jeudi 13 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°22. Union, symphonie, concorde.

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Union – symphonie – concorde

Alexandre Kalomiros

Ce qui caractérise aujourd’hui les Orthodoxes qui souffrent de l’hérésie de l’œcuménisme, tout en continuant, cependant, de communier avec elle, relève d’une mentalité selon laquelle chacun peut vivre son orthodoxie seul. « Par le prêtre de ma paroisse ou mon évêque, peu m’importe qui est commémoré, lors des Diptyques ; peu m’importe ce que croit celui qui prie à mes côtés à l’église ; ils rendront compte à Dieu pour eux-mêmes. Moi, en tout cas, je suis orthodoxe ». Ce retranchement dans un christianisme individuel, revient à nier l’Eglise, chose difficile à déceler, parce que, dans la pratique, la vie ecclésiastique continue. Ce phénomène a son principe dans l’isolement individualiste qui afflige l’homme sans Dieu de notre époque et qui pulvérise l’essence même de l’Orthodoxie.

On croit pouvoir vivre seul la vie en Christ ! Mais la vie en Christ est une communion de personnes. On va à la synaxe ecclésiastique, on se contente de la célébration liturgique, sans sentir la nécessité de la communion spirituelle avec les frères et les pères qui nous entourent. On sait, pourtant, que ceux qui prient avec nous, sous la même coupole, devant le même iconostase, ne sont orthodoxes que de nom, qu’ils ont, en réalité, une mentalité latinisante, un esprit anti-patristique ou protestantisant, une pensée innovatrice, et tout cela, il faut le dire, les laisse indifférents, ces chrétiens individualistes d’aujourd’hui. Ils ont perdu la conscience vitale que l’Orthodoxie est, avant tout, la communion des âmes dans la Vérité et l’Amour. On voit, phénomène incroyable, des hommes lutter, avec leur parole pure et courageuse, contre le patriarcat de Constantinople pour son hérésie œcuméniste et rester indifférents, à l’Eglise, au moment où le prêtre ou l’évêque commémore le Patriarche, comme si ce prêtre ou cet évêque faisait là une chose qui ne les concernait pas.

Les fidèles orthodoxes aujourd’hui ont perdu le sens de la cohésion et de l’harmonie ecclésiastique, la vérité que « l’Eglise est le nom de l’Union, de la Symphonie=Accord, de la Concorde », comme le dit fort bien saint Jean Chrysostome, que l’Eglise signifie assemblée de personnes ayant la même pensée, intérieurement unies entre elles par la foi commune et non par une union trompeuse, par une soumission commune à une quelconque autorité ecclésiastique où couveraient l’éclatement intérieur, la dissonance, le « quant à moi » individualiste. Ils vont à l’église la conscience en paix, dans une « église » dont ils savent et reconnaissent qu’elle a perdu la cohésion, la symphonie=accord et la concorde, sans se demander quelle sorte d’Eglise c’est là, si vraiment elle mérite ce nom. Ils se contentent des impressions que donnent les apparences, des « murs », de la « hauteur » de l’édifice, des pasteurs, des évêques, des ornements et des chants, des images, de l’administration, de l’organisation, et ferment les yeux devant l’absence de la Vérité et de la Symphonie.

Mais les Pères ne nous ont pas enseigné une telle ecclésiologie : éclatement, confusion, mensonge. « L’Eglise, dit Chrysostome, ce n’est pas la hauteur des murs, mais la foi vécue » (P.G. 52, 495).
« Ceux qui appartiennent à l’Eglise du Christ, dit saint Grégoire Palamas, appartiennent à la Vérité, et ceux qui ne sont pas dans la Vérité ne sont pas non plus dans l’Eglise du Christ » (Op. vol. 2, p. 627). L’Eglise est une assemblée d’âmes et de corps liés entre eux par la Vérité et l’Amour, autrement dit dans le Christ. Sans la Vérité, l’Amour, la Concorde et la Symphonie, l’assemblée est sans le Christ et, en conséquence, n’est pas l’Eglise.

Où vas-tu donc chrétien, individu parmi des individus ? Pourquoi te laisses-tu tromper par les apparences ? - « Je vais, dis-tu, là où sont les évêques, là où sont les pasteurs ». N’as-tu jamais soupçonné que ceux que tu appelles « pasteurs » -sans la Vérité qui est le vrai pasteur - ne sont que des pseudo-pasteurs et des « loups sous la peau des brebis » ? N’as-tu jamais pensé qu’ils se moquent de toi tout en se moquant les uns des autres ? Saint Grégoire Palamas écrit d’eux : « …ils mentent en se donnant eux-mêmes le nom de pasteurs et d’archipasteurs sacrés et en se donnant ces noms les uns aux autres. Nous, nous avons appris que le christianisme était caractérisé, non par des personnes mais par la Vérité et la rigueur de la foi ». (Ibid)

Malgré leur sincérité et leur bonne foi, ces Orthodoxes ne comprennent pas qu’en fréquentant une telle église, ils pratiquent et vivent l’œcuménisme. Car c’est bien cela l’œcuménisme : la symbiose et la coexistence de croyances et de confessions opposées. Les oecuménistes accueillent, avec plaisir, un Orthodoxe « fanatique », et le fait qu’il prie et communie avec eux les satisfait. Dans l’œcuménisme comme dans la Maçonnerie qui l’a engendré, toutes les religions et toutes les confessions sont admises à égalité. Dans l’œcuménisme, l’orthodoxe peut se trouver à l’aise aux côtés de l’indifférent, du mondain, de l’ennemi des moines, de l’innovateur, du frank, du protestant, du papiste, du musulman, du bouddhiste et même de l’athée. Toutes les voies sont bonnes, il suffit seulement de ne pas revendiquer l’exclusivité de sa foi. Avec une telle coexistence, l’œcuménisme est conséquent avec lui-même, et remporte un triomphe éclatant. Celui qui n’est pas conséquent avec lui-même et avec sa croyance, c’est bien l’orthodoxe. Cheminer avec cette légion de l’erreur aux formes diverses, n’est-ce pas nier que le Christ est l’Unique Voie ? Et comment peut-on appeler Eglise du Christ cet amas de croyances diverses ?

Puisque nous ne pouvons être chrétiens individuellement, mais seulement comme Eglise, ce qui importe alors, ce n’est pas seulement que notre foi soit vraie, mais que soit également vraie celle de nos frères et de nos pères. L’amas de croyances diverses n’a rien à voir avec l’Eglise du Christ qui est la « colonne et le fondement de la Vérité », comme l’enseigne l’Apôtre Paul. Dans l’Eglise il n’y a qu’une foi : la vraie, la symphonie de tous dans l’orthodoxie et la concorde. Les âmes pieuses et bien disposées et orthodoxes ne sentent-elles pas cela ? Qu’est-ce alors qui les retient dans ce complexe du mensonge ? C’est qu’ils ne savent pas où aller, parce que, malheureusement, aucune Eglise organisée n’offre, aujourd’hui, de garantie de fidélité à l’orthodoxie patristique et vraie – car, cela va de soi, l’orthodoxie n’est pas seulement l’observation du calendrier liturgique non réformé.

Mais pourquoi les chrétiens éprouvent-ils le besoin intense de se réfugier, à tout prix, dans une Eglise administrativement bien organisée ? - Cela est dû à l’Histoire qui exerce une grande pression sur notre âme : parce que nous avons connu l’Eglise, au cours des siècles, organisée en patriarcats et en synodes.
Nous l’avons identifiée avec cette organisation, et avons oublié que pendant l’époque des grandes hérésies, cette organisation n’existait plus aux yeux des orthodoxes, puisqu’elle devenait même, alors, une arme de la cacodoxie braquée sur eux.

Mais aux temps apocalyptiques que nous vivons, nous avons laissé derrière nous l’Histoire et sommes entrés dans l’Eschatologie. Notre survie spirituelle dépend de la prise de conscience de ce fait. Tous nos supports historiques sont maintenant tombés. L’apostasie a transformé les pasteurs en loups, et l’Eglise organisée que nous avons connue, en troupeau de loups et de mort pour les brebis. Le diable est désormais délié. Pour survivre, nous devons voir l’Eglise dans son essence mystique et mystérielle, dépouillée de son organisation administrative que nous lui avons connue dans l’Histoire. Dans les arènes, les martyrs affrontaient nus les bêtes fauves. Nue aussi, l’Eglise militante des derniers temps luttera avec eux, sans synodes, sans patriarcats, sans lien avec les autres Eglises locales, si ce n’est le lien du Christ et celui de leur communion avec l’Eglise triomphante.

Et la question habituelle : « Fort bien, fuyons l’œcuménisme ; mais alors à quelle Eglise nous rattacher ? » ne doit plus se poser maintenant, parce qu’il ne s’agit plus d’aller quelque part, mais de rester dans l’Eglise du Christ, dans l’Eglise des Pères, en rejeter les imitations et demeurer dans la Vérité que nous avons connue dès notre tendre enfance. Désormais, nous aurons du mal à reconnaître que l’Eglise c’est ce que l’on nous montre aujourd’hui. Ce refus des mensonges et des imitations, nous le réaliserons là où nous sommes, rompant, tout simplement, toute communion avec l’œcuménisme.

Le premier pas franchi que Dieu attend de nous, le Seigneur viendra à notre rencontre et ouvrira nos yeux incapables, jusqu’ici, de reconnaître le vrai Christ. Et quand nous l’aurons rencontré, nous irons à la hâte chez notre plus proche ami, comme Philippe courut chez Nathanaël et nous l’inviterons à venir voir, lui aussi – bien qu’il puisse penser que rien de bon ne vient de Nazareth. Ainsi se formera le petit troupeau, la petite Eglise locale. Les vrais Israélites, laïcs, prêtres, évêques iront à la rencontre l’un de l’autre pour venir ensemble au Christ.

Ce processus dramatique mais béni est connu depuis bien des années déjà en Russie. L’Eglise dite des Catacombes n’a aucune ressemblance extérieure avec les Eglises organisées que nous connaissons ; elle ressemble aux Eglises du temps des grandes persécutions. La situation qui règne maintenant en Russie, se généralisera, peu à peu, partout. Quelques évêques orthodoxes, dispersés de par le monde, cachés, inconnus du grand nombre, et quelques prêtres, feront des tournées apostoliques, allant de ville en ville, de paroisse en paroisse, de pays en pays, pour le service spirituel des fidèles, les unissant tous, connus et inconnus, entre eux, par les liens incorruptibles du Corps ressuscité et du Sang du Christ. Ils commémoreront « tout épiscopat orthodoxe » pour ne pas désigner, ouvertement, le vrai évêque le plus proche ou par ignorance du lieu où ce vrai évêque se trouve. L’époque de l’anti-christ approchera de sa cime et le troupeau du Christ ira diminuant. Mais plus l’affliction des jours qui viennent sera grande, plus proche sera le Seigneur. Il nous suffira de rester fidèles jusqu’au bout.


Le navire qui nous a amenés jusqu’ici, la forme organisée, synodale, administrative de l’Eglise a fait naufrage sur les rivages de l’apostasie et se brise sous la violence des vagues, comme jadis cet autre navire sur les rivages de Malte, (Actes 27, 28, 6). Mais comme jadis, maintenant encore, aucun des passagers ne sera perdu. Tous les vrais membres de l’Eglise seront sauvés, après avoir abandonné, deux par deux, trois par trois, le navire condamné, nageant dans de petites paroisses, s’aidant mutuellement, pour aller enfin sur la plage sûre de la nouvelle terre du paradis. N’ayons pas peur du saut dans les vagues sauvages, c’est le saut du salut. Le voyage sur la mer déchaînée prendra fin. Le jour sans crépuscule se lève. Maranatha !

A. Kalomiros
Rizes N- 3

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