mardi 1 février 2011

La Lumière du Thabor n°35. La Fausse union de 1274.

PERE AMBROISE FONTRIER



LE CONCILE DE LYON

ET LA FAUSSE UNION DE 1274





Puisque cette année, l'Eglise romaine célèbre le septième centenaire de la fausse union de Lyon, signée en cette ville en 1274, par le Pape Grégoire X et l'Empereur de Constantinople Michel VIII Paléologue et à laquelle l'Eglise orthodoxe est restée étrangère bien que l'on veuille l'y mêler, nous dirons, dans les pages qui suivent, quelques mots à ce propos, pour informer le lecteur1.
Depuis le schisme de l'Occident de 1054 -date conventionnelle2- jusqu'à la fausse union de Ferrarre-Florence au XVeme siècle, nombreuses furent les tentatives d'union entre l'Eglise romaine et les Empereurs de Constantinople. Nous disons les Empereurs, parce que l'Eglise orthodoxe n'y a jamais participé et si, en certains cas elle l'a fait, c'est contrainte et forcée par le pouvoir impérial. Dans ces tentatives d'union, trois puissances temporelles s'affrontèrent, chacune comptant y trouver son avantage. La papauté espérait étendre sa domination sur l'indomptable Eglise orthodoxe d'Orient, les Francs voulaient se tailler des royaumes en Orient et les Empereurs byzantins, récupérer leur empire grâce à l'union avec le pape.
De longs chapitres de l'Histoire de l'Eglise relatent ces événements et chaque historien les voit à sa manière, selon sa philosophie, mais rarement en tant que fidèle de l'Eglise. L'historien même chrétien, quand il écrit l'Histoire de l'Eglise, la traite comme une science profane et lui applique des méthodes laïques profanes, impropres à la nature de l'Eglise. Il se perd dans des considérations de politique, de querelles, d'accidents, de tout ce qui, en un mot, fait la figure de ce monde qui vieillit et qui passe, selon Paul l'Apôtre des Nations.
Un tel historien ne peut comprendre que l'Histoire de l'Eglise, c'est la lutte pour la défense du dépôt sacré de la Vérité, confié à elle par le Dieu-Homme, par la Pan-Vérité. Il ne s'agit pas d'une doctrine philosophique, sociale ou économique, mais du salut éternel de l'homme, qui n'est réalisable que dans l'Eglise Corps du Christ Dieu-Homme.
L'Eglise orthodoxe est, dans le monde créé, le milieu où habite et se communique aux hommes la grâce incréee et déifiante de Dieu. Dieu, qui a créé l'homme sans lui demander son avis, ne le sauve qu'avec le libre consentement de celui-ci : «Que celui qui veut venir après moi, prenne sa croix et me suive...» Deux volontés sont donc indispensables pour le salut : celle de Dieu et celle de l'homme. Mais il y a une troisième volonté, c'est celle du diable, de Satan, l'ennemi du genre humain, qui tend à dissocier les deux premières pour mener l'homme à sa perte.
Or, pour l'Eglise, altérer la Vérité salvatrice qu'elle a reçue, c'est se renier elle-même et égarer ceux qu'elle a pour mission de sauver.
Sachant que son Fondateur est avec elle jusqu'à la fin du monde, l'Eglise orthodoxe, qui garde jalousement, au prix du sang, le dépôt de la Vérité, n'a jamais pu admettre aucune union, scellée au détriment de la Vérité, sachant que toute doctrine altérée, fragmentaire, hérétique, vient de Satan le père du mensonge, l'adversaire du salut de l'homme.
L'Histoire de l'Eglise, c'est l'Histoire des luttes de l'Eglise contre Satan, l'ennemi de la Vérité qui sauve et que possède l'Eglise qu'il a en horreur. Voyant, de ses yeux prophétiques, toutes ces luttes, le psalmiste s'écrie : «Pourquoi les Nations se soulèvent-elles et leurs princes se liguent-ils contre le Seigneur et contre son Christ ? » En effet, dans toutes les tractations entre l'Occident papal et les Empereurs, l'Eglise orthodoxe devait être la sacrifiée. Comme Iphigénie, que son père voulait immoler pour obtenir la protection des dieux, la plupart des Empereurs de Constantinople, dans leur désir de reconquérir leur Empire, étaient prêts à sacrifier l'Eglise orthodoxe, pour recevoir en échange l'appui de l'Occident papal.
En 1204, Constantinople, la Reine des Villes, fut prise par les hordes de la IVeme croisade, parties d'Occident pour aller délivrer les Lieux Saints. Mais elle s'arrêtèrent à Constantinople et la pillèrent. Le Pape Innocent III, d'abord hostile à l'occupation de la ville, changea d'avis quand il se rendit compte des possibilités que lui offrait un empire latin à Byzance, pour l'extension de sa domination.
L'Empereur de Constantinople s'enfuit à Nicée, ville célèbre dans les annales de l'Histoire de l'Eglise par les deux Conciles Oecuméniques qui s'y étaient tenus, l'un en 325, qui condamna l'arianisme, l'autre en 787, qui condamna l'iconoclasme et rétablit le culte des saintes icônes. Nicée était fière de ses puissantes murailles qui la protégeaient et qui existent encore. Occupée par les Turcs, puis par les croisés qui furent obligés de la rendre à l'Empereur Alexis Comnène. Il ne reste rien, aujourd'hui de ses magnifiques palais, de ses églises et de ses nombreux monastères n'ayant plus rien de sa gloire passée. Les Turcs, après en avoir déformé le nom, l'appellent actuellement Isnik.
La période qui va de la chute de Constantinople, en 1204, jusqu'à sa reconquête en 1261, s'appelle l'Empire de Nicée.
Tous les Empereurs qui résidèrent à Nicée, n'eurent qu'une idée : reconquérir la Capitale et reconstituer l'Empire de Byzance. Pour réaliser leurs plans, ils jugèrent indispensables, vu les circonstances, le concours du pape de Rome indispensable, au pis-aller sa bienveillante neutralité. Ces idées se précisèrent surtout après la mort du Pape Innocent III et vers la fin de la vie de l'Empereur de Nicée Théodore Ier Lascaris mort en 1222. Cet Empereur songea un instant convoquer en concile les Patriarches orthodoxes d'Orient et décider avec eux l'ouverture de négociations avec le Pape. Ce projet échoua pour des raisons que nous n'analyserons pas ici.
Le nouvel Empereur, Jean Vatatsès, épousa en secondes noces Constance, le fille de l'Empereur d'Occident Frédéric II, laquelle prit le nom d'Anne en devenant orthodoxe. Une grande amitié lia Frédéric II à Jean Vatatsès. Bien que catholique-romain, Frédéric II, en conflit avec le Pape, témoigna beaucoup d'égards pour l'Eglise orthodoxe. «... comment ! ce soi-disant pontife, qui excommunie chaque jour, à la face du monde entier, le nom de ta Majesté et tous les Romains3 tes sujets, qui appelle, sans pudeur, hérétiques les Romains les plus orthodoxes, grâce auxquels la foi chrétienne s'est répandue jusqu'aux confins du monde...» Et dans une autre lettre adressée au despote4 de l'Epire, Frédéric écrit : «Nous désirons défendre non seulement notre droit, mais aussi celui de nos voisins et amis auxquels nous unit une affection sincère devant Dieu, et surtout celui des Romains nos proches amis... (le Pape) traite d'impies et d'hérétiques, les Romains pieux et orthodoxes».
En 1250, Frédéric II mourut. Son fils naturel Manfred devint roi de Sicile et ennemi de l'Empire de Nicée. Les relations de Jean Vatatsès avec Innocent IV prirent une tournure dangereuse. Innocent IV essaya d'exciter Venise et les Francs d'Orient contre l'Empire de Nicée, ce qui obligea Jean Vatatsès à lui faire de grandes concessions ecclésiastiques. Elles furent au nombre de trois :
1) Reconnaissance de la suprématie papale.
2) Mention du nom du Pape aux Offices.
3) Droit d'appel au Pape.
Ces conditions suffirent, pour un moment, à Innocent IV qui changea de politique et accepta de soutenir les desseins de l'Empereur de Nicée.
D'autres raisons aussi poussèrent le Pape à soutenir l'Empereur. Des territoires entiers se détachaient de l'Etat latin de Constantinople et répudiaient aussitôt leur soumission forcée au Pape. Innocent IV pensa qu'il serait bon, avant la chute de l'Etat latin de Constantinople chancelant, de s'entendre avec les Grecs et de placer ainsi l'union sur des fondements plus solides. Il imposa deux conditions supplémentaires :
1) Le Patriarche latin installé dans Constantinople par les croisés, à la place du Patriarche orthodoxe légitime, serait maintenu dans la capitale.
2) La doctrine du Filioque c'est-à-dire que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, doctrine hérétique, cause du schisme entre les deux Eglises et pierre d'achoppement de toute union, serait insérée dans le credo orthodoxe.
Mais le sucesseur de Jean Vatatsès, Théodore II Lascaris, né de la première femme, eut d'autres idées. Il repoussa les propositions papales et congédia les légats d'Innocent. Il écrivit même un traité où il défendit le dogme orthodoxe et réfuta la doctrine du Filioque.
Le choc de leur défaite passé, les Grecs lancèrent, depuis Nicée, une offensive contre les Latins et par un miracle du ciel, sans coup férir, reprirent Constantinople, le 25 juillet 1261. «Par le Seigneur cette chose s'est faite, elle est admirable à nos yeux5».
Michel VIII, qui était alors en Asie Mineure, à l'annonce de cette merveilleuse nouvelle, se dirigea vers Constantinople et y fit son entrée au début d'août, acclamé par toute la population. Couronné à Sainte-Sophie, il est le premier des Paléologues à monter sur le trône. Rusé et cruel, diplomate habile et plein de talent, il réussit à sauver l'empire du terrible péril qui le menaçait du côté de l'Occident, en l'occurence le Royaume des Deux-Siciles. Il usurpa le trône du dernier Empereur de Nicée, Jean IV, âgé de dix ans, fils de Théodore II, et lui fit crever les yeux.
Devant Michel VIII, les Latins, leur roi Baudoin, leur Patriarche, prirent la fuite.
La capitale, qui ne s'était pas remise du pillage de 1204, était dans un état de décadence et de ruines profondes. Les édifices les plus beaux et les plus riches avaient été saccagés, les églises pillées de leurs ornements précieux. Le merveilleux palais des Blachernes, décoré de mosaïques était méconnaissable...
Le 15 août de la même année 1261, jour de la Dormition de la Mère de Dieu, le peuple orthodoxe, qui savait que c'était par miracle que la Ville avait été reconquise, traversa en procession Constantinople. L'icône de la toute Sainte Mère de Dieu Odigitria6 en tête, le cortège se rendit au célèbre monastère des Studites. Le Métropolite de Cyzique y célébra l'office, dans une atmosphère de ferveur intense, de grand recueillement. Tous à genoux, depuis l'Empereur jusqu'au dernier fidèle, rendirent grâces à la Mère de Dieu pour ce triomphe inespéré, dû à la bienveillance de Dieu pour son peuple orthodoxe. L'icône de la Mère de Dieu fut déposée avec piété au monastère du Stoudion.
Les Latins partis, la situation militaire et économique restait tragique. Les dangers extérieurs n'étaient pas écartés. Les ennemis demeuraient menaçants.
Les Latins cherchaient à récupérer leur proie perdue. Baudoin protégeait le roi de l'Italie du Nord, Manfred, le fils de Frédéric II qui ne partageait pas l'amitié de son père pour les Grecs et convoitait certains territoires de l'Empire byzantin. Baudoin II s'allia au successeur de Manfred, Charles d'Anjou, frère du roi de France Louis IX. Charles s'engagea à aider Baudoin à reconquérir Constantinople, recevant, en cas de victoire, de vastes territoires byzantins. L'alliance fut scellée par un mariage : Philippe, le fils de Baudoin, épousa en 1262, la fille de Charles d'Anjou.
Mais l'habile et fin diplomate qu'était Michel VIII Paléologue déjoua les desseins de Charles. Il s'adressa à son frère, le roi de France Louis IX, «Roi de France estimé pour son sens aigu de la justice...» Michel VIII envoya à Louis IX un Nouveau Testament enluminé, puis une ambassade pour discuter de l'union des Eglises grecque et latine. Michel VIII proposa au roi de France d'arbitrer les conditions de l'Union, l'assurant à l'avance de son entière adhésion.
Michel agit en diplomate rusé et non en fils de Dieu. Il n'était pas le roi David qui s'écriait : «Ne vous confiez pas aux grands, aux fils de l'homme qui ne peuvent sauver7». La politique étrangère de Michel ne fut pas celle du prophète Isaïe8 :
«Poussez des cris de guerre peuples! vous serez brisés.
Prêtez l'oreille, vous tous qui habitez au loin!
Préparez-vous au combat, et vous serez brisés.
Donnez des ordres et ils seront sans effet.
Car Dieu est avec nous !»
Les alliances humaines sont instables, l'homme est versatile, comme le disent fort bien les Pères. Seule demeure inébranlable l'alliance avec Dieu, la puissance plus forte que les armes.
Mais Michel VIII préféra se tourner vers les puissants de ce monde, vers les princes «qui ne peuvent sauver». Il s'adressa aux successeurs d'Innocent IV et ouvrit des négociations sur l'union des Eglises. Les Papes Clément IV et Grégoire X en profitèrent pour essayer, une fois de plus, d'imposer leur domination. Ils se montrèrent cependant bienveillants à l'égard des Grecs, maintenant maîtres de Constantinople. D'autre part, l'extension du Royaume de l'Italie du Nord devenait dangereuse pour les Etats Pontificaux.
Tédaldo Visconti, devenu Pape sous le nom de Grégoire X, en 1271, alors qu'il était encore à Akkon, la seule forteresse de Palestine aux mains des croisés, connaissait bien l'Orient et la situation de l'Eglise orthodoxe. Il refusa d'entamer des discussions théologiques et dogmatiques, considérant que la doctrine romaine était indiscutable. Il imposa des conditions très dures et laissa entendre à l'Empereur Michel qu'il ne pourrait freiner Charles d'Anjou, si l'Empereur ne faisait pas l'union avec Rome.
Michel fit des promesses. Il promit même au Pape de participer aux frais d'une croisade contre les infidèles, laquelle, cette fois, ne partirait pas de Constantinople. Le désir de soumettre à la puissance papale l'Eglise orthodoxe apparaît une fois de plus, très clairement.
Des négociations entre les représentants de Grégoire X et les orthodoxes eurent lieu à Constantinople. Du côté orthodoxe, le Patriarche Joseph resta ferme dans la confession de la foi et refusa tout compromis. L'Empereur, par contre, était prêt à toutes les concessions. Il essaya de persuader le clergé de Constantinople que les divergences sur la foi, entre orthodoxes et Latins, n'étaient pas, au fond, si graves, qu'il s'agissait surtout de la mention du nom du pape aux offices, ce qui n'était pas contraire aux canons, du droit d'appel au pape, et de la suprématie papale. Vu l'éloignement de Rome, tout cela ne pouvait, ajoutait-il, avoir de conséquences pratiques.
Sur la demande du Patriarche Joseph, Jean Veccos, le chancelier du patriarcat, répondit à l'Empereur sur l'impossibilité d'une telle union et qualifia les Latins d'hérétiques. Par sa réponse, il excita la colère de l'Empereur, qui le fit mettre en prison. Là, il eut le temps de réfléchir, de lire, de méditer sur son infortune. Il découvrit la clé qui allait le libérer de sa prison terrestre pour le jeter dans celle des enfers. Si au lieu de dire, pensa-t-il, que le Saint Esprit procède du Père et du Fils (Filioque) comme le veulent les Latins, on disait que le Saint Esprit procède du Père par le Fils, l'union des Eglises deviendrait possible... Ainsi rentra-t-il dans les grâces de l'Empereur et devint-il son porte-parole.
Mais Veccos, dont la foi n'avait pas de profondes racines orthodoxes, changea, tel un caméléon, de camp selon les circonstances. Orthodoxe, puis fanatique partisan des Latins, à nouveau orthodoxe allant jusqu'à signer une profession de foi orthodoxe sous l'Empereur Andronic II, fils de Michel, Veccos est mort dans la foi latine, anathématisé par l'Eglise orthodoxe. Ce n'est pas pour rien que les théologiens romains voient en lui, aujourd'hui encore, un grand défenseur de leur dogme du Filioque, c'est-à-dire le Saint Esprit procédant du Père et du Fils, comme d'une seule source, contrairement à la tradition des Pères, fondée sur l'Ecriture, qui enseignent que l'Esprit Saint procède du Père seul.
Avant le Concile de Lyon, Michel VIII envoya au Pape Grégoire X, une profession de foi où il acceptait la doctrine du Filioque. «Nous croyons, que le Saint Esprit est pleinement et parfaitement Dieu, Dieu véritable, qui procède du Père et du Fils, égal, consubstantiel, co-puissant et co-éternel au Père et au Fils».
Dans cette confession, est louangée «La sainte et sacrée Eglise de Rome», car elle «garde, enseigne, et prêche fidèlement... la foi véritable, sainte et catholique et orthodoxe».
Grégoire X convoqua pour 1274 un Concile à Lyon. A l'ordre du jour figuraient la future croisade, l'union avec les Grecs et la réforme de l'Eglise.
Michel VIII vit, en tant que fin diplomate, dans ce Concile de Lyon, le moyen de rendre vain le rétablissement d'une monarchie latine en Orient, donnant en échange l'union des églises, c'est-à-dire, en sacrifiant l'Eglise orthodoxe.
Les évêques, les chapitres, les abbés, les princes occidentaux, Michel VIII et son ex-Patriarche Germain III, le Catholicos d'Arménie furent invités, de même que le Khan des Mongols qui n'aimait pas les Byzantins et que le Pape espérait convertir au catholicisme. Thomas d'Aquin, porteur de son traité Contre les erreurs des Grecs et Jean Bonaventure y furent également invités. Le premier mourut en route et le second juste avant la fin des travaux du Concile, le 15 juillet.
Deux navires quittèrent Constantinople. L'un amenait l'ambassade de Michel VIII, avec l'ex-Patriarche Germain III et d'autres personnages, l'autre chargé de présents pour le Pape périt corps et biens pendant la traversée.
Le Pape présida en personne le Concile. Les réunions se tinrent dans la cathédrale de Lyon dédiée à Saint Jean le Baptiste. La fausse union y fut signée.
A l'occasion de la fête des saints apôtres Pierre et Paul, le Pape célèbra la liturgie pontificale dans la Cathédrale. Les envoyés de Michel VIII y participèrent. L'Epitre et l'Evangile furent lus en latin et en grec. L'ambassade impériale, faisant peu de cas de la foi orthodoxe, la trahit et abonda dans le sens des exigences papales. Les lèvres de l'ex-Patriarche Germain III, docile instrument de l'Empereur, proférèrent le credo avec l'addition hérétique du Filioque.
Lors de la quatrième session, le 6 juillet, on s'occupa de la question grecque. Les envoyés de Michel, l'ex-Patriarche Germain III et Théophane de Nicée prirent place parmi les cardinaux-prêtres.
Le grand chancelier de Michel VIII, Georges Acropolite, lut la profession de foi du tragique Empereur et prêta serment au nom de son maître, trahissant la foi des Pères pour laquelle il avait auparavant lutté, contre un plat de lentilles. Le Pape entonna alors le Te Deum et prêcha sur le thème évangélique : «J'ai vivement désiré manger cette Pâque avec vous9...»
Il n'y eut ni dialogue théologique, ni discussions, ni réactions. Tout avait été préparé et décidé à l'avance. L'orthodoxie était absente.
Ce fut comme au Concile du Latran, en 1215, où l'Eglise orthodoxe fut totalement absente. Elle fut prétendument représentée par les faux Patriarches latins, installés par la force des croisés, sur les sièges patriarcaux orthodoxes ; le peuple orthodoxe n'a jamais eu ni communion ni rapports avec eux. On ne doit pas s'étonner si Innocent III s'est fait proclamer chef de l'Eglise d'Orient et a déclaré les faux Patriarches latins de Constantinople, Jérusalem et Antioche, dépendants du Saint Siège.
Les quatre Patriarches d'Orient ignorèrent le faux concile de Lyon, n'y allèrent pas et n'y furent pas représentés.
La profession de foi, lue au nom de l'Empereur par son Grand Chancelier Georges Acropolite, n'était pas du cru de l'Empereur. Elle lui avait été soumise par les Papes Clément IV et Grégoire X pour la signature. C'était une profession de foi latine, rédigée au Vatican. Ce qui était du cru de l'Empereur, c'était la signature, l'adresse et les salutations, de même que le post-scriptum où l'Empereur répétait accepter le credo latin et priait le Pontife romain de laisser à l'Orient ses coutumes ecclésiastiques et la récitation credo sans l'insertion10 du Filioque.
Après le concile de Lyon, les successeurs de Grégoire X, les Papes Innocent V et Nicolas III, exigèrent l'insertion du Filioque au texte grec des Pères. La diplomatie vaticane n'a jamais perdu de vue la latinisation, dans sa lutte contre l'orthodoxie, demandant tantôt la seule foi dans le Filioque, tantôt son insertion dans le texte des Pères.
Homme de peu de foi, sans crainte de Dieu et sans scrupules, l'Empereur Michel VIII a signé la profession de foi latine, uniquement pour des raisons d'opportunisme politique, pour écarter, comme on l'a dit, le danger d'une invasion de sa capitale par le roi de France Louis IX et Charles d'Anjou son frère, roi de Sicile, excités contre Byzance par le Vatican.
Le Pape Benoît XII, dans une lettre adressée au Roi de Sicile Robert, reconnaît que l'acte unioniste signé par Michel VIII, en l'absence de l'Eglise orthodoxe, avait été un acte isolé, imposé par les nécessités du moment. «...Les Grecs qui se présentèrent à ce Concile (de Lyon), n'étaient mandatés ni par les Grecs, ni par les quatre Patriarches de l'Eglise d'Orient, ni par le peuple, mais par l'Empereur seul, qui voulait l'union à tout prix, non de par la volonté de tous mais par nécessité...»
Un concile fut convoqué en l'Eglise des Blachernes, par l'Empereur. L'Union de Lyon y fut confirmée. Le 16 janvier 1275, la trahison fut proclamée. Pendant la liturgie, le diacre fit mention du Pape de Rome aux diptyques : «...Pontife suprême de l'Eglise Apostolique et Pape Universel». Et le credo fut récité avec l'addition hérétique du Filioque.
Le peuple orthodoxe protesta. Le Patriarche Joseph démissionna. La soeur de l'Empereur, Eulogie, suivie de personnages importants, se désolidarisa de son frère. L'union était difficile à imposer. Cinq ambassades papales se rendirent à Constantinople pour la confirmer et en vérifier l'application.
Au peuple orthodoxe se joignirent les moines du Mont Athos. Leur résistance contre la politique unioniste de Michel VIII commença dès 1273, un an avant le Concile de Lyon. L'Empereur leur avait, à plusieurs reprises, marqué ses faveurs, dans l'espoir de les gagner à sa cause et de les voir approuver sa politique. En 1273, il adressa aux moines un mandement, où il souligna que l'union qu'il souhaitait était fondée sur l'économie.
Les moines répondirent par une lettre dogmatique, que nous publierons un jour, Dieu voulant. Ils y réfutèrent l'Empereur et l'accusèrent, non sans audace, de ne pas se soumettre au Christ, de bouleverser les dogmes sacrés, d'altérer le dépôt, d'introduire une foi nouvelle, un évangile étranger...
Ils y traitent le Filioque de dogme satanique et vont jusqu'à appeler Michel hérétique. Ils se révoltent à l'idée de faire mention du Pape aux offices, dans le Temple de Dieu, dans les lieux saints et impénétrables...
Dans la réponse des moines athonites, apparaît une fois de plus, très clairement, que, pour eux, le salut de l'âme et l'union avec Dieu dans la déification, est leur but principal, leur but sublime, qui ne peut être atteint que dans l'Eglise, dans la seule et unique Eglise, qui est l'Eglise orthodoxe.
Par l'instrument docile que fut Michel VIII, le Vatican tenta d'imposer, par le fer et le feu, les décrets de la fausse union de Lyon.
En effet, après le Concile, le gardien et le garant de l'orthodoxie, le Patriarche de Constantinople, fut déposé et remplacé par le fameux Veccos, dont nous venons de parler. Le nouveau Patriarche intrus approuva les violences de Michel contre les orthodoxes, tant clercs que laïcs, qui refusaient l'union, qui refusaient de confesser comme vérité dogmatique l'hérésie du Filioque.
Deux partis se formèrent : les Politiques ou Opportunistes, qui ressemblent étrangement à ceux d'aujourd'hui et les Zélateurs, surtout à Thessalonique. Mais le centre de l'opposition fut le Mont Athos.
Les persécutions de Michel VIII et de Veccos son Patriarche égalèrent celles des premiers siècles du christianisme. Le Patriarche intrus se rendit en personne à la Sainte Montagne pour y imposer les décrets de Lyon. Mais il échoua lamentablement. Quelques pauvres moines, à l'âme bien faible, le suivirent.
Dans le Sanctoral de Septembre, le 22, on lit la rubrique suivante : «Mémoire des saints martyrs du monastère du Zographos, qui blâmèrent l'Empereur Michel Paléologue le latinisant et son Patriarche Veccos, et moururent brûlés vifs sur leur tour». Oui, vingt-six moines moururent brûlés sur la tour de leur monastère, d'autres furent noyés dans la mer, devant le monastère de Vatopédi et devant celui des Ibères, des fidèles et des moines eurent la tête tranchée à Karyès, la capitale de l'Athos. Ces martyrs assurèrent, par leur sang, la victoire de l'orthodoxie et lavèrent la honte de la trahison de Lyon.
Pour plaire au nouveau Pape Nicolas III, avec un esprit servile, l'Empereur ordonna à Isaac d'Ephèse d'accompagner le légat du Pape dans les prisons de Constantinople pour lui montrer les orthodoxes emprisonnés, torturés, le bout des mains et des pieds coupé, les yeux crevés, la langue arrachée. Le Christ, il est vrai, ne se discute pas, il se confesse, il ne se marchande pas comme on le fait aujourd'hui.
L'hérésie du Filioque non plus que les autres exigences papales n'ont pu pénétrer dans l'Eglise du Christ en en forçant les portes. Ni le faux concile des Blachernes à Constantinople, ni les écrits de Veccos l'impie, ni les persécutions n'ont pu imposer à la conscience orthodoxe les décrets de Lyon.
La réaction des Patriarches orthodoxes orientaux fut foudroyante. Le Pape Grégoire X, le Patriarche Veccos, l'Empereur Michel VIII furent excommuniés.
Le 11 décembre 1282, Michel VIII mourut, haï par son peuple. Sa femme, l'impératrice Théodora, son fils et sucesseur Andronic II Paléologue lui refusèrent la sépulture et les honneurs ecclésiastiques. Andronic II dénonça officiellement l'Union et rétablit l'orthodoxie. Il dépêcha partout des courriers porteurs d'édits impériaux, édictant le retour de ceux qui, pour leur zèle envers l'Eglise, avaient été exilés ou emprisonnés et amnistia les condamnés.
Si Michel VIII a été acclamé comme libérateur de Constantinople du joug des latins, il a été maudit comme traître à la foi.
Dix ans après le Concile de Lyon, en 1285, un concile orthodoxe s'est tenu dans l'église des Blachernes à Constantinople. Grégoire de Chypre était Patriarche orthodoxe et Andronic II Empereur. La fausse union de Lyon fut rejetée et l'hérésie du Filioque condamnée.
Plus tard, Gennade Scholarios, Patriarche de Constantinople après la chute de l'Empire au XVème siècle, qualifia d'oecuménique le Concile de 1285. A ceux qui le dirent local, à cause de l'absence des hérétiques et des schismatiques, Gennade répondit : «L'absence des hérétiques ne diminue en rien le caractère d'oecuménicité».
Seule l'Eglise orthodoxe, qui possède la plénitude de la Vérité, a le droit de convoquer des conciles oecuméniques. «Ceux qui pensent orthodoxement sur tout, dit encore Gennade, ceux-là seuls forment l'Eglise du Christ, quel que soit le nombre des membres...»
Depuis le schisme de l'Occident, seule l'Eglise orthodoxe peut convoquer des conciles oecuméniques, et seuls les Pères contemporains manifestés par l'Esprit Saint dans l'Eglise orthodoxe, peuvent être appelés universels, comme le sont saint Basile le Grand, saint Grégoire le Théologien, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire Palamas, saint Marc d'Ephèse, etc. Ils forment la continuité organique et ininterrompue des Pères anciens et des Conciles Oecuméniques.
Pendant la domination latine de l'Empire Byzantin, qui a duré cinquante sept ans, le fossé entre les Grecs et les Latins se creusa si profondément, que jamais il n'a pu être comblé. Les Grecs avaient encore sous les yeux les atrocités des Latins et leurs sanctuaires profanés et souillés. Ils considéraient les Francs comme des brigands, des pillards, des aventuriers et les avaient en horreur. Après la fausse Union de Lyon, les occidentaux cessèrent d'être considérés comme chrétiens. On ne parlait plus à Byzance de Latins et de Grecs, mais de chrétiens et de Latins. Femmes et hommes, petits et grands, à la campagne comme à la ville, ne parlaient plus que de la procession du Saint Esprit, maudissant Jean Veccos comme traître à la foi ancestrale.
Grâce aux martyrs et aux confesseurs qui refusèrent la fausse union de Lyon, le papisme fut terrassé et l'orthodoxie victorieuse resplendit à nouveau.
La même tragédie devait se répéter au XVeme siècle, lors de la fausse union de Ferrare-Florence. Dieu suscita Marc d'Ephèse, qui sauva l'Eglise et la foi orthodoxe, en refusant de signer les actes de cette union. Quand le Pape Eugène IV vit que la signature de Marc ne figurait pas sur les actes, il prononça ces paroles historiques : «Marc n'a pas signé, nous n'avons rien fait».
Sept cents ans se sont écoulés depuis le concile de Lyon, 1274-1974. Cette période de sept siècles doit nous enseigner que toute idée d'union avec l'institution papale revient à un reniement de l'orthodoxie. Penser une telle union, c'est continuer l'oeuvre misérable de Michel VIII, de Jean Veccos le renégat, de Jean VIII Paléologue et de Bessarion au XVème siècle.
Le peuple orthodoxe n'a jamais cessé de donner des saints et des zélateurs. Le phare du Mont Athos, par la grâce divine, continue d'éclairer, même si pour l'instant des nuages gênent son éclat.
Le combat des moines athonites contre la politique du Patriarche Dimitri, continuateur de l'oeuvre destructrice de son prédécesseur, est le même que celui des Athonites qui résistèrent au prix du sang à Michel VIII et à Veccos11.
Le peuple orthodoxe, inquiété par les menées anti‑orthodoxes, unionistes et oecuménistes des gens du Phanar, ne les croit pas, quand ils lui racontent «que la foi ancestrale ne sera pas altérée».
Le combat continue donc entre politiques-opportunistes et zélateurs. Puissions-nous être dignes de ces derniers et leurs continuateurs, pour la gloire de Dieu et le salut de nos âmes.

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