jeudi 13 janvier 2011
La Lumière du Thabor n°22. Un voyage pastoral.
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Un voyage pastoral
Sa Béatitude l’Archevêque
Auxence d’Athènes
en visite dans les paroisses de la mission française.
Introduction
« Celui qui désire l’épiscopat, dit l’Apôtre Paul, désire une œuvre excellente ». Dans les premiers temps de l’Eglise, en effet, ceux qui acceptaient la charge de pasteurs du troupeau du Christ, pouvaient tenir pour certain qu’ils mourraient martyrs. C’était donc des chrétiens accomplis, c’est-à-dire déifiés, ayant reçu la grâce de Dieu, selon la parole du Seigneur : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ».
Longtemps les évêques continuèrent d’être choisis, par le clergé et le peuple, parmi les déifiés, ceux qui avaient atteint les cimes de la prière du cœur et de l’expérience vivante du Dieu vivant. Car seuls les saints peuvent guider le peuple de Dieu sur la voie de la sanctification ; seuls des êtres devenus lumineux peuvent éclairer les autres. C’était souvent au fond des monastères, voire au fond « des déserts et des antres de la terre », que le peuple allait chercher ses archi-hiérarques.
Mais en Russie, à partir de Pierre le Grand, puis en Grèce, avec le roi Othon, une autre conception de l’épiscopat se fit jour. Elle découlait des nouveaux statuts imposés à l’Eglise et qui faisaient d’elle une servante de l’Etat. L’évêque devint une sorte d’agent d’Etat, chargé d’appliquer, dans son domaine, les directives du pouvoir central. En tout cela, on s’inspirait des modèles de l’Occident, qui avait connu dès le VIIème siècle cet « épiscopat fonctionnaire ». Ce fut la décadence de l’épiscopat, composé d’aveugles guidant des aveugles.
Cette situation tragique eût plusieurs conséquences :
1. Les évêques n’ont plus l’expérience intime de Dieu, et sont donc coupés de la source et du sens des dogmes.
2. Les évêques sont aussi coupés du peuple et se sentent, comme des évêques franks, supérieurs à lui.
3. Les évêques ne peuvent plus détecter les hérésies, c’est-à-dire les doctrines qui empêchent l’expérience de la déification.
C’est donc sur un corps malade que tomba le décret qui imposait, en Grèce, le changement de calendrier, et la plupart des évêques, dociles à l’Etat qui les payait, ne protestèrent pas.
Le changement de calendrier était assurément un mal et le début de l’hérésie oecuméniste ; mais du mal souvent Dieu tire le bien. De fait, les Anciens Calendaristes, en se séparant de l’Eglise d’Etat, par un sursaut salutaire, ont, du même coup, libéré leur clergé de la tutelle temporelle. De nouveau, les évêques sont choisis par le peuple parmi les moines ayant une authentique expérience spirituelle et une vie de prière pure et désintéressée.
De cela nous sommes témoins. L’Archevêque Auxence, qui mène depuis des années le combat des V.C.O. ou Vrais Chrétiens Orthodoxes…
…est un hiérarque selon le cœur des fidèles parce que, dans cet homme simple et au regard clair, ils sentent qu’ils ont un véritable confesseur de la foi et un « homme de Dieu », préoccupé avant toute chose du troupeau que Dieu lui a confié et aimant pardessus tout la prière, qui nous unit à Dieu.
En guise d’exemple à l’appui de ces remarques, nous offrons ici le récit détaillé de la visite de l’Archevêque Auxence, qui incarne l’épiscopat véritable, gardien du « dépôt » sacré de l’Eglise, qui est le Christ.
Paris
L’Archevêque Auxence est arrivé à Paris, à l’aéroport Charles de Gaulle, le vendredi 13 mai 1989 (26 mai du calendrier civil), jour où l’on fête sainte Glycérie et où l’on commémore les moines d’Iviron, martyrs de la foi orthodoxe. Il était accompagné de la Mère Supérieure (Gérondissa) Xénie du Monastère Saint-Jean-le-Théologien de Pétroupolis, sis dans les environs d’Athènes ; du Révérend Père Panayotis Panayotopoulos, secrétaire du Saint Synode, et de la presbytera (femme du prêtre) du Père Panayotis. Le Père Patric, exarque du Synode pour la France, ainsi que le Père Joseph, sont venus accueillir l’Archevêque qui, avec une grande douceur s’est avancé vers les douaniers chargés de contrôler les bagages, en leur lançant : « Ierapostoli ! » ce que la mère Xénie leur traduit immédiatement : « Nous sommes la mission apostolique » ; les douaniers, voyant la bonté et la dignité vraiment apostolique de l’Archevêque, le laissèrent passer sans le contrôler outre mesure.
Les voitures le conduisent à Levallois où l’Archimandrite Ambroise attend Sa Béatitude, lui explique le programme du voyage et règle avec le Professeur Jean-Joseph Bernard et le Père Panayotis le typicon de la liturgie pontificale. Un peu plus tard, arrivent de Toulouse le Diacre Nectaire Carayol et sa femme Marie, qui viennent eux aussi, avec le hiéromoine Philarète, recevoir la bénédiction de leur Archipasteur. Celui-ci adresse à tous un petit discours, déclarant le but principal de son voyage, qui est d’aider la mission française et de « voir de ses yeux, toucher de ses mains » les églises vraiment orthodoxes qui ont fleuri sur notre sol.
Le samedi matin, un pieux fidèle, Jacques Biondi, vient chercher l’Archevêque et sa suite pour les conduire à l’église de la Sainte Trinité, 30 boulevard de Sébastopol à Paris.
Au cours de cette première Liturgie Pontificale, le lecteur Cyprien est ordonné sous-diacre puis diacre, et Timothée Pignot est fait lecteur, puis sous-diacre. Dans l’Eglise orthodoxe nul ne peut, on le sait, sauter le moindre des degrés qui conduisent au sacerdoce.
Après le déjeuner, le Père Panayotis, le Père Ambroise et le Père Patric ont une réunion de travail avec l’Archevêque Auxence. Père Ambroise et Père Patric expliquent la dégradation théologique et spirituelle de la diaspora oecuméniste qui multiplie les prières communes avec les hétérodoxes : vêpres et services oecuméniques, réunions de prière, communion donnée aux non-orthodoxes, dépendance matérielle à l’égard des catholiques sont le lot quotidien du fidèle orthodoxe, qui en souffre dans son âme, comme Lot au milieu des impies. Ils lui rappellent les raisons de foi qui ont conduit le Doyenné Français de l’E.R.H.F. à chercher refuge sous son omophore, après la mort du Métropolite Philarète.
Voir Thabor n° 16, p. 102-103. L’Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce est, en effet, la seule qui soit, pour des raisons de foi, séparée du corps de l’œcuménisme, dominé et dirigé par Constantinople et Moscou.
L’Archevêque s’engage, une nouvelle fois, à soutenir de toutes ses forces la mission orthodoxe française, comme il l’a fait pour les missions orthodoxes canadienne, américaine et australienne.
Après les Vigiles du samedi soir, le dimanche matin la Liturgie Pontificale est célébrée dans l’église de la Sainte Trinité et Monseigneur Auxence élève au rang d’Archimandrite le hiéromoine Joseph (Terestchenko) ; puis il ordonne le sous-diacre Timothée au diaconat et le diacre Cyprien au sacerdoce. La liturgie pontificale de l’Archevêque Auxence est concélébrée par les Pères Ambroise, Patric, Joseph, Philarète, Cyprien et par les diacres Nectaire et Timothée, avec une assistance nombreuse et recueillie.
A la fin de la liturgie, Monseigneur Auxence prêche sur la confession de la foi. Prenant pour argument la fête de ce jour, celle de la Samaritaine, Sa Béatitude rappelle les hauts faits et le martyre de sainte Photinie, tels que la tradition orthodoxe, qui connaît les mystères de l’Evangile, les a conservés ; comme son nom le manifeste, sainte Photinie, avec tous ses enfants, a été une grande illuminatrice, égale aux Apôtres dans la prédication de la foi. Telle est la tâche précise de la mission française, au milieu d’un Occident qui a perdu ses racines orthodoxes.
Puis l’Archevêque explique le sens du combat chrétien des Vrais Chrétiens Orthodoxes. L’histoire de l’humanité peut se résumer à la lutte du démon contre les hommes. Dès l’origine, Satan trompa Adam et Eve et les détourna de la déification prévue pour eux. Le Christ a inauguré son œuvre en chassant les démons. Toutefois le diable, quoique vaincu par la Croix, reste agissant jusqu’à la fin du monde, pour que chacun de nous puisse en triompher avec l’aide du Seigneur Jésus Christ.
C’est ainsi que, dès les premiers temps de l’Eglise, le démon s’est attaqué à elle, d’abord de l’extérieur, par les persécutions. Puis, quand l’empire fut devenu chrétien, le diable suscita, de l’intérieur, les hérésies, pires que les persécutions. Depuis Arius jusqu’à nos jours, les hérésies se sont succédées ; la dernière en date, et la plus grave de toutes, l’ultime invention du démon, c’est l’œcuménisme, qui récapitule toutes les erreurs.
Par le biais de l’œcuménisme, le démon rentre dans l’orthodoxie et y jette le désordre : d’où la chute de tous les grands patriarcats. Mais le Christ a promis que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Eglise », et c’est pourquoi un petit noyau tiendra bon dans le Christ. Tels sont les Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce.
L’Archevêque commente l’attachement des Vrais Chrétiens Orthodoxes au calendrier julien : nous ne sommes pas des adorateurs des jours, ni des fétichistes du calendrier, mais ce changement du rythme liturgique, qui peut sembler un détail mineur, renferme la maladie oecuméniste. L’altération du calendrier est comme cette porte minuscule qu’avaient oubliée ceux qui gardaient Constantinople, et par laquelle entra l’ennemi qui prit la Ville. Cette innovation, si légère qu’elle paraisse, ouvre la voie à toutes les transgressions que nous voyons se développer et qui iront toujours augmentant.
La liturgie achevée, le clergé et une grande partie des fidèles se rendent à Giverny, en Basse Normandie, où se trouve le Baptistère Saint-Jean-Baptiste, qui a vu, depuis des années, tant de catéchumènes recevoir la Sainte Illumination selon les règles de la Sainte Eglise Orthodoxe. Tout le monde se réunit pour les agapes organisées par le Professeur Jean-Joseph Bernard. A la fin des agapes, l’Archevêque remercie les fidèles, loue la petite chapelle de Giverny et son autel, et déclare que la réunion qu’il a sous les yeux lui rappelle la vie des premiers chrétiens, qui mettaient tout en commun. Il exhorte la communauté à conserver le lien de la charité et du partage mutuel, signe de la foi orthodoxe.
Le lundi matin, jour de saint Théodore le Sanctifié, le Père Ambroise et la Presbytera Anne reçoivent l’Archevêque et sa suite et lui font visiter Paris. Le Père Ambroise commente en particulier, pour les illustres visiteurs, les monuments et les quartiers éclairés par l’aube des origines chrétiennes : le Mont des Martyrs devenu Montmartre ; la Montagne de Sainte Geneviève, la patronne de Paris, qui arrêta les Huns d’Attila et soutint le peuple orthodoxe gallo-romain contre les rois franks ; l’île de la Cité, cœur de Lutèce...
Le lundi soir, de pieux fidèles, Pierre et Laurence, invitent Sa Béatitude, la Gérondissa Xénie, le Père Panayotis et sa femme, le Père Ambroise, le Père Patric, sa presbytera Anne, le lecteur Michel et un autre fidèle, Joseph, journaliste dans un grand journal français. Au cours du souper, empreint de cordialité, Joseph demande à l’Archevêque de raconter les épisodes des luttes qui ont marqué sa jeunesse, et que nous avons évoquées dans le n° 21 de La Lumière du Thabor.
Monseigneur Auxence commence le récit de sa vie, en disant qu’il vient de visiter le Louvre et les Invalides, et qu’il n’est pas issu d’une famille illustre comme celle des rois de France ou de Napoléon, mais d’une petite famille de paysans du centre de la Grèce, qui lui ont néanmoins donné un trésor bien plus précieux que tous les titres des princes occidentaux, celui de la foi orthodoxe.
Ce qui frappa le plus vivement les convives, ce fut le récit des tribulations par lesquelles Monseigneur Auxence a dû passer pour devenir moine. Jeune officier de marine, Monseigneur Auxence n’avait encore que peu voyagé et en était toujours dans ses années d’école, lorsqu’il se rendit compte que le voyage de la vie est bref et qu’il ne lui servirait de rien d’être un capitaine au long cours, si son âme faisait naufrage. Il fut attiré par la vie simple des moines et entra dans un petit monastère. Mais il se devait à l’Etat, en tant qu’officier de marine ; la police vint donc le chercher au monastère et l’arrêta. Il s’échappa du poste de police par la fenêtre, tant était grand son zèle pour le monachisme, et fut arrêté une seconde fois. La maréchaussée le conduisit alors dans le village dont il était natif, pour lui faire honte devant tous ses proches, d’être devenu moine alors qu’il était promis à une brillante carrière dans la marine. Mais il s’enfuit de nouveau, et fut repris pour la troisième fois. Ce n’est qu’après ces trois arrestations qu’il put aller au monastère vivre la vie en Christ.
Monseigneur Auxence édifia ensuite les fidèles en leur retraçant les événements de la persécution naguère déchaînée contre les vieux-calendaristes ; les coups et les blessures reçues de la police ; sa mission en Amérique comme prêtre de la paroisse de Détroit ;
la terrible période de l’évêque d’Etat Spiridon, durant laquelle il dut se cacher, passant d’une maison à l’autre ; sa rencontre avec Monseigneur Léonty du Chili, lequel, venu en Grèce pour donner un épiscopat canonique aux vieux-calendaristes, refusa les candidats qu’on lui proposait et arrêta son choix sur ceux qui lui semblèrent ornés de la vertu première des hiérarques : l’humilité. C’est cette humilité qui empêche Monseigneur Auxence de donner sur lui-même tous les détails que les fidèles aimeraient recueillir, prêts à écouter des heures durant ces histoires récentes de la vie de l’Eglise, triomphante au milieu des épreuves.
Le lendemain, départ pour Dinan, où s’élève la petite église de la Protection de la Mère de Dieu. L’Archevêque était accompagné de sa suite habituelle, de l’épitrope de Dinan, Romane Petroff, du P. Patric, du P. Philarète, et du P. Cyprien, ordonné à la demande de la communauté de Dinan, qui voulait un prêtre régulier pour la desservir.
Dinan
Hébergé dans une demeure campagnarde, l’Archevêque retrouve avec plaisir à Dinan la verdure des arbres et la bonne odeur marine, qui lui rappellent son petit monastère de l’Attique, qu’il est allé construire en pleine campagne, loin de la pollution d’Athènes.
La visite d’un cloître roman est l’occasion, pour l’épitrope, d’évoquer les racines chrétiennes de la terre bretonne, et la lutte des celto-romains pour sauvegarder la foi orthodoxe devant l’invasion étrangère.
Quoique les modernes aient voulu dissimuler l’identité orthodoxe et la similitude absolue du christianisme celtique avec le christianisme de l’Orient, les pierres, pourrait-on dire, la crient : et c’est avec beaucoup d’émotion que l’archevêque a constaté que l’architecture romane primitive développe la théologie orthodoxe de la synergie (collaboration, coopération) de Dieu et de l’homme, alors que le style gothique ne représente que l’orgueil humain à l’assaut du Ciel.
L’histoire nous apprend que l’aigle de la romanité, l’aigle à deux têtes, symbole de l’empire romain devenu chrétien par la conversion de Constantin, se tournait vers l’Orient et vers l’Occident, animés d’une même foi, d’une même espérance, d’une même charité. Sur le sol foulé par Constantin le Grand – originaire de Grande Bretagne – devait se développer la foi prêchée par les moines irlandais. Les noms de lieux bretons portent encore témoignage des saints Samson, Ronan – qui donna son nom à la ville de Locronan –, Magloire, et tant d’autres, illuminateurs des tribus celtiques.
L’histoire de la Bretagne est celle d’une lutte singulière, généralement omise ou déformée par les manuels, entre les celto-romains orthodoxes et les conquérants germano-franks, qui imposeront leur hérésie. Durant longtemps, la Bretagne luttera, et l’Archevêché de Rennes, bastion orthodoxe, s’opposera à celui de Tours, citadelle des Franks.
Après avoir vénéré les reliques de saint Magloire, l’archevêque se rendit dans l’église de la Protection de la Mère de Dieu.
Ayant, selon la coutume, vénéré l’autel et les icônes, lesquelles sont presque toutes dues à la main de Madame Julie Petroff, iconographe, l’archevêque prononça quelques mots chaleureux à l’adresse de l’assistance. Il souligna notamment que, dans ce modeste lieu de culte, il avait éprouvé, comme de façon tangible, la présence de la grâce de Dieu.
Au cours du déjeuner, l’Archevêque put discuter avec quelques notabilités locales, dont un savant amiral en retraite qui lui expliqua qu’une des églises de Dinan était la copie d’une église de Constantinople, celle de la Chôra tôn zôntôn. Cet érudit local, catholique romain plein de déférence pour l’orthodoxie, déclara à l’épitrope de Dinan, après le départ de l’archevêque : « Quel dommage, que dans notre Eglise, nous n’ayons pas un seul évêque comme le vôtre ! »
Durant les quelques jours de sa visite à Dinan, l’Archevêque eut encore plusieurs réunions de travail avec le Père Panayotis, le Père Patric et la Gérondissa Xénie.
A plusieurs reprises, il édifie les fidèles, tantôt par des récits, tantôt par des exhortations, dont nous recueillons ici quelques traits, pour l’utilité de nos lecteurs :
L’Archevêque raconte ses débuts au monastère. Dans la petite synodie (communauté) dont il faisait partie, les moines ne possédaient rien, pas même leur rasso ou leur soutane. C’est l’higoumène qui distribuait les vêtements de la semaine, donnant quelquefois à un moine de petite taille le rasso d’un grand, et réciproquement. En rappelant cette vie d’humilité, l’Archevêque insiste : ce qui passait pour difficile ou insensé aux yeux de certaines personnes du monde était, pour ses compagnons et lui, source d’une grande satisfaction ; mais tous, ajoute-t-il, ne sont pas en mesure de la goûter, ni d’embrasser l’état monastique.
Sa Béatitude raconte également quelques anecdotes de sa vie, illustrant la vertu d’obéissance et ses effets merveilleux, lorsqu’elle est pratiquée dans le Christ. Ainsi, dans les jours les plus noirs de la Guerre, il dut aller au-delà des lignes ennemies, sur l’ordre de son père spirituel, pour encourager le peuple chrétien vivant dans la zone occupée, et y célébrer les saints mystères. En cours de route, il se trouva bloqué dans un train qui fut pris d’assaut par les résistants. Il n’y eut qu’un seul survivant et ce fut lui, parce que, dit-il modestement « ce n’était pas pour moi, mais pour faire la volonté de mon ancien que j’avais pris ce train ». Et il conclut : « L’obéissance délivre de grands périls ».
L’Archevêque bénit la petite paroisse de Dinan, qui lui rappelle les commencements de sa propre Eglise, après la rupture d’avec le nouveau calendrier. Il promet que cette Eglise de Dinan connaîtra un grand développement, pourvu que ses membres gardent soigneusement la foi et le lien de la charité entre eux. Et il expose ces deux points :
- La foi. Sa Béatitude évoque Athanase le Grand dans sa lutte contre l’arianisme, lutte dont l’enjeu fut même, à un moment donné, un simple iota, la plus petite lettre de l’alphabet grec : qu’on la retirât ou qu on l’insérât dans un mot du credo chrétien, et l’on avait une foi orthodoxe ou une foi hérétique. De même, nous devons tenir à la moindre des traditions de notre Eglise, car celui qui observe « l’un de ces plus petits commandements, et enseigne à les observer, sera appelé grand dans le Royaume des Cieux » (Matt. 5, 19).
Et, ajoute l’Archevêque, nous sommes confrontés à l’arianisme moderne, l’œcuménisme, souvent difficile à déceler parce que les hiérarques oecuménistes sont passés maîtres en fait de tromperie. Il raconte alors qu’Arius, lorsqu’il prêta serment sur le texte du Credo, cachait dans sa manche son propre symbole de foi hérétique et appliquait mentalement à ce document dissimulé sa promesse de garder la foi. Toutefois, il ne put abuser le Saint Esprit, et mourut comme Judas, les entrailles déchirées « par le crochet de l’hameçon divin » (Dimanche des Saints Pères). A l’imitation des Pères du Premier Concile Œcuménique, nous devons être vigilants.
- la charité mutuelle. S’adressant particulièrement au desservant de la paroisse de Dinan, le P. Cyprien, Son Eminence insiste sur le désintéressement total dont doit faire preuve celui à qui Dieu confie la charge de son Eglise. Il faut toujours, déclare l’Archevêque, faire passer son frère avant soi-même, toujours rechercher l’intérêt de son frère avant le sien propre. Si la paroisse de Dinan conserve ce commandement, il ne fait pas de doute qu’elle deviendra un grand centre de rayonnement missionnaire, qui attirera toute la Bretagne, parce que chacun verra que c’est l’amour du Christ qui nous unit, selon la parole du Seigneur : « Qu’ils soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jean 17, 21).
Après ces bonnes paroles et ce séjour provincial, l’Archevêque doit rentrer sur Paris. Sur le chemin du retour, il s’arrête chez le Père Cyprien, pour de véritables agapes, car la presbytera Sophie accueille parfaitement l’Archevêque, les prêtres, la presbytera et la gérondissa Xénie.
Paris
Au soir de ce même jour, un grand nombre de fidèles se retrouvent chez le Père Patric. Comme à l’accoutumée, la presbytera a tout préparé et offre à tous une hospitalité royale.
L’Archevêque se réjouit de la compagnie et adresse des propos d’encouragements à la mission française. Ce qu’il a vu jusqu’à présent le ravit. Il évoque les premiers temps du combat des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce et les rapproche de l’époque de saint Constantin le Grand : ici et là, c’est la Croix qui a ouvert la voie et conduit la parataxe chrétienne. En effet, le miracle de la grande Croix d’étoile apparue lors de la Fête de l’Exaltation de la Croix en 1925, fut pour les anciens calendaristes la « confirmation venue d’En-haut » qui justifie toute leur lutte. De même, c’est le labarum, l’étendard portant la Croix, qui fit triompher Constantin. Sa Béatitude souhaite donc aux fidèles de l’ancienne Gaule de marcher, comme Constantin le Grand, sous la bannière de la Croix, qui sera leur archistratège et les conduira à la victoire.
En quelques mots, le P. Philarète lui répond et lui exprime la joie qu’ont éprouvée tous les fidèles à voir leur pasteur, vrai modèle de douceur et d’abnégation. De même que la seule vue du saint visage d’Antoine le Grand édifiait pleinement tel de ses disciples, de même, il suffit de voir agir Sa Béatitude pour en tirer des leçons de vie chrétienne.
Le lendemain, l’Archevêque est accueilli par le Père Joseph (Terestchenko) et par la famille de celui-ci, sa mère Cassia et son frère Yvan Terestchenko, qui lui font visiter Versailles et son château.
Le samedi matin, départ pour Lyon.
Lyon
Lyon, siège du primat des Gaules, a vu s’écrire plusieurs pages de l’Histoire de l’Eglise.
La visite de Lyon commence par un sommet : l’Archevêque, accompagné des Pères Ambroise, Panayotis, Patric, Joseph, et Cyprien, du diacre Timothée, de la presbytera du Père Panayotis et de la gérondissa Xénie, se rend successivement sur les lieux de la détention des saints martyrs de Lyon et vénèrent la prison dans laquelle mourut l’évêque Pothin, puis dans l’amphithéâtre des Trois Gaules, dégagé par les fouilles récentes, qui vit le martyre de sainte Blandine et de ses compagnons, sous le règne de l’empereur Marc-Aurèle. La lettre qui relate l’histoire des martyrs de Lyon, adressée par les chrétiens de Vienne à ceux de Smyrne, est l’un des plus beaux monuments littéraires du christianisme primitif.
Le Père Ambroise retrace à Sa Béatitude l’histoire de la ville de Lyon, et son importance dans la Romyosynê, dans l’Empire romain christianisé. Communauté politique, culturelle et religieuse, la Romanité englobait tous les pays situés autour de la Méditerranée et, au-delà, la Grande-Bretagne, une partie de la Germanie, etc. L’empire romain étant tombé sous les coups des barbares, la nationalité romaine a été remplacée en Occident par les nationalités française, italienne, espagnole, anglaise, etc., tandis qu’elle subsistait en Orient, où les hellénophones ne se sont jamais appelés « Grecs » ni « Hellènes », mais « Romains » ou « Roumis ». Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, les descendants des gallo-romains, retrouvent la foi de leurs pères et les liens qui les unissaient avec les romains d’Orient, leurs frères.
Le Père Ambroise ajoute que la visite de l’Archevêque Auxence à Lyon restera comme une date importante : c’est la première fois qu’un évêque de la Romyosynê vient visiter le siège de Saint Irénée et de saint Pothin uniquement pour des raisons de foi et non du fait des hasards de l’émigration.
A l’issue des Vêpres, célébrées le samedi soir dans l’église Saint-Jean-le-Théologien, l’Archevêque prend la parole, et au milieu du silence attentif de tous, il dit à peu près ceci :
« En arrivant à Lyon, j’ai vu des choses extraordinaires, des constructions grandioses, des autoroutes, des échangeurs, des immeubles imposants, édifiés par l’homme ; mais le plus émouvant de tout, je l’ai trouvé ensuite, dans la crypte des martyrs, là où nos frères du second siècle ont souffert pour le Nom du Christ. J’ai senti alors que nous étions devant des vestiges témoins des tout premiers temps chrétiens. Car Saint Pothin de Lyon fut le disciple d’un autre grand martyr, saint Polycarpe de Smyrne, lui-même disciple de saint Jean, qui appuya sa tête sur la poitrine du Sauveur.
Nous remontons donc jusqu’aux premiers moments de la prédication apostolique. Votre ville est porteuse d’un grand passé, mais si les hommes honorent ce qui est passé, nous vénérons les martyrs qui sont à jamais vivants. Leur présence se manifeste dans l’Eglise, notamment par les guérisons qu’ils opèrent ».
L’Archevêque continue en félicitant tous les présents, jeunes et moins jeunes. « Vous descendez, leur dit-il en substance, de ces grands saints et votre présence ici, dans l’église, s’explique par la force de leur prière et de leur intercession. Ce sont les martyrs qui ont sanctifié ces lieux, en arrosant la terre de leur sang. Elle refleurit aujourd’hui : priez donc pour que, de nouveau, l’orthodoxie se multiplie et porte des fruits au centuple !
Le lendemain, dimanche de l’Aveugle-né, l’Archevêque célèbre la liturgie pontificale, au milieu d’une assemblée nombreuse. Il ordonne prêtre le diacre Nectaire de Toulouse.
A la fin de la liturgie, l’Archevêque commente dans son homélie le miracle de l’Aveugle-né. Il le fait d’une façon vivante, qui a frappé plusieurs fidèles grecs, venus de Grenoble et d’ailleurs. Sa Béatitude, ont-ils expliqué, ressent de l’intérieur les choses de l’Evangile, et nous les rend proches, en les interprétant d’après les Pères.
Ainsi, l’Archevêque met l’accent sur l’acte créateur du Seigneur, qui forme avec de la boue les yeux manquants, comme il avait façonné Adam ; puis il souligne la lâcheté des propres parents de l’aveugle, et pose, en contraste, le courage de cet homme, naguère infirme, qui tient tête aux pharisiens et ose confesser le Seigneur. Ce point permet à l’orateur de revenir sur le thème de la foi et de la nécessité d’une confession droite, surtout chez les prêtres. On ne doit pas se contenter de croire orthodoxement, il faut encore prêcher la foi, « à temps et à contretemps ». « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ».
Ensuite Sa Béatitude, évoquant les mystères qui viennent d’être accomplis, rappelle à tous les fidèles la grandeur et les périls de l’ordination sacerdotale. Le rôle si important du prêtre vient des mystères redoutables que lui seul peut opérer, en particulier le mystère de la Sainte Eucharistie et la rémission des péchés par la confession.
Deux paraboles du grand saint Cosmas d’Etolie illustrent son propos ; elles ont été particulièrement appréciées des fidèles. Les voici en résumé : Saint Cosmas, enseignant le peuple, disait ceci : « Si je rencontre sur une route l’empereur et un prêtre cheminant ensemble, qui croyez-vous que je saluerai d’abord ? » L’assistance inclinait à répondre : « L’empereur, bien sûr », mais il reprenait : « J’embrasserai la main du prêtre avant de faire les salutations d’usage à l’empereur, car l’empereur est le représentant des hommes, il résume tout son peuple ; mais le prêtre est le représentant de Dieu ».
Saint Cosmas disait encore : « Supposez que je m’enfonce dans le désert et que je rencontre un prêtre cheminant avec un ange, devant qui me prosternerai-je ? Je me prosternerai devant le prêtre ».
Comme on se récriait : « Le prêtre n’est qu’un homme, tandis que l’ange est un ange », le saint répondait : « Le prêtre est quelque chose de plus que l’ange, car ce que le prêtre peut faire sur la terre – la consécration des saints Dons qui transforme le Pain et le Vin en Corps et Sang du Seigneur – les anges ne peuvent pas le faire dans le ciel ».
Après cette homélie pleine d’enseignements, les fidèles entourant leur archipasteur se retrouvaient pour les agapes, auxquelles participèrent de nombreux convives.
L’Archevêque reçut avec joie, de la bouche des fidèles venus de Pau, Bordeaux, Toulouse et Montpellier, des nouvelles des autres paroisses de la mission française : l’Eglise de l’Annonciation de Montpellier, celle de la Nativité de la Mère de Dieu, de Toulouse, et, enfin, la toute récente paroisse de Bordeaux, dont la chapelle est dédiée à saint Nectaire le Thaumaturge. Monseigneur Auxence promit qu’au cours d’un prochain voyage, il visiterait ces « sœurs du Midi ».
Après un séjour bien rempli à Lyon, l’Archevêque remonta sur Paris en TGV.
Dès le lundi matin, Sa Béatitude reprend l’avion pour la Grèce. Il promet de parler en Grèce de tout ce qu’il a vu et entendu en France, dont il emporte le meilleur souvenir ; et il exhorte une dernière fois les fidèles à la perfection évangélique : « Soyez exemplaires, pour que je puisse être fier de vous en Grèce ».
Conclusion
La venue de Sa Béatitude l’Archevêque Auxence d’Athènes a été pour tous les fidèles une grande émotion et un renouvellement de la joie de Pâque. Ils ont pu constater de leurs propres yeux que les éloges prodigués à son propos par ceux qui l’avaient vu en Grèce n’étaient pas excessifs, et plutôt en-deçà de la réalité. La dignité, l’affabilité, la douceur de l’Archevêque ont frappé tous ceux qui l’ont approché. Sa Béatitude est vraiment un homme de prière, comme on l’attend d’un pasteur du troupeau raisonnable de Dieu. La présence de l’Archevêque, à elle seule, a donc été une grande bénédiction pour la mission française, qui portera, nous l’espérons, des fruits agréables à Dieu.
Un voyage pastoral
Sa Béatitude l’Archevêque
Auxence d’Athènes
en visite dans les paroisses de la mission française.
Introduction
« Celui qui désire l’épiscopat, dit l’Apôtre Paul, désire une œuvre excellente ». Dans les premiers temps de l’Eglise, en effet, ceux qui acceptaient la charge de pasteurs du troupeau du Christ, pouvaient tenir pour certain qu’ils mourraient martyrs. C’était donc des chrétiens accomplis, c’est-à-dire déifiés, ayant reçu la grâce de Dieu, selon la parole du Seigneur : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ».
Longtemps les évêques continuèrent d’être choisis, par le clergé et le peuple, parmi les déifiés, ceux qui avaient atteint les cimes de la prière du cœur et de l’expérience vivante du Dieu vivant. Car seuls les saints peuvent guider le peuple de Dieu sur la voie de la sanctification ; seuls des êtres devenus lumineux peuvent éclairer les autres. C’était souvent au fond des monastères, voire au fond « des déserts et des antres de la terre », que le peuple allait chercher ses archi-hiérarques.
Mais en Russie, à partir de Pierre le Grand, puis en Grèce, avec le roi Othon, une autre conception de l’épiscopat se fit jour. Elle découlait des nouveaux statuts imposés à l’Eglise et qui faisaient d’elle une servante de l’Etat. L’évêque devint une sorte d’agent d’Etat, chargé d’appliquer, dans son domaine, les directives du pouvoir central. En tout cela, on s’inspirait des modèles de l’Occident, qui avait connu dès le VIIème siècle cet « épiscopat fonctionnaire ». Ce fut la décadence de l’épiscopat, composé d’aveugles guidant des aveugles.
Cette situation tragique eût plusieurs conséquences :
1. Les évêques n’ont plus l’expérience intime de Dieu, et sont donc coupés de la source et du sens des dogmes.
2. Les évêques sont aussi coupés du peuple et se sentent, comme des évêques franks, supérieurs à lui.
3. Les évêques ne peuvent plus détecter les hérésies, c’est-à-dire les doctrines qui empêchent l’expérience de la déification.
C’est donc sur un corps malade que tomba le décret qui imposait, en Grèce, le changement de calendrier, et la plupart des évêques, dociles à l’Etat qui les payait, ne protestèrent pas.
Le changement de calendrier était assurément un mal et le début de l’hérésie oecuméniste ; mais du mal souvent Dieu tire le bien. De fait, les Anciens Calendaristes, en se séparant de l’Eglise d’Etat, par un sursaut salutaire, ont, du même coup, libéré leur clergé de la tutelle temporelle. De nouveau, les évêques sont choisis par le peuple parmi les moines ayant une authentique expérience spirituelle et une vie de prière pure et désintéressée.
De cela nous sommes témoins. L’Archevêque Auxence, qui mène depuis des années le combat des V.C.O. ou Vrais Chrétiens Orthodoxes…
…est un hiérarque selon le cœur des fidèles parce que, dans cet homme simple et au regard clair, ils sentent qu’ils ont un véritable confesseur de la foi et un « homme de Dieu », préoccupé avant toute chose du troupeau que Dieu lui a confié et aimant pardessus tout la prière, qui nous unit à Dieu.
En guise d’exemple à l’appui de ces remarques, nous offrons ici le récit détaillé de la visite de l’Archevêque Auxence, qui incarne l’épiscopat véritable, gardien du « dépôt » sacré de l’Eglise, qui est le Christ.
Paris
L’Archevêque Auxence est arrivé à Paris, à l’aéroport Charles de Gaulle, le vendredi 13 mai 1989 (26 mai du calendrier civil), jour où l’on fête sainte Glycérie et où l’on commémore les moines d’Iviron, martyrs de la foi orthodoxe. Il était accompagné de la Mère Supérieure (Gérondissa) Xénie du Monastère Saint-Jean-le-Théologien de Pétroupolis, sis dans les environs d’Athènes ; du Révérend Père Panayotis Panayotopoulos, secrétaire du Saint Synode, et de la presbytera (femme du prêtre) du Père Panayotis. Le Père Patric, exarque du Synode pour la France, ainsi que le Père Joseph, sont venus accueillir l’Archevêque qui, avec une grande douceur s’est avancé vers les douaniers chargés de contrôler les bagages, en leur lançant : « Ierapostoli ! » ce que la mère Xénie leur traduit immédiatement : « Nous sommes la mission apostolique » ; les douaniers, voyant la bonté et la dignité vraiment apostolique de l’Archevêque, le laissèrent passer sans le contrôler outre mesure.
Les voitures le conduisent à Levallois où l’Archimandrite Ambroise attend Sa Béatitude, lui explique le programme du voyage et règle avec le Professeur Jean-Joseph Bernard et le Père Panayotis le typicon de la liturgie pontificale. Un peu plus tard, arrivent de Toulouse le Diacre Nectaire Carayol et sa femme Marie, qui viennent eux aussi, avec le hiéromoine Philarète, recevoir la bénédiction de leur Archipasteur. Celui-ci adresse à tous un petit discours, déclarant le but principal de son voyage, qui est d’aider la mission française et de « voir de ses yeux, toucher de ses mains » les églises vraiment orthodoxes qui ont fleuri sur notre sol.
Le samedi matin, un pieux fidèle, Jacques Biondi, vient chercher l’Archevêque et sa suite pour les conduire à l’église de la Sainte Trinité, 30 boulevard de Sébastopol à Paris.
Au cours de cette première Liturgie Pontificale, le lecteur Cyprien est ordonné sous-diacre puis diacre, et Timothée Pignot est fait lecteur, puis sous-diacre. Dans l’Eglise orthodoxe nul ne peut, on le sait, sauter le moindre des degrés qui conduisent au sacerdoce.
Après le déjeuner, le Père Panayotis, le Père Ambroise et le Père Patric ont une réunion de travail avec l’Archevêque Auxence. Père Ambroise et Père Patric expliquent la dégradation théologique et spirituelle de la diaspora oecuméniste qui multiplie les prières communes avec les hétérodoxes : vêpres et services oecuméniques, réunions de prière, communion donnée aux non-orthodoxes, dépendance matérielle à l’égard des catholiques sont le lot quotidien du fidèle orthodoxe, qui en souffre dans son âme, comme Lot au milieu des impies. Ils lui rappellent les raisons de foi qui ont conduit le Doyenné Français de l’E.R.H.F. à chercher refuge sous son omophore, après la mort du Métropolite Philarète.
Voir Thabor n° 16, p. 102-103. L’Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce est, en effet, la seule qui soit, pour des raisons de foi, séparée du corps de l’œcuménisme, dominé et dirigé par Constantinople et Moscou.
L’Archevêque s’engage, une nouvelle fois, à soutenir de toutes ses forces la mission orthodoxe française, comme il l’a fait pour les missions orthodoxes canadienne, américaine et australienne.
Après les Vigiles du samedi soir, le dimanche matin la Liturgie Pontificale est célébrée dans l’église de la Sainte Trinité et Monseigneur Auxence élève au rang d’Archimandrite le hiéromoine Joseph (Terestchenko) ; puis il ordonne le sous-diacre Timothée au diaconat et le diacre Cyprien au sacerdoce. La liturgie pontificale de l’Archevêque Auxence est concélébrée par les Pères Ambroise, Patric, Joseph, Philarète, Cyprien et par les diacres Nectaire et Timothée, avec une assistance nombreuse et recueillie.
A la fin de la liturgie, Monseigneur Auxence prêche sur la confession de la foi. Prenant pour argument la fête de ce jour, celle de la Samaritaine, Sa Béatitude rappelle les hauts faits et le martyre de sainte Photinie, tels que la tradition orthodoxe, qui connaît les mystères de l’Evangile, les a conservés ; comme son nom le manifeste, sainte Photinie, avec tous ses enfants, a été une grande illuminatrice, égale aux Apôtres dans la prédication de la foi. Telle est la tâche précise de la mission française, au milieu d’un Occident qui a perdu ses racines orthodoxes.
Puis l’Archevêque explique le sens du combat chrétien des Vrais Chrétiens Orthodoxes. L’histoire de l’humanité peut se résumer à la lutte du démon contre les hommes. Dès l’origine, Satan trompa Adam et Eve et les détourna de la déification prévue pour eux. Le Christ a inauguré son œuvre en chassant les démons. Toutefois le diable, quoique vaincu par la Croix, reste agissant jusqu’à la fin du monde, pour que chacun de nous puisse en triompher avec l’aide du Seigneur Jésus Christ.
C’est ainsi que, dès les premiers temps de l’Eglise, le démon s’est attaqué à elle, d’abord de l’extérieur, par les persécutions. Puis, quand l’empire fut devenu chrétien, le diable suscita, de l’intérieur, les hérésies, pires que les persécutions. Depuis Arius jusqu’à nos jours, les hérésies se sont succédées ; la dernière en date, et la plus grave de toutes, l’ultime invention du démon, c’est l’œcuménisme, qui récapitule toutes les erreurs.
Par le biais de l’œcuménisme, le démon rentre dans l’orthodoxie et y jette le désordre : d’où la chute de tous les grands patriarcats. Mais le Christ a promis que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Eglise », et c’est pourquoi un petit noyau tiendra bon dans le Christ. Tels sont les Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce.
L’Archevêque commente l’attachement des Vrais Chrétiens Orthodoxes au calendrier julien : nous ne sommes pas des adorateurs des jours, ni des fétichistes du calendrier, mais ce changement du rythme liturgique, qui peut sembler un détail mineur, renferme la maladie oecuméniste. L’altération du calendrier est comme cette porte minuscule qu’avaient oubliée ceux qui gardaient Constantinople, et par laquelle entra l’ennemi qui prit la Ville. Cette innovation, si légère qu’elle paraisse, ouvre la voie à toutes les transgressions que nous voyons se développer et qui iront toujours augmentant.
La liturgie achevée, le clergé et une grande partie des fidèles se rendent à Giverny, en Basse Normandie, où se trouve le Baptistère Saint-Jean-Baptiste, qui a vu, depuis des années, tant de catéchumènes recevoir la Sainte Illumination selon les règles de la Sainte Eglise Orthodoxe. Tout le monde se réunit pour les agapes organisées par le Professeur Jean-Joseph Bernard. A la fin des agapes, l’Archevêque remercie les fidèles, loue la petite chapelle de Giverny et son autel, et déclare que la réunion qu’il a sous les yeux lui rappelle la vie des premiers chrétiens, qui mettaient tout en commun. Il exhorte la communauté à conserver le lien de la charité et du partage mutuel, signe de la foi orthodoxe.
Le lundi matin, jour de saint Théodore le Sanctifié, le Père Ambroise et la Presbytera Anne reçoivent l’Archevêque et sa suite et lui font visiter Paris. Le Père Ambroise commente en particulier, pour les illustres visiteurs, les monuments et les quartiers éclairés par l’aube des origines chrétiennes : le Mont des Martyrs devenu Montmartre ; la Montagne de Sainte Geneviève, la patronne de Paris, qui arrêta les Huns d’Attila et soutint le peuple orthodoxe gallo-romain contre les rois franks ; l’île de la Cité, cœur de Lutèce...
Le lundi soir, de pieux fidèles, Pierre et Laurence, invitent Sa Béatitude, la Gérondissa Xénie, le Père Panayotis et sa femme, le Père Ambroise, le Père Patric, sa presbytera Anne, le lecteur Michel et un autre fidèle, Joseph, journaliste dans un grand journal français. Au cours du souper, empreint de cordialité, Joseph demande à l’Archevêque de raconter les épisodes des luttes qui ont marqué sa jeunesse, et que nous avons évoquées dans le n° 21 de La Lumière du Thabor.
Monseigneur Auxence commence le récit de sa vie, en disant qu’il vient de visiter le Louvre et les Invalides, et qu’il n’est pas issu d’une famille illustre comme celle des rois de France ou de Napoléon, mais d’une petite famille de paysans du centre de la Grèce, qui lui ont néanmoins donné un trésor bien plus précieux que tous les titres des princes occidentaux, celui de la foi orthodoxe.
Ce qui frappa le plus vivement les convives, ce fut le récit des tribulations par lesquelles Monseigneur Auxence a dû passer pour devenir moine. Jeune officier de marine, Monseigneur Auxence n’avait encore que peu voyagé et en était toujours dans ses années d’école, lorsqu’il se rendit compte que le voyage de la vie est bref et qu’il ne lui servirait de rien d’être un capitaine au long cours, si son âme faisait naufrage. Il fut attiré par la vie simple des moines et entra dans un petit monastère. Mais il se devait à l’Etat, en tant qu’officier de marine ; la police vint donc le chercher au monastère et l’arrêta. Il s’échappa du poste de police par la fenêtre, tant était grand son zèle pour le monachisme, et fut arrêté une seconde fois. La maréchaussée le conduisit alors dans le village dont il était natif, pour lui faire honte devant tous ses proches, d’être devenu moine alors qu’il était promis à une brillante carrière dans la marine. Mais il s’enfuit de nouveau, et fut repris pour la troisième fois. Ce n’est qu’après ces trois arrestations qu’il put aller au monastère vivre la vie en Christ.
Monseigneur Auxence édifia ensuite les fidèles en leur retraçant les événements de la persécution naguère déchaînée contre les vieux-calendaristes ; les coups et les blessures reçues de la police ; sa mission en Amérique comme prêtre de la paroisse de Détroit ;
la terrible période de l’évêque d’Etat Spiridon, durant laquelle il dut se cacher, passant d’une maison à l’autre ; sa rencontre avec Monseigneur Léonty du Chili, lequel, venu en Grèce pour donner un épiscopat canonique aux vieux-calendaristes, refusa les candidats qu’on lui proposait et arrêta son choix sur ceux qui lui semblèrent ornés de la vertu première des hiérarques : l’humilité. C’est cette humilité qui empêche Monseigneur Auxence de donner sur lui-même tous les détails que les fidèles aimeraient recueillir, prêts à écouter des heures durant ces histoires récentes de la vie de l’Eglise, triomphante au milieu des épreuves.
Le lendemain, départ pour Dinan, où s’élève la petite église de la Protection de la Mère de Dieu. L’Archevêque était accompagné de sa suite habituelle, de l’épitrope de Dinan, Romane Petroff, du P. Patric, du P. Philarète, et du P. Cyprien, ordonné à la demande de la communauté de Dinan, qui voulait un prêtre régulier pour la desservir.
Dinan
Hébergé dans une demeure campagnarde, l’Archevêque retrouve avec plaisir à Dinan la verdure des arbres et la bonne odeur marine, qui lui rappellent son petit monastère de l’Attique, qu’il est allé construire en pleine campagne, loin de la pollution d’Athènes.
La visite d’un cloître roman est l’occasion, pour l’épitrope, d’évoquer les racines chrétiennes de la terre bretonne, et la lutte des celto-romains pour sauvegarder la foi orthodoxe devant l’invasion étrangère.
Quoique les modernes aient voulu dissimuler l’identité orthodoxe et la similitude absolue du christianisme celtique avec le christianisme de l’Orient, les pierres, pourrait-on dire, la crient : et c’est avec beaucoup d’émotion que l’archevêque a constaté que l’architecture romane primitive développe la théologie orthodoxe de la synergie (collaboration, coopération) de Dieu et de l’homme, alors que le style gothique ne représente que l’orgueil humain à l’assaut du Ciel.
L’histoire nous apprend que l’aigle de la romanité, l’aigle à deux têtes, symbole de l’empire romain devenu chrétien par la conversion de Constantin, se tournait vers l’Orient et vers l’Occident, animés d’une même foi, d’une même espérance, d’une même charité. Sur le sol foulé par Constantin le Grand – originaire de Grande Bretagne – devait se développer la foi prêchée par les moines irlandais. Les noms de lieux bretons portent encore témoignage des saints Samson, Ronan – qui donna son nom à la ville de Locronan –, Magloire, et tant d’autres, illuminateurs des tribus celtiques.
L’histoire de la Bretagne est celle d’une lutte singulière, généralement omise ou déformée par les manuels, entre les celto-romains orthodoxes et les conquérants germano-franks, qui imposeront leur hérésie. Durant longtemps, la Bretagne luttera, et l’Archevêché de Rennes, bastion orthodoxe, s’opposera à celui de Tours, citadelle des Franks.
Après avoir vénéré les reliques de saint Magloire, l’archevêque se rendit dans l’église de la Protection de la Mère de Dieu.
Ayant, selon la coutume, vénéré l’autel et les icônes, lesquelles sont presque toutes dues à la main de Madame Julie Petroff, iconographe, l’archevêque prononça quelques mots chaleureux à l’adresse de l’assistance. Il souligna notamment que, dans ce modeste lieu de culte, il avait éprouvé, comme de façon tangible, la présence de la grâce de Dieu.
Au cours du déjeuner, l’Archevêque put discuter avec quelques notabilités locales, dont un savant amiral en retraite qui lui expliqua qu’une des églises de Dinan était la copie d’une église de Constantinople, celle de la Chôra tôn zôntôn. Cet érudit local, catholique romain plein de déférence pour l’orthodoxie, déclara à l’épitrope de Dinan, après le départ de l’archevêque : « Quel dommage, que dans notre Eglise, nous n’ayons pas un seul évêque comme le vôtre ! »
Durant les quelques jours de sa visite à Dinan, l’Archevêque eut encore plusieurs réunions de travail avec le Père Panayotis, le Père Patric et la Gérondissa Xénie.
A plusieurs reprises, il édifie les fidèles, tantôt par des récits, tantôt par des exhortations, dont nous recueillons ici quelques traits, pour l’utilité de nos lecteurs :
L’Archevêque raconte ses débuts au monastère. Dans la petite synodie (communauté) dont il faisait partie, les moines ne possédaient rien, pas même leur rasso ou leur soutane. C’est l’higoumène qui distribuait les vêtements de la semaine, donnant quelquefois à un moine de petite taille le rasso d’un grand, et réciproquement. En rappelant cette vie d’humilité, l’Archevêque insiste : ce qui passait pour difficile ou insensé aux yeux de certaines personnes du monde était, pour ses compagnons et lui, source d’une grande satisfaction ; mais tous, ajoute-t-il, ne sont pas en mesure de la goûter, ni d’embrasser l’état monastique.
Sa Béatitude raconte également quelques anecdotes de sa vie, illustrant la vertu d’obéissance et ses effets merveilleux, lorsqu’elle est pratiquée dans le Christ. Ainsi, dans les jours les plus noirs de la Guerre, il dut aller au-delà des lignes ennemies, sur l’ordre de son père spirituel, pour encourager le peuple chrétien vivant dans la zone occupée, et y célébrer les saints mystères. En cours de route, il se trouva bloqué dans un train qui fut pris d’assaut par les résistants. Il n’y eut qu’un seul survivant et ce fut lui, parce que, dit-il modestement « ce n’était pas pour moi, mais pour faire la volonté de mon ancien que j’avais pris ce train ». Et il conclut : « L’obéissance délivre de grands périls ».
L’Archevêque bénit la petite paroisse de Dinan, qui lui rappelle les commencements de sa propre Eglise, après la rupture d’avec le nouveau calendrier. Il promet que cette Eglise de Dinan connaîtra un grand développement, pourvu que ses membres gardent soigneusement la foi et le lien de la charité entre eux. Et il expose ces deux points :
- La foi. Sa Béatitude évoque Athanase le Grand dans sa lutte contre l’arianisme, lutte dont l’enjeu fut même, à un moment donné, un simple iota, la plus petite lettre de l’alphabet grec : qu’on la retirât ou qu on l’insérât dans un mot du credo chrétien, et l’on avait une foi orthodoxe ou une foi hérétique. De même, nous devons tenir à la moindre des traditions de notre Eglise, car celui qui observe « l’un de ces plus petits commandements, et enseigne à les observer, sera appelé grand dans le Royaume des Cieux » (Matt. 5, 19).
Et, ajoute l’Archevêque, nous sommes confrontés à l’arianisme moderne, l’œcuménisme, souvent difficile à déceler parce que les hiérarques oecuménistes sont passés maîtres en fait de tromperie. Il raconte alors qu’Arius, lorsqu’il prêta serment sur le texte du Credo, cachait dans sa manche son propre symbole de foi hérétique et appliquait mentalement à ce document dissimulé sa promesse de garder la foi. Toutefois, il ne put abuser le Saint Esprit, et mourut comme Judas, les entrailles déchirées « par le crochet de l’hameçon divin » (Dimanche des Saints Pères). A l’imitation des Pères du Premier Concile Œcuménique, nous devons être vigilants.
- la charité mutuelle. S’adressant particulièrement au desservant de la paroisse de Dinan, le P. Cyprien, Son Eminence insiste sur le désintéressement total dont doit faire preuve celui à qui Dieu confie la charge de son Eglise. Il faut toujours, déclare l’Archevêque, faire passer son frère avant soi-même, toujours rechercher l’intérêt de son frère avant le sien propre. Si la paroisse de Dinan conserve ce commandement, il ne fait pas de doute qu’elle deviendra un grand centre de rayonnement missionnaire, qui attirera toute la Bretagne, parce que chacun verra que c’est l’amour du Christ qui nous unit, selon la parole du Seigneur : « Qu’ils soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jean 17, 21).
Après ces bonnes paroles et ce séjour provincial, l’Archevêque doit rentrer sur Paris. Sur le chemin du retour, il s’arrête chez le Père Cyprien, pour de véritables agapes, car la presbytera Sophie accueille parfaitement l’Archevêque, les prêtres, la presbytera et la gérondissa Xénie.
Paris
Au soir de ce même jour, un grand nombre de fidèles se retrouvent chez le Père Patric. Comme à l’accoutumée, la presbytera a tout préparé et offre à tous une hospitalité royale.
L’Archevêque se réjouit de la compagnie et adresse des propos d’encouragements à la mission française. Ce qu’il a vu jusqu’à présent le ravit. Il évoque les premiers temps du combat des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce et les rapproche de l’époque de saint Constantin le Grand : ici et là, c’est la Croix qui a ouvert la voie et conduit la parataxe chrétienne. En effet, le miracle de la grande Croix d’étoile apparue lors de la Fête de l’Exaltation de la Croix en 1925, fut pour les anciens calendaristes la « confirmation venue d’En-haut » qui justifie toute leur lutte. De même, c’est le labarum, l’étendard portant la Croix, qui fit triompher Constantin. Sa Béatitude souhaite donc aux fidèles de l’ancienne Gaule de marcher, comme Constantin le Grand, sous la bannière de la Croix, qui sera leur archistratège et les conduira à la victoire.
En quelques mots, le P. Philarète lui répond et lui exprime la joie qu’ont éprouvée tous les fidèles à voir leur pasteur, vrai modèle de douceur et d’abnégation. De même que la seule vue du saint visage d’Antoine le Grand édifiait pleinement tel de ses disciples, de même, il suffit de voir agir Sa Béatitude pour en tirer des leçons de vie chrétienne.
Le lendemain, l’Archevêque est accueilli par le Père Joseph (Terestchenko) et par la famille de celui-ci, sa mère Cassia et son frère Yvan Terestchenko, qui lui font visiter Versailles et son château.
Le samedi matin, départ pour Lyon.
Lyon
Lyon, siège du primat des Gaules, a vu s’écrire plusieurs pages de l’Histoire de l’Eglise.
La visite de Lyon commence par un sommet : l’Archevêque, accompagné des Pères Ambroise, Panayotis, Patric, Joseph, et Cyprien, du diacre Timothée, de la presbytera du Père Panayotis et de la gérondissa Xénie, se rend successivement sur les lieux de la détention des saints martyrs de Lyon et vénèrent la prison dans laquelle mourut l’évêque Pothin, puis dans l’amphithéâtre des Trois Gaules, dégagé par les fouilles récentes, qui vit le martyre de sainte Blandine et de ses compagnons, sous le règne de l’empereur Marc-Aurèle. La lettre qui relate l’histoire des martyrs de Lyon, adressée par les chrétiens de Vienne à ceux de Smyrne, est l’un des plus beaux monuments littéraires du christianisme primitif.
Le Père Ambroise retrace à Sa Béatitude l’histoire de la ville de Lyon, et son importance dans la Romyosynê, dans l’Empire romain christianisé. Communauté politique, culturelle et religieuse, la Romanité englobait tous les pays situés autour de la Méditerranée et, au-delà, la Grande-Bretagne, une partie de la Germanie, etc. L’empire romain étant tombé sous les coups des barbares, la nationalité romaine a été remplacée en Occident par les nationalités française, italienne, espagnole, anglaise, etc., tandis qu’elle subsistait en Orient, où les hellénophones ne se sont jamais appelés « Grecs » ni « Hellènes », mais « Romains » ou « Roumis ». Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, les descendants des gallo-romains, retrouvent la foi de leurs pères et les liens qui les unissaient avec les romains d’Orient, leurs frères.
Le Père Ambroise ajoute que la visite de l’Archevêque Auxence à Lyon restera comme une date importante : c’est la première fois qu’un évêque de la Romyosynê vient visiter le siège de Saint Irénée et de saint Pothin uniquement pour des raisons de foi et non du fait des hasards de l’émigration.
A l’issue des Vêpres, célébrées le samedi soir dans l’église Saint-Jean-le-Théologien, l’Archevêque prend la parole, et au milieu du silence attentif de tous, il dit à peu près ceci :
« En arrivant à Lyon, j’ai vu des choses extraordinaires, des constructions grandioses, des autoroutes, des échangeurs, des immeubles imposants, édifiés par l’homme ; mais le plus émouvant de tout, je l’ai trouvé ensuite, dans la crypte des martyrs, là où nos frères du second siècle ont souffert pour le Nom du Christ. J’ai senti alors que nous étions devant des vestiges témoins des tout premiers temps chrétiens. Car Saint Pothin de Lyon fut le disciple d’un autre grand martyr, saint Polycarpe de Smyrne, lui-même disciple de saint Jean, qui appuya sa tête sur la poitrine du Sauveur.
Nous remontons donc jusqu’aux premiers moments de la prédication apostolique. Votre ville est porteuse d’un grand passé, mais si les hommes honorent ce qui est passé, nous vénérons les martyrs qui sont à jamais vivants. Leur présence se manifeste dans l’Eglise, notamment par les guérisons qu’ils opèrent ».
L’Archevêque continue en félicitant tous les présents, jeunes et moins jeunes. « Vous descendez, leur dit-il en substance, de ces grands saints et votre présence ici, dans l’église, s’explique par la force de leur prière et de leur intercession. Ce sont les martyrs qui ont sanctifié ces lieux, en arrosant la terre de leur sang. Elle refleurit aujourd’hui : priez donc pour que, de nouveau, l’orthodoxie se multiplie et porte des fruits au centuple !
Le lendemain, dimanche de l’Aveugle-né, l’Archevêque célèbre la liturgie pontificale, au milieu d’une assemblée nombreuse. Il ordonne prêtre le diacre Nectaire de Toulouse.
A la fin de la liturgie, l’Archevêque commente dans son homélie le miracle de l’Aveugle-né. Il le fait d’une façon vivante, qui a frappé plusieurs fidèles grecs, venus de Grenoble et d’ailleurs. Sa Béatitude, ont-ils expliqué, ressent de l’intérieur les choses de l’Evangile, et nous les rend proches, en les interprétant d’après les Pères.
Ainsi, l’Archevêque met l’accent sur l’acte créateur du Seigneur, qui forme avec de la boue les yeux manquants, comme il avait façonné Adam ; puis il souligne la lâcheté des propres parents de l’aveugle, et pose, en contraste, le courage de cet homme, naguère infirme, qui tient tête aux pharisiens et ose confesser le Seigneur. Ce point permet à l’orateur de revenir sur le thème de la foi et de la nécessité d’une confession droite, surtout chez les prêtres. On ne doit pas se contenter de croire orthodoxement, il faut encore prêcher la foi, « à temps et à contretemps ». « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ».
Ensuite Sa Béatitude, évoquant les mystères qui viennent d’être accomplis, rappelle à tous les fidèles la grandeur et les périls de l’ordination sacerdotale. Le rôle si important du prêtre vient des mystères redoutables que lui seul peut opérer, en particulier le mystère de la Sainte Eucharistie et la rémission des péchés par la confession.
Deux paraboles du grand saint Cosmas d’Etolie illustrent son propos ; elles ont été particulièrement appréciées des fidèles. Les voici en résumé : Saint Cosmas, enseignant le peuple, disait ceci : « Si je rencontre sur une route l’empereur et un prêtre cheminant ensemble, qui croyez-vous que je saluerai d’abord ? » L’assistance inclinait à répondre : « L’empereur, bien sûr », mais il reprenait : « J’embrasserai la main du prêtre avant de faire les salutations d’usage à l’empereur, car l’empereur est le représentant des hommes, il résume tout son peuple ; mais le prêtre est le représentant de Dieu ».
Saint Cosmas disait encore : « Supposez que je m’enfonce dans le désert et que je rencontre un prêtre cheminant avec un ange, devant qui me prosternerai-je ? Je me prosternerai devant le prêtre ».
Comme on se récriait : « Le prêtre n’est qu’un homme, tandis que l’ange est un ange », le saint répondait : « Le prêtre est quelque chose de plus que l’ange, car ce que le prêtre peut faire sur la terre – la consécration des saints Dons qui transforme le Pain et le Vin en Corps et Sang du Seigneur – les anges ne peuvent pas le faire dans le ciel ».
Après cette homélie pleine d’enseignements, les fidèles entourant leur archipasteur se retrouvaient pour les agapes, auxquelles participèrent de nombreux convives.
L’Archevêque reçut avec joie, de la bouche des fidèles venus de Pau, Bordeaux, Toulouse et Montpellier, des nouvelles des autres paroisses de la mission française : l’Eglise de l’Annonciation de Montpellier, celle de la Nativité de la Mère de Dieu, de Toulouse, et, enfin, la toute récente paroisse de Bordeaux, dont la chapelle est dédiée à saint Nectaire le Thaumaturge. Monseigneur Auxence promit qu’au cours d’un prochain voyage, il visiterait ces « sœurs du Midi ».
Après un séjour bien rempli à Lyon, l’Archevêque remonta sur Paris en TGV.
Dès le lundi matin, Sa Béatitude reprend l’avion pour la Grèce. Il promet de parler en Grèce de tout ce qu’il a vu et entendu en France, dont il emporte le meilleur souvenir ; et il exhorte une dernière fois les fidèles à la perfection évangélique : « Soyez exemplaires, pour que je puisse être fier de vous en Grèce ».
Conclusion
La venue de Sa Béatitude l’Archevêque Auxence d’Athènes a été pour tous les fidèles une grande émotion et un renouvellement de la joie de Pâque. Ils ont pu constater de leurs propres yeux que les éloges prodigués à son propos par ceux qui l’avaient vu en Grèce n’étaient pas excessifs, et plutôt en-deçà de la réalité. La dignité, l’affabilité, la douceur de l’Archevêque ont frappé tous ceux qui l’ont approché. Sa Béatitude est vraiment un homme de prière, comme on l’attend d’un pasteur du troupeau raisonnable de Dieu. La présence de l’Archevêque, à elle seule, a donc été une grande bénédiction pour la mission française, qui portera, nous l’espérons, des fruits agréables à Dieu.
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