mardi 1 février 2011
La Lumière du Thabor n°35. Saint Grégoire Palamas. Homélie.
SAINT GREGOIRE PALAMAS
HOMELIE SUR L'ENTREE AU TEMPLE
ans les choses qui dépassent les forces humaines, qu'il s'agisse d'un poids à soulever ou d'une joute oratoire, ceux qui l'emportent en vigueur corporelle ou en éloquence, se trouveront à égalité avec leurs concurrents les moins forts, puisque les uns comme les autres n'obtiendront rien et n'atteindront pas leur but1. Celui qui tenterait de toucher les étoiles avec ses mains, même s'il était grand et qu'il pût lever sa main plus haut que les autres, resterait aussi loin des cimes éthérées que les hommes de toute petite taille, tant la différence paraîtrait négligeable. Il en va de même pour les réalités qui transcendent la raison : les doctes n'y jouissent d'aucune supériorité sur les ignorants. Qui oserait, en effet, parler de ce qui passe toute parole, sans succomber sous le poids de l'entreprise, comme ceux qui, au dire des poètes, se vantèrent de porter l'univers ou ceux qui, selon la mythologie, voulurent se faire une échelle pour monter aux cieux ? On tombera, en effet, d'autant plus loin de la vérité que l'objet qu'on vise est inaccessible à la pensée et à la raison humaines, réalité hypercosmique, surpassant la terre et tout ce qui l'entoure, et qui prend place et rang parmi les choses divines et déiformes ?
Or, pour la cime la plus haute de tous les saints, j'ai nommé la Mère de Dieu, lorsqu'elle se dirige «vers le lieu merveilleux du Tabernacle admirable» dont parle le psalmiste, et entre dans le Saint des Saints, «au milieu des chants d'allégresse et des actions de grâces», aux voix retentissantes et aux accents divins des vierges qui jadis l'accompagnèrent et de nous qui la célébrons aujourd'hui2, pour celle, donc, qui est au-dessus des saints, dans les cieux, nul orateur, fût-il le plus habile, ne pourrait la chanter dignement, mais que dis-je ? quand même tous ceux qui ont été sauvés par son enfantement se réuniraient ensemble et deviendraient une seule bouche, ils ne pourraient lui offrir la plus mince louange. Toute la création ne saurait lui rendre la gloire qui lui revient pour être devenue la Mère du Créateur de tout ; comment nos discours égaleraient-ils les magnificences dont son Fils l'a comblée, eux qui, même assemblés, ne feraient qu'une gouttelette dans l'abîme de sa gloire indicible ? Mon entreprise dépasse toutes mes forces ; tant s'en faut que je me croie capable de composer un panégyrique qui pût rivaliser avec le prodige de la Mère de Dieu, surnaturelle en vertu, vraiment bienheureuse et absolument supérieure à toute la création.
Comment, néanmoins, satisfaire autrement mon désir, acquitter ce que je lui dois ou confesser les charismes infinis dont elle m'a comblé, si ce n'est en la chantant de toutes mes forces ? Car le désir m'y pousse ; la dette que nous avons tous envers elle, aussi bien que la mienne propre, m'en font une obligation ; enfin, la reconnaissance devance encore ces deux nécessités et me donne même l'espoir d'obtenir le pardon pour ce qui va suivre ; je l'attends aussi de l'amour pour les hommes que l'Epouse toujours Vierge manifeste continûment, telle une âme qui pénétrerait tous ses fidèles, conjoignant et conservant tout, proche et toujours présente à tous ceux qui l'invoquent, par son inlassable et bienfaisante intercession auprès du Dieu qui naquit d'elle, car sa prière conduit tout à notre profit -pour autant que nous connaissions les biens qu'elle nous a valus, et qui nous ont donné une foi plus que certaine.
C'est donc elle que j'invoque moi aussi, avec la même foi, dans l'espérance qu'elle m'aidera jusqu'à la fin, dès que je plongerai dans l'océan de ses merveilles. Devant vous tous, qui maintenant m'entourez, et devant vous qui plus tard me lirez, je ne crois pas nécessaire de me justifier pour ce discours. Car vous pardonnerez facilement quand vous aurez tout considéré : l'orateur, ses discours, l'excellence du sujet. En outre, chacun de vous a besoin du pardon de tous quand il compose diverses hymnes en l'honneur de la Mère de Dieu -certainement vous en composez beaucoup ; car nous sommes également tenus d'acquitter notre tribut à la Mère de Dieu, à la fois tous ensemble et chacun pour sa part, pour nous-mêmes et les uns pour les autres- lui offrant la louange que nous lui devons, tout en sachant combien nos hymnes restent indignes d'elle.
Ainsi, reliant vos voix aux odes composées pour elle depuis l'origine des temps, à chaque jour et à chaque heure, vous formez un choeur permanent, harmonieux et divin, entourant sans fin de vos chants ce palais céleste.
Allons donc, phalange divine, théâtre sacré, choeur accordé sur l'Esprit céleste, coopérez avec moi ; de ce discours aussi, faites une oeuvre commune ; ne vous contentez pas de prêter une oreille et une pensée attentives : assistez-moi aussi de vos saintes prières, de manière que le Verbe du Père, touchant d'un rayon d'en haut nos paroles sur la Mère de Dieu, nous garde de tenir des propos insensés et nous donne de composer une hymne agréable à vos oreilles amies de Dieu. Oui, ils ont besoin du secours abondant de Dieu, ceux qui entrent dans cette lice, se mesurant à des exploits qui, de tous ceux qu'opéra jamais l'inspiration d'en haut, sont les plus parfaits et les plus véritablement siens. En effet, lorsque Dieu, au commencement, eut planté sur terre toutes les formes d'êtres sensibles et sensitifs, étant donné qu'aucun de ces êtres terrestres n'était susceptible de recevoir également l'esprit (noûs), il modela l'homme capable d'intellect. De même ensuite, quoique le genre humain se fût multiplié, il ne se trouva pas un seul homme qui pût contenir, comme il se devait, le Dieu «par qui et pour qui sont toutes choses3», pour parler comme l'Apôtre ; et voilà pourquoi, dans ces derniers temps, selon sa bienveillance, il a fait de la Toujours-Vierge, pour ainsi dire, son palais. Elle s'est révélée, par son extrême pureté, apte à contenir corporellement la plénitude de la divinité, que dis-je ? Non contente de la contenir, ô prodige inouï ! devenue génitrice de la divinité, elle a créé pour tous les hommes de tous les temps, qu'ils aient précédé ou suivi sa merveille, la parenté divine.
Deux races, en effet, ont été choisies par Dieu au cours de tous les siècles : au milieu d'elles se tient la Mère de Dieu, prééminente, resplendissante, telle une statue animée du souffle vital et d'où tout bien rayonne, image vivante de toute vertu, centre et foyer des grâces divines et humaines, et, pour ainsi parler, le légitime orgueil du Ciel et de la Terre et de tout ce qui se trouve par-delà, fierté commune de l'univers et combien bénéfique ! De l'Israël spirituel, en effet, c'est-à-dire du peuple entier des chrétiens, elle est le principe divin, puisque, devenue cause de Celui qui transcende toute cause, elle a, par Lui, transféré de la terre au ciel l'ensemble de la race des hommes, les faisant paraître Esprit au lieu de chair, et devenir enfants de Dieu. De l'Israël historique, dont elle est issue selon la chair, elle a élevé les patriarches à si haute gloire, qu'ils ont, à cause d'elle, reçu le titre d'ancêtres de Dieu. Ajoutons, pour mieux répondre à la dignité de l'Epouse Vierge, qu'elle ne tient pas simplement le milieu entre ces races élues, mais entre Dieu et tout le genre humain, car elle a rendu Dieu Fils de l'homme et les hommes fils de Dieu. Surpassant la nature, elle seule a été Mère de Dieu par nature, devenant par son indicible enfantement, Reine de toute la création cosmique et hyper-cosmique, parce que «tout a été fait par Celui qu'elle a mis au monde et que sans Lui rien n'a été fait de tout ce qui a été fait4».
Pour symboles de sa royauté, au lieu d'un trésor de diadèmes interdits à la foule, de pierres, de couleurs, de tissus extraordinaires, de parures royales inimitables, fruits de l'imagination de gens incapables de s'élever au-dessus des choses terrestres, et dont l'habit, dirait-on, régente l'âme -au lieu de cela, dis-je, elle a des grâces indicibles et insaisissables, des forces et des énergies surnaturelles qui tendent vers en haut, au-dessus même des ordres célestes ; elle a reçue les salutations et messages divins, qui ont changé les lois de la nature en supérieure excellence ; la venue de l'Esprit Divin, l'aombrement de la Puissance du Très-Haut5, la coïncidence plus que surnaturelle de la conception et de la virginité, la kénose6 du Verbe de Dieu, la gestation d'une enfant Toujours-Vierge, miracle sur miracle ! l'enfantement sans épousailles, le fils issu du sein virginal qui passe en gardant intacts et sans les briser les sceaux de la virginité !
Qui pourrait, je ne dis pas scruter la profondeur, mais simplement se pencher vers les lieux vraiment impénétrables et toucher aux avant-portes de la demeure où Celui qui trône au-dessus de l'être a séjourné, le Roi des Cieux, le Seigneur des seigneuries, qui détient par nature le pouvoir sur l'univers ? Quel discours pourrait approcher, ne fût-ce qu'à peine, de sa dignité, quand même il renoncerait à parler d'elle, pour se contenter de décrire ce qui l'environne, je veux dire les événements qui ont précédé et ceux qui ont suivi son indicible enfantement ? Qui pourrait exprimer dignement la manière dont lui fut porté d'en haut l'ineffable aliment qui la nourrit, la façon dont le Ciel guida les adorateurs venus d'un lointain pays, la glorification chantée par la multitude angélique qui unit les cieux et la terre pour les soumettre à cette Reine universelle ? Que dis-je ? Mais dès avant tous ces événements et en vue de leur arrivée, il y eut la prédiction des prophètes inspirés, l'opération des miracles qui annonçaient, en énigmes, le grand miracle à venir, les lois instituées par l'Esprit, où paraissait en figures et diversement la vérité future, le mouvement des peuples et de l'histoire, qui marchaient comme à leur but vers l'étrange mystère ; il y eut la promesse de Dieu à Joachim et Anne, qui devait s'accomplir, et selon laquelle le couple infécond dès la jeunesse enfanterait dans la vieillesse ; puis le voeu de ce couple admirable, de redonner au Donateur l'enfant qu'Il leur aurait donnée. Conformément à ce voeu vraiment digne de foi et plus que juste, ils montèrent avec leur enfant, fruit de la promesse, au Temple de Dieu, où cette Reine supra-céleste fit son entrée étonnante dans le Saint des Saints, lieu réservé au Dieu Unique, d'où lui seul parlait aux seuls grands-prêtres en exercice, qui n'y entraient qu'une fois l'an et où la Vierge-Mère, âgée de trois ans, a pénétré et demeuré, pour notre salut.
Voilà pourquoi aujourd'hui nous sommes en fête, ayant vu l'exploit de la patience incomparable qui nous a valu le bien universel, la descente surnaturelle de Dieu sur la terre, accomplie grâce à Elle, et la montée plus que glorieuse de nous les hommes jusqu'au ciel, accomplie grâce à Lui. Vivant, en effet, là-bas, dans les lieux sacrés et impénétrables, l'Enfant divine «en son coeur avait disposé des ascensions7» qui véritablement montaient jusqu'aux cieux, d'où elles devaient attirer jusqu'à nous le Maître Céleste. Alors parut toute «la gloire de la fille du Roi qui vient d'au-dedans8», selon ce qui est écrit. Par les beautés indicibles de son innocence, elle dépassait le monde, et de cette pureté, comme d'un or éclatant, il plut à Dieu de tirer une image portant Sa nature : le Créateur voulut naître de Sa créature et, devenu semblable à l'homme (ô ton amour indicible pour les hommes, ô maître !) remodeler sa créature sur la dignité même de son Créateur.
Voyez-vous tisser ces couronnes virginales ? Voyez-vous les bienfaits universels de ce manteau de pourpre ? La vierge souveraine du monde n'a pas voulu simplement dominer ceux que la nature lui donnait pour égaux, et que la fortune avait faits ses sujets ; mais, sans s'attribuer aucun titre supérieur, quoiqu'elle eût soumis ses frères de race, selon les lois de la terre, qui permettent ces différences de hauteur entre ceux qui gisent, mais non entre ceux qui tiennent debout, elle a élevé par elle-même tous ceux qui se trouvaient inférieurs à elle, rendant son disciple céleste au lieu de terrestre, et elle est devenue participante d'une dignité supérieure, d'une puissance sublime et de la consécration venue des cieux, au point de régner en Souveraine plus haute que toute hauteur et bienheureuse au-delà de toute béatitude, resplendissant de tout côté, en son âme et en son corps, des clartés les plus divines et les plus éblouissantes. Dieu, en effet, comme s'il avait voulu dresser une icône de tout bien, et révéler clairement aux anges et aux hommes la force qu'il manifeste dans ses créatures, en créant un monde commun des choses visibles et invisibles, ou plutôt en laissant entrevoir le mélange et la communauté de toutes les grâces divines et humaines, et la beauté suprême qui couronne l'un et l'autre monde, a ainsi fait la Mère de Dieu suprêmement belle, en rassemblant en elle tous les ornements qui, répartis aux créatures, faisaient la beauté du monde. Il a manifesté ainsi tout l'extraordinaire du pouvoir créateur qui n'appartient qu'à Lui, et sa convenance véritable avec la Mère de la Lumière.
De même, en effet, qu'au commencement, avant de créer le grand luminaire qui devait présider au jour, Il créa tout d'abord la lumière totalement diffuse, puis fit le disque du soleil qui la contiendrait ; ainsi, maintenant, Il fait de Sa Mère Toujours-Vierge la lampe de la lumière divine, de la lumière ineffable, de la lumière de toute vertu. Oui, le bien se trouvait répandu sur tous, jusqu'à ce que furent rassemblés en elle, par-delà tout discours et toute intelligence, toutes les formes de vertu, et tout ce qu'elle passe en bonté. Ayant embrassé toutes les excellences qui, partagées depuis l'origine entre tous les meilleurs, leur suffirent pour être les meilleurs, et toutes les grâces que Dieu accorde en particulier aux anges et aux hommes, elle seule les a gardées en tout temps, dans une surabondance telle qu'on ne saurait la dire, et elle répand elle-même comme un débordement intarissable de grâce sur ceux qui l'honorent : d'abord en les rendant capables de porter leur regard sur elle, soleil des grâces si admirables, et ensuite, en leur donnant, dans sa bonté, les meilleures choses à profusion. Et jamais elle ne cessera d'être disposée avec bienveillance envers tous les hommes, et de nous accorder cette offrande bienfaisante et ces largesses inépuisables.
Celui qui considère ce commerce et cette riche distribution de tous les biens, dira que la Vierge est à la vertu et à ceux qui en vivent ce qu'est le soleil à la lumière sensible et à ceux qui en jouissent, et que la création du soleil, au commencement, fut le modèle et la figure des mystères qui devaient plus tard s'accomplir en elle ; mais s'il tourne son regard spirituel vers le Soleil qui, pour nous les hommes, s'est levé d'elle merveilleusement, lequel possède et surpasse par nature toutes les perfections qu'elle a obtenues par grâce, aussitôt la Vierge lui paraîtra un ciel orné de tous les biens, dont le divin éclat l'emporte sur tous ceux qui, au-dessous comme au-dessus des cieux, ont reçu la grâce, comme le ciel excède en grandeur le soleil, et comme le soleil surpasse le ciel en splendeur.
Quel discours, ô Vierge et Mère de Dieu, pourrait décrire ta beauté plus resplendissante que l'aurore ? Tes merveilles ne se peuvent circonscrire ni par les paroles ni par le raisonnement ; tout, en toi, dépasse le discours et l'intelligence. Il est permis pourtant de te chanter, parce que tu y consens dans ton amour des hommes. Tu es la demeure de tous les dons de la grâce, la plénitude de tout ce qui est beau et bien, le tableau vivant de toute vertu et de toute bonté ; seule tu as été digne de recevoir ensemble tous les charismes de l'Esprit ou, pour mieux dire, seule tu as contenu, habitant ton sein, d'une manière inexplicable, Celui en qui se trouvent tous ces trésors de la grâce, et dont tu fus le tabernacle paradoxal. Et parce que tu Lui as donné tous les soins, y compris ceux dont son corps eut besoin, lorsqu'Il apparut nouveau-né, Il t'accueillit miraculeusement dès ta plus tendre enfance pour partager son Tabernacle, montrant par ces événements si admirables et si extraordinaires que tu étais dès cet instant le foyer inaltérable de toutes ses grâces.
Les honneurs dont tu as été digne dépassent à tel point l'humaine condition, qu'après ta naissance surnaturelle, tu as été élevée de façon plus que surnaturelle, pour enfanter, d'une manière encore infiniment plus surnaturelle, sans le concours de l'homme. Oui, ta naissance et ton enfance reçurent l'ornement des promesses de Dieu et des hommes, je veux dire de tes parents, puisque, dans leur justice, ils promirent de rendre à l'auteur de la promesse l'enfant qu'Il leur avait promise ; mais tu as toi-même reçu et donné au cosmos la parure des promesses supra-cosmiques qui devaient s'accomplir en leur temps. Peu après, en effet, te fut promis Celui par Qui et pour Qui eut lieu l'admirable promesse du mystère qui s'est opéré en toi et au regard duquel, toutes les promesses que, depuis le commencement Dieu a faites à ses amis, et les grandes visions divines face à face, ne sont que des images mystiques et des idées secrètes. Seule, en effet, tu as accompli les visions de tous, tu as élevé infiniment leur nature commune jusqu'à l'unir à Dieu, non seulement par ton enfantement ineffable, mais, dès avant lui, en t'unissant à Dieu selon le bien total, à la cime de la sublime pureté.
Il convenait donc que celle qui devait enfanter «le plus beau des fils des hommes9» fût elle aussi incomparable entre tous et en tout, et revêtue d'une beauté plus que merveilleuse par son enfant, qui lui ressemblerait trait pour trait, afin que cette similitude en tout patente le fît connaître pour l'enfant de la toujours vierge, et que tout oeil qui le vît proclamât l'origine, selon la chair, de Celui qui est sans Père sur la terre. Comment penser, en effet, que celui qui d'une parole a créé cet Univers et l'a orné des beautés les plus diverses, n'ait pas transmis, d'une manière parfaite et totale, l'énergie même de la beauté à Celle grâce à qui il devait, peu après, se lier au Tout par la nature qu'il assumerait et communier lui-même à cette beauté suprême ? Pour ces raisons, celui qui revêt les lys des champs plus magnifiquement que le manteau royal de Salomon, a aussi paré surnaturellement la Vierge à laquelle il a emprunté le vêtement humain, et la rendue admirable à tous, séjour divin de tout bien et de toute beauté, universels et particuliers. De tous les hommes qui furent depuis le commencement, elle seule a parue sans défaut, à tout égard ; elle seule les a tous et en tout dépassés, de tout un infini -d'autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre, de sorte que nous la contemplons de loin, tels de fervents astrologues, les regards constamment fixés sur son éclat.
Et quoique l'on dise à juste titre que le genre humain a été amené à l'être par Dieu afin que, voyant le ciel et la terre et toutes les choses sensibles qui s'y trouvent, les hommes s'élèvent en esprit vers les beautés des choses invisibles et louent Dieu, le Créateur universel des unes et des autres, toutefois, de celle que nous chantons à présent, on pourrait dire qu'elle a moins été faite pour cette raison, que pour amener miraculeusement ceux qui la verraient à honorer le Créateur, puisqu'elle est apparue ornée de multiples et diverses beautés, sur la terre, merveille des merveilles, et dans le ciel, lumière éclipsant les luminaires et les esprits célestes. Oui, cela se peut dire : car, s'il est vrai que «toute la gloire de la fille du roi vient de l'intérieur10», il reste que le dehors et ce qui l'entoure, loin de contredire l'intérieur, s'y accorde parfaitement. Vous comprendrez ce point, si vous êtes attentifs au sens qu'a voulu marquer le Prophète des Psaumes. Il ne dit pas, en effet, «est à l'intérieur» mais bien «vient de l'intérieur toute la gloire de la fille du Roi». C'est-à-dire que, à l'instar de la lumière, elle se diffuse de l'intérieur vers l'extérieur, manifestant à tous les regards la beauté qui se trouve comme cachée à l'intérieur à cause de son extrême impassibilité, montrant que l'âme de la Vierge était vraiment toute belle. Si, en effet, le chaste Joseph a été justement appelé «tout beau11», comment la Toute-Sainte ne serait-elle pas au plus haut point digne de ce nom ? Comment sa toute beauté ne l'emporterait-elle pas sur celle du Patriarche, autant que sur la chasteté l'emporte la virginité, surtout celle qui marche à l'égal des incorporels ou, pour mieux dire, autant que de la chasteté seule diffèrent toute vertu et toute grâce, venues, avec la virginité la plus immaculée, faire leur demeure dans une seule âme ? De sorte que, pour Joseph, le nom de «tout beau» ne s'appliquait pas absolument ; peut-être ne le devait-il même qu'à sa beauté physique. Elle, au contraire, porte une âme vraiment toute belle, de qui tout bien tire son nom, et qui règne en un corps tout innocent, se manifestant à l'extérieur pour ceux qui la voient comme nous, et connue de l'intérieur par l'Esprit de la voyance prophétique.
HOMELIE SUR L'ENTREE AU TEMPLE
ans les choses qui dépassent les forces humaines, qu'il s'agisse d'un poids à soulever ou d'une joute oratoire, ceux qui l'emportent en vigueur corporelle ou en éloquence, se trouveront à égalité avec leurs concurrents les moins forts, puisque les uns comme les autres n'obtiendront rien et n'atteindront pas leur but1. Celui qui tenterait de toucher les étoiles avec ses mains, même s'il était grand et qu'il pût lever sa main plus haut que les autres, resterait aussi loin des cimes éthérées que les hommes de toute petite taille, tant la différence paraîtrait négligeable. Il en va de même pour les réalités qui transcendent la raison : les doctes n'y jouissent d'aucune supériorité sur les ignorants. Qui oserait, en effet, parler de ce qui passe toute parole, sans succomber sous le poids de l'entreprise, comme ceux qui, au dire des poètes, se vantèrent de porter l'univers ou ceux qui, selon la mythologie, voulurent se faire une échelle pour monter aux cieux ? On tombera, en effet, d'autant plus loin de la vérité que l'objet qu'on vise est inaccessible à la pensée et à la raison humaines, réalité hypercosmique, surpassant la terre et tout ce qui l'entoure, et qui prend place et rang parmi les choses divines et déiformes ?
Or, pour la cime la plus haute de tous les saints, j'ai nommé la Mère de Dieu, lorsqu'elle se dirige «vers le lieu merveilleux du Tabernacle admirable» dont parle le psalmiste, et entre dans le Saint des Saints, «au milieu des chants d'allégresse et des actions de grâces», aux voix retentissantes et aux accents divins des vierges qui jadis l'accompagnèrent et de nous qui la célébrons aujourd'hui2, pour celle, donc, qui est au-dessus des saints, dans les cieux, nul orateur, fût-il le plus habile, ne pourrait la chanter dignement, mais que dis-je ? quand même tous ceux qui ont été sauvés par son enfantement se réuniraient ensemble et deviendraient une seule bouche, ils ne pourraient lui offrir la plus mince louange. Toute la création ne saurait lui rendre la gloire qui lui revient pour être devenue la Mère du Créateur de tout ; comment nos discours égaleraient-ils les magnificences dont son Fils l'a comblée, eux qui, même assemblés, ne feraient qu'une gouttelette dans l'abîme de sa gloire indicible ? Mon entreprise dépasse toutes mes forces ; tant s'en faut que je me croie capable de composer un panégyrique qui pût rivaliser avec le prodige de la Mère de Dieu, surnaturelle en vertu, vraiment bienheureuse et absolument supérieure à toute la création.
Comment, néanmoins, satisfaire autrement mon désir, acquitter ce que je lui dois ou confesser les charismes infinis dont elle m'a comblé, si ce n'est en la chantant de toutes mes forces ? Car le désir m'y pousse ; la dette que nous avons tous envers elle, aussi bien que la mienne propre, m'en font une obligation ; enfin, la reconnaissance devance encore ces deux nécessités et me donne même l'espoir d'obtenir le pardon pour ce qui va suivre ; je l'attends aussi de l'amour pour les hommes que l'Epouse toujours Vierge manifeste continûment, telle une âme qui pénétrerait tous ses fidèles, conjoignant et conservant tout, proche et toujours présente à tous ceux qui l'invoquent, par son inlassable et bienfaisante intercession auprès du Dieu qui naquit d'elle, car sa prière conduit tout à notre profit -pour autant que nous connaissions les biens qu'elle nous a valus, et qui nous ont donné une foi plus que certaine.
C'est donc elle que j'invoque moi aussi, avec la même foi, dans l'espérance qu'elle m'aidera jusqu'à la fin, dès que je plongerai dans l'océan de ses merveilles. Devant vous tous, qui maintenant m'entourez, et devant vous qui plus tard me lirez, je ne crois pas nécessaire de me justifier pour ce discours. Car vous pardonnerez facilement quand vous aurez tout considéré : l'orateur, ses discours, l'excellence du sujet. En outre, chacun de vous a besoin du pardon de tous quand il compose diverses hymnes en l'honneur de la Mère de Dieu -certainement vous en composez beaucoup ; car nous sommes également tenus d'acquitter notre tribut à la Mère de Dieu, à la fois tous ensemble et chacun pour sa part, pour nous-mêmes et les uns pour les autres- lui offrant la louange que nous lui devons, tout en sachant combien nos hymnes restent indignes d'elle.
Ainsi, reliant vos voix aux odes composées pour elle depuis l'origine des temps, à chaque jour et à chaque heure, vous formez un choeur permanent, harmonieux et divin, entourant sans fin de vos chants ce palais céleste.
Allons donc, phalange divine, théâtre sacré, choeur accordé sur l'Esprit céleste, coopérez avec moi ; de ce discours aussi, faites une oeuvre commune ; ne vous contentez pas de prêter une oreille et une pensée attentives : assistez-moi aussi de vos saintes prières, de manière que le Verbe du Père, touchant d'un rayon d'en haut nos paroles sur la Mère de Dieu, nous garde de tenir des propos insensés et nous donne de composer une hymne agréable à vos oreilles amies de Dieu. Oui, ils ont besoin du secours abondant de Dieu, ceux qui entrent dans cette lice, se mesurant à des exploits qui, de tous ceux qu'opéra jamais l'inspiration d'en haut, sont les plus parfaits et les plus véritablement siens. En effet, lorsque Dieu, au commencement, eut planté sur terre toutes les formes d'êtres sensibles et sensitifs, étant donné qu'aucun de ces êtres terrestres n'était susceptible de recevoir également l'esprit (noûs), il modela l'homme capable d'intellect. De même ensuite, quoique le genre humain se fût multiplié, il ne se trouva pas un seul homme qui pût contenir, comme il se devait, le Dieu «par qui et pour qui sont toutes choses3», pour parler comme l'Apôtre ; et voilà pourquoi, dans ces derniers temps, selon sa bienveillance, il a fait de la Toujours-Vierge, pour ainsi dire, son palais. Elle s'est révélée, par son extrême pureté, apte à contenir corporellement la plénitude de la divinité, que dis-je ? Non contente de la contenir, ô prodige inouï ! devenue génitrice de la divinité, elle a créé pour tous les hommes de tous les temps, qu'ils aient précédé ou suivi sa merveille, la parenté divine.
Deux races, en effet, ont été choisies par Dieu au cours de tous les siècles : au milieu d'elles se tient la Mère de Dieu, prééminente, resplendissante, telle une statue animée du souffle vital et d'où tout bien rayonne, image vivante de toute vertu, centre et foyer des grâces divines et humaines, et, pour ainsi parler, le légitime orgueil du Ciel et de la Terre et de tout ce qui se trouve par-delà, fierté commune de l'univers et combien bénéfique ! De l'Israël spirituel, en effet, c'est-à-dire du peuple entier des chrétiens, elle est le principe divin, puisque, devenue cause de Celui qui transcende toute cause, elle a, par Lui, transféré de la terre au ciel l'ensemble de la race des hommes, les faisant paraître Esprit au lieu de chair, et devenir enfants de Dieu. De l'Israël historique, dont elle est issue selon la chair, elle a élevé les patriarches à si haute gloire, qu'ils ont, à cause d'elle, reçu le titre d'ancêtres de Dieu. Ajoutons, pour mieux répondre à la dignité de l'Epouse Vierge, qu'elle ne tient pas simplement le milieu entre ces races élues, mais entre Dieu et tout le genre humain, car elle a rendu Dieu Fils de l'homme et les hommes fils de Dieu. Surpassant la nature, elle seule a été Mère de Dieu par nature, devenant par son indicible enfantement, Reine de toute la création cosmique et hyper-cosmique, parce que «tout a été fait par Celui qu'elle a mis au monde et que sans Lui rien n'a été fait de tout ce qui a été fait4».
Pour symboles de sa royauté, au lieu d'un trésor de diadèmes interdits à la foule, de pierres, de couleurs, de tissus extraordinaires, de parures royales inimitables, fruits de l'imagination de gens incapables de s'élever au-dessus des choses terrestres, et dont l'habit, dirait-on, régente l'âme -au lieu de cela, dis-je, elle a des grâces indicibles et insaisissables, des forces et des énergies surnaturelles qui tendent vers en haut, au-dessus même des ordres célestes ; elle a reçue les salutations et messages divins, qui ont changé les lois de la nature en supérieure excellence ; la venue de l'Esprit Divin, l'aombrement de la Puissance du Très-Haut5, la coïncidence plus que surnaturelle de la conception et de la virginité, la kénose6 du Verbe de Dieu, la gestation d'une enfant Toujours-Vierge, miracle sur miracle ! l'enfantement sans épousailles, le fils issu du sein virginal qui passe en gardant intacts et sans les briser les sceaux de la virginité !
Qui pourrait, je ne dis pas scruter la profondeur, mais simplement se pencher vers les lieux vraiment impénétrables et toucher aux avant-portes de la demeure où Celui qui trône au-dessus de l'être a séjourné, le Roi des Cieux, le Seigneur des seigneuries, qui détient par nature le pouvoir sur l'univers ? Quel discours pourrait approcher, ne fût-ce qu'à peine, de sa dignité, quand même il renoncerait à parler d'elle, pour se contenter de décrire ce qui l'environne, je veux dire les événements qui ont précédé et ceux qui ont suivi son indicible enfantement ? Qui pourrait exprimer dignement la manière dont lui fut porté d'en haut l'ineffable aliment qui la nourrit, la façon dont le Ciel guida les adorateurs venus d'un lointain pays, la glorification chantée par la multitude angélique qui unit les cieux et la terre pour les soumettre à cette Reine universelle ? Que dis-je ? Mais dès avant tous ces événements et en vue de leur arrivée, il y eut la prédiction des prophètes inspirés, l'opération des miracles qui annonçaient, en énigmes, le grand miracle à venir, les lois instituées par l'Esprit, où paraissait en figures et diversement la vérité future, le mouvement des peuples et de l'histoire, qui marchaient comme à leur but vers l'étrange mystère ; il y eut la promesse de Dieu à Joachim et Anne, qui devait s'accomplir, et selon laquelle le couple infécond dès la jeunesse enfanterait dans la vieillesse ; puis le voeu de ce couple admirable, de redonner au Donateur l'enfant qu'Il leur aurait donnée. Conformément à ce voeu vraiment digne de foi et plus que juste, ils montèrent avec leur enfant, fruit de la promesse, au Temple de Dieu, où cette Reine supra-céleste fit son entrée étonnante dans le Saint des Saints, lieu réservé au Dieu Unique, d'où lui seul parlait aux seuls grands-prêtres en exercice, qui n'y entraient qu'une fois l'an et où la Vierge-Mère, âgée de trois ans, a pénétré et demeuré, pour notre salut.
Voilà pourquoi aujourd'hui nous sommes en fête, ayant vu l'exploit de la patience incomparable qui nous a valu le bien universel, la descente surnaturelle de Dieu sur la terre, accomplie grâce à Elle, et la montée plus que glorieuse de nous les hommes jusqu'au ciel, accomplie grâce à Lui. Vivant, en effet, là-bas, dans les lieux sacrés et impénétrables, l'Enfant divine «en son coeur avait disposé des ascensions7» qui véritablement montaient jusqu'aux cieux, d'où elles devaient attirer jusqu'à nous le Maître Céleste. Alors parut toute «la gloire de la fille du Roi qui vient d'au-dedans8», selon ce qui est écrit. Par les beautés indicibles de son innocence, elle dépassait le monde, et de cette pureté, comme d'un or éclatant, il plut à Dieu de tirer une image portant Sa nature : le Créateur voulut naître de Sa créature et, devenu semblable à l'homme (ô ton amour indicible pour les hommes, ô maître !) remodeler sa créature sur la dignité même de son Créateur.
Voyez-vous tisser ces couronnes virginales ? Voyez-vous les bienfaits universels de ce manteau de pourpre ? La vierge souveraine du monde n'a pas voulu simplement dominer ceux que la nature lui donnait pour égaux, et que la fortune avait faits ses sujets ; mais, sans s'attribuer aucun titre supérieur, quoiqu'elle eût soumis ses frères de race, selon les lois de la terre, qui permettent ces différences de hauteur entre ceux qui gisent, mais non entre ceux qui tiennent debout, elle a élevé par elle-même tous ceux qui se trouvaient inférieurs à elle, rendant son disciple céleste au lieu de terrestre, et elle est devenue participante d'une dignité supérieure, d'une puissance sublime et de la consécration venue des cieux, au point de régner en Souveraine plus haute que toute hauteur et bienheureuse au-delà de toute béatitude, resplendissant de tout côté, en son âme et en son corps, des clartés les plus divines et les plus éblouissantes. Dieu, en effet, comme s'il avait voulu dresser une icône de tout bien, et révéler clairement aux anges et aux hommes la force qu'il manifeste dans ses créatures, en créant un monde commun des choses visibles et invisibles, ou plutôt en laissant entrevoir le mélange et la communauté de toutes les grâces divines et humaines, et la beauté suprême qui couronne l'un et l'autre monde, a ainsi fait la Mère de Dieu suprêmement belle, en rassemblant en elle tous les ornements qui, répartis aux créatures, faisaient la beauté du monde. Il a manifesté ainsi tout l'extraordinaire du pouvoir créateur qui n'appartient qu'à Lui, et sa convenance véritable avec la Mère de la Lumière.
De même, en effet, qu'au commencement, avant de créer le grand luminaire qui devait présider au jour, Il créa tout d'abord la lumière totalement diffuse, puis fit le disque du soleil qui la contiendrait ; ainsi, maintenant, Il fait de Sa Mère Toujours-Vierge la lampe de la lumière divine, de la lumière ineffable, de la lumière de toute vertu. Oui, le bien se trouvait répandu sur tous, jusqu'à ce que furent rassemblés en elle, par-delà tout discours et toute intelligence, toutes les formes de vertu, et tout ce qu'elle passe en bonté. Ayant embrassé toutes les excellences qui, partagées depuis l'origine entre tous les meilleurs, leur suffirent pour être les meilleurs, et toutes les grâces que Dieu accorde en particulier aux anges et aux hommes, elle seule les a gardées en tout temps, dans une surabondance telle qu'on ne saurait la dire, et elle répand elle-même comme un débordement intarissable de grâce sur ceux qui l'honorent : d'abord en les rendant capables de porter leur regard sur elle, soleil des grâces si admirables, et ensuite, en leur donnant, dans sa bonté, les meilleures choses à profusion. Et jamais elle ne cessera d'être disposée avec bienveillance envers tous les hommes, et de nous accorder cette offrande bienfaisante et ces largesses inépuisables.
Celui qui considère ce commerce et cette riche distribution de tous les biens, dira que la Vierge est à la vertu et à ceux qui en vivent ce qu'est le soleil à la lumière sensible et à ceux qui en jouissent, et que la création du soleil, au commencement, fut le modèle et la figure des mystères qui devaient plus tard s'accomplir en elle ; mais s'il tourne son regard spirituel vers le Soleil qui, pour nous les hommes, s'est levé d'elle merveilleusement, lequel possède et surpasse par nature toutes les perfections qu'elle a obtenues par grâce, aussitôt la Vierge lui paraîtra un ciel orné de tous les biens, dont le divin éclat l'emporte sur tous ceux qui, au-dessous comme au-dessus des cieux, ont reçu la grâce, comme le ciel excède en grandeur le soleil, et comme le soleil surpasse le ciel en splendeur.
Quel discours, ô Vierge et Mère de Dieu, pourrait décrire ta beauté plus resplendissante que l'aurore ? Tes merveilles ne se peuvent circonscrire ni par les paroles ni par le raisonnement ; tout, en toi, dépasse le discours et l'intelligence. Il est permis pourtant de te chanter, parce que tu y consens dans ton amour des hommes. Tu es la demeure de tous les dons de la grâce, la plénitude de tout ce qui est beau et bien, le tableau vivant de toute vertu et de toute bonté ; seule tu as été digne de recevoir ensemble tous les charismes de l'Esprit ou, pour mieux dire, seule tu as contenu, habitant ton sein, d'une manière inexplicable, Celui en qui se trouvent tous ces trésors de la grâce, et dont tu fus le tabernacle paradoxal. Et parce que tu Lui as donné tous les soins, y compris ceux dont son corps eut besoin, lorsqu'Il apparut nouveau-né, Il t'accueillit miraculeusement dès ta plus tendre enfance pour partager son Tabernacle, montrant par ces événements si admirables et si extraordinaires que tu étais dès cet instant le foyer inaltérable de toutes ses grâces.
Les honneurs dont tu as été digne dépassent à tel point l'humaine condition, qu'après ta naissance surnaturelle, tu as été élevée de façon plus que surnaturelle, pour enfanter, d'une manière encore infiniment plus surnaturelle, sans le concours de l'homme. Oui, ta naissance et ton enfance reçurent l'ornement des promesses de Dieu et des hommes, je veux dire de tes parents, puisque, dans leur justice, ils promirent de rendre à l'auteur de la promesse l'enfant qu'Il leur avait promise ; mais tu as toi-même reçu et donné au cosmos la parure des promesses supra-cosmiques qui devaient s'accomplir en leur temps. Peu après, en effet, te fut promis Celui par Qui et pour Qui eut lieu l'admirable promesse du mystère qui s'est opéré en toi et au regard duquel, toutes les promesses que, depuis le commencement Dieu a faites à ses amis, et les grandes visions divines face à face, ne sont que des images mystiques et des idées secrètes. Seule, en effet, tu as accompli les visions de tous, tu as élevé infiniment leur nature commune jusqu'à l'unir à Dieu, non seulement par ton enfantement ineffable, mais, dès avant lui, en t'unissant à Dieu selon le bien total, à la cime de la sublime pureté.
Il convenait donc que celle qui devait enfanter «le plus beau des fils des hommes9» fût elle aussi incomparable entre tous et en tout, et revêtue d'une beauté plus que merveilleuse par son enfant, qui lui ressemblerait trait pour trait, afin que cette similitude en tout patente le fît connaître pour l'enfant de la toujours vierge, et que tout oeil qui le vît proclamât l'origine, selon la chair, de Celui qui est sans Père sur la terre. Comment penser, en effet, que celui qui d'une parole a créé cet Univers et l'a orné des beautés les plus diverses, n'ait pas transmis, d'une manière parfaite et totale, l'énergie même de la beauté à Celle grâce à qui il devait, peu après, se lier au Tout par la nature qu'il assumerait et communier lui-même à cette beauté suprême ? Pour ces raisons, celui qui revêt les lys des champs plus magnifiquement que le manteau royal de Salomon, a aussi paré surnaturellement la Vierge à laquelle il a emprunté le vêtement humain, et la rendue admirable à tous, séjour divin de tout bien et de toute beauté, universels et particuliers. De tous les hommes qui furent depuis le commencement, elle seule a parue sans défaut, à tout égard ; elle seule les a tous et en tout dépassés, de tout un infini -d'autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre, de sorte que nous la contemplons de loin, tels de fervents astrologues, les regards constamment fixés sur son éclat.
Et quoique l'on dise à juste titre que le genre humain a été amené à l'être par Dieu afin que, voyant le ciel et la terre et toutes les choses sensibles qui s'y trouvent, les hommes s'élèvent en esprit vers les beautés des choses invisibles et louent Dieu, le Créateur universel des unes et des autres, toutefois, de celle que nous chantons à présent, on pourrait dire qu'elle a moins été faite pour cette raison, que pour amener miraculeusement ceux qui la verraient à honorer le Créateur, puisqu'elle est apparue ornée de multiples et diverses beautés, sur la terre, merveille des merveilles, et dans le ciel, lumière éclipsant les luminaires et les esprits célestes. Oui, cela se peut dire : car, s'il est vrai que «toute la gloire de la fille du roi vient de l'intérieur10», il reste que le dehors et ce qui l'entoure, loin de contredire l'intérieur, s'y accorde parfaitement. Vous comprendrez ce point, si vous êtes attentifs au sens qu'a voulu marquer le Prophète des Psaumes. Il ne dit pas, en effet, «est à l'intérieur» mais bien «vient de l'intérieur toute la gloire de la fille du Roi». C'est-à-dire que, à l'instar de la lumière, elle se diffuse de l'intérieur vers l'extérieur, manifestant à tous les regards la beauté qui se trouve comme cachée à l'intérieur à cause de son extrême impassibilité, montrant que l'âme de la Vierge était vraiment toute belle. Si, en effet, le chaste Joseph a été justement appelé «tout beau11», comment la Toute-Sainte ne serait-elle pas au plus haut point digne de ce nom ? Comment sa toute beauté ne l'emporterait-elle pas sur celle du Patriarche, autant que sur la chasteté l'emporte la virginité, surtout celle qui marche à l'égal des incorporels ou, pour mieux dire, autant que de la chasteté seule diffèrent toute vertu et toute grâce, venues, avec la virginité la plus immaculée, faire leur demeure dans une seule âme ? De sorte que, pour Joseph, le nom de «tout beau» ne s'appliquait pas absolument ; peut-être ne le devait-il même qu'à sa beauté physique. Elle, au contraire, porte une âme vraiment toute belle, de qui tout bien tire son nom, et qui règne en un corps tout innocent, se manifestant à l'extérieur pour ceux qui la voient comme nous, et connue de l'intérieur par l'Esprit de la voyance prophétique.
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