mercredi 12 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°16. Trois études sur Wladimir Guettée.

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Trois études
sur Wladimir Guettée


Le Père Wladimir Guettée est l’une des figures majeures de l’Orthodoxie européenne du XIXème siècle. Prêtre catholique (papiste), il étudia l’histoire de l’Eglise et tira de ses recherches, la conclusion que l’Eglise Orthodoxe était seule, restée fidèle à la foi des Apôtres ; reçu dans l’Eglise Russe, il publia de nombreux ouvrages, à la défense de la Vérité. Son œuvre est celle d’un pionnier, qui découvre ou redécouvre des chemins depuis longtemps fermés : nous avons pensé qu’une analyse succincte des principaux écrits de W. Guettée sur la Papauté et sur l’histoire intéressait les lecteurs de la Lumière du Thabor.

I
LA PAPAUTE SCHISMATIQUE

Dès le début de sa vie, Guettée s’est défini comme un gallican : les règles, les coutumes propres à l’Eglise locale (catholique – papiste) de France ne peuvent être arbitrairement supprimées par Rome : l’esprit d’universalité auquel la papauté prétend, cache, en réalité, un esprit d’uniformité, une violation anticanonique du droit des évêques et des conciles provinciaux et métropolitains. Deux conceptions de l’unité se sont affrontées : le système monolithique a supplanté la symphonie prévue par les Apôtres.

Historien, Guettée a donc étudié toutes les formes de résistance à la papauté –papauté dont les prétentions à l’infaillibilité, n’ont fait que croître : des dogmes à la discipline, des Canons à la Liturgie, tout, peu à peu, a été soumis aux usages "romains".

Joseph de Maistre -qui fit descendre l’ultramontanisme (doctrine des partisans indéfectible du pape et de sa primauté supposée) dans les Salons- identifiait et réduisait au protestantisme toute forme d’opposition à la papauté : Photios, Luther, Calvin, les Gallicans, Port Royal ont un même et unique péché, celui de s’être dressé contre l’absolutisme du souverain pontife. Anti-Maistre en cela, Guettée étudie et défend toutes les formes de résistance à la "monarchie pontificale", de Richer à Port Royal et de Bossuet à Prompsault : il publie l’Histoire Littéraire de Port Royal par Dom Clemencet, pour montrer quel mouvement de retour à la tradition, l’Occident a perdu, en condamnant "le jansénisme".

Il justifie Bossuet de tout ultramontanisme, en publiant les Mémoires et le Journal de l’Abbé Le Dieu ; il fait la genèse de l’ultramontanisme dans son Histoire des Jésuites ; il réunit autour de lui, dans la revue l’Observateur Catholique les derniers gallicans ; il adresse à Napoléon III un mémoire pour la restauration des Libertés de l’Eglise gallicane. Quant à l’accusation de Protestantisme, elle se retourne contre la papauté : en réduisant l’autorité dogmatique à un seul individu, la papauté est le protestantisme d’un seul, chaque protestant étant, en retour, un pape -plus modéré et moins intolérant que l’original. Dans les deux cas, l’abandon de l’ecclésiologie orthodoxe conduit à s’en remettre à l’homme seul.
Guettée s’est voulu un gallican conséquent. II a pris conscience du caractère contradictoire du gallicanisme historique, qui apparaît comme la volonté de garder une ecclésiologie juste et conforme à celle des Apôtres, dans un cadre dogmatique qui n’a plus rien d1orthodoxe.

Protestation nationale ou royale, en résistance au pouvoir disciplinaire de Rome, indépendance administrative de l’épiscopat, le gallicanisme historique n’a jamais eu le courage ou la capacité de critiquer l’Institution de la papauté elle-même et le caractère novateur de ses dogmes : "Le gallican voulait une papauté soumise aux canons, soumise au concile œcuménique qui était la plus haute autorité dans l’Eglise. Seulement, il admettait, en théorie, le pape comme chef de l’Eglise de droit divin. C’était une inconséquence. Un chef de droit divin ne peut être soumis ni à une autorité humaine, ni à des lois ecclésiastiques. Les ultramontains ont profité de ce manque de logique pour battre en brèche le gallicanisme".

Incapable de remonter aux causes dogmatiques de l’absolutisme papal, le gallicanisme s’est condamné lui-même a être un mouvement semi-politique, semi-théologique, rejetant avec zèle, au terme de l’Organisation ecclésiastique, ce qu’il acceptait dans son principe. En d’autres termes, l’échec du gallicanisme tient à ce qu’il a été une résistance à la papauté, mais hors de l’Eglise, hors de la vie sacramentelle et spirituelle de l’Eglise. Le gallicanisme a analysé et dénoncé la maladie ; mais il n’a pu la guérir ; c’est seulement dans le retour à l’orthodoxie que ce mouvement peut prendre son sens.

Le gallicanisme de Guettée n’a de sens que parce que, confessant les dogmes de la véritable Eglise, Guettée, doit étudier les dogmes de la papauté et être conséquent avec lui-même : "Il ne s’agit, pour lui, que d’examiner cette question de fait : le pape professe-t-il une doctrine nouvelle, hérétique, inconnue à l’ancienne Eglise ?...Il est bien évident que si l’évêque de Rome est devenu formellement et ouvertement hérétique, il a perdu, par là même, la primauté que l’Eglise lui avait donnée. Autre question pratique : l’épiscopat romain a-t-il erré avec son chef ? C’est encore une question à laquelle il est facile de répondre. Que doit donc faire le gallican logique ? Rejeter dans l’évêque de Rome, une primauté qu’il ne possédait que de droit ecclésiastique, et qu’il a perdue ; reconnaitre que l’épiscopat romain ne représente pas l’Eglise infaillible ; chercher ailleurs une Eglise qui n’a point innové.

Elle est facile à trouver, il n’y en a qu’une, la Sainte Eglise Catholique Apostolique d’Orient. C’est ainsi qu’en partant du gallicanisme vrai, on arrive directement ä l’orthodoxie, et qu’en embrassant l’orthodoxie on reprend les saines traditions de l’ancienne Eglise gallicane, qui ont leur source dans la doctrine de l’Eglise Orientale et Occidentale des huit premiers siècles".

Ici, le raisonnement est le suivant : le gallicanisme pour être conséquent doit être en unité de doctrine avec l’ancienne et glorieuse Eglise de la Gaule romaine, celle de saint Hilaire, de saint Martin, de saint Jean Cassien, de sainte Geneviève de Paris... Or, cette Eglise locale de la Gaule romaine était en union de foi et de dogmes avec toutes les autres Eglises orthodoxes locales. Etre gallican, c’est donc revenir au Credo qui fut celui de l’Eglise orthodoxe des huit premiers siècles en Occident et qui s’est perpétué en Orient et en Russie.
C’est dans cette confession de foi que le gallicanisme prend toute sa force, et que sa critique de la papauté devient vivante. Cette critique se fonde sur l’Ecriture, sur les Pères, et sur les Conciles Œcuméniques.

LA PAPAUTE CONDAMNEE PAR L’ECRITURE

Le grand reproche que la papauté adresse au protestantisme est de lire l’Ecriture en dehors de la tradition herméneutique des Pères et des Conciles. Or, pour fonder son autorité, la papauté agit exactement ainsi : elle isole quelques passages de l’Ecriture, qu’elle fait servir à ses propres fins et qu’elle plie à sa doctrine préconçue.

Guettée, dans la Papauté Schismatique, étudie donc soigneusement ces passages en les associant au commentaire des Pères de l’Eglise qui les ont éclairés.

Le premier de ces textes, le plus utilisé par les partisans du pape, se rencontre dans l’Evangile : "Tu es Pierre (Petros) et sur cette pierre (petra) je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’Enfer ne prévaudront pas sur elle".

Les Peres de l’Eglise, commentant ce passage de saint Matthieu (XVI, 18-19) ne l’ont pas séparé de son contexte, mais ils l’ont au contraire toujours relié à la confession de Pierre, qui précède immédiatement, et où Pierre déclare à Jésus : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". Ainsi les Pères ont-ils tous affirmé que la pierre (petra) en question était la foi de saint Pierre (comme contenu), ou, conformément à d’autres textes de l’Ecriture : le Christ, "pierre angulaire" sur lequel tout l’édifice de l’Eglise repose.

"On ne peut donner à saint Pierre le titre de pierre de l’Eglise sans forcer le sens des Saintes Ecritures, sans détruire l’économie de l’Eglise, et sans abandonner la tradition catholique (universelle). Jésus Christ a déclaré qu’il était Lui-Même cette pierre, désignée par les prophètes (Matthieu XXI, 42, Luc XX,17-10). Saint Paul dit que Jésus Christ était la pierre (I Corinthiens X, 4). Saint Pierre enseigne la même vérité (I Pierre 11, 7-8)".

"Aussi, la plupart des Pères de l’Eglise n’ont-ils point admis le jeu de mots que nos ultramontains prêtent à Jésus-Christ, et n’ont-ils point appliqué à saint Pierre ces paroles "et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise". La pierre en effet, c’est de confesser "le Christ, fils du Dieu vivant" : "L’immense majorité des Pères et des anciens docteurs ont donné au passage en question l’interprétation que nous avons exposée, en faisant rapporter soit à Jésus Christ, soit à la foi en sa divinité, le mot pierre dont le Sauveur s’est servi".

Guettée, à la suite de cette interprétation, indique les références précises aux commentaires patristiques de ce passage : il cite les Pères suivants : saint Hilaire de Poitiers, saint Grégoire de Nysse, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome, Augustin d’Hippone, Acace, saint Cyrille d’Alexandrie, le pape Léon, saint Grégoire le Grand, saint Jean Damascène… Pour tous ces Pères, l’Apôtre Pierre a reçu le nom de Pierre parce qu’il a confesse la PIERRE (le Christ) sur laquelle l’Eglise serait bâtie ; et non l’inverse : l’ultramontanisme met, de façon idéologique, l’Ecriture sens dessus dessous.
Enfin, il est impossible de prétendre que Pierre a été nommé pierre de l’Eglise, à l’exclusion des autres Apôtres : "II est vrai que Jésus-Christ s’est adressé à Pierre directement ; mais il suffit de lire le texte en entier pour voir qu’il ne lui a pas donné pour cela un titre, à l’exclusion des autres apôtres. En effet, après avoir prononcé les paroles citées plus haut, Jésus-Christ, s’adressant toujours à Pierre, ajouta : "Je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel".

Dans les deux parties du texte, Jésus-Christ ne fit à Pierre que deux promesses :

La première, que l’Eglise serait si solidement établie dans la croyance à la divinité de sa Personne, que l’erreur ne prévaudrait jamais contre cette vérité ;
La seconde, qu’il donnerait à Pierre un ministère important dans l’Eglise.

On ne peut soutenir que le pouvoir des clefs ait été accordé à Pierre, à l’exclusion des autres Apôtres, car Jésus-Christ le leur donna à tous, dans le même temps, et en employant les mêmes termes dont Il s’était servi en le promettant à Pierre (Mattieu XVIII, 18 et 19) ; de plus, Il a promis à tous les Apôtres collectivement, et non pas seulement à Pierre, d’être avec eux jusqu’ä la fin du monde".

Cette interprétation est encore confirmée par les Actes des Apôtres et les Epitres de l’Apôtre : "Saint Paul n’a pas plus connu, que les Evangélistes, les pouvoirs suprêmes qui auraient été donnés à saint Pierre. Outre les textes que nous avons déjà cités, nous lisons dans l’épître aux Galates, en XI, 7, 8, 9, que Paul s’attribue ä lui-même, parmi les Gentils, le même pouvoir qu’avait Pierre parmi les Juifs, et qu’il ne regardait pas Pierre comme supérieur à Jacques et à Jean, qu’il appelle, comme lui, les colonnes de l’Eglise ; il nomme même Jacques, évêque de Jérusalem, avant Pierre, lorsqu’il leur donne ce titre de colonnes de l’Eglise ; il croyait si peu à l’autorité de Pierre, qu’il le reprit (remontrances) parce que, dit-il, il était répréhensible (idem,11 et sq.).

Lorsque les Apôtres s’assemblèrent à Jérusalem, Pierre ne parla, dans le concile, que comme un simple membre de l’assemblée, non pas le premier, mais après plusieurs autres. II se crut obligé de renoncer publiquement, en présence des autres Apôtres, des anciens et des fidèles, à son opinion sur la nécessité de la circoncision et des cérémonies judaïques. Jacques, évêque de Jérusalem, fit le résumé de la situation, décréta la résolution qui fut adoptée, et agit en véritable Président de l’assemblée (Actes des Apôtres XV, 7 et sq..). Les Apôtres n’ont donc point considéré saint Pierre comme la pierre fondamentale de l’Eglise. Par conséquent, l’interprétation papale du fameux texte : "Tu es Pierre.." est, elle aussi, contraire à l’Ecriture Sainte, ainsi qu’à la tradition catholique (papiste)".

Aux autres textes scripturaires cités par les ultramontains, Guettée applique la méthode : comparaison avec d’autres passages de l’Ecriture et étude des commentaires patristiques. II en conclue justement :

"Si Jésus-Christ eut destiné à Pierre un siège supérieur ä ceux des autres, s’il lui eut accordé une plus haute puissance, aurait-il dit à Pierre lui-même que les douze apôtres seraient assis sur douze sièges, sans distinction ?"

"La conclusion de tout ceci est qu’il n’y a dans l’Eglise qu’un maître, qu’un Seigneur, qu’un seul pasteur suprême : "C’est moi, dit Jésus-Christ, qui suis le bon pasteur ; vous m’appelez Maitre et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis" (Jean X, 11 et sq.) ; "vous n’avez qu’un seul maître, le Christ" (Matthieu XXXIII, 10). II est assis seul sur le trône de sa majesté, dans la cité sainte "dont les murailles reposent sur douze fondements où sont les noms des douze Apôtres de l’Agneau" ; les premiers pasteurs y sont assis sur leurs chaises, jugeant les tribus du nouveau peuple de Dieu (Apocalypse XXI). S’il s’y élève des discussions que l’on ne puisse apaiser charitablement, il faut les porter à leur tribunal ; non pas au tribunal d’un seul, mais de toute l’Eglise, représentée par ceux qui sont institués pour la gouverner. Il n’y a donc rien dans les Ecritures du Nouveau Testament qui soit favorable, même de loin, à l’autorité souveraine que les théologiens romains accordent à saint Pierre et aux évêques de Rome, qu’ils considèrent comme ses successeurs.

LA PAPAUTE CONDAMNEE PAR LES PERES DE L’EGLISE

Le témoignage des Pères de l’Eglise, sur la constitution de l’Eglise est unanime, et ignore totalement l’institution papale qui s’est formée à partir du IXème siècle seulement. La distinction faite, parmi les Pères, entre Pères "grecs" et Pères "latins", les premiers développant une théologie et une ecclésiologie grecque ; les autres, un mode de pensée "latin", ne repose sur rien. Latinophones ou hellénophones, tous les Pères ont confessé la même foi. Nous choisirons nos exemples chez les Pères latins que cite Guettée, montrant qu’ils ne peuvent en rien autoriser l’idéologie "papiste".

"D’après saint Hilaire de Poitiers, si saint Pierre peut être considéré comme la pierre de l’Eglise, ce n’est qu’au moyen de la confession de foi qu’il a faite au nom de tout le collège apostolique, et par l’objet même de cette foi qui est la divinité de Jésus-Christ"…Guettée continue : "Dans son livre sur la Trinité (VI, 36, II, 23), il reconnaît que c’est sur la pierre de sa confession, c’est-à-dire sur la divinité de Jésus-Christ, que l’Eglise est bâtie. "II n’y a, ajoute-t-il, qu’un fondement immuable, c’est cette unique pierre confessée par la bouche de Pierre "Tu es le Fils du Dieu vivant" ; elle soutient sur elle autant d’arguments de la vérité, que la perversité pourra agiter de questions, et l’infidélité, de calomnies".

Saint Ambroise (de Milan), que Rome veut souvent citer à son avantage, ne diffère pas ici de saint Hilaire : "Les œuvres de saint Ambroise sont pleines de témoignages contre les prétentions papales. Nous pourrions multiplier les textes, mais à quoi bon ? II suffit de jeter un coup d’oeil sur ses ouvrages pour être persuadé qu’on ne peut invoquer son autorité en faveur de l’ultramontanisme. Nous nous contenterons donc de citer les textes suivants, dans lesquels il expose sa croyance sur la primauté de Pierre. Expliquant ces paroles de l’Epitre aux Galates : "J’allai à Jérusalem pour voir Pierre", il s’exprime ainsi : "II convenait que Paul allât voir Pierre. Pourquoi ? est-ce que Pierre était son supérieur et celui des autres apôtres ? Non ; mais parce que, entre tous les Apôtres, il était le premier à qui le Seigneur avait confié le soin des Eglises. Est-ce parce qu’il avait besoin de recevoir instruction ou mission de Pierre ?
Non ; mais afin que Pierre connût que Paul avait reçu la puissance qui lui avait été donnée à lui-même".

"Ambroise explique aussi ces autres paroles : "Ayant connu que le pouvoir d’annoncer l’Evangile aux Gentils m’avait été confié" : "Paul ne nomme que Pierre et ne se compare qu’à lui, parce que, comme Pierre avait reçu la primauté pour fonder l’Eglise des Juifs, lui Paul, avait été choisi de la même manière pour avoir la primauté dans la fondation des Eglises des Gentils". Puis, il s’étend sur cette idée qui détruit radicalement les prétentions papales. En effet, d’après saint Ambroise, Rome, qui n’appartenait pas aux Juifs, comme personne ne le conteste, n’aurait point à se glorifier de la primauté de Pierre, mais de celle de Paul. Du reste, elle serait ainsi beaucoup plus dans la vérité historique, car il est démontré que Paul a évangélisé Rome avant Pierre ; que ses deux premiers évêques ont été ordonnés par Paul ; que sa succession par Pierre ne remonte qu’à Clément, son troisième évêque".

La papauté ayant abusé des lettres de saint Jérôme adressées à Damase, où elle semble avoir des prérogatives exceptionnelles, Guettée cite une autre lettre moins souvent mentionnée à Rome (Lettre 146 Ad Ev.) : "II ne faut pas croire que la ville de Rome soit une Eglise différente de celle de tout l’univers : les Gaules, la Bretagne, l’Afrique, la Perse, l’Orient, l’Inde, toutes les nations barbares adorent Jésus-Christ et observent une seule règle de vérité : si l‘on cherche l’autorité, l’univers est plus grand qu’une ville. Partout où il y a un évêque, qu’il soit à Rome ou à Eugube, à Constantinople ou à Rhège, à Alexandrie ou à Tanis, il a la même autorité, le même mérite, ayant le même sacerdoce. La puissance que donnent les richesses, ou la bassesse à laquelle la pauvreté réduit, ne rendent un évêque ni plus ni moins grand". "Peut-on dire plus clairement, commente Guettée, que la règle de la vérité n’est que dans le corps épiscopal tout entier, et non pas à Rome ; que l‘évêque de Rome n’est pas plus, comme évêque, que le plus humble évêque de l’Eglise ; que la puissance qu’il possédait, à cause de ses richesses, ne le rendait pas supérieur aux autres ?"

Le dernier témoignage du Père latin que nous voudrions citer, est celui de saint Vincent de Lérins. Dans son Commonitorium, saint Vincent se propose d’établir le critère de la foi catholique (universelle) :

"L’ouvrage entier est consacré à établir :
1°) Que pour éviter l’erreur et préserver la vérité, il ne faut admettre que ce qui a été cru universellement, dans tous les temps ;
2°) Que les premiers Conciles Œcuméniques n’ont eu d’autre souci, que de suivre cette règle, en proclamant, pour répondre aux hérétiques, ce que toutes les Eglises avaient cru, comme révélé depuis les temps apostoliques"

Il est essentiel de remarquer que le critère de la foi n’est jamais, pour saint Vincent, l’autorité de l’évêque de Rome ; au contraire même, l’évêque de la capitale de l’Empire, en Occident, est soumis lui-même à ces règles : "Dans cet ouvrage, Vincent de Lérins n’a pas même mentionné l’Eglise de Rome. Nous le demandons à tout homme de bonne foi : pouvait-il ne pas parler de l’autorité doctrinale de l’évêque de cette ville, s’il en eût possédé ? Si cet évêque eût été regardé, au cinquième siècle, comme le centre d’unité, l’interprète infaillible de la doctrine, l’écho de la parole divine, le chef des Eglises et des Conciles, Vincent de Lérins aurait-il gardé à son sujet un silence aussi absolu ?
Non seulement ce silence équivaut à une négation, mais tous les développements donnés par le docte et profond écrivain sont la réfutation péremptoire de tous les systèmes, sur les prérogatives de la papauté, par rapport ä la doctrine".

On le voit, au Vème siècle, l’Eglise Chrétienne ignore tout des prétentions de la papauté moderne. Le témoignage des Conciles Œcuméniques le confirme encore.

LA PAPAUTE CONDAMNEE PAR LES CONCILES OECUMENIQUES

Les principaux caractères des Sept grands Conciles Œcuméniques sont tout-à-fait contraires aux principes définis par le droit canon actuel du Vatican, qui appelle « concile œcuménique » une assemblée exclusivement convoquée par le pape et présidée par lui. De tels conciles ne se rencontrent qu’à partir du Moyen-âge. Ceux qui précédent, tenus du temps de « l’Eglise indivise », et que l’Histoire a enregistrés comme étant les Sept Conciles vraiment Universels, se définissent différemment.

Leurs caractères authentiques sont au nombre de cinq :

A) Les Conciles Œcuméniques sont réunis par l’Empereur. La raison de ce fait n’est pas dogmatique, mais purement économique : seul l’Etat avait les moyens d’assumer les frais de convocation et de réunion des évêques de tout le monde connu.

B) Ces Conciles portent principalement sur une question dogmatique, ou une grande hérésie menaçant la foi apostolique. C’est par ce trait essentiel qu’ils se distinguent des conciles locaux, qui ne traitent que de questions disciplinaires.

C) Les cinq patriarcats (Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, c’est-à-dire, les « capitales » de l’Empire Romain) y sont généralement représentés, au milieu d’un grand nombre d’évêques et de prêtres de toutes les Eglises. Quand ils ne peuvent se faire représenter, ils reconnaissent, a posteriori, les décisions du concile.

D) Un concile œcuménique ne peut « professer » une foi différente de celle des Conciles antérieurs. Mais lorsqu’il y prétend, il prouve par là-même qu’il n’est pas un concile, et l’Orthodoxie le dénonce, comme un « brigandage ».

E) Chaque concile œcuménique est reconnu par un concile œcuménique postérieur.

Les Sept Saints Conciles Œcuméniques présentent ces caractères et ont tous décrété des « Définitions » contenant, sur tel ou tel point, le précis de la foi apostolique ; certains, en outre, ont produits des ‘‘Canons" disciplinaires, fixant toute l’organisation de l’Eglise. Guettée, rentre dans le détail des canons de chacun des Conciles Œcuméniques, pour prouver que la papauté, au sens moderne, ne s’y trouve jamais ; nous nous contenterons ici brièvement de montrer, en résumant ses arguments, que l’existence même de ces conciles est une réfutation des prétentions de la papauté : "Que I’on approfondisse l’histoire des huit premiers siècles de l’Eglise, et I’on ne trouvera aucune preuve en faveur du système papal. Tous les docteurs ne parlent que de l’autorité "Catholique" ou universelle des Eglises, pour mettre un terme aux discussions touchant la doctrine ; les conciles œcuméniques, où chaque évêque est convoqué, où un grand nombre viennent attester la foi …
…de leurs Eglises, sont seuls reconnus comme témoins et interprètes infaillibles de la révélation".

Si l’on reprend, en effet, les cinq caractères cités ci-dessus, il apparaît clair que :

A) Les Conciles Œcuméniques n’ont jamais été réunis, ni convoqués par les papes. Et malgré la primauté purement honorifique du siège orthodoxe de Rome, ils n’ont pas toujours été présidés par les papes ou leurs représentants.

B) Les conciles, réunis par la papauté moderne, ou considérés par elle comme œcuméniques, n’ont pas toujours porté sur des questions de foi. Par exemple, le concile de 869, tenu à Rome, et considéré comme le Vlllème Œcuménique, par le Vatican, n’a discuté que la condamnation de saint Photius, et n’a défini aucun dogme. C’est un concile local. Curieusement, Rome reconnaît ce concile, alors qu’elle ne reconnaît pas le Concile de 879, tenu à Constantinople, qui en a cassé les décisions, selon la volonté formelle du Pape Jean VIII, dont les légats étaient présents.

C) Bien qu’invitée, Rome n’a pas toujours été présente aux Conciles Œcuméniques. Au Second Concile Œcuménique, assemblé en 381 à Constantinople, l’attribut hypostatique (personnel) du Saint Esprit fut défini comme étant la procession hors du Père ; l’hérésie des pneumatomaques (qui avec les Macédoniens, de Macédonius, refusait de donner à l’Esprit Saint, la Nature Divine), y fut condamnée ; le Credo fut complété et définitivement scellé. Qui représentait Rome, dans un Concile d’une telle importance ? Personne. Rome, le premier des patriarcats, n’a envoyé AUCUN représentant dans cette assemblée. Mais son absence n’a pas empêché le concile d’être œcuménique. L’Eglise n’est pas un système : la vie échappe à toute systématisation. Bien entendu, Rome reconnut ensuite les décrets du Second Concile Œcuménique ; mais ses circonstances historiques seules ruinent le système ultramontain.

D) Les Conciles modernes de la papauté – comme par exemple celui de Trente - ont confessé un Credo différent - avec le Filioque - que les anciens Conciles Œcuméniques ; ce sont donc des brigandages. II suffit, dit Guettée, de comparer les Actes du Concile de Trente avec ceux des Anciens Conciles pour voir ce qui les sépare : dans un Concile, chaque évêque, interrogé à son tour, dit comment il a reçu le dépôt de la foi ; à Trente, on voit une assemblée de prélats qui discutent à tort et à travers sur toute espèce de sujet, en essayant de s’accorder, sans poser la question du dépôt de la foi. Analysant les Actes du IVème Concile Œcuménique, de Chalcédoine, en 451, dominé par l’enseignement du Pape saint Léon Ier, le Grand (440-461), Guettée montre que, loin de donner aux Lettres pontificales un assentiment servile, les Pères du Concile ont accepté la doctrine de Léon III parce qu’elle était conforme à celle des Pères, notamment de saint Cyrille, et des Conciles antérieurs. Attitude diamétralement opposée à celle qui consiste à prendre la parole dogmatique des papes pour norme.

E) Enfin, le Concile de Nicée II, Septième Œcuménique, qui jeta l’anathème sur l’iconoclasme, fut proclamé Œcuménique, par le Concile de 879-880 à Constantinople. Or ce dernier concile, tenu en présence de saint Photios et des cinq patriarcats, et notamment des envoyés du pape orthodoxe Jean VIII, condamna …
…haut et clair l’œuvre du pape Nicolas Ier, inventeur historique de la papauté moderne, ainsi que les doctrines missionnaires des franks de Bulgarie, c’est-à-dire principalement le Filioque. Les Pères de ce Concile déclarèrent le Credo, absolument intouchable pour l’éternité. Or, ce Concile possède tous les caractères d’un Concile Œcuménique -sauf celui d’avoir été reconnu par un Concile Œcuménique postérieur- et c’est pourquoi saint Marc d’Ephèse le compte comme Huitième Œcuménique. Quand la papauté reconnaitra-t-elle ce Concile ?

Un argument majeur montre que l’infaillibilité papale n’existait aucunement avant le Vlllème siècle, car un pape de Rome, Honorius, fut condamné comme hérétique, en tant que monothélite (il niait que le Christ possédait "deux" volontés, divine et humaine, et "deux" énergies, divine et humaine) par le Sixième Concile Œcuménique de Constantinople. Et cette décision a été acceptée par toutes les Eglises, y compris les successeurs immédiats du pape Honorius.

LA PAPAUTE MODERNE CONDAMNEE PAR LE PAPE GREGOIRE LE GRAND

Quelques mois avant d’entrer dans l’Orthodoxie, Guettée écrivit un petit livre, "La papauté moderne condamnée par le Pape Grégoire le Grand", qui réfute, par avance, toutes les prétentions de l’ultramontanisme.

Voici un fait. Le pape orthodoxe Grégoire le Grand protesta énergiquement contre le titre "oecuménique" -c’est-à-dire universel- que se donna, à cause des prérogatives de la Capitale Impériale, le patriarche de la Nouvelle Rome, Jean de Constantinople.

Or, c’est précisément ce titre d’universel qui deviendra plus tard, de DROIT, pour la papauté moderne : chaque évêque n’étant plus que le vicaire local du pape, tête de toute l’Eglise et suzerain des évêques, ses vassaux.

Voici ce que disait Grégoire le Grand de ce titre d’ "universel" : "Réfléchissez-donc, écrit-il à Jean le Jeûneur, de Constantinople, je vous en prie, que, par cette présomption téméraire la paix de l’Eglise entière est troublée, et que vous êtes ennemi de la grâce qui a été donnée à tous, en commun. Plus vous croitrez en celte grâce, plus vous serez humble à vos yeux ; vous serez d’autant plus grand que vous serez éloigné d’usurper ce titre extravagant et orgueilleux. Vous serez d’autant plus riche que vous chercherez moins à dépouiller vos frères à votre profit. Donc, très cher frère, aimez l’humilité de tout votre cœur : c’est elle qui maintient la concorde entre les frères, et qui conserve l’unité dans la Sainte Eglise Universelle".

Prétendre à la juridiction universelle conduit à la condamnation éternelle : "Que direz-vous donc, très cher frère, au terrible jugement à venir, vous qui désirez non seulement être appelé Père, mais Père universel du monde... Par suite de votre titre criminel (de patriarche universel) et plein d’orgueil, l’Eglise est divisée, et les cœurs de tous les frères sont scandalisés... II est écrit : "La charité ne cherche point ce qui ne lui appartient pas", et voici que Votre Fraternité s’arroge le bien d’autrui ; il est encore écrit : "Honorez-vous mutuellement" ; et vous, vous cherchez à enlever l’honneur à tous, en voulant l’usurper illicitement pour vous seul".

Dans une seconde lettre à Jean, le pape Grégoire ajoute clairement : "adhérer à ce titre coupable, ce n’est rien de moins que perdre la foi".
Et Guettée commente : "Ainsi, selon le pape saint Grégoire le Grand, c’est perdre la foi que d’adhérer à un titre que les ultramontains prétendent appartenir au pape de droit divin, et qui est la base de toutes les prétentions ambitieuses qu’ils considèrent comme autant de droits de la papauté".

Dans une autre lettre, Grégoire le Grand développe un argument essentiel : "Permettre ce titre, c’est détruire la dignité de tous les (autres) patriarches ; et, s’il arrive que celui qui se dit universel tombe dans l’erreur, il n’y a plus aucun évêque qui soit resté ferme dans la vérité". L’infaillibilité appartient donc à l’Eglise, et non pas à tel ou tel évêque, ou à telle ou telle Eglise locale ; un évêque n’est pas infaillible, et peut toujours chuter, trahir la foi et devenir hérétique, mais il n’entraîne pas l’Eglise dans sa chute. Si un évêque était déclaré universel, sa chute entraînerait l’Eglise, ce qui est contraire à la promesse du Seigneur aux Apôtres, que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre l’Eglise. On le voit, la pensée de saint Grégoire se meut dans une sphère absolument différente de celle de ses successeurs, du catholicisme (papisme) moderne.

De tout cela, Guettée pouvait conclure justement que, si la papauté, professant des dogmes étrangers à la Révélation, a chuté, malgré ses prétentions à l’universalité, elle n’a pas entraîné l’Eglise qui demeure Une et unique, dans la Sainte Eglise Orthodoxe.

Ainsi, celui qui se fait appeler : "évêque universel" -et qui, dès lors, impose à tout l’univers sa propre croyance- usurpe l’Eglise et porte par usurpation le nom d’évêque et de chrétien. C’est ce que disait, condamnant prophétiquement ses "successeurs" modernes, le grand Pape orthodoxe Grégoire : "Moi je dis, sans la moindre hésitation, que quiconque s’appelle évêque universel ou désire ce titre, est, par son orgueil, précurseur de l’Antichrist, parce qu’il prétend ainsi s’élever au-dessus des autres. L’erreur où il tombe vient d’un orgueil égal à celui de l’Antichrist, parce que, comme le pervers veut être regardé comme élevé au-dessus des autres hommes comme un Dieu, de même, quiconque désire être appelé seul évêque, s’élève au-dessus des autres".

Peut-être demandera-t-on : Les patriarches de Constantinople qui portent ou ont porté le titre "d’Œcuménique", ou "d’universel", sont-ils sous la condamnation de Grégoire le Grand, comme la papauté ?

En fait, si le mot "universel" impliquait bien, dans la pensée de saint Grégoire, la portée juridictionnelle que le papisme y attache, il ne signifiait, pour Jean le Jeûneur, rien d’autre qu’une distinction décorant l’évêque de la Ville Impériale et Universelle : et c’est dans ce sens que les patriarches de Constantinople l’ont compris. L’Eglise Orthodoxe n’a jamais laissé le Patriarche de Constantinople, malgré son "universalité", légiférer souverainement en matière de dogmes ou de mœurs, bref, devenir un pape oriental.

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Quelqu’un dira sans doute : pourquoi un tel malentendu s’est-il élevé entre deux hiérarques, orthodoxes tous deux et tous deux saints, Grégoire le Grand et Jean le Jeûneur ? La réponse, ici, ne peut être que conjecturale. Dieu, connaissant ce qui arriverait dans Rome, a-t-il permis ce différend pour laisser à la postérité les magnifiques lettres de saint Grégoire à Jean le Jeûneur, comme un monument qui la rappelle à l’humilité ?

Quoiqu’il en soit, pour Guettée, la papauté moderne, ayant abandonné les règles dogmatiques et canoniques des premiers siècles chrétiens, usurpe un droit qui n’est pas le sien : "Qui a rompu l’admirable unité des premiers siècles ? Le Pape. II a usurpé la place de Jésus-Christ, et il a dit à toutes les Eglises : "C’est à moi et par moi que vous serez unies ; le ministère de vos pasteurs viendra de moi ; la doctrine vous viendra de moi. Je suis le pasteur suprême. J’ai le droit de tout gouverner. Je suis le Juge Suprême, je puis tout juger sans être jugé par qui que ce soit ; je suis l’écho du ciel, l’interprète infaillible de Dieu"... la vérité est qu’elle est la négation de l’idée évangélique, de l’idée chrétienne". Plus qu’un schisme, elle est une hérésie.

II

LA PAPAUTE HERETIQUE

La papauté est fondamentalement un renversement de la tradition : la vérité, ainsi que les dogmes apostoliques et patristiques devraient constituer les critères du véritable épiscopat, où un évêque est celui qui :

1) a été ordonné validement,
2) pêche la Vérité reçue.

Or, voici que dans Rome, un "évêque" isolé, un homme seul, ou une "Eglise" locale devient la mesure de la Tradition et de la vérité. Par cet individualisme "de droit divin" (dit et proclame le papisme), toutes les erreurs pénètrent sans résistance dans ladite "Eglise" : "Les hérésies, erreurs ou innovations qui ont souillé les Eglises occidentales depuis le IXème siècle ne sont pas émanées toutes de la papauté, comme d’une source corrompue. Mais c’est la papauté qui leur a donné leur caractère d’institutions ou de doctrines occidentales, en les enseignant, en les approuvant, en les propageant, et même en les imposant, au besoin, à toutes les Eglises qui montraient, parfois, de bonnes intentions pour le maintien ou la défense de l’orthodoxie. C’est donc avec raison que nous lui faisons porter la responsabilité de toutes les erreurs de l’Occident".

N’est-ce pas la papauté elle-même qui revendique une telle responsabilité : "Aujourd’hui, non seulement on ne conteste pas que la papauté ait eu une influence toute puissante sur les Eglises latines ; mais on s’autorise de cette toute puissance pour affirmer que ce qu’elle a fait à toujours été bien, et qu’en vertu d’un privilège divin, elle ne peut se tromper ; et qu’il suffit qu’elle décrète une doctrine, pour que cette doctrine soit nécessairement vraie".

L’histoire du "dogme" de l’Immaculée Conception est un bon exemple des contradictions d’une papauté qui se dit infaillible : cette doctrine, selon laquelle la Vierge Marie aurait été conçue dans le sein de sa mère, sainte Anne…
…sans le péché originel, toute la chrétienté l’ignore avant le XIème siècle ; à partir du XVème siècle, elle devient l’enjeu d’une lutte intestine entre deux ordres rivaux, les franciscains et les dominicains. Les premiers, adoptèrent l’opinion de leur théologien Duns Scot, qui dogmatisa l’immaculée conception, et les seconds rejetèrent avec zèle cette innovation. Les papes, selon leur appartenance à l’un ou à l’autre camp, prirent position de façon contradictoire sur l’Immaculée Conception. Par exemple, Sixte IV (1471-1484), franciscain, se déclara en faveur du nouveau dogme, alors que Pie V (1566-1572), dominicain, y fut hostile.

A partir du XVIIème siècle, la plupart des Jésuites adoptèrent l’Immaculée Conception, et influèrent sur la papauté ; mais ce n’est qu’en 1854 que cette doctrine fut proclamée "infailliblement" par le Pape Pie IX, qui contredisait ainsi ses prédécesseurs, Innocent III, Innocent V et Pie V. La déclaration de 1854 qui affirmait la Mère de Dieu exempte du péché originel allait également à l’encontre de l’opinion de quelques uns des plus célèbres théologiens de l’Occident, Bernard de Clairvaux et Thomas d’Aquin, que le Pape Léon XIII allait pourtant honorer du titre de "Docteur commun de l’Eglise".

Pour justifier de tels changements doctrinaux, la papauté inventait une autre doctrine nouvelle : l’idée d’une tradition latente, ou d’une tradition en puissance, autrement dit d’un progrès rationnel et d’une évolution dans la constitution des dogmes. A cette thèse, Guettée, se fondant sur saint Vincent de Lérins, répond : "Jésus-Christ n’est point un philosophe, inventeur d’un système susceptible de perfectionnements indéfinis, selon le progrès des sciences et de l’esprit humain ; il est le Fils de Dieu, le Verbe incarné, l’expression de l’éternelle et essentielle vérité, qui est sortie du sein du Père, et est descendue pour illuminer tout homme venant en ce monde. La doctrine de Jésus-Christ est donc la vérité : elle ne peut être, par conséquent, qu’un dépôt confié au monde, selon la belle expression de saint Paul (I Timothée 6, 20) : "Ô Timothée ! Garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles". Une "tradition latente" est tout simplement latente d’une nouveauté ; ces mots eux-mêmes confirment qu’une telle doctrine n’appartient pas au dépôt de la foi".

LE FILIOQUE

La grande hérésie défendue et dogmatisée dès le IXème siècle, par la papauté, est le "FILIOQUE", l’idée que le Saint Esprit procède du Père ET DU FILS : elle représente la plus parfaite négation de l’Ecriture et de la théologie révélée des Pères de l’Eglise.

Alors que les saints Pères, en effet, ont toujours affirmé que les trois personnes ou hypostases divines de la Trinité :

1) ont en commun la nature divine, c’est-à-dire qu’elles sont "consubstantielles",
2) possèdent chacune, un attribut hypostatique propre qui la distingue des autres :

Pour le Père, le fait de n’être pas engendré, mais au contraire source, cause, et principe unique de la Divinité,
Pour le Fils, l’engendrement par le Père,
Pour le Saint Esprit, la procession hors du Père,

Les théologiens franks, qui ont répandu, sinon inventé, le Filioque, sont partis d’un principe numérique : puisque le Fils vient d’Un seul (le Père), le Saint Esprit doit venir de Deux (le Père et le Fils), sous peine de se confondre avec le Fils ; l’origine seule pouvant distinguer les Personnes consubstantielles (identiques) par ailleurs.

On le voit, au lieu de partir, comme les Pères, de l’expérience vivante de la Trinité, faite par les saints, ces théologiens franks sont partis d’un raisonnement reposant sur une base gratuite ("Seule l’origine peut distinguer les Personnes"), idée sans fondement dans la Tradition.

Ces raisonnements simplistes les ont conduits à considérer les Personnes de la Sainte Trinité comme de pures relations à l’intérieur de la nature divine. Pour justifier cette doctrine par l’Ecriture, ils ont détruit le sens même de l’économie (plan divin) du salut, en confondant la vie éternelle de la Sainte Trinité avec ce qui a été accompli dans le temps pour la rédemption des hommes.

Fidèle à sa méthode, Guettée étudie, en suivant les Pères, les passages utilisés par la papauté pour justifier le Filioque.

Le premier passage des Ecritures Saintes, le plus fréquemment invoqué, provient de l’Evangile de Jean, où le Christ dit à ses Apôtres : "Lorsque le Consolateur, l’Esprit de vérité qui procède du Père, et que je vous enverrai de la part de mon Père, sera venu, Il rendra témoignage de moi" (Jean 15, 26). Guettée commente : "Est-il vrai que cette expression : "qui procède du Père" désigne la procession éternelle, et non pas son envoi temporaire ? S’il désignait son envoi temporaire, il faudrait admettre que le Sauveur a exprimé la même idée par les mots "qui procède" et "je vous enverrai". Or, il suffit de remarquer que l’action de procéder est exprimée par un verbe au présent, comme un acte qui existe, et que la seconde est exprimée par un verbe au futur, comme un acte qui n’existe pas encore, pour être convaincu que Jésus-Christ a eu en vue deux actes différents : le premier qui a le Père pour principe, le second dont lui-même est l’agent, de la part du Père.

La procession éternelle du Père et l’envoi temporaire, du Père par le Fils, sont donc fort clairement indiqués dans le texte cité. Jésus-Christ a toujours désigné de la même manière l’envoi ou la communication de l’Esprit : "II vous donnera un autre consolateur" (Jean 14, 16) ; "Mon Père l’enverra en mon nom" (ibid.26) ; "Je vous l’enverrai de la part de mon Père".

Le témoignage des Pères de l’Eglise vient confirmer cette interprétation : "On peut affirmer que tous les Pères ont entendu ces paroles du Sauveur ("qui procède du Père") de l’acte éternel, en vertu duquel l’Esprit est produit, et le Deuxième Concile Œcuménique les a interprétées de la même manière en les insérant dans le Symbole pour exprimer cet acte éternel. Les interpréter autrement, c’est non seulement torturer le texte en lui-même, mais se séparer de la tradition Catholique (universelle), et préférer son interprétation individuelle à l’interprétation collective de l’Eglise. Les théologiens occidentaux qui n’osent soutenir que les paroles de Jésus-Christ ne se rapportent pas à l’acte éternel qui produit le Saint Esprit, prétendent que le Sauveur, en disant "qui procède du Père", n’a pas exclu le Fils, parce que le Père et le Fils ont la même essence.
Si la raison des occidentaux est bonne, il faut en conclure que le Saint Esprit procède aussi de lui-même, puisqu’il a la même essence que le Père et le Fils. Si l’on attribue à l’essence divine ce qui fait précisément la distinction des personnes, il faudra admettre que les actes propres du Père sont communs au Fils et au Sainte Esprit, et réciproquement ; on détruira ainsi complètement le mystère de la Sainte Trinité.

Les théologiens occidentaux n’auraient pas commis leur étrange méprise s’ils avaient connu ces belles paroles de saint Grégoire de Nazianze : "L’éternité et la divinité sont communes au Père, au Fils et au Saint Esprit ; mais il appartient au Fils et au Saint Esprit de tenir leur être du Père. L’attribut distinctif du Père, c’est de ne pas être né ; celui du Fils d’être engendré ; celui de l’Esprit de procéder" (Sermon 24). Attribuer à une personne l’attribut qui en distingue une autre, c’est confondre deux personnes et détruire la Trinité. Ecoutons encore saint Grégoire de Nazianze : "Si le Fils et l’Esprit sont coéternels au Père, pourquoi ne sont-ils pas comme lui sans principe ? Parce qu’ils sont du Père, quoiqu’ils ne soient pas après le Père".

Faute d’avoir compris ce point, les théologiens occidentaux sont tombés dans de grandes absurdités : "Le Saint Esprit est la troisième personne, dit le Père Péronne, le Fils est donc avant lui dans l’ordre de la production, et a contribué à sa procession". N’est-ce pas nier ouvertement la coéternité des trois personnes divines ? N’est-ce pas placer dans le temps la procession du Saint Esprit ; faire par conséquent du Saint Esprit une simple créature ? C’est à de pareils blasphèmes que les théologiens occidentaux ont été conduits par leurs efforts pour éluder les paroles de la Sainte Ecriture".

D’autres textes de l’Ecriture sont utilisés par les défenseurs du Filioque, comme celui de l’Epitre aux Galates (4, 6) : "Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Père, Père ! " Les théologiens occidentaux disent alors : "L’esprit est appelé Esprit du Père (Matthieu 10, 20) parce qu’il procède du Père ; s’il est appelé Esprit du Fils, c’est qu’il procède aussi du Fils". A quoi Guettée répond : "On peut faire remarquer que l’Esprit est appelé Esprit du Père, non seulement parce qu’il procède de lui, mais aussi parce qu’il lui est consubstantiel. En ce sens, il est l’Esprit du Fils aussi bien que l’Esprit du Père, puisque le Père, le Fils et le Saint Esprit ont la même substance.

Les partisans du Filioque supposent donc gratuitement que le Saint Esprit n’est l’esprit du Père que parce qu’il en procède, afin d’établir sur cette supposition la procession Ex Filio. Or, leur raisonnement comme l’assertion sur laquelle il repose, sont contraires à l’enseignement des Pères de l’Eglise : "Si le Saint Esprit, dit saint Jean Chrysostome, (Homélie sur la Pentecôte), est appelé tantôt Esprit du Père, tantôt Esprit du Fils, ce n’est point pour confondre le Fils avec le Père, mais pour signifier l’indivisibilité de l’essence divine" ; "à cause de l’identité de nature, dit saint Jérôme, (Commentaire de l’Epitre aux Galates), "le Saint Esprit est appelé indifféremment l’Esprit du Père et l’Esprit du Fils".

Confesser la double procession du Saint Esprit –le Filioque- c’est donc renoncer à confesser la Sainte Trinité, ou du moins c’est confesser une trinité abstraite, aussi étrangère à la Trinité chrétienne que l’était celle des néoplatoniciens : Un, Esprit, Âme.
LE SACRE-CŒUR

Une seconde hérésie de la papauté moderne, consiste dans le culte du Sacre Cœur de Jésus, et qui affecte le Mystère de l’Incarnation : "Toutes les Eglises chrétiennes ont professé et professent que le Verbe, deuxième personne de la Trinité s’est fait homme... II y a en Jésus Christ, deux natures, la divine et l’humaine. Cependant il n’y a qu’un Jésus Christ, c’est-à-dire une seule personne en lui... de ce qu’en Jésus Christ il n’y a qu’une seule personne, et que cette personne est divine, il doit être adoré, c’est-à-dire qu’on lui doit le culte de latrie qui ne peut s’adresser qu’à Dieu".

Nestorius a contredit cet enseignement chrétien. II n’osa pas, comme les anciens gnostiques, dire ouvertement qu’il y avait en Jésus-Christ deux personnes, mais il attribua à chacune des deux natures, un état tellement distinct que l’on pouvait bien en conclure qu’il considérait chaque nature comme une personnalité. II allait jusqu’à séparer tellement la nature humaine, de la nature divine, qu’il prétendait que la divinité devait être adorée séparément de l’humanité... Pour répondre et réfuter son hérésie, l’Eglise devait proclamer qu’une seule adoration s’adressait à Jésus-Christ, parce qu’il n’y a en Lui qu’une personne, qui est celle du Fils de Dieu. C’est ce que décida le IVème Concile Œcuménique, celui de Chalcédoine, en 451. Les cinquième et sixième Conciles Œcuméniques proclamèrent la même vérité, conformément à l’enseignement de l’Eglise primitive, dont saint Athanase d’Alexandrie était l’organe, lorsqu’il disait : "Nous n’adorons pas une chose créée, mais le maître des choses créées, le Verbe de Dieu fait chair, quoique la chair elle-même, considérée séparément, fasse partie des choses créées, cependant elle est devenue le Corps de Dieu ; nous n’adorons pas ce Corps après l’avoir séparé du Verbe ; de même, nous ne séparons pas le Verbe du Corps lorsque nous voulons l’adorer ; mais, sachant que le Verbe s’est fait chair, nous le reconnaissons comme Dieu le Verbe existant dans la chair (Saint Athanase. Epître à Adelphi, §3). Tel est le dogme défini depuis par les Conciles Œcuméniques, et admis par toutes les Eglises, y compris celle de Rome"

Or, la papauté moderne est revenue à une sorte de nestorianisme : "Pour prouver que la papauté a été hérétique sur ce point, nous devons seulement démontrer que, à côté de l’enseignement commun, elle en a ajouté un particulier, qui détruit radicalement le dogme de l’unité de personne en Jésus-Christ, et qu’elle n’adore pas Jésus-Christ d’une seule adoration, se rapportant à sa personne divine ; qu’elle adresse un culte spécial à son humanité, et même à des parties de son corps, spécialement au cœur, et qu’elle adresse à ce cœur, abstraction faite de la personne divine, un culte de latrie".

Guettée retrace alors l’histoire des visions de sœur Marie Alacoque et de la publicité que leur donnèrent les Jésuites. Cette "illuminée" affirmait que Jésus lui avait demandé son cœur, l’avait mis dans le sien, puis le lui avait rendu. "Dès lors, elle sentit une douleur continuelle au côté par où son cœur était sorti et rentré. Jésus lui conseilla de se faire saigner quand la douleur serait trop forte"…"Marie Alacoque donna son cœur à Jésus par un acte en bonne forme qu’elle signa de son sang en cette manière : "Sœur Marguerite Marie, disciple du divin amour de l’adorable Jésus" En retour de cet acte, Jésus lui en fit un autre par lequel il la constitua héritière de son cœur pour le temps et l’éternité : "N’en sois pas chiche, lui dit-il, je te permets d’en disposer à mon gré..."
Après la mort de cette étrange "mystique", le culte du sacré-cœur de Jésus commença, et les prétendus miracles d’abonder : la consécration au sacré cœur assurait du salut.

"Le cœur charnel de Jésus" était devenu l’objet d’un culte. Pendant la Révolution Française, ce culte devint un signe de ralliement -et les papes cornanchèrent à l’accepter. Pie IX approuvant ainsi les révélations curieuses sur le sacré cœur, canonisa Marie Alacoque. Ainsi, la personne divino-humaine de Jésus Christ n’était plus l’objet d’une seule adoration pour la papauté -qui tombait donc sous le Huitième Anathème de saint Cyrille, condamnant celui qui n’adorerait pas l’Emmanuel en la personne divine de Jésus-Christ, par une seule adoration.

AUTRES HERESIES DE LA PAPAUTE

Guettée relève encore, dans La Papauté Hérétique, d’autres fausses doctrines, tant sur la Rédemption que sur les sacrements et la vie future. Nous les résumons brièvement :

Sur la Rédemption, "l’erreur première qui est la source des autres consiste en ceci : Les saints ont eu des mérites surabondants, qui forment un trésor, mis à la disposition du pape, lequel les distribue comme il l’entend, soit aux vivants, soit aux morts, par le moyen des indulgences. Cette notion des indulgences, fondée sur les mérites surabondants des saints, est contraire à ce principe Catholique (universel) : que personne n’a, devant Dieu, de mérite personnel..."

Une seconde doctrine erronée est celle du Purgatoire : "Les âmes enfermées dans le purgatoire peuvent recevoir du soulagement des prières et des bonnes œuvres des vivants ; elles peuvent même être délivrées absolument de leurs peines par l’application d’une indulgence plénière ; car le pape se prétend le droit d’accorder des indulgences plénières applicables aux âmes du purgatoire. S’il en est ainsi, nous ne voyons pas comment le purgatoire peut exister pour l’Eglise Romaine, dès lors que le Pape peut si facilement délivrer les âmes qui y souffrent. Son devoir serait d’appliquer des indulgences plénières quotidiennes à ces pauvres âmes souffrantes, et il pourrait attacher ces indulgences à des œuvres si faciles des vivants, qu’elles seraient immanquablement gagnées et appliquées. Le Purgatoire n’existe donc que par la volonté du Pape. Ceci est vrai sous un double rapport : d’abord, parce que c’est une invention des papes ; ensuite, parce qu’ils pourraient le supprimer, s’ils le voulaient, au moyen de leurs indulgences plénières".

Sur les sacrements, les innovations occidentales sont nombreuses. Ainsi la triple immersion -d’où le baptême prend son nom- a été supprimée à la fin du XlVème siècle : "Le baptême par infusion commençait à être administré par quelques prêtres, à la fin du Xlllème siècle, mais cet usage était considéré comme blâmable... A dater du XlVème siècle, le baptême par infusion s’établit dans l’Occident tout entier, sans que la papauté, dont l’autorité y était universellement reconnue, s’y soit opposée. Elle doit, en conséquence, porter la responsabilité d’une innovation contraire au rite apostolique de l’administration du baptême".

La séparation du baptême et de la chrismation (confirmation, dans la papauté), tout-à-fait arbitraire, a introduit une autre nouveauté :
Les enfants ont été privés de la Sainte Communion, contrairement à la parole du Seigneur qui dit : "Laissez venir à moi les petits enfants" : "Lorsque les Eglises occidentales, entrainées dans le schisme par la papauté, se furent séparées de l’Orient Catholique (universel), elles perdirent tellement le sens chrétien, que leurs théologiens reprochèrent aux Eglises orientales, la communion des enfants, comme un abus énorme" ; pourtant "l’usage de donner la communion aux enfants n’a cessé, dans l’Eglise romaine, qu’au XVème siècle".

Autre innovation : l’Eglise romaine a cessé de donner à tous les fideles, la communion au Corps et au Sang du Seigneur, « sous les deux espèces », comme on la nomme en Occident. "Personne ne peut contester, commente Guettée, que la pratique générale de l’Eglise ne soit favorable à la communion sous les deux espèces, et que les Pères n’aient enseigné la nécessité de la communion sous l’espèce du vin... " Une preuve historique, en est la résistance héroïque des fidèles, aux Xllème et XIIlème siècles, contre cette innovation.

Guettée relève encore des innovations sur la pénitence -déformation du sens de la confession, casuistique et dispenses. Ancien élève des séminaires catholiques (romains) et ancien prêtre de l’Eglise romaine, il s’appuie sur les textes et sur son expérience pour montrer comment la confession, conçue juridiquement, était devenue une école d’immoralité, à la fois pour les prêtres et pour les fidèles : en vertu du principe qu’il fallait déterminer le degré de CULPABILITE du pécheur, les confesseurs devaient examiner toutes les circonstances aggravantes d’un péché donné, et des manuels spéciaux et détaillés les y aidaient, au contenu pour le moins "discutable". En outre, des distinctions subtiles existaient entre "contrition" et "attrition" (Concile de Trente) et donnaient à entendre que le pécheur qui ne pleurait pas des larmes réelles n’avait pas les dispositions suffisantes pour obtenir le pardon parfait...

Guettée critique également la théologie scolastique du sacrement de l’ordre, et celle qui gouverne le sacrement du mariage. Sur ce dernier, "l’Eglise Romaine s’exprimant par le Concile de Trente, a déclaré qu’elle ignorait si le prêtre était ou non, ministre du sacrement de mariage, et s’il n’était pas seulement témoin nécessaire. Ainsi, lorsque deux fidèles déclarent, en présence du prêtre de leur paroisse, qu’ils se marient, ils sont mariés légitimement sans la bénédiction du prêtre, et, sans cette bénédiction, leur mariage est un sacrement". Triomphe du juridisme sur le mystère.

LA PAPAUTE ET NOUS

A l’exposé de toutes ces erreurs, beaucoup de catholiques romains (papistes) de notre époque reconnaissent-ils leur foi ? Que reste-t-il aujourd’hui des indulgences, du purgatoire, des mérites surérogatoires des saints ? Qui connait les origines du Sacré-Cœur et vénère avec émotion Marie Alacoque ? Même le Filioque, dit-on, est-il si important ? "Tout cela, pourrait dire un catholique romain, c’est du passé ; l’Eglise a, heureusement, changé".

Pourtant, à une telle objection, il est facile de répondre : quand la papauté moderne est-elle revenue officiellement et publiquement sur ses erreurs dogmatiques ? Quel Pape moderne a pu dire le moindre mot pour renoncer à l’Immaculée Conception ?
Bien au contraire, le dogme de « l’Assomption » de la Vierge en est apparu comme une conséquence directe. Quant au Filioque, s’il est, dans certaines circonstances, ôté par Rome du Credo de Nicée-Constantinople, il n’en subsiste pas moins comme doctrine, et nul ne le dénonce jamais comme étranger au dépôt de la foi. Tout à l’inverse, Paul VI, dans son Testament, appelle à ne rien modifier de la doctrine romaine traditionnelle, et Jean Paul II, qui vante en toute occasion Thomas d’Aquin et sa théologie, confesse, dans son Encyclique sur le Saint Esprit, la double procession. Concluons que si quelque chose a disparu avec le XXème siècle, dans la papauté, ce n’est pas la structure dogmatique de l’édifice, mais seulement le vernis de piété naïve qui s’attachait à des cultes comme le Sacré-Cœur.

Certes, sur les questions politiques, la papauté a évolué, elle a renonce à l’éloge de l’Inquisition, à l’intolérance des ultramontains de "L’Univers", au fanatisme antisémite et ultraréactionnaire des Veuillot, des Dom Guéranger ; mais sur ses dogmes et son Institution, elle n’a rien changé. Sa devise pourrait être : Semper eadem. Or, tous les régimes autoritaires ou totalitaires connaissent leurs périodes de rémission, leurs velléités de "libération" : alors les lois terribles qui régissent l’Etat sont mises en veilleuse, les manières démocratiques refleurissent, les dirigeants affichent le sourire de circonstance, la tenue de rigueur du gouvernement s’appelle la jeunesse. Mais rien n’est abrogé des anciennes institutions, qui se réveillent un matin. N’en irait-t-il pas de même, aujourd’hui, sur le plan dogmatique, pour la papauté ?

Autrement dit, suffit-il qu’une erreur ou un abus soit mis sous le boisseau, pour qu’il cesse d’exister ? Le Christ ne réclame-t-il pas une confession bien nette ? Que ton oui soit oui...

C’est pourquoi ceux qui disent que "la papauté a changé" sont victimes d’une étrange méprise : ils confondent le discours apparent qui, au cours du temps, ne cesse de varier, avec les fondements immuables qui constituent la définition même de cette Institution.

Si confession de foi il y a, aujourd’hui, dans la papauté, elle doit être cherchée dans les dogmes que Guettée a dénoncés. Qui a oublie Paul VI, ce pape supposé moderne et libéral, se nommant lui-même "Pierre", lors de sa visite au Conseil Œcuménique des Eglises, le COE ? Profitant de l’adogmatisme actuel, la papauté a mis entre parenthèses les dogmes qui ont été, sinon sa raison d’être, du moins sa manière d’être jusqu’à aujourd’hui.

En ce sens, Guettée a échoué : il espérait qu’avec le temps, la connaissance des textes, le progrès des études…l’usurpation de la papauté serait découverte : au contraire, plus cette Institution s’est effondrée, dogmatiquement, incapable de se justifier sur les textes, plus elle est entrée dans les mots de la tribu, donnant à l’homme moderne une sécurité dogmatique, une bonne conscience religieuse : "la foi" a son bureau, comme la poste, les impôts ou le service des réclamations ; ainsi, tranquillement, l’européen est-il devenu athée et papiste, étranger au Christ et favorable à la papauté.

III

GUETTEE HISTORIEN
Guettée a été un grand historien, sobre, précis, documenté ; il a été totalement étranger aux divagations « spéculatives » ou « mystiques » de la plupart de ses contemporains, de L. Bloy à Soloviev ; il n’a pas été un penseur, un fabricant de formules ou un philosophe, mais un patient lecteur des documents symboliques, historiques et dogmatiques de l’Eglise orthodoxe.

II rappelle, par son goût du travail humble, les grands érudits de l’Ancien Régime, éditeurs inlassables des collections gallicanes, mais aussi, par sa méthode critique, les historiens du règne de Louis Philippe : Augustin Thierry, aveugle, proche de la mort, reconnaît qu’il a été injuste avec l’histoire de l’Eglise, lorsque Guettée publie les premiers volumes de son Histoire de l’Eglise de France, une œuvre inégalée jusqu’à ce jour.

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Cette histoire de l’Eglise Gallicane qui s’étend jusqu’au début du XIXème siècle, dans la mesure même où elle a été combattue par les ultramontains, a permis à Guettée de préciser un principe premier de sa méthode historique : entre la recherche historique et l’ultramontanisme, entre la science et la Papauté, l’opposition n’est pas accidentelle, mais fondamentale et épistémologique. L‘ultramontanisme dogmatise la soumission de l’intelligence et de la pensée.

En 1869, dans l’Union Chrétienne, à propos du live du Cardinal Herengöther sur Photius, Guettée montre que la décadence des études théologiques n’est pas due, en Occident, à une mauvaise pédagogie, ou au petit nombre des universités catholiques, ni à aucune cause externe :

"Dès que l’on possède un guide infaillible dont la parole est un écho du ciel, et qui se fait entendre sur toutes les questions, même en dehors des questions théologiques, nous ne voyons pas à quoi la science peut servir. Dès que l’on est obligé, d’avance, de subordonner toutes ses idées, toutes ses recherches, aux décisions d’un homme qui n’a que peu ou point étudié… nous ne comprenons pas que l’on puisse conserver cette liberté d’esprit et d’appréciation, qui est le caractère scientifique par excellence. Nous ne comprenons qu’une espèce de science dans l’Eglise romaine, celle qui consiste à étudier les décisions papales ; à les appuyer au moyen de documents, vrais ou faux ; à dénaturer le sens des monuments ecclésiastiques qui leur seraient hostiles. Aussi, est-ce là, la seule science qui soit réellement cultivée dans l’Eglise romaine. II ne pouvait en être autrement. Or, cette science prétendue, n’est que la décadence des hautes études théologiques. C’est donc la papauté qui est la cause la plus directe de cette décadence, et il est à remarquer que cette décadence se manifeste en raison directe de l’influence papale au sein de l’Eglise Occidentale".

Dans ce passage, Guettée fait allusion aux progrès de l’ultramontanisme, faible en France avant 1789, et qui a su profiter du vide et de l’ignorance laissés en matière religieuse par la Révolution et l’Empire, pour devenir une idéologie victorieuse. En un sens, la Révolution, et surtout Napoléon, ont sauvé la papauté comme ultime institution féodale porteuse de la nostalgie de l’Ancien Régime, pour beaucoup. Or, la disparition des libertés religieuses en France a entraîné la décadence des études théologiques :
"Lorsque des Eglises, comme celle de France, possédaient encore quelques débris de leur autonomie -ce qu’elles appelaient pompeusement leurs libertés- il y avait encore chez elles un certain mouvement intellectuel ; et par conséquent, une science relative. Mais depuis que les libertés sont mortes, et que toute intelligence doit être humblement prosternée aux pieds de l’homme infaillible, la science n’est plus qu’un encens prodigue à l’infaillibilité qui règne et gouverne absolument, sous le nom de Pape".

Le lecteur habitué de la prose ultramontaine du XlXème siècle, celle du Journal L’Univers, celle de Louis Veuillot, de Dom Guéranger, et de tant d’autres, sait qu’il n’y a là aucune exagération : combien de fois avons-nous lu -et entendu aujourd’hui encore- ce paradoxe blasphématoire qu’il valait mieux se tromper avec le pape que d’être sans lui dans la vérité. Donnons seulement un exemple de la rhétorique ultramontaine du XIXème siècle ; lors du Cinquantième Anniversaire de l’ordination de Pie IX, une souscription fut faite et publiée dans les journaux catholiques (papistes) en ces termes :

"De toutes parts, dans la chrétienté, on s’apprête à fêter ce jour solennel. On ouvre des souscriptions, on rédige des Adresses, on se donne rendez-vous aux pieds des Autels pour remercier Dieu de ce glorieux pontificat. Depuis son élévation au trône pontifical, des milliers d’hommes et encore des milliers d’hommes, ont passé devant lui, se sont saintement pénétrés des sons de cette parole pleine de grâce, se sont un instant réchauffés aux rayons limpides de ce regard, ont contemplé ces lèvres qui sont le pur canal de la vérité, et, au repos, semblent résumer toute la paix et toute la foi de ce monde dans un sourire... Tous, ou presque, gardent donc en leur cœur, cette pensée, que de Rome, et de Rome seulement, peut venir le salut. Nous engageons nos lecteurs à ne pas se tenir en dehors de ce grand mouvement parti de tous les points de la chrétienté pour aboutir à Rome, à s’y associer par leurs aumônes plus abondantes à l’œuvre du Denier de Saint Pierre..."

Certes, ce passage est anecdotique, mais Guettée était confronté chaque jour à une presse ultramontaine qui louait tous les actes de la papauté, y compris l’Inquisition, les Croisades, la Saint Barthelemy, la persécution active des hérétiques et des Juifs, pour montrer encore et encore une papauté infaillible.

Assurément, Veuillot et l’Univers, sont aujourd’hui illisibles et oubliés ; mais c’est dans ce terreau polémique, fanatique, que s’est constituée la très récente science historique catholique romaine (papiste) qui présuppose toujours l’unité dogmatique et historique de la papauté, au cours des siècles. Le malheur de nos études historiques, jusqu’aux travaux contemporains les plus modernes d’allure, c’est que, sans discernement, nos manuels ont hérité des préjugés ultramontains et présenté les événements et les problèmes de l’histoire ecclésiastique dans le cadre d’un "paysage religieux" lui-même immuable, centré sur une "ROME" factice.

Paradoxalement, cette situation est due au laïcisme hérité de la Troisième République, qui, indifférent à l’histoire religieuse, s’est contenté de travaux de seconde main, méprisant les sources religieuses originales. Les historiens modernes, en adoptant le cadre commode et faux fourni par l’historiographie ultramontaine, ont oublié son caractère polémique.
Nous nous sommes toujours étonnés de voir les bibliographies des professeurs les plus laïcs, renvoyer, par paresse, aux historiens ultramontains, et particulièrement à Fliche et Martin, auteurs de la plus maquillée de ces œuvres partisanes.

Nous allons montrer, sur deux exemples, la rigueur et la solidité de l’information de Guettée historien, ainsi que sa probité d’exégète, fidèle aux textes. C’est à de telles qualités que ses travaux doivent de rester actuels.

L’EXEMPLE DU PAPE LEON III (795-816)

L’un des exemples les plus manifestes de cette falsification de l’Histoire, commise par les ultramontains et acceptée sans contrôle, est la célèbre affaire des plaques d’argent érigées par le pape Léon III, lesquelles portaient le Credo de Nicée-Constantinople sans l’addition du Filioque.

On connait les faits : Charlemagne, maître de l’Occident, voulait imposer à son Empire l’addition du Filioque au Credo, parce qu’il faisait de cet article de foi l’Instrument théologique de sa domination sur les peuples gallo-romains et orthodoxes. Ceux qui acceptaient cette doctrine innovatrice se déclaraient partisans de sa politique ; la refuser revenait à se ranger presque au nombre des schismatiques et des rebelles.

Apres l’échec du Concile d’Aix-la-Chapelle (809), au cours duquel partisans et adversaires de cette nouveauté n’avaient pu parvenir à un accord, Charlemagne délégua au pape Léon III, une troupe ecclésiastique armée, pour lui imposer le Filioque et son insertion au Credo. Les envoyés étaient porteurs d’une lettre écrite au nom de l’Empereur et affirmant la doctrine du Filioque.

Léon III, qui redoutait à juste titre les Franks, n’osa guère prendre position sur la doctrine elle-même, mais il s’opposa à l’addition du Filioque au Credo, en se référant au Concile d’Ephèse (IIIème Œcuménique), qui interdisait toute adjonction au Symbole de la foi. Dès que les envoyés de Charlemagne eurent quitté Rome, Léon III fit graver, sur deux plaques d’argent, en grec et en latin, le Credo de Nicée-Constantinople, sans le Filioque ; il fit placer ces deux stèles dans l’Eglise de Saint Pierre au Vatican, suspendues au-dessus du tombeau de saint Paul. Sur la base, enfin, se lisaient ces paroles parfaitement claires : "Moi, Léon, j’ai fait graver ceci par amour et sauvegarde de la foi orthodoxe".

Les historiens ultramontains éprouvent évidemment de l’embarras devant ce fait qui montre que le pape Léon III était hostile à la fois à la doctrine du Filioque et à son insertion : en effet, il ne se contente pas de faire graver un Credo immaculé, mais souligne qu’il le fait pour la sauvegarde de la foi (des dogmes) orthodoxe.

Sans toutefois se laisser décourager par la tâche, les historiens ultramontains ont imaginé que Léon, partisan de la doctrine et de l’addition du Filioque au Credo, avait fait graver les plaques en question par calcul, par diplomatie, par politique, c’est-à-dire pour ne pas s’aliéner les Grecs. Alors que les "Grecs" étaient bien loin de Rome -et que les armes des émissaires de Charlemagne se trouvaient, elles, dangereusement proches- Léon III aurait eu peur d’être accusé d’impiété par les "Grecs" !
Les boucliers (stèles) d’argent de Léon cessent, par ce subterfuge, de représenter la voix du pape dans le grand débat sur le Filioque qui agitait alors l’Occident. Le malheur est qu’une telle ineptie, qui aurait du disparaître rapidement, se retrouve, tranquillement répétée, sous la plume des historiens modernes ; ainsi Fliche et Martin écrivent : "Sur la question doctrinale, le pape était complètement d’accord avec les théologiens de Charlemagne". On voit même traîner cette erreur (ce mensonge), chez certains orthodoxes, qui ont été formés, moulés, marqués par leur éducation papiste, au point de ne pouvoir se libérer des plus évidents préjugés.

Une révision totale des présupposés historiographiques concernant l’histoire de l’Eglise nous semble donc aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Une lecture attentive de l’œuvre de Guettée contribuerait à une telle révision.

GUETTEE ET L’HISTORIOGRAPHIE DE PHOTIOS

Guettée a été le premier, en Occident, à renouveler l’Historiographie du grand Patriarche de Constantinople, et cela, bien avant Dvornik, auquel on attribue cette gloire imméritée.

Avant les études de la Papauté Schismatique et du volume VI de l’Histoire de l’Eglise, les ouvrages occidentaux consacrés à Photios sont pour le moins polémiques ; le célèbre cardinal Baronius dit que Photios est un monstre sorti de l’enfer « Funestum aliquid ab imis infernis proditum" ; Jaeger, qui lui consacra un livre, parle de « sa noire perfidie, de sa profonde perversité », il le dit « dominé par un orgueil indomptable, et tourmenté par une ambition terrible » qui « l’entraîna à ces excès de perfidie, d’impiété, et à ce bas degré de perversité que nous présente son histoire ». Herengöther ne juge pas mieux, il écrit, recopiant Fleury, que Photius « est un parfait scélérat agissant en scélérat et parlant en saint ».

Avant Dvornik, et plus nettement que lui, -car il n’a pas craint de critiquer deux prestigieux cardinaux de l’Eglise romaine- Guettée rejette cette Historiographie haineuse : « Tous les ouvrages écrits en Occident sur Photius sont inspirés par la haine et la mauvaise foi, on y sent cette singulière règle de critique historique : accepter comme vrai ce qui est contre Photius, rejeter ou tourner en mauvais sens ce qui lui est favorable. De nos jours plusieurs écrivains ont mis largement cette règle en pratique. Nous citerons en particulier Héfélé, Histoire des Conciles, Herengöther, dans son indigeste compilation intitulée Photius, dans la compilation non moins indigeste qu’il a intitulée Histoire de l’Eglise et dans les Notes de son édition de la Mystagogie. Mais l’ouvrage de Jager, intitulé menteusement, Histoire de Photius, est plus faux que tous les autres. L’auteur s’y montre comme un chien enragé, souillant de sa bave immonde la robe patriarcale du grand homme qui, par ses vertus, son éloquence et sa science, mérite d’être placé à côté de saint Jean Chrysostome et de saint Grégoire le Théologien, et porte si bien son nom de Photius (Homme-Lumière) ».

Si l’historiographie catholique (papiste) a changée avec Dvornik -et Grumel- c’est parce qu’elle a fait une hypothèse, pour employer le langage du Père Y. Congar, « l’hypothèse favorable à Photius », celle d’un « arrangement » probable des documents originaux. Autrement dit, il a suffit de calmer « la haine"

MANQUE 1 FEUILLE, pages 73 et 74

VIII fait exception parmi les papes. Les sectaires et une papauté schismatique ne peuvent le lui pardonner ; mais les vrais chrétiens ont le devoir de rendre hommage à un pape qui voulait reprendre les vénérables traditions de l’Eglise Romaine Orthodoxe ».

Nous avons choisi l’exemple de l’historiographie de saint Photios pour montrer l’honnêteté et la qualité du travail historique de Guettée. Sur de nombreux autres sujets, il a fait preuve du même discernement, qui fait de lui, en Occident, le premier -et le seul à ce jour- auteur d’une Histoire de l’Eglise authentique et orthodoxe.

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