mardi 8 février 2011

La Lumière du Thabor n°47-48. Lectures de livres reçus.

LIVRES RECUS



La Lumière du Thabor a reçu récemment plusieurs livres et revues de théologie qui abordent des sujets dont l’importance ne saurait échapper aux fidèles orthodoxes, puisqu’ils touchent aux problèmes qui, à travers les «dialogues» oecuméniques, mettent en péril la foi. Il apparaît plus que jamais essentiel pour les orthodoxes de s’affermir dogmatiquement afin qu’ils sachent où ils se tiennent, et puissent discerner dans les thèses historiques ou théologiques que la mode leur propose celles qui ont subi le gauchissement de l’esprit du temps et qui ne sont pas justifiables scientifiquement.


Saint Maxime le Confesseur. - Ambigua. Introduction par Jean-Claude Larchet. Avant-propos, traduction et notes par Emmanuel Ponsoye. Commentaires par le Père Dumitru Staniloae. Collection l’Arbre de Jessé. Les Editions de l’Ancre, Paris-Suresnes, 1994.
Saint Maxime le Confesseur, le grand théologien du VIIème siècle, qui réfuta l’hérésie monothélite, reste mal connu. Les éditions de l’Ancre ont entrepris la tâche importante et louable de publier l’essentiel des oeuvres du Confesseur, traduites par E. Ponsoye. Après les Questions à Thalassios, voici les Ambigua, c’est-à-dire le livre «Au sujet de diverses difficultés rencontrées chez les saints Denys et Grégoire», le titre de Ambigua étant la traduction latine proposée par Scot Erigène pour le grec Aporiai. Ce texte est formé, comme l’explique J.C. Larchet dans sa préface, de deux séries de «difficultés», le rassemblement ayant peut-être été opéré par saint Maxime lui-même. Chaque chapitre est un commentaire d’une phrase jugée difficile et rencontrée chez saint Grégoire de Nazianze ou chez saint Denys l’Aréopagite. Saint Maxime est également amené à présenter une interprétation spirituelle dite «théoria» de plusieurs passages de l’Ecriture, notamment de la Transfiguration.
Saint Maxime éclaire les passages de saint Grégoire de Nazianze et de saint Denys l’Aréopagite en les référant à l’ensemble du dessein de Dieu. L’introduction de J.C. Larchet, bon résumé de la pensée du Confesseur, permet de se rendre compte de cette vue synoptique qui organise les réponses ponctuelles. Les notes du Père Dumitru Staniloae jettent un éclairage très précieux. Quant à la traduction, que son auteur présente comme un «modeste essai provisoire», elle est la première tentative de traduction complète des Ambigua en français et mérite d’être saluée à ce titre.
Particulièrement importante est la critique de l’origénisme développée dans les chapitres 7 et 42 des Ambigua. Saint Maxime réfute les idées platoniciennes et origénistes à partir de leurs propres présuppositions. Par là non seulement la foi chrétienne se trouve renforcée, mais encore il est prouvé que la seule source réelle de saint Grégoire de Nazianze (et des autres Pères...) est la Bible. Ce texte est donc une contribution importante à la question récurrente et si controversée du prétendu «platonisme des Pères de l’Eglise».

Saint Grégoire Palamas. - Traités apodictiques sur la procession du Saint Esprit. Traduits par Emmanuel Ponsoye. Editions de l’Ancre, Paris-Suresnes 1995.
Ces traités de saint Grégoire Palamas constituent un exposé approfondi de la théologie trinitaire des Pères en même temps que l’une des plus rigoureuses réfutations du Filioque et de la théologie trinitaire occidentale. Publiés pour la première fois en français, ils viennent combler un vide important, car si nombre d’auteurs se réfèrent à cet ouvrage fondamental, il est bon d’y avoir accès directement et de pouvoir juger sur pièces quelle était l’opinion exacte du grand docteur de l’Orthodoxie sur cette question controversée qui demeure la principale pierre d’achoppement du dialogue oecuménique.
Le livre est pourvu d’une introduction substantielle de Jean- Claude Larchet qui situe le contexte historique de sa rédaction avant d’en analyser le contenu et de mettre en lumière l’apport spécifique de saint Grégoire Palamas sur ce sujet.
Il est intéressant de remarquer que Jean-Claude Larchet semble en faire une lecture assez différente des autres théologiens orthodoxes modernes -en particulier de ceux qui tentent obstinément de trouver chez saint Grégoire Palamas une théologie plus conciliable que celle de saint Photios avec la théologie latine de la procession de l’Esprit-Saint. Il note en particulier que saint Photios est soupçonné d’avoir le premier tenté d’élaborer une doctrine de la procession du Père seul et qu’à cet égard, selon ces néo-orthodoxes (Clément, Bobrinskoy), la position de saint Grégoire serait nettement plus ouverte. Ce que Jean-Claude Larchet réfute catégoriquement : «A lire les traités de saint Grégoire Palamas, on remarquera cependant que ce dernier y poursuit constamment lui aussi le but de montrer que le Saint-Esprit procède du Père seul, en soulignant que c’est bien là la Foi enseignée par le Christ, les Apôtres, les Conciles et les Pères. (...) En réalité l’expression «du Père seul» revient bien plus souvent dans les traités de Palamas que dans les oeuvres de Photios. On a pu constater que, loin de la considérer comme un theologoumenon1, saint Grégoire Palamas la tient pour une vérité de foi».

Jean-Claude Larchet.- La divinisation de l’homme selon saint Maxime le Confesseur. Paris, Cerf, coll. Cogitatio Fidei, 1996, 764 p., index.
Le livre de Jean-Claude Larchet sur la divinisation chez saint Maxime touche au coeur du christianisme et représente une somme de l’enseignement du Confesseur. Ce dernier développe, en effet, plus précisément qu’aucun des Pères qui l’ont précédé, le sens fondamental de l’Incarnation résumé par saint Athanase dans la formule : «Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu» -sens fondamental pour l’Eglise orthodoxe, mais à tel point occulté en occident que B. Drewery, spécialiste d’Origène cité par Larchet p. 21, est allé jusqu’à écrire que la notion de divinisation constituait «la plus sérieuse déviation qu’ait connu la théologie chrétienne» !
J.C. Larchet s’attache à définir la pensée de saint Maxime en montrant d’une part, l’originalité du Confesseur, qui use d’une langue nouvelle pour établir, dans toutes ses conséquences, la proportionnalité entre l’Incarnation du Verbe et la divinisation de l’homme : l’homme est autant fait Dieu que Dieu S’est fait homme ; d’autre part, sa fidélité stricte à la pensée des Pères et à la ligne des Conciles : «on ne peut pas dire, note l’auteur à propos des concepts de tropos et de logos, que Maxime innove quant au fond» (p. 148) «Dans la doctrine de Maxime se perçoit particulièrement la continuité et l’unité profondes qui existent entre Chalcédoine, Constantinople II et Constantinople III (à venir, mais qui doit tant à la christologie maximienne...)» (p. 683).
Après avoir montré que la divinisation de l’homme est le but de sa création par Dieu, et que la chute constitue un échec provisoire, l’auteur consacre une partie importante de son travail aux fondements christologiques de la divinisation, avant d’étudier ses autres fondements -pneumatologiques, ecclésiologiques, ascétiques- son processus et son accomplissement.
L’auteur exprime avec beaucoup de clarté les notions et les distinctions que Maxime met en oeuvre, et qu’il emprunte tantôt au trésor commun de la patristique (il distingue ainsi le salut ou restauration de la nature humaine de la divinisation), tantôt à la philosophie, mais en les purifiant pour y verser le vin nouveau de l’Evangile. Ainsi les logoi des êtres sont pour Maxime les «programmes» des créatures, posés par la volonté divine et préexistant en Dieu, à la fois comme «principes constitutifs» et comme «projets». La divinisation est ainsi inscrite d’avance à titre de but, pour toute créature raisonnable, mais ne peut être accomplie qu’avec l’aide de la grâce divine.
J.C. Larchet expose aussi l’usage que saint Maxime inaugure de la distinction entre logos et tropos que les Pères antérieurs réservaient à peu près à la théologie trinitaire et que Maxime utilise aussi pour parler de l’homme, du Christ, de la vie spirituelle. Ainsi, la nature humaine en Christ est totalement changée et innovée selon son tropos (mode), mais elle reste immuablement nature humaine selon son logos (principe constitutif) propre. C’est en voulant résoudre rationnellement ce paradoxe que les monophysites, monothélites et monoénergistes tombent dans l’hérésie.
Les hommes sont déifiés par la communion aux énergies incréées de Dieu, distinctes à la fois de l’essence imparticipable de la Divinité et de la créature. Ces énergies qui jaillissent de Dieu font réellement de l’homme un «participant de la nature divine», un dieu par grâce -mais non par nature. C’est ainsi que l’homme peut être dit, comme Melchisédec, «sans commencement ni fin».
L’actualité de la thèse de Larchet est évidente pour deux raisons :
1. Certains professeurs de théologie ex-orthodoxes essayent d’élaborer une union avec les monophysites, en soutenant que le monophysisme de Sévère est conforme à la doctrine orthodoxe. L’auteur note que Maxime, strictement fidèle à la théologie définie dans le Concile de Chalcédoine, affirme que les natures divine et humaine sont unies en Christ par une union hypostatique (personnelle) et qu’il réfute aussi bien l’«union relationnelle» des nestoriens que l’«union naturelle» des monophysites : «critiquant avec vigueur la notion sévérienne de nature composée, Maxime affirme que l’union des natures est accomplie selon une hypostase composée». Saint Maxime illustre trés souvent cette réalité ineffable par l’image de l’épée incandescente : le fer devient feu sans cesser d’être fer ; alors l’épée coupe et brûle en même temps, mais «ni le caractère double de l’opération naturelle n’entraîne qu’il y ait deux épées, ni l’unité de l’épée incandescente ne produit le mélange ou la confusion de la distinction des natures» (p. 339). Ainsi «le fait d’être divinisée par l’union avec Dieu ne fait pas sortir de son entité selon l’essence cette nature de la chair animée rationnellement et intellectuellement» (p.340 et 358).
2. Un groupe de penseurs catholiques (Le Guillou, Garrigues, Riou, von Schönborn, Léthel, Dalmais) ont cru découvrir chez saint Maxime une théorie de la divinisation de la nature humaine en Christ fondée non pas sur la périchorèse (compénétration) des natures (divine et humaine), mais sur un certain «mode d’exister hypostatique» que ces auteurs comprennent dans un sens «intentionnel». Autrement dit, la divinisation de la nature humaine du Christ est une «empreinte de grâce qui opère sous forme d’habitus créé», une grâce créée. J.C. Larchet note avec justesse que cette interprétation de saint Maxime verse dans le nestorianisme (p.351) et critique «une telle notion scolastique de l’habitus et l’idée d’une grâce créée, visiblement empruntées à une grille de lecture néo-thomiste» comme «radicalement étrangères aux textes et à la pensée du Confesseur». L’auteur note que ces thèses thomistes ont entraîné des erreurs de traduction (p. 145 sq), une notion erronée de l’évolution de la pensée de saint Maxime (p. 148 sq), des contresens sur les notions-clés (p. 267 sq, 272, 344) et des aberrations (p. 351 sq). La conséquence de cette christologie est qu’il n’y pas de divinisation intrinsèque, ontologique de l’homme, mais simplement une divinisation par «participation intentionnelle» à Dieu. J.‑M. Garrigues s’est d’ailleurs servi de cette thèse pour tenter de montrer que la théologie de saint Grégoire Palamas était en désaccord avec celle des Pères anciens. D’autre part, comme certains textes de saint Maxime ne s’accordent pas du tout avec l’idée d’une «union intentionnelle» à Dieu, les tenants de cette thèse postule une évolution de sa pensée, laquelle, partant d’une déification «monoénergique» ou même «théurgique» empruntée au néo-platonisme via saint Denys l’Aréopagite, aurait été corrigée pour aboutir à la déification par habitus créé à la manière scolastique. J.C. Larchet réfute ces thèses, et montre la parfaite cohérence de saint Maxime avec lui-même et avec les Pères antérieurs (saint Athanase, saint Grégoire de Nazianze) et ultérieurs (saint Grégoire Palamas). Quant à Denys l’Aréopagite, il n’a rien à voir avec le néo-platonicien que forgent les néo-thomistes (p.554, 578, 596, 608).
Le livre de J.-C. Larchet, qui contient d’abondantes citations de saint Maxime et discute de nombreux termes difficiles, ouvre des perspectives importantes sur ce «géant de la théologie» encore mal connu en Occident. Maxime le Confesseur n’y apparaît nullement comme un pré-scolastique, mais comme un authentique théologien qui a non seulement appris mais expérimenté les choses divines, tant il est vrai, comme le dit l’auteur, que «la divinisation peut seulement être éprouvée par ceux qui en font l’expérience».

Ludmila Perepiolkina : L’oecuménisme - chemin menant à la perdition (en russe). Jordanville, 1992.
Le livre de mère Ludmila est une bonne illustration des paroles prophétiques d’Alexandre Kalomiros sur «l’effilochage2 : «Quand on prend pour un détail un élément de la Tradition, on prendra également, et dès la première occasion, pour un détail, un autre élément, et pour finir, tout ce qui nous déplaira, dans la Tradition de l’Eglise, sera pris pour un détail... C’est ainsi que le tricot de la Tradition a commencé à s’effilocher et personne ne sait où l’effilochage s’arrêtera, si jamais il s’arrête».
L’exemple de l’Eglise de Finlande est à cet égard tout à fait révélateur. Cette Eglise, loin de se contenter d’accepter le nouveau calendrier, a adopté également la pascalie grégorienne, et cette grossière violation des canons se perpétue avec la bénédiction du Patriarche de Constantinople, sous la juridiction duquel cette Eglise se trouve depuis 1922. Après avoir rompu avec de nombreux siècles de pascalie orthodoxe sanctifiante, l’Eglise Orthodoxe de Finlande s’est laissée entraîner sur la voie glissante de la transgression des règles de l’Eglise et des innovations pratiques. Ainsi en a-t-il été des règles de l’admission des hétérodoxes à la communion, de la suppression dans les faits de la confession, du changement des textes liturgiques par complaisance envers les luthériens, etc. La «libre pensée» spirituelle qui règne dans l’Eglise de Finlande suscite quantité d’autres inventions plus ou moins arbitraires, lesquelles provoquent l’indignation des fidèles pieux. La réduction excessive du service divin dans cette Eglise a conduit un observateur étranger à parler à son sujet de fast-church par analogie avec le fast-food à l’américaine. Bien entendu, l’Eglise de Finlande est un membre très actif du mouvement oecuméniste où elle fait figure de «porte-voix» de l’Orthodoxie.
L’influence délétère de l’oecuménisme ne se limite malheureusement pas à la seule Eglise de Finlande, mais c’est au contraire la même descente aux enfers que l’on observe dans toutes les juridictions qui prennent part aux «dialogues» avec les hérétiques au sein du funeste Conseil Oecuménique des Eglises.
Outre les violations des canons (prières avec les hérétiques) auxquelles les assemblées du COE donnent lieu, l’auteur note très judicieusement que les participants à ces rencontres oecuméniques s’écartent de leurs anciennes convictions et assimilent une langue particulière, une terminologie et des images mentales nouvelles qui s’imposent au cours de ces «dialogues». Et l’auteur de rappeler le conseil utile que saint Paul adressait aux Corinthiens : «Ne vous y trompez pas, les mauvaises compagnies corrompent les bonnes moeurs» (1 Cor. 15, 33). L’amitié oecuméniste contribue en effet à l’érosion des frontières de la confession de foi, c’est-à-dire à la destruction des barrières protectrices de l’Arche du salut qu’est l’Eglise. Lors de l’Assemblée Générale du COE à Canberra (1991), le président du Département des Relations Extérieures du Patriarcat de Moscou, le métropolite Cyrille de Smolensk, a ouvertement appelé le COE le «berceau de la future Eglise unifiée... notre maison commune, et nous porterons une responsabilité particulière dans sa destinée».
Etudiant les déclarations officielles du Patriarcat de Moscou, l’auteur observe qu’après trente ans de participation au mouvement oecuménique, l’état de santé spirituelle de celui-ci a sérieusement empiré. En témoignent les faibles critiques émises par ses représentants lors de cette même assemblées de Canberra. A Canberra, la nature anti-chrétienne du COE a été clairement découverte et seuls ceux qui ont des yeux pour ne pas voir, seuls ceux qui ont des oreilles pour ne point entendre, ont pu se laisser abuser par les scandaleuses parodies liturgiques qui s’y sont déroulées : «messe» des homosexuels célébrée par une prêtresse lesbienne, liturgie «chaude» de l’Eglise Evangélique sur musique jazz et rythmes africains, purification dans le feu païen et invocation des esprits par la coréenne Chung de l’Eglise Presbytérienne, etc. Certes, les délégués orthodoxes se sont émus, mais leur participation aux activités futures du COE n’a pas été remise en question.
Les oecuménistes orthodoxes se pénètrent des égarements des hétérodoxes et s’habituent à leurs péchés. L’auteur le montre encore en citant l’évolution du Patriarcat de Moscou sur la question de la prêtrise des femmes. Ainsi, en 1976, le message du saint synode du Patriarcat de Moscou rejetait toute proposition dans ce sens, soulignant que «l’histoire de l’Eglise ne connaît pas d’exemple de service sacerdotal des femmes» et il s’efforçait de démontrer l’impossibilité de «se joindre à la position de la majorité protestante qui admet un sacerdoce féminin mais qui exprime son point de vue sur ce problème dans des catégories séculières, étrangères à la révélation divine». Toutefois, en devenant plus fréquentes, les rencontres oecuméniques ont été la cause d’une «récession spirituelle» de la Sainte Tradition, au point que lors de la 6ème assemblée du COE à Vancouver, un hiérarque orthodoxe a concélébré avec des «prêtresses». A la même époque, un autre évêque du Patriarcat de Moscou, le métropolite Antoine (Bloom) de Sourog, a soutenu publiquement ne pas voir d’obstacle théologique à l’ordination des femmes. C’est ainsi que les oecuménistes orthodoxes, s’alignant sur les positions du COE, montrent leur mépris pour la succession apostolique et le ministère sacerdotal. «Tous les membres de l’Eglise, hommes et femmes se tenant dans l’unité sacramentelle du Corps du Christ, sont appelés à la sainteté, à l’apostolat universel et au Royaume des cieux. Cela ne veut pas dire pour autant que tous soient appelés à devenir prêtres. De fait, quoiqu’il y ait eu des femmes parmi les proches de Notre Seigneur Jésus Christ, aucune d’entre elles ne fut comptée au nombre de ses apôtres. Il n’y a pas lieu de penser que ce fut là un hasard ou que le Seigneur ait fait une concession à l’esprit du temps».
«Toutefois, les femmes n’étaient manifestement pas considérées comme inférieures à ses autres disciples. Certaines d’entre elles furent au contraire honorées de façon particulière. C’est à la femme pécheresse méprisée par les juifs de Samarie que le Christ révèle sa divinité et prêche le salut (Jn 4, 5-42) et après la Résurrection le «bel accord» des évangélistes (Mt 28, 1-8 ; Mc 16, 1-10 ; Lc 24, 1-10 ; Jn 20, 11-18) témoigne de ce que les femmes sont honorées les premières par l’Ange de la Bonne Nouvelle. Selon la volonté du Christ, elles sont initiées avant les apôtres au mystère de la Résurrection. Les femmes myrophores sont les premières à voir le Maître ressuscité, et à s’assurer de l'invraisemblable authenticité de son avènement dans sa chair glorieuse, pour ensuite en témoigner auprès des apôtres (Mc 16, 12)».
«Ce furent les apôtres, et non des femmes, qui constituèrent la première hiérarchie de l’Eglise du Christ. C’est le Christ, pasteur en chef, qui les a lui-même choisis pour paître le troupeau de Dieu, diriger l’Eglise et célébrer le saint mystère de la communion (Lc 22, 18), enseigner et baptiser (Mat 28, 19), lier et délier (Mt 18, 18), faire des onctions et guérir (Mc 6, 13) etc. Ordonnant des diacres (Ac 6, 6), des prêtres (Ac 14, 23 ; Tite 1, 5) et des évêques (2 Tim 1, 6), ils n’ont jamais élu de femmes. Ils ont au contraire recommandé aux femmes de s’exercer dans le silence et la piété (1 Tim 2, 10-12), conformément à l’ordre du saint Apôtre Paul : «que les femmes se taisent dans les assemblées» (1 Cor 14, 34). Ces préceptes apostoliques ne sont pas les produits de l’«arriération», de la «haine» ou du «mépris» des femmes que les féministes et les libéraux se plaisent à reprocher aux saints Apôtres. Combien la paix qui ressort du grand respect que portent les saints Apôtres à leurs soeurs en Christ s’oppose à toute cette agitation destructrice !»
«Les malins «défenseurs» des droits et libertés des femmes, en poussant ces dernières vers des activités impropres à leur nature, les détournent des formes du service de la communauté chrétienne affectées par Dieu à la femme. Et le mensonge de l’«émancipation» de la femme menace de créer, dans la sphère spirituelle, des désordres et des aberrations plus graves encore que dans la sphère séculière. En tentant la femme par une liberté imaginaire, en lui faisant miroiter les nouveaux fruits défendus, les disciples modernes de l’antique serpent poursuivent le même but que leur père, le diable : perdre définitivement la femme».
«Les arguments trop humains des oecuménistes s’opposent au caractère atemporel des saintes Ecritures. En ne permettant pas aux femmes d’enseigner dans l’Eglise, les saints Apôtres ne se sont pas laissé guider par des vues humaines, mais par des raisons divines. Aux philosophies terrestres des libéraux oecuménistes, qui parlent d’«arriération» des saints apôtres et d’«oppression» de la femme par l’homme, s’opposent toute l’histoire et la tradition ecclésiastiques. L’Eglise vénère les saintes femmes qui ont confessé leur foi ainsi que les martyres et les bienheureuses qui, par leur sainteté, ont magnifié Dieu. Il est possible de citer des centaines d’exemples de vénération des saintes femmes et de réfuter ainsi les arguments sociaux, psychologiques et pleins de fausse sagesse des oecuménistes».
«Mais le meilleur argument pour les confondre nous est offert par la Très Sainte Mère de Dieu qui, tout au long de sa vie sur la terre, donna l’exemple de l’humilité et de la modestie. Elle vécut en effet dans le calme et la discrétion, sans jamais enseigner dans l’Eglise, comme l’Apôtre le prescrit».
«Les ecclésiastiques modernistes, qui accueillent des femmes en qualité de «prêtresses» et même d’évêques prétendent ainsi rétablir les supposés droits des femmes et les émanciper. Cependant, cette exaltation démesurée de la femme dans l’esprit du féminisme à la mode rejoint celle des zélateurs du protestantisme, contempteurs de la Très Sainte Mère de Notre Seigneur Jésus Christ, élue par Dieu. Et cela, en dépit de la prédiction du Saint Esprit selon laquelle elle serait magnifiée par toutes les générations (Lc 1, 49)...»



Buisson Ardent, Cahiers Saint-Silouane l’Athonite, n 1, Editions Le Sel de la Terre, s.d.
Les Cahiers de l’Association saint Silouane sont publiés par les Editions Le Sel de la Terre, qui ont récemment donné aussi des lettres de Jean de Valaam. Ces Cahiers «se veulent fidèles à l’universalité du message [de saint Silouane], ouverts au dialogue avec les autres traditions chrétiennes, soucieux des problèmes spirituels du monde moderne» et se proposent de publier «des études, des documents et des témoignages qui espèrent rayonner de la personne et des écrits du saint et de son disciple3».
On peut lire entre autres dans ce cahier des notes inédites de saint Silouane «écrites en marge d’un catalogue de plantes potagères et de fleurs». Par exemple ceci :
«L’âme doit s’humilier profondément, à chaque instant, jusqu’à ce qu’elle s’humilie même pendant le sommeil. Les saints aimaient s’humilier et prier, c’est pourquoi le Seigneur les aimait et leur donnait de le connaître (...) Si nous étions humbles, le Seigneur nous ferait voir le paradis chaque jour» (note 21-22).
Le staretz Silouane (+ 1938) jouit d’une grande popularité en occident et il est déjà vénéré comme saint dans de larges secteurs de l’Eglise catholique. On peut d’ailleurs lire dans cet ouvrage le témoignage d’un moine bénédictin qui revendique sa paternité et porte son nom. De nombreuses initiatives oecuméniques se réclament ainsi de son patronage et le phénomène a pris une ampleur telle que l’on est amené à se demander ce qui justifie pareil engouement : saint Silouane serait-il donc le premier saint oecuménique ?
Pour lui qui est resté jusqu’à son dernier souffle le moine humble et effacé du monastère russe saint Pantéléimon au Mont Athos, la question tant débattue aujourd’hui de «l’unité des chrétiens» ne s’est jamais posée. Aussi ne trouve-t-on dans ses écrits pleins de grâce, aucune polémique envers les autres «confessions» chrétiennes et c’est sans doute ce qui explique la récupération dont il a pu être l’objet. Toutefois une lecture attentive de ces écrits montre que saint Silouane était nourri de la culture ascétique séculaire de l’Orthodoxie et que «son âme remplie de douceur», abreuvée aux sources les plus pures de la foi, se tenait aux antipodes de l’esprit philosophique occidental que stigmatisait l’évêque Nicolas Velimirovitch, lui-même disciple du staretz.
«Le père C. a dit que tous les hérétiques seraient damnés. Je ne le sais pas dit Silouane, mais je n’ai confiance qu’en l’Eglise Orthodoxe : en elle se trouve la joie du salut qui s’obtient par l’humilité du Christ4».
Certes, on ne peut que se réjouir du rayonnement de la vie et de l’oeuvre de ce nouvel astre de l’Orthodoxie, dont la prière ardente attire de nombreuses âmes vers le Christ. Mais pour cueillir les fruits de son intercession, n’ayons pas peur de confesser avec lui que «l’amour de Dieu se reconnaît à l’Esprit Saint qui vit dans notre Eglise Orthodoxe».

Mère Marie. - Le sacrement du frère. Editions Le Sel de la Terre, 1994.
Les éditions Le Sel de la Terre se proposent de présenter les pères spirituels orthodoxes contemporains car, nous dit-on, le christianisme a aussi ses guides. Que veut dire le «aussi» ? Est-ce à dire que ces guides chrétiens sont susceptibles de figurer, comme nous l’avons vu dans des publications récentes, aux côtés d’autres «guides», gourous de l’Inde et autres lamas tibétains ? Si tel est le cas, ne nous étonnons pas de voir figurer dans cette nouvelle collection le nom de l’évêque Kallistos de Grande Bretagne connu pour son nestorianisme (cf La Lumière du Thabor n14). Car, disons-le tout de suite, si l’on nous propose pour guide quelqu’un qui remet en cause ce que les guides inspirés par l’Esprit, les Pères, ont dit, il est aussitôt extrêmement suspect, et c’est malheureusement aussi le cas de mère Marie qui nous est ici présentée.
Mère Marie Skobzova (1891-1945), moniale russe morte en déportation à Ravensbrück, est l’objet d’une grande vénération dans les milieux orthodoxes oecuménistes qui souhaitent voir reconnaître officiellement sa sainteté. Si l’Eglise n’avait d’autre critère de sainteté que le courage et l’esprit d’abnégation et de sacrifice, nul doute que cette moniale pourrait figurer en bonne place dans nos synaxaires. Sa vie, tout entière consacrée au commandement de l’amour du prochain, impose le respect et touche à l’héroïsme -un héroïsme partagé par d’autres hommes, de toutes confessions, croyants ou incroyants, qui se sont sacrifiés pour sauver ceux que pourchassaient les bourreaux nazis. Il y a quelques années, le pape Jean Paul II a ainsi béatifié le franciscain polonais Maximilien Kolbe qui avait donné sa vie pour celle d’un autre à Auschwitz. Pour autant, nous ne dirions pas que ce dernier fut un saint ou un martyr.
Mère Marie, elle, était orthodoxe, mais il s’en faut de beaucoup que les écrits qu’elle nous laisse, rassemblés en partie dans ce livre, le soient aussi. A son sujet, Olivier Clément parle fort à propos d’un nouveau monachisme, celui qu’elle a réellement vécu et revendiqué, «où le second commandement occuperait la place centrale». Oui, c’est bien une nouveauté que ce monachisme fondé sur «tu aimeras ton prochain comme toi-même». En effet, le monachisme traditionnel est fondé sur «tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit». Pour le moine, l’amour de Dieu et la prière sont un travail fondamental (ergon), tandis que les oeuvres de bienfaisance ne sont qu’un travail second (parergon). La différence est illustrée dans la parabole du Bon Samaritain : après avoir secouru le blessé, le Samaritain remet deux deniers à l’aubergiste et continue sa route. Il ne s’arrête pas à la bienfaisance.
Sur quelles bases Mère Marie fonde-t-elle son nouveau et «prophétique» monachisme ? Ses écrits éclairent sur ce point : nous la voyons chercher dans la Philocalie des éléments favorables à son interprétation personnelle. A la manière de Boulgakov, son maître, elle se place au-dessus des pères, jugeant les uns et les autres selon ses propres critères (cf.p.81). Désolée de ne pas lire dans ces textes ce qu’elle souhaite, elle remarque que certains «ne sont pas sans susciter perplexité et embarras». «Pas un mot sur l’amour que nous devons à notre prochain» s’indigne-t-elle à propos d’une lettre de saint Barsanuphe de Gaza. Or, dans cette lettre qui dit ceci : «Chacun aime son prochain à sa mesure. La mesure de l’amour parfait, c’est, en raison de l’amour pour Dieu, d’aimer son prochain comme soi-même...» le saint expose les passions qu’il faut retrancher pour parvenir à aimer davantage. Rappelons-nous l’image de saint Maxime, expliquant à Pyrrhus que les vertus sont naturelles à l’âme comme l’éclat au fer. L’ascèse ne consiste pas à introduire de l’extérieur les vertus, mais à enlever le mal de l’âme pour la faire de nouveau briller. L’amour du prochain est, pour les Pères, l’éclat naturel de l’âme. Otez la rouille des penchants mauvais et la charité resplendit.
Khomiakhoff disait qu’en occident, on parlait beaucoup du devoir d’amour, mais jamais de la puissance de l’amour. Chez mère Marie, ce devoir d’amour est porté à son paroxysme sentimental mais il n’est pas mis dans toute sa lumière évangélique. Selon les Pères, le but du christianisme est-il de s’aimer les uns les autres ? Non, répondent-ils, l’amour du prochain est un moyen que le Seigneur nous donne en vue d’une fin : l’union à Lui. Aimer son prochain, oui, mais pourquoi ? pour se tenir chaud sur la terre ou pour gagner le Royaume des cieux ? C’est l’enseignement de saint Séraphim de Sarov lors de son entretien avec Motovilov : «le vrai but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition du saint Esprit (...), toutes les bonnes actions faites au nom du Christ ne sont que des moyens pour cette acquisition» et par ailleurs : «Nous devons aimer notre prochain non moins que nous-même mais de telle façon que restant dans les limites de la modération, cet amour ne nous éloigne pas du premier et plus important commandement, car qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi (Mt 10, 37)».
La dernière icône brodée par mère Marie, dont l’esquisse nous est rapportée dans ce livre (p. 67) est un bon résumé de la confusion qui se dégage de ses écrits. On y voit la Mère de Dieu tenir dans ses bras le Christ déjà crucifié. Combien ce mélange des temps contraste avec le bel ordre de l’Evangile : «Mon temps n’est pas encore venu»...
Dans un autre texte, mère Marie écrit que le monachisme se définit fondamentalement par les voeux prononcés au moment de la tonsure. C’est là une conception d’essence plus catholique qu’orthodoxe, et à tout le moins une manière un peu réductrice de définir le monachisme. Le plus surprenant est ce qu’elle dit au sujet du voeu d’obéissance : le disciple serait tenu de se soumettre à son staretz même si ce dernier était tombé dans l’hérésie (p. 128). Ceci est absurde et contraire à l’enseignement de toute la tradition orthodoxe. Comme l’indiquait le père Justin Popovitch, sans guide il est difficile d’arriver mais avec un guide mauvais, la perte est assurée. Mieux vaut donc être privé de guide que d’avoir un guide pervers : l’obéissance aveugle n’est pas une vertu !
Que l’on nous pardonne d’avoir tenu à relever ce qui dans ce livre nous paraissait dangereux pour la foi. La personnalité si attachante de mère Marie, son destin si tragique ne doivent pas servir à cautionner des idées nouvelles, étrangères à l’orthodoxie. Même si par ailleurs, l’idée d’un diaconat féminin peut être considérée comme traditionnelle et susceptible de répondre à des vocations spécifiques comme la sienne.
Un mot pour finir sur le père Dimitri Klépinine dont la mémoire est évoquée dans cet ouvrage. Prêtre de la paroisse russe créée à l’initiative de la mère Marie, celui-ci délivrait sous l’occupation des certificats de baptême aux juifs, les sauvant ainsi de la mort. Jusqu’au jour où dénoncé, on l’arrêta. Sommé de s’expliquer par la Gestapo, on lui proposa la liberté contre l’arrêt de toute aide aux juifs. Il refusa tout net en montrant sa croix pectorale : «Et ce juif là, vous le connaissez ?» Le père Klépinine est mort à Dora en 1944.

Jacques Lison. - L’Esprit répandu. La pneumatologie de Grégoire Palamas. Préface du Père J.M.R.Tillard, o.p. Paris, 1994.
Saint Grégoire Palamas demeure comme un signe de contradiction entre l’Orient orthodoxe resté fidèle à la théologie des Pères théophores et l’Occident catholique qui s’est éloigné de ses sources. Son oeuvre trace une ligne de démarcation contre laquelle se heurtent depuis longtemps les hérauts de l’oecuménisme. Ecrit par un dominicain, ce livre peut être considéré comme une tentative d’intégration de saint Grégoire dans un ensemble plus vaste, à l’intérieur duquel l’oeuvre de celui-ci cesserait de constituer un obstacle à la fausse union qui se prépare.
Après avoir déclaré vouloir en faire une lecture «honnête et sympathique», l’auteur reconnaît son parti pris de relativiser la question polémique du Filioque car «ce n’est qu’au IXème siècle (...) que la question spécifique du filioque commencera à monopoliser le débat pneumatologique entre l’Orient et l’Occident» (p.15). N’est-ce pas l’aveu que jusque-là la foi confessée était rigoureusement la même ? J. Lison déclare plus loin : «fonder notre recherche sur la question du filioque nous égarerait» (p. 17). La question de la procession de l’Esprit Saint serait donc périphérique par rapport à la doctrine de celui qu’il nomme «l’hésychaste». Il admet pourtant par ailleurs que la procession de l’Esprit ex patre solo charpente sa pneumatologie (p. 95) -où l’on voit déjà que l’auteur se plaît à embrasser les contradictions.
J. Lison énonce un point important lorsqu’il écrit : «La conception de l’Esprit nous semble cependant séparer les Eglises à un niveau plus profond : celui de l’expérience de l’Esprit, de la grâce. Car ce sont ici deux sensibilités qui s’affrontent» (p. 16). Autrement dit, la grâce serait commune, mais agirait selon des modalités diverses ; le don de l’Esprit serait égal mais recevrait une interprétation différente en fonction des sensibilités de chacun. Pourtant, contrairement au Père Tillard, auteur de la préface, J. Lison admet sans trop de difficulté que «la doctrine palamite» est fidèle à l’enseignement des pères mais, selon lui, elle «n’aboutirait cependant pas à des conclusions qui auraient valeur universelle» (p. 130). Elle ressortirait seulement à une logique propre à sa tradition spirituelle, différente mais nullement supérieure à l’approche scolastique.
Le conflit porte principalement sur la question de la grâce, sur la distinction en Dieu de l’essence divine et des énergies incréées -les Latins subodorant dans la conception orientale (= orthodoxe) de la grâce incréée, un relent de panthéisme. Face à cet abîme théologique, J. Lison reconnaît tout d’abord qu’«une solution oecuménique ne se trouvera pas dans un moyen terme». Il lui «semble en effet impossible de ne pas opter pour l’une ou l’autre théologie de la grâce». Il conviendra donc de «se laisser interroger par l’autre (...), de chercher des points de rencontre qui aident les deux visions à mieux se reconnaître» (p. 131, 132). La vérité est ainsi invitée à quérir le charitable concours de l’erreur. L’oecuménisme triomphant veut mettre saint Grégoire Palamas en dialogue avec Barlaam et, à travers lui, avec Thomas d’Aquin ; peut-être instaurera-t-il bientôt une relecture du «dialogue» entre saint Cyrille et Nestorius, entre saint Athanase et Arius...
A Barlaam qui rejette comme illusoire toute connaissance qui ne serait pas basée sur des perceptions sensorielles, saint Grégoire oppose l’expérience mystique des déifiés et accuse son adversaire de parler de ce qu’il ne connaît pas faute d’avoir fait l’expérience de l’Esprit. On se demande, dès lors, quel dialogue peut s’instaurer entre ceux qui ont fait cette expérience, qui sont montés sur le Thabor spirituel, et ceux qui sont restés en bas de la montagne, qui n’ont pas été instruits par l’Esprit et qui n’ont pas vu la lumière incréée. Pour saint Grégoire, «dire quelque chose au sujet de Dieu n’est pas une rencontre avec Dieu (...), celui qui est sans expérience des trésors de l’Esprit ne peut même pas les imaginer» (p. 231).
La véritable théologie est basée sur l’expérience mystique, elle-même protégée par les dogmes divins. Accepter de mettre sur un même plan la théologie des saints hésychastes et celle des rationalistes conduirait inévitablement à relativiser les dogmes -mais n’est-ce pas là malheureusement la conséquence des dialogues interconfessionnels ?- et à nier la réalité de l’expérience mystique qui les fonde. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en son temps saint Grégoire quitta son ermitage athonite, justement pour défendre la réalité de cette expérience vécue par les saints.
J. Lison, à la fin de son exposé, s’interroge sur ce qu’il appelle la diffusion horizontale de la grâce. Parlant de sa dimension essentiellement verticale dans l’oeuvre de Palamas, il s’inquiète de ce que sa diffusion horizontale occupe peu de place dans les écrits du saint : la dimension ecclésiale de la grâce lui paraît réduite. Le Père Tillard expose le problème dans les termes suivants : «Palamas s’intéresse assez peu à la dimension corporative de l’Eglise de Dieu (...) L’intéresse avant tout le rapport de chaque croyant avec la Trinité (...) On en vient parfois à se poser la question : (...) pour Palamas l’Eglise est-elle communion mutuelle de personnes en communion avec Dieu ou est-elle le rassemblement des personnes en communion avec Dieu ? (...) Le jeu de l’humain et du divin dans la vie du corps ecclésial semble à ce point relativisé face à la grande expérience personnelle de Dieu à laquelle les baptisés sont invités qu’on demeure inquiet sur la place de tout l’humain» (p. IX, X).
Une telle approche nous paraît caractéristique d’une mentalité étrangère à l’expérience des Pères, comme si la dimension verticale était exclusive de la dimension horizontale, comme si la communion à Dieu nous privait de l’amitié des hommes, comme si l’amour de Dieu nous coupait de l’amour du prochain. En réalité, comme l’exprime saint Dorothée de Gaza : «Supposons que le monde soit un cercle, et Dieu le centre de ce cercle. Les rayons, c’est-à-dire les lignes droites qui partent du centre de ce cercle, sont les chemins de la vie humaine. Ainsi, comme les saints avancent vers l’intérieur du cercle dans leur désir d’être près de Dieu, ils se rapprochent davantage les uns des autres, et plus ils sont proches les uns des autres, plus ils sont proches de Dieu, et inversement» (6ème Homélie). D’ailleurs, le Père Tillard cite saint Cyrille : «Parce que nous participons à l’Esprit, nous sommes unis au Sauveur de tous et les uns aux autres» et saint Grégoire lui-même : «rendre un la plupart des êtres est la marque la plus propre de l’amour» (p. 264).
Sans doute pour ne pas froisser ses frères orthodoxes, le Père Tillard ajoute toutefois plus loin : «cette accentuation de la dimension verticale de la communion est pour nous l’un des apports les plus grands de la tradition orientale au dialogue oecuménique». Le sentiment oecuméniste est donc sauf. Les sentiments sont des dispositions humaines, disait Florovsky, mais la vérité est divine...

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