lundi 31 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°35. Vie de Saint Syméon le nouveau Théologien.

PERE AMBROISE



VIE DE SAINT SYMÉON

LE NOUVEAU THÉOLOGIEN





La vertu est chose ardente, pour allumer en nous la flamme de l'amour de Dieu ; elle fait de l'âme entière un feu, elle élève l'esprit de la terre au ciel, elle déifie l'homme entier, elle en fait un dieu par la grâce1.
C'est pour avoir, de tout son coeur, aimé la vertu que notre saint Père Syméon le Nouveau Théologien a atteint les cimes les plus élevées. Il sera facile de dire ce qu'il possédait avant, c'est-à-dire par nature, ce qu'il tenait de sa patrie, de sa race, de son éducation et tout ce qu'il a ensuite acquis avec beaucoup de sueur de son front, avec beaucoup de luttes.
Il a poussé vers le milieu du Xème siècle, tel un arbre robuste et florissant sur la terre de Paphlagonie, dans un bourg appelé Galate. Ses parents étaient nobles et riches. Son père se nommait Basile et sa mère Théophano. Etant jeune, il fut envoyé par ses parents à Constantinople, chez des parents proches qui étaient à la cour. Ils l'accueillirent avec beaucoup de joie et lui donnèrent un maître, qui lui apprit les choses que l'on enseignait alors aux enfants. Il était sage et avait en horreur les jeux turbulents des enfants. Il s'appliquait à ses leçons autant qu'il le pouvait et progressait beaucoup. En peu de temps, il devint excellent calligraphe, tel qu'on le découvre d'après ses manuscrits. Il étudia seulement la grammaire et refusa de recevoir des leçons de philosophie, ne voulant pas se mêler aux étudiants de cette époque.
Son oncle, le frère de son père, voyant qu'il dépassait tous les jeunes de son âge, pensa le faire entrer dans les grâces des empereurs d'alors, Basile puis Constantin porphyrogénète, auprès desquels il jouissait d'une grande faveur. Le saint ne s'intéressa pas beaucoup au plan de son oncle, car il craignait de perdre Dieu en gagnant les choses de ce monde ; mais il fut contraint d'accepter certaines fonctions, comme celle de garde-du-corps royal. Après avoir rempli ses devoirs envers son neveu, l'oncle fut soudainement emporté par la mort. Syméon saisit l'occasion, quitta ce monde et les choses du monde et s'en alla au monastère des Studites2, à la recherche de son père spirituel, maître réputé grand dans la vertu, que Syméon surnomma le Pieux. Quand il l'eut trouvé, il le pria de le recevoir et de le faire moine. Le père spirituel, expérimenté et sage qu'il était, lui conseilla de prendre patience, jusqu'à ce qu'il parvînt à l'âge adulte, puisque à l'époque, il devait avoir quatorze ans.
Le jeune homme obéit et retourna à la maison de son oncle où, à la pratique des oeuvres bonnes, il ajouta celle de la prière et de la lecture. Il emprunta à son père spirituel le livre de saint Marc l'Ascète ; en l'ouvrant, il tomba sur ces paroles : «Si tu cherches du profit, prends soin de ta conscience et fais ce qu'elle te dira». En lisant cela, il lui sembla entendre ces paroles de la bouche même de Dieu et il commença à interroger sa conscience. La conscience, qui a été donnée par Dieu aux hommes, le conseillait toujours en tout ce qui était utile à l'âme. Il s'adonna alors beaucoup à la prière et à l'étude de la Sainte Ecriture, et cela jusqu'au milieu de la nuit. Il ne donnait à son corps que la nourriture indispensable à sa subsistance : du pain et de l'eau, imitant les anciens ascètes. Peu de temps après, la grâce du Saint-Esprit, trouvant son âme libre de toute attache avec ce monde, le ravit et l'éleva jusqu'à la contemplation du Seigneur. Une nuit, pendant qu'il priait, il vit une lumière éclatante descendre sur lui du haut des cieux soudainement ; elle illumina tout le lieu où il se trouvait, comme en plein jour. La lumière l'enveloppa. Il lui sembla être hors de la maison, élevé dans les airs et oubliant complètement son corps. C'est alors, -comme lui-même le raconta et l'écrivit, en feignant de parler de quelqu'un d'autre, pour se cacher par humilité- qu'il fut rempli de joie et que de chaudes larmes coulèrent ; émerveillé par ce miracle étrange et inhabituel, il criait : Kyrié Eléison, sans se rendre compte qu'il criait fort. Ce n'est qu'après être revenu à lui qu'il s'en rendit compte.
Dans les hauteurs célestes, il vit une nuée lumineuse, sans forme ni contours, pleine de la gloire de Dieu, près de laquelle se tenait -ô miracle- son Ancien Syméon le Pieux. Cette lumière divine, il la contempla sans se prosterner, et de toute son âme il pria, entrant en extase pendant longtemps, sans savoir si c'était avec ou sans son corps, comme lui-même le disait. Cette lumière se retira peu à peu et c'est alors qu'il se rendit compte qu'il était avec son corps dans sa cellule. Son coeur fut alors rempli de joie et ses lèvres crièrent : «Seigneur, aie pitié». Il était inondé par ses douces larmes, indice qu'il était dans son corps, que son corps était devenu subtil, léger et il demeura ainsi un long temps.
Après avoir vu cette vision, il supplia avec encore plus d'ardeur son père spirituel de le faire moine ; mais son père, qui possédait le don de voir les choses à l'avance, ne jugea pas bon de l'exaucer à cette époque. Six ans après cette vision, le jeune homme repartit pour sa patrie, et alla auparavant saluer son père spirituel. Ce dernier lui dit en le voyant : «Maintenant, le moment est venu, mon enfant, de te faire moine». Et le saint répondit : «Ah ! pourquoi ne l'avoir pas dit plus tôt, père ? En tout cas, dès maintenant je promets de renoncer au monde et à ce qu'il y a dans le monde, et dès que je serai de retour dans ma patrie, je t'apporterai tous mes biens et les remettrai entre tes mains et moi-même avec eux».
Alors qu'il se rendait dans sa patrie, à l'approche du grand carême, il trouva le livre de saint Jean le Climaque et le lut avec soin.
Tout près de la maison de son père, il y avait une église et près de la porte de l'église, une petite cellule. C'est là qu'il venait pour prier, et lire le livre de saint Jean Climaque. Un jour, il tomba sur ces mots : «L'insensibilité, c'est la mort de l'âme, c'est la mort de l'esprit bien avant celle du corps». La lecture de cette phrase terminée, il chercha à guérir la passion de l'insensibilité. Il priait la nuit sur les tombes, et songeait : «Comment sont les morts ? Qu'est-ce que la mort ? Et le jugement à venir ?» Il jeûnait encore plus et veillait davantage.
Une nuit, au cours de sa prière à l'église, où se trouvait un cercueil plein d'ossements, une multitude de démons arriva : ils firent tant de bruit, qu'il crut qu'on avait brisé les portes pour se saisir de lui. Pris de panique, il leva les mains aux cieux pour implorer le secours divin. Le voyant, pendant de longues heures, se tenir ferme dans la prière, les démons furent vaincus et partirent. Ses bras, tenus si longtemps élevés s'étaient engourdis à tel point qu'il eut du mal à les rassembler. Quand il vit que les portes étaient fermées, il fut étonné. C'est depuis ce moment qu'il reçut la force et ne craignit plus la guerre avec les démons, la considérant comme négligeable, car il connaissait leur impuissance.
Le saint s'adonna complètement à la prière, à la lecture et s'il lui arrivait quelquefois d'être attaqué par la négligence, il allait s'asseoir tout seul sur les tombeaux, et imaginait en son esprit les morts ; alors, tantôt il était en deuil, tantôt il pleurait et employait toute sorte de moyens pour ôter le voile de l'insensibilité de dessus son coeur. L'image des morts s'imprima si profondément en son esprit, par la grâce divine, qu'il voyait comme morts tout visage, toute beauté des corps.
Le temps de retourner à Constantinople arriva et son père charnel, ne pouvant supporter la séparation, le pria avec larmes, par des paroles de compassion, pour qu'il restât auprès de lui jusqu'à sa mort. Le fils, comme s'il avait dépassé les bornes de la nature, préférant le Père céleste à celui de la terre, répondit : «Cela n'est pas possible, père, pour moi de rester désormais dans le monde, car je ne sais pas de quoi sera fait le lendemain et je ne puis rien préférer aux services du Christ, tout cela est très dangereux pour moi».
Il renonça par écrit à tout son héritage paternel qui lui revenait et, prenant tout ce que des parents lui avaient remis et tout ce que lui-même avait acquis, il courut, brûlant de l'amour du Père céleste, sans se soucier des lamentations de ses parents, ni de son service royal. Il demanda à ses serviteurs de marcher devant lui, et lui les suivait derrière pour pleurer. D'autres fois, il allait devant et remplissait les monts et les champs de ses cris et de ses gémissements, trouvant en cela quelque consolation dans l'amour qu'il avait pour Dieu, qui le remplissait de joie indicible et de douceur. Ainsi, il marcha durant huit jours avant d'arriver chez son Ancien. Alors il mit à ses pieds tous ses biens. L'Ancien les distribua aux pauvres et prit avec lui au monastère le saint et le prépara à affronter les épreuves qui l'attendaient, épreuves qu'il connaissait à l'avance. Il donna au monastère deux mesures d'or, il le présenta à l'abbé Pierre et ce dernier le remit entre les mains du grand Syméon le Pieux. L'Ancien le reçut de l'abbé et lui ordonna de s'exercer dans la voie étroite, dans une cellule qui se trouvait au-dessous de l'escalier, pas plus grande qu'un tombeau. Puis il lui dit : «Vois-tu, mon enfant, si tu veux être sauvé, veille bien à ne pas parler pendant les offices, à ne pas aller de cellule en cellule, à ne pas avoir de familiarité. Garde ton esprit pour qu'il ne se disperse pas ici et là, mais pense à tes péchés et au châtiment éternel». Voulant lui procurer de plus grandes couronnes, tantôt il lui ordonnait de faire les travaux les plus vils et les plus pénibles, d'autres fois des travaux plus honorables et plus légers. D'autres fois, il l'obligeait à manger et à dormir, cherchant par tous les moyens à lui faire briser sa volonté.
Syméon accomplissait tout ponctuellement, en toute obéissance. Malgré tous ses labeurs, il ne négligeait jamais le jeûne et les veilles. Il considérait comme saint le lieu où son père spirituel priait, il en baisait le sol et se jugeait indigne même de toucher aux vêtements de son Ancien. Le diable voyant Syméon s'élever très haut dans la vertu, en grinçait les dents et l'éprouvait de toutes les manières possibles. Une fois, il jeta sur lui, depuis la tête jusqu'aux pieds une grande nonchalance, un alourdissement, une obscurité, au point qu'il lui sembla qu'il ne pourrait jamais plus se tenir debout, ouvrir sa bouche pour la prière, élever son esprit vers Dieu, ni entendre les offices. Syméon lui résista par la patience, il ne quitta pas la position qu'il occupait pendant les offices et la prière qui ne cessait jamais, et cela au point que l'ennemi ne pouvait plus le supporter et il partit vaincu.
Une nuit, alors qu'il assistait à l'Office de Matines, il lui sembla que la lourdeur lui montait depuis les pieds, jusqu'à la tête et de là disparaissait, se dissipait même comme un nuage dans l'air. Il sentit son être devenir léger, subtil, spirituel, et depuis il fut fortifié par Dieu. Il ne s'asseyait jamais durant tout l'office.
D'autres démons allèrent le trouver dans sa cellule où il dormait -les démons de la crainte, de la timidité ; ils lui apparaissaient comme des nègres, lui soufflaient au visage, lui crachaient comme des charbons enflammés, faisaient trembler sa cellule, poussaient des cris de triomphe et faisaient d'autres choses semblables. Le saint se levait et se mettait en prière et de cette manière les chassait. Ils l'attaquèrent ensuite par le redoutable combat de l'impudicité et, pendant son sommeil, lui présentaient des images obscènes. Mais Syméon, par la grâce qu'il avait reçue de Dieu contre les démons, les combattait. Vaincus, les démons dressèrent contre lui les moines négligents du couvent et l'Abbé même, Pierre. Syméon ayant revêtu le casque de la grâce de l'Esprit Saint, leur échappa sans jamais les haïr : il se réfugiait auprès de son père, lui confessant toutes ses pensées, continuant à se tenir tel une colonne de feu, durant les Offices, ses yeux coulants de larmes, comme des fontaines.
Ne pouvant supporter de le voir s'établir dans un comportement aussi vertueux, l'abbé et les moines et même les gens du dehors, cherchaient à l'en empêcher, même son père charnel. Les hommes du monde cherchaient à le persuader de retourner parmi eux, tandis que les moines s'efforçaient de refroidir toute son affection pour son maître spirituel, de l'ébranler dans son état spirituel et enfin de parvenir à le chasser du monastère. Ils y employaient toutes les manières, tantôt le flattant, tantôt le menaçant, ou le louant, ou le calomniant. Ils lui promettaient de lui donner les meilleures cellules, ou de lui confier des services plus faciles, ou le persécutaient et le haïssaient : tout cela tendait à lui faire abandonner la vertu et rejeter son maître.
Mais le saint était inébranlable. Il méprisait les louanges comme les calomnies, les honneurs et les blâmes. Son père le soutenait et le poussait à tout endurer avec courage et à tout faire pour rendre son âme amène, simple, humble, car c'est dans une telle âme que la grâce du Saint Esprit habite. Syméon, désirant beaucoup recevoir la grâce du Saint Esprit, tomba aux pieds de son maître et le pria ardemment qu'il fût digne de recevoir cette grâce, par les prières de son Ancien. Son maître, rempli de miséricorde, lui dit : «Lève-toi, mon enfant, je crois en l'amitié de Dieu pour l'homme, car il veut te donner sa grâce divine, bien plus qu'il ne l'a donnée à moi, le double». Il le baisa et le renvoya en paix. C'était la troisième heure de la nuit. Dès qu'il fut dans sa cellule, tel un éclair, une divine lumière l'entoura et le remplit de joie indicible et lui augmenta son amour de Dieu. Tandis qu'il rendait grâces à Dieu pour ces choses, la nuée lumineuse revint et le recouvrit en entier, qui affina totalement rendit subtilel'épaisseur de la pensée charnelle, et lui donna, en plus des autres charismes, la parole de sagesse et de connaissance que tous admiraient en disant : «Comment tant de sagesse et tant de connaissance peuvent-elles se trouver en lui ?» Sa grande humilité, sa perpétuelle componction les étonnaient. Il dépassa tout le monde et devint le maître de tous. L'Abbé, poussé par ceux qui le détestaient, chercha par tous les moyens à le séparer de son père et à le prendre comme fils. Comme Syméon ne voulut rien entendre, il le chassa du monastère.
Son père spirituel prit Syméon et le conduisit au très célèbre Antoine, qui était abbé du couvent de Saint-Mamas. Là aussi le diable ne cessa pas : il poussa son père charnel et d'autres personnes à le persuader de ne pas renoncer au monde et à ce qui est dans le monde. Mais l'athlète du Christ à la grande âme demeurait ferme dans sa détermination, brûlé qu'il était par l'amour de Dieu. Aussi écrivit-il à son père selon la chair ce que justement ce dernier aurait dû lui écrire. Mais, comme son Ancien, son berger spirituel, visitait souvent son disciple et le trouvait tout entier brûlant d'amour divin, embrasé par le désir de la tunique monastique, il le fit moine. C'est alors que Syméon se mit à accomplir les oeuvres de la vertu la plus parfaite. Il s'adonnait complètement à la seule hésychie, à la lecture, à la prière, communiant quotidiennement aux saints mystères. Toute la semaine, il se nourrissait d'aliments végétaux, de graines, de légumes secs. Les dimanches et jours de fête, il prenait part à la table commune avec tous les frères. Il dormait peu, à même la terre, couché sur une natte et une peau de mouton. Les veilles des dimanches et des fêtes, il veillait depuis le soir jusqu'au matin, et cela sans prendre de sommeil le jour qui suivait. Il était attentif à lui-même et se tenait renfermé toute la journée dans sa cellule. Quand il lui arrivait de s'asseoir devant sa porte, il paraissait comme inondé de ses larmes. On sentait qu'il brûlait encore de la flamme de feu de la prière. Il lisait les vies des saints puis, après la lecture, il s'adonnait aux travaux manuels et à la calligraphie.
Dès que la simandre résonnait, il se rendait aussitôt à l'église et écoutait l'office avec la plus grande attention. Quand se célébrait la liturgie divine, après l'Evangile, il se retirait dans une petite chapelle de l'église, s'y enfermait et écoutait les paroles sacrées prononcées par le prêtre. Quand le célébrant élevait les dons -au moment où retentit : «Les choses saintes aux saints...»- il quittait sa retraite et venait communier et, la liturgie terminée, il se retirait dans sa cellule, prenait sa nourriture habituelle et ne prenait de repos que vers le milieu de la nuit. Il dormait un peu puis se levait pour se rendre à l'église avec les autres frères.
Pendant le grand carême, il passait toute la semaine sans prendre de nourriture. Les samedis et dimanches, il se rendait au réfectoire avec toute la communauté et mangeait ce que mangeaient les autres. Jamais il ne se couchait sur le côté, mais il mettait sa tête sur sa main et prenait une heure de sommeil environ, dans cette position.
Voilà les premières, les moyennes luttes de Syméon.
Après deux ans, il parvint à la perfection, à tel point qu'il comprit et connut les raisons et les causes des créations de Dieu. Il était fortifié par la grâce du Saint-Esprit et prêchait dans l'église du monastère. Son père spirituel, voyant qu'il était parvenu à la stature de l'homme accompli, pensa sérieusement à le faire ordonner prêtre, pour qu'il fût placé comme une lumière sur le lustre de l'Eglise, afin qu'il pût éclairer tout le monde. La mort de l'Abbé du monastère devait arriver sur les projets de Syméon le Pieux. Par le vote de Nicolas Chrysoberge, patriarche, et des frères du couvent, Syméon fut ordonné prêtre et devint l'Abbé du monastère de Saint-Mamas, mais non sans résistance digne de toute louange, ni larmes, car il avait une grande considération de la prêtrise et la charge abbatiale le faisait hésiter.
Au moment où l'évêque récitait la prière d'ordination sur sa tête, alors que lui était agenouillé, il vit l'Esprit Saint descendre, comme une lumière simple, sans forme, et couvrir sa tête sacrée, lumière qu'il devait voir, durant ses quarante-huit ans de prêtrise, descendre pendant la liturgie ; c'est lui-même qui racontait la merveille, mais en l'attribuant, par humilité, à un autre, afin de n'être pas vanté par les hommes.
Plusieurs fois on l'interrogea sur ce que doit être le prêtre. Et il répondait en larmes et disait : «Malheur à moi, mes frères, que me demandez-vous là ? La chose est redoutable pour celui qui veut y réfléchir. Moi je ne suis pas digne d'être prêtre, mais je sais très bien ce que doit être un prêtre. Il doit, avant tout, être pur, de corps et plus encore d'âme. Pur de tout péché, effacé dans son comportement extérieur, et contrit à l'intérieur. Quand il célèbre, il doit voir en esprit Dieu et, de ses yeux, les dons proposés. Il doit avoir conscience de la présence du Christ en son coeur, où Il se trouve invisiblement, afin qu'il puisse parler familièrement avec Dieu le Père, comme d'ami à ami et dire, sans encourir de condamnation : Notre Père». Voilà ce qu'il disait à propos de la prêtrise à ceux qui le questionnaient et il les suppliait de ne pas demander indignement ce grand mystère, redoutable même pour les anges, avant que d'être arrivés à cette disposition qu'on a dite, par des peines et des luttes nombreuses. Il disait que ceux qui en étaient revêtus devaient avec diligence pratiquer les commandements de Dieu et faire pénitence à chaque instant pour tous les péchés accomplis non seulement en actes et en paroles, mais encore par les pensées secrètes de l'âme. Qu'ils devaient chaque jour offrir le sacrifice à Dieu avec un esprit brisé pour eux-mêmes et pour le prochain, des prières et des supplications dans les larmes qui sont une hiérurgie3 mystique à laquelle Dieu prend plaisir, et qu'il accepte sur son autel supra-céleste, envoyant en échange la grâce du Saint Esprit.
C'est avec de telles paroles qu'il instruisait ceux qui l'interrogeaient et c'est ainsi que le saint célébrait. Son visage était lumineux, il ressemblait à un ange pendant la liturgie et on ne pouvait le regarder bien, tant il brillait, comme il n'est pas possible à qui que ce soit de regarder en face le soleil. Syméon l'Ephésien, son disciple, le vit pendant la liturgie revêtu de l'étole épiscopale, tandis que Malèce, son novice, disait qu'il voyait souvent le saint enveloppé d'une nuée lumineuse pendant la célébration de la liturgie. Il restaura le monastère qui tombait en ruines, de même que l'église, construite sous l'empereur Maurice, et qui servait en même temps de cimetière-caveau où on enterrait beaucoup de gens, la vida des corps, fit recouvrir le sol de marbre et l'embellit par de belles icônes et d'autres objets admirables. Il attira un grand nombre de moines et par sa prédication comme par son exemple, il les enseigna et leur apprit à désirer les choses de l'Esprit, leur imposa une table commune, et lui-même prenait avec eux ses repas, se contentant de légumes bouillis et souvent d'un peu de crudités.
Pratiquant ainsi ces choses, le saint reçut plus encore le charisme de la componction et des larmes qu'il possédait déjà : elles lui tinrent réellement lieu de nourriture et de boisson tout au long de sa vie. Et pour cette oeuvre-là, il consacrait trois temps du jour : le matin, après les matines, au temps de la liturgie puis après les complies, temps où il priait avec larmes.
Bien qu'il fût ignorant des lettres du dehors4, ayant reçu la parole de l'enseignement, il écrivit pendant la nuit soit des discours théologiques, soit des catéchèses, soit des commentaires ou exégèses des saintes Ecritures. Il composait aussi des Hymnes d'Amour en vers et écrivit beaucoup de lettres à ses disciples. Il parvint ainsi à vaincre le sommeil complètement, la faim et la soif et les autres nécessités du corps.
Et malgré tous les mauvais traitements qu'il s'infligeait, il continuait d'être lumineux, de la splendeur de l'ange...
Par tout cela, il devint très célèbre et son troupeau augmentait de jour en jour, mais non sans douleurs et sans épreuves. En voici un exemple, d'après lequel on pourra juger des autres :
Un jour, après matines, le saint commença à enseigner ses moines, selon son habitude, et à admonester les uns, à accuser les autres, à exhorter certains à la vertu. Tout à coup, une trentaine de moines déchirèrent leurs soutanes, comme firent Anne et Caïphe, en poussant des cris sauvages, et se précipitèrent sur le saint, mais la grâce de Dieu les empêcha de le toucher, de mettre les mains sur lui. Le saint croisa ses mains et éleva son esprit vers le ciel, se tenant immobile et souriant, le visage serein. Ne pouvant rien lui faire, ils brisèrent les serrures de la porte du monastère, et sortirent en poussant des cris et coururent, agités comme des fous, chez le Patriarche Sisinios. Le Patriarche le fit appeler et, entendant de sa bouche tout ce que les moines lui avaient fait, il s'étonna. Connaissant leur fureur, leur jalousie, il décida, en toute justice, de les exiler. Mais le bon berger et imitateur de l'Archipasteur -le Christ- tomba aux pieds du Patriarche et, en larmes, il demanda leur pardon. Ils ne furent pas exilés, mais le Patriarche ne les laissa pas retourner au monastère, les chassa et les dispersa de côté et d'autre. Or le bon pasteur ne pouvait supporter de voir sa bergerie vide de brebis, et il se lamentait beaucoup, pleurant désespérément. Il désirait réconcilier avec Dieu ses brebis dispersées. Il enquêta sur les lieux où les moines pouvaient se trouver et leur envoya tout ce qui était indispensable et nécessaire à la vie. Il allait tout seul aussi les trouver et, par des paroles de douceur, il parvint à adoucir leur dureté, leur demandant pardon comme s'il les avait offensés, et les suppliant de revenir au lieu de pénitence. Au bout de peu de temps, il les rassembla de nouveau tous dans le monastère.
Voici qu'elle était dans la pratique la vie du saint. Et c'est ainsi qu'il devint parfait dans la théologie et dans la sagesse divine. Son troupeau était tellement admirable qu'on eût dit que c'était une église de studites, assemblée d'incorporels chantant et servant Dieu avec zèle. Ce troupeau, cette église augmentait chaque jour avec les disciples que le saint faisait. Je parlerai de la vertu d'un ou deux d'entre eux, afin que par leur vertu éclate encore davantage celle du maître aux yeux de la multitude.
Un eunuque tachygraphe voulut renoncer au monde et devenir moine. Ayant entendu la renommée du saint, il alla le trouver. Le bienheureux Syméon, après l'avoir examiné et voyant son grand désir, l'admit au monastère et lui ordonna de se faire obéissant et de travailler jusqu'à ce qu'il fût éprouvé en tout effort et peine. Il le trouva en peu de temps capable de tout, il le fit moine et le nomma Arsène. Le diable, voyant Arsène briser sa propre volonté et entrer dans le combat spirituel, voulut le combattre par l'amour des parents, amour qui par nature est un lien très serré. Il poussa la mère d'Arsène à venir de la Mer Noire à Constantinople par amour de son fils. Elle se rendit au monastère et se prosterna devant la porte pleurant et versant de chaudes larmes, demandant à voir son fils. Le portier, ne pouvant supporter la pression que faisait cette femme, alla raconter la chose à Arsène, qui lui répondit ceci : «Frère, puisque une fois pour toutes j'ai renoncé au monde, je n'ai plus à y revenir pour y rencontrer ma mère selon la chair. J'ai mon père spirituel qui m'a régénéré et qui m'allaite du lait parfait de la grâce divine, comme un petit enfant».
Le portier, ayant entendu ces choses, les rapporta à la mère qui accentua ses lamentations, sans quitter la porte du monastère pendant trois jours, et cela afin de voir son fils. Elle revint à vide chez elle, et le fils ne put être vaincu par l'amour maternel. Le saint, voulant toujours éprouver son Arsène, souvent lui imposait des travaux pénibles et grossiers. Arsène se montrait en cela plein de zèle et dépassait tous les frères dans ses rigueurs. Quand arriva le grand carême, il supplia le saint de lui permettre de passer la première semaine sans prendre de nourriture. Le saint se réjouissait de ce zèle. Toutefois, voulant lui briser la volonté, il ne lui donna pas la permission désirée ; mais Arsène redoubla dans son insistance. Le saint, voyant qu'il ne pourrait l'empêcher dans son élan, lui dit : «Arsène, il était de ton intérêt de ne pas suivre ta propre volonté, mais puisqu'il t'a semblé bon de jeûner, je te donne en conséquence permission, mais songe à l'espèce de fruit que pourra t'apporter la désobéissance».
Tandis que tous les frères mangèrent après none le mercredi de la première semaine de carême, Arsène, imitant le saint, observa le jeûne. Pendant l'office de longue veille du même jour, alors qu'il se tenait debout au milieu des frères, il s'évanouit et tomba face à terre, victime de la désobéissance redoutable. Le saint avait prévu la chose et avait ordonné à un autre disciple de tenir prête une coupe avec du vin et un peu de pain. Quand Arsène s'évanouit, le saint ordonna qu'on le relevât et qu'on lui donnât à manger au milieu de l'église. Après avoir mangé, il se remit, à sa grande honte. Le saint lui dit : «Arsène, si tu avais voulu être l'égal des autres frères, tu n'aurais pas subi cela. Mais puisque tu as voulu recevoir avant qu'il ne fût temps, et cela par orgueil, ce qui te dépasse, c'est en toute justice que tu as perdu ce qui était à ta portée». De cet accident, Arsène s'humilia beaucoup. Nous raconterons une ou deux choses que le saint fit au même, pour le faire avancer en humilité.
Arsène avait le service de cellérier. Un jour, il lavait du blé et l'étendit dans le narthex de l'église et ayant fermé toutes les portes, il en laissa une ouverte, pour qu'il fût séché par l'air. Les grives, je ne sais pourquoi il n'y pensa pas, entrèrent et le mangèrent et crièrent. Arsène, entendant leurs cris, accourut et, les voyant manger le blé, il entra en colère, ferma la porte et avec un gros bâton les tua toutes. Puis il alla le dire au saint, comme s'il avait réussi un grand exploit. Le saint fut peiné de la colère irraisonnée d'Arsène. Il ordonna à un frère de lier toutes les grives tuées par une corde, en rang, et de les pendre au cou d'Arsène, puis de lui faire faire le tour du monastère et de le donner en spectacle à tous les frères. Arsène accepta l'épreuve de la honte avec beaucoup d'humilité et versa des torrents de larmes en se nommant assassin.
Une autre fois, des amis vinrent rendre visite au saint. L'un d'eux étant indisposé, le saint demanda qu'on lui donnât à manger des petits pigeons que l'on fit cuire. On les présenta au malade. Arsène, le voyant manger de la viande, tiqua et le regarda avec dédain. Le saint, connaissant dans quel état intérieur se trouvait Arsène et voulant montrer quelle était son humilité aux visiteurs : «Pourquoi, lui dit-il, Arsène, ne prends-tu pas garde à toi-même seulement et n'es-tu pas attentif à manger en toute humilité ton pain et à ne pas lutter avec tes pensées ni te laisser aller à penser à ton frère qui mange de la viande tout en te considérant comme supérieur à lui ? Sache que tu te souilles plus par tes pensers que par la nourriture». Le saint prit un pigeon et le mit devant Arsène et lui ordonna de le manger. Craignant l'ordre, voulant et ne voulant pas, il prit la permission et, versant toutes ses larmes, il commença à manger le pigeon. Quand le saint, qui l'observait, le vit le bien mâcher et être prêt à avaler, il lui dit : «Assez maintenant. Crache-le. Car tu as commencé, étant gourmand, avec une telle avidité, que le pigeonnier ne te suffira pas...» C'est de cette manière que se rendit parfait en obéissance l'admirable disciple du père spirituel.
Pour que le récit soit encore plus fructueux parlons d'un autre disciple du saint.
Un évêque occidental vertueux et ami de Dieu tomba involontairement, poussé par le diable, dans le crime. Un jour qu'il était assis hors de sa cellule, lisant un livre, il eut soif. Il ordonna à son neveu de lui apporter de l'eau et du vin dans un verre. L'évêque, en le recevant, fut dégoûté : c'était tiède. Voulant gronder l'enfant, il prit sa crosse et voulut faire semblant de la lui lancer. La crosse, dirigée par le diable, partit des mains de l'évêque et elle frappa l'enfant au cervelet et le tua sur le coup. Quand l'évêque vit l'enfant tué, il se jeta face contre terre, pleurant et demandant la mort. Les gens des environs entendirent ses cris et accoururent et, se jetant à ses pieds, par tous les moyens cherchèrent à le consoler, lui promettant de prendre à leur charge les punitions du crime. Mais l'évêque ne voulait rien entendre de tout ce qu'ils disaient. Au matin, il lia une chaîne à son cou et demanda à un de ses serviteurs de le traîner de force par la chaîne, jusqu'à Rome. Là, il confessa, en se lamentant, son péché au Pape et à tous les évêques qui, voyant sa grande pénitence, non seulement lui pardonnèrent mais le consolèrent beaucoup. Lui restait inconsolable. Il ordonna de nouveau à son serviteur de le traîner de la même manière jusqu'à Constantinople. Là aussi il se confessa de son péché au Patriarche et aux évêques et déposa sa dignité épiscopale et la chaîne. Génésios le patricien, qui était un ami de l'évêque, entendant parler de ce qui lui était arrivé, le fit venir chez lui pour le consoler. Là, apprenant qu'il avait décidé de passer sa vie monastiquement, dans les trous des montagnes, il lui conseilla, étant très sage, qu'il était préférable de vivre monastiquement dans un couvent communautaire et surtout dans celui du bienheureux Syméon, où justement était observée avec rigueur toute la règle monastique. Il écouta ces paroles et tous deux se rendirent au monastère du saint. Le saint les reçut comme il convenait et fut affligé en entendant ce qui était arrivé à l'évêque. Il pleura beaucoup. L'évêque, voyant la compassion du saint et la sagesse de ses paroles, tomba à terre et le pria de l'admettre dans sa communauté. Le saint connaissant, d'après le zèle qu'il manifestait, quel serait le rétablissement final de l'évêque, le reçut, le fit moine et l'appela Hiérothée.
Hiérothée resta au monastère et s'adonna aux jeûnes, aux veilles, à des travaux très rudes. Il aimait à être insulté et souffleté. Il acquit de tout cela une telle componction et de telles larmes, qu'il ne pouvait les retenir de jour comme de nuit. Il avait l'habitude de pleurer en psalmodiant. Là où il voyait une icône du Christ ou de la Vierge, ou des saints, ou encore une croix, il les baisait toutes, même s'il y en avait mille. Il avait reçu le service du magasin. Là se trouvait le couvercle d'une jarre qui avait forme de croix et toutes les fois qu'il avait à ouvrir la jarre, il baisait le couvercle, de même que quand il la fermait.
Une fois, le saint lui ordonna de remplir un vase vide du contenu de la jarre. Selon son habitude, il baisa la croix du couvercle, puis ouvrit la jarre et remplit le vase. Il le posa appuyé contre la jarre pour reprendre le couvercle. En la fermant, le diable le poussant, il heurta le vase, qui se renversa et se vida. Sans se soucier de cela, Hiérothée remit le couvercle et baisa le signe de la croix, puis prenant le vase vide, il alla raconter les choses au saint. Le saint, voulant le couronner, ordonna que Hiérothée fût placé sur les paniers qui étaient chargés sur un mulet et qu'il fût promené aux cris de : «Celui qui est fou, voilà ce qu'il mérite», paroles que Hiérothée lui-même criait.
Une autre fois, il fut envoyé vers son ami, le patricien Génésios. Celui-ci le reçut avec joie et lui fit don d'un mouchoir plein de pièces d'argent, que Hiérothée refusait d'accepter. Le patricien le pressa tellement, qu'il le convainquit de les accepter. Il les prit et les plaça dans son bonnet qu'il garda à la main et les porta au saint. Voilà quel amour et quelle foi il avait, lui comme tous les autres, pour le saint. Hiérothée parvint à un tel amour de Dieu, que là où il trouvait écrit soit le Nom de Dieu, ou du Christ ou de Jésus, il posait ses yeux et pleurait jusqu'à remplir ce lieu de ses larmes. Tels furent les admirables disciples du saint, parmi lesquels on compte aussi Léon le Très-Sage, surnommé le sonneur...
Après avoir formé de tels disciples, vaincu par l'Esprit divin, il voulut établir un autre higoumène et se retirer, lui, dans l'hésychie. Il établit donc Arsène dans la charge d'higoumène et, l'exhortant devant tous les frères, il lui dit :
«Ainsi donc, père et frère, puisque tu as été choisi pour être higoumène, tu dois être le plus petit de tous, selon la parole du Seigneur et porter, comme très fort, les faiblesses des faibles, soigner, tel un médecin, les maladies des frères, ramener comme un berger la brebis égarée et aider celle qui est en santé à progresser dans les vertus. Celle qui a la gale, sans espoir de guérison, tu la sépareras de ton troupeau afin que les autres ne soient pas contaminées. Lutte, mon enfant, pour augmenter le troupeau du Christ. N'aime pas les conforts du corps, n'accapare pas les biens du monastère pour tes propres réjouissances au lieu de les donner pour tes frères. Ne sors pas souvent du monastère, une fois par mois suffit pour les besoins les plus impérieux ; les autres commissions, que ceux qui partent en diaconie les accomplissent, afin que tu n'aies pas de tracas, que tu ne t'occupes que de l'instruction des frères et te soucies seulement de prendre soin de leurs âmes. Ne prépare pas de mets choisis pour toi-même et rien pour tes frères, buvant toi seul le bon vin et les autres l'aigre. Que la table soit commune, composée de légumes bouillis, de graines ou de poissons le dimanche et aux fêtes du Seigneur, à moins que tu reçoives des visiteurs ou que tu sois malade.
Tu remettras les services du monastère à des frères craignant Dieu et leur demanderas des comptes en détail. Tu recommanderas aux jeunes d'être modestes pour ne pas causer de scandale à ceux qui les regardent. Ceux qui sont portés vers l'austérité, tu les exhorteras à supporter les épreuves, à s'humilier, à prendre le deuil, à cultiver la prière, à devenir de bons exemples pour les autres. Tu enseigneras aux prêtres la piété, l'hésychie, la méditation des Saintes Ecritures, la connaissance des règles des apôtres ainsi que des coutumes, la pureté du coeur, la prière perpétuelle, la componction et tu leur apprendras à se tenir devant le saint autel avec beaucoup de crainte, à devenir un sel divin et une lumière pour les frères et à avoir une parole de vie. Ne t'emporte jamais contre les frères sans raison, afin de ne pas mettre en danger leurs âmes, bien qu'il te faille te mettre en colère contre les auteurs de désordre et les châtier avec le bâton de l'instruction pour qu'ils rompent avec le mal ; car cela n'est pas inhabituel dans l'Eglise du Christ. Toute chose accomplie soit pour couper le mal, soit pour aider dans le bien est agréable à Dieu... Tu examineras avec soin les pensées de chacun des frères et tu leur recommanderas de vénérer les choses divines et si tu gardes bien ces choses ton salaire sera alors grand dans le ciel et ton héritage sera avec le Christ.
«Quant à vous, mes enfants, mes frères, mes pères, que j'ai rassemblés par la force de Jésus Christ, écoutez-moi l'indigne et soumettez-vous de toute votre âme, de tout votre coeur à votre higoumène que la grâce du Saint Esprit a élu. Recevez-le, je vous en supplie en Christ, comme vous m'avez reçu. Qu'aucun d'entre vous ne méprise sa jeunesse, ni son enseignement dénué d'artifice, car tout discours pratique qui porte la connaissance de la grâce divine est de beaucoup plus sage que la sagesse insensée des hommes. Que nul ne le contredise, mais soyez tous soumis, obéissants à votre père spirituel, afin que lui puisse veiller et prier dans la joie pour vos âmes et ne pas murmurer, car comme le dit le divin Paul, cela ne vous servirait de rien. Vous lui confesserez toutes les pensées que les démons sèment en vous, avec une foi pure, car, comme les serpents qui restent à l'intérieur de leurs nids y vivent et engendrent une multitude d'autres serpents, mais quand ils sortent au dehors, et apparaissent aux hommes, ils sont tués par eux ; de même en est-il des pensers malins : quand ils sont exposés à nos pères spirituels, ils sont exterminés par le glaive de la parole divine et n'engendrent pas en nous les dispositions auxquelles fait suite l'acte de ce qui est mal. Si, par notre négligence, les pensées viennent dans notre travail, et que nous fassions quelque faute, en tant qu'hommes, à ce moment encore, je vous en prie, ne nous attardons pas dans le mal, mais courons le plus vite possible aux pieds du père spirituel, lui confesser dans les larmes, sans honte aucune, notre péché, et recevoir avec ardente pénitence, le remède qu'il jugera bon de nous donner, afin que nous soyons guéris au plus tôt. Ne soyez pas indisposés pour tout ce que dit ou fait l'higoumène. S'il lui arrive de faire quelque chose qui aille contre les règles des Pères, il faut vous soumettre d'abord, puis les plus anciens et les plus vertueux iront le trouver pour le lui dire à lui seul, comme l'indique le grand Basile, afin qu'il redresse...
«Embrassez du saint baiser et moi et votre père spirituel et higoumène. Et que le Dieu de la paix qui dépasse toute intelligence vous donne sa paix et vous conduise dans la voie de ses commandements, vous garde dans la foi de vos pères en Dieu, augmente votre troupeau dans la sainteté, fasse de vous son peuple, héritier de son sacerdoce royal en Christ Jésus. Amen».
Après avoir tenu ce discours, le saint demanda pardon à chacun des frères, et commença dans un grand zèle l'oeuvre de l'hésychie qu'il avait tant désirée. Progressant chaque jour vers ce qui est en avant, il purifia à l'extrême son intellect et fut rempli des divins charismes de l'Esprit. C'est alors qu'il écrivit des chapitres et des discours sur la vertu et sur les vices, et qu'il devint un fleuve de Dieu plein de l'eau du Saint Esprit. Le saint devint semblable aux anciens Pères, tant par sa parole que par sa vie et par sa connaissance. Il devait donc, en conséquence, passer par le creuset des épreuves et être éprouvé dans sa patience, tel Job. Voici le commencement de ses épreuves.
Syméon le Pieux, cet autre homme de Dieu, qui fut le père spirituel du saint, parvint dans une grande vieillesse, après s'être exercé pendant quarante cinq années dans les luttes ascétiques et avoir été gratifié des charismes apostoliques. Quoique n'étant pas été instruit, il écrivit un livre tout entier et très utile à l'âme. Ayant eu connaissance de sa mort, il s'en alla vers le Seigneur. Son disciple, saint Syméon, connaissant ses exploits avec précision, chanta sa louange par des hymnes spirituels. Et, pour entraîner un grand nombre à l'imiter, il célébra solennellement, chaque année, sa mémoire et peignit même son icône. Le Patriarche de l'époque, Serge, qui entendit parler de ces choses, fit venir le saint et apprit de sa propre bouche ce qu'on disait de lui. Il demanda à lire la vie de celui qu'on fêtait, les hymnes et les louanges qu'on lui adressait. En les lisant, il admira et les hymnes et la vie et, pour tout cela, félicita chaleureusement le saint. Le Patriarche demanda que saint Syméon lui fît signe un jour de la fête, afin que lui-même y participât en envoyant des cierges et de l'encens. Cela dura pendant seize années, au cours desquelles Dieu était glorifié dans la mémoire de son serviteur. Nombreux étaient ceux qui se mettaient à imiter ses oeuvres et ses vertus. Mais le diable, ennemi du bien, ne pouvait supporter tout cela. Il utilisa la passion de la jalousie et dressa contre le saint différentes épreuves que voici :
Un certain Stéphane, métropolite de Nicomédie, très versé dans la sagesse du dehors et mathématicien, possédant une grande force dans la parole, après avoir démissionné de son diocèse, séjournait dans Constantinople où il jouissait d'une grande familiarité chez le patriarche et chez l'empereur. Entendant beaucoup de gens qui louaient la sagesse, la connaissance et la vertu de Syméon, et apprenant qu'il avait surtout composé des discours admirables, Stéphane calomniait, par jalousie, tous ceux qui vantaient saint Syméon et disait du saint qu'il était inculte et illettré. Ne pouvant dominer sa jalousie, il s'éleva contre le saint lui-même. Ne trouvant aucun grief, bien qu'il fît tout pour en trouver, que fit-il ? Il entraîna certains clercs et ceux-ci certains moines du monastère du saint, qui l'accusèrent à propos de la fête qu'il célébrait en mémoire de son père et maître spirituel. D'un côté les clercs et les moines, de l'autre l'évêque Stéphane dénonçaient le juste auprès du patriarche et des évêques. Le patriarche et les évêques savaient que Stéphane agissait par jalousie et ne prêtaient aucune attention à ses attaques. La guerre entre le mensonge et la vérité du saint dura à peu près deux ans. Mais dans la suite, par divine permission, le mal et le mensonge dominèrent et le bien fut vaincu de même que la vérité. Lassés de toutes ces intrigues, le patriarche comme les évêques permirent à Stéphane, qui chaque jour les importunait, de trouver une accusation contre le saint, afin que sa condamnation fût justifiée.
Stéphane mit tout en oeuvre et apprit que le père spirituel du saint, quand il vivait encore, bien qu'il fût comme mort devant un mort pour chacun de tous ceux qui l'approchaient et cela pour fuir toute louange des hommes, cachait cette mortification et disait qu'il était scandalisé. Ce trait fut la base de l'accusation de Stéphane et il dit au Synode : «Syméon célèbre et glorifie comme saint son père spirituel qui n'était qu'un pécheur, et qui se disait toujours scandalisé». Il ajoutait qu'il avait peint une icône de lui et qu'il lui rendait un culte -cette accusation rappelle celle que les Juifs adressaient au Seigneur, que c'était un mangeur, un buveur, ami des publicains et des pécheurs... Le saint fut donc invité à comparaître devant le synode pour se défendre et le patriarche le questionna sur la fête et sur le grand honneur qu'il rendait à son père spirituel, soulignant surtout que l'évêque Stéphane élevait contre lui certaines accusations... Tout le Synode l'exhorta à renoncer à ce culte excessif, à l'honneur et à la fête qu'il rendait à son maître, lui demandant d'en faire moins ; et ainsi cesseraient les attaques de son accusateur Stéphane et eux-mêmes cesseraient à leur tour d'être importunés par lui.
Le saint répondit : «Très saint Maître, ce que je peux dire sur la fête de mon père spirituel, tu le sais mieux que moi, ton serviteur. Quant aux accusations de l'évêque Stéphane, quand il les aura prouvées avec certitude, alors je ferai réponse». Le patriarche lui dit de prouver qu'il célébrait la mémoire de son maître conformément à la tradition des apôtres et des saints Pères de l'Eglise.
Le saint parla et dit : «Synode sacré et saint, qui ignore les ordonnances des saints apôtres qui disent : "Tu glorifieras celui qui t'annonce la Parole de Dieu ; tu te souviendras de lui jour et nuit ; tu l'honoreras pour t'avoir procuré le bien" ? Et si Dieu nous ordonne d'honorer nos parents selon la chair en prescrivant : "Tu honoreras ton père et ta mère et tu auras de longs jours" et aussi "Celui qui frappe son père ou sa mère sera puni de mort", combien plus la Divine Ecriture nous enseignera qu'il convient d'honorer nos pères selon l'esprit, par qui nous avons été régénérés dans la grâce de l'Esprit Saint et par qui nous sommes devenus des cohéritiers des promesses de Dieu ! Saint Jean Chrysostome, vantant saint Philogène, dit : «Si celui qui maltraite son père ou sa mère est puni de mort, il est clair que celui qui le traite bien et le vante recevra la vie. D'autant plus que la louange et les hymnes ne rendent pas ceux qui sont morts plus dignes, car ils n'en ont pas besoin ; mais c'est à nous qu'ils sont utiles, qui sommes en vie, car ils nous exhortent à imiter leurs vertus. Que ce que je fais est accueilli par Dieu, voici que Moyse le voyant de Dieu le prouve, qui a écrit les vies des saints anciens comme la sienne propre. Et si elles ont été écrites, comme le dit encore Chrysostome, c'est pour que nous connussions qu'eux aussi étaient de la même et unique nature que la nôtre, et qu'ils ont cependant réalisé chaque vertu et que nous avons à les imiter. Et, pour parler plus brièvement, tout ce que moi je fais, est aussi à la gloire de Dieu, au peuple bénéfice et allégresse, comme l'enseigne Salomon : les peuples se réjouiront dans la louange du juste... et dans l'éloge que fit saint Basile du Martyr Gordius, il dit que l'histoire des hommes vertueux est comme une lumière pour ceux qui cherchent le salut. Et Grégoire le Théologien : il ne convient pas et il n'est pas juste d'honorer par l'histoire les vies des impies et de taire les vies des hommes justes et pieux.
«Puis donc que les divins apôtres, de même que les docteurs de notre Eglise, enseignent ces choses et d'autres encore, comment pouvons-nous prêter l'oreille à un homme qui enseigne le contraire ? Si mon accusateur est en mesure de me dire si j'ai omis quelque chose, qu'il le fasse».
Et l'accusateur Stéphane ne put rien opposer qui fût tiré de la Sainte Ecriture. Le Synode était avec le saint, qui lui semblait chanter devant des sourds. Ainsi fut congédié le Synode.
Stéphane fit durer la crise durant six ans. A son instigation, certains moines du monastère du saint, imitateurs de Judas, s'emparèrent, à la nuit, de l'icône de Syméon le Pieux, où il était représenté aux côtés du Christ avec d'autres saints. Ils apportèrent cette icône au patriarche et aux évêques qui, en la voyant, firent mander le saint pour qu'il vînt présenter la défense de l'icône. Le saint obéit et prit la défense de l'icône :
«Je n'ai rien fait en dehors de la tradition des Apôtres et des Pères, qui nous ont transmis de peindre des icônes des saints, car l'honneur que nous leur rendons revient au prototype, c'est-à-dire au Christ dont ils ont porté l'Image tout comme Lui a porté la nôtre, l'humaine image. Moi donc, en vénérant l'icône de mon saint père, je vénère en lui le Christ, car il est en Christ par le Saint Esprit. "En ce jour-là, est-il dit, vous connaîtrez que je suis dans le Père et que vous êtes en moi et moi en vous". Et Jean de Damas dit : "Peignons (historions) les icônes des saints et en les regardant, devenons des images animées de ceux-ci, en imitant leurs vertus". Voilà ce que dit le saint et, se prosternant devant l'image, il l'embrassa aux yeux de tout le monde, en disant : SAINT SYMÉON, TOI QUI, PAR LE SAINT ESPRIT, ES DEVENU SEMBLABLE À L'IMAGE DU CHRIST, TOI QUI A ÉTÉ GLORIFIÉ PAR LES MIRACLES, INTERCÈDE AFIN QUE ME SOIT DONNÉE LA FORCE DE SUPPORTER LES LUTTES QUE JE SUBIS AUJOURD'HUI PAR AMOUR DE TOI.
Après avoir dit cela, il se tourna vers Stéphane et lui dit : «Bravo, mon bon Seigneur, pour l'hostilité que tu manifestes à l'égard du juste. Qu'attends-tu maintenant ? Tout est en ton pouvoir. Et moi, je suis prêt à subir tout ce que l'envie m'a préparé».
Entendant ces choses, Stéphane grinçait les dents de rage. Aussi convainc-t-il le patriarche d'effacer le mot Saint de dessus l'icône. La chose fut exécutée et on rendit ainsi l'icône à Syméon qui partit. Mais Stéphane ne s'en tint pas là. Le saint une fois parti, il persuada le patriarche d'envoyer des hommes détruire partout toutes les icônes qui existaient de saint Syméon le Pieux, là où elles se trouvaient. On déchira les unes, d'autres on abîma la tête, ou la poitrine etc... ou encore on les enduisait de chaux ou on les noircissait avec du charbon, sans se soucier de ce que dit saint Jean Damascène : «Celui qui tentera de détruire une image de saint, qui ne l'honore pas, qui ne la baise pas, est ennemi du Christ et des saints et disciple du diable et des démons. Il manifeste par là la tristesse qu'il a de voir Dieu et les saints honorés et glorifiés».
Voyant ces choses, le saint, les moines et les laïques se lamentaient. Syméon décida de composer et fit par écrit une apologie pour tout ce qu'on lui reprochait et il la conserva en prévision d'une autre crise. Quelque temps après, il fut convoqué à nouveau devant le tribunal et il lui fut ordonné d'abandonner les éloges et la célébration de la fête de son saint, et de quitter son monastère, de même que Constantinople. Le saint remit au Patriarche l'apologie dont nous avons parlé et tous l'admirèrent en la lisant, se trouvant dans l'impossibilité de la réfuter. Son exil fut décidé en secret. Ils le firent partir de Chrysopole de la Propontide5 et le débarquèrent sur l'autre rive, à Paloukiton, où ils l'abandonnèrent en plein hiver, sans lui laisser le minimum indispensable à la vie, ni de quoi se couvrir, ni même pour un jour de nourriture.
Le saint ne s'affligea pas outre mesure, mais rendant grâces à Dieu, il parcourait la montagne de son exil, en chantant des psaumes appropriés. Un jour il entra dans une chapelle dédiée à sainte Marine et se reposa quelque peu et puis écrivit à son persécuteur Stéphane, pour le remercier de tout ce qu'il lui avait fait et qui lui avait procuré une grande joie, l'allégresse de l'âme. Il lui demandait aussi d'en ajouter encore, afin que la récompense qu'il recevrait de Dieu fût plus grande.
Stéphane reçut la lettre, mais ne répondit rien par écrit, étant bien sûr incapable de le faire. Mais il alla chez le Patriarche et lui murmura à l'oreille. Ce dernier, persuadé, envoya des hommes qui allèrent fouiller la cellule du saint, ôtèrent le toit, trouèrent les murs, car Stéphane le très avare soupçonnait le saint d'avoir des trésors cachés qui lui permettaient de pratiquer une large aumône. Les envoyés, ne trouvant rien de ce qu'on espérait, lui prirent ses livres et ce qui lui servait de couverture pour la nuit pour consoler son corps et partirent. Le saint accueillit avec joie le vol de ce qu'il possédait et rit de la bêtise de ses ennemis. Il écrivit de nouveau à Stéphane pour lui dire que par dessus les premières couronnes il venait de lui en ajouter d'autres et que lui-même n'avait rien pour le remercier de tant de bienfaits. «Puisses-tu en ajouter encore, car ainsi mes douleurs deviennent plus douces et donnent à mon âme joie et allégresse et ne font que l'unir davantage à son Dieu bien-aimé», pour Lequel saint Syméon supportait tout cela, avec Son aide.
La petite chapelle dans laquelle se réfugiait le saint appartenait à un officier... qui, apprenant son exil et étant un de ses disciples, alla le trouver et le voyant privé de tout, en fut affligé. Il plaignit les auteurs de ces épreuves et promit de lui envoyer tout ce qui lui était nécessaire. Le saint le pria de ne pas tant s'occuper de la nourriture, mais d'offrir sa chapelle à Dieu afin qu'elle devînt un monastère, chose que l'officier accepta avec joie. Il en fit don à Dieu et à son ami...
La renommée du saint se répandit dans plusieurs pays et beaucoup de chrétiens allaient le visiter et tous ceux qui avaient appris ses malheurs le déclaraient bienheureux, mais ceux qui les ignoraient étaient scandalisés. Afin de les guérir, le saint se décida à écrire les causes de son exil et à prouver qu'il était innocent. Il envoya son apologie à Génésios son ami le patricien, à des princes, à ses enfants spirituels, leur demandant de la montrer au patriarche. Les princes allèrent trouver le patriarche et lui présentèrent la lettre. Celui-ci, les voyant nombreux et craignant que l'affaire ne parvînt aux oreilles de l'empereur, ordonna que les lettres fussent lues en synode. Au cours du synode, beaucoup d'évêques accusèrent Stéphane, beaucoup d'autres louèrent le saint. Le Patriarche déclara n'avoir jamais eu aucune mauvaise intention à l'égard de Syméon. «Au contraire, en lisant tout ce qu'il avait écrit sur son maître, j'ai admiré sa vie et lui ai donné permission de le fêter... Mais comme Stéphane s'est agité contre lui et a soulevé de faux témoins et chaque jour nous importunait, et que, d'autre part, Syméon ne voulait rien entendre pour cesser les grandes solennités qu'il célébrait en l'honneur de son Maître, nous avons été pour cette raison obligé de l'exiler... Si, à présent, il veut être convaincu par nos paroles, je suis prêt à le sacrer évêque d'une grande métropole et à l'avoir comme premier ami». Et il fit aussitôt revenir le saint de son exil. Quand il fut à Constantinople, beaucoup de gens de toute classe accompagnèrent Syméon chez le Patriarche. Ce dernier lui dit : «Très pieux seigneur Syméon, comment as-tu pu causer à toi-même comme à nous tant de troubles, au point de peiner tes amis et tes disciples ? Dieu m'est témoin, que j'ai toujours eu pour toi de bonnes pensées et que j'avais l'intention de te récompenser. Je suis prêt aujourd'hui à accomplir ce que j'ai décidé, si tu veux bien obéir et rentrer à ton monastère où tu pourras continuer d'honorer la fête de ton maître. Cependant, ne la célèbre pas durant de nombreux jours et avec tant d'éclat, mais toi seul avec tes amis et tes moines, et cela, jusqu'à ce que cessent les dénonciateurs».
Le saint répondit : «Pour ce qui est des troubles et des scandales dont vous venez de parler, je n'en suis pas la cause, mais le sage Stéphane ; et c'est lui qui, selon l'apôtre, aura à porter la responsabilité des troubles. Pour toutes les choses que j'ai subies et aurai à subir, j'en rends grâces à mon Dieu, de ne les avoir pas subies comme fornicateur ou homme de mauvaise vie. C'est pourquoi je me réjouis, car j'ai été, moi l'indigne, jugé digne de souffrir pour la justice et d'être exilé. Quant à tes bonnes intentions à mon égard, la vérité les proclame seule, car en tout temps tu m'as honoré et tu as admiré la dévotion que j'ai pour mon maître. Mais je ne comprends pas comment le diable a pu à présent transformer ton amour. Quant à tout ce que tu as promis de me donner, si c'est honneurs et gloire selon les hommes, et d'autres choses passagères, il y a longtemps que moi, j'ai méprisé cela... Mais si tu as médité quelque chose qui soit utile à l'âme, je suis prêt à t'obéir jusqu'à la mort, si tu m'enseignes conformément aux pères anciens. Mais si tu veux m'émouvoir par des promesses selon le monde, pour que je renie mon maître très saint qui m'a éclairé, qui, en ce moment, intercède pour nous, et qui, comme un père tendre, nous secourt en tout temps dans les afflictions du monde, si tu cherches à me faire pécher contre le Christ, je ne te dirai rien d'autre que la parole de l'Apôtre : Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes. Et si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ».
Le patriarche, entendant ces paroles hardies, répondit au saint : «Cher Syméon, tu es en vérité un studite. Tu as la même résistance qu'eux et elle est louable et légitime. Je pensai te freiner quelque peu, mais puisque tu es immuable et que tu ne veux rien céder dans l'honneur et la piété que tu as pour ton maître, va et demeure où tu voudras et fais ce que tu voudras. Réjouis-toi avec tes amis, à l'intérieur comme à l'extérieur de la ville, sans que personne te nuise». Et ainsi il renvoya le saint en paix.
Syméon sortit du patriarcat, tel un martyr volontaire, et gagna la solitude qu'il avait tant désirée. Dieu fit délier les bourses des princes et chacun remit à Syméon une poignée de pièces d'argent, avec quoi il commença d'édifier le monastère. Mais nul ne pourra décrire ses luttes, car le démon, invisiblement, détruisait ce qu'il édifiait. Les indigènes grinçaient les dents, l'insultaient, le menaçaient, faisant tout pour l'empêcher. Mais le saint, revêtu du Christ, resta inébranlable jusqu'à la fin de l'édification. Là aussi, il rassembla un grand nombre de moines et fêta la mémoire de son maître avec plus de solennité encore qu'autrefois, -des fêtes qui duraient huit jours...
Après ces luttes, il revint dans la solitude, à ses luttes habituelles, et il reprit la composition de ses hymnes d'amour. Il écrivit à cette époque ses discours apologétiques et la réfutation de ses adversaires.
Le diable ne le laissa pas tranquille. Il dressa contre Syméon les riches de la contrée, qui lui causèrent beaucoup de misères, au point que l'un d'entre eux alla un jour jusqu'à lancer une grosse pierre sur le saint, pour le tuer, alors qu'il était en train d'écrire. Elle brisa la vitre de la cellule, et frôla le saint au cervelet. S'il avait été touché, elle l'eût tué sur le coup.
Que fit le saint imitateur du Christ ? Il appela son disciple et lui montra la pierre et lui ordonna d'apaiser la colère de l'ennemi par la pitié et par des présents de valeur.
Saint Syméon avait reçu le charisme prophétique, il connaissait à l'avance et prédisait ce qui allait arriver. Il prophétisa l'avenir d'un homme illustre de son époque, le très glorieux Jean le Protonotaire -prophéties qui reçurent leur accomplissement dix ans après...
Nous parlerons maintenant des miracles que Dieu accomplit par lui et de la fin bienheureuse dont il a été gratifié.
Le monastère n'avait pas d'eau et les moines, avec beaucoup d'efforts et de peines, l'amenaient de loin sur leurs épaules. Le saint pria Dieu de lui indiquer l'endroit où il pourrait trouver de l'eau et Dieu le lui indiqua. Mais pour fuir la gloire des hommes, il ne manifestait jamais ce qu'il demandait et ce qu'il recevait.
Quand il fut près de la mort, il demanda à ses disciples de le prendre et de le placer dans la cour du monastère. Il se fit apporter un pic avec lequel il frappa par trois fois le sol en disant : «Béni soit notre Dieu». Puis il ordonna que l'on appelât des ouvriers pour creuser. Ils vinrent, creusèrent jusqu'à une certaine profondeur, mais l'eau n'apparut pas. Ils trouvèrent par contre une pierre, qu'ils ne purent faire sauter. Ils vinrent avertir le saint, qui alors dictait son testament. Il leur dit : «Frappez à l'extrémité de la pierre et vous n'aurez plus à peiner». Ils exécutèrent l'ordre et l'eau pure jaillit aussitôt, douce. Ce puits fut le témoin de la familiarité du Saint devant Dieu.
Une higoumène de Bardaine racontait le miracle que le saint avait accompli pour elle : «Un jour, je fus atteinte de fièvre. Mes entrailles brûlaient, mon corps se consumait comme de la cire. Je restais plusieurs jours sans manger, sans boire. Les médecins me jugèrent incurable et m'abandonnèrent. Ma mère me prit dans ses bras, j'étais mourante et elle pleurait avec amertume. Alors que j'étais dans cet état, ô miracle, je vis devant moi le bienheureux Syméon qui tenait par la main son maître Syméon le Pieux, qui s'avancèrent vers moi avec une grande gloire. Le saint s'approcha de moi et me dit : "Salut, Dame Anne. Que t'arrive-t-il pour être dans cet état, sans manger, sans boire, sans parler avec ta mère, ni avec nous tes amis ?" A la voix du saint, je revins à moi-même, le reconnus et lui dis d'une voix faible : "Je meurs, père vénérable". Syméon le Pieux dit à son disciple : "Syméon, prends-la par la main et relève-la et donne-lui à manger". Il me sembla qu'il demanda à ma mère de la nourriture qu'il me donna. Je me sentis fortifiée et me levai de mon lit. Je racontai la vision à ma mère et lui demandai à manger. Ce que je fis avec appétit. Et je me sentis entièrement guérie».
En voici un autre :
Nicéphore, qui fut élevé par le saint, quand Syméon fut mort, devint moine au monastère de sainte Marine et reçut le nom de Syméon. De ses yeux il vit des miracles accomplis par le saint et quand il devint hiéromoine, il me les a racontés, prenant Dieu à témoin.
«J'avais quatorze ans et j'étais déjà au monastère. Je ne sais pourquoi, mais je ne pouvais supporter d'absorber du poisson. Si quelqu'un m'obligeait à en manger, je le rejetais immédiatement. Un jour, alors que j'étais au réfectoire, le saint me donna un morceau de poisson frit et je le refusai, disant que mon estomac ne pouvait le tolérer. Alors le saint bénit le morceau qu'il me donnait et me dit : "Prends-le en Christ mon Dieu et mange-le, et dès à présent tu seras guéri". O miracle, dès que je l'eus mangé, mon appétit s'ouvrit et depuis je continue à manger du poisson...
«Après que j'eus été bien connu du saint, il m'aima tant, qu'il ne permit jamais à aucun autre que moi-même de demeurer auprès de lui dans sa cellule. Est-ce parce que j'étais simple, est-ce parce que je le servais dans sa vieillesse, est-ce par permission de Dieu, qui voulait manifester ses oeuvres ?
«Un jour que je dormais, dans un coin de la cellule, j'ai eu le sentiment que quelqu'un me réveillait. Et je vis une vision redoutable. Dans la cellule se trouvait une icône de la Mère de Dieu, Deisis, devant laquelle brûlait une lampe à huile. Je vis au-dessus de l'icône, à plus de quatre mètres du sol, le saint qui se tenait dans les airs, les mains levées et priant. Il était tout lumineux comme la lumière. Voyant ce spectacle, pris de crainte, je me cachais sous mes couvertures. Quand le jour arriva, je racontai la chose au saint. Il soupira et me recommanda de ne rien dire à personne».
Une femme gardait dans ses bras un enfant paralysé, immobile, desséché par la maladie : on eût dit qu'il allait en peu de temps rendre l'âme. La femme, que guidait la divine Providence, l'apporta au monastère, et en cachette monta l'escalier qui conduit à l'église et déposa à terre l'enfant et partit aussitôt. Les moines découvrirent l'enfant dans son état misérable, constatèrent qu'il était vivant et allèrent le dire au saint.
Le saint prit sa crosse qui lui servait pour appuyer sa vieillesse, se rendit à l'endroit où était l'enfant et, le voyant, il pleura et s'étonna de voir combien était grande la puissance du diable contre la créature de Dieu. Il se tourna vers nous et nous dit : «Que pensez-vous de cet enfant ?» Nous répondîmes d'une voix unanime : «Dans un moment, il faudra l'enterrer», car il était près d'expirer. Le saint répondit : «Vous n'avez pas bien réfléchi». Il laissa sur le champ sa crosse, prit l'enfant et le plaça sur la chaire sur laquelle il siégeait pendant les offices et, prenant de l'huile de la veilleuse de sainte Marine, il l'en oignit et le scella. Aussitôt l'enfant revint à lui en pleine santé, sous l'imposition des mains du saint. Il se redressa et se tint sur ces jambes et s'appuya de ses mains sur le trône du saint. Puis, saisissant les pieds des stalles il continua sa marche. Puis il demanda à manger et, fortifié par la nourriture, il fut rendu en santé à sa mère.
Une autre femme avait un fils de dix-huit ans environ, démoniaque. Elle l'emmena au saint. Elle alla devant l'icône de sainte Marine et pria. Quand elle vit le saint, elle alla s'incliner respectueusement devant lui. Le fils, dès qu'il vit le saint, fut précipité à terre par le démon. Il grinçait des dents, écumait, bramait comme un cerf. Le saint, en le voyant, fut ému et soupirant avec amertume, il pleura. Puis il gourmanda le démon, lui disant : «Démon impur, le Seigneur te l'ordonne, sort de la créature de Dieu». Puis, l'oignant d'huile de la veilleuse de sainte Marine, et le redressant de ses propres mains, il le rendit libéré à sa mère. Et depuis il ne fut jamais attaqué par le démon.
Un jour, le saint se rendit dans sa patrie, quand il arriva à Galon, le fleuve de la Bithynie. Il vit un pêcheur qui péchait et lui demanda s'il avait du poisson à vendre. Le pêcheur lui dit qu'il travaillait depuis la nuit et qu'il n'avait rien pris. Le saint lui dit alors de jeter sa ligne en son nom. Ce faisant, il prit un immense poisson mais le cacha sous ses vêtements. Le saint proposa de l'acheter, mais le pêcheur refusa prétextant qu'il devait l'apporter à un seigneur. Le saint partit et aussitôt après, le poisson, qui n'était pas mort et qui s'agitait, glissa de dessous les vêtements du pécheur et regagna les eaux, laissant le poissonnier bredouille.
Le saint avait un ami, qui gouvernait de grands biens... Par la permission de Dieu, il fut attaqué par le diable, qui lui brisa la mâchoire et la déplaça jusque sur l'oreille et le rendit sourd. Il fit savoir la chose au saint. Le saint, qui avait vu cela à l'avance, se rendit chez son ami. Quand sa femme le vit arriver, elle pleura et lui dit : «Voici que celui qui t'aime et que tu aimes va mourir et je vais être veuve et mes enfants orphelins. Je t'en supplie, viens en aide à ta servante». Le saint, en le voyant, pleura et dit : «Malheureux ami, quel mal t'a atteint ?» Il éleva ses mains en prières puis, prenant en elles la tête de son ami, il récita la prière que l'on dit pour les malades, fit le signe de la croix sur la bouche. Aussitôt, la bouche revint à sa place, il parla à sa femme et salua le saint. Depuis ce temps, Oreste ne manqua jamais d'apporter des offrandes au saint et de rendre les actions de grâces qu'il convenait d'offrir à Dieu qui, par sa grâce, l'avait guéri. Il veillait à n'être pas ingrat envers Dieu en tombant dans quelque péché, afin que son état dernier ne fût pas pire que le premier.
Parmi ceux qui, dans le pays, étaient des ennemis du saint et le persécutaient, un nommé Anthe, entre autres, l'accusait d'être hypocrite, enfumé par la fumée de paille, séducteur des hommes qui venaient à lui pour la confession. Le saint, voyant son impudeur sans mesure, sa langue aiguisée contre Dieu et contre l'Esprit Saint, et voyant qu'il insultait la mortification qu'il avait acquise, se laissa, dans son zèle divin, dire à son insulteur : «Si moi je m'enfume de fumée de paille pour égarer les hommes, toi, va aussi obtenir le même teint, ton ventre se gonflera, pour que tu puisses à ton tour séduire les hommes tout comme je le fais». Après ces paroles du saint, la nuit qui suivit, le misérable insulteur, en se couchant pour dormir, ne put se relever. Son ventre avait enflé et son visage devint jaune comme le citron et dans cette maladie, ou plutôt par la colère divine, il mourut quelques jours après. Ainsi s'accomplit ce que disent les Apôtres dans les Constitutions apostoliques, que «nous devons honorer nos pères spirituels car ils ont reçu le pouvoir sur la vie et la mort, qu'ils condamnent à mort ceux qui sont sans pénitence et vivifient ceux qui font pénitence».
L'heure de la mort sonna aussi pour le saint de Dieu. Il souffrit de nombreux jours d'une terrible dysenterie, sans pouvoir se mouvoir tout seul, si des disciples ne venaient pas à son aide. Il demanda à son disciple Stethatos de rester, lui seul, auprès de lui. Comme Stethatos était encore jeune, le sommeil souvent avait raison de lui et il dit à son maître qu'il ne pouvait rester seul à son service. Le saint lui dit d'aller se coucher près d'une malle qui était près de là pour être libéré de la faiblesse du sommeil. Après avoir dormi, il n'eut jamais plus sommeil : même quand il lui arrivait de dormir, le coeur veillait.
«Une nuit, alors que j'étais allongé sur la malle et comme si quelqu'un m'avait bousculé, je me réveillais et je vis le bienheureux -que l'on pouvait à peine remuer- se tenir dans les airs, à quatre mètres de hauteur au-dessus de la terre, en train de prier. Me rappelant avoir déjà eu cette vision, j'admirai sa sainteté, me demandant comment il pouvait, lui qui était incapable de bouger, se lever de sa couche et se tenir, avec son corps pesant, dans les airs. Je m'endormis de nouveau et, quand je fus réveillé, je le revis, qui était couché dans son lit, après s'être couvert tout seul. Je lui révélai ma vision et il me fit jurer que je n'en parlerai jamais à personne avant sa mort...»
Après avoir passé treize années en exil, il arriva à son dernier jour. Il fit appeler tous ses disciples et, après leur avoir fait ses recommandations, les avoir consolés et avoir demandé qu'ils ne pleurent pas sa mort, il leur fit une redoutable prophétie : le quatrième jour du mois vous m'ensevelirez et le cinquième jour, vous me verrez sortir du tombeau et me trouver parmi vous.
Après avoir communié aux saints mystères, selon l'habitude qu'il avait de le faire tous les jours, il demanda à ses disciples de chanter l'office des défunts. Il pria et, après avoir dit : «Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit, toi mon Christ et mon Roi», il croisa ses mains sur sa poitrine et s'en alla vers le Seigneur le douze du mois de mars. Trente ans après sa mort, l'invention de ses reliques fut manifestée par un signe indicible, dont l'élément fut gravé sur le marbre de la cellule de son disciple Nicétas par un point final. C'est en 1050 qu'apparurent, contre toute espérance, ses reliques vénérables, qui répandirent des odeurs ineffables et le parfum de la grâce spirituelle.
Voici la prophétie qu'il avait faite à son disciple Nicétas, concernant ses écrits.
«Quand le bienheureux vivait encore, il écrivait nuit et jour tout ce que lui dictait le Saint Esprit et me remettait l'original que je transcrivais sur de la peau ; puis je lui rendais le tout. Un jour, j'ai cru bon de garder une copie. Le saint, ne la trouvant pas, demanda à celui qui lui avait apporté les copies s'il savait quelque chose. Il répondit par la négative. Le saint sembla contrarié et le congédia. Ayant appris cela, l'idée me vint que mon maître croyait que j'avais dérobé cette copie et je lui écrivis pour me justifier. Le saint répondit : "Mon enfant spirituel, j'ai reçu ta lettre et je t'accuse d'avoir pensé que moi j'avais conçu l'idée que tu l'avais dérobée, cette copie, pour me chagriner, alors que je pensais vraiment que la copie avait été égarée par inattention de la part du porteur"...»
Après la mort du saint, Nicétas retourna au monastère des studites. Les ennemis de Syméon étaient partis... «Au cours de la seconde semaine du grand carême, j'entrais en extase et tous mes sens furent changés, de même que les mouvements de mon corps. J'oubliai de manger mon pain et, le Christ m'est témoin, mon corps me semblait très léger. Je n'avais ni faim, ni soif, je ne sentais pas la fatigue au cours des veilles. Je demeurai dans cet état pendant sept jours entiers, sans être importuné par aucune passion, par aucune pensée. Je pensais alors avec recueillement et affection à mon père spirituel Syméon, à ses grands exploits, à ses charismes et surtout à tous ses écrits, à chacun d'eux comme si quelqu'un me les rappelait d'une manière mystique. Je ne savais d'où me venait tant d'amour pour lui... Qui était celui qui me parlait à l'oreille ? J'entendis secrètement l'Esprit Saint me dire que c'était Lui-même qui me soufflait cela. Je fus pris alors d'un empressement irrésistible pour composer les éloges de la vie vertueuse de mon maître, et je me mis à composer des hymnes et des offices. Moi, je comptais avec le temps, car je ne connaissais pas encore bien la langue grecque, mais la grâce du Saint Esprit ne me laissait pas de répit. Ne pouvant supporter davantage cette contrainte, je commençais à composer des canons en l'honneur de notre Père Théodore le Studite, afin de m'exercer. Je composais aussi des éloges, tout un office, et ma main n'arrivait pas à écrire tout ce qui coulait de mon esprit. Après cela, je les soumis à un mathématicien, afin qu'il les révisât et il me dit que mes oeuvres n'étaient pas inférieures à celles des anciens. J'allais les chanter avec d'autres hommes pieux sur la tombe du saint, lui rendant mes hommages selon ma force.
«Après ces choses, voici ce qui m'arriva : une certaine nuit, il me sembla que quelqu'un m'appelait et me disait : "Frère, ton père spirituel te demande. Suis-moi et allons à lui". Je le suivis avec beaucoup de joie -car depuis sa mort, je n'avais pas encore été digne de le voir une seule fois. Nous parvînmes à un palais royal ; celui qui m'accompagnait en ouvrit la porte, et m'invita à pénétrer. A l'intérieur, je vis le saint assis sur une couche très élevée, tel un roi. Son visage était lumineux, comme s'il souriait en me regardant. De sa main, il me fit signe de m'approcher de lui et je courus. Je m'inclinai, l'approchai et il me prit dans ses bras, me baisa sur la bouche et me dit d'une voix calme : "Tu m'as tranquillisé, mon enfant bien-aimé". Prenant ma main droite dans sa main droite, il la plaça sur sa cuisse, tandis que dans l'autre il tenait un parchemin écrit et, tout en me le montrant, il me dit : "Pourquoi as-tu oublié l'apôtre qui dit : Transmets ces choses à des hommes fidèles, capables de les enseigner à d'autres ?" Sur ces paroles je me réveillais et j'étais dans une telle joie que j'aurais voulu me séparer de mon corps, pour aller avec mon âme nue là où il se trouvait. Je révélais cette vision à un homme qui avait du discernement et qui me l'expliqua : "Tu m'as tranquillisé, mon enfant bien-aimé : il a manifesté que les saints accueillent avec joie les éloges et les hymnes qu'on leur adresse, comme l'enseigne aussi saint Denys l'Aréopagite dans son livre sur les mystères des morts. Par le baiser qu'il t'a donné, il a manifesté la familiarité, l'amitié des saints pour ceux qui écrivent leurs hymnes et la grâce qu'ils en reçoivent. En mettant ta main droite dans la sienne, il a signifié le serment qu'Abraham demanda à son parent et le saint t'a demandé la même chose pour ses oeuvres conçues du Saint Esprit et il te l'a révélé par les paroles mêmes de l'apôtre, afin que tu les transcrives et les transmettes à d'autres hommes fidèles".
«En entendant cette explication, je me souvins de la lettre qu'il m'avait écrite ainsi que de ses oeuvres inspirées de Dieu qui, depuis treize ans, se trouvaient entre les mains d'un maître. Un des volumes même avait été vendu. Mais toutes les oeuvres parvinrent entre mes mains et je devins ainsi l'héritier de ses dons, selon sa propre prophétie...»
Je raconterai aussi des miracles que le saint fit après sa mort.
Un prêtre fut accueilli un jour par les frères et les pères du couvent de Sainte Marine. Il célébra la liturgie et chanta avec la communauté. En voyant l'icône du saint, il tomba dans des pensées d'incrédulité et se demandait par quels miracles il pourrait reconnaître si saint Syméon était vraiment saint. Un jour, il resta seul dans l'église et, enténébré par le diable, il mit la main sur l'icône et dit : «Jamais je ne le vénérerai comme saint». Aussitôt, ô miracle, sa main fut desséchée, et demeura pendue devant l'icône. Le prêtre poussa de tels cris de douleur, qu'ils firent accourir tous les moines. En le voyant, ils apprirent la chose. Les frères le prirent en pitié et supplièrent le saint de délier le misérable de cette redoutable punition. Ils enduirent d'huile de la veilleuse du saint la main desséchée, apitoyèrent Dieu et le saint, qui libérèrent le malheureux de ses liens invisibles...
Ecoutez un autre miracle.
Au cours de la fête du saint, un chantre réputé chantait tout en regardant l'icône du saint et avait des pensées hostiles contre lui. Le saint voulant guérir son âme des pensers malins, alors qu'il chantait et regardait l'icône, il lui sembla que l'image s'illumina comme un flambeau et elle se mit à se balancer. Le chantre en perdit immédiatement la voix, devint aphone...
Nicétas avait un disciple du nom de Manassé. Il fut atteint d'obstruction pendant plus de quinze jours jusqu'à mourir. Découragé par l'échec des médecins, il recourut à Dieu, en larmes et le pria de le guérir. Dans son sommeil, il vit Nicétas se tenir devant l'icône de saint Syméon et dire : «Manassé, prends la veilleuse du saint et bois-la telle quelle». Il fit cela et aussitôt il se réveilla et alla se libérer du contenu de son ventre et fut guéri. Et il proclama avec audace la familiarité du saint avec Dieu et rendit grâces.
Deux hommes pieux, Jean et Philothée, selon un commandement de Dieu, firent un monastère et devinrent moines. En visitant églises et monastères de Constantinople, ils allèrent aussi chez les Studites pour prendre conseil de Nicétas qui leur parla de Syméon, de ses charismes et leur dit que, tout en étant sans instruction, il avait composé, sous l'inspiration du Saint Esprit, des oeuvres très utiles à l'âme. Philothée demanda l'un des livres. Il retourna chez lui avec joie et s'enferma dans sa cellule pour le lire. Avant d'entrer en réclusion, il pria le Seigneur de lui donner la patience et la connaissance pour subir les épreuves. Un jour, il entra en extase et il lui sembla que quelqu'un frappait à sa porte et, ouvrant, il vit un homme à l'aspect angélique. Il lui demanda qui il était, et il lui répondit : «Je suis Syméon qui habite le monastère de Sainte Marine et je suis venu habiter avec toi». Voyant que la chemise du saint était déchirée, il lui en demanda la raison et le saint répondit : «De méchantes gens m'ont fait cela. A part cela, quels sont tes soucis, cher Philothée ? Apprend que celui qui veut dignement participer aux saints mystères doit s'abstenir de l'excès de vin et ne boire que trois verres...» Par ces mots, le saint lui révélait que celui qui veut s'engager dans l'ascèse et l'hésychie doit se purifier par ces trois verres : c'est-à-dire la chasteté, les larmes et la prière et c'est ainsi qu'il se prépare à communier tous les jours, afin d'être fortifié dans l'ascèse par la sainte communion. Il prit l'estomac de Philothée, le pressa. Puis, il le salua et lui dit : «Si tu le veux, viens aussi nous voir».
Philothée revenu à lui, sentit une grande allégresse l'envahir dans toute son âme et, depuis, sa continence fut naturelle. Afin de montrer sa reconnaissance au saint pour son aide, il se rendit à son tombeau pour le vénérer. Il lui écrivit des éloges et chaque année, il se rendait chez lui en pèlerinage...
C'est ainsi que Dieu glorifie ceux qui le glorifient...

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