mercredi 12 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°14. Homélie pour l'aveugle-né.

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HOMELIE POUR LE DIMANCHE
DE L’AVEUGLE-NE

Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui firent cette question : "Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?"

Le Seigneur sort du Temple et tente de calmer la colère des Juifs. Pour leur montrer qu’il ne leur avait pas tenu des discours vains et des propos creux en leur disant : "Avant qu’Abraham fût, je suis", il se dirige vers l’aveugle qu’il va guérir. Pour adoucir leur dureté et les amener à la docilité, -bien qu’ils ne se laissent pas facilement convaincre- il va faire un miracle jamais vu jusqu’ici : rendre la vue à un aveugle-né. II est donc évident que c’est en tant que Dieu, qui est avant Abraham, qu’il accomplit ce miracle. C’est tout exprès qu’il va au-devant de l’aveugle, ce n’est pas l’aveugle qui vient à lui.

Ses disciples, le voyant fixer attentivement l’aveugle, l’interrogent : "Qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?" La question semble quelque peu insensée. Comment l ‘aveugle aurait-il péché avant de naître ? N’allo pas penser par là que les apôtres professaient les stupidités des grecs, selon lesquelles l’âme vivait dans un autre monde d’où, après avoir péché, elle émigrait, dans un corps, pour y expier ses fautes. On se demande comment de simples pêcheurs auraient appris une doctrine et une sagesse venues des philosophes. Non. Les apôtres se souvenaient que le Christ avait dit au paralytique : "Te voici guéri, ne pèche plus, pour qu’il ne t’arrive pas quelque chose de pire" (Jean 5, 14).

Apres avoir vu l’aveugle, ils se posent, étonnés, des questions comme celle-ci : Celui-ci est devenu paralytique à cause de ses péchés, il n’y a rien à dire là-dessus. Mais on ne peut pas penser la même chose de l’aveugle-né ; ce n’est pas ä cause de ses péchés qu’il est ainsi ? Serait-ce à cause des péchés de ses parents ? Cela ne se peut, car on ne punit pas un fils à cause de son père. Ils ne formulent pas leurs pensées sous forme de ques­tions, mais expriment leurs sentiments. Le Seigneur leur répond et dit : "Ce n’est pas lui qui a péché (comment aurait-il pu le faire avant de naitre ?), ni ses parents".

II ne dit pas cela pour décharger les parents de leurs péchés, "Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché" et il complète en disant "pour qu’il soit né aveugle". Certes, ses parents avaient péché, mais l’infirmité n’en était pas la conséquence. II ne serait pas juste, en effet, que les enfants innocents paient les fautes de leurs pères. C’est ce que Dieu enseigne par la bouche d’Ezéchiel : "Le proverbe n’a plus cours, qui dit : Les pères ont mangé du verjus et les dents des fils en ont été agacées" (Ezéchiel.18, 2). Et par la main de Moyse, Dieu écrit : "Le père ne mourra pas pour son fils".

Mais comment a-t-on pu également écrire : "II punit l’iniquité des pères sur les enfants, sur la troisième et sur la quatrième génération" (Exode 20, 5).
On peut objecter, sans doute, que cette sentence n’a pas de portée universelle, qu’elle n’a pas été prononcée pour tous, mais seulement pour ceux qui sortirent d’Egypte. II faut aussi tenir compte de l’esprit de cette sentence ; il n’y est pas dit que les enfants seraient châtiés à cause des péchés de leurs parents, mais que les péchés des pères, c’est-à-dire leurs répercussions, seraient subies par les enfants, qui tomberaient dans les mêmes fautes.

En effet, pour que ceux qui sortirent d’Egypte ne pussent imaginer qu’ils seraient moins châtiés que leur pères et qu’ils pécheraient moins qu’eux, Dieu leur fait savoir qu’il n’en sera pas ainsi, et que les péchés de leurs pères, c’est-ä-dire les châtiments, seraient aussi les leurs, s’ils n’étaient pas meilleurs qu’eux, et s’ils tombaient dans les mêmes fautes, ou de plus graves encore.

II ne faut pas s’étonner, si des enfants sont quelquefois ravis à leurs parents comme punition. C’est par bonté que Dieu les leur enlève avant qu’ils n’aient vécu, pour qu’ils ne deviennent pas pires que leurs pères, pour que leur vie ne cause pas la perte de leur âme, etc. Mais laissons là ces choses, dans l’abîme des secrets de Dieu et allons plus loin.

"Et Jésus répondit : Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. II faut que je fasse, tandis qu’il est jour, les œuvres de Celui qui m’a envoyé ; la nuit vient, où personne ne peut travailler. Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde".

Ici, on s’étonne encore. On se demande pourquoi il dit cela. Quoi ? Cet homme a été privé de la lumière "pour que soient manifestées les œuvres de Dieu"? Ne pouvaient-elles pas être manifestées autrement ? - Mais de quelle injustice as-tu été victime, ô homme ? - De la privation de la lumière. - Quelle perte fut pour toi la privation de la lumière sensible ?

Bien au contraire, l’aveugle a été comblé de bienfaits, car avec la vue corporelle, il a aussi reçu celle de l’âme.

L’infirmité lui a donc été bénéfique, car par la guérison de celle-ci, il a connu le vrai Soleil de Justice. L’aveugle n’a subi aucun préjudice ; bien au contraire, il a reçu de grands bienfaits.

Quand on étudie l’Ecriture, il ne faut pas oublier que les mots "AFIN QUE" (en grec : "ina") ou "POUR QUE" (en grec : "opos") n’ont pas toujours le sens de cause, mais celui d’effet. Prenons par exemple le passage où David dit "AFIN QUE TU SOIS JUSTIFIE DANS TES SENTENCES... " (Ps.50). David n’a pas péché pour que Dieu fut justifié. Mais le péché de David a eu pour résultat, pour effet, la justification de Dieu.

Comblé par Dieu de toutes sortes de dons, bien qu’il n’en fut pas digne, David transgressa le commandement divin et ajouta à l’adultère, le meurtre. II fit un mauvais usage de sa royauté et désobéit à Dieu. L’effet de tout cela, c’est que Dieu s’est trouvé justifié dans sa sentence, qu’il a été vainqueur, et le roi condamné. II a transgressé les lois de Celui qui l’avait revêtu de la royauté, justement parce qu’il était roi.
Comme simple individu, il n’aurait pas accompli aussi facilement ces deux grands crimes. Comprenez-vous maintenant que le "AFIN QUE" n’a pas toujours le sens de cause mais celui d’effet ? Chez l’Apôtre Paul on trouve beaucoup de ces exemples, comme dans ce passage de l’Epitre aux Romains : "Ce qu’on peut connaitre de Dieu est manifeste pour les Grecs… Ils sont inexcusables... " (1, 20). On ne peut pas dire que Dieu a donné la connaissance aux Grecs pour qu’ils fussent sans défense dans leurs fautes. II leur a donné la connaissance pour qu’ils ne pèchent pas.

Mais, puisqu’ils ont péché, la connaissance a eu pour effet une défense impossible. Ailleurs il dit : "La Loi est intervenue pour que l’offense abondât » (Rom.5, 20). Ce n’est pas pour cela que la Loi a été donnée, mais plutôt pour que cessât le péché. Mais, puisque ceux qui reçurent la Loi ne cessèrent pas de pécher, la Loi devint la cause de l’abondance du péché. Le péché fut, pour eux, plus profond et plus grave, parce qu’ils péchaient malgré la Loi.

De même ici, "POUR QUE les œuvres de Dieu fussent manifestées", il n’est pas question de cause, mais d’effet. La gloire de Dieu fut l’effet de la guérison de l’aveugle.

Imaginez maintenant un maitre-maçon qui aurait terminé certaines parties d’un ouvrage et en aurait laissé d’autres inachevées. Puis, pour convaincre quelqu’un qui douterait qu’il est l’auteur de ce qui existe, il achèverait sous ses yeux les parties inachevées et prouverait ainsi qu’il est l’auteur du tout.

En guérissant nos membres infirmes et en les rendant à la santé, Jésus notre Dieu fait la même chose et montre qu’il est bien l’auteur de tous nos membres. Quand il dit "que c’est afin que fût manifestée la gloire de Dieu", il parle de lui-même et non du Père. La gloire du Père était connue. C’est la sienne qu’il devait manifester et révéler par là, que c’est lui qui, au commencement, en tant que Dieu, a créé l’homme. De ce qu’il parle de lui, écoutez ce qui suit : "Moi, il faut que je fasse, tandis qu’il est jour, les œuvres de Celui qui m’a envoyé". Autrement dit, il faut que je me révèle, que je fasse les mêmes œuvres que mon Père.

Notez bien qu’il n’a pas dit des œuvres semblables à celles de mon Père, mais bien celles que fait mon Père, celles de Celui qui m’a envoyé, et cela "pendant qu’il fait jour", c’est-a-dire pendant la durée de la vie présente, où les hommes peuvent croire en Moi. Car la nuit vient où personne ne peut œuvrer, c’est-à-dire croire. II appelle œuvre, la foi. Dans la vie future, personne n’aura à croire. Le jour, c’est la vie présente, parce que nous pouvons travailler comme en plein jour. (Paul appelle la vie présente nuit, parce qu’on ne sait pas qui fait le bien et qui fait le mal ; et aussi parce qu’il compare au jour la lumière qui doit éclater pour les justes).

La nuit, c’est la vie future, car personne ne travaille la nuit. (Paul l’appelle jour, à cause de la clarté des justes et la manifestation des œuvres de chacun). Dans la vie future, il n’y aura plus besoin de foi, tous les hommes seront obligés de se rendre ä l’évidence.

"Pendant que je suis dans le monde, je suis la Lumière du monde".

Autrement dit : par ma doctrine et mes miracles j’éclaire les âmes. Je dois en conséquence éclairer beaucoup d’âmes en guérissant l’aveugle et en donnant la lumière aux prunelles de ses yeux. Etant lumière, j’éclaire les choses sensibles et les choses spirituelles.

"Après avoir dit cela, il cracha à terre, et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l’aveugle et lui dit : Va et lave-toi à la piscine de Siloé (nom qui signifie Envoyé). II y alla, se lava, et s’en retourna, voyant clair".

Après avoir dit ces choses, Jésus ne se contenta pas de ses paroles, mais acheva son œuvre. II cracha à terre, fit de la boue, pour montrer que c’était lui qui avait formé Adam. S’il avait dit : "C’est moi qui ai créé Adam", ses auditeurs ne l’auraient pas cru. Mais en le proclamant par les œuvres, il ne choquait personne. II crée donc les yeux avec de la terre, de la même manière qu’il avait créé Adam. II n’a pas seulement créé les yeux, il ne les a pas seulement ouverts, mais il leur a aussi donné de voir. Et ceci indique que c‘est encore lui qui a insufflé l’âme à Adam. Car si l’âme n’opère pas, l’œil, même parfait, ne peut voir.

Comme il devait l’envoyer à la piscine de Siloé et ne voulait pas que le miracle fût attribué à la vertu de l’eau, il utilise la salive pour lui donner la vue et nous apprendre que c’est la force sortie de sa bouche qui a formé et ouvert les yeux.

Voilà pourquoi il a craché ä terre et a fait de la boue. Pour que tu ne penses pas aussi que le miracle fût l’effet de la terre, il lui ordonne d’aller se laver pour en ôter la boue. Certains pensent qu’il n’a pas ôté la boue et qu’elle s’est transformée en œil. II envoie l’aveugle ä Siloé pour nous montrer sa foi et son obéissance. L’aveugle ne cherche pas à savoir si c’est la boue ou la salive qui lui a donné les yeux, ou encore à quoi lui sert l’ablution de Siloé. II obéit simplement à Celui qui lui ordonne, et aussi pour fermer la bouche des Juifs ingrats. Beaucoup d’entre eux avaient vu Jésus appliquer la boue sur les yeux et avaient suivi attentivement la scène ; et ils dirent après, de l’aveugle : "C’est lui" ou "ce n’est pas lui".

Si Jésus envoie l’aveugle se laver à la piscine de Siloé, c’est pour montrer qu’il n’est pas un ennemi de la Loi et de l’Ancien Testament. Ce n’est pas pour rien aussi que l’Evangéliste indique le sens de Siloé ; par là, il veut nous apprendre que c’est encore le Christ qui est présent à Siloé et qui guérit l’aveugle, et que Siloé est une figure du Christ ; Siloé était un torrent impétueux, image de la présence du Seigneur, qui bien que cachée et inconnue des anges, a englouti, par sa puissance, le péché.

"Les voisins et ceux qui l’avaient vu auparavant demander l’aumône disaient : N’est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ? Les uns répondaient : C’est lui, d’autres : Non, mais il lui ressemble. Mais lui disait : C’est moi. Ils lui dirent donc : Comment tes yeux ont-ils été ouverts ? II repondit : Un homme, celui que l’on appelle Jésus, a fait de la boue, il l’a étendue sur mes yeux et m’a dit : Va à la piscine de Siloé et lave-toi. J’y ai été et, m’étant lavé, j’ai recouvré la vue".

Etonnés par cet étrange miracle, les voisins doutèrent. Et pourtant, il était bien allé à Siloé, la boue étendue sur les yeux. Beaucoup l’avaient vu et ne pouvaient le nier. Malgré cela, ils eurent des doutes. Ce n’est encore pas pour rien que l’Evangéliste a noté qu’il était mendiant.
II a voulu nous révéler par là, l’indicible amour du Seigneur pour les hommes : II les a aimé d’un tel amour, qu’il s’est abaissé jusqu’aux plus petits de ce monde, avec tant de compassion, jusqu’ä guérir les mendiants et nous apprendre à ne pas mépriser les pauvres. L’aveugle, sans avoir honte de sa pauvreté et sans craindre le peuple, confesse : "C’est moi", tout en indiquant son bienfaiteur : "Un homme qu’on appelle Jésus". II appelle homme le Seigneur, parce qu’il ignore encore tout de lui. II confesse ce qu’il sait.

Comment savait-il que c’était Jésus ? D’après la conversation de Jésus avec ses disciples quand ils l’interrogèrent sur lui, et d’après la réponse qu’il leur fit : "II faut que je fasse les œuvres de Celui qui m’a envoyé", et : "Je suis la lumière du monde". A part Jésus, nul n’avait enseigné de telles choses. C’est ainsi que l’aveugle apprit que c‘était Jésus. Quant à la boue que Jésus fit et qu’il étendit sur les yeux, l’aveugle en eut connaissance par le toucher. De ce qu’il avait craché, il l’ignorait pour ne l’avoir pas vu. Ce qu’il ignorait, il ne l’ajoutait pas et ne disait que la vérité.

"Où est cet homme ? lui dirent-ils. II repondit : je ne sais pas. Ils menèrent aux pharisiens celui qui avait été aveugle. Or c’était un jour de Sabbat que Jésus avait fait de la boue et ouvert les yeux de l’aveugle. A leur tour, les pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue, et il leur dit : II m’a mis sur les yeux de la boue, je me suis lavé et je vois. Sur cela, quelques uns des pharisiens disaient : Cet homme n’est pas envoyé de Dieu puisqu’il n’observe pas le Sabbat. D’autres disaient : Comment un pêcheur peut-il faire de tels miracles ? Et la division était entre eux".

Quand le Seigneur faisait des guérisons et des miracles, il avait l’habitude de fuir ensuite la foule afin de ne pas passer pour un vantard. Quand on demanda à l’aveugle : "Où est cet homme ?" il répondit qu’il n’en savait rien. On le conduisit chez les pharisiens pour un interrogatoire plus précis, plus serré. L’Evangéliste note que "c’était le Sabbat", pour souligner leur malice, car ils faisaient tout pour mépriser le Christ et l’accuser d’être un transgresseur du Sabbat, et aussi pour faire oublier le miracle. Ils ne demandent pas ä l’aveugle : Comment as-tu recouvré la vue, comment t’a-t-il ouvert les yeux ? Ils voulaient calomnier le Seigneur en l’accusant de travailler pendant le Sabbat et obliger l’aveugle ä se souvenir que le Seigneur avait fait de la boue le jour du Sabbat.

L’aveugle leur répond comme à des hommes informés, il ne prononce même pas le nom de Jésus, il ne répète pas ce que le Seigneur lui a dit, mais seulement : "II m’a mis sur les yeux de la boue, je me suis lavé et je vois". Les pharisiens étaient au courant de tout, bien avant ceux qui leur avaient amené l’aveugle ; ils avaient déjà répandu leur calomnie contre le Seigneur : "Voyez ce que Jésus fait le jour du Sabbat". Remarquez ici l’audace de l’aveugle : il parle sans se troubler avec les pharisiens. Eux l’ont fait venir pour le menacer et lui faire nier sa guérison, et lui ne crie que plus fort : "Je vois". Quelques-uns des pharisiens, -non pas tous- mais les plus virulents dirent : "Cet homme n’est pas envoyé de Dieu" ; d’autres dirent : « Comment un pêcheur peut-il faire de tels miracles ?"

Voyez-vous, beaucoup d’entre eux sont touchés par le miracle. Ils sont chefs et pharisiens et pourtant, le miracle les ébranle et ils le soutiennent.
II y eut division entre eux, comme dans le peuple. Les uns disaient que le Seigneur abusait le peuple, d’autres affirmaient que non. A cause de la division, les adversaires du Seigneur perdent de leur vigueur. Les pharisiens ne sont pas sûrs, ils doutent, ils discutent : "Comment un pêcheur peut-il faire de tels prodiges ?" N’est-ce pas là une attitude hésitante ? Remarquez aussi la perversité des calomniateurs. Ils ne disent pas que Jésus n’est pas Dieu, mais qu’il n’observe pas le Sabbat et qu’il guérit ce jour-là. Notez également que les chefs sont plus réservés que le peuple sur le bien. La division qui se fait dans le peuple précède celle des chefs, et elle est digne de louange, car comme le dit le Seigneur, il y a des schismes utiles : "Je suis venu apporter l’épée sur la terre", c’est-à-dire la division qui conduit au bien et à la piété.

"Ils dirent encore à l’aveugle : Toi que dis-tu de lui, sur ce qu’il t’a ouvert les yeux ? II répondit : C’est un prophète. Les Juifs ne crurent point qu’il eût été aveugle et qu’il eût recouvré la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir ses parents. Et ils les interrogèrent, disant : Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ?"

Quels sont ceux qui demandent à l’aveugle : Toi que dis-tu de lui ? Ce sont des gens bien disposés, ceux qui ont dit : Comment un pêcheur peut-il faire de tels miracles ? Pour ne pas plaider en vain, ils font venir le miraculé, qui avait reçu la force de confondre les calomniateurs. Regardez comme ils l’interrogent avec bienveillance. Ils ne lui disent pas : Qu’as-tu à dire sur ce qu’il a fait de la boue et qu’il n’a pas observé le Sabbat ? Non, ils parlent du miracle qui lui a ouvert les yeux. Ils n’exhortent pas simplement le miraculé à défendre le Christ, mais ils le pressent de se souvenir : II t’a bien ouvert les yeux ? Autrement dit : II t’a fait du bien, tu te dois de parler pour lui.

Et l‘aveugle confesse ce qu’il sait : II n’est pas un pêcheur, il vient de Dieu, c’est un prophète, bien que certains prétendent le contraire. Ces derniers pensaient que, pour avoir fait de la boue, le Christ avait transgressé le Sabbat. Et pourtant, eux-mêmes ne déliaient-ils pas de leurs mains leurs animaux pour les mener boire le jour du Sabbat, sans penser qu’ils manquaient à la piété ?

Les durs et les récalcitrants firent venir les parents dans le dessein de les embarrasser et les amener à nier la réalité de l’infirmité de leur fils. N’ayant pu fermer la bouche qui clamait sa gratitude, ils voulaient faire peur aux parents et discréditer le miracle. Ils les placèrent devant eux et les interrogèrent avec colère et agacement. Ils ne dirent pas : Celui-ci est bien votre fils qui était aveugle ?, mais ceci : Est-ce là votre fils que vous dites... tout juste s’ils ne disent pas : Vous l’avez aveuglé, et répandu partout des choses fausses et mensongères. Ô misérables pharisiens ! Quel père peut faire de telles choses à son enfant ? Par ces deux questions, ils mettent les parents dans l’embarras et veulent les contraindre à renier leur fils : "Celui que vous dites" et "Comment voit-il maintenant..."

"Les parents répondirent : nous savons que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle ; mais comment il voit maintenant, ou qui lui a ouvert les yeux, c’est ce que nous ignorons. Interrogez-le lui-même, il a de l’âge, il parlera de ce qui le concerne. Ses parents dirent cela parce qu’ils craignaient les Juifs ; car les Juifs étaient déjà convenus que, si quelqu’un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait exclu de la Synagogue. C’est pourquoi ses parents dirent : II a de l’âge, interrogez-le lui-même."
Les pharisiens posent trois questions aux parents de l’aveugle : s’il est leur fils ; s’il est bien né aveugle ; comment il a recouvré la vue. Ils ne parlent pas du moyen de la guérison, parce qu’ils l’ignorent. Les choses se passent ainsi pour que la vérité soit confessée avec plus d’éclat. Celui qui a reçu le bienfait en rend témoignage, il est digne de foi. Ses parents l’avouent : II a de l’âge... II n’est pas un enfant, au point d’ignorer comment il a été guéri. Voilà ce que répondent les parents qui craignent les pharisiens. Ils sont plus enfants que leur enfant, qui sans aucune crainte confesse la vérité ; il avait reçu la lumière de l’âme.

"Les pharisiens appelèrent pour la seconde fois l‘homme qui avait été aveugle et lui dirent : Donne gloire à Dieu ; nous savons que cet homme est un pêcheur. II repondit : S’il est pêcheur, je ne sais ; je sais une chose, c’est que j’étais aveugle et que maintenant je vois. Ils lui répondirent : Que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? Il leur répondit : Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté ; pourquoi voulez-vous l’entendre encore ? Voulez-vous aussi devenir ses disciples ? Ils l’injurièrent et dirent : C’est toi qui es son disciple ; nous, nous sommes les disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-ci, nous ne savons d’où il est"

Apres avoir entendu les parents, voici ce que firent les pharisiens : ils appelèrent le fils, non pour le questionner, mais pour le contraindre à nier sa guérison. D’où cette phrase : « Donne gloire à Dieu", c’est-à-dire confesse que Jésus ne t’a rien fait, que Jésus ne t’a fait aucun bien.

"Nous savons que cet homme est un pêcheur". Pourquoi alors ne l’avez-vous pas confondu quand il vous disait : "Qui me convaincra de péché ? " Et l’aveugle répondit : "S’il est un pêcheur, je ne sais", en d’autres termes : Je ne veux rien savoir, je n’examine pas la chose ; mais ce que je sais clairement, c’est qu’il a fait un miracle pour moi. Que chacun constate le fait et pense ensuite ce qu’il voudra.

Toujours désireux d’accuser le Sauveur, les Juifs insistent : Mais que t’a-t-il fait ? L’homme comprit alors qu’ils l’interrogeaient non pour savoir, mais pour pouvoir accuser Jésus. Aussi leur répond-il sèchement : "Je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté". Et il ajoute ce qui va déchainer leur colère : "Voulez-vous aussi devenir ses disciples ? " révélant en même temps, que lui allait le devenir. II se moque d’eux et les ridiculise. II parle calmement, sans crainte et avec assurance. Ils lui répondent en l’insultant : "C’est toi qui es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse".

Ce en quoi ils mentent, car s’ils avaient été de vrais disciples de Moïse, ils le seraient aussi de Jésus, comme le leur disait le Seigneur : "Si vous croyez en Moïse, croyez aussi en moi". Ecoutez leur langage, ils ne disent pas : "Nous avons entendu... " mais : "Nous savons... " que Dieu a parlé à Moïse. Leurs ancêtres leur avaient laissé une tradition, eux, prétendaient posséder une connaissance rigoureuse de ce qu’ils avaient reçu par l’ouïe ; et ils osaient traiter d’imposteur Celui qu’ils voyaient de leurs yeux faire des miracles et dont ils entendaient de leurs oreilles les paroles célestes et divines. Voyez-vous la folie qu’engendre la perversité ?



"Cet homme leur répondit : II est étonnant que vous ne sachiez pas d’où il est ; et cependant il m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’exauce point les pécheurs ; mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il exauce. Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire".

Vous, Juifs, leur dit-il, vous avez rejeté celui qui m’a guéri, parce que vous ne savez d’où il vient. C’est pourquoi il est plus qu’admirable. Car quelqu’un qui n’est pas des vôtres, ni un notable, ni un glorieux, arrive à faire de tels prodiges : il est donc évident qu’il possède une force supérieure et n’a pas besoin d’une aide humaine.

Certains Juifs ayant dit : "Comment est-il possible qu’un homme pécheur fasse de tels miracles", il leur rappelle leurs propres paroles : "Nous savons, leur dit-il, que Dieu n’exauce point les pécheurs ; mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il exauce". Voyez-vous comment l‘aveugle, non seulement écarte du Seigneur tout péché, mais le présente comme étant agréable à Dieu faisant en tout sa volonté : "Mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté... " L’aveugle savait que les Juifs voulaient couvrir d’ombre le miracle. Aussi, plein de zèle, il proclame le bienfait : "Si cet homme ne venait pas de Dieu", il n’aurait pu faire un tel miracle, que nul autre n’a fait jusqu’ici.

On a certes ouvert des yeux frappés de cécité à la suite d’un mal ; mais jamais on n’a ouvert les yeux d’un aveugle-né. Ce qui est admirable, c’est ce qui vient d’être fait. II est donc évident que l’auteur de ce miracle est quelqu’un de supérieur.

Certains imagineront des sophismes comme celui-ci : "On dit que Dieu n’écoute pas les pécheurs, et pourtant, quand ceux-ci le prient, il les exauce, puisqu’il pardonne leurs péchés en tant qu’ami de l’homme ?" Mieux vaut ne pas répondre à une telle question. Car, quand on dit que Dieu n’exauce pas les pécheurs, c’est quand il ne leur permet pas de faire des miracles. L’Esprit de Dieu n’habite pas un corps livré au péché. Mais quand on lui demande, de tout notre cœur, le pardon de nos fautes, Dieu nous exauce. II est donc juste de dire que Dieu n’exauce pas les pécheurs en leur refusant de faire des miracles, il les repousse même, car ils veulent s’approprier une chose qui ne leur revient pas. Mais il les écoute quand, en tant que pécheurs, ils lui demandent pardon et font pénitence.

Remarquez qu’il a dit "qui craignent Dieu" et qu’il a ajouté "et qui font sa volonté". En effet, il y a des hommes qui craignent Dieu mais ne font pas sa volonté, autrement dit la foi et les œuvres, ou encore selon Paul, la foi et la bonne conscience, ou la pratique et la théorie.

La foi n’est vivante que lorsque les œuvres l’accompagnent, car c’est elle qui donne bonne conscience, comme les mauvaises œuvres donnent mauvaise conscience. Et vice-versa, les œuvres ne sont bonnes que lorsqu’elles sont portées par la foi. La foi et les œuvres séparées sont mortes, selon l’Apôtre qui dit : "La foi sans les œuvres est morte", comme sont mortes les œuvres sans la foi.

Voyez-vous comme la vérité donne au mendiant insignifiant l’audace de parler avec assurance et de confondre ceux que les Juifs tenaient pour grands et savants ? Grande est la force de la Vérité face à l’hésitation, à la timidité, au mensonge.
"Ils lui répondirent : Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes ! Et ils le chassèrent. Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé ; et l’ayant rencontré, il lui dit : Crois-tu au Fils de Dieu ? Et qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? Tu l’as vu, lui dit Jésus, et celui qui te parle c’est lui. Et il dit : Je crois, Seigneur. Et il se prosterna devant lui".

Tant qu’ils ont espéré que l’homme abonderait dans leur sens, les pharisiens le firent venir plusieurs fois pour le questionner. Mais, quand ils furent convaincus, par ses réponses, qu’il ne partageait pas leurs vues et préférait la vérité, ils le méprisèrent pour être né dans le péché. Ils pensaient qu’il avait été reprouvé bien avant sa naissance, au point de naitre aveugle. Ceci est absolument insensé. Les fils du mensonge le chassèrent du Temple et en firent un héraut de la Vérité.

Considérez l’avantage : ils le chassent du Temple et le Seigneur du Temple le rencontre. Ils le méprisent à cause de l’idée qu’il a du Christ et le Christ l’honore par une pleine connaissance du Fils de Dieu. Jésus le rencontre comme s’il venait tout exprès pour cela, pour le féliciter, comme un arbitre accueille un athlète qui a bien lutté, pour le couronner, et lui dit : "Crois-tu au Fils de Dieu ? " Pourquoi lui pose-t-il cette question, après l‘apologie qu’il avait faite devant les Juifs ? Pourquoi lui demande-t-il s’il croit en lui ?

Jésus n’agit pas ainsi par ignorance, mais pour se faire connaitre de l’aveugle, qui ne l’avait pas vu après sa guérison. Comment aurait-il pu le connaitre, puisque les Juifs le traînaient ici et là ? C’est la raison pour laquelle maintenant il l’interroge pour l’amener à lui demander qui est le Fils de Dieu et à le lui montrer. II lui prouve, en même temps, tout le prix qu’il attache à sa foi, comme pour lui lire : "Le monde m’insulte beaucoup, mais cela ne fait rien. Ce qui Importe, c’est la foi". Et l’homme demande : « Et qui est-il, Seigneur, le Fils de Dieu ? » La parole jaillit du désir de son âme et la réponse vient immédiatement : « Tu l’as vu, dit Jésus, et celui qui te parle c’est LUI".

C’est moi qui t’ai guéri, c’est moi qui t’ai dit : Va te laver. II lui parle d’abord à mots couverts, puis il se révèle : « Tu l’as vu... c’est celui qui te parle". C’est tout exprès que le Seigneur lui dit : "Tu l’as vu", pour lui rappeler sa guérison et lui faire savoir que c’est Lui qui lui a donne la faculté de voir. L’homme croit sur-le-champ et montre sa foi ardente et vivante en se prosternant devant le Seigneur, confirmant la parole par l’acte et glorifiant Dieu. Car, selon l’usage, on ne rendait la gloire qu’à Dieu seul.

Interprétons maintenant le miracle, spirituellement.

Lorsque nous avons été condamnés à la douleur et à la mort, quelque chose comme un épais nuage, comme un vêtement de peau -pour employer les paroles sacrées- a été étendu sur les yeux spirituels des hommes et des nations, qui devinrent ainsi aveugles de naissance, puisque soumis à la naissance elle-même liée à la corruption. Aveugles-nés étaient par exemple les Grecs : ils avaient divinisé ce qui était tributaire de la génération et de la corruption. Ils étaient aveugles selon la parole : « Leur cœur sans intelligence s’est enveloppé de ténèbres » (Rom.1, 21). Tels étaient aussi les magiciens de la Perse ; ils dépensèrent leur temps à des genèses et à des généalogies. Jésus a rencontré cet aveugle, c’est-à-dire l’homme et les nations en général.
Cet homme-là ne pouvait contempler son Créateur. C’est pourquoi son Créateur, dans sa compassion, est venu à lui, tel un Orient descendant des Cieux. II est venu, après s’être dépouille de sa gloire divine, après avoir incliné, selon le Prophète, les cieux d’où il a vu tout le genre humain. II est venu pour les brebis égarées d’Israël et il s’est écarté de sa route pour visiter le peuple assis dans les ténèbres et dans l’ignorance totale : les Gentils.

Comment a-t-il guéri leur aveuglement ? En crachant sur la terre et en faisant de la boue. Celui qui croit que, comme la goutte de pluie qui tombe sur la terre, le Verbe est descendu dans la Vierge Pure, celui-là aura ses yeux spirituels enduits de cette boue faite de salive et de terre, c’est-à-dire du Christ, en qui co-existent la nature divine, symbolisée par la salive, et la nature humaine symbolisée par la terre de laquelle le Seigneur a pris son corps.

Est-ce que la foi suffit pour la guérison ? Certes non, car il faut aller jusqu’à Siloé, la source du Baptême, y recevoir le Baptême, justement au nom de l’Envoyé : le Christ. Tous ceux qui sont spirituellement baptisés, le sont au nom du Christ. Une fois baptisé, tout homme peut avoir des épreuves, des tentations, être amené devant des princes et des rois à cause du Christ qui l’a guéri. II faut alors qu’il demeure ferme et inébranlable dans la confession de la foi. La crainte ne doit pas s’emparer de lui pour l’amener au reniement. II doit accepter de souffrir, selon ce qui est écrit : "Vous serez haïs à cause de mon nom et l’on vous chassera des Synagogues".

Si les hommes persécutent celui qui confesse, le haïssent à cause de la Vérité, l’éloignent de leurs temples, de leurs honneurs, de leurs richesses et de leurs gloires, le Christ le rencontrera et le couvrira d’honneurs beaucoup plus que ses ennemis l’auront couvert de honte ; il lui donnera une plus grande connaissance, une plus grande foi. Et lui, n’adorera plus que le Christ, le Fils de Dieu devenu homme. II n’y a pas de différence entre le Fils de Dieu et le Fils de Marie, comme le voulait Nestorius Seul est unique le Fils de Dieu et le Fils de l’homme.

Remarquez que quand l’aveugle lui demande « qui est le Fils de Dieu » pour croire en lui, le Seigneur lui répond : « Tu l’as vu, et celui qui te parle, c’est lui".

Mais qui parlait ? N’est-ce pas celui qui est né de Marie ? Il n’y a donc pas de différence entre le Fils de Dieu et celui de Marie. Voilà pourquoi Marie est vraiment la Mère de Dieu ; elle a enfanté dans la chair le Fils de Dieu, qui est un et indivisible, double dans ses natures. II est le Christ, le Seigneur.

"Jésus dit : Je suis venu dans le monde pour un jugement, pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Quelques pharisiens qui étaient avec lui, entendant ces paroles, lui dirent : Serions-nous aussi aveugles ? Et Jésus leur repondit : Si vous étiez aveugle, vous n’auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : Nous voyons, c’est pourquoi votre péché subsiste".

Le Seigneur, voyant que les pharisiens n’avaient pas été édifies par le miracle et qu’ils méritaient un sévère jugement, leur dit : "Je suis venu pour un jugement", pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient -comme les pharisiens-deviennent aveugles spirituellement.
L’aveugle-né voit maintenant avec les yeux du corps et ceux de l’esprit. Ceux qui croyaient voir ont été aveuglés spirituellement. Ici le Seigneur parle de deux vues, de deux aveuglements...

On peut aussi interpréter autrement la phrase : "Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché". Vous m’interrogez, leur dit-il, sur la cécité physique, parce que c’est d’elle seule que vous rougissez. Moi, je parle de la cécité de l’âme. Si vous étiez aveugles, je veux dire, si vous ne connaissiez pas les Ecritures, votre péché serait sans gravité, vous pécheriez par ignorance. Mais puisque vous dites : Maintenant, nous voyons, et que vous passez pour de savants connaisseurs de la Loi, vous vous condamnez vous-mêmes, et votre péché n’est que plus grand, car vous péchez en toute connaissance.

Le texte grec de cette homélie figure dans la Patrologie grecque de Migne, Tome 124, col 40-64.

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