mercredi 12 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°15. Chronique.

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Chronique

GRECE : PERSECUTION CONTRE LE PERE CHRYSOSTOME, DE SPETSAE

L’île de Spetsae, dans la mer Egée, a un passé illustre : elle a été la première île à reprendre la guerre de Libération de la Grèce en 1821 ; d’elle sont issus le célèbre Bótsaris et le marin Bouboulina, deux héros fameux de la lutte contre les Turcs.

En 1804 y fut fondé un petit couvent de femmes, dédié à tous les saints, et connu pour sa paix. En 1924, lorsque l’Eglise de Grèce changea le calendrier ecclésiastique, introduisant un schisme historique entre les différentes Eglises Orthodoxes, les moniales eurent des doutes sur les raisons profondes de ce changement, mais elles l’acceptèrent.

Avec les années et l’évolution du patriarcat de Constantinople, les pieuses moniales comprirent peu à peu que ce changement de calendrier n’avait été qu’un prétexte pour faciliter l’union avec les différentes confessions occidentales – ce qu’on appelle l’œcuménisme.

Depuis de longues années, l’aumônier de ce monastère est le Père Chrysostome, un des derniers pères spirituels contemporains, qui ne cesse de protester contre les progrès du mouvement unioniste en Grèce. Avec le Père Philotheos Zervakos de Paros – qui demanda plusieurs fois, dans des suppliques au roi, le retour au calendrier orthodoxe – le Père Chrysostome fut, dans le passé, tout près de rompre la communion avec l’Eglise officielle et nouvelle calendariste de Grèce.

Ce qui le retint, avant 1984, ce fut sans doute les déclarations « conservatrices » de l’évêque d’Hydra et de Spetsae, Monseigneur Hiérothéos. Plusieurs fois, en effet, cet évêque dissocia la question du calendrier et celle de l’œcuménisme, promettant même un jour de rompre la communion avec les Eglises qui le propagent (le nouveau calendrier). Rien, bien sûr, ne suivit et, lassé d’attendre, le Père Chrysostome et le couvent de Tous-les-Saints, se fondant sur les canons, rompit en 1984, la communion avec l’évêque qui était lui-même en communion avec ceux qui prient avec les hétérodoxes !

Dans une lettre ouverte à toutes les autres communautés monastiques du diocèse, le Père Chrysostome s’en justifia publiquement : « Selon les Saints Pères, nous sommes obligés de nous séparer de l’évêque de ce diocèse. Car les saints canons et les Saints Pères disent explicitement que non seulement ceux qui enseignent l’hérésie mais encore ceux qui demeurent en communion avec ceux qui enseignent l’hérésie seront également condamnés ».

Le Père Chrysostome soulignait encore que l’Encyclique du Patriarcat de Constantinople de 1920, qui peut être considérée comme la « Constitution » de la hiérarchie nouvelle-calendariste de Grèce, reconnaît l’ecclésialité des grandes confessions hétérodoxes ; or cette Encyclique contredit directement le 45ème Canon Apostolique qui considère, comme excommunié, un prêtre ou un diacre qui a seulement prié avec des hétérodoxes.
La réaction de l’évêque d’Hydra, Monseigneur Hiérothéos, fut effectivement très « conservatrice », puisque non seulement il publia plusieurs encycliques pour dénoncer le Père Chrysostome comme la proie de Satan, mais fit même appel à la police pour chasser le prêtre et les moniales hors du couvent. Selon la Presse grecque de l’époque, cette opération, exécutée manu militari par la police, accompagnée de nombreux prêtres et fidèles du Nouveau Calendrier, ne brilla pas par la douceur : le monastère vit ses portes brisées avec violence, on détruisit différents objets ecclésiastiques, les vêtements et les voiles des moniales furent déchirés sous les applaudissements de cette foule.

Le lecteur trouvera une description et des photos de ces faits dans les journaux grecs Eleftheros Typos du 17 mars 1984, Eleftheri Ora du même jour, et Apogevmatini.

A la suite de cet événement, le Père Chrysostome et les moniales furent exilés de leur île et durent se réfugier à Athènes. Un tribunal ecclésiastique fut créé – sans valeur, puisque le Père Chrysostome, pour des raisons de foi, avait rompu toute communion avec l’Eglise grecque – qui déposa néanmoins l’archimandrite Chrysostome et excommunia l’higoumène Elisabeth et les moniales. Une telle sévérité ne se justifiait pas seulement par la colère de l’évêque Hiérothéos, mais avait pour but de décourager tous ceux dont la conscience est troublée, en Grèce, par l’œcuménisme, et de les dissuader d’imiter le Père Chrysostome. La sanction prise contre l’archimandrite et les moniales implique, en Grèce, l’interdiction de porter tout vêtement ecclésiastique et monastique – ce qui est contraire aux règles de l’Eglise puisqu’on ne peut jamais être privé de son monachisme, « l’habit de la pénitence ».

Des la fin de 1984, le décret d’expulsion hors de l’île de Spetsae du Père Chrysostome et des moniales fut déclaré illégal, parce que tout citoyen grec est libre d’habiter où il veut en Grèce. A Spetsae, un grand nombre de fidèles suivirent le Père Chrysostome, leur prêtant deux maisons où la communauté put se réinstaller et prier, dans une petite chapelle intérieure. Vers la même époque, un comité de défense du Couvent de Spetsae se forma aux U.S.A., qui réunit les fonds nécessaires à la construction d’un nouveau couvent dédié à la Mère de Dieu et aux Femmes Myrophores.

Cette mise en construction provoqua de nouveau la colère de l’évêque d’Hydra qui, traînant le Père Chrysostome devant les tribunaux, fit suspendre le permis de construire du nouveau couvent. Cette action illégale fut contestée par le monastère qui obtint gain de cause et la construction put reprendre en novembre 1986. Une seconde fois, mais en vain, l’évêque Hiérothéos, par des amitiés politiques, fit suspendre quelque temps le chantier.

Le Père Chrysostome ne fut pas non plus épargné par le très « légaliste » Hiérothéos qui le fit passer en jugement devant le tribunal du Pirée pour avoir « résisté à l’autorité légale », c’est-à-dire à lui même, évêque d’Hydra. Le procès fut plusieurs fois annoncé, et plusieurs fois reporté, toujours à la demande du même évêque, parce que, de toute la Grèce, une grande foule de prêtres, de moines et de fidèles étaient venus soutenir le Père Chrysostome, Confesseur de la foi.
En septembre 1986, contre toute justice, grâce aux appuis de l’évêque, le Père Chrysostome fut condamné à quatre-vingt-dix jours de prison pour ne pas avoir tenu compte des sanctions de l’Eglise d’Etat. Le Père Chrysostome fit appel et le jugement fut reporté. On s’attend, dans le courant de l’automne, à un nouveau procès, et, de nouveau, l’évêque Hiérothéos s’agite pour obtenir la suppression du permis de construire accordé au couvent de Spetsae. Il est certain qu’une éventuelle condamnation du Père Chrysostome ou du pieux couvent de Spetsae donnerait, une fois encore, une triste image de l’Eglise Officielle Grecque. Déjà certains disent qu’après l’expulsion du Père Chrysostome de son monastère, l’affaire des biens ecclésiastiques que l’Etat grec veut confisquer à l’Eglise d’Etat apparaît comme l’effet d’une justice plus haute…

U.S.A. LE PERE MICHEL AZKOUL, VRAI THEOLOGIEN

Le Père Michel Azkoul est plus connu aux Etats Unis et en Grèce qu’en Europe. D’origine syrienne, établi aux U.S.A., il peut être considéré comme un théologien authentique, parce qu’il a su joindre à la théorie – une multitude d’articles dans les revues orthodoxes américaines, et quelques livres, dont sa précieuse dogmatique intitulée Enseignements de l’Eglise Orthodoxe (Voir La Lumière du Thabor, N° 11) – la pratique, c’est-à-dire une courageuse confession de la foi.

Ayant quitté diverses juridictions touchées par l’œcuménisme – dans lesquelles il était appelé à un bel avenir – le Père Michel Azkoul s’est plusieurs fois trouvé dans une situation matérielle très difficile, souffrant ces épreuves par amour de la foi orthodoxe. Sa théologie n’est donc pas une rhétorique mondaine : sa haute érudition, son intelligence la nourrissent, mais aussi son cœur zélé pour la foi.

Depuis quelques années, le Père Michel Azkoul, dans l’Eglise Russe Hors Frontières, avait trouvé certaines garanties contre l’œcuménisme et le modernisme ; il était en particulier soutenu par l’Archevêque du Canada – l’actuel Métropolite Vitaly – qui publia en anglais certaines des œuvres du P. Michel. Dans l’un de ces travaux, intitulé Antichristianisme, ce nouvel athéisme, publié à Montréal en 1984, le Père Michel Azkoul critiquait Augustin d’Hippone comme l’un des principaux responsables des déviations de la théologie occidentale. L’antiaugustinisme du P. Michel Azkoul, au nom de la fidélité la plus pure à la tradition patristique, était alors connu de tous.

Après la mort du Métropolite Philarète (fin 1985) paraissait le premier volume de la « dogmatique » du P. Michel ; personne ne pouvait penser alors que le moment était mal choisi ; pourtant très vite il apparut que certains évêques, considérés par beaucoup comme « politiques » et « libéraux » commençaient une vendetta contre ceux qui avaient sincèrement suivi et défendu la confession de foi du Métropolite Philarète, de bienheureuse mémoire.

Diverses cabales et calomnies commencèrent en Amérique, pendant que des évêques européens publiaient, sans contrôle du Synode de New York, leur ecclésiologie personnelle. Le Métropolite Vitaly fut réduit au silence – ou s’y réduisit lui-même – et une sorte de statu quo intervint, fondé sur une double idée, qui définit la ligne suivie depuis lors : l’anathème contre l’œcuménisme n’est pas annulé officiellement comme le souhaitaient certains, mais il est considéré comme une simple sanction morale, ne condamnant personne.
L’œcuménisme est désormais une hérésie sans hérétiques. D’autre part, le Synode russe se centre de plus en plus sur sa « russité », c’est-à-dire sur son passé, avec le danger, dans un proche avenir, d’avoir « une russité sans russes », car malheureusement l’émigration russe, dans sa quatrième génération, n’a pas toujours gardé son authenticité – l’Orthodoxie. C’est avec douleur que nous écrivons cela.

Le P. Michel Azkoul, très vite, sans quitter le Synode, prit courageusement position contre cette double ligne, sans obtenir de la hiérarchie une réponse claire à ses inquiétudes. Une première réponse – bien indirecte – lui fut donnée dans le numéro de Décembre de la revue anglaise de Jordanville, Orthodox Life : sa Dogmatique était vivement critiquée par le P. Alexis Young, qui en déconseillait la diffusion. Le recenseur regrettait le ton viril du P. Michel, au nom d’un « irénisme » dogmatique que les Peres de l’Eglise ont ignoré dans leurs luttes contre les hérétiques ; sur le fond, le P. Alexis reprochait au P. Michel Azkoul d’avoir critiqué Augustin, devenu soudain une figure ecclésiastique importante de l’Eglise orthodoxe. A quoi s’ajoutait un peu de mesquinerie : le P. Michel Azkoul avait oublié de citer la Dogmatique du P. Michel Pomazansky, longtemps professeur à Jordanville, dont nous devons dire que, s’il fut un confesseur de la foi contre l’œcuménisme, il demeure dans sa théologie, marqué par l’esprit scolastique des Dogmatiques russes du XIXème siècle.

Depuis lors, le bruit d’une éventuelle condamnation officielle de la Dogmatique du P. Michel Azkoul, prononcée par le Synode des évêques, circulait, quoique certains esprits trop critiques fissent remarquer qu’aucun évêque de l’E.R.H.F. n’avait lu les œuvres d’Augustin.

Fin août 1987, on apprit enfin qu’au moins un évêque avait fait l’effort de lire la dogmatique du P. Michel Azkoul, Monseigneur Marc d’Allemagne, qui rendait maintenant son rapport si « irénique ». Orthodox News ayant publié en anglais ce rapport, l’opinion officielle du Synode est connue maintenant de tous.

Nous avons lu une première fois ce texte sans regarder la signature : le style nous en a paru celui d’un minutieux instituteur corrigeant les fautes d’orthographe, ou d’un professeur d’université pressé par l’amour de la connaissance. Ayant vu la signature au bas du document, nous avons jugé fort intéressante cette occasion d’étudier l’originale théologie de l’évêque Marc d’Allemagne. Le Père Michel Azkoul – qui a lui-même découvert ce texte par la Presse – y est traité avec mépris : « le pauvre père Michel Azkoul », « la malhonnêteté de l’approche de l’auteur » qui « de façon délibérée mélange tout ». Laissons tout cela : la brebis qu’il croit « égarée », l’évêque Marc va la chercher avec un fusil de chasse, et il se déconsidère en agissant ainsi.

Citons seulement ces quelques lignes où Monseigneur Marc croit justifier Augustin de ses erreurs : « Nous pouvons trouver des points faibles dans les écrits de tous les Saints Pères, mais nous n’allons pas rayer le nom de saint Basile de la liste des saints à cause de ses expressions incorrectes, de notre point de vue, sur la Sainte Trinité – qui sont dues à la pensée théologique imparfaite de son temps. Quant à l’absence de Service (liturgique) à Augustin, dont parle l’auteur, il ferait bien d’en approfondir les raisons et de les chercher dans le chauvinisme grec ».

L’évêque Marc enseigne donc trois erreurs incroyables :
1) Tout d’abord que la pensée théologique de saint Basile sur la Sainte Trinité n’est pas orthodoxe, puisqu’il a des « expressions incorrectes ». Le prélat d’Allemagne précise même que tel est « son point de vue ».

2) Il enseigne, nouveau petit Newman, l’évolution des dogmes, puisque la pensée théologique était « imparfaite » du temps de saint Basile ; on doute qu’elle soit parfaite aujourd’hui en lisant l’évêque Marc !

3) Il s’attaque à l’infaillibilité de l’Eglise, puisqu’il estime que des saints ne sont pas inscrits au calendrier pour des raisons nationalistes ou chauvines, comme si la conscience de l’Eglise n’était pas universelle.

Nous posons la question : les graves erreurs dogmatiques de l’évêque Marc ont-elles l’agrément du Synode des évêques de l’E.R.H.F., ou sont-elles seulement la propriété littéraire de l’évêque de Berlin ?

Dans notre prochain numéro, nous commencerons la publication d’une série d’articles sur la théologie augustinienne et sa prétendue conformité à l’enseignement patristique ; et nous verrons que le Père Michel Azkoul a très justement critiqué Augustin.

ALEXANDRE KALOMIROS QUITTE L’E.R.H.F.

Nous devons également signaler qu’un autre théologien, parfaitement orthodoxe, a quitté le Synode, le docteur Alexandre Kalomiros de Thessalonique ; dans une lettre au Métropolite Vitaly (datée de Mars 1987), A. Kalomiros réfute notamment l’idée qu’il puisse y avoir une hérésie sans hérétiques : « Nous devons remarquer que l’anathème de 1983, comme tout anathème de l’Eglise au cours de l’histoire, n’est pas prononcé contre une hérésie, mais contre des personnes concrètes qui enseignent une hérésie, et aussi contre ceux qui – même s’ils ont une confession orthodoxe par eux-mêmes – sont en communion avec ceux qui enseignent cette hérésie. Un anathème est toujours contre des hérétiques, jamais contre des hérésies. Une hérésie est condamnée, non anathématisée. L’anathème est une déclaration formelle de l’Eglise et un acte officiel qui sépare les hérétiques de l’Eglise ».

Le Père Lazare de Thessalonique et la paroisse dont Alexandre Kalomiros est membre ont donc quitte l’E.R.H.F., sans pour autant mentionner d’autres évêques, choisissant la courageuse mais difficile voie du zélotisme. Alexandre Kalomiros pense, en effet, que le temps des Synodes historiques est passé, et que nous sommes entrés dans les temps eschatologiques, où, selon le mot de Jean le Roumain, les vrais chrétiens adoreront en esprit et en vérité, avant le lever du soleil…

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