lundi 10 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°13. Vie de Sainte Théodora de Sihla.

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VIE DE NOTRE VENERABLE MERE

THEODORA DE SIHLA




C’est durant la première moitié du 17ème siècle, au village de Vanatori-Neamt, en Roumanie, que naquit celle qu’un jour Dieu manifesterait comme son vase d’élection, sainte Théodora de Sihla.

De son enfance, l’on ne sait que peu de choses, sinon que Stéphane Jolden, son père, était écuyer au château de Neamt. Lorsque Théodora fut en âge de se marier, il la promit à un jeune homme du village d’Ismaël. Mais parce qu’ils étaient sans enfants, les deux époux décidèrent bientôt, d’un commun accord, de se retirer chacun dans l’un de ces monastères qui parsèment la vallée de Buzan. Ce fut là, dans la skyte de Poiana Marului, que Théodora fut revêtue de l’habit angélique. Bien vite, dans l’âme de la jeune novice à l’obéissance, s’opérèrent de prodigieux changements. Toutes ses soeurs la chérissaient. Le zèle, l’humilité de Théodora faisait d’elle, sous leurs yeux, un exemple d’édification qui chaque jour les frappait davantage. Et elle, à son tour, à goûter ainsi la douce hésychia de ces lieux que la prière avait sanctifiés, faisait dans la prière et dans l’ascèse de si rapides progrès, que quelques années plus tard, elle parvenait déjà à la mesure des anciens ; et Dieu qui voyait la bonne disposition de son âme, après avoir permis, pour éprouver son amour, qu’elle endurât bien des épreuves du fait de l’ennemi, lui fit don, enfin, de la prière du cœur.

A peu de temps de là cependant, il arriva que les Turcs envahirent la forêt de Buzan, contraignant les moniales à s’enfuir. Alors aussitôt, prenant avec elle son higoumène, qui avec le grand schème (Grand Habit des moines), avait reçu le nom de Païssia, la sainte gagna les montagnes. C’est là que durant de longues années vécurent les deux femmes, la fille avec sa mère spirituelle ; là, elles persévéraient dans les veilles et les jeûnes et, plus vaillamment que des hommes, elles enduraient le froid, la faim et toute sorte d’épreuves que leur suscitait le démon, si nombreuses qu’on ne saurait les dire toutes. Mais elles, avec patience, supportaient tout, et la bienheureuse faisait mieux encore : elle venait toujours à bout de leurs peines, elle dont la prière brûlante était l’arme la plus redoutable à l’ennemi, et le canal par où elle recevait la consolation de ses maux, que l’Esprit lui versait en secret.

Mais lorsque, quelque temps plus tard, sa mère spirituelle se fut endormie dans le Seigneur - était-ce en 1670, était-ce en 1675, on ne sait - Dieu prit alors la sainte pour la mener aux monts de Neamt. A la Lavra, non loin de là, se trouvait une icône miraculeuse de la Mère de Dieu qu’elle vénéra. Alors le Seigneur lui inspira le désir nouveau de demander à Barsanuphe, le grand hiéromoine, qui était alors l’abba de la skyte de Sihastria, de lui donner ses salutaires conseils. Lui, aussitôt, par la grâce de l’Esprit, perçut la beauté de ses vertus et vit de quel ardent désir elle brûlait secrètement pour la vie érémitique.
II la fit donc communier au Corps et au Sang du Christ, puis, lui ayant assigné pour guide le Père Paul, qui avait le charisme de la confession, il lui dit : "Prends Paul avec toi et gagne la forêt du Mont Sihla. Qu’elle te soit cette solitude après laquelle languit ton âme. Et si, par la grâce de notre Christ, tu peux surmonter les épreuves redoutables et cruelles que renferme le désert, alors, demeure là-bas jusqu’à ton dernier jour. Mais si cette ascèse passe tes forces de faible femme, choisis plutôt un monastère pour t’y retirer et y œuvrer, dans l’humilité du cœur, au salut de ton âme".

Ils se mirent en route...

Ils se mirent en route et partout le Père Paul cherchait, pour la bienheureuse, quelque ermitage abandonné qui pût l’abriter. Mais ses efforts restaient vains ; enfin, ils rencontrèrent un vieil ermite qui vivait sous la falaise de Sihla. II possédait le don de clairvoyance. Les accueillant, il dit : "Entre ici, Mère Théodora, et demeure dans ma cellule ; car voici, je m’en vais pour un autre ermitage". Le Père Paul alors bénit la sainte et, la laissant seule sur le Mont Sihla, s’en retourna à sa skyte.

Sainte Théodora devait demeurer dans cette cellule près de trente années, glorifiant Dieu sans cesse, déjouant, à force de patience et d’humilité, l’une après l‘autre, toutes les attaques de l’ennemi. Or, revêtue de la force d’en-haut, elle ne redescendit jamais de la montagne, ni ne dût implorer l’aide, d’âme qui vive. De temps à autre seulement, le bienheureux Paul, son confesseur, grimpait à sa cellule, portant avec lui les Précieux Dons et les maigres provisions destinées à sa subsistance.

Elle, de son côté, accomplissait dans la vie angélique des progrès si rapides, que la nuit entière, elle gardait la veille et, jusqu’à ce que le soleil levant vînt toucher son visage, elle demeurait debout, les mains élevées vers le ciel. Après quoi, elle se sustentait un peu : des croûtes de pain, auxquelles elle ajoutait parfois des herbes de la forêt, des fougères et de l’oseille, faisaient sa nourriture. Pour boisson, elle avait l’eau de la pluie, que lui amenait une rigole ménagée dans la falaise, sorte de gouttière qui recueillait la pluie et qu’aujourd’hui encore on appelle "source de sainte Théodora". Par un miracle singulier de la Providence, jamais jusqu’à ce jour, l‘eau ne s’en est tarie.

Cependant, le bienheureux Paul s’endormit à son tour. Théodora demeurait seule désormais, avec comme gardien pour veiller sur elle, son Seigneur et son Dieu.

Or, un jour que partout autour de Neamt les Turcs ravageaient villages et monastères, la forêt soudain se trouva peuplée de moines et de paysans. C’est ainsi que des moniales avisèrent la cellule de la sainte. Or celle-ci, les appelant à elle, leur dit : "Venez, mes sœurs, et demeurez dans ma cellule, car j’ai un autre lieu pour asile". De ce moment, elle gagna une petite grotte qui se trouvait à quelque distance : aujourd’hui encore, on peut voir les dalles où, la nuit venue, elle s’allongeait pour prendre quelque repos. Ce fut là que Théodora devait vivre le reste de ses jours, seule et complètement inconnue de tous.

Un jour pourtant, il arriva, par l’entremise du Malin, qu’une bande de Turcs égarés sur le Mont Sihla, découvrit soudain la grotte de la sainte.
Aussitôt, les haschischins se ruèrent sur elle et ils allaient la massacrer, lorsque la sainte éleva ses bras au ciel, criant : "Délivre-moi, Seigneur, arrache-moi aux mains de ces assassins !" A l’instant même, un pan de la grotte s’ouvrit miraculeusement, par où la fiancée du Christ, éperdue, s’enfuit dans les bois, sauvant sa vie.

Lorsqu’arriva le temps de sa vieillesse et que sainte Théodora dut continuer de vivre, oubliée de tous, sans personne pour assister son grand âge, ce fut, plus que jamais, en Dieu seul qu’elle mit toute son espérance. Et elle vivait là-bas, dans sa grotte, telle un ange dans la chair, sans plus sentir jamais le froid ni la faim, sans que désormais le démon pût en rien la troubler. Sans cesse elle priait, l’esprit ravi au ciel, le corps soudain élevé de terre. Et tandis qu’elle demeurait là, à plusieurs coudées au-dessus du sol, la face brillante comme un soleil, la prière, telle une flamme de feu, s’exhalait de sa bouche, comme on le rapporte des grands saints d’autrefois, que Théodora désormais égalait en stature. Devenue semblable à eux, elle atteignait aux cimes les plus hautes de la prière, et Dieu dans ses extases l’illuminait ineffablement.

C’était Lui encore qui pourvoyait à la vie de sa sainte. Pour les habits, peu importait qu’avec le temps ils fussent devenus des loques qui couvraient à peine la nudité de son corps d’ascète ; tandis que pour sa subsistance, lorsque son grand âge l’avait empêché d’y pourvoir, les oiseaux du ciel, sur un ordre de leur Créateur, étaient venus la lui porter, et chaque jour continuaient leur office, prenant dans leurs becs, les miettes et les croûtes de pain restées sur la table du monastère de la Skyte à Sihastria. La sainte, elle, ne s’occupait plus que de Dieu.

Ainsi, n’avait-elle plus d’autre souci que de prier sans cesse pour le monde. Mais ce dont elle se réjouissait surtout, c’était que le temps de son repos approchât. Quand elle se sût parvenue enfin, au quarantième jour qui précédait sa mort, elle supplia Dieu qu’Il voulût bien Lui envoyer un prêtre pour lui porter les Saints Mystères ; et Dieu, qui n’avait jamais détourné sa face des prières de sa servante fidèle, exauça encore l’ultime désir de son âme.

L’abba de Sihastria n’était pas resté sans remarquer le manège des oiseaux : par nuées, ils venaient à la skyte, prenaient dans leurs becs les miettes du réfectoire, puis s’envolaient à tire-d’aile vers Sihla. Songeant qu’il devait y avoir là-bas quelque saint ermite, il envoya deux frères observer en quel lieu se posaient les oiseaux. Or, en chemin, la nuit surprit les moines qui s’égarèrent bientôt dans les bois. Renonçant à pousser plus avant, ils se mirent en prière, attendant la blancheur de l’aube. Soudain apparut un grand rai de lumière, devant eux, qui montait aux cieux. Guidés par cette brillante clarté, ils s’avancèrent. Alors -vision sublime- ils aperçurent, élevée au-dessus de la terre, les mains tendues vers le ciel, et toute resplendissante d’une aveuglante lumière, une femme... A leurs yeux, dans sa gloire, se manifestait sainte Théodora...

"Seigneur, dit la sainte, gloire a toi qui m’as entendue !... Soyez sans crainte, mes frères, ajouta-t-elle, je ne suis qu’une pauvre servante du Christ. Mais ayez la compassion de me jeter seulement quelque chose pour me couvrir, car je suis nue". Après quoi, les ayant fait venir à elle, elle leur parla de sa vie et de sa fin qui approchait :
"Mes frères, leur dit-elle, je vous en prie, descendez à la skyte, et dites à l’abba d’envoyer Antoine, le père confesseur, et Laurent le hiérodiacre, pour m’apporter ici le Corps et le Sang de mon Christ". "Hélas, dirent les frères, comment regagnerions-nous la skyte, à présent que la nuit est tombée ? Nous n’en savons pas le chemin". "Suivez seulement, leur dit-elle, la lumière que vous verrez se tenir devant vous et en peu de temps vous arriverez".

Le jour paraissait à peine le lendemain, lorsque parvinrent à Sihla le père Antoine, le diacre et les deux frères, sainte Théodora était là, priant devant le pin de sa grotte. Elle se confessa d’abord, et dit au prêtre les secrets de sa vie ; puis elle récita le Credo et reçut les Saints Mystères dont, le désir avait si longtemps fait languir son âme. Alors elle murmura : "Gloire à toi Seigneur, pour toutes choses, gloire ä toi !" Et en cet instant, la sainte, entre les mains de son Christ, remit son âme. L’air s’emplit soudain du suave parfum de son corps embaumant. Avec quel respect mêlé de crainte, les frères prirent entre leurs bras la dépouille de la sainte ! Avec quelle vénération ils ensevelirent, dans la grotte où elle avait tant lutté, les restes bienheureux de l’amoureuse de Dieu, qui, de si longues années durant, pour l‘amour de son Christ, avait tout souffert !

Comme l’éclair ensuite, dans les monastères et les villages alentour, par toute la Moldavie et plus loin encore, se répandit la rumeur : sainte Théodora s’était endormie. De partout, pour vénérer ses reliques, les pieuses gens commencèrent d’affluer. Et Dieu qui, pour glorifier sa sainte, avait gardé intact son corps immaculé, dont l’air était tout embaumé, parce qu’il exhalait un parfum suave et divin, -Dieu permit aussi qu’il opérât des miracles. Aussitôt, autour de la bienheureuse, vint se presser la foule des malades : les uns embrassaient ses reliques, les autres touchaient le reliquaire, d’autres encore se lavaient à sa source et tous recevaient la guérison de leurs maux, tous puisaient réconfort et consolation.

Durant prés de cent ans, les reliques de sainte Théodora demeurèrent ä Sihla ; puis, à une époque incertaine, entre les années 1820 et 1834 sans doute, elles furent transférées à Kiev et enchâssées dans les grottes de la Lavra. L’on peut encore les y vénérer aujourd’hui, figurant sous cette simple inscription : "Reliques de Sainte Théodora des Carpathes." Très sainte Mère Theodora, prie Dieu pour nous !

***

Le mari de sainte Théodora était, lui, devenu moine à la skyte de Poiana Marului, où on l’avait ensuite ordonné prêtre, sous le nom de Père Eleuthère.

Plus tard, lorsque le hiéromoine eut entendu dire que sainte Théodora, qui dans le monde avait été son épouse, s’était désormais retirée dans les montagnes de Neamt, Dieu lui avait inspiré de la suivre. Alors, s’étant enquis auprès des ermites du Mont Sihla du lieu secret de son ascèse, il avait à la fin découvert la petite grotte de sa sainte qui, peu de temps auparavant, s’en était allée vers son Christ, l’unique époux de son désir.

Longtemps Eleuthère avait pleuré sa bien-aimée. Puis, renonçant à retourner au monastère, il s’était fait sur les falaises de Sihla, prés de la grotte de sa sainte, une petite cellule, d’où bien vite, sa renommée de saint ermite s’était répandue alentour. Nuit et jour il priait, jeûnant et versant de brûlantes larmes ; et il célébrait la divine liturgie, attendant seulement que Dieu vienne enfin le délivrer des liens pesants de la chair. Prés de dix ans, il vécut là, jusqu’au jour de son repos Et lorsqu’il s’endormit -on était à l’aube du dix-huitième siècle-, on l’inhuma dans le cimetière des ermites. Quelques années plus tard seulement, voulant rendre honneur à la Naissance de saint Jean le Précurseur, la noble famille des Cantacuzène construisit au-dessus de sa tombe une petite skyte de bois. C’est ainsi que vit le jour la skyte de Sihla, en l‘année 1741 de notre salut.

* * *

Quand au bienheureux hiéromoine Paul, le père spirituel de sainte Théodora, il arriva, lorsqu’il eut passé dans la skyte de Sihastria plusieurs années, qu’il se retirât dans ces vastes forêts qui s’étendent entre Coroi et Sihla, en un lieu retiré du monde et béni de Dieu, là même où avant lui avaient vécu les plus grands ermites du Mont Sihla, que nul de leur vivant ne put voir et dont nulle âme ne découvrit jamais le refuge, hormis les seuls vases d’élection que Dieu se choisit longtemps d’avance.

C’est en ce lieu écarté que durant près de dix ans vécut Paul le bienheureux, passant par mille peines et mille joies spirituelles que personne ne saura jamais. Avec le temps, plus de trente ermites vinrent se joindre à lui, tous, à son exemple, vrais amoureux du Christ. Et parce que Paul, était plein de la grâce de l’Esprit, que la sagesse parlait par sa bouche, et que Dieu l’avait fait clairvoyant, c’est lui que d’un commun accord ils avaient élu pour guide spirituel. Car Paul désormais avait atteint la mesure des anciens Pères. Un jour enfin, tandis qu’il se tenait debout au pied de la falaise et qu’il restait ainsi abîmé dans sa prière, voici que, tout-à-coup, il remit son âme entre les mains de Dieu. Et comme cela était advenu sans que nul le sût, de même, prés de deux siècles durant, ses os demeurèrent là, inconnus de tous ; lorsque soudain, le 20 juillet 1930, ses reliques furent miraculeusement révélées à un jeune hiérodiacre : Christophore, du monastère de Frasinéi, parce qu’il était lui aussi amoureux du Christ, vivait alors non loin de là en ermite, dans les bois qui entourent la skyte de Sihla. Or, ce jour-là, comme il s’en retournait à la skyte, il arriva qu’il s’endormit un peu en chemin ; et dans son sommeil lui apparut un vieillard en robe brune, dont les longs cheveux encadraient la face toute lumineuse qu’ornait une barbe blanche : c’était le bienheureux Paul.

Alors, d’une voix paisible, il lui parla : "Père Christophe, lui dit-il, fais cent pas sur ta droite et là, au pied de la falaise, près du pin, tu trouveras mon corps sans sépulture. Je suis Paul le hiéromoine et c’est ici, dans cette forêt, que j’ai vécu. Je t’en prie, ensevelis mes os dans la terre d’ici, et prends avec toi mon crâne, le portant toujours avec toi comme une bénédiction qui t’accompagnera partout tout au long de ta vie".

Le Père Christophe s’éveilla et, à la place que lui marquait le saint, sous d’épaisses toiles d’araignées, il trouva les précieux ossements. Ils étaient jaunes et répandaient alentour un merveilleux parfum. Les ayant vénérés, le Père Christophe les ensevelit comme le saint le lui avait dit et, prenant avec lui le crâne, il regagna sa cellule.

Quelque temps plus tard, il descendait avec son cher trésor au monastère de Sihastria. A l’higoumène, il conta seul à seul son histoire, puis il plaça le crâne sur le saint autel du sanctuaire où, trois jours durant, il servit la liturgie. Enfin, lorsque tous les frères eurent vénéré le crâne du bienheureux Paul, le hiérodiacre Christophore s’en retourna au désert où nul, depuis lors, ne l’a jamais revu.

Gloire a toi, Dieu de nos pères, si admirable dans tes saints !

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