lundi 7 février 2011
La Lumière du Thabor n°41. Fausse union.
DOSSIER
REACTIONS ORTHODOXES
A LA FAUSSE UNION DE BALAMAND
La septième session plénière de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe, réunie dans l'Ecole Théologique de Balamand, au Liban, du 17 au 24 juin 1993. Nous avons déjà rendu compte de cette réunion, au cours de laquelle les orthodoxes ont reconnu que leur Eglise n'était pas la seule Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique du Credo, comme l'Eglise orthodoxe l'a toujours cru et confessé. Le texte signé par l'Eglise catholique et par les Patriarcats orthodoxes de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de Moscou, de Roumanie, ainsi que par les Eglises de Pologne, de Finlande, déclare en effet que l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe sont des Eglises soeurs qui reconnaissent réciproquement qu'elles ont même foi apostolique, même sacrements, même sacerdoce et même succession apostolique. L'union est donc faite entre Constantinople et Rome, comme elle le fut à Lyon en 1274 et à Florence en 1439. Le caractère de cette union est, du reste, très semblable à celui des deux autres : 1) comme elles, mais de façon plus nette encore, cette union est a-dogmatique, c'est-à-dire qu'elle n'est pas fondée sur une unité de sentiment, les orthodoxes ayant conservé leurs opinions et les catholiques les leurs, sur tous les points de divergence ; 2)la vraie Eglise orthodoxe est restée en dehors, non touchée par cette union, ou plutôt cette «discorde plâtrée» qu'elle refuse absolument. Dans les Eglises mêmes qui, quoique en communion avec Constantinople, n'ont pas signé l'union, se développe maintenant une opposition théologique de la plus haute importance. Nous publions ici a) la lettre du Mont Athos au Patriarche, où l'on voit les Pères athonites prendre position contre la fausse-union et demander au Patriarche de la dénoncer ; b) l'article de J.Romanidès.
La Société des Erudits pour la Défense du monachisme athonite publie dans son bulletin du 28 février 1994, la lettre envoyée au Patriarche Bartholomée par la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne. «Conformément à des sources sérieuses de la Sainte Montagne, la tentative faite par le Patriarcat pour restreindre la liberté des Athonites a pour but principal de bâillonner une puissante voix d'opposition qui se lèvent contre les compromis qui ont lieu de nos jours, au détriment de notre foi orthodoxe. Les Hagiorites ne cessent de protester contre la position oecuméniste du Patriarcat et contre les efforts qu'il déploie pour se rapprocher des catholiques et autres hérétiques. Ils lui ont dernièrement adressé une lettre étendue pour protester contre les accords passés entre les représentants de certaines Eglises orthodoxes et les catholiques à la réunion de Balamand du Liban. La réunion s'est tenue du 17 au 24 juin 1993, sous la co-présidence de l'archevêque Stylianos d'Australie et du Cardinal Edward Cassidy. Du côté orthodoxe, les Eglises que voici avaient envoyé des représentants : Constantinople, Alexandrie, Antioche, Moscou, la Roumanie, Chypre, la Pologne, l'Albanie et la Finlande, tandis que les suivantes avaient refusé de participer : Jérusalem, la Serbie, la Bulgarie, la Géorgie, la Grèce et la Tchécoslovaquie.
La lettre de protestation des hagiorites a provoqué l'ire du Patriarcat et conduit à la récente ingérence. Voici le texte de la lettre :
«Caryès, le 8 décembre 1993.
A Sa très divine Toute Sainteté, le Patriarche oecuménique Notre Père et Maître, le Seigneur Bartholomée. Ville impériale.
Très Saint Père et Maître,
L'union des Eglises ou, pour parler plus précisément, la réunion des hétérodoxes à notre Eglise Une, Sainte, Catholique, Apostolique et orthodoxe est certes l'objet de nos désirs, pour la réalisation de la prière du Seigneur : «Afin que tous soient un» (Jn 17, 21), que nous recevons et embrassons totalement selon le sens orthodoxe. Comme le rappelle le Professeur J. Romanides : «Le Christ prie ici pour que ses disciples et les disciples de ses disciples soient un dans la vision de Sa gloire, dès cette vie terrestre, comme membres de son Corps, c'est-à-dire de l'Eglise...»
C'est pourquoi, toutes les fois que des chrétiens hétérodoxes nous visitent, les accueillant avec amour en Christ et leur offrant l'hospitalité, nous prenons douloureusement conscience de notre séparation dans la foi et de l'impossibilité où nous sommes donc de nouer aussi avec eux des relations ecclésiales.
Le schisme, la division, entre les orthodoxes et les anti-chalcédoniens d'abord puis, plus pard, entre les orthodoxes et les occidentaux, constitue réellement une tragédie, à laquelle nous ne devons pas nous accoutumer et dont nous ne saurions accepter tranquillement l'idée les bras croisés.
Par suite, nous comprenons les efforts tentés dans la crainte de Dieu et en accord avec la tradition orthodoxe, qui visent à l'union, laquelle ne saurait en aucun cas résulter d'une occultation ou d'un amoindrissement des dogmes orthodoxes, ni non plus d'une indifférence tolérante à l'égard des cacodoxies des hétérodoxes, parce qu'une telle union ne serait pas une union dans la Vérité et comme telle ne saurait jamais être ni véritablement acceptée par l'Eglise ni bénie de Dieu, dans la mesure où, selon le mot des Pères : «Le bien n'est bien que s'il est bien fait».
Tout au contraire, une telle fausse union provoquerait de nouveaux schismes et de nouvelles douleurs et divisions pour le corps à présent uni de l'orthodoxie. A ce sujet, nous dirons que, face aux grands changements qui se sont produits dans les pays de tradition orthodoxe, et face au violent courant multiforme qui se manifeste à l'échelle mondiale, l'Eglise orthodoxe, qui est l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, se devrait d'une part, de renforcer la cohésion des Eglises locales en donnant tous ses soins à ses membres blessés et en pourvoyant à leur rétablissement spirituel, d'autre part, dans la conscience qu'elle prend d'elle-même, de prêcher haut et clair à l'humanité déchue, la force salvifique, la grâce unique qui est la sienne.
Dans cet esprit nous suivons, autant que nous le permet notre engagement monastique, les développements et les dialogues du mouvement dit oecuménique, constatant tantôt que la parole de vérité est fidèlement dispensée, tantôt qu'ont lieu des compromis et des concessions sur les questions fondamentales de la foi.
1
Ainsi, des actes et déclarations des représentants d'Eglises orthodoxes ont suscité chez nous un très profond chagrin, car ce sont des choses inouïes jusqu'à ce jour, et totalement contraires à notre foi.
Nous citerons d'abord le cas de Sa Béatitude le Patriarche d'Alexandrie, lequel, en deux occasions au moins, a déclaré que nous, chrétiens, devions reconnaître Mahomet comme un prophète ! et personne jusqu'à ce jour n'a repris ce Patriarche si cruellement égaré, qui a continué à présider aux destinées de son Eglise comme si de rien n’était. Nous quittons ici les limites du syncrétisme pan-chrétien pour entrer dans le syncrétisme de toutes les religions.
En second lieu, nous rapporterons le cas du Patriarcat d’Antioche qui, sans l’aveu orthodoxe unanime, est entré en communion liturgique avec les anti-chalcédoniens d’Antioche, sans qu’on ait apporté la moindre solution au très grave problème de leur acceptation des Conciles oecuméniques postérieurs au IIIème Concile, et surtout du IVème, celui de Chalcédoine, lequel constitue une base immuable de l’orthodoxie.
Malheureusement, dans ce cas aussi, nous n’avons pas vu de protestation de la part d’aucune des autres Eglises orthodoxes.
Cependant, le sujet d’inquiétude le plus sérieux vient du revirement inadmissible des orthodoxes, tel qu’il ressort du contenu de la déclaration commune émise à Balamand en juin 1993 par la Commission mixte pour le dialogue entre les orthodoxes et les catholiques-romains, qui adopte des thèses anti-orthodoxes et sur lequel nous tenons particulièrement à appeler l’attention de Votre Toute-Sainteté.
Pour commencer, il convient de reconnaître que les déclarations auxquelles Votre Toute-Sainteté se livrait de temps à autre au sujet de l’uniatisme, qu’elle considérait comme un obstacle incontournable à toute poursuite du dialogue entre orthodoxes et catholiques romains, nous rassuraient.
Le texte en question donne toutefois l’impression que vos déclarations ont été éludées et que l’uniatisme bénéficie de l’amnistie et se voit même appelé à la table du Dialogue Théologique, malgré le rejet formel que la Conférence panorthodoxes de Rhodes lui avait opposé : «C’est pourquoi on a jugé bon d’exiger, comme condition préalable à toute reprise du dialogue, que tous les agents et propagandistes de l’uniatisme du Vatican s’éloignent définitivement des pays orthodoxes, et que les Eglises dites uniates soient soumises et incorporées à celle de Rome, parce que «uniatisme et dialogue sont parfaitement incompatibles». Que nos inquiétudes soient justifiées, nous en voulons pour preuve, entre autres, l’article du Révérendissime Métropolite Démétriados K. Christodule, paru dans L’Eglise du Pirée, dont nous citerons quelques extraits.
2
Cependant, les thèses ecclésiologiques de ce document suscitent encore, Toute-Sainteté, un bien plus grand scandale. Nous mentionnerons les déviations les plus criantes.
Au paragraphe 10, nous lisons : «Par réaction -contre l’Eglise catholique qui, se prétendant unique dépositaire du salut, exerçaient ses efforts missionnaires au détriment des orthodoxes), l’Eglise orthodoxe, à son tour, en vint à épouser la même vision, selon laquelle chez elle seule se trouvait le salut. Pour assurer le salut des «frères séparés», il arrivait même qu’on rebaptisât des chrétiens, et qu’on oubliât les exigences de la liberté religieuse des personnes et de leur acte de foi, perspective à laquelle l’époque était peu sensible».
Nous ne saurions, nous orthodoxes, admettre un tel point de vue, étant donné que notre Sainte Eglise Orthodoxe n’a nullement commencé de se croire seule dépositaire du salut par réaction à l’uniatisme, mais bien avant l’uniatisme, dès l’époque qui vit, pour des raisons de dogme, le schisme s’instaurer. L’Eglise orthodoxe n’a point attendu les uniates pour savoir, dans la conscience qu’elle a d’elle-même, qu’elle constitue la continuité authentique de l’Eglise Une Sainte Catholique et Apostolique du Christ, parce qu’elle a toujours conscience d’être telle, de même qu’elle a toujours eu conscience que le papisme se trouve dans l’hérésie. Si elle ne s’est pas servi souvent de ce dernier terme pour le désigner, c’est pour la raison expliquée par saint Marc d’Ephèse : «Les Latins ne sont pas simplement schismatiques, mais hérétiques et si notre Eglise ne l’a pas proclamé tout haut, c’est que leur nation était beaucoup plus nombreuse et plus puissante que la nôtre... nos prédécesseurs n’ont pas voulu écraser les Latins en les bafouant et en les flétrissant du nom d’hérétiques, parce qu’ils attendaient leur retour et faisaient tous leurs efforts pour ménager leur amitié».
Cependant, lorsque les uniates et les missionnaires de Rome s’abattirent sur notre Anatolie, pour convertir, surtout par des moyens douteux, les orthodoxes qui se trouvaient alors affaiblis par les épreuves -tactique toujours en usage chez eux aujourd’hui- l’orthodoxie se dut alors de prêcher la vérité, non pour s’engager dans un prosélytisme à la romaine, mais pour protéger son troupeau.
C’est ainsi que saint Photios, à plusieurs reprises, dénonça le Filioque comme une hérésie, et ses partisans comme des cacodoxes.
Saint Grégoire Palamas dit de l’occidental Barlaam que, venu à l’orthodoxie, il n’a montré «pour ainsi dire aucune trace de sanctification reçue de notre Eglise, qui eût pu effacer les taches contractées là-bas».
Il est clair que saint Grégoire considère Barlaam comme un hérétique qui a besoin de la grâce sanctifiante pour entrer dans l’Eglise orthodoxe.
La formule utilisée dans le paragraphe 1 rejette indûment la culpabilité sur l’Eglise orthodoxe, pour atténuer celle des papistes. Quand les orthodoxes ont-ils rebaptisé les catholiques romains et les uniates indépendamment de leur volonté, en foulant aux pieds leur liberté religieuse ? Et s’il existe des exceptions, les orthodoxes qui ont signé ce texte n’auraient pas dû oublier que ceux qui furent rebaptisés «indépendamment de leur volonté» étaient les descendants d’orthodoxes qui avaient été uniatisés de force, comme ce fut le cas en Pologne, en Ukraine et en Moldavie ? (voir § 11)
Au § 13, nous lisons : «En effet, surtout depuis les conférences panorthodoxes et le deuxième Concile du Vatican, la redécouverte et la remise en valeur, tant par les orthodoxes que par les catholiques, de l’Eglise comme communion, ont changé radicalement les perspectives et donc les attitudes fondamentales. De part et d’autre, on reconnaît que ce que le Christ a confié à son Eglise -profession de la foi apostolique, participation aux mêmes sacrements, surtout à l’unique sacerdoce célébrant l’unique sacrifice du Christ, succession apostolique des évêques- ne peut être considéré comme la propriété exclusive d’une seule de nos Eglises. Dans ce contexte, il est évident que tout rebaptême est exclu».
La redécouverte de l’Eglise comme communion a assurément un sens pour les catholiques romains qui, face à l’impasse où ils se trouvaient du fait de leur ecclésiologie absolutiste, furent contraints de se retourner, par le jeu de la dialectique, vers le caractère de communion que possède l’Eglise. Ainsi, à côté d’un extrême, celui du pouvoir absolu, ils mettent un autre extrême, celui du pouvoir collégial, tablant toujours dans leur va-et-vient sur la même base anthropocentrique. L’Eglise orthodoxe, au contraire, a toujours eu et conserve la conscience d’être, non pas simplement une communion, mais une communauté théandrique ou, comme le dit à la lettre saint Grégoire Palamas dans son Traité sur la Procession du Saint Esprit, (2, 78), une «communion de déification». Or la communion de déificattion n’est pas simplement inconnue, mais elle est théologiquement incompatible avec la théologie catholique-romaine qui refuse d’accepter les énergies incréées de Dieu, par lesquelles seules cette communion s’édifie.
Cela étant, nous constatons avec la plus grande tristesse que, dans le paragraphe en question, notre sainte Eglise orthodoxe est mise à égalité avec l’Eglise catholique romaine, qui se trouve dans la cacodoxie.
On passe l’éponge sur les graves différences théologiques -le Filioque, la primauté pontificale, l’infaillibilité
Principes de l’Orthodoxie (W.Guettée, L’Union Chrétienne)
D’abord, constatons que, dans l’Eglise orthodoxe, le pouvoir n’existe pas. Jésus Christ a dit que dans la société extérieure le pouvoir existe, mais qu’il ne doit pas en être de même dans la société spirituelle. L’Eglise orthodoxe a été fidèle à cette maxime.
Dans toutes les autres Eglises, on a accepté le pouvoir. Plusieurs, pour se soustraire à celui du pape, se sont soumises au pouvoir temporel et lui ont accordé de telles prérogatives ecclésiastiques que le souverain, comme en Angleterre, peut être considéré comme le chef de l’Eglise.
L’Eglise romaine a déifié le pouvoir dans la personne du pape, et lui reconnaît un pouvoir absolu non-seulement dans les choses spirituelles, mais encore dans les choses temporelles ; de sorte que si les circonstances permettaient la réalisation du système papiste, le monde ne serait qu’une vaste théocratie à la tête de laquelle serait le pape.
Nous disons théocratie pour nous servir d’un terme reçu ; car, en réalité, Dieu ne serait pour rien dans un tel régime qui serait mieux appelé satanocratie.
L’Eglise orthodoxe fait une distinction fondamentale entre le temporel et le spirituel, et elle s’accommode de tous les régimes politiques qui sont en vigueur dans les pays où elle existe.
Si, comme en Turquie, elle se trouve en face d’un pouvoir persécuteur, elle se soumet quant au temporel, et souffre le martyre s’il le faut, pour conserver sa foi.
Si, comme en Russie, elle se trouve en présence d’un pouvoir protecteur, elle accepte la protection, sans toutefois se servir du bras séculier contre les dissidents ; elle accorde au souverain protecteur toutes les prérogatives qui peuvent témoigner de son respect, de sa soumission dans les choses temporelles, mais elle n’accorde rien qui puisse ressembler à un pouvoir dans les choses spirituelles.
Les jésuites, pour nuire à l’Eglise de Russie, ont inventé cette insanité : que l’empereur de Russie est le chef de l’Eglise ; ils ont abusé de leur influence sur le pauvre empereur Paul pour lui dicter un ukase qui pourrait servir de base à leur calomnie. Mais l’ukase en question est resté lettre-morte, et jamais souverain de Russie n’a eu l’idée d’être chef de l’Eglise de ce grand pays. Les jésuites ont répandu leur calomnie avec tant d’art que l’on rencontre encore une foule d’imbéciles qui la répètent, même parmi les libres-penseurs.
Mais les gens sérieux auraient honte d’affirmer une telle sottise.
L’Eglise orthodoxe n’admet donc l’exercice d’aucun pouvoir temporel dans les choses de l’Eglise.
Elle n’accepte même aucun pouvoir spirituel, excepté celui de Dieu, et elle ne croit pas que Dieu ait délégué à un ou plusieurs hommes le pouvoir dont il est seul dépositaire.
Cette assertion peut paraître étrange, au premier abord, tant on s’est habitué, dans les diverses églises errantes, à accepter une certaine délégation de l’autorité divine. Les ultramontains gratifient de cette délégation le pape seul ; les gallicans, qui étaient les libéraux du papisme, en gratifiaient le corps épiscopal uni au pape. Les anglicans réclament pour leurs évêques hypothétiques une certaine autorité divine ; les presbytériens en attribuent une au presbytérat ; les simples protestants eux-mêmes éprouvent un besoin d’investir leurs ministres d’un pouvoir, mal défini, il est vrai, mais qui s’exerce réellement.
L’Eglise orthodoxe qui a son épiscopat, son presbytérat, son diaconat, tels qu’ils étaient constitués aux temps apostoliques, professe, pour le caractère de ses évêques, de ses prêtres, de ses diacres, le respect le plus profond ; mais elle ne leur reconnaît aucune autorité individuelle ou collective.
Le Christ seul est chef de l’Eglise ; seul, il y exerce le sacerdoce ; seul il y parle avec autorité ; seul il y a droit à la soumission de tous.
Par exemple, s’il s’agit d’une doctrine de foi, et si l’Eglise se trouve en présence d’une assertion qui la contredit, l’Eglise, représentée par ses évêques, jugera-t-elle cette question avec autorité ? Les évêques orthodoxes, représentants de l’Eglise orthodoxe, diront-ils, comme le pape et les évêques romains : «Nous avons jugé ainsi ; vous devez vous soumettre» ? Non ; mais ils diront : de tout temps, l’Eglise a conservé telle doctrine qu’elle avait reçue du Christ ou des apôtres ses délégués ; elle a donc pour elle l’autorité de Dieu ; nous devons la conserver, et Dieu lui-même l’a confiée à son Eglise comme un dépôt sacré qu’elle doit conserver fidèlement.
L’Eglise, dans la doctrine orthodoxe, est une ; elle n’est pas enseignante dans les évêques, enseignée dans les prêtres, les diacres et les fidèles. Elle est un corps unique, vivant d’une vie identique depuis les apôtres ; conservant la doctrine qu’elle a reçue de Dieu. Les évêques, les docteurs, en la prêchant, n’enseignent que cette doctrine reçue à ceux qui ne la connaissent pas, et ils l’enseignent comme doctrine divine, parce qu’elle est un dépôt divin conservé par l’Eglise.
C’est donc Dieu qui enseigne perpétuellement par l’Eglise ; l’Eglise, dans sa vie une et non-interrompue, est le témoin permanent de l’enseignement divin ; et ceux qui, comme les évêques, ont la charge d’enseigner, n’enseignent, ni au nom de leur caractère épiscopal, ni en vertu d’un titre qui leur donnerait le droit d’enseigner au nom de l’Eglise. Ils enseignent comme échos de l’Eglise laquelle est l’écho de l’enseignement apostolique qu’elle a reçu et conservé.
Il n’y a donc, dans l’Eglise orthodoxe, aucune autorité humaine qui s’impose à la raison ; on n’y rencontre pas de ces autorités divinisées mal à propos, dont les Eglises autoritaires sont si prodigues. Elle ne reconnaît que l’autorité de Dieu, et elle professe que Dieu seul a le droit de proposer la vérité à la raison de l’homme.
Ce n’est pas là, chez elle, une simple théorie, comme dans plusieurs écoles théologiques dont les théories étaient acceptables, mais qui restaient à l’état de théories. Les évêques orthodoxes, dans les questions de foi, sont toujours restés les simples échos de l’Eglise et de ses doctrines perpétuellement conservées. Ils ne se reconnaissent aucun droit sur les consciences des fidèles. Qui ne se souvient de la belle réponse des patriarches orientaux à Pie IX, qui s’était adressé à eux pour faire l’union avec l’Eglise romaine ? Le pape romain qui s’est donné le droit de faire parler son Eglise, pensait que les patriarches orientaux pourraient disposer des consciences orthodoxes, comme lui disposait des consciences des papistes. Mais les patriarches lui déclarèrent qu’ils n’étaient pas investis d’un tel pouvoir ; qu’ils n’étaient pas les maîtres de leurs Eglises ; qu’ils n’en étaient que les humbles serviteurs, et les fidèles gardiens de ses doctrines.
Il n’y a donc, dans l’Eglise orthodoxe, aucun intermédiaire, entre Dieu et l’homme.
REACTIONS ORTHODOXES
A LA FAUSSE UNION DE BALAMAND
La septième session plénière de la Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe, réunie dans l'Ecole Théologique de Balamand, au Liban, du 17 au 24 juin 1993. Nous avons déjà rendu compte de cette réunion, au cours de laquelle les orthodoxes ont reconnu que leur Eglise n'était pas la seule Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique du Credo, comme l'Eglise orthodoxe l'a toujours cru et confessé. Le texte signé par l'Eglise catholique et par les Patriarcats orthodoxes de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de Moscou, de Roumanie, ainsi que par les Eglises de Pologne, de Finlande, déclare en effet que l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe sont des Eglises soeurs qui reconnaissent réciproquement qu'elles ont même foi apostolique, même sacrements, même sacerdoce et même succession apostolique. L'union est donc faite entre Constantinople et Rome, comme elle le fut à Lyon en 1274 et à Florence en 1439. Le caractère de cette union est, du reste, très semblable à celui des deux autres : 1) comme elles, mais de façon plus nette encore, cette union est a-dogmatique, c'est-à-dire qu'elle n'est pas fondée sur une unité de sentiment, les orthodoxes ayant conservé leurs opinions et les catholiques les leurs, sur tous les points de divergence ; 2)la vraie Eglise orthodoxe est restée en dehors, non touchée par cette union, ou plutôt cette «discorde plâtrée» qu'elle refuse absolument. Dans les Eglises mêmes qui, quoique en communion avec Constantinople, n'ont pas signé l'union, se développe maintenant une opposition théologique de la plus haute importance. Nous publions ici a) la lettre du Mont Athos au Patriarche, où l'on voit les Pères athonites prendre position contre la fausse-union et demander au Patriarche de la dénoncer ; b) l'article de J.Romanidès.
La Société des Erudits pour la Défense du monachisme athonite publie dans son bulletin du 28 février 1994, la lettre envoyée au Patriarche Bartholomée par la Sacrée Communauté de la Sainte Montagne. «Conformément à des sources sérieuses de la Sainte Montagne, la tentative faite par le Patriarcat pour restreindre la liberté des Athonites a pour but principal de bâillonner une puissante voix d'opposition qui se lèvent contre les compromis qui ont lieu de nos jours, au détriment de notre foi orthodoxe. Les Hagiorites ne cessent de protester contre la position oecuméniste du Patriarcat et contre les efforts qu'il déploie pour se rapprocher des catholiques et autres hérétiques. Ils lui ont dernièrement adressé une lettre étendue pour protester contre les accords passés entre les représentants de certaines Eglises orthodoxes et les catholiques à la réunion de Balamand du Liban. La réunion s'est tenue du 17 au 24 juin 1993, sous la co-présidence de l'archevêque Stylianos d'Australie et du Cardinal Edward Cassidy. Du côté orthodoxe, les Eglises que voici avaient envoyé des représentants : Constantinople, Alexandrie, Antioche, Moscou, la Roumanie, Chypre, la Pologne, l'Albanie et la Finlande, tandis que les suivantes avaient refusé de participer : Jérusalem, la Serbie, la Bulgarie, la Géorgie, la Grèce et la Tchécoslovaquie.
La lettre de protestation des hagiorites a provoqué l'ire du Patriarcat et conduit à la récente ingérence. Voici le texte de la lettre :
«Caryès, le 8 décembre 1993.
A Sa très divine Toute Sainteté, le Patriarche oecuménique Notre Père et Maître, le Seigneur Bartholomée. Ville impériale.
Très Saint Père et Maître,
L'union des Eglises ou, pour parler plus précisément, la réunion des hétérodoxes à notre Eglise Une, Sainte, Catholique, Apostolique et orthodoxe est certes l'objet de nos désirs, pour la réalisation de la prière du Seigneur : «Afin que tous soient un» (Jn 17, 21), que nous recevons et embrassons totalement selon le sens orthodoxe. Comme le rappelle le Professeur J. Romanides : «Le Christ prie ici pour que ses disciples et les disciples de ses disciples soient un dans la vision de Sa gloire, dès cette vie terrestre, comme membres de son Corps, c'est-à-dire de l'Eglise...»
C'est pourquoi, toutes les fois que des chrétiens hétérodoxes nous visitent, les accueillant avec amour en Christ et leur offrant l'hospitalité, nous prenons douloureusement conscience de notre séparation dans la foi et de l'impossibilité où nous sommes donc de nouer aussi avec eux des relations ecclésiales.
Le schisme, la division, entre les orthodoxes et les anti-chalcédoniens d'abord puis, plus pard, entre les orthodoxes et les occidentaux, constitue réellement une tragédie, à laquelle nous ne devons pas nous accoutumer et dont nous ne saurions accepter tranquillement l'idée les bras croisés.
Par suite, nous comprenons les efforts tentés dans la crainte de Dieu et en accord avec la tradition orthodoxe, qui visent à l'union, laquelle ne saurait en aucun cas résulter d'une occultation ou d'un amoindrissement des dogmes orthodoxes, ni non plus d'une indifférence tolérante à l'égard des cacodoxies des hétérodoxes, parce qu'une telle union ne serait pas une union dans la Vérité et comme telle ne saurait jamais être ni véritablement acceptée par l'Eglise ni bénie de Dieu, dans la mesure où, selon le mot des Pères : «Le bien n'est bien que s'il est bien fait».
Tout au contraire, une telle fausse union provoquerait de nouveaux schismes et de nouvelles douleurs et divisions pour le corps à présent uni de l'orthodoxie. A ce sujet, nous dirons que, face aux grands changements qui se sont produits dans les pays de tradition orthodoxe, et face au violent courant multiforme qui se manifeste à l'échelle mondiale, l'Eglise orthodoxe, qui est l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, se devrait d'une part, de renforcer la cohésion des Eglises locales en donnant tous ses soins à ses membres blessés et en pourvoyant à leur rétablissement spirituel, d'autre part, dans la conscience qu'elle prend d'elle-même, de prêcher haut et clair à l'humanité déchue, la force salvifique, la grâce unique qui est la sienne.
Dans cet esprit nous suivons, autant que nous le permet notre engagement monastique, les développements et les dialogues du mouvement dit oecuménique, constatant tantôt que la parole de vérité est fidèlement dispensée, tantôt qu'ont lieu des compromis et des concessions sur les questions fondamentales de la foi.
1
Ainsi, des actes et déclarations des représentants d'Eglises orthodoxes ont suscité chez nous un très profond chagrin, car ce sont des choses inouïes jusqu'à ce jour, et totalement contraires à notre foi.
Nous citerons d'abord le cas de Sa Béatitude le Patriarche d'Alexandrie, lequel, en deux occasions au moins, a déclaré que nous, chrétiens, devions reconnaître Mahomet comme un prophète ! et personne jusqu'à ce jour n'a repris ce Patriarche si cruellement égaré, qui a continué à présider aux destinées de son Eglise comme si de rien n’était. Nous quittons ici les limites du syncrétisme pan-chrétien pour entrer dans le syncrétisme de toutes les religions.
En second lieu, nous rapporterons le cas du Patriarcat d’Antioche qui, sans l’aveu orthodoxe unanime, est entré en communion liturgique avec les anti-chalcédoniens d’Antioche, sans qu’on ait apporté la moindre solution au très grave problème de leur acceptation des Conciles oecuméniques postérieurs au IIIème Concile, et surtout du IVème, celui de Chalcédoine, lequel constitue une base immuable de l’orthodoxie.
Malheureusement, dans ce cas aussi, nous n’avons pas vu de protestation de la part d’aucune des autres Eglises orthodoxes.
Cependant, le sujet d’inquiétude le plus sérieux vient du revirement inadmissible des orthodoxes, tel qu’il ressort du contenu de la déclaration commune émise à Balamand en juin 1993 par la Commission mixte pour le dialogue entre les orthodoxes et les catholiques-romains, qui adopte des thèses anti-orthodoxes et sur lequel nous tenons particulièrement à appeler l’attention de Votre Toute-Sainteté.
Pour commencer, il convient de reconnaître que les déclarations auxquelles Votre Toute-Sainteté se livrait de temps à autre au sujet de l’uniatisme, qu’elle considérait comme un obstacle incontournable à toute poursuite du dialogue entre orthodoxes et catholiques romains, nous rassuraient.
Le texte en question donne toutefois l’impression que vos déclarations ont été éludées et que l’uniatisme bénéficie de l’amnistie et se voit même appelé à la table du Dialogue Théologique, malgré le rejet formel que la Conférence panorthodoxes de Rhodes lui avait opposé : «C’est pourquoi on a jugé bon d’exiger, comme condition préalable à toute reprise du dialogue, que tous les agents et propagandistes de l’uniatisme du Vatican s’éloignent définitivement des pays orthodoxes, et que les Eglises dites uniates soient soumises et incorporées à celle de Rome, parce que «uniatisme et dialogue sont parfaitement incompatibles». Que nos inquiétudes soient justifiées, nous en voulons pour preuve, entre autres, l’article du Révérendissime Métropolite Démétriados K. Christodule, paru dans L’Eglise du Pirée, dont nous citerons quelques extraits.
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Cependant, les thèses ecclésiologiques de ce document suscitent encore, Toute-Sainteté, un bien plus grand scandale. Nous mentionnerons les déviations les plus criantes.
Au paragraphe 10, nous lisons : «Par réaction -contre l’Eglise catholique qui, se prétendant unique dépositaire du salut, exerçaient ses efforts missionnaires au détriment des orthodoxes), l’Eglise orthodoxe, à son tour, en vint à épouser la même vision, selon laquelle chez elle seule se trouvait le salut. Pour assurer le salut des «frères séparés», il arrivait même qu’on rebaptisât des chrétiens, et qu’on oubliât les exigences de la liberté religieuse des personnes et de leur acte de foi, perspective à laquelle l’époque était peu sensible».
Nous ne saurions, nous orthodoxes, admettre un tel point de vue, étant donné que notre Sainte Eglise Orthodoxe n’a nullement commencé de se croire seule dépositaire du salut par réaction à l’uniatisme, mais bien avant l’uniatisme, dès l’époque qui vit, pour des raisons de dogme, le schisme s’instaurer. L’Eglise orthodoxe n’a point attendu les uniates pour savoir, dans la conscience qu’elle a d’elle-même, qu’elle constitue la continuité authentique de l’Eglise Une Sainte Catholique et Apostolique du Christ, parce qu’elle a toujours conscience d’être telle, de même qu’elle a toujours eu conscience que le papisme se trouve dans l’hérésie. Si elle ne s’est pas servi souvent de ce dernier terme pour le désigner, c’est pour la raison expliquée par saint Marc d’Ephèse : «Les Latins ne sont pas simplement schismatiques, mais hérétiques et si notre Eglise ne l’a pas proclamé tout haut, c’est que leur nation était beaucoup plus nombreuse et plus puissante que la nôtre... nos prédécesseurs n’ont pas voulu écraser les Latins en les bafouant et en les flétrissant du nom d’hérétiques, parce qu’ils attendaient leur retour et faisaient tous leurs efforts pour ménager leur amitié».
Cependant, lorsque les uniates et les missionnaires de Rome s’abattirent sur notre Anatolie, pour convertir, surtout par des moyens douteux, les orthodoxes qui se trouvaient alors affaiblis par les épreuves -tactique toujours en usage chez eux aujourd’hui- l’orthodoxie se dut alors de prêcher la vérité, non pour s’engager dans un prosélytisme à la romaine, mais pour protéger son troupeau.
C’est ainsi que saint Photios, à plusieurs reprises, dénonça le Filioque comme une hérésie, et ses partisans comme des cacodoxes.
Saint Grégoire Palamas dit de l’occidental Barlaam que, venu à l’orthodoxie, il n’a montré «pour ainsi dire aucune trace de sanctification reçue de notre Eglise, qui eût pu effacer les taches contractées là-bas».
Il est clair que saint Grégoire considère Barlaam comme un hérétique qui a besoin de la grâce sanctifiante pour entrer dans l’Eglise orthodoxe.
La formule utilisée dans le paragraphe 1 rejette indûment la culpabilité sur l’Eglise orthodoxe, pour atténuer celle des papistes. Quand les orthodoxes ont-ils rebaptisé les catholiques romains et les uniates indépendamment de leur volonté, en foulant aux pieds leur liberté religieuse ? Et s’il existe des exceptions, les orthodoxes qui ont signé ce texte n’auraient pas dû oublier que ceux qui furent rebaptisés «indépendamment de leur volonté» étaient les descendants d’orthodoxes qui avaient été uniatisés de force, comme ce fut le cas en Pologne, en Ukraine et en Moldavie ? (voir § 11)
Au § 13, nous lisons : «En effet, surtout depuis les conférences panorthodoxes et le deuxième Concile du Vatican, la redécouverte et la remise en valeur, tant par les orthodoxes que par les catholiques, de l’Eglise comme communion, ont changé radicalement les perspectives et donc les attitudes fondamentales. De part et d’autre, on reconnaît que ce que le Christ a confié à son Eglise -profession de la foi apostolique, participation aux mêmes sacrements, surtout à l’unique sacerdoce célébrant l’unique sacrifice du Christ, succession apostolique des évêques- ne peut être considéré comme la propriété exclusive d’une seule de nos Eglises. Dans ce contexte, il est évident que tout rebaptême est exclu».
La redécouverte de l’Eglise comme communion a assurément un sens pour les catholiques romains qui, face à l’impasse où ils se trouvaient du fait de leur ecclésiologie absolutiste, furent contraints de se retourner, par le jeu de la dialectique, vers le caractère de communion que possède l’Eglise. Ainsi, à côté d’un extrême, celui du pouvoir absolu, ils mettent un autre extrême, celui du pouvoir collégial, tablant toujours dans leur va-et-vient sur la même base anthropocentrique. L’Eglise orthodoxe, au contraire, a toujours eu et conserve la conscience d’être, non pas simplement une communion, mais une communauté théandrique ou, comme le dit à la lettre saint Grégoire Palamas dans son Traité sur la Procession du Saint Esprit, (2, 78), une «communion de déification». Or la communion de déificattion n’est pas simplement inconnue, mais elle est théologiquement incompatible avec la théologie catholique-romaine qui refuse d’accepter les énergies incréées de Dieu, par lesquelles seules cette communion s’édifie.
Cela étant, nous constatons avec la plus grande tristesse que, dans le paragraphe en question, notre sainte Eglise orthodoxe est mise à égalité avec l’Eglise catholique romaine, qui se trouve dans la cacodoxie.
On passe l’éponge sur les graves différences théologiques -le Filioque, la primauté pontificale, l’infaillibilité
Principes de l’Orthodoxie (W.Guettée, L’Union Chrétienne)
D’abord, constatons que, dans l’Eglise orthodoxe, le pouvoir n’existe pas. Jésus Christ a dit que dans la société extérieure le pouvoir existe, mais qu’il ne doit pas en être de même dans la société spirituelle. L’Eglise orthodoxe a été fidèle à cette maxime.
Dans toutes les autres Eglises, on a accepté le pouvoir. Plusieurs, pour se soustraire à celui du pape, se sont soumises au pouvoir temporel et lui ont accordé de telles prérogatives ecclésiastiques que le souverain, comme en Angleterre, peut être considéré comme le chef de l’Eglise.
L’Eglise romaine a déifié le pouvoir dans la personne du pape, et lui reconnaît un pouvoir absolu non-seulement dans les choses spirituelles, mais encore dans les choses temporelles ; de sorte que si les circonstances permettaient la réalisation du système papiste, le monde ne serait qu’une vaste théocratie à la tête de laquelle serait le pape.
Nous disons théocratie pour nous servir d’un terme reçu ; car, en réalité, Dieu ne serait pour rien dans un tel régime qui serait mieux appelé satanocratie.
L’Eglise orthodoxe fait une distinction fondamentale entre le temporel et le spirituel, et elle s’accommode de tous les régimes politiques qui sont en vigueur dans les pays où elle existe.
Si, comme en Turquie, elle se trouve en face d’un pouvoir persécuteur, elle se soumet quant au temporel, et souffre le martyre s’il le faut, pour conserver sa foi.
Si, comme en Russie, elle se trouve en présence d’un pouvoir protecteur, elle accepte la protection, sans toutefois se servir du bras séculier contre les dissidents ; elle accorde au souverain protecteur toutes les prérogatives qui peuvent témoigner de son respect, de sa soumission dans les choses temporelles, mais elle n’accorde rien qui puisse ressembler à un pouvoir dans les choses spirituelles.
Les jésuites, pour nuire à l’Eglise de Russie, ont inventé cette insanité : que l’empereur de Russie est le chef de l’Eglise ; ils ont abusé de leur influence sur le pauvre empereur Paul pour lui dicter un ukase qui pourrait servir de base à leur calomnie. Mais l’ukase en question est resté lettre-morte, et jamais souverain de Russie n’a eu l’idée d’être chef de l’Eglise de ce grand pays. Les jésuites ont répandu leur calomnie avec tant d’art que l’on rencontre encore une foule d’imbéciles qui la répètent, même parmi les libres-penseurs.
Mais les gens sérieux auraient honte d’affirmer une telle sottise.
L’Eglise orthodoxe n’admet donc l’exercice d’aucun pouvoir temporel dans les choses de l’Eglise.
Elle n’accepte même aucun pouvoir spirituel, excepté celui de Dieu, et elle ne croit pas que Dieu ait délégué à un ou plusieurs hommes le pouvoir dont il est seul dépositaire.
Cette assertion peut paraître étrange, au premier abord, tant on s’est habitué, dans les diverses églises errantes, à accepter une certaine délégation de l’autorité divine. Les ultramontains gratifient de cette délégation le pape seul ; les gallicans, qui étaient les libéraux du papisme, en gratifiaient le corps épiscopal uni au pape. Les anglicans réclament pour leurs évêques hypothétiques une certaine autorité divine ; les presbytériens en attribuent une au presbytérat ; les simples protestants eux-mêmes éprouvent un besoin d’investir leurs ministres d’un pouvoir, mal défini, il est vrai, mais qui s’exerce réellement.
L’Eglise orthodoxe qui a son épiscopat, son presbytérat, son diaconat, tels qu’ils étaient constitués aux temps apostoliques, professe, pour le caractère de ses évêques, de ses prêtres, de ses diacres, le respect le plus profond ; mais elle ne leur reconnaît aucune autorité individuelle ou collective.
Le Christ seul est chef de l’Eglise ; seul, il y exerce le sacerdoce ; seul il y parle avec autorité ; seul il y a droit à la soumission de tous.
Par exemple, s’il s’agit d’une doctrine de foi, et si l’Eglise se trouve en présence d’une assertion qui la contredit, l’Eglise, représentée par ses évêques, jugera-t-elle cette question avec autorité ? Les évêques orthodoxes, représentants de l’Eglise orthodoxe, diront-ils, comme le pape et les évêques romains : «Nous avons jugé ainsi ; vous devez vous soumettre» ? Non ; mais ils diront : de tout temps, l’Eglise a conservé telle doctrine qu’elle avait reçue du Christ ou des apôtres ses délégués ; elle a donc pour elle l’autorité de Dieu ; nous devons la conserver, et Dieu lui-même l’a confiée à son Eglise comme un dépôt sacré qu’elle doit conserver fidèlement.
L’Eglise, dans la doctrine orthodoxe, est une ; elle n’est pas enseignante dans les évêques, enseignée dans les prêtres, les diacres et les fidèles. Elle est un corps unique, vivant d’une vie identique depuis les apôtres ; conservant la doctrine qu’elle a reçue de Dieu. Les évêques, les docteurs, en la prêchant, n’enseignent que cette doctrine reçue à ceux qui ne la connaissent pas, et ils l’enseignent comme doctrine divine, parce qu’elle est un dépôt divin conservé par l’Eglise.
C’est donc Dieu qui enseigne perpétuellement par l’Eglise ; l’Eglise, dans sa vie une et non-interrompue, est le témoin permanent de l’enseignement divin ; et ceux qui, comme les évêques, ont la charge d’enseigner, n’enseignent, ni au nom de leur caractère épiscopal, ni en vertu d’un titre qui leur donnerait le droit d’enseigner au nom de l’Eglise. Ils enseignent comme échos de l’Eglise laquelle est l’écho de l’enseignement apostolique qu’elle a reçu et conservé.
Il n’y a donc, dans l’Eglise orthodoxe, aucune autorité humaine qui s’impose à la raison ; on n’y rencontre pas de ces autorités divinisées mal à propos, dont les Eglises autoritaires sont si prodigues. Elle ne reconnaît que l’autorité de Dieu, et elle professe que Dieu seul a le droit de proposer la vérité à la raison de l’homme.
Ce n’est pas là, chez elle, une simple théorie, comme dans plusieurs écoles théologiques dont les théories étaient acceptables, mais qui restaient à l’état de théories. Les évêques orthodoxes, dans les questions de foi, sont toujours restés les simples échos de l’Eglise et de ses doctrines perpétuellement conservées. Ils ne se reconnaissent aucun droit sur les consciences des fidèles. Qui ne se souvient de la belle réponse des patriarches orientaux à Pie IX, qui s’était adressé à eux pour faire l’union avec l’Eglise romaine ? Le pape romain qui s’est donné le droit de faire parler son Eglise, pensait que les patriarches orientaux pourraient disposer des consciences orthodoxes, comme lui disposait des consciences des papistes. Mais les patriarches lui déclarèrent qu’ils n’étaient pas investis d’un tel pouvoir ; qu’ils n’étaient pas les maîtres de leurs Eglises ; qu’ils n’en étaient que les humbles serviteurs, et les fidèles gardiens de ses doctrines.
Il n’y a donc, dans l’Eglise orthodoxe, aucun intermédiaire, entre Dieu et l’homme.
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