ Allons,” poursuivait le Géronda, “ fais maintenant ton entrée à Saint Serge, car les trois Anciens du Monastère s’en tiennent à la porte, pour t’y attendre.” Zacharie, sans plus attendre, prit la bénédiction du Staretz, et, tout joyeux, s’en fut, glorifiant Dieu.

Il arrivait en vue de l’enceinte du Monastère, lorsque, de loin, il vit, en effet, l’Higoumène se tenir à l’entrée, l’attendant avec deux Anciens qui se tenaient à la porte auprès lui. Alors, Zacharie les suppliant de le bien vouloir agréer entre les Frères de la Synodie, eux, avec empressement, le reçurent; et leur bienveillance ne fit que s’accroître, lorsqu’il leur eut dit que c’était le Père Barnabé lui-même qui l’envoyait devers eux.



***


Zacharie, qui, avant que d’entrer au Monastère de la Sainte Trinité pour y être mis à l’obéissance, avait bien des fois déjà été durement éprouvé, le fut pour lors bien davantage encore, plus peut-être que ne le fut jamais novice, de par la permission de Dieu, qui éprouve l’Or fin au creuset, pour discerner du plomb vil l’or de l’âme qu’il fait croître en sainteté. Car il était dans l’Economie Divine qu’à Zacharie fût pleinement appliquée l’apocope du Livre des Proverbes : “ Comme au creuset sont éprouvés l’or et l’argent, ainsi, devant le Seigneur, le Coeur des élus.” ( Proverbes, 17-3).


A la suite des maladies par quoi il avait passé, et dont il devait garder les séquelles à vie, une tribulation nouvelle, d’une autre espèce, l’attendait au Monastère, lui ôtant le peu de santé, fort délabrée pourtant, qui lui restait encore.

D’entre les novices figurait un ivrogne, toujours hors de lui, et vomissant des propos orduriers. Ce Théodore, qui se disait moine, était, au plus vrai, pour ce qu’impénitent au fond demeuré sous l’habit, l’ancien forçat évadé qu’il avait été, qui, pour couvrir ses vices, escroqueries, et crimes, usait de la soutane comme d’une hypocrite couverture morale, et d’un masque social, destiné à lui acheter à bon compte quelque apparence notoire de respectabilité obligée. Or, un soir qu’il était plus ivre qu’à l’acoutumée, il se rua sur la cellule du bienheureux Zacharie, en brisa la porte et, tel un fou furieux, en caractériel pathologiquement atteint, se jeta sur lui. Puis, sauvagement, à coups de pieds et de poings, il le frappa, et le piétina, jusqu’à le laisser enfin demi-mort, les os brisés, les dents cassées, les oreilles et le nez arrachés, d’où giclait le sang, lequel coulait encore du ventre, où le criminel avait, en le fracassant, ouvert une béante plaie. Tant, que c’était miracle que le jeune Rassophore eût seulement réchappé des mains de l’abject assassin, et qu’il respirât encore, lorsqu’au matin, les moines l’eurent trouvé, laissé pour mort, en ce pitoyable état. Ils eurent beau, sur-le-champ, le transporter à l’infirmerie du Monastère, le pauvre novice, quinze jours durant, y demeura en état de mort apparente, comateux, et sans connaissance, luttant entre la Vie et la Mort, en grand danger de sa vie.


Lorsqu’ayant recouvré quelques forces, il fut un peu remis, sa santé était désormais si chancelante - irrémédiablement - qu’il eut crainte de mourir avant que d’avoir été revêtu de l’Habit du Schème Angélique des moines. Aussi alla-t-il, plus mort que vif, s’en ouvrir au Starets Barnabé, auprès duquel il s’était, à cet effet, rendu en visitation. Il lui dit ce qui le tourmentait : “ Père”, s’inquiétait-il, “ce moine m’a si grièvement blessé que je crains de mourir avant que d’avoir reçu le Grand Schème. Aussi, je t’en prie, revêts-moi du Grand Habit en secret, car nul ne parle encore, au Monastère, de me faire prononcer mes voeux définitifs de Moine Grand Schème.” La réponse de l’Ancien ne fut cependant pas celle qu’il attendait : “ Non,” lui répondit, en sa Clairvoyance, le Saint Géronda, “ non, ce n’est point dans le secret, mais bien à la vue de tous qu’il te faut devenir moine.” Puis il ajouta : “ Pour le médecin, il me semble inutile que tu y ailles. Tu n’as nul besoin, non plus, de médicaments, inefficaces au regard de la Prière des Saints qui te couvrent, du Seigneur Dieu et de la Toute Sainte. Si tu fais ainsi, tu Vivras, ayant supporté, longanime, cette épreuve que le Seigneur n’a permise que pour te rendre spirituellement plus fort. Ne lui demande donc rien autre que de te secourir en tes difficiles souffrances. Oui, fais ainsi, et je rendrai compte pour toi, devant Dieu, de ton âme. De la sorte, tu vivras près de cent ans. Mais si tu perds ton temps à courir les médecins, c’est dans la fleur de ton âge que tu mourras. Toutes choses adviendront, sache-le, comme elles le doivent, mais selon la seule Volonté du Seigneur Dieu. Pour toi, sache aussi que tu seras fait Diacre, Hiéromoine, et, pour finir, Père Spirituel et Confesseur des moines du Monastère.”


De la maladie la lourde croix n’était néanmoins point la seule qu’eût à porter le malheureux. Il lui fallait en sus faire face à un état de choses devenu, de si long temps invétéré, quasi désespéré. De ce désolant état de fait, les moines eux-mêmes étaient, pour la plupart, les fauteurs responsables. Depuis les premiers temps, en effet, de son arrivée, Zacharie était en butte à l’hostilité générale. Souvent même, c’était jusqu’à la haine de lui qu’allait leur aversion à son égard. Car ils ressentaient, en leur mauvaise conscience de tourmentés, pour outrage la sainte Vie que menait Zacharie, quant eux-mêmes s’adonnaient à leurs passions et à leurs vices, les uns assaillis de pensées mauvaises, les autres, pis que noceurs et flambeurs, ou ripailleurs, obsédés de lubricité, luxurieux contre nature, homosexuels, onanistes, ou pervers, les autres encore égoïstes, ou, par excès d’orgueil, exerçant sur autrui la tyrannie despotique de leur esprit de domination, ambitieux, opportunistes, sujets aux pires emportements et plus débridés débordements, hyperviolents, colères, lâches, couards, fainéants, indolents, joueurs, fourbes, hypocrites, machiavéliques, avaricieux, prodigues, escrocs, captateurs, ou bien en proie à cent autres vices et dévoiements sadiques, desquels ont contracté l’habituation, qui, telle une peau de Nessus leur colle à la peau, leur constituant une seconde nature, les âmes brutales. Aussi le persécutaient-ils, à longueur de temps, et par toutes voies de fait, des plus brutales aux plus pernicieuses, l’empêchant même, croyaient-ils, de prier, lui dérobant son chapelet, se jouant de lui, le raillant, l’assaillant d’invectives, l’accablant de leur pitoyable mépris, eux qui, naïvement, s’imaginant que leurs démons l’emportaient sur les anges qui le servaient, se croyant supérieurs, le traitaient en idiot hébété et ravi de village. Enfin, pour achever de délabrer sa santé, ils n’avaient de cesse qu’ils ne l’épuisassent à l’excès, le traitant en serf corvéable à merci, pressé de s’acquitter de mille services, ménages et diaconies, toujours plus accablantes, jusqu’à, songeaient-ils tout bas, ce que Mort s’en suivît.


Longtemps continua ce Martyre, ultérieurement même à son ordination au rang de Hiéromoine, ce qui est dire Prêtre monachal, pour ne cesser vraiment qu’avec l’éparpillement final des moines, lorsque les eurent tous expulsés les Kgbistes athées. Et le voici lors, du reste, demeuré seul, entre les murs du monastère désormais déserté, avant que vînt son tour d’être chassé de son lieu de Pénitence. Aussi longtemps, donc, pour le dire ainsi, et le redire ici, qu’ils étaient restés à ses côtés, exaspérés par sa seule présence, qui leur était un vivant reproche qu’ils ne pouvaient plus souffrir, de ce qu’il leur était odieux, ils n’avaient point, ni jamais cessé de le tourmenter par manière accoutumée de persécution, qui leur était devenue état et disposition de quasi naturelle habituation. Entre autres tourments qu’ils lui infligeaient avec prédilection, il suffisait qu’ils l’aperçussent de loin pour crier à pleins poumons : “ Au fou! Au fou! ”, espérant, dans leur folie propre qu’inversant les rôles de la victime et du bourreau, que ce fût lui que l’on prendrait pour un fou. Car ils rêvaient, ces possédés de tous les diables, eux, ces forcenés, de le faire, lui l’innocent, déporter, et enfermer au fin fond de la cellule d’isolement d’un asile d’aliénés, pour s’en mieux débarrasser, en sorte qu’ils ne l’eussent plus sous les yeux, tel un vivant reproche, dont s’accroissaient leur conscience mauvaise de tourmentés de leurs démons.


Mais, quoiqu’il en souffrît fort le terrible et très éprouvant Martyre, tout cela, bien considéré, ne troublait guère en son fonds Zacharie plus que de mesure, quel en son for intime savait, lui, l’Amoureux du Christ, qu’en Secret Lieu de son Coeur le consolaient le Christ et Ses Saints, et qui, pour finir, ne savait leur opposer que cet aveu de son continuel entretien avec Dieu : “ Mais, jusqu’au lieu de torture le plus enfermé de l’asile se trouve encore mon Seigneur! Si donc l’on me tue, - car l’on peut tout me faire, certes, - nul, néanmoins ne me pourra faire perdre ma Foi sans bornes en Christ. Faites comme il vous plaira; mais pour moi, non, jamais, au grand jamais, je ne pourrai ni apostasier ma Foi Orthodoxe, ni me joindre à vous en complicité pour accomplir ces oeuvres mauvaises que vous voudriez me voir faire comme vous. Car j’ai pour devoir inaliénable d’obéir à ma droite conscience, et de Vivre selon les Divins préceptes.”


Mais eux, qui n’entendaient rien à ses dires vécus de Spirituelle Expérience, pour ce qu’ils n’en possédaient la moindre, de poursuivre leurs persécutions incessantes : Un jour, les frères précipitaient Zacharie du haut de l’échelle, et lui, dans sa chute, grièvement se blessait. Un autre jour, ils renversaient malencontreusement sur lui, comme par mégarde, de l’eau bouillante, qui le marquait à vie. D’autres fois, ils le rouaient de coups, lui tapaient la tête contre les murs ou le jetaient à terre, pour qu’il s’allât heurter la face sur les souches d’arbres, jusqu’au traumatisme, et, lorsque le malheureux s’enquérait en pleurant pourquoi l’on le fracassait ainsi : “ C’est,” lui criaient ces sadiques, “ pour que tu cesses de faire l’innocent, à nous jouer les saints. Tu n’as qu’à vivre comme tout le monde, après tout. Qu’as-tu besoin de toujours te démarquer des autres, comme l’huile, en émulsion, qui en l’eau ne se mêle? Oui, cesse-donc ton jeu d’histrion, ou bien nous te frapperons encore. Et tu tâteras de nos coups, et du bâton de knout. Du reste, est-ce qu’on ne frappait pas toujours les bienheureux? Les saints n’ont-ils point été gens battus, et Sainte Pélagie la Pénitente, comme Sainte Xénie de Pétersbourg, et tant d’autres Folles En Christ, des femmes battues?”


Telle était l’effarante situation où le diable, à plaisir faisant durer son supplice, maintenait Zacharie, comme s’il eût pu par là, - escomptant qu’il en sombrât dans le découragement, puis, de là, dans le désespoir, pour finir suicidé,- le détourner, pour le moins, de mener la Vie Sainte, toute d’Amour, de Bonté, de Résignation, de Patience, et d’Abnégation, Vie selon l’Esprit de Sainteté, requérant Paix, Silence, et Concentration de l’esprit en Prière appliqué de Zélote qu’il était en son âme. Jusqu’à ce que sa situation de reclus enfermé sous les coups apparût dorénavant clairement à ce point effroyable au bienheureux Zacharie qu’elle lui devînt insoutenable. Et, parce qu’il était homme, il craignit de plier sous l’épreuve, et d’en venir à pécher en fuyant son lieu de Pénitence, au risque de renoncer, renier, et jusqu’apostasier sa Vie de Repentance. Appréhendant toutefois de prendre de sa propre autorité, qu’il jugeait inaccomplie, quelque résolution que ce fût, il s’en revint voir le Père Barnabé, son Père Spirituel, pour lui demander ses conseils. S’ouvrant à lui de l’excès de ses âpres souffrances, il lui demanda si l’Ancien bénissait son désir de quitter ce monastère, où il était en butte à tant de tourments dictés par la cruauté mentale des moines dénaturés, pour s’en aller en quête de quelque autre Monastère.

“ - Non, non,” fut la réponse du Géronda. “ Pour ce, je ne te donne pas ma bénédiction. Mais, au lieu même où t’a placé la Miséricorde Divine, c’est là aussi que tu seras Sauvé. Prends garde seulement de n’amasser nul argent, de rester sobre en t’abstenant de vin, et de ne point prendre de médicaments inutiles et nocifs.”


Aussi le bienheureux Zacharie demeura-t-il en son monastère. Et c’était avec un zèle accru que, dorénavant, il menait le Combat Spirituel. Semblable constance, au plus haut point admirable, ne tarda point, du reste, à porter ses fruits. L’authentique et réelle conversion de coeur de nombre des frères ne fut pas le moindre des effets de son irradiante Sainteté de Vie. C’était le même Zacharie, si long temps demeuré l’objet de toute leur haine, qui devenait désormais l’occasionnelle cause du Salut de leurs âmes qui, ce même si long temps aussi, s’étaient à l’envi vautrées dans l’abjection mentale de leurs esprits égarés. Ainsi était-ce par lui que leur fut donné d’avant leur fin se ressaisir, assez du moins pour faire devant Dieu sincère Repentance.


Au Monastère néanmoins, l’accès à la dignité d’higoumène d’un moine fort jeune encore ne fit que consommer davantage une décadence spirituelle dès longtemps en ce lieu saint entamée, dont elle avait infléchi, dévoyé, et corrompu le cours admirable de l’angélique vie, quelle antan s’y menait. Ce nouveau directeur des âmes, s’était, à l’instigation du Malin, pris pour le bienheureux d’une haine aussi peu croyable que déraisonnée. Multipliant à son égard les vexations, et humiliations, assortis des outrages les plus cinglants, il n’avait de cesse qu’il n’eût avant qu’il se fît long temps, exterminé Zacharie de la race des hommes. Si bien que, n’y pouvant plus tenir, Tobie incita bientôt le moine Anthime à tuer le saint. Trop heureux de recevoir la bénédiction pour commettre ce crime, Anthime, qui n’en était point à son premier forfait, et que cette envie de long temps en sus dévorait, vint donc requérir Zacharie de l’aider à soulever une armoire de beaucoup trop lourde pour lui, qu’ils auraient mission de porter en quelque autre lieu. Sans balancer un instant, le bon Zacharie, avec son zèle coutumier à bien faire, accepta. Mais, au moment précis où il l’avait, par calcul de préméditation, escompté, Anthime, tout exprès, lâcha sur lui l’armoire. Le meuble, alors, de tout son poids, s’abattit sur le malheureux, l’écrasant.


Lors même qu’il gisait ainsi, brisé, sous l’énorme poids décuplé par son lancer en chute, l’autre, se jetant sur lui, entreprit de l’achever sous les coups assénés, dont il le frappait sans merci. Mais la Providence fit qu’un pèlerin vint, par bonheur, à passer, juste assez à temps pour sauver d’une mort assurée le Serviteur du Christ, à l’imitation de Sa Longanimité. Dieu, toutefois, permit qu’Anthime, pour son châtiment, peu de temps après sombrât dans la folie, et qu’en ce pitoyable état, bientôt, il mourût.


Tandis que les unes aux autres se succédaient les épreuves, le bienheureux Zacharie, ne savait, en Ange de Patience, qu’implorer son Seigneur dans les larmes. Et il suppliait le Christ qu’il voulût bien éclairer le père Tobie, son higoumène, lui inspirant avant la fin un repentir sincère, pour que son âme ne fût point pour l’Eternité perdue.


Dieu, lors, voyant de Zacharie quel était son Amour, et sa Longanimité, ne demeura point sourd aux Prières que, pour l’infortuné Tobie, lui adressait son fils Aimé. Dès lors, l’incapacité caractérisée du jeune higoumène à diriger Spirituellement le Monastère, assortie des multiples scandales dont il était cause, remonta bientôt aux oreilles de ses supérieurs hiérarchiques et des plus hautes autorités ecclésiastiques, en sorte que, de par un oukhaze - décret - du Métropolite, il fut sans plus tarder destitué de ses fonctions et de sa dignité d’Higoumène de Monastère. Mais lui, déjà, de son côté, prenant les devants en vue d’éviter un scandale public, préféra se faire porter pâle. Invoquant le prétexte de maladie, il renonça de lui-même à sa charge avant que ne tombât l’oukhaze. Il ne put néanmoins pas demeurer au Monastère, tant était grande la haine qu’avaient contre lui conçue les moines.


Il ne s’écoula guère de temps depuis sa démission que le père Tobie commença d’éprouver du remords. Par deux fois déjà il était dans sa celle venu rendre visite à Zacharie, implorant avec larmes son pardon. Il s’était fait en lui un changement si profond qu’il se préoccupait même à présent du moment où l’on ferait prêtre l’Angélique Zacharie, dont il percevait maintenant qu’en lui Surabondait la Grâce. Il désirait voir hâter le jour de son ordination à la prêtrise, pour voir Hiéromoine ce même frère dont, naguère, higoumène, jamais il n’eût accepté de célébrer à l’autel la liturgie avec lui, qui faisait l’objet de toute sa haine. Quelque temps plus tard, le père Tobie, par les saintes Prières du bienheureux Zacharie fut, de par l’authenticité comme par la qualité de sa Pénitence, rendu digne de recevoir le Grand Schème Angélique, et de quitter justifié ce monde de Vanités.


Martyr, toutefois, Zacharie ne l’était pas du seul fait des moines. Car, pour si maladif qu’il fût, lui dont, d’avoir tant souffert, le corps semblait à tout moment devoir tomber en faiblesse, ne s’en épuisait pas moins encore d’une façon qui passe l’imagination. Longtemps, il avait assumé, harassante, la diaconie de boulanger, chaque jour pétrissant plus de deux mille pains et prosphores pour l’autel, et se laissant, à la fin, tomber, exténué, sur un banc du fournil, pour y dormir deux courtes heures de nuit.

Dans un autre temps, Zacharie s’était vu assigner la diaconie de “veilleur de reliques”, laquelle consistait à se tenir auprès de la châsse contenant les Reliques de Saint Serge, d’entre les restes de sa Sainte Dépouille en son Tombeau reposant. Et quelque jour qu’il se tenait là, debout, à quelque pas du saint reliquaire, voici qu’il vit s’approcher un jeune homme dont, comme à son insu, il entendit la requête proférée en murmure :

“ O Père Serge, mon ami, je voudrais tant t’imiter! Je t’en prie: Enseigne-moi à marcher sur tes pas.” Telle était lors la supplique de celui qui, plus tard, allait devenir le grand Saint Jean de Cronstadt, et dont Saint Serge, à cette heure, entendait la Supplique.


Zacharie était, par la suite, successivement passé par toutes les diaconies du Monastère, depuis le service du réfectoire jusqu’à la tâche de maître cirier, chargé de fournir en cierges cette église de laquelle, d’autres fois, il avait la charge de l’entretien, quand on ne l’employait pas, en place, ou en sus de cela, au ménage des cellules des Anciens. Si bien qu’à la veille de devenir Moine du petit habit, dit Petit Schème, ce n’était pas moins de vingt diaconies qu’avait assumées Zacharie, si lourde qu’en fût la charge. Pourtant, tandis qu’en diligent serviteur zélé de son Christ peinait ainsi Zacharie, s’acquittant de ses tâches avec un soin si minutieux, fruit d’une application qu’il eût été malaisé de jamais prendre en défaut, ainsi qu’il advient pour les âmes éprises de Celui auquel se voue leur travail de laborants appris à sourire dans la peine, par là méritant aux Cieux Rétribution d’Or, loin devant ceux qui, toujours rechignant à la peine, se condamnent à ne glaner que monnaie de cuivre, de plomb, de toc, ou néante, comme tel, avec une exemplaire abnégation, ne s’en attirant pour autant que davantage haine et jalousie de ses mauvais frères.


Notre Seigneur, pourtant, et Sa Toute Pure Mère, toujours auprès Lui Intercédant avec Feu, loin qu’ils détournassent leurs regards de toute cette peine qu’avec tel douloir pour eux prenait leur très Eprouvé Servant, loin aussi qu’ils dédaignassent ces luttes que pour eux encore soutenait âprement ce même brûlant Serviteur de leur Grâce, toujours le consolaient, par mille espèces de Spirituels Bienfaits, et diverses manières, temporelles tant que Spirituelles, et particuliers secours à tout instant sur lui dépêchés. C’est ainsi qu’outre les visions et les rêves accoutumés qu’ils épanchaient sur son sommeil de Grand Martyr, il fut jugé digne encore de quelque Apparition Divine et toute Surnaturelle, d’aussi merveilleuse sorte que celle dont le grand Saint Serge, Illuminateur de la Sainte Russie, avait, cinq siècles plus tôt, par Grâce, reçu la Faveur Divine. Soudain, de fait, vinrent à lui deux Mystérieux Pèlerins, cependant qu’il sentait son Coeur, tandis qu’il les accueillait en sa cellule, devenu tout Brûlant en lui d’un Feu si Ardent qu’il n’y put que reconnaître là l’effet tout particulier de la Grâce du Saint Esprit. Lors, ils lui Prophétisèrent le nom nouveau qui lui serait donné à l’heure de son monachisme (4), de surcroît lui révélant les événements majeurs dont sa vie à venir lui déroulerait le cours. Une seconde fois, tous deux ensemble, ils revinrent. Puis, la troisième fois, tandis que Zacharie se tenait en sa cellule avec un autre frère venu, de par une hasardeuse coïncidence ménagée par la Providence, le Visiter, en sorte qu’il y eût un témoin capable d’Attester le Prodige, le plus jeune, seul, apparut, à leurs yeux éblouis se Manifestant en l’Extraordinaire Irradiance d’une indicible Gloire.


***


Zacharie, cependant, avait, lors de son accession au Rasophorat des Novices, premier degré du Monachisme, reçu, outre son rasso, soutane des Moines, son Voile d’Ange, en même temps que le nom de Zosime. Un an plus tard, il devenait Moine Petit Schème. Tous, durant ce même temps, continuaient de mener contre lui leur impitoyable persécution, faisant preuve d’une cruauté mentale attestant de leur dépravation psychique, et de leur déchéance de l’état Spirituel de moines luttant à progresser sur la Voie de l’Angélification. C’est alors que, de façon toute inopinée, que nul n’escomptait plus, tant s’étaient à son encontre amoncelés les obstacles destinés à le désespérer en l’avancement de sa Vie Spirituelle, et pour ce que, ainsi que le révéla par après Zacharie, l’avait ainsi voulu la Reine des Cieux, il advint que fût enfin, des mains de l’Evêque Tryphon, ordonné Diacre et Prêtre le bienheureux. Ce dernier, le tenait, en revanche, quant à lui, en si particulière estime, qu’il n’hésita pas à lui confier la tâche de Père Spirituel.


De cette diaconie de Confesseur, le Bienheureux s’acquittait à la Perfection. Empreint de son intense Piété, sans hâte, accordant à chacun son temps sans compter, fort de sa coutumière Patience de Longanime, il écoutait résonner jusqu’au tréfonds de ses entrailles compatissantes la voix du pénitent qui avouait ses péchés. Puis, de son Amour infini des âmes souffrantes, il dispensait ses Conseils Spirituels émanés de l’Expérience vécue d’un Saint. A l’entendre dispenser ses douces exhortations, telles qu’en peut seule dispenser la Spirituelle Guidance d’une Ame Illuminée par Dieu, les autres âmes, qui venaient à lui pécheresses, fort blessées des traits aigus du Malin, trouvaient grand soulagement, consolation, et profit spirituel. Aussi voyait-on sa cellule devenue pour les pauvres chaleureux hospice de réconfort, dispensaire de mieux-être, comme asile de protection, et, pour les affligés, havre de consolation, refuge d’espoir, et site d’envol pour de nouveaux Cieux.



Les susdits mauvais moines, à l’excès travaillés du Diable et de toutes ses légions de maléfiques puissances, avaient désormais beau faire pour l’entraver dans sa tâche, ils ne purent dorénavant plus rien encontre le bienheureux, car la Mère de Dieu, laquelle de longue date était sur lui, assurant sa Sauve et Garde, et sa protection, de ce temps ne le quittait plus. Elle lui était du reste apparue en un rêve inspiré d’En Haut, le Bénissant pour qu’il accueillît le Peuple de Dieu Souffrant, quel Suppliait qu’on s’en vînt à le Réconforter avant que de l’Affermir.


Ainsi donc, le bienheureux Père Zosime, qui bientôt, pour la seconde fois s’allait voir attribuer le nom de Zacharie, qu’il recevrait avec le Grand Schème, avait également de Dieu reçu ce grand don charismatique du “ Startsevo”, comme d’En Haut désigné pour sa capabilité à assumer avec Intelligence Spirituelle cette si haute mission de “ Starets”, ou de “ Geronda”, qui ne revient ordinairement qu’aux Saints Anciens, qu’une Expérience Supérieure de la Vie Sainte a dotés, en sus des Charismes de l’Esprit, du doigté psychique nécessaire à la délicate menée des âmes trop humaines encore à l’âpre conduite sur l’ascensionnelle voie de l’Angélification. Tout comme eux, en vérité, quant à lui, semblable au vrai Starets qui ne s’apparente en rien au “directeur de conscience” ni au “confesseur” au sens sacramentel du terme, il était ce que certains désigneraient sous le terme confus et ambigu de “charismatique”, mais qui se nomme plus justement un “ Théophore”, au sens étymologique de “Porteur de Dieu”, lui qui, pour avoir reçu de l’Esprit Saint son charisme avait été jugé digne au Ciel de porter en lui Dieu. Tels sont nos vénérables Anciens, ceux qui, pour l’avoir à toute force Voulu, et s’être vus couronnés, non point d’apparence, mais, en Vérité, de l’Esprit de Sainteté, se sont dans l’efficiente effectivité du monde réel rendus très semblables au Christ, jusqu’à prendre toute entière Sa Sainte Ressemblance, - tels sont aussi nos Pasteurs et nos Bergers, auxquels il fallut, pour les guider aux Prairies de la Contemplation des Choses Divines, mener paître les âmes, après qu’ils eussent purifié la leur jusqu’au tréfonds de l’être, et parcourir jusqu’au bout la route qu’ils exhortent par après les autres d’emprunter, en connaissant assez tous les pièges, et tous les dangers pour en savoir indiquer aussi les traverses d’évitement d’iceux, - route au terme de laquelle s’acquiert au plus haut point le Discernement Spirituel des esprits, et de leur pathologie.


Et tandis que Zacharie se donnait tout entier de la sorte au Peuple de Dieu, les moines, eux, bien loin qu’ils perçussent se profiler l’approche du grand danger de vie qu’il encourait tout, dont déjà, sinistrement, menaçaient les premiers signes et avant-coureurs présages, lesquels passeraient avant peu par l’imposée fermeture définitive des portes de leur Monastère, de par l’arbitraire décret athée du régime encore neuf des communistes, mais déjà déviant devers le totalitarisme dictatorial, policier, et sanglant, qui ne tarderait point à abreuver de vingt Millions d’Ames Chrétiennes Orthodoxes Martyres les sillons de la terre russe, - quant à eux, ces moines, donc, pour la plupart indolents, négligents, dénués de toute Conscience Orthodoxe, et, qui pis est, dévoyés même et spirituellement totalement égarés, chaque jour davantage persistaient à s’enfoncer à l’aveugle dans leur endurcissement inentamable d’athéistes, leur indifférence d’agnostiques à oeillères, leurs chutes de malfaisants malcroyants, et leurs dévoiements pervers de possédés, maintenant l’entière communauté baigner toute en le profond climat d’une consternante décadence spirituelle.

A les voir vivre ainsi, le Père Zosime, amèrement pleurait. Tant s’en brisait son Coeur qu’il en pleurait de son corps toutes les larmes.

Or, un jour que tous se tenaient en l’église réunis pour y célébrer les fastes liturgiques de l’Office d’une grande Fête, il Vit soudain, franchissant, sur l’ambon devant l’autel, les Portes Royales, la Mère de Dieu, en Cortège suivie de quatre Grands Martyrs. Un peu de temps, elle était restée là, debout, posant ses Regards attentivement appuyés sur les Moines en l’Eglise assemblés. Puis, d’un geste désignant Zosime le Bien Heureux, et, avec lui, trois autres Frères de la Synodie, elle s’était affligée : “ Ah!” soupirait-Elle, “ des Moines ici, il s’en compte quatre, mais, en dehors d’eux, non, point, ni nul.” Puis, s’enfonçant en un recoin du sanctuaire, elle s’en était tout soudain retournée, comme elle s’en était venue. Et voici, déjà, qu’Elle avait disparu.



***

Puis, avait surgi la Révolution de 1917, et, avec elle, la victoire du parti révolutionnaire. Décrétant qu’il fermait les portes du Monastère, le nouveau régime athée, d’où sacrilège, en avait déjà fait par la police expulser tous les moines.


En ces lieux déserts et désolés de la Laure Saint Serge, qui, naguère encore, jouissait d’un renom paré d’un éclat sans pareil, ne restait plus que le seul Zosime, unique témoin demeuré d’une piété tant glorieuse, attendant que vînt son tour, et l’heure qu’il en fût chassé. Jusqu’à l’ultime instant, Zosime, le dernier de tous ses frères, mais En Gloire le premier devant Dieu, priait et pleurait, suppliant Saint Serge qu’il voulût bien à ses frères égarés leurs manquements pardonner, et d’en tout instant les secourir, à présent qu’ils étaient çà et là disséminés au détour hasardeux des logis de la ville, chez les Chrétiens vertueux qui les avaient, avec sollicitude recueillis et hébergés, pour s’en ériger, de par Dieu, en gage de Rémunération Divine, des Palais aux Cieux de Sainteté. Et il Priait avec Feu, suppliant le seigneur qu’Il fît quelque jour proche rouvrir les portes du Saint Monastère, en sorte de rendre aux moines et aux laïcs ce port de leur Salut. De fait, quelque temps après, - l’on était lors en 1945 -,le Monastère était rouvert aux Moines, et, jusqu’à ce jour d’aujourd’hui, le demeure.

Mais en ce jour de 1917 qui voyait avec désolation l’exil de l’ultime et dernier Moine de la Sainte Laure, le Saint Géronda quittait en Grand Souffrir ces parages aimés du Lieu de sa Pénitence, qu’il avait élus pour être ceux de sa Vie de Repentance. Ce fut donc de là qu’il rejoignit à Moscou la demeure de l’une de ses Filles Spirituelles, laquelle, avec empressement, lui offrait l’Hospitalité. Il y avait même, sise en la cour attenante à la maison, une petite chapelle où, de temps à autre, lui était permis de célébrer. De là rayonnant, sa renommée, bientôt, se répandit au loin. A Son Saint, qui pour Lui avait tant souffert, Dieu, pour prix de sa Longanime Patience, octroyait maintenant, et de façon fort Manifeste, telle qu’enfin, quelque jour, Vérité Patente Eclate au grand Jour, plus Claire que le soleil, les Charismes tout Excellents du Très Saint Esprit. Et, de tout part aux entours, et jusque des contrées les plus reculées des Orthodoxes provinces russes, le peuple Chrétien de Dieu s’en venait accourant chercher auprès lui la consolation de ses peines immenses, et quelque issue de salut à ses tribulations sans nom. Car la simple vue du Starets suffisait à les mener à la Conversion de vie, fût-elle la plus totale, parfois, et tous s’émerveillaient de le voir ainsi doté du rare charisme de pouvoir chasser les pires démons, esquels est ordinairement si lente, rude et difficile la Lutte Spirituelle encontre eux au corps à corps pour les exorciser des âmes possédées, en sus de quel Don Céleste il avait reçu cel aussi de Proorasis, lequel est prédiction des futurs à venir, de lire à livre ouvert aux coeurs de ses visitants et des éloignés, quel est Don de Diorasis, Don de Thaumaturgie, quel est d’opérer sur le champ d’incessants miracles, par Mystérieuse Efficience de sa Parole Priante ou de ses intérieures Suppliques aux Puissances Célestes esquelles continûment il se mouvait, jusqu’en l’avoir basculé son propre univers.


Le Saint, nonobstant, ce même temps, fondait comme la cire, usé de jeûnes et de veilles, et de ses maux miné.

Il lui fallait désormais, sur son corps exténué de tant d’Ascèses et mortifications, exercer grande violence pour seulement parvenir en l’effort harassant de pouvoir quotidiennement recevoir toute cette foule immense de fidèles, incessamment venant à lui. Et pour tant, lorsqu’étaient devant lui tous ces êtres désemparés, il se faisait pour eux le plus tendre père infiniment aimant qu’ils eussent jamais pu voir dans le monde, pour voler au secours de ses enfants oubliant quant à lui ses maux et souffrances au long cours endurées. Vers la fin, cependant, éprouvant plus intensément que jamais auparavant l’impérieux besoin de la paisible et silencieuse Hésychia (5), l’Ancien s’en fut se retirer en la solitude d’une campagne isolée, pour y goûter l’introublée Paix du Priant de Feu de manière ininterrompue s’entretenant seul à Seul avec Dieu. La nature y faisait ses délices. Il y faisait en forêt de longues promenades, pour y mieux à loisir, en ces clairières à l’air libre ouvert, élever à Dieu son Coeur qui brûlait tout.


Mais un nouveau Martyre encore l’attendait, venu la liste allonger, sur l’ardoise des Cieux, de tous ceux par quoi il lui avait fallu passer déjà. C’était la police étatique secrète à présent qui le poursuivait, par manière systématique et totale d’incessante persécution, sans répit le traquant, l’espionnant, faisant, sans crier gare, irruption chez lui, au prétexte de perquisitions toujours réitérées, chaque jour contre lui cherchant de nouveaux chefs d’accusation, dans l’attente de pouvoir l’arrêter enfin sur quelque motif plausible, quoi qu’ils en eussent long temps à son encontre en vain cherché, tant les excédaient qu’ils ne pussent plus tôt porter enfin le coup d’arrêt à ses “menées propagandistes troublant l’ordre public”. L’Apostolat inspiré du Saint, de fait, suscitait du Malin la furieuse rage. Lors qu’il était gravement malade déjà, et qu’approchait sa Dormition, la police de ces anti-Dieu fit encercler la demeure qui l’abritait, interdisant à quiconque d’approcher le Staretz.



C’est vers cette même époque, peu avant que le Seigneur ne rappelât son âme à Lui, le Père Zosime fit un ultime pèlerinage sur la terre de sous le Ciel. Il s’en fut jusqu’en la forêt de Sarov, pour y vénérer enfin les lieux bénis de sa présence où avait lutté le grand Saint Séraphim. Il y marcha jusqu’à la Fontaine miraculeuse bénie du Saint. Là, comme en une nouvelle piscine de Siloé, descendaient les malades et les infirmes. Et, comme au temps du Christ, là-bas, en Terre Sainte, par la Surnaturelle Efficience de la Prière du Saint, si grand devant Dieu de par sa vie d’ascèse et de supplication, ils y étaient guéris. Lorsque vint le tour de Zacharie, le Bien Heureux, un instant, hésita, à l’idée sensible encore d’un esprit bien humain, non délivré encore de son humaine nature, que son corps souffreteux ne pourrait endurer, sans que ce lui fût fatal, l’éprouvant contact de cette eau glacée, quoiqu’il n’ignorât pas que certains prêtres encore, non sans quelque reste de barbarie, baptisassent leurs ouailles au coeur des glaces de l’hiver russe. Alors, il eut un ineffable soupir, du fonds exhalé de son sein, et d’un ton suppliant murmura : “ Séraphim, mon Père! Incline du haut des cieux tes yeux qui furent fontaine, et regarde : Vois comme je suis, - tu le sais bien du reste, n’étant pas sans ignorer d’En Haut quoi que ce fût d’ici-bas - vieux, et malade. Aussi, je t’en Prie, je t’en Supplie, viens à mon aide, et me porte secours : Réchauffe un peu seulement cette eau! que j’y pusse entrer.” A peine eût-il achevé ces mots que le grand Saint de Dieu, pour lui, faisait son miracle : Le Staretz, entré dans la piscine, y ressentit aussitôt cette merveilleuse sensation d’une eau sur son corps se refermant, comme brûlante. De ce stupéfiant miracle de la Miséricorde Divine, et de Saint Séraphim, son si grand Thaumaturge, Zacharie, le Bien Heureux, fut si bouleversé, que, jamais, jusqu’à l’heure de sa Mort, il n’en put le souvenir oublier. Mais, sans cesse à la mémoire l’en représentant à nouveau, il rendait à Saint Séraphim de brûlantes Grâces, au sien proportionné, d’un Feu apparié, qui lui chauffait du corps tout le veineux intérieur.


***


Dieu avait à l’Ancien fait la Grâce de lui Révéler à l’avance le temps et l’heure auxquels il quitterait ce monde de Vanité. Lui, tenu couché par la maladie, jusqu’à la fin, néanmoins attendait avec Joie l’instant de quitter cette vie au sortir de ce monde. Surtout, il se consumait, dans l’anxieuse attente du grand Moment où il se devrait présenter enfin devant le Maître des Vivants et des Morts, son tant désiré Seigneur qu’il Lui avait de sa Vie voué chaque instant, comme dédié chacune de ses Ascèses et de ses Longanimes Souffrances. Aussi, le temps advenant qu’il fut à l’agonie, il se lisait à soi-même le saint Office des Agonisants, et, d’une voix éteinte, psalmodiait le Canon de la Résurrection.

Alors même, toutefois, qu’il était si près de mourir, un événement tout extraordinaire émut à ce point de Compassion notre Sauveur Tout Miséricordieux que le Starets, soudain, et tout inopinément, reprit Vie, laquelle lui fut, comme par un infléchissement destinal, prorogée de deux années en sus encore.


Car voici que, sur son lit de douleur, le Staretz, au-dedans de lui entendit une Voix lui dire que l’Evêque Tryphon, - celui même qui l’avait à la prêtrise ordonné -, se trouvait en grand besoin que, dans l’urgence, il l’assistât, quel, instamment, requérait qu’il le pût voir. Aussitôt, prenant son chapelet, Zacharie, devant son hôtesse stupéfaite, le posa sur son oreille, disant : “ Seigneur! Fais, je t’en supplie, que ce chapelet fasse usage de téléphone.” Et, sur-le-champ, enchaînant : “ Tryphon, mon ami!” s’exclama-t-il, “ viens vite à mon chevet! J’allais quitter ce monde, lorsque j’apprends que tu as besoin de moi. Oui, viens sans plus tarder, que nous puissions nous en entretenir ensemble.” Il ne se passa guère de temps alors que l’Evêque ne survînt dans la pièce de l’agonisant. Les deux amis s’embrassèrent avec effusion. Sa Grâce Monseigneur Tryphon forma des voeux pour la santé du Staretz. “ Que Dieu te prête Vie, Père Zosime! ” s’écria-t-il, cependant qu’il essuyait ses larmes. “ J’ai tant besoin de toi! Il faut, par tes Saintes Prières, que tu voles au Secours de mon âme lors que sera le Temps venu pour elle, au sortir de ce monde, de passer les Redoutables Péages du Ciel. Pour l’heure, je t’en prie, lève-toi, que je me puisse confesser à toi.” “ - Ah, mon Despote (7- ce qui est dire “Evêque”, selon l’étymologie du terme en langue grecque -) bien Aimé!” murmura, d’une voix épuisée, le Staretz exténué, “ vois! je ne puis seulement soulever la tête de dessus l’oreiller...Regarde”, insista-t-il dans un souffle, “ je n’ai pas la force... Je ne peux pas...” “ - “ Lève-toi!” s’écria lors le pieux Evêque, dont l’Expérience Supérieure savait le Surnaturel Puissance de l’Inébranlable Foi. “ Oui, lève-toi, Père! C’est l’Obéissance elle-même qui te le vient ici commander!” Lors, au prix de mille tentatives peineuses, le Starets se put redresser et lever, chancelant, puis parvenir à l’exploit d’à l’article de la Mort confesser son Fils Spirituel au bruit accouru de sa Mort, et dont la Foi sans faille le voulait à présent sur le fatal abîme retenir un peu, et, aidant à basculer, en place de lui, le destin, quelque temps encore en cette vie, pour ses Bienfaits Spirituels, et l’immense profit qu’il prodiguait aux âmes venues solliciter les infaillibles secours de sa miraculeuse Prière, à ses côtés le garder. Le Staretz entendit donc en confession les infimes péchés de son bien-aimé visiteur. Puis, de nouveau, il reposa sur sa couche son corps, d’exténuation brisé. Ce fut de son illustre ami Sa Béatitude l’Evêque Tryphon la dernière Visitation à son Très Saint Père Spirituel, plus Illustre encore devant Dieu et Ses Saints. De cet instant, son état ne fit qu’empirer davantage.


A cette vue plus alarmé, et tout bouleversé, Monseigneur Tryphon s’en repartit pour l’église de l’Ascension, sa paroisse épiscopale, à laquelle il s’était vu rattaché, lorsque les autorités ecclésiastiques la lui avaient conférée pour Métropole de l’Evêché. Lorsque, la liturgie s’achevant, il monta comme à son accoutumée sur le trône épiscopal, à la droite latérale sis de l’ambon, à l’extérieur de l’iconostase, pour y donner au Peuple sa prédication, ce fut pour y évoquer son ami très cher qu’il y prit la parole : “Frères”, implorait-il humblement, sollicitant la commune prière de toute l’Eglise assemblée, “ prions, je vous en supplie, pour le Staretz Zosime, quel est si fort malade. Et s’il en est parmi vous qui, d’aventure, ne le connaissent point, je m’en vais vous dire et conter quelle sorte d’Homme il est : Lorsque j’étais à Pétrograd, jeune Archimandrite alors, à la tête placé d’une Synodie de Moines, j’en étais venu, devant l’âpre réalité quotidienne de la lutte monastique, à tel point de désespoir, qu’il ne s’en fallait plus guère que d’un rien que je ne rompisse mes voeux monastiques pour retourner au dehors des saints murs de la clôture y mener une heureuse vie tant plus aise, qui fût selon le monde, et les joies faciles et vains plaisirs du monde. J’étais donc là à me trouver aux prises avec ce combat redoutable, avec quelle impitoyable brûlure à l’âme je tâchais, la gorge emplie de poisoneuse amertume, en vain me débattre, comme en tempête drossé, semi submergé déjà, et vaincu quasi de mes naturelles inclinations aux humains plaisirs, lorsqu’en cette épreuve sans phare apparaissant ni nulle disruption d’apaisante issue, l’on me suggéra d’aller voir un Saint Moine, lequel avait été depuis peu, me dit-on, de son Monastère de Saint Serge expulsé des Sans-Dieu par les forces de police gouvernementales, et dont les conseils Spirituels, des plus Illuminés qui se pussent rencontrer sur l’entière terre de Russie, me pourraient sans doute éclairer. Ce fut ainsi que j’allai, pour la première fois, rencontrer en sa cellule le Saint Père Zosime. Il ne consacra pas moins d’une nuit entière à scruter avec moi les replis de mon coeur pour y examiner par le menu détail les causes fatales d’un si grand abattement d’âme. Et voici qu’au matin, le plus mystérieusement du monde, mes pensées se trouvaient si changées que je n’y reconnaissais plus, harcelantes, les suggestions malignes de céder aux tentations de la veille. Si donc vous avez à présent devant vous, s’offrant à votre vue pour ce prêche, ce vieillard indigne nommé Tryphon, que l’on a fait accéder au rang de Métropolite, ce n’est à nul autre qu’au Bien Heureux Saint Père Zosime que vous en devez Gratitude.”


Tous alors s’agenouillèrent, et l’on fit, pour la santé du grand Staretz, en sus de la Prière des malades et des mourants, un long office d’intercession aux Puissances Célestes. Et le Seigneur, Tout Compatissant, entendit la fervente Supplique de son Peuple en Eglise en Prière agenouillé. Le Saint, au loin, dans sa cellule, au même instant, tout-à-coup recouvra ses forces. Et lorsqu’on vint lui dire que l’Evêque avait pour lui fait célébrer cet Office d’intercession qu’est la Paraclèse (9), il eut un mystérieux sourire : “ Oui ”, murmura-t-il, “ oui, je sais. C’est mon Tryphon, qui a fait ce miracle, Tryphon, mon cireux ami”. Il qualifiait ainsi le Métropolite, ayant su par avance que, comme la cire se fond bien vite à la flamme, Tryphon, lui aussi, quitterait cette vie avant qu’il ne fût long temps.


De fait, l’Archevêque, peu de temps après, tomba gravement malade, s’apprêtant, conformément à son souhait, à quitter cette vie avant le BienHeureux, en sorte que Zosime put, de son vivant même, prier pour son âme défunte. Aussi fût-ce au tour du Starets d’élever ardemment pour lui, d’un Coeur débordant tout d’un bouleversant Amour, vers Dieu sa Prière. Et lorsque s’endormit Tryphon, on le vit, transporté d’un Amour plus vibrant encore, supplier Dieu pour son âme. Et s’il advenait par après que l’un ou l’autre de ses Enfants Spirituels vînt jusque chez lui le voir, il ne manquait pas, chaque fois, d’indiquer son défunt ami Tryphon à la recommandation de leurs pieuses prières.


Quelque temps plus tard, l’on enterrait Son Eminence le Père Métropolite Tryphon. Ce fut un ensevelissement sans même une simple fleur, pour ce l’avait ainsi voulu Sa Béatitude, sans doute pour qu’il fallût dès lors mieux à chacun faire remémoration de ce célébrissime verset du Psalmiste David-Roi, tant sublime, en la simple expression de sa fraîcheur naïve, faisant, par effet de contraste, mieux ressortir encore la profondeur insondable de l’imparable Vérité de Vie qui y gît énoncée :

“ L’homme est comme la fleur des champs.

Qu’un souffle passe, et il est arraché.

Nul ne le connaît plus,

Et nul lieu de la terre ne garde plus mémoire

de ce qu’il fut.”



Mais en place de fleurs, tout aux entours de la tombe, se pressait la foule immense des fidèles, chacun tâchant à y dérober au public ses yeux que brouillaient les larmes. Et cette terre du cimetière qui recevait à présent, pour son repos dernier, le corps de Sa Grâce Monseigneur Tryphon, Métropolite de bienheureuse mémoire, serait la même, un peu plus tard, qui recevrait en son sein le Starets aussi, l’Ami Bien-Aimé, tant d’années, de toujours, et pour jamais si Cher à son Coeur.









***


Déjà pointait l’aube de l’été 1936. Elle advenait enfin l’heure où l’Ancien laisserait à jamais cette vallée de pleurs et de larmes qu’est l’éphémère séjour terrestre pour s’en aller goûter au repos En l’Eternel dans le Sein d’Abraham et des Anges. Mais ici encore, tout ainsi qu’il est rapporté aux Livres Synaxaires de notre Sainte Eglise Orthodoxe contant des Saints les Vies toutes Merveilleuses (10), quantité d’événements de caractère Surnaturel et Miraculeux, devaient signaler, comme les premiers en son enfance bénie de Dieu, les moments derniers de son existence terrestre.


Ce pendant, le Bienheureux Zacharie était désormais au plus mal, et l’instant n’était pas loin que le Seigneur, enfin, lui viendrait recueillir son Ame Sainte. C’est alors que lui rendit visite l’une de ses Filles Spirituelles. N’ayant le moins du monde conscience de l’état désespéré en lequel gisait le Staretz, elle le pria de se rendre chez elle. Lui, d’entre les pleurs qui mouillaient son visage, tâcha d’esquisser un sourire : “ Sois sans inquiétude,” lui dit-il, “ un peu de temps encore, et devant chez toi je passerai. Lors, à ton tour tu sortiras, pour m’accompagner à ma demeure.” Mais la jeune fille ne saisit point ce que lui donnait à entendre son Géronda. “ Qui m’avertira, mon Père,” répliqua-t-elle, inquiète, “ de ton passage devant chez moi, en sorte que je puisse sans tarder sortir pour t’ouvrir, courant au-devant de toi à cette fin de pouvoir implorer à nouveau ta bénédiction? Et qui donc, jusque chez moi, te mènera?” “- A cette heure-là”, répartit mystérieusement le Starets, tu comprendras. Dieu, t’en avertira. Oui, dans le secret du Coeur, ou par quelque autre biais dont useront les Voies de la Providence, faisant à cet office servir quelque personne interposée, ou quelque circonstance occasionnelle que ce fût, Dieu, sur la Prière de Ses Saints, avertit qui Il Veut de ce qu’Il lui sied savoir.” Quelques jours après, tandis que la jeune fille, chez elle, vaquait aux soins du ménage, les embaumantes effluves d’un Parfum tout Céleste emplirent soudainement la maison. L’on eût dit, à la sentir si suavement embaumer ainsi, que cette divine senteur s’exhalait de mille fleurs ensemble. Surprise, elle s’approcha de la fenêtre, se demandant d’où ce pouvait bien provenir. Or, juste au même moment, passait dans la rue un long cortège lentement escortant un funèbre convoi.

En hâte descendue, elle s’enquit quelle était la personne que l’on s’en allait inhumer ainsi. Il lui fut répondu que c’était là la sainte dépouille du grand Staretz Zacharie. Alors, elle se ressouvint des étranges paroles du Saint Géronda. Elle comprenait à présent que son Ancien ne l’avait point oubliée, et que c’était en guise de dernier adieu qu’il lui envoyait ce parfum tout admirable, tant merveilleux qu’elle n’en avait jamais, sur la terre, senti ni respiré

de pareil. Bouleversée jusqu’au tréfonds d’elle-même, elle joignit, le visage tout ruisselant de larmes, le cortège de ceux d’entre ses Enfants Spirituels, qui jusqu’à sa demeure dernière, avaient providentiellement pu accompagner son Bien-Aimé Saint Starets.


De fait, dans l’entretemps, après qu’elle se fut

une dernière fois rendu jusqu’en sa cellule, pour une ultime visitation à ce Vivant modèle et parangon de Sainteté, un très court

temps aussi après qu’il eût, dans le plus grand secret, conférée d’un Hiérarque héroïque de l’Eglise cachée, persécutée, et grande martyre des Catacombes, que trahissaient en sous-main les vendus au régime athée de l’église-vitrine officielle, reçu, avec le nom de Zacharie, le père du Baptiste, rendu, de stupeur, muet par les Anges, le Grand Habit du Saint Schème Angélique, d’une exigence si redoutablement Haute que bien peu se le voient conférer, de crainte de le souiller, avant que n’advînt le temps de mourir, le Saint Staretz s’était doucement et paisiblement endormi dans le Seigneur. Ce jour-là, quel était, selon le nouveau calendrier le second jour de juillet 1936, et, selon le décompte des jours de l’Ancien Calendrier, le 15 du même mois d’été. Or, ce jour était celui que la Sainte Eglise Orthodoxe en liesse célèbre la Déposition en la Basilique des Blachernes, de la Robe de la Toute Sainte. Le Bien Heureux Staretz s’en allait donc au cours d’une Fête de la Mère de Dieu, sa Reine, qu’il avait tant vénérée, pour en avoir, sa vie entière durant, été le fervent et fidèle Servant.


***


A la même époque, l’une de ses Filles Spirituelles, celle même à qui l’on doit le récit de cette vie toute merveilleuse du Bien Heureux, avait quitté Moscou pour la lointaine Poltava, en sorte d’y aller assister une malade alitée privée de secours. A peine y parvenait-elle, qu’elle reçut une lettre,

équelle elle apprenait que le très vénérable Staretz, l’Archimandrite, Père de sa Synodie de Moines, et Grand Schème Angélique Zacharie, tant aimé de tous, et plus cher encore au coeur de ses Enfants Spirituels, s’en était allé parmi les tentes célestes goûter à la Joie de la Vie de Gloire des Justes. La douleur de sa Fille fut pour lors indescriptible. Et elle n’en pleurait que davantage encore à l’idée qu’elle n’avait seulement pu, aux instants derniers de sa vie, se tenir aux côtés de son Père Saint. Telle était la disposition en laquelle se tenait son âme affligée, lorsqu’elle ouvrit au hasard le Psautier. Or voici que, tout soudain, comme si se fût d’elle-même ouverte la porte de sa chambre, y était mystérieusement entré le Staretz Zacharie, de ses ornements sacerdotaux revêtu, et de son étole aux épaules paré. Tout doucement, il s’approcha d’elle, et sur le sien posa son regard noyé d’un Amour où chantait une chaude tendresse. Elle, alors, oubliant là tout, et, sur l’instant, comme un fardeau inutile, déposant sa peine, se mit à contempler à son tour en silence le lumineux visage de son Père tant Aimé. Et tout autant qu’elle se sentait un coeur contrit et confondu par la Révélation d’une si manifeste Sainteté, elle était dans le même temps inondée, et son coeur s’en gonflait tout, d’une implosive Joie qu’elle n’eût su rapporter qu’à celle des Saintes Femmes Myrrhophores à la Nouvelle de la Survie d’entre les Morts du Ressuscité. “ Qu’est cela? ” lui dit-il alors; - et son ton de voix n’était pas sans marquer quelque réprobation -. “ Oui, pourquoi donc te lamenter, déplorer, et te tourmenter ainsi? Ne t’avais-je point enseigné ce qu’il fallait penser et faire de la tristesse? Ne te le rappelles-tu point? Chasse-là toujours au plus vite, te disais-je. Contrition n’est point désolation. C’est péché que tristesse. Allons! Viens çà que je t’en donne l’absolution.” Et, ce disant, il lui mit l’étole sur la tête, et lui lut la prière qui clôt la confession qu’il avait lue dans son coeur, sans qu’elle eût seulement besoin de s’y livrer. “ Vois, ” lui dit-il enfin, ne t’inquiète plus de ce que tu n’étais pas là, pour me dire, à mon chevet, le dernier adieu. Non, ce n’était en rien nécessaire, puisqu’ainsi que tu le peux à présent saisir, je suis bien toujours avec toi, me tenant à tes côtés pour, en chacune de tes pensées et de tes faits et gestes, t’assister de la Faveur Divine que j’implore pour toi...” Et, sur ces mots, il s’évanouit à sa vue.






***


























III







TROISIEME PARTIE







QUELQUES UNS D’ENTRE LES MIRACLES



DU BIENHEUREUX.
















D’entre les Miracles sans nombre qu’accomplit Zacharie, le Saint Starets Théophore, qui, très au vrai portait Dieu en son Coeur, il n’est ici, las, rapporté que quelques-uns, en nombre infime, relativement à tous ces autres qu’un livre n’eût point suffi à consigner tous, de ce que chacun l’implorant avec l’ardente Foi Droite des Chrétiens Orthodoxes, se put, se peut, et se pourra espérer voir de lui promptement secouru, tant est Efficiente la Grâce émanée de la Prière aux Puissances célestes d’un Saint de Dieu. Ceux ici rapportés n’en témoignent pas moins pour autant de l’immense assurance dont il jouissait devant son Sauveur, qui lui avait donné Puissance de l’Esprit, son Coadjuteur, jusque sur l’humaine nature, et sur les éléments mêmes qui le temps déterminent de la vie et l’heure de la Mort.

C’est ainsi qu’au temps qu’il demeurait encore au Monastère de Saint serge de Radonège, passant en ce lieu béni de Dieu et de son Saint Fondateur par bien d’éprouvantes tribulations constituant autant de formes et espèces d’une même Epreuve du Feu de Dieu, par quoi Il permettait que fût éprouvé pour Or fin celui auquel Il allait conférer l’Esprit de Sainteté, l’Higoumène l’envoya visiter le Père Agathon, quel menait l’Ascèse en un petit ermitage situé non loin de là. Le Père Zosime - c’était alors le nom du Bienheureux - crut bon de s’y rendre en coupant au plus court par quelque chemin de traverse. Il fallait pour ce faire passer par un lac pour lors gelé, car l’on était au coeur du tant rigoureux hiver russe. Se signant, pour que fût bénie sa traversée sur ce désert de glace, il commença d’avancer prudemment sur l’épaisse pellicule blanche. Mais celle-ci, tout soudain, se rompit, le laissant dangereusement enfoncer en une eau glaciale à transpercer les os. Lui, luttant à garder ses esprits, serra seulement plus fortement contre lui les saintes icônes qu’il portait toujours sur son coeur, et, toujours en Prière, y redoubla de ferveur. Et voici qu’il marchait sur les eaux!

“ Père Zosime !” s’écria stupéfait un diacre qui, de loin, avait vu le miracle, est-ce que, d’aventure, tu te mettrais à faire aussi des miracles?” “ Pardonne-moi! “ répondit humblement le Saint. Et, avec sa simplicité coutumière, il ajouta : “ Je croyais l’eau bien uniformément partout gelée, mais elle avait fondu par endroits. Ce pendant, parce que j’avais sur moi les vénérables icônes des Saints Zosime et Sabbas avec une prosphore au sceau marquée d’une empreinte de la Panaghia Toute Sainte (11)! Et voilà comment m’a sauvé mon Christ!


Le Starets avait également pour Fille Spirituelle

la “Baboula” de chez les Rescetnikov. Celle-ci vint un jour supplier l’Ancien de faire quelque chose pour son grand fils Paul. Toute en larmes, le coeur brisé, elle lui conta son drame : “ Père Saint!” clamait-elle, la voix entrecoupée de sanglots, “ il a chuté, et la chute est si grave qu’il en a subi un violent traumatisme. Las!

Il ne craint ni Dieu ni Diable, ne va point à l’église, catégoriquement s’y refusant. Il ne respecte point ses parents, qu’il invective, insulte, et agonit d’ordurières injures. Il fume, boit à s’enivrer, et gît dans l’abjection répugnante du fond du bourbier d’infecte luxure. J’ai beau m’efforcer de le rappeler à l’ordre, l’exhortant à se reprendre, et à se ressaisir, il n’écoute rien, et, me bousculant violemment, me repousse, en persiflant, et se gaussant de moi. Je n’en dors plus la nuit; mes yeux n’en tarissent plus de larmes. Et, pour couronner le tout, il va maintenant, en sus de tenir des propos dégoûtants et obscènes, jusqu’au péché de l’odieux blasphème.” Le Saint lui témoigna grand compassion. Elle, repartit consolée, emportant en son coeur ses tant précieuses exhortations spirituelles. Mais Paul, quant à lui, n’en continuait pas moins de mener sa vie dissipée de bâton de chaise. Sa mère se consumait de désespoir.

Le Starets, lui, inlassablement, réitérait ses prières au Seigneur et à la Toute Sainte, les suppliant d’inspirer à Paul un repentir sincère. Lors, à la fin, le Seigneur éclaira Son Saint, lui révélant que Paul ne pourrait être sauvé que si lui, Starets pour le Seigneur, fixait, quelque prochain jour, une date pour la Mort du jeune homme. Le Saint, de son côté, dont s’affligeaient de compassion les entrailles pour la douleur à venir de la malheureuse mère, s’affligeant à l’excès de ce que Dieu pût exiger de lui pareille abrahamique obéissance, supplia Dieu de lui indiquer quelque autre moyen plus clément de corriger le malheureux. Mais, du Ciel, la réponse au Coeur du Géronda, tout inexorablement, demeurait la même. Il dut donc se résoudre à révéler à la “Baboula” la nature de l’inflexible Volonté de Dieu. Elle, tout d’abord, n’en put rien accepter. Mais, lorsqu’après un temps, elle ne put que constater à quel point son fils ne faisait que s’enfoncer toujours davantage en sa vie de débauche, elle crut devoir se soumettre à cet insensé pari pour le Salut de celle âme perdue. Elle vint donc mander au Saint si lui avait d’En Haut été marqué quelque jour qui pût lui signifier la mort de Paul. Le Staretz lui indiqua que son départ de ce monde avait été, jour pour jour, fixé à l’année suivante.

Ce pendant, durant près d’un an encore, le jeune dévoyé, toujours obsédé de frasques et de débauches, persistait à se vautrer en la fange de ses péchés. Mais lorsqu’approcha le terme qu’avaient Dieu et Son Saint fixé pour sa vie, le typhus soudain, pandémique, se déclara, et, sans tarder, il en fut aussitôt atteint, de si grave forme qu’il dût sur-le-champ s’aliter. Lors, ce même Paul qui avait été si dur à redresser en ses voies, à présent se lénifiait, et l’on eût pu dire que s’attendrissait tant soit peu son coeur. Et voici que Paul, peu à peu, opérait de sa vie une conversion, jusqu’à ce qu’elle fût radicale, lorsqu’il saisit enfin qu’il se devait, pour être Sauvé, - sauver son âme, dont il avait, devant l’ultime défi de la Mort, appréhendé qu’il en eût une -, de prendre l’exact contrepied de ce qu’avait été toute sa vie de mauvais bougre, à tout instant offusquant Dieu, son Maître et Seigneur, en un mot, devenir tout autre. Et il comprit qu’il pouvait faire que son je fût un autre. Bientôt, il se confessa au Père aimant et tendre qu’était le Saint Starets, comme un enfant pleure dans les bras de son père, et il lui dit tout ce qu’il avait fait, commis, et perpétré. Et ce n’étaient plus ses yeux seulement qui pleuraient ses fautes, ses manquements, et ses crimes, mais son âme, qui se brisait en eau, déplorant qu’elle fût pécheresse, et regrettant, à mort, que ne lui fût point donnée la chance d’une existence seconde, pour de rien recommencer tout, et repartir sur les justes fondements qui lui eussent permis de reconstruire, et d’édifier une vie nouvelle, celle où son je eût été un autre.

Lors, implorant le pardon de tous, il s’en fut, décédant de ce monde, et passa, justifié, dans l’Eternité.

Sa mère, elle, s’en étant allée chez le Staretz lui annoncer que son fils s’était endormi l’âme en paix, l’y trouva

chantant le Trois Fois Saint Trisaghion (12) pour l’âme de son fils Paul, qu’il rendait ce jour à Dieu sauvée par un miracle de ses Prières, et dont il avait d’En Haut reçu la nouvelle de la dormition.

Une autre fois, comme le Staretz s’allait promenant dans les bois, escorté de quelques-uns d’entre ses enfants spirituels, il s’exclama tout soudain : “ Oh! Comme ce serait beau de trouver ici, dans ce sous-bois, des champignons blancs! Toutefois aujourd’hui, et sans que nous sachions pourquoi, il n’en est point un seul!...Mais enfin...Allons! Prions donc le Seigneur de nous en envoyer une belle douzaine, avec, au centre de leur lot en couronne, un plus gros, qui soit aussi le plus magnifique, en sorte que le tout pût manifestement symboliser à nos yeux Notre Sauveur parmi ses Douze Apôtres!” Il prononça cet étrange discours, d’allure quelque peu délirant, avec une vivacité, qui nous parut a posteriori comme l’effet aiguillonnant d’une subite Inspiration d’En Haut. Il avait parlé tout en marchant à pas pressés, transporté d’un Divin Enthousiasme. Ce faisant, ses paroles se muèrent en une Prière qu’il formulait maintenant tout haut. Comme son visage parut changé alors! Il semblait Irradié d’une Céleste Lumière. Moins d’une demi-heure plus tard, ses Enfants stupéfaits débouchaient, en quelque clairière, sur un énorme champignon blanc de toute beauté. Ils n’en avaient jamais vu de tel, ni, si peu que ce fût, d’approchant, en aucune sorte que ce pût être. Tout autour s’en pressaient, regroupés sous son ombelle, douze autres, plus petits, comme à son ombre protectrice.

Le Starets, comme si la chose eût été entendue, les regarda d’un oeil amusé, presque taquin, et, souriant : “ Pardonne-nous, Seigneur!” babilla-t-il, “ de ce que nous t’avons parlé comme de petits enfants dont Tu aimes et chéris les balbutiements. Mais voi ci que Toi, dont les Entrailles sont toutes de Compassion, Tu nous entends à cette heure, et nous consoles, avec des choses d’enfants même!”


***





Le Saint fut un jour convié dans un Monastère pour y participer à quelque office d’intercession que l’on adressait à Dieu en vue de mettre fin à une longue sécheresse, cérémonie cultuelle ce jour-là suivi d’une procession tout autour de l’église, chacun en cette litie tenant, qui, un cierge, qui, une icône, qui, une croix, qui, une bannière. Or, tandis que les fidèles processionnaient ainsi derrière le Patriarche, le Métropolite, les Evêques, Archimandrites, Moines, Moniales, Protoprêtres, Prêtres, Enfants de choeur, et autres initiés du clergé, solennellement, et en grande pompe réunis pour la circonstance, de gros nuages menaçants commencèrent de s’amonceler au-dessus de l’entière assemblée, si bien que tous, voyant sur leurs têtes ces prémices présageant l’orage si long temps pourtant en vain attendus, se laissaient à présent tenter par leur hâte d’écourter les prières de l’office, paraissant tout-à-coup interminable, et de disperser au plus tôt la procession, pour courir se mettre promptement à l’abri. Mais le Starets, d’un geste, les arrêta :

“ Non, non! ”, leur dit-il du ton assuré de quelqu’un qui savait :

“ Non. Finissons d’abord, et dès que nous aurons achevé l’office, oui, à peine en aurons-nous terminé qu’il pleuvra. Pas avant.”

La prière s’acheva donc, selon l’exacte canonique du rite officié en son intégralité. Puis, calmement, l’on regagna l’église. Alors, du milieu du narthex, le Saint éleva sa droite bénie vers la voûte mosaïque, d’où fixait, redoutable, le Regard du Christ Pantocrator, disant : “ Eh bien, soit! Tu peux tomber à présent!”. Au même instant s’abattirent du Ciel des trombes de pluie, à former des piscines en la terre.




***




















IV







QUATRIEME PARTIE







AUTRES BELLES FIGURES DE SAINTS








































Au temps que le Bienheureux demeurait au Monastère béni de Saint Georges, et nonobstant toute l’indigence spirituelle qui s’y faisait alors cruellement ressentir, l’on y comptait toutefois, outre la merveilleuse figure ci devant dépeinte de l’admirable Saint Père Zacharie, immense Staretz s’il en fut, d’autres grandes figures aussi, personnages guère moins admirables, pour rares qu’ils fussent, pour ce qu’ils avaient comme lui, quoique moins surabondamment, reçu l’Esprit de Sainteté, qui sur eux Effusait les Grâces Sureffluentes et Suréminentes de Ses Secours, de Ses Charismes, de Ses Dons, et de Ses Puissances, auxquels le Bienheureux puisait une Vivante Consolation.


D’entre ces êtres hautement Spirituels était le Hiéromoine Irénée, auquel Dieu fit la Grâce de lui révéler à l’avance le temps et l’heure de sa Mort. Aussi, lorsque c’en fut le moment, il alla, pour l’en aviser, trouver en sa cellule le Saint Staretz : “ Père Zosime”, lui souffla-t-il, “ mon très Bien Aimé Père, je suis venu me confesser à toi avant que de te devoir faire mes adieux. Car, demain, vois-tu, il me faut mourir. Oui, sitôt après l’heure de la communion aux Divins Mystères.” Il hocha la tête. “ C’est bien cela : En premier lieu, je communierai; en suite de quoi, je meurs...” Le Saint se récria. Mais le Père Irénée insistait : “ C’est la vérité que je dis. Je dois demain mourir. Mais toi, tout à l’inverse, tu vivras, en sorte d’être ce que tu seras : le Guide Spirituel des Egarés, et la Consolation des Pécheurs, des Affligés, des Pauvres, des Miséreux, et des Orphelins de la terre, et de tant d’autres encore, qui de ta Prière attendront tout, et que tu intercèdes pour eux, qui n’ont rien en ce monde, que Dieu, qui leur est tout. Car telle est ta vocation, celle à laquelle t’appelle la Toute Sainte Mère de Dieu, qui des Cieux est Reine.” Puis, sur ces mots, ayant encore fait devant Dieu la bouleversante confession des Ames pures, qui cherchent encore, dans les larmes, à en ôter la plus imperceptible tache, comme l’on ferait d’un grain poussière au tain moucheté du plus resplendissant miroir d’une galerie de glaces, le Père Irénée, ses larmes dans la barbe du Saint Moine, serra sur son Coeur l’Ami que lui avait Dieu Donné, et que, plus que soi-même, il chérissait.

Durant tout le temps de ces adieux, pourtant, pas même un instant le Père Zosime n’avait sérieusement cru que le lendemain verrait la dormition du bienheureux Irénée. Aussi, le matin suivant, lorsqu’il vint à passer devant la cellule de son vieil ami, il lança au novice qui le servait en sa celle, lui rendant office de Syncelle : “ Je t’en prie, frère! Salue pour moi le Père Irénée!” Alors le jeune frère soupira de douleur : “ Hélas! Comment le pourrais-je, frère? puisqu’il a quitté ce monde...Il a participé aux Divins Mystères, puis, tandis que j’allais préparer le thé, il a regagné sa cellule. A mon retour, il était allongé là, sur son lit, les bras en croix sur sa poitrine.”

Car, en Vérité, comme le Seigneur le lui avait manifesté, et très expressément à l’heure dite, le Père Irénée s’était endormi, laissant après lui ce monde de vanités.



***


Zosime, au Monastère, avait encore eu pour ami le Père Nicolas. C’était un ancien soldat qui, pour s’être en campagnes ruiné la santé, avait en suite de ce dû demeurer grabataire près de quarante ans durant. Comme il n’avait sur la terre nulle part où aller, ni nulle parenté digne assez de ce nom pour se soucier le moins du monde de lui, il avait été , par pitié, pris sous la protection du Monastère.

Là, parce qu’il avait, longanime, porté et supporté la Croix si lourde de ceux tant long temps tenus couchés par la maladie, et que, souffrant avec une infinie patience, il n’en avait pas moins persévéré dans la Prière en pleine et entière humilité, le Seigneur l’avait surabondamment consolé des charismes à lui octroyés de l’Esprit de Sainteté. C’est ainsi qu’il put, dix années

avant la Révolution de 1917, prophétiser que le Tsar Nicomas serait détrôné et chassé du pouvoir, le Monastère par la force armée fermé, et les Moines disséminés aux confins de la ville, et précairement relogés en hâte au hasard des logis de fidèles qui les voudraient bien recueillir dans leur terrible infortune. A son ami Zosime, le Père Nicolas prédit également tout ce qui lui adviendrait dans la suite de sa vie à venir.

Le Bienheureux Nicolas était de surcroît un Thaumaturge des plus extraordinaires. Ce fut lui qui guérit Maria, la soeur du Saint Staretz, qui, depuis plus de dix années déjà, était affligée de cécité. Voici comment : Après qu’il eut prié pour elle,

il lui fit sur les yeux une onction d’huile prise à la veilleuse qui brûlait devant les icônes de son iconostase, lequel occupait, comme chez les pieuses gens, tout un pan de mur dans un angle de sa pièce. Et, de fait, par un grand miracle des prières du saint homme, Maria recouvra la vue. Et ce fut en y voyant aussi clair qu’est plus claire que le soleil la Vérité, qu’elle vécut dorénavant en toute clarté les dix années qui lui demeuraient encore à vivre.


Un autre jour, le Bienheureux Nicolas se trouvait

avec le Staretz dans sa cellule, lorsqu’y survint un jeune visiteur

arborant fièrement une belle toque de zibeline. L’on vit alors, non sans surprise, le Père Nicolas, d’entrée, se jeter sur lui, pour la lui arracher de la tête. “ Je ne te la rendrai pas!” criait-il, furieux, “ parce qu’elle ne t’appartient pas. La tienne est encore dans le train où tu l’as laissée.” Et comme, pour finir, le jeune homme, feignant l’étonnement naïf de l’hypocrite menteur, pratiquant, en schyzophrène, le schyzoïde déni de sa réalité, quoiqu’il eût été surpris en flagrant délit de vol, demandait au Saint Père de lui donner les explications de cette violente sortie hors de soi, ignorant que c’était à ses démons qu’en avait le Saint, ce dernier, comme s’il en visionnait toute la scène, livra le fin mot de l’histoire : “ Il y avait,” répartit-il, “ sur une banquette étendu du train, un homme ronflant et lourdement assoupi, cuvant la boisson dont il était pris, pour s’en être la veille enivré; et, près de lui, posée, sa toque neuve.” “ - Oui”, poursuivit, les yeux baissés, le jeune homme confondu, “ je l’ai prise pour moi, et, tout en me l’appropriant, je plaçai en son lieu et place, pour la lui substituer, ma vieille toque usagée, laquelle me faisait honte. ”



Au Bienheureux Nicolas advenaient toutefois de bien plus étonnants prodiges encore. La nuit venaient les Anges Saints, divinement psalmodiant, lui porter les Saints Mystères, pour qu’il y pût communier, lorsqu’il ne pouvait se lever pour se rendre aux Vigiles des Agrypnies, ces longues Veilles de prières, qui s’officiaient l’entière nuit dans l’Eglise. Mais, pour ce qu’ils avaient revêtu l’aspect de Moines du Monastère, et que celui qui marchait en tête de leur Saint Cortège

avait pris la semblance et les traits de l’Higoumène qui en avait la direction spirituelle et confessait le Bienheureux, il ne saisissait point que c’était là quelque Visitation du Ciel. Et, plein de gratitude pour ses frères, il songeait à part lui : “ Oh! Quel Amour pour moi ont donc mes frères et mon Père Higoumène! Sans même attendre l’aurore, ils viennent de nuit soulager mes maux, mes douleurs, mes afflictions, et ma peine!” Et le Saint Père Nicolas qui, selon son Humilité ordinaire et son accoutumée Simplicité , regardait ce Céleste Prodige comme l’événement le plus banal qui lui pût advenir, long temps ne s’était à personne confié de ce miracle tout merveilleux.


Or, le Starets apprit quelque jour, de la bouche des Moines, que, depuis son entrée au Monastère, il y avait de cela bien des années, jamais le Hiéromoine n’avait communié.

Fort attristé de si déplorable nouvelle, le Père Zacharie s’en alla donc en sa cellule trouver le Moine malade, s’offrant à le confesser et à lui venir porter la communion. Mais le Bienheureux, déclinant son offre charitable, néanmoins l’en remercia, disant : “ Si tu savais quelle immense Joie il m’est donné d’éprouver lorsque, lors des grandes Fêtes de l’Eglise, l’Higoumène et les frères me la viennent en personne porter!” Et il lui découvrit, par le détail, les circonstances et le mode sur lequel, chaque fois, se faisait cette venue. Lors le Staretz, comprenant que le Frère lui faisait appréhender là, et comme tangiblement toucher du doigt, quelque grand Mystère, fut saisi de stupeur, et, de confusion, demeura muet. Il saisissait bien à présent que le Saint Père Nicolas recevait la Faveur Divine de Visitations du Ciel. Et ce n’est que lorsque fut endormi de son dernier sommeil le grand Moine aux Longanimes Souffrances, à l’Imitation de Son Christ, que le Starets Zacharie s’assura pleinement de l’existentielle effectivité du Miracle, vérifiant auprès des Moines du Monastère qu’ils n’étaient de fait jamais venus donner au Saint Père Nicolas, nuitamment, la Sainte Communion aux Divins Mystères du Christ.




***









































V





CINQUIEME PARTIE





LA VENERATION TOUTE PARTICULIERE




DU SAINT STARETS ZACHARIE




POUR LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU






























A notre Toute Sainte, la Mère de Dieu et Vierge, le Starets Zacharie, à l’instar de Saint Séraphim et de tous les Saints de notre Bienheureuse Orthodoxie, vouait une immense Vénération, à la mesure de l’Amour sans limites qu’il Lui portait.

Lui-même ne voyait du reste à son Enseignement Spirituel d’autre fin que de transmettre à ses Enfants En Christ, comme le legs le plus précieux de l’Héritage Ecclésial, un peu de son brûlant Amour pour la Vierge, sa Reine. Tel était, en effet, le fondement des préceptes qu’il leur léguait :

“ Ne commencez jamais rien”, leur disait-il, sans implorer la Bénédiction de la Mère de Dieu. Et, lorsque vous aurez achevé, de nouveau, rendez Grâce à la Reine des Cieux.”

“ Pour chacune chose que vous entreprenez, demandez d’abord Sa Bénédiction à la Reine du Ciel, et notre Seigneur, lors, vous élèvera sur le premier degré de l’Echelle de la Grâce que constitue et prodigue tout ensemble l’Ascension Spirituelle de vertu en Vertu. Or, ce premier degré en est la reconnaissance de vos péchés. Qui ne se voit point, ni son âme au miroir, ne se peut corriger, amender, ni adorner des Célestes Vertus”.

“ Je crois fermement, ” disait-il encore pour leur Edification Spirituelle, que si vous vous efforcez d’acquérir une pleine conscience de la perpétuelle Présence à vos côtés de notre Seigneur et de la Reine des Cieux, et que, tout en gardant à chaque instant ce sentiment fortement présent à l’esprit,

vous vous attachiez à n’accomplir rien que vous n’ayez préalablement demandé à la Mère de Dieu de vous couvrir par Ses Toutes Saintes Prières, et de vous bénir, vous et ce que vous vous apprêtez à entreprendre, alors vous recevrez d’En Haut le Charisme de la Prière Incessante qu’est la Prière du Coeur des Saints Hésychastes, et, avec lui, le désir de n’accomplir rien que ce qui Plaît à Dieu, et tout ce qui Lui est Agréable”.

“ En l’Ame de chacun des Siens se Réjouit le Christ, par l’Intercession de la Mère de Dieu Toute Sainte. Priez donc Sa Mère Toute Pure, et voici que vous serez sans cesse avec Elle auprès de Son Fils ”.




***


Le Saint Starets regardait encore un devoir très nécessaire que l’on veillât à toujours allumer les veilleuses brûlant devant les icônes de la Toute Sainte.

Et s’il advenait à quelqu’un qu’il tombât malade, il insistait pour que l’on fît sur lui le signe de la Croix, avec un peu d’huile prise à la veilleuse d’une Icône Miraculeuse de

la Mère de Dieu.

Enfin, il exhortait ses Enfants Spirituels à redire sans cesse la belle Prière de la Salutation Angélique de l’Archange Gabriel à la Pure Jeune Fille de Judée, que s’était Choisi Dieu pour Fiancée, et Mère de Son Fils, celle même Prière de la Fête de l’Annonciation, que Sauve et Garde en son Saint Patrimoine notre Sainte Eglise Orthodoxe :

“ Salut! Mère de Dieu et Vierge,

Marie Pleine de Grâce,

Le Seigneur Est Avec Toi! Tu es Bénie entre toutes les femmes,

Et le Fruit de Tes Entrailles est Béni,

Car Tu as Enfanté le Sauveur de nos âmes!”


Et rien ne le réjouissait comme de voir quelqu’un lire en son Office le Canon de la Toute Sainte, tel qu’elle était venue l’enseigner en personne à Saint Séraphim de Sarov, lequel consiste à redire cent cinquante fois le jour cette même prière de d’invocation : “ Salut! Mère de Dieu et Vierge...”




***




























VI





SON CHARISME DE CLAIRVOYANCE










































Comment le Charisme de Clairvoyance, au degré si élevé de clarté dans l’acribie et la précision où le possédait Zacharie, eût-il pu ne pas inspirer de respectueuse crainte à ceux qui, de son vivant, l’approchaient, comme à ceux mêmes qui, en ce jour, miraculeusement, lisent, en quelque Synaxaire d’Eglise, entre leurs mains tombé, tel que, par quelque non moins miraculeux effet ménagé par la Providence, il échoit à leur vue, le récit de la Vie Toute Merveilleuse du Saint Starets? Car, en effet, dans le Coeur si parfaitement purifié du Saint, était venue la Grâce Inhabiter de l’Esprit de Sainteté, sous son regard, élargissant, trop étréci par les hommes étriqués, d’individualiste égoïsme, d’oeillères aveuglés, le vaste horizon du monde à l’univers, abolissant toutes les étroites limites convenues d’espace et de temps, et conférant au Bienheureux Connaissance du passé et de l’à venir, comme aussi de ce qui, dans le même temps et au même instant, survenait en un autre lieu de l’espace sous le Ciel habité, comme aussi dans le coeur de celui qui, pour l’heure devant ses yeux, s’entretenait présentement avec lui.



C’est ainsi qu’un jour qu’il était à table avec ses Enfants Spirituels, on le vit se lever soudain, comme mû d’une Divine Inspiration, et s’exclamer avec transport : “ Ah! Ma Pélagie!...Comme elle se repent!...Comme elle me supplie de lui pardonner, et comme elle pleure avec contrition!...Allons, laissez-là cette table, et venez avec moi prier pour son âme!” Il marcha vers l’iconostase pour y lire une prière, puis, En Esprit, bénit Pélagie. Et comme ses Enfants lui demandaient où elle se pouvait trouver en cet instant, il leur répondit qu’elle était au loin, dans une province du Nord, mais qu’à son retour elle leur exposerait plus au large ce qui s’était passé en elle. Et, de fait, lorsque six mois plus tard, Pélagie revint, elle confia d’elle-même quel profond repentir avait été le sien, et avec quelles larmes elle avait imploré le pardon du Géronda, au jour et à l’heure précis où le Starets en avait eu la Révélation.


Une autre fois, comme s’allaient rendre chez le Starets deux femmes pour se confesser à lui, qui faisaient route ensemble, l’une d’elles, à tout instant, se remémorait et se représentait à l’esprit ses péchés, et son coeur était à la Pénitence, au point que, versant d’abondantes larmes, elle implorait du Seigneur Son Pardon; cependant que l’autre, personne fort superficielle, l’esprit occupé de rien autre que de fariboles, et mondaines futilités, ne faisait que songer à de frivoles vanités. Elle ne s’inquiétait donc, chemin faisant, que du vêtement qu’elle pouurrait bien acheter à sa fille pour compléter sa garde-robe, déjà pléthorique, au demeurant, des teintes dont elle l’assortirait pour réaliser aux entours quelque coordonné dans le vent, et mille autres bagatelles mêmement pitoyables. Or, parvenues à la cellule du Saint, à peine y étaient-elles entrées que, sans leur laisser le temps de lui faire le moindre aveu en guise de confession hâtive, il dit à la première, laquelle était pieuse femme : “ Agenouille-toi là, ma fille, que je lise sur ta tête, que tu gardes si humblement baissée, la prière d’absolution.” “ - Mais, Père Saint!...” se récria-t-elle, saisie d’un esprit de pieuse crainte, “ je ne me sui pas encore confessée à toi de mes fautes, ni de mes pensées...” “ - Cela n’est point nécessaire, ni n’est ici d’aucune utilité,” répondit le Staretz. “ Ne t’es-tu pas ce pendant déjà confessée au Seigneur?...Tout au long du chemin, tu t’es repentie. Je t’ai entendue...Oui, j’ai tout entendu...A présent, je te vais pouvoir donner l’absolution de tes manquements, et des pensées qui ont échappé à ta garde du coeur.

Et, demain, tu communieras.” Puis, se tournant vers la seconde : “ Allons”, lui dit-il; et son regard s’était fait sévère. “ Va donc faire tes emplettes; oui, va perdre ton temps à courir les magasins, puisque tu ne sais point d’autre sorte occuper un temps si précieux pour ce qu’éphémère. Arrête-toi devant mille babioles inutiles, et achète enfin ce tissu dont tu rêves pour ta fille...Regarde bien au coloris, surtout, et songe à étudier au plus près la dernière coupe à la mode, qui, demain, a toutes chances de changer encore. Et lorsque tu te seras véritablement repentie, reviens, et confesse-toi. Mais pas avant. Tu ne dirais rien de vrai, de sincère, ni de profond. Cela ne servirait de rien.”



***


Une vieille femme vint un jour, avec une parente à elle, toute jeune, et comme éclatante de santé, visiter le Starets. Tout-à-coup, néanmoins, le Saint se tournant vers la jeune fille, lui dit d’un ton d’une fermeté qui laissait sans réplique : “ Il faut, demain matin, que tu communies...Tout-à-l’heure, tu reviendras te confesser. Mais va d’abord serpiller et lustrer les marches de l’escalier. Si je te dis cela, bien qu’elles soient presque propres, c’est pour qu’à chacune des marches, tu te rappelles l’un de tes péchés, et que, pour chacun d’eux tu fasses la pénitence appropriée... Puis, lorsque tu auras fini, songe à la manière dont l’âme, à la fin de son temps sur terre, s’élève vers le Haut, pour ce devant au préalable passer les redoutables péages du Ciel, où lui seront, à chacun, demandé puis mis en examen les divers comptes relatifs à chacun des actes de sa vie sur terre.”

La jeune fille, trouvant bien l’injonction quelque peu étrange, s’en fut toutefois obéir à la volonté du Starets. La vieille parente, quant à elle, ignorant tout de la conduite de vie par quoi se peut acquérir l’humilité vraie, émit tout haut quelques réserves marquant sa réprobation devant l’imposition à une noble demoiselle d’un office aussi servile que dégradant, au motif qu’elle était ennuyée que sa protégée communiât sans s’être d’abord préparée par le jeûne. Mais le Saint se fit fort d’apaiser ses faux scrupules :“ Demain, ” lui dit-il, “ tu comprendras. Reviens après la Divine Liturgie. Nous en reparlerons, lors.” La jeune fille, ayant achevé son nettoyage des escaliers, s’en revint voir le Starets, pour se confesser à lui, et recevoir sa bénédiction. Puis, le jour suivant, elle communia, et, toute joyeuse, s’en retourna chez elle. Alors, comme elle s’était paisiblement assise sur une chaise, elle parut soudain s’endormir...Notre Seigneur avait de la sorte pris son âme, - tout ainsi, de la façon la plus simple et la plus tranquille qui se pût faire, doucement, à son insu, comme en son sommeil. A cette vue fatale, saisie d’une grand crainte, pour au tant respectueuse, la vieille duègne aussitôt courut chez le Saint, pour lui faire part de ce qui était advenu. Quelle ne fut point sa surprise, lorsqu’elle le trouva psalmodiant un Trisaghion ( 13) pour le repos de l’âme de sa jeune fille!...Et, lorsqu’il eut achevé de chanter son Trois fois Saint - Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabbaoth...- : “ Pourquoi t’être inquiétée?” lui dit-il. - Et sa voix rassurante marquait un calme rassérénant, quasi surnaturel -. “ J’ai su, tout simplement, que Notre Seigneur allait la prendre. Et c’est pour quoi je lui ai procuré la faculté de communier en Pénitente.”


***



Deux jeunes filles, étudiantes en Théologie, vinrent quelque jour trouver le Starets jusqu’en sa cellule, désireuses de l’interroger sur nombre de points épineux de doctrine dont elles se voyaient fort embarrassées, ne sachant le mode de leur résolution véritablement Théologique. Il en était même tant, qu’elles avaient dressé par écrit la liste de ces difficultés théologiques. La première de ces jeunes étudiantes s’apprêtait donc à lui soumettre un rébus de quinze questions, cependant que la seconde n’en avait pas moins de quarante à disposition en sa réserve de théologienne de banc d’université. Mais lorsque, parvenues en vue de la cellule du

Saint, elles s’avisèrent qu’il ne leur faudrait pas moins attendre que de longues heures, leur tour ne venant qu’ultérieurement à une grande foule de gens massés là depuis bien auparavant, et que le Starets verrait donc en priorité avant que ne fût échu leur tour enfin, elles ne purent s’empêcher de marquer leur déception, et de manifester leur impatience.

C’est alors que, se tournant vers elles, le Starets les pria de sortir un papier et un crayon, et, sans même qu’il eût pris le temps ni la peine d’en consulter le scolastique énoncé, de noter, dans l’ordre, la réponse de l’Esprit de Sainteté à chacune de leurs artificieuses questions d’érudits en chambre, spirituellement inexpérimentés quant à Ses divers Modes de Manifestations en l’existentielle effectivité de la Vie En Christ. Et elles s’émerveillaient à voir que, les reprenant en leur ordre, il détaillait par le menu l’exégétique explication et résolution En Esprit des litigieuses difficultés proposées, dont elles étaient, avant que de se voir à présent par lui éclairé, lequel avait reçu l’Esprit, qui Tout, Illumine désespérément demeurées si long temps perplexes.



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VII



SEPTIEME PARTIE





L’ACQUISITION DU SAINT ESPRIT,




ESPRIT DE SAINTETE


































Fidèle à l’Ecriture, comme à la Tradition des Saints Pères Hésychastes, - et plus particumièrement à l’enseignement de Saint Séraphim de Sarov qu’il tenait en immense vénération -, le Starets Zacharie redisait après lui, le proclamant à qui voulait l’Entendre, qu’il n’est d’autre but à la Vie Chrétienne que l’acquisition du Saint Esprit, en suite de quoi l’humaine Nature régénérée, Illuminée, et Fortifiée par la continuelle réception de l’Esprit, demeurant en Présence Inhabitant le Coeur des Saints, qui avaient lutté à devenir ses dignes réceptacles, vases fragiles devenus Forts de Sa Surefficiente Puissance, cette Nature Recréée donc de l’Homme Nouveau se pouvait acquitter enfin, en Vive Conscience, avec Intelligence Spirituelle, de toutes ces belles oeuvres bonnes que dicte l’Amour de Dieu rejailli sur les Frères.


La Sainte Tradition de l’Eglise Orthodoxe n’enseigne-t-elle pas, en toute Orthodoxie, que c’est au seul Nom du Christ, Fils du Dieu Vivant, Agissant En Esprit, qu’il nous faut pratiquer les Chrétiennes Vertus, et que se peut, par elles, acquérir le Très Saint Esprit? Car, c’est “ le Fruit de l’Esprit” qui mature le Coeur des Saints, enquel Fruit sont lovés tous les Divins Charismes attestant que ce pendant même qu’ils marchent en cette vie, ils se meuvent En Vérité en la Surnaturelle Sphère du Monde d’En Haut venu peupler le leur. Mais la fausse vertu, sèche et déchristianisée, des athées dits vertueux n’est que gangue creuse vidée de toute la Substance Vive de l’Esprit qui sans cesse, des flux ininterrompus de sa sève, nourrit, alimente, et croît ce fruit, jusqu’à le transplanter Arbre au Surnaturel Paradis venu, tout entour lui, se substituer tout au stérile terreau de son existence d’antan. Rien n’est la vertu prétendue des athées que liste obligée de devoirs et d’exercices imposés, de bonnes actions ponctuelles, sporadiques, médiocres, inefficientes, hypocrites, vantardes, et stériles, et moraline asphyxiante d’insupportable carcan, spoliée de toute Spirituelle Essence.

Pareille vertu de façade, laquelle est vertu sans Esprit, ressemble aux vierges folles, lesquelles étaient bien en possession de ces lampes que sont les vertus, mais auxquelles veilleuses faisait défaut l’huile pour les en alimenter en continu, lequel est le Saint Esprit Vivifiant, qui point ne cesse de faire Ses Emanations sourdre sur ceux auxquels Il octroie Ses Illuminatives Insufflations.

La Prière a, disait encore le Starets, et recèle beaucoup de Force, pour ce qu’est elle qui, plus qu’aucune autre vertu, nous confère le Saint Esprit. Et, sur ce point, le Starets se montrait très insistant, s’en allant répétant au long que c’était par l’entremise de cette Invocation de la Prière Hésychaste au Seigneur Jésus Christ, implorant humblement Pitié sur son âme, que se laissait attirer l’Esprit, lequel ensuite, descendant sur cette âme, plus ne la quittait, mais, sans cesse, spirituellement la fécondait, jusqu’à la faire, dès sa terrestre vie, comme en palimpseste de cette même vie sienne, entrer toute dans le Surnaturel. Aussi n’avait-il de cesse qu’il n’exhortât ses Enfants Spirituels à Prier toujours davantage, sans cesse répétant les mots de la Prière du Coeur, qui bat au Coeur des Hésychastes : “ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi, Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi...”, et d’ainsi, la redisant tout le jour, lutter avec Force pour obtenir d’en soi recevoir l’Esprit, lequel est Esprit de Sainteté. “ Quel homme

pourrait-il être dit Sage”, aimait-il à redire ensuite, “ hormis celui

qui possède le Saint Esprit?”





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VIII







SON ENSEIGNEMENT SUR LA PRIERE




























Le Starets Zacharie, peu à peu, était devenu tout Prière. Il n’était plus désormais en sa Vie un seul instant où il ne fût En Communion avec Dieu. De là, bien souvent, que ses Enfants Spirituels, lui demandaient de les enseigner sur les Secrets de la Prière. Quelle simplicité de Coeur, quelle profondeur de vues, aussi, émanait lors de ses exhortations et de ses conseils spirituels!

“ Mes Enfants!”, disait-il, “ tâchez d’acquérir l’Esprit de la Prière Incessante. Sans vous lasser, demandez-le à la Mère de Dieu qui, sans jamais dormir, veille en Prière pour nous!”


“ Sans Prière”, disait-il encore, “ l’homme ne vit pas; il ne respire pas, mais se dessèche, s’étrique, s’étiole, s’asphyxie, et, si même il n’en a plus ni point conscience, chaque instant davantage se meurt. ”


“ Prenez donc l’habitude de ne rien entreprendre, de ne rien commencer sans la Prière.”


“ La Prière est Mère d’Humilité. Et, sans Humilité, il n’est point de Salut.”


“ A chacune de vos mouvances, de vos paroles, pensées, faits, et gestes, tâchez à marier la Prière.”


“ Ne dites pas vos prières à la hâte, comme à la course, ou bien au pas de charge. La Prière est la santé de l’Ame comme elle est le profit du Coeur.”


“ Si même il nous incombe en société de tenir de mondains discours, il sied que, dans nos Coeurs, nous gardions la Prière.”


“ Il ne faut pas que la prière devienne mécanique, ni qu’on la dise à la manière impie, sans éprouver la crainte de Dieu, parce que cela constitue une offense à la Prière.”


Et ce qui faisait ainsi parler le Saint Géronda, c’est qu’un jour, dans sa cellule, il avait tremblé en voyant, debout devant les saintes icônes de son iconostase un démon. Sa figure était celle d’un grotesque, et il faisait mine de s’occuper à lire le Psautier, qu’il anônnait de façon incohérente et décousue. “ Que fais-tu donc là?”, gronda le Starets. “ Moi?” fit le démon, l’air de Rien. “ Je tourne la prière en dérision, par là m’exerçant au péché de blasphème qui vous fait tant horreur à vous, les Moines, et vous hérisse tout, jusqu’à vous faire exploser à notre encontre de colère et de rage. Oui, je viens te faire enrager!” Il eut un horrible rire sardonique, et disparut. C’est ainsi, toutes proportions gardées, qu’attentent à la dignité de la prière tous ceux qui la font à l’étourdie, lisant leur office de façon heurtée et décousue, sans garder fixée sur elle toute leur attention concentrée, ni ressentir en leur coeur la crainte de Dieu.”



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IX







AUTRES ENSEIGNEMENTS





























“ Il convient ”, disait-il encore, “ que chacun sache discerner les rêves, et, d’entre eux, ceux qui viennent de Dieu, lesquels, immanquablement, confèrent à l’âme Immense Joie puis, de là, rassérénante Paix, supérieurement ineffable. De tels rêves incitent le coeur au Repentir et à la Pénitence, chassent les pensées orgueilleuses, puis éveillent l’être à la lutte encontre le péché.”


“ Faites chaque jour l’aumône,” enjoignait-il. “ Le jour qui sans aumône passe est perdu pour l’âme et pour l’éternité. Nos aumônes, tout au contraire, apprêtent l’homme intérieur à recevoir la Grâce du Saint Esprit. “ Bienheureux les Miséricordieux, car ils obtiendront de Dieu Miséricorde.” Les aumônes ont devant Dieu tant de force que, jusque dans la gueule de l’Enfer, elles ont le pouvoir d’aller rechercher une âme. Car toujours devant le Trône du Seigneur se tient l’Ange de cette Vertu, décomptant bien haut à la Face de Dieu quelles, en ce Jour, ont été les aumônes, et quels les Aumôniers.”

A la porte de l’immense Saint Monastère de la Lavra des Grottes de Kiev en Ukraine, peuplées des cercueils de verre des grands Saints qui s’y sont endormis, ce jour offerts à la vénération des pieuses âmes qui, sous les basses veilleuses, en ces étroits tunnels blanchis de chaux, aux murs saturés de Saintes Prières, En Esprit proférées, les y viennent embrasser, Patriarches, Evêques, et Moines, qui y vécurent Reclus les plus difficiles Ascèses de ce monde, se tenait une mendiante folle En Christ.

“ Qui donne l’aumône”, disait-elle, “verra le monde tourner autour de sa Prière.”

“ Retenez toujours ce fait bien présent à l’esprit, que le Seigneur à chaque instant vous regarde, examinant tous vos actes, scrutant vos sentiments, comme pesant aussi chacune de vos pensées. Oui, tout ce que vous faites, accomplissez-le sous l’Oeil du Christ Tout Puissant, qui en tout instant vous Voit, comme, du haut du dôme basilical, coupolée, son Icône mosaïquée de Pantocrator”.


“ Il n’est point d’Ascèse plus Haute”, murmurait-il, “que de souffrir et supporter sans murmure tout ce qui, en cette vallée de larmes, nous peut advenir. Et celui qui, jusqu’à la fin, aura tout porté et supporté, celui-là sera Sauvé.”


“ Si, Longanime,” ajoutait-il, “tu sais, sans murmure, tel un Martyr, souffrir l’affliction, alors, en ce, tu rends au Christ Témoignage de ta Fidélité à Lui, et, silencieusement tu proclames à la face du monde et de tous ton Attachement à Ton Sauveur, Lui chantant, sur tous les tons de la Divine Psalmodie, ton Amour pour Lui, le Ressuscité des Morts, qui, tous, nous appelle à Ses côtés.”


“ Il sied que chacun ait pour premier de tous ses soucis et ses soins la pureté de son âme. Or, seule est pure l’âme qui, tout entière, a fait Don d’elle-même à Dieu. Mais avant que d’y atteindre, il convient au préalable que l’âme ni ne mente ni ne se livre à la malignité, s’y abandonnant jusqu’à rouler au fin fonds de l’abjection de l’Enfer, et que point non plus elle ne se désespère.”


“ A toute force, et de tout notre pouvoir, il nous faut, avec un saint et profond Amour, vouloir alléger le joug pesant d’autrui, et, davantage encore, celui des plus infortunés qui plus ne savent comment survivre à la tribulation sans fin de leur condition de misère. Et il nous faut aussi vouloir gagner à Dieu d’autres âmes

qui ne le connaissent point pour n’en avoir nullement été droitement enseigné. De fait, c’est de même manière aussi que nous sommes nous mêmes gagnés à Lui par notre Vie de Pénitence incessante. Car, c’est un Dieu d’Amour que notre Dieu.”


“ Nul ne possède le Charisme du Discernement des esprits, qu’il n’ait d’abord, en Hésychaste, reçu celui de la Prière Incessante du Coeur.”


“ De toutes vos forces, fuyez le péché, et, avec l’Aide et le Secours de la Reine des Cieux, combattez les forces ténébreuses du Mal. Alors, plus vous approcherez le Seigneur, plus

au-dedans de vous s’ouvriront les Yeux de l’Humilité, et plus finement vous appréhenderez à quoi peut l’état ressembler d’un profond Repentir, en sorte de vous y pouvoir perpétuellement tenir.

Et si, sans vous lasser jamais, toujours vous redites en esprit la Prière de Jésus, celle des Hésychastes, descendue en leur coeur :

“ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi pécheur”, vous approcherez plus vite, et vous tiendrez plus près encore de notre Christ, qui, par après, sans trop tarder, vous inspirera le Céleste et Divin Amour de tous vos frères sur la terre, fussent-ils même vos ennemis.”


“ Jamais, en aucun cas, ne laissez vous gouverner la tristesse, ni, d’aucune façon, établir sur vous son empire. Car, c’est là ce que veut le Diable. Sa stratégie est de décourager l’âme, pour la pousser au désespoir, et de là à la mort, en lui suggérant d’attenter à ses jours. Oui, le Diable veut la mort de l’homme, l’empêchant, par tous les moyens, de vivre à cette fin de faire pénitence, et de pouvoir faire son Salut. Le désespoir est le bourreau de nos âmes, en mettant à l’épreuve, puis à mort en nous

le Désir captant l’Energie Spirituelle, dont nous avons tant besoin pour recevoir en nos Coeurs le Saint Esprit. Trop abattu par l’affliction, l’homme perd toute aptitude à prier, et, privé de cette capacité, dénué de toute faculté de prière, son être est tout entier mort au Combat Spirituel que requiert d’abord la Vie En Christ, avant que ne pût la Grâce décerner aux vainqueurs les Trophées des Vertus, et la Surnaturelle Existence, menée sous les auspices de l’Esprit de Sainteté, qui jamais plus par après n’abandonne l’Ame.”


Et il lui advenait de clore l’entretien spirituel, au cours duquel il avait à ses Enfants imperceptiblement soufflé, comme par bribes, quelques-uns des Secrets sans Prix qui sont d’En Haut à Ses Saints Révélés par l’Esprit Illuminant ceux qui vouèrent à l’acquérir leur entière Vie En Christ, en psalmodiant ce verset (24-25) de l’Epître de Jude :

“ A Celui Seul qui nous Peut Préserver

De toute chute, et nous faire devant Sa Gloire

Paraître, irréprochables,

Et tout emplis de Divine Allégresse,

A Dieu notre Seigneur,

Par Jésus Christ notre Sauveur,

Soit la Gloire, la Majesté,

La Force, et la Puissance,

Dès avant tous les Temps,

Maintenant,

Et aux Siècles des siècles!







***



Par les Prières de notre Père Zacharie, Ton Saint,

Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie Pitié de nous!


Amin.



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VIE DU SAINT STARETS ZACHARIE




Auteur Anonyme du Ménologe russe.



Libre traduction de Presbytéra Anna.

Nouvelle édition revue et corrigée pour

les Editions Phos diffusées sur Internet.





***




Le 2 septembre 1850, au jour que l’Eglise célèbre l’éternelle mémoire de Mamas, le Saint Martyr, naissait dans la province russe de Kalonga, près de Moscou, celui dont la vie toute admirable et parfaite répandrait bientôt sur les âmes affligées, sublime et merveilleux, le Parfum d’une Fleur de Paradis, exhalant l’ Embaumante et Suave Senteur du Très Saint Esprit. A ce fils, qui était le dernier de leurs onze enfants, Dimitrievitc et Tatiana Miraevna, ses parents, de simples et pieuses gens du village, donnèrent le nom de Zacharie, le plaçant ainsi sous la Divine Protection de Saint Zacharie, Père du Vénérable Précurseur et Prodrome Saint Jean le Baptiste.




























I






PREMIERE PARTIE






ENFANCE




AUPRES




SA SAINTE MERE





























Tatiana Miraevna, mère de Zacharie, était une Ame Sainte, qui, devant Dieu, jouissait d’une grande Assurance. Aussi, abreuvait-elle son fils aux Purs et Saints Courants des Ondes de la Piété. Et lui, en retour, petit arbrisseau toujours assoiffé, ne pouvant assouvir de Dieu son grand Désir, une à une, buvait les paroles bénies tombées des lèvres de cette Mère Bienheureuse, Temple Vivant de Sagesse. Si bien qu’à force, tant à son exemple, par imprégnation appris, à vivre à ses côtés, y racinant, et germinant, que par ses Prières, de Croître en Esprit de Sainteté, il devenait grand Arbre, platane ombragé de la Grâce, dont l’épais feuillage, déjà, invitait sous sa ramée les fidèles, les appelant à goûter au réconfort qui raffermit les âmes. Car, à son fils encore tout enfant, Tatiana, cette paysanne trois fois bénie, avait enseigné la crainte de Dieu, l’amour des pauvres, et la compassion pour les malades. Plus tard, avec le temps, c’était, entre toutes ses vertus, à celle-ci surtout, à cette Compassion, lors devenue parfaite, que l’on reconnaissait le Starets. Mais telle enfance, marquée toute d’événements plus extraordinaires les uns que les autres, laissait à l’avance présager assez à quelle Vie Sainte et Sublime le Seigneur destinait Zacharie.

Il n’avait pas sept ans qu’il lui advenait à la dérobée de quitter déjà les siens. Alors, des jours entiers durant, il s’enfonçait dans les bois, l’esprit à la seule Prière appliqué. C’est ainsi qu’il grimpa quelque jour au faîte d’un sapin, où il demeura jusqu’à la nuit tombée, qu’il y passa par après tout entière en Prière. Lorsqu’au matin il eut faim, il descendit de son arbre, mangea quelques racines agrémentées de touffes d’herbes, puis, réescaladant son mât de forêt, regagna les hauteurs du ciel, où il reprit son poste de vigie. Cet exploit de moine stylite se continua plusieurs jours encore, ce pendant que son Coeur, tout empli d’un divin zèle, se dilatait à mesure d’une immense Joie Spirituelle.

Tatiana, elle, ce même temps, en proie au plus grand désarroi, avait couru demander les Prières, pour le retour de son fils disparu, au prêtre du village. Le Père Alexis, saint homme, au demeurant, et dont les saintes Prières accomplissaient des miracles, rasséréna la mère folle d’angoisse, lui prophétisant en outre que, plus tard, ce fils bien-aimé deviendrait Saint.


***


La Grâce en Tatiana continua de surabonder, jusqu’à ce qu’un jour elle sentît approcher sa fin. Faisant venir à elle tous ses enfants, elle les bénit, puis, se tournant vers l’une de ses filles : “ Matia”, lui dit-elle, “j’ai fait à tous mes adieux, hormis à Zacharie, mon fils bien-aimé, auquel je n’ai pu encore, en son absence, donner ma bénédiction. Mais je ne mourrai pas que je ne l’aie béni. Je m’en vais donc demander à Dieu un peu de temps encore...le temps que tu ailles à la ville, mon enfant aimée, lui porter la nouvelle que je m’en vais mourir, à Dieu retourner.” Peu de temps après, Zacharie, tout en larmes, arrivait. Sa mère alors, comme à l’avance l’ayant vu et su, par don de clairvoyance, se mit à lui prédire tout son avenir : Il lui faudrait passer par bien des épreuves - et, ici, parvenue à ce point de ses dires, elle les lui énuméra toutes; mais, à la fin, il deviendrait moine. Puis, lui remettant une icône de la Toute Sainte Mère de Dieu de Kazan : “ ...Ton Guide,” murmura-t-elle. Après quoi elle pria Zacharie de s’en retourner à la ville où l’attendait son ouvrage. Elle ne voulait pas même qu’il interrompît sa besogne le seul temps de son ensevelissement. Il lui suffisait, lui enjoignit-elle, se recommandant à ses Prières, que son fils, au loin, priât pour son âme. Son fils parti, Tatiana, se redressant à demi sur le lit, fit sur son oreiller le signe de la Croix, puis, se signant à son tour, rendit à Dieu son âme très sainte. Lors, sur l’instant même, quoiqu’à l’autre bout de la ville, Zacharie sentit s’exhaler, et l’envelopper tout, un céleste parfum, plus doux et plus suave qu’un encens de roses. “ Ah!” soupira-t-il, d’affliction profonde, “ ma mère s’est endormie.”

Et, longuement, en silence, il pleura.


Long temps par après, lorsque Zacharie fut devenu Staretz, il conta comment un jour il avait vu un démon.

“ Des Chrétiens”, avait-il lors demandé à cette abjecte apparition, “ en détenez-vous en Enfer ? ” “ Et comment! ”, avait rétorqué l’autre. “ Si nous en détenons? Mais, ton père même y était! Il y serait même encore si toutes ces aumônes et ces fichues prières que tu as faites pour son âme ne nous l’avaient arraché.” “ Et ma

mère? “ interrogea vivement le Staretz. “ Ah! ta mère!” fit l’autre grimaçant. “ Non. Ta mère n’est pas avec nous. Parce que, - tu le sais bien, du reste -, tout au long du chemin qui fut sien, elle a répandu du pain. Et nous, nous avons eu beau scruter, et regarder

au plus près, jamais nous ne sommes parvenus à la voir croiser notre route, ni ne réussîmes à la voir passer seulement aux abords de nos antres.”

Aussi entendait-on souvent le Staretz redire :

“ Celui qui, dans ses prières, fait mention de Tatiana et de Jean, mes parents, le Seigneur Soi-même se souviendra de lui.”





***

























II





SECONDE PARTIE




LA VIE



TOUTE MERVEILLEUSE




DU STARETS




















































Après que se fut endormie sa sainte mère, il fallut à Zacharie, tout ainsi qu’elle le lui avait prédit, traverser une longue suite d’épreuves et de tribulations, desquelles, toutefois, le Seigneur et la Mère de Dieu Toute Sainte et Bénie le venaient par Miracle sauver. Car il était inscrit dans le Plan de l’Economie Divine qu’il se pût bientôt libérer des derniers liens qui l’attachaient encore au monde, pour se consacrer tout entier à la vie monastique.

Zacharie, tout d’abord, sans être allé jamais à l’école, se rendit au Monastère de la Toute Sainte, sis à Tripotamos, sur les bords des Rives Blanches. C’est là qu’il songeait à entrer pour s’y faire novice. Puis, de là, lorsqu’il eut accédé au noviciat, il s’en fut visiter le tant célèbre Monastère d’Optina, peuplé de tant de saints moines et de très saints ermites, en leurs cabanes de bois s’adonnant à la Prière tant plus pure qu’élevée du sein de la solitude entière de l’Anachorèse. Lui y fut donné, par l’Intercession de la Mère de Dieu, ce dont il la suppliait, le hasard providentiel d’une rencontre opportune avec le très Saint Staretz Ambroise d’Optina, célèbre, bien au-delà ses murs, jusqu’au fin fonds de la sainte Russie, pour les Miracles qu’opéraient ses Prières de Feu. Le Saint, après qu’il lui eût à son tour, après sa mère dotée de la même prophétique Proorasis, prédit son avenir, bénit sa résolution de devenir Moine, sans se retourner seulement en arrière d’un regard statufiant vers le monde qui pétrifie. “Sais-tu”, murmura lors mystérieusement le saint Staretz Ambroise, “ qu’il est pour toi planté dans le Royaume des Cieux, un Haut Chêne Vert...”


Zacharie, le Coeur gonflé de chaud réconfort, s’en revint lors en son Monastère d’origine, sis aux Rives Blanches. Il n’avait guère alors qu’une vingtaine d’années.

Il lui fallut là passer par de grandes épreuves, plus lourdes, et plus douloureuses, à les vivre en sa chair, qu’il ne l’avait imaginé à se les entendre prédire. Par deux fois il fut gravement malade, un si long temps, que l’on crut chaque fois qu’était proche sa fin. Le Seigneur néanmoins le guérit, pour ce qu’il atteignît à sainteté plus haute. C’est ainsi que Zacharie, remis sur pied, put se rendre auprès d’un Saint Ascète du nom de Daniel, lequel vivait aux entours de Kalouga.


Il demeura chez lui plusieurs mois. Il était encore à vivre auprès du saint anachorète pour en précieusement recueillir les vénérables propos, décelant une Expérience Supérieure de Vie, clef d’Intelligibilité pour l’Ecole de Sainteté à laquelle s’était mis le jeune moine, lorsque, pour la troisième fois, il tomba gravement malade. Au bord de l’agonie, lors, il fit à Saint Serge de Radonège, Saint Patron Illuminateur de la Sainte Russie, cette douloureuse prière : “ Serge, Saint Serge, mon Père! Quoique j’eusse entendu qu’il se trouvait, à ton grand Monastère de la Trinité Saint Serge, de mauvais moines, je voudrais, quant à moi, qui suis le pire de tous, vivre auprès de toi, qui, de ta Sainte Présence habite encore ces murs qu’à Dieu tu as de tes mains érigés. Aussi, Père Saint, je t’en supplie, reçois-moi au nombre des Frères de ton Monastère.” Saint Serge, sur l’instant, entendit la Prière de Zacharie, et bientôt le guérit. C’est ainsi que Zacharie, après qu’il eût reçu de Daniel l’Hésychaste sa bénédiction, s’en partit pour le Monastère de la Trinité Saint Serge.


L’entrée de Zacharie au célèbre Monastère de la Trinité Saint Serge, où il allait vouer à Dieu sa Vie entière, ne s’accomplit pas, non plus que son enfance, sans qu’il s’y vît force miracles. Car, en effet, là comme ailleurs, aux temps probatoires, de Miraculeuses Manifestations de l’Intervention de Dieu, lesquelles étaient autant de Théophanies, venaient ponctuer l’Existence de Zacharie.


Avant toutefois que d’aller, au premier instant de son entrée, faire à l’Higoumène, humblement, sa métanie, il se rendit, non loin de là, à la Skyte du Saint Staretz Barnabé, auquel le Seigneur avait également octroyé le Don de Clairvoyance. Zacharie, qui avait grand soif de lui demander ses saints conseils, lesquels, lorsqu’il les aurait recueillis seraient à même d’éclairer sa vie entière, se trouva, le temps venu d’entrer, en présence d’une foule si dense, de pieuses gens qui, tous avec la même impatiente ardeur, attendaient de voir le Staretz, qu’il désespéra que pût jamais venir son tour.


Et il se tenait là, ne sachant que résoudre, ni que faire, lorsque se produisit quelque chose de tout-à-fait inattendu. Car voici que, comme à l’inopinée, le Père Barnabé, soudain sortant de sa cellule, s’adressa à la foule à sa porte amassée, clamant à la cantonade : “ S’il y a quelque Moine, ici, du Monastère,” cria-t-il d’une voix forte, “ qu’il entre sans attendre!” Tous alors de jeter les yeux partout autour d’eux; mais nulle part ne se décelait trace de moine. Alors, pour la seconde fois, d’une voix de stentor, plus fortement encore que précédemment, le Géronda tonna : “ Laissez passer le Moine du Monastère!” Et, au même instant il dirigea son regard sur Zacharie, qu’il y posa avec insistance. Puis, il s’en vint à lui, le prit par la main, et, sur un ton de chaleureuse tendresse, jaillie d’un Coeur qui en débordait : “ Allons”, lui dit-il, “ viens donc dans ma cellule!”. “ - Mais, ” répartit, interdit, Zacharie, “ je ne suis pas du Monastère! Je suis des Rives Blanches.” “ - Oui, oui, je sais bien,” rétorqua le Staretz. Jusqu’ici, tu étais de là-bas. Mais à compter de cet instant, c’est ici, parmi nous, que tu es destiné à vivre.”

Et, sur ces mots, il l’emmena à sa cellule. Là, lui ayant donné sa bénédiction : Demeure dans notre Monastère”, lui dit-il, “ et reviens par après ici me voir.” Zacharie, étonné, dans sa confusion bredouilla : “ Père!...Mais si les moines ne m’acceptent pas?” “Ils te recevront, ” l’assura le bon Staretz. Ces mots apaisèrent Zacharie. “ Allons,” poursuivait le Géronda, “ fais maintenant ton entrée à Saint Serge, car les trois Anciens du Monastère s’en tiennent à la porte, pour t’y attendre.” Zacharie, sans plus attendre, prit la bénédiction du Staretz, et, tout joyeux, s’en fut, glorifiant Dieu.

Il arrivait en vue de l’enceinte du Monastère, lorsque, de loin, il vit, en effet, l’Higoumène se tenir à l’entrée, l’attendant avec deux Anciens qui se tenaient à la porte auprès lui. Alors, Zacharie les suppliant de le bien vouloir agréer entre les Frères de la Synodie, eux, avec empressement, le reçurent; et leur bienveillance ne fit que s’accroître, lorsqu’il leur eut dit que c’était le Père Barnabé lui-même qui l’envoyait devers eux.



***


Zacharie, qui, avant que d’entrer au Monastère de la Sainte Trinité pour y être mis à l’obéissance, avait bien des fois déjà été durement éprouvé, le fut pour lors bien davantage encore, plus peut-être que ne le fut jamais novice, de par la permission de Dieu, qui éprouve l’Or fin au creuset, pour discerner du plomb vil l’or de l’âme qu’il fait croître en sainteté. Car il était dans l’Economie Divine qu’à Zacharie fût pleinement appliquée l’apocope du Livre des Proverbes : “ Comme au creuset sont éprouvés l’or et l’argent, ainsi, devant le Seigneur, le Coeur des élus.” ( Proverbes, 17-3).


A la suite des maladies par quoi il avait passé, et dont il devait garder les séquelles à vie, une tribulation nouvelle, d’une autre espèce, l’attendait au Monastère, lui ôtant le peu de santé, fort délabrée pourtant, qui lui restait encore.

D’entre les novices figurait un ivrogne, toujours hors de lui, et vomissant des propos orduriers. Ce Théodore, qui se disait moine, était, au plus vrai, pour ce qu’impénitent au fond demeuré sous l’habit, l’ancien forçat évadé qu’il avait été, qui, pour couvrir ses vices, escroqueries, et crimes, usait de la soutane comme d’une hypocrite couverture morale, et d’un masque social, destiné à lui acheter à bon compte quelque apparence notoire de respectabilité obligée. Or, un soir qu’il était plus ivre qu’à l’acoutumée, il se rua sur la cellule du bienheureux Zacharie, en brisa la porte et, tel un fou furieux, en caractériel pathologiquement atteint, se jeta sur lui. Puis, sauvagement, à coups de pieds et de poings, il le frappa, et le piétina, jusqu’à le laisser enfin demi-mort, les os brisés, les dents cassées, les oreilles et le nez arrachés, d’où giclait le sang, lequel coulait encore du ventre, où le criminel avait, en le fracassant, ouvert une béante plaie. Tant, que c’était miracle que le jeune Rassophore eût seulement réchappé des mains de l’abject assassin, et qu’il respirât encore, lorsqu’au matin, les moines l’eurent trouvé, laissé pour mort, en ce pitoyable état. Ils eurent beau, sur-le-champ, le transporter à l’infirmerie du Monastère, le pauvre novice, quinze jours durant, y demeura en état de mort apparente, comateux, et sans connaissance, luttant entre la Vie et la Mort, en grand danger de sa vie.


Lorsqu’ayant recouvré quelques forces, il fut un peu remis, sa santé était désormais si chancelante - irrémédiablement - qu’il eut crainte de mourir avant que d’avoir été revêtu de l’Habit du Schème Angélique des moines. Aussi alla-t-il, plus mort que vif, s’en ouvrir au Starets Barnabé, auprès duquel il s’était, à cet effet, rendu en visitation. Il lui dit ce qui le tourmentait : “ Père”, s’inquiétait-il, “ce moine m’a si grièvement blessé que je crains de mourir avant que d’avoir reçu le Grand Schème. Aussi, je t’en prie, revêts-moi du Grand Habit en secret, car nul ne parle encore, au Monastère, de me faire prononcer mes voeux définitifs de Moine Grand Schème.” La réponse de l’Ancien ne fut cependant pas celle qu’il attendait : “ Non,” lui répondit, en sa Clairvoyance, le Saint Géronda, “ non, ce n’est point dans le secret, mais bien à la vue de tous qu’il te faut devenir moine.” Puis il ajouta : “ Pour le médecin, il me semble inutile que tu y ailles. Tu n’as nul besoin, non plus, de médicaments, inefficaces au regard de la Prière des Saints qui te couvrent, du Seigneur Dieu et de la Toute Sainte. Si tu fais ainsi, tu Vivras, ayant supporté, longanime, cette épreuve que le Seigneur n’a permise que pour te rendre spirituellement plus fort. Ne lui demande donc rien autre que de te secourir en tes difficiles souffrances. Oui, fais ainsi, et je rendrai compte pour toi, devant Dieu, de ton âme. De la sorte, tu vivras près de cent ans. Mais si tu perds ton temps à courir les médecins, c’est dans la fleur de ton âge que tu mourras. Toutes choses adviendront, sache-le, comme elles le doivent, mais selon la seule Volonté du Seigneur Dieu. Pour toi, sache aussi que tu seras fait Diacre, Hiéromoine, et, pour finir, Père Spirituel et Confesseur des moines du Monastère.”


De la maladie la lourde croix n’était néanmoins point la seule qu’eût à porter le malheureux. Il lui fallait en sus faire face à un état de choses devenu, de si long temps invétéré, quasi désespéré. De ce désolant état de fait, les moines eux-mêmes étaient, pour la plupart, les fauteurs responsables. Depuis les premiers temps, en effet, de son arrivée, Zacharie était en butte à l’hostilité générale. Souvent même, c’était jusqu’à la haine de lui qu’allait leur aversion à son égard. Car ils ressentaient, en leur mauvaise conscience de tourmentés, pour outrage la sainte Vie que menait Zacharie, quant eux-mêmes s’adonnaient à leurs passions et à leurs vices, les uns assaillis de pensées mauvaises, les autres, pis que noceurs et flambeurs, ou ripailleurs, obsédés de lubricité, luxurieux contre nature, homosexuels, onanistes, ou pervers, les autres encore égoïstes, ou, par excès d’orgueil, exerçant sur autrui la tyrannie despotique de leur esprit de domination, ambitieux, opportunistes, sujets aux pires emportements et plus débridés débordements, hyperviolents, colères, lâches, couards, fainéants, indolents, joueurs, fourbes, hypocrites, machiavéliques, avaricieux, prodigues, escrocs, captateurs, ou bien en proie à cent autres vices et dévoiements sadiques, desquels ont contracté l’habituation, qui, telle une peau de Nessus leur colle à la peau, leur constituant une seconde nature, les âmes brutales. Aussi le persécutaient-ils, à longueur de temps, et par toutes voies de fait, des plus brutales aux plus pernicieuses, l’empêchant même, croyaient-ils, de prier, lui dérobant son chapelet, se jouant de lui, le raillant, l’assaillant d’invectives, l’accablant de leur pitoyable mépris, eux qui, naïvement, s’imaginant que leurs démons l’emportaient sur les anges qui le servaient, se croyant supérieurs, le traitaient en idiot hébété et ravi de village. Enfin, pour achever de délabrer sa santé, ils n’avaient de cesse qu’ils ne l’épuisassent à l’excès, le traitant en serf corvéable à merci, pressé de s’acquitter de mille services, ménages et diaconies, toujours plus accablantes, jusqu’à, songeaient-ils tout bas, ce que Mort s’en suivît.


Longtemps continua ce Martyre, ultérieurement même à son ordination au rang de Hiéromoine, ce qui est dire Prêtre monachal, pour ne cesser vraiment qu’avec l’éparpillement final des moines, lorsque les eurent tous expulsés les Kgbistes athées. Et le voici lors, du reste, demeuré seul, entre les murs du monastère désormais déserté, avant que vînt son tour d’être chassé de son lieu de Pénitence. Aussi longtemps, donc, pour le dire ainsi, et le redire ici, qu’ils étaient restés à ses côtés, exaspérés par sa seule présence, qui leur était un vivant reproche qu’ils ne pouvaient plus souffrir, de ce qu’il leur était odieux, ils n’avaient point, ni jamais cessé de le tourmenter par manière accoutumée de persécution, qui leur était devenue état et disposition de quasi naturelle habituation. Entre autres tourments qu’ils lui infligeaient avec prédilection, il suffisait qu’ils l’aperçussent de loin pour crier à pleins poumons : “ Au fou! Au fou! ”, espérant, dans leur folie propre qu’inversant les rôles de la victime et du bourreau, que ce fût lui que l’on prendrait pour un fou. Car ils rêvaient, ces possédés de tous les diables, eux, ces forcenés, de le faire, lui l’innocent, déporter, et enfermer au fin fond de la cellule d’isolement d’un asile d’aliénés, pour s’en mieux débarrasser, en sorte qu’ils ne l’eussent plus sous les yeux, tel un vivant reproche, dont s’accroissaient leur conscience mauvaise de tourmentés de leurs démons.


Mais, quoiqu’il en souffrît fort le terrible et très éprouvant Martyre, tout cela, bien considéré, ne troublait guère en son fonds Zacharie plus que de mesure, quel en son for intime savait, lui, l’Amoureux du Christ, qu’en Secret Lieu de son Coeur le consolaient le Christ et Ses Saints, et qui, pour finir, ne savait leur opposer que cet aveu de son continuel entretien avec Dieu : “ Mais, jusqu’au lieu de torture le plus enfermé de l’asile se trouve encore mon Seigneur! Si donc l’on me tue, - car l’on peut tout me faire, certes, - nul, néanmoins ne me pourra faire perdre ma Foi sans bornes en Christ. Faites comme il vous plaira; mais pour moi, non, jamais, au grand jamais, je ne pourrai ni apostasier ma Foi Orthodoxe, ni me joindre à vous en complicité pour accomplir ces oeuvres mauvaises que vous voudriez me voir faire comme vous. Car j’ai pour devoir inaliénable d’obéir à ma droite conscience, et de Vivre selon les Divins préceptes.”


Mais eux, qui n’entendaient rien à ses dires vécus de Spirituelle Expérience, pour ce qu’ils n’en possédaient la moindre, de poursuivre leurs persécutions incessantes : Un jour, les frères précipitaient Zacharie du haut de l’échelle, et lui, dans sa chute, grièvement se blessait. Un autre jour, ils renversaient malencontreusement sur lui, comme par mégarde, de l’eau bouillante, qui le marquait à vie. D’autres fois, ils le rouaient de coups, lui tapaient la tête contre les murs ou le jetaient à terre, pour qu’il s’allât heurter la face sur les souches d’arbres, jusqu’au traumatisme, et, lorsque le malheureux s’enquérait en pleurant pourquoi l’on le fracassait ainsi : “ C’est,” lui criaient ces sadiques, “ pour que tu cesses de faire l’innocent, à nous jouer les saints. Tu n’as qu’à vivre comme tout le monde, après tout. Qu’as-tu besoin de toujours te démarquer des autres, comme l’huile, en émulsion, qui en l’eau ne se mêle? Oui, cesse-donc ton jeu d’histrion, ou bien nous te frapperons encore. Et tu tâteras de nos coups, et du bâton de knout. Du reste, est-ce qu’on ne frappait pas toujours les bienheureux? Les saints n’ont-ils point été gens battus, et Sainte Pélagie la Pénitente, comme Sainte Xénie de Pétersbourg, et tant d’autres Folles En Christ, des femmes battues?”


Telle était l’effarante situation où le diable, à plaisir faisant durer son supplice, maintenait Zacharie, comme s’il eût pu par là, - escomptant qu’il en sombrât dans le découragement, puis, de là, dans le désespoir, pour finir suicidé,- le détourner, pour le moins, de mener la Vie Sainte, toute d’Amour, de Bonté, de Résignation, de Patience, et d’Abnégation, Vie selon l’Esprit de Sainteté, requérant Paix, Silence, et Concentration de l’esprit en Prière appliqué de Zélote qu’il était en son âme. Jusqu’à ce que sa situation de reclus enfermé sous les coups apparût dorénavant clairement à ce point effroyable au bienheureux Zacharie qu’elle lui devînt insoutenable. Et, parce qu’il était homme, il craignit de plier sous l’épreuve, et d’en venir à pécher en fuyant son lieu de Pénitence, au risque de renoncer, renier, et jusqu’apostasier sa Vie de Repentance. Appréhendant toutefois de prendre de sa propre autorité, qu’il jugeait inaccomplie, quelque résolution que ce fût, il s’en revint voir le Père Barnabé, son Père Spirituel, pour lui demander ses conseils. S’ouvrant à lui de l’excès de ses âpres souffrances, il lui demanda si l’Ancien bénissait son désir de quitter ce monastère, où il était en butte à tant de tourments dictés par la cruauté mentale des moines dénaturés, pour s’en aller en quête de quelque autre Monastère.

“ - Non, non,” fut la réponse du Géronda. “ Pour ce, je ne te donne pas ma bénédiction. Mais, au lieu même où t’a placé la Miséricorde Divine, c’est là aussi que tu seras Sauvé. Prends garde seulement de n’amasser nul argent, de rester sobre en t’abstenant de vin, et de ne point prendre de médicaments inutiles et nocifs.”


Aussi le bienheureux Zacharie demeura-t-il en son monastère. Et c’était avec un zèle accru que, dorénavant, il menait le Combat Spirituel. Semblable constance, au plus haut point admirable, ne tarda point, du reste, à porter ses fruits. L’authentique et réelle conversion de coeur de nombre des frères ne fut pas le moindre des effets de son irradiante Sainteté de Vie. C’était le même Zacharie, si long temps demeuré l’objet de toute leur haine, qui devenait désormais l’occasionnelle cause du Salut de leurs âmes qui, ce même si long temps aussi, s’étaient à l’envi vautrées dans l’abjection mentale de leurs esprits égarés. Ainsi était-ce par lui que leur fut donné d’avant leur fin se ressaisir, assez du moins pour faire devant Dieu sincère Repentance.


Au Monastère néanmoins, l’accès à la dignité d’higoumène d’un moine fort jeune encore ne fit que consommer davantage une décadence spirituelle dès longtemps en ce lieu saint entamée, dont elle avait infléchi, dévoyé, et corrompu le cours admirable de l’angélique vie, quelle antan s’y menait. Ce nouveau directeur des âmes, s’était, à l’instigation du Malin, pris pour le bienheureux d’une haine aussi peu croyable que déraisonnée. Multipliant à son égard les vexations, et humiliations, assortis des outrages les plus cinglants, il n’avait de cesse qu’il n’eût avant qu’il se fît long temps, exterminé Zacharie de la race des hommes. Si bien que, n’y pouvant plus tenir, Tobie incita bientôt le moine Anthime à tuer le saint. Trop heureux de recevoir la bénédiction pour commettre ce crime, Anthime, qui n’en était point à son premier forfait, et que cette envie de long temps en sus dévorait, vint donc requérir Zacharie de l’aider à soulever une armoire de beaucoup trop lourde pour lui, qu’ils auraient mission de porter en quelque autre lieu. Sans balancer un instant, le bon Zacharie, avec son zèle coutumier à bien faire, accepta. Mais, au moment précis où il l’avait, par calcul de préméditation, escompté, Anthime, tout exprès, lâcha sur lui l’armoire. Le meuble, alors, de tout son poids, s’abattit sur le malheureux, l’écrasant.


Lors même qu’il gisait ainsi, brisé, sous l’énorme poids décuplé par son lancer en chute, l’autre, se jetant sur lui, entreprit de l’achever sous les coups assénés, dont il le frappait sans merci. Mais la Providence fit qu’un pèlerin vint, par bonheur, à passer, juste assez à temps pour sauver d’une mort assurée le Serviteur du Christ, à l’imitation de Sa Longanimité. Dieu, toutefois, permit qu’Anthime, pour son châtiment, peu de temps après sombrât dans la folie, et qu’en ce pitoyable état, bientôt, il mourût.


Tandis que les unes aux autres se succédaient les épreuves, le bienheureux Zacharie, ne savait, en Ange de Patience, qu’implorer son Seigneur dans les larmes. Et il suppliait le Christ qu’il voulût bien éclairer le père Tobie, son higoumène, lui inspirant avant la fin un repentir sincère, pour que son âme ne fût point pour l’Eternité perdue.


Dieu, lors, voyant de Zacharie quel était son Amour, et sa Longanimité, ne demeura point sourd aux Prières que, pour l’infortuné Tobie, lui adressait son fils Aimé. Dès lors, l’incapacité caractérisée du jeune higoumène à diriger Spirituellement le Monastère, assortie des multiples scandales dont il était cause, remonta bientôt aux oreilles de ses supérieurs hiérarchiques et des plus hautes autorités ecclésiastiques, en sorte que, de par un oukhaze - décret - du Métropolite, il fut sans plus tarder destitué de ses fonctions et de sa dignité d’Higoumène de Monastère. Mais lui, déjà, de son côté, prenant les devants en vue d’éviter un scandale public, préféra se faire porter pâle. Invoquant le prétexte de maladie, il renonça de lui-même à sa charge avant que ne tombât l’oukhaze. Il ne put néanmoins pas demeurer au Monastère, tant était grande la haine qu’avaient contre lui conçue les moines.


Il ne s’écoula guère de temps depuis sa démission que le père Tobie commença d’éprouver du remords. Par deux fois déjà il était dans sa celle venu rendre visite à Zacharie, implorant avec larmes son pardon. Il s’était fait en lui un changement si profond qu’il se préoccupait même à présent du moment où l’on ferait prêtre l’Angélique Zacharie, dont il percevait maintenant qu’en lui Surabondait la Grâce. Il désirait voir hâter le jour de son ordination à la prêtrise, pour voir Hiéromoine ce même frère dont, naguère, higoumène, jamais il n’eût accepté de célébrer à l’autel la liturgie avec lui, qui faisait l’objet de toute sa haine. Quelque temps plus tard, le père Tobie, par les saintes Prières du bienheureux Zacharie fut, de par l’authenticité comme par la qualité de sa Pénitence, rendu digne de recevoir le Grand Schème Angélique, et de quitter justifié ce monde de Vanités.


Martyr, toutefois, Zacharie ne l’était pas du seul fait des moines. Car, pour si maladif qu’il fût, lui dont, d’avoir tant souffert, le corps semblait à tout moment devoir tomber en faiblesse, ne s’en épuisait pas moins encore d’une façon qui passe l’imagination. Longtemps, il avait assumé, harassante, la diaconie de boulanger, chaque jour pétrissant plus de deux mille pains et prosphores pour l’autel, et se laissant, à la fin, tomber, exténué, sur un banc du fournil, pour y dormir deux courtes heures de nuit.

Dans un autre temps, Zacharie s’était vu assigner la diaconie de “veilleur de reliques”, laquelle consistait à se tenir auprès de la châsse contenant les Reliques de Saint Serge, d’entre les restes de sa Sainte Dépouille en son Tombeau reposant. Et quelque jour qu’il se tenait là, debout, à quelque pas du saint reliquaire, voici qu’il vit s’approcher un jeune homme dont, comme à son insu, il entendit la requête proférée en murmure :

“ O Père Serge, mon ami, je voudrais tant t’imiter! Je t’en prie: Enseigne-moi à marcher sur tes pas.” Telle était lors la supplique de celui qui, plus tard, allait devenir le grand Saint Jean de Cronstadt, et dont Saint Serge, à cette heure, entendait la Supplique.


Zacharie était, par la suite, successivement passé par toutes les diaconies du Monastère, depuis le service du réfectoire jusqu’à la tâche de maître cirier, chargé de fournir en cierges cette église de laquelle, d’autres fois, il avait la charge de l’entretien, quand on ne l’employait pas, en place, ou en sus de cela, au ménage des cellules des Anciens. Si bien qu’à la veille de devenir Moine du petit habit, dit Petit Schème, ce n’était pas moins de vingt diaconies qu’avait assumées Zacharie, si lourde qu’en fût la charge. Pourtant, tandis qu’en diligent serviteur zélé de son Christ peinait ainsi Zacharie, s’acquittant de ses tâches avec un soin si minutieux, fruit d’une application qu’il eût été malaisé de jamais prendre en défaut, ainsi qu’il advient pour les âmes éprises de Celui auquel se voue leur travail de laborants appris à sourire dans la peine, par là méritant aux Cieux Rétribution d’Or, loin devant ceux qui, toujours rechignant à la peine, se condamnent à ne glaner que monnaie de cuivre, de plomb, de toc, ou néante, comme tel, avec une exemplaire abnégation, ne s’en attirant pour autant que davantage haine et jalousie de ses mauvais frères.


Notre Seigneur, pourtant, et Sa Toute Pure Mère, toujours auprès Lui Intercédant avec Feu, loin qu’ils détournassent leurs regards de toute cette peine qu’avec tel douloir pour eux prenait leur très Eprouvé Servant, loin aussi qu’ils dédaignassent ces luttes que pour eux encore soutenait âprement ce même brûlant Serviteur de leur Grâce, toujours le consolaient, par mille espèces de Spirituels Bienfaits, et diverses manières, temporelles tant que Spirituelles, et particuliers secours à tout instant sur lui dépêchés. C’est ainsi qu’outre les visions et les rêves accoutumés qu’ils épanchaient sur son sommeil de Grand Martyr, il fut jugé digne encore de quelque Apparition Divine et toute Surnaturelle, d’aussi merveilleuse sorte que celle dont le grand Saint Serge, Illuminateur de la Sainte Russie, avait, cinq siècles plus tôt, par Grâce, reçu la Faveur Divine. Soudain, de fait, vinrent à lui deux Mystérieux Pèlerins, cependant qu’il sentait son Coeur, tandis qu’il les accueillait en sa cellule, devenu tout Brûlant en lui d’un Feu si Ardent qu’il n’y put que reconnaître là l’effet tout particulier de la Grâce du Saint Esprit. Lors, ils lui Prophétisèrent le nom nouveau qui lui serait donné à l’heure de son monachisme (4), de surcroît lui révélant les événements majeurs dont sa vie à venir lui déroulerait le cours. Une seconde fois, tous deux ensemble, ils revinrent. Puis, la troisième fois, tandis que Zacharie se tenait en sa cellule avec un autre frère venu, de par une hasardeuse coïncidence ménagée par la Providence, le Visiter, en sorte qu’il y eût un témoin capable d’Attester le Prodige, le plus jeune, seul, apparut, à leurs yeux éblouis se Manifestant en l’Extraordinaire Irradiance d’une indicible Gloire.


***


Zacharie, cependant, avait, lors de son accession au Rasophorat des Novices, premier degré du Monachisme, reçu, outre son rasso, soutane des Moines, son Voile d’Ange, en même temps que le nom de Zosime. Un an plus tard, il devenait Moine Petit Schème. Tous, durant ce même temps, continuaient de mener contre lui leur impitoyable persécution, faisant preuve d’une cruauté mentale attestant de leur dépravation psychique, et de leur déchéance de l’état Spirituel de moines luttant à progresser sur la Voie de l’Angélification. C’est alors que, de façon toute inopinée, que nul n’escomptait plus, tant s’étaient à son encontre amoncelés les obstacles destinés à le désespérer en l’avancement de sa Vie Spirituelle, et pour ce que, ainsi que le révéla par après Zacharie, l’avait ainsi voulu la Reine des Cieux, il advint que fût enfin, des mains de l’Evêque Tryphon, ordonné Diacre et Prêtre le bienheureux. Ce dernier, le tenait, en revanche, quant à lui, en si particulière estime, qu’il n’hésita pas à lui confier la tâche de Père Spirituel.


De cette diaconie de Confesseur, le Bienheureux s’acquittait à la Perfection. Empreint de son intense Piété, sans hâte, accordant à chacun son temps sans compter, fort de sa coutumière Patience de Longanime, il écoutait résonner jusqu’au tréfonds de ses entrailles compatissantes la voix du pénitent qui avouait ses péchés. Puis, de son Amour infini des âmes souffrantes, il dispensait ses Conseils Spirituels émanés de l’Expérience vécue d’un Saint. A l’entendre dispenser ses douces exhortations, telles qu’en peut seule dispenser la Spirituelle Guidance d’une Ame Illuminée par Dieu, les autres âmes, qui venaient à lui pécheresses, fort blessées des traits aigus du Malin, trouvaient grand soulagement, consolation, et profit spirituel. Aussi voyait-on sa cellule devenue pour les pauvres chaleureux hospice de réconfort, dispensaire de mieux-être, comme asile de protection, et, pour les affligés, havre de consolation, refuge d’espoir, et site d’envol pour de nouveaux Cieux.



Les susdits mauvais moines, à l’excès travaillés du Diable et de toutes ses légions de maléfiques puissances, avaient désormais beau faire pour l’entraver dans sa tâche, ils ne purent dorénavant plus rien encontre le bienheureux, car la Mère de Dieu, laquelle de longue date était sur lui, assurant sa Sauve et Garde, et sa protection, de ce temps ne le quittait plus. Elle lui était du reste apparue en un rêve inspiré d’En Haut, le Bénissant pour qu’il accueillît le Peuple de Dieu Souffrant, quel Suppliait qu’on s’en vînt à le Réconforter avant que de l’Affermir.


Ainsi donc, le bienheureux Père Zosime, qui bientôt, pour la seconde fois s’allait voir attribuer le nom de Zacharie, qu’il recevrait avec le Grand Schème, avait également de Dieu reçu ce grand don charismatique du “ Startsevo”, comme d’En Haut désigné pour sa capabilité à assumer avec Intelligence Spirituelle cette si haute mission de “ Starets”, ou de “ Geronda”, qui ne revient ordinairement qu’aux Saints Anciens, qu’une Expérience Supérieure de la Vie Sainte a dotés, en sus des Charismes de l’Esprit, du doigté psychique nécessaire à la délicate menée des âmes trop humaines encore à l’âpre conduite sur l’ascensionnelle voie de l’Angélification. Tout comme eux, en vérité, quant à lui, semblable au vrai Starets qui ne s’apparente en rien au “directeur de conscience” ni au “confesseur” au sens sacramentel du terme, il était ce que certains désigneraient sous le terme confus et ambigu de “charismatique”, mais qui se nomme plus justement un “ Théophore”, au sens étymologique de “Porteur de Dieu”, lui qui, pour avoir reçu de l’Esprit Saint son charisme avait été jugé digne au Ciel de porter en lui Dieu. Tels sont nos vénérables Anciens, ceux qui, pour l’avoir à toute force Voulu, et s’être vus couronnés, non point d’apparence, mais, en Vérité, de l’Esprit de Sainteté, se sont dans l’efficiente effectivité du monde réel rendus très semblables au Christ, jusqu’à prendre toute entière Sa Sainte Ressemblance, - tels sont aussi nos Pasteurs et nos Bergers, auxquels il fallut, pour les guider aux Prairies de la Contemplation des Choses Divines, mener paître les âmes, après qu’ils eussent purifié la leur jusqu’au tréfonds de l’être, et parcourir jusqu’au bout la route qu’ils exhortent par après les autres d’emprunter, en connaissant assez tous les pièges, et tous les dangers pour en savoir indiquer aussi les traverses d’évitement d’iceux, - route au terme de laquelle s’acquiert au plus haut point le Discernement Spirituel des esprits, et de leur pathologie.


Et tandis que Zacharie se donnait tout entier de la sorte au Peuple de Dieu, les moines, eux, bien loin qu’ils perçussent se profiler l’approche du grand danger de vie qu’il encourait tout, dont déjà, sinistrement, menaçaient les premiers signes et avant-coureurs présages, lesquels passeraient avant peu par l’imposée fermeture définitive des portes de leur Monastère, de par l’arbitraire décret athée du régime encore neuf des communistes, mais déjà déviant devers le totalitarisme dictatorial, policier, et sanglant, qui ne tarderait point à abreuver de vingt Millions d’Ames Chrétiennes Orthodoxes Martyres les sillons de la terre russe, - quant à eux, ces moines, donc, pour la plupart indolents, négligents, dénués de toute Conscience Orthodoxe, et, qui pis est, dévoyés même et spirituellement totalement égarés, chaque jour davantage persistaient à s’enfoncer à l’aveugle dans leur endurcissement inentamable d’athéistes, leur indifférence d’agnostiques à oeillères, leurs chutes de malfaisants malcroyants, et leurs dévoiements pervers de possédés, maintenant l’entière communauté baigner toute en le profond climat d’une consternante décadence spirituelle.

A les voir vivre ainsi, le Père Zosime, amèrement pleurait. Tant s’en brisait son Coeur qu’il en pleurait de son corps toutes les larmes.

Or, un jour que tous se tenaient en l’église réunis pour y célébrer les fastes liturgiques de l’Office d’une grande Fête, il Vit soudain, franchissant, sur l’ambon devant l’autel, les Portes Royales, la Mère de Dieu, en Cortège suivie de quatre Grands Martyrs. Un peu de temps, elle était restée là, debout, posant ses Regards attentivement appuyés sur les Moines en l’Eglise assemblés. Puis, d’un geste désignant Zosime le Bien Heureux, et, avec lui, trois autres Frères de la Synodie, elle s’était affligée : “ Ah!” soupirait-Elle, “ des Moines ici, il s’en compte quatre, mais, en dehors d’eux, non, point, ni nul.” Puis, s’enfonçant en un recoin du sanctuaire, elle s’en était tout soudain retournée, comme elle s’en était venue. Et voici, déjà, qu’Elle avait disparu.



***

Puis, avait surgi la Révolution de 1917, et, avec elle, la victoire du parti révolutionnaire. Décrétant qu’il fermait les portes du Monastère, le nouveau régime athée, d’où sacrilège, en avait déjà fait par la police expulser tous les moines.


En ces lieux déserts et désolés de la Laure Saint Serge, qui, naguère encore, jouissait d’un renom paré d’un éclat sans pareil, ne restait plus que le seul Zosime, unique témoin demeuré d’une piété tant glorieuse, attendant que vînt son tour, et l’heure qu’il en fût chassé. Jusqu’à l’ultime instant, Zosime, le dernier de tous ses frères, mais En Gloire le premier devant Dieu, priait et pleurait, suppliant Saint Serge qu’il voulût bien à ses frères égarés leurs manquements pardonner, et d’en tout instant les secourir, à présent qu’ils étaient çà et là disséminés au détour hasardeux des logis de la ville, chez les Chrétiens vertueux qui les avaient, avec sollicitude recueillis et hébergés, pour s’en ériger, de par Dieu, en gage de Rémunération Divine, des Palais aux Cieux de Sainteté. Et il Priait avec Feu, suppliant le seigneur qu’Il fît quelque jour proche rouvrir les portes du Saint Monastère, en sorte de rendre aux moines et aux laïcs ce port de leur Salut. De fait, quelque temps après, - l’on était lors en 1945 -,le Monastère était rouvert aux Moines, et, jusqu’à ce jour d’aujourd’hui, le demeure.

Mais en ce jour de 1917 qui voyait avec désolation l’exil de l’ultime et dernier Moine de la Sainte Laure, le Saint Géronda quittait en Grand Souffrir ces parages aimés du Lieu de sa Pénitence, qu’il avait élus pour être ceux de sa Vie de Repentance. Ce fut donc de là qu’il rejoignit à Moscou la demeure de l’une de ses Filles Spirituelles, laquelle, avec empressement, lui offrait l’Hospitalité. Il y avait même, sise en la cour attenante à la maison, une petite chapelle où, de temps à autre, lui était permis de célébrer. De là rayonnant, sa renommée, bientôt, se répandit au loin. A Son Saint, qui pour Lui avait tant souffert, Dieu, pour prix de sa Longanime Patience, octroyait maintenant, et de façon fort Manifeste, telle qu’enfin, quelque jour, Vérité Patente Eclate au grand Jour, plus Claire que le soleil, les Charismes tout Excellents du Très Saint Esprit. Et, de tout part aux entours, et jusque des contrées les plus reculées des Orthodoxes provinces russes, le peuple Chrétien de Dieu s’en venait accourant chercher auprès lui la consolation de ses peines immenses, et quelque issue de salut à ses tribulations sans nom. Car la simple vue du Starets suffisait à les mener à la Conversion de vie, fût-elle la plus totale, parfois, et tous s’émerveillaient de le voir ainsi doté du rare charisme de pouvoir chasser les pires démons, esquels est ordinairement si lente, rude et difficile la Lutte Spirituelle encontre eux au corps à corps pour les exorciser des âmes possédées, en sus de quel Don Céleste il avait reçu cel aussi de Proorasis, lequel est prédiction des futurs à venir, de lire à livre ouvert aux coeurs de ses visitants et des éloignés, quel est Don de Diorasis, Don de Thaumaturgie, quel est d’opérer sur le champ d’incessants miracles, par Mystérieuse Efficience de sa Parole Priante ou de ses intérieures Suppliques aux Puissances Célestes esquelles continûment il se mouvait, jusqu’en l’avoir basculé son propre univers.


Le Saint, nonobstant, ce même temps, fondait comme la cire, usé de jeûnes et de veilles, et de ses maux miné.

Il lui fallait désormais, sur son corps exténué de tant d’Ascèses et mortifications, exercer grande violence pour seulement parvenir en l’effort harassant de pouvoir quotidiennement recevoir toute cette foule immense de fidèles, incessamment venant à lui. Et pour tant, lorsqu’étaient devant lui tous ces êtres désemparés, il se faisait pour eux le plus tendre père infiniment aimant qu’ils eussent jamais pu voir dans le monde, pour voler au secours de ses enfants oubliant quant à lui ses maux et souffrances au long cours endurées. Vers la fin, cependant, éprouvant plus intensément que jamais auparavant l’impérieux besoin de la paisible et silencieuse Hésychia (5), l’Ancien s’en fut se retirer en la solitude d’une campagne isolée, pour y goûter l’introublée Paix du Priant de Feu de manière ininterrompue s’entretenant seul à Seul avec Dieu. La nature y faisait ses délices. Il y faisait en forêt de longues promenades, pour y mieux à loisir, en ces clairières à l’air libre ouvert, élever à Dieu son Coeur qui brûlait tout.


Mais un nouveau Martyre encore l’attendait, venu la liste allonger, sur l’ardoise des Cieux, de tous ceux par quoi il lui avait fallu passer déjà. C’était la police étatique secrète à présent qui le poursuivait, par manière systématique et totale d’incessante persécution, sans répit le traquant, l’espionnant, faisant, sans crier gare, irruption chez lui, au prétexte de perquisitions toujours réitérées, chaque jour contre lui cherchant de nouveaux chefs d’accusation, dans l’attente de pouvoir l’arrêter enfin sur quelque motif plausible, quoi qu’ils en eussent long temps à son encontre en vain cherché, tant les excédaient qu’ils ne pussent plus tôt porter enfin le coup d’arrêt à ses “menées propagandistes troublant l’ordre public”. L’Apostolat inspiré du Saint, de fait, suscitait du Malin la furieuse rage. Lors qu’il était gravement malade déjà, et qu’approchait sa Dormition, la police de ces anti-Dieu fit encercler la demeure qui l’abritait, interdisant à quiconque d’approcher le Staretz.



C’est vers cette même époque, peu avant que le Seigneur ne rappelât son âme à Lui, le Père Zosime fit un ultime pèlerinage sur la terre de sous le Ciel. Il s’en fut jusqu’en la forêt de Sarov, pour y vénérer enfin les lieux bénis de sa présence où avait lutté le grand Saint Séraphim. Il y marcha jusqu’à la Fontaine miraculeuse bénie du Saint. Là, comme en une nouvelle piscine de Siloé, descendaient les malades et les infirmes. Et, comme au temps du Christ, là-bas, en Terre Sainte, par la Surnaturelle Efficience de la Prière du Saint, si grand devant Dieu de par sa vie d’ascèse et de supplication, ils y étaient guéris. Lorsque vint le tour de Zacharie, le Bien Heureux, un instant, hésita, à l’idée sensible encore d’un esprit bien humain, non délivré encore de son humaine nature, que son corps souffreteux ne pourrait endurer, sans que ce lui fût fatal, l’éprouvant contact de cette eau glacée, quoiqu’il n’ignorât pas que certains prêtres encore, non sans quelque reste de barbarie, baptisassent leurs ouailles au coeur des glaces de l’hiver russe. Alors, il eut un ineffable soupir, du fonds exhalé de son sein, et d’un ton suppliant murmura : “ Séraphim, mon Père! Incline du haut des cieux tes yeux qui furent fontaine, et regarde : Vois comme je suis, - tu le sais bien du reste, n’étant pas sans ignorer d’En Haut quoi que ce fût d’ici-bas - vieux, et malade. Aussi, je t’en Prie, je t’en Supplie, viens à mon aide, et me porte secours : Réchauffe un peu seulement cette eau! que j’y pusse entrer.” A peine eût-il achevé ces mots que le grand Saint de Dieu, pour lui, faisait son miracle : Le Staretz, entré dans la piscine, y ressentit aussitôt cette merveilleuse sensation d’une eau sur son corps se refermant, comme brûlante. De ce stupéfiant miracle de la Miséricorde Divine, et de Saint Séraphim, son si grand Thaumaturge, Zacharie, le Bien Heureux, fut si bouleversé, que, jamais, jusqu’à l’heure de sa Mort, il n’en put le souvenir oublier. Mais, sans cesse à la mémoire l’en représentant à nouveau, il rendait à Saint Séraphim de brûlantes Grâces, au sien proportionné, d’un Feu apparié, qui lui chauffait du corps tout le veineux intérieur.


***


Dieu avait à l’Ancien fait la Grâce de lui Révéler à l’avance le temps et l’heure auxquels il quitterait ce monde de Vanité. Lui, tenu couché par la maladie, jusqu’à la fin, néanmoins attendait avec Joie l’instant de quitter cette vie au sortir de ce monde. Surtout, il se consumait, dans l’anxieuse attente du grand Moment où il se devrait présenter enfin devant le Maître des Vivants et des Morts, son tant désiré Seigneur qu’il Lui avait de sa Vie voué chaque instant, comme dédié chacune de ses Ascèses et de ses Longanimes Souffrances. Aussi, le temps advenant qu’il fut à l’agonie, il se lisait à soi-même le saint Office des Agonisants, et, d’une voix éteinte, psalmodiait le Canon de la Résurrection.

Alors même, toutefois, qu’il était si près de mourir, un événement tout extraordinaire émut à ce point de Compassion notre Sauveur Tout Miséricordieux que le Starets, soudain, et tout inopinément, reprit Vie, laquelle lui fut, comme par un infléchissement destinal, prorogée de deux années en sus encore.


Car voici que, sur son lit de douleur, le Staretz, au-dedans de lui entendit une Voix lui dire que l’Evêque Tryphon, - celui même qui l’avait à la prêtrise ordonné -, se trouvait en grand besoin que, dans l’urgence, il l’assistât, quel, instamment, requérait qu’il le pût voir. Aussitôt, prenant son chapelet, Zacharie, devant son hôtesse stupéfaite, le posa sur son oreille, disant : “ Seigneur! Fais, je t’en supplie, que ce chapelet fasse usage de téléphone.” Et, sur-le-champ, enchaînant : “ Tryphon, mon ami!” s’exclama-t-il, “ viens vite à mon chevet! J’allais quitter ce monde, lorsque j’apprends que tu as besoin de moi. Oui, viens sans plus tarder, que nous puissions nous en entretenir ensemble.” Il ne se passa guère de temps alors que l’Evêque ne survînt dans la pièce de l’agonisant. Les deux amis s’embrassèrent avec effusion. Sa Grâce Monseigneur Tryphon forma des voeux pour la santé du Staretz. “ Que Dieu te prête Vie, Père Zosime! ” s’écria-t-il, cependant qu’il essuyait ses larmes. “ J’ai tant besoin de toi! Il faut, par tes Saintes Prières, que tu voles au Secours de mon âme lors que sera le Temps venu pour elle, au sortir de ce monde, de passer les Redoutables Péages du Ciel. Pour l’heure, je t’en prie, lève-toi, que je me puisse confesser à toi.” “ - Ah, mon Despote (7- ce qui est dire “Evêque”, selon l’étymologie du terme en langue grecque -) bien Aimé!” murmura, d’une voix épuisée, le Staretz exténué, “ vois! je ne puis seulement soulever la tête de dessus l’oreiller...Regarde”, insista-t-il dans un souffle, “ je n’ai pas la force... Je ne peux pas...” “ - “ Lève-toi!” s’écria lors le pieux Evêque, dont l’Expérience Supérieure savait le Surnaturel Puissance de l’Inébranlable Foi. “ Oui, lève-toi, Père! C’est l’Obéissance elle-même qui te le vient ici commander!” Lors, au prix de mille tentatives peineuses, le Starets se put redresser et lever, chancelant, puis parvenir à l’exploit d’à l’article de la Mort confesser son Fils Spirituel au bruit accouru de sa Mort, et dont la Foi sans faille le voulait à présent sur le fatal abîme retenir un peu, et, aidant à basculer, en place de lui, le destin, quelque temps encore en cette vie, pour ses Bienfaits Spirituels, et l’immense profit qu’il prodiguait aux âmes venues solliciter les infaillibles secours de sa miraculeuse Prière, à ses côtés le garder. Le Staretz entendit donc en confession les infimes péchés de son bien-aimé visiteur. Puis, de nouveau, il reposa sur sa couche son corps, d’exténuation brisé. Ce fut de son illustre ami Sa Béatitude l’Evêque Tryphon la dernière Visitation à son Très Saint Père Spirituel, plus Illustre encore devant Dieu et Ses Saints. De cet instant, son état ne fit qu’empirer davantage.


A cette vue plus alarmé, et tout bouleversé, Monseigneur Tryphon s’en repartit pour l’église de l’Ascension, sa paroisse épiscopale, à laquelle il s’était vu rattaché, lorsque les autorités ecclésiastiques la lui avaient conférée pour Métropole de l’Evêché. Lorsque, la liturgie s’achevant, il monta comme à son accoutumée sur le trône épiscopal, à la droite latérale sis de l’ambon, à l’extérieur de l’iconostase, pour y donner au Peuple sa prédication, ce fut pour y évoquer son ami très cher qu’il y prit la parole : “Frères”, implorait-il humblement, sollicitant la commune prière de toute l’Eglise assemblée, “ prions, je vous en supplie, pour le Staretz Zosime, quel est si fort malade. Et s’il en est parmi vous qui, d’aventure, ne le connaissent point, je m’en vais vous dire et conter quelle sorte d’Homme il est : Lorsque j’étais à Pétrograd, jeune Archimandrite alors, à la tête placé d’une Synodie de Moines, j’en étais venu, devant l’âpre réalité quotidienne de la lutte monastique, à tel point de désespoir, qu’il ne s’en fallait plus guère que d’un rien que je ne rompisse mes voeux monastiques pour retourner au dehors des saints murs de la clôture y mener une heureuse vie tant plus aise, qui fût selon le monde, et les joies faciles et vains plaisirs du monde. J’étais donc là à me trouver aux prises avec ce combat redoutable, avec quelle impitoyable brûlure à l’âme je tâchais, la gorge emplie de poisoneuse amertume, en vain me débattre, comme en tempête drossé, semi submergé déjà, et vaincu quasi de mes naturelles inclinations aux humains plaisirs, lorsqu’en cette épreuve sans phare apparaissant ni nulle disruption d’apaisante issue, l’on me suggéra d’aller voir un Saint Moine, lequel avait été depuis peu, me dit-on, de son Monastère de Saint Serge expulsé des Sans-Dieu par les forces de police gouvernementales, et dont les conseils Spirituels, des plus Illuminés qui se pussent rencontrer sur l’entière terre de Russie, me pourraient sans doute éclairer. Ce fut ainsi que j’allai, pour la première fois, rencontrer en sa cellule le Saint Père Zosime. Il ne consacra pas moins d’une nuit entière à scruter avec moi les replis de mon coeur pour y examiner par le menu détail les causes fatales d’un si grand abattement d’âme. Et voici qu’au matin, le plus mystérieusement du monde, mes pensées se trouvaient si changées que je n’y reconnaissais plus, harcelantes, les suggestions malignes de céder aux tentations de la veille. Si donc vous avez à présent devant vous, s’offrant à votre vue pour ce prêche, ce vieillard indigne nommé Tryphon, que l’on a fait accéder au rang de Métropolite, ce n’est à nul autre qu’au Bien Heureux Saint Père Zosime que vous en devez Gratitude.”


Tous alors s’agenouillèrent, et l’on fit, pour la santé du grand Staretz, en sus de la Prière des malades et des mourants, un long office d’intercession aux Puissances Célestes. Et le Seigneur, Tout Compatissant, entendit la fervente Supplique de son Peuple en Eglise en Prière agenouillé. Le Saint, au loin, dans sa cellule, au même instant, tout-à-coup recouvra ses forces. Et lorsqu’on vint lui dire que l’Evêque avait pour lui fait célébrer cet Office d’intercession qu’est la Paraclèse (9), il eut un mystérieux sourire : “ Oui ”, murmura-t-il, “ oui, je sais. C’est mon Tryphon, qui a fait ce miracle, Tryphon, mon cireux ami”. Il qualifiait ainsi le Métropolite, ayant su par avance que, comme la cire se fond bien vite à la flamme, Tryphon, lui aussi, quitterait cette vie avant qu’il ne fût long temps.


De fait, l’Archevêque, peu de temps après, tomba gravement malade, s’apprêtant, conformément à son souhait, à quitter cette vie avant le BienHeureux, en sorte que Zosime put, de son vivant même, prier pour son âme défunte. Aussi fût-ce au tour du Starets d’élever ardemment pour lui, d’un Coeur débordant tout d’un bouleversant Amour, vers Dieu sa Prière. Et lorsque s’endormit Tryphon, on le vit, transporté d’un Amour plus vibrant encore, supplier Dieu pour son âme. Et s’il advenait par après que l’un ou l’autre de ses Enfants Spirituels vînt jusque chez lui le voir, il ne manquait pas, chaque fois, d’indiquer son défunt ami Tryphon à la recommandation de leurs pieuses prières.


Quelque temps plus tard, l’on enterrait Son Eminence le Père Métropolite Tryphon. Ce fut un ensevelissement sans même une simple fleur, pour ce l’avait ainsi voulu Sa Béatitude, sans doute pour qu’il fallût dès lors mieux à chacun faire remémoration de ce célébrissime verset du Psalmiste David-Roi, tant sublime, en la simple expression de sa fraîcheur naïve, faisant, par effet de contraste, mieux ressortir encore la profondeur insondable de l’imparable Vérité de Vie qui y gît énoncée :

“ L’homme est comme la fleur des champs.

Qu’un souffle passe, et il est arraché.

Nul ne le connaît plus,

Et nul lieu de la terre ne garde plus mémoire

de ce qu’il fut.”



Mais en place de fleurs, tout aux entours de la tombe, se pressait la foule immense des fidèles, chacun tâchant à y dérober au public ses yeux que brouillaient les larmes. Et cette terre du cimetière qui recevait à présent, pour son repos dernier, le corps de Sa Grâce Monseigneur Tryphon, Métropolite de bienheureuse mémoire, serait la même, un peu plus tard, qui recevrait en son sein le Starets aussi, l’Ami Bien-Aimé, tant d’années, de toujours, et pour jamais si Cher à son Coeur.









***


Déjà pointait l’aube de l’été 1936. Elle advenait enfin l’heure où l’Ancien laisserait à jamais cette vallée de pleurs et de larmes qu’est l’éphémère séjour terrestre pour s’en aller goûter au repos En l’Eternel dans le Sein d’Abraham et des Anges. Mais ici encore, tout ainsi qu’il est rapporté aux Livres Synaxaires de notre Sainte Eglise Orthodoxe contant des Saints les Vies toutes Merveilleuses (10), quantité d’événements de caractère Surnaturel et Miraculeux, devaient signaler, comme les premiers en son enfance bénie de Dieu, les moments derniers de son existence terrestre.


Ce pendant, le Bienheureux Zacharie était désormais au plus mal, et l’instant n’était pas loin que le Seigneur, enfin, lui viendrait recueillir son Ame Sainte. C’est alors que lui rendit visite l’une de ses Filles Spirituelles. N’ayant le moins du monde conscience de l’état désespéré en lequel gisait le Staretz, elle le pria de se rendre chez elle. Lui, d’entre les pleurs qui mouillaient son visage, tâcha d’esquisser un sourire : “ Sois sans inquiétude,” lui dit-il, “ un peu de temps encore, et devant chez toi je passerai. Lors, à ton tour tu sortiras, pour m’accompagner à ma demeure.” Mais la jeune fille ne saisit point ce que lui donnait à entendre son Géronda. “ Qui m’avertira, mon Père,” répliqua-t-elle, inquiète, “ de ton passage devant chez moi, en sorte que je puisse sans tarder sortir pour t’ouvrir, courant au-devant de toi à cette fin de pouvoir implorer à nouveau ta bénédiction? Et qui donc, jusque chez moi, te mènera?” “- A cette heure-là”, répartit mystérieusement le Starets, tu comprendras. Dieu, t’en avertira. Oui, dans le secret du Coeur, ou par quelque autre biais dont useront les Voies de la Providence, faisant à cet office servir quelque personne interposée, ou quelque circonstance occasionnelle que ce fût, Dieu, sur la Prière de Ses Saints, avertit qui Il Veut de ce qu’Il lui sied savoir.” Quelques jours après, tandis que la jeune fille, chez elle, vaquait aux soins du ménage, les embaumantes effluves d’un Parfum tout Céleste emplirent soudainement la maison. L’on eût dit, à la sentir si suavement embaumer ainsi, que cette divine senteur s’exhalait de mille fleurs ensemble. Surprise, elle s’approcha de la fenêtre, se demandant d’où ce pouvait bien provenir. Or, juste au même moment, passait dans la rue un long cortège lentement escortant un funèbre convoi.

En hâte descendue, elle s’enquit quelle était la personne que l’on s’en allait inhumer ainsi. Il lui fut répondu que c’était là la sainte dépouille du grand Staretz Zacharie. Alors, elle se ressouvint des étranges paroles du Saint Géronda. Elle comprenait à présent que son Ancien ne l’avait point oubliée, et que c’était en guise de dernier adieu qu’il lui envoyait ce parfum tout admirable, tant merveilleux qu’elle n’en avait jamais, sur la terre, senti ni respiré

de pareil. Bouleversée jusqu’au tréfonds d’elle-même, elle joignit, le visage tout ruisselant de larmes, le cortège de ceux d’entre ses Enfants Spirituels, qui jusqu’à sa demeure dernière, avaient providentiellement pu accompagner son Bien-Aimé Saint Starets.


De fait, dans l’entretemps, après qu’elle se fut

une dernière fois rendu jusqu’en sa cellule, pour une ultime visitation à ce Vivant modèle et parangon de Sainteté, un très court

temps aussi après qu’il eût, dans le plus grand secret, conférée d’un Hiérarque héroïque de l’Eglise cachée, persécutée, et grande martyre des Catacombes, que trahissaient en sous-main les vendus au régime athée de l’église-vitrine officielle, reçu, avec le nom de Zacharie, le père du Baptiste, rendu, de stupeur, muet par les Anges, le Grand Habit du Saint Schème Angélique, d’une exigence si redoutablement Haute que bien peu se le voient conférer, de crainte de le souiller, avant que n’advînt le temps de mourir, le Saint Staretz s’était doucement et paisiblement endormi dans le Seigneur. Ce jour-là, quel était, selon le nouveau calendrier le second jour de juillet 1936, et, selon le décompte des jours de l’Ancien Calendrier, le 15 du même mois d’été. Or, ce jour était celui que la Sainte Eglise Orthodoxe en liesse célèbre la Déposition en la Basilique des Blachernes, de la Robe de la Toute Sainte. Le Bien Heureux Staretz s’en allait donc au cours d’une Fête de la Mère de Dieu, sa Reine, qu’il avait tant vénérée, pour en avoir, sa vie entière durant, été le fervent et fidèle Servant.


***


A la même époque, l’une de ses Filles Spirituelles, celle même à qui l’on doit le récit de cette vie toute merveilleuse du Bien Heureux, avait quitté Moscou pour la lointaine Poltava, en sorte d’y aller assister une malade alitée privée de secours. A peine y parvenait-elle, qu’elle reçut une lettre,

équelle elle apprenait que le très vénérable Staretz, l’Archimandrite, Père de sa Synodie de Moines, et Grand Schème Angélique Zacharie, tant aimé de tous, et plus cher encore au coeur de ses Enfants Spirituels, s’en était allé parmi les tentes célestes goûter à la Joie de la Vie de Gloire des Justes. La douleur de sa Fille fut pour lors indescriptible. Et elle n’en pleurait que davantage encore à l’idée qu’elle n’avait seulement pu, aux instants derniers de sa vie, se tenir aux côtés de son Père Saint. Telle était la disposition en laquelle se tenait son âme affligée, lorsqu’elle ouvrit au hasard le Psautier. Or voici que, tout soudain, comme si se fût d’elle-même ouverte la porte de sa chambre, y était mystérieusement entré le Staretz Zacharie, de ses ornements sacerdotaux revêtu, et de son étole aux épaules paré. Tout doucement, il s’approcha d’elle, et sur le sien posa son regard noyé d’un Amour où chantait une chaude tendresse. Elle, alors, oubliant là tout, et, sur l’instant, comme un fardeau inutile, déposant sa peine, se mit à contempler à son tour en silence le lumineux visage de son Père tant Aimé. Et tout autant qu’elle se sentait un coeur contrit et confondu par la Révélation d’une si manifeste Sainteté, elle était dans le même temps inondée, et son coeur s’en gonflait tout, d’une implosive Joie qu’elle n’eût su rapporter qu’à celle des Saintes Femmes Myrrhophores à la Nouvelle de la Survie d’entre les Morts du Ressuscité. “ Qu’est cela? ” lui dit-il alors; - et son ton de voix n’était pas sans marquer quelque réprobation -. “ Oui, pourquoi donc te lamenter, déplorer, et te tourmenter ainsi? Ne t’avais-je point enseigné ce qu’il fallait penser et faire de la tristesse? Ne te le rappelles-tu point? Chasse-là toujours au plus vite, te disais-je. Contrition n’est point désolation. C’est péché que tristesse. Allons! Viens çà que je t’en donne l’absolution.” Et, ce disant, il lui mit l’étole sur la tête, et lui lut la prière qui clôt la confession qu’il avait lue dans son coeur, sans qu’elle eût seulement besoin de s’y livrer. “ Vois, ” lui dit-il enfin, ne t’inquiète plus de ce que tu n’étais pas là, pour me dire, à mon chevet, le dernier adieu. Non, ce n’était en rien nécessaire, puisqu’ainsi que tu le peux à présent saisir, je suis bien toujours avec toi, me tenant à tes côtés pour, en chacune de tes pensées et de tes faits et gestes, t’assister de la Faveur Divine que j’implore pour toi...” Et, sur ces mots, il s’évanouit à sa vue.






***


























III







TROISIEME PARTIE







QUELQUES UNS D’ENTRE LES MIRACLES



DU BIENHEUREUX.
















D’entre les Miracles sans nombre qu’accomplit Zacharie, le Saint Starets Théophore, qui, très au vrai portait Dieu en son Coeur, il n’est ici, las, rapporté que quelques-uns, en nombre infime, relativement à tous ces autres qu’un livre n’eût point suffi à consigner tous, de ce que chacun l’implorant avec l’ardente Foi Droite des Chrétiens Orthodoxes, se put, se peut, et se pourra espérer voir de lui promptement secouru, tant est Efficiente la Grâce émanée de la Prière aux Puissances célestes d’un Saint de Dieu. Ceux ici rapportés n’en témoignent pas moins pour autant de l’immense assurance dont il jouissait devant son Sauveur, qui lui avait donné Puissance de l’Esprit, son Coadjuteur, jusque sur l’humaine nature, et sur les éléments mêmes qui le temps déterminent de la vie et l’heure de la Mort.

C’est ainsi qu’au temps qu’il demeurait encore au Monastère de Saint serge de Radonège, passant en ce lieu béni de Dieu et de son Saint Fondateur par bien d’éprouvantes tribulations constituant autant de formes et espèces d’une même Epreuve du Feu de Dieu, par quoi Il permettait que fût éprouvé pour Or fin celui auquel Il allait conférer l’Esprit de Sainteté, l’Higoumène l’envoya visiter le Père Agathon, quel menait l’Ascèse en un petit ermitage situé non loin de là. Le Père Zosime - c’était alors le nom du Bienheureux - crut bon de s’y rendre en coupant au plus court par quelque chemin de traverse. Il fallait pour ce faire passer par un lac pour lors gelé, car l’on était au coeur du tant rigoureux hiver russe. Se signant, pour que fût bénie sa traversée sur ce désert de glace, il commença d’avancer prudemment sur l’épaisse pellicule blanche. Mais celle-ci, tout soudain, se rompit, le laissant dangereusement enfoncer en une eau glaciale à transpercer les os. Lui, luttant à garder ses esprits, serra seulement plus fortement contre lui les saintes icônes qu’il portait toujours sur son coeur, et, toujours en Prière, y redoubla de ferveur. Et voici qu’il marchait sur les eaux!

“ Père Zosime !” s’écria stupéfait un diacre qui, de loin, avait vu le miracle, est-ce que, d’aventure, tu te mettrais à faire aussi des miracles?” “ Pardonne-moi! “ répondit humblement le Saint. Et, avec sa simplicité coutumière, il ajouta : “ Je croyais l’eau bien uniformément partout gelée, mais elle avait fondu par endroits. Ce pendant, parce que j’avais sur moi les vénérables icônes des Saints Zosime et Sabbas avec une prosphore au sceau marquée d’une empreinte de la Panaghia Toute Sainte (11)! Et voilà comment m’a sauvé mon Christ!


Le Starets avait également pour Fille Spirituelle

la “Baboula” de chez les Rescetnikov. Celle-ci vint un jour supplier l’Ancien de faire quelque chose pour son grand fils Paul. Toute en larmes, le coeur brisé, elle lui conta son drame : “ Père Saint!” clamait-elle, la voix entrecoupée de sanglots, “ il a chuté, et la chute est si grave qu’il en a subi un violent traumatisme. Las!

Il ne craint ni Dieu ni Diable, ne va point à l’église, catégoriquement s’y refusant. Il ne respecte point ses parents, qu’il invective, insulte, et agonit d’ordurières injures. Il fume, boit à s’enivrer, et gît dans l’abjection répugnante du fond du bourbier d’infecte luxure. J’ai beau m’efforcer de le rappeler à l’ordre, l’exhortant à se reprendre, et à se ressaisir, il n’écoute rien, et, me bousculant violemment, me repousse, en persiflant, et se gaussant de moi. Je n’en dors plus la nuit; mes yeux n’en tarissent plus de larmes. Et, pour couronner le tout, il va maintenant, en sus de tenir des propos dégoûtants et obscènes, jusqu’au péché de l’odieux blasphème.” Le Saint lui témoigna grand compassion. Elle, repartit consolée, emportant en son coeur ses tant précieuses exhortations spirituelles. Mais Paul, quant à lui, n’en continuait pas moins de mener sa vie dissipée de bâton de chaise. Sa mère se consumait de désespoir.

Le Starets, lui, inlassablement, réitérait ses prières au Seigneur et à la Toute Sainte, les suppliant d’inspirer à Paul un repentir sincère. Lors, à la fin, le Seigneur éclaira Son Saint, lui révélant que Paul ne pourrait être sauvé que si lui, Starets pour le Seigneur, fixait, quelque prochain jour, une date pour la Mort du jeune homme. Le Saint, de son côté, dont s’affligeaient de compassion les entrailles pour la douleur à venir de la malheureuse mère, s’affligeant à l’excès de ce que Dieu pût exiger de lui pareille abrahamique obéissance, supplia Dieu de lui indiquer quelque autre moyen plus clément de corriger le malheureux. Mais, du Ciel, la réponse au Coeur du Géronda, tout inexorablement, demeurait la même. Il dut donc se résoudre à révéler à la “Baboula” la nature de l’inflexible Volonté de Dieu. Elle, tout d’abord, n’en put rien accepter. Mais, lorsqu’après un temps, elle ne put que constater à quel point son fils ne faisait que s’enfoncer toujours davantage en sa vie de débauche, elle crut devoir se soumettre à cet insensé pari pour le Salut de celle âme perdue. Elle vint donc mander au Saint si lui avait d’En Haut été marqué quelque jour qui pût lui signifier la mort de Paul. Le Staretz lui indiqua que son départ de ce monde avait été, jour pour jour, fixé à l’année suivante.

Ce pendant, durant près d’un an encore, le jeune dévoyé, toujours obsédé de frasques et de débauches, persistait à se vautrer en la fange de ses péchés. Mais lorsqu’approcha le terme qu’avaient Dieu et Son Saint fixé pour sa vie, le typhus soudain, pandémique, se déclara, et, sans tarder, il en fut aussitôt atteint, de si grave forme qu’il dût sur-le-champ s’aliter. Lors, ce même Paul qui avait été si dur à redresser en ses voies, à présent se lénifiait, et l’on eût pu dire que s’attendrissait tant soit peu son coeur. Et voici que Paul, peu à peu, opérait de sa vie une conversion, jusqu’à ce qu’elle fût radicale, lorsqu’il saisit enfin qu’il se devait, pour être Sauvé, - sauver son âme, dont il avait, devant l’ultime défi de la Mort, appréhendé qu’il en eût une -, de prendre l’exact contrepied de ce qu’avait été toute sa vie de mauvais bougre, à tout instant offusquant Dieu, son Maître et Seigneur, en un mot, devenir tout autre. Et il comprit qu’il pouvait faire que son je fût un autre. Bientôt, il se confessa au Père aimant et tendre qu’était le Saint Starets, comme un enfant pleure dans les bras de son père, et il lui dit tout ce qu’il avait fait, commis, et perpétré. Et ce n’étaient plus ses yeux seulement qui pleuraient ses fautes, ses manquements, et ses crimes, mais son âme, qui se brisait en eau, déplorant qu’elle fût pécheresse, et regrettant, à mort, que ne lui fût point donnée la chance d’une existence seconde, pour de rien recommencer tout, et repartir sur les justes fondements qui lui eussent permis de reconstruire, et d’édifier une vie nouvelle, celle où son je eût été un autre.

Lors, implorant le pardon de tous, il s’en fut, décédant de ce monde, et passa, justifié, dans l’Eternité.

Sa mère, elle, s’en étant allée chez le Staretz lui annoncer que son fils s’était endormi l’âme en paix, l’y trouva

chantant le Trois Fois Saint Trisaghion (12) pour l’âme de son fils Paul, qu’il rendait ce jour à Dieu sauvée par un miracle de ses Prières, et dont il avait d’En Haut reçu la nouvelle de la dormition.

Une autre fois, comme le Staretz s’allait promenant dans les bois, escorté de quelques-uns d’entre ses enfants spirituels, il s’exclama tout soudain : “ Oh! Comme ce serait beau de trouver ici, dans ce sous-bois, des champignons blancs! Toutefois aujourd’hui, et sans que nous sachions pourquoi, il n’en est point un seul!...Mais enfin...Allons! Prions donc le Seigneur de nous en envoyer une belle douzaine, avec, au centre de leur lot en couronne, un plus gros, qui soit aussi le plus magnifique, en sorte que le tout pût manifestement symboliser à nos yeux Notre Sauveur parmi ses Douze Apôtres!” Il prononça cet étrange discours, d’allure quelque peu délirant, avec une vivacité, qui nous parut a posteriori comme l’effet aiguillonnant d’une subite Inspiration d’En Haut. Il avait parlé tout en marchant à pas pressés, transporté d’un Divin Enthousiasme. Ce faisant, ses paroles se muèrent en une Prière qu’il formulait maintenant tout haut. Comme son visage parut changé alors! Il semblait Irradié d’une Céleste Lumière. Moins d’une demi-heure plus tard, ses Enfants stupéfaits débouchaient, en quelque clairière, sur un énorme champignon blanc de toute beauté. Ils n’en avaient jamais vu de tel, ni, si peu que ce fût, d’approchant, en aucune sorte que ce pût être. Tout autour s’en pressaient, regroupés sous son ombelle, douze autres, plus petits, comme à son ombre protectrice.

Le Starets, comme si la chose eût été entendue, les regarda d’un oeil amusé, presque taquin, et, souriant : “ Pardonne-nous, Seigneur!” babilla-t-il, “ de ce que nous t’avons parlé comme de petits enfants dont Tu aimes et chéris les balbutiements. Mais voi ci que Toi, dont les Entrailles sont toutes de Compassion, Tu nous entends à cette heure, et nous consoles, avec des choses d’enfants même!”


***





Le Saint fut un jour convié dans un Monastère pour y participer à quelque office d’intercession que l’on adressait à Dieu en vue de mettre fin à une longue sécheresse, cérémonie cultuelle ce jour-là suivi d’une procession tout autour de l’église, chacun en cette litie tenant, qui, un cierge, qui, une icône, qui, une croix, qui, une bannière. Or, tandis que les fidèles processionnaient ainsi derrière le Patriarche, le Métropolite, les Evêques, Archimandrites, Moines, Moniales, Protoprêtres, Prêtres, Enfants de choeur, et autres initiés du clergé, solennellement, et en grande pompe réunis pour la circonstance, de gros nuages menaçants commencèrent de s’amonceler au-dessus de l’entière assemblée, si bien que tous, voyant sur leurs têtes ces prémices présageant l’orage si long temps pourtant en vain attendus, se laissaient à présent tenter par leur hâte d’écourter les prières de l’office, paraissant tout-à-coup interminable, et de disperser au plus tôt la procession, pour courir se mettre promptement à l’abri. Mais le Starets, d’un geste, les arrêta :

“ Non, non! ”, leur dit-il du ton assuré de quelqu’un qui savait :

“ Non. Finissons d’abord, et dès que nous aurons achevé l’office, oui, à peine en aurons-nous terminé qu’il pleuvra. Pas avant.”

La prière s’acheva donc, selon l’exacte canonique du rite officié en son intégralité. Puis, calmement, l’on regagna l’église. Alors, du milieu du narthex, le Saint éleva sa droite bénie vers la voûte mosaïque, d’où fixait, redoutable, le Regard du Christ Pantocrator, disant : “ Eh bien, soit! Tu peux tomber à présent!”. Au même instant s’abattirent du Ciel des trombes de pluie, à former des piscines en la terre.




***




















IV







QUATRIEME PARTIE







AUTRES BELLES FIGURES DE SAINTS








































Au temps que le Bienheureux demeurait au Monastère béni de Saint Georges, et nonobstant toute l’indigence spirituelle qui s’y faisait alors cruellement ressentir, l’on y comptait toutefois, outre la merveilleuse figure ci devant dépeinte de l’admirable Saint Père Zacharie, immense Staretz s’il en fut, d’autres grandes figures aussi, personnages guère moins admirables, pour rares qu’ils fussent, pour ce qu’ils avaient comme lui, quoique moins surabondamment, reçu l’Esprit de Sainteté, qui sur eux Effusait les Grâces Sureffluentes et Suréminentes de Ses Secours, de Ses Charismes, de Ses Dons, et de Ses Puissances, auxquels le Bienheureux puisait une Vivante Consolation.


D’entre ces êtres hautement Spirituels était le Hiéromoine Irénée, auquel Dieu fit la Grâce de lui révéler à l’avance le temps et l’heure de sa Mort. Aussi, lorsque c’en fut le moment, il alla, pour l’en aviser, trouver en sa cellule le Saint Staretz : “ Père Zosime”, lui souffla-t-il, “ mon très Bien Aimé Père, je suis venu me confesser à toi avant que de te devoir faire mes adieux. Car, demain, vois-tu, il me faut mourir. Oui, sitôt après l’heure de la communion aux Divins Mystères.” Il hocha la tête. “ C’est bien cela : En premier lieu, je communierai; en suite de quoi, je meurs...” Le Saint se récria. Mais le Père Irénée insistait : “ C’est la vérité que je dis. Je dois demain mourir. Mais toi, tout à l’inverse, tu vivras, en sorte d’être ce que tu seras : le Guide Spirituel des Egarés, et la Consolation des Pécheurs, des Affligés, des Pauvres, des Miséreux, et des Orphelins de la terre, et de tant d’autres encore, qui de ta Prière attendront tout, et que tu intercèdes pour eux, qui n’ont rien en ce monde, que Dieu, qui leur est tout. Car telle est ta vocation, celle à laquelle t’appelle la Toute Sainte Mère de Dieu, qui des Cieux est Reine.” Puis, sur ces mots, ayant encore fait devant Dieu la bouleversante confession des Ames pures, qui cherchent encore, dans les larmes, à en ôter la plus imperceptible tache, comme l’on ferait d’un grain poussière au tain moucheté du plus resplendissant miroir d’une galerie de glaces, le Père Irénée, ses larmes dans la barbe du Saint Moine, serra sur son Coeur l’Ami que lui avait Dieu Donné, et que, plus que soi-même, il chérissait.

Durant tout le temps de ces adieux, pourtant, pas même un instant le Père Zosime n’avait sérieusement cru que le lendemain verrait la dormition du bienheureux Irénée. Aussi, le matin suivant, lorsqu’il vint à passer devant la cellule de son vieil ami, il lança au novice qui le servait en sa celle, lui rendant office de Syncelle : “ Je t’en prie, frère! Salue pour moi le Père Irénée!” Alors le jeune frère soupira de douleur : “ Hélas! Comment le pourrais-je, frère? puisqu’il a quitté ce monde...Il a participé aux Divins Mystères, puis, tandis que j’allais préparer le thé, il a regagné sa cellule. A mon retour, il était allongé là, sur son lit, les bras en croix sur sa poitrine.”

Car, en Vérité, comme le Seigneur le lui avait manifesté, et très expressément à l’heure dite, le Père Irénée s’était endormi, laissant après lui ce monde de vanités.



***


Zosime, au Monastère, avait encore eu pour ami le Père Nicolas. C’était un ancien soldat qui, pour s’être en campagnes ruiné la santé, avait en suite de ce dû demeurer grabataire près de quarante ans durant. Comme il n’avait sur la terre nulle part où aller, ni nulle parenté digne assez de ce nom pour se soucier le moins du monde de lui, il avait été , par pitié, pris sous la protection du Monastère.

Là, parce qu’il avait, longanime, porté et supporté la Croix si lourde de ceux tant long temps tenus couchés par la maladie, et que, souffrant avec une infinie patience, il n’en avait pas moins persévéré dans la Prière en pleine et entière humilité, le Seigneur l’avait surabondamment consolé des charismes à lui octroyés de l’Esprit de Sainteté. C’est ainsi qu’il put, dix années

avant la Révolution de 1917, prophétiser que le Tsar Nicomas serait détrôné et chassé du pouvoir, le Monastère par la force armée fermé, et les Moines disséminés aux confins de la ville, et précairement relogés en hâte au hasard des logis de fidèles qui les voudraient bien recueillir dans leur terrible infortune. A son ami Zosime, le Père Nicolas prédit également tout ce qui lui adviendrait dans la suite de sa vie à venir.

Le Bienheureux Nicolas était de surcroît un Thaumaturge des plus extraordinaires. Ce fut lui qui guérit Maria, la soeur du Saint Staretz, qui, depuis plus de dix années déjà, était affligée de cécité. Voici comment : Après qu’il eut prié pour elle,

il lui fit sur les yeux une onction d’huile prise à la veilleuse qui brûlait devant les icônes de son iconostase, lequel occupait, comme chez les pieuses gens, tout un pan de mur dans un angle de sa pièce. Et, de fait, par un grand miracle des prières du saint homme, Maria recouvra la vue. Et ce fut en y voyant aussi clair qu’est plus claire que le soleil la Vérité, qu’elle vécut dorénavant en toute clarté les dix années qui lui demeuraient encore à vivre.


Un autre jour, le Bienheureux Nicolas se trouvait

avec le Staretz dans sa cellule, lorsqu’y survint un jeune visiteur

arborant fièrement une belle toque de zibeline. L’on vit alors, non sans surprise, le Père Nicolas, d’entrée, se jeter sur lui, pour la lui arracher de la tête. “ Je ne te la rendrai pas!” criait-il, furieux, “ parce qu’elle ne t’appartient pas. La tienne est encore dans le train où tu l’as laissée.” Et comme, pour finir, le jeune homme, feignant l’étonnement naïf de l’hypocrite menteur, pratiquant, en schyzophrène, le schyzoïde déni de sa réalité, quoiqu’il eût été surpris en flagrant délit de vol, demandait au Saint Père de lui donner les explications de cette violente sortie hors de soi, ignorant que c’était à ses démons qu’en avait le Saint, ce dernier, comme s’il en visionnait toute la scène, livra le fin mot de l’histoire : “ Il y avait,” répartit-il, “ sur une banquette étendu du train, un homme ronflant et lourdement assoupi, cuvant la boisson dont il était pris, pour s’en être la veille enivré; et, près de lui, posée, sa toque neuve.” “ - Oui”, poursuivit, les yeux baissés, le jeune homme confondu, “ je l’ai prise pour moi, et, tout en me l’appropriant, je plaçai en son lieu et place, pour la lui substituer, ma vieille toque usagée, laquelle me faisait honte. ”



Au Bienheureux Nicolas advenaient toutefois de bien plus étonnants prodiges encore. La nuit venaient les Anges Saints, divinement psalmodiant, lui porter les Saints Mystères, pour qu’il y pût communier, lorsqu’il ne pouvait se lever pour se rendre aux Vigiles des Agrypnies, ces longues Veilles de prières, qui s’officiaient l’entière nuit dans l’Eglise. Mais, pour ce qu’ils avaient revêtu l’aspect de Moines du Monastère, et que celui qui marchait en tête de leur Saint Cortège

avait pris la semblance et les traits de l’Higoumène qui en avait la direction spirituelle et confessait le Bienheureux, il ne saisissait point que c’était là quelque Visitation du Ciel. Et, plein de gratitude pour ses frères, il songeait à part lui : “ Oh! Quel Amour pour moi ont donc mes frères et mon Père Higoumène! Sans même attendre l’aurore, ils viennent de nuit soulager mes maux, mes douleurs, mes afflictions, et ma peine!” Et le Saint Père Nicolas qui, selon son Humilité ordinaire et son accoutumée Simplicité , regardait ce Céleste Prodige comme l’événement le plus banal qui lui pût advenir, long temps ne s’était à personne confié de ce miracle tout merveilleux.


Or, le Starets apprit quelque jour, de la bouche des Moines, que, depuis son entrée au Monastère, il y avait de cela bien des années, jamais le Hiéromoine n’avait communié.

Fort attristé de si déplorable nouvelle, le Père Zacharie s’en alla donc en sa cellule trouver le Moine malade, s’offrant à le confesser et à lui venir porter la communion. Mais le Bienheureux, déclinant son offre charitable, néanmoins l’en remercia, disant : “ Si tu savais quelle immense Joie il m’est donné d’éprouver lorsque, lors des grandes Fêtes de l’Eglise, l’Higoumène et les frères me la viennent en personne porter!” Et il lui découvrit, par le détail, les circonstances et le mode sur lequel, chaque fois, se faisait cette venue. Lors le Staretz, comprenant que le Frère lui faisait appréhender là, et comme tangiblement toucher du doigt, quelque grand Mystère, fut saisi de stupeur, et, de confusion, demeura muet. Il saisissait bien à présent que le Saint Père Nicolas recevait la Faveur Divine de Visitations du Ciel. Et ce n’est que lorsque fut endormi de son dernier sommeil le grand Moine aux Longanimes Souffrances, à l’Imitation de Son Christ, que le Starets Zacharie s’assura pleinement de l’existentielle effectivité du Miracle, vérifiant auprès des Moines du Monastère qu’ils n’étaient de fait jamais venus donner au Saint Père Nicolas, nuitamment, la Sainte Communion aux Divins Mystères du Christ.




***









































V





CINQUIEME PARTIE





LA VENERATION TOUTE PARTICULIERE




DU SAINT STARETS ZACHARIE




POUR LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU






























A notre Toute Sainte, la Mère de Dieu et Vierge, le Starets Zacharie, à l’instar de Saint Séraphim et de tous les Saints de notre Bienheureuse Orthodoxie, vouait une immense Vénération, à la mesure de l’Amour sans limites qu’il Lui portait.

Lui-même ne voyait du reste à son Enseignement Spirituel d’autre fin que de transmettre à ses Enfants En Christ, comme le legs le plus précieux de l’Héritage Ecclésial, un peu de son brûlant Amour pour la Vierge, sa Reine. Tel était, en effet, le fondement des préceptes qu’il leur léguait :

“ Ne commencez jamais rien”, leur disait-il, sans implorer la Bénédiction de la Mère de Dieu. Et, lorsque vous aurez achevé, de nouveau, rendez Grâce à la Reine des Cieux.”

“ Pour chacune chose que vous entreprenez, demandez d’abord Sa Bénédiction à la Reine du Ciel, et notre Seigneur, lors, vous élèvera sur le premier degré de l’Echelle de la Grâce que constitue et prodigue tout ensemble l’Ascension Spirituelle de vertu en Vertu. Or, ce premier degré en est la reconnaissance de vos péchés. Qui ne se voit point, ni son âme au miroir, ne se peut corriger, amender, ni adorner des Célestes Vertus”.

“ Je crois fermement, ” disait-il encore pour leur Edification Spirituelle, que si vous vous efforcez d’acquérir une pleine conscience de la perpétuelle Présence à vos côtés de notre Seigneur et de la Reine des Cieux, et que, tout en gardant à chaque instant ce sentiment fortement présent à l’esprit,

vous vous attachiez à n’accomplir rien que vous n’ayez préalablement demandé à la Mère de Dieu de vous couvrir par Ses Toutes Saintes Prières, et de vous bénir, vous et ce que vous vous apprêtez à entreprendre, alors vous recevrez d’En Haut le Charisme de la Prière Incessante qu’est la Prière du Coeur des Saints Hésychastes, et, avec lui, le désir de n’accomplir rien que ce qui Plaît à Dieu, et tout ce qui Lui est Agréable”.

“ En l’Ame de chacun des Siens se Réjouit le Christ, par l’Intercession de la Mère de Dieu Toute Sainte. Priez donc Sa Mère Toute Pure, et voici que vous serez sans cesse avec Elle auprès de Son Fils ”.




***


Le Saint Starets regardait encore un devoir très nécessaire que l’on veillât à toujours allumer les veilleuses brûlant devant les icônes de la Toute Sainte.

Et s’il advenait à quelqu’un qu’il tombât malade, il insistait pour que l’on fît sur lui le signe de la Croix, avec un peu d’huile prise à la veilleuse d’une Icône Miraculeuse de

la Mère de Dieu.

Enfin, il exhortait ses Enfants Spirituels à redire sans cesse la belle Prière de la Salutation Angélique de l’Archange Gabriel à la Pure Jeune Fille de Judée, que s’était Choisi Dieu pour Fiancée, et Mère de Son Fils, celle même Prière de la Fête de l’Annonciation, que Sauve et Garde en son Saint Patrimoine notre Sainte Eglise Orthodoxe :

“ Salut! Mère de Dieu et Vierge,

Marie Pleine de Grâce,

Le Seigneur Est Avec Toi! Tu es Bénie entre toutes les femmes,

Et le Fruit de Tes Entrailles est Béni,

Car Tu as Enfanté le Sauveur de nos âmes!”


Et rien ne le réjouissait comme de voir quelqu’un lire en son Office le Canon de la Toute Sainte, tel qu’elle était venue l’enseigner en personne à Saint Séraphim de Sarov, lequel consiste à redire cent cinquante fois le jour cette même prière de d’invocation : “ Salut! Mère de Dieu et Vierge...”




***




























VI





SON CHARISME DE CLAIRVOYANCE










































Comment le Charisme de Clairvoyance, au degré si élevé de clarté dans l’acribie et la précision où le possédait Zacharie, eût-il pu ne pas inspirer de respectueuse crainte à ceux qui, de son vivant, l’approchaient, comme à ceux mêmes qui, en ce jour, miraculeusement, lisent, en quelque Synaxaire d’Eglise, entre leurs mains tombé, tel que, par quelque non moins miraculeux effet ménagé par la Providence, il échoit à leur vue, le récit de la Vie Toute Merveilleuse du Saint Starets? Car, en effet, dans le Coeur si parfaitement purifié du Saint, était venue la Grâce Inhabiter de l’Esprit de Sainteté, sous son regard, élargissant, trop étréci par les hommes étriqués, d’individualiste égoïsme, d’oeillères aveuglés, le vaste horizon du monde à l’univers, abolissant toutes les étroites limites convenues d’espace et de temps, et conférant au Bienheureux Connaissance du passé et de l’à venir, comme aussi de ce qui, dans le même temps et au même instant, survenait en un autre lieu de l’espace sous le Ciel habité, comme aussi dans le coeur de celui qui, pour l’heure devant ses yeux, s’entretenait présentement avec lui.



C’est ainsi qu’un jour qu’il était à table avec ses Enfants Spirituels, on le vit se lever soudain, comme mû d’une Divine Inspiration, et s’exclamer avec transport : “ Ah! Ma Pélagie!...Comme elle se repent!...Comme elle me supplie de lui pardonner, et comme elle pleure avec contrition!...Allons, laissez-là cette table, et venez avec moi prier pour son âme!” Il marcha vers l’iconostase pour y lire une prière, puis, En Esprit, bénit Pélagie. Et comme ses Enfants lui demandaient où elle se pouvait trouver en cet instant, il leur répondit qu’elle était au loin, dans une province du Nord, mais qu’à son retour elle leur exposerait plus au large ce qui s’était passé en elle. Et, de fait, lorsque six mois plus tard, Pélagie revint, elle confia d’elle-même quel profond repentir avait été le sien, et avec quelles larmes elle avait imploré le pardon du Géronda, au jour et à l’heure précis où le Starets en avait eu la Révélation.


Une autre fois, comme s’allaient rendre chez le Starets deux femmes pour se confesser à lui, qui faisaient route ensemble, l’une d’elles, à tout instant, se remémorait et se représentait à l’esprit ses péchés, et son coeur était à la Pénitence, au point que, versant d’abondantes larmes, elle implorait du Seigneur Son Pardon; cependant que l’autre, personne fort superficielle, l’esprit occupé de rien autre que de fariboles, et mondaines futilités, ne faisait que songer à de frivoles vanités. Elle ne s’inquiétait donc, chemin faisant, que du vêtement qu’elle pouurrait bien acheter à sa fille pour compléter sa garde-robe, déjà pléthorique, au demeurant, des teintes dont elle l’assortirait pour réaliser aux entours quelque coordonné dans le vent, et mille autres bagatelles mêmement pitoyables. Or, parvenues à la cellule du Saint, à peine y étaient-elles entrées que, sans leur laisser le temps de lui faire le moindre aveu en guise de confession hâtive, il dit à la première, laquelle était pieuse femme : “ Agenouille-toi là, ma fille, que je lise sur ta tête, que tu gardes si humblement baissée, la prière d’absolution.” “ - Mais, Père Saint!...” se récria-t-elle, saisie d’un esprit de pieuse crainte, “ je ne me sui pas encore confessée à toi de mes fautes, ni de mes pensées...” “ - Cela n’est point nécessaire, ni n’est ici d’aucune utilité,” répondit le Staretz. “ Ne t’es-tu pas ce pendant déjà confessée au Seigneur?...Tout au long du chemin, tu t’es repentie. Je t’ai entendue...Oui, j’ai tout entendu...A présent, je te vais pouvoir donner l’absolution de tes manquements, et des pensées qui ont échappé à ta garde du coeur.

Et, demain, tu communieras.” Puis, se tournant vers la seconde : “ Allons”, lui dit-il; et son regard s’était fait sévère. “ Va donc faire tes emplettes; oui, va perdre ton temps à courir les magasins, puisque tu ne sais point d’autre sorte occuper un temps si précieux pour ce qu’éphémère. Arrête-toi devant mille babioles inutiles, et achète enfin ce tissu dont tu rêves pour ta fille...Regarde bien au coloris, surtout, et songe à étudier au plus près la dernière coupe à la mode, qui, demain, a toutes chances de changer encore. Et lorsque tu te seras véritablement repentie, reviens, et confesse-toi. Mais pas avant. Tu ne dirais rien de vrai, de sincère, ni de profond. Cela ne servirait de rien.”



***


Une vieille femme vint un jour, avec une parente à elle, toute jeune, et comme éclatante de santé, visiter le Starets. Tout-à-coup, néanmoins, le Saint se tournant vers la jeune fille, lui dit d’un ton d’une fermeté qui laissait sans réplique : “ Il faut, demain matin, que tu communies...Tout-à-l’heure, tu reviendras te confesser. Mais va d’abord serpiller et lustrer les marches de l’escalier. Si je te dis cela, bien qu’elles soient presque propres, c’est pour qu’à chacune des marches, tu te rappelles l’un de tes péchés, et que, pour chacun d’eux tu fasses la pénitence appropriée... Puis, lorsque tu auras fini, songe à la manière dont l’âme, à la fin de son temps sur terre, s’élève vers le Haut, pour ce devant au préalable passer les redoutables péages du Ciel, où lui seront, à chacun, demandé puis mis en examen les divers comptes relatifs à chacun des actes de sa vie sur terre.”

La jeune fille, trouvant bien l’injonction quelque peu étrange, s’en fut toutefois obéir à la volonté du Starets. La vieille parente, quant à elle, ignorant tout de la conduite de vie par quoi se peut acquérir l’humilité vraie, émit tout haut quelques réserves marquant sa réprobation devant l’imposition à une noble demoiselle d’un office aussi servile que dégradant, au motif qu’elle était ennuyée que sa protégée communiât sans s’être d’abord préparée par le jeûne. Mais le Saint se fit fort d’apaiser ses faux scrupules :“ Demain, ” lui dit-il, “ tu comprendras. Reviens après la Divine Liturgie. Nous en reparlerons, lors.” La jeune fille, ayant achevé son nettoyage des escaliers, s’en revint voir le Starets, pour se confesser à lui, et recevoir sa bénédiction. Puis, le jour suivant, elle communia, et, toute joyeuse, s’en retourna chez elle. Alors, comme elle s’était paisiblement assise sur une chaise, elle parut soudain s’endormir...Notre Seigneur avait de la sorte pris son âme, - tout ainsi, de la façon la plus simple et la plus tranquille qui se pût faire, doucement, à son insu, comme en son sommeil. A cette vue fatale, saisie d’une grand crainte, pour au tant respectueuse, la vieille duègne aussitôt courut chez le Saint, pour lui faire part de ce qui était advenu. Quelle ne fut point sa surprise, lorsqu’elle le trouva psalmodiant un Trisaghion ( 13) pour le repos de l’âme de sa jeune fille!...Et, lorsqu’il eut achevé de chanter son Trois fois Saint - Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabbaoth...- : “ Pourquoi t’être inquiétée?” lui dit-il. - Et sa voix rassurante marquait un calme rassérénant, quasi surnaturel -. “ J’ai su, tout simplement, que Notre Seigneur allait la prendre. Et c’est pour quoi je lui ai procuré la faculté de communier en Pénitente.”


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Deux jeunes filles, étudiantes en Théologie, vinrent quelque jour trouver le Starets jusqu’en sa cellule, désireuses de l’interroger sur nombre de points épineux de doctrine dont elles se voyaient fort embarrassées, ne sachant le mode de leur résolution véritablement Théologique. Il en était même tant, qu’elles avaient dressé par écrit la liste de ces difficultés théologiques. La première de ces jeunes étudiantes s’apprêtait donc à lui soumettre un rébus de quinze questions, cependant que la seconde n’en avait pas moins de quarante à disposition en sa réserve de théologienne de banc d’université. Mais lorsque, parvenues en vue de la cellule du

Saint, elles s’avisèrent qu’il ne leur faudrait pas moins attendre que de longues heures, leur tour ne venant qu’ultérieurement à une grande foule de gens massés là depuis bien auparavant, et que le Starets verrait donc en priorité avant que ne fût échu leur tour enfin, elles ne purent s’empêcher de marquer leur déception, et de manifester leur impatience.

C’est alors que, se tournant vers elles, le Starets les pria de sortir un papier et un crayon, et, sans même qu’il eût pris le temps ni la peine d’en consulter le scolastique énoncé, de noter, dans l’ordre, la réponse de l’Esprit de Sainteté à chacune de leurs artificieuses questions d’érudits en chambre, spirituellement inexpérimentés quant à Ses divers Modes de Manifestations en l’existentielle effectivité de la Vie En Christ. Et elles s’émerveillaient à voir que, les reprenant en leur ordre, il détaillait par le menu l’exégétique explication et résolution En Esprit des litigieuses difficultés proposées, dont elles étaient, avant que de se voir à présent par lui éclairé, lequel avait reçu l’Esprit, qui Tout, Illumine désespérément demeurées si long temps perplexes.



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VII



SEPTIEME PARTIE





L’ACQUISITION DU SAINT ESPRIT,




ESPRIT DE SAINTETE


































Fidèle à l’Ecriture, comme à la Tradition des Saints Pères Hésychastes, - et plus particumièrement à l’enseignement de Saint Séraphim de Sarov qu’il tenait en immense vénération -, le Starets Zacharie redisait après lui, le proclamant à qui voulait l’Entendre, qu’il n’est d’autre but à la Vie Chrétienne que l’acquisition du Saint Esprit, en suite de quoi l’humaine Nature régénérée, Illuminée, et Fortifiée par la continuelle réception de l’Esprit, demeurant en Présence Inhabitant le Coeur des Saints, qui avaient lutté à devenir ses dignes réceptacles, vases fragiles devenus Forts de Sa Surefficiente Puissance, cette Nature Recréée donc de l’Homme Nouveau se pouvait acquitter enfin, en Vive Conscience, avec Intelligence Spirituelle, de toutes ces belles oeuvres bonnes que dicte l’Amour de Dieu rejailli sur les Frères.


La Sainte Tradition de l’Eglise Orthodoxe n’enseigne-t-elle pas, en toute Orthodoxie, que c’est au seul Nom du Christ, Fils du Dieu Vivant, Agissant En Esprit, qu’il nous faut pratiquer les Chrétiennes Vertus, et que se peut, par elles, acquérir le Très Saint Esprit? Car, c’est “ le Fruit de l’Esprit” qui mature le Coeur des Saints, enquel Fruit sont lovés tous les Divins Charismes attestant que ce pendant même qu’ils marchent en cette vie, ils se meuvent En Vérité en la Surnaturelle Sphère du Monde d’En Haut venu peupler le leur. Mais la fausse vertu, sèche et déchristianisée, des athées dits vertueux n’est que gangue creuse vidée de toute la Substance Vive de l’Esprit qui sans cesse, des flux ininterrompus de sa sève, nourrit, alimente, et croît ce fruit, jusqu’à le transplanter Arbre au Surnaturel Paradis venu, tout entour lui, se substituer tout au stérile terreau de son existence d’antan. Rien n’est la vertu prétendue des athées que liste obligée de devoirs et d’exercices imposés, de bonnes actions ponctuelles, sporadiques, médiocres, inefficientes, hypocrites, vantardes, et stériles, et moraline asphyxiante d’insupportable carcan, spoliée de toute Spirituelle Essence.

Pareille vertu de façade, laquelle est vertu sans Esprit, ressemble aux vierges folles, lesquelles étaient bien en possession de ces lampes que sont les vertus, mais auxquelles veilleuses faisait défaut l’huile pour les en alimenter en continu, lequel est le Saint Esprit Vivifiant, qui point ne cesse de faire Ses Emanations sourdre sur ceux auxquels Il octroie Ses Illuminatives Insufflations.

La Prière a, disait encore le Starets, et recèle beaucoup de Force, pour ce qu’est elle qui, plus qu’aucune autre vertu, nous confère le Saint Esprit. Et, sur ce point, le Starets se montrait très insistant, s’en allant répétant au long que c’était par l’entremise de cette Invocation de la Prière Hésychaste au Seigneur Jésus Christ, implorant humblement Pitié sur son âme, que se laissait attirer l’Esprit, lequel ensuite, descendant sur cette âme, plus ne la quittait, mais, sans cesse, spirituellement la fécondait, jusqu’à la faire, dès sa terrestre vie, comme en palimpseste de cette même vie sienne, entrer toute dans le Surnaturel. Aussi n’avait-il de cesse qu’il n’exhortât ses Enfants Spirituels à Prier toujours davantage, sans cesse répétant les mots de la Prière du Coeur, qui bat au Coeur des Hésychastes : “ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi, Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi...”, et d’ainsi, la redisant tout le jour, lutter avec Force pour obtenir d’en soi recevoir l’Esprit, lequel est Esprit de Sainteté. “ Quel homme

pourrait-il être dit Sage”, aimait-il à redire ensuite, “ hormis celui

qui possède le Saint Esprit?”





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VIII







SON ENSEIGNEMENT SUR LA PRIERE




























Le Starets Zacharie, peu à peu, était devenu tout Prière. Il n’était plus désormais en sa Vie un seul instant où il ne fût En Communion avec Dieu. De là, bien souvent, que ses Enfants Spirituels, lui demandaient de les enseigner sur les Secrets de la Prière. Quelle simplicité de Coeur, quelle profondeur de vues, aussi, émanait lors de ses exhortations et de ses conseils spirituels!

“ Mes Enfants!”, disait-il, “ tâchez d’acquérir l’Esprit de la Prière Incessante. Sans vous lasser, demandez-le à la Mère de Dieu qui, sans jamais dormir, veille en Prière pour nous!”


“ Sans Prière”, disait-il encore, “ l’homme ne vit pas; il ne respire pas, mais se dessèche, s’étrique, s’étiole, s’asphyxie, et, si même il n’en a plus ni point conscience, chaque instant davantage se meurt. ”


“ Prenez donc l’habitude de ne rien entreprendre, de ne rien commencer sans la Prière.”


“ La Prière est Mère d’Humilité. Et, sans Humilité, il n’est point de Salut.”


“ A chacune de vos mouvances, de vos paroles, pensées, faits, et gestes, tâchez à marier la Prière.”


“ Ne dites pas vos prières à la hâte, comme à la course, ou bien au pas de charge. La Prière est la santé de l’Ame comme elle est le profit du Coeur.”


“ Si même il nous incombe en société de tenir de mondains discours, il sied que, dans nos Coeurs, nous gardions la Prière.”


“ Il ne faut pas que la prière devienne mécanique, ni qu’on la dise à la manière impie, sans éprouver la crainte de Dieu, parce que cela constitue une offense à la Prière.”


Et ce qui faisait ainsi parler le Saint Géronda, c’est qu’un jour, dans sa cellule, il avait tremblé en voyant, debout devant les saintes icônes de son iconostase un démon. Sa figure était celle d’un grotesque, et il faisait mine de s’occuper à lire le Psautier, qu’il anônnait de façon incohérente et décousue. “ Que fais-tu donc là?”, gronda le Starets. “ Moi?” fit le démon, l’air de Rien. “ Je tourne la prière en dérision, par là m’exerçant au péché de blasphème qui vous fait tant horreur à vous, les Moines, et vous hérisse tout, jusqu’à vous faire exploser à notre encontre de colère et de rage. Oui, je viens te faire enrager!” Il eut un horrible rire sardonique, et disparut. C’est ainsi, toutes proportions gardées, qu’attentent à la dignité de la prière tous ceux qui la font à l’étourdie, lisant leur office de façon heurtée et décousue, sans garder fixée sur elle toute leur attention concentrée, ni ressentir en leur coeur la crainte de Dieu.”



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IX







AUTRES ENSEIGNEMENTS





























“ Il convient ”, disait-il encore, “ que chacun sache discerner les rêves, et, d’entre eux, ceux qui viennent de Dieu, lesquels, immanquablement, confèrent à l’âme Immense Joie puis, de là, rassérénante Paix, supérieurement ineffable. De tels rêves incitent le coeur au Repentir et à la Pénitence, chassent les pensées orgueilleuses, puis éveillent l’être à la lutte encontre le péché.”


“ Faites chaque jour l’aumône,” enjoignait-il. “ Le jour qui sans aumône passe est perdu pour l’âme et pour l’éternité. Nos aumônes, tout au contraire, apprêtent l’homme intérieur à recevoir la Grâce du Saint Esprit. “ Bienheureux les Miséricordieux, car ils obtiendront de Dieu Miséricorde.” Les aumônes ont devant Dieu tant de force que, jusque dans la gueule de l’Enfer, elles ont le pouvoir d’aller rechercher une âme. Car toujours devant le Trône du Seigneur se tient l’Ange de cette Vertu, décomptant bien haut à la Face de Dieu quelles, en ce Jour, ont été les aumônes, et quels les Aumôniers.”

A la porte de l’immense Saint Monastère de la Lavra des Grottes de Kiev en Ukraine, peuplées des cercueils de verre des grands Saints qui s’y sont endormis, ce jour offerts à la vénération des pieuses âmes qui, sous les basses veilleuses, en ces étroits tunnels blanchis de chaux, aux murs saturés de Saintes Prières, En Esprit proférées, les y viennent embrasser, Patriarches, Evêques, et Moines, qui y vécurent Reclus les plus difficiles Ascèses de ce monde, se tenait une mendiante folle En Christ.

“ Qui donne l’aumône”, disait-elle, “verra le monde tourner autour de sa Prière.”

“ Retenez toujours ce fait bien présent à l’esprit, que le Seigneur à chaque instant vous regarde, examinant tous vos actes, scrutant vos sentiments, comme pesant aussi chacune de vos pensées. Oui, tout ce que vous faites, accomplissez-le sous l’Oeil du Christ Tout Puissant, qui en tout instant vous Voit, comme, du haut du dôme basilical, coupolée, son Icône mosaïquée de Pantocrator”.


“ Il n’est point d’Ascèse plus Haute”, murmurait-il, “que de souffrir et supporter sans murmure tout ce qui, en cette vallée de larmes, nous peut advenir. Et celui qui, jusqu’à la fin, aura tout porté et supporté, celui-là sera Sauvé.”


“ Si, Longanime,” ajoutait-il, “tu sais, sans murmure, tel un Martyr, souffrir l’affliction, alors, en ce, tu rends au Christ Témoignage de ta Fidélité à Lui, et, silencieusement tu proclames à la face du monde et de tous ton Attachement à Ton Sauveur, Lui chantant, sur tous les tons de la Divine Psalmodie, ton Amour pour Lui, le Ressuscité des Morts, qui, tous, nous appelle à Ses côtés.”


“ Il sied que chacun ait pour premier de tous ses soucis et ses soins la pureté de son âme. Or, seule est pure l’âme qui, tout entière, a fait Don d’elle-même à Dieu. Mais avant que d’y atteindre, il convient au préalable que l’âme ni ne mente ni ne se livre à la malignité, s’y abandonnant jusqu’à rouler au fin fonds de l’abjection de l’Enfer, et que point non plus elle ne se désespère.”


“ A toute force, et de tout notre pouvoir, il nous faut, avec un saint et profond Amour, vouloir alléger le joug pesant d’autrui, et, davantage encore, celui des plus infortunés qui plus ne savent comment survivre à la tribulation sans fin de leur condition de misère. Et il nous faut aussi vouloir gagner à Dieu d’autres âmes

qui ne le connaissent point pour n’en avoir nullement été droitement enseigné. De fait, c’est de même manière aussi que nous sommes nous mêmes gagnés à Lui par notre Vie de Pénitence incessante. Car, c’est un Dieu d’Amour que notre Dieu.”


“ Nul ne possède le Charisme du Discernement des esprits, qu’il n’ait d’abord, en Hésychaste, reçu celui de la Prière Incessante du Coeur.”


“ De toutes vos forces, fuyez le péché, et, avec l’Aide et le Secours de la Reine des Cieux, combattez les forces ténébreuses du Mal. Alors, plus vous approcherez le Seigneur, plus

au-dedans de vous s’ouvriront les Yeux de l’Humilité, et plus finement vous appréhenderez à quoi peut l’état ressembler d’un profond Repentir, en sorte de vous y pouvoir perpétuellement tenir.

Et si, sans vous lasser jamais, toujours vous redites en esprit la Prière de Jésus, celle des Hésychastes, descendue en leur coeur :

“ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi pécheur”, vous approcherez plus vite, et vous tiendrez plus près encore de notre Christ, qui, par après, sans trop tarder, vous inspirera le Céleste et Divin Amour de tous vos frères sur la terre, fussent-ils même vos ennemis.”


“ Jamais, en aucun cas, ne laissez vous gouverner la tristesse, ni, d’aucune façon, établir sur vous son empire. Car, c’est là ce que veut le Diable. Sa stratégie est de décourager l’âme, pour la pousser au désespoir, et de là à la mort, en lui suggérant d’attenter à ses jours. Oui, le Diable veut la mort de l’homme, l’empêchant, par tous les moyens, de vivre à cette fin de faire pénitence, et de pouvoir faire son Salut. Le désespoir est le bourreau de nos âmes, en mettant à l’épreuve, puis à mort en nous

le Désir captant l’Energie Spirituelle, dont nous avons tant besoin pour recevoir en nos Coeurs le Saint Esprit. Trop abattu par l’affliction, l’homme perd toute aptitude à prier, et, privé de cette capacité, dénué de toute faculté de prière, son être est tout entier mort au Combat Spirituel que requiert d’abord la Vie En Christ, avant que ne pût la Grâce décerner aux vainqueurs les Trophées des Vertus, et la Surnaturelle Existence, menée sous les auspices de l’Esprit de Sainteté, qui jamais plus par après n’abandonne l’Ame.”


Et il lui advenait de clore l’entretien spirituel, au cours duquel il avait à ses Enfants imperceptiblement soufflé, comme par bribes, quelques-uns des Secrets sans Prix qui sont d’En Haut à Ses Saints Révélés par l’Esprit Illuminant ceux qui vouèrent à l’acquérir leur entière Vie En Christ, en psalmodiant ce verset (24-25) de l’Epître de Jude :

“ A Celui Seul qui nous Peut Préserver

De toute chute, et nous faire devant Sa Gloire

Paraître, irréprochables,

Et tout emplis de Divine Allégresse,

A Dieu notre Seigneur,

Par Jésus Christ notre Sauveur,

Soit la Gloire, la Majesté,

La Force, et la Puissance,

Dès avant tous les Temps,

Maintenant,

Et aux Siècles des siècles!







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Par les Prières de notre Père Zacharie, Ton Saint,

Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie Pitié de nous!


Amin.



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