mercredi 15 septembre 2010

VIE DE SAINT ZACHARIE.

VIE DU SAINT STARETS ZACHARIE




Auteur Anonyme du Ménologe russe.



Libre traduction de Presbytéra Anna.

Nouvelle édition revue et corrigée pour

les Editions Phos diffusées sur Internet.





***




Le 2 septembre 1850, au jour que l’Eglise célèbre l’éternelle mémoire de Mamas, le Saint Martyr, naissait dans la province russe de Kalonga, près de Moscou, celui dont la vie toute admirable et parfaite répandrait bientôt sur les âmes affligées, sublime et merveilleux, le Parfum d’une Fleur de Paradis, exhalant l’ Embaumante et Suave Senteur du Très Saint Esprit. A ce fils, qui était le dernier de leurs onze enfants, Dimitrievitc et Tatiana Miraevna, ses parents, de simples et pieuses gens du village, donnèrent le nom de Zacharie, le plaçant ainsi sous la Divine Protection de Saint Zacharie, Père du Vénérable Précurseur et Prodrome Saint Jean le Baptiste.




























I






PREMIERE PARTIE






ENFANCE




AUPRES




SA SAINTE MERE





























Tatiana Miraevna, mère de Zacharie, était une Ame Sainte, qui, devant Dieu, jouissait d’une grande Assurance. Aussi, abreuvait-elle son fils aux Purs et Saints Courants des Ondes de la Piété. Et lui, en retour, petit arbrisseau toujours assoiffé, ne pouvant assouvir de Dieu son grand Désir, une à une, buvait les paroles bénies tombées des lèvres de cette Mère Bienheureuse, Temple Vivant de Sagesse. Si bien qu’à force, tant à son exemple, par imprégnation appris, à vivre à ses côtés, y racinant, et germinant, que par ses Prières, de Croître en Esprit de Sainteté, il devenait grand Arbre, platane ombragé de la Grâce, dont l’épais feuillage, déjà, invitait sous sa ramée les fidèles, les appelant à goûter au réconfort qui raffermit les âmes. Car, à son fils encore tout enfant, Tatiana, cette paysanne trois fois bénie, avait enseigné la crainte de Dieu, l’amour des pauvres, et la compassion pour les malades. Plus tard, avec le temps, c’était, entre toutes ses vertus, à celle-ci surtout, à cette Compassion, lors devenue parfaite, que l’on reconnaissait le Starets. Mais telle enfance, marquée toute d’événements plus extraordinaires les uns que les autres, laissait à l’avance présager assez à quelle Vie Sainte et Sublime le Seigneur destinait Zacharie.

Il n’avait pas sept ans qu’il lui advenait à la dérobée de quitter déjà les siens. Alors, des jours entiers durant, il s’enfonçait dans les bois, l’esprit à la seule Prière appliqué. C’est ainsi qu’il grimpa quelque jour au faîte d’un sapin, où il demeura jusqu’à la nuit tombée, qu’il y passa par après tout entière en Prière. Lorsqu’au matin il eut faim, il descendit de son arbre, mangea quelques racines agrémentées de touffes d’herbes, puis, réescaladant son mât de forêt, regagna les hauteurs du ciel, où il reprit son poste de vigie. Cet exploit de moine stylite se continua plusieurs jours encore, ce pendant que son Coeur, tout empli d’un divin zèle, se dilatait à mesure d’une immense Joie Spirituelle.

Tatiana, elle, ce même temps, en proie au plus grand désarroi, avait couru demander les Prières, pour le retour de son fils disparu, au prêtre du village. Le Père Alexis, saint homme, au demeurant, et dont les saintes Prières accomplissaient des miracles, rasséréna la mère folle d’angoisse, lui prophétisant en outre que, plus tard, ce fils bien-aimé deviendrait Saint.


***


La Grâce en Tatiana continua de surabonder, jusqu’à ce qu’un jour elle sentît approcher sa fin. Faisant venir à elle tous ses enfants, elle les bénit, puis, se tournant vers l’une de ses filles : “ Matia”, lui dit-elle, “j’ai fait à tous mes adieux, hormis à Zacharie, mon fils bien-aimé, auquel je n’ai pu encore, en son absence, donner ma bénédiction. Mais je ne mourrai pas que je ne l’aie béni. Je m’en vais donc demander à Dieu un peu de temps encore...le temps que tu ailles à la ville, mon enfant aimée, lui porter la nouvelle que je m’en vais mourir, à Dieu retourner.” Peu de temps après, Zacharie, tout en larmes, arrivait. Sa mère alors, comme à l’avance l’ayant vu et su, par don de clairvoyance, se mit à lui prédire tout son avenir : Il lui faudrait passer par bien des épreuves - et, ici, parvenue à ce point de ses dires, elle les lui énuméra toutes; mais, à la fin, il deviendrait moine. Puis, lui remettant une icône de la Toute Sainte Mère de Dieu de Kazan : “ ...Ton Guide,” murmura-t-elle. Après quoi elle pria Zacharie de s’en retourner à la ville où l’attendait son ouvrage. Elle ne voulait pas même qu’il interrompît sa besogne le seul temps de son ensevelissement. Il lui suffisait, lui enjoignit-elle, se recommandant à ses Prières, que son fils, au loin, priât pour son âme. Son fils parti, Tatiana, se redressant à demi sur le lit, fit sur son oreiller le signe de la Croix, puis, se signant à son tour, rendit à Dieu son âme très sainte. Lors, sur l’instant même, quoiqu’à l’autre bout de la ville, Zacharie sentit s’exhaler, et l’envelopper tout, un céleste parfum, plus doux et plus suave qu’un encens de roses. “ Ah!” soupira-t-il, d’affliction profonde, “ ma mère s’est endormie.”

Et, longuement, en silence, il pleura.


Long temps par après, lorsque Zacharie fut devenu Staretz, il conta comment un jour il avait vu un démon.

“ Des Chrétiens”, avait-il lors demandé à cette abjecte apparition, “ en détenez-vous en Enfer ? ” “ Et comment! ”, avait rétorqué l’autre. “ Si nous en détenons? Mais, ton père même y était! Il y serait même encore si toutes ces aumônes et ces fichues prières que tu as faites pour son âme ne nous l’avaient arraché.” “ Et ma

mère? “ interrogea vivement le Staretz. “ Ah! ta mère!” fit l’autre grimaçant. “ Non. Ta mère n’est pas avec nous. Parce que, - tu le sais bien, du reste -, tout au long du chemin qui fut sien, elle a répandu du pain. Et nous, nous avons eu beau scruter, et regarder

au plus près, jamais nous ne sommes parvenus à la voir croiser notre route, ni ne réussîmes à la voir passer seulement aux abords de nos antres.”

Aussi entendait-on souvent le Staretz redire :

“ Celui qui, dans ses prières, fait mention de Tatiana et de Jean, mes parents, le Seigneur Soi-même se souviendra de lui.”





***

























II





SECONDE PARTIE




LA VIE



TOUTE MERVEILLEUSE




DU STARETS




















































Après que se fut endormie sa sainte mère, il fallut à Zacharie, tout ainsi qu’elle le lui avait prédit, traverser une longue suite d’épreuves et de tribulations, desquelles, toutefois, le Seigneur et la Mère de Dieu Toute Sainte et Bénie le venaient par Miracle sauver. Car il était inscrit dans le Plan de l’Economie Divine qu’il se pût bientôt libérer des derniers liens qui l’attachaient encore au monde, pour se consacrer tout entier à la vie monastique.

Zacharie, tout d’abord, sans être allé jamais à l’école, se rendit au Monastère de la Toute Sainte, sis à Tripotamos, sur les bords des Rives Blanches. C’est là qu’il songeait à entrer pour s’y faire novice. Puis, de là, lorsqu’il eut accédé au noviciat, il s’en fut visiter le tant célèbre Monastère d’Optina, peuplé de tant de saints moines et de très saints ermites, en leurs cabanes de bois s’adonnant à la Prière tant plus pure qu’élevée du sein de la solitude entière de l’Anachorèse. Lui y fut donné, par l’Intercession de la Mère de Dieu, ce dont il la suppliait, le hasard providentiel d’une rencontre opportune avec le très Saint Staretz Ambroise d’Optina, célèbre, bien au-delà ses murs, jusqu’au fin fonds de la sainte Russie, pour les Miracles qu’opéraient ses Prières de Feu. Le Saint, après qu’il lui eût à son tour, après sa mère dotée de la même prophétique Proorasis, prédit son avenir, bénit sa résolution de devenir Moine, sans se retourner seulement en arrière d’un regard statufiant vers le monde qui pétrifie. “Sais-tu”, murmura lors mystérieusement le saint Staretz Ambroise, “ qu’il est pour toi planté dans le Royaume des Cieux, un Haut Chêne Vert...”


Zacharie, le Coeur gonflé de chaud réconfort, s’en revint lors en son Monastère d’origine, sis aux Rives Blanches. Il n’avait guère alors qu’une vingtaine d’années.

Il lui fallut là passer par de grandes épreuves, plus lourdes, et plus douloureuses, à les vivre en sa chair, qu’il ne l’avait imaginé à se les entendre prédire. Par deux fois il fut gravement malade, un si long temps, que l’on crut chaque fois qu’était proche sa fin. Le Seigneur néanmoins le guérit, pour ce qu’il atteignît à sainteté plus haute. C’est ainsi que Zacharie, remis sur pied, put se rendre auprès d’un Saint Ascète du nom de Daniel, lequel vivait aux entours de Kalouga.


Il demeura chez lui plusieurs mois. Il était encore à vivre auprès du saint anachorète pour en précieusement recueillir les vénérables propos, décelant une Expérience Supérieure de Vie, clef d’Intelligibilité pour l’Ecole de Sainteté à laquelle s’était mis le jeune moine, lorsque, pour la troisième fois, il tomba gravement malade. Au bord de l’agonie, lors, il fit à Saint Serge de Radonège, Saint Patron Illuminateur de la Sainte Russie, cette douloureuse prière : “ Serge, Saint Serge, mon Père! Quoique j’eusse entendu qu’il se trouvait, à ton grand Monastère de la Trinité Saint Serge, de mauvais moines, je voudrais, quant à moi, qui suis le pire de tous, vivre auprès de toi, qui, de ta Sainte Présence habite encore ces murs qu’à Dieu tu as de tes mains érigés. Aussi, Père Saint, je t’en supplie, reçois-moi au nombre des Frères de ton Monastère.” Saint Serge, sur l’instant, entendit la Prière de Zacharie, et bientôt le guérit. C’est ainsi que Zacharie, après qu’il eût reçu de Daniel l’Hésychaste sa bénédiction, s’en partit pour le Monastère de la Trinité Saint Serge.


L’entrée de Zacharie au célèbre Monastère de la Trinité Saint Serge, où il allait vouer à Dieu sa Vie entière, ne s’accomplit pas, non plus que son enfance, sans qu’il s’y vît force miracles. Car, en effet, là comme ailleurs, aux temps probatoires, de Miraculeuses Manifestations de l’Intervention de Dieu, lesquelles étaient autant de Théophanies, venaient ponctuer l’Existence de Zacharie.


Avant toutefois que d’aller, au premier instant de son entrée, faire à l’Higoumène, humblement, sa métanie, il se rendit, non loin de là, à la Skyte du Saint Staretz Barnabé, auquel le Seigneur avait également octroyé le Don de Clairvoyance. Zacharie, qui avait grand soif de lui demander ses saints conseils, lesquels, lorsqu’il les aurait recueillis seraient à même d’éclairer sa vie entière, se trouva, le temps venu d’entrer, en présence d’une foule si dense, de pieuses gens qui, tous avec la même impatiente ardeur, attendaient de voir le Staretz, qu’il désespéra que pût jamais venir son tour.


Et il se tenait là, ne sachant que résoudre, ni que faire, lorsque se produisit quelque chose de tout-à-fait inattendu. Car voici que, comme à l’inopinée, le Père Barnabé, soudain sortant de sa cellule, s’adressa à la foule à sa porte amassée, clamant à la cantonade : “ S’il y a quelque Moine, ici, du Monastère,” cria-t-il d’une voix forte, “ qu’il entre sans attendre!” Tous alors de jeter les yeux partout autour d’eux; mais nulle part ne se décelait trace de moine. Alors, pour la seconde fois, d’une voix de stentor, plus fortement encore que précédemment, le Géronda tonna : “ Laissez passer le Moine du Monastère!” Et, au même instant il dirigea son regard sur Zacharie, qu’il y posa avec insistance. Puis, il s’en vint à lui, le prit par la main, et, sur un ton de chaleureuse tendresse, jaillie d’un Coeur qui en débordait : “ Allons”, lui dit-il, “ viens donc dans ma cellule!”. “ - Mais, ” répartit, interdit, Zacharie, “ je ne suis pas du Monastère! Je suis des Rives Blanches.” “ - Oui, oui, je sais bien,” rétorqua le Staretz. Jusqu’ici, tu étais de là-bas. Mais à compter de cet instant, c’est ici, parmi nous, que tu es destiné à vivre.”

Et, sur ces mots, il l’emmena à sa cellule. Là, lui ayant donné sa bénédiction : Demeure dans notre Monastère”, lui dit-il, “ et reviens par après ici me voir.” Zacharie, étonné, dans sa confusion bredouilla : “ Père!...Mais si les moines ne m’acceptent pas?” “Ils te recevront, ” l’assura le bon Staretz. Ces mots apaisèrent Zacharie. “ Allons,” poursuivait le Géronda, “ fais maintenant ton entrée à Saint Serge, car les trois Anciens du Monastère s’en tiennent à la porte, pour t’y attendre.” Zacharie, sans plus attendre, prit la bénédiction du Staretz, et, tout joyeux, s’en fut, glorifiant Dieu.

Il arrivait en vue de l’enceinte du Monastère, lorsque, de loin, il vit, en effet, l’Higoumène se tenir à l’entrée, l’attendant avec deux Anciens qui se tenaient à la porte auprès lui. Alors, Zacharie les suppliant de le bien vouloir agréer entre les Frères de la Synodie, eux, avec empressement, le reçurent; et leur bienveillance ne fit que s’accroître, lorsqu’il leur eut dit que c’était le Père Barnabé lui-même qui l’envoyait devers eux.



***


Zacharie, qui, avant que d’entrer au Monastère de la Sainte Trinité pour y être mis à l’obéissance, avait bien des fois déjà été durement éprouvé, le fut pour lors bien davantage encore, plus peut-être que ne le fut jamais novice, de par la permission de Dieu, qui éprouve l’Or fin au creuset, pour discerner du plomb vil l’or de l’âme qu’il fait croître en sainteté. Car il était dans l’Economie Divine qu’à Zacharie fût pleinement appliquée l’apocope du Livre des Proverbes : “ Comme au creuset sont éprouvés l’or et l’argent, ainsi, devant le Seigneur, le Coeur des élus.” ( Proverbes, 17-3).


A la suite des maladies par quoi il avait passé, et dont il devait garder les séquelles à vie, une tribulation nouvelle, d’une autre espèce, l’attendait au Monastère, lui ôtant le peu de santé, fort délabrée pourtant, qui lui restait encore.

D’entre les novices figurait un ivrogne, toujours hors de lui, et vomissant des propos orduriers. Ce Théodore, qui se disait moine, était, au plus vrai, pour ce qu’impénitent au fond demeuré sous l’habit, l’ancien forçat évadé qu’il avait été, qui, pour couvrir ses vices, escroqueries, et crimes, usait de la soutane comme d’une hypocrite couverture morale, et d’un masque social, destiné à lui acheter à bon compte quelque apparence notoire de respectabilité obligée. Or, un soir qu’il était plus ivre qu’à l’acoutumée, il se rua sur la cellule du bienheureux Zacharie, en brisa la porte et, tel un fou furieux, en caractériel pathologiquement atteint, se jeta sur lui. Puis, sauvagement, à coups de pieds et de poings, il le frappa, et le piétina, jusqu’à le laisser enfin demi-mort, les os brisés, les dents cassées, les oreilles et le nez arrachés, d’où giclait le sang, lequel coulait encore du ventre, où le criminel avait, en le fracassant, ouvert une béante plaie. Tant, que c’était miracle que le jeune Rassophore eût seulement réchappé des mains de l’abject assassin, et qu’il respirât encore, lorsqu’au matin, les moines l’eurent trouvé, laissé pour mort, en ce pitoyable état. Ils eurent beau, sur-le-champ, le transporter à l’infirmerie du Monastère, le pauvre novice, quinze jours durant, y demeura en état de mort apparente, comateux, et sans connaissance, luttant entre la Vie et la Mort, en grand danger de sa vie.


Lorsqu’ayant recouvré quelques forces, il fut un peu remis, sa santé était désormais si chancelante - irrémédiablement - qu’il eut crainte de mourir avant que d’avoir été revêtu de l’Habit du Schème Angélique des moines. Aussi alla-t-il, plus mort que vif, s’en ouvrir au Starets Barnabé, auprès duquel il s’était, à cet effet, rendu en visitation. Il lui dit ce qui le tourmentait : “ Père”, s’inquiétait-il, “ce moine m’a si grièvement blessé que je crains de mourir avant que d’avoir reçu le Grand Schème. Aussi, je t’en prie, revêts-moi du Grand Habit en secret, car nul ne parle encore, au Monastère, de me faire prononcer mes voeux définitifs de Moine Grand Schème.” La réponse de l’Ancien ne fut cependant pas celle qu’il attendait : “ Non,” lui répondit, en sa Clairvoyance, le Saint Géronda, “ non, ce n’est point dans le secret, mais bien à la vue de tous qu’il te faut devenir moine.” Puis il ajouta : “ Pour le médecin, il me semble inutile que tu y ailles. Tu n’as nul besoin, non plus, de médicaments, inefficaces au regard de la Prière des Saints qui te couvrent, du Seigneur Dieu et de la Toute Sainte. Si tu fais ainsi, tu Vivras, ayant supporté, longanime, cette épreuve que le Seigneur n’a permise que pour te rendre spirituellement plus fort. Ne lui demande donc rien autre que de te secourir en tes difficiles souffrances. Oui, fais ainsi, et je rendrai compte pour toi, devant Dieu, de ton âme. De la sorte, tu vivras près de cent ans. Mais si tu perds ton temps à courir les médecins, c’est dans la fleur de ton âge que tu mourras. Toutes choses adviendront, sache-le, comme elles le doivent, mais selon la seule Volonté du Seigneur Dieu. Pour toi, sache aussi que tu seras fait Diacre, Hiéromoine, et, pour finir, Père Spirituel et Confesseur des moines du Monastère.”


De la maladie la lourde croix n’était néanmoins point la seule qu’eût à porter le malheureux. Il lui fallait en sus faire face à un état de choses devenu, de si long temps invétéré, quasi désespéré. De ce désolant état de fait, les moines eux-mêmes étaient, pour la plupart, les fauteurs responsables. Depuis les premiers temps, en effet, de son arrivée, Zacharie était en butte à l’hostilité générale. Souvent même, c’était jusqu’à la haine de lui qu’allait leur aversion à son égard. Car ils ressentaient, en leur mauvaise conscience de tourmentés, pour outrage la sainte Vie que menait Zacharie, quant eux-mêmes s’adonnaient à leurs passions et à leurs vices, les uns assaillis de pensées mauvaises, les autres, pis que noceurs et flambeurs, ou ripailleurs, obsédés de lubricité, luxurieux contre nature, homosexuels, onanistes, ou pervers, les autres encore égoïstes, ou, par excès d’orgueil, exerçant sur autrui la tyrannie despotique de leur esprit de domination, ambitieux, opportunistes, sujets aux pires emportements et plus débridés débordements, hyperviolents, colères, lâches, couards, fainéants, indolents, joueurs, fourbes, hypocrites, machiavéliques, avaricieux, prodigues, escrocs, captateurs, ou bien en proie à cent autres vices et dévoiements sadiques, desquels ont contracté l’habituation, qui, telle une peau de Nessus leur colle à la peau, leur constituant une seconde nature, les âmes brutales. Aussi le persécutaient-ils, à longueur de temps, et par toutes voies de fait, des plus brutales aux plus pernicieuses, l’empêchant même, croyaient-ils, de prier, lui dérobant son chapelet, se jouant de lui, le raillant, l’assaillant d’invectives, l’accablant de leur pitoyable mépris, eux qui, naïvement, s’imaginant que leurs démons l’emportaient sur les anges qui le servaient, se croyant supérieurs, le traitaient en idiot hébété et ravi de village. Enfin, pour achever de délabrer sa santé, ils n’avaient de cesse qu’ils ne l’épuisassent à l’excès, le traitant en serf corvéable à merci, pressé de s’acquitter de mille services, ménages et diaconies, toujours plus accablantes, jusqu’à, songeaient-ils tout bas, ce que Mort s’en suivît.


Longtemps continua ce Martyre, ultérieurement même à son ordination au rang de Hiéromoine, ce qui est dire Prêtre monachal, pour ne cesser vraiment qu’avec l’éparpillement final des moines, lorsque les eurent tous expulsés les Kgbistes athées. Et le voici lors, du reste, demeuré seul, entre les murs du monastère désormais déserté, avant que vînt son tour d’être chassé de son lieu de Pénitence. Aussi longtemps, donc, pour le dire ainsi, et le redire ici, qu’ils étaient restés à ses côtés, exaspérés par sa seule présence, qui leur était un vivant reproche qu’ils ne pouvaient plus souffrir, de ce qu’il leur était odieux, ils n’avaient point, ni jamais cessé de le tourmenter par manière accoutumée de persécution, qui leur était devenue état et disposition de quasi naturelle habituation. Entre autres tourments qu’ils lui infligeaient avec prédilection, il suffisait qu’ils l’aperçussent de loin pour crier à pleins poumons : “ Au fou! Au fou! ”, espérant, dans leur folie propre qu’inversant les rôles de la victime et du bourreau, que ce fût lui que l’on prendrait pour un fou. Car ils rêvaient, ces possédés de tous les diables, eux, ces forcenés, de le faire, lui l’innocent, déporter, et enfermer au fin fond de la cellule d’isolement d’un asile d’aliénés, pour s’en mieux débarrasser, en sorte qu’ils ne l’eussent plus sous les yeux, tel un vivant reproche, dont s’accroissaient leur conscience mauvaise de tourmentés de leurs démons.


Mais, quoiqu’il en souffrît fort le terrible et très éprouvant Martyre, tout cela, bien considéré, ne troublait guère en son fonds Zacharie plus que de mesure, quel en son for intime savait, lui, l’Amoureux du Christ, qu’en Secret Lieu de son Coeur le consolaient le Christ et Ses Saints, et qui, pour finir, ne savait leur opposer que cet aveu de son continuel entretien avec Dieu : “ Mais, jusqu’au lieu de torture le plus enfermé de l’asile se trouve encore mon Seigneur! Si donc l’on me tue, - car l’on peut tout me faire, certes, - nul, néanmoins ne me pourra faire perdre ma Foi sans bornes en Christ. Faites comme il vous plaira; mais pour moi, non, jamais, au grand jamais, je ne pourrai ni apostasier ma Foi Orthodoxe, ni me joindre à vous en complicité pour accomplir ces oeuvres mauvaises que vous voudriez me voir faire comme vous. Car j’ai pour devoir inaliénable d’obéir à ma droite conscience, et de Vivre selon les Divins préceptes.”


Mais eux, qui n’entendaient rien à ses dires vécus de Spirituelle Expérience, pour ce qu’ils n’en possédaient la moindre, de poursuivre leurs persécutions incessantes : Un jour, les frères précipitaient Zacharie du haut de l’échelle, et lui, dans sa chute, grièvement se blessait. Un autre jour, ils renversaient malencontreusement sur lui, comme par mégarde, de l’eau bouillante, qui le marquait à vie. D’autres fois, ils le rouaient de coups, lui tapaient la tête contre les murs ou le jetaient à terre, pour qu’il s’allât heurter la face sur les souches d’arbres, jusqu’au traumatisme, et, lorsque le malheureux s’enquérait en pleurant pourquoi l’on le fracassait ainsi : “ C’est,” lui criaient ces sadiques, “ pour que tu cesses de faire l’innocent, à nous jouer les saints. Tu n’as qu’à vivre comme tout le monde, après tout. Qu’as-tu besoin de toujours te démarquer des autres, comme l’huile, en émulsion, qui en l’eau ne se mêle? Oui, cesse-donc ton jeu d’histrion, ou bien nous te frapperons encore. Et tu tâteras de nos coups, et du bâton de knout. Du reste, est-ce qu’on ne frappait pas toujours les bienheureux? Les saints n’ont-ils point été gens battus, et Sainte Pélagie la Pénitente, comme Sainte Xénie de Pétersbourg, et tant d’autres Folles En Christ, des femmes battues?”


Telle était l’effarante situation où le diable, à plaisir faisant durer son supplice, maintenait Zacharie, comme s’il eût pu par là, - escomptant qu’il en sombrât dans le découragement, puis, de là, dans le désespoir, pour finir suicidé,- le détourner, pour le moins, de mener la Vie Sainte, toute d’Amour, de Bonté, de Résignation, de Patience, et d’Abnégation, Vie selon l’Esprit de Sainteté, requérant Paix, Silence, et Concentration de l’esprit en Prière appliqué de Zélote qu’il était en son âme. Jusqu’à ce que sa situation de reclus enfermé sous les coups apparût dorénavant clairement à ce point effroyable au bienheureux Zacharie qu’elle lui devînt insoutenable. Et, parce qu’il était homme, il craignit de plier sous l’épreuve, et d’en venir à pécher en fuyant son lieu de Pénitence, au risque de renoncer, renier, et jusqu’apostasier sa Vie de Repentance. Appréhendant toutefois de prendre de sa propre autorité, qu’il jugeait inaccomplie, quelque résolution que ce fût, il s’en revint voir le Père Barnabé, son Père Spirituel, pour lui demander ses conseils. S’ouvrant à lui de l’excès de ses âpres souffrances, il lui demanda si l’Ancien bénissait son désir de quitter ce monastère, où il était en butte à tant de tourments dictés par la cruauté mentale des moines dénaturés, pour s’en aller en quête de quelque autre Monastère.

“ - Non, non,” fut la réponse du Géronda. “ Pour ce, je ne te donne pas ma bénédiction. Mais, au lieu même où t’a placé la Miséricorde Divine, c’est là aussi que tu seras Sauvé. Prends garde seulement de n’amasser nul argent, de rester sobre en t’abstenant de vin, et de ne point prendre de médicaments inutiles et nocifs.”


Aussi le bienheureux Zacharie demeura-t-il en son monastère. Et c’était avec un zèle accru que, dorénavant, il menait le Combat Spirituel. Semblable constance, au plus haut point admirable, ne tarda point, du reste, à porter ses fruits. L’authentique et réelle conversion de coeur de nombre des frères ne fut pas le moindre des effets de son irradiante Sainteté de Vie. C’était le même Zacharie, si long temps demeuré l’objet de toute leur haine, qui devenait désormais l’occasionnelle cause du Salut de leurs âmes qui, ce même si long temps aussi, s’étaient à l’envi vautrées dans l’abjection mentale de leurs esprits égarés. Ainsi était-ce par lui que leur fut donné d’avant leur fin se ressaisir, assez du moins pour faire devant Dieu sincère Repentance.


Au Monastère néanmoins, l’accès à la dignité d’higoumène d’un moine fort jeune encore ne fit que consommer davantage une décadence spirituelle dès longtemps en ce lieu saint entamée, dont elle avait infléchi, dévoyé, et corrompu le cours admirable de l’angélique vie, quelle antan s’y menait. Ce nouveau directeur des âmes, s’était, à l’instigation du Malin, pris pour le bienheureux d’une haine aussi peu croyable que déraisonnée. Multipliant à son égard les vexations, et humiliations, assortis des outrages les plus cinglants, il n’avait de cesse qu’il n’eût avant qu’il se fît long temps, exterminé Zacharie de la race des hommes. Si bien que, n’y pouvant plus tenir, Tobie incita bientôt le moine Anthime à tuer le saint. Trop heureux de recevoir la bénédiction pour commettre ce crime, Anthime, qui n’en était point à son premier forfait, et que cette envie de long temps en sus dévorait, vint donc requérir Zacharie de l’aider à soulever une armoire de beaucoup trop lourde pour lui, qu’ils auraient mission de porter en quelque autre lieu. Sans balancer un instant, le bon Zacharie, avec son zèle coutumier à bien faire, accepta. Mais, au moment précis où il l’avait, par calcul de préméditation, escompté, Anthime, tout exprès, lâcha sur lui l’armoire. Le meuble, alors, de tout son poids, s’abattit sur le malheureux, l’écrasant.


Lors même qu’il gisait ainsi, brisé, sous l’énorme poids décuplé par son lancer en chute, l’autre, se jetant sur lui, entreprit de l’achever sous les coups assénés, dont il le frappait sans merci. Mais la Providence fit qu’un pèlerin vint, par bonheur, à passer, juste assez à temps pour sauver d’une mort assurée le Serviteur du Christ, à l’imitation de Sa Longanimité. Dieu, toutefois, permit qu’Anthime, pour son châtiment, peu de temps après sombrât dans la folie, et qu’en ce pitoyable état, bientôt, il mourût.


Tandis que les unes aux autres se succédaient les épreuves, le bienheureux Zacharie, ne savait, en Ange de Patience, qu’implorer son Seigneur dans les larmes. Et il suppliait le Christ qu’il voulût bien éclairer le père Tobie, son higoumène, lui inspirant avant la fin un repentir sincère, pour que son âme ne fût point pour l’Eternité perdue.


Dieu, lors, voyant de Zacharie quel était son Amour, et sa Longanimité, ne demeura point sourd aux Prières que, pour l’infortuné Tobie, lui adressait son fils Aimé. Dès lors, l’incapacité caractérisée du jeune higoumène à diriger Spirituellement le Monastère, assortie des multiples scandales dont il était cause, remonta bientôt aux oreilles de ses supérieurs hiérarchiques et des plus hautes autorités ecclésiastiques, en sorte que, de par un oukhaze - décret - du Métropolite, il fut sans plus tarder destitué de ses fonctions et de sa dignité d’Higoumène de Monastère. Mais lui, déjà, de son côté, prenant les devants en vue d’éviter un scandale public, préféra se faire porter pâle. Invoquant le prétexte de maladie, il renonça de lui-même à sa charge avant que ne tombât l’oukhaze. Il ne put néanmoins pas demeurer au Monastère, tant était grande la haine qu’avaient contre lui conçue les moines.


Il ne s’écoula guère de temps depuis sa démission que le père Tobie commença d’éprouver du remords. Par deux fois déjà il était dans sa celle venu rendre visite à Zacharie, implorant avec larmes son pardon. Il s’était fait en lui un changement si profond qu’il se préoccupait même à présent du moment où l’on ferait prêtre l’Angélique Zacharie, dont il percevait maintenant qu’en lui Surabondait la Grâce. Il désirait voir hâter le jour de son ordination à la prêtrise, pour voir Hiéromoine ce même frère dont, naguère, higoumène, jamais il n’eût accepté de célébrer à l’autel la liturgie avec lui, qui faisait l’objet de toute sa haine. Quelque temps plus tard, le père Tobie, par les saintes Prières du bienheureux Zacharie fut, de par l’authenticité comme par la qualité de sa Pénitence, rendu digne de recevoir le Grand Schème Angélique, et de quitter justifié ce monde de Vanités.


Martyr, toutefois, Zacharie ne l’était pas du seul fait des moines. Car, pour si maladif qu’il fût, lui dont, d’avoir tant souffert, le corps semblait à tout moment devoir tomber en faiblesse, ne s’en épuisait pas moins encore d’une façon qui passe l’imagination. Longtemps, il avait assumé, harassante, la diaconie de boulanger, chaque jour pétrissant plus de deux mille pains et prosphores pour l’autel, et se laissant, à la fin, tomber, exténué, sur un banc du fournil, pour y dormir deux courtes heures de nuit.

Dans un autre temps, Zacharie s’était vu assigner la diaconie de “veilleur de reliques”, laquelle consistait à se tenir auprès de la châsse contenant les Reliques de Saint Serge, d’entre les restes de sa Sainte Dépouille en son Tombeau reposant. Et quelque jour qu’il se tenait là, debout, à quelque pas du saint reliquaire, voici qu’il vit s’approcher un jeune homme dont, comme à son insu, il entendit la requête proférée en murmure :

“ O Père Serge, mon ami, je voudrais tant t’imiter! Je t’en prie: Enseigne-moi à marcher sur tes pas.” Telle était lors la supplique de celui qui, plus tard, allait devenir le grand Saint Jean de Cronstadt, et dont Saint Serge, à cette heure, entendait la Supplique.


Zacharie était, par la suite, successivement passé par toutes les diaconies du Monastère, depuis le service du réfectoire jusqu’à la tâche de maître cirier, chargé de fournir en cierges cette église de laquelle, d’autres fois, il avait la charge de l’entretien, quand on ne l’employait pas, en place, ou en sus de cela, au ménage des cellules des Anciens. Si bien qu’à la veille de devenir Moine du petit habit, dit Petit Schème, ce n’était pas moins de vingt diaconies qu’avait assumées Zacharie, si lourde qu’en fût la charge. Pourtant, tandis qu’en diligent serviteur zélé de son Christ peinait ainsi Zacharie, s’acquittant de ses tâches avec un soin si minutieux, fruit d’une application qu’il eût été malaisé de jamais prendre en défaut, ainsi qu’il advient pour les âmes éprises de Celui auquel se voue leur travail de laborants appris à sourire dans la peine, par là méritant aux Cieux Rétribution d’Or, loin devant ceux qui, toujours rechignant à la peine, se condamnent à ne glaner que monnaie de cuivre, de plomb, de toc, ou néante, comme tel, avec une exemplaire abnégation, ne s’en attirant pour autant que davantage haine et jalousie de ses mauvais frères.


Notre Seigneur, pourtant, et Sa Toute Pure Mère, toujours auprès Lui Intercédant avec Feu, loin qu’ils détournassent leurs regards de toute cette peine qu’avec tel douloir pour eux prenait leur très Eprouvé Servant, loin aussi qu’ils dédaignassent ces luttes que pour eux encore soutenait âprement ce même brûlant Serviteur de leur Grâce, toujours le consolaient, par mille espèces de Spirituels Bienfaits, et diverses manières, temporelles tant que Spirituelles, et particuliers secours à tout instant sur lui dépêchés. C’est ainsi qu’outre les visions et les rêves accoutumés qu’ils épanchaient sur son sommeil de Grand Martyr, il fut jugé digne encore de quelque Apparition Divine et toute Surnaturelle, d’aussi merveilleuse sorte que celle dont le grand Saint Serge, Illuminateur de la Sainte Russie, avait, cinq siècles plus tôt, par Grâce, reçu la Faveur Divine. Soudain, de fait, vinrent à lui deux Mystérieux Pèlerins, cependant qu’il sentait son Coeur, tandis qu’il les accueillait en sa cellule, devenu tout Brûlant en lui d’un Feu si Ardent qu’il n’y put que reconnaître là l’effet tout particulier de la Grâce du Saint Esprit. Lors, ils lui Prophétisèrent le nom nouveau qui lui serait donné à l’heure de son monachisme (4), de surcroît lui révélant les événements majeurs dont sa vie à venir lui déroulerait le cours. Une seconde fois, tous deux ensemble, ils revinrent. Puis, la troisième fois, tandis que Zacharie se tenait en sa cellule avec un autre frère venu, de par une hasardeuse coïncidence ménagée par la Providence, le Visiter, en sorte qu’il y eût un témoin capable d’Attester le Prodige, le plus jeune, seul, apparut, à leurs yeux éblouis se Manifestant en l’Extraordinaire Irradiance d’une indicible Gloire.


***


Zacharie, cependant, avait, lors de son accession au Rasophorat des Novices, premier degré du Monachisme, reçu, outre son rasso, soutane des Moines, son Voile d’Ange, en même temps que le nom de Zosime. Un an plus tard, il devenait Moine Petit Schème. Tous, durant ce même temps, continuaient de mener contre lui leur impitoyable persécution, faisant preuve d’une cruauté mentale attestant de leur dépravation psychique, et de leur déchéance de l’état Spirituel de moines luttant à progresser sur la Voie de l’Angélification. C’est alors que, de façon toute inopinée, que nul n’escomptait plus, tant s’étaient à son encontre amoncelés les obstacles destinés à le désespérer en l’avancement de sa Vie Spirituelle, et pour ce que, ainsi que le révéla par après Zacharie, l’avait ainsi voulu la Reine des Cieux, il advint que fût enfin, des mains de l’Evêque Tryphon, ordonné Diacre et Prêtre le bienheureux. Ce dernier, le tenait, en revanche, quant à lui, en si particulière estime, qu’il n’hésita pas à lui confier la tâche de Père Spirituel.


De cette diaconie de Confesseur, le Bienheureux s’acquittait à la Perfection. Empreint de son intense Piété, sans hâte, accordant à chacun son temps sans compter, fort de sa coutumière Patience de Longanime, il écoutait résonner jusqu’au tréfonds de ses entrailles compatissantes la voix du pénitent qui avouait ses péchés. Puis, de son Amour infini des âmes souffrantes, il dispensait ses Conseils Spirituels émanés de l’Expérience vécue d’un Saint. A l’entendre dispenser ses douces exhortations, telles qu’en peut seule dispenser la Spirituelle Guidance d’une Ame Illuminée par Dieu, les autres âmes, qui venaient à lui pécheresses, fort blessées des traits aigus du Malin, trouvaient grand soulagement, consolation, et profit spirituel. Aussi voyait-on sa cellule devenue pour les pauvres chaleureux hospice de réconfort, dispensaire de mieux-être, comme asile de protection, et, pour les affligés, havre de consolation, refuge d’espoir, et site d’envol pour de nouveaux Cieux.



Les susdits mauvais moines, à l’excès travaillés du Diable et de toutes ses légions de maléfiques puissances, avaient désormais beau faire pour l’entraver dans sa tâche, ils ne purent dorénavant plus rien encontre le bienheureux, car la Mère de Dieu, laquelle de longue date était sur lui, assurant sa Sauve et Garde, et sa protection, de ce temps ne le quittait plus. Elle lui était du reste apparue en un rêve inspiré d’En Haut, le Bénissant pour qu’il accueillît le Peuple de Dieu Souffrant, quel Suppliait qu’on s’en vînt à le Réconforter avant que de l’Affermir.


Ainsi donc, le bienheureux Père Zosime, qui bientôt, pour la seconde fois s’allait voir attribuer le nom de Zacharie, qu’il recevrait avec le Grand Schème, avait également de Dieu reçu ce grand don charismatique du “ Startsevo”, comme d’En Haut désigné pour sa capabilité à assumer avec Intelligence Spirituelle cette si haute mission de “ Starets”, ou de “ Geronda”, qui ne revient ordinairement qu’aux Saints Anciens, qu’une Expérience Supérieure de la Vie Sainte a dotés, en sus des Charismes de l’Esprit, du doigté psychique nécessaire à la délicate menée des âmes trop humaines encore à l’âpre conduite sur l’ascensionnelle voie de l’Angélification. Tout comme eux, en vérité, quant à lui, semblable au vrai Starets qui ne s’apparente en rien au “directeur de conscience” ni au “confesseur” au sens sacramentel du terme, il était ce que certains désigneraient sous le terme confus et ambigu de “charismatique”, mais qui se nomme plus justement un “ Théophore”, au sens étymologique de “Porteur de Dieu”, lui qui, pour avoir reçu de l’Esprit Saint son charisme avait été jugé digne au Ciel de porter en lui Dieu. Tels sont nos vénérables Anciens, ceux qui, pour l’avoir à toute force Voulu, et s’être vus couronnés, non point d’apparence, mais, en Vérité, de l’Esprit de Sainteté, se sont dans l’efficiente effectivité du monde réel rendus très semblables au Christ, jusqu’à prendre toute entière Sa Sainte Ressemblance, - tels sont aussi nos Pasteurs et nos Bergers, auxquels il fallut, pour les guider aux Prairies de la Contemplation des Choses Divines, mener paître les âmes, après qu’ils eussent purifié la leur jusqu’au tréfonds de l’être, et parcourir jusqu’au bout la route qu’ils exhortent par après les autres d’emprunter, en connaissant assez tous les pièges, et tous les dangers pour en savoir indiquer aussi les traverses d’évitement d’iceux, - route au terme de laquelle s’acquiert au plus haut point le Discernement Spirituel des esprits, et de leur pathologie.


Et tandis que Zacharie se donnait tout entier de la sorte au Peuple de Dieu, les moines, eux, bien loin qu’ils perçussent se profiler l’approche du grand danger de vie qu’il encourait tout, dont déjà, sinistrement, menaçaient les premiers signes et avant-coureurs présages, lesquels passeraient avant peu par l’imposée fermeture définitive des portes de leur Monastère, de par l’arbitraire décret athée du régime encore neuf des communistes, mais déjà déviant devers le totalitarisme dictatorial, policier, et sanglant, qui ne tarderait point à abreuver de vingt Millions d’Ames Chrétiennes Orthodoxes Martyres les sillons de la terre russe, - quant à eux, ces moines, donc, pour la plupart indolents, négligents, dénués de toute Conscience Orthodoxe, et, qui pis est, dévoyés même et spirituellement totalement égarés, chaque jour davantage persistaient à s’enfoncer à l’aveugle dans leur endurcissement inentamable d’athéistes, leur indifférence d’agnostiques à oeillères, leurs chutes de malfaisants malcroyants, et leurs dévoiements pervers de possédés, maintenant l’entière communauté baigner toute en le profond climat d’une consternante décadence spirituelle.

A les voir vivre ainsi, le Père Zosime, amèrement pleurait. Tant s’en brisait son Coeur qu’il en pleurait de son corps toutes les larmes.

Or, un jour que tous se tenaient en l’église réunis pour y célébrer les fastes liturgiques de l’Office d’une grande Fête, il Vit soudain, franchissant, sur l’ambon devant l’autel, les Portes Royales, la Mère de Dieu, en Cortège suivie de quatre Grands Martyrs. Un peu de temps, elle était restée là, debout, posant ses Regards attentivement appuyés sur les Moines en l’Eglise assemblés. Puis, d’un geste désignant Zosime le Bien Heureux, et, avec lui, trois autres Frères de la Synodie, elle s’était affligée : “ Ah!” soupirait-Elle, “ des Moines ici, il s’en compte quatre, mais, en dehors d’eux, non, point, ni nul.” Puis, s’enfonçant en un recoin du sanctuaire, elle s’en était tout soudain retournée, comme elle s’en était venue. Et voici, déjà, qu’Elle avait disparu.



***

Puis, avait surgi la Révolution de 1917, et, avec elle, la victoire du parti révolutionnaire. Décrétant qu’il fermait les portes du Monastère, le nouveau régime athée, d’où sacrilège, en avait déjà fait par la police expulser tous les moines.


En ces lieux déserts et désolés de la Laure Saint Serge, qui, naguère encore, jouissait d’un renom paré d’un éclat sans pareil, ne restait plus que le seul Zosime, unique témoin demeuré d’une piété tant glorieuse, attendant que vînt son tour, et l’heure qu’il en fût chassé. Jusqu’à l’ultime instant, Zosime, le dernier de tous ses frères, mais En Gloire le premier devant Dieu, priait et pleurait, suppliant Saint Serge qu’il voulût bien à ses frères égarés leurs manquements pardonner, et d’en tout instant les secourir, à présent qu’ils étaient çà et là disséminés au détour hasardeux des logis de la ville, chez les Chrétiens vertueux qui les avaient, avec sollicitude recueillis et hébergés, pour s’en ériger, de par Dieu, en gage de Rémunération Divine, des Palais aux Cieux de Sainteté. Et il Priait avec Feu, suppliant le seigneur qu’Il fît quelque jour proche rouvrir les portes du Saint Monastère, en sorte de rendre aux moines et aux laïcs ce port de leur Salut. De fait, quelque temps après, - l’on était lors en 1945 -,le Monastère était rouvert aux Moines, et, jusqu’à ce jour d’aujourd’hui, le demeure.

Mais en ce jour de 1917 qui voyait avec désolation l’exil de l’ultime et dernier Moine de la Sainte Laure, le Saint Géronda quittait en Grand Souffrir ces parages aimés du Lieu de sa Pénitence, qu’il avait élus pour être ceux de sa Vie de Repentance. Ce fut donc de là qu’il rejoignit à Moscou la demeure de l’une de ses Filles Spirituelles, laquelle, avec empressement, lui offrait l’Hospitalité. Il y avait même, sise en la cour attenante à la maison, une petite chapelle où, de temps à autre, lui était permis de célébrer. De là rayonnant, sa renommée, bientôt, se répandit au loin. A Son Saint, qui pour Lui avait tant souffert, Dieu, pour prix de sa Longanime Patience, octroyait maintenant, et de façon fort Manifeste, telle qu’enfin, quelque jour, Vérité Patente Eclate au grand Jour, plus Claire que le soleil, les Charismes tout Excellents du Très Saint Esprit. Et, de tout part aux entours, et jusque des contrées les plus reculées des Orthodoxes provinces russes, le peuple Chrétien de Dieu s’en venait accourant chercher auprès lui la consolation de ses peines immenses, et quelque issue de salut à ses tribulations sans nom. Car la simple vue du Starets suffisait à les mener à la Conversion de vie, fût-elle la plus totale, parfois, et tous s’émerveillaient de le voir ainsi doté du rare charisme de pouvoir chasser les pires démons, esquels est ordinairement si lente, rude et difficile la Lutte Spirituelle encontre eux au corps à corps pour les exorciser des âmes possédées, en sus de quel Don Céleste il avait reçu cel aussi de Proorasis, lequel est prédiction des futurs à venir, de lire à livre ouvert aux coeurs de ses visitants et des éloignés, quel est Don de Diorasis, Don de Thaumaturgie, quel est d’opérer sur le champ d’incessants miracles, par Mystérieuse Efficience de sa Parole Priante ou de ses intérieures Suppliques aux Puissances Célestes esquelles continûment il se mouvait, jusqu’en l’avoir basculé son propre univers.


Le Saint, nonobstant, ce même temps, fondait comme la cire, usé de jeûnes et de veilles, et de ses maux miné.

Il lui fallait désormais, sur son corps exténué de tant d’Ascèses et mortifications, exercer grande violence pour seulement parvenir en l’effort harassant de pouvoir quotidiennement recevoir toute cette foule immense de fidèles, incessamment venant à lui. Et pour tant, lorsqu’étaient devant lui tous ces êtres désemparés, il se faisait pour eux le plus tendre père infiniment aimant qu’ils eussent jamais pu voir dans le monde, pour voler au secours de ses enfants oubliant quant à lui ses maux et souffrances au long cours endurées. Vers la fin, cependant, éprouvant plus intensément que jamais auparavant l’impérieux besoin de la paisible et silencieuse Hésychia (5), l’Ancien s’en fut se retirer en la solitude d’une campagne isolée, pour y goûter l’introublée Paix du Priant de Feu de manière ininterrompue s’entretenant seul à Seul avec Dieu. La nature y faisait ses délices. Il y faisait en forêt de longues promenades, pour y mieux à loisir, en ces clairières à l’air libre ouvert, élever à Dieu son Coeur qui brûlait tout.


Mais un nouveau Martyre encore l’attendait, venu la liste allonger, sur l’ardoise des Cieux, de tous ceux par quoi il lui avait fallu passer déjà. C’était la police étatique secrète à présent qui le poursuivait, par manière systématique et totale d’incessante persécution, sans répit le traquant, l’espionnant, faisant, sans crier gare, irruption chez lui, au prétexte de perquisitions toujours réitérées, chaque jour contre lui cherchant de nouveaux chefs d’accusation, dans l’attente de pouvoir l’arrêter enfin sur quelque motif plausible, quoi qu’ils en eussent long temps à son encontre en vain cherché, tant les excédaient qu’ils ne pussent plus tôt porter enfin le coup d’arrêt à ses “menées propagandistes troublant l’ordre public”. L’Apostolat inspiré du Saint, de fait, suscitait du Malin la furieuse rage. Lors qu’il était gravement malade déjà, et qu’approchait sa Dormition, la police de ces anti-Dieu fit encercler la demeure qui l’abritait, interdisant à quiconque d’approcher le Staretz.



C’est vers cette même époque, peu avant que le Seigneur ne rappelât son âme à Lui, le Père Zosime fit un ultime pèlerinage sur la terre de sous le Ciel. Il s’en fut jusqu’en la forêt de Sarov, pour y vénérer enfin les lieux bénis de sa présence où avait lutté le grand Saint Séraphim. Il y marcha jusqu’à la Fontaine miraculeuse bénie du Saint. Là, comme en une nouvelle piscine de Siloé, descendaient les malades et les infirmes. Et, comme au temps du Christ, là-bas, en Terre Sainte, par la Surnaturelle Efficience de la Prière du Saint, si grand devant Dieu de par sa vie d’ascèse et de supplication, ils y étaient guéris. Lorsque vint le tour de Zacharie, le Bien Heureux, un instant, hésita, à l’idée sensible encore d’un esprit bien humain, non délivré encore de son humaine nature, que son corps souffreteux ne pourrait endurer, sans que ce lui fût fatal, l’éprouvant contact de cette eau glacée, quoiqu’il n’ignorât pas que certains prêtres encore, non sans quelque reste de barbarie, baptisassent leurs ouailles au coeur des glaces de l’hiver russe. Alors, il eut un ineffable soupir, du fonds exhalé de son sein, et d’un ton suppliant murmura : “ Séraphim, mon Père! Incline du haut des cieux tes yeux qui furent fontaine, et regarde : Vois comme je suis, - tu le sais bien du reste, n’étant pas sans ignorer d’En Haut quoi que ce fût d’ici-bas - vieux, et malade. Aussi, je t’en Prie, je t’en Supplie, viens à mon aide, et me porte secours : Réchauffe un peu seulement cette eau! que j’y pusse entrer.” A peine eût-il achevé ces mots que le grand Saint de Dieu, pour lui, faisait son miracle : Le Staretz, entré dans la piscine, y ressentit aussitôt cette merveilleuse sensation d’une eau sur son corps se refermant, comme brûlante. De ce stupéfiant miracle de la Miséricorde Divine, et de Saint Séraphim, son si grand Thaumaturge, Zacharie, le Bien Heureux, fut si bouleversé, que, jamais, jusqu’à l’heure de sa Mort, il n’en put le souvenir oublier. Mais, sans cesse à la mémoire l’en représentant à nouveau, il rendait à Saint Séraphim de brûlantes Grâces, au sien proportionné, d’un Feu apparié, qui lui chauffait du corps tout le veineux intérieur.


***


Dieu avait à l’Ancien fait la Grâce de lui Révéler à l’avance le temps et l’heure auxquels il quitterait ce monde de Vanité. Lui, tenu couché par la maladie, jusqu’à la fin, néanmoins attendait avec Joie l’instant de quitter cette vie au sortir de ce monde. Surtout, il se consumait, dans l’anxieuse attente du grand Moment où il se devrait présenter enfin devant le Maître des Vivants et des Morts, son tant désiré Seigneur qu’il Lui avait de sa Vie voué chaque instant, comme dédié chacune de ses Ascèses et de ses Longanimes Souffrances. Aussi, le temps advenant qu’il fut à l’agonie, il se lisait à soi-même le saint Office des Agonisants, et, d’une voix éteinte, psalmodiait le Canon de la Résurrection.

Alors même, toutefois, qu’il était si près de mourir, un événement tout extraordinaire émut à ce point de Compassion notre Sauveur Tout Miséricordieux que le Starets, soudain, et tout inopinément, reprit Vie, laquelle lui fut, comme par un infléchissement destinal, prorogée de deux années en sus encore.


Car voici que, sur son lit de douleur, le Staretz, au-dedans de lui entendit une Voix lui dire que l’Evêque Tryphon, - celui même qui l’avait à la prêtrise ordonné -, se trouvait en grand besoin que, dans l’urgence, il l’assistât, quel, instamment, requérait qu’il le pût voir. Aussitôt, prenant son chapelet, Zacharie, devant son hôtesse stupéfaite, le posa sur son oreille, disant : “ Seigneur! Fais, je t’en supplie, que ce chapelet fasse usage de téléphone.” Et, sur-le-champ, enchaînant : “ Tryphon, mon ami!” s’exclama-t-il, “ viens vite à mon chevet! J’allais quitter ce monde, lorsque j’apprends que tu as besoin de moi. Oui, viens sans plus tarder, que nous puissions nous en entretenir ensemble.” Il ne se passa guère de temps alors que l’Evêque ne survînt dans la pièce de l’agonisant. Les deux amis s’embrassèrent avec effusion. Sa Grâce Monseigneur Tryphon forma des voeux pour la santé du Staretz. “ Que Dieu te prête Vie, Père Zosime! ” s’écria-t-il, cependant qu’il essuyait ses larmes. “ J’ai tant besoin de toi! Il faut, par tes Saintes Prières, que tu voles au Secours de mon âme lors que sera le Temps venu pour elle, au sortir de ce monde, de passer les Redoutables Péages du Ciel. Pour l’heure, je t’en prie, lève-toi, que je me puisse confesser à toi.” “ - Ah, mon Despote (7- ce qui est dire “Evêque”, selon l’étymologie du terme en langue grecque -) bien Aimé!” murmura, d’une voix épuisée, le Staretz exténué, “ vois! je ne puis seulement soulever la tête de dessus l’oreiller...Regarde”, insista-t-il dans un souffle, “ je n’ai pas la force... Je ne peux pas...” “ - “ Lève-toi!” s’écria lors le pieux Evêque, dont l’Expérience Supérieure savait le Surnaturel Puissance de l’Inébranlable Foi. “ Oui, lève-toi, Père! C’est l’Obéissance elle-même qui te le vient ici commander!” Lors, au prix de mille tentatives peineuses, le Starets se put redresser et lever, chancelant, puis parvenir à l’exploit d’à l’article de la Mort confesser son Fils Spirituel au bruit accouru de sa Mort, et dont la Foi sans faille le voulait à présent sur le fatal abîme retenir un peu, et, aidant à basculer, en place de lui, le destin, quelque temps encore en cette vie, pour ses Bienfaits Spirituels, et l’immense profit qu’il prodiguait aux âmes venues solliciter les infaillibles secours de sa miraculeuse Prière, à ses côtés le garder. Le Staretz entendit donc en confession les infimes péchés de son bien-aimé visiteur. Puis, de nouveau, il reposa sur sa couche son corps, d’exténuation brisé. Ce fut de son illustre ami Sa Béatitude l’Evêque Tryphon la dernière Visitation à son Très Saint Père Spirituel, plus Illustre encore devant Dieu et Ses Saints. De cet instant, son état ne fit qu’empirer davantage.


A cette vue plus alarmé, et tout bouleversé, Monseigneur Tryphon s’en repartit pour l’église de l’Ascension, sa paroisse épiscopale, à laquelle il s’était vu rattaché, lorsque les autorités ecclésiastiques la lui avaient conférée pour Métropole de l’Evêché. Lorsque, la liturgie s’achevant, il monta comme à son accoutumée sur le trône épiscopal, à la droite latérale sis de l’ambon, à l’extérieur de l’iconostase, pour y donner au Peuple sa prédication, ce fut pour y évoquer son ami très cher qu’il y prit la parole : “Frères”, implorait-il humblement, sollicitant la commune prière de toute l’Eglise assemblée, “ prions, je vous en supplie, pour le Staretz Zosime, quel est si fort malade. Et s’il en est parmi vous qui, d’aventure, ne le connaissent point, je m’en vais vous dire et conter quelle sorte d’Homme il est : Lorsque j’étais à Pétrograd, jeune Archimandrite alors, à la tête placé d’une Synodie de Moines, j’en étais venu, devant l’âpre réalité quotidienne de la lutte monastique, à tel point de désespoir, qu’il ne s’en fallait plus guère que d’un rien que je ne rompisse mes voeux monastiques pour retourner au dehors des saints murs de la clôture y mener une heureuse vie tant plus aise, qui fût selon le monde, et les joies faciles et vains plaisirs du monde. J’étais donc là à me trouver aux prises avec ce combat redoutable, avec quelle impitoyable brûlure à l’âme je tâchais, la gorge emplie de poisoneuse amertume, en vain me débattre, comme en tempête drossé, semi submergé déjà, et vaincu quasi de mes naturelles inclinations aux humains plaisirs, lorsqu’en cette épreuve sans phare apparaissant ni nulle disruption d’apaisante issue, l’on me suggéra d’aller voir un Saint Moine, lequel avait été depuis peu, me dit-on, de son Monastère de Saint Serge expulsé des Sans-Dieu par les forces de police gouvernementales, et dont les conseils Spirituels, des plus Illuminés qui se pussent rencontrer sur l’entière terre de Russie, me pourraient sans doute éclairer. Ce fut ainsi que j’allai, pour la première fois, rencontrer en sa cellule le Saint Père Zosime. Il ne consacra pas moins d’une nuit entière à scruter avec moi les replis de mon coeur pour y examiner par le menu détail les causes fatales d’un si grand abattement d’âme. Et voici qu’au matin, le plus mystérieusement du monde, mes pensées se trouvaient si changées que je n’y reconnaissais plus, harcelantes, les suggestions malignes de céder aux tentations de la veille. Si donc vous avez à présent devant vous, s’offrant à votre vue pour ce prêche, ce vieillard indigne nommé Tryphon, que l’on a fait accéder au rang de Métropolite, ce n’est à nul autre qu’au Bien Heureux Saint Père Zosime que vous en devez Gratitude.”


Tous alors s’agenouillèrent, et l’on fit, pour la santé du grand Staretz, en sus de la Prière des malades et des mourants, un long office d’intercession aux Puissances Célestes. Et le Seigneur, Tout Compatissant, entendit la fervente Supplique de son Peuple en Eglise en Prière agenouillé. Le Saint, au loin, dans sa cellule, au même instant, tout-à-coup recouvra ses forces. Et lorsqu’on vint lui dire que l’Evêque avait pour lui fait célébrer cet Office d’intercession qu’est la Paraclèse (9), il eut un mystérieux sourire : “ Oui ”, murmura-t-il, “ oui, je sais. C’est mon Tryphon, qui a fait ce miracle, Tryphon, mon cireux ami”. Il qualifiait ainsi le Métropolite, ayant su par avance que, comme la cire se fond bien vite à la flamme, Tryphon, lui aussi, quitterait cette vie avant qu’il ne fût long temps.


De fait, l’Archevêque, peu de temps après, tomba gravement malade, s’apprêtant, conformément à son souhait, à quitter cette vie avant le BienHeureux, en sorte que Zosime put, de son vivant même, prier pour son âme défunte. Aussi fût-ce au tour du Starets d’élever ardemment pour lui, d’un Coeur débordant tout d’un bouleversant Amour, vers Dieu sa Prière. Et lorsque s’endormit Tryphon, on le vit, transporté d’un Amour plus vibrant encore, supplier Dieu pour son âme. Et s’il advenait par après que l’un ou l’autre de ses Enfants Spirituels vînt jusque chez lui le voir, il ne manquait pas, chaque fois, d’indiquer son défunt ami Tryphon à la recommandation de leurs pieuses prières.


Quelque temps plus tard, l’on enterrait Son Eminence le Père Métropolite Tryphon. Ce fut un ensevelissement sans même une simple fleur, pour ce l’avait ainsi voulu Sa Béatitude, sans doute pour qu’il fallût dès lors mieux à chacun faire remémoration de ce célébrissime verset du Psalmiste David-Roi, tant sublime, en la simple expression de sa fraîcheur naïve, faisant, par effet de contraste, mieux ressortir encore la profondeur insondable de l’imparable Vérité de Vie qui y gît énoncée :

“ L’homme est comme la fleur des champs.

Qu’un souffle passe, et il est arraché.

Nul ne le connaît plus,

Et nul lieu de la terre ne garde plus mémoire

de ce qu’il fut.”



Mais en place de fleurs, tout aux entours de la tombe, se pressait la foule immense des fidèles, chacun tâchant à y dérober au public ses yeux que brouillaient les larmes. Et cette terre du cimetière qui recevait à présent, pour son repos dernier, le corps de Sa Grâce Monseigneur Tryphon, Métropolite de bienheureuse mémoire, serait la même, un peu plus tard, qui recevrait en son sein le Starets aussi, l’Ami Bien-Aimé, tant d’années, de toujours, et pour jamais si Cher à son Coeur.









***


Déjà pointait l’aube de l’été 1936. Elle advenait enfin l’heure où l’Ancien laisserait à jamais cette vallée de pleurs et de larmes qu’est l’éphémère séjour terrestre pour s’en aller goûter au repos En l’Eternel dans le Sein d’Abraham et des Anges. Mais ici encore, tout ainsi qu’il est rapporté aux Livres Synaxaires de notre Sainte Eglise Orthodoxe contant des Saints les Vies toutes Merveilleuses (10), quantité d’événements de caractère Surnaturel et Miraculeux, devaient signaler, comme les premiers en son enfance bénie de Dieu, les moments derniers de son existence terrestre.


Ce pendant, le Bienheureux Zacharie était désormais au plus mal, et l’instant n’était pas loin que le Seigneur, enfin, lui viendrait recueillir son Ame Sainte. C’est alors que lui rendit visite l’une de ses Filles Spirituelles. N’ayant le moins du monde conscience de l’état désespéré en lequel gisait le Staretz, elle le pria de se rendre chez elle. Lui, d’entre les pleurs qui mouillaient son visage, tâcha d’esquisser un sourire : “ Sois sans inquiétude,” lui dit-il, “ un peu de temps encore, et devant chez toi je passerai. Lors, à ton tour tu sortiras, pour m’accompagner à ma demeure.” Mais la jeune fille ne saisit point ce que lui donnait à entendre son Géronda. “ Qui m’avertira, mon Père,” répliqua-t-elle, inquiète, “ de ton passage devant chez moi, en sorte que je puisse sans tarder sortir pour t’ouvrir, courant au-devant de toi à cette fin de pouvoir implorer à nouveau ta bénédiction? Et qui donc, jusque chez moi, te mènera?” “- A cette heure-là”, répartit mystérieusement le Starets, tu comprendras. Dieu, t’en avertira. Oui, dans le secret du Coeur, ou par quelque autre biais dont useront les Voies de la Providence, faisant à cet office servir quelque personne interposée, ou quelque circonstance occasionnelle que ce fût, Dieu, sur la Prière de Ses Saints, avertit qui Il Veut de ce qu’Il lui sied savoir.” Quelques jours après, tandis que la jeune fille, chez elle, vaquait aux soins du ménage, les embaumantes effluves d’un Parfum tout Céleste emplirent soudainement la maison. L’on eût dit, à la sentir si suavement embaumer ainsi, que cette divine senteur s’exhalait de mille fleurs ensemble. Surprise, elle s’approcha de la fenêtre, se demandant d’où ce pouvait bien provenir. Or, juste au même moment, passait dans la rue un long cortège lentement escortant un funèbre convoi.

En hâte descendue, elle s’enquit quelle était la personne que l’on s’en allait inhumer ainsi. Il lui fut répondu que c’était là la sainte dépouille du grand Staretz Zacharie. Alors, elle se ressouvint des étranges paroles du Saint Géronda. Elle comprenait à présent que son Ancien ne l’avait point oubliée, et que c’était en guise de dernier adieu qu’il lui envoyait ce parfum tout admirable, tant merveilleux qu’elle n’en avait jamais, sur la terre, senti ni respiré

de pareil. Bouleversée jusqu’au tréfonds d’elle-même, elle joignit, le visage tout ruisselant de larmes, le cortège de ceux d’entre ses Enfants Spirituels, qui jusqu’à sa demeure dernière, avaient providentiellement pu accompagner son Bien-Aimé Saint Starets.


De fait, dans l’entretemps, après qu’elle se fut

une dernière fois rendu jusqu’en sa cellule, pour une ultime visitation à ce Vivant modèle et parangon de Sainteté, un très court

temps aussi après qu’il eût, dans le plus grand secret, conférée d’un Hiérarque héroïque de l’Eglise cachée, persécutée, et grande martyre des Catacombes, que trahissaient en sous-main les vendus au régime athée de l’église-vitrine officielle, reçu, avec le nom de Zacharie, le père du Baptiste, rendu, de stupeur, muet par les Anges, le Grand Habit du Saint Schème Angélique, d’une exigence si redoutablement Haute que bien peu se le voient conférer, de crainte de le souiller, avant que n’advînt le temps de mourir, le Saint Staretz s’était doucement et paisiblement endormi dans le Seigneur. Ce jour-là, quel était, selon le nouveau calendrier le second jour de juillet 1936, et, selon le décompte des jours de l’Ancien Calendrier, le 15 du même mois d’été. Or, ce jour était celui que la Sainte Eglise Orthodoxe en liesse célèbre la Déposition en la Basilique des Blachernes, de la Robe de la Toute Sainte. Le Bien Heureux Staretz s’en allait donc au cours d’une Fête de la Mère de Dieu, sa Reine, qu’il avait tant vénérée, pour en avoir, sa vie entière durant, été le fervent et fidèle Servant.


***


A la même époque, l’une de ses Filles Spirituelles, celle même à qui l’on doit le récit de cette vie toute merveilleuse du Bien Heureux, avait quitté Moscou pour la lointaine Poltava, en sorte d’y aller assister une malade alitée privée de secours. A peine y parvenait-elle, qu’elle reçut une lettre,

équelle elle apprenait que le très vénérable Staretz, l’Archimandrite, Père de sa Synodie de Moines, et Grand Schème Angélique Zacharie, tant aimé de tous, et plus cher encore au coeur de ses Enfants Spirituels, s’en était allé parmi les tentes célestes goûter à la Joie de la Vie de Gloire des Justes. La douleur de sa Fille fut pour lors indescriptible. Et elle n’en pleurait que davantage encore à l’idée qu’elle n’avait seulement pu, aux instants derniers de sa vie, se tenir aux côtés de son Père Saint. Telle était la disposition en laquelle se tenait son âme affligée, lorsqu’elle ouvrit au hasard le Psautier. Or voici que, tout soudain, comme si se fût d’elle-même ouverte la porte de sa chambre, y était mystérieusement entré le Staretz Zacharie, de ses ornements sacerdotaux revêtu, et de son étole aux épaules paré. Tout doucement, il s’approcha d’elle, et sur le sien posa son regard noyé d’un Amour où chantait une chaude tendresse. Elle, alors, oubliant là tout, et, sur l’instant, comme un fardeau inutile, déposant sa peine, se mit à contempler à son tour en silence le lumineux visage de son Père tant Aimé. Et tout autant qu’elle se sentait un coeur contrit et confondu par la Révélation d’une si manifeste Sainteté, elle était dans le même temps inondée, et son coeur s’en gonflait tout, d’une implosive Joie qu’elle n’eût su rapporter qu’à celle des Saintes Femmes Myrrhophores à la Nouvelle de la Survie d’entre les Morts du Ressuscité. “ Qu’est cela? ” lui dit-il alors; - et son ton de voix n’était pas sans marquer quelque réprobation -. “ Oui, pourquoi donc te lamenter, déplorer, et te tourmenter ainsi? Ne t’avais-je point enseigné ce qu’il fallait penser et faire de la tristesse? Ne te le rappelles-tu point? Chasse-là toujours au plus vite, te disais-je. Contrition n’est point désolation. C’est péché que tristesse. Allons! Viens çà que je t’en donne l’absolution.” Et, ce disant, il lui mit l’étole sur la tête, et lui lut la prière qui clôt la confession qu’il avait lue dans son coeur, sans qu’elle eût seulement besoin de s’y livrer. “ Vois, ” lui dit-il enfin, ne t’inquiète plus de ce que tu n’étais pas là, pour me dire, à mon chevet, le dernier adieu. Non, ce n’était en rien nécessaire, puisqu’ainsi que tu le peux à présent saisir, je suis bien toujours avec toi, me tenant à tes côtés pour, en chacune de tes pensées et de tes faits et gestes, t’assister de la Faveur Divine que j’implore pour toi...” Et, sur ces mots, il s’évanouit à sa vue.






***


























III







TROISIEME PARTIE







QUELQUES UNS D’ENTRE LES MIRACLES



DU BIENHEUREUX.
















D’entre les Miracles sans nombre qu’accomplit Zacharie, le Saint Starets Théophore, qui, très au vrai portait Dieu en son Coeur, il n’est ici, las, rapporté que quelques-uns, en nombre infime, relativement à tous ces autres qu’un livre n’eût point suffi à consigner tous, de ce que chacun l’implorant avec l’ardente Foi Droite des Chrétiens Orthodoxes, se put, se peut, et se pourra espérer voir de lui promptement secouru, tant est Efficiente la Grâce émanée de la Prière aux Puissances célestes d’un Saint de Dieu. Ceux ici rapportés n’en témoignent pas moins pour autant de l’immense assurance dont il jouissait devant son Sauveur, qui lui avait donné Puissance de l’Esprit, son Coadjuteur, jusque sur l’humaine nature, et sur les éléments mêmes qui le temps déterminent de la vie et l’heure de la Mort.

C’est ainsi qu’au temps qu’il demeurait encore au Monastère de Saint serge de Radonège, passant en ce lieu béni de Dieu et de son Saint Fondateur par bien d’éprouvantes tribulations constituant autant de formes et espèces d’une même Epreuve du Feu de Dieu, par quoi Il permettait que fût éprouvé pour Or fin celui auquel Il allait conférer l’Esprit de Sainteté, l’Higoumène l’envoya visiter le Père Agathon, quel menait l’Ascèse en un petit ermitage situé non loin de là. Le Père Zosime - c’était alors le nom du Bienheureux - crut bon de s’y rendre en coupant au plus court par quelque chemin de traverse. Il fallait pour ce faire passer par un lac pour lors gelé, car l’on était au coeur du tant rigoureux hiver russe. Se signant, pour que fût bénie sa traversée sur ce désert de glace, il commença d’avancer prudemment sur l’épaisse pellicule blanche. Mais celle-ci, tout soudain, se rompit, le laissant dangereusement enfoncer en une eau glaciale à transpercer les os. Lui, luttant à garder ses esprits, serra seulement plus fortement contre lui les saintes icônes qu’il portait toujours sur son coeur, et, toujours en Prière, y redoubla de ferveur. Et voici qu’il marchait sur les eaux!

“ Père Zosime !” s’écria stupéfait un diacre qui, de loin, avait vu le miracle, est-ce que, d’aventure, tu te mettrais à faire aussi des miracles?” “ Pardonne-moi! “ répondit humblement le Saint. Et, avec sa simplicité coutumière, il ajouta : “ Je croyais l’eau bien uniformément partout gelée, mais elle avait fondu par endroits. Ce pendant, parce que j’avais sur moi les vénérables icônes des Saints Zosime et Sabbas avec une prosphore au sceau marquée d’une empreinte de la Panaghia Toute Sainte (11)! Et voilà comment m’a sauvé mon Christ!


Le Starets avait également pour Fille Spirituelle

la “Baboula” de chez les Rescetnikov. Celle-ci vint un jour supplier l’Ancien de faire quelque chose pour son grand fils Paul. Toute en larmes, le coeur brisé, elle lui conta son drame : “ Père Saint!” clamait-elle, la voix entrecoupée de sanglots, “ il a chuté, et la chute est si grave qu’il en a subi un violent traumatisme. Las!

Il ne craint ni Dieu ni Diable, ne va point à l’église, catégoriquement s’y refusant. Il ne respecte point ses parents, qu’il invective, insulte, et agonit d’ordurières injures. Il fume, boit à s’enivrer, et gît dans l’abjection répugnante du fond du bourbier d’infecte luxure. J’ai beau m’efforcer de le rappeler à l’ordre, l’exhortant à se reprendre, et à se ressaisir, il n’écoute rien, et, me bousculant violemment, me repousse, en persiflant, et se gaussant de moi. Je n’en dors plus la nuit; mes yeux n’en tarissent plus de larmes. Et, pour couronner le tout, il va maintenant, en sus de tenir des propos dégoûtants et obscènes, jusqu’au péché de l’odieux blasphème.” Le Saint lui témoigna grand compassion. Elle, repartit consolée, emportant en son coeur ses tant précieuses exhortations spirituelles. Mais Paul, quant à lui, n’en continuait pas moins de mener sa vie dissipée de bâton de chaise. Sa mère se consumait de désespoir.

Le Starets, lui, inlassablement, réitérait ses prières au Seigneur et à la Toute Sainte, les suppliant d’inspirer à Paul un repentir sincère. Lors, à la fin, le Seigneur éclaira Son Saint, lui révélant que Paul ne pourrait être sauvé que si lui, Starets pour le Seigneur, fixait, quelque prochain jour, une date pour la Mort du jeune homme. Le Saint, de son côté, dont s’affligeaient de compassion les entrailles pour la douleur à venir de la malheureuse mère, s’affligeant à l’excès de ce que Dieu pût exiger de lui pareille abrahamique obéissance, supplia Dieu de lui indiquer quelque autre moyen plus clément de corriger le malheureux. Mais, du Ciel, la réponse au Coeur du Géronda, tout inexorablement, demeurait la même. Il dut donc se résoudre à révéler à la “Baboula” la nature de l’inflexible Volonté de Dieu. Elle, tout d’abord, n’en put rien accepter. Mais, lorsqu’après un temps, elle ne put que constater à quel point son fils ne faisait que s’enfoncer toujours davantage en sa vie de débauche, elle crut devoir se soumettre à cet insensé pari pour le Salut de celle âme perdue. Elle vint donc mander au Saint si lui avait d’En Haut été marqué quelque jour qui pût lui signifier la mort de Paul. Le Staretz lui indiqua que son départ de ce monde avait été, jour pour jour, fixé à l’année suivante.

Ce pendant, durant près d’un an encore, le jeune dévoyé, toujours obsédé de frasques et de débauches, persistait à se vautrer en la fange de ses péchés. Mais lorsqu’approcha le terme qu’avaient Dieu et Son Saint fixé pour sa vie, le typhus soudain, pandémique, se déclara, et, sans tarder, il en fut aussitôt atteint, de si grave forme qu’il dût sur-le-champ s’aliter. Lors, ce même Paul qui avait été si dur à redresser en ses voies, à présent se lénifiait, et l’on eût pu dire que s’attendrissait tant soit peu son coeur. Et voici que Paul, peu à peu, opérait de sa vie une conversion, jusqu’à ce qu’elle fût radicale, lorsqu’il saisit enfin qu’il se devait, pour être Sauvé, - sauver son âme, dont il avait, devant l’ultime défi de la Mort, appréhendé qu’il en eût une -, de prendre l’exact contrepied de ce qu’avait été toute sa vie de mauvais bougre, à tout instant offusquant Dieu, son Maître et Seigneur, en un mot, devenir tout autre. Et il comprit qu’il pouvait faire que son je fût un autre. Bientôt, il se confessa au Père aimant et tendre qu’était le Saint Starets, comme un enfant pleure dans les bras de son père, et il lui dit tout ce qu’il avait fait, commis, et perpétré. Et ce n’étaient plus ses yeux seulement qui pleuraient ses fautes, ses manquements, et ses crimes, mais son âme, qui se brisait en eau, déplorant qu’elle fût pécheresse, et regrettant, à mort, que ne lui fût point donnée la chance d’une existence seconde, pour de rien recommencer tout, et repartir sur les justes fondements qui lui eussent permis de reconstruire, et d’édifier une vie nouvelle, celle où son je eût été un autre.

Lors, implorant le pardon de tous, il s’en fut, décédant de ce monde, et passa, justifié, dans l’Eternité.

Sa mère, elle, s’en étant allée chez le Staretz lui annoncer que son fils s’était endormi l’âme en paix, l’y trouva

chantant le Trois Fois Saint Trisaghion (12) pour l’âme de son fils Paul, qu’il rendait ce jour à Dieu sauvée par un miracle de ses Prières, et dont il avait d’En Haut reçu la nouvelle de la dormition.

Une autre fois, comme le Staretz s’allait promenant dans les bois, escorté de quelques-uns d’entre ses enfants spirituels, il s’exclama tout soudain : “ Oh! Comme ce serait beau de trouver ici, dans ce sous-bois, des champignons blancs! Toutefois aujourd’hui, et sans que nous sachions pourquoi, il n’en est point un seul!...Mais enfin...Allons! Prions donc le Seigneur de nous en envoyer une belle douzaine, avec, au centre de leur lot en couronne, un plus gros, qui soit aussi le plus magnifique, en sorte que le tout pût manifestement symboliser à nos yeux Notre Sauveur parmi ses Douze Apôtres!” Il prononça cet étrange discours, d’allure quelque peu délirant, avec une vivacité, qui nous parut a posteriori comme l’effet aiguillonnant d’une subite Inspiration d’En Haut. Il avait parlé tout en marchant à pas pressés, transporté d’un Divin Enthousiasme. Ce faisant, ses paroles se muèrent en une Prière qu’il formulait maintenant tout haut. Comme son visage parut changé alors! Il semblait Irradié d’une Céleste Lumière. Moins d’une demi-heure plus tard, ses Enfants stupéfaits débouchaient, en quelque clairière, sur un énorme champignon blanc de toute beauté. Ils n’en avaient jamais vu de tel, ni, si peu que ce fût, d’approchant, en aucune sorte que ce pût être. Tout autour s’en pressaient, regroupés sous son ombelle, douze autres, plus petits, comme à son ombre protectrice.

Le Starets, comme si la chose eût été entendue, les regarda d’un oeil amusé, presque taquin, et, souriant : “ Pardonne-nous, Seigneur!” babilla-t-il, “ de ce que nous t’avons parlé comme de petits enfants dont Tu aimes et chéris les balbutiements. Mais voi ci que Toi, dont les Entrailles sont toutes de Compassion, Tu nous entends à cette heure, et nous consoles, avec des choses d’enfants même!”


***





Le Saint fut un jour convié dans un Monastère pour y participer à quelque office d’intercession que l’on adressait à Dieu en vue de mettre fin à une longue sécheresse, cérémonie cultuelle ce jour-là suivi d’une procession tout autour de l’église, chacun en cette litie tenant, qui, un cierge, qui, une icône, qui, une croix, qui, une bannière. Or, tandis que les fidèles processionnaient ainsi derrière le Patriarche, le Métropolite, les Evêques, Archimandrites, Moines, Moniales, Protoprêtres, Prêtres, Enfants de choeur, et autres initiés du clergé, solennellement, et en grande pompe réunis pour la circonstance, de gros nuages menaçants commencèrent de s’amonceler au-dessus de l’entière assemblée, si bien que tous, voyant sur leurs têtes ces prémices présageant l’orage si long temps pourtant en vain attendus, se laissaient à présent tenter par leur hâte d’écourter les prières de l’office, paraissant tout-à-coup interminable, et de disperser au plus tôt la procession, pour courir se mettre promptement à l’abri. Mais le Starets, d’un geste, les arrêta :

“ Non, non! ”, leur dit-il du ton assuré de quelqu’un qui savait :

“ Non. Finissons d’abord, et dès que nous aurons achevé l’office, oui, à peine en aurons-nous terminé qu’il pleuvra. Pas avant.”

La prière s’acheva donc, selon l’exacte canonique du rite officié en son intégralité. Puis, calmement, l’on regagna l’église. Alors, du milieu du narthex, le Saint éleva sa droite bénie vers la voûte mosaïque, d’où fixait, redoutable, le Regard du Christ Pantocrator, disant : “ Eh bien, soit! Tu peux tomber à présent!”. Au même instant s’abattirent du Ciel des trombes de pluie, à former des piscines en la terre.




***




















IV







QUATRIEME PARTIE







AUTRES BELLES FIGURES DE SAINTS








































Au temps que le Bienheureux demeurait au Monastère béni de Saint Georges, et nonobstant toute l’indigence spirituelle qui s’y faisait alors cruellement ressentir, l’on y comptait toutefois, outre la merveilleuse figure ci devant dépeinte de l’admirable Saint Père Zacharie, immense Staretz s’il en fut, d’autres grandes figures aussi, personnages guère moins admirables, pour rares qu’ils fussent, pour ce qu’ils avaient comme lui, quoique moins surabondamment, reçu l’Esprit de Sainteté, qui sur eux Effusait les Grâces Sureffluentes et Suréminentes de Ses Secours, de Ses Charismes, de Ses Dons, et de Ses Puissances, auxquels le Bienheureux puisait une Vivante Consolation.


D’entre ces êtres hautement Spirituels était le Hiéromoine Irénée, auquel Dieu fit la Grâce de lui révéler à l’avance le temps et l’heure de sa Mort. Aussi, lorsque c’en fut le moment, il alla, pour l’en aviser, trouver en sa cellule le Saint Staretz : “ Père Zosime”, lui souffla-t-il, “ mon très Bien Aimé Père, je suis venu me confesser à toi avant que de te devoir faire mes adieux. Car, demain, vois-tu, il me faut mourir. Oui, sitôt après l’heure de la communion aux Divins Mystères.” Il hocha la tête. “ C’est bien cela : En premier lieu, je communierai; en suite de quoi, je meurs...” Le Saint se récria. Mais le Père Irénée insistait : “ C’est la vérité que je dis. Je dois demain mourir. Mais toi, tout à l’inverse, tu vivras, en sorte d’être ce que tu seras : le Guide Spirituel des Egarés, et la Consolation des Pécheurs, des Affligés, des Pauvres, des Miséreux, et des Orphelins de la terre, et de tant d’autres encore, qui de ta Prière attendront tout, et que tu intercèdes pour eux, qui n’ont rien en ce monde, que Dieu, qui leur est tout. Car telle est ta vocation, celle à laquelle t’appelle la Toute Sainte Mère de Dieu, qui des Cieux est Reine.” Puis, sur ces mots, ayant encore fait devant Dieu la bouleversante confession des Ames pures, qui cherchent encore, dans les larmes, à en ôter la plus imperceptible tache, comme l’on ferait d’un grain poussière au tain moucheté du plus resplendissant miroir d’une galerie de glaces, le Père Irénée, ses larmes dans la barbe du Saint Moine, serra sur son Coeur l’Ami que lui avait Dieu Donné, et que, plus que soi-même, il chérissait.

Durant tout le temps de ces adieux, pourtant, pas même un instant le Père Zosime n’avait sérieusement cru que le lendemain verrait la dormition du bienheureux Irénée. Aussi, le matin suivant, lorsqu’il vint à passer devant la cellule de son vieil ami, il lança au novice qui le servait en sa celle, lui rendant office de Syncelle : “ Je t’en prie, frère! Salue pour moi le Père Irénée!” Alors le jeune frère soupira de douleur : “ Hélas! Comment le pourrais-je, frère? puisqu’il a quitté ce monde...Il a participé aux Divins Mystères, puis, tandis que j’allais préparer le thé, il a regagné sa cellule. A mon retour, il était allongé là, sur son lit, les bras en croix sur sa poitrine.”

Car, en Vérité, comme le Seigneur le lui avait manifesté, et très expressément à l’heure dite, le Père Irénée s’était endormi, laissant après lui ce monde de vanités.



***


Zosime, au Monastère, avait encore eu pour ami le Père Nicolas. C’était un ancien soldat qui, pour s’être en campagnes ruiné la santé, avait en suite de ce dû demeurer grabataire près de quarante ans durant. Comme il n’avait sur la terre nulle part où aller, ni nulle parenté digne assez de ce nom pour se soucier le moins du monde de lui, il avait été , par pitié, pris sous la protection du Monastère.

Là, parce qu’il avait, longanime, porté et supporté la Croix si lourde de ceux tant long temps tenus couchés par la maladie, et que, souffrant avec une infinie patience, il n’en avait pas moins persévéré dans la Prière en pleine et entière humilité, le Seigneur l’avait surabondamment consolé des charismes à lui octroyés de l’Esprit de Sainteté. C’est ainsi qu’il put, dix années

avant la Révolution de 1917, prophétiser que le Tsar Nicomas serait détrôné et chassé du pouvoir, le Monastère par la force armée fermé, et les Moines disséminés aux confins de la ville, et précairement relogés en hâte au hasard des logis de fidèles qui les voudraient bien recueillir dans leur terrible infortune. A son ami Zosime, le Père Nicolas prédit également tout ce qui lui adviendrait dans la suite de sa vie à venir.

Le Bienheureux Nicolas était de surcroît un Thaumaturge des plus extraordinaires. Ce fut lui qui guérit Maria, la soeur du Saint Staretz, qui, depuis plus de dix années déjà, était affligée de cécité. Voici comment : Après qu’il eut prié pour elle,

il lui fit sur les yeux une onction d’huile prise à la veilleuse qui brûlait devant les icônes de son iconostase, lequel occupait, comme chez les pieuses gens, tout un pan de mur dans un angle de sa pièce. Et, de fait, par un grand miracle des prières du saint homme, Maria recouvra la vue. Et ce fut en y voyant aussi clair qu’est plus claire que le soleil la Vérité, qu’elle vécut dorénavant en toute clarté les dix années qui lui demeuraient encore à vivre.


Un autre jour, le Bienheureux Nicolas se trouvait

avec le Staretz dans sa cellule, lorsqu’y survint un jeune visiteur

arborant fièrement une belle toque de zibeline. L’on vit alors, non sans surprise, le Père Nicolas, d’entrée, se jeter sur lui, pour la lui arracher de la tête. “ Je ne te la rendrai pas!” criait-il, furieux, “ parce qu’elle ne t’appartient pas. La tienne est encore dans le train où tu l’as laissée.” Et comme, pour finir, le jeune homme, feignant l’étonnement naïf de l’hypocrite menteur, pratiquant, en schyzophrène, le schyzoïde déni de sa réalité, quoiqu’il eût été surpris en flagrant délit de vol, demandait au Saint Père de lui donner les explications de cette violente sortie hors de soi, ignorant que c’était à ses démons qu’en avait le Saint, ce dernier, comme s’il en visionnait toute la scène, livra le fin mot de l’histoire : “ Il y avait,” répartit-il, “ sur une banquette étendu du train, un homme ronflant et lourdement assoupi, cuvant la boisson dont il était pris, pour s’en être la veille enivré; et, près de lui, posée, sa toque neuve.” “ - Oui”, poursuivit, les yeux baissés, le jeune homme confondu, “ je l’ai prise pour moi, et, tout en me l’appropriant, je plaçai en son lieu et place, pour la lui substituer, ma vieille toque usagée, laquelle me faisait honte. ”



Au Bienheureux Nicolas advenaient toutefois de bien plus étonnants prodiges encore. La nuit venaient les Anges Saints, divinement psalmodiant, lui porter les Saints Mystères, pour qu’il y pût communier, lorsqu’il ne pouvait se lever pour se rendre aux Vigiles des Agrypnies, ces longues Veilles de prières, qui s’officiaient l’entière nuit dans l’Eglise. Mais, pour ce qu’ils avaient revêtu l’aspect de Moines du Monastère, et que celui qui marchait en tête de leur Saint Cortège

avait pris la semblance et les traits de l’Higoumène qui en avait la direction spirituelle et confessait le Bienheureux, il ne saisissait point que c’était là quelque Visitation du Ciel. Et, plein de gratitude pour ses frères, il songeait à part lui : “ Oh! Quel Amour pour moi ont donc mes frères et mon Père Higoumène! Sans même attendre l’aurore, ils viennent de nuit soulager mes maux, mes douleurs, mes afflictions, et ma peine!” Et le Saint Père Nicolas qui, selon son Humilité ordinaire et son accoutumée Simplicité , regardait ce Céleste Prodige comme l’événement le plus banal qui lui pût advenir, long temps ne s’était à personne confié de ce miracle tout merveilleux.


Or, le Starets apprit quelque jour, de la bouche des Moines, que, depuis son entrée au Monastère, il y avait de cela bien des années, jamais le Hiéromoine n’avait communié.

Fort attristé de si déplorable nouvelle, le Père Zacharie s’en alla donc en sa cellule trouver le Moine malade, s’offrant à le confesser et à lui venir porter la communion. Mais le Bienheureux, déclinant son offre charitable, néanmoins l’en remercia, disant : “ Si tu savais quelle immense Joie il m’est donné d’éprouver lorsque, lors des grandes Fêtes de l’Eglise, l’Higoumène et les frères me la viennent en personne porter!” Et il lui découvrit, par le détail, les circonstances et le mode sur lequel, chaque fois, se faisait cette venue. Lors le Staretz, comprenant que le Frère lui faisait appréhender là, et comme tangiblement toucher du doigt, quelque grand Mystère, fut saisi de stupeur, et, de confusion, demeura muet. Il saisissait bien à présent que le Saint Père Nicolas recevait la Faveur Divine de Visitations du Ciel. Et ce n’est que lorsque fut endormi de son dernier sommeil le grand Moine aux Longanimes Souffrances, à l’Imitation de Son Christ, que le Starets Zacharie s’assura pleinement de l’existentielle effectivité du Miracle, vérifiant auprès des Moines du Monastère qu’ils n’étaient de fait jamais venus donner au Saint Père Nicolas, nuitamment, la Sainte Communion aux Divins Mystères du Christ.




***









































V





CINQUIEME PARTIE





LA VENERATION TOUTE PARTICULIERE




DU SAINT STARETS ZACHARIE




POUR LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU






























A notre Toute Sainte, la Mère de Dieu et Vierge, le Starets Zacharie, à l’instar de Saint Séraphim et de tous les Saints de notre Bienheureuse Orthodoxie, vouait une immense Vénération, à la mesure de l’Amour sans limites qu’il Lui portait.

Lui-même ne voyait du reste à son Enseignement Spirituel d’autre fin que de transmettre à ses Enfants En Christ, comme le legs le plus précieux de l’Héritage Ecclésial, un peu de son brûlant Amour pour la Vierge, sa Reine. Tel était, en effet, le fondement des préceptes qu’il leur léguait :

“ Ne commencez jamais rien”, leur disait-il, sans implorer la Bénédiction de la Mère de Dieu. Et, lorsque vous aurez achevé, de nouveau, rendez Grâce à la Reine des Cieux.”

“ Pour chacune chose que vous entreprenez, demandez d’abord Sa Bénédiction à la Reine du Ciel, et notre Seigneur, lors, vous élèvera sur le premier degré de l’Echelle de la Grâce que constitue et prodigue tout ensemble l’Ascension Spirituelle de vertu en Vertu. Or, ce premier degré en est la reconnaissance de vos péchés. Qui ne se voit point, ni son âme au miroir, ne se peut corriger, amender, ni adorner des Célestes Vertus”.

“ Je crois fermement, ” disait-il encore pour leur Edification Spirituelle, que si vous vous efforcez d’acquérir une pleine conscience de la perpétuelle Présence à vos côtés de notre Seigneur et de la Reine des Cieux, et que, tout en gardant à chaque instant ce sentiment fortement présent à l’esprit,

vous vous attachiez à n’accomplir rien que vous n’ayez préalablement demandé à la Mère de Dieu de vous couvrir par Ses Toutes Saintes Prières, et de vous bénir, vous et ce que vous vous apprêtez à entreprendre, alors vous recevrez d’En Haut le Charisme de la Prière Incessante qu’est la Prière du Coeur des Saints Hésychastes, et, avec lui, le désir de n’accomplir rien que ce qui Plaît à Dieu, et tout ce qui Lui est Agréable”.

“ En l’Ame de chacun des Siens se Réjouit le Christ, par l’Intercession de la Mère de Dieu Toute Sainte. Priez donc Sa Mère Toute Pure, et voici que vous serez sans cesse avec Elle auprès de Son Fils ”.




***


Le Saint Starets regardait encore un devoir très nécessaire que l’on veillât à toujours allumer les veilleuses brûlant devant les icônes de la Toute Sainte.

Et s’il advenait à quelqu’un qu’il tombât malade, il insistait pour que l’on fît sur lui le signe de la Croix, avec un peu d’huile prise à la veilleuse d’une Icône Miraculeuse de

la Mère de Dieu.

Enfin, il exhortait ses Enfants Spirituels à redire sans cesse la belle Prière de la Salutation Angélique de l’Archange Gabriel à la Pure Jeune Fille de Judée, que s’était Choisi Dieu pour Fiancée, et Mère de Son Fils, celle même Prière de la Fête de l’Annonciation, que Sauve et Garde en son Saint Patrimoine notre Sainte Eglise Orthodoxe :

“ Salut! Mère de Dieu et Vierge,

Marie Pleine de Grâce,

Le Seigneur Est Avec Toi! Tu es Bénie entre toutes les femmes,

Et le Fruit de Tes Entrailles est Béni,

Car Tu as Enfanté le Sauveur de nos âmes!”


Et rien ne le réjouissait comme de voir quelqu’un lire en son Office le Canon de la Toute Sainte, tel qu’elle était venue l’enseigner en personne à Saint Séraphim de Sarov, lequel consiste à redire cent cinquante fois le jour cette même prière de d’invocation : “ Salut! Mère de Dieu et Vierge...”




***




























VI





SON CHARISME DE CLAIRVOYANCE










































Comment le Charisme de Clairvoyance, au degré si élevé de clarté dans l’acribie et la précision où le possédait Zacharie, eût-il pu ne pas inspirer de respectueuse crainte à ceux qui, de son vivant, l’approchaient, comme à ceux mêmes qui, en ce jour, miraculeusement, lisent, en quelque Synaxaire d’Eglise, entre leurs mains tombé, tel que, par quelque non moins miraculeux effet ménagé par la Providence, il échoit à leur vue, le récit de la Vie Toute Merveilleuse du Saint Starets? Car, en effet, dans le Coeur si parfaitement purifié du Saint, était venue la Grâce Inhabiter de l’Esprit de Sainteté, sous son regard, élargissant, trop étréci par les hommes étriqués, d’individualiste égoïsme, d’oeillères aveuglés, le vaste horizon du monde à l’univers, abolissant toutes les étroites limites convenues d’espace et de temps, et conférant au Bienheureux Connaissance du passé et de l’à venir, comme aussi de ce qui, dans le même temps et au même instant, survenait en un autre lieu de l’espace sous le Ciel habité, comme aussi dans le coeur de celui qui, pour l’heure devant ses yeux, s’entretenait présentement avec lui.



C’est ainsi qu’un jour qu’il était à table avec ses Enfants Spirituels, on le vit se lever soudain, comme mû d’une Divine Inspiration, et s’exclamer avec transport : “ Ah! Ma Pélagie!...Comme elle se repent!...Comme elle me supplie de lui pardonner, et comme elle pleure avec contrition!...Allons, laissez-là cette table, et venez avec moi prier pour son âme!” Il marcha vers l’iconostase pour y lire une prière, puis, En Esprit, bénit Pélagie. Et comme ses Enfants lui demandaient où elle se pouvait trouver en cet instant, il leur répondit qu’elle était au loin, dans une province du Nord, mais qu’à son retour elle leur exposerait plus au large ce qui s’était passé en elle. Et, de fait, lorsque six mois plus tard, Pélagie revint, elle confia d’elle-même quel profond repentir avait été le sien, et avec quelles larmes elle avait imploré le pardon du Géronda, au jour et à l’heure précis où le Starets en avait eu la Révélation.


Une autre fois, comme s’allaient rendre chez le Starets deux femmes pour se confesser à lui, qui faisaient route ensemble, l’une d’elles, à tout instant, se remémorait et se représentait à l’esprit ses péchés, et son coeur était à la Pénitence, au point que, versant d’abondantes larmes, elle implorait du Seigneur Son Pardon; cependant que l’autre, personne fort superficielle, l’esprit occupé de rien autre que de fariboles, et mondaines futilités, ne faisait que songer à de frivoles vanités. Elle ne s’inquiétait donc, chemin faisant, que du vêtement qu’elle pouurrait bien acheter à sa fille pour compléter sa garde-robe, déjà pléthorique, au demeurant, des teintes dont elle l’assortirait pour réaliser aux entours quelque coordonné dans le vent, et mille autres bagatelles mêmement pitoyables. Or, parvenues à la cellule du Saint, à peine y étaient-elles entrées que, sans leur laisser le temps de lui faire le moindre aveu en guise de confession hâtive, il dit à la première, laquelle était pieuse femme : “ Agenouille-toi là, ma fille, que je lise sur ta tête, que tu gardes si humblement baissée, la prière d’absolution.” “ - Mais, Père Saint!...” se récria-t-elle, saisie d’un esprit de pieuse crainte, “ je ne me sui pas encore confessée à toi de mes fautes, ni de mes pensées...” “ - Cela n’est point nécessaire, ni n’est ici d’aucune utilité,” répondit le Staretz. “ Ne t’es-tu pas ce pendant déjà confessée au Seigneur?...Tout au long du chemin, tu t’es repentie. Je t’ai entendue...Oui, j’ai tout entendu...A présent, je te vais pouvoir donner l’absolution de tes manquements, et des pensées qui ont échappé à ta garde du coeur.

Et, demain, tu communieras.” Puis, se tournant vers la seconde : “ Allons”, lui dit-il; et son regard s’était fait sévère. “ Va donc faire tes emplettes; oui, va perdre ton temps à courir les magasins, puisque tu ne sais point d’autre sorte occuper un temps si précieux pour ce qu’éphémère. Arrête-toi devant mille babioles inutiles, et achète enfin ce tissu dont tu rêves pour ta fille...Regarde bien au coloris, surtout, et songe à étudier au plus près la dernière coupe à la mode, qui, demain, a toutes chances de changer encore. Et lorsque tu te seras véritablement repentie, reviens, et confesse-toi. Mais pas avant. Tu ne dirais rien de vrai, de sincère, ni de profond. Cela ne servirait de rien.”



***


Une vieille femme vint un jour, avec une parente à elle, toute jeune, et comme éclatante de santé, visiter le Starets. Tout-à-coup, néanmoins, le Saint se tournant vers la jeune fille, lui dit d’un ton d’une fermeté qui laissait sans réplique : “ Il faut, demain matin, que tu communies...Tout-à-l’heure, tu reviendras te confesser. Mais va d’abord serpiller et lustrer les marches de l’escalier. Si je te dis cela, bien qu’elles soient presque propres, c’est pour qu’à chacune des marches, tu te rappelles l’un de tes péchés, et que, pour chacun d’eux tu fasses la pénitence appropriée... Puis, lorsque tu auras fini, songe à la manière dont l’âme, à la fin de son temps sur terre, s’élève vers le Haut, pour ce devant au préalable passer les redoutables péages du Ciel, où lui seront, à chacun, demandé puis mis en examen les divers comptes relatifs à chacun des actes de sa vie sur terre.”

La jeune fille, trouvant bien l’injonction quelque peu étrange, s’en fut toutefois obéir à la volonté du Starets. La vieille parente, quant à elle, ignorant tout de la conduite de vie par quoi se peut acquérir l’humilité vraie, émit tout haut quelques réserves marquant sa réprobation devant l’imposition à une noble demoiselle d’un office aussi servile que dégradant, au motif qu’elle était ennuyée que sa protégée communiât sans s’être d’abord préparée par le jeûne. Mais le Saint se fit fort d’apaiser ses faux scrupules :“ Demain, ” lui dit-il, “ tu comprendras. Reviens après la Divine Liturgie. Nous en reparlerons, lors.” La jeune fille, ayant achevé son nettoyage des escaliers, s’en revint voir le Starets, pour se confesser à lui, et recevoir sa bénédiction. Puis, le jour suivant, elle communia, et, toute joyeuse, s’en retourna chez elle. Alors, comme elle s’était paisiblement assise sur une chaise, elle parut soudain s’endormir...Notre Seigneur avait de la sorte pris son âme, - tout ainsi, de la façon la plus simple et la plus tranquille qui se pût faire, doucement, à son insu, comme en son sommeil. A cette vue fatale, saisie d’une grand crainte, pour au tant respectueuse, la vieille duègne aussitôt courut chez le Saint, pour lui faire part de ce qui était advenu. Quelle ne fut point sa surprise, lorsqu’elle le trouva psalmodiant un Trisaghion ( 13) pour le repos de l’âme de sa jeune fille!...Et, lorsqu’il eut achevé de chanter son Trois fois Saint - Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabbaoth...- : “ Pourquoi t’être inquiétée?” lui dit-il. - Et sa voix rassurante marquait un calme rassérénant, quasi surnaturel -. “ J’ai su, tout simplement, que Notre Seigneur allait la prendre. Et c’est pour quoi je lui ai procuré la faculté de communier en Pénitente.”


***



Deux jeunes filles, étudiantes en Théologie, vinrent quelque jour trouver le Starets jusqu’en sa cellule, désireuses de l’interroger sur nombre de points épineux de doctrine dont elles se voyaient fort embarrassées, ne sachant le mode de leur résolution véritablement Théologique. Il en était même tant, qu’elles avaient dressé par écrit la liste de ces difficultés théologiques. La première de ces jeunes étudiantes s’apprêtait donc à lui soumettre un rébus de quinze questions, cependant que la seconde n’en avait pas moins de quarante à disposition en sa réserve de théologienne de banc d’université. Mais lorsque, parvenues en vue de la cellule du

Saint, elles s’avisèrent qu’il ne leur faudrait pas moins attendre que de longues heures, leur tour ne venant qu’ultérieurement à une grande foule de gens massés là depuis bien auparavant, et que le Starets verrait donc en priorité avant que ne fût échu leur tour enfin, elles ne purent s’empêcher de marquer leur déception, et de manifester leur impatience.

C’est alors que, se tournant vers elles, le Starets les pria de sortir un papier et un crayon, et, sans même qu’il eût pris le temps ni la peine d’en consulter le scolastique énoncé, de noter, dans l’ordre, la réponse de l’Esprit de Sainteté à chacune de leurs artificieuses questions d’érudits en chambre, spirituellement inexpérimentés quant à Ses divers Modes de Manifestations en l’existentielle effectivité de la Vie En Christ. Et elles s’émerveillaient à voir que, les reprenant en leur ordre, il détaillait par le menu l’exégétique explication et résolution En Esprit des litigieuses difficultés proposées, dont elles étaient, avant que de se voir à présent par lui éclairé, lequel avait reçu l’Esprit, qui Tout, Illumine désespérément demeurées si long temps perplexes.



***



















































VII



SEPTIEME PARTIE





L’ACQUISITION DU SAINT ESPRIT,




ESPRIT DE SAINTETE


































Fidèle à l’Ecriture, comme à la Tradition des Saints Pères Hésychastes, - et plus particumièrement à l’enseignement de Saint Séraphim de Sarov qu’il tenait en immense vénération -, le Starets Zacharie redisait après lui, le proclamant à qui voulait l’Entendre, qu’il n’est d’autre but à la Vie Chrétienne que l’acquisition du Saint Esprit, en suite de quoi l’humaine Nature régénérée, Illuminée, et Fortifiée par la continuelle réception de l’Esprit, demeurant en Présence Inhabitant le Coeur des Saints, qui avaient lutté à devenir ses dignes réceptacles, vases fragiles devenus Forts de Sa Surefficiente Puissance, cette Nature Recréée donc de l’Homme Nouveau se pouvait acquitter enfin, en Vive Conscience, avec Intelligence Spirituelle, de toutes ces belles oeuvres bonnes que dicte l’Amour de Dieu rejailli sur les Frères.


La Sainte Tradition de l’Eglise Orthodoxe n’enseigne-t-elle pas, en toute Orthodoxie, que c’est au seul Nom du Christ, Fils du Dieu Vivant, Agissant En Esprit, qu’il nous faut pratiquer les Chrétiennes Vertus, et que se peut, par elles, acquérir le Très Saint Esprit? Car, c’est “ le Fruit de l’Esprit” qui mature le Coeur des Saints, enquel Fruit sont lovés tous les Divins Charismes attestant que ce pendant même qu’ils marchent en cette vie, ils se meuvent En Vérité en la Surnaturelle Sphère du Monde d’En Haut venu peupler le leur. Mais la fausse vertu, sèche et déchristianisée, des athées dits vertueux n’est que gangue creuse vidée de toute la Substance Vive de l’Esprit qui sans cesse, des flux ininterrompus de sa sève, nourrit, alimente, et croît ce fruit, jusqu’à le transplanter Arbre au Surnaturel Paradis venu, tout entour lui, se substituer tout au stérile terreau de son existence d’antan. Rien n’est la vertu prétendue des athées que liste obligée de devoirs et d’exercices imposés, de bonnes actions ponctuelles, sporadiques, médiocres, inefficientes, hypocrites, vantardes, et stériles, et moraline asphyxiante d’insupportable carcan, spoliée de toute Spirituelle Essence.

Pareille vertu de façade, laquelle est vertu sans Esprit, ressemble aux vierges folles, lesquelles étaient bien en possession de ces lampes que sont les vertus, mais auxquelles veilleuses faisait défaut l’huile pour les en alimenter en continu, lequel est le Saint Esprit Vivifiant, qui point ne cesse de faire Ses Emanations sourdre sur ceux auxquels Il octroie Ses Illuminatives Insufflations.

La Prière a, disait encore le Starets, et recèle beaucoup de Force, pour ce qu’est elle qui, plus qu’aucune autre vertu, nous confère le Saint Esprit. Et, sur ce point, le Starets se montrait très insistant, s’en allant répétant au long que c’était par l’entremise de cette Invocation de la Prière Hésychaste au Seigneur Jésus Christ, implorant humblement Pitié sur son âme, que se laissait attirer l’Esprit, lequel ensuite, descendant sur cette âme, plus ne la quittait, mais, sans cesse, spirituellement la fécondait, jusqu’à la faire, dès sa terrestre vie, comme en palimpseste de cette même vie sienne, entrer toute dans le Surnaturel. Aussi n’avait-il de cesse qu’il n’exhortât ses Enfants Spirituels à Prier toujours davantage, sans cesse répétant les mots de la Prière du Coeur, qui bat au Coeur des Hésychastes : “ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi, Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi...”, et d’ainsi, la redisant tout le jour, lutter avec Force pour obtenir d’en soi recevoir l’Esprit, lequel est Esprit de Sainteté. “ Quel homme

pourrait-il être dit Sage”, aimait-il à redire ensuite, “ hormis celui

qui possède le Saint Esprit?”





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VIII







SON ENSEIGNEMENT SUR LA PRIERE




























Le Starets Zacharie, peu à peu, était devenu tout Prière. Il n’était plus désormais en sa Vie un seul instant où il ne fût En Communion avec Dieu. De là, bien souvent, que ses Enfants Spirituels, lui demandaient de les enseigner sur les Secrets de la Prière. Quelle simplicité de Coeur, quelle profondeur de vues, aussi, émanait lors de ses exhortations et de ses conseils spirituels!

“ Mes Enfants!”, disait-il, “ tâchez d’acquérir l’Esprit de la Prière Incessante. Sans vous lasser, demandez-le à la Mère de Dieu qui, sans jamais dormir, veille en Prière pour nous!”


“ Sans Prière”, disait-il encore, “ l’homme ne vit pas; il ne respire pas, mais se dessèche, s’étrique, s’étiole, s’asphyxie, et, si même il n’en a plus ni point conscience, chaque instant davantage se meurt. ”


“ Prenez donc l’habitude de ne rien entreprendre, de ne rien commencer sans la Prière.”


“ La Prière est Mère d’Humilité. Et, sans Humilité, il n’est point de Salut.”


“ A chacune de vos mouvances, de vos paroles, pensées, faits, et gestes, tâchez à marier la Prière.”


“ Ne dites pas vos prières à la hâte, comme à la course, ou bien au pas de charge. La Prière est la santé de l’Ame comme elle est le profit du Coeur.”


“ Si même il nous incombe en société de tenir de mondains discours, il sied que, dans nos Coeurs, nous gardions la Prière.”


“ Il ne faut pas que la prière devienne mécanique, ni qu’on la dise à la manière impie, sans éprouver la crainte de Dieu, parce que cela constitue une offense à la Prière.”


Et ce qui faisait ainsi parler le Saint Géronda, c’est qu’un jour, dans sa cellule, il avait tremblé en voyant, debout devant les saintes icônes de son iconostase un démon. Sa figure était celle d’un grotesque, et il faisait mine de s’occuper à lire le Psautier, qu’il anônnait de façon incohérente et décousue. “ Que fais-tu donc là?”, gronda le Starets. “ Moi?” fit le démon, l’air de Rien. “ Je tourne la prière en dérision, par là m’exerçant au péché de blasphème qui vous fait tant horreur à vous, les Moines, et vous hérisse tout, jusqu’à vous faire exploser à notre encontre de colère et de rage. Oui, je viens te faire enrager!” Il eut un horrible rire sardonique, et disparut. C’est ainsi, toutes proportions gardées, qu’attentent à la dignité de la prière tous ceux qui la font à l’étourdie, lisant leur office de façon heurtée et décousue, sans garder fixée sur elle toute leur attention concentrée, ni ressentir en leur coeur la crainte de Dieu.”



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IX







AUTRES ENSEIGNEMENTS





























“ Il convient ”, disait-il encore, “ que chacun sache discerner les rêves, et, d’entre eux, ceux qui viennent de Dieu, lesquels, immanquablement, confèrent à l’âme Immense Joie puis, de là, rassérénante Paix, supérieurement ineffable. De tels rêves incitent le coeur au Repentir et à la Pénitence, chassent les pensées orgueilleuses, puis éveillent l’être à la lutte encontre le péché.”


“ Faites chaque jour l’aumône,” enjoignait-il. “ Le jour qui sans aumône passe est perdu pour l’âme et pour l’éternité. Nos aumônes, tout au contraire, apprêtent l’homme intérieur à recevoir la Grâce du Saint Esprit. “ Bienheureux les Miséricordieux, car ils obtiendront de Dieu Miséricorde.” Les aumônes ont devant Dieu tant de force que, jusque dans la gueule de l’Enfer, elles ont le pouvoir d’aller rechercher une âme. Car toujours devant le Trône du Seigneur se tient l’Ange de cette Vertu, décomptant bien haut à la Face de Dieu quelles, en ce Jour, ont été les aumônes, et quels les Aumôniers.”

A la porte de l’immense Saint Monastère de la Lavra des Grottes de Kiev en Ukraine, peuplées des cercueils de verre des grands Saints qui s’y sont endormis, ce jour offerts à la vénération des pieuses âmes qui, sous les basses veilleuses, en ces étroits tunnels blanchis de chaux, aux murs saturés de Saintes Prières, En Esprit proférées, les y viennent embrasser, Patriarches, Evêques, et Moines, qui y vécurent Reclus les plus difficiles Ascèses de ce monde, se tenait une mendiante folle En Christ.

“ Qui donne l’aumône”, disait-elle, “verra le monde tourner autour de sa Prière.”

“ Retenez toujours ce fait bien présent à l’esprit, que le Seigneur à chaque instant vous regarde, examinant tous vos actes, scrutant vos sentiments, comme pesant aussi chacune de vos pensées. Oui, tout ce que vous faites, accomplissez-le sous l’Oeil du Christ Tout Puissant, qui en tout instant vous Voit, comme, du haut du dôme basilical, coupolée, son Icône mosaïquée de Pantocrator”.


“ Il n’est point d’Ascèse plus Haute”, murmurait-il, “que de souffrir et supporter sans murmure tout ce qui, en cette vallée de larmes, nous peut advenir. Et celui qui, jusqu’à la fin, aura tout porté et supporté, celui-là sera Sauvé.”


“ Si, Longanime,” ajoutait-il, “tu sais, sans murmure, tel un Martyr, souffrir l’affliction, alors, en ce, tu rends au Christ Témoignage de ta Fidélité à Lui, et, silencieusement tu proclames à la face du monde et de tous ton Attachement à Ton Sauveur, Lui chantant, sur tous les tons de la Divine Psalmodie, ton Amour pour Lui, le Ressuscité des Morts, qui, tous, nous appelle à Ses côtés.”


“ Il sied que chacun ait pour premier de tous ses soucis et ses soins la pureté de son âme. Or, seule est pure l’âme qui, tout entière, a fait Don d’elle-même à Dieu. Mais avant que d’y atteindre, il convient au préalable que l’âme ni ne mente ni ne se livre à la malignité, s’y abandonnant jusqu’à rouler au fin fonds de l’abjection de l’Enfer, et que point non plus elle ne se désespère.”


“ A toute force, et de tout notre pouvoir, il nous faut, avec un saint et profond Amour, vouloir alléger le joug pesant d’autrui, et, davantage encore, celui des plus infortunés qui plus ne savent comment survivre à la tribulation sans fin de leur condition de misère. Et il nous faut aussi vouloir gagner à Dieu d’autres âmes

qui ne le connaissent point pour n’en avoir nullement été droitement enseigné. De fait, c’est de même manière aussi que nous sommes nous mêmes gagnés à Lui par notre Vie de Pénitence incessante. Car, c’est un Dieu d’Amour que notre Dieu.”


“ Nul ne possède le Charisme du Discernement des esprits, qu’il n’ait d’abord, en Hésychaste, reçu celui de la Prière Incessante du Coeur.”


“ De toutes vos forces, fuyez le péché, et, avec l’Aide et le Secours de la Reine des Cieux, combattez les forces ténébreuses du Mal. Alors, plus vous approcherez le Seigneur, plus

au-dedans de vous s’ouvriront les Yeux de l’Humilité, et plus finement vous appréhenderez à quoi peut l’état ressembler d’un profond Repentir, en sorte de vous y pouvoir perpétuellement tenir.

Et si, sans vous lasser jamais, toujours vous redites en esprit la Prière de Jésus, celle des Hésychastes, descendue en leur coeur :

“ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi pécheur”, vous approcherez plus vite, et vous tiendrez plus près encore de notre Christ, qui, par après, sans trop tarder, vous inspirera le Céleste et Divin Amour de tous vos frères sur la terre, fussent-ils même vos ennemis.”


“ Jamais, en aucun cas, ne laissez vous gouverner la tristesse, ni, d’aucune façon, établir sur vous son empire. Car, c’est là ce que veut le Diable. Sa stratégie est de décourager l’âme, pour la pousser au désespoir, et de là à la mort, en lui suggérant d’attenter à ses jours. Oui, le Diable veut la mort de l’homme, l’empêchant, par tous les moyens, de vivre à cette fin de faire pénitence, et de pouvoir faire son Salut. Le désespoir est le bourreau de nos âmes, en mettant à l’épreuve, puis à mort en nous

le Désir captant l’Energie Spirituelle, dont nous avons tant besoin pour recevoir en nos Coeurs le Saint Esprit. Trop abattu par l’affliction, l’homme perd toute aptitude à prier, et, privé de cette capacité, dénué de toute faculté de prière, son être est tout entier mort au Combat Spirituel que requiert d’abord la Vie En Christ, avant que ne pût la Grâce décerner aux vainqueurs les Trophées des Vertus, et la Surnaturelle Existence, menée sous les auspices de l’Esprit de Sainteté, qui jamais plus par après n’abandonne l’Ame.”


Et il lui advenait de clore l’entretien spirituel, au cours duquel il avait à ses Enfants imperceptiblement soufflé, comme par bribes, quelques-uns des Secrets sans Prix qui sont d’En Haut à Ses Saints Révélés par l’Esprit Illuminant ceux qui vouèrent à l’acquérir leur entière Vie En Christ, en psalmodiant ce verset (24-25) de l’Epître de Jude :

“ A Celui Seul qui nous Peut Préserver

De toute chute, et nous faire devant Sa Gloire

Paraître, irréprochables,

Et tout emplis de Divine Allégresse,

A Dieu notre Seigneur,

Par Jésus Christ notre Sauveur,

Soit la Gloire, la Majesté,

La Force, et la Puissance,

Dès avant tous les Temps,

Maintenant,

Et aux Siècles des siècles!







***



Par les Prières de notre Père Zacharie, Ton Saint,

Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie Pitié de nous!


Amin.



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VIE DU SAINT STARETS ZACHARIE




Auteur Anonyme du Ménologe russe.



Libre traduction de Presbytéra Anna.

Nouvelle édition revue et corrigée pour

les Editions Phos diffusées sur Internet.





***




Le 2 septembre 1850, au jour que l’Eglise célèbre l’éternelle mémoire de Mamas, le Saint Martyr, naissait dans la province russe de Kalonga, près de Moscou, celui dont la vie toute admirable et parfaite répandrait bientôt sur les âmes affligées, sublime et merveilleux, le Parfum d’une Fleur de Paradis, exhalant l’ Embaumante et Suave Senteur du Très Saint Esprit. A ce fils, qui était le dernier de leurs onze enfants, Dimitrievitc et Tatiana Miraevna, ses parents, de simples et pieuses gens du village, donnèrent le nom de Zacharie, le plaçant ainsi sous la Divine Protection de Saint Zacharie, Père du Vénérable Précurseur et Prodrome Saint Jean le Baptiste.




























I






PREMIERE PARTIE






ENFANCE




AUPRES




SA SAINTE MERE





























Tatiana Miraevna, mère de Zacharie, était une Ame Sainte, qui, devant Dieu, jouissait d’une grande Assurance. Aussi, abreuvait-elle son fils aux Purs et Saints Courants des Ondes de la Piété. Et lui, en retour, petit arbrisseau toujours assoiffé, ne pouvant assouvir de Dieu son grand Désir, une à une, buvait les paroles bénies tombées des lèvres de cette Mère Bienheureuse, Temple Vivant de Sagesse. Si bien qu’à force, tant à son exemple, par imprégnation appris, à vivre à ses côtés, y racinant, et germinant, que par ses Prières, de Croître en Esprit de Sainteté, il devenait grand Arbre, platane ombragé de la Grâce, dont l’épais feuillage, déjà, invitait sous sa ramée les fidèles, les appelant à goûter au réconfort qui raffermit les âmes. Car, à son fils encore tout enfant, Tatiana, cette paysanne trois fois bénie, avait enseigné la crainte de Dieu, l’amour des pauvres, et la compassion pour les malades. Plus tard, avec le temps, c’était, entre toutes ses vertus, à celle-ci surtout, à cette Compassion, lors devenue parfaite, que l’on reconnaissait le Starets. Mais telle enfance, marquée toute d’événements plus extraordinaires les uns que les autres, laissait à l’avance présager assez à quelle Vie Sainte et Sublime le Seigneur destinait Zacharie.

Il n’avait pas sept ans qu’il lui advenait à la dérobée de quitter déjà les siens. Alors, des jours entiers durant, il s’enfonçait dans les bois, l’esprit à la seule Prière appliqué. C’est ainsi qu’il grimpa quelque jour au faîte d’un sapin, où il demeura jusqu’à la nuit tombée, qu’il y passa par après tout entière en Prière. Lorsqu’au matin il eut faim, il descendit de son arbre, mangea quelques racines agrémentées de touffes d’herbes, puis, réescaladant son mât de forêt, regagna les hauteurs du ciel, où il reprit son poste de vigie. Cet exploit de moine stylite se continua plusieurs jours encore, ce pendant que son Coeur, tout empli d’un divin zèle, se dilatait à mesure d’une immense Joie Spirituelle.

Tatiana, elle, ce même temps, en proie au plus grand désarroi, avait couru demander les Prières, pour le retour de son fils disparu, au prêtre du village. Le Père Alexis, saint homme, au demeurant, et dont les saintes Prières accomplissaient des miracles, rasséréna la mère folle d’angoisse, lui prophétisant en outre que, plus tard, ce fils bien-aimé deviendrait Saint.


***


La Grâce en Tatiana continua de surabonder, jusqu’à ce qu’un jour elle sentît approcher sa fin. Faisant venir à elle tous ses enfants, elle les bénit, puis, se tournant vers l’une de ses filles : “ Matia”, lui dit-elle, “j’ai fait à tous mes adieux, hormis à Zacharie, mon fils bien-aimé, auquel je n’ai pu encore, en son absence, donner ma bénédiction. Mais je ne mourrai pas que je ne l’aie béni. Je m’en vais donc demander à Dieu un peu de temps encore...le temps que tu ailles à la ville, mon enfant aimée, lui porter la nouvelle que je m’en vais mourir, à Dieu retourner.” Peu de temps après, Zacharie, tout en larmes, arrivait. Sa mère alors, comme à l’avance l’ayant vu et su, par don de clairvoyance, se mit à lui prédire tout son avenir : Il lui faudrait passer par bien des épreuves - et, ici, parvenue à ce point de ses dires, elle les lui énuméra toutes; mais, à la fin, il deviendrait moine. Puis, lui remettant une icône de la Toute Sainte Mère de Dieu de Kazan : “ ...Ton Guide,” murmura-t-elle. Après quoi elle pria Zacharie de s’en retourner à la ville où l’attendait son ouvrage. Elle ne voulait pas même qu’il interrompît sa besogne le seul temps de son ensevelissement. Il lui suffisait, lui enjoignit-elle, se recommandant à ses Prières, que son fils, au loin, priât pour son âme. Son fils parti, Tatiana, se redressant à demi sur le lit, fit sur son oreiller le signe de la Croix, puis, se signant à son tour, rendit à Dieu son âme très sainte. Lors, sur l’instant même, quoiqu’à l’autre bout de la ville, Zacharie sentit s’exhaler, et l’envelopper tout, un céleste parfum, plus doux et plus suave qu’un encens de roses. “ Ah!” soupira-t-il, d’affliction profonde, “ ma mère s’est endormie.”

Et, longuement, en silence, il pleura.


Long temps par après, lorsque Zacharie fut devenu Staretz, il conta comment un jour il avait vu un démon.

“ Des Chrétiens”, avait-il lors demandé à cette abjecte apparition, “ en détenez-vous en Enfer ? ” “ Et comment! ”, avait rétorqué l’autre. “ Si nous en détenons? Mais, ton père même y était! Il y serait même encore si toutes ces aumônes et ces fichues prières que tu as faites pour son âme ne nous l’avaient arraché.” “ Et ma

mère? “ interrogea vivement le Staretz. “ Ah! ta mère!” fit l’autre grimaçant. “ Non. Ta mère n’est pas avec nous. Parce que, - tu le sais bien, du reste -, tout au long du chemin qui fut sien, elle a répandu du pain. Et nous, nous avons eu beau scruter, et regarder

au plus près, jamais nous ne sommes parvenus à la voir croiser notre route, ni ne réussîmes à la voir passer seulement aux abords de nos antres.”

Aussi entendait-on souvent le Staretz redire :

“ Celui qui, dans ses prières, fait mention de Tatiana et de Jean, mes parents, le Seigneur Soi-même se souviendra de lui.”





***

























II





SECONDE PARTIE




LA VIE



TOUTE MERVEILLEUSE




DU STARETS




















































Après que se fut endormie sa sainte mère, il fallut à Zacharie, tout ainsi qu’elle le lui avait prédit, traverser une longue suite d’épreuves et de tribulations, desquelles, toutefois, le Seigneur et la Mère de Dieu Toute Sainte et Bénie le venaient par Miracle sauver. Car il était inscrit dans le Plan de l’Economie Divine qu’il se pût bientôt libérer des derniers liens qui l’attachaient encore au monde, pour se consacrer tout entier à la vie monastique.

Zacharie, tout d’abord, sans être allé jamais à l’école, se rendit au Monastère de la Toute Sainte, sis à Tripotamos, sur les bords des Rives Blanches. C’est là qu’il songeait à entrer pour s’y faire novice. Puis, de là, lorsqu’il eut accédé au noviciat, il s’en fut visiter le tant célèbre Monastère d’Optina, peuplé de tant de saints moines et de très saints ermites, en leurs cabanes de bois s’adonnant à la Prière tant plus pure qu’élevée du sein de la solitude entière de l’Anachorèse. Lui y fut donné, par l’Intercession de la Mère de Dieu, ce dont il la suppliait, le hasard providentiel d’une rencontre opportune avec le très Saint Staretz Ambroise d’Optina, célèbre, bien au-delà ses murs, jusqu’au fin fonds de la sainte Russie, pour les Miracles qu’opéraient ses Prières de Feu. Le Saint, après qu’il lui eût à son tour, après sa mère dotée de la même prophétique Proorasis, prédit son avenir, bénit sa résolution de devenir Moine, sans se retourner seulement en arrière d’un regard statufiant vers le monde qui pétrifie. “Sais-tu”, murmura lors mystérieusement le saint Staretz Ambroise, “ qu’il est pour toi planté dans le Royaume des Cieux, un Haut Chêne Vert...”


Zacharie, le Coeur gonflé de chaud réconfort, s’en revint lors en son Monastère d’origine, sis aux Rives Blanches. Il n’avait guère alors qu’une vingtaine d’années.

Il lui fallut là passer par de grandes épreuves, plus lourdes, et plus douloureuses, à les vivre en sa chair, qu’il ne l’avait imaginé à se les entendre prédire. Par deux fois il fut gravement malade, un si long temps, que l’on crut chaque fois qu’était proche sa fin. Le Seigneur néanmoins le guérit, pour ce qu’il atteignît à sainteté plus haute. C’est ainsi que Zacharie, remis sur pied, put se rendre auprès d’un Saint Ascète du nom de Daniel, lequel vivait aux entours de Kalouga.


Il demeura chez lui plusieurs mois. Il était encore à vivre auprès du saint anachorète pour en précieusement recueillir les vénérables propos, décelant une Expérience Supérieure de Vie, clef d’Intelligibilité pour l’Ecole de Sainteté à laquelle s’était mis le jeune moine, lorsque, pour la troisième fois, il tomba gravement malade. Au bord de l’agonie, lors, il fit à Saint Serge de Radonège, Saint Patron Illuminateur de la Sainte Russie, cette douloureuse prière : “ Serge, Saint Serge, mon Père! Quoique j’eusse entendu qu’il se trouvait, à ton grand Monastère de la Trinité Saint Serge, de mauvais moines, je voudrais, quant à moi, qui suis le pire de tous, vivre auprès de toi, qui, de ta Sainte Présence habite encore ces murs qu’à Dieu tu as de tes mains érigés. Aussi, Père Saint, je t’en supplie, reçois-moi au nombre des Frères de ton Monastère.” Saint Serge, sur l’instant, entendit la Prière de Zacharie, et bientôt le guérit. C’est ainsi que Zacharie, après qu’il eût reçu de Daniel l’Hésychaste sa bénédiction, s’en partit pour le Monastère de la Trinité Saint Serge.


L’entrée de Zacharie au célèbre Monastère de la Trinité Saint Serge, où il allait vouer à Dieu sa Vie entière, ne s’accomplit pas, non plus que son enfance, sans qu’il s’y vît force miracles. Car, en effet, là comme ailleurs, aux temps probatoires, de Miraculeuses Manifestations de l’Intervention de Dieu, lesquelles étaient autant de Théophanies, venaient ponctuer l’Existence de Zacharie.


Avant toutefois que d’aller, au premier instant de son entrée, faire à l’Higoumène, humblement, sa métanie, il se rendit, non loin de là, à la Skyte du Saint Staretz Barnabé, auquel le Seigneur avait également octroyé le Don de Clairvoyance. Zacharie, qui avait grand soif de lui demander ses saints conseils, lesquels, lorsqu’il les aurait recueillis seraient à même d’éclairer sa vie entière, se trouva, le temps venu d’entrer, en présence d’une foule si dense, de pieuses gens qui, tous avec la même impatiente ardeur, attendaient de voir le Staretz, qu’il désespéra que pût jamais venir son tour.


Et il se tenait là, ne sachant que résoudre, ni que faire, lorsque se produisit quelque chose de tout-à-fait inattendu. Car voici que, comme à l’inopinée, le Père Barnabé, soudain sortant de sa cellule, s’adressa à la foule à sa porte amassée, clamant à la cantonade : “ S’il y a quelque Moine, ici, du Monastère,” cria-t-il d’une voix forte, “ qu’il entre sans attendre!” Tous alors de jeter les yeux partout autour d’eux; mais nulle part ne se décelait trace de moine. Alors, pour la seconde fois, d’une voix de stentor, plus fortement encore que précédemment, le Géronda tonna : “ Laissez passer le Moine du Monastère!” Et, au même instant il dirigea son regard sur Zacharie, qu’il y posa avec insistance. Puis, il s’en vint à lui, le prit par la main, et, sur un ton de chaleureuse tendresse, jaillie d’un Coeur qui en débordait : “ Allons”, lui dit-il, “ viens donc dans ma cellule!”. “ - Mais, ” répartit, interdit, Zacharie, “ je ne suis pas du Monastère! Je suis des Rives Blanches.” “ - Oui, oui, je sais bien,” rétorqua le Staretz. Jusqu’ici, tu étais de là-bas. Mais à compter de cet instant, c’est ici, parmi nous, que tu es destiné à vivre.”

Et, sur ces mots, il l’emmena à sa cellule. Là, lui ayant donné sa bénédiction : Demeure dans notre Monastère”, lui dit-il, “ et reviens par après ici me voir.” Zacharie, étonné, dans sa confusion bredouilla : “ Père!...Mais si les moines ne m’acceptent pas?” “Ils te recevront, ” l’assura le bon Staretz. Ces mots apaisèrent Zacharie. “ Allons,” poursuivait le Géronda, “ fais maintenant ton entrée à Saint Serge, car les trois Anciens du Monastère s’en tiennent à la porte, pour t’y attendre.” Zacharie, sans plus attendre, prit la bénédiction du Staretz, et, tout joyeux, s’en fut, glorifiant Dieu.

Il arrivait en vue de l’enceinte du Monastère, lorsque, de loin, il vit, en effet, l’Higoumène se tenir à l’entrée, l’attendant avec deux Anciens qui se tenaient à la porte auprès lui. Alors, Zacharie les suppliant de le bien vouloir agréer entre les Frères de la Synodie, eux, avec empressement, le reçurent; et leur bienveillance ne fit que s’accroître, lorsqu’il leur eut dit que c’était le Père Barnabé lui-même qui l’envoyait devers eux.



***


Zacharie, qui, avant que d’entrer au Monastère de la Sainte Trinité pour y être mis à l’obéissance, avait bien des fois déjà été durement éprouvé, le fut pour lors bien davantage encore, plus peut-être que ne le fut jamais novice, de par la permission de Dieu, qui éprouve l’Or fin au creuset, pour discerner du plomb vil l’or de l’âme qu’il fait croître en sainteté. Car il était dans l’Economie Divine qu’à Zacharie fût pleinement appliquée l’apocope du Livre des Proverbes : “ Comme au creuset sont éprouvés l’or et l’argent, ainsi, devant le Seigneur, le Coeur des élus.” ( Proverbes, 17-3).


A la suite des maladies par quoi il avait passé, et dont il devait garder les séquelles à vie, une tribulation nouvelle, d’une autre espèce, l’attendait au Monastère, lui ôtant le peu de santé, fort délabrée pourtant, qui lui restait encore.

D’entre les novices figurait un ivrogne, toujours hors de lui, et vomissant des propos orduriers. Ce Théodore, qui se disait moine, était, au plus vrai, pour ce qu’impénitent au fond demeuré sous l’habit, l’ancien forçat évadé qu’il avait été, qui, pour couvrir ses vices, escroqueries, et crimes, usait de la soutane comme d’une hypocrite couverture morale, et d’un masque social, destiné à lui acheter à bon compte quelque apparence notoire de respectabilité obligée. Or, un soir qu’il était plus ivre qu’à l’acoutumée, il se rua sur la cellule du bienheureux Zacharie, en brisa la porte et, tel un fou furieux, en caractériel pathologiquement atteint, se jeta sur lui. Puis, sauvagement, à coups de pieds et de poings, il le frappa, et le piétina, jusqu’à le laisser enfin demi-mort, les os brisés, les dents cassées, les oreilles et le nez arrachés, d’où giclait le sang, lequel coulait encore du ventre, où le criminel avait, en le fracassant, ouvert une béante plaie. Tant, que c’était miracle que le jeune Rassophore eût seulement réchappé des mains de l’abject assassin, et qu’il respirât encore, lorsqu’au matin, les moines l’eurent trouvé, laissé pour mort, en ce pitoyable état. Ils eurent beau, sur-le-champ, le transporter à l’infirmerie du Monastère, le pauvre novice, quinze jours durant, y demeura en état de mort apparente, comateux, et sans connaissance, luttant entre la Vie et la Mort, en grand danger de sa vie.


Lorsqu’ayant recouvré quelques forces, il fut un peu remis, sa santé était désormais si chancelante - irrémédiablement - qu’il eut crainte de mourir avant que d’avoir été revêtu de l’Habit du Schème Angélique des moines. Aussi alla-t-il, plus mort que vif, s’en ouvrir au Starets Barnabé, auprès duquel il s’était, à cet effet, rendu en visitation. Il lui dit ce qui le tourmentait : “ Père”, s’inquiétait-il, “ce moine m’a si grièvement blessé que je crains de mourir avant que d’avoir reçu le Grand Schème. Aussi, je t’en prie, revêts-moi du Grand Habit en secret, car nul ne parle encore, au Monastère, de me faire prononcer mes voeux définitifs de Moine Grand Schème.” La réponse de l’Ancien ne fut cependant pas celle qu’il attendait : “ Non,” lui répondit, en sa Clairvoyance, le Saint Géronda, “ non, ce n’est point dans le secret, mais bien à la vue de tous qu’il te faut devenir moine.” Puis il ajouta : “ Pour le médecin, il me semble inutile que tu y ailles. Tu n’as nul besoin, non plus, de médicaments, inefficaces au regard de la Prière des Saints qui te couvrent, du Seigneur Dieu et de la Toute Sainte. Si tu fais ainsi, tu Vivras, ayant supporté, longanime, cette épreuve que le Seigneur n’a permise que pour te rendre spirituellement plus fort. Ne lui demande donc rien autre que de te secourir en tes difficiles souffrances. Oui, fais ainsi, et je rendrai compte pour toi, devant Dieu, de ton âme. De la sorte, tu vivras près de cent ans. Mais si tu perds ton temps à courir les médecins, c’est dans la fleur de ton âge que tu mourras. Toutes choses adviendront, sache-le, comme elles le doivent, mais selon la seule Volonté du Seigneur Dieu. Pour toi, sache aussi que tu seras fait Diacre, Hiéromoine, et, pour finir, Père Spirituel et Confesseur des moines du Monastère.”


De la maladie la lourde croix n’était néanmoins point la seule qu’eût à porter le malheureux. Il lui fallait en sus faire face à un état de choses devenu, de si long temps invétéré, quasi désespéré. De ce désolant état de fait, les moines eux-mêmes étaient, pour la plupart, les fauteurs responsables. Depuis les premiers temps, en effet, de son arrivée, Zacharie était en butte à l’hostilité générale. Souvent même, c’était jusqu’à la haine de lui qu’allait leur aversion à son égard. Car ils ressentaient, en leur mauvaise conscience de tourmentés, pour outrage la sainte Vie que menait Zacharie, quant eux-mêmes s’adonnaient à leurs passions et à leurs vices, les uns assaillis de pensées mauvaises, les autres, pis que noceurs et flambeurs, ou ripailleurs, obsédés de lubricité, luxurieux contre nature, homosexuels, onanistes, ou pervers, les autres encore égoïstes, ou, par excès d’orgueil, exerçant sur autrui la tyrannie despotique de leur esprit de domination, ambitieux, opportunistes, sujets aux pires emportements et plus débridés débordements, hyperviolents, colères, lâches, couards, fainéants, indolents, joueurs, fourbes, hypocrites, machiavéliques, avaricieux, prodigues, escrocs, captateurs, ou bien en proie à cent autres vices et dévoiements sadiques, desquels ont contracté l’habituation, qui, telle une peau de Nessus leur colle à la peau, leur constituant une seconde nature, les âmes brutales. Aussi le persécutaient-ils, à longueur de temps, et par toutes voies de fait, des plus brutales aux plus pernicieuses, l’empêchant même, croyaient-ils, de prier, lui dérobant son chapelet, se jouant de lui, le raillant, l’assaillant d’invectives, l’accablant de leur pitoyable mépris, eux qui, naïvement, s’imaginant que leurs démons l’emportaient sur les anges qui le servaient, se croyant supérieurs, le traitaient en idiot hébété et ravi de village. Enfin, pour achever de délabrer sa santé, ils n’avaient de cesse qu’ils ne l’épuisassent à l’excès, le traitant en serf corvéable à merci, pressé de s’acquitter de mille services, ménages et diaconies, toujours plus accablantes, jusqu’à, songeaient-ils tout bas, ce que Mort s’en suivît.


Longtemps continua ce Martyre, ultérieurement même à son ordination au rang de Hiéromoine, ce qui est dire Prêtre monachal, pour ne cesser vraiment qu’avec l’éparpillement final des moines, lorsque les eurent tous expulsés les Kgbistes athées. Et le voici lors, du reste, demeuré seul, entre les murs du monastère désormais déserté, avant que vînt son tour d’être chassé de son lieu de Pénitence. Aussi longtemps, donc, pour le dire ainsi, et le redire ici, qu’ils étaient restés à ses côtés, exaspérés par sa seule présence, qui leur était un vivant reproche qu’ils ne pouvaient plus souffrir, de ce qu’il leur était odieux, ils n’avaient point, ni jamais cessé de le tourmenter par manière accoutumée de persécution, qui leur était devenue état et disposition de quasi naturelle habituation. Entre autres tourments qu’ils lui infligeaient avec prédilection, il suffisait qu’ils l’aperçussent de loin pour crier à pleins poumons : “ Au fou! Au fou! ”, espérant, dans leur folie propre qu’inversant les rôles de la victime et du bourreau, que ce fût lui que l’on prendrait pour un fou. Car ils rêvaient, ces possédés de tous les diables, eux, ces forcenés, de le faire, lui l’innocent, déporter, et enfermer au fin fond de la cellule d’isolement d’un asile d’aliénés, pour s’en mieux débarrasser, en sorte qu’ils ne l’eussent plus sous les yeux, tel un vivant reproche, dont s’accroissaient leur conscience mauvaise de tourmentés de leurs démons.


Mais, quoiqu’il en souffrît fort le terrible et très éprouvant Martyre, tout cela, bien considéré, ne troublait guère en son fonds Zacharie plus que de mesure, quel en son for intime savait, lui, l’Amoureux du Christ, qu’en Secret Lieu de son Coeur le consolaient le Christ et Ses Saints, et qui, pour finir, ne savait leur opposer que cet aveu de son continuel entretien avec Dieu : “ Mais, jusqu’au lieu de torture le plus enfermé de l’asile se trouve encore mon Seigneur! Si donc l’on me tue, - car l’on peut tout me faire, certes, - nul, néanmoins ne me pourra faire perdre ma Foi sans bornes en Christ. Faites comme il vous plaira; mais pour moi, non, jamais, au grand jamais, je ne pourrai ni apostasier ma Foi Orthodoxe, ni me joindre à vous en complicité pour accomplir ces oeuvres mauvaises que vous voudriez me voir faire comme vous. Car j’ai pour devoir inaliénable d’obéir à ma droite conscience, et de Vivre selon les Divins préceptes.”


Mais eux, qui n’entendaient rien à ses dires vécus de Spirituelle Expérience, pour ce qu’ils n’en possédaient la moindre, de poursuivre leurs persécutions incessantes : Un jour, les frères précipitaient Zacharie du haut de l’échelle, et lui, dans sa chute, grièvement se blessait. Un autre jour, ils renversaient malencontreusement sur lui, comme par mégarde, de l’eau bouillante, qui le marquait à vie. D’autres fois, ils le rouaient de coups, lui tapaient la tête contre les murs ou le jetaient à terre, pour qu’il s’allât heurter la face sur les souches d’arbres, jusqu’au traumatisme, et, lorsque le malheureux s’enquérait en pleurant pourquoi l’on le fracassait ainsi : “ C’est,” lui criaient ces sadiques, “ pour que tu cesses de faire l’innocent, à nous jouer les saints. Tu n’as qu’à vivre comme tout le monde, après tout. Qu’as-tu besoin de toujours te démarquer des autres, comme l’huile, en émulsion, qui en l’eau ne se mêle? Oui, cesse-donc ton jeu d’histrion, ou bien nous te frapperons encore. Et tu tâteras de nos coups, et du bâton de knout. Du reste, est-ce qu’on ne frappait pas toujours les bienheureux? Les saints n’ont-ils point été gens battus, et Sainte Pélagie la Pénitente, comme Sainte Xénie de Pétersbourg, et tant d’autres Folles En Christ, des femmes battues?”


Telle était l’effarante situation où le diable, à plaisir faisant durer son supplice, maintenait Zacharie, comme s’il eût pu par là, - escomptant qu’il en sombrât dans le découragement, puis, de là, dans le désespoir, pour finir suicidé,- le détourner, pour le moins, de mener la Vie Sainte, toute d’Amour, de Bonté, de Résignation, de Patience, et d’Abnégation, Vie selon l’Esprit de Sainteté, requérant Paix, Silence, et Concentration de l’esprit en Prière appliqué de Zélote qu’il était en son âme. Jusqu’à ce que sa situation de reclus enfermé sous les coups apparût dorénavant clairement à ce point effroyable au bienheureux Zacharie qu’elle lui devînt insoutenable. Et, parce qu’il était homme, il craignit de plier sous l’épreuve, et d’en venir à pécher en fuyant son lieu de Pénitence, au risque de renoncer, renier, et jusqu’apostasier sa Vie de Repentance. Appréhendant toutefois de prendre de sa propre autorité, qu’il jugeait inaccomplie, quelque résolution que ce fût, il s’en revint voir le Père Barnabé, son Père Spirituel, pour lui demander ses conseils. S’ouvrant à lui de l’excès de ses âpres souffrances, il lui demanda si l’Ancien bénissait son désir de quitter ce monastère, où il était en butte à tant de tourments dictés par la cruauté mentale des moines dénaturés, pour s’en aller en quête de quelque autre Monastère.

“ - Non, non,” fut la réponse du Géronda. “ Pour ce, je ne te donne pas ma bénédiction. Mais, au lieu même où t’a placé la Miséricorde Divine, c’est là aussi que tu seras Sauvé. Prends garde seulement de n’amasser nul argent, de rester sobre en t’abstenant de vin, et de ne point prendre de médicaments inutiles et nocifs.”


Aussi le bienheureux Zacharie demeura-t-il en son monastère. Et c’était avec un zèle accru que, dorénavant, il menait le Combat Spirituel. Semblable constance, au plus haut point admirable, ne tarda point, du reste, à porter ses fruits. L’authentique et réelle conversion de coeur de nombre des frères ne fut pas le moindre des effets de son irradiante Sainteté de Vie. C’était le même Zacharie, si long temps demeuré l’objet de toute leur haine, qui devenait désormais l’occasionnelle cause du Salut de leurs âmes qui, ce même si long temps aussi, s’étaient à l’envi vautrées dans l’abjection mentale de leurs esprits égarés. Ainsi était-ce par lui que leur fut donné d’avant leur fin se ressaisir, assez du moins pour faire devant Dieu sincère Repentance.


Au Monastère néanmoins, l’accès à la dignité d’higoumène d’un moine fort jeune encore ne fit que consommer davantage une décadence spirituelle dès longtemps en ce lieu saint entamée, dont elle avait infléchi, dévoyé, et corrompu le cours admirable de l’angélique vie, quelle antan s’y menait. Ce nouveau directeur des âmes, s’était, à l’instigation du Malin, pris pour le bienheureux d’une haine aussi peu croyable que déraisonnée. Multipliant à son égard les vexations, et humiliations, assortis des outrages les plus cinglants, il n’avait de cesse qu’il n’eût avant qu’il se fît long temps, exterminé Zacharie de la race des hommes. Si bien que, n’y pouvant plus tenir, Tobie incita bientôt le moine Anthime à tuer le saint. Trop heureux de recevoir la bénédiction pour commettre ce crime, Anthime, qui n’en était point à son premier forfait, et que cette envie de long temps en sus dévorait, vint donc requérir Zacharie de l’aider à soulever une armoire de beaucoup trop lourde pour lui, qu’ils auraient mission de porter en quelque autre lieu. Sans balancer un instant, le bon Zacharie, avec son zèle coutumier à bien faire, accepta. Mais, au moment précis où il l’avait, par calcul de préméditation, escompté, Anthime, tout exprès, lâcha sur lui l’armoire. Le meuble, alors, de tout son poids, s’abattit sur le malheureux, l’écrasant.


Lors même qu’il gisait ainsi, brisé, sous l’énorme poids décuplé par son lancer en chute, l’autre, se jetant sur lui, entreprit de l’achever sous les coups assénés, dont il le frappait sans merci. Mais la Providence fit qu’un pèlerin vint, par bonheur, à passer, juste assez à temps pour sauver d’une mort assurée le Serviteur du Christ, à l’imitation de Sa Longanimité. Dieu, toutefois, permit qu’Anthime, pour son châtiment, peu de temps après sombrât dans la folie, et qu’en ce pitoyable état, bientôt, il mourût.


Tandis que les unes aux autres se succédaient les épreuves, le bienheureux Zacharie, ne savait, en Ange de Patience, qu’implorer son Seigneur dans les larmes. Et il suppliait le Christ qu’il voulût bien éclairer le père Tobie, son higoumène, lui inspirant avant la fin un repentir sincère, pour que son âme ne fût point pour l’Eternité perdue.


Dieu, lors, voyant de Zacharie quel était son Amour, et sa Longanimité, ne demeura point sourd aux Prières que, pour l’infortuné Tobie, lui adressait son fils Aimé. Dès lors, l’incapacité caractérisée du jeune higoumène à diriger Spirituellement le Monastère, assortie des multiples scandales dont il était cause, remonta bientôt aux oreilles de ses supérieurs hiérarchiques et des plus hautes autorités ecclésiastiques, en sorte que, de par un oukhaze - décret - du Métropolite, il fut sans plus tarder destitué de ses fonctions et de sa dignité d’Higoumène de Monastère. Mais lui, déjà, de son côté, prenant les devants en vue d’éviter un scandale public, préféra se faire porter pâle. Invoquant le prétexte de maladie, il renonça de lui-même à sa charge avant que ne tombât l’oukhaze. Il ne put néanmoins pas demeurer au Monastère, tant était grande la haine qu’avaient contre lui conçue les moines.


Il ne s’écoula guère de temps depuis sa démission que le père Tobie commença d’éprouver du remords. Par deux fois déjà il était dans sa celle venu rendre visite à Zacharie, implorant avec larmes son pardon. Il s’était fait en lui un changement si profond qu’il se préoccupait même à présent du moment où l’on ferait prêtre l’Angélique Zacharie, dont il percevait maintenant qu’en lui Surabondait la Grâce. Il désirait voir hâter le jour de son ordination à la prêtrise, pour voir Hiéromoine ce même frère dont, naguère, higoumène, jamais il n’eût accepté de célébrer à l’autel la liturgie avec lui, qui faisait l’objet de toute sa haine. Quelque temps plus tard, le père Tobie, par les saintes Prières du bienheureux Zacharie fut, de par l’authenticité comme par la qualité de sa Pénitence, rendu digne de recevoir le Grand Schème Angélique, et de quitter justifié ce monde de Vanités.


Martyr, toutefois, Zacharie ne l’était pas du seul fait des moines. Car, pour si maladif qu’il fût, lui dont, d’avoir tant souffert, le corps semblait à tout moment devoir tomber en faiblesse, ne s’en épuisait pas moins encore d’une façon qui passe l’imagination. Longtemps, il avait assumé, harassante, la diaconie de boulanger, chaque jour pétrissant plus de deux mille pains et prosphores pour l’autel, et se laissant, à la fin, tomber, exténué, sur un banc du fournil, pour y dormir deux courtes heures de nuit.

Dans un autre temps, Zacharie s’était vu assigner la diaconie de “veilleur de reliques”, laquelle consistait à se tenir auprès de la châsse contenant les Reliques de Saint Serge, d’entre les restes de sa Sainte Dépouille en son Tombeau reposant. Et quelque jour qu’il se tenait là, debout, à quelque pas du saint reliquaire, voici qu’il vit s’approcher un jeune homme dont, comme à son insu, il entendit la requête proférée en murmure :

“ O Père Serge, mon ami, je voudrais tant t’imiter! Je t’en prie: Enseigne-moi à marcher sur tes pas.” Telle était lors la supplique de celui qui, plus tard, allait devenir le grand Saint Jean de Cronstadt, et dont Saint Serge, à cette heure, entendait la Supplique.


Zacharie était, par la suite, successivement passé par toutes les diaconies du Monastère, depuis le service du réfectoire jusqu’à la tâche de maître cirier, chargé de fournir en cierges cette église de laquelle, d’autres fois, il avait la charge de l’entretien, quand on ne l’employait pas, en place, ou en sus de cela, au ménage des cellules des Anciens. Si bien qu’à la veille de devenir Moine du petit habit, dit Petit Schème, ce n’était pas moins de vingt diaconies qu’avait assumées Zacharie, si lourde qu’en fût la charge. Pourtant, tandis qu’en diligent serviteur zélé de son Christ peinait ainsi Zacharie, s’acquittant de ses tâches avec un soin si minutieux, fruit d’une application qu’il eût été malaisé de jamais prendre en défaut, ainsi qu’il advient pour les âmes éprises de Celui auquel se voue leur travail de laborants appris à sourire dans la peine, par là méritant aux Cieux Rétribution d’Or, loin devant ceux qui, toujours rechignant à la peine, se condamnent à ne glaner que monnaie de cuivre, de plomb, de toc, ou néante, comme tel, avec une exemplaire abnégation, ne s’en attirant pour autant que davantage haine et jalousie de ses mauvais frères.


Notre Seigneur, pourtant, et Sa Toute Pure Mère, toujours auprès Lui Intercédant avec Feu, loin qu’ils détournassent leurs regards de toute cette peine qu’avec tel douloir pour eux prenait leur très Eprouvé Servant, loin aussi qu’ils dédaignassent ces luttes que pour eux encore soutenait âprement ce même brûlant Serviteur de leur Grâce, toujours le consolaient, par mille espèces de Spirituels Bienfaits, et diverses manières, temporelles tant que Spirituelles, et particuliers secours à tout instant sur lui dépêchés. C’est ainsi qu’outre les visions et les rêves accoutumés qu’ils épanchaient sur son sommeil de Grand Martyr, il fut jugé digne encore de quelque Apparition Divine et toute Surnaturelle, d’aussi merveilleuse sorte que celle dont le grand Saint Serge, Illuminateur de la Sainte Russie, avait, cinq siècles plus tôt, par Grâce, reçu la Faveur Divine. Soudain, de fait, vinrent à lui deux Mystérieux Pèlerins, cependant qu’il sentait son Coeur, tandis qu’il les accueillait en sa cellule, devenu tout Brûlant en lui d’un Feu si Ardent qu’il n’y put que reconnaître là l’effet tout particulier de la Grâce du Saint Esprit. Lors, ils lui Prophétisèrent le nom nouveau qui lui serait donné à l’heure de son monachisme (4), de surcroît lui révélant les événements majeurs dont sa vie à venir lui déroulerait le cours. Une seconde fois, tous deux ensemble, ils revinrent. Puis, la troisième fois, tandis que Zacharie se tenait en sa cellule avec un autre frère venu, de par une hasardeuse coïncidence ménagée par la Providence, le Visiter, en sorte qu’il y eût un témoin capable d’Attester le Prodige, le plus jeune, seul, apparut, à leurs yeux éblouis se Manifestant en l’Extraordinaire Irradiance d’une indicible Gloire.


***


Zacharie, cependant, avait, lors de son accession au Rasophorat des Novices, premier degré du Monachisme, reçu, outre son rasso, soutane des Moines, son Voile d’Ange, en même temps que le nom de Zosime. Un an plus tard, il devenait Moine Petit Schème. Tous, durant ce même temps, continuaient de mener contre lui leur impitoyable persécution, faisant preuve d’une cruauté mentale attestant de leur dépravation psychique, et de leur déchéance de l’état Spirituel de moines luttant à progresser sur la Voie de l’Angélification. C’est alors que, de façon toute inopinée, que nul n’escomptait plus, tant s’étaient à son encontre amoncelés les obstacles destinés à le désespérer en l’avancement de sa Vie Spirituelle, et pour ce que, ainsi que le révéla par après Zacharie, l’avait ainsi voulu la Reine des Cieux, il advint que fût enfin, des mains de l’Evêque Tryphon, ordonné Diacre et Prêtre le bienheureux. Ce dernier, le tenait, en revanche, quant à lui, en si particulière estime, qu’il n’hésita pas à lui confier la tâche de Père Spirituel.


De cette diaconie de Confesseur, le Bienheureux s’acquittait à la Perfection. Empreint de son intense Piété, sans hâte, accordant à chacun son temps sans compter, fort de sa coutumière Patience de Longanime, il écoutait résonner jusqu’au tréfonds de ses entrailles compatissantes la voix du pénitent qui avouait ses péchés. Puis, de son Amour infini des âmes souffrantes, il dispensait ses Conseils Spirituels émanés de l’Expérience vécue d’un Saint. A l’entendre dispenser ses douces exhortations, telles qu’en peut seule dispenser la Spirituelle Guidance d’une Ame Illuminée par Dieu, les autres âmes, qui venaient à lui pécheresses, fort blessées des traits aigus du Malin, trouvaient grand soulagement, consolation, et profit spirituel. Aussi voyait-on sa cellule devenue pour les pauvres chaleureux hospice de réconfort, dispensaire de mieux-être, comme asile de protection, et, pour les affligés, havre de consolation, refuge d’espoir, et site d’envol pour de nouveaux Cieux.



Les susdits mauvais moines, à l’excès travaillés du Diable et de toutes ses légions de maléfiques puissances, avaient désormais beau faire pour l’entraver dans sa tâche, ils ne purent dorénavant plus rien encontre le bienheureux, car la Mère de Dieu, laquelle de longue date était sur lui, assurant sa Sauve et Garde, et sa protection, de ce temps ne le quittait plus. Elle lui était du reste apparue en un rêve inspiré d’En Haut, le Bénissant pour qu’il accueillît le Peuple de Dieu Souffrant, quel Suppliait qu’on s’en vînt à le Réconforter avant que de l’Affermir.


Ainsi donc, le bienheureux Père Zosime, qui bientôt, pour la seconde fois s’allait voir attribuer le nom de Zacharie, qu’il recevrait avec le Grand Schème, avait également de Dieu reçu ce grand don charismatique du “ Startsevo”, comme d’En Haut désigné pour sa capabilité à assumer avec Intelligence Spirituelle cette si haute mission de “ Starets”, ou de “ Geronda”, qui ne revient ordinairement qu’aux Saints Anciens, qu’une Expérience Supérieure de la Vie Sainte a dotés, en sus des Charismes de l’Esprit, du doigté psychique nécessaire à la délicate menée des âmes trop humaines encore à l’âpre conduite sur l’ascensionnelle voie de l’Angélification. Tout comme eux, en vérité, quant à lui, semblable au vrai Starets qui ne s’apparente en rien au “directeur de conscience” ni au “confesseur” au sens sacramentel du terme, il était ce que certains désigneraient sous le terme confus et ambigu de “charismatique”, mais qui se nomme plus justement un “ Théophore”, au sens étymologique de “Porteur de Dieu”, lui qui, pour avoir reçu de l’Esprit Saint son charisme avait été jugé digne au Ciel de porter en lui Dieu. Tels sont nos vénérables Anciens, ceux qui, pour l’avoir à toute force Voulu, et s’être vus couronnés, non point d’apparence, mais, en Vérité, de l’Esprit de Sainteté, se sont dans l’efficiente effectivité du monde réel rendus très semblables au Christ, jusqu’à prendre toute entière Sa Sainte Ressemblance, - tels sont aussi nos Pasteurs et nos Bergers, auxquels il fallut, pour les guider aux Prairies de la Contemplation des Choses Divines, mener paître les âmes, après qu’ils eussent purifié la leur jusqu’au tréfonds de l’être, et parcourir jusqu’au bout la route qu’ils exhortent par après les autres d’emprunter, en connaissant assez tous les pièges, et tous les dangers pour en savoir indiquer aussi les traverses d’évitement d’iceux, - route au terme de laquelle s’acquiert au plus haut point le Discernement Spirituel des esprits, et de leur pathologie.


Et tandis que Zacharie se donnait tout entier de la sorte au Peuple de Dieu, les moines, eux, bien loin qu’ils perçussent se profiler l’approche du grand danger de vie qu’il encourait tout, dont déjà, sinistrement, menaçaient les premiers signes et avant-coureurs présages, lesquels passeraient avant peu par l’imposée fermeture définitive des portes de leur Monastère, de par l’arbitraire décret athée du régime encore neuf des communistes, mais déjà déviant devers le totalitarisme dictatorial, policier, et sanglant, qui ne tarderait point à abreuver de vingt Millions d’Ames Chrétiennes Orthodoxes Martyres les sillons de la terre russe, - quant à eux, ces moines, donc, pour la plupart indolents, négligents, dénués de toute Conscience Orthodoxe, et, qui pis est, dévoyés même et spirituellement totalement égarés, chaque jour davantage persistaient à s’enfoncer à l’aveugle dans leur endurcissement inentamable d’athéistes, leur indifférence d’agnostiques à oeillères, leurs chutes de malfaisants malcroyants, et leurs dévoiements pervers de possédés, maintenant l’entière communauté baigner toute en le profond climat d’une consternante décadence spirituelle.

A les voir vivre ainsi, le Père Zosime, amèrement pleurait. Tant s’en brisait son Coeur qu’il en pleurait de son corps toutes les larmes.

Or, un jour que tous se tenaient en l’église réunis pour y célébrer les fastes liturgiques de l’Office d’une grande Fête, il Vit soudain, franchissant, sur l’ambon devant l’autel, les Portes Royales, la Mère de Dieu, en Cortège suivie de quatre Grands Martyrs. Un peu de temps, elle était restée là, debout, posant ses Regards attentivement appuyés sur les Moines en l’Eglise assemblés. Puis, d’un geste désignant Zosime le Bien Heureux, et, avec lui, trois autres Frères de la Synodie, elle s’était affligée : “ Ah!” soupirait-Elle, “ des Moines ici, il s’en compte quatre, mais, en dehors d’eux, non, point, ni nul.” Puis, s’enfonçant en un recoin du sanctuaire, elle s’en était tout soudain retournée, comme elle s’en était venue. Et voici, déjà, qu’Elle avait disparu.



***

Puis, avait surgi la Révolution de 1917, et, avec elle, la victoire du parti révolutionnaire. Décrétant qu’il fermait les portes du Monastère, le nouveau régime athée, d’où sacrilège, en avait déjà fait par la police expulser tous les moines.


En ces lieux déserts et désolés de la Laure Saint Serge, qui, naguère encore, jouissait d’un renom paré d’un éclat sans pareil, ne restait plus que le seul Zosime, unique témoin demeuré d’une piété tant glorieuse, attendant que vînt son tour, et l’heure qu’il en fût chassé. Jusqu’à l’ultime instant, Zosime, le dernier de tous ses frères, mais En Gloire le premier devant Dieu, priait et pleurait, suppliant Saint Serge qu’il voulût bien à ses frères égarés leurs manquements pardonner, et d’en tout instant les secourir, à présent qu’ils étaient çà et là disséminés au détour hasardeux des logis de la ville, chez les Chrétiens vertueux qui les avaient, avec sollicitude recueillis et hébergés, pour s’en ériger, de par Dieu, en gage de Rémunération Divine, des Palais aux Cieux de Sainteté. Et il Priait avec Feu, suppliant le seigneur qu’Il fît quelque jour proche rouvrir les portes du Saint Monastère, en sorte de rendre aux moines et aux laïcs ce port de leur Salut. De fait, quelque temps après, - l’on était lors en 1945 -,le Monastère était rouvert aux Moines, et, jusqu’à ce jour d’aujourd’hui, le demeure.

Mais en ce jour de 1917 qui voyait avec désolation l’exil de l’ultime et dernier Moine de la Sainte Laure, le Saint Géronda quittait en Grand Souffrir ces parages aimés du Lieu de sa Pénitence, qu’il avait élus pour être ceux de sa Vie de Repentance. Ce fut donc de là qu’il rejoignit à Moscou la demeure de l’une de ses Filles Spirituelles, laquelle, avec empressement, lui offrait l’Hospitalité. Il y avait même, sise en la cour attenante à la maison, une petite chapelle où, de temps à autre, lui était permis de célébrer. De là rayonnant, sa renommée, bientôt, se répandit au loin. A Son Saint, qui pour Lui avait tant souffert, Dieu, pour prix de sa Longanime Patience, octroyait maintenant, et de façon fort Manifeste, telle qu’enfin, quelque jour, Vérité Patente Eclate au grand Jour, plus Claire que le soleil, les Charismes tout Excellents du Très Saint Esprit. Et, de tout part aux entours, et jusque des contrées les plus reculées des Orthodoxes provinces russes, le peuple Chrétien de Dieu s’en venait accourant chercher auprès lui la consolation de ses peines immenses, et quelque issue de salut à ses tribulations sans nom. Car la simple vue du Starets suffisait à les mener à la Conversion de vie, fût-elle la plus totale, parfois, et tous s’émerveillaient de le voir ainsi doté du rare charisme de pouvoir chasser les pires démons, esquels est ordinairement si lente, rude et difficile la Lutte Spirituelle encontre eux au corps à corps pour les exorciser des âmes possédées, en sus de quel Don Céleste il avait reçu cel aussi de Proorasis, lequel est prédiction des futurs à venir, de lire à livre ouvert aux coeurs de ses visitants et des éloignés, quel est Don de Diorasis, Don de Thaumaturgie, quel est d’opérer sur le champ d’incessants miracles, par Mystérieuse Efficience de sa Parole Priante ou de ses intérieures Suppliques aux Puissances Célestes esquelles continûment il se mouvait, jusqu’en l’avoir basculé son propre univers.


Le Saint, nonobstant, ce même temps, fondait comme la cire, usé de jeûnes et de veilles, et de ses maux miné.

Il lui fallait désormais, sur son corps exténué de tant d’Ascèses et mortifications, exercer grande violence pour seulement parvenir en l’effort harassant de pouvoir quotidiennement recevoir toute cette foule immense de fidèles, incessamment venant à lui. Et pour tant, lorsqu’étaient devant lui tous ces êtres désemparés, il se faisait pour eux le plus tendre père infiniment aimant qu’ils eussent jamais pu voir dans le monde, pour voler au secours de ses enfants oubliant quant à lui ses maux et souffrances au long cours endurées. Vers la fin, cependant, éprouvant plus intensément que jamais auparavant l’impérieux besoin de la paisible et silencieuse Hésychia (5), l’Ancien s’en fut se retirer en la solitude d’une campagne isolée, pour y goûter l’introublée Paix du Priant de Feu de manière ininterrompue s’entretenant seul à Seul avec Dieu. La nature y faisait ses délices. Il y faisait en forêt de longues promenades, pour y mieux à loisir, en ces clairières à l’air libre ouvert, élever à Dieu son Coeur qui brûlait tout.


Mais un nouveau Martyre encore l’attendait, venu la liste allonger, sur l’ardoise des Cieux, de tous ceux par quoi il lui avait fallu passer déjà. C’était la police étatique secrète à présent qui le poursuivait, par manière systématique et totale d’incessante persécution, sans répit le traquant, l’espionnant, faisant, sans crier gare, irruption chez lui, au prétexte de perquisitions toujours réitérées, chaque jour contre lui cherchant de nouveaux chefs d’accusation, dans l’attente de pouvoir l’arrêter enfin sur quelque motif plausible, quoi qu’ils en eussent long temps à son encontre en vain cherché, tant les excédaient qu’ils ne pussent plus tôt porter enfin le coup d’arrêt à ses “menées propagandistes troublant l’ordre public”. L’Apostolat inspiré du Saint, de fait, suscitait du Malin la furieuse rage. Lors qu’il était gravement malade déjà, et qu’approchait sa Dormition, la police de ces anti-Dieu fit encercler la demeure qui l’abritait, interdisant à quiconque d’approcher le Staretz.



C’est vers cette même époque, peu avant que le Seigneur ne rappelât son âme à Lui, le Père Zosime fit un ultime pèlerinage sur la terre de sous le Ciel. Il s’en fut jusqu’en la forêt de Sarov, pour y vénérer enfin les lieux bénis de sa présence où avait lutté le grand Saint Séraphim. Il y marcha jusqu’à la Fontaine miraculeuse bénie du Saint. Là, comme en une nouvelle piscine de Siloé, descendaient les malades et les infirmes. Et, comme au temps du Christ, là-bas, en Terre Sainte, par la Surnaturelle Efficience de la Prière du Saint, si grand devant Dieu de par sa vie d’ascèse et de supplication, ils y étaient guéris. Lorsque vint le tour de Zacharie, le Bien Heureux, un instant, hésita, à l’idée sensible encore d’un esprit bien humain, non délivré encore de son humaine nature, que son corps souffreteux ne pourrait endurer, sans que ce lui fût fatal, l’éprouvant contact de cette eau glacée, quoiqu’il n’ignorât pas que certains prêtres encore, non sans quelque reste de barbarie, baptisassent leurs ouailles au coeur des glaces de l’hiver russe. Alors, il eut un ineffable soupir, du fonds exhalé de son sein, et d’un ton suppliant murmura : “ Séraphim, mon Père! Incline du haut des cieux tes yeux qui furent fontaine, et regarde : Vois comme je suis, - tu le sais bien du reste, n’étant pas sans ignorer d’En Haut quoi que ce fût d’ici-bas - vieux, et malade. Aussi, je t’en Prie, je t’en Supplie, viens à mon aide, et me porte secours : Réchauffe un peu seulement cette eau! que j’y pusse entrer.” A peine eût-il achevé ces mots que le grand Saint de Dieu, pour lui, faisait son miracle : Le Staretz, entré dans la piscine, y ressentit aussitôt cette merveilleuse sensation d’une eau sur son corps se refermant, comme brûlante. De ce stupéfiant miracle de la Miséricorde Divine, et de Saint Séraphim, son si grand Thaumaturge, Zacharie, le Bien Heureux, fut si bouleversé, que, jamais, jusqu’à l’heure de sa Mort, il n’en put le souvenir oublier. Mais, sans cesse à la mémoire l’en représentant à nouveau, il rendait à Saint Séraphim de brûlantes Grâces, au sien proportionné, d’un Feu apparié, qui lui chauffait du corps tout le veineux intérieur.


***


Dieu avait à l’Ancien fait la Grâce de lui Révéler à l’avance le temps et l’heure auxquels il quitterait ce monde de Vanité. Lui, tenu couché par la maladie, jusqu’à la fin, néanmoins attendait avec Joie l’instant de quitter cette vie au sortir de ce monde. Surtout, il se consumait, dans l’anxieuse attente du grand Moment où il se devrait présenter enfin devant le Maître des Vivants et des Morts, son tant désiré Seigneur qu’il Lui avait de sa Vie voué chaque instant, comme dédié chacune de ses Ascèses et de ses Longanimes Souffrances. Aussi, le temps advenant qu’il fut à l’agonie, il se lisait à soi-même le saint Office des Agonisants, et, d’une voix éteinte, psalmodiait le Canon de la Résurrection.

Alors même, toutefois, qu’il était si près de mourir, un événement tout extraordinaire émut à ce point de Compassion notre Sauveur Tout Miséricordieux que le Starets, soudain, et tout inopinément, reprit Vie, laquelle lui fut, comme par un infléchissement destinal, prorogée de deux années en sus encore.


Car voici que, sur son lit de douleur, le Staretz, au-dedans de lui entendit une Voix lui dire que l’Evêque Tryphon, - celui même qui l’avait à la prêtrise ordonné -, se trouvait en grand besoin que, dans l’urgence, il l’assistât, quel, instamment, requérait qu’il le pût voir. Aussitôt, prenant son chapelet, Zacharie, devant son hôtesse stupéfaite, le posa sur son oreille, disant : “ Seigneur! Fais, je t’en supplie, que ce chapelet fasse usage de téléphone.” Et, sur-le-champ, enchaînant : “ Tryphon, mon ami!” s’exclama-t-il, “ viens vite à mon chevet! J’allais quitter ce monde, lorsque j’apprends que tu as besoin de moi. Oui, viens sans plus tarder, que nous puissions nous en entretenir ensemble.” Il ne se passa guère de temps alors que l’Evêque ne survînt dans la pièce de l’agonisant. Les deux amis s’embrassèrent avec effusion. Sa Grâce Monseigneur Tryphon forma des voeux pour la santé du Staretz. “ Que Dieu te prête Vie, Père Zosime! ” s’écria-t-il, cependant qu’il essuyait ses larmes. “ J’ai tant besoin de toi! Il faut, par tes Saintes Prières, que tu voles au Secours de mon âme lors que sera le Temps venu pour elle, au sortir de ce monde, de passer les Redoutables Péages du Ciel. Pour l’heure, je t’en prie, lève-toi, que je me puisse confesser à toi.” “ - Ah, mon Despote (7- ce qui est dire “Evêque”, selon l’étymologie du terme en langue grecque -) bien Aimé!” murmura, d’une voix épuisée, le Staretz exténué, “ vois! je ne puis seulement soulever la tête de dessus l’oreiller...Regarde”, insista-t-il dans un souffle, “ je n’ai pas la force... Je ne peux pas...” “ - “ Lève-toi!” s’écria lors le pieux Evêque, dont l’Expérience Supérieure savait le Surnaturel Puissance de l’Inébranlable Foi. “ Oui, lève-toi, Père! C’est l’Obéissance elle-même qui te le vient ici commander!” Lors, au prix de mille tentatives peineuses, le Starets se put redresser et lever, chancelant, puis parvenir à l’exploit d’à l’article de la Mort confesser son Fils Spirituel au bruit accouru de sa Mort, et dont la Foi sans faille le voulait à présent sur le fatal abîme retenir un peu, et, aidant à basculer, en place de lui, le destin, quelque temps encore en cette vie, pour ses Bienfaits Spirituels, et l’immense profit qu’il prodiguait aux âmes venues solliciter les infaillibles secours de sa miraculeuse Prière, à ses côtés le garder. Le Staretz entendit donc en confession les infimes péchés de son bien-aimé visiteur. Puis, de nouveau, il reposa sur sa couche son corps, d’exténuation brisé. Ce fut de son illustre ami Sa Béatitude l’Evêque Tryphon la dernière Visitation à son Très Saint Père Spirituel, plus Illustre encore devant Dieu et Ses Saints. De cet instant, son état ne fit qu’empirer davantage.


A cette vue plus alarmé, et tout bouleversé, Monseigneur Tryphon s’en repartit pour l’église de l’Ascension, sa paroisse épiscopale, à laquelle il s’était vu rattaché, lorsque les autorités ecclésiastiques la lui avaient conférée pour Métropole de l’Evêché. Lorsque, la liturgie s’achevant, il monta comme à son accoutumée sur le trône épiscopal, à la droite latérale sis de l’ambon, à l’extérieur de l’iconostase, pour y donner au Peuple sa prédication, ce fut pour y évoquer son ami très cher qu’il y prit la parole : “Frères”, implorait-il humblement, sollicitant la commune prière de toute l’Eglise assemblée, “ prions, je vous en supplie, pour le Staretz Zosime, quel est si fort malade. Et s’il en est parmi vous qui, d’aventure, ne le connaissent point, je m’en vais vous dire et conter quelle sorte d’Homme il est : Lorsque j’étais à Pétrograd, jeune Archimandrite alors, à la tête placé d’une Synodie de Moines, j’en étais venu, devant l’âpre réalité quotidienne de la lutte monastique, à tel point de désespoir, qu’il ne s’en fallait plus guère que d’un rien que je ne rompisse mes voeux monastiques pour retourner au dehors des saints murs de la clôture y mener une heureuse vie tant plus aise, qui fût selon le monde, et les joies faciles et vains plaisirs du monde. J’étais donc là à me trouver aux prises avec ce combat redoutable, avec quelle impitoyable brûlure à l’âme je tâchais, la gorge emplie de poisoneuse amertume, en vain me débattre, comme en tempête drossé, semi submergé déjà, et vaincu quasi de mes naturelles inclinations aux humains plaisirs, lorsqu’en cette épreuve sans phare apparaissant ni nulle disruption d’apaisante issue, l’on me suggéra d’aller voir un Saint Moine, lequel avait été depuis peu, me dit-on, de son Monastère de Saint Serge expulsé des Sans-Dieu par les forces de police gouvernementales, et dont les conseils Spirituels, des plus Illuminés qui se pussent rencontrer sur l’entière terre de Russie, me pourraient sans doute éclairer. Ce fut ainsi que j’allai, pour la première fois, rencontrer en sa cellule le Saint Père Zosime. Il ne consacra pas moins d’une nuit entière à scruter avec moi les replis de mon coeur pour y examiner par le menu détail les causes fatales d’un si grand abattement d’âme. Et voici qu’au matin, le plus mystérieusement du monde, mes pensées se trouvaient si changées que je n’y reconnaissais plus, harcelantes, les suggestions malignes de céder aux tentations de la veille. Si donc vous avez à présent devant vous, s’offrant à votre vue pour ce prêche, ce vieillard indigne nommé Tryphon, que l’on a fait accéder au rang de Métropolite, ce n’est à nul autre qu’au Bien Heureux Saint Père Zosime que vous en devez Gratitude.”


Tous alors s’agenouillèrent, et l’on fit, pour la santé du grand Staretz, en sus de la Prière des malades et des mourants, un long office d’intercession aux Puissances Célestes. Et le Seigneur, Tout Compatissant, entendit la fervente Supplique de son Peuple en Eglise en Prière agenouillé. Le Saint, au loin, dans sa cellule, au même instant, tout-à-coup recouvra ses forces. Et lorsqu’on vint lui dire que l’Evêque avait pour lui fait célébrer cet Office d’intercession qu’est la Paraclèse (9), il eut un mystérieux sourire : “ Oui ”, murmura-t-il, “ oui, je sais. C’est mon Tryphon, qui a fait ce miracle, Tryphon, mon cireux ami”. Il qualifiait ainsi le Métropolite, ayant su par avance que, comme la cire se fond bien vite à la flamme, Tryphon, lui aussi, quitterait cette vie avant qu’il ne fût long temps.


De fait, l’Archevêque, peu de temps après, tomba gravement malade, s’apprêtant, conformément à son souhait, à quitter cette vie avant le BienHeureux, en sorte que Zosime put, de son vivant même, prier pour son âme défunte. Aussi fût-ce au tour du Starets d’élever ardemment pour lui, d’un Coeur débordant tout d’un bouleversant Amour, vers Dieu sa Prière. Et lorsque s’endormit Tryphon, on le vit, transporté d’un Amour plus vibrant encore, supplier Dieu pour son âme. Et s’il advenait par après que l’un ou l’autre de ses Enfants Spirituels vînt jusque chez lui le voir, il ne manquait pas, chaque fois, d’indiquer son défunt ami Tryphon à la recommandation de leurs pieuses prières.


Quelque temps plus tard, l’on enterrait Son Eminence le Père Métropolite Tryphon. Ce fut un ensevelissement sans même une simple fleur, pour ce l’avait ainsi voulu Sa Béatitude, sans doute pour qu’il fallût dès lors mieux à chacun faire remémoration de ce célébrissime verset du Psalmiste David-Roi, tant sublime, en la simple expression de sa fraîcheur naïve, faisant, par effet de contraste, mieux ressortir encore la profondeur insondable de l’imparable Vérité de Vie qui y gît énoncée :

“ L’homme est comme la fleur des champs.

Qu’un souffle passe, et il est arraché.

Nul ne le connaît plus,

Et nul lieu de la terre ne garde plus mémoire

de ce qu’il fut.”



Mais en place de fleurs, tout aux entours de la tombe, se pressait la foule immense des fidèles, chacun tâchant à y dérober au public ses yeux que brouillaient les larmes. Et cette terre du cimetière qui recevait à présent, pour son repos dernier, le corps de Sa Grâce Monseigneur Tryphon, Métropolite de bienheureuse mémoire, serait la même, un peu plus tard, qui recevrait en son sein le Starets aussi, l’Ami Bien-Aimé, tant d’années, de toujours, et pour jamais si Cher à son Coeur.









***


Déjà pointait l’aube de l’été 1936. Elle advenait enfin l’heure où l’Ancien laisserait à jamais cette vallée de pleurs et de larmes qu’est l’éphémère séjour terrestre pour s’en aller goûter au repos En l’Eternel dans le Sein d’Abraham et des Anges. Mais ici encore, tout ainsi qu’il est rapporté aux Livres Synaxaires de notre Sainte Eglise Orthodoxe contant des Saints les Vies toutes Merveilleuses (10), quantité d’événements de caractère Surnaturel et Miraculeux, devaient signaler, comme les premiers en son enfance bénie de Dieu, les moments derniers de son existence terrestre.


Ce pendant, le Bienheureux Zacharie était désormais au plus mal, et l’instant n’était pas loin que le Seigneur, enfin, lui viendrait recueillir son Ame Sainte. C’est alors que lui rendit visite l’une de ses Filles Spirituelles. N’ayant le moins du monde conscience de l’état désespéré en lequel gisait le Staretz, elle le pria de se rendre chez elle. Lui, d’entre les pleurs qui mouillaient son visage, tâcha d’esquisser un sourire : “ Sois sans inquiétude,” lui dit-il, “ un peu de temps encore, et devant chez toi je passerai. Lors, à ton tour tu sortiras, pour m’accompagner à ma demeure.” Mais la jeune fille ne saisit point ce que lui donnait à entendre son Géronda. “ Qui m’avertira, mon Père,” répliqua-t-elle, inquiète, “ de ton passage devant chez moi, en sorte que je puisse sans tarder sortir pour t’ouvrir, courant au-devant de toi à cette fin de pouvoir implorer à nouveau ta bénédiction? Et qui donc, jusque chez moi, te mènera?” “- A cette heure-là”, répartit mystérieusement le Starets, tu comprendras. Dieu, t’en avertira. Oui, dans le secret du Coeur, ou par quelque autre biais dont useront les Voies de la Providence, faisant à cet office servir quelque personne interposée, ou quelque circonstance occasionnelle que ce fût, Dieu, sur la Prière de Ses Saints, avertit qui Il Veut de ce qu’Il lui sied savoir.” Quelques jours après, tandis que la jeune fille, chez elle, vaquait aux soins du ménage, les embaumantes effluves d’un Parfum tout Céleste emplirent soudainement la maison. L’on eût dit, à la sentir si suavement embaumer ainsi, que cette divine senteur s’exhalait de mille fleurs ensemble. Surprise, elle s’approcha de la fenêtre, se demandant d’où ce pouvait bien provenir. Or, juste au même moment, passait dans la rue un long cortège lentement escortant un funèbre convoi.

En hâte descendue, elle s’enquit quelle était la personne que l’on s’en allait inhumer ainsi. Il lui fut répondu que c’était là la sainte dépouille du grand Staretz Zacharie. Alors, elle se ressouvint des étranges paroles du Saint Géronda. Elle comprenait à présent que son Ancien ne l’avait point oubliée, et que c’était en guise de dernier adieu qu’il lui envoyait ce parfum tout admirable, tant merveilleux qu’elle n’en avait jamais, sur la terre, senti ni respiré

de pareil. Bouleversée jusqu’au tréfonds d’elle-même, elle joignit, le visage tout ruisselant de larmes, le cortège de ceux d’entre ses Enfants Spirituels, qui jusqu’à sa demeure dernière, avaient providentiellement pu accompagner son Bien-Aimé Saint Starets.


De fait, dans l’entretemps, après qu’elle se fut

une dernière fois rendu jusqu’en sa cellule, pour une ultime visitation à ce Vivant modèle et parangon de Sainteté, un très court

temps aussi après qu’il eût, dans le plus grand secret, conférée d’un Hiérarque héroïque de l’Eglise cachée, persécutée, et grande martyre des Catacombes, que trahissaient en sous-main les vendus au régime athée de l’église-vitrine officielle, reçu, avec le nom de Zacharie, le père du Baptiste, rendu, de stupeur, muet par les Anges, le Grand Habit du Saint Schème Angélique, d’une exigence si redoutablement Haute que bien peu se le voient conférer, de crainte de le souiller, avant que n’advînt le temps de mourir, le Saint Staretz s’était doucement et paisiblement endormi dans le Seigneur. Ce jour-là, quel était, selon le nouveau calendrier le second jour de juillet 1936, et, selon le décompte des jours de l’Ancien Calendrier, le 15 du même mois d’été. Or, ce jour était celui que la Sainte Eglise Orthodoxe en liesse célèbre la Déposition en la Basilique des Blachernes, de la Robe de la Toute Sainte. Le Bien Heureux Staretz s’en allait donc au cours d’une Fête de la Mère de Dieu, sa Reine, qu’il avait tant vénérée, pour en avoir, sa vie entière durant, été le fervent et fidèle Servant.


***


A la même époque, l’une de ses Filles Spirituelles, celle même à qui l’on doit le récit de cette vie toute merveilleuse du Bien Heureux, avait quitté Moscou pour la lointaine Poltava, en sorte d’y aller assister une malade alitée privée de secours. A peine y parvenait-elle, qu’elle reçut une lettre,

équelle elle apprenait que le très vénérable Staretz, l’Archimandrite, Père de sa Synodie de Moines, et Grand Schème Angélique Zacharie, tant aimé de tous, et plus cher encore au coeur de ses Enfants Spirituels, s’en était allé parmi les tentes célestes goûter à la Joie de la Vie de Gloire des Justes. La douleur de sa Fille fut pour lors indescriptible. Et elle n’en pleurait que davantage encore à l’idée qu’elle n’avait seulement pu, aux instants derniers de sa vie, se tenir aux côtés de son Père Saint. Telle était la disposition en laquelle se tenait son âme affligée, lorsqu’elle ouvrit au hasard le Psautier. Or voici que, tout soudain, comme si se fût d’elle-même ouverte la porte de sa chambre, y était mystérieusement entré le Staretz Zacharie, de ses ornements sacerdotaux revêtu, et de son étole aux épaules paré. Tout doucement, il s’approcha d’elle, et sur le sien posa son regard noyé d’un Amour où chantait une chaude tendresse. Elle, alors, oubliant là tout, et, sur l’instant, comme un fardeau inutile, déposant sa peine, se mit à contempler à son tour en silence le lumineux visage de son Père tant Aimé. Et tout autant qu’elle se sentait un coeur contrit et confondu par la Révélation d’une si manifeste Sainteté, elle était dans le même temps inondée, et son coeur s’en gonflait tout, d’une implosive Joie qu’elle n’eût su rapporter qu’à celle des Saintes Femmes Myrrhophores à la Nouvelle de la Survie d’entre les Morts du Ressuscité. “ Qu’est cela? ” lui dit-il alors; - et son ton de voix n’était pas sans marquer quelque réprobation -. “ Oui, pourquoi donc te lamenter, déplorer, et te tourmenter ainsi? Ne t’avais-je point enseigné ce qu’il fallait penser et faire de la tristesse? Ne te le rappelles-tu point? Chasse-là toujours au plus vite, te disais-je. Contrition n’est point désolation. C’est péché que tristesse. Allons! Viens çà que je t’en donne l’absolution.” Et, ce disant, il lui mit l’étole sur la tête, et lui lut la prière qui clôt la confession qu’il avait lue dans son coeur, sans qu’elle eût seulement besoin de s’y livrer. “ Vois, ” lui dit-il enfin, ne t’inquiète plus de ce que tu n’étais pas là, pour me dire, à mon chevet, le dernier adieu. Non, ce n’était en rien nécessaire, puisqu’ainsi que tu le peux à présent saisir, je suis bien toujours avec toi, me tenant à tes côtés pour, en chacune de tes pensées et de tes faits et gestes, t’assister de la Faveur Divine que j’implore pour toi...” Et, sur ces mots, il s’évanouit à sa vue.






***


























III







TROISIEME PARTIE







QUELQUES UNS D’ENTRE LES MIRACLES



DU BIENHEUREUX.
















D’entre les Miracles sans nombre qu’accomplit Zacharie, le Saint Starets Théophore, qui, très au vrai portait Dieu en son Coeur, il n’est ici, las, rapporté que quelques-uns, en nombre infime, relativement à tous ces autres qu’un livre n’eût point suffi à consigner tous, de ce que chacun l’implorant avec l’ardente Foi Droite des Chrétiens Orthodoxes, se put, se peut, et se pourra espérer voir de lui promptement secouru, tant est Efficiente la Grâce émanée de la Prière aux Puissances célestes d’un Saint de Dieu. Ceux ici rapportés n’en témoignent pas moins pour autant de l’immense assurance dont il jouissait devant son Sauveur, qui lui avait donné Puissance de l’Esprit, son Coadjuteur, jusque sur l’humaine nature, et sur les éléments mêmes qui le temps déterminent de la vie et l’heure de la Mort.

C’est ainsi qu’au temps qu’il demeurait encore au Monastère de Saint serge de Radonège, passant en ce lieu béni de Dieu et de son Saint Fondateur par bien d’éprouvantes tribulations constituant autant de formes et espèces d’une même Epreuve du Feu de Dieu, par quoi Il permettait que fût éprouvé pour Or fin celui auquel Il allait conférer l’Esprit de Sainteté, l’Higoumène l’envoya visiter le Père Agathon, quel menait l’Ascèse en un petit ermitage situé non loin de là. Le Père Zosime - c’était alors le nom du Bienheureux - crut bon de s’y rendre en coupant au plus court par quelque chemin de traverse. Il fallait pour ce faire passer par un lac pour lors gelé, car l’on était au coeur du tant rigoureux hiver russe. Se signant, pour que fût bénie sa traversée sur ce désert de glace, il commença d’avancer prudemment sur l’épaisse pellicule blanche. Mais celle-ci, tout soudain, se rompit, le laissant dangereusement enfoncer en une eau glaciale à transpercer les os. Lui, luttant à garder ses esprits, serra seulement plus fortement contre lui les saintes icônes qu’il portait toujours sur son coeur, et, toujours en Prière, y redoubla de ferveur. Et voici qu’il marchait sur les eaux!

“ Père Zosime !” s’écria stupéfait un diacre qui, de loin, avait vu le miracle, est-ce que, d’aventure, tu te mettrais à faire aussi des miracles?” “ Pardonne-moi! “ répondit humblement le Saint. Et, avec sa simplicité coutumière, il ajouta : “ Je croyais l’eau bien uniformément partout gelée, mais elle avait fondu par endroits. Ce pendant, parce que j’avais sur moi les vénérables icônes des Saints Zosime et Sabbas avec une prosphore au sceau marquée d’une empreinte de la Panaghia Toute Sainte (11)! Et voilà comment m’a sauvé mon Christ!


Le Starets avait également pour Fille Spirituelle

la “Baboula” de chez les Rescetnikov. Celle-ci vint un jour supplier l’Ancien de faire quelque chose pour son grand fils Paul. Toute en larmes, le coeur brisé, elle lui conta son drame : “ Père Saint!” clamait-elle, la voix entrecoupée de sanglots, “ il a chuté, et la chute est si grave qu’il en a subi un violent traumatisme. Las!

Il ne craint ni Dieu ni Diable, ne va point à l’église, catégoriquement s’y refusant. Il ne respecte point ses parents, qu’il invective, insulte, et agonit d’ordurières injures. Il fume, boit à s’enivrer, et gît dans l’abjection répugnante du fond du bourbier d’infecte luxure. J’ai beau m’efforcer de le rappeler à l’ordre, l’exhortant à se reprendre, et à se ressaisir, il n’écoute rien, et, me bousculant violemment, me repousse, en persiflant, et se gaussant de moi. Je n’en dors plus la nuit; mes yeux n’en tarissent plus de larmes. Et, pour couronner le tout, il va maintenant, en sus de tenir des propos dégoûtants et obscènes, jusqu’au péché de l’odieux blasphème.” Le Saint lui témoigna grand compassion. Elle, repartit consolée, emportant en son coeur ses tant précieuses exhortations spirituelles. Mais Paul, quant à lui, n’en continuait pas moins de mener sa vie dissipée de bâton de chaise. Sa mère se consumait de désespoir.

Le Starets, lui, inlassablement, réitérait ses prières au Seigneur et à la Toute Sainte, les suppliant d’inspirer à Paul un repentir sincère. Lors, à la fin, le Seigneur éclaira Son Saint, lui révélant que Paul ne pourrait être sauvé que si lui, Starets pour le Seigneur, fixait, quelque prochain jour, une date pour la Mort du jeune homme. Le Saint, de son côté, dont s’affligeaient de compassion les entrailles pour la douleur à venir de la malheureuse mère, s’affligeant à l’excès de ce que Dieu pût exiger de lui pareille abrahamique obéissance, supplia Dieu de lui indiquer quelque autre moyen plus clément de corriger le malheureux. Mais, du Ciel, la réponse au Coeur du Géronda, tout inexorablement, demeurait la même. Il dut donc se résoudre à révéler à la “Baboula” la nature de l’inflexible Volonté de Dieu. Elle, tout d’abord, n’en put rien accepter. Mais, lorsqu’après un temps, elle ne put que constater à quel point son fils ne faisait que s’enfoncer toujours davantage en sa vie de débauche, elle crut devoir se soumettre à cet insensé pari pour le Salut de celle âme perdue. Elle vint donc mander au Saint si lui avait d’En Haut été marqué quelque jour qui pût lui signifier la mort de Paul. Le Staretz lui indiqua que son départ de ce monde avait été, jour pour jour, fixé à l’année suivante.

Ce pendant, durant près d’un an encore, le jeune dévoyé, toujours obsédé de frasques et de débauches, persistait à se vautrer en la fange de ses péchés. Mais lorsqu’approcha le terme qu’avaient Dieu et Son Saint fixé pour sa vie, le typhus soudain, pandémique, se déclara, et, sans tarder, il en fut aussitôt atteint, de si grave forme qu’il dût sur-le-champ s’aliter. Lors, ce même Paul qui avait été si dur à redresser en ses voies, à présent se lénifiait, et l’on eût pu dire que s’attendrissait tant soit peu son coeur. Et voici que Paul, peu à peu, opérait de sa vie une conversion, jusqu’à ce qu’elle fût radicale, lorsqu’il saisit enfin qu’il se devait, pour être Sauvé, - sauver son âme, dont il avait, devant l’ultime défi de la Mort, appréhendé qu’il en eût une -, de prendre l’exact contrepied de ce qu’avait été toute sa vie de mauvais bougre, à tout instant offusquant Dieu, son Maître et Seigneur, en un mot, devenir tout autre. Et il comprit qu’il pouvait faire que son je fût un autre. Bientôt, il se confessa au Père aimant et tendre qu’était le Saint Starets, comme un enfant pleure dans les bras de son père, et il lui dit tout ce qu’il avait fait, commis, et perpétré. Et ce n’étaient plus ses yeux seulement qui pleuraient ses fautes, ses manquements, et ses crimes, mais son âme, qui se brisait en eau, déplorant qu’elle fût pécheresse, et regrettant, à mort, que ne lui fût point donnée la chance d’une existence seconde, pour de rien recommencer tout, et repartir sur les justes fondements qui lui eussent permis de reconstruire, et d’édifier une vie nouvelle, celle où son je eût été un autre.

Lors, implorant le pardon de tous, il s’en fut, décédant de ce monde, et passa, justifié, dans l’Eternité.

Sa mère, elle, s’en étant allée chez le Staretz lui annoncer que son fils s’était endormi l’âme en paix, l’y trouva

chantant le Trois Fois Saint Trisaghion (12) pour l’âme de son fils Paul, qu’il rendait ce jour à Dieu sauvée par un miracle de ses Prières, et dont il avait d’En Haut reçu la nouvelle de la dormition.

Une autre fois, comme le Staretz s’allait promenant dans les bois, escorté de quelques-uns d’entre ses enfants spirituels, il s’exclama tout soudain : “ Oh! Comme ce serait beau de trouver ici, dans ce sous-bois, des champignons blancs! Toutefois aujourd’hui, et sans que nous sachions pourquoi, il n’en est point un seul!...Mais enfin...Allons! Prions donc le Seigneur de nous en envoyer une belle douzaine, avec, au centre de leur lot en couronne, un plus gros, qui soit aussi le plus magnifique, en sorte que le tout pût manifestement symboliser à nos yeux Notre Sauveur parmi ses Douze Apôtres!” Il prononça cet étrange discours, d’allure quelque peu délirant, avec une vivacité, qui nous parut a posteriori comme l’effet aiguillonnant d’une subite Inspiration d’En Haut. Il avait parlé tout en marchant à pas pressés, transporté d’un Divin Enthousiasme. Ce faisant, ses paroles se muèrent en une Prière qu’il formulait maintenant tout haut. Comme son visage parut changé alors! Il semblait Irradié d’une Céleste Lumière. Moins d’une demi-heure plus tard, ses Enfants stupéfaits débouchaient, en quelque clairière, sur un énorme champignon blanc de toute beauté. Ils n’en avaient jamais vu de tel, ni, si peu que ce fût, d’approchant, en aucune sorte que ce pût être. Tout autour s’en pressaient, regroupés sous son ombelle, douze autres, plus petits, comme à son ombre protectrice.

Le Starets, comme si la chose eût été entendue, les regarda d’un oeil amusé, presque taquin, et, souriant : “ Pardonne-nous, Seigneur!” babilla-t-il, “ de ce que nous t’avons parlé comme de petits enfants dont Tu aimes et chéris les balbutiements. Mais voi ci que Toi, dont les Entrailles sont toutes de Compassion, Tu nous entends à cette heure, et nous consoles, avec des choses d’enfants même!”


***





Le Saint fut un jour convié dans un Monastère pour y participer à quelque office d’intercession que l’on adressait à Dieu en vue de mettre fin à une longue sécheresse, cérémonie cultuelle ce jour-là suivi d’une procession tout autour de l’église, chacun en cette litie tenant, qui, un cierge, qui, une icône, qui, une croix, qui, une bannière. Or, tandis que les fidèles processionnaient ainsi derrière le Patriarche, le Métropolite, les Evêques, Archimandrites, Moines, Moniales, Protoprêtres, Prêtres, Enfants de choeur, et autres initiés du clergé, solennellement, et en grande pompe réunis pour la circonstance, de gros nuages menaçants commencèrent de s’amonceler au-dessus de l’entière assemblée, si bien que tous, voyant sur leurs têtes ces prémices présageant l’orage si long temps pourtant en vain attendus, se laissaient à présent tenter par leur hâte d’écourter les prières de l’office, paraissant tout-à-coup interminable, et de disperser au plus tôt la procession, pour courir se mettre promptement à l’abri. Mais le Starets, d’un geste, les arrêta :

“ Non, non! ”, leur dit-il du ton assuré de quelqu’un qui savait :

“ Non. Finissons d’abord, et dès que nous aurons achevé l’office, oui, à peine en aurons-nous terminé qu’il pleuvra. Pas avant.”

La prière s’acheva donc, selon l’exacte canonique du rite officié en son intégralité. Puis, calmement, l’on regagna l’église. Alors, du milieu du narthex, le Saint éleva sa droite bénie vers la voûte mosaïque, d’où fixait, redoutable, le Regard du Christ Pantocrator, disant : “ Eh bien, soit! Tu peux tomber à présent!”. Au même instant s’abattirent du Ciel des trombes de pluie, à former des piscines en la terre.




***




















IV







QUATRIEME PARTIE







AUTRES BELLES FIGURES DE SAINTS








































Au temps que le Bienheureux demeurait au Monastère béni de Saint Georges, et nonobstant toute l’indigence spirituelle qui s’y faisait alors cruellement ressentir, l’on y comptait toutefois, outre la merveilleuse figure ci devant dépeinte de l’admirable Saint Père Zacharie, immense Staretz s’il en fut, d’autres grandes figures aussi, personnages guère moins admirables, pour rares qu’ils fussent, pour ce qu’ils avaient comme lui, quoique moins surabondamment, reçu l’Esprit de Sainteté, qui sur eux Effusait les Grâces Sureffluentes et Suréminentes de Ses Secours, de Ses Charismes, de Ses Dons, et de Ses Puissances, auxquels le Bienheureux puisait une Vivante Consolation.


D’entre ces êtres hautement Spirituels était le Hiéromoine Irénée, auquel Dieu fit la Grâce de lui révéler à l’avance le temps et l’heure de sa Mort. Aussi, lorsque c’en fut le moment, il alla, pour l’en aviser, trouver en sa cellule le Saint Staretz : “ Père Zosime”, lui souffla-t-il, “ mon très Bien Aimé Père, je suis venu me confesser à toi avant que de te devoir faire mes adieux. Car, demain, vois-tu, il me faut mourir. Oui, sitôt après l’heure de la communion aux Divins Mystères.” Il hocha la tête. “ C’est bien cela : En premier lieu, je communierai; en suite de quoi, je meurs...” Le Saint se récria. Mais le Père Irénée insistait : “ C’est la vérité que je dis. Je dois demain mourir. Mais toi, tout à l’inverse, tu vivras, en sorte d’être ce que tu seras : le Guide Spirituel des Egarés, et la Consolation des Pécheurs, des Affligés, des Pauvres, des Miséreux, et des Orphelins de la terre, et de tant d’autres encore, qui de ta Prière attendront tout, et que tu intercèdes pour eux, qui n’ont rien en ce monde, que Dieu, qui leur est tout. Car telle est ta vocation, celle à laquelle t’appelle la Toute Sainte Mère de Dieu, qui des Cieux est Reine.” Puis, sur ces mots, ayant encore fait devant Dieu la bouleversante confession des Ames pures, qui cherchent encore, dans les larmes, à en ôter la plus imperceptible tache, comme l’on ferait d’un grain poussière au tain moucheté du plus resplendissant miroir d’une galerie de glaces, le Père Irénée, ses larmes dans la barbe du Saint Moine, serra sur son Coeur l’Ami que lui avait Dieu Donné, et que, plus que soi-même, il chérissait.

Durant tout le temps de ces adieux, pourtant, pas même un instant le Père Zosime n’avait sérieusement cru que le lendemain verrait la dormition du bienheureux Irénée. Aussi, le matin suivant, lorsqu’il vint à passer devant la cellule de son vieil ami, il lança au novice qui le servait en sa celle, lui rendant office de Syncelle : “ Je t’en prie, frère! Salue pour moi le Père Irénée!” Alors le jeune frère soupira de douleur : “ Hélas! Comment le pourrais-je, frère? puisqu’il a quitté ce monde...Il a participé aux Divins Mystères, puis, tandis que j’allais préparer le thé, il a regagné sa cellule. A mon retour, il était allongé là, sur son lit, les bras en croix sur sa poitrine.”

Car, en Vérité, comme le Seigneur le lui avait manifesté, et très expressément à l’heure dite, le Père Irénée s’était endormi, laissant après lui ce monde de vanités.



***


Zosime, au Monastère, avait encore eu pour ami le Père Nicolas. C’était un ancien soldat qui, pour s’être en campagnes ruiné la santé, avait en suite de ce dû demeurer grabataire près de quarante ans durant. Comme il n’avait sur la terre nulle part où aller, ni nulle parenté digne assez de ce nom pour se soucier le moins du monde de lui, il avait été , par pitié, pris sous la protection du Monastère.

Là, parce qu’il avait, longanime, porté et supporté la Croix si lourde de ceux tant long temps tenus couchés par la maladie, et que, souffrant avec une infinie patience, il n’en avait pas moins persévéré dans la Prière en pleine et entière humilité, le Seigneur l’avait surabondamment consolé des charismes à lui octroyés de l’Esprit de Sainteté. C’est ainsi qu’il put, dix années

avant la Révolution de 1917, prophétiser que le Tsar Nicomas serait détrôné et chassé du pouvoir, le Monastère par la force armée fermé, et les Moines disséminés aux confins de la ville, et précairement relogés en hâte au hasard des logis de fidèles qui les voudraient bien recueillir dans leur terrible infortune. A son ami Zosime, le Père Nicolas prédit également tout ce qui lui adviendrait dans la suite de sa vie à venir.

Le Bienheureux Nicolas était de surcroît un Thaumaturge des plus extraordinaires. Ce fut lui qui guérit Maria, la soeur du Saint Staretz, qui, depuis plus de dix années déjà, était affligée de cécité. Voici comment : Après qu’il eut prié pour elle,

il lui fit sur les yeux une onction d’huile prise à la veilleuse qui brûlait devant les icônes de son iconostase, lequel occupait, comme chez les pieuses gens, tout un pan de mur dans un angle de sa pièce. Et, de fait, par un grand miracle des prières du saint homme, Maria recouvra la vue. Et ce fut en y voyant aussi clair qu’est plus claire que le soleil la Vérité, qu’elle vécut dorénavant en toute clarté les dix années qui lui demeuraient encore à vivre.


Un autre jour, le Bienheureux Nicolas se trouvait

avec le Staretz dans sa cellule, lorsqu’y survint un jeune visiteur

arborant fièrement une belle toque de zibeline. L’on vit alors, non sans surprise, le Père Nicolas, d’entrée, se jeter sur lui, pour la lui arracher de la tête. “ Je ne te la rendrai pas!” criait-il, furieux, “ parce qu’elle ne t’appartient pas. La tienne est encore dans le train où tu l’as laissée.” Et comme, pour finir, le jeune homme, feignant l’étonnement naïf de l’hypocrite menteur, pratiquant, en schyzophrène, le schyzoïde déni de sa réalité, quoiqu’il eût été surpris en flagrant délit de vol, demandait au Saint Père de lui donner les explications de cette violente sortie hors de soi, ignorant que c’était à ses démons qu’en avait le Saint, ce dernier, comme s’il en visionnait toute la scène, livra le fin mot de l’histoire : “ Il y avait,” répartit-il, “ sur une banquette étendu du train, un homme ronflant et lourdement assoupi, cuvant la boisson dont il était pris, pour s’en être la veille enivré; et, près de lui, posée, sa toque neuve.” “ - Oui”, poursuivit, les yeux baissés, le jeune homme confondu, “ je l’ai prise pour moi, et, tout en me l’appropriant, je plaçai en son lieu et place, pour la lui substituer, ma vieille toque usagée, laquelle me faisait honte. ”



Au Bienheureux Nicolas advenaient toutefois de bien plus étonnants prodiges encore. La nuit venaient les Anges Saints, divinement psalmodiant, lui porter les Saints Mystères, pour qu’il y pût communier, lorsqu’il ne pouvait se lever pour se rendre aux Vigiles des Agrypnies, ces longues Veilles de prières, qui s’officiaient l’entière nuit dans l’Eglise. Mais, pour ce qu’ils avaient revêtu l’aspect de Moines du Monastère, et que celui qui marchait en tête de leur Saint Cortège

avait pris la semblance et les traits de l’Higoumène qui en avait la direction spirituelle et confessait le Bienheureux, il ne saisissait point que c’était là quelque Visitation du Ciel. Et, plein de gratitude pour ses frères, il songeait à part lui : “ Oh! Quel Amour pour moi ont donc mes frères et mon Père Higoumène! Sans même attendre l’aurore, ils viennent de nuit soulager mes maux, mes douleurs, mes afflictions, et ma peine!” Et le Saint Père Nicolas qui, selon son Humilité ordinaire et son accoutumée Simplicité , regardait ce Céleste Prodige comme l’événement le plus banal qui lui pût advenir, long temps ne s’était à personne confié de ce miracle tout merveilleux.


Or, le Starets apprit quelque jour, de la bouche des Moines, que, depuis son entrée au Monastère, il y avait de cela bien des années, jamais le Hiéromoine n’avait communié.

Fort attristé de si déplorable nouvelle, le Père Zacharie s’en alla donc en sa cellule trouver le Moine malade, s’offrant à le confesser et à lui venir porter la communion. Mais le Bienheureux, déclinant son offre charitable, néanmoins l’en remercia, disant : “ Si tu savais quelle immense Joie il m’est donné d’éprouver lorsque, lors des grandes Fêtes de l’Eglise, l’Higoumène et les frères me la viennent en personne porter!” Et il lui découvrit, par le détail, les circonstances et le mode sur lequel, chaque fois, se faisait cette venue. Lors le Staretz, comprenant que le Frère lui faisait appréhender là, et comme tangiblement toucher du doigt, quelque grand Mystère, fut saisi de stupeur, et, de confusion, demeura muet. Il saisissait bien à présent que le Saint Père Nicolas recevait la Faveur Divine de Visitations du Ciel. Et ce n’est que lorsque fut endormi de son dernier sommeil le grand Moine aux Longanimes Souffrances, à l’Imitation de Son Christ, que le Starets Zacharie s’assura pleinement de l’existentielle effectivité du Miracle, vérifiant auprès des Moines du Monastère qu’ils n’étaient de fait jamais venus donner au Saint Père Nicolas, nuitamment, la Sainte Communion aux Divins Mystères du Christ.




***









































V





CINQUIEME PARTIE





LA VENERATION TOUTE PARTICULIERE




DU SAINT STARETS ZACHARIE




POUR LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU






























A notre Toute Sainte, la Mère de Dieu et Vierge, le Starets Zacharie, à l’instar de Saint Séraphim et de tous les Saints de notre Bienheureuse Orthodoxie, vouait une immense Vénération, à la mesure de l’Amour sans limites qu’il Lui portait.

Lui-même ne voyait du reste à son Enseignement Spirituel d’autre fin que de transmettre à ses Enfants En Christ, comme le legs le plus précieux de l’Héritage Ecclésial, un peu de son brûlant Amour pour la Vierge, sa Reine. Tel était, en effet, le fondement des préceptes qu’il leur léguait :

“ Ne commencez jamais rien”, leur disait-il, sans implorer la Bénédiction de la Mère de Dieu. Et, lorsque vous aurez achevé, de nouveau, rendez Grâce à la Reine des Cieux.”

“ Pour chacune chose que vous entreprenez, demandez d’abord Sa Bénédiction à la Reine du Ciel, et notre Seigneur, lors, vous élèvera sur le premier degré de l’Echelle de la Grâce que constitue et prodigue tout ensemble l’Ascension Spirituelle de vertu en Vertu. Or, ce premier degré en est la reconnaissance de vos péchés. Qui ne se voit point, ni son âme au miroir, ne se peut corriger, amender, ni adorner des Célestes Vertus”.

“ Je crois fermement, ” disait-il encore pour leur Edification Spirituelle, que si vous vous efforcez d’acquérir une pleine conscience de la perpétuelle Présence à vos côtés de notre Seigneur et de la Reine des Cieux, et que, tout en gardant à chaque instant ce sentiment fortement présent à l’esprit,

vous vous attachiez à n’accomplir rien que vous n’ayez préalablement demandé à la Mère de Dieu de vous couvrir par Ses Toutes Saintes Prières, et de vous bénir, vous et ce que vous vous apprêtez à entreprendre, alors vous recevrez d’En Haut le Charisme de la Prière Incessante qu’est la Prière du Coeur des Saints Hésychastes, et, avec lui, le désir de n’accomplir rien que ce qui Plaît à Dieu, et tout ce qui Lui est Agréable”.

“ En l’Ame de chacun des Siens se Réjouit le Christ, par l’Intercession de la Mère de Dieu Toute Sainte. Priez donc Sa Mère Toute Pure, et voici que vous serez sans cesse avec Elle auprès de Son Fils ”.




***


Le Saint Starets regardait encore un devoir très nécessaire que l’on veillât à toujours allumer les veilleuses brûlant devant les icônes de la Toute Sainte.

Et s’il advenait à quelqu’un qu’il tombât malade, il insistait pour que l’on fît sur lui le signe de la Croix, avec un peu d’huile prise à la veilleuse d’une Icône Miraculeuse de

la Mère de Dieu.

Enfin, il exhortait ses Enfants Spirituels à redire sans cesse la belle Prière de la Salutation Angélique de l’Archange Gabriel à la Pure Jeune Fille de Judée, que s’était Choisi Dieu pour Fiancée, et Mère de Son Fils, celle même Prière de la Fête de l’Annonciation, que Sauve et Garde en son Saint Patrimoine notre Sainte Eglise Orthodoxe :

“ Salut! Mère de Dieu et Vierge,

Marie Pleine de Grâce,

Le Seigneur Est Avec Toi! Tu es Bénie entre toutes les femmes,

Et le Fruit de Tes Entrailles est Béni,

Car Tu as Enfanté le Sauveur de nos âmes!”


Et rien ne le réjouissait comme de voir quelqu’un lire en son Office le Canon de la Toute Sainte, tel qu’elle était venue l’enseigner en personne à Saint Séraphim de Sarov, lequel consiste à redire cent cinquante fois le jour cette même prière de d’invocation : “ Salut! Mère de Dieu et Vierge...”




***




























VI





SON CHARISME DE CLAIRVOYANCE










































Comment le Charisme de Clairvoyance, au degré si élevé de clarté dans l’acribie et la précision où le possédait Zacharie, eût-il pu ne pas inspirer de respectueuse crainte à ceux qui, de son vivant, l’approchaient, comme à ceux mêmes qui, en ce jour, miraculeusement, lisent, en quelque Synaxaire d’Eglise, entre leurs mains tombé, tel que, par quelque non moins miraculeux effet ménagé par la Providence, il échoit à leur vue, le récit de la Vie Toute Merveilleuse du Saint Starets? Car, en effet, dans le Coeur si parfaitement purifié du Saint, était venue la Grâce Inhabiter de l’Esprit de Sainteté, sous son regard, élargissant, trop étréci par les hommes étriqués, d’individualiste égoïsme, d’oeillères aveuglés, le vaste horizon du monde à l’univers, abolissant toutes les étroites limites convenues d’espace et de temps, et conférant au Bienheureux Connaissance du passé et de l’à venir, comme aussi de ce qui, dans le même temps et au même instant, survenait en un autre lieu de l’espace sous le Ciel habité, comme aussi dans le coeur de celui qui, pour l’heure devant ses yeux, s’entretenait présentement avec lui.



C’est ainsi qu’un jour qu’il était à table avec ses Enfants Spirituels, on le vit se lever soudain, comme mû d’une Divine Inspiration, et s’exclamer avec transport : “ Ah! Ma Pélagie!...Comme elle se repent!...Comme elle me supplie de lui pardonner, et comme elle pleure avec contrition!...Allons, laissez-là cette table, et venez avec moi prier pour son âme!” Il marcha vers l’iconostase pour y lire une prière, puis, En Esprit, bénit Pélagie. Et comme ses Enfants lui demandaient où elle se pouvait trouver en cet instant, il leur répondit qu’elle était au loin, dans une province du Nord, mais qu’à son retour elle leur exposerait plus au large ce qui s’était passé en elle. Et, de fait, lorsque six mois plus tard, Pélagie revint, elle confia d’elle-même quel profond repentir avait été le sien, et avec quelles larmes elle avait imploré le pardon du Géronda, au jour et à l’heure précis où le Starets en avait eu la Révélation.


Une autre fois, comme s’allaient rendre chez le Starets deux femmes pour se confesser à lui, qui faisaient route ensemble, l’une d’elles, à tout instant, se remémorait et se représentait à l’esprit ses péchés, et son coeur était à la Pénitence, au point que, versant d’abondantes larmes, elle implorait du Seigneur Son Pardon; cependant que l’autre, personne fort superficielle, l’esprit occupé de rien autre que de fariboles, et mondaines futilités, ne faisait que songer à de frivoles vanités. Elle ne s’inquiétait donc, chemin faisant, que du vêtement qu’elle pouurrait bien acheter à sa fille pour compléter sa garde-robe, déjà pléthorique, au demeurant, des teintes dont elle l’assortirait pour réaliser aux entours quelque coordonné dans le vent, et mille autres bagatelles mêmement pitoyables. Or, parvenues à la cellule du Saint, à peine y étaient-elles entrées que, sans leur laisser le temps de lui faire le moindre aveu en guise de confession hâtive, il dit à la première, laquelle était pieuse femme : “ Agenouille-toi là, ma fille, que je lise sur ta tête, que tu gardes si humblement baissée, la prière d’absolution.” “ - Mais, Père Saint!...” se récria-t-elle, saisie d’un esprit de pieuse crainte, “ je ne me sui pas encore confessée à toi de mes fautes, ni de mes pensées...” “ - Cela n’est point nécessaire, ni n’est ici d’aucune utilité,” répondit le Staretz. “ Ne t’es-tu pas ce pendant déjà confessée au Seigneur?...Tout au long du chemin, tu t’es repentie. Je t’ai entendue...Oui, j’ai tout entendu...A présent, je te vais pouvoir donner l’absolution de tes manquements, et des pensées qui ont échappé à ta garde du coeur.

Et, demain, tu communieras.” Puis, se tournant vers la seconde : “ Allons”, lui dit-il; et son regard s’était fait sévère. “ Va donc faire tes emplettes; oui, va perdre ton temps à courir les magasins, puisque tu ne sais point d’autre sorte occuper un temps si précieux pour ce qu’éphémère. Arrête-toi devant mille babioles inutiles, et achète enfin ce tissu dont tu rêves pour ta fille...Regarde bien au coloris, surtout, et songe à étudier au plus près la dernière coupe à la mode, qui, demain, a toutes chances de changer encore. Et lorsque tu te seras véritablement repentie, reviens, et confesse-toi. Mais pas avant. Tu ne dirais rien de vrai, de sincère, ni de profond. Cela ne servirait de rien.”



***


Une vieille femme vint un jour, avec une parente à elle, toute jeune, et comme éclatante de santé, visiter le Starets. Tout-à-coup, néanmoins, le Saint se tournant vers la jeune fille, lui dit d’un ton d’une fermeté qui laissait sans réplique : “ Il faut, demain matin, que tu communies...Tout-à-l’heure, tu reviendras te confesser. Mais va d’abord serpiller et lustrer les marches de l’escalier. Si je te dis cela, bien qu’elles soient presque propres, c’est pour qu’à chacune des marches, tu te rappelles l’un de tes péchés, et que, pour chacun d’eux tu fasses la pénitence appropriée... Puis, lorsque tu auras fini, songe à la manière dont l’âme, à la fin de son temps sur terre, s’élève vers le Haut, pour ce devant au préalable passer les redoutables péages du Ciel, où lui seront, à chacun, demandé puis mis en examen les divers comptes relatifs à chacun des actes de sa vie sur terre.”

La jeune fille, trouvant bien l’injonction quelque peu étrange, s’en fut toutefois obéir à la volonté du Starets. La vieille parente, quant à elle, ignorant tout de la conduite de vie par quoi se peut acquérir l’humilité vraie, émit tout haut quelques réserves marquant sa réprobation devant l’imposition à une noble demoiselle d’un office aussi servile que dégradant, au motif qu’elle était ennuyée que sa protégée communiât sans s’être d’abord préparée par le jeûne. Mais le Saint se fit fort d’apaiser ses faux scrupules :“ Demain, ” lui dit-il, “ tu comprendras. Reviens après la Divine Liturgie. Nous en reparlerons, lors.” La jeune fille, ayant achevé son nettoyage des escaliers, s’en revint voir le Starets, pour se confesser à lui, et recevoir sa bénédiction. Puis, le jour suivant, elle communia, et, toute joyeuse, s’en retourna chez elle. Alors, comme elle s’était paisiblement assise sur une chaise, elle parut soudain s’endormir...Notre Seigneur avait de la sorte pris son âme, - tout ainsi, de la façon la plus simple et la plus tranquille qui se pût faire, doucement, à son insu, comme en son sommeil. A cette vue fatale, saisie d’une grand crainte, pour au tant respectueuse, la vieille duègne aussitôt courut chez le Saint, pour lui faire part de ce qui était advenu. Quelle ne fut point sa surprise, lorsqu’elle le trouva psalmodiant un Trisaghion ( 13) pour le repos de l’âme de sa jeune fille!...Et, lorsqu’il eut achevé de chanter son Trois fois Saint - Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabbaoth...- : “ Pourquoi t’être inquiétée?” lui dit-il. - Et sa voix rassurante marquait un calme rassérénant, quasi surnaturel -. “ J’ai su, tout simplement, que Notre Seigneur allait la prendre. Et c’est pour quoi je lui ai procuré la faculté de communier en Pénitente.”


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Deux jeunes filles, étudiantes en Théologie, vinrent quelque jour trouver le Starets jusqu’en sa cellule, désireuses de l’interroger sur nombre de points épineux de doctrine dont elles se voyaient fort embarrassées, ne sachant le mode de leur résolution véritablement Théologique. Il en était même tant, qu’elles avaient dressé par écrit la liste de ces difficultés théologiques. La première de ces jeunes étudiantes s’apprêtait donc à lui soumettre un rébus de quinze questions, cependant que la seconde n’en avait pas moins de quarante à disposition en sa réserve de théologienne de banc d’université. Mais lorsque, parvenues en vue de la cellule du

Saint, elles s’avisèrent qu’il ne leur faudrait pas moins attendre que de longues heures, leur tour ne venant qu’ultérieurement à une grande foule de gens massés là depuis bien auparavant, et que le Starets verrait donc en priorité avant que ne fût échu leur tour enfin, elles ne purent s’empêcher de marquer leur déception, et de manifester leur impatience.

C’est alors que, se tournant vers elles, le Starets les pria de sortir un papier et un crayon, et, sans même qu’il eût pris le temps ni la peine d’en consulter le scolastique énoncé, de noter, dans l’ordre, la réponse de l’Esprit de Sainteté à chacune de leurs artificieuses questions d’érudits en chambre, spirituellement inexpérimentés quant à Ses divers Modes de Manifestations en l’existentielle effectivité de la Vie En Christ. Et elles s’émerveillaient à voir que, les reprenant en leur ordre, il détaillait par le menu l’exégétique explication et résolution En Esprit des litigieuses difficultés proposées, dont elles étaient, avant que de se voir à présent par lui éclairé, lequel avait reçu l’Esprit, qui Tout, Illumine désespérément demeurées si long temps perplexes.



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VII



SEPTIEME PARTIE





L’ACQUISITION DU SAINT ESPRIT,




ESPRIT DE SAINTETE


































Fidèle à l’Ecriture, comme à la Tradition des Saints Pères Hésychastes, - et plus particumièrement à l’enseignement de Saint Séraphim de Sarov qu’il tenait en immense vénération -, le Starets Zacharie redisait après lui, le proclamant à qui voulait l’Entendre, qu’il n’est d’autre but à la Vie Chrétienne que l’acquisition du Saint Esprit, en suite de quoi l’humaine Nature régénérée, Illuminée, et Fortifiée par la continuelle réception de l’Esprit, demeurant en Présence Inhabitant le Coeur des Saints, qui avaient lutté à devenir ses dignes réceptacles, vases fragiles devenus Forts de Sa Surefficiente Puissance, cette Nature Recréée donc de l’Homme Nouveau se pouvait acquitter enfin, en Vive Conscience, avec Intelligence Spirituelle, de toutes ces belles oeuvres bonnes que dicte l’Amour de Dieu rejailli sur les Frères.


La Sainte Tradition de l’Eglise Orthodoxe n’enseigne-t-elle pas, en toute Orthodoxie, que c’est au seul Nom du Christ, Fils du Dieu Vivant, Agissant En Esprit, qu’il nous faut pratiquer les Chrétiennes Vertus, et que se peut, par elles, acquérir le Très Saint Esprit? Car, c’est “ le Fruit de l’Esprit” qui mature le Coeur des Saints, enquel Fruit sont lovés tous les Divins Charismes attestant que ce pendant même qu’ils marchent en cette vie, ils se meuvent En Vérité en la Surnaturelle Sphère du Monde d’En Haut venu peupler le leur. Mais la fausse vertu, sèche et déchristianisée, des athées dits vertueux n’est que gangue creuse vidée de toute la Substance Vive de l’Esprit qui sans cesse, des flux ininterrompus de sa sève, nourrit, alimente, et croît ce fruit, jusqu’à le transplanter Arbre au Surnaturel Paradis venu, tout entour lui, se substituer tout au stérile terreau de son existence d’antan. Rien n’est la vertu prétendue des athées que liste obligée de devoirs et d’exercices imposés, de bonnes actions ponctuelles, sporadiques, médiocres, inefficientes, hypocrites, vantardes, et stériles, et moraline asphyxiante d’insupportable carcan, spoliée de toute Spirituelle Essence.

Pareille vertu de façade, laquelle est vertu sans Esprit, ressemble aux vierges folles, lesquelles étaient bien en possession de ces lampes que sont les vertus, mais auxquelles veilleuses faisait défaut l’huile pour les en alimenter en continu, lequel est le Saint Esprit Vivifiant, qui point ne cesse de faire Ses Emanations sourdre sur ceux auxquels Il octroie Ses Illuminatives Insufflations.

La Prière a, disait encore le Starets, et recèle beaucoup de Force, pour ce qu’est elle qui, plus qu’aucune autre vertu, nous confère le Saint Esprit. Et, sur ce point, le Starets se montrait très insistant, s’en allant répétant au long que c’était par l’entremise de cette Invocation de la Prière Hésychaste au Seigneur Jésus Christ, implorant humblement Pitié sur son âme, que se laissait attirer l’Esprit, lequel ensuite, descendant sur cette âme, plus ne la quittait, mais, sans cesse, spirituellement la fécondait, jusqu’à la faire, dès sa terrestre vie, comme en palimpseste de cette même vie sienne, entrer toute dans le Surnaturel. Aussi n’avait-il de cesse qu’il n’exhortât ses Enfants Spirituels à Prier toujours davantage, sans cesse répétant les mots de la Prière du Coeur, qui bat au Coeur des Hésychastes : “ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi, Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi...”, et d’ainsi, la redisant tout le jour, lutter avec Force pour obtenir d’en soi recevoir l’Esprit, lequel est Esprit de Sainteté. “ Quel homme

pourrait-il être dit Sage”, aimait-il à redire ensuite, “ hormis celui

qui possède le Saint Esprit?”





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VIII







SON ENSEIGNEMENT SUR LA PRIERE




























Le Starets Zacharie, peu à peu, était devenu tout Prière. Il n’était plus désormais en sa Vie un seul instant où il ne fût En Communion avec Dieu. De là, bien souvent, que ses Enfants Spirituels, lui demandaient de les enseigner sur les Secrets de la Prière. Quelle simplicité de Coeur, quelle profondeur de vues, aussi, émanait lors de ses exhortations et de ses conseils spirituels!

“ Mes Enfants!”, disait-il, “ tâchez d’acquérir l’Esprit de la Prière Incessante. Sans vous lasser, demandez-le à la Mère de Dieu qui, sans jamais dormir, veille en Prière pour nous!”


“ Sans Prière”, disait-il encore, “ l’homme ne vit pas; il ne respire pas, mais se dessèche, s’étrique, s’étiole, s’asphyxie, et, si même il n’en a plus ni point conscience, chaque instant davantage se meurt. ”


“ Prenez donc l’habitude de ne rien entreprendre, de ne rien commencer sans la Prière.”


“ La Prière est Mère d’Humilité. Et, sans Humilité, il n’est point de Salut.”


“ A chacune de vos mouvances, de vos paroles, pensées, faits, et gestes, tâchez à marier la Prière.”


“ Ne dites pas vos prières à la hâte, comme à la course, ou bien au pas de charge. La Prière est la santé de l’Ame comme elle est le profit du Coeur.”


“ Si même il nous incombe en société de tenir de mondains discours, il sied que, dans nos Coeurs, nous gardions la Prière.”


“ Il ne faut pas que la prière devienne mécanique, ni qu’on la dise à la manière impie, sans éprouver la crainte de Dieu, parce que cela constitue une offense à la Prière.”


Et ce qui faisait ainsi parler le Saint Géronda, c’est qu’un jour, dans sa cellule, il avait tremblé en voyant, debout devant les saintes icônes de son iconostase un démon. Sa figure était celle d’un grotesque, et il faisait mine de s’occuper à lire le Psautier, qu’il anônnait de façon incohérente et décousue. “ Que fais-tu donc là?”, gronda le Starets. “ Moi?” fit le démon, l’air de Rien. “ Je tourne la prière en dérision, par là m’exerçant au péché de blasphème qui vous fait tant horreur à vous, les Moines, et vous hérisse tout, jusqu’à vous faire exploser à notre encontre de colère et de rage. Oui, je viens te faire enrager!” Il eut un horrible rire sardonique, et disparut. C’est ainsi, toutes proportions gardées, qu’attentent à la dignité de la prière tous ceux qui la font à l’étourdie, lisant leur office de façon heurtée et décousue, sans garder fixée sur elle toute leur attention concentrée, ni ressentir en leur coeur la crainte de Dieu.”



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IX







AUTRES ENSEIGNEMENTS





























“ Il convient ”, disait-il encore, “ que chacun sache discerner les rêves, et, d’entre eux, ceux qui viennent de Dieu, lesquels, immanquablement, confèrent à l’âme Immense Joie puis, de là, rassérénante Paix, supérieurement ineffable. De tels rêves incitent le coeur au Repentir et à la Pénitence, chassent les pensées orgueilleuses, puis éveillent l’être à la lutte encontre le péché.”


“ Faites chaque jour l’aumône,” enjoignait-il. “ Le jour qui sans aumône passe est perdu pour l’âme et pour l’éternité. Nos aumônes, tout au contraire, apprêtent l’homme intérieur à recevoir la Grâce du Saint Esprit. “ Bienheureux les Miséricordieux, car ils obtiendront de Dieu Miséricorde.” Les aumônes ont devant Dieu tant de force que, jusque dans la gueule de l’Enfer, elles ont le pouvoir d’aller rechercher une âme. Car toujours devant le Trône du Seigneur se tient l’Ange de cette Vertu, décomptant bien haut à la Face de Dieu quelles, en ce Jour, ont été les aumônes, et quels les Aumôniers.”

A la porte de l’immense Saint Monastère de la Lavra des Grottes de Kiev en Ukraine, peuplées des cercueils de verre des grands Saints qui s’y sont endormis, ce jour offerts à la vénération des pieuses âmes qui, sous les basses veilleuses, en ces étroits tunnels blanchis de chaux, aux murs saturés de Saintes Prières, En Esprit proférées, les y viennent embrasser, Patriarches, Evêques, et Moines, qui y vécurent Reclus les plus difficiles Ascèses de ce monde, se tenait une mendiante folle En Christ.

“ Qui donne l’aumône”, disait-elle, “verra le monde tourner autour de sa Prière.”

“ Retenez toujours ce fait bien présent à l’esprit, que le Seigneur à chaque instant vous regarde, examinant tous vos actes, scrutant vos sentiments, comme pesant aussi chacune de vos pensées. Oui, tout ce que vous faites, accomplissez-le sous l’Oeil du Christ Tout Puissant, qui en tout instant vous Voit, comme, du haut du dôme basilical, coupolée, son Icône mosaïquée de Pantocrator”.


“ Il n’est point d’Ascèse plus Haute”, murmurait-il, “que de souffrir et supporter sans murmure tout ce qui, en cette vallée de larmes, nous peut advenir. Et celui qui, jusqu’à la fin, aura tout porté et supporté, celui-là sera Sauvé.”


“ Si, Longanime,” ajoutait-il, “tu sais, sans murmure, tel un Martyr, souffrir l’affliction, alors, en ce, tu rends au Christ Témoignage de ta Fidélité à Lui, et, silencieusement tu proclames à la face du monde et de tous ton Attachement à Ton Sauveur, Lui chantant, sur tous les tons de la Divine Psalmodie, ton Amour pour Lui, le Ressuscité des Morts, qui, tous, nous appelle à Ses côtés.”


“ Il sied que chacun ait pour premier de tous ses soucis et ses soins la pureté de son âme. Or, seule est pure l’âme qui, tout entière, a fait Don d’elle-même à Dieu. Mais avant que d’y atteindre, il convient au préalable que l’âme ni ne mente ni ne se livre à la malignité, s’y abandonnant jusqu’à rouler au fin fonds de l’abjection de l’Enfer, et que point non plus elle ne se désespère.”


“ A toute force, et de tout notre pouvoir, il nous faut, avec un saint et profond Amour, vouloir alléger le joug pesant d’autrui, et, davantage encore, celui des plus infortunés qui plus ne savent comment survivre à la tribulation sans fin de leur condition de misère. Et il nous faut aussi vouloir gagner à Dieu d’autres âmes

qui ne le connaissent point pour n’en avoir nullement été droitement enseigné. De fait, c’est de même manière aussi que nous sommes nous mêmes gagnés à Lui par notre Vie de Pénitence incessante. Car, c’est un Dieu d’Amour que notre Dieu.”


“ Nul ne possède le Charisme du Discernement des esprits, qu’il n’ait d’abord, en Hésychaste, reçu celui de la Prière Incessante du Coeur.”


“ De toutes vos forces, fuyez le péché, et, avec l’Aide et le Secours de la Reine des Cieux, combattez les forces ténébreuses du Mal. Alors, plus vous approcherez le Seigneur, plus

au-dedans de vous s’ouvriront les Yeux de l’Humilité, et plus finement vous appréhenderez à quoi peut l’état ressembler d’un profond Repentir, en sorte de vous y pouvoir perpétuellement tenir.

Et si, sans vous lasser jamais, toujours vous redites en esprit la Prière de Jésus, celle des Hésychastes, descendue en leur coeur :

“ Seigneur Jésus Christ, aie Pitié de moi pécheur”, vous approcherez plus vite, et vous tiendrez plus près encore de notre Christ, qui, par après, sans trop tarder, vous inspirera le Céleste et Divin Amour de tous vos frères sur la terre, fussent-ils même vos ennemis.”


“ Jamais, en aucun cas, ne laissez vous gouverner la tristesse, ni, d’aucune façon, établir sur vous son empire. Car, c’est là ce que veut le Diable. Sa stratégie est de décourager l’âme, pour la pousser au désespoir, et de là à la mort, en lui suggérant d’attenter à ses jours. Oui, le Diable veut la mort de l’homme, l’empêchant, par tous les moyens, de vivre à cette fin de faire pénitence, et de pouvoir faire son Salut. Le désespoir est le bourreau de nos âmes, en mettant à l’épreuve, puis à mort en nous

le Désir captant l’Energie Spirituelle, dont nous avons tant besoin pour recevoir en nos Coeurs le Saint Esprit. Trop abattu par l’affliction, l’homme perd toute aptitude à prier, et, privé de cette capacité, dénué de toute faculté de prière, son être est tout entier mort au Combat Spirituel que requiert d’abord la Vie En Christ, avant que ne pût la Grâce décerner aux vainqueurs les Trophées des Vertus, et la Surnaturelle Existence, menée sous les auspices de l’Esprit de Sainteté, qui jamais plus par après n’abandonne l’Ame.”


Et il lui advenait de clore l’entretien spirituel, au cours duquel il avait à ses Enfants imperceptiblement soufflé, comme par bribes, quelques-uns des Secrets sans Prix qui sont d’En Haut à Ses Saints Révélés par l’Esprit Illuminant ceux qui vouèrent à l’acquérir leur entière Vie En Christ, en psalmodiant ce verset (24-25) de l’Epître de Jude :

“ A Celui Seul qui nous Peut Préserver

De toute chute, et nous faire devant Sa Gloire

Paraître, irréprochables,

Et tout emplis de Divine Allégresse,

A Dieu notre Seigneur,

Par Jésus Christ notre Sauveur,

Soit la Gloire, la Majesté,

La Force, et la Puissance,

Dès avant tous les Temps,

Maintenant,

Et aux Siècles des siècles!







***



Par les Prières de notre Père Zacharie, Ton Saint,

Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie Pitié de nous!


Amin.



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