lundi 31 janvier 2011
La Lumière du Thabor n°35. Vie de Sainte Isidora la folle-En-Christ.
PRESBYTERA ANNA
VIE DE SAINTE ISIDORA
LA FOLLE EN CHRIST
l existait à Tabennie1, cette île du Nil en Haute-Egypte, sis en face même du monastère d'hommes, un grand monastère de femmes, lequel ne comptait pas moins alors de quatre cents moniales. Là vivait une vierge, du nom d'Isidora, qui pour le Christ simulait la folie, ne cessant chaque jour de s'humilier, et volontairement s'abaissant, chaque fois davantage. Si bien que toutes les soeurs l'avaient prise en aversion, au point de ne vouloir pas même l'accepter au réfectoire avec elles.
Isidora, cependant, acceptait tout avec joie. Et loin de s'avouer que l'incessant labeur, fruit de sa vertu, que nuit et jour elle accomplissait pour ses soeurs, pût être -comme il l'était en vérité- indispensable au fonctionnement du monastère, elle continuait, inlassable, son oeuvre de dévouement, remplissant toutes les fonctions, s'acquittant de toutes les charges et, chose plus difficile encore, obéissant à toutes les moniales comme si elle eût été leur esclave, les secourant dans leurs nécessités, avec bonté les servant toutes, chacune au gré de ses caprices. En sorte qu'elle était pour la communauté devenue l'éponge, ou plutôt, il faut le dire, la serpillière des autres, celle qui lavait, torchait et essuyait tout, faisant les plus gros travaux, comme les plus ingrats du ménage, s'attelant aux tâches les plus humbles, les plus viles, les plus repoussantes, celles qu'aucune autre n'eût volontairement accepté de faire, mais qu'elle, Isidora, semblait se plaire à endurer, tant, dans son immense amour du Christ, souffrir lui était une joie, elle dont le coeur avait, dans toute leur acuité, saisi le sens des divines paroles de Celui que, sous les traits de ses soeurs, en vérité elle servait : Que celui qui veut être grand parmi vous se fasse le serviteur de tous2, et encore : Si quelqu'un se juge sage, qu'il se fasse fou3.
Tandis donc que les autres avaient les cheveux coiffés et recouverts d'un voile, elle ne s'était, elle, noué qu'un chiffon sur la tête et, n'allant jamais que pieds nus, vêtue de vieux habits noirs, troués et tout couverts de tâches, c'est dans cet accoutrement qu'elle faisait le service. Et bien qu'elle passât les plats, nulle d'entre les quatre cents moniales ne la vit jamais manger ni réserver sa part, fût-ce un quignon de pain : car c'est une fois seulement sa diaconie achevée, lorsqu'elle avait débarrassé les tables et lavé la vaisselle, qu'elle contentait un peu sa faim, prenant pour elle quelques menus restes, naguère oubliés sur les assiettes de ses soeurs, ou dans les casseroles mises à récurer.
Mais ce qui surtout révélait en cette âme un degré plus élevé encore de vertu, c'est que nul ne la voyait jamais outrager personne, ni même gémir à la tâche, ou répondre un seul mot insultant, une seule parole hautaine, tandis qu'elle était, elle, copieusement injuriée et battue, recevant des autres force coups et malédictions, et que toutes s'entendaient pour se détourner d'elle, avec le plus outrageant mépris.
C'est alors qu'à saint Pitiroun, solitaire du désert, longtemps éprouvé par l'ascèse, et paré de vertus, apparut un ange du Seigneur qui de la très sainte Isidora lui dit : «Qu'as-tu, Père, une si haute idée de tes exploits, te jugeant vertueux, et grand anachorète, d'être venu, jusqu'en ces lieux écartés, mener une difficile ascèse ? Mais veux-tu voir une femme qui fût plus vertueuse que toi, va-t-en au monastère des Tabennissiotes, et tu trouveras là une moniale dont la tête est couronnée d'or pur. Celle-là est, à la vérité, bien meilleure que toi, et te dépasse de beaucoup. Car bien qu'elle eût tant de moniales à servir, lesquelles forment une foule immense, et bien qu'elle les servît toutes de façon fort diverse, et chacune en particulier, jamais, malgré cela, elle n'a laissé son esprit errer loin de Dieu, lors même qu'elle n'est rien que le rebut de toutes. Mais toi, qui te tiens assis là, tu fais vagabonder tes pensées, peignant à ton imagination la conduite variée des divers gens du siècle, quand tu n'es seulement jamais allé de par le monde».
Aussitôt donc se levant, le grand Pitiroun se mit en route puis, devant Tabennie, supplia ses guides de vouloir bien le mener jusqu'au monastère de femmes. Eux dès lors, sachant qu'il avait blanchi dans l'ascèse et qu'il était en honneur parmi tous les Pères, en sorte qu'ils pouvaient aisément se fier à lui, sans retard cédèrent à sa demande, et l'ayant conduit, par-delà le fleuve, sur la rive adverse, le laissèrent au monastère. Là, après qu'eurent été échangées les prières d'usage, le grand Pitiroun pria qu'on lui fit voir, une à une, toutes les moniales. Mais elles furent toutes venues que l'autre, l'élue admirable, celle qu'avait peinte l'ange, ne paraissait toujours point, ni n'avait paru nulle part alentour.
«Amenez-moi, leur dit alors ce grand d'entre les ascètes, oui, menez devant moi toutes les moniales.
- Mais, répondirent-elles, toutes, nous sommes ici !
- Et cependant..., insistait le saint. Non, il en manque une... Celle que m'a désignée l'Ange...
- Puis donc que tu insistes, lui dirent-elles, il en est bien une autre, toujours à la cuisine. Mais elle est, vois-tu, un peu simple d'esprit».
«Ce sera elle», songea le Grand Ancien. «Allons, ajouta-t-il, menez-là donc ici, que je la voie, elle aussi».
Isidora, pourtant, cette fois ne voulut point obéir, sachant pourquoi, sans doute, on la faisait venir ; à moins que Dieu, peut-être, ne lui en eût révélé le motif. Aussi les autres durent-elles par force l'y contraindre, la tirant par sa jupe et lui disant : «Viens donc, Abba Pitiroun, le fameux, te réclame». Car il était en vérité célèbre, et sa vie sainte partout le devançait.
Quand elle fut devant lui, le grand Pitiroun, longuement, la regarda. Non point en indiscret, mais de cet oeil auquel rien n'échappe, de ceux qui, pour avoir purifié leur coeur, ont acquis l'inestimable discernement spirituel. Et lorsqu'il eût, un à un, détaillé les traits tirés et fatigués de son visage, et qu'attentif, il eût examiné le chiffon dont, pour mieux se cacher, elle enveloppait sa tête, couvrant son front jusqu'à ses yeux, alors, se laissant tomber à ses pieds, il lui dit : «Ah, ma sainte ! Amma4, bénis-moi !» Mais elle, aussitôt se jetant elle aussi à ses pieds, à son tour s'écria : «Ah, c'est plutôt à toi de vouloir bien me bénir, ô mon père, vénérable seigneur !»
Ce que voyant, les moniales, toutes, furent frappées de stupeur et, choquées, s'insurgèrent : «Allons Abba, ne va pas t'humilier ainsi ! Cette fille, tu le vois, est simple d'esprit !» Mais, sévère, le saint leur ferma la bouche : «Comment ! Ne comprenez-vous pas que c'est vous, plutôt, qui êtes insensées ? Qu'elle est, pour sa part, meilleure que vous et moi ? Que c'est une Amma, une mère spirituelle ? Ah, je prie seulement qu'au jour du jugement Dieu me rende digne de me trouver auprès d'elle !»
A ces mots, les moniales aussitôt, toutes, tombèrent à ses pieds, et dans leurs larmes, confessèrent les infinies vexations qu'elles avaient infligées à la sainte.
«Et moi, disait l'une, qui l'ai toujours raillée !»
«Et moi, disait l'autre, qui me suis tant moquée de sa mise !»
«Que de fois, renchérissait une autre, j'ai fait tomber sur elle tout le jus des assiettes !»
«Et moi, entendait-on, je l'ai frappée !»
«Moi, je l'ai rouée de coups !»
«Moi, je lui mettais du poivre sous le nez !»
Et toutes, d'un seul mouvement, rapportèrent les affronts divers dont elles l'avaient accablée. Quand donc saint Pitiroun eut entendu la confession de chacune, et qu'il eut avec Isidora longtemps prié pour le salut de toutes, alors, sollicitant à son tour les prières de la sainte et vénérable servante du Christ, et la suppliant de bien vouloir prier aussi pour lui, il s'en retourna jusqu'à sa solitude.
La sainte cependant, quelques jours plus tard, dans le plus grand secret quittait le monastère, où Dieu, si glorieusement, l'avait manifestée, ne pouvant plus vivre en des lieux où toutes désormais la vénéraient, prenant soin d'elle et s'excusant à l'envie de leur conduite passée -tous honneurs qu'elle fuyait, ne les voulant pas accepter. Et nul ne sut jamais en quel désert elle s'était en allée, qu'elle solitude aride l'avait abritée, ni quelle sépulture, jusqu'au retour du Christ, l'avait ensevelie.
Histoire rapportée par Saint Pallade et citée au second tome de l'Evergetinos, pour servir d'illustration au chapitre : Que ceux qui s'abaissent sont glorifiés par Dieu.
VIE DE SAINTE ISIDORA
LA FOLLE EN CHRIST
l existait à Tabennie1, cette île du Nil en Haute-Egypte, sis en face même du monastère d'hommes, un grand monastère de femmes, lequel ne comptait pas moins alors de quatre cents moniales. Là vivait une vierge, du nom d'Isidora, qui pour le Christ simulait la folie, ne cessant chaque jour de s'humilier, et volontairement s'abaissant, chaque fois davantage. Si bien que toutes les soeurs l'avaient prise en aversion, au point de ne vouloir pas même l'accepter au réfectoire avec elles.
Isidora, cependant, acceptait tout avec joie. Et loin de s'avouer que l'incessant labeur, fruit de sa vertu, que nuit et jour elle accomplissait pour ses soeurs, pût être -comme il l'était en vérité- indispensable au fonctionnement du monastère, elle continuait, inlassable, son oeuvre de dévouement, remplissant toutes les fonctions, s'acquittant de toutes les charges et, chose plus difficile encore, obéissant à toutes les moniales comme si elle eût été leur esclave, les secourant dans leurs nécessités, avec bonté les servant toutes, chacune au gré de ses caprices. En sorte qu'elle était pour la communauté devenue l'éponge, ou plutôt, il faut le dire, la serpillière des autres, celle qui lavait, torchait et essuyait tout, faisant les plus gros travaux, comme les plus ingrats du ménage, s'attelant aux tâches les plus humbles, les plus viles, les plus repoussantes, celles qu'aucune autre n'eût volontairement accepté de faire, mais qu'elle, Isidora, semblait se plaire à endurer, tant, dans son immense amour du Christ, souffrir lui était une joie, elle dont le coeur avait, dans toute leur acuité, saisi le sens des divines paroles de Celui que, sous les traits de ses soeurs, en vérité elle servait : Que celui qui veut être grand parmi vous se fasse le serviteur de tous2, et encore : Si quelqu'un se juge sage, qu'il se fasse fou3.
Tandis donc que les autres avaient les cheveux coiffés et recouverts d'un voile, elle ne s'était, elle, noué qu'un chiffon sur la tête et, n'allant jamais que pieds nus, vêtue de vieux habits noirs, troués et tout couverts de tâches, c'est dans cet accoutrement qu'elle faisait le service. Et bien qu'elle passât les plats, nulle d'entre les quatre cents moniales ne la vit jamais manger ni réserver sa part, fût-ce un quignon de pain : car c'est une fois seulement sa diaconie achevée, lorsqu'elle avait débarrassé les tables et lavé la vaisselle, qu'elle contentait un peu sa faim, prenant pour elle quelques menus restes, naguère oubliés sur les assiettes de ses soeurs, ou dans les casseroles mises à récurer.
Mais ce qui surtout révélait en cette âme un degré plus élevé encore de vertu, c'est que nul ne la voyait jamais outrager personne, ni même gémir à la tâche, ou répondre un seul mot insultant, une seule parole hautaine, tandis qu'elle était, elle, copieusement injuriée et battue, recevant des autres force coups et malédictions, et que toutes s'entendaient pour se détourner d'elle, avec le plus outrageant mépris.
C'est alors qu'à saint Pitiroun, solitaire du désert, longtemps éprouvé par l'ascèse, et paré de vertus, apparut un ange du Seigneur qui de la très sainte Isidora lui dit : «Qu'as-tu, Père, une si haute idée de tes exploits, te jugeant vertueux, et grand anachorète, d'être venu, jusqu'en ces lieux écartés, mener une difficile ascèse ? Mais veux-tu voir une femme qui fût plus vertueuse que toi, va-t-en au monastère des Tabennissiotes, et tu trouveras là une moniale dont la tête est couronnée d'or pur. Celle-là est, à la vérité, bien meilleure que toi, et te dépasse de beaucoup. Car bien qu'elle eût tant de moniales à servir, lesquelles forment une foule immense, et bien qu'elle les servît toutes de façon fort diverse, et chacune en particulier, jamais, malgré cela, elle n'a laissé son esprit errer loin de Dieu, lors même qu'elle n'est rien que le rebut de toutes. Mais toi, qui te tiens assis là, tu fais vagabonder tes pensées, peignant à ton imagination la conduite variée des divers gens du siècle, quand tu n'es seulement jamais allé de par le monde».
Aussitôt donc se levant, le grand Pitiroun se mit en route puis, devant Tabennie, supplia ses guides de vouloir bien le mener jusqu'au monastère de femmes. Eux dès lors, sachant qu'il avait blanchi dans l'ascèse et qu'il était en honneur parmi tous les Pères, en sorte qu'ils pouvaient aisément se fier à lui, sans retard cédèrent à sa demande, et l'ayant conduit, par-delà le fleuve, sur la rive adverse, le laissèrent au monastère. Là, après qu'eurent été échangées les prières d'usage, le grand Pitiroun pria qu'on lui fit voir, une à une, toutes les moniales. Mais elles furent toutes venues que l'autre, l'élue admirable, celle qu'avait peinte l'ange, ne paraissait toujours point, ni n'avait paru nulle part alentour.
«Amenez-moi, leur dit alors ce grand d'entre les ascètes, oui, menez devant moi toutes les moniales.
- Mais, répondirent-elles, toutes, nous sommes ici !
- Et cependant..., insistait le saint. Non, il en manque une... Celle que m'a désignée l'Ange...
- Puis donc que tu insistes, lui dirent-elles, il en est bien une autre, toujours à la cuisine. Mais elle est, vois-tu, un peu simple d'esprit».
«Ce sera elle», songea le Grand Ancien. «Allons, ajouta-t-il, menez-là donc ici, que je la voie, elle aussi».
Isidora, pourtant, cette fois ne voulut point obéir, sachant pourquoi, sans doute, on la faisait venir ; à moins que Dieu, peut-être, ne lui en eût révélé le motif. Aussi les autres durent-elles par force l'y contraindre, la tirant par sa jupe et lui disant : «Viens donc, Abba Pitiroun, le fameux, te réclame». Car il était en vérité célèbre, et sa vie sainte partout le devançait.
Quand elle fut devant lui, le grand Pitiroun, longuement, la regarda. Non point en indiscret, mais de cet oeil auquel rien n'échappe, de ceux qui, pour avoir purifié leur coeur, ont acquis l'inestimable discernement spirituel. Et lorsqu'il eût, un à un, détaillé les traits tirés et fatigués de son visage, et qu'attentif, il eût examiné le chiffon dont, pour mieux se cacher, elle enveloppait sa tête, couvrant son front jusqu'à ses yeux, alors, se laissant tomber à ses pieds, il lui dit : «Ah, ma sainte ! Amma4, bénis-moi !» Mais elle, aussitôt se jetant elle aussi à ses pieds, à son tour s'écria : «Ah, c'est plutôt à toi de vouloir bien me bénir, ô mon père, vénérable seigneur !»
Ce que voyant, les moniales, toutes, furent frappées de stupeur et, choquées, s'insurgèrent : «Allons Abba, ne va pas t'humilier ainsi ! Cette fille, tu le vois, est simple d'esprit !» Mais, sévère, le saint leur ferma la bouche : «Comment ! Ne comprenez-vous pas que c'est vous, plutôt, qui êtes insensées ? Qu'elle est, pour sa part, meilleure que vous et moi ? Que c'est une Amma, une mère spirituelle ? Ah, je prie seulement qu'au jour du jugement Dieu me rende digne de me trouver auprès d'elle !»
A ces mots, les moniales aussitôt, toutes, tombèrent à ses pieds, et dans leurs larmes, confessèrent les infinies vexations qu'elles avaient infligées à la sainte.
«Et moi, disait l'une, qui l'ai toujours raillée !»
«Et moi, disait l'autre, qui me suis tant moquée de sa mise !»
«Que de fois, renchérissait une autre, j'ai fait tomber sur elle tout le jus des assiettes !»
«Et moi, entendait-on, je l'ai frappée !»
«Moi, je l'ai rouée de coups !»
«Moi, je lui mettais du poivre sous le nez !»
Et toutes, d'un seul mouvement, rapportèrent les affronts divers dont elles l'avaient accablée. Quand donc saint Pitiroun eut entendu la confession de chacune, et qu'il eut avec Isidora longtemps prié pour le salut de toutes, alors, sollicitant à son tour les prières de la sainte et vénérable servante du Christ, et la suppliant de bien vouloir prier aussi pour lui, il s'en retourna jusqu'à sa solitude.
La sainte cependant, quelques jours plus tard, dans le plus grand secret quittait le monastère, où Dieu, si glorieusement, l'avait manifestée, ne pouvant plus vivre en des lieux où toutes désormais la vénéraient, prenant soin d'elle et s'excusant à l'envie de leur conduite passée -tous honneurs qu'elle fuyait, ne les voulant pas accepter. Et nul ne sut jamais en quel désert elle s'était en allée, qu'elle solitude aride l'avait abritée, ni quelle sépulture, jusqu'au retour du Christ, l'avait ensevelie.
Histoire rapportée par Saint Pallade et citée au second tome de l'Evergetinos, pour servir d'illustration au chapitre : Que ceux qui s'abaissent sont glorifiés par Dieu.
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