mardi 18 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°29. Tome Haghiorite.

TOME HAGIORITE





Prologue



Les prescriptions que la Loi de Moïse énonçait en termes propres, proclamait uniformément à tous et publiait sans restriction, étaient en même temps, pour les prophètes et pour eux seuls, des mystères que l'Esprit leur donnait de voir à l'avance. Les biens promis aux saints et le siècle futur réservé à ceux qui auront vécu selon l'Evangile sont également des mystères que l'Esprit révèle à l'avance à ceux qu'Il a rendus dignes de les voir, mais avec mesure, leur en donnant comme les arrhes. Cependant, de même qu'un Juif du temps de la Loi, s'il avait entendu sans y prêter une oreille pieuse, la parole des Prophètes qui lui annonçaient un Verbe et un Esprit de Dieu coéternels et d'avant les siècles, se serait bouché les oreilles, s'imaginant entendre des propos interdits par la piété et opposés à la parole sur laquelle s'accordaient les fidèles, à savoir : «Le Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur» ; de même à présent, il arriverait quasiment la même chose à qui n'écouterait pas dans la piété les mystères que l'Esprit fait connaître à ceux-là seuls qui se sont purifiés par la vertu. Mais de même aussi que l'accomplissement des prophéties de jadis a rendu manifeste ce qui constituait alors des mystères, et les a faits si bien coïncider avec la réalité, que nous croyons à présent dans le Père, le Fils et le Saint Esprit, divinité trihypostatique, une seule nature, simple, non composée, incréée, invisible, inconcevable ; de la même façon, lorsque le siècle futur apparaîtra en son temps, alors, selon l'ineffable manifestation du Dieu unique en trois Hypostases parfaites, les mystères seront vus de tous, clairs comme le jour.
Il faut néanmoins considérer aussi que, s'il est vrai que le caractère tri-hypostatique de la divinité a fini par être révélé jusqu'aux confins du monde, sans le moindre dommage pour le dogme de la monarchie, néanmoins, avant même que l'effet ne le fît connaître, les prophètes dont nous parlons en avaient une science sûre, et leurs contemporains qui les suivaient avec confiance, l'admettaient sans difficulté. Cela vaut aujourd'hui pour les paroles de notre confession, qu'il s'agisse des dogmes proclamés haut et clair ou des secrets révélés par avance dans l'Esprit à ceux qui en sont dignes : nous les reconnaissons à égalité, nous tous qui en avons reçu le secret soit par l'expérience même -il s'agit ici de ceux d'entre nous qui, pour vivre l'Evangile, ont rejeté la possession des biens, la gloire humaine et les plaisirs honteux du corps, et qui, en outre, ont affermi ce renoncement dans l'obéissance à des hommes ayant déjà atteint la stature du Christ : dès lors, attachés au «souci sans souci» d'eux-mêmes et de Dieu dans l'hésychia et la prière pure, ils se sont élevés au-dessus d'eux-mêmes et sont entrés en Dieu, recevant par l'union mystérieuse et supra-intellective avec Lui, l'initiation aux mystères qui passent l'intelligence- soit par la vénération, la foi et l'amour que nous portons à ces initiés. C'est ainsi que nous aussi, quand nous entendons le grand Denys dire, dans sa seconde épître à Gaïos, que le don déifiant de Dieu est divinité, théarchie et principe de bonté, et que le Dieu qui prodigue cette grâce aux saints est au-dessus de cette divinité-là, nous le suivons avec confiance : car Dieu ne souffre pas multiplication, et parler ainsi n'est pas confesser deux divinités. Mais cette grâce déifiante de Dieu, le divin Maxime, dans un écrit sur Melchisédek, déclare qu'elle «est incréée» et «qu'elle est de toute éternité du Dieu qui est de toute éternité» ; ailleurs et souvent, il dit qu'elle est «pour les saints, lumière inengendrée et enhypostatique» qui ne se produit pas, mais leur apparaît, au moment où ils en sont dignes. Cette lumière, il la nomme encore «lumière de la gloire plus qu'ineffable et pureté des anges» ; le divin Macaire, lui, l'appelle nourriture des incorporels, gloire de la nature divine, beauté du siècle futur, feu céleste et divin, lumière ineffable et intelligible, arrhes de l'Esprit Saint, onction de joie sanctificatrice.

1. Quiconque met au nombre des Messaliens ou qualifie de dithéistes ceux qui confessent cette grâce déifiante de Dieu comme incréée, non venue à l'être, et enhypostatique, qu'il sache qu'il s'inscrit en faux contre les saints de Dieu et qu'il s'exclue lui-même, s'il ne fait pas pénitence, de l'héritage des élus, se coupant du Dieu des saints, qui est l'Un-et-Seul par nature. Quant à celui qui croit, qui fait confiance aux saints, qui parle comme eux, sans «chercher des prétextes aux oeuvres d'iniquité» ; qui ne rejette pas, en alléguant son ignorance à ce sujet, leur enseignement manifeste, mais ignore, en revanche, le mode de ce mystère : qu'un tel homme ne dédaigne pas de le chercher et de s'en instruire auprès de ceux qui savent. Il verra combien tout s'y accorde parfaitement avec les actes et les paroles de Dieu, et cela sur des vérités nécessaires au plus haut point, sans lesquelles tout s'écroulerait, ne laissant ni rien de sûr dans nos dogmes, ni le moindre sacrement divin.

2. Celui qui affirme que l'union parfaite à Dieu se réalise intégralement par la seule relation d'imitation, sans la grâce déifiante de l'Esprit, chez ceux qui partagent le même mode de vie et sont aimés les uns des autres ; que la grâce déifiante de Dieu est une habitude de la nature logique qui nous vient par la seule imitation, et non un éclat surnaturel et ineffable et une énergie divine, vue invisiblement et conçue inconcevablement par ceux qui en sont dignes : qu'un tel homme sache bien qu'il est tombé, à son insu, dans l'égarement des Messaliens. En effet, il faut absolument que le déifié soit Dieu par nature, s'il est bien vrai que la déification s'opère en vertu d'une force naturelle et se laisse contenir dans les limites de la nature. Que ce genre de personne se garde donc d'attribuer sa propre chute à ceux qui tiennent debout, et de jeter le blâme sur leur foi irréprochable ; mais qu'elle change plutôt de façon de voir, et apprenne de ceux qui en ont fait l'expérience ou de leurs disciples, que «la grâce de la déification n'entretient absolument aucune relation à quoi que ce soit, elle ne trouve pas dans la nature la moindre force susceptible de la recevoir, sans quoi elle ne serait plus la grâce, mais la manifestation d'une énergie déployée à partir d'une force naturelle. Et l'événement de la déification n'aurait rien de miraculeux, s'il avait lieu en vertu d'une puissance réceptive naturelle. Dès lors, en effet, la déification serait vraisemblablement une opération de la nature, mais non pas don de Dieu ; et celui qui en jouirait serait Dieu par nature, et pourrait proprement être ainsi qualifié. Car la force naturelle de chacun des êtres ne se définit pas autrement que comme une motion inflexible (intransgressable, irrépressible, irrésistible, constant, immuable, inchangeable, permanente) de la nature vers l'acte. Comment, du reste, la déification ferait-elle sortir de lui-même le déifié, si elle-même reste contenue dans les limites de la nature, voilà qui m'est incompréhensible». La grâce de la déification est donc au-dessus de la nature, de la vertu, de la connaissance et toutes ces choses en sont infiniment lointaines, selon saint Maxime le Confesseur. Car la vertu, quelle qu'elle soit, et l'imitation de Dieu selon nos forces, sont des préparations qui rendent leur possesseur apte à la divine union, tandis que la grâce opère l'ineffable union elle-même dans sa perfection achevée : par elle, en effet, «Dieu tout entier se laisse contenir par les saints tout entiers ; eux-mêmes sont aussi tout entiers contenus en Lui, d'une manière totale, recevant le tout de Dieu en échange d'eux-mêmes, et possédant, comme manière de récompense pour la montée vers Lui, Dieu Lui-même seulement», «entrelacé à la manière dont l'âme l'est au corps», Dieu les ayant jugés dignes d'être en Lui comme ses propres membres.

3. Si quelqu'un prétend qu'on est messalien quand on affirme que l'intellect a son siège dans le coeur ou dans le cerveau, qu'il sache qu'il contredit ouvertement les saints. Car Athanase le Grand dit que la faculté raisonnante (logikon) de l'âme se trouve dans le cerveau ; Macaire, qui, pour la grandeur, ne lui cède en rien, affirme que l'énergie de l'esprit (noûs) se trouve, elle, dans le coeur ; et tout le choeur des saints, quasi unanime, leur fait écho. Car en effet, l'affirmation du divin Grégoire de Nysse, que «l'esprit (noûs) n'est ni à l'intérieur, ni à l'extérieur du corps, en tant qu'incorporel», ne s'oppose pas à ce que disent ces saints. Ils placent, en effet, l'esprit à l'intérieur du corps en tant qu'il est uni au corps. Ces saints énoncent donc des aspects différents de la même réalité, et non des vues divergentes. De même, la proposition que le divin n'est pas dans un lieu, en considération de son incorporéité, n'est pas contredite par l'affirmation que le Verbe de Dieu s'est trouvé à un certain moment dans le sein virginal et sans tache, pour s'y être uni, supra-rationnellement, dans son indicible amour des hommes, à notre pâte humaine.

4. Celui qui dit que la lumière qui, sur le Thabor, a baigné de splendeur les disciples n'était qu'un spectre et un symbole, apparu pour disparaître, non doué d'existence propre, ni surpassant toute intelligence, mais, au contraire, inférieur à l'acte de la pensée, celui-là contredit manifestement l'opinion des saints. Ces derniers, dans leurs hymnes et leurs écrits, qualifient cette lumière de secrète, incréée, éternelle, hors du temps, inaccessible, sans mesure, infinie, illimitée, invisible aux anges et aux hommes ; ils l'appellent beauté archétype et sans variation, gloire de Dieu, gloire du Christ, gloire de l'Esprit, rayons de la divinité, et autres titres aussi glorieux. «Car la chair, dit l'un, est glorifié à l'instant où elle est assumée et la gloire de la divinité devient celle du corps. Toutefois, dans le corps visible, la gloire demeurait invisible aux yeux qui ne peuvent supporter ce que les anges mêmes ne contemplent pas. Transfiguré, donc, Il n'assume pas ce qu'Il n'était pas, ni ne change pour devenir autre, mais Il manifeste à ses disciples ce qu'Il est depuis le début, ouvrant leurs yeux, et les faisant passer de la cécité à la vue claire. Demeurant dans l'identité à Lui-même, en effet, Il se fit voir de ses disciples sous un autre aspect qu'à l'accoutumée ; car Il est Lui-même 'la vraie lumière' et la beauté de la gloire, et Il a 'resplendi comme le soleil' -image bien faible, mais toute représentation de l'incréé par le créé ne peut qu'être entachée d'inexactitude».

5. Celui qui dit que seule l'essence de Dieu est incréée, mais non ses énergies éternelles, qu'elle transcende toutes, comme l'agent transcende tous ses effets, doit prêter l'oreille aux paroles de saint Maxime : «Toutes les choses immortelles et l'immortalité même ; tous les vivants et la vie même ; tout ce qu'il a de saint, et la sainteté même ; de vertueux, et la vertu même ; tous les biens, et la bonté même ; tous les étants, et l'étantité même sont à l'évidence des oeuvres de Dieu ; mais les unes ont commencé d'être dans le temps, car il y eut un moment où elles n'étaient point ; tandis que les autres n'ont pas commencé dans le temps, n'y ayant jamais eu de temps où vertu, bonté, sainteté et immortalité n'étaient point». Il dit encore : «La bonté et tout ce que peut embrasser sa définition, et globalement parlant, toute vie, immortalité, simplicité, immuabilité et infinitude, et tout ce qui s'envisage autour de Dieu comme lié à son essence, sont des oeuvres de Dieu et n'ont pas commencé dans le temps. Car le néant, le n'existait pas, ne saurait jouir d'une quelconque antériorité sur la vertu, ni sur aucun des attributs qu'on a dits, quoique les choses qui y participent aient elles-mêmes un commencement temporel. Toute vertu, en effet, est sans commencement et n'a aucun temps pour aîné, puisque c'est Dieu qui, absolument tout seul, la fait jaillir éternellement à l'être. Dieu, quant à Lui, transcende d'une infinité d'infinis tous les êtres, participants comme participés».
Que notre contradicteur apprenne donc de ces paroles qu'il n'est pas vrai que toutes les choses qui tirent leur substance de Dieu soient aussi soumises au temps. Il en est, en effet, parmi elles, qui sont sans commencement et néanmoins ne portent nulle atteinte à la Monade Triadique, qui est seule sans commencement par nature, ni à sa simplicité surnaturelle. De même, en effet -pour prendre une image imparfaite de cette indivisibilité suprême- l'esprit n'est point du tout composite du fait des pensées qui naissent naturellement en lui.

6. Celui qui ne reconnaît pas l'existence, dans le corps, de dispositions spirituelles qui y sont empreintes par les charismes de l'Esprit logés dans l'âme de ceux qui progressent sur le chemin de Dieu, et qui appelle apathéia (impassibilité) la mise à mort, par habitude volontaire, de la partie passionnelle de l'âme, et non l'énergie habituelle qui porte vers le meilleur celui qui s'est totalement détourné du mal et converti vers le bien, de manière telle qu'il est exempt des habitudes mauvaises, mais point encore riche des bonnes, ce disputeur, logique avec sa doctrine, rejette aussi la vie future avec le corps, dans le siècle incorruptible de ceux qui sont. Si, en effet, le corps est appelé à partager alors avec l'âme les biens ineffables, il doit assurément participer dès à présent, selon sa capacité, à la grâce que Dieu prodigue secrètement et mystérieusement à l'esprit purifié ; le corps lui-même croira, de la manière qui lui convient, les choses divines : la partie passionnelle de l'âme aura été transfigurée et sanctifiée -et non pas mise à mort par habitude volontaire !- et par elle, qui est comme le trait d'union entre l'âme et le corps, la sanctification s'étendra aux humeurs et aux énergies du corps.
«Chez ceux qui ont rejeté les biens de cette vie à cause de l'espérance des biens à venir, écrit en effet saint Diadoque, l'esprit, dont l'activité se fait puissante, parce qu'il est hors de souci, sent lui-même la bonté ineffable de Dieu, et il communique au corps, à proportion de son propre avancement, quelque chose de la bonté qu'il reçoit. La joie qui survient alors dans l'âme et le corps est un souvenir non menteur de la vie incorruptible».
Par nature, l'esprit reçoit une certaine lumière, le sens de la vue en reçoit une autre. Ce sens perçoit, en effet, une lumière sensible et qui fait voir les choses sensibles, en tant que telles, tandis que l'esprit est éclairé par la lumière de la connaissance qui réside dans les pensées. Ces deux organes, celui de la vue et celui de l'esprit, ne sont donc pas faits pour recevoir la même lumière, mais chacun reçoit celle qui répond à son activité naturelle et à ses objets. Mais lorsqu'ils ont obtenu la bonne part de la grâce et de la force surnaturelle de l'Esprit, ceux qui en sont jugé dignes voient par le sens de la vue et par l'esprit les choses qui dépassent tout sens et tout esprit. Ils les voient d'une manière, pour parler comme le grand Grégoire le Théologien, que «Dieu seul connaît, et ceux qui font cette expérience».

7. Telles sont les doctrines que les Ecritures nous ont enseignées, que nos Pères nous ont transmises, que notre mince expérience nous a aussi fait connaître ; les voyant également écrites, à la défense des saints hésychastes, par un très vénérable hiéromoine, notre frère le seigneur Grégoire, et recevant son ouvrage comme fidèle aux traditions des saints, nous les confessons solennellement à l'adresse de tout lecteur éventuel, en signant comme suit.

Hiéromoine Isaac, primat des augustes monastères de la Sainte Montagne.

Hiéromoine Théodose, higoumène de l'auguste, impériale et sainte Laure.

Signature, dans sa langue, de l'higoumène du monastère des Ibères.

Hiéromoine Joannice, higoumène du monastère auguste et impérial de Vatopédi.

Signature, dans sa langue, de l'higoumène du monastère des Serbes.

Philothée, le moindre des hiéromoines, en union de pensée.

Amphiloque, le moindre des hiéromoines et père spirituel de l'auguste monastère d'Esphigménou.

Gérasim, le dernier des hiéromoines, ayant vu et lu les textes amis de la vérité, j'approuve et signe.

Moïse, le dernier des Anciens et le moindre des moines, en union de pensée.

Théodose, le moindre des hiéromoines, père spirituel du monastère de Vatopédi.

Théostéricte, hiéromoine, higoumène du saint monastère de Koutloumousi.

Gérontios Maroulis, pécheur, d'entre les Anciens de l'auguste Laure, en union de pensée.

Calliste Mouzalon, le moindre des moines.

Grégoire Stravolancadite, le moindre et le dernier des moines, peut-être hésychaste, en union d'esprit et de pensée.

Isaïe l'Ancien, de la skite de Magoula, le moindre des hiéromoines, en union de pensée.

Marc le Sinaïte, le moindre des moines.

Calliste, de la skite de Magoula, le moindre des hiéromoines.

Signature, dans sa langue, de l'Ancien hésychaste du monastère des Syriens.

Sophron, le moindre des moines.

Joasaph, le moindre des moines.

Jacques, l'humble évêque d'Hiérissos et de la Sainte Montagne, nourri dans les traditions des Pères et de la Sainte Montagne, et témoignant que par les signatures précédentes tous les monastères de la Sainte Montagne ont d'un commun accord signé ce texte que moi-même, en plein accord, je contresigne et confirme de mon sceau, ajoutant, au nom de tous, que celui qui ne s'accordera pas avec les saints ainsi que nous le faisons nous-même et les pères ci-avant, nous refuserons toute communion avec lui.

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