samedi 22 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°31. Chambésy : Vers une fausse union.

LES REACTIONS

FACE AUX ACCORDS DE CHAMBESY



Lorsque l'accord de Chambésy a été publié au mois d'octobre 1990, il l'a été en français et en anglais et il semble qu'il n'y ait pas eu de traduction grecque du document. Certains commentateurs ont suggéré que ce fut à dessein, pour empêcher ou retarder une réaction du clergé et des fidèles grecs, généralement assez attentifs aux questions dogmatiques. Toujours est-il que ce fut un évêque paléo-calendariste, Monseigneur Calliope qui, le premier, fit traduire et publia en grec le texte de Chambésy. Il y ajouta quelques commentaires qui laissaient entendre que les concessions faites aux monophysites marquaient une chute supplémentaire dans l'évolution de l'Eglise officielle grecque (néo-calendariste) vers un oecuménisme si extrême qu'il méprisait même les décisions des conciles oecuméniques. Les deux brochure de l'évêque Calliope s'intitulent : L'union avec les monophysites et La trahison de l'orthodoxie.

Le journal hebdomadaire Orthodoxos Typos, sous la signature de K.A., reprenait au mois de juin les informations contenues dans les deux brochures sus-mentionnées. K.A. soulignait aussi nettement que l'accord de Chambésy n'impliquait aucun retour des monophysites à l'Eglise, aucune pénitence pour leurs erreurs christologiques passées, et aucune reconnaissance des IVè, Vè, VIè et VIIè conciles oecuméniques.
L'un des signataires, au nom de l'Eglise grecque, de l'accord de Chambésy, le Métropolite Mélétios de Preveza et Nicopolis, répondit dans le n 53 d'Orthodoxos Typos du 5 juillet, par une lettre particulièrement virulente qu'il nous faut à la fois résumer et commenter.


La lettre du Métropolite Mélétios

La lettre du Métropolite de Nicopolis de l'Eglise d'Etat grecque s'ouvre de façon assez lyrique : «J'ai lu et j'ai été horrifié...je ne m'attendais pas à voir jamais une publication aussi irresponsable et fautive...» Monseigneur Mélétios trouve les opinions de K.A. simplistes et confuses et souligne d'abord que l'accord de Chambésy n'est pas une union mais un accord soumis aux Eglises par leurs représentants en vue de l'union. La déclaration commune de Chambésy a seulement pour but de constater l'identité de foi christologique entre préchalcédoniens et orthodoxes après des années de dialogue.
Selon Mgr Mélétios, il n'y aurait pas de minimalisme dogmatique et la position de K.A. serait «démoniaque», parce qu'elle impliquerait le refus du salut de milliers de pré-chalcédoniens prêts à s'unir à l'Eglise orthodoxe.
Mgr Mélétios soupçonne d'ailleurs que K.A. est un «vieux calendariste», en accord avec les brochures de l'évêque Calliope, et il récuse la possibilité pour les «vieux calendaristes», schismatiques à ses yeux, et donc condamnés -puisque, dit-il, citant les Pères, le sang du martyr n'efface pas le péché de schisme- de pouvoir «défendre l'Eglise du Christ».



Commentaire

Le début de cette lettre de l'évêque Mélétios implique évidemment un certain nombre de remarques de bon sens : 1) Sur la forme, il est clair que le langage de cet évêque, sur la défensive, est assez agressif. 2) On ne voit pas bien non plus pourquoi l'évêque Mélétios est si prompt à condamner à l'enfer les vieux calendaristes, alors qu'il est si pressé de s'unir avec les monophysites. Personne n'a jamais accusé les vieux calendaristes d'hérésie christologique, ni d'aucune déviation dogmatique. Au contraire, ce sont eux qui mettent nettement en cause les Eglises impliquées dans l'oecuménisme, ces Eglises qui appartiennent au Conseil Oecuménique des Eglises et nient explicitement ou implicitement, par cette seule appartenance, l'unicité de l'Eglise. D'autre part, les prières communes avec toutes sortes d'hétérodoxes étant contraires aux canons, les vieux calendaristes appliquent les canons en refusant toute communion avec les Eglises qui, directement ou indirectement, prient en commun avec ceux qui ont une autre confession de foi. Il ne suffit donc pas de dire que les vieux calendaristes sont schismatiques -il faut encore prouver que le motif de leur séparation des Eglises engagées dans l'oecuménisme est canoniquement illégitime. Or cela, l'évêque Mélétios se garde bien de le faire. Mais ce n'est pas ici l'essentiel : il ne saurait y avoir de censure sur le fond du problème, à savoir l'union de Chambésy. 3) L'affirmation importante de l'évêque Mélétios est que les monophysites ne sont plus aujourd'hui monophysites, mais qu'ils ont désormais une christologie orthodoxe. Si c'est le cas, pourquoi continuer à les considérer comme des hérétiques et des monophysites ? N'est-ce pas se montrer sans amour et sans souci du salut des âmes ? Tel est l'argument de Monseigneur Mélétios.


Les concessions des monophysites

Cet argument de Mgr Mélétios se fonde sur un fait indiscutable : les concessions des monophysites, qui sont nombreuses, et que l'évêque néo-calendariste de Nicopolis souligne à la suite des documents officiels, en évoquant les étapes successives des réunions d'Aarhus au Danemark, de Bristol, etc. jusqu'à Chambésy :
a) Les monophysites renoncent à considérer les orthodoxes comme des hérétiques nestoriens ou nestorianisants.
b) Le Tome de Léon, jusque là honni par eux, peut être considéré comme orthodoxe de contenu à condition d'être lu à la lumière des écrits de saint Cyrille d'Alexandrie.
c) Le contenu, la théologie du Concile de Chalcédoine, n'est pas hérétique, car il y a plusieurs expressions possibles de la foi christologique. Mais il n'est pas question bien sûr d'accepter l'autorité des décisions de Chalcédoine.
d) Cependant les anathèmes sont levés, parce qu'ils n'ont jamais eu, quant au fond théologique du débat, de véritable raison d'être.
e) Les «monophysites», qui condamnent nettement Eutychès, précisent qu'ils ne sont ni monoénergistes, ni monothélites, et qu'ils confessent que «les natures, avec leurs propres énergies et volontés, sont unies hypostatiquement et naturellement sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, et qu'elles sont distinguées seulement dans la pensée (têi theoriai monei)».
Connaissant ces concessions très positives, Mgr Mélétios a beau jeu de répondre à K.A. qu'il est absurde de continuer de nommer monophysites des gens qui récusent le vrai monophysisme, celui d'Eutychès. Les préchalcédoniens confessent que le Christ est une «nature composée», s'appuyant sur la formule de saint Cyrille «une nature du Christ incarnée», où le terme de physis (nature) est pris de façon synonyme avec hypostase. En acceptant l'identité de physis et d'hypostase ici, les pré-chalcédoniens sont fidèles à saint Cyrille et acceptent le contenu de la foi orthodoxe. Puisque ainsi, ils ont accepté la foi orthodoxe, allons-nous les chasser ? Certes, ils n'acceptent pas les Conciles oecuméniques postérieurs au IIIème, celui d'Ephèse, mais ils les accepteront après l'union. Les rejeter maintenant, ce serait les pousser vers le Pape, ou encore les pousser vers d'autres hérésies. Les pré-chalcédoniens confessent la théologie orthodoxe, ce serait donc un péché terrible de ne pas mener à terme cette union. C'est le salut de ces peuples qui est en cause, insiste encore Mgr Mélétios. Ne pas y contribuer, c'est cela, trahir l'orthodoxie.


Les concessions des orthodoxes

Ce que Mgr Mélétios se garde bien de mentionner, ce sont les concessions des orthodoxes qui font de l'accord de Chambésy un accommodement mutuel. Car, du point de vue orthodoxe, ce ne sont pas les concessions des monophysites qui sont en cause, -sans être la vérité, elles sont un pas vers la vérité ; mais ce qui inquiète, ce sont les concessions des représentants des Eglises orthodoxes, lesquelles changent radicalement la perspective décrite ci-dessus par Mgr Mélétios de Nicopolis. Son argumentation apparaît même comme une falsification de la réalité.

1) Les préchalcédoniens ne considèrent pas du tout qu'ils ont changé de théologie et qu'ils acceptent maintenant la théologie orthodoxe. Ils soutiennent que leurs chefs du passé, les Dioscore, Timothée Aelure, Philoxène de Mabbourg, Sévère d'Antioche etc... étaient parfaitement orthodoxes, même si les orthodoxes chalcédoniens ne l'ont pas compris.
Autrement dit : que l'évêque Mélétios se soucie des pré-chalcédoniens d'aujourd'hui et de leur salut, c'est très bien, mais il ne peut prétendre trancher ce qui l'a déjà été par quatre conciles oecuméniques, à savoir les condamnations de Dioscore, Timothée, Philoxène ou Sévère.

2) Pas un seul instant les représentants pré-chalcédoniens du dialogue n'ont dit ni même pensé qu'il leur fallait s'unir avec les orthodoxes pour être sauvés. La déclaration de Chambésy affirme, en effet, explicitement le contraire : la «famille orthodoxe orientale» (pré-chalcédonienne) a toujours été orthodoxe, elle a toujours gardé la foi apostolique. Jamais les membres de cette «famille» ne sont considérés comme hors de l'Eglise et devant y rentrer. Ils ne pensent pas que rien manque à leur salut, même si l'union ne se fait pas. Tout le «pathos» de l'évêque Mélétios sur le rejet redoutable hors de l'Eglise de gens qui seraient revenus à l'orthodoxie et qui voudraient de nouveau rentrer dans l'Eglise n'a aucun fondement dans les actes du Dialogue entre orthodoxes et pré-chalcédoniens.


3) Le dialogue s'est déroulé sur pied d'égalité et les concessions ont été mutuelles. Les orthodoxes n'ont jamais laissé entendre qu'ils étaient l'Eglise une, mais au contraire, ils insistent sur le fait que deux familles, toutes deux orthodoxes, s'étaient querellées inutilement depuis des siècles et n'avaient pas compris qu'elles étaient en réalité d'accord. Or c'est là que commence la liste des concessions orthodoxes.
a) Les pré-chalcédoniens ne sont pas monophysites et surtout ne l'ont jamais été. C'est par des erreurs de compréhension que Dioscore, Timothée Aelure, Sévère d'Antioche ont été considérés comme des hérétiques et anathématisés par des conciles oecuméniques ou par le Synodicon de l'orthodoxie.
b) Il est possible de chercher avec eux une autre base d'union que les décisions du Concile de Chalcédoine. Cette base d'union, choisie par les monophysites, c'est la théologie de saint Cyrille. Les Conciles oecuméniques ultérieurs, IVè, Vè, VIè, VIIè, ne sont pas considérés comme obligatoires pour les pré-chalcédoniens.
c) Les orthodoxes acceptent que Dioscore était orthodoxe. Les condamnations de Chalcédoine contre lui n'étaient pas dogmatiques, mais seulement disciplinaires. Les orthodoxes ne voient donc pas d'inconvénient majeur à ce que les monophysites -les coptes en particulier- continuent de le vénérer comme un saint.
d) Un des aspects de cette reconnaissance de l'orthodoxie de Dioscore est la justification de son attitude théologique au «Brigandage d'Ephèse» de 449, où saint Flavien fut condamné et maltraité à mort et où Eutychès fut réhabilité. Ce jour-là, Eutychès, que tout le monde s'accorde à reconnaître comme un vrai monophysite, fit une déclaration orthodoxe qui trompa Dioscore. Mais cette ombre de la compromission de Discore avec Eutychès a pour pendant celle de saint Léon avec Théodoret qui était, en réalité, un crypto-nestorien. Aussi le «brigandage d'Ephèse», devenu «Ephèse II», est réhabilité implicitement ou explicitement.
e) Les orthodoxes suppriment donc toutes les condamnations des Conciles Oecuméniques, et du Synodicon de l'orthodoxie contre les «ex-monophysites», qui sont reconnus comme ayant toujours été fidèles au dépôt apostolique. Ils n'ont donc jamais été hors de l'Eglise, mais ils ont été une «famille» séparée -comme les orthodoxes ont été pour eux une famille séparée.

Réactions contre Mgr Mélétios

Les concessions, ecclésiologiques et historiques, n'impliquent pas, certes, que les orthodoxes abandonnent le dogme de Chalcédoine, mais que les Pères de l'Eglise, les déifiés, et les IVè, Vè, VIè et VIIè Conciles oecuméniques inspirés par le Saint Esprit, se sont trompés en considérant comme des hérétiques et en condamnant les «monophysites» du passé -c'est là que réside la «magouille» de Chambésy ; on relativise l'oeuvre des Pères de quatre conciles oecuméniques tout en disant qu'on ne touche pas aux dogmes. Mais si les Pères ont condamné injustement en Dioscore et Sévère des orthodoxes véritables, et avec eux des milliers de vrais chrétiens, en quoi sont-ils des «Pères saints et déifiés» ? Pourquoi ont-ils été des obstacles aux différentes tentatives d'union avec les monophysites, par exemple lors de l'henotikon de Zénon ou entre 533 et 536 à Constantinople ?
Ces conséquences redoutables qui placent les métropolites et professeurs oecuménistes de Chambésy au-dessus des Pères, des quatre Conciles oecuméniques, du Synodicon et du plérôme de l'orthodoxie -nous n'avons pas été, évidemment, les seuls à les voir.
L'Orthodoxos Typos n939 du 12 juillet publiait deux articles en réponse à la lettre de Mgr Mélétios de Nicopolis. Le premier est la lettre émouvante d'un officier de justice militaire, Nicolas Iatrides, qui précise qu'il n'est ni métropolite, ni prédicateur, ni théologien de métier, mais un homme pécheur qui ne peut pourtant pas être en accord avec l'évêque Mélétios. Il ajoute aussi qu'il n'est pas «vieux calendariste» non plus, mais que ce n'est pas une raison pour rejeter en bloc tout ce que diraient ces derniers -car s'ils avaient raison cela retomberait sur la direction de l'Eglise d'Etat grecque. Nicolas Iatrides note ensuite que si les monophysites reviennent sur leurs condamnations du passé, il n'y a pas trace, dans leur attitude, de pénitence. Ils s'excusent peut-être poliment, mais ils ne demandent pas réellement pardon. D'ailleurs, sur les questions de foi, il ne suffit pas de parler d'amour, et de compter les points d'un côté ou de l'autre comme dans un match de football, mais il s'agit d'être vrai et absolu, de ne pas changer une virgule de l'Evangile. La formule de saint Cyrille «une nature du Verbe incarnée» a été corrigée, expliquée par saint Cyrille lui-même, puis de façon définitive par le Concile de Chalcédoine. Il est impossible de changer la terminologie des Conciles oecuméniques. Le seul but du dialogue est de ramener les égarés à l'Eglise une, en leur faisant comprendre la nécessité pour le salut de ce retour par la pénitence. Or ce n'est visiblement pas là l'esprit de Chambésy. Ce dialogue a été achevé trop vite, et à vouloir absolument devancer les Latins dans le dialogue avec les pré-chalcédoniens, c'est la bergerie des orthodoxes qui risque d'être menacée. Les pré-chalcédoniens ont péché bien plus que le fils prodigue, et ils ne reconnaissent aucune faute dogmatique, pas même la nécessité de revenir en demandant pardon à l'Eglise une.
Le même numéro d'Orthodoxos Typos publie une seconde réponse non signée à l'évêque Mélétios. L'auteur, un théologien cette fois-ci, souligne que saint Cyrille ne saurait être pris comme base du dialogue puisque le IVè Concile Oecuménique, s'il a confirmé la foi de saint Cyrille, a modifié l'expression, parfois ambiguë, de cette foi. Le terme employé par saint Cyrille de physis a été remplacé par la formule plus rigoureuse des Cappadociens, hypostasis. Les monophysites disent qu'ils pensent ce que pensait saint Cyrille, mais est-ce qu'ils pensent uniquement ce que pensait saint Cyrille ? Il n'y a pas de garantie sur ce point. Pourquoi, d'ailleurs, refusent-ils encore la formule du Concile oecuménique de Chalcédoine s'ils en admettent, comme ils le prétendent, l'orthodoxie ? Suivre fidèlement la foi de saint Cyrille du temps où il était en vie n'est d'ailleurs pas du tout la même chose que de la suivre après sa mort et jusqu'à aujourd'hui -puisque l'Eglise a abandonné la formulation de saint Cyrille pour une autre plus précise, et permettant de combattre d'autres hérésies. L'auteur de l'article réfute ensuite l'utilisation fallacieuse de saint Jean Damascène par les «spécialistes» de Chambésy. Sur ce point, nous renvoyons à l'éditorial du n30 de La Lumière du Thabor. En tout cas, pour saint Jean Damascène, l'utilisation du terme de «nature composée» après Chalcédoine est tout-à-fait impossible. Enfin, l'auteur note que le refus de recevoir l'autorité dogmatique et canonique des IVè, Vè, VIè et VIIè Conciles oecuméniques est tout-à-fait inadmissible et montre quelle importance les monophysites attribuent, en réalité, au contenu dogmatique de ces conciles.

L'extension des réactions

Pendant l'été 1991, les réactions aux déclarations de Chambésy se sont étendues. Nous avons déjà mentionné la condamnation par l'Eglise Russe Hors Frontières de cette union lors du synode qu'elle a tenue au Canada en juillet 1991. Toutefois, nous n'avons pas encore pu nous procurer ce texte.

En revanche, l'Orthodoxos Typos n990 du 23 août 1991 publie la réaction du Métropolite Augustin de Florina qui demande l'interruption du dialogue. Mgr Augustin s'exprime ainsi : «Le lion se réveille. Dans le silence de mort général sur les dogmes, la publication d'un opuscule par les vieux calendaristes, la protestation d'un véritable état-major théologique dans l'Orthodoxos Typos, et une série d'articles très éclairés de la Fraternité des Théologiens 'Sotir' ont été choses agréables. Enfin s'est fait entendre la voix de la Sainte Montagne par les articles de l'higoumène du monastère de Xéropotamou, l'archimandrite Joseph, qui ont été publiés dans le périodique Témoignage Hagiorite, tome 11. Mais le plus émouvant de tous ces textes, c'est la lettre de protestation publiée par Orthodoxos Typos, non d'un clerc ou d'un théologien, mais de l'officier de justice militaire Nicolas Iatrides. Cela démontre la sensibilité de l'élément laïc qui, ici, éclairé comme il convient, sans passion, mais par le seul amour de l'orthodoxie, pourrait bien, comme de l'eau qui sommeille, se réveiller et rendre vaine les pseudo-unions avec les hérétiques qui se présentent comme 'Eglises'. A ces voix, poussé par les gestes insistants du peuple fidèle, inquiet de ce qui se développe au détriment de l'orthodoxie, moi, vieil évêque, j'ajoute et j'unis ma voix de protestation et recommande vivement que lors de la première réunion, non pas du synode permanent, mais du Saint Synode de la hiérarchie, soit discutée cette question et rejeté le texte rédigé à Chambésy». Dans la suite du texte, publié d'abord dans Christianiki Spitha de juillet/août 1991, le métropolite Augustin souligne que cela devrait être l'occasion de suspendre tous les dialogues pour se consacrer aux questions propres à l'Eglise orthodoxe qui sont laissées en suspens.

L'archimandrite Nectaire Moulatsiotis

Le journal du Métropolite Augustin de Florina, Ecclesiastikos Agôn, de juillet 1991, publie une longue analyse de la déclaration de Chambésy, et en critique les conséquences ecclésiologiques. La déclaration est jugée d'autant plus inacceptable qu'elle s'est faite dans le cadre du Conseil Oecuménique des Eglises. L'attitude triomphale d'un ultra-oecuméniste comme le Patriarche Parthénios d'Alexandrie qui a affirmé publiquement que les orthodoxes et les «monophysites» sont désormais une seule Eglise, est inquiétante.
Ecclesiastikos Agôn fait ensuite l'historique du dialogue, la volonté nette des pré-chalcédoniens de défendre leur tradition et la vénération de Dioscore et Sévère qu'ils considèrent comme des saints. Il rappelle aussi les résistances du professeur de théologie P.Trembelas aux déclarations communes d'Aarhus, publiés en 1966-1971-1972 dans le périodique Sotir. Il fait ensuite une analyse des différents points de l'accord qui n'a pas été facile à réaliser parce que le Pape des monophysites coptes Shenouda III demandait explicitement qu'il ne soit pas parlé d'une éventuelle reconnaissance du IVème Concile oecuménique de Chalcédoine par les pré-chalcédoniens. De même, le Tome de Léon ne devait pas être mentionné. Ecclesiastikos Agôn souligne d'ailleurs l'ambiguïté de la déclaration de Chambésy -que veut dire, par exemple, accepter le contenu d'une foi, celle de Chalcédoine, et en refuser énergiquement l'expression ou la terminologie ? Le même journal relève ensuite clairement les concessions orthodoxes que les représentants au dialogue s'acharnent à nier. En réalité, il s'agit d'une trahison de l'orthodoxie, jamais vue jusque là, une tromperie comme il n'en a jamais existé dans l'histoire de l'Eglise : c'est une véritable chute de hiérarques et de théologiens orthodoxes.
Ecclesiastikos Agôn note enfin qu'un Archimandrite de l'Eglise d'Etat, le Père Nectaire Moulatsiotis, a décidé de porter l'affaire de Chambésy devant les autorités de sa propre Eglise. Il a, en effet, déposé une plainte au Saint Synode de l'Eglise grecque, contre les représentants de cette Eglise à Chambésy. Il accuse aussi les deux délégués, le métropolite de Nicopolis Mélétios et le prêtre-professeur John Romanides de trahison de la foi. Pour la même raison, il a déposé une plainte contre le Métropolite Chrysostome de Péristéria, qui représentait Constantinople mais qui dépend en réalité de l'Eglise de Grèce.
L'archimandrite écrit dans sa plainte qu'il se fait volontairement violence pour présumer que l'Eglise de Grèce n'est pas en accord avec l'union cacodoxe de Chambésy. En effet, dans le cas contraire, il se verrait dans l'obligation de rompre la communion avec l'ensemble de la hiérarchie. Dans le cas où la hiérarchie ne serait pas en accord avec ces accords, cela signifierait que les représentants au dialogue ont outrepassé leurs droits et donc doivent être sanctionnés par la déposition. Le seul de ces délégués à avoir tenté de justifier sa position est d'ailleurs le Métropolite Mélétios, que le Père Nectaire accuse notamment d'avoir falsifié la pensée de saint Jean Damascène.
La plainte du Père Nectaire Moulatsiotis a été reproduite dans diférents journaux, en particulier dans le journal des Pères zélotes, Agathangelos, qui est assez lu sur la Sainte Montagne et en Grèce.


Le Père Euthyme Trikamina

Un autre moine grec de l'Eglise d'Etat a réagi contre l'union de Chambésy, le Père Euthyme Trikamina, père spirituel du monastère de Saint-Spiridon à Volos. Sa protestation a été publiée dans le n945 d'Orthodoxos Typos daté du 27 septembre. Lui aussi souligne que les «pré-chalcédoniens» doivent passer par la pénitence et la condamnation des actes anti-orthodoxes de leurs pères. Sans cela, au lieu de leur faire du bien, on leur fera du mal. Or, dans la déclaration de Chambésy, il n'y a pas la moindre trace de pénitence puisque les «monophysites» sont reconnus comme une famille orthodoxe. Le Père Euthyme souligne justement que dans l'orthodoxie, il n'y a pas de «familles», mais le «Corps du Christ» : ou bien les monophysites sont le Corps du Christ ou bien ils ne le sont pas. S'ils ont été anathématisés par les Conciles oecuméniques, comment pourraient-ils être le «Corps du Christ» ? Ils sont alors une branche morte, séparée, pourrie, et aucune «économie» ne justifie de les appeler «famille orthodoxe». Le Père Euthyme souligne encore qu'il y a derrière Chambésy le plan global de l'oecuménisme qui est d'unir le plus grand nombre de tête en une seule, pour mieux les couper ensuite «avec le glaive du pape ou de l'antichrist». Rappelant que Dioscore était réellement un hérétique, le P.Euthyme renvoie à l'hymnographie de l'Eglise, qui condamne à la fois Dioscore, Sévère et des expressions comme «nature composée» (par exemple, dans le canon de la Croix-Résurrection dominical du ton 7, ode 9). En réalité, l'attitude des monophysites est inadmissible parce qu'ils posent des conditions -inacceptables- pour rentrer dans l'Eglise. D'ailleurs les monophysites sont toujours impénitents et hérétiques, puisqu'ils refusent toujours les conciles infaillibles et inspirés par le Saint Esprit. Lever l'anathème porté autrefois contre quelqu'un qui est maintenant mort -comme Dioscore- n'a aucun sens, puisqu'il a déjà été jugé : «L'Eglise aurait eu le droit de lever l'anathème contre Dioscore si aujourd'hui Dioscore vivait et se repentait pour ses opinions hérétiques. Toute autre levée d'anathème sans l'élément de la pénitence et le retour à la foi et à la tradition orthodoxe est un mensonge, une duperie, un voile de fumée pour cacher la réalité».


Une fausse union

L'accord de Chambésy est donc apparu, à tous ceux qui ont ainsi réagi, comme la voie vers une fausse union, mais surtout comme une atteinte, inégalée à ce jour, à l'autorité de la tradition et des conciles oecuméniques. Certains membres du dialogue étant connus pour leur attachement antérieur à la tradition patristique orthodoxe, l'union de Chambésy devrait être l'occasion d'une réflexion sur la nature du mouvement oecuménique qui endort lentement ses participants et leur fait perdre peu à peu toute conscience de l'unicité de l'Eglise.

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