mardi 18 janvier 2011
La Lumière du Thabor n°29. Dossier : Temps liturgique et calendrier.
DOSSIER
LE TEMPS LITURGIQUE ET LE CALENDRIER
Nous publions ci-dessous un extrait d'un nouveau journal Lecture orthodoxe, publié par le Patriarcat de Moscou. Ce nouveau journal montre une différence de ton avec le Journal du Patriarcat de Moscou, plus «politique», plus «officiel». Lecture orthodoxe traite généralement de thèmes de spiritualité et d'histoire de l'Eglise russe.
Récemment, ce journal a publié un excellent numéro sur le temps liturgique et la culture chrétienne que nous reproduisons ici pour nos lecteurs parce qu'il donne des idées justes sur la question du calendrier ecclésiastique et qu'il montre le désaccord profond qui existe sur la question du calendrier liturgique entre l'Eglise de Moscou et le Patriarcat de Constantinople.
On remarquera que ce texte condamne la rupture de l'unité liturgique introduite par le changement de calendrier dans les Eglises grecques modernistes, et considère que l'adoption du calendrier grégorien -ou du calendrier julien rectifié- est contraire aux règles établies par le Premier Concile Oecuménique de Nicée sur la Pâque. Certes, nous sommes conscients des aspects ambigus du présent texte, qui maintient l'idée d'un dialogue oecuménique qui aboutirait à une union des Eglises adoptant le calendrier julien. Malheureusement le nouveau patriarche soviétique, habitué du Conseil Oecuménique des Eglises, veut maintenir la ligne oecuméniste imposée à son prédécesseur après la guerre par Staline et son régime. Dans un tel contexte, l'Eglise soviétique ira nécessairement de concession en concession, sans espoir de retour à la tradition orthodoxe.
Il est intéressant de noter qu'une telle politique provoquera certainement tôt ou tard des tensions en Russie, car il y aura toujours un certain nombre de fidèles pour considérer que l'engagement de l'Eglise russe dans le Conseil Oecuménique des Eglises a été la conséquence de l'introduction du régime communiste dans l'Eglise -à cette époque, Staline redoutait que le C.O.E. condamne le communisme : l'entrée de l'Eglise soviétique dans le C.O.E. a été une maneuvre visant à empêcher une telle condamnation.
Quoi qu'il en soit, même si, malheureusement, le Patriarcat de Moscou s'accommode très bien aujourd'hui de l'éloignement de plus en plus grand vis à vis de la Tradition orthodoxe qui règne dans la plupart des Eglises autocéphales, les faits qui sont cités dans cet article viennent clairement confirmer la confession de foi de ceux qui ne s'en accommodent pas : les zélotes qui, dans le monde entier, refusent les aménagements liturgiques, canoniques et dogmatiques du Patriarcat de Constantinople. Donnons-en un exemple : ce texte fait allusion au Concile pan-orthodoxe de 1583 qui condamne l'adoption du calendrier grégorien. Si un concile pan-orthodoxe a pris cette décision, rien n'autorise à lui en préférer une autre et ceux qui ont agi sans tenir compte de cet interdit sont condamnés par le Concile de Constantinople de 1583 tenu sous Jérémie II. Telles étaient déjà les judicieuses remarques faites au Concile de Moscou de 1948 dans le rapport de l'archevêque Séraphim : «En tant qu'émanation du catholicisme et phénomène nuisible à l'Eglise, le nouveau style, à part les troubles, ne peut rien procurer à l'Eglise Orthodoxe. Il a été interprété de cette façon, dès son apparition, par ses premiers adversaires : le Patriarche de Constantinople Jérémie II et le concile local que ce dernier convoqua en 1583, à Constantinople. Le nouveau style demeure jusqu'à maintenant un élément de décomposition et de propagande catholique très funeste pour la vie des Eglises Orthodoxes. C'est pourquoi l'adoption du nouveau style à l'encontre de la volonté de notre Sainte Eglise, même sous forme de compromis, ne peut nous amener qu'à contribuer par nous-mêmes à provoquer des troubles et des désordres dans la vie de notre Eglise. Ce qui voudra dire que nous allons travailler de nos propres mains au dénigrement de l'autorité de la Sainte Eglise Orthodoxe.
«De sorte que, de même que nous nous engageons dans la voie du péché grave qui est la désobéissance à l'Eglise par l'adoption totale du nouveau style au mépris des règles canoniques, ainsi de même, nous nous engageons dans la même voie de désobéissance par l'adoption du nouveau style du calendrier mixte, en passant outre aux exigences du Typikon.
«On comprend alors pourquoi l'Eglise Orthodoxe s'est opposée aussi catégoriquement et avec tant de zèle, dès le début de la réforme du calendrier et jusqu'à ces derniers temps, à cette innovation allant à l'encontre des prescriptions de l'Eglise. Lorsque le pape Grégoire XIII introduisit le nouveau style, la même année 1582, le Patriarche Oecuménique, Jérémie II, et son Synode condamnèrent aussitôt le nouveau calendrier romain comme étant contraire à la tradition de l'Eglise orthodoxe. L'année suivante, en 1583, le Patriarche Jérémie, avec le concours du Patriarche d'Alexandrie, Sylvestre, et de celui de Jérusalem, Sophronios VI, convoqua un Concile qui condamna l'introduction du calendrier grégorien dans l'Eglise Romaine, comme étant contraire aux canons de toute l'Eglise Universelle et comme transgressant la décision du Premier Concile Oecuménique, concernant l'ordre de la détermination de la date de Pâque. Ce Concile par sa Décision sigillée du 20 novembre 1583 invite les orthodoxes à s'en tenir fermement et sans fléchir, même jusqu'à l'effusion de sang, au calendrier orthodoxe et au Canon pascal julien, en excommuniant tous les transgresseurs de cette décision. Le Concile de Constantinople informa de cette décision toutes les Eglises d'Orient, le Métropolite de Moscou, Denis, l'Eglise des îles Ioniennes, l'illustre défenseur de l'orthodoxie dans la Russie Occidentale, le prince Constantin d'Ostroje, le doge de Venise, N. Daponte et le pape Grégoire XIII, responsable des troubles survenus dans l'Eglise. A partir de ce moment, et à travers les siècles, les Patriarches Oecuméniques et avec eux toute l'Eglise Universelle gardaient toujours une attitude négative à l'égard de l'introduction du nouveau style. Par exemple, le Patriarche de Constantinople, Callinikos XI, avec le Patriarche d'Antioche, Athanase (1686-1728) affirmaient que la célébration des Pâques simultanément avec les catholiques, au mépris des règles de l'Eglise Orthodoxe concernant les jeûnes, ainsi que l'usage des règlements de l'Eglise Romaine, sont une trahison à l'égard de l'orthodoxie et un écart loin des préceptes patristiques, bref, sont funestes pour les fidèles de l'Eglise Orthodoxe. C'est pourquoi, chaque chrétien est obligé de célébrer Pâque et les jours fériés qui en dépendent, de même que les autres temps ecclésiastiques, en se conformant à la pratique de l'Orient Orthodoxe, et non à celle de l'Occident hétérodoxe, qui nous est étranger dans le domaine de la foi.
«Le Patriarche Oecuménique Cyrille V, dans sa Lettre encyclique de 1756, anathématise dans cette vie et dans l'autre, tous les chrétiens ayant adopté le nouveau style.
«Afin de mettre en garde les orthodoxes contre l'adoption du nouveau style, en tant que péché très grave, le Patriarche Oecuménique Anthime VI, en accord avec les autres Patriarches d'Orient, Hiérothée d'Alexandrie, Méthode d'Antioche et Cyrille de Jérusalem, avec leurs Synodes respectifs, dans leur Lettre encyclique rédigée au nom de l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, en 1848, exprimèrent leur profession de foi dans les termes suivants : «Jamais ni les Patriarches, ni les Conciles de chez nous n'avaient le droit de faire une innovation quelconque, car c'est le corps même de l'Eglise, c'est-à-dire le peuple, qui est chez nous le gardien de la piété et qui désire toujours garder sa foi intacte et identique à celle de ses ancêtres... Gardons la confession que nous avons reçue de tels hommes -les Pères de l'Eglise ; évitons toute innovation, comme étant une suggestion diabolique, car quiconque oserait s'élever contre cet enseignement en action, en parole ou en pensée, aurait déjà renié par là-même la foi du Christ et se serait attiré l'anathème éternel pour son blasphème contre le Saint-Esprit qu'il accuserait de n'avoir pas parlé d'une façon parfaite dans les Saintes Ecritures et les Conciles Oecuméniques. Ainsi donc, à tous les innovateurs, hérétiques ou schismatiques, qui se sont volontairement revêtus de malédictions comme d'un habit (Ps. 109, 18), fussent-ils papes ou patriarches, fussent-ils laïcs, fussent-ils même ange du ciel -anathème».
«En 1902-1904, sur l'initiative de l'illustre Patriarche de Constantinople, Joachim III, les Eglises Autocéphales de Constantinople, de Jérusalem, d'Hellade, de Russie, de Serbie, de Roumanie et du Monténégro, se sont prononcées, en la personne de leurs représentants, contre la réforme du calendrier, opérée par le pape Grégoire XIII.
«C'est dans le même sens que s'est prononcé le Concile local de l'Eglise Russe, tenu en 1917-1918, qui a prescrit de s'en tenir strictement à l'ancien style pour le calcul du temps que l'on opère pour établir le calendrier ecclésiastique». (Actes de la Conférence des Eglises Autocéphales Orthodoxes, 8-18 juillet 1948, vol. 2, Moscou 1952, p. 320-323).
Puissent les orthodoxes ne pas mépriser aujourd'hui leur propre tradition canonique et synodale dont le Concile de 1583 fait indéniablement partie.
LE TEMPS LITURGIQUE
et la culture chrétienne
Celui qui, une fois la vérité trouvée, cherche à découvrir encore quelque chose, recherche le mensonge. Actes du Septième Concile Oecuménique.
La sanctification liturgique du temps est à la base de toute culture, car elle donne un sens suprême à l'activité humaine. Le mot «Liturgie» vient des mots grecs : leitos -public- et ergon -service, action. Traduit littéralement, le mot liturgie (leitourgia) signifie service public. Dans toute culture traditionnelle, la conscience collective de ses porteurs est organisée sur le plan liturgique autour du culte. Ainsi, la culture est liée à la notion du «culte» non pas simplement étymologiquement, mais aussi substantiellement. C'est au culte qu'est indissolublement lié le temps liturgique de la culture, incarné dans l'office liturgique et dans le calendrier liturgique.
L'«année de la nature» ou «année cosmique», qui se compose d'environ 365,25 jours -la période du retour du Soleil vers les points des équinoxes et des solstices- marque le rythme planétaire auquel est soumise la vie de toute la biosphère et des communautés humaines. Mais l'«année de la nature» ne donne pas de réponse à l'homme quant au sens de sa propre existence. Cette réponse est donnée à l'homme par la religion et la culture qu'elle a engendrée. Ce sont elles qui organisent la conscience collective à l'aide du rythme qui leur est propre et que l'on appelle «année liturgique». L'«année liturgique» ou «année de culture» a toujours un début historique : en règle générale, c'est la date de naissance de la religion. Elle est enregistrée par la mémoire historique du peuple et est ensuite liturgiquement reproduite en tant qu'événement sacré central dans le cycle liturgique annuel. Pour le christianisme c'est la date de la Nativité du Christ : le début de la chronologie mondiale actuelle.
Pour mieux comprendre l'essence du temps liturgique chrétien, il faut revenir au moment initial de la religion chrétienne, marqué dans le temps historique. Conformément à l'Evangile, Jésus-Christ mourut sur la croix le vendredi 14 du mois de Nisan, le premier mois de printemps selon le calendrier lunaire, à la veille de la Pâque juive. Dans le ciel matinal de Jérusalem, on voyait encore les contours de la pleine lune quand, sur la colline appelée «Golgotha» (Calvaire) où, selon la tradition, avait été inhumé l'Adam de l'Ancien Testament, s'éleva vers le ciel une croix sur laquelle était crucifié le Fils de Dieu. Le monde vétérotestamentaire mourut avec la crucifixion de Jésus-Christ et l'humanité néotestamentaire -la chrétienté- naquit avec Sa Résurrection. La dernière nuit de sa vie terrestre, Jésus rassembla ses disciples. Or, tandis qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : «Prenez, mangez, ceci est Mon corps». Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant : «Buvez-en tous ; car ceci est Mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés» (Matt. 26, 26-28). Et pendant chaque sacrifice eucharistique célébré depuis lors, voilà déjà presque deux millénaires, par l'Eglise chrétienne, quand le pain et le vin se changent toujours de nouveau en Corps et Sang du Seigneur, le temps vital, existentiel de l'existence humaine se transforme toujours de nouveau en temps sotériologique, en «temps du salut». «A cet instant, chaque communiant, écrivait N.V. Gogol, reçoit le Corps et le Sang du Seigneur et, en eux, reçoit un instant de rencontre avec Dieu en se présentant face à face devant Lui-même. Cet instant est hors du temps et ne se distingue en rien de l'éternité même, car Celui Qui est le début de l'éternité y est présent».
Tout le Nouveau Testament est pénétré de la sensation du temps sotériologique. Chez les trois premiers évangélistes (Matthieu, Marc et Luc), il s'exprime par la notion grecque de Kairos, terme qui, dans le contexte néotestamentaire, est rendu plus correctement par «temps bon» ou «temps bienfaisant». A l'opposé du Chronos dévorant de la tradition mythopoétique grecque ancienne, le Kairos est un temps qui a une valeur spirituelle impérissable ; c'est une nouvelle qualité du temps. Quand le Christ dit à ses disciples : «Mon temps est proche» (ho kairos mou eggus esti) (Matt. 26, 8), on entend dans ces paroles non seulement l'approche de la Crucifixion, mais aussi l'approche de l'entrée dans un temps qui commence à faire partie d'un point Divin hors du temps, de l'instant où est célébré le sacrifice eucharistique. Le temps de la liturgie fait revenir la conscience des fidèles vers le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, joint de nouveau les vieux morceaux d'un monde déchiré par le péché, y découvrant un sens durable nouveau et une perspective eschatologique. La conception vétérotestamentaire du temps, découlant de la sensation de l'«attente éternelle» du futur Messie, si développée dans le judaïsme ultérieur, cède la place à la conception néotestamentaire du temps, résultant de la sensation de l'accomplissement, en tant que réalité, de la venue du Messie en la personne de Jésus-Christ. On attend toujours la seconde venue du Messie et le Jugement dernier1, mais le «centre du temps» n'est plus dans «l'avenir attendu», mais dans le passé accompli. Le Verbe s'est fait chair (Jn 1, 14) et est entré dans l'Histoire au temps du roi Hérode (Matt. 2, 1). Il n'existe pas de conception judéo-chrétienne du temps, tout comme il n'existe pas de culture judéo-chrétienne. Au lieu de l'eschatologisme qui attend un Messie national, le christianisme a annoncé une perspective spirituelle néotestamentaire inverse -semblable à celle que nous voyons sur les icônes2- la perspective d'un Sauveur de l'humanité déjà venu une fois.
Conformément à la révélation chrétienne, au dogme chrétien et à l'expérience collective bimillénaire de toute la culture chrétienne, le véritable sens du temps et de la vie humaine s'est révélé au monde dans le phénomène de Jésus-Christ. Ce sens s'est incarné liturgiquement dans un système qui a donné à la nouvelle culture son «algorithme spirituel» unique en son genre, qui organise la conscience collective de ses porteurs. Cet «algorithme» est l'année liturgique dont la formation allait de pair avec le développement de la sotériologie, de l'ecclésiologie et du dogme chrétiens. Depuis les temps des apôtres, en élargissant le martyrologe des justes et des martyrs pour la foi, l'année liturgique se forma, à l'époque des Conciles Oecuméniques, en un système de calendrier liturgique chrétien, qui organise jusqu'à présent la conscience de millions de fidèles.
Ce calendrier a pour base l'«année liturgique» qui comprend l'ensemble des fêtes, des jeûnes, des jours de commémoration des saints et le cycle de Pâque en tant que pivot intérieur de toute la liturgie chrétienne.
Le rythme liturgique à trois cycles (quotidien, hebdomadaire et annuel) avec son point culminant dans la fête pascale de la Résurrection transforme la personnalité humaine et tout l'ordre de l'Univers, l'empêchant de se diviser en intervalles de temps absurdes n'ayant rien de commun entre eux.
Puisque l'auto-organisation de la culture va de pair avec la création du calendrier liturgique, tout changement dans ce calendrier témoigne du déclin de la culture traditionnelle et de la formation sur ses ruines d'une nouvelle tradition culturelle.
Le serment prêté par les pharaons égyptiens, lors de leur accession au trône, de ne pas changer le calendrier sacré avait non seulement un sens symbolique, mais aussi un sens historico-culturel et étatique tout à fait réel. L'une des premières tentatives de rompre avec cette tradition ancienne fut faite par le souverain hellénistique d'Egypte Ptolémée III Evergète en 238 av. J.C. Cette réforme devait devancer de deux siècles la célèbre réforme du calendrier de Jules César. Néanmoins, elle échoua, car la force des traditions était encore assez grande.
En 167 av. J.C., le souverain hellénistique de Syrie Antiochos IV Epiphane, ayant commencé la persécution des Juifs, pilla le temple de Jérusalem et interdit le calendrier vétérotestamentaire traditionnel. Ces actions provoquèrent la révolte connue des Macchabées, étouffée avec peine par Antiochos V.
Jules César fut tué deux ans après avoir procédé à la réforme du calendrier qui, selon l'observation de O. Spengler, fut «un acte d'émancipation à l'égard de la conception du monde antique». Il fallut plus de trois siècles pour que le calendrier julien acquît son nouveau sens sacral quand, uni au comput pascal alexandrin au Concile de Nicée en 325, il devint la base du calendrier liturgique de toute la chrétienté.
Une autre réforme du calendrier vaut la peine d'être mentionnée : la réforme faite à l'époque de la Révolution française. Elle supprima l'ère débutant par la «Naissance du Christ» et, en même temps, le calendrier liturgique avec le calendrier des saints. Ce fut une tentative de programmation nouvelle de la conscience collective de toute une nation et de rupture totale avec la tradition culturelle chrétienne millénaire. Ayant existé environ quatorze ans (1793-1806), le calendrier républicain fut supprimé par Napoléon et sa dernière récidive fut le calendrier de la Commune de Paris de 1871.
L'ordre nazi «SS» avait son propre calendrier ésotérique, de même que les francs-maçons avec leur fête principale : le jour du solstice d'été.
L'une des dernières réformes du calendrier fut celle de l'ancien shah d'Iran Muhammad Rizah Pahlavi. En 1976, il ordonna de changer l'ère d'Etat et de compter les années non pas à partir de la date musulmane traditionnelle de l'Hégire (622), mais à partir de l'ère de la fondation des shahs achéménides (550 avant Jésus-Christ). Après deux ans de troubles, l'ère précédente fut rétablie et le shah fut bientôt contraint de fuir, abandonnant le trône.
Tous ces exemples, qu'on pourrait encore multiplier, témoignent que le calendrier est toujours le gardien de la mémoire collective du peuple, de sa culture, l'organisateur de sa conscience collective. Le changement du calendrier est une réorientation de la conscience collective, un décalage du temps liturgique établi, une rupture avec l'ancienne culture.
Depuis l'époque du Concile de Nicée (325), l'Eglise chrétienne se servait, dans sa pratique liturgique, d'un système unique de calcul du temps, réunissant organiquement en soi le calendrier julien au comput pascal alexandrin. Ce système s'appelait en Occident «Le Grand Cercle» (Circulus Magnus) ; à Byzance, «La Grande Indiction» (c'est-à-dire «Le Grand Indicateur») ; en Russie, «Le Cercle Cosmogonique». Les créateurs de ce mécanisme de régulation du temps sacré l'avaient fait tellement parfait et stable que, même après la séparation tragique des Eglises de l'Occident catholique et de l'Orient orthodoxe (1054), il continua, pendant encore un demi-millénaire (jusqu'à la réforme grégorienne de 1582), à les relier par un dernier pont, celui du calendrier liturgique, jusqu'au moment où le pape Grégoire XIII le brûla, introduisant un «schisme du calendrier» irréversible dans l'Eglise chrétienne.
Pourquoi Grégoire XIII avait-il besoin d'une réforme aussi radicale du calendrier ? Avait-elle peut-être un sens liturgique particulièrement important ? En effet, extérieurement, les motifs de la réforme portaient un caractère religieux. Le décalage progressif de la date de l'équinoxe vernal dans le calendrier julien faisait craindre que Pâque, en tant que fête printanière, se déplaçât vers l'été et, 2000 ans après, perdît sa position printanière traditionnelle dans l'année. Au moment de la réforme grégorienne, les dates traditionnelles de Pâque s'étaient déplacées en direction de l'été de plus de 10 jours par rapport à l'époque du Concile de Nicée qui avait adopté le calendrier julien et le comput pascal alexandrin à des fins liturgiques. La réforme faisait revenir la date de l'équinoxe vernal à son ancienne position astronomique dans l'année. Mais, cherchant à corriger ce qui semblait une perturbation des canons astronomiques de Pâque, Rome viola la règle liturgique principale de cette fête chrétienne centrale : la succession sacrale des événements historiques. Les réformateurs grégoriens violèrent le «saint des saints» de la vie ecclésiastique. L'essence de cette succession sacrale, selon l'Evangile, consistait dans le fait que le Christ fut crucifié à la veille de la Pâque juive (le 14 de Nisan) et ressuscita au lendemain de cette fête (le 16 de Nisan). C'est dans ces brefs intervalles de temps que se produisent les événements centraux de l'histoire néotestamentaire. Voilà déjà 2000 ans que cette succession est reproduite par le cycle liturgique. Les décisions apostoliques et les Règles du Concile d'Antioche, interdisant la coïncidence des deux Pâques3, confirmées par les VIème et VIIème Conciles Oecuméniques, avaient reconnu l'intangibilité de cette succession historico-mystérieuse pour tous les temps. Après l'adoption de la réforme grégorienne, elle fut perturbée. Il suffit d'indiquer, par exemple, qu'en un siècle, depuis 1888 jusqu'en 1988, la Pâque catholique a été célébrée dix-neuf fois avant la Pâque juive et a coïncidé avec elle quatre fois.
L'absurdité mathématique du calendrier grégorien vaut aussi la peine d'être mentionnée. Le rythme traditionnel du calendrier julien est bien connu : trois années simples et une quatrième bissextile (c'est-à-dire trois années composées de 365 jours et une quatrième, de 366 jours). Mais tout le monde n'est pas au courant que dans le calendrier grégorien ce rythme est perturbé chaque siècle dont le nombre de centaines n'est pas multiple de quatre. Dans le calendrier julien, tous les siècles sont bissextiles ; dans le calendrier grégorien, un siècle sur quatre est considéré comme bissextile. Ainsi, le calendrier grégorien introduit en fait la notion «non bissextile» ou «siècle simple» par analogie avec la notion «année bissextile» dans le calendrier julien. Mais si l'année bissextile crée un rythme, un siècle privé de bissexte le perturbe. Considérons maintenant dans ce plan le rythme du calendrier grégorien depuis sa fondation. Si l'on commence par l'année 1600, sur les années séculaires 1600, 1700, 1800, 1900, 2000, 2100, 2200, 2300... seules les années mises en gras correspondent à des années bissextiles. Or, dans le calendrier julien, tous les siècles mentionnés sont bissextiles. Par conséquent, le calcul grégorien, transformant trois siècles bissextiles sur quatre en siècles simples, raccourcit de trois jours chaque période de 400 ans du calendrier julien. Cela conduit au fait que la durée moyenne de l'année grégorienne est vraiment beaucoup plus proche de la valeur de l'année solaire tropique que la durée de l'année julienne. Mais, premièrement, il y a quand même une erreur qui s'accroît avec le temps. Et, deuxièmement, ce qui est le plus important, cette précision abstraite est obtenue à un trop haut prix. C'est que, en raison de l'introduction de siècles privés de bissextes, les siècles grégoriens ne comportent plus un nombre égal de jours. Et, en effet, dans les siècles juliens, il y a toujours un nombre égal de jours grâce au rythme bissextile julien continu (365, 365, 365, 366). Grâce à ce rythme, dans quatre années juliennes nous aurons 1461 jours et dans un siècle julien, 36 625 jours.
Or, si maintenant nous regardons les siècles grégoriens, nous verrons que dans le premier siècle après la réforme, c'est-à-dire au dix-septième siècle, il y avait 36 525 jours, comme dans les siècles juliens ordinaires. Cependant, aux dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles, il y avait déjà un jour de moins, c'est-à-dire 36 524 jours dans chaque siècle ; le vingt-et-unième siècle en aura de nouveau 36 525, etc. A l'intérieur des siècles, c'est encore pire, puisque les intervalles de temps qui tombent à la fois sur le siècle bissextile et le siècle simple s'avèrent inégaux aux périodes de temps analogues entre des siècles non bissextiles voisins. Bien sûr, le calendrier grégorien a aussi une période composée d'un nombre entier de jours, mais si dans le calendrier julien une telle période comporte quatre années ou 1461 jours, dans le calendrier grégorien, elle comporte quatre cents années ou 146 097 jours. Tout système de calendrier se caractérise par un laps de temps composé d'un nombre entier de jours, après l'écoulement duquel on amortit une certaine erreur par rapport à la durée moyenne adoptée de l'année. De ce point de vue, les catholiques ont compliqué le calendrier en introduisant dans la chronologie mondiale une période de calendrier d'une durée si immense. En outre, la durée moyenne du siècle grégorien s'est avérée égale à un nombre fractionnaire de jours (3624,25 jours), ce qui, déjà en soi, semble assez absurde du point de vue de la chronologie élémentaire.
Malgré le fait que la précision du calendrier grégorien par rapport à la valeur de l'année solaire tropique est assez grande, elle donne quand même une erreur égale à une journée en 3280 ans. Cela signifie que, 3280 ans après la réforme grégorienne, la date de l'équinoxe vernal sera décalée dans ce calendrier d'une journée par rapport à sa véritable valeur astronomique et ne sera plus le 21, mais le 20 mars. Pour ce qui est de la Lune, là l'erreur est incommensurablement plus grande ; presque comme dans le calendrier juif, environ tous les deux cent dix ans, les pleines lunes pascales astronomiques des catholiques devanceront l'équinoxe d'un jour. Il est facile de s'imaginer que, mille ans après, les pleines lunes de la quatorzième Lune, qui étaient considérées comme les premières après l'équinoxe, seront les deuxièmes, c'est-à-dire que la règle du Concile de Nicée sera de nouveau violée, même dans l'interprétation qui lui était donnée par la réforme grégorienne.
La vague d'impiété de la Renaissance, favorable à la réalisation de la réforme grégorienne, mit près de trois siècles et demi pour atteindre aussi l'Eglise Orthodoxe. Le Patriarcat de Constantinople s'opposa résolument, pour la dernière fois, à la propagande catholique tout au début du vingtième siècle lorsqu'en 1901, à l'initiative du fameux Patriarche de Constantinople Joachim III, toutes les Eglises orthodoxes autocéphales procédèrent à un échange d'opinions sur les questions générales de l'Eglise, y compris sur la question du calendrier. Dans leurs réponses officielles (1903), elles se prononcèrent toutes résolument contre l'acceptation du style grégorien et, dans son acte final du 12 mai 1904, le patriarche Joachim déclara sans ambiguïté qu'il n'y avait aucune raison sérieuse, ni ecclésiastique ni scientifique, pour réformer le calendrier julien.
Le Concile de l'Eglise russe de 1917-1918, à Moscou, déclara que l'ancien style devait être maintenu et préservé aussi bien pour le calcul des fêtes de l'Eglise que dans la pratique liturgique. Le mouvement appelé «église vivante», qui apparut à peu près au même moment, fit, malgré ces recommandations, une tentative pour introduire le calendrier grégorien qui était devenu le calendrier officiel civil de la Russie Soviétique depuis 1918. Cette tentative se révéla vaine.
Le Patriarcat de Constantinople fut le premier à rompre l'unité de l'Eglise Orthodoxe en créant un «schisme de calendrier» dans le monde orthodoxe. Lors d'une assemblée, réunie en 1923 à Constantinople par le patriarche Mélétios IV (en l'absence de représentants des Eglises Orthodoxes de Russie, de Serbie, de Bulgarie et de Jérusalem), on proposa à l'Eglise d'adopter un calendrier corrigé. D'après ce calendrier, qu'on appelle parfois «néojulien», on célèbre les fêtes fixes d'après le calendrier grégorien mais la date de Pâque doit être calculée à partir de l'équinoxe astronomique et de la pleine Lune pour le méridien de Jérusalem. Cette dernière condition s'est révélée irréalisable en pratique et le calendrier néojulien représente en fait un hybride artificiel du calendrier grégorien et du comput pascal alexandrin. L'indignation de la population orthodoxe de Constantinople força Mélétios IV à se retirer4. Cependant les catholiques et les modernistes pouvaient être contents : l'unité de l'Eglise orthodoxe était enfin troublée par les questions de calendrier. Le calendrier néojulien fut introduit, après avoir été corrigé, dans le Patriarcat de Constantinople, ainsi que dans les Eglises de Grèce, de Chypre et de Roumanie. Les patriarcats orientaux (Alexandrie, Antioche et Jérusalem) ainsi que les monastères de l'Athos repoussèrent résolument ces innovations. Un schisme entre adeptes du nouveau style et adeptes de l'ancien style surgit au sein de l'Eglise de Grèce et des autres Eglises qui avaient accepté le nouveau calendrier. De cruelles persécutions sévirent contre les adeptes de l'ancien style.
Presque un quart de siècle plus tard, en raison du caractère toujours plus actif du mouvement oecuménique après la Seconde guerre mondiale et du renforcement de la propagande des autres Eglises, l'Eglise orthodoxe russe dut confirmer encore une fois et le plus clairement possible son attitude traditionnelle à l'égard de la question du calendrier. Cela fut fait en juillet 1948 à Moscou, lors de l'Assemblée des représentants des Eglises orthodoxes autocéphales, consacrée au cinq centième anniversaire de l'autocéphalie de l'Eglise orthodoxe russe. Mais nous aimerions invoquer plusieurs études sérieuses consacrées à la question du calendrier et publiées à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècles par d'éminents historiens, théologiens et astronomes russes tels que D.F. Goloubinski, E.A. Predtetchenko, V.V. Bolotov, I.I. Sokolov, D.A. Lébédev, N.N. Gloubokovski.
Leurs longues recherches fondamentales, minutieuses et objectives les conduisirent à la conclusion suivante qui, outre son importance scientifique, peut être résumée par ces paroles de feu le Métropolite de Saint-Pétersbourg Antoine (Vadkovski) : «Dans son application pratique par l'Eglise, le calendrier julien est, dans tous les cas, une ancre sûre qui retient les orthodoxes du danger d'être engloutis par le monde de ceux qui professent une foi étrangère ; c'est un drapeau sous lequel se rassemblent les enfants de l'Orthodoxie. L'autorisation donnée à certains des enfants de l'Orthodoxie de se séparer de nous dans leur pratique ecclésiastique pour suivre la pratique des porteurs d'une foi étrangère, malgré le semblant d'utilité que cela peut avoir si les dogmes ne sont pas violés, peut conduire à des conséquences indésirables ou même néfastes pour le bien de l'Eglise Universelle et servir d'arme entre les mains de ses ennemis qui, sous le prétexte des prétendus intérêts des peuples orthodoxes, s'arment depuis longtemps contre l'unité oecuménique».
Le mouvement oecuménique contemporain, qui aspire à trouver un langage commun à tous les niveaux des relations interconfessionnelles, le recherche aussi pour le calendrier qui est une des sources de l'union ou de la séparation des Eglises. La question n'est pas celle de savoir si une telle «union de calendrier» est désirable, mais sur quelle base elle peut être réalisée. Si l'on prend pour point de départ les trois calendriers ecclésiastiques réellement existants, on ne peut envisager que trois possibilités :
1) le calendrier julien allié au comput pascal alexandrin,
2) le calendrier néojulien allié au comput pascal alexandrin,
3) le calendrier grégorien avec le comput pascal grégorien.
Nous avons suffisamment parlé des aspects négatifs du calendrier grégorien aussi bien sur le plan canonique que sur le plan astronomique.
Pour ce qui est du calendrier néojulien, il est d'une inconséquence évidente car les fêtes fixes y sont célébrées d'après le calendrier grégorien alors que Pâque, les fêtes mobiles et les semaines qui en dépendent sont instituées d'après le comput alexandrin. Si on adopte ce calendrier mixte, on violera immanquablement les règles de l'Eglise sur la célébration des fêtes et les carêmes, instaurées par le Statut de l'Eglise appelé Typicon. «Le Typicon n'est autre chose que la voix de notre Mère l'Eglise. Si nous désirons rester fidèles et dévoués à la Sainte Eglise et à ses normes orthodoxes, nous n'avons pas le droit de dédaigner cette voix, nous lui devons une obéissance éternelle et inconditionnelle» (Métropolite Séraphim Loukianov (+ 1959), Actes de l'Assemblée des chefs et représentants des Eglises orthodoxes autocéphales... vol. 2, Moscou, 1952, p. 311). Voilà pourquoi le calendrier néojulien ne peut être considéré comme un calendrier indépendant mais comme une variante du calendrier grégorien.
Parlons maintenant des projets d'un nouveau calendrier ecclésiastique, qui ont pour objectif central la recherche d'une entente concernant la date de la célébration de Pâque. Au cours des travaux préparatoires au Concile des Eglises orthodoxes, qui ont lieu depuis 1961, les deux projets suivants ont été avancés : 1) célébrer Pâque un jour fixe du calendrier grégorien ; 2) célébrer Pâque conformément aux règles instaurées par le Concile de Nicée, mais d'après le calendrier grégorien, en donnant aux notions d'«équinoxe» et de «pleine Lune» leur sens astronomique littéral.
Le premier de ces projets, qui ne tient absolument pas compte de la tradition de Nicée ni de la Tradition de l'Eglise dans son ensemble, fut curieusement soutenu par l'Eglise catholique au concile de Vatican II en décembre 1963.
Le second projet, soutenu par le Centre du Patriarcat de Constantinople, qui semble, à première vue, suivre les formes des décisions de Nicée sur la fête de Pâque, est substantiellement en contradiction avec elles. Pour sauver la «précision astronomique» prise à la lettre, ce qui ne pouvait pas être le souci des Pères du Concile de Nicée (leur but étant de créer un système organique pour le calcul de Pâque et non un mécanisme artificiel d'adaptation sporadique à l'astronomie), les auteurs du projet sont prêts à sacrifier le calendrier julien et le comput alexandrin qui constituent, dans leur union, la «Grande Indiction» des Byzantins ou le «Cercle cosmogonique» des Russes, un instrument d'une harmonie, d'une grâce et d'une simplicité inégalées. Autrement dit, le Patriarcat de Constantinople veut, vraisemblablement, faire appliquer définitivement la résolution adoptée par l'Assemblée de Constantinople de 1923, en l'absence de nombreuses Eglises orthodoxes, sur le passage de l'Eglise de Constantinople au calendrier néojulien, accompagné de la condition, non appliquée alors, de la définition astronomique de l'équinoxe et de la pleine Lune pour le méridien de Jérusalem. Si le futur Concile des Eglises orthodoxes acceptait cette décision, cela équivaudrait au passage des Eglises orthodoxes à une des variantes du calendrier grégorien sous une forme modernisée ; autrement dit, à une «union de calendrier». Les partisans de la réforme du calendrier ne peuvent rien avancer d'autre que les propositions inacceptables de l'Assemblée de Constantinople de 1923.
Pourquoi, cependant, les Eglises chrétiennes doivent-elles s'unir sur la base du calendrier grégorien imparfait et de ses modifications et non sur la base du calendrier julien et du comput pascal alexandrin qui fut leur ciment pendant un millénaire, depuis l'époque de Denys le Petit (sixième siècle), le fondateur de la chronologie chrétienne, jusqu'à la réforme grégorienne de 1582 ?
L'expérience chrétienne de près de deux millénaires est là pour confirmer la justesse des computations pascales d'Alexandrie. S'il est donné un jour aux Eglises chrétiennes de s'unir, cette union, au niveau du calendrier ecclésiastique liturgique, doit s'appuyer sur un fondement solide, inébranlable. Seul le système liturgique sacral du Grand Cercle cosmogonique, cette oeuvre de génie, fruit du travail commun de nombreux serviteurs fidèles de la foi et de la science restés anonymes, peut en constituer le fondement.
A.N. Zélinski
LE TEMPS SANCTIFIE
Calendrier et comput ecclésiastique
Le Grand cercle cosmogonique et le comput pascal perpétuel de l'Eglise Orthodoxe, comparé aux computs pascaux catholique et juif,
suivi d'un calendrier abrégé des saints.
Sous ce titre, Lecture Orthodoxe donne, à la suite de l'article que nous venons de citer, une intéressante représentation du «Grand Cercle» ayant, en son centre, la Face du Seigneur. «Horloge liturgique perpétuelle des vies tournées vers Dieu», le Grand Cercle renferme «des données chrono-astronomiques sur le mouvement du système Soleil-Terre-Lune sur la route zodiacale de l'Univers ; le comput pascal orthodoxe, vieux de plus d'un millénaire et demi ; le calendrier des saints, qui est un lien entre le présent et l'éternité». Il servira jusqu'au jour où «il n'y aura plus de temps» selon les mots de saint Jean (Ap. 10, 6).
Suivent plusieurs définitions relatives à l'année liturgique et à la façon de calculer la date des fêtes mobiles. Pâque peut occuper 35 positions dans l'année. L'année julienne de mars, ou année pascale, commence le 1er mars et s'achève le 28 février -le jour ajouté des années bissextiles allonge, en fait, et logiquement, le dernier mois. L'auteur définit tous les concepts calendériques indispensables : lettres dominicales, épacte, indiction, cycle pascal, cercle de précession... et montre la régularité commode du calendrier julien.
Puis vient l'article suivant, que nous reproduisons également :
L' ENSEIGNEMENT DE L'EGLISE ORTHODOXE
sur la Sainte Tradition, le comput pascal
et le calendrier ecclésiastique
O Timothée, garde le dépôt qui t'a été confié, évitant les discours vains et profanes, et les contradictions d'une science faussement ainsi nommée ; quelques uns, pour en avoir fait profession, se sont détournés de la foi (1 Tim. 6, 20-21).
Sixième Concile Oecuménique (680), Actes, 8 : «Trois fois anathème à toute novation et action contre la Tradition de l'Eglise, l'enseignement et les règles des saints Pères de l'Eglise dont nous vénérons la mémoire».
Septième Concile Oecuménique (787), Actes : «Anathème à tout ce que nous instituons, avons institué ou instituerons à l'avenir contre la Tradition de l'Eglise, l'enseignement et les recommandations des saints Pères d'éternelle mémoire».
Concile local de Gangre (340), Règle 21 : «Ecartant de l'Eglise ceux qui y apportent des novations, ... souhaitons que l'Eglise conserve tout ce qui nous vient des Saintes Ecritures et de la Tradition des Apôtres».
Interprétation de cette règle par l'évêque Nicodème de Dalmatie et d'Istria (+1915) : «Les Pères de ce Concile ont statué qu'il était nécessaire de protéger l'Eglise de toute innovation et d'oeuvrer à ce que tout ce qui a été prescrit par les Saintes Ecritures et la Tradition apostolique reste sacré et inébranlable, sans quoi la voie serait ouverte à toute sorte d'associations religieuses qui n'ont pas droit au nom d'Eglise».
Encyclique des quatre Patriarches d'Orient (1848)5 : «La foi a reçu ses origines non de l'homme ni à travers l'homme, mais par la révélation de Jésus Christ ; elle a été enseignée par les Apôtres de Dieu, confirmée par les Saints Conciles Oecuméniques, transmise par l'héritage des grands docteurs et maîtres de l'univers et arrosée du sang des martyrs. Restons donc fidèles à l'enseignement qui nous a été transmis en toute pureté par ces hommes, réfutant toute innovation comme suggestion du diable... Celui qui oserait s'élever contre cet enseignement par l'acte, les conseils ou la pensée, renierait par cela même la foi du Christ, et se soumettrait volontairement à l'anathème éternel pour avoir blasphémé contre le Saint Esprit, mettant en doute la perfection de Sa parole dans les Saintes Ecritures et les Conciles Oecuméniques. Ainsi donc : à tout novateur, hérétique ou schismatique, s'étant volontairement revêtu de malédiction comme d'un habit (Ps. 108, 18), qu'il soit pape ou patriarche, ecclésiastique ou laïc, ou même un ange du ciel -anathème !... Ce terrible anathème, ce n'est pas nous qui le proclamons, il a été proclamé bien avant nous par notre Sauveur (Matt. 12, 32), par saint Paul dans son Epître aux Galates (1, 6). Il a été lancé aussi par les sept Conciles Oecuméniques et par le grand choeur des Pères de l'Eglise» (signé par les Patriarches Anthémios de Constantinople, Hiérothée d'Alexandrie, Méthode d'Antioche et Cyrille de Jérusalem et les membres de leurs Synodes).
Le Bienheureux Séraphim de Sarov (+ 1833) a dit : «Tout ce que la Sainte Eglise a adopté et chéri doit être aimable au coeur du chrétien. Observe tout ce que l'Eglise a prescrit aux sept Conciles Oecuméniques. Malheur à celui qui y ajoutera ou en ôtera un seul mot».
L'archevêque Nicon de Vologda (+ 1917) : «Ces derniers temps, les innovations de toute sorte sont devenues une véritable mode. Nous philosophons trop et nous avons commencé à appliquer nos ratiocinations à l'Eglise elle-même, oubliant que son Royaume n'est pas de ce monde, comme le dit Jésus à Pilate, que ses principes sont immuables, que les ébranler est criminel, qu'ils sont éternels comme l'Eglise elle-même et que celui qui les aura reniés aura par cela même quitté l'Eglise et cessé d'être chrétien... Voilà ce que devraient craindre tous nos 'accusateurs', tous les 'vivificateurs' et les 'réformateurs' de la vie de l'Eglise, s'ils désirent rester des enfants fidèles de l'Eglise Orthodoxe. S'ils sont ses fils, ils lui doivent avant tout une obéissance filiale, sans quoi ce ne sont que des usurpateurs capables de provoquer un schisme au sein de l'Eglise».
Nicodème, évêque de Dalmatie : «La violation de l'ancienne législation ou même d'une seule de ses règles prive l'Eglise locale de la grâce de Dieu et la transforme en société schismatique».
Saint Jean Chrysostome (407) : «Si nous possédons la Tradition de l'Eglise, il ne faut rien chercher d'autre».
Le Nomocanon grec : «Là où les canons ou lois écrites sont absents, c'est la tradition mise à l'épreuve par le temps qui a force de canon ou de loi si elle n'est pas en contradiction avec eux».
Syntagme, recueil canonique du quatorzième siècle du hiéromoine Matthieu Vlastar : «Pour fixer correctement la date de célébration de Pâque, il faut observer quatre conditions : 1. Que cette fête tombe après l'équinoxe de printemps. 2. Après la pleine Lune qui suit l'équinoxe. 3. Le premier dimanche après la pleine Lune. 4. Que cette fête ne coïncide pas avec la Pâque juive».
Septième règle des saints Apôtres : «Si un évêque ou un prêtre ou un diacre célèbre la sainte fête de Pâque avant l'équinoxe de printemps avec les Juifs, il sera chassé du clergé».
Décision conciliaire prise à Constantinople sous le Patriarche Jérémie II (1583) : «Comme l'Eglise de l'ancienne Rome, semblant se réjouir de la vanité de ses astronomes, a de nouveau modifié inconsidérément les merveilleuses décisions sur la célébration de la Sainte Pâque, fêtée comme il se doit par les chrétiens de la terre entière, et que c'est une nouvelle source de tentations... nous nous devons de confirmer les règles établies par les Pères de l'Eglise. Après en avoir délibéré avec le Bienheureux Patriarche d'Alexandrie et le Bienheureux Patriarche de Jérusalem et les autres membres du synode en l'Esprit Saint, notre assemblée définit et explique les décisions des Pères de l'Eglise. Qui ne suit pas les traditions de l'Eglise et les décisions des sept Conciles Oecuméniques sur la Sainte Pâque et le calendrier des saints, comme l'exige la règle, mais préfère adopter le comput ecclésiastique pascal et le calendrier des saints grégoriens, s'oppose, aux côtés des astronomes impies, à toutes les décisions des Conciles Oecuméniques et a choisi de les modifier, est frappé d'anathème et excommunié de l'Eglise du Christ et de l'assemblée des fidèles. Quant à vous, chrétiens orthodoxes pieux, restez fidèles à ce qu'on vous a enseigné, à la foi de votre naissance et de votre éducation et, si la nécessité s'en présente, versez votre sang pour préserver la foi et la confession de vos pères. Soyez vigilants et préservez-vous de ceux-là, et que le Seigneur Jésus Christ vous aide. Les prières de notre assemblée vous accompagnent. Amen». (Le Patriarche de Constantinople Jérémie II. Le Patriarche d'Alexandrie Sylvestre. Le Patriarche de Jérusalem Sophronius. Les archevêques présents à l'Assemblée du 20 novembre 1583).
Notre calendrier orthodoxe, indépendamment du calcul de la date de Pâque, est, pour nous, orthodoxes, d'usage obligatoire, comme toutes les anciennes traditions de l'Eglise, en tant que calendrier utilisé dès les origines du christianisme.
Le Patriarche Oecuménique Joachim III (+1904) : «Un des traits essentiels de l'orthodoxie, qui est à la base de toute sa structure et de son système canonique, est l'interdiction d'enfreindre les définitions immuables établies par les Pères de l'Eglise. Cette position seule peut refouler les forces et aspirations modernes qui sont, comme le dit l'apôtre, le fruit de la sagesse terrestre, charnelle et démoniaque. Car comment ce qui fut pendant tant de siècles plein d'ordre et d'harmonie peut-il perdre sa puissance et son caractère sacré pour le reste des jours ?»
Le Concile de l'Eglise russe de 1917-1918, conscient du danger de tout rapprochement avec le style grégorien et donnant sa préférence au calendrier julien, rejeta résolument le nouveau style et stipula de conserver l'ancien style pour les calculs ecclésiastiques.
Les quatre conciles des archiprêtres orthodoxes de l'Eglise russe hors-frontières de 1923, 1924, 1926 et 1931 décrétèrent de refuser le nouveau style car les interdits proclamés contre ce style par les Patriarches orientaux en 1583 et 1756 n'étaient ni levés ni résolus par aucun concile.
Le professeur V.V. Bolotov : «Je reste toujours l'adepte le plus résolu de l'ancien style. Son infinie simplicité constitue son avantage scientifique vis-à-vis de tous les calendriers corrigés. J'estime que la Russie a une mission culturelle, celle de maintenir pendant quelques siècles encore le calendrier julien dans la pratique de l'Eglise pour faciliter aux peuples occidentaux leur retour, de la réforme grégorienne inutile à l'ancien style inaltéré».
Aujourd'hui nous devons définir la vérité catholique non pas par la conscience universelle de l'Eglise, qui actuellement nous fait défaut, mais par la tradition de l'Eglise universelle en accord avec l'Eglise des premiers siècles, époque où il n'y avait aucune divergence à propos de la question si aiguë aujourd'hui du calendrier ecclésiastique ; bien au contraire, l'entente était parfaite et confirmée plus d'une fois à des assemblées locales et des synodes régionaux... C'est la Tradition qui doit aujourd'hui nous permettre de déterminer où sont les fils de l'Eglise et les schismatiques. Saint Maxime le Confesseur a dit à ce sujet : «Le Christ a donné le nom d'Eglise universelle à la confession de foi juste et salutaire». La fidélité à la Sainte Tradition est un signe d'Orthodoxie, dit le Patriarche Joachim III... Conclusion : 1. La question du calendrier ecclésiastique est une question canonique qui touche à la confession de foi. 2. L'ancien calendrier ecclésiastique (par son application) et julien (par son origine) est canoniquement obligatoire, surtout pour ce qui touche au comput pascal et à l'ordonnance liturgique (l'«Oustav»). 3. Inversement, le nouveau calendrier grégorien, qui conduit immanquablement à la désorganisation de l'ordre pascal et liturgique, est canoniquement interdit, aussi bien en vertu des règles canoniques générales qui exigent l'observance de la Tradition de l'Eglise au risque de malédiction pour sa violation, qu'en vertu de l'ordonnance conciliaire sur cette question, [prise] sous le Patriarche Jérémie...
Lettre ouverte à tous les enfants de l'Eglise du Christ, fidèles au calendrier orthodoxe et à la Tradition de la Sainte Eglise universelle (1929) de la part d'Innocent, archevêque de Pékin (+ 1931) :
«Nous avons reçu de tristes nouvelles sur les cruelles persécutions dont souffrent les fils de la Sainte Eglise Orthodoxe de la part de faux frères qui, protégés par le pouvoir laïc, osent violer les lois divines et les persifler. Se faisant passer pour des sages et des civilisateurs, ces loups vêtus de peaux d'agneaux, défiant la colère de Dieu, ont entrepris de corriger les lois de l'Eglise du Christ ; aveuglés par l'encensement du monde d'ici-bas, ils se croient supérieurs aux Apôtres et aux Saints Pères de l'Eglise par la bouche desquels parla Notre Seigneur Lui-même...
«Ils affirment que notre calendrier orthodoxe s'est sensiblement écarté de la vérité astronomique et qu'il est donc temps d'adopter le calendrier grégorien, reconnu juste par les savants et adopté par le monde impie tout entier... Cependant ils ne peuvent pas le prouver... Les affirmations des partisans du nouveau style selon lesquelles l'adoption du calendrier grégorien a été causée par la nécessité de corriger le calendrier julien sont sans fondement. C'est la volonté de rompre définitivement avec l'Orient Orthodoxe de la part des jésuites, devenus fort influents dans le monde catholique à la fin du XVIème siècle, qui fut la cause de cette adoption. Les jésuites voulaient que les mêmes fêtes fussent célébrées à des moments différents. Les autres arguments, moins importants, cités par les partisans du nouveau style en faveur du calendrier grégorien sont tous aussi mal fondés et aussi peu persuasifs que les arguments principaux. Cependant leur erreur la plus grave est qu'il considèrent notre calendrier orthodoxe et notre comput pascal comme solaires et non lunaires, soit qu'ils ne sachent pas, soit qu'ils cachent consciemment le fait que notre calendrier orthodoxe se fonde sur le calendrier lunaire. Nous autres, orthodoxes, nous ne célébrons Pâque ni d'après le calendrier grégorien ni d'après le calendrier julien mais d'après le calendrier biblique, celui-là même dont usait l'Israël de l'Ancien Testament, fidèle au commandement de Dieu, transmis par Moïse, pour fêter sa Pâque.
«Gardant en mémoire les paroles du Sauveur : Jusqu'à ce que le ciel et la terre aient passé, il ne tombera de la Loi ni un iota ni un trait de lettre avant que toutes choses ne soient accomplies (Matt. 5, 18), l'Eglise Néo-testamentaire, l'Eglise Orthodoxe préserve pieusement la tradition de fêter Pâque d'après le calendrier lunaire. Comment Notre Seigneur Jésus Christ a-t-il vécu sur terre ? Il a vécu d'après l'ancien calendrier biblique, le calendrier lunaire. Avec l'Israël de l'Ancien Testament, Il est venu à Jérusalem pour célébrer la Pâque à la pleine Lune du mois de Nisan, le premier mois de l'année juive. C'est alors qu'Il fut trahi, jugé, crucifié et ressuscita d'entre les morts.
«L'année de la mort du Sauveur sur la Croix, la Pâque juive tombait un vendredi et un samedi. Le vendredi 14 du mois de Nisan (alors, comme aujourd'hui, d'après la computation ecclésiastique, la Pâque commençait la veille au soir, c'est-à-dire jeudi), le Seigneur fut crucifié ; le samedi 15 du mois de Nisan, Il resta en paix dans la grotte qui fut son tombeau et, à l'aube du premier jour de la semaine, le dimanche 16 du mois de Nisan, il ressuscita. On voit que la mort et la résurrection du Sauveur sont indissolublement liées à la Pâque juive et doivent la suivre. Voilà pourquoi la coutume s'établit, dès le premier siècle de l'ère chrétienne, de fêter la Sainte Pâque de la Croix, Jeudi, Vendredi et Samedi Saint, après la Pâque juive. Après la Pâque de la Croix, on célébrait la Pâque de la Joie, ce que fait la Sainte Eglise jusqu'à ce jour. Pour perpétuer cet ordre des choses et conserver ce lien à jamais, les Saints Apôtres décrétèrent de célébrer la Sainte Pâque après la Pâque juive, après l'équinoxe de printemps. Comme l'équinoxe a lieu en septembre et en mars et que, depuis les temps les plus éloignés, l'année commençait soit en septembre, soit en mars, Pâque, célébrée après l'équinoxe, ne tombait jamais à la fin de l'année, mais toujours au début. La Sainte Eglise ne s'est jamais écartée de cette règle ; les seules controverses qu'il y avait parfois concernaient la question de savoir si l'on pouvait célébrer la Pâque de la Croix en même temps que la Pâque juive. C'est pour trancher cette question que le Concile d'Antioche établit la première règle sur le moment de la célébration de Pâque : cette règle confirmait l'immuabilité des règles apostoliques. Ensuite, au quatrième siècle, on créa le comput pascal orthodoxe. Il fut établi par la plus savante des Eglises anciennes, celle d'Alexandrie, en comparaison de laquelle les réformateurs catholiques du seizième siècle n'étaient que d'insolents ignorants qui dénaturèrent son oeuvre parfaite.
«Le comput pascal poursuivait un seul objectif : que Pâque soit fêtée partout le même jour et que soit respectée strictement la règle des Apôtres de ne pas célébrer Pâque avant la Pâque juive ou en même temps qu'elle. Les créateurs du comput pascal savaient parfaitement que le calendrier julien, qu'ils avaient fait accorder avec le calendrier lunaire juif, n'était pas précis, mais ils savaient également que le calendrier lunaire n'était pas plus précis non plus et que l'erreur du calendrier julien corrigeait si parfaitement l'erreur du calendrier lunaire que l'erreur de notre comput pascal, d'après le témoignage de l'astronome Predtetchenko, si l'on en juge d'après les tables des lunaisons, n'excédait pas trois heures en 1900 ans...
«D'ailleurs, chaque orthodoxe peut facilement déterminer le jour de Pâque sans user d'aucun calcul spécial : il lui suffit d'observer la direction des ombres au lever du soleil et de marquer le jour où les ombres seront dirigées droit vers l'ouest. Ce sera le jour de l'équinoxe. Ensuite, il doit observer la Lune et marquer le jour où la Lune se lèvera à l'est au moment du coucher du soleil et se couchera au moment de son lever. Ce jour-là, la Lune sera pleine et luira toute la nuit : ce sera le jour de la pleine Lune, le jour de la Pâque juive. Le jeudi qui suivra la pleine Lune marquera le commencement de la Pâque de la Croix chrétienne et le dimanche suivant sera le Dimanche de Pâque. Il faut cependant se rappeler que la pleine Lune n'est considérée comme pascale que si elle a lieu dix jours au moins après l'équinoxe, c'est-à-dire pas avant le 18 mars. La date de Pâque tombera donc au plus tôt le 22 mars, après la pleine Lune du mercredi 18 mars, avec le Jeudi Saint le 19 mars. Si la pleine Lune a lieu avant le 18 mars, Pâque est reportée au mois d'avril : c'est le 18 avril qui est alors considéré comme la pleine Lune pascale et la date de la Pâque juive. Si ce jour tombe un dimanche, la Pâque de la Croix commencera le jeudi 22 avril et le Dimanche de Pâque aura lieu le 25 avril, la date limite de Pâque. On voit que chacun peut toujours déterminer sans calendrier et sans user du comput pascal la date exacte de la Pâque orthodoxe. C'est donc la conscience tranquille que nous pouvons nous en tenir à notre calendrier orthodoxe et à notre comput pascal ; en leur restant fidèles, nous ne fêterons jamais Pâque avant les Juifs ou avec eux et nous ne pécherons jamais contre les Saintes Règles apostoliques.
«Strictement parlant, notre calendrier orthodoxe ne se fonde ni sur le calendrier julien ni même sur le calendrier lunaire, mais sur le décompte hebdomadaire du temps, ce qui transparaît avec évidence dans nos livres liturgiques où le temps est compté par semaines. Depuis la création du monde, nous terminons nos travaux le sixième jour et nous consacrons le septième jour à Dieu... Cependant, convaincre les partisans obstinés du nouveau style est chose vaine. Même si nous citions des arguments encore plus probants contre leur réforme, ils ne prêteraient pas l'oreille aux paroles de vérité. Il ne peut en être autrement car leur amour de l'Eglise et leur souci de son bien ne sont qu'un masque. En réalité, ils poursuivent des buts tout à fait différents, des buts fort éloignés des soucis religieux, et accomplissent la volonté de ceux qui sapent depuis de nombreux siècles les fondements de l'Eglise du Christ. Ce qui est important pour eux, ce n'est pas introduire le calendrier grégorien, mais abolir notre calendrier orthodoxe et par cela même semer la discorde parmi les croyants, provoquer le schisme et éteindre la flamme de l'amour fraternel entre les membres de l'Eglise. Ils ont levé la main sur les usages de notre Eglise qui nous ont été légués par nos Pères et sont sanctifiés par le temps, car les serviteurs du prince de ce monde savent bien que notre Eglise Orthodoxe puise justement sa force dans cette Tradition. Ils savent parfaitement que les canons divins sont sacrés et pleins de sagesse et qu'ils protègent la Sainte Eglise, comme un mur infranchissable, contre l'esprit corrompu du monde d'ici-bas, contre ceux qui portent le sceau de l'Antichrist ; de là tous leurs efforts pour supprimer les canons, car cela laisserait la Sainte Eglise sans gouvernail et en ferait le jeu des vents de ce monde. Les ennemis du Christ ont infatigablement, obstinément oeuvré pour saper les fondements de Sa Sainte Eglise afin de bâtir à sa place une autre église, le temple de l'humanité élevée au rang de Dieu, un temple en maçonnerie, le temple de Satan. Que personne ne s'imagine que nous luttons pour le temps, les mois et les jours et que nous souffrons les persécutions pour les pleines Lunes et les équinoxes. Nous sommes fidèles à la Sainte Eglise, nous la défendons des puissances infernales qui s'élèvent contre Elle. Les ennemis du Christ savent quelle énorme importance ont pour la vie de la nation et de l'Eglise les fêtes et les carêmes fixés au même moment obligatoire pour tous, ils savent que c'est le plus fort des ciments de la nation, de l'Etat, et surtout de l'Eglise.
«Qu'on ne vienne pas nous flatter en affirmant que nous faisons la guerre à des moulins à vent ! Non. Notre Seigneur nous a fait l'honneur de nous charger de défendre son Nom.
«Gloire et louange à ceux qui ont souffert de persécutions et de privations ! Gloire éternelle à ceux que le Seigneur a honorés de la palme du martyre !
«Rien n'est de peu de valeur, de peu d'importance dans l'Eglise du Christ, car l'Esprit de Dieu souffle dans chacun des usages et anime l'Eglise. Celui qui ose s'élever contre les coutumes et les règles de l'Eglise, fondées sur les Ecritures Saintes et la Sainte Tradition, s'élève contre l'Esprit de Dieu et montre à tous ceux qui ont des yeux pour voir quel est l'esprit qui l'anime. Il est digne et juste que la Sainte Eglise frappe ces gens-là d'anathème.
«Je prie le Seigneur qu'Il donne des forces aux faibles, qu'Il convertisse les égarés et qu'Il apaise Ses fidèles de Sa paix, non pas de la paix d'ici-bas, mais de celle d'En-haut !»
(Cité d'après : L'enseignement de l'Eglise Orthodoxe sur la Sainte Tradition et son attitude envers le nouveau style. Rédigé par les zélateurs de la piété orthodoxe de l'Athos. Tchécoslovaquie, Vladimirova, 1934).
LE TEMPS LITURGIQUE ET LE CALENDRIER
Nous publions ci-dessous un extrait d'un nouveau journal Lecture orthodoxe, publié par le Patriarcat de Moscou. Ce nouveau journal montre une différence de ton avec le Journal du Patriarcat de Moscou, plus «politique», plus «officiel». Lecture orthodoxe traite généralement de thèmes de spiritualité et d'histoire de l'Eglise russe.
Récemment, ce journal a publié un excellent numéro sur le temps liturgique et la culture chrétienne que nous reproduisons ici pour nos lecteurs parce qu'il donne des idées justes sur la question du calendrier ecclésiastique et qu'il montre le désaccord profond qui existe sur la question du calendrier liturgique entre l'Eglise de Moscou et le Patriarcat de Constantinople.
On remarquera que ce texte condamne la rupture de l'unité liturgique introduite par le changement de calendrier dans les Eglises grecques modernistes, et considère que l'adoption du calendrier grégorien -ou du calendrier julien rectifié- est contraire aux règles établies par le Premier Concile Oecuménique de Nicée sur la Pâque. Certes, nous sommes conscients des aspects ambigus du présent texte, qui maintient l'idée d'un dialogue oecuménique qui aboutirait à une union des Eglises adoptant le calendrier julien. Malheureusement le nouveau patriarche soviétique, habitué du Conseil Oecuménique des Eglises, veut maintenir la ligne oecuméniste imposée à son prédécesseur après la guerre par Staline et son régime. Dans un tel contexte, l'Eglise soviétique ira nécessairement de concession en concession, sans espoir de retour à la tradition orthodoxe.
Il est intéressant de noter qu'une telle politique provoquera certainement tôt ou tard des tensions en Russie, car il y aura toujours un certain nombre de fidèles pour considérer que l'engagement de l'Eglise russe dans le Conseil Oecuménique des Eglises a été la conséquence de l'introduction du régime communiste dans l'Eglise -à cette époque, Staline redoutait que le C.O.E. condamne le communisme : l'entrée de l'Eglise soviétique dans le C.O.E. a été une maneuvre visant à empêcher une telle condamnation.
Quoi qu'il en soit, même si, malheureusement, le Patriarcat de Moscou s'accommode très bien aujourd'hui de l'éloignement de plus en plus grand vis à vis de la Tradition orthodoxe qui règne dans la plupart des Eglises autocéphales, les faits qui sont cités dans cet article viennent clairement confirmer la confession de foi de ceux qui ne s'en accommodent pas : les zélotes qui, dans le monde entier, refusent les aménagements liturgiques, canoniques et dogmatiques du Patriarcat de Constantinople. Donnons-en un exemple : ce texte fait allusion au Concile pan-orthodoxe de 1583 qui condamne l'adoption du calendrier grégorien. Si un concile pan-orthodoxe a pris cette décision, rien n'autorise à lui en préférer une autre et ceux qui ont agi sans tenir compte de cet interdit sont condamnés par le Concile de Constantinople de 1583 tenu sous Jérémie II. Telles étaient déjà les judicieuses remarques faites au Concile de Moscou de 1948 dans le rapport de l'archevêque Séraphim : «En tant qu'émanation du catholicisme et phénomène nuisible à l'Eglise, le nouveau style, à part les troubles, ne peut rien procurer à l'Eglise Orthodoxe. Il a été interprété de cette façon, dès son apparition, par ses premiers adversaires : le Patriarche de Constantinople Jérémie II et le concile local que ce dernier convoqua en 1583, à Constantinople. Le nouveau style demeure jusqu'à maintenant un élément de décomposition et de propagande catholique très funeste pour la vie des Eglises Orthodoxes. C'est pourquoi l'adoption du nouveau style à l'encontre de la volonté de notre Sainte Eglise, même sous forme de compromis, ne peut nous amener qu'à contribuer par nous-mêmes à provoquer des troubles et des désordres dans la vie de notre Eglise. Ce qui voudra dire que nous allons travailler de nos propres mains au dénigrement de l'autorité de la Sainte Eglise Orthodoxe.
«De sorte que, de même que nous nous engageons dans la voie du péché grave qui est la désobéissance à l'Eglise par l'adoption totale du nouveau style au mépris des règles canoniques, ainsi de même, nous nous engageons dans la même voie de désobéissance par l'adoption du nouveau style du calendrier mixte, en passant outre aux exigences du Typikon.
«On comprend alors pourquoi l'Eglise Orthodoxe s'est opposée aussi catégoriquement et avec tant de zèle, dès le début de la réforme du calendrier et jusqu'à ces derniers temps, à cette innovation allant à l'encontre des prescriptions de l'Eglise. Lorsque le pape Grégoire XIII introduisit le nouveau style, la même année 1582, le Patriarche Oecuménique, Jérémie II, et son Synode condamnèrent aussitôt le nouveau calendrier romain comme étant contraire à la tradition de l'Eglise orthodoxe. L'année suivante, en 1583, le Patriarche Jérémie, avec le concours du Patriarche d'Alexandrie, Sylvestre, et de celui de Jérusalem, Sophronios VI, convoqua un Concile qui condamna l'introduction du calendrier grégorien dans l'Eglise Romaine, comme étant contraire aux canons de toute l'Eglise Universelle et comme transgressant la décision du Premier Concile Oecuménique, concernant l'ordre de la détermination de la date de Pâque. Ce Concile par sa Décision sigillée du 20 novembre 1583 invite les orthodoxes à s'en tenir fermement et sans fléchir, même jusqu'à l'effusion de sang, au calendrier orthodoxe et au Canon pascal julien, en excommuniant tous les transgresseurs de cette décision. Le Concile de Constantinople informa de cette décision toutes les Eglises d'Orient, le Métropolite de Moscou, Denis, l'Eglise des îles Ioniennes, l'illustre défenseur de l'orthodoxie dans la Russie Occidentale, le prince Constantin d'Ostroje, le doge de Venise, N. Daponte et le pape Grégoire XIII, responsable des troubles survenus dans l'Eglise. A partir de ce moment, et à travers les siècles, les Patriarches Oecuméniques et avec eux toute l'Eglise Universelle gardaient toujours une attitude négative à l'égard de l'introduction du nouveau style. Par exemple, le Patriarche de Constantinople, Callinikos XI, avec le Patriarche d'Antioche, Athanase (1686-1728) affirmaient que la célébration des Pâques simultanément avec les catholiques, au mépris des règles de l'Eglise Orthodoxe concernant les jeûnes, ainsi que l'usage des règlements de l'Eglise Romaine, sont une trahison à l'égard de l'orthodoxie et un écart loin des préceptes patristiques, bref, sont funestes pour les fidèles de l'Eglise Orthodoxe. C'est pourquoi, chaque chrétien est obligé de célébrer Pâque et les jours fériés qui en dépendent, de même que les autres temps ecclésiastiques, en se conformant à la pratique de l'Orient Orthodoxe, et non à celle de l'Occident hétérodoxe, qui nous est étranger dans le domaine de la foi.
«Le Patriarche Oecuménique Cyrille V, dans sa Lettre encyclique de 1756, anathématise dans cette vie et dans l'autre, tous les chrétiens ayant adopté le nouveau style.
«Afin de mettre en garde les orthodoxes contre l'adoption du nouveau style, en tant que péché très grave, le Patriarche Oecuménique Anthime VI, en accord avec les autres Patriarches d'Orient, Hiérothée d'Alexandrie, Méthode d'Antioche et Cyrille de Jérusalem, avec leurs Synodes respectifs, dans leur Lettre encyclique rédigée au nom de l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, en 1848, exprimèrent leur profession de foi dans les termes suivants : «Jamais ni les Patriarches, ni les Conciles de chez nous n'avaient le droit de faire une innovation quelconque, car c'est le corps même de l'Eglise, c'est-à-dire le peuple, qui est chez nous le gardien de la piété et qui désire toujours garder sa foi intacte et identique à celle de ses ancêtres... Gardons la confession que nous avons reçue de tels hommes -les Pères de l'Eglise ; évitons toute innovation, comme étant une suggestion diabolique, car quiconque oserait s'élever contre cet enseignement en action, en parole ou en pensée, aurait déjà renié par là-même la foi du Christ et se serait attiré l'anathème éternel pour son blasphème contre le Saint-Esprit qu'il accuserait de n'avoir pas parlé d'une façon parfaite dans les Saintes Ecritures et les Conciles Oecuméniques. Ainsi donc, à tous les innovateurs, hérétiques ou schismatiques, qui se sont volontairement revêtus de malédictions comme d'un habit (Ps. 109, 18), fussent-ils papes ou patriarches, fussent-ils laïcs, fussent-ils même ange du ciel -anathème».
«En 1902-1904, sur l'initiative de l'illustre Patriarche de Constantinople, Joachim III, les Eglises Autocéphales de Constantinople, de Jérusalem, d'Hellade, de Russie, de Serbie, de Roumanie et du Monténégro, se sont prononcées, en la personne de leurs représentants, contre la réforme du calendrier, opérée par le pape Grégoire XIII.
«C'est dans le même sens que s'est prononcé le Concile local de l'Eglise Russe, tenu en 1917-1918, qui a prescrit de s'en tenir strictement à l'ancien style pour le calcul du temps que l'on opère pour établir le calendrier ecclésiastique». (Actes de la Conférence des Eglises Autocéphales Orthodoxes, 8-18 juillet 1948, vol. 2, Moscou 1952, p. 320-323).
Puissent les orthodoxes ne pas mépriser aujourd'hui leur propre tradition canonique et synodale dont le Concile de 1583 fait indéniablement partie.
LE TEMPS LITURGIQUE
et la culture chrétienne
Celui qui, une fois la vérité trouvée, cherche à découvrir encore quelque chose, recherche le mensonge. Actes du Septième Concile Oecuménique.
La sanctification liturgique du temps est à la base de toute culture, car elle donne un sens suprême à l'activité humaine. Le mot «Liturgie» vient des mots grecs : leitos -public- et ergon -service, action. Traduit littéralement, le mot liturgie (leitourgia) signifie service public. Dans toute culture traditionnelle, la conscience collective de ses porteurs est organisée sur le plan liturgique autour du culte. Ainsi, la culture est liée à la notion du «culte» non pas simplement étymologiquement, mais aussi substantiellement. C'est au culte qu'est indissolublement lié le temps liturgique de la culture, incarné dans l'office liturgique et dans le calendrier liturgique.
L'«année de la nature» ou «année cosmique», qui se compose d'environ 365,25 jours -la période du retour du Soleil vers les points des équinoxes et des solstices- marque le rythme planétaire auquel est soumise la vie de toute la biosphère et des communautés humaines. Mais l'«année de la nature» ne donne pas de réponse à l'homme quant au sens de sa propre existence. Cette réponse est donnée à l'homme par la religion et la culture qu'elle a engendrée. Ce sont elles qui organisent la conscience collective à l'aide du rythme qui leur est propre et que l'on appelle «année liturgique». L'«année liturgique» ou «année de culture» a toujours un début historique : en règle générale, c'est la date de naissance de la religion. Elle est enregistrée par la mémoire historique du peuple et est ensuite liturgiquement reproduite en tant qu'événement sacré central dans le cycle liturgique annuel. Pour le christianisme c'est la date de la Nativité du Christ : le début de la chronologie mondiale actuelle.
Pour mieux comprendre l'essence du temps liturgique chrétien, il faut revenir au moment initial de la religion chrétienne, marqué dans le temps historique. Conformément à l'Evangile, Jésus-Christ mourut sur la croix le vendredi 14 du mois de Nisan, le premier mois de printemps selon le calendrier lunaire, à la veille de la Pâque juive. Dans le ciel matinal de Jérusalem, on voyait encore les contours de la pleine lune quand, sur la colline appelée «Golgotha» (Calvaire) où, selon la tradition, avait été inhumé l'Adam de l'Ancien Testament, s'éleva vers le ciel une croix sur laquelle était crucifié le Fils de Dieu. Le monde vétérotestamentaire mourut avec la crucifixion de Jésus-Christ et l'humanité néotestamentaire -la chrétienté- naquit avec Sa Résurrection. La dernière nuit de sa vie terrestre, Jésus rassembla ses disciples. Or, tandis qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples en disant : «Prenez, mangez, ceci est Mon corps». Puis, prenant une coupe, il rendit grâces et la leur donna en disant : «Buvez-en tous ; car ceci est Mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance, qui va être répandu pour une multitude en rémission des péchés» (Matt. 26, 26-28). Et pendant chaque sacrifice eucharistique célébré depuis lors, voilà déjà presque deux millénaires, par l'Eglise chrétienne, quand le pain et le vin se changent toujours de nouveau en Corps et Sang du Seigneur, le temps vital, existentiel de l'existence humaine se transforme toujours de nouveau en temps sotériologique, en «temps du salut». «A cet instant, chaque communiant, écrivait N.V. Gogol, reçoit le Corps et le Sang du Seigneur et, en eux, reçoit un instant de rencontre avec Dieu en se présentant face à face devant Lui-même. Cet instant est hors du temps et ne se distingue en rien de l'éternité même, car Celui Qui est le début de l'éternité y est présent».
Tout le Nouveau Testament est pénétré de la sensation du temps sotériologique. Chez les trois premiers évangélistes (Matthieu, Marc et Luc), il s'exprime par la notion grecque de Kairos, terme qui, dans le contexte néotestamentaire, est rendu plus correctement par «temps bon» ou «temps bienfaisant». A l'opposé du Chronos dévorant de la tradition mythopoétique grecque ancienne, le Kairos est un temps qui a une valeur spirituelle impérissable ; c'est une nouvelle qualité du temps. Quand le Christ dit à ses disciples : «Mon temps est proche» (ho kairos mou eggus esti) (Matt. 26, 8), on entend dans ces paroles non seulement l'approche de la Crucifixion, mais aussi l'approche de l'entrée dans un temps qui commence à faire partie d'un point Divin hors du temps, de l'instant où est célébré le sacrifice eucharistique. Le temps de la liturgie fait revenir la conscience des fidèles vers le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, joint de nouveau les vieux morceaux d'un monde déchiré par le péché, y découvrant un sens durable nouveau et une perspective eschatologique. La conception vétérotestamentaire du temps, découlant de la sensation de l'«attente éternelle» du futur Messie, si développée dans le judaïsme ultérieur, cède la place à la conception néotestamentaire du temps, résultant de la sensation de l'accomplissement, en tant que réalité, de la venue du Messie en la personne de Jésus-Christ. On attend toujours la seconde venue du Messie et le Jugement dernier1, mais le «centre du temps» n'est plus dans «l'avenir attendu», mais dans le passé accompli. Le Verbe s'est fait chair (Jn 1, 14) et est entré dans l'Histoire au temps du roi Hérode (Matt. 2, 1). Il n'existe pas de conception judéo-chrétienne du temps, tout comme il n'existe pas de culture judéo-chrétienne. Au lieu de l'eschatologisme qui attend un Messie national, le christianisme a annoncé une perspective spirituelle néotestamentaire inverse -semblable à celle que nous voyons sur les icônes2- la perspective d'un Sauveur de l'humanité déjà venu une fois.
Conformément à la révélation chrétienne, au dogme chrétien et à l'expérience collective bimillénaire de toute la culture chrétienne, le véritable sens du temps et de la vie humaine s'est révélé au monde dans le phénomène de Jésus-Christ. Ce sens s'est incarné liturgiquement dans un système qui a donné à la nouvelle culture son «algorithme spirituel» unique en son genre, qui organise la conscience collective de ses porteurs. Cet «algorithme» est l'année liturgique dont la formation allait de pair avec le développement de la sotériologie, de l'ecclésiologie et du dogme chrétiens. Depuis les temps des apôtres, en élargissant le martyrologe des justes et des martyrs pour la foi, l'année liturgique se forma, à l'époque des Conciles Oecuméniques, en un système de calendrier liturgique chrétien, qui organise jusqu'à présent la conscience de millions de fidèles.
Ce calendrier a pour base l'«année liturgique» qui comprend l'ensemble des fêtes, des jeûnes, des jours de commémoration des saints et le cycle de Pâque en tant que pivot intérieur de toute la liturgie chrétienne.
Le rythme liturgique à trois cycles (quotidien, hebdomadaire et annuel) avec son point culminant dans la fête pascale de la Résurrection transforme la personnalité humaine et tout l'ordre de l'Univers, l'empêchant de se diviser en intervalles de temps absurdes n'ayant rien de commun entre eux.
Puisque l'auto-organisation de la culture va de pair avec la création du calendrier liturgique, tout changement dans ce calendrier témoigne du déclin de la culture traditionnelle et de la formation sur ses ruines d'une nouvelle tradition culturelle.
Le serment prêté par les pharaons égyptiens, lors de leur accession au trône, de ne pas changer le calendrier sacré avait non seulement un sens symbolique, mais aussi un sens historico-culturel et étatique tout à fait réel. L'une des premières tentatives de rompre avec cette tradition ancienne fut faite par le souverain hellénistique d'Egypte Ptolémée III Evergète en 238 av. J.C. Cette réforme devait devancer de deux siècles la célèbre réforme du calendrier de Jules César. Néanmoins, elle échoua, car la force des traditions était encore assez grande.
En 167 av. J.C., le souverain hellénistique de Syrie Antiochos IV Epiphane, ayant commencé la persécution des Juifs, pilla le temple de Jérusalem et interdit le calendrier vétérotestamentaire traditionnel. Ces actions provoquèrent la révolte connue des Macchabées, étouffée avec peine par Antiochos V.
Jules César fut tué deux ans après avoir procédé à la réforme du calendrier qui, selon l'observation de O. Spengler, fut «un acte d'émancipation à l'égard de la conception du monde antique». Il fallut plus de trois siècles pour que le calendrier julien acquît son nouveau sens sacral quand, uni au comput pascal alexandrin au Concile de Nicée en 325, il devint la base du calendrier liturgique de toute la chrétienté.
Une autre réforme du calendrier vaut la peine d'être mentionnée : la réforme faite à l'époque de la Révolution française. Elle supprima l'ère débutant par la «Naissance du Christ» et, en même temps, le calendrier liturgique avec le calendrier des saints. Ce fut une tentative de programmation nouvelle de la conscience collective de toute une nation et de rupture totale avec la tradition culturelle chrétienne millénaire. Ayant existé environ quatorze ans (1793-1806), le calendrier républicain fut supprimé par Napoléon et sa dernière récidive fut le calendrier de la Commune de Paris de 1871.
L'ordre nazi «SS» avait son propre calendrier ésotérique, de même que les francs-maçons avec leur fête principale : le jour du solstice d'été.
L'une des dernières réformes du calendrier fut celle de l'ancien shah d'Iran Muhammad Rizah Pahlavi. En 1976, il ordonna de changer l'ère d'Etat et de compter les années non pas à partir de la date musulmane traditionnelle de l'Hégire (622), mais à partir de l'ère de la fondation des shahs achéménides (550 avant Jésus-Christ). Après deux ans de troubles, l'ère précédente fut rétablie et le shah fut bientôt contraint de fuir, abandonnant le trône.
Tous ces exemples, qu'on pourrait encore multiplier, témoignent que le calendrier est toujours le gardien de la mémoire collective du peuple, de sa culture, l'organisateur de sa conscience collective. Le changement du calendrier est une réorientation de la conscience collective, un décalage du temps liturgique établi, une rupture avec l'ancienne culture.
Depuis l'époque du Concile de Nicée (325), l'Eglise chrétienne se servait, dans sa pratique liturgique, d'un système unique de calcul du temps, réunissant organiquement en soi le calendrier julien au comput pascal alexandrin. Ce système s'appelait en Occident «Le Grand Cercle» (Circulus Magnus) ; à Byzance, «La Grande Indiction» (c'est-à-dire «Le Grand Indicateur») ; en Russie, «Le Cercle Cosmogonique». Les créateurs de ce mécanisme de régulation du temps sacré l'avaient fait tellement parfait et stable que, même après la séparation tragique des Eglises de l'Occident catholique et de l'Orient orthodoxe (1054), il continua, pendant encore un demi-millénaire (jusqu'à la réforme grégorienne de 1582), à les relier par un dernier pont, celui du calendrier liturgique, jusqu'au moment où le pape Grégoire XIII le brûla, introduisant un «schisme du calendrier» irréversible dans l'Eglise chrétienne.
Pourquoi Grégoire XIII avait-il besoin d'une réforme aussi radicale du calendrier ? Avait-elle peut-être un sens liturgique particulièrement important ? En effet, extérieurement, les motifs de la réforme portaient un caractère religieux. Le décalage progressif de la date de l'équinoxe vernal dans le calendrier julien faisait craindre que Pâque, en tant que fête printanière, se déplaçât vers l'été et, 2000 ans après, perdît sa position printanière traditionnelle dans l'année. Au moment de la réforme grégorienne, les dates traditionnelles de Pâque s'étaient déplacées en direction de l'été de plus de 10 jours par rapport à l'époque du Concile de Nicée qui avait adopté le calendrier julien et le comput pascal alexandrin à des fins liturgiques. La réforme faisait revenir la date de l'équinoxe vernal à son ancienne position astronomique dans l'année. Mais, cherchant à corriger ce qui semblait une perturbation des canons astronomiques de Pâque, Rome viola la règle liturgique principale de cette fête chrétienne centrale : la succession sacrale des événements historiques. Les réformateurs grégoriens violèrent le «saint des saints» de la vie ecclésiastique. L'essence de cette succession sacrale, selon l'Evangile, consistait dans le fait que le Christ fut crucifié à la veille de la Pâque juive (le 14 de Nisan) et ressuscita au lendemain de cette fête (le 16 de Nisan). C'est dans ces brefs intervalles de temps que se produisent les événements centraux de l'histoire néotestamentaire. Voilà déjà 2000 ans que cette succession est reproduite par le cycle liturgique. Les décisions apostoliques et les Règles du Concile d'Antioche, interdisant la coïncidence des deux Pâques3, confirmées par les VIème et VIIème Conciles Oecuméniques, avaient reconnu l'intangibilité de cette succession historico-mystérieuse pour tous les temps. Après l'adoption de la réforme grégorienne, elle fut perturbée. Il suffit d'indiquer, par exemple, qu'en un siècle, depuis 1888 jusqu'en 1988, la Pâque catholique a été célébrée dix-neuf fois avant la Pâque juive et a coïncidé avec elle quatre fois.
L'absurdité mathématique du calendrier grégorien vaut aussi la peine d'être mentionnée. Le rythme traditionnel du calendrier julien est bien connu : trois années simples et une quatrième bissextile (c'est-à-dire trois années composées de 365 jours et une quatrième, de 366 jours). Mais tout le monde n'est pas au courant que dans le calendrier grégorien ce rythme est perturbé chaque siècle dont le nombre de centaines n'est pas multiple de quatre. Dans le calendrier julien, tous les siècles sont bissextiles ; dans le calendrier grégorien, un siècle sur quatre est considéré comme bissextile. Ainsi, le calendrier grégorien introduit en fait la notion «non bissextile» ou «siècle simple» par analogie avec la notion «année bissextile» dans le calendrier julien. Mais si l'année bissextile crée un rythme, un siècle privé de bissexte le perturbe. Considérons maintenant dans ce plan le rythme du calendrier grégorien depuis sa fondation. Si l'on commence par l'année 1600, sur les années séculaires 1600, 1700, 1800, 1900, 2000, 2100, 2200, 2300... seules les années mises en gras correspondent à des années bissextiles. Or, dans le calendrier julien, tous les siècles mentionnés sont bissextiles. Par conséquent, le calcul grégorien, transformant trois siècles bissextiles sur quatre en siècles simples, raccourcit de trois jours chaque période de 400 ans du calendrier julien. Cela conduit au fait que la durée moyenne de l'année grégorienne est vraiment beaucoup plus proche de la valeur de l'année solaire tropique que la durée de l'année julienne. Mais, premièrement, il y a quand même une erreur qui s'accroît avec le temps. Et, deuxièmement, ce qui est le plus important, cette précision abstraite est obtenue à un trop haut prix. C'est que, en raison de l'introduction de siècles privés de bissextes, les siècles grégoriens ne comportent plus un nombre égal de jours. Et, en effet, dans les siècles juliens, il y a toujours un nombre égal de jours grâce au rythme bissextile julien continu (365, 365, 365, 366). Grâce à ce rythme, dans quatre années juliennes nous aurons 1461 jours et dans un siècle julien, 36 625 jours.
Or, si maintenant nous regardons les siècles grégoriens, nous verrons que dans le premier siècle après la réforme, c'est-à-dire au dix-septième siècle, il y avait 36 525 jours, comme dans les siècles juliens ordinaires. Cependant, aux dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles, il y avait déjà un jour de moins, c'est-à-dire 36 524 jours dans chaque siècle ; le vingt-et-unième siècle en aura de nouveau 36 525, etc. A l'intérieur des siècles, c'est encore pire, puisque les intervalles de temps qui tombent à la fois sur le siècle bissextile et le siècle simple s'avèrent inégaux aux périodes de temps analogues entre des siècles non bissextiles voisins. Bien sûr, le calendrier grégorien a aussi une période composée d'un nombre entier de jours, mais si dans le calendrier julien une telle période comporte quatre années ou 1461 jours, dans le calendrier grégorien, elle comporte quatre cents années ou 146 097 jours. Tout système de calendrier se caractérise par un laps de temps composé d'un nombre entier de jours, après l'écoulement duquel on amortit une certaine erreur par rapport à la durée moyenne adoptée de l'année. De ce point de vue, les catholiques ont compliqué le calendrier en introduisant dans la chronologie mondiale une période de calendrier d'une durée si immense. En outre, la durée moyenne du siècle grégorien s'est avérée égale à un nombre fractionnaire de jours (3624,25 jours), ce qui, déjà en soi, semble assez absurde du point de vue de la chronologie élémentaire.
Malgré le fait que la précision du calendrier grégorien par rapport à la valeur de l'année solaire tropique est assez grande, elle donne quand même une erreur égale à une journée en 3280 ans. Cela signifie que, 3280 ans après la réforme grégorienne, la date de l'équinoxe vernal sera décalée dans ce calendrier d'une journée par rapport à sa véritable valeur astronomique et ne sera plus le 21, mais le 20 mars. Pour ce qui est de la Lune, là l'erreur est incommensurablement plus grande ; presque comme dans le calendrier juif, environ tous les deux cent dix ans, les pleines lunes pascales astronomiques des catholiques devanceront l'équinoxe d'un jour. Il est facile de s'imaginer que, mille ans après, les pleines lunes de la quatorzième Lune, qui étaient considérées comme les premières après l'équinoxe, seront les deuxièmes, c'est-à-dire que la règle du Concile de Nicée sera de nouveau violée, même dans l'interprétation qui lui était donnée par la réforme grégorienne.
La vague d'impiété de la Renaissance, favorable à la réalisation de la réforme grégorienne, mit près de trois siècles et demi pour atteindre aussi l'Eglise Orthodoxe. Le Patriarcat de Constantinople s'opposa résolument, pour la dernière fois, à la propagande catholique tout au début du vingtième siècle lorsqu'en 1901, à l'initiative du fameux Patriarche de Constantinople Joachim III, toutes les Eglises orthodoxes autocéphales procédèrent à un échange d'opinions sur les questions générales de l'Eglise, y compris sur la question du calendrier. Dans leurs réponses officielles (1903), elles se prononcèrent toutes résolument contre l'acceptation du style grégorien et, dans son acte final du 12 mai 1904, le patriarche Joachim déclara sans ambiguïté qu'il n'y avait aucune raison sérieuse, ni ecclésiastique ni scientifique, pour réformer le calendrier julien.
Le Concile de l'Eglise russe de 1917-1918, à Moscou, déclara que l'ancien style devait être maintenu et préservé aussi bien pour le calcul des fêtes de l'Eglise que dans la pratique liturgique. Le mouvement appelé «église vivante», qui apparut à peu près au même moment, fit, malgré ces recommandations, une tentative pour introduire le calendrier grégorien qui était devenu le calendrier officiel civil de la Russie Soviétique depuis 1918. Cette tentative se révéla vaine.
Le Patriarcat de Constantinople fut le premier à rompre l'unité de l'Eglise Orthodoxe en créant un «schisme de calendrier» dans le monde orthodoxe. Lors d'une assemblée, réunie en 1923 à Constantinople par le patriarche Mélétios IV (en l'absence de représentants des Eglises Orthodoxes de Russie, de Serbie, de Bulgarie et de Jérusalem), on proposa à l'Eglise d'adopter un calendrier corrigé. D'après ce calendrier, qu'on appelle parfois «néojulien», on célèbre les fêtes fixes d'après le calendrier grégorien mais la date de Pâque doit être calculée à partir de l'équinoxe astronomique et de la pleine Lune pour le méridien de Jérusalem. Cette dernière condition s'est révélée irréalisable en pratique et le calendrier néojulien représente en fait un hybride artificiel du calendrier grégorien et du comput pascal alexandrin. L'indignation de la population orthodoxe de Constantinople força Mélétios IV à se retirer4. Cependant les catholiques et les modernistes pouvaient être contents : l'unité de l'Eglise orthodoxe était enfin troublée par les questions de calendrier. Le calendrier néojulien fut introduit, après avoir été corrigé, dans le Patriarcat de Constantinople, ainsi que dans les Eglises de Grèce, de Chypre et de Roumanie. Les patriarcats orientaux (Alexandrie, Antioche et Jérusalem) ainsi que les monastères de l'Athos repoussèrent résolument ces innovations. Un schisme entre adeptes du nouveau style et adeptes de l'ancien style surgit au sein de l'Eglise de Grèce et des autres Eglises qui avaient accepté le nouveau calendrier. De cruelles persécutions sévirent contre les adeptes de l'ancien style.
Presque un quart de siècle plus tard, en raison du caractère toujours plus actif du mouvement oecuménique après la Seconde guerre mondiale et du renforcement de la propagande des autres Eglises, l'Eglise orthodoxe russe dut confirmer encore une fois et le plus clairement possible son attitude traditionnelle à l'égard de la question du calendrier. Cela fut fait en juillet 1948 à Moscou, lors de l'Assemblée des représentants des Eglises orthodoxes autocéphales, consacrée au cinq centième anniversaire de l'autocéphalie de l'Eglise orthodoxe russe. Mais nous aimerions invoquer plusieurs études sérieuses consacrées à la question du calendrier et publiées à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècles par d'éminents historiens, théologiens et astronomes russes tels que D.F. Goloubinski, E.A. Predtetchenko, V.V. Bolotov, I.I. Sokolov, D.A. Lébédev, N.N. Gloubokovski.
Leurs longues recherches fondamentales, minutieuses et objectives les conduisirent à la conclusion suivante qui, outre son importance scientifique, peut être résumée par ces paroles de feu le Métropolite de Saint-Pétersbourg Antoine (Vadkovski) : «Dans son application pratique par l'Eglise, le calendrier julien est, dans tous les cas, une ancre sûre qui retient les orthodoxes du danger d'être engloutis par le monde de ceux qui professent une foi étrangère ; c'est un drapeau sous lequel se rassemblent les enfants de l'Orthodoxie. L'autorisation donnée à certains des enfants de l'Orthodoxie de se séparer de nous dans leur pratique ecclésiastique pour suivre la pratique des porteurs d'une foi étrangère, malgré le semblant d'utilité que cela peut avoir si les dogmes ne sont pas violés, peut conduire à des conséquences indésirables ou même néfastes pour le bien de l'Eglise Universelle et servir d'arme entre les mains de ses ennemis qui, sous le prétexte des prétendus intérêts des peuples orthodoxes, s'arment depuis longtemps contre l'unité oecuménique».
Le mouvement oecuménique contemporain, qui aspire à trouver un langage commun à tous les niveaux des relations interconfessionnelles, le recherche aussi pour le calendrier qui est une des sources de l'union ou de la séparation des Eglises. La question n'est pas celle de savoir si une telle «union de calendrier» est désirable, mais sur quelle base elle peut être réalisée. Si l'on prend pour point de départ les trois calendriers ecclésiastiques réellement existants, on ne peut envisager que trois possibilités :
1) le calendrier julien allié au comput pascal alexandrin,
2) le calendrier néojulien allié au comput pascal alexandrin,
3) le calendrier grégorien avec le comput pascal grégorien.
Nous avons suffisamment parlé des aspects négatifs du calendrier grégorien aussi bien sur le plan canonique que sur le plan astronomique.
Pour ce qui est du calendrier néojulien, il est d'une inconséquence évidente car les fêtes fixes y sont célébrées d'après le calendrier grégorien alors que Pâque, les fêtes mobiles et les semaines qui en dépendent sont instituées d'après le comput alexandrin. Si on adopte ce calendrier mixte, on violera immanquablement les règles de l'Eglise sur la célébration des fêtes et les carêmes, instaurées par le Statut de l'Eglise appelé Typicon. «Le Typicon n'est autre chose que la voix de notre Mère l'Eglise. Si nous désirons rester fidèles et dévoués à la Sainte Eglise et à ses normes orthodoxes, nous n'avons pas le droit de dédaigner cette voix, nous lui devons une obéissance éternelle et inconditionnelle» (Métropolite Séraphim Loukianov (+ 1959), Actes de l'Assemblée des chefs et représentants des Eglises orthodoxes autocéphales... vol. 2, Moscou, 1952, p. 311). Voilà pourquoi le calendrier néojulien ne peut être considéré comme un calendrier indépendant mais comme une variante du calendrier grégorien.
Parlons maintenant des projets d'un nouveau calendrier ecclésiastique, qui ont pour objectif central la recherche d'une entente concernant la date de la célébration de Pâque. Au cours des travaux préparatoires au Concile des Eglises orthodoxes, qui ont lieu depuis 1961, les deux projets suivants ont été avancés : 1) célébrer Pâque un jour fixe du calendrier grégorien ; 2) célébrer Pâque conformément aux règles instaurées par le Concile de Nicée, mais d'après le calendrier grégorien, en donnant aux notions d'«équinoxe» et de «pleine Lune» leur sens astronomique littéral.
Le premier de ces projets, qui ne tient absolument pas compte de la tradition de Nicée ni de la Tradition de l'Eglise dans son ensemble, fut curieusement soutenu par l'Eglise catholique au concile de Vatican II en décembre 1963.
Le second projet, soutenu par le Centre du Patriarcat de Constantinople, qui semble, à première vue, suivre les formes des décisions de Nicée sur la fête de Pâque, est substantiellement en contradiction avec elles. Pour sauver la «précision astronomique» prise à la lettre, ce qui ne pouvait pas être le souci des Pères du Concile de Nicée (leur but étant de créer un système organique pour le calcul de Pâque et non un mécanisme artificiel d'adaptation sporadique à l'astronomie), les auteurs du projet sont prêts à sacrifier le calendrier julien et le comput alexandrin qui constituent, dans leur union, la «Grande Indiction» des Byzantins ou le «Cercle cosmogonique» des Russes, un instrument d'une harmonie, d'une grâce et d'une simplicité inégalées. Autrement dit, le Patriarcat de Constantinople veut, vraisemblablement, faire appliquer définitivement la résolution adoptée par l'Assemblée de Constantinople de 1923, en l'absence de nombreuses Eglises orthodoxes, sur le passage de l'Eglise de Constantinople au calendrier néojulien, accompagné de la condition, non appliquée alors, de la définition astronomique de l'équinoxe et de la pleine Lune pour le méridien de Jérusalem. Si le futur Concile des Eglises orthodoxes acceptait cette décision, cela équivaudrait au passage des Eglises orthodoxes à une des variantes du calendrier grégorien sous une forme modernisée ; autrement dit, à une «union de calendrier». Les partisans de la réforme du calendrier ne peuvent rien avancer d'autre que les propositions inacceptables de l'Assemblée de Constantinople de 1923.
Pourquoi, cependant, les Eglises chrétiennes doivent-elles s'unir sur la base du calendrier grégorien imparfait et de ses modifications et non sur la base du calendrier julien et du comput pascal alexandrin qui fut leur ciment pendant un millénaire, depuis l'époque de Denys le Petit (sixième siècle), le fondateur de la chronologie chrétienne, jusqu'à la réforme grégorienne de 1582 ?
L'expérience chrétienne de près de deux millénaires est là pour confirmer la justesse des computations pascales d'Alexandrie. S'il est donné un jour aux Eglises chrétiennes de s'unir, cette union, au niveau du calendrier ecclésiastique liturgique, doit s'appuyer sur un fondement solide, inébranlable. Seul le système liturgique sacral du Grand Cercle cosmogonique, cette oeuvre de génie, fruit du travail commun de nombreux serviteurs fidèles de la foi et de la science restés anonymes, peut en constituer le fondement.
A.N. Zélinski
LE TEMPS SANCTIFIE
Calendrier et comput ecclésiastique
Le Grand cercle cosmogonique et le comput pascal perpétuel de l'Eglise Orthodoxe, comparé aux computs pascaux catholique et juif,
suivi d'un calendrier abrégé des saints.
Sous ce titre, Lecture Orthodoxe donne, à la suite de l'article que nous venons de citer, une intéressante représentation du «Grand Cercle» ayant, en son centre, la Face du Seigneur. «Horloge liturgique perpétuelle des vies tournées vers Dieu», le Grand Cercle renferme «des données chrono-astronomiques sur le mouvement du système Soleil-Terre-Lune sur la route zodiacale de l'Univers ; le comput pascal orthodoxe, vieux de plus d'un millénaire et demi ; le calendrier des saints, qui est un lien entre le présent et l'éternité». Il servira jusqu'au jour où «il n'y aura plus de temps» selon les mots de saint Jean (Ap. 10, 6).
Suivent plusieurs définitions relatives à l'année liturgique et à la façon de calculer la date des fêtes mobiles. Pâque peut occuper 35 positions dans l'année. L'année julienne de mars, ou année pascale, commence le 1er mars et s'achève le 28 février -le jour ajouté des années bissextiles allonge, en fait, et logiquement, le dernier mois. L'auteur définit tous les concepts calendériques indispensables : lettres dominicales, épacte, indiction, cycle pascal, cercle de précession... et montre la régularité commode du calendrier julien.
Puis vient l'article suivant, que nous reproduisons également :
L' ENSEIGNEMENT DE L'EGLISE ORTHODOXE
sur la Sainte Tradition, le comput pascal
et le calendrier ecclésiastique
O Timothée, garde le dépôt qui t'a été confié, évitant les discours vains et profanes, et les contradictions d'une science faussement ainsi nommée ; quelques uns, pour en avoir fait profession, se sont détournés de la foi (1 Tim. 6, 20-21).
Sixième Concile Oecuménique (680), Actes, 8 : «Trois fois anathème à toute novation et action contre la Tradition de l'Eglise, l'enseignement et les règles des saints Pères de l'Eglise dont nous vénérons la mémoire».
Septième Concile Oecuménique (787), Actes : «Anathème à tout ce que nous instituons, avons institué ou instituerons à l'avenir contre la Tradition de l'Eglise, l'enseignement et les recommandations des saints Pères d'éternelle mémoire».
Concile local de Gangre (340), Règle 21 : «Ecartant de l'Eglise ceux qui y apportent des novations, ... souhaitons que l'Eglise conserve tout ce qui nous vient des Saintes Ecritures et de la Tradition des Apôtres».
Interprétation de cette règle par l'évêque Nicodème de Dalmatie et d'Istria (+1915) : «Les Pères de ce Concile ont statué qu'il était nécessaire de protéger l'Eglise de toute innovation et d'oeuvrer à ce que tout ce qui a été prescrit par les Saintes Ecritures et la Tradition apostolique reste sacré et inébranlable, sans quoi la voie serait ouverte à toute sorte d'associations religieuses qui n'ont pas droit au nom d'Eglise».
Encyclique des quatre Patriarches d'Orient (1848)5 : «La foi a reçu ses origines non de l'homme ni à travers l'homme, mais par la révélation de Jésus Christ ; elle a été enseignée par les Apôtres de Dieu, confirmée par les Saints Conciles Oecuméniques, transmise par l'héritage des grands docteurs et maîtres de l'univers et arrosée du sang des martyrs. Restons donc fidèles à l'enseignement qui nous a été transmis en toute pureté par ces hommes, réfutant toute innovation comme suggestion du diable... Celui qui oserait s'élever contre cet enseignement par l'acte, les conseils ou la pensée, renierait par cela même la foi du Christ, et se soumettrait volontairement à l'anathème éternel pour avoir blasphémé contre le Saint Esprit, mettant en doute la perfection de Sa parole dans les Saintes Ecritures et les Conciles Oecuméniques. Ainsi donc : à tout novateur, hérétique ou schismatique, s'étant volontairement revêtu de malédiction comme d'un habit (Ps. 108, 18), qu'il soit pape ou patriarche, ecclésiastique ou laïc, ou même un ange du ciel -anathème !... Ce terrible anathème, ce n'est pas nous qui le proclamons, il a été proclamé bien avant nous par notre Sauveur (Matt. 12, 32), par saint Paul dans son Epître aux Galates (1, 6). Il a été lancé aussi par les sept Conciles Oecuméniques et par le grand choeur des Pères de l'Eglise» (signé par les Patriarches Anthémios de Constantinople, Hiérothée d'Alexandrie, Méthode d'Antioche et Cyrille de Jérusalem et les membres de leurs Synodes).
Le Bienheureux Séraphim de Sarov (+ 1833) a dit : «Tout ce que la Sainte Eglise a adopté et chéri doit être aimable au coeur du chrétien. Observe tout ce que l'Eglise a prescrit aux sept Conciles Oecuméniques. Malheur à celui qui y ajoutera ou en ôtera un seul mot».
L'archevêque Nicon de Vologda (+ 1917) : «Ces derniers temps, les innovations de toute sorte sont devenues une véritable mode. Nous philosophons trop et nous avons commencé à appliquer nos ratiocinations à l'Eglise elle-même, oubliant que son Royaume n'est pas de ce monde, comme le dit Jésus à Pilate, que ses principes sont immuables, que les ébranler est criminel, qu'ils sont éternels comme l'Eglise elle-même et que celui qui les aura reniés aura par cela même quitté l'Eglise et cessé d'être chrétien... Voilà ce que devraient craindre tous nos 'accusateurs', tous les 'vivificateurs' et les 'réformateurs' de la vie de l'Eglise, s'ils désirent rester des enfants fidèles de l'Eglise Orthodoxe. S'ils sont ses fils, ils lui doivent avant tout une obéissance filiale, sans quoi ce ne sont que des usurpateurs capables de provoquer un schisme au sein de l'Eglise».
Nicodème, évêque de Dalmatie : «La violation de l'ancienne législation ou même d'une seule de ses règles prive l'Eglise locale de la grâce de Dieu et la transforme en société schismatique».
Saint Jean Chrysostome (407) : «Si nous possédons la Tradition de l'Eglise, il ne faut rien chercher d'autre».
Le Nomocanon grec : «Là où les canons ou lois écrites sont absents, c'est la tradition mise à l'épreuve par le temps qui a force de canon ou de loi si elle n'est pas en contradiction avec eux».
Syntagme, recueil canonique du quatorzième siècle du hiéromoine Matthieu Vlastar : «Pour fixer correctement la date de célébration de Pâque, il faut observer quatre conditions : 1. Que cette fête tombe après l'équinoxe de printemps. 2. Après la pleine Lune qui suit l'équinoxe. 3. Le premier dimanche après la pleine Lune. 4. Que cette fête ne coïncide pas avec la Pâque juive».
Septième règle des saints Apôtres : «Si un évêque ou un prêtre ou un diacre célèbre la sainte fête de Pâque avant l'équinoxe de printemps avec les Juifs, il sera chassé du clergé».
Décision conciliaire prise à Constantinople sous le Patriarche Jérémie II (1583) : «Comme l'Eglise de l'ancienne Rome, semblant se réjouir de la vanité de ses astronomes, a de nouveau modifié inconsidérément les merveilleuses décisions sur la célébration de la Sainte Pâque, fêtée comme il se doit par les chrétiens de la terre entière, et que c'est une nouvelle source de tentations... nous nous devons de confirmer les règles établies par les Pères de l'Eglise. Après en avoir délibéré avec le Bienheureux Patriarche d'Alexandrie et le Bienheureux Patriarche de Jérusalem et les autres membres du synode en l'Esprit Saint, notre assemblée définit et explique les décisions des Pères de l'Eglise. Qui ne suit pas les traditions de l'Eglise et les décisions des sept Conciles Oecuméniques sur la Sainte Pâque et le calendrier des saints, comme l'exige la règle, mais préfère adopter le comput ecclésiastique pascal et le calendrier des saints grégoriens, s'oppose, aux côtés des astronomes impies, à toutes les décisions des Conciles Oecuméniques et a choisi de les modifier, est frappé d'anathème et excommunié de l'Eglise du Christ et de l'assemblée des fidèles. Quant à vous, chrétiens orthodoxes pieux, restez fidèles à ce qu'on vous a enseigné, à la foi de votre naissance et de votre éducation et, si la nécessité s'en présente, versez votre sang pour préserver la foi et la confession de vos pères. Soyez vigilants et préservez-vous de ceux-là, et que le Seigneur Jésus Christ vous aide. Les prières de notre assemblée vous accompagnent. Amen». (Le Patriarche de Constantinople Jérémie II. Le Patriarche d'Alexandrie Sylvestre. Le Patriarche de Jérusalem Sophronius. Les archevêques présents à l'Assemblée du 20 novembre 1583).
Notre calendrier orthodoxe, indépendamment du calcul de la date de Pâque, est, pour nous, orthodoxes, d'usage obligatoire, comme toutes les anciennes traditions de l'Eglise, en tant que calendrier utilisé dès les origines du christianisme.
Le Patriarche Oecuménique Joachim III (+1904) : «Un des traits essentiels de l'orthodoxie, qui est à la base de toute sa structure et de son système canonique, est l'interdiction d'enfreindre les définitions immuables établies par les Pères de l'Eglise. Cette position seule peut refouler les forces et aspirations modernes qui sont, comme le dit l'apôtre, le fruit de la sagesse terrestre, charnelle et démoniaque. Car comment ce qui fut pendant tant de siècles plein d'ordre et d'harmonie peut-il perdre sa puissance et son caractère sacré pour le reste des jours ?»
Le Concile de l'Eglise russe de 1917-1918, conscient du danger de tout rapprochement avec le style grégorien et donnant sa préférence au calendrier julien, rejeta résolument le nouveau style et stipula de conserver l'ancien style pour les calculs ecclésiastiques.
Les quatre conciles des archiprêtres orthodoxes de l'Eglise russe hors-frontières de 1923, 1924, 1926 et 1931 décrétèrent de refuser le nouveau style car les interdits proclamés contre ce style par les Patriarches orientaux en 1583 et 1756 n'étaient ni levés ni résolus par aucun concile.
Le professeur V.V. Bolotov : «Je reste toujours l'adepte le plus résolu de l'ancien style. Son infinie simplicité constitue son avantage scientifique vis-à-vis de tous les calendriers corrigés. J'estime que la Russie a une mission culturelle, celle de maintenir pendant quelques siècles encore le calendrier julien dans la pratique de l'Eglise pour faciliter aux peuples occidentaux leur retour, de la réforme grégorienne inutile à l'ancien style inaltéré».
Aujourd'hui nous devons définir la vérité catholique non pas par la conscience universelle de l'Eglise, qui actuellement nous fait défaut, mais par la tradition de l'Eglise universelle en accord avec l'Eglise des premiers siècles, époque où il n'y avait aucune divergence à propos de la question si aiguë aujourd'hui du calendrier ecclésiastique ; bien au contraire, l'entente était parfaite et confirmée plus d'une fois à des assemblées locales et des synodes régionaux... C'est la Tradition qui doit aujourd'hui nous permettre de déterminer où sont les fils de l'Eglise et les schismatiques. Saint Maxime le Confesseur a dit à ce sujet : «Le Christ a donné le nom d'Eglise universelle à la confession de foi juste et salutaire». La fidélité à la Sainte Tradition est un signe d'Orthodoxie, dit le Patriarche Joachim III... Conclusion : 1. La question du calendrier ecclésiastique est une question canonique qui touche à la confession de foi. 2. L'ancien calendrier ecclésiastique (par son application) et julien (par son origine) est canoniquement obligatoire, surtout pour ce qui touche au comput pascal et à l'ordonnance liturgique (l'«Oustav»). 3. Inversement, le nouveau calendrier grégorien, qui conduit immanquablement à la désorganisation de l'ordre pascal et liturgique, est canoniquement interdit, aussi bien en vertu des règles canoniques générales qui exigent l'observance de la Tradition de l'Eglise au risque de malédiction pour sa violation, qu'en vertu de l'ordonnance conciliaire sur cette question, [prise] sous le Patriarche Jérémie...
Lettre ouverte à tous les enfants de l'Eglise du Christ, fidèles au calendrier orthodoxe et à la Tradition de la Sainte Eglise universelle (1929) de la part d'Innocent, archevêque de Pékin (+ 1931) :
«Nous avons reçu de tristes nouvelles sur les cruelles persécutions dont souffrent les fils de la Sainte Eglise Orthodoxe de la part de faux frères qui, protégés par le pouvoir laïc, osent violer les lois divines et les persifler. Se faisant passer pour des sages et des civilisateurs, ces loups vêtus de peaux d'agneaux, défiant la colère de Dieu, ont entrepris de corriger les lois de l'Eglise du Christ ; aveuglés par l'encensement du monde d'ici-bas, ils se croient supérieurs aux Apôtres et aux Saints Pères de l'Eglise par la bouche desquels parla Notre Seigneur Lui-même...
«Ils affirment que notre calendrier orthodoxe s'est sensiblement écarté de la vérité astronomique et qu'il est donc temps d'adopter le calendrier grégorien, reconnu juste par les savants et adopté par le monde impie tout entier... Cependant ils ne peuvent pas le prouver... Les affirmations des partisans du nouveau style selon lesquelles l'adoption du calendrier grégorien a été causée par la nécessité de corriger le calendrier julien sont sans fondement. C'est la volonté de rompre définitivement avec l'Orient Orthodoxe de la part des jésuites, devenus fort influents dans le monde catholique à la fin du XVIème siècle, qui fut la cause de cette adoption. Les jésuites voulaient que les mêmes fêtes fussent célébrées à des moments différents. Les autres arguments, moins importants, cités par les partisans du nouveau style en faveur du calendrier grégorien sont tous aussi mal fondés et aussi peu persuasifs que les arguments principaux. Cependant leur erreur la plus grave est qu'il considèrent notre calendrier orthodoxe et notre comput pascal comme solaires et non lunaires, soit qu'ils ne sachent pas, soit qu'ils cachent consciemment le fait que notre calendrier orthodoxe se fonde sur le calendrier lunaire. Nous autres, orthodoxes, nous ne célébrons Pâque ni d'après le calendrier grégorien ni d'après le calendrier julien mais d'après le calendrier biblique, celui-là même dont usait l'Israël de l'Ancien Testament, fidèle au commandement de Dieu, transmis par Moïse, pour fêter sa Pâque.
«Gardant en mémoire les paroles du Sauveur : Jusqu'à ce que le ciel et la terre aient passé, il ne tombera de la Loi ni un iota ni un trait de lettre avant que toutes choses ne soient accomplies (Matt. 5, 18), l'Eglise Néo-testamentaire, l'Eglise Orthodoxe préserve pieusement la tradition de fêter Pâque d'après le calendrier lunaire. Comment Notre Seigneur Jésus Christ a-t-il vécu sur terre ? Il a vécu d'après l'ancien calendrier biblique, le calendrier lunaire. Avec l'Israël de l'Ancien Testament, Il est venu à Jérusalem pour célébrer la Pâque à la pleine Lune du mois de Nisan, le premier mois de l'année juive. C'est alors qu'Il fut trahi, jugé, crucifié et ressuscita d'entre les morts.
«L'année de la mort du Sauveur sur la Croix, la Pâque juive tombait un vendredi et un samedi. Le vendredi 14 du mois de Nisan (alors, comme aujourd'hui, d'après la computation ecclésiastique, la Pâque commençait la veille au soir, c'est-à-dire jeudi), le Seigneur fut crucifié ; le samedi 15 du mois de Nisan, Il resta en paix dans la grotte qui fut son tombeau et, à l'aube du premier jour de la semaine, le dimanche 16 du mois de Nisan, il ressuscita. On voit que la mort et la résurrection du Sauveur sont indissolublement liées à la Pâque juive et doivent la suivre. Voilà pourquoi la coutume s'établit, dès le premier siècle de l'ère chrétienne, de fêter la Sainte Pâque de la Croix, Jeudi, Vendredi et Samedi Saint, après la Pâque juive. Après la Pâque de la Croix, on célébrait la Pâque de la Joie, ce que fait la Sainte Eglise jusqu'à ce jour. Pour perpétuer cet ordre des choses et conserver ce lien à jamais, les Saints Apôtres décrétèrent de célébrer la Sainte Pâque après la Pâque juive, après l'équinoxe de printemps. Comme l'équinoxe a lieu en septembre et en mars et que, depuis les temps les plus éloignés, l'année commençait soit en septembre, soit en mars, Pâque, célébrée après l'équinoxe, ne tombait jamais à la fin de l'année, mais toujours au début. La Sainte Eglise ne s'est jamais écartée de cette règle ; les seules controverses qu'il y avait parfois concernaient la question de savoir si l'on pouvait célébrer la Pâque de la Croix en même temps que la Pâque juive. C'est pour trancher cette question que le Concile d'Antioche établit la première règle sur le moment de la célébration de Pâque : cette règle confirmait l'immuabilité des règles apostoliques. Ensuite, au quatrième siècle, on créa le comput pascal orthodoxe. Il fut établi par la plus savante des Eglises anciennes, celle d'Alexandrie, en comparaison de laquelle les réformateurs catholiques du seizième siècle n'étaient que d'insolents ignorants qui dénaturèrent son oeuvre parfaite.
«Le comput pascal poursuivait un seul objectif : que Pâque soit fêtée partout le même jour et que soit respectée strictement la règle des Apôtres de ne pas célébrer Pâque avant la Pâque juive ou en même temps qu'elle. Les créateurs du comput pascal savaient parfaitement que le calendrier julien, qu'ils avaient fait accorder avec le calendrier lunaire juif, n'était pas précis, mais ils savaient également que le calendrier lunaire n'était pas plus précis non plus et que l'erreur du calendrier julien corrigeait si parfaitement l'erreur du calendrier lunaire que l'erreur de notre comput pascal, d'après le témoignage de l'astronome Predtetchenko, si l'on en juge d'après les tables des lunaisons, n'excédait pas trois heures en 1900 ans...
«D'ailleurs, chaque orthodoxe peut facilement déterminer le jour de Pâque sans user d'aucun calcul spécial : il lui suffit d'observer la direction des ombres au lever du soleil et de marquer le jour où les ombres seront dirigées droit vers l'ouest. Ce sera le jour de l'équinoxe. Ensuite, il doit observer la Lune et marquer le jour où la Lune se lèvera à l'est au moment du coucher du soleil et se couchera au moment de son lever. Ce jour-là, la Lune sera pleine et luira toute la nuit : ce sera le jour de la pleine Lune, le jour de la Pâque juive. Le jeudi qui suivra la pleine Lune marquera le commencement de la Pâque de la Croix chrétienne et le dimanche suivant sera le Dimanche de Pâque. Il faut cependant se rappeler que la pleine Lune n'est considérée comme pascale que si elle a lieu dix jours au moins après l'équinoxe, c'est-à-dire pas avant le 18 mars. La date de Pâque tombera donc au plus tôt le 22 mars, après la pleine Lune du mercredi 18 mars, avec le Jeudi Saint le 19 mars. Si la pleine Lune a lieu avant le 18 mars, Pâque est reportée au mois d'avril : c'est le 18 avril qui est alors considéré comme la pleine Lune pascale et la date de la Pâque juive. Si ce jour tombe un dimanche, la Pâque de la Croix commencera le jeudi 22 avril et le Dimanche de Pâque aura lieu le 25 avril, la date limite de Pâque. On voit que chacun peut toujours déterminer sans calendrier et sans user du comput pascal la date exacte de la Pâque orthodoxe. C'est donc la conscience tranquille que nous pouvons nous en tenir à notre calendrier orthodoxe et à notre comput pascal ; en leur restant fidèles, nous ne fêterons jamais Pâque avant les Juifs ou avec eux et nous ne pécherons jamais contre les Saintes Règles apostoliques.
«Strictement parlant, notre calendrier orthodoxe ne se fonde ni sur le calendrier julien ni même sur le calendrier lunaire, mais sur le décompte hebdomadaire du temps, ce qui transparaît avec évidence dans nos livres liturgiques où le temps est compté par semaines. Depuis la création du monde, nous terminons nos travaux le sixième jour et nous consacrons le septième jour à Dieu... Cependant, convaincre les partisans obstinés du nouveau style est chose vaine. Même si nous citions des arguments encore plus probants contre leur réforme, ils ne prêteraient pas l'oreille aux paroles de vérité. Il ne peut en être autrement car leur amour de l'Eglise et leur souci de son bien ne sont qu'un masque. En réalité, ils poursuivent des buts tout à fait différents, des buts fort éloignés des soucis religieux, et accomplissent la volonté de ceux qui sapent depuis de nombreux siècles les fondements de l'Eglise du Christ. Ce qui est important pour eux, ce n'est pas introduire le calendrier grégorien, mais abolir notre calendrier orthodoxe et par cela même semer la discorde parmi les croyants, provoquer le schisme et éteindre la flamme de l'amour fraternel entre les membres de l'Eglise. Ils ont levé la main sur les usages de notre Eglise qui nous ont été légués par nos Pères et sont sanctifiés par le temps, car les serviteurs du prince de ce monde savent bien que notre Eglise Orthodoxe puise justement sa force dans cette Tradition. Ils savent parfaitement que les canons divins sont sacrés et pleins de sagesse et qu'ils protègent la Sainte Eglise, comme un mur infranchissable, contre l'esprit corrompu du monde d'ici-bas, contre ceux qui portent le sceau de l'Antichrist ; de là tous leurs efforts pour supprimer les canons, car cela laisserait la Sainte Eglise sans gouvernail et en ferait le jeu des vents de ce monde. Les ennemis du Christ ont infatigablement, obstinément oeuvré pour saper les fondements de Sa Sainte Eglise afin de bâtir à sa place une autre église, le temple de l'humanité élevée au rang de Dieu, un temple en maçonnerie, le temple de Satan. Que personne ne s'imagine que nous luttons pour le temps, les mois et les jours et que nous souffrons les persécutions pour les pleines Lunes et les équinoxes. Nous sommes fidèles à la Sainte Eglise, nous la défendons des puissances infernales qui s'élèvent contre Elle. Les ennemis du Christ savent quelle énorme importance ont pour la vie de la nation et de l'Eglise les fêtes et les carêmes fixés au même moment obligatoire pour tous, ils savent que c'est le plus fort des ciments de la nation, de l'Etat, et surtout de l'Eglise.
«Qu'on ne vienne pas nous flatter en affirmant que nous faisons la guerre à des moulins à vent ! Non. Notre Seigneur nous a fait l'honneur de nous charger de défendre son Nom.
«Gloire et louange à ceux qui ont souffert de persécutions et de privations ! Gloire éternelle à ceux que le Seigneur a honorés de la palme du martyre !
«Rien n'est de peu de valeur, de peu d'importance dans l'Eglise du Christ, car l'Esprit de Dieu souffle dans chacun des usages et anime l'Eglise. Celui qui ose s'élever contre les coutumes et les règles de l'Eglise, fondées sur les Ecritures Saintes et la Sainte Tradition, s'élève contre l'Esprit de Dieu et montre à tous ceux qui ont des yeux pour voir quel est l'esprit qui l'anime. Il est digne et juste que la Sainte Eglise frappe ces gens-là d'anathème.
«Je prie le Seigneur qu'Il donne des forces aux faibles, qu'Il convertisse les égarés et qu'Il apaise Ses fidèles de Sa paix, non pas de la paix d'ici-bas, mais de celle d'En-haut !»
(Cité d'après : L'enseignement de l'Eglise Orthodoxe sur la Sainte Tradition et son attitude envers le nouveau style. Rédigé par les zélateurs de la piété orthodoxe de l'Athos. Tchécoslovaquie, Vladimirova, 1934).
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire