jeudi 20 janvier 2011
La Lumière du Thabor n°30. Editorial.
EDITORIAL
L' EFFILOCHAGE
La critique des canons apostoliques et des canons des conciles oecuméniques et locaux est aujourd'hui monnaie courante chez les clercs et les hiérarques prétendûment orthodoxes : les canons sont relativisés, ils sont qualifiés de «disciplinaires», «administratifs», marque d'une Eglise «vieillie», comme vient de le déclarer le Métropolite Chrysostome de Myre1 ; d'autres sont allés plus loin, comme l'archevêque Athénagore de Londres qui a parlé jadis, à propos des saints canons, d'«opinions humaines» et de «formes de stupidité et de haine2». Mais jamais, bien qu'on ait vu, ici ou là, des réhabilitations, faites à titre privé, d'hérétiques condamnés par l'Eglise3, les décisions des conciles oecuméniques n'avaient été remises en cause. C'est chose faite maintenant par la commission mixte du dialogue théologique orthodoxe/monophysite, dont les conclusions sont une remise en cause radicale des décisions du IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine4.
L'effilochage dont parlait le regretté A. Kalomiros continue donc : «Quand on prend pour un détail un élément de la Tradition, on prendra également et dès la première occasion, pour un détail, un autre élément, et pour finir, tout ce qui nous déplaira, dans la Tradition de l'Eglise, sera pris pour un détail. Ainsi en a-t-il été avec l'iconographie, avec la psalmodie, avec l'aspect des prêtres. Les soutanes sont devenues, tout-à-coup, trop noires, les barbes et les cheveux des clercs trop longs, les stalles sont remplacées par des fauteuils, le monachisme et les moines calomniés, les biens des monastères confisqués, les canons qui interdisent de prier avec les hétérodoxes ignorés, on va même aux colloques de ces derniers, on ne tient pas compte de l'opinion du peuple dans les élections des évêques et le choix des prêtres, la liturgie est abrégée, des parties de l'Office supprimées «pour ne pas fatiguer le monde». En d'autres termes, on change les coutumes de l'Eglise Orthodoxe selon les goûts d'une foule décadente adonnée au culte de la chair et de la matière. C'est ainsi que le tricot de la Tradition a commencé à s'effilocher et personne ne sait où l'effilochage s'arrêtera, si jamais il s'arrête».
De quoi s'agit-il ? Des conclusions de cette commission qui sont un véritable accord entre les monophysites et les orthodoxes, qui serait peut-être déjà signé, selon Orthodoxos Typos, par la plupart des Eglises Orthodoxes5.
Durant les années du dialogue non officiel dans un premier temps6, puis officiel, avec les Coptes, les Ethiopiens et les Arméniens, les théologiens sont arrivés à la conclusion que les différences entre leurs Eglises respectives sur la christologie n'étaient pas réelles, mais «verbales» ; dès lors, il suffisait de convenir que les deux parties condamnaient ensemble l'hérésie d'Eutychès, condamné à la Première Session de Chalcédoine, mais que Dioscore, qui fut le chef des opposants au Concile, et qui y fut déposé, était en réalité, quant à sa théologie, «orthodoxe», quoique les Pères de Chalcédoine ne s'en soient pas aperçu ; tels sont les points 1 à 7 de la déclaration de Chambésy7. Citons le point 7 : «7.Les orthodoxes acceptent que les orientaux orthodoxes continueront à maintenir leur terminologie cyrillienne traditionnelle «une nature du Logos incarnée» (mia physis toû Théoû Logou sesarkoméne), puisqu'ils reconnaissent la double consubstantialité du Logos niée par Eutychès. Les orthodoxes aussi utilisent cette terminologie. Les orientaux orthodoxes acceptent que les orthodoxes employent à juste titre la formule des deux natures, puisqu'ils reconnaissent que la distinction est «uniquement en pensée» (têi theoriai monei). Cyrille interpréta correctement cet usage dans sa lettre à Jean d'Antioche et dans ses lettres à Acacius de Melitène (PG 77, 184-201), à Euloge (PG 77, 224-228) et à Succensus (PG 77, 228-2458)».
On le voit, les formulations de Chalcédoine ne sont pas obligatoires pour les Coptes unis aux orthodoxes (5-6-7). Les Conciles oecuméniques ne le sont pas non plus, comme l'indique le huitième point : «8. Les deux familles reçoivent les trois premiers conciles oecuméniques qui forment notre héritage commun. Quant aux quatre conciles ultérieurs de l'Eglise orthodoxe, les orthodoxes affirment que, pour eux, les points 1-7 susmentionnés sont aussi l'enseignement de ces quatre conciles ultérieurs, alors que les orientaux orthodoxes considèrent cette affirmation des orthodoxes comme leur propre interprétation. Dans ce sens, les orientaux orthodoxes répondent positivement à cette affirmation9».
Enfin, les orthodoxes admettent que les ex-monophysites, non seulement ne l'ont jamais été, mais ont toujours été fidèles à la tradition apostolique ; c'est le neuvième point : «9. A la lumière de notre déclaration commune sur la Christologie et des affirmations communes susmentionnées, nous avons maintenant clairement compris que nos deux familles ont toujours loyalement gardé la même et authentique foi christologique orthodoxe, et ont maintenu la continuité ininterrompue de la tradition apostolique, bien qu'elles aient pu utiliser des termes christologiques de manière différente. C'est cette foi commune et cette loyauté continuelle à la tradition apostolique qui doivent être la base de notre unité et communion10». Il y a donc, selon l'expression du même document, «deux familles orthodoxes» qui, depuis le Vème siècle, ne sont pas en communion bien qu'elles aient la même foi.
La conclusion (proposition 10 du texte), c'est que les deux Eglises doivent lever leurs anathèmes réciproques, non seulement parce que ces anathèmes ne sont pas fondés aujourd'hui, mais parce qu'ils ne l'ont jamais été : «10. Les deux familles acceptent que tous les anathèmes et les condamnations du passé qui maintenant nous divisent doivent être levés par les Eglises pour que le dernier obstacle à la pleine unité et communion de nos deux familles puisse être ôté par la grâce et la puissance de Dieu. Les deux familles acceptent que la levée des anathèmes et des condamnations sera basée sur le fait que les conciles et les pères précédemment anathématisés ou condamnés ne sont pas hérétiques.
«Nous recommandons donc à nos Eglises les démarches pratiques suivantes :
A. Les orthodoxes devront lever tous les anathèmes et les condamnations contre tous les conciles et les Pères orientaux orthodoxes qu'ils ont prononcés dans le passé.
B. Les orthodoxes orientaux devront simultanément lever tous les anathèmes et les condamnations contre tous les conciles et les Pères orthodoxes qu'ils ont prononcés dans le passé.
C. La manière selon laquelle les anathèmes auront à être levés doit être décidée par les Eglises individuellement11».
+++
Nous reviendrons plus longuement sur ces décisions qui sont une nouvelle «fausse-union» parce qu'elles ont tous les caractères d'un accommodement, d'un arrangement diplomatique qui, sur le plan de la politique ecclésiastique internationale arrange tout le monde12.
En effet, les monophysites ne sont obligés à rien ; certes, ils ne condamnent plus Chalcédoine, mais ils n'accordent au Quatrième Concile général aucune autorité oecuménique, et ils continuent de vénérer Dioscore -condamné par ce Concile- comme un saint ; de même les Conciles oecuméniques postérieurs, qui ont tous confirmé le IVème Concile, n'ont pas pour eux une autorité universelle et absolue. Au fond, les monophysites laissent les orthodoxes faire ce qu'ils veulent avec leurs conciles et les «orthodoxes» ne leur demandent pas de faire davantage. Enfin, chacun reconnaît qu'il s'est trompé sur l'autre et qu'il est temps de le déclarer officiellement, puisqu'on le sait depuis si longtemps13. On lève donc les anathèmes en reconnaissant qu'ils n'ont eu aucune efficace, qu'ils n'ont été que de vains mots, puisqu'ils étaient sans objet. Tel est ce compromis, pire que celui de Florence. On dirait une chaussure qui va aux deux pieds, selon l'expression de saint Grégoire de Nazianze, qu'il appliquait à l'homoiousion, le compromis de l'époque entre les partisans et les adversaires du consubstantiel (homoousion).
Dégageons rapidement les conséquences ecclésiologiques et théologiques de ce compromis :
a) Les Pères de Chalcédoine, les «déifiés», se sont trompés parce qu'ils n'ont pas vu que Dioscore... était orthodoxe ! Lui qui pourtant a été officiellement favorable à Eutychès, au point de le faire réhabiliter au Concile de 449 à Ephèse (le «Brigandage d'Ephèse»), et de faire condamner les orthodoxes, dont Flavien de Constantinople, saint Flavien dans nos synaxaires.
b) Non seulement les Pères de Chalcédoine (451) n'ont pas discerné cette orthodoxie foncière de Dioscore, mais les Pères des Conciles Oecuméniques postérieurs ont fait preuve de la même inintelligence, notamment dans le Synodicon de l'Orthodoxie, qui est lu chaque année le jour du Dimanche de l'Orthodoxie et où Dioscore est anathématisé. Là aussi, il faudra réformer le Synodicon de l'orthodoxie, car on voit mal une des «deux familles orthodoxes» réunies anathématiser Dioscore pendant que l'autre lui adresserait des prières comme à un grand saint14.
c) L'Eglise du Christ, pendant 1500 ans, a donc été divisée, faisant mentir la parole du Seigneur sur l'unité promise à son Eglise. Aucune des décisions oecuméniques de l'Eglise orthodoxe prise pendant cette période n'a donc un caractère absolument infaillible, puisque le saint Esprit n'a pas guidé infailliblement les Pères du Concile de Chalcédoine et des Conciles Oecuméniques ultérieurs. Il n'y a donc plus de critère absolu de la vérité dogmatique, puisqu'il a fallu attendre une commission présidée par un métropolite de Chambésy pour découvrir l'aveuglement des Pères sur des hérétiques qu'ils avaient devant eux et avec lesquels ils dialoguaient face à face.
C'est le mépris des Pères et des Conciles oecuméniques -mépris pire que celui qu'on trouve parfois chez les polémistes protestants du XVIème siècle- que va provoquer la décision de Chambésy ; et nous souhaitons que les quelques orthodoxes fidèles qui demeurent élèvent une protestation auprès des évêques ou des prêtres pour que cette fausse union tombe, comme les autres, dans les poubelles de l'histoire. Cela aidera même les Coptes, Ethiopiens, et autres monophysites à revenir dans l'Eglise, car s'ils acceptaient que les décisions de Chalcédoine sont conformes à celles d'Ephèse et aux lettres de saint Cyrille, pourquoi ne reviendraient-ils pas à l'orthodoxie par la pénitence et l'acceptation des formules de Chalcédoine ? Il vaut mieux dénicher un prétendu saint (Dioscore) de sa sainteté, que de perdre son âme.
Notons en conclusion que l'accommodement va parfois bien plus loin, jusqu'à une utilisation fallacieuse des Pères.
Dans son discours d'introduction, comme d'autres avant lui, le métropolite Damaskinos de Suisse s'est appuyé sur un passage de saint Jean Damascène et s'est réclamé du patronage du grand théologien : «La conscience de l'unité de la foi a déjà été exprimée au cours du VIIIème siècle par le grand théologien Jean Damascène qui connaissait parfaitement la foi et la théologie des anciennes Eglises orientales orthodoxes et n'hésitait pas à proclamer l'orthodoxie de leur foi. C'est ainsi qu'il souligne, de manière significative, la conscience ecclésiale commune selon laquelle «les originaires d'Egypte (les coptes), bien qu'ils se soient séparés du lien de l'Eglise orthodoxe sous prétexte de la définition de Chalcédoine» sont considérés et sont en fait "orthodoxes pour tout le reste" (PG 94, 741). Cette même conscience est, d'autre part, manifestée par les meilleurs théologiens contemporains des deux Eglises».
A y regarder de près, saint Jean Damascène et ces «théologiens contemporains» ne disent pas la même chose. Voici comment s'exprime saint Jean Damascène, dans son livre sur les Hérésies, au chapitre 83 : «Les Egyptiens, qu'on appelle aussi Schématiques ou Monophysites. Ils se sont séparés de l'Eglise orthodoxe sous le prétexte du Concile de Chalcédoine. Le nom d'Egyptiens leur vient de ce que ce sont les gens d'Egypte qui ont, les premiers, inauguré cette secte sous les empereurs Marcien et Valentin. Pour tout le reste ils sont orthodoxes. Ceux-là, par affection pour Dioscore d'Alexandrie, déposé par le Concile de Chalcédoine pour s'être fait l'avocat des dogmes d'Eutychès, s'opposèrent à ce Concile et inventèrent contre lui une multitude d'imputations calomnieuses, que nous avons déjà suffisamment réfutées plus haut dans le présent ouvrage, en faisant voir leur inconsistance et leur absurdité. Leurs chefs furent Théodose d'Alexandrie, d'où est venu le nom de théodosiens, et Jacob le Syrien, d'où celui de jacobites» (PG 94, 741-744). Quel est le sens de ces paroles ? Saint Jean Damascène veut-il dire que les monophysites sont orthodoxes, au sens où l'entendent les «nouveaux théologiens» ? Ou bien qu'ils sont hérétiques, mais que leur erreur ne porte que sur un point : le rejet de la définition de Chalcédoine ? Le texte même, et toutes les réfutations que saint Jean Damascène, dans son livre sur les hérésies, et dans son Exposition de la Foi orthodoxe, fait du monophysisme, inclinent à penser que, selon lui, les coptes sont orthodoxes «sur tout le reste» et dans l'erreur sur un point. Là-dessus, citons le P.Meyendorff, que nous ne considérons pas comme un théologien éclairé, mais qui, ici a vu juste, lorsqu'il a écrit : «Pleinement conscient de l'interprétation "cyrillienne" de Chalcédoine telle qu'elle fut définie en 553, Jean consacre néanmoins une large partie de son oeuvre théologique à la polémique contre les monophysites sévériens. Tout en reconnaissant qu'ils sont "orthodoxes" en toutes choses, excepté leur opposition à Chalcédoine, il ne reconnaît aucune différence entre le monophysisme d'Eutychès et la christologie de Dioscore et de Sévère : le fait que ces derniers rejettent Chalcédoine constitue apparemment pour lui une preuve suffisante de leur appartenance à l'eutychianisme15». Nous voudrions bien que l'on nous montre un passage des Pères où Dioscore serait considéré comme orthodoxe et séparé pour cette raison d'Eutychès16 !
Ajoutons le témoignage de saint Photios. Dans sa lettre à Asotios, entièrement consacrée au dialogue avec les monophysites, il écrit notamment ceci, qui rappelle étrangement certains propos de Chambésy : «Tu rejettes la doctrine d'Eutychès et tu penses, en agissant ainsi, que tu te pares de la vraie théorie...Il faut savoir qu'il ne suffit pas d'affecter de différer d'Eutychès, pour n'encourir aucun reproche. De même qu'en morale, celui qui n'est pas complètement pervers, n'est pas pour autant parfait dans la vertu ; et on ne considère pas comme vaillant celui qui n'a pas pactisé avec l'ennemi : il faut encore repousser les ennemis et les harceler jusqu'à la victoire, pour être appelé triomphateur. De même, celui qui n'accepte pas toute l'hérésie, jusqu'à la lie, ne sera pas pour autant orthodoxe ; il faut encore qu'il s'attache pour tout le reste à la vraie piété, se dégageant de toute critique, et s'élevant à la perfection de la foi.(...) Tu fuis Eutychès ? Mais si tu flattes Discore, si tu fréquentes Sévère, si tu ne vois que par Jacob, tu ne veux pas te rendre compte que tu te trouves pris dans la même chaîne et la même trame hérétique, et entraîné au même précipice de perdition ? Tu refuses la confusion et le mélange [des natures] ? N'admets pas davantage une nature composée ou une nature unique» (Ed. Teubner, Ep.284, l.2823 à 2848). Saint Photios revient encore, dans sa lettre au Katholikos (patriarche) d'Arménie (lettre 285 de l'édition citée) sur le même sujet : on ne saurait sincèrement reconnaître les trois premiers conciles si l'on nie le quatrième qui les a confirmés ; il ne sert à rien d'avouer une partie de la vraie foi, si c'est pour en refuser une autre ; tel est le cas, entre autres, de Dioscore, et de ceux qui le suivent, justement condamnés.
Il est clair que si les monophysites reconnaissent la théologie orthodoxe telle qu'elle est confessée à la fois par saint Cyrille et par le Concile de Chalcédoine, ils doivent condamner Dioscore avec Eutychès, comme le soulignent saint Jean Damascène et saint Photios, et les orthodoxes n'ont en rien à supprimer les anathèmes des Pères de Chalcédoine qui sont considérés par toute la tradition non comme l'opinion subjective de ces Pères, mais comme l'expression de l'Eglise guidée par le Saint Esprit.
L' EFFILOCHAGE
La critique des canons apostoliques et des canons des conciles oecuméniques et locaux est aujourd'hui monnaie courante chez les clercs et les hiérarques prétendûment orthodoxes : les canons sont relativisés, ils sont qualifiés de «disciplinaires», «administratifs», marque d'une Eglise «vieillie», comme vient de le déclarer le Métropolite Chrysostome de Myre1 ; d'autres sont allés plus loin, comme l'archevêque Athénagore de Londres qui a parlé jadis, à propos des saints canons, d'«opinions humaines» et de «formes de stupidité et de haine2». Mais jamais, bien qu'on ait vu, ici ou là, des réhabilitations, faites à titre privé, d'hérétiques condamnés par l'Eglise3, les décisions des conciles oecuméniques n'avaient été remises en cause. C'est chose faite maintenant par la commission mixte du dialogue théologique orthodoxe/monophysite, dont les conclusions sont une remise en cause radicale des décisions du IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine4.
L'effilochage dont parlait le regretté A. Kalomiros continue donc : «Quand on prend pour un détail un élément de la Tradition, on prendra également et dès la première occasion, pour un détail, un autre élément, et pour finir, tout ce qui nous déplaira, dans la Tradition de l'Eglise, sera pris pour un détail. Ainsi en a-t-il été avec l'iconographie, avec la psalmodie, avec l'aspect des prêtres. Les soutanes sont devenues, tout-à-coup, trop noires, les barbes et les cheveux des clercs trop longs, les stalles sont remplacées par des fauteuils, le monachisme et les moines calomniés, les biens des monastères confisqués, les canons qui interdisent de prier avec les hétérodoxes ignorés, on va même aux colloques de ces derniers, on ne tient pas compte de l'opinion du peuple dans les élections des évêques et le choix des prêtres, la liturgie est abrégée, des parties de l'Office supprimées «pour ne pas fatiguer le monde». En d'autres termes, on change les coutumes de l'Eglise Orthodoxe selon les goûts d'une foule décadente adonnée au culte de la chair et de la matière. C'est ainsi que le tricot de la Tradition a commencé à s'effilocher et personne ne sait où l'effilochage s'arrêtera, si jamais il s'arrête».
De quoi s'agit-il ? Des conclusions de cette commission qui sont un véritable accord entre les monophysites et les orthodoxes, qui serait peut-être déjà signé, selon Orthodoxos Typos, par la plupart des Eglises Orthodoxes5.
Durant les années du dialogue non officiel dans un premier temps6, puis officiel, avec les Coptes, les Ethiopiens et les Arméniens, les théologiens sont arrivés à la conclusion que les différences entre leurs Eglises respectives sur la christologie n'étaient pas réelles, mais «verbales» ; dès lors, il suffisait de convenir que les deux parties condamnaient ensemble l'hérésie d'Eutychès, condamné à la Première Session de Chalcédoine, mais que Dioscore, qui fut le chef des opposants au Concile, et qui y fut déposé, était en réalité, quant à sa théologie, «orthodoxe», quoique les Pères de Chalcédoine ne s'en soient pas aperçu ; tels sont les points 1 à 7 de la déclaration de Chambésy7. Citons le point 7 : «7.Les orthodoxes acceptent que les orientaux orthodoxes continueront à maintenir leur terminologie cyrillienne traditionnelle «une nature du Logos incarnée» (mia physis toû Théoû Logou sesarkoméne), puisqu'ils reconnaissent la double consubstantialité du Logos niée par Eutychès. Les orthodoxes aussi utilisent cette terminologie. Les orientaux orthodoxes acceptent que les orthodoxes employent à juste titre la formule des deux natures, puisqu'ils reconnaissent que la distinction est «uniquement en pensée» (têi theoriai monei). Cyrille interpréta correctement cet usage dans sa lettre à Jean d'Antioche et dans ses lettres à Acacius de Melitène (PG 77, 184-201), à Euloge (PG 77, 224-228) et à Succensus (PG 77, 228-2458)».
On le voit, les formulations de Chalcédoine ne sont pas obligatoires pour les Coptes unis aux orthodoxes (5-6-7). Les Conciles oecuméniques ne le sont pas non plus, comme l'indique le huitième point : «8. Les deux familles reçoivent les trois premiers conciles oecuméniques qui forment notre héritage commun. Quant aux quatre conciles ultérieurs de l'Eglise orthodoxe, les orthodoxes affirment que, pour eux, les points 1-7 susmentionnés sont aussi l'enseignement de ces quatre conciles ultérieurs, alors que les orientaux orthodoxes considèrent cette affirmation des orthodoxes comme leur propre interprétation. Dans ce sens, les orientaux orthodoxes répondent positivement à cette affirmation9».
Enfin, les orthodoxes admettent que les ex-monophysites, non seulement ne l'ont jamais été, mais ont toujours été fidèles à la tradition apostolique ; c'est le neuvième point : «9. A la lumière de notre déclaration commune sur la Christologie et des affirmations communes susmentionnées, nous avons maintenant clairement compris que nos deux familles ont toujours loyalement gardé la même et authentique foi christologique orthodoxe, et ont maintenu la continuité ininterrompue de la tradition apostolique, bien qu'elles aient pu utiliser des termes christologiques de manière différente. C'est cette foi commune et cette loyauté continuelle à la tradition apostolique qui doivent être la base de notre unité et communion10». Il y a donc, selon l'expression du même document, «deux familles orthodoxes» qui, depuis le Vème siècle, ne sont pas en communion bien qu'elles aient la même foi.
La conclusion (proposition 10 du texte), c'est que les deux Eglises doivent lever leurs anathèmes réciproques, non seulement parce que ces anathèmes ne sont pas fondés aujourd'hui, mais parce qu'ils ne l'ont jamais été : «10. Les deux familles acceptent que tous les anathèmes et les condamnations du passé qui maintenant nous divisent doivent être levés par les Eglises pour que le dernier obstacle à la pleine unité et communion de nos deux familles puisse être ôté par la grâce et la puissance de Dieu. Les deux familles acceptent que la levée des anathèmes et des condamnations sera basée sur le fait que les conciles et les pères précédemment anathématisés ou condamnés ne sont pas hérétiques.
«Nous recommandons donc à nos Eglises les démarches pratiques suivantes :
A. Les orthodoxes devront lever tous les anathèmes et les condamnations contre tous les conciles et les Pères orientaux orthodoxes qu'ils ont prononcés dans le passé.
B. Les orthodoxes orientaux devront simultanément lever tous les anathèmes et les condamnations contre tous les conciles et les Pères orthodoxes qu'ils ont prononcés dans le passé.
C. La manière selon laquelle les anathèmes auront à être levés doit être décidée par les Eglises individuellement11».
+++
Nous reviendrons plus longuement sur ces décisions qui sont une nouvelle «fausse-union» parce qu'elles ont tous les caractères d'un accommodement, d'un arrangement diplomatique qui, sur le plan de la politique ecclésiastique internationale arrange tout le monde12.
En effet, les monophysites ne sont obligés à rien ; certes, ils ne condamnent plus Chalcédoine, mais ils n'accordent au Quatrième Concile général aucune autorité oecuménique, et ils continuent de vénérer Dioscore -condamné par ce Concile- comme un saint ; de même les Conciles oecuméniques postérieurs, qui ont tous confirmé le IVème Concile, n'ont pas pour eux une autorité universelle et absolue. Au fond, les monophysites laissent les orthodoxes faire ce qu'ils veulent avec leurs conciles et les «orthodoxes» ne leur demandent pas de faire davantage. Enfin, chacun reconnaît qu'il s'est trompé sur l'autre et qu'il est temps de le déclarer officiellement, puisqu'on le sait depuis si longtemps13. On lève donc les anathèmes en reconnaissant qu'ils n'ont eu aucune efficace, qu'ils n'ont été que de vains mots, puisqu'ils étaient sans objet. Tel est ce compromis, pire que celui de Florence. On dirait une chaussure qui va aux deux pieds, selon l'expression de saint Grégoire de Nazianze, qu'il appliquait à l'homoiousion, le compromis de l'époque entre les partisans et les adversaires du consubstantiel (homoousion).
Dégageons rapidement les conséquences ecclésiologiques et théologiques de ce compromis :
a) Les Pères de Chalcédoine, les «déifiés», se sont trompés parce qu'ils n'ont pas vu que Dioscore... était orthodoxe ! Lui qui pourtant a été officiellement favorable à Eutychès, au point de le faire réhabiliter au Concile de 449 à Ephèse (le «Brigandage d'Ephèse»), et de faire condamner les orthodoxes, dont Flavien de Constantinople, saint Flavien dans nos synaxaires.
b) Non seulement les Pères de Chalcédoine (451) n'ont pas discerné cette orthodoxie foncière de Dioscore, mais les Pères des Conciles Oecuméniques postérieurs ont fait preuve de la même inintelligence, notamment dans le Synodicon de l'Orthodoxie, qui est lu chaque année le jour du Dimanche de l'Orthodoxie et où Dioscore est anathématisé. Là aussi, il faudra réformer le Synodicon de l'orthodoxie, car on voit mal une des «deux familles orthodoxes» réunies anathématiser Dioscore pendant que l'autre lui adresserait des prières comme à un grand saint14.
c) L'Eglise du Christ, pendant 1500 ans, a donc été divisée, faisant mentir la parole du Seigneur sur l'unité promise à son Eglise. Aucune des décisions oecuméniques de l'Eglise orthodoxe prise pendant cette période n'a donc un caractère absolument infaillible, puisque le saint Esprit n'a pas guidé infailliblement les Pères du Concile de Chalcédoine et des Conciles Oecuméniques ultérieurs. Il n'y a donc plus de critère absolu de la vérité dogmatique, puisqu'il a fallu attendre une commission présidée par un métropolite de Chambésy pour découvrir l'aveuglement des Pères sur des hérétiques qu'ils avaient devant eux et avec lesquels ils dialoguaient face à face.
C'est le mépris des Pères et des Conciles oecuméniques -mépris pire que celui qu'on trouve parfois chez les polémistes protestants du XVIème siècle- que va provoquer la décision de Chambésy ; et nous souhaitons que les quelques orthodoxes fidèles qui demeurent élèvent une protestation auprès des évêques ou des prêtres pour que cette fausse union tombe, comme les autres, dans les poubelles de l'histoire. Cela aidera même les Coptes, Ethiopiens, et autres monophysites à revenir dans l'Eglise, car s'ils acceptaient que les décisions de Chalcédoine sont conformes à celles d'Ephèse et aux lettres de saint Cyrille, pourquoi ne reviendraient-ils pas à l'orthodoxie par la pénitence et l'acceptation des formules de Chalcédoine ? Il vaut mieux dénicher un prétendu saint (Dioscore) de sa sainteté, que de perdre son âme.
Notons en conclusion que l'accommodement va parfois bien plus loin, jusqu'à une utilisation fallacieuse des Pères.
Dans son discours d'introduction, comme d'autres avant lui, le métropolite Damaskinos de Suisse s'est appuyé sur un passage de saint Jean Damascène et s'est réclamé du patronage du grand théologien : «La conscience de l'unité de la foi a déjà été exprimée au cours du VIIIème siècle par le grand théologien Jean Damascène qui connaissait parfaitement la foi et la théologie des anciennes Eglises orientales orthodoxes et n'hésitait pas à proclamer l'orthodoxie de leur foi. C'est ainsi qu'il souligne, de manière significative, la conscience ecclésiale commune selon laquelle «les originaires d'Egypte (les coptes), bien qu'ils se soient séparés du lien de l'Eglise orthodoxe sous prétexte de la définition de Chalcédoine» sont considérés et sont en fait "orthodoxes pour tout le reste" (PG 94, 741). Cette même conscience est, d'autre part, manifestée par les meilleurs théologiens contemporains des deux Eglises».
A y regarder de près, saint Jean Damascène et ces «théologiens contemporains» ne disent pas la même chose. Voici comment s'exprime saint Jean Damascène, dans son livre sur les Hérésies, au chapitre 83 : «Les Egyptiens, qu'on appelle aussi Schématiques ou Monophysites. Ils se sont séparés de l'Eglise orthodoxe sous le prétexte du Concile de Chalcédoine. Le nom d'Egyptiens leur vient de ce que ce sont les gens d'Egypte qui ont, les premiers, inauguré cette secte sous les empereurs Marcien et Valentin. Pour tout le reste ils sont orthodoxes. Ceux-là, par affection pour Dioscore d'Alexandrie, déposé par le Concile de Chalcédoine pour s'être fait l'avocat des dogmes d'Eutychès, s'opposèrent à ce Concile et inventèrent contre lui une multitude d'imputations calomnieuses, que nous avons déjà suffisamment réfutées plus haut dans le présent ouvrage, en faisant voir leur inconsistance et leur absurdité. Leurs chefs furent Théodose d'Alexandrie, d'où est venu le nom de théodosiens, et Jacob le Syrien, d'où celui de jacobites» (PG 94, 741-744). Quel est le sens de ces paroles ? Saint Jean Damascène veut-il dire que les monophysites sont orthodoxes, au sens où l'entendent les «nouveaux théologiens» ? Ou bien qu'ils sont hérétiques, mais que leur erreur ne porte que sur un point : le rejet de la définition de Chalcédoine ? Le texte même, et toutes les réfutations que saint Jean Damascène, dans son livre sur les hérésies, et dans son Exposition de la Foi orthodoxe, fait du monophysisme, inclinent à penser que, selon lui, les coptes sont orthodoxes «sur tout le reste» et dans l'erreur sur un point. Là-dessus, citons le P.Meyendorff, que nous ne considérons pas comme un théologien éclairé, mais qui, ici a vu juste, lorsqu'il a écrit : «Pleinement conscient de l'interprétation "cyrillienne" de Chalcédoine telle qu'elle fut définie en 553, Jean consacre néanmoins une large partie de son oeuvre théologique à la polémique contre les monophysites sévériens. Tout en reconnaissant qu'ils sont "orthodoxes" en toutes choses, excepté leur opposition à Chalcédoine, il ne reconnaît aucune différence entre le monophysisme d'Eutychès et la christologie de Dioscore et de Sévère : le fait que ces derniers rejettent Chalcédoine constitue apparemment pour lui une preuve suffisante de leur appartenance à l'eutychianisme15». Nous voudrions bien que l'on nous montre un passage des Pères où Dioscore serait considéré comme orthodoxe et séparé pour cette raison d'Eutychès16 !
Ajoutons le témoignage de saint Photios. Dans sa lettre à Asotios, entièrement consacrée au dialogue avec les monophysites, il écrit notamment ceci, qui rappelle étrangement certains propos de Chambésy : «Tu rejettes la doctrine d'Eutychès et tu penses, en agissant ainsi, que tu te pares de la vraie théorie...Il faut savoir qu'il ne suffit pas d'affecter de différer d'Eutychès, pour n'encourir aucun reproche. De même qu'en morale, celui qui n'est pas complètement pervers, n'est pas pour autant parfait dans la vertu ; et on ne considère pas comme vaillant celui qui n'a pas pactisé avec l'ennemi : il faut encore repousser les ennemis et les harceler jusqu'à la victoire, pour être appelé triomphateur. De même, celui qui n'accepte pas toute l'hérésie, jusqu'à la lie, ne sera pas pour autant orthodoxe ; il faut encore qu'il s'attache pour tout le reste à la vraie piété, se dégageant de toute critique, et s'élevant à la perfection de la foi.(...) Tu fuis Eutychès ? Mais si tu flattes Discore, si tu fréquentes Sévère, si tu ne vois que par Jacob, tu ne veux pas te rendre compte que tu te trouves pris dans la même chaîne et la même trame hérétique, et entraîné au même précipice de perdition ? Tu refuses la confusion et le mélange [des natures] ? N'admets pas davantage une nature composée ou une nature unique» (Ed. Teubner, Ep.284, l.2823 à 2848). Saint Photios revient encore, dans sa lettre au Katholikos (patriarche) d'Arménie (lettre 285 de l'édition citée) sur le même sujet : on ne saurait sincèrement reconnaître les trois premiers conciles si l'on nie le quatrième qui les a confirmés ; il ne sert à rien d'avouer une partie de la vraie foi, si c'est pour en refuser une autre ; tel est le cas, entre autres, de Dioscore, et de ceux qui le suivent, justement condamnés.
Il est clair que si les monophysites reconnaissent la théologie orthodoxe telle qu'elle est confessée à la fois par saint Cyrille et par le Concile de Chalcédoine, ils doivent condamner Dioscore avec Eutychès, comme le soulignent saint Jean Damascène et saint Photios, et les orthodoxes n'ont en rien à supprimer les anathèmes des Pères de Chalcédoine qui sont considérés par toute la tradition non comme l'opinion subjective de ces Pères, mais comme l'expression de l'Eglise guidée par le Saint Esprit.
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