samedi 15 janvier 2011

Lumière du Thabor n°29. Chronique.

DEUXIEME PARTIE


UNIATISME ET OECUMENISME EN ROUMANIE

L'Eglise roumaine se trouve aujourd'hui, comme l'Eglise soviétique, confrontée à une forte opposition de l'uniatisme qui veut tirer avantage de la compromission de l'Eglise officielle roumaine avec Ceaucescu et son régime. Comme l'Eglise soviétique, l'Eglise roumaine réagit vivement aux pressions des uniates qui tentent de réduire la question de l'uniatisme en Roumanie aux actes injustes de rattachement forcé en 1948.
Après la guerre, en effet, sur ordre de Staline, les uniates roumains eurent le choix entre devenir orthodoxes ou rester catholiques en adoptant le rite latin. Peu d'entre eux adoptèrent le rite latin, un grand nombre devint orthodoxe par la force des choses et le reste entra dans la clandestinité, et fut persécuté violemment par les communistes. Pendant ce temps, la hiérarchie orthodoxe se fit servante du régime, allant même, sous Ceaucescu, à l'extrême de la bassesse. Les événements de l'année dernière donnèrent évidemment des ailes aux uniates qui demandèrent légitimement qu'on leur rende leurs églises et leur troupeau. Certaines églises furent rendues, mais selon l'Eglise roumaine, les uniates ont plus de mal à récupérer leur troupeau qui ne revient pas toujours à l'uniatisme.
L'uniatisme a cependant une certaine popularité chez les intellectuels, parce qu'il n'a pas été compromis avec le régime comme l'ont été les évêques de l'Eglise d'Etat. Toutefois, le clergé orthodoxe n'a pas tort de rappeler que l'uniatisme roumain est lui-même le produit de la violence puisqu'il s'est surtout développé lorsqu'au dix-septième siècle les armées austro-hongroises occupèrent la Transylvanie et que les Autrichiens, catholiques, exercèrent des pressions sur le peuple pour qu'il s'unît à Rome, la foi orthodoxe étant considérée comme «religion illicite». Le texte latin de l'acte d'union signé par trente-huit prêtres en 1690 fut d'ailleurs une grossière falsification, puisqu'à l'union au Pape sous contrôle autrichien, fut ajoutée dans la traduction latine tous les points dogmatiques comme le purgatoire, le Filioque, etc... Ceux qui refusèrent l'union furent ardemment persécutés et torturés dans les prisons halbsbourgeoises. En Transylvanie, comme partout d'ailleurs, l'uniatisme fut le fruit de l'esprit de croisade -qui est anti-évangélique et anti-chrétien. C'est donc globalement qu'il faut parler de l'uniatisme et non uniquement à partir de l'acte injuste de 1948 en Roumanie.
On pourrait imaginer que les orthodoxes collaborent avec un certain nombre d'historiens indépendants pour écrire une histoire des origines de l'uniatisme. Le Vatican hésiterait alors à utiliser les droits de l'homme pour justifier l'uniatisme car les orthodoxes seraient alors en mesure de demander la rétroactivité à Rome.
Mais il y a un autre uniatisme qui ne dit pas son nom -c'est celui des soi-disant orthodoxes qui sont pressés de s'unir à Rome qu'ils reconnaissent déjà à leur façon. Notre ami le Père Maxime de Zürich nous a traduit de l'allemand un extrait d'un interview du Métropolite Daniel Ciobotea. Le Métropolite Daniel est très connu pour ses activités oecuméniques et pour être un des candidats possibles pour le remplacement du Patriarche Théoctiste trop compromis sous Ceaucescu.
Voilà ce que déclare l'évêque Daniel Ciobotea :
«J'espère vivre le jour où l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique seront réunies, nous a dit le Métropolite Daniel. Et sur la demande étonnée de son interlocuteur : «Vraiment, pendant votre vie, c'est-à-dire dans les trente ou quarante années à venir ?» le jeune métropolite confirme avec conviction : «Bien sûr ! je ne crois pas que la séparation des deux Eglises soit éternelle.
«Bien sûr, il y a le problème de la papauté et de sa primauté, mais c'est un problème facile à résoudre. Les Eglises orthodoxes ont besoin d'une meilleure coordination et les catholiques de plus de décentralisation. Ils ont trop de centralisme et nous trop de nationalisme. Si nous prenons ce qu'il y a de plus positif dans les deux traditions, nous pourrons trouver ensemble une solution au schisme.
«Nous chrétiens nous sommes trop habitués à vivre séparés, c'est là que gît le problème. La séparation n'est pas seulement la conséquence du péché, c'est le péché lui-même. Le dialogue théologique entre les Eglises est absolument nécessaire pour éliminer les divergences. En aucun cas l'Eglise catholique ne doit absorber des parties de l'orthodoxie. Si nous prenons la volonté de Dieu au sérieux, nous trouverons plus facilement une solution que si nous pensons en termes de diplomatie. Dans ce dernier cas, nous trouverions toujours mille raisons de nous dire que l'union est impossible. Le plus grand obstacle reste cependant la primauté du pape et son infaillibilité, l'Eglise orthodoxe ne peut pas accepter cela. Notre Eglise est une communauté et non pas une monarchie théocratique. Quand l'autorité est concentrée entre les mains d'un seul homme, c'est la dictature dans l'Eglise. Il se peut que certains papes aient été plus gentils que certains patriarches, mais nous ne parlons pas des personnes, mais des principes, des fondements de l'Eglise. La résolution de cette séparation est aussi une affaire d'éducation. L'oecuménisme est encore bien jeune. Pendant des siècles, nous avons appris à penser du mal les uns des autres. Il s'agit maintenant d'éduquer les jeunes au dialogue constructif afin qu'ils aspirent à la réconciliation des chrétiens et non pas à creuser encore plus le fossé du schisme. Quand l'évêque catholique vient chez moi, je l'emmène dans le sanctuaire. Certains sont choqués car normalement l'évêque d'une autre Eglise ne peut entrer dans le sanctuaire par les portes royales. C'est peut-être là un geste prophétique et symbolique, peut-être qu'un jour nous pourrons concélébrer la liturgie ensemble. Je ne peux pas dire ni quand ni comment nous arriverons à l'unité des Eglises, mais j'espère pouvoir célébrer la liturgie avec un prêtre latin. Ensuite, le Métropolite évoque l'oecuménicité des premiers siècles ainsi que le concile d'union à Ferrare-Florence en 1438-42 à l'occasion duquel il semble que l'unité ait été faite.
«Nous avons trop de points en commun dans nos calendriers respectifs et la communion des saints n'est pas heureuse ni bénie si la séparation est considérée comme éternelle».
(Publié dans Glaube in der Zweiten Welt. n11, 1990).
Lorsqu'on lit de telles déclarations, il est à craindre que la peur de l'uniatisme n'entraîne l'Eglise roumaine dans une surenchère du discours oecuméniste : vous n'avez pas besoin d'uniatisme, puisque nous allons nous empresser de faire l'union avec le Pape. En tout cas, si la séparation des Eglises est «le péché» pour l'Evêque Daniel Ciobotea, «pécheurs» ont été ceux qui ont refusé l'union avec les Latins à Florence avec saint Marc d'Ephèse1 et tant d'autres saints de l'Eglise orthodoxe qui ont considéré comme une apostasie le fait de se réunir avec ceux qui confessaient des doctrines hétérodoxes. Mais qui est «pécheur», ceux que l'Eglise a reconnu comme des saints, ou les accusateurs de ces saints ? Combien doit être double le coeur des évêques qui soutiennent de telles idées, le jour du Dimanche de l'orthodoxie, où toutes les hérésies sont anathématisées !

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