vendredi 28 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°32. Chronique.

CHRONIQUE




L'UNION AVEC LES MONOPHYSITES

Le plus grave événement ecclésiastique des dernières années est sans aucun doute l'accord de Chambézy avec les monophysites, que nous avons déjà évoqué dans le dernier numéro de La Lumière du Thabor. L'un des arguments des défenseurs de cet accord est qu'il s'agit seulement d'une proposition soumise à l'ensemble des Eglises locales orthodoxes. Or le patriarcat d'Antioche est déjà en train d'appliquer l'union avec les monophysites. Dans un accord fait à Damas, le patriarcat orthodoxe d'Antioche et celui des monophysites ont décidé notamment qu'aucun fidèle venant d'une de ces deux Eglises ne pourra être accepté dans l'autre. Autrement dit, un monophysite qui voudra, pour son salut, renoncer à la vénération et à l'enseignement de Dioscore qui fut condamné par le IVème concile oecuménique de Chalcédoine, et qui est anathématisé par le Synodicon de l'orthodoxie -un tel homme pieux ne sera pas reçu dans l'Eglise orthodoxe d'Antioche. Son amour de la vérité sera repoussé par ceux qui sont censés être les surveillants, les gardiens -les épiscopes- de cette vérité, et qui s'en croient aujourd'hui les propriétaires, autorisés à disposer de l'héritage. Un autre point de cet accord est que là où il n'y a qu'une seule paroisse, soit orthodoxe, soit monophysite, les fidèles des deux Eglises iront assister à l'office dans cette paroisse. Autrement dit, quand des orthodoxes se trouvent sans chapelle dans un village où il y a une église et un prêtre monophysite, ils seront obligés par leur propre hiérarchie de s'unir aux monophysites. Ainsi se pratique l'abandon des décisions des conciles oecuméniques dans le patriarcat d'Antioche -sans qu'aucune des Eglises locales ne protestent officiellement !


L'ASSOCIATION POUR LA RECONNAISSANCE
du génocide serbe

Il y a plus d'un an, avant la guerre qui se déroule actuellement en Yougoslavie, des Serbes et des Français ont fondé une association pour la reconnaissance du génocide du peuple serbe.
Le but de cette association est de faire reconnaître par les différentes instances nationales et internationales (ONU, UNESCO, etc) la nature du génocide perpétré pendant la Seconde Guerre Mondiale par «l'Etat indépendant de Croatie» dirigé par Ante Pavelic et les oustachis. Le but est aussi d'informer le plus grand nombre de personnes, associations, mass média, sur les tragédies propres à ce génocide, au cours duquel il y a eu au moins sept cent mille Serbes, quarante mille Tsiganes et trente mille Juifs massacrés. Le but est enfin de faire connaître les dimensions culturelles de ce génocide : conversions forcées, profanations de cimetières, pillages et destructions d'églises et autres monuments de la culture et de la civilisation serbes, efforts faits pour effacer toute la mémoire historique d'un peuple.
Le 27 novembre 1991 paraissait dans Le Monde un article signé par des théologiens orthodoxes très engagés dans l'oecuménisme, qui critiquaient notamment la canonisation des Nouveaux Martyrs serbes. Il est écrit sous forme de lettre et s'intitule «Appel aux évêques serbes». L'Evêque du Banat, Monseigneur Athanase Jevtitch, a répondu à cette lettre de O.Clément, N.Lossky, T.Goritcheva, E.Behr-Siegel, P.Rak et M.Danojlic, et sa réponse a paru dans Le Monde du 27 décembre 1991 et, en serbe, dans le journal Nin, de Belgrade, du 13 décembre 1991.
L'Association pour la reconnaissance du génocide serbe a aussi publié une réponse signée par trois de ses membres fondateurs, que nous citons ici :
«L'article intitulé "Appel aux évêques serbes", paru dans Le Monde du 27 novembre, et signé par O.Clément, N.Lossky, T.Goritcheva, E.Behr Siegel, Pavle Rak et M.Danojlic, se présente en réalité comme un jugement sans appel : les Serbes seraient responsables de la guerre, l'Eglise orthodoxe soutiendrait cette guerre "nationale communiste", inciterait à la haine, les évêques et la presse ecclésiastique utiliseraient le génocide perpétré dans l'Etat Indépendant de Croatie à des fins polémiques. Nombreux sont les orthodoxes -serbes ou non- qui auraient préféré ne pas voir l'orthodoxie et la théologie impliquées par trois des auteurs de l'article, qui signent "théologiens orthodoxes", dans une série d'arguments que nous avons l'habitude de lire dans la presse allemande et autrichienne, voire en France dans des journaux comme Présent et Minute, qui ont choisi de faire porter la responsabilité intégrale de cette guerre aux Serbes.
«Nous comprenons, bien sûr, que les engagements anciens et profonds de certains auteurs de l'article dans le dialogue avec l'Eglise catholique -l'un d'entre eux est membre du Comité de rédaction de journaux catholiques, un autre enseigne à l'Institut Catholique- ajoute encore à leur inquiétude, lorsqu'on voit une nation catholique soutenue par son épiscopat en guerre avec un peuple orthodoxe que son Eglise n'abandonne pas non plus. Cette inquiétude est légitime.
«Mais il est un point de l'article qui nous paraît dangereux ou scandaleux : c'est l'idée que le refus de la mémoire, l'absence de recherches méthodiques, sur le terrain ou dans les archives, concernant le génocide de la dernière guerre contre les Serbes en Croatie, puisse en quelque façon favoriser la paix et la réconciliation. Les auteurs de l'article excluent en effet que le génocide ait pu être l'une des causes de la crise actuelle et conseille de ne pas réveiller le passé par "des considérations grottardes".
«Cette expression, attribuée au "peuple", et qui n'est dans aucun dictionnaire, par respect pour les auteurs de l'article, nous ferons semblant de croire qu'elle ne peut pas, en français, être prise un instant pour un synonyme populaire de "grotesque". De quoi s'agit-il en effet ? Il s'agit de ces grottes, ou plutôt de ces gouffres, où furent jetés vivants ou à moitié morts, hommes, femmes, enfants serbes qui refusaient de se soumettre aux oustachis pronazis de Croatie, lesquels ne leur laissaient la vie que s'ils acceptaient de se faire baptiser catholiques. Pour des raisons historiques et politiques, le titisme avait jusqu'à ces toutes dernières années interdit ces lieux, prohibant toute exhumation des corps. Depuis deux ou trois ans seulement, il a été possible de découvrir tous ces Oradours oubliés, d'enquêter sur le camp de Jasenovac, l'Auchwitz croate, et d'étudier, partiellement encore, les archives que le communisme avait rangées, classées et fermées jusqu'ici.
«Cette ouverture des gouffres était nécessaire pour au moins deux raisons.
«La première est qu'il fallait donner à ces victimes de la folie nazie une sépulture décente. Tout un peuple attendait depuis cinquante ans l'autorisation d'ensevelir ses morts. Et c'est là que l'Eglise orthodoxe serbe est intervenue, priant pour ces fidèles inconnus, victimes du nazisme et de l'esprit de croisade tout à la fois. En confessant que les ossements laissés tant d'années sans tombe et sans prières sont ceux de martyrs, l'Eglise serbe a accompli son travail pastoral et spirituel ; elle était d'autant plus en droit de le faire que l'idée même du martyre, dans l'Eglise orthodoxe, implique celle du pardon. Les saints martyrs de nos synaxaires ont tant de fois prié pour leurs bourreaux !
«Mais il est une autre raison à ces exhumations, à cette enquête du peuple serbe sur son passé le plus proche : il était indispensable, malheureusement, de dénombrer ces victimes pour que la mémoire de ce qui s'est passé ne soit pas perdue. En effet, la Croatie ne manque pas aujourd'hui de gens qui refoulent le génocide des Serbes en minimisant le nombre des victimes, ou en le niant purement et simplement. Certes, le révisionnisme, le réductionnisme, est un terrible phénomène que l'on trouve dans plusieurs pays d'Europe. Mais en Croatie, comme ce fut le cas en Turquie pour le génocide arménien et grec, le révisionnisme tend à devenir un mensonge d'Etat. Le président croate, M.Tudjman, a déjà été pris à parti plusieurs fois par la presse européenne pour son livre Les réalités de l'histoire (Zagreb, 1989). Nous renvoyons à l'article de R.West, paru dans le Guardian : "An apologist for Hitler" (18 octobre 1991), à celui de Claude Meyer dans l'Actualité juive du 21 novembre 1991, qui relève les relents d'antisémitisme de ce livre, ou encore à celui de K.Becirovic, paru dans Le Monde du 28 novembre 1990 : "Justice pour les Serbes". L'ouvrage de Tudjman banalise le génocide qu'il inscrit dans une sorte d'ordre des choses qui fait de certaines minorités -les Juifs et les Serbes notamment- des persécutés et des persécuteurs. Ainsi, selon lui, les Juifs victimes de l'holocauste, sont devenus à leur tour en Palestine des "judéonazis". La réalité politique, c'est qu'il est dérisoire de prendre M.Tudjman pour un Adenauer pacifique et prêt à la réconciliation face à des Serbes qui seraient, eux, uniquement avides de vengeance. Mais la réalité morale et historique, c'est que la solution de la crise yougoslave passe par une prise en compte des responsabilités historiques qui ne sont pas toutes égales. Bismarck et Guillaume II ont engagé des guerres odieuses ; ils ne sont pas, au poids de l'histoire, du même ordre qu'Hitler. Et identifier Hitler et Bismarck, serait céder au révisionnisme.
«Or, ce que réclamait naguère Pierre Vidal-Naquet pour les Arméniens, le "droit à la mémoire", c'est cela que réclament aujourd'hui beaucoup de Serbes -en particulier ceux qui, vivant enclavés en Croatie, ont vu un nouvel Etat croate prendre le drapeau et quelques uns des symboles de celui d'Ante Pavelic.
«Nous regrettons que les auteurs de l'article, qui mettent en cause le clergé orthodoxe, n'aient pas envoyé aussi un appel au pape Jean Paul II. Le génocide des Serbes a été certainement une fureur nazie, mais il a été aussi une des dernières formes -si nombreuses dans l'Histoire- de l'esprit de croisade, de l'application littérale du fameux mot de la parabole des Noces dans l'Evangile de Luc : "Contrains-les d'entrer" (Luc, 14, 23). Ce texte a été utilisé à diverses époques pour justifier les conversions forcées et Bayle, au XVIIè siècle, a dénoncé dans son Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus Christ : contrains-les d'entrer, le sophisme anti-évangélique qui consiste à le prendre ainsi "au pied de la lettre". Un ministre italien s'est demandé si, au Vatican, cet esprit était disparu à jamais. Nous abandonnons quant à nous cette question aux auteurs de l'article sus-mentionné».


BAPTÊMES DANS L'EGLISE DE FRANCE
Les journées de Toulouse

Le dimanche qui suit la Pentecôte, dans le calendrier béni de l'Eglise orthodoxe, est celui de la fête de tous les saints, ces fruits du Saint Esprit qui, dans la Sainte Pentecôte, est descendu dans le monde. Lors de la Toussaint de 1991, le 20 mai/2 juin, notre diocèse a célébré une double fête, puisqu'il a aussi accueilli de nouveaux enfants du Christ. Ont, en effet, reçu le baptême au nom du Seigneur : Georges, Joseph, Eugénie, Nectaire, Monique, Marthe, Sophie, Marie, Micha, Viviane, Valérie et Marie. Cette cérémonie s'est déroulée au baptistère Saint-Jean-Baptiste de Giverny qui, depuis plusieurs années, a vu beaucoup de catéchumènes revêtir la robe royale, la tunique immaculée, le Christ lui-même : «Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ». Les baptêmes ont été suivis d'agapes fraternelles, auxquelles prirent part, autour de Monseigneur Photios, évêque de Lyon, Exarque du Synode pour la France et l'Europe, des membres de différentes paroisses : de la Sainte Trinité de Paris, de Saint Jean le Théologien, de Lyon, de la Protection de la Mère de Dieu, de Dinan, réunis dans le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Cette joie d'être ensemble dans la foi, nous l'avons retrouvée plus longuement encore lors des baptêmes et de la rencontre orthodoxe de Toulouse.
Du jeudi 9/22 août au dimanche 12/25 août, en effet, le diocèse a organisé une réunion des membres de ses différentes paroisses à Muret, près de Toulouse.
Les arrivants étaient accueillis, sous un soleil radieux, par le prêtre de la paroisse toulousaine et sa famille, Père Nectaire, Presbytéra Marie, Patrick et Nathalie leurs enfants, qui avaient, depuis des semaines, consacré tous leurs efforts à l'organisation de cette rencontre, sans compter leur temps ni leur peine. La réunion avait lieu dans l'ancienne résidence des évêques de Toulouse, à Muret, au bord de la Garonne. Ce domaine est devenu la propriété d'un agriculteur, qui a, voici quelques années, donné en location au Père Nectaire et à ses fidèles, la chapelle attenant à la résidence, avec l'autorisation de la transformer pour y célébrer la Sainte Liturgie orthodoxe. Cette chapelle est environnée de champs et de bois que traversent de majestueuses allées menant jusqu'aux rives de la Garonne qu'on peut entendre toute proche.
Aidé de sa famille, Père Nectaire a rénové la chapelle et en a fait une belle et paisible église orthodoxe dédiée à la Nativité de la Mère de Dieu.
La rencontre fut officiellement ouverte dans l'après-midi par la conférence de Monseigneur Photios qui développa le titre suivant, tiré d'une catéchèse de saint Syméon le Nouveau Théologien : «Sur l'hérésie qui consiste à croire qu'on ne peut plus aujourd'hui parvenir à la perfection des saints d'autrefois». Nous avons reproduit le texte de cette conférence dans l'éditorial de la précédente livraison de la La Lumière du Thabor (n31). La conférence fut suivie d'une discussion, où Père Ambroise apporta beaucoup de preuves et d'exemples vivants de la permanence des saints et de la sainteté, qui illustraient le propos admirablement.
La journée s'acheva par les complies. Le vendredi matin commença par la célébration de la divine liturgie ; dans l'après-midi, Père Ambroise fit, en plein air, une conférence sur nos racines, à nous chrétiens orthodoxes. Les Gaules ont été christianisées dès les temps apostoliques. Le fait que l'orthodoxie a été, durant des siècles, recouverte par l'hérésie, laquelle a défiguré la vie de beaucoup de saints orthodoxes, n'empêche nullement la vérité de se faire jour. En lisant la lettre des Chrétiens de Lyon et de Vienne à ceux de Smyrne, Père Ambroise souligne qu'il est dit de sainte Blandine et d'autres martyrs qu'ils avaient la prière du coeur. Les premiers martyrs gaulois et un saint Syméon le Nouveau Théologien parlent le même langage de la foi, participant au même Esprit Saint. Nous renouons donc avec nos ancêtres gallo-romains, qui confessèrent la foi orthodoxe, et quelquefois moururent pour elle. Et n'y a-t-il pas, dans ce renouveau, quelque chose de symbolique ? En voyant Père Ambroise, originaire de Smyrne, lire devant nous tous, sous les arbres, les exploits de Blandine et de ses compagnons, l'esprit se reporte aux temps où saint Irénée, disciple de saint Polycarpe de Smyrne, apportait à nos ancêtres la foi du Christ. On lit, dans le récit du Martyre de Polycarpe : «Toute parole sortie de sa bouche a reçu et recevra son accomplissement». Oui, Dieu réalise encore une fois ce qu'Il a décidé d'accomplir : Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés, ne cesse de les appeler jusqu'à la fin des temps.
La journée du vendredi s'achève par l'action de grâces des complies.
Samedi matin arrivent les derniers fidèles, juste à temps pour assister à la célébration du baptême. Les catéchumènes, venus de Montpellier, L angon, Pau et Toulouse, vont être baptisés par Monseigneur Photios, assisté d'une partie du clergé de notre Eglise : sont présents les pères Nectaire, Ambroise, Patric, Philarète, le diacre Maxime et le sous-diacre Daniel. Après être descendus en procession jusqu'au bord du fleuve, les fidèles assistent à la triple immersion, dans les eaux de la Garonne, des huit nouveaux baptisés : Marie-Pierre, Eudocie, Elisabeth, Anne-Marie, Marie (-Thérèse), Matthieu, Stéphane et Vincent, qui remontent ensuite, au milieu des chants et du cortège des fidèles, jusqu'à l'église dans laquelle, après les derniers rites, Père Ambroise prêche sur la signification du baptême.
Après un joyeux repas, l'on se rassemble de nouveau pour écouter le Professeur Jean Joseph, musicologue et compositeur de la musique liturgique, expliquer la manière dont il convient d'interpréter le chant liturgique et les détails de la célébration des offices. La plus grande chose est de toujours garder au chant son caractère de prière sacrée, car les chants de l'Eglise ne sont pas de «l'art pour l'art», mais ont pour but la glorification de Dieu et la sanctification des fidèles. A ce sujet, Père Ambroise fait remarquer que l'exigence minutieuse du Professeur à propos des célébrations, se justifie parfaitement si l'on garde en vue ce but, et il ajoute que la beauté des offices ainsi réalisés devient, pour les fidèles, comme une première initiation à la beauté du royaume de Dieu, à ces merveilles de la théologie que l'hésychaste trouve dans son coeur purifié. On pouvait observer, dans l'assistance, de nombreux fidèles en train de noter consciencieusement les remarques de Jean Joseph.
La journée s'achève sur la célébration des vigiles.
Dimanche, jour de l'Avant-Fête de la Transfiguration de Notre Seigneur, est célébrée une liturgie pontificale. Monseigneur Photios est entouré de tout le clergé. C'est, pour la plupart des fidèles, la dernière occasion de voir et d'entendre le sous-diacre Daniel de Gênes.
Après les agapes, les premiers départs ont commencé, la Sainte Transfiguration devant être célébrée dans les diverses paroisses. Des échanges fructueux de ces quelques jours, chacun a tiré profit. Nous repartons en emportant avec nous «l'or de Toulouse».
Souhaitons aux nouveaux baptisés, ainsi qu'à leurs parrains et marraines, de courir dans la voie des commandements du Seigneur.


HOMMAGE AU PÈRE DANIEL GANDINI

«Heureux l'homme qui ne s'assied pas en compagnie des moqueurs, mais qui trouve son plaisir dans la loi du Seigneur !»

Le Père Daniel Gandini, sous-diacre, fondateur de la paroisse de Gênes, nous a quitté brusquement peu de temps avant la fête de la Nativité du Seigneur en 1991.
Professeur de son état, Daniel Gandini a cherché la vérité et l'a découverte par la miséricorde de Notre Seigneur Jésus Christ. Devenu orthodoxe et enfant du Christ par le saint baptême, il a confessé la foi dans des conditions parfois difficiles et dans un milieu souvent hostile ou indifférent à la vie en Christ. Son zèle missionnaire n'en fut pas ébranlé. Ayant compris que l'Eglise Russe Hors Frontières, dont il faisait d'abord partie, n'était pas missionnaire et, surtout, se plaçait elle-même sous son propre anathème contre l'oecuménisme en essayant de restreindre la portée de cet anathème, le Père Daniel décida de quitter le Synode Russe Hors Frontières. Il s'adressa alors à notre Eglise et fonda, dans le même temps, une chapelle à Gênes, dans laquelle est allé célébrer Monseigneur Photios, évêque de Lyon et exarque, pour l'Europe, de l'Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce.
Après avoir beaucoup souffert du monde ecclésiastique, Daniel Gandini avait trouvé la paix en fondant cette chapelle, qu'il avait plaçée sous l'invocation du saint de Gênes, saint Georges. Pleinement conscient de l'universalité de l'Eglise, il voulait une orthodoxie italienne, c'est-à-dire, une orthodoxie authentique, sans compromis sur la foi, et en même temps, qui ne fût pas la copie formelle d'une quelconque Eglise nationale -russe, grecque...- déjà existante. C'est pourquoi il rencontra de grandes difficultés en Italie, où règne la confusion sur la foi à cause de l'oecuménisme et du nationalisme ou phylétisme, ces deux hérésies modernes condamnées par l'Eglise. Beaucoup voudraient, en Italie, empêcher toute prédication de la foi orthodoxe. Le Vatican a, en effet, exercé des pressions sur les juridictions oecuménistes pour qu'elles entravent la mission orthodoxe et acceptent le moins possible de conversions du catholicisme à l'orthodoxie.
Affligé dans sa vie personnelle -l'un de ses enfants est sourd-muet, et il souffrait lui-même d'une maladie pulmonaire- le Père Daniel essuya, dans la premier temps de sa vie d'orthodoxe, le mépris enfanté par le nationalisme de certains membres du Synode Russe, puis, dans sa lutte pour la foi, il affronta l'hostilité ou la défiance de beaucoup. Mais, comme l'écrivait Père Ambroise : «Dieu permet que l'épreuve frappe ceux qui L'aiment et qu'Il aime. L'épreuve acceptée est purificatrice, elle est comme le ciseau entre les mains du sculpteur, qui pénètre dans le marbre ou la pierre pour en dégager les contours et les traits de l'image» (Saint Nectaire d'Egine, éd.L'Age d'Homme, Lausanne, 1985, p.51)
Connaissant parfaitement le français, le Père Daniel a également fait oeuvre de traducteur, et a publié en italien beaucoup de textes extraits de Lumière du Thabor. Il a notamment fait connaître en Italie l'anathème sur l'oecuménisme lancé par l'Eglise Russe Hors Frontières et d'autres textes confirmant dans leur foi les chrétiens orthodoxes face à l'oecuménisme.
Dans un souci missionnaire, il a aussi traduit en italien un texte sur le Père Jérôme d'Egine et le livre de Père Ambroise sur Saint Nectaire. Dans la préface à ce dernier ouvrage, le Père Daniel présentait l'auteur, pour ses lecteurs italiens, en un portrait double : il opposait les critiques qu'il avait entendues contre le prétendu «rigorisme» du Père Ambroise au «vrai» Père Ambroise qu'il venait de rencontrer à Paris.
Enfin, Daniel Gandini publiait aussi une «Lettre à mes amis» où il s'attachait à dégager l'essentiel de la sainte foi orthodoxe, y traduisant, notamment, la préface de la Mystification Fatale de Cyriaque Lampryllos -Kyriakos Lampryllos e lo spirito della Romanità- et la Lettre encyclique de Marc d'Ephèse -Lettera Enciclica a tutti i Cristiani ortodossi della terra e delle isole- que le Père Daniel dédiait aux chrétiens d'aujourd'hui : In questo periodo di tentativi, spesso riusciti, di confondere i cristiani nella loro fede in vista di utopistiche, quanto in realtà false e bugiarde, unioni, la parola di San Marco d'Efeso risuona ancore estremamente opportuna.
Monseigneur Photios ordonna en même temps, à Lyon, le Père Maxime de Zurich au diaconat et le Père Daniel de Gênes au sous-diaconat. Cette charge ecclésiastique fut une grande joie pour le Père Daniel.
Il vint dès lors assez souvent à Paris et nous eûmes ainsi la joie de célébrer avec lui. Tout dernièrement, c'est à Toulouse, lors de la réunion des paroisses du diocèse, que la plupart d'entre nous avons revu Daniel Gandini, venu avec son épouse, Xénie et avec Luciano, l'un de leurs deux fils, le second, Thomas, étant resté dans son école pour sourds-muets.
Jeune encore, Daniel fut rappelé par le Seigneur au mois de décembre 1991. Il a réalisé, mais en la portant à un but plus beau, dans la vie orthodoxe, la devise qu'il avait reçue de son père, colonel des carabiniers, et dont il faisait quelquefois l'application à lui-même : Nei secoli fedele. Usi a obbedir tacendo e a tacendo morir. Il est mort soudainement. Vivement affligé par cette nouvelle, Monseigneur Photios se rendit à Gênes pour y célébrer l'ensevelissement. Il avait, à ses côtés, le chef de choeur de la paroisse de Paris, le Professeur Jean-Joseph Bernard, qui parle parfaitement l'italien et qui avait été reçu, à Gênes, par la famille Gandini.
Avec courage, Xénie a repris le flambeau de leur paroisse et poursuit l'oeuvre de son mari. Nous ne doutons pas que les prières de saint Georges la fortifieront dans cette tâche, comme il avait fortifié Daniel.
Savant selon ce monde, le Père Daniel avait préféré la Croix du Christ à tout le reste ; au lieu d'une vie facile sur la terre, il choisit librement une vie pleine d'amertume, à cause de la confession de la foi dans un contexte rendu journellement difficile. C'est ce combat, mené dans la modestie et la douceur, que nous admirons. En effet, il n'y a rien de plus précieux que la foi orthodoxe, rien de plus grand que de lutter pour elle ou de souffrir pour sa conservation. Que la mémoire du Père Daniel soit éternelle !

Pères Patric et Philarète


NOTES DE LECTURE

Nous mentionnons, trop brièvement malheureusement, quelques livres que nous avons reçus ou qui nous ont été signalés comme pouvant intéresser nos lecteurs.

La Rédaction

P.Alexandre Men. - Le sang de la religion, traduit du russe par René Marichal, préface de Yves Hamant. Paris, Desclée.
La vie du P.Alexandre Men est tragique : né en pleine période de persécution stalinienne, il reçut en secret, grâce à sa mère, le saint baptême des mains d'un prêtre de l'Eglise des catacombes. Croyant dès son enfance, le Père Alexandre décida de devenir prêtre du patriarcat de Moscou, où il eut un rôle important, puisqu'il baptisa des milliers de personnes qui revenaient à la foi. Il fut assassiné sauvagement, à coup de hache, en septembre 1990.
Malheureusement, les écrits du Père Alexandre Men sont d'une grande confusion intellectuelle et dogmatique, et sont maintenant utilisés pour justifier un syncrétisme vague, que les «occidentalistes» les plus acharnés veulent introduire en Russie. Ainsi, Les Sources de la religion sont une traduction d'écrits du P.A.Men, faite par des milieux jésuites uniates, qui veulent poser le P.Men comme un théologien orthodoxe sérieux des rapports de la raison et de la foi. Or, si dans le contexte de l'Union Soviétique, et face au règne de la science matérialiste officielle, les lectures multiples, bizarres et désordonnées, manifestaient un désir de savoir courageux, en revanche, dans le contexte d'un monde libre, on ne voit pas très bien ce que les analyses, philosophiquement assez pauvres, du P.Alexandre Men pourraient apporter à un orthodoxe. Par exemple, quel intérêt y a-t-il à présenter un tableau de l'évolution du crâne des primates, p.169, dans un chapitre où le darwinisme le plus scolaire est complété d'un peu de Soloviev ? C'est là un témoignage, certes, des difficultés des intellectuels en URSS, à une certaine période, pour penser les rapports de leur foi et de la science ; mais cela ne peut toucher ni celui qui cherche à être édifié, ni celui qui aime la théologie. La théologie, les Pères, l'enseignement de l'Eglise sont entièrement absents de ce livre intéressant non dans ce qu'il contient, mais dans ce qu'il révèle de façon symptomatique.

Maryse Dennes.- Russie - Occident. Philosophie d'une différence. Ed.Mentha, 1991.
Là aussi, il s'agit d'un livre assez curieux, parfois confus, mais qui mérite d'être mentionné. L'idée de l'auteur est que les événements récents de Russie, la Pérestroïka notamment, ne rentrent pas dans les schémas occidentaux de l'histoire des civilisations, des cultures, etc... L'histoire de la Russie permet de relativiser la façon univoque que l'on a en Europe de présenter l'Histoire -en particulier, les analyses du philosophe allemand Heidegger sur le destin de la philosophie de l'être : «Ce n'est pas parce que la Russie ne participe pas à l'histoire de l'Occident qu'elle reste inadaptée au monde. C'est parce que la Russie a son mode d'être spécifique dans l'histoire qu'elle se détermine par rapport au monde d'une façon qui ne correspond pas aux critères de l'Occident». En réalité, ce qu'il faudrait développer à partir de ces analyses, c'est l'idée qu'il y a deux histoires au moins, celle du monde -qui a sa cohérence et ses lois- et celle de l'Eglise qui ne répond pas aux critères du monde.

Nathalie Baranoff-Chestov.- Vie de Léon Chestov, traduit du russe par Blandine Brunstein-Vinaver. Editions de la différence. Paris, 1991.
Chestov n'était pas orthodoxe, mais il a essayé de pousser à l'extrême les contradictions de la pensée philosophique occidentale, en particulier dans son étude sur Pascal, La Nuit de Gethsémani. En même temps, Chestov a été une figure de l'émigration russe, lié notamment avec Berdiaev ; mais, plus rigoureux que Berdiaev, il a surtout l'avantage sur lui de n'autoriser aucun syncrétisme de sa philosophie avec la foi orthodoxe.

O.Clément. - Berdiaev. Un philosophe russe en France. Desclée de Brouwer. Paris, 1991.
Le livre d'O.Clément a le mérite de montrer l'influence de Berdiaev sur un certain nombre de courants philosophiques typiquement occidentaux comme le personnalisme de Mounier. Il montre aussi l'influence gnostique, celle de Jacob Boehme notamment, sur Berdiaev ; exemple : «Remontant, à partir de Soloviev d'une part, de Schelling et de Baader de l'autre, aux concepts de Jacob Boehme, Berdiaev a repris les mythes théogoniques du grand mystique allemand et montré la liberté incréée et le Dieu personnel surgissant simultanément, et sans que celui-ci, par conséquent, ait pouvoir sur la liberté, de l'Urgrund originel». Clément, qui dit s'engager sur ce sujet, écrit d'ailleurs, p.9 : «Je puis communier avec J.Boehme, avec ce grand mystique à la simplicité de coeur enfantine...» Nous avons déjà, à plusieurs reprises, cité dans La Lumière du Thabor les textes des Mémoires de Berdiaev où ce dernier affiche sa sympathie pour Boehme et d'autres penseurs gnostiques en même temps que son hostilité aux Pères de l'Eglise. Ainsi la conclusion de Clément, à savoir que «Berdiaev a été, et sera sans doute de plus en plus, un témoin majeur de la tradition orthodoxe», n'est pas un instant fondée sur les textes de Berdiaev lui-même. Berdiaev ou la tradition orthodoxe, nous aussi nous croyons qu'il faut s'engager.

J.-C. Larchet, Thérapeutique des maladies spirituelles. Une introduction à la tradition ascétique de l'Eglise orthodoxe, 2 volumes, Collection l'Arbre de Jessé, Les Editions de l'Ancre, Paris, 1991.

La thèse de Jean-Claude Larchet vient de paraître aux Editions de l'Ancre, dans une belle présentation. Cet ouvrage important mériterait une étude approfondie, que le manque de place nous empêche de conduire. C'est tout l'ensemble de la tradition orthodoxe d'ascèse et de prière que l'auteur présente, en effet, en rapport avec le thème, central chez les Pères, de la guérison de l'homme déchu. La chute est une perte de la santé psycho-physique de l'homme, le salut est la restauration de la santé voulue par Dieu pour le premier homme et apparue dans toute sa plénitude dans le Dieu-Homme -Jean Claude Larchet appelle cela «l'image médicale» de la vie chrétienne. L'auteur envisage successivement a) la santé et la maladie de l'homme, b) les maladies spirituelles, ou passions c) les conditions de la thérapeutique, qui sont toujours doubles : il y a celles qui dépendent de Dieu -par exemple, la grâce des sacrements- et celles qui dépendent de l'homme -par exemple, la volonté de guérir et la foi en Celui qui peut guérir. Puis, dans le second volume, d) la mise en oeuvre de la thérapeutique, où l'auteur envisage le début de la vie spirituelle, notamment le rôle du père spirituel, e) la guérison des passions et l'acquisition des vertus qui leur correspondent, f) la santé retrouvée. Au terme, l'homme apparaît saint et sain, guéri de l'égoïsme et aimant Dieu et le prochain d'une manière désintéressée. Cette dernière partie traite également de la contemplation, de la vision déifiante de Dieu, but suprême de la vie humaine.
Jean-Claude Larchet montre que la vie en Christ n'est ni fondée sur la magie -puisque la coopération de la volonté humaine est requise à chaque étape- ni réductible à une cure psychologique et au simple effort humain -puisque la source de la vraie guérison est le Dieu-Homme et lui seul. L'auteur a aussi publié Théologie de la maladie, aux éditions du Cerf, et il prépare un ouvrage sur les Maladies mentales : Interprétations et thérapeutiques dans l'Orient chrétien des premiers siècles.

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