lundi 7 février 2011
La Lumière du Thabor n°41. Chronique et lecture de la presse.
CHRONIQUE
ET LECTURE DE LA PRESSE
DECOUVERTE DES RELIQUES
et canonisation de l’Archevêque Jean
Depuis de longues années déjà se répand dans l’orthodoxie la vénération de Monseigneur Jean Maximovitch, qui naquit le 4 juin 1896 dans la Russie du Sud et qui s’est endormi dans le Seigneur le 19 juin/2 juillet 1966 à Seattle, après avoir prédit la date de sa mort. La vie de Monseigneur Jean a été liée à toutes les tribulations de l’Eglise russe au vingtième siècle. Après avoir étudié à l’Université de Kharkov, il connut, avec toute sa famille, l’exode au temps de la guerre civile (1921) et fut professeur au séminaire Saint-Jean-le-Théologien à Bitol en Serbie. Il devint ensuite Archevêque de Changaï, qu’il dut fuir devant l’arrivée des communistes, avec les orphelins dont il s’occupait. Ayant réussi à faire passer son troupeau en Amérique du Nord, il fut placé par le Synode des Evêques de l’Eglise Russe Hors Frontières à la tête de l’archidiocèse de l’Europe Occidentale, dont le siège était à Paris, puis à Bruxelles. Monseigneur Jean refusa absolument de se soumettre à la hiérarchie soumise au pouvoir athée de Moscou. Hiérarque de l’Eglise russe en exil, il accomplissait une double tâche, de protection de son troupeau et de mission auprès des Occidentaux qu’il ramenait à la foi de leurs pères. A partir de 1962, il fut Archevêque de San Francisco, où il repose à présent dans la Cathédrale, dédiée à la Mère de Dieu Joie de tous les Affligés.
Ne faisant que confirmer le sentiment du peuple orthodoxe du monde entier, le Synode de l’Eglise Russe Hors Frontières a canonisé Monseigneur Jean Maximovitch, le 19 juin/2 juillet 1994, jour anniversaire de sa dormition.
Auparavant, le 28 septembre/11 octobre 1993, les hiérarques de l’E.R.H.F., dont les Archevêques Antoine et Laurus et l’Evêque Cyrille, après s’être préparés par la prière et le jeûne, avaient solennellement ouvert le cercueil du bienheureux Jean, révélant son corps intact et non corrompu.
Voici des extraits du récit, publié dans Orthodox Life, de cette merveilleuse découverte, telle que la racontent les membres de la commission.
A 22 h 10, l’Archevêque Antoine, avec crainte et tremblement, ouvrit le cercueil où reposent les vénérables reliques de l’Archevêque Jean de bienheureuse mémoire.
Le visage du Père Jean se trouvait voilé et la première chose que toute l’assistance observa furent ses mains, non corrompues et d’une teinte claire. La mitre et les ornements blancs que portait Vladika Jean avaient tourné au vert. Après s’être signé, et lisant le psaume 50, l’Archevêque Antoine retira le voile (l’aer) qui cachait la face du saint hiérarque et tous purent contempler son visage inaltéré, au teint clair. Sa barbe était parfaitement intacte. Ses yeux s’étaient creusés, mais cela se remarquait à peine car la mitre qui ornait le chef de Vladika descendait bas sur son front.
Sous les ornements blancs, les vêtements paraissaient presque totalement décomposés, et l’on apercevait ses jambes, de couleur sombre : en effet, Vladika avait beaucoup souffert des jambes et ces maux les avaient noircies. Sur l’une d’elles se voyait la marque de la plaie qu’il y avait reçue de son vivant.
On ne percevait aucune odeur de décomposition. Une légère trace d’humidité, qui devait venir de la rouille ou de la terre, humectait le cercueil.
On décida de déposer les reliques dans une nouvelle châsse de bois. Le clergé présent, ne sachant si le corps tiendrait ferme, disposa sous lui un linceul, et le transféra ainsi dans le nouveau cercueil. Quand on souleva le corps de l’Archevêque, on s’aperçut qu’il était à la fois rigide et d’une grande légèreté, et non souple et fragile, comme on s’y fût attendu (...).
Du témoignage du Lecteur Vladimir Krassovsky, présent lors de l’ouverture du cercueil, nous extrayons les précisions suivantes : «Les mains sèches et intactes de Vladika Jean étaient légèrement levées parce que la partie inférieure du torse s’était affaissée. On voyait bien la peau et les ongles. Le chapelet qu’il avait tenu de la main droite était tombé en poussière. (...) Nous contemplâmes dans un profond recueillement le visage non corrompu du hiérarque endormi dans le Seigneur. Sa carnation était claire, presque blanche, les cheveux de sa tête, sa barbe et ses sourcils, de couleur grise, restés intacts sur son visage. Ses cils mêmes se sont conservés».
Près de la cathédrale se tenait un des prêtres du diocèse, le Père Yaroslav (Belikow), qui attendait l’ouverture des reliques, en compagnie de son fils âgé de deux ans et malade des reins. On les fit descendre pour vénérer le corps du saint Archevêque et le petit enfant Vsevolod fut placé sur les mains non corrompues de Monseigneur Jean.
Le clergé chanta le tropaire des hiérarques : «Docteur de l’Orthodoxie», célébra une litie et tous vénérèrent la tombe de saint Jean Maximovitch et reçurent l’onction de l’huile de sa veilleuse.
Il est impossible ici de résumer les travaux et les miracles de Monseigneur Jean qui se révéla tout ensemble grand ascète, vrai théologien, homme de prière et inlassable missionnaire1. Ce luminaire de l’Eglise a fait rayonner la vraie lumière du Christ dans la Chine, l’Europe, l’Afrique et l’Amérique de notre siècle, et jusqu’aux Philippines. Colonne de l’Eglise, il a joué un rôle important dans le développement de l’orthodoxie en Hollande et en France. De son oeuvre colossale, nous n’évoquerons qu’une petite perle, que la revue Russie Orthodoxe (Pravoslanoi Russ) vient de republier (n10 du 15/28 mai 1994, p. 9) : dans un mandement au clergé, daté du 23 avril 1953, saint Jean, alors à Paris, invite à ajouter aux saints que l’on commémore, notamment à la fin des offices, ceux de l’Eglise locale -en particulier, à Paris, saint Denys, sainte Geneviève, saint Claude, à Lyon, saint Irénée, à Marseille saint Cassien, saint Victor, à Toulouse saint Saturnin, à Tours saint Martin. Dépassant, dans son amour de l’Eglise, tout phylétisme, Monseigneur Jean mettait, de manière juste et orthodoxe, sa conscience de l’Histoire au service de son zèle missionnaire.
Sa mort fut, comme sa vie, pleine de la grâce de Dieu et nous pensons qu’à l’ouverture de ses reliques, un sentiment de joie emplit les coeurs des orthodoxes, tel celui que décrivait, dans ses Pensées sur la mort, le saint Evêque Ignace Brianchaninov : «Avez-vous déjà vu le corps d’un juste que son âme a quitté ? Il n’en émane aucune odeur mauvaise ; on ne craint point de l’approcher. Lors de son enterrement, la tristesse se dissipe dans une sorte d’incompréhensible joie». Par la prière de Vladika Jean, Dieu a opéré d’innombrables miracles, et continue d’en accomplir pour tous ceux qui implorent l’intercession de Son saint hiérarque.
Par les prières de notre saint père Jean, Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie pitié de nous !
Orthodox Life, vol. 43, n 6, nov.-déc. 1993.
SUR L’EXPULSION DES MOINES DE L’ATHOS
Deux revues ont publié des précisions intéressantes sur l’expulsion des moines de la Skite du Prophète-Elie hors du Mont Athos (7/20 mai 1992), dont La Lumière du Thabor a rendu compte dans ses précédentes livraisons.
a) Il s’agit tout d’abord du texte rédigé à l’intention du Patriarche de Moscou par le moine Nicolas, qui représentait, à la Sacrée Communauté, le Monastère Saint-Pantéléimon, seul «monastère» (au sens administratif du terme, de communauté représentée directement à la Sacrée Communauté, tandis que les «skites» dépendent ne le sont pas) russe de l’Athos. Le moine Nicolas souligne l’antipathie du Patriarcat de Constantinople à l’égard de l’Eglise Russe Hors Frontières -il rappelle le cas de l’ex-higoumène du Monastère de Philothéou, l’archimandrite Ephrem, qui avait quitté le Patriarcat pour le Synode Russe- et l’intérêt que pouvait trouver le Patriarcat à récupérer le métochion de six étages appartenant au Prophète-Elie et qui se trouve à Constantinople. De ce point de vue, le cas du Prophète-Elie n’est pas isolé puisque la Skite de Saint-André, qui possédait aussi un métochion à Constantinople, a été également pillé sans pitié en 1972, quand il est passé aux mains des moines de Vatopédi. Pour éviter qu’Alexis II ne réclame la restitution de ce dernier, une fraternité grecque de Thessalonique se tiendrait prête à s’y installer. Lors de l’assemblée des représentants des monastères qui fit suite à l’expulsion, la Sacrée Communauté, en présence des envoyés du Patriarcat «prit la décision de légaliser leurs actions illégitimes et ainsi les représentants décidèrent de suivre la voie du mensonge pour complaire aux exarques du Patriacat». La Sacrée Communauté, en effet, signa un texte où elle affirme avoir été mise au courant du projet patriarcat, et l’avoir accepté, au soir du 6 mai, veille de l’expulsion. Le moine Nicolas décrit l’atmosphère de la réunion : «En qualité de représentant du monastère et de témoin de presque tous les événements, je dois reconnaître que la séance de la Sacrée Communauté concernant la Skite du Saint Prophète Elie m’a beaucoup affligée. La peur des représentants des monastères était très grande et de nombreux représentants craignaient de me saluer en présence des exarques et même de me dire ’Christ est ressuscité !’
La peur régnait dans la salle des séances et peu nombreux furent ceux qui purent la surmonter pour faire remarquer aux exarques combien leurs actes avaient été injustes dans l’affaire des expulsions. Mais aucun d’entre eux n’osa même faire allusion devant les exarques au fait que, malgré tout, la skite du Prophète-Elie était une skite russe et que, selon l’histoire et la tradition, ce sont des Russes qui doivent y demeurer. Les représentants me tinrent un tout autre langage lorsque, dans la soirée du 8 mai, les exarques, satisfaits de leur succès, les eurent quittés, accompagnés du gouverneur, de son adjoint, de son secrétaire et de la police...»
Le moine Nicolas écrit : «Je fis remarquer que sur le Mont Athos presque la moitié des résidents (moines et novices) des monastères ne commémore pas le nom du Patriarche car ils sont zélotes... Pourquoi ne les chassait-on pas ? La réponse des exarques fut simple : comme ils sont nombreux, on ne peut tous les chasser en même temps, mais peu à peu leur tour viendra».
Le moine Nicolas -pourtant lui-même partisan de la commémoration du Patriarche apostat- conclut : «Je ne peux en aucun cas être d’accord avec l’expulsion inhumaine et honteuse des quatre moines de la Skite du Saint Prophète-Elie, sans avertissement préalable à la Sacrée Communauté. Et, comme s’il se fut agi de criminels ou d’assassins, on ne leur laissa qu’une heure pour préparer leurs affaires. Et quoique l’expulsion ait eu lieu, pourquoi la commission de la Sacrée Communauté n’est-elle pas restée sur place pour faire l’inventaire des objets de la skite en présence des exarques, au lieu de l’abandonner à la profanation et au pillage ?
Au moment où, partout sur l’Athos, on célébrait les vêpres en l’honneur de l’évangéliste Jean le Théologien, apôtre de la paix, de l’amour et de la compassion... au même moment, à la skite du Prophète-Elie, se déroulaient des vêpres du Vendredi Saint, où l'on crucifiait et le Christ, et la Skite, et le saint Prophète. Lui, le saint Apôtre, a été témoin de cette crucifixion et, en vérité, il témoigne que les autorités ont agi avec beaucoup de cruauté et d'inhumanité.
Voilà déjà soixante dix ans que l'Eglise Russe est sur la Croix, crucifiée par les communistes, les sans-Dieu, et toutes les puissances de l'enfer... Mais, pour une raison inconnue, en temps de paix et sous la protection du gouvernement grec, et sous la juridiction du Patriarche oecuménique, toutes les skites, toutes les cellules et kalybes russes sont crucifiées, toutes sont pillées et démolies. Au lieu d'aider l'Eglise Russe et de laver ses plaies et ses blessures en y versant du vin et des huiles saintes, l’on y verse du sel et du vinaigre et l’on enfonce plus avant les clous dans la Croix.... Est-ce parce qu'elle a toujours aidé le Mont Athos ?... est-ce parce que sur le Mont Athos, tous les offices sont célébrés avec les vases sacrés d’or et d’argent que la riche Russie prodiguait à tous ? Peut-être aussi parce que, lors des solennités, on use d’ornements, linges et ustensiles russes ? Ou parce que le peuple russe a aidé les Grecs dans leur lutte contre les Turcs et que plusieurs centaines de milliers de soldats russes orthodoxes sont morts pour la liberté des Balkans et de la Grèce ? Pourquoi abreuve-t-on l'Eglise Russe de vinaigre, pourquoi partage-t-on son vêtement en le tirant au sort ? Que la conscience de chacun réponde à cette question... Je prie le Seigneur, le saint prophète Elie et le saint Apôtre Jean le Théologien qu'ils pardonnent à tous ceux qui ont fait du mal et crucifié la skite et que cela ne leur soit pas imputé à péché... Ayant agi comme elle l'a fait sur le Mont Athos, la commission patriarcale n'a pas gagné la sympathie des moines athonites. Au contraire, beaucoup commencent à réfléchir, car le saint Evangile dit : Vous les reconnaîtrez à leurs oeuvres».
Russie Orthodoxe (Pravoslavnoi Russ), n 12 et 13 (juin-juillet 1994).
b) Le second texte est le témoignage d'un autre moine Nicolas (Cheveltchinski), qui appartenait à la communauté expulsée, celle du Père Séraphim. Visitant Notre-Dame de Kazan, en octobre 1992, le moine Nicolas y remit une icône de la Mère de Dieu, emportée au dernier moment de la Skite et, avant de repartir pour la Terre Sainte, puis pour l'Athos, il raconta au journal Retour (Vozvrachenie) comment il avait vécu les événements.
Le moine Nicolas rappelle tout d'abord l'installation de saint Païssius Vélichkovsky à la cellule du Prophète Elie puis, après son départ, l'existence d'une communauté slave, florissante jusqu'à la Révolution russe. Tous les monastères russes ont dépéri à partir de la Révolution. Le monastère russe de saint Pantéléimon, presque vide, reçut, grâce à l'intervention du Métropolite Nikodim de Léningrad, un apport important de moines soviétiques. Malheureusement, ces moines modernistes, commencèrent rapidement à tout bouleverser. Devant cette expérience malheureuse, les Pères du Prophète-Elie refusèrent d'accueillir des moines provenant de Russie, préférant le déclin à la corruption. C'est alors que le Père Séraphim arriva d'Amérique. Peu après moururent les deux Anciens de la Skite, mais le Père Séraphim resta fidèle à leur principe, de n'admettre que des moines de l'émigration slave ou russe.
Ayant cessé de commémorer le Patriarche de Constantinople à cause de l'oecuménisme, la Skite du Prophète Elie n'était pas, dans les années soixante, une exception sur la Sainte Montagne. Avec le temps, toutefois, de jeunes moines issus de l'Eglise nouvelle-calendariste de Grèce, vinrent grossir les rangs des monastères et en altérer l'esprit. Aujourd'hui, il ne reste que les moines des kellia et un seul monastère, celui d'Esphigménou, pour refuser la communion de Constantinople. «A l'encontre d'un monastère grec, dit le moine Nicolas, on ne peut naturellement rien entreprendre d'emblée. En premier lieu parce qu'il est grec et dans son pays. En deuxième lieu, Esphigménou est bâti comme une forteresse et il ne serait pas si simple de l'occuper. Notre skite était également grande et solide, mais nous étions des étrangers. Et c'est cela qui paraissait le point faible. De plus, des pèlerins venaient constamment dans notre skite hospitalière et nous leur expliquions notre position concernant la non-commémoration du patriarche. C'est que la majorité des gens n'est au courant de rien. Mais cette profession de foi déplaisait aux Grecs modernistes».
Toutefois, il ne s'est rien passé jusqu'à l'élection du nouveau patriarche. Selon le moine Nicolas, «Ayant étudié au Vatican, le Patriarche Bartholomée apparaît comme un grand sympathisant de l'Eglise latine. Il a donc commencé à mener un combat décisif pour nettoyer le Mont Athos des fanatiques qui s'y trouvaient (c'est ainsi qu'on nous appelait au Mont Athos)».
Voici son récit de l'expulsion : «Les hiérarques arrivés avec les moines du monastère du Pantocrator se dirigèrent vers la salle de réception, pour parler avec notre higoumène Séraphim. A la porte de cette salle, des policiers se postèrent. On proposa au Père Séraphim de téléphoner immédiatement au Patriarche et de lui communiquer sa décision de commémorer dorénavant son nom. L'higoumène Séraphim refusa. Alors ils dirent aux policiers : "Emmenez-les". Tout se passa incroyablement vite et d'une manière tout-à-fait inattendue. Les policiers nous emmenèrent à nos cellules, se postèrent aux portes et nous invitèrent à préparer les effets les plus indispensables. Pensant qu'il ne s'agissait que de nous deux, non encore inscrits dans le monastère en tant que nouveaux moines, je ne pris pas beaucoup d'effets. Mais plus tard je compris que c'était une erreur ; l'higoumène Séraphim et le Père Joannice n'eurent pas plus de temps que nous pour rassembler leurs effets et il s'avéra que personne n'avait eu la moindre intention de laisser ces Pères à la skite, fût-ce pour le plus bref laps de temps. L'higoumène Séraphim se mit à protester contre cette violation de la légalité et dit qu'il n'irait nulle part... Le policier dit assez durement à l'higoumène : "Ne nous empêchez pas de faire ce que nous avons à faire !" Et nous comprîmes que si le Père Séraphim était resté assis dans sa cellule, on l'aurait tout simplement transporté jusqu'à la voiture où on l'aurait installé de vive force».
Le moine Nicolas souligne aussi que le Patriarcat, en agissant ainsi, a voulu éviter la publicité qu'un procès aurait nécessairement suscitée ; de plus, les débats auraient laissé aux moines le temps d'emporter leurs biens. «Mais nos persécuteurs avaient des buts tout autres. Ils voulaient non seulement chasser une fraternité indocile, mais aussi conserver tout ce qu'ils pouvaient pour les futurs occupants. Après notre expulsion, il restait cinq cents kilos d'huile d'olive, des produits divers, un tracteur valant presque un million et d'autres objets indispensables».
«Ayant rassemblé nos affaires, pour la dernière fois nous allâmes dans notre église vénérer les icônes ; tel fut notre adieu à la Skite de Saint-Elie qui, pendant plusieurs siècles, fut un île de l'orthodoxie canonique sur le Mont Athos».
Vozvrachenie, n 1, 1993.
RUSSIE : UN LIVRE IMPORTANT SUR L’OECUMENISME
La même revue Retour (Vozvrachenie) éditée par l’Eglise Russe libre (qui ne commémore pas le Patriarche de Moscou) publie dans son second numéro le compte-rendu d’un ouvrage des Archimandrites Séraphim (Alekseieff) et Serge (Iazadjieff). Traduit du bulgare, ce livre intitulé Pourquoi un chrétien orthodoxe n’a pas le droit d’être oecuméniste a paru à Saint Pétersbourg en 1992, tiré à trente mille exemplaires. L’édition bulgare est en préparation.
Les auteurs définissent l’oecuménisme moderne, cette «loi nouvelle» dont parlait le Patriarche Timothée de Jérusalem (+1955) dans un sermon prononcé pour la fête de la Pentecôte : «Seigneur Jésus Christ ! Dans Ton Eglise il y a des personnes qui ne sont pas Tes apôtres et qui ne Te prient pas... ils ont oublié Jérusalem et se sont tournés vers Genève où ils ont établi de nouvelles tables de la loi. Mais toi, Genève, qui as été élevée jusqu’au ciel, tu seras précipitée jusque dans les enfers» (Cf Luc 10, 15). L’histoire même du terme «oecuménisme» est éclairante. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour ceux qui tentent d’en changer le sens. L’adjectif «oecuménique», en effet, appartient à la tradition orthodoxe avec le sens d’«universel» (en grec, oikouméné, terre habitée). La Sainte Eglise Orthodoxe est universelle par essence. Or le mouvement oecuménique moderne prétend également à l’universalisme en substituant à l’unité universelle dans la vraie foi une union purement mécanique de diverses confessions qui se sont détachées de l’orthodoxie et qui lui sont étrangères. D’où le caractère radicalement nouveau que revêt l’oecuménisme moderne. Il est apparu en Angleterre et aux U.S.A. au milieu du XIXème siècle, comme moyen d’unir les diverses confessions chrétiennes improprement nommées «Eglises». Le Conseil Oecuménique des Eglises, fondé à Amsterdam en 1948 et dont le siège se trouve à Genève, s’y emploie avec ardeur.
Selon les auteurs, dès la Conférence missionnaire internationale d’Edinburgh, en 1910, qui vit naître le projet de l’oecuménisme moderne et son nom, l’introduction de ce terme par John Motte (1865-1955), président de l’YMCA, n’était pas sans arrière-pensée. Il cachait la volonté de se substituer à l’Eglise. Au lieu du terme latin «universel», on choisit l’équivalent grec «oecuménikos», qui s’applique d’abord à l’Eglise orthodoxe. Le but premier était évidemment de masquer le projet hérétique sous un terme orthodoxe, et l’objectif lointain, d’identifier les Conciles Oecuméniques avec le Conseil Oecuménique des Eglises, qui se considère déjà comme supérieur à ces Conciles. Par là, il inculque dans l’esprit de ses partisans que les canons de l’Eglise et les actes des Conciles universels sont vétustes et sans actualité.
Entre l’universalité orthodoxe et l’oecuménisme moderne, il existe des contradictions fondamentales et des différences dogmatiques insurmontables. C’est pourquoi le chrétien orthodoxe ne peut être «oecuméniste» au sens moderne du mot. Pas plus qu’on ne saurait être membre de deux confessions différentes -orthodoxie et protestantisme, par exemple- on ne saurait à la fois se dire membre de la Sainte Eglise Universelle (Catholique) Orthodoxe et participer au mouvement oecuménique qui impose, toujours avec plus d’insistance, ses dogmes étrangers à l’orthodoxie.
Les archimandrites Séraphim et Serge appartenaient à l’Eglise bulgare. Démis de leurs fonctions en 1968, à cause de leur prise de position contre l’oecuménisme de l’Eglise bulgare, qui s’est traduit par l’adoption du nouveau-calendrier, ils furent pourchassés à travers toute la Bulgarie ; mais tandis que l’«orthodoxie» officielle les persécutait, la vraie orthodoxie bulgare les connaissait et les respectait. Chaque vendredi, le Père Séraphim recevait à la confession d’innombrables fidèles venus de tous les coins du pays, qui refusaient l’oecuménisme des nouveaux réformateurs de l’orthodoxie. Déjà célèbre comme écrivain et poète religieux, le Père Séraphim était devenu le père spirituel de la Bulgarie vraiment orthodoxe. Il s’est endormi dans le Seigneur le 13/26 janvier 1993.
L’Eglise des vrais chrétiens orthodoxes de Bulgarie, qui vient d’avoir un nouvel évêque, apporte aussi, avec ce livre, un témoignage utile à tous les chrétiens qui n’ont pas plié le genoux devant l’oecuménisme, cette nouvelle statue de Nabuchodonosor.
Vozvrachenie, n 2, 1993.
OECUMENISME HUMANISTE
Le Patriarche Bartholomée de Constantinople a été, du 18 au 20 avril 1994, l’hôte du Parlement Européen à Strasbourg. Cette visite fut l’occasion de promouvoir le syncrétisme oecuméniste et de présenter le patriarche comme une sorte de pape de l’orthodoxie, habilité à parler pour l’Eglise. Dans une conférence de Presse, le Patriarche a repris les mots de Jean-Paul II qui parle des «deux poumons» du christianisme (oriental et occidental) pour affirmer : «la contribution du christianisme sera unilatérale, si elle se limite à un seul poumon». Dans son discours devant les députés européens, il a rappelé l’action oecuméniste de ses prédécesseurs, l’Encyclique de 1920, la rencontre entre Paul VI et Athénagoras en 1964, la levée des anathèmes en 1965, et il a déclaré : «Quant à nous, nous poursuivons l’effort et nous l’avons tout récemment élargi en direction d’un rapprochement interreligieux». Il a également assigné à l’Eglise orthodoxe un but nouveau : «Nous saisissons l’occasion de notre présence parmi vous pour déclarer que nous sommes prêt à mettre nos faibles forces à la disposition du Parlement Européen pour mener à bien dans l’avenir toute étude et tout effort susceptibles de faire face sur le plan paneuropéen au problème écologique. Permettez-nous aussi de faire valoir auprès de vous cette même promptitude face au problème déjà cité du chômage qui frappe l’Europe». L’Eglise, pour Bartholomée, n’est plus le Corps divino-humain du Christ, mais un poumon philanthropique qui se met au service de l’Europe pour la réalisation d’objectifs humains. Comment un vrai évêque orthodoxe doit parler pour être utile à ses auditeurs, Saint Marc l’Ascète nous l’apprend : «Si tu veux en quelques mots aider quelqu’un qui a soif d’apprendre, parle de la prière, de la foi droite et de l’acceptation patiente de ce qui survient. Car tout autre bien se trouve par ces trois». L’esprit mondain qui anime l’oecuménisme ne devient-il pas de plus en plus manifeste (cf 1 Jn 4, 5-6) ?
Episkepsis du 30 avril 1994.
PERSECUTEURS CHERCHENT BONNE CONSCIENCE...
Le patriarche de Constantinople a, nous l’avons vu, rappelé devant le Parlement Européen un de ses récents faits d’armes, en matière d’oecuménisme : «Quant à nous, nous poursuivons l’effort et nous l’avons tout récemment élargi en direction d’un rapprochement interreligieux. Nous avons convoqué un congrès international interconfessionnel au siège du Patriarcat oecuménique qui a eu pour thème "Paix et Tolérance"».
Ce Congrès qui s’est déroulé du 7 au 9 février 1994, entendait «exprimer la volonté des trois religions monothéistes -christianisme, judaïsme et islam- de collaborer pour faire prévaloir la paix, la coexistence des peuples et la tolérance mutuelle dans un monde où la recrudescence du nationalisme conduit à des conflits, voire à des guerres sanglantes ; de démontrer, en outre, que le facteur religieux peut devenir un élément constructif dans l’effort pour instaurer la paix, lorsqu’il n’est pas utilisé pour créer la haine et exciter les passions» (Episkepsis du 31 mars 1994). Ce programme généreux cache malheureusement une triste réalité, si l’on en croit un article du Courrier Economique de New York (3 février 1994). Selon l’auteur, Chrysanthe Lazaridès, ce Congrès a couvert, de manière scandaleuse, la politique de la Turquie en présentant comme défenseur des Droits de l’Homme un gouvernement qui les foule aux pieds. D’où certains «absents» : ni Chypre, ni les Kurdes, ni les organismes luttant, en Turquie même, pour les Droits de l’Homme, ni les Serbes orthodoxes n’ont été invités à cette réunion... pour ne pas déplaire à Ankara. Réunir un tel congrès à Istanbul revient, note le même journaliste, à tenir une conférence contre le racisme en pays d’apartheid.
S’il en est ainsi, les chrétiens orthodoxes, qui se souviennent de la persécution des moines du mont Athos par l’actuel Patriarche, s’étonneront peu de le voir organiser ce rassemblement, car si les Turcs persécutent des «ennemis», le Patriarche, en pourchassant les plus inoffensives de ses brebis, semble revendiquer le titre «de grand patriarche des persécuteurs chrétiens2». Nous ne nous attarderons pas cependant, sur les implications politiques d’un tel rassemblement. En revanche, la façon dont Bartholomée présente la tolérance, mérite l’attention du chrétien orthodoxe.
La tolérance, bien comprise, est certes une vertu évangélique, faite à la fois de respect de la liberté d’autrui et de rigueur face à sa propre foi. Toutefois, la manière dont le Patriarche entend fonder la tolérance, s’écarte totalement de l’Evangile et suppose une foi syncrétique étrangère à l’orthodoxie. Le Patriarche a déclaré : «Nous ne pouvons pas pleurer sans cesse la perte du Paradis, mais nous devons trouver l’espoir pour le royaume de ce monde... les communautés religieuses devront restreindre les pulsions immodérées vers la modernisation pour un sain respect de la tradition. Mais cela ne peut se faire que si nous sommes unis dans l’esprit du Dieu unique, "créateur de toutes choses, visibles et invisibles". Catholiques romains, Orthodoxes et Protestants, Juifs et Musulmans, nous ne pouvons pas nier nos différences, mais nous ne pouvons non plus nier le besoin de nous allier et de collaborer pour guider notre monde loin de l’abîme sanglant du nationalisme extrême et de l’intolérance religieuse... Chers amis, les choses qui nous unissent sont plus nombreuses que les choses qui nous divisent. Que notre congrès puisse être un tournant dans notre histoire. Nous avons la vision du psalmiste : "Rien n’est aussi bon et agréable que des frères habitant ensemble". L’Eglise chrétienne orthodoxe vous donne aujourd’hui la promesse qu’elle fera tout son possible pour réaliser cette vision». Le Patriarche pense donc que le Dieu des divers monothéismes est un seul et le même.
La question se pose : les «monothéistes» ont-ils le «même Dieu» ? Ne doit-on pas distinguer entre le fait de croire en Dieu, foi naturelle que beaucoup d’hommes, de toutes les religions, conservent, et le credo précis nécessaire au salut ? Les réflexions suivantes du Père Basile sont la meilleure réponse à la prétention de Bartholomée de Constantinople qui, sous le masque de la tolérance, prêche en fait son syncrétisme confus et anti-Dieu.
Orthodoxos Typos du 11 février 1994.
AVONS-NOUS LE MÊME DIEU
que les juifs et les musulmans ?
«Les peuples hébreux et islamiques et les chrétiens... ces trois expressions d’un monothéisme identique parlent avec la voix la plus authentique et la plus ancienne, la plus audacieuse et la plus confiante. Pourquoi serait-il impossible que le nom du même Dieu, au lieu de provoquer des conflits insolubles, nous conduise plutôt au respect mutuel, à la compréhension et à la coexistence pacifique ? La référence au même Dieu, au même Père, sans nuire à la discussion théologique, ne devrait-elle pas un jour nous conduire à découvrir ce qui est évident et en même temps difficile à faire comprendre, à savoir que nous sommes tous fils du même Père, et par conséquent, que nous sommes tous frères ?» (propos de Paul VI, cité dans le journal «La Croix» du 11 août 1970)
Le Jeudi 2 Avril 1970, une grande manifestation religieuse a eu lieu à Genève. Dans le cadre de la seconde conférence de l’Association des Religions Unies, les représentants de dix grandes religions ont été invités à se rassembler dans la cathédrale Saint Pierre. Cette «prière commune» était fondée sur la motivation suivante : «les fidèles de toutes ces religions ont été invités à coexister dans le culte du même Dieu».
Examinons si cette affirmation est acceptable à la lumière des Ecritures. Afin de mieux cerner cette question, nous nous limiterons aux trois religions qui se sont succédées historiquement : le judaïsme, le christianisme et l’islam. En fait, ces trois religions prétendent à une origine commune : elles adorent le Dieu d’Abraham. C’est une opinion communément répandue que, puisque nous prétendons tous être descendants d’Abraham (les juifs et les musulmans selon la chair, les chrétiens, spirituellement), nous avons tous pour Dieu le Dieu d’Abraham, et nos trois religions vénèrent -chacune à sa manière bien sûr !- le même Dieu. Et ce même Dieu constitue d’une certaine manière notre point d’accord et de «compréhension mutuelle», et cela nous invite à une «relation fraternelle», comme l’a souligné le Grand Rabbin en paraphrasant le Psaume : «Oh, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble».
Dans cette perspective, il est évident que Jésus Christ, Dieu et Homme, Fils co-éternel du Père, sans commencement, Son Incarnation, Sa Croix, Sa Glorieuse Résurrection et Son Second et Terrible Avènement deviennent des détails secondaires qui ne peuvent pas nous empêcher de fraterniser avec ceux qui le considèrent comme un «simple prophète» (selon le Coran) où comme le fils d’une prostituée (selon certaines traditions talmudiques). Ainsi devrions-nous placer Jésus de Nazareth et Muhammad sur le même plan. Je ne connais pas un chrétien digne de ce nom qui puisse, en conscience, admettre cela.
En tirant un trait sur le passé, on peut affirmer que, pour ces trois religions, Jésus Christ est un être extraordinaire et exceptionnel et qu’Il a été envoyé par Dieu. Mais, pour nous chrétiens, si Jésus Christ n’est pas Dieu, nous ne pouvons le considérer comme un prophète, ou comme un «envoyé de Dieu», mais seulement comme un imposteur sans égal, puisqu’il s’est proclamé «Fils de Dieu», se rendant ainsi égal à Dieu (saint Marc 14, 61-62). Selon cette solution oecuménique, sur le plan supra-confessionnel, le Dieu trinitaire des chrétiens serait le même que Celui qu’on trouve dans le monothéisme du judaïsme, de l’Islam, de l’hérétique Sabellius, des anti-trinitariens modernes et de certaines sectes illuministes. Il n’y aurait pas Trois Personnes en Une Seule Divinité, mais une seule personne, identique pour certains, mais pour d’autres changeant tour à tour de «masque» (Père, Fils, Esprit) ! Et l’on voudrait néanmoins prétendre que c’est «le même Dieu» ! Ici, certains font cette proposition naïve : «Pourtant, en ces trois religions, il y a un point commun : toutes trois confessent Dieu le Père !» Or, selon la sainte foi orthodoxe, cette affirmation est une absurdité. Nous confessons toujours : «Gloire à la Sainte, Consubstantielle, Vivifiante et Indivisible Trinité». Comment pourrions-nous donc séparer le Père du Fils, alors que Jésus Christ affirme que «Le Père et Moi nous sommes Un» (Jn 10, 30) et que saint Jean, l’Apôtre, l’Evangéliste et le Théologien, l’Apôtre de l’amour le proclame bien haut : «Celui qui nie le Fils, ne peut avoir le Père» (1 Jn 2, 23).
Mais même si les trois religions appellent Dieu, Père ; de qui est-Il vraiment le Père ? Pour les juifs et les musulmans, il est le Père des hommes, car Il les a créés ; alors que pour nous chrétiens, Il est le «Père de Notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux céleste en Christ ! En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté» (Eph. 1, 4-5). Quelle ressemblance peut-il y avoir entre la Paternité divine dans le christianisme et celle des autres religions ? D’aucuns pourraient dire : «Mais tout de même, Abraham adorait le Vrai Dieu ; et les juifs à travers Isaac et les musulmans, à travers Agar, sont les descendants de ce véritable adorateur de Dieu». Ici, il faut clarifier plusieurs points : Abraham a adoré non pas le Dieu d’un monothéisme unipersonnel, comme c’est le cas dans le judaïsme et l’islam, mais la Très Sainte Trinité. Nous lisons dans les Saintes Ecritures : «Le Seigneur lui apparut parmi les chênes de Mambré, comme il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente et se prosterna en terre, et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je t’en prie, loin de ton serviteur» (Genèse 18, 1-4). Sous quelle forme Abraham adora-t-il Dieu ? sous une forme unipersonnelle, ou sous la forme de la Divinité tri-une ? Nous, chrétiens orthodoxes, vénérons cette manifestation de la Sainte Trinité dans l’Ancien Testament lorsque, le jour de la Pentecôte, nous ornons nos églises de branchages symbolisant les chênes antiques, et lorsque nous vénérons l’Icône des Trois Anges au milieu de l’Eglise, tout comme notre Père Abraham l’a vénérée !
Descendre d’Abraham selon la chair ne nous est d’aucune utilité, si nous ne sommes pas régénérés par les eaux du Baptême et renouvelés dans la Foi d’Abraham. Et la Foi d’Abraham était la foi en Jésus Christ, comme l’a dit le Seigneur Lui-même : «Votre père Abraham a tressailli d’allégresse à la pensée de voir mon jour. Il l’a vu et il s’est réjoui» (Jn 8, 56). Telle était également la Foi du Roi et Prophète David, qui avait entendu le Père parler à son Fils consubstantiel : «Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite» (Psaume 109, 1 ; Actes 2, 34). Telle était la Foi des trois adolescents dans la fournaise ardente, quand ils furent sauvés par le Fils de Dieu (Daniel 3, 25) ; et du saint Prophète Daniel qui a eu la vision des deux natures de Jésus Christ dans le mystère de l’Incarnation, quand le Fils de l’homme est venu vers l’Ancien des jours (Daniel 7, 13). Voilà pourquoi le Seigneur qui s’adresse à la postérité (biologiquement incontestable) d’Abraham, a dit : «Si vous étiez les enfants d’Abraham, vous feriez les oeuvres d’Abraham» (Jn 8, 39) et ces «oeuvres» sont de «croire en Celui que Dieu a envoyé» (Jn 6, 29).
Qui est donc la postérité d’Abraham ? S’agit-il des fils d’Isaac selon la chair, ou les fils d’Agar l’égyptienne ? que dit l’Ecriture par la voix du divin Apôtre ?
«Or, les promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité. Il n’est pas dit: et aux postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais en tant qu’il s’agit d’une seule : et à ta postérité, c’est à dire, à Christ» (Gal. 3, 16). «Et si vous êtes à Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse» (Gal. 3, 29).
C’est en Jésus Christ qu’Abraham est devenu «père de nombreuses nations» (Gen. 17, 5 ; Rom. 4, 17). Devant de telles promesses et de telles certitudes, que peut bien signifier le simple fait de descendre d’Abraham selon la chair ? Selon les Saintes Ecritures, Isaac est considéré comme la semence, ou la postérité d’Abraham, mais surtout comme l’image de Jésus Christ. Contrairement à Ismaël (le fils d’Agar ; Gen. 16 :1-16), Isaac est né de la liberté miraculeuse d’une femme stérile et âgée, contre les les lois de la nature, d’une manière semblable à celle de Notre Sauveur, qui est né miraculeusement d’une Vierge. Il est monté sur le colline de Morija, tout comme le Christ est monté sur le calvaire, portant sur ses épaules le bois du sacrifice. Un ange a délivré Isaac de la mort ; de la même façon un ange a roulé la pierre pour nous montrer que le tombeau était vide, et que le Ressuscité n’était plus là. A l’heure de la prière, Isaac a rencontré Rébecca dans la plaine et l’a amenée jusqu’à la tente de sa mère Sarah, de la même façon Jésus viendra à la rencontre de Son Eglise sur les nuées afin de l’amener vers les demeures célestes, la Nouvelle Jérusalem, la patrie tant désirée.
Certes non ! Nous n’avons pas du tout le même Dieu que les juifs et les musulmans. La condition sine qua non pour connaître le Père, est le Fils. «Celui qui me voit, voit le Père ; aucun homme ne peut venir au Père, si ce n’est par Moi» (Jean 14, 6-9). Notre Dieu est un Dieu Incarné «que nous avons vu de nos yeux, et que nos mains ont touché» (1 Jean 1, 1). L’immatériel est devenu matériel pour notre salut, comme dit saint Jean Damascène, et il s’est révélé à nous. Mais quand donc s’est-Il révélé aux juifs et aux musulmans d’aujourd’hui, pour que nous puissions supposer qu’ils connaissent Dieu ? S’ils ont une connaissance de Dieu en-dehors de Jésus Christ, alors le Christ s’est incarné, est mort et est ressuscité en vain !
Non, ils ne connaissent pas le Père. Ils ont leurs propres conceptions concernant le Père; mais toute conception de Dieu est une idole, car toute conception est le produit de notre imagination, la création d’un dieu à notre image et à notre ressemblance. Pour nous chrétiens, Dieu est inconcevable, incompréhensible, indescriptible et immatériel, comme le dit le grand saint Basile : «Pour notre salut, Il s’est fait matériel et descriptible, pour autant que nous voulions nous unir à Lui. Révélation dans le mystère de l’incarnation de son Fils. A Lui, soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen». C’est pourquoi St Cyprien de Carthage affirme que «celui qui n’a pas l’Eglise pour mère, n’a pas Dieu pour Père» !
Que le Seigneur nous préserve de l’Apostasie et de l’avènement de l’Antichrist dont les signes avant-coureurs se multiplient jour après jour. Qu’Il nous préserve de la grande tribulation que même les élus ne pourraient supporter sans la Grâce de Dieu qui abrégera ces jours, et qu’Il nous garde parmi son «petit troupeau qui demeure selon l’élection de la grâce» afin que, comme Abraham, nous puissions nous réjouir de voir la lumière de Sa Face, par les prières de la Toute Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie, de toutes les puissances célestes, de la nuée des prophètes, martyrs, hiérarques, évangélistes et confesseurs, qui sont restés fidèles jusqu’à la mort, qui ont versé leur sang pour le Christ, et nous ont engendrés selon l’Evangile de Jésus Christ et dans les eaux du Baptême. Nous sommes leurs fils, faibles, pécheurs et indignes certes, mais nous n’étendrons pas les mains vers un dieu étranger ! Amen.
Père Basile Sakkas
La Foi Transmise (Genève, 5 Avril 1970).
ET LECTURE DE LA PRESSE
DECOUVERTE DES RELIQUES
et canonisation de l’Archevêque Jean
Depuis de longues années déjà se répand dans l’orthodoxie la vénération de Monseigneur Jean Maximovitch, qui naquit le 4 juin 1896 dans la Russie du Sud et qui s’est endormi dans le Seigneur le 19 juin/2 juillet 1966 à Seattle, après avoir prédit la date de sa mort. La vie de Monseigneur Jean a été liée à toutes les tribulations de l’Eglise russe au vingtième siècle. Après avoir étudié à l’Université de Kharkov, il connut, avec toute sa famille, l’exode au temps de la guerre civile (1921) et fut professeur au séminaire Saint-Jean-le-Théologien à Bitol en Serbie. Il devint ensuite Archevêque de Changaï, qu’il dut fuir devant l’arrivée des communistes, avec les orphelins dont il s’occupait. Ayant réussi à faire passer son troupeau en Amérique du Nord, il fut placé par le Synode des Evêques de l’Eglise Russe Hors Frontières à la tête de l’archidiocèse de l’Europe Occidentale, dont le siège était à Paris, puis à Bruxelles. Monseigneur Jean refusa absolument de se soumettre à la hiérarchie soumise au pouvoir athée de Moscou. Hiérarque de l’Eglise russe en exil, il accomplissait une double tâche, de protection de son troupeau et de mission auprès des Occidentaux qu’il ramenait à la foi de leurs pères. A partir de 1962, il fut Archevêque de San Francisco, où il repose à présent dans la Cathédrale, dédiée à la Mère de Dieu Joie de tous les Affligés.
Ne faisant que confirmer le sentiment du peuple orthodoxe du monde entier, le Synode de l’Eglise Russe Hors Frontières a canonisé Monseigneur Jean Maximovitch, le 19 juin/2 juillet 1994, jour anniversaire de sa dormition.
Auparavant, le 28 septembre/11 octobre 1993, les hiérarques de l’E.R.H.F., dont les Archevêques Antoine et Laurus et l’Evêque Cyrille, après s’être préparés par la prière et le jeûne, avaient solennellement ouvert le cercueil du bienheureux Jean, révélant son corps intact et non corrompu.
Voici des extraits du récit, publié dans Orthodox Life, de cette merveilleuse découverte, telle que la racontent les membres de la commission.
A 22 h 10, l’Archevêque Antoine, avec crainte et tremblement, ouvrit le cercueil où reposent les vénérables reliques de l’Archevêque Jean de bienheureuse mémoire.
Le visage du Père Jean se trouvait voilé et la première chose que toute l’assistance observa furent ses mains, non corrompues et d’une teinte claire. La mitre et les ornements blancs que portait Vladika Jean avaient tourné au vert. Après s’être signé, et lisant le psaume 50, l’Archevêque Antoine retira le voile (l’aer) qui cachait la face du saint hiérarque et tous purent contempler son visage inaltéré, au teint clair. Sa barbe était parfaitement intacte. Ses yeux s’étaient creusés, mais cela se remarquait à peine car la mitre qui ornait le chef de Vladika descendait bas sur son front.
Sous les ornements blancs, les vêtements paraissaient presque totalement décomposés, et l’on apercevait ses jambes, de couleur sombre : en effet, Vladika avait beaucoup souffert des jambes et ces maux les avaient noircies. Sur l’une d’elles se voyait la marque de la plaie qu’il y avait reçue de son vivant.
On ne percevait aucune odeur de décomposition. Une légère trace d’humidité, qui devait venir de la rouille ou de la terre, humectait le cercueil.
On décida de déposer les reliques dans une nouvelle châsse de bois. Le clergé présent, ne sachant si le corps tiendrait ferme, disposa sous lui un linceul, et le transféra ainsi dans le nouveau cercueil. Quand on souleva le corps de l’Archevêque, on s’aperçut qu’il était à la fois rigide et d’une grande légèreté, et non souple et fragile, comme on s’y fût attendu (...).
Du témoignage du Lecteur Vladimir Krassovsky, présent lors de l’ouverture du cercueil, nous extrayons les précisions suivantes : «Les mains sèches et intactes de Vladika Jean étaient légèrement levées parce que la partie inférieure du torse s’était affaissée. On voyait bien la peau et les ongles. Le chapelet qu’il avait tenu de la main droite était tombé en poussière. (...) Nous contemplâmes dans un profond recueillement le visage non corrompu du hiérarque endormi dans le Seigneur. Sa carnation était claire, presque blanche, les cheveux de sa tête, sa barbe et ses sourcils, de couleur grise, restés intacts sur son visage. Ses cils mêmes se sont conservés».
Près de la cathédrale se tenait un des prêtres du diocèse, le Père Yaroslav (Belikow), qui attendait l’ouverture des reliques, en compagnie de son fils âgé de deux ans et malade des reins. On les fit descendre pour vénérer le corps du saint Archevêque et le petit enfant Vsevolod fut placé sur les mains non corrompues de Monseigneur Jean.
Le clergé chanta le tropaire des hiérarques : «Docteur de l’Orthodoxie», célébra une litie et tous vénérèrent la tombe de saint Jean Maximovitch et reçurent l’onction de l’huile de sa veilleuse.
Il est impossible ici de résumer les travaux et les miracles de Monseigneur Jean qui se révéla tout ensemble grand ascète, vrai théologien, homme de prière et inlassable missionnaire1. Ce luminaire de l’Eglise a fait rayonner la vraie lumière du Christ dans la Chine, l’Europe, l’Afrique et l’Amérique de notre siècle, et jusqu’aux Philippines. Colonne de l’Eglise, il a joué un rôle important dans le développement de l’orthodoxie en Hollande et en France. De son oeuvre colossale, nous n’évoquerons qu’une petite perle, que la revue Russie Orthodoxe (Pravoslanoi Russ) vient de republier (n10 du 15/28 mai 1994, p. 9) : dans un mandement au clergé, daté du 23 avril 1953, saint Jean, alors à Paris, invite à ajouter aux saints que l’on commémore, notamment à la fin des offices, ceux de l’Eglise locale -en particulier, à Paris, saint Denys, sainte Geneviève, saint Claude, à Lyon, saint Irénée, à Marseille saint Cassien, saint Victor, à Toulouse saint Saturnin, à Tours saint Martin. Dépassant, dans son amour de l’Eglise, tout phylétisme, Monseigneur Jean mettait, de manière juste et orthodoxe, sa conscience de l’Histoire au service de son zèle missionnaire.
Sa mort fut, comme sa vie, pleine de la grâce de Dieu et nous pensons qu’à l’ouverture de ses reliques, un sentiment de joie emplit les coeurs des orthodoxes, tel celui que décrivait, dans ses Pensées sur la mort, le saint Evêque Ignace Brianchaninov : «Avez-vous déjà vu le corps d’un juste que son âme a quitté ? Il n’en émane aucune odeur mauvaise ; on ne craint point de l’approcher. Lors de son enterrement, la tristesse se dissipe dans une sorte d’incompréhensible joie». Par la prière de Vladika Jean, Dieu a opéré d’innombrables miracles, et continue d’en accomplir pour tous ceux qui implorent l’intercession de Son saint hiérarque.
Par les prières de notre saint père Jean, Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, aie pitié de nous !
Orthodox Life, vol. 43, n 6, nov.-déc. 1993.
SUR L’EXPULSION DES MOINES DE L’ATHOS
Deux revues ont publié des précisions intéressantes sur l’expulsion des moines de la Skite du Prophète-Elie hors du Mont Athos (7/20 mai 1992), dont La Lumière du Thabor a rendu compte dans ses précédentes livraisons.
a) Il s’agit tout d’abord du texte rédigé à l’intention du Patriarche de Moscou par le moine Nicolas, qui représentait, à la Sacrée Communauté, le Monastère Saint-Pantéléimon, seul «monastère» (au sens administratif du terme, de communauté représentée directement à la Sacrée Communauté, tandis que les «skites» dépendent ne le sont pas) russe de l’Athos. Le moine Nicolas souligne l’antipathie du Patriarcat de Constantinople à l’égard de l’Eglise Russe Hors Frontières -il rappelle le cas de l’ex-higoumène du Monastère de Philothéou, l’archimandrite Ephrem, qui avait quitté le Patriarcat pour le Synode Russe- et l’intérêt que pouvait trouver le Patriarcat à récupérer le métochion de six étages appartenant au Prophète-Elie et qui se trouve à Constantinople. De ce point de vue, le cas du Prophète-Elie n’est pas isolé puisque la Skite de Saint-André, qui possédait aussi un métochion à Constantinople, a été également pillé sans pitié en 1972, quand il est passé aux mains des moines de Vatopédi. Pour éviter qu’Alexis II ne réclame la restitution de ce dernier, une fraternité grecque de Thessalonique se tiendrait prête à s’y installer. Lors de l’assemblée des représentants des monastères qui fit suite à l’expulsion, la Sacrée Communauté, en présence des envoyés du Patriarcat «prit la décision de légaliser leurs actions illégitimes et ainsi les représentants décidèrent de suivre la voie du mensonge pour complaire aux exarques du Patriacat». La Sacrée Communauté, en effet, signa un texte où elle affirme avoir été mise au courant du projet patriarcat, et l’avoir accepté, au soir du 6 mai, veille de l’expulsion. Le moine Nicolas décrit l’atmosphère de la réunion : «En qualité de représentant du monastère et de témoin de presque tous les événements, je dois reconnaître que la séance de la Sacrée Communauté concernant la Skite du Saint Prophète Elie m’a beaucoup affligée. La peur des représentants des monastères était très grande et de nombreux représentants craignaient de me saluer en présence des exarques et même de me dire ’Christ est ressuscité !’
La peur régnait dans la salle des séances et peu nombreux furent ceux qui purent la surmonter pour faire remarquer aux exarques combien leurs actes avaient été injustes dans l’affaire des expulsions. Mais aucun d’entre eux n’osa même faire allusion devant les exarques au fait que, malgré tout, la skite du Prophète-Elie était une skite russe et que, selon l’histoire et la tradition, ce sont des Russes qui doivent y demeurer. Les représentants me tinrent un tout autre langage lorsque, dans la soirée du 8 mai, les exarques, satisfaits de leur succès, les eurent quittés, accompagnés du gouverneur, de son adjoint, de son secrétaire et de la police...»
Le moine Nicolas écrit : «Je fis remarquer que sur le Mont Athos presque la moitié des résidents (moines et novices) des monastères ne commémore pas le nom du Patriarche car ils sont zélotes... Pourquoi ne les chassait-on pas ? La réponse des exarques fut simple : comme ils sont nombreux, on ne peut tous les chasser en même temps, mais peu à peu leur tour viendra».
Le moine Nicolas -pourtant lui-même partisan de la commémoration du Patriarche apostat- conclut : «Je ne peux en aucun cas être d’accord avec l’expulsion inhumaine et honteuse des quatre moines de la Skite du Saint Prophète-Elie, sans avertissement préalable à la Sacrée Communauté. Et, comme s’il se fut agi de criminels ou d’assassins, on ne leur laissa qu’une heure pour préparer leurs affaires. Et quoique l’expulsion ait eu lieu, pourquoi la commission de la Sacrée Communauté n’est-elle pas restée sur place pour faire l’inventaire des objets de la skite en présence des exarques, au lieu de l’abandonner à la profanation et au pillage ?
Au moment où, partout sur l’Athos, on célébrait les vêpres en l’honneur de l’évangéliste Jean le Théologien, apôtre de la paix, de l’amour et de la compassion... au même moment, à la skite du Prophète-Elie, se déroulaient des vêpres du Vendredi Saint, où l'on crucifiait et le Christ, et la Skite, et le saint Prophète. Lui, le saint Apôtre, a été témoin de cette crucifixion et, en vérité, il témoigne que les autorités ont agi avec beaucoup de cruauté et d'inhumanité.
Voilà déjà soixante dix ans que l'Eglise Russe est sur la Croix, crucifiée par les communistes, les sans-Dieu, et toutes les puissances de l'enfer... Mais, pour une raison inconnue, en temps de paix et sous la protection du gouvernement grec, et sous la juridiction du Patriarche oecuménique, toutes les skites, toutes les cellules et kalybes russes sont crucifiées, toutes sont pillées et démolies. Au lieu d'aider l'Eglise Russe et de laver ses plaies et ses blessures en y versant du vin et des huiles saintes, l’on y verse du sel et du vinaigre et l’on enfonce plus avant les clous dans la Croix.... Est-ce parce qu'elle a toujours aidé le Mont Athos ?... est-ce parce que sur le Mont Athos, tous les offices sont célébrés avec les vases sacrés d’or et d’argent que la riche Russie prodiguait à tous ? Peut-être aussi parce que, lors des solennités, on use d’ornements, linges et ustensiles russes ? Ou parce que le peuple russe a aidé les Grecs dans leur lutte contre les Turcs et que plusieurs centaines de milliers de soldats russes orthodoxes sont morts pour la liberté des Balkans et de la Grèce ? Pourquoi abreuve-t-on l'Eglise Russe de vinaigre, pourquoi partage-t-on son vêtement en le tirant au sort ? Que la conscience de chacun réponde à cette question... Je prie le Seigneur, le saint prophète Elie et le saint Apôtre Jean le Théologien qu'ils pardonnent à tous ceux qui ont fait du mal et crucifié la skite et que cela ne leur soit pas imputé à péché... Ayant agi comme elle l'a fait sur le Mont Athos, la commission patriarcale n'a pas gagné la sympathie des moines athonites. Au contraire, beaucoup commencent à réfléchir, car le saint Evangile dit : Vous les reconnaîtrez à leurs oeuvres».
Russie Orthodoxe (Pravoslavnoi Russ), n 12 et 13 (juin-juillet 1994).
b) Le second texte est le témoignage d'un autre moine Nicolas (Cheveltchinski), qui appartenait à la communauté expulsée, celle du Père Séraphim. Visitant Notre-Dame de Kazan, en octobre 1992, le moine Nicolas y remit une icône de la Mère de Dieu, emportée au dernier moment de la Skite et, avant de repartir pour la Terre Sainte, puis pour l'Athos, il raconta au journal Retour (Vozvrachenie) comment il avait vécu les événements.
Le moine Nicolas rappelle tout d'abord l'installation de saint Païssius Vélichkovsky à la cellule du Prophète Elie puis, après son départ, l'existence d'une communauté slave, florissante jusqu'à la Révolution russe. Tous les monastères russes ont dépéri à partir de la Révolution. Le monastère russe de saint Pantéléimon, presque vide, reçut, grâce à l'intervention du Métropolite Nikodim de Léningrad, un apport important de moines soviétiques. Malheureusement, ces moines modernistes, commencèrent rapidement à tout bouleverser. Devant cette expérience malheureuse, les Pères du Prophète-Elie refusèrent d'accueillir des moines provenant de Russie, préférant le déclin à la corruption. C'est alors que le Père Séraphim arriva d'Amérique. Peu après moururent les deux Anciens de la Skite, mais le Père Séraphim resta fidèle à leur principe, de n'admettre que des moines de l'émigration slave ou russe.
Ayant cessé de commémorer le Patriarche de Constantinople à cause de l'oecuménisme, la Skite du Prophète Elie n'était pas, dans les années soixante, une exception sur la Sainte Montagne. Avec le temps, toutefois, de jeunes moines issus de l'Eglise nouvelle-calendariste de Grèce, vinrent grossir les rangs des monastères et en altérer l'esprit. Aujourd'hui, il ne reste que les moines des kellia et un seul monastère, celui d'Esphigménou, pour refuser la communion de Constantinople. «A l'encontre d'un monastère grec, dit le moine Nicolas, on ne peut naturellement rien entreprendre d'emblée. En premier lieu parce qu'il est grec et dans son pays. En deuxième lieu, Esphigménou est bâti comme une forteresse et il ne serait pas si simple de l'occuper. Notre skite était également grande et solide, mais nous étions des étrangers. Et c'est cela qui paraissait le point faible. De plus, des pèlerins venaient constamment dans notre skite hospitalière et nous leur expliquions notre position concernant la non-commémoration du patriarche. C'est que la majorité des gens n'est au courant de rien. Mais cette profession de foi déplaisait aux Grecs modernistes».
Toutefois, il ne s'est rien passé jusqu'à l'élection du nouveau patriarche. Selon le moine Nicolas, «Ayant étudié au Vatican, le Patriarche Bartholomée apparaît comme un grand sympathisant de l'Eglise latine. Il a donc commencé à mener un combat décisif pour nettoyer le Mont Athos des fanatiques qui s'y trouvaient (c'est ainsi qu'on nous appelait au Mont Athos)».
Voici son récit de l'expulsion : «Les hiérarques arrivés avec les moines du monastère du Pantocrator se dirigèrent vers la salle de réception, pour parler avec notre higoumène Séraphim. A la porte de cette salle, des policiers se postèrent. On proposa au Père Séraphim de téléphoner immédiatement au Patriarche et de lui communiquer sa décision de commémorer dorénavant son nom. L'higoumène Séraphim refusa. Alors ils dirent aux policiers : "Emmenez-les". Tout se passa incroyablement vite et d'une manière tout-à-fait inattendue. Les policiers nous emmenèrent à nos cellules, se postèrent aux portes et nous invitèrent à préparer les effets les plus indispensables. Pensant qu'il ne s'agissait que de nous deux, non encore inscrits dans le monastère en tant que nouveaux moines, je ne pris pas beaucoup d'effets. Mais plus tard je compris que c'était une erreur ; l'higoumène Séraphim et le Père Joannice n'eurent pas plus de temps que nous pour rassembler leurs effets et il s'avéra que personne n'avait eu la moindre intention de laisser ces Pères à la skite, fût-ce pour le plus bref laps de temps. L'higoumène Séraphim se mit à protester contre cette violation de la légalité et dit qu'il n'irait nulle part... Le policier dit assez durement à l'higoumène : "Ne nous empêchez pas de faire ce que nous avons à faire !" Et nous comprîmes que si le Père Séraphim était resté assis dans sa cellule, on l'aurait tout simplement transporté jusqu'à la voiture où on l'aurait installé de vive force».
Le moine Nicolas souligne aussi que le Patriarcat, en agissant ainsi, a voulu éviter la publicité qu'un procès aurait nécessairement suscitée ; de plus, les débats auraient laissé aux moines le temps d'emporter leurs biens. «Mais nos persécuteurs avaient des buts tout autres. Ils voulaient non seulement chasser une fraternité indocile, mais aussi conserver tout ce qu'ils pouvaient pour les futurs occupants. Après notre expulsion, il restait cinq cents kilos d'huile d'olive, des produits divers, un tracteur valant presque un million et d'autres objets indispensables».
«Ayant rassemblé nos affaires, pour la dernière fois nous allâmes dans notre église vénérer les icônes ; tel fut notre adieu à la Skite de Saint-Elie qui, pendant plusieurs siècles, fut un île de l'orthodoxie canonique sur le Mont Athos».
Vozvrachenie, n 1, 1993.
RUSSIE : UN LIVRE IMPORTANT SUR L’OECUMENISME
La même revue Retour (Vozvrachenie) éditée par l’Eglise Russe libre (qui ne commémore pas le Patriarche de Moscou) publie dans son second numéro le compte-rendu d’un ouvrage des Archimandrites Séraphim (Alekseieff) et Serge (Iazadjieff). Traduit du bulgare, ce livre intitulé Pourquoi un chrétien orthodoxe n’a pas le droit d’être oecuméniste a paru à Saint Pétersbourg en 1992, tiré à trente mille exemplaires. L’édition bulgare est en préparation.
Les auteurs définissent l’oecuménisme moderne, cette «loi nouvelle» dont parlait le Patriarche Timothée de Jérusalem (+1955) dans un sermon prononcé pour la fête de la Pentecôte : «Seigneur Jésus Christ ! Dans Ton Eglise il y a des personnes qui ne sont pas Tes apôtres et qui ne Te prient pas... ils ont oublié Jérusalem et se sont tournés vers Genève où ils ont établi de nouvelles tables de la loi. Mais toi, Genève, qui as été élevée jusqu’au ciel, tu seras précipitée jusque dans les enfers» (Cf Luc 10, 15). L’histoire même du terme «oecuménisme» est éclairante. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour ceux qui tentent d’en changer le sens. L’adjectif «oecuménique», en effet, appartient à la tradition orthodoxe avec le sens d’«universel» (en grec, oikouméné, terre habitée). La Sainte Eglise Orthodoxe est universelle par essence. Or le mouvement oecuménique moderne prétend également à l’universalisme en substituant à l’unité universelle dans la vraie foi une union purement mécanique de diverses confessions qui se sont détachées de l’orthodoxie et qui lui sont étrangères. D’où le caractère radicalement nouveau que revêt l’oecuménisme moderne. Il est apparu en Angleterre et aux U.S.A. au milieu du XIXème siècle, comme moyen d’unir les diverses confessions chrétiennes improprement nommées «Eglises». Le Conseil Oecuménique des Eglises, fondé à Amsterdam en 1948 et dont le siège se trouve à Genève, s’y emploie avec ardeur.
Selon les auteurs, dès la Conférence missionnaire internationale d’Edinburgh, en 1910, qui vit naître le projet de l’oecuménisme moderne et son nom, l’introduction de ce terme par John Motte (1865-1955), président de l’YMCA, n’était pas sans arrière-pensée. Il cachait la volonté de se substituer à l’Eglise. Au lieu du terme latin «universel», on choisit l’équivalent grec «oecuménikos», qui s’applique d’abord à l’Eglise orthodoxe. Le but premier était évidemment de masquer le projet hérétique sous un terme orthodoxe, et l’objectif lointain, d’identifier les Conciles Oecuméniques avec le Conseil Oecuménique des Eglises, qui se considère déjà comme supérieur à ces Conciles. Par là, il inculque dans l’esprit de ses partisans que les canons de l’Eglise et les actes des Conciles universels sont vétustes et sans actualité.
Entre l’universalité orthodoxe et l’oecuménisme moderne, il existe des contradictions fondamentales et des différences dogmatiques insurmontables. C’est pourquoi le chrétien orthodoxe ne peut être «oecuméniste» au sens moderne du mot. Pas plus qu’on ne saurait être membre de deux confessions différentes -orthodoxie et protestantisme, par exemple- on ne saurait à la fois se dire membre de la Sainte Eglise Universelle (Catholique) Orthodoxe et participer au mouvement oecuménique qui impose, toujours avec plus d’insistance, ses dogmes étrangers à l’orthodoxie.
Les archimandrites Séraphim et Serge appartenaient à l’Eglise bulgare. Démis de leurs fonctions en 1968, à cause de leur prise de position contre l’oecuménisme de l’Eglise bulgare, qui s’est traduit par l’adoption du nouveau-calendrier, ils furent pourchassés à travers toute la Bulgarie ; mais tandis que l’«orthodoxie» officielle les persécutait, la vraie orthodoxie bulgare les connaissait et les respectait. Chaque vendredi, le Père Séraphim recevait à la confession d’innombrables fidèles venus de tous les coins du pays, qui refusaient l’oecuménisme des nouveaux réformateurs de l’orthodoxie. Déjà célèbre comme écrivain et poète religieux, le Père Séraphim était devenu le père spirituel de la Bulgarie vraiment orthodoxe. Il s’est endormi dans le Seigneur le 13/26 janvier 1993.
L’Eglise des vrais chrétiens orthodoxes de Bulgarie, qui vient d’avoir un nouvel évêque, apporte aussi, avec ce livre, un témoignage utile à tous les chrétiens qui n’ont pas plié le genoux devant l’oecuménisme, cette nouvelle statue de Nabuchodonosor.
Vozvrachenie, n 2, 1993.
OECUMENISME HUMANISTE
Le Patriarche Bartholomée de Constantinople a été, du 18 au 20 avril 1994, l’hôte du Parlement Européen à Strasbourg. Cette visite fut l’occasion de promouvoir le syncrétisme oecuméniste et de présenter le patriarche comme une sorte de pape de l’orthodoxie, habilité à parler pour l’Eglise. Dans une conférence de Presse, le Patriarche a repris les mots de Jean-Paul II qui parle des «deux poumons» du christianisme (oriental et occidental) pour affirmer : «la contribution du christianisme sera unilatérale, si elle se limite à un seul poumon». Dans son discours devant les députés européens, il a rappelé l’action oecuméniste de ses prédécesseurs, l’Encyclique de 1920, la rencontre entre Paul VI et Athénagoras en 1964, la levée des anathèmes en 1965, et il a déclaré : «Quant à nous, nous poursuivons l’effort et nous l’avons tout récemment élargi en direction d’un rapprochement interreligieux». Il a également assigné à l’Eglise orthodoxe un but nouveau : «Nous saisissons l’occasion de notre présence parmi vous pour déclarer que nous sommes prêt à mettre nos faibles forces à la disposition du Parlement Européen pour mener à bien dans l’avenir toute étude et tout effort susceptibles de faire face sur le plan paneuropéen au problème écologique. Permettez-nous aussi de faire valoir auprès de vous cette même promptitude face au problème déjà cité du chômage qui frappe l’Europe». L’Eglise, pour Bartholomée, n’est plus le Corps divino-humain du Christ, mais un poumon philanthropique qui se met au service de l’Europe pour la réalisation d’objectifs humains. Comment un vrai évêque orthodoxe doit parler pour être utile à ses auditeurs, Saint Marc l’Ascète nous l’apprend : «Si tu veux en quelques mots aider quelqu’un qui a soif d’apprendre, parle de la prière, de la foi droite et de l’acceptation patiente de ce qui survient. Car tout autre bien se trouve par ces trois». L’esprit mondain qui anime l’oecuménisme ne devient-il pas de plus en plus manifeste (cf 1 Jn 4, 5-6) ?
Episkepsis du 30 avril 1994.
PERSECUTEURS CHERCHENT BONNE CONSCIENCE...
Le patriarche de Constantinople a, nous l’avons vu, rappelé devant le Parlement Européen un de ses récents faits d’armes, en matière d’oecuménisme : «Quant à nous, nous poursuivons l’effort et nous l’avons tout récemment élargi en direction d’un rapprochement interreligieux. Nous avons convoqué un congrès international interconfessionnel au siège du Patriarcat oecuménique qui a eu pour thème "Paix et Tolérance"».
Ce Congrès qui s’est déroulé du 7 au 9 février 1994, entendait «exprimer la volonté des trois religions monothéistes -christianisme, judaïsme et islam- de collaborer pour faire prévaloir la paix, la coexistence des peuples et la tolérance mutuelle dans un monde où la recrudescence du nationalisme conduit à des conflits, voire à des guerres sanglantes ; de démontrer, en outre, que le facteur religieux peut devenir un élément constructif dans l’effort pour instaurer la paix, lorsqu’il n’est pas utilisé pour créer la haine et exciter les passions» (Episkepsis du 31 mars 1994). Ce programme généreux cache malheureusement une triste réalité, si l’on en croit un article du Courrier Economique de New York (3 février 1994). Selon l’auteur, Chrysanthe Lazaridès, ce Congrès a couvert, de manière scandaleuse, la politique de la Turquie en présentant comme défenseur des Droits de l’Homme un gouvernement qui les foule aux pieds. D’où certains «absents» : ni Chypre, ni les Kurdes, ni les organismes luttant, en Turquie même, pour les Droits de l’Homme, ni les Serbes orthodoxes n’ont été invités à cette réunion... pour ne pas déplaire à Ankara. Réunir un tel congrès à Istanbul revient, note le même journaliste, à tenir une conférence contre le racisme en pays d’apartheid.
S’il en est ainsi, les chrétiens orthodoxes, qui se souviennent de la persécution des moines du mont Athos par l’actuel Patriarche, s’étonneront peu de le voir organiser ce rassemblement, car si les Turcs persécutent des «ennemis», le Patriarche, en pourchassant les plus inoffensives de ses brebis, semble revendiquer le titre «de grand patriarche des persécuteurs chrétiens2». Nous ne nous attarderons pas cependant, sur les implications politiques d’un tel rassemblement. En revanche, la façon dont Bartholomée présente la tolérance, mérite l’attention du chrétien orthodoxe.
La tolérance, bien comprise, est certes une vertu évangélique, faite à la fois de respect de la liberté d’autrui et de rigueur face à sa propre foi. Toutefois, la manière dont le Patriarche entend fonder la tolérance, s’écarte totalement de l’Evangile et suppose une foi syncrétique étrangère à l’orthodoxie. Le Patriarche a déclaré : «Nous ne pouvons pas pleurer sans cesse la perte du Paradis, mais nous devons trouver l’espoir pour le royaume de ce monde... les communautés religieuses devront restreindre les pulsions immodérées vers la modernisation pour un sain respect de la tradition. Mais cela ne peut se faire que si nous sommes unis dans l’esprit du Dieu unique, "créateur de toutes choses, visibles et invisibles". Catholiques romains, Orthodoxes et Protestants, Juifs et Musulmans, nous ne pouvons pas nier nos différences, mais nous ne pouvons non plus nier le besoin de nous allier et de collaborer pour guider notre monde loin de l’abîme sanglant du nationalisme extrême et de l’intolérance religieuse... Chers amis, les choses qui nous unissent sont plus nombreuses que les choses qui nous divisent. Que notre congrès puisse être un tournant dans notre histoire. Nous avons la vision du psalmiste : "Rien n’est aussi bon et agréable que des frères habitant ensemble". L’Eglise chrétienne orthodoxe vous donne aujourd’hui la promesse qu’elle fera tout son possible pour réaliser cette vision». Le Patriarche pense donc que le Dieu des divers monothéismes est un seul et le même.
La question se pose : les «monothéistes» ont-ils le «même Dieu» ? Ne doit-on pas distinguer entre le fait de croire en Dieu, foi naturelle que beaucoup d’hommes, de toutes les religions, conservent, et le credo précis nécessaire au salut ? Les réflexions suivantes du Père Basile sont la meilleure réponse à la prétention de Bartholomée de Constantinople qui, sous le masque de la tolérance, prêche en fait son syncrétisme confus et anti-Dieu.
Orthodoxos Typos du 11 février 1994.
AVONS-NOUS LE MÊME DIEU
que les juifs et les musulmans ?
«Les peuples hébreux et islamiques et les chrétiens... ces trois expressions d’un monothéisme identique parlent avec la voix la plus authentique et la plus ancienne, la plus audacieuse et la plus confiante. Pourquoi serait-il impossible que le nom du même Dieu, au lieu de provoquer des conflits insolubles, nous conduise plutôt au respect mutuel, à la compréhension et à la coexistence pacifique ? La référence au même Dieu, au même Père, sans nuire à la discussion théologique, ne devrait-elle pas un jour nous conduire à découvrir ce qui est évident et en même temps difficile à faire comprendre, à savoir que nous sommes tous fils du même Père, et par conséquent, que nous sommes tous frères ?» (propos de Paul VI, cité dans le journal «La Croix» du 11 août 1970)
Le Jeudi 2 Avril 1970, une grande manifestation religieuse a eu lieu à Genève. Dans le cadre de la seconde conférence de l’Association des Religions Unies, les représentants de dix grandes religions ont été invités à se rassembler dans la cathédrale Saint Pierre. Cette «prière commune» était fondée sur la motivation suivante : «les fidèles de toutes ces religions ont été invités à coexister dans le culte du même Dieu».
Examinons si cette affirmation est acceptable à la lumière des Ecritures. Afin de mieux cerner cette question, nous nous limiterons aux trois religions qui se sont succédées historiquement : le judaïsme, le christianisme et l’islam. En fait, ces trois religions prétendent à une origine commune : elles adorent le Dieu d’Abraham. C’est une opinion communément répandue que, puisque nous prétendons tous être descendants d’Abraham (les juifs et les musulmans selon la chair, les chrétiens, spirituellement), nous avons tous pour Dieu le Dieu d’Abraham, et nos trois religions vénèrent -chacune à sa manière bien sûr !- le même Dieu. Et ce même Dieu constitue d’une certaine manière notre point d’accord et de «compréhension mutuelle», et cela nous invite à une «relation fraternelle», comme l’a souligné le Grand Rabbin en paraphrasant le Psaume : «Oh, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble».
Dans cette perspective, il est évident que Jésus Christ, Dieu et Homme, Fils co-éternel du Père, sans commencement, Son Incarnation, Sa Croix, Sa Glorieuse Résurrection et Son Second et Terrible Avènement deviennent des détails secondaires qui ne peuvent pas nous empêcher de fraterniser avec ceux qui le considèrent comme un «simple prophète» (selon le Coran) où comme le fils d’une prostituée (selon certaines traditions talmudiques). Ainsi devrions-nous placer Jésus de Nazareth et Muhammad sur le même plan. Je ne connais pas un chrétien digne de ce nom qui puisse, en conscience, admettre cela.
En tirant un trait sur le passé, on peut affirmer que, pour ces trois religions, Jésus Christ est un être extraordinaire et exceptionnel et qu’Il a été envoyé par Dieu. Mais, pour nous chrétiens, si Jésus Christ n’est pas Dieu, nous ne pouvons le considérer comme un prophète, ou comme un «envoyé de Dieu», mais seulement comme un imposteur sans égal, puisqu’il s’est proclamé «Fils de Dieu», se rendant ainsi égal à Dieu (saint Marc 14, 61-62). Selon cette solution oecuménique, sur le plan supra-confessionnel, le Dieu trinitaire des chrétiens serait le même que Celui qu’on trouve dans le monothéisme du judaïsme, de l’Islam, de l’hérétique Sabellius, des anti-trinitariens modernes et de certaines sectes illuministes. Il n’y aurait pas Trois Personnes en Une Seule Divinité, mais une seule personne, identique pour certains, mais pour d’autres changeant tour à tour de «masque» (Père, Fils, Esprit) ! Et l’on voudrait néanmoins prétendre que c’est «le même Dieu» ! Ici, certains font cette proposition naïve : «Pourtant, en ces trois religions, il y a un point commun : toutes trois confessent Dieu le Père !» Or, selon la sainte foi orthodoxe, cette affirmation est une absurdité. Nous confessons toujours : «Gloire à la Sainte, Consubstantielle, Vivifiante et Indivisible Trinité». Comment pourrions-nous donc séparer le Père du Fils, alors que Jésus Christ affirme que «Le Père et Moi nous sommes Un» (Jn 10, 30) et que saint Jean, l’Apôtre, l’Evangéliste et le Théologien, l’Apôtre de l’amour le proclame bien haut : «Celui qui nie le Fils, ne peut avoir le Père» (1 Jn 2, 23).
Mais même si les trois religions appellent Dieu, Père ; de qui est-Il vraiment le Père ? Pour les juifs et les musulmans, il est le Père des hommes, car Il les a créés ; alors que pour nous chrétiens, Il est le «Père de Notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux céleste en Christ ! En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté» (Eph. 1, 4-5). Quelle ressemblance peut-il y avoir entre la Paternité divine dans le christianisme et celle des autres religions ? D’aucuns pourraient dire : «Mais tout de même, Abraham adorait le Vrai Dieu ; et les juifs à travers Isaac et les musulmans, à travers Agar, sont les descendants de ce véritable adorateur de Dieu». Ici, il faut clarifier plusieurs points : Abraham a adoré non pas le Dieu d’un monothéisme unipersonnel, comme c’est le cas dans le judaïsme et l’islam, mais la Très Sainte Trinité. Nous lisons dans les Saintes Ecritures : «Le Seigneur lui apparut parmi les chênes de Mambré, comme il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente et se prosterna en terre, et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je t’en prie, loin de ton serviteur» (Genèse 18, 1-4). Sous quelle forme Abraham adora-t-il Dieu ? sous une forme unipersonnelle, ou sous la forme de la Divinité tri-une ? Nous, chrétiens orthodoxes, vénérons cette manifestation de la Sainte Trinité dans l’Ancien Testament lorsque, le jour de la Pentecôte, nous ornons nos églises de branchages symbolisant les chênes antiques, et lorsque nous vénérons l’Icône des Trois Anges au milieu de l’Eglise, tout comme notre Père Abraham l’a vénérée !
Descendre d’Abraham selon la chair ne nous est d’aucune utilité, si nous ne sommes pas régénérés par les eaux du Baptême et renouvelés dans la Foi d’Abraham. Et la Foi d’Abraham était la foi en Jésus Christ, comme l’a dit le Seigneur Lui-même : «Votre père Abraham a tressailli d’allégresse à la pensée de voir mon jour. Il l’a vu et il s’est réjoui» (Jn 8, 56). Telle était également la Foi du Roi et Prophète David, qui avait entendu le Père parler à son Fils consubstantiel : «Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite» (Psaume 109, 1 ; Actes 2, 34). Telle était la Foi des trois adolescents dans la fournaise ardente, quand ils furent sauvés par le Fils de Dieu (Daniel 3, 25) ; et du saint Prophète Daniel qui a eu la vision des deux natures de Jésus Christ dans le mystère de l’Incarnation, quand le Fils de l’homme est venu vers l’Ancien des jours (Daniel 7, 13). Voilà pourquoi le Seigneur qui s’adresse à la postérité (biologiquement incontestable) d’Abraham, a dit : «Si vous étiez les enfants d’Abraham, vous feriez les oeuvres d’Abraham» (Jn 8, 39) et ces «oeuvres» sont de «croire en Celui que Dieu a envoyé» (Jn 6, 29).
Qui est donc la postérité d’Abraham ? S’agit-il des fils d’Isaac selon la chair, ou les fils d’Agar l’égyptienne ? que dit l’Ecriture par la voix du divin Apôtre ?
«Or, les promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité. Il n’est pas dit: et aux postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais en tant qu’il s’agit d’une seule : et à ta postérité, c’est à dire, à Christ» (Gal. 3, 16). «Et si vous êtes à Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse» (Gal. 3, 29).
C’est en Jésus Christ qu’Abraham est devenu «père de nombreuses nations» (Gen. 17, 5 ; Rom. 4, 17). Devant de telles promesses et de telles certitudes, que peut bien signifier le simple fait de descendre d’Abraham selon la chair ? Selon les Saintes Ecritures, Isaac est considéré comme la semence, ou la postérité d’Abraham, mais surtout comme l’image de Jésus Christ. Contrairement à Ismaël (le fils d’Agar ; Gen. 16 :1-16), Isaac est né de la liberté miraculeuse d’une femme stérile et âgée, contre les les lois de la nature, d’une manière semblable à celle de Notre Sauveur, qui est né miraculeusement d’une Vierge. Il est monté sur le colline de Morija, tout comme le Christ est monté sur le calvaire, portant sur ses épaules le bois du sacrifice. Un ange a délivré Isaac de la mort ; de la même façon un ange a roulé la pierre pour nous montrer que le tombeau était vide, et que le Ressuscité n’était plus là. A l’heure de la prière, Isaac a rencontré Rébecca dans la plaine et l’a amenée jusqu’à la tente de sa mère Sarah, de la même façon Jésus viendra à la rencontre de Son Eglise sur les nuées afin de l’amener vers les demeures célestes, la Nouvelle Jérusalem, la patrie tant désirée.
Certes non ! Nous n’avons pas du tout le même Dieu que les juifs et les musulmans. La condition sine qua non pour connaître le Père, est le Fils. «Celui qui me voit, voit le Père ; aucun homme ne peut venir au Père, si ce n’est par Moi» (Jean 14, 6-9). Notre Dieu est un Dieu Incarné «que nous avons vu de nos yeux, et que nos mains ont touché» (1 Jean 1, 1). L’immatériel est devenu matériel pour notre salut, comme dit saint Jean Damascène, et il s’est révélé à nous. Mais quand donc s’est-Il révélé aux juifs et aux musulmans d’aujourd’hui, pour que nous puissions supposer qu’ils connaissent Dieu ? S’ils ont une connaissance de Dieu en-dehors de Jésus Christ, alors le Christ s’est incarné, est mort et est ressuscité en vain !
Non, ils ne connaissent pas le Père. Ils ont leurs propres conceptions concernant le Père; mais toute conception de Dieu est une idole, car toute conception est le produit de notre imagination, la création d’un dieu à notre image et à notre ressemblance. Pour nous chrétiens, Dieu est inconcevable, incompréhensible, indescriptible et immatériel, comme le dit le grand saint Basile : «Pour notre salut, Il s’est fait matériel et descriptible, pour autant que nous voulions nous unir à Lui. Révélation dans le mystère de l’incarnation de son Fils. A Lui, soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen». C’est pourquoi St Cyprien de Carthage affirme que «celui qui n’a pas l’Eglise pour mère, n’a pas Dieu pour Père» !
Que le Seigneur nous préserve de l’Apostasie et de l’avènement de l’Antichrist dont les signes avant-coureurs se multiplient jour après jour. Qu’Il nous préserve de la grande tribulation que même les élus ne pourraient supporter sans la Grâce de Dieu qui abrégera ces jours, et qu’Il nous garde parmi son «petit troupeau qui demeure selon l’élection de la grâce» afin que, comme Abraham, nous puissions nous réjouir de voir la lumière de Sa Face, par les prières de la Toute Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie, de toutes les puissances célestes, de la nuée des prophètes, martyrs, hiérarques, évangélistes et confesseurs, qui sont restés fidèles jusqu’à la mort, qui ont versé leur sang pour le Christ, et nous ont engendrés selon l’Evangile de Jésus Christ et dans les eaux du Baptême. Nous sommes leurs fils, faibles, pécheurs et indignes certes, mais nous n’étendrons pas les mains vers un dieu étranger ! Amen.
Père Basile Sakkas
La Foi Transmise (Genève, 5 Avril 1970).
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire