lundi 10 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°12. Le Starets Anatole d'Optina.

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LE STARETZ ANATOLE D’OPTINO,
les anciens Barnabas et Séraphim

Pères spirituels de l’Eglise des Catacombes

Si la vie des grands Starets Moïse, Léonide, Macaire, Ambroise est bien connue aujourd’hui en Occident, l’histoire du monastère d’Optino est souvent étudiée d’une façon abstraite, littéraire, intemporelle et les circonstances de son origine comme de sa fin demeurent obscures.

Il faut rappeler en premier lieu que l’œuvre spirituelle du Bienheureux Païsius Vélichkovsky (1722-1794) – et de sa postérité spirituelle, dont la skite d’Optino est issue – s’est accomplie aux frontières d’une Russie hostile au monachisme en général et à l’hésychasme en particulier. Si Pierre le Grand méprisait le monachisme, Catherine II fit fermer les monastères en 1764 et confisqua leurs biens au profit de l’Etat. La cour russe était influencée par les idées de Voltaire et de l’Encyclopédie, qui condamnaient le monachisme comme inutile à la société.

C’est parce que la vie spirituelle, dès le début du XVIIIème siècle, était affaiblie, que Païsius se rendit à la Sainte Montagne de l’Athos pour retrouver la tradition patristique et orthodoxe de la prière et de l’ascèse.

Ainsi, à travers Païsius et ses disciples, la Russie reçut une seconde fois, de Constantinople non certes, l’évangélisation, mais les moyens spirituels de vivre et d’accomplir l’Evangile grâce au don de la philocalie et de l’hésychasme. Après saint Cyrille et saint Méthode, dans une époque rationaliste et anti-chrétienne, il a été le troisième évangélisateur des slaves, auxquels il a fait redécouvrir la tradition du monachisme orthodoxe.

Et là où le mauvais esprit des « Lumières » européennes (Renaissance) et le retour à des traditions païennes avaient régné, la grâce surabonda : Dieu donna une génération, une lignée de saints auprès desquels la Russie tout entière est venue s’abreuver et retrouver la plénitude de la tradition patristique avant que la confession de la foi et le sang ne viennent parachever la prière des saints et sauver de nombreuses âmes par le martyre.

Au moment de la Révolution bolchevique, les derniers Starets ont été une consolation pour les fidèles. Ainsi, les Starets Anatole, Vincent, Nikon, Barnabas, Nectaire et Séraphim ont été les témoins de la fin d’Optino et les fruits du même arbre spirituel.

Cette postérité de sainteté s’est ensuite perpétuée dans l’Eglise des Catacombes et dans l’émigration, où les derniers enfants spirituels du Starets Nectaire ont trouvé refuge, après la Seconde Guerre Mondiale. Nous voudrions faire ici brièvement le récit de cette vie d’Optino, après Optino et des derniers Starets.

LE STARETZ ANATOLE
Le Starets Anatole – dans le monde Alexandre Potapov – était fils unique et, comme saint Serge de Radonège, il obéit à sa mère et ne devint moine que sur le tard, après la mort de celle-ci. De ce fait, il s’imposa une règle extrêmement sévère, ne dormant pas et consacrant la nuit toute entière au chapelet et à la prière de Jésus. Le matin il assistait à l’Office dans l’église, et certains voyageurs, qui ignoraient son ascèse, lui reprochaient de somnoler pendant la lecture des psaumes. Dans la journée, il recevait et consolait les pèlerins, ne s’accordant un peu de repos que l’après-midi.

Le Père Anatole était le syncelle – celui qui occupait la même cellule – du Staretz Ambroise dont, autant qu’il le put, comme une éponge, il recueillit l’enseignement et l’exemple. Dieu lui donna le don de clairvoyance comme en témoigne, parmi d’autres, Helena Kontzevitch dans ses mémoires ; elle raconte qu’en 1916 elle apprit que le Staretz Anatole était arrivé à Saint-Pétersbourg dans une maison amie. Elle s’y rendit avec son frère et sa sœur qui désiraient prendre la bénédiction du Staretz ; mais dans son cœur elle souhaitait vivement s’entretenir plus longtemps avec lui. Le Staretz arriva, disant avec douceur quelques mots à chacun et donnant la bénédiction. Arrivé devant Helena Kontzevitch, il lui dit : « Vous vouliez me parler, n’est-ce pas ? maintenant, c’est impossible, mais venez ce soir ». Il avait ainsi lu le désir d’Helena Kontzevitch qui n’avait même pas été exprimé.

Au début de la Révolution, une grande foule de croyants vint chercher un peu de paix et de courage auprès des Staretz Anatole et Nectaire. Le gouvernement soviétique commençait alors à persécuter le monachisme : Optino devint propriété d’Etat, certains moines furent arrêtés et bannis. Ainsi, le père Anatole fut plusieurs fois emmené par la police, il fut insulté, violenté. Mais, à chaque fois, il revint, et grâce à l’action des fidèles, Optino, transformé officiellement en musée, restait en réalité un monastère. Le Staretz Anatole continuait à recevoir ses enfants spirituels.

Le 29 juillet 1922 une commission soviétique vint, interrogea longuement le Père Anatole, lui annonçant son arrestation définitive. Le Staretz ne protesta pas, demandant seulement une journée pour se préparer.

Le Père Barnabas, le syncelle du Père Anatole, reçut l’ordre de la commission de préparer les affaires de son Ancien et de réunir ses propres affaires. La nuit vint et le Staretz commença à se préparer lui-même pour le voyage. Le lendemain matin, la commission revint et demanda au Père Barnabas : « Est-il prêt ? » « Oui, répondit ce dernier, le Staretz est prêt ». Lorsque les Bolcheviks ouvrirent la porte de la cellule ils furent stupéfaits en voyant de quelle façon le Père Anatole s’était préparé : il était là, dans son cercueil, au milieu de la pièce, endormi dans l’attente de la Résurrection universelle. Le Seigneur n’avait pas permis de voir son serviteur insulté et violenté, et il l’avait pris auprès de Lui.

Quelques jours avant son Repos, le Père Anatole avait envoyé une lettre à l’une de ses enfants spirituels l’invitant à venir au monastère et à y séjourner quelque temps. Elle ne vint pas immédiatement et arriva pour le neuvième jour de la dormition de son Staretz. Là, elle rencontra d’autres personnes, qui avaient été appelées par le Père Anatole, soit par lettre, soit en rêve.

Le corps du Bienheureux Père Anatole fut enterré à côté de celui du Staretz Macaire que l’on découvrit à cette occasion intact et non corrompu.
L’année suivante, juste avant la Pâque, le monastère fut fermé. Les derniers moines furent arrêtés et exilés, l’Eglise fut scellée, les tombes des Staretz profanées, et la skite fut transformée en station de vacances pour la bonne société communiste.

L’Abbé Isaac et le Staretz Nectaire furent emprisonnés à Kozhelsk. Quelque temps plus tard, le Père Nectaire fut relâché et il put venir à quelques kilomètres du monastère, dans la maison d’un pieux fidèle où il vécut jusqu’à sa mort en 1928.

LE PERE BARNABAS

Après la fermeture du monastère d’Optino, le Père Barnabas, le syncelle du Staretz Anatole, fut arrêté, humilié, tourmenté et exilé. Infirme – dès sa jeunesse il avait perdu une jambe en travaillant dans les mines – le Père Barnabas revint, gravement malade de ces épreuves. Il put venir habiter dans le Nord de la Russie, près du Golfe de Finlande, dans une toute petite chapelle de bois proche de l’ermitage Saint Georges où saint Germain d’Alaska fut moine.

En 1932 il devint hiéromoine. Les fidèles voyaient en lui un des derniers Père d’Optino et venaient se confesser à lui. Il devint ainsi un père spirituel très renommé. A la fin de l’année 1932, il fut arrêté et emprisonné pendant, deux ans. Libéré en 1934, il entra dans les Catacombes, célébrant la liturgie en secret et recevant les fidèles dans une très petite chambre. Il était alors considéré par tous ceux qui le voyaient comme un staretz authentique. En 1938, il fut arrêté et très certainement il reçut cette même année la couronne du Martyre.

LE PERE SERAPHIM

L’histoire du mystérieux Staretz Séraphim de l’Eglise des Catacombes commence avant la Révolution. Un livre célèbre de cette époque, « Sur les Rives de la Rivière Divine », raconte, en effet, l’histoire émouvante d’un petit enfant de cinq ans dont la mère était la fille spirituelle du Staretz Anatole.

Cette jeune femme vénérait saint Serge de Radonège et elle voulait donner le nom du grand saint à l’enfant qu’elle portait. Mais lors de la canonisation de saint Séraphim (1903), elle sentit l’enfant remuer dans son sein et elle hésita, souhaitant alors lui donner le nom de Séraphim. Finalement, l’enfant fut nommé Serge.

Quand l’enfant et sa mère vinrent à Optino, ils rencontrèrent le Père Anatole qui venait à leur rencontre. L’enfant, mettant correctement ses mains en croix dit : « Bénis-moi, Batiouchka » Mais le moine, au lieu de le bénir, fit à son tour une métanie et répondit : « Non, toi le premier, bénis-moi ! » Alors le petit Serge, à l’étonnement de tous, plaçant ses doigts comme un prêtre, donna la bénédiction au vieux moine. Et l’auteur du livre concluait : « Que sera donc cet enfant ? »

Ce n’est que plus d’un demi-siècle plus tard que fut donnée la réponse à cette question grâce au témoignage de Nathalia Urusova, Cette chrétienne vit, lors des grandes purges de 1937, ses fils arrêtés et déportés pour dix ans sans droit de correspondance. Sa douleur était grande et elle ne trouva de consolation que dans l’Eglise ; elle eut la joie de découvrir les catacombes et les liturgies secrètes célébrées par les confesseurs de l’Eglise du Christ.
A Moscou, elle assista à de nombreux offices qui se tenaient dans des maisons particulières. Un vieux hiéromoine, le Père Antoine, célébrait la liturgie. Ce prêtre répétait sans cesse : « Comme le Staretz l’a demandé, comme le Staretz l’a dit ». Nathalia Urusova demandait où se trouvait ce Staretz qui adoucirait son épreuve, mais le Père Antoine ne répondit pas, disant qu’il dirait au Staretz ce qu’elle souhaitait.

En 1941, Nathalia Urusova se rendit à Mozhaisk chez une amie qui était, elle aussi, membre de l’Eglise des Catacombes. Elle était aussi la fille spirituelle de ce Staretz qu’elle connaissait depuis son ordination. Elle dit à Nathalia que le Staretz n’était pas très loin de Mozhaisk et qu’il célébrait des liturgies secrètes, mais elle ne lui révéla pas l’endroit.

Depuis vingt cinq ans, le Staretz voyageait à travers toute la Russie, d’un endroit à l’autre, visiblement guidé par l’Esprit Saint qui le conduisait où il était nécessaire. La police politique, la Guépéou, le recherchait activement et ne réussissait jamais à l’arrêter.

La veille de la Pentecôte, Nathalia entendit qu’on frappait à son carreau et elle vit une moniale habillée en moniale, malgré la loi qui l’interdisait ; elle l’invita à venir voir le staretz Séraphim le lendemain, à se confesser et à communier. Cette moniale, la Mère N., indiqua la route et recommanda la prudence. Il faut dire que le Staretz Séraphim était toujours accompagné de deux moniales, la Mère V. et la Mère N. Le Staretz pouvait rester tranquillement deux mois au même endroit, puis d’une façon tout à fait inattendue, il disait : « C’est l’heure de partir » ; et, quel que soit le moment du jour où de la nuit, prenant un sac pliant, les moniales rangeaient tout ce qui était nécessaire pour le service liturgique. Puis ils partaient, jusqu’à ce que le Staretz indique une hutte ou une maison pour s’arrêter de nouveau.

Lorsqu’elle vint voir le Staretz Séraphim, Nathalia suivit précisément les indications de la moniale ; elle traversa un champ de seigle à l’entrée du village jusqu’à une cahute, où le Staretz célébrait la liturgie. Elle fut très surprise, parce qu’un peu plus loin, de l’autre côté de la route, en face de la cahute, se trouvait le poste de la Guépéou.

« Devant moi, écrit Nathalia Urusova, était un moine extraordinaire, pas très vieux. Je ne peux trouver les mots pour son être vraiment saint ; le sentiment de respect qu’il inspirait ne peut être décrit. Après la liturgie il m’invita à déjeuner avec lui. A côté de moi était mon amie de Mozhaisk, une autre de ses filles spirituelles qui était venue de Moscou et les deux nonnes. Gloire à Dieu ! Je n’oublierai jamais ce qu’il me raconta pendant plusieurs heures, à moi qui en était indigne ! Quelques jours plus tard, j’appris que le Père Séraphim avait dit au cours d’un repas : « C’est le moment de partir » et qu’une demi-heure plus tard, la Guépéou était rentrée dans la cahute, le cherchant, mais le Seigneur l’avait caché ».

Trois mois plus tard, alors que les Allemands arrivaient à Mozhaisk, Nathalia Urusova revit au carreau de sa fenêtre la Mère N. qui vint lui dire quelques mots : « Le Père Séraphim est dans la ville de Borovsk près de Moscou. Il vous envoie la Bénédiction ; il m’a dit aussi de vous révéler qu’il est le petit Serge devant lequel autrefois le Père Anatole a fait une métanie et s’est incliné ».
L’ère d’Optino est passée, le monastère est fermé, mais qui peut dire que la tradition spirituelle d’Optino a totalement disparu dans les Catacombes en Russie ? Comme une ville invisible, comme une Kitège spirituelle, elle est seulement cachée et réservée pour le jour où le Seigneur voudra la révéler.

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