jeudi 13 janvier 2011
La Lumière du Thabor n°22. Homélie de Saint Grégoire Palamas.
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Sur le mystère du sabbat et du dimanche
Commentaire de l’Evangile du Nouveau Dimanche.
Saint Grégoire Palamas1
Nous célébrons en ce jour, le Nouveau Dimanche, ou plutôt, nous fêtons l’instauration du jour nouveau du Seigneur. Nous nous proposons donc aujourd’hui de remonter, tant que l’heure s’y prêtera, vers l’origine du dimanche, afin d’en révéler quelque peu le mystère à votre charité. Mystère grand et élevé ! Même son aspect le plus évident dépasse les forces de la plupart des hommes. Nous devons donc rendre grâces au Seigneur dominant toute chose, qui a nommé d’après lui le jour dominical, de nous avoir accordé par sa venue dans la chair, à nous qui L’approchons par la foi, des dons que la parole et l’entendement n’atteignent qu’à peine.
Néanmoins, prêtez tous une oreille attentive à mes paroles, car, même si tel ou tel ne pénètre pas entièrement le sens de l’homélie entière, toutefois le peu qu’il en aura compris lui garantira la vertu du tout, car l’enseignement de l’Esprit est analogue à la lumière.
Or donc, Dieu avait, en six jours, non seulement créé et orné tout le monde sensible d’ici-bas, mais encore modelé et vivifié le seul animal composé de sensible et de spirituel, l’homme, en lui confiant la domination sur les plantes et les animaux terrestres. Et voici qu’au septième jour « Dieu se reposa de toutes ses œuvres », comme nous l’enseigne Moïse, qui contempla, longtemps après l’événement, la genèse du monde survenue tant de siècles auparavant. Ou plutôt, c’est l’Esprit Saint, dans son amour des hommes, qui a parlé par la langue de Moïse et s’est fait entendre à nos oreilles et dans nos âmes : « Dieu, dit-il, bénit le septième jour et il le sanctifia » (Genèse 2, 3).
Pourquoi Dieu a-t-il donc béni et sanctifié ce jour où il n’a rien fait, au lieu du premier, supérieur à tout autre ? C’est même en vertu de cette excellence que Moïse appelle ce jour « le jour unique » 2, et non le « premier jour », parce qu’en ce jour-là, Dieu tira du néant tout l’univers ensemble et l’éclaira d’une lumière nouvelle, encore qu’il ne l’eût pas encore orné de toute la beauté qu’il devait revêtir, quand le Créateur aurait amené tous les êtres à la forme et à l’ordre.
Pourquoi, en admettant même qu’il ait ainsi laissé le premier jour, Dieu n’a-t-il pas sanctifié non plus le deuxième jour, durant lequel il incurva et affermit la voûte immense de ce ciel, qui est le premier par rapport à nous, et le second par rapport à celui d’en-haut 3 ?
Pourquoi ne bénit-il pas davantage le jour d’après ou les suivants, qui virent la terre se solidifier, grâce au retrait des eaux, et se couvrir de toute sa parure naturelle, tandis que le ciel recevait les deux grands luminaires, ses deux yeux, et que des eaux sortaient, sur l’ordre divin, les oiseaux et les poissons selon leur espèce.
Laissons même ces jours et demandons-nous : pourquoi Dieu n’a-t-il pas, de préférence, béni le sixième jour ? C’est le jour où il a tiré de la terre l’âme vivante des reptiles et des quadrupèdes mais aussi, et surtout, a fait voir une œuvre digne de Son conseil et qui récapitule l’univers en unissant le sensible au spirituel. De plus, chose unique et grandiose, Dieu lui-même est entré dans son ouvrage par sa grâce divine, et Il a ainsi produit sur la terre, un vivant à son image et à sa ressemblance, et apte à recevoir la connaissance de Dieu : j’ai nommé l’homme. Oui, pourquoi Dieu, au lieu de bénir et de sanctifier ce jour remarquable, a-t-il choisi le septième, qui fut un jour d’oisiveté ?
Me proposant d’expliquer ce point et de résoudre la présente difficulté, je me vois obligé, à cause des membres distingués de cette assemblée, de réfuter au préalable les auteurs qui en ont mal traité.
Certains, en effet, attribuent au nombre sept un caractère sacré, comme le font Joseph et Philon, et tous ceux qui, avec eux, disent que ce chiffre est « inengendré » et « vierge », parce qu’il n’engendre pas, ce qui constitue selon eux un attribut de la Divinité. Car ils n’ont pas pu arriver à se représenter un Dieu qui engendrât sans perdre, si peu que ce fût, Sa virginité ; par le fait, Dieu engendre sans union ni écoulement et dans l’impassibilité.
La théorie des penseurs qui fonde là-dessus la raison de la bénédiction accordée au septième jour exclusivement, est donc complètement fausse, non seulement en ce qui concerne Dieu, auquel ils refusent la force d’engendrer, mais même à propos du nombre sept. Tout nombre, en effet, est engendré par l’unité. Or sept est un nombre. Donc il n’est pas inengendré.
« Mais, répondront-ils, aucun nombre, à partir de l’unité, n’engendre sept par multiplication ». Je réponds qu’un être inengendré n’est pas un être qui n’a pas plusieurs géniteurs, mais qui n’en a absolument aucun, ce qui n’est pas le cas du nombre sept.
Ensuite, si c’était à cause du chiffre sept et de cette qualité d’inengendré que le septième jour a été béni, le premier jour avait bien plus de titres encore à cette bénédiction, d’autant plus que Moïse l’a appelé « unique ». L’unité, en effet, est bel et bien inengendrée.
Que répondent ces doctes ? « L’unité, par addition à soi-même, engendre tous les nombres, dont ceux qui se situent dans la décade des dix premiers. Tandis que sept n’engendre aucun des nombres de un à dix, et ainsi reste vierge ».
Définissons la vierge comme celle qui n’enfante en aucune façon – principe qui ne vaut pas toujours, mais admettons-le pour le moment. Il s’ensuit que celle dont les enfantements se multiplient sans mesure, sera forcément d’autant moins vierge qu’elle aura plus de rejetons. Or le nombre sept, l’hebdomade, ajoutée ou multipliée à elle-même, n’enfante certes aucun des nombres de la décade, mais elle en produit autant qu’on veut au-delà de dix. Dès lors, comment l’appeler « vierge »?
Pour se soustraire à nos critiques, les partisans du sept vont escalader jusqu’à la lune et jusque dans les cieux, affirmant qu’il y a sept cieux.
Pour la lune, ils font valoir qu’elle forme un croissant pendant sept jours, reste pleine dans les sept suivants, et revient à son point de départ en deux autres périodes identiques.
Eh bien ! Ces gens ignorent que, si le nombre sept est vénérable pour de telles raisons, les autres nombres le sont autant que lui, et surtout leur commune origine, l’unité ou monade. Car le monde sensible, en son ensemble, est un ; le ciel entier est unique aussi – ou, si l’on préfère, il n’y en pas plus de deux 4. L’univers ne compte aussi qu’un seul soleil et qu’une seule lune… pour ne pas parler de l’Unique auquel est suspendue l’existence de tout être, je veux dire de Dieu qui est avant tout, en tout, et pardessus tout et qui révèle aux intelligences bien disposées la véritable unité.
Mais puisque les astres et toutes les sphères célestes sont circulaires, et que cet univers forme un orbe ; étant donné, d’autre part, que le cercle est engendré par deux choses, à savoir le point et la ligne, il en résulte que sans le nombre deux, aucune des choses sensibles n’existerait. Donc le chiffre deux est lui aussi des plus utiles et des plus indispensables à l’univers.
Poursuivons : dans l’univers, outre la ligne, existe aussi la surface ; et donc, dans les nombres, le chiffre trois occupera aussi une place éminente. Je laisse ici de côté les autres privilèges de ce nombre exceptionnel.
Davantage, tous ces corps dont nous avons parlé ne sont pas de simples cercles, mais des solides et des sphères, qui ne sauraient en aucune façon exister sans le chiffre quatre, puisqu’il leur faut nécessairement une autre dimension dans l’espace. Dès lors, ne faut-il pas aussi ranger la tétrade dans ces nombres remarquables ?
Que dis-je ? Mais il en va de même pour le nombre cinq, qui jouit de prérogatives similaires à celles que j’ai dites, et c’est encore plus vrai du nombre six. Ce nombre, en effet, est le premier à se diviser en parties égales et donc le premier, à offrir l’image et le caractère de la perfection. Aussi bien mesure-t-il, pour cette raison, le nombre des jours qui ont présidé à la création achevée de notre univers.
Ceux donc qui ont fait gloire au nombre sept de ce type d’analogies, ont oublié qu’il fallait glorifier de cette manière tous les nombres en général, sans se limiter au seul chiffre sept. Car tous les nombres abondent en propriétés admirables de ce genre.
Le nombre, en effet, a été créé par Dieu, et de telle manière qu’il accompagne tout ce qui existe ; or, toutes les créatures de Dieu sont bonnes et même très bonnes, selon le propre témoignage du Créateur, rapporté par Moïse ; il s’ensuit que quiconque détache une parcelle de cette réalité qu’est le nombre, pour en faire un examen attentif et diligent, découvrira qu’elle est bonne et même très bonne, dans la merveilleuse beauté de ces rapports d’analogie qu’elle entretient avec les autres réalités.
Ce n’est donc pas simplement le numéro d’ordre qui fait la supériorité d’un jour sur un autre, et Moïse ne montre jamais Dieu louant un quelconque des jours de la création à cause du chiffre qu’il porte.
Mais, dans son récit, Dieu prononce, à chaque fois, l’éloge des créatures qu’il a faites dans la journée. Donc le septième jour, pas plus qu’aucun autre, ne doit sa gloire au chiffre sept.
Disons maintenant la vraie raison pour laquelle Dieu a donné à ce jour une sanctification et une bénédiction exceptionnelles ; nous nous appuierons sur les paroles mêmes de Moïse. « Dieu, dit-il, se reposa le septième jour de toutes ses œuvres qu’il avait faites ». Puis il ajoute : « Et Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia », et il en donne aussitôt la raison, en reprenant : « Parce que Dieu se reposa de toutes ses œuvres qu’il avait commencé de faire ».
Il existe donc des œuvres que Dieu n’a point commencées et dont il ne s’est point reposé non plus ; chose que le Seigneur lui-même nous a révélée quand il a dit : « Mon Père œuvre jusqu’à présent et moi aussi j’œuvre ».
Dieu donc, voulant nous faire connaître de manière adéquate les œuvres singulières dont nous parlons, et nous montrer qu’il vaut infiniment mieux les rechercher que toutes les choses sensibles, bénit et sanctifia le Septième jour, pendant lequel il se reposa de la création du monde matériel, de sorte que ce jour mît fin au souci des choses d’en-bas, ouvrant ainsi le chemin des réalités supérieures et hypercosmiques. Avec le Grand Denys, nous pouvons dire que Dieu, dans le débordement de son immense bonté, sort de lui-même et quitte sa transcendance absolue pour descendre jusqu’à l’immanence en toute chose, par la richesse surabondante de sa force d’épanchement, qui reste tout entière en elle-même. Dans son amour de l’homme, Il s’est donc abaissé, selon sa volonté et autant qu’il convenait, pour œuvrer en six jours notre monde sensible, puis, au septième jour, Il a regagné, de la manière qui sied à Dieu, la sublimité qui est la sienne et qu’il n’avait jamais quittée, révélant la bénédiction éminente de ce repos du septième jour, afin de nous apprendre que nous devons chercher nous aussi à entrer, autant qu’il nous sera possible, dans ce repos glorieux de la Théôria, où notre esprit reste en contemplation et par elle s’élève vers Dieu.
L’Apôtre aussi nous exhorte, en termes formels, à gagner ce repos : car, évoquant la sentence de condamnation que Dieu passe contre le peuple juif par la bouche du psalmiste :
Je jurai dans ma colère :
Ils n’entreront pas dans mon repos ! 5
Il ajoute, après cette citation : « Il a parlé quelque part ainsi du septième jour : Et Dieu se reposa de toutes ses œuvres » », puis, après quelques mots : « Efforçons-nous nous-mêmes d’entrer dans son repos », « car celui qui entre dans le repos de Dieu se repose de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé des siennes » 6.
Aimeriez-vous savoir plus précisément quel est ce repos et comment nous y entrerons nous-mêmes ? Si nous savons quelles sont les œuvres sans commencement que Dieu n’a donc pas commencées, nous connaîtrons a fortiori, et ce repos, et le chemin qui en ouvre l’accès.
Oui, quelles sont ces œuvres ? Nous partirons du Prophète des Psaumes, qui, parlant de Dieu, écrit : « Les œuvres de ses mains sont vérité et jugement » 7.
Voici donc une œuvre que Dieu ne commença point de faire : la science des choses présentes et la prescience des futures ; deux connaissances que l’on peut, sans risque de beaucoup d’erreur, comprendre sous le terme de « vérité ».
Autre œuvre divine sans commencement ni pause : la providence et le jugement. Car les créatures ont besoin de la providence et du jugement : avant même d’exister, parce qu’elles doivent être créées ; et une fois venues à l’existence, afin qu’elles ne périssent pas avec le temps ou que les unes se transforment dans le temps, pour leur bien et celui du tout, tandis que les autres demeurent immuables.
Dieu a fait un autre ouvrage sans commencement : son retour sur Lui-même ; car c’est de toute éternité qu’il se meut dans la contemplation de soi-même.
Et l’on trouverait certainement une multitude d’actes de même nature, pour peu qu’on s’applique avec intelligence à l’étude de cette question.
Or, si chacun d’entre nous, frères, abandonne les soucis pénibles et perpétuels de ce monde et des oeuvres qui leur font cortège, et commence à prêter une oreille attentive à l’enseignement de l’Esprit, il obtiendra, en premier lieu, la louange du Seigneur. Car celui-ci n’a pas agréé Marthe qui s’inquiétait pour une multitude de choses, quoiqu’elle prît tout ce soin pour lui ; « Mais Marie, a-t-il dit, – Marie qui s’était assise à ses côtés et écoutait son enseignement – elle, a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée » 8.
En second lieu, celui qui met dans son intellect les paroles enseignées par l’Esprit et les médite ; celui qui, dans la partie rationnelle de son âme les distingue et leur donne la préférence sur toute pensée terrestre ou passionnelle ; celui, dis-je, qui par cet enseignement, assure à sa vie la voie providentielle du salut, un tel homme aura lui-même pour ouvrage, comme le dit le psalmiste, la vérité et le jugement, dans son propre cœur, et sa parole sera vérité.
Mais si tu isoles complètement ton esprit de tout raisonnement, fût-il même bon, et que tu le ramènes entièrement sur lui-même, par l’attention soutenue et la prière incessante, tu es d’ores et déjà entré toi-même dans le repos divin et tu jouis de la bénédiction du septième jour, car tu te vois toi-même et cette vision l’élève vers la contemplation de la Divinité. Il est écrit : « Le terme de la prière, c’est le ravissement auprès du Seigneur ».
Voilà donc une première raison de la bénédiction du septième jour, raison que Moïse nous fait connaître dans la Loi, en ordonnant de cesser en ce jour-là toutes les activités qui n’ont pour but que le bien du corps, et de mettre en œuvre, au contraire, celles qui profitent à l’âme.
Voici la seconde raison. Celui qui, en six jours, composa notre univers, voyait à l’avance l’inclination qui porterait l’homme vers le mal, le détournerait vers la terre, et le précipiterait jusque dans l’enfer, où il resterait prisonnier ; Dieu voyait, conséquence de cette chute de l’homme, la décrépitude et la dégradation de ce monde-ci, mais il voyait également le renouveau de l’homme et du monde, qui surviendrait par le moyen de Son Incarnation.
Or ce renouveau devint réalité quand le Dieu incarné descendit par la mort jusque chez Hadès (l’Enfer) et y proclama, durant le Sabbat, le rappel des âmes. Telle est l’œuvre du septième jour 9 que le Seigneur avait devant les yeux lors de la création ; ce qui explique, je pense, pourquoi il jugea ce jour, et lui seul, digne de Sa bénédiction.
Toutefois, quoique la grand’œuvre de Dieu ait bien été préparée dans le secret du Septième Jour, qui est le Sabbat ou Samedi, elle ne s’est pleinement réalisée et manifestée dans la lumière que lorsque la nature corporelle a été rappelée à l’incorruptibilité, au Huitième Jour, grâce à la Résurrection du Seigneur. Et c’est pour cela que ce jour est resté consacré au Seigneur et porte le nom de Dimanche ou Seigneurial. Le Sabbat-Samedi est donc au Dimanche ce que le jour de la Préparation, le Vendredi ou Parascève est au Sabbat ; le huitième jour l’emporte sur le septième comme la vérité et l’accomplissement sur l’ombre, la figure ou les premiers commencements.
Oui, telle est la solennité et la sainteté du dimanche, à cause du mystère béni par-dessus tout qui s’y est déroulé, de l’espérance de la Résurrection universelle qu’il verra s’accomplir, ainsi que l’accès des hommes qui en seront dignes dans la plénitude du repos divin et la régénération de l’univers.
Toutes les choses glorieuses qui ont été dites du Septième jour s’appliquent donc, d’une manière plus éminente encore, au huitième ; car il achève et couronne le septième. Cet honneur attribué au dimanche, Moïse lui-même le suggère, quoique sans s’en rendre compte. En effet, instituant l’année du jubilé, qu’il nomme, d’après la fonction qu’il lui fixe, « année de rémission », le législateur ne la fait pas entrer dans la suite des sept fois sept ans, que décompte la loi : l’année jubilaire survient à la huitième place, au terme du dernier cycle légal de sept ans 10. Moïse agit de même pour les sept semaines de sept jours 11. Or ce n’est pas toujours à son insu qu’il a rendu dans la Loi, honneur au huitième jour, que nous appelons le dimanche, en le consacrant à la Résurrection du Seigneur ; il a clairement découvert cet honneur dans la fête dite « des trompettes », qu’il appelle encore « exode » ou « clôture », c’est-à-dire, terme et accomplissement de toutes les fêtes. Il indique clairement, à propos de cette fête, que son huitième jour 12 sera pour nous « une sainte convocation », et annonce ainsi à l’avance l’éclat plus que divin, glorieux et vénérable dont brillerait le dimanche, quand les ordonnances de la Loi seraient toutes devenues caduques. Moïse a donc honoré le septième jour comme le prélude du huitième, auquel revient tout l’honneur.
De même que la Loi donnée par Moïse est précieuse, mais comme conduisant au Christ, de même le septième jour est vénérable parce qu’il mène au huitième, celui de la Résurrection du Seigneur, laquelle occupe aussi la huitième place. En effet, exactement comme le huitième jour suit le septième, en examinant la chose avec diligence, tu verras que la Résurrection du Seigneur a été la huitième de toutes les résurrections d’entre les morts connues de l’Histoire depuis l’origine des temps. Elle apparaît donc à la fois comme Résurrection du huitième jour et huitième résurrection, après celles qui l’ont précédée ; mais elle tient aussi le premier rang, par rapport à la résurrection universelle en Christ que nous espérons, ou plutôt, le relèvement de tous les morts, au regard duquel le Christ est, comme le chante l’Apôtre, « prémices de ceux qui dorment » 13 et « premier-né d’entre les morts » 14.
De même, le dimanche n’est pas simplement le huitième jour, vu comme le terme des précédents : il est aussi le premier pour les suivants, de telle sorte que ce même jour devient, dans le cycle hebdomadaire, le jour nouveau et le premier de tous. C’est pourquoi nous l’appelons « Seigneurial », dominical, et Moïse le dit non pas « premier », mais « unique », montrant la supériorité infinie de ce jour sur les autres, prélude du Jour unique et sans crépuscule de l’éternité à venir.
Une autre remarque nous fera comprendre combien ce jour du dimanche l’emporte sur tous les autres jours de fête. Le cours de l’an ne ramène chaque fête qu’une seule fois, mais le dimanche revient quatre fois par mois, si bien que la fréquence de son retour périodique tout au long de l’an, fait de chaque année, pour nous, un jubilé de la véritable rémission et la rend « agréable au Seigneur ».
C’est aussi pourquoi le Seigneur nous a lui-même enseigné qu’il fallait célébrer ce jour après la fin de chaque semaine, et il l’a fait de la manière suivante.
Il apparut, en effet, en premier lieu à ses disciples, dans la maison, en l’absence de Thomas. Il se montra devant eux vivant, leur donna sa paix, et, en soufflant de sa bouche, renouvela en eux, le souffle qu’il avait au commencement donné à l’homme ; il leur accorda la grâce de l’Esprit divin, qui les remplit de la force divine nécessaire pour lier et délier les péchés ; enfin, il fit d’eux les associés de son pouvoir céleste, en leur disant : « Recevez le Saint Esprit. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » 15. Cette force et cette grâce, le Seigneur les a données lors de son apparition, au jour même de Sa Résurrection, qui était assurément un dimanche.
Ensuite, le Seigneur laissa s’écouler les sept jours de la semaine intermédiaire, pour revenir en même façon au huitième jour, celui du dimanche que nous célébrons aujourd’hui, et il se tint dans la même maison, instaurant ainsi la première célébration dominicale, et amenant à la foi Thomas qui doutait. Le disciple bien-aimé du Sauveur, l’Evangéliste Jean, écrit en effet : « Huit jours après, les disciples étaient de nouveau dans la maison, et Thomas se trouvait avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, se tint au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous ». Avez-vous remarqué comment, en ce dimanche, les disciples se sont assemblés et le Seigneur est venu les visiter ? Car c’était un dimanche que, la première fois, le Seigneur s’était tenu dans leur assemblée, et huit jours après, alors qu’ils célèbrent de nouveau le dimanche, le Seigneur revient au milieu de leur assemblée. Ces assemblées apostoliques, l’Eglise ne cesse d’en offrir l’image fidèle, puisqu’elle nous réunit surtout le dimanche, pour la célébration de l’eucharistie ; et c’est en ce jour que nous nous adressons à vous, pour vous entretenir tous des choses qui concernent le salut et vous conduire à la justesse de la foi et à la vie qui y répond.
Que personne, donc, du fait de sa nonchalance ou d’un souci constant des choses de la terre, ne manque nos assemblées dominicales, saintes et ordonnées par Dieu, de peur de se voir justement abandonné de Dieu, et de connaître le sort de Thomas, en oubliant de venir au moment voulu. Et si d’aventure il est arrivé à l’un d’entre nous, absorbé par quelque soin, de manquer une liturgie, qu’il s’empresse de compenser cette absence la fois suivante, en se hâtant d’aller à l’église du Christ, de peur de rester incurable, et de souffrir dans son âme d’une incrédulité d’actes…
… et de paroles, omettant de recourir à l’hôpital du Christ et d’obtenir, comme le divin Thomas, la sainte guérison. Car la foi n’est pas simplement une question de paroles et de pensées ; elle existe aussi, véritablement, dans les œuvres et les actions, ainsi qu’il est écrit : « Montre-moi ta foi par tes œuvres »16. Ainsi, celui qui deviendrait totalement étranger à ces œuvres de la foi, en s’éloignant de l’Eglise et en se donnant tout entier aux choses vaines, n’aura qu’une foi morte, autrement dit, une foi sans foi, étant lui-même devenu un cadavre à cause du péché.
Mais ici, certains se demandent comment le Christ, revêtu du corps, a pu entrer les portes étant closes ? C’est qu’ils ne savent pas, semble-t-il, juger spirituellement des choses spirituelles et les connaître en les confrontant à ce qui est de même nature, selon la recommandation du divin Apôtre 17. En effet, celui qui n’a pas brisé les verrous de la Vierge qui l’enfanta selon la chair, mais a gardé intacts, même dans l’enfantement, les signes de sa virginité, quoiqu’il fût alors revêtu d’un corps mortel et passible, comment s’étonner si, ayant rendu immortelle la chair qu’il avait assumée, et possédant désormais un corps immortel, il a pu franchir les portes fermées ? - « Mais, dans ce cas, dira-t-on, s’il avait un corps absolument immortel et impassible, comment pouvait-il présenter toujours, sur les mains et au côté, les plaies et les marques des clous ? Car l’Evangéliste rapporte que le Seigneur s’adressa en ces termes à Thomas : « Mets ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois plus incrédule, mais croyant »18. Comment pouvait-il conserver ces blessures ? »
Certes, un corps mortel et passible n’eût pas pu présenter de telles plaies et marques de clous, et demeurer sain et sauf. En revanche, un corps impassible et immortel, peut montrer les plaies et les marques de clous qu’il avait avant d’être incorruptible, et cela à tous ceux qu’il choisit : il n’en demeure pas moins impassible et immortel.
Cette circonstance me fait ici apercevoir une autre vérité : ceux qui ont souffert pour le Christ porteront à jamais les plaies de leur martyre, qui leur feront une parure pour l’éternité. Car de même que les fenêtres et les jours des maisons, sans rien ajouter à leur solidité, ne les dépare pas, mais les embellissent au contraire du plus nécessaire des ornements, puisqu’elle donne passage à la lumière qui éclaire l’intérieur et permettent aux habitants de regarder au-dehors ; de même, les souffrances physiques endurées pour le Seigneur, et les marques qu’elles laissent, subsistent dans le corps du martyr, comme les baies lumineuses de la lumière sans crépuscule. Ils seront reconnaissables, quand cette lumière se manifestera dans sa plénitude, non par l’aspect douloureux et pénible de leurs blessures, mais tout au contraire, par la splendeur et l’éclat de la beauté divine qui en jaillira. Bien loin de nuire à l’impassibilité, ces blessures leur procureront à profusion l’immortalité.
Or, le Corps du Christ possédant en soi la source de la lumière divine, il éclaira spirituellement le disciple sceptique par l’illumination qu’il répandait. En sorte que Thomas, devenu Instantanément parfait théologien, s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Et le Seigneur reprit : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! », révélant que ses témoins oculaires n’ont pas plus de titre à la gloire que ceux qui se laissent guider par eux jusqu’à la foi en Lui.
Mais pourquoi le Seigneur, au lieu de dire « ceux qui croiront », s’est-il exprimé au passé : « ceux qui ont cru ? » Parce que, à la lumière de la force divine et prophétique de Celui qui sait toute chose avant qu’elle ne soit, le futur est comme déjà passé.
Je dirai maintenant à votre charité ce qui me vient à l’instant dans l’esprit. Je vois, en effet, Thomas, absent, devenir incrédule ; puis je le vois retrouver la foi et ne plus la perdre après son retour au milieu des croyants. J’en ai conclu qu’il en va de même pour tout pécheur : il suffit qu’il cesse de fréquenter les méchants et cultive les bonnes compagnies, pour retrouver la voie de la justice et du salut qu’elle procure à l’âme. Voilà, je pense, ce que le prophète des psaumes exprime, quoique de manière voilée, quand il déclare bienheureux les hommes qui ne veulent ni « s’asseoir en compagnie des méchants », ni « faire route avec eux ». Et un autre prophète dit : « Ne parle pas de la malice avec beaucoup »19, et l’auteur des Proverbes : « Dans l’assemblée des pécheurs brûlera le feu ; mais celui qui marche avec les sages sera sage ».
Ainsi donc, frères, venons ensemble à l’église de Dieu, et venons-y fréquemment. Tout être vraiment pieux se montre assidu à s’y rendre et à y demeurer sans la quitter. Et que chacun d’entre vous, quand il viendra à l’église, prête attention aux fidèles les plus pieux : on les reconnaîtra d’un simple regard, à leur contenance silencieuse et attentive. Oui, considérez ces hommes d’une piété supérieure et possédant plus que quiconque la crainte du Seigneur, et attachez-vous à eux, sans balancer, pour vous présenter devant Dieu à leur côté.
Après le renvoi, à la fin de l’Office, quand l’on sort de l’Eglise, le dimanche, et que l’on va, en l’honneur du Seigneur, dont ce jour porte le nom, se reposer des œuvres terrestres, cherchez alors avec soin s’il ne se trouve pas un des fidèles qui imite les Apôtres dont nous faisons mémoire, et qui passe le plus clair de son temps enfermé chez lui, adonné à la prière dans la quiétude, à la psalmodie et à toutes les habitudes semblables, propres à enflammer son désir du Seigneur.
Que l’on s’attache donc à un tel homme, et que l’on entre avec foi dans sa cellule, comme en un lieu céleste, qui possède en soi la force sanctifiante de l’Esprit. Il convient alors de s’asseoir auprès du maître de céans, et de demeurer en sa compagnie autant que faire se pourra, pour s’entretenir avec lui sur Dieu et les choses divines, en l’interrogeant et en écoutant avec humilité son instruction, sans omettre d’implorer le secours qui vient de la prière. Qui agira ainsi, je sais que le Christ viendra vers lui invisiblement, fera habiter Sa paix dans la partie raisonnable de son âme, augmentera sa foi, raffermira ses forces, et le placera avec ses élus, au moment fixé, dans le royaume des cieux. Puissions-nous tous l’obtenir, dans Celui qui maintenant est mort et ressuscité pour nous, et qui reviendra plus tard en gloire, le Roi des siècles, Christ notre Dieu ; à lui convient la gloire aux siècles des siècles. Amen.
1 Homélie 17 du recueil, texte : migne, P.G. 151, 220-236.
2 Genèse, 1, 5 : « êmera mia » dans le grec des Septante. Même expression dans l’hébreu, improprement traduite dans la plupart des versions françaises par « premier jour ». Il s’agit du « jour un », « jour unique ». Le compte des jours ne commence qu’à partir du second, appelé « deuxième jour ».
3 Distinction du ciel matériel d’avec celui des anges, créé auparavant.
4 Le ciel sensible et le ciel spirituel, voir note 3.
5 Ps. 94, 11.
6 Héb. 4, 3, 4 et 10.
7 Ps. 110, 7.
8 Luc 10, 42.
9 Sur la descente du Seigneur aux Enfers, voir l’homélie de saint Epiphane sur le Grand Samedi, dans La Lumière du Thabor, n° 17 (1988), p. 12-36.
10 Lévitique, cap. 25.
11 Lév. 23, 15-16. Après sept fois sept jours vient la Pentecôte, cinquantième jour.
12 Lev. 23, 36 et Nomb. 29, 35.
13 1 Cor. 15, 20.
14 Col. 1, 18.
15 Jean 20, 23.
16 Jacques 2, 18.
17 1 Cor. 2, 15.
18 Jean 20, 27.
19 Ecclésiastique 11,9.
Sur le mystère du sabbat et du dimanche
Commentaire de l’Evangile du Nouveau Dimanche.
Saint Grégoire Palamas1
Nous célébrons en ce jour, le Nouveau Dimanche, ou plutôt, nous fêtons l’instauration du jour nouveau du Seigneur. Nous nous proposons donc aujourd’hui de remonter, tant que l’heure s’y prêtera, vers l’origine du dimanche, afin d’en révéler quelque peu le mystère à votre charité. Mystère grand et élevé ! Même son aspect le plus évident dépasse les forces de la plupart des hommes. Nous devons donc rendre grâces au Seigneur dominant toute chose, qui a nommé d’après lui le jour dominical, de nous avoir accordé par sa venue dans la chair, à nous qui L’approchons par la foi, des dons que la parole et l’entendement n’atteignent qu’à peine.
Néanmoins, prêtez tous une oreille attentive à mes paroles, car, même si tel ou tel ne pénètre pas entièrement le sens de l’homélie entière, toutefois le peu qu’il en aura compris lui garantira la vertu du tout, car l’enseignement de l’Esprit est analogue à la lumière.
Or donc, Dieu avait, en six jours, non seulement créé et orné tout le monde sensible d’ici-bas, mais encore modelé et vivifié le seul animal composé de sensible et de spirituel, l’homme, en lui confiant la domination sur les plantes et les animaux terrestres. Et voici qu’au septième jour « Dieu se reposa de toutes ses œuvres », comme nous l’enseigne Moïse, qui contempla, longtemps après l’événement, la genèse du monde survenue tant de siècles auparavant. Ou plutôt, c’est l’Esprit Saint, dans son amour des hommes, qui a parlé par la langue de Moïse et s’est fait entendre à nos oreilles et dans nos âmes : « Dieu, dit-il, bénit le septième jour et il le sanctifia » (Genèse 2, 3).
Pourquoi Dieu a-t-il donc béni et sanctifié ce jour où il n’a rien fait, au lieu du premier, supérieur à tout autre ? C’est même en vertu de cette excellence que Moïse appelle ce jour « le jour unique » 2, et non le « premier jour », parce qu’en ce jour-là, Dieu tira du néant tout l’univers ensemble et l’éclaira d’une lumière nouvelle, encore qu’il ne l’eût pas encore orné de toute la beauté qu’il devait revêtir, quand le Créateur aurait amené tous les êtres à la forme et à l’ordre.
Pourquoi, en admettant même qu’il ait ainsi laissé le premier jour, Dieu n’a-t-il pas sanctifié non plus le deuxième jour, durant lequel il incurva et affermit la voûte immense de ce ciel, qui est le premier par rapport à nous, et le second par rapport à celui d’en-haut 3 ?
Pourquoi ne bénit-il pas davantage le jour d’après ou les suivants, qui virent la terre se solidifier, grâce au retrait des eaux, et se couvrir de toute sa parure naturelle, tandis que le ciel recevait les deux grands luminaires, ses deux yeux, et que des eaux sortaient, sur l’ordre divin, les oiseaux et les poissons selon leur espèce.
Laissons même ces jours et demandons-nous : pourquoi Dieu n’a-t-il pas, de préférence, béni le sixième jour ? C’est le jour où il a tiré de la terre l’âme vivante des reptiles et des quadrupèdes mais aussi, et surtout, a fait voir une œuvre digne de Son conseil et qui récapitule l’univers en unissant le sensible au spirituel. De plus, chose unique et grandiose, Dieu lui-même est entré dans son ouvrage par sa grâce divine, et Il a ainsi produit sur la terre, un vivant à son image et à sa ressemblance, et apte à recevoir la connaissance de Dieu : j’ai nommé l’homme. Oui, pourquoi Dieu, au lieu de bénir et de sanctifier ce jour remarquable, a-t-il choisi le septième, qui fut un jour d’oisiveté ?
Me proposant d’expliquer ce point et de résoudre la présente difficulté, je me vois obligé, à cause des membres distingués de cette assemblée, de réfuter au préalable les auteurs qui en ont mal traité.
Certains, en effet, attribuent au nombre sept un caractère sacré, comme le font Joseph et Philon, et tous ceux qui, avec eux, disent que ce chiffre est « inengendré » et « vierge », parce qu’il n’engendre pas, ce qui constitue selon eux un attribut de la Divinité. Car ils n’ont pas pu arriver à se représenter un Dieu qui engendrât sans perdre, si peu que ce fût, Sa virginité ; par le fait, Dieu engendre sans union ni écoulement et dans l’impassibilité.
La théorie des penseurs qui fonde là-dessus la raison de la bénédiction accordée au septième jour exclusivement, est donc complètement fausse, non seulement en ce qui concerne Dieu, auquel ils refusent la force d’engendrer, mais même à propos du nombre sept. Tout nombre, en effet, est engendré par l’unité. Or sept est un nombre. Donc il n’est pas inengendré.
« Mais, répondront-ils, aucun nombre, à partir de l’unité, n’engendre sept par multiplication ». Je réponds qu’un être inengendré n’est pas un être qui n’a pas plusieurs géniteurs, mais qui n’en a absolument aucun, ce qui n’est pas le cas du nombre sept.
Ensuite, si c’était à cause du chiffre sept et de cette qualité d’inengendré que le septième jour a été béni, le premier jour avait bien plus de titres encore à cette bénédiction, d’autant plus que Moïse l’a appelé « unique ». L’unité, en effet, est bel et bien inengendrée.
Que répondent ces doctes ? « L’unité, par addition à soi-même, engendre tous les nombres, dont ceux qui se situent dans la décade des dix premiers. Tandis que sept n’engendre aucun des nombres de un à dix, et ainsi reste vierge ».
Définissons la vierge comme celle qui n’enfante en aucune façon – principe qui ne vaut pas toujours, mais admettons-le pour le moment. Il s’ensuit que celle dont les enfantements se multiplient sans mesure, sera forcément d’autant moins vierge qu’elle aura plus de rejetons. Or le nombre sept, l’hebdomade, ajoutée ou multipliée à elle-même, n’enfante certes aucun des nombres de la décade, mais elle en produit autant qu’on veut au-delà de dix. Dès lors, comment l’appeler « vierge »?
Pour se soustraire à nos critiques, les partisans du sept vont escalader jusqu’à la lune et jusque dans les cieux, affirmant qu’il y a sept cieux.
Pour la lune, ils font valoir qu’elle forme un croissant pendant sept jours, reste pleine dans les sept suivants, et revient à son point de départ en deux autres périodes identiques.
Eh bien ! Ces gens ignorent que, si le nombre sept est vénérable pour de telles raisons, les autres nombres le sont autant que lui, et surtout leur commune origine, l’unité ou monade. Car le monde sensible, en son ensemble, est un ; le ciel entier est unique aussi – ou, si l’on préfère, il n’y en pas plus de deux 4. L’univers ne compte aussi qu’un seul soleil et qu’une seule lune… pour ne pas parler de l’Unique auquel est suspendue l’existence de tout être, je veux dire de Dieu qui est avant tout, en tout, et pardessus tout et qui révèle aux intelligences bien disposées la véritable unité.
Mais puisque les astres et toutes les sphères célestes sont circulaires, et que cet univers forme un orbe ; étant donné, d’autre part, que le cercle est engendré par deux choses, à savoir le point et la ligne, il en résulte que sans le nombre deux, aucune des choses sensibles n’existerait. Donc le chiffre deux est lui aussi des plus utiles et des plus indispensables à l’univers.
Poursuivons : dans l’univers, outre la ligne, existe aussi la surface ; et donc, dans les nombres, le chiffre trois occupera aussi une place éminente. Je laisse ici de côté les autres privilèges de ce nombre exceptionnel.
Davantage, tous ces corps dont nous avons parlé ne sont pas de simples cercles, mais des solides et des sphères, qui ne sauraient en aucune façon exister sans le chiffre quatre, puisqu’il leur faut nécessairement une autre dimension dans l’espace. Dès lors, ne faut-il pas aussi ranger la tétrade dans ces nombres remarquables ?
Que dis-je ? Mais il en va de même pour le nombre cinq, qui jouit de prérogatives similaires à celles que j’ai dites, et c’est encore plus vrai du nombre six. Ce nombre, en effet, est le premier à se diviser en parties égales et donc le premier, à offrir l’image et le caractère de la perfection. Aussi bien mesure-t-il, pour cette raison, le nombre des jours qui ont présidé à la création achevée de notre univers.
Ceux donc qui ont fait gloire au nombre sept de ce type d’analogies, ont oublié qu’il fallait glorifier de cette manière tous les nombres en général, sans se limiter au seul chiffre sept. Car tous les nombres abondent en propriétés admirables de ce genre.
Le nombre, en effet, a été créé par Dieu, et de telle manière qu’il accompagne tout ce qui existe ; or, toutes les créatures de Dieu sont bonnes et même très bonnes, selon le propre témoignage du Créateur, rapporté par Moïse ; il s’ensuit que quiconque détache une parcelle de cette réalité qu’est le nombre, pour en faire un examen attentif et diligent, découvrira qu’elle est bonne et même très bonne, dans la merveilleuse beauté de ces rapports d’analogie qu’elle entretient avec les autres réalités.
Ce n’est donc pas simplement le numéro d’ordre qui fait la supériorité d’un jour sur un autre, et Moïse ne montre jamais Dieu louant un quelconque des jours de la création à cause du chiffre qu’il porte.
Mais, dans son récit, Dieu prononce, à chaque fois, l’éloge des créatures qu’il a faites dans la journée. Donc le septième jour, pas plus qu’aucun autre, ne doit sa gloire au chiffre sept.
Disons maintenant la vraie raison pour laquelle Dieu a donné à ce jour une sanctification et une bénédiction exceptionnelles ; nous nous appuierons sur les paroles mêmes de Moïse. « Dieu, dit-il, se reposa le septième jour de toutes ses œuvres qu’il avait faites ». Puis il ajoute : « Et Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia », et il en donne aussitôt la raison, en reprenant : « Parce que Dieu se reposa de toutes ses œuvres qu’il avait commencé de faire ».
Il existe donc des œuvres que Dieu n’a point commencées et dont il ne s’est point reposé non plus ; chose que le Seigneur lui-même nous a révélée quand il a dit : « Mon Père œuvre jusqu’à présent et moi aussi j’œuvre ».
Dieu donc, voulant nous faire connaître de manière adéquate les œuvres singulières dont nous parlons, et nous montrer qu’il vaut infiniment mieux les rechercher que toutes les choses sensibles, bénit et sanctifia le Septième jour, pendant lequel il se reposa de la création du monde matériel, de sorte que ce jour mît fin au souci des choses d’en-bas, ouvrant ainsi le chemin des réalités supérieures et hypercosmiques. Avec le Grand Denys, nous pouvons dire que Dieu, dans le débordement de son immense bonté, sort de lui-même et quitte sa transcendance absolue pour descendre jusqu’à l’immanence en toute chose, par la richesse surabondante de sa force d’épanchement, qui reste tout entière en elle-même. Dans son amour de l’homme, Il s’est donc abaissé, selon sa volonté et autant qu’il convenait, pour œuvrer en six jours notre monde sensible, puis, au septième jour, Il a regagné, de la manière qui sied à Dieu, la sublimité qui est la sienne et qu’il n’avait jamais quittée, révélant la bénédiction éminente de ce repos du septième jour, afin de nous apprendre que nous devons chercher nous aussi à entrer, autant qu’il nous sera possible, dans ce repos glorieux de la Théôria, où notre esprit reste en contemplation et par elle s’élève vers Dieu.
L’Apôtre aussi nous exhorte, en termes formels, à gagner ce repos : car, évoquant la sentence de condamnation que Dieu passe contre le peuple juif par la bouche du psalmiste :
Je jurai dans ma colère :
Ils n’entreront pas dans mon repos ! 5
Il ajoute, après cette citation : « Il a parlé quelque part ainsi du septième jour : Et Dieu se reposa de toutes ses œuvres » », puis, après quelques mots : « Efforçons-nous nous-mêmes d’entrer dans son repos », « car celui qui entre dans le repos de Dieu se repose de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé des siennes » 6.
Aimeriez-vous savoir plus précisément quel est ce repos et comment nous y entrerons nous-mêmes ? Si nous savons quelles sont les œuvres sans commencement que Dieu n’a donc pas commencées, nous connaîtrons a fortiori, et ce repos, et le chemin qui en ouvre l’accès.
Oui, quelles sont ces œuvres ? Nous partirons du Prophète des Psaumes, qui, parlant de Dieu, écrit : « Les œuvres de ses mains sont vérité et jugement » 7.
Voici donc une œuvre que Dieu ne commença point de faire : la science des choses présentes et la prescience des futures ; deux connaissances que l’on peut, sans risque de beaucoup d’erreur, comprendre sous le terme de « vérité ».
Autre œuvre divine sans commencement ni pause : la providence et le jugement. Car les créatures ont besoin de la providence et du jugement : avant même d’exister, parce qu’elles doivent être créées ; et une fois venues à l’existence, afin qu’elles ne périssent pas avec le temps ou que les unes se transforment dans le temps, pour leur bien et celui du tout, tandis que les autres demeurent immuables.
Dieu a fait un autre ouvrage sans commencement : son retour sur Lui-même ; car c’est de toute éternité qu’il se meut dans la contemplation de soi-même.
Et l’on trouverait certainement une multitude d’actes de même nature, pour peu qu’on s’applique avec intelligence à l’étude de cette question.
Or, si chacun d’entre nous, frères, abandonne les soucis pénibles et perpétuels de ce monde et des oeuvres qui leur font cortège, et commence à prêter une oreille attentive à l’enseignement de l’Esprit, il obtiendra, en premier lieu, la louange du Seigneur. Car celui-ci n’a pas agréé Marthe qui s’inquiétait pour une multitude de choses, quoiqu’elle prît tout ce soin pour lui ; « Mais Marie, a-t-il dit, – Marie qui s’était assise à ses côtés et écoutait son enseignement – elle, a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée » 8.
En second lieu, celui qui met dans son intellect les paroles enseignées par l’Esprit et les médite ; celui qui, dans la partie rationnelle de son âme les distingue et leur donne la préférence sur toute pensée terrestre ou passionnelle ; celui, dis-je, qui par cet enseignement, assure à sa vie la voie providentielle du salut, un tel homme aura lui-même pour ouvrage, comme le dit le psalmiste, la vérité et le jugement, dans son propre cœur, et sa parole sera vérité.
Mais si tu isoles complètement ton esprit de tout raisonnement, fût-il même bon, et que tu le ramènes entièrement sur lui-même, par l’attention soutenue et la prière incessante, tu es d’ores et déjà entré toi-même dans le repos divin et tu jouis de la bénédiction du septième jour, car tu te vois toi-même et cette vision l’élève vers la contemplation de la Divinité. Il est écrit : « Le terme de la prière, c’est le ravissement auprès du Seigneur ».
Voilà donc une première raison de la bénédiction du septième jour, raison que Moïse nous fait connaître dans la Loi, en ordonnant de cesser en ce jour-là toutes les activités qui n’ont pour but que le bien du corps, et de mettre en œuvre, au contraire, celles qui profitent à l’âme.
Voici la seconde raison. Celui qui, en six jours, composa notre univers, voyait à l’avance l’inclination qui porterait l’homme vers le mal, le détournerait vers la terre, et le précipiterait jusque dans l’enfer, où il resterait prisonnier ; Dieu voyait, conséquence de cette chute de l’homme, la décrépitude et la dégradation de ce monde-ci, mais il voyait également le renouveau de l’homme et du monde, qui surviendrait par le moyen de Son Incarnation.
Or ce renouveau devint réalité quand le Dieu incarné descendit par la mort jusque chez Hadès (l’Enfer) et y proclama, durant le Sabbat, le rappel des âmes. Telle est l’œuvre du septième jour 9 que le Seigneur avait devant les yeux lors de la création ; ce qui explique, je pense, pourquoi il jugea ce jour, et lui seul, digne de Sa bénédiction.
Toutefois, quoique la grand’œuvre de Dieu ait bien été préparée dans le secret du Septième Jour, qui est le Sabbat ou Samedi, elle ne s’est pleinement réalisée et manifestée dans la lumière que lorsque la nature corporelle a été rappelée à l’incorruptibilité, au Huitième Jour, grâce à la Résurrection du Seigneur. Et c’est pour cela que ce jour est resté consacré au Seigneur et porte le nom de Dimanche ou Seigneurial. Le Sabbat-Samedi est donc au Dimanche ce que le jour de la Préparation, le Vendredi ou Parascève est au Sabbat ; le huitième jour l’emporte sur le septième comme la vérité et l’accomplissement sur l’ombre, la figure ou les premiers commencements.
Oui, telle est la solennité et la sainteté du dimanche, à cause du mystère béni par-dessus tout qui s’y est déroulé, de l’espérance de la Résurrection universelle qu’il verra s’accomplir, ainsi que l’accès des hommes qui en seront dignes dans la plénitude du repos divin et la régénération de l’univers.
Toutes les choses glorieuses qui ont été dites du Septième jour s’appliquent donc, d’une manière plus éminente encore, au huitième ; car il achève et couronne le septième. Cet honneur attribué au dimanche, Moïse lui-même le suggère, quoique sans s’en rendre compte. En effet, instituant l’année du jubilé, qu’il nomme, d’après la fonction qu’il lui fixe, « année de rémission », le législateur ne la fait pas entrer dans la suite des sept fois sept ans, que décompte la loi : l’année jubilaire survient à la huitième place, au terme du dernier cycle légal de sept ans 10. Moïse agit de même pour les sept semaines de sept jours 11. Or ce n’est pas toujours à son insu qu’il a rendu dans la Loi, honneur au huitième jour, que nous appelons le dimanche, en le consacrant à la Résurrection du Seigneur ; il a clairement découvert cet honneur dans la fête dite « des trompettes », qu’il appelle encore « exode » ou « clôture », c’est-à-dire, terme et accomplissement de toutes les fêtes. Il indique clairement, à propos de cette fête, que son huitième jour 12 sera pour nous « une sainte convocation », et annonce ainsi à l’avance l’éclat plus que divin, glorieux et vénérable dont brillerait le dimanche, quand les ordonnances de la Loi seraient toutes devenues caduques. Moïse a donc honoré le septième jour comme le prélude du huitième, auquel revient tout l’honneur.
De même que la Loi donnée par Moïse est précieuse, mais comme conduisant au Christ, de même le septième jour est vénérable parce qu’il mène au huitième, celui de la Résurrection du Seigneur, laquelle occupe aussi la huitième place. En effet, exactement comme le huitième jour suit le septième, en examinant la chose avec diligence, tu verras que la Résurrection du Seigneur a été la huitième de toutes les résurrections d’entre les morts connues de l’Histoire depuis l’origine des temps. Elle apparaît donc à la fois comme Résurrection du huitième jour et huitième résurrection, après celles qui l’ont précédée ; mais elle tient aussi le premier rang, par rapport à la résurrection universelle en Christ que nous espérons, ou plutôt, le relèvement de tous les morts, au regard duquel le Christ est, comme le chante l’Apôtre, « prémices de ceux qui dorment » 13 et « premier-né d’entre les morts » 14.
De même, le dimanche n’est pas simplement le huitième jour, vu comme le terme des précédents : il est aussi le premier pour les suivants, de telle sorte que ce même jour devient, dans le cycle hebdomadaire, le jour nouveau et le premier de tous. C’est pourquoi nous l’appelons « Seigneurial », dominical, et Moïse le dit non pas « premier », mais « unique », montrant la supériorité infinie de ce jour sur les autres, prélude du Jour unique et sans crépuscule de l’éternité à venir.
Une autre remarque nous fera comprendre combien ce jour du dimanche l’emporte sur tous les autres jours de fête. Le cours de l’an ne ramène chaque fête qu’une seule fois, mais le dimanche revient quatre fois par mois, si bien que la fréquence de son retour périodique tout au long de l’an, fait de chaque année, pour nous, un jubilé de la véritable rémission et la rend « agréable au Seigneur ».
C’est aussi pourquoi le Seigneur nous a lui-même enseigné qu’il fallait célébrer ce jour après la fin de chaque semaine, et il l’a fait de la manière suivante.
Il apparut, en effet, en premier lieu à ses disciples, dans la maison, en l’absence de Thomas. Il se montra devant eux vivant, leur donna sa paix, et, en soufflant de sa bouche, renouvela en eux, le souffle qu’il avait au commencement donné à l’homme ; il leur accorda la grâce de l’Esprit divin, qui les remplit de la force divine nécessaire pour lier et délier les péchés ; enfin, il fit d’eux les associés de son pouvoir céleste, en leur disant : « Recevez le Saint Esprit. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » 15. Cette force et cette grâce, le Seigneur les a données lors de son apparition, au jour même de Sa Résurrection, qui était assurément un dimanche.
Ensuite, le Seigneur laissa s’écouler les sept jours de la semaine intermédiaire, pour revenir en même façon au huitième jour, celui du dimanche que nous célébrons aujourd’hui, et il se tint dans la même maison, instaurant ainsi la première célébration dominicale, et amenant à la foi Thomas qui doutait. Le disciple bien-aimé du Sauveur, l’Evangéliste Jean, écrit en effet : « Huit jours après, les disciples étaient de nouveau dans la maison, et Thomas se trouvait avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, se tint au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous ». Avez-vous remarqué comment, en ce dimanche, les disciples se sont assemblés et le Seigneur est venu les visiter ? Car c’était un dimanche que, la première fois, le Seigneur s’était tenu dans leur assemblée, et huit jours après, alors qu’ils célèbrent de nouveau le dimanche, le Seigneur revient au milieu de leur assemblée. Ces assemblées apostoliques, l’Eglise ne cesse d’en offrir l’image fidèle, puisqu’elle nous réunit surtout le dimanche, pour la célébration de l’eucharistie ; et c’est en ce jour que nous nous adressons à vous, pour vous entretenir tous des choses qui concernent le salut et vous conduire à la justesse de la foi et à la vie qui y répond.
Que personne, donc, du fait de sa nonchalance ou d’un souci constant des choses de la terre, ne manque nos assemblées dominicales, saintes et ordonnées par Dieu, de peur de se voir justement abandonné de Dieu, et de connaître le sort de Thomas, en oubliant de venir au moment voulu. Et si d’aventure il est arrivé à l’un d’entre nous, absorbé par quelque soin, de manquer une liturgie, qu’il s’empresse de compenser cette absence la fois suivante, en se hâtant d’aller à l’église du Christ, de peur de rester incurable, et de souffrir dans son âme d’une incrédulité d’actes…
… et de paroles, omettant de recourir à l’hôpital du Christ et d’obtenir, comme le divin Thomas, la sainte guérison. Car la foi n’est pas simplement une question de paroles et de pensées ; elle existe aussi, véritablement, dans les œuvres et les actions, ainsi qu’il est écrit : « Montre-moi ta foi par tes œuvres »16. Ainsi, celui qui deviendrait totalement étranger à ces œuvres de la foi, en s’éloignant de l’Eglise et en se donnant tout entier aux choses vaines, n’aura qu’une foi morte, autrement dit, une foi sans foi, étant lui-même devenu un cadavre à cause du péché.
Mais ici, certains se demandent comment le Christ, revêtu du corps, a pu entrer les portes étant closes ? C’est qu’ils ne savent pas, semble-t-il, juger spirituellement des choses spirituelles et les connaître en les confrontant à ce qui est de même nature, selon la recommandation du divin Apôtre 17. En effet, celui qui n’a pas brisé les verrous de la Vierge qui l’enfanta selon la chair, mais a gardé intacts, même dans l’enfantement, les signes de sa virginité, quoiqu’il fût alors revêtu d’un corps mortel et passible, comment s’étonner si, ayant rendu immortelle la chair qu’il avait assumée, et possédant désormais un corps immortel, il a pu franchir les portes fermées ? - « Mais, dans ce cas, dira-t-on, s’il avait un corps absolument immortel et impassible, comment pouvait-il présenter toujours, sur les mains et au côté, les plaies et les marques des clous ? Car l’Evangéliste rapporte que le Seigneur s’adressa en ces termes à Thomas : « Mets ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois plus incrédule, mais croyant »18. Comment pouvait-il conserver ces blessures ? »
Certes, un corps mortel et passible n’eût pas pu présenter de telles plaies et marques de clous, et demeurer sain et sauf. En revanche, un corps impassible et immortel, peut montrer les plaies et les marques de clous qu’il avait avant d’être incorruptible, et cela à tous ceux qu’il choisit : il n’en demeure pas moins impassible et immortel.
Cette circonstance me fait ici apercevoir une autre vérité : ceux qui ont souffert pour le Christ porteront à jamais les plaies de leur martyre, qui leur feront une parure pour l’éternité. Car de même que les fenêtres et les jours des maisons, sans rien ajouter à leur solidité, ne les dépare pas, mais les embellissent au contraire du plus nécessaire des ornements, puisqu’elle donne passage à la lumière qui éclaire l’intérieur et permettent aux habitants de regarder au-dehors ; de même, les souffrances physiques endurées pour le Seigneur, et les marques qu’elles laissent, subsistent dans le corps du martyr, comme les baies lumineuses de la lumière sans crépuscule. Ils seront reconnaissables, quand cette lumière se manifestera dans sa plénitude, non par l’aspect douloureux et pénible de leurs blessures, mais tout au contraire, par la splendeur et l’éclat de la beauté divine qui en jaillira. Bien loin de nuire à l’impassibilité, ces blessures leur procureront à profusion l’immortalité.
Or, le Corps du Christ possédant en soi la source de la lumière divine, il éclaira spirituellement le disciple sceptique par l’illumination qu’il répandait. En sorte que Thomas, devenu Instantanément parfait théologien, s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Et le Seigneur reprit : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! », révélant que ses témoins oculaires n’ont pas plus de titre à la gloire que ceux qui se laissent guider par eux jusqu’à la foi en Lui.
Mais pourquoi le Seigneur, au lieu de dire « ceux qui croiront », s’est-il exprimé au passé : « ceux qui ont cru ? » Parce que, à la lumière de la force divine et prophétique de Celui qui sait toute chose avant qu’elle ne soit, le futur est comme déjà passé.
Je dirai maintenant à votre charité ce qui me vient à l’instant dans l’esprit. Je vois, en effet, Thomas, absent, devenir incrédule ; puis je le vois retrouver la foi et ne plus la perdre après son retour au milieu des croyants. J’en ai conclu qu’il en va de même pour tout pécheur : il suffit qu’il cesse de fréquenter les méchants et cultive les bonnes compagnies, pour retrouver la voie de la justice et du salut qu’elle procure à l’âme. Voilà, je pense, ce que le prophète des psaumes exprime, quoique de manière voilée, quand il déclare bienheureux les hommes qui ne veulent ni « s’asseoir en compagnie des méchants », ni « faire route avec eux ». Et un autre prophète dit : « Ne parle pas de la malice avec beaucoup »19, et l’auteur des Proverbes : « Dans l’assemblée des pécheurs brûlera le feu ; mais celui qui marche avec les sages sera sage ».
Ainsi donc, frères, venons ensemble à l’église de Dieu, et venons-y fréquemment. Tout être vraiment pieux se montre assidu à s’y rendre et à y demeurer sans la quitter. Et que chacun d’entre vous, quand il viendra à l’église, prête attention aux fidèles les plus pieux : on les reconnaîtra d’un simple regard, à leur contenance silencieuse et attentive. Oui, considérez ces hommes d’une piété supérieure et possédant plus que quiconque la crainte du Seigneur, et attachez-vous à eux, sans balancer, pour vous présenter devant Dieu à leur côté.
Après le renvoi, à la fin de l’Office, quand l’on sort de l’Eglise, le dimanche, et que l’on va, en l’honneur du Seigneur, dont ce jour porte le nom, se reposer des œuvres terrestres, cherchez alors avec soin s’il ne se trouve pas un des fidèles qui imite les Apôtres dont nous faisons mémoire, et qui passe le plus clair de son temps enfermé chez lui, adonné à la prière dans la quiétude, à la psalmodie et à toutes les habitudes semblables, propres à enflammer son désir du Seigneur.
Que l’on s’attache donc à un tel homme, et que l’on entre avec foi dans sa cellule, comme en un lieu céleste, qui possède en soi la force sanctifiante de l’Esprit. Il convient alors de s’asseoir auprès du maître de céans, et de demeurer en sa compagnie autant que faire se pourra, pour s’entretenir avec lui sur Dieu et les choses divines, en l’interrogeant et en écoutant avec humilité son instruction, sans omettre d’implorer le secours qui vient de la prière. Qui agira ainsi, je sais que le Christ viendra vers lui invisiblement, fera habiter Sa paix dans la partie raisonnable de son âme, augmentera sa foi, raffermira ses forces, et le placera avec ses élus, au moment fixé, dans le royaume des cieux. Puissions-nous tous l’obtenir, dans Celui qui maintenant est mort et ressuscité pour nous, et qui reviendra plus tard en gloire, le Roi des siècles, Christ notre Dieu ; à lui convient la gloire aux siècles des siècles. Amen.
1 Homélie 17 du recueil, texte : migne, P.G. 151, 220-236.
2 Genèse, 1, 5 : « êmera mia » dans le grec des Septante. Même expression dans l’hébreu, improprement traduite dans la plupart des versions françaises par « premier jour ». Il s’agit du « jour un », « jour unique ». Le compte des jours ne commence qu’à partir du second, appelé « deuxième jour ».
3 Distinction du ciel matériel d’avec celui des anges, créé auparavant.
4 Le ciel sensible et le ciel spirituel, voir note 3.
5 Ps. 94, 11.
6 Héb. 4, 3, 4 et 10.
7 Ps. 110, 7.
8 Luc 10, 42.
9 Sur la descente du Seigneur aux Enfers, voir l’homélie de saint Epiphane sur le Grand Samedi, dans La Lumière du Thabor, n° 17 (1988), p. 12-36.
10 Lévitique, cap. 25.
11 Lév. 23, 15-16. Après sept fois sept jours vient la Pentecôte, cinquantième jour.
12 Lev. 23, 36 et Nomb. 29, 35.
13 1 Cor. 15, 20.
14 Col. 1, 18.
15 Jean 20, 23.
16 Jacques 2, 18.
17 1 Cor. 2, 15.
18 Jean 20, 27.
19 Ecclésiastique 11,9.
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