lundi 31 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°34. Père Ambroise. Barsanuphe et Jean.

PERE AMBROISE



JEAN ET BARSANUPHE



C'est un des livres des plus doux et rempli de la grâce du Saint-Esprit que celui des saints Barsanuphe et Jean, l'un appelé Grand Vieillard et l'autre Prophète. Il contient huit cent quarante et une réponses à des questions posées à ces saints1.
Jusqu'en 1803, ce livre circulait entre les moines, en quelques rares manuscrits.
Saint Nicodème écrit que «cette bible était tellement rare que non seulement elle n'a jamais été éditée et publiée, mais bien que non-éditée, elle était rarissime, en manuscrit. C'est grâce à la très grande, très vénérable et royale Lavra, grâce au monastère de Saint-Athanase de l'Athos... dans la bibliothèque où sont amassés des trésors, sous forme de manuscrits, qu'a été trouvé le très ancien manuscrit de cette bible, comme un phénix unique, et d'après lequel les moines ont fait les copies qu'ils possèdent...»
Ce sont les très pauvres Kollyvades de la suite d'Euthyme et les compagnons de saint Nicodème qui le prièrent d'entreprendre la mise au point de la Bible très utile et d'en préparer l'édition, pour le bien des Orthodoxes... Les hagiorites qui sculptent les croix et les médailles, qui avaient beaucoup de chaleur et de piété pour les saints et théophores Pères Barsanuphe et Jean et de l'amour pour leur Bible firent les frais de cette publication, allant jusqu'à se priver du nécessaire afin de payer les frais...
Les saints Pères Barsanuphe et Jean appartiennent au choeur des ascètes du désert. Ils sont parvenus, surtout le premier, à de telles mesures spirituelles, qu'ils sont devenus des dieux par la grâce. Comme il l'a écrit, parlant de lui-même d'une manière voilée, Barsanuphe était l'un des trois saints qui, au cours du VIème siècle, influençaient les décisions de Dieu concernant les destinées du monde, par leurs prières de feu.
«Quand, écrit saint Nicodème, une grande malédiction s'abattit sur tout le monde, les pères qui vivaient au monastère allèrent prier le saint de prier Dieu de faire cesser sa colère. Le saint répondit : "Ils sont nombreux, ceux qui prient la bonté de Dieu pour que cesse sa colère, et nul cependant n'est plus ami de l'homme que Dieu, mais Il ne veut pas user de pitié. La multitude des iniquités accomplies dans le monde s'y oppose. Il y a trois hommes parfaits, qui ont dépassé la mesure de l'humanité et qui ont reçu le pouvoir de lier, de délier et de remettre les péchés ou de les retenir. Ils se tiennent au milieu des ruines, afin que, par leurs prières, le monde ne soit pas totalement anéanti. Dieu châtie avec bonté et Il leur a révélé que la détresse durera peu de temps. Priez avec eux. Les prières de ces trois se rencontrent à l'entrée du Tabernacle supérieur du Père des Lumières et ils se réjouissent les uns les autres et sont dans l'allégresse dans les cieux. Quand ils se tournent vers la terre, ils s'affligent et pleurent et se lamentent pour les péchés accomplis et qui provoquent la colère. Ces trois sont Jean à Rome, Elie à Corinthe et un autre qui se trouve dans l'éparchie de Jérusalem. (C'est Barsanuphe lui-même ici, qui vivait à Gaza, en hésychie, dans la province de Jérusalem). Je crois qu'ils parviendront à obtenir la grande pitié. Oui, ils y parviendront".
«Combien est incompréhensible la prière du Juste ! L'amour qu'il avait pour ses enfants spirituels était tel, à la mesure de son audace devant Dieu, que les paroles de Barsanuphe nous paraîtraient incroyables : "Crois-moi, frère, l'Esprit est toujours prêt à dire à mon Maître qui se réjouit dans les demandes de ses serviteurs : Maître, rassemble mes enfants dans ton Royaume ou efface-moi du livre de la vie". Tel était l'amour d'un Barsanuphe pour ses enfants, il brûlait son coeur porteur de Dieu, son coeur théophore...
«A notre époque, souffletée par le vent anti-orthodoxe, quelle n'est pas la nécessité pour nous d'un tel enseignement, afin que nous devenions tous tout entiers esprit, tout entiers oeil, tout entiers lumineux, tout entiers parfaits, tout entiers dieux...»
Par la publication, deux luminaires éclatent dans le firmament de l'univers : BARSANUPHE et JEAN, ces règles de l'ascèse, ces savants de l'hésychie, ces lampes du discernement, ces yeux sans sommeil de la pré-voyance, ces trésors des vertus, ces réceptacles de l'Esprit Saint et de ce livre théophore et très utile à l'âme, ces véritables théophores, christophores, pneumatophores auteurs et Pères et architectes.
Ces luminaires spirituels, qui possèdent la parole de vie, selon l'apôtre, n'ont pas les propriétés et les passions des luminaires sensibles. Non, car ces luminaires ne cessent jamais de régner comme cessent les luminaires naturels, ils ne se couchent pas. Ils brillent sans cesse des éclairs scintillants de la Théarchie au triple soleil, leur lumière spirituelle étant sans déclin, sans soir. Et cela, la voix royale de Basile le confirme : «Le prix de la vertu, c'est de devenir fils de Dieu et de briller de la lumière éternelle qu'aucune ombre ne peut altérer. Cette lumière c'est le soleil, lui la véritable lumière qui brille et qui ne se couche jamais à l'occident. Il communique sa lumière par sa puissance illuminatrice, sans cesse, sans fin, à ceux qui en sont dignes et fait d'eux, qui y participent, d'autres soleils».
Ces deux luminaires ne sont pas l'un plus grand que l'autre, comme il en est pour le soleil et la lune, ces luminaires du firmament sensible. Ils sont égaux en grandeur, égaux en énergie, égaux dans la puissance spirituelle, égaux dans la lumière. Ils ont mené les mêmes luttes ascétiques et vécu l'hésychie la plus extrême, aussi furent-ils dignes, comme il convenait, des mêmes charismes du Saint Esprit, surtout celui de la prophétie. Voici leur différence : c'est que le divin Barsanuphe est appelé grand et saint Vieillard (Ghéron), tandis que Jean est appelé autre Vieillard.
Le temps destructeur, qui enfouit les choses bonnes, cacha au-dessous de l'horizon ces luminaires divins, au point de ne rien nous laisser sur eux concernant leurs vies et leurs actes. Par ma faiblesse, j'ai tâché d'extraire de leur livre certains éléments et de présenter, à ceux qui aiment apprendre, toutes les vertus que ces bienheureux ont réalisées, eux qui ont atteint à la perfection la plus élevée qu'il soit donné aux mortels d'atteindre -comme le fit, pour Grégoire le Théologien, cet autre Grégoire qui écrivit sa vie en puisant dans ses propres oeuvres.
Ce grand Ghéron, ce divin parmi les Pères, Barsanuphe, était originaire de l'Egypte, comme en témoigne Evagre le scholiaste dans le livre IV de son Histoire Ecclésiastique, au chapitre 32. Il paraît avoir été très cultivé dans les lettres helléniques et égyptiennes, comme le confirme sa réponse 55 à un moine égyptien venu habiter le monastère, qui lui écrivit en égyptien pour lui demander sa bénédiction et des conseils utiles à l'âme et solliciter aussi une rencontre. Saint Barsanuphe lui répondit en grec : «Sache que je me suis promis de ne jamais écrire à quelqu'un, mais de répondre par l'Abbé : c'est pourquoi je ne puis t'écrire en égyptien, mais en grec...» Et c'est dans son jeune âge qu'il choisit la vie ascétique. Une fois, il lui arriva de passer par l'hippodrome. Il s'arrêta et regarda ce qui s'y passait. Il remarqua comment chacun des concurrents tâchait de dépasser l'autre, afin de gagner la course. Et il se dit en lui-même : «Vois-tu comme les adeptes du diable luttent avec empressement ? Combien plus nous devons en faire autant, nous les héritiers du Royaume des Cieux !» Et il reprit son chemin, plus encore empressé, après un tel spectacle, dans la lutte spirituelle, comme l'écrit, à ce propos, Jean l'autre Vieillard.
Il alla dans les environs de Gaza de Palestine, où il trouva le monastère communautaire dit de l'Abbé Séride, et là-bas il construisit une petite cellule où il s'enferma et où il récolta et goûta le très doux miel de l'hésychie, comme cela apparaît dans une des réponses de ce livre.
Il fit ensuite un autre lieu de réclusion, où il s'adonna à l'hésychie. Où le fit-il, nul ne le sait. Mais on peut dire que sa seconde cellule se trouvait soit à l'intérieur de l'enceinte du monastère, soit au-dehors près du couvent.

Au début de sa retraite, on lui apportait du monastère trois pains chaque semaine. On sait cela par une réponse, la soixante-deux, qu'il fit à quelqu'un qui lui avait demandé du pain comme bénédiction. «Frère, Dieu seul sait ce qui nous est utile. Tu m'as demandé à recevoir du pain de ma faiblesse. A part les trois pains habituels hebdomadaires, aucun autre n'est entré dans mon cimetière. Mais à présent, vraisemblablement par économie de Dieu, mon fils, qui est plus doux que le miel dans mes douleurs, qui jamais ne fit rien de lui-même, avant que d'avoir rien entendu de moi... est venu et m'a apporté un pain. J'ai failli le rendre, me disant que j'en avais assez. Et là-dessus, comme pour briser ma propre volonté, j'ai rompu le pain pour l'envoyer à ta charité, me considérant moi-même comme indigne de ce que je faisais. Que Dieu agisse selon ta foi et ne me condamne pas... A propos de l'Apatheia (impassibilité), c'est un charisme de Dieu, qu'Il donne à qui il veut. Que Dieu te prête sa main quand tu te portes vers lui dans la crainte et dans l'accomplissement de sa volonté. Amen. Prie pour moi, frère».
Ce trois fois bienheureux s'adonnait à une pénitence si rigoureuse qu'il trouvait une grande douceur et consolation dans les larmes, au point que de cette joie-là, de cette joie indicible, il parvint à boire et à manger de moins en moins. Plusieurs fois même, il en oubliait jusqu'au boire et au manger, comme David le disait de lui-même : «...j'oublie même de manger mon pain. Mes gémissements sont tels que mes os s'attachent à ma chair» (Ps. 101,6). C'est pourquoi il ne mangeait quelquefois que deux à trois fois par semaine, quelquefois une ; et quand il lui arrivait d'être au réfectoire, il était comme rassasié. En mangeant, il se jugeait et disait : «Pourquoi ne suis-je pas toujours ainsi ?»
De la douceur qu'il recevait de sa nourriture spirituelle, il oubliait la nourriture terrestre. Voici ce qu'il répondit à quelqu'un qui lui demandait comment dominer son ventre et parvenir à manger moins. «Que ta charité se souvienne de moi, frère. Tu m'as parlé de tout ce que moi-même j'ai supporté. Nul ne peut en être libéré, si ce n'est celui qui est parvenu à la mesure de celui qui a dit : "J'oublie même de manger mon pain. Mes gémissements sont tels que mes os s'attachent à ma chair". Celui-là, certainement, est parvenu à manger et à boire peu. Les larmes deviennent pour lui du pain et il est nourri par le Saint Esprit. Crois-moi, frère, j'ai connu un homme, que Dieu connaît, d'une telle mesure. Il ne mangeait qu'une fois par semaine, car en général il était captif de la nourriture spirituelle. Dans la douceur qu'il en goûtait, il oubliait jusqu'à la nourriture sensible. Quelquefois, quand il se rend à table, il vient comme rassasié, comblé et ne veut pas manger. S'il mange, il se juge et se dit : "Pourquoi ne suis-je pas toujours ainsi ?..." Et ce qui est étrange, c'est qu'il était en mesure de ne manger, ni boire, ni se vêtir, pour la vie, car sa nourriture, sa boisson, son vêtement, c'était le Saint Esprit.
«J'admire et je m'étonne, frère, voyant comment ceux qui, selon ce monde, veulent gagner de l'argent ou servir en soldat, méprisent les bêtes fauves, les voleurs, les dangers de la mer et la mort elle-même et n'ont aucune négligence d'âme pour acquérir la richesse convoitée, même si celle-ci est incertaine. Et nous, misérables et frivoles, qui avons reçu le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions et sur toute puissance de l'ennemi, nous qui avons entendu C'est moi, n'ayez pas peur, nous qui savons clairement que nous ne combattons pas selon nos propres forces, mais par la force de Dieu qui nous fortifie et nous arme, sommes négligents et peu empressés. Et pourquoi cela ? Parce que nos chairs ne se sont pas collées dans la crainte du Dieu et que jamais nous n'avons oublié de manger notre pain dans les cris de nos gémissements ; c'est pourquoi nous passons d'une chose à l'autre, d'un régime à un autre, parce que nous n'avons pas reçu parfaitement le feu, que le Seigneur est venu allumer sur la terre, qui devait détruire et dévorer les ronces de notre jardin spirituel. Notre négligence, notre nonchalance, la jouissance du corps, ne nous laissent jamais en repos. Dieu m'est témoin que j'ai connu ce frère, qui se trouve même ici, dans cette communauté bénie (pour que personne ne puisse penser qu'il s'agit de moi, car je me considère pour rien), qui reste tel qu'il est, sans manger, sans boire, sans vêtement pour se vêtir, jusqu'au jour de la visite de Dieu : il ne demandera jamais ces choses. Sa nourriture, sa boisson, son vêtement, c'est l'Esprit Saint».
Ici, le saint parle certainement de lui-même et c'est par humilité qu'il laisse entendre qu'il s'agit d'un autre.
«Si donc tu veux l'imiter, souffre, empresse-toi, crains Dieu et Il accomplira ta volonté. Il est écrit que Dieu fait la volonté de ceux qui le craignent. Et moi, bien que je ne sois rien, je trouve ma force à cause du commandement...»
Le temps s'écoulant, et après s'être complètement lavé par les larmes incessantes, il purifia son coeur, le bienheureux, non seulement des passions corporelles, mais aussi des passions psychiques, je veux dire de la présomption, de la vaine gloire, du désir de plaire aux hommes, de la malice et de tout le reste qui se trouve profondément caché dans le coeur. Parvenu ainsi au-delà de la portée des flèches de l'ennemi, il acquit la paix des pensées, qui est un des charismes les plus profonds des dons du Saint Esprit. Il acquit aussi la dormition ou plutôt la mortification de tout mouvement et pensée passionnels. C'est pourquoi il avait appelé son lieu de réclusion cimetière. Le bon Vieillard Jean, à qui l'on demandait pourquoi saint Barsanuphe avait choisi ce nom, répondit : «C'est parce qu'il se reposa de toutes ses passions, qu'il mourut parfaitement, définitivement, au péché ; et sa cellule, dans laquelle il se trouvait comme en un sépulcre, pour le nom de Jésus, est un lieu de repos, et les démons ne la foulent pas, ni leur prince le diable».
Après avoir purifié son coeur de toutes les passions, il fut digne de devenir temple et habitacle du Saint Esprit. Nul ne pourra parler des charismes dont il fut gratifié. A cause de cette pureté, il fut enrichi de l'humilité parfaite, véritable et exaltante, non pas de cette humilité qui consiste en formalités extérieures et en humbles paroles, mais de cette humilité que l'Esprit Saint crée dans les profondeurs de l'homme. C'est pourquoi elle est appelé aussi Don de Dieu par les Pères, surtout par Grégoire le Sinaïte : l'humilité, selon Barsanuphe lui-même, c'est de se considérer comme poussière et terre, et non en paroles seulement. Et de dire : «Que suis-je ? Que compté-je ? Je n'ai rien à voir avec personne2».
A l'humilité fut ajoutée la plus grande, peut-être, des vertus, le discernement, qui fut donné par Dieu à l'homme comme un gouverneur, selon Barsanuphe lui-même. Au discernement fut ajouté le don de voir et scruter les raisons secrètes et spirituelles des êtres sensibles et intellectifs...
Puis le don de prévoir à l'avance et celui de la prophétie, de voir de loin les choses à venir comme si elles étaient présentes. Ce don lui a été si bien prodigué, qu'il connaissait et prédisait à l'avance ce qui devait arriver à la communauté, comme par exemple la venue de Jean de Mérosabès. Ce dernier lui avait écrit pour lui demander de venir habiter le monastère.
«Il est écrit, répondit-il, dans l'Apôtre, Celui qui a commencé en vous cette oeuvre bonne, en poursuivra l'achèvement jusqu'au jour du Seigneur Jésus-Christ.
«Et Notre Maître a dit encore à celui qui venait à lui : Celui qui ne renoncera pas à ses biens, à sa famille, qui n'ira pas jusqu'à haïr son âme, ne peut être mon disciple. Mais il est possible à Dieu d'accomplir la parole : voici qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble.
«Je souhaite que tu parviennes jusqu'à la mesure dont parlent les Actes quand ils disent que tous ceux qui possédaient des biens les vendaient et en apportaient le prix et le déposaient aux pieds des apôtres. Et moi, connaissant ta disposition, qui est selon Dieu, j'ai dit à mon bien-aimé fils Seride, qui après Dieu nous a protégés des hommes (et nous croyons que Dieu agira de même pour toi) j'ai donc dit : accueille le frère Jean avec beaucoup de charité. Voici déjà deux ans que le Seigneur m'a révélé que tu viendrais ici et que beaucoup de frères se joindraient à nous. Moi, j'ai gardé la révélation jusqu'au temps où j'aurais appris ce que Dieu allait faire. Puisque le temps est venu, je vous en ai fait part. Et j'ai pensé te donner quelque chose que je porte. J'ai pris la cucule qui recouvre ma tête et l'ai remise au frère pour qu'il te la donne en disant : garde-la jusqu'à la fin. Elle va te protéger de beaucoup de maux et d'épreuves. Ne la donne à personne. C'est une bénédiction de Dieu de ma main. Empresse-toi d'achever ton oeuvre. Romps avec toute chose, comme nous-mêmes avons rompu avec tout et reste avec nous, sans soucis, ne t'occupant que de Dieu».
Par la grâce, il lisait le désir des coeurs, et il répondit à ceux qui l'interrogeaient, non par la parole proférée, mais seulement en esprit.
Un moine subissait une lutte terrible et n'osait la révéler à son Abbé. Il fit prier l'Abbas Jean de le recevoir en cachette pour entendre sa confession. Ce dernier fut chagriné pour deux raisons. Il ne voulait pas le recevoir sans la permission de l'Abbé et cependant n'osait lui faire de la peine. Le moine ne sachant comment faire interrogea le Grand Ghéron, en esprit, s'il devait ou non fermer sa porte. Voici la réponse que fit saint Barsanuphe :
«Dis au frère : Qui donc est l'insensé qui choisit de lui-même cette chose nuisible et douloureuse et non celle qui est plus légère et plus supportable, et cela en toute humilité et dans la prière ? Ne bouche pas ta porte. La mortification n'est pas dans le fait de fermer ta porte, mais dans la fermeture de la bouche. Je t'embrasse du saint baiser».
Et les mêmes paroles que nous lisons dans l'Ecriture, ces paroles que le prophète Elisée dit à Giézi, qui reçut deux talents d'argent de Nééman, chef de l'armée du Roi de Syrie : «Elisée dit à Giézi, quand il fut de retour et qu'il se présenta devant lui : "D'où viens-tu, Giézi ?" Giézi répondit : "Ton serviteur n'est allé ni d'un côté, ni d'un autre". Mais Elisée lui dit : "N'étais-je pas allé avec toi EN ESPRIT, lorsque cet homme quitta son char pour venir à ta rencontre ?» (4 Rois 5,25) -c'est donc les mêmes paroles que le grand Barsanuphe disait à Jean de Mérosabès : «Quand tu te rends à la ville pour le service du monastère, mon coeur marche avec toi» (Rép.27).
Il était doué du même charisme prophétique qu'Elisée. Aussi les prédictions de Barsanuphe se réalisaient toujours, par les actes elles étaient confirmées. Au sujet du prince que l'empereur avait envoyé pour établir sur le trône épiscopal de Gaza un évêque indigne, il prédit la chose suivante, qui devait arriver : «S'il parvient jusqu'à la porte de la ville, il ne pourra cependant y pénétrer. Jamais Dieu ne permettra cela». Ces paroles s'accomplirent. Tout se réalisa comme il l'avait annoncé.
Qui pourra parler de l'amour extraordinaire que ce bienheureux avait pour Dieu ? Il portait en son coeur pour le Christ un amour brûlant, telle une flamme de feu ardent, comme lui-même en témoigne, dans la réponse suivante :
«Que Dieu vous donne la brûlure de l'amour... Dieu fait monter jusqu'au septième ciel ceux qui possèdent un tel amour... comme certains déjà y montent avec audace, pour y être bénis. Est-ce avec le corps ? je ne sais. Est-ce sans le corps ? je ne sais. Dieu seul sait».
Et voici quelques indications utiles :
«Ecoutez et vous apprendrez le commencement de cette voie de la joie. Tout d'abord, vient en l'homme l'Esprit Saint, et Il lui enseigne toute chose et comment il convient de s'humilier, choses que vous ne pouvez pour l'instant entendre. Puis, conduit par ladite brûlure, l'homme monte jusqu'au premier ciel, puis jusqu'au second et selon une marche progressive jusqu'au septième. Là, on peut contempler alors des choses indicibles et redoutables, que nul ne peut entendre, si ce n'est ceux qui parviennent à cette mesure, chose dont je souhaite que le Seigneur vous rende dignes. Seuls peuvent y parvenir ceux qui meurent complètement au monde, dans la patience et dans de nombreuses afflictions. O frère bien aimé, le Seigneur a subi la Croix et toi tu ne te réjouis pas dans l'affliction et dans la patience qui conduit au ciel ?...»
Et dans une autre réponse, à celui qui lui demandait sa bénédiction et ce qu'est l'hésychie parfaite, il fit écrire :
«Que Notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu béni et exalté, vous fortifie et vous rende capable de recevoir l'Esprit Saint, pour qu'Il vous enseigne par sa présence sur toute chose, pour qu'Il illumine vos coeurs et vous conduise dans la vérité... Que Dieu vous rende dignes de boire à la source de la sagesse. Tous ceux qui y ont bu, se sont oubliés eux-mêmes, sont sortis du vieil homme et ont été conduits de la source de la sagesse à la source de l'amour, de l'amour qui ne faiblit jamais. Après s'être établis dans cette disposition, ils ont atteint la mesure ferme et inébranlable et sont devenus tout entiers intellect, tout entiers oeil, vivants, lumineux, parfaits, dieux. Ils ont souffert des fatigues, mais ils ont été magnifiés, glorifiés, ornés, ils sont devenus vivants, pour avoir été morts tout d'abord. Ils sont dans l'allégresse et en réjouissent d'autres. Ils se réjouissent dans l'Indivisible Trinité, tout en réjouissant les puissances célestes. Désirez leur état, parcourez la même voie, imitez leur foi, acquérez l'humilité, la patience en tout, et vous recevrez le même héritage qu'eux...»
Et ailleurs, il écrit :
«L'amour parfait ne passera jamais, et celui qui le possède demeure dans l'ardeur, il est lié par l'amour de Dieu et du prochain» (Rép.16).
Qui révélera l'amour brûlant qu'il avait pour le prochain ? Avez-vous vu comment un four est chauffé par l'abondance du combustible ? Tel était le coeur du grand Barsanuphe pour ses frères. Ce père tendre, à l'imitation du Christ, ne cessait jamais de prier nuit et jour Dieu pour qu'Il fît de ses frères des théophores. Voici ses propres paroles :
«Moi, avant que vous me le demandiez, par la flamme qui brûle d'une ardeur très vive de l'amour en moi du Christ qui a dit : "Aime ton prochain comme toi-même", par les brûlures et l'ardeur du Saint Esprit, je ne cesse jamais, jour et nuit, de prier Dieu de faire de vous des théophores-porteurs de Dieu, d'habiter en vous, d'envoyer en vous son Esprit Saint... Je suis devenu pour vous un père, qui met tout en oeuvre pour mobiliser ses enfants pour le Roi, dans les armées brillantes...»
Mais il ne priait pas seulement Dieu pour cela, mais il faisait réellement de ses frères de véritables théophores, des pneumatophores. Par sa prière, il éclaira l'Abbé du monastère, Séride, et lui ouvrit l'esprit pour comprendre tout ce qui est difficile, tout comme le Seigneur a ouvert l'esprit des saints apôtres pour leur faire comprendre les Ecritures, comme Il le fit par exemple pour saint André qui reçut, par ses prières, le Saint Esprit. Ses prières montaient vers Dieu comme des éclairs, comme des rayons de soleil, qui délectaient le Père, réjouissaient le Fils, et remplissaient d'allégresse l'Esprit Saint. Toutes ses demandes dans le bien étaient exaucées.
«... Je prie avec toi, moi aussi, selon ma force, pour que Dieu te donne la grâce, comme il l'accorde à tous ceux qui la demandent avec désir et par leurs efforts. Quand elle viendra, elle te guidera dans la vérité. Elle éclaire les yeux. Elle redresse l'esprit. Elle chasse le sommeil de la paresse et de la nonchalance. Elle astique les armes salies par la terre de l'insouciance...»
Voici le genre d'amour que cet homme céleste avait pour ses frères : à l'instar du Christ, il sacrifiait son âme pour eux et prenait leur défense devant Dieu. Voici ce qu'il répondit à un moine qui se plaignait de ne pouvoir répondre aux hérétiques :
«Frère, puisque t'occuper d'autres choses te dépasse, observe la voie royale, la foi des trois cent dix-huit pères saints, dans laquelle tu as été baptisé. Ce credo contient avec précision tout ce qu'il faut pour comprendre la perfection. Sois donc tranquille et attentif à tes péchés, dont tu auras à rendre compte à Dieu. Si tu gardes mon commandement, ou plutôt le commandement de Dieu, je t'avoue que je prendrai ta défense le jour où Dieu jugera les choses cachées des hommes... Prie pour moi, frère, afin qu'il ne me soit pas dit : Toi qui enseignes un autre, pourquoi ne t'enseignes-tu pas ?»
Il voyait et couvrait les péchés des hommes, tout comme Dieu lui-même les voit et les couvre.
A cause de cet amour débordant qu'il avait pour le prochain, Dieu lui donna directement le pouvoir de lier et de délier des péchés, pouvoir qui est le don le plus excellent, comme Barsanuphe le déclare lui-même :
«...Tous les charismes sont donnés par la venue du Saint Esprit, diversement, de différentes manières. Un jour, Dieu donne aux apôtres l'esprit de chasser le démon, une autre fois, celui de faire des guérisons, ou de prévoir l'avenir ou encore de ressusciter des morts. Le charisme le plus parfait, c'est celui de remettre les péchés et de libérer les âmes des ténèbres pour les amener à la lumière...»
C'est pourquoi le Seigneur donne divers charismes à ses apôtres avant la Résurrection, mais la perfection des charismes, il la leur donne après la Résurrection, selon le même Barsanuphe qui dit :
«...regarde les Evangiles et vois comment et par combien de fois le Christ a donné les charismes à ses disciples pour opérer des guérisons et chasser les démons. La perfection, c'est quand il leur donna le pouvoir de remettre les péchés, leur disant : A ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis».
C'est pourquoi le grand Barsanuphe pouvait dire à un frère du monastère, malade, qui lui avait demandé la rémission des péchés :
«Dieu, le Grand Roi, te dit : Tous tes péchés te sont pardonnés».
Ou à un autre, également malade, de phtisie :
«Voici, Dieu a remis, selon ta demande, tous tes péchés, accomplis depuis ton enfance jusqu'à aujourd'hui. Que Dieu qui a voulu cela et qui t'a tout pardonné, soit béni».
D'un autre, il portait la moitié des péchés, d'un autre encore, le fardeau entier. Pour d'autres encore, afin que leur fut remis le péché de blasphème, il transpirait beaucoup, priant Dieu ; et il dit à un moine blasphémateur : «Garde ta bouche, pour ne pas tomber de nouveau dans le redoutable blasphème... J'ai beaucoup transpiré en priant Dieu pour ton péché».
Il remettait aussi les âmes de ceux qui mouraient à la Sainte et Vivifiante Trinité, rendant libre de tout démon la voie qui conduit aux cieux.
Un moine lui écrivit pour lui dire : «Père, je suis entre les mains de Dieu et tes mains. Continue ta miséricorde envers moi jusqu'à la fin, hâte-toi de me libérer, pour me présenter au Christ mon Maître, me guidant par tes saintes prières, me faisant traverser les airs et cette voie (la mort) que je ne connais pas».
Le saint lui répondit :
«Je te remets, frère, au Maître du ciel et de la terre et de tout souffle, qui nous a rendus dignes de mourir, pour qu'il adoucisse devant toi la crainte de la mort et fasse que la montée de ton âme soit sans obstacle et pour qu'il te donne de te prosterner avec audace devant la Sainte Trinité, c'est-à-dire libéré... et te fasse reposer avec ses saints...»
Pour parler d'une manière générale, Barsanuphe le Grand, dans l'amour du prochain, parvint à la mesure qui fut celle d'un saint Paul et avant ce dernier, d'un Moïse, le voyant de Dieu. Barsanuphe disait les mêmes paroles que Moïse :
«Crois-moi, frère, l'Esprit est prêt à dire à mon Maître qui se réjouit à la demande de ses serviteurs : Introduis-moi avec mes enfants dans ton Royaume ou efface-moi de ton livre».
Chaque jour, le bienheureux Barsanuphe opérait des ascensions sacrées en son coeur, comme le dit David.
Il ajoutait humilité sur humilité, hésychie sur hésychie, ardeur sur ardeur, amour sur amour, se rendant ainsi digne à la fin de parvenir jusqu'au charisme le plus élevé, le rapt de Dieu, comme le grand Paul, et de monter jusqu'au septième ciel et cela non avec les ailes imaginaires de l'esprit, mais par la puissance ineffable de l'Esprit. Là, il était béni et contemplait et se délectait dès ce monde des indicibles et ineffables biens et mystères du Royaume divin, sans savoir s'il était dans son corps ou sans son corps. Ecoutons-le dire lui-même :
«Dieu vous avertira que l'amour élève jusqu'au septième ciel les hommes qui le possèdent, comme certains déjà y montent d'une manière familière et sont bénis, dans leur corps ou sans leur corps, je ne sais, Dieu, lui, le sait...»
A ce riche en Dieu, fut encore ajouté le charisme des miracles, c'est-à-dire qu'il était en mesure, au nom du Maître Jésus Christ, de ressusciter des morts, de chasser les démons, de guérir des malades incurables et de faire des prodiges non moins nombreux que ceux accomplis par les apôtres ; de fermer et d'ouvrir les cieux comme Elie ; et c'est lui-même qui raconte cela de lui, ou plutôt, nous les connaissons selon le témoignage de celui qui a donné ce charisme, ou pour mieux dire ces charismes, Dieu.
A un moine qui lui demandait de prier pour sa santé, saint Barsanuphe dit :
«Frère, ta clef ouvre ma porte. Je suis un insensé et ne puis te cacher les merveilles de Dieu.
«Ainsi, celui qui écoute mes paroles, d'étonnement, ne dit rien d'autre, si ce n'est : Je suis étonné et ne sais pas. Je crois que tout est possible à Dieu, rien ne lui est impossible. Comme autrefois il guérit et releva le paralytique, puis ressuscita Tabitha qui était morte, il peut aussi de nos jours opérer les mêmes choses. Je parle devant Lui et ne mens point, j'affirme connaître un certain serviteur de Dieu, de notre génération, de nos temps, dans ce lieu béni, qui est en mesure de ressusciter des morts au nom de Notre Maître Jésus Christ, de chasser des démons, de guérir des maladies incurables, d'accomplir d'autres prodiges, non moindres que ceux des apôtres, comme en témoigne Celui qui lui a donné ce charisme, ou plutôt ces charismes. Et telles sont ces choses accomplies au nom du Christ -car il n'utilise pas son propre pouvoir. Ainsi, il peut même arrêter les guerres, fermer et ouvrir les cieux, comme Elie. Notre Seigneur a, en tout temps, des serviteurs fidèles, et qu'il n'appelle plus serviteurs, mais fils, chose que déteste l'ennemi, mais qui, par la grâce du Christ, ne peut nous nuire».
Il guérit et délivra l'Abbé de son monastère de la maladie dont il souffrait. L'Abbé, en effet, lui écrivit pour lui demander si les rhumatismes dont il souffrait horriblement aux pieds et aux mains ne venaient pas du démon ; pour lui dire qu'il était aussi très désolé de ne pouvoir jeûner comme il l'entendait, car on le contraignait à manger ; qu'il voyait aussi en rêve des bêtes sauvages et voulait savoir ce qu'elles pouvaient signifier. Puis il terminait sa demande en disant : «Envoie-moi, au nom du Seigneur, en bénédiction, un morceau de ta sainte nourriture, et un peu de ton eau, afin que par cela je sois consolé».
Et Barsanuphe lui répondit : «Ne t'afflige pas, bien-aimé. Cela ne vient pas des démons. C'est Dieu qui nous instruit à mieux lui rendre grâces. Job n'était-il pas un vrai ami de Dieu ? Et que n'a-t-il pas enduré, tout en rendant grâces à Dieu et en Le bénissant ? La fin de sa patience l'a conduit à une gloire incomparable. Toi aussi, patiente encore un peu, et tu verras la gloire de Dieu. Ne t'afflige pas à propos du jeûne, je t'ai déjà dit que Dieu n'exigeait pas de quelqu'un qu'il aille au-delà de ses forces. Car qu'est-ce que le jeûne, si ce n'est discipline du corps ? qui consiste à maîtriser la vigueur du corps et à affaiblir ainsi ses passions, car il est écrit : C'est lorsque je suis faible que je suis fort. La maladie est une grande instruction, et elle sera comptée pour beaucoup plus à celui qui l'aura subie avec patience, en rendant grâces à Dieu. Cette patience procure de grands fruits de salut. Le corps, au lieu de s'affaiblir par le jeûne, s'affaiblit ainsi de lui-même. Rends grâces de ce que tu as été délivré des efforts dans la conduite à tenir (politeia)... Pour les fauves que tu vois en rêve, ce sont des phantasmes produits par les démons pour te faire croire que ta souffrance vient d'eux-mêmes. Mais Dieu les détruira par la parole de sa bouche et par les prières de ses saints.
«Ne t'afflige donc plus. Dieu châtie les fils qu'il adopte. Je crois que Dieu, par ta souffrance corporelle, va te prouver sa miséricorde à la manière que lui seul connaît. Que Dieu te fortifie et te donne la force de tout supporter. Amen. Je t'envoie de l'eau de la carafe même du bienheureux Père Euthyme. Je t'envoie aussi un peu d'eulogie3 de ma nourriture, afin que tu bénisses ma nourriture. Prie pour moi, frère désiré».
Pareillement, il guérit un autre frère gravement souffrant qui, ne pouvant supporter ses douleurs, demanda la prière et l'aide du grand ghéron.
«Mon frère et mon bien-aimé dans le Seigneur. A cause de ton amour spirituel en Christ, je te révèle les mystères de Dieu. Tu as su et tu es convaincu que je prie Dieu pour toi nuit et jour pour qu'il nous sauve du malin pour son Règne éternel. Et il m'a répondu : Laisse-moi l'éprouver, pour le profit de son âme, par les souffrances corporelles, pour que je sache qu'elle est sa patience et ce qu'il doit hériter par les prières et par les douleurs. Et je lui dis : Agis avec lui avec miséricorde comme pour un fils et non comme pour un bâtard... Et pour que tu apprennes la joie qui t'attend, je t'ai révélé cela. Ne sois plus affligé, Dieu te fait miséricorde ; mélange de l'eau de rose et de l'eau bénite, et Dieu, de sa propre volonté, agira avec miséricorde, comme il l'entend... Prie pour moi».
Voilà donc notre saint devenu non seulement fils de Dieu par la grâce, mais, ce qui est encore plus admirable, frère du Seigneur Jésus. Ecoutons-le le confesser lui-même de lui-même, dans l'une de ses réponses : «Priez pour moi, le misérable, frères, pour que moi aussi j'observe ces mesures jusqu'à la fin. Car celui qui les observe est déjà devenu frère de Jésus». Et quand le propre frère du saint lui demanda, dans sa vieillesse, une audience, il lui fit cette réponse : «Moi, c'est Jésus que j'ai comme frère. Si un jour tu méprises le monde et deviens moine, alors tu seras mon frère».
Pour abréger, disons aussi que, après être devenu non seulement fils de Dieu et frère de Jésus, il devient aussi Dieu par la grâce, selon l'Ecriture qui dit : «Vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut» (Ps. 81,6). Comme l'enseigne cet oiseau du ciel, cet initiateur des mystères, Denys l'Aréopagite : «La théologie appelle aussi dieux les hommes de chez nous qui se distinguent par leur amour pour Dieu et par leur sainteté. Tout être doué d'intelligence et de raison, qui tend tout entier, au maximum de sa puissance, vers l'union avec lui, qui s'élève incessamment autant qu'il le peut, vers ses illuminations divines, en imitant, si l'on ose dire, Dieu lui-même à la mesure de ses forces, celui-là mérite bien l'épithète de divin» (Hiérarchie céleste, 13).
Le divin Barsanuphe parvint à une telle perfection et à une telle familiarité avec Dieu, qu'il pouvait à lui seul prier Dieu pour des myriades d'hommes sans être repoussé. Car si, selon le psalmiste, «Dieu accomplit la volonté de ceux qui le craignent», combien plus accomplira-t-il la prière de celui qui est devenu fils de Dieu et frère de Jésus ? Voici ce qu'il répondit à un moine qui lui demandait de prier Dieu pour que lui fût accordé le progrès.
«Frère, prie la bonté de Celui qui veut que tout homme soit sauvé et parvienne à la connaissance de la vérité, qu'il t'accorde l'empressement spirituel, qu'il allume le feu spirituel que le Seigneur est venu allumer sur la terre. Et moi, je prierai avec toi, selon ma force, pour que Dieu te l'accorde, lui qui donne la grâce à ceux qui luttent et peinent. Et quand elle te parviendra, qu'elle te dirige dans la vérité. Elle éclaire les yeux, redresse l'intellect. Elle chasse le sommeil de la négligence. Elle astique les armes rouillées dans la terre de la nonchalance. Elle nettoie la tunique souillée durant la captivité par les barbares. Elle fait haïr les horreurs de leurs cadavres. Elle fait désirer le sacrifice spirituel offert par notre grand pontife, dont a parlé le prophète, disant qu'il purifie des péchés et ôte les iniquités. Elle est donnée à ceux qui prennent le deuil, elle est offerte aux humbles ; elle est amassée chez ceux qui en sont dignes, les faisant héritiers de la vie éternelle, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen ! Prie pour moi, frère».
Au temps de ce divin père, il y eut une grand calamité sur le monde entier, et les Pères qui vivaient dans le monastère le prièrent d'intercéder auprès de Dieu pour que cessât sa colère. Lui, alors, répondit que trois hommes parfaits se tenaient devant Dieu et le priaient pour le monde entier. L'un de ces trois était Barsanuphe. Ecoute les paroles mêmes du ghéron rempli de grâces :
«Ils sont nombreux ceux qui prient l'amour de Dieu pour les hommes afin que cesse la calamité et nul n'est plus ami de l'homme que Dieu cependant. Mais il ne veut pas faire miséricorde, car la multitude des péchés accomplis dans le monde fait écran. Il y a trois hommes parfaits devant Dieu, qui ont dépassé la stature humaine, qui ont reçu le pouvoir de lier et de délier, de remettre ou non les péchés et ils se tiennent au milieu des ruines pour que le monde ne soit pas détruit et, à cause de leurs prières, Dieu châtie avec miséricorde. Il leur a été dit que la colère durera peu de temps. Priez donc avec eux. Leurs prières se rencontrent devant le portique, à l'entrée du tabernacle supérieur du Père des Lumières. Les uns et les autres se réjouissent et sont dans l'allégresse dans les cieux. Quand ils portent leurs regards sur la terre, ils sont en deuil et pleurent ensemble, se lamentant pour les péchés qui sont commis et qui provoquent la colère. Ce sont Jean de Rome, Elie à Corinte et un autre dans l'éparchie de Jérusalem (c'est-à-dire Barsanuphe lui-même qui vivait à Gaza en moine, dans la Province de Jérusalem) et je crois qu'ils obtiendront la grande pitié. Amen».
Les saints qui sont ainsi remplis de grâces par Dieu sont sanctifiés non seulement en leur intellect et en leur âme, mais aussi leurs corps sacrés participent à travers l'âme à la grâce et à la sanctification.
Le grand saint Grégoire Palamas de Thessalonique, dit que «l'intellect qui a été parfumé par ces choses (c'est-à-dire ces grâces surnaturelles) transmet aussi au corps qui lui est uni beaucoup de parcelles de la beauté divine, et cela par la grâce, malgré l'épaisseur de la chair» (Lettre à Xénia).
Ainsi, non seulement l'âme et l'esprit de saint Barsanuphe furent remplis de grâces et sanctifiés, mais aussi son corps sacré reçut aussi la grâce divine et la sanctification. Tous les objets qui le touchaient recevaient une certaine force, une grâce -comme nous pouvons lire dans les Actes que les vêtements, les linges de Paul accomplissaient des prodiges et guérissaient les maladies (Actes 19, 11-12). Le cucule du grand Barsanuphe qui fut envoyé à Jean de Mérosabès le protégeait de beaucoup de maux et de tentations. Un autre saint lui envoya son cucule et son scapulaire et le pria de les porter afin qu'ils fussent ainsi sanctifiés et qu'ils lui fussent renvoyés pour lui servir de protection et de secours. D'autres encore allaient chercher des eulogies, c'est-à-dire une parcelle du pain qu'il mangeait et une goutte de l'eau qu'il buvait et, en les mangeant et les buvant, ils étaient soulagés dans le combat contre les passions.
«...Je vois souvent, fit-il écrire à Jean, tes nombreuses afflictions et de moi-même, je t'envoie des eulogies, afin que par elles tu reçoives de la force selon Dieu. Il te serait utile de méditer en tout temps le psaume 106 : "Il dit et il fit souffler la tempête qui souleva les flots de la mer. Ils montaient vers les cieux et descendaient dans l'abîme" ; et plus loin : "leur âme était éperdue en face du danger". Toutes ces choses s'abattent sur nous et nous devons supporter de tels risques jusqu'au moment où nous pénétrerons dans le port de la volonté de Dieu...»
Mais voici plus encore. La voix même du grand Barsanuphe était sainte. Beaucoup priaient le saint et désiraient le bonheur de le vénérer et d'entendre sa voix sainte. Ils croyaient qu'elle leur serait un grand secours, une grande protection. Son nom seul invoqué opérait et procurait secours à ceux qui l'invoquaient, comme cela arriva à l'higoumène du couvent Elianus. Jean le prophète à qui il demandait comment répondre à chacun de ceux qui l'interrogeaient, lui dit : «Où que tu sois, invoque par l'esprit et demande-lui : "Abba, que dois-je dire ?" et ne te soucie pas de ce que tu auras à répondre».
Tels sont les grands charismes qu'il fut digne de recevoir, tant il monta très haut sur l'échelle des vertus, ce grand parmi les Pères, Barsanuphe.
Mais de tels charismes vont de pair avec de telles épreuves, qu'il est presque impossible de les subir en réalité, et qu'on ne peut pas même en entendre le simple récit. Voici ce que ce grand et divin père écrit à Jean de Mérosabès : «Si je t'écrivais ce que j'ai dû supporter d'épreuves, tes oreilles ne pourraient le supporter...»
Il souffrit de graves maladies, le bienheureux, mais avec tant de courage, qu'au cours de l'une d'elles, il ne se coucha jamais pour se donner quelque repos, pas plus qu'il n'abandonnait son ouvrage. Les grands charismes comportent de grandes épreuves. Et celui qui ne va pas jusqu'au sang ne peut recevoir l'Esprit Saint. C'est pourquoi un autre père, Pierre Damascène, a dit : «Donne du sang et tu recevras l'Esprit» et un autre père : «Montre tes oeuvres puis exige le salaire».
Saint Barsanuphe vivait au temps de Justinien, au VIème siècle. Il vécut cinquante ans et plus, sans que personne l'ait vu, car il s'était enfermé dans une toute petite cellule, comme en un sépulcre, comme nous l'avons déjà dit. Durant ce temps, il ne mangea rien d'autre que du pain et ne but que de l'eau.
Entendant parler de ces choses extraordinaires, le patriarche de Jérusalem de l'époque, Eustochios, ne voulut rien en croire et voulut voir de ses yeux. Prenant avec lui quelques personnes, il se rendit au lieu de réclusion du saint. Il tenta de démolir le mur et de pénétrer à l'intérieur : il en sortit du feu, qui faillit le brûler ainsi que sa suite, comme en rend témoignage Evagre le Scholastique, dans le trente-deuxième chapitre du IVème livre de son Histoire Ecclésiastique. Voici ce qu'il dit textuellement : «Il y eut en ce temps des hommes théophores, qui furent des artisans de grands prodiges. Parmi eux se distingua l'illustre Barsanuphe, Egyptien d'origine. Il vécut dans la chair la vie désincarnée, dans un certain couvent de Gaza. Il accomplit de grands miracles, de mémoire d'homme... Il vécut dans un lieu très étroit, pendant cinquante ans, sans jamais avoir été vu... L'incrédule évêque Eustochios de Jérusalem...»
Signalons qu'au cours des cinquante années où il vécut reclus, il ne se montra qu'une seule fois à certains, car un des frères du monastère ne croyait pas et disait que Barsanuphe ne se trouvait pas dans sa cellule et que Séride imitait ses réponses. Le saint cria à l'incrédule, se montra à lui, lui lava les pieds de même qu'à ceux qui se trouvaient là. Tous crurent alors et glorifièrent Dieu.
Il faut noter qu'il existe deux Barsanuphe. L'un était notre saint et très orthodoxe père, l'autre un hérétique monophysite... L'Eglise a reconnu notre Barsanuphe pour saint. Le Patriarche saint Taraise, questionné à ce propos par Théodore le Studite, le confirma. Théodore le Studite le confirma aussi dans son testament et d'autres témoins dignes de foi le corroborèrent. L'icône même de saint Barsanuphe en rend témoignage, laquelle, au temps de Théodore le Studite, se trouvait encore dans la Grande Eglise avec les icônes des saints pères Antoine, Ephraim, et de nombreux saints...
...
et on peut dire la même chose du Ghéron Jean surnommé le prophète.

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