jeudi 3 février 2011

La Lumière du Thabor n°36. Lecture de la presse.

LECTURE DE LA PRESSE



Lettre du Patriarche Diodore de Jérusalem



Par l'amour fraternel, nous avons pu nous procurer les lettres estimées de votre Révérendissime Toute-Sainteté, classées sous le Protocole n725 et datées du 12 août de l'année en cours. Et, avec l'attention qui convenait, nous avons pris connaissance du contenu, qui se réfère, ainsi qu'il est dit, à l'accord conclu avec les pré-chalcédoniens sur le dogme christologique, résultat du dialogue théologique déjà engagé, dont on nous annonce maintenant l'aboutissement, tout en nous faisant part de la prochaine réunion du Conseil Interorthodoxe pour ce Dialogue, en vue d'examiner et d'éclaircir d'autres points importants de la vie ecclésiastique des deux parties prenantes du Dialogue.
En réponse, donc, à Votre Toute Sainteté, nous lui faisons savoir que, jusqu'à présent, il n'est venu à notre connaissance aucun texte relatif à l'accord qui serait intervenu et qui aurait été signé entre notre Eglise orthodoxe et les pré-chalcédoniens, et auquel la presse fait largement écho. En effet, notre Très Sainte Eglise de Jérusalem ne participait pas au Conseil Interorthodoxe pour ce Dialogue.
Nous tenons également à vous assurer que nous faisons de longues prières quotidiennes pour l'union et la stabilité de toutes les saintes Eglises de Dieu, priant avec ferveur le Démiurge céleste et ne cessant de déployer tous les efforts possibles pour la réconciliation de tous les hommes et, plus spécialement, pour le retour des hétérodoxes, auxquels nous présentons la richesse spirituelle de notre sainte Eglise orthodoxe. Nous les appelons à revenir à son enseignement véritable et inaltérable, pour que nous parvenions tous à l'unité de la foi, réalisant ainsi le voeu du Seigneur que nous soyons un.
Soutenus par de tels sentiments, serviteur de la très sainte Mère des Eglises, nous accueillons avec joie au sein de notre sainte Eglise orthodoxe tous les hétérodoxes pénitents et cela d'autant plus lorsqu'il y a, sur ce sujet, entente et cheminement communs à l'ensemble des orthodoxes. Toutefois notre très sainte Eglise, à partir de l'été 1989, par une décision synodale unanime, a résolu -comme elle l'a, du reste, fait connaître à tous les Proèdres vénérables des saintes Eglises orthodoxes locales- d'interrompre les dialogues théologiques avec tous les hétérodoxes en général, déclarant que ces dialogues n'étaient pas simplement inutiles, mais même dangereux pour l'Eglise orthodoxe en général et pour notre sainte Eglise de Jérusalem en particulier.
Nous pensons que ces dialogues gaspillent un temps précieux, qui serait mieux employé à raffermir les liens déjà existants entre les saintes Eglises orthodoxes, et à résoudre les problèmes qui, de temps à autre, se font jour.
Quel résultat positif le dialogue avec les anglicans a-t-il apporté, du moment que ceux-ci, par l'ordination des femmes, élargissent encore le fossé qui les sépare de l'Eglise orthodoxe ? Ou le dialogue avec les catholiques romains, qui font du prosélytisme à grande échelle et agissent de manière inqualifiable au détriment de l'Eglise orthodoxe ? Les faits eux-mêmes nous obligent à reconnaître qu'à l'évidence le dialogue avec les hétérodoxes, loin de parvenir à un rapprochement, les a au contraire éloignés plus encore de l'enseignement de l'Eglise orthodoxe.
Cette position claire et irrévocable de notre très sainte Eglise, nous n'avons pas hésité non plus à la proclamer pendant la Synaxe historique des proèdres des très saintes Eglises orthodoxes du mois de mars dernier à Constantinople, par oral et par écrit, à travers notre mémorandum, que nous avons remis aussi bien au secrétariat de la Synaxe, afin qu'il soit inclus dans les actes, qu'à chacun des participants. D'ailleurs, quand nous avons procédé à la signature de la Déclaration commune, nous avons reçu l'assurance que nous ne sommes en aucun cas obligés de continuer le dialogue avec les hétérodoxes.
C'est pourquoi nous désirons exposer à votre Sainteté nos inquiétudes relativement au cheminement, tel qu'il nous est présenté, du dialogue théologique qui vient de s'achever avec les pré-chalcédoniens, ainsi qu'à l'optimisme qui règne parmi nos Eglises orthodoxes soeurs, en vue de la suppression des anathèmes jetés des deux côtés, au moment où, non seulement du point de vue historique, mais principalement et avant tout au plan dogmatique, il existe un fossé immense entre l'Eglise orthodoxe et les pré-chalcédoniens. En effet, le IVème, suivi en cela par les Vème, VIème et VIIème saints conciles oecuméniques ont condamné la terrible hérésie du monophysisme et anathématisés nommément des hérésiarques tels que Dioscore, Anthime de Trébizonde, Eutychès, Sévère, Pierre d'Apamée, Zooras et beaucoup d'autres, lesquels, dans la conscience des pré-chalcédoniens, sont considérés comme des Pères majeurs et des saints, tandis que les Conciles caractérisent aussi leurs disciples comme hérétiques.
C'est donc avec raison que nous nous interrogeons sur la façon dont s'est fait l'accord entre notre très sainte Eglise orthodoxe et les pré-chalcédoniens. "Quelle communion y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ?" (2 Cor.6,14). Comment pouvons-nous appeler "Eglise vénérable" les groupes appartenant à l'hérésie monophysite, condamnée par les saints conciles oecuméniques et par les Pères théophores ?
Comment pouvons-nous, aujourd'hui, revenir sur des décrets des conciles oecuméniques dont l'autorité est panorthodoxe, car ce sont des décisions éclairées, fruits de la présence du Très Saint Esprit qui recouvrait les Saints Pères inspirés de Dieu qui participèrent à ces conciles ? Pourquoi, avec nos résolutions, mettre en doute l'étude approfondie qu'ils avaient faite des querelles et des problèmes dogmatiques ? Pourquoi faire injure aux critères qui les ont amenés à condamner et à anathématiser les monophysites et leurs partisans, lesquels, altérant la foi orthodoxe, ont "essayé de changer l'Evangile du Christ" (Gal.1,7) ? Pouvons-nous, par hasard, ignorer que ceux-ci ont enseigné des hérésies de perdition, entraînant dans l'erreur des millions de chrétiens ?
Pour ce qui est de la levée des anathèmes dont nous parlons, nous pensons humblement qu'il est non seulement impossible, canoniquement, de lever les anathèmes lancés par les saints conciles oecuméniques et les Pères de l'Eglise contre les hérétiques impénitents et morts dans l'hérésie, mais aussi que ceux qui tentent de les lever sont condamnés et anathématisés au terme du décret du VIIème Concile oecuménique : «A celui qui tente de justifier quelqu'un qui se trouve dans une hérésie qui rejette le Christ ou qui est mort dans une telle hérésie, anathème !» D'autre part les anathèmes des hérétiques contre les orthodoxes sont ecclésialement nuls et non avenus, et on ne saurait concevoir la levée d'un anathème qui n'existe pas. Aussi le sens orthodoxe des Pères considère ces «anathèmes» comme une «folie barbare» et une «loi hors-la-loi» pour l'Eglise, estimant que, loin d'aboutir au châtiment, ils tressent les couronnes d'une gloire immortelle à l'orthodoxe qu'ils condamnent. «Tout homme saint et pieux préfère en effet mille fois être couvert de boue et d'anathèmes par les hérétiques plutôt que de se voir honoré dans la communion à leurs inventions impies, pleines de malice et de haine pour le Christ». Oui, «ceux qui ont été anathématisés par eux sont dignes d'éloge» (Actes du VIIème Concile oecuménique).
Mais, simultanément, nous ne pouvons pas douter du fait que ces questions ont largement et sérieuseument occupé toutes les Eglises orthodoxes locales, lesquelles connaissent très bien la procédure ecclésiastique dictée en pareil cas pour la réception au sein de notre sainte Eglise orthodoxe de tous ceux qui, revenant de leur fausse doctrine, embrassent la foi orthodoxe. La forme de cette pénitence a été définie par les décisions des conciles oecuméniques et locaux et nous a été transmise par les lettres inspirés des Pères théophores. Comme le sait votre Toute Sainteté, il est impératif, dans de tels cas, que les hérétiques, reconnaissant l'erreur dans laquelle ils se trouvent, soumettent un libelle de pénitence et embrassent non pas sélectivement, mais dans sa totalité, l'enseignement dogmatique orthodoxe et la sainte tradition, ainsi que toutes les saintes décisions, y compris celles des saints conciles oecuméniques et locaux des orthodoxes.
Examinant dans cette lumière la proposition de votre Haute Sainteté de réunir de nouveau le conseil interorthodoxe pour l'étude et l'examen des points essentiels laissés de côté dans le dialogue théologique avec les pré-chalcédoniens, nous pensons et soutenons que ce n'est que lorsque sera soumis un texte ayant pour principe qu'il «faut d'abord se mettre parfaitement d'accord sur la foi, avant toute recherche de la conduite à adopter» que le conseil interorthodoxe devra se réunir pour en examiner la demande et en faire état auprès des Eglises orthodoxes locales. De la sorte, chacune, après examen en concile, pourra donner sa réponse fondée sur la doctrine juste et la sainte tradition de notre Eglise orthodoxe et la décision sera prise par le corps plénier de l'Eglise Une Sainte Catholique et Apostolique.
En conclusion, la Mère des Eglises insiste pour ces dialogues soient interrompus, et ne reconnaît aucune décision qui ne serait pas en accord avec les définitions et canons des saints conciles oecuméniques et de la sainte tradition orthodoxe».
Faisant donc savoir tout cela, dans l'amour fraternel, à votre Haute Sainteté et aux proèdres des saintes Eglises orthodoxes locales, nous embrassons avec grande affection votre Haute Sainteté, et nous demeurons, dans la ville sainte de Jérusalem, le 22 septembre 1992, le très cher frère en Christ de votre Haute et Révérendissime Sainteté, Diodore Ier patriarche de Jérusalem.
Vladimir Moss, The Saints of Anglo-Saxon England (9th to 10th Century), vol.1, St. Nectarios Press, Seattle, Washington, 1992
Les saints anglo-saxons que présente Vladimir Moss dans ce petit livre sont tous des martyrs, rois et princes qui ont lutté pour la défense de la sainte Eglise du Christ dans les îles britanniques. On sait qu'au début du 9ème siècle Rome et Constantinople étaient encore unies dans la même Eglise romaine d'Orient et d'Occident. Le professeur John Romanidès, cité par V. Moss, a bien montré comment Charlemagne, pour parvenir à ses fins de domination, s'attacha à briser cette union en proclamant faussement que, puisqu'il ne peut exister qu'une Eglise, les romains d'Orient ne sont en fait " ni romains ni orthodoxes, mais
hérétiques et grecs".

Les premiers rois angles ou saxons régnaient en souverains chrétiens. Vers la fin du 9ème siècle les méthodes carolingiennes en Occident firent disparaître cette harmonie. Dans ce qui restait alors des territoires chrétiens non conquis par les envahisseurs danois, l'Eglise se trouvait désormais soumise au royaume "anglais" des Wessex. Ces rois qui ont resisté jusqu'au martyre à l'asservissement se nomment : Ethelbert, Alcmund, Kenelm, Wistan, Edmund. Longtemps après leur courronnement, ces martyrs ont continué à être vénérés par le peuple des fidèles restés attachés à la tradition de l'Eglise une. Les pages les plus émouvantes de V. Moss sont justement celles où il décrit l'attachement des simples fidèles aux reliques de leurs souverains martyrs. Nous avons choisi d'évoquer ici, pour la gloire de tous, le martyr de Saint Edmund qui fut le dernier roi des Angles.

Edmund périt le 2O novembre 869 sous les coups des envahisseurs danois, ayant lui-même offert sa propre vie aux barbares afin de préserver le sang de son peuple. Comme il sentait que sa fin était proche, Edmund se retira pour prier en l'église de Hoxne. Là il fut capturé par les danois qui commençèrent par le frapper en l'insultant, puis l'attachèrent à un arbre pour le fouetter. Comme le roi ne cessait d'invoquer sous les coups le nom du Sauveur, les païens redoublèrent de colère et le transperçèrent de flèches pour finalement le décapiter. Sa tête fut jetée parmi les ronces afin qu'elle ne puisse pas être enterrée. Les danois s'étant retiré du pays des Angles, les habitants de l'endroit recueillirent le corps de leur roi et se mirent à la recherche de sa tête, battant les bois et les fourrés. Tout à coup jaillit un cri : "Ici, ici, ici !" Et tous ceux qui accoururent purent voir la tête intacte reposant entre les pattes d'un renard qui la protégeait des attaques des autres bêtes. Ayant rendu grâce à Dieu, les pieux fidèles portèrent la tête jusqu'au lieu qu'ils avaient choisi pour ensevelir leur roi. Le renard les suivit à distance, comme pour s'assurer que la tête était bien été enterrée avec le corps, puis il regagna la forêt. Une chapelle en bois fut ensuite érigée au-dessus de la tombe du roi martyr qui resta longtemps un lieu de pélerinage.

Bien des années après, vers l'an 915, se produisit le miracle suivant. Une nuit, un aveugle conduit par un jeune garçon traversait les bois de Hoxne. Ne voyant aucune habitation alentour, ils décidèrent de passer la nuit dans la chapelle de Saint Edmund. A peine étaient-ils assoupis, la tête reposant sur la tombe du saint, qu'une colonne de lumière illumina l'endroit. Le garçon s'écria effrayé : "Hélas, notre abri est en feu !" Mais l'aveugle l'apaisa, lui assurant que leur hôte ne permettrait pas qu'advint un tel malheur. A l'aube, par les prières de Saint Edmund, l'aveugle avait retrouvé la vue.

La nouvelle du miracle se propagea et la vénération pour le saint ne fit que croître. Il fut alors décidé de transférer ses reliques en un endroit mieux protégé. Le choix se porta sur le monastère de Bedricsworth où des moines s'étaient établis dès le 7ème siècle. Un témoin raconte : " Ce fut un grand miracle. On aurait dit qu'il était vivant, le corps intact. Sa gorge, qui avait été tranchée, paraissait guérie, portant seulement la trace d'un fin cordon rouge, comme pour indiquer aux hommes par où il avait péri. Quant aux blessures que lui avaient infligées ses bourreaux, elles avaient guéri par la grâce de Dieu. Il repose non corrompu dans l'attente de la résurrection et de la vie éternelle. "

Souvent la nuit on pouvait voir une colonne de lumière s'élever au-dessus du lieu où étaient les reliques. En 1O1O, alors que les danois entreprenaient à nouveau de ravager le pays des Angles, Saint Edmund apparut au moine Ethelwine qui gardait ses reliques, l'instruisant de le déposer dans un cerceuil et de transporter sur une charette jusqu'à Londres. Ethelwine se mit en route immédiatement. Arrivé un soir devant la maison d'un certain prêtre, il lui demanda l'hospitalité. Le prêtre refusa tout net, puis il consentit à le laisser dormir dehors, devant la maison. Ethelwine s'assoupit, abrité par la charette où reposaient les reliques du saint. Vers la quatrième heure de la nuit, une colonne de lumière s'éleva au-dessus de la charette vers le ciel, tandis que les roues se mettaient à geindre comme si elles tournaient. Réveillé par le bruit, Ethelwine comprit immédiatement que le saint souhaitait quitter l'endroit. Parvenu à quelques distance de là et s'étant retourner derrière lui, Ethelwine vit la maison du prêtre en feu.

Le même jour, Ethelwine arrivait à proximité de Londres et il devait encore franchir la rivière nommée Stratford. Hélas le pont était à moitié effondré et il n'y avait pas d'autre passage. Ethelwine invoqua le nom du Seigneur et tout à coup la charette avança d'elle-même. La roue droite roulait sur le pont tandis que la roue gauche roulait dans le vide, comme si elle reposait sur le sol. Tous ceux qui sur la berge furent témoins de ce miracle se mirent à louer Dieu. La sainte relique fut alors escortée jusqu'à Londres par une foule considérable de fidèles précédée de nombreux prêtres et de moines. En chemin un grand nombre de guérisons fut accordé à ceux qui approchaient la relique pour la vénérer.

A Londres Saint Edmund reposa quelque temps en l'église dédiée à Saint Grégoire près de Aldgate. Puis le saint apparut à nouveau à Ethelwine, l'instruisant de le ramener à sa première sépulture. Sur le chemin du retour ce fut la même procession, jalonnée de nombreux miracles et de guérisons. Pendant toutes les années qu'ont duré les exactions des danois, Saint Edmund demeura le fidèle protecteur du peuple des Angles. Le crâne de Saint Edmund repose aujourd'hui en l'église Saint Sernin de Toulouse.

" Les îles m'ont attendu " dit le Prophète Isaïe (60:9). Souhaitons à Vladimir Moss qu'il fasse suivre ce premier volume par de nombreux autres, afin que les habitants de Bretagne insulaire et d'Irlande puissent être éclairés par la foi de leurs pères. Ce n'est que lorsqu'ils vénèreront à nouveau leurs saints que l'Eglise orthodoxe pourra renaître dans leurs îles, selon les paroles de Saint Arsène de Paros.


TEMOIGNAGE SUR LA SITUATION DES SERBES
en Herzégovine

Notre diocèse orthodoxe d'Herzégovine existe sans interruption depuis le XIIIème siècle.
La rivière Neretva partage l'Herzégovine en deux parties, l'orientale et l'occidentale. En Herzégovine orientale, les Serbes orthodoxes représentent 85 % de la population, alors que dans l'Herzégovine occidentale, ils ne correspondent qu'à 10-15 % de la population. Sur la côte Adriatique, autour de Dubrovnik, les Serbes représentent 5-6 % des habitants.
Les Serbes en Herzégovine s'élèvent à 75 - 80 000 (ces statistiques incertaines résultent du nombre indéterminé d'athées parmi les Serbes). La majeure partie du reste de la population d'Herzégovine est constituée de Croates, les Musulmans ayant une part minoritaire. Le siège de mon diocèse se trouve dans la ville principale d'Herzégovine, Mostar, qui s'étend sur les deux rives de la Neretva ; avant la guerre civile, l'on y comptait 24 000 Serbes, 30 000 Croates et environ 32 000 Musulmans. La majorité des Serbes de Mostar habitait sur la rive orientale de la Neretva.
Lorsque le conflit ethnique éclata, en Mars 1992, les Croates commencèrent à attaquer la population serbe à partir de la rive occidentale de la Neretva et se mirent à assiéger les casernes de l'armée yougoslave. Cette dernière bombarda alors Mostar et quelques autres localités habitées surtout par les Croates. L'année précédente, cette même armée avait pris le contrôle de la côte adriatique autour de Dubrovnik et bombardé partiellement Dubrovnik. Grâce aux délimitations de frontières décidées sous le régime communiste de Tito, cette partie de la côte adriatique appartient à la République de Croatie.
En mai 1992, l'armée yougoslave évacua cette partie de l'Herzégovine et le littoral croate, à l'exception de la région côtière de Konavla et de Prevlaka (Monténégro). Immédiatement après, l'armée régulière de la République de Croatie ainsi que des forces armées d'Herzégovine occidentale (d'où tous les Serbes furent chassés) attaquèrent la majorité serbe de la population d'Herzégovine orientale ; depuis le début de juin 1992 jusqu'à aujourd'hui, ils occupent un quart de l'Herzégovine orientale, c'est-à-dire : toute la ville de Mostar (sur les deux rives de la Neretva) et les habitations serbes de la vallée de la Neretva (la population serbe des deux rives a été expulsée), ainsi que des localités situées plus au sud et au sud-est au-delà de la rivère Bregava et de la ville de Stoc, près de l'agglomération serbe de Ljubinj et le tiers des habitations de Popove Polje, de Bobani ainsi qu'un tiers pratiquement des habitations de la municipalité de Trebinje (la ville serbe de Trebinje continue d'être attaquée par les forces régulières croates). Avec ses environs, Trebinje compte 22 000 habitants environ, dont 1 800 musulmans et un millier de Croates.
Dans les régions nord de l'Herzégovine, où se déroulent actuellement des affrontements armés entre Serbes et musulmans, en amont et à mi-parcours de la rivière Neretva, la population est mixte, serbe et musulmane, avec un petit nombre de Croates.
Jusqu'à aujourd'hui, quinze centres importants de mon diocèse ont été détruits, avec leurs populations et églises :

1) A Mostar et ses environs : la majestueuse cathédrale et le palais épiscopal ont été détruits jusqu'aux fondations (15‑16 juin 1992), ainsi que trois églises plus petites. La majorité de la population s'est enfuie, plusieurs milliers ont été internés et arrêtés, quelques centaines de Serbes ont été tués. Les villages serbes sur la rive ouest de la Neretva (Rastani, Bogodo, Rashka Gora, Dobritch, Biogradtzi, Medjine, Vihovitchi, Sliptchitchi, Batchevitchi, avec deux églises, ont été détruits, la majeure partie de la population a fui, une partie a été tuée, une autre enfermée dans les camps.

2) A Douvno (Tomislavgrad), en Herzégovine occidentale : les deux églises de cette paroisse ont été détruites, les habitants enfermés dans des camps alors qu'une partie a pu s'enfuir.

3) A Konjitz, ville située plus au nord, au bord de la Neretva, avec 16 % de Serbes, 22 % de Croates et le reste de musulmans, et à Bradina avec vingt-cinq villages environnants, au nord de la Neretva (où se trouvent 3 000 Serbes, au milieur d'une majorité de population musulmane et une minorité croate), tout ce qui était serbe a été détruit. La population serbe, qui n'a pas réussi à s'enfuir, a été conduite dans les camps, alors que les villages suivants étaient dévastés :
Brdjani, Zoukitchi, Djeni, Blatzé, Vrdoljé, Zagoritza, Jivanjé, Ljouta, Ovtchari, Ribari, Sitnik, Donjé
Selon, Tzeritchi, Bjélovtchani, Tchelebitchi, Pokoyishté, Obri, Nevizdratzi, Idbor, Ostrojatz, Dobrigoshtché, Paprasko, Repvatz, Shounjé et Honditchi. Deux églises ont été détruites et une autre endommagée par des tirs de grenade et transformée en toilettes publiques.
Plus de cent personnes, hommes, femmes et enfants, ont été tuées (25 et 26 mai 1992) et au moins 3 000 Serbes enfermés d'abord dans un tunnel de chemin de fer creusé dans la montagne (Ivan Planina) puis amenés dans des camps situés à Tchelebitch, Boutrovitch Poljé, Konjitz et Loutoy (nous joignons une liste de 412 Serbes prisonniers dans les camps de Tchelebitch et Konjitz, qui nous ont été communiqués par la Croix Rouge Internationale). Ces villages ont été brûlés et dévastés, la partie âgée de la population serbe a été agressée physiquement par des musulmans, comme par exemple dans le village de Tzepa.

4) A Biyelo Polje, près de Mostar, et dans les villages voisins : Pototzi, Salekovan, Vrantchitch, etc. : une église a été détruite et rasée au bulldozer par des forces croates. Tous les habitants se sont exilés.

5) A Blagay et dans les quatre villages proches de Mostar, sur la rive gauche de la Neretva, Gnoynitza, Bouna, Hodbina et Piyestzi, la population a pris la fuite, les habitations ont été détruites par les forces croates, le sort de l'église de Blagay est incertain.

6) Le village de Zitomislitch et son monastère du XVIIIème siècle, à l'architecture byzantine, sont complètement détruits. Le monastère a été bombardé par des tirs de roquette et dévasté par le feu. Les habitants et les moniales ont pris la fuite.

7) Dans la ville de Tchapljina, dont l'église orthodoxe a été détruite jusqu'aux fondations et rasée au bulldozer, plusieurs centaines de Serbes ont été enfermées dans le camp de Dretelj -ancien dépôt militaire- et le reste de la population a pris la fuite.

8) Les villages de Tasovtchitchi, Kleptzi et Prebilovtzi, situés sur la rive de la Neretva opposée à Tchapljina, qui étaient des localités purement serbes, ont été détruits ; deux églises ont été dévastées et environ trente habitants tués (7 et 8 juin 1992). Le reste de la population s'est enfui. Ces villages ont été rasés au bulldozer par les Croates. L'église-souvenir de Prebilovtzi a été détruite, avec les restes des nouveaux martyrs serbes, exhumés l'année dernière des fosses voisines -environ deux mille crânes et squelettes- où ils avaient été précipités vivants par les Oustachis pendant le génocide commis sur les Serbes en 1941. Les traces de cette église et du cimetière qui l'entourait ont été rasées au bulldozer. Cette destruction de toute trace des crimes du génocide illustre le retour de l'état d'esprit oustachi chez ces forces croates.

9) Dans la ville de Metkovitch et la vieille localité de Gabela, deux églises orthodoxes ont été complètement détruites, alors que le sort de deux autres églises orthodoxes -situées plus au sud, près d'Opouzen- demeure incertain. Une partie de la population a pris la fuite tandis qu'un certain nombre de Serbes a été enfermé dans des camps.

10) A Stolatz et dans la dizaine de villages voisins : Dratzevo, au sud de Klepan, Retchitzé, Bourmazi, Paprati, Oplitchitchi, Donji et Gornji Popolat, Pliéshevatz et Prenj, la population serbe a été pourchassée, quatre églises ont été démolies, les habitations serbes brûlées et détruites.

11) La localité de Gornie Hrasno ainsi que trois villages de la région de Popovo Polié (Kava, Dvrsnitza et Orashié) ont été occupés par les forces croates et en partie brûlés et détruits. Le sort de leur église est incertain, comme celui du monument commémoratif des Cent Un nouveaux martyrs serbes (de la dernière guerre) situé à Tchavash.

12) Le monastère de Zavala, dont l'architecture byzantine et les fresques remontent au XVème siècle, ainsi que le village de Zavala, avec les localités serbes voisines (Tchvaljina et Orahov Do) ont été occupés par les forces croates et partiellement détruits par des tirs de grenades. Plusieurs Serbes ont été tués et le reste de la population s'est enfui. Les habitations du monastère de Zavala ont été assez endommagées par les grenades. Son église, qui est en partie creusée dans une grotte, est occupée par des soldats croates en armes, ce qui signifie que le monastère a été souillé et probablement démoli ; son accès est interdit aux Serbes.

13) La localité montagneuse de Bobani ainsi que les quinze villages voisins purement serbes (à l'exception de quelques habitations croates) de Goloubinatz, Belenitchi, Koyev Do, Gorogazé, Dobromiri, Pozarno, Valjivatz, Rapti, Stchiénitza, Soushé, Misité, Tchonitzé, Podosoyé, Slivnitza et Lopos, ont été ravagés et occupés. Les habitations ont été rasées. Trois églises orthodoxes ont été détruites, la population s'est enfuie et un certain nombre de Serbes a été tué.

14) (manque)

15) Les villages de Zaplanik, Ivanjitza, Zatchoula et plusieurs autres localités près de la forêt de Trebinjé (Kaladjourdjevitchi, Slavogostitchi, Voukovitchi, Nevada, Ouskoplié et Orah) ont été également occupés par les forces croates et en grande partie détruits. Les églises de style byzantin de Zatchoula ont été rasées, alors que celle de Zaplanik a été ravagée par des tirs de grenade. Les cimetières orthodoxes ont été dévastés. La population s'est enfuie, plusieurs Serbes ont été tués. L'armée croate continue à bombarder les villages serbes près de Popovo Polié ainsi que les habitations et les églises des villages situés dans la région de Trebishnjitza, comme Velitchani (où se trouve la chapelle-souvenir des nouveaux martyrs serbes avec les ossements retirés des fosses de Rzani Do, Kanavitza et Houtovo), Dratchevo, Doubljiani, Driyenjani, Mrkonjitchi, Touljia, Nakovo, Dobromani, Poljitza, Grmljiani, Sedlari, Diklitchi, Jasenitzi Lug, Houma, Tzérovatz, Mesari, Stari Slana et Douzi, d'où pratiquement toute la population serbe s'est enfuie et où les moissons ont été incendiées et les forêts en grande partie brûlées par les tirs de grenades.
16) A Dubrovnik (avec son ancienne église orthodoxe et deux centres spirituels dans la vieille ville et où résidaient quatre mille Serbes qui ont, pour la plupart, pris le chemin de l'exode), l'église a été endommagée, l'un des centres spirituels incendié et détruit alors que l'autre -qui contient un musée- a été endommagé. La population serbe vit dans la peur et l'incertitude, toute communication avec elle a été coupée.

En Herzégovine orientale, les rapports des Serbes avec les Croates sont tels que, nulle part, les Serbes n'ont pourchassé la population croate et qu'aucune église catholique croate n'a été endommagée ou démolie. Cependant, un certain nombre de Croates a quitté cette région.

En Herzégovine occidentale, toutefois, les rapports entre Serbes et musulmans sont conflictuels, notamment en amont et à mi-parcours de la Neretva. Dans les villages autour de Gatzak et Nevesinj, une attaque armée surprise dirigée par les musulmans contre les Serbes -ceux-ci étaient attaqués dans le dos- et le massacre des Serbes dans les villages de Podvelezljié, de Zaborani et d'Izgor près de Tyentishté et ailleurs, ont provoqué une vengeance des Serbes et l'expulsion des habitants musulmans. Mais la grande majorité des mosquées est restée intacte : seules les façades de quelques-unes d'entre elles ont été abîmées par des tirs. Les musulmans de Trebinjé et des environs vivent tout-à-fait paisiblement avec les Serbes.

S'agissant de la situation des Serbes prisonniers dans les camps croates et musulmans en Herzégovine, l'on note que les arrestations ne concernent pas seulement les soldats serbes, mais également des personnes âgées, femmes et enfants, enfermés dans les camps situés à l'ouest et au nord de l'Herzégovine, comme Dretelj près de Tchapljina, Tchélovitza près de Mostar, Ljiouboushki, Posoushjié ainsi que Boutrovitch Poljié au-dessus du lac de Yablanitza, où les prisons et les camps sont tenus par des Croates, alors que les musulmans, aidés par des Croates, tiennent les Serbes enfermés dans les camps de Tchelebitchni, Konjitz -dans la salle des sports notamment-, Bradina et Ljiouta. Au début, ces camps contenaient environ trois mille Serbes ; aujourd'hui, leur nombre a diminué car un certain nombre a fait l'objet d'échanges, certains sont morts d'épuisement, d'autres ont été roués de coups alors qu'une minorité réussissait à acheter leur liberté contre des devises.
Après avoir été libérés ou échangés, les prisonniers serbes témoignent des tortures effrayantes que les Serbes endurent du fait de Croates et de musulmans dans les camps mentionnés ci-dessus.
Nous faisons ici état de trois témoignages :
- celui d'une femme serbe, le Dr. Olga Drashko, née en 1956, originaire de Tasovtchitch, près de Tchapljina, médecin spécialiste en micro-biologie, qui a passé quatre mois dans le camp de Dretelj près de Tchapljina (5 mai - 18 août 1992),
- celui de Stevo Antitch, né en 1963, originaire de Konjitz, qui a passé cent vingt-deux jours en prison à Liouboushki (19 avril - 18 août 1992), et
- celui de Milorad Kerezovitch, originaire de Bosnie, sur les souffrances des Serbes dans le camps d'Odjak près de Bosanski Brod.
Nous possédons également le témoignage direct de Georges Djetchez, né en 1967, originaire de Konjitz, qui a passé dix jours dans le camp de Tchelebitchi, avant d'être confiné à Konjitz, d'où il a pu s'échapper, grâce à des amis croates, en payant une somme importante en Deutsche Marks au début d'août 1992.
Tous les Serbes qui ont été prisonniers portent témoignage des terribles tortures physiques et psychiques auxquelles sont soumis ceux qui se trouvent dans les prisons et les camps croates ou musulmans. Stevo Antitch a perdu vingt-trois kilos en quatre mois ; pendant deux mois, il a été battu quasi quotidiennement, on lui a brisé les côtes, sa tête a été fracassée et il porte des traces de coups sur tout le corps. Olga Drashko témoigne que des prisonnières serbes, comme Andja Voyinovitch, Vera Brstina, Yelena Mrstitch et d'autres, ont été violées à plusieurs reprises. Elle-même a dû supporter qu'on lui enfonce des aiguilles sous les ongles et qu'on lui lacère le visage avec un rasoir. D'après son témoignage, sont morts sous les tortures Rade Boulout, originaire de Prebilovatz, Dragan Roudan de Stotz, Sretchko Maritch de Klenatz et Bozo Balaban de Mostar.
Tous ces prisonniers ont été exposés à des humiliations particulièrement dégradantes et insultés à la fois comme êtres humains et en raison de leur religion et de leur nationalité. L'on cite de nombreux exemples de mauvais traitements infligés à des enfants serbes, en particulier aux petites filles, de viols de femmes serbes ainsi que d'autres cas de perversions sexuelles commis par des soldats et des gardiens de camps croates et musulmans.
L'on ne cherche pas à nier certaines exactions commises par des Serbes en Bosnie et en Herzégovine, mais il s'agissait essentiellement de vengeances sous l'emprise de la colère et d'actes de folie individuels. On note des accidents de ce type parmi les Serbes eux-mêmes : ainsi l'un de ceux-ci, en proie à un accès subit de folie, a tué toute sa famille avec une arme automatique.

Evêque Athanase de Herzégovine

(Traduction du texte publié dans l'hebdomadaire Nin de Belgrade du 9 octobre 1992).
Un certain nombre de livres sont parus sur le conflit yougoslave, qui appelle l'attention sur les déformations voulues ou inconscientes que la plupart des journalistes ont fait subir aux nouvelles provenant de la Yougoslavie. Le phénomène n'est pas nouveau, dira-t-on ; mais il a pris dans le cas présent une ampleur sans précédent, et il s'est exercé avec une régularité trop sûre pour être innocente à l'encontre du peuple orthodoxe serbe, qui se voit accusé des horreurs qu'il subit. La vérité reste cachée à l'honnête homme de l'Occident, que les chaînes de télévision berne indignement. De cette propagande d'illusion, l'image de l'Eglise orthodoxe serbe et de l'orthodoxie en général, ressort faussée. C'est pourquoi nous considérons comme utile la lecture de ces quelques livres et brochures et nous la recommandons à tous ceux qui aiment la vérité, tout en rendant honneur à ceux qui ont eu le courage de la dire.

Paul-Marie de la Gorce. Yougoslavie. La coûteuse myopie de la communauté internationale. L'Age d'Homme, 1992.
Reprenant un article paru dans Le Monde diplomatique de juillet 1992, cette plaquette fait le point sur la marche aveugle qui a conduit les nations européennes à favoriser le déclenchement de la guerre civile en Yougoslavie, puis à prendre parti pour les Croates et les musulmans, en foulant aux pieds les principes démocratiques. Les grands Etats ont reconnu, à la suite de l'Allemagne, la sécession de la Croatie et celle de la Bosnie, avant même de régler la question des frontières de ces nouveaux Etats. Or le découpage des Etats, en Yougoslavie, avait été fait par Tito dans le but d'affaiblir les Serbes qui se trouvaient partagés entre quatre Etats ; et ainsi il était impensable de créer les Etats nouveaux sans réaménager les frontières. L'Europe a reconnu «implicitement ou explicitement» les frontières de ces Etats, créant une situation inacceptable pour les communautés serbes de Bosnie et de Croatie. En effet, le président Tudjman de Croatie reprend à son compte la tradition nationaliste croate anti-serbe, celle des Oustachis plus barbares que les nazis, et le président Alija Izetbegovic de Bosnie ne cache pas son intention de créer un Etat islamique intégriste. D'où violences, guerres, déplacements de population. Dès lors, note l'auteur «la communauté internationale -la Communauté européenne et les Etats-Unis au premier chef- ne s'appuyait plus dans ses démarches sur aucun principe. Elle ne pouvait invoquer le droit d'auto-détermination : après l'avoir reconnu aux Slovènes et aux Croates, elle le refusait catégoriquement aux communautés serbes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Elle ne pouvait invoquer l'inviolabilité des frontières : elle prétendait l'imposer au profit des délimitations internes de l'ancienne Fédération yougoslave alors qu'elle avait accepté le démantèlement total des frontières internationales de la Yougoslavie». L'auteur note aussi la divergence religieuse entre les ethnies (Serbes orthodoxes, Croates catholiques et Slovènes musulmans) et écrit : «On peut difficilement s'empêcher de penser que les gouvernements européens firent preuve, en l'espèce, d'une extraordinaire méconnaissance de l'histoire et de la géographie».

Vladimir Dimitrijevic. Yougoslavie. La stratégie de l'aveuglement. L'Age d'Homme, 1992.
Ce livre reprend un article paru dans le journal L'Idiot international. L'auteur y dénonce la désinformation dont la crise yougoslave a fait l'objet : «L'embargo économique et industriel a été précédé par un embargo non moins sévère dans les faits et l'information. Ce blocus-là, on n'aura pas attendu le déclenchement des hostilités pour l'instaurer, il les a devancées, voire préparées». L'auteur rappelle les éléments les plus scandaleux du dossier de cette désinformation à outrance dont l'Occident a été bombardé : le rapport du secrétaire général des Nations unies est escamoté1, les ondes et les journaux dénaturent les faits (on fait passer des civils serbes massacrés pour des Croates, on occulte les massacres, les déportations et les destructions dont les Serbes sont victimes, on omet de dire que Dubrovnik, ville démilitarisée, a été transformée par les Croates en place forte avant d'être attaquée par l'armée fédérale). La désinformation a des conséquences sanglantes, l'intervention militaire permettant de cacher les mensonges et les erreurs de la politique. Le refus d'écouter les propositions serbes conduit à retailler les frontières par la force et les migrations. «Le plus grave, aujourd'hui, écrit Vladimir Dimitrijevic, est que les démocraties angéliques sont aussi sûres d'elles que les totalitarismes d'autrefois, et qu'elles n'admettront jamais s'être trompées».

Dobritsa Tchossitch. La Yougoslavie et la question serbe. L'Age d'Homme/Institut Serbe de Lausanne, 1992.
L'auteur, l'un des meilleurs écrivains de son pays, dont il est devenu président, a donné cette conférence en janvier 1991, six mois avant le déclenchement de la guerre yougoslave. La précision avec laquelle il annonce les faits à venir est surprenante. Il n'en est que plus lamentable de voir combien la communauté internationale a ignoré les avertissements de cet article, paru en serbe dans Politika de Belgrade et en français dans la revue Balkan.

Daniel S.Schiffer. Le Temps du Réveil. Entretien avec Dobritsa Tchossitch. L'Age d'Homme/Institut Serbe de Lausanne.
Précédé de «En route vers Belgrade» de Jeanie Toschi Marazzani Visconti et suivi de «Lettre ouverte aux intellectuels d'Europe», de D.S.Schiffer, ce livre dont le titre évoque les grands romans de Tchossitch, invite le lecteur à découvrir la vraie Serbie et ses vrais ennemis. J.T.M.Visconti parle de la Croatie où se déroule, servie par une propagande à la Goebbels, une réinstauration des idéaux nazis antijuifs et antiorthodoxes : synagogues et églises orthodoxes sont brûlées, les cimetières profanés, les monuments de la résistance détruits. Dans son entretien avec le journaliste italien D.S.Schiffer, D.Tchossitch reconnaît comme légitime l'aspiration du peuple croate à l'indépendance, aspiration en laquelle il voit même «une source d'énergie démocratique», mais il conteste non «la fin, mais les moyens mis en oeuvre pour y arriver». Selon lui, l'Europe commet ici quatre fautes : «elle assiste, inerte et passive, à l'accomplissement d'une troisième guerre mondiale masquée et voulue par l'Allemagne ; elle soutient sans le moindre esprit critique la Croatie, alliée historique de l'Allemagne nazie ; elle diabolise avec la même légèreté l'adversaire historique de cette même Allemagne, la Serbie ; elle cautionne ainsi la renaissance de l'antisémitisme, faisant en outre du Serbe le nouveau Juif, chargé de tous les maux de la Terre».
Dr. Marko Markovic. Nous accusons. Lazarica Press, Birmingham, 1992.
Ce texte, tiré-à-part de la revue Lazarica, est exemplaire. Nous n'en citerons que quelques extraits, renvoyant le lecteur à l'analyse précise et lumineuse que l'auteur fait du conflit yougoslave et de la cécité volontaire des nations européennes. «La tyrannie a toujours existé, mais tandis qu'autrefois elle était limitée dans l'espace et ne savait ou ne pouvait cacher son visage, au XXème siècle elle a tendance à devenir planétaire, en s'affublant d'un masque de liberté politique (...). De même que, par exemple, avant Gorbatchev, l'interdiction de s'immiscer dans les affaires intérieures d'un Etat souverain servait à consolider les régimes communistes, de nos jours, le droit à l'autodétermination appuyé par le «droit d'ingérence» doit principalement servir à l'anéantissement des peuples orthodoxes. Car la manière dont les forums internationaux manipulent ces droits -par eux-mêmes dignes de respect- ne sert qu'à camoufler l'arbitraire et l'oppression que la plupart des grandes puissances occidentales sont en train d'imposer au monde». Ainsi, «les ennemis des Serbes, sous couvert de démocratie, réussiront bientôt à réaliser totalement le rêve génocidaire d'Ante Pavelic». Le responsable de la guerre fratricide de Yougoslavie est Franjo Tudjman, qui fait aussi porter la responsabilité aux Serbes de tout le mal, et dont les thèses sont orchestrés par la campagne médiatique que subit l'Occident. «Révoltés par cette caricature du droit et de la justice, qui transforme les victimes en bourreaux et les bourreaux en victimes, c'est maintenant nous qui, en dix points, ACCUSONS :
1. Le «droit d'ingérence», suivi d'une intervention militaire contre les Etats internationalement reconnus s'applique surtout aux Serbes et à la Yougoslavie. Les 600000 morts du Mozambique ou le génocide antichrétien du Soudan laissent indifférents les Etats européens.
2. Les forums internationaux ont jusqu'à présent fait preuve de partialité et d'incompétence dans la solution des problèmes yougoslaves. Prenant surtout l'exemple de la France, l'auteur souligne la méconnaissance générale des questions serbes et la falsification de l'histoire par les historiens pro-croates. L'ignorance est pardonnable, mais le refus des journaux Le Figaro et Libération de publier les mises au point qui leur sont adressées, prouve la mauvaise foi.
3. La Communauté européenne ne voulait pas empêcher le conflit serbo-croate, mais elle ne cesse de l'aggraver. L'Europe, en effet, a soutenu les prétentions belliqueuses du président croate au lieu de l'inviter à négocier quand cela était possible.
4. Le principe d'autodétermination profite exclusivement aux ennemis des Serbes.
5. On a fait table rase du génocide de la Seconde guerre mondiale et de l'après-guerre contre les Serbes en Yougoslavie. Quels manuels d'histoire, en France, a jamais parlé des camps de concentration de Pavelic ? De même, les persécutions des Albanais contre les Serbes du Kossovo sont passées sous silence ; alors qu'elles expliquent pourquoi les «minorités» serbes de ces régions arbitrairement découpées refusent d'y être emprisonnées.
6. Les crimes politiques actuels de Tudjman et des Croates sont couverts par un complot du silence. «La règle qui s'en dégage» de la presse occidentale, est la suivante : «plus les souffrances serbes sont grandes, moins il faut en parler». «Amnesty International ne fera pas entendre sa voix non plus. Peut-être parce que les Serbes gisant dans les fosses communes n'ont pas porté plainte ?»
7. Les causes du «serbocommunisme» se trouvent en Occident.
8. La condamnation de l'«impérialisme grand-serbe» cache la création de la «Grande Croatie».
9. La reconnaissance de l'Etat croate, avant la négociation des frontières et sans effectivité, est illégale.
10. La menace d'une intervention militaire internationale est un acte de violence.
Dans un dernier chapitre, La voie sans issue, Marko Markovic dénonce le plus odieux mensonge commis contre les Serbes : «La campagne visant les camps de concentration serbes a été une double réussite pour leurs ennemis. Elle a permis, à la fois, de cacher le système concentrationnaire de Tudjman et de mobiliser l'opinion mondiale pour une croisade contre les Serbes».
«On a rarement vu dans l'histoire une telle injustice et une telle haine -quasi unanime- se déchaîner contre un petit peuple, lui-même victime d'un génocide, aussi bien dans un passé récent qu'actuellement. Tout cela paraîtrait complètement irrationnel et même monstrueux s'il n'arrivait pas aux ennemis des Serbes de trahir parfois leurs buts véritables». La Serbie sert de cobaye pour la Russie. Or, dit Marko Markovic, la Serbie ne sera sauvée du génocide que si s'éveille la conscience politique européenne, qui ne voit pas encore que le droit à l'autodétermination appliqué à la Russie et à la Serbie pour les démembrer «est un boomerang qui frappera tôt ou tard ceux qui le manipulent». L'Allemagne mise à part, il y a peu de peuples nationalement «purs» en Europe : France, Angleterre seront touchées, et bientôt, hors d'Europe, les U.S.A.

Vassilié Krestitch. Un peuple en otage. Les Serbes de Croatie face à l'Etat croate. L'Age d'Homme/Institut Serbe de Lausanne, 1992.

Ce livre permet de comprendre l'attitude actuelle des Serbes de Croatie, qui ne veulent pas se trouver prisonniers de l'Etat croate. Au-delà, en effet, des souvenirs du génocide, il y a les décisions légales qui, présentement, ont déjà résolu de faire des Serbes des «citoyens de seconde zone», ce qui laisse mal augurer de la future «démocratie».
Professeur à l'Université de Belgrade, l'auteur fait l'historique des rapports entre les Croates et les Serbes de Croatie : «l'essence des conflits, des confrontations et des déchirements entre Croates et Serbes, dans un passé proche et lointain, peut se résumer à la question de la reconnaissance des Serbes de Croatie comme peuple constitutif». Or, durant les 150 dernières années, la Croatie s'est montrée déloyale à l'égard de ses citoyens serbes : «Jamais, lorsque la Croatie avait besoin des Serbes, lorsqu'elle était menacée, ceux-ci n'ont trahi ni le peuple ni l'Etat croates» (p.47). Dans ces moments de crise, les politiciens croates promettaient aux Serbes ce qu'ils revendiquaient toujours, l'égalité de droits et de devoirs avec les Croates ; mais sitôt la crise passée, les droits que les Serbes avaient obtenus leur étaient retirés. Le régime actuel est fondé sur une conception archaïque : «Les persécutions dont sont actuellement victimes les Serbes de Croatie et le système de répression élaboré qu'appliquent à leur égard tous les rouages du pouvoir croate, les privant des droits de l'homme les plus fondamentaux» ne s'expliquent que par l'idéologie de Franjo Tudjman et ses collaborateurs de la Communauté Démocratique Croate (HDZ) le parti au pouvoir en Croatie. Les fondements de cette idéologie «résident dans la notion du droit étatique et historique croate, une conception juridique issue de la société féodale et absolument incompatible avec les principes politiques inhérents à une société civile et démocratique. Selon ce droit, l'Etat croate appartient en exclusivité au seul peuple croate» (p.57). Le résultat est que les autres peuples présents en Croatie, notamment les Serbes, n'ont le choix qu'entre l'assimilation totale, la servitude ou l'extermination. L'Etat se prétend d'autant plus démocratique qu'il l'est moins (p.47) : «En reprenant le pouvoir, le Dr Franjo Tudjman et ses disciples n'ont pas tenté de cacher qu'ils étaient les véritables continuateurs de l'Etat Indépendant de Croatie de Pavelic. Tudjman lui-même a déclaré que l'Etat de Pavelic n'était pas seulement le fruit des aléas de la guerre, mais aussi l'expression des aspirations séculaires du peuple croate. Le nouveau pouvoir croate se comporte effectivement, à l'égard des Serbes, comme se comportait le pouvoir de l'Etat oustachi. Dans la Constitution croate votée en décembre 1990, les Serbes de Croatie, qui dans la première comme dans la seconde Yougoslavie jouissaient du statut de nation, ont été déclarés minorité nationale. Par ce geste unilatéral, les dirigeants croates ont véritablement déclaré la guerre aux Serbes» (p.60). Tandis que les Croates se battent pour former une grande Croatie ethniquement et religieusement pure, croate et catholique (p.57 et 58), les Serbes de Croatie se battent pour leur survie (p.58 et 61).

Vjekoslav Radovic. Spectres de la guerre. L'Age d'Homme/Institut Serbe de Lausanne, 1992.
D'une grande qualité littéraire, ce livre est fait d'une série d'«instantanés» sur la guerre, dans lesquels l'auteur, Serbe par son père et Croate par sa mère, révèle de manière concrète, dramatique et parfois comique, les méthodes et les résultats de la désinformation.

De l'imprécision à la falsification. Analyses de Vie et Mort de la Yougoslavie de Paul Garde. L'Age d'Homme/Institut Serbe de Lausanne. Lausanne, 1992.

Chef d'oeuvre d'analyse historique et philosophique, ce livre entend faire la lumière sur un livre du slavisant Paul Garde, qui avait la prétention de combler la lacune de la bibliographie de l'honnête homme, en France, relativement à l'histoire de la Yougoslavie. Malheureusement le livre Vie et Mort de la Yougoslavie est une imposture scientifique, disent les auteurs de cet ouvrage collectif, dont les articles constituent, autant qu'une analyse du livre de Paul Garde, une véritable remise au point qui donnent les renseignements nécessaires à l'intelligence de la crise yougoslave. Le linguiste Pavle Ivic, l'historien Nikola Samardzic, l'essayiste Anne Yelen, le sociologue Pierre Maurer de l'Université de Genève, et le traducteur Slobodan Despot font découvrir les diverses facettes de ce leurre destiné au public intellectuel que le bombardement médiatique laisse, à bon droit, sceptique.
Les omissions historiques foisonnent et les confusions, les redites, les jugements sans justifications, l'absence de notes et de bibliographie précise constituent une première série de griefs, qui seraient mineurs s'ils n'étaient tous dirigés dans un seul sens : salir les serbes en les présentant comme des barbares. Une seconde série de reproches sont beaucoup plus graves : d'une manière qui n'est pas du tout innocente, mais consciente de ses procédés, le livre signé par Paul Garde use de tout l'arsenal des procédés de la désinformation, c'est-à-dire de subversion de l'information, pour abuser le lecteur, en lui donnant des pires horreurs une image positive. Malheureusement pour l'hydre qui a opéré cette «falsification», tous ces procédés sont déjà connus et répertoriés, depuis que R.Mucchielli, par exemple, les a étudiés dans la littérature communiste des années 50 : et Slobodan Despot se livre à une analyse de la régularité de leur emploi dans chaque page de ce livre, qui se révèle une anthologie de l'imposture et un pamphlet pro-oustachi, pro-nazi. Nous ne citerons qu'un exemple de ces ruses, «la mise en place d'une information vraie à preuve concrète dans un contexte qui en change le sens». Garde écrit que le régime oustachi avait pratiquement exterminé les Juifs et les Tziganes sur le territoire de l'Etat indépendant de Croatie. Mais, ajoute-t-il, «l'extermination de ces deux peuples a été presque complète aussi en Serbie». N'importe quel lecteur ignorant le détail de l'histoire en conclut : «Les Croates ont exterminé les Juifs et les Tziganes ; les Serbes aussi». Or, les populations non-catholiques ont bien été exterminées en Croatie en vertu d'une politique sanglante de purification ethno-religieuse, tandis qu'en Serbie, ce sont uniquement les autorités d'occupation, les ennemis des Serbes qui ont appliqué les directives de Berlin (p.101) !
Ce livre permet de découvrir l'idée qui se cache derrière les affirmations en apparence irénique de Paul Garde, qui ne font que reprendre celle que les ondes nous assènent depuis quelque temps : «Si cet ensemble de sottises nous en apprend peu sur la Yougoslavie et l'Europe, il nous renseigne utilement sur les opinions de l'auteur du livre : car l'Europe idyllique qu'il dépeint, celle héritée de l'Empire austro-hongrois, correspond à l'Europe catholique militante ; tandis que les peuples immatures, querelleurs, irresponsables, comme par hasard, font partie de ces "orientaux" schismatiques dont l'Occident bien pensant n'a jamais fait grand cas». Les serbes orthodoxes subissent une nouvelle croisade qui fait passer ses bourreaux pour des victimes. Quand ce livre prend la défense des pires racismes, il se trahit parfois, comme lorsqu'il écrit : «Tudjman fait valoir qu'en Croatie 40 % des ministres, 60 % des dirigeants d'entreprise, six sur sept des rédacteurs de la radio sont des Serbes. Devant ces dénonciations, les Serbes peuvent craindre une politique de discrimination à leur encontre» : comme s'il n'était pas déjà discriminatoire et anti-démocratique d'étiqueter les fonctionnaires «selon une clef ethnique (plus précisément confessionnelle)» ! (p.108)
La conclusion que tire Slobodan Despot de cette forfaiture d'un universitaire est que la désinformation dépasse le cas des seuls maîtres d'oeuvre de ce genre de forgeries. En effet, la désinformation ne prend que sur un terrain préparé : n'y a-t-il pas, dans la lâcheté de ceux qui auraient pu répondre à ce livre, les indices d'une sorte de renoncement intellectuel et de décadence ? Inversement, nous dirons que ceux qui ont le courage de dénoncer le mensonge agissent bellement, car «il est honteux de dire ce qu'ils font en secret ; mais tout ce qui est condamné est manifesté par la lumière, car tout ce qui est manifesté est lumière».

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