jeudi 3 février 2011
La Lumière du Thabor n°36. Saint Syméon le Nouveau Théologien. Catéchèse.
SAINT SYMEON LE NOUVEAU THEOLOGIEN
DISCOURS SUR LA FOI
où l'on corrige l'opinion de ceux qui nient qu'il soit possible à qui vit au milieu des soucis du monde d'atteindre à la perfection des vertus. Récit utile et salutaire d'un commencement édifiant.
Cette catéchèse ‑la vingt-deuxième de Saint Syméon le Nouveau Théologien‑ où le grand saint de l'Eglise, plein de l'illumination divine, livre le récit de ses premières théophanies ‑contemplations‑ de la lumière incréée fut éditée à plusieurs reprises, comme un récit autobiographique.
Ce discours de Saint Syméon présente une légère innovation par rapport à l'ascèse traditionnellement menée par les moines de l'hésychia des déserts, et il semble relever d'un cas rare, d'une exception quant au canon de prière. Mais qui peut empêcher Dieu d'épancher d'abondance sa grâce sur ses amis bien‑aimés, qui luttent dans le trouble et la confusion du monde ? Et il semble que les saints Nicodème et Macaire, en insérant dans la Philocalie ce texte admirable comme d'ailleurs aussi des extraits de la vie du père de Saint Grégoire Palamas, laïc lui aussi, aient voulu encourager les frères, qui luttent dans les villes. Et cela est un indispensable enseignement particulièrement en nos temps.
Il sied, frères et pères, que nous clamions à tous la miséricorde de Dieu, révélant à nos proches toute sa compassion, comme son indicible bonté pour nous. «Pour moi, dit le divin David, je n'ai vous le voyez, ni jeûné, ni veillé, ni dormi sur la dure, mais me suis humilié seulement, et le Seigneur promptement m'a secouru1». Ou pour le dire plus brièvement «J'ai cru seulement, et le Seigneur a entendu ma prière2». Parce que nombreux sont les obstacles qui nous empêchent d'acquérir l'humilité, mais que rien cependant n'interdit que nous trouvions la foi. Car si, de toute notre âme, nous le voulons, la foi tout aussitôt agit en nous ‑cette foi qui est un don de Dieu, comme une qualité naturelle aussi, quand pourtant elle est soumise au jugement de notre libre arbitre. D'où vient que les Scythes et les Barbares eux‑mêmes, ont en leur parole donnée une mutuelle foi. Mais pour vous montrer en pratique le pouvoir de la foi, vécue de l'intérieur, et mieux vous assurer de mes dires, écoutez encore ce récit que j'ai moi‑même entendu de la bouche de quelqu'un qui ne ment point.
Il y avait à Constantinople, à notre époque même, un jeune homme du nom de Georges, lequel ne pouvait guère avoir que vingt ans au plus, si beau à voir, si bien mis, l'allure et les manières si nobles, que d'anciens même en avaient de lui conçu piètre opinion ‑de ceux j'entends qui, se fondant sur la seule apparence, méjugent ainsi des autres. Or ce jeune homme, dans un monastère de la ville, fit la connaissance d'un saint moine, lequel coulait là ses jours. Bientôt, s'en remettant à lui de tout le soin de son âme, il reçut de lui, et plutôt pour mémoire, un bref canon de prière. Au géronda, le jeune homme demanda de lui donner encore un livre, qui pût contenir divers récits de vies de moines, comme l'exposé de leur vertu pratique. L'Ancien lui fit lire le traité de Marc le Moine, lequel est un enseignement de la loi spirituelle. Le jeune homme le prit comme s'il lui eût été envoyé par Dieu même et, espérant d'en retirer le plus grand profit, il le lut d'un trait, avec toute l'attention et le feu dont il était capable. Hautement édifié par ce qu'il avait lu, il en retint particulièrement trois chapitres, qu'il garda comme gravés dans son coeur. Le premier disait mot pour mot : «Si tu cherches à guérir ton âme, penche‑toi sur ta conscience, et fais tout ce qu'elle te dira : Tu y trouveras profit». L'autre portait : «Celui qui, dès avant d'avoir oeuvré aux divins commandements demande à recevoir les énergies du Saint Esprit, est semblable à l'esclave mis en vente qui, à l'heure exacte où il est acheté demande que lui soit aussi remis, le libelle de son affranchissement». Et le troisième énonçait : «Celui qui prie corporellement, et n'a pas encore acquis la connaissance spirituelle, est semblable à l'aveugle qui criait : "Fils de David, aie pitié de moi3 !" Mais lorsque l'aveugle de naguère a reçu la lumière, et qu'il a vu le Seigneur, il ne l'a plus appelé Fils de David : Il l'a confessé Fils de Dieu, et il s'est prosterné devant lui4».
Le jeune homme à cette lecture fut dans l'admiration. Il recevait l'assurance qu'à se pencher sur sa conscience il trouverait grand profit, qu'avec la mise en oeuvre des commandements il recevrait de manière tangible l'énergie du Saint Esprit, que par la grâce du même Esprit s'ouvriraient les yeux de son âme, et qu'il lui serait donné de voir le Christ. Blessé dès lors pour son Seigneur d'amour et de désir, il ne cherchait plus que l'Originelle Beauté, laquelle surpasse toutes les choses visibles. Il ne faisait rien d'autre pourtant, comme lui‑même, plus tard, avec serments me l'assura, que de s'acquitter chaque soir du bref canon que lui avait fixé le saint vieillard, après quoi il s'allongeait, et paisiblement s'endormait. Et ce n'était que lorsque sa conscience lui disait : «Fais d'autres métanies, ajoute des psaumes, dis encore la prière du coeur ‑Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi‑ autant du moins que tu le peux», qu'alors bien volontiers il obéissait, sans hésiter s'exécutant, comme si Dieu même le lui eût dicté. Et il ne s'endormait jamais plus désormais, que sa conscience l'accusât, lui disant : «Et cela, que ne l'as‑tu fait ? » De la sorte, le jeune homme obéissant immanquablement à sa conscience, et celle‑ci lui demandant chaque jour davantage, sa prière du soir en peu de temps s'accrut sensiblement. Or, parce que le jour entier lui incombait le soin de la maison d'un patricien -tâche qui l'accablait de soucis matériels, et supposait qu'il se rendît quotidiennement au Palais‑ nul en fait n'eût soupçonné tout ce labeur auquel, le soir venu, il s'adonnait encore la nuit. Chaque soir pourtant coulaient de ses yeux des torrents de larmes, cependant qu'il s'épuisait en métanies et en prosternations, puis se tenait debout, immobile en prière, les genoux joints et serrés, lisant avec douleur à la Mère de Dieu des offices d'intercession, qu'il entrecoupait de gémissements et de pleurs, et que, de même sorte que si le Seigneur eût été présent dans son corps, il se jetait à ses pieds immaculés et, tel un aveugle, le suppliait de lui faire en tout miséricorde et de lui accorder que les yeux de son âme s'ouvrissent à la lumière divine. Enfin, sa prière chaque jour s'augmentant, elle durait maintenant jusqu'après minuit et aussi longtemps qu'il priait, il se tenait droit tel une colonne ou un incorporel, sans aucunement se relâcher ni céder à la paresse, remuer fût‑ce un membre du corps, ou même tourner ou lever tant soit peu les yeux.
Un soir donc qu'il se tenait debout disant la prière du coeur : «Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi pécheur», en esprit plutôt qu'avec les lèvres, soudain venu d'en haut parut à profusion un grand éclat divin, emplissant de lumière le lieu tout entier, tandis que le jeune homme, comme frappé d'oubli, ne sachant plus s'il se trouvait dans sa maison ou si même il était sous un quelconque toit, tant tout, partout où il jetait les yeux, n'était que lumière ‑ignorait si véritablement il touchait terre. Il n'avait pourtant ni crainte de tomber, ni souci aucun du corps ‑non, rien de tout ce qui eût été le fait d'hommes doués de corps‑ non, rien de tout cela ne traversait sa pensée. Mais tout entier demeurant dans la lumière incréée, il lui semblait, lui aussi, de n'être plus lui‑même qu'inondé de larmes en même temps que d'une joie, d'une allégresse indescriptibles. Après quoi son esprit fut enlevé au ciel, et là, vit une autre lumière, plus resplendissante encore que celle autour de lui répandue. Et voici que dans cette lumière lui sembla se tenir le saint que nous avons dit, ce géronda égal aux anges qui lui avait donné le livre, et avec lui sa règle de prière.
Pour moi donc, entendant ces merveilles de la bouche du jeune homme, je songeai bien que l'intercession de l'Ancien elle aussi avait dû pour beaucoup contribuer au miracle, et que Dieu lui‑même avait bien voulu dans son économie, signifier au jeune homme à quel degré sublime de vertu et d'élévation se tenait le saint. La contemplation achevée, et le jeune homme revenu à lui, il demeurait, à l'entendre, empli de joie, de stupeur et d'admiration, tant qu'il pleurait de tout son coeur, et que de ces larmes mêmes naissait une suave douceur. Enfin, s'étant allongé, il allait dormir, lorsqu'au même instant le coq chanta, marquant le milieu de la nuit ; les églises alors sonnèrent les matines, sur quoi le jeune homme se leva pour psalmodier comme à son habitude, sans pour cette nuit-là songer davantage au sommeil.
Ces choses advinrent comme Dieu sait, Lui qui les a fait advenir pour des raisons aussi que Lui seul sait, quand même le jeune homme ne faisait rien de plus que ce que vous avez ouï, si ce n'est posséder avec une foi droite une espérance inébranlable. Que nul cependant ne dise qu'il agissait ainsi pour éprouver son Dieu. Car jamais il n'avait rien dit en ce sens, ni même n'avait rien songé de tel. Qui en effet tente ou éprouve Dieu n'a véritablement nulle foi. Ce jeune homme, lui, rejetant à l'inverse toute pensée passionnée, comme toute incitation au plaisir, se souciait tellement ‑lui‑même l'assurait avec serment‑ de faire effectivement tout ce que lui disait sa conscience, qu'il en était arrivé même à devenir insensible à tout ce qui est de l'univers sensible, au point de ne plus vouloir boire ni manger par plaisir, ni même autant qu'il en eût en besoin.
Entendez‑vous, frères aimés, ce que réussit, seule, la foi en Dieu, lorsqu'elle est, de plus, étayée par les oeuvres ? Comprenez‑vous que ni la jeunesse dès lors n'est méprisable, ni la vieillesse avantageuse, si manque l'intelligence avec la crainte de Dieu ? Sachez poutant que ni l'habitation au milieu du monde ne nous empêche, si nous avons, outre le zèle, l'esprit prompt et éveillé, d'oeuvrer aux commandements de Dieu, ni l'hésychia, non plus que l'anachorèse loin du monde ne nous sont d'aucun profit si nous sommes en proie à la mollesse et à la négligence ? Tous, nous entendons parler de David, et nous sommes dans l'admiration, clamant qu'il n'y eut qu'un David et un seul, et que nul ne l'égala. Mais voici qu'à ce jeune homme est advenu quelque chose de plus haut que ce qui advint à David. Parce que c'est de Dieu même que David reçut le témoignage, par Lui qu'il fut oint prophète et roi, qu'il devint participant du Saint Esprit, et qu'il reçut nombre de manifestations de la divinité. Quand donc il pécha, par là perdant la grâce du Saint Esprit, et le charisme, avec elle, de prophétie, se coupant aussi de la familiarité avec Dieu, quoi d'étonnant dès lors à ce qu'il ait imploré de les gagner à nouveau, pour peu seulement qu'il portât à son esprit cette surabondante grâce dont il était déchu ? Mais ce jeune homme quant à lui, jamais n'avait songé à rien de tel, n'étant attaché qu'aux choses du monde, et n'en considérant rien que les éphémères objets, au point que sa pensée même n'eût pas imaginé qu'il y eût rien qui fût au‑dessus des biens de la terre. Simplement ‑Ah ! combien tes jugements, Seigneur, sont admirables !‑ il entendit parler de ces réalités et, à peine les eut‑il entendues qu'aussitôt il crut. Et il crut tellement, qu'il voulut bientôt présenter encore des oeuvres capables de s'allier à sa foi. Par lesquelles oeuvres son esprit promptement se fit des ailes, arriva jusqu'aux cieux, obtint que la Mère de Dieu eût compassion de lui, par l'intercession de la Toute Sainte s'attira la faveur de Dieu, et fit descendre sur lui la grâce de l'Esprit. Et la Mère de Dieu en retour lui donna bientôt la force d'atteindre au ciel, le jugeant digne de contempler la lumière, la lumière incréée que tous désirent, mais que peu, très peu obtiennent de voir.
Ainsi donc ce jeune homme qui ni n'avait jeûné de longues années durant, ni n'avait seulement dormi sur la dure, ni n'avait porté de vêtements rugueux, ni n'avait même reçu l'habit monastique, non plus qu'il ne s'était en son corps éloigné du monde, ne s'en étant qu'abstrait en esprit ‑ce même jeune homme avait seulement quelque peu veillé, et semblait à présent plus haut que ne fut Lot dans Sodome5. Ou plutôt, il était devenu ange dans un corps, lui qui, tandis que les autres le voyaient et le touchaient, n'en était pas moins à tous inaccessible et incompréhensible, homme en apparence, mais incorporel quant à son mode intérieur, appréhendé par tous, mais toujours en réalité demeurant seul à seul avec Dieu, le Dieu de toute intelligence, qui sait et connaît tout mystérieusement. C'est pourquoi dès lors, avec le coucher de l'astre sensible, le baignait aussi la douce lumière du Soleil intelligible, et ce par l'effet d'une bénédiction plus que juste : parce que son amour pour Dieu, ce Dieu que désirait tout son être, l'avait fait sortir totalement du monde, de cette nature sensible, et de toutes les choses visibles, le rendant en retour tout entier spirituel, et tout entier lumière, lors même que, véritablement, il habitait en pleine ville, qu'il avait la charge du palais d'un archonte, qu'il avait le souci d'esclaves aussi bien que d'hommes libres, et que tout ce qu'il avait à faire et dont il s'acquittait n'étaient que choses bien matérielles de cette pauvre vie.
Cela suffit‑il, tant pour la louange du jeune homme, que pour vous inciter à l'aimer, et à l'imiter ? Ou bien voulez‑vous que je vous dise d'autres choses, plus grandes encore, telles que vous ne pourrez peut‑être pas même les entendre ? Et cependant, que saurait‑on trouver de plus grand, ou de plus parfait que cela ? Assurément, il n'est rien de plus grand. Mais, selon les mots de Saint Grégoire le Théologien : «Le commencement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur6. De fait, là où est la crainte, là est aussi la garde des commandements ; et là où est la garde des commandements, là est la purification de la chair, cette chair qui, telle une nuée devant l'âme ne lui laisse pas voir clairement l'éclat divin. Cet éclat pourtant peut seul satisfaire ceux qui désirent ce qu'il est de plus haut, de plus grand, par‑delà même toute grandeur». Parlant ainsi, le saint manifesta que l'illumination de l'Esprit est la fin infinie de toute vertu même, et que l'être qui y parviendra, par là parvient à la fin, comme au terme de toutes les choses sensibles, en même temps qu'il a trouvé le principe de la connaissance des choses toutes spirituelles.
Tels sont, frères aimés, les miracles de Dieu, par où Il manifeste ses saints qui se cachent, en sorte que les uns les imitent, et que les autres, confondus, demeurent inexcusables. Si bien que sont sauvés ceux qui se trouvent vivre au milieu des soucis du monde, au même titre que tous ceux qui sont dans les monastères, les grottes ou les montagnes, pour peu qu'ils se gouvernent comme il sied, et qu'ils sont jugés dignes de recevoir de Dieu d'inestimables biens, en rétribution de leur seule foi en Lui ; en sorte que tous ceux qui y manquent et, dans leur paresse, font défection n'aient rien à invoquer au jour du Jugement. Parce qu'Il ne ment pas, frères aimés, Celui qui a promis le salut à ceux qui seulement croiront en Lui7. Aussi, ayez un peu compassion de vous‑mêmes, comme de nous qui vous aimons, et qui souvent pour l'amour de vous pleurons et menons le deuil ‑notre Dieu de compassion et de miséricorde nous enjoint en effet d'être tels. Oui, croyant au Seigneur de toute votre âme, laissez la terre, et tout ce qui passera, pour vous en approcher et coller à Lui votre souffle. Parce qu'encore un peu de temps, et le ciel et la terre passeront, et qu'en dehors de Dieu, il n'est à la chute des pécheurs ni garde‑fou, ni terme, ni fin. Puisque Dieu en effet est incontenable, et insaisissable, dis‑moi, si tu y parviens, s'il se pourra trouver un lieu pour tous ceux qui chutent loin de Son Royaume. Las, mon coeur s'endeuille, pour vous il se consume et s'afflige à l'excès, à songer soudain que, lors même que nous avons un Maître et Seigneur qui, dans son amour infini de l'homme, le comble de toutes sortes de dons excellents, pour notre seule foi envers Lui nous accordant «ces choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont point montées au coeur de l'homme8», nous au contraire, tels des animaux insensés et privés de raison, nous préférons nous vautrer sur la terre, et sur la terre seulement, ne tirant notre plaisir que de tout ce que la terre produit, quand même elle le produit pour nous, par un effet de grande compassion de Dieu, qui veut que nous contentions les nécessités du corps, afin que, nous nourrissant avec mesure de ces terrestres bienfaits, notre âme à son tour pût sans emcombre s'élever vers les hauteurs célestes, nourrie pour sa part des nourritures spirituelles que prodigue l'Esprit, à juste proportion de son degré d'élévation, déterminé par celui de sa purification. Parce que c'est là l'homme, et que c'est à cette fin que nous avons été créés, et que nous sommes venus du non‑être à l'être, pour que recevant ici ces petits bienfaits, nous en rendions grâce à Dieu, et Lui en ayons gratitude, pour jouir là‑haut de bienfaits infiniment plus grands, qui durent éternellement. Mais las, malheur à nous, tandis même que nous n'avons nul souci des choses à venir, nous sommes également ingrats et sans reconnaissance pour tout ce que nous avons reçu ici‑bas, et par là devenons semblables aux démons, et pires même, s'il faut dire le vrai, que ne sont ces derniers. C'est pourquoi aussi il sied que nous soyons châtiés d'autant plus que nous avons reçu davantage de bienfaits, et pour ce que nous connaissons Dieu, qui pour nous s'est fait homme, en tout point semblable à nous, hormis le péché, pour nous affranchir du péché, et nous délivrer de notre égarement. Que dirai‑je encore ? A toutes ces vérités, nous ne croyons qu'en paroles, cependant que les renient nos oeuvres. Le nom du Christ n'a‑t‑il point cours partout et en tout lieu, dans les villes et les villages, les monastères et les montagnes ? Et pourtant, à bien examiner et attentivement regarder qui garde ses commandements, c'est à peine si l'on en trouvera un ‑c'est bien la vérité‑ à peine un sur des milliers, sur des myriades même, qui véritablement fût chrétien, en paroles et en actes. Notre Seigneur Dieu ne dit‑il pas Lui‑même dans son saint Evangile : «Qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais, et même de plus grandes encore9» ? Qui d'entre nous osera‑t‑il donc dire : «Pour moi, je fais les oeuvres du Christ, et possède une foi droite dans le Christ». Ne voyez‑vous pas, frères, qu'il est à craindre que nous soyons au jour du Jugement trouvés incrédules, et que nous n'ayons à subir un châtiment pire que ceux qui n'auront pas même connu le Seigneur ? Car il faut, ou que nous soyons condamnés comme incrédules, ou que le Christ soit donné pour menteur, ce qui ne se peut, mes frères, comme absolument impossible.
Tout ceci donc je l'ai écrit, non pour empêcher l'anachorèse loin du monde, ni favoriser en rien la vie au milieu du monde, mais pour que sachent tous ceux qui liront le présent récit, que quiconque veut faire le bien, a également reçu de Dieu la faculté de le faire en tout lieu, en même temps qu'il a été jugé digne aussi de grands charismes spirituels, et avec eux, de comtemplations divines, comme le fut ce jeune homme, Georges, cet être béni que, parce que je l'avais pour très grand ami, je suppliai aussi de me dévoiler les siennes, que je décrivis ensuite ici.
C'est pourquoi, frères en Christ, courons, je vous en supplie, nous aussi, avec peine, dans la voie des commandements du Christ, et nos visages dès lors ne seront pas couverts de honte10. Car de même qu'à chacun de ceux qui frappent avec instance, le Christ ouvre les portes de son Royaume, qu'à chacun de ceux qui cherchent, il donne le très Saint Esprit de droiture, et qu'il est impossible que celui qui de toute son âme le demande n'obtienne pas en retour la richesse de tous Ses charismes, ainsi vous obtiendrez aussi la jouissance de Ses biens indicibles, qu'Il a préparés pour ceux qui L'aiment, que maintenant certes, par un effet de sa spirituelle sagesse, vous ne goûtez qu'en partie, mais que pour le siècle à venir vous aurez néanmoins en partage, dans leur plénitude, et pour l'éternité, avec tous les saints, par la grâce de Jésus Christ notre Seigneur, auquel appartient la gloire, dans les siècles des siècles. Amen.
DISCOURS SUR LA FOI
où l'on corrige l'opinion de ceux qui nient qu'il soit possible à qui vit au milieu des soucis du monde d'atteindre à la perfection des vertus. Récit utile et salutaire d'un commencement édifiant.
Cette catéchèse ‑la vingt-deuxième de Saint Syméon le Nouveau Théologien‑ où le grand saint de l'Eglise, plein de l'illumination divine, livre le récit de ses premières théophanies ‑contemplations‑ de la lumière incréée fut éditée à plusieurs reprises, comme un récit autobiographique.
Ce discours de Saint Syméon présente une légère innovation par rapport à l'ascèse traditionnellement menée par les moines de l'hésychia des déserts, et il semble relever d'un cas rare, d'une exception quant au canon de prière. Mais qui peut empêcher Dieu d'épancher d'abondance sa grâce sur ses amis bien‑aimés, qui luttent dans le trouble et la confusion du monde ? Et il semble que les saints Nicodème et Macaire, en insérant dans la Philocalie ce texte admirable comme d'ailleurs aussi des extraits de la vie du père de Saint Grégoire Palamas, laïc lui aussi, aient voulu encourager les frères, qui luttent dans les villes. Et cela est un indispensable enseignement particulièrement en nos temps.
Il sied, frères et pères, que nous clamions à tous la miséricorde de Dieu, révélant à nos proches toute sa compassion, comme son indicible bonté pour nous. «Pour moi, dit le divin David, je n'ai vous le voyez, ni jeûné, ni veillé, ni dormi sur la dure, mais me suis humilié seulement, et le Seigneur promptement m'a secouru1». Ou pour le dire plus brièvement «J'ai cru seulement, et le Seigneur a entendu ma prière2». Parce que nombreux sont les obstacles qui nous empêchent d'acquérir l'humilité, mais que rien cependant n'interdit que nous trouvions la foi. Car si, de toute notre âme, nous le voulons, la foi tout aussitôt agit en nous ‑cette foi qui est un don de Dieu, comme une qualité naturelle aussi, quand pourtant elle est soumise au jugement de notre libre arbitre. D'où vient que les Scythes et les Barbares eux‑mêmes, ont en leur parole donnée une mutuelle foi. Mais pour vous montrer en pratique le pouvoir de la foi, vécue de l'intérieur, et mieux vous assurer de mes dires, écoutez encore ce récit que j'ai moi‑même entendu de la bouche de quelqu'un qui ne ment point.
Il y avait à Constantinople, à notre époque même, un jeune homme du nom de Georges, lequel ne pouvait guère avoir que vingt ans au plus, si beau à voir, si bien mis, l'allure et les manières si nobles, que d'anciens même en avaient de lui conçu piètre opinion ‑de ceux j'entends qui, se fondant sur la seule apparence, méjugent ainsi des autres. Or ce jeune homme, dans un monastère de la ville, fit la connaissance d'un saint moine, lequel coulait là ses jours. Bientôt, s'en remettant à lui de tout le soin de son âme, il reçut de lui, et plutôt pour mémoire, un bref canon de prière. Au géronda, le jeune homme demanda de lui donner encore un livre, qui pût contenir divers récits de vies de moines, comme l'exposé de leur vertu pratique. L'Ancien lui fit lire le traité de Marc le Moine, lequel est un enseignement de la loi spirituelle. Le jeune homme le prit comme s'il lui eût été envoyé par Dieu même et, espérant d'en retirer le plus grand profit, il le lut d'un trait, avec toute l'attention et le feu dont il était capable. Hautement édifié par ce qu'il avait lu, il en retint particulièrement trois chapitres, qu'il garda comme gravés dans son coeur. Le premier disait mot pour mot : «Si tu cherches à guérir ton âme, penche‑toi sur ta conscience, et fais tout ce qu'elle te dira : Tu y trouveras profit». L'autre portait : «Celui qui, dès avant d'avoir oeuvré aux divins commandements demande à recevoir les énergies du Saint Esprit, est semblable à l'esclave mis en vente qui, à l'heure exacte où il est acheté demande que lui soit aussi remis, le libelle de son affranchissement». Et le troisième énonçait : «Celui qui prie corporellement, et n'a pas encore acquis la connaissance spirituelle, est semblable à l'aveugle qui criait : "Fils de David, aie pitié de moi3 !" Mais lorsque l'aveugle de naguère a reçu la lumière, et qu'il a vu le Seigneur, il ne l'a plus appelé Fils de David : Il l'a confessé Fils de Dieu, et il s'est prosterné devant lui4».
Le jeune homme à cette lecture fut dans l'admiration. Il recevait l'assurance qu'à se pencher sur sa conscience il trouverait grand profit, qu'avec la mise en oeuvre des commandements il recevrait de manière tangible l'énergie du Saint Esprit, que par la grâce du même Esprit s'ouvriraient les yeux de son âme, et qu'il lui serait donné de voir le Christ. Blessé dès lors pour son Seigneur d'amour et de désir, il ne cherchait plus que l'Originelle Beauté, laquelle surpasse toutes les choses visibles. Il ne faisait rien d'autre pourtant, comme lui‑même, plus tard, avec serments me l'assura, que de s'acquitter chaque soir du bref canon que lui avait fixé le saint vieillard, après quoi il s'allongeait, et paisiblement s'endormait. Et ce n'était que lorsque sa conscience lui disait : «Fais d'autres métanies, ajoute des psaumes, dis encore la prière du coeur ‑Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi‑ autant du moins que tu le peux», qu'alors bien volontiers il obéissait, sans hésiter s'exécutant, comme si Dieu même le lui eût dicté. Et il ne s'endormait jamais plus désormais, que sa conscience l'accusât, lui disant : «Et cela, que ne l'as‑tu fait ? » De la sorte, le jeune homme obéissant immanquablement à sa conscience, et celle‑ci lui demandant chaque jour davantage, sa prière du soir en peu de temps s'accrut sensiblement. Or, parce que le jour entier lui incombait le soin de la maison d'un patricien -tâche qui l'accablait de soucis matériels, et supposait qu'il se rendît quotidiennement au Palais‑ nul en fait n'eût soupçonné tout ce labeur auquel, le soir venu, il s'adonnait encore la nuit. Chaque soir pourtant coulaient de ses yeux des torrents de larmes, cependant qu'il s'épuisait en métanies et en prosternations, puis se tenait debout, immobile en prière, les genoux joints et serrés, lisant avec douleur à la Mère de Dieu des offices d'intercession, qu'il entrecoupait de gémissements et de pleurs, et que, de même sorte que si le Seigneur eût été présent dans son corps, il se jetait à ses pieds immaculés et, tel un aveugle, le suppliait de lui faire en tout miséricorde et de lui accorder que les yeux de son âme s'ouvrissent à la lumière divine. Enfin, sa prière chaque jour s'augmentant, elle durait maintenant jusqu'après minuit et aussi longtemps qu'il priait, il se tenait droit tel une colonne ou un incorporel, sans aucunement se relâcher ni céder à la paresse, remuer fût‑ce un membre du corps, ou même tourner ou lever tant soit peu les yeux.
Un soir donc qu'il se tenait debout disant la prière du coeur : «Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi pécheur», en esprit plutôt qu'avec les lèvres, soudain venu d'en haut parut à profusion un grand éclat divin, emplissant de lumière le lieu tout entier, tandis que le jeune homme, comme frappé d'oubli, ne sachant plus s'il se trouvait dans sa maison ou si même il était sous un quelconque toit, tant tout, partout où il jetait les yeux, n'était que lumière ‑ignorait si véritablement il touchait terre. Il n'avait pourtant ni crainte de tomber, ni souci aucun du corps ‑non, rien de tout ce qui eût été le fait d'hommes doués de corps‑ non, rien de tout cela ne traversait sa pensée. Mais tout entier demeurant dans la lumière incréée, il lui semblait, lui aussi, de n'être plus lui‑même qu'inondé de larmes en même temps que d'une joie, d'une allégresse indescriptibles. Après quoi son esprit fut enlevé au ciel, et là, vit une autre lumière, plus resplendissante encore que celle autour de lui répandue. Et voici que dans cette lumière lui sembla se tenir le saint que nous avons dit, ce géronda égal aux anges qui lui avait donné le livre, et avec lui sa règle de prière.
Pour moi donc, entendant ces merveilles de la bouche du jeune homme, je songeai bien que l'intercession de l'Ancien elle aussi avait dû pour beaucoup contribuer au miracle, et que Dieu lui‑même avait bien voulu dans son économie, signifier au jeune homme à quel degré sublime de vertu et d'élévation se tenait le saint. La contemplation achevée, et le jeune homme revenu à lui, il demeurait, à l'entendre, empli de joie, de stupeur et d'admiration, tant qu'il pleurait de tout son coeur, et que de ces larmes mêmes naissait une suave douceur. Enfin, s'étant allongé, il allait dormir, lorsqu'au même instant le coq chanta, marquant le milieu de la nuit ; les églises alors sonnèrent les matines, sur quoi le jeune homme se leva pour psalmodier comme à son habitude, sans pour cette nuit-là songer davantage au sommeil.
Ces choses advinrent comme Dieu sait, Lui qui les a fait advenir pour des raisons aussi que Lui seul sait, quand même le jeune homme ne faisait rien de plus que ce que vous avez ouï, si ce n'est posséder avec une foi droite une espérance inébranlable. Que nul cependant ne dise qu'il agissait ainsi pour éprouver son Dieu. Car jamais il n'avait rien dit en ce sens, ni même n'avait rien songé de tel. Qui en effet tente ou éprouve Dieu n'a véritablement nulle foi. Ce jeune homme, lui, rejetant à l'inverse toute pensée passionnée, comme toute incitation au plaisir, se souciait tellement ‑lui‑même l'assurait avec serment‑ de faire effectivement tout ce que lui disait sa conscience, qu'il en était arrivé même à devenir insensible à tout ce qui est de l'univers sensible, au point de ne plus vouloir boire ni manger par plaisir, ni même autant qu'il en eût en besoin.
Entendez‑vous, frères aimés, ce que réussit, seule, la foi en Dieu, lorsqu'elle est, de plus, étayée par les oeuvres ? Comprenez‑vous que ni la jeunesse dès lors n'est méprisable, ni la vieillesse avantageuse, si manque l'intelligence avec la crainte de Dieu ? Sachez poutant que ni l'habitation au milieu du monde ne nous empêche, si nous avons, outre le zèle, l'esprit prompt et éveillé, d'oeuvrer aux commandements de Dieu, ni l'hésychia, non plus que l'anachorèse loin du monde ne nous sont d'aucun profit si nous sommes en proie à la mollesse et à la négligence ? Tous, nous entendons parler de David, et nous sommes dans l'admiration, clamant qu'il n'y eut qu'un David et un seul, et que nul ne l'égala. Mais voici qu'à ce jeune homme est advenu quelque chose de plus haut que ce qui advint à David. Parce que c'est de Dieu même que David reçut le témoignage, par Lui qu'il fut oint prophète et roi, qu'il devint participant du Saint Esprit, et qu'il reçut nombre de manifestations de la divinité. Quand donc il pécha, par là perdant la grâce du Saint Esprit, et le charisme, avec elle, de prophétie, se coupant aussi de la familiarité avec Dieu, quoi d'étonnant dès lors à ce qu'il ait imploré de les gagner à nouveau, pour peu seulement qu'il portât à son esprit cette surabondante grâce dont il était déchu ? Mais ce jeune homme quant à lui, jamais n'avait songé à rien de tel, n'étant attaché qu'aux choses du monde, et n'en considérant rien que les éphémères objets, au point que sa pensée même n'eût pas imaginé qu'il y eût rien qui fût au‑dessus des biens de la terre. Simplement ‑Ah ! combien tes jugements, Seigneur, sont admirables !‑ il entendit parler de ces réalités et, à peine les eut‑il entendues qu'aussitôt il crut. Et il crut tellement, qu'il voulut bientôt présenter encore des oeuvres capables de s'allier à sa foi. Par lesquelles oeuvres son esprit promptement se fit des ailes, arriva jusqu'aux cieux, obtint que la Mère de Dieu eût compassion de lui, par l'intercession de la Toute Sainte s'attira la faveur de Dieu, et fit descendre sur lui la grâce de l'Esprit. Et la Mère de Dieu en retour lui donna bientôt la force d'atteindre au ciel, le jugeant digne de contempler la lumière, la lumière incréée que tous désirent, mais que peu, très peu obtiennent de voir.
Ainsi donc ce jeune homme qui ni n'avait jeûné de longues années durant, ni n'avait seulement dormi sur la dure, ni n'avait porté de vêtements rugueux, ni n'avait même reçu l'habit monastique, non plus qu'il ne s'était en son corps éloigné du monde, ne s'en étant qu'abstrait en esprit ‑ce même jeune homme avait seulement quelque peu veillé, et semblait à présent plus haut que ne fut Lot dans Sodome5. Ou plutôt, il était devenu ange dans un corps, lui qui, tandis que les autres le voyaient et le touchaient, n'en était pas moins à tous inaccessible et incompréhensible, homme en apparence, mais incorporel quant à son mode intérieur, appréhendé par tous, mais toujours en réalité demeurant seul à seul avec Dieu, le Dieu de toute intelligence, qui sait et connaît tout mystérieusement. C'est pourquoi dès lors, avec le coucher de l'astre sensible, le baignait aussi la douce lumière du Soleil intelligible, et ce par l'effet d'une bénédiction plus que juste : parce que son amour pour Dieu, ce Dieu que désirait tout son être, l'avait fait sortir totalement du monde, de cette nature sensible, et de toutes les choses visibles, le rendant en retour tout entier spirituel, et tout entier lumière, lors même que, véritablement, il habitait en pleine ville, qu'il avait la charge du palais d'un archonte, qu'il avait le souci d'esclaves aussi bien que d'hommes libres, et que tout ce qu'il avait à faire et dont il s'acquittait n'étaient que choses bien matérielles de cette pauvre vie.
Cela suffit‑il, tant pour la louange du jeune homme, que pour vous inciter à l'aimer, et à l'imiter ? Ou bien voulez‑vous que je vous dise d'autres choses, plus grandes encore, telles que vous ne pourrez peut‑être pas même les entendre ? Et cependant, que saurait‑on trouver de plus grand, ou de plus parfait que cela ? Assurément, il n'est rien de plus grand. Mais, selon les mots de Saint Grégoire le Théologien : «Le commencement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur6. De fait, là où est la crainte, là est aussi la garde des commandements ; et là où est la garde des commandements, là est la purification de la chair, cette chair qui, telle une nuée devant l'âme ne lui laisse pas voir clairement l'éclat divin. Cet éclat pourtant peut seul satisfaire ceux qui désirent ce qu'il est de plus haut, de plus grand, par‑delà même toute grandeur». Parlant ainsi, le saint manifesta que l'illumination de l'Esprit est la fin infinie de toute vertu même, et que l'être qui y parviendra, par là parvient à la fin, comme au terme de toutes les choses sensibles, en même temps qu'il a trouvé le principe de la connaissance des choses toutes spirituelles.
Tels sont, frères aimés, les miracles de Dieu, par où Il manifeste ses saints qui se cachent, en sorte que les uns les imitent, et que les autres, confondus, demeurent inexcusables. Si bien que sont sauvés ceux qui se trouvent vivre au milieu des soucis du monde, au même titre que tous ceux qui sont dans les monastères, les grottes ou les montagnes, pour peu qu'ils se gouvernent comme il sied, et qu'ils sont jugés dignes de recevoir de Dieu d'inestimables biens, en rétribution de leur seule foi en Lui ; en sorte que tous ceux qui y manquent et, dans leur paresse, font défection n'aient rien à invoquer au jour du Jugement. Parce qu'Il ne ment pas, frères aimés, Celui qui a promis le salut à ceux qui seulement croiront en Lui7. Aussi, ayez un peu compassion de vous‑mêmes, comme de nous qui vous aimons, et qui souvent pour l'amour de vous pleurons et menons le deuil ‑notre Dieu de compassion et de miséricorde nous enjoint en effet d'être tels. Oui, croyant au Seigneur de toute votre âme, laissez la terre, et tout ce qui passera, pour vous en approcher et coller à Lui votre souffle. Parce qu'encore un peu de temps, et le ciel et la terre passeront, et qu'en dehors de Dieu, il n'est à la chute des pécheurs ni garde‑fou, ni terme, ni fin. Puisque Dieu en effet est incontenable, et insaisissable, dis‑moi, si tu y parviens, s'il se pourra trouver un lieu pour tous ceux qui chutent loin de Son Royaume. Las, mon coeur s'endeuille, pour vous il se consume et s'afflige à l'excès, à songer soudain que, lors même que nous avons un Maître et Seigneur qui, dans son amour infini de l'homme, le comble de toutes sortes de dons excellents, pour notre seule foi envers Lui nous accordant «ces choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont point montées au coeur de l'homme8», nous au contraire, tels des animaux insensés et privés de raison, nous préférons nous vautrer sur la terre, et sur la terre seulement, ne tirant notre plaisir que de tout ce que la terre produit, quand même elle le produit pour nous, par un effet de grande compassion de Dieu, qui veut que nous contentions les nécessités du corps, afin que, nous nourrissant avec mesure de ces terrestres bienfaits, notre âme à son tour pût sans emcombre s'élever vers les hauteurs célestes, nourrie pour sa part des nourritures spirituelles que prodigue l'Esprit, à juste proportion de son degré d'élévation, déterminé par celui de sa purification. Parce que c'est là l'homme, et que c'est à cette fin que nous avons été créés, et que nous sommes venus du non‑être à l'être, pour que recevant ici ces petits bienfaits, nous en rendions grâce à Dieu, et Lui en ayons gratitude, pour jouir là‑haut de bienfaits infiniment plus grands, qui durent éternellement. Mais las, malheur à nous, tandis même que nous n'avons nul souci des choses à venir, nous sommes également ingrats et sans reconnaissance pour tout ce que nous avons reçu ici‑bas, et par là devenons semblables aux démons, et pires même, s'il faut dire le vrai, que ne sont ces derniers. C'est pourquoi aussi il sied que nous soyons châtiés d'autant plus que nous avons reçu davantage de bienfaits, et pour ce que nous connaissons Dieu, qui pour nous s'est fait homme, en tout point semblable à nous, hormis le péché, pour nous affranchir du péché, et nous délivrer de notre égarement. Que dirai‑je encore ? A toutes ces vérités, nous ne croyons qu'en paroles, cependant que les renient nos oeuvres. Le nom du Christ n'a‑t‑il point cours partout et en tout lieu, dans les villes et les villages, les monastères et les montagnes ? Et pourtant, à bien examiner et attentivement regarder qui garde ses commandements, c'est à peine si l'on en trouvera un ‑c'est bien la vérité‑ à peine un sur des milliers, sur des myriades même, qui véritablement fût chrétien, en paroles et en actes. Notre Seigneur Dieu ne dit‑il pas Lui‑même dans son saint Evangile : «Qui croit en moi fera lui aussi les oeuvres que je fais, et même de plus grandes encore9» ? Qui d'entre nous osera‑t‑il donc dire : «Pour moi, je fais les oeuvres du Christ, et possède une foi droite dans le Christ». Ne voyez‑vous pas, frères, qu'il est à craindre que nous soyons au jour du Jugement trouvés incrédules, et que nous n'ayons à subir un châtiment pire que ceux qui n'auront pas même connu le Seigneur ? Car il faut, ou que nous soyons condamnés comme incrédules, ou que le Christ soit donné pour menteur, ce qui ne se peut, mes frères, comme absolument impossible.
Tout ceci donc je l'ai écrit, non pour empêcher l'anachorèse loin du monde, ni favoriser en rien la vie au milieu du monde, mais pour que sachent tous ceux qui liront le présent récit, que quiconque veut faire le bien, a également reçu de Dieu la faculté de le faire en tout lieu, en même temps qu'il a été jugé digne aussi de grands charismes spirituels, et avec eux, de comtemplations divines, comme le fut ce jeune homme, Georges, cet être béni que, parce que je l'avais pour très grand ami, je suppliai aussi de me dévoiler les siennes, que je décrivis ensuite ici.
C'est pourquoi, frères en Christ, courons, je vous en supplie, nous aussi, avec peine, dans la voie des commandements du Christ, et nos visages dès lors ne seront pas couverts de honte10. Car de même qu'à chacun de ceux qui frappent avec instance, le Christ ouvre les portes de son Royaume, qu'à chacun de ceux qui cherchent, il donne le très Saint Esprit de droiture, et qu'il est impossible que celui qui de toute son âme le demande n'obtienne pas en retour la richesse de tous Ses charismes, ainsi vous obtiendrez aussi la jouissance de Ses biens indicibles, qu'Il a préparés pour ceux qui L'aiment, que maintenant certes, par un effet de sa spirituelle sagesse, vous ne goûtez qu'en partie, mais que pour le siècle à venir vous aurez néanmoins en partage, dans leur plénitude, et pour l'éternité, avec tous les saints, par la grâce de Jésus Christ notre Seigneur, auquel appartient la gloire, dans les siècles des siècles. Amen.
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